Hamas ou le miroir des frustrations palestiniennes 2738491790, 9782738491794

Suivant pas à pas le déroulement chaotique du processus de paix israélo-palestinien, Agnès Pavlowsky analyse les tension

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French Pages 223 [216] Year 2000

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Hamas ou le miroir des frustrations palestiniennes
 2738491790, 9782738491794

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Agnès PAVLOWSKY

HAMAS ou le miroir des frustrations palestiniennes Préface de Farhad Khosrokhavar

Comprendre le M oyen-Orient

L Harmattan

Collection Comprendre le Moyen-Orient dirigée par Jean-Paul Chagnollaud

Dernières parutions

Joseph KHOURY, Le désordre libanais, 1998. Jacques BENDELAC, L’économie palestinienne, 1998 Ephrem-Isa YOUSIF, L'épopée du Tigre et de l ’Euphrate, 1999. Sabri CIGERLI, Les Kurdes et leur histoire, 1999. Jean-Jacques LUTHI, Regard sur l'Égypte au temps de Bonaparte, 1999. Fabiola AZAR, Construction identitaire et appartenance confessionnelle au Liban, 1999. Akbar MOLAJANI, Sociologie politique de la révolution iranienne de 1979, 1999.

© L ’Harmattan, 2000 ISBN: 2-7384-9179-0

Agnès PAVLOWSKY

HAMAS ou

Le miroir des frustrations palestiniennes

Préface de

Farhad KHOSROKHAVAR

L'Harmattan 5-7, rue de ['École Polytechnique 75005 Paris - FRANCE

L'Harmattan Inc. 55, rue Saint-Jacques Montréal (Qc) - CANADA H2Y 1K9

Remerciements

Mes remerciements s’adressent à Maher Farraj, Nabil Abdel Razek, Sayyed et Naël Shyoukhi. Leur soutien, leur disponibilité m’ont été d’un grand secours pour la réalisation du travail d’investigation. Je tiens à exprimer ma reconnaissance à tous ceux qui, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, m’ont consacré du temps et ont accepté de répondre à mes questions fournissant ainsi le matériel essentiel à mon analyse. Je remercie Monsieur Farhad Khorsrokhavar et Jean Dupré qui m’ont éclairé de leurs conseils. Mes remerciements également vont à ceux qui ont corrigé le manuscrit.

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PREFACE Le travail de Madame Pavlowsky présente un mérite principal : celui de restituer le vécu des jeunes Palestiniens dans un contexte sociopolitique où malgré leur participation à l'intifada, ils sont souvent pris pour quantité négligeable autant par les autorités israéliennes que palestiniennes. Le décor est bien connu : d’un côté une histoire faite d’occupation, de présence massive de l’armée israélienne, de l’autre, une revendication nationale qui, faute de trouver une solution satisfaisante, est constamment menacée de dérapage dans l’extrémisme ou dans le culte de l’héroïsme désespéré. L’auteur montre comment cela se constitue historiquement, comment les divers courants islamistes prennent naissance sur fond de crise du courant nationaliste, comment apparaissent le Djihad et le Hamas sur fond de crise de la mémoire collective et des humiliations liées au processus de paix L Dans cette histoire où les dimensions politique et culturelle sont restituées avec finesse, on assiste à l’intifada puis, après le déclenchement du processus de paix dans les années quatre-vingt-dix, à un désenchantement profond suite à la crise économique et au régime d’autonomie où l’Autorité palestinienne s’enfonce dans l’autocratie sur fond de corruption et de l’autre, les divers pouvoirs israéliens qui se succèdent semblent ignorer la modernisation de cette jeunesse et sa quête de dignité. Devant ses multiples frustrations et l’humiliation que lui infligent constamment, dans la vie quotidienne, l’armée israélienne

k Une partie de ces analyses recoupe celles de Lætitia BUCA1LLE, Gaza, la violence de la paix, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris 1998.

mais aussi, et de plus en plus, l’Autorité palestinienne, celle-ci finit soit par se bercer des rêves extrémistes que les islamistes monnayent à leur profit, soit de l’exil mental ou réel du pays. Sur ce plan, un auteur israélien, Avishai Margalit, qui a été sensibilisé à ce type d'humiliation par les jeunes Palestiniens mais aussi par d’autres pays où sévit le déni de dignité aux citoyens, propose l’idéal d’une société décente où les institutions respecteraient l’individu, plutôt qu’une société uniquement mue par l’idéal de justice 2. Madame Pavlowsky nous montre de manière circonstanciée les modalités d’apparition des courants islamistes suite aux désillusions éveillées par le Fatah, mais aussi les divers clivages au sein de ces courants, entre le Djihad et le Hamas, et enfin les dissensions internes surtout dans ce dernier mouvement. Une partie de ce travail est consacrée à l’apparition des “ bombes humaines " où l’on note les divers ingrédients relevés dans d’autres cas de martyre au sein des mouvements islamistes radicaux, notamment l’influence du chebab, en particulier du frère aîné qui sert de modèle aux autres jeunes de la famille en détrônant, au passage, le père. On voit notamment, une fois de plus, le caractère problématique d’une certaine islamologie qui semblait attribuer le martyre et l’islamisme radical aux jeunes chiites avant que les exemples algériens et palestiniens ne viennent en démentir les présupposés. C’est que cette religiosité mortifère est beaucoup plus le produit d’une situation perçue et ressentie comme désespérée que l’expression dont on ne sait quel atavisme immémorial. Certes, les jeunes se servent de la symbolique religieuse pour sacraliser leur désespoir et le surmonter ainsi mythiquement dans la mort, mais c’est la modernisation des mentalités et une situation dramatique qui en sont l’origine et non la religion en soi. Cette recherche a pour grand mérite de nous livrer une analyse très fine de la crise de subjectivité chez les Palestiniens suite à une paix qui n’en est pas une pour eux, du moins jusqu’à présent. On entend de jeunes Palestiniens parler de leur dignité volée, de leur estime de soi piétinée, de leur honneur bafoué et de leur fierté écrasée non seulement

2. Avishai Margalit, La société décente, Editions climats, 1999 (1996 pour l'édition anglaise.

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par l’armée israélienne, mais par la nouvelle Autorité palestinienne qui n’a pas choisi la voie de la démocratisation pour faire participer sa jeunesse au processus de paix avec ses implications, ses désillusions, mais aussi ses éventuelles perspectives d’avenir. Brisée dans ses rêves d’émancipation et surtout, mise au pied du mur par l’entente israélopalestinienne qui signifie pour la grande majorité des Palestiniens la dégradation de leur situation économique et sociale et l'écroulement de leur rêve d’appropriation de la totalité des territoires d'avant l’instauration d’Israël, cette jeunesse a désormais le problème lancinant de mémoire et d’identité : honte d’être Palestinien ou Arabe et la tentation de se constituer une nouvelle identité par l’islam dans une version hargneuse et revancharde plutôt que démocratique, telle que le prônent à présent des intellectuels Iraniens contre le pouvoir des islamistes conservateurs en Iran . Quant à l’Autorité palestinienne, elle a choisi la voie facile et non démocratique pour asseoir son pouvoir. Elle aurait pu, non sans difficultés, il est vrai, rompre avec la corruption et l’autocratie en associant une partie de cette jeunesse au processus de constitution du nouvel Etat, en élargissant sa base et en démocratisant le pouvoir. Ne pouvant participer à une future société civile palestinienne, ayant la conviction de la servilité totale du Fatah face aux Israéliens (opinion peu fondée dans les faits, mais corroborée par le refus de communication d’un Yasser Arafat vieillissant et peu enclin à la démocratie), cette jeunesse ne sait plus à quel saint se vouer. L’islamisme est désormais moins une lutte pour la destruction d’Israël (que l’on sait impossible) qu’une tentative désespérée et mythique pour préserver sa dignité là où l’indignité guette au détour du chemin, que ce soit du côté israélien où elle est perçue avec suspicion smon mépris ou par le nouvel Etat palestinien en gestation qui ne le traite pas en futur citoyen mais comme membre inférieur au sein d’un Etat dominé par les hiérarques et le clientélisme. En filigrane, sur le constat dramatique de cet état de fait, on perçoit dans le travail d’Agnès Pavlowsky une double nécessité : celle de l’ouverture de 1’ " Etat palestinien ” à sa jeunesse et celle, tout aussi urgente pour les Israéliens de reconsidérer leur attitude vis-à-vis de ceux qu’ils devront, un jour, reconnaître comme des êtres souverains et dignes. Des voix se lèvent, d’un côté comme de l’autre, pour réclamer cette double ouverture. Farhad Khosrokhavar

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Fidèle à sa volonté de maintenir vivant l’ensemble du catalogue et de continuer à rendre accessible à tous la richesse de son contenu, Les marques du groupe L’Harmattan proposent les ouvrages, même s’ils sont épuisés dans leur premier tirage, et les impriment à la demande. Au vu de l’ancienneté de ce titre, un exemplaire original a été numérisé pour être réimprimé, ce qui pourrait altérer légèrement la qualité de certains passages.

INTRODUCTION

Après presque un siècle de lutte, Israéliens et Palestiniens se sont résolus à s’asseoir à la table des négociations. En septembre 1993, le Premier ministre israélien, Itzhak Rabin, a reconnu les Palestiniens en tant que peuple et l’OLP (l’Organisation de libération de la Palestine) comme leur instance représentative, et Yasser Arafat, le président de cette dernière, a reconnu le droit à l’existence de l’Etat d’Israël. Un dialogue a pu s’amorcer. Pour les Palestiniens de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, le processus de paix signifie l’instauration d’un régime provisoire d’autonomie et à terme la fin de l’occupation militaire israélienne. La création, un jour, d’un Etat palestinien devient plus vraisemblable. Mais ce processus de paix est lourd de conséquences quant à la représentation que les Palestiniens se font d’eux-mêmes en tant que peuple. Il s’appuie sur le retrait progressif des Israéliens de territoires occupés en 1967 et sur la renonciation par les Palestiniens à l’intégralité de la Palestine. Il implique donc une mise à distance des vecteurs et des idées forces du nationalisme palestinien puisque les Palestiniens sont amenés à se situer autrement par rapport à Israël. Ainsi, la définition de leur identité collective, qui se nourrissait d’un lien particulier à toute la terre de Palestine, est brouillée. De ce fait, les références identitaires auxquelles ils se sont reportés sont troublées et les fondements du projet national sont ébranlés. De leur côté, les islamistes palestiniens se sont réappropriés ce fonds commun identitaire. Ils ont reformulé le projet national initial de

l’OLP en lui affectant un caractère sacré. Ils ont construit ainsi un nationalisme que nous pouvons qualifier d’islamo-palestinien. Pour comprendre en quoi le processus d'Oslo est en contradiction avec le fonds commun dans lequel les Palestiniens ont puisé pour élaborer leur sentiment d'appartenance à un peuple, il est indispensable de rappeler des éléments clés de leur histoire. Les conflits de 1948, qui aboutissent au départ de centaines de milliers de Palestiniens de chez eux, cristallisent ce sentiment. Les Palestiniens nomment ces événements la Nakba, la catastrophe. En 1948, les réfugiés sont surtout des paysans qui ont perdu leur univers, leurs repères spatio-temporels. Alors qu'ils considéraient les autres Arabes comme les leurs, ils ne sont pas accueillis comme tels dans les pays frontaliers. L’exclusion dans des camps misérables, le mépris ressenti et la perte de la terre suscitent avec le temps un sentiment patriotique. La Nakba signifie la dispersion et le fait d'être nié dans une identité collective dont les Palestiniens ne prendront conscience qu'après coup. Elle est leur propre histoire, celle de leurs ascendants ou bien celle dans laquelle ils se reconnaissent en tant que victimes. C’est ainsi qu’ils se perçoivent comme semblables. La désignation d’un même ennemi est aussi un ferment d’altérité qui les différencie des autres Arabes. Les fragments de mémoire, les souvenirs retravaillés, les interprétations des épreuves assurent la permanence identitaire à travers les générations. Ce sont ces événements, à la charge émotionnelle extrême, ainsi conservés qui prennent sens pour les Palestiniens et constituent ce que Maurice Halbwachs nomme la “ mémoire historique 3 ”. La Nakba symbolise le drame de tous les Palestiniens, car les réfugiés qui se sont exilés ne sont pas les seuls à avoir été dépossédés de leur terre. En Israël, puis dans les territoires occupés en 1967, l'Etat juif a mis en œuvre un cadre juridique légalisant la confiscation des terres, toujours en vigueur. Dans les années 50, la “ disparition ” de la terre avait créé une douleur que l’historien Elias Sanbar qualifie d’impression de " trou noir Au fil des années, écrit-il, " Il est vrai qu'avec l'évolution du conflit, cette perception du " trou noir ” a été 3. A propos des concepts de " mémoire collective " et de " mémoire historique " se reporter aux ouvrages de Maurice Halbwachs, les Cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin Michel, 1994, et la Mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997.

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partiellement modifiée... La société israélienne est perçue comme un mariage contre nature avec cette terre arabe... De là, ce sentiment que la terre de Palestine attend de son côté le retour de ses occupants 4. " Interrogés, aujourd'hui encore, les jeunes parlent de la vie simple au village, des cultures abondantes, des relations de solidarité, de la sérénité. Le passé est embelli. Cette nostalgie d’un bien capturé par d’autres entretient une sorte de “ culte ”. La terre est un objet d'amour. L’attachement que l’on a pour elle est traduit dans des peintures, par des mains tendues vers le ciel et des poignets plongeant dans le sol d’épaisses et profondes racines. Elle est célébrée dans la littérature, dans les chants, dans les danses qui reproduisent les scènes d’une vie paysanne passée. Elle est “ terre usurpée " “ terre violée ”, “ terre martyre ”, “ terre de l'héroïsme La Nakba fonde la mémoire collective qu’elle a affectée du mythe du “ paradis perdu ”. Elle a forgé l’idéal de reconquête et progressivement, chez les Palestiniens sans Etat, un sens d’identité collective qui a débouché sur l’idée nationale et sur la revendication à 1 ’ autodétermination. Le mouvement national palestinien s'est donc formé au contact douloureux et à l’ombre du nationalisme juif. Il a aussi réagi en miroir à son agresseur, qui allègue que la Palestine est son foyer historique. C’est aussi pour s'inscrire dans une continuité et une unité qu’il a, de même, défini la Palestine comme le foyer historique des Palestiniens. Il rappelle que les Palestiniens sont majoritaires en tant qu'Arabes depuis 636, donc depuis treize siècles. Dans ce conflit d'antériorité, il s'appuie sur une histoire ancienne, une origine mythifiée avec des ancêtres communs, les Jébusiens, un groupe de Cananéens qui bâtit Jébus devenant plus tard Jérusalem. Un autre fait majeur a marqué ce mouvement national : c’est l’occupation après la guerre des Six Jours en juin 1967 de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem-Est. Dans les mois qui suivent, la résistance se développe. A jil al-Nakba, à la génération de la Catastrophe, succède jil al-Thawara, la génération de la Révolution. Chez les Palestiniens, l'image de l'homme qui défend sa

4. Elias Sanbar, l'Expulsion, Palestine 1948, Les livres de La Revue d'études palestiniennes, Paris, 1984, p. 224.

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terre un fusil à la main se superpose à celle du misérable qui mendie à l’UNRWA, (United Nations Refugees Works Agency), l’agence des réfugiés aux Nations unies. La résistance s'infiltre en Israël, réalise des opérations spectaculaires. La légende du fedaï, du combattant, s’édifie. Le fedaï, étymologiquement, est celui qui sacrifie sa vie pour l’amour de sa bien-aimée, la patrie. La bataille de Karameh est une victoire mémorable qui lui apporte ses lettres de noblesse. Dans ce camp de fedayin en Jordanie, le 21 mars 1968, après huit heures d’affrontements, l’armée israélienne ne parvient pas à venir à bout des combattants palestiniens et des Bédouins jordaniens. Le fedaï est glorifié et fait des émules. Une culture de la résistance naît. Des graffitis, des chants, des poèmes, un hymne national exaltent la lutte. A partir de 1967, dans la littérature, la résistance est un thème central. Le fusil, le drapeau, le keffieh qui dissimule le visage du fedaï ont une portée symbolique. Ainsi que l’explique Philippe Braud, ces objets deviennent des symboles politiques, mobilisateurs et identificatoires : " C'est l'efficacité mobilisatrice des investissements et projections opérés sur un signifiant, efficacité appréciée non dans l'abstrait mais en situation, qui authentifie le symbole proprement dit... les symboles authentiques peuvent offrir des points d'ancrage et de ralliement à des groupes qu'ils contribuent ainsi à définir. Ils proposent des grandes causes et des mythes prospectifs auxquels les individus seront susceptibles de s'identifier pour exister politiquement. Sur ce terrain, le symbolique entretient donc un rapport particulièrement étroit avec les problématiques identitaires 5. Les Palestiniens se voient comme des victimes relevant le défi par une lutte valorisante. Ainsi, nous pouvons constater que c’est par les actions de résistance que les Palestiniens déniés intègrent l'Histoire et s'affirment comme une communauté nationale. Le mouvement national se construit dans le sillage du nationalisme arabe et se reconnaît dans l'arabité, avec sa particularité la “ palestinité ” Selon l'époque et les idéologies des factions, l'un ou l'autre des cercles identitaires, arabe, musulman, palestinien, est mis en avant.

5. Philippe Braud, l'Emotion en politique-, problèmes d'analyse, Paris, Presses de Sciences Politiques, 1996, p. 86-88.

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Dans cette perspective, l'Organisation de libération de la Palestine, l’OLP, créée en 1964, mosaïque d'organisations plus ou moins proches ou opposées, n’a qu’un objectif, le retour en Palestine. Elle se veut la représentante de tous les Palestiniens. Sa Charte mentionne l'appartenance des Palestiniens au monde arabe. Elle déclare que leur patrie est la Palestine, dans les frontières du mandat britannique de 1920. L’identité palestinienne, est qualifiée d’inhérente à cette terre, dans ces limites-là. L'article 4 le précise: “L'identité palestinienne constitue une caractéristique authentique, essentielle et intrinsèque ; elle est transmise par les parents aux enfants. L'occupation sioniste et la dispersion du peuple arabe palestinien, par suite des malheurs qui l'ont frappé, ne lui font par perdre son identité palestinienne, ni son appartenance à la communauté palestinienne, ni ne peuvent les effacer 6*. ” Peu à peu, la plupart des Palestiniens considèrent l’OLP comme leur organisation, surtout après la défaite des pays arabes en 1967, car avec les actes des fedayins la lutte armée est consacrée. Or le contenu des accords ponctuant le processus de paix s’écarte de ce projet national d’origine de l’OLP. Il est en décalage avec les facteurs d’identification des Palestiniens. Pour en saisir l’importance, il faut revenir en arrière et mieux cerner l’évolution de l’OLP. Bien avant les accords d’Oslo, l’Organisation s’oriente vers un processus politique qui implique des compromis. Peu à peu, les territoires occupés en 1967 finissent par être l’espace possible pour la création d’un Etat palestinien. Reconnue par les Etats arabes, invitée à l'ONU, le 13 novembre 1974, dans un contexte régional et international mieux disposé à son égard, l'OLP est prête à négocier. En 1974, à la douzième session du Conseil national palestinien, elle proclame un nouvel objectif, l'établissement d'un pouvoir sur tout territoire libéré ou évacué par Israël. Sa finalité déclarée reste toutefois, un Etat palestinien sur l'ensemble de la Palestine. Pourtant, dès lors, la base de négociation est la création d’un Etat palestinien qui pourrait être édifié sur une partie du territoire revendiqué. La négociation est envisagée alors sans réconciliation, m reconnaissance d'Israël. L’OLP se

6. Charte de l'OLP de 1968, version française fournie par la Délégation générale de Palestine en France.

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prononce pour des conférences internationales dans lesquelles elle pourrait participer à égalité. En 1978, les Palestiniens sont opposés aux accords de Camp David, et le Front du refus, qui rejette tout compromis, rejoint la centrale. L'OLP n’accepte pas de ne pas avoir été partie prenante des pourparlers et de n’être toujours pas reconnue par Israël. Elle récuse la solution d’une autonomie en Cisjordanie et dans la bande de Gaza prévue dans les accords. Mais en 1982, Yasser Arafat affaibli par sa défaite et son retrait du Liban, demande explicitement la mise en œuvre du plan de partage de 1947. Un autre pas est franchi avec la Déclaration d'indépendance du Conseil national palestinien du 15 novembre 1988, qui reconnaît la légalité de l'Etat d'Israël puisqu'elle stipule : “ Sur la base des résolutions des sommets arabes... En vertu de la primauté du droit et de la légalité internationale incarnée par les résolutions de VOrganisation des Nations unies depuis 1947..4 Exerçant le droit du peuple arabe palestinien à l'autodétermination, à l'indépendance et à la souveraineté sur son sol... Le Conseil national palestinien, au nom de Dieu et du peuple arabe palestinien, proclame l'établissement de l'Etat de Palestine sur notre terre palestinienne, avec pour capitale Jérusalem (Al-Quods al-ShariJ)... L'Etat de Palestine est l'Etat de tous les Palestiniens où qu'ils soient7. “ La Déclaration s'appuie sur la résolution n° 181 de l'Assemblée générale des Nations unies du 29 septembre 1947, relative au partage, et tout en soulignant son désaccord avec ce texte, elle constate la " réalité incontournable, la division de la Palestine en deux Etats ". La Déclaration d’indépendance distingue la légalité d’Israël de la légitimité des droits des Palestiniens sur l'ensemble de la Palestine. A l’instar de la Charte, elle proclame que la terre est l'origine de l'identité palestinienne : " La Palestine est le pays natal du peuple arabe palestinien. C'est là qu'il a grandi, s'est développé et s'est épanoui. Son existence nationale et humaine s'y est affirmée dans une relation organique ininterrompue et inaltérée entre le peuple, sa terre et son histoire8. ” L'OLP ne renonce pas encore à la lutte armée. Sa

7. Déclaration d'indépendance dans : la Revue palestiniennes, Paris, Editions de Minuit, n° 30, hiver 1989, p. 5. 8 . Déclaration d'indépendance, ibid, p. 3.

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d'études

Déclaration est en conformité avec les tracts du Commandement unifié de l’intifada (le soulèvement) qui revendique les droits nationaux, le droit au retour, l'autodétermination, la création d'un Etat. Le processus de paix israélo-palestinien entamé en 1993 infléchit ces revendications. Dans les documents officiels, les idéesforces du nationalisme palestinien et les références identitaires ne sont plus toutes affirmées. Des ambiguïtés, des contradictions, des sujets inabordés, mettent en suspens certaines. La Déclaration de principes, négociée en secret à Oslo, signée le 13 septembre 1993 à Washington, et les lettres de reconnaissance entre Yasser Arafat et Itzhak Rabin, sont les outils de cette analyse car ils sont la base des accords suivants. La Déclaration de principes est issue du contexte de l'aprèsguerre du Golfe. L’OLP est politiquement et financièrement touchée. La conférence de Madrid s’ouvre le 30 octobre 1991, en présence des parties en conflit au Proche-Orient, sous le coparrainage des Etats-Unis et de l'URSS. Les sessions suivantes se déroulent à Washington. L'OLP n'y est pas physiquement présente, mais la délégation palestinienne est en contact permanent avec elle. Elle est composée de quatorze délégués et de sept conseillers choisis par la centrale et provenant des territoires occupés. Cette liste, obéissant à des critères stricts, a été approuvée par le gouvernement israélien. Les discussions portent sur une autonomie en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, formule qu’auparavant les Palestiniens avaient repoussée et qui ne correspond pas aux revendications de l'intifada. Les délégués palestiniens exigent le retrait des colons. Ils demandent que l’autonomie soit stipulée en tant qu’étape vers l’Etat palestinien. Les discussions s'enlisent, le soulèvement se fatigue, l'OLP prend le relais à Oslo, secrètement. La Déclaration de principes implique des transferts de pouvoir, une force de police palestinienne, l'élection au suffrage direct d'un Conseil législatif palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza : " étape préparatoire significative en vue de la réalisation des droits légitimes du peuple palestinien 9 ". Israël conserve la responsabilité de la défense et de la sécurité des Israéliens dans les territoires. 9. " The Déclaration of Principles on Intérim Self-Govemment Arrangements " in: Israeli-Palestinian Peace Documentation Sériés-, Jérusalem, Israël, Palestine Center For Research and Information (I.P.C.R.I), Volume 1, n°l, juin 1994, p. 14.

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L’expérience doit être étendue à l’ensemble des territoires sans préjuger du statut de Jérusalem, de l’existence des colonies, du retour des réfugiés, du tracé des frontières, ni surtout de la formule finale. Les règlements futurs doivent être basés sur les résolutions n° 242 et n 338 du Conseil de sécurité de l'ONU. La résolution n° 242 du 22 novembre 1967 réclame l'instauration de la paix et affirme, dans sa version française, le principe du " retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit ” ; dans sa version anglaise, cette résolution envisage le “ retrait des forces armées israéliennes de territoires occupés lors du récent conflit La résolution n° 242 affirme aussi le devoir “ de réaliser un juste règlement de la question des réfugiés La résolution n° 338 du 22 octobre 1973 réitère ces demandes et exige de mettre fin aux combats. Nous pouvons nous demander de quels réfugiés la résolution 242 parle-t-elle alors qu'elle est adoptée en 1967. Seulement de ceux de 1967 ? De plus, aucune des deux résolutions ne mentionne d'éventuels droits nationaux des Palestiniens. Par ce silence, ces documents ne sont-ils pas en contradiction avec les " droits légitimes et politiques mutuels “ rappelés en préambule de la Déclaration de principes ? De plus, si la négociation à propos des colonies est reportée à plus tard, le principe même de leur présence n’est pas remis en cause. Or leur existence rompt la continuité territoriale palestinienne et pose des problèmes de juridiction à un hypothétique Etat palestinien. Puisqu’aucun passage du texte n’invoque le droit à l'autodétermination en tant que tel, le doute subsiste. Sans présager des évolutions, la Déclaration de principes contient-elle en elle-même les termes d’une éventuelle acceptation israélienne d'un futur Etat palestinien ? Sans accomplir une analyse de droit international, il est utile de souligner que les territoires, sans parler de Jérusalem, y sont évoqués comme " territoires disputés Cela sous-entend qu'ils ne sont pas vraiment jugés occupés et qu'Israël pourrait avoir des droits sur eux. A la Déclaration de principes s'ajoutent deux lettres préliminaires de reconnaissance mutuelle. Yasser Arafat, dans celle du 9 septembre 1993 qu'il adresse au Premier ministre israélien, Itzhak Rabin, précise: "... L'OLP renonce à recourir au terrorisme et à toute forme de violence... L'OLP affirme que les articles et les points de la Charte palestinienne qui nient le droit d'Israël à exister ainsi

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que les points de la Charte qui sont en contradiction avec les engagements de cette lettre sont désormais inopérants et non valides10... “ En retour, le Premier ministre israélien lui adresse ce courrier : “ En réponse à votre lettre du 9 septembre 1993, je souhaite vous confirmer qu'a la lumière des engagements de l’OLP qui y figurent, le gouvernement d’Israël a décidé de reconnaître l’OLP comme le représentant du peuple palestinien et de commencer les négociations avec l’OLP dans le cadre du processus de paix au Proche-Orient11. Quelle est cette OLP qu'Israël finit par reconnaître ? La centrale palestinienne est un mouvement national en crise, dans un contexte international qui l’isole et le met au pied du mur. L'OLP reconnue n’est-elle pas une OLP “ dénaturée ” puisqu’elle met de côté des références identitaires, des symboles et des idées-forces du projet national initial ? La lutte armée, la libération ne sont plus d'actualité. Israël reconnaît l’OLP comme représentante des Palestiniens, mais sans assentiment officiel du droit à un Etat. L'annulation des clauses de la Charte réclamée par les Israéliens est d’abord votée le 21 avril 1996 par le Conseil national palestinien, Parlement de l'OLP, réuni pour la première fois en Palestine. Pourtant les Israéliens ne s’en contentent pas. Ils demandent que, conformément au dernier article de cette Charte, cette décision soit prise par les deux tiers des membres du Conseil national, ce qui n'avait pas été le cas. En décembre 1998, le Conseil national palestinien se retrouve plus nombreux pour confirmer ces annulations. La Charte était une profession de foi qui exprimait une définition collective du peuple palestinien. Son “ rabotage ” par l’instance représentative des Palestiniens engendre une gêne. En reconnaissant Israël, en s’interrogeant officiellement sur la Charte, on remet en cause le lien avec l’ensemble de la terre de Palestine, essence même du sentiment de l’appartenance à un tout, le peuple. Qu’en est-il alors de l’identité palestinienne ?

10. Document accessible dans " Israéliens et Palestiniens, la longue marche vers la paix ", les Cahiers de Confluences, Paris, L'harmattan, 1995, p. 243. n. Ibid., p. 244.

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Ainsi nous pouvons percevoir la distance qui sépare l'orientation politique du processus de paix des aspirations, des valeurs, des symboles qui ont rassemblé les Palestiniens. Elle conduit à des tentatives d'accommodements, dont les propos de Camille Mansour sont l’illustration : " Ce que les Palestiniens offrent aujourd'hui aux Israéliens, c'est une légitimité acquise. Ce serait de la flatterie méprisable si, porté par ces moments historiques, je prétendais qu'ils leur reconnaissaient une légitimité originelle 12 ” Quoi qu’il en soit, tant que les Israéliens n’auront pas admis le mal commis envers les Palestiniens en 1948, ceux-ci auront la sensation plus ou moins diffuse, que renoncer à ce qu’ils nomment les terres de 48, c’est se renier soimême. L’idée-force du retour est l’objet d'un véritable bricolage symbolique de la part de l'Autorité palestinienne. Dans les textes signés entre Israéliens et Palestiniens, le retour des “ déplacés ” de 1967 est envisagé, mais pas celui des réfugiés de 1948 pour lesquels des réunifications de familles sont à étudier. L'Autorité palestinienne semble s’être résignée à ne plus revendiquer le retour de tous à leur lieu d'origine. Elle s’accroche au droit de retour dans ce qu’elle espère être le futur Etat palestinien, sachant que tous les réfugiés ne le souhaiteront pas et que l'espace concerné, la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem-Est, est trop étroit pour accueillir environ trois millions et demi de personnes. Le bricolage est le suivant : la nationalité serait acquise aux réfugiés. Pourtant, quels que soient les montages, en mettant ainsi l'accent sur les territoires occupés en 1967, les différences entre les Palestiniens sont soulignées : entre les réfugiés et les autres, entre les réfugiés eux-mêmes, ceux de 1948 et ceux de 1967, appelés “ déplacés ”, entre ceux assimilés dans les pays d'accueil et ceux qui y vivent sans être intégrés mais qui pourraient l'être dans l'avenir. Nous pouvons en conclure que le processus de paix, tel qu’il est engagé, génère chez les Palestiniens une gêne dans leur rapport avec leur mémoire historique et leur propre communauté. Une conception réaliste quant aux circonstances et aux contraintes politiques a conduit les représentants palestiniens à réviser l’idée nationale dont ils étaient

12. Camille Mansour, Révolution et réciprocité, Paris, Le Monde, 15 septembre 1993.

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porteurs afin de l'insérer dans le champ du possible. En contrepartie, la mémoire collective et la notion d'un peuple au destin commun sont malmenées. L’islamisme palestinien reprend à son compte les références identitaires et s’autoproclamé le vrai dépositaire de l’héritage palestinien et le garant de l’identité. Il apparaît comme une quête de sens et l’affirmation d'un passé commun. Dans quelle mesure l’attraction exercée par les islamistes s’inscrit-elle dans cette problématique identitaire engendrée par le pragmatisme politique des dirigeants palestiniens ? C’est ce que le présent volume tente d’analyser. C’est pourquoi nous vous proposons d’étudier la lecture que les islamistes font de l'identité et du combat palestiniens et donc la façon dont ils imbriquent le religieux et le nationalisme. Le sentiment national palestinien, comme tout sentiment identitaire, est le fruit d’une élaboration. Il est donc susceptible de transformations. Pourtant, tout ébranlement des systèmes symboliques, des repères, remettant en cause les points d'ancrage identitaires, est déstabilisant. L’adaptation au remodelage du nationalisme palestinien est complexe car ses formes nouvelles sont imprécises. En outre, la distanciation d’avec la mémoire collective n'a pas été intériorisée au cours d'une évolution sociale et historique, ell£ a été imposée par des circonstances politiques. Et pourtant, dès l'intifada, la majorité de la population des territoires occupés en 1967 s'est alignée sur le slogan d'un Etat palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Déjà, dans le milieu des années 70, cette revendication avait fait son chemin. L'enthousiasme populaire a accompagné l'annonce de la signature de la Déclaration de principes et l'arrivée des premiers soldats et policiers palestiniens. Cela confirme que les Palestiniens dans leur majorité, y compris les réfugiés, étaient plutôt disposés à un compromis historique. S’en accommoder semblait d’autant plus plausible que se projeter avec espoir dans l'avenir était possible. Nombre de ces Palestiniens voyaient dans le processus de paix l’étape fondatrice d’un Etat palestinien et se réjouissaient que la tension connue pendant l’occupation militaire disparaisse. Ils pensaient qu’ils avaient enfin la chance de construire le pays. Les valeurs considérées comme positives, le combat, la lutte, la résistance, étant entre parenthèses, en voie d’être dépassés, auraient pu être supplantées par celles de solidarité, de responsabilité collective. Les nouvelles valeurs auraient permis de se reconnaître dans un effort commun pour des œuvres gratifiantes accomplies après une trentaine

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d'années d'occupation humiliante. Notre hypothèse s’appuie sur des observations et sur des propos entendus dans les premiers mois d'application de l'autonomie. Dans toutes les couches de la population, on évoquait la création des infrastructures, le développement de l’agriculture, du commerce, la mise sur pied d’une industrie, d’un enseignement performant, des soins de qualité. Les Palestiniens exprimaient ainsi leur aspiration à vivre dans la dignité. Construire le pays était une volonté partagée, mais les déboires économiques, les balbutiements du processus de paix ont empêché qu’elle devienne un ferment de mobilisation. De plus, le centralisme de l’Autorité entrave toute initiative. Cet élan initial démontre que l’impact de l’idéologie du Hamas ne repose pas seulement sur la distorsion des références identitaires mise en jeu par le processus de paix. Il tient aussi à l’absence de références mobilisatrices de substitution. L’islamisme apporte donc une vision d'avenir : un idéal auquel croire. Seule opposition visible, le Hamas est le réceptacle des mécontentements, des colères, des désenchantements. Les accords stipulaient qu'après le mois de mai 1999, la période intérimaire serait terminée et que le statut final des territoires occupés en 1967 aurait été négocié. Mais le processus de paix s’est enlisé. Et pourtant, avec l’élection en mai 1999 au poste de Premier ministre du travailliste Ehud Barak, une nouvelle période devrait s’ouvrir durant laquelle les rapports de force au sein de l’échiquier politique palestinien pourraient être bouleversés. Cette recherche, qui vise à mettre en relief les circonstances des relations entre le Hamas et l’Autorité, les ambiguïtés, les enjeux, pendant la phase d’autonomie, peut dessiner quelques pistes pour comprendre ce proche avenir. Elle tente d’élucider les atouts et les faiblesses d’une organisation en crise, en proie aux dissensions internes. Aujourd’hui le Hamas, le Mouvement de la résistance islamique (MRI), est la seule organisation populaire qui fait face à l’Autorité palestinienne et au Fatah, la faction majoritaire palestinienne, celle de Yasser Arafat. La gauche ne s’est pas relevée de la chute du bloc de l’Est, elle se cherche d’autant qu’elle a été aussi prise de cours par le processus de paix. Nombreux sont ceux qui délaissent ses rangs et l’action purement politique. Les tentatives d’intellectuels, d’indépendants, d’anciens membres de factions, de militants des droits de l’homme pour former une alternative

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démocratique et critique au processus de paix ont été vaines. Quant au Djihad, concurrent islamiste du Hamas, il n’a pas eu pour vocation à sa création d’être un mouvement de masse mais concentrait ses efforts sur les opérations militaires. Il a été sévèrement frappé par les mesures prises à son encontre par Israël déjà avant l’autonomie, surtout pendant l’Intifada. Le Hamas, quant à lui, bien que diminué sous les assauts conjugués des services de sécurité israéliens et palestiniens s’affirme toujours comme un contre-pouvoir et un acteur incontournable d’un processus de paix qu’il veut anéantir. Il est difficile d’évaluer dans quelle proportion la population soutient le MRI. Il ne s’est pas présenté aux élections du Conseil législatif de janvier 1996 et il n’y a pas eu d’élections municipales depuis. Nous pouvons constater son succès dans les élections syndicales, dans celles des chambres de commerce, dans la plupart des conseils étudiants où il se présente, sous l’appellation de Bloc islamique. Depuis le processus de paix, sa progression est remarquable. Les cérémonies commémoratives pour la mort de ses martyrs réunissent chaque fois plusieurs milliers d’individus d’une même ville ou d’un même district. Comment expliquer l’attraction de cet islam chez les Palestiniens ? Pourquoi des jeunes, surtout dans le milieu universitaire, se reconnaissent-ils islamistes ? Pourquoi en est-il de même de certains intellectuels ? Pour répondre à ces questions, la démarche s’est voulue explicative. H s’est agi de pénétrer au plus près de la mentalité de ces islamistes tout en adoptant un point de vue critique envers leurs discours. Ainsi, nous avons tenté de dégager la trajectoire des acteurs sociaux et politiques islamistes, de cerner, au travers des propos recueillis au cours d’une trentaine d’entretiens, leurs motivations et de les rendre intelligibles ; de décrypter des contradictions et d’élucider le sens de leurs discours. Pour comprendre leur état d’esprit, il a fallu analyser notamment leur conception du sacrifice au nom de l’islam. C’est pourquoi, au-delà des situations socio-économiques et des personnalités de ceux qui se transforment en “ bombes humaines ”, nous nous sommes attachés à saisir les diverses acceptions possibles de leur acte. Ainsi, nous avons pu distinguer les axes de continuité et les axes de rupture avec le martyr national. Cet examen est réalisé à partir de données recueillies dans des familles, de quelques messages laissés

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par les acteurs et surtout de commentaires, de réactions et de justifications des islamistes interrogés. Ces islamistes appartiennent en majorité au Hamas qui est un prototype de l’islam radical et politique. Pour eux, l'islam est un système politique en soi. Leur idéal est d’établir un Etat islamique. L’islam devient un engagement militant où le politique et le religieux sont entremêlés, se justifiant l’un l’autre. Le Hamas est issu du mouvement des Frères musulmans dont les premières bases en Palestine sont établies en 1945. Ce mouvement, créé en Egypte en 1928 par Hassan al-Bannâ assassiné en 1948 par la police secrète égyptienne, est un instrument de lutte sociale et politique. Il milite pour un réveil de l'islam, une réislamisation de la société, des pratiques, des conduites et un approfondissement de la foi. Il exige la justice sociale selon les préceptes de la religion. Il veut bâtir une société ayant pour modèle celle proposée par le Prophète Mahomet et ses compagnons, en suivant les principes du Coran et de la Sunna, la tradition. Les Frères musulmans plaident pour l’application de la charî'a, la loi islamique à la place de toute autre loi. Pour eux, l’islam est un système global qui intervient dans la vie privée et dans la vie publique. Dans tous les domaines, l’islam apporte des réponses, suggère des pistes. Sayyed Qutb, exécuté en Egypte en 1966, est lui aussi un idéologue majeur pour les islamistes. Sa pensée prolonge celle d’Hassan al-Bannâ. Egalement influencé par le Pakistanais Mawdûdi, il prône une opposition plus frontale contre les régimes en place et rejette toute coopération avec eux. Au lieu du réformisme, il préconise la violence et assimile le Jihad (la guerre sainte) à la guerre à mener contre les gouvernements impies qui se déclarent musulmans. Il parle de guerre défensive et de révolution. Depuis les années 80, ces concepts sont radicalisés par les groupes islamistes qui en appellent aux meurtres de dirigeants et justifient des actes de terreur. Outre ces deux guides spirituels et politiques, les islamistes palestiniens sont aussi inspirés par Izz al-Din al-Kassam, un dirigeant de la résistance armée, tué par les Britanniques en 1935, qui a eu un rôle important dans le déclenchement de la grande révolte de 1936-1939. Il qualifiait la lutte contre les Britanniques et les Juifs de Jihad. Dans les années 80 et à la faveur du soulèvement, tous les islamistes palestiniens, vivant dans une société sans Etat et occupée, ont fini par associer religion et nationalisme. Ils

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se présentent comme les fidèles héritiers de l’histoire palestinienne et musulmane en soutenant un nationalisme palestinien sans concession. Tout d’abord, nous étudierons l’histoire de cet islam radical en Palestine, de son évolution et de son contenu idéologique. Puis nous analyserons les relations entre l’Autorité palestinienne et le Hamas. La période choisie s’étend des premiers jours de l’autonomie, en mai 1994, à la fin octobre 1999, veille des négociations sur le statut final des territoires occupés en 1967. Le dernier accord de la période intérimaire signé à Charm el Cheikh le 4 septembre 1999 prévoit en effet que ces négociations débutent en novembre13. La dernière partie de ce livre nous entraînera dans l’univers mental des acteurs islamiques. Nous pourrons ainsi dégager les ressorts de la mobilisation de l’islam politique en Palestine et les significations de l’acte du martyr palestinien qui, perpétuant un attentat, ne se laisse aucune chance d’en réchapper lui-même. Cet ouvrage a pour ambition de fournir quelques éléments qui pourraient être utiles pour la compréhension de la dynamique politique et sociale à court terme dans cette région du monde.

13. Les accords d'Oslo stipulaient que la phase intérimaire prendrait fin en mai 1999, mais cette date n'a pas été respectée. L'accord de Cham el Cheikh du 4 septembre 1999 définit un nouveau calendrier selon lequel, mifévrier 1999, un accord cadre devra dégager les grandes orientations d'un accord final israélo-palestinien qui devrait être adopté en septembre 2000.

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CHAPITRE 1

LES ISLAMISTES PALESTINIENS AVANT L’AUTONOMIE

L’EMERGENCE DES ISLAMISTES

Le phénomène islamiste s’exprime différemment et se développe plus ou moins selon les contextes nationaux et les situations politiques. En Palestine, il a connu une longue traversée du désert, son principal obstacle ayant longtemps été le nationalisme mobilisateur de l'OLP. Avant les années 70, le mouvement des Frères musulmans est freiné par la popularité du nationalisme sous ses variantes idéologiques, ba'athistes, nassériennes et socialistes. Les circonstances sont très défavorables aux Frères palestiniens. La fondation de l’OLP en 1958, parrainée par Gamal Abdel Nasser, leur porte un coup terrible, et plus encore la prise de la direction de la centrale palestinienne dix ans plus tard par le Fatah, faction nouvellement constituée, car ses membres les plus éminents, entre autres Yasser Arafat, Abou Jihad, Abou lyad Salim Zaanoun, sont eux-mêmes d’anciens Frères musulmans qui vont prendre le devant de la scène politique palestinienne. Dans la bande de Gaza, sous administration égyptienne, Gamal Abdel Nasser pourchasse les Frères. En Cisjordanie, administrée par le roi de Jordanie Hussein, ils ne sont tolérés que comme rempart contre le communisme. La

plupart des Palestiniens se méfient d’eux pour leur soutien au roi de Jordanie qui s’oppose à Gamal Abdel Nasser. Par la suite, les Palestiniens leur reprocheront d’être en faveur d’un roi qui a massacré les leurs en septembre 1970. Dans les territoires occupés, au début des années 80, les Frères musulmans cantonnent leurs activités aux domaines social, religieux et éducatif, la période n'étant pas propice, selon eux, à la libération de la Palestine vu que le rapport de forces est trop déséquilibré. Ils estiment en outre que la société est en état de barbarie car elle s’est éloignée de Dieu et des préceptes de l’islam. Elle est dépravée par les occupants juifs et par les factions palestiniennes nationalistes et laïques et celles de la gauche marxiste. Ils comparent l’état de la société à la Jahilyya, ère de l’ignorance, de la période antéislamique. Les adeptes de l’islam radical ont actualisé ce concept avec lequel ils désignent les Sociétés qui vivent dans le " péché ", " ignorance de Dieu ”, la " perversion ", la " dépravation des mœurs ", les " modes de vie occidentalisés ". Leur but est donc de transformer la société, de la réislamiser. Les idées laïques, les mœurs occidentales doivent être balayées, et l'islam authentique doit être respecté. Cheikh Ahmed Yacine, un instituteur réfugié, habitant de Gaza, établit al-Majma ’al-islami (la Société islamique), noyau du mouvement dans la bande de Gaza. Les Frères prêchent dans les mosquées et établissent un réseau, avec des écoles, des jardins d'enfants, des associations caritatives, des clubs culturels, sportifs, des librairies. Ils aident financièrement les familles dans le besoin et allouent des crédits sans intérêt à des étudiants nécessiteux. Sous l’effet des événements historiques et grâce à leur investissement social, ils deviennent une véritable alternative. Les idéologies nationalistes arabes sont affectées par la défaite de 1967 et l’échec de la guerre de Kippour en 1973. Des intellectuels remettent alors en cause la légitimité des gouvernements et s'interrogent sur le nationalisme. C’est alors en grande partie le discours islamiste qui va porter la contestation de l’ordre politique et social. Les espoirs que les Palestiniens avaient placés en l’OLP s’amenuisent en dépit de l’accueil réservé par les Nations unies en 1974 à Yasser Arafat et à sa mémorable allocution, à cause des dissensions internes qui la secouent. L’organisation évolue et ses principes s’en trouvent altérés, ce qui sème la confusion. Ainsi, elle a remplacé la revendication de la " libération de toute la Palestine ” par celle d’un " Etat palestinien en

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Cisjordanie et dans la bande de Gaza Par la suite, sa défaite au Liban, en 1982, en dépit d’une résistance dont l’armée israélienne vient difficilement à bout, est vécue comme un traumatisme. Des Palestiniens tournent alors leur regard vers l’Iran où la révolution a instauré depuis 1979 un régime qui propose un scénario d'avenir pour les pays musulmans puisqu’il a l’avantage d’être fondé sur la religion et de s’opposer à la fois au capitalisme et au communisme : l’Etat islamique. Une solution politique, basée sur des principes qui ne sont pas importés d’Occident, devient envisageable. Dans la même période, des organisations islamistes prouvent qu’elles peuvent atteindre les régimes en place. L'assassinat du Président Anouar al-Sadate en 1981 par un militant en est une démonstration. En 1983-1984, après l’éviction de l'OLP du Liban, dans le sud du pays, les islamistes du Hezbollah, d’obédience iranienne, reprennent le flambeau de la résistance. Une autre donnée ne doit pas être négligée : la montée du discours haineux de juifs religieux et nationalistes radicaux. Ils se réclament du sionisme religieux, alors en plein essor, qui allie le sionisme — idéologie politique affirmant la nécessité de créer un Etat juif pour que les juifs, minoritaires dans les autres pays, puissent y trouver un refuge s’ils sont maltraités ou massacrés— et le credo religieux de la terre promise. Les tenants de cette mouvance estiment qu’il est du devoir de tout juif de s’approprier la terre. Certains s’en prennent à des sites hautement symboliques pour les musulmans, arguant que ce sont des lieux sacrés juifs. Ils veulent en exclure toute présence non juive. Ainsi, ils voudraient expulser les musulmans du tombeau des Patriarches à Hébron et de la mosquée al-Aqsa (!'Eloignée) à Jérusalem pour y reconstruire le Mont du Temple. L’un des mouvements représentatifs du sionisme religieux est le Goush Emounim, le Bloc de la foi. H se fait remarquer par ses implantations sauvages de colonies qui mettent les gouvernements israéliens successifs devant une série de faits accomplis. Ce parti a été fondé en 1974 par des dissidents du Parti national religieux, établi en 1956 et héritier du Mizrahi, initiales de Merkhaz Ruhani, centre spirituel, premier et unique mouvement religieux orthodoxe réformiste à être sioniste, dès 1902. Le Bloc de la foi se veut un trait d’union entre les séculiers et les religieux. Il apporte une dimension mystique à “ la reconquête de la Judée Samarie ”,

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Les sentiments religieux musulmans s’en trouvent attisés et, comme en écho, un nationalisme islamique commence à s’exprimer ; de même nature il procède d’une association entre religion et nationalisme. Il emprunte un vocabulaire religieux déjà employé par les nationalistes de l’OLP, y compris ceux de tendance marxiste, qui ont plus ou moins intériorisé la religion comme élément identitaire. La phraséologie religieuse de ces islamistes a une fonction idéologique qu’elle n'a pas forcément pour les factions de l’OLP. Chez ces dernières, elle répond plutôt au désir d'être compris par la majorité musulmane et utilise la charge émotionnelle de la symbolique religieuse sans élaboration doctrinaire théorisée. Ainsi, ces factions ont toujours utilisé des termes religieux tels que Jihad, qui se traduit par guerre sainte, et shahid, martyr, celui qui meurt pour Dieu au nom de l’islam. Alors que Jérusalem est revendiquée comme capitale de l’Etat palestinien, la mosquée al-Aqsa est adoptée par tous comme le symbole de la Palestine. Abou Ammar, nom de combattant de Yasser Arafat, est une allusion à Ammar Ibn Yasser, un des premiers convertis à l’islam, compagnon du prophète et vaillant combattant. Le mot Fatah, acronyme de Mouvement de libération nationale, signifie “ conquérir pour l'islam " et aussi “ ouvrir ”, ainsi évoque-t-il le premier verset du Coran, fathia, “ l’ouverture ”, Dans ses communiqués, l'OLP s'adresse toujours à la population " au nom de Dieu, le Miséricordieux Cette instrumentalisation du vocabulaire et des symboles religieux a bien sûr préparé le terrain à un amalgame entre le religieux et le nationalisme. Ce glissement s’est accompli dans les années 80 chez les Frères musulmans. Le mouvement s’autoproclamé le défenseur de la Palestine, ses militants sont plus énergiques, plus virulents pour imposer l’islamisation. Leur prosélytisme prend même une forme violente. Ils attaquent des commerçants qui vendent de l'alcool, des cassettes, qualifiées par eux de pornographiques ; ils s'en prennent à des femmes dont l’allure et la conduite sont jugées indécentes et lancent sur certaines des jets d'acide. Ils perturbent des mariages célébrés sur une musique occidentale. Dans les universités, ils gagnent des élections dans les conseils étudiants sous l'étiquette du Bloc islamique. C'est d’ailleurs chez les étudiants que les confrontations entre les Frères et les factions de l’OLP se multiplient, dans un climat tendu où ces dernières s'empoignent déjà entre elles durant les trois années précédant

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l’intifada14, déclenché en décembre 1987. Ces islamistes agressent surtout des militants de la gauche de l'OLP et les communistes, et se rapprochent parfois du Fatah. Si dans les milieux intellectuels ce mouvement des Frères progresse, il reste encore peu influent dans la société parce que malgré des allocutions très enflammées contre Israël, les Frères n’agissent pas encore contre l'occupation. Pourtant leur islam politique clame son objection à toutes les négociations tandis que l’OLP s'engage dans la voie des compromis pour la paix. Par ailleurs, des Frères se détachent du mouvement et, avec d’autres Palestiniens, construisent le Djihad. Et cette nouvelle organisation qui donne au langage nationaliste une dimension religieuse et à la religion une version nationaliste en tire d’emblée, à la différence des Frères, l’application pratique : la lutte armée contre l’occupant.

LES PREMIERES MANIFESTATIONS DU NATIONALISME ISLAMISTE PALESTINIEN

Le Djihad, d’emblee une organisation de résistance Le Djihad s’est constitué dans la seconde moitié des années 70. Ali Saftawi15, l’un de ses responsables dans la bande de Gaza, en retrace les étapes : " Le Djihad n ’a pas de date de fondation. Nous disons qu 'il est un enfant qui a grandi ou qu 'il est une matière qui s'est accumulée. Il s'est bâti peu à peu grâce aux efforts de diverses 14 La principale cause des tensions entre les factions de l'OLP est le rapprochement entre Yasser Arafat et la Jordanie qui, après bien des difficultés, se finalise par un projet d'accord le 11 février 1985 sur une confédération entre un Etat palestinien et la Jordanie. La ligne de fracture se situe entre les partisans d'Arafat disposés à négocier dans le cadre de la légalité. 15. Ali Saftawi est d'une famille de réfugiés originaire d'Ashkélon. Il est né en 1962 et jusqu'au baccalauréat il a étudié à Gaza, à l'école de Palestine. Puis il a poursuivi ses études à Beyrouth et a séjourné en Syrie. Il a passé cinq ans en France pour étudier la comptabilité. Adolescent, il militait au Fatah comme son père, Assaf Saftawi un des fondateurs du Djihad.

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personnes et particulièrement de ceux, dAbdel Aziz Auda et de son fondateur Fathi Shikaki, ancien Frère musulman qui auparavant avait été nassérien. En 1975, au Caire, ce dernier a rassemblé des étudiants. Puis en 1978, il a organisé un camp d’été, où durant trois mois, il a enseigné l'Islam, la culture, l'histoire et des règles organisationnelles. Il voulait que ce camp prépare des militants islamiques capables de fonder un mouvement et de le structurer. Après cette formation ces étudiants sont revenus en 1980 et en 1981 en Palestine où, surtout dans les camps et les villages, ils ont fait de la propagande. Ils ont aussi commencé à travailler dans les universités. ”. Le Djihad constitue des groupes paramilitaires qui attaquent des cibles israéliennes, soldats ou colons. Ainsi, il est l’avant-garde révolutionnaire d’une grande armée islamique qui détruira Israël. Nafez Azem16, un des dirigeants actuels du Djihad dans la bande de Gaza, expose les motivations des fondateurs : " Le mouvement a vu le jour vers la fin des années 70. C’était une période de chaos sans vision islamique précise en Palestine d’un point de vue politique. Un mouvement islamique existait bien, mais il ne suggérait que des façons de vivre, des modes de conduite au quotidien. Nous pensions que l'islam et le nationalisme étant un tout, il nous fallait combattre. Donc, avec le docteur Shikaki, nous cherchions des réponses à la relation entre islam et culture et à la position de l’islam sur la question palestinienne. ” Jean-François Legrain nous éclaire sur l’origine politique de ceux qui rejoignent l’organisation : " Une évolution interne aux mouvements de type " Frères musulmans ” explique sans doute l'itinéraire de bon nombre de sympathisants plus ou moins actifs du Djihad islamique, et tout particulièrement des intellectuels du groupe. Les noyaux durs, armés, paraissent plus composites, mêlant, quant à 16. Nafez Azem est un imam et l'un des rédacteurs du journal Al Istiqlal, L'Indépendance, l'organe du Djihad. Né en 1958, il vit dans le camp de réfugiés de Rafah, sa famille étant originaire d'un village proche d'Ashkélon. En Egypte, durant trois ans, il a étudié la médecine, puis il a été emprisonné dix mois à la suite de l'assassinat du président Sadate. Arrêté à quatre reprises par les Israéliens, il a effectué des séjours de cinq à trois mois et demi dans leurs prisons.

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eux, des jeunes issus de ces milieux jusque-là absents de la scène armée, et d'anciens militants de l'aile religieuse du Fatah. D'autres encore ont adhéré au Djihad après avoir combattu dans les rangs des diverses organisations de résistance, y compris marxisantes 17. " Le Djihad palestinien s’inscrit donc dans la nébuleuse du Djihad islamique qui apparaît alors dans les pays musulmans dans la foulée de la révolution iranienne et d’actions armées réalisées au nom de l’islam, tel l’assassinat du président égyptien Anouar al-Sadate. Ainsi, bien que composé de Sunnites comme la presque totalité des Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza, le Djihad est plus marqué que les Frères par la révolution iranienne, qui lui inspire quelques-unes de ses conceptions qu’Ali Saftawi nous expose : " Nous n’avons jamais hésité à soutenir les objectifs de la révolution iranienne et nous avons adopté les analyses de l'Algérien Malek Din Nadi, de l’Egyptien Sayyed Qutb et surtout de penseurs iraniens, notamment Khatami et Shariati, dont nous apprécions l ’humanisme qui distingue quatre ensembles de population dont certains peuvent parfois se juxtaposer : les musulmans qui doivent être frères, les chrétiens et les juifs en face desquels' les musulmans doivent être modestes et dont nous devons pardonner les errements religieux, les mustadafi, les opprimés, les déshérités, qui ont le droit de se battre pour acquérir leurs droits et choisir leur religion sans contraintes, et la classe des oppresseurs qui veulent utiliser tous les moyens pour parvenir à leur fin sans considération des individus. ” Les militants du Djihad sont prêts à mourir comme martyrs pour la guerre sainte, le Jihad Q contre Israël, de la même façon que les

17. Jean-François Legrain, " Les islamistes à l'épreuve du soulèvement ", Monde arabe Maghreb-Machreck, Paris, la Documentation française, n° 121, juillet-août-septembre 1988, p. 14. Q Pour faciliter la lecture, j'utilise deux orthographes. Le Djihad est le mouvement politico-religieux, le Jihad est la prescription coranique qui recouvre deux sens : " le grand Jihad " qui est l'effort moral pour être vertueux, suivre les commandements de Dieu, supporter la souffrance et le " petit Jihad " qui est le combat guerrier à mener par les musulmans pour se défendre ou dominer à l'exemple du prophète. Ces concepts seront plus amplement étudiés dans le chapitre 7 consacré à la sacralisation du conflit.

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combattants chiites qui, dans leurs actions meurtrières, ne se ménagent pas de possibilité pour sauver leur vie. Pour le Djihad, la guerre sainte est la révolution islamique, seul moyen de transformer la société. Il admet que les Frères ont laissé un héritage mais rejette leur réformisme, aussi bien social que politique, et leur passivité vis-à-vis d’Israël. Il désavoue les régimes arabes qui, selon lui, se sont écartés de l’islam, et se refuse à composer avec eux. Comme Sayyed Qutb, il voudrait les renverser. S’inspirant du modèle iranien chiite, qui n’est pas l’islam des Palestiniens, le Djihad palestinien prêche pour un œcuménisme musulman. Ses publications insistent sur les points communs, minimisent les controverses et contestent que le chiisme soit une hérésie. D’après cette organisation, Khomeyni éclaire les esprits, défend la nation islamique, sa foi, sa civilisation contre les forces sataniques occidentales, et en premier lieu Israël et les Etats-Unis. Dans cette optique révolutionnaire, le Djihad, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, renverse donc les priorités des Frères puisque pour instaurer une société islamique, il veut d'abord libérer le pays. Son combat est contre “ l ’entité juive sioniste ”, Israël, qui doit être détruite car elle est impérialiste et impose une loi étrangère à des musulmans. Comme les Frères, il désavoue l'idéologie non religieuse de l'OLP et surtout, il dénonce sa stratégie qui ne s'en remet plus à la lutte armée pour parvenir à la victoire. Pourtant il est moins belliqueux envers l’OLP que les Frères, il n'agresse pas ses membres et établit des liens avec le Fatah. Le Djihad se présente comme un groupe militaire, plutôt clandestin et élitiste, et non comme un mouvement de masse, ce qui nuit à son développement d’autant que dans la guerre irano-irakienne il prend parti en faveur de l’Iran alors que les Sunnites sont plutôt partisans de l’Irak. Pourtant, le Djihad suscite l’admiration des Palestiniens grâce aux opérations périlleuses qu’il exécute dans les mois précédant l'intifada, opérations qui vont les galvaniser.

LES FRERES MUSULMANS : UN NATIONALISME EN ATTENTE Alors que le Djihad accède à une certaine notoriété menaçant de faire de l’ombre aux Frères, ceux-ci évoluent. La multiplication et la

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spécialisation de leurs structures témoignent de leur résolution à s’investir aussi dans la lutte contre l’occupation. Leurs discours se font plus menaçants envers Israël. Tant que cette transformation ne sera pas inquiétante pour les Israéliens, satisfaits de voir les dissensions entre Palestiniens s’approfondir, les Frères ne seront pas inquiétés. En 1982, à partir de la Société islamique, cheikh Ahmed Yacine crée les alMajahadoun al-Falestinioun, les moudjahidin palestiniens, combattants de la foi, qui s’arment et s’affrontent d’abord à d’autres Palestiniens. Dans le paysage politique du moment, leurs cibles privilégiées sont les communistes qui, plus encore que les factions marxisantes de l’OLP, (Front populaire et Front démocratique pour la libération de la Palestine) n’hésitent pas à se présenter comme athées. Leurs bureaux sont attaqués. Puis peu à peu, l’orientation vers la lutte contre Israël se fait plus précise. Un stock d’armes est découvert en 1984 par les services secrets israéliens qui annoncent que sa composition et son ampleur leur font craindre qu’il était destiné à des opérations contre Israël. Cela conduit le gouvernement israélien à réexaminer ses positions à l’égard des Frères musulmans et à prendre des mesures à leur encontre. Cheikh Ahmed Yacine est arrêté pour la première fois et condamné à treize ans de détention. Il est rapidement relâché lors d’un échange de prisonniers entre Israël et le Front populaire commandement général de Ahmed Jibril en mai 1985. Après sa libération, cheikh Ahmed Yacine reprend ses activités en vue d’édifier un appareil militaire tandis que les Frères musulmans continuent de s’en prendre à ceux qu’ils désignent comme hérétiques, ceux dont la conduite est jugée immorale notamment les vendeurs de drogues, d’images ou de films pornographiques. Selon le bureau de la presse israélienne, organe du ministère de l’information, leur section de sécurité, Jehaz Aman, est mise sur pied en 1986 pour rassembler des renseignements sur les collaborateurs avec Israël. Ceuxci sont punis par des unités du nom de Majjd, acronyme de Majmouath Jihad u-Dawa, “ guerre sainte ” et “ groupe de mission ”. A l’évocation de cette période, des responsables du Hamas confirment que, dans les années 1983-1984, l’idée d’une résistance a pris forme et qu’un appareil militaire s’est constitué.

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Les islamistes pendant l’Intifada Le DJIHAD EN DECLIN Pourtant, au début de l’Intifada, c’est le Djihad —qui a déjà lancé ses opérations spectaculaires — qui a le vent en poupe. Les Palestiniens sont réceptifs à ses tracts incitant au martyre et à la résistance. A partir de 1987, sa parenté idéologique avec l’Iran amène ce pays à lui apporter des subsides, ce que Fathi Shikaki admet dans des interviews. Selon lui, l’argent est destiné à financer des actions, à aider les familles d’activistes, à construire des mosquées. Tout en se déclarant solidaire du Commandement unifié du soulèvement (CU), le Djihad ne s’y associe pas et martèle sa condamnation de toutes négociations, assimilées à des ‘‘solutions capitulardes Des chercheurs, comme Jean-François Legrain, pensent que quelques-uns de ses membres, proches du Fatah, se sont joints au Commandement à titre personnel. Mais l’organisation en tant que telle n’en faisait pas partie ainsi que l’atteste un communiqué du CU en 1988 qui précise les éléments le composant, à savoir les principales forces actives alors dans les territoires occupés : le Fatah, le Parti communiste palestinien, le Front populaire de libération de la Palestine et le Front démocratique. Bien que n’y participant pas, le Djihad, adepte de la lutte armée au nom de l’islam, pour préserver l’unité dans la diversité, se conforme aux directives du CU qui, durant les deux premières années, prohibe l’utilisation des armes et envisage d’autres modes de résistance. Toutefois, à l'automne 1988, il réagit très vivement à la Déclaration d'indépendance du Conseil national palestinien et proteste contre l’idée d’une paix qui serait obtenue au prix de l’acceptation du partage de la terre, considéré comme un véritable sacrilège. Dès le printemps 1988, l’organisation est frappée de plein fouet par la répression israélienne alors qu'elle n’est encore qu’un groupuscule paramilitaire. Ses dirigeants sont expulsés, des cadres militaires éliminés. Les arrestations, déjà importantes avant le soulèvement, se multiplient. Le Djihad ne pourra pas se reconstruire de l’extérieur, malgré ses relations avec l’Iran puis avec le Hezbollah libanais. Des contacts s’établiront en effet avec cette organisation, lors de l’expulsion de certains membres du Djihad en décembre 1992. D’après l’armée

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israélienne, ces contacts se concrétiseront à trois reprises par des attaques conjointes au Sud-Liban, dans la zone dite de sécurité, occupée par Israël.

L’Intifada,

un tournant pour les Freres musulmans

De LA NECESSITE DE CREER LE HAMAS

Contrairement au Djihad, les Frères musulmans tirent profit du soulèvement, ils se développent et ils poursuivent la transformation du mouvement. Un premier tract est diffusé le 15 décembre 1987, soit une semaine après le début de F Intifada, sous la signature d ’Harakat alMuqawama al-lslamiya (Mouvement de la Résistance islamique, MRI). Ce mouvement se fait rapidement connaître sous son acronyme, Hamas (zèle, enthousiasme, bravoure). Sa création est la solution trouvée par les Frères pour sortir d’un dilemme. Accusés par les nationalistes et par le Djihad d’inertie envers l'occupant, comment pourraient-ils étendre leur audience et même la préserver s’ils ne s’impliquent pas dans l’intifada ? Mais, s'ils y prennent part, ils mettent en danger leurs structures et sont en contradiction avec leur principe qui est de réislamiser la société préalablement à l’engagement dans la lutte contre Israël. Quand l'intifada éclate, des jeunes Frères adjurent leurs aînés d’être de la partie. C'est dans ce contexte que naît le Hamas. Les Frères ne veulent pas s’engager dans le soulèvement sous leur nom, d'où la création de ce mouvement satellite. Le docteur Abdel Aziz Rantissi18, un des fondateurs du Hamas, confirme cette analyse : " Le mouvement est une branche des Frères musulmans. Mon rôle était de l'implanter. Son nom, qui comprend le mot résistance, a été choisi afin d'évoquer sa mission. ". Jamil Hamami, fondateur de la branche de Cisjordanie, est plus précis à propos de cette création. Il affirme : " Il est difficile de dire pourquoi le Hamas a été établi. Les Frères musulmans ont des règles 18. Le docteur Abdel Aziz Rantissi est l'un des islamistes dont les interviews sont citées à plusieurs reprises et dont on trouve une brève biographie se trouvant en annexe.

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religieuses, sociales, politiques qu 'ils diffusent partout dans le monde, donc en Palestine. Certains pensaient qu'il fallait construire le Hamas pour avoir un mouvement qui serait inséré dans le courant politique général, celui de l'intifada. Il s'agit bien d'un calcul pour se protéger, quel que soit le résultat du soulèvement, comme l'explique Ziad Abou Amr, professeur de sciences politiques à l’université de Bir Zeit en Cisjordanie et député au Conseil législatif palestinien : " Le calcul était probablement que si l'Intifada échouait, les Frères musulmans pourraient désavouer le Hamas et échapper à tout châtiment israélien pour sa participation. Si l'intifada continuait, les Frères musulmans auraient pu en tirer bénéfice en clamant que c'était leur Intifada 19 ”. Le virage politique effectué par les Frères en s’engageant dans la lutte contre l’occupation a semblé brutal. Pourtant il est vraisemblable qu’à moyen ou à long terme une telle orientation aurait été prise. Les caches d’armes étaient prêtes et le Jihad contre Israël avait été évoqué. Cependant, selon eux, dans les territoires occupés, il restait prématuré dans cette société trop éloignée de l’islam. C’est l’intifada qui a bousculé ce jugement. L'un des membres éminents de l’organisation, cheikh Sayyed Abou Moussameh, explique pourquoi les Frères sont sortis de leur attentisme : “Avant le Hamas, j'étais chez les Frères. Comme Palestinien, je voyais mon pays occupé. J'ai été arraché de chez moi, j'ai émigré, puis il y a eu une nouvelle occupation. Quand j'ai vu les Juifs venir en 1967, construire les colonies, obtenir ce qu'ils voulaient, clamer qu'ils étaient les propriétaires, j'ai pensé que, pour combattre, il fallait une renaissance sociale. J'estimais que l'islam pouvait y parvenir. Dans les années 70, nous nous concentrions sur la question sociale, sur la propagation de la religion, tandis que l'occupation devenait de plus en plus dangereuse, que l'oppression s'aggravait. Au début de l'intifada, des Frères musulmans, dont moi-même, avons formé le Hamas pour un affrontement direct avec les occupants. Nous voulions résister. ”.

19 Ziad ABOU Amr, " A historical and political background ", Journal of Palestine Studies, XXII, n° 4, été 1993, p. 11.

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Dans ses relations avec l'OLP, le Hamas suit les traces des Frères et, contrairement au Djihad, entre en compétition ouverte en se présentant comme l’alternative. A la Charte de l’OLP et à la déclaration d’indépendance de 1988, il réplique par sa propre Charte, manifeste en seize articles, publiée en août 1988, qui est sa profession de foi. Les citations de cette Charte sont tirées d’un ouvrage d’Ahmed Hisham 20. Ce document officialise l’affiliation du mouvement aux Frères musulmans tout en le distinguant de l’organisation mère. Il y est indiqué que la guerre sainte, devoir de tout musulman, n’est pas un devoir parmi d’autres, mais l’unique moyen de libération afin d’édifier un Etat islamique de la Méditerranée au Jourdain. Défendant cette conception, le Hamas se définit comme le “ fer de lance ” et " l'avantgarde de la lutte ” contre le sionisme mondial. Il encourage tous les groupes islamiques dans le monde à l’imiter. Dans sa Charte, trois cercles de combat sont énoncés : palestinien, arabe, musulman. La première place attribuée au cercle palestinien implique une “ palestinisation ” de la vision des Frères palestiniens, sous l’effet sans doute de l'intifada. Ce nationalisme diverge de la doctrine des Frères, qui désavoue l’identité nationale et lui objecte la communauté musulmane, Oumma. De même qu’il contredit la ligne du fondateur des Frères, Hassan al-Bannâ faisait de l'Egypte son premier maillon. Il remet en cause la pensée de Sayyed Qutb, qui récusait l'appartenance nationale comme blasphème relevant de l'époque préislamique, époque de l'ignorance. Tout en se réclamant d’une identité universelle, la communauté musulmane, le Hamas affirme sa spécificité palestinienne, son patriotisme (Wataniyya) : " C'est une partie intégrale de notre credo religieux. Les Frères palestiniens entrent en résistance sous la bannière de l'islam par le biais de l'intifada qui leur imprime un cachet national. C'est donc au prix d'ajustements et même de révisions de leurs propres concepts qu’ils adoptent l'héritage national. Il est à noter qu’en dépit de la singularité du Hamas, les autres Frères n’ont pas démenti son appartenance à leur mouvement prouvant ainsi une capacité

20. H. Ahmed Hisham, From religious salvation to pohtical transforma tio : the rise of Hamas in the palestinian society, Jérusalem, Passia, 1994, pp. 130-159.

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d’adaptation aux contextes locaux et une prise de conscience par tous de la puissance du sentiment national. En dépit de son opposition à l’OLP, le Hamas admet que cette organisation a réussi à unifier les Palestiniens, à déjouer le rêve de ceux qui voulaient annihiler ce peuple et à former une nation avec des réfugiés. Dans sa Charte, il clame que l’OLP est “ la plus proche du cœur du mouvement de résistance islamique ", " Notre ennemi est un ennemi commun ”, déclare-t-il. Cependant, il reproche à la centrale palestinienne de ne pas chercher à instaurer un Etat islamique. Il s’insurge contre toute négociation avec Israël et récuse toute conférence internationale et toute initiative “ qui légitimeraient le pouvoir des infidèles ". La terre palestinienne, " terre musulmane ", est sacrée et, comme le Djihad palestinien, le Hamas introduit une connotation religieuse dans le conflit. Contrairement aux tracts du CU qui distinguent "juifs ”, "sionistes ", "Israéliens ”, "occupants ", dans une volonté de définir clairement l’ennemi, le Hamas annonce dans ses communiqués qui lancent des appels au Jihad et au " martyr pour la gloire d'Allah " qu’il mène un "combat contre les juifs ” pour la libération qui sera la victoire de l'islam. Il affirme : " Le jour du jugement ne viendra pas avant que nous combattions et tuions les juifs. ” Ses tracts, outils d’émulation et d’incitation à l’escalade dans la confrontation avec Israël, surenchérissent aux arguments religieux par des propos haineux envers les juifs. "Ils sont la progéniture des singes et des cochons ”, peut-on lire. Les juifs sont incriminés en tant que tels et nous assistons à une généralisation qui fait de tout juif un ennemi et à une véritable diabolisation qui contraste avec les propos du CU 21.

Infrastructure etactions de résistance

Le Hamas est dirigé par des Frères, membres d'al-Majama, (la Société islamique), qui deviennent les personnalités de sa branche politique. A sa tête, cheikh Ahmed Yacine, arrêté une première fois en 1984, supervise la plupart des activités : la rédaction des tracts, le

21. Ce processus de diabolisation de l'ennemi chez les partisans du Hamas est analysé dans le chapitre 7 consacré à la sacralisation du conflit.

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financement, les liens avec les groupes à l’étranger, les actions contre l’occupant. Il est secondé par un réseau de responsables locaux. Jamil Hamami, l’un des prêcheurs de la mosquée al-Aqsa de Jérusalem qui quittera l’organisation en 1993, est chargé de l’établir en Cisjordanie. Il est l’intermédiaire entre cheikh Ahmed Yacine dans la bande de Gaza et les Frères en Jordanie, et est très actif sur la région de Jérusalem, de Bethléem, de Ramallah. Dans le district d’Hébron, des personnalités comme Jamal Mohamed Natché, cheikh Abdel Khalak Natché, Nizar Ramadam, animent le Hamas. A Naplouse, Jamal Mansour et cheikh Ahmed Bitawi sont parmi les figures de proue. Dans la bande de Gaza, il est dirigé par ses fondateurs. Outre cheikh Ahmed Yacine, parmi les plus connus nous trouvons le docteur Abdel Aziz Rantissi, le docteur Ibrahim al-Yazuri et l’enseignant Abdel-Fattah Dukhan. A leurs côtés, très rapidement le docteur Mahmoud Zahhar se révèle un personnage de premier plan. Outre ces personnalités locales, il faut signaler deux cadres du bureau politique, résidant en Jordanie et dirigeants de la première heure, Mohamed Nazzal et Khaled Misha’al. Tous ces militants et dirigeants des débuts du mouvement ont des points communs. Qu’ils soient ou non issus de familles de réfugiés, tous viennent des Frères musulmans. Pendant l’intifada, ils ont déjà une quarantaine d’années. Ils ont fait des études qui, pour la plupart, ont été de longue durée. Ils sont médecins, physiciens, ingénieurs, enseignants, journalistes, guides spirituels. Ils font partie de la classe moyenne et sont des intellectuels au statut social plutôt élevé, exerçant dans des domaines reconnus utiles à la communauté. En plus, avec les points d’ancrage dans la population que constituent les organismes caritatifs des Frères, leurs écoles coraniques et surtout les mosquées qui sont leurs lieux de prédication, le Hamas possède des atouts pour développer un courant politique populaire. Moshen Abou Atta, un des membres actifs de Gaza, qui a été responsable dans une des plus grandes institutions caritatives des Frères puis du Hamas, Jam'iyyat al-sqlah al-islamiya (l’Association islamique pour la propagation des bonnes manières), fondée en 1978 par Mohamed al-Kurd, explique : “ Dès les premiers jours de la création du Hamas, nous étions prêts à mettre sur pied des comités chargés de missions spécifiques, clairement délimitées : action sociale, journalisme, éducation, propagande, armée. Nous n’avons pas été pris de cours. Des personnes compétentes et qualifiées dans

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chaque matière ont été nommées ou confirmées dans une tâche qu ’elles menaient déjà à bien. ” Ainsi le Hamas a-t-il bénéficié d’une branche politique préexistante, composée d’un bureau et d’une cellule d'information, distribuant des tracts, des bulletins, des communiqués. Les unités de sécurité, déjà opérationnelles pour punir les personnes de mauvaise conduite et les collaborateurs avec Israël, sont renforcées, puis finiront par être remplacées par des troupes de choc plus chevronnées qui interrogeront, voire tueront les suspects. Elles ont aussi pour mission d’obliger la population à suivre les directives du Mouvement, qui peuvent ne pas correspondre à celles du Commandement unifié. Plus longtemps que celui-ci par exemple, elles tentent d’empêcher les travailleurs palestiniens des territoires de se rendre en Israël, seul lieu où ils peuvent trouver du travail. C’est dans le nord de la bande de Gaza qu’agissent ces groupes paramilitaires préexistants à la création du Hamas durant les deux premières années de l’intifada. Ensuite, une véritable branche armée voit le jour avec les brigades d’Izz al-Din alKassam et les opérations contre les Israéliens redoublent également en Cisjordanie. Elles sont diversifiées et s’inscrivent dans la dynamique du soulèvement puisque la branche armée du Hamas concourt largement à la multiplication des attaques contre l'armée israélienne comme les factions du commandement unifié. Après avoir initié “ la révolution des couteaux ”, les brigades du Hamas utilisent les armes à feu, les cocktails Molotov, les grenades. Elles provoquent volontairement des accidents de voiture. Leurs cibles sont les soldats, les colons, le personnel des services de sécurité israéliens. Leur façon de procéder démontre une préparation minutieuse et une audace qui font grandir leur renommée. Des soldats israéliens tombent dans des embuscades ou sont tués dans des courses-poursuites en voiture. Izz al-Din al-Kassam se fait remarquer dès 1989 par l’enlèvement et le meurtre qu’il revendique des soldats Avit Sas Portas, le 17 février, et lia Sa’adon, le 3 mai. Le 18 mai, cheikh Ahmed Yacine et une centaine d'hamsaouis sont arrêtés et le Hamas, qui avait progressé jusqu’alors sans avoir trop à se soucier de la répression est déclaré “ organisation illégale ” en septembre. L’hebdomadaire Palestine Report, du 18 décembre 1998, rappelle les propos du ministre délégué israélien de l’époque, Yossi Beilin, un des artisans des accords d’Oslo, qui en décembre 1994 admettait : " Nous avons fait une terrible erreur quand nous avons

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laissé se développer le Hamas au début de l'Intifada. La plus grande faute est celle des officiels de la sécurité qui n’ont vu en Hamas qu'une organisation religieuse opposée à l'OLP. ". La répression israélienne à laquelle le MRI est confronté à partir de 1989 n’entame pas sa détermination et pendant l’intifada il mène de nombreuses opérations. En décembre 1992, les brigades d’Izz al-Din al-Kassam tuent quatre soldats. Et le 13 décembre de cette même année, elles enlèvent le garde-frontière Nissam Toledano et exigent pour sa libération celle de cheikh Ahmed Yacine. Les Israéliens donnent l’assaut et le soldat est retrouvé mort. En représailles, Israël expulse temporairement quatre cent quinze islamistes au Sud-Liban et en arrête mille cinq cents. Malgré cela, le Hamas continue à s'illustrer par des opérations ; il infiltre même des militants en Israël depuis la Jordanie et, en mai 1992, depuis Aqaba en Egypte. Contrairement au Commandement unifié, il s’attaque à des civils en Israël. En décembre 1990, trois employés d’une usine sont tués à Jaffa. Le 16 avril 1993, sur une route proche de la colonie de Mehola, dans la vallée du Jourdain, le premier attentat suicide est commis ; il est le seul à être réalisé avant les accords d’Oslo signés cinq mois plus tard. Ces opérations suscitent alors une question : sont-ce des actes isolés ou s’agit-il de coups d’essai qui rompraient avec l’état d’esprit de l’Intifada, opposé aux meurtres de civils israéliens ? Quoi qu’il en soit, dès la première année de l’autonomie, ces actes se sont révélé précurseurs d’une nouvelle méthode de combat du Hamas : le massacre de civils avec la mort quasi certaine des assaillants. Pendant l’intifada, les soutiens extérieurs permettent au Hamas de mener ses actions et de maintenir ses structures malgré la répression. L’importance de l’aide financière et militaire qu’il reçoit est impossible à évaluer. S’il a toujours nié être financé par des Etats, il admet par contre recevoir des contributions en argent d’institutions religieuses et d’individus. Nous constatons que, pendant la guerre du Golfe, l'Arabie Saoudite a apprécié sa position jugée plus équilibrée que celle de l'OLP. En outre le MRI, déterminé à se lancer dans des opérations militaires pour entraver les pourparlers de Madrid, a retenu l’attention de l'Iran. Pourtant, à ses débuts, il a affiché une position hostile envers l’Iran. Sa Charte est silencieuse à propos de la révolution iranienne et cheikh Ahmed Yacine a même été jusqu’à décrier ce régime. Néanmoins les points d’accord l’emportent. L’Iran, lui aussi, récuse à l’Etat juif le

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droit d’exister et clame sa haine contre lui et contre l’impérialisme américain. Les doctrines et les objectifs des dirigeants de ce pays et des islamistes palestiniens du MRI convergent. En octobre 1990, sur l’initiative de l’Iran, des membres du Hamas participent à une conférence islamique sur la Palestine. En octobre 1992, le ministre des Affaires étrangères iranien, Velayeti, invite une délégation du Mouvement, lui promet de l’aide notamment un versement annuel de trente millions de dollars. La coopération s’officialise avec l’ouverture d’un bureau du Hamas à Téhéran, dirigé par Imad al-Alami, expulsé de Gaza en 1990. Le Hezbollah se dit disposé à monter des opérations conjointes. A l’occasion de l'expulsion, en décembre 1992, des 415 islamistes palestiniens, les deux organisations approfondissent leurs relations. D’ailleurs, à leur retour, les expulsés du Hamas qualifieront de fructueuses et très instructives pour le Mouvement leurs rencontres avec des militants du Hezbollah. Relations du Hamas avec l 'OLP et le Commandement unifie

L’intransigeance du Hamas envers Israël l’oppose à l’OLP, plus mesurée. Il agit en dehors du Commandement unifié et ses relations avec celui-ci sont conflictuelles. Au début du soulèvement, le Hamas oblige les commerçants à suivre ses propres mots d'ordre de grève. Quand ceux-ci n’obtempèrent pas, leurs magasins peuvent être brûlés, parfois même avec l'aide de soldats israéliens. Désapprouvée par la population, la formation finit par se plier aux mots d'ordre de grève du Commandement unifié tout en y rajoutant les siens. Elle ne s'attaque pas directement au CU, mais diffuse ses propres principes : la disparition d'Israël, la victoire de l'islam. Elle critique la laïcité de l’OLP et son programme : l'établissement d'un Etat palestinien aux côtés d'Israël. Pendant le soulèvement, les dissensions s’exacerbent donnant lieu à des affrontements. Après chaque accrochage violent, les responsables locaux conviennent d’un pacte d’honneur signé mais rapidement violé. Ni le MRI ni le CU n’acceptent de rapprocher leurs points de vue. Cependant aucun des deux ne veut être accusé de mettre en péril l’unité nationale. En juillet 1990, l'OLP et le Hamas se rencontrent à Amman pour cesser la guerre des tracts et déterminer des buts communs. Chacun reconnaît l’importance politique de l'autre et

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l'OLP admet l’indépendance du Hamas. Pourtant, les confrontations se poursuivent. Le Hamas progresse. Ses actions le rendent populaire. En outre, il bénéficie de l’écroulement de la gauche et de la crise de l’OLP, qui a vu ses caisses se vider après la guerre du Golfe, l'Arabie Saoudite et les Emirats lui ayant retiré leur soutien à cause de son appui à l’Irak. Le Hamas acquiert alors une position de force qu’il va tenter d’exploiter. Or, bien que l’OLP soit affaiblie, elle n’en demeure pas moins une instance représentative qui a fini par être reconnue par la communauté internationale. Le Hamas voudrait donc en être membre pour y exercer un pouvoir décisif et modifier ses orientations. En août 1991, il se propose d’intégrer la centrale palestinienne moyennant l’attribution de quarante de ses sièges tout en posant ses conditions : le renoncement à la Déclaration d'indépendance de 1988, le rejet des résolutions de l’ONU qui reconnaissent Israël, le retour à l’option militaire. Il réclame aussi que l’OLP se transforme en mouvement islamique et opte donc pour la création d’un Etat islamique sur toute la Palestine. La centrale refuse de se plier à ces exigences et de modifier son programme ; elle n’est par ailleurs disposée à ne concéder que 8 % des sièges. Par la suite, les pourparlers de paix à Madrid en 1991 vont accentuer les divisions au sein même du Commandement unifié fournissant au Hamas l’occasion de se dresser au rang de dirigeant de l’opposition formée d'une coalition de dix factions, dont le Front populaire pour la libération de la Palestine et le Front démocratique, marxistes. Cette alliance contre nature se donne pour vocation d’entraver le processus en cours. Plus les discussions s’enlisent, plus nombreux sont les Palestiniens qui s’intéressent au Hamas. En 1992, celui-ci s’affiche de plus en plus comme alternative. Ses manifestations rassemblent des milliers de personnes au côté de ses hommes cagoulés de noir et armés de fusils. Les résultats d'élections locales, chambres de commerce, conseils étudiants, syndicats professionnels prouvent que la sympathie envers cette formation grandit. Elle recueille en moyenne le tiers des sièges. En décembre 1992, elle gagne encore du terrain auprès de l’opinion palestinienne en faisant figure de victime et de martyr d'Israël après l’arrestation massive d’islamistes et l’expulsion de 415 d’entre eux, en majorité du MRI, vers le Liban. Ces mesures de représailles n'entament pas son

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action militaire et son prestige est encore rehaussé. L'OLP ne peut alors négliger ces sentiments populaires : elle suspend les négociations avec Israël, se montre solidaire du Hamas et rétablit ses relations avec lui. C’est le régime islamiste du Soudan qui sert de médiateur. Le 4 janvier 1993, à Khartoum, un premier communiqué commun est publié et il est décidé de coordonner des actions pour une escalade du combat. Chacun promet de ne plus s’en prendre à l’autre. Des rencontres ultérieures sont envisagées afin de favoriser le dialogue. Une direction commune de l’intifada est aussi prévue ainsi qu’un comité chargé des affaires d’expulsions. Ce programme commun périclite car les divergences sont trop profondes. Le Hamas maintient son exigence d’adhérer aux structures de la centrale aux conditions précitées et il essuie le même refus qu'auparavant car le Fatah craint une prise de pouvoir du Mouvement au sein de l’OLP. Pourtant il aurait peut-être pu maîtriser plus facilement la situation si le Hamas avait fait partie de l’Organisation. Le rapprochement se révèle un échec et l’OLP décide de mener la politique qu’elle a choisie quelles que soient les circonstances. C’est pourquoi en avril 1993, ne tenant compte ni des islamistes ni de la population, elle autorise la délégation palestinienne à reprendre les discussions à Washington, alors que les expulsés sont toujours au Sud-Liban et que les territoires occupés sont bouclés. Pression sociale du Hamas

Pendant toute cette période de l’intifada, le Hamas ne se contente pas d’être une alternative politique ; il tente de faire valoir sa conception de la société dans laquelle les individus doivent se soumettre aux principes de l’islam dont il aurait la prérogative de l’interprétation. C’est principalement sur le rôle de la femme qu’il tente d’imposer ses vues. En effet, lors de manifestations, des soldats israéliens battent des femmes palestiniennes ou les repoussent quand elles s’interposent entre eux et les jeunes. On assiste donc à des contacts physiques. Des jeunes filles sur le chemin du lycée sont injuriées. Des femmes emprisonnées sont peut-être violées, d’autres sont menacées de l'être. Le Mouvement fait état de ces dangers dans une société où l'honneur de la famille dépend de la virginité des femmes. Il fait campagne sur le thème de la vulnérabilité féminine et des risques de collaboration qu’elle

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engendrerait. Il insiste sur le rôle protecteur de la famille et sur les périls auxquels sont confrontées les femmes à l’extérieur de leur maison. Islah Jad et Rema Hammami expliquent pourquoi la femme retient tant l’attention des islamistes : " Le but du fondamentalisme (et là nous parlons d'une façon générale quel que soit le contexte) comme idéologie et comme mouvement est de diriger et cela en utilisant la structure familiale comme laboratoire de son contrôle social et politique. Et les femmes, comme génitrices des enfants et garantes du foyer sont ainsi au centre du programme fondamentaliste22. Les islamistes ne font pas qu’alerter. Ils harcèlent, lancent des rumeurs et même font preuve de brutalité comme en témoigne Majda al-Saqa, de Khan Younis dans le sud de la bande de Gaza, membre d'un comité de femmes affilié au Front populaire de libération de la Palestine : “ Pour mes amies comme pour moi, il n'était pas question de nous conformer à leurs injonctions. Alors on nous a jeté des pierres et même des acides. On nous accusait d'être de mauvaise vie. Nous étions très peu à nous révolter. Nous avons dû nous incliner et nous voiler, au moins d'un banal foulard. Après les deux premières années de l’intifada, la présence des femmes dans les manifestations se fait plus rare. On constate une chute de la fréquentation scolaire chez les filles et une augmentation des mariages très jeunes, bref un retour au foyer. Dans la bande de Gaza, des vendeuses, des employées démissionnent. Le port du hidjab s'impose. En 1993, nous avons pu observer que les jeunes femmes travaillant dans un bureau de presse avaient changé de tenue pour sortir. Elles avaient remplacé leur pantalon par une jupe longue et s’étaient munies d’un voile : " C’est à cause du Hamas ”, ont-elles expliqué. Pendant le soulèvement, celui-ci a donc poursuivi son programme d’islamisation avec un certain succès. A partir de 1989, l’expression religieuse connaît un regain qui n’est pas seulement la conséquence de l'ascendant du Hamas mais qui s’avère pour lui un facteur propice. Les mosquées sont plus fréquentées, plus nombreux sont ceux qui pratiquent le jeûne du Ramadan et les cinq prières journalières. Le Commandement unifié

22. Jad ISLAH, Rema Hammami "Women and fundamentalist movement ", News from within, octobre 1992, p. 7.

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recourt dans ses communiqués à des versets du Coran. Ces attitudes plus religieuses sont des affirmations du nationalisme, de l'identité. Elles sont aussi l’expression d’un ascétisme engendré par un climat de souffrances, de deuils. On ne fait plus la fête pendant l'intifada, même lors des mariages. La recrudescence des pratiques religieuses permet au MRI de propager sa propagande politico-religieuse dans les mosquées et ainsi de faire basculer la religion — source de ressourcement, affirmation identitaire — en un mode de lecture du conflit. Pendant le soulèvement, les islamistes palestiniens du Hamas deviennent une vraie force politique et sociale d’opposition à l’OLP et particulièrement au Fatah de Yasser Arafat. Ils influent sur les comportements, les modes de vie. Le Hamas devient le réceptacle des déçus, des mécontents, de ceux qui ne se retrouvent pas dans le processus de paix débuté à Madrid. Avec l’OLP, ses relations oscillent entre oppositions, agressions, rapprochements et associations, donnant le ton de ce qu’elles seront avec l’Autorité palestinienne durant l’autonomie sous l’égide du tiers israélien.

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CHAPITRE 2

LE CADRE DES RELATIONS ENTRE L’AUTORITE PALESTINIENNE ET LE HAMAS

L'autonomie, une nouvelle donne La phase intérimaire établit une autonomie. Trois statuts territoriaux sont instaurés : une zone A autonome est sous le contrôle de l’Autorité palestinienne ; dans la zone B semi-autonome, elle détient les pouvoirs municipaux, l’armée israélienne peut intervenir sans restriction car Israël y conserve " l'autorité globale en matière de sécurité ” et des patrouilles mixtes israélo-palestiniennes sont constituées ; la zone C reste sous le contrôle total des Israéliens. La nouvelle entité autonome est inaugurée en mai 1994 par la passation des pouvoirs de l’armée israélienne aux Palestiniens dans la bande de Gaza et à Jéricho. Sa superficie s’étend au gré des traités sans toutefois recouvrir l’ensemble de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Au terme de l’accord de Taba de septembre 1995, six villes sont restituées à l’Autorité palestinienne en zone A ; la zone B comprend quatre cent cinquante villages éparpillés avec 60 % de la population palestinienne des territoires occupés en 1967 et tout le reste représente la zone C presque sans Palestiniens, avec les implantations civiles et militaires.

Après l’accord d’Hébron du 17 janvier 1997, les trois quarts de la ville sont sous l’Autorité palestinienne. La zone A recouvre alors un peu plus de 20 % de la population des territoires occupés en 1967. Le 23 octobre 1998, l'accord de Wye Plantation prévoit un transfert de 13 % des territoires de la zone C en trois étapes, avec 1 % en zone A, 12 % en zone B dont 3 % désignés comme réserve naturelle sur laquelle aucune construction ne serait légale. Mais le Premier ministre israélien Benyamin Natanyahou n’honore pas cet accord qu’il a signé, et seul un retrait de 2 % est opéré quand Ehud Barak, élu Premier ministre en mai 1998, prend ses fonctions. Il renégocie les accords de Wye Plantation qu’il juge risqué pour la sécurité des colons et finalement un accord est obtenu à Charm el Cheikh, le 7 octobre 1999, au terme duquel 7 % de la Cisjordanie passerait encore sous le contrôle palestinien. Au terme de ces retraits, les Palestiniens contrôleront 40 % de la Cisjordanie et environ 80 % de la bande de Gaza, un territoire découpé par les implantations civiles et militaires israéliennes. Durant cette période intérimaire, les relations entre l’Autorité palestinienne (al-Sulta) et le Hamas laisseront des traces quels que soient les développements ultérieurs. Elles sont un des éléments du processus de paix et aussi de la configuration de l’entité palestinienne des territoires, au moins dans un avenir proche. Pendant la période d’autonomie, elles oscillent entre des tentatives de dialogue et de vives tensions, dessinant des mouvements contradictoires. Pour mieux en saisir la complexité, le cadre dans lequel elles évoluent doit être examiné. L’autonomie focalise la vie politique palestinienne à l’intérieur. L’Autorité palestinienne, c’est le droit reconnu à l’OLP d’exercer un pouvoir officiel sur une partie de la Palestine revendiquée. Jusque-là, Israël contrôlait et administrait tous les territoires occupés en 1967 et les factions politiques palestiniennes étaient en concurrence. Les différends entre elles se réglaient par la médiation plus ou moins directe des responsables basés à l’étranger. Ces factions étaient aussi en rivalité avec les élites traditionnelles dont certaines étaient alors projordaniennes réclamant que les territoires soient rattachés à la Jordanie au sein d’un même Etat ou d’une confédération palestinojordanienne. Avec l’autonomie, personnalités de l’intérieur et dirigeants de l’extérieur se retrouvent sur une portion du territoire national. Même si l’Autorité comprend quelques personnalités qui n’appartiennent pas

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au Fatah de Yasser Arafat, cette formation politique y domine et comme elle est majoritaire dans le pays, l’Autorité par son intermédiaire bénéficie d’une large emprise. Cela est un atout considérable pour elle qui ambitionne de maîtriser et d’encadrer l’ensemble du paysage politique palestinien. Dorénavant, les Palestiniens sont dans la dynamique d’un Etat en gestation qui met face à face un gouvernement et une opposition. Le cas palestinien est particulier au Moyen-Orient. Le gouvernement s’établit là où des structures émanant de la société civile ont tenté de parer aux carences de l’administration de l’occupant. Des associations, des ONG, des institutions religieuses se sont multipliées. Dans ce tissu social, le Hamas est bien représenté. D’emblée, le conflit idéologique et la lutte pour le pouvoir se conjuguent avec une compétition pour le contrôle social. Cependant, ce gouvernement ne peut pas, à l’instar de ce qui se passe dans certains pays arabes, comme la Tunisie, la Jordanie, envisager un compromis avec les islamistes selon lequel ils développeraient leurs activités sociales et caritatives à la condition de se tenir en dehors de la politique. Le Hamas est nationaliste. Il est par conséquent peu concevable qu’il abandonne de plein gré le domaine politique, fondement de son identité, pour revenir à la stratégie des Frères musulmans d’autrefois, mobilisés uniquement sur l’islamisation. Ce revirement ne sera envisagé que si des acquis nationaux concrets font perdre au Mouvement toute popularité ou s’il est écrasé par la répression. Depuis 1993, les négociations influent sur la popularité de chacune des forces politiques. Après l’échec des pourparlers de Madrid et avant l’accord d’Oslo, l’OLP et le Fatah étaient en déclin tandis que le Hamas était en pleine ascension. Dans l’enthousiasme de la signature de l’accord de principes, ce fut l’inverse. L’audience des uns et des autres a varié selon le succès des pourparlers, leurs blocages, les déceptions qu’ils ont provoqués. Chaque nouvelle avancée se traduit dans les sondages par une progression du soutien au processus de paix. Ainsi peu avant l’accord de Charm el Cheikh, après des mois de blocage avec le gouvernement du Likoud, la reprise des négociations avec le gouvernement travailliste qui lui succède relance la dynamique de la paix, ce qui ne manque pas de faire réagir l’opinion palestinienne. Le Centre de recherche de Naplouse a effectué une enquête dont les résultats ont été révélés en

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septembre 1999. Ils annoncent une chute drastique des opinions favorables aux islamistes qui n’atteint que 10 %, alors qu’elles pouvaient aller jusqu’à 30 % en l’absence de tout dialogue israélopalestinien ou quand les Israéliens envisageaient de nouvelles implantations. Ceux qui adhèrent au processus de paix sont passés à 75 % tandis qu’ils étaient 9 % de moins en décembre 1999. Au fil des sondages, quelles que soient les circonstances, nous constatons une tendance à la baisse du soutien en faveur des islamistes. Elle n’a pas pour corollaire une augmentation des opinions en faveur du processus de paix qui, elles, fluctuent en fonction du degré de satisfaction des résultats obtenus à chaque négociation, mais reste dans une moyenne de 60 à 75 %. Cette baisse s’explique parce que même si l’opinion éprouve une certaine satisfaction à “fairepayer l’ennemi ", elle est de plus en plus hostile aux attentats à cause de leurs conséquences néfastes dans la vie quotidienne. En effet, au lendemain des " attentats suicides ”, Israël impose la fermeture des territoires palestiniens qui a des effets désastreux sur l’économie palestinienne car elle réduit les exportations palestiniennes et aggrave le chômage. Mais surtout le jusqu’au-boutisme des islamistes paraît suranné. Un retour en arrière est impensable, le processus de paix est irréversible. Quoi qu’il en soit, la situation des Palestiniens est modifiée. L’autonomie façonne le paysage politique et de nouveaux facteurs interviennent sur la popularité des organisations : les réalisations de l’Autorité, sa capacité à construire un pays moderne, sa gestion, les conséquences qu’elles ont sur les conditions de vie des habitants, le poids des choix stratégiques des islamistes.

ÉVOLUTION DU RAPPORT A LA POLITIQUE

L’évolution des mentalités ne peut être ignorée car celles-ci agissent en retour sur le nouveau contexte politique. Auparavant, le centre d’intérêt était la lutte nationale. Pendant l’intifada et surtout durant ses deux premières années, elle a stimulé les énergies. Avec l’autonomie, elle n’appartient pas encore au passé, pourtant elle est devenue objet de confusion et de malaise. Pour le docteur Mohamed Zaid du centre In-Ash El Usra, (la Société pour la défense de la

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famille), organisation caritative et de travail social, qui a aussi pour vocation de défendre le patrimoine culturel, il est difficile de se situer dans un statut d’autonomie qui n’est ni l’indépendance ni tout à fait l’occupation et qu’il décrit de cette manière : “ Avant, nous nous battions contre l'occupation, maintenant elle nous guette à côté. Nous la voyons au-delà de nos quelques mètres de liberté surveillée. Le caractère indéfinissable de cette situation, qui n’est plus un conflit mais n’est pas encore la paix, est mis en évidence par une dichotomie entre le discours, les pensées et les sentiments. La façon de nommer et de qualifier Israël et les Israéliens se modifie. Pourtant pour l’ensemble des Palestiniens, ces nouvelles formulations ne signifient pas encore de nouvelles perceptions qui ne pourront naître qu'après plusieurs années de paix. Il s'agit d’un vocabulaire plaqué pour s’adapter à la nouvelle donne. Ata Qaymari remarque que les termes, " ennemi ”, " entité sioniste ", " gouvernement de l'ennemi ” ont bien été remplacés dans les médias par " adversaire ", " autre partie ", " Premier ministre israélien ", et même parfois “partenaire ". " Néanmoins, souligne-t-il, nous devons noter que ces changements dans une grande mesure restent superficiels. La paix est fréquemment considérée par les Palestiniens ordinaires comme une tromperie de la part d'Israël contre leur dirigeant. Celui-ci est vu comme quelqu 'un d'innocent, dupé, aveuglé par ses propres illusions alors qu'il a été pris dans un processus psychologique compliqué 23 ". A l'arrivée de Benyamin Natanyahou et de la droite israélienne au gouvernement, les médias palestiniens reprennent vite la terminologie antérieure. Cette période de balbutiements, de blocages des pourparlers, de perpétuation de l’occupation israélienne, dont la présence des colons et l’extension des colonies sont les signes le plus manifestes, n’est pas propice à une véritable réconciliation entre Palestiniens et Israéliens. Ces derniers sont toujours ressentis comme

23. Ata Qaymari, Images of Heroes and Enemies after the Oslo Agreement, in shared values towards thepeaceprocess, Konrad Foundation, Harry Truman Research Institute for Advancement of the Peace, Hebrew University of Jérusalem, Palestine Concultancy Group East Jérusalem, Seminar held at the Ambassador Hôtel, Jérusalem, 28 novembre 1996, pp. 51-52.

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des ennemis, ce qui conforte les conceptions du Hamas et son discours de diabolisation et explique les réactions mitigées des Palestiniens à propos des attentats et leurs opinions souvent changeantes. Pourtant, si cette courte période n’a pas suffi à transformer la perception que les Palestiniens se font des Israéliens, nombre d’entre eux, surtout au Fatah, ont changé leur vision stratégique du combat palestinien. Ils jugent la lutte armée infructueuse et estiment que seule la diplomatie peut permettre de voir leurs droits reconnus même si les résultats sont loin encore de répondre à leurs aspirations. Ghazi Jabali, directeur général de la police dans la bande de Gaza et en Cisjordanie pense, que c’est ce choix qui différencie al-Sulta du Hamas : " Le plus important, ce sont les résultats tangibles et non pas l ’imagination, les rêves. La priorité est de construire sur ce qui nous a été octroyé. Oslo et Wye Plantation sont peut-être tout ce que nous avons pu obtenir mais nous avons encore à négocier. Des centaines d’opérations contre Israël ne détruiront pas cet Etat et ne mettront pas un terme à ses ambitions. Les opérations du Hamas ne servent pas la paix et font du mal à notre peuple. ". La paix est défendue comme le premier des besoins humains et indispensable au développement de la société. C’est pourquoi, selon ses partisans, malgré les difficultés des pourparlers, il faut les poursuivre coûte que coûte. Et en dépit des déceptions, cette ligne de conduite a un écho favorable dans une population dont, de plus en plus, la préoccupation essentielle est d’améliorer son sort quotidien. Ce pragmatisme façonne lentement un nouvel état d’esprit. L’acceptation d’Israël, comme un fait incontournable progresse. Soufiane Abou Zaidah, délégué au ministère des Affaires civiles comme coordinateur avec les Israéliens et ex-responsable des relations avec Israël au ministère de la Coopération et du Plan, l’exprime par des propos souvent entendus parmi des Palestiniens non islamistes aux sensibilités diverses : “ Sur cette terre, il existe deux peuples et nous devons vivre ensemble. C 'est difficile, nous n 'avonspas d’autre choix. ”. La dépolitisation est l’aspect le plus perceptible de la transformation des mentalités. Masquée par les affrontements épisodiques entre les Palestiniens et les soldats israéliens et entre Palestiniens et forces de l’ordre d"al-Sulta, elle n’en est pas moins profonde. Toutes les factions, sauf peut-être le Hamas, ont connu une érosion de leurs membres actifs. Nombreux sont ceux qui n'ont plus

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d'engagement politique et seulement quelques-uns s'investissent dans des organisations non gouvernementales, dans des actions sociales, éducatives. Cette prise de distance a l’égard de la politique est corroborée par les enquêtes réalisées par le Centre de communication et des médias de Jérusalem et par le Centre de recherches de Naplouse qui portent sur des échantillons de plus de mille résidents de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Elles montrent un déficit de considération croissant envers les partis quels qu'ils soient et leurs dirigeants. Actuellement, ces enquêtes évaluent à environ 30 % le pourcentage des Palestiniens qui n’accordent leur crédit à personne. Plus les gens sont éduqués, plus ils sont critiques. Ils tiennent ce langage : " La Palestine à laquelle j'aspire, j y suis fidèle, elle est dans mon cœur ; vu les circonstances, je préfère penser à autre chose. ” Avec cette dépolitisation sur fond d’amertume, les motivations sont plus matérielles, plus consuméristes. Les microprojets économiques foisonnent sur le papier et dans les esprits. Des étudiants se spécialisent à l’étranger dans la confection, la coiffure, l’agronomie, le textile, l'agroalimentaire, mais les créations d’entreprises sont exceptionnelles car ils ne trouvent pas les ressources financières nécessaires, l’Autorité soutenant surtout des projets d’envergure pourvoyeurs d’emplois. Aujourd'hui, les Palestiniens qui en ont les moyens se lancent sans retenue dans la consommation. Le soir, ils vont au restaurant, fument le narguilé ou sirotent une boisson dans les endroits cotés, du bord de mer de la bande de Gaza, de Ramallah, de Naplouse ou de Jéricho. Quand ils ont des permis d’entrée, ils font la fête en Israël. L’aisance financière, voire la richesse s’affiche. Des jeunes se pavanent dans des voitures de luxe convoitées par d’autres. La consommation est pour quelques-uns source de plaisir, de prestige et de reconnaissance sociale. Pour ceux qui ne font que survivre tant la pauvreté, pour ceux dont les conditions de vie se sont aggravées puisque les autorisations de travail en Israël ne sont octroyées qu’au compte-gouttes, la frustration est grande. Dans la société palestinienne, les priorités changent. Avant l’autonomie, dans les foyers aisés ou pauvres, les sujets de discussions quotidiens étaient l’occupation, la résistance, la cause nationale. A présent, les riches Palestiniens parlent davantage de leur dernière acquisition, du dernier modèle de BMW ou de la soirée qui s’organise quand la majorité espère vivre décemment tout en rêvant aussi aux biens de consommation.

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Dépolitisation, consumérisme ont pour corollaire un affaiblissement de la société civile. Pour bien des Palestiniens qui ressentent n’avoir aucune prise sur le cours des événements, en particulier sur le processus de paix, c’est à al-Sulta qu’il revient de construire le pays. D'anciens prisonniers pensent avoir sacrifié une tranche de leur vie pour pas grand-chose. Ils voudraient “profiter enfin de la vie ”. Des individus très engagés auparavant parlent d'“années perdues ", de “sacrifice inutile”. Ces anciens militants déçus se disent lésés par des accords successifs éloignés de leurs revendications. Farid est l’exemple même de ce nouvel état d’esprit. Il a vingt-sept ans et vient de passer une licence d’anglais. Placé plusieurs fois en détention administrative, donc sans être jugé, il a passé au total trois ans en prison pendant l’intifada. Il déplore cette jeunesse qui lui a échappé : “ Je ne pourrai jamais rattraper le temps perdu pour mes études. Mais que pouvais-je faire d'autre ? Contre l'occupation qu 'avais-je comme alternative ? Vivrai-je vraiment un jour ? ” Le leitmotiv des Palestiniens est : “ La paix, quelle paix ! ” On entend souvent : “je voudrais profiter enfin de la vie ", “je ne veux plus parler de politique, j’aimerais oublier ”, “je veux penser à moi ”, “je veux m'amuser, voyager, avoir une vraie vie ”, “je veux partir, il n'y a rien à faire dans ce pays ”. Parmi ceux qui sont revenus, quelques-uns avouent le regretter et n'avoir qu'un souhait, repartir. Le rêve d'un ailleurs est courant chez les jeunes adultes. Ils font des démarches, ou ne font qu'en parler, et beaucoup blaguent avec dérision sur le sujet. Désormais, il est admis d’exprimer son intention de penser d'abord à soi, c’est même devenu banal, alors qu'auparavant la lutte contre l'occupation interdisait toute manifestation de désir de vie personnelle. Le recul de la société civile est aggravé par le centralisme et l’autoritarisme de Yasser Arafat, le président de l’Autorité. Ahmed Abou Tawahina, psychologue au Centre de santé mentale de Gaza, constate : “ Maintenant que nous devrions bâtir notre société, nous sommes en dehors des décisions. Nous avons des idées, des rêves. Nous critiquons. C'est la seule chose que nous pouvons faire. C'est une façon de ne pas être apathique. ”. De plus, l'oppression exercée par Israël pendant plus d’une trentaine d’années a eu un effet pervers que le docteur Mohamed Zaid analyse : " Nous, les Palestiniens, nous sommes incapables

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d'imaginer une destinée normale. Bien que l'intifada ait été une tentative d'affirmation et de reprise en main de notre destinée, la sensation d'être dépossédé de la maîtrise de sa vie persiste à cause de l'occupation et de la domination passée qui ont laissé des séquelles. Nombre de Palestiniens qui sont tiraillés entre leurs références politiques et des intérêts nouveaux souhaitent, “ une vie normale Ils délaissent la cause nationale pour leur affirmation personnelle. Ce processus d’individuation conduit le Hamas, seule opposition visible et organisée, exutoire à la colère, forum de protestation, à être le réceptacle des frustrations politiques mais aussi individuelles. C’est pourquoi, parmi les milliers de participants à ses manifestations, tous ne souscrivent pas nécessairement à tous ses dogmes ni ne sont favorables aux attentats, désastreux pour l’économie palestinienne du fait des bouclages des territoires qui s’ensuivent. Les protestataires, à la périphérie du Hamas, ne consolident pas ses structures. Pourtant, ils renforcent le Mouvement comme force de contestation. Jusqu’où fera-til entendre la colère de la rue, comment l’exploitera-t-il ? Son poids est toutefois à relativiser car son audience mouvante dépend du résultat des négociations, des conditions de vie, des positions internationales sur la question palestinienne. Et surtout, les islamistes sont en porte à faux avec une grande partie de la population quant à leur projet de libération de toute la Palestine, qui n’est réalisable, ils en conviennent eux-mêmes, que dans un avenir lointain grâce à l’union des musulmans. En effet, le phénomène de dépolitisation que connaît la société a pour corollaire la volonté des individus d’améliorer le présent. Lieu de protestation pour les mécontents, pour ses militants le Hamas est un organe d’opposition et une alternative. Les hamsaouis représentent la tendance inverse à la dépolitisation de la société qu’ils déplorent. Ils sont puissants dans la bande de Gaza et dans le district d’Hébron où le Hamas a pu s’appuyer sur le réseau caritatif solidement implanté par les Frères. Ces deux espaces géographiques n’ont pas été affectés comme la ville de Ramallah et ses alentours par les déplacements à l’étranger et surtout en Occident d’une classe moyenne assez aisée à forte composante chrétienne. Nous ne pouvons pas affirmer si ce sont dans les camps de réfugiés, dans les villages ou dans les villes que les partisans du MRI sont les plus nombreux. Les enquêtes sont contradictoires même si leurs résultats démentent la thèse

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d’un taux plus élevé parmi les réfugiés. Il est plus facile d’être renseigné sur l’âge des partisans. Sans mener d’études approfondies, à la simple observation des résultats des élections locales, professionnelles, universitaires, ou du volontariat dans les institutions, nous constatons que ce sont les chebab de l’intifada et les quadragénaires ou quinquagénaires qui militaient auparavant chez les Frères et fondateurs du mouvement qui le composent pour l’essentiel. Qui sont ces chebab ? Le terme de chebab en arabe signifie jeune homme. La formule " chebab de l'Intifada ” recouvre plusieurs tranches d’âge. Elle s’applique à ceux qui, alors qu’ils étaient adolescents ou jeunes adultes, se sont investis dans le soulèvement selon des modalités diverses. De nombreux chebab du Hamas appartenaient déjà à cette organisation pendant l’intifada, ce sont eux qui en forment la force vive. Ils pourraient assurer la relève des dirigeants. D’autres chebab sont venus les rejoindre. Sous l’autonomie, dans l’incertitude de l’avenir collectif et individuel, la plupart sont sans travail ou ont un emploi pour lequel ils sont surqualifiés. Des ouvriers agricoles, des ouvriers du bâtiment ont des diplômes en ingénierie, en agronomie. Ils se sentent laissés pour compte alors que d’autres, moins méritants, moins compétents, ont réussi à accéder à des postes pour lesquels ils ne sont pas formés, grâce à la recommandation de quelqu’un de haut placé. L’islamisme capitalise les méfaits psychologiques de cette inadéquation entre leur niveau social et leur formation. Ces jeunes sont réceptifs aux discours du Hamas contre l’injustice. Ils croient en une justice sociale islamique. Ils amalgament le clientélisme de l’Autorité qu’ils dénoncent et la dépravation morale dont ils l’accusent. L’installation récente, en particulier dans la bande de Gaza, de quelques Palestiniens de l’OLP au mode de vie différent de celui de la population, pose ainsi des problèmes de cohabitation qui jouent en faveur du Hamas. Ayant habité dans des pays arabes parfois moins traditionnels comme ceux du Maghreb ou le Liban ou en Occident, leurs comportements choquent nombre de leurs compatriotes. Le clivage s'approfondit, d'autant qu’ils ont, dans leur extrême majorité, vécu d'autres expériences que celle de l'occupation et disent eux-mêmes avoir des difficultés à s'intégrer, à comprendre les Palestiniens de l’intérieur. Ainsi Nidal, ancien fedayin d’une quarantaine d’années, a résidé plus de quinze ans à Paris où il avait des responsabilités au bureau de l’OLP. Il est installé maintenant à Gaza

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où il travaille au ministère de l’Education. Son intégration ne va pas de soi. Lajoie des retrouvailles passée, il porte un regard désabusé sur ses compatriotes : “ Rien n ’a été fait dans ce pays. Regardez l ’état des rues. Ici, on ne sait pas ce qu 'est un projet. ” Nidal ne passe pas son temps libre à jouer comme eux aux cartes, à regarder la télévision ou à discuter de tout et de rien comme il dit. Il partage ses loisirs avec des coopérants, des étrangers, qui travaillent dans la bande de Gaza et qui ont les mêmes goûts. Akram est plus jeune, il a vingt-cinq ans. Il a résidé au Liban puis à Tunis. Il habite maintenant à Naplouse et est gradé dans un service de sécurité. Il se plaint surtout des tabous, des interdits : " Les Palestiniens ici ont une mentalité que je ne comprends pas. Tout est compliqué. Je dois faire attention à tout ce que je dis et à tout ce que je fais. Je savais que ce serait difficile ; mais à ce point ! Toute activité partagée avec des femmes est mal vue et peut nous faire soupçonner d’être débauchés et d’être de mauvais musulmans. J’étouffe avec les Naplousiens. De quoi je peux leur parler ? J’aime la littérature, mais ils ont eu si peu accès à la culture. Des chebab qui ont connu une participation populaire à la lutte contre l’occupation pendant le soulèvement sont déroutés par la dépolitisation. Dans une société où les valeurs qui ont été mobilisatrices, celles de résistance, d’unité, de fidélité à la terre, sont en déshérence, certains sont séduits par les islamistes qui se les approprient. Pour les chebab, l'éventualité d'une normalisation entre Israéliens et Palestiniens est plus difficile à concevoir que pour leurs aînés. Ces derniers ont vécu dans les années 60-70 une forme d'occupation moins violente tandis qu’eux-mêmes ont été en confrontation avec l’armée. Durant l’intifada, les jeunes et les réfugiés étaient les deux catégories de la population les plus actives et ils étaient élevés au statut de héros. En adhérant au Hamas, certains parmi eux regagnent ce sentiment de fierté, valorisés qu’ils sont à leurs propres yeux par leur appartenance à une organisation qui inspire la peur. Ils tiennent l’intransigeance du MRI pour de la ténacité et considèrent les attentats comme des actes glorieux. Même des Palestiniens qui ne sont pas de cette mouvance, notamment des membres du Fatah pensent de cette façon. Ils interprètent le Coran comme les hamsaouis et prévoient que dans un avenir lointain la Palestine sera musulmane. Cette similarité des références et des visions d’avenir indique que la frontière

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idéologique qui les sépare des islamistes est bien mince. Cela n’est pas surprenant puisque comme on le sait, le nationalisme palestinien a puisé son vocabulaire dans le registre religieux. Malgré la dépolitisation ambiante, le Hamas peut par conséquent encore espérer augmenter le nombre de ses adhérents. Pendant la phase intérimaire, la société palestinienne est traversée par deux phénomènes contraires : d’une part la démobilisation de la société civile, d’autre part l’attraction exercée par le MRI, unique opposition organisée et de masse. Le Mouvement n’est toutefois pas en position de force car il doit affronter deux pouvoirs disposant de moyens de coercition, l’Israélien et le Palestinien, les zones étant contrôlées par l’un ou l’autre ou par les deux conformément aux textes négociés. L’Autorité palestinienne et ses appendices, les agences de sécurité, constituent la plus grande menace, car il est plus simple pour leurs compatriotes d’atteindre les islamistes, de découvrir leurs réseaux, que pour des étrangers relevant d’une autorité occupante. Cette tâche de l’Autorité est encore facilitée du fait que les militants des différentes factions se connaissent grâce aux relations qu’ils ont entretenues pendant l’intifada.

Les fondements de l’Autorité en question Du reste si, à son arrivée, Yasser Arafat s’est entouré de Palestiniens de l’extérieur, surtout des militaires, de personnalités de l’OLP, par la suite, il a ouvert ce cercle aux habitants des territoires. Parmi eux, les plus nombreux sont les chebab de l’intifada. Ces jeunes du Fatah, les shabiba, sont principalement incorporés dans la police et dans la sécurité. Cet enrôlement récompense leur participation au soulèvement et les gratifie pour les sacrifices consentis. Il n’implique pas obligatoirement pour autant une adhésion à la politique menée par al-Sulta mais “ la non-réévaluation de leur engagement à la suite de la déception des accords de paix marque une force d'inertie que représente l’appartenance au groupe politique24”. L’Autorité

24 Lætitia Bue aille, Gaza, la violence de la paix, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris 1998, p. 102.

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canalise ainsi une partie de la jeunesse qu’elle peut de ce fait mieux dominer. Par son intermédiaire, elle s’assure aussi un meilleur enracinement dans la société. La légalité de l’Autorité repose sur la reconnaissance de la communauté internationale de l’OLP qui a découlé de la reconnaissance d’Israël. Le 20 janvier 1996, les Palestiniens approuvent le principe de cette reconnaissance lors des élections de son Conseil législatif et de son président. A l’exception de quelques irrégularités mentionnées par les observateurs internationaux, les élections se déroulent sans fraudes et sont jugées “ relativement démocratiques ” bien que tenues dans une certaine précipitation. Les observateurs déplorent la réduction de la période de campagne de vingtdeux à quatorze jours alors qu’au total treize partis sont en compétition et que sept cents personnes sont candidates. Les Palestiniens qui, pour la première fois, sont appelés aux urnes s’y rendent en masse. Ils ne tiennent pas compte des consignes d’abstention du Hamas au début de la campagne électorale, et le taux de participation aux élections atteint 85 %. Yasser Arafat y est consacré par 88 % des suffrages. Face à lui, il n’y a qu’une candidate, Samira Khalil, figure bien connue dans le pays et surtout en Cisjordanie où elle a fondé en 1965 In Ash el Usra (la Société pour la défense de la famille). Elue au comité exécutif de l’Union générale des femmes de l’OLP, elle a aussi été membre de son Conseil national. Dans sa campagne électorale, elle exige la réalisation des rêves des Palestiniens de l’intérieur et de l’extérieur et une souveraineté pleine et entière. Elle insiste sur le retour des réfugiés, la question de Jérusalem et celle des colonies. Elle affirme que si elle est élue, elle suspendra les négociations jusqu’à la libération du dernier prisonnier palestinien. Sachant que face à Yasser Arafat, elle n’a aucune chance d’être élue, elle veut faire entendre une voix dissonante et une voix féminine d’autant que les organisations opposées au processus de paix ne se présentent pas. Au Conseil législatif auquel quelques personnalités se présentent comme candidats indépendants, le Fatah obtient quatrevingts sièges sur quatre-vingt-huit. La lecture des résultats des élections apporte des informations intéressantes sur le choix des électeurs. Leur vote est parfois sans surprise, d’autres fois plus inattendu. Les villageois, qui commencent à se passer des intermédiaires de la ville pour vendre leurs marchandises confirment leur détermination à se

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dégager de l’influence citadine et votent plutôt pour des candidats de leur village. Six femmes sont élues, une dizaine d’entre elles échoue de peu. Le meilleur score est acquis par les combattants revenus d’exil dont certains avaient eu des fonctions dans l’Autorité provisoire ayant mis en place l’autonomie avant le 20 janvier. Après eux, les candidats qui ont l’approbation populaire la plus forte sont les héros locaux, les activistes de l’intifada, les dirigeants des comités populaires. A l’issue de ce scrutin, les élus sont ceux qui sont connus pour avoir résisté à l’occupation et c’est donc l’histoire de l’OLP qui, pour la plupart des habitants des territoires concernés, a légitimé l’Autorité. Néanmoins, l’évocation du passé de la centrale palestinienne ne pourra suffire à faire perdurer cette légitimité. D’autant plus que sa souveraineté est limitée. Le cas palestinien est particulier dans le monde arabe. Si les Etats arabes ne sont pas complètement souverains, à cause surtout de leur dépendance économique et marchande, la marge de manœuvre du régime d’autonomie est bien moindre encore. Il n’a pas toutes les prérogatives d’un Etat. Ses relations diplomatiques sont réduites à leur plus simple expression. Il n’a ni pouvoir ni responsabilité dans le domaine des affaires étrangères. Il n’est pas autorisé à établir des consulats ou des ambassades à l’extérieur ni à héberger ce type de représentation de pays étrangers dans la zone autonome. La circulation des dirigeants, de Yasser Arafat lui-même, est soumise au bon vouloir du gouvernement israélien. Celui-ci a d’ailleurs pesé sur les élections puisque chaque candidature au Conseil législatif devait recevoir son aval. Il en a été de même pour la composition du cabinet palestinien. Israël intervient jusque dans les illustrations des timbres. Il a opposé son veto à l’émission de ceux destinés à la collecte de fonds pour les familles de martyrs sous le prétexte que leurs visages étaient dessinés. L’autonomie se réalise par un transfert de responsabilités qui s’effectue par étape entre l’administration civilo-militaire israélienne et l’administration palestinienne. Celle-ci a d’abord été chargée de l’éducation, de la santé, de la culture, des affaires sociales, des impôts et du tourisme, puis de l’électricité, des transports et enfin, dans une certaine mesure, de la terre et de l’environnement. C’est dans le domaine de l’économie et dans celui des ressources en eau que l’étroitesse de la marge de manœuvre palestinienne est la plus évidente.

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L’accord économique de Paris du 29 avril 1994 prévoit dans son préambule un droit de décision aux Palestiniens. Mais il leur impose des quotas sur les importations et un comité conjoint israélo-palestinien limite le choix de leurs pays exportateurs. Le protocole économique de Taba de septembre 1995 prolonge ces restrictions et taxe les importations de 15 %. L’économie palestinienne, qui n’est pas productive, reste dépendante d’Israël. Son parc industriel est quasi inexistant. Son commerce ne peut se développer qu’à partir des services et de quelques produits agricoles. Les territoires autonomes sont un marché ouvert au commerce israélien, sans réciprocité équitable. Quant à l’eau, Israël en contrôle toujours la distribution et s’approvisionne pour un tiers dans les régions contestées qui comprennent aussi le Golan syrien. Il exploite toujours à son profit les nappes phréatiques. Selon les sources palestiniennes de l’Autorité de l’eau, Israël et les colons consommeraient 60 % de l’eau de Cisjordanie et les Palestiniens n’ont pas le droit de construire de nouveaux puits. L'autonomie avec ces trois zones au statut distinct est une mosaïque à trois couleurs qui exacerbe les spécificités et les problèmes locaux. Ce découpage et l’absence jusqu’au 25 octobre 1999, d’un libre passage entre la Cisjordanie et la bande de Gaza a encouragé un repli régional. Il a intensifié les rivalités et les stéréotypes. En Cisjordanie, Hébron, la traditionnelle, toujours sous tension avec ses colons israéliens au centre de la cité, contraste avec Ramallah, la bourgeoise, l'occidentalisée et son boum économique. Naplouse reste la ville commerçante par excellence. Bethléem, qui a tout misé sur le tourisme ne réussit pas à se développer car les étrangers n’y font qu’une escale rapide. Au Nord, Jenine, Tulkarem et la petite localité de Kalikilya, sont très touchées par la réduction du travail journalier en Israël. Jéricho, la langoureuse, l'inactive, a bien du mal à se dégager de sa torpeur malgré l’ouverture d’un casino. Quant à la bande de Gaza autonome, elle demeure, malgré la présence de notables et d’une classe aisée, le lieu où la misère palestinienne est la plus impressionnante. Cette enclave aux rares possibilités de loisirs bien trop onéreuses pour la plupart des habitants sans travail est celui de l’ennui. Les Gazaouites qui, pour la plupart, jusqu’à l’ouverture du libre passage n’avaient pas de permis pour sortir de la bande de Gaza, ressentaient une sensation de confinement, d’enfermement qui les rongeait. A Jérusalem enfin, exclue des accords intérimaires, les Palestiniens vivent dans un

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imbroglio juridique. Ils ne peuvent qu’exceptionnellement y construire des logements et leur droit à résider dans la ville peut leur être retiré s’ils ont habité ailleurs plusieurs années. Le découpage en zones complique la gestion palestinienne. En outre, Yasser Arafat avait fait le pari de " la terre contre la paix " et pourtant la terre lui échappe. Son accaparement par des implantations israéliennes qui s’étendent n’a pas cessé. Certes l’ouverture du passage dit de sécurité permet une plus grande liberté de mouvement à des milliers de Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza qui peuvent ainsi se déplacer à l’intérieur des territoires autonomes pour travailler, commercer, rendre des visites. Cependant, après une présélection des services de sécurité palestiniens, c’est Israël, en dernier ressort, qui décide de l’octroi ou du refus du document de voyage, sous la forme d’une carte magnétique. C’est toujours Israël qui domine l’espace et régit les mouvements des biens et des personnes. Sylvie Fouet, chercheur à l’institut de droit de l’université de Bir Zeit et au Centre d’études et de recherches sur le Moyen-Orient contemporain (CERMOC), conclut ainsi une étude sur le sujet : " L ’appropriation israélienne des territoires s'est exercée par une conquête " micro ” (locale) de la terre et par un contrôle " macro ” (régional) des flux. Cette dynamique s’appuie sur la construction d’un réseau routier sélectif et sur une structure militarisée de l’espace. Les Israéliens contrôlent, administrativement et militairement, les mouvements des personnes ou des biens et maîtrisent, techniquement, financièrement, les flux d’information. Le découpage spatial, la pratique des bulldozers et la tactique des militaires créent divers compartiments de confinement, périodiquement bouclés, où les flux sont canalisés, filtrés ou interrompus25. Al-Sulta transmet les demandes d’autorisation de sortie de la bande de Gaza vers Israël et reçoit les acceptations et les refus. Elle peut tout filtrer, soutenir une requête, en négliger une autre. De cette façon, des entrepreneurs ont des monopoles et signent des contrats d’exportation en exclusivité avec des entreprises

22. Sylvie FOUET, " Le contrôle des mouvements comme enjeu du pouvoir ", dans La Palestine d'Oslo : les avatars d'une construction nationale, sous la direction de Bernard Botiveau, numéro spécial de la revue Monde arabe Maghreb-Machrek, la Documentation française, Paris, juilletseptembre 1998, p. 42.

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israéliennes. De cette manière, le gouvernement peut encourager des hommes qui lui sont proches. S’il tire un certain profit de cette conjoncture, le régime d’autonomie est avant tout assujetti aux impératifs israéliens. Aziz Haider, docteur en sociologie, professeur à l'université de Bir Zeit et à l'université Hébraïque de Jérusalem, en explique les ravages sur l’image des personnalités palestiniennes : “ la représentation que les gens ont d'al-Sulta n'est pas celle qu 'ils avaient de l’OLP. Quand les dirigeants, dont Arafat lui-même, sont soumis aux exigences d’Israël pour se déplacer, se rendre à l’étranger, ils deviennent des Palestiniens ordinaires et à travers eux, nous nous sentons tous offensés. Finalement, ils incarnent l’impuissance. Leur aura est atteinte. ”, Les officiels ne sont plus vénérés comme des héros. Ils ne sont plus cités comme des exemples, comme lorsqu’ils étaient en exil. Maintenant ils sont des gestionnaires, des administrateurs. A cette baisse de considération s'ajoute la désapprobation à l’égard de la politique menée et du manque de réalisations. Des dirigeants sont même honnis. La venue de compatriotes de l'extérieur qui souvent sont détenteurs de passeports étrangers, de laissez-passer israéliens, travaillent pour l'Autorité ou font du commerce avec les Israéliens, introduit une division sociale nouvelle, peu acceptable pour ceux qui ne voient aucun progrès dans leur niveau de vie. On commence à blâmer les " profiteurs du processus de paix ” et " les Tunisiens 26 ". L’image même de Yasser Arafat se désacralise, entachée par la banalité de l’administration au quotidien et par les insuffisances de son gouvernement. Les Palestiniens ne sont plus comme autrefois captivés devant leur écran à chacun de ses passages télévisuels. Dans les rues, sur les vitrines, les murs, son portrait se raréfie. Dans les foyers, on ne trouve plus guère son effigie que chez les militants du Fatah ou chez les officiels. Dans certaines maisons, son portrait n'a pas été décroché, mais il n'est plus montré avec fierté comme aux premiers jours de son retour. Quand on parle de lui, y compris au Fatah, on le nomme Arafat ou président, bien plus que Abou Ammar, son nom de combattant. Peu 26 Cette désignation qui s'applique aux Palestiniens de la diaspora de retour au pays est abusive. Tous ne viennent pas de Tunis, tous ne sont pas non plus à la tête d'une fortune ou ne s'enrichissent pas comme la généralisation porterait à le croire.

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à peu, les fathouis eux-mêmes émettent des réserves sur son cabinet puis sur lui personnellement même si la plupart d’entre eux lui demeurent attachés. La corruption disqualifie le gouvernement. Les Palestiniens en parlent dans les transports, les magasins, les foyers. L'ironie et l'humour sont des expressions édulcorées de la colère, de la peine, de la honte. En juin 1997, le Comité du budget et des affaires financières du Conseil législatif a examiné les comptes concluant que la corruption est un fait, mais que le gaspillage dû à une mauvaise gestion est bien plus grave encore. Selon ce comité, les pertes s’élevaient, cette année-là, à trois cent vingt-six millions de dollars. Un autre mal politique et social déjà évoqué est le clientélisme à tous les échelons. Cette pratique n’est pas nouvelle. Les grandes familles, surtout de grands propriétaires terriens, qui ont élargi leurs activités au commerce et à la petite industrie, ont depuis toujours placé les leurs aux postes importants et favorisé des personnes hors du clan familial pour étendre leur influence. Depuis l’autonomie, le clientélisme et la cooptation sont d’usage au sein de l’Autorité. En l’absence d’élections municipales, la nomination du maire d’Hébron, Mustapha Natché, de celui de Naplouse, Maher al-Masri, et de celui de Gaza, Aoun Shawa, en sont les exemples les plus frappants. Le système des monopoles à l’exportation en est une autre illustration. Dans l’administration, les ministères, la police, les services de sécurité, le recrutement s’effectue plus par recommandation que sur des critères de compétence. La fonction publique, où les privilèges et le favoritisme sont habituels, est l’unique secteur pourvoyeur d’emplois. Elle est un des rouages d’une Autorité qui se veut un Etat en gestion mais dans lequel la séparation des pouvoirs est théorique. Le Parlement est étouffé. L’exécutif, en l’occurrence Yasser Arafat, tranche. Peu de lois ont été ratifiées, pas même la loi fondamentale. En juin 1997, la publication du rapport de la commission parlementaire sur la corruption incriminant cinq ministres pour malversations, dont le ministre de la Planification et négociateur Nabil Sha'at, n’a pas été suivie d’effets. Le Conseil législatif avait demandé leur démission, sans résultat. La motion de censure au gouvernement qu’elle déposa alors n’entraîna pas davantage leur départ du gouvernement. L’instance judiciaire, héritière dans les territoires occupés en 1967 des systèmes juridiques turque, britannique

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et israélien, et en plus, en Cisjordanie de celui de la Jordanie et dans la bande de Gaza de celui de l’Egypte, est, elle aussi, contrôlée par Yasser Arafat qui utilise selon les cas le système le plus adapté à ses objectifs. Une cour de sécurité de l’Etat et des cours militaires ont été établies mais c’est le président d’al-Sulta qui entérine les sentences ou les réfute. Les décisions du procureur général ne sont appliquées que s’il y consent. Lui seul est maître en la matière. Ainsi, lorsque le 20 février 1999 la Haute Cour de justice27 la plus haute autorité judiciaire, demande la libération de deux membres du Hamas, Waël Faraj et Bilal al-Ghoul, les services secrets n’ayant apporté aucune preuve compromettante contre eux, ils ne sont pas relâchés. Il en est de même du docteur Abdel Aziz Rantissi, l’un des fondateurs du Hamas, qui a été le porte-parole des expulsés au Liban en 1992. Il a été arrêté le 9 avril 1999 et le 5 juin, la cour de justice de Gaza avait demandé sa libération immédiate. Le ministre de la Justice Frei Abou Meidein est cité dans la presse pour avoir déclaré : " Nous avons une autorité audessus de l'autorité de la loi. ” Empêché d’agir en âme et conscience et en toute légalité, le procureur général, Fayez Abou Rahmé avait démissionné dès le 5 mai 1998, et n’a pas été remplacé depuis. L’Autorité est un régime dans lequel il n’existe pas de contre-pouvoir institutionnel. L’Autorité tente de développer ses propres institutions, éducatives, médicales, sociales. Elle réorganise le secteur public. Ses institutions rentrent en concurrence avec les ONG, environ trois cents, dont certaines étaient financées partiellement par l’étranger et qui, pendant l’occupation militaire, ont été bien utiles. Al-Sulta a exigé qu’elles soient enregistrées sur des listes pour être officialisées et a obtenu que les aides internationales soient versées au PECDAR, le Conseil économique palestinien pour le développement et la construction, plutôt qu’à elles. Un organisme est à l’étude qui sera

27 La Haute cour de justice de Gaza est une cour d'appel au même titre que la cour d'appel de Cisjordanie qui siège à Ramallah. Mais elle a en plus pour rôle de superviser le système judiciaire et est considérée comme une cour suprême. Sa juridiction est large, les Palestiniens de Gaza lui soumettent des questions juridiques pour lesquelles aucune cour spécialisée n'est habilitée. Ces deux instances judiciaires ont été instituées par les autorités d'occupation israéliennes en 1967.

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chargé de surveiller les fonds des ONG et d’empêcher que leurs activités n’empiètent sur le domaine politique. Un projet de loi de septembre 1995 attribue au ministère des Affaires sociales un rôle décisionnel en la matière. Bien sûr le réseau islamiste est un concurrent bien plus gênant. En octobre 1997, à Gaza, à l’occasion d’une campagne contre le terrorisme, il est frappé de plein fouet par l’interdiction d’une quinzaine de ses structures. Incapable de contredire le discours religieux des islamistes, le gouvernement tente d’établir son emprise dans le domaine religieux par des moyens institutionnels. Son ministère des Affaires religieuses est désormais responsable de la gestion des mosquées. Le Wakf 28 et des institutions religieuses comme la cour de justice religieuse qui applique la charî'ci, la loi musulmane, relèvent maintenant de sa compétence. Le ministère dispose d’un département de la Zakat (l’aumône versée par les musulmans à la fin du jeûne du ramadan). L’Autorité tente de priver le Hamas de ses centres de propagande que sont les mosquées. Elle y interdit les activités politiques mais sans se donner les moyens d’appliquer cette décision. Et c’est aussi sans résultats qu’elle cherche à remplacer les imams et les prêcheurs du Hamas par d’autres religieux. La mainmise sur les médias est plus efficace et plus rapide. Le gouvernement possède sa propre chaîne de télévision et sa radio. Selon le rapport de 1998 de l’association Reporters sans frontières : “Intimidations, menaces, harcèlement et arrestations contraignent les professionnels de l'information à l'autocensure s'ils ne veulent pas subir les foudres de l'exécutif. Des journaux sont fermés. En janvier 1997, le quotidien An-Nahar, (Le Jour) financé par des capitaux jordaniens, cesse de paraître sans explication. Les locaux de l’organe du Hamas, Al-Watan, (La Nation) et de celui du Jihad, Al Istiqlal, (L’Indépendance), sont fermés. Le journal du Parti du salut islamique et national, Al-Rissalah, (Le Message) est plusieurs fois saisi. Tout journaliste qui émet un jugement négatif peut être appréhendé et fermement incité à changer de discours. Au début de l’année 1999, le système judiciaire est mis en cause par des personnalités de tout bord et par des manifestations populaires dans le sud de la bande de Gaza, à 28. Wakf . bien de mainmorte affectée à une fondation religieuse.

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Rafah. Le régime muselle la presse, à tel point que les trois quotidiens Al-Quods, (La Sainte) Al-Ayam (Les Jours) et Al-Hayat al-jadida (La Vie nouvelle) n'évoquent pas ces événements. Pour empêcher une couverture médiatique, la police tire sur les journalistes. Cette même année, un “ bureau général de l'information ” se heurte à l’opposition de “ l'union des journalistes ” qui appelle à le boycotter et à refuser les cartes de presse qu'il fournit. Il disparaît au profit d’un office du ministère de l’information. Pourtant ce “ bureau général de l’information ”, antenne d’une agence de sécurité, a bien agi un moment en dehors du ministère de l'information chargé de la presse en empiétant sur ses attributions. Cela montre à quel point les services de sécurité sont le bras droit de l'Autorité et peuvent court-circuiter les ministères. Reproduction des structures paramilitaires de l’OLP au Liban, une dizaine de ces services décentralisés, sont financés par l’aide internationale. D’après un rapport publié en mars 1999 par l’organisation des droits de l’homme, Law, installé à Ramallah, sept agents ont été tués au cours des huit mois précédents, lors d’échanges de tirs entre ces services. Divisés, ils ne forment pas un appareil militaire capable de se retourner contre le pouvoir. C’est sans doute la raison pour laquelle ce dernier est favorable à la persistance de ces structures non centralisées et qu’il ne sanctionne pas les conflits qui en résultent. Par contre, les actes qui peuvent nuire à la renommée d'alSulta sont sévèrement punis. Quatre sentences de mort ont été prononcées et exécutées : en août 1999, Raëd et Muhammad Abou Sultan pour le meurtre de Rabah et Majdi al-Khalidi dans un conflit de voisinage, en février 1999, Ahmed Attieh Abou Mustafa, pour le viol d’un garçon de six ans et, le 10 mars 1999 Ra’ed al-Atar pour le meurtre du colonel Rifa’at Joudeh. Dans les deux premiers cas, l’Autorité a répondu aux exhortations à la peine de mort des factions qui la composent et de la population. Le Fatah avait même brandi la menace d’une grève générale. La situation a été plus complexe dans le cas de Ra’ed al-Atar. L’Autorité le soupçonnait de toujours appartenir à la branche armée du Hamas qu’il avait dit avoir quittée avant d’intégrer un service de la sécurité. Il avait ouvert le feu pour s’échapper alors qu’il était poursuivi par des hommes de son propre service, tuant le colonel Rifa’at Joudeh. Le MRI a saisi l’occasion de son arrestation pour organiser des manifestations, surtout à Rafah,

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dans le sud de la bande de Gaza, d’où l’accusé était originaire, protestant contre la sécurité préventive, contre le gouvernement et contre les excès des forces années qui réclamaient quant à elles la tête de Ra’ed al-Atar. Dans ce cas particulier, l’Autorité a été tiraillée entre une réaction populaire orchestrée par le Hamas contre les services de sécurité et ces derniers qui appelaient à venger leur camarade. Dans toutes ces situations, les sentences de mort contre des agents de la sécurité visent, selon Mohamed Dahlan, directeur de la Sécurité préventive à Gaza, à " la sauvegarde de la réputation des services Celle-ci est en effet prioritaire car désormais, prenant le pas sur les factions, c’est à al-Sulta qu’il revient de punir les collaborateurs et les criminels, de sanctionner les contrevenants. Ces services, appendices de son pouvoir, sont au cœur du dispositif par lequel, à l’instar d’un Etat, elle s’arroge l’exclusivité du droit à l’exercice de la violence. C’est pourquoi elle est à la fois laxiste et extrêmement sévère envers eux. Elle ne fait pas taire les rumeurs, justifiées ou non, d’affaires délictueuses dans lesquelles ils seraient impliqués. Elle ne sanctionne pas les actions imprudentes qui entraînent la mort de passants. Elle n’intervient que quand le délit touche un sujet sensible qui provoque des manifestations. Contrairement aux apparences, elle suit une orientation précise qui est de préserver la complicité avec ses services, resserrant ainsi leur dépendance vis-à-vis d’elle. Mais elle veut éviter aussi tout débordement de colère à leur encontre qui pourrait l’ébranler ellemême. Le système sécuritaire surdéveloppé et la cour de sécurité militaire, très décriés par les organisations des droits de l’homme, sont destinés selon les accords à assurer la sécurité d'Israël, à " combattre le terrorisme L'article 18 de l'accord du Caire du 4 mai 1994, qui détermine les modalités d'application de l'autonomie, précise que chacune des deux parties doit prendre " toutes les mesures nécessaires pour prévenir les actes de terrorisme, les crimes et les hostilités dirigées contre l'autre partie, contre les individus assujettis à l'autorité de l'autre partie ou contre leurs propriétés ". Si la police palestinienne a bien pour mission de protéger les ressortissants palestiniens contre la criminalité, contre d’éventuelles agressions d'Israéliens et d'assurer l’ordre social, elle doit aussi mater les manifestations anti-israéliennes et empêcher une attaque contre les Israéliens. Neuf milles personnes devaient constituer le corps de police.

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Elles seraient entre trente mille et quarante mille dans la police et la sécurité. Puisque ces structures procèdent à des arrestations d’islamistes, coopèrent et échangent des informations avec Israël, elles sont considérées par nombre de Palestiniens, y compris ceux qui sont contre les attentats, comme des auxiliaires de sécurité d'Israël. Selon Soufiane Abou Zaidah, un responsable dans l’Autorité et un fathoui : “ Les Palestiniens comprennent que l ’objectif des islamistes n 'est pas seulement de libérer la Palestine et qu'ils ont aussi des intérêts politiques. Ils ont des sentiments confus, ambivalents envers eux. Néanmoins, il faut comprendre que nous soyons peinés par l'arrestation d’un compatriote pour des motifs politiques puisque beaucoup parmi nous avons été emprisonnés par les Israéliens alors que nous combattions l’occupation. Certains dans le Fatah sont satisfaits de la répression que subissent leurs adversaires du Hamas. Cependant, comme Soufiane Abou Zaidah, une large partie est gênée. Un des gardes du président qui a tenu à garder l’anonymat explique l’inconfort de sa position : " Notre président a décidé que pour une période une partie de sa garde personnelle devait surveiller des détenus. C 'est très pénible pour moi. Ils sont comme des amis. Nous nous sommes battus ensemble contre les Israéliens. Ils sont des combattants, pas des espions, des collaborateurs ou des criminels. Je ne peux pas les voir comme des ennemis. ”, Le Fatah, troublé, mal à l’aise, est cependant un organe central du pouvoir, pas tant parce qu’il a emporté les élections au Conseil législatif auxquelles l'opposition s’était quasiment abstenue de se présenter que parce qu’il est la composante principale de toutes les instances de l’Autorité. Dans la propagande officielle, Yasser Arafat et sa faction sont des boucliers contre l'instabilité et l’assurance de l'ordre social. Toutes dissensions, toutes réflexions défavorables affaibliraient al-Sulta et par ricochet profiteraient à Israël. Pour mener la lutte nationale, l’unité est indispensable et doit se faire autour de l’Autorité et de son incarnation, son président. La population est réceptive au thème de l’unité qui, d’ailleurs, a été un des slogans de l'intifada. Elle a été choquée par les combats entre Palestiniens au Liban. Il est vrai que des fathouis ne restent cependant dans leur faction que par intérêts personnels. Pourtant c’est, entre autres, ce mythe de l’unité qui explique que le Fatah en crise n’implose pas et ne se désolidarise pas du gouvernement malgré les réserves exprimées en

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son sein. Haiman, un shabiba, un jeune du Fatah, affirme : " La majorité d'entre nous est contre la manière dont al-Sulta se conduit et agit. Mais notre destinée est une. Nous restons à ses côtés et dans le Fatah. Toutefois, certains prennent leur distance envers les dirigeants. Dès novembre 1994, pour le renouvellement de leurs cadres, les électeurs du Fatah ne se sont pas conformés aux instructions de vote de Yasser Arafat. Dans les universités de Cisjordanie, des candidats se distinguent de l'Autorité par leurs commentaires et conquièrent quelques sièges au conseil étudiant. Le Fatah est aussi partagé sur les négociations et quelques-unes de ses personnalités, comme Abbas Zaki, rencontrent des opposants dans des conférences à l'étranger. Des heurts violents ont opposé des fathouis à des policiers. En février 1999, des responsables, dont Marwan Bargouthi, chef du Comité suprême du Fatah en Cisjordanie, critiquent le gouvernement, en particulier pour ne pas porter suffisamment d'attention à la grève de la faim entamée par des prisonniers dans des centres de détention. Des fathouis manifestent contre les " Abus de pouvoir " de la sécurité et demandent des réformes dans leur propre organisation. Dans celle-ci, des shabiba aux dirigeants, l’Autorité est excusée à cause de son manque d’expérience et des conditions difficiles auxquelles elle est soumise. Néanmoins, on n’est plus aveugle et on admet qu’elle commet des erreurs. La majorité des fathouis détient des postes dans les structures gouvernementales d’où la confusion qu'énonce Soufiane Abou Zaidah : " Je me demande quels sont les liens, les relations entre le Fatah et al-Sulta. Pour moi, c ’est difficile de différencier, de séparer mon rôle de directeur des Affaires israéliennes de mon engagement dans le Fatah, bien que ce dernier ait son propre programme, ses propres buts. ".

Dilemme chez les deux protagonistes Après les accords de Wye Plantation du 22 octobre 1998, le fossé se creuse encore entre la population et le régime d'autonomie, acculé à durcir sa répression contre les islamistes : détentions, fermetures d'institutions, condamnations à mort. Yasser Arafat doit satisfaire Israël et les puissances occidentales qui, en la circonstance,

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ne sont pas sourcilleuses sur les droits de l'homme. Il doit prouver sa bonne foi et sa détermination contre les islamistes au risque que les Palestiniens se détournent de lui et expriment avec virulence leur dépit face à une telle politique. Il est piégé, pieds et poings liés, parce qu’il a signé avec Israël. La légitimité de F Autorité ne pourrait être plus largement mise à mal. Dans l'article 16 de l'accord de Taba (Oslo 2) du 28 septembre 1995, il est déjà précisé: "Les deux côtés doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher les actes de terrorisme, les crimes et les hostilités dirigées contre chacun des partis, contre des individus sous l'autre autorité et leur propriété et doivent prendre des mesures contre les coupables. " Dans l'accord d'Hébron du 17janvier 1997, l'Autorité confirmait “se battre contre la terreur et empêcher la violence ". Dans la note pour mémoire du 12 janvier 1997, il était rappelé les responsabilités des Palestiniens dans " la coopération pour la sécurité, la prévention à l'incitation et à la propagande hostile, le combat efficace et systématique contre le terrorisme, ses organisations et ses infrastructures, l'arrestation, les poursuites judiciaires, les sanctions des terroristes, la confiscation des armes illégales Israël soumettait la liste d'une trentaine d’activistes à arrêter. Les accords de Wye Plantation réitèrent ces exigences et pour y répondre, un organisme de contrôle est instauré. L'article 2 AC stipule : “ En plus d'une coopération israélopalestinienne sur la sécurité, un comité palestino-américain se réunira toutes les deux semaines pour suivre les mesures prises afin d'éliminer les cellules terroristes et les structures qui planifient, financent, fournissent et encouragent la terreur. ”, La CIA examine désormais officiellement les relations entre les islamistes et l’Autorité et juge les mesures prises par cette dernière. Les pressions sont d'autant plus pesantes que Benyamin Natanyahou, par communiqués ou lors de coups de téléphone personnels, enjoint Yasser Arafat à montrer plus de fermeté. Il le menace de paralyser le processus de paix et de ne pas appliquer la contrepartie israélienne La position d’al-Sulta à l’égard de sa population devient extrêmement difficile. Le peuple attend l’Etat palestinien promis par Yasser Arafat, des résultats positifs du processus de paix et quand les pourparlers piétinent, il s’interroge sur la voie choisie par l'OLP. La répression contre les islamistes est mal perçue, nous l’avons vu. Toute escalade pourrait déboucher sur une confrontation armée dont le président pourrait être tenu pour

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responsable alors qu'il se prétend l'ultime recours pour préserver l'unité nationale. Yasser Arafat a fait le pari de “ la paix en échange de la terre ” ou plutôt de terres ; changer d’option serait se désavouer. Il ne peut reculer et doit faire la preuve de la validité de sa stratégie. Pour seulement quelques parcelles de terrain, il doit se plier aux conditions israéliennes afin de ne pas briser le processus en cours. Comment du même coup ne pas décevoir les Palestiniens ? Cette situation intenable explique en partie sans doute les attitudes défensives et antidémocratiques de l’Autorité, régime de coercition où toutes réserves émises à son encontre sont réprouvées, sanctionnées. La position du Hamas n’est pas dénuée non plus de contradictions. Jusqu'à maintenant, l'organisation affirme vouloir poursuivre la résistance. Cheikh Ahmed Yacine n’a pas démenti les propos qu’il nous tenait lors d’une rencontre en octobre 1998 : " Hamas n 'a pas l 'intention de revoir sa stratégie militaire. Nous résisterons jusqu ’à la victoire. Nous vengerons nos martyrs. Nos héros qui commettent des attentats contre Israël ne contreviennent pas à la loi, au contraire, les attentats sont un devoir national. Nous pourrons envisager de cesser nos agressions contre les civils quand les Israéliens cesseront de nous agresser. Il y a les détentions, les démolitions de maisons, les assassinats. ”. La presse islamiste insiste sur les meurtres ou tentatives de meurtre contre ses dirigeants et sur les opérations militaires d’Israël au Liban contre le Hezbollah. Mais le MRI n’est pas une organisation uniquement militaire. Il souhaite aussi être partie prenante de l’essor du pays même si celui-ci dépend d’accords qu’il exècre et de l’aide d’un Occident ennemi. Il veut épargner ses structures, les développer et élargir son audience. Or son réseau caritatif est affecté par les fermetures de ses institutions, sanctions ou mesures de prévention contre des activités terroristes. Pour le Hamas, être cohérent avec ses principes, affirmer son identité, c'est résister, ne pas céder et incarner la lutte contre l'occupant. Ce faisant, il s'expose aux coups conjugués des Israéliens et de la police palestinienne et met en péril son existence même. De plus, le capital de sympathie dont il bénéficie chez beaucoup de Palestiniens, et donc sa capacité de mobilisation, risquent de s’amoindrir puisqu’à chacune de ses opérations le bouclage des territoires autonomes asphyxie un peu plus l'économie. Le gouvernement israélien invoque aussi les attentats et une répression palestinienne qu'il juge trop

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modérée pour retarder les retraits de l’armée israélienne. Et de plus en plus de Palestiniens finissent par penser conformément à la propagande de l’Autorité que les actions du Hamas sont contre-productives et antipatriotiques. Tout comme le régime d’autonomie, les islamistes se refusent à tout affrontement qui pourrait dégénérer en fitnci (guerre civile) dont on leur ferait porter la responsabilité. S’ils dénoncent le comportement du gouvernement envers eux dans les interviews, les déclarations, ils minimisent cependant son rôle dans la répression qu’ils subissent. Ils dirigent leurs accusations contre Israël. Jamal Mohamed Natché, dirigeant à Hébron, lors d'une rencontre en juin 1997, affirme : " Dans notre mouvement, nous sommes conscients que, quel que soit le résultat, le vainqueur de la fitna sera Israël. Le harcèlement que pratique al-Sulta contre nous est dicté par Israël. La réponse du Hamas sera toujours contre Israël. Depuis longtemps, nous aurions de bonnes raisons de déclencher une rébellion pour nous défendre mais nous nous en abstenons. Nous pensons aussi que nous devons abolir un gouvernement corrompu qui n 'applique pas les principes religieux. Néanmoins, nous ne donnerons pas cette chance à Israël. Jusqu’à maintenant, l’antagonisme entre les islamistes et les responsables de l’autonomie n’ont donné lieu qu’à quelques échauffburées. Elles n’ont pas dégénéré en émeute de grande ampleur et n’ont duré que quelques jours. Elles n’en laissent pas moins du ressentiment et font planer la menace d’une escalade qui deviendrait irréversible. Durant ces années de phase intérimaire, les Palestiniens ont expérimenté un régime s'apparentant à un “ auto-gouvernement Quels que soient leurs avis sur le sujet, ils l’avaient accueilli avec émotion. Au moins, portait-il en lui l’espoir d’un essor économique et d’une reconnaissance à être une nation parmi les autres. Son instauration était source d’estime de soi collective. Les désillusions sont profondes et les islamistes bénéficient d'un atout inattendu, l'Autorité palestinienne elle-même. Sa gestion autocratique, son incompétence, la corruption de quelques-uns de ses dirigeants toujours en place malgré les demandes incessantes du Conseil législatif élu de les remplacer, apportent aux islamistes des gages pour l’avenir. C'est sur ce terrain fertile qu’ils peuvent renforcer leur impact politique. Les reproches qu’ils formulent sont justifiés, et comme dans d’autres pays, ils

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apparaissent comme les représentants de la probité et de la justice musulmane contre le clientélisme, le favoritisme. Absents du pouvoir, ils sont à l’abri de ses possibles dérives et perversions.

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CHAPITRE 3

L’AUTORITE PALESTINIENNE ET LE HAMAS ENTRE DIALOGUE ET TENSIONS

UN SCHEMA RELATIONNEL AUX LIGNES FLOUES

Le Hamas,

un opposant au ton incertain

La mise en place de l’autonomie, qui institutionnalise un pouvoir, bouleverse le jeu politique interpalestinien. Les relations entre l’opposition islamiste et nationaliste, deuxième force du pays, et une Autorité à la légitimité fragile s’aménagent sous les regards attentifs et critiques d’Israël et des Etats-Unis. Cette situation alimente, de part et d’autre, des discours, des dispositions et des attitudes contradictoires. Sur le terrain des conduites et des valeurs morales, le Hamas peut se situer sans ambiguïté. Il se prévaut d’être le défenseur de la civilisation musulmane contre la dépravation des mœurs propagée par les “ Tunisiens ” qui véhiculent le mode de vie occidental et il développe donc une propagande sur le thème de la moralité et des principes de l'islam. Il s’alarme d’une augmentation de la prostitution, s’offusque de la mixité dans des fêtes auxquelles des dirigeants palestiniens prennent part et se scandalise de l’ouverture de night-clubs

et de bars où l’on consomme de l’alcool. Or, avant l’autonomie, notamment durant l’intifada, les milieux de la prostitution, du commerce de la drogue et de l’alcool étaient des foyers de collaboration, d’où une assimilation dans l’esprit de beaucoup de Palestiniens de la débauche à la collaboration. La création à Jéricho d’un casino accessible au public israélien a soulevé l’indignation populaire. Elle est venue à point nommé pour donner raison aux islamistes selon lesquels l’Autorité est corrompue, dépravée. Le casino est perçu comme un nid d’espions, et son installation surprend les Palestiniens, en majorité musulmans et dont la religion interdit les jeux d’argent. Par ailleurs, ils ne s’expliquent pas ce choix dans un pays à l’économie sous-développée. Jamal Mohamed Natché, personnalité du Hamas d’Hébron, exprime assez bien le sentiment populaire : “Je me demande pourquoi ouvrir un casino quand il nous faut développer l'agriculture et l'industrie. De tels investissements seraient approuvés par tous les Palestiniens. Nous nous opposons à toute construction qui contredit nos traditions, notre religion. ”. A la différence de cette bataille morale, la bataille politique que mène le Hamas se caractérise par sa complexité, à la mesure de la contradiction des objectifs qu’il poursuit. D’emblée, le Mouvement offre ses compétences. Il ne veut pas être dans le gouvernement, mais aimerait bien travailler dans l’administration, dans l’éducation ou la santé publique et bien sûr dans son domaine de prédilection, la juridiction religieuse. De cette façon, ses militants pourraient se rendre " utiles " à la société. Même au lendemain des accords de Wye Plantation, objet d’une sévère réprobation de leur part, le Hamas maintient cette proposition que Mahmoud Zahhar réitère lors d’une entrevue : " Nous voudrions participer à tout ce qui peut servir le peuple palestinien, mais pas dans des structures issues des accords d’Oslo que nous rejetons. Nous avons des idées pour reconstruire notre société, améliorer le système éducatif, son contenu, gérer les affaires civiles. Nous pourrions travailler conjointement dans ces domaines. Cela ne retient pas l'attention de l'Autorité. Nous voyons surtout de plus en plus de policiers. ", Tout en affirmant ne pas vouloir participer à al-Sulta, ce qui serait une validation du processus de paix, le Hamas donne l’impression de frapper à sa porte. Ne lui reproche-t-il pas de le mettre

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à l’écart ? Cette attitude, tout en nuances, dénote l’embarras des islamistes, qui voudraient être en première ligne pour construire le pays tout en restant en dehors du gouvernement. Le mouvement affirme son statut d’opposant en réprouvant l’OLP comme une organisation laïque qui sépare religion et politique : sa facture institutionnelle n’est pas inspirée par l’histoire musulmane et ses normes, ses lois ne sont pas dictées par la loi islamique. Chez les tenants de l’islam radical palestinien, nationalisme et religion forment un tout indissociable. Reconnaître un Etat juif sur une terre qu’ils définissent comme terre musulmane est un acte qui porte atteinte à la religion et qui sous-entend que les défenseurs du processus de paix sont de piètres croyants faisant leurs propres lois sans obéir aux commandements divins. Bien que la centrale palestinienne invoque le nom d’Allah et même parfois invite au Jihad, les islamistes lui reprochent d’être séculière et de mener une realpolitik guidée dans ses choix par ses propres intérêts et non par Dieu. Cheikh Hassan Youssef, un responsable à Ramallah, résume ces différences essentielles : "Le mouvement islamique tente d’appliquer les exigences de la religion. L'OLP applique ce qu 'elle veut car elle pense que la religion ne doit pas interférer dans la politique. Dieu nous ordonne de défendre la Palestine mais nos dirigeants se sont éloignés de lui. D'une façon générale, ils substituent des lois humaines à celle du créateur. ”, Pour les islamistes, al-Sulta n’est qu’un otage d’Israël, une “ sous-autorité Au début de l’autonomie, tout en méprisant les accords, ils n’attaquèrent pas sa gestion, lui laissant faire ses preuves. Ils s’étaient même mis sous sa protection, avant de l’accuser d’agir pour les intérêts sécuritaires d’Israël, notamment après l’assassinat de Yahyah Ayyach et surtout après les accords de Wye Plantation. Selon leur analyse, l’engagement de tout mettre en œuvre pour qu’Israël n’ait plus rien à craindre des Palestiniens, n’est pas un point parmi d’autres de ces accords, mais en constitue le principal enjeu. Dans un document d’une quarantaine de pages, le Hamas passe au crible le mémorandum de Wye Plantation et y dénonce un traité qui “ est un accord de sécurité subordonné aux conditions, aux exigences israéliennes. Il doit être considéré comme un instrument de destruction : de nos capacités à résister, de notre potentiel au sein de la société civile, de nos institutions, de notre unité nationale... Les Palestiniens deviennent les jouets des caprices de sécurité d’Israël En février

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1998, Mahmoud Zahhar est excédé par la répression ; il a déjà été incarcéré plusieurs fois dans une prison palestinienne et plusieurs de ses compagnons sont détenus depuis des mois. Il livre sa version de la dynamique enclenchée depuis Oslo .“Ce n'est pas un processus de paix, mais un accord de sécurité. Les Israéliens ont voulu garder les territoires et être défendus par des Palestiniens. Regardez les patrouilles mixtes. Et que dire de la coopération autour des questions de sécurité ! ”. Malgré ces attaques acerbes, interrogés à propos de leur appréciation sur le gouvernement et en particulier sur Yasser Arafat, les dirigeants de la branche politique locale se tiennent sur leurs gardes. Peu parlent comme Khaled Ameireh, journaliste, penseur islamiste proche d’eux, qui n’hésite pas à déclarer en mars 1999 : “Arafat a accepté les conditions israéliennes pour instaurer son pouvoir à Gaza. C 'est une compromission. Le régime d'Arafat est comparable à celui de Vichy Sans doute, la plupart ne veulent pas risquer une nouvelle arrestation. En mars 1998, Ghazi Ahmed activiste du Hamas et (LHizb al-Khalass al-islami al-watani, le Parti du salut islamique et national, élude les questions et finit par déclarer : " Je ne veux pas discuter d ’al-Sulta. Arafat est un combattant pour la paix. Je ne peux pas vraiment en dire plus. J'ai déjà eu des problèmes pour m'être exprimé sur ce sujet. " Se faire une idée de la façon dont les islamistes perçoivent Yasser Arafat est difficile à cause du contexte répressif. Néanmoins, nous pouvons constater qu’ils le nomment indistinctement et avec spontanéité, Yasser Arafat, président ou par son nom de combattant Abou Ammar, ce qui est une désignation assez déférente. Comme d’autres Palestiniens, ils lui trouvent des circonstances atténuantes : son impuissance face à Israël, de mauvais calculs tactiques, de mauvais conseillers. Ainsi, en février 1998, Mahmoud Zahhar estime : “ Arafat n'est pas un traître. Il a cru qu'il avait raison. Il était sous l’influence d’une aile de l'OLP qui l'a poussé à agir ainsi. Maintenant, ces genslà en profitent ; ils mènent la belle vie en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ils ont leurs propres avantages financiers et voudraient pour cela approfondir les relations avec Israël. Arafat veut donner l'impression qu'il est encore un combattant quand il clame que toutes les options sont ouvertes. Dans le fond, il sait qu ’il n’en est rien. Comme d’autres Palestiniens aussi, les hamsaouis

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voient en Yasser Arafat un être égoïste et mégalomane, capable de sacrifier son peuple à ses propres ambitions. C’est ainsi qu’Ismaël Abou Shanab l’un des porte-parole du Hamas comprend qu’il ait accepté de négocier dans des conditions défavorables Il veut un Etat sur n'importe quelle partie du pays. Il veut que l'histoire retienne qu ’il fut celui qui a acquis quelque chose. Bien qu’elle estime Yasser Arafat prêt à renoncer aux droits des Palestiniens pour quelques illusions de pouvoir, la direction politique locale du Hamas use d’un langage empreint d’un relatif respect et qui, sincère ou non, est en tout cas conditionné par le rapport de forces. Nous pouvons émettre l’hypothèse que, pour ses détracteurs islamistes, il n’est pas aisé de vilipender Yasser Arafat car, même s’il n’est plus glorifié par ses compatriotes avec la même ferveur qu’auparavant, il n’en demeure pas moins une figure emblématique de la cause palestinienne. Même s’ils s’en défendent, ses opposants euxmêmes subissent son emprise symbolique, et ils doivent tenir compte des sentiments populaires. En conséquence, la direction politique du MRI de l’intérieur se conduit comme une opposition exploitant à son profit les failles du pouvoir tout en la mettant par ailleurs en difficulté avec les attentats. Elle s’érige en héritière des revendications nationales, du soulèvement et prétend sans équivoque que si IeAutorité échoue, elle sera là pour porter les revendications de la population. Nonobstant, quelques hamsaouis ont dépassé le registre émotionnel et affectif et considèrent al-Sulta et ses partisans comme des ennemis, y compris quand ils font partie de leur propre famille.

L’AUTORITE, DES DISCOURS CONTRADICTOIRES

De leur côté, les responsables palestiniens sont eux aussi ambigus dans leurs relations avec les partisans de l’islam politique, même si une répression plus ferme a suivi les attentats de février-mars 1996. Un simple aperçu des déclarations du gouvernement donne une idée de l’importance de ses contradictions qui sont telles que ses discours et ses conduites pourraient émaner de deux organisations politiques aux idéologies opposées. Ces contradictions discursives et comportementales sont particulièrement impressionnantes en ce qui

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concerne les attentats. Pour les représentants et les médias israéliens, elles sont la preuve de la duplicité et de la mauvaise foi de la direction palestinienne qui aurait un langage réservé à Israël et à la communauté internationale et un autre, authentique celui-là, destiné à ses compatriotes. Dans les allocutions officielles, lors des pourparlers avec les Israéliens, les islamistes sont condamnés et il est rappelé qu'Israël, pendant un temps, a favorisé le Hamas. Yasser Arafat y qualifie les agressions contre les civils d’“ actes criminels ", de " menaces contre le processus de paix Il présente ses condoléances personnelles aux familles des victimes. En parallèle, lui et ses ministres adressent leur sympathie aux familles de martyrs palestiniens, font l’éloge de ces derniers et sont présents aux enterrements. Dans les réunions publiques, ils évoquent la mémoire de ces “frères ” et saluent avec émotion et admiration, le guide spirituel du Hamas, cheikh Ahmed Yacine. Un hommage officiel est rendu à Fathi Shikaki, le responsable du Djihad, tué le 26 octobre à Malte par des Israéliens. Ce double langage a atteint son paroxysme avec l’assassinat de Yahyah Ayyach, le 5 janvier 1996, à Beth Lahia, dans le nord de la bande de Gaza. Originaire de Rafat, un village près de Naplouse, il était surnommé, “ l’ingénieur Il avait vraiment suivi des études d’ingénierie à l’université de Bir Zeit, à Ramallah, et était un chef d’Izz al-Din al-Kassam où il s’était spécialisé dans la fabrication de bombes, d’où son surnom. Les Israéliens réussirent à implanter un explosif dans son téléphone portable. A l’annonce de sa mort, les services de sécurité palestiniens font part de leur satisfaction à Israël. Mais lors de ses obsèques, les dirigeants donnent à entendre un tout autre son. Yasser Arafat glorifie ce " combattant sacré ", " le fils de la nation ”, " le meilleur de nos fils ". Radio Palestine, la voix officielle, et de nombreux journaux affichent leur peine. Suha Arafat, la femme du président, visitant la mosquée de Gaza, exprime ses condoléances au père. Suite à cet assassinat, à l’initiative d’Hanan Ashrawi et d’Hana Siniora, connus pour leur modération, les candidats au Conseil législatif suspendent pour quelques jours la campagne électorale en cours alors qu’un deuil national est proclamé. Les candidats, qui sont en majorité du Fatah, manifestent leur sympathie envers ce " martyr ”, à l’instar de Kadura Faris, figure locale de cette faction, qui a passé plusieurs années incarcéré en Israël et qui lance un communiqué où il

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mentionne Yahyah Ayyach comme " le frère commandant L’Autorité entonne un discours en accord avec les sentiments populaires. Pour beaucoup de Palestiniens, cet homme qui, quatre années avant sa mort, avait réussi à s’échapper des geôles d’Israël, est un symbole de dignité car il se dit que jamais il ne se serait soumis à une volonté autre que la sienne. Il est considéré comme un héros, pas tant parce qu’il préparait des attentats que parce que de nombreux Palestiniens se sont identifiés à lui, le combattant victime de l’ennemi. Les réactions des officiels et du Fatah sont des exemples évidents de leur extrême difficulté à s’extraire des émotions ambiantes, à mettre à distance leurs sentiments et à se dégager de la culture de la lutte armée. Pour libérer Jérusalem, Yasser Arafat invoque à plusieurs reprises le Jihad. Le 10 mai 1994, au cours d’une visite en Afrique du sud, dans une mosquée, Yasser Arafat harangue les croyants par ces mots : " Le Jihad continuera. Jérusalem n 'est pas que pour le peuple palestinien, il est pour toute la communauté musulmane... Vous devez venir et vous battre pour libérer Jérusalem. 29 ! Parfois les dissonances avec un discours de paix sont outrancières jusqu’au choix d’un vocabulaire identique à celui du Hamas, ce qui n’est pas si surprenant puisque le nationalisme palestinien s’est imprégné dès ses débuts de symboles religieux. Ainsi le langage adopté peut être en porte-à-faux avec le processus de paix, d’autant que la nature même de ce dernier est en cause. Les accords ne sont pas des traités définitifs entre deux Etats et ils ne mettent fin ni à la domination ni à l’occupation de la terre. Bref la page n’est pas tournée. Dans ses relations avec les islamistes, le gouvernement semble bafouiller. Sa politique de répression envers eux est bien compliquée à décrire tant le chemin suivi est tortueux. Des peines de mort ont été prononcées en toute hâte. Les arrestations, les détentions prolongées, tout comme les libérations se passent de jugements, de justifications, de décisions publiques. Surprenant, des hommes sont toujours détenus quand, sans plus d’explications, d’autres sont relâchés alors qu’ils sont présumés avoir une responsabilité dans des attentats. En janvier 1999, une vingtaine d’islamistes sont libérés ; parmi eux, Naji Sinnukhrut,

29. Site Internet Israël on line : Http/ / gauss.technion.acil/israël on line

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Hatem Kafishe et Jihad Sweiti, pour lesquels Israël affirme détenir les preuves de leur implication dans des attentats. Ces libérations, à l’occasion de la fête musulmane de l’Eid el Fitre, doivent être comprises comme un geste destiné à endiguer une grève de la faim des détenus dans les prisons palestiniennes et à faire taire les cris des femmes qui, devant leurs murs, scandent des mots d’ordre hostiles aux ministres " collaborateurs Les sinuosités des conduites envers les opposants s’expliquent bien sûr par les interpellations concomitantes et contradictoires d’Israël et de la rue palestinienne. De telles libérations sont de véritables actes de provocation envers Israël. Yasser Arafat cherche-t-il à signifier que, finalement, c’est lui qui décide des détentions et des élargissements ? Comme ces derniers ont lieu alors que le premier ministre israélien, Benyamin Natanyahou, gèle les retraits de territoires prévus, le message est implicite : la lutte contre les terroristes ne peut s’effectuer sans contrepartie. Mais comment comprendre alors les nouvelles arrestations, en mai 1999, d’individus relâchés deux mois auparavant ? Nous sommes bien embarrassés pour suivre ces méandres. Yasser Arafat est dépendant d’Israël mais ne veut pas apparaître auprès des siens comme un président potiche. Le Hamas, lui, est un adversaire politique majeur que l’Autorité veut éliminer. Elle navigue entre l’écrasement du Mouvement et son intégration dans ses propres structures.

Les tentatives d’integrer le Hamas DANS LE SYSTEME POLITIQUE

Aux arrestations, aux condamnations à mort, s’ajoutent la mainmise sur des caches d’armes, la fermeture d’institutions islamistes. L’organisation islamique est accusée d’être aidée par l’étranger. Des tentatives réelles ou prétendues d’attentat contre des leaders palestiniens sont déjouées et révélées au public, ce qui peut disqualifier le MRI auprès de l’opinion. A côté de toutes ces mesures de coercition, le régime d’autonomie utilise aussi des moyens destinés à faire disparaître le Hamas en douceur. Les opportunistes, ceux des islamistes qui craignent d’entrer en conflit avec l’Autorité ou qui désirent participer aux élections, ont été encouragés. L ’lslamic Nidal,

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la formation de Majdi Badah, souhaitait avoir des sièges au Conseil législatif et s’inscrire ainsi dans le nouveau contexte. En août 1995, voulant s’ancrer dans la réalité, Muhammed Abou Dhan a formé le Mouvement national du chemin islamique. Son programme : la loi islamique comme Constitution de l’Etat palestinien. D’autres petits partis islamiques se sont aussi formés après les élections et soutiennent aussi le régime d’autonomie dont ils reçoivent quelques subsides. La création de ces partis n’a pas affecté la vitalité du Hamas : ils sont trop visiblement fantoches, leur capacité d’attraction est quasi nulle. L’instance exécutive de l’Autorité opte pour une autre stratégie d’exploitation des dissensions du Hamas : incorporer quelques-unes de ses personnalités en son sein. Elle ne parvient à attirer qu’une seule d’entre elles, Imad Fallougi, un porte-parole de la branche politique, également rédacteur en chef et fondateur du journal du Hamas aujourd’hui interdit, al-Watan, dont la première publication date de novembre 1994. Rencontré en mai 1994, peu après sa libération par Israël, un an et demi avant sa nomination comme ministre des Télécommunications, il présente quelques éléments de sa biographie : “ Je suis né en 1961 dans le camp de réfugiés de Jabalya. Mes parents avaient été expulsés du village de Dimbra qui se trouvait près du point de passage actuel entre la bande de Gaza et Israël. J’ai fait mes études d'ingénierie en Union Soviétique où j ’ai passé sept mois en prison pour activités islamistes. J’étais de retour à Gaza un mois avant l’intifada. J’ai été directeur du bureau politique du Hamas dans les territoires à partir de 1989 jusqu ’à mon arrestation en 1991. Interné alors, j’ai passé six ans en prison et je viens d’être libéré après les accords du Caire. ”. Lors de cette rencontre, ce délégué du Hamas vitupère les accords d’Oslo : " La civilisation occidentale essaie d’anéantir la civilisation islamique, en particulier en Palestine. Israël est le résultat de cette conspiration qui vise à nous détruire. L'Ouest et l'Est se sont associés pour y parvenir. Nous refusons le principe d’Oslo car il comporte la reconnaissance d’Israël. Nous reconnaissons la réalité de cet Etat, pas sa légitimité. Quels que soient les termes des accords, nous, dans le Hamas, ne garantirons à Israël, ni sa sécurité ni ses frontières. ”. A l’époque, il dit de l’Autorité : “ Il est facile pour Israël d'exercer des pressions sur al-Sulta, c ’est pourquoi elle procède à des

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arrestations après les attentats. Nous avons des discussions sur cette question. J’ai de bons contacts avec le frère de Yasser Arafat. Comment Imad Fallougi a-t-il effectué le parcours le menant du MRI à un ministère ? Nous voyons dès cet entretien du printemps 1994 qu’il s’implique dans le dialogue. L’année suivante, il est désigné comme l’homme de dialogue du Hamas. S’est-il éloigné de sa propre formation ? Celle-ci le juge trop proche des dirigeants palestiniens. De plus, contrairement à l’ensemble des militants du Hamas, il désire se présenter aux élections et finalement, s’étant porté candidat comme indépendant, il est élu, prouvant ainsi sa popularité personnelle. En juin 1996, le ministère des Télécommunications lui est attribué. Pourtant, peu à peu, il ne fait plus parler de lui et est évincé des entretiens entre le cabinet palestinien et les opposants islamistes. Laetitia Bucaille dans son ouvrage : “ Gaza : la violence de la paix, “ mentionne aussi son cas et s’interroge Faut-il interpréter ce résultat comme l'acquiescement populaire de la stratégie de l'outsider islamiste ? Ou bien doit-on souligner l'impérieux besoin de Yasser Arafat d'assurer un succès à l'islamiste docile et de fournir ainsi les bases du modèle d’union nationale légitime30 ? ”. Son “ ascension " n’a pas de conséquences particulières sur le Hamas, unique islamiste à avoir accédé à un tel poste, Imad Fallougi n’a pas été suivi par d’autres, malgré les avances du régime. En juin 1998, des mois après la publication du rapport d’une commission du Conseil législatif sur la corruption et le gaspillage, Yasser Arafat feint de renouveler ses ministres. Le 13 juin 1998, le secrétaire de l’Autorité palestinienne, Tayed Abdel Rahim, indique à Associated Press : " Nous invitons toutes les factions, celles qui participent au gouvernement et les autres, dont le Hamas, à participer aux consultations pour former le nouveau gouvernement. ”. Cette invitation, qui n’est soumise à aucune condition, se heurte à une fin de non recevoir. Cheikh Ahmed Yacine, rencontré le 10 octobre 1998 rétorque : “ Oui, nous avons bien eu cette offre de l’Autorité et nous l’avons déclinée car nous ne pouvons pas être dans un gouvernement qui applique les accords d’Oslo. Quelles que soient les circonstances, c’est non. ”. Cheikh Abdel Khalak Natché, l’un des mandatés pour le dialogue, précise, au cours d’un

3°. Bucaille LÆTrriA, op. cit.z p. 207.

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entretien fin juin 1998, les principes de ce refus : " Si al-Sulta décidait de revenir au combat, de reprendre la lutte contre l'occupation, alors notre réponse serait autre. Nous en sommes loin. Nous ne pouvons admettre la répression qui s'abat sur nous. ”. Si Yasser Arafat, parfois, manœuvre pour faire rentrer le Hamas dans le rang en l’appelant à l’aide, il ne répond pourtant pas positivement à ses demandes d’employer davantage de ses membres dans la fonction publique, l’administration et la juridiction religieuse. La pratique du clientélisme y sévit, et de plus il n’y voit pas son intérêt. De telles embauches n’entraînent pas en effet l’adhésion au pouvoir en place, et les quelques personnalités du Hamas ayant accédé à des postes dans ces secteurs ne s’interdisent pas pour autant d’émettre des critiques : Cheikh Ahmed Bitawi, à la tête de l’Association des érudits en Palestine, composée d'hommes de loi religieuse du MRI dans leur grande majorité, est juge à la cour islamique de Naplouse avec une autre personnalité hamsaoui, Laid Bilal, cheikh Abdel Khalak Natché est toujours responsable du Wakf d’Hébron. Quelques-uns sont enseignants. Ayant un statut d’employé, ces personnes ne sont pas solidaires du gouvernement et elles s’expriment selon leurs convictions. Cheikh Ahmed Bitawi en a fait les frais. Pour avoir critiqué les accords de Wye Plantation, au cours d’interviews avec des journalistes, il a passé quelques semaines en prison. A d’autres échelons de l’appareil étatique, la présence d’islamistes est plus surprenante. Ils sont recrutés dans la police et même, dans les services de sécurité ! Ils ont donc pour tâche de contrôler la population et leurs frères d’armes. Le 3 juillet 1998, le quotidien israélien Ha ’aretz, publie une liste de vingt et un agents des forces de sécurité connus comme appartenant à la branche armée du Hamas ou du Djihad. Le journaliste Nadav Shragai certifie détenir ces informations d’un rapport des services secrets israéliens, qui ne l’ont pas contredit. En citant nominativement les personnes, il précise : six ont joué un rôle dans les attentats suicides de février-mars 1996 dans lesquels soixante personnes ont été tuées ; trois ont été les aides d’un chef recherché d’Izz al-Din al-Kassam, Mohamed Deif, quatre ont été jugées par la justice palestinienne, deux condamnées à la peine de prison à vie et les deux autres à douze ans de détention. L’un de ces deux derniers était Oussama Abou Taha, l’un des hommes poursuivis

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le 1er février 1999 31, à Khan Younis, par une brigade du service auquel il était rattaché. Le 22 octobre 1998, le bureau gouvernemental de la presse israélienne met à la disposition des journalistes une liste complémentaire fournie par le département d’informations du ministère des Affaires étrangères. Elle comprend douze suspects, recrutés dans la police ou la sécurité, l’ayant été ou en passe de l’être. Le gouvernement palestinien ne nie pas ces faits. Il s’en vante même et s’en explique par la voix de Mohammed Dahlan, chef de la Sécurité préventive à Gaza, dans une interview donnée le 24 septembre 1998 au journal Al-Hayat al-jadida dans laquelle il certifie que vingtcinq terroristes du Hamas sont dans les forces de sécurité. En voici des extraits : “Il n'est pas vrai que la sécurité préventive n'est composée que de membres du Fatah. Nous avons des frères actifs dans d'autres organisations opposées à l'accord et je considère que c'est mon but d'agir ainsi... Nous sommes engagés dans une bataille avec les Américains et les Israéliens concernant vingt-cinq individus de l'aile militaire du MRI car nous avons des responsabilités envers tout le peuple palestinien. Nous les avons arrêtés dans le passé pour des questions de sécurité, mais nous ne voyons aucune raison de continuer à les détenir... Le Premier ministre israélien conteste le fait que nous ayons pris la décision historique et nationale de les protéger. Nous disons clairement aux Israéliens que l'attaque de n'importe lequel d'entre eux serait une attaque envers la sécurité préventive. Ainsi, nous les défendons et nous leur donnons la chance d'avoir une vie honorable. Bien sûr, une telle attitude expose le régime d’autonomie au courroux des Israéliens, qui ripostent en paralysant le processus de paix. Ces islamistes qui entrent dans les services de maintien de l’ordre et de sécurité en échange de leur sauf-conduit, sont-ils neutralisés comme le soutient l'Autorité ? Jusqu’où ces “ transfuges ” collaborent-ils contre le Hamas ? Font-ils juste acte de présence en attendant d’autres lendemains ? Quoi qu’il en soit, leur incorporation dans ces rouages gouvernementaux ne parvient pas à donner l’impression que l’Autorité est bien celle de tous les Palestiniens car elles n’apparaissent que comme circonstancielles et ne corrigent pas le

31. Dans le chapitre précédent, cet événement est relaté en détail.

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clientélisme. Néanmoins le président peut se flatter de son ascendant sur des anciens combattants islamistes. En outre, ils peuvent être ainsi surveillés plus aisément. Ces " transfuges " nuisent à la renommée du MRI qui se loue d’avoir des militants disposés à sacrifier leur vie pour les principes qu’ils défendent ; ces départs lui sont également dommageables en réduisant sa logistique humaine.

Chroniques de relations MOUVEMENTEES ET INDECISES

Afin de mieux appréhender la dynamique, la complexité, l’évolution des relations entre l'Autorité et le Hamas, il est utile de s’attarder sur les événements eux-mêmes selon leur chronologie. Durant les deux premières années de l’autonomie, Yasser Arafat peut espérer consolider son pouvoir et entretenir l'émotion de son arrivée et la joie d’avoir vu partir une partie des soldats israéliens. Le souci du Hamas est alors de renforcer son poids politique en prenant la direction des forces d’opposition hostiles afin de saboter le processus de paix, persuadé qu’il est que les Palestiniens prendront conscience des pièges contenus dans les accords et de la mauvaise foi des Israéliens et se tourneront vers lui. Son attitude a l’égard de l'Autorité est équivoque. Alors qu’il l’accuse de collaborer avec Israël, il fait savoir qu’il place ses membres recherchés par cet Etat sous sa protection et lui demande d’intervenir pour faire libérer cheikh Ahmed Yacine y croit-il vraiment ? Est-ce un défi lancé à Yasser Arafat ? Dans le même temps, son aile armée continue ces attaques contre des Israéliens. Le 25 août 1994, au lendemain d’un attentat, le MRI se déclare pour le dialogue et exige la fin des arrestations. Il est dans une situation délicate. Il avait voulu prendre la tête des diverses organisations de l’opposition qui, lors d’une réunion à Damas en juin 1994, avaient formé un nouveau “ Front du refus ”, mais celui-ci, s’il avait bien lancé une campagne de propagande à l’extérieur, était resté assez réservé dans les territoires. Hétérogène, il représentait un éventail politique allant des islamistes à la gauche marxiste et s’était révélé non viable. Comme ses seules activités se borneront à des rencontres à l’étranger et

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que l’Autorité et le processus de paix s’imposent, le Hamas tente de composer avec le pouvoir. Il est vrai qu’il souhaite aussi être aux côtés des Palestiniens, partager leurs angoisses quotidiennes, participer à l’effort de construction, tout en se tenant à l’écart du processus politique en cours. Déjà à cette époque, cette formation parle de l’oppression qu’al-Sulta fait subir aux islamistes, mais elle demeure modérée dans ses propos et ce sont Israël et ses médias qui sont accusés d’encourager les dissensions interpalestiniennes. Pour les uns et pour les autres, l’heure est encore à 1 ’accommodement, malgré la mort d’un officier de police le 17 septembre 1994, au cours d’une confrontation avec des hamsaouis. L’Autorité montre des signes de conciliation en promettant des libérations et en organisant des débats dans les mosquées. Ce modus vivendi est brisé par les opérations militaires menées par des islamistes voulant attester que le consensus palestinien n’existe pas puisque pendant que certains négocient, d’autres continuent le combat. Interrogé en juin 1997 sur l’utilité stratégique des attentats, Jamal Mansour, un dirigeant du Hamas à Naplouse que l’on suppose proche de la branche armée, en clarifie les buts : " Rabin a dit " La mission de nos soldats partout est d'agir pour que les négociations se déroulent dans une atmosphère de tranquillité. Bien sûr nous devons faire contrepoids, car actuellement nous, les Palestiniens, nous sommes faibles dans les négociations. Les attentats prouvent que les Palestiniens ne sont pas dépourvus de moyens. Ils ont leurs avions ; nous, nous avons des Yahya Ayyach. ”. Ainsi, la direction du Hamas qui veut faire capoter le processus de paix voudrait, paradoxalement, que les attaques permettent aux négociateurs palestiniens d’obtenir davantage. Nous avons bien du mal à comprendre un si mauvais calcul de sa part ; peut-être s’explique-t-il par la difficulté à s’adapter à la nouvelle réalité politique sans renier ses convictions, mais aussi ne s’agit-il là que d’un prétexte pour faire admettre des attentats à une population consciente que, quoi qu’il en soit, le maître du jeu est Israël. Le résultat de cette stratégie est que, cinq mois seulement après l’instauration du régime d’autonomie, celuici se retrouve sur la corde raide, après l’enlèvement et l’exécution du garde-frontière, Nachshon Wachsman en octobre 1994. Pour Israël, l’autorité est en partie coupable car le soldat a été amené à Gaza. Pour Yasser Arafat, il est difficile, peu après son arrivée, de donner à la

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population l’image d’un pouvoir répressif, alors des membres du Hamas sont appréhendés puis rapidement relâchés dans la crainte de confrontations. Finalement, malgré les précautions et la retenue de part et d’autre, le 18 novembre 1994 un heurt violent a lieu entre Palestiniens, une date qui restera dans les mémoires comme " l un des jours noirs de l’histoire des Palestiniens ”. Ce vendredi-là, à la sortie de la prière à la mosquée Ibrahim de Gaza, les hamsaouis ont prévu de manifester. Des hommes sont postés sur les toits. Des coups de feu claquent. Douze personnes sont tuées. La police palestinienne et des hamsaouis s’affrontent. D’après le Fatah, ce sont ces derniers qui ont ouvert le feu et le Hamas rétorque qu’ils n’ont fait que répliquer. En définitive, chacun temporise et impute la responsabilité de la confrontation à des collaborateurs. L’année 1995, ponctuée d’attaques contre des cibles israéliennes, d’arrestations et de libérations, est marquée par une explosion le 2 avril, dans la ville de Gaza. Cet incident sème le doute chez les Palestiniens qui s’interrogent alors sur la valeur que les islamistes et le gouvernement accordent à leur vie. L’explosion d’un appartement dans le quartier de Cheikh Radwan fait en effet une quarantaine de blessés et quatre morts, dont Kamel Kaheil, combattant réputé d’Izz al-Din al-Kassam. La police prétend que l’appartement était devenu une fabrique d’explosifs. Le lendemain, le Hamas allègue que l’Autorité a assassiné des combattants avec la collaboration de la sécurité israélienne et assure qu’une telle fabrique ne peut être aménagée dans un quartier d’habitations et qu’il n’y avait que des personnes qui se cachaient. Pour démentir cet argument, du matériel explosif est exposé par la police. Mais le 4 avril, les ingénieurs de la garde civile gouvernementale confortent la version de l’opposition en révélant que l’explosion aurait pu être déclenchée par une bombe à retardement, aucun explosif n’ayant été retrouvé sur les lieux. Le Hamas crie à la conspiration. En dehors du fait même, non élucidé, il est intéressant d’examiner comment le Fatah et le Hamas interpellent la population, afin de la convaincre, et comment ils se définissent et définissent

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l’autre. Le 3 avril, le Fatah distribue un tract32 dont voici des extraits : " Aux courageuses niasses palestiniennes, aux bâtisseurs de la nation, aux protecteurs du pays ; vous avez créé la plus grande révolution de tous les temps, le plus noble soulèvement de l ’histoire moderne, vous avez construit les fondations de l 'Etat palestinien et érigé le drapeau palestinien avec votre conscience nationale, en dépit de toutes les conspirations contre vous ; aux masses de notre grandiose nation... maintenant que notre peuple et que notre Autorité nationale a planté le drapeau palestinien dans le terrain de la réalité et a entamé les premières étapes vers la réalisation de l’Etat indépendant, nous avons un besoin aigu d'une coopération nationale de nos fidèles résidents. Hamas insiste pour rester en dehors du cercle palestinien. Il répand le sang palestinien et s 'efforce de tuer le rêve palestinien sous de faux prétextes... Hamas non seulement se bat contre toute tentative d’étendre 1’Autorité palestinienne en Cisjordanie, empêche la libération des prisonniers, est responsable de pertes d'emplois et contribue à la guerre de la faim... et maintenant, il commet un crime horrible. ” Voici des extraits de la réponse d’Izz al-Din al-Kassam distribuée le lendemain33: "Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux, le plus compatissant, un autre crime a été commis par les gangs de l'Autorité palestinienne et du Shin Beth contre notre peuple et les héroïques moudjahidin. A notre nation palestinienne résistante, la nation de l'héroïsme et du martyre I ... Le massacre avait pour cible des leaders d’Izz al-Din al-Kassam qui étaient recherchés et traqués par les autorités d'occupation sionistes depuis plusieurs années... L’opération est le résultat d’efforts conjoints des autorités de collaboration de Yasser Arafat et de l'ennemi sioniste pour exterminer les unités de Kassam et toutes les factions militaires... Ce hideux massacre coïncide avec la campagne d’oppression conduite par Yasser Arafat et les services secrets de LAutorité pour annihiler les guerriers de notre nation et déjouer leurs opérations héroïques...Il est bien connu que ce n’est pas la politique de nos unités de préparer des explosifs dans des zones

32. Palestine Report, 9 avril 1995, p. 4. 33. Palestine Report, op. cit., p. 5.

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habitées. Ces hommes poursuivis sont entrés dans l'immeuble pour se cacher ...Les unités de Kassam affirment que leurs balles, qui ont secoué les fondations de l'occupation, continueront leur chemin, traverseront les poitrines des occupants et des traîtres qui collaborent avec eux. La riposte de Kassam au massacre de Cheikh Radwan sera rapide, décisive et douloureuse... Les deux organisations célèbrent le peuple palestinien combattant et le saluent. Le Hamas parle au nom de Dieu, ce qui est coutumier pour ce mouvement politico-religieux. Dieu étant pris à témoin de sa sincérité, comment le soupçonner de mensonges ? Le Fatah met en avant la conquête qu’est l’autonomie, une étape vers l’Etat palestinien. Pour rallier les Palestiniens, il utilise le symbole du drapeau. Izz al-Din al-Kassam, pour sa part, n’évoque en rien le processus de paix qu’il a déjà fustigé dans nombre de tracts. Il rentre dans le vif du sujet : la politique menée contre lui et son explication des faits. Chacune des organisations s’approprie la cause nationale et s’en prend à l’autre dans un vocabulaire violent et insultant, l’accusant de mettre en péril les intérêts nationaux, d’être malfaisante pour son propre peuple. Le Fatah met en garde la population contre Izz al-Din al-Kassam tandis que ce mouvement menace l’Autorité. Leurs deux textes sont la réplique d’autres tracts. Ils nous enseignent que les divergences sur la paix ont pour corollaire des différences de modes de projection dans l'avenir. Le Fatah veut bâtir dès aujourd’hui pour construire demain, et prend appui sur un acquis si minime soit-il pour aller de l’avant. Le Hamas n’accepte pas de compromis, reste figé au nom de principes, et imagine le futur. Malgré la détérioration des relations, le dialogue reprend. Dans les mois suivants, des deux côtés, on s’évertue à établir les bases d’une entente. Après cette explosion et l’arrestation de cent cinquante islamistes suite à un attentat le 9 avril 1995, des conversations ont lieu dans la demeure d’Abdullah Hourani, un indépendant, membre du comité exécutif de l’OLP. On décide d’éviter les hostilités entre Palestiniens, mais les discussions butent sur le refus des islamistes de renoncer à attaquer des objectifs israéliens. Ils attendent de F Autorité qu’elle fasse un compromis et admette les agressions contre des colons. De plus les pourparlers, qui se prolongent pendant des mois, sont perturbés par des échauffourées. Dans la nuit du 15 juin 1995, au cours de l’arrestation de Bassem Issam, dans Cheikh Radwan, la police

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tire. Deux policiers sont blessés ainsi que le pourchassé. Des habitants jettent des pierres sur la police. Dans le même quartier de Gaza, le 18 août 1995, Waël Nasser et deux de ses compagnons sont appréhendés. Le scénario est similaire à celui du 15 juin 1995 et cette fois des civils sont blessés. En réaction, le Hamas demande à la population de se défendre. Celle-ci critique la répression. Toutefois la levée temporaire et partielle du bouclage du territoire par Israël, plutôt satisfait des mesures prises par le gouvernement contre les “ terroristes ”, soulage les Gazaouites. Les dirigeants du Hamas promettent alors de ne plus perpétrer d'attentats à partir des zones autonomes. De cette manière, le MRI ne revient pas sur l’option de la lutte armée tout en préservant al-Sulta des griefs d’Israël. En échange, les islamistes ne seraient plus importunés. De fait, après deux attentats, l’un le 24 juillet 1995, à Ramat Gan, près de Jérusalem, et l’autre le 21 août, dans cette ville, si Yasser Arafat s’engage à faire poursuivre Yahya Ayyach et Mohamed Deif présumés les avoir préparés, il n’opère néanmoins pas de coup de filet dans le cercle islamiste. Le dialogue se maintient, vaille que vaille. Le 18 décembre 1995, une rencontre au Caire a pour objectif d’apaiser la tension. L’opposition islamique tient à discuter de la libération des prisonniers, de la coopération de sécurité israélo-palestinienne, des colonies. Les délégués gouvernementaux, quant à eux, aimeraient que le Mouvement participe aux élections, le mois prochain, de députés au Conseil législatif et donne son avis sur les négociations du statut final. Au terme de cette rencontre, Yasser Arafat décide d’ouvrir un bureau pour le dialogue national, dirigé par le hamsaoui Imad Fallougi, mais bien que les rapports connaissent une accalmie, aucun accord n’aboutit. Alors qu’un tract appelant à l’abstention a été publié dans les territoires, au Caire le Hamas assure que cette propagande contre les élections va cesser même s’il refuse de présenter des candidats. Les deux protagonistes réaffirment qu’ils s’interdisent de se combattre. Sans renoncer aux opérations militaires, le Hamas réitère sa promesse de ne plus commettre d’opérations qui gêneraient le gouvernement. Les points d’achoppement demeurent : le droit de port d’armes, la lutte contre l’occupation et le droit de s’opposer aux accords. L’idée de geler les opérations militaires est avancée et, effectivement, les opérations suicides sont suspendues durant plusieurs mois.

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Ce fragile échafaudage consensuel s’effondre le 5 janvier 1996, à la veille des élections, du fait de l’assassinat de Yahya Ayyach, par les Israéliens. Le Hamas blâme les dirigeants palestiniens pour ne l’avoir pas empêché. Des efforts sont pourtant encore déployés afin de parvenir à un véritable accord entre le gouvernement et l’opposition islamiste et des débats se déroulent à Gaza où, dans un geste d’ouverture de l'Autorité, un bureau du Hamas est légalisé et une licence de publication octroyée. Une dizaine d’activistes sont élargis. Mais les attentats de février-mars, en représailles à la mort de " l’ingénieur ", font des dizaines de morts et sonnent le glas d’une trêve tacite avec Israël. Bien que ceux qui ont commis les attentats viennent du district d’Hébron, zone qui n’est pas encore autonome le processus de paix est interrompu car Israël condamne la bienveillance de Yasser Arafat envers son opposition et le somme de l’écraser pour reprendre les négociations. De fait, tout de suite après les deux attentats du 25 février à Ashkélon et à Jérusalem, environ deux cents islamistes sont arrêtés, et Ehud Barak, alors ministre des Affaires étrangères, s’en félicite. Il demande en plus l’extradition de douze personnes, extradition qui est une exigence à laquelle Yasser Arafat a toujours fait la sourde oreille pour éviter les réactions populaires. Par contre, il obtempère à l’injonction de fermer des institutions caritatives islamiques et lance ses services dans la recherche des fabriques et des stocks d’explosifs. Le 3 mars 1996, deux autres attentats sont commis, à Tel-Aviv et à Jérusalem. Près de mille personnes sont appréhendées et l'on voit même un tank palestinien circuler dans Gaza. Le 26 mars, Mohamed Dahlan, chef de la Sécurité préventive, déclare à l’agence de presse Reuter : " Parmi nous aucun ne peut dire qu 'il peut prévenir de telles opérations, pourtant je crois qu ’à la fin de cette campagne nous aurons freiné 80 % des possibilités de les réaliser. Nous avons mis la main sur un grand nombre d’individus recherchés, à l'exception de Mohamed Deif et Yehya Ghoul. ” Il précise : " Le président Yasser Arafat est sérieux au sujet du contrôle total sur les institutions éducatives et sociales qui sont le terrain fertile où l’activisme est encouragé. ” La répression palestinienne prend un tournant, d’autant qu'elle dispose d'une machine répressive, services de sécurité et services secrets compris, bien plus performante qu’à ses débuts.

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La politique de coercition vide le dialogue de tout contenu. Cependant il est de l’intérêt des deux parties de trouver un terrain d’entente. Après l’élection de Benyamin Natanyahou, le 29 mai 1996, il est impératif pour l’Autorité que les Palestiniens soient plus que jamais soudés autour d’elles car le nouveau Premier ministre israélien, farouche opposant aux accords d’Oslo, affirme qu’il ne concédera rien de plus aux Palestiniens. Un de ses slogans électoraux a été : “ La paix est possible sans concessions. ” Les négociateurs palestiniens souhaitent le faire fléchir avec l’aide des Etats-Unis, et toute agression contre des Israéliens empêcherait la moindre avancée. Ils sont bien conscients que les attentats de février-mars 1996 ont joué en faveur de la droite israélienne dont un autre slogan a été " la paix dans la sécurité ”, La paralysie du processus de paix pourrait avantager les islamistes auprès d’une opinion publique palestinienne déçue. De leur côté, ceux-ci n’ont pas renoncé à la lutte armée, mais ils ont trop à perdre s’ils sont étouffés par la répression, d’autant que maintenant leurs institutions sont touchées. En outre, leur taux de popularité a baissé du fait que les Palestiniens subissent les désastreuses conséquences économiques de la fermeture des territoires, imposée par Israël après chaque attentat. Ce contexte explique les louvoiements du Hamas. Le semblant de dialogue devient de plus en plus difficile. Le MRI ne cesse de réclamer l’ouverture de toutes ces structures caritatives et la libération des détenus. Pourtant, la politique de colonisation et les provocations de Benyamin Natanyahou sont des facteurs de rapprochement. A la veille d’un rassemblement pour un dialogue national, à Naplouse, le 27 février 1997, Mahmoud Zahhar assure que sa formation pourrait accepter, pour une période provisoire, un Etat palestinien sur les territoires occupés en 1967 avec Jérusalem pour capitale. Ce discours pourrait être apprécié par l’Autorité au moment des négociations sur le statut permanent après la phase intérimaire puisqu’il correspond à une revendication de l’OLP ; cependant au cours de cette période, il est sans effet, il est un discours dans le vide ! Lors de cette réunion, toutes les factions palestiniennes sont représentées, sauf le Djihad, et elles demandent aux Etats-Unis, à l’Union européenne, au Sommet arabe et au Sommet islamique, de prendre des sanctions économiques et politiques contre l'Etat d'Israël pour qu’il applique les résolutions internationales concernant

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Jérusalem 34. Cette unité pour défendre les mêmes revendications est de courte durée ; elle ne résiste pas aux tensions et, à la session du dialogue national le 28 avril 1997,à Naplouse, le Hamas est absent. Jamal Mansour s’en explique à la presse. Il argue qu’al-Sulta n’a pas créé un climat de confiance puisqu’elle n’a pas ordonné les libérations quelles avaient promises deux mois auparavant. Le Hamas est également furieux de sa coopération avec la sécurité israélienne après l’attentat du 21 mars 1997, dans le café “A propos” de Tel-Aviv. Toutefois le 20 août 1997, dans le Centre Rashad Shawwa de Gaza, ses représentants daignent parler à des représentants du gouvernement car ils ont apprécié que la campagne d’arrestation, à la suite d’un double attentat à Jérusalem, en juillet 1997, n’ait pas été d’envergure. En effet, à cette période, Yasser Arafat n’espère plus que sévir relancera la dynamique de la paix. De ces nouvelles discussions avec l’Autorité, les hamsaouis escomptaient un desserrement de l’étau d’étranglement dans lequel ils sont pris. Aussi médiatiques soient-elles, ces rencontres ne débouchent pas sur des compromis. Bien que Yasser Arafat les relance régulièrement — ce qui lui permet de rappeler son désir d’unité —l’expérience ne sera pas renouvelée. Lors d’un entretien au lendemain de la session du 20 août 1997, Jamal Mohamed Natché fait part de son scepticisme : “ Les conférences ne sont que des cérémonies. Je pense qu’il s’agit plutôt de consolider les accords, mais ils ne seront jamais un succès pour les Palestiniens. Regardez, quand nous avons réussi à nous entendre avec les représentants de l’OLP au Caire, en 1995, des nôtres ont été arrêtés ! Même les participants au dialogue n 'ont pas été épargnés. La raison en est que ces traités obligent al-Sulta à des punitions collectives même quand nos combattants pour la liberté n'agressent que des colons ou des soldats. Donc en quoi un dialogue serait-il utile ? ".

34. Le gouvernement israélien a alors le projet de construire une nouvelle colonie, Har Homa, sur la colline d'Abou Gheim, dans le district de Bethléem. Ce dernier a une population estimée à 120 000 habitants et cette construction permettrait dans les années à venir de loger 100 000 colons. En outre, elle priverait les Palestiniens de terres exploitables et séparerait les villages.

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L’élargissement grâce à la Jordanie35, de cheikh Ahmed Yacine, en octobre 1997, affecte le pouvoir du président de l’Autorité car il souligne son impuissance à arracher à Israël des gestes de bonne volonté. Il est urgent pour lui de redorer son blason, de démontrer sa capacité à représenter tous les Palestiniens et à les réconcilier. Il pense que le cheikh libéré, vieux guide spirituel, est l’homme de la situation. Ne déclare-t-il pas défendre l’unité du peuple palestinien et s’interroger sur les moyens d’établir de meilleurs rapports avec les gouvernants. Afin d’assurer qu’il reconnaît la légitimité d'al-Sulta, n’a-t-il pas précisé que si des pourparlers se déroulaient un jour entre Israël et le Hamas, ce serait par son entremise. Pourtant, les premières paroles de cheikh Ahmed Yacine, prononcées à son retour à Gaza, sapent les espoirs d’une rapide et spectaculaire entente. Après un séjour de quelques jours en Jordanie pour des soins, il arrive à Gaza le 6 octobre 1997 et est accueilli officiellement au siège du gouvernement. Selon la presse palestinienne, environ trente mille personnes écoutent son discours au stade Yarmouk. Il y proclame que le peuple palestinien est un, mais il annonce : “ La résistance est un droit humain naturel. Je me battrai même avec mon frère s’il me prend ma maison et m'arrache mes droits. Il condamne la fermeture des institutions du Hamas et conjure al-Sulta de ne plus succomber aux exigences américaines et israéliennes. Dans un entretien réalisé chez lui, le 15 octobre, il détaille ses idées, qui n’apportent aucune nouveauté susceptible d’apporter la concorde : “ Nous sommes un peuple, une nation et nous avons un même ennemi. Nous et al-Sulta sommes très proches en dépit de nos divergences. Nous souhaitons avoir de meilleures relations. Cela n'est pas possible sous la pression et l'influence des Etats-Unis et d'Israël. Nos institutions doivent être rouvertes. Elles sont au service des plus démunis, elles ne violent pas les lois. Les prisonniers doivent être libérés. Bien sûr, quand quelqu'un agit contre la loi il doit être puni après un jugement. Cependant je ne pense pas que ceux qui font des attentats contre Israël agissent contre la loi. Les attentats sont un devoir national. 35. Après la tentative échouée d'assassinat du chef du bureau politique du Hamas Khaled Misha'al, par les services secrets israéliens en Jordanie, le 25 septembre 1997, ce pays exige et obtient la libération de cheikh Ahmed Yacine.

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Pendant quelques mois nous constatons, du côté de l’Autorité, des signes de conciliation. En décembre 1997, une marche est autorisée pour célébrer le neuvième anniversaire du Hamas et en mars une autre pour commémorer le premier anniversaire de l’assassinat de 1’“ ingénieur Des islamistes sont libérés. Le Hamas encourage l'Autorité à ne plus négocier et adjure la Jordanie et l’Egypte de desserrer leurs liens avec Israël. Les relations se dégradent à nouveau sous l’effet d’affaires non éclaircies, dont les principales sont la mort de Muheyedin Sharif et celle des frères Awadallah. Le 29 mars 1997, le corps de Muheyedin Sharif, l’homme qui aurait succédé à Yahya Ayyach, est découvert dans une voiture qui a explosé à Beitunia, dans une zone industrielle à l’extérieur de Ramallah. L’enquête établit qu’avant l’explosion il avait été tué par balles. Israël est d’abord suspecté. Or quand les services de sécurité israéliens sont compromis dans des meurtres d’islamistes, comme ce fut le cas pour Ani Abed, Mahmoud Khawaja, Kamel Kaheil et Yahya Ayyach, ils se glorifient d’avoir gagné une victoire sur les terroristes. Là, ils démentent être intervenus. Comme le corps a été retrouvé en zone autonome, le Hamas incrimine l’Autorité qui, de son côté, l’accuse d’avoir commis une exécution sommaire pour enrayer des conflits internes. Izz al-Din al-Kassam exige que Jibril Rajoub, directeur de la Sécurité préventive en Cisjordanie, soit jugé. L'intrigue rebondit avec le témoignage de Ghassan Addassi. Arrêté, cet étudiant met en cause Adel Awadallah qui aurait eu des vues sur la direction de la branche armée. Puis il écrit une lettre infirmant sa déposition qu’il aurait faite sous la torture. Jibril Rajoub affirme qu'un autre activiste hamsaoui désigne aussi Adel Awadallah. Dans divers tracts, le Hamas qualifie ce récit de " concocté, fabriqué pour salir le mouvement et apaiser Israël Le 11 avril, la distribution de copies de la lettre de Ghassan Adassi discrédite le gouvernement et son secrétaire général, Tayeb Abdel Rahim, à la tête du comité chargé de l'enquête. Dans cette confusion, les diatribes du Hamas finissent par baisser d’un cran. L’opprobre a été jetée de part et d’autre, toute surenchère est inutile. Cette mort est une grande perte pour le MRI, et les suspicions qui l’entourent sont un camouflet pour sa réputation. Il fait la même analyse que pour l’assassinat de Yahya Ayyach ; Israël est le coupable dont il se vengera et le gouvernement palestinien un auxiliaire impliqué d’une façon ou d’une autre. Celui-ci baisse aussi de ton, tout en

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suggérant que des " divisions sur la stratégie au sein d'Izz al-Din alKassam ", des "disputes d’argent " ou des "luttes de pouvoir " puissent être à l’origine de cet assassinat Rien n’a été prouvé. Quelques mois après, Adel Awadallah est encore au centre des interrogations et des polémiques, cette fois, avec son frère. Le 10 septembre 1998, les deux hommes sont trouvés morts à Taybeh, non loin d’Hébron, dans la zone C contrôlée par Israël. Les habitants n’ont entendu aucun bruit, les cadavres auraient été transportés là. Imad Awadallah s’était échappé quelques semaines auparavant de la prison de Jéricho et avait retrouvé son frère recherché. Le journal populaire israélien Yédiot Ahranot n’hésite pas à insinuer qu’un dispositif a pu être posé sur son corps pour suivre sa trace jusqu’à son frère. La presse israélienne parle de "haute technologie ". Les Israéliens ne rendent pas les corps à la famille. La thèse d’une étroite collaboration israélo-palestinienne se répand. Des rumeurs, qui convainquent de nombreux Palestiniens, racontent que l’évasion a été facilitée et était un piège. Benyamin Natanyahou félicite les forces de défense israéliennes. Rencontré le 30 septembre, Jamal Mohamed Natché déclare : " Nous ne pointons pas notre doigt sur un seul responsable. Ils sont deux, l Autorité et Israël. La mort de Muheyedin Sharif comme de ces deux frères est la conséquence d’une collusion entre eux, mais c’est la faute de l'autorité occupante. C 'est de sa faute si nous avons de si mauvaises relations entre nous. L'accord de sécurité de Wye Plantation est une terrible erreur. ”. Il est à noter, que la crispation des rapports s’est aggravée depuis la signature, le 22 octobre 1998, de l’accord de Wye Plantation, qui perfectionne la collaboration entre les services secrets et de sécurité israéliens et palestiniens. Déjà, l’année précédente, cette coopération avait permis de mettre la main sur une cellule dans le village de Surif dont était originaire la “ bombe humaine ” responsable de l’attentat du 21 mars 1997 dans le café “ A propos ” de Tel-Aviv. Des fabriques d’explosifs avaient pu être ainsi démolies. Après un double attentat le 4 septembre 1997 à Jérusalem, le gouvernement israélien exige plus de fermeté qu’après le double attentat de juillet de la même année. L’étau se resserre sur les islamistes. Des dizaines d’hamsaouis sont appréhendés et surtout, le 26 septembre 1997, dix-sept institutions sont interdites et fermées dans la bande de Gaza. Seuls le club de jeunes de Mohamed Barrar et Jam’iyyat al-salah al-islamiya, l’Association

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islamique pour la propagation des bonnes manières rouvriront, plus d’un an après. L’accord de Wye Plantation précipite la répression. Des personnalités du Hamas sont détenues quelques semaines pour l’avoir critiqué. Le 29 octobre 1998, cheikh Ahmed Yacine est assigné à résidence, pour deux mois, après l'attaque, le jour même, d’un bus d'écoliers de la colonie de Kfar Daron, dans la bande de Gaza, au cours de laquelle un soldat meurt en interposant son véhicule entre l’agresseur et le bus, sauvant ainsi les enfants. Cette assignation à résidence est un avertissement : personne parmi les islamistes, quelle que soit son aura n’est intouchable. Quelques semaines plus tard, un événement parmi d’autres envenime encore les rancœurs du Hamas. Le 13 novembre 1998, Jamal al-Hoor et Abdel Rahman Ghuneimat, deux “ guerriers " de la cellule de Surif, sont capturés par une unité spéciale de l’année israélienne alors qu’ils étaient convoyés par la sécurité préventive palestinienne pour un transfert depuis Hébron. Ils circulaient aux alentours de Naplouse en direction de cette ville quand ils furent interceptés. Les islamistes y voient une connivence de l’Autorité qui, gênée, proclame n’avoir fait aucun marché de la sorte. Ce sont les fermetures d’institutions et plus encore la question des prisonniers qui approfondissent la fracture entre l’opposition et le régime d’autonomie. Les incarcérations provoquent des manifestations qui détériorent encore les relations. Pour exemple, en juillet 1996, devant la prison de Tulkkarem, des sit-in sont organisés pour exiger des libérations et pour s’insurger contre la mort de huit détenus dans des conditions suspectes. Lors d’une manifestation, la police tire, et Ibrahim Hadaydeh, un jeune homme, meurt. Deux ans et demi après, en janvier 1999, les prisonniers dans les territoires autonomes entament une grève de la faim qui se termine au bout de quelques semaines après l’affranchissement de quelques-uns. Cheikh Abdel Khalak Natché, fin février, commente : " C 'est la seule chose que peuvent faire nos frères. Ces arrestations nous les réprouvons depuis le début. Il doit y avoir la liberté pour tous et la liberté d’expression. C'est déjà une étape que quelques-uns aient pu être libérés. Le Conseil législatif et des ministres interviennent dans ce sens. “. C’est avec ce lourd contentieux que se prolonge la phase intérimaire, qui aurait dû se terminer le 4 mai 1999, après des négociations qui auraient déterminé le statut final des territoires occupés. La présence, le 27 avril 1999, en tant qu’observateurs, de

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dirigeants du Hamas de l’intérieur au Conseil national palestinien qui a décidé le report de la déclaration de l’Etat palestinien 36 n’est pas, en dépit des apparences, un indice de progrès du dialogue. Mahmoud Zahhar, l’atteste au cours d’un entretien : " Nous étions là seulement pour faire entendre notre voix et tenter de délivrer l'Autorité des chaînes d'Oslo. Il ne s'agit pas pour nous d’un changement de position sur le processus de paix ni sur la nature du conflit avec les sionistes. Nous sommes une opposition constructive, nous ne nous opposons pas pour le plaisir. Nous ne sommes pas non plus aux ordres de Yasser Arafat. ", Cette participation n’a donc été que la répétition des approches antérieures de part et d’autr. L’Autorité, voulant prouver son esprit d’ouverture, souhaite que l’opinion palestinienne approuve l’ajournement de la déclaration, alors que le Hamas cherche à démontrer qu’il faut compter avec lui. Dans les mois qui ont suivi, la tension a même monté d’un cran avec en août, des attaques de la branche armée du Hamas contre des colons à Hébron et à Jenin et, début septembre, la revendication de l’assassinat de deux étudiants israéliens. Le 5 septembre, deux tentatives d’attentats, l’une à Tibériade, l’autre à Haïfa, n’ont fait qu’une seule victime israélienne. Laissent planer le doute sur l’implification du MRI, ces deux opérations ont été réalisées par des Palestiniens citoyens d’Israël37. Des leaders du Hamas sont de nouveau arrêtés par la police palestinienne, détenus parfois plusieurs heures, simplement pour avoir affirmé, comme Ismaël Abou Shanab en août dans une interview donnée à la chaîne MBC (antenne satellite

36. Arafat avait brandi la menace d'une déclaration unilatérale d'un Etat palestinien en réaction à l'absence d'avancée dans le processus de paix. 37 Ils étaient quatre hommes habitant en basse Galilée. A Tibériade, les corps d'Amir Masalha, âgé de vingt-cinq ans, et de Jad Azaize, âgé de vingt-trois ans, du village de Dabouriyya, ont été identifiés après l'explosion de leur voiture qui a blessé sérieusement un passant. Le même jour, à Haïfa, une autre voiture a explosé avec à son bord Nazzal Krayyem, du village de Mashad. Ibrahim Sahah du même village a été arrêté ; il avait quitté la voiture pour aller acheter une bouteille d'eau. Selon son témoignage, les quatre hommes avaient prévu de déposer les bombes dans les soutes à bagages des bus allant à Jérusalem, mais leurs charges ont explosé avant. Il s'agit des premiers " attentats suicides " commis par des Palestiniens citoyens d'Israël.

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saoudienne basée à Londres), que la résistance et le Jihad restent la seule voie pour la libération de la Palestine. Les arrestations auxquelles procède l’Autorité aboutissent souvent à des détentions sans jugement pour une période indéterminée. Ainsi le docteur Abdel Aziz Rantissi, libéré sans condition pour assister aux funérailles de sa mère, a été de nouveau appréhendé quelques semaines plus tard. L’élargissement par Israël d’une douzaine de membres du Djihad et du Hamas après d’âpres pourparlers avec l’Autorité palestinienne qui avait exigé qu’un certain nombre de militants de ces mouvements figurent parmi les personnes libérées dans le cadre des accords de Charm el Cheikh, n’a pas suffi à apaiser les rivalités et les ressentiments réciproques. A la veille des négociations sur le statut final des territoires qui débutent en novembre 1999, le dialogue entre l’Autorité palestinienne et le Hamas n’a pas repris. Il bute sur l’opposition inconditionnelle des islamistes à reconnaître Israël, à abandonner la lutte armée et sur la répression exercée contre eux par le régime de l’autonomie qui ne veut pas mettre en danger le processus de paix et souhaite s’affirmer comme le gouvernement du pays. Les deux positions demeurent inconciliables.

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CHAPITRE 4

LE HAMAS, UNE ORGANISATION EN CRISE

Un mouvement AFFAIBLI PAR LA REPRESSION Au cours de la période qui nous intéresse, le Hamas est pris en tenailles entre les répressions israélienne et palestinienne. Rappelons-le, la coopération entre les services secrets se développe. Des militants, des combattants et des personnalités du Hamas sont sous les verrous. Des responsables de la branche armée ont été tués. Certains sont employés dans les organismes de sécurité ou la police de l’Autorité quand d’autres sont en fuite. Des stocks d’armes, d’explosifs ont été découverts, des cellules démantelées. Au fil des années, les services secrets et de sécurité palestiniens gagnant en efficacité, de nombreuses tentatives d’attentats sont déjouées. Dans les rues, la vigilance est extrême, policiers et soldats sont sur leur garde et tous les Israéliens sont en état d’alerte au moindre geste suspect. Il est même arrivé que la foule arrête celui qui s’apprêtait à commettre un attentat : le 19 octobre 1998 à Beersheba, un massacre a pu ainsi être évité de peu. La perte d’artificiers comme Yahyah Ayyach, Muheyedin Sharif est lourde pour le Hamas : des hommes meurent ou se blessent en préparant des bombes ou en les transportant ; par exemple, le 5 octobre 1999, un engin explose dans une voiture à Hébron, blessant l’occupant, Hazem

Abou Kuweider, hospitalisé puis appréhendé par F Autorité palestinienne. En outre le système caritatif du Hamas a été lourdement atteint par la répression. Dans la bande de Gaza, depuis l’attentat du 4 septembre 1997 sur le marché Ben Yéhuda à Jérusalem, la plupart des institutions caritatives sont interdites. Décidément, au cours de ces années d’autonomie, l’islam politique palestinien s’est trouvé cerné de toute part. Le Hamas minimise les effets négatifs sur sa popularité de la réduction de ses activités charitables. Lors d’un entretien, le 9 octobre 1998, cheikh Ismaël Hanieye, directeur du bureau de cheikh Ahmed Yacine, le fondateur du Mouvement, affirme : “ A cause des fermetures de nos institutions, nous sommes ressentis comme des victimes. Bien sûr, les conséquences sont négatives car nous ne pouvons venir en aide comme auparavant. Vous devez savoir cependant que les gens ne nous soutiennent pas pour cela mais parce que nous sommes l'unique solution pour libérer la Palestine. Pourtant il est indéniable que c’est aussi grâce à sa panoplie de services éducatifs, médicaux, de clubs de sports et à son soutien financier aux miséreux que cette formation a éveillé la sympathie. Les personnes secourues par ses œuvres de bienfaisance en deviennent tributaires et une allégeance peut ainsi s’instaurer. Le Mouvement a pu préserver tout de même ses comités de la Zakat et peut encore redistribuer la plus grande part de cette aumône obligatoire pour les musulmans après le jeûne de Ramadam à des individus dans le besoin. Le ministère des Affaires religieuses qui lui fait concurrence ne l’a pas détrôné dans ce domaine. Mahmoud Zahhar, en février 1999, explique comment la distribution est organisée : " La Zakat passe par nous et est répartie entre les plus nécessiteux selon une grille de trois catégories déterminées en fonction de critères de pauvreté. Cet argent est utilisé pour des vêtements, de la nourriture, l’uniforme et le matériel scolaire. ”. Pour illustrer ses dires, Mahmoud Zahhar montre son portemonnaie où son propre argent est séparé de celui de la Zakat. Il admet : " Nous sommes appréciés aussi parce que nous secourons les plus démunis quelles que soient leurs opinions. Nos bonnes œuvres, les orphelinats par exemple, suscitent le respect. ”.

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Or, aujourd’hui, les capacités d’action sociale du Mouvement sont limitées, surtout dans la bande de Gaza où il apparaît, peu à peu, comme en retrait de la société civile. L’exercice par quelques-uns de ses membres, de professions à caractère humanitaire ou social, tels les médecins et les enseignants, suscite la considération mais ne parvient pas à compenser ce retrait. L’atteinte de son réseau caritatif met à mal son principal moyen de toucher la population, diminue ses lieux de propagande. Les mosquées qu’il a investies, sa presse à tirage limité ne peuvent combler ce déficit. Par ailleurs, si le MRI continue à revendiquer son droit à la lutte armée, ses dernières actions n’ont pas été à la mesure des promesses de vengeance. Le 2 février 1998, cheikh Ahmed Yacine admet sans ambages : “ Notre branche militaire rencontre de nombreuses difficultés qui viennent surtout de l'accord entre les Américains, les Israéliens, les Palestiniens. ". Un mois après la mort des frères Awadallah, cheikh Abdel Khalak Natché, leader à Hébron, est tout à fait explicite : " Nous n 'oublierons pas leur assassinat. Pour l'instant la pression qui pèse sur nous est trop forte. Il y a un véritable état de siège contre nos combattants qui ne peuvent pas se mouvoir. Cela dit, nous n 'avons pas changé de stratégie. Il y a eu des tentatives mais elles ont été découvertes. ”. Pour certains responsables locaux, il est préférable afin de sauvegarder le mouvement de ne pas lancer d’attaques dans cette période. Ils pensent qu’il faut éviter de donner à l’Autorité des prétextes de procéder à de nouvelles arrestations. La question des attentats divise les islamistes, mais la disproportion entre des discours vengeurs, guerriers et la faible amplitude des opérations entreprises — peu nombreuses et ne visant qu’une poignée d’individus au moyen le plus souvent d’une arme à feu — est due au contexte et non à une option stratégique.

Des dissensions internes C’est au sujet des élections au Conseil législatif que des dissensions sont exposées pour la première fois au grand jour.

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Emprisonné alors par Israël, cheikh Ahmed Yacine, fondateur du Hamas, fait savoir qu’il reste opposé à toute participation au gouvernement mais qu’il encourage les candidatures au Conseil afin de faire entendre la voix du Mouvement à l’intérieur de cette structure. Son point de vue ne s’impose pas et, le 19 novembre 1995, le Hamas déclare qu’il ne présentera pas de liste sans cacher que cette décision a été prise après de difficiles débats internes. Enthousiasmés par les élections, les premières auxquelles ils participent, les Palestiniens soutiennent plutôt les factions engagées dans le processus de paix et, selon les sondages, la cote de popularité du Hamas est au plus bas, n’atteignant pas plus de 10 % à 11 % environ alors que dans les élections syndicales professionnelles il obtenait un score de 30 % à 40%. L’organisation estime alors qu’il est dangereux pour elle de présenter des candidats et d’apparaître comme très minoritaire. De plus, pour la majorité de ses membres, la participation aux élections impliquerait une reconnaissance des accords d’Oslo. Une certaine confusion règne cependant puisque c’est seulement quelques jours avant les élections que trois cadres du Mouvement, Saïd al Namrouti, Ismaël Hanieye et Khaled al Hindi, qui s’étaient fait enregistrer comme candidats indépendants, finissent par se retirer. A la même période, la création d ’Hizb al-Khalass al-islami al-watani, le Parti du salut islamique et national, suscite un débat plus feutré. Fondé à Gaza en décembre 1995, par Ismaël Abou Shanab, une personnalité éminente de la branche politique du MRI, ce parti n’existe pas en Cisjordanie. Du reste, il n’obtient une licence de l'Autorité qu’en mars 1996, évitant ainsi les discussions sur la question de la participation aux élections. Dans une interview à l’hebdomadaire AlQuods, le 11 décembre 1995, Fikri Abdelatif, son porte-parole d’alors, annonçait les raisons officielles de sa création : " Nous avons pour but d'exprimer l’ambition et les aspirations de la tendance islamiste. Nous affirmons notre indépendance... Nous avons été actifs dans le projet islamique, dans les différentes étapes de son développement. Nous ne nous isolons pas. Hamas est l’épine dorsale du courant islamique en Palestine. Il est naturel que ceux qui sont affiliés philosophiquement avec le Mouvement forment la colonne vertébrale de toute initiative islamique dans la région. L’ambiguïté est évidente. Ce parti se déclare indépendant du MRI, mais en même temps il apparaît comme une organisation satellite

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dont la vocation est de drainer certains de ses militants et des islamistes qui ne sont pas du Mouvement. Les positions qu’Hizb al-Khalass alislami al-watani affiche sont identiques à celle du Hamas : pas d’intégration dans les instances gouvernementales, pas de condamnation des attentats même si, comme quelques hamsaouis, il en conteste l’utilité. Son slogan est le même que celui du Hamas : " L'islam est la solution ”, La première publication de son journal, AlRissalah (Le Message), un hebdomadaire, date de février 1997. Il est tiré dans la bande de Gaza où il est essentiellement diffusé. Son éditeur, Ghazi Ahmed , autrefois journaliste à Al-Watan, (La Nation), journal aujourd’hui interdit du MRI explique : "C’est le même état d'esprit qu ’Al-Watan. Mais notre situation est différente. Ce journal est reconnu par 1'Autorité qui, comme pour notre parti, a fourni une licence et a contribué à son financement. Ces quelques données nous indiquent que certains hamsaouis ont voulu ainsi établir un parti proche de leur formation mais distinct et protégé par sa légalité. Ce que d’ailleurs cheikh Ahmed Yacine luimême admet au cours d’une rencontre le 10 octobre 1998 : "Il n’y a pas de différence idéologique entre eux et nous. Hamas est un mouvement politique, social et militaire. Ce parti n 'est que politique et il a une autorisation officielle de l'Autorité. ”, Quelques jours auparavant, Nizar Ramadam, une personnalité du Hamas d’Hébron en avait dit plus : " Nous avons les mêmes idées. Ils sont plus en sécurité que nous puisqu’ils ont une autorisation. Certains sont encore du MRI mais ne le disent pas ouvertement. “. Le fondateur d’Hizb al-Khalass al-islami al-watani, Ismaël Abou Shanab, précise lors d’une discussion le même mois : " Ce parti, sous le régime de l'Autorité, a des activités qui sont restreintes. Il n 'a aucune action pratique comme de combattre l'occupant. ". Autrement dit, Hizb al-Khalass al-islami al-watani a été créé par des islamistes opposés au processus de paix, dont des hamsaouis, pour élargir l’assise de cette mouvance. Dans l’esprit de son fondateur et de ses premiers adhérents, il ne devait pas être réprimé puisqu’il est légalisé et n’a pas pour vocation de résister à l’occupation. En conséquence, quelle que soit la situation du Hamas, il pourrait lui survivre. En fait, ses militants ne sont pas à l’abri, et après des attentats ou des événements comme la mort de Muheyedin Sharif, des dizaines d’entre eux sont appréhendés. Son journal a été plusieurs fois

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saisi pour des articles aux “ expressions non conformes “ et pour avoir critiqué les violations des droits de l’homme, la corruption, les arrestations et les détentions. Pour ces mêmes raisons, son éditeur, Ghazi Ahmed, a été plusieurs fois détenu. L’existence d’Hizb al-Khalass cil-islami al-watani divise le MRI. Ses détracteurs hamsaouis lui reprochent d’être trop pragmatique et craignent qu’il ne fasse de l’ombre à leur propre formation. Ils lui reprochent de disperser les forces et pensent que sa création n’a pas été salutaire. Néanmoins, l’état critique de leur propre organisation les rend discrets sur ce sujet de controverses. Ils mentionnent plutôt l’affinité de pensées et même Mahmoud Zahhar, qui a raillé ce parti, en octobre 1999, reste circonspect : " Le Hamas est la référence en matière d'islamisme palestinien. Nous sommes la mère à laquelle Hizb al-Khalass al-islami al-watani comme les autres doit se comparer et non pas le contraire. Avec l’arrestation le 25 juillet 1995, aux Etats-Unis de Moussa Abou Marzouk 38, un des responsables de son bureau politique basé en Jordanie, le Mouvement perd une figure unificatrice, d’autant que son fondateur, cheikh Ahmed Yacine, est encore en prison, ainsi que le docteur Abdel Aziz Rantissi, le porte-parole des expulsés au Liban en 1992. Peu à peu, dès lors, les mésententes sont dévoilées, exacerbées par les dissensions portant sur la façon de gérer la crise de l’organisation consécutive à la répression. La direction de l’extérieur serait plus intransigeante, plus radicale envers Israël et l’Autorité. L’aile armée serait majoritairement sur cette position dure, et des jeunes en son sein voudraient en découdre avec l’Autorité. Les dirigeants politiques de la bande de Gaza, quant à eux, auraient l’attitude la plus modérée envers l’Autorité et seraient aussi les plus favorables à une pause provisoire des attentats. Certes, cette diversité

M. Moussa Abou Marzouk est né en 1951 à Gaza dans une famille de réfugiés. Il a étudié l'ingénierie au Caire. Il a vécu plusieurs années aux Etats-Unis où il a obtenu un doctorat en ingénierie industrielle. En 1991, il a été élu président du bureau politique du Hamas. Il a vécu alors en Jordanie jusqu'en 1995. Cette année-là, il a été arrêté aux Etats-Unis et Israël a demandé son extradition qu'une cour fédérale a ordonnée. Mais Israël a décidé de ne pas faire appliquer cette mesure, par crainte de représailles. Les Etats-Unis, en mai 1997, l'ont renvoyé en Jordanie.

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des opinions, ces lignes de fractures s’expliquent par des contextes géopolitiques et des raisons d’être différents, la branche armée n’existant que pour la lutte militaire. Cependant, nous ne devons pas perdre de vue que les ensembles précités ne sont pas indemnes eux non plus de divisions internes. Ainsi, dans la bande de Gaza, certaines personnalités du Hamas, et au premier chef le docteur Abdel Aziz Rantissi, sont particulièrement rebelles vis-à-vis de l’Autorité et intraitables envers Israël, alors qu’à l’extérieur Moussa Abou Marzouk, a été celui qui, avec Cheikh Ahmed Yacine, a élaboré les clauses d’une trêve avec Israël.

LES RELATIONS AVEC L’AUTORITE Nous devons souligner que ceux de l’extérieur n’ont pas à s’adapter à un gouvernement palestinien, lui-même sous surveillance. L’occupation israélienne n’a pas été leur quotidien, pas plus que ne le sont aujourd’hui le processus de paix et l’autonomie. Ce n’est qu’en août 1999 que les responsables du Hamas à Amman sont pour la première fois sérieusement inquiétés par le gouvernement jordanien. Le procureur général d’Amman lance des mandats d’arrêt à l’encontre de quatre responsables du Mouvement, le 30 août contre Ibrahim Ghosheh, porte-parole, Moussa Abou Marzouk, membre du bureau politique, et le 31 août contre Mohamad Nazzal, représentant du Mouvement à Amman, et Ezzat al-Rouchok, Khaled Misha’al, membres du bureau politique. Les autorités jordaniennes mettent sous scellés des locaux de l’organisation et interpellent treize de ses membres. En septembre, Khaled Misha’al et Ibrahim Ghosheh sont arrêtés et Moussa Abou Marzouk expulsé vers Téhéran. Les autres responsables sont passés dans la clandestinité. Les dirigeants basés en Jordanie n’avaient pas eu jusqu’alors à prendre des précautions pour se préserver et garantir la survie de leurs structures. En outre, vivant en dehors de la société palestinienne des territoires occupés en 1967, les dirigeants de l’extérieur ne comprennent pas le phénomène de dépolitisation auquel elle est confrontée. Certains d’entre eux incitent à une Intifada contre " les traîtres ". Ce qui fait dire à Mahmoud Zahhar, lors d’une entrevue en

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janvier 1998 : " Tout le monde ici sait bien par quoi nous sommes passés durant l ’occupation. Quelqu ‘un résidant à l'étranger depuis des dizaines d'années ou n 'ayant jamais vécu ici ne connaît pas notre réalité, surtout quand il vit dans de bonnes conditions, parfois même dans le luxe. Et surtout, il est si loin de notre réalité. ". Ces leaders dogmatiques de Jordanie trouvent un écho parmi des chebab déroutés par l’autocontrôlé décrété par les dirigeants politiques locaux et frustrés par la grande retenue nécessaire pour éviter les confrontations. Ils aimeraient que leur Mouvement révise son attitude envers l’Autorité. Des jeunes clament qu’ils détestent les Palestiniens qui défendent les Juifs en les réprimant eux qui sont des résistants. Les mauvais traitements que certains ont subis, infligés par des compatriotes, lors d’arrestations, de détentions, ont pu générer ce sentiment de haine. A Amman, on ignore ou ont feint d’ignorer, qu’en dépit même de cette rage, ceux qui veulent s’affronter à l’Autorité sont très minoritaires. Dans le Hamas, la majorité ne souhaite pas une confrontation qui pourrait dégénérer en fitna. Interrogés à ce sujet, la plupart se sont offusqués, comme cet étudiant de l’université de Hébron qui s’est écrié J'exècre al-SuIta. Mais voulez-vous que je me batte contre mon père, deux de mes frères ? Je ne peux imaginer une telle chose. ”. C’est le Hamas de la bande de Gaza qui le premier a expérimenté un face-à-face avec le régime d’autonomie et a cherché les modalités d’une cohabitation. Dès la fin de 1995 les désaccords entre la direction de l’intérieur et celle de Jordanie sont patents. Cette dernière, sans concertation, organise des infiltrations à Gaza ou recrute des individus pour tuer des policiers. Après leurs arrestations, gênés, les représentants du Hamas de Gaza se taisent. Les appréciations de la situation sont différentes et donc aussi les orientations ; de plus de telles initiatives peuvent être le signe d’une volonté de reprise en main par la direction de l’Extérieur. En conséquence, les rapports entre les leaders de Jordanie et ceux habitants en Palestine sont difficiles. Il importe de noter que ceux de la bande de Gaza, personnalités emblématiques pour la population locale ont des liens assez distendus avec ceux de Jordanie. Quant à ceux de Cisjordanie, ils ont été tissés des rapports plus étroits avec le bureau politique d’Amman, les contacts étant facilités par la proximité géographique. Néanmoins, Jamil Hamami, le fondateur local, a œuvré dans le même sens que

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quelques leaders de Gaza voulant mettre un terme à la violence contre des civils israéliens et établir un dialogue avec le régime d’autonomie. Il avait trouvé des compagnons réceptifs à cette ligne modérée. Mahmoud Zahhar et Sayyed Abou Moussameh étaient venus de Gaza en Cisjordanie lui prêter main-forte pour convaincre l’ensemble des camarades de le suivre dans cette voie. Mais ce responsable, souvent délégué pour rapprocher les points de vue entre le MRI de l’intérieur et de l’extérieur, a quitté l’organisation ou en a été exclu. Bien sûr, le débat n’a pas pris fin en Cisjordanie avec son départ, d’autant qu’à la suite du redéploiement progressif de l’armée israélienne les islamistes de ce territoire se trouvent eux aussi confrontés à l’Autorité et connaissent des circonstances similaires à celles de la bande de Gaza. Même si le gouvernement palestinien y est plus conciliant à l’égard des structures caritatives du Hamas, il réprime tout autant ses membres. En outre, plus qu’à Gaza, ces derniers encourent le danger d’être arrêtés par les services israéliens lors de leurs déplacements. Le Hamas connaît bien des conflits de pouvoir mais les dissensions internes viennent avant tout des évaluations divergentes que les islamistes font sur la marge de manœuvre dont ils peuvent encore bénéficier sous le régime d’autonomie, et donc sur les relations qu’ils doivent entretenir avec l’Autorité. Par conséquent, ce sont ces évaluations divergentes qui donnent sens aux débats sur modération et réalisme, alimentés par cette question sans réponse possible : comment éviter la répression sans renoncer à la lutte armée ?

LES ATTENTATS

Les attentats du 25 février et du 3 mars 1996 ont le mieux mis en lumière ces dissensions. De telles actions, en représailles à l’assassinat de Yahyah Ayyach étaient prévisibles, et pourtant elles semblent anachroniques puisque que le Hamas s’est abstenu depuis des mois de réaliser ce type d’opérations pour ne pas mettre en cause les pourparlers en cours avec l’Autorité. D’ailleurs ces attaques ne sont pas revendiquées tout de suite par le Hamas. Izz al-Din al-Kassam les désapprouve et jure qu’il a tenu les promesses qu’il a faites à l’Autorité. Le 1er mars, ses brigades avaient même suggéré une trêve à

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l’Etat d’Israël, sous certaines conditions. Ces attentats, actes de vengeance en mémoire du massacre de la mosquée d’Hébron 39 et de l’assassinat de 1’“ ingénieur ” sont revendiqués par les “ élèves de Yahyah Ayyach Cette cellule, inconnue jusqu’alors, s’avère être une dissidence de la branche armée composée d’éléments enrôlés par la direction de l'Extérieur, tout comme des personnes suspectées d’organiser les assassinats de personnalités du gouvernement qui avaient été arrêtées. A la fin du mois de mars, Yasser Arafat s’en prend au bureau politique de Jordanie et affirme être en possession d’un document qui serait un plan secret destiné à renverser l’Autorité. Sans renoncer au droit à la lutte armée, des personnalités comme Ghazi Ahmed Mahmoud Zahhar et cheikh Jamil Hamami jugent que ces opérations ne sont pas d’actualité et sont des erreurs stratégiques. Ils savent que les Palestiniens sont épuisés par les mesures de sécurité qui aggravent la crise économique. En dépit de leur opposition au processus de paix, ils voudraient préserver “l’unité palestinienne”. Cheikh Jamil Hamami exprime ainsi ses sentiments après les attentats du 25 février 1996 : " Je ne condamne pas ces deux opérations, je ne les soutiens pas non plus. Il fallait s'attendre à une réaction de notre part. Pourtant je pense que ces actions de vengeance doivent prendre fin car les Palestiniens ont besoin d’une certaine tranquillité. ". N’oublions pas que le prix à payer, celui de la répression, ne retombe que sur les hamsaouis de l’intérieur. C’est pourquoi ces responsables politiques pensent qu’il faut suspendre les actions militaires, tout en maintenant une branche armée capable de réagir au cas où Israël commettrait un acte devant entraîner des représailles. Sur cette base, plusieurs d’entre eux, comme Mahmoud Zahhar, soutiennent, qu’un Jihad en sommeil est une nécessité. Lors des élections israéliennes du 29 mai 1996, de sa prison, le chef spirituel du Hamas, cheikh Ahmed Yacine, fait savoir qu’il partage cet avis. Pour ces hommes, l’organisation doit se garder de tenter d’agir d’une façon ou d’une autre sur les résultats électoraux israéliens pour les raisons que Mahmoud Zahhar met en avant lors des élections suivantes de mai

39 Le 25 février 1994, Baruch Goldstein, un colon juif du parti d'extrême droite Kach, ouvre le feu sur des fidèles musulmans dans la mosquée d'Hébron ; cinquante-deux Palestiniens sont tués.

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1999: "C'est stupide de penser que nous voulons qu’un parti israélien gagne plutôt qu 'un autre. Sur les thèmes les plus importants pour nous, les Israéliens sont unanimes. Ils n 'accepteront ni le retour des réfugiés ni que Jérusalem soit notre capitale, et tous sont pour le maintien de colonies. En 1996, chez les hamsaouis, en Cisjordanie comme dans la bande de Gaza, les querelles s’exacerbent. Les tracts prolifèrent. Dans la confusion de leur diversité, on peut lire des dénis de toute implication dans ces attentats ou au contraire des revendications de ces derniers. Des tracts exhortent à la poursuite des agressions contre les civils israéliens, d’autres demandent leur suspension. Des hamsaouis veulent adopter une stratégie adaptée au contexte quand d’autres perçoivent cette attitude comme une renonciation, une soumission. A travers la guerre des communiqués, chacune des deux tendances se réclame de la direction. Ainsi, le 24 mai 1996, un tract signé par le Mouvement Hamas en Palestine déclare : " Des membres du Hamas ont demandé une pause dans les activités de résistance et dans les opérations du Jihad jusqu ’à la fin des élections israéliennes... Ils affirment qu’ils expriment le point de vue du leadership, mais ceci est loin de la réalité. Nous ne portons aucune attention à qui, parmi les meurtriers sionistes, gagnera les élections, ils sont tous les ennemis de notre peuple... Il est regrettable que dans une tentative de légitimer ces déclarations, nombre d'entre elles soient attribuées aux moudjahidin, (combattant de la guerre sainte) Cheikh Ahmed Yacine... Nous affirmons dans les termes les plus forts que nous n ’avons pas changé notre politique de résistance à l'occupation 40. ”, Ces controverses sont relancées après chaque attentat. Celui du 21 mars 1997 à Tel-Aviv, dans le café “ A propos ”, pendant Pourim, la fête juive des enfants, est justifié par tous les islamistes à cause de la politique de colonisation du gouvernement israélien, notamment de Jérusalem et de ses alentours. Mais nombreux sont ceux parmi eux qui critiquent le moment choisi. Le jour même de l’attentat, lors d’une marche populaire du Hamas à Gaza, Ibrahim Maqdameh, qui se dit conseiller d’Izz al-Din al-Kassam, libéré quelques jours auparavant par

40. Palestine Report, 31 mai 1996, p. 3.

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l’Autorité, harangue la foule en prônant le retour au combat armé. De même, le docteur Abdel Aziz Rantissi, relâché par Israël en avril 1997 après une peine de prison à son retour du Liban où il avait été expulsé, va dans le même sens en déclarant ne pas voir en quoi le Hamas devrait être réaliste et abandonner la lutte armée. Le docteur Rantissi affirme, aux cours de réunions ou d’interviews, qu’il ne veut donner aucune chance à une Autorité ne mettant pas tout en œuvre pour libérer la Palestine dans son intégralité. Après l’attaque dans le sud de la bande de Gaza d’un bus rempli d’enfants israéliens, le 29 octobre 1998, peu après les accords de Wye Plantation, des dirigeants, en privé, se disent consternés. A Hébron, l’un d’eux, qui ne souhaite pas être cité, déclare : " Les planificateurs et les organisateurs de cette attaque ont fourni à Yasser Arafat un mobile pour arrêter les nôtres. C 'est une erreur stratégique. Notre objectifpremier devrait être de reconstruire notre formation. “ Cette opération a pu être préparée du dehors sans l’approbation des dirigeants de l’intérieur qui déclinent toute responsabilité. Elle est la dernière attaque d’envergure durant la phase intérimaire, avant l’ouverture des négociations sur le statut final. Mais malgré les controverses, la ligne officielle du Hamas reste inchangée et, à plusieurs reprises, ses responsables réaffirment que les pourparlers sont un non-sens et que le Jihad doit se poursuivre. Selon Abdel Aziz Rantissi : " C ’est une question de principe, si le Hamas abandonnait le Jihad il perdrait son identité. ”.

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La PROPOSITION DE TREVE,

UNE ECHAPPATOIRE ?

Les questions des relations avec l’Autorité et de l’arrêt des attentats posent aussi celle de la hudna, une suspension des hostilités, durant une période déterminée et selon des engagements réciproques, une trêve qui n’est pas forcément une étape pour un traité définitif. Le prophète Mahomet en a signé une avec les juifs, et les islamistes la conçoivent comme un élément du système religieux. De son côté, Izz al-Din al-Kassam a plusieurs fois proposé des cessez-le-feu sous certaines réserves. La direction politique du Hamas a été plus loin en proposant une hudna de dix ans. Laquelle des branches, politique ou militaire, prend les décisions ? Chacune esquive cette responsabilité et l’attribue à l’autre. Les politiques clament que les militaires sont indépendants d’eux. Pourtant ils affirment toujours, de leur propre chef, que la trêve est une possibilité et Izz al-Din al-Kassam fait silence. Le 15 octobre 1997, quelques jours après son retour à Gaza, cheikh Ahmed Yacine, assure lors d’un entretien : " Les juifs recherchent la sécurité et nous, nous sommes contre cette paix-là. Mais nous déclarons qu 'une hudna peut être une solution temporaire qui permettrait aux populations de vivre sereinement. Cette option est toujours ouverte. Cette suggestion ne date pas de la période d’autonomie. Dès le début du soulèvement, Izz al-Din al-Kassam a préconisé la fin des agressions de civils israéliens en échange de la libération des prisonniers palestiniens, insistant sur celle de cheikh Ahmed Yacine. Il a exigé aussi la fin des meurtres de civils palestiniens et le départ des Israéliens des territoires occupés en 1967. La branche armée du Hamas a repris ainsi en son nom les demandes du Commandement unifié. Pendant le régime d’autonomie, elle renouvelle sa proposition. En décembre 1993, surenchérissant les accords d’Oslo, elle se dit disposée à ne plus attaquer les civils israéliens, les colons notamment, s’ils sont désarmés et ont quitté Gaza dans les trois mois et la Cisjordanie dans l’année. Les tirs contre des civils palestiniens doivent cesser et les

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unités spéciales israéliennes41 disparaître. Les communiqués sont menaçants : si Israël n’obtempère pas, il s’expose à une escalade de la violence. En octobre 1994, après l’enlèvement et la mort du soldat Nachshon Wachsman, le chef du bureau politique de Jordanie, Moussa Abou Marzouk propose à nouveau un cessez-le-feu pour en finir avec l’assassinat de civils israéliens et palestiniens. Il se déclare prêt à tout dialogue qui pourrait déboucher sur la libération des prisonniers. Il détermine avec cheikh Ahmed Yacine les termes d’une trêve que ce dernier précise lors d’une rencontre en février 1999 : “ Nous sommes clairs. Nous voulons récupérer les territoires occupés en 1967, un Etat palestinien libre avec Al-Quods pour capitale, le retour des réfugiés. Les prisonniers doivent être libérés. La guerre s ’arrêterait. Nous mettrions un terme au combat pendant dix ans ; après nous déciderions d’établir ou non une autre trêve. En Israël, malgré les offres répétées de cessez-le-feu et la suspension des attentats quelques mois en 1996, seul Yossi Beilin, délégué au ministère desAffaires étrangères, tend une oreille attentive à ceux qu’il qualifie de modérés dans le Hamas, dont Mahmoud Zahhar, le plus fervent défenseur de la hudna. Pourtant, même les “ élèves de Yahyah Ayyach ”, après les attentats perpétrés en février-mars 1996, se déclarent disposés à baisser les armes quelque temps si Israël ne s’en prend pas aüx activistes du mouvement islamique et libèrent les prisonniers. Ils affirment se plier aux injonctions de la branche politique et précisent dans un tract : " Le cessez-le-feu pourrait être de trois mois afin que le gouvernement israélien et notre direction dans notre patrie puissent parvenir à une trêve par l’intermédiaire de l'Autorité palestinienne 42. ". Sous prétexte de cessez-le-feu, le Hamas, à plusieurs occasions pose des ultimatums et se contredit, dévoilant des divisions au sein même de la branche armée. Israël décide de ne pas céder au chantage et de ne pas libérer des individus ayant " du sang juif sur les mains En dernière analyse, l’offre de trêve semble avoir d’autres buts que la trêve

41. Ces unités spéciales sont composées d'hommes parlant arabe, déguisés en Palestiniens et souvent chargés d'assassiner des individus recherchés par les autorités israéliennes. 42. Palestine Report, 8 mars 1996, p. 6.

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elle-même. Nous notons que certaines de ses clauses concernent des points à négocier sur le statut final des territoires occupés en 1967 ; leur évocation avant ces négociations ne peut qu’entraîner une fin de non-recevoir du côté israélien. Relancer l’idée de trêve serait plutôt un moyen de maintenir le Hamas sur la scène politique et même diplomatique et de mettre en évidence les failles du processus de paix. L’obstination d’Israël à ne pas traiter avec lui, même par l’intermédiaire de l’Autorité, justifie de la poursuite de la lutte armée. Pour les islamistes, la hudna a l’avantage de ne pas impliquer une reconnaissance d’Israël, comme l’indique Ismaël Abou Shanab en juin 1997 : " Cette issue répond aux circonstances dans lesquelles nous vivons. Nous avons si peu de pouvoir, nous ne pouvons demander plus que les frontières de 1967. Dans notre religion, une trêve est possible même si tous nos droits ne sont pas obtenus. Beaucoup de hamsaouis se montrent lucides et admettent que la libération de toute la Palestine n’est pas à leur portée. La suggestion d’une hudna pourrait bien dissimuler le souhait de certains d’un compromis avec Israël pour sauver l’organisation sans se renier. De cette manière, elle pourrait revenir aux activités exclusivement religieuses, sociales et culturelles des Frères musulmans. A l’approche de la date butoir du 4 mai 1999, les porte-parole du Hamas préfèrent rester dans le vague sur les modalités d’une trêve. Le programme de 1994 est occulté. Des dirigeants seraient plus souples et favorables au report des discussions sur le retour des réfugiés. De plus, on admet que la hudna pourrait déboucher sur une paix définitive, comme le déclare Bassam Jarrar en juin 1997 : "Si la paix s’établissait pendant des années, il serait difficile de revenir en arrière, les gens s ’y seraient habitués. Ce serait vraiment le prélude à la paix.

Le Mouvement a la veille DES NEGOCIATIONS SUR LE STATUT FINAL

Peu à peu, le mouvement s’essouffle. La libération de cheikh Ahmed en octobre 1997 n’a pas produit les effets escomptés. Certes, le Mouvement n’a pas implosé, mais ce fondateur du Hamas, qualifié de

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guide spirituel, n’a pas réussi à le fédérer autour de sa personne bien qu’il soit estimé par tous pour son endurance à la souffrance physique et morale et perçu comme une personnalité indépendante, altruiste, fidèle à ses principes, quelles que soient les circonstances. Lors de son voyage en mai 1998 dans le monde arabo-musulman, il est élevé au rang de leader reconnu dans la région. L’accueil que lui réservent les dirigeants est solennel et la réception des populations chaleureuse. En Egypte, en Arabie Saoudite, dans les Emirats arabes unis, au Qatar, au Koweït, en Syrie, au Soudan, il est reçu avec les honneurs, et dans les mosquées où il prêche, les croyants viennent en masse. En Iran, l’ayatollah Ali Khamana’e, le guide de la révolution, le célèbre comme le vrai représentant du peuple palestinien. Malgré la reconnaissance et la popularité, cheikh Ahmed Yacine ne réussit pas à dissiper les antagonismes. Les responsables de Gaza se prévalent d’être les fondateurs du mouvement et ceux d’Amman assoient leur pouvoir sur la réception des fonds. Néanmoins, l’aura de cheikh Ahmed Yacine amène ces derniers à adopter un profil plus bas en s’abstenant de tous commentaires quant à la promesse qui lui a été faite au cours de son périple de versements directs aux institutions de la bande de Gaza et de la Cisjordanie. Les divisions ont encore été attisées par la participation en tant qu’observateurs de responsables du MRI de Gaza, dont cheikh Yacine, à la réunion du Conseil central de l’OLP qui, le 27 avril 1999, a repoussé à une date ultérieure la déclaration d’un Etat palestinien. Devant le Conseil, cheikh Ahmed Yacine, a déclamé les principes du Hamas. Pourtant, cette présence à un débat sur la proclamation d’un Etat palestinien circonscrit aux territoires occupés en 1967 peut apparaître comme les prémices de l’acceptation de la politique de compromis de l’OLP. Cela est inadmissible pour ceux de l’extérieur et Ibrahim Ghoché, porte-parole du Mouvement à Amman a désavoué la participation de responsables du Hamas à cette réunion et le vieux guide spirituel de Gaza qui en a été l’instigateur. La réplique ne s’est pas fait attendre. Ismaël Abou Shanab, un des observateurs de la réunion du Conseil central de l’OLP, a affirmé à la presse le 28 avril : " Cet acte engage le Hamas dans son entier. Notre seul chef est cheikh Ahmed Yacine. Nous estimons que notre décision est justifiée car le peuple palestinien doit s’unir face à l ’agression israélienne, afin de nous préparer aux défis israéliens qui

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nous attendent. Finalement, cette dernière querelle est étouffée et les responsables de Gaza affirment qu’ils ont convaincu ceux de Jordanie du bien-fondé de leur décision et qu’une chura, un Conseil du Hamas, l'a très largement soutenue. Toutes ces discordes handicapent une formation déjà affectée dans ses structures par la répression et qui, après les vagues d’arrestations, se trouve privée d’activistes. Elle peut difficilement user de la violence pour persuader Israël de la prendre en considération. Au nom du droit à une légitime résistance à l’occupation, elle fait l’apologie d’un Jihad qu’elle n’a pas les moyens de mettre en œuvre, mettant en danger son existence même et qui, de toute façon, ne pourrait pas atteindre son objectif : l’établissement d’un Etat islamique sur toute la Palestine. Le Hamas serait-il au pied du mur ? Comment peut-il encore être solide et actif dans la société sans réviser son projet de libération de toute la Palestine et les modalités de sa participation à la vie politique ? Cette question se pose avec une grande acuité à la fin du mois d’octobre 1999, c’est-à-dire à l’approche des négociations sur le statut final, la répression s’étant même abattue sur le bureau politique en Jordanie. Et bien que les dirigeants de l’intérieur affirment que le mouvement n’est pas affaibli, il est peu concevable que l’atteinte d’une base aussi importante, source de soutien politique, moral, matériel, financier, n’ait aucun impact. La direction de l’intérieur se trouve forcément plus isolée et sans relais alors qu’elle-même est aussi réprimée. Cet isolement risque d’empirer à cause de l’évolution du Parti du salut islamique et national, émanation de membres du Hamas, qui suit son propre chemin politique. Deux de ses dirigeants, Eyyah Moussa et Mohamed Sa’ati participent depuis le mois d’octobre au Conseil central de l’OLP et quatre autres membres sont aussi au Conseil national, espérant jouer un rôle politique d’opposant à l’intérieur de cette structure. De plus, la population palestinienne s’est montrée choquée par un possible enrôlement d’arabes citoyens d’Israël en vue de commettre des attentats que, par ailleurs, d’après les études récentes faites par les centres de recherches palestiniens et les dires de dirigeants du Hamas eux-mêmes, elle semble de plus en plus désapprouver.

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CHAPITRE 5

LA DECISION D’INTEGRER LE HAMAS

PRESENTATION DES ACTEURS

Des jeunes et des intellectuels forment le noyau militant de cette organisation en crise. L’analyse de leur discours aide à saisir leurs convictions, leurs motivations, à appréhender ce que le Hamas représente pour eux, et à rendre intelligible leur interprétation de l’identité et du combat palestiniens. Pour ce travail, trente-trois Palestiniens islamistes 43 ont été interviewés. Plusieurs parmi eux, des jeunes surtout, craignant pour leur sécurité, ont préféré que leur nom ne soit pas cité. Ces entretiens ont été menés de décembre 1996 à juin 1997, au cours de différentes visites dans le pays, en Cisjordanie, à Jérusalem et dans la bande de Gaza. Les catégories les plus représentées sont les responsables, les intellectuels et les étudiants. Sept individus de l’échantillon sont des personnalités de la mouvance islamiste dont deux n’appartiennent pas au MRI : Jamil Hamami, n’en est plus membre, après en avoir été l'un des fondateurs, cheikh Bassam Jarrar est un penseur islamique, sympathisant de l’organisation. Seize hamsaouis interrogés sont des étudiants des universités de Bir Zeit à Ramallah, 43. Une brève biographie de chacun d'entre eux est en annexe.

d'Hébron, de Bethléem, d'An Najah à Naplouse. Ils sont sur la liste du Bloc islamique. Parmi eux, cinq ont été élus au Conseil des étudiants. Les autres individus interrogés sont essentiellement des enseignants, des journalistes. Sur l’ensemble, il y a vingt-cinq hommes, huit jeunes femmes. La représentation plus importante des hommes s’explique par le fait qu’aucune femme n’est présente dans les hautes instances du Hamas. Par ailleurs, les femmes d’âge mûr dans le Mouvement sont assez difficiles à aborder, elles sont plutôt réticentes aux entrevues avec des étrangers. Aux entretiens concernant cet échantillon s’en ajoutent d’autres conduits lors de différents séjours durant l’année 1998 dans treize familles, dont l’un des membres s’est tué en commettant un attentat. Ces rencontres sont riches d’informations permettant de mieux comprendre la problématique du martyr islamiste palestinien, que celuici se réclame du Hamas ou du Djihad islamique.

Les differents modes de conviction Pour faire émerger les motifs de l’engagement des acteurs et appréhender les raisons de leur choix, nous devons d’abord entrevoir le moyen par lequel s’est réalisée la rencontre entre l'individu et l'idéologie. Cela constitue la première clé de lecture des ingrédients qui alimentent la mobilisation politique et c’est aussi un éclairage sur la manière dont se décide le militantisme, sur les causes et sur les types de trajectoire individuelle. Concentrer notre attention sur les circonstances de cette prise de contact permet de mettre en lumière la façon dont les individus ont approché le Mouvement et par quel biais ils ont été convaincus. Les parcours individuels sont marqués par des cercles d'affiliation. Le premier, le plus classique dans toutes les mobilisations politiques, est le cercle familial. Dans les familles hamsaouis, les parents étaient affiliés aux Frères musulmans à une époque où le Hamas n’existait pas encore ou ils étaient des membres du Fatah ou bien encore ils n’étaient pas organisés. Mais tous ont soutenu le Hamas durant l’intifada et très peu de temps après sa création. Parmi leurs

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descendants, deux générations d’acteurs sont à distinguer : celle des plus de quarante ans, les fondateurs, les dirigeants de la branche politique, qui étaient Frères auparavant, et celle des adolescents ou jeunes adultes, qui ont peu connu l’islamisme palestinien lorsqu’il était uniquement axé sur la réforme de la société et ont surtout expérimenté un islamisme nationaliste. Quel que soit l’âge, les propos tenus sur les familles sont similaires. Toutes ces personnes, dès leur enfance, ont vécu dans un milieu où l'islam était radical. Shaban a vingt-cinq ans : “Ma famille, dit-il, est dans cette organisation et j'ai toujours pensé ainsi. Cela me semble aller de soi. ”. Tarek, vingt-trois ans, déclare : “Ma famille est très religieuse. C'est elle qui m'a enseigné la religion. Depuis que je suis enfant, je pense comme elle que l'Islam est ce qu 'il y a de meilleur pour ma vie, pour la société. ”, Cheikh Jamil Hamarni, âgé de quarante-cinq ans, explique : “ J'ai été élevé parmi les Frères musulmans. Ma manière de penser en est tout imprégnée. ", Dans ce cercle familial, l’idéologie se transmet d'une génération à l'autre que nous pouvons désigner comme un mode de conviction par l'imprégnation. Dans les années 70, les personnes les plus âgées ont connu une poussée de la mouvance islamiste. Les progrès de l’islam radical dans le monde arabo-musulman, dans les années 80, les ont toutes incitées à s’investir davantage dans une organisation qui s’en réclamait. Ces Palestiniens, confrontés à l’occupation pendant l’Intifada, ont accueilli avec enthousiasme la création du Hamas, par quelques-uns d’entre eux, car elle jetait un pont entre leurs croyances et leur intention de s’affirmer nationalistes. D’ailleurs, durant le soulèvement, les frères aînés ont entraîné les frères et sœurs plus jeunes à soutenir l’islam politique. Ali raconte : " Quand j'étais enfant, je cherchais l'appui de mes frères aînés et ils m'ont persuadé. Quand j'ai constaté que le Mouvement rentrait dans l'action, j'ai encore été plus décidé. ”. Le frère aîné défend la pensée du Hamas et entraîne les plus jeunes à rejoindre l’organisation. Il agit ainsi dans un premier temps comme médiateur. Des raisons bien particulières expliquent que le frère aîné peut avoir un tel crédit auprès de ses cadets. Dans les familles palestiniennes, c’est le père d’abord puis le frère aîné en second lieu, qui font autorité. Or durant l’intifada, des chebab ont acquis une grande respectabilité ; glorifiés, ils ont été élevés au rang de héros de la résistance. De ce fait, certains ont parfois

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même évincé le père dans son rôle de chef de famille. Pour deux des quatre personnes interviewées qui ont suivi leur frère aîné, c’est toute la famille — du moins nucléaire — qui agit de même. Samira déclare : “ C'est mon frère qui m'a influencée. Il a convaincu toute la famille. Nous lui faisons confiance. Pour Aïcha : “ Il y a eu deux périodes dans la vie de ma famille, avant que nous soyons dans le Hamas et après. Au début de l'intifada, mon frère aîné a rejoint le MRI. Il a une grande influence sur la famille et mes parents disent qu 'il sait ce qu 'il fait. Notre choix ne pouvait être que le sien. J'étais très jeune. Dans ce contexte, s’exerce ce que nous pouvons qualifier de mode de conviction par influence, se déclinant ici en mode de conviction par ascendant. Ce dernier peut aussi être à l’œuvre entre un professeur et son élève et déterminer ainsi un itinéraire politique. Yaël affirme : " Ma manière de penser a été très marquée par cheikh Bassam Jarrar. Il était un de mes professeurs de collège. Il m'a inspiré. J’ai un profond respect pour lui. Je le vois souvent avec d'autres étudiants pour discuter de différents sujets. ". Cheikh Bitawi déclare : " Dieu nous a donné des professeurs expérimentés qui nous ont guidés. Dans ce mode de conviction par ascendant, l’admiration est souvent présente. Elle peut susciter l’envie d’être membre de l’organisation, l’individu y trouvant les modèles auxquels il voudrait ressembler. Le docteur Abdel Aziz Rantissi se souvient : " J’ai tout simplement été impressionné par le monde spirituel des Frères. J'ai voulu être des leurs. L'influence est aussi mentionnée à propos du cercle amical, où la conviction par influence est plus exactement une conviction par affection car c’est l'attachement envers quelqu’un qui est le facteur décisionnel. Il va sans dire que, d'une façon générale, autorité et affectivité sont plus ou moins enjeu. Dans l’échantillon étudié, nous voyons que les hamsaouis se sont plutôt décidés pendant l'adolescence ou très jeunes adultes, à un âge où l’on peut éprouver aisément un engouement pour une idéologie qui fournit une interprétation du monde et un modèle de comportement. Lors de cette étape de la vie, on est plus enclin à appartenir à un groupe qui se différencie des autres par sa manière de penser, de lire l'histoire et de voir l'avenir, et auquel on peut s’identifier. Les milieux lycéens et universitaires sont donc des espaces privilégiés pour commencer à s’investir dans un parti politique. Au cours de leurs études, les

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étudiants sont sollicités par les militants et invités à choisir une faction. Depuis l’occupation, la politique a été au centre de la vie universitaire et, même en cette période de désenchantement, c’est toujours à l’université que l’on manifeste le plus d’intérêt pour la chose publique. Nariman, décrit ce qu'elle a ressenti au moment de son adhésion Au collège, cela a été un tournant. Je me suis unie à ce mouvement, en osmose avec lui, je me suis impliquée dans un groupe dans lequel je pouvais agir et exister, savoir qui j'étais. Nous constatons que durant les études, les amitiés sont plutôt postérieures aux adhésions. Elles se construisent dans le partage des idées et les actions communes. Elles cimentent le lien avec l’organisation. Elles entretiennent le sentiment d’être dans une “ seconde famille ”, une famille de pensées, une famille de combats. Ce que Tarek exprime ainsi : "Je me suis senti attaché aux autres islamistes. Nous nous comprenons. Avec les autres, je me sens moins bien. L’envie d’être militant dans cette formation peut naître d’une émotion, d’une atmosphère à laquelle on a été sensible. Parfois, sous l’effet d’une sorte de saisissement, l’individu est bouleversé et attiré comme un aimant vers le Mouvement. Un flot émotionnel l’envahit. Difficile à décrire, il touche à la fois au monde des sensations et à la spiritualité. L’individu peut être rendu plus perméable par sa foi, et c'est à la mosquée que l’émotion est particulièrement à fleur de peau. L’ambiance qui règne, les prêches qui sont déclamés y sont propices. On peut y éprouver une sensation de bien-être dans un lieu sacré, impressionnant. Nabil l’exprime ainsi : " A la mosquée, j'ai trouvé une sorte de paix, de confort, d'aise. ". Cheikh Bassam Jarrar, témoigne de l'impact de cet endroit, ainsi que de l'appel à la prière, surtout chez des êtres jeunes : " Quand j'étais enfant, à Ramallah, la plupart des gens n'étaient pas religieux. Dans ma famille, on croyait mais on ne pratiquait pas. J'ai été le premier à être religieux. La religion a commencé à vraiment faire partie de ma vie quand j'avais quatorze ans. Soudainement, un après-midi alors que je revenais de l'école, mon cartable sur les épaules, j'ai entendu l'appel à la prière. Bouleversé, je me suis mis à pleurer. Je suis allé prier pour la première fois de ma vie à la mosquée alors qu 'elle était dans la rue où j’habitais. Je n'y avais pas pensé auparavant. A la mosquée, ma

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vie a changé. J'ai senti que j'avais un but. J'étais investi de la mission de faire comprendre l'Islam. Quand le premier facteur qui capte l'attention sur le Hamas est émotionnel, l'individu trouve difficilement ses mots. Walid : " J'ai commencé à être attiré par les Frères musulmans quand j'étais adolescent, ceci de façon émotionnelle. ”, Un silence, puis il reprend : “ Le Hamas fait écho à quelque chose en moi. Nous trouvons également des démarches réfléchies. Des jeunes adultes ou des adolescents n’ont intégré cette formation qu'après un certain temps de réflexion. A l’université, endroit propice aux échanges, aux confrontations d’opinions, les factions exposent leurs idées et les étudiants s’informent, lisent et discutent. Si leur sensibilité politique, religieuse, leur éthique et leur avis sur le processus de paix les dirigent plus vers une faction que vers une autre, quelques-uns entreprennent néanmoins un examen comparatif. Quelquefois nous assistons à une rupture avec l’éducation parentale et l’environnement familial. Parmi les jeunes interrogés, plusieurs islamistes viennent de familles du Fatah ou de familles divisées politiquement entre les différentes factions de l’OLP. Par exemple, dans celle de Nariman, étudiante de Bir Zeit très investie dans les activités du Bloc islamique de l’université, seul un frère est dans un parti, le Parti du peuple, l’exParti communiste. Ce mode de conviction, que nous nommerons conviction par comparaison, concerne souvent des intellectuels. Ghazi Ahmed, détenteur d’une maîtrise en sciences politiques et éditeur d ’alRissalah, journal du Parti du salut islamique et national, relate : " Je me suis documenté, j ’ai beaucoup lu sur des sujets variés. J'ai étudié d'autres religions, d'autres idéologies. Cela m’a pris des mois. ” Assad, étudiant en microbiologie, a aussi préféré prendre son temps avant de faire son choix : “ Je me suis intéressé à ce qui nous arrivait. Adulte, j ’ai cherché à comprendre comment nous en étions arrivés là et comment nous pourrions nous en sortir. Je me suis renseigné sur les mouvements nationaux. J’ai rencontré les uns, les autres et, finalement j ’ai opté pour le Hamas. ”. La comparaison s'opère bien entendu quand quelqu'un quitte un parti pour se rallier au Hamas. Pour être plus précis, il faut ici parler de mode de conviction par rejet. L'individu est déçu par la politique de son parti parce qu’il désapprouve son évolution ou qu’il l’estime inefficace. Burrah, est un ancien du Front populaire de libération de la

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Palestine qui a été séduit par l’idéologie du Hamas. Il s’en explique : “ A la fin de l'intifada, j'ai été vers le Mouvement islamique et je suis devenu un bon musulman, du moins je l'espère. C'est le changement politique, la situation, l'impuissance du Front populaire qui m'y ont conduit. J'ai commencé à penser autrement et même à l'inverse. Les faits ont démontré que le marxisme est un échec, qu 'il ne nous libéra pas et que la solution est dans l'islam. Autre cas de figure : la faction dans laquelle l'interviewé militait ne lui a jamais donné satisfaction. Ainsi certains, voulant résister à l’occupation, étaient actifs dans le Fatah bien qu’ils le jugeaient trop peu religieux. La création du Hamas les a soulagés, cette organisation leur convenait mieux. Cheikh Omar a suivi ce parcours : “ Au début du soulèvement, le MRI a été présent. Cela a été l'occasion pour moi d’abandonner le Fatah. J'y avais une bonne position, mais j'étais sûr qu'il n'atteindrait pas les objectifs des Palestiniens et des musulmans. J'y ai vu des attitudes et des idées qui me scandalisaient, me froissaient qui, de mon point de vue, sont dangereuses pour notre religion. Mais, voyez-vous, avant le Hamas, pour des Palestiniens comme moi qui voulaient se battre contre les Israéliens, il n'y avait pas d'autre alternative que le Fatah, les autres factions étant marxistes. ". C’est aussi de comparaison dont il s’agit pour celui qui s’est rendu à l’étranger, le plus souvent pour étudier et qui, confronté à une société aux normes et aux comportements différents de la sienne, a été choqué, gêné. Il n’a pas remis en question ses propres principes, au contraire il s’y est cramponné et s'est orienté vers ce qu'il considère comme le contre-modèle du pays qui l’a accueilli. Salah Bardawil fait part de cette expérience : “ J'ai fait des études de médecine en Union Soviétique. J'y ai découvert que toutes les idéologies ne mènent pas à la joie, ni à une relation entre l'homme et son environnement. J’étais offusqué par les manières de vivre, par ce monde sans Dieu. Déjà à l’université chez moi, j'avais été intéressé par l'idéologie des Frères car j'avais vu qu'elle conduisait à une joie intérieure, à une dynamique. Mon séjour en URSS m'a confirmé que je devais être actif dans ce mouvement. ”. Atypique est le parcours de Jamal Mansour, ce responsable du Hamas à Naplouse détenu depuis juin 1997 par l’Autorité palestinienne sans charge d’inculpation que d’être peut-être conseiller de la branche

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armée. A travers lui nous voyons, là encore, combien peut être opportune la présence, dans un proche voisinage, d’une mosquée et d’organisations caritatives islamistes pour celui en quête de valeurs et de spiritualité. Jamal Mansour tente de retracer son cheminement, lequel, d’une interrogation et d’aspirations solitaires, l’a amené vers les Frères musulmans puis le Hamas : " Depuis mon enfance, je suis un musulman pratiquant. Ma famille, les gens qui m'entouraient étaient croyants, sans plus. Dans ce milieu de réfugiés, [le camp de Balata], c'était difficile. Dans les années 60-70, les gens étaient absorbés par les tracas de la vie quotidienne. Leur souci était de survivre. Ils parlaient toujours de leurs inquiétudes. Ils racontaient aussi la vie au village, à Salameh. Moi, je voulais sortir, m'évader de cette atmosphère. Jeune adulte, je pensais que la vie humaine, les préoccupations individuelles ne devraient pas seulement être de rester en vie, de préserver sa vie, d’améliorer ses conditions matérielles. Déjà, pour moi, le but de chaque être humain devait être déterminé par des idées et pas uniquement par des besoins ou ce qu'il ressent. L'homme devait regarder au-delà de ce qui le maintient en vie, regarder vers le sacré, le spirituel. J’allais à la mosquée. Je lisais le Coran et dans cette lecture, je cherchais quelque chose que j'ai fini par découvrir. Au-delà de ma famille, l'environnement m'influençait, j ’y trouvais des réponses. Ma relation avec le mouvement islamique, je la considère comme naturelle. ”. Pour comprendre l’ancrage de Palestiniens dans le Hamas, cette approche des circonstances personnelles de leur entrée dans le Mouvement était indispensable. Elle n’a pas l’ambition sur un tel échantillon d’être généralisatrice, mais de fournir quelques indications à partir desquelles une question se profile : qu’est-ce qui, dans l’idéologie du Mouvement, est déterminant pour qu’un individu devienne un militant.

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CHAPITRE 6

LES FONCTIONS DE LTSLAMISME PALESTINIEN

L'utilité du concept de fonction En interrogeant les islamistes rencontrés sur l’apport de la religion dans leur vie quotidienne, religion qu’il faut entendre ici comme l’idéologie politico-religieuse de l’islam radical, nous avons recueilli des réponses qui, extraites du contexte, peuvent paraître anodines, mais éclairées par celui-ci elles témoignent des conséquences néfastes de l'occupation, de la situation politique, de l'incertitude qui perturbent la réalisation de besoins psychologiques fondamentaux. Henri-Alexandre. Murray, le père du Thematic Apperception Test (TAT), a nommé ceux-ci besoins secondaires pour les différencier de ceux nécessaires à la survie de l'organisme. Ce sont la valorisation de soi, la sécurité, l'affection, l’affiliation auxquelles nous ajouterons le repérage et la projection dans l'avenir. L’approche proposée ici est de type socio-psychologique. Les besoins psychologiques individuels doivent être pris en compte dans le champ social et le champ politique car ils sont traversés et façonnés par les réactions émotionnelles, affectives, psychologiques. Les chapitres précédents en ont présenté des éclairages. L’insatisfaction de ces besoins met en danger l'équilibre d'un individu. Quand elle est partagée par une proportion importante de la

collectivité, c’est la cohésion de cette dernière, fondée sur un équilibre des forces et des tensions, qui est fragilisée. Or justement l’islam, dans sa version radicale, aurait des effets réparateurs, des effets compensateurs. Le croyant ne recherche pas intentionnellement ces bénéfices dans la foi, mais il en éprouve le bienfait. Vu sous cet angle, le Hamas remplit des fonctions qui répondent à des besoins aussi bien individuels que collectifs, ceci indépendamment de ses objectifs politiques affirmés. Le premier à utiliser ce concept de fonction a été le sociologue Emile Durkheim, quand il écrivait : " Nous nous servons du mot fonction de préférence à celui de fin ou but précisément parce que les phénomènes sociaux n'existent généralement pas en vue des résultats utiles qu'ils produisent. Ce qu'il faut déterminer, c'est s'il y a correspondance entre le fait considéré et les besoins généraux de l'organisme social et en quoi consiste cette correspondance, sans se préoccuper de savoir si elle est intentionnelle ou non 44. ",

L'islamisme et la valorisation de soi-meme Les islamistes palestiniens interrogés ont surtout évoqué la valorisation personnelle qu’ils puisent dans la religion et dans leur appartenance au Hamas. L'islam est source de fierté en tant que civilisation prestigieuse. Pour cheikh HassanYoussef : ‘‘L'islam ne contredit pas les faits scientifiques, nombre d'entre eux sont mentionnés dans le Coran. L'islam est à l'origine de connaissances importantes. Le Hamas se réclame de cet héritage qu’il mythifie, il fait preuve d’ethnocentrisme à l’instar de cheikh Hassan Youssef, qui poursuit : “ L'origine de tout progrès a pour origine l'islam, qui a encouragé l'éducation, l'amour de la connaissance. Dans les domaines de la médecine, de la philosophie, de la physique, de nombreux musulmans ont été des précurseurs.

44. Emile Durkheim, les Règles de la méthode sociologique, Paris, Flammarion, 1988, p. 188.

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Aujourd’hui les Palestiniens, à l’instar d’autres Arabes, sont face à la mondialisation qui s’impose à eux : économie de marché, technologies, médias, musique standard. Les musulmans ne sont pas à l’origine des progrès. Ils ne sont pas des créateurs, tout au plus sont-ils des fabricants grâce à un savoir-faire qui leur a été enseigné. Ils sont des consommateurs de produits manufacturés, de connaissances, de sciences importées, principalement de l’Occident. Les hamsaouis se reportent au passé, à cette longue période s’étendant de l’émergence de l’islam au XIe siècle, période de développement et d’épanouissement des arts, des sciences et de la philosophie dans le monde islamique. Ils idéalisent ces siècles passés et les revendiquent comme point de départ de toutes les avancées ultérieures. Ce faisant, ils conjurent là encore un sentiment d’infériorité. La religion en elle-même agit aussi dans ce sens. Elle inculque des principes moraux et ceux qui tentent de les suivre acquièrent le respect d’eux-mêmes. Ils sont considérés dans leur environnement comme de bons musulmans, jouissent de l’estime des autres. Max Weber, l’auteur de l'Ethique protestante ne déclarait-il pas : " Une éthique ancrée dans la religion entraîne pour le sujet certains bénéfices psychologiques (de caractère non économique) extrêmement efficaces pour le maintien de l’attitude qu’elle prescrit, cela aussi longtemps que la croyance religieuse reste vivante 45. Plusieurs acteurs associent dans leur esprit, respect et dignité. Yaël : " Nous pouvons dire que nous nous respectons nous-mêmes et que les autres nous respectent si nous en sommes dignes. La dignité, c’est d’être musulman. Dans le Coran, la dignité est d’être soumis à Dieu, de suivre le chemin du Prophète. ”. Burrah : “ Nous nous sentons dignes si nos actions, nos règles de vie, sont guidées par notre foi, notre manière de vivre est en accord avec nos croyances. ” Samira : “J’essaie de satisfaire Dieu et d’appliquer ces commandements. C 'est ainsi que je me sens quelqu 'un. ”. Par la foi, l'application de préceptes comme la transcendance, un univers de valeurs, la spiritualité, l'islam, est ressentie comme " une façon de retrouver sa dignité ”. Cette dignité retrouvée peut

45. Max Weber, l'Ethiqueprotestante et l'esprit du capitalisme, trad., Paris, Plon, 1964, p. 59.

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contrecarrer les conséquences négatives, sur l'image de soi, individuelle et collective de l’occupation, de l’humiliation due au fossé entre le processus de paix et les aspirations, au mépris de ses propres dirigeants corrompus. Le secret dans lequel les accords ont été négociés a fait naître un sentiment de frustration qui s’exprime avec colère. Yaël : “Ce processus de paix nous ignore. Avons-nous été consultés ? Non. Et en plus nous voyons l'ennemi s'asseoir sur nos droits ". Samira : “L'Autorité palestinienne a bradé notre dignité en faisant affaire avec les Juifs. “ Comme bon nombre de Palestiniens, ils se sentent dépossédés de leur propre lutte par les négociateurs. Shaban s'attriste : “J'espérais qu'enfin la question palestinienne soit une des préoccupations de la communauté internationale et que l'identité palestinienne soit reconnue comme vivante. Mais nos droits légitimes sur toute la Palestine ont été révisés par nos représentants euxmêmes. ", Selon Ismaël Abou Shanab : “ Pour être à nouveau dignes, il faudrait un retrait au moins de toute la bande de Gaza et de la Cisjordanie, un Etat palestinien libre et indépendant. ”. Philippe Braud insiste sur l'importance de la notion d’estime de soi puisque " le point nodal des émotions éprouvées par un individu est la manière dont se trouve engagée, dans une relation déterminée, son “ estime de soi ", qu'elle se trouve valorisée, menacée ou bafouée 46. ". L'islam politique palestinien est au cœur de ce complexe émotionnel dont le nœud est l'image, l'estime de soi, individuelle et collective. Le Hamas s’approprie les cercles identitaires qui s'interpénétrent : Arabe, musulman, Palestinien, c’est-à-dire appartenir à un pays occupé, à une population dispersée. D'où le sentiment, maintes fois évoqué par les acteurs, que leur affiliation au mouvement va de soi. Jamal Mansour : “Ma relation avec le mouvement islamique, je la considère comme naturelle. Je cherchais mes racines. ”. Yaël : “L'idéologie islamique est appropriée à la culture palestinienne. ”. Il est vrai que pour certains hamsaouis, aucune de ces identités ne prévaut sur les autres. Salah Bardawil : “Je suis palestinien donc arabe et je suis musulman. Qu ’est-ce qui est le plus important l’eau ou l’air ? ". Jamil Hamami : “Je suis Palestinien, je suis né en Palestine. Je suis de nationalité arabe et je suis musulman.

46. Philippe Braud, op. cit., p. 49.

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Je suis palestinien parce que j'aime ce pays qui est le mien. Je suis membre de la nation arabe parce que je m’inscris dans la longue histoire de cette civilisation. Ma religion est l'islam. Je ne peux séparer le fait d'être Palestinien, arabe et musulman. Mais pour beaucoup d ’hamsaouis, le sentiment de fierté provient principalement de leur appartenance à l’islam. Hadil : “Je suis plus fière d’être musulmane que d'être arabe. Les vrais musulmans ne cèdent pas devant l'ennemi comme le font les Arabes. Au fond, cet islam permet de compenser la honte d’avoir été bafoué en tant que Palestinien. En tant qu’Arabe, il opère comme réparateur de l’image de soi. C’est uniquement dans l’appartenance à une organisation qui se déclare inflexible envers Israël que ces islamistes puisent de la fierté. La question de leurs droits nationaux et leur contestation des accords ont été abordées par tous les interviewés. Par leurs commentaires, ils ont confirmé que, dans ce pays, c’est bien la détermination de l'islam radical à combattre l'occupant qui enflamme de nombreux jeunes, soulève des émotions positives et attire certains Palestiniens. Hadil confie : " La voix du Hamas était vibrante. J'admirais ses principes. Avec lui, je relève la tête comme musulman et comme Palestinien. ". Burrah : “Je suis dans ce mouvement car il a vraiment un esprit de sacrifice. Le Hamas ne brade rien. ". De tels propos démontrent la justesse de l’analyse de Philippe Braud qui souligne : " Un concept comme celui de l'estime de soi, par exemple, joue un rôle central dans tous les modes d'affirmation identitaire 47 " Comme le nationalisme étant partie intégrante de leur dogme religieux, les hamsaouis se jugent honorables et serviteurs de Dieu parce qu’ils consacrent leurs efforts à la lutte nationale. La restauration de l’estime de soi passe chez eux par la croyance, la soumission à Dieu, la satisfaction de Dieu. Ils se doivent de défendre la terre musulmane. Ali soutient cette thèse : " Dans notre religion, c'est une terre islamique, nous ne pouvons pas la marchander. " Khadija affirme : " C'est notre idéologie, c'est une terre sacrée. ” Et Khalil de conclure: “Nous n'avons pas le droit de céder une parcelle de terre. " Nariman, elle, commence l’entretien par ces mots : " Les

47. Philippe Braud, ibid., p. 71.

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différences entre nous et le Fatah sont évidentes. Nous refusons d'abandonner nos droits. ”. Cet islamisme représente la fidélité aux siens et il est l’expression du dévouement et de la loyauté. Derrière ce terme de fidélité, se profile l'accord avec soi-même, avec ses convictions, avec sa foi, selon des lois supérieures et pas seulement au nom d'une communauté. Le nationalisme sans concession du Hamas peut donc s’entendre comme une observation du devoir de mémoire, mémoire vitale car, comme le souligne Raoul Girardet : " C'est par elles, à travers elles, (les forces du souvenir et de la fidélité) que s'établit en d'autres termes, au plus profond des consciences individuelles, l'indispensable lien entre le passé et le présent, les puissances de l'enracinement, et les appels et les défis de l'engagement48 . Les pendants de la fidélité sont les notions de continuité, de constance, de stabilité, de permanence, qui sont les attributs de l'identité qu'elle soit individuelle ou collective. Le rejet des islamistes de tout compromis définitif avec Israël n’est pas qu’une position de principe intransigeante, mais elle recouvre une dimension existentielle. Pour les islamistes palestiniens, c’est comme si le processus de paix, en écornant les droits, les références rompait la continuité entre les générations qui confère à chaque individu le sentiment de partager une identité collective. Il importe de ne pas perdre de vue que la tentative de conciliation entre la fidélité à l'histoire et la réalité contemporaine, qui est le plus souvent mise en œuvre par le temps écoulé, par la dynamique d’une société aux visées modernistes qui s’adapte, engendre toujours des tensions, des réactions, des replis identitaires. Dans le cas palestinien, il faut noter que cette tentative d ’ accommodement s’effectue de plus dans une situation de conflit et avec un rapport de forces défavorable. Alors parmi ceux des Palestiniens qui ne se reconnaissent pas dans l’évolution en cours, qui s’accrochent à la mémoire collective, certains adoptent l'islam politique qui leur assure des repères stables en surdéterminant les références identitaires auxquelles ils affectent un caractère religieux qui les rend sacrées, incompressibles, immuables.

48. Raoul Girardet, Nationalisme et nations, Bruxelles, Editions complexes, 1996, p. 106.

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L'islamisme, un cadre rassurant Le sentiment de sécurité a été mentionné par la majorité des personnes interrogées. Cette impression d’être en sûreté, à l'abri du danger ne s’appuie pas sur la situation objective, mais sur la foi, la confiance en Dieu et la croyance en les dogmes du Hamas. Anjad : "L'islam m'apporte la sécurité. Dans ma religion, j'ai trouvé la stabilité. " Khalil : " Dans ma vie quotidienne, l'islam me donne la confiance et la sérénité. " Cheikh Bassam Jarrar : “L'islam m'apporte la confiance, la conviction de l'existence de Dieu, la tranquillité, la paix. " Mohamed al-Kurd : " L'islam en moi-même est une quiétude quoi qu 'il m'arrive. “ ; Walid : " L'islam me procure un bien-être, même dans les situations inconfortables. Je me sens comme relaxé. " Burrah : " Je me lève le matin pour prier. Je me sens bien, détendu. " Toutes ces sensations apaisantes proviennent de la spiritualité, de la foi, alors que l’environnement renvoie à l’incertitude de l’avenir et à des confrontations violentes toujours possibles. L’islam tel qu’il est perçu par les islamistes apporte une sécurité intérieure en se donnant pour guide dans tous les domaines de la vie qu’il régit. Il définit une morale. Il oriente les pensées et les actes. Il prescrit des règles et une conduite normative. Yaël : " L'islam est un style de vie. Il m'enseigne comment me comporter de façon humaine. Il est une morale. ” Nariman : " Dans l'Islam, je puise mes sentiments. Il m’enseigne comment agir. Je sais comment boire, comment manger, m'habiller et marcher dans la rue. ” Burrah : " Je sais ce que j'ai à faire, comment me comporter avec les gens, il m'aide à ne pas tricher. ” Ali : " Grâce à l'islam, j'ai la possibilité de penser raisonnablement. Il m'empêche d'être injuste. " Samira : " C'est un état d'esprit, la spiritualité, des sentiments. “ L’intériorisation des contraintes et la foi qui procure une paix intérieure permettent d’espérer en un ailleurs, le paradis, et apportent à l’individu un certain équilibre mental. Dans sa variante islamiste, l'islam est conçu comme un tout, un système complet ; la religion est omnisciente et fournit des réponses à tout. L’islam est " la solution Comme le nationalisme et le religieux sont en interaction, dans le mot solution il faut entendre aussi la

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solution à l'occupation. Jamil Hamami aborde l’entretien ainsi : " L'islam a des réponses à toutes les questions concernant la vie des gens. ”. Hadil soutient : " Les musulmans du Hamas voient l'islam comme un système complet, comme un corps dans son entier. Pour Mounir : " Il n'y a pas de séparation entre la religion et la politique. Dans tous les domaines l’islam intervient, économique, social... ”, Les hamsaouis sont persuadés que, quels que soient les problèmes qu’ils rencontreront, la religion leur apportera une issue. Khadija : " L'islam permet de comprendre ce qui se passe autour de soi, en politique, en sciences, en histoire, en technologie. " Assad : " C’est grâce à la religion que je comprends les faits. Quel que soit le problème, nous devons chercher la solution avec les lois de l'islam. ” Yaël en est certain : " Pour tout problème, nous trouvons une ou plusieurs solutions. Elles ne sont pas fournies d'emblée mais à partir des principes, c'est pourquoi je sais quoi faire dans ma vie quotidienne. ” Selon Adedrrahim Lamchichi, cette conception totalisante de la religion signifie que l’individu ne s'inspire que des sources religieuses au mépris de toutes les autres. Elle est une " aspiration à résoudre au moyen d'une lecture partiale, politique de la religion, tous les problèmes politiques et sociaux 49 Si l'islam impose des obligations, délimite ce qui est permis et ce qui ne l’est pas en énonçant des interdits, l'islam radical répond à un degré supérieur à la demande de tranquillité, de confiance et de repères puisqu'il s’attribue tous les domaines de la vie. Les jeunes en proie à l’éveil de leur sexualité ont particulièrement insisté sur cet aspect directif. Nariman : “Je connais les lois et j'essaie de les appliquer... Tous, nous avons des désirs que nous devons maîtriser. Sans religion, nous ne connaîtrions pas les limites et nous ferions n 'importe quoi selon nos envies. Moi, je sais comment agir envers les autres. ”. lyad : “L'islam me conduit, me gouverne et je sais comment établir mes relations. Dans une société en manque de certitudes, l'islam politique est à la fois représentation de l'avenir et instrument de mobilisation puisque, comme toute idéologie, il prétend à une compréhension du

49 Abderrahim Lamchichi, L'Islamisme en question, L'Harmattan, collection Histoire et Perspectives méditerranéennes, 1998, p. 62.

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monde et fixe des objectifs pour le transformer. Ainsi, ceux qui adhèrent au Hamas y trouvent un remède à ce qui est en suspens, en déshérence dans la société, à savoir direction, sens, buts à réaliser. Tarek : " Maintenant, j'ai des devoirs, je dois aider mes compagnons. ” Ali : " Sans l'islam, la vie ne voudrait pas dire grandchose. " Walid : " Je peux voir mon chemin dans la vie. " Ghazi Ahmed : “Je ne me sens jamais perdu, c'est une route équilibrée qui donne des buts, de la naissance à la mort. " Jamal Mansour précise : " L'islam donne un but, un sens à ma vie, ainsi j’y prends goût, je vis dans la quiétude, comme au repos. J’ai de l'énergie. Je peux dépasser mes bas instincts et avoir de fortes exigences envers moi-même. Notre vie d’être humain doit être déterminée par des idées. L'homme doit aller vers le sacré, le spirituel. Il doit donner un sens à sa vie, être un messager, suivre une certaine idéologie, avoir un programme. Il doit servir la nation. Il doit prier Dieu. ”. Fort d’une projection dans l’avenir, d’une espérance, les personnes interviewées disent trouver dans l’islam et dans cette version radicale, force, énergie, courage. Tamar assure : “Je me sens forte, plus solide, plus déterminée. ”, Khalil témoigne : " L'islam me donne la force de faire face à l'injustice, la force de me défendre. ”. Salah Bardawil confirme: “L'islam m'apporte la vitalité, la création, l'optimisme... la détermination à agir à me battre, avec plus de ferveur. S’opposant à l'atmosphère ambiante, l'islamisme c’est le mouvement. Ses partisans comprennent l’expérience du prophète comme un appel à l’action. Ils se vivent comme les acteurs de leurs propres vies et comme des acteurs dans la société, des bâtisseurs. Anjad : " Appliquer la religion, ce n'est pas tout attendre de Dieu, qui nous ordonne de faire de notre mieux. Nous devons travailler. Nabil : " Croire en Dieu, ce n'est pas être en attente. Nous devons agir. Autrement nous ne récolterons rien. La vie n'est pas du côté de ceux qui sont silencieux Cheikh Ahmed Bitawi : " Les musulmans doivent faire ce qui est en leur pouvoir pour modifier, améliorer, leurs conditions de vie collective. ” Cheikh Jamil Hamami : “ L'islam me donne l'espoir. Celui qui comprend l'islam est dynamique. Il est dans la vie réelle, il agit. Comme toute idéologie, l’islam politique se caractérise par deux pôles contraires. L’un est statique, il renvoie à un système figé

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envisagé comme l’unique vérité. L’autre est dynamique, il appelle au changement et favorise la projection dans l’avenir et cela, même si l’Etat que les islamistes veulent instituer n’est pas clairement défini. Le sociologue et philosophe Raymond Aron a analysé cette connotation positive de l’idéologie. Il a démontré que cette dernière transcende le réel à la différence des autres pensées qui s’y engluent et donc acceptent les choses telles qu’elles sont. L’idéologie désigne, selon lui, par delà sa signification psychologique et sociologique : " les anticipations qui attendent le jugement du temps. Entre les représentations et l 'action, il est possible objectivement de mesurer le décalage... Rétrospectivement, on discerne dans les idéologies ce qui est resté utopie et ce qui s ’est réalisé 50. Qu'elle soit réaliste ou non, l'idéologie est une doctrine d'action. Dans cette conception de l’islam, l’amalgame du politique et du religieux inspire un militantisme qui fait de la religion une raison, un fondement et un moyen de combat. Au discours moralisateur s’adjoint un projet politique, social et nationaliste qui structure l’imaginaire de ses acteurs et est source d’aspiration.

L’utopie islamiste Les hamsaouis comme les autres islamistes élaborent leur vision d’avenir à partir d’un passé idéalisé. Emmanuel Sivan a souligné cette particularité : “L'orientation naturelle des révolutionnaires les amène à tourner leur regard vers l'avenir. Mais dans le cas de l'islam, il s'agit d'un avenir qui cherche ses justifications dans le passé et la tradition 51. ". Les personnes interrogées ont désigné l'islam du temps du prophète et celui des deux premiers califes, Abou Baker et Ummar ibn al-Khattâb, les qualifiant d'" âge d’or ” de leur religion. Quelques-uns ont aussi cité un autre " âge d'or " de l'islam, celui de l’Andalousie des VIIIe et IXe siècles.

50. Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l'histoire, Paris, Gallimard, 1996, p. 392. 51. Emmanuel Sivan, Mythes politiques arabes, L'Esprit de la cité, Fayard, 1995, p. 211.

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L'idée d'une justice, dont le contenu n'est pas spécifié, est associée à cette évocation du passé. Il s'agit d'une justice établie sur la fraternité entre musulmans et la tolérance envers les non-musulmans monothéistes, les dhimmis (les protégés), soumis à un statut spécifique prescrit par la charî’a. La racine de ce dernier mot shar signifie à la fois égalité, chemin vers Dieu et orientation. La charî’a est constituée d’un ensemble de textes religieux et législatifs qui reposent sur la révélation coranique, la sunna, (la tradition authentique), c’est-à-dire la coutume. Ces lois sont issues des conduites normatives du prophète et des hadiths, ses paroles, qui auraient été rapportées par ses compagnons. Elles sont complétées par des règles juridiques. La charî’a réglemente la vie publique et la vie privée, le droit pénal et international. Le travail d’interprétation par les quatre écoles théologico-juridiques du sunnisme, commencé à partir du Vile siècle, a constitué, au cours des siècles, un droit musulman (fiqh). Dans certains Etats qui se disent islamiques, la charî’a est érigée en loi, dans d'autres elle ne fait qu’inspirer la législation. Pour les islamistes, la charî’a s’applique évidemment à toute l'humanité puisqu’elle est un code divin ; elle ne peut être que parfaite d’où leur intention d’établir un Etat islamique. Le docteur Abdel Aziz Rantissi affirme : " La charî’a doit être la constitution de l'Etat. Yaël en est certain: "La justice, c'est l'application de la charî’a puisqu'elle vient de Dieu, qui sait mieux que les hommes ce qui est bon ou mauvais pour eux. ”. Mohamed al-Kurd développe : " La loi islamique n 'est vraiment appliquée nulle part et partout la justice est perdue. Je m'explique. Chaque pays ayant sa propre appréhension de la justice, certains de ses aspects sont ignorés. Notre religion est la seule voie, les lois humaines sont incomplètes, celles de Dieu sont équitables. La charî’a doit être la Constitution de l'Etat. Ecrite par Dieu, elle ne peut être que meilleure que ce que l'homme peut concevoir. ” Donc, aucune des règles de la charî’a ne peut être amendée, suspendue ou relativisée sous peine de sombrer dans le kfur, l’infidélité. Une telle optique est a-historique étant donné qu’elle omet qu’un corpus législatif islamique a été élaboré par des hommes, des juristes, des gouvernants. C’est ainsi que la communauté musulmane, au long de son histoire, s’est dotée de règles, de lois inspirées du Coran, des paroles du prophète et des traditions.

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L’importance de Vijtihâd, l’effort de réflexion du croyant dans l’interprétation de la loi religieuse est sous-estimée. On accorde à la charî’a l’avantage de ne pas se soumettre à d’autres hommes, à des organisations. Dieu seul contrôle les pensées et les actes et a des droits absolus sur ses créatures. Et, n’obéir qu’à Dieu est un gage de liberté. Ghazi Ahmed explique : “Appliquer la charî’a, c'est n’être esclave que de Dieu, sans différence de couleur, de sexe. C’est prendre ses décisions selon ses commandements. Pour les islamistes palestiniens, la charî’a représente un idéal de justice, de liberté. Ils voient en elle le moyen de préserver la société palestinienne des maux politiques, sociaux, des atteintes à la morale qu’ils dénoncent. Elle préserverait des dérives autocratiques, des enjeux de pouvoir ou en serait l’antidote. Hanan : " En islam, il n'existe pas de différence entre les dirigeants et les hommes ordinaires de la rue. ”. Docteur Abdel Aziz Rantissi : “ Il nous faut faire le tri entre les bonnes et les mauvaises valeurs et en appliquant la charî ’a cela sera possible. Les vols, les agressions, la corruption, la censure envers les journalistes doivent cesser. ” Shaban : " Sur le plan politique et économique, ce serait autre chose avec un Etat islamique. Nos relations les uns avec les autres seraient également différentes, surtout celles entre la population et les dirigeants. " Samira exprime sa révolte : " Je voudrais qu'il n'y ait plus ce fossé entre les gens et le régime et que l'on revienne à la religion originelle. Je suis contre les recommandations, le clientélisme qui ne prend pas en compte les qualifications. Je m'oppose à l'égoïsme des personnes importantes qui ne se préoccupent pas des autres. Il en serait autrement s ’ils suivaient la loi islamique. ”. Selon les hamsaouis rencontrés, l'idéologie des Frères musulmans est intéressante car les modèles qu’ils tirent du passé peuvent être actualisés. Ils ne la jugent pas passéiste, mais réaliste, modérée et en marche vers l'avenir. Vingt et un interviewés sur trentetrois ont, dès le début de l'entretien, affirmé que leur intérêt pour le Hamas provient de la conception de la religion qu’il a développée. Deux d’entre eux sont entrés en matière en soulignant la cohabitation entre islam et modernité ainsi rendue possible. Pour Jamil Hamami : " les Frères musulmans - et le Hamas qui en est issu - prouvent que l’on peut associer religion et modernité, suivre les principes de l'islam, être proche de Dieu et aussi être de ce monde ”.

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Des jeunes filles voient dans cette modernité souhaitée un certain féminisme qui, sur le plan des mœurs, s’oppose à la modernité à l’occidentale. Trois d’entre elles se sont d’entrée de jeu placées sur le terrain du droit des femmes inscrit dans la religion et qui serait garanti par l’islam radical du Hamas. Wydan : " J'ai rejoint ce mouvement parce qu'il nous donne nos droits en tant que femmes. " Hanan : " L'islam authentique du Hamas défend nos droits comme celui de l'héritage, celui de refuser le futur époux proposé. Il est juste envers nous, les femmes, contrairement aux autres religions, et il nous convient. Il est favorable à notre droit à l'éducation, au travail. " Ces islamistes se distinguent des musulmans traditionnels, s’adonnant à une religiosité populaire, aux coutumes locales, aux superstitions. Leur rhétorique est celle de “l'islamisation de la modernité " impliquant une modernisation technique, scientifique de la société, un approfondissement et un élargissement des connaissances ainsi qu'une remise en cause de certaines traditions qui contrediraient la philosophie de la religion. La modernité serait conciliable avec la charî’a, les principes moraux et les comportements que dicte la religion. Cheikh Bassam Jarrar explique : " Ce que le Mouvement des Frères musulmans enseigne, c'est l'esprit de l'islam. Il me semble qu'il gère l'islam avec flexibilité, au présent, considérant que des principes sont inviolables et que d’autres peuvent être adaptés. Ainsi, le mode de gouvernement doit être accepté par les gens, c'est une loi stable. Mais comment le choisir, c'est un sujet qui demande réflexion. L'Islam n'accepte pas une autorité que le peuple ne veut pas. Le mouvement islamique s'est répandu parce qu'il est applicable dans toutes les situations sociales. Notre islam est moderne. La modernité, c'est d'aller vers un but, d'un point vers un autre, vers ce qui est plus positif et plus juste pour l'être humain. Ce que d'autres appellent la modernité peut avoir des aspects négatifs. La débauche, l'immoralité, la vie en couple sans être mariés et d’autres aspects qui sont des signes de modernité en Occident, sont pour nous des signes de décadence. Des idéologies occidentales sont en contradiction avec l'islam. Nous pensons qu 'il nous faut prendre en considération ce qui est positif et juste dans la civilisation occidentale et qui correspond à une vraie modernité et faire la part des choses. Nous devons conduire notre analyse, tirer les leçons de nos propres expériences, nous concentrer sur notre culture et la protéger, ainsi que notre économie.

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Comment produire, comment se développer ? Comment distribuer les produits de façon juste ? Ni le système de l'offre et de la demande ni celui de l'économie marxiste ne nous conviennent. Le régime du Soudan, l’éphémère expérience des islamistes dans le gouvernement turc, et l'Iran, cette dernière expérience avec quelques réserves dues entre autres au caractère chiite de l’islam dans ce pays, suscitent l’attention. Mais aucun Etat ne trouve vraiment grâce aux yeux des islamistes palestiniens qui considèrent qu’aucun n'applique l'islam comme Dieu l'a prescrit. Ainsi pour Ismaël Abou Shanab : " Les gouvernements les plus convaincants sont le Soudan et l'Iran. Néanmoins, il faudrait analyser tout leur système pour montrer en quoi ils sont encore défaillants encore et en quoi ils vont dans la bonne direction. ". Sayyed Abou Moussameh est sceptique : ” Il n'y a aucun Etat qui soit vraiment exemplaire. Le régime iranien n 'est pas un exemple à suivre, il n'est pas humain. Il est éloigné de l’éthique islamique car les ayatollahs y ont trop de pouvoir. ”. Quelles que soient leurs opinions sur les Etats qui se déclarent islamiques, les hamsaouis sont stimulés et confortés par ces tentatives d’atteindre un idéal qui est le leur, tentatives qui tendent à prouver la faisabilité de leur dessein. Au gré de leurs évolutions, de leurs échecs, de leurs succès, ces expériences islamiques crédibilisent leur projet. Ainsi comme l'explique Olivier Carré, l’utopie n’est plus une illusion : “Si nous parlons d'utopie islamique, ce n'est évidemment pas dans l'idée d'une pensée de rêve sans efficacité immédiate. L'utopie désigne au contraire une puissance mobilisatrice parfois considérable. Weber parle de "prophéties éthiques” capables de "révolutions profondes”... Par utopie islamique, nous entendons l'ensemble des idées et des représentations qui favorisent et réalisent cette affirmation musulmane à la faveur des bilans passablement négatifs des indépendances politiques. La force des idées est grande, et l'on ne risque vraiment sa vie, outre les cas instinctifs de défense de soi et des siens, que pour des utopies 52. ”. L’utopie des islamistes palestiniens repose sur le corps de leur doctrine, l’application de la loi islamique et la libération de toute la

52 Olivier CARRE, l'Utopie islamique, Paris, Presse de la Fondation nationale des sciences politiques, 1991, p. 12.

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Palestine. Le nationalisme et la religion tels qu’ils sont compris par le Hamas sont difficiles à séparer, à démêler, tant ils sont enchevêtrés. C'est bien l'association des deux qui suscite l’adhésion, ce que d'ailleurs les interviewés confirment. Cheikh Omar : " Le mouvement islamique s’occupe de l'aspect national et de l’aspect religieux. ” Bassam Jarrar : " Les buts du Hamas sont grandioses. La politique n'est pas son objectif ultime, il est dans le monde du spirituel, de la morale. ” Pour Mounir qui a vingt ans: “L'islam indique comment vivre. Hamas indique comment vivre comme musulman palestinien. Les hamsaouis estiment avoir une vocation, un devoir, une mission en tant que Palestinien et en tant que musulman car selon eux, le mouvement de la résistance islamique répond à la question : “ Que dois-je faire en tant que musulman palestinien dans le contexte actuel ?

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CHAPITRE 7

L'ISLAMISME COMME AUTHENTIQUE NATIONALISME

Perception du processus de paix par les islamistes Une des raisons de l’intérêt que l’islam radical suscite chez une partie des musulmans est sa capacité à se décliner localement. Quand l’islam se transforme en projet politique, tout en se rattachant à une matrice explicative commune, il s’exprime de façon distincte selon les contextes. Les mouvements islamistes contemporains ont en commun de penser l’islam comme une idéologie qui englobe l’ensemble de la vie sociale et politique et pour laquelle le pouvoir ne peut être légitimé que par Dieu dont les lois sont intangibles et non par des hommes. Les caractéristiques sociologiques de leurs acteurs, à quelques nuances près sont les mêmes. Les fondateurs, les militants, sont des êtres éduqués, des intellectuels, qui entraînent dans leur sillage les masses populaires acculturées ou peu instruites. Aux islamistes militants des années 70, diplômés qui exercent leur profession, succède une génération de diplômés qui, pour la plupart, ne trouvent pas d’emplois correspondant à leurs compétences. L’islamisme aujourd’hui remplace une gauche, organe de la contestation des pouvoirs établis et de l’ordre social qui, dans le monde arabo-musulman, a quasiment disparu du paysage

politique. Il est aussi la version contemporaine de l’anti-impérialisme dès lors que les régimes en place ne sont plus les portes-drapeau de l’indépendance. Cet islam radical s’oppose à la tradition des oulémas, à qui ils font grief d’être dans " la cour du prince ”, et réfute le socialisme, le capitalisme, la démocratie en tant que systèmes importés d’Occident qui vont à l’encontre des “droits de Dieu ”. Tout en acceptant les sciences et les techniques, ils jettent le discrédit sur la modernisation à l’occidentale qui, à leurs yeux, est non pas une civilisation du progrès mais de la corruption et de la dépravation des mœurs. Ces généralités, avancées par tous les chercheurs, doivent être nuancées selon la localisation de chaque organisation islamique. Car, si l’islamisme se veut universaliste, les mouvements qui s’en réclament sont diversifiés dans leurs dynamiques, leurs stratégies selon les situations politiques et sociales. Chacun d’eux a ainsi ses spécificités qui lui confèrent un cachet particulier. Dans le cas de l’islamisme palestinien, nous avons mis en évidence que, pour ne plus être dans la marginalité et devenir une véritable composante de l’échiquier politique, les Frères ont adopté la cause nationale et se sont engagés dans le combat nationaliste. Considérant l’histoire et les fonctions remplies par l’islamisme radical palestinien, nous avons pu démontrer qu’il est une réponse à la question identitaire. Jusqu’à maintenant, nous n’avons que superficiellement saisi les principes, les dogmes de ce nationalisme islamo-palestinien. Mais afin de pénétrer plus profondément dans cet univers mental et de mieux l’appréhender, il nous faut les réexaminer en analysant leur contenu, leur argumentaire, tels que ses acteurs les interprètent et se les approprient, les construisent, en quelque sorte. Dans ce but, nous avons assorti un décryptage, un décodage des présupposés avec une analyse des significations et des implications, pouvant échapper aux acteurs eux-mêmes, dans cette alchimie du nationalisme et du religieux que constitue la rhétorique du Hamas. Ce qui différencie les islamistes des autres opposants au processus de paix est la survalorisation du nationalisme par une thématique religieuse. Ils partagent par ailleurs les mêmes critiques et les mêmes perceptions que d’autres Palestiniens. Alors que dans les écrits du Hamas les accords de paix sont critiqués dans le détail, sont soulignés les limites de la souveraineté de

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l’Autorité ainsi que l’étendue minime des territoires rendus et sont dénoncés les engagements sécuritaires. Le langage des personnes que nous rencontrons est, concis, frappant, dépouillé d’explications. Le vocabulaire est sommaire, s’apparentant au slogan. Khalil lance : “ L'OLP ne réclame pas tous nos droits. " Yaël s’exclame : " Tout simplement, il abandonne les droits du peuple palestinien ! ” Les accords sont condamnés parce qu’ils sont une acceptation de l’occupation des terres perdues en 1948 et de l’intégration d’Israël dans le monde arabo-musulman. Pour les personnes interrogées, il n’est pas utile d'en dire plus. La concision de l’argumentation contre le processus de paix indique que, pour elles, les motifs de leur opposition vont de soi. Quand elles en disent plus, les termes utilisés sont " compromission ”, " abandon ”, " annulation ”, et les négociateurs sont accusés d'avoir adopté un profil bas. Le processus de paix est ressenti comme un renoncement, une démission, une trahison. Les hamsaouis affirment que les Palestiniens sont les possesseurs légitimes de la terre de Palestine et qu’ils ne sont disposés à aucun compromis territorial. Nariman : " Notre terre est toujours notre terre. Avant la création d'Israël, Juifs et Palestiniens vivaient ensemble. Les Juifs peuvent rester mais pas nous déposséder. ” Pour Mounir, " Hamas ne divise pas la terre comme l'OLP qui est pour deux Etats. Il va dans le bon sens pour récupérer mon pays de la rivière à la mer ”. Le docteur Abdel Aziz Rantissi s'insurge : " Comme Palestinien, je pense qu 'il est interdit d'abandonner une parcelle de terre et j'insiste d'abord, comme Palestinien. Vous Française, vous auriez abandonné votre terre à l'occupant ? ” Burrah exprime sa colère et sa déception : “Nous n'avons rien obtenu, nous avons accordé à notre ennemi la légitimité de prendre notre terre. ”. Pour Hadil, “ l'OLP donne des droits aux Juifs, donne nos terres ”. Nabil pense de même : " La Palestine est pour les Palestiniens. Les Juifs sont venus de l'étranger, ils l'ont prise pour eux comme si elle leur appartenait, comme la leur. ” Pourquoi une telle rigidité ? Pour les islamistes, la reconnaissance de l’Etat d’Israël n’est pas seulement un trait tiré, bon gré mal gré, sur les terres de 1948. Ils estiment que reconnaître Israël comme un fait incontournable et irrévocable est une invalidation, une dé-légitimation de leurs droits sur cette partie de la Palestine. Avec beaucoup d’autres compatriotes, ils ne font pas la distinction entre le

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pragmatisme de la direction palestinienne, qui n’a fait que se conformer à la légalité internationale définissant Israël comme un Etat parmi les autres, prendre en compte le rapport de forces et opter pour la diplomatie à la place de la violence, et une légitimation d’Israël qui occulterait que la création de cet Etat s’est réalisée au détriment des Palestiniens. Le renoncement aux terres de 1948 pour fonder enfin un Etat palestinien à côté d’Israël est synonyme pour eux de reniement. Cette interprétation erronée, qui confond légalité et légitimité, est à mettre au compte d’une réaction passionnelle encore exacerbée par les nombreuses entorses aux “ droits références ”, sources d'identification et de mobilisation, dues aux concessions accordées aux Israéliens. L’incertitude de l'issue finale du processus de paix et la colonisation qui se perpétue servent cette confusion. Qui plus est, elle est entretenue par l’absence de reconnaissance officielle par Israël d’une quelconque responsabilité dans l’exode des Palestiniens en 1948, exode qui est le soubassement de l’irréductibilité des islamistes et de leur plaidoyer pour l’indivisibilité de la terre. D’ailleurs, quand les interviewés parlent davantage, qu’ils expriment leurs émotions, leurs affects, ils laissent transparaître à la fois ce malentendu et aussi la douleur que celui-ci génère, ainsi que le montrent les propos de Yaël : " Ce qui m'a le plus touché, le plus peiné, c’est que les négociateurs ont transformé l'histoire nationale de la Palestine en histoire nationale des sionistes en acceptant la division de notre patrie. Pour nous, la Palestine est notre terre, accepter de la rendre c 'est un déni de nous-mêmes, de notre histoire, c'est aller à l'encontre de tout ce que nous avons défendu. ”. Eric Hobsbawm qualifie de " liens protonationaux ” ceux qui relient “ une population vivant dans un vaste territoire ou même dispersée, sans gouvernement commun 53 Cette population, qu’il définit comme un peuple dont l’identité collective ne s’est pas encore réalisée par l’établissement d’un Etat-nation, il la nomme “protonation ”, une dénomination qui convient bien aux Palestiniens. L’attachement des islamistes à cette “protonation ” conduit au rejet du processus de paix, et leurs propos témoignent que les droits sur

53. Eric Hobsbawm, Nations et nationalismes depuis 1970, traduit de l'anglais par Dominique Peters, Paris, Gallimard, 1992, p. 85.

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toute la Palestine sont perçus comme inhérents à leur identité collective. Nous en déduisons que, pour eux, reconnaître Israël c'est se nier en tant que peuple puisque la conscience identitaire palestinienne s’est élaborée au travers d’un rapport à une terre mythifiée que la reconnaissance d’Israël remet en cause. La conception d'une relation étroite et exclusive entre une terre et une communauté est incompatible avec le partage de cette même terre avec une autre nation, qui se définit elle aussi dans et par la relation à cette terre. C’est pourquoi la reconnaissance d’Israël qui signifie convenir d'une nationalité israélienne, peut être perçue comme une mise à mal de la définition collective de soi en tant que Palestinien. Ismaël Abou Shanab exprime cette impossible coexistence de deux identités collectives attachées et unies à une même terre : " Le combat pour notre terre est un combat pour l'identité. Les Israéliens veulent exprimer et pratiquer leur nationalité sur notre terre. Nous, nous voulons vivre sur notre terre. La terre et la nationalité sont liées. “. Les propos entendus indiquent que, du reste pour ces acteurs islamistes, comme pour bon nombre d’autres Palestiniens, l’acceptation de la création d'Israël, qu’ils associent à l’acceptation de leur éviction en 1948, est un fait dépassant l’entendement. Yaël est dépité : " Je ne comprends pas, dit-il quelle logique permet à quelqu'un de venir de l'extérieur nous prendre ce qui nous appartient. Ce problème n'a pas été créé par nous, c'est un problème de l'Occident. ". Notre logique occidentale qui légitime Israël ne peut être celle des Palestiniens. Et pour comprendre l’opposition au processus de paix et l’adhésion au Mouvement de résistance islamique d’une partie d’entre eux, il est indispensable de saisir ce que souligne François Burgat "Mesurer la profondeur du gouffre qui sépare la représentation occidentale du " traité de paix ” israélo-palestinien de celles des forces politiques directement concernées implique de nuancer là encore l'effet de distorsion qu'introduit la diabolisation passionnelle de l'islamisation du discours politique. Mais cette mesure exige de prendre conscience du formidable décalage qui continue de séparer les représentations dominantes dans le monde arabe en général, et en Palestine en particulier, de celles des opinions occidentales. Alors que pour celles-ci, les Juifs ont légitimement accédé en 1948 à " la fin de leurs persécutions ” en se voyant enfin " reconnaître une patrie ", la représentation arabe

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dominante met en scène à l'opposé une Europe malade de l'Holocauste, qui, au lendemain de la seconde guerre mondiale, a curieusement choisi de laver son linge sale sur le dos des Arabes ”, Le sentiment d’injustice prédomine et, sans justice, la paix n’a pas de valeur, ce que Yaël exprime ainsi : " Le faible, l'opprimé a délivré des excuses à l'occupant, ce qui prive l'accord de paix de tout son sens. Ce sentiment est en grande partie fondé sur le fait que tous les Palestiniens ne semblent pas pris en compte. L'Autorité palestinienne réclame un “ droit de retour ” dans l'Etat palestinien en gestation. Les réfugiés qui vivent déjà en Cisjordanie et dans la bande de Gaza résident dans leur majorité dans les camps à quelques kilomètres de leurs lieux d'origine. Quant aux autres réfugiés, ils ne peuvent être accueillis dans ces territoires trop peu spacieux. Admettre le partage de la Palestine, c’est donc implicitement entériner le nonretour de la plupart et commettre une injustice envers les siens, comme le dénonce lyad : " C'est une traîtrise de reconnaître Israël comme un Etat. Aucun Palestinien ne peut être oublié ou dédaigné. Les réfugiés doivent pouvoir revenir. ". Ali estime que “ deux Etats, c'est impossible, car toute la terre est pour les Palestiniens. Si nous sommes d'accord pour céder une partie nous sommes injustes envers des Palestiniens ". Khalil lui déclare que " la Palestine n'est pas seulement pour ceux qui vivent ici. N'importe quel Palestinien doit pouvoir y vivre ” et Ismaël Abou Shanab s'offusque : " Ils ont obligé des Palestiniens à partir. Ce ne serait pas juste pour nous de dire aux Israéliens : oui, vous pouvez garder la moitié. Pourtant c'est ce qu'à fait l'Autorité palestinienne. L'accord d'Oslo semble évincer la question des réfugiés. Seraient-ils les oubliés de l'histoire, y compris par ceux qui se proclament représentants des Palestiniens ? Pour les islamistes, la division de la terre équivaut à réduire le peuple palestinien aux seuls habitants arabes de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Ce qui implique, selon cette interprétation, une redéfinition du peuple palestinien, puisqu'une partie de celui-ci est niée. Jamal Mansour

François Burgat, Y Islamisme en face, Paris, La Découverte, 1996,

p. 181.

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l’explique: "Je suis un réfugié. Les réfugiés sont l'histoire de la nation. Nous en sommes une partie, la partie la plus importante... Les Palestiniens ne doivent pas accepter l'idée d'une séparation entre les réfugiés et les autres. Notre destinée doit être commune. Une solution politique ou militaire qui ne prend pas en compte cette totalité du conflit n'est aucunement envisageable. Le but des Juifs a été de remplacer une nation par une autre. ’’ Les hamsaouis refusent que des compatriotes soient écartés du processus de paix comme s’ils n’étaient pas Palestiniens et qu’ainsi l’espoir d’un destin partagé s’effondre et que soit altérée la conscience de l’identité nationale basée sur la reconnaissance des individus entre eux. Car comme l’indique Ernest Gellner : " Des hommes sont de la même nation si et seulement s'ils se reconnaissent comme appartenant à la même nation. En d'autres termes, ce sont les hommes qui font les nations. Les nations sont des artefacts produits par les convictions, la solidarité, la loyauté des hommesæ. La subjectivité de ce sentiment d’appartenance a une dimension imaginaire que Benedict Anderson a fort justement mise en exergue. Pour cet auteur, la nation " est une communauté imaginaire et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine. Elle est imaginaire(imagined) parce que les membres de la plus petite des nations ne connaîtront jamais la plupart de leurs concitoyens 55 56. Les Palestiniens déplacés, dispersés, en diaspora se sont perçus jusqu’à maintenant comme des semblables. Et comme l’expliquent Pierre Ansart et Sonia Dayan-Herzbrun : “ La conscience d’appartenir à une entité collective politique durable, c’est-à-dire une nation historique, n 'est ni la conséquence d’un contrat, ni celle d’une décision politico-culturelle. Elle répond à une mobilisation affective qui produit la réunification de ceux qui se trouvaient dispersés, l’adhésion à des valeurs communes et l’identification à un

55. Ernest Gellner, Nations et nationalismes, traduit de l'anglais par Bénédicte Pineau, Paris, Payot, 1989, p. 12. 56. Benedict Anderson, l'imaginaire national, Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, traduit de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, La Découverte, 1996, p. 19.

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groupe 57 Or justement " les valeurs communes “ sont en déroute et donc la " mobilisation affective ” faite d’émotion et de passion, risque plus encore qu’auparavant de se singulariser selon les statuts, les situations politiques et géographiques des divers sous-groupes palestiniens. Le sentiment d’appartenance pourrait bien s’émousser. Dans cette perspective, il apparaît que l’opinion occidentale qui stigmatise l’opposition au processus de paix, islamiste ou non, en la qualifiant de fanatique, élude sa raison profonde : le refus des bouleversements de l’identité nationale que les accords induisent et préparent. Si la mémoire collective est au cœur du refus islamiste, c’est bien parce que, en plus de l’injustice faite aux réfugiés, l’identité nationale est enjeu. Les événements de 1948 ont été mentionnés par la quasi-totalité des personnes rencontrées. Celles dont les parents ont alors quitté leurs lieux d’habitation ont toutes évoqué ce passé. Cheikh Omar : " Mes parents me parlaient très souvent de ce qui s'est passé en 1948, du village que nous avions dû quitter près de Ramleh et de leur belle vie de fermiers. " Burrah : " Mes parents racontaient la vie dans le village qu'ils ont dû laisser, Zakkaria, du nom du prophète. " Cheikh Mazem : " Mes parents nous faisaient rêver de notre retour à Ras El Amar, notre village qui n'est pas à plus de 5 kilomètres d'ici. Ils nous montraient les papiers qui prouvaient qu'ils étaient propriétaires. Ils décrivaient la terre, les plantes, les fruits. Ma mère a gardé la clé de la maison et c 'est moi qui l'ai maintenant. ". Salah Bardawil dit tout simplement : " Je vis dans le camp de réfugiés de Khan Younis. Je suis originaire d'un village près d'Ashkélon. ". Les “ témoins victimes ” ont raconté à leurs descendants les épisodes pénibles de leur déracinement et de leur misérable installation dans le camp. Ces récits empreints de la peur éprouvée alors, de souffrance, de déchirement, de colère ont baigné la jeunesse des enfants et des petits-enfants. Les sentiments transmis se manifestent dans les propos tenus quant aux visites sur les lieux. Yaël raconte : “ Je me suis rendu trois fois à notre village perdu. La dernière fois, c 'était il y a

57 Pierre Ansart, Sonia HerzbrüN-Dayan, " Pourquoi le sentiment national et comment l'étudier?" dans le Sentiment national, Paris, Tumultes, n° 9, L'Harmattan, p. 11.

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quatre ans. Maintenant, je ne peux plus y aller à cause de la fermeture. Quand j'y étais, j'avais le mal du pays, mes émotions étaient intenses, un mélange de frustration, de rage, de révolte contre l'injustice de la domination. Khadija relate aussi: "Avant le soulèvement, j'étais retournée à Lods. J’ai éprouvé une peine difficile à décrire. On voit sa propre terre. On voit le cimetière où nos grandsparents sont enterrés. Et on n 'a pas le pouvoir de reprendre ce que l'autre a volé. Walid fait part aussi de ses impressions : " J'ai travaillé à proximité du village dans la construction. J'ai vu comment est notre pays au-delà de la ligne verte, en Israël. J'ai comparé avec la vie dans le camp et je me suis senti misérable. ”. Salah Bardawil partage aussi ces émotions : “ J'ai visité mon village avant l'intifada. Il y a si longtemps. Je me suis senti oppressé et plein d'amertume. Il y a des fermes israéliennes maintenant. Ce qui est en œuvre, c’est la “ mémoire historique " dont Maurice Halbwachs décrit la teneur : “ Dans le cours de ma vie, le groupe national dont je fais partie a été le théâtre d'un certain nombre d'événements... Ils occupent une place dans la mémoire de la nation. Mais je n'y ai pas assisté moi-même. Quand je les évoque, je suis obligé de m'en remettre à la mémoire des autres, qui ne vient pas ici compléter ou fortifier la mienne, mais qui est la source unique de ce que je peux en répéter... Je porte en moi un bagage de souvenirs historiques... C'est une mémoire empruntée... Dans la pensée nationale, ces événements ont laissé une trace profonde... Pour moi, ce sont des notions, des symboles... Par une partie de ma personnalité, je suis engagé dans le groupe, en sorte que rien de ce qui s'y produit tant que j'en fais partie, rien même de ce qui l'a préoccupé ou transformé avant que je n'y entre ne m'est complètement étranger 58. Les souvenirs transmis de génération en génération, déformés, réinterprétés par les uns et les autres, construisent des histoires familiales, l’histoire des origines, des lignées, établissant des filiations, une continuité à travers le temps et une identité nationale grâce à des mécanismes d’identification. Ceci explique que les Palestiniens qui ne

58. Maurice Halbwachs, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997, pp. 98- 99.

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sont pas des réfugiés ont intériorisé la Nakba, la catastrophe de 1948, comme leur propre histoire. Ainsi, l’individu est à la fois récepteur, porteur et vecteur d’une mémoire, produit de son identité individuelle et qui l’unit aussi à un groupe national. Le processus de paix est loin, nous l’avons démontré, de se calquer sur la mémoire historique, dont il néglige des éléments essentiels et notamment la question des réfugiés. Les hamsaouis et de nombreux Palestiniens avec eux le considèrent comme un oubli volontaire du passé. Yaël : “ La paix ne peut aller de pair avec l'oubli de nos droits, de notre histoire, de ce que nous sommes. " Assad : " En acceptant de diviser notre patrie, de négocier le retour des réfugiés, si toutefois il était négocié, alors qu 'il est un droit nous agissons comme si rien ne s’était passé en 1948, comme si nous avions perdu la mémoire. " Cet oubli s’explique selon eux par un mépris des générations passées qui se conjuguerait avec une remise en cause du sens et de l’utilité des combats antérieurs, des sacrifices consentis. Pour Yaël " le problème est que Yasser Arafat en signant les accords a mis de côté des décennies de souffrance et de résistance. ". Autrement dit, la fidélité des hamsaouis à l’histoire palestinienne, qui se traduit par une crispation sur les “droits références ", donc par un nationalisme sans concessions, est l’expression de la peur de disparaître collectivement en tant que peuple, en perdant la mémoire.

Le Hamas, incarnation du nationalisme Seul le Hamas a pu capter l’héritage national. En d’autres termes, il incarne, pour ses acteurs et ses sympathisants, la fidélité aux références identitaires puisqu’il continue de revendiquer l’indivisibilité la terre de Palestine et le retour de tous les réfugiés. Il y parvient en s’appropriant le nationalisme palestinien tel que la mémoire collective et le sentiment national l’ont intériorisé, et tel que l’OLP l’a théorisé et politisé initialement, ce que certains admettent avec fierté. Pour Yaël : " Dans les discours du mouvement islamique, il y a une tentative de

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se rapprocher d'une grande partie de la population. Nous retrouvons des thèmes et des termes qui étaient ceux de l'OLP et du Fatah dans les années 70. C'est pourquoi nombreux sont ceux qui s'y retrouvent. ”, Burrah approfondit : " Maintenant, notre mouvement est opposé au Fatah. En réalité, il voudrait revenir au programme originel de celui-ci. Le Hamas voudrait prendre la relève d’une OLP défaillante à maintenir l’unité et l’existence du peuple en étant comme cette organisation par le passé un de ces " mouvements ” qu’évoque Eric Hobsbawm "... qui sont arrivés à mobiliser certaines variantes du sentiment d'appartenance collective, qui existaient déjà et se trouvaient potentiellement susceptibles de fonctionner, disons à échelle macropolitique en harmonie avec les Etats et les nations modernes 59. Le MRI n’est pas seulement le dépositaire du projet national, il en est devenu pour ses membres le garant et le défenseur puisque ses principes ont été mis en pratique par les actions menées contre les Israéliens. Les islamistes considèrent que le combat contre l’occupant est un droit auquel il ne faut pas renoncer et pour cela ils se réfèrent au droit international qui dénonce toute forme d’occupation. Ne se conformant pas à la légalité internationale en ce qui concerne la reconnaissance d’Israël, ils rappellent que l’OLP a longtemps estimé, comme eux actuellement, que la résistance devait se poursuivre jusqu'à la libération de toute la patrie. Yaël exprime ainsi cette conviction : " Les Français ont défendu leur terre dans des mouvements secrets parce qu'ils savaient qu'ils avaient ce droit moral. Même s'ils étaient une minorité, ils ont continué. Fanon a évoqué ce droit à la violence, il a dit que ceux qui sont opprimés ont le droit de se défendre. ". Le Hamas a le mérite pour ses militants et sympathisants de vouloir reprendre le flambeau de la lutte armée abandonné par l’OLP pour accomplir la mission léguée par les générations précédentes de reconquérir la Palestine, comme le rappelle Mounir : " Mes parents me disaient que les Juifs étaient nos ennemis, que nous devions nous battre contre eux. ". Shaban aussi se sent responsable : " Bien sûr, mes parents me racontaient les massacres, cause de notre

59 Eric Hobsbawm, op. cil, p. 85.

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éparpillement. Ils m'expliquaient que nos terres étaient confisquées à cause de l'occupation et que nous devions la reconquérir. Je ne peux pas les trahir. Eux ont été défaits ; nous, nous devons nous battre. ”. Tamar explique qu’elle a été initiée à l’esprit de combat par les membres de sa famille, tous affiliés à des organisations de l’OLP : " Dans ma famille les opinions politiques sont divergentes. Mes parents sont du Fatah, mon frère est du Front populaire de libération de la Palestine, il se dit non-croyant. Mais tous m'ont transmis cette volonté de venir à bout de l'occupation. “. Représentant la résistance pour ses partisans, le MRI incarne aussi un esprit de sacrifice, un dévouement pour la patrie qu’aucune faction palestinienne ne peut égaler, car ses combattants s’ils sont capables de prendre le risque de mourir ils le sont même de s’engager dans des opérations dont ils n’ont aucune chance d’en réchapper. Pour Burrah : " L'esprit de sacrifice dans ce mouvement est attractif. Dans la gauche où j'étais, existe une stratégie de combat, mais concrètement elle ne fait rien. L'esprit de sacrifice n'a rien à faire de la vie individuelle. Sa force est dans la certitude de la justesse de ce qu'elle fait. ”, Malgré la crise que traverse leur mouvement, les partisans du Hamas, animés par cet esprit de sacrifice intransigeant, veulent croire qu’ils continuent à représenter le nationalisme authentique et que cela ne changera pas car un combat au nom de l’islam ne peut pas être redéfini.

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CHAPITRE 8

SACRALISATION DU CONFLIT

Le nationalisme du Hamas se caractérise par une interprétation religieuse du conflit. Bien sûr cette interprétation est partagée par les autres islamistes à travers le monde, mais pour les hamsaouis, elle est l’essence même de leur mouvement. Il faut avoir présent à l’esprit que, même dans le discours nationaliste de l’OLP, la ligne de démarcation entre le politique et le religieux a toujours été imprécise. Les factions de la centrale palestinienne en utilisant un vocabulaire politico-religieux familier aux croyants ont contribué déjà à sacraliser la lutte nationale. Les islamistes quant à eux ont encore rapproché la sphère religieuse et la sphère nationaliste, et de cette manière, affecté cette dernière d’une valeur véritablement spirituelle. Ils vont bien plus loin que l’utilisation de la dimension sacrale comme instrument où l’emploi de termes religieux est destiné à exalter la revendication nationale en accord avec des sentiments populaires. Pour eux, cette dimension sacrale est la quintessence même du nationalisme qui est donc d’ordre divin. Les thèmes du nationalisme palestinien sont repris, reformulés, réinterprétés selon une lecture, une justification et même une nécessité religieuses. En conséquence, chez le militant islamiste, la mobilisation pour la cause nationale est solidaire du devoir de tout musulman de s’engager au nom de l’islam. Nous allons tenter de préciser comment sacré et nationalisme s’articulent jusqu’à se confondre. Ce faisant, nous

pourrons discerner les conséquences de cette traduction religieuse du conflit sur la définition de l’ennemi.

LES REFERENCES IDENTITAIRES

REVUES PAR LES ISLAMISTES

Tous les Palestiniens attribuent à la terre de Palestine une valeur importante et, nous l’avons vu, un culte plus ou moins profane d’une terre palestinienne perdue, usurpée s’est développé. Les islamistes l’ont transformé en culte d’une terre musulmane, donc sacrée. Sur quoi fondent-ils cette définition de la terre ? Bien entendu, nous pouvons la concevoir comme une réplique à la croyance juive de la terre promise qui justifie chez certains croyants la création de l’Etat d’Israël. D’ailleurs, les islamistes eux aussi puisent dans l’histoire pour fonder leurs droits sur la Palestine en tant que musulmans. Ils font valoir l’antériorité de leur présence dans ce pays sur celle des juifs et la durée de la domination musulmane dans la région. Toutefois, pas plus que le sentiment d’appartenir à une nation palestinienne liée à une terre commune ne peut s’expliquer que comme une réaction au sionisme, la doctrine d’une terre islamique ne peut pas non plus être réduite à une contre-offensive car elle a pour substrat des dogmes de l’islam. Cet espace est sacré aux yeux des musulmans parce qu’il est mentionné dans l’objet sacré par excellence, le Coran. Il l’est aussi à cause de la présence de Jérusalem, qui est au cœur de l’islamonationalisme palestinien. Au cours des siècles, les musulmans ont accordé à cette cité une place de plus en plus importante, soulignant que c’est dans sa direction que les premiers musulmans se sont tournés pour prier avant de le faire vers la Mecque. La ville a été conquise par le deuxième calife Ummar ibn al-Khattâb (634-644) qui en a reçu les clés du patriarche Sophrone, un geste symbolique pour les musulmans. Jérusalem fait partie intégrante du " catéchisme ” islamique puisqu’il est conseillé de la visiter lors du pèlerinage à La Mecque afin d’obtenir une rémission des péchés. Elle aurait en outre un rôle capital à tenir lors du jugement dernier. La croyance en une terre palestinienne musulmane, héritage étemel de la Oumma (communauté des

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musulmans), repose surtout sur un mythe, celui du voyage du prophète Mahomet emporté miraculeusement de La Mecque à Jérusalem sur le dos de sa légendaire jument, Al Buraq. A Jérusalem, Mahomet aurait rencontré tous les prophètes l'ayant précédé, il aurait prié, puis serait monté au ciel en compagnie de l'ange Gabriel. Après avoir traversé les sept deux, il serait retourné à La Mecque. Pour tous les musulmans, cet événement a consacré Jérusalem nommée Al-Quods, La Sainte, comme le troisième lieu de l’islam après La Mecque et Médine. C’est pourquoi ils sont particulièrement attachés à la mosquée al-Aqsa qui aurait été construite par Abraham, puis restaurée par le calife Abd alMalik (685-705), et dont le nom signifie la mosquée “ très éloignée ”, en mémoire du voyage nocturne de Mahomet. Depuis la guerre des Six Jours en 1967 et la conquête par Israël de l’est de la ville, la libération de Jérusalem est le thème le plus mobilisateur dans le monde arabe. Et même la gauche palestinienne qui se réclame du marxisme en appelle à la libération de la ville sainte. Al-Quods est pour les islamistes le centre du Wakfi bien religieux de mainmorte appartenant à tous les musulmans ; sa libération requiert donc le Jihad. Ils font du mot d’ordre Jihad AlQuods (guerre sainte pour la ville sainte) un canon de la religion. Ce mot d’ordre n’est pas nouveau, il a été utilisé bien avant que les mouvements islamiques ne deviennent de véritables forces politiques dès 1948 par des bataillons des Frères musulmans. Emmanuel Sivan, dans son ouvrage intitulé les “Mythes arabes ", relate les étapes de la sacralisation de Jérusalem dans la conscience islamique. Il souligne que du temps du prophète Mahomet son rayonnement n’a été qu’une phase transitoire due à une tentative du prophète de se faire reconnaître des juifs. Il a fallu ensuite attendre le XIIe siècle pour que l’on trouve le terme d’al-Aqsa, dans les sources arabes et le caractère sacré de Jérusalem a d’abord été l’objet d’une lutte opposant l’islam populaire aux érudits. Selon les recherches de l’auteur, ce n’est qu’au moment des croisades et avec la victoire de Salah al-Din que la légende s’est élaborée. Alors " la dramaturgie du Djihad fit de Jérusalem un élément de la mythologie politique du monde arabe 60

60. Emmanuel Sivan, op. cit., p. 102.

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Il ne faut pas négliger que des événements récents renforcent encore la vénération envers Al-Quods et aiguisent la sensibilité des musulmans palestiniens aux discours des islamistes à propos de la défense de la cité et chez certains, l’esprit guerrier. Souvenons-nous qu’en 1990 sur l’esplanade des mosquées, un Israélien ouvrait le feu sur des fidèles musulmans, tuant dix-huit d’entre eux et que des extrémistes juifs menacent de détruire la mosquée al-Aqsa afin de reconstruire le temple. Dans ce contexte et sur l’initiative du gouvernement israélien, nous comprenons mieux que la construction d'un tunnel proche de la mosquée, dans la nuit en septembre 1997, pour ouvrir un autre accès au Mur des lamentations, ait suscité une émotion populaire palestinienne, cause d’affrontements avec l’armée israélienne. La nouvelle ayant été propagée que ces travaux auraient pu endommager les fondations de la mosquée. La ville est d’ailleurs interdite à la majorité des Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Mounir est révolté : " Al-Aqsa est endroit sacré pour les musulmans. Tout le monde peut la visiter, mais pas nous qui vivons à côté et pour qui elle représente tant. Les Israéliens, de leur côté, se montrent intraitables sur le partage de la ville, qu’ils considèrent comme la " capitale unifiée et indivisible de leur Etat Les Hamsaouis adhèrent totalement à la sacralisation de Jérusalem. Ils en font l’objet récurrent de leurs appels envers les musulmans du monde entier pour le Jihad, seule voie possible à sa libération. Ils ont même adopté cette ville comme symbole de leur Mouvement puisque leur emblème est la mosquée al-Aqsa sur laquelle se croisent deux fusils libérateurs. Au nom de l'identité musulmane de la terre, l’idée de deux Etats, l’un palestinien, l’autre israélien, est récusée. Pour les hamsaouis, signer un accord avec Israël est interdit par la religion car cela signifie abandonner une terre vénérée, inviolable, qui doit être défendue. Ali affirme : " C ’est une terre islamique, nous n 'avons pas le droit de la marchander. ”. Burrah évoque Allah : " Une terre islamique ne doit être dirigée que par des musulmans. Dieu nous interdit de donner un pouce d’une terre islamique quelle qu'elle soit. ”. Les islamistes exaltent la lutte nationale au nom de la religion avec des formules à l’emporte-pièce telles que " Au nom d'Allah, nous libérerons Al-Quods avec notre sang ! ” formules qui les galvanisent et renforcent leurs certitudes.

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Dans leur univers mental, la croyance en l’islamité de la terre implique que la lutte armée de libération nationale à l’idée de laquelle ils souscrivent ne peut être que le Jihad. En d’autres termes, le devoir de combattre n'est plus seulement celui de se libérer du joug de l’occupant et de reprendre une terre occupée afin d’y exercer des droits nationaux dans la justice et la liberté, mais un devoir religieux, un commandement de Dieu auquel le croyant doit se soumettre. Hadil le résume ainsi : " Dieu nous ordonne de nous battre. Il nous dit que la victoire sera la nôtre si nous sommes fidèles, loyaux envers lui, respectueux de ses intentions. La manière dont nous devons nous libérer est inscrite dans le Coran, c 'est le Jihad. ”, Cheikh Omar : " Nos droits ont été pris par la force, ils seront repris par la force, par le Jihad. ” L'article 7 de la Charte du Hamas situe ce Mouvement dans une longue chaîne historique du Jihad mené contre l'occupation sioniste. Le premier maillon a été l’action entamée en 1935 par le martyr Izz al-Din al-Kassam et ses frères d’armes, qui se sont lancés, au nom de l'islam, dans une lutte contre la présence juive qui ne cessait d’augmenter. Le Jihad contre le sionisme a été poursuivi par les Frères musulmans palestiniens en 1948. Cet article fait aussi mention de façon générique des opérations de 1968 bien que celles-ci aient été perpétrées par des fedayins, combattants de l’OLP et non par des moudjahidin, combattants de la guerre sainte. Ainsi les hamsaouis redéfinissent la lutte armée de l’OLP selon leur propre perspective comme une “ guerre sainte " dont ils seraient les héritiers. La “ guerre sainte ” est un dogme ici survalorisé si nous comparons son importance à celle qui lui revient dans l’islam non radical. Dans la religion musulmane, le Jihad est tout effort accompli en vue de la réalisation d'un objectif. Il faut dire qu’il existe une distinction entre le “ grand Jihad ", l'effort qu’un individu accomplit sur lui-même pour se purifier, se rapprocher de Dieu, et le “petit Jihad ", le combat guerrier, à l'origine, combat de la communauté musulmane de Médine, aux premiers temps de l'islam, pour se défendre et vaincre ses adversaires. Les islamistes accordent au " petit Jihad ” une place plus grande qu'il ne se doit dans la religion. De cette façon, ils transcendent la passion nationale en profession de foi et l’action guerrière en acte de foi. Les hamsaouis comme tous les islamistes considèrent la “ guerre sainte ” comme le sixième pilier de l’islam. Les cinq autres, qui sont des marques d’adoration envers Dieu appelées

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ibat, obligations, sont : la chahade, la profession de foi, la Zakat, l’aumône, le jeûne du mois de Ramadan ou sauwn, la prière ou salat, le grand pèlerinage ou hadj. Contrairement à ce que les hamsaouis laissent entendre, l’obligation du Jihad, " guerre sainte ”, ne peut être située au même niveau que les autres. Il est un devoir collectif et non individuel dont l’objectif est de préserver l’islam. Il doit répondre à des exigences précisées dans le Coran. La cause, l’ennemi, doivent être clairement définis. Les islamistes palestiniens pensent que le Jihad contre les Israéliens respecte l’éthique de guerre de l’islam qui ordonne aux musulmans de n'être pas les premiers à déclencher les hostilités : en voulant créer un Etat juif sur une terre musulmane, ce sont des juifs qui sont à l’origine du conflit.

Définition de l’ennemi L’interprétation religieuse du nationalisme a évidemment des incidences sur le sens donné au conflit et sur la définition de l’ennemi. Dans la Charte du Hamas et dans les discours, nous trouvons deux représentations des relations entre les juifs et les musulmans d'apparence contradictoire, mais qui, au terme d’un examen plus attentif, s’avèrent complémentaires. L’une de ces représentations s’appuie sur les épisodes conflictuels des relations judéo-musulmanes et, notamment, les heurts armés du prophète et ses disciples contre les juifs. Devant leur refus de considérer l’islam comme le prolongement du judaïsme, le prophète expulsa deux tribus de Médine et en massacra une troisième qui avait souhaité la victoire des Mecquois, hostiles à son message. Il pourchassa les réfugiés. Ces événements sont extrapolés pour définir les relations entre musulmans et juifs en termes d’inimitié étemelle. Comme dans tout conflit, l’ennemi est dépeint sous les pires traits, ce qui entretient des sentiments de haine et celui de son propre bon droit face à l’autre qui finit par être déshumanisé. Les islamistes stigmatisent l’ennemi dans une interprétation du conflit entre Israéliens et

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Palestiniens qui dépasse l’antagonisme nationaliste pour devenir un antagonisme religieux. Les juifs sont qualifiés d’ennemis de l’islam et ainsi le conflit se voit attribuer une essence éminemment religieuse. Les juifs sont de la sorte diabolisés au sens propre du terme. Détenant un pouvoir sur une terre musulmane, ils la souillent et ayant autorité sur des musulmans, qu’ils soient citoyens d’Israël, habitants de territoires occupés ou autonomes, ils les mettent dans une situation non conforme à l’islam en leur imposant une domination étrangère en pays musulman. Etemels adversaires de l’islam, les juifs sont un danger permanent. Pour Hanan : " C ’est un conflit entre les musulmans et les ennemis de l'islam. C 'est un conflit entre deux religions. Il ne peut en être autrement. ”, Les faits historiques tels qu’ils sont sélectionnés et traduits prouvent que les juifs sont les ennemis de toujours. Un passé transfiguré éclaire donc le présent. D’après les islamistes, l’histoire avait été oubliée, enterrée, elle resurgit. Ghazi Ahmed explique : “ Les juifs ont préféré déplacer, expulser les musulmans plutôt que de vivre avec nous. Ils se sont emparés de notre patrie. Ils sont devenus nos ennemis alors qu 'auparavant nous ne parlions pas d'eux ainsi. Nous avions oublié qu 'ils sont nos ennemis depuis la naissance de l'islam. Du temps du prophète, nous étions voisins et déjà nous nous battions contre eux et ils ne voulaient pas vivre avec nous. ". Des versets du Coran, des hadiths, sont tirés de leur contexte historique, de la situation précise dans laquelle ils s’inscrivaient. Ils deviennent des vérités générales. Nous assistons à un bricolage explicatif du présent qui serait une simple répétition du passé. Les musulmans comme Mahomet doivent être des combattants car, Ghazi Ahmed l’affirme, "plusieurs versets du Coran nous disent que l'ennemi principal du musulman est le juif. Pour cheikh Ahmed Bitawi : “Allah lui-même nous a enseigné que les juifs sont les plus grands adversaires de l'islam. C 'est écrit dans le Coran. Nous devons nous battre contre eux. L’actualité ne peut être que la répétition du passé puisque c’est la nature même des juifs qui est incriminée. D’après Anjad : " Dans le Coran, de nombreux versets montrent que lorsque nous avons fait la paix avec les juifs, ils l’ont brisé. Nous ne pouvons leur faire confiance. Le Prophète lui-même a été trahi par eux. " Nombreux

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sont ceux, y compris des Palestiniens non islamistes, qui versent comme Ali, dans le stéréotype du juif élément perturbateur envers ceux qui ne partagent pas sa foi et qui n’appartiennent pas à sa communauté : " Nous musulmans, nous ne créons pas les conflits, mais les juifs ils sont comme cela. Ils ne peuvent vivre en paix. Partout où ils sont, ils créent des problèmes avec les autres et cela de tout temps. Une telle diabolisation implique que les juifs incarnent le Mal puisqu’ils sont ennemis de l’islam et d’Allah. Même s’il existe des périodes de calme avec les juifs, l'article 7 de la Charte du Hamas consacré au Jihad qui cite le Hadith numéro 6985 le rappelle : " La dernière heure ne viendra pas avant que les juifs et les musulmans ne s'entretuent, et avant que les juifs ne se cachent derrière une pierre, un arbre, et que la pierre et l'arbre ne disent : musulman ou serviteur d'Allah il y a un juifderrière moi, viens et tue-le 61 La diabolisation du juif est confortée et aggravée par les actes symboliques ou violents accomplis par des juifs religieux extrémistes en Israël où dans les territoires qui ont été occupés en 1967. Parmi ces actes, il faut rappeler la tuerie perpétrée en 1990 par un soldat sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem, comme nous l’avons vu plus haut et le massacre en 1994 commis par Baruch Goldstein, un colon de Kiryat Arba, qui a tué des dizaines de fidèles musulmans dans la grande mosquée d’Hébron. Un mausolée à sa mémoire a été érigé dans la colonie. Il faut mentionner aussi sur le plan symbolique cette fois les affiches placardées à Jérusalem du temple de Salomon reconstruit sur les ruines d’al-Aqsa et surtout à Hébron, en 1997, celles peignant Mahomet sous les traits d’un cochon rédigeant le Coran. Les jeunes et les habitants de cette ville où des juifs nationalistes extrémistes vivent au cœur de la cité, ont été particulièrement indignés par ce qui ne peut être ressenti par tout musulman que comme un sacrilège. De tels actes distillent la haine. Ils favorisent chez les islamistes la crispation sur l’identité musulmane attaquée. Ils renforcent le processus de diabolisation car par croyance ou bien par calcul, les islamistes attribuent à l’ensemble des juifs, l’hostilité envers l’islam de cette fraction de juifs extrêmement minoritaire.

61. H Ahmed Hisham, op. cit., p. 135.

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Les islamistes palestiniens, comme d’autres musulmans, comme d’autres Arabes, ont assimilé des stéréotypes, des préjugés nés en Europe, qui ne dérivent pas d’un point de vue traditionnel régional plutôt enclin au mépris. Selon ces stéréotypes importés, les juifs sont par nature, mauvais, comploteurs ; ils veulent asservir le monde. Les premiers pamphlets antisémites sont traduits de langues européennes et sont diffusés par des catholiques dans le monde arabe à la fin du XIXe siècle au moment de l’affaire Dreyfus. Les protocoles des sages de S ion ont connu un certain succès et furent même cités par le président Gamal Abdel Nasser. Déjà, dans les années 40, le mufti de Jérusalem, Hàdj Amïn al-Husayni, s’était rapproché de l’Allemagne nazie. Dans le monde arabe, à la dénonciation du sionisme, s’est substitué parfois ce que nous nommerons un antisémitisme racial qui, chez certains, se décline en ce que nous qualifierons d’antisémitisme religieux. Les islamistes en sont aujourd’hui l’exemple type. Ils se servent de certains versets du Coran et de paroles du prophète, correspondant à une période de tensions historiques. Les détachant de leur contexte ils en font des vérités intemporelles. Il est donc incontestable que des propos tenus par les islamistes concordent avec ce que nous dénonçons en Occident comme des propos antisémites. Pour autant, ce constat doit être soumis comme tout phénomène à une analyse critique. Il nous faut tenir compte des conditions spécifiques dans lesquelles ce discours est émis et ne pas perdre de vue que ce qui empoisonne les relations dans cette région est la question de la Palestine. L’origine du conflit n’a rien de racial, ce que quasiment tous les protagonistes admettent. Son expression en termes raciaux est un effet de la diabolisation de l’ennemi, phénomène psychologique collectif courant dans les guerres, et aussi d’une tentative de rationalisation, de compréhension du sort subi. Nous pouvons aussi expliquer que, chez des islamistes, l’antisionisme et l’antisémitisme se mêlent, par le fait qu’Israël renverse la situation endurée habituellement par les juifs en pays musulmans, dominés, stigmatisés, discriminés au nom de l’islam. En Israël, c’est la minorité arabe, majoritairement musulmane, qui est tolérée et qui demande l’égalité des droits. Notons que l’utilisation d’arguments religieux pour légitimer la création d’Israël et puis les implantations juives dans les territoires occupés en 1967 participe fortement à la diabolisation puisque ces références amènent le conflit dans le domaine du sacré et de la foi

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religieuse où judaïcité et islamité s’opposent. Ces attaques réciproques portant atteinte à ce qui fonde les croyances les plus profondes des individus, leur mode d'être au monde, attisent la haine. L’ennemi devient un blasphémateur, un sacrilège. Ainsi, le discours des islamistes est-il en grande partie contreoffensif, alimenté par celui de l’ennemi dont il est une sorte de copie en miroir. Il est une riposte. La majorité des hamsaouis rencontrés reconnaissent qu’ils définissent le conflit comme religieux, procédant du même type d’argumentation que certains juifs. Khadija : “ La Palestine est une partie d'une terre sacrée pour l'Islam. Si vous vous adressez à un Israélien religieux, il vous dira de même pour le judaïsme. ” Shaban : " Les juifs voient le conflit comme religieux et du coup nous l'avons aussi envisagé ainsi. Ils disent que Dieu leur a promis cette terre et qu’ils ont attendu deux mille ans pour y retourner, et nous la revendiquons au nom de l'Islam. " Burrah est sur la même ligne : “Le conflit est religieux même s'il présente d'autres aspects. Notre terre a été donnée par Dieu à Abraham et eux disent que c'est à eux que Dieu l’a donnée. D’après Assad “Les juifs se basent sur une prétendue histoire religieuse pour affirmer qu 'ils doivent vivre et mourir ici. C 'est pourquoi ils ont choisi cette terre et pas une autre. Pour cela ils quittent leurs pays de partout. ” Les références religieuses des protagonistes sont renvoyées dos à dos. Bien sûr chez les islamistes, nous pouvons déceler une surenchère servant à affirmer outre la véracité de l’islam, sa supériorité sur le judaïsme. Cette rhétorique, qui oppose une justification religieuse à une autre, est employée de manière assez grossière chez de jeunes Hamsaouis pour démentir la thèse selon laquelle la Palestine revient aux juifs car elle est la terre que Dieu leur a promise. Les aînés, les responsables du Hamas, les penseurs islamistes, se méfient d’une telle phraséologie défensive qui tend à présenter leur Mouvement comme n'ayant pas de fondements propres, comme n’étant qu’une réaction au sionisme religieux, n’ayant construit qu’un montage idéologique conçu sur sa contradiction et largement influencé par lui. L’autre représentation des relations entre juifs et musulmans semble de prime abord opposée à la précédente. Elle dépeint une cohabitation pacifique et profitable aux uns et aux autres. Elle aussi s’appuie sur des faits historiques idéalisés. Elle prend en compte aussi le commandement édicté par l’islam du respect envers les “ gens du

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Livre ”, c’est-à-dire tous les croyants monothéistes, chrétiens ou juifs considérés descendants d’Abraham tout comme les musulmans et se référant à la Bible, l’Ancien ou le Nouveau testament. C’est la mise en pratique de ce commandement qui aurait permis des échanges enrichissants — économiques, culturels, spirituels et scientifiques — durant 1’ “ âge d’or ” de l’islam et de la civilisation arabe depuis l’installation de la dynastie des Abbassides à Bagdad en 750 jusqu’au XIIe siècle. Ce n’est pas à l’initiative des musulmans qu'aujourd’hui il y a antagonisme mais parce que le projet sioniste est venu s’immiscer entre eux et les juifs. Sa réalisation a abouti à une inversion dans la distribution des rôles entre fidèles musulmans et “ gens du livre ”, telle que, selon les tenants de l’islam radical, l’islam l’a prévu dans les pays musulmans. En Israël, ce sont les juifs qui dirigent et légifèrent. Si une majorité des islamistes conçoivent que dans un pays islamique des nonmusulmans puissent détenir des postes clés au sein du gouvernement, ils refusent que le chef de l’Etat n’appartienne pas à leur confession. Ce point de vue est d’ailleurs partagé par beaucoup de musulmans qui ne sont pas de leur mouvance. C’est dans cette exigence d’un gouvernement et d’une société conduits principalement par des musulmans que les deux visions des rapports judéo-musulmans, d’apparence contraire, se rejoignent. Les islamistes pensent parvenir à concilier la prévention contre la menace permanente que les juifs font peser sur l’islam et la tolérance islamique par une nécessaire domination sur eux. Si ces deux visions sont conciliables, c’est que la notion de tolérance ne consiste pas à admettre chez autrui une manière de penser, d’agir, de façon différente mais n’est qu’une indulgence envers des différences que l’on n’approuve pas mais auxquelles on permet de s’exprimer dans certaines limites. Tolérer, c’est supporter, accepter la présence de l’autre sans pour autant lui reconnaître le droit d’être là. Sous la loi de l’islam, les juifs, qui sont toujours des ennemis potentiels, sont dominés, maîtrisés. Khadija l'énonce ainsi : " Dans un Etat islamique, ils pourraient rester, mais ils devraient vivre selon nos lois. Ils auront la liberté de religion et d'expression. En outre, comme l’indique l'article 31 de la Charte, " quand la région est dirigée par d'autres que les musulmans, ils rendent la vie dure aux leurs, sans parler des fidèles des autres

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religions 62 Vivre dans un pays gouverné par des musulmans et où l’islam fait loi est la situation la meilleure pour tout individu, quelle que soit sa religion. La présence de non-musulmans en terre d’islam est prévue dans le Coran qui interdit de les convaincre par la force et qui règle leur statut. Ils sont des dihmmis, des protégés et ce statut ne concerne que les juifs et les chrétiens. Avec eux, se signe un dhimma, un pacte de protection. Ces dihmmis sont soumis à un impôt de capitation, al-Jizzci ; en échange ils sont protégés de l’arbitraire et leur sécurité, leur liberté de culte, sont garanties. Ils doivent vivre dans leurs propres quartiers et se distinguer des musulmans par leur costume. Ils ont leurs propres tribunaux et gèrent leur vie personnelle, familiale et religieuse en dehors de l’islam. Cette vision des relations judéo-musulmanes, issue d’une éthique religieuse imposant la tolérance qui continue à coexister avec la diabolisation des juifs découlant du conflit israélo-palestinien, implique que l’objectif de ces islamistes ne peut être leur anéantissement, même si certains en rêvent parfois. La juxtaposition de ces deux visions a aussi une conséquence importante sur la définition que les islamistes donnent du conflit. Bien qu’ils évoquent des motivations religieuses et estiment que les juifs sont hostiles à l’islam, il ne s’agit pas pour eux d’une guerre de religion dont la visée serait la victoire de l’islam sur le judaïsme, qui contredirait l’enseignement du prophète. Jamil Hamami explique : " Ce conflit est idéologique, d’une part l’idéologie sioniste qui est née de la volonté de rassembler tous les juifs afin de créer un Etat juif et d'autre part l'idéologie nationaliste palestinienne, qui revendique le retour des Palestiniens et la création d’un Etat palestinien sur la même terre. Avant le sionisme, des juifs vivaient en paix dans la communauté palestinienne. Ils avaient leurs droits, priaient librement. Le nerf du conflit n’est pas l'antagonisme religieux, je veux dire par là que nous n 'avons pas de haine contre eux parce qu 'ils croient autrement que nous. ". Sayyed Abou Moussameh précise : " L'origine du conflit est l'occupation, nous n ’avons rien qui nous oppose aux juifs en tant que tels. D’ailleurs si nous nous reportons à l'histoire, quand les juifs ont vécu en bonne entente avec

62. H. Ahmed Hisham, ibid., p. 154.

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nous dans les sociétés islamiques, nous parlons d' "âge d'or ”, et l’Andalousie a laissé un souvenir ineffaçable. Aujourd'hui, nous pouvons avoir des amis juifs s'ils ne sont pas des occupants. Les Palestiniens et les Samaritains à Naplouse vivent sans heurts. Ces deux représentations des relations entre juifs et musulmans, qui coexistent chez un même individu, laissent le champ libre aux positions contrastées, ambiguës quant au droit des juifs à vivre sur cette terre. Ces positions, il nous faut les saisir à travers les implications du conflit israélo-palestinien pour les Palestiniens. Quelques-uns soulignent qu’il est aberrant de ne pas admettre que les juifs fidèles au judaïsme ont des racines ici. Certains estiment comme Sayyed Abou Moussameh que “ les juifs, les chrétiens étaient là avant nous. Ils doivent être libres comme citoyens ”. D’autres jugent qu’il faut distinguer ceux qui viennent d’Occident de ceux qui sont originaires du monde arabe et ne sont pas étrangers à la culture islamique. D’autres encore, les moins nombreux, peut-être emportés par leurs sentiments, affirment que rien ne justifie la présence des juifs en Palestine, pas plus l’histoire que la religion ou la naissance dans ce pays. En bref, nous sommes amenés à conclure que l’islamonationalisme palestinien surinvestit les thèmes nationalistes qu’il actualise en symboles de l’islam. Ce système politico-religieux se veut fidélité au projet national initial qu’il défend non plus par principe politique mais par dogme religieux qu’il a incorporé dans son credo comme un devoir envers Dieu. Le corollaire en est son opposition à Israël et donc au processus de paix puisque la Palestine est considérée comme un héritage étemel de Dieu et ne peut être qu’un Etat islamique.

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CHAPITRE 9

MARTYROLOGIE Depuis le début du processus de paix, les attaques de Palestiniens contre des Israéliens sont pour la plupart des attentats spectaculaires. Ces attaques sont différentes des agressions précédentes car elles prennent la forme d’“ attentats suicides ”, le plus souvent contre des civils en Israël, mais aussi contre des colons et des soldats dans les territoires qui ont été occupés en 1967. Elles sont revendiquées par des groupes armés islamistes du Hamas ou du Djihad, ce mouvement étant plutôt impliqué dans les attaques dans les territoires. Du 13 avril 1993 au 29 octobre 1998, vingt-deux attentats de ce type ont été dénombrés. En 1999, les attentats ont été déjoués et des hommes sont morts en préparant des bombes. Pourtant, malgré les obstacles et la chute de l’engouement envers ce type d’action, les islamistes palestiniens n’y ont pas renoncé. Ils trouvent toujours des volontaires, sans aucun doute endoctrinés et auxquels le paradis a été certainement promis. Il est difficile de connaître les méthodes du recrutement et de la préparation de ces volontaires qui s’opèrent dans la clandestinité. Ces méthodes visent à convaincre ou à affermir les convictions d’un individu et à s’assurer qu’il ne faiblira pas au dernier moment.

Par contre, nous pouvons porter notre attention sur ces martyrs du Djihad ou du Hamas 63 qui, au nom de l'islam, acceptent de mourir en lançant leur voiture contre leur cible ou en explosant avec une charge attachée à leur ceinture. En criant " Allah Akbar ", Dieu est grand, ces martyrs-là se donnent la mort en tuant des Israéliens. Nous tenterons de les comprendre en analysant les quelques éléments à notre disposition ayant trait à leur personnalité, leur histoire, leurs conditions de vie, leurs aspirations, leurs malaises. Nous chercherons aussi à savoir de quel milieu social, politique, ils sont issus. Enfin, nous dégagerons les significations particulières de ce type de martyre qui vont bien au-delà des justifications avancées : représailles en réponse à d’autres massacres et droit à la résistance. Nous sommes parvenus à recueillir quelques détails à propos de ces kamikazes palestiniens et leurs familles dans l’hebdomadaire Palestine Report64 du Centre de communication et des médias de Jérusalem. Nous avons rencontré des membres de treize familles ayant compté en leur sein un de ces martyrs, morts comme “bombes humaines Certains ont hésité à répondre, la pudeur en a retenu quelques-uns, mais d’autres ont parlé avec enthousiasme. Au moins ces données éparses, incomplètes nous donnent-elles un aperçu sur le milieu d’origine de ces acteurs islamistes. Elles nous aident à cerner leurs dénominateurs communs et leurs points de divergences et à ouvrir quelques pistes de réflexion à partir d’exemples précis.

63. Notre étude se limite aux islamistes des territoires occupés en 1967. Citons cependant pour mémoire deux faits qui ont impliqué des islamistes citoyens d'Israël. En août 1999, deux jeunes israéliens ont été tués par deux Arabes du village de Mouchrata en basse Galilée, membres du Mouvement islamique israélien et le 5 septembre 1999, des islamistes israéliens ont tenté des attentats à Tibériade et à Haïfa. 64. Stéphanie Nolen, " Portrait of a suicide bomber " Palestine Report, Jérusalem, 15 mars 1996, pp. 6-7.

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Les familles

des bombes humaines

Parmi les responsables de ces attentats, les trois quarts habitaient dans des camps de réfugiés ou étaient descendants de parents ou de grands-parents qui avaient quitté leur demeure lors des combats en 1948. Leurs familles sont pour la plupart nombreuses. Au moment de la rencontre, dans les treize foyers, la fratrie se compose, en moyenne, d'une dizaine de personnes. Dans les deux plus grandes elle est de treize ; dans la plus petite, elle est de huit. Ces chiffres n’ont rien d’exceptionnel en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ; ce n’est que dans les milieux intellectuels et chez les chrétiens que les familles sont plus restreintes. Pour deux des familles, nous ignorons combien d'enfants ou d'étudiants habitent alors dans la maison. Pour les autres, la moyenne est six, mais le nombre d’enfants à charge peut atteindre neuf. Au domicile parental résident des célibataires qui travaillent ou sont au chômage et dans quatre cas des fils mariés et leur famille. Ainsi dans le même logement habitent souvent plus de dix individus. Dans la famille Yassine du village d’Al Shamaliye près de Naplouse, ils sont dix-huit avec les petits-enfants

Situation socio-economique Pour certaines de ces familles, les conditions de vie se sont aggravées depuis l’attentat. Ceux qui travaillaient en Israël — ouvriers dans le bâtiment, en usine, ouvriers agricoles ou journaliers — n’ont plus le droit de s’y rendre. Sept familles qui ne se trouvaient pas alors dans la zone A, celle qui est autonome, ont vu leur maison détruite par l’armée israélienne, en mesure de punition collective. Quatre d’entre elles du village d’Assire Al Shamaliye, ont pu trouver une location et une autre, du village de Dahrriya près d'Hébron a reconstruit sa maison sans autorisation. Mais les Shamoubi sont revenus dans le camp d’Askar près de Naplouse après avoir vécu des années, non loin, dans le village de Burka. Que savons-nous de ces familles qui ont dû se reloger ? Dans deux du village d’Assire Al Shamaliye, la situation financière ne posait

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pas de problèmes particuliers. Les Salwalha possèdent quelques hectares de terre que cultivait le père et sur lesquels les fils mariés ont bâti leur maison. A l’époque de l’attentat, les garçons y compris le martyr, avaient tous un travail : l’un était ouvrier en Israël, un autre employé par la municipalité, deux étaient instituteurs, un autre gardien, un employé à l’université. Une fille était mariée ; une autre, adolescente, restait à la maison. Quand les enfants étaient plus jeunes, la mère s’occupait des petits dans un jardin d'enfants. Les Jara'a n’avaient pas non plus de soucis d’argent. Les filles étaient mariées, quatre installées à l'étranger travaillaient, deux étaient enseignantes dans le village. Un des fils, marié, était commerçant en Jordanie ; les trois restés au pays, encore célibataires, travaillaient dans le bâtiment et le martyr comme manœuvre dans une entreprise de Naplouse. Le père, âgé, n'était plus en activité ; il avait été ouvrier dans le bâtiment. Donc ces deux familles avaient des revenus. Certes, pour les personnes restées au pays, les salaires n’étaient pas élevés mais ils étaient réguliers et devaient être suffisants pour vivre correctement. Les deux autres familles de ce village connaissaient et connaissent toujours une situation économique critique. Chez les Yassine, trois fils mariés vivaient encore au domicile parental, ne pouvant s’offrir leur propre maison. Aujourd'hui encore, dix-sept personnes vivent ensemble, la grand-mère, les parents et les enfants. Sur un petit bout de terre, une dizaine d'oliviers sont cultivés. Le grandpère qui est parti et s’est marié à une autre femme n’envoie pas d’argent. Le fils martyr travaillait en usine Les ressources proviennent toujours des seuls salaires de deux des fils, l'un instituteur et l’autre mécanicien et de l’exploitation d’une pompe à essence. Depuis peu, la famille utilise une camionnette comme taxi collectif. Dans la famille Shouli, Youssef, le martyr qui était étudiant, travaillait pendant les vacances pour apporter quelque argent au foyer. Selon les dires de sa mère, il voulait mettre fin à ses études pour soutenir sa famille financièrement. Nous ne savons pas combien des quatre filles mariées aujourd’hui, l'étaient au moment de l’attentat. Quatre enfants étaient écoliers ou étudiants. Les revenus étaient constitués des salaires d’une fille célibataire, secrétaire médicale, d'un fils ouvrier en bâtiment en Israël et par l’argent qu’envoyait un fils, employé dans une compagnie de publicité en Espagne.

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Quand la famille Shamoubi résidait dans le village de Burka, le père avait une boulangerie. Actuellement, parmi les six filles mariées, trois travaillent. Les fils sont célibataires. L'un est au chômage, un autre est ouvrier dans le bâtiment, le dernier n'a que neuf ans. Le martyr étudiait à l’école normale de Ramallah. Il a été difficile d'évoquer en détail la vie au village avant l’attentat, le frère du martyr ne cessait de revenir sur les conséquences malheureuses d’ordre économique et psychologique du départ forcé vers le camp. Son regret de la situation passée, sans doute enjolivée, fait penser, sous toutes réserves, que si la famille avait du mal à joindre les deux bouts autrefois, elle parvenait à subvenir à ses besoins courants. Chez les Jabarin, qui ont reconstruit illégalement leur maison grâce à la main-d’œuvre villageoise de Dahrriya et peut-être avec l’aide financière du Hamas, neuf enfants vivent encore au domicile parental. Une fille et un fils mariés sont partis mais deux garçons mariés y vivent toujours avec sept autres enfants en âge scolaire. Seules sources de revenus, les faibles salaires versés par des patrons israéliens aux hommes et aux adolescents qui travaillaient comme journaliers ont été perdus. Que nous apprend le cadre de vie de ceux qui n’ont pas eu leur habitation détruite ? Quatre familles de réfugiés habitaient dans des camps : la famille Rokka dans celui de Khan Younis dans le sud de la bande de Gaza, la famille Ammounah à Shatti, à proximité de la ville de Gaza, les familles Abou Wardeh et à Al Fawar près d'Hébron. Leurs maisons sont celles que l’UNRWA, (United Nations Refugees Works Agency), l’agence des réfugiés aux Nations unies, a construites dans les années 50 en remplacement des tentes. Rien n’y a été refait depuis. Dans les pièces où se sont déroulés les entretiens, à la fois, salle de séjour, salle à manger, chambre pour les enfants et les adultes célibataires, des nattes et des matelas sont disposés pour s'asseoir et pour dormir. Les murs et les plafonds sont fissurés, la peinture est écaillée. C’est sur des chaises en plastique que l’on dépose le thé ou le café offert et non sur une table basse collective ou individuelle comme il est d'usage dans le pays. Ces foyers sont secourus par l'UNRWA, qui leur apporte une aide financière, alimentaire et des soins presque gratuits. La plupart des revenus qu’ils n’ont plus à présent, étaient aléatoires puisque ceux qui travaillaient étaient dans leur large majorité des journaliers en Israël.

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Dans la famille Zahameh, où le père mort depuis vingt et un ans au moment de l'attentat, la mère a dû travailler chez les colons, dans des plantations et des usines. Un fils marié était et est toujours professeur d'arabe, tous les autres étaient journaliers, y compris le martyr qui avait dû abandonner ses études un an après son entrée à l'université. Chez les Abou Wardeh, six enfants sont encore élèves ou étudiants. Il n'y avait que le salaire du père, professeur de géographie. Aujourd’hui s’ajoute le salaire d'appoint d'un fils, agent dans la sécurité préventive palestinienne une fois par semaine. La famille Ammounah avait de maigres revenus assurés par des petits travaux alors que cinq enfants étaient encore en âge scolaire. Elle ne survivait qu'avec cela, le soutien de l’UNRWA et une partie du salaire d'un fils employé dans une université. Le père, âgé, avait été journalier en Israël. Chez les Rokka, le père, âgé, ne travaillait plus ; il avait été employé de l’UNRWA. Six enfants sont encore à l’école ou à l’université. Les gendres versent une somme d’argent régulière aux parents. Deux familles de réfugiés, quant à elles, avaient déménagé dans le quartier de Yebna, près de Rafah dans le sud de la bande de Gaza. Ces déménagements avaient été possibles dans les années 80 car elles étaient en mesure de s’acquitter d’un loyer. La maison de la famille Hashim est en bon état, tout comme le mobilier, modeste mais, moderne et pratique. Le salon, qui ne fait pas office de chambre, est meublé de chaises, d’un canapé et d’une table basse. Le père, décédé depuis 1992, était employé à l’UNRWA. La famille reçoit une petite pension. Sur dix enfants, deux filles étaient mariées à l’époque de l’attentat. Deux filles mineures vivent toujours au domicile parental. Sur les six garçons, trois sont encore mineurs ; les trois autres résident encore avec les parents et ne sont pas mariés. Deux hommes seulement versaient et versent actuellement des revenus réguliers, l'un est instituteur, l'autre aide-soignant ; les autres garçons n'ont pas de travail fixe. Le martyr aurait dû poursuivre ses études à l'université. On peut donc conclure que cette famille n'était pas misérable mais devait sûrement être en difficulté. L'entretien avec l’autre famille de Yebna, les Shaker, ne s’est pas déroulé à domicile, mais dans un atelier de réparations électriques

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et d’appareils ménagers où travaille le père avec plusieurs de ses enfants. La maison n’a pas été visitée. Pendant la période de l’attentat, cette famille n'était pas dans une situation critique, même si le fils martyr, étudiant, devait travailler pour financer ses études. Des travaux de bricolage apportaient quelques revenus supplémentaires. Les quatre garçons mariés ont tous aujourd’hui une activité professionnelle l’un est ouvrier du bâtiment, un autre employé dans une entreprise d'air conditionné, le troisième technicien travaille à la télévision nationale palestinienne, le dernier est policier. Nous ne savons pas si tous avaient un emploi au moment de l'attentat. Actuellement, il n'y a plus qu'un seul enfant en âge scolaire dans la maison familiale. La famille Sukar, résidant à Shasa'yyah, quartier de la ville de Gaza, bénéficie du même type d'habitation que les Hashim à Yebna, c’est-à-dire d’un confort simple. Onze enfants vivaient dans la maison. La famille avait des dettes. Lors de l'attentat, elle vivait du salaire du fils aîné, marié sans enfant, qui est le martyr, et de celui du père, officier dans la police. Nous voyons que, contrairement, à ce qui est couramment affirmé, toutes les familles des " bombes humaines ” ne vivaient pas dans une extrême pauvreté. Il est tout aussi erroné de soutenir que la majorité sont des réfugiés, ce que les chiffres démentent. Sur les treize familles étudiées, trois semblent n’avoir traversé aucune crise financière (les Jara'a, les Shamoubi, les Shaker) ; une était visiblement à l’aise, les Salwalha, dont la fille, Eiba âgée de dix-sept ans lors de l’entretien, a d’ailleurs souligné : “L ’acte de mon frère prouve que ce ne sont pas que les pauvres qui décident de mourir dans de telles opérations. ". Pourtant, les moyens de subsistance sont faibles. Les membres de ces familles ne reçoivent que de bas salaires, au maximum quatre mille francs, dans un pays où les prix sont quasiment aussi élevés qu’en Occident. Si ces familles n’étaient pas face à une situation financière déplorable, c’est qu’elles n’avaient plus d’enfants à charge, ou juste un ou deux, et que plusieurs salaires rentraient au foyer. Néanmoins, la majorité de ces familles subvenaient avec peine aux besoins élémentaires ou percevaient des revenus tout juste suffisants. Les activités professionnelles exercées sont courantes dans le pays : instituteurs, employés de l'UNRWA, ouvriers du bâtiment,

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journaliers en tous genres, sur place ou en Israël, pour des salaires allant de deux mille à quatre mille francs. En plus des données sur les revenus, les aides, le versement d’argent par des enfants ayant quitté le domicile parental, des signes concrets manifestent des soucis financiers. Si des fils mariés résident avec leur propre famille chez les parents dans une chambre réservée ou à un étage supérieur construit et aménagé, ce n’est pas par choix mais par manque d’argent. Ce partage de la maison, habituel dans ce pays, n’est pas un mode de vie inscrit dans le schéma social mais la conséquence des contraintes économiques, même si cette coexistence est banalisée dans une société où le mariage est plus considéré comme l’agrandissement des familles que comme la création d’un nouveau foyer. Un autre signe des problèmes financiers est la présence au domicile parental — parfois en plus avec de jeunes couples — d’hommes célibataires. En effet, la célébration des mariages est souvent trop onéreuse, à cause de la coutume d’inviter des centaines de personnes à un repas animé par un orchestre et à cause de la dot, toujours en usage, qui est loin d’être symbolique. De jeunes adultes restent aussi pour apporter leur salaire à la famille alors que des frères et sœurs sont encore en âge scolaire. Certains abandonnent leurs études par manque de moyens financiers mais aussi parce que leur sens des responsabilités les amène à vouloir gagner de l’argent tout de suite pour soutenir les leurs. Dans la majorité des familles concernées par l’enquête, les enfants ont fait des études d’un niveau bien supérieur à celui des parents, et à ce sujet il n’y a pas de différence notable entre les filles et les garçons. Le niveau scolaire de la mère n'a pas été évoqué. Les femmes d’une cinquantaine d'années, sauf dans les classes très aisées, sont peu instruites, voire analphabètes. Les pères n’ont dans leur majorité suivi que les cours élémentaires alors que leurs enfants ont au moins le Taoujihi qui correspond au baccalauréat. Deux pères pourtant ont un niveau similaire à celui de leurs enfants. Monsieur Shouli père est officier dans la police palestinienne et l'était sous l'administration égyptienne. Monsieur Abou Wardeh père enseigne la géographie et parle anglais. Mais dans la plupart de ces familles, les enfants qui ont été audelà du Taoujihi n’ont pas accédé à un métier en adéquation avec leur

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formation. En général, les filles se sont mariées et ont renoncé à leur carrière. Quant aux garçons, ils acceptent n’importe quel travail afin d’éviter le chômage. Par conséquent, malgré leurs études, ils n’ont pas réussi à s’élever dans l’échelle sociale. Ce fossé entre le niveau d’études et l’activité professionnelle est fréquent dans un pays où les parents, quelle que soit leur situation, encouragent leurs enfants, surtout les fils, à poursuivre des études alors que le marché du travail est très limité. L’instruction est pour les Palestiniens un moyen de lutte contre l’occupation, l’ignorance étant considérée comme la cause des défaites successives. En dépit des obstacles financiers, du temps passé en détention, du temps consacré à militer, nombre de Palestiniens ont atteint un niveau d’études universitaires. En conclusion, les profils socio-économiques de ces familles n’ont rien d’exceptionnel, ils sont même courants en Cisjordanie et dans la bande de Gaza où l’économie peu développée, reste très dépendante d’Israël. Et leurs différences, même si elles ne sont pas très importantes, nous indiquent que les “ bombes humaines” ne viennent pas de familles partageant les mêmes caractéristiques socioéconomiques.

L'engagement politique Pouvons-nous trouver dans l’engagement politique de ces familles des particularités qui nous aideraient à comprendre le martyr islamiste ? Trois types de familles sont à distinguer. Dans le premier, la majorité des membres ne sont d'aucune faction. C’est le cas des Jara'a dont la plupart des enfants résident à l'étranger et où seule une fille est active au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Chez les Jabarin, on dit ne pas se mêler de politique, ne pas partager les idées du martyr et soutenir le processus de paix. Dans le deuxième type de familles, les options politiques sont variées. Parfois l’une d’elle est dominante. Chez les Shaker, tous, sauf celui qui a commis l’attentat appartiennent au Front populaire. Chez les Sukar, tous les garçons sont du Djihad tandis que seul le père est dans le Fatah. Ailleurs, les choix sont plus diversifiés : les Hashim sont divisés entre le Fatah, le Hamas

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et le Djihad ; les Yassine entre le Fatah, le Hamas et le Front populaire ; les Salwalha entre le Hamas et le Front populaire ; les Shamoubi entre le Fatah et le Front populaire. Dans le dernier type de familles, tous sont d’un même mouvement : Les Abou Wardeh, les Zahameh, les Rokka sont tous du Hamas. Dans la famille Shouli, la mère se contredit. Elle affirme que ses enfants sont de bons musulmans mais ne sont dans aucun parti. Ils seraient pourtant prêts au martyre comme l'a été l’un de ses fils et comme le demande le Hamas. Pour la famille Ammounah, nous n’avons pas pu recueillir d'informations. De ces éléments, il ressort que ces familles n’ont pas une composition politique spécifique. Deux parmi elles nous laissent dans l’incertitude. Pour les autres, leurs membres sont soit partagés soit unanimes à soutenir un parti, sauf pour deux d’entre elles qui s’affichent clairement, dans leur totalité, comme apolitiques. Neuf familles ont des membres actifs, pas seulement des sympathisants dans une faction. Dans une société qui s’achemine vers la dépolitisation et l’individualisme, cet engagement politique semble aller à contrecourant et ces familles être les vestiges d’une autre époque. Dans le climat ambiant de discrédit du politique, ces militants ne sont pas résignés, ils pensent qu’ils continuent à avoir un rôle à jouer, même si F Autorité palestinienne est chargée de diriger le pays et de négocier avec les Israéliens. Les “ bombes humaines ” ont certainement été marquées par cette atmosphère familiale dans laquelle la politique est encore objet d’intérêt et de sacrifice. Pour autant, elles ne sont pas toutes issues de familles islamistes. Trois seulement des treize martyrs dont nous étudions l’histoire sont issus de familles où tous appartiennent à un mouvement islamiste, en l’occurrence le Hamas ; quatre d’entre eux étaient les seuls islamistes dans leur famille. Quelle que soit l’identification politique ou en l’absence d’identification, dans neuf familles tous approuvent, selon les personnes rencontrées, l'attentat commis par le fils ou le frère. Il est justifié par la souffrance subie par les Palestiniens du fait de l’occupation, et ce qui prédomine est la fierté pour cet " acte héroïque ” de l’un des leurs dont tous louent l’esprit de sacrifice et le courage. Dans trois familles au contraire, certains désapprouvent et se montrent même très opposés aux islamistes. Chez les Salwalha la mère vitupère : "Je déteste le Hamas, ce qui est arrivé n'est que chagrin.

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Cette organisation n ’a aucune considération pour nous, il se moque bien de notre peine et des malheurs que nous avons à supporter depuis cet attentat. Dans les familles Shouli et Jara'a, les deux mères ont manifesté de la compassion pour les mères israéliennes dont les enfants sont morts dans l'attentat perpétré par leurs fils. Madame Jara'a proclame : " Je demande à Dieu de détruire le Hamas qui fait tant de mal. Comme les mères israéliennes lors de l 'attentat, je n ‘ai plus mon fils. Pourquoi ? " Madame Shouli s’est exclamée ainsi : " Les enfants israéliens, quelle est leur culpabilité ? ”. Les positions des membres de ces familles à propos des attentats reflètent-elles l’opinion publique palestinienne ? Quel que soit le degré d’exactitude des sondages, ils signalent des tendances et des évolutions. Les résultats des enquêtes menées par le Centre de communication et des médias de Jérusalem et le Centre de recherches de Naplouse au cours des années d’autonomie concordent sur des points essentiels : décroissance constante du soutien aux attentats, fluctuation des opinions. Les avis favorables diminuent quand les Israéliens bouclent les territoires après une attaque ou que des accords israélo-palestiniens aboutissent. Ils augmentent quand les négociations piétinent ou que les Israéliens se montrent provocants avec le projet de construire une nouvelle colonie par exemple. Les sondages effectués par les deux centres au cours des années d’autonomie portent sur des échantillons de 1 185 individus de Cisjordanie et de la bande de Gaza. La marge d’erreurs annoncée est de trois pour cent. A la question : " Soutenez-vous les opérations suicides ? ", les pourcentages de oui oscillent entre 53 et 23 et la moyenne se tient autour de 30 %. Habituellement, c’est donc une minorité qui approuve ces actions. Plus nombreux seraient ceux qui soutiennent d’autres genres d'opérations sur des cibles israéliennes. Les questions passent sous silence la nature de l'objectif à atteindre, civil ou militaire. Nous constatons que, dans notre échantillon, la proportion de ceux qui sont favorables aux “ attentats suicides ” est plus grande que dans les sondages. Nous devons pourtant nous garder de toute conclusion hâtive car l’attachement au disparu peut brouiller les esprits. On peut ne pas vouloir le mettre en cause par respect pour sa mémoire. Derrière l’admiration manifestée, peut se dissimuler la colère contre celui qui a agi sans penser aux êtres proches. Des interviewés

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ont fulminé : " il nous a laissés ! " Nous avons payé cher pour cela ” ont-ils dit avant de se ressaisir et d’exprimer leur fierté. Dans la famille Jabarin, où l’on dénonce les attaques contre des civils, l’une des sœurs du martyr tient des propos ambivalents qui révèlent à quel point sentiments et idées ne sont pas forcément en accord dans de telles circonstances. Elle déclare : "Je suis contre, cela ne nous apporte rien, c ’est juste tuer pour tuer, mais je suis fière d'avoir un frère qui a réalisé une telle opération militaire et qui a été si courageux. Ces familles, comme presque toutes dans les territoires occupés en 1967, ont été exposées à la répression. Elles ont connu les arrestations, les détentions, les violences. Saïd Rokka a expliqué que la plupart de ses frères ont été plusieurs mois en prison durant l'intifada. A cette époque, lui et son frère Haiman ont été recherchés et un autre de ses frères est mort comme martyr. Dans le village d’Assire Al Shamaliye, les familles ont parlé des raids pendant le soulèvement, de la brutalité des soldats, des perquisitions. Abdel Karim Shamoubi, quant à lui, a été blessé par erreur par des soldats israéliens déguisés en Palestiniens. Depuis, il marche difficilement. Chez les Abou Wardeh, on a souvent été arrêté et emprisonné durant des mois. Ces familles ont donc traversé des expériences douloureuses, mais bien ordinaires dans ce pays.

Portraits des martyrs islamistes Les martyrs avaient-ils des caractéristiques communes ? Nous allons tenter de répondre à cette question et de dégager ce qui a pu être déterminant pour chacun d’entre eux dans leur vie et dans leur personnalité pour les conduire à un tel acte. Sur les vingt-deux attentats répertoriés entre le 13 avril 1993 et le 29 avril 1998, où les acteurs se sont transformés en “ bombes humaines ”, deux seulement ont été le fait d'un homme marié. L'un de ces deux hommes était Khader Gheimat, habitant le village de Sourif en Cisjordanie et âgé de vingt-huit ans. Il n’avait pas d’enfants. Il travaillait en Israël, à Tel-Aviv, où il était plongeur dans un café. L'enquête israélienne, dont les conclusions ont été publiées

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dans la presse, confirme que son cas est particulier. En fait, l’opération n’était pas conçue comme une opération kamikaze. Il semble que son projet ait été de déposer une charge explosive dans le café “ A propos " de Tel-Aviv le 21 mars 1997, jour de Pourim, la fête juive où les enfants se déguisent, et de partir ensuite. L’attentat n’a pas été revendiqué, ce qui est surprenant puisque dans cette période ils l’étaient tous. Néanmoins, il a reçu l'approbation de la branche armée du Hamas. Le journaliste Elias Zannaniri, dans le Jérusalem Times du 4 avril, émettait l’hypothèse que cet homme avait pu mener cette opération pour laver son nom et celui de sa famille car il était suspecté, ainsi que son frère, de collaboration. N’ayant pas vu la famille, nous ne pouvons rien dire de plus à ce sujet. L'autre homme marié était Anouar Sukar, de Shasa'yyah, quartier de la ville de Gaza. Il avait vingt-quatre ans quand, avec Salah Abdul Hamid Shaker, il a perpétré l'attentat du 22 janvier 1995, à BeitLid, dans un Abribus. Aîné de la famille, il n'avait pas passé son baccalauréat et il travaillait dans la literie. Il ne pouvait pas avoir d’enfants. Déjà arrêté auparavant par les Israéliens et accusé d'être un militant du Djihad, il avait séjourné onze mois en prison. L'Autorité palestinienne l'avait aussi appréhendé et gardé un mois en détention. Il est le seul, parmi ceux dont les familles ont été rencontrées, à avoir laissé un message écrit. Sa mère nous l’a montré et nous avons pu le traduire. Il s'adresse directement à son père, sa mère, sa femme, nominativement à cinq de ses frères et sœurs puis à l'ensemble de sa fratrie. Insistant sur les erreurs commises, le mal qu'il a fait à ses proches avant de mourir, il demande le pardon et l'oubli de ses fautes. Ainsi à son père, il écrit : " S'il te plaît, oublie toutes les erreurs que j'ai commises, nos disputes. Tu es un homme éduqué et tu sais que les martyrs agissent pour le bien de leur famille, pour qu 'elles aillent au paradis. ”. A sa femm,e il dit : " Je ne sais pas comment m'adresser à toi. Je veux dire adieu. Oublie tout le mal que je t'ai fait. Je souhaite que Dieu te donne des enfants. ". Il demande aussi à son frère Abdallah de ne plus penser à la peine qu’il lui a causé. Aux plus jeunes de ses frères et sœurs, il demande de ne rien faire qui puisse attrister les parents. Il insiste auprès des plus âgés pour qu’ils en “prennent soin Il conseille la prière. La famille ayant contracté des dettes, il l’exhorte à les rembourser. Il affirme que personne ne doit être affligé puisque c'est son choix d’être martyr : " Pour l'amour de ma mère, de

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mon père, de mes frères et sœurs et de ma femme; c 'est ma décision dans ce monde d'ètre martyr puisque Dieu aime qu’on le soit. J’espère qu 'il me donnera cette chance. C 'est une tâche glorieuse. ”. Sa mère le dépeint comme quelqu’un de très pieux, qui menait une vie simple. Elle raconte : " Quand il rentrait de son travail, il prenait sa douche, se rasait, il n'aimait pas la barbe. Ses frères restaient étudier pendant qu'il allait rendre des visites. Rappelons-le, dans la famille, tous les fils sont affiliés au Djihad. Le père est officier dans la police palestinienne et ne partage pas leurs opinions. Selon la mère, la mort pendant l'intifada de l’un de ses amis avait fortement affecté son fils, ainsi que celle d’Ani Abed, un responsable du Djihad tué par les Israéliens. Les difficultés financières de sa famille le préoccupaient et il s’attendait à ce qu’elle bénéficie d’une aide après sa mort. Il a préparé son départ, dévoilant implicitement son projet. La mère relate en effet qu'une semaine avant l'attaque, il avait rassemblé la famille et avait déclaré qu'un jour il serait martyr. Elle l'avait d’ailleurs incidemment entendu dire à son frère cadet Abed : " Tu es l'aîné, alors tu dois secourir la famille. Tu en as le devoir. ”, En plus de ses convictions, des facteurs personnels ont pu le décider. Marié, il était déchargé des responsabilités d’un père et savait que sa femme ne resterait pas seule et pourrait se remarier à l'un de ses frères, ce qui s’est d’ailleurs passé. Son incapacité à être père a pu peser sur la décision de cet homme, engagé dans le mouvement depuis longtemps car dans la société palestinienne, il est mal vu lorsque l’on est marié de ne pas avoir d’enfants. Sa disparition lui semblait par conséquent positive pour ses proches. Par ailleurs, dans son message il laisse entendre que sa vie n’avait pas été un exemple de bonne conduite morale ni de bienveillance envers les autres. Il le confesse et voudrait être pardonné. Son acte prend donc un sens expiatoire lui ouvrant la voie du paradis. D’après les informations recueillies auprès des familles et de journalistes palestiniens, toutes les autres “ bombes humaines ” étaient des célibataires, jeunes, entre dix-sept ans et demi et vingt-sept ans, la moyenne d'âge étant vingt-trois ans. Dans la fratrie, ils se situaient dans les derniers ou au milieu. Il ne leur incombait donc pas de subvenir aux besoins de la famille, rôle qui revient au père et traditionnellement au fils aîné. Célibataires, ces hommes n’étaient pas non plus fiancés. En faisant de telles recrues, les branches armées islamistes se conduisent en conformité avec les traditions qu’elles-mêmes défendent. Se fiancer

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est en effet un engagement qu’il n’est pas convenable de rompre pour quelque raison que ce soit . Il oblige le jeune homme mais aussi sa famille. L’“ attentat suicide ” pourrait être interprété comme un abandon de la fiancée, une manière de ne pas tenir sa parole. Par ailleurs, bien entendu, quelqu’un qui s’apprête à se marier dans les mois à venir n’envisage habituellement pas de mettre fin à ses jours, ni même de prendre des risques. Cette remarque souligne encore combien les martyrs mariés sont atypiques. Nous l’avons évoqué précédemment, c’est une situation économique critique qui est souvent la cause du célibat. Dans cette société où le célibat masculin est manifestement en augmentation, le mariage demeure cependant la norme, le facteur économique ne transformant que peu à peu les mentalités. Il reste la garantie d'être reconnu par la collectivité car il répond aux impératifs de procréer, de fonder une famille, d'assurer la permanence du nom et des lignées. Quel sens avait donc leur vie pour ces jeunes kamikazes qui craignaient de ne pas pouvoir se marier ou bien pas avant bien longtemps ? Enfants de l'intifada, ils y avaient tous participé. Ils étaient lanceurs de pierres, membres d’un comité populaire. Comme les autres Palestiniens de leur génération, ils avaient été pris dans ce mouvement restaurateur de l'image individuelle et collective de soi, mais ils avaient aussi été humiliés par les fouilles corporelles et les contrôles constants. Ils avaient subi des tabassages voire des tortures. Ils portaient en eux les séquelles de la répression, les traumatismes, qu’ils aient été témoins impuissants de la violence de l’armée israélienne, en deuil d’un être cher ou eux-mêmes détenus, maltraités. Raëd Zahameh, (attentat du 6 avril 1994, dans un bus à Afiila) a, dans une vidéo testamentaire, a évoqué ses tortures : privations alimentaire et de sommeil, coups et menaces de viol. Muhammad Hashim (attentat du 2 novembre 1995 contre un bus de la colonie Gush Katif) avait été arrêté pendant le soulèvement à l’âge de quatorze ans. Il avait passé presque un an en détention et en était sorti changé. Depuis, d’après sa mère et un de ses frères : " II n'était plus comme avant. Nous ne le reconnaissions plus. Il n 'était jamais à l’aise et il pensait autrement. Il avait été torturé et souffrait de la plante des pieds. “ Cette expérience n’a pu qu’influencer les idées de l'adolescent, d'autant qu'en prison il a côtoyé des membres d'organisations islamistes. Mahmoud Ammounah (attentat du 9 avril 1995 contre un convoi militaire près de la colonie de

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Netzarim) avait été blessé deux fois durant l'intifada. Les quatre “ bombes humaines " du village d'Assire Al Shamaliye avaient connu les raids nocturnes de l’armée, les perquisitions, les brutalités, la peur. Eiba Salwalha, une sœur de Bashar (attentat du 30 juillet 1997 à Jérusalem) a raconté : " Quand mon frère a eu quinze ans, les Israéliens l'ont arrêté dans la rue, frappé jusqu'au sang. Sa tête saignait. Il a passé une nuit en prison ainsi, les yeux bandés. ". Et la mère de Mou'ayya Jara'a nous a confiés : " Pendant une des fouilles à la maison, ils l'ont emmené pour qu'il nettoie les murs et enlève les graffitis. Il était jeune, il a été frappé. Une autre fois, lors d'une confrontation à laquelle il ne participait pas, ils l'ont aussi battu à mort. ”. Ce sont parfois des amis, des proches qui ont été victimes de la répression et de la violence. Nous savons que Salah Nasal, habitant de la ville de Qalkilia (attentat en octobre 1995 dans un bus, à Tel-Aviv) avait vu son frère tué par un soldat. L'un des frères de Mou'ayya Rokka (attentat du 25 juin 1995 contre une jeep militaire près de la colonie de Netzarim) avait été tué pendant l'intifada. Abdel Karim Shamoubi, frère de Raëd (attentat du 3 mars 1996 dans un bus à Jérusalem) a été handicapé à la suite de plusieurs blessures à une jambe. L'explosion le 2 avril 1995 à Cheikh Radwan, quartier de la ville de Gaza, où des militants du Hamas sont morts, a beaucoup peiné Mahmoud Ammounah qui connaissait personnellement certaines des victimes. Et, nous l’avons vu, Anouar Sukar (attentat du 22 janvier 1995 dans l'Abribus de Beit-Lid) a eu un ami tué pendant l’intifada et connaissait Ani Abed, tué par les Israéliens. Un des cousins de Majdi Abou Wardeh (attentat de Jérusalem en février 1996) avait été blessé à la tête et la balle n’a pas pu être retirée. Il est depuis diminué physiquement et intellectuellement. Aussi terribles qu’aient été ces expériences et ces souffrances, elles ont été le quotidien de nombreux Palestiniens qui pour autant ne sont pas devenus des kamikazes. Mais le témoignage vidéo de Raëd Zahameh sur les tortures qu’il a subies nous fait comprendre que, pour certains, seules la vengeance et la mort leur permettent d’échapper aux blessures psychologiques et aux souvenirs. C’est souvent très jeunes que ces épreuves ont été traversées et les séquelles n’en ont été que plus profondes. Parmi les treize martyrs qui constituent l’objet de cette étude, dix étaient déjà engagés à

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quatorze ou quinze ans dans un parti politique et huit d’entre eux avaient été élevés dans des familles où la majorité des membres étaient actifs dans une faction. Les “ bombes humaines ”, entrées très tôt en politique, ont ainsi grandi pour la plupart dans une ambiance militante. Les récits révèlent que la politique, la lutte contre l’occupant, étaient au centre de leur vie ; leur mort en a témoigné. Nous devons nous attarder plus longtemps sur les martyrs d’Assire Al Shamaliye étant donné qu’ils sont passés de la gauche palestinienne au mouvement islamique. Anciens du Front populaire, c’est au nom du Hamas qu’ils ont commis les attentats du 31 juillet 1997 et du 4 septembre 1997 dans la rue et le marché Ben Yéhuda à Jérusalem. Ce passage du Front populaire, en perte d'influence à cause du contexte national et international, au Hamas, a été, nous l’avons déjà mentionné, le parcours de certains qui ont ainsi retrouvé une structure pour s’opposer au processus de paix. Le village d’Assire Al Shamaliye, d'environ neuf mille habitants, était, jusqu'aux dernières années du soulèvement, très investi dans le combat contre l’occupation. Il était très marqué à gauche et le Front populaire y était la faction la mieux implantée. A présent, le Fatah et le Hamas l’ont supplantée et monopolisent comme ailleurs dans le pays l’échiquier politique. Les familles des quatre jeunes gens impliqués dans les attentats ne savent pas précisément à quel moment ceux-ci sont devenus hamsaouis. Elles pensent que c’est leur volonté de combattre qui les a réunis alors qu'enfants ils n'étaient pas amis. Après les attentats, les familles ont reçu une même photo sur laquelle ils se tiennent tous les quatre debout, en cercle, les mains jointes en signe de serment. La mère de Bashar Salwalha explique : " Sûrement, il a commencé à rêver de devenir martyr avant, au Front populaire. Il a dû changer de mouvement parce qu'il ne voulait pas rendre ses armes. La mère de Mou'ayya se souvient : " Il ne parlait que de la libération de la Palestine. ". De tels acteurs sont prêts à s’intégrer dans n’importe quel mouvement qui leur permet de continuer leur combat. Ces quatre jeunes gens avaient déjà effectué des opérations avant les “ attentats suicides ”. Ils avaient été arrêtés par l'Autorité palestinienne et s'étaient évadés après neuf mois d'emprisonnement. Ils étaient donc recherchés, menacés à chaque instant d'être découverts et appréhendés. Une telle menace a-t-elle motivé leur choix de jouer le tout pour le tout ?

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Un autre exemple de changement d'organisation est celui de Mahmoud Ammounah qui, dès l'adolescence, militait dans le Djihad et qui s'est tourné vers Izz al-Din al-Kassam lorsque le Djihad lui a refusé de commettre une attaque. Il est donc passé d'une branche islamiste à une autre pour effectuer une opération. Nous voyons ainsi que si certaines personnes ont été recrutées par les branches armées pour commettre des attentats, d’autres ont elles-mêmes demandé à être désignées pour de telles missions. Nous avons pu obtenir quelques données sur la vie de ces treize “ bombes humaines ”. Quatre d’entre elles n'avaient pas été jusqu'au baccalauréat : Toufik Yassine (attentat de juillet 1997 à Jérusalem) avait travaillé dans une usine en Israël avant d'être recherché, Soufiane (attentat du 22 août 1995 à Ramat Eshkol à Jérusalem) était journalier, Majdi Abou Wardeh était apprenti carreleur, Anouar Shaker (attentat du 22 janvier 1995 à Beit-Lid avec Mohammed Sukar) travaillait dans la literie. Les plus nombreux, soit sept d’entre eux, étaient étudiants ou venaient de s’inscrire à l’université. Deux du village d’Assire Al Shamaliye avaient interrompu leurs études parce qu'ils avaient été emprisonnés puis recherchés : Youssef Shouli, et Bashar Salwalha. Mou’awyya Jara'a avait travaillé dans une entreprise à Naplouse avant de devoir se cacher aussi. Ibrahim Zahameh (attentat du 25 février 1996 à la jonction d'Ashkélon) avait mis un terme à ses études, faute d'argent, et était devenu journalier. Mahmoud Ammounah avait un diplôme technique mais n'avait trouvé que des " petits boulots ” temporaires dans la construction, comme libraire ou comme vendeur. Un mois avant l'attentat, il était policier. Nous avons précédemment noté que dans ces familles, comme dans beaucoup de foyers palestiniens, de nombreux enfants ont été au moins jusqu’au baccalauréat et cela était le cas de la majorité des martyrs. Sur treize, quatre avaient cependant quitté l’école avant et quelques-uns avaient dû abandonner, quitter l’université soit pour des problèmes d’argent soit pour se cacher. Les informations sur leurs comportements sont succinctes et insuffisantes pour brosser des profils psychologiques. Certains sont présentés comme joviaux, aimant s'amuser, plaisanter, très sociables ; d'autres comme solitaires et même isolés. Ils ont toutefois une caractéristique commune, le souci de leur famille, de trouver un emploi ou une meilleure situation pour eux-mêmes et pour les leurs : six

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d'entre eux se montraient très inquiets à ce sujet. Pensaient-ils à l'aide financière que l'organisation serait susceptible d'apporter à leur famille après leur action ?

Signification des “ attentats

suicides

Ces portraits rapides des martyrs et de leurs familles nous éclairent sur leur situation au moment de l’attentat. Les traumatismes, la pauvreté, l’absence de projet personnel sont certes des éléments désespérants, déstabilisants, déstructurants et ont pu être avec la déception engendrée par les accords ou leur refus, des facteurs décisifs. Pour saisir les différents sens de cet acte, comprendre l’univers mental de ceux qui l’ont perpétré, il nous faut partir de quelques bribes d’informations concernant leurs pensées, leurs sentiments, leurs occupations, rendre la parole aux islamistes, qu’ils soient membres ou non des familles concernées et analyser l’ensemble. Quels que soient leur personnalité, leur parcours, la date de leur adhésion au Hamas ou au Djihad, tous ces martyrs sont décrits comme ‘'fervents ”, “pieux ”, ‘‘passant du temps à la lecture du Coran ”, ‘‘proches de Dieu Un de leurs points communs est cette détermination, qui a pris plus ou moins de temps à mûrir en eux, de se sacrifier pour servir Dieu. Le père de Salah Shaker déclare : " Je ne pense pas qu'il ait vécu quelque chose de particulier qui l’ait poussé à cela. Il voulait être martyr, ses croyances l'ont conduit à mourir ainsi. ". De même, la mère de Mahmoud Ammounah dit : “ Je pense que c'est la foi qui l'a motivé. A ma connaissance, il n’avait pas traversé quelque chose de terrible. Ce qui est mis en avant est la conscience qu’auraient eue les “ bombes humaines ” qu’en devenant martyrs, Shahid, c’est-à-dire en se " sacrifiant au nom de l ’islam ”, en " combattant dans la voie de Dieu ", ils iraient au paradis. Khalil : " Dieu offre le paradis. Mounir : " ils savent qu ’après la mort ils pourront avoir une meilleure vie. ", Nabil : ‘‘Mourir en tuant des ennemis, c'est la clé du paradis. " Un jeune frère du martyr Salah Shaker déclare : “Je

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voudrais aussi être martyr comme lui et J ’aimerais que l'on me donne cette chance. ”, Les martyrs choisissent d'abandonner leur vie sur terre, croyant en l’immortalité de l’âme, ils optent pour “ une autre vie Ces derniers mots, prononcés en conclusion dans maints entretiens et qui suscitent l’enthousiasme chez les interlocuteurs islamistes, laissent entendre que ces hommes, au lieu d’imaginer leur avenir sur terre se projettent dans l’au-delà, d’où une attraction certaine pour la mort. Ces discours nous aident à mettre à jour derrière les motivations de cette détermination émanant de la foi, les significations qu’elles sous-tendent. La société palestinienne, où la majorité de la population ne trouve pas de travail et où la plupart des jeunes ne peuvent envisager de fonder une famille, peut être perçue comme un monde sans horizon. Les obstacles à l'édification de leur vie future, l’absence d'espoir, l’angoisse concernant l’avenir sont le quotidien de beaucoup, et pour les martyrs islamistes, la mort permet la fuite. Les propos concernant les “ bombes humaines ” confirment cette analyse. Le père de Khaled Muhameed Khateb, vingt-deux ans, habitant le camp de Nusseirat dans la bande de Gaza (attentat du 9 avril 1995, colonie de Kfar Daron), écrivait dans une lettre adressée à Yasser Arafat : “Mon fils était sans emploi et se sentait impuissant. Dans une entrevue, la journaliste du Centre de communication et des médias de Jérusalem, Stéphanie Nolen, a recueilli de la mère d’ibrahim Zahameh les paroles suivantes : " Sa vie n'était pas facile. Il était difficile pour lui d'être heureux. Il aurait voulu poursuivre ses études mais nous n'avions pas assez d'argent. Nous le lui avons dit quelques jours avant l'attaque. Pour quatre d'entre les kamikazes dont le cas est analysé ici, des familiers ont souligné aussi l'absence de projets, la vie au jour le jour. En revanche, pour trois autres ont été mentionnées la pression et la souffrance dues à l'occupation. Le combat contre Israël aurait été leur seul objectif, ils n’aspiraient à rien pour eux-mêmes. Une des belles-sœurs de Toufik Yassine parle de lui ainsi : " Son travail ne l'intéressait pas. C'était juste pour avoir de l'argent pour ses dépenses. Il n'avait pas de rêve, ne pensait pas à avoir des enfants, une femme, une maison. Son unique projet était d'agir contre l'occupation. ". Le père de Majdi Abou Wardeh dit de son fils : " Il souffrait beaucoup de l'occupation ; il ne parlait pas de ce qu'il ressentait mais nous le percevions. Il gardait ses sentiments pour lui. Il était calme, solide. Il ne pensait

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pas à lui-même. Il ne parlait jamais de son avenir et refusait d'aborder ce sujet. Les quatre du village d’Assire Al Shamaliye vivaient cachés, leur futur était bien compromis. Arrêtés, ils risquaient une condamnation de plus de dix ans de prison. Ils ont préféré en finir avec une vie de clandestin, inutile, alors que leur mort pouvait servir à tuer des ennemis et à nuire au processus de paix. Le souhait d’" une autre vie " est partagé par un grand nombre de Palestiniens y compris par ceux qui ne s’intéressent plus à la politique. L’espoir d’un " ailleurs ” est souvent alors de quitter le pays ou de vivre autrement : ils convoitent les loisirs, les objets de consommation. Un fil d'espoir, même s'il est ténu, leur fait croire en la possibilité d’une meilleure vie sur terre. Les martyrs islamistes n'ont pas trouvé de centres d'intérêt profanes, de succédanés satisfaisants. Ils n'ont pas été attirés ou dupés par les palliatifs factices, superficiels investis par certains, comme les loisirs, le consumérisme ou la drogue. Pour eux qui se transforment en “ bombes humaines ”, on peut dire que leur fil d’espoir s’est rompu. Il est remarquable que si les islamistes subliment le sacrifice, quelques-uns admettent qu’une problématique individuelle peut en être la cause. Yaël explique : " La dépression, la frustration peuvent jouer un rôle, certains peuvent penser que, de toute façon, ils n 'ont rien à perdre. D'après Wydan : " Ils sont dans une vie de misère. ”. Pour Shaban : " Ils n'ont rien. Et selon Mohamed Kurd : "C'est lié à leur vie. Ces gens-là ont sûrement beaucoup souffert. ”. Les martyrs veulent maintenir l’idéal d’une Palestine indivisible. Brisés par les compromis du processus de paix, ils manifestent par leurs attentats leur incapacité à en faire le deuil. Ils se délivrent d'un désespoir, d'une tension interne, d'une " colère ”, d'une " rage " que la rhétorique qui justifie ces attaques par le droit à la résistance laisse transparaître. Le frère aîné de Majdi Abou Wardeh explique : "Majdi n’a pas décidé pour lui-même mais sous la pression de l'occupation, qui nous maltraite toujours et sous la pression de nos conditions de vie. Quand il y a trop d'air dans un ballon, il explose. ”. Pour cheikh Mazem : " Ils sont victimes d'une situation complexe. Ils sont comme des enfants qui, impuissants, détruisent tout. ", Cheikh Hassan Youssef souligne : " Les jeunes qui font ces attaques vivent dans un contexte particulier avec le problème de la terre, les difficultés économiques. Ils sont révoltés parce qu ’eux-

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mêmes ou des jeunes comme eux peuvent être tués pour n'avoir pas répondu à un soldat. Ils s'expriment ainsi pour faire connaître au monde leur souffrance. C'est comme un cri. J'ai mes droits, je les veux, personne ne les reconnaît. ”. Ce s propos traduisent une sensation d'étouffement, de suffocation à laquelle nous comprenons que l’on cherche à fuir. L'acte des “ bombes humaines " exprime une impuissance à agir sur la réalité présente, un découragement. Il traduit l'incapacité à faire le deuil de la Palestine dans sa totalité et le malaise généré par cette période de transition où les représentations, les symboles du passé n'ont plus vraiment cours, sans être tout à fait balayés et remplacés par d'autres. La causalité affirmée par Farhad Khosrokhavar est appropriée au cas palestinien : " Le mortifère ”, écrit-il, " est la conséquence de la désagrégation du monde ancien où le nouveau ne se manifeste pas encore dans sa positivité intrinsèque 65. ". Certains, même chez les islamistes, qualifient maintenant de rêves la revendication des “ droits-références ”. Ils signifient ainsi qu'ils sont des objectifs irréalisables pour leur propre génération. Samira : " C'est notre terre. L'OLP et 1'Autorité palestinienne nous empêchent de rêver de retour. Ghazi Ahmed déplore : " Yasser Arafat a détruit nos rêves. Il a anéanti notre énergie. ". Or les rêves sont sur le versant de la vie, du futur, de l'espoir. Leur absence au contraire opère sur un versant mortifère, du côté de la désespérance. Ces martyrs ne regardent pas vers l’avenir car ils n’en attendent plus rien, ni pour eux ni pour les Palestiniens. L’opération militaire qu’ils lancent peut être comprise comme un suicide déguisé au nom d'un idéal. L'exaltation et la soif de sang, " tuer un maximum d'Israéliens ”, habitent ceux qui réalisent ces opérations et ceux qui les soutiennent. Selon Farhad Khosrokhavar “ Le jeune martyr prend la vie en haine sous les traits de l'ennemi à abattre 66. ". Le sentiment le plus exprimé est celui de la vengeance. Ghazi Ahmed explique : " Nous ne voulons pas que les Israéliens dorment confortablement. Ils ont tué des Palestiniens, des réfugiés souffrent, ils doivent souffrir aussi. ”.

65. Farhad Khosrokhavar, L'islamisme et la L'Harmattan, 1995, p. 26. 66. Farhad Khosrokhavar, ibid., p. 89.

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mort,

Paris,

Yaël déclare : " Je sais que ce sont des civils qui sont tués mais après tout ce qu'ils nous ont fait je ne me sens pas désolé. ”, Nariman revendique " la force contre la force ”. Cheikh Mazem affirme : " Je suis satisfait, l’ennemi est puni. C’est une revanche. Quand il y a une attaque, je me sens soulagé. Hassan Zahameh, frère du martyr Ibrahim, rappelle la guerre au Liban, les massacres commis par des Israéliens, le fait qu’Itzhak Rabin ait préconisé de briser les os des lanceurs de pierres pendant le soulèvement. Des jeunes confient que, même s'ils n'étaient pas présents lors du massacre dans la mosquée d’Hébron en 1994, cela a été la plus douloureuse expérience de leur vie. Ne pas oublier, ne pas pardonner, se venger : ici s’expriment des sentiments de haine et comme un devoir de mémoire. Tuer des Israéliens serait une forme de commémoration en souvenir des Palestiniens tués, des combattants, des martyrs. En outre, il ne faut pas perdre de vue que, le présent, c’est-àdire le processus de paix, pour la plupart des Palestiniens ordinaires, c’est concrètement 1 ’appauvrissement, la frustration, l’humiliation, d’où chez les individus une impression de privation et une honte qui les minent, ce qu'exprime Yaël : " Vous savez, hier j’ai été à Jérusalem, j’ai pris un chemin détourné, cela faisait des années que je n’y étais pas allé. Quand je vois le dôme du rocher sur une photo, les larmes me viennent. Ce n’est pas juste que quelqu'un comme vous et des touristes puissiez entrer à Gaza, à Jérusalem, et pas nous. C'est seulement une partie de ce auquel nous faisons face tous les jours : les confiscations, les colonies, les contrôles. C’est toujours les Israéliens qui nous octroient ou nous refusent l’autorisation de se déplacer, de voyager. ”. Dans les attentats, il y a un renversement des rôles : c'est l'ennemi qui ne peut rien faire et qui souffre alors que le Palestinien est agissant. Pour Mounir : " Quelque chose se produit contre les Israéliens. ” Et pour Sayyed Abou Moussameh : “ C'est une main qui se lève. ” Les attentats restaurent l’image d’eux-mêmes des islamistes. “Par ces attaques, dit le dirigeant Jamal Mansour, nous retrouvons notre honneur perdu à cause des accords, des reniements. ”. Ismaël Abou Shanab assimile cette perte d’honneur à l'état de mort vivant car, sans honneur, la vie n’a plus de sens. Par ces attentats, par le massacre d'Israéliens, des Palestiniens “ revivent ”. Il est question de sursaut de vie. Réagir, c'est être vivant. Pour Shaban : " C'est une façon de garder la question palestinienne vivante. ”.

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Les islamistes admettent que ces missions ne libéreront pas la Palestine. Pour y parvenir il faudrait l’union de tous les musulmans dans le Jihad. Mais ils veulent montrer qu'ils sont prêts à tout pour la terre. Selon Shaban : " Ce n'est pas un moyen direct de libérer le pays. Ce n'est pas non plus ce que pense le Shahid. C'est une autre façon d'affronter la politique israélienne. La question dépasse les Palestiniens. C'est juste une façon de combattre. Cet état d'esprit est semblable à celui des militants du Hezbollah libanais, que Fadlallâh, le fondateur du mouvement, décrivait avec lucidité et qu’Olivier Carré nous expose : " Fadlallâh reconnaît que les actes de violence isolés, impulsifs et autodestructeurs pour leur auteur et pour son environnement humain et matériel peuvent être justifiés en riposte aux agressions israéliennes contre des civils, mais pas comme solution à la crise 67 Mis à part le caractère non impulsif des attentats palestiniens, encore que nous ne sachions pas combien de temps s’est écoulé depuis que les acteurs ont pris leur décision, la pensée de cet islamiste s'applique assez bien aux “ bombes humaines ” palestiniennes. Leurs opérations sont effectivement destructrices pour eux-mêmes et les conséquences immédiates sont négatives pour la population qu'ils sont censés défendre. Car la vie quotidienne empire avec les mesures de sécurité israéliennes qui s’ensuivent et des familles voient leurs maisons détruites. D'autre part, ces attentats n'ont pas pour vocation de libérer la Palestine dans le court terme. Selon les islamistes mais aussi d'autres Palestiniens, le geste des kamikazes est altruiste. Hadil : " Ils cherchent une meilleure vie pour les autres. " Nariman : " Ils font don d'eux-mêmes pour un but qui les dépasse. " C’est un sacrifice, un renoncement volontaire à ses propres intérêts sur terre dans une intention morale religieuse impliquant la reconnaissance d'une transcendance. Le sacrifice est soumission et don de soi à un principe et à Dieu. Ce serait, comme l'indique Ghazi Ahmed “ un sacrifice à dimension spirituelle ”. Comme ils se battent pour leur pays, le fait qu'ils ne se donnent aucune chance de sauver leur vie est connoté positivement. Hassan Zahameh

67 Olivier Carré, op. cil, p. 199.

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déclare : “ Le martyr est celui qui meurt en libérant la terre. Pour Salah Bardawil : " C'est le combat pour la Palestine, donc ce n'est pas un suicide, ils sont martyrs. Le combat change le sens de la mort. Cet acte, que nous pouvons interpréter comme un suicide, n’est pas perçu comme tel par les islamistes pour lesquels il est interdit de se donner la mort. Pour éviter cette interprétation, bien qu’ils concèdent que des raisons personnelles peuvent intervenir, ils différencient le résultat de la finalité. La mission sacrée est de tuer un maximum d’Israéliens. Si l’acteur de l’attentat meurt, c’est la conséquence des circonstances, des mesures de sécurité israéliennes qui l’empêchent de s'échapper. Les islamistes perçoivent les “ bombes humaines ” comme des combattants défendant leur terre, leurs droits, et comme ils le font au nom de Dieu, ce dernier peut les désigner comme martyrs. Ismaël Abou Shanab cite le verset 111 de la sourate 9 du Coran : " Dieu acquiert des croyants leur personne et leurs biens en contrepartie du jardin. Ils combattent sur le chemin de Dieu jusqu'à tuer ou bien être tués contre une promesse à quoi Dieu s'engage dans la Torah et l'Evangile et le Coran. Il demande : " Qui, plus fidèlement, s'acquitterait de son pacte que Dieu ? ”. Pour Bassam Jarrar : " Celui qui commet l'attentat signifie en mourant qu'il n'est pas un terroriste, mais un homme de principes pour lesquels il tue et meurt aussi. . En mourant, le martyr justifie son action. La mort est politisée et il se produit ce qu'explique Farhad Khosrokhavar : “L'échec du politique rejaillit sur le religieux et rend le sacré mortifère 68 ”, Après les accords d’Oslo, ceux qui s’y sont opposés ou les ont critiqués ont déploré les sacrifices consentis par les combattants, les militants et les ont qualifiés de “ sacrifices inutiles ". L'acteur martyr islamiste passe au “ sacrifice ultime " puisqu'il se donne à mort, sacrifice plus ou moins utile mais qui reprend sens dans le sacré, au nom de Dieu. Pourtant si le geste est altruiste et sacrificiel, l’intention d’avoir une autre vie, de fuir celle-ci en est une facette plutôt égoïste. Mais il est possible de penser à la fois à soi et aux autres, et un aspect peut dominer l'autre sans l'annuler. Le martyr qui se transforme en “ bombe humaine ” n’agit pas par pure abnégation de soi. Chez lui, le

68 Farhad Khosrokhavar, op. cit, p. 14.

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désir non avoué de mourir, qui ne peut être formulé que comme aspiration à être shahid, est transcendé par l'idée de servir les autres et de répondre au commandement de Dieu. Paradoxalement chez le martyr islamiste, être vivant comme palestinien implique un mépris de la vie en elle-même. De celle de l’ennemi d’abord, qui a peu de valeur, puisqu’il le combat au nom de l’islam et surtout parce que, à ses yeux, il est déshumanisé. Comme l’indique justement Philippe Braud : “ Une atmosphère de dénigrement, de mépris, de haine, entretenue de longue date, conduit à considérer les victimes virtuelles comme n'étant pas protégées pleinement par leur qualité d'être humain 69. Mépris de sa propre vie aussi, à l’égard de laquelle le “martyr” islamiste palestinien entretient un rapport négatif. Par l’attentat, il clame son opposition au processus en cours. Il manifeste sa colère, sa haine et se venge. Mais en même temps, il se détruit, tournant sa violence à la fois contre l’ennemi et contre lui-même. Comme l'écrit Farhad Khosrokhavar : " La martyropathie est, aussi paradoxale que cela puisse paraître, l'affirmation de la souveraineté de l'ego dans la mort... A l'apogée de l'auto-affirmation correspond le versant opposé qui est la démission dans la mort : suicide mais aussi affirmation de soi, abdication mais aussi assomption de l'ego, rupture avec la vie mais aussi salut dans le sacré 70. De cette façon, le martyr se nie et s'affirme à la fois, croyant accéder par ce geste au salut. Au nom de l'amour des siens, de Dieu, et du mépris, voire de la haine de l'autre, dans un rapport à sa propre vie ambivalent, il est traversé par la pulsion de vie et la pulsion de mort et c’est cette dernière qui l'emporte.

69. Philippe Braud, op. cit, p. 179. 70. Farhad Khosrokhavar, op. cit, p. 112.

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CONCLUSION

La signature, à Washington, Le 13 septembre 1993 de la déclaration de principes par Yasser Arafat et Itzhak Rabin avait suscité l’espoir dans les territoires occupés en 1967. En mai 1994, à Gaza et à Jéricho qui devenaient autonomes, les rues s’emplissaient de Palestiniens débordant de joie et d’émotion. Dans sa majorité, cette partie de la population palestinienne avait donné son aval à un compromis avec Israël, impliquant un assouplissement des revendications nationales. La liesse populaire et le résultat largement favorable à Yasser Arafat lors des élections en janvier 1996 le prouvent. Néanmoins l’inquiétude, le scepticisme, les critiques, étaient déjà très présents. Et peu à peu, l’enthousiasme qui ne reposait sur aucune garantie mais uniquement sur l’espoir d’un meilleur futur finit par s’effriter face à une réalité complexe et douloureuse, terrain fécond pour le Hamas. Pourtant celui-ci n’en tire pas pleinement profit. Il traverse une crise interne et subit une importante répression. En outre, la dépolitisation des mentalités gagne du terrain sur le militantisme politique. Le processus de paix avec sa première concrétisation — le régime d’autonomie — inaugure une ère de désillusions et de désenchantement. Les Palestiniens sont dans une situation très inconfortable. Le réalisme de leurs représentants entraîne une révision du projet national. Le compromis avec les Israéliens se fait au prix d’une atteinte des références identitaires et des systèmes symboliques collectifs. Par ailleurs, les étapes du processus n’ont pas été définies au préalable, d’où un avenir aux contours incertains que l’application des

accords de la phase intérimaire rend encore plus inquiétant. Concrètement, les zones autonomes sont exiguës, discontinues, découpées qu’elles sont par les implantations de colons et les campements militaires. Chaque retrait de Tsahal a fait l’objet d’âpres pourparlers, et l’implantation de nouvelles colonies ou l’agrandissement des anciennes n’ont pas cessé ; les implantations israéliennes se sont agrandies. La formule proclamée par le gouvernement israélien — “ la paix en échange de la terre ”— apparaît comme un faux-semblant. Quant à la situation économique des territoires nouvellement autonomes, elle s’est détériorée avec les fermetures répétées des points de passage vers Israël suite aux attentats. Si depuis les accords d’Oslo, quelques Palestiniens ont vu leur niveau de vie s’améliorer, pour la majorité d’entre eux c’est le contraire qui s’est produit. La population, bien que consciente des difficultés, se montre plutôt impatiente. Elle s’attendait à un essor économique et à un développement des infrastructures plus rapides. L’Autorité palestinienne connaît un déficit de popularité. On l’accuse de céder à la pression israélo-américaine. Les héros sont devenus des gestionnaires et prêtent le flanc à de multiples critiques : autoritarisme, clientélisme, mise en place d’un système de monopoles, incompétence, corruption, violation des droits de l’homme. Pour asseoir son pouvoir, Yasser Arafat muselle la société civile : le Conseil législatif est privé de pouvoir et a perdu de sa crédibilité ; la liberté d’expression n’est pas respectée ; l’appareil répressif instaure la peur. La plupart des Palestiniens se déclarent sans possibilité d’agir sur les événements, sur la société, dépossédés de leur combat dans ce processus de paix qui leur échappe alors que leurs porte-parole n’apparaissent plus à leurs yeux comme capables de défendre les droits de tous. L’abandon partiel des valeurs mobilisatrices nationalistes, la déception, le sentiment d’impuissance, ont pour conséquence la dépolitisation d’une grande partie de la population. Les factions se vident de leurs adhérents. Progressivement, l’individu s’émancipe de la culture de résistance dans laquelle l’esprit de sacrifice prédominait. La volonté de penser à soi, de construire sa vie, de l’améliorer domine, même si elle se heurte aux contraintes sociales, aux traditions dont le sujet a du mal à s’affranchir et aux obstacles économiques. L’importance accordée à la vie privée l’emporte désormais sur

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l’engagement politique dont la dimension héroïque s'atténue. Cette déliquescence de l’investissement politique est une donnée essentielle de la transformation de la société palestinienne des territoires occupés en 1967. Elle façonne une nouvelle subjectivité, dans laquelle le politique n’est plus la base de la construction de soi. Vu sous cet angle, le régime d’autonomie est une phase de transition caractérisée par la désaffection à l’égard des idéaux et de l’activité politiques. Sur ce fond de dépolitisation de la majorité de la population, paradoxalement, l’adhésion au Hamas procède du même malaise : mise en cause des références identitaires et difficulté de se projeter dans l’avenir. Les hamsaouis se crispent sur les revendications passées, aujourd’hui en déshérence, qu’ils sacralisent. Leur mouvement se réclame de la mémoire collective dont la “ Nakba ", la catastrophe de 1948, est l’événement constitutif. Leur lecture de l'identité et du combat palestiniens se fonde sur les mêmes références, les mêmes valeurs que le nationalisme originel de l’OLP : l'attachement à la terre de Palestine dans sa totalité, son indivisibilité, l'unité du peuple palestinien dans un destin commun, le droit au retour. Le refus des islamistes de tout compromis avec Israël exprime leur incapacité à entamer un travail de deuil sur ces thèmes. Tout comme la dépolitisation chez d’autres, il souligne l’embarras provoqué par l’érosion des revendications nationales mettant en question les engagements passés et la définition collective de soi. Actuellement, le Hamas est la seule force d’opposition au Fatah, faction majoritaire au sein de l'OLP et de l’Autorité palestinienne. Aujourd’hui, son jusqu’au-boutisme est en porte à faux avec la tendance générale à se mettre à distance de la politique. Pourtant, certains se reconnaissent encore dans ce mouvement dont l’idéologie leur apporte orientations, valeurs, convictions, assurance, estime de soi ; autant de besoins humains que, dans le contexte de l’autonomie, les Palestiniens satisfont difficilement. Toutefois, à y voir de plus près, l’islamisme palestinien, au dire même de ses partisans, n’est porteur que d’un espoir différé, car ils ne peuvent pas actuellement libérer la Palestine. Selon eux, cette mission incombera aux générations futures qui devront s’unir à tous les autres musulmans. Dans ces circonstances, cette formation présente un aspect mortifère qui est mis en scène par les martyrs islamistes. Il est vrai que ceux-ci s’inscrivent dans une culture de la résistance où le sang est un trait

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d’union entre le corps et la terre. Dans les chants, les poèmes, les discours, les peintures, ce sang nourrit la terre quand le shahid meurt, quelles que soient les circonstances, car il s’est affronté à l’occupant. Le martyr islamiste palestinien est bien l’héritier de l’esprit de sacrifice des fedayins et des chebab de l’intifada, symboles de la lutte contre l’occupant. Ils sont prêts à mourir pour la nation plutôt que de vivre sous l’occupation ou en exil. Néanmoins, à la différence des “ bombes humaines ”, ces hommes mourraient pour un idéal qu’ils croyaient réalisable. Ils ne décidaient pas de mourir mais en prenaient le risque. Tandis que le MRI s’obstine à mener ces opérations suicides, la population palestinienne en Cisjordanie et dans la bande de Gaza expérimente leur inefficacité à modifier le processus de paix en leur faveur. Elle en subit au contraire les conséquences négatives : aggravation de la situation économique, nouvelles exigences sécuritaires israéliennes, retard dans les retraits. Une telle lutte armée, choquante pour une partie de l’opinion locale et desservant ses intérêts immédiats, se révèle donc inadaptée et le Hamas perd de sa capacité d’attraction. Pourtant lors des manifestations qu’il organise, des milliers de Palestiniens scandent ses slogans contre le processus de paix, Israël, les Etats-Unis et contre l’Autorité palestinienne. Le Hamas est encore souvent en tête des élections universitaires. Il dénonce à juste titre les pratiques du régime et lui reproche aussi d’être l’ami d’un Occident dépravé qui soutient inconditionnellement Israël. Il accuse l’Autorité de servir les intérêts de l’ennemi au détriment de ceux du peuple palestinien. Autant de critiques auxquelles beaucoup de Palestiniens sont sensibles. Le Hamas capte le mécontentement des déshérités ne pouvant accéder aux biens de consommation alors que certains de leurs compatriotes, souvent liés à l’Autorité, étalent leur aisance économique. Il attire les jeunes et les intellectuels en mal d’idéal et devient le réceptacle de la contestation de marchands, d’hommes exclus du circuit des monopoles et des espaces de décisions. Par son intermédiaire et à l’occasion de ses rassemblements, des Palestiniens extériorisent leur colère. A l’origine, le mouvement de résistance, ayant eu un rôle important durant l’intifada, le Hamas devient un mouvement protestataire, engrange la déception, l’amertume. Pour autant, il n’envisage absolument pas, à quelques jeunes radicaux près, de se lancer dans une confrontation avec l’Autorité qui pourrait se

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transformer en guerre civile. Et tant qu’il se refusera à se porter candidat à de futures élections nationales car elles seraient issues du processus d’Oslo, comment pourra-t-il mettre à profit ce capital de mécontentement populaire et devenir une véritable alternative à l’OLP ? Pour survivre à long terme, un mouvement politique peut-il se contenter de n’être qu’un moyen d’extérioriser des sentiments ? Ne doit-il pas proposer un changement possible ?. Ainsi, le MRI est affaibli par les effets conjugués de la position qu’il a adoptée et de la dépolitisation des mentalités. Il est sévèrement frappé par la répression des autorités israéliennes, palestiniennes et jordaniennes. Il est vidé de sa substance par l’incorporation de jeunes militants islamistes au sein de la police et des services de sécurité palestiniens, grâce à laquelle ils échappent à la prison. Ils satisfont leurs aspirations et acquièrent un statut social. Afin de montrer qu’il faut toujours le prendre en compte, le Hamas évoque des scénarios qu’il sait inconcevables. Il propose une trêve à des conditions qu’Israël ne saurait accepter. Préconisant d’abandonner la voie tracée par l’accord d’Oslo et de relancer l’intifada, il estt conscient que peu de Palestiniens en seraient, craignant un sacrifice inutile. Divisés sur la stratégie à adopter — poursuivre ou suspendre le Jihad— les hamsaouis s’interrogent sur les moyens d’éviter à leur organisation de se marginaliser. Quelques-uns recommandent un repli, avec un recentrage sur les activités sociales, religieuses et l’ouverture de nouvelles institutions. Tous reconnaissent que dorénavant le processus de paix façonne le présent et conditionne le futur et que l’Autorité dirige le pays. De plus, du fait de la répression, leur organisation ne peut pas mener la lutte armée, le Jihad, sans mettre en danger son existence même. Si le Hamas s’adaptait, s’insérait dans la réalité, il sauvegarderait ses structures et ménagerait son emprise sur le champ social, voire la développerait. Mais il deviendrait alors un simple parti d’opposition, laissant de côté le combat contre Israël qu’il a sacralisé. L’avenir du Hamas est incertain. Il est aujourd’hui dans une situation critique. Le pragmatisme pourrait l’emporter en son sein. Prenant en considération les données sociopolitiques, il pourrait s’accommoder d’un Etat palestinien dont les limites territoriales seraient bien en deçà de l’Etat islamique sacralisé. Il lui serait plus aisé alors de développer son ascendant social et de propager sa conception

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de l’Etat islamique à laquelle une large partie de la population est sensible. Certains dirigeants de la branche politique envisagent un tel scénario. Une des inconnues est la répercussion qu’auront la fermeture du bureau politique d’Amman, l’emprisonnement et l’expulsion de ses responsables. A la suite de ces événements, le bureau iranien du Hamas a vu son rôle renforcé. Cela pourrait amener l’Iran à se rapprocher de l’organisation, à élargir son aide en termes financiers, matériels, voire humains. La collaboration entre les hamsaouis et le Hezbollah libanais d’obédience iranienne pourrait ainsi s’en trouver plus approfondie. Mais une autre inconnue est à prendre en compte : Israël et la Syrie commencent à dialoguer, or la carte syrienne est capitale au Liban. Une paix israélo-syrienne ouvrirait la voie à une paix israélo-libanaise avec un retrait de la zone dite de sécurité, occupée au Liban par Israël. : le combat du Hezbollah contre Israël s’en trouverait affecté. Mais, contre toute attente, les difficultés à parvenir à un accord permanent avec Israël pourraient entraîner l’Autorité palestinienne et l’opposition à se rapprocher. Jusqu’où irait alors une coopération qui n’est concevable pour le Hamas qu’avec la levée des mesures répressives, c’est-à-dire la réouverture de toutes ses institutions et la libération de tous ses prisonniers des geôles palestiniennes ? La pérennité du Hamas est en question. L’occupation et l’engagement massif de la population palestinienne contre elle qui ont permis sa création et son développement ne sont plus d’actualité pour l’extrême majorité des Palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Toutefois, le Mouvement peut capitaliser les frustrations, les déceptions et un double malaise identitaire : celui de l’identité nationale et celui de la définition de soi face à une modernité à l’occidentale qui pénètre d’autres cultures. En ce qui concerne l’identité nationale, il est hasardeux de faire des pronostics sur les effets de l’établissement probable d’un Etat palestinien. Sera-t-il un facteur de cristallisation identitaire pour tous les Palestiniens, ou au contraire, entraînera-t-il une différenciation identitaire des communautés palestiniennes selon leur lieu de résidence et leur statut ? Auquel cas, le Hamas pourrait continuer de représenter pour certains l’héritage national et être perçu comme l’ultime garant de l’unité.

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La société palestinienne se transforme en intégrant des comportements de type occidental : le consumérisme, un certain individualisme qui se traduit par un désir d’exister ici-bas et pour soimême. Comment la société palestinienne défînira-t-elle sa modernité ? Cherchera-t-elle à préserver une identité spécifique ou s’engagera-t-elle vers un changement social profond copiant le modèle occidental ? Ce changement sera-t-il impulsé voire imposé par des mesures gouvernementales ou bien sera-t-il progressif et inscrit dans une évolution des mentalités ? Des réponses à ces questions dépend l’avenir des islamistes qui se définissent comme les défenseurs de l’authenticité musulmane.

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ANNEXE Le lecteur trouvera dans cette annexe une brève biographie des personnes qui s’expriment à plusieurs reprises dans cet ouvrage en tant que membre, ex-membre ou proche du Hamas.

Abou Shanab (Ismaël) a une cinquantaine d'années. Il est marié, père de famille. Réfugié d'un village proche d’Ashkélon, il habite aujourd’hui une maison dans la cité de Gaza, dans le quartier de Cheikh Radwan, où les Israéliens ont relogé des réfugiés des camps. Il a été libéré en 1997 après avoir été emprisonné huit ans en Israël. Ingénieur, il a été élu après sa libération à la tête de l'Union des ingénieurs de Gaza, mais son mandat n’a pas été renouvelé en 1999. Il est l'un des fondateurs du Hamas et est à l’origine du Parti du salut islamique et national, Hizb al-Khalass al-islami al-watani auquel il n’appartient plus. Aïcha est née en 1978. Elle est célibataire. Originaire de Jérusalem où sa famille réside, elle habite à Naplouse où elle étudie la pharmacologie à l'université d'An Najah. Ali est né en 1978. Il est célibataire. Il habite avec sa famille le village de Kifl Arés dans le district de Naplouse. Il est étudiant en architecture à l'Université An Najah où il a été élu au conseil des étudiants sur la liste du Bloc islamique. Anjad est né en 1976. Il est célibataire. Il est de Jérusalem où il habite avec sa famille. Il travaille dans une compagnie d'électricité. Rencontré en juin 1997, il avait été libéré un an et demi auparavant après avoir été détenu trois ans dans une prison israélienne.

Assad est né en 1975. Il est célibataire. Il habite Hébron avec sa famille. Son père est médecin, sa mère institutrice. Etudiant en microbiologie à l'université de la ville, il s’est spécialisé dans les maladies des plantes. Il a été élu au conseil des étudiants sur la liste du Bloc islamique. Bardawil (Salah) est né 1961. Il est marié à deux femmes et est père de trois garçons. Il habite dans le camp de réfugiés de Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza où il est né. Professeur de littérature, il enseigne à l'université islamique de Gaza. Il est l’un des responsables du Parti de salut islamique et national à Gaza, il est aussi un des rédacteurs du journal al-Rissalah. Bitawi (cheikh Ahmed) est né en 1945. Marié, père de famille, il est originaire du village de Beita dans le district de Naplouse où il habite toujours. Licencié en loi islamique (charî’à), il est le responsable de la cour de justice islamique de la mosquée al-Aqsa et officie comme juge à la cour de Naplouse. Il est l'un des militants islamistes qui furent expulsés au Liban de 1992. Burrah est né en 1962 dans le camp de réfugiés de Déheishé près de Bethléem. Sa famille est originaire du village de Zakkaria à quelques kilomètres de là. Marié et père de trois enfants, il habite dans le village de Beit Jala. Il a obtenu le baccalauréat et est instituteur à l'école élémentaire et préparatoire du camp. Ancien militant du Front populaire de libération de la Palestine, il a rejoint le Hamas en 1991. Ghazi (Ahmed) est né en1952. Marié, il a trois garçons et trois filles. Il est originaire du camp de réfugiés de Rafah dans la bande de Gaza où il habite toujours. Il est titulaire d’une maîtrise en sciences politiques. Il a été rédacteur à Al-Watan, journal du Hamas, interdit par l’Autorité palestinienne. Devenu l’éditeur en chef du journal, alRissalah, organe du Parti national du salut islamique et national, il a été arrêté à plusieurs reprises par l’Autorité à cause de ses écrits. Hadil est née en 1980. Célibataire, elle habite Hébron avec sa famille. Son père tient un magasin d'alimentation. Elle est étudiante en arabe à l'université de Bethléem. Souhaitant devenir bibliothécaire, elle travaille déjà à la bibliothèque de l'université. Hanan est née en 1974. Elle est célibataire et vit à Naplouse avec sa famille. Son père est médecin. Elle étudie la charî’a à l'université An Najah.

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Hamami (cheikh Jamil) est né en 1955. Il est marié et père de six enfants. Né en Jordanie, il réside à Jérusalem. Il a étudié à l'université d'AI Azhâr en Egypte. Il est le fondateur du Hamas en Cisjordanie mais n’en est plus membre. Il a été l’un des responsables du département du Wcikf à Jérusalem et à Bethléem. Il a été également directeur de la mosquée al-Aqsa et du collège islamique de Jérusalem. Actuellement directeur de la Société islamique et culturelle de Jérusalem, membre du Conseil islamique, directeur assistant du collège islamique de sciences, il s’est engagé dans un dialogue pour une meilleure compréhension entre musulmans, chrétiens et juifs. Il a été emprisonné quatre ans par les Israéliens. lyad est né en 1978. Il est célibataire. Il est de Bethléem où il habite avec sa famille. Etudiant en ingénierie à l'université de Bir Zeit, il a été élu au conseil des étudiants sur la liste du Bloc islamique. Jarrar (cheikh Bassam) a une cinquantaine d'années. Il est marié et père de cinq enfants, trois garçons et deux filles. Né à Ramallah, il habite à côté dans la ville d’El Bireh. Il s'est spécialisé dans la charî'a qu'il a étudiée en Syrie. Il l’enseigne ainsi que la culture islamique au collège de Ramallah et au collège de filles du village de Tira. Il n'est pas membre du Hamas mais est un penseur islamiste renommé dans le pays. Il a été l’un des militants expulsés en décembre 1992 au Liban. Khadija est née en 1977. Célibataire, elle habite le village de Beitunia dans le district de Ramallah. Sa famille est originaire de Lods. Son père tient une épicerie. Elle est étudiante en histoire et en sciences politiques à l'université de Bir Zeit. Khalil est né en 1975. Il est célibataire. Originaire d'Hébron, il y habite toujours avec sa famille. Son père est propriétaire d'une petite entreprise de verrerie. Il étudie la culture islamique à l'université de la ville. Kurd (Mohamed al ) est né en 1951. Marié, père de famille, il est originaire de la ville de Gaza où il habite. Il est professeur de sciences et de mathématiques à l'école élémentaire de la ville. Il est l’un des responsables dans la bande de Gaza de Jam'jyyat al-salah alislamiya, l’Association islamique pour la propagation des bonnes manières.

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Mansour (Jamal) a une quarantaine d'années. Marié, il est père de trois filles et d'un garçon. Il a vécu dans le camp de réfugiés de Balata, près de Naplouse où il habite actuellement. Ses parents sont originaires du village de Salameh dans la banlieue de Jaffa en Israël. Il est licencié en comptabilité et en administration. Il est l’un des responsables du Hamas dans le district de Naplouse et serait un conseiller de la branche armée. Il est l'un de ceux qui ont été expulsés au Liban en 1992, et détenu à plusieurs reprises, il a passé cinq ans dans les prisons israéliennes. Depuis septembre 1997, il est emprisonné par l’Autorité palestinienne. Mazem (cheikh) est né en 1956. Il est marié et père de famille. Il habite le camp de réfugiés de Déheishé près de Bethléem. Il a étudié en Jordanie, à l'université islamique et à Bethléem la psychologie et la pédagogie. Mounir est né en 1980. Célibataire, il réside à Bethléem et étudie l’arabe à l'université de la ville. Mousameh (cheikh Sayyed) a environ quarante-cinq ans. Il est originaire du camp de Rafah, dans la bande de Gaza où il y habite encore. Il a étudié la charî’a en Arabie Saoudite et a obtenu la licence. Il est un membre éminent du Hamas et était aux cotés de ses fondateurs lors de sa création. Nabil est né en 1955. Il est marié, père de six enfants, quatre garçons et deux filles. Il est originaire du village Kufr Khalil près de Naplouse où il habite. Ayant obtenu le baccalauréat, il est journaliste pigiste. Il a été détenu six mois par l'Autorité palestinienne. Il est l'un des militants expulsés au Liban en 1992. Nariman est née en 1979 et est fiancée à Yaël. Née aux EtatsUnis, elle est arrivée en Palestine à l'âge de dix ans. Elle habite dans la ville d’El Bireh. Son père est médecin. Elle est étudiante en affaires et administration à l’université de Bir Zeit. Natché (Jamal Mohamed) a une cinquantaine d’années et habite Hébron. Cet homme est un représentant du Hamas. Il est enseignant en théologie et en arabe et imprimeur. En 1994, de retour du Sud-Liban où il avait été expulsé en 1992 avec quatre cent quinze autres islamistes, il a été emprisonné neuf mois par les Israéliens. Arrêté plusieurs fois par l’Autorité, il est en prison depuis le 3 octobre 1998.

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Natché (cheikh Abdel Khalak) a une cinquantaine d’années. Il a été l’un des militants expulsés au Liban en 1992 et emprisonné cinq mois par les Israéliens à son retour en 1994. Il est responsable du Wakf à Hébron d’où il est originaire et où il réside. Il est directeur de l’association islamique de la ville. Il est l’un des hommes chargés par le Hamas de rencontrer les responsables de l’Autorité afin de favoriser le dialogue. Omar (cheikh) est né en 1956. Marié, père de famille, il habite le camp de réfugiés de Déheishé près de Bethléem. Ayant obtenu le baccalauréat, il a été instituteur. Il est maintenant au chômage. C’est un ancien militant du Fatah qu’il a quitté pour rejoindre le Hamas dès les premiers temps de sa création au début de l’année 1988. Rantissi Abdel Aziz est l’un des fondateurs du Hamas. Il est né en 1947 dans un village entre Ashkelon et Jaffa. En 1948, sa famille est venue trouver refuge dans le camp de Khan Younis dans la bande de Gaza. Il est marié et réside maintenant avec sa famille dans la ville de Khan Younis. Médecin, il a fait ses études en Egypte où il a adhéré à l’organisation des Frères musulmans. Il a été membre du Conseil d’administration du Complexe islamique, de la Société médicale arabe de Gaza et de la Société du croissant rouge. Il est professeur de sciences à l’université islamique de Gaza depuis son ouverture en 1978. Avant d’être expulsé au Sud-Liban en 1992, où il a été le porte-parole de tous les islamistes qui partageaient son sort, il avait déjà passé au cours de différents séjours plus de quatre ans dans les prisons israéliennes. De retour du Liban en 1994, il a été emprisonné plus de trois ans par les Israéliens, puis libéré en avril 1997. Arrêté par l’Autorité le 9 avril 1999, il a été libéré à l’occasion des funérailles de sa mère en août puis, de nouveau appréhendé en septembre. Samira est née en 1980. Célibataire, elle habite à Jérusalem avec sa famille. Elle est étudiante en administration à l'université de Bethléem Shaban est né en 1975. Célibataire, il est originaire du village de Dura dans la région d'Hébron où il habite avec sa famille. Son père est agriculteur et a aussi travaillé comme manœuvre en Israël. Lui est étudiant en histoire et sciences politiques à l'université de Bethléem où il a été élu au conseil des étudiants sur la liste du Bloc islamique.

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Tamar est née en 1980. Célibataire, elle réside à Hébron avec sa famille. Son père est fermier. Elle est étudiante en arabe à l'université de Bethléem Tarek est né en 1976. Célibataire, il est originaire de Naplouse où il habite avec sa famille. Son père était instituteur. Il est étudiant en affaires et administration à l'université An Najah. Walid est né en 1970. Il est fiancé et réside au camp de Balata, près de Naplouse. Il a obtenu le baccalauréat et est journaliste pour des agences de presse. Wydan est née en 1979. Mariée, sans enfants, elle est originaire d’Hébron où elle habite avec sa famille. Elle est étudiante en anglais à l'université de cette ville. Yacine (cheikh Ahmed) est le principal fondateur du Hamas. Il est né en 1938 dans le village d’Al Joura que sa famille a dû quitter en 1948. Enfant, il a été blessé lors d’un accident et est resté paralysé depuis. Il est professeur d’arabe et d’éducation islamique. Membre éminent des Frères musulmans palestiniens, il a été arrêté une première fois en 1983 pour possession d’armes et a été relâché en 1985 au cours d’un échange de prisonniers entre Israël et le Front populaire commandement général. Appréhendé le 18 mai 1989 par les autorités israéliennes, il a été condamné par la cour militaire de justice israélienne à une peine de prison à vie. En détention, il a perdu la vue. Il a été libéré le 1er octobre 1997 grâce à un arrangement entre la Jordanie et Israël, suite à l’échec de la tentative des Israéliens d’assassiner le responsable du bureau politique du Hamas, Khaled Misha’al, sur le territoire jordanien. Depuis, cheikh Ahmed Yacme réside dans la ville de Gaza. Yaël est né en 1978. Il est fiancé à Nanman. Il habite avec sa famille à el Bireh mais son père est un réfugié de Lods. Il a un poste au ministère du Travail et sa mère est institutrice. Il est étudiant en quatrième année d'ingénierie civile à l'université de Bir Zeit où il a été élu au conseil des étudiants sur la liste du Bloc islamique. Il est considéré comme l’un des porte-parole des jeunes du Hamas dans le district de Ramallah. Youssef (cheikh Hassan) est né en 1948. Marié, il est père de huit enfants. Il est originaire du village de Ramia en Cisjordanie et habite le village de Beitunia près de Ramallah. Il est licencié en

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charî’a. Il est responsable du Hamas dans le district de Ramallah et porte-parole et responsable de la section du Zakat, l’aumône versée à la fin du jeûne de Ramadam. A la fin de l’année 1998, il a été arrêté par l’Autorité palestinienne et a passé environ un an en prison. Mahmoud Zahhar. Il est né en 1945 dans la ville de Gaza dans le quartier de Zeitoun. Marié, il est père de trois filles. Chirurgien, il exerce la médecine en libéral et enseigne à l'école des infirmières de l'université islamique. Il a fait ses études en Egypte où il a rejoint l’organisation des Frères musulmans. En 1977, il s’est associé à des médecins de toutes tendances politiques pour créer l'Association médicale arabe dans la bande de Gaza. Il est l’une des figures prééminentes du Hamas.

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index des noms propres

A

Abed, Ani, 97, 184, 186 Abou Ammar, pseudo de Yasser Arafat, 28,63, 78 Abou Amr, Ziad, 36 Abou Atta, Moshen, 39 Abou Baker, ami du Prophète et premier calife, 138 Abou Dhan, Muhammed, 83 Abou lyad, pseudo de Salah Khalaf, 25 Abou Jihad, pseudo de Khalil Wazir, 25 Abou Kuweider, Hazem, 104 Abou Marzouk, Moussa, 108,109, 116 Abou Meidein, Frei, 65 Abou Moussameh, Sayyed, 36,111, 142, 168,169, 193 Abou Mustafa Ahmed, Attieh, 67 Abou Rahmé, Payez, 65 Abou Shanab, Ismaèl, 79,100,106, 107, 117,118,132,142,149,150, 193,195,205 Abou Sultan, Raèd et Muhammad, 67 Abou Taha, Oussama, 85 Abou Tawahina, Ahmed, 54 Abou Wardeh, le martyr Majdi et sa famille, 175,176, 178,180, 182, 186,188,190,191 Abou Zaidah, Soufiane, 52, 69,70 Addassi, Ghassam, 97

Ahmed, Ghazi, 78, 107,108, 112,126, 137,140,163,192,194,206 Aïcha, 124,205 Akram, 57 Alami Imad al-, 42 Ali, 123, 133, 135, 137,150, 160, 164, 205 Ameireh, Khaled, 78 Ammounah, le martyr Mahmoud et sa famille, 175, 176, 180,185, 186, 187,189 Anderson, Benedict, 151 Anjad, 135, 137,163,205 Ansart, Pierre, 151 Arafat, Yasser, 9, 14,15, 16,20,25, 26,28,46,49, 54, 58, 59,60,62,63, 64, 65,69,70,71,72, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 85, 87, 88, 90, 92, 93, 95, 100, 112,114,154,190,192,197,198 Arafat, Suha, 80 Aron, Raymond, 138 Ashrawi, Hanan, 80 Assad, 126,136, 154,166, 206 Atar, Ra'ed al-, 67,68 Auda, Abdel Aziz, 30 Awadallah, Adel, 97, 98 Awadallah, Imad, 98 Awadallah, les frères Adel et Imad, 97, 105 Ayyach, Yahyah, 77, 80,81, 88, 92, 93,97,103, 111, 112,116

B Badah, Majdi, 83 Bannâ, Hassan al-, 22, 37 Barak, Ehud, 20,48, 93 Bardawil, Salah, 127, 132, 137, 152, 153, 195,206 Bargouthi, Marwan, 70 Beilin, Yossi, 40, 116 Bilal, Saïd, 85 Bitawi, cheikh Ahnied, 39, 85, 124, 137,163,206 Braud, Philippe, 12, 132, 133, 196 Bucaille, Laetitia, 84 Burgat, François, 149 Burrah, 126, 131, 133, 135, 147, 152, 155, 156, 160, 166,206

H

Hadaydeh, Ibrahim, 99 Hadil, 133,136, 147, 161, 194,206 Haider, Aziz, 63 Haiman, 70 Halbwachs, Maurice, 10,153 Hamami, Jamil, 35, 39, 110, 112, 121, 123, 132, 136, 137, 140, 168,207 Hammami, Rema, 45 Hanan, 140, 141,163,206 Hanieye, Ismaël, 104, 106 Hashim, le martyr Muhammad et sa famille, 176, 177,179, 185 Hindi, Khaled al-, 106 Hisliam, Ahmed, 37 Hobsbawm, Eric, 148,155 Hoor, Jamal-al, 99 Hourani, Abdullah, 91 Husayni Hâdj, Amin al-(mufti), 165 Hussein de Jordanie, 25

C

Carré, Obvier, 142, 194 D

Dahlan, Mohamed, 68, 86, 93 Dayan-Herzbrun, Sonia, 151 Deif, Mohamed, 85, 93 Din, Salah al-, 159 Dukhan, Abdel Fattah, 39 Durkheim, Emile, 130

I

Ibn Yasser Ammar, compagnon du Prophète, 28 Issam, Bassem, 91 lyad, 150, 207 J

Jabali, Ghazi, 52 Jabarin, le martyr Soufiane et sa famille, 175, 179,182 Jad, Islah, 45 Jara'a, le martyr Mou'ayya et sa famille, 174, 177, 179, 181, 186, 188 Jarrar, cheikh Bassam, 117, 121, 124, 125, 135,141,143,195,207 Jibril, Ahmed, 33 Joudeh, Rifa'at ,67

F

Fallougi, Imad, 83, 84, 92 Faraj, Waël, 65 Farid, 54 Fans, Kadura, 80 Fikri, Abdelatif, 106 Fouet, Sylvie, 62 G

Gellner, Ernest, 151 Gheimat, Khader, un martyr islamiste, 182 Ghosheh, Ibrahim, 109 Ghoul Bilal al-, 65, 93 Ghuneimat, Abdel Rahman, 99 Girardet, Raoul, 134 Goldstein, Baruch, 112, 164

K

Kafishe, Hatem, 82 Kaheil, Kamel, 89, 97 Kassam, Izz al-Din al-, 22,161 Khadija, 133, 136,153,166,167,207 Khalidi, Rabah al- et Majdi al-, 67

218

Khalil, 133,135,137,147,150,189, 207,208 Khalil, Samira, 59 Khamana’e, Ali, 118 Khatami, 31 Khateb, le père du martyr Khaled Muhammed, 190 Khattâb Urnmar ibnal-, deuxième calife, 138,158 Khawaja, Mahmoud, 97 Khomeyni, 32 Khosrokhavar, Farhad, 192, 195,196 Krayyem, Nazal, 100 Kurd, Mohamed al-, 39,135,139, 191,207

Natanyahou, Benyamin, 48, 51,71, 82, 94, 98 Natché, cheikh Abdel Khalak, 39, 84, 85,99,105,209 Natché, Jamal Mohamed, 39, 73,76, 95, 98,208 Natché, Mustapha, 64 Nazzal, Mohamed, 39,109 Nidal, 56 Nolen, Stéphanie, 190 O

Omar, cheikh, 127, 143, 152, 161, 209 P

Portas, A vit Sas, 40 L

Lamchichi, Adedrrahim, 136 Le Prophète Mahomet, 22,28,115, 137,138,139,152,159,162,163, 164,165,168 Legrain, Jean-François, 30, 34

Q

Qaymari, Ata, 51 Qutb, Sayyed, 22, 31, 32, 37 R

Rabin, Itzhak, 9, 15, 16, 88,193, 197 Rahim, Tayed Abdel, 84, 97 Rajoub, Jibril, 97 Ramadam, Nizar, 39,107 Rantissi, Abdel Aziz, 35, 39,65, 101, 108,109,114,124,139, 140,147, 209 Rokka, le martyr Mou'ayya et sa famille, 175,176 180,182,186 Rouchok, Ezzat al-, 109

M

Malik, Abd al-, 159 Mansour, Camille, 18 Mansour, Jamal, 39,88, 95,127,128, 132,137,150,193,208 Maqdameh, Ibrahim, 113 Masalah, Amir, 100 Masri, Maher al-, 64 Mawdûdi, Sayyed Abou Ala, 22 Marem, 152,191,208 Misha’al, Khaled, 39,109,210 Mounir, 136,143,147,155,160,189, 193,208 Moussa, Eyyah, 119 Murray, Henri Alexandre, 129

S Sa’adon, Ha, 41 Sa’ati, Mohamed, 119 Sadate, Anouar al-, 27, 31 Saftawi, Ali, 29, 31 Salah, Ibrahim, 100 Salwalha, le martyr Bashar et sa famille, 174,177,180,186,187, 188 Samira, 124,131,132,135,140,192, 209 Sanbar, Elias, 10 Saqa, Majda al-, 45 Sha'at, Nabil, 65

N

Nabil, 125,137,147,189,208 Nadi, Malek vin, 31 Namrouti, Saïd, 106 Nariman, 125,126,133,135,136, 147, 193,194,208,210 Nasal, Salah, un martyr islamiste, 186 Nasser, Gamal Abdel, 25,26,165 Nasser, Waèl, 92

219

Shaban, 123,132,140,155,166,191, 193,194,209 Shaker, le martyr Salah Abdul Hamid et sa famille, 176, 177,179,183, 188,189 Shariati, Ali, 31 Sharif, Muheyedin, 97, 98,103,107 Shamoubi, le martyr Raëd et sa famille, 173,175, 177,180,182, 186 Shawa, Aoun, 64 Shikaki, Fathi, 30, 34, 80 Shouli, le martyr Youssef et sa famille, 174,178,180,181,188 Shragai, Nadav, 85 Siniora, Hana, 80 Sinnukhrut, Naji, 81 Sivan, Emmanuel, 138, 159 Sophrone, le patriarche, 158 Sukar, le martyr Anouar et sa famille, 177,179,183,186, 188 Sweiti, Jihad, 82

Youssef, cheikh Hassan, 77,130,191, 210 Z Zaanoun, Salim, 26 Zahameh, le martyr Ibrahim et sa famille, 176,180,185, 186,188, 190,193,194 Zahhar, Mahmoud, 39, 76,78, 94, 100,104,108,109,111,112, 116, 211 Zaid, Mohamed, 50, 54 Zaki, Abbas, 70 Zannaniri, Elias, 183

T Tamar, 137,156,210 Tarek, 123,125,137 Toledano, Nissam, 41 V

Velayeti, 42 W

Wachsman, Nachshon, 88,116 Walid, 126,135,137,153,210 Weber, Max, 131,142 Wydan, 141,191,210 Y

Yacine, cheikh Ahmed, 26, 33, 38, 39, 40,41,72, 80, 84, 87,96, 99,104, 105,106, 107,108,109,112,113, 115,116,118,210 Yaôl, 124,131,132,135,136,139, 147,148,149,150,152, 154,155, 191, 193,208,210 Yassine, le martyr Toufik et sa famille, 173,174,180,188, 190 Yazuri, Ibrahim al-, 39

220

TABLE DES MATIERES

PRÉFACE de Farhad KHOSROKHAVAR........................................................5

INTRODUCTION........................................................................................ 9 CHAPITRE 1 Les islamistes avant l'autonomie.......................................................... 25 L’émergence des islamistes.........................................................................

Les premières manifestations du nationalisme islamiste palestinien....................... 29 Le Djihad, d'emblée une organisation de résistance......................................... 29 Les Frères musulmans : un nationalisme en attente.......................................... 32 Les islamistes pendant l’intifada.......................................................................... 34 Le Djihad en déclin....................................................................................... 34 L Intifada, un tournant pour les Frères musulmans......................................... 35 De la nécessité de créer le Hamas.............................................................. 35 Infrastructure et actions de résistance........................................................ 38 Relations du Hamas avec l’OLP et le Commandement unifié...................... 42 Pression sociale du Hamas....................................................................... 44 CHAPITRE 2 LE CADRE DES RELATIONS ENTRE L'AUTORITÉ PALESTINIENNE ET LE

Hamas..............................

47 L'autonomie, une nouvelle donne....................................................................... 47 Évolution du rapport à la politique....................................................................... 50 Les fondements de l'Autorité en question........................................................... 58 Dilemme chez les deux protagonistes.................................................................. 70

25

CHAPITRE 3 L’Autorité

palestinienne et le Hamas entre dialogue et TENSIONS................................................................................................................................... 75

Un schéma relationnel aux lignes floues.............................................................. 75 Le Hamas, un opposant au ton incertain........................................................ 75 L'Autorité, des discours contradictoires.......................................................... 79 Les tentatives d ’intégrer le Hamas dans le système politique........................... 82 Chroniques de relations mouvementées et indécises............................................. 87 CHAPITRE 4 Le Hamas, une organisation en crise.................................................... 103 Un mouvement affaibli par la répression............................................................ 103 Des dissensions internes................................................................................... 105 Les relations avec l'Autorité......................................................................... 109 Les attentats................................................................................................ 111 La proposition de trêve, une échappatoire ?....................................................... 115 Le Mouvement à la veille des négociations sur le statut final.............................. 117 CHAPITRE 5 La décision d’intégrer le Hamas............................................................121

Présentation des acteurs................................................................................... 121 Les différents modes de conviction.................................................................... 122 CHAPITRE 6 Les fonctions de l'islamisme palestinien.............................................. 129

L'utilité du concept de fonction.......................................................................... 129 L'islamisme et la valorisation de soi-même........................................................ 130 L'islamisme, un cadre rassurant......................................................................... 135 L’utopie islamiste............................................................................................ 138 CHAPITRE 7 L'islamisme comme authentique nationalisme................................... 145 Perception du processus de paix par les islamistes............................................... 145 Le Hamas, incarnation du nationalisme............................................................. 154

CHAPITRES Sacralisation du conflit........................................................................ 157 Les références identitaires revues par les islamistes............................................. 158 Définition de l’ennemi..................................................................................... 162

CHAPITRE 9 Martyrologie........................................................................................... 171

Les familles des bombes humaines.................................................................... 173 Situation socio-économique.......................................................................... 173 L'engagement politique............................................................................... 179 Portraits des martyrs islamistes.......................................................................... 182

222

Signification des “ attentats suicides "............................................................... 189 CONCLUSION......................................................................................... 197

ANNEXE....................................................................................................... 205 BIBLIOGRAPHIE...........................................................................................213 INDEX DES NOMS........................................................................................ 217 TABLE DES MATIERES................................................................................ 221

223

Vjk

Comprendre le Nloyen-Orient Collection dirigée par J.-P. Chagnollaud

Depuis la reconnaissance mutuelle, en septembre 1993, d’Israël et de l’OLP, le mouvement musulman palestinien « Hamas » a revendiqué la plupart des attentats suicides perpétrés contre des Israéliens, s’atti­ rant ainsi l’attention de tous les médias internationaux. Suivant pas à pas le déroulement chaotique du processus de paix israélo-palestinien, l’auteur analyse, les tensions et les rapports de forces entre l’OLP, Hamas et le gouvernement israélien. Dépassant aussi la dimension politique, elle s’intéresse aux enjeux symboliques de « l’islamisation » du conflit israélo-palestinien prônée par le Hamas, dans une société palestinienne en perte de repères après cinquante ans de revendications pour une Palestine mythique qui s’éloigne au fur et à mesure qu’un statut final encore très incertain des Territoires se rapproche. Par une enquête, sans précédent, réalisée auprès de familles de « kamikazes » palestiniens, elle brise bien des idées reçues et soulève un coin du voile sur les souffrances secrètes de ces nouveaux terroristes qui n’hésitent pas à donner leur vie sans issue, pour laver leur honneur et gagner le paradis.

Travailleuse sociale et journaliste indépendante, Agnès Pavlowsky s’intéresse de longue date à la question israélo-palestinienne. Ce premier livre, « Hamas ou le miroir des frustrations palesti­ niennes », est le fruit de trois années d’enquête dont une partie a été réalisée dans le cadre du diplôme de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Jean Dupré, journaliste

Légende de couverture : Manifestation du Hamas à Ramallah, septembre 1998 © AFP.

22,50€ 9 782738 491794

ISBN : 2-7384-9179-0