Guinée : Jean-Marie Doré, Premier ministre de la transition, parle: Recueil des grandes interviews
 2343242267, 9782343242262

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Puisse donc ce livre contribuer à sauver une infime partie du vaste patrimoine intellectuel et politique de l’homme et essayer d’apaiser tant d’admirateurs, comme ce journaliste qui, à l’annonce de la mort de Jean-Marie Doré, titra son papier : « Et la bibliothèque prit feu ! » Ses combats politiques, ses prises de position face aux débats qui ont agité la société guinéenne, sa conception de l’opposition politique, ses réactions face au terrorisme, ses idées quant à l’organisation des grands scrutins électoraux... Rares sont les sujets sur lesquels la voix de Jean-Marie Doré ne s’est pas posée, et l’on en prend particulièrement conscience à la lecture de cette collection d’interviews données entre 2000 et 2015. L’occasion pour le lecteur de se confronter à une personnalité charismatique, aux mots directs et intransigeants, parfois polémique mais toujours entière. En se focalisant sur les dialogues de l’ex-Premier ministre de la transition, sur ces échanges, Aly Gilbert Iffono redonne tout son poids à la parole médiatique, publique et politique de cette figure incontournable de l’histoire guinéenne. Ancien député, ancien ministre, président de l’Association des historiens de Guinée, membre de l’Association des écrivains de Guinée (AEG), Aly Gilbert Iffono est maître de conférences en histoire à l’université de Sonfonia. Titulaire d’un doctorat nouveau régime de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris, il est l’auteur de nombreuses publications en sciences sociales et humaines.

35 € ISBN : 978-2-343-24226-2

Aly Gilbert Iffono

« Jean-Marie Doré [...] a juste feuilleté quelques pages de la première mouture du tapuscrit quand, déjà très malade, il m’a trouvé à Paris. À la vue du volume du document que je lui ai présenté – j’étais déjà à 75 interviews répertoriées –, il s’est écrié : “Ah, Iffono, je ne savais pas que j’étais aussi bavard ! Si ce travail aboutit, tu m’auras rendu un grand service. Parce que je parle comme ça, sans garder le moindre bout de papier en archives. Merci mon cher ami ! »

Aly Gilbert Iffono

Guinée : Jean-Marie Doré, Premier ministre de la transition, parle

Guinée : Jean-Marie Doré, Premier ministre de la transition, parle

GUINÉE : JEAN-MARIE DORÉ, Premier ministre de la transition,

PARLE Recueil des grandes interviews

Préface de Soufiane Dabo

Guinée : Jean-Marie Doré, Premier ministre de la transition, parle Recueil des grandes interviews

Du même auteur 1993 : Lexique historique de la Guinée-Conakry, Éditions L’Harmattan, Paris, France. 2008 : Contes et légendes Kissi de Guinée, du Liberia et de Sierra Leone, Éditions L’Harmattan, Paris, France.

2010 : Le peuple Kissi (Guinée, Liberia, Sierra Leone) face aux colonisations – Résistance et Survie, Éditions L’Harmattan, Paris, France.

2011 : Naître, vivre et mourir en pays Kissi précolonial. Essai d’anthropologie sociale et culturelle, Éditions L’Harmattan, Paris, France. 2013 : La Guinée de Ahmed Sékou Touré à Alpha Condé ou le chemin de croix de la démocratie, Éditions L’Harmattan, Paris, France. 2020 : À la découverte des auteurs guinéens, Éditions L’Harmattan-Guinée, Paris, France.

Dr Aly Gilbert IFFONO

Guinée : Jean-Marie Doré, Premier ministre de la transition, parle Recueil des grandes interviews

Préface de Soufiane Dabo

© L’Harmattan, 2021 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75 005 Paris

www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-24226-2 EAN : 9782343242262

En guise d’épigraphe

Ibrahima Sory Traoré : « Éloquent, cultivé, affable, le vieil homme savait ce qu’il voulait et attirait l’admiration de plus d’un. C’est vrai qu’on l’aimait tous. Mais nous ne votions pas pour lui, par hypocrisie, certainement ; par des considérations irrationnelles, tel l’ethnocentrisme, sûrement. » Kayoko Doré : « Jean-Marie Doré a été l’un des plus illustres hommes politiques guinéens de ces trente dernières années. Oui, c’est l’un des derniers Mohicans de la société politique civile de la période postcoloniale. » Soufiane Dabo : « Jean-Marie Doré est resté un homme politique constamment présent sur la scène publique par ses interventions et discours de circonstance. »

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Remerciements

Ce recueil des grandes interviews de l’honorable Jean-Marie Doré a été rendu possible grâce à la sollicitude des responsables de la presse publique et privée, dont messieurs Souleymane Diallo, directeur du groupe « Le Lynx - La Lance », Ibrahima Sory Traoré, directeur du site guinee7.com, Mamadou Hassimiou Souaré, directeur de publication du site africaguinee.com, Abdoulaye Condé, directeur de « La Nouvelle Tribune », Amadou Tham, administrateur du site Guineenews.com, de l’honorable Boubacar Sylla, PDG du groupe « Le Démocrate et l’Indépendant », la direction générale de la RTG, le directeur du journal « La République », dont les organes ont produit la documentation de base du présent recueil. À eux, je voudrais associer monsieur Soufiane Dabo, économiste dont le texte a servi de préface et particulièrement monsieur Diallo Boubacar I du site africaguinee.com et monsieur Amara Moro Camara de guineenews.com, les rares journalistes à s’être le plus intéressés à Jean-Marie Doré et par conséquent, à l’avoir le plus interviewé. Que tous trouvent ici l’expression de mes sincères remerciements. Mes remerciements vont également à mon gendre monsieur Albert Pokoula Gbanamou, informaticien à Paris, monsieur Walaoulou Bilivogui, directeur de la bibliothèque de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), monsieur Jean Brwa Millimono, professeur de Lettres à la retraite ainsi qu’à mon ami et camarade de promotion, monsieur Aly Kamano, professeur d’histoire, absent du pays pour des raisons de santé et résidant à Manosque (France), qui ont effectué le fastidieux travail de relecture, de correction et de mise en forme définitive du tapuscrit. Mes remerciements vont également au directeur des archives de la Haute Autorité de la Communication, pour sa contribution à la documentation, à mademoiselle Bernadette Condé, la sympathique journaliste à Sabari FM et à Mamadouba Tizo Bangoura de la RTG pour le décryptage de certaines interviews sonores, sans oublier ma fille Koumba Agnès Tenguiano qui a assuré les travaux de secrétariat depuis Paris. Enfin, je voudrais singulièrement citer et louer le précieux concours de ce groupe d’amis, collaborateurs et admirateurs de Jean Marie Doré, 9

qui ont non seulement encouragé l’idée du projet, mais aussi l’ont soutenu autant qu’ils l’ont pu. Sont de ceux-là : la veuve madame Aïcha Doré, le docteur Ahmed Tidiane Souaré, ancien Premier ministre, monsieur Kerfala Yansané, ministre d’État à la présidence de la République, El hadj Papa Koly Kourouma président du parti GRUP, l’honorable Michel Kamano député à l’Assemblée nationale, le docteur Éric Fara Kamano fonctionnaire à la BAD, madame Zénab Saïfon ancien ministre, madame Afia Diallo ancienne directrice de cabinet du Premier ministre Doré. Puisse cet ouvrage combler leur ardent souhait de voir magnifier et immortaliser la vie et l’œuvre de l’honorable Jean-Marie Doré.

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Avertissement

Le présent ouvrage est un recueil des interviews que l’ancien Premier ministre de la transition, l’honorable Jean-Marie Doré, a accordées sans exclusive à tous les médias nationaux, publics et privés. Jean-Marie Doré fut sans conteste le plus grand communicateur des leaders politiques guinéens de la période postrévolutionnaire. À son actif, une foultitude d’entretiens, de points de presse consignés sur divers supports, sans compter ses très nombreuses interventions à l’hémicycle. Car Jean-Marie n’a jamais dit non à une demande d’interview, quelle que soit par ailleurs la nature du thème. Le plus impressionnant dans tout cela, c’est qu’il ne préparait jamais ses entretiens avec les journalistes. Comme pour dire qu’il savait ce qu’il voulait, était sûr de ce qu’il savait et était donc toujours prêt à communiquer à ce propos en tous lieux et en toutes circonstances, confirmant ainsi le vieil adage selon lequel « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ». Le recueil qui vous est proposé est donc un ensemble de longs speechs improvisés, ne manquant cependant ni de cohérence, ni de logique, ni de rigueur. Toutes choses qui rendent compte de l’étendue de sa culture générale ainsi que sa maîtrise de la chose politique. Parmi le très vaste répertoire des interviews que Jean-Marie Doré a accordées, nous avons travaillé d’abord sur celles consignées par la presse écrite (journaux et presse en ligne.) Au décompte, le leader de l’UPG a réalisé plus d’une centaine d’interviews avec la presse et effectué autant sinon plus de prises de paroles à l’Assemblée nationale. Malheureusement, ce riche patrimoine se trouve éparpillé sur divers supports et classé dans les différentes rédactions du pays, à l’étranger ainsi qu’aux archives de l’Assemblée nationale. L’intérêt du présent travail est d’en faciliter l’accès à tous et à toutes, particulièrement à ceux qui seraient tentés par la politique. Nous avons choisi de rassembler les documents sans en faire de commentaire, permettant ainsi à l’auteur et aux journalistes qui l’ont interviewé de retrouver tels quels leurs propos et de revivre virtuellement 11

l’ambiance de leurs entretiens. Concernant l’ordre de classement, nous avons commencé par les documents les plus récents pour terminer par les plus anciens. Ceci a l’avantage de permettre aux lecteurs de passer insensiblement de l’actualité aux faits déjà plus ou moins oubliés.

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Mot de Goumou Nianga Komata

Hélas ! Cela devait arriver au moment où les Guinéens ont appris à le connaitre dans la gestion au sommet de l’Etat. Au moment où les Guinéens et la Communauté internationale se sont aperçus qu’il n’était pas seulement un grand politicien, mais aussi un homme d’Etat avéré, cultivé, pragmatique, affable, courageux et sincère qui a géré la Transition de la plus belle manière, alors que certains regards pessimistes lui prescrivaient un cheminement chaotique. Il s’agit de la disparition prématurée de l’Honorable Jean-Marie DORE, Premier ministre de la Transition. Cet homme qui a permis, par ses qualités managériales exceptionnelles et cela pour la première fois en Guinée, de passer calmement le pouvoir à un président démocratiquement élu, après une présidentielle de tous les défis. Hélas ! Il s’en est allé sans crier gare, ne laissant à personne ni son éloquence, ni sa richesse d’idées, ni sa culture, ni son courage politique encore moins son franc-parler que charriait un humour contagieux. Tenez ! Lors d’une invitation du Groupe Manzo à Nzérékoré, l’Honorable Jean-Marie DORE affirmait avec conviction ce qui suit : « Je ne vais pas là où on divise les Forestiers car aucune région encore moins une ethnie ne peut élire un Président. » Ce faisant, il s’adressait aux esprits étroits qui considèrent leur village ou leur communauté comme le nombril de la terre. Un autre jour, répondant aux coordinations régionales allées le remercier pour sa gestion très sage de la Transition et surtout des élections présidentielles, il a dit : « Les Guinéens doivent apprendre car en politique, on entre avec ses idées et on en sort avec celles des autres », même étant fils d’un chef de canton. Aussi, pendant qu’il était en campagne contre le général Lansana CONTE à Boké, il rendit visite à la belle-famille de celui-ci. 13

A La question de son adversaire de savoir « comment peux-tu rendre visite à ma belle-mère alors que tu fais campagne contre moi », il répondit : « Je fais campagne pour le fauteuil que tu occupes ; c’est ce seul fauteuil que je veux moi aussi sinon je n’ai rien contre ta personne ; nos relations humaines restent. » C’est bien ce fair-play qui manque de nos jours aux acteurs de la classe politique guinéenne dont les invectives mettent constamment la cité en péril. Ce sont là autant d’anecdotes pour mettre en lumière non seulement la simplicité mais aussi la profondeur et la pertinence de la pensée politique de l’Honorable Jean-Marie DORE dont la mort a subitement privé la classe politique guinéenne d’un de ses meilleurs tribuns. Merci à toutes ces personnes qui nous aident aujourd’hui à mieux connaitre ce personnage emblématique ainsi que son amour presque tyrannique pour la vérité et pour son pays. Ce personnage à l’intelligence alerte n’avait jamais refusé une interview quels qu’en furent par ailleurs le contexte, le lieu et le thème, interview qu’il ne préparait presque jamais mais qu’il rendait avec maestria. Respects à la mémoire de l’Honorable Jean-Marie DORE, Premier ministre de la Transition que tout le monde aurait voulu voir vieillir davantage pour continuer à écouter ses interventions apaisantes et rassurantes pour tous dans des situations de crise où tout semblait perdu d’avance. Conakry, le 16 décembre 2020

GOUMOU Nianga Komata Ancien Vice-gouverneur de la BCRG Ministre d’Etat, Ministre-conseiller à la présidence de la République de Guinée

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Préface

Du 21 janvier au 21 décembre 2010, monsieur Jean-Marie Doré a été à la tête d’un gouvernement d’union nationale chargé de conduire la transition politique en Guinée. Cette mission, il l’a assumée tant bien que mal, et sa conduite dans l’exercice de cette fonction de haute responsabilité a défié tous les pronostics. Jean Marie Doré s’est révélé au public guinéen pendant la présidentielle de 1993. Les Guinéens ont découvert un politicien engagé, éloquent, aux discours tonitruants et peu révérencieux. Certes, il n’avait pas de grands moyens financiers pour occuper systématiquement le terrain comme ses concurrents d’alors, mais il en a fasciné plus d’un en paraissant tous les soirs sur le petit écran pour dénoncer de façon virulente les carences du pouvoir en place et vanter les vertus de sa potion magique d’un développement rapide de la Guinée. Les téléspectateurs ont décelé en lui un homme non seulement audacieux, mais aussi distrayant, à la limite comique. Bien avant cette période, Jean-Marie Doré, certes peu connu, avait tout de même à son actif une longue carrière de l’ombre. Mais c’est à travers son passage au Bureau international du travail et la création par ses soins d’une société de transport maritime après l’avènement de la IIe République qu’il s’est surtout distingué. Sur le plan politique, Jean-Marie a toujours côtoyé des hommes politiques avant d’apparaître en leader. Il avait une amitié poussée avec le premier président de la République, Ahmed Sékou Touré, au point que ses détracteurs l’accusent d’avoir servi d’espion pour ce dernier. JeanMarie s’en est défendu à maintes occasions tout en confirmant son amitié indéfectible avec Sékou Touré. Au temps de Conté, il est apparu comme un opposant à multiples facettes, hargneux contre le régime de Conté et trouble-fête au sein de l’opposition. Jean-Marie Doré a trouvé son compte avec les deux camps politiques. Certains ministres de Conté ont 15

affirmé avoir joué sur sa décrépitude financière pour lui faire faire la diversion au sein de l’opposition chaque fois que celle-ci se trouvait en position d’oppresser le pouvoir. Malgré tout, Jean-Marie Doré est resté un homme politique constamment présent sur la scène publique par ses interventions et discours de circonstance. C’est le leader politique guinéen qui a accordé plus d’interviews aux journaux et qui s’est prononcé sur tous les grands événements que le pays a connus. Cependant, lors de l’avènement du CNDD, il s’est abstenu de prendre position en faveur du capitaine-président bien que celui-ci soit issu de la même communauté ethnique que lui. Il a toujours réclamé un pouvoir civil par la voie des urnes. La nomination de monsieur Jean-Marie Doré au poste de Premier ministre, chef de gouvernement, est la résultante de plusieurs phénomènes :  Premièrement, la crispation de la situation politique suite au changement de discours du capitaine Dadis Camara sur la conduite de la transition.  Deuxièmement, les événements du 28 septembre 2009. Jean-Marie Doré, malgré son âge avancé et ses accointances supposées avec le capitaine-président, a tenu à être présent au stade. Comme tous les autres leaders présents, il a pris des coups sérieux et s’en est tiré avec une chemise en lambeaux et des blessures sur la tête.  Troisièmement, l’effacement brutal du capitaine Dadis de la scène politique et la façon dont certains leaders ont accueilli cette situation. Ainsi, après les accords de Ouagadougou et la responsabilisation des forces vives à choisir dans ses rangs un Premier ministre, les tractations ont été ouvertes. Au sein des partis politiques réunis en forces vives, le choix n’aura pas été difficile. Premièrement, le fait d’interdire au Premier ministre de la transition d’être candidat à l’élection présidentielle a amené tous ceux qui avaient des ambitions présidentielles à se désister. Deuxièmement, Jean-Marie Doré était l’un des rares loups des premières heures du combat pour le multipartisme en Guinée à être encore présent et à ne plus disposer de suffisamment de moyens financiers ni d’une base politique consistante pour affronter une élection d’envergure comme celle qui se profilait à l’horizon. Troisièmement, Jean-Marie Doré était l’une des figures de proue de la région forestière dont le fils prodigue venait d’être tragiquement éjecté du fauteuil présidentiel, sans grande compassion. Les leaders réunis au sein des forces vives ont tenu compte de ces facteurs susmentionnés pour porter leur choix sur monsieur JeanMarie Doré. Ils pensaient lui offrir indirectement une porte de sortie 16

honorable de la scène politique après plus de deux décennies de combat, mais aussi lui garantir une retraite qui le mettrait à l’abri du besoin. Par la même occasion, ils trouvaient moyen de contenir le mécontentement de la région forestière suite à la mise à l’écart du capitaine Dadis et les discours désobligeants faits à son endroit par certains hommes politiques. En outre, ces leaders politiques réunis au sein des forces vives ont, dans leur grande majorité, sous-estimé la consistance de la personnalité de monsieur Jean-Marie Doré. Ils le croyaient malléable, influençable, à la limite corvéable. Ils auraient bâti leur conviction sur le passé politique de l’homme. Une fois nommé au poste de Premier ministre, Jean-Marie Doré s’est vite affranchi de toutes les factions en lice. Il savait qu’il avait laissé derrière lui des concurrents entre lesquels le juste milieu ne pouvait être qu’imaginaire. Depuis lors, Jean-Marie Doré s’est comporté en homme d’État et non en leader politique. Il a su former un gouvernement consensuel et jouer son rôle de chef d’orchestre avec tact. Il ne s’est ni complu avec les leaders politiques ni fermé à leurs propositions. Faisant preuve de sagesse et de maturité, il a refusé tout bras de fer avec la présidence de la République malgré l’exaspération de certains collaborateurs directs du président intérimaire. Il a assumé avec sérénité les actes qu’il a initiés ou posés. Sans vraiment polémiquer, Jean-Marie Doré s’est défendu des attaques contre sa personne et ses actes. Il a résisté à toutes les pressions externes visant à influencer sa conviction ou sa conduite. Après tout, il n’a fait l’objet de reproches et d’attaques virulentes qu’après le premier tour des élections présidentielles et l’enlisement de la situation politique qui a suivi. En était-il responsable ? Contrairement à tous les pronostics, c’est un autre Jean Marie Doré qu’on a connu à la primature. Entre les deux versions de sa personnalité, ce qu’on trouve de commun, c’est son franc-parler et son insoumission. Ce qui peut justifier la nature quasi belliqueuse de ses relations avec les autres institutions de la transition. Jean-Marie n’avait pas sa langue dans sa poche. Contre l’attaque du président de la transition à l’endroit du gouvernement qui, selon lui, n’a pas joué pleinement son rôle pour l’organisation correcte de l’élection présidentielle, Jean-Marie Doré n’a pas manqué de livrer ses sentiments en ses termes : « Quand ça va, c’est la CENI, quand ça ne va pas, c’est le gouvernement. » Plus loin, il a ajouté : « Seul le gouvernement de transition n’a pas violé les accords de Ouagadougou. » Aujourd’hui, Jean-Marie défie une fraction de ceux qui pensaient lui avoir gracieusement offert ce fauteuil de Premier ministre. Il estime et le dit, chaque fois que l’occasion lui est offerte, qu’il a été choisi avant tout 17

parce qu’il est guinéen, parce qu’il a des qualités et des facultés lui permettant de remplir efficacement sa fonction, parce qu’il s’est battu corps et âme pour la démocratie en Guinée, contrairement à ceux qui le qualifient de transfuge politique. Il refuse de répondre à ceux qui l’accusent d’avoir bâti son « trône » sur les tombes des martyrs du 28 septembre 2009, car, présent sur les lieux, il aurait pu périr aussi. Malgré tout et en dépit de tout, Jean-Marie aura marqué l’histoire de la Guinée à un tournant décisif de son histoire contemporaine. La métamorphose politique de monsieur Jean-Marie Doré est une nouvelle leçon politique pour les Guinéens. Dorénavant, ces derniers sauront distinguer les discours des hommes politiques en dehors et dans l’exercice du pouvoir. Soufiane Dabo

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Introduction

Les accords de Ouagadougou ont institué un poste de Premier ministre, chef de gouvernement réservé à l’opposition. Nommé à cette charge le 21 janvier 2010 par décret du président de la transition, sur proposition du Forum des forces vives, l’honorable Jean-Marie Doré est arrivé aux affaires dans un contexte particulièrement difficile. Or la feuille de route limitait strictement ses actions à l’organisation des élections présidentielles de toutes les épithètes, c’est-à-dire transparentes, libres, ouvertes, crédibles et acceptables, etc. Que pouvait donc faire le Premier ministre pour être à souhait au rendez-vous des bilans de la transition ? Apparemment peu de chose. Mais Jean-Marie Doré, qui avait la meilleure lecture de la feuille de route, s’est mis immédiatement au boulot. Il a commencé par faire l’état des lieux. Dans une situation où tout était prioritaire, il a établi ses priorités à lui : relance de l’économie nationale fortement désarticulée, reprise de la coopération bi et multilatérale, assainissement des finances publiques, crédibilisation du système judiciaire, concomitamment avec l’organisation des élections. Comme on a pu le constater, les tâches étaient énormes, diverses et ardues dans un environnement économique et financier des plus précaires. S’agissant des élections, Doré n’aura rien ménagé pour conduire les préparatifs à leur terme. Avec des moyens nettement insuffisants dus à l’avarice calculée des partenaires internationaux, il a réussi à mettre sur pied et à faire fonctionner la Force spéciale de sécurité du processus électoral (FOSSEPEL). Il a eu également à veiller au fonctionnement correct de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) dont les graves dysfonctionnements ont nécessité la cooptation, à la honte des Guinéens, d’un expert malien, pour assumer la mise en œuvre du second tour de l’élection présidentielle. La transition aura permis à l’honorable Jean-Marie Doré de révéler au grand public ses talents d’administrateur avéré. Il a conquis l’admiration de la majorité de ses concitoyens par sa promptitude et son efficacité à faire face aux grands défis de la transition. Il était attentif à tout et 19

proactif, par-dessus le marché. À tous les actes antidémocratiques posés au préjudice de l’honneur et de la dignité du pays, ses interventions étaient toujours vivement sollicitées et son silence redouté. Jean-Marie Doré aura été un grand Premier ministre. C’est dommage que son président intérimaire n’en ait pas été fier, comme bon nombre de Guinéens l’auront constaté au moment de la passation du pouvoir avec le nouveau président élu. Un jour, brisant le silence sur la conduite de la transition et rompant avec l’humilité et la modestie qu’on lui connaît, Doré a dû réagir non sans indignation, pour démontrer que c’était bien lui qui avait fait l’essentiel de la transition, d’autant plus que Konaté était toujours entre deux avions, se faisant dérouler le tapis rouge à l’extérieur et descendant dans des hôtels huppés, dépensant inconsidérément les maigres sous du contribuable guinéen. Ces deux personnages étaient trop différents pour s’entendre : leur légitimité, leur carrière, leur conception de la politique et donc des objectifs de la transition, tout les opposait, en fin de compte ! Tribun hors pair, très à l’aise en improvisations dans la langue de Molière qu’il parlait avec une naturelle élégance, Jean-Marie Doré s’exprimait dans un style choisi, avec une facilité, une intelligence et une maîtrise séduisantes. Il faut cependant déplorer qu’il n’ait pratiquement pas écrit, en dehors d’un essai d’histoire sur la résistance en Guinée forestière, publié aux Éditions L’Harmattan en septembre 2005. Quand il m’arrivait de lui demander de commencer à écrire ses mémoires, il me répondait, comme le fit en son temps le Président Félix Houphouët Boigny, que « les auteurs les plus lus dans le monde n’ont jamais écrit ; il s’agit de Jésus-Christ et de Mohamed », faisant ainsi allusion à la Bible et au Coran. Cependant, l’homme lisait beaucoup et doit sa notoriété intellectuelle, non seulement à ses nombreuses et pertinentes prises de paroles dans l’hémicycle, mais aussi à la lecture intelligente de livres de référence et autres grandes revues politiques, de la presse africaine et locale ; il aimait particulièrement les discussions savantes avec des intellectuels guinéens et étrangers de tout bord, les débats des grandes chaînes radios et TV que complétaient harmonieusement ses nombreuses missions de terrain, source pour lui d’une immersion dans les réalités guinéennes, en vue d’en avoir une meilleure connaissance. Cette approche est d’autant plus importante qu’on ne peut aimer que ce que l’on connaît et on ne peut défendre avec conviction que ce que l’on aime. D’où, selon lui, l’impérieuse nécessité 20

pour ceux qui aspirent à commander la Guinée d’en connaître profondément l’histoire et la sociologie de ses populations, leurs vrais problèmes ainsi que leurs aspirations. Ce sont là, entre autres, les sources principales du grand savoir ou plutôt des savoirs de l’honorable JeanMarie Doré, parce qu’il était, en la matière, un touche-à-tout. « Dommage pour la Guinée que Jean Marie Doré soit venu tardivement sur la scène politique nationale », regrette Gomou Gnanga Komata, vicegouverneur de la BCRG, un de ses admirateurs. De ce qui précède, il se dégage un enseignement majeur que nous lègue Jean-Marie Doré ; celui qui voudrait que pour faire de la politique, il faille disposer d’une vaste culture générale à fort ancrage national que conforterait une bonne connaissance des relations internationales. Né le 12 juin 1938 à Bossou (Lola, Guinée forestière), Jean Marie Doré a assumé très tôt les fonctions d’inspecteur national du travail avant d’être recruté, sur concours, au Bureau international du travail (BIT) où il exercera de 1963 à 1987. Fonctionnaire international du BIT et fort de ses talents de négociateur avisé, Jean-Marie Doré va parcourir le continent africain pour mettre de l’ordre dans le monde du travail, partout où ses compétences seront requises. Licencié en droit de l’université de Lyon en France, Jean-Marie Doré était aussi titulaire d’un doctorat d’État en Sciences politiques (spécialité Polémologie) à l’Institut du travail de Genève. En plus du français qu’il maniait avec maestria, Doré parlait et écrivait anglais et espagnol. De retour au pays en 1988, Doré a créé ENTRAT International, une société de transport et de manutention qui employait 266 travailleurs. Des difficultés dues à son insoumission au pouvoir en place ont affecté irréversiblement l’entreprise. Doré a dû fermer pour entamer une effroyable traversée du désert. Homme de conviction dont le moral était inaccessible au découragement, Doré s’est engagé en politique aux côtés d’autres illustres leaders dont feu Bâ Mamadou, feu Siradiou Diallo et Alpha Condé, actuel président de la République de Guinée. Au sein de ce quatuor, Doré a apporté sa modeste contribution à l’ancrage de la culture démocratique dans un pays qui sortait fraîchement d’un système politique monolithique pour tomber dans des mains malhabiles de militaires. À cet effet, il est devenu au début des années 90 leader de l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG), une formation politique initialement créée par des cadres originaires de la Guinée forestière. Il en a fait un parti centriste. 21

Jean-Marie Doré a été élu député successivement en 1995, en 2002 et en 2014. À noter qu’il a refusé de siéger à la septième législature, frustré qu’il était par le pouvoir en place qui a préféré lui « accorder » trois députés alors qu’il en attendait bien plus. Les graves crises de la première décennie du siècle ont conduit à la création en Guinée du Forum des forces vives, dans la perspective de limiter les dérives du pouvoir militaire en place. Jean-Marie Doré en est devenu le porte-parole. Cette position lui a offert sans difficulté l’opportunité d’être désigné par ses pairs Premier ministre de la transition, de janvier à décembre 2010. À ce poste, Doré a fait montre de hautes qualités d’homme d’État : abnégation, pondération, hauteur de vue et esprit de créativité. Auparavant, son parti, l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG), l’avait présenté sans succès en 1993 et en 1998 comme candidat à l’élection présidentielle. Jean-Marie Doré a été un grand communicateur. L’inspiration, la beauté de l’expression découlant de la maîtrise de la langue de Molière ainsi que la précision de la pensée, le tout enrobé dans un humour décrispant, ont été ses atouts majeurs. Jean-Marie Doré a été un légaliste éclairé parce qu’il était contre l’interprétation et l’application absurdes de la loi. Pour lui, une loi devait avoir nécessairement une portée politique, économique et sociale en plus de sa valeur textuelle. Au nom de son idéologie centriste, il a toujours refusé de combattre sans discernement le pouvoir en place. Il reconnaissait et applaudissait celui-ci quand il faisait bien et n’hésitait pas à tirer à boulets rouges sur les mauvais actes qu’il était amené à poser. Cette position de centriste lui a valu par moments d’être traité à tort par les « radicaux » de complice silencieux du pouvoir. C’est pourtant cette position qui lui a souvent permis de rapprocher et de ramener autour de la table de dialogue mouvance et opposition quand ces dernières étaient à couteaux tirés. Pour justifier sa position idéologique, il aimait déclarer : « Entre une porte fermée et une porte ouverte, il y a la possibilité d’une porte entrebâillée » ou encore « entre le oui et le non, il y a le oui, mais… ». Républicain convaincu et haïssant les manifestations de rue, Jean-Marie Doré croyait profondément en la vertu réconciliatrice et réparatrice d’un dialogue inclusif sans préalables. L’honorable Jean-Marie Doré nous a quittés le 29 janvier 2016 après une longue maladie. Il manquera incontestablement, hélas pour toujours, à la classe politique guinéenne. 22

Jean-Marie Doré n’aura pas vu le présent recueil fini. Il a juste feuilleté quelques pages de la première mouture du tapuscrit quand, déjà très malade, il m’a trouvé à Paris. À la vue du volume du document que je lui ai présenté – j’étais déjà à 75 interviews répertoriées –, il s’est écrié : « Ah, Iffono, je ne savais pas que j’étais aussi bavard ! Si ce travail aboutit, tu m’auras rendu un grand service. Parce que je parle comme ça, sans garder le moindre bout de papier en archives. Merci mon cher ami ! » Puisse donc ce livre contribuer à sauver une infime partie du vaste patrimoine intellectuel et politique de l’homme et essayer d’apaiser tant d’admirateurs, comme ce journaliste qui, à l’annonce de la mort de JeanMarie Doré, titra son papier : « Et la bibliothèque prit feu ! » Que tous ceux qui s’en sont préoccupés soient rassurés que tout n’a pas pour autant brûlé. Heureusement ! Dr Iffono Aly Gilbert

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I. Investiture du Premier ministre Jean-Marie DORÉ Propos recueillis par Amara Moro Camara le 26 janvier 2010 pour guineenews.com

Nommé Premier ministre, chef du gouvernement de la transition le 21 janvier 2010, l’honorable Jean-Marie Doré a été investi le 26 janvier en présence d’une impressionnante foule de responsables politiques, des Forces vives dont il était le brillant porte-parole, de diplomates et représentants d’institutions internationales ainsi que de parents, amis et autres admirateurs. Juste après la cérémonie, le journaliste Amara Moro Camara a recueilli pour guineenews.com à chaud, les sentiments de quelques personnalités présentes. Aboubacar Sylla, président de l’UFC : « C’est un sentiment de satisfaction dans la mesure où cette cérémonie s’est déroulée dans d’excellentes conditions. Nous sommes convaincus que cette transition qui est en train d’être mise en œuvre selon les accords conclus à Ouagadougou, comblera les attentes. Il faut noter que ces accords ont été élaborés sur la base des propositions de sortie de crise formulées par les Forces vives et remises en même temps au facilitateur, monsieur Blaise Compaoré. Donc cette transition va se dérouler de façon pacifique et apaisée, comme nous l’avions toujours souhaitée. Je crois que ce jour est un grand jour pour la Guinée. Parce que c’est tout le peuple de Guinée qui a gagné. On a triomphé de la tentation de la violence en faveur de la réconciliation nationale, de la concertation. Donc la Guinée est train de redémarrer sur de nouvelles bases. Je crois que c’est un nouveau départ pour notre pays. Notre souhait, en tant que Forces vives, c’est de faire tout pour que ce nouveau départ ne soit pas raté et que la Guinée ne manque pas encore ce nouveau rendez-vous avec l’histoire. Ce nouveau départ offre l’opportunité de repartir sous d’autres angles qui lui permettra enfin de hisser le pays au niveau que lui confèrent ses riches et 25

diverses potentialités humaines et naturelles. Donc c’est un peu cela notre souhait aujourd’hui. Nous sommes extrêmement satisfaits. Pour nous, ce jour est donc un grand jour. Jamais un Premier ministre n’a été installé avec autant de solennité. Ce qui fait que nous espérons que la transition va se passer dans de meilleures conditions. Cela nous permettra d’arriver à des élections libres et transparentes pour que le peuple de Guinée puisse choisir librement ceux qui doivent conduire les destinées de la nation. » Lansana Kouyaté, ancien PM et président du PEDN : « J’ai un sentiment de réconfort, mais surtout d’espoir. Je pense que petit à petit les institutions de la transition sont en train de se mettre en place. Le travail n’est pas terminé, il faut former le gouvernement, mettre en place le CNT. Mais gagner déjà la nomination d’un Premier ministre est en soi un défi. Tout s’est bien passé, les discours étaient bien ampoulés, mais en tout cas bien polis, bien corrects. Je crois que ça a été, somme toute, une passation attendue et appréciée. Pour le délai des six mois, je dirai que c’est bien jouable. Mais donnons le temps au temps, posons les actes les uns après les autres. » François Lounsény Fall, ancien PM et président du FUDEC : « Nous sommes très satisfaits de cette cérémonie qui marque effectivement le démarrage enfin de la transition en Guinée. Je crois c’était attendu par tout le peuple de Guinée. Il s’agit maintenant de se mettre à la tâche afin que la feuille de route qui a été donnée au nouveau Premier ministre soit respectée et que la Guinée retrouve très rapidement l’ordre constitutionnel. Je retiendrais en guise de souvenirs du Premier ministre sortant, Kabiné Komara, de l’humilité, de la compétence et du sérieux. Concernant cette transition, je regrette simplement le fait qu’il y a eu trop de sang versé pour atteindre ce que nous avons obtenu aujourd’hui qu’on aurait pu obtenir sans qu’il y ait cette casse et toutes ces pertes en vies humaines. Mais de toutes les façons nous nous réjouissons puisqu’il y a un air de réconciliation en Guinée. Nous nous réjouissons donc sincèrement de la transition pour un retour apaisé à l’ordre constitutionnel. » Mouctar Diallo, président NFD : « Le nouveau Premier ministre a livré un discours important qui dégage deux missions essentielles. Lesquelles consisteront tout d’abord à engager des réformes importantes en faveur des forces de défense et de sécurité, ensuite organiser des élections libres et transparentes. Je pense que nous serons très vigilants au niveau des Forces vives par rapport à la conduite de la transition et surtout au respect des accords de Ouagadougou. Nous tenons à ce que 26

monsieur Jean-Marie Doré ne soit pas candidat aux prochaines élections. Parce que c’est ce que nous avons refusé au capitaine Moussa Dadis Camara. Nous ne pouvons donc pas accepter qu’il soit juge et partie à la fois. Il faudrait donc que nous mettions en œuvre nos convictions. Car la démocratie ce n’est pas que des slogans, mais c’est de pouvoir mettre en application ce qu’on proclame. Donc pour nous, il est extrêmement important que monsieur Jean-Marie Doré respecte les accords, qu’il mette rapidement en place un gouvernement efficace pour aller aussi vite que possible vers des actes concrets, notamment la sécurité des populations, les réformes au niveau des forces de défenses et de sécurité, renforcer le processus électoral pour tenir des élections libres et transparentes auxquelles il ne sera pas candidat. » Dr Ibrahima Fofana, secrétaire général de l’USTG : « J’ai un sentiment de réconfort. Dans la mesure où le nouveau Premier ministre est issu des rangs des Forces vives. C’est donc un honneur pour nous et l’engagement qu’il vient de prendre ici ce soir n’est pas son engagement individuel, il s’agit d’un engagement fait au nom des Forces vives. C’est pourquoi nous allons faire en sorte que l’ensemble des composantes de ces Forces vives soient avec lui, non seulement au sein du gouvernement, mais également au sein du CNT pour qu’on puisse rapidement mettre en œuvre le programme ou le chronogramme qu’il va établir pour aller aux élections dans les meilleurs délais, pour qu’enfin la Guinée renoue avec la démocratie et le développement. Je pense qu’en six mois ou plus il est indispensable de se programmer toujours dans le temps imparti quand on veut entreprendre une action donnée. Cela dépendra maintenant des moyens qui vont être réunis, les compétences qui vont faire le travail et la volonté d’aboutir à des résultats réussis. Ce sont tous ces facteurs conjugués qui vont jouer et le reste du délai va être fixé. En tout cas, on espère que ce délai pourra être suffisant pour qu’on puisse aller aux élections crédibles dans de meilleurs délais. » Chérif Idrissa, ministre de la Communication à la présidence et au ministère de la Défense nationale : « Vous savez que nous sommes désormais dans une nouvelle dynamique qui est celle d’aller à la paix, de réconcilier les Guinéens entre eux. Cela est d’autant important qu’elle doit permettre à la Guinée de s’ouvrir une voie nouvelle vers des élections libres et transparentes que les Guinéens appellent de tous leurs vœux depuis des lustres. Nous attendons nécessairement à ce que la désignation de ce Premier ministre issu des rangs de l’opposition politique, notamment les Forces vives, aboutisse très prochainement à la formation d’une nouvelle équipe gouvernementale qui regroupera 27

l’ensemble de toutes les forces politiques de la Guinée pour qu’enfin nous puissions faire face aux nombreux défis qui interpellent les uns et les autres. Pour mener à bien cette mission, il est indispensable d’avoir une jeunesse engagée et unie derrière soi. » Colonel Moussa Kéita, ministre/secrétaire permanent du CNDD : « En assistant aux cérémonies d’investiture du nouveau Premier ministre-chef de gouvernement de transition, je ne peux être animé que d’un sentiment de réconfort et d’un immense espoir pour notre pays en ce début d’un Nouvel An… Concernant le retour des militaires dans leur caserne et principalement mon cas singulier, laissez-moi vous dire que personne n’est né ministre, encore moins militaire. Ce qui reste clair, dans ce cas particulier, c’est que j’ai servi mon pays avec loyauté et sincérité. L’histoire donnera raison un jour aussi longtemps qu’il soit à celui qui le mérite. Je suis disposé à servir ma patrie partout où on m’enverra, que je sois retenu ou pas. Par ailleurs, j’ai toujours été de ceux-là qui estiment qu’être ministre est temporaire. Le plus important à mon avis, c’est l’uniforme que je porte. » Alpha Ibrahima Kéira, ancien ministre et président PR : « Je suis très honoré avec la passation de service entre messieurs Jean-Marie Doré, nouveau Premier ministre, et Kabiné Komara, Premier ministre sortant. C’est un nouveau départ pour la Guinée et je pense que les leaders politiques de l’opposition doivent conjuguer tous les efforts pour accompagner le nouveau Premier ministre et l’aider à faire de cette transition, une transition apaisée et inclusive. Ce qui, à mon sens, représente un véritable réconfort. C’est aussi un motif de satisfaction et d’espoir pour le peuple de Guinée. » Sékou Koureïssy Condé, ancien ministre et président de l’ARENA : « Je suis très heureux aujourd’hui. Je pense que l’espoir est permis à la nomination de monsieur Jean-Marie Doré aux fonctions prestigieuses de Premier ministre. Il s’agit d’une consécration, une reconnaissance et finalement un espoir. Une consécration, parce que le parcours de l’homme indique que nul autre que lui n’aurait pu mieux incarner les valeurs de la transition au nom des Forces vives, au nom du dialogue social pour gérer la transition et faciliter l’alternance. Je pense qu’aujourd’hui est un grand jour, c’est celui de l’espoir et il faut la confiance, il faut beaucoup de forces, beaucoup de prières et beaucoup de travail… » Dr Frédéric Kolié, ministre du MATAP : « Je suis plutôt animé par un sentiment de profonde satisfaction à l’issue de cette cérémonie de 28

passation de service entre le Premier ministre sortant, monsieur Komara Kabiné, et celui entrant, monsieur Jean-Marie Doré. Je crois qu’aujourd’hui c’est une nouvelle page qui s’ouvre pour notre pays. Une nouvelle page qui va déboucher très prochainement sur des élections transparentes, crédibles et justes dans un délai qui sera défini. J’attends que cette phase apporte à notre pays un meilleur lendemain de stabilité politique, mais surtout voir enfin ce pays amorcer son décollage économique. » Papa Koly Kourouma, ministre de l’Environnement : « En ce jour historique, je suis animé d’un sentiment d’espoir. Nous sommes en pleine phase de mutation sociopolitique dans notre pays. Le Premier ministre Jean-Marie Doré, avec toutes les expériences qu’on lui connaît, saura enfin apporter du nouveau dans le processus de démocratisation dans notre pays et atteindre, avec le concours précieux des uns et des autres, l’objectif qui lui est assigné. Cela constitue un souhait ardent que je lui formule de tout mon vœu. Je pense que monsieur Jean – Marie Doré connaît parfaitement les attentes et les aspirations profondes du peuple guinéen. Nous sommes aujourd’hui dans une phase assez critique de l’histoire de notre pays. J’estime qu’avec cette transition s’amorçant avec des objectifs bien définis, le nouveau maître de la primature guinéenne saura relever les multiples défis qui interpellent actuellement ses compatriotes et plus spécifiquement l’organisation des élections transparentes et crédibles. » Élisabeth Côté, représente IFES-Guinée : « Je suis très heureuse que les événements se développent de cette façon-ci. Je pense que monsieur Jean-Marie Doré a déjà fait ses preuves. On ne peut que l’encourager et prier le Bon Dieu que vraiment l’année prochaine, à pareille heure, on ait franchi une étape importante de l’histoire de la Guinée. Mes attentes sont justement les souhaits et recommandations du Premier ministre sortant : qu’on ait enfin des élections et puis que la Guinée puisse prospérer. » Ambassadeur du Royaume-Uni : « Je félicite la nomination de monsieur Jean-Marie Doré au poste de Premier ministre de la Guinée. Cette nomination le 21 janvier dernier par le général Sékouba Konaté signifie une étape importante dans la transition vers la démocratie. Pour terminer, le Royaume-Uni souhaite à monsieur Jean-Marie Doré une bonne réussite dans sa tâche d’assurer les élections qui auront lieu le plutôt que possible. »

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II. « Si j’étais le porte-parole de l’opposition… » Réalisée par Diallo Boubacar I pour africaguinee.com le 11 juin 2015

CONAKRY – Dans le bras de fer entre le pouvoir du président Alpha Condé et l’opposition guinéenne, l’ancien Premier ministre Jean-Marie Doré vient de donner son avis. Dans cet entretien exclusif accordé à notre rédaction, l’ancien chef du gouvernement de la transition propose une piste de solution, pour une sortie de crise en Guinée. Sans langue de bois, le leader de l’Union pour le progrès de la Guinée, Jean-Marie Doré, revient aussi sur les prochaines consultations électorales, notamment la présidentielle du 11 octobre prochain. AFRICAGUINEE.COM : Honorable Jean-Marie Doré, bonjour ! JEAN-MARIE DORÉ : Bonjour, monsieur Diallo ! AFRICAGUINEE.COM : Depuis l’annonce du calendrier électoral par la CENI, l’opposition et le gouvernement sont à couteaux tirés. Quelle analyse faites-vous de cette situation ? JEAN-MARIE DORÉ : Il appartient à la CENI de fixer la date du scrutin. Maintenant la question qui est posée, c’est : « Est-ce que la CENI a bien fait de l’annoncer maintenant ? » Je dis, sur le plan juridique, « oui ! » parce que les élections doivent avoir lieu dans un délai qui n’excède pas la durée qui reste du mandat du président de la République. Il a dit que si on dépasse la date des élections qui lui reste dans la légalité républicaine, l’opposition va dire qu’il est devenu illégitime. C’est une situation qui peut prêter à beaucoup d’interprétations qui ne me paraissent pas essentielles. Parce que monsieur Alpha Condé est devenu président légitime le jour où (le 21 décembre 2010) il a prêté serment au Palais du Peuple. Donc, entre le 11 octobre et le 21 décembre, il faut voir s’il y a moyen de faire reculer la date du 11, pour ne pas dépasser la date de prestation de serment du président de la République. Tout cela est discutable, dans un cadre où il y a la confiance entre les acteurs. L’opposition, de son côté, n’avance pas avec des propositions. Cela est 31

une erreur. Quand on est dans une situation comme celle où se trouve l’opposition, on vient avec des propositions, pour caler la discussion dans des limites gérables, compréhensibles par l’opinion publique. Parce que nous sommes tous tributaires de l’opinion publique. Il s’agit de convaincre l’opinion publique que nous défendons la vérité. Le président ayant répondu à l’appel de l’opposition par le mandat qui est donné au Premier ministre et au ministre de la Justice de conduire le dialogue, il faut que l’opposition rentre dans la salle avec des propositions, et faire la publicité autour de celles-ci, pour persuader qu’elle ne refuse pas le dialogue. Parce que sinon, nous nous trouverons dans une situation un peu loufoque. Nous avons toujours réclamé le dialogue, on nous le propose, et nous disons que non, on ne viendra pas, il y a des préalables. Ce n’est pas comme cela. Ce qu’il faut faire dans le contexte guinéen maintenant, le gouvernement est en train de montrer partout ses arguments, il appartient à l’opposition de faire des contrepropositions à présenter à l’opinion ; mais ne pas refuser catégoriquement d’entrer en matière. Parce que chacun compte sur des forces dont je ne connais pas les contours, mais il faut faire très attention pour ne pas manquer la cible. La cible, c’est l’intérêt de la Guinée. Aujourd’hui, le pays est profondément mouillé dans la vase. Les bailleurs de fonds n’ont plus confiance en la Guinée, le chômage chez les jeunes comme chez les adultes augmente dans des proportions que je ne peux pas chiffrer. La misère est devenue criante dans la rue. Les taudis remplacent les belles villas d’antan. Tout cela interpelle notre responsabilité et notre sens du devoir. C’est ce qu’il faut voir. AFRICAGUINEE.COM : L’opposition exige le gel des activités de la CENI et l’annulation du calendrier électoral, avant de participer au dialogue. Qu’en dites-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Il faut présenter cela avec un argumentaire autour de la table, et prendre à témoin l’opinion publique. Vous dites : « il faut qu’il annule tout » ! Or c’est son devoir de préparer les élections. Je crois qu’après, ça ne marche pas. Si j’étais le porte-parole de l’opposition, je démontrerais que la date fixée est modifiable en plusieurs ponts. Et je vais démontrer dans la salle que c’est modifiable avec le code électoral, avec la Constitution. Mais je ne peux pas dire que je n’entre pas en matière de discuter. Comment peuton connaître votre positionnement, si vous n’entrez pas en matière. Il faut rentrer en matière pour invalider l’argument de l’autre. Je ne comprends pas cette rhétorique de l’opposition, qui tend à devenir vaine. Vous 32

croyez que le gouvernement est aveugle ? Il voit que l’unité de l’opposition est de façade, que ça ne correspond plus à rien. Les deux premiers partis en force de l’opposition, ce sont l’UFDG et l’UFR. Puis il y a les seconds couteaux comme Kouyaté, ensuite le tiers état qui est formé de toute la nébuleuse que nous connaissons qui crépissent1 dans les médias, par la force de l’argumentation. C’est cela ! AFRICAGUINEE.COM : Pensez-vous qu’il est possible d’inverser l’ordre des élections proposé par la Commission électorale nationale indépendante ? JEAN-MARIE DORÉ : Tout est une question de négociation. Négocier ne veut pas dire qu’on doit arriver au point que j’ai fixé à mon vis-à-vis. Lui aussi ne doit pas croire que je vais accepter comme cela. Il arrivera un moment où l’on va dire qu’on fait des concessions. Je vous démontre : par le passé, en 1993, Lansana Conté avait fixé la date des élections au 14 décembre. Nous avons dit non. Nous avons présenté des arguments, qu’on pouvait bien faire les élections en décembre, mais pas le 14. Parce que le délai qui nous était donné était trop court pour que l’on puisse se préparer matériellement et politiquement. Nous nous sommes mis d’accord avec le président Conté, pour faire venir Amadou Toumany Touré, qui venait de quitter ses charges de son premier mandat. Il est venu et nous a tous persuadés d’accepter le 19 décembre. Parce que dans cette affaire, il y a aussi une fierté. Vous ne pouvez pas aller à des négociations, puis revenir les bras ballants. Cela finit par créer des frustrations qui peuvent faire déraper le raisonnement normal. Le gouvernement devrait prendre conscience de cela. Mais je pense qu’il faut aller dans la salle. C’est dans la salle qu’on va montrer le péril que court le pays (…), cet écartèlement de la même Guinée en des directions aventureuses. Parce que tout ce que l’on dit là, ce n’est pas la réélection d’Alpha Condé qui est importante, ce n’est pas l’élection de monsieur Cellou Dalein Diallo qui est importante, ni celle de Sidya et autre Tartempion. C’est le maintien de la Guinée, son développement, son équilibre social, psychologique, et sa marche en avant pour valoriser ses thèses, concernant l’exploitation de ses ressources naturelles et son industrie, ses relations commerciales. Mais si tout cela est cassé, c’est quelle Guinée qu’il faut alors ? N’oubliez pas que la démocratie est fondée sur le débat. Sans débat, il n’y a pas de démocratie (…). Je ne dis pas que c’est la solution miracle 1

Lire « se querellent ».

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d’aller au dialogue. Mais elle permet d’adoucir un peu la situation dans laquelle nous nous trouvons. Une situation qui ressemble à celle d’un bateau ivre, où le gouvernail ne répond plus aux manœuvres du commandant de bord. AFRICAGUINEE.COM : Dans une de vos interventions, vous aviez accusé monsieur Sidya Touré d’être à l’origine de ce blocage actuel. Pouvez-vous être un peu plus explicite ? JEAN-MARIE DORÉ : Lorsque nous avons négocié à Ouagadougou, il fallait montrer dans notre mémorandum par quel bout il fallait commencer les élections. Il y avait eu l’unanimité des voix moins celle de Sidya. Or, obligatoirement, nous devions rester unis. Si par une certaine raideur de la majorité, on rejetait la proposition de Sidya et que lui seul présentait un mémorandum séparé, ça affaiblissait profondément et gravement la position des forces vives. Mais je pense que ça, c’est du passé. Il ne faut pas tout le temps rabâcher la même chose. Je pense que chacun en a tiré les leçons. Pendant longtemps encore en Afrique, s’il faut aller à des élections, il ne faut pas commencer par l’élection présidentielle. Parce que le président élu disposera de moyens colossaux pour influencer la suite. C’est humain. Qui peut reprocher honnêtement à Alpha Condé de ne pas chercher à se maintenir dans les limites de deux mandats ? AFRICAGUINEE.COM : Quel est votre avis sur la proposition de candidature unique de l’opposition à la présidentielle du 11 octobre ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est de la foutaise ! Il n’y a pas de candidature unique. Où avez-vous vu cela ? Raisonnablement, vous pensez que chacun des partis créés pour conquérir le pouvoir va se présenter devant ses militants pour dire : « Comme monsieur Cellou est plus intelligent que moi, je vais céder, pour qu’il soit candidat unique. » Ça, ce sont des histoires. Je ne vois ni Cellou, ni Sidya en train de renoncer pour l’autre. La base de chacun s’y opposerait avec violence. C’étaient des discours pour amuser la galerie et donner une certaine dynamique. Mais c’est impossible qu’il y ait une candidature unique dans le contexte de maintenant. AFRICAGUINEE.COM : Comment votre formation politique, l’UPG, se prépare-t-elle pour l’élection présidentielle du 11 octobre ? JEAN-MARIE DORÉ : Il n’y a pas deux manières de se préparer. Il faut restructurer et assainir le circuit du fonctionnement du parti, pour que chaque élément organisationnel et autre soit en mesure de prendre le 34

contact quotidien avec la population, pour expliquer le bien-fondé de notre programme, de nos méthodes de travail et de notre façon de voir l’avenir de la Guinée. C’est le fond de toute campagne électorale. AFRICAGUINEE.COM : Serez-vous candidat ? JEAN-MARIE DORÉ : Mon parti va aux élections. Il ne peut pas rester en marge des élections. Et si son choix se porte sur moi, volontiers, je serai candidat.

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III. « Crise politique en Guinée : Qu’en pense Jean-Marie Doré ? » Par Diallo Boubacar I pour africaguinee.com le 4 juin 2015

C’était en marge de la clôture de la session ordinaire des lois. Il s’est prononcé sur la crise qui secoue son pays depuis l’annonce du calendrier des élections, par la Commission électorale nationale indépendante. Au micro d’africaguinee.com, le leader de l’UPG a également réagi aux accusations portées contre le gouvernement de transition, par le président de l’Assemblée nationale, Claude Kory Kondiano. AFRICAGUINEE.COM : Monsieur Jean-Marie Doré, bonjour ! JEAN-MARIE DORÉ : Bonjour, monsieur Diallo ! AFRICAGUINEE.COM : Depuis la publication du calendrier électoral par la CENI, le 10 mars dernier, la Guinée est plongée dans une crise politique. Quelle est la position de votre parti dans ce bras de fer entre le pouvoir et l’opposition ? JEAN-MARIE DORÉ : Je crois que nous sommes tous des gens intelligents. Il serait terrible que l’on débatte d’un sujet quelconque concernant la Guinée, et qu’on ne puisse pas trouver une solution. Moi, je pense que comme le disait Lamine Sidimé, (ancien président de la 37

Cour suprême et ancien Premier ministre) « à l’impossible nul n’est tenu ». On peut parfaitement coupler l’une des élections (locales ou communautaires) à l’élection présidentielle. Cela n’est pas impossible. Mais on me rétorque dans la mouvance qu’il n’y a pas d’argent et on me dit dans l’opposition radicale que tout est faisable. Alors, il faut quelque part céder du terrain, pour qu’il soit possible de faire ces élections. AFRICAGUINEE.COM : Dans son discours, le président de l’Assemblée nationale a mis un accent particulier sur la crise politique actuelle. Avez-vous un commentaire ? JEAN-MARIE DORÉ : Oui, il y a une crise, parce qu’il y a une partie de la représentation nationale qui n’accepte pas la démarche du gouvernement, et elle réagit en boycottant les travaux de l’Assemblée. Il y a une autre partie qui vient. Chacun pour des motifs divers qui le concernent. Mais la vérité, c’est qu’il y a une crise. S’il n’y avait pas crise, les cent treize ou cent quatorze députés seraient ici. AFRICAGUINEE.COM : Les arguments invoqués par l’honorable Kory Kondiano, pour justifier la non-tenue des élections locales, vous ont-ils convaincu ? JEAN-MARIE DORÉ : Ma lecture est une chose. Je ne suis pas obligé de partager le même point de vue que le président de l’Assemblée. Mais comme nous n’étions pas en débats, je ne pouvais pas porter un jugement de valeur sur ce qu’il a dit en séance. Si nous étions en débats, son discours aurait suscité de ma part une réaction. AFRICAGUINEE.COM : Il a tout de même pointé un doigt accusateur sur la IIe République et le gouvernement de la transition, dont vous étiez pourtant le Premier ministre. Qu’en dites-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Je ne suis pas personnellement mis en cause, mais il a trouvé une faille, pour justifier pourquoi ces élections posent problème. Mais je ne crois pas que ce soit la IIe République ou le gouvernement de la transition qui en soit responsable. Parce que c’est une série de comportements de tous qui a amené ce retard. Tout ce que l’on a connu comme désordre, dans l’organisation de ces élections, et dans l’acceptation ou dans le rejet des résultats, est venu du fait qu’on n’a pas voulu accepter qu’on fasse les élections à la base avant la présidentielle, lors de notre séjour à Ouagadougou. Et c’est monsieur Sidya qui avait posé la menace de faire cavalier seul, si on ne commençait pas par l’élection présidentielle. Or, c’était une erreur. Pourquoi ? Parce que vous connaissez, c’est l’Afrique ; une fois 38

que le président est élu, il affirme aux populations « vous m’avez élu, mais je n’ai pas les communes, je n’ai pas l’Assemblée nationale ». Et pour avoir cela, on recourt souvent à des raccourcis. Voilà ! Ce n’est pas le gouvernement de la transition, ni le gouvernement de la IIe République. Les problèmes qu’on connaît maintenant sont nés du fait d’un mauvais choix des programmes électoraux. Si on avait commencé par les élections communales et les élections législatives, le Président n’aurait pas les moyens de se faire accuser de faire pression sur l’appareil administratif de l’État, pour avoir la majorité. AFRICAGUINEE.COM : Le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, Mohamed Ibn Chambas, a dit ce mardi qu’il « est urgent de faire le dialogue et de trouver des conclusions consensuelles en Guinée » afin d’aller vers les élections. Qu’en pensezvous ? JEAN-MARIE DORÉ : La politique est basée sur le dialogue, sur les échanges. Donc, lorsqu’on dit qu’il est urgent qu’il y ait le dialogue, ce n’est pas une nouveauté. Mais s’il n’y a pas de débat, comment voulezvous avancer en prenant une moyenne des propositions ? (…) S’il y a blocage, si chacun reste agrippé à ses opinions, la rue va prendre position. Et si la rue prend position, le désordre ne profite à personne. Seules en souffrent les victimes. Donc, je crois qu’il faut parler, il faut convaincre et être sûr de soi. Personne ne peut me coller ici, dans un débat, concernant les institutions, l’économie ou le droit. Donc, je viens ici complètement libre de tout complexe, et si on me fait des propositions que je n’accepte pas, je dis non, si c’est négociable, alors on tend vers une proposition moyenne.

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IV. « Jean-Marie Doré en colère contre le port de la burqa » Par Diallo Boubacar I pour africaguinee.com le 29 juillet 2015

Le débat sur le port du voile intégral en Guinée est plus que jamais lancé en Guinée. L’ancien Premier ministre, Jean-Marie Doré, qui a été interrogé par notre reporter, a laissé éclater sa colère contre cette pratique « religieuse en Guinée ». Pour le député, il n’est pas normal que certains cachent leur identité sous le couvert de la religion. AFRICAGUINEE.COM : Vu la menace terroriste qui pèserait sur la Guinée, le président Alpha Condé a suggéré qu’il y ait un débat national sur le port de la burqa (voile intégral) en Guinée. Qu’en ditesvous ? JEAN-MARIE DORÉ : Je dois parler de ce problème avec franchise en dépit du fait que je ne pratique pas la religion dont l’un des ornements est cet habillement de masque là. Je suis Chrétien catholique pratiquant. J’essaie d’en parler donc avec le plus d’honnêteté possible.

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Quand on est citoyen d’un pays, on doit être identifié à tout moment du jour et de la nuit. Il faut qu’on voie votre visage quand vous sortez dans la rue. C’est aussi simple que ça. (Le ton monte) Je m’oppose catégoriquement au port de ça (le voile intégral) qui empêche qu’on puisse identifier un citoyen dans la rue. Si on me dit : voilà l’enfant qui a volé le portefeuille, s’il est masqué comme Zorro, quel témoignage peuton porter catégoriquement pour dire que c’est lui ? Si on me dit de faire son portrait-robot, j’en suis incapable. Je dis qu’il avait la tête et le visage complètement couverts. Puisque le visage est couvert, comment peut-on l’identifier ? Donc, la loi impose qu’on doit pouvoir identifier dans la rue partout le citoyen de ce pays. Homme ou femme. Il n’est pas normal que certains cachent leur identité sous le couvert de la religion. C’est ça ! Il faut qu’on crée une obligation, quiconque on prend masqué dans la rue, il faut le mettre en prison. AFRICAGUINEE.COM : C’est quand même une situation assez délicate dans le contexte guinéen, vu que la pratique s’est ancrée chez certains fidèles ? JEAN-MARIE DORÉ : délicat comment ? Délicat parce que c’est un même problème de loi ! Je ne vous comprends pas ! Vous pensez que c’est normal que l’on ne puisse pas identifier un citoyen dans la rue ? Les femmes qui posent les bombes, qui sont masquées, vous croyez que leur vie n’a pas de sens ? Tout ce qui peut constituer une menace potentielle doit être mis entre parenthèses à défaut d’être écrasé. AFRICAGUINEE.COM : Êtes-vous favorable à un débat national sur le port de la burqa comme l’a proposé le chef de l’État ? JEAN-MARIE DORÉ : Si vous avez de l’argent pour organiser ce débat, on participera. Mais moi, je ne pense pas que ça fasse l’objet d’un débat. Pourquoi on va gaspiller l’argent dans ça alors qu’il y a des flaques d’eau dans la rue. Il faut dépenser notre argent à bon escient. Je m’oppose catégoriquement à cette forme de faiblesse là. Personne n’a le droit de sortir dans la rue masqué. Vous pouvez, dans votre chambre à coucher, vous masquer et faire ce que vous voulez en famille. Mais quand vous sortez dans la rue, les lois de la République s’appliquent à vous. C’est-àdire que tout agent de la force publique doit pouvoir vous identifier.

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V. « À propos des divisions ethniques en Guinée forestière » Propos recueillis par Diallo Boubacar I le 28 juillet 2015

L’ancien Premier ministre Jean-Marie Doré vient de se prononcer sur les divisions ethniques constatées ces derniers temps dans la région forestière, notamment à N’Zérékoré. JEAN-MARIE DORÉ : Ce sont des mouvements de surface qui n’affectent pas la volonté des forestiers de s’unir dans le cadre de l’unité nationale guinéenne. Mais comme dans toute famille, il arrive des moments où il y a des incompréhensions, c’est le cas actuellement à N’Zérékoré. Les gens ont beau faire d’attribuer ça au gouvernement, j’affirme catégoriquement que le gouvernement n’a rien à voir dans ça. C’est la faiblesse de certains individus en forêt, notamment à N’Zérékoré, qui amène à poser des actes et entraîne des réactions donnant l’impression que les forestiers ne s’entendent pas, qu’ils sont en train d’en découdre entre eux et qu’en dessous, le gouvernement tire les ficelles. C’est peut-être vrai que ça arrangerait les affaires de celui-ci, de faire place nette à ses volontés. Mais en l’occurrence l’affaire ne dépend pas du gouvernement. Il y a des gens qui ambitionnent certains postes, notamment dans la gestion des municipalités et qui, au lieu de passer par les moyens intelligents, des moyens politiques efficaces, suscitent la création des mouvements au nom de leur ethnie. Ça, c’est un mal intolérable. Ils n’ont pas le droit de se comporter ainsi. Si vous prenez le cas de Yomou, N’Zérékoré, Lola, depuis 1912 quand on a fait la division territoriale de la Guinée, les actuelles préfectures de Yomou et Lola étaient dans la même mouvance administrative que N’Zérékoré. Et en dépit des différences de coutumes, de langues notamment entre Kpèlè et Mano, on ne distinguait plus qui était Kpèlè, qui était Mano. Les gens vivaient normalement. Et ça pouvait servir de support. C’est à cela que 43

nous travaillons pour intégrer aussi les autres préfectures telles que Macenta, Guéckédou, Kissidougou en dépit du fait que certaines préfectures sont très assimilatrices. À Kissidougou, vous avez des Lélés, des Kourankos, des Malinkés et maintenant, il y a un groupe de Peuls assez important qui opèrent là-bas. Tous ceux qui ont implanté des unités économiques, qui ont fait des élevages, qui ont bâti des maisons, veulent se sentir Kissi ou Toma. C’est leur droit. La Constitution donne le droit à tout Guinéen d’habiter n’importe quel coin du territoire national s’il en fait une juste et légale acquisition. Cela n’empêche pas que le pays soit bâti sur des unités ethniques, humaines, qui revendiquent la propriété du sol. Si on est guinéen, on veut l’unité nationale, on commence l’unité quelque part. Or, l’unité se réalisait déjà au temps colonial par la vie en commun des habitants de la région qu’on appelle improprement Yomou (c’est le pays entre deux rivages). C’est ce pays qui continue depuis, entre le sud de Beyla jusqu’à Kakata au Liberia. Le Mana, qui est le pays des Mano, vient du nom Manassé, un grand guerrier Sarakolé qui, après la défaite de Soumaoro Kanté, est descendu avec sa famille, armes et bagages vers la Bandama. Ils ont été bloqués par le mont Tonkoui. Ils se sont installés puis ils ont prospéré, ils se sont déportés vers le sud pour conquérir d’autres territoires. Le peuplement de la région forestière, pour ne citer que ces deux cas, s’est fait successivement en fonction des migrations orientées du nord vers le sud. Les grands empires du Sahel ne se sont constitués que par l’évincement graduel des populations vaincues. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’il faut à la forêt pour être forte et pour exprimer avec fierté ses acquis ? C’est faire son unité. Vous savez qu’en basse Guinée, l’élément Soussou qui a fini à cause de sa langue qui est facile à parler et qui a servi de vecteur pour le commerce dans cette zone, a intégré des grandes ethnies comme les Bagas, comme les Temnés, comme les Tyâpis qui ont disparu. Aujourd’hui, on ne sait pas si ce sont eux qui sont à Koundara. Il n’y a pas de preuve historique. Donc ça s’est réalisé en basse Guinée avec les mêmes données qui sont actuellement en forêt. Mais la difficulté de la forêt, c’est qu’aucune langue n’a réussi à s’imposer par son utilité, soit dans l’éducation, soit dans le commerce, soit dans les autres activités économiques. Au Fouta, il y a plus d’ethnies qu’en basse Guinée et en forêt (…). Tous ceux qui adhéraient à l’islam recevaient l’enseignement en Poular. La langue est devenue le moyen de contact avec l’autre dans la paix. La seule région qui a la chance inouïe de par l’histoire d’être homogène, c’est la haute Guinée. Si vous prenez le Malinké, le Konianké, le Bambara, le Sarakolé, même le Sonrai, ils se sentent tous de la même 44

souche. Dans le Macina, tout le monde s’exprime en Bambara alors que le Macina, c’était l’empire Peul. Mais l’usage du Bambara, dont le succédané est le Malinké, a servi de véhicule qui a même créé une ethnie qu’on appelle le Djoula (commerçant)… Je condamne sévèrement la persistance de ceux qui ont pris l’initiative qui a fait tache d’huile : il n’y avait aucune raison que les Manos et les Guerzés puissent se trouver en état de conflit. À mon avis, c’est un problème qu’on va résoudre avec le temps. Ce n’est pas un problème si important. On va le résoudre. Mais dans de pareilles situations, il y a toujours en bas des manipulateurs qui ne sont pas toujours ceux que l’on désigne du doigt. Parce que naturellement, la politique s’en mêlant, dès que ça ne va pas on dit : « ah le gouvernement est en train de manipuler ». Mais ici, non ! Ce sont les éléments autochtones qui créent des problèmes entre eux alors que la situation était acquise pour servir de base solide à l’unification de cette région. Unifier ne veut pas dire qu’après l’unité personne ne parlera plus Mano ou Guerzé ou Toma ou Kono. En France, il y a les gens du nord avec leurs caractères et les gens du sud qui sont très typés, mais ils se reconnaissent tous français. Quand nous parlons de l’unité nationale, ça ne veut pas dire que quand demain elle sera acquise, il sera interdit de parler Malinké, Poular, Toma, Kisséi, Kpèlè ou Soussou. Non ! Nous serons des Guinéens réagissant d’un seul mouvement aux événements heureux ou malheureux, mais tout en étant moi Mano, vous Peul, lui Kpèlè, l’autre Malinké, etc. Nous avons fait nos enquêtes, les élections communales arrivent, ce sont des gens qui veulent coûte que coûte diriger la commune de N’Zérékoré qui croient qu’en se repliant sur l’ethnie, ils vont devenir les edile-Koro-loum (magistrat municipal d’une grande ville détenteur du pouvoir exécutif) de demain. Ce n’est pas bien. Je ne condamnerai jamais assez les initiateurs des événements de N’Zérékoré. Mais je crois qu’il faut se dire la vérité : si le gouvernement trouve un terreau propice, il investit. Tout gouvernement ferait ça. Les gens créent une situation dont l’exploitation facilite le travail du gouvernement. Pour terminer, il n’y a pas un problème, naturellement, opposant Guerzé et Mano. Ce n’est pas vrai.

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VI. « Bras de fer entre pouvoir et opposition : Jean-Marie Doré donne sa position » Par Diallo Boubacar I pour africaguinee.com le 7 juillet 2015

Dans cette interview accordée à africaguinee.com le 7 juillet 2015, le leader de l’UPG donne sa position sur le bras de fer qui met aux prises le gouvernement à l’opposition. AFRICAGUINEE.COM : Honorable Jean-Marie Doré, bonjour ! JEAN-MARIE DORÉ : Bonjour, monsieur Diallo ! AFRICAGUINEE.COM : Le dialogue politique vient de capoter avec le retrait de l’opposition au processus des négociations. Qu’est-ce que cela vous inspire ? JEAN-MARIE DORÉ : Je ne suis pas le juge de l’opposition. Je n’ai pas à juger ses actions, mais comme il s’agit d’un processus qui a une certaine influence sur le cours de la gestion de notre pays, on est obligé d’avoir un œil sur le déroulement de ce dialogue auquel je n’ai pas participé. Comme vous le savez, c’est l’opposition radicale qui a demandé le dialogue, donc sauf elle seule y participe. Et la loi est venue consacrer l’existence de la mouvance et de l’opposition. Nous sommes du centre, on n’a pas cru devoir nous inviter au nom du principe du tiers exclu, ce raisonnement qui consiste à dire qu’il n’y a rien entre le « oui » 47

et le « non ». De ce côté-là, il faut que vous sachiez que je n’ai pas le droit de porter un jugement sur les motifs secrets qui ont poussé l’opposition à dire qu’elle ne participe plus à ce dialogue. Moi, je regarde les intérêts de la Guinée, je dis que ce n’est pas comme ça qu’on fait la politique. S’il y a dialogue, c’est que quelque part on ne s’entend pas. Donc, il faut régler les problèmes par des contacts pour évaluer les arguments en faveur de la proposition actuelle du gouvernement ou contre la proposition actuelle du gouvernement. Comme nous avons derrière nous des gens dont les intérêts sont engagés, il faut s’armer de patience pour prendre à témoin l’opinion. De quoi s’agit-il ? On a dit qu’il faut changer le programme électoral, on a dit qu’il faut changer la CENI (Commission électorale nationale indépendante). À mon avis, on peut toujours changer le programme électoral pourvu que ce changement n’amène pas à violer la loi. Si le gouvernement se crispe là-dessus, je ne comprends pas ses raisons. Violer la loi serait d’organiser l’élection présidentielle de telle manière que le mandat du Président soit exclu de la surface de la légalité. Le président Alpha Condé a prêté serment le 21 décembre, il faut qu’au plus tard le 21 décembre il y ait un nouveau président. Ça peut être lui, ça peut être un autre. Ce n’est pas ce qui est important. Ce qui est important, c’est qu’il n’y ait pas de vide juridique dans l’exercice de la légitimité politique de celui qui est en charge du destin global de la Guinée. Avec cette marge-là, si j’étais partie prenante du dialogue, c’est là qu’il fallait creuser. Mais comme vous le savez, beaucoup de gens que j’ai observés anticipent toujours sur les réalités avec une mauvaise évaluation. Il faut dialoguer jusqu’à épuisement, jusqu’à ce que l’opinion sache si c’est le gouvernement qui a tort de ne pas trouver la solution ou si c’est l’opposition. Je ne connais pas dans ce monde, en Europe, en Asie, en Amérique du Nord, en Océanie, encore moins en Afrique, un gouvernement qui organise les élections quand la situation lui est défavorable, il n’y en a pas. Donc, dire qu’Alpha Condé veut faire ceci ou cela, ça me paraît absurde, naïf. Et puis, on parle de discussions futiles en aberration byzantine. C’est ce qui égare l’opposition. Elle investit tous ses efforts dans des quêtes mal évaluées. Selon moi, cela n’est pas recevable. Je ne dis pas que le gouvernement a raison de tirer sur la corde, je ne dis pas que l’opposition a tort de prendre cette position. Mais je dis qu’en voulant changer le cours de choses, il ne fallait pas se contenter de publier le contenu des revendications en souhaitant que le lendemain le gouvernement vienne dire oui. Ça ne serait pas un gouvernement africain.

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AFRICAGUINEE.COM : Parmi les exigences de l’opposition, il y a la recomposition de la CENI avant d’aller aux élections. Pensez-vous que ça soit possible de recomposer cette institution dans ce contexte ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais on ne peut pas recomposer la CENI ! À moins de faire un coup d’État à la CENI. Parce que les membres de la CENI, au terme de la loi qui est claire, sont élus pour sept ans. Ce ne sont pas des gens qui sont cooptés par le gouvernement comme ça ! Le gouvernement a coopté ses représentants, chaque parti politique a proposé son représentant. Ils sont là-bas au nom de la mouvance et au nom de l’opposition. Il faut reconnaître, il faut dire la vérité, l’opposition a mal géré ses représentants. La moindre contrariété dans le dialogue avec la CENI, on dit : « il faut retirer nos représentants ». Je vais vous dire une vérité qui va choquer, peut-être. Les gens de la CENI au début, quand ils ont commencé, on leur donnait le prix du taxi seulement quand ils venaient en réunion. Puis on a dit que l’affaire commençait à prendre une certaine allure, on allait leur garantir un certain revenu mensuel. Je crois que c’était 250 000 francs guinéens. Puis ayant légiféré là-dessus, ayant nommé une CENI permanente avec des membres élus pour sept ans, on a dit qu’il fallait les mettre dans une hiérarchie. Aujourd’hui ils ont un salaire consistant. C’est très important. Quelqu’un qui va de 1 à 100, il regarde deux fois avant d’abandonner l’acquis. C’est un tort de la part d’un parti qui ne tient pas compte de ça. Il y a un débat à la CENI qui ne plaît pas aux partis, ils n’appellent même pas leurs représentants pour leur demander ce qui se passe là-bas. Ils discutent dans une permanence, on constate que la CENI n’est plus représentative de nos intérêts, on téléphone : « hé, dis dons, n’allez plus à la CENI ! », le type dit : « Mais on me prend pour qui ? » Ce n’est pas une question de manque de patriotisme. Patriote ou pas, il faut que vous mangiez trois fois par jour ! Donc, ici l’opposition s’est mise en minorité renforcée, alors qu’elle l’était déjà. Moi j’ai partagé l’opinion de l’opposition qui demandait que forcément les deux représentants de l’administration votent pour le gouvernement. Ajouté le nombre qui formait la parité avec l’opposition, le gouvernement a deux voix d’avance à chaque vote. Pour ça j’ai trouvé une formule pour que le gouvernement ne soit pas représenté par deux commissaires qui participent au vote. Il faut qu’ils aient une voix délibérative, mais il ne faut pas qu’ils votent. Ce sont des techniciens qui viennent au nom de leur savoir-faire, aider les gens de la CENI à lire les textes. Je crois que le gouvernement doit pouvoir céder là-bas. Il fallait 49

insister là-dessus pour ramener la parité. Avec le droit de vote des deux représentants de l’administration, le principe de la parité est faussé. Mais au lieu de jouer sur ce registre-là, l’opposition elle-même s’est séparée de ses représentants à la CENI. Comme le gars est élu pour sept ans et qu’il a prêté serment, il n’est pas obligé de répondre à l’appel de son parti. Croyez-vous que le gars va rester comme ça ? Non ! Il va voter pour la mouvance. Donc, cette histoire de remplacer la CENI me paraît complètement stupide, au nom du bon sens. Il faut que les gens se mettent en phase avec leurs représentants pour rétablir l’équilibre entre le nombre des membres élus désignés par la mouvance et le nombre des membres élus désignés par l’opposition. Mais je ne crois pas que ce soit une bonne chose de revendiquer coûte que coûte la réforme de la CENI. AFRICAGUINEE.COM : L’autre point qui divise aujourd’hui les acteurs politiques, c’est le fichier électoral, qui selon l’opposition, est complètement corrompu. Avez-vous le même avis ? JEAN-MARIE DORÉ : Il y a une certaine confusion dans l’établissement du fichier. Ça ne fait rien, ni à l’opposition, ni au gouvernement de s’asseoir et d’écouter des vrais experts, pas des gens ramassés sur les marchés publics, pour qu’ils disent le péché principal du fichier. Parce qu’il ne sera jamais à 100 % idéal, ça péchera toujours quelque part, mais il faut que ce soient des aspects mineurs. Moi, je ne suis pas expert dans les questions informatiques. J’ai écouté des gens qui m’ont dit qu’il y a des nettoyages à faire. Mais selon la tendance de l’un des experts, ça n’empêche pas les élections, l’autre dit : « Ah, ça peut quand même entacher dans une mesure sensible la signification démocratique du scrutin. » Donc, dès que des gens, au nom de leur art, ont dit ça, il faut négocier la qualité d’experts capables d’auditer le fichier, puis on va aux élections. Mais cette tendance à dire toujours qu’on rejette en bloc, ce n’est pas normal, ça. C’est un échange d’informations des possibilités, on marche l’un vers l’autre. Mais si c’est un qui doit imposer son point de vue à prendre ou à laisser, ce n’est plus un dialogue, ça devient un diktat, que ça vienne du gouvernement ou de l’opposition. Or, on veut démocratiser ce pays ! Il faudrait donc que nous allions à l’école du dialogue, du débat parce que la démocratie signifie le débat. C’est la force des arguments qui l’emporte, or les arguments ne s’échangent que dans un débat. Mais si vous refusez le débat, il ne vous reste plus que les fusils. Donc, je pense que le sujet est grave, mais la façon de traiter le problème ne me paraît pas bonne. 50

Je ne dis pas que l’opposition a tort partout dans cette bataille, mais c’est plus dans le style que dans l’argumentaire. Cette façon de quitter son siège l’affaiblit. Aujourd’hui, l’opposition est affaiblie. Ils avaient demandé l’annulation du calendrier électoral, puis on se rabat en disant qu’il faut les tenir au mois d’août. Mais nous avons toujours refusé l’organisation des élections entre juillet et septembre parce qu’il y a la pluie. Pourquoi, aujourd’hui, nous allons répudier le même principe en disant qu’il faut organiser les élections communales au mois d’août ? Estce que ça fait sérieux, ça ? Si hier ce n’était pas bon d’organiser les élections au mois d’août, la météo n’ayant pas dit le contraire, je ne vois pas encore de changement climatique sensible. Donc il faut attendre la bonne saison pour organiser les élections. Dans l’intérêt supérieur de la nation, il faut que les gens qui croient que c’est un titre de gloire d’être dans l’opposition soient mieux inspirés. Le mot opposant a toujours une connotation négative, parce que ça connote la défaite. AFRICAGUINEE.COM : L’opposition semble avoir changé de stratégie vis-à-vis du gouvernement. Désormais elle propose un partage des élus locaux en tenant compte des résultats des dernières élections législatives. Croyez-vous que c’est une piste de solution à explorer ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais non ! C’est une absurdité totale ! Moi je vais demander alors qu’on me cherche une moyenne en dehors des élections. Puisque dans l’intérêt national, j’avais accepté la charge de Premier ministre pendant la transition. Mon parti n’a pas été aux élections. Comment on va mesurer si je demande que l’on aille plus loin que les élections législatives ? Je le dis avec beaucoup de contraintes. C’est imbecilis (faible d’esprit). La façon de raisonner est imbécile, ce n’est pas bon. Le même qui vote pour moi à l’élection présidentielle ne votera pas pour moi à une élection communale à Labé. Parce qu’il y a des contraintes locales à Labé qui font qu’on veut avoir affaire à un notable du coin. Si vous prenez le résultat des élections législatives, c’est encore pire. Ce n’est pas juste, c’est absurde. Je m’insurge contre ça. Je m’oppose catégoriquement à ça. Il faut organiser les élections communales quand le temps viendra de le faire, on mesure la force de chacun selon ses résultats issus des élections communales. Pourquoi on le ferait seulement pour les élections communales et non pas l’élection présidentielle ? Quand les gens raisonnent, quelquefois on ne voit pas ce qu’on peut faire des arguments qu’ils utilisent. Donc je trouve que c’est idiot, c’est stupide, c’est naïf de vouloir se passer des élections communales pour donner des conseillers en fonction des résultats d’une autre élection. C’est la plus grande absurdité, ça n’a aucun sens. 51

AFRICAGUINEE.COM : Pour contraindre le gouvernement à lâcher du lest face à ses revendications, l’opposition menace encore de reprendre les manifestations de rue après le mois de ramadan. Qu’en pensez-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Je ne vais pas faire de commentaires pour ne pas passionner le débat. J’ai écouté le président de l’UFDG (Cellou Dalein Diallo) quand il a perdu beaucoup de militants (…). Il faut rendre hommage à ces jeunes militants de l’UFDG qui ont un courage exceptionnel, qui n’ont ménagé aucun acte de bravoure pour soutenir la direction de leur parti même à soixante morts, plus que ça même. Qu’estce que la mort de ces jeunes gens et les manifestations antérieures ont donné comme résultat ? Il faut d’abord faire le bilan de ces manifestations pour voir dans quelle mesure elles apportent quelque chose à ceux qui les organisent. Menacer de reprendre les manifestations dans le contexte actuel, pour moi ce n’est pas sérieux, compte tenu de ce que je viens de vous dire. Je crois qu’il faut éviter de considérer nos militants comme des moutons. Quand on a besoin d’un rôti, on l’envoie au barbecue. Il faut respecter les gens qui viennent se mettre à la disposition des partis pour faire pression. Parce que la rue fait toujours pression. Mais si vous n’en sortez pas une fois, deux fois, trois fois des gains, l’opinion finit par se lasser de vous et retourner contre vous des arguments que vous développez contre le gouvernement. Donc, moi je ne crois pas que ça soit des poussins que l’on pousse à la rue pour aller manifester sans qu’on rende compte des manifestations antérieures. AFRICAGUINEE.COM : Dans la situation actuelle, quelle est la voie qui vous semble la plus plausible pour sortir de cette crise ? JEAN-MARIE DORÉ : Il faut voir avec qui discuter. Vous avez des gens qui n’ont pour spectacle que leur nombril. Ils ne voient pas plus loin que l’ambition refoulée qu’ils ont d’être le président de la République, sans savoir qu’il y a des conditions à remplir pour devenir président de la République. La maîtrise de la sociologie guinéenne, de l’histoire guinéenne, de l’économie guinéenne, ce sont des données qu’il faut maîtriser, en faire une synthèse dynamique avant de présenter le devis pour que le peuple vous donne acte de votre prise de position pour voir s’il peut s’aligner derrière vous ou pas. Mais actuellement l’opposition n’est pas mûre pour écouter la voix de la raison. Parce que pour aller au pouvoir, on n’emprunte pas une voie linéaire. Il y a des moments de pause, il y a des moments où il faut prendre un chemin vicinal et renoncer aux autoroutes. 52

AFRICAGUINEE.COM : Quelles solutions proposeriez-vous pour sortir de cette situation ? JEAN-MARIE DORÉ : J’ai des solutions, mais je les explique dans le cadre de notre stratégie. Ce ne sont pas les gens qui nous ont refoulés en disant que nous, on n’est même pas des Guinéens, parce que pour eux, pour être guinéen il faut être opposant (rires), Dieu soit loué que moi je ne sois pas de cette opposition-là. C’est d’une telle absurdité ! Il faut raisonner, il faut réfléchir. Ce n’est pas une affaire d’amourpropre. Quand on fait de la politique, il faut évacuer l’amour-propre, il faut évacuer les états d’âme. Les gens croient que c’est parce qu’ils ont créé un petit parti, ils ont des sigles, qu’ils sont des hommes politiques, mais non ! C’est une longue marche. Mais je regrette profondément qu’on ait mis fin à la poursuite du processus du dialogue. Il fallait continuer. C’est ça l’apprentissage de la démocratie. Pour dire bref, je pense qu’il faut revenir à la table des négociations, pas pour radoter, mais pour dire des choses sérieuses. Pour dire ce qui est compatible avec la réalité et ce qui ne l’est pas. Parce qu’en dépit de tout ce qui compte, c’est l’organisation du scrutin de telle manière qu’il soit régulier. C’est-à-dire qu’il y ait le moins de tricherie possible. AFRICAGUINEE.COM : Un mot pour conclure ? JEAN-MARIE DORÉ : Pour conclure, je m’oppose catégoriquement à l’idée infâme, absurde, de prendre les résultats d’une élection pour se passer d’une autre et distribuer les postes comme ça. Si c’est comme ça, il faut donner la plénitude au pouvoir d’Alpha Condé de faire l’économie du papier pour l’organisation des élections. Il faut que l’opposition exclue la passion dans le débat politique. Elle n’a pas de place dans un débat comme ça. Quand on danse avec un aveugle, il faut souvent lui marcher sur les pieds pour lui rappeler qu’il n’est pas seul sur scène. Que je participe ou pas à ces négociations, ce n’est pas ce qui est important. Ce qui est important, c’est que quelque part on s’accorde sur une idée qui préserve les intérêts de la Guinée. Parce que toutes ces querelles, ces manifestations, ont pour effet de dissuader les investisseurs. Au bout du compte ce sont les jeunes gens qui se promènent avec les copies de leurs diplômes qui sont pénalisés.

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L’effet de dialoguer n’est pas forcément en faveur du gouvernement. Et même si c’était le cas, dès lors que ça sert les intérêts du plus grand nombre, je ne vois pas pourquoi il faudrait refuser. Parce qu’il y aura toujours un gouvernement en Guinée. Si à chaque fois que quelqu’un est au gouvernement on dit « non, ce n’est pas lui qui devait être là, il faut le changer », on ne s’en sortira pas. Chacun va gouverner sa femme et ses enfants. Quel serait ce pays-là ? Ça n’existe pas même en enfer. Donc, je souhaite de tout cœur que la Guinée sorte de ces errements, qu’elle se recrédibilise pour le bonheur de son peuple. AFRICAGUINEE.COM : Merci d’avoir accepté de répondre à nos questions ! JEAN-MARIE DORÉ : C’est moi qui vous remercie !

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VII. « De la présidentielle en Guinée et la caution de 800 millions de FG » Par Diallo Boubacar I pour africaguinee.com le 16 août 2015

Entretien de Jean-Marie Doré, leader de l’UPG, avec africaguinee.com, le 16 août 2015. AFRICAGUINEE.COM : On vient de fixer la caution à payer pour l’élection présidentielle à 800 millions GNF et aussi le plafonnement de la campagne à 20 milliards. Qu’en dites-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Je crois que l’amplification de la caution, d’une élection à une autre, n’est pas de nature à favoriser l’émergence de tous les problèmes d’opinions, parce que la démocratie se caractérise aussi par l’aménagement du cautionnement qui est une nécessité. Mais si on l’exagère, il devient un vote censitaire. Si la fortune vient supplanter le droit de vote des citoyens, cela entame gravement la capacité des citoyens à participer massivement à l’expression du suffrage. Il est normal qu’il y ait une caution, parce que l’État fait des dépenses. Cette caution sert à rembourser aux dépens des partis qui ne dépassent pas le seuil des 5 %, les dépenses effectuées par le gouvernement pour l’impression des cartes d’électeurs, pour l’impression des panneaux de photo des candidats. Mais il faut que ça soit fixé de façon raisonnable pour que la participation des problèmes d’opinion soit effective. AFRICAGUINEE.COM : Nous remarquons une augmentation de 100 %, puisqu’en 2010 quand vous étiez Premier ministre, c’était 400 millions. Qu’en dites-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Ça me paraît aller à contresens du but qu’on voudrait atteindre, si la caution, d’une élection à une autre, est doublée sans que cela ne soit justifiable. Avant, d’ailleurs, la caution était à 20 millions puis 30 millions, la progression était normale. Mais à partir de 400 millions jusqu’à 800 millions, cela me paraît excessif. 55

AFRICAGUINEE.COM : Le mardi 11 août 2015, on vous a vu à l’investiture du président Alpha Condé comme candidat à l’élection présidentielle, apparemment tout joyeux. Est-ce un signe de rapprochement entre vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Vous croyez que les Guinéens doivent être tristes partout où ils passent ? Le fait d’aller rire dans une ambiance où tout le monde est content ne signifie pas que l’on s’approche ou que l’on s’éloigne. N’oubliez pas que nous sommes quatre amis : Bâ Mamadou, Siradiou Diallo, Alpha Condé et moi. Nous avons lutté sur tous les fronts pour que les lois fondant et instituant le système démocratique ne restent pas lettres mortes. Nous sommes des amis et dirigeons des partis qui ont chacun une méthode, une expression. Donc, ceci compris, je trouve tout à fait normal que quand les militants d’Alpha Condé organisent un congrès pour choisir leur candidat, s’ils m’invitent, il faut que j’y aille. AFRICAGUINEE.COM : oui, mais à l’investiture de Cellou Dalein Diallo, vous n’y étiez pas ? JEAN-MARIE DORÉ : Parce que j’étais en mission à l’intérieur du pays. Je suis rentré lundi dernier à minuit. AFRICAGUINEE.COM : Justement par rapport à cette mission, votre parti vous a plébiscité non seulement comme président de l’UPG, mais aussi comme futur candidat à l’élection présidentielle de 2015. Vos impressions ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est un pléonasme de dire que nous étions contents. Les gens donnaient notre parti pour mort, mais il s’est réveillé avec tam-tam et trompette. C’est que nous sommes présents sur le terrain surtout, le président du parti est un militant comme un autre, si les citoyens lui font confiance, il a le devoir d’être content au lieu de s’attrister. Mon ami Kassory est venu me chercher pour qu’on participe à la convention du RPG, et on y est allé. AFRICAGUINEE.COM : De plus en plus on parle d’une coalition qui réunirait des partis politiques issus de la région forestière. Comment se fera le choix du candidat de cette coalition pour la présidentielle ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est déjà fait. On s’est réuni et on a pensé que la multiplicité des candidatures n’est pas une voie efficace de se faire comprendre du citoyen. On sait d’avance, dès l’énoncé des noms des partis, qu’aucun n’atteindra le but des partis politiques. Parce que tout le monde sait qu’un parti est créé pour la conquête du pouvoir. Si face à des grands partis comme le RPG ou l’UFR on crée vingt partis en face, il est 56

évident qu’aucun des vingt ne pourra passer le seuil minimum. Par contre, si vous allez en rang serré, vous composerez le menu de telle manière que les ingrédients soient abondants. Je crois que c’est une voie d’efficacité. C’est une bonne chose d’aller vers les grands regroupements. C’est non seulement efficace pour gagner, mais cela constituerait aussi un réservoir pour le choix dans la succession. AFRICAGUINEE.COM : Est-ce qu’il y aura des primaires vu que vous, Dadis, Gandhi Tounkara, le ministre Papa Koly Kourouma, ambitionnez tous de briguer la magistrature suprême du pays ? JEAN-MARIE DORÉ : Ils ne m’intéressent pas. Vous m’avez posé une question sur mon parti et ses activités. Les autres c’est leur affaire, ce qu’ils font ne m’intéresse pas. J’ai affaire à des gens qui ont la volonté de faire la même chose que moi, on unit nos forces. Mais s’il y a des forces périphériques divergentes, cela ne m’intéresse pas. AFRICAGUINEE.COM : Que pensez de la détention du député Ousmane Gaoual Diallo suite à une altercation qu’il a eue avec l’opérateur économique Diouldé Diallo ? JEAN-MARIE DORÉ : Non, ce n’est pas une altercation, mais une agression contre la personne physique de Monsieur Diouldé. Il faut dépassionner ça. L’Assemblée nationale a commandé des véhicules, la société de monsieur Diouldé a été cooptée pour fournir les cent douze véhicules des députés plus les véhicules de service. Ce qui fait, je crois, cent vingt-quatre voitures. Moi par exemple, il a fallu un mois pour que j’aie ma voiture. Du dehors on ne comprend pas. Mais il y a tout d’abord l’influence du ministère des Finances, de la douane, il y a toute une opération. Les véhicules ne peuvent pas venir d’un coup. Je crois d’ailleurs qu’il y a huit personnes qui ne sont pas encore en possession de leur voiture, dont trois députés de la mouvance. Donc ce n’est pas une affaire politique, mais plutôt une question de répartition. Alors ce que je crois savoir, c’est que monsieur Gaoual est allé dans les locaux de TANE pour demander sa voiture et Diouldé lui a dit qu’il n’avait pas de voiture à lui donner, mais plutôt d’aller s’adresser au secrétaire général de l’Assemblée nationale. Mais il a tenu à ce que ça soit Diouldé qui soit le responsable des commandes. Diouldé lui a dit qu’il avait une lettre dans laquelle il était dit que tout député qui voudrait une voiture devait s’adresser au secrétariat de l’Assemblée, mais il a passé outre. Pendant ce temps, Diouldé était en train de manger dans son bureau, Gaoual a pris son verre et il l’a cassé. Il était accompagné de deux gardes du corps. Puisque Diouldé continuait à manger, il a pris le contenu du verre, il l’a 57

jeté au visage de monsieur Diouldé, d’après les témoignages qui m’ont été rapportés de façon concordante. Heureusement qu’il s’est protégé les yeux pour ne pas recevoir les tessons dans ses yeux. Par contre il était grièvement blessé et les employés de Diouldé qui étaient là, qui voulaient venir au secours de leur patron, ont également été molestés par les gardes du corps qui accompagnaient Gaoual. Un acte comme celui-là, qu’on soit député ou ministre, ce n’est pas bon. Il n’est pas permis d’aller au domicile des gens bien que cet endroit soit un commerce et d’agresser les gens. Ici c’est un flagrant délit, il n’y a pas d’interprétation à ça. La loi dit en son article 48 que le député est protégé contre les arrestations, l’emprisonnement, mais que le député n’échappe à la poursuite que si une enquête en cours laisse présumer qu’il est coupable. Dans ce cas, il peut écrire à l’Assemblée nationale de lever l’immunité pour qu’on fasse des enquêtes. Mais en cas de flagrant délit, le procureur poursuit, sans demander l’autorisation de l’Assemblée. Parce que c’est un flagrant délit, il ne peut pas nier, il n’a pas à constituer des témoins, on l’a pris sur les faits (…) La justice est dispensée de faire la procédure d’information et de la demande de mise à jugement du coupable. J’ai écouté des discours à l’Assemblée disant que l’arrestation était illégale. Non, ce n’est pas parce qu’un député est de mon parti que lorsqu’il commet une faute, il faut l’absoudre parce qu’on n’a pas demandé l’avis du groupe parlementaire. Le fait d’appartenir à un groupe parlementaire n’est pas une garantie de non-poursuite. La seule garantie de non poursuite, c’est quand il y a une enquête contre un député, le résultat doit être soumis au président de l’Assemblée nationale qui, après consultation des organes de l’Assemblée, décide si malgré tout il faut poursuivre ou non. Mais le flagrant délit, le procureur passe outre. Il n’est pas tenu de solliciter l’avis du président de l’Assemblée. À mon avis, un parti politique doit savoir sanctionner son militant quand il a un certain comportement parce qu’à la fin, ça rejaillit négativement sur le parti. Le fait d’approcher un député qui s’est rendu coupable de coups et blessures sur la personne ne diminue pas le parti. Au contraire cela montre qu’au sein de ce parti, il y a de la discipline. Et que l’on sait séparer les bons grains de l’ivraie. Si l’on mélange tout à l’immunité parlementaire, on arrivera à une situation de conflits. AFRICAGUINEE.COM : Face à la menace de Boko-Haram, le président Alpha Condé a dit que la Guinée pourrait envoyer des soldats si les pays concernés en sollicitaient. Quel est votre avis sur cette question ? 58

JEAN-MARIE DORÉ : Mais c’est normal. La Guinée, le Nigeria, le Niger, le Cameroun, le Mali font partie de la CEDEAO. Et la CEDEAO est frappée de plein fouet par les attaques sans réplique significative des armées des pays touchés. La Guinée doit apporter son soutien parce que c’est une zone relativement connue de nos armées. Par contre, je m’étais opposé à l’envoi de nos soldats à Djibouti, parce que le climat de ce pays n’était pas supportable par nos soldats, les gens le savent. Mais au Nigeria, il y a la partie de la forêt et de la savane. Donc ici le niveau d’entraînement de nos soldats leur permet de se déployer sans trop de dommages. AFRICAGUINEE.COM : Mais est-ce que cela n’exposerait pas notre pays face aux attaques de Boko Haram ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est si nous ne faisons rien, quand Boko Haram dans la pire des situations aura pris solidement racine, au Nigeria, au Mali au Burkina… que la Guinée sera broyée par un petit effort, donc il faut une anticipation. La meilleure façon de se défendre, c’est d’attaquer, mais en conformité avec les réalités du terrain. Moi je suis d’accord avec nos chefs des armées pour ça. Le premier devoir d’un chef d’État c’est de défendre l’intégrité territoriale de son pays et la sécurité de ses citoyens. C’est s’il ne fait rien que cela va être grave. La Guinée est exposée à plusieurs sortes de maux. Il y a non seulement la menace Boko-Haram qui s’est muée en État islamique, mais on laisse ici, pour des raisons qui m’échappent, fleurir les semences de Boko-Haram (…). Vous voyez toutes ces femmes voilées, ce n’est pas normal, on ne sait pas ce qu’elles cachent sous le voile. Je pense qu’il faut presser le président Alpha Condé de prendre des dispositions réglementaires de manière légale interdisant le port du voile dans la rue. Si nous voulons être sérieux, il faut interdire cela, il ne faut pas que la religion serve de prétexte au développement d’individus mal intentionnés qui cachent leur visage dans la rue. Il faut que la police puisse identifier tous les citoyens du pays. Quand tu es chez toi, il t’est loisible de porter ton masque, mais dès que tu franchis le seuil de ta porte pour dehors, il faut que tu sois identifiable. C’est la sécurité collective qui est en question, ce n’est pas une affaire de gouvernement seulement. Ce n’est pas parce que monsieur Alpha Condé a fait le discours parce qu’il a peur, c’est son devoir et sa charge de veiller à ce que tous les criminels soient identifiés. Donc je suis solidaire de toutes les déclarations qu’on ferait dans ce domaine pour identifier tout le monde. Celui qui veut se couvrir va au couvent, or la Guinée n’est pas un couvent. 59

VIII. « L’opposition s’est ridiculisée » Par Richard Tamone pour guinee7.com le 1er août 2015

Dans un entretien accordé à notre reporter, l’ancien Premier ministre Jean-Marie Doré répond à quelques questions brûlantes de l’heure et relatives à l’actualité nationale. Doré répond sans détour en pointant du doigt l’amateurisme qui a caractérisé le comportement de l’opposition dans le processus de dialogue. GUINEE7.COM : Quelle analyse faites-vous de la situation sociopolitique guinéenne ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est un sujet qui a déjà été rabâché, tout le monde reconnaît maintenant que la situation sociopolitique est dominée malheureusement par ces problèmes d’élections, qui constituent la trame de tous les débats qu’on est en train de faire. En oubliant un peu, pour ne pas dire beaucoup, la recherche de la solution au vrai problème que constitue aujourd’hui la détérioration de la situation économique avec ses incidences sociales et l’insécurité qui règne actuellement à Conakry. Ce sont là les problèmes immédiats importants qui agissent sur le rythme des investissements qui devraient se réaliser en Guinée, pour résoudre le problème de l’emploi des jeunes qui se promènent dans tous les ministères, les entreprises, avec leurs diplômes sans que cela trouve un 61

écho favorable sur leur avenir. Je crois que c’est ça l’essentiel de ce qui devrait retenir l’attention et la préoccupation de tous les Guinéens responsables. GUINEE7.COM : Excellence, quelle explication avez-vous à donner du dialogue politique qui reste encore une fois dans l’impasse ? JEAN-MARIE DORÉ : Je l’ai dit déjà à certains de vos confrères qui sont passés me voir ici. C’est l’opposition qui s’est mise dans une situation très mauvaise : l’opposition a fait des revendications, mais sans tenir compte de leur environnement et celles-ci ont été mal ficelées. C’est ainsi que le gouvernement a facilement trouvé une faille. Il a cédé sur des points auxquels l’opposition tenait beaucoup et puis quand on a cédé sur ces points, ils se sont aperçus que le problème n’était pas réglé au fond. Immédiatement cela a provoqué des fissures au sein de l’opposition. J’ai lu la dernière déclaration de Sidya Touré concernant cet effritement des rangs de l’opposition. Je dois dire que Sidya a fait une bonne analyse, mais aujourd’hui, je ne crois pas que les gens s’acheminent vers les acquis légaux, chacun veut prendre le raccourci. Or le raccourci c’est le plus grand danger qui menace la Guinée. Je dis cela en guise d’avertissement. Les problèmes qui sont posés, je l’ai déjà dit, si c’est la date des élections, il y a encore une marge qui permette au gouvernement de céder sur certains points. Le président de la République a prêté serment le 21 décembre 2010. Donc, il n’a été président qu’après la prestation de ce serment, il a fixé la date des prochaines élections au 11 octobre, en théorie c’est bon. Mais dès que c’est contesté, c’est qu’il y a problème. Il faut revoir. Parce que la crainte du président de la République, c’est que si on dépasse la date qu’il a indiquée, il risque d’être un président illégitime. Or, selon moi, le président ne devient illégitime que s’il reste en fonction au-delà du 21 décembre sans prêter serment. Donc, il y a matière à organiser des réflexions profondes pour voir les avantages ou les inconvénients de la modification de la date des élections. Et puis il faut noter que rien n’est encore fait dans l’intervalle de temps. Parce que c’est depuis le 11 juillet que nous sommes dans le créneau des trois mois : 11 juillet, 11 août, 11 septembre, 11 octobre et on a dépassé l’intervalle des trois mois. Donc pour que la légalité soit respectée, on peut encore trouver une formule qui mette le président de la République à l’abri de l’illégitimité et qui donne la possibilité à l’opposition de se taper sur la poitrine, mais c’est un combat d’arrièregarde. Je pense que quand on veut présenter des revendications à un gouvernement, il faut voir les inconvénients et les avantages de ses revendications. Tout n’est pas bon dans ce qu’on recherche, tout n’est 62

pas mauvais non plus. Mais il faut réduire la marge de ce qui est mauvais et puis il faut obtenir vraiment le consensus de tous les partis et faire des analyses profondes avant de se présenter au dialogue. Mais on a décidé comme ça par enthousiasme et puis on est allé se ridiculiser devant l’opinion publique. GUINEE7.COM : Certains leaders de l’opposition commencent encore à brandir la menace des manifestations de rue. Qu’en pensezvous ? JEAN-MARIE DORÉ : La menace de reprendre les manifestations, comme je n’étais pas invité au dialogue, je n’ai pas de point de vue à imposer. Je vous ai parlé sur le plan des principes, mais les arguments des uns et des autres ce n’est pas à moi de les juger. GUINEE7.COM : Le président de la République, malgré le blocage du dialogue politique, est en campagne avant la lettre ? JEAN-MARIE DORÉ : Tous les partis sont en précampagne. Est-ce que vous connaissez un parti qui n’est pas en précampagne ? GUINEE7.COM : À ma connaissance, aucun parti ne tient des meetings, surtout à l’intérieur du pays en ce moment. JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Est-ce qu’il y a une loi qui interdit de faire ça ? C’est par exemple des raccourcis qu’il ne faut pas faire. L’opposition a dit des bêtises monumentales, en disant pourquoi le président de la République fait la campagne en hélicoptère de l’État, pourquoi il utilise les voitures de l’État ? Vous, vous avez déjà vu en France un président de la République allant en taxi faire sa campagne ? Le fait qu’il soit candidat n’empêche pas qu’il soit président de la République. Et vous voulez que le président de la République de Guinée aille faire la campagne à pied ? Si on pose le problème comme ça, c’est fausser la réponse, ce n’est pas un argument, ça. GUINEE7.COM : honorable, quelle est votre perception du projet d’alliance Dalein-Dadis ? JEAN-MARIE DORÉ : Non, je me réserve de me prononcer. GUINEE7.COM : Pourquoi ? JEAN-MARIE DORÉ : Dadis est citoyen guinéen, Cellou Dalein est citoyen guinéen, s’ils décident de s’aligner, tout ce que je peux dire, c’est que cela se fasse dans le cadre de la loi. Mais je m’abstiens de tout commentaire face à des actions qui s’inscrivent dans le cadre de la loi. Donc je n’ai rien d’autre à ajouter.

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GUINEE7.COM : Vous avez été victime du massacre du 28 septembre en 2009 survenu au stade. À cet effet, une commission rogatoire a été instituée pour faire la lumière là-dessus. Suite à son audition au Burkina Faso, Moussa Dadis Camara a été inculpé. Vos sentiments par rapport à cette inculpation du capitaine Dadis ? JEAN-MARIE DORÉ : S’il y a eu massacre, on ne peut pas laisser comme ça, dans tous les pays du monde le crime suprême, c’est ça. Meurtre sur une personne, c’est différent de massacre. Le massacre, on commence déjà à compter. Et vous voulez qu’au nom de la politique, on ne parle même pas d’une enquête judiciaire ? Mais je ne trouve pas ça correct, j’ai entendu des supputations imbéciles : « ah, on fait l’enquête parce que l’autre a décidé d’être candidat ». Vous voyez ça, c’est parler facile, quand on est responsable politique, on vise à devenir chef d’État, les partis consistants qui sont créés, leur objectif c’est de prendre le pouvoir par les urnes, et vous croyez que si eux, ils sont présidents et s’il y a de tels massacres, ils ne vont pas faire des enquêtes ? Je vous pose la question. Chez moi c’est une question qui ne se pose pas. GUINEE7.COM : Son parti a laissé entendre qu’au lendemain de la fin du mois saint musulman, Dadis devrait regagner la Guinée. Qu’en pensez-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Dadis est libre, son parti est libre de dire qu’il va venir. Je ne vois pas qui a assez d’autorité pour empêcher l’application de la loi. GUINEE7.COM : Ces derniers temps, certains ressortissants de la forêt invitent des citoyens à ne pas voter, au cas où Dadis ne serait pas de retour. Votre avis là-dessus ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais en Guinée le vote n’est pas obligatoire, le jour du vote, même si vous êtes en bonne santé, si vous estimez qu’il n’y a pas de raison pour que vous votiez, on ne peut pas vous poursuivre. Je ne vois pas où est le problème. S’il y a des gens qui ne veulent pas voter, ils ne votent pas, la loi ne les y oblige pas. GUINEE7.COM : Pour certains, la forêt est divisée par des manœuvres politiciennes. JEAN-MARIE DORÉ : Au Fouta, il y a des gens qui sont pour Alpha Condé. Il y en a qui sont contre lui. C’est une question de proportion ; en basse Guinée, malgré le nombre important de candidats à l’élection présidentielle, il y a des ressortissants de la basse Guinée qui

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ont voté pour des candidats non originaires de la basse Guinée. Je ne vois pas où est le problème. GUINEE7.COM : Honorable, vous étiez à l’Assemblée nationale, vos collègues députés, est-ce qu’ils siègent ? JEAN-MARIE DORÉ : Ils ont décrété, vous avez entendu, qu’ils ne veulent pas siéger. GUINEE7.COM : Comment voyez-vous cela ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais je n’ai pas à voir, c’est leur droit, il y a un règlement à l’Assemblée nationale qui s’applique, je n’ai pas le droit de porter un jugement de valeur sur leur décision de ne pas siéger. GUINEE7.COM : Les plénières se tiennent normalement ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais bien sûr ! Parce qu’il y a une majorité pour tenir les plénières. La seule restriction, il lui est interdit dans les limites du nombre actuel de ceux qui siègent, de voter les lois organiques ou de se prononcer sur la modification des dispositions de la Constitution. Mais les lois ordinaires, il suffit d’une voix de majorité pour qu’elles soient adoptées.

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IX. « Qui sera le candidat unique de la Forêt ? » Par Facély Konaté pour « Guineenews » le 1er août 2015

Au terme de la convention nationale de son parti, l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG) dans la préfecture de Macenta et au cours de laquelle il a été désigné candidat du parti pour la présidentielle prochaine, Jean-Marie Doré a bien voulu se prêter aux questions du quotidien électronique « Guineenews », le 3 août 2015. Dans ce long entretien, il parle entre autres de l’avenir de son parti, l’UPG, la candidature unique des partis politiques de la région forestière lors de la prochaine élection présidentielle ainsi que sur le blocage du dialogue politique interguinéen et la question de l’interdiction du voile intégral. Nous vous proposons la deuxième partie de cette interview. GUINEENEWS : La convention de l’UPG vient de s’achever dans la préfecture de Macenta et vous avez été désigné comme candidat pour la présidentielle à venir. Quelles sont vos impressions et pourquoi le choix de cette ville ? JEAN-MARIE DORÉ : D’abord, on pouvait faire la convention aussi bien à Labé qu’à Gaoual, Koundara, Boké ou à Mandiana. Partout où c’était nécessaire d’aller. Une des préfectures qui nous a supportés à la création du parti c’est bien Macenta. Et puis, cette ville est au centre de la forêt et beaucoup de calculs nous ont amenés à faire la convention ici. C’est plus facile de venir de Conakry à Macenta, ce qui fait 764 kilomètres, que d’aller à Lola où on atteindrait plus de 1 000 kilomètres. Notre parti est vivant et vous l’avez vu dans la salle. Le délai de convention était très court parce que Koundara n’était pas là et en dépit de cet intervalle de temps très court, les gens sont venus et cela montre que le parti est vivant et les militants y sont attachés GUINEENEWS : au cours de cette convention, il était aussi question de plancher sur l’éventualité d’une alliance stratégique. Qu’est-ce qui a été finalement retenu ? 67

JEAN-MARIE DORÉ : Oui ! Il y a deux choses en une. Il y a le choix du parti sur ma personne pour être candidat, mais en réalité, il s’agit d’une candidature à la candidature. Parce que nous avons une alliance qui s’appelle la Coalition électorale pour l’alternance démocratique (CEPAD) qui aura seule le droit de choisir un candidat unique. Et chacun s’est engagé par écrit à respecter la volonté et la décision de la CEPAD. Donc, avec ce document issu de la convention, je vais déposer ma candidature. Il y a déjà la candidature de Gandhi Tounkara (président de l’UGDD, N.D.L.R.), monsieur Moussa Dadis Camara, et il y a d’autres candidatures en perspective. Maintenant, il appartiendra aux sages de la CEPAD de décider… GUINEENEWS : Ça veut dire qu’il y aura une candidature unique au niveau de la forêt ? JEAN-MARIE DORÉ : Oui ! Absolument. GUINEENEWS : Et s’il arrivait que les sages choisissent Moussa Dadis Camara, est-ce que vous allez vous plier à cette décision ? JEAN-MARIE DORÉ : Toute candidature est possible si c’est conforme à la loi. Personne ne peut aller contre le cours de la loi. On peut me choisir, mais si en cours de route on s’aperçoit qu’il y a une incompatibilité (rires) me concernant, la volonté du citoyen est une chose et la place de la loi est une autre chose. GUINEENEWS : En décidant que toutes les formations politiques de la forêt forment un bloc pour aller à la présidentielle, est-ce que cela ne jouerait pas sur le tissu social déjà fragile ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais non, pourquoi ? Au contraire, s’il y a une seule candidature en forêt, c’est un élément de rapprochement des populations parce qu’elles vont unir leurs voix pour désigner un candidat qui ira chercher ailleurs le supplément qui lui manque pour passer la barre fatidique des 50 %. C’est ça ! GUINEENEWS : Alors, revenons à cette convention. Notre remarque a été que l’UPG est un parti qui commence à vieillir. Qu’estce qui explique cela et quelle est votre vision ? JEAN-MARIE DORÉ : Non ! On n’a pas dit que l’UPG commence à vieillir, on a dit que le leader de l’UPG commence à vieillir. Il ne faut pas modifier les choses. Ils ont dit le leader et c’est normal qu’un parti responsable, qui se respecte, pense au renouvellement de son personnel. Moi je ne suis pas éternel et je voudrais que Dieu me donne la chance de vivre trois cents ans. Un homme qui naît normalement espère vivre cent 68

ans. Si vous avez créé un parti pour se projeter dans le lointain, vous devez commencer par regarder dans les rangs de vos cadres et c’est ma préoccupation. Aujourd’hui, je souhaite que Dieu nous donne la sagesse du bon choix et que nous puissions trouver demain ou après-demain un cadre capable, un cadre guinéen. L’UPG est née de la volonté d’une majorité de Guinéens et de forestiers. Il y avait Mamadou Barry, Ansou Soumah, Nestor Traoré, Georges Koly Guilavogui et tant d’autres. Donc, l’UPG est née parti national. Mais il s’est trouvé que la majorité de ses dirigeants, de ses fondateurs, étaient des forestiers. Donc, demain si l’on trouve un Malinké, un Peul ou un Soussou qui est vraiment un homme qui a la capacité d’intégrer les populations, pourquoi ne pas le choisir ? Si on veut faire l’unité nationale, il faut s’affranchir du complexe de l’ethnie. C’est difficile parce que la majorité des Guinéens vivent dans le cocon de l’ethnie. Pourquoi il y a l’ethno-stratégie ? Ce n’est pas parce que quelqu’un veut le faire, mais ce sont les réalités du terrain qui opposent les gens. Si à la création du parti moi j’allais à Yembering au Mali pour dire aux gens « venez on va créer un parti politique, je m’appelle Jean-Marie Doré », on dirait « d’où sort-il celuilà ». Mais dans mon village, dans ma préfecture, dans les préfectures environnantes, on connaît qui était mon père, qui était mon grand-père, on connaît qui étaient mes arrière-grands-parents. Donc, c’est plus facile pour moi de commencer la mobilisation chez moi pour être crédible ailleurs. Mais un temps arrivera en Guinée où on ne fera pas attention de façon essentielle à ça. On votera pour les gens pour ce qu’ils valent et non plus pour leur origine. GUINEENEWS : Les délégués ont aussi dénoncé le manque de communication entre le bureau politique national et les structures à la base. JEAN-MARIE DORÉ : Certains disent ça pour cacher leur propre inactivité, sinon on s’occupe du parti avec beaucoup de soin. Mais il y a toujours des imperfections dans la gestion. Vous ne trouverez jamais une gestion à 100 % pure, ça n’existe pas. S’il ne tenait qu’aux militants, il faudrait envoyer tout le budget de la Guinée pour qu’ils puissent fonctionner. Et puis, vous savez, il y a une autre difficulté dans la gestion du parti, vous mettez dix motos à la disposition d’une section, vous revenez trois mois après, les motos ont disparu. Certains les mettent au nom de leur fils pour faire taxi-moto avec. Est-ce que vous allez les mettre en prison pour ça ? Donc, quand ils vous demandent des matériels roulants, il faut faire très attention. C’est très compliqué. 69

GUINEENEWS : Quelque part, est-ce qu’on ne peut pas dire qu’il y a un manque de suivi ? JEAN-MARIE DORÉ : Oui ! On va créer une structure pour suivre l’utilisation concrète de ces matériels. Celui qui ne gère pas bien, cette structure aura le pouvoir de le lui arracher et de l’amener à la gendarmerie. C’est facile de le dire, mais ce n’est pas simple. J’ai distribué des véhicules à Labé, Kankan et N’Zérékoré, mais ça a été des problèmes. J’ai dit : « amenez les véhicules à l’approche des élections et on va les mettre en état », mais certains ne voulaient pas le rendre parce que le véhicule roulait à Beyla comme taxi. GUINEENEWS : Apparemment, il y a un sérieux problème de gestion. JEAN-MARIE DORÉ : Mais ce n’est pas propre à l’UPG. C’est la même chose au RPG, à l’UFDG, au PEDN, comme Kouyaté a montré qu’il est milliardaire, alors c’est plus grave chez lui. C’est la même chose chez Sidya Touré. C’est l’état où nous sommes en Guinée qui fait que les citoyens sont à ce niveau-là. La perception de la chose publique n’est pas encore devenue une préoccupation essentielle du Guinéen. Vous lui donnez une voiture de fonction dans un service, il en fait sa voiture et le jour où on lui dit de la rendre, il va visiter son cousin qui est ministre pour dire « voilà c’est avec ça que je me déplace, il faut aller parler à votre collègue ». Ce n’est pas normal. Le pire, ce qui s’exprime timidement ici au niveau national, ça s’amplifie. Il y en a qui ont occupé les maisons de l’État parce qu’ils sont fonctionnaires à Conakry. On les mute demain à Kankan, ils donnent la clé à leur fils et ça devient la leur. Des quartiers entiers à Conakry sont habités par des gens qui ne doivent pas être là. C’est devenu une mentalité et il faudrait un homme fort de caractère qui agisse dans le cadre de la loi pour mettre fin à cette façon d’habiter les biens publics. GUINEENEWS : Parlons à présent d’autre chose. Vos sorties médiatiques de ces derniers temps font croire à certaines personnes que vous êtes aujourd’hui beaucoup plus proche de la mouvance que de l’opposition, malgré votre position centriste. Que répondez-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Vous savez, si vous faites le recensement de tous les imbéciles qui circulent en Guinée, cent mille cahiers ne suffiraient pas pour recenser tout le monde avec son passé. Nous sommes au centre, lorsque le gouvernement fait bien, sans complexe, il faut l’encourager en disant que c’est bien. Lorsque l’opposition a ses raisons,

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il faut dire que c’est bien. Le gouvernement a tort de ne pas suivre l’analyse de l’opposition. GUINEENEWS : Seulement on vous reproche d’apprécier souvent les actions du gouvernement. JEAN-MARIE DORÉ : Non, s’il vous plaît ! Vous m’avez posé une question claire, je vous réponds tout juste clairement. Chez nous, il n’y a pas de tabou, sauf si vous me demandez de dire qu’untel est un imbécile parce que je n’ai pas le droit de l’insulter. Vous comprenez ? Prenez l’affaire du dialogue. Les gens de l’opposition républicaine – ainsi qu’ils se sont baptisés – ce sont eux qui ont demandé qu’il ne faut pas qu’un parti qui ne fait pas partie de l’opposition républicaine participe au dialogue. Je crois que c’est une attitude imbécile. Parce que la vérité sort de la bouche des enfants, des adultes comme des vieux. Dans un problème national, il faut que je tienne compte de vos remarques. Quand moi, on m’attaque dans un journal, je le lis attentivement en essayant de me placer du point de vue de celui qui me critique. Est-ce qu’il a raison ou tort ? Je constate que l’opposition a soulevé, c’était son droit, l’obligation de dialoguer. Mais elle n’a pas réfléchi à froid sur l’articulation de son argumentaire pour se présenter devant le gouvernement. Ils ont émotionnellement mis en cause le calendrier électoral et le gouvernement y a vu des faiblesses et a dit oui, on accepte. Ils vont discuter, le gouvernement dit bon, j’accepte de changer l’ordre du calendrier électoral. Et puis, l’opposition se rend compte à ce momentlà que ce n’était pas la revendication fondamentale. Je trouve que ce n’est pas correct. Prenez l’affaire de la CENI, il y a dans la revendication de l’opposition un point sur lequel je suis en harmonie absolue avec elle. C’est le problème de la parité. Parce que l’idée de créer une CENI était fondée sur la discussion sur un pied d’égalité. C’est-à-dire que seuls les arguments doivent faire pousser les éléments conscients dans un camp ou dans l’autre. Mais qu’est-ce que le gouvernement a fait ? Il a inscrit sur la liste des membres de la CENI deux représentants du ministère de l’Administration du territoire en plus du nombre normal qui fait équilibre avec le nombre des représentants de l’opposition. Chaque fois qu’on vote, les deux représentants du ministère de l’Administration du territoire votent avec les représentants de la mouvance. À ce moment-là, le gouvernement triche. GUINEENEWS : Mais cela n’est pas un cas spécifique à la Guinée. On voit la même chose en Côte d’Ivoire.

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JEAN-MARIE DORÉ : Non, s’il vous plaît ! Moi je parle de mon pays. La Côte d’Ivoire, je lui suis reconnaissant parce que j’ai étudié làbas. Ne me permettez pas de parler de ce pays, car je parle du mien. Je connais la Côte d’Ivoire plus que vous et ce sont des gens de ma promotion qui gouvernent là-bas. Donc, il n’est pas normal que le gouvernement fasse voter deux personnes qui viennent rompre l’équilibre de la parité. C’est le seul point que je concède à l’opposition. Maintenant, l’opposition dit qu’il faut retirer ses représentants de la CENI sans consulter ces derniers. Ils sont partis se réunir chez Cellou pour dire « ah oui ! C’est nous qui les avons amenés, il faut les retirer, nous ne sommes plus d’accord avec la CENI ». Mais il faut analyser, mon cher. Même si c’est moi qui vous envoie comme représentant à la CENI, si je constate que le fonctionnement de celle-ci ne correspond plus à mes intérêts, je vous appelle, car vous êtes le témoin principal pour vous demander ce qui ne va pas au sein de la CENI. Et on doit tenir compte de vos remarques à moins qu’on ait des informations que vous, vous n’avez pas. Donc les leaders de l’opposition, Cellou, Sidya et tous les gnamagnama (ce qui signifie les autres de moindre importance en malinké), se sont réunis sans consulter leurs représentants en leur intimant l’ordre de quitter la CENI. Mais vous connaissez la CENI, ils (les membres, N.D.L.R.) ont commencé par payer leurs propres frais de transport pour aller étudier le projet de création de la CENI. Puis, quand la loi a été prise, on leur donnait 250 000 GNF par mois et aujourd’hui, ils ont à peu près le même salaire que les députés, 15 000 000 GNF par mois. Ils ont dit par téléphone aux gens de quitter la CENI et ceux-ci ont refusé. L’opposition a fait ça, elle est imbécile parce qu’il faut tenir compte de l’homme dans son évolution, dans ses intérêts et dans ses besoins. Ne croyez pas que l’opposition est un monument de raisonnement et de raison. Non ! Il y a des jours où ils revendiquent et il y en a d’autres où ils font des bêtises. GUINEENEWS : À moins de deux mois de la présidentielle prévue pour le 11 octobre prochain, le dialogue est rompu entre pouvoir et opposition. Selon vous, est-ce que ce scrutin est tenable à la date indiquée ? JEAN-MARIE DORÉ : Déjà vous avez sauté une réalité. Il faut être à trois mois, jour pour jour en Guinée, avant d’être habilité à appeler aux élections. Les trois mois commençaient le 11 juillet, 11 août, 11 septembre, 11 octobre et nous sommes déjà en août. Donc logiquement il faudrait décaler la date des élections pour que nous soyons dans la légalité. GUINEENEWS : Actualité oblige. Les pays ouest-africains sont menacés par des djihadistes et le président Alpha Condé n’exclut pas 72

l’organisation d’une conférence nationale sur l’interdiction ou non du port du voile intégral en Guinée. Votre position ? JEAN-MARIE DORÉ : Je ne suis pas d’accord avec Alpha Condé quand il dit qu’il faut faire une conférence nationale. Il a un instrument colossal qui est la loi. La loi donne à Alpha Condé le devoir d’assurer ta sécurité et la mienne. Ce qui veut dire que tout citoyen doit être identifié dans la rue. Souvent on dit que c’est une jeune fille qui porte la ceinture de bombes alors que c’est peut-être un vieux. Mais comme il a le voile sur la tête on ne peut pas faire de distinction. Donc moi je ne suis pas d’accord avec Alpha de perdre du temps et de l’argent des Guinéens à faire une conférence nationale. Il faut donner des ordres impératifs aux gendarmes et aux policiers pour obliger par la force quiconque sort de son domicile à se dévoiler le visage. GUINEENEWS : Même si cela pouvait créer d’autres frustrations ? JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Si on raisonne comme ça, cela ne pourra pas aller. Chacun a le droit d’être chrétien, musulman, fétichiste et tout ce qu’il veut être dans la République. Mais il y a une réalité, il faut qu’on vous identifie dans la rue. Un pays qui ne peut pas ordonner à ses forces d’identifier des gens est un pays voué à des turpitudes. Si moi j’étais président, je ne ferais même pas un décret. Toutes les lois sur la sécurité sont là, y compris le Code pénal. Moi je suis très respectueux des musulmans et ils le savent. Quand on a parlé de l’affaire de Charlie, j’ai été le seul responsable politique en Afrique à m’opposer catégoriquement à l’exaltation de l’imbécillité. Parler de Mahomet comme on parlerait d’un voleur, c’est de la provocation pure et pour le musulman c’est le fondement de sa foi. GUINEENEWS : Une dernière question. Récemment, une association dénommée Man Zo… JEAN-MARIE DORÉ : Ce n’est pas une association, c’est le nom d’un orchestre. GUINEENEWS : L’association a décidé de soutenir les actions du président de la République à N’Zérékoré le 25 juillet dernier. Et selon certaines personnes, vous seriez l’un des appuis de ce mouvement et vous auriez même reçu de l’argent du président pour l’organisation de cette manifestation. Le confirmez-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Ceux qui ont dit ça sont des imbéciles. Je suis contre la distinction entre les ethnies à N’Zérékoré.

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GUINEENEWS : Vous étiez quand même annoncé à cette manifestation ? JEAN-MARIE DORÉ : Est-ce que vous m’avez vu à N’Zérékoré ? Vous m’avez posé une question qui ne m’embarrasse pas et je vous réponds clairement. Le 12 mars 1912, nos parents ont été vaincus par l’armée française après huit ans de bataille. Depuis ce jour, on a pris un arrêté pour réorganiser le territoire et on a défini le cercle de Labé qui comprenait Koubia, Lelouma et autres. Sékou Touré a exhumé cette loi pour donner naissance à un certain nombre d’actuelles préfectures. Ici (en forêt), Lola et Yomou étaient intégrées dans un ensemble qu’on appelait N’Zérékoré. Lola est peuplée majoritairement de Konos, Yomou est le prolongement de N’Zérékoré. Ce sont des Kpèlès. Mais dans ce triangle vous avez les Manons. Bien qu’ils aient eu des problèmes autrefois, ayant vécu soixante ans dans ce moule, on ne savait plus qui était Kpèlè, Kono ou Manon, y compris certains Koniankés, qui étaient venus dans le sillage des Français depuis les années 1880. Aujourd’hui, quand on parle d’unité nationale, l’unité était déjà dans les faits réalisée au niveau de Yomou, N’Zérékoré et Lola. Puis des gens dont certains sont proches de moi ont commis une erreur monumentale en créant l’Union Kpèlè. Dès que vous créez l’Union Kpèlè, vous provoquez chez le Konon et chez le Manon le désir d’en faire autant. En provoquant la scission au nom d’une des ethnies, on remet en cause ce qui était déjà un acquis. En faisant cela, les gens ont cherché des alliés, or les Koniankés étaient à l’affût (rires d’amitié). Donc dès qu’ils ont vu que les Kpèlès ont créé leur union, ils se sont rapprochés des Manons pour dire historiquement « nous sommes de même ethnie et mettons nos moyens ensemble ». Ces derniers aussi ont sauté sur l’occasion. Quand ils font des réunions, ils invitent les Koniankés et les Kpèlès disent maintenant : « les Manons se sont mis avec les Koniankés pour nous combattre ». Si nous voulons faire de nos structures territoriales un ensemble viable, capable d’attirer et de développer nos régions, il faut qu’on se dise la vérité. Et puis souvent, l’élément extérieur exacerbe ces petites divisions. Tantôt on dit que les Tomas sont meilleurs dans toute la Guinée forestière que les Kpèlès et autres. Le Toma aussi croit qu’il est vraiment le meilleur, en refusant de s’intégrer à ceux qui ne sont pas meilleurs alors que c’est un moyen de lutte pour les séparer. Nous devons faire tout pour nous rapprocher et non pour nous disperser. GUINEENEWS : Merci, monsieur le président. JEAN-MARIE DORÉ : C’est moi qui vous remercie et à bientôt ! 74

X. « Quand Cellou Dalein voit le basin blanc sur ses épaules, il se voit en petit César » Par Diallo Boubacar I pour africaguinee.com le jeudi 29 octobre 2015

L’ancien chef du gouvernement de transition en Guinée, Jean-Marie Doré, vient de faire une analyse des raisons de l’échec de l’opposition lors de l’élection présidentielle du 11 octobre dernier. Jean-Marie Doré, qui avait jusque-là gardé le silence, est sorti de son mutisme pour tancer ses anciens amis de l’opposition. Des « erreurs » commises par cette dernière, aux « fautes » de Cellou Dalein Diallo, Jean-Marie Doré a voulu dire tout ; il a également révélé les motivations de son choix de soutenir Alpha Condé lors du scrutin présidentiel du 11 octobre 2015. AFRICAGUINEE.COM : Honorable Jean-Marie Doré, bonjour ! JEAN-MARIE DORÉ : Bonjour, monsieur Diallo ! AFRICAGUINEE.COM : Alpha Condé vient d’être réélu dès le premier tour de l’élection présidentielle avec le score de 57,85 % des suffrages. Êtes-vous surpris de cette victoire ? JEAN-MARIE DORÉ : Non, c’était prévisible. J’avais parlé de ça avec vous. J’avais dit que la surprise serait qu’il ne soit pas élu au premier tour. Donc moi je ne suis pas surpris. 75

AFRICAGUINEE.COM : Quel a été votre apport dans cette victoire ? JEAN-MARIE DORÉ : Comme l’apport de tous les partis politiques impliqués, si vous optez pour un camp, vous devez faire campagne pour ce camp. C’est ce que nous avons fait. Nous avons quitté l’hésitation ou plutôt le neutralisme qui est notre ligne de conduite, parce que l’accumulation des graves erreurs par l’opposition ne nous encourageait pas à aller partager la responsabilité de ses erreurs. C’est pourquoi nous avons pris notre chemin, la position médiane, en soutenant Alpha Condé. AFRICAGUINEE.COM : Selon vous, qu’est-ce qui expliquerait l’échec de l’opposition ? JEAN-MARIE DORÉ : J’ai dit dans les colonnes des journaux que l’opposition ne prenait pas Alpha Condé au sérieux. J’ai dit que c’était une faute mortelle, parce que, eux, ils sont des amateurs. La plupart des cadres politiques actuels, en dehors du groupe que nous représentions, mes amis Bâ Mamadou et Siradiou Diallo, paix à leurs âmes patriotiques, je me demande comment se fera la relève. Elle se fera, mais quelle sera sa qualité. La plupart des cadres politiques actuels, ce sont des émotifs, ils sont pressés de publier des bulletins de victoire. Ils ont signé des papiers qui n’avaient pas de valeur pour eux. On ne les a pas forcés, ils l’ont fait librement. Ils ont chanté des cocoricos d’avoir enfin contraint le gouvernement à signer un document qui l’engage. Le gouvernement a appliqué ces documents. Mais ce qui est surprenant, c’est que, sur la foi de ces documents, et dans une interprétation extensive incompréhensible, qu’ils voulaient favorable, qui soulignait leur compétence politique, ils ont envoyé leurs militants se faire recenser. Ils ont été impliqués dans toutes les opérations du processus électoral, ils ont voté, ils ont décompté, et c’est l’affluence des bulletins de victoire d’Alpha qui les fait revenir en arrière pour dire qu’il y a fraude et qu’ils ne reconnaissent pas les résultats. Mais il faut être fou pour donner du sérieux à une telle prise de position. C’est impossible. Même si on me garrottait, je ne peux pas faire confiance à des enfants comme ça. Ils sont tombés dans la banalité intellectuelle. Ils ont confondu l’élan de leur cœur avec le raisonnement factuel qui tient compte de ce qui est. Donc, je pense que l’élection d’Alpha Condé a été une élection correcte. Si j’en juge sur la foi de la qualité de la campagne en forêt, la qualité du déroulement des opérations de vote, je pense que c’est la première fois que des élections ont lieu dans des conditions si régulières.

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Maintenant on peut accuser la CENI (Commission électorale nationale indépendante, N.D.L.R.) de tout ce que l’on veut comme maux, mais elle a fait son travail. Ils avaient dit qu’ils allaient retirer leurs membres, ils ne l’ont pas fait. Ils ont demandé la modification de la CENI en cours du processus, ils ne l’ont pas obtenu, mais ils ont travaillé avec la CENI. Ils n’étaient pas ligotés, ils n’avaient pas des menottes aux mains, ils l’ont fait librement. Donc ici, il ne faut pas que l’opposition croie que sans elle la Guinée ne peut pas évoluer. De toutes les thèses de l’opposition, quelle est la plus valable jusqu’ici ? Elles ont toutes conduit à l’échec. Voilà ! On ne peut pas donner sa confiance à un attroupement hétéroclite, sans armes et sans orientation. C’est tout. Dans tout cela, ce qui est important, c’est l’intérêt de la Guinée, ce n’est pas de venir dans le parti de monsieur Doré ou d’aller dans le RPG Arc-en-ciel ou chez monsieur Cellou ou chez monsieur Sidya Touré. Est-ce qu’en les élisant, on marche dans la ligne de l’histoire du développement de la Guinée ? C’est ça le problème. C’est tout cela qui m’a conduit à opter pour la ligne politique d’Alpha Condé et à dire qu’il ne faut pas faire des perturbations pour le plaisir de faire de la tempête. Lui-même il a tiré les leçons de la gestion des cinq années passées. Je crois qu’il tiendra compte de certaines erreurs et de certaines orientations qui n’étaient pas compatibles avec l’application de son programme. Il a annoncé le principe directeur de son action : on ne fera plus de nomination politique, c’est-à-dire recruter quelqu’un à un poste important de l’État simplement parce que c’est un militant de la première heure ou parce qu’il est un militant actif. Je crois que si ce principe est appliqué correctement, il n’y a aucune raison de douter du succès qu’il espère et attend avec les Guinéens. AFRICAGUINEE.COM : Aujourd’hui, l’opposition crie à la fraude, et au-delà de ça son unité est en train de voler en éclats. Comment expliquez-vous cela ? JEAN-MARIE DORÉ : J’ai toujours dit qu’elle est bête, elle est sotte et ses dirigeants sont des nullards. Les gens croient que c’est parce qu’on a été ministre dans sa vie qu’on est un homme politique. Ce n’est pas vrai ! Déjà l’accord du 3 juillet était en soi une faute. Puis l’acceptation par le chef de file de l’opposition (Cellou Dalein Diallo, N.D.L.R.) de la date du 28 septembre, c’était encore une faute grossière. J’ai quitté la salle parce qu’il était impossible d’organiser les élections. Nous demandions un mois de délai pour approcher la CENI et faire les corrections nécessaires. J’ai été voir Cellou qui m’a juré que non, si on ne nous donne pas au moins trois semaines pour faire enlever du 77

processus toutes les fautes grossières ou les causes des fraudes à venir, que jamais, lui, ne participerait aux élections. Puis en arrivant à la maison commune au PNUD, Badikko me dit : « Monsieur Doré, comment vous pouvez accepter qu’on aille aux élections ? » J’ai dit : « Non, on est tous d’accord qu’il faut reporter à trois semaines. » Il m’a répondu non, que Cellou venait de parler. Ça c’est poignardé les gens dans le dos. Comment voulez-vous que je suive des types comme ça, qui ne savent pas penser ? La gestion du politique, c’est le concret. Ce n’est pas dans le rêve où le contradictoire cohabite. Vous planez en l’air en même temps vous nagez sous l’eau. Ça c’est impossible en politique parce qu’en politique c’est le réel. Vous agissez sur la matière qui demande à être reformée. Donc, l’opposition est partie d’erreur en erreur et souvent elle parlait par la bouche de gens qui ne représentaient absolument rien sur le terrain, mais qui avaient une vocalise comme le mont Blanc. Monsieur Cellou était guidé par ces gens qui répétaient comme le dictaphone là, ce qu’on lui disait de dire. Il a cru qu’il avait une Cour. Mais quand on a une Cour, on n’accepte pas qu’un petit vicomte vienne à la place d’un duc pour prendre des décisions. Je pense que l’opposition est la cause de ses propres malheurs. Il faut que les journalistes aussi soient honnêtes pour oser dire la vérité. En Guinée, dès que quelqu’un est de l’opposition, c’est comme s’il détenait la vérité absolue. Et que celui qui est en face est un imbécile. C’est le raisonnement qui doit être pris en compte et non pas parce que tel est opposant. Le fait d’insulter personnellement Alpha Condé ajoute quoi au débat ? Je ne vois pas. Et puis encenser le chef de l’opposition qui ne fait que déblatérer, qui n’a pas les épaules assez solides pour porter le bagage qui est le sien, parce qu’il prétend représenter le Fouta qui est une région assez complexe. Ne pas en tenir compte est une faute. Maintenant, quand il voit le basin blanc sur ses épaules, il se voit en petit César. C’est pourquoi le suffrage l’a écrasé. La fanfaronnade n’est pas de mise dans la réflexion qui conduit à une décision politique. AFRICAGUINEE.COM : La région forestière est un grand réservoir électoral du pays. Comment expliquez-vous que les trois candidats (Faya Millimouno, Gandhi, Papa Koly) issus de cette région n’aient pas pu obtenir un score honorable lors de ces élections ? JEAN-MARIE DORÉ : (Rires) ce qui est valable en basse Guinée, au Fouta ou en haute Guinée, peut l’être aussi en forêt.

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Nous avons tenu vingt-cinq réunions ici pour former la CPAD (Coalition des partis pour l’alternance démocratique) dont le rôle était d’amener la région forestière à choisir un seul candidat. Des voix se sont levées, chacun regardait la carrure de ses épaules pour montrer qu’il était quelqu’un. Or, on ne crée pas un parti le lundi pour se présenter à l’élection présidentielle le vendredi. Ça n’a aucun sens. Ces gens-là ne représentaient rien sur le terrain en forêt. On m’avait dit « Monsieur Doré, les notables ont été consultés pour ça ; est-ce que vous pouvez faire la place aux jeunes ? » J’ai applaudi. Parce qu’au fond c’est une bonne idée de les voir voler de leurs propres ailes. À cet endroit où vous êtes assis, j’ai reçu ces notables qui sont des gens honorables, intelligents, des universitaires compétents. J’ai dit que je laisse le champ libre à Gandhi. (Rires) Ils sont partis, Gandhi attaque Faya Millimouno qui attaque JeanMarc. L’électeur le plus bête ne pouvait pas voter pour des gens comme ça. Et puis ces gens-là sont des figures nouvelles en politique. Il faut savoir que l’ivresse qu’on a à l’université ne remplace pas l’étude de la politique. Il faut partir de l’essence du politique, voir ses relations avec les autres sciences sociales, puis se servir de tout pour faire des analyses de société, des analyses économiques, psychologiques pointues. En ce moment on s’adresse aux masses avec le langage qu’elles peuvent comprendre (…) Il fallait laisser cette expérience se faire pour que, s’il y a du bon sens, les gens se disent, il n’y a que dans l’unité d’action que l’on peut réussir. Il est dans la nature des choses qu’on laisse la place à ces jeunes. Vous, du journalisme à la politique, la distance n’est pas importante. Vous vous rendez compte que souvent certaines de vos analyses sont souvent théoriques. Pour chapeauter le tout, en Guinée on ne vote pas sur le programme. C’est normal. Parce que le programme est écrit. Mais le paysan ne sait pas lire ni écrire. Il croit en un homme qui pour lui représente la vérité et la science. Il vote pour cet homme-là, sauf exception. Il y a déjà par certains bouts un progrès, mais je pense que le gouvernement devrait se préoccuper de ces problèmes d’infrastructures routières, parce que tous les constats que nous avons faits, les demandes des citoyens, convergent sur ces points focaux, que je viens de vous indiquer.

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XI. « Amnistier Bah Oury serait une bonne chose… » Par Diallo Boubacar I pour africaguinee.com le 23 novembre 2015

C’est un soutien inattendu pour le premier vice-président de l’Union des forces démocratiques de Guinée. Bah Oury peut désormais compter sur le soutien de l’ancien chef du gouvernement de transition, Jean-Marie Doré, qui vient de plaider pour sa cause. AFRICAGUINEE.COM : honorable Jean-Marie Doré, bonjour ! JEAN-MARIE DORÉ : Oui, bonjour ! AFRICAGUINEE.COM : Quel devrait être, selon vous, le profil du futur Premier ministre ? JEAN-MARIE DORÉ : Je dois observer que la Constitution et ses lois organiques d’application font de la formation du gouvernement un domaine discrétionnaire du président de la République. Il n’a pas à tenir compte de mon avis ni du vôtre. Mais la seconde partie de votre question donne une indication. Le président avait organisé au siège de son parti un meeting, il était accompagné par le présidium, les directeurs de campagne qui ont travaillé avec lui durant la campagne, il a dit d’une façon claire qu’on ne prendra plus quelqu’un dans le gouvernement pour son 81

ancienneté ou sur des bases qui ne sont pas démontrées par la qualification. Il a dit qu’on prendra les ministres en fonction de leur capacité, de leur formation et l’évidence de leur aptitude à gérer l’État correctement. Ça c’est une indication. C’est un élément d’analyse. Je pense qu’il n’a pas dit ça au hasard. Il a dû réfléchir longuement. AFRICAGUINEE.COM : Seriez-vous prêt à occuper de nouveau ce poste ? JEAN-MARIE DORÉ : Excluez-moi de ça. Je connais la difficulté de former un gouvernement. Il ne faut pas charger le président de questionnements de ce genre. Parce que ça n’ouvre pas la voie nécessairement pour trouver la bonne solution. Donc, il faut laisser le président réfléchir à froid, consulter qui il veut, pour avoir une équipe qui applique sa politique. Maintenant à l’application du programme remanié du RPG, on verra s’il a fait le bon choix. AFRICAGUINEE.COM : Votre formation politique devrait-elle faire son entrée dans la prochaine équipe gouvernementale ? JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Je ne vais pas rentrer dans ce jeu. Le président de la République a un pouvoir discrétionnaire. Il nomme qui il veut à telle ou telle fonction. Notre vœu est qu’on prenne des gens qualifiés pour régler les problèmes multiples qui assaillent le pays. C’est mon souhait. Je ne suis autorisé qu’à émettre des vœux parce que je suis respectueux de la loi. Je crois qu’il faut laisser le président dans les limites de la Constitution, former le gouvernement selon l’engagement qu’il a pris lors du meeting où il a dit clairement qu’il ne prendra les gens qu’en fonction de leur qualification et de leur compétence. AFRICAGUINEE.COM : À distance, comment observez-vous cette guéguerre qu’il y a dans l’entourage du président, notamment entre le docteur Diané et le ministre Kassory ? JEAN-MARIE DORÉ : Je n’ai jamais vu Kassory ou docteur Diané avec des gants. À aucun moment je n’ai vu Diané et Kassory porter des gants et monter sur un ring. AFRICAGUINEE.COM : Sauf qu’ils ne cessent de s’attaquer par médias interposés ! JEAN-MARIE DORÉ : Est-ce que vous pouvez apporter la preuve que les médias qui parlent de ça le font à la demande de l’un ou de l’autre des cadres que vous avez cités ? Je ne pense pas. Diané a un poste stratégique, il est directeur de cabinet du Président, Kassory a un poste 82

stratégique, chargé des investissements et du partenariat gagnant gagnant. Le Président travaille avec un certain nombre de personnes comme ça. Je ne peux pas en dire plus parce que ça fait partie encore une fois du pouvoir discrétionnaire du président de la République, de prendre des conseillers dont il estime que les compétences facilitent ses analyses pour ses prises de décision. Mais les journalistes veulent créer des problèmes au Président et à ses collaborateurs en disant : on a vu Kassory et Kiridi monter sur un destrier virevolter en l’air une épée tranchante. Ça c’est des raisonnements qui ne servent pas le pays. AFRICAGUINEE.COM : On parle de plus en plus d’une éventuelle amnistie des prisonniers politiques et du retour des exilés politiques. Le président Alpha Condé a rencontré récemment Bah Oury à Paris, il a appelé Tibou Kamara. Quelle analyse faites-vous de cette ouverture du chef de l’État ? JEAN-MARIE DORÉ : Mon sentiment personnel est qu’un certain nombre de personnes, si elles sont amnistiées, ce serait une bonne chose. Comme Bah Oury. Parce que c’est avec les Bah Oury, Alpha Condé, Siradiou Diallo, Bâ Mamadou, Bah Ousmane, Kerfalla Bangoura, Marcel Cross, etc., que nous avons créé le forum démocratique pour l’application par la voie de la Constitution du système démocratique intégral. C’était rude à ce moment-là. On pourchassait les gens qui ne voulaient pas qu’on crée deux partis. Or l’idée de créer deux partis à ce moment était fausse. Les exemples étaient faux. On disait qu’aux ÉtatsUnis il y avait deux partis, alors que c’est faux. Il y a plus de quinze partis. Mais au fil des années, le parti des Républicains et le parti des Démocrates se sont imposés. Depuis très longtemps, aucun des petits partis n’a eu accès à la Maison-Blanche. Nous avons lutté ensemble. Bah Oury est un garçon très courageux. J’ai souvent travaillé avec lui. Lorsque nous avions formé les commissions au sein des forces vives, il avait des raisonnements carrés. Alors il y avait beaucoup de rivalités du côté où il s’attendait à de la solidarité, ce n’était pas mon affaire, mais j’ai imposé qu’il soit le président de la commission politique. C’est moi qui l’ai nommé à ce poste-là. J’ai passé outre à des conflits subalternes. Pour les négociations à Ouagadougou, on avait besoin que nous soyons avec des gens capables. Et là-bas il s’est distingué. Il a travaillé sur notre mémorandum avec Louncény Fall. On a présenté un bon dossier.

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Je ne dis pas que ça le dispense de respecter les lois de la République. S’il offense le Président qui est protégé par la loi (…). Le Président n’a pas besoin de porter plainte. Il appartient au procureur de la République d’agir immédiatement. Je n’ai pas à juger s’il a commis ou il n’a pas commis d’infractions à la loi pénale. Mais je dis que son absence sur la scène a créé un vide qu’il faut combler avec les autres fils de sa région. Un garçon comme ça, s’il manque sur le terrain c’est une perte pour tout le monde. Parce qu’il a des réflexions carrées. Par moments, ça frise le parti pris, mais il prend toujours la précaution de se présenter comme un homme objectif. Ça, c’est très important pour un homme politique. Il faut toujours laisser une porte de sortie. Certains parlent de façon catégorique comme ça : « nous ne ferons jamais ça », et puis voilà, ils se rangent (rires) à la faveur du crépuscule, ils vont dîner là où ils avaient fait des crachats. Cela n’est pas courageux. AFRICAGUINEE.COM : À qui faites-vous allusion quand vous dites ça ? JEAN-MARIE DORÉ : À tous ceux qui se conduisent comme ça. AFRICAGUINEE.COM : À Sidya Touré qui a longtemps critiqué le régime, mais qui est sur le point de rejoindre le camp du Président ? JEAN-MARIE DORÉ : Si vous n’aimez pas Sidya, c’est vous qui le citez. (Rires) Pourquoi vous ne l’aimez pas ? AFRICAGUINEE.COM : Ce n’est pas une question d’amour. Je rappelle juste les faits… JEAN-MARIE DORÉ : Pourquoi vous le citez ? Je n’ai pas indiqué de catégorie, puis vous le mettez là-bas. Sidya est gentil (rires). Il ne m’appartient pas de le juger. Mais je dis qu’il y a des catégories de gens qui existent en Guinée, en France, qui font ça. Et je les condamne. Moi quand j’ai un adversaire, je vais faire un adversaire courageux et honnête. Qu’il me dise les idées qu’il ne peut pas partager avec moi, on s’explique. Parce que la politique, d’abord, c’est la parole. Il faut s’expliquer. Les gens fuient les explications. Et quand ils fuient les explications, ils collent n’importe quelle épithète à quelqu’un. Si on veut gouverner la Guinée d’une façon à tenir compte de l’opinion de la majorité, il ne faut pas chercher à imposer votre vérité. Vous devez chercher la moyenne d’expression qui permette que chacun dise « Oui ce n’est pas tout à fait ce que je voulais dire, mais j’accepte ». C’est ça. Je me suis querellé avec Cellou, c’est un ami, mais c’est bon qu’on se querelle. S’il dit quelque chose qui est correct, pourquoi je vais 84

rejeter ça ? Mais ça ne veut pas dire que j’ai changé. La plupart des journalistes (guinéens) sont des cancres. Parce qu’ils balancent des mots comme ça. Ce n’est pas parce que quelqu’un n’est pas d’accord avec moi que s’il dit la vérité, je vais la refuser. Donc, mettez-vous toujours dans la tête que la politique, c’est la réalité. Ce n’est pas le rêve dans lequel le contradictoire cohabite. La politique c’est le réalisme. Et Machiavel pousse la démonstration jusqu’à devenir, pour certains, odieux. Mais la vie est ce que lui, il décrit. L’accession au pouvoir, c’est ce qu’il décrit. Quand il parle du prince, ce n’est pas le prince qui a hérité du pouvoir de son père. Le prince, c’est celui qui a la virtu, pas la vertu. La virtu c’est la sublimation de la vertu. Le mâle courage, l’esprit prompt qui est prêt à n’importe quel coup pour conserver ce qu’il a ou pour acquérir ce qu’il convoite, fût-ce par la ruse ou par la scélératesse. Qu’est-ce qui compte pour Machiavel ? C’est le but. Il faut tout sacrifier au but. Il dit : « Si vous faites un coup d’État, vous tuez trois personnes, vous échouez, vous devenez le bandit assoiffé de sang. Mais si vous faites le coup, vous tuez cent personnes et vous réussissez, on dit que c’est un héros, il a libéré le pays. » (Rires) Il faut bien étudier. J’ai l’intention, avec des amis, de créer un Institut de recherche en sciences sociales. Parce que j’ai remarqué que le niveau des gens est très faible. Parce beaucoup de problèmes qui nous assaillent souvent n’existeraient pas si on faisait savoir aux gens qui ils sont, d’où ils viennent. AFRICAGUINEE.COM : Votre mot de la fin ? JEAN-MARIE DORÉ : Il ne faut pas anticiper, le Président a cinq ans pour porter les corrections nécessaires à ce qu’il avait déjà fait. L’œuvre humaine a toujours des imperfections. Avec le temps, on se rendra compte qu’il y a des faiblesses dans telle réalisation, qu’il faut corriger. Mais comme il est encore là, il peut corriger. Quand il aura fini, il aura réalisé des choses. Personne ne peut régner sans poser des actes positifs. C’est impossible. Moi je suis un optimiste. C’est très important pour moi. Parce que sinon le changement de saison serait odieux pour moi. Il y a beaucoup de choses qui manquent à l’éducation en Guinée. Le problème guinéen est un problème d’éducation. On a dispensé des cours aux gens (c’est quoi la géographie, c’est quoi l’économie), mais on ne leur a pas donné le comportement qu’il faut avoir pour exercer le métier qu’ils ont appris théoriquement. Parce que l’université vous donne les voies, mais ça ne s’arrête pas là (…), il y a beaucoup de choses à faire. 85

Le Guinéen est très intelligent, mais on l’a habitué à la paresse et à la facilité. Il faut aller au-delà des apparences, travailler en profondeur. AFRICAGUINEE.COM : honorable Jean-Marie Doré, merci ! JEAN-MARIE DORÉ : Merci beaucoup, monsieur Diallo.

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XII. « La Guinée n’est pas à l’abri de l’islamisme » Interview réalisée par Diallo Boubacar I le 22 novembre 2015

Face à la menace terroriste qui touche désormais plusieurs pays africains, l’ancien Premier ministre guinéen Jean-Marie Doré a tiré la sonnette d’alarme. L’ex-chef du gouvernement de la transition a lancé un message d’alerte à l’endroit des autorités de son pays au lendemain de l’attaque terroriste qui a visé un hôtel situé en plein cœur de la capitale malienne. Des analyses, mais aussi des propositions de solution, le leader de l’Union pour le progrès de la Guinée a bien voulu se confier à notre rédaction. AFRICAGUINEE.COM : honorable Jean-Marie Doré, bonjour ! JEAN-MARIE DORÉ : Bonjour, monsieur Diallo ! AFRICAGUINEE.COM : Quelle lecture faites-vous des violences macabres survenues à Touba cette semaine ? JEAN-MARIE DORÉ : Je n’étais pas là, donc je ne peux pas en parler avec la même précision qu’un Guinéen qui a vécu ces événements. Mais je pars du principe que Touba étant considéré comme une capitale religieuse, les chefs religieux devraient éduquer la population en fonction des préceptes du Coran. Dès lors que chacun s’impose cette conduite, alors il ne devrait pas y avoir de bagarres pour savoir si on construit la mosquée sur une termitière ou dans la plaine. La mosquée, c’est tout lieu où l’on s’adresse à Dieu. Dieu est partout. Alors je ne vois pas pourquoi les chefs religieux seraient à la base d’affrontements qui conduisent à la mort d’hommes. Je me pose ces questions-là. Selon moi, il ne devrait pas y avoir de telle bagarre. Ça disqualifie la religion, ça disqualifie les hommes qui parlent de la religion. Dieu est amour selon moi, chrétien (…) En Guinée on prêche d’une main et on tire le pistolet d’une autre main. Ce n’est pas bon. Je ne juge pas les auteurs des bagarres de Touba, mais je me prononce en général. 87

AFRICAGUINEE.COM : Vous étiez à Paris quand les attentats qui ont fait cent vingt-neuf morts ont frappé la France. Comment avez-vous vécu ces moments ? JEAN-MARIE DORÉ : Ce qui n’est pas normal dans ces attentats, contrairement à ce qui s’était passé en janvier, où des gens avaient caricaturé Mahomet, ici de jeunes gens sont partis danser au Bataclan, d’autres buvaient du café ou de la bière sur les terrasses, d’autres assistaient aux spectacles footballistiques, puis des individus qui n’étaient pas prévus dans le spectacle sont venus ouvrir le feu sur eux. Heureusement que la bombe du Stade de France n’a pas fonctionné. Là on n’aurait pas parlé de quatre-vingt-neuf morts comme au Bataclan, il y aurait eu des centaines parce qu’ils tirent dans le tas. Ceci n’a pas de justification. Je ne vois aucune religion qui prêche cela. Il y a des idéologies qui ne sont pas des religions, mais qui prêchent la vérité absolue. Donc qui s’apparentent aux religions, comme les nazis. Quel était le reproche d’Hitler aux Français ? Il dit que ce sont les Français qui ont amené les nègres sur les bords du Rhin. Ces nègres-là ont fait des enfants avec les Allemandes de sang pur. Pour Hitler, il fallait donc tuer les Français parce qu’ils ont permis le mélange du sang allemand qui est pur avec le sang corrompu des nègres à l’espèce avariée. Cette pratique s’est muée en une religion aux préceptes absolus. Or, au Bataclan les gens ont cru que les tirs faisaient partie du jeu. C’est quand ils ont vu le sang se répandre qu’ils ont compris que ce n’était pas du jeu. Toute personne équilibrée doit condamner ça. S’ils s’en prenaient au gouvernement, qu’ils aillent devant le Conseil des ministres, s’ils s’en prennent aux policiers, qu’ils s’expliquent avec les policiers au commissariat, mais des jeunes gens, filles et garçons qui sont allés s’amuser pour se distraire des pesanteurs de la vie sociale de Paris, on vient leur ôter la vie. Au nom de quoi ? Et puis les explications qu’ils donnent ne tiennent pas la route. Daech a le droit de créer l’État islamique dans le désert, mais il faut aussi qu’ils permettent aux autres de faire leur État dans la verdure. En janvier 2015, j’avais dit clairement ce que je pensais des attaques contre « Charlie Hebdo » puisque je ne serais pas content que quelqu’un vienne dire n’importe quoi sur Jésus Christ. AFRICAGUINEE.COM : Après ces attaques, il y a eu une condamnation à l’échelle mondiale. En Afrique, certains chefs d’État ont décrété même des journées de deuil national. Les mêmes faits se produisent presque quotidiennement sur notre continent, mais on ne voit pas les mêmes réactions. Pourquoi, selon vous ? 88

JEAN-MARIE DORÉ : Je suis d’accord avec vous. Parce que quelqu’un a planifié de tuer Kadhafi au motif que Kadhafi tuait son peuple. C’était un mensonge grossier. Même si Kadhafi avait une mauvaise politique pour son peuple, c’est le peuple libyen qui devait régler ses problèmes avec son président. Ce n’était pas à quelqu’un d’armer des avions pour venir le tuer. En tuant Kadhafi, on a créé des problèmes qui n’existaient pas en Libye. Savez-vous qu’en Libye, les Libyens ne payaient pas de loyer ? Maintenant on a divisé le pays en une infinie de factions hostiles les unes aux autres. Il y a beaucoup à dire, mais je m’appesantis sur les problèmes guinéens qui sont préoccupants. AFRICAGUINEE.COM : Alors parlant de ces problèmes-là, ce matin même (vendredi 20 novembre 2015, N.D.L.R.), des terroristes ont attaqué un hôtel huppé de Bamako, au Mali. Il y a eu beaucoup de morts. Peut-on dire aujourd’hui que la Guinée aussi est sous la menace des terroristes, vu que des soldats guinéens sont impliqués dans les opérations au nord Mali ? JEAN-MARIE DORÉ : Regardez chez nous dans la rue, vous trouverez des gens, je ne vais pas typer des individus, mais qui prêchent comme ça l’islamisme. La Guinée, à terme, est vouée à connaître ces difficultés-là. Pourquoi le Mali se distingue dans le calme relatif qui règne au Sénégal, en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Liberia pour ne citer que nos voisins, c’est parce que dans ces pays, il n’y a pas de lutte entre eux et des groupes religieux affirmés. La Guinée est un grand pays musulman. Il y a deux régions qui sont majoritairement des régions musulmanes : la haute Guinée et le Fouta. La haute Guinée pratique un islam rigoureux sans excès. C’est ma façon de voir de l’extérieur. Donc, nous devons faire attention que ne naisse pas quelque part un désir d’imposer sa religion à la communauté des citoyens. Les lois de la République doivent prévaloir jusqu’à nouvel ordre. Le Mali est pris dans un engrenage qui continue de se caractériser par la multiplicité des fractions islamistes qui, pour certaines d’entre elles, sont en lutte armée avec le gouvernement. Dans cette lutte, il y a des pays qui viennent au secours du gouvernement du Mali. Ces islamistes sont en conflit avec les pays qui viennent au secours du Mali. Donc, ça ne m’étonne pas du tout que les débordements éventuels sur l’Afrique se fassent dans un pays comme le Mali. Il ne fallait pas seulement se contenter de tirer avec les avions de chasse les éléments supposés être des islamistes voués à tuer les non-islamistes. 89

Il y a longtemps qu’on aurait dû faire des études sociologiques pour déterminer dans le temps à quel moment ces événements-là pourraient surgir. J’ai remarqué quelque chose de terrifiant, il n’y a pas d’études prospectives en Afrique. Très peu de gouvernements ont une vision prospective de l’avenir de leur pays. Il faut que nous sachions comment, avec des lunettes, quelle sera la Guinée dans dix ans. Que sera le bilan du président Alpha Condé selon telle ou telle option. Parce que ça ne se décrète pas par notre émotion ou notre amitié. Les actes qu’ils posent indépendamment de lui, on doit pouvoir dire que s’ils sont posés de telle façon, si cela continue, on doit déboucher sur l’abondance et les équilibres sociaux, ou bien ça va déboucher sur un recul. Ces études ne sont pas faites. Parce que personne ne veut passer pour quelqu’un qui critique le gouvernement, alors que ce n’est pas ça. C’est sur la base de ces études qu’on aborde un président ou un Premier ministre pour lui dire que nous pensons qu’il faut qu’il corrige la trajectoire. AFRICAGUINEE.COM : Monsieur Jean-Marie Doré, merci ! JEAN-MARIE DORÉ : C’est moi qui vous remercie !

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XIII. « Si je sors de mes gonds, Cellou va y laisser plus que des plumes » Propos recueillis par le journal « La République », le 10 février 2014

LA RÉPUBLIQUE : Ces derniers jours, vous avez été fréquemment pris à partie par certains de vos concitoyens. Comment expliquez-vous cet état de fait ? JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Pas par beaucoup de concitoyens. Je ne suis pas d’accord. Il y a une sorte de lascar qui apparemment est né dans des conditions inférieures et qui est sorti de la fantaisie de vouloir être vu par tout le monde. LA RÉPUBLIQUE : Il s’agit de qui ? JEAN-MARIE DORÉ : Il s’agit d’un certain Gaoual qui est militant de Cellou. Je crois que monsieur Cellou serait mieux avisé s’il veut qu’on ait un débat, qu’il me le dise directement. Mais je ne peux pas traiter avec des caniches. Un caniche est fait pour agrémenter un salon, mais je n’ai pas le droit de m’amuser à faire une polémique avec cet individu. Je veux profiter de ma réponse pour répondre à ses attaques tous azimuts. Je n’ai pas l’habitude de descendre dans le bas-fond. J’ai pris la parole à l’Assemblée nationale pour remettre le débat dans le sens du droit. Naturellement, il s’est rendu compte que ça ne l’arrangeait pas. Alors, il a essayé de jouer au bruit.

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LA RÉPUBLIQUE : Qu’est-ce qui s’est passé ce jour-là ? Quelle est votre version des faits ? JEAN-MARIE DORÉ : Il faut dire à cet individu qu’il n’est pas mon interlocuteur. LA RÉPUBLIQUE : Il vous a traité de méprisable… JEAN-MARIE DORÉ : Oui, il peut employer d’autres épithètes. C’est son droit. Ça montre naturellement qu’il est né dans des conditions inférieures parce que je ne me suis pas adressé à lui à l’Assemblée nationale. Je me suis adressé au président de l’Assemblée nationale, comme tout député qui demande la parole pour préciser sa pensée. Il en a fait son affaire et s’est mis à hurler. Moi, je ne peux pas hurler. Ce sont des loups qui hurlent, des animaux qui hurlent, mais il n’est pas mon interlocuteur. Je lui laisse la responsabilité de ses propos. La seule appréciation que je fais de ses propos, c’est que de toute évidence, il est né dans des conditions bassement inférieures. Mais, je vais donner un avertissement au commanditaire de l’attitude de ce garçon, c’est-à-dire que monsieur Cellou Dalein Diallo, s’il veut un débat qu’il le dise, on le fera dans des conditions les plus claires. Mais il ne doit pas m’envoyer ses caniches. LA RÉPUBLIQUE : Il y a eu beaucoup d’agitation lors de l’installation de l’Assemblée nationale. Votre mécontentement ne seraitil pas dû au fait que vous n’aviez pu obtenir aucun poste de responsabilité tant au niveau du bureau qu’au niveau des commissions de l’Assemblée nationale ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais non, vous n’êtes pas du tout dans le coup. Il ne s’agit pas d’occuper un poste ou de ne pas occuper un poste. J’étais candidat du Front républicain pour le poste de président de l’Assemblée nationale. Depuis deux mois, nous demandons à monsieur Cellou Dalein Diallo de nous asseoir pour décider de la façon dont nous allons poser notre candidature, au lieu d’attendre au dernier moment pour nous trouver dans une situation compliquée face à une mouvance présidentielle qui était hargneuse vis-à-vis de l’opposition. Dans ces conditions-là, il fallait que l’opposition soit bien préparée. Monsieur Cellou a toujours évité le débat. Il faut demander à Sidya. Il a évité le débat. Vous vous rappelez, la rentrée était prévue un lundi. C’est un vendredi que Sidya a convoqué la réunion à mon domicile pour que l’on puisse prendre une décision. Sidya a demandé « qui veut être candidat ? » J’ai dit « moi ». Puis Cellou a dit qu’il était candidat pour son parti. Tout le monde a dit que ce n’est pas le parti qui va accéder à la 92

présidence, mais un individu qui sera candidat tout en évaluant ses compétences. À supposer que Kouyaté vote, plus Alpha Sylla Bah, l’opposition devait avoir au total cinquante-trois députés. Donc, on ne pouvait pas gagner. Il fallait un candidat qui puisse faire venir des voix de l’autre côté. Je pense que j’aurais pu remplir ces conditions. C’est en tenant compte de ma capacité d’ajouter aux députés de l’opposition pour que je sois au perchoir que j’ai décidé d’être candidat. Je n’ai pas été candidat en fonction du nombre de mes députés. Monsieur Cellou est leader du parti qui a eu le plus grand nombre de députés. Mais ça s’arrêtait là. Il ne peut pas devenir président. Il ne peut pas attirer au-delà de cinquante-trois députés. Or, il fallait un candidat qui non seulement remplissait les conditions de formation et d’expérience, de niveau culturel appréciable et que ce candidat soit à même d’attirer sur son nom d’autres personnes que des députés de l’opposition. C’est bien ça, l’argumentaire ! Il dit non et demande le poste pour son parti. Sidya a dit non. J’ai dit non, Telliano a dit non, Alpha Sylla Bah a dit non. Je vous cite le nom des personnes qui étaient présentes à la réunion. On a renvoyé la réunion à samedi. Samedi, Cellou est venu répéter la même chose. Donc, il y avait blocage. Je ne pouvais pas accepter que ce soit le parti. Parce que si c’est le parti, il va sortir quelqu’un que nous ne connaissons pas et qui, de surcroît, ne répondra pas aux critères de choix de l’opposition. L’opposition, dans sa structure, doit prendre les meilleurs cadres. Mais si on prend un tocard ou bien parce qu’on a des rapports personnels avec la personne, ça ne peut pas aller. Ça allait dégrader l’opposition. Vous ne connaissez pas tout, car les gens parlent en surface comme ça. C’est ça le fond du problème. Donc, Cellou a refusé. Dimanche, il va voir Sidya et lui dit : « Bon, moi-même je suis candidat maintenant. » Je lui ai dit : « Qu’est-ce que ce bordel-là ? On a fait deux réunions et tu n’as pas dit ça, c’est maintenant que tu le dis. » Et il répond : « Bon, dans ces conditions, je te propose comme candidat. » Je lui ai dit que moi, je ne me suis pas préparé à être président de l’Assemblée nationale, donc je n’ai pas fait la campagne. En partant du principe que tous les députés de l’opposition vont voter pour le candidat qui sera choisi par l’opposition, il faut faire campagne en dehors de l’opposition. Parce que la campagne ne concernait pas les députés de l’opposition. Les candidats des autres partis ne sont pas de l’opposition. Il y a une stratégie. Monsieur Cellou n’a pas de stratégie. Ils font des meetings, mais ils n’ont pas de stratégie. Comment traverser la rivière si vous n’avez pas de bateau, si vous n’avez pas de plan ? Il faut imaginer comment traverser la rivière ! Il faut avoir une vision. Donc, Sidya a dit 93

non. Le soir, il vient proposer à Sidya qu’il cède la place à Baidy. Baidy dit à Cellou : « Cellou, vous vous moquez de moi ? Je ne peux pas accepter d’être candidat dans ces conditions. » C’est quelques heures après qu’il vient avec la femme de son parti pour présenter cette dernière comme candidate. Moi, j’ai retiré ma candidature. Je n’avais plus besoin de dire à quelqu’un que je retirais ma candidature. J’ai retiré ma candidature parce que ma candidature ne pouvait être efficace, ne pouvait porter que dans la mesure où les députés de l’opposition sont groupés et que moi j’ajoute à ce paquet de voix d’autres députés qui ne sont pas forcément de l’opposition. Voilà le problème ! Cette présentation a invalidé Cellou. Le reste n’est pas important. Ce qui est important, c’est qu’à l’Assemblée nationale, il fallait sortir de ce débat stérile. J’ai pris la parole pour demander au Président d’appliquer une disposition du règlement. Parce qu’il y a une disposition qui permet au président de l’Assemblée nationale de mettre fin à ces débats qui se prolongent. Et il se trouvait que personne ne savait comment recadrer le débat. C’est dans ce contexte que ce margoulin s’est mis à vouloir se revaloriser devant Cellou, car tout ce qu’on disait n’arrangeait pas les affaires de Cellou. Je voudrais vous dire que j’ai horreur des gens médiocres. Et monsieur Cellou ne fait rien pour devenir équitable. C’est pourquoi il a des problèmes dans son parti. Et s’il continue à se comporter comme ça, ses problèmes vont continuer toujours à s’aggraver et la direction du parti va lui échapper. S’il a besoin de faire un débat inférieur, ce n’est pas avec moi, sinon, si je sors de mes gonds, il va y laisser plus que des plumes. LA RÉPUBLIQUE : Parlons maintenant du déroulement du vote pour l’élection du président de l’Assemblée nationale. Certaines personnes affirment que des voix ont été achetées. Qu’en dites-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Ça, je ne sais pas. Nous avons deux députés. LA RÉPUBLIQUE : Le président Kondiano a eu soixante-quatre voix, comment expliquez-vous ce score ? JEAN-MARIE DORÉ : Je ne sais pas. Il faut demander aux députés. Je n’ai pas à vous expliquer comment j’ai voté. C’est un vote secret. Aucun député ne peut venir vous dire qu’il a voté pour monsieur Kondiano ou pour madame Tofany. S’il vous dit ça, il ment ! Parce qu’il va vous faire une affirmation que vous ne pouvez pas contrôler. Il faut noter qu’il y avait beaucoup de députés qui n’appartenaient ni à l’opposition de façon claire, ni à la mouvance de façon claire. Ces gens ont voté pour une raison et je n’ai pas le droit de les juger. Ce n’est pas une question fondamentale. 94

LA RÉPUBLIQUE : Le président Alpha Condé a annoncé la publication des audits les prochains jours. Quelle appréciation faitesvous de cette déclaration ? JEAN-MARIE DORÉ : Oh ! Vous donnez à ça tellement d’importance. Il y a au moins vingt journalistes qui m’ont posé la question. Écoutez ! Je trouve normal que le président de la République ordonne des audits parce que toute gestion peut être soumise à un audit. Mais en Guinée, on a fini par croire qu’auditer quelqu’un, c’est le croire déjà coupable. Mais non ! L’audit consiste à vérifier que la gestion s’est faite conformément aux mesures établies. C’est tout ! Donc, si le Président veut auditer, on peut partir de la gestion de monsieur Sidya, de celle de monsieur Lamine Sidimé, venir à celle de monsieur Cellou, celle de monsieur Kouyaté, à celle de mon ami Tidiane Souaré et à celle de Komara, à celle de monsieur Jean-Marie Doré et à celle de monsieur Saïd Fofana. Sidya a gouverné pendant trois ans, Lamine Sidimé je crois aussi durant trois ans, Komara neuf ou douze mois, je crois. En principe, en dehors de Sidya et de Lamine Sidimé, les autres, ça n’a pas été très long. Je suis totalement d’accord d’être audité. Mais comme un audit en appelle un autre, on doit aussi auditer la gestion en cours puisqu’il y a trois ans que l’on gère. Je vous cite une phrase du président de la République qui dit que lorsqu’il est venu aux affaires, il n’a rien trouvé dans la caisse. Je crois qu’il a dit un chiffre de 50 dollars. Il a dit qu’après notre départ des affaires il ne restait dans la caisse que 50 dollars. Vous savez, les gens s’énervent ici pour rien. C’est banal, ça ! Comment il a payé les fonctionnaires et les dettes de l’État le 31 décembre 2010 ? Comment il a payé les fonctionnaires en janvier 2011 ? Les données font que je n’ai pas besoin de m’exprimer, c’est aussi simple que ça ! Je crois que le fait qu’on audite monsieur Doré ne signifie pas que monsieur Doré est malhonnête. Le fait qu’on audite monsieur Komara, monsieur Lounceny Fall, monsieur Sidya ne veut pas dire qu’ils sont malhonnêtes. Ça veut dire si par exemple les décaissements des fonds ont été faits conformément aux procédures ? Mais il se peut qu’au cours de l’audit, on constate qu’il y a eu des irrégularités. Mais une irrégularité ne veut pas dire forcément une malhonnêteté. Vous pouvez faire une irrégularité parce que le collaborateur a confondu les textes. Maintenant, si on constate qu’il y a eu détournement de fonds, alors les mesures peuvent être prises. C’est tout à fait normal. LA RÉPUBLIQUE : Nous allons vers les élections communales et communautaires. Comment l’UPG compte préparer ces joutes électorales ? 95

JEAN-MARIE DORÉ : Comme tous les partis, nous avons une stratégie, une technique, et nous allons préparer les élections correctement et nous assurer qu’il n’y a pas de manipulation comme on en a connu lors des élections législatives. L’UPG compte s’en sortir largement à son avantage là où elle est bien implantée. LA RÉPUBLIQUE : Vous dites que vous êtes centriste. Donc, le divorce est consommé avec l’opposition républicaine ? JEAN-MARIE DORÉ : Oh non ! Il n’y a pas d’opposition. J’étais avec des gens qui, à un moment donné, pensaient qu’il fallait aller dans un front plus large. Je cite Barry Boubacar, Alpha Sylla Bah, Kouyaté, etc. Moi, je n’ai pas voulu partir. Mais un rassemblement comme ça est une solidarité. Vous ne pouvez pas dire systématiquement que les autres ont tort et que vous avez raison. Alors, on est allé là-bas et puis euxmêmes constatent que maintenant il n’y a pas de stratégie. On est là, on parle de meeting et puis on fait une déclaration. Qu’est-ce qu’il y a derrière ça ? LA RÉPUBLIQUE : Mais à un moment donné vous étiez ensemble, monsieur Doré… JEAN-MARIE DORÉ : Pour pouvoir juger ça, il fallait que je sois là-bas. Je vous le dis, parce que j’ai constaté ça. Il n’y a pas de stratégie, pas de tactique. On veut aller à l’Assemblée nationale pour élire un président et chacun veut se taper la poitrine. On ne peut pas aller de cette façon-là. On pouvait prendre le plus humble sur le plan financier, mais qui a plein de choses dans la tête et qui pouvait attirer des électeurs sur lui. Élire un président, ce n’est pas n’importe quoi. Il faut être conséquent avec soi-même. LA RÉPUBLIQUE : C’est-à-dire ? JEAN-MARIE DORÉ : Nous avons récusé la gestion de Sékou Touré, de Lansana Conté, de Dadis. Mais nous devons démontrer que nous sommes plus intelligents, plus efficients. Mais si nous sommes inférieurs en méthodes de travail, vous comprendrez que tout ça, c’est du cinéma. LA RÉPUBLIQUE : Il se dit que les nouveaux députés réclament 25 millions par mois comme salaire. Qu’en dites-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Hummm ! Moi, je ne suis pas membre de la Commission des finances, je ne suis pas au courant. C’est vous qui me l’apprenez. Si mes collègues décident que c’est ça, je serai solidaire de cette décision. 96

LA RÉPUBLIQUE : Il y a eu beaucoup d’événements douloureux en Guinée forestière. Quel est le message que vous lancez à vos compatriotes de la forêt en particulier et aux Guinéens en général ? JEAN-MARIE DORÉ : Le message aux Guinéens, c’est que la richesse de la Guinée provient de chacune des régions, où chacun des peuples des quatre régions naturelles est porteur des valeurs essentielles pour la grandeur de la Guinée. Au lieu d’envier telle région qui réussit mieux dans telle situation ou dans telle activité, il faut faire en sorte que ces activités soient complémentaires pour que la Guinée joue son rôle de leader dans la sous-région. Il faut faire l’unité. L’unité, ce n’est pas que le forestier devienne Malinké, que le Malinké devienne Peul et que le Peul devienne Baga. L’unité, c’est être solidaire et considérer que le bien du ressortissant de Siguiri rejaillit sur le bien de l’habitant de Timbi-Touni. Et que la joie des gens de N’Zérékoré est partagée par ceux de Kindia, ceux de Boké, Labé, Kankan ou de Mandiana. L’unité en somme, c’est un peuple dans sa diversité. Si le Peul cesse d’être Peul, c’est une perte pour la Guinée, c’est le même cas pour le forestier, le Malinké et le Soussou. La grandeur et la force de la Guinée résident dans l’effort acharné, continu, sans relâche que nous devons fournir pour minorer les clivages qui, souvent, sont artificiellement articulés pour des intérêts qui échappent à l’intelligence. Ce qui est important, c’est que vos qualités de Peul ou de Malinké, mises ensemble vis-à-vis du Mali, du Nigeria, du Liberia, deviennent une force impressionnante et incontournable. La forêt doit faire un effort double parce qu’elle doit triompher d’un clivage linguistique. Ce problème est résolu en basse Guinée où il y a plus d’ethnies qu’en forêt. En forêt, il y a cinq ethnies. Si on ajoute le Konianké, ça fait six. Il faut minorer ces clivages. Celui qui ne parle pas votre langue est automatiquement considéré comme un étranger. Mais aujourd’hui, on a d’autres moyens de contourner ces clivages. C’est que tout le monde parle français. Je suis convaincu qu’à terme, lorsque tous les Guinéens apprendront à lire et à écrire en français ou en anglais, personne dans une assemblée ne prendra la parole dans sa langue. Ça n’arrive pas souvent. Sauf dans certains partis comme l’UFDG où on fait les meetings en poular. Nous, nous nous interdisons ici de faire des meetings en mano, en guerzé, en toma ou en kisséi. Parce que ce n’est pas normal. Dès qu’il y a deux Guinéens qui ne sont pas de même ethnie, il faut utiliser la langue officielle qui permet de se faire comprendre de tous. Il faut que les forestiers réussissent par un effort puissant sur eux97

mêmes, par une véritable volonté à triompher de cet écueil qui est appelé à disparaître. Mais il faut accélérer le temps qui nous sépare de sa disparition pour que certaines choses qui s’y passent et qui sont liées à ses clivages ne puissent plus prospérer. Et ça, les forestiers le savent. C’est notre combat de tout le temps. Mais je tiens à préciser qu’on ne peut pas mener un combat isolé pour la forêt. Quand nous donnons des conseils de rassemblement à des forestiers, ce conseil est valable aussi pour la haute Guinée parce que la géographie nous lie. On a plus de 800 kilomètres de frontière terrestre commune. Il y a des brassages inextricables de populations. La forêt n’a pas de frontière commune avec le Fouta, mais la basse Guinée en a avec le Fouta et partiellement avec la haute Guinée. Le Fouta a une longue frontière avec la haute Guinée. Ce sont des données de facilitation du règlement des problèmes. Aujourd’hui, quand on parle de déchirement du tissu social, ce n’est pas un conflit généralisé. C’est le problème de rejet réciproque entre Malinké et Peul. Ce n’est pas une affaire de l’imam de la mosquée Fayçal ni de l’archevêque de Conakry. C’est un travail de l’université, des journalistes, du gouvernement. Mais quand on voit un journaliste qui parle toujours de sa région, en ce moment, ce journaliste ne sait pas comment jauger l’unité nationale. Il faut s’impliquer au jour le jour à rapprocher les gens, à éviter de privilégier une région par rapport à une autre. Ceux qui le font travaillent contre eux-mêmes. Parce qu’en fin de compte, à trop parler de ce choix de mettre toujours en avant l’intérêt de sa région, on finit par le mettre dans un ghetto. Or, le ghetto finit par étouffer un peuple intelligent et travailleur parce qu’on parlera toujours avec mépris de ses habitants. Comme nous sommes obligés de vivre avec la personne en question sur le même bateau, c’est comme si vous voyagiez dans un grand navire sur une longue distance. Vous n’aimez pas quelqu’un, mais la proximité vous oblige à le supporter. Donc, il faut être optimiste pour que vous puissiez faire le voyage sans être triste tout le temps parce que vous n’avez pas le droit de le prendre et de le jeter à la mer. Personne n’a le droit de jeter un autre à la mer en Guinée. Tout le monde restera dans ce bateau jusqu’à la fin des temps. LA RÉPUBLIQUE : On peut s’attendre à votre candidature à la présidentielle de 2015 ? JEAN-MARIE DORÉ : (Sourire) pourquoi vous anticipez comme ça ? Ce n’est pas monsieur Doré qui décide d’être candidat. C’est mon parti qui estime qu’il a les moyens pour préparer et présenter un candidat. À ce moment-là, on réunit le bureau politique et ce bureau politique 98

décide. Parce que notre parti est foncièrement démocratique. Quelle que soit votre position dans le parti, il faut avoir un mandat pour être désigné par le bureau politique. Et on ne vous donne pas souvent le mandat parce que vous êtes plus efficient qu’un autre, mais parce que par cette réunion, beaucoup de données nous permettront de sortir victorieux. Un parti doit être démocratique. Si nous voulons faire de la Guinée une République démocratique, c’est une longue lutte. Parce que je m’aperçois qu’en Guinée, il y a la phraséologie, puis il y a la pratique. Quand on parle de démocratie, il faut se méfier de ceux qui parlent tout le temps de démocratie, démocratie. On ne sait pas ce qu’ils en font quand ils ont une parcelle de pouvoir.

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XIV. « J’insiste auprès d’Alpha Condé pour révoquer le préfet de Yomou » Par Amara Moro Camara et Doré Tokpanan pour guineenews le 2 avril 2014

La récurrence de la violence en Guinée forestière couplée maintenant à l’existence dans la région d’une épidémie sans précédent de fièvre Ebola qui touche désormais la capitale Conakry, constitue une préoccupation nationale qui ne laisse pas indifférent l’ancien Premier ministre de la transition et député de l’UPG, Jean-Marie Doré. Dans l’entretien qui suit, le leader de l’UPG pousse un coup de gueule contre les autorités locales de Diecké, le préfet en première ligne, pour leur gestion de la récente crise sociale qui a agité la localité. GUINEENEWS : Récemment des femmes de Diecké ont protesté pour réclamer plus d’emplois pour leurs enfants au sein de la SOGUIPAH. Mais cette revendication a finalement dégénéré en affrontements entre elles et les forces de sécurité. Ce qui aurait fait des victimes. En tant que leader, comment réagissez-vous à cette nouvelle violence dans la zone et surtout à Diecké ? JEAN-MARIE DORÉ : Les gens veulent dénaturer les événements graves qui se sont produits à Diecké dans la préfecture de Yomou. Les faits sont d’abord liés à la baisse drastique et unilatérale de la production agricole. À savoir notamment le caoutchouc, produit par l’hévéa et l’huile de palme. Le prix moyen est passé unilatéralement de 11 000 francs à moins de 4 000 francs, sans consultations. Ceci vient s’ajouter au fait que les emplois significatifs à la SOGUIPAH, d’après les informations qu’on nous rapporte, sont toujours attribués à des cadres guinéens venant de la région de Conakry tandis que les emplois subalternes sont réservés aux cadres de la place. C’est du moins ce qu’on nous rapporte. Donc, cette revendication d’emploi est récurrente. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est cette baisse soudaine et sans négociations du prix de la production. Tous les producteurs sont au 101

courant des prix pratiqués en Côte d’Ivoire et au Liberia voisins. Les gens ne comprenaient donc pas la raison de cette baisse. C’est pourquoi les femmes ont décidé d’aller demander des explications à la directrice de la SOGUIPAH. C’est ainsi qu’elles sont allées faire un sit-in pacifique, ce n’est pas une rébellion, contrairement à ce qu’on laissait croire. D’après ce qu’on m’a rapporté, la directrice a informé le préfet que la société était dépassée par des femmes qui empêchaient le travail. Si le préfet avait été un homme équilibré, un administrateur compétent, il se serait d’abord informé. Mais, dès qu’il a reçu l’information de la directrice, il a envoyé la police qui a lancé des grenades lacrymogènes contre la foule de femmes. Elles se sont dispersées brutalement. Ne comprenant rien à la réaction de l’administration, elles étaient déterminées à revenir le lendemain en plus grand nombre. C’est ce qu’elles ont fait, non pas avec des fusils ou des bâtons, mais avec des instruments de musique comme les calebasses, les bassines, les castagnettes… pour dire qu’elles exigeaient leurs droits. Qu’elles exigeaient de l’emploi pour leurs enfants dans une entreprise qui opère chez eux comme cela se fait partout ailleurs. Alors, le préfet a envoyé cette fois-ci l’armée sans consultation de l’administration centrale. Vous comprenez ! On ne peut pas envoyer l’armée sans l’autorisation du chef de l’État. À défaut, sans consultation du ministre de la Défense. Et le petit préfet de Yomou autorise les forces armées à venir, sans sommation, tirer dans le tas. Au moment où je vous parle, il y a cinq morts. Il paraît qu’il y a beaucoup de disparus et on craint que le nombre n’atteigne quinze. Mais là, ce sont des spéculations. Ce qui est constant, c’est cinq morts. J’ai les photos. GUINEENEWS : Vous êtes formel sur le cas des cinq morts, vous les tenez de source hospitalière ou quoi ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est vrai… il y a aussi des photos que nous avons. Le préfet de Yomou s’appelle Jean Sandy Smith. Son nom de famille, c’est Sandy. C’est un monsieur qui, il y a dix voire quinze ans, aurait dû être à la retraite. Mais chaque fois que le pouvoir change de main, il vient faire la cour auprès du détenteur en devenant un militant zélé. Il avait quitté notre parti quand Dadis est venu au pouvoir. Quand Dadis a quitté, il a flotté jusqu’à ce qu’on me nomme Premier ministre. Quand je suis devenu Premier ministre, il est devenu fanatique militant de l’UPG jusqu’à ce qu’Alpha Condé prête serment le 21 décembre 2010. Alors, il est devenu « membre fondateur » du RPG Arc-enciel. Il croit rendre service à Alpha Condé en prenant sur lui des initiatives qui contrebalancent la politique de recherche de la confiance en la Guinée. Dans une région où l’on parle de rébellion, il faut être un imbécile pour y investir son argent. 102

Comment pouvez-vous confondre le mouvement des femmes avec la rébellion comme un journal bizarre, appelé « La Guinée en marche », qui a titré : « Rébellion à Diecké ». Ce n’est pas vrai, il n’y a pas de rébellion à Diecké ! Nulle part en forêt, il y a la rébellion. Voilà donc la situation. C’est un fait banal qui s’est transformé en tragédie par l’opportunisme du préfet. J’ai informé le ministère de l’Administration du territoire de ce que je sais. J’insiste davantage auprès du président de la République pour que l’on révoque Jean Sandy Smith. Parce que ce qu’il fait à Yomou ne doit pas être répété ailleurs. Il ne faut pas le muter. S’il est muté dans une autre préfecture, il va rééditer ses sombres exploits là-bas. GUINEENEWS : Vous rejetez catégoriquement le concept « rébellion », pourtant le sous-préfet de Diecké a récemment déclaré que les habitants du village de Zimpa, d’où est originaire le maire de Diecké, ont creusé la route pour empêcher toute circulation. Cela aurait même provoqué un accident qui a coûté la vie à une dame. JEAN-MARIE DORÉ : Il ment. Il raconte des histoires. Quand vous menacez que vous allez attaquer un village, vous ne laissez aux populations que les moyens de se protéger, c’est ça ! Le préfet, en complicité avec le sous-préfet, a menacé les populations. Je vous dis que c’est un vrai drame. On n’envoie que des déchets comme administrateurs dans la région. Ce n’est pas normal ! GUINEENEWS : Mais généralement ces cadres sont censés être des natifs de la région… ? JEAN-MARIE DORÉ : Vous connaissez le problème guinéen. Je n’ai rien à vous apprendre. L’opportunisme annihile chez beaucoup de Guinéens tout sens d’analyse et de conscience morale. Le gars, ce qu’il veut, c’est durer dans la fonction. Sur quelle route il va marcher, cela n’est pas son affaire, pourvu qu’il soit en fonction. Et pour cela, que ce soit son oncle ou son neveu, il va se comporter de la même manière que s’il servait à mille kilomètres de chez lui. C’est cela le vrai danger. C’est pourquoi il est urgent que l’École Nationale d’Administration en gestation démarre rapidement. Mais aussi qu’on recrute des gens aptes à devenir des vrais administrateurs du territoire. Pour éviter qu’on ne se retrouve devant des situations comme cela. Parmi les morts, il y a un civil et un militaire qui sont du village de Jean Smith. L’un d’eux est son neveu et les gens l’attendent dans son village pour qu’il vienne leur rendre compte de la mort par balles de leur fils. Les morts sont par balles. Et ce sont des balles tirées sur ordre de quelqu’un qui n’avait pas le pouvoir d’ordonner l’usage des armes. 103

GUINEENEWS : Aujourd’hui, la Guinée fait face à une épidémie sans précédent de fièvre Ebola qui a déjà tué plus de soixante-dix personnes. Que pensez-vous de la gestion de cette maladie par les autorités guinéennes ? JEAN-MARIE DORÉ : Compte tenu de la nature de la fièvre Ebola, j’ai pensé et je continue encore à penser plus fortement qu’il faut restreindre les mouvements des populations. Notamment, empêcher le mouvement des gens de Conakry vers la forêt et ceux de la forêt vers Conakry. On a tardé à le faire. Il vaut mieux que ces mesures causent, pendant quelque temps, des inconvénients compréhensibles à la population que de les voir mourir. D’après ce que l’OMS et les agents de santé disent, il n’y a pas de vaccin ni de médicament curatif. Donc, c’est l’isolement qui doit être utilisé. Et puis, il faut occuper tous les médias : les radios, les télévisions, les journaux et Internet. Il faut qu’ils informent la population de ne pas consommer la viande provenant de la chasse et leur dire qu’il semble que ce soient les chauves-souris qui colportent aussi cette maladie, inciter les populations à prendre de la distance par rapport à la consommation de ces produits. Vous savez que la Guinée, d’une manière générale, souffre de l’insuffisance des infrastructures sanitaires. Si en plus de cette insuffisance, il faut subir de plein fouet l’effet de la fièvre Ebola, c’est un grand malheur qui vient à un mauvais moment. Je crois que c’est un problème général vu la position du foyer de cette maladie par rapport aux autres régions du pays. C’est très grave. Cela entrave le déplacement des personnes et des biens. Sans compter qu’au moment où je vous parle, beaucoup d’Européens qui étaient dans des projets ici commencent à rentrer. Je crois que certains qui étaient en train de refaire la route Conakry-Coyah ont stoppé le travail à cause de la crainte imposée aux uns et aux autres dans un pays où les problèmes sanitaires sont des problèmes globaux qui se trouvent être amplifiés par l’incapacité des communes à se débarrasser des ordures ménagères dont les effluves sont aussi des moyens de véhicule du virus de la fièvre Ebola et d’autres fièvres aussi dangereuses comme la fièvre Lassa. GUINEENEWS : Vous regrettez le fait que les autorités n’ont pas mis en quarantaine les foyers déclarés de cette maladie. Mais à votre avis, est-ce qu’en ayant adopté une telle mesure, l’opinion n’allait pas crier à une discrimination, surtout les ressortissants de la région forestière ?

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JEAN-MARIE DORÉ : Il y a toujours un inconvénient à prendre des mesures de sauvegarde. Vous ne pouvez pas prendre des mesures de sauvegarde sans gêner quelqu’un. Moi, je devais aller à Lola depuis deux semaines. Mais j’ai dû annuler mon voyage bien que je sois attendu dans la région depuis longtemps. Il vaut mieux différer mon voyage que de ne pas arriver du tout à ma destination. C’est pourquoi je demande à ce que tout le monde accepte les inconvénients de la restriction pour préserver la vie de la population. Surtout qu’un scientifique m’a expliqué que ce virus est dans le corps d’un certain nombre d’animaux, mais pas à l’état pathogène. Mais il arrive brusquement, par un processus qu’on ne connaît pas, que le même virus soit pathogène et provoque la maladie. Dans ces conditions, nous sommes devant une situation très compliquée, et seul l’isolement peut éviter les contacts. C’est un problème sérieux qui a des incidences sociales, économiques… La plupart des chantiers vont être abandonnés par des gens qui craignent à juste titre d’attraper cette maladie. GUINEENEWS : Que dites-vous de la décision du Sénégal de fermer ses frontières terrestres avec la Guinée à cause de cette maladie ? JEAN-MARIE DORÉ : Le Sénégal, qui est loin de nous, a déjà commencé à prendre des mesures restrictives qui vont gêner les populations du Sénégal. Mais cela vaut mieux que d’attendre. Certains craignent que les gens soient paniqués. Mais nous sommes là pour les informer de ne pas paniquer, et d’accepter plutôt volontairement les inconvénients de cette restriction. Il faut être malhonnête et de mauvaise foi pour essayer d’utiliser ces mesures de sauvegarde contre les autorités. Parce qu’il s’agit de la vie de nos parents qui vivent déjà dans des conditions inconfortables, qui peinent à trouver les moyens pour joindre les deux bouts. Je suis partisan des mesures strictes maintenant. Parce qu’il vaut mieux cela que d’assister à des hécatombes partout. GUINEENEWS : Mais certaines opinions estiment que ces misères, maladies et crises qui ébranlent le pays, sont les résultantes d’une faiblesse de leadership qui est aujourd’hui à la tête de la Guinée. JEAN-MARIE DORÉ : J’ai horreur des opinions extrêmes. Il y a longtemps que le manque de courant et d’eau existe en Guinée. Ce que moi j’ai reproché à l’administration de la ville de Conakry, c’est d’avoir été à Dabompa et dire que dans cinq jours, on donne le courant. Mais c’est irresponsable ! Personne ne peut donner le courant à toute la ville de Conakry en cinq jours ni en six mois. Ce n’est pas une interruption de courant, c’est parce qu’il y a panne. Ce qu’on pouvait, peut-être, 105

reprocher aux pouvoirs publics, c’est le fait de ne pas s’engager maintenant dans la voie de fournir le courant à terme dans deux ou trois ans. Nous n’allons pas leur imputer la responsabilité de la rareté de maintenant. Aucun gouvernement n’a réussi à donner à toute la ville de Conakry, en même temps, le courant. Si en 1958 on avait du courant partout, c’est parce que le volume de la population consommatrice du courant n’était pas important. Mais avec les naissances et l’exode rural, la consommation est devenue plus grande par rapport aux moyens mis en œuvre. Moi, je pense que l’absence d’infrastructures hospitalières n’est pas le fait d’aujourd’hui. On l’a vécu sous le règne de Conté, on a continué à le vivre sous le règne de Dadis et de Sékouba. Alpha Condé est élu pour cinq ans. Ce qu’on doit lui demander, c’est quelles sont les mesures qu’il est en train de prendre pour qu’on ait le courant à terme. Si la question est posée comme cela, j’adhère complètement. Mais on ne peut pas lui dire qu’il n’y a pas de courant parce qu’il n’a rien fait. Non ! Je crois que les critiques doivent être constructives. Il ne faut pas balancer comme ça les anathèmes.

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XV. « Quand on veut mener la vie publique d’une façon libre, il faut être honnête… » Interview réalisée par guinee7.com le 17 juillet 2014

À bâtons rompus, l’honorable Jean-Marie Doré s’est confié à notre reporter autour des questions brûlantes de l’heure. Cela va des audits à la situation sécuritaire dans la zone forestière, en passant par la relance du dialogue politique et l’acquisition des biens immobiliers de l’État. GUINEE7.COM : Vous venez d’effectuer une tournée en Guinée forestière. Quel était l’objectif de cette visite, et quelles en sont les retombées pour votre parti ? JEAN-MARIE DORÉ : Depuis la fin des élections législatives et la proclamation des résultats définitifs par la Cour suprême, j’aurais dû aller à la tête d’une forte délégation en forêt, en haute Guinée, en basse Guinée, au Fouta pour remercier ceux qui se sont déplacés pour déposer leurs bulletins au nom de notre parti. Même si dans une préfecture on n’a eu qu’une seule voix, le fait qu’on nous ait choisis nous imposait l’obligation d’aller remercier les gens. Mais les préoccupations de Conakry ont fait que nous avons accusé un grand retard et je devais aller en personne pour remercier les populations en général et celles qui ont voté pour nous en particulier. Entre-temps, mon séjour a été écourté à cause des problèmes induits par l’actualité à Conakry et je suis rentré sans avoir bouclé ma tournée. Ne serait-ce qu’en forêt et en haute Guinée dont j’ai fait quelques préfectures, quelques sous-préfectures et districts, et je suis rentré. GUINEE7.COM : Beaucoup pensent que la population de la forêt et les autorités locales ne sont pas tout à fait en bons termes. Quel est votre avis ? JEAN-MARIE DORÉ : Vous savez, il y a un problème récurrent en Guinée, c’est que l’État n’a jamais pensé à spécialiser son outil de travail, 107

qui est le personnel du commandement. On a pris le chemin de faciliter l’emploi de n’importe qui : des infirmiers, des instituteurs, des commerçants, des chômeurs comme représentants de la République dans les différentes structures territoriales, c’est une erreur. Il faut préconiser cela, en créant une École Nationale d’Administration, qui prépare à la mission de l’État un personnel spécialement formé à cet effet. Or, les gens qu’on envoie sont ceux qui étaient des petits fonctionnaires, qui deviennent brusquement sans transition des préfets, qui bénéficient d’une mutation importante dans leurs conditions de vie et puisque ça devient un pactole, il faut tout faire pour le conserver ; alors ils agissent souvent à contre-courant des intérêts de l’État et de ceux qui les y ont envoyés, parce qu’ils ne connaissaient pas ce qu’on appelle l’autorité de l’État. Ils croient qu’imposer l’autorité de l’État, c’est exercer des violences, des humiliations, provoquer des frustrations entre les populations, non. L’autorité de l’État, c’est d’abord que l’agent de l’État respecte les lois, dans leurs textes et dans leur esprit. Et en prêchant par l’exemple, il amène les citoyens à accepter la production réglementaire, légale de l’État et tout ce qui est induit par ces règlements et ces lois. C’est ça l’autorité de l’État, en ce moment nul ne peut se soustraire à l’obligation de respecter les décisions de l’État, même si ce sont des décisions orales. Les citoyens ont confiance en les sous-préfets, les préfets, les gouverneurs et par voie de conséquence, en le gouvernement. Ils pensent que c’est bien de faire tel devoir pour la communauté, puisque même le gouverneur de la région respecte ces règlements, mais au lieu de cela, agissant au nom de l’État, souvent au nom du président de la République, ils commettent des exactions incroyables. GUINEE7.COM : Comme quoi, par exemple ? JEAN-MARIE DORÉ : Extorsion de fonds, corruption, la vénalité des actes administratifs, notamment chez les juges. Je regrette beaucoup, mais nous ne sommes un État de droit, nous ne sommes un État républicain que lorsque les actes posés a priori qui régissent la vie des citoyens sont effectués par ceux auxquels il est confié d’assumer ces responsabilités. Quand des juges, au lieu d’auditionner les gens en conscience, parce que le droit guinéen est une imitation du droit français, au lieu de juger selon leur intime conviction, jugent en fonction des billets de banque posés sous la table. Et ça devient la norme du comportement des juges, le citoyen est pris entre le marteau et l’enclume : obéir, se saigner, s’appauvrir pour un fonctionnaire qui est déjà payé par l’État ou alors résister et subir la répression. Alors, cela fait que des franges importantes de la population s’éloignent du gouvernement, parce qu’elles 108

se disent qu’il n’y a pas de changement. Elles se disent « nous avons été enthousiastes au début, on nous a trompés ». Alors, le gouvernement est surpris de voir la défection des citoyens, souvent sans chercher à comprendre. « Ce sont des gens qui ne comprennent rien. » Non ! Ils comprennent tellement qu’ils se méfient du gouvernement, parce que l’agent du gouvernement, agit sur ordre du gouvernement. Donc ce sont des choses que nous avons constatées et en républicains, nous sommes, en conscience, obligés de porter cela à la connaissance des pouvoirs publics. Pour que des mesures correctives soient prises. GUINEE7.COM : Quel constat faites-vous de la situation sécuritaire dans la région de la Guinée forestière ? JEAN-MARIE DORÉ : Il y a des problèmes importants, il y a des individus, on ne sait d’où ils viennent, qui se pavanent dans des véhicules, à motocyclettes non immatriculées, et ce qui m’étonne c’est que les autorités n’appliquent pas les règlements. Comme je le disais, nul ne peut circuler à bord d’une voiture, à bord d’un camion, d’une moto sans immatriculation. Alors, si ces gens circulent un jour, deux jours, deux mois, un an, sans qu’on ne leur demande des comptes, on s’interroge. « Est-ce qu’ils sont là avec l’accord des agents de l’État ou alors les agents de l’État, pour des raisons cachées, n’osent pas parler à ces genslà ? » À la fin, les populations sont exacerbées et souvent il y a des clashs. Je crois que ce qu’il faut éviter, c’est que l’on donne la licence à certains de faire ce qu’ils veulent et à d’autres de subir comme ils peuvent. GUINEE7.COM : En votre absence, on a tenté d’empêcher votre représentant d’accéder à la salle où se tenait le dialogue interguinéen. Quelle réaction avez-vous face à cette situation ? JEAN-MARIE DORÉ : Ce sont des imbéciles qui ont voulu l’empêcher de rentrer, parce qu’il s’agissait, disait-on, de renégocier, d’activer les accords du 3 juillet, or nous étions un des négociateurs de ces accords et comme vous savez ces accords ont été vidés de leur contenu au moment de leur conclusion. GUINEE7.COM : Comment ça ? JEAN-MARIE DORÉ : Parce qu’on a changé d’objet, l’objet principal des négociations était de mettre de côté l’opérateur technique qui est Waymark et de lui substituer un opérateur de consensus. Dans la salle, certains partis que je ne veux pas nommer, parce que j’en ai déjà parlé (je ne veux pas parler tout le temps de médiocres), sont revenus sur la position de départ, à savoir rejeter Waymark ; et c’est depuis ce temps-

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là que l’attitude de groupement oppositionnel s’est affaiblie devant le gouvernement. Justement la machine s’est grippée encore une fois. GUINEE7.COM : Selon vous, que faut-il pour que les hommes politiques guinéens soient sur la même longueur d’onde ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est d’être d’abord logique avec soimême, de ne pas discuter de tout et de rien. Il y a des sujets qui doivent retenir le meilleur de l’attention des partis politiques et il ne faut pas les prostituer en les mélangeant avec des détails insignifiants parce que dès lors qu’il y a multipartisme, il y a contradiction dans le choix des méthodes. Donc, le fait qu’un gouvernement élu applique toute sa politique ne devrait pas lui valoir des acrimonies. Si moi, je suis président de la République, j’ai mes choix et c’est la loi qui me donne le droit d’avoir ce choix qui est traduit par mon programme. Je ne vois pas comment quelqu’un peut venir me dire que je ne peux appliquer mon programme sur lequel les citoyens m’ont élu, donc c’est un faux débat. Et souvent, quand l’opposition parle avec le gouvernement, elle ne comprend pas ce que le gouvernement veut dire. Est-ce qu’ils le font par ignorance ? Est-ce qu’ils le font par naïveté ou ils le font volontairement ? Ce que je craindrais fort. Il était convenu de ne parler que des conclusions de la dernière rencontre. Or, moi, je n’étais pas là. J’ai entendu dire que : « ah, on a imposé notre vouloir au gouvernement. Le gouvernement et nous, on s’est mis d’accord pour élaborer un nouveau texte et nous allons le signer vendredi ». J’ai demandé au représentant de mon parti ce sur quoi ils se sont entendus, il m’a dit que c’est très grave, il m’a dit que non seulement ce qu’ils ont décidé c’est vague, et encore on a donné au gouvernement de le mettre en forme, et qu’on viendrait pour le signer tel que le gouvernement l’aura rédigé. Si le gouvernement avait rédigé dans le sens souhaité, j’aurais douté de l’intelligence politique de monsieur Alhassane Condé (rire), parce que lui, a un programme à appliquer. Le gouvernement auquel il appartient est apprécié sur la base de ce programme. On lui dit de rédiger un texte qui concerne son gouvernement, ça vraiment c’est faire une mauvaise querelle à Alhassane Condé, que de lui demander de mettre un peu de miel dans le pain et un peu de confiture, non. Il a rédigé tel que c’était convenu. Mais dans des termes textuels, sans l’esprit. Or un accord, c’est le texte et l’esprit. Leur faute principale c’est d’avoir demandé au gouvernement de rédiger ; donc ils ont donné carte blanche au gouvernement. Puis après coup, ils récusent la carte blanche qu’ils ont donnée, alors que le gouvernement a fait le travail pour lequel on lui a donné carte blanche. C’est pourquoi je dis, il y a la politique et puis, il y 110

a la naïveté. Quand j’ai vu le document, quand je l’ai lu et quand je l’ai comparé aux discours des négociateurs, alors je me suis dit, mais par quelle niaiserie (rire), par quelle naïveté byzantine, ces gens ont pu souscrire à un tel accord, parce qu’il faut un grand christianisme intellectuel pour y arriver (rire). C’est comme si vous confiez votre mouton au loup qui est resté dans sa tanière tout l’hiver et qui est prêt à manger même les écorces des chênes et puis vous lui confiez votre mouton et après vous allez lui demander des comptes, ah non. Toute la jungle devrait vous tomber dessus. Donc voilà les problèmes qui me navrent. Parce que je ne suis pas d’accord que de la qualité d’hommes de ceux qui prétendent diriger la Guinée, descende au-dessous d’un certain seuil. Ce n’est pas une leçon que je donne, mais je pense qu’il faut que nous apprenions à être modestes, à être sérieux. GUINEE7.COM : Pour finir, Excellence, que pensez-vous des audits qui viennent d’être publiés ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est normal, je ne vois pas où est le problème. Le gouvernement est dans sa responsabilité première de la gestion et de la destination des biens qui lui sont confiés, ces biens n’appartiennent pas au gouvernement. Ce sont des biens de la communauté nationale. Si le gouvernement a des raisons de penser que vous et moi avons reçu un budget et que la façon dont on l’a dépensé ne lui convient pas, la première des choses à faire, c’est de vérifier comment on a dépensé, c’est ça l’audit. Maintenant, ça c’est un acte purement administratif, si au cours du traitement, il s’avère que nous deux nous nous sommes arrangés pour modifier la destination des fonds à des fins personnelles, le gouvernement a le droit de nous poursuivre pénalement. C’est ça, vous m’avez interrogé sur le principe. Les gens pensent que dès qu’on dit audit, c’est qu’on fait un procès, non. L’audit ne conduit pas forcément au procès, c’est s’il y a violation de la loi, non seulement sur la procédure, on peut corriger la violation de la procédure, mais l’usage de l’État à la faveur d’une gestion, parce qu’à tout moment, à toutes les étapes, vous êtes soumis à un contrôle. En cas de contestation, on fait l’audit. Maintenant, si le gouvernement pense qu’il y a des gens qui ont fait des acquisitions dans des conditions qui frisent la filouterie, le détournement des biens publics, c’est au gouvernement de démontrer par des experts que ces cas-là, qui relèvent du Code pénal, sont avérés. Alors, il est du devoir du gouvernement de poursuivre les coupables devant les tribunaux. GUINEE7.COM : Pour certains, c’est une chasse aux sorcières. 111

JEAN-MARIE DORÉ : Pourquoi chasse aux sorcières, les gens dont on parle ne sont pas des sorciers ! GUINEE7.COM : Que c’est un acte purement politique ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais non, pourquoi c’est un acte politique ? Donc ça veut dire qu’en Guinée, il ne doit pas y avoir d’audit ? Je vous pose la question, vous qui êtes journaliste, parce que vous êtes chargé d’informer correctement la population. Est-ce que le fait pour un État, d’entreprendre des audits pour la gestion des agents de l’État est en soi illégal ? Non, dites clairement ! GUINEE7.COM : Nous rapportons les propos des observateurs de la scène politique guinéenne JEAN-MARIE DORÉ : Non, nous sommes entre intellectuels, l’État a-t-il oui ou non le droit de vérifier que ces soupçons sont fondés ou pas ? GUINEE.COM7 : Absolument. JEAN-MARIE DORÉ : Vous savez, il y a un adage français que je n’aime pas employer : « Qui se sent morveux se mouche. » Ce sont ces gens qui réagissent comme ça, qui attirent l’attention sur la possible infraction à la loi. À un moment donné moi aussi, on m’a dit que j’étais sur la liste, mais c’est normal qu’on me soupçonne d’avoir pris la maison de l’État. Moi, j’ai des papiers, je n’ai jamais eu affaire à l’État. J’ai eu affaire à l’État indirectement, je cherchais à acheter un terrain, mais vivre à Genève et acheter un terrain à Conakry, c’est hasardeux. Déjà, on vous roule quand vous êtes ici même. À plus forte raison, si vous donnez de l’argent à quelqu’un et que vous êtes en Suisse. Donc, je suis arrivé un jour, mon ami Kékoura Camara, paix à son âme, m’a dit que madame Délome, l’épouse d’un architecte français, qui a construit la maison où je suis, plus celle de monsieur Kaba, madame Aïssatou Bella et Kéïra, plus la villa qui est au bord de la mer, où réside madame Chérif, donc, que madame Délome ne pouvait pas trouver quelqu’un à Conakry pour acheter cash parce qu’il y avait le contrôle de devises à ce moment-là. Donc, elle s’est tournée vers Sékou Touré, et a demandé quoi faire, parce qu’elle ne voulait plus rester ici après la mort de son mari. Elle voulait rentrer en France. Sékou Touré a dit : « Bon, vous êtes libre de vendre vos maisons en devises, mais à condition que ceux qui voudraient acheter vos maisons prouvent qu’ils ont le droit de détenir les devises » parce qu’en ce temps-là l’État était l’État. On vérifiait tout, je me suis adressé à mon voisin, le docteur Bah Kaba qui a dit ne pas être en charge. Il faudrait s’informer. Donc, on m’a dit que la personne qui peut acheter à telle condition pour garantir madame Délome dans ces droits, c’est le 112

président de la République. Donc, j’ai pris un ami, Camara Damantang, paix à son âme, et le général Diané et nous sommes allés voir le président Sékou Touré. J’ai dit : « Président, je voulais acheter un terrain, mais c’est trop compliqué. J’ai trouvé la maison de madame Délome, je veux l’acheter. » Il dit : « Doré, on n’achète pas ça en syli. Parce que la dame veut rentrer avec le prix de ses maisons en France, si tu peux payer, il reste une semaine à madame Délome pour réaliser la vente de ses maisons et ça ne fait pas partie du contentieux franco-guinéen. Ces maisons ont été construites en 1955. » « Donc, j’ai dit, est-ce qu’on peut m’accorder la semaine ? » « Écoute Doré, si dans une semaine tu n’as pas versé l’argent, ça sera clos », a dit Sékou Touré. Je suis allé là-bas, la dernière des villas était occupée par l’ambassade de Suisse. Par l’intermédiaire de l’ambassade de Suisse, on a joint ma banque qui a fait le transfert à la banque guinéenne de commerce extérieur où madame Délome m’avait ouvert son compte. J’ai expliqué il y avait des témoins, il y a monsieur Dabo qui était le comptable à la banque guinéenne, j’ai donné son nom aux journalistes, on a commencé à me demander des explications en 1992 sur ma situation immobilière à Conakry. Dans une conférence de presse, « quand on veut mener la vie publique d’une façon libre, il faut être honnête », je me suis toujours méfié d’acquérir les biens immobiliers de l’État, surtout à Conakry parce qu’à n’importe quel moment, on peut vous demander des comptes. Et moi, je n’aime pas qu’on me demande des comptes avec suspicion. Donc, voilà, je suis ici chez moi. J’ai acheté avec une personne privée, sous la garantie de l’État, pour éviter toute velléité de tricherie ou de spéculation. Donc, je ne dis pas que les autres sont des voleurs, mais l’État a le droit absolu de demander à quiconque. On m’a demandé la moindre explication, je la leur ai fournie. J’ai dit d’aller là où il y a des archives à la banque guinéenne de commerce extérieur, ils ont vérifié, donc. Donc, le fait de dire qu’il faut auditer monsieur Doré n’est pas en soi une injure. Et encore moins une infamie. C’est si au cours de la vérification qu’on s’aperçoit que monsieur Doré a fait des magouilles et si ces magouilles tombent sur le couperet de la loi pénale, alors la loi s’appliquera.

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XVI. « Drame de Taouyah et protection de l’enfance : coup de gueule de Doré » Propos recueillis par guinee7.com le 4 août 2014

À la suite des événements tragiques survenus sur la plage de Taouyah, le président de l’UPG, l’honorable Jean-Marie Doré, a dénoncé l’irresponsabilité du gouvernement face à ses charges régaliennes. C’était au micro de Guinee7.com, le 4 août 2014. GUINEE7.COM : Monsieur Doré, quelles sont vos impressions, suite au drame survenu à la plage de Taouyah, le mardi 29 juillet 2014 ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est un événement tragique qui a frappé de plein fouet la totalité de la population de la capitale et qui laisse dans une grande consternation devant la perte brutale de nos enfants, qui étaient partis pour se réjouir, pour marquer la fin du ramadan et sortir de la torpeur de toute la période de ramadan. Leur disparition brutale nous laisse hébétés. C’est le mot qui convient. Nous présentons à leurs familles nos condoléances et nous souhaitons que Dieu accueille leurs âmes dans son paradis. Mais ces événements n’auraient pas dû se produire, parce qu’il y a déjà eu un précédent. Comme vous le savez, ce précédent a été provoqué par le lieu de l’organisation des manifestations des rappeurs. Le gouvernement, il était de son devoir de prendre les mesures de sécurisation des lieux. Il devait les imposer au propriétaire des lieux, puisque la marée a surpris les danseurs de façon brutale. Donc, il était du devoir des pouvoirs publics de prendre des dispositifs à imposer aux organisateurs, afin d’assurer la sécurité pleine et entière de ceux qui se rendaient là-bas pour passer la soirée. Ça c’est un premier point. Le second point, c’est le laisser-aller dans cette matière qui caractérise le comportement du gouvernement et des parents. La plupart des morts étaient des enfants, les plus âgés devaient avoir dix-sept ans. C’est intolérable ! Comment un père de famille peut-il laisser son enfant, une nuit entière, aller dans un endroit aussi suspect que ce lieu de malheur ? 115

Et il est du devoir, encore plus grand, de l’État, d’appliquer les lois qui protègent les enfants, il y a des conventions internationales. Un enfant ne peut pas sortir de chez lui à 6 heures du soir et rentrer à 4 heures du matin, sans que les parents ne réagissent. Moi-même, j’ai été témoin hier (N.D.L.R. mardi 29 juillet) en allant en ville. J’ai compris qu’il y avait une manifestation au jardin 2 octobre. Mais la plupart des gens qui allaient à cet endroit à pied de Donka et même de plus loin, étaient des gamins de huit à dix ans. Il y avait même des enfants qu’on tenait par la main parce qu’ils marchaient au milieu de la chaussée. Ce ne sont pas des enfants qui sont habitués aux grandes artères. Cela devrait être interdit par les parents, interdiction garantie par le gouvernement, mais le gouvernement ne l’a pas fait. Le gouvernement est passé par la voie facile, en suspendant et en incriminant la responsabilité de Malick Kébé, le directeur de l’agence guinéenne de spectacles. Je crois que c’est très facile de faire cela, parce que Kébé n’est pas chargé de la sécurité de la population qui gravite autour des lieux de manifestation. Dès qu’il y a manifestation, qu’elle y soit invitée ou pas, la police doit faire son travail. C’est-à-dire assurer la sécurité de ces personnes qui sont là, et être prête à venir à leur secours. Le gouvernement n’a pas pris ses dispositions et il a eu tort. Je désapprouve la sanction qui frappe Kébé, parce que Kébé ne doit pas servir, n’est-ce pas, de prétexte, pour excuser la carence dont a fait preuve l’autorité responsable de ces manifestations. GUINEE7.COM : Une procédure a été ouverte, mais nous savons qu’en Guinée, la procédure judiciaire n’arrive pas souvent à son terme. Pensez-vous que cette fois-ci, ceux qui sont responsables de ce drame se justifieront devant la justice ? JEAN-MARIE DORÉ : On est loin de la justice d’abord, c’est un travail de police, c’est une affaire administrative, on n’est pas encore à la justice. GUINEE7.COM : Oui, mais qu’à cela ne tienne, le chef de l’État demande à ce que toute la lumière soit faite par rapport à cette tragédie ! JEAN-MARIE DORÉ : Mais la lumière est faite, c’est que la police n’était pas là-bas, aucun secours n’a été porté aux enfants. La lumière est faite par le fait qu’il y a eu un précédent l’année dernière et que le même gouvernement n’a pas pu tirer les leçons pour assurer la protection des enfants. Laissez tomber cette affaire de justice. Je vais vous dire quelque chose de plus grave. J’ai été très content d’apprendre que le gouvernement a décrété sept jours de deuil national. C’est bien parce que la mémoire de ces enfants justifie cette mesure. Mais j’observe en même 116

temps que cette mesure, qui doit concerner tous les Guinéens, qu’ils soient forestiers, Peuls, Malinkés ou Soussous, est prise en sens unique. GUINEE7.COM : Que voulez-vous dire par là, honorable ? JEAN-MARIE DORÉ : À N’Zérékoré, il y a eu plus de deux cents morts, des Koniankés et des Guerzés qui sont morts. Certains n’étaient même pas dans la rue. On les a tués à domicile, et le gouvernement n’a non seulement pas décrété une heure de deuil national, mais encore a donné le sentiment de persécuter les corps, de les honnir, de cracher sur les corps en les mettant tous ensemble. Innocents et coupables dans une fosse commune. Pourquoi cette politique de deux poids deux mesures ? Pourquoi cette justice à deux vitesses, c’est ça qui est étonnant. Je ne juge personne, mais je constate. Pour trente-trois morts, un Guinéen mort déjà c’est trop, trente-trois c’est déjà plus, mais deux cents, c’est énorme. Alors pour deux cents, silence radio ; pour trente-trois, sept jours de deuil national. Et journée chômée, payée pour le gouvernement, il y avait aucun ministre à son bureau, et je m’interroge, pourquoi cette différence ? De son côté le président de la République s’est aussi investi sur cette bousculade meurtrière, il était sur tous les fronts… Je suis très content que le président de la République se soit déplacé pour aller luimême à la morgue, pour partager la compassion avec les familles éplorées. Mais la même démarche n’a pas été faite à N’Zérékoré, c’est ça que je veux dire. Parce qu’un mort est un mort. Il ne faut pas qu’il ait de préférence entre les morts. Et un mort, c’est une soustraction dans la richesse humaine de notre pays. Là où on soustrait deux cents, la perte est plus importante que là où on soustrait trente. Mais trente ou deux cents, c’est trop pour la Guinée de perdre ses enfants, mais quand ils sont morts, nous devons nous incliner avec la même foi devant leurs corps héroïques et tragiques. C’est ce que je veux dire encore une fois, mon parti l’UPG, ses cadres, militants et sympathisants par ma voix s’inclinent pieusement devant la mémoire tragique de ces morts. Mais il faut saisir cette occasion pour rappeler au gouvernement ses devoirs envers la population. Il ne doit pas y avoir deux poids deux mesures. Et puis concernant les infrastructures, les gens sont en train de construire anarchiquement à Conakry. Et c’est ce qui amène la mer à se répandre là où elle peut. Tout ça s’est passé à Conakry en moins de trois ans et aucune leçon n’a été tirée de cela. C’est ça qui est la cause profonde. Si on ignorait que la marée pouvait surprendre les danseurs, mais depuis l’année dernière, on sait que les mêmes causes produisant les mêmes effets, il allait se produire la même catastrophe. Donc, ici présenter monsieur Kébé comme responsable, je suis en désaccord total avec cette 117

décision. Monsieur Kébé, sa responsabilité est située ailleurs, il aurait dû concurremment avec le gouvernement chercher les voies et moyens pour pallier les insuffisances de l’endroit où s’organisait cette manifestation. GUINEE7.COM : Dans la foulée, le gouvernement a fermé la plage. Quel est votre avis ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais il ne s’agit pas de réagir au coup par coup, il s’agit de réagir à partir d’une réflexion profonde pour le moyen et long terme. S’il faut attendre ce qu’on doit faire aujourd’hui, il faut le faire aujourd’hui et déduire pour l’avenir. Mais si on n’a rien fait l’année dernière, maintenant que le nombre de morts s’est accru, sévir de la sorte n’est pas une façon, à mon avis, appropriée, pour gérer les affaires publiques. GUINEE7.COM : Pour finir, honorable, dans ce sens auriez-vous un message à lancer à l’endroit du gouvernement et à la population ? JEAN-MARIE DORÉ : Il y a des lois qui régissent les spectacles, il y a des lois sur l’éducation. On a un ministère qui est chargé de l’éducation civique, on a toutes les structures en Guinée pour que la vie nationale se déroule dans un cadre organisé. Mais le gouvernement ne réagit, depuis toujours, que quand il se produit des événements de ce genre. Et puis, lorsque la tristesse est contenue, on reprend le cours normal de ses activités et on oublie ce qui devait se faire, c’est ça. Donc ici, il faut rappeler au gouvernement de mettre en œuvre les moyens disponibles. Prenez la Convention de Norvège, d’Oslo, sur la protection des enfants, mais tous les jours, on bat les enfants comme les chiens galeux, aucune mesure n’est prise par les services compétents, chargés de veiller sur la vie des enfants. Si c’étaient des adultes, je ne dirais pas qu’il n’y aurait pas eu de morts, mais ils auraient été plus véloces à prendre des précautions. Mais un enfant effrayé va dans n’importe quelle direction et il constitue un obstacle, on bute sur lui, il tombe, ceux qui viennent après l’écrasent. C’est très grave pour notre richesse humaine et la ponction qui est faite à Taouyah est une ponction très sérieuse. Et ce qui me remplit de joie en même temps, c’est le fait que le peuple de la capitale, unanimement se soit joint aux familles des victimes pour rendre hommage à ces innocents qu’on ne verra plus jamais. Et l’UPG salue respectueusement la mémoire de ces enfants.

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XVII. « Ebola, Macky Sall, Dalein, Alpha Condé » : les vérités de Jean-Marie Doré Propos recueillis par guinee7.com le 23 septembre 2014

Avant les événements malheureux de Womey, l’honorable Jean Marie Doré, président de l’UPG, s’est prononcé le 23 septembre 2014 au micro de guinee7.com sur certains sujets d’actualité nationale dont l’épidémie d’Ebola, Macky Sall, le voyage présidentiel à Tunis, le discours controversé du leader de l’UFDG aux États-Unis, etc. GUINEE7.COM : Excellence, vous rentrez d’une mission à l’intérieur du pays. Pouvez-vous nous dire dans quel cadre s’est déroulé ce voyage ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est à la fois pour des raisons d’ordre familial et de travail. Ce déplacement m’a permis de faire un tour dans les localités où il fallait que nous apportions le message du parti et de donner des précisions sur la vie nationale et notre positionnement dans cette vie nationale. Je pensais me reposer, mais il n’y a pas eu de repos. Il y a des gens qui veulent vous saluer, ils veulent s’informer et puis les parents dont il faut s’occuper, les solutions aux problèmes de famille qu’il faut consolider. Tout cela fait qu’on ne peut pas dire qu’on a fait une analyse de fond sur l’actualité. Mais un leader politique a le devoir d’avoir une information complète, même résumée, sur ce qui se passe dans le pays. Alors on écoute, on voit et on touche, selon les situations. GUINEE7.COM : Aujourd’hui, certains leaders politiques appellent à la dissolution de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Qu’en pensez-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Qui est le leader qui a appelé à la dissolution de la CENI ? GUINEE7.COM : En tout cas, ces derniers temps, on a enregistré la sortie médiatique de certains leaders politiques appelant à la dissolution de la CENI… 119

JEAN-MARIE DORÉ : Je n’ai pas encore écouté cette déclaration moi-même, donc je ne peux être que circonspect, et me prononcer seulement sur des principes. Je ne vois pas pourquoi la CENI, qui est composée de représentants des partis politiques toutes tendances confondues de l’administration, les gens qui ont prêté serment devant la Cour suprême, au nom de leurs partis ou des organisations, on déciderait de la dissoudre. Cela n’est pas prévu par la loi. Il est vrai qu’en Guinée, on est prompt à demander à l’autre de faire plus qu’on est soi-même prêt à faire. Il faut qu’on respecte la loi. La loi ne prévoit pas la dissolution de la CENI. En tout cas, si vous lisez un passage où il est question qu’une autorité se donne le pouvoir d’aller dissoudre la CENI, vous me ferez voir ça. Mais je ne pense pas qu’une autorité quelconque, le président de la République, le Premier ministre ou le ministre de l’Administration du territoire ait le droit de dissoudre la CENI. Vous comprenez, nous sommes là, nous sommes représentés à la CENI. Nous devons expliquer à la CENI, pédagogiquement, de manière didactique, ce qu’il faut pour crédibiliser notre pays. La démocratie peine à naître dans les pays africains. Et donc, il faut souffrir de cette démarche sinueuse. Quand on prêche la démocratie, c’est que soi-même, on est imprégné de la vie démocratique. Il n’y a pas un système politique qui n’impose pas de contrainte : le pouvoir monarchique, républicain, autocratique. Tout pouvoir impose des contraintes et permet des ouvertures et donne des avantages. Donc, il ne faut pas partir d’un inconvénient de nature pour demander la disparition de l’institution. GUINEE7.COM : Parlons maintenant de l’épidémie de la fièvre hémorragique qui sévit en Guinée, mais aussi dans la sous-région. Certains observateurs estiment que si cette épidémie s’est propagée, c’est parce que le gouvernement guinéen n’a pas su prendre la mesure de la situation à temps. JEAN-MARIE DORÉ : Il faut reconnaître que le gouvernement a toujours été conscient, compte tenu de ce que je vois sur le terrain, de la gravité de l’épidémie. Mais c’est dans les méthodes que le gouvernement a péché, parce qu’il fallait de façon ardue suspendre les marchés hebdomadaires, qui sont les lieux de propagation des maladies épidémiques. Je pense qu’ils ont craint que les gens paniquent. Mon avis sur cette question, c’est que le gouvernement a péché par la sousestimation des moyens de propagation de la fièvre hémorragique Ebola, avec le refus de suspendre les marchés hebdomadaires, de prendre des 120

mesures pratiques pour limiter à l’intérieur du pays les déplacements, en surveillant étroitement les frontières pour éviter les contacts de masse, il a commis une erreur. Mais je crois que depuis, compte tenu des moyens mis à la disposition de la Guinée, à force de demandes et de plus en plus d’explications fournies aussi bien à la communauté internationale qu’à la population, le gouvernement a fait un peu d’efforts pour redresser la tendance. GUINEE7.COM : La propagation de l’épidémie d’Ebola a amené certains pays de la sous-région à fermer leurs frontières. Partagez-vous cette mesure ? JEAN-MARIE DORÉ : Moi, je pense qu’il vaut mieux que les populations soient soumises à une certaine contrainte limitée dans le temps, plutôt que d’assister à la mort en masse de cette même population. Donc, on ne peut prendre des mesures sans gêner quelque part la liberté de mouvement des gens. Mais si c’est nécessaire, il faut le faire sans se préoccuper du qu’en-dira-t-on. Parce que le pire serait que nos compatriotes meurent parce que nous aurions refusé de prendre des mesures d’isolement. Cela a amené à cette situation dramatique que nous vivons, où on annonçait ce matin (N.D.L.R. lundi 15 septembre) que l’on a dépassé le cap de deux mille morts. Deux mille morts c’est trop de morts, c’est énormément de morts. Donc, j’insiste, quand un gouvernement doit prendre des mesures de sauvegarde, il le fait quand les faits sont établis sans regarder en arrière, parce que dans le texte de serment prêté par le président de la République, il a juré de protéger le peuple de Guinée. L’ennemi ce n’est pas seulement celui qui est habillé avec des fusils, des canons et des chars ou l’aviation militaire. C’est aussi le mal sourd-muet, les maux invisibles qui viennent frapper à l’improviste, dont le virus. Donc, ici le gouvernement devrait faire son devoir coûte que coûte. C’est comme si l’ennemi envahissait notre pays, tous les moyens légitimes pour écraser l’ennemi doivent être mobilisés. GUINEE7.COM : À vous entendre, on a l’impression que vous partagez l’idée de fermeture des frontières terrestres et aériennes ? JEAN-MARIE DORÉ : J’arrive. Je lis dans le texte de serment prêté par notre président et je l’étends aux textes de serment prêté par la quasitotalité des chefs d’État que je connais, il est fait un devoir impérieux à ces chefs d’État et c’est un corollaire à leur fonction, à leur puissance juridique, légale de s’engager à protéger coûte que coûte les populations. Donc, quand les autres prennent des mesures de sauvegarde de la santé de leur population, de l’économie de leur population, ils exercent un 121

droit. Mais l’exercice de ce droit ne doit pas servir d’exécutoire à des sentiments d’hostilité dissimulés qu’on exhibe sous le couvert d’Ebola. GUINEE7.COM : Justement, le président du Sénégal a déclaré récemment que si le jeune étudiant guinéen porteur du virus sur le territoire sénégalais n’était pas malade, il aurait fait l’objet de poursuites judiciaires. Des propos qui ont choqué l’opinion. Est-ce votre cas ? JEAN-MARIE DORÉ : Écoutez, j’ai beaucoup de respect pour le peuple sénégalais, j’ai beaucoup de respect pour ses dirigeants, particulièrement pour monsieur Sall. Mais c’est ça, la difficulté de l’Afrique : on prêche d’un côté la solidarité et de l’autre, on refuse et on combat cette même solidarité, sur les bases où elle devrait s’exercer avec puissance. C’est pourquoi, lorsque les gens parlent de l’unité africaine, souvent, je reste sceptique, parce que c’est l’occasion de le démontrer, quand le Sénégal souffre de maux de tête, la Guinée a des migraines. Que si la Côte d’Ivoire a la diarrhée, le Burkina Faso et la Guinée devraient sentir la dysenterie. Mais on ne le fait pas et on proclame. Je pense que ça a été maladroitement dit. Les Sénégalais sont libres chez nous d’aller et de venir, nous ne nous préoccupons pas de savoir quel est le Sénégalais qui a le sida. Et s’il avait Ebola et le sida, ce serait une occasion pour la Guinée de le traiter sur le même pied que le Guinéen de Boké, de Lola, de Siguiri, de Labé ou de Lélouma. Mais dire que si le Guinéen là, n’était pas malade, on allait le poursuivre, pourquoi ? Pour être rentré au Sénégal. Mais les textes que nous avons signés à la CEDEAO consacrent la liberté de circulation des personnes et de leurs biens. Et de ce fait, ils suppriment le visa au niveau du simple citoyen. Alors, je me demande au nom de quoi monsieur Sall devrait expulser ou juger le Guinéen ? GUINEE7.COM : Le récent voyage du chef de l’État en Tunisie avait alimenté la chronique dans la cité. Certaines rumeurs avaient un caractère purement alarmiste. Quel effet cela vous a-t-il fait ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais dans tout ça, je me pose la question : est-ce qu’il est normal qu’un leader politique proclame la preuve matérielle, la photocopie d’un certificat de décès du chef de l’État ? C’est-à-dire le premier citoyen d’un pays, qu’il faut regarder avec les yeux du citoyen. Il ne faut pas toujours se regarder en tant que rivaux, parce qu’il y a des institutions, les institutions nous représentent. Le président de la Cour suprême, que vous l’aimiez ou pas, il est au top des institutions judiciaires. Le président de la République est le chapeau des institutions de la nation. Pour dire publiquement qu’il est mort, je crois qu’il faudrait prendre un minimum de précautions. Et c’est tomber 122

comme la foudre en plein midi, sous un soleil d’été. Je crois qu’il faut faire très attention. Il y a la joute politique, il y a aussi la façon de s’exprimer devant certains publics. Cela montre le niveau d’irresponsabilité de certains. Donc, les gens s’attendaient à tout, sauf à cette annonce brutale qu’Alpha Condé est mort, puisque c’est de lui qu’il s’agit. Je pense que cela lui imposait de démontrer qu’il n’était pas mort. Maintenant de quelle manière, il devait le faire, il y a une infinité de moyens. Un communiqué aurait suffi avec le numéro du « Lynx et la Lance » ou, comment on dit de « l’indépendant » ou de « la Croisade », ou je ne sais pas, du « Standard », daté du jour en main, postérieur à la date du décès annoncé et ça suffisait. Mais il l’a voulu ainsi parce qu’il a été certainement très touché de cette annonce. GUINEE7.COM : Selon nos sources, lors de cette marche, vous vous êtes croisés en chemin. Le professeur vous aurait invité à faire quelques pas avec lui, mais vous auriez décliné l’offre ? JEAN-MARIE DORÉ : Non, moi j’avais des étrangers avec moi. Alpha Condé n’est pas seulement le chef de la mouvance présidentielle, puisque c’est de lui que s’ordonnent ces partis politiques qui se nomment la mouvance. Mais avant qu’il ne soit président, nous avons combattu ensemble, nous avons initié la lutte politique pour donner la démocratie à la Guinée. Nous étions quatre : deux sont morts, il reste nous deux. Moi, je m’apprêtais le lendemain de son retour, à aller auprès de sa famille pour vérifier l’information, parce que ce qui doit caractériser l’homme public, l’homme qui est écouté, c’est de vérifier à la source l’information. Parce que quand l’on vous dément une fois, deux fois, quatre fois, vous ne valez plus rien sur le marché des valeurs politiques. Alors, on s’est croisés entre le pont du 8 novembre et le cimetière Cameroun. Je pense qu’il avait vraiment envie de démontrer que les gens ont dépassé les limites du permis, et ses collaborateurs m’ont dit de le saluer. Je suis allé le saluer. C’est le chef de mon pays, s’il fait bien j’approuve, s’il fait mal, je désapprouve, s’il fait très mal, je condamne. Mais je ne peux me mettre à sa place pour juger de la manière d’intervenir pour démentir une fausse nouvelle qui pouvait donner lieu à des poursuites. Parce que l’annonce de la mort d’un chef d’État, c’est très grave pour un pays et surtout à une période où le pays est menacé de morts massives par une maladie aux contours indiscernables, puisqu’on n’a pas encore la maîtrise de la structure du virus. On tâtonne, même l’annonce du vaccin par l’OMS, lors de la réunion de huit mille spécialistes, il n’y a pas de certitude absolue que ce vaccin va guérir et que le traitement va réussir. Alpha 123

Condé, c’est le chef de mon pays, s’il fait bien j’approuve, s’il fait mal, je désapprouve, s’il fait très mal, je condamne. GUINEE7.COM : Avant cette folle rumeur portant sur la mort du chef de l’État, le leader de l’UFDG, monsieur Cellou Dalein Diallo a fait une déclaration qui, elle aussi, a défrayé la chronique, sur les alliances portant sur les futures élections. En tant qu’homme politique, que cela vous inspire-t-il ? JEAN-MARIE DORÉ : Oui, j’ai appris cela, mais je l’ai mis au compte d’une faute de la langue, comme on dit en latin. Je ne pense pas que Cellou, qui est calme de nature, puisse annoncer comme ça s’il ne s’est pas trompé. Je crois que les mots ont dû trahir sa pensée. Parce que rien ne prouve que la basse Guinée, avec les données que nous avons maintenant, puisse s’aligner à la forêt pour combattre le Fouta ou aux Malinkés pour combattre la forêt ou le Fouta. S’il y a un traité entre ces deux régions, je n’ai pas encore lu le texte. Mais si vraiment il l’a dit, je ne devrais pas le juger, je crois que ça doit être une erreur. Assurément les mots ont dû trahir sa pensée. Peut-être les gens ont du mal à traduire ce qu’il a voulu vraiment dire. Parce que je ne vois pas objectivement avec les données de faits que je connais en Guinée, qui est du Fouta, qui est de la basse Guinée, qui est le Mandé, qui est de la forêt. Je ne vois pas comment deux régions peuvent négocier pour s’attaquer (rire) à une autre sans connaître leur histoire, leur force de réaction. Je ne parle même pas de résistance. Il arrive à tout homme politique, dans la chaleur des discussions, de laisser échapper des phrases qui ne traduisent pas exactement ce que vous voulez dire. Je mets cela au compte d’une défaillance momentanée. GUINEE7.COM : Honorable, juste une dernière question. Il y a quelques jours, la douane sénégalaise a réquisitionné des fonds en provenance de la Guinée. L’affaire a été révélée par la presse sénégalaise, et a fait grand bruit. Ça vous dit quoi, tout ça, en tant qu’homme politique ? JEAN-MARIE DORÉ : Je ne connais pas bien les techniques bancaires, mais un montant si important ! Je pense que son transfert ne devrait pas se faire par des moyens tels qu’on me l’a présenté. Mais n’étant pas un spécialiste des affaires bancaires, il m’est difficile de démentir catégoriquement. Non, je dirais qu’autorisé ou pas autorisé, ça me paraît un peu imprudent de se promener avec une telle somme. Dans un petit avion, tout peut arriver et ce serait une perte colossale. Quelle est l’urgence qui amènerait à ces transferts matériels ? Laisser de côté les 124

moyens électroniques d’aujourd’hui. Comme le gouverneur de la BCRG l’a affirmé et n’étant pas spécialiste des questions bancaires, je n’ai pas raison de le démentir, c’est une des méthodes de transfert dans ce cas de figure. Je m’en tiens à ça, mais si je connaissais bien les techniques bancaires, peut-être j’aurais rédigé la position qui est la mienne de rester dans le dubitatif. Mais a priori, je crois que c’est imprudent de faire voyager plus de 4 milliards, c’est beaucoup parce que moi je n’ai pas ça. On ne s’amuse pas à se promener avec ça dans ses sacoches ou dans un panier à travers les frontières. Donc, ici ma réponse est vraiment réservée et très réservée parce que je ne voudrais pas donner une opinion qui ne se vérifierait pas, par ma méconnaissance des faits allégués et des techniques bancaires qui sont en cause et qui auraient été utilisées de manière plus appropriée.

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XVIII. « Je ne suis pas d’accord avec l’exclusion du centre » Par Amara Moro Camara pour Guineenews le 12 septembre 2012

La restructuration de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et les difficultés qu’elle pose actuellement aux différentes parties devant être représentées en son sein, le PPTE, le scandale de l’empoisonnement des militants du RPG en 2010 et la réplique à la menace du docteur Fodé Oussou, voici autant de sujets que Guineenews aborde ici dans cet entretien avec l’ancien Premier ministre de la transition et président de l’UPG, l’intraitable Jean-Marie Doré. GUINEENEWS : La nouvelle loi portant recomposition paritaire de la CENI vient d’être promulguée par le président de la République. Comment l’UPG perçoit-elle cette structuration ? JEAN-MARIE DORÉ : Vous vous souviendrez que lorsque Lansana Conté a fait son projet de Constitution qui a été promulgué en 1990, il avait envisagé de mettre en place un bipartisme : un qui soutient le gouvernement et l’autre qui critique le gouvernement. Tous les partis s’étaient opposés à cette conception restrictive de la démocratie. Et parmi les partis qui avaient occupé une position de flèche, le RPG était en tête. Il a dit qu’il fallait une démocratie multipartiste intégrale. C’est-à-dire que toutes les nuances de la mouvance et de l’opposition devaient s’exprimer, y compris le centre. Donc jusqu’ici, ce principe a été observé. Vous vous souviendrez aussi que le dialogue entamé depuis la prestation de serment du président de la République, Alpha Condé, jusqu’au moment où je vous parle, a regroupé en tant qu’ils sont la mouvance présidentielle, le collectif, l’ADP, le Bloc de l’opposition constructive et les deux grandes tendances du centre. Ainsi, le 15 novembre 2011, lorsque le président de la République a réuni un certain nombre de partis autour de lui, lors du dialogue qui s’est ouvert sous la présidence de 127

monseigneur Gomez et tout ce qui s’en est suivi, y compris la réception des délégations de la CEDEAO, des Nations unies, le centre a été invité en tant que tel. On a reçu ces délégations en tant qu’institution politique. Brusquement, il s’est agi de doter la CENI d’une nouvelle direction qui résulterait de la restructuration, on ignorait le centre. Je dis que ce n’est pas correct. Parce qu’il n’y a aucune raison pour qu’on m’oblige à être de l’opposition ou de la gauche. Je ne suis ni de l’un ni de l’autre. Il y a ici ce qu’on appelle en droit une violation du droit des gens. C’est très grave. On ne peut pas violer le droit des gens. Saint-Just, le révolutionnaire français, parlant du droit des gens, a été très loin. Il dit que même si un peuple dans sa majorité prenait une décision qui viole le droit des gens, la minorité ainsi entamée dans sa représentation ou dans son expression, a le droit d’imposer sa volonté par tous les moyens à sa disposition. On dit que c’est la loi qui le dit. Mais il ne suffit pas que la loi dise… Est-ce que vous pensez que vous aurez parlé juste si vous décidez de restructurer le territoire national en disant qu’il ne comprend que la moyenne Guinée, la haute Guinée, la forêt ? Mais au nom de quoi vous allez assimiler les Soussous aux Peuls, aux Malinkés ou aux forestiers ? Vous n’avez pas ce droit. Aucun parlement de quelque composition que ce soit n’a le droit d’ignorer la basse Guinée. GUINEENEWS : Mais on invoque un passage de la Constitution pour justifier ces deux tendances que formeraient les partis politiques en Guinée ? JEAN-MARIE DORÉ : La Constitution n’a pas le droit de dire que la forêt n’existe pas, que la haute Guinée ou le Fouta n’existent pas. GUINEENEWS : Pourtant la Constitution reste bien formelle làdessus. Selon notre loi, en Guinée, il n’existe que les partis politiques appartenant soit à la mouvance, soit à l’opposition et pas une troisième position ! JEAN-MARIE DORÉ : Je viens de vous rappeler d’entrée que lorsque Conté a voulu faire cela, parmi les partis qui ont pris des positions de pointe, le RPG était en première ligne. Ils ont dit « jamais », il faut faire un multipartisme intégral. Nous sommes dans le multipartisme intégral et personne n’a le droit de procéder à des réductions. C’est un manque de parole aussi manifeste qu’incompréhensible… Le centre existe en tant que tel. J’ai les lettres que le président de la République nous a adressées ici. Dans ces lettres, il est indiqué entre autres que le centre classique est invité à la réunion ou doit recevoir une délégation des Nations unies… Alors pourquoi le centre classique cesse-t-il d’exister 128

quand il s’agit d’aller à la CENI ? Ce problème ne se pose pas à mon parti en tant tel. Je parle au nom de l’institution d’alliance à laquelle nous appartenons. Parce que moi, j’ai un représentant à la CENI. Mais il ne sera ni de l’opposition ni de la mouvance. Il exprimera le point de vue qui est le nôtre. Ce point de vue peut recouper la vision du gouvernement, si les analyses de celui-ci se saisissent des mêmes éléments et avec la même indépendance d’esprit, c’est la même chose pour l’opposition. Donc, je ne suis pas d’accord sur l’exclusion du centre. GUINEENEWS : Si vous n’êtes pas d’accord avec cette formule de recomposition de la CENI, qu’allez-vous maintenant faire pour faire valoir vos revendications ? JEAN-MARIE DORÉ : Je vous informe que nous avons fait hier (mardi 25 septembre, N.D.L.R.) une réunion du Club des Républicains et avons décidé d’envoyer un courrier au président de la République et un autre à la présidente du CNT, pour leur dire qu’il y a violation d’un principe sacré, qui est celui du droit des gens, et que pour observer strictement ce principe, il faut qu’une loi rectificative vienne amender le texte qui a été voté pour que le centre soit représenté. GUINEENEWS : Alors, cela veut dire que le problème est plutôt d’ordre constitutionnel que politique ? JEAN-MARIE DORÉ : Ce n’est pas seulement constitutionnel. C’est politique d’abord avant d’être constitutionnel. La Constitution est le reflet des forces en présence, on peut la modifier à volonté selon les tendances. GUINEENEWS : Mais c’est cette loi qui dit ne reconnaître expressément que les deux bords politiques. C’est-à-dire mouvance et opposition ? JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Ce n’est pas juste. Si la Constitution a dit cela, c’est une violation du droit des gens. GUINEENEWS : Est-ce que vous n’allez pas en vouloir aujourd’hui à vous-même pour le fait que vous ayez retardé pendant tout ce temps sans avoir exprimé votre désapprobation par rapport à ce passage de la loi ? JEAN-MARIE DORÉ : Non, la question a été posée au CNT. Mais il y avait cette volonté d’occulter l’existence du centre. C’est pourquoi ils n’en ont pas fait état publiquement. Et nous allons maintenant sortir de sous la cendre la proposition. Parce que, ou la Guinée fait du multipartisme intégral, ou alors on en revient à la 129

proposition de Lansana Conté. Dans ce cas-là, il faut présenter des excuses publiques à Lansana Conté. Parce qu’il avait dit qu’il faut deux partis politiques en Guinée et j’insiste encore puisque c’est le RPG qui est au pouvoir. L’attitude catégorique, rigide du RPG nous a amenés à accepter la position. Parce qu’en effet, quand le RPG a dit cela, il faut reconnaître que dans le champ politique, il n’y a pas la droite et la gauche, il y a le centre et le centre… il y a beaucoup de nuances et même dans l’opposition, il y a plusieurs nuances. Mais, comme ils s’affublent du vocable d’opposition, on les met ensemble. Nous, nous n’avons jamais emprunté le vocabulaire de la mouvance ou de l’opposition. Donc, en tant que tels, nous devons exister. GUINEENEWS : Comme vous le rappelez, pourquoi vous ne vous êtes pas levés à l’époque pour dénoncer cela et exiger qu’on tienne compte de votre existence ? JEAN-MARIE DORÉ : Non, ce n’est pas cela, au contraire… Vous connaissez dans quelle condition la Constitution a été adoptée. Si vous vous souvenez, à l’époque, je me suis catégoriquement opposé à l’adoption en catimini de cette Constitution qui n’a pas fait l’objet de débats. On a transmis au président et il a signé. Le texte n’a jamais été soumis au Conseil des ministres. On a fait venir la communauté internationale, l’Union africaine, la CEDEAO, tout le gratin du Groupe de contact dans le bureau du secrétaire général de la présidence de la République, Tibou Kamara. Je me suis élevé contre cette humiliation imposée à la Guinée qu’on adopte sa charte, la source de son droit, en catimini et presque à la sauvette. Un projet de Constitution doit être diffusé le plus largement possible pour que tous les groupes sociaux puissent en discuter. Il faut revenir à la rectitude des choses. Il faut que la Guinée se dote d’un arsenal juridique cohérent qui reflète l’état de son économie, de son organisation sociale… Mais, en nous faisant un habit sans prendre les mesures de celui qui va le porter, eh bien, nous nous trouvons dans des situations confuses de ce genre-là. GUINEENEWS : La restructuration de la CENI est un problème, le choix de ses membres aussi. Il y a aujourd’hui certaines voix au sein de l’opposition qui estiment que ne méritent les postes de membre de la CENI que des partis qui ont osé battre le pavé et essuyé les coups de matraques et de gaz lacrymogène des forces de l’ordre. Tandis que d’autres soutiennent que c’est seulement des partis qui ont participé une fois à une des élections majeures du pays qui peuvent être représentés à la CENI. Comment réagissez-vous à ces différentes positions ? 130

JEAN-MARIE DORÉ : Je crois que ces propos s’adressent plus au centre qu’à l’opposition. Il ne faut pas faire le mélange. GUINEENEWS : Non, à la fois à l’opposition aussi ! JEAN-MARIE DORÉ : Oui, il faut clarifier les choses et évitons l’amalgame. Lorsque la CENI a été créée suite à nos débats de 2006 et 2007 et qu’on a donné dix postes à l’opposition, à ce moment-là, tout le monde était groupé contre Lansana Conté. On a dit qu’on donnait dix postes à une soixantaine de partis. Il fallait définir les critères d’attribution du représentant à la CENI. C’est pourquoi à l’époque, on a dit que pour que l’on puisse être un parti crédible, il faut avoir participé à l’une des deux grandes élections nationales et gagné. Soit la présidence de la République, ce qui n’a jamais été le cas, soit les députés, cela a été le cas de l’UPG, du RPG, de l’UPR et d’un tas de partis politiques. Donc, on a sélectionné les dix qui remplissaient cette condition plus maintenant ceux qui ont des mairies, des communes rurales… C’était sur cette base. Vous savez qu’on ne peut pas prendre un parti qui est dans un sac comme siège. Parce que quand on dit parti, ce n’est pas seulement le sigle, mais ce qu’il vaut sur le terrain. Donc, ils disent cela, ils rappellent le principe d’attribution qui avait été adopté en 2007. Ces principes restent toujours valables. GUINEENEWS : Et le cas de ceux qui ne sont pas descendus dans la rue ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais cela, c’est à l’intérieur de l’opposition. Ne croyez pas que c’est seulement au sein de l’opposition qu’il y a des problèmes. Il y a des problèmes dans la mouvance, dans l’opposition tout comme au centre. Vous n’allez pas croire que c’est uniforme comme ça, quand on dit l’opposition. Même à l’intérieur d’un seul parti, il y a des débats. Donc, il ne faut pas que vous soyez surpris qu’il y ait des débats de cet ordre dans l’opposition ou dans la mouvance. Je ne trouverais pas extraordinaire qu’on dise que tel élément de la mouvance présidentielle veut cela, et qu’il n’est pas content parce qu’il ne l’a pas eu. C’est quelque chose qui est tout à fait normal. C’est cela le débat politique. Dans aucun vrai parti politique, on prend comme ça les décisions. Il faut toujours et nécessairement un débat, et parfois cela dure longtemps. C’est pourquoi souvent un parti vient demander de différer la conclusion du débat national. Parce qu’à l’intérieur de ce parti, il n’y a pas encore d’harmonie. GUINEENEWS : Mais est-ce que vous estimez que de tels principes constituent des critères valables de nos jours ?

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JEAN-MARIE DORÉ : Ça ne me concerne pas, je ne suis pas de l’opposition. Vous parlez des gens de l’opposition… Je n’ai pas le droit de porter un jugement sur le comportement d’une structure à laquelle je n’appartiens pas. Je ne me permettrais pas, je n’y ai pas le droit. C’est comme si je me mettais à juger monsieur Saloum Cissé. Je n’ai aucun pouvoir, aucun droit de juger monsieur Saloum Cissé et ses collègues du RPG Arc-en-ciel. Je m’interdis formellement de me mêler des affaires intérieures d’une structure à laquelle je n’appartiens pas. Sauf si l’expression de ce groupement a pour effet de poser un problème à la nation guinéenne. Mon problème concerne le chef de l’État qui nous a toujours conviés en tant que centre à des débats de grande importance et maintenant, au moment de présenter son projet au Conseil des ministres, parce que c’est lui et lui seul qui a fait cela, il ignore le centre. Je ne suis pas d’accord avec lui sur ce point précis. GUINEENEWS : Par ailleurs et sur un tout autre registre, dans une de vos dernières déclarations, vous avez affirmé connaître le commanditaire de l’empoissonnement dont ont été victimes dans l’entredeux-tours de la présidentielle des militants du RPG. Le docteur Fodé Oussou de l’UFDG a aussitôt réagi en disant que ces déclarations sont graves si toutefois vous connaissez le responsable de cet acte et que vous ne le dénoncez pas et surtout que vous avez été une haute autorité de ce pays à l’époque. Il est allé jusqu’à menacer de vouloir porter plainte contre vous si vous ne dites pas le nom de celui qui est le véritable responsable. Qu’en dites-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais qu’il aille porter plainte s’il est mandaté par les jeunes gens du RPG qui ont souffert de cela. S’il est le mandataire du RPG, qu’il porte plainte. Oussou a le droit de dire ce qu’il veut, de porter un jugement de valeur sur ce qu’il entend de la bouche d’un leader politique. Mais d’ici à croire qu’il est mandaté par le RPG pour porter plainte, ça c’est son affaire. J’ai dit et je maintiens ce que je dis : je connais. Mais je suis un homme d’État, je ne souhaite pas que l’on dise le nom de celui ou de ceux qui ont agi, en tout cas pas avant longtemps. GUINEENEWS : Alors pourquoi vous l’avez donc dit ? JEAN-MARIE DORÉ : Je n’ai pas le temps de revenir sur des détails comme cela. Je l’ai dit parce qu’il y a eu deux interprétations de ces événements qui, en réalité, visaient toutes à jeter de l’huile sur le feu. Certains ont dit que c’est le RPG qui a fait empoissonner ses propres militants afin de se donner les moyens d’accuser l’UFDG. Ce qui me 132

paraît d’une telle aberration ! Ce n’est pas correct. Ou alors, ce qui paraissait aux yeux de certains plus plausible, que c’est l’UFDG qui aurait empoisonné l’eau des militants du RPG. Toute réflexion faite, je dis que les gens qui dirigent l’UFDG sont des gens intelligents. Leur candidat paraissait être en meilleure position pour gagner les élections. Ce n’est pas à ce moment-là qu’ils vont couper le pont pour traverser la rivière. Cela me paraissait idiot. Et à un moment même, les notables de l’UFDG étaient fâchés contre moi parce que j’ai relevé de ses fonctions la directrice de l’hôpital. Si cela devait recommencer ce matin, je la relèverais de ses fonctions pour la vie. Parce qu’elle a eu un mot malheureux qui a failli faire déclencher la guerre civile en Guinée. Elle a dit que ce sont des comédies ; que ces enfants victimes faisaient de la comédie. Quand je suis entré à l’hôpital, j’ai vu le général Toto et le général Baldé, ce n’était pas une bonne ambiance. Il fallait cacher la directrice. Parce que si les femmes de Kaloum l’avaient vue, ce n’était pas bien pour elle. Ça allait provoquer des réactions que les commanditaires de l’acte espéraient. Mais la sécurité de la Guinée, sa stabilité impose qu’on ne parle pas de cela. Mais si je le dis, je suis un homme hautement responsable, c’était pour qu’on cesse de spéculer sur la probabilité pour l’UFDG d’avoir mis du poison dans l’eau ou le RPG qui a voulu se piquer lui-même avec un couteau. Parce que moi, j’ai vu les enfants dans un état dramatique. Ils baignaient dans les vomissures et quand le problème se pose ainsi, il faut chercher. Et ce que j’ai trouvé n’aura pas plu. Mais si monsieur Oussou a mandat du RPG pour porter plainte, je suis un homme d’État, je suis tenu par un devoir de réserve. Je l’ai dit, c’est pour éviter qu’on accuse à tort les deux partis qui étaient en compétition. Objectivement, aucun d’eux n’avait intérêt à provoquer ce clash. Mais dans l’ambiance qui prévalait, les gens n’auraient pas pris le temps de réfléchir. Ils se seraient empoignés et la Guinée allait payer la facture la plus coûteuse. Cela, on ne peut pas l’accepter pour aucun motif, même pas pour l’élection du président de la République. J’ai lu des bêtises écrites par des gens dans des feuilles de chou, cela ne me fait ni chaud ni froid. Moi, je suis un homme d’État, quand un acte doit être posé, je le pose dans le temps sans me préoccuper de savoir ce qu’on va écrire ou dire sur ledit acte. J’ai mis fin à ce désordre à l’hôpital en suspendant la directrice et en nommant son adjoint comme directeur intérimaire. Cela a calmé les esprits. Parce que les femmes continuaient d’affluer à l’hôpital, mais déterminées à écharper quiconque soutiendrait la position de la directrice de l’hôpital. Elle avait avancé ce propos, est133

ce que c’était une boutade ? Mais c’était mal venu. Je ne pense pas que si son enfant avait de tels problèmes comme ceux que les enfants avaient, elle aurait dit que c’était de la comédie. Peu importe pour qui est l’enfant, mais un enfant guinéen appartient à tout le monde. Quand il souffre comme ça, il faut éviter de faire des plaisanteries de mauvais goût. GUINEENEWS : La Guinée vient de bénéficier d’un important allégement de ses dettes extérieures à l’issue de la réunion des Conseils d’administration de la Banque mondiale et du FMI qui a eu lieu les 25 et 26 septembre à Washington. En tant qu’ancien Premier ministre et leader politique, quel commentaire en faites-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Oui, il y a toujours un problème (rires). Je n’ai pas la même vision qu’eux. Il ne faut pas trop attendre de la Banque mondiale et du FMI pour notre développement. Nous devons mettre de façon responsable et éduquer notre peuple au travail. La Chine ne s’est pas développée avec le concours de la Banque mondiale. Je pense que notre pays doit coopérer intensément, étroitement avec les grands pays émergents tels que la Chine, le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud ou la Turquie. Nous y trouverons des solutions plus rapides à nos problèmes que de passer par des institutions dont on connaît le rôle désormais. C’est la volonté des Américains et des Européens qui a abouti à la création du FMI et de la Banque mondiale. L’Italie a des problèmes financiers que nous connaissons, l’Espagne, la Grèce… pourquoi ils ne sont pas sortis des difficultés ? Peut-être que mon analyse ne va pas au fond des choses. Moi, je n’y crois pas beaucoup. Mais si le résultat de la réunion a abouti à cet allégement de nos dettes, c’est une bonne chose. Mais il ne faut pas attendre de cet allégement des miracles. Cela ne veut pas dire qu’on va nous donner de l’argent, ce n’est pas vrai. On va nous demander que les paiements qu’on devait faire aux créanciers soient faits pour financer des projets qui seront acceptés par ces institutions-là. C’est elles qui vont surveiller l’exécution. Donc, nos problèmes de liquidité immédiate vont demeurer. Il faudrait qu’on trouve de l’argent pour faire face aux revendications ou demandes sociales. Il y a les revendications des enseignants, des travailleurs du secteur privé, du public même. Il y a beaucoup de choses à faire qui nécessitent de l’argent. Donc, il faut aller au cœur du problème. Mais il y a plus grave encore que tout, 60 % de nos jeunes ne travaillent pas. C’est un problème national, ce n’est pas seulement un problème du gouvernement. Ce qu’on demande au gouvernement, c’est de prendre la

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bonne position pour qu’avec le concours de tout le monde, on puisse trouver la solution à ce problème. Des sociétés minières comme Vale pour ne citer qu’elle, ont des conventions dont l’application aurait permis depuis longtemps de créer vingt mille emplois directs et cent mille emplois indirects. Si aujourd’hui, dans la marée de chômeurs, vous recrutez cent vingt mille Guinéens, vous modifiez complètement les données du terrain. Je ne condamne pas ceux qui courent derrière la Banque mondiale et le FMI, je n’ai pas de bons pieds pour faire de longues courses, mais il faut combiner cela avec des actions concrètes de nos partenaires au développement. Il faut voir la réalité, ce qu’il faut, parce que les Guinéens ne peuvent pas attendre deux, trois ou cinq ans pour se développer. La Guinée ne peut pas attendre cela. Il faut, chaque jour, qu’on réduise la marge de pauvreté des Guinéens. Mais la démarche avec la Banque mondiale et le FMI ne donnera pas ces résultats-là. Parce que des gens avaient laissé miroiter qu’avec l’atteinte du point d’achèvement, tous les problèmes vont être résolus. Ce n’est pas vrai, nos problèmes ne seront pas résolus. Nous allons faire du développement interne avec ce qu’on payait aux gens. Mais vous savez qu’actuellement les recettes douanières ne rentrent pas, en tout cas pas au rythme qu’on espérait. Il vous souvient que le Zimbabwe avait été victime d’une campagne malhonnête de la part de certains pays occidentaux que tout le monde connaît. On lançait des chiffres de façon fantaisiste. Mais ce pays a tiré la seule leçon qui convenait et s’est tourné vers certains pays émergents qui ont mis les fonds à sa disposition contre l’obtention de titres miniers. Ce pays est riche comme la Guinée. Le fer, la bauxite, l’or, le diamant, on en a à revendre. Je crois que si on peut regarder de façon réaliste, nous pouvons réussir, sans nous soumettre à une discipline qui aura des effets pervers sur notre marche vers le progrès. Nous pouvons nous abstenir de mettre la cendre sur la tête, de faire pénitence inutilement.

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XIX. « Alpha Condé est un sous-produit de ma gestion… » Propos recueillis par africaguinee.com le 20 juin 2013

C’est un Jean-Marie Doré en colère qui nous a reçus pour cet entretien sur la situation politique en Guinée. Fera-t-il des révélations sur l’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé ? Que faire pour éviter de nouvelles violences en Guinée ? Autant de sujets abordés par l’ancien Premier ministre de la transition. Déçu par la gouvernance d’Alpha Condé, monsieur Doré qui dirige l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG) dénonce également la gestion du processus électoral dans son pays. AFRICAGUINEE.COM : Bonjour, monsieur Doré ! JEAN-MARIE DORÉ : Oui, bonjour, monsieur Diallo ! AFRICAGUINEE.COM : Le dialogue politique interguinéen a pris fin, il y a une dizaine de jours. Quelle lecture faites-vous des premières conclusions de ces différentes rencontres entre le gouvernement et la classe politique ? JEAN-MARIE DORÉ : Le dialogue n’est pas fini, il continue. Ce dialogue, qui est un acte de concertation d’une grande ampleur, qui doit décider du destin de la Guinée, ne peut pas se terminer sans un document. L’opposition a fait des propositions à la mouvance. On attend la réponse de la mouvance. Et la réponse de la mouvance n’est pas la conclusion ! Nous examinerons les propositions qui seront soumises à l’approbation, c’est à ce moment-là qu’on peut parler de fin de dialogue. On doit reprendre selon les propositions, la révision du fichier électoral par la formation des Commissions administratives de révision des listes électorales (CARLE) dont notre parti avait été exclu. Nous ne pouvons pas aller avec un fichier élaboré en notre absence. Et puis, il y a tellement de dissonance dans les résultats de la révision faite en vase clos par le gouvernement de monsieur Alpha Condé que celle-ci montre que c’est 137

impossible d’organiser des élections sur cette base-là. Je rappelle que la haute Guinée seule a 528 000 nouveaux électeurs ; la forêt dans son ensemble 80 000 nouveaux électeurs ; tout le Fouta à peine 25 000 nouveaux électeurs et Conakry, qui est le pôle d’attraction de l’exode rural, 252 500 nouveaux électeurs. Est-ce qu’avec un fichier qui donne de tels résultats vous pouvez vous contenter seulement d’aller aux élections ? Ce ne serait même plus une comédie, ça serait la bouffonnerie, ça serait une farce ! Donc, le dialogue n’est pas conclu, nous attendons. Deuxièmement, le chronogramme est l’un des quatre points mis devant le dialogue pour qu’on y trouve une solution consensuelle. Le Président a décrété que c’est la Commission électorale nationale indépendante (CENI) qui le fait, mais la CENI est un organe d’exécution. Donc, c’est ce que nous allons décider au sein du dialogue qui sera la matière première de la CENI pour sa mise en forme. Mais le président de la CENI s’est réuni avec ses affidés et ils ont fixé une date qui n’a aucun rapport avec les réalités du terrain. Ça, c’est une affaire d’amusement de la galerie à la CENI, mais qui n’est pas liée au chronogramme. C’est nous qui allons discuter du contenu du chronogramme au cours du dialogue et c’est ce qui permettra de déterminer la durée de chaque séquence du processus pour qu’on conclue par la publication des résultats des élections, c’est-à-dire la date du scrutin, sa fermeture à 18 heures, le décompte des voix, et la publication au fur et à mesure que les résultats sortent des urnes. Nous n’attendrons plus que ça soit manipulé par le gouvernement. Bien sûr, nous sommes en Afrique où la démocratie est balbutiante, il ne faut pas être naïf. Il ne faut pas compter que les élections se passent à 100 % dans la transparence. Parce que le mot transparence ici, chacun lui donne le sens qu’il veut. On n’est pas encore à l’approche de la transparence, on est à l’approche de la justice. On ne peut être transparent dans les élections, mais il faut qu’il y ait au moins la justice. Si cent citoyens ont voté pour moi, personne n’a le droit de retrancher cela et d’amener ailleurs cette volonté. C’est ce que nous appelons la fraude, mettre en branle des astuces malhonnêtes pour donner un résultat incompatible avec la volonté expressément exprimée aux dites valeurs des citoyens. Donc en conclusion, le dialogue n’est pas conclu. AFRICAGUINEE.COM : Lors de cette première phase du dialogue, l’opposition a tout de même accepté d’aller aux élections avec Waymark sous certaines conditions. Pensez-vous qu’en allant aux élections avec cet opérateur, le scrutin sera transparent ?

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JEAN-MARIE DORÉ : Non ! J’apporte des corrections à ça. Peutêtre que celui qui a parlé de ça n’a pas trouvé les mots nécessaires pour exprimer toutes les nuances attachées à cette proposition. Qu’est-ce qui compte dans l’organisation de la révision ? Comment on fraude ? Un enfant de quatorze ans vient, il n’y a que les membres de la mouvance qui sont dans les CARLE. On dit bon, il faut le recenser, il a dix-huit ans. Si les autres représentants du collectif, du CDR étaient là, ils allaient voir clair sur ce qui se passe. C’est pourquoi ici, l’organisation des élections à certains niveaux seulement n’est pas démocratique. Tous les partis engagés dans l’organisation des élections, même si vous ne présentez qu’un candidat à l’uninominale, vous avez le droit d’être dans les CARLE. L’un des avantages importants du fonctionnement des CARLE, c’est de permettre à chaque parti de désigner sous sa responsabilité des gens. Parce que si beaucoup de militants sont enrôlés dans les CARLE, c’est pour percevoir des per diem. L’intérêt du parti, c’est si ses représentants dans les CARLE s’opposent à l’inscription d’enfants ou à l’inscription de gens qui, apparemment ne sont pas des Guinéens. Il faut que tous les membres des CARLE soient d’accord avant qu’on inscrive quelqu’un, or l’opposition n’était pas présente dans les CARLE. Donc, on fait du problème de Waymark un problème de fétiches, mais il faut que les CARLE fonctionnent correctement, c’est pourquoi nous demandons un délai égal au délai que le gouvernement a eu pour faire son recensement bidon. Si c’est le cas, on est tout à fait d’accord. Pourquoi nous ne voulons pas de Waymark ? Ce n’est pas par répulsion spécifique à l’égard de Waymark, c’est parce que Waymark a contribué à organiser en amont une fraude gigantesque qui devait donner au Rassemblement du peuple de Guinée (RPG, parti au pouvoir, N.D.L.R.) quatre-vingt-dix députés ! Ce n’est pas parce que Waymark vient d’Afrique du Sud ou du Zimbabwe, du Swaziland ou de l’Ouzbékistan, mais c’est parce que Waymark a contribué à organiser en secret et en amont une fraude. C’est pourquoi le gouvernement et le président de la République disent « oui, ce sera un décompte manuel », un décompte manuel ou électronique, dès lors que la fraude est déjà inscrite dans la mémoire des kits de Waymark, vous ne pouvez pas échapper à ça ! On va faire venir des observateurs internationaux qui vont dire « oui, nous sommes allés à Kamsar, les citoyens étaient sagement en rang, tout s’est passé dans la bonhomie », alors que la fraude est déjà dans la mémoire du kit. Or, il faut faire des élections correctes. Nous n’acceptons pas que monsieur Alpha Condé et sa CENI fassent à leur aise. La démocratie n’est pas des affirmations du genre « moi, j’ai fait quarante années de 139

lutte pour la démocratie », non ! Il s’agit de poser des actes qui montrent que nous sommes vraiment des démocrates. AFRICAGUINEE.COM : Certains acteurs proches de l’opposition semblent exprimer des réserves par rapport au cas de Waymark. Cela ne risque-t-il pas de causer des frictions au sein de l’opposition ? JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Mais l’opposition, c’est quoi ? Au sein même de mon parti, il y a des débats sur des sujets importants avec lesquels on n’est pas tous d’accord ! (…) Donc, il y a des sensibilités au sein de l’opposition. Il y a des gens qui sont radicaux, il y en a qui sont super radicaux, d’autres sont hyper radicaux ; mais le radicalisme, je n’en ai rien à faire. Quelqu’un peut être radical ou mou, ça c’est son affaire. Mais la négociation, on la fait avec des gens qui défendent leurs intérêts, vous défendez les vôtres. Vous devez arriver à un consensus, vous ne pouvez aller à une négociation et y imposer à 100 % votre volonté. Certains ne voulaient pas qu’on discute même du problème de Waymark. Je n’étais pas loin de cette position. Mais il se trouve que nous devons sortir de cette histoire d’élections, parce que la Guinée a autre chose à faire que de parler d’élections seulement. C’est vrai que les gens qui gouvernent aujourd’hui la Guinée ne croient pas en la démocratie. Ce sont des négateurs de la démocratie qui portent un masque. Ils avancent masqués avec des vocabulaires qui précèdent. Parce qu’un vrai démocrate n’accepte pas, si on met en cause d’une façon significative sa position. Il doit s’ouvrir ! (…). Donc, on a dit que si on a nos représentants dans les CARLE, si on prend le temps nécessaire pour faire une révision ensemble, on n’a pas besoin de Waymark ! La CENI peut garder Waymark dans son congélateur, ou au frigo, ou le suspendre au-dessus de la cheminée (…). Le problème de Waymark ne se pose qu’à cause des tricheries organisées par lui-même. Mais on a trouvé une parade, si le gouvernement n’accepte pas cette parade, c’est que c’est un gouvernement antidémocratique, antinational, qui est contre l’unité nationale, qui est contre la paix civile. Personne n’est propriétaire de la Guinée. La Guinée n’est pas un troupeau de bœufs et le gouvernement n’est pas un ensemble de bouviers. Nous sommes des citoyens égaux en droit et on doit l’être en fait. Donc, Waymark ne devient un objet non négociable que s’il n’y a pas d’alternatives crédibles à ses activités. Or la seule alternative crédible à Waymark, c’est qu’on reforme les CARLE, qu’on prenne trente jours ou quarante-cinq jours pour refaire la révision. Dans ce cas-là, que Waymark reste ou ne reste 140

pas, ce n’est pas important. Pour moi, nous sommes d’accord d’après le président de la République que les décomptes des voix se feront manuellement, donc on n’aura plus besoin de Waymark. Certains se sont répandus à dire que l’opposition a trahi. Ils font comme si l’opposition était monolithique, pourtant elle ne l’est pas. AFRICAGUINEE.COM : Récemment, la CENI a proposé un nouveau chronogramme fixant les élections législatives le 28 juillet prochain. Quel est votre avis sur ce nouveau calendrier électoral ? JEAN-MARIE DORÉ : Vous avez failli faire un lapsus qui correspond correctement à ce que fait la CENI. Comme le président de la CENI (Bakary Fofana, N.D.L.R.) n’a rien à faire, il s’amuse. Il a un dé qu’il lance et le 28 sort. Ce qu’il a dit, c’est pour amuser, passer son temps libre. Monsieur Bakary Fofana, si je ne savais avec certitude qu’il ne boit pas, j’aurais dit qu’il était ivre quand il a fait ça. Parce que je ne vois pas comment un homme crédible qui a été président de la société civile, qui a été ministre d’État chargé des Affaires étrangères de la Guinée, peut s’abaisser à faire des bêtises comme ça ! Je l’accuse vraiment de forfaiture. Ce qu’il fait n’est pas bien. Le serment qu’il a prêté dit qu’il ne doit pas prendre des instructions en dehors de la CENI. Je peux prouver qu’il a pris des instructions auprès de la CENI pour proposer des bêtises comme ça. Ce n’est pas bien. C’est un ami et ça me fait mal au cœur qu’il s’adonne à des jeux comme ça. Ça ne me plaît pas (…) Avec Bakary Fofana, on a parcouru des chemins difficiles, mais je ne pouvais pas imaginer, avec tout ce qu’il a entendu dire de Louncény Camara (ancien président de la CENI, N.D.L.R.) qu’aujourd’hui, les gens disent que Louncény vaut mieux que lui ! C’est une date qui ne veut rien dire. Ce n’est pas la communauté internationale qui doit fixer la date, c’est par consensus. Et puis ce n’est pas à la CENI de fixer la date, ce n’est pas à la CENI de fixer le chronogramme. Le chronogramme est inscrit à l’ordre du jour du dialogue. Donc, c’est une volonté politique qui doit déterminer le contenu du chronogramme. Aussi, nous sommes en Guinée ! En forêt, il pleut depuis trois mois assez fréquemment ; à Conakry, il y a à peine trois semaines que les pluies ont commencé. Quand on va arriver en juillet, il va pleuvoir presque toute la journée. Ici sur la côte où la pluviométrie est quand même un peu régulée entre les douze mois de l’année, à partir du 15 juillet, c’est la rigueur d’une pluviométrie anarchique. Au-delà du problème de volonté politique, il y a le climat qui entre en ligne de compte. Donc il y a ça, là, qu’il faut prendre en compte. Pas seulement ce que le gouvernement a dit. Le gouvernement n’est pas composé d’anges, ce sont des hommes, ils se trompent. Mais dans leur 141

façon de s’arc-bouter, c’est pour défendre leurs intérêts, qui ne sont pas en harmonie avec l’intérêt de la population guinéenne. Parce que les Guinéens en ont marre de cette pénurie induite par le gouvernement du changement. On a changé, mais de mal en pis. AFRICAGUINEE.COM : Que répondez-vous au président Alpha Condé qui a affirmé que « l’opposition n’est composée que d’anciens Premiers ministres qui font tout pour bloquer le changement » ? JEAN-MARIE DORÉ : Écoutez ! Je suis très fâché contre Alpha Condé ; c’est un ami, mais la direction qu’il prend actuellement ne me plaît pas. Et l’amitié qu’il y a entre nous ne pèse aucun poids face à l’intérêt national. Ces Premiers ministres-là, le plus mauvais d’entre eux vaut encore mieux que ceux qui n’ont jamais travaillé. Eux, au moins, ils ont eu la possibilité de travailler pour leur pays et d’endurer les difficultés de leurs concitoyens. Mais lui, il n’a jamais travaillé en Guinée. De quel droit il parle comme ça ? Parce qu’il a été élu président dans les conditions que nous savons tous ! Mais quand on a été un homme d’État, il y a des choses, il faut les garder pour l’histoire. Il faut étager les vérités sur le fonctionnement de l’État par rapport au temps et aux générations. Il a eu tort de dire ça. Sidya a été Premier ministre, il a posé des actes très bons, moins bons, mais il a posé des actes qui ont servi la Guinée. Cellou Dalein Diallo a été ministre, Premier ministre, il a posé des actes très bons, bons, moins bons. C’est normal ! Regardez en France, on fait la critique des gestions successives. Les actes que posent les gouvernements, certains disent que c’est mauvais, d’autres disent que c’est bon. Kouyaté est venu, il a posé des actes très bons, bons et moins bons, mais il a servi la Guinée en Guinée. Il a servi comme fonctionnaire depuis toujours, il s’est dévoué à la cause nationale. Jean-Marie Doré, je me suis mis au service de mon pays avec abnégation. J’ai été chargé de diriger le gouvernement guinéen, j’ai organisé des élections. Il est le fruit de ma gestion. Alpha Condé est un fruit, un sous-produit de ma gestion. Mais lui, où est son résultat ? Depuis qu’il est là, il n’y a rien à manger au marché. Il a fait licencier par une politique confuse, tous les miniers sont partis. Et à leur suite les entreprises sont parties. Effectivement, il a changé ! Il a changé cette évolution positive en un champ de ruines aujourd’hui. Je crois que c’est un lapsus de sa part, il ne faut pas qu’il répète ça. Parce que sinon nous allons parler, et si nous parlons, ce n’est pas bon pour lui. Il vaut mieux qu’il arrête comme ça. Il faut dire que monsieur Doré conseille à monsieur Alpha Condé de ne pas s’engager 142

sur cette voie-là. Parce que si nous nous mettons à parler, ce n’est pas bon pour lui. Et les Premiers ministres qu’il a dénoncés sont des patriotes qui ont servi la Guinée à des moments où certains se réfugiaient à Paris, où certains allaient se promener au Congo, en Angola, au Burkina Faso, au Gabon et pendant ce temps, nous, nous mangions le manioc cuit sous la cendre avec le peuple. Et des gens se couchaient dans les palaces aux frais de qui, je ne sais pas. Donc ce n’est pas bon ! Nous sommes en train de parler des élections, c’est notre pays, il faut éviter de dire des paroles qui suscitent des contraires, des réactions qui ne sont pas bonnes pour lui. Il est là, il est le président légal de la Guinée, je ne le conteste pas. Mais il ne faut pas qu’il s’érige en procureur parce qu’à ce moment-là, il trouvera des avocats d’une défense hermétique. AFRICAGUINEE.COM : Êtes-vous de ceux qui pensent que la formation d’un gouvernement d’union nationale pourrait être la solution aux problèmes guinéens ? JEAN-MARIE DORÉ : Je n’ai jamais entendu parler qu’Alpha Condé a fait une proposition d’un gouvernement d’union nationale. Je m’inscris en faux, ce n’est pas vrai. Et puis, d’ailleurs, Alpha Condé est incapable de faire un vrai gouvernement d’union nationale. Parce qu’il ne peut former un gouvernement qu’avec des gens qui s’agenouillent devant lui. Je ne peux pas m’agenouiller devant quelqu’un. Mais si quelqu’un défend un intérêt national évident, je me mets à son service. Mais lui, il ne peut pas servir avec des gens compétents. Il veut des gens qui s’agenouillent devant lui, il leur dicte sa volonté, et c’est pourquoi le pays ne marche pas. Quand on a des ministres, il faut les laisser travailler ! Devant notre silence, Alpha Condé a fini par croire qu’il est le maître d’un troupeau qu’il dirige à sa guise. Il n’est pas un directeur de troupeau ! Il faut que monsieur Alpha Condé sache que chacun de nous vient de quelque part. S’il est supposé venir de la haute Guinée, moi je viens de la forêt, il y en a qui viennent du Fouta, il y en a qui viennent de la haute Guinée comme lui, il y en a qui viennent de la basse Guinée ! Et chacun a un appui chez lui, bien qu’il fasse croire qu’il contrôle la haute Guinée et la forêt. On va voir, il n’a qu’à organiser des élections transparentes, on verra qui est maître de la forêt. Donc monsieur Alpha Condé a tort de dire ça, il n’a jamais proposé un gouvernement d’union nationale. Parce qu’on ne propose pas un gouvernement d’union nationale en catimini. Quand un président de la République veut proposer un gouvernement d’union nationale, il le fait à l’occasion d’une 143

déclaration solennelle. Et il indique la mission de ce gouvernement. On ne peut pas dans une simple causerie dire : « Ah, et si on faisait un gouvernement d’union nationale ? » Ça, ce sont des habitudes de syndicat d’étudiants ! AFRICAGUINEE.COM : Votre dernier mot, monsieur Doré ? JEAN-MARIE DORÉ : Mon dernier mot, c’est facile de gouverner la Guinée quand on est sincère. Quand on s’insère dans le chemin du respect dû à chacun. Ces élections devaient être l’occasion de poser la pierre angulaire de la réconciliation qui permet d’aller à l’unité nationale. Il fallait qu’on pose les choses de telle manière que petit à petit, les Guinéens commencent entre voisins à se faire confiance, que celui qui est là n’est pas forcément mon ennemi. Un Peul n’est pas par atavisme l’ennemi du Malinké ou du Soussou, le forestier n’est pas par atavisme l’ennemi du Malinké ou du Soussou. Quand ces sentiments commencent à naître, alors on parle d’unité nationale. Or le drame que nous vivons aujourd’hui, cette méfiance qui agrandit le fossé entre les différentes régions de la Guinée, c’est dû à l’ostracisme de certains. Certains disent que les Peuls ne sont pas des Guinéens. Mais qui est Guinéen ? C’est faux, ça ! Les Blancs ont décrété que la basse Guinée c’est les rivières du sud. À cette époque-là, la France tentait d’exercer un protectorat sur le Fouta. Cette volonté politique de la France était contrée par le gouverneur de la Sierra Leone au nom de la Grande-Bretagne. Ce qu’on appelle maintenant la haute Guinée était intégré à l’ensemble français du Soudan. C’est-à-dire l’actuel Mali. Siguiri, Dinguiraye, Kankan, Beyla, Lola étaient les données territoriales du Soudan français. Les Kissis, les Guerzés, les Lomas, les Manos, les Konos, faisaient parties du Liberia par le traité de 1892. C’est à partir de 1898 qu’on a réorganisé les territoires d’outre-mer. On a coupé Siguiri, Dinguiraye, Kankan, Beyla du Soudan et on les a intégrés à la Guinée. Donc, si les gens peuvent dire « c’est nous les Guinéens ! », peut-être ce sont les Soussous historiquement. Parce que les Portugais ont baptisé le golfe là, golfe de Guinée. Il ne faut pas dire que l’un est moins guinéen que l’autre. Il faut éviter les raccourcis que les gens prennent. Si les gouvernements libériens qui se sont succédé n’avaient pas été indolents, nous, nous serions des citoyens libériens ! Mais nous sommes maintenant des Guinéens par la volonté des colonisateurs. Les Malinkés, les Soussous, les Peuls sont guinéens. Ce qui est plus important, c’est sans doute les élections, mais c’est l’entente qui va découler de l’organisation de ces élections, le 144

rapprochement des Guinéens. Donc il faut éviter de lancer des paroles qui agrandissent le fossé. Aucune de nos régions à elle seule ne peut gérer la Guinée ! Même si vous ne faites pas partie du gouvernement, si ça fonctionne bien, vous devez apporter votre soutien. Mais si le président de la République dit qu’il veut gouverner par défi, ça ne marchera pas. Il faut qu’il sache ça ! Si quelqu’un veut utiliser la force, tout le monde utilisera la force. C’est un avertissement que je donne. Nous sommes ici pour construire ensemble une nation solide. Il ne faut pas que des gens qui n’étaient pas ici, que le hasard a mis sur le chemin du pouvoir, se targuent de venir menacer les autres. On n’acceptera pas ! Ce n’est pas normal ! Il ne faut pas que des gens racontent des boniments comme ça à longueur de journée. Et la CENI s’est disqualifiée avec mon ami Bakary qui n’a pas servi les intérêts des partis qui avaient réclamé sa création et d’être inféodé à un gouvernement. Parce que si on pose des actes unilatéraux, on arrivera à un moment où même si le gouvernement peut faire bien, on ne le croira pas. Est-ce que vous croyez que c’est nécessaire qu’un gouvernement ait quatre-vingt-dix députés à l’Assemblée ? Le premier tour des élections présidentielles a montré la force de chaque parti. Monsieur Alpha Condé a eu 18 %, donc à la limite, ça fait environ dix-neuf députés. Mais comme toute personne qui gère l’État, les opportunistes, ça peut amener à vingt-cinq ou trente députés. Tout ce que nous faisons doit servir la cause nationale, la cohésion nationale. Et la cohésion nationale commence par la réconciliation entre voisins du quartier ou du village. Entre les habitants d’un village par rapport à un autre, entre une sous-préfecture par rapport à une autre, une préfecture par rapport à une autre, une région par rapport à une autre. Et comme ça, quiconque gouverne la Guinée, lui c’est un fils de ce pays. La Guinée est une cause pour laquelle on peut accepter le sacrifice suprême, mais il faut que ce soit la vraie Guinée que nous voulons pour patrie.

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XX. « Notre unité est à la merci de n’importe quel événement… » Par Diallo Boubacar I pour africaguinee.com le 10 janvier 2013

Le ton est donné par Jean-Marie Doré. Fidèle à son habitude, l’ancien Premier ministre ne mâche pas ses mots pour dire ce qu’il pense ! Au cours d’un entretien avec notre rédaction, monsieur Doré parle du bilan du président Alpha Condé, la crise qui mine la scène politique guinéenne, sans oublier ses ambitions politiques avec l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG), son parti qu’il dirige depuis une vingtaine d’années. AFRICAGUINEE.COM : Deux ans après l’investiture du président Alpha Condé, quel bilan pouvez-vous tirer de sa gouvernance ? JEAN-MARIE DORÉ : En tenant compte du contexte d’accession au pouvoir, je crois qu’on n’est pas là où on aurait dû être. La Guinée pouvait faire mieux, mais on a perdu beaucoup de temps à cause du fait qu’on a donné de l’importance à des facteurs qui ne le méritaient pas. On a surévalué des données de la politique institutionnelle, de la politique économique et financière et on a oublié, à mon avis, que tout ça c’est ce que chacun ressent dans son estomac et dans sa vision. Le peuple veut manger, il veut de bons logements, il veut du courant électrique 24/24, il veut de l’eau, surtout que nous sommes le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest, mais c’est un château d’eau à sec qui ne sert à rien. Je crois que cette approche a été surtout marquée par ce que je reproche au président, il a privilégié une vision idéologique à une vision pragmatique politique. L’idéologue c’est un peu l’architecte, quand il prévoit le plan, tout est beau, il ne tient pas compte souvent de la structure du sol. C’est l’ingénieur qui se heurte aux difficultés minorées par l’architecte. C’est pourquoi, pour gérer un pays comme la Guinée, je conseille au président d’avoir l’idéologie, parce que c’est lui qui est le phare, mais de tenir compte des aspérités du terrain. Quand vous dites que dans dix ans il y 147

aura ça, il faut montrer que la sauce de maintenant préfigure l’abondance de demain. Mais si c’est toujours l’effort qu’on demande, le citoyen commence par douter et finit par douter de la finalité. S’il n’y a que la sueur et la peine, on va dire qu’on va arriver épuisé, on n’aura pas le temps de bénéficier de ce pourquoi on a lutté pendant vingt ans. C’est pourquoi je pense que ça ne sert à rien de dire que le bilan est globalement bon ou qu’il est globalement négatif. Il faut rappeler à ceux qui nous gouvernent que la Guinée est une réalité humaine, géographique, sociale, morale. Et qu’on a affaire à des hommes qui ont des besoins. Le système éducatif est complètement par terre, les maîtres ne sont pas formés, on ne fait pas d’investissement pour les former et les tares des maîtres se répercutent sur le niveau des étudiants. On a plein de diplômés qui ne sont pas compétitifs, et c’est l’un des dangers qui menacent l’avenir de la Guinée. La santé aussi est malmenée parce que le budget qu’on donne à la santé ne permet pas de gérer correctement les deux grands hôpitaux de la capitale, y compris l’hôpital des Chinois à Kipé. Ne parlons pas des hôpitaux qui sont à l’intérieur du pays, qui sont des mouroirs. Je les ai toujours appelés salles d’attente de la mort. Ce sont des choses pratiques qui exigent beaucoup de fonds. Donc, en termes diplomatiques, il faut aller vers les pays qui ont connu les mêmes situations que nous sommes en train de vivre. Moi je n’ai pas confiance dans le FMI (Fonds monétaire international, N.D.L.R.) et la Banque mondiale, ce sont des marchands de sable. Il faut aller vers ceux qui ont de l’argent tout de suite. Et il se trouve que la Guinée a les monnaies d’échange, toute la terre de Guinée, c’est des minerais dont sont privés ceux qui ont l’argent au-dehors. Si j’étais aux affaires, je donnerais des sites contre 15 milliards pour me permettre de régler le problème des logements. Chaque Guinéen a droit à un logement, chaque Guinéen a droit à la santé, il a droit à être nourri décemment. Donc aujourd’hui, il faut aller vers les sources de financement, surtout que nous avons de quoi rémunérer les prêts qu’on nous fait sans que ça ne crée de nouveaux problèmes. AFRICAGUINEE.COM : Dans son discours de Nouvel An, le président Alpha Condé a félicité les acteurs politiques guinéens. Cela vous inspire quoi ? JEAN-MARIE DORÉ : S’il l’a dit, je crois en effet qu’il ne pouvait pas ne pas les féliciter, parce qu’il n’y avait aucun motif de refuser la recomposition de la CENI (Commission électorale nationale indépendante, N.D.L.R.). Mais cette recomposition, il y a comme un relent de cette Constitution incompatible avec le droit des gens, qui a fait que par exemple, nous avons été placés dans l’opposition. Je ne suis pas 148

de l’opposition, mais beaucoup de mes réflexions recoupent les réflexions de l’opposition. D’autres aspects recoupent les réflexions du gouvernement qui a mis tout en œuvre pour qu’on obtienne le dixième FED (Fonds européen pour le développement, N.D.L.R.) afin de corriger les inconvénients graves de l’organisation de notre territoire. Parce qu’actuellement c’est un véritable parcours du combattant d’aller de Mamou à Faranah, de Kissidougou à Guéckédou, d’aller de Mamou à Dabola, etc. Si on parle des efforts qu’il a conclus par l’acquisition de ces fonds, au-delà de ce que l’on peut critiquer, tel aspect de sa politique, il faut le féliciter pour avoir obtenu cela, ce n’est pas suffisant pour juger une partie de l’action du gouvernement. Donc encore une fois, je n’ai pas écouté le discours, ce que je dis, je le dis sur la foi de ce que vous me dites. AFRICAGUINEE.COM : Le chef de l’État a également promis à l’opposition un statut particulier. Quelle analyse faites-vous de cette promesse ? JEAN-MARIE DORÉ : L’opposition doit avoir un statut. Le problème, c’est de savoir le contenu de ce statut. Comme vous le savez, quand le général Lansana Conté (ancien président guinéen, N.D.L.R.) a proposé son projet de Constitution au peuple de Guinée, il était prévu qu’il n’y aurait que deux partis. La mouvance présidentielle, composée de tous les partis qui soutenaient le programme du président, et tous ceux qui, d’une manière critique, substantielle ou totale s’opposaient à la politique du président. Le débat a eu lieu au forum démocratique national, au domicile du doyen Bâ Mamadou (paix à son âme) et tous les partis politiques ont dit non. Mais en particulier l’Union nationale pour le renouveau (UNR de Bâ Mamadou, N.D.L.R.) et le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), actuel parti au pouvoir, s’opposaient catégoriquement à cette limitation des courants politiques dans le pays. Et je me suis rallié à cette vision, pas parce que ça venait de l’UNR et du RPG, mais parce que c’était vrai. Il y a ceux qui rejettent la politique du gouvernement pour un aspect, mais soutiennent un autre aspect. Dans l’opposition, il y en a aussi qui critiquent plus ou moins sensiblement, et il y en a qui refusent catégoriquement tout ce qui vient du gouvernement. Comme il y en a qui soutiennent le Président quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse, inconditionnellement. Donc réduire la vie nationale à ceux qui soutiennent le président et à ceux qui ne le soutiennent pas, c’est violer le droit des gens. Et la Constitution guinéenne viole le droit des gens en ne reconnaissant pas le centre. Robespierre et Saint-Just, deux grands 149

révolutionnaires français, ont dit que « toute loi qui est adoptée par la volonté de la majorité du peuple, mais qui viole le droit des gens, est une loi cynique. Elle doit être combattue ». Parce ce qu’il y a des droits imprescriptibles à chacun, c’est votre façon d’apprécier, c’est votre façon de concevoir la vie. Je n’ai aucun droit, quel que soit mon statut de supériorité par rapport à vous, je n’ai pas le droit de vous imposer de voir la vie de la même façon que moi. Donc aujourd’hui, si la loi doit respecter les droits des gens, il faut qu’il y ait la mouvance, il faut qu’il y ait l’opposition qui s’oppose à la politique du président, et il faut qu’il y ait le centre. Le centre est un lieu de réflexion et d’action de comparaison des politiques qui se développent dans le pays, compatible avec la vision que nous avons de l’unité nationale, de l’intérêt national, de la sécurité nationale, de l’économie nationale, de l’éducation, de la santé, etc. Cela, aucun groupe, ni de la mouvance, ni de l’opposition ne détient à lui tout seul la vérité absolue. Donc il faut qu’il y ait cette approche intermédiaire qui est la synthèse des extrêmes pour permettre à la Guinée d’être autre chose qu’une école de pensée unique. AFRICAGUINEE.COM : Vous articulez que la Constitution guinéenne viole les droits des gens, cependant cette même Constitution a été adoptée pendant que vous étiez Premier ministre ! JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Demandez aux gens ! Je me suis opposé catégoriquement au secrétariat général de la présidence, vous pouvez le demander à tous les gens qui étaient là-bas, tous les partis politiques, tous les syndicats qui étaient dans les forces vives. Je me suis opposé pas seulement à cause du contenu, mais à cause de la manière dont on a traité les Guinéens. À l’époque, les gens croyaient que c’était une bonne chose, parce que ça arrangeait leurs affaires. Mais c’était une offense grave à la Guinée qu’ils aient adopté comme ça en catimini la charte nationale ! J’ai dit à monsieur Ibrahima Fall de l’Union africaine, « est-ce que dans votre pays au Sénégal on a adopté comme ça la Constitution ? », c’est une insulte au peuple de Guinée. J’ai dit à l’Algérien qui représente les Nations unies : « Est-ce que la Constitution algérienne a été adoptée comme ça ? » Nulle part au monde la Constitution d’un pays ne peut être adoptée comme ça. Je me suis opposé, et j’étais le seul à m’opposer en effet à l’adoption de la Constitution par décret. Ce n’est pas normal. C’est pourquoi je n’accepte pas d’être dans l’opposition intégrale ou dans la mouvance intégrale. C’est incompatible avec ma formation, avec mon éducation, avec ma vision du monde, avec ma vision de la Guinée dans son présent et dans son avenir. 150

AFRICAGUINEE.COM : Qu’en est-il des courriers que vous aviez adressés au président de la République et à la présidente du Conseil national de la transition pour les interpeller sur l’existence du centre ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais non ; je l’ai dit, je pense que chacun est en train de regarder ses intérêts. Ils ont violé le droit des gens. Et nul n’a le droit de violer les droits des gens, même pas la Constitution. Aucun traité ne peut le faire. Le peuple de Guinée a pris son destin depuis le 28 septembre 1958 et il doit s’assumer jusqu’au bout. Donc j’ai dit que je n’étais pas d’accord. Demandez à Hadja Rabiatou Serah (présidente du Conseil national de la transition, N.D.L.R.) lorsque je m’étais opposé à l’adoption de la Constitution. Donc aujourd’hui, ce serait une erreur tragique de la part du président de la République, monsieur Alpha Condé, de répéter cette violation du droit des gens. Je crois que lui est un juriste, les courants de pensée sont divers, mais on peut les catégoriser grosso modo en trois. La mouvance, le centre et l’opposition. Ce qui veut dire, pour être plus expressif encore, par rapport à tel ou tel événement, mes analyses correspondent à celle du gouvernement, je ne vois pas pourquoi je vais crier de gauche à droite, je soutiens la Guinée. Si l’opposition, par ses analyses ou ses attitudes exprime, selon mon parti, les intérêts fondamentaux de la Guinée, je n’ai pas besoin de consulter Pierre pour savoir si je dois faire du chemin avec l’idée et la décision de cette opposition-là. AFRICAGUINEE.COM : Malgré sa recomposition, la CENI reste encore minée par des querelles intestines, surtout depuis l’annonce de la date des élections législatives. Pensezvous que demander le départ de cette nouvelle équipe soit une bonne stratégie ? JEAN-MARIE DORÉ : Moi je crois que souvent on pêche par précipitation. La CENI est un organe d’exécution, exécution de la loi, exécution des décisions politiques. C’est-àdire le ministre de l’Administration du territoire, le président de la République, ou tous les ministères de souveraineté qui ont le droit de regard dans la gestion du processus électoral. Alors quand ils se mettent d’accord parce que tout n’est pas prévu dans la loi, la CENI est chargée de l’exécuter en débattant de la méthode pour régler le problème au niveau du bureau qui prépare les dossiers pour la plénière. C’est la plénière seule qui est qualifiée pour prendre des décisions au nom de l’organisation, même pas le comité. Le comité n’est pas habilité à prendre des décisions qui sortent de la CENI pour l’extérieur. 151

AFRICAGUINEE.COM : Aux dires de plusieurs commissaires de la CENI, le choix de la date des élections législatives n’avait pas fait l’objet de discussions au sein de cette institution… JEAN-MARIE DORÉ : C’est ce que je vous dis. Je crois que le président de la CENI (Bakary Fofana, N.D.L.R.) a pêché par précipitation parce qu’à mon avis les conditions sont remplies pour qu’on débatte d’une façon sereine à la CENI. Ce n’est pas la peine d’éviter les débats. Les problèmes se créent parce qu’on évite les débats. Il faut toujours débattre. Tous les Guinéens aiment leur pays. Je ne vois pas aujourd’hui quelqu’un qui veut que notre pays soit à la traîne. Mais pourquoi on rejette à gauche, on rejette à droite, c’est parce qu’il n’y a pas la confiance. On croit toujours que l’autre veut nous rouler. Moi, je suis un optimiste par nature. Il faut sortir de cette situation en ayant confiance, en s’approchant les uns des autres. Mais si chacun se constitue en force d’inertie devant la marche de la vérité, devant la marche de l’intérêt national, alors la Guinée, en dépit des efforts, en dépit des possibilités, n’ira nulle part. Il faut la confiance parce que sans la confiance il n’y a pas d’unité nationale. Les gens ne se trouveront en confiance que dans leur milieu ethnique et à ce moment-là ce n’est pas la peine de parler de la nation ! Il faut une synthèse de toutes les forces qui constituent la nation guinéenne. La moyenne Guinée, la basse Guinée, la haute Guinée, la Guinée forestière, ce sont des pôles de culture. Mais l’histoire a voulu que nous soyons appelés Guinéens, c’est un défi qui nous est lancé. Il faut construire donc cette Guinée-là en se jetant à l’eau. En se disant que moi je suis prêt à travailler avec un Peul, un Malinké ou un Soussou, ce qui m’intéresse en travaillant avec l’un d’entre eux, c’est la compétence. Je crois que la recherche de l’unité nationale suppose des sacrifices d’amour-propre. C’est très important parce que constamment il faut faire le point. Il ne s’agit pas de faire des réunions d’imams, d’évêques ou de forêt sacrée. Non ! La réponse à notre quête vers l’unité nationale, c’est la façon dont ceux qui détiennent une parcelle de l’autorité de l’État vont se conduire vis-à-vis des populations. Si le gouvernement s’engage résolument dans la bonne voie, je ne vois pas pourquoi je vais me mettre à crier, si c’est l’opposition je ne vois pas pourquoi, mon raisonnement recoupant la sienne, on fait avec ! Mais je ne vais pas tomber dans les extrêmes, mon éducation me l’interdit formellement. AFRICAGUINEE.COM : Parlons à présent de votre formation politique, l’UPG. Comment se prépare-t-elle, à seulement quelques mois des futures échéances électorales ? 152

JEAN-MARIE DORÉ : Mon parti s’épanouit, il tient la base solidement. Nous ne faisons pas la politique au micro des radios et des télévisions. Vous avez des gens qui parlent tout le temps à la radio ; non, ce n’est pas là-bas la politique. C’est sur le terrain. On tâche de convaincre les gens. L’UPG (l’Union pour le progrès de la Guinée, N.D.L.R.) a choisi dans le nouveau contexte guinéen de coller au terrain et de moins s’épandre dans les médias. C’est le résultat des élections qui va classer les partis politiques. AFRICAGUINEE.COM : Votre mot de la fin ? JEAN-MARIE DORÉ : Je pense que notre pays a des problèmes ; qu’il faut chercher les moyens les plus efficaces et les moins généreux pour les évacuer. Parce que j’insiste sur la confiance, le premier à prendre les initiatives pour montrer qu’il faut qu’il y ait la confiance dans ce pays, c’est le président de la République. C’est pourquoi je ne quitterai pas le centre, je peux coopérer avec l’opposition si nos points de vue coïncident sur les élections, sur l’économie, sur l’organisation des finances, sur l’organisation du territoire. Et moi j’ai un dada, il faut créer une école d’administration qui forme le personnel de l’État à sa mission. Il faut que les règles légales édictées, les préfets les appliquent. Mais ils ne doivent pas être les salariés personnels du président. Parce qu’à la fin ça se retourne contre le président. Il faut faire un effort sur soi-même pour éviter que les préfets n’utilisent leur poste pour faire autre chose, parce qu’ils sont opportunistes. Vous leur demandez un doigt, ils vont vous en couper cinq. Et puis à la fin, celui qui est jugé à leurs méfaits, c’est le président de la République et le gouvernement. Parfois le président ne donne pas des instructions aux préfets de faire ça, mais ils veulent tellement plaire pour rester dans leur fonction jusqu’à sa mort, qu’ils vont au-delà de ce qu’ils croient être le désir du président. Quand il tend la main vers l’opposition, l’opposition aussi doit être tenue de prendre la main. C’est au bout du chemin qu’ils vont faire qu’on s’apercevra si le président a tendu sincèrement la main, ou s’il a voulu doubler l’opposition ! Mais si on reste chacun dans ses positions, ça ne peut pas aller comme ça. La Guinée n’a pas besoin aujourd’hui de ces discours extrêmes. La Guinée veut unir ses enfants, il y a des gens qui souffrent de l’ostracisme rampant qu’on constate à gauche comme à droite. Ce n’est pas bon ! La Guinée risque d’en mourir, or il faut coûte que coûte que la faiblesse des hommes, la limitation intellectuelle ou morale des hommes, n’entament pas notre énergie pour la construction de la nation. Cette construction c’est de faire la symbiose de la basse Guinée, du Fouta, du Mandé et de la forêt obligatoirement. Si c’est raté, alors on a 153

échoué. Et je termine par un mot de Voltaire, il a dit : « Il y a quatre manières de perdre son temps, ne rien faire, ne pas faire ce que l’on doit, le mal faire ou le faire à contretemps. » On fait quelque chose en Guinée, mais ça ne sert à rien du tout. Je vais ajouter quelque chose : pendant les élections, il y a eu deux débordements. Un à Siguiri et un à Pita. J’ai relevé de ses fonctions le préfet de Pita, alors que beaucoup de nos compatriotes sont venus me faire des reproches. Je n’ai pas relevé le préfet de Pita parce qu’il y a eu des bagarres à Pita, c’est parce qu’il a commis un acte de forfaiture. Il est le protecteur de tous les fonctionnaires de Pita. Mais il a appelé les populations pour leur dire que les fonctionnaires étaient chez lui. Heureusement qu’un d’entre eux a entendu, il a dit : « Foutons le camp ! » Ils ont été protégés par les gendarmes. Le préfet a dénoncé les fonctionnaires qu’il avait le devoir de protéger des manifestants qui voulaient les lyncher. À Siguiri, c’était une bagarre entre deux communautés et le préfet n’avait pas les moyens de faire face à cette situation. Le préfet n’a pas pris parti pour les Peuls poursuivis par les Malinkés. Je regrette profondément, je condamne ces violences inutiles qui ont failli venir à bout de notre unité fragile. Notre unité est à la merci de n’importe quel événement.

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XXI. « Alpha Condé a dit qu’il a trouvé un pays, mais pas un État… » Propos recueillis par Guineenews le 30 juin 2013

C’est la cinglante réplique de l’ancien Premier ministre Jean-Marie Doré en réaction aux attaques du président Alpha Condé, dans une interview qu’il a accordée à Guineenews le 30 juin 2013. GUINEENEWS : Le facilitateur onusien est de retour à Conakry pour sauver le dialogue en panne depuis la suspension de l’opposition à sa participation aux discussions ? JEAN-MARIE DORÉ : Nous sommes au stade des consultations. La communauté internationale nous a soumis un projet de contribution pour tenter de faire redémarrer le dialogue en cours sur de nouvelles bases. Apparemment, la première lecture est que cette contribution me paraît raisonnable, mais elle mérite d’être examinée et améliorée de ses imperfections. GUINEENEWS : Cette contribution tient-elle compte de la sécurisation des leaders et la poursuite des auteurs de la répression policière survenue chez Cellou Dalein Diallo ? La sécurisation des leaders politiques n’est pas essentielle, à mon avis. Même si certains en parlent. Un leader est défendu par ses militants, mais 155

comme le gouvernement donne l’impression qu’il commandite les descentes musclées au domicile des leaders politiques sans assumer la responsabilité des faits, certains ont le droit de s’inquiéter. Je pense que le gouvernement doit cesser de s’amuser parce que les réactions qui en découleraient pourraient provenir de partout, pas à Conakry seulement. Dans ces conditions, on serait dans un État sauvage. Les forces de l’ordre ont des rôles définis et non d’aller s’attaquer au domicile des citoyens voire des leaders politiques. GUINEENEWS : Donc, vous fustigez la descente policière survenue chez Cellou Dalein Diallo ? JEAN-MARIE DORÉ : Ce qui s’est passé chez Cellou, c’est une honte. Cela montre la faiblesse extrême des dirigeants de l’État parce qu’aux contradictions argumentaires, je pense que la force de l’État ne s’oppose qu’aux négateurs de l’ordre. Or, Cellou Dalein Diallo a été convoqué au tribunal, j’y étais. L’avocat de monsieur Malick Sankhon s’est bien expliqué. Celui de Cellou a bien répondu. Et le procureur, qui me paraît un homme serein et compétent, a tranché. Et les jeunes de l’UFDG comme ceux de tout autre parti, qui ne peuvent pas considérer la politique comme les vieux de quatre-vingts ans, ont alors encadré leur leader pour l’accompagner à son domicile, mais sans provocation. Et la police est venue comme cela, on ne sait commanditée par qui, pour l’instant, ce qui montre la faiblesse de l’État. GUINEENEWS : Que voulez-vous insinuer ? JEAN-MARIE DORÉ : Écoutez ! Lorsque des policiers font des descentes illégales quelque part, en un quart d’heure, on doit pouvoir situer la responsabilité. Un policier ne peut en aucun cas venir en uniforme avec des fusils dans un véhicule de la police sans que l’on ne sache qui lui a donné l’ordre. C’est terrible. Je pense aussi que le fait de viser chez Cellou Dalein Diallo est condamnable, et c’est d’autant, mais plus condamnable qu’on ne puisse pas connaître qui a été le commanditaire. Ceci est très grave dans un État organisé et légal ! GUINEENEWS : Pourtant, tout le monde dit que nous sommes dans un État organisé et légal… JEAN-MARIE DORÉ : (Il rit). Quelqu’un a dit qu’il a trouvé un pays, mais pas un État. Je crois qu’aujourd’hui, il n’y a ni pays, ni État. (Il rit encore). C’est terrible. Mais je dis bien que la police ne peut pas mener une opération à l’extérieur avec ses armes et ses véhicules sans qu’elle n’ait reçu l’ordre. Si maintenant, il faut allumer des torches

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comme Diogène cherchait un homme, pour chercher le commanditaire, cela veut dire que l’État n’est pas l’État. GUINEENEWS : La CENI a récemment proposé un chronogramme électoral envisageant les législatives le 28 juillet. Cette échéance a été rejetée par tous ou presque. JEAN-MARIE DORÉ : Voulez-vous parler de ce chiffon de la CENI, ce n’est pas un chronogramme. Le dialogue, qui doit s’achever par l’adoption d’un chronogramme des élections, est souverain. Quand nous nous serons mis d’accord sur le contenu du chronogramme, on le donnera à la CENI pour l’exécution. Dans le contexte du dialogue actuel, les décisions seront prises conformément aux conclusions du dialogue. Si le président de la CENI n’a rien à faire, il peut s’amuser à rédiger des poèmes sous forme de chronogramme. GUINEENEWS : Pourtant, c’était votre chef de la diplomatie guinéenne sous la transition… JEAN-MARIE DORÉ : Je ne peux pas porter un jugement de valeur sur mon gouvernement, surtout dans les médias. Le gouvernement est coresponsable de ses actes, c’est une collégialité structurée. GUINEENEWS : Alors, reconnaissez-vous monsieur Bakary Fofana, qui dirige aujourd’hui la CENI ? Si vous parlez du président de la CENI, il ne fait pas bien son travail, à mon avis. Toute sa production est soit illégale, soit confuse. Et cela fait perdre du temps à la communauté internationale. GUINEENEWS : L’Union européenne réclame des législatives avant le 31 octobre, sinon pas de dixième fonds européens pour le développement (FED). Est-ce raisonnable ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est un délai assez long, mais tout dépend de ce qui sera fait entre maintenant et le 31 octobre. Je crois que la communauté internationale, dont l’Union européenne, a soumis un document de synthèse comme contribution à la conclusion de la première partie du dialogue. Ce document comporte apparemment des éléments intéressants. Nous allons l’examiner avec beaucoup de hauteur et nos conclusions consensuelles serviront de base pour organiser les législatives soixante-treize jours après la fin du dialogue. Entre-temps, nous devons disposer d’un temps équivalent à celui que le gouvernement a pris pour fabriquer l’actuel fichier, qui ne vaut rien parce qu’il y a des distorsions énormes en termes d’élection d’une préfecture à une autre. Ce qui est invraisemblable, certaines villes ont vu 157

leur nombre d’électeurs considérablement réduit, d’autres considérablement accrus. Hélas, on ne nous explique pas pourquoi cette hausse et cette baisse. GUINEENEWS : Comment l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG) prépare-t-elle les législatives ? JEAN-MARIE DORÉ : Comme tout parti normal et ambitieux. Nous devons convaincre les électeurs que nous sommes les meilleurs par le discours, l’action et la réflexion. Il faut un support pour l’adhésion des électeurs. Ce support va du bureau politique national à la base, via les sections, les femmes et les jeunes. Il y a également les sages, même si ce terme est galvaudé aujourd’hui. Parce que certains sages sont des véritables bandits sans honneur, ni perspectives. Des sages de certaines régions marchent à quatre pattes devant tous les gouvernements. Ils sont devenus des quadrupèdes, alors qu’ils sont nés bipèdes. Par contre, il y a des vrais sages qui peuvent dire ce qu’il faut dire au moment opportun. GUINEENEWS : En forêt, vous aurez des adversaires sérieux : le pouvoir qui promet 60 milliards de francs aux populations, Jean-Marc Telliano, Papa Koly Kourouma… JEAN-MARIE DORÉ : C’est peu 60 milliards, ils doivent promettre beaucoup. Aux élections, tout adversaire est sérieux. Pourquoi croyezvous que le pouvoir est plus sérieux que Cellou, Sidya, Kouyaté ? On va aux élections pour franchir des obstacles. Le pouvoir compte sur la menace, la corruption, sinon pourquoi promettre 60 milliards sans les donner ? On aime promettre, mais sur le terrain, on ne le donne pas. C’est l’effet d’annonce qui compte. Je pense qu’il faut gouverner dans la vérité et la transparence. On accuse trop le gouvernement, mais il est libre d’aller en forêt, c’est une partie de la Guinée. L’État peut tout promettre comme par exemple un cheval blanc à tout forestier, un rhinocéros ou un caïman, c’est son plein droit. Il peut promettre l’élevage des serpents s’il est majoritaire au futur Parlement, mais il appartient aux forestiers d’accepter ou pas. Avez-vous été au port de Conakry ? Les activités économiques sont au ralenti. Aucune activité. Or, sans activité, la douane n’épargne pas de taxes. Conséquence, cela a des répercussions sur la direction des impôts, qui fait vache maigre. Or, à force de dépenser l’argent par des voies détournées et non budgétaires, cela crée des problèmes sérieux au gouvernement. Mais qui n’a pas d’argent promet, c’est connu. On a dit ici que lorsqu’on aura le PPTE (Point d’achèvement pour les pays pauvres très endettés), chacun mangera à sa faim, que les femmes n’ayant 158

pas eu d’enfants auront des jumeaux, des triplés, des quadruplés, que personne ne mourra plus, que les Guinéens seront au septième ciel au paradis, mais ils sont libres de faire des promesses. GUINEENEWS : D’accord, mais le gouvernement risque d’être rattrapé par ses promesses. Est-ce votre affaire s’il est rattrapé par ses promesses ? Il ne faut pas faire de mauvaises querelles au gouvernement. Ils ont le droit de le dire. À moins que vous n’insinuiez à travers votre question que c’est un gouvernement pour rire. Est-ce cela ? (Il rit). Mais dites-moi si vous insinuez que nous avons un gouvernement pour rire ? GUINEENEWS : le ministre du Plan soutient que les recettes de l’État ont baissé de 1 000 milliards en 2013 en raison de la détérioration du climat politique. Êtes-vous surpris ? JEAN-MARIE DORÉ : S’il contredit le Président, cela devient une affaire interne au gouvernement. Si le Président promet 60 milliards à des groupements privés, il donne 120 milliards à d’autres dans les régions, je crois qu’il y a contribution quelque part parce qu’on ne peut pas dépenser l’argent qu’on n’a pas. Entre les deux, quelqu’un n’est pas dans la réalité des faits du gouvernement. Je vous ai dit d’aller au port de Conakry, il ne fait plus entrer d’argent. Sans épouser le chiffre exact du ministre du Plan, je dis que ce manque à gagner est en contradiction avec le train du pouvoir visà-vis du corps électoral : 60 milliards par-ci, 30 milliards par-là, des montants distribués sélectivement. Je crois que nous avons un gouvernement de changement, tout doit changer, tout doit être changé : la couleur de la toiture des maisons, la teinte des cheveux, le décor des salons… GUINEENEWS : Le président Alpha Condé a récemment dit, lors de sa dernière tournée à Londres, qu’il nous faut un gouvernement d’union nationale. Qu’en dites-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais c’est loin d’avancer là-bas un gouvernement d’union qui se fait en Guinée. GUINEENEWS : Vous riez aux éclats, donc l’offre du président Alpha Condé ne vous enchante pas ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais je ne vois pas pourquoi un gouvernement d’union. Avec qui ? Est-ce que depuis son retour, il a mené des consultations ? Parce que si c’est un discours adressé aux Guinéens, il le dit ici. Pourquoi le président guinéen va-t-il annoncer nos affaires jusqu’à Londres ? L’a-t-il dit en français ou en anglais ? Parce 159

que si c’est en français, il aurait sevré les auditeurs anglais. Personnellement, je n’en vois pas la nécessité. Le président Alpha Condé a été élu comme candidat du RPG Arc-en-ciel. Donc, c’est un gouvernement du RPG Arc-en-ciel, personne ne le nie. Mais jusqu’ici, le langage qu’il tient ne me semble pas préfigurer qu’il est prêt à un gouvernement d’union nationale parce qu’il tient un discours d’exclusion. Unir, c’est appeler les autres autour d’une idée, autour d’une action. Si vous commencez par répudier les autres en même temps que vous annoncez l’union, je ne vois pas l’intérêt d’un gouvernement d’union. Je ne peux pas analyser un discours que je n’ai pas entendu, mais cela me semble en contradiction avec ce que je vois tous les jours, les discours que j’entends, l’ostracisme outrancier développé, les discours des affidés du régime, tout ceci ne permet pas à un homme sensé, à un parti respectueux, d’aller s’agripper à une troupe dont la plupart sont arrachés. Il faut faire attention, comme le disait Lansana Conté : méfiez-vous des menteurs. GUINEENEWS : Vous sentez-vous à l’aise lorsque le chef de l’État résume son opposition aux anciens Premiers ministres, qu’il dit avoir pillé le pays. Qu’en dites-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : (Il rit). Il dit toujours cela, mais les mots sont les mots. La réalité est autre. Lui, que fait-il actuellement ? C’est une question, hein, je n’affirme rien. Je suis un juriste prudent. Il a dit que tous les gouvernements avant lui avaient pris l’habitude de passer des marchés de gré à gré. Si cela est vrai, c’est condamnable. Mais lui, que fait-il actuellement ? GUINEENEWS : Il dit qu’il gouverne le pays dans la plus grande transparence possible… JEAN-MARIE DORÉ : Écoutez, même des marchés conclus après appel d’offres, il les casse pour donner à un autre. Il faut éviter de lancer des slogans. Quand on veut gouverner efficacement, il faut être méthodique aussi bien dans le langage que dans l’action. Je ne voudrais pas anticiper sur les discours clairs qu’on va tenir pour le sauvetage de la Guinée. GUINEENEWS : Donc, la Guinée a besoin d’être sauvée ? JEAN-MARIE DORÉ : Il faut sauver la Guinée du désordre, de la confusion du langage, de la confusion de l’action. C’est très facile d’aller à New York ou à Paris pour dire que ceux qui ont gouverné avant étaient 160

des bandits à col blanc. J’ai lu le papier d’un ancien ministre des Mines qui dit que les voyages d’Alpha sont assurés par la société russe, Rusal. Pourquoi un chef d’État qui a un budget pour le transport voyagerait-il officiellement à l’extérieur aux frais d’une société minière ? C’est ce qui se dit, hein ! Je ne fais que rapporter. Je crois que nous devons être sérieux. Alpha a un mandat de cinq ans. Il a été élu légalement. Il doit aspirer, si j’étais à sa place, à aller au-delà de la légalité pour acquérir la légitimité par des actions nobles au lieu de se lancer dans des vocalises accusatrices parce qu’on ne devient pas comme ça Saint-Just ou Robespierre. La Guinée est très fragile. Souvent, le Président parle, mais il ignore profondément la sociologie de notre pays. On ne peut pas le lui reprocher parce qu’il n’a pas vécu en Guinée. Il connaît toutes les rues de Paris, mais il ne connaît pas celles de Conakry. C’est tout à fait normal. Mais je crois qu’il gagnerait à éviter les invectives. Il a un défi à relever, montrer qu’il est compétent et qu’il est soucieux du bien-être des Guinéens. GUINEENEWS : Vous maintenez que le président Alpha Condé ne connaît pas la Guinée ? JEAN-MARIE DORÉ : Le reproche que je fais au Président, je le dis amicalement, c’est qu’il ne connaît pas la Guinée même la haute Guinée, qui lui a permis de se hisser à la hauteur des présidentiables. Il n’en connaît ni l’histoire, ni le fonctionnement, à plus forte raison des pays complexes comme le Fouta ou la forêt. Pour convaincre, avec la même vérité, un Peul, j’userais de mots autres que ceux que j’userais à l’endroit du forestier. Si vous ignorez ces réalités, vous ferez des erreurs de jugement. Et le Président commet beaucoup d’erreurs de jugement à cause de son ignorance profonde de la sociologie et de l’anthropologie de la Guinée. GUINEENEWS : Il peut ne pas connaître la Guinée, mais il a une quarantaine de conseillers… JEAN-MARIE DORÉ : Il faut que le Président soit humble, mais il ne l’est pas. S’il voulait être humble pour apprendre, il gagnerait beaucoup. Mais il est entouré d’hommes qui lui font la courbette, des opportunistes de classe à la recherche du gain facile et de la sécurité matérielle. Ils anticipent les plaisirs du Président : « Eh, président, tu es bien coiffé aujourd’hui », « votre veste est l’unique du genre ». Cela lui plaît aussi. Je pense que c’est très dangereux de croire en des hommes pareils. Ils sont payés pour aider le Président, mais pas le flatter.

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GUINEENEWS : Aux futures élections législatives, votre parti compte rafler combien de députés ? JEAN-MARIE DORÉ : Cela dépend de nos électeurs, de notre stratégie et de notre capacité de mobilisation. Si quelqu’un vous dit qu’il aura cinquante députés, c’est qu’il aura violé la conscience des citoyens. GUINEENEWS : Alors, n’accusez pas Alpha Condé de chercher quatre-vingt-dix députés aux législatives. JEAN-MARIE DORÉ : Non, je le sais, c’est ce qu’il veut. Je pense que si vous vous sentez fort, laissez les électeurs faire le choix. Aucun de nos partis ne peut obtenir à lui seul quatre-vingt-dix députés. Ni moi, ni Cellou, ni Sidya, ni Kouyaté et encore moins mon ami Saloum Cissé du RPG. Aucun d’entre nous ne peut avoir même soixante députés, même cinquante. La limite extrême dans une élection normale vraie, sans aucune tricherie, c’est quarante députés. Je pense que si Alpha Condé a quarante députés, comme il est au gouvernement et l’administration étant remplie de militants capables de faire la pression, c’est tolérable. Mais nous nous connaissons ici. Pour vous répondre, je ne peux pas donner le nombre, mais j’espère en avoir beaucoup parce que nous avons travaillé de manière méthodique dans toutes les régions. GUINEENEWS : Votre mot de la fin ? JEAN-MARIE DORÉ : Je pense que la Guinée peut développer la démocratie et devenir un grand pays économiquement et de façon stable. Mais il faut que le pouvoir refrène ses élans de partis pris systématiques. Cela ne le sert pas. Un gouvernement ne doit pas encourager des attitudes séparatistes, ethnicistes et régionalistes. Il doit travailler pour la symbiose nationale.

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XXII. « C’est un conflit d’intérêts qu’on veut habiller en opposition ethnique » Par Youssouf M’bemba Kéita pour mediaguinee.com le 19 juillet 2013

Les villes de N’Zérékoré et de Beyla, situées au sud-est de la Guinée, en région forestière, ont été le théâtre de violents affrontements entre populations Kpèlè et Konianka. Il en a résulté des pertes en vies humaines, de nombreux blessés et d’importants dégâts matériels. MEDIAGUINEE.COM : Quelles analyses faites-vous des malheureux événements survenus en début de semaine en région forestière ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est un conflit d’intérêts qu’on veut habiller en opposition ethnique. Tout ça part du fonctionnement du syndicat des transporteurs. Il y a un vieux syndicat des transports dont le comportement, d’après ce que l’on dit, est incompatible avec ses propres statuts. Les taxes ne sont pas payées à la commune ni à la préfecture. Et ceux qui dénoncent cette situation allèguent que les revenus de ces taxes, qui ne sont pas versées là où elles devraient l’être, sont distribués dans des mains qui ne sont pas des destinations légales. Donc, à la faveur de la lecture de la Constitution et des lois organiques, les gens se sont rendu compte que le syndicalisme n’est pas prévu par la loi guinéenne. Et, comme il y a huit centrales syndicales des travailleurs, eux aussi veulent créer leur propre syndicat des transporteurs routiers. Ils auraient donc construit leur siège et meublé. Puis les tenants de l’ancien syndicat, qui s’opposent à la création du nouveau, seraient allés il y a quelques mois incendier les installations du nouveau syndicat. Alors, il y a cette situation parce que le nouveau syndicat comprend des Peuls, des Malinkés, des Guerzés, des Manos, etc. Ceux qui n’acceptent pas l’ancien syndicat qui serait, dit-on, entièrement aux mains d’une seule composante ethnique qui serait Konianké. C’est ça qui est à l’origine profonde de cette affaire et ce syndicat serait protégé par un certain Abou 163

Dramé, le président de la chambre régionale de commerce. Et c’est monsieur Abou Dramé qui aurait mis l’huile sur le feu, en présentant unilatéralement une des victimes de la fusillade de Koulé, contre les voleurs du magasin du vieux sage de Koulé qui serait le cadavre du bandit Konianké sans parler du mort Guerzé. Parce qu’il y a eu deux victimes. Donc, il serait venu dire que les Guerzés veulent exterminer les Koniankés, « regardez le corps ensanglanté de notre parent ». Je pense que si les faits se sont déroulés comme ça, ce n’est pas bien. Dire qu’il y a une guerre qui oppose les Guerzés et les Koniankés, ce n’est pas correct parce que parmi les Koniankés, certains se sont établis en région forestière depuis cent ans, voire cent cinquante ans, et quand on vit cent cinquante ans dans une région, on en est autochtone. Donc, on ne peut pas dire que les Koniankés sont des étrangers à N’Zérékoré. Mais ce qui manque, c’est l’esprit et la volonté d’intégration. Je trouve normal qu’un Konianké dise qu’il est originaire de N’Zérékoré parce que nous, nous y sommes depuis deux cents ans, et personne ne peut me contester d’être Mano. Je suis Mano, mais cela ne doit pas m’autoriser à être contre les Malinkés, les Peuls, les Tomas ou les Kissias. Parce que le peuplement d’un pays se fait par des apports humains successifs. C’est comme Conakry qui était peuplé pratiquement de Bagas en 1650 ; aujourd’hui, il y a des éléments Nalou, Soussou, et il se trouve que le Soussou étant la langue facile, tous les autres éléments parlent Soussou. Donc, ici, je réfute l’assertion selon laquelle ce sont des oppositions ethniques. Parce que si vous allez à N’Zérékoré, vous trouvez des Koniankés mariés à des femmes Guerzés et vice versa. Si c’était une opposition ethnique, ce serait formellement interdit. Donc, des gens qui ont intérêt à exercer des monopoles excitent en dessous des différences ethniques pour aller plus vite dans le recrutement des combattants. Je crois que tous sont dans l’ignorance. C’est pourquoi les leaders, les gestionnaires de l’État, les chefs religieux doivent mettre les moyens ensemble pour persuader les gens qu’il s’agit de nous organiser bien pour tirer le maximum du bienêtre de cet espace fertile. Parce que ça n’apporte rien à personne de dire qu’il est guerzé, qu’il est malinké, qu’il est soussou ou autre. MEDIAGUINEE.COM : Certains parlent d’utilisation d’armes automatiques à N’Zérékoré lors des affrontements. Est-ce que vous croyez à cette version ? JEAN-MARIE DORÉ : Oui. Je crois bien à cela. Il y a quelques années, les douaniers ont saisi à la frontière de Koundara et du Sénégal un camion rempli d’armes de guerre. Ce camion est garé près de l’immeuble Fria et actuellement le camion en question est presque vide. 164

Des gens prennent ces armes, je ne sais avec la complicité de qui, pour transporter des sacs à destination de la forêt. Si des gens qui ne sont pas des militaires, des gendarmes ou des policiers, disposent de ces armes-là, on commence par identifier les endroits où on sait qu’il y a eu des armes de guerre. Ce que je dis est loin d’être une allégation gratuite. Il y a bien eu des coups de feu tirés par des gens qui ne portent aucun uniforme. MEDIAGUINEE.COM : La même scène s’est produite dans les années 90 entre ces deux ethnies (Guerzé et Konianké). Peut-on aujourd’hui dire que c’est le même scénario qui continue ? JEAN-MARIE DORÉ : Non. Pas du tout ! Certains voudraient se référer à ça, à titre de vengeance dans le cadre de ce qui se passe actuellement. Mais il me semble que si on veut gérer des communautés dont la vocation est de s’intégrer, il ne faut pas réveiller sur ces communautés les mauvais souvenirs. La France et l’Allemagne ont fait une guerre atroce. Pour que cela ne se reproduise pas, on n’a pas cultivé chez les Français ou chez les Allemands le sentiment de prendre la revanche. Si on va dans le sens de la revanche, c’est le dépeuplement des pays. À l’époque, les armes avec lesquelles les gens se sont entre-tués sont dépassées. Donc, moi je ne crois pas. Mais ça peut être le sentiment qui habite certains. Mais je ne le crois pas, parce que les conflits ne sont pas nés à partir des mêmes causes. Aujourd’hui, on connaît mieux les raisons pour lesquelles les gens se sont affrontés et la plupart des victimes ou des assaillants sont victimes, eux tous ensemble, dans la défense d’intérêts qui les dépassent et auxquels ils sont même étrangers. Il y a des jeunes gens qui sont morts dans les deux camps, qui ne sauront jamais pourquoi ils sont morts réellement. Ils croiront toujours qu’ils sont morts pour défendre l’ethnie Konianké ou l’ethnie Guerzé alors qu’en réalité, on les a manipulés. On doit mettre fin à ça. Mais quand l’administration est corrompue, protège les gens qui ne devraient pas être protégés, on en arrive forcément à cette situation. Parce qu’il y a des gens, quand ils profitent des largesses de l’État, automatiquement ils se considèrent comme des privilégiés, ils ne respectent même plus les lois de l’administration. Je pense qu’il faut éviter ce genre de chose. Parce que N’Zérékoré est une ville métropole comme Mamou. À Mamou aujourd’hui, on ne peut pas dire que c’est une ville peule. Toutes les ethnies de la Guinée sont presque présentes dans cette ville. MEDIAGUINEE.COM : Vous voulez dire que le gouvernement de votre ami Alpha Condé a une part de responsabilité dans ce qui s’est passé à N’Zérékoré et à Koulé… 165

JEAN-MARIE DORÉ : Mais alors, qui est chargé de défendre la sécurité des citoyens ? C’est le gouvernement, puisque nous avons dit que la détention d’armes de guerre est le monopole de l’État. Si sous les yeux de l’administration, les gens se tuent et qu’on ne fait rien, je pense que ce n’est pas être opposant que de dire cette vérité palpable. Certains croient toujours que vous faites une analyse qui compromet le gouvernement quand vous êtes opposant. Ce qui veut dire que quand vous soutenez le gouvernement, vous devez mentir. Si mon ami Alpha Condé comprend, c’est de prendre des mesures énergiques pour empêcher que des pêcheurs en eau trouble se croient protégés par son régime. Parce que si des citoyens guinéens finissent par croire que le gouvernement est là pour protéger les Peuls, les Malinkés ou les forestiers, alors c’est le plus grand mal qu’on peut lui faire. Donc, moi je crois que la situation qui prévaut dans notre pays peut être facilement bridée si les pouvoirs publics acceptent d’agir sur les vertèbres de ces conflits. MEDIAGUINEE.COM : La région forestière est considérée par certains comme le fief aussi de votre parti, l’UPG. Aujourd’hui, la révision complémentaire de la liste électorale déclenchée par la CENI vient de connaître un coup dur à N’Zérékoré à cause de ces événements. Avez-vous un appel à lancer pour que l’institution en charge des élections prenne des mesures exceptionnelles ? JEAN-MARIE DORÉ : Il n’y a pas deux appels à lancer. Il faut dire aux gens de se faire recenser. C’est vrai que tout est interrompu aujourd’hui à N’Zérékoré par la faute du gouvernement. La date annoncée par la CENI pour l’arrêt de cette révision n’est pas une montagne qui est là. La légalité est que les élections législatives aient lieu sur le territoire national le même jour. On ne peut voter par étapes dans le temps. Donc, s’il y a une région où il n’est pas possible de voter, on n’interrompt pas le vote dans le reste du pays. Si on veut forcer maintenant, alors là ça devient une provocation générale et on n’acceptera pas cela. MEDIAGUINEE.COM : Leader de parti politique et fils de la région forestière, quelle solution préconisez-vous à ce jour pour que les choses rentrent définitivement dans l’ordre à N’Zérékoré et Beyla ? JEAN-MARIE DORÉ : Écoutez ! Moi, j’ai eu à organiser une élection. C’est l’élection présidentielle. À un moment, je me suis aperçu que l’élection n’avait plus tellement d’importance. Ce qui était le plus important, c’était la garantie de la paix civile. La loi est faite pour les 166

hommes. L’homme n’est pas fait pour la loi. On devait faire le deuxième tour le 4 août (N.D.L.R. 2010), c’est-à-dire quinze jours après le premier tour. Je me suis dit que vouloir le faire, ce serait la déflagration générale dans le pays. Donc, au nom de la paix civile dont j’avais la garantie, personne d’autre dans mon gouvernement ne pouvait être responsable de ça, c’était moi. J’ai pris sur moi, contre l’avis de la communauté internationale, la responsabilité de reculer la date. Certains ont crié à l’époque que Doré a régulé la date pour permettre à son ami Alpha Condé de gagner. Si Alpha Condé a profité de ça pour gagner, ce n’est pas ma faute. Mon objectif premier à l’époque était la paix civile. Si aujourd’hui nous nous trouvons devant les faits semblables, il faut préférer la paix en Guinée, parce que le premier bénéficiaire de la paix en Guinée, c’est le gouvernement. Aucun chef d’État ne peut donner la plénitude de ses moyens de gestion si les bruits sociaux sont entendus de gauche à droite dans le pays. MEDIAGUINEE.COM : Avez-vous un bilan de ces événements ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est très difficile de faire un bilan exact. Soixante-cinq, c’est contrôlable. Mais certains me donnent des chiffres plus élevés. Ce qui est sûr et qui a été vérifié par nos gens sur place, c’est soixante-cinq morts qui comprennent à la fois des Guerzés, des Koniankés et quelques éléments des forces de l’ordre. Parce que les premiers éléments des forces de défense qui sont partis ont donné l’impression de prendre parti pour un camp. Ce qui n’était pas normal. C’est pourquoi les professionnels qui sont partis de Kindia sont en train vraiment de bien travailler sur le terrain et je les félicite pour ça. Je dois ajouter quelque chose qui est important à mes yeux. Dans une affaire grave comme ça, qui met en péril la paix civile, ce ne sont pas deux officiers qui devaient aller là-bas. C’est une délégation gouvernementale avec le prestige du ministre de l’Administration du territoire, le ministre de la Justice, le ministre de la Défense, le ministre de la Sécurité. Leur présence en aurait imposé à la population. Mais vous envoyez deux officiers supérieurs au motif qu’ils sont les fils de la région, cela ne me semble pas normal. Parce que ce sont les fils de la région qui sont aux prises les uns avec les autres. Et les deux officiers font l’objet de poursuites pénales devant la Cour internationale. Je continue toujours à m’interroger sur la raison de leur choix. Parce qu’une partie de leur prestige était déjà entamée par le fait de leur inculpation. Était-ce avisé d’envoyer sur le terrain des gens qui sont inculpés pour des crimes devant la Cour pénale internationale ? Je ne dis pas qu’ils sont coupables, parce que l’inculpation n’est pas une preuve de culpabilité. 167

MEDIAGUINEE.COM : Quelques jours après le début de cette crise dans la capitale de la région forestière, à N’Zérékoré, le président guinéen s’est envolé pour Abuja, au Nigeria, pour un sommet de la CEDEAO… JEAN-MARIE DORÉ : Il y a déjà beaucoup de choses qu’on reproche au Président. Je ne voudrais pas encore en ajouter. Si moi j’étais président de la République, je n’aurais pas quitté chez moi pour une réunion bidon à Abuja. Parce que la Guinée peut vivre sans Abuja. Donc il faut que la maison soit en sécurité avant d’en sortir. Tout chef d’État dont le pays est affecté par des problèmes comme ça rentre d’urgence chez lui. Mais c’est une question d’évaluation. Le Président a dû évaluer que notre existence dépendait du voyage à Abuja. Alors si c’est le cas, c’était son droit d’y aller. Donc, ce n’est pas moi qui vais lui apprendre à gérer. Il a un bilan à présenter et il a son image à défendre dans le pays. Alors je m’interdis de le juger. Mais moi, si j’étais président de la République de Guinée, je ne serais pas sorti si on me disait qu’il y a des problèmes dans la sous-préfecture de Madina Oula. Je ne serais parti que si je savais que les forces de sécurité ont la situation bien en main et qu’il n’y a plus d’affrontements. MEDIAGUINEE.COM : Merci, monsieur Doré ! JEAN-MARIE DORÉ : C’est moi qui vous remercie.

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XXIII. « Les révélations de Jean-Marie Doré après la présidentielle de 2010 » Par Souaré Mamadou Hassimiou pour africaguinee.com le 21 août 2013

Après la présidentielle de 2010, le président Alpha Condé a-t-il fait des promesses à Jean-Marie Doré ? L’ancien chef du gouvernement de transition affiche ouvertement son ambition pour diriger la future Assemblée nationale. Dans cet entretien exclusif accordé à notre rédaction, Jean-Marie Doré revient sur la gouvernance d’Alpha Condé sans oublier la tournée récente du chef de l’État à Kankan où des jeunes ont ouvertement réclamé plus d’électricité et d’eau dans leur localité. Voici cet entretien avec monsieur Doré. AFRICAGUINEE.COM : Bonjour, monsieur Doré ! JEAN-MARIE DORÉ : Bonjour, monsieur Souaré ! AFRICAGUINEE.COM : Le président Alpha Condé aurait été hué à Kankan par des jeunes qui réclamaient plus d’électricité et la fourniture d’eau dans leur localité. Selon vous, est-ce que cela dénote la déception au niveau de la population par rapport à sa gouvernance ? JEAN-MARIE DORÉ : Je ne veux pas juger entre lui et Kankan. Ce n’est pas mon affaire. Mais si vous voyez qu’une population qui passait 169

pour être la racine principale de l’électorat du RPG (Rassemblement du peuple de Guinée, parti au pouvoir, N.D.L.R.) a conspué avec injures à la bouche, leur challenge, moi je ne juge pas. Vous voyez ! Si ce que les gens nous ont rapporté est vrai, alors il y a un changement, mais pas dans le sens qu’espérait le champion du changement. Tout ça est très triste puis que nous sommes de la même génération, nous étions quatre ; deux sont partis, nous sommes restés deux. Moralement, je suis solidaire de lui, mais pas solidaire de sa politique. Je suis solidaire d’Alpha parce que c’est mon copain. Nous avons initié le multipartisme ensemble. On le faisait dans le salon du doyen feu Bâ Mamadou à Kaloum. Je regrette que nos idéaux ne soient pas partagés par tous avec la même sincérité, avec la même foi. L’espérance a déçu. Et quand quelqu’un d’entre nous est humilié, comme on pense qu’Alpha Condé l’a été à Kankan, c’est un peu nous tous. La mémoire de Bâ Mamadou est humiliée, la mémoire de Siradiou est humiliée. AFRICAGUINEE.COM : Monsieur Doré, on dit que vous êtes devenu très dur vis-à-vis du président Alpha Condé, parce que vous auriez compris que la promesse qui vous a été faite, à savoir la présidence de l’Assemblée nationale, semble être déçue. Votre réaction ? JEAN-MARIE DORÉ : Non, qui vous a dit cela ? Celui qui vous l’a dit s’est trompé. Il y a un témoin qui est là. C’est devant lui à Kipé : « Dis donc, il faut qu’on cause là », c’est ce qu’Alpha m’a dit. Et puis il m’a demandé : « Qu’est-ce que tu voudrais ? » J’ai dit : « Moi je voudrais être président de l’Assemblée nationale. » Il a dit : « Non, moi je voudrais faire un Sénat et puis toi tu vas devenir le président du Sénat. » Et je lui ai répondu : « Le président du Sénat serait nommé par décret, mais je n’y pense pas ! Tu me vois, moi, bénéficier d’un décret ? Jamais ! Je veux un poste électif clair et net. » Quand il s’est mis à recruter des gens à ce poste, je pense qu’il y a eu de tout genre. Mais je pense que je suis le plus qualifié pour diriger l’Assemblée nationale afin de mieux exprimer la dignité et le vouloir du Guinéen. Pour être la synthèse du vouloir du gouvernement et du vouloir de la population receveuse de l’action du gouvernement afin que le cap soit mis sur la bonne direction. AFRICAGUINEE.COM : Cette discussion avec le président, vous l’avez eue après son élection à la magistrature suprême du pays ? JEAN-MARIE DORÉ : Bien sûr ! Dès le début on ne s’est pas entendus. Mais ce n’est pas lui qui m’a proposé. Je lui ai demandé pourquoi. Parce qu’après son élection, je suis allé à N’Zérékoré, la population m’a fait un accueil qui m’a totalement surpris. J’ai vu des 170

agités, je voulais aller directement dans mon village à l’autre extrémité de la ville. Mais j’ai trouvé le gouverneur, le préfet, les populations, toute l’administration, la notabilité. Chaque couche s’est exprimée. « Monsieur Doré, il faut nous dire tout de suite que vous allez être le président de l’Assemblée nationale. » J’ai dit « oui, mais pour être président de l’Assemblée nationale, il faut d’abord être député ». Ils ont dit « non, il faut nous dire que vous allez être président de l’Assemblée ». J’ai dit « si je suis élu député, je vais postuler pour être le président de l’Assemblée nationale ». C’est comme ça, la population m’a obligé à dévoiler mes prétentions avant même que le décret ne soit pris pour qu’on s’engage dans le processus électoral. AFRICAGUINEE.COM : Vous comptez sur la mouvance présidentielle ou sur l’opposition pour être à la tête de la future Assemblée nationale ? JEAN-MARIE DORÉ : Je compte sur tous les hommes de bonne volonté. Vous comprenez, à l’Assemblée nationale, les députés sont souverains et indépendants. Ils sont comme le juge qui est indépendant dans sa conscience. Parce qu’en Guinée, les gens ne comprennent pas ce que c’est que l’indépendance de la justice. Le juge n’est pas indépendant de l’État. Il reçoit un salaire, il dépend de celui qui le paie. Mais quand il est en train d’étudier un dossier, il décide en conscience d’après le droit français. Dans les pays anglo-saxons, il faut produire l’Habeas corpus, c’est-à-dire, il faut amener le corps du délit. Le oui ne suffit pas en Angleterre pour être coupable. Voilà la situation dans laquelle nous sommes. Moi je compte sur tous les Guinéens qui veulent le progrès de ce pays. AFRICAGUINEE.COM : Êtes-vous de ceux qui pensent que le parti au pouvoir a une certaine influence sur la prise de certaines décisions au sommet de l’État ? JEAN-MARIE DORÉ : (Rires) quand moi j’ai quitté le gouvernement, je regrette beaucoup que mon ami Alpha Condé ait dit qu’il a trouvé un pays, mais pas un État. J’ai pensé à ce moment-là que c’était une insulte qui me visait personnellement. Mais j’ai appris dans la philosophie politique qu’il faut une distance dans le temps pour évaluer les affirmations. Dans le temps qui s’est écoulé entre mon départ et la prestation du serment avec le nouveau gouvernement, le pays est en train de fondre comme le beurre au soleil. Il n’y a plus d’administration, il n’y a plus de gouvernement, il n’y a pas d’État, il n’y a pas de pays et bientôt, la géographie n’existera plus, tout est mélangé. Je n’en ris pas, je suis très 171

triste, si je pouvais faire quelque chose pour que le cours des choses change dans le sens du bien, je le ferais, c’est pourquoi je suis au centre. Parce que là on prend le temps de réfléchir. On ne réagit pas de façon émotive. Ici j’ai constaté que souvent les gens sont victimes de leur émotivité extrême. Un homme d’État, un homme politique, doit toujours prendre un peu de recul selon les événements, un recul plus ou moins important pour appréhender l’essence des choses et prendre une décision que l’avenir ne modifie pas essentiellement. Mais soit par haine ethnique ou par émotivité extrême, on pense qu’il faut faire comme ça pour gêner l’autre. Une décision vise toujours à déstabiliser quelqu’un. Si vous faites comme ça, ce n’est pas bon. La politique du gouvernement doit être impersonnelle. Elle vise les groupes, on prend par exemple une décision concernant les médecins, concernant les opérateurs économiques. Mais il ne faut pas qu’une disposition vise à faire tomber untel. Si vous faites comme ça, vous n’atteindrez pas votre objectif. Parce que l’objectif d’une décision d’État vise à servir le plus grand nombre, à protéger le plus grand nombre. Le pouvoir peut être bien comme il peut être pervers. Parce qu’on a beau dire que le président est limité dans ses attributions, mais non, les décisions ultimes, c’est lui qui les prend et donc, il y a le vertige du pouvoir. Parce que devant vous il n’y a pas d’obstacle. Alors vous êtes tenté de faire ce que vous voulez, mais c’est à ce moment-là qu’il faut devenir modeste, vous devez écouter les plus humbles. Car les meilleures décisions sont celles que le peuple perçoit tout de suite dans leur dimension réelle.

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XXIV. « La présidence de l’Assemblée est taillée à ma mesure… » Par Diallo Boubacar I pour africaguinee.com le 24 octobre 2013

Même s’il conteste vigoureusement les résultats provisoires des élections législatives, Jean-Marie Doré se positionne déjà pour la présidence de l’Assemblée nationale. L’ancien chef du gouvernement de transition qui dirige l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG) prépare également un recours devant la Cour suprême pour dénoncer « le vol de suffrages » dont il se dit victime, notamment dans la région forestière. Il s’est confié à notre reporter à Conakry. Entretien exclusif ! AFRICAGUINEE.COM : Bonjour, monsieur Doré ! JEAN-MARIE DORÉ : Oui, bonjour ! AFRICAGUINEE.COM : Quelles analyses faites-vous des résultats provisoires publiés la semaine dernière par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) sur les élections législatives ? JEAN-MARIE DORÉ : Ces résultats ne correspondent pas à la réalité du terrain. Ce qui est dramatique, c’est que ces élections qui devaient permettre de situer chaque parti sur l’échiquier, se soldent par une confusion supplémentaire à cause de toutes les variantes de la fraude des résultats qui ont faussé la répartition des forces politiques. Et je pense bien que la Cour suprême qui est dotée de larges pouvoirs va s’investir 173

après étude de la situation du dossier, corriger les faiblesses, les insuffisances pour approcher au moins un peu la réalité, la valeur de chaque parti sur le terrain. AFRICAGUINEE.COM : Vous estimez donc que s’il n’y avait pas eu de « fraudes » comme vous le dites, votre parti aurait eu plus de députés ? JEAN-MARIE DORÉ : Ah oui ! Nous avions tablé sur vingt-cinq députés. Pour nous, on devait avoir vingt-cinq députés, on devait avoir l’uninominal de Beyla et avoir largement un grand nombre de suffrages sur la proportionnelle, à Lola on devait avoir largement l’uninominal et largement sur la proportionnelle, de même qu’à N’Zérékoré qui est notre principal réservoir, Yomou, Macenta, Guéckédou, Kissidougou même si nous n’obtenions pas l’élection des candidats à l’uninominal, on aurait gagné largement sur le plan de la proportionnelle. À Faranah, vous avez vu notre avancée, Mamou ce n’est pas une zone où nous sommes forts mais d’après nos évaluations avec l’assise du parti, je ne dis pas qu’on aurait été premier ou deuxième, mais on aurait eu des résultats largement significatifs comme à Matoto et dans les autres circonscriptions électorales. Mais le cafouillage organisé intentionnellement par monsieur Bakary Fofana nous a fait beaucoup de tort, surtout que le président du RPG avait dit publiquement qu’il a deux bastions (la forêt et la haute Guinée). Il fallait donc que les résultats démontrent qu’il est le seul làbas. Et donc pour se conformer à ces déclarations, la CENI, sous la férule de monsieur Bakary Fofana, s’est arrangée pour que notre parti soit réduit au strict minimum. Comment voulez-vous que le pays marche dans la confiance quand vous organisez artificiellement des résultats comme ça ? Ça ne peut pas aller. Je l’ai toujours dit, il n’est pas nécessaire que le parti au pouvoir ait la majorité à l’Assemblée nationale parce que tous les Guinéens désirent que leur pays avance. Ce serait criminel de la part d’un parti que de vouloir, parce qu’il n’est pas au pouvoir, empêcher le fonctionnement régulier d’un gouvernement. Donc je n’aime pas qu’on doute du patriotisme des autres. Notre parti ainsi que beaucoup d’autres ont souffert de cette tricherie honteuse. C’est vraiment comme une lèpre sur le front de la Guinée. Comment on peut manipuler les résultats à ce point qu’on arrive à fausser le jeu démocratique, le jeu de l’équité, de la justice. La paix dans un pays repose sur la pratique de la justice. Si on bâtit une nation, même si on fait des gratte-ciel de mille étages, s’il n’y a pas la justice, elle s’écroulera comme des châteaux de sable. 174

Moi, je suis un parti du centre, mais je n’accepte pas ce qui est en train de se passer. C’est pourquoi je donne ma voix à l’opposition, non pas pour faire la guerre au gouvernement, mais pour que, par les théorèmes que nous posons, le gouvernement s’appuie sur ces théorèmes-là pour qu’il y ait la libération de l’énergie créatrice des Guinéens. Mais si une partie est contrainte, alors forcément elle ne produira pas les fruits sucrés. AFRICAGUINEE.COM : Vous accusez le président de la CENI d’avoir fraudé en favorisant le parti au pouvoir, mais pour autant votre parti était quand même représenté au sein de cette institution que vous décriez ! JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Vous ne comprenez rien ou bien vous faites semblant de ne pas comprendre. Mon représentant est seul. Le pouvoir est dans les mains du président. Si vous vous souvenez, il est arrivé à un moment ici où le président de la CENI ne respectait pas les décisions de la plénière… monsieur Bakary a pris une partie des pouvoirs de la CENI qu’il exerce en catimini, il se cache comme un Zogo de la forêt sacrée pour manipuler, pour violenter la conscience des gens, pour réduire la Guinée à une sorte de Haïti. Donc ici le mal est parti de la CENI. Je vous donne un exemple : la CENI a juré urbi et orbi devant la communauté internationale, devant nous, à la Maison commune des Nations unies, qu’en quatre jours elle peut corriger toutes les anomalies. Or elles étaient totales et entières. C’est un mensonge pour lequel on devrait les mettre au fer. Et ce qu’il y a de pire, c’est qu’il a tellement combiné avec Sabary de tromper les gens pour arracher leur victoire qu’il a fini par nuire même à la mouvance présidentielle. Parce que la projection de la mouvance présidentielle était de se situer entre soixante-seize et quatre-vingts députés. Or, aujourd’hui la mouvance est réduite à vouloir trouver à l’arraché, au forceps, des alliés parmi les gens auxquels on a donné intentionnellement un député. Ce n’est pas bien. Parce que, que ce soit l’UPG, l’UFDG, l’UFR ou le PEDN de monsieur Lansana Kouyaté, chacun est capable à son poste et avec le gain issu des suffrages de faire quelque chose pour la Guinée, à condition d’avoir foi en la Guinée. Si vous n’avez pas confiance dans les Guinéens, ce n’est pas la peine de gouverner. Et vous ne pouvez jamais avoir tous les Guinéens à genoux devant vous. AFRICAGUINEE.COM : Vous revendiquez la forêt comme étant votre principal bastion, or on voit qu’avec les résultats annoncés par la CENI, le RPG Arc-en-ciel a quand même réussi à se tailler la part du lion.

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Alors, comment expliquez-vous cette percée du parti au pouvoir dans cette région ? JEAN-MARIE DORÉ : Le RPG n’a pas réussi, il a pris. Quand vous parlez comme ça, vous ne contribuez pas à la clarification. Le RPG a volé nos suffrages avec la complicité de la CENI. À Mandiana, à Kérouané, à Kankan même à Lola où nous avons l’uninominal, on a été volés. Comment vous imaginez que le nombre de suffrages du candidat à l’uninominal et de la liste nationale soit à peu près la même chose, mais qu’en même temps 15 000 bulletins du candidat à l’uninominal aient été invalidés. Comment vous pouvez comprendre ça ? Ça montre qu’ils ne savent même pas voler et effacer les traces. Je proteste violemment, le RPG a volé, il a usurpé. Et je compte bien que la Cour suprême nous restitue les suffrages que nous avons eus en forêt, sinon je n’aurai plus confiance en la Cour suprême. Pourtant, je suis très respectueux des institutions, mais il ne faut pas que sous couvert d’une institution juridiquement indépendante, on vienne couvrir un tas de choses puantes avec un semblant de parfum. Ce n’est pas comme ça. On nous a volés en forêt, ça c’est clair et net. AFRICAGUINEE.COM : Vous estimez qu’on vous a volés, alors seriez-vous d’accord qu’on annule le scrutin dans sa totalité ou partiellement ? JEAN-MARIE DORÉ : Si la totalité est fausse, je ne vois pas comment il faut prendre une partie ? C’est toute la Guinée qui s’est ressentie de cette fraude-là ! On est dans une situation vraiment qui n’honore pas la Guinée, qui n’honore pas tous les Guinéens quels qu’ils soient, quel que soit leur bord. On n’est pas fiers de se trouver trois semaines après les élections dans une situation comme ça… AFRICAGUINEE.COM : Est-ce qu’à ce jour votre parti a introduit des recours de contestation à la Cour suprême ? JEAN-MARIE DORÉ : Nous sommes en train de voir ce que nous allons faire. AFRICAGUINEE.COM : Si ces résultats sont confirmés par la Cour suprême, envisageriez-vous de briguer la présidence de l’Assemblée nationale ? JEAN-MARIE DORÉ : Est-ce que vous voyez quelqu’un d’autre de plus capable que moi pour diriger ça ? L’institution est taillée à ma mesure, voilà. AFRICAGUINEE.COM : Quelles sont vos chances ? 176

JEAN-MARIE DORÉ : Je pense que tout Guinéen conscient votera pour moi pour qu’on sauve ce qui peut être sauvé de ce pays. AFRICAGUINEE.COM : Votre mot de la fin ? JEAN-MARIE DORÉ : Ce qui vient de se passer chez nous n’est pas bien. Ça donne une image déformée de notre pays qui n’inspire pas confiance au-dehors. Or aujourd’hui, aucun pays ne peut se développer par ses propres moyens, surtout en Afrique. Il faut que les gens aient confiance en nos institutions, il faut que nos institutions soient solides et qu’elles soient défendues par tout le corps des citoyens. Ce n’est pas pour attaquer un régime ou défendre un régime, pour moi on a un gouvernement et un président de la République, il faut les obliger à faire bien leur travail. Mais si on montre que nous sommes un pays qui vit des rapines financières, des rapines électorales, ce n’est pas bon. Qui va venir déposer des dollars dans un pays voué à la magouille électorale, à la magouille financière, à des compromissions économiques ? Donc je pense que la ligne frontière infranchissable entre ces figures de mal que j’ai citées et un avenir meilleur doit être cette élection-là. Il faut valoriser nos institutions en cultivant la confiance des citoyens. AFRICAGUINEE.COM : Merci d’avoir accepté de répondre à nos questions.

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XXV. « J’ai vu des ministres, aujourd’hui opposants, ramper chez Lansana Conté… » Propos recueillis par guineebox.com le 18 octobre 2013

Le patron de l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG), l’ancien Premier ministre et député à l’Assemblée nationale, nous a accordé une interview au cours de laquelle il a parlé de son voyage médical en Suisse, son départ de l’alliance ADP, la rencontre de « Sèkhoutouréya » entre le président Alpha Condé et les opposants et de tant d’autres sujets. GUINEEBOX.COM : Le 5 octobre dernier, vous étiez dans ce studio et quelques jours après vous avez quitté le pays. Peut-on savoir où était Jean-Marie Doré et pourquoi ? JEAN-MARIE DORÉ : Je suis parti en Suisse, parce que j’ai eu des problèmes de santé au mois d’avril. J’ai été traité, mais mon professeur m’a soumis à un contrôle régulier pour bien s’assurer que je suis rétabli. Donc, j’ai été deux fois à Genève après mon premier séjour, pour un simple contrôle. Je ne sais pas comment les gens ont découvert que je suis parti sur une civière et que ma tombe serait quelque part. Vous savez, les gens parlent pour le plaisir. Quand ils n’ont rien à faire, ils s’amusent et expriment leur état d’âme, leur souhait ou leur fantasme. Je ne peux pas apprécier cela. GUINEEBOX.COM : Justement, pour marquer donc votre retour au pays, vous avez organisé une conférence de presse pour annoncer votre retour sur la scène politique. Et lors de cette conférence, vous avez posé un diagnostic et surtout vous vous êtes appesanti sur la prolifération des partis politiques. Selon vous, il n’y a que dix partis politiques. JEAN-MARIE DORÉ : L’UPG, nous sommes un parti constant. Pour affirmer sur la place publique une vérité, nous évaluons les données, les faits et nous voyons si ces données et faits s’étendent sur l’avenir. Alors, nous posons notre diagnostic. Donc ce que j’ai dit en octobre est 179

encore plus valable aujourd’hui comme facteur de complication de la vie nationale. Et puis, ces partis sont reconnus en violation flagrante de la loi pour la plupart. Et cela, la responsabilité en incombe au ministre de l’Administration du territoire, parce que la charte des partis qui organise leur reconnaissance et leur fonctionnement est claire et catégorique. Pour qu’un parti soit reconnu et agréé pour tel, il faut qu’il ait au moins, au moment du dépôt de la demande d’agrément, huit représentants résidant dans chacune des régions naturelles qui sont des notabilités connues. Il faut que le parti naisse national. Aujourd’hui, c’est une longue liste. Les gens restent aux États-Unis, en France, en Hollande et n’importe où en Afrique, ils écrivent au ministère : « Je désire créer un parti politique qui s’appellera X, tel sera le responsable à Conakry. » Et on lui donne un agrément. Non ! Il y a là violation de la loi. GUINEEBOX.COM : Justement, vous avez parlé de la violation et ce jour, vous vous êtes abstenu de citer des noms, en tant qu’homme politique qui assume ses propos. Est-ce que vous pouvez nous citer ces partis politiques ? JEAN-MARIE DORÉ : Je l’ai répété au ministre qui est conscient de ce que je dis. Je ne suis pas là pour dénoncer un parti qui a été mis en scène par le ministre. Donc, je dénonce le fait que le ministre ait violé la loi. Celui qui a été à l’abri, je n’ai rien contre lui. Mais je dénonce la violation de la loi à l’occasion de la délivrance de l’agrément qui a été donné et qui viole une loi organique de l’État guinéen. Une loi très importante, parce que c’est sur la base de cette loi que nous avons des activités légales. Donc, il faudrait que la reconnaissance des partis repose sur le respect de la charte des partis politiques et de la loi organique. Ensuite, ces patis fonctionnent toujours en violation de la loi. Parce qu’un parti politique, d’après la charte des partis, doit avoir un siège, une administration, une comptabilité, faire des rapports périodiques, organiser régulièrement ses congrès. Toutes choses qui n’existent pas. Si vous enlevez cinq partis, à la limite dix, il ne restera rien. C’est le sigle, et ça encombre le débat. Aujourd’hui nous insistons pour que la CENI soit représentative des différents courants politiques importants de ce pays. Parce que la CENI est le sous-produit de l’activité des partis politiques en 2006. Mais quand on va aborder cette question, vous allez avoir une foultitude de gens qui voudront être représentés. Et si on lui donne par exemple le droit de représenter son parti, le leader va démissionner pour être membre de la CENI. Parce qu’on a vu le cas en 2006. Il y a des leaders qui sont seuls 180

dans leur parti. Si vous leur demandez d’envoyer leur secrétaire chargé des affaires électorales à la CENI, c’est lui-même qui viendra. GUINEEBOX.COM : Vous étiez au sein de l’Alliance pour le développement et le progrès (ADP) et vous avez claqué la porte à la dernière minute alors qu’au début le consensus semblait dominer entre vous et vos anciens collaborateurs. Peut-on savoir pourquoi vous avez quitté ? JEAN-MARIE DORÉ : Je ne voulais pas parler de ce sujet, mais puisque vous l’abordez avec insistance, je vais en dire quelques mots. Monsieur Fana Soumah de la RTG m’avait déjà interviewé. Je me suis efforcé de parler de ce sujet qui, pour moi, ne présente plus d’intérêt. C’est moi qui ai eu l’idée de créer l’alliance, et je me suis adressé à mon ancien ministre de la Communication, monsieur Aboubacar Sylla, puis monsieur Charles Pascal Tolno, monsieur Oumar Bah (PUL), monsieur Ibrahima Condé du PSDG sont venus, et on a créé une alliance à six. Parce que le sixième, c’était le PEDN de monsieur Kouyaté. Quand les représentants de monsieur Kouyaté sont venus, ils ont informé qu’ils adhéreraient à l’ADP à condition que monsieur Kouyaté en soit le président. Si on commence par attribuer des postes pour une alliance de six, monsieur Sylla est le porte-parole et c’est moi qui l’ai choisi comme porte-parole. Ça suffit ! On n’a pas besoin de président. Ils ont dit que dans ces conditions, ils ne restaient pas dans l’alliance. Mais quelques jours après, ils sont revenus dire qu’ils ont convaincu leur président et qu’il acceptait d’être simple membre, tout en demandant si monsieur Kouyaté pouvait devenir deuxième porte-parole à l’étranger. Mais j’ai dit non ! Il ne peut pas être porte-parole à l’étranger d’une alliance qui fonctionne en Guinée. Comment il va savoir ce que nous sommes en train de faire ici au jour le jour. Laissons monsieur Aboubacar Sylla seul porteparole. Et fondamentalement l’ADP est créée comme une structure du centre. Pourquoi ? Parce que le gouvernement du professeur Alpha Condé et le Collectif des partis politiques pour la finalisation de la transition animé à titre principal par mes amis Sidya Touré et Cellou Dalein Diallo, posaient des problèmes dans un langage extrême. Toutes choses qui ne nous convenaient pas de par notre éducation, notre formation. Parce que ce n’est pas la vigueur des mots qui fait l’argument. Si on veut aller à une solution, il faut parler dans le respect réciproque. Il ne faut pas s’insulter toute la journée. C’est pourquoi nous ne pouvions pas rentrer dans le Collectif. Il fallait créer une structure du centre qui

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cherche la voie moyenne pour rapprocher les différentes tendances qui dérivent loin les unes des autres et le pivot de l’ADP, c’est le centrisme. Nous avons dit, en dépit du fait que nous sommes du centre, si par hasard nos revendications recoupaient celles du collectif, étant donné que nous sommes tous de l’opposition, qu’il ne faudrait pas se chamailler devant les autorités. Nous allons avec notre propre vision, nos méthodes de travail et notre langage propre. Je vais en Suisse et je viens, il y a eu beaucoup de décisions qui ont été prises en commun par l’ADP et le Collectif. Et nous avons eu le sentiment net, et vous voyez la confirmation aujourd’hui, que l’ADP est devenue un appendice du collectif des partis d’opposition pour finalisation de la transition. Je ne peux pas accepter que l’alliance qu’on a créée pour servir d’équilibre et de facteur de rapprochement entre les différentes tendances qui doivent se parler pour que la Guinée avance, devienne un jouet entre les mains d’une des extrêmes. Le Collectif des partis est libre de décider de marcher, de faire un cortège, de faire un meeting. C’est son droit le plus absolu, parce qu’il en assume la responsabilité. Le Collectif a décidé de marcher le 27 septembre, il ne nous a pas informés. Il n’a pas dit pourquoi il marche et quels sont les objectifs politiques qu’il recherche par cette marche. Puis, après tout, je viens, on me dit que l’ADP est en train d’assumer la responsabilité des conséquences de la marche du 27 septembre. J’ai dit que ça, c’est un mélange de genres et que je ne suis pas d’accord. J’ai appelé les responsables de l’ADP et leur ai dit que si ça continuait comme ça, nous allions quitter l’ADP. Parce que nous sommes un parti du centre. Nous ne pouvons pas rentrer dans une alliance extrémiste. Lisez tous les discours de l’UPG depuis le 3 avril 1992, date de notre agrément officiel. Nous avons affirmé que nous sommes du centre. Et puis, voilà, on a quitté et je ne vois pas pourquoi il faut en faire une affaire. Ce n’est pas une affaire. C’est rien du tout. GUINEEBOX.COM : Le président de la République vous a rencontré et l’ADP et le Collectif des partis et vous étiez le porte-parole de la classe politique. Selon certaines bouches, vous vous êtes auto désigné porte-parole séance tenante. JEAN-MARIE DORÉ : Ce n’est pas moi qui ai décidé d’être porteparole, quand Alpha Condé a fini de parler. Monsieur Sidya Touré a pris la parole en premier et il a approuvé ce qu’a dit Alpha Condé devant le docteur Ousmane Kaba, Mamadou Diawara, devant Cellou Dalein Diallo. Sidya a adhéré à ce qu’Alpha Condé a dit devant tout le monde. 182

Il faut rendre à César ce qui appartient à César. C’est Cellou qui a eu une réaction critique au discours du président. Parce que pour lui, beaucoup de ses militants sont encore en prison et on lui demande de dialoguer. Il voulait quand même que des actes soient posés pour qu’il prenne au sérieux la main tendue par le président de la République. Le seul parmi les dix partis qui étaient présents en face du président Alpha Condé, seul Cellou a fait une déclaration critique. Tous les autres ont approuvé et ont félicité le Président d’avoir fait cette ouverture-là. Et puis, à la sortie, beaucoup de leaders ont dit : « Doyen, il faut rendre compte de ce que l’on a dit. » Donc, je suis sorti pour rendre compte de ce qu’on a dit. Mais vous connaissez les leaders politiques ici ; quand je suis allé et qu’il y a eu une flopée de micros tendus par les journalistes, chacun aussi voulait venir parler pour se montrer. Ça ne me fait ni chaud, ni froid ! Il y en a qui ont dit que Doré s’est autoproclamé pour être porte-parole. Je n’ai pas besoin d’être porte-parole de quelqu’un. Ce qui rend subalternes, inférieurs, certains discours politiques, c’est qu’on veut transformer le néant en quelque chose dont personne n’a besoin. Je vous dis ce qui s’est passé, parce que beaucoup de gens parlent. Quand ils sont devant Alpha Condé, ce qu’ils disent est différent de ce qu’ils disent dehors. Moi, ce que je dis à Alpha Condé en privé, vous me tendez le micro, je vous le répète. Parce que je parle pour l’histoire, je parle pour mes militants. Je parle pour les populations guinéennes qui ont besoin de savoir qu’il y a des partis qui doivent les guider à bon port. Mais il ne faut pas venir faire des déclarations selon les circonstances. Parce que certains se trompent. Ils croient que c’est la négation systématique de ce que dit l’autre qui montre qu’il est un opposant intégral, radical. D’ailleurs, c’est un mot inerte. Comment peut-on être opposant radical ? En tout cas, conceptuellement, intellectuellement je ne comprends pas la signification des mots « opposition radicale ». Parce que le gouvernement peut poser cent actes dont soixante-dix ne sont pas bons d’après les analyses, mais il y a trente actes qui sont porteurs de progrès. Vous allez rejeter tout en bloc ? Non ! Les acquisitions d’un État, c’est par étapes. Aujourd’hui, il y a beaucoup de problèmes qui écrasent notre pays parce que nous n’avons pas d’actions, nous n’avons pas d’investissements. Parce que l’ambiance du pays est telle que les investisseurs tardent à venir chez nous. Mais si le président de la République, qui a formé un gouvernement dont je ne suis pas membre et dont beaucoup d’opposants ne sont pas membres, pose un bon acte, est183

ce qu’on doit saboter cet acte parce que nous sommes de l’opposition radicale ? Je dis non ! Donc, ce qui veut dire que nous travaillons uniquement pour combattre quelqu’un et non pas pour la Guinée. Vous allez refuser si on dit que le président Alpha Condé a signé un contrat avec tel pays ou telle organisation pour venir régler en un an le problème de l’électricité sur toute l’étendue du territoire national ? Vous allez refuser puisque ça vient d’Alpha Condé ? GUINEEBOX.COM : Généralement, l’opposition est plus connue par sa position de dénonciatrice. On n’a jamais vu une opposition flatter les actions d’un gouvernement. JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Je m’inscris en faux contre ce que vous dites. Aucun parti ne se crée pour être opposant. Ce sont les données, des faits sur le terrain qui font que vous ne vous reconnaissez pas à 100 %, à 80 % ou à 50 % dans ce que fait le gouvernement. Trouvez-moi un seul parti qui a été agréé et dans le statut duquel il est dit que c’est un parti de l’opposition. Ce sont les circonstances de la vie nationale qui font que vous êtes plus ou moins d’accord ou non. L’opposition radicale ? C’est une absurdité intellectuelle. GUINEEBOX.COM : Parlant du processus de dialogue entre l’opposition et le pouvoir, beaucoup de partis estiment qu’aujourd’hui, il y a un blocage. Le Collectif des partis élargi à l’ADP estime qu’il y a un manque de volonté politique du pouvoir pour aller au dialogue. Quelle est votre analyse et votre appréciation ? JEAN-MARIE DORÉ : Écoutez ! C’est leur analyse, qui n’est pas la mienne. À partir du moment où, le 15 novembre, le président Alpha Condé a réuni un certain nombre de partis politiques autour de lui pour reconnaître qu’il a fait des erreurs, sinon des fautes, qu’il aurait dû rencontrer ces leaders depuis longtemps pour résoudre les problèmes par le dialogue afin d’aboutir à un consensus et aller aux élections, on ne peut plus parler de blocage. Il a dit ça, c’était un avis important que notre parti ne doit pas sous-estimer. Donc, Alpha Condé a dit : « Naturellement ce n’est pas moi qui dois vous recevoir pour parler des détails. J’ai créé un comité de pilotage du dialogue sous l’autorité du Premier ministre. Vous irez dans ce comité, pour exposer les problèmes afin qu’on trouve une solution. Si vous vous entendez, tant mieux ! À ce moment-là, on se retrouve pour fixer la date des élections. Mais si vous ne vous entendez pas, alors en tant que chef de l’État, je prendrai les décisions. » Alors la porte était ouverte au dialogue.

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Nous, nous avons demandé rendez-vous au ministre, monsieur Alhassane Condé, qui nous a reçus dans une ambiance correcte. Le ministre Alhassane Condé est du gouvernement. Il défend les intérêts du gouvernement. Moi, je suis de l’UPG et je défends les intérêts de mon parti. J’ai été surpris qu’Alhassane Condé nous dise : « Ah ! Tout ce que vous venez de dire, je suis entièrement d’accord. » C’est impossible, ça ! Le gouvernement a une vision, une méthode qui ne cadre pas toujours avec la vision d’un parti politique. GUINEEBOX.COM : Pouvez-vous revenir sur les préalables que vous avez posés au ministre de l’Administration du territoire ? JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Je n’ai pas de préalable. Certains préalables me paraissent ambigus. Nous avons des revendications et nous estimons que le gouvernement n’a pas pris de dispositions pour nous satisfaire. C’est pourquoi nous disons qu’il faut qu’on se voie pour qu’on se mette d’accord sur la façon d’aller aux élections. Mais c’est autour de la table de négociation que nous allons poser nos revendications. Si on reste à la maison pour dire : tant que mes revendications ne sont pas satisfaites, je n’irai pas au dialogue, moi, en tout cas, ça me paraît étrange. C’est à l’occasion d’un dialogue qu’on règle les problèmes qui nous opposent au gouvernement. Mais je ne blâme pas ceux qui posent des préalables sans la solution desquels ils ne vont pas au dialogue. C’est leur droit. Moi je ne suis pas là pour juger les partis, j’ai une méthode d’approche. GUINEEBOX.COM : Le Collectif des partis politiques pour la finalisation de la transition parle de blocage du dialogue, parce qu’il estime qu’il a posé comme revendication l’arrêt de toutes les activités de la CENI. JEAN-MARIE DORÉ : Je ne suis pas venu ici comme le censeur du Collectif des partis politiques. Je suis venu ici pour vous donner la vision de mon parti par rapport aux problèmes nationaux. Si le Collectif a dit ça, c’est son problème et cela ne me regarde pas. Non ! Moi je crois que c’est autour de la table qu’il faut discuter des problèmes qui nous opposent. Jusqu’ici, le ministre ou la CENI ne voulaient pas nous recevoir puisque le président n’avait pas donné le feu vert. Le président de la République a donné le feu vert, maintenant, c’est nous qui avons intérêt à ce que les élections soient organisées dans les conditions de transparence, de crédibilité et dans le respect de la loi. Donc, nous devons nous engouffrer dans l’ouverture faite par le président pour poser nos conditions autour de la table. C’est ce que nous sommes en train de faire. 185

Dès le départ, j’ai dit à l’extrême limite, la personne du président de la CENI ne nous intéresse pas. Mais ce qui nous intéresse, c’est que lui seul en tant qu’individu ne dispose pas de pouvoir discrétionnaire pour invalider les PV de centralisation de l’UPG de l’UFDG ou d’un autre parti. GUINEEBOX.COM : Selon vous, que faut-il pour aller aux élections ? Parce que la date n’est pas encore connue. On parle même de blocage. JEAN-MARIE DORÉ : Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. On ne peut pas parler de date, tant que les problèmes que nous soupçonnons être des problèmes pouvant amener à des fraudes ne sont pas réglés. Le problème de la date n’est pas important en soi. Ce qui est le plus important, c’est de régler les problèmes qui font obstacle à l’acceptation par tous de ce qui est fait au niveau du fichier, de ce qui est fait au niveau de l’administration et de la révision. Et à propos de révision, il y a beaucoup de problèmes qui se posent et sur lesquels l’UPG ne partage pas tout à fait le point de vue des autres partis politiques et du gouvernement. Le gouvernement parle d’un recensement général de la population à l’issue duquel on va donner des cartes d’identité. C’est bien pour les Guinéens d’avoir des cartes d’identité. Mais la loi dit qu’il faut une révision du fichier électoral avant l’organisation du scrutin. Nous avons fait des études précises qui montrent que l’état du fichier ne nous convient pas. Par exemple, si je prends la Guinée maritime, Coyah, 49,8 % de la population qui devait figurer sur la liste électorale n’y est pas, Forécariah 52,8 %, Kindia 18,6 %. En moyenne Guinée, Dalaba 39 % de la population électorale n’est pas recensée, Koubia 26,8 %, Mamou 24,53 %. En haute Guinée, Mandiana 29 %, Kérouané 18,8 %. En région forestière, Guéckédou 60,8 % de la population qui doit figurer sur la liste électorale n’est pas recensée, Macenta 45,19 %, Yomou 61,5 %. Donc, notre langage prend une autre signification quand nous parlons de recensement. Nous pensons qu’il est obligatoire, impératif et incontournable qu’à l’occasion de la révision de la liste électorale, on fasse un recensement complémentaire pour corriger ces lacunes graves qui sinon enlèveraient toute signification au scrutin qui doit désigner les députés. Actuellement, Guéckédou est la préfecture de la région forestière la plus peuplée. Guéckédou a 727 000 habitants et seulement 127 000 personnes devaient voter. Et si on étudie encore les structures des 186

personnes recensées, vous verrez que les populations autochtones sont moins recensées que les populations allogènes. Donc, ça fait une distorsion dans la représentation nationale. Donc, s’ils disent qu’ils ne font pas de recensement, cela nous paraît absurde. Je parle de recensement complémentaire, pas général. Parce que, quelles que soient les affirmations de l’autorité, si on doit faire le recensement intégral de la population et délivrer les cartes d’identité, à moins qu’on nous convainque par les chiffres à l’appui en compte des données techniques, je crois qu’on va perdre l’année 2012. Donc, aujourd’hui on ne va pas aux élections pour le plaisir d’aller aux élections. On va aux élections législatives pour que la République soit sur les deux pieds essentiels. D’un côté l’exécutif, le président de la République, et de l’autre l’Assemblée nationale. Il faut donc que, dans un délai raisonnable, on puisse faire les élections afin de remédier à ce handicap grave pour le fonctionnement des institutions. Mais on ne peut pas, à notre avis, opter pour le recensement intégral qui nous éloignerait de la nécessité qu’il y a de combler le vide institutionnel aujourd’hui. Ou alors, simplement mettre les jeunes gens qui ont atteint l’âge de voter parce qu’ils viennent d’avoir dix-huit ans. Ce serait ignorer beaucoup de Guinéens qui ne seront pas inscrits sur la liste électorale. Et ça, nous ne pourrons pas et notre parti n’acceptera pas. L’UPG soutient donc le recensement complémentaire. GUINEEBOX.COM : Aujourd’hui, certains estiment que vous êtes champion en retournement de costume. Ils vont jusqu’à se demander si vous roulez pour le pouvoir ou pour l’opposition ? JEAN-MARIE DORÉ : J’ai entendu ces inepties. J’allais dire ces imbécillités de la part de personnes qu’on devait prendre pour changer de camp. Certains ont appartenu à cinq gouvernements différents, d’autres ont été Premier ministre et ont servi fidèlement Lansana Conté. Comme monsieur Sidya Touré, qui a inventé le fameux slogan « ton pied mon pied ». C’est son affaire, ça ne me regarde pas. Moi, je n’ai jamais été pour Lansana Conté. Mais le président Lansana Conté, c’est le président légal de mon pays. Quand il y avait des problèmes graves qui interpellaient la responsabilité du pays, au lieu de l’insulter, j’allais le voir pour lui dire que je n’étais pas d’accord. Et souvent, avec le temps, il acceptait. Le président Lansana Conté a entrepris une guerre injuste contre le Liberia. Vous pouvez demander à la classe politique, lisez les journaux. J’ai combattu le fait que Lansana Conté ait pris fait et cause pour l’Ulimo dans ce pays. Je ne sais pas si tu es aux sondages. Moi je 187

n’ai jamais été le serviteur de Lansana Conté. J’étais très d’accord avec Sékou Touré, car il était mon ami. J’ai quitté la Guinée, par un acte injuste de Sékou Touré. Il a fait donc les démarches auprès de Siradiou et Bâ Mamadou pour les accueillir vraiment. Mais ceux-ci ont eu peur de rentrer. Moi, par l’intermédiaire de mon oncle, je l’ai dit à l’occasion de trois conférences de presse au siège de notre parti, le président Tolbert est intervenu entre nous et moi je suis rentré ici. Et Sékou Touré a respecté scrupuleusement ses engagements pour ma sécurité. Il est devenu mon ami. C’est la première fois que je dis que Sékou Touré était mon ami. On n’a pas besoin de dénoncer les Guinéens. J’ai fait un livre que je n’arrive pas à distribuer aux Guinéens. Parce que nous parlons d’unité nationale, de réconciliation nationale. Les documents venaient de toutes les régions de la Guinée où les gens se dénonçaient mutuellement au président de la République. Vous verrez que la responsabilité est limitée dans le débordement. Mais il était chef de l’État. C’est lui qui doit endosser les délits parce qu’il avait les moyens de les arrêter. Mais, c’était mon ami, j’assume la responsabilité de mon amitié avec Sékou Touré. C’était au grand jour de la Guinée. Je ne suis pas comme eux qui changent comme des caméléons selon la couleur du jour. Dans l’opposition, j’ai des amis, mais ça ne veut pas dire que parce que nous sommes des amis, nous avons les mêmes points de vue. Si nous avions les mêmes points de vue, on serait dans le même parti. Certains ont fait partie du gouvernement de Kouyaté, d’autres du gouvernement de Souaré, mais je vous le dis, ce n’est pas mon affaire. Ce sont eux qui varient, mais pas moi. GUINEEBOX.COM : Ils ont été sollicités et approchés ? JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Ils ont accepté. Ce qui compte c’est leur présence. S’ils ne le voulaient pas, ils n’allaient pas faire partie du gouvernement. Ahmed Tidiane Souaré m’a proposé d’être ministre d’État, j’ai refusé. Mais comme c’est un ami, il a insisté, j’ai envoyé Papa Koly et Aly Gilbert Iffono. Le docteur Aly Gilbert Iffono a été un excellent ministre. C’est pourquoi dans le gouvernement de la transition, je l’ai encore pris comme ministre de la Décentralisation. C’est un homme compétent, affable, discret et efficace. Alpha Condé est un vieux copain, avec Siradiou Diallo et Bâ Mamadou. Aujourd’hui, nous restons deux sur les cinq. Nous, qui sommes venus et nous qui avons créé des partis qui ont émergé. C’est le

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PRP de Siradiou, l’UNR de Bâ Mamadou, l’UPG de Jean-Marie Doré. Regardez les autres partis, ils sont devenus quoi ? GUINEEBOX.COM : Est-ce que ce n’est pas pour toutes ces réalités qu’on vous soupçonne aujourd’hui d’être proche d’Alpha Condé ? JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Écoutez, vous pouvez être en total désaccord avec moi. Nous sommes des amis, mais cela ne nous empêche pas de plaisanter. Alpha Condé, s’il fait mal je vais le dire publiquement : « Ce que tu fais n’est pas bien. » Je crois que c’est ce qui renforce l’amitié. Je n’ai aucune raison d’aller le flatter. Je l’ai dit à la RTG qu’il faut qu’il me dispense des occasions de le blâmer. S’il pose un bon acte, je vais le féliciter. S’il fait mal, je vais aller le trouver pour lui dire qu’il est en train de s’écarter de la bonne voie. Mais tous ces gens qui crient sont des opportunistes. Certains ont été ministres pendant onze ans. Certains ont été Premier ministre. Ils se courbaient devant Lansana Conté. Ils se mettaient à genoux devant Lansana Conté et lui ciraient les chaussures. Moi, je n’ai jamais ciré les chaussures de Lansana Conté. Certains sont allés ramper chez Moussa Dadis Camara et d’autres chez Konaté. Et Konaté a payé la caution et les matériels de campagne électorale de certains autres. Alors, quel est mon intérêt de diffuser ça ? Konaté était mon chef hiérarchique dans le gouvernement, il ne m’a jamais donné un franc. Mais à certains qui disent qu’ils sont des opposants radicaux, il leur a donné de l’argent pour payer leurs cautions. Et il a payé des quantités de tee-shirts dans un container. GUINEEBOX.COM : Pourquoi vous vous abstenez de dire leurs noms ici ? JEAN-MARIE DORÉ : Non ! C’est une question d’éducation, mon frère. Si quelqu’un se roule par terre en disant « JeanMarie Doré, tu es ceci, tu es cela », si je me mets aussi dans la poussière, ça veut dire que nous devenons deux imbéciles.

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XXVI. « Nous demandons à ce qu’on respecte la Guinée et les Guinéens » Par Aliou BM Diallo pour Africaguinee.com le 8 octobre 2013

Le divorce est définitivement consommé entre le président Alpha Condé et ses opposants ! Après les dernières législatives, JeanMarie Doré a promis que l’opposition restera unie jusqu’au bout pour exiger l’annulation de ce scrutin. L’ancien Premier ministre de la transition explique dans cet entretien son opinion sur le déroulement des législatives dont les résultats provisoires donnent déjà une avance au parti présidentiel. Il s’est confié à notre rédaction… AFRICAGUINEE.COM : Monsieur Doré, les Guinéens se sont rendus aux urnes le 28 septembre dernier pour élire leurs députés. Quelles sont vos impressions aujourd’hui sur le déroulement du scrutin législatif ? JEAN-MARIE DORÉ : Les Guinéens se sont massivement rendus aux urnes, mais ils n’ont pas trouvé le cadre électoral habituel. Quand la Radio Télévision Guinéenne (RTG) dit qu’il y a eu 80 % de participation, c’est un mensonge éhonté. Parce que le taux de participation se détermine par ceux qui ont voté. Beaucoup sont partis, ils n’ont pas pu voter, soit parce que le bureau de vote n’était pas au lieu habituel, soit parce qu’ils 191

n’étaient pas sur la liste, soit alors parce qu’il n’y avait pas de bureau de vote du tout. Donc, le taux de participation était très faible, notamment en forêt, au Fouta et en basse Guinée, mais très élevé en haute Guinée parce que làbas, il n’y avait pas de contrôle. C’est le RPG seul qui était parti politique, administration, État, scrutateur, président du bureau de vote et FOSSEL. Donc ici, on n’a pas affaire à la fraude habituelle. La fraude est un acte secret. On se cache pour ramasser des votes qui ne lui sont pas destinés, mais ici, c’est officiel. Il y a des ministres qui rentraient dans les bureaux de vote pour intimer de rédiger dans un sens favorable à la mouvance les PV ou bien de réduire. Ils prenaient des bulletins de vote et substituaient à ces bulletins ceux précochés. Ou alors, on allait assécher les cartes d’électeurs dans une zone au profit d’une autre zone, comme on a fait à Lola, à Guéassou, à Foumbabou et partiellement à Lèlè. Il y a des souspréfets qui ont obligé comme Zoo, le président de la CESPI, à rédiger le PV favorable au RPG. Mais seulement, il a refusé. À Yomou, la distance entre le RPG et notre parti, l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG) lors du premier dépouillement, nous avions déjà près de 6 000 voix de plus que le RPG. Alors, ça a paniqué les fonctionnaires de l’État qui ont abandonné le travail à Conakry pour aller là-bas. Mais vous savez ce qu’ils ont fait ? Ils ont amené six urnes remplies de bulletins précochés à 90 % pour le RPG qu’ils ont déposées chez le secrétaire général chargé de l’administration, ou le directeur national des impôts, un certain Wowo Wata Monémou qui fait l’objet d’un audit ici pour disparition d’une forte somme à la direction des impôts, qui a cru qu’il allait se mettre à l’abri du gouvernement en distribuant encore de l’argent de l’État, pour voler les suffrages de l’UPG. Cette substitution des quinze urnes au profit du RPG a créé une distance inversée entre le RPG et nous. On a constaté la même chose à Macenta, mais sur une grande échelle, à telle enseigne qu’un de nos représentants a dû se battre au poing avec Lounceny Camara, ministre de l’Hôtellerie, du Tourisme et de l’Artisanat. À Kérouané, c’est un hold-up organisé comme à Beyla. N’Zérékoré, n’en parlons pas ! Guéckédou aussi, Faranah, c’est autre chose. Partout c’est comme ça. Donc, les résultats qu’on donne, ce n’est pas une façon traditionnelle de l’opposition de contester, mais vraiment c’est déshonorant pour la Guinée qu’une telle élection ait lieu chez nous. Avec un tel comportement de l’administration, pourquoi un gouvernement a-t-il besoin de quatre-vingt-cinq députés ? C’est pour se mettre à l’abri des critiques. Et qu’est-ce que vous voulez que des partis 192

comme nous aillent faire à l’Assemblée nationale qui est précomposée par le gouvernement à sa dévotion ? Malgré le retard accusé par le chef de l’État dans l’exécution de son programme dans la gestion de la Guinée où les affaires vont en volée, il continue à créer des situations qui ne sont pas favorables au maintien de la paix civile. Ce sont eux qui sont coupables de la misère du peuple, l’obscurité dans laquelle nous vivons, le manque d’eau dans ce château, c’est ce qui est un peu contradictoire. C’est pourquoi, après une analyse approfondie de la situation, nous avons décidé de rejeter la totalité des résultats du scrutin. AFRICAGUINEE.COM : Face à cette situation, l’opposition a convoqué une réunion d’urgence ce lundi, que peut-on retenir de cette rencontre ? JEAN-MARIE DORÉ : Vous savez, la communauté internationale court pour venir nous demander de renoncer à la violence comme si on était des gens violents. Quand nos militants descendent dans la rue, il n’y a personne qui a un bâton dans la main. « Nous voulons la justice, on veut la transparence ! » C’est ça. Mais en face, ça crépite. Ils sont les détenteurs des armes. Et c’est le gouvernement qui crée le désordre dans la rue. Ce ne sont pas les militants de l’opposition, mais l’opposition proteste dans la rue parce que c’est un droit constitutionnel. Alors, nous ne voulons pas de ces résultats, et nous avons mis en garde la communauté internationale qui cherche toujours à détecter parmi nous les maillons faibles pour les neutraliser afin de diviser le front de l’opposition. C’est pourquoi, au sortir de notre entretien de ce lundi, nous avons rédigé une déclaration mettant en garde ces comportements de la communauté internationale. Par contre, nous avons félicité vigoureusement l’Union européenne qui vient de déclarer que si la CENI n’inverse pas son comportement, elle ne reconnaîtra pas les résultats des élections législatives en Guinée. Ce n’est pas grand-chose, mais dans le cas guinéen, c’est un comportement salutaire face aux comportements des observateurs de l’Union africaine et de la CEDEAO, des ambassadeurs accrédités ici, qui viennent se promener et dire « gardez la paix ». Est-ce que vous croyez que la paix est possible dans un pays où il n’y a pas de justice ? C’est ce qui est navrant. AFRICAGUINEE.COM : Et pourtant, l’Union africaine et la CEDEAO ont déclaré que le scrutin s’est « globalement bien déroulé » !

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JEAN-MARIE DORÉ : Si vous avez vu l’Union africaine relever un petit peu d’anomalies dans une élection même quand tout le monde constate ça, nous relevons le comportement honorable de l’Union européenne par ses observateurs qui ont mis le doigt sur la plaie et ont averti que si la CENI ne corrige pas le tir, ils ne reconnaîtront pas le résultat. Il faut saluer ce comportement de la délégation de l’UE qui a été envoyée en Guinée. Je ne sais pas comment ils font ailleurs, mais l’Union africaine vient radoter et puis la CEDEAO. (…) C’est une honte pour l’Afrique, ça s’est fait toujours comme ça. L’Afrique a des handicaps graves. Je ne sais pas si notre destin va susciter des hommes qui auront à cœur d’inverser le cours des événements, mais aujourd’hui, la médiocrité, l’appât du gain et tous les travers sociaux qu’on condamne chez les individus tendent à fleurir dans les cours de ceux qui commandent nos États. Ailleurs, les gens essayent de fignoler la machine à frauder à concurrence de 5 à 15 %, et on attribue ça à l’analphabétisme de la population, mais ici, le gouvernement est un empire. Il ne peut pas se contenter de 10 %. Il faut qu’il montre sa puissance, il prend 60 % à 80 %. Comment voulez-vous que dans toute la Guinée, on ait voté à moins de 70 % et à Mandiana, à Siguiri… c’est 92 % ? Il y avait des hélicoptères pour se rendre sur les lieux de vote ? Je trouve que c’est très triste. Mon cœur est profondément triste de savoir que tout le travail qu’on a abattu depuis les origines n’a jusqu’à maintenant servi à rien et que le vol, la confiscation gagent davantage le terrain. AFRICAGUINEE.COM : Malgré ces bisbilles que vous dénoncez, vous avez quand même accepté d’aller à ces élections. Pourquoi, pendant que la CENI est en train de publier les résultats provisoires des élections aux compte-gouttes, vous demandez l’annulation de ce scrutin ? JEAN-MARIE DORÉ : Nous avons signé un accord sur la foi de la communauté internationale le 3 juillet. La communauté internationale nous a dit à ce moment-là, notre confiance était totale : « Il faut signer, c’est bon ! » Alors, on a signé, mais le gouvernement n’a pas appliqué un seul point de cet accord, et la communauté internationale est restée muette. Donc, notre bonne foi ne peut pas être mise en question, parce que nous n’avions pas de raisons d’aller signer un accord qui réglait les contentieux, de présumer que le gouvernement allait se comporter de cette façon-là. AFRICAGUINEE.COM : Jusqu’où comptez-vous aller ?

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JEAN-MARIE DORÉ : Jusqu’à ce qu’on annule les résultats et qu’on recommence les élections après avoir expurgé le fichier de toutes les anomalies, parce que c’est le principal problème. C’est aussi la première fois dans le monde qu’un gouvernement organise une élection sans qu’on ait affiché le fichier. C’est pour vous dire l’étendue, l’énormité du mépris que ce système a pour le peuple de Guinée et ses dirigeants. C’est inacceptable ! AFRICAGUINEE.COM : Au cas où le pouvoir actuel ne fléchirait pas face à votre demande, quelle autre stratégie comptez-vous adopter ? JEAN-MARIE DORÉ : Le peuple va protester vigoureusement, puisque c’est lui qui a voté. Je ne reconnais pas les résultats. Ce n’est pas à moi de faire une stratégie pour le peuple. Nous ne sommes pas des dictateurs. On n’est pas des autocrates. L’ONU m’avait mandaté pour nous aider à organiser des élections, pour qu’on ait des représentants, voilà ce que j’ai fait, voilà ce que j’ai dépensé, voilà les moyens de locomotion que j’ai mis à la disposition de mes gens. Ils ont gagné ici, et ici, le gouvernement a raflé tout sous la menace des armes. Il appartient aussi au peuple que je respecte d’accepter ou de ne pas accepter. La seule stratégie, c’est le peuple qui la définit. AFRICAGUINEE.COM : Vous avez été déclaré vainqueur quand même à Lola, dans votre préfecture. Lors d’une conférence de presse, la mouvance a mis en cause votre victoire. Quelle est votre réaction ? JEAN-MARIE DORÉ : Moi je n’ai pas à réagir, parce que ce sont des médiocres qui parlent comme ça ! Le ministre de la Communication était là-bas, le gouverneur et le préfet étaient tous là-bas. Tout ce que l’administration compte d’agents d’influence était là-bas. Malgré leurs menaces, les gens ont gardé leur calme et ont voté dans l’honneur et la dignité. Si vous remarquez, le résultat du candidat à l’uninominal et le résultat de la liste nationale, c’est un peu en équilibre. Mais il se trouve maintenant, quand on compare, que la différence des bulletins nuls entre le candidat et celui de la liste nationale est de 15 000 nuls. Comment on peut avoir le taux et les bulletins du candidat à l’uninominal soit à 15 000 bulletins nuls, alors que pour nous c’est autour de 7 000 ? Ça veut dire que même s’ils veulent fignoler la tricherie, ils sont tellement ignorants et cancres qu’ils ne savent pas le faire. Il n’y a que la violence qui les arrange. AFRICAGUINEE.COM : Votre mot de la fin ? 195

JEAN-MARIE DORÉ : Nous demandons à ce qu’on respecte la Guinée et les Guinéens. Aujourd’hui c’est ça ! Ce n’est pas l’affaire d’une partie. C’est l’affaire de toutes les parties, y compris les militants du RPG arc-en-ciel. Ils ont le droit d’être respectés. Parce que quand on les commet à des tâches obscures comme ça, d’aller voler, on veut en faire coûte que coûte des délinquants. Parce que celui qui vole le bien d’autrui est un délinquant. On nous a volé nos biens. Ceux qui les ont pris sont des délinquants, on les a pris la main dans le sac. L’Union européenne a filmé des gens en train de frauder. Et on nous a rapporté de Kankan qu’il y a une dame qui a quitté au PEDN pour rallier le RPG. Et le RPG l’avait désignée dans un bureau de vote à Kankan. On l’a surprise en train de diminuer les bulletins du PEDN au profit du RPG, on l’a attrapée la main dans le sac. Sur cette situation, madame la coordinatrice du RPG Nantènèn Konaté a dit, selon ce qu’on nous a rapporté, qu’on a appelé la femme pour la menacer. Elle dit donc : « Ah ! Tu es venue, tu t’es fait prendre exprès pour saboter ? Tu as joué le trouble pour le compte du PEDN, donc tout ça là, c’est pour qu’on nous prenne comme des partis voleurs. Donc, on va régler ton compte après les élections ! » Avec ça, est-ce que vous croyez que nous sommes dans un État de droit ? On va par la force, il n’y a pas de semblant d’idéal. C’est la violence, on peut piétiner les œufs de quelqu’un, tuer la vache de quelqu’un, maltraiter l’enfant d’autrui ; et on vous dit d’indemniser celui qui a été victime de votre forfait. Nous sommes des simples citoyens qui se sont donné la peine d’aller à ces élections avec beaucoup de difficultés, et on nous a pris tout. Si vous vous souvenez, au premier tour de la présidentielle, le RPG a été crédité officiellement de 18 %. Puis, il s’est débrouillé pour avoir une grande alliance dont les éléments principaux étaient les Lansana Kouyaté, Telliano, Kassory Fofana… Cent douze alliés. Aujourd’hui, il reste combien des alliés crédibles là-bas ? Personne ! Donc, ces résultats d’aujourd’hui ne reflètent pas le résultat de l’alliance concoctée en 2010. Alors, où il a pris la différence, là ? La réponse, à première vue, c’est la subordination des préfets, des souspréfets, des gouverneurs, des policiers, des gendarmes et malheureusement beaucoup de militaires qui sont allés par la force s’imposer dans des bureaux de vote à Kindia pour voter plusieurs fois au vu et au su de tout le monde. Ce n’est pas normal. Moi je trouve ça très triste. Alpha n’a pas besoin de cela ! 196

XXVII. « Mon âge importe peu… je suis candidat à la présidence de l’Assemblée » Par Abdoulaye Bah pour Guineenews le 23 décembre 2013

C’est en ces termes que le leader de l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG) s’est exprimé au cours d’un long entretien au micro de Guineenews, le 23 décembre 2013. GUINEENEWS : Le président de la République demande au Conseil national de la transition (CNT) d’examiner la nouvelle session budgétaire extraordinaire. Votre réaction ? JEAN-MARIE DORÉ : J’analyse la question sous deux angles. Du point de vue strictement juridique d’une part, il est dit que le CNT existera jusqu’à l’installation de l’Assemblée. Or, celle-ci n’est pas encore installée. Donc, saisir (le CNT) en théorie ne me paraît pas antinomique du droit. D’autre part, l’argument en faveur de l’examen de l’adoption de la loi de finances 2014 par le CNT selon lequel la Guinée doit avoir son budget régulier avant l’arrivée des experts des institutions financières internationales ne peut pas prospérer non plus. La raison est que ces experts ne viendront qu’en février. Donc, d’ici là, on a le temps d’examiner le projet de budget. Mais là où la convocation du CNT pour se saisir de l’adoption du projet de budget ne tient pas debout, c’est que politiquement nous avons un président élu légalement et une Assemblée élue. Pour le citoyen, l’Assemblée nationale étant désormais là, il n’entre pas dans les détails des procédures de l’élection du président, d’installation du bureau et de la constitution des commissions. Alors, il ne comprend pas cette dualité. Psychologiquement, il est perturbé. GUINEENEWS : En tant que politique avisé, le chef de l’État avaitil une troisième alternative ? JEAN-MARIE DORÉ : Le Président aurait pu éviter l’un des deux choix en recourant à une troisième voie, légale celle-là. Cette fois, il 197

prend un décret pour faire gérer la Guinée sur le plan financier par les douzièmes provisoires, reconnus comme droits spécifiques à la fonction présidentielle. Et ainsi, le président reconduirait le budget de 2013 en janvier. S’il s’épuisait et que les conditions ne soient pas remplies pour faire voter le budget par une assemblée élue, il reconduirait encore par la même voix le budget de 2013. Sans doute, un tel budget ne remplirait pas toutes les fonctions pour faire face aux échéances nouvelles parce que depuis lors, les besoins de l’État ont varié soit en quantité, soit en qualité, soit à l’extension à d’autres activités. Mais au moins, la voie réglementaire que reconnaît la loi organique portant sur la loi de finances donnée au chef de l’État aurait pu éviter cette controverse actuelle. GUINEENEWS : L’opposition déboutée par la Cour suprême veut se rabattre vers la justice. Est-ce réaliste ? JEAN-MARIE DORÉ : Toute formation politique a toujours à sa disposition toutes les voies de recours. C’est une voie. Je ne veux pas contredire mes collègues, mais je dis qu’on a eu une occasion manifeste et solennelle d’invalider le scrutin, qui est immangeable, indigeste. Et la Cour suprême qui devrait connaître une telle affaire a esquivé le tir de l’opposition pour des considérations jusqu’ici inexplicables pour moi. Alors, si la Cour suprême fait cela, elle qui a plus de pouvoirs que toutes les juridictions nationales, saisir un tribunal maintenant, c’est un coup d’épée dans l’eau. Je ne dis pas de ne pas saisir un tribunal, mais lequel ? Surtout l’organisation judiciaire de notre pays reste encore boiteuse. Il n’y a pas un tribunal administratif clairement défini aux attributions précises pour connaître les excès du pouvoir contre les actes administratifs. Moi, je ne dis pas non au fait de recourir au tribunal, mais c’est un acte inutile. Cela ne sert à rien. Si la Cour suprême a l’univers d’exercer son autorité, si les juges ont peur de je ne sais quoi encore parce que la plupart d’entre eux sont en fin de carrière, donc, ils n’ont plus à espérer de promotion. Tel n’a pas été le cas. Saisir le tribunal de cette matière, je pense qu’une déclaration de condamnation a plus de portée si elle explique tout ce qui aurait dû être fait et qui n’a pas été fait volontairement pour des raisons inconnues. Ceci fait, oui, mais porter plainte contre le gouvernement, je ne vois pas un juge de Conakry capable de le faire. Je suis un homme politique, j’évalue d’une façon concrète, je me méfie des spéculations. Je recherche l’efficacité. Et il ne me paraît pas efficace de recourir à la saisine d’un tribunal correctionnel ou d’une cour d’appel, d’autant plus que les larmes que cette Cour d’appel a fait couler dans les chaumières n’ont pas encore séché. 198

GUINEENEWS : Il semble que vous serez candidat à la présidence de l’Assemblée nationale ? JEAN-MARIE DORÉ : Je ne parle pas des autres partis politiques, mais je vous dis que je suis candidat. Je crois qu’il faut respecter les institutions nationales. Il faut respecter le président de la République, l’Assemblée nationale, la Cour suprême, bref les trois principales institutions républicaines. Les autres sont des organes dérivatifs fonctionnels des autres. GUINEENEWS : Vous n’avez que deux députés seulement et l’opposition dans laquelle vous militez n’a pas la majorité, quelles sont les chances du candidat que vous êtes ? JEAN-MARIE DORÉ : Mes chances sont énormes. C’est un vote à bulletin secret. Il s’agit de valoriser l’institution parlementaire. Je pense que les députés auront à cœur de voter pour ceux pouvant tenir l’appareil de manière à traverser les fleuves tumultueux, à escalader les hautes montagnes, à sécher les marais. Peu importe le nombre de députés. Si un député de mon parti veut se porter candidat, alors que je le sais pourtant incapable, je voterai pour l’adversaire compétent. C’est une question de capacité et de représentativité de l’institution nationale, qui est le reflet de l’évolution du peuple de sa capacité à s’assumer. Ce n’est pas une question de nombre de députés par parti. Je pense que les députés de la mouvance et ceux de l’opposition auront à cœur de valoriser l’institution en votant, non pas pour le parti, mais plutôt pour le candidat, pour celui qui peut tenir l’équilibre entre les différentes propositions de manière à cadrer le débat sur l’intérêt national, à entretenir avec l’exécutif des rapports de confiance, à entretenir avec l’opposition des rapports de confiance, pour amener les uns et les autres à centrer le débat sur la Guinée et ses problèmes. Je crois que j’ai cette capacité. GUINEENEWS : Même les capacités physiques aussi ? JEAN-MARIE DORÉ : Il faut être en bonne santé, en parfait équilibre mental, de bonne moralité, avoir les muscles bien arrosés par le sport. GUINEENEWS : Pratiquez-vous le sport ? JEAN-MARIE DORÉ : Je fais les arts martiaux, je suis ceinture noire de judo deuxième dan. Je suis également ceinture marron d’aïkido. Je fais enfin de la gymnastique trois ou quatre fois par semaine. Sur ce côté, je n’ai aucun problème. Je lis les journaux, j’écoute les radios. Depuis mon domicile, je suis au courant des problèmes survenus à 199

Kankan. Je sais que l’affaire de Koulé est en train d’être réglée chez le préfet. Je suis au courant de l’insécurité galopante en Guinée. Je sais qu’ils ont tué à la maison le fils de mon beau-frère El hadj Ghussein. Jusqu’ici le présumé assassin court toujours bien qu’un témoin, le gardien, ait été complice, d’après ses propres déclarations. Je sais qu’un commissaire de police a été froidement abattu à côté d’un restaurant, je suis au courant de tout cela. J’essaie d’approfondir les us et coutumes de toutes les régions du pays. Je sais comment traduire la même réalité dans chacune des régions en tenant compte de la finesse de leurs pratiques. Gouverner un pays présuppose une bonne connaissance de la culture profonde et intime de chaque région. C’est pourquoi le langage d’un Chef d’État doit être la synthèse de toutes les composantes de la nation. Avec une telle richesse, je peux payer mon loyer, éclairer mon domicile et arroser mon jardin. J’entends au sens intellectuel et au sens du service public ce que le peuple attendra de moi. GUINEENEWS : Alpha Condé a plus de soixante-dix ans, il est à la tête de l’exécutif. Jean-Marie Doré a plus de soixante-dix ans, il veut le perchoir de l’Assemblée. Quelle place pour les jeunes ? JEAN-MARIE DORÉ : Attention, les jeunes peuvent être des députés ou des ministres. Mais l’exercice du pouvoir suprême suppose beaucoup de sang-froid, de maîtrise de soi, donc la maîtrise des événements. Éviter l’émotivité inutile qui perturbe la réflexion saine et sereine. On ne peut pas donner le pouvoir, ce n’est pas une défiance à l’égard des jeunes. Les jeunes, c’est une sève montante. Les biens matériels ont une grande importance chez eux, c’est normal. Cela peut être un handicap pour exercer la plénitude du pouvoir d’État. GUINEENEWS : Que répondez-vous à la jeune génération qui parle de limitation d’âge ? JEAN-MARIE DORÉ : J’entends dire qu’il faut limiter l’âge, mais c’est antidémocratique. La Grèce antique était gouvernée par archontes, c’est-à-dire les plus âgés. C’est pourquoi ils maîtrisaient toujours les événements. Pourquoi a-t-on pris Dracon pour faire des lois qui régissent de manière catégorique ? Dracon était cet administrateur grec dont le nom a donné le substantif draconien. En réalité, Dracon n’était pas un jeune. Les jeunes étaient armés pour faire face à l’adversaire extérieur. Mais pour gérer l’humain, pour gérer l’économie, pour gérer le social, pour édicter enfin des règles morales, il faut être riche de l’expérience vécue. Toutes choses qui sont en cours d’acquisition de la part des jeunes. 200

GUINEENEWS : Certains jeunes peuvent soulever des exceptions dans vos exemples ? JEAN-MARIE DORÉ : Il y a des exceptions. Il y a des jeunes qui ont gouverné mieux que des personnes âgées. Je ne dis pas que ce sont des exceptions rares, mais c’est quand même des exceptions. Donc, je dis que l’âge importe peu. Ce qui importe, c’est l’équilibre mental et physique. Vous pouvez trouver des jeunes gâteux, excès d’alcool, recherche effrénée de plaisirs, je vous laisse à votre réflexion de deviner laquelle. Je pense que c’est inexact et injuste de poser la question d’âge. Il faut plutôt mettre en exergue le problème de la santé. GUINEENEWS : Alors, qui doit gouverner la Guinée d’une manière générale à votre avis ? JEAN-MARIE DORÉ : Celui qui veut gouverner la Guinée doit être en parfaite santé mentale et physique, spirituellement en équilibre et croyant. Je m’excuse parce que je suis profondément croyant. Je ne veux pas me quereller avec les non-croyants, c’est leur problème. GUINEENEWS : Quel parallèle faites-vous entre les Assemblées de 1995, de 2002 et de 2013 ? JEAN-MARIE DORÉ : Nous sommes entrés minoritaires à l’Assemblée de 1995, mais une forte minorité. Feu Siradiou Diallo avait neuf députés, feu Bâ Mamadou neuf députés aussi, Alpha Condé en avait dix-neuf, Doré en avait deux. Au total, il manquait peu de sièges pour obtenir la majorité des deux tiers. Mais au fur et à mesure des débats pour les questions, on ne tenait pas compte à l’époque de l’origine politique, chacun essayait de discuter en fonction de l’intérêt de la Guinée et c’est ainsi que l’opposition a réussi à imposer une suprématie intellectuelle, technique à l’Assemblée. Surtout lorsqu’il s’agissait des débats sur l’adoption du budget à la Commission des lois, dont j’étais membre. Ce qui est important, ce n’est pas le nombre des députés, mais la qualité des hommes. GUINEENEWS : Vous avez boycotté l’Assemblée de 2002 pour siéger en 2013. Quel paradoxe ? JEAN-MARIE DORÉ : On n’est pas du tout dans le même contexte. J’ai eu trente-cinq députés en 2002. GUINEENEWS : L’UPG a eu deux députés à ce que je sache… JEAN-MARIE DORÉ : Je dis trente-cinq députés, je l’ai dit suffisamment, peut-être que c’est la millième fois que je le répète ici. J’ai eu trente-cinq députés par le fait d’un monsieur aujourd’hui à la tête d’un 201

parti politique et qui était ministre à l’époque (Moussa Solano du Parti de l’unité et du progrès). Il s’est mis à charcuter les résultats connus de tout le monde pour que Conté ait la majorité des deux tiers. Il a eu finalement la majorité des trois quarts. Nous n’avions pas boycotté pour protester contre ce mépris du droit, bien que ce même type critique aujourd’hui le gouvernement qui s’est enrichi de leur expérience (rires aux éclats). Parce que l’actuel gouvernement s’est enrichi de l’expérience acquise sous ce ministre-là et ses commanditaires. Donc, nous avions suspendu notre participation aux travaux pour rester des députés. GUINEENEWS : Vous aviez boycotté le Parlement, mais vous perceviez votre salaire. Paradoxal, non ? JEAN-MARIE DORÉ : On le percevait, ce n’est pas à cause du salaire, contrairement à ce qu’on disait. C’était plutôt pour éviter qu’ils prennent les députés à la suite de la liste pour nous faire remplacer. Or, il n’est pas dit que ces remplaçants-là pouvaient mieux exprimer le sens de la protestation de l’UPG, voilà tout. Mais la donne a complètement changé aujourd’hui. La scène politique s’est enrichie de partis. Et je pense qu’il faut aller à l’Assemblée pour porter la contradiction, pas en agressant, mais en faisant des analyses cohérentes, qui collent au rêve guinéen. GUINEENEWS : Donc, vous confirmez que l’Assemblée nationale est taillée à votre mesure ? JEAN-MARIE DORÉ : La présidence, oui. Je ne le dis pas par vantardise. Je suis modeste. Mais la modestie n’exclut pas l’honnêteté. Dieu m’a donné des qualités, si je les tais, il va me punir. Je crois qu’aujourd’hui, je peux rendre d’éminents services à la Guinée, à ses représentants, à son gouvernement en faisant de l’Assemblée un modèle de Parlement. GUINEENEWS : Si les choix sont confirmés, vous affronterez un ancien fondateur de l’UPG, Claude Kory Kondiano, qui est pressenti comme le candidat idéal du parti au pouvoir. JEAN-MARIE DORÉ : Monsieur Kory a créé avec nous l’UPG. Mais je ne souhaite pas commenter ce sujet. Cela me gêne. Il était membre du bureau politique de notre parti et en même temps militant du RPG. La loi interdit formellement l’appartenance à deux partis. La charte des partis politiques est catégorique. C’est une vieille affaire que je ne veux pas commenter. GUINEENEWS : Sans être désobligeant, je veux avoir la confirmation qu’il était de l’UPG. 202

JEAN-MARIE DORÉ : C’est un honneur pour lui d’avoir été membre fondateur de l’UPG, mais nous aurions voulu qu’il soit plutôt chez nous qu’au RPG. Il ne faut appartenir qu’à un seul parti. Ce n’est pas lui qui nous l’a dit. Mais quand nous l’avons su, on lui a dit de choisir. C’est ainsi qu’il est parti au RPG. Mais il est parti après nous avoir montré qu’il était un membre actif de notre parti.

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XXVIII. « Cellou Dalein a eu des problèmes avec le gouvernement… » Par Serge Lamah et d’Amadou Tham Camara pour Guineenews le 28 mai 2012

À l’approche des législatives, l’ancien Premier ministre de la transition sort de son silence et assène ses vérités sur la situation sociopolitique de la Guinée. Guineenews TV l’a rencontré, vendredi dernier, au siège de son parti à Camélia. Le numéro un de l’UPG n’a encore rien perdu de sa verve. Surtout la façon de dépecer les sujets. GUINEENEWS TV : Comment vous portez-vous aujourd’hui ? JEAN-MARIE DORÉ : Je me porte bien ! J’ai eu un petit moment de passage à vide. Puis après, mon médecin m’a pris en charge en Suisse et il m’a rétabli dans l’état initial de ma santé. Je suis prêt à tous les combats. GUINEENEWS TV : Un peu plus d’une année après l’élection du président Alpha Condé à la tête de la Guinée, quel bilan faites-vous de sa gestion ? JEAN-MARIE DORÉ : J’avais dit à des journalistes qui étaient venus me poser la même question, que dans un pays compliqué comme la Guinée, quelle que soit la promesse du candidat, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il présente raisonnablement un bilan cohérent en six mois ni en un an. Parce que le temps de s’habituer à l’appareil d’État, le temps de renouer avec les partenaires, il s’écoule une certaine période qui ne permet pas de poser des actes fondamentaux. Néanmoins, nous avons maintenant une année et demie. On peut se faire une idée des tâches promises et du niveau de leur exécution. Pour le développement de la Guinée, je crois qu’on a perdu beaucoup de temps. Et cela se répercute sur le travail du Président. On aurait dû faire l’économie de tous ces tâtonnements à propos des élections. La CENI a été le goulot d’étranglement pour qu’il (le président de la 205

République, Alpha Condé, N.D.L.R.) ait les mains libres pour travailler. Donc, le handicap et les vides que l’on constate dans le bilan, notamment au niveau des investissements par rapport à l’atteinte du point d’achèvement du PPTE (pays pauvres très endettés, N.D.L.R.). Le contrat n’est pas tout à fait bien rempli, mais comme il lui reste encore trois ans et demi, je pense qu’il va accélérer pour ne pas qu’il y ait de blanc dans le rapport de son bilan. GUINEENEWS TV : Donc en quelque sorte, il faut encore lui donner du temps pour pouvoir le juger à l’avenir ? JEAN-MARIE DORÉ : Je ne dis pas s’il faut lui donner le temps ou s’il faut fixer le temps, mais je constate que si on doit faire le bilan à ce stade-là, ce n’est pas bon. Comme il lui reste trois ans et demi pour présenter un bilan, au cours de son quinquennat, je pense qu’il aura à cœur d’éviter les écueils qui retardent la mise en œuvre correcte de son programme. Et ces écueils-là sont identifiés. C’est le problème des élections législatives. Cela a amené à des débats stériles suscités par l’attitude négative de la CENI, qui a fini par faire douter du président de la CENI et par ricochet du président de la République. C’est pourquoi, au cours de ma conférence de presse, j’ai prié le Président de ne pas considérer un fonctionnaire au-dessus des intérêts de la nation. Si un fonctionnaire, un ministre, un Premier ministre est l’objet de rejet de la part de la population, il faut qu’il en tire les leçons pour qu’on ne fasse pas escale là où ce n’était pas prévu. S’il le fait, la confiance va renaître entre les acteurs. Il aura la sérénité nécessaire de se pencher avec beaucoup de rigueur sur son travail et je pense que la Guinée pourrait s’en sortir à bon compte. GUINEENEWS TV : Là, vous m’avez coupé l’herbe sous le pied. On allait venir à la CENI tout à l’heure, vous avez déjà commencé. Donc, vous allez continuer sur ce chapitre. Vous le disiez ici l’autre fois lors de votre conférence de presse, de façon implicite, qu’il fallait remercier Louncény Camara. Un peu plus loin, vous suggériez qu’on le nomme quelque part comme ministre, gouverneur… Quelle lecture faites-vous de la situation de blocage actuel ? JEAN-MARIE DORÉ : Je crois qu’il y a un début de déblocage, puisque le Président a pris un acte pour mettre fin au désordre que constituait ce qu’on a appelé la révision ou le recensement. Parce que ça s’est fait de telle manière que les acteurs intéressés n’avaient pas été associés. On ne peut pas faire de recensement dans le contexte législatif guinéen sans associer les partis. Parce que personne ne peut être candidat 206

à des élections d’un niveau de la CRD (Communauté rurale de développement, N.D.L.R.), au niveau de la commune, du Parlement, de l’institution présidentielle, s’il n’est pas présenté par un parti politique. Je ne dis pas de jeter Louncény comme un citron pressé, il y a une gamme de fonctions qu’il peut tenir sans qu’il ne constitue un obstacle à l’organisation crédible, transparente et honnête des élections. GUINEENEWS TV : Donc, les élections en Guinée signifient la mise en œuvre du mouvement des partis politiques. Or, monsieur Louncény avait dit qu’il n’a pas besoin des partis pour organiser les élections. Est-ce que c’est pour faire des élections avec des écoliers ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais si ce sont des élections pour désigner le Parlement guinéen, il est obligé d’agir, de se concerter avec les partis politiques. Sa détermination, son obstination à exclure les partis du dialogue avec lui, ont créé une situation de blocage et il n’a plus la confiance des acteurs politiques. Donc, le Président est élu pour s’occuper des intérêts de la République de Guinée. C’est au-dessus de la valeur intrinsèque de chacun d’entre nous ici, au-dessus de monsieur Louncény, au-dessus du gouvernement. Parce que c’est pour l’intérêt guinéen que nous pouvons faire le sacrifice de nos vies. On ne peut pas le faire pour un individu. Donc ici, je pense que monsieur Louncény a constitué un obstacle. Mais il a eu à un moment donné à rendre service à l’État. Je ne dis pas de le jeter comme un citron pressé, il y a une gamme de fonctions qu’il peut occuper sans qu’il ne constitue un obstacle à l’organisation crédible, transparente et honnête des élections. GUINEENEWS TV : Qu’est-ce qu’une élection transparente, honnête et crédible ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est une élection dans laquelle rien n’est fait pour empêcher le décompte des voix déposées par les citoyens chacun pour son parti. Toute voix déviée constitue une fraude, un vol. Voilà ! GUINEENEWS TV : En un mot, vous êtes du côté de ceux qui disent qu’il faut remercier Louncény Camara ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais il faut le remercier, pas parce qu’on ne l’aime pas. Lui et moi, on vient de la même région. Donc la question de sympathie entre Louncény et moi ne se pose pas. J’ai des relations obligées avec lui. Mais je parle ici de l’intérêt de la République de Guinée, qui est au-dessus de notre région, de la haute Guinée, du Fouta 207

et de la basse Guinée. On ne peut pas mettre en péril les intérêts nationaux à cause d’un individu. C’est pourquoi je souhaite qu’il plaise au Président de lui trouver un job honorable. Mais qu’il ne continue pas à être un repoussoir pour les partis politiques. Ce n’est pas une question d’être d’une opposition radicale, du centre ou de la mouvance. La Guinée a besoin d’élection correcte pour la Constitution d’un Parlement crédible qui ne soit pas une simple chambre d’enregistrement. Parce que si c’est une simple chambre d’enregistrement, le Président va y perdre son latin. Et le Parlement n’aura aucune crédibilité. À ce moment-là, la Guinée ne sera pas jugée au niveau exact où elle doit être jugée. C’est un pays de valeurs. Que vous preniez l’armée, l’économie, les ressources du sol, du sous-sol, la Guinée est une promesse gigantesque. Et cette promesse-là doit être tenue. Mais elle ne peut être tenue que par des hommes libres, agissant en confiance les uns avec les autres. Voilà ! GUINEENEWS TV : Tout à l’heure, vous parliez d’opposition radicale. Les Guinéens aimeraient savoir de quel côté vous êtes. Comment vous définissez-vous ? À l’époque, on vous a connu comme « grand opposant » au président Lansana Conté. Êtes-vous de l’opposition dite radicale ? De l’opposition dite constructive ? Ou centriste ? Aujourd’hui, on a du mal à vous définir. Comment vous définissez-vous, vous-même ? JEAN-MARIE DORÉ : Lors de la création de l’UPG, vous pouvez lire le manifeste et la déclaration de principes de notre parti, le 15 septembre 1991, nous avons défini notre parti comme un parti du centre. Un parti du centre est fait pour la vérité institutionnelle. C’est-à-dire que si le gouvernement a tort, il faut lui dire qu’il a tort ! Si ceux qui se réclament être des antagonistes du gouvernement ont tort, il faut le leur dire. Donc, nous sommes un parti du centre depuis toujours. Au temps de Conté, nous n’étions pas une opposition radicale. Non ! Nous avons conseillé à Conté un certain nombre d’actes pour que les lois constitutionnelles qu’il a signées, qui instaurent le système démocratique chez nous, par la création de partis politiques multiples, ne soient pas une lettre morte, il fallait qu’il soit hardi à discuter avec les partis politiques. Je lui ai demandé cela par écrit. Le 11 janvier, j’étais à N’Zérékoré. On m’a appelé, le ministre Alsény René Gomez – paix à son âme – m’a appelé pour me dire que le Président me recevrait le 11 janvier 1993. J’ai pris l’avion, je suis venu ici et j’ai dit au président Conté ce que je suis en train de vous dire aujourd’hui pour Alpha Condé. « Vous avez permis la création de partis politiques. Si vous ne dialoguez pas avec ces partis politiques pour résoudre les problèmes qui se posent dans notre pays, 208

c’est un coup d’épée dans l’eau ! » Et je lui ai expliqué en quoi il doit discuter avec les partis. Conté a accepté et depuis lors, les partis se sont exprimés à la RTG (Radiodiffusion Télévision guinéenne, N.D.L.R.). Chaque parti a pu tenir son meeting sans être entravé fondamentalement, sauf dans des cas particuliers et c’est le même travail qu’on fait aujourd’hui. Si le président de la République a raison, il est de notre devoir de soutenir sa vérité parce qu’elle est conforme à la loi guinéenne, à la Constitution et à l’intérêt national. Si le Président a tort en dépit de l’amitié qui nous lie, parce que nous sommes des compagnons d’armes, on doit le lui dire clairement. Donc aujourd’hui, notre parti se tient au centre. C’est pourquoi, il appartient au Club des républicains. Vous comprenez ? Donc, il ne faudrait pas que vous ayez de la peine à nous définir ! Nous sommes un parti du centre et on a joué un rôle du centre lorsque l’opposition radicale a dit qu’elle n’allait pas au dialogue. J’ai reçu mandat du Club (Club des républicains, N.D.L.R.) d’approcher l’opposition radicale, en la personne de son leader de fait, monsieur Cellou Dalein Diallo. On s’est réunis plusieurs fois chez moi, à mon domicile. Et je lui ai démontré que sa position de ne pas aller dialoguer était incorrecte. Parce qu’on ne peut pas critiquer les conclusions d’un dialogue auquel on n’a pas participé. Pour fonder ses critiques contre l’orientation du débat, il faut qu’il soit là ! Donc, après de multiples considérations, ils ont fini par accepter. Et nous avons structuré le comité de dialogue de telle façon que tous les courants soient représentés. C’est ce travail que nous avons fait. Malheureusement, les suggestions que j’avais faites au chef de l’État, il a maintenant le rapport du dialogue, le seul point qui a été adopté lors de ce dialogue, c’est l’unanimité pour qu’on fasse l’audit du fichier. C’est le seul point ! Sur tous les autres points, il n’y a pas eu d’accord. Parce que les gens disent qu’il y a un accord sur le respect de l’autorité de l’État. Non ! L’autorité de l’État, c’est réglé par la loi. « Si Alpha Condé est confiné à réprimer les manifestations, on crée une situation qui ne donne pas confiance à l’étranger. » Que ça plaise à un Guinéen ou pas, s’il ne respecte pas la loi, il encourt les sanctions induites. Il y avait des points précis : la restructuration ou non de la CENI, le remplacement de Louncény. Tous ces points-là avaient été occultés lors du dialogue. J’ai conseillé au Président d’appeler les principaux acteurs pour lire ensemble les conclusions du dialogue et savoir pourquoi on ne s’est pas mis d’accord sur tel ou tel point. Je regrette jusqu’ici qu’il n’ait pas pu faire cela et s’il ne le fait pas, malheureusement, la rue va être encombrée par des 209

manifestations qui vont avoir in fine pour résultat de le gêner. Parce que Cellou Dalein Diallo n’a pas de bilan à présenter. Sidya Touré n’a pas de bilan à présenter, Lansana Kouyaté n’a pas de bilan à présenter. C’est lui qui a une obligation de bilan. S’il est confiné à réprimer les manifestations, on crée une situation qui ne donne pas confiance à l’étranger. Or, il faut que les étrangers viennent pour investir dans notre pays. C’est ça les problèmes qu’il faut résoudre. On n’a pas besoin d’être opposant radical ou non. Il s’agit de coller aux intérêts de la Guinée. C’est ça ! GUINEENEWS TV : Coller aux intérêts de la Guinée, vous dites ! Vous disiez tout à l’heure que vous êtes centriste. Pourtant, le commun des Guinéens pense que vous êtes plus proche du pouvoir en place. D’ailleurs, vous disiez que vous êtes ami du chef de l’État. Vous bénéficiez aujourd’hui de certains privilèges que d’autres anciens Premiers ministres n’ont pas. JEAN-MARIE DORÉ : (Il l’interrompt) comme quoi ? GUINEENEWS TV : Par exemple, vous, vous avez la chance d’avoir un garde du corps à vos côtés. Ce qui n’est pas le cas pour Cellou Dalein Diallo… JEAN-MARIE DORÉ : (Il l’interrompt encore) Non ! Cellou Dalein Diallo a eu des problèmes avec le gouvernement. Ces privilèges dont vous parlez ne sont pas écrits dans la loi. Vous comprenez ? Mais, il est normal qu’un Premier ministre soit protégé contre les aléas de la vie courante. C’est pourquoi, dans les grands pays, le président de la République, le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur, le ministre de la Défense, l’État pour son intérêt, est obligé de les protéger ! Parce qu’ils connaissent les secrets de l’État. Si Al-Qaïda venait à enlever le ministre de la Défense des États-Unis, ce serait une catastrophe ! Vous comprenez ? Donc ce n’est pas pour mon bien ! C’est dans l’intérêt de l’État que je suis protégé, puisque je suis le dernier Premier ministre sortant. Il est normal que je continue à être protégé dans une certaine mesure. Vous comprenez ? Cellou a eu des problèmes avec le gouvernement. D’après ce qu’on a dit dans les milieux gouvernementaux, ses gardes du corps auraient participé à molester, dans les manifestations, les membres des forces de l’ordre. C’est pourquoi on les a pris pour les mettre en prison. Et je ne connais pas le fin mot des relations de Cellou Dalein Diallo. Donc, je n’ai pas de privilèges particuliers. GUINEENEWS TV : Pourtant ce n’est pas le cas avec Sidya Touré, Lansana Kouyaté et autres… 210

JEAN-MARIE DORÉ : Mais vous connaissez les problèmes entre Lansana Kouyaté, Sidya Touré et le président de la République ! Je vous ai dit que ces privilèges-là ne sont pas inscrits dans un code ! Vous comprenez ? S’il plaît au Président d’enlever demain les gendarmes de chez moi, je n’ai pas de bases légales pour lui dire de les maintenir ! Vous comprenez ? Je ne les ai pas sollicités ! On me les a donnés. Quand j’étais Premier ministre, j’avais une garde rapprochée de plus de… (il hésite à les quantifier). Je ne vais pas trahir le secret ! De nombreux militaires, des bérets rouges, des bérets verts, des gendarmes et des policiers… Maintenant, rien ne justifie que j’aie toute cette armée-là derrière moi ! Ce n’est pas un privilège ! C’est vrai ! Alpha Condé est un compagnon de lutte. Si je ne le dis pas, ce n’est pas correct. Bâ Mamadou est un compagnon de lutte ! Siradiou Diallo est un compagnon de lutte ! Rien ne peut empêcher qu’on affirme cela ! Mais ça ne veut pas dire que je suis le sosie d’Alpha Condé. Ça ne veut pas dire que je pense par sa tête ou qu’il pense par ma tête. Mais quand je l’approche, c’est dans le but que notre génération n’échoue pas ! Parce que ce serait terrible ! Je le dis et le répète à votre micro, nous avons critiqué Lansana Conté à l’endroit et à l’envers. On ne lui a pas fait cadeau de nos critiques. Il n’est pas normal que l’un d’entre nous, quand il a le pouvoir au sommet, commette les erreurs qu’on a reprochées à Lansana Conté. Ce serait la pire chose qui puisse arriver. Si nous avons le pouvoir, c’est de développer la démocratie, c’est de développer le dialogue… Parce que Conté, à un moment donné, était fermé au dialogue. Il nous a fallu trois mois pour le convaincre de créer une Commission électorale nationale indépendante (CENI). Parce qu’il disait qu’il était le seul souverain en Guinée. Or, la loi ne dit pas qu’il est souverain. C’est la nation qui est souveraine. Vous comprenez ? Il incarne une partie de la nation, mais il n’est pas la nation. Aucun président, ni Alpha Condé ni Lansana Conté, n’est la nation.

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XXIX. « Je connais profondément les raisons qui opposent Dadis à Konaté… » Propos recueillis par Serge Lamah pour Guineenews, juin 2012

GUINEENEWS TV : Nous ne pouvons pas ne pas parler du différend qui existe entre deux acteurs clés de la transition. Je veux parler du général Sékouba Konaté que vous connaissez très bien, qui vous appelle « Tonton », et le capitaine Moussa Dadis Camara que vous connaissez également. Qu’est-ce que vous avez à dire dans ce différend qui oppose ces deux personnes qui ont été à un moment au sommet de l’État en Guinée ? JEAN-MARIE DORÉ : Si vous n’étiez pas mon fiston, j’allais dire que vous êtes vicieux. Je connais bien ces deux acteurs. Sékouba Konaté a été mon chef direct puisqu’il était le chef de la transition. Je dois reconnaître que dans beaucoup de situations, il m’a laissé les coudées franches. Mais en d’autres circonstances, par manque d’expérience, il m’a bloqué. Vous avez écouté son discours lors de l’investiture du président Alpha Condé. Ce qu’il a dit là-bas n’était pas bien. Et il est en rupture aujourd’hui avec celui qui lui a fait écrire ça. GUINEENEWS TV : Pouvez-vous rappeler à nos téléspectateurs et lecteurs l’essence de ce discours ? 213

JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Ce serait fastidieux de le faire. Mais en substance, il a dit dans le discours que c’est lui et Tibou qui ont bien fait le travail et que le gouvernement n’a pas fait son travail. Alors que sans le gouvernement, la Guinée serait aujourd’hui en guerre civile avec des conséquences imprévisibles. Nous avons payé de nos nuits de sommeil, de notre temps pour que les élections se fassent dans le calme et la sérénité et que les résultats soient acceptés par les candidats en présence. Parce que les gens croient tellement que ce sont les élections qui étaient en cause alors que c’était la paix civile. Il fallait coûte que coûte la garantir, et je l’ai garantie. Ce n’est pas Sékouba qui a garanti la paix, c’est moi qui l’ai garantie. Parce que si j’avais écouté les militaires, dès qu’on disait qu’il y a manifestation à Bambéto, on disait : « envoyez la troupe ». Je disais non ! Il faut savoir pourquoi ils manifestent. Parce qu’un homme en bonne santé ne se lève pas comme ça pour se mettre à manifester dans la rue. Il faut une raison. Cela a pris un peu de temps, puis on a compris comment s’organisaient ces manifestations et on les a annihilées. Le bon gouvernement cherche toujours à désamorcer à la base sans que la population ne soit mêlée à cela. Donc, nous l’avons fait. Vous me parlez de Dadis et Konaté. L’un et l’autre manquaient d’expérience, totalement. Dadis avait son caractère. Henry Kpoghomou, madame Marie Kolié et moi avions été dépêchés par le parti (l’UPG, N.D.L.R.) quand ils ont fait leur coup d’État, pour apporter notre soutien à l’équipe qui était dirigée par des gens que nous connaissions. Je connaissais moins Dadis et beaucoup plus Konaté, parce que tous les deux sont des amis de mon fils. Nous avons été les féliciter pour leur dire que nous étions prêts à les conseiller pour une meilleure gestion de la transition. Kèlètigui Faro, Mathurin Bangoura, Mandjou Dioubaté, tous nous ont félicités. Konaté a montré sa joie sauf Dadis qui a dit : « Non ! Vous dites que c’est l’UPG ! Et il n’y a seulement que trois forestiers qui viennent nous voir. » Mandjou lui a dit : « Monsieur le Président, pour compter, on part toujours d’un. Si eux n’étaient pas les premiers à venir, on se serait posé des questions. » Il (le capitaine Dadis, N.D.L.R.) a dit : « Non ! Non ! Il faut une délégation plus forte. » Après, nous avons formé une délégation de plus de vingt personnes, composée de Peuls, Malinkés, forestiers et de Soussous. Il nous a donné rendez-vous à 19 h 30. À minuit, on n’était pas encore reçus. Le général Toto (actuel ministre de la Sécurité, N.D.L.R.) est venu nous voir dans la salle d’attente. Quand il nous a vus, il a dit : « C’est le Président ? (il faisait allusion à lui, Jean-Marie Doré, qui était assis) Vous êtes là depuis quelle heure ? » Je lui ai répondu que nous étions là depuis 19 h 30. Il a 214

dit : « Ah non ! Je vais le prévenir. » Il est parti puis il est revenu après un petit moment en disant : « Le Président dit qu’il va vous recevoir. » C’est à une heure du matin que nous avons quitté les lieux. GUINEENEWS TV : Sans avoir été reçus ? JEAN-MARIE DORÉ : Oui ! Sans avoir été reçus. Nous avons fait beaucoup de choses et je crois que s’il nous avait écoutés, peut-être qu’aujourd’hui, il serait président. On lui a dit sur tous les tons qu’il ne pouvait pas être président et candidat aux élections organisées par le CNDD (Conseil national pour la démocratie et le développement). Parce qu’il y a des gens qui lui parlaient pour lui faire plaisir. Moi, je ne parle jamais pour faire plaisir à qui que ce soit. Je parle respectueusement, mais pas pour faire plaisir à quelqu’un. Puis, je vous dis que c’est très difficile de trancher entre les deux, parce que vous ne connaissez pas les accords secrets qui les ont amenés à faire le coup d’État. C’est pourquoi je vous demande de vous abstenir de porter des jugements. Je connais profondément les raisons qui les opposent et je ne suis pas prêt à favoriser l’un ou l’autre. Mais j’ai un conseil à donner à ces deux-là. C’est de se taire, de se faire oublier. Surtout Dadis, il parle trop, il prend des positions politiques pour soutenir… Qu’est-ce qu’il connaît de l’avenir ? Pour faire la politique, il faut avoir une acuité visuelle qui perce la nuit, savoir à peu près ce qui va se passer dans six mois ou un an. Quelle va être la configuration politique de la Guinée ? Personne ne le sait. Mais quand vous parlez comme si vous maîtrisiez le temps et les événements, c’est très difficile. C’est pourquoi je pense que Moussa Dadis Camara et Konaté devraient cesser de se donner en spectacle en s’insultant comme des tapissiers. Ce n’est vraiment pas digne pour la fonction qu’ils ont occupée. Ce n’est pas bon ! Quand on a été le président des Guinéens de facto ou de jure, il vous est interdit d’avoir un certain comportement. J’ai lu l’interview de Dadis, j’ai également lu la réplique de Konaté. C’est une insulte à la Guinée. On ne peut pas imaginer que ces gens aient gouverné la Guinée. C’est une charge, un sacerdoce, comme le dit mon ami Syma (le président de la Cour suprême, N.D.L.R.) dès l’instant que vous avez été à la tête d’un État, beaucoup de choses vous sont interdites. On ne veut plus vous voir aller danser dans une boîte de nuit. Il faut respecter la notabilité, le peuple, les chefs religieux qui sont là et qui, à un moment donné, se sont reconnus en vous. Alors s’ils sont là à s’insulter : « celuici est un bâtard, l’autre est un soûlard, celui-ci est un fou », ça, c’est la 215

Guinée qu’on insulte. C’est très important. Il faut qu’ils cessent de s’insulter, surtout Dadis. Il faut qu’il cesse de se donner en spectacle. (Il hésite). Il est dans une situation très compliquée qui lui commande d’épouser le paysage et de rester calme. GUINEENEWS TV : Nous sommes à la fin de cette interview, vous pouvez vous adresser à vos militants qui nous suivent ici en Guinée et de par le monde ami, ainsi qu’à tous les Guinéens. Récemment, vous étiez en forêt pour battre campagne. Vous auriez d’ailleurs distribué de l’argent à vos partisans en prélude aux élections législatives ? JEAN-MARIE DORÉ : (Il l’interrompt) Donner de l’argent à qui et où ? Dites-moi et je vais vous répondre clairement. GUINEENEWS TV : Nous sommes des porte-voix. Il se dit que lors de votre dernier déplacement en forêt, vous auriez distribué de l’argent à vos militants en prélude à cette campagne qui doit commencer très bientôt. Donc, adressez-vous à ces militants qui nous suivent de par le monde, pour le mot de la fin. JEAN-MARIE DORÉ : Un parti politique se bâtit autour d’un idéal, mais pour que cet idéal prospère et produise le fruit espéré et attendu, il faut des structures organisées. L’organisation des structures implique des dépenses en effort physique, en finances et en réflexion. Vous ne pouvez pas faire un parti politique sans dépenser. La politique appelle l’argent donc, le peu de sous que nous avons donné à nos structures est tout à fait normal. Pour que je dise aux gens d’aller à Bignamou visiter tous les petits villages, à Gouecké, à Kabiéta et autres, on ne fait pas ça à pied. Il faut payer des motos, des véhicules, des vélos. Il n’y a pas un parti qui est un parti responsable qui ne finance pas ses structures de base. C’est écrit dans la Charte des partis. Le problème de financement est écrit noir sur blanc. Ceux qui disent cela sont des illettrés, des grosses brutes épaisses, sans pensées, parce qu’il faut financer. J’ai appris récemment que le gouvernement a amené 600 millions GNF à Guéckédou, 600 millions GNF à Macenta, 600 millions GNF à N’Zérékoré. On dépense ainsi l’argent du contribuable guinéen. Que vous voulez que je fasse, moi ? On dit que c’est le parti qui l’a envoyé parce que vous n’allez pas organiser le parti avec de bonnes paroles comme les douze apôtres de Jésus Christ qui allaient prêcher la parole et tapaient à pied avec des sandales, mais, aujourd’hui, personne ne veut aller en sandales. Si vous avez un bureau régional qui supervise, il faut un véhicule. C’est comme ça. Ceux qui le disent sont des illettrés qui ne savent pas ce que c’est qu’un parti politique. En France, actuellement on veut 216

poursuivre Sarkozy parce qu’il aurait participé à la collecte des fonds dans un hôtel parisien. C’est parce que Nixon avait été accusé d’avoir bénéficié de l’appui du syndicat des camionneurs des États-Unis d’Amérique, mais parce qu’un parti s’entretient comme un jardin, il faut arroser. Il faut donner de l’argent. On va dire à Mamy (un de ses militants, N.D.L.R.), « va tout de suite à Coyah pour voir la section », mais il ne peut pas aller à pied. C’est impossible. Il faut au moins lui donner le prix de magbana, si le parti ne peut donner que ça. Je crois, il ne faut plus s’entretenir avec des gens qui disent cela parce qu’ils sont peu fréquentables. La réalité politique, son organisation, tout coûte de l’argent. Vous ne pouvez pas faire un parti politique qui veut prendre le pouvoir, qui veut conserver le pouvoir, qui aspire à jouer un certain rôle, si vous ne mettez pas la main à la poche. C’est ça. GUINEENEWS TV : Merci de nous avoir reçus.

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XXX. « La colère de Jean-Marie Doré à propos des tueries de Zogota… » Propos recueillis par Guineenews le 24 août 2012

« Si nous, grands prêtres de la démocratie qui annoncions l’arrivée du règne du droit, si après tout, la démocratie n’a pas droit de cité, c’est dramatique et honteux ». Ou aussi « On a le sentiment que les autorités gouvernementales méprisent les forestiers ». Ou encore « Une bande d’opportunistes de forestiers à la recherche de postes ministériels est allée étouffer les cris de protestation à Zogota ». Ou encore « Je connais qui a empoisonné l’eau au Palais du Peuple. Ce n’était ni le RPG, ni l’UFDG, encore moins l’UFR ». Ou enfin « Les élections doivent être correctes parce qu’au bout, la Guinée pourra faire un bond en avant ou alors on n’acceptera pas ». Tels sont les propos poignants de l’ancien Premier ministre Jean-Marie Doré de l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG), fidèle à ses déclarations fracassantes au cours d’un long entretien qu’il a bien voulu accorder à Guineenews, le 24 août 2012. GUINEENEWS : Après recul, qu’est-ce qui s’est passé à Zogota ? JEAN-MARIE DORÉ : Pour bien comprendre le problème, soyons simples. La société BSGR a bénéficié d’un contrat d’exploitation des minerais de fer de Kontra, Koulé et Kobéla. Neuf villages de N’Zérékoré 219

formant le moyen Diani sont concernés, plus Koyama dans Macenta. Les habitants des deux rives y vivent depuis des siècles, parlent Kpèlè et Toma et cultivent la terre. Un beau matin, on est venu leur dire de déguerpir moyennant des indemnités payables par le truchement de l’administration. Entre-temps, la société brésilienne Vale a racheté 51 % des actions de BSGR. Les deux ont fondé la nouvelle société VBG. Alors, il a été conclu de faire déguerpir les paysans pour engager la procédure du paiement de l’indemnité superficielle, dont le montant sera fonction de la superficie déguerpie. La société Vale a émis des chèques qu’elle a remis à l’autorité locale sous la supervision de l’autorité préfectorale avec l’œil vigilant du gouverneur. Mais depuis, les paysans n’ont ni senti l’odeur de l’argent, ni vu sa couleur, encore moins pesé son poids. En désespoir de cause, le président du district a été mandaté d’aller voir le préfet Hassan Sanoussy Camara pour lui demander de partager l’argent. « Mais de quel argent s’agit-il ? » « De l’indemnité superficielle. » « Je vous interdis de venir me parler de cette affaire, sinon ce qui vous arrivera sera terrible. » En bon délégué, ce dernier revient au village pour rendre des comptes. Les villageois lui demandent de retourner encore, cette fois-ci avec le sous-préfet de Kobéla. À leur arrivée, le préfet demande : « Que se passe-t-il ? » « C’est pour l’argent de déguerpissement. » « Je ne t’ai pas dit de ne plus retourner ici pour me parler de cette affaire ? » À leur retour, le sous-préfet est mis en prison pendant vingt-quatre heures au commissariat ou à la gendarmerie, je n’ai pas la confirmation. Au village, les paysans disent : « ou nos terres ou nos indemnités ». Et aussi longtemps que le propriétaire ne respecte pas cet engagement, nous interdirons tout accès au site de la société. Il faut le reconnaître, je suis un homme de droit, mais les paysans ont empêché l’arrivée sur le site en coupant des troncs d’arbre pour joindre l’acte à la parole. Dès son installation, la société a promis aux riverains de les prioriser dans le recrutement de la main-d’œuvre. Les villageois se présentent à la société pour postuler à des tâches, on leur demande de payer trois à quatre millions de francs, où vont-ils trouver cet argent ? Mais ce qui les a beaucoup énervés, c’est quand ils ont vu sur le site des bagages de citoyens venant d’autres coins du pays qui occupent des emplois qu’eux-mêmes pouvaient assumer. Ils ont alors demandé d’où viennent ces gens. Finalement, ils ont trouvé une liste sur laquelle le préfet a proposé quarante personnes, le gouverneur quarante aussi, le secrétaire général vingt, et ainsi de suite, c’est hiérarchisé… GUINEENEWS : Des recommandés, voulez-vous dire ? 220

JEAN-MARIE DORÉ : Oui, ils ont même menacé la société d’embaucher leurs recommandés sans quoi ils vont lui mettre les bâtons dans les roues. Voilà comment les recommandés ont été embauchés au détriment des locaux. Mais il faut que cela soit clair, les habitants de Zogota n’ont jamais dit qu’ils seront les seuls à être embauchés dans la société. Non ! C’est quand la crise a atteint toute son intensité qu’ils ont dit qu’ils seront les seuls à travailler là-bas. Mais ce sont des propos d’énervement qui ne tiennent pas la route. Les gens sont désemparés. On leur demande de payer des sommes colossales, alors que les recommandés sont intégralement recrutés, quelles que soient leurs compétences. Voilà pourquoi, en plus des paysans, les jeunes de Kobéla se sont fâchés. Et les deux colères se sont rencontrées. Dans ce genre de situation, on ne prend pas la peine de réfléchir. Tout le monde est énervé. C’est ainsi que certains énervés ont saccagé le site de VBG, incendié les conteneurs, cassé des ordinateurs et démoli beaucoup d’objets. Au bruit de ces casses, le gouvernement a envoyé une délégation ministérielle dirigée par un ressortissant de la région, monsieur Édouard Niankoye Lamah. Mais celle-ci a commis une faute. GUINEENEWS : Laquelle ? JEAN-MARIE DORÉ : Quand vous partez régler une crise de telle ampleur dans une région, il faut voir et les autorités officielles et les autorités morales, les sages. Mais de l’aéroport, eux sont allés directement sur le site. Mieux, ils ne sont pas allés rencontrer les villageois. Ils se sont arrêtés là où les casses des installations ont eu lieu pour s’apitoyer sur les destructions. Et ils ont dit que cela ne restera pas impuni et qu’il faut donner un exemple. Ils ne se sont pas contentés de dire ça sur le site seulement, mais ils sont allés encore à la radio rurale de N’Zérékoré. Leur déclaration radiophonique confirme leur présence effective à N’Zérékoré. Toutes les populations sont étonnées. Les jeunes, excités, se sentant insultés et bafoués, ont envahi le domicile du patriarche de N’Zérékoré à Dorota pour menacer. On pensait que cette déclaration était une simple mise en garde. GUINEENEWS : Venons-en aux tueries proprement dites… JEAN-MARIE DORÉ : Dans la nuit de vendredi à samedi, entre minuit trente et deux heures, une équipe comprenant un nombre indéterminé de militaires, de gendarmes et de policiers dans des camions venant de Macenta et de Guéckédou débarque à Zogota, mais se heurte à des troncs d’arbres érigés en cours de route. Au bruit de leur tronçonneuse, les populations se réveillent. Le président du district 221

accourt aux nouvelles, mais est mis aux arrêts, ligoté au véhicule en marche, puis traîné à terre. On veut le fusiller, mais un d’entre eux soutient qu’il est invulnérable. Il sera égorgé comme un mouton de Tabaski. GUINEENEWS : Vous ne racontez pas un film ? JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Et puis son frère, qui le suivait, a été ligoté aussi. Quelqu’un d’entre eux soutient qu’ils ne peuvent tuer quelqu’un qu’en tirant dans son œil. Voilà pourquoi nous parlons de planification parce que des guides ont été choisis en raison de leur connaissance du terrain. C’est ainsi qu’ils ont mis le fusil dans son œil pour le tuer. Son crâne a volé en éclats. Trois autres personnes ont été tuées dans des conditions horribles similaires. GUINEENEWS : D’aucuns comparent les casses aux morts. JEAN-MARIE DORÉ : Je condamne les casses, mais notre loi dit de garantir la sécurité des personnes et de leurs biens. Quel que soit le coût, cent millions, deux cents millions, j’ai entendu des chiffres colossaux pour justifier l’action. Non ! Même si le coût vaut un milliard de dollars, c’est remboursable. Si toute la forêt se réunit, elle peut payer l’addition. Mais toute la Guinée réunie ne peut pas ressusciter un mort. Ni vous, ni moi, ni le président de la République, ni le gouvernement uni à tous les imams et aux papes de la terre, personne ne peut ressusciter un mort. Lorsqu’une personne meurt dans ces conditions, c’est irréparable, une soustraction frauduleuse et criminelle dans le potentiel humain de la patrie. GUINEENEWS : Vous ne faites que dénoncer… JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Il faut punir ceux qui ont exécuté cela. Il faut punir ceux qui ont planifié cela. Il faut punir ceux qui ont ordonné cela. GUINEENEWS : En clair… JEAN-MARIE DORÉ : En clair, nous condamnons sévèrement, sans appel, ce qui s’est passé à Zogota et à Siguiri. Je suis pour une commission d’enquête. GUINEENEWS : Comme celle promise au lendemain de l’empoisonnement dans l’entre-deux-tours… JEAN-MARIE DORÉ : Je demande une vraie enquête indépendante qui ne se contente pas de donner son avis au commandant de zone, au chef de la police, au patron de la gendarmerie ou à quelques notables. Et après, dire, voilà le résultat. Non ! Je veux une vraie enquête 222

GUINEENEWS : mais deux préfets sont limogés. JEAN-MARIE DORÉ : Déjà un commencement est là, avec la radiation des préfets de Siguiri et de N’Zérékoré. Je félicite le gouvernement pour cet acte. C’est une bonne chose, mais c’est insuffisant, parce qu’un préfet ne peut pas se permettre tout seul dans une préfecture comme Siguiri ou N’Zérékoré de prendre une telle décision sans s’appuyer sur une autorité. GUINEENEWS : Que voulez-vous insinuer ? JEAN-MARIE DORÉ : Il faut chercher les autorités qui ont soutenu en sous-main les conduites inqualifiables de ces hauts fonctionnaires pour faire un peu d’aération dans la maison Guinée. Je ne suis contre personne, mais je condamne les actes ayant conduit à cette tragédie. Certains croient que les uns sont faits pour souffrir. Moi, je dis non ! GUINEENEWS : Le gouvernement peut étouffer l’affaire, surtout que les élections arrivent… JEAN-MARIE DORÉ : Si cette affaire n’est pas bien gérée, si elle doit se répéter, ce ne serait pas dans un cadre ventilé. C’est un avertissement. Et puis, les élections doivent être correctes parce qu’au bout, la Guinée pourra faire un bond, soit en avant ou alors on n’acceptera pas. Jamais, plus jamais, il ne faut pas que les gens pensent qu’ils peuvent impunément se permettre de faire n’importe quoi dans ce pays. Jamais, je le dis solennellement, il faut que cette affaire de Zogota soit réglée correctement. Il faut que les élections soient correctes aussi. Chacun de nous connaît à peu près son poids électoral. GUINEENEWS : Vous haussez le ton, donc vous allez porter plainte… JEAN-MARIE DORÉ : Je ne peux pas porter plainte. Je n’en ai aucune qualité. Mais les associations des droits de l’homme, les familles des victimes, elles, oui. L’homme politique a sa sphère d’intervention. Si nous nous taisons, il n’y a pas de pression. Ma première contribution est de dénoncer clairement cet acte barbare. Si j’étais avocat sans frontière, ma démarche serait différente. J’ai eu à m’expliquer à un niveau très élevé sur ce sujet. GUINEENEWS : Et qu’avez-vous demandé ? JEAN-MARIE DORÉ : J’ai dit que je suis pour l’enquête, mais je ne la prendrai au sérieux que si on commence par identifier celui qui a été à l’origine de la colère des paysans. Le préfet n’a pas été limogé comme ça, c’est parce que certaines informations sont disponibles. 223

GUINEENEWS : Un comité de crise a recruté un collège d’avocats… JEAN-MARIE DORÉ : Je ne suis pas obligé de faire comme eux. Je ne condamne personne à s’inscrire dans un comité de crise, mais je refuse catégoriquement de faire du suivisme. J’ai ma démarche, ma vision du problème. Je vais dans ce sens-là. Il n’est pas dit que c’est la voie la plus efficace. Qui vous a dit que cela va aboutir ? J’ai parlé plus que ces gens qui se mettent au-dehors. Moi, je vais à la source. J’ai eu un entretien à un niveau très élevé pour exiger la punition comme un préalable avant toute démarche de l’État. GUINEENEWS : Lorsque vous dites qu’un préfet ne peut pas se permettre de décider tout seul sans s’appuyer sur une autorité, que voulez-vous dire, monsieur Doré… JEAN-MARIE DORÉ : C’est cette délégation ministérielle, qui assurément avec les autorités locales, a planifié, selon l’ordre de qui à Conakry, je n’ai pas encore la confirmation. Mais je suppose que les autorités locales ne peuvent pas se permettre à elles seules de dépêcher l’armée dans une telle opération sans l’aval de la hiérarchie qui commande l’armée, la police et la gendarmerie. GUINEENEWS : Vous en voulez au gouvernement… JEAN-MARIE DORÉ : Ce que je n’ai pas apprécié chez le gouvernement, c’est quand il ne parle que du site de Vale détruit sans faire allusion aux morts. À un moment donné, on voulait même étouffer l’exécution de sang-froid des cinq tués. Maintenant, ils sont six. Un prisonnier a succombé à ses blessures. De Zogota à N’Zérékoré sur 165 kilomètres, ils ont été frappés, torturés, les mains ligotées au dos, les gens marchant sur eux. Or, d’après mes informations recoupées, ils n’ont pas été pris avec des bâtons. Certains ont été rencontrés en cours de route pour être embarqués. Ils sont venus à minuit en violation flagrante du code de procédure pénale pour faire du rapt et du kidnapping. Ils ont exécuté de sang-froid, j’insiste. GUINEENEWS : En vous écoutant, on ressent de la peine… JEAN-MARIE DORÉ : Effectivement ! Une chose me fait de la peine profondément. Et j’en souffre moralement. GUINEENEWS : Libérez-vous, monsieur le Premier ministre ! JEAN-MARIE DORÉ : Vous savez, nous avons fustigé Lansana Conté. Nous l’avons traité de tous les noms d’oiseau parce qu’il méprisait la loi, disions-nous à l’époque, parce qu’il n’avait aucun sens de la 224

démocratie. Si nous, grands prêtres de la démocratie ou prophètes de la démocratie, annonçons l’arrivée du règne du droit, c’est moi Jérémie qui vous parle, c’est moi Mahomet qui parle, et si après tout, la démocratie n’a pas droit de cité, c’est dramatique ! Moi, j’ai honte, vraiment. Honte, en tant que Guinéen, en tant que leader politique, et surtout en tant qu’ancien Premier ministre ayant géré le processus. GUINEENEWS : Je vous comprends, c’est triste… JEAN-MARIE DORÉ : Je ne suis pas content. Je suis profondément triste. Vous pouvez m’insulter sur ce sujet dans les journaux, je m’en fous. Écrivez ce que vous voulez jusqu’à demain, j’accepterai parce que j’ai tort. Mais je vous sais gentil, généreux et miséricordieux, vous me pardonnerez parce que l’erreur est humaine. Donc, la question posée, c’est la violation frontale, flagrante, ostentatoire des droits humains chez nous en Guinée. GUINEENEWS : Vous êtes vraiment révolté… JEAN-MARIE DORÉ : Ce qui est surtout révoltant dans cette affaire, c’est qu’on a le sentiment que les autorités gouvernementales méprisent les forestiers. GUINEENEWS : C’est trop fort… JEAN-MARIE DORÉ : Cela est anormal. Chacune de nos populations régionales a ses qualités et ses défauts. Le forestier ne réagit pas rapidement, mais lorsque vous l’acculez, alors le retour du bâton n’est pas le bienvenu. Nous devons connaître la sociologie de nos populations pour savoir ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter. GUINEENEWS : Il semble que des émissaires du pouvoir tentent d’étouffer les tueries. JEAN-MARIE DORÉ : Le gouvernement a dépêché une délégation de ressortissants de la région, qui s’agite autour du pouvoir à la recherche de postes ministériels et autres avantages. Des gens pareils sont dans toutes les régions du pays. C’est une bande d’opportunistes de forestiers… GUINEENEWS : Qui, les émissaires ? JEAN-MARIE DORÉ : Il y a une bande d’opportunistes de forestiers, qui vivent en exploitant tous les pouvoirs à Conakry. Ils ont été dépêchés pour aller étouffer les cris de protestation à Zogota et à Kobéla. Le président de la République leur a donné trois cents millions de francs à distribuer aux neuf villages concernés. Récemment, ils se sont présentés au village en disant que le Président est très attristé et qu’il leur 225

a envoyé soixante millions comme prime de consolation pour demander pardon. GUINEENEWS : Quelle a été leur réaction ? JEAN-MARIE DORÉ : Les gens ont dit « nous sommes en train de pleurer nos morts et on envoie de l’argent pour nous insulter ». Ils ont refusé de prendre l’argent. Je vous dis une chose, la Guinée de Sékou Touré n’existe plus. La Guinée de Lansana Conté est terminée. Celle de Dadis est révolue. Celle du général Sékouba et de moi, pareil. Une nouvelle Guinée, qui a une conscience aiguë de ses droits, qu’on ne peut plus manipuler, est née ! Les paysans ont refusé l’argent. Mon frère Maurice Zogbélémou, qui était de la délégation, a dit que les 60 millions ne sont pas donnés par le Président, mais le fruit de cotisations des ressortissants de la région. C’est comme ça qu’ils ont accepté de prendre l’argent. Deux ans en arrière, les citoyens auraient pris cet argent. Le fait que des villageois incultes aient réagi comme ça prouve que le changement est venu. GUINEENEWS : Grâce à qui ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais ce changement n’est pas intervenu par le fait de quelqu’un, mais des événements. GUINEENEWS : Les nouveaux dirigeants ont intérêt à revoir leur copie. JEAN-MARIE DORÉ : Pour montrer la gravité de cette affaire, le monde entier s’en est saisi. J’ai été informé que la communauté guinéenne, toutes sensibilités confondues, a rédigé un mémorandum à l’attention du chef de l’État. Il lui sera remis par une délégation à travers l’ambassadeur de Guinée en France. J’ai appris que ce groupe, élargi aux Guinéens de Hollande, de Belgique, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne, marchera à Paris pour protester contre la négation du droit démocratique du Guinéen. C’est pour dire que nous qui prétendons gérer l’État, nous devons réévaluer nos convictions et méthodes d’approche. Une remise à jour de notre patriotisme s’impose. Il ne s’agit pas de clamer que je suis patriote. Ceci est un slogan. Je dis non, c’est un comportement au jour le jour. GUINEENEWS : Vous saluez aujourd’hui la radiation des préfets de N’Zérékoré et de Siguiri. Mais à l’entre-deux-tours, certains préfets, comme ceux de Siguiri et de Pita, ont gardé confortablement leur poste, en dépit des drames ayant éclaté dans leur ville… JEAN-MARIE DORÉ : Ce n’est pas comme ça. La transition était bicéphale. Le président de la transition avait autorité sur le Premier 226

ministre. On disait que c’était moi qui commandais le pays, oui, mais ce n’est pas au pied de la lettre. Beaucoup de choses se sont faites pendant la transition dans le dos du Premier ministre. Je considère que la Constitution qui a été adoptée en catimini est un outrage inexcusable à la Guinée. J’ai insulté monsieur Ibrahima Fall de l’Union africaine et monsieur Saïd Djinnit des Nations unies qui tous venaient me parler dans un certain français, je leur ai dit : « Mais vous avez étudié où ? » J’ai dit qu’il n’est pas venu du ciel, donc il n’est rien. La Constitution algérienne n’a pas été adoptée de cette façon. La Constitution sénégalaise non plus. Et vous venez rabaisser le niveau de la Guinée en faisant adopter en catimini notre Constitution. Quand vous gouvernez, il y a des choses à porter dans la place publique, mais d’autres non. C’est une question de responsabilité. Je vous promets formellement une conférence de presse sur la transition. GUINEENEWS : En attendant, je réitère ma question, pourquoi n’aviez-vous pas limogé ces préfets… JEAN-MARIE DORÉ : J’ai pris des décisions demandant la révocation du préfet de Siguiri. Mais j’ignore ce qu’est devenu ce projet. Je n’étais pas autorisé à signer, contrairement aux accords de Ouagadougou, je n’étais pas autorisé à contresigner un papier signé par le président de la transition. Cette partie n’a jamais été publiée en Guinée. Donc, je n’avais pas le pouvoir de contraindre le Président à signer ou pas un décret. Mon devoir était de faire des propositions après avoir entendu le Conseil des ministres. Donc, l’affaire de Siguiri, je ne m’en suis plus mêlé jusqu’à sa conclusion. Je l’avoue, pour la simple raison qu’on m’a enlevé les moyens d’agir. Moi, je suis profondément antiethnique. GUINEENEWS : L’empoisonnement à l’entre-deux-tours refait surface encore. Vous étiez Premier ministre au moment des faits. Vous avez sûrement des révélations à faire après recul. JEAN-MARIE DORÉ : J’ai des informations précises. Quand vous êtes Premier ministre, vous gérez les services de renseignements. C’est moi qui ai empêché le développement de cette affaire. Le général Ibrahima Baldé et le général Mamadouba Toto Camara m’ont appelé à 19 heures pour venir en toute urgence à l’hôpital Ignace Dean. À mon arrivée, le général Baldé, en phrases précises comme son habitude, m’a décrit la situation. Les enfants sont apparemment empoisonnés. On avait de la peine à s’entendre parce que les femmes de Kaloum venaient, le foulard attaché aux pagnes, le torse nu, pour demander le lynchage de la 227

directrice de l’hôpital, qui est une Peuhl. Elles disaient que c’était elle qui avait empoisonné leurs enfants, tout en disant que les enfants faisaient de la comédie. Un mot malheureux qui a donné lieu à diverses interprétations. Les gens ont accusé directement l’UFDG, mais c’était automatique. Si l’UFDG était dans cet état, automatiquement, le RPG serait visé. Mais comme ce sont les militants de l’Arc-en-ciel qui en souffraient, on a accusé l’UFDG, ce n’est pas vrai. Ce n’était ni l’UFDG, ni le RPG, et ce n’était pas non plus de la comédie, il y a eu empoisonnement. Mais le lieu était mal indiqué pour déterminer cela. Pour le moment, il fallait réfléchir en vitesse pour désarmer les femmes qui venaient en masse pour lyncher la directrice de l’hôpital. Et cette affaire allait constituer le déclenchement de la guerre civile. Alors, une idée m’a traversé l’esprit. J’ai prié les femmes de m’accorder deux minutes. J’ai promis de régler la crise, de punir les coupables. Mais en attendant, j’ai relevé de ses fonctions la directrice de l’hôpital pour la faire remplacer par son assistant. Les manifestantes ont applaudi et se sont dispersées. Après, j’ai fait faire des prélèvements des crachats et vomissures pour l’OMS. Heureusement, il n’y a pas eu de morts. Et j’ai compris d’où venait le coup. J’étais dans l’incapacité d’agir sur la source ayant provoqué cela. Je sais qui a empoisonné l’eau. GUINEENEWS : Son nom et je vous en serais très reconnaissant ? JEAN-MARIE DORÉ : Il est très difficile de gouverner. C’est pourquoi certains secrets d’État sont divulgués seulement après une longue période. Parce que si vous les divulguez maintenant, vous risquez d’avoir le contraire de ce que vous souhaitez. Je sais qui a empoisonné l’eau. Ce n’était ni le RPG, ni l’UFDG, encore moins l’UFR. Ce n’était personne d’autre. Aucun commerçant, ni Malinké, ni Peuhl, ni Soussou, ni forestier, n’est impliqué. C’est une affaire qui s’est colportée à Conakry à des niveaux que vous ne pourrez jamais savoir. GUINEENEWS : Des donso sont signalés à N’Zérékoré… JEAN-MARIE DORÉ : Je condamne sévèrement la présence des donso en forêt, pour la simple raison que ce sont des chasseurs. Ils chassent des animaux sauvages. Mais je n’ai jamais vu une biche traverser N’Zérékoré, Lola, Macenta, Beyla. Donc, leur présence ne s’explique pas. Or, tout parti politique qui recrute une milice peut être dissous. La loi guinéenne l’interdit formellement. Je dis de la façon la plus catégorique, les donso doivent être en brousse ou dans la savane pour chercher l’antilope ou la biche. Les Guinéens ne sont pas des gibiers. C’est une provocation injustifiable. Que les donso aillent 228

démontrer leur adresse en allant tirer ailleurs les agoutis, les biches, les panthères. GUINEENEWS : Et la crise que connaît Fria ? JEAN-MARIE DORÉ : La situation grave, confuse, qui règne à Fria est latente. Bientôt six mois que les travailleurs de l’usine sont sans salaire. Or, les habitants de Fria sont comme ceux de Kaloum. Ils n’ont pas d’espaces pour cultiver la terre. Ils vivent de l’usine. Et nous sommes étonnés qu’aucune décision, ou même une proposition de décision, n’ait été prise ou suggérée afin de sécuriser ces populations plongées aujourd’hui dans le dénuement et le désespoir. Il faut que le gouvernement prenne clairement position dans l’affaire de Fria pour la reprise du travail. On ne peut pas faire des opérations chirurgicales sans amputer une partie du corps. Ce n’est pas parce qu’on a cédé un peu aux Russes qu’on cesse d’être souverain. Les revendications du syndicat se sont faites sans consultation profonde de la base, ni étude du contexte économique et social de Fria.

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XXXI. « Assassinat de madame Boiro, contrat BSGR, affaire Waymark et Sagem… » Par Amara Moro Camara et Sarifou Barry pour Guineenews en novembre 2012

Voici ce qu’en pense l’ancien Premier ministre de la transition et président de l’UPG, Jean-Marie Doré, au cours d’une interview avec Guineenews en novembre 2012. GUINEENEWS : Comment vous avez ressenti l’assassinat de madame Aïssatou Boiro, directrice nationale du Trésor public ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est très grave. Parce qu’une directrice nationale du Trésor dans un pays, c’est une personnalité de premier plan dans la gestion de notre économie. J’ai été étonné d’apprendre qu’elle n’avait pas de protection particulière, alors que nous connaissons le contexte social quelque peu délétère de la Guinée. Je pense que le fait de ne pas lui avoir pas donné de gendarmes ou de militaires pour la garder, alors que nous savions que l’insécurité a repris de l’envol, fut une erreur. Je le regrette profondément. C’est une dame qui avait été nommée par le président Alpha Condé pour sa compétence. Dès les premiers temps, elle a commencé à se rendre compte qu’il y avait une certaine tendance à manipuler des documents des finances pour soustraire de fortes sommes du Trésor public. C’est donc une femme qui avait l’intention d’apporter un peu d’aération dans la maison dont elle avait la charge. Je me joins à sa famille pour regretter sa disparition brutale. Mais il faut en tirer les leçons. Parce que les hauts cadres de l’État qui exercent une certaine fonction ont le droit, et c’est un devoir pour l’État, d’être protégés. On peut calmement en faire la liste et à titre dissuasif protéger leurs mouvements et leurs domiciles. Je saisis l’occasion de cet entretien pour exprimer à sa famille, au gouvernement et au chef de l’État, mes condoléances les plus attristées et celles de l’UPG et de ma famille. 231

GUINEENEWS : L’autre fait dominant de l’actualité, ce sont les révélations de corruption autour de la signature du contrat de la compagnie minière BSGR évoluant en Guinée depuis quelques années. Selon une enquête du magazine anglais « Financial Time », cette société aurait acquis son contrat en usant de moyens de corruption auprès de certains membres de la famille du général Conté et de certains hauts cadres de l’administration minière guinéenne. Dans ce même dossier, certaines personnes vous mettent nommément en cause pour avoir joué un rôle dans l’acquisition de son permis sur Zogota lorsque vous étiez Premier ministre ? JEAN-MARIE DORÉ : Même si un journal à la réputation et à l’audience du « Financial Time » dit des choses, il faut toujours se poser la question de savoir comment il a eu l’information. Surtout qu’il y a la distance entre Londres et Conakry. Donc, ça peut être une source unique d’information. Je vais vous donner la preuve. BSGR opérait à Zogota depuis quatre ans. Nous sommes venus voir BSGR à l’œuvre, qui était déjà implantée. Donc, ce n’est pas nous, nous n’avons rien à voir avec l’implantation et le fonctionnement de BSGR. Donc, je démens catégoriquement les allégations de ce journal et ses informateurs. Nous avons trouvé sur place BSGR, Rio Tinto, BHP Billiton. Vale venait de conclure un accord avec BSGR pour l’exploitation des blocs 1 et 2 de Simandou. Donc, nous n’avons rien à voir. GUINEENEWS : Certaines allégations affirment que BSGR a acquis son permis sur Zogota à l’époque où le général Sékouba Konaté dirigeait la transition. JEAN-MARIE DORÉ : Non. Ce sont des raccourcis que des gens veulent. Nous avons trouvé des dossiers qui étaient déjà approuvés par le gouvernement précédent. Je persiste à penser que dans un pays, les actes de l’État s’additionnent et se soustraient rarement. Donc, si on se met à répudier ce qu’ont fait nos devanciers, la Guinée n’ira nulle part. On peut corriger les insuffisances éventuelles à un contrat, à une convention, mais on ne peut pas mettre en cause tout le système. Mais je vais vous apporter un nouvel éclairage ; je ne vous surprendrai pas en vous disant que je ne suis pas un ingénieur des mines. Je n’ai jamais fait commerce de minerai de fer ou de bauxite. Donc, je connais mal le marché. Mais j’avais la chance d’avoir comme collaborateurs deux hommes. Chacun à son niveau maîtrisait parfaitement les problèmes miniers. Le premier, c’est le ministre des Mines, monsieur Mahmoud Thiam, un garçon compétent, 232

capable. Il maîtrise le problème du pétrole, le problème de minerais et le marché. Mais cela ne suffisait pas pour que je ferme les yeux et prendre pour argent comptant ce qu’il disait. Et j’avais comme conseiller monsieur Mohamed Lamine Fofana, l’actuel ministre des Mines qui m’a donné la conviction qu’il maîtrisait le problème des mines. Je ne pouvais pas donner l’autorisation de signer un contrat, d’apporter une modification à un contrat, de lire même pour moi-même et de me faire une opinion sans son appréciation. Souvent, quand les dossiers venaient du ministère, il y avait des bruits divers. Pour que je voie clair, il fallait que monsieur Mohamed Lamine Fofana se prononce. J’ai cité un cas lors de la conférence de presse, c’est la convention de Hyperdynamic. Hyperdynamic a beaucoup traîné ici, treize ans. Il faut avouer, les gens l’ont plumée. « Ah, on va aller voir le président de la République pour qu’il signe, il y a un tel qui peut approcher le Président. » Donc, il faut lui donner tant… J’ai trouvé que ce n’était pas normal. Ou on accepte et les gens ne perdent pas de temps ou on n’accepte pas et ils s’en vont. Dans tous les cas de figure, il y a un gain de temps de part et d’autre. Mais faire traîner une société comme ça pendant treize ans et à chaque visite de la société, il fallait laisser quelque chose dans la poche des gens, j’ai trouvé cela immoral et condamnable. Donc, quand les responsables de Hyperdynamic sont venus me voir, j’ai demandé l’opinion du ministre des Mines pour savoir pourquoi son contrat n’avait pas été signé. Le ministre m’a dit qu’on ne pouvait pas signer le contrat dans l’état où il était rédigé. Parce qu’il demande un nombre de blocs qui est incompatible avec l’intérêt de la Guinée. J’ai demandé alors pourquoi son cabinet avait rédigé un tel contrat. Il m’a dit qu’il est venu trouver cela comme tel. J’ai cru que peut-être le ministre avait des raisons personnelles de ne pas signer le contrat, j’ai dit « vous allez signer ». Le ministre est allé voir mon conseiller et les deux sont venus me voir, Mohamed Lamine Fofana et Mahmoud Thiamonsieur. Ils m’ont dit : « C’est pour votre propre protection qu’il ne faut pas signer le contrat dans l’état où il est rédigé. Au maximum, on peut donner seize blocs. » En effet, j’ai commencé à me rendre compte que c’était exagéré. Compte tenu des préjudices qu’ils ont subis de la part des gens qui les ont fait traîner de bureau en bureau, on pouvait fermer les yeux, leur donner seize blocs. Nulle part, dans aucun contrat, on a donné trente blocs à une société en matière de pétrole. Comme je ne suis ni un spécialiste du marché du pétrole, ni sur la qualité des minerais, mon conseiller m’a dit « faisons comme le ministre, c’est le ministre qui a raison ». Et nous avons fait dans cette forme-là et on a signé. Jamais et en aucun cas, je ne 233

me suis prononcé sur des contrats sans l’aval de mon ministre. C’est pourquoi il était important pour moi, dans l’intérêt de notre pays, que cet homme en qui j’avais confiance continue à avoir la haute main sur la gestion des mines. Tout le monde sait, dans mon cabinet, que jamais je ne me suis compromis dans des donations de cadeaux sur ou sous ou à côté de la table. GUINEENEWS : Une signature qui fait jaser dans le secteur minier aujourd’hui, c’est le contrat qui autorise l’exportation des minerais qu’allait produire Vale sur Simandou et Zogota par le port libérien de Buchanann ? JEAN-MARIE DORÉ : Absolument. C’est l’intérêt supérieur de la Guinée que Conakry ne soit pas le seul port d’évacuation de nos minerais. Il ne faut pas voir seulement aujourd’hui, il faut voir dans cinq, dix ou vingt ans. C’est pourquoi je continue à être partisan d’évacuer les minerais de fer de Zogota du BHP Billiton aux monts Nimba par le chemin de fer qui va de Tiyo à Buchanann, au Liberia. Parce que n’importe quel événement peut survenir qui rend impossible l’évacuation de nos minerais par le port de Conakry. Il faut que l’on ait un dérivatif à une éventuelle difficulté de nos voies nationales. Comme nous sommes dans une structure qui est appelée à évoluer, l’Union des États du fleuve Mano, on anticipe sur les événements en nous liant par le ventre. C’est pourquoi j’avais signé et j’en assume la responsabilité en autorisant BHP Billiton à construire les 17 kilomètres qui séparent sa mine du chemin de fer du Liberia. Mais je ne me suis pas prononcé parce que je n’ai pas reçu la demande formelle sur l’évacuation des minerais de Böla, Koropara et Zogota par un chemin de fer qui partirait de Zogota jusqu’à Donwéta, dans Yomou pour rencontrer le chemin du fer du Liberia. Mais si j’avais la capacité, j’autoriserais cela, automatiquement. Parce que c’est pour l’avenir. Actuellement qu’est-ce qui nous lie à la Sierra Leone, au Liberia et à la Côte d’Ivoire, sinon les discours ? C’est tout. Mais si demain, nous habituons la Sierra Leone ou le Liberia à recevoir tant de millions de dollars par an pour le fait du transit de nos minerais, je crois que ces Étatslà regarderont deux fois avant de nous créer des difficultés. Je ne dis pas qu’il n’y aurait pas de problème à l’avenir entre ces pays et la Guinée, mais nous devons être réalistes et dire vrai. Il faut que nos discours diplomatiques et politiques soient vrais. C’est-à-dire quand nous parlons d’intégration, il faut que nous ayons la conviction puis la volonté de réaliser cela. On ne peut pas le faire par des bavardages à longueur de journée. 234

GUINEENEWS : Le président Alpha Condé a récemment déclaré à RFI que Waymark n’a pas de problème. Une déclaration qui, aujourd’hui, ravive la polémique au sein de la classe politique guinéenne dont une certaine frange estime que sur la question, vous seriez en collusion avec lui. Que répondez-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Si le président Alpha Condé posait un acte aujourd’hui qui va dans le sens de ce que j’espère et attends de lui, je prendrais les devants et je n’attendrais pas d’être en collusion avec lui. Parce que si des actes qu’il pose sont dans le sens de l’intérêt de notre pays, dans le sens de l’histoire, des idées que nous avons toujours professées ensemble, je ne me préoccuperais pas des commentaires des uns et des autres. Je le soutiendrais publiquement. Je n’ai pas l’habitude de faire les choses en cachette. Je voudrais pouvoir le soutenir. Mais il y a des problèmes induits par la question de Waymark. C’est que les deux rapports qu’on a du PNUD et de l’OIF disent que Waymark ne peut pas faire une révision correcte et que ses machines ne sont pas fiables. On a récemment donné comme exemple des électeurs de Labé dont les noms se sont retrouvés sur le fichier de Lola. Or, j’aurais voulu qu’on évite ce problème-là qui retarde non seulement l’organisation des élections, mais l’organisation des élections dans l’immédiat. Comme vous le savez, si on ne répare pas la portion de route MamouDabola-Bissikrima-Kouroussa et puis Mamou-FaranahKissidougou-Gueckédou-Kondémbadou et le tronçon Beyla-N’Zérékoré, il y aura un goulot d’étranglement dans le ravitaillement des populations par les produits de l’intérieur. Donc, l’Union européenne doit nous accorder le dixième FED. Mais la condition qui est posée, c’est que les élections aient lieu ou tout au moins qu’on ait un chronogramme fiable. Mais pour faire un chronogramme, il faut les différentes séquences d’actes qu’il faut poser pour que les élections soient crédibles, soient posées, et que de façon consensuelle, l’on puisse s’accorder que cela est effectif. Le consensus, parce que ce ne sera jamais une solution parfaite. Je pense que si Waymark, dans l’état où les deux rapports le présentent, n’a pas changé, ce serait anormal d’organiser les élections avec lui. Dans ce cas, il faudrait s’adresser aux Nations unies qui ont une liste abrégée des sociétés de saisie les plus performantes et qui vont nous faire le travail à la satisfaction de tout le monde. GUINEENEWS : Si Sagem et Waymark constituent pour les uns et pour les autres des pommes de discorde, est-ce qu’un troisième choix ne s’impose pas à votre avis pour mettre tout le monde d’accord ? 235

JEAN-MARIE DORÉ : Non, on ne peut pas faire de fixation. Je crois que ce serait une erreur de faire une fixation sur Sagem ou sur Waymark. J’ai dit que ça m’est complètement égal, et les gens ont déformé ce que j’ai dit, que ce soit la Sagem, Waymark ou une société finlandaise ou anglaise qui fasse la révision, pourvu que ça soit fait dans des conditions de fiabilité et de confiance des acteurs.

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XXXII. « Un Africain ne peut pas militer pour le mariage homosexuel » Par A. M. Camara et S. Barry pour « l’Indépendant » le 9 décembre 2012

Dans cette interview qu’il nous a accordée, l’ex-Premier ministre et leader de l’UPG, Jean-Marie Doré, sort de sa réserve pour pourfendre, une fois n’est pas coutume, la politique africaine des Occidentaux. Notamment le discours que le président français, Nicolas Sarkozy a prononcé à Dakar, puis celui fait par François Hollande lors de sa visite controversée à Kinshasa. Dans le même entretien, Jean-Marie Doré exprime toute sa rage contre le président Obama pour s’être déclaré favorable au mariage gay et également flétrit et maudit les chefs d’État africain qui ont cautionné l’attaque et la mort du guide de la Jamahiriya arabe libyenne, le colonel Mouammar Kadhafi. L’INDÉPENDANT : Après les impairs historiques de Nicolas Sarkozy à Dakar, quels commentaires faites-vous, en tant qu’ancien Premier ministre ou intellectuel africain tout court, des récents discours tenus par François Hollande à Dakar puis à Kinshasa ? JEAN-MARIE DORÉ : J’ai commencé à militer pour l’indépendance de la Guinée lorsque j’avais seize ans. Nous avons activement milité pour que nous votions « Non ». J’étais l’un des principaux animateurs avec les Sidy Diarra, Bâ Kaba, Diallo Alpha Taran, Charles Diané, Ly Baïdy du Sénégal et tant d’autres. Le cinéma Vox, qui est en train de tomber en ruines aujourd’hui, était notre lieu de meeting pour préparer l’arrivée du général de Gaulle, ce qu’il fallait dire et ce qu’il fallait faire. Comme Sékou a dit « Non », il fallait le soutenir. Je suis toujours dans l’esprit de cette période héroïque là. Il faut que les Africains s’affranchissent de cette façon d’être. Ils ont toujours besoin d’aller chercher des conseils à l’étranger. Que ce soit monsieur Sarkozy

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ou monsieur Hollande, je crois qu’il ne faut pas donner trop d’importance à ce qu’ils viennent raconter. L’INDÉPENDANT : Mais est-ce qu’il n’y a pas un décalage entre ce qu’affirmait Hollande à Dakar et son attitude lors du sommet de la Francophonie à Kinshasa ? JEAN-MARIE DORÉ : J’y arrive. Je dis et je le répète, il ne faut pas accorder trop d’importance à ce que les gens disent à droite ou à gauche. Parce que cela participe de la même politique. C’est une question d’enveloppement. Comment faire passer notre politique d’être toujours présent là-bas, parce que l’autre est parti avec des griffes, alors on crie au loup. Quel type de gants il faut porter pour continuer à attirer les Noirs comme une goutte de miel attire les mouches. Alors Sarkozy, un peu ignorant de la réalité africaine, est venu dire ce que les autres pensent exactement comme lui. Parce qu’il ne faut pas lancer la pierre à Sarkozy seulement. Tous, jusqu’aux communistes, pensent toujours la même chose de l’Afrique. Donc, cela ne me fait ni chaud ni froid. Ce que je voudrais, c’est que les Africains prennent conscience qu’ils ont un destin à défendre et que cela suppose des sacrifices, des traversées de désert, des marécages, il faut peiner. J’avais une sorte de honte à un moment donné, tous les Africains se référaient au discours de Mitterrand à La Baule. La Baule, c’est quoi ? Il a parlé d’un système qui s’applique chez lui suivant un parcours déterminé. Nous, nous connaissons notre parcours et nous sommes encore tributaires des traditions de chez nous qui ont donné leur preuve de fiabilité et d’efficacité. Mais depuis qu’on nous a privés de cela, la Guinée erre. La Guinée est un pays décentré. Parce qu’il n’y a pas de références historiques. J’étais un militant discipliné du PDG. Mais il y a deux choses que je n’ai pas acceptées dans les actes historiques du PDG : la suppression de la chefferie et 286 puis une autre, qu’il n’est pas temps de dire maintenant. Parce que ça aurait servi à renforcer le tissu social à la base. Or aujourd’hui, ce tissu est effrité, lacéré et il n’y a pas une autorité locale pour appeler les uns et les autres à se souvenir. Donc, ce n’est pas bon. Ça m’aurait étonné que monsieur Hollande aille s’abstenir de dire à Kinshasa ce que le souvenir de son concurrent a laissé comme traces au Sénégal où il devait paraître sous son meilleur jour. Sincèrement, j’ai vu des Africains, malheureux, danser pour la réélection de monsieur Obama. Pourquoi l’ont-ils fait ? Obama est un Américain pur qui a le complexe en plus d’être basané et qui veut démontrer au reste des Américains qu’en dépit du fait qu’il 238

soit basané, il est plus américain que Bush, Clinton. Donc moi, j’ai trouvé indécente la danse du ventre de certains Africains. Alors que j’aurais préféré personnellement un Américain blanc pur avec lequel discuter, il n’a pas de complexe. Monsieur Romney n’a pas de complexe. On a vu Bush paraître sans masque sur la scène politique. Mais Obama est obligé de porter un masque. Un Africain ne peut pas militer pour le mariage homosexuel. L’INDÉPENDANT : C’est à cause donc de son positionnement en faveur du mariage gay que vous lui en voulez ? JEAN-MARIE DORÉ : Non. Je vous cite un cas parmi tant d’autres. Un Africain authentique, qu’il soit musulman, chrétien ou animiste, et la façon dont il est sexué, n’aurait jamais accepté de cautionner un certain type de relation. L’INDÉPENDANT : Mais en France, François Hollande en tant que Français pur donc, de souche, veut faire voter à l’Assemblée une loi autorisant le mariage des homosexuels ? JEAN-MARIE DORÉ : Non, je dis bien un Africain. Je n’ai pas dit que monsieur Hollande est un Africain pur. Hollande… C’est pour cela que j’adhère alors à l’idéologie de la droite en France, au moins il y a encore des gens qui se souviennent qu’il n’y a pas si longtemps, la France a été la fille aînée de l’Église catholique. Aujourd’hui, il y a une évolution, je ne les juge pas, c’est l’évolution de leur destin. Mais, moi, Jean-Marie Doré, jamais je n’accepterai qu’une loi soit votée en Guinée et qui autorise Mamadou et Aliou à se marier ou que mademoiselle Fantagbè et mademoiselle Aïssatou se marient, jamais. Il faudrait faire une loi qui punit de mort quiconque voudrait militer en faveur de cette pratique. Je serais partisan que des personnes ainsi condamnées soient pendues sur la place publique. L’INDÉPENDANT : Ces pratiques, même si elles ne sont pas autorisées par la loi, existent chez nous aujourd’hui et d’ailleurs, elles prennent une proportion très importante maintenant… JEAN-MARIE DORÉ : Non, attendez. Je vais vous expliquer. Les Blancs profitent de la pauvreté des Noirs pour faire accepter aux désespérés certains comportements. C’est à cause de ces problèmes graves que notre avenir est menacé… Je ne voulais pas trop m’étendre sur la question. C’est toutes ces données qui font que nous devons vite nous donner la main dans la confiance pour organiser ces élections et nous atteler à donner à manger, à s’instruire, à se soigner à notre population afin de cesser de l’exposer à des travers sociaux qui ne sont 239

pas originaires de chez nous. Mais si nous laissons la paupérisation gagner de manière galopante notre société, nous serons victimes de ces phénomènes à notre corps défendant. Donc pour remédier immédiatement à cela, il faut penser à donner à vivre à chacun décemment. Parce qu’il y a certains qui prêtent leur derrière à des détraqués pour pouvoir avoir 100, 200 ou 300 000 francs guinéens. C’est la pauvreté qui est la mère de tous les travers. Il faut éviter que les gens tombent dans la pauvreté. Si j’étais le chef de l’État, je ne le suis pas, si je l’étais, je poserais des actes pour que le plus vite possible le maximum de Guinéens soient au travail. Même le comportement des fonctionnaires à l’intérieur du pays participe un peu du comportement des Blancs qui viennent ici. Vous avez vu des hauts cadres de l’État qui sont à l’intérieur et qui n’hésitent pas à aller abuser de filles de douze, quatorze ans. Parce qu’on donne à la grand-mère 5 000 francs. Parfois même 50 000, c’est beaucoup. Ce que devient sa petite fille ne l’intéresse pas. Tout ceci, à cause de la pauvreté. Vous avez des pays de fortes traditions comme la haute Guinée, la forêt, les valeurs là-bas sont telles, qu’il n’y a pas de mot pour traduire le mot « homosexuel ». Mais si la pauvreté continue de gagner du terrain, ils trouveront un mot. Non seulement ils le trouveront, des hommes vont se disqualifier en se transformant en femmes pour autrui. L’INDÉPENDANT : Vous avez apparemment une position très réactionnaire face à la question ? JEAN-MARIE DORÉ : Non, je ne suis pas réactionnaire. Mais seul l’homme a un sexe, la femme n’a pas de sexe, c’est ma conception. Donc, seul celui qui a le sexe peut aller avec celle qui n’en a pas pour que l’accouplement soit parfait. Mais, s’il faut forcer la nature, ça ne peut pas aller. L’INDÉPENDANT : Mais vous n’êtes pas allé au bout de vos idées sur les discours de Hollande en Afrique ? JEAN-MARIE DORÉ : Avant de poursuivre, vous ne m’avez pas posé la question sur ce qui est pire. Ce sont les Français, pour ce qui nous concerne en Guinée et dans les pays francophones, qui nous ont appris ce que sont la légitimité et la légalité du pouvoir.

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XXXIII. « Accusé d’être à la solde du pouvoir, Jean-Marie Doré réplique » Par Amara M. Camara et S. Barry pour « l’Indépendant » le 2 décembre 2012

Soupçonné par certains de ses « alliés » circonstanciels de l’opposition d’être à la solde du pouvoir dans le cadre de la recomposition de la CENI, l’ancien Premier ministre de la transition et président de l’UPG, très connu pour ne pas avoir la langue dans sa poche, répond à ses détracteurs dans cette partie de l’interview qu’il nous a accordée. Tout en réaffirmant l’appartenance de son parti au centre, Jean-Marie Doré plaide instamment en faveur d’une reconnaissance constitutionnelle de cette position politique en Guinée. L’INDÉPENDANT : Est-ce qu’un éventuel choix d’un troisième opérateur ne va pas être un facteur de retard pour la tenue des élections ? JEAN-MARIE DORÉ : Si on tient compte seulement de ces contraintes et qu’on fait des élections bâclées, c’est tout aussi grave. Parce que l’assistance de l’Union européenne, c’est dans l’intérêt des populations. Mais si les populations ne sont pas regroupées pour recevoir cette aide-là, à quoi sert-elle ? C’est pourquoi l’une et l’autre des préoccupations doivent être prises en compte. J’ai toujours dit et je le répète dans vos colonnes, le 15 novembre 2011, le président Alpha Condé avait eu l’idée heureuse de regrouper autour de lui un certain nombre de partis et avait dit que pour tous les principaux problèmes qui interpelleraient la Guinée, il appellerait ces gens-là pour leur dire ce qu’il pense, pas pour débattre avec lui des détails, mais pour connaître un peu la température à partir des contacts avec les leaders. Puis malheureusement, je le regrette profondément, il a cessé, pour des raisons qui lui sont propres, de maintenir ses contacts avec ces partis politiques. Il faut qu’il reprenne le bâton du chef, qu’il convoque la classe politique

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et qu’on en parle. Ce n’est pas un secret. On ne peut gouverner la Guinée qu’avec la classe politique, avec la critique des journaux. L’INDÉPENDANT : Faut-il s’appuyer sur la CENI pour faire le choix d’un nouvel opérateur ou bien faut-il trouver une autre formule consensuelle ? JEAN-MARIE DORÉ : Non, ce n’est pas de la compétence de la CENI. C’est une affaire de gouvernement et des acteurs politiques. L’INDÉPENDANT : Pourtant, il est indiqué dans le Code électoral et dans la loi instituant la CENI, qu’elle reste la seule administration chargée d’organiser les élections. Ne pensez-vous pas qu’elle a son mot à placer lorsqu’il s’agit d’un choix comme celui d’un opérateur qui aura pour mission la révision du fichier électoral, géré par la même CENI ? JEAN-MARIE DORÉ : La CENI exécute les décisions prises au niveau du gouvernement et des partis politiques. La CENI ne fait pas de lois. Elle applique les lois, pour une activité aussi importante que celle de la révision des listes électorales, parce que c’est elle qui donne confiance et crédibilise le caractère transparent du scrutin, je pense que ce n’est pas de la compétence de la CENI de s’occuper de cela. Il faut que la décision vienne du gouvernement et des acteurs politiques. Parce que pour recruter la Sagem, on n’a pas demandé l’avis de la CENI. Donc, dans les mêmes conditions, nous demandons qu’on recrute dans cette short list des Nations unies dont Waymark est exclu. Vous savez, on connaît beaucoup de choses sur Waymark. Les gens croient qu’on a des comptes personnels à régler avec Waymark. Je ne connais même pas le nom de son directeur en Guinée. Mais ce qu’en disent les spécialistes du PNUD et de l’OIF, c’est ce qui détermine. Parce que je ne suis pas un spécialiste des questions informatiques. Or, c’est une question d’informatique. On peut modifier les données qui sont dans les machines de Waymark, c’est très dangereux. On peut faire toutes sortes de manipulations avec les machines de Waymark. Il faudrait que le président nous appelle pour nous dire qu’il a pesé sur Waymark et que les défauts dénoncés sont corrigés, je n’ai pas dit qu’il était incapable de changer. Si Waymark, entre-temps, s’est amélioré, il faut nous le dire. Est-ce qu’on peut établir que Waymark ne va plus modifier de noms, envoyer les électeurs de Yomou à Labé ou à Tougué et ceux de Mandiana à Boké, si c’est fait, nous irons aux élections. Et tant pis pour ceux qui ne voudraient pas y aller. C’est cela, mon problème. Certains font des fixations, je n’ai vraiment pas le temps de faire des fixations sur quelqu’un. Ce que je voudrais, c’est éviter à mon pays des désordres pendant et après les 242

élections. Parce que la Guinée ne sera crédible que si on fait des élections crédibles. Regardez la Sierra Leone, tout s’y est passé dans le calme et la sérénité. Pourquoi la Guinée n’en ferait pas autant ? Et puis, certains craignent que si le Président n’a pas la majorité à lui tout seul, l’Assemblée sera ingouvernable. Je récuse de telles affirmations parce qu’on a vécu l’exemple de la première Assemblée nationale. Quand nous avons été à l’Assemblée, le climat était délétère en rentrant. Puis, dès qu’on a constitué des commissions et que les gens ont commencé à y travailler, seuls les nouveaux problèmes qui naissaient faisaient l’objet de débats, mais après, tout rentrait dans l’ordre. Si demain le président Alpha Condé envisageait ou initiait des projets dans le sens des grands progrès de la Guinée, je serais l’un des défenseurs déterminés de ce projet. Mais si je juge en conscience que ce n’est pas bon, je combattrai. Tout cela se résout par des contacts directs. C’est ainsi que fonctionne l’Assemblée, ce n’est pas tout qui est dit à la tribune. Il y a beaucoup de choses qu’on a traitées par des contacts avec le président Lansana Conté, soit directement, soit à travers le président Biro et tout allait bien. On est rodé à tout cela. Parce qu’il ne faut pas retarder la Guinée, mais il ne faut pas aller trop vite non plus pour ne plus tomber dans un trou. Le problème ne doit pas empêcher le débat responsable. À tout moment, le président de la République peut appeler les leaders politiques pour leur donner de nouveaux éclairages. Il n’est pas là pour trancher les débats de détails, ce n’est pas son rôle. Il n’est pas du rôle du président de la République de discuter de la forme des cartes des électeurs ou quel jour il faut aller se faire recenser, cela n’est pas son affaire, mais il doit donner les grandes orientations. Il y a le doute dans la population par rapport à la régularité qui doit gouverner l’organisation des élections. Cela nous permettra de gagner en temps. Parce que le problème du dixième FED est important, et le problème de la transparence des élections est tout aussi important. Parce que le dixième FED ne peut s’appliquer que dans un contexte de confiance réciproque. Puis, il y a des choses qui sont en train de se passer actuellement à l’intérieur du pays, qui sont des choses inquiétantes. L’INDÉPENDANT : Lesquelles ? JEAN-MARIE DORÉ : Vous avez des gens qui quittent dans les préfectures et vont dans les CRD pour dire au président de la CRD d’affirmer son appartenance au RPG. Puis, on le fait signer sous peine d’un remplacement. Cela n’est pas normal. Parce que nous nous sommes toujours élevés contre ce genre de pratique du temps de Conté. L’INDÉPENDANT : Avez-vous des exemples à communiquer ? 243

JEAN-MARIE DORÉ : Pas à ce stade-là. Je n’ai pas un exemple, j’ai des cahiers, une longue liste. À Faranah, Kissidougou, Guéckédou, Macenta, N’Zérékoré. Il faut que les gens comprennent que les Guinéens ont mûri et évolué. Je ne vois personne, ni Cellou Dalein ni Kouyaté ou d’autres, qui ont le couteau entre les dents pour chercher à aller en découdre avec le président Alpha Condé. Mais, ce sont des hommes qui veulent être respectés et que, quand on leur parle, on leur parle avec considération. C’est-à-dire en leur disant la vérité. Parce qu’un chef d’État n’a pas toujours la situation facile. Il peut être amené à poser des actes par nécessité. Il se trouve qu’Alpha a une chance inouïe. La plupart des hommes politiques d’envergure sur la scène aujourd’hui connaissent tous ce que c’est que l’État. Sidya a été le Premier ministre dans la IIe République, après il y a eu Cellou, Kouyaté, Souaré, Komara, Jean-Marie Doré et aujourd’hui Saïd Fofana. Quand on leur dit, il y a telle difficulté, certainement qu’une fois dans l’exercice de leur fonction, ils ont été confrontés au même problème et ce n’est pas un problème qu’on peut expliquer au grand public. Parce qu’il ne comprendrait pas, non parce qu’il serait bête. J’adjure le président Alpha Condé de rééditer la rencontre qu’il avait eue avec les partis politiques le 15 novembre 2011. Parce qu’il faut qu’on sorte de cette situation. Il ne faut pas voir dans une seule direction. On ne peut pas exécuter le vouloir d’une seule région ni de deux régions. Il faut embarquer tout le monde dans le train. C’est cela, mon point de vue. Nous étions quatre, nous restons deux, Alpha Condé et moi. Il est plus âgé que moi et sincèrement je souhaite qu’il réussisse. Parce que s’il ne réussit pas, ce sera l’échec de notre génération. C’est cela la vérité. Je souhaite qu’il s’oriente bien et qu’il pose de bons actes qui fassent accélérer la vitesse à sa machine. Parce que quand je vois qu’on a déjà fait deux années… J’aurais voulu nous voir dépasser le cadre du temps qu’il a mis pour faire autre chose que de se chamailler toujours sur la question de révision du fichier électoral. Si on se chamaille sur la question de listes électorales, quand les grands problèmes vont venir demain, qu’est-ce qu’on va faire ? C’est ce qui ne paraît pas correct. L’INDÉPENDANT : Un autre problème qui sème aujourd’hui la zizanie dans l’opposition, c’est la présence de l’UPG, votre parti, qui se réclame toujours du centre, dans les rangs de l’opposition radicale. Quelle interprétation donnez-vous à la présence du représentant de l’UPG parmi les dix représentants de l’opposition alors que vous êtes centriste ? JEAN-MARIE DORÉ : (Rire.) L’UPG n’est rien dans tout cela. L’UPG a déposé sa liste, comme le groupe CDR, à la demande du 244

ministre. Mais il faut rappeler que le ministre dans un premier courrier avait demandé aux partis impliqués dans le scrutin de déposer la liste de leurs représentants. Immédiatement, nous avons déposé le nom de notre représentant, Jacques Gbonimy. Mais, entre-temps, on a dit non, on s’adresse aux alliances. Donc, nous avons fait une liste de six personnes qu’on a déposée au ministère de l’Administration du territoire. Je dois aussi rappeler que Jacques Gbonimy était le rapporteur lors des discussions entre le gouvernement et les partis politiques pour la création de la CENI. Il était le rapporteur du texte créant la CENI et depuis lors, il a été membre de la CENI, apprécié de tous. Je peux avoir un point de vue, si Jacques voit que je n’ai pas raison, il me répond aussitôt qu’il ne peut aller défendre une telle position à la CENI. Parce que ce n’est pas conforme. C’est un garçon qui est libre de ses opinions, mais aussi discipliné. Je crois que le président Alpha Condé a tenu compte du fait qu’on ne peut pas faire une CENI sans l’UPG. Et cela lui a plu de nous mettre dans l’opposition. Comme ça aurait pu lui plaire de nous mettre dans la mouvance. Je ne suis pas intervenu jusqu’ici. La revendication du CDR (Club des républicains), était que notre groupe soit plus distinctement au sein de la CENI. Mais il se trouve qu’au départ, un projet de loi a été fait pour la recomposition de la CENI qui n’a pas reconnu le centre. Alors que pour le dialogue, le gouvernement nous a toujours régulièrement invités en tant que centre classique, c’est le vocabulaire qu’ils ont trouvé là-bas. Ce n’est pas moi qui l’ai trouvé. Si maintenant, pour composer la CENI, on oublie le centre, je n’y suis pour rien. Parce que quand la loi a été déjà votée, le CDR a été voir monsieur le ministre de l’Administration du territoire pour le prier de demander au président de la République d’amender la loi pour prévoir le centre. À mon avis, c’était la meilleure forme. Mais je crois qu’un certain nombre de considérations ont amené le président de la République à ne pas accepter cette voie qui, d’un certain point de vue, était acceptée. Mais les préoccupations de celui qui gère sont une chose et celles du demandeur en sont une autre. J’étais en forêt quand on m’a téléphoné pour me dire qu’on nous a mis dans le groupe de l’opposition. C’est en application d’une loi. Je peux critiquer cette loi, mais je suis obligé d’accepter son application. Je n’ai rien demandé. Je n’ai pas demandé d’aller dans l’opposition ou dans la mouvance. J’ai demandé le centre. Ce n’est pas un problème pour moi. Si le Collectif et l’ADP ont cru devoir saisir la Cour suprême, je crois qu’ils l’ont fait ou qu’ils vont le faire, c’est leur droit, ils exercent un droit constitutionnel. Voici ce que je peux donner comme explication. 245

L’INDÉPENDANT : Dans les rangs de l’opposition, certains leaders murmurent que l’UPG est le « parti taupe » que le Président a introduit dans leur groupe pour essayer de les déstabiliser. Que répondez-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Je sais que ce n’est pas le point de vue de Cellou ni de Kouyaté, parce qu’ils savent qui je suis. Mais s’il y a des gens qui vont murmurer sous les manguiers pour exprimer leurs états d’âme, cela ne me fait ni chaud ni froid. Parce que tout le monde me connaît depuis longtemps. Je ne vois pas pourquoi je serais une taupe. Une taupe, c’est un petit animal qui vit sous terre… Regardez, le soleil brille dans ma cour ici, est-ce que quelqu’un dont la cour est directement éclairée par le soleil peut être taupe ? J’ai le regard clair, le verbe haut quand il le faut. Alors, je ne vois pas pourquoi je vivrais comme une taupe. Vous savez, le Guinéen a la magie de se qualifier en s’adressant à autrui. Non, je vais vous dire catégoriquement, ni Jean-Marie Doré ni aucun cadre de l’UPG ne peut revêtir la peau d’une taupe. Nous sommes classés dans l’opposition, nous ferons notre travail en ne regardant que l’intérêt national, exclusivement. L’intérêt national aujourd’hui veut que la Guinée soit stable, que les élections soient organisées dans un contexte de transparence, de crédibilité et de légalité et que demain, l’Assemblée nationale fonctionne pour le bien du peuple de Guinée, que ce soit un lieu où on s’oppose systématiquement au gouvernement ou bien qu’elle soit une chambre d’enregistrement des volontés du gouvernement. Non, en ce moment, la Guinée perdrait. Il ne faut pas y aller pour combattre coûte que coûte aveuglément le gouvernement, il ne faut pas non plus aller pour se mettre à plat ventre pour dire seulement oui à monsieur le Président, non. Ici, le fait que nous soyons classés pour la CENI dans l’opposition… C’est-à-dire, il faut faire très attention, nous ne sommes pas devenus une force d’opposition, nous sommes du centre. Mais, à la CENI, le groupe de dix là, devant une concertation responsable, peut éviter des dissonances inutiles. C’est le plus important. Ce qui ne veut pas dire que la loi a fait de l’UPG un parti de l’opposition, non. L’UPG reste un parti du centre. L’INDÉPENDANT : Mais une fois, il faudrait vous battre pour que votre existence soit matérialisée par une loi. JEAN-MARIE DORÉ : On va y arriver. Il faut qu’on aille à l’Assemblée. Il y aura cela et c’est obligatoire. Parce ce que la Guinée est quand même le seul pays au monde où vous avez la droite et la gauche, il n’y a pas de centre. C’est absurde, cela. Nous n’aimons pas mettre la charrue avant les bœufs. Mais nous voulons que, dans l’intérêt de notre 246

pays, précisément dans l’intérêt de l’accélération des vrais progrès pour notre peuple, le gouvernement soit libéré de problèmes futiles qui l’empêchent d’aller de l’avant.

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XXXIV. « Affaire des deux milliards accordés à certains leaders de l’opposition… » Par Souaré Mamadou Hassimiou pour africaguinee.com le 30 décembre 2011

Au menu, la crise politique en Guinée, l’affaire des deux milliards accordés à certains leaders de l’opposition, son bilan à la primature, sans oublier sa vision de la gouvernance du président Alpha Condé. L’ancien chef du gouvernement de transition revient également sur ses ambitions politiques, avec la nouvelle alliance dont il est membre fondateur, le « Club des républicains. » AFRICAGUINEE.COM : Bonjour, monsieur Doré ! JEAN-MARIE DORÉ : Bonjour, monsieur Souaré ! AFRICAGUINEE.COM : Quelle appréciation faites-vous sur le déroulement du dialogue politique enclenché le 27 septembre dernier ? JEAN-MARIE DORÉ : Il y a un certain tâtonnement lié à l’évolution sur le terrain. L’évolution qui est tributaire de l’erreur commise par les gouvernements successifs qui ont autorisé la création de nouveaux partis en violation de la charte des partis politiques qui est une loi organique parce que pour donner un agrément à un parti, cette loi impose que les fondateurs du parti fassent signer l’acte de fondation par des militants résidant dans chacune des régions naturelles, à raison de huit notables par région naturelle, parce que le parti doit naître national. Or qu’est-ce qu’on a vu, depuis l’avènement du CNDD (Conseil national pour la démocratie et le développement, N.D.L.R.), des gens restaient à New York, à Paris, à Dubaï pour téléphoner « je veux créer un parti » et qu’on lui donne l’agrément. Donc aujourd’hui, on a cette pléthore de particules qui s’agitent autour du microcosme guinéen et qui rendent difficile les débats parce qu’on ne sait pas où les classer. Il y a cette première difficulté. La deuxième difficulté vient de ce que les positions par rapport à l’objet du processus électoral ne paraissent pas s’apparenter à la nature 249

du problème, mais des prises de position politique. On regarde l’autre en ennemi et on rejette a priori ce qu’il dit, alors on ne pourra pas s’entendre dans ces conditions-là. L’intérêt de la Guinée, c’est que ces élections aient lieu et que ses résultats soient acceptés par les participants. Dans ces conditions, il faut qu’on s’entende sur les méthodes et les modalités. Cela suppose de part et d’autre l’acceptation a priori de parvenir à un consensus. Pourquoi tout ce débat-là ? Parce que le recensement qui avait été fait comporte beaucoup de lacunes et c’est sur la base de ce fichier que le fichier actuel a été élaboré. Je ne parle pas de causes anciennes qui ont fait que tous les Guinéens ne sont pas recensés, parce qu’il y avait le problème d’impôt cédulaire que les gens devaient payer. Ce n’est pas parce que cet impôt-là était aussi élevé, mais ce sont les conditions dans lesquelles les autorités allaient le percevoir qui faisaient beaucoup souffrir les paysans. Donc chaque fois qu’il était question de recensement, les paysans qui avaient dix ou vingt personnes en charge refusaient de se présenter chez l’agent recenseur parce que c’était sur la base de ce recensement qu’il fallait payer l’impôt de capitation. Partant de ce constat, le président de la République a dit que pour qu’on aille à ces élections, il faut qu’il y ait un recensement intégral avec non seulement la délivrance de la carte d’électeur biométrique, mais aussi de la carte d’identité nationale. Mais il se trouve qu’il y a un inconvénient à cela, le recensement général de la population ne relève pas de la compétence du ministère de l’Administration du territoire, encore moins de la CENI, c’est le rôle qui revient légalement au ministère du Plan. Donc la CENI doit faire une révision, mais cette révision se heurte à une difficulté sur le terrain, c’est que vous avez beaucoup de populations électorales qui, pour des raisons diverses, n’ont pas été recensées avec des pourcentages allant de 62 % à Yomou à 25 % dans certaines régions du Fouta ou de la haute Guinée. Donc, entre les deux extrêmes, je dis que le fichier tel qu’il est maintenant n’est pas recevable, mais le recensement intégral pose des problèmes de logistique. Il paraît qu’on peut le faire en quarante-cinq jours. Je ne suis pas un spécialiste pour me prononcer sur la durée du recensement général, mais je dis que le manque de route, le manque de moyens logistiques ne permet pas de faire le recensement général de la population en quarante-cinq jours. Je ne crois pas. AFRICAGUINEE.COM : Mais vous parlez de recensement général, alors que le président avait dit récemment qu’il s’agit maintenant d’une révision… JEAN-MARIE DORÉ : On n’a pas la même information ! Je sais que le gouvernement veut que l’on fasse un recensement général de la 250

population avec délivrance de cartes nationales. Je parle de l’information que j’ai. Le président veut faire un recensement général. J’ai l’information selon laquelle ils veulent faire le recensement général. Le moyen terme, c’est de faire une révision classique en additionnant un recensement complémentaire des populations électorales qui en ont été exclues. Pour cela, je pense qu’à l’occasion du dialogue, les partis politiques avec la CENI et l’administration du territoire, on doit faire la liste des préfectures dans lesquelles un recensement complémentaire est nécessaire. Donc aujourd’hui la divergence profonde par rapport à cela fait qu’il y a hésitation dans le champ du dialogue. Deuxièmement, il y a un autre problème qui est soulevé, c’est la situation de la CENI. En 2006, le gouvernement nous avait demandé de discuter pour qu’on remplace l’organe qui tenait lieu de commission électorale et qui n’avait pas répondu à toutes les attentes qu’on a négociées pendant longtemps et en 2007, on s’est entendus pour créer une Commission électorale nationale indépendante de caractère paritaire. Parité atténuée par la présence de trois représentants de la société civile et deux représentants de l’administration, l’opposition devait fournir dix représentants et la mouvance présidentielle représentée par le PUP (Parti de l’unité et du progrès, ancien parti au pouvoir, N.D.L.R.) dix représentants et la CENI a été ainsi constituée. Entre-temps la Guinée a évolué et il y a eu trois gouvernements successifs, celui de Dadis, celui de Konaté et celui actuel d’Alpha Condé et il se trouve que tous les élus du PUP ont viré vers la mouvance actuelle de telle manière que l’organe n’est plus paritaire. Est-ce qu’il faut aller aux élections dans ces conditions-là ? Certains disent qu’il faut complètement remanier pour que l’on puisse avoir une CENI répondant au contexte actuel, et puis qu’il y ait plus d’équité dans l’organisation des élections. On a maintenant plus de cent cinquante partis, si on fait cela, combien de membres faudra-t-il à la CENI parce qu’il y a un problème de financement ? C’est pourquoi je pense que la restructuration est une nécessité, mais quelle restructuration ? Je pense que la dernière élection présidentielle a permis de mesurer la valeur des partis politiques qui ont été créés après. Deux ont émergé, le parti de Kouyaté et celui de Abe Sylla, je pense qu’on peut demander à ces deux de fournir chacun un représentant à la CENI, ça ne résout pas complètement le problème de la CENI, mais ça permet au moins d’avoir le sentiment qu’on approche un certain esprit de justice. À l’époque, nous étions cinquante-sept partis et nous devions fournir dix 251

représentants, alors on a discuté sur un certain nombre de critères, pour qu’un parti soit autorisé à envoyer un délégué à la CENI, il fallait qu’il ait participé au moins à une élection nationale, à défaut d’être élu président, qu’il ait des députés ou qu’il ait une commune ou une commune rurale de développement. C’est sur cette base que les dix partis avaient été choisis dans l’opposition pour envoyer leurs représentants. Aujourd’hui, on ne peut pas faire valoir ces critères parce que nous avons vingt-quatre candidats qui ont participé aux dernières élections, mais vous connaissez la fortune de chacun aux résultats. Ces deux problèmes sont les obstacles sur lesquels achoppe le débat. Je pense que l’esprit de conciliation doit aider les partis politiques et le gouvernement, pour que la Guinée quitte cette situation ; on a un président de la République, on n’a pas de Parlement, cela cause beaucoup de problèmes et peut en causer encore davantage, il faut en sortir. C’est pourquoi je pense que la raideur des uns et des autres ne va pas dans le sens de l’intérêt de notre pays. Il faut qu’on en sorte. C’est pourquoi nous avons créé une alliance du centre qui s’appelle le « Club des républicains », qui va prendre en compte des réflexions dégagées de tout esprit partisan et proposer des solutions qui nous paraissent être la voie moyenne pour que la Guinée puisse aller de l’avant. AFRICAGUINEE.COM : Justement monsieur Doré, est-ce qu’on pourrait connaître ce qui vous a motivé à mettre en place cette nouvelle alliance ? JEAN-MARIE DORÉ : On ne peut pas rester entre les défis que se lancent quotidiennement le gouvernement et sa mouvance et le Collectif des partis. On n’en sortira pas ! Pour en sortir, il faut trouver une solution moyenne, personne n’a intérêt à ce que la Guinée implose, ceux qui sont contre le gouvernement c’est leur droit, mais ils n’ont pas le droit d’imposer à la Guinée des convulsions inutiles. C’est pourquoi nous allons nous appliquer aussi bien pour la restructuration de la CENI que pour le recensement, la révision des listes électorales, à trouver la formule qui devrait permettre aux uns et aux autres de s’accorder sur un consensus. AFRICAGUINEE.COM : Étant donné que dans votre alliance vous avez des gens qui avaient soutenu le président Alpha Condé, est-ce qu’aujourd’hui vous avez une certaine garantie qu’ils vont respecter l’idée d’être centristes ? JEAN-MARIE DORÉ : Nous sommes aussi avec des gens qui ont travaillé avec Lansana Conté, des gens qui ont travaillé avec Dadis 252

Camara, des gens qui ont travaillé avec Konaté, est-ce que vous croyez que c’est un critère, ça ? Le fait que quelqu’un ait eu à travailler avec Alpha Condé ne me gêne pas, c’est ce que dit le monsieur, c’est ce qu’il vaut qui m’intéresse, parce qu’il y a des critères. Ce n’est pas parce que quelqu’un rentre dans une alliance qu’il va la désorganiser. L’alliance est estimée avoir 40 membres, qu’est-ce qu’un seul peut faire contre ces gens vaccinés qui sont là ? Donc moi je pense qu’il ne faut pas voir cet aspectlà parce que si on le suit il n’y a aucune alliance qui est à l’abri de critiques fondamentales graves. Prenez le Collectif, les gens qui sont dedans ont servi tous les gouvernements de la République, on ne les a jamais vus élever une protestation pour dénoncer une dérive des uns et des autres. Il ne faut pas revenir sur le passé des gens. Ce sont les actes qu’ils posent aujourd’hui pour que la Guinée aille de l’avant qu’il faut voir. AFRICAGUINEE.COM : Certains de vos détracteurs disent que vous n’avez jamais une position fixe. Quelle est votre réaction ? JEAN-MARIE DORÉ : Moi je suis un homme de principe. Ma position est claire. Quand on a créé notre parti, nous étions les seuls à nous réclamer du centre. Le centre est un lieu de réflexion, ce n’est pas un lieu de harangue. Nous quatre ici nous créons une association et par principe nous disons que pour venir aux réunions il faut venir en cravate avec des chaussures propres, si deux ou trois fois vous venez avec des chemises déchirées, on va vous demander des comptes par rapport à ce qui a été décidé. Je vous prends l’affaire de l’ADP (Alliance pour la démocratie et le progrès, N.D.L.R.), c’est moi qui ai eu l’idée de création de l’ADP. Je me suis adressé à mon ancien ministre de la Communication, puis Charles Pascal Tolno s’est présenté, Ibrahima Condé du PSD, puis monsieur Oumar Bah du PUL, lors de la réunion ici madame Zalikatou Diallo (secrétaire nationale du PEDN, N.D.L.R.) est venue dire ici que son parti a décidé d’adhérer à l’ADP, mais à une condition sine qua non, c’est que monsieur Kouyaté devienne le président. Nous avons dit que dans ces conditions, monsieur Kouyaté ne sera jamais membre de l’ADP ; deux jours après elle est revenue nous dire que leur parti avait réfléchi et avait décidé de renoncer à la présidence de l’alliance, mais il souhaitait que monsieur Kouyaté soit l’un des porte-parole. J’ai dit non, parce que monsieur Kouyaté étant à l’extérieur, il ne peut pas être le porte-parole d’une structure qui délibère à Conakry. J’ai désigné donc monsieur Sylla et le principe fondamental de l’ADP c’était d’être au centre, c’était de n’appartenir ni au collectif ni à la mouvance présidentielle. Petit à petit, le porte-parole s’est retrouvé 253

au centre du collectif. Je reviens de Genève et je trouve qu’ils ont fait des déclarations communes et ont même fait des cotisations. C’est lui qui a dérivé par rapport à moi, ce n’est pas moi par rapport à lui. Il faut me reconnaître cette justice au moins. Comme je ne me reconnaissais plus dans cette structure, pour ne pas créer un débat inutile, c’est vous qui avez créé le débat, sinon moi j’ai notifié à l’ADP ici devant monsieur Sylla et les autres et je leur ai dit qu’à partir de l’instant, mon parti ne fait plus partie de l’alliance parce qu’on est plus au centre. AFRICAGUINEE.COM : Avec ce blocage politique, est-ce qu’aujourd’hui vous craignez le retour des militaires au pouvoir ? JEAN-MARIE DORÉ : N’anticipez pas ! Je crois à la valeur intellectuelle et politique des Guinéens. Ils vont tout faire pour que nous restions dans une République démocratique. Je suis un optimiste, je crois qu’il faudrait que chacun ait à l’esprit que la Guinée doit continuer à progresser dans le respect des institutions de la République et ne pas créer des conditions qui puissent faire envisager l’éventualité qu’il y ait des incidents de parcours qui retardent la nation. AFRICAGUINEE.COM : Aujourd’hui, on vous accuse d’avoir signé plusieurs contrats « douteux », gré à gré pendant votre passage à la primature. Quelle est votre réaction ? JEAN-MARIE DORÉ : Nous avons signé des contrats par nécessité pour la Guinée. Si cela était à refaire, on le referait immédiatement, parce qu’on a tenu compte des intérêts présents et futurs de notre pays. Quand un pays a 60 % de ses cadres universitaires qui chôment, quand un pays ne peut pas donner des retraites à un niveau décent à ceux qui ont servi sa cause pendant trente ou quarante ans ou qui vont à la retraite avec des pensions qui ne permettent pas de payer le loyer d’un mois, ce pays a le devoir de faire en sorte que s’investissent des capitaux pour que le maximum de Guinéens puisse aller au travail. C’est à cause de cela qu’on l’a fait. Aujourd’hui on assiste à la nécessité dans certains cas de signer des contrats de gré à gré. Vous ne pouvez pas échapper à cela, dans la situation de la Guinée ce n’est pas tous les jours qu’on a le temps de faire des appels d’offres devant certaines nécessités. En réalité, en Guinée les appels d’offres ce sont des marchés gré à gré déguisés. Il faut carrément être honnête pour donner le marché à quelqu’un qui peut carrément faire le travail. La Guinée ne peut pas mourir parce que le type aura fait des calculs 5 % un peu plus cher que ce qu’il aurait dû proposer. Ce qui est plus important, ce sont les résultats et l’incidence sur l’avenir de la Guinée. 254

AFRICAGUINEE.COM : Monsieur Doré, on vous accuse vous et les leaders de l’UFDG et de l’UFR d’avoir reçu deux milliards chacun dans le cadre des événements du 28 septembre 2009. Est-ce qu’on peut avoir plus d’informations sur ce sujet ? JEAN-MARIE DORÉ : On parle actuellement de deux milliards que Sidya Touré, Cellou Dalein Diallo, Jean-Marie Doré auraient perçus dans le cadre, soi-disant, des réparations dues aux victimes des événements du 28 septembre. Ce n’est pas comme ça ! C’est complètement faux ! C’est de la diffamation et de la calomnie. Dans la nuit du 28 au 29 septembre 2009, Cellou Dalein Diallo, Sidya, Tidiane Traoré, l’actuel ministre des transports, Bah Oury, Mouctar Diallo, nous avons été blessés gravement au stade et grâce à la diligence des gendarmes, on nous a regroupés à la clinique Pasteur, puis vers 23 heures une forte délégation composée de membres du gouvernement, de chefs religieux musulmans, chrétiens et autres sont venus nous informer qu’ils ont rencontré le président Moussa Dadis Camara, qui a consenti à ce que nous rejoignions nos domiciles. Les médecins ont estimé que Sidya, Fall (l’actuel ministre secrétaire général à la présidence de la République, N.D.L.R.) et les autres pouvaient rentrer, mais que l’état médical de Cellou Dalein Diallo et de Jean-Marie Doré était si grave qu’il fallait qu’ils restent en observation à la clinique. C’est comme ça que Cellou et moi nous sommes restés à la clinique. Sidya a eu une chance inouïe ! Quand il est sorti, il n’est pas allé directement chez lui, ils sont allés au domicile de Mouctar Diallo avec Fall, donc pendant qu’on pensait que nous étions déjà chez nous, huit camions chargés de bérets rouges (garde présidentielle, N.D.L.R.) dirigés par Toumba (ancien aide de camp du capitaine Moussa Dadis Camaran, N.D.L.R.) et un certain Marcel Guilavogui ont commencé par mon domicile. Ils ont tout cassé, ils ont tiré partout, j’aurais été transformé en pâté si j’avais été à mon domicile. J’avais quatre véhicules 4 x 4 garés ici, ils ont tiré dans le moteur parce qu’ils n’ont pas trouvé les clefs, ils ont détruit la canalisation d’eau, les armoires, j’avais 350 000 euros dans l’armoire, ils ont tout emporté. Vous comprenez ? De chez moi ils sont allés chez Cellou Dalein Diallo, ils ont emporté six véhicules 4 x 4, ils ont déménagé la literie, le salon et tout. Moi ils n’ont pas pu prendre la literie parce que les portes sont étroites. Ils sont allés chez Sidya, ils ont cassé le portail, ils ont volé les meubles et le coffre de Sidya. Deux jours après, Konaté (l’ancien président de la transition, N.D.L.R.) et monsieur Kiridi Bangoura qui est actuellement chef de cabinet civil à la présidence de la République, sont venus me visiter, ils étaient profondément choqués de l’état dans lequel se trouvait mon 255

domicile et ils m’ont félicité du fait que je n’étais pas à la maison parce que les gens étaient venus pour me tuer. Ils sont venus avec Dadis (ancien chef de la junte au pouvoir, N.D.L.R.) qui était sous le manguier et qui n’est donc pas rentré parce qu’il venait du restaurant. Quand il est parti, le général Mamadouba Toto Camara est venu avec l’ancien ministre de la Fonction publique Alpha Diallo visiter ici. Mais ils étaient étonnés ! Je leur ai dit d’aller voir aussi chez Cellou. Compte tenu des valeurs, Konaté a fait faire tout de suite les constats par voie d’huissier. Cellou a fait le constat, Sidya a fait le constat et ils me les ont donnés pour que je fasse les démarches, voir ce que l’on peut faire. Entre-temps, j’ai été nommé Premier ministre, j’ai fait voir les constats au général Konaté qui a dit : « Il faut réparer, on n’a pas d’argent, comment on va faire parce que six 4 x 4 plus votre 4 x 4, la valeur est énorme, plus la réparation des bâtiments ; il faut que vous compreniez ; on va vous dédommager ce qu’on vous a pris au forfait, sinon ça pourrait aller jusqu’à sept milliards pour chacun de vous. Je vais vous chercher les constats d’huissier et vous les montrer » Donc, avec l’accord du général Konaté, le gouvernement a attribué à Jean-Marie Doré, à Cellou Dalein Diallo, à Sidya Touré deux milliards de francs guinéens qui ne réparaient pas les dommages causés, ce ne sont pas des dommages corporels. On ne nous a pas donné ça pour nos soins. Non ! C’est à cause des dégâts causés chez nous et à cause des biens volés chez nous que l’État s’est vu dans l’obligation de faire cette réparation. Cet argent n’était pas destiné à la réparation des dommages causés aux victimes du 28 septembre, c’était pour les dommages causés aux domiciles de Jean-Marie Doré, de Sidya Touré et de Cellou Dalein Diallo. Je ne vois pas pourquoi ceux-ci mêmes hésitent à expliquer cela aux gens. C’est aussi simple que ça. Si on était passés par la justice, j’aurais même demandé dix milliards. Mais comme il fallait parer au plus pressé, il fallait que je récupère mon domicile parce que pendant longtemps chez moi ce n’était pas habitable. Cellou aussi ne pouvait pas rentrer chez lui. Sidya, lui, on n’avait pas volé ses lits, mais on avait cassé sa maison, ils ont pris beaucoup de choses. Je ne vois pas où est le problème. Si quelqu’un en veut à Cellou, qu’il aille régler ça là-bas, mais pas pour cette question d’argent. C’est moi, Jean-Marie Doré, qui ai pris l’initiative, j’en assume pleinement la responsabilité, de cette réparation insuffisante qui a été donnée à Cellou Dalein Diallo, à Sidya Touré et à Jean-Marie Doré. Si quelqu’un n’est pas content, qu’il porte plainte à la justice, je suis là pour répondre, donc il ne faut pas chercher la petite bête là où elle n’est pas. Au risque de notre vie, on a protesté et on a failli nous tuer. 256

Je vais vous dire aujourd’hui, sans le général Ibrahima Baldé, le chef d’état-major général de la gendarmerie, sans son inspecteur général, le colonel Cessé Balamou, on nous aurait enterrés vivants à Koundara. Ce sont eux qui ont dit non à Dadis qui avait donné l’ordre de nous tuer. Le général Baldé a pris des mesures de sécurité pour isoler la clinique Pasteur où nous étions. C’est en désespoir de cause donc que les Toumba sont venus détruire tout ici. AFRICAGUINEE.COM : Quelle est votre position sur l’épineuse question de la réconciliation nationale ? JEAN-MARIE DORÉ : Je dis, on a le sentiment que les gens pensent que le conflit c’est entre les Peuls et les Malinkés, mais dans ces conditions qu’on fasse confiance aux notables Malinkés et Peuls pour aller se rencontrer et régler ça. Pourquoi on va mettre toute la Guinée en branle pour régler ça ? Pendant les régimes successifs de Sékou Touré, Lansana Conté et Dadis, il y a eu des choses inacceptables dans ce pays. Toutes les régions naturelles, tous les ressortissants de toutes les régions naturelles se sont rendus coupables de comportements indignes qui ont été à l’origine de beaucoup de turpitudes de la part de nos populations. Ce n’est donc pas le fait d’une région opposée à une autre. On pense que beaucoup de Peuls ont été arrêtés pendant la révolution, mais les Peuls ont tué des dignitaires de Sékou Touré à Kindia, on connaît leurs noms, mais est-ce que la marche de la Guinée va s’arrêter pour autant ? Donc les Malinkés n’ont qu’à demander pardon aux Peuls, les Peuls n’ont qu’à demander pardon aux Malinkés parce qu’on ne pourra pas les juger et les mettre en prison. Donc ce problème-là est posé et je pense qu’il faut éviter les schémas importés « vérité réconciliation », je pense que c’est irréaliste. Il faut trouver des solutions pratiques pour la Guinée pour redonner confiance aux uns et aux autres. Quand il y a un emploi, si c’est un forestier qui doit recruter les gens, qu’il ne vous demande pas comment vous vous appelez pour lire votre dossier. AFRICAGUINEE.COM : Que pensez-vous également du litige qui oppose deux camps au sein de la CNTG ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est un dossier que je ne connais pas bien. J’ai reçu tous les courants syndicaux ici et chacun a donné sa version. Tout ce que je peux dire, c’est que c’est une affaire de syndicats, il faut laisser les syndicalistes régler leur affaire. Il ne faudrait pas qu’il y ait des interférences. 257

AFRICAGUINEE.COM : En termes de bilan, qu’est-ce qu’on pourrait retenir selon vous de la première année de magistrature du président Alpha Condé ? JEAN-MARIE DORÉ : Il a fait de bonnes projections parce que pour le moment les Guinéens continuent à vivre l’obscurité, ils continuent à vivre le manque d’eau, mais il faut atténuer ce manque par le fait qu’on ne peut pas avoir un barrage en un an, on ne peut pas drainer l’eau du Konkouré à Conakry en un an, cela suppose de grands investissements et ces investissements ne sont pas là. Certains diront que quand il était candidat il avait dit ça, mais vous savez quand on est candidat on dit tout ce qu’on pense, mais après quand on a l’appareil d’État, ce qu’on voit est différent des facilités avec lesquelles on peut dire qu’il n’y avait qu’à faire ceci ou cela. Concrètement, le pays continue de connaître des problèmes de ravitaillement en denrées de première nécessité et je crois que le gouvernement devrait faire des efforts dans ce sens-là. Je note également qu’il y a des mesures injustes qui ont été prises. On interdit par exemple aux paysans forestiers de vendre leur riz aux commerçants qui viennent là-bas. Je ne comprends pas : parce que le forestier, quand il cultive son riz, c’est pour le revendre et envoyer peut-être de l’argent à son fils qui est à l’université ici et régler les petits problèmes de famille. AFRICAGUINEE.COM : Concrètement, monsieur Doré, est-ce qu’il y a quelque chose qui vous aurait marqué lors de votre passage à la primature ? JEAN-MARIE DORÉ : J’avais un contrat, c’était d’organiser les élections et garantir la sécurité des populations. Je l’ai fait, je suis un héros parce que j’ai évité aux Guinéens de quitter leurs chaumières, de quitter leurs villas pour aller errer à l’étranger. Ça, c’est très important ! Les gens parlent n’importe comment de la transition. Mes ministres sont des héros ! Je suis un héros ! Nous avons réussi à faire avec peu de moyens ce que d’autres n’ont pas réussi avec plus de temps et plus de moyens. Nous avons garanti la paix, il n’y a pas eu de désordres significatifs. Ce sont les partis politiques eux-mêmes qui ont créé le désordre, mais le gouvernement ne s’est pas laissé émouvoir pour employer les grands moyens de répression. On a créé la FOSSEPEL (Force de sécurité pour le processus électoral, N.D.L.R.) et j’ai tenu à ce que les interventions soient uniquement au niveau de la FOSSEPEL et ces gens n’avaient pas le droit d’avoir des fusils. L’armée n’est jamais 258

intervenue dans quoi que ce soit, mais des partis ont essayé d’impliquer la responsabilité de l’armée, de la gendarmerie ou de la police. AFRICAGUINEE.COM : Est-ce qu’il y a quelque chose que vous avez eu à regretter pendant cette transition ? JEAN-MARIE DORÉ : Oui, mais vous savez quand vous avez gouverné il ne faut pas avoir d’état d’âme et ce n’est pas à moi de faire le procès de ceci ou de cela, de faire le procès du gouvernement. J’ai un devoir de solidarité envers l’État que j’ai servi, dont j’étais le Premier ministre, chef du gouvernement. Je ne vais pas plus loin que ça ! AFRICAGUINEE.COM : Un dernier mot, monsieur Doré ? JEAN-MARIE DORÉ : Je souhaite que la presse use de plus de pédagogie pour aborder sereinement l’étude des problèmes, parce que la presse n’est pas une presse de l’opposition ou de la mouvance, la presse est au centre et au service de la Guinée. Notre peuple a besoin d’informations justes dans ce dédale de partis pris, c’est vous seul qui pouvez présenter un produit consommable et garantir la santé de celui qui le consomme. Mais si vous aussi vous vous mettez à être le portevoix de monsieur Doré, de monsieur Cellou ou encore de monsieur Saloum Cissé, vous brouillez les cartes. Si vous le faites, vous ne serez plus une presse libre. À l’occasion du Nouvel An, je souhaite du plus profond de moi-même que notre peuple puisse trouver sa voie pour sortir du dédale actuel.

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XXXV. « Toute personne impliquée dans les massacres du 28 septembre ne devrait pas être retenue… » Par Abdoulaye Bah pour Infoguinee le 9 février 2010

Le Premier ministre guinéen, Jean-Marie Doré, a accordé, le 9 février 2010 une interview exclusive à la rédaction d’« Infoguinee » de cinq pages. Dans cet entretien vérité, Jean Marie Doré a abordé avec franchise la hausse imminente du prix du litre du carburant à la pompe, les tractations pour la formation de son nouveau gouvernement, son éventuelle candidature aux futures élections, son entretien téléphonique avec Dadis Camara… INFOGUINEE : Bonjour, Excellence, monsieur le Premier ministre ! JEAN-MARIE DORÉ : Bonjour, monsieur ! INFOGUINEE : Pourquoi la réunion tenue, ce mardi, à la primature entre vous et la société civile, les syndicalistes et les distributeurs des produits pétroliers ? JEAN-MARIE DORÉ : Je vous informe que nous avons réuni un certain nombre de personnalités de l’économie et du social pour faire une 261

évaluation au moment où le gouvernement va être formé, sur la situation générale de notre pays et des affaires. Ça a été une rencontre intéressante qui a révélé qu’il y a beaucoup de problèmes qui se sont accumulés, sans solution. Ou certaines solutions ont été trouvées, mais elles n’ont pas été appliquées. INFOGUINEE : Quels sont ces problèmes auxquels vous faites allusion ? JEAN-MARIE DORÉ : Entre autres, le problème des salaires des fonctionnaires, le carburant. Donc, des domaines sensibles pour la vie des citoyens. On a fait des consultations et les résultats laissent augurer qu’on y trouvera rapidement les solutions appropriées. Pour que petit à petit, la vie de notre pays reprenne à un rythme acceptable à tous les niveaux. Bien que la mission fondamentale de notre gouvernement soit, comme je l’ai annoncé lors de la passation de service, d’organiser des élections légales, transparentes et crédibles. Puis, avec l’appui des populations, l’appui des cadres et de la communauté internationale à aider le chef de l’État, le général Sékouba Konaté, à restructurer l’armée guinéenne pour en faire une armée républicaine respectueuse des institutions sur les bases desquelles est bâtie la République. Voilà autant de raisons pour lesquelles nous avons organisé cette reconstruction qui a été conclue aujourd’hui ou demain. Cela dit, je m’arrête là pour d’autres questions. Si j’ai la réponse, je vous la donne. Sinon, on cherche ensemble. Je ne peux répondre que si je peux. INFOGUINEE : Concrètement, le prix du litre du carburant vat-il être rehaussé à la pompe ou pas, comme le suggérait récemment l’exministre du Commerce, Korka Diallo ? JEAN-MARIE DORÉ : On est en train d’étudier l’état des prix actuellement. Avant de baisser ou d’augmenter, il faut savoir ce que vaut le marché. Et c’est de cette étude que va résulter la réponse à votre question. Il ne faut pas anticiper les choses. J’ai laissé une commission en place, composée des experts, des syndicats pour évaluer. C’est seulement en fonction des résultats des travaux de la commission, qui va rendre rapidement ses conclusions, qu’on va décider s’il faut maintenir les prix dans l’état actuel ou s’il faut les augmenter. Ou si on peut apporter certains aménagements. INFOGUINEE : Et le cas du traitement des fonctionnaires guinéens ? JEAN-MARIE DORÉ : La commission mise en place est en train d’évaluer la situation, elle rendra ses conclusions peut-être aujourd’hui ou demain. Mais vous serez au courant dès que possible. 262

INFOGUINEE : Dix jours après votre nomination, votre gouvernement n’est toujours pas connu et les populations s’impatientent. Qu’en est-il au juste ? JEAN-MARIE DORÉ : Je vous renvoie à un principe. Quand un parti politique gagne les élections et qu’il forme le gouvernement, ça va très vite. Parce que ça dépend de la volonté du seul parti. Les forces vives m’ont proposé pour être nommé Premier ministre. En me nommant, le général Konaté m’a dit qu’il s’agit de former un gouvernement d’union nationale. Le gouvernement d’union nationale prend en charge dans les forces vives, en dehors des forces vives et parfois loin des forces vives. Donc, il n’y a pas une mesure pour désigner les ministres. Cela va prendre du temps. Parce que tous les gens vont participer au gouvernement soit physiquement, soit en apportant leur appui au gouvernement. Cela ne peut pas aller aussi vite ; c’est comme si l’UPG (l’Union pour le progrès de la Guinée, le parti de Jean-Marie Doré, précision d’Infoguinee) avait gagné les élections et qu’elle était chargée de former le gouvernement. Donc, il faut consulter toutes les couches sociales afin de prendre un représentant et de l’amener au gouvernement, cela prend du temps. Les gens amènent leurs CV en quantité. Il faut un comité d’évaluation des CV pour savoir si ce qui est dans le CV est vrai et puis mettre le CV en rapport avec le poste. Cela va prendre du temps, si on veut faire un gouvernement sérieux. INFOGUINEE : Qu’est-ce qui bloque la candidature des militaires ou celle de l’opposition ? JEAN-MARIE DORÉ : Il n’y a pas de blocage. Les accords de Ouagadougou disent de prendre les éléments du CNDD, les civils, et de prendre dans les structures politiques, sociales et économiques du pays. Donc, il y a tous ces facteurs qui agissent. Pour les membres du CNDD, vous connaissez la norme. Toute personne impliquée dans les événements tragiques du 28 septembre ne devrait pas faire partie du gouvernement, selon l’exigence de la communauté internationale et même des populations guinéennes. INFOGUINEE : Mais s’agissant de ces personnes « souillées », qu’est-ce qui prime, le rapport des enquêteurs onusiens ou celui des enquêteurs nationaux ? JEAN-MARIE DORÉ : L’ensemble de tous ces facteurs joue pour prendre des ministres qui n’ont rien à se reprocher par rapport à la morale publique. INFOGUINEE : Peut-on savoir le nombre de postes ministériels prévus pour votre gouvernement ? 263

JEAN-MARIE DORÉ : C’est un gouvernement d’efficacité, le nombre n’est pas prédéterminé. C’est en fonction des compétences et des tâches à exécuter qu’on prendra, mais sans tomber dans l’excès d’en prendre trop. On prendra ce qui est utile pour la période de transition et faire face avec efficacité aux exigences de notre gouvernement. Parce qu’il faut non seulement liquider les affaires courantes pour maintenir l’État, mais aussi organiser des élections et restructurer l’armée. INFOGUINEE : Selon les accords de Ouaga, le Premier ministre ne participera pas aux futures élections. Est-ce votre avis ? JEAN-MARIE DORÉ : Avez-vous le texte sur les accords de Ouaga avec vous ? N’avez-vous pas une autre question ? INFOGUINEE : Concrètement, six mois sont-ils réalistes pour organiser les élections ? JEAN-MARIE DORÉ : Les six mois, c’est une projection. Personne n’a pris un décamètre pour mesurer dans l’espace. C’est le terrain qui commande. Certaines projections estiment qu’on pourrait terminer le recensement dans quinze jours. Le temps nous montrera si c’est en dix jours ou en deux mois. Un chronogramme est une estimation, mais non une mesure exacte mathématiquement. C’est le terrain qui commande. Ce sont les faits. On gouverne avec les faits. INFOGUINEE : Serez-vous candidat aux futures élections ? JEAN-MARIE DORÉ : Êtes-vous candidat, vous ? Pour le moment, je m’occupe de l’organisation des élections qui auront lieu dans six mois, si le temps nous est donné. INFOGUINEE : Il semble qu’on veut vous imposer certains ministrables dans le nouveau gouvernement ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais par qui ? Qui veut imposer qui à qui ? INFOGUINEE : Le général Sékouba Konaté ? JEAN-MARIE DORÉ : Jamais ! Je vous le dis catégoriquement, catégoriquement. Le général Konaté n’impose personne. Le général Konaté n’impose personne. Le général Konaté a défini trois critères pour faire partie du nouveau gouvernement, il faut être compétent, ne pas être sous sanction de la communauté internationale et puis tenir des équilibres intérieurs. Il ne faut pas que tous les ministres soient des Guilavogui, des Koivogui, des… Ou bien, parmi les vingt-cinq ministres, qu’il y ait vingtquatre Kabas, ça ne peut pas aller. On marche vers l’unité nationale, elle n’est pas encore réalisée. Chaque fois que vous voulez former un gouvernement, que vous voulez meubler une administration, tout en tenant 264

compte des critères de compétence et d’expérience, vous devez veiller à ce que toute la Guinée se reconnaisse dans l’équipe que vous formez. INFOGUINEE : N’avez-vous pas des tiraillements avec les syndicalistes pour l’attribution du ministère des Élections, le MATAP ? Êtes-vous prêt à prendre la syndicaliste Hadja Rabiatou Serah Diallo ? JEAN-MARIE DORÉ : Est-ce que la formation d’un gouvernement est fonction d’un individu ? Le MATAP est un élément qui compose le gouvernement. Je ne sais pas pourquoi vous vous intéressez particulièrement au MATAP, il y a pourtant les affaires étrangères, la défense, les finances. INFOGUINEE : N’y a-t-il pas de blocage dans les tractations ? JEAN-MARIE DORÉ : Il n’y a aucun blocage, aucun ! INFOGUINEE : Alors, à quand votre gouvernement ? JEAN-MARIE DORÉ : Il y en a certains qui peuvent prendre deux mois pour former un gouvernement. Moi, j’ai un gouvernement d’union nationale à composer avec des éléments disparates, composites et vous voulez que j’aille plus vite que celui qui a gagné les élections, qui a les mêmes éléments dans le parti, idéologiquement. Si vous voulez un bon gouvernement, ne vous limitez pas dans le temps. Parce qu’on vous rendra un plat indigeste. INFOGUINEE : Pourtant au temps des anciens Premiers ministres, notamment Lansana Kouyaté et Tidiane Souaré, vous étiez l’un de ceux qui les pressaient à former leur équipe. JEAN-MARIE DORÉ : Je n’ai jamais dit d’accélérer, lisez tous les journaux créés à l’époque, je n’ai jamais demandé à quelqu’un qu’on accélère, mais j’ai dit de choisir de bons ministres. INFOGUINEE : Y aura-t-il des anciens ministres dans votre gouvernement ? JEAN-MARIE DORÉ : Certaines des populations ont dit de ne pas prendre les anciens. Mais si un ancien ministre a une compétence avérée et qu’il peut être utile à la Guinée, je ne vois pas pourquoi on va le jeter en pâture. Donc, c’est à voir. INFOGUINEE : On vous soupçonne de vouloir appeler l’ancien ministre de l’Économie et des Finances, Ousmane Doré, qui est impliqué dans le scandale du cinquantenaire en 2008 ? JEAN-MARIE DORÉ : Si c’est vous qui le recrutez ! Si c’est vous qui le recrutez ! 265

INFOGUINEE : Avez-vous lu le rapport d’enquête… JEAN-MARIE DORÉ : De la Commission nationale ou internationale ? INFOGUINEE : Nationale ! JEAN-MARIE DORÉ : Ce que je peux dire, moi je suis passé devant la Commission nationale, j’ai dit là-bas ce que je savais, où est votre problème ? INFOGUINEE : Que dites-vous des postes de Vice-Premier ministre ? JEAN-MARIE DORÉ : Voulez-vous être Vice-Premier ministre ? INFOGUINEE : Non, mais je veux savoir s’il y aura des VicePremiers ministres ? JEAN-MARIE DORÉ : Si vous voulez être Vice-Premier ministre… INFOGUINEE : Allez-vous respecter le texte des accords de Ouagadougou dont vous n’êtes pas signataire ? JEAN-MARIE DORÉ : L’avez-vous lu ? INFOGUINEE : Je l’ai parcouru. JEAN-MARIE DORÉ : Bon, résumez-moi ce que vous avez retenu. INFOGUINEE : Il est dit que le Premier ministre ne sera pas candidat aux élections… JEAN-MARIE DORÉ : C’est tout ce que vous avez retenu ? INFOGUINEE : C’est ce qui me concerne le plus, Excellence. JEAN-MARIE DORÉ : Donc, vous êtes candidat à l’élection présidentielle ? INFOGUINEE : Non, mais et vous, Excellence ? JEAN-MARIE DORÉ : Posez-moi une autre question… INFOGUINEE : La démission est rare dans notre administration… JEAN-MARIE DORÉ : Il y a quatre ministres qui ont récemment démissionné… INFOGUINEE : Je veux savoir si vous allez démissionner le jour où vous rencontrerez des obstructions dans la conduite de votre feuille de route ? JEAN-MARIE DORÉ : Si vous êtes des forces vives, vous aurez la réponse à ça. Pour quiconque se respecte, gouverner c’est faire l’art du 266

possible. Si vous êtes dans l’impossibilité de gouverner, je ne vois pas ce que vous allez faire là-bas. À moins qu’on ne vous foute à la porte. Il n’y a pas un mérite particulier à démissionner. Le fait de démissionner n’est pas un mérite en soi. Mais ce sont les événements qui vous obligent à démissionner si les faits se produisent. INFOGUINEE : Les enquêteurs nationaux ont chargé, ce matin, Toumba Diakité et préconisent l’amnistie pour les politiques ! JEAN-MARIE DORÉ : Je n’ai pas écouté leur discours, ni lu leur rapport pour l’instant… INFOGUINEE : Le fait qu’une amnistie soit décrétée… JEAN-MARIE DORÉ : Une amnistie est décrétée par la loi ou par une ordonnance. INFOGUINEE : Alors, les enquêteurs ont recommandé… JEANMARIE DORÉ : Voilà, il y a la recommandation. Ce n’est pas un texte contraignant. Si on recommande, que voulez-vous ? INFOGUINEE : Les enquêteurs disent que Toumba est le seul responsable, alors que les experts onusiens ont, eux, chargé le capitaine Dadis Camara et certains de ses proches. JEAN-MARIE DORÉ : Je ne suis pas là pour porter un jugement de valeur sur ces événements. Je veux qu’on parle des volets sociaux qui créent des goulots d’étranglement à l’évolution normale de la vie de notre pays. INFOGUINEE : Certains de vos partenaires des forces vives commencent à s’inquiéter que vous êtes en train de faire cavalier seul ? JEAN-MARIE DORÉ : Qui vous a dit ça ? Qui ? On m’a nommé. Mais il n’y a pas deux cavaliers sur le cheval de la primature. Celui qui vous l’a dit en aparté, c’est votre affaire. Aucun élément des forces vives ne vous l’a dit. Je suis membre des forces vives, s’il y a une critique, on la porte officiellement à ma connaissance. Ce que vous dites ne cadre pas avec la réalité de fonctionnement des forces vives. Personne ne vous l’a dit. INFOGUINEE : Avez-vous parlé avec Dadis Camara depuis votre nomination ? JEAN-MARIE DORÉ : Oui, il m’a téléphoné. INFOGUINEE : Qu’est-ce que vous vous êtes dit ? JEAN-MARIE DORÉ : Il m’a téléphoné, bonjour, bonsoir, comment ça va, je suis en bonne santé, et voilà ça va. 267

INFOGUINEE : Irez-vous à Ouagadougou à son chevet ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est la dernière question. Si je pars là-bas, il est un Guinéen. Si vous étiez au Burkina, ou à Dakar, quand je vais làbas, je vous vois, je vous salue. Jusqu’à nouvel ordre, Dadis est un citoyen guinéen. INFOGUINEE : Merci, Excellence. JEAN-MARIE DORÉ : C’est moi qui vous remercie.

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XXXVI. « Jean-Marie Doré et l’État d’urgence » Par le LA RTG le 23 novembre 2010 et décrypté par monsieur Tizo Bangoura

Les résultats du second tour donnent la victoire à l’opposant Alpha Condé avec 52,5 % contre 47,5 % des suffrages face à Cellou Dalein Diallo, ancien Premier ministre qui a reconnu et accepté sa défaite. Cependant, cette victoire qui, visiblement n’a pas satisfait les militants de l’opposition, a provoqué pendant trois jours des violences durement réprimées dans les fiefs électoraux du perdant, notamment à Ratoma (Conakry) et dans des villes de moyenne Guinée. Les émeutes ont fait au moins sept morts et plusieurs centaines de blessés, sans compter d’importants dégâts matériels. Dans la perspective de limiter ces dégâts, le gouvernement de transition a instauré le 17 novembre un état d’urgence, dont la mise en œuvre se heurte à des résistances et autres dérapages graves, dénoncés et stigmatisés sans langue de bois par le Premier ministre Jean-Marie Doré. À rappeler que l’État d’urgence a été levé le 10 décembre 2010. Dans une longue interview réalisée avec l’intéressé par le LA RTG, Jean-Marie Doré, Premier ministre d’alors, donne la définition, les caractéristiques ainsi que l’historique de l’état d’urgence, tout en épinglant le candidat malheureux, Cellou Dalein Diallo, qui défendait la 269

cause de ses militants qui, de toute évidence, étaient à la base des mouvements de contestation. LA RTG : Bonjour, monsieur le Premier ministre ! JEAN-MARIE DORÉ : Bonjour, monsieur ! LA RTG : Que vous inspire l’actualité dans notre pays ? JEAN-MARIE DORÉ : Depuis un certain temps, des loubards ont pris d’assaut des quartiers, notamment dans la commune de Ratoma, terrorisant les populations, menaçant les automobilistes, même ceux qui obéissent à leurs injonctions. Ils brûlent des pneus, arrachent des câbles. Beaucoup de citoyens sont chassés de leur domicile, pour des raisons souvent inavouées. D’autres ne trouvent leur salut que dans la fuite pour se réfugier dans les camps militaires ou dans les commissariats. Cela ne peut pas continuer, si nous sommes un pays digne d’évoluer vers la démocratie et vers l’État de droit. Il n’y a aucun pays au monde digne d’aspirer à la démocratie, de donner confiance à son peuple, d’être capable d’inspirer confiance à l’étranger (parce qu’aucun pays ne peut vivre aujourd’hui en se renfermant sur lui-même), sans qu’il ne puisse être capable, sans que le gouvernement de ce pays ne puisse être capable de garantir l’ordre public. Or, des loubards ont pris d’assaut, comme je le disais tantôt, la ville de Conakry et certaines villes de l’intérieur, notamment Pita, Labé, Dalaba et les axes routiers qui mènent à Mamou. Devant la gravité des déprédations commises par ces loubards, le gouvernement s’est trouvé dans l’obligation de décréter l’état d’urgence. Le texte de l’état d’urgence est clair, absolument clair : l’arrêté que j’ai signé est assorti de la création d’une commission de veille à la bonne gestion de l’état d’urgence, à l’observance stricte des mêmes instructions prescrites à la population et au respect des critères de maintien d’ordre, et éventuellement aux abus qui pourraient être commis, parce que pendant l’État d’urgence, il faut garantir l’ordre public. Il ne faut pas que le remède soit pire que le mal. Devant cette situation, notre surprise a été totale face aux appréciations fantaisistes, parce que des gens aveuglés, on ne sait par quel sentiment, ont essayé de donner de la Guinée une image complètement déformée, par le prisme de partis pris et d’émotivité excessive. Donc je voudrais démentir de la façon la plus catégorique, je répète encore parce que je l’avais déjà fait, que des militaires, des policiers ou des gendarmes aient tué en masse des citoyens. 270

Je crois même que ceux qui recourent à cette expression, « répression massive », soit ils manquent de vocabulaire pour apprécier les choses à leur juste dimension, soit il faut douter de leur équilibre intellectuel. Parce que « tuer en masse », même pour celui qui n’a pas fait l’école, quand on dit, « en masse », ça veut dire que nous sommes devant des monceaux de cadavres. Tel n’est pas le cas. En réalité, qu’est-ce qui se passe ? Dès que l’on a annoncé que la CENI était en train de faire la totalisation des votes pour rédiger un rapport à envoyer à la Cour suprême, d’autres loubards ont pris d’assaut la ville, interdisant la circulation depuis le carrefour de Bellevue jusqu’à la cimenterie. Le premier jour, on n’a rien compris, puis c’est devenu une habitude, chaque matin et chaque soir. Le cortège du président de la République y a été lapidé. Je ne pense pas qu’un parti républicain responsable puisse envoyer ses militants dans la rue. Nous, on n’a pas affaire aux militants d’un parti, ni aux militants de l’UPG ni aux militants de l’UFDG ou du FUDEC ou autres partis ; parce que les militants d’un parti sont des groupes organisés, qui obéissent à leurs leaders, qui obéissent aux mots d’ordre. Donc, comme je pense que les responsables de l’UPG, du RPG, de l’UFDG, de l’UFR sont des gens préoccupés par la paix du milieu, par l’unité nationale, je refuse de penser qu’un seul de ces leaders ait eu l’inconscience d’envoyer, en violation de la loi, ses militants dans la rue. Compte tenu du comportement de ceux qui sont dans la rue, qui frappent sans discernement les passagers, hommes et femmes, qui détruisent des maisons, ces gens-là sont des loubards. Ce sont des loubards, parce que si moi je suis leader d’un parti, aucun militant de mon parti ne peut, de sa propre initiative et au nom du parti, sortir pour aller s’attaquer aux gens dans la rue. Donc, je pense que si je suis un parti légal, le maintien de mon sigle est fonction du respect de la loi dans mon parti. Donc, mes autres collègues ont les mêmes préoccupations, je suppose, que moi. Je ne peux pas imaginer que ce soient des militants, qui sont généralement des gens conscients – parce qu’un militant dispose du programme de son parti, de la philosophie de son parti, donc, quelqu’un qui a une vision et un comportement calés et réglés de son parti –, je ne peux pas imaginer qu’un parti qui aspire à gouverner la Guinée puisse mettre ses militants dans la rue, avec le mot d’ordre de casser tout ce qui n’est pas de leur parti. Donc, pour moi ce sont des loubards. LA RTG : Est-ce que l’état d’urgence est bien géré ? 271

JEAN-MARIE DORÉ : Oui ! Il est correctement géré. La FOSSEPEL, qui est composée de policiers et de gendarmes, appuyés par d’autres corps, mais obéissant au chef d’état-major de la FOSSEPEL, a pris en charge de gérer l’état d’urgence, qui se donne pour mission d’assurer par un couvre-feu, de 18 heures à 6 heures du matin, la sécurité des citoyens. En couverture, il y a l’armée qui intervient en renforcement de la capacité opérationnelle des policiers et des gendarmes. La présence en couverture de l’armée vise à sécuriser les forces qui sont sur le terrain, et à dissuader ceux qui voudraient déborder les forces de police et de la gendarmerie. Je veux vous montrer que nous sommes un gouvernement responsable, que nous sommes une police responsable, une gendarmerie responsable et une armée nationale responsable. Parmi les militaires qui sont sortis en couverture, certains se sont mis à tirer en l’air, pan ! pan ! Vous les avez sûrement entendus la nuit, la première nuit, incommodant les paisibles citoyens qui s’étaient calfeutrés chez eux pour obéir au mot d’ordre de rester à la maison. Dès que nous avons fait ce premier constat, le chef d’état-major de notre armée, le général Nouhou Thiam, a pris des mesures énergiques pour mettre hors d’état de nuire ces militaires, auxquels on a retiré les armes et qui vont être sanctionnés. Parce que l’état d’urgence est un acte posé par l’État et qui est prévu d’avance par la loi. On ne l’a pas inventé. Le décret est là seulement pour appliquer la loi. Donc, dans tous les pays du monde, toutes les Constitutions prévoient l’état d’urgence ; et quand il y a des atteintes graves à l’ordre public, il faut partir du couvre-feu, passer par l’état d’urgence, et, en cas de débordement plus grand, laisser à l’armée seule le soin de maîtriser la situation. C’est ce qu’on appelle l’état de siège. C’est pourquoi il faut noter qu’au sixième jour, la paix est revenue dans la cité, à l’exception de quelques quartiers où des loubards endurcis sortent de temps en temps pour aller piller les boutiques et les magasins. Je défie quiconque d’établir que des domiciles des citoyens ont été cassés par la police ou la gendarmerie ou par l’armée. Ce n’est pas vrai. Par contre, nous avons relevé avec effroi que dans notre belle ville de Pita, des loubards sont sortis en masse, et sont allés inquiéter tous les fonctionnaires originaires de la haute Guinée, de la forêt et de la basse Guinée. Et plus grave, ils ont détruit les domiciles des citoyens de Pita qui étaient loués à ces fonctionnaires ; et ces fonctionnaires n’ont eu leur salut qu’en se réfugiant à la gendarmerie. 272

Il y a des notabilités qui ont perdu tous leurs biens. Il y a Bah Ousmane, le président de l’UPR, dont le domicile a été complètement saccagé, ainsi que ses biens. Il y a un parent de mon épouse, qui a également perdu tous ses biens. Il y a une notabilité proche du chef de l’État qui a aussi perdu tous ses biens. Plus d’une trentaine d’autres maisons ont été saccagées ou détruites à Pita. LA RTG : Selon certaines déclarations de journalistes et du président de l’UFDG, que vous seriez exposé à des poursuites judiciaires ainsi que le ministre de la Sécurité ? JEAN-MARIE DORÉ : Vous savez, si on n’était pas dans une affaire grave, puisque l’intérêt de notre pays est en question, je me serais contenté de rire. Monsieur Cellou Dalein Diallo, puisqu’il s’agit de lui, et j’aurais souhaité ne pas avoir à parler de lui à ce stade de l’application du processus, de ses laisser-aller à des écarts de langage, met en cause sa crédibilité. Je comprends parfaitement monsieur Cellou, qui n’a jamais étudié le droit. Donc, quand il s’aventure dans le domaine du droit, il faut excuser son ignorance extrême. Et nous, par les affirmations selon lesquelles ses militants ont été réprimés massivement, je persiste à dire, qu’on a décrété l’état d’urgence pour ordonner la chasse aux loubards, qui épouvantent nuitamment à Conakry, dans la commune de Ratoma, sur les axes Bellevue-Cimenterie, par la route Le Prince en passant par Hamdallaye, Bambeto, Cosa, ENCO 5 et Wanindara. Ce sont ces gens qui sont visés. Toutefois, cette chasse aux loubards n’a pas donné lieu à des tueries massives. Il y a eu certes des morts, mais ces morts, deux le sont par balles perdues, puisque les gens tiraient en l’air. Mais dix au moins le sont par des chevrotines tirées par des fusils calibre 12 de fabrication locale, d’autres par des couteaux ou par des coupe-coupe. L’armée guinéenne n’est pas une armée de coupe-coupe ou de flèches et autres. Ce sont des loubards qui sont armés de cela. Et tout cela, je veux dire pour l’information qui se précise, que tout cela s’est passé sous les yeux des trois juges de la cour pénale, qui étaient en mission à Conakry. Ils ont parfaitement enregistré cela. Mais si monsieur Cellou veut identifier ses militants aux loubards, ça, c’est lui qui en prend la responsabilité. Mais j’ai pour les militants de l’UFDG beaucoup de respect, et je ne voudrais pas, je ne souhaite pas, qu’on les assimile à des loubards. Parce que tels que je vois mes militants et les militants des 273

autres partis, je me dis que ce sont des garçons et des filles qui ont reçu une certaine formation, et qui savent ce que nous voulons faire de la Guinée, qui respectent le bien d’autrui, la liberté d’autrui. Donc ici, s’il y a quelqu’un qui doit aller devant la CPI, puisque nous, nous avons des dossiers déjà ficelés et eux sont en train de faire des dossiers, ce serait peut-être lui, puisqu’il dit et reconnaît maintenant qu’il a donné l’ordre à ses militants de sortir dans la rue avec des loubards pour aller saccager les biens des gens, pour attenter à la liberté des gens. J’aurais souhaité ne pas être obligé de parler de cela, parce que je crois qu’il arrive dans la vie de chaque homme un moment de faiblesse, je crois que c’est un moment de faiblesse qui l’a conduit à faire cette déclaration pour le moins irresponsable et insensée. Je souhaite pour lui qu’il recouvre rapidement son équilibre mental et sa santé, pour ne pas dériver par rapport à l’expression publique. LA RTG : Quel appel pouvez-vous lancer à l’endroit du peuple de Guinée ? JEAN-MARIE DORÉ : Avant de répondre à votre question, je dois vous dire que si nous avons le sentiment fort qu’après la proclamation de l’état d’urgence il n’y aura pas de nouveaux débordements, alors l’état d’urgence prendra fin à ce moment-là. Mais si nous avons le sentiment que des loubards vont se vêtir des habits des militants d’un parti pour perturber l’ordre public, assassiner des gens, détruire des biens, incendier des domiciles et autres, alors on reconduira l’état d’urgence. Mais je ne le souhaite pas du tout. Je ne le souhaite pas, parce qu’il faut laisser la liberté aux citoyens paisibles de vaquer à leurs affaires. Les Guinéens vivent au jour le jour. Dans le fait d’être contraints de cette manière, ce n’est pas souhaitable qu’on impose indéfiniment l’état d’urgence. Mais on ne peut pas non plus laisser la parole à la rue, à des assassins en puissance qui accaparent des mots d’ordre politiques, simplement pour se donner bonne conscience. Mais ces gens-là, ce sont des criminels, et ils sont traités comme tels, parce que dans tous les pays du monde l’incendie volontaire est un crime ; s’attaquer avec des coupe-coupe, des lance-pierres, à des gens qui n’ont rien fait et dont le seul tort est d’être passé par l’axe à ce moment-là, cela relève aussi du crime. Est-ce que vous pensez qu’on peut tolérer ces actes antinomiques de la démocratie et l’État de droit ? Non ! Ce sont des gens irresponsables. 274

Il faut que monsieur Cellou évite de parler beaucoup, parce que des gens, en son nom, font des collectes de fonds pour faire du djihad en Guinée. Il faut qu’il sache que la Guinée est peuplée de gens d’origines diverses, et que la démocratie, l’État de droit, la liberté, ne trouveront leur compte que par l’harmonie des relations entre ces gens-là. Or, c’est obligatoire que la paix règne entre toutes les couches de notre peuple, la concorde et le respect mutuel. Il ne faut pas que les ambitions contrariées de certains individus les amènent à mettre en péril la paix civile. S’ils le font en violation de la loi, ils seront réprimés conformément à la procédure. Nous, nous allons demander à la CPI de poursuivre ceux qui poussent des enfants dans la rue et qui vont assassiner. Nous connaissons des gens qui font des réunions, nous avons des enregistrements de ces réunions, on n’a pas besoin de les traiter outre mesure. Il suffit de transmettre tout cela à la justice. Nous pensons que, comme on a commencé dans l’allégresse, le processus d’élimination va se poursuivre ; parmi les vingt-quatre, il en est resté deux. La Cour suprême va nous dire qui va franchir le cap de la victoire, pour être élu pour cinq ans. Un homme politique doit avoir une vision, il ne doit pas se laisser aller à des émotions du moment, en pensant que demain le soleil ne se lèvera pas. Quand on a une vision, lorsqu’on subit l’échec, la foi en l’avenir, la foi en son peuple sont là pour redonner de l’énergie en vue de l’étape à venir. Mais on ne se laisse pas aller à des tremblements, pour déclarer n’importe quoi, n’importe comment, et se croire tout permis. Tout n’est cependant pas permis à n’importe qui. Tous les Guinéens sont égaux, personne ne peut se prévaloir de quoi que ce soit, pour être la cause permanente de l’insécurité dans le pays, à ce moment-là, d’autres voix vont se lever pour dire non, c’est ça et monsieur Bah Mouctar a dit ce matin sur RFI que les manifestations des loubards ont été réprimées dans le sang. Je regrette profondément que monsieur Mouctar Bah, que je croyais être un journaliste professionnel, qui a le contrôle de son langage et de ses émotions, puisse se laisser aller par le virus du parti pris exacerbé, pour violer la loi, parce que ce qu’il a dit est une violation de la loi, d’autant plus qu’il ne peut pas montrer dans un quartier de Conakry la mare de sang. Je vais vous dire, deux jours avant que l’on ne décrète le couvre-feu, l’axe routier qui va de Dabola à Mamou a été pris d’assaut à partir de Timbo, par d’autres loubards, qui faisaient descendre systématiquement les passagers des minibus et des taxis, pour leur demander de présenter leurs cartes d’identité. Vous étiez délestés de vos 275

biens, bastonnés et à la moindre résistance on vous tailladait et si le chauffeur n’était pas assez rapide pour démarrer, on incendiait le véhicule. Nous avons fait photographier, filmer les carcasses des véhicules. Heureusement, le gouverneur de Mamou a pris des mesures énergiques, pour faire sillonner cet axe, y compris l’axe Mamou-Faranah par des véhicules militaires. Ce qui a amené à une accalmie et ces loubards qui ont été pris sur le fait, ont été arrêtés et déférés. Ils ont fait des dépositions, et le moment venu, le droit sera dit et tous ceux qui sont identifiés comme acteurs, comme commanditaires ou ayant encouragé sans l’avoir commandité l’acte à son exécuteur, seront poursuivis devant la justice. Parce que c’est un bien commun, la Guinée ; nous en sommes tous copropriétaires, et nul, seul, n’a le droit de défigurer l’édifice. Comme on a dit que c’est la première expérience d’une élection libre, démocratique et transparente, et qu’il fallait que les jeunes gens expriment le trop-plein de leur énergie, certains ont cru qu’il s’agissait de faire peur à d’autres, c’est pourquoi on ne dit rien. Non ! C’est un souci d’amener les gens à comprendre que le jour où la démocratie sera là, eh bien, la liberté sera totale. Mais la liberté n’est totale que dans la sécurité des personnes. Si un certain nombre d’individus veulent accaparer la liberté pour épouvanter les autres, ce n’est plus la liberté. Donc, je voudrais dire à l’attention du peuple de Guinée que le pays est bien géré ; tout ce que fait le gouvernement, c’est pour assurer la sécurité des personnes et de leurs biens, c’est pour que le pays vive dans la paix à l’issue de la proclamation des résultats définitifs. La communauté internationale nous a promis qu’après les élections, elle allait donner de grands moyens financiers, des moyens techniques et matériels pour restructurer notre armée. À tout moment il y a des problèmes dans l’armée. Il ne faut pas dramatiser parce que l’armée guinéenne a montré le chemin de la liberté, elle a libéré un grand nombre de pays africains. Dire que depuis vingt-cinq ans l’armée a connu des problèmes, ce ne sont pas des problèmes insurmontables. On va les corriger pour que de nouveau, notre armée soit une armée de tout le monde. Quand elle défile, qu’on l’applaudisse et que les officiers, les sous-officiers, les hommes de troupe soient heureux d’avoir fait la bonne option de choisir la carrière militaire. Mais c’est dans la paix et la sécurité que ce travail va être fait, pour que demain, le militaire qui va à la retraite ne perde pas son statut et sa dignité. Mais les civils aussi ont le devoir d’observer la discipline. Sans la discipline, jamais nous ne trouverons un partenaire crédible pour investir en Guinée. Mais il y a des gens qui veulent coûte que coûte que ce soient eux ou personne, « c’est moi ou le 276

chaos ». Ça ne marchera pas. On ne pourra pas laisser prospérer une telle vision cauchemardesque de notre nation. C’est pourquoi je demande à notre peuple d’avoir confiance en son gouvernement et, à sa tête, le général Sékouba Konaté, pour qu’on remette le témoin au futur président qui sera élu pour cinq ans. Cinq ans ce n’est rien, ceux qui veulent devenir président après celui-là, qu’ils gardent leur calme, qu’ils aient confiance en leur parti, qu’ils aient confiance en le peuple de Guinée, et que la vie en Guinée soit paisible. Et que nous n’imitions pas les exemples qu’on a vécus ailleurs. Parce que certains sont allés jusqu’à souhaiter qu’il y ait un nouveau 28 septembre ! Est-ce qu’un homme sensé, un homme équilibré, qui est en bonne santé, peut souhaiter cela ? Personne ne peut revendiquer le 28 septembre pour lui seul. Moi j’ai été blessé, des Soussous ont été blessés, des Peuls ont été blessés, des Malinkés ont été blessés, des forestiers ont été blessés. C’est l’héritage que personne, à lui tout seul, ne peut revendiquer. Il n’y a que des gens irresponsables qui n’ont aucun sens de l’État et de la nation, qui peuvent penser comme cela ! C’est pourquoi j’en appelle au sens élevé du patriotisme de chacun et de tous, pour que la Guinée retrouve le chemin de la stabilité, de la démocratie et du développement. LA RTG : Merci, monsieur le Premier ministre.

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XXXVII. « Il y a un vrai désordre au ministère des Mines » Par Samory Kéita pour « Le démocrate » le 23 mars 2009

Dans ses propos, Jean-Marie Doré a abordé certaines questions brûlantes de l’actualité politique guinéenne dont le chronogramme de la transition, la lutte contre les narcotrafiquants, les rapports entre le président Dadis et le leader de l’UFDG, Cellou Dalein Diallo… LE DÉMOCRATE : Le chronogramme de la transition en Guinée élaboré par les forces vives a été validé la semaine dernière par le président Moussa Dadis Camara. En tant que porte-parole des forces vives, quelle est votre réaction à ce propos ? JEAN-MARIE DORÉ : J’étais convaincu qu’il allait le valider, étant donné qu’il avait dit que s’il y avait consensus sur un document élaboré par les forces vives, il le suivrait. Cette acceptation par anticipation a amené les forces vives à travailler de manière hautement responsable pour ne pas élaborer des normes qui gêneraient le CNDD. Et pour être tout à fait en harmonie avec la réalité du terrain, nous avons fait ce document, puis dans une séance à huis clos avec le Groupe international de contact sur la Guinée, nous avons analysé le document point par point, concept par concept, et nous avons bénéficié des conseils à la fois d’audace et d’extrême prudence de la part des différentes composantes du GIC-G. Le gouvernement malien, le gouvernement libérien, le gouvernement américain, l’UE, la France, tous ces pays ou institutions que j’ai cités ont apporté des contributions responsables pour une meilleure lecture de notre document. Et je pense qu’en le faisant, nous avons épousé le cadre du terrain pour aujourd’hui, mais aussi pour l’avenir, pour que l’adoption du chronogramme tienne compte de toute situation susceptible de se créer dans notre pays.

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LE DÉMOCRATE : Cependant, des observateurs soutiennent que ce chronogramme a été fait à la hâte pour faire plaisir à la communauté internationale. Qu’en dites-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : En aucun cas, il n’a été fait à la hâte. C’est un chronogramme qui a été élaboré après consultation entre les différentes structures qui composent les forces vives, à savoir les partis politiques, les syndicats, la société civile, le patronat. Il y a quand même des points sur lesquels on a varié. C’est par exemple le cas du Conseil national de transition (CNT) qui peut être un facteur de retard. Mais je ne me définis pas de façon catégorique sur cette question, puisque nous sommes appelés à nous réunir, compte tenu de toutes les informations que nous avons reçues entre-temps pour étudier la nécessité, l’opportunité de créer un CNT. LE DÉMOCRATE : La jeunesse et les opérateurs économiques demandent qu’on donne le temps à la junte pour bien nettoyer la maison avant toute élection. Que vous inspire une telle position ? JEAN-MARIE DORÉ : Vous savez, quand on va au Palais du Peuple, on assiste à un spectacle inédit, puisqu’il y a des gens qui sortent on ne sait d’où pour parler au nom de la jeunesse guinéenne. Vous ne les voyez jamais dans la rue. Mais de quelle jeunesse guinéenne parlent-ils ? Moi, j’ai un mouvement de jeunes, le RPG a un mouvement de jeunes, l’UPR a un mouvement de jeunes, l’UFR, le PUP, l’UFDG, tous ont des mouvements de jeunes. Il n’y a pas de parti consistant en Guinée, y compris le PDG-RDA, qui n’ait pas un mouvement de jeunes. Alors, au nom de quel mouvement de jeunes ils parlent ? Dès qu’il y a un événement de ce genre en Guinée, les gens sortent de terre comme des champignons vénéneux et n’importe qui vient se donner en spectacle. Les forces vives sont composées aujourd’hui de la manière suivante : les partis politiques, toutes tendances confondues, les centrales syndicales, les organisations de la société civile, le patronat et les quatre coordinations régionales. Nous n’avions pas annoncé au président que les coordinations régionales constituent désormais une composante des forces vives. Donc, quand le porte-parole des forces vives a parlé, aucun autre mouvement des jeunes n’aurait dû prendre la parole pour dire quoi que ce soit. Aujourd’hui, il y a les forces vives, le CNDD et la communauté internationale qui s’expriment à travers le GIC-G. Ce qui prouve que la gestion de cette transition est faite d’une façon profondément responsable. C’est ce qui fait que nous saluons le sérieux avec lequel le président du CNDD s’exprime. Et nous le croyons, parce 280

que c’est un homme qui, entre autres qualités, est profondément sincère, honnête et il faut le souligner avec force. Ce qui donne confiance que nous sortirons de la transition de manière opportune, sans traîner les pieds, mais aussi sans accélérer outre mesure, d’aller à contre-courant des réalités. Nous devons, dans la nécessité, sortir de la transition, tenir compte des réalités du terrain. Parce que le CNDD est attelé principalement au processus électoral, mais aussi de manière importante et substantielle, le CNDD est appelé à l’éradication de certains travers sociaux dont les principaux sont le trafic de drogue, la traite de l’être humain, le détournement des deniers publics d’une part ; de l’autre, il doit récupérer les créances de l’État, qui sont aujourd’hui des facteurs qui bloquent la société guinéenne dans ses vecteurs économiques et dans sa structuration sociale et humaine. LE DÉMOCRATE : Que dites-vous alors des déclarations de monsieur Super Bobo qui a parlé au nom des opérateurs économiques ? JEAN-MARIE DORÉ : Écoutez, monsieur Bobo est un bon ami, qui s’exprime de façon sincère. Je n’ai pas à interférer dans les problèmes du patronat, mais je sais seulement que nous sommes avec le patronat au sein des forces vives. Et il a parlé à titre privé, donc je ne peux pas transférer ce qu’il a dit alors dans le domaine qui serait celui de l’opinion de tous les opérateurs économiques. Parce que, si je le dis, je serai en porte-à-faux avec les opérateurs économiques qui sont dans le patronat et qui siègent avec nous au sein des forces vives. Je ne suis pas là pour juger les gens, mais je sais que nous agissons de concert avec le patronat et les centrales syndicales. LE DÉMOCRATE : Le président Dadis semble avoir lavé le linge sale en famille avec monsieur Cellou Dalein Diallo, leader de l’UFDG… JEAN-MARIE DORÉ : Le président Dadis n’est devenu l’ennemi ou l’ami de personne. Cellou Dalein est un leader politique et Dadis est le président de la République. Donc, il y a des choses qu’il ne faut pas confondre. Il a dit qu’il va faire l’audit de la gestion de tous les anciens Premiers ministres. Pourquoi le président Dadis a dit qu’il ne faut pas écouter les bobards des gens ? C’est par rapport à tout ce qui a été écrit sur Internet. Des gens ont écrit que Dadis en veut à Cellou Dalein Diallo, parce que si ce dernier va aux élections, il va devenir président de la République. Mais comment Dadis peut-il présumer que Cellou sera élu président ? Il est sur le terrain depuis combien de temps ? Donc, il y a des gens qui aiment semer la confusion. L’Internet a été rempli de supputations, d’accusations. Certains sont allés jusqu’à dire que si on dit 281

qu’on va auditer les anciens Premiers ministres, c’est en réalité Cellou Dalein Diallo. Est-ce que vous croyez que Dadis avait peur, s’il avait voulu accuser nommément, de dire qu’il s’est rendu coupable de détournement ? Mais il a dit que tous les anciens Premiers ministres seront audités. Et Sidya a dit au camp, le 27 décembre 2008, « vous commencerez par moi ». Maintenant, des esprits chagrins ont tout de suite vu que c’est Cellou Dalein Diallo. Mais ça, c’est leur affaire. Et ils sont allés jusqu’à prendre des avocats. Mais je crois que cette façon de faire accusait Cellou Dalein Diallo. Parce qu’on n’a pas dit son nom, et les gens agissent pour son compte, se considérant déjà comme des cadres de défense. Moi, je crois que c’est malhonnête. J’ai dénoncé ça le jour de ma conférence de presse. Il faut que les gens cessent. Chacun vient de quelque part en Guinée, personne ne peut, à loisir, s’attaquer à l’intégrité d’une autre personne. Les audits seront faits. Sidya sera audité, Kouyaté sera audité, Lamine Sidimé sera audité, Eugène Camara sera audité, Fodé Bangoura sera audité… Louncény Fall n’a pas eu le temps de gérer. Quand il a vu qu’on ne voulait pas lui permettre de faire correctement le travail qu’on lui avait confié et qu’il savait qu’il y avait des gens qui avaient volé et qu’on ne veut pas poursuivre, alors il a eu la grande honnêteté de démissionner. Et ça, quelle que soit l’évolution des politiques en Guinée, j’aurai toujours pour Fall, pour ce qu’il a fait en ce temps-là, une très haute considération. Cela n’anticipe pas sur mes relations futures avec monsieur Fall, mais il a posé un acte d’homme d’État responsable qu’il faut saluer. LE DÉMOCRATE : Quelles sont les mesures envisagées aujourd’hui par les forces vives pour pousser la junte à respecter son engagement par rapport au chronogramme sur la transition ? JEAN-MARIE DORÉ : Souvenez-vous que c’est le président qui a présenté le premier un chronogramme, non daté, qui s’étendait jusqu’au dernier trimestre de l’année 2009. Donc, nous n’avons fait que dater à l’intérieur du cadre des limites indiquées par le président. Il faut donc le créditer de bonne foi, puisqu’il l’a dit. Il a dit que si ça ne tenait qu’à lui, on pourrait faire rapidement les élections. Mais ça, c’est une affirmation de principe qui doit tenir compte des réalités du terrain. S’il n’y a aucun obstacle qui intervienne, qui surgisse, je veux dire, entre-temps, on tiendra le délai. Mais s’il y a un obstacle dont je ne peux déterminer la nature par anticipation, c’est-à-dire si on s’aperçoit en cours de route qu’on ne peut pas faire des élections crédibles, propres et transparentes dans ce délai, rien n’empêche d’aller plus loin que le 31 décembre 2009. Il ne s’agit pas de faire coûte que coûte des élections, mais de faire des 282

bonnes élections et que ce soit le point de départ de l’ancrage démocratique en Guinée. Donc, il ne faut pas saboter les élections. Je pense que ce n’est pas le 31 décembre qui est le plus important, c’est la nature et la crédibilité des élections qui imposent de se camper à l’intérieur d’un délai ou d’aller au-delà d’un délai. LE DÉMOCRATE : La semaine dernière, un forum minier a été organisé au Palais du Peuple où les réalités de ce secteur ont été passées au peigne fin. Quelle perception faites-vous de ce forum ? JEAN-MARIE DORÉ : Je félicite le président Dadis d’avoir organisé ce forum, pour qu’on dénonce les tares dans la gestion d’un des secteurs clés de notre économie, c’est-à-dire les mines. Sidya a eu la bonne idée de dire qu’après le forum sur les mines, il faudrait aussi organiser le forum sur l’agriculture. Parce qu’aujourd’hui, la Guinée devrait pouvoir régler le tiers ou la moitié des problèmes financiers avec les revenus des mines si les mines étaient bien gérées. Au temps de feu président Sékou Touré, quand les prix des matières premières étaient très bas, on gagnait plus en valeur absolue que maintenant. Le montant réel qu’on récupérait au temps de Sékou Touré est plus élevé que les montants que nous avons maintenant, malgré l’augmentation des prix des matières premières. Rien que ça accuse la gestion des mines aujourd’hui. Donc, le président a posé la question et au cours des débats on s’est aperçu qu’il a bien fait de poser la question. Il a posé le problème, il a déterminé les axes de réflexion et il a suggéré la stratégie qui devait être mieux structurée dans une commission de travail pour qu’on sorte aujourd’hui de ce désordre. Parce qu’il y a un vrai désordre au ministère des Mines. Regardez par exemple, le directeur de BSGR a dit des choses qui m’ont statufié. C’est une société qui était connue en Sierra Leone, et qui a eu beaucoup de problèmes dans ce pays. Et c’est une société d’or et de diamant qui n’a pas la même stature que Rio Tinto. Rio Tinto est un des géants des mines, notamment en matière de minerais de fer dans le monde. Elle ne peut pas être en concurrence avec BSGR qui a dit une chose là-bas qui n’a pas retenu l’attention des gens, mais le président Dadis Camara l’a notée. Il dit que dans trois ans, il va commencer à évacuer les minerais. Et le président Dadis lui a demandé : « Par où allezvous évacuer les minerais, par le port de Conakry ? » Pour faire le chemin de fer de Simandou-Conakry, on ne peut pas le faire en trois ans. Il faut creuser des tunnels, faire de multiples ponts. Il faut au minimum sept ans. C’était vraiment pour nous jeter de la poudre aux yeux. C’est des histoires, il nous prend pour des naïfs. La commission va étudier 283

correctement le dossier avec les techniciens du ministère des Mines qui sont nos experts. Nous, nous sommes des hommes politiques, nous nous occupons de la stratégie et on va conseiller le gouvernement pour le court et le long terme pour baliser la voie de la gestion des mines. Et même le problème des emplois et de la transformation sur place, au moins une partie des minerais de bauxite, de fer qu’on extrait chez nous. Parce qu’il faut que la Guinée commence l’industrialisation. C’est tout ça qui entre en ligne de compte. LE DÉMOCRATE : Le président Dadis a entamé une vaste opération de lutte contre les narcotrafiquants parmi lesquels on retrouve des hauts dignitaires du régime défunt, comme M’Bemba Bangoura qui dit être entraîné par un courant. Peut-on éradiquer ce phénomène ? JEAN-MARIE DORÉ : Je ne crois pas que quelqu’un se soit laissé entraîner. Les gens ont volontairement décidé de s’intégrer dans le trafic de drogue. Parce que le chef hiérarchique du gouverneur, ce n’est pas le chef d’état-major de l’armée. Le chef hiérarchique du gouverneur, c’est le ministre de l’Administration du territoire, au-dessus duquel se trouve le président. S’il reçoit un ordre illégal, il a le droit de refuser sans encourir aucun risque de se référer à son ministre. Il ne l’a pas fait. Donc je regrette pour lui, parce que c’est un monsieur que j’aime beaucoup. Il a eu tort d’accepter de participer au déchargement de l’avion et de recevoir 10 000 euros. Parce que quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui vous donne 10 000 euros, alors que vous êtes un fonctionnaire de l’État, c’est quand même quelque chose d’inédit. Donc, je pense que c’est la gestion de Conté qui est la cause principale de tout ça. Le laisser aller, le laisser-faire, le fait d’habituer les gens à l’argent facile. Et puis, regardez, même son fils est impliqué. Si le fils du chef de l’État est impliqué, cela veut dire que tous les gens qui avaient besoin d’argent, qui étaient autour, empruntaient des raccourcis. Donc ici, je ne suis pas étonné, d’après ce que nous avons appris par l’implication du fils de Conté, que des hauts gradés de notre armée soient aussi impliqués. Or dans tout pays du monde, l’armée est un modèle d’intégrité, de dévouement à la patrie. La parole d’officier est considérée comme une parole d’Évangile ou de Coran. Si vous voyez des colonels décharger des colis de narcotrafiquants, ça vous montre le degré de pourrissement de la société guinéenne. C’est-à-dire des institutions de l’État. C’est pourquoi nous allons faire en sorte que le chronogramme balise la voie vers une transition maîtrisée dans le temps, mais aussi être assez flexible pour tenir compte des actions parallèles au processus électoral qui doivent aérer la maison Guinée. 284

LE DÉMOCRATE : Au regard de la situation actuelle du pays, quelle est d’après vous la meilleure façon de tourner la page ? JEAN-MARIE DORÉ : Je pense qu’il faut d’abord attendre que l’on finisse le processus, parce qu’il faut régler le problème guinéen. Ce n’est pas au cours d’une séance de travail au Palais du Peuple qu’on pourra le faire. C’est un travail de longue haleine. Maintenant, les militaires sont en train de baliser la façon de faire. On ne prendra plus le domaine de l’État indûment, on ne vendra plus la drogue avec la complicité des fonctionnaires, on va mettre des verrous contre les détournements. À partir de là, le gouvernement futur qui sortira des élections sera armé et sera sous surveillance pour ne pas encourager cela. C’est comme ça que je vois l’avenir. Il n’y a pas une panacée qui règle le problème une fois pour toutes. On a mis des verrous, il faut donc veiller que quelqu’un ne vienne pas les démonter.

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XXXVIII. « Le report des élections n’est pas l’expression d’un complot » Par Aly Badara Condé pour « Le Démocrate » le 5 novembre 2008

Après un séjour en Guinée forestière, Jean-Marie Doré a regagné Conakry la semaine dernière. Dans une interview qu’il a accordée à notre rédaction le 5 novembre 2008, il revient sur son séjour, tout en abordant certains sujets brûlants de l’heure, comme le report des élections législatives et la rencontre, il y a quelques semaines, entre Sidya Touré et Alpha Condé à Paris. LE DÉMOCRATE : Peut-on savoir les raisons pour lesquelles vous étiez en Guinée forestière récemment ? JEAN-MARIE DORÉ : J’étais en Guinée forestière après avoir visité la moyenne Guinée pour les mêmes raisons. Le parti fonctionne avec les cellules de base, au-dessous desquelles il y a les sous-sections puis les sections et les bureaux régionaux. Le tout coiffé par le bureau politique national. Nous recevons régulièrement des informations sur notre parti à l’intérieur du pays. Il est bon, pour qu’un parti ait une idée exacte de ce qu’il est sur le terrain, de ce qu’il est dans la conscience des citoyens, que le secrétaire général qui fait la synthèse de toutes ces informations se rende sur place pour sentir la vie du parti dans le cadre de la vie des citoyens en général. C’est donc la raison pour laquelle, périodiquement, nous visitons soit d’un seul trait la totalité du territoire, soit là où il y a des problèmes, là où il faut aller corriger une querelle d’organisation ou de fonctionnement, ou de précision à apporter dans la compréhension des gens sur la trajectoire du parti. Le secrétaire général ou d’autres membres du bureau politique font régulièrement des tournées. Voilà les raisons qui m’ont amené sur le terrain. LE DÉMOCRATE : Quelle lecture faites-vous du report des élections législatives décidé par le gouvernement ? 287

JEAN-MARIE DORÉ : C’est un report obligatoire, parce que j’ai entendu des commentaires un peu farfelus sur le report des élections. Je crois que c’est dans l’intérêt des partis politiques qui veulent aller aux élections qu’il fallait reporter celles-ci. À cause des faits suivants : lorsque le Premier ministre Kouyaté était aux affaires, il avait eu au mois de mai 2007 une rencontre avec tous les partis politiques. Nous avions discuté sur la nécessité d’établir un chronogramme. Des débats, il en a résulté qu’il fallait faire les élections avant le 31 décembre. Mais cela était sous la présomption que le recensement ait lieu de juin à juillet. Et qu’on publie les résultats et que l’on corrige les erreurs éventuelles ou les insuffisances. Comme au terme de la loi électorale, le chef de l’État seul fixe la date de la tenue des élections par décret. Mais il doit le faire soixante-dix jours avant la date du scrutin. Donc, de mi-août à décembre, il avait largement le temps pour choisir la date, en fonction du résultat définitif de la révision exhaustive des listes électorales. Alors, l’Union européenne et le PNUD ont accusé des retards. Les gens ne le disent jamais assez, dans le décaissement de l’aide financière promise, dans l’arrivée des kits qui doivent permettre à faire le recensement, et donc obligatoirement, dans le démarrage des opérations de saisie, il devait y avoir du retard. Alors, ces kits ne sont arrivés que fin août, début septembre. Vous voyez déjà par rapport à juin, juillet, août, il y avait trois mois de retard indépendamment de la volonté du gouvernement. Le gouvernement avait la charge de former les opérateurs de saisie. Il l’a fait dans des conditions contestables. Le ministre Beau Kéita a fait des recrutements et des formations très contestés, orientés vers la victoire d’un parti. Nous avons contesté cela, puisque déjà à l’origine, certains voulaient qu’on fasse les élections le 29 juin. Je ne vais pas rentrer dans les détails de tout cela, mais je vous explique la cause du report. On a formé les opérateurs de saisie et au moment où on devait les ventiler, le PNUD a fait une erreur de psychologie. Il a réuni en l’absence des partis politiques et de l’administration les jeunes gens formés et leur a dit, vous allez partir, on vous paye à raison de 600 000 FG à la charge de l’organisation, les soins de santé et l’assurance. Alors, comme il se trouvait qu’il y avait une évolution dans la structure du gouvernement, ces jeunes gens qui avaient été recrutés de façon orientée, comme s’ils avaient reçu une instruction ou qu’ils s’étaient concertés, ont commencé à semer la pagaille, à demander qu’on leur donne un per diem de 400 000 FG. Soit dit en passant, 400 000, c’est le salaire moyen du fonctionnaire guinéen. Même si nous étions dans une vie économique opulente, donner 400 000 par jour à quelqu’un, ça lui fait 12 millions par 288

mois. Est-ce que vous connaissez un fonctionnaire guinéen qui touche 12 millions par mois ? Alors, ils ont créé cette pagaille-là, et cela a retardé leur départ pour aller sur le terrain. Donc, le ministre a convoqué une réunion au cours de laquelle certains partis comme le mien, l’UFR, l’UPR et d’autres se sont émus de ce désordre dans la réflexion et dans les intentions. Et nous avons dit au ministre d’annuler le départ des opérateurs de saisie et que le ministère a eu tort de recruter les opérateurs en dehors des partis. Nous avons l’habitude de participer à la révision des listes électorales. Qu’on paye les représentants des partis et puis encore les opérateurs de saisie, il fallait au moins nous le demander, car nous allions mettre à leur disposition des gens sérieux. C’est ce que le ministre a fait. Ceux des opérateurs déjà formés qui avaient accepté parce que tous n’étaient pas impliqués dans une forme de conspiration, ont signé le contrat et on a formé le reste. Maintenant, ils sont mis à la disposition des populations début octobre. Mais la plupart des kits n’étaient pas bons et l’administration a donné des instructions un peu bizarres. On leur avait dit ici que des dispositions seraient prises pour que sur le terrain, les préfets leur trouvent des facilités d’hébergement. Quand ils sont arrivés sur le terrain, aucun préfet n’avait reçu d’instructions. C’est l’ensemble de ces faits qui a amené le retard considérable que nous avons eu. En conclusion, c’est absolument absurde de dire que le report des élections est l’expression d’un complot. Complot contre qui ? Moi, je ne vois pas. L’Union européenne, le PNUD et le gouvernement donnent l’argent. Je ne vois pas pourquoi les gens cotisent pour une opération et puis se mettent à saboter l’opération. C’est comme ceux qui disent que l’Assemblée nationale est illégitime. Ça c’est l’immaturité en droit qui fait dire de telles imbécillités. Pour qu’une Assemblée nationale soit illégitime, il faut aller aux origines de l’élection. Soit parce que la fraude a été si généralisée, que les gens qu’on a proclamé élus ne le sont pas et le peuple visiblement ne croit pas en eux. Dans ce cas, l’Assemblée est illégitime parce qu’elle n’a pas été l’expression de la volonté populaire, tout au moins de la majorité de la population. La loi organique qui porte le règlement intérieur de l’Assemblée nationale dit que l’Assemblée nationale reste en fonction jusqu’à l’installation du bureau de la nouvelle Assemblée. Je soupçonne certains de ceux qui crient si fort d’être sur le terrain en perte de vitesse et qu’a priori ils cherchent des excuses pour pouvoir interpréter demain le résultat du scrutin. Un vrai parti politique doit toujours espérer. Parce qu’un parti peut être en train de monter en flèche, puis pour des raisons tout à fait inattendues, qui peuvent paraître anodines, mais qui sont très importantes dans la tête des citoyens, perdre 289

les élections. D’autres aussi sont tellement absurdes qu’ils proclament dans les salons à Conakry qu’ils sont devenus les plus forts. Ils bombent la poitrine remplie d’azote au lieu d’oxygène. Seul le terrain commande. LE DÉMOCRATE : Est-il vrai que l’UPG et le PPG de Charles Pascal Tolno sont sur le point de faire une alliance, en prélude aux élections législatives prochaines ? JEAN-MARIE DORÉ : J’applaudirais fort si c’était le PPG qui me le disait. Il est vrai que dans le passé, nous avons fait plusieurs démarches auprès du PPG pour que nous fassions non pas une alliance, mais une fusion. Jusqu’ici on s’est heurté à des difficultés. Nous ne désespérons pas qu’un jour le PPG accepte de faire cette nécessaire fusion avec nous, dans l’intérêt à la fois des cadres du PPG et de l’UPG. S’il y a des négociations entre ces deux partis, celui qui m’a remplacé pendant que j’étais en forêt ne m’a pas encore rendu compte. LE DÉMOCRATE : En Guinée forestière, y a-t-il une amélioration dans les conditions de vie des populations ? JEAN-MARIE DORÉ : Les forestiers sont des gens qui travaillent beaucoup, mais qui sont tributaires dans leur malheur de l’éloignement considérable de leur région par rapport à la capitale où tout se décide. Un commerçant ou un paysan qui veut régler un problème concernant son enfant ou sa femme doit payer au départ pour Conakry par exemple, qui est la distance moyenne, 250 000 FG pour arriver dans la capitale, 280 000 FG pour le retour et pour séjourner à Conakry, vous connaissez le coût de la vie et du transport interurbain. Cela est un désavantage. Ensuite, les infrastructures routières qui sont les principaux vecteurs de toute économie sont vétustes. Nous avions eu en 2006 l’enveloppe du neuvième FED, mais les événements de janvier et février ont été à contresens des intérêts de la forêt et on n’a pas pu lancer l’appel d’offres pour réparer les routes. Maintenant, il y a les deux enveloppes pour partir de Sérédou qui est derrière Macenta jusqu’à Kissidougou. Mais même si on finit de faire ces deux routes, il y a encore un autre inconvénient, c’est que le parcours Faranah-Mamou est en train de se dégrader complètement. Vous roulez très bien de Faranah à Maréla, et à partir de Maréla commence le parcours du combattant. Ça veut dire quoi ? Même pour la production agricole qui, en temps normal, s’écoule facilement à Conakry, il y a par exemple des bananes qui pourrissent dans des camions qui restent renversés pendant plusieurs jours. Aujourd’hui, la forêt souffre par l’insuffisance d’infrastructures hospitalières et scolaires. Il y a une sorte de dictature de l’administration sur la population. Donc, je 290

vous donne une facette seulement. Lorsqu’un citoyen se plaint contre son concitoyen, le plaignant paye 15 000 FG pour la rédaction de la convocation et l’accusé aussi 15 000 FG, comme frais de déplacement des agents. Cela veut dire que l’État est bradé dans ses ramifications. Normalement, lorsqu’un citoyen s’acquitte d’une taxe, elle doit aller dans les caisses de l’État. Les forestiers sont victimes de ça. Je crois que pour le moyen terme, il faut essayer de rééquilibrer les distances en Guinée par rapport au pouvoir central. En forêt, dans les écoles des districts et sous-préfectures, les filles constituent le barème des maîtres. Vous trouverez un maître d’école qui, après deux ans de séjour, a trois enfants dans le village. Cela est antinomique pour la morale scolaire. C’est interdit à un maître de profiter de sa position pour se livrer à des caresses interdites. Les infirmiers, s’ils viennent quatre fois dans la semaine, c’est beaucoup. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’infirmiers ou de médecins dévoués qui respectent leur serment. En général, il n’y a pas de contrôle. Ces problèmes en forêt doivent être corrigés. Je sais que la forêt n’est pas la seule dans ces cas. J’étais l’autre jour au Fouta. Les 85 kilomètres entre Labé et Tougué nous ont pris trois heures et demie et je suis rentré malade de ce déplacement. La forêt souffre aujourd’hui du dépérissement de l’État guinéen. LE DÉMOCRATE : Tout récemment, Sidya Touré et Alpha Condé se sont rencontrés à Paris. Les gens évoquent une éventuelle alliance entre le RPG et l’UFR. Cela ne serait-il pas une menace pour les autres partis de l’opposition ? JEAN-MARIE DORÉ : Je crois qu’avant de commenter les événements comme ça, vous devez analyser les personnes qui s’unissent. Vous pensez qu’il peut y avoir une alliance honnête entre Alpha Condé et Sidya Touré ? Moi, de l’expérience que j’ai de l’un et de l’autre, je ne crois pas. S’il y a une alliance entre les deux, je ne vois pas en quoi je peux souffrir de ça. Ils ont toujours existé et je n’en souffre pas. Moi, ce qui m’intéresse, c’est comment se porte mon parti sur le terrain. Mes deux frères ont estimé que pour le parcours-là, ils peuvent se concerter, c’est tout à fait normal. C’est leur droit le plus absolu. Ils peuvent même décider de faire une fusion. Moi-même, je vous disais que je cherche à faire fusion avec mon frère Pascal Tolno. Je serais mal placé de trouver un inconvénient que d’autres cherchent à s’unir. Mais la seule chose que je regrette, c’est que pour décider des problèmes guinéens, on ne doit pas parcourir la distance Conakry-Paris. Qu’est-ce qui inspire un Guinéen à Paris ? C’est la vue de la Seine ? Je ne sais pas. Quand je veux voir Sidya, je vais à l’immeuble du Golfe où on discute des affaires de la Guinée 291

sérieusement, ou lui, vient chez moi. Si je veux voir Alpha Condé, j’attends qu’il soit chez lui à Madina. Je ne sais pas pourquoi il faut aller à Paris. C’est une interrogation personnelle qui n’engage que moi. Ce n’est pas une manière de les juger. Je trouve que les problèmes guinéens sont mieux analysés à Conakry, Mandiana, Labé, N’Zérékoré, Forécariah qu’à Paris. Je ne vais jamais dialoguer de la Guinée en dehors du pays. Sauf, cas de force majeure, si je suis physiquement contraint d’être en dehors de la Guinée. Même sous le bruit de la mitraillette et des canonnades, je discute des affaires guinéennes ici. La Guinée inspire mieux que la France, l’Allemagne ou l’Italie.

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XXXIX. « Lansana Conté est devenu un frein à la liberté de la Guinée… » Par Abou Bakr pour « La Lance » du 25 janvier 2006

« Monsieur Lansana Conté se conduit comme ces dieux grecs qui enfantaient et bouffaient leurs propres enfants. Aujourd’hui, il est devenu un frein à la liberté de la Guinée », a déclaré Jean-Marie Doré, secrétaire général de l’UPG, dans une interview accordée la semaine dernière à « La Lance ». LA LANCE : Quelle lecture faites-vous des dernières consultations électorales ? JEAN-MARIE DORÉ : Je crois que ça a été inutile. Premièrement, parce que vu la structure des statuts tels que la commune ou les districts, ce sont littéralement des appendices de l’administration du territoire. Les maires ne sont pas autonomes, les présidents de CRD encore moins. Ce sont des agents de transmission de l’administration. Mais l’intérêt de ces élections était que chacun comprenne que, étant donné ce que je viens de dire, et étant donné que ce sont apparemment des élections démocratiques, le gouvernement et les partis politiques montrent qu’il est possible de s’entendre quelque part en Guinée. Pour les partis politiques, établir qu’ils sont vraiment installés. Pour le gouvernement, démontrer qu’il est possible qu’il y ait des élections libres en Guinée. Mais les mêmes causes produisant les mêmes effets, et étant donné la philosophie d’État de Lansana Conté et de l’administration qu’il a produite, le ministère de l’Administration du territoire plus que par le passé, a démontré qu’en aucun cas, il n’est prêt à autoriser la libre expression de la volonté des citoyens. Je le regrette profondément. Ce sont des résultats méprisables. Méprisables parce qu’ils le sont. Quand j’étais au FRAD, nous avions décidé de ne pas aller à la CENA parce que nous voulions une structure indépendante. Quand on dit « indépendant », personne 293

n’est réellement indépendant. Mais quand même, que pour ces élections, les membres de la CENA agissent en toute conscience. On nous a dit : « Non ! Non ! Non ! » « Cette fois, ont-ils indiqué, le gouvernement nous a dit que ce sera libre et si vous constatez la moindre anomalie, dites-le et on intervient. » Il faut quand même respecter les bailleurs de fonds. La première anicroche qui n’est pas la moindre était que, contrairement au statut de la CENA, le décret nommant les membres de cette institution en a désigné, en même temps, le président, alors que cela est en contradiction frontale, catégorique avec le texte qui stipule que ce sont les membres élus de la CENA qui doivent eux-mêmes élire leur président et les autres membres du bureau. Déjà le processus électoral portait en germe la nature profonde de la fraude qui devait émailler le parcours, depuis le recensement supposé, jusqu’à la proclamation illégale des résultats. Illégale, parce qu’elle ne s’est pas faite quarante-huit heures après la fermeture des bureaux, mais neuf jours après. Moussa Solano avait proclamé les résultats des élections législatives huit jours après. Mais ici, il y a progrès, monsieur Kiridi a ajouté un jour supplémentaire. Donc, j’ai honte pour mon pays. Et ce régime qui s’est imposé à notre patrie par la force brutale étouffe toute tentative de montrer que la Guinée peut, elle aussi, définir et respecter un espace démocratique, un espace de vérité. Cela est antinomique de la nature profonde du système de monsieur Lansana Conté. Il est incapable de produire la démocratie. Il est incapable de produire le droit, il est incapable de cohabiter avec la vérité. LA LANCE : Vous semblez le plus malmené au sortir de ces communales. On ne vous a rien donné. Même pas une commune en Guinée forestière, votre fief. Êtes-vous déçu ? JEAN-MARIE DORÉ : Pendant longtemps, j’ai cru en l’honnêteté et en la solidarité des membres du FRAD. Nous, nous étions prêts, c’est notre démarche de toujours, à aller à toutes les élections. Certains partis avaient boycotté celles de 2002. J’y suis allé avec mon ami Siradiou (paix à son âme !). Au début, nous pensions qu’il fallait aller à ces élections si au moins une partie substantielle des préalables que nous avions définis en 2003 était acceptée par le gouvernement. Mais le FRAD, dans sa majorité, disait qu’en aucun cas, il ne fallait y aller jusqu’à ce qu’un parti du FRAD vienne nous dire que ses militants tenaient à ce qu’on aille aux élections et que s’il y avait fraude dans un seul bureau de vote à Kankan, la Guinée entière allait se mettre debout. 294

Non seulement il y a eu fraude dans tous les bureaux de vote et sur chaque bulletin de vote, mais on n’a pas vu la fumée d’une paille. Cette confusion a tenu jusqu’au moment où nous avons déclaré qu’il fallait aller aux élections. Donc, c’est incidemment qu’on m’a communiqué la proposition qui devait être lue, approuvée ou amendée par les leaders. Le document dit qu’il faut laisser les sections établir les listes. C’est contraire à notre perception sur le terrain. Notre perception était qu’il fallait que nous déterminions comment faire les listes. Et notre proposition tenait en ceci : on laisse toutes les préfectures, toutes les communes et toutes les CRD au RPG, en haute Guinée, quitte à ce que, pour se renforcer face au PUP, dans tel ou tel secteur, il prenne deux ou trois conseillers de l’UFR. Et on fait la même chose pour Doré en Guinée forestière et pour Sidya en basse Guinée. Nous allons dans le bureau de monsieur Sidya pour nous prononcer sur le document. Là, j’apprends que les listes sont déjà faites par l’UFR et le RPG. Je leur ai dit : « Non ! Nous sommes ici pour établir les critères, mais je ne savais pas que vous aviez déjà commencé à faire les listes. Dans ce cas, moi je me retire. » À N’Zérékoré, l’UPG domine à près de 80 % dans quinze quartiers. Là, le maire en complicité avec madame Madeleine Théa a catégoriquement refusé de distribuer les cartes. Et comme nous n’avions pas donné d’instructions sur les réactions possibles dans ces cas de figure, nos sections n’ont pas réagi, attendant les instructions du parti qui sont parvenues très tard, à quelques jours des élections. C’est vrai, les résultats sont mauvais pour l’UPG, il faut le reconnaître. Les quelques voix qu’on a eues à N’Zérékoré, ce sont celles des militaires de l’UPR, parce que nous étions alliés à l’UPR, à N’Zérékoré. Le PUP est allé imposer à la communauté peule de donner, obligatoirement, les noms de deux représentants pour ses listes. En échange de cela, il a distribué les cartes d’électeurs dans la communauté peule, mais en sous-estimant les dix candidats peuls qui sont sur notre liste (oh, ils ne représentent qu’euxmêmes !) et ce sont les électeurs mobilisés par ceux-là qui nous ont donné le nombre de voix que nous avons eues à N’Zérékoré. Sur ce millier de voix, nous devions avoir, au plus, cent voix venant des milieux de l’UPG. Mais dans tous les quartiers de N’Zérékoré, où nous sommes majoritaires, il n’y a pas eu de cartes. Sans compter que les ministres, qui sont partis d’ici, sont allés avec des sacs remplis d’argent, à distribuer dans les quartiers ou dans les villages ou dans les familles influentes en 295

disant « Non, monsieur Doré n’est pas intéressé par les communales. À la présidentielle, vous allez voter pour lui. Laissez-nous les communes ». Vous savez, les paysans sont ce qu’ils sont. À Yomou, qui est le cœur de notre parti, nous avons environ cinq cents voix. Le responsable du parti à Yomou nous a envoyé un délégué ici pour homologuer les listes remises à monsieur Kpogomou. Sur le chemin du retour, des gens de l’UFR lui ont fait des propositions. Ils lui ont donné au total (avec un parti allié à l’UFR), 4 millions, plus une moto. Puis ils ont modifié la liste qu’ils ont déposée au nom de l’UFR. Nous ne voulions pas faire de problèmes en direction de l’UFR. Nous nous sommes contentés de recourir contre cette liste frauduleuse, mais tout cela est intervenu quelques jours, pour ne pas dire quelques heures avant les élections. Et ça a créé une confusion extrême. Les voix qui ont été attribuées au PUP à Yomou viennent du camp militaire. Le total des militaires à Yomou plus leurs familles (femmes, enfants majeurs et mineurs, y compris les bébés) ne peut pas dépasser deux cent cinquante personnes. Or, il y a eu plus de mille huit cents voix venues du camp (rires). Vous savez ! Jésus multipliait le pain dans le désert, il prenait trois pains, les mettait dans le panier et on distribuait cela à six mille personnes. Le régime de Conté fait une compétition victorieuse contre JésusChrist. Il multiplie les voix des militaires à l’infini. Donc, l’UPG n’est pas sortie affaiblie des élections communales, comme on le prétend. On le serait si nos électeurs avaient voté contre nous. Mais ces résultats tiennent du régime et du désordre à l’intérieur de l’opposition. LA LANCE : Vous n’avez pas le sentiment d’avoir été trahi par vos amis du FRAD ? JEAN-MARIE DORÉ : Je ne veux pas parler de trahison. Ce qui se passe au FRAD montre qu’il y a des partis politiques en Guinée qui roulent pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la marche vers la prise du pouvoir. Après une analyse profonde de cette situation, nous avons décidé de ne plus nous allier comme ça. Cela ne veut pas dire que nous sortons de la mouvance de l’opposition, mais devant les événements, les échéances, des circonstances précises, nous verrons qui peut faire du chemin avec nous ou pas. Mais il y a des partis que nous excluons désormais de toute possibilité de dialogue. LA LANCE : Vous voulez dire que vous avez rompu définitivement avec Alpha Condé et Sidiya Touré ? 296

JEAN-MARIE DORÉ : Alpha condé et Sidya Touré, je ne parle pas de ça. Je parle de gens qui se connaissent et que vous connaissez. Je ne suis pas là pour faire le procès de quelqu’un, mais il y a les leçons positives qu’il faut tirer et du fonctionnement du FRAD et de l’organisation des élections en Guinée (rires). Je sais qu’il y a un désordre que, peut-être, le temps pourra permettre de juguler. Mais si on continue comme ça, la Guinée s’infériorise par rapport aux petits pays qui nous entourent, à cause de la faiblesse externe, de la cécité, de l’incapacité de nature du régime et aussi de la fanfaronnade de certains leaders qui pensent qu’il faut jouer en Guinée et aller se poser en conquistadores à l’extérieur. La Guinée mérite beaucoup de respect. Et quand on a dans une alliance des hommes et des femmes qui pensent que le seul but immédiat est de libérer le pays de cette gangue de misère générée par un gouvernement inapte à la gestion de la chose publique, on n’a pas le droit de plaisanter. Ce comportement de certains leaders me paraît criminel, par rapport à l’intérêt supérieur de la Guinée. J’ai dit dans un discours en 1998, à Mamou, que l’opposition avait tendance à croire que ce n’est qu’en son sein qu’il y a des cadres compétents. Il y a des cadres compétents au PUP, il y en a au gouvernement. Il y a un fait de nature du régime de monsieur Conté, c’est que c’est un magma, (cette lave chaude) qui, à plus de 200 degrés, fossilise tout, casse les roches, transforme les arbres en charbon fossile. La capacité de destruction de ce régime vient à bout du tout. Des intellectuels, des militaires, des policiers, des commerçants, tous ceux qui sont en relation avec le système se fossilisent. C’est dans ce contexte qu’il faut placer Monsieur Kiridi Bangoura. J’étais convaincu que lui, réhabiliterait le gouvernement. Que Moussa Solano fasse des bêtises, on peut le tolérer parce qu’on ne peut pas demander à un mécanicien qui répare des Toyota d’aller réparer un moteur d’avion. Or, c’est le travail qui était demandé à monsieur Moussa Solano. Monsieur Kiridi est bien formé. Et je crois que cette formation devrait lui permettre de dire que l’objectif du gouvernement, c’était de démontrer à l’opinion internationale, étant donné l’intérêt relatif de ces élections, qu’il fallait laisser libre jeu aux électeurs. Même si l’opposition l’emportait majoritairement dans le pays, cela n’affectait pas la capacité de contrôle du gouvernement sur les structures communales et communautaires. Parce que, d’après le statut des mairies et des CRD, le préfet et le sous-préfet peuvent démettre un conseil ou le suspendre, en attendant que le gouvernement nomme une délégation. Donc, je ne vois pas vraiment pourquoi monsieur Kiridi s’est attaché à favoriser, sinon à 297

encourager ce désordre électoral. Jusqu’ici, je m’interroge (rires). Mais pourquoi ? Une autre leçon est venue où il faut sortir du positif, c’est que ce régime ne respecte que ceux qui montrent le poing. J’ai analysé froidement les élections. Je ne veux pas dire que le RPG n’a pas gagné, bien que ses militants aient la propension de dire qu’ils sont bien implantés partout. C’est des histoires ! Pour en revenir à monsieur Kiridi, c’est pour moi personnellement une grande déception. Je suis très déçu qu’il se soit joué ce tour à lui-même. Qu’il ait nommé le président de la CENA en retirant à celle-ci ses attributions, dont la principale est d’élire son président, cela montre que les critiques que nous avions faites en 2002 étaient justes. Pourquoi on tient coûte que coûte à nommer ce président-là ? Hors de la volonté des membres des CRD sortants, les sous-préfets s’en donnent à cœur joie. Ils ont refusé catégoriquement de distribuer les cartes d’électeurs à nos militants qui, n’ayant pas reçu d’instructions, n’ont pas réagi. À l’avenir, si on ne nous donne pas les cartes, on les aura, coûte que coûte. Et celui qui va essayer de se mettre devant nous, on va le pulvériser. Je vous le dis, il faut l’écrire clairement parce qu’on a compris qu’on ne respecte ici que la force. C’est une question de rapport de force. Notre parti a donné l’impression d’être couché. Or les gens couchés, il faut les enterrer. LA LANCE : Vous parlez de fossilisation des commis du régime. Est-ce à dire que le régime est le véritable problème dans ce pays ? JEAN-MARIE DORÉ : Ce régime est actuellement bloqué. Tout le monde lutte pour l’après-Conté, y compris Kiridi et d’autres ministres. Tout le monde veut se positionner. Chacun essaie de se donner les moyens pour l’après-Conté. Et l’après-Conté peut se situer dans une semaine, dans un mois, dans six mois, dans un an. Donc tous ceux qui ont une parcelle de pouvoir se considèrent actuellement dans la mouvance comme des remplaçants possibles de Lansana Conté. Donc, il faut qu’ils s’en donnent les moyens. C’est à travers cela qu’il faut faire une bonne lecture du comportement de ces gens-là. LA LANCE : Le discours de l’An d’El hadj Aboubacar Somparé, président de l’Assemblé nationale, s’inscrit-il dans ce registre ? JEAN-MARIE DORÉ : Monsieur Somparé est un ami depuis 1976. Il est au PUP, ce que je regrette profondément. C’est un homme intelligent. Il a fait un mauvais choix. Il en paie le prix aujourd’hui. Mais il faut reconnaître qu’il est l’héritier constitutionnel de Conté, sans doute 298

pour soixante jours, or monsieur Conté n’accepte pas que monsieur Somparé soit son héritier, même pour trente secondes. Cette contradiction a évolué pour devenir un véritable antagonisme entre les affidés de Conté et ceux de Somparé. Ceux-là ne veulent pas admettre la réalité constitutionnelle. Ils obligent Somparé à expliquer qu’il n’est esclave de personne. Et je crois que, pour l’histoire, il est important que monsieur Somparé affirme cette réalité constitutionnelle et son droit, plus que tout autre, Le gouvernement est bloqué uniquement et intentionnellement par Lansana Conté. Monsieur Cellou Dalein Diallo a travaillé à l’administration et au contrôle des grands projets. Il a fait preuve de compétence. C’est pourquoi, lorsqu’il s’est agi de nommer le gouvernement de Sidiya, on l’a pris naturellement comme d’autres jeunes cadres qui avaient fait preuve de compétence durant la période de Sidiya, brève, mais marquée par certaines démonstrations de compétences intellectuelles et techniques. C’est dans ces circonstances que monsieur Cellou Dalein est devenu ministre de l’Équipement. Il a cherché le financement d’un certain nombre de projets comme la route goudronnée qui va à Kourémalé ou le pont sur la Fatala, qui sont à son actif. Vous pouvez critiquer maintenant comment il a fait. Ce n’est pas mon affaire. Mais les réalisations sont là. Le gouvernement de monsieur Conté va en s’immobilisant, en devenant improductif. Pour donner un nouvel élan, il nomme monsieur Lounceny Fall. Ce dernier constate qu’il y a des attitudes, des dossiers dont la non-résolution risque de poser des problèmes avec nos partenaires étrangers. Il veut toucher à cela ; mais il voit que la réaction du Président n’est pas encourageante. Fall privilégie la solution à des problèmes. « Mais puisque cela n’est pas possible, je préfère m’en aller. » Il s’en va et monsieur Cellou vient se heurter à la même difficulté. Cependant, lui, au lieu d’abandonner, il dit qu’il faut résoudre ce problème. « Président, les bailleurs de fonds disent qu’ils remboursent les 22 millions de dollars qui, d’après eux, sont sortis indûment de la Banque centrale et si ce n’est pas réglé de façon correcte, ils arrêtent la coopération avec la Guinée. » Je crois que, du bout des lèvres. Monsieur Conté donne des instructions à monsieur Cellou pour faire récupérer immédiatement par la Banque centrale cet argent. Du bout des lèvres ou du fond de la gorge, monsieur Conté donne des ordres à son Premier ministre d’écrire pour que l’argent rentre dans les caisses de l’État. Et le Premier ministre fait écrire par le gouverneur de la Banque centrale à monsieur Sylla et à Fodé Soumah. La Guinée souffre de Lansana Conté. L’un et l’autre refusent de s’exécuter. Une fois, deux fois, trois fois. Le Premier ministre se tourne vers le président de la 299

République qui lui a donné des ordres ; celui-ci se contente de convoquer les uns et les autres. « Qu’est-ce qui se passe avec l’argent, là ? » Là, ça ne va plus. Le président de la République de Guinée, investi du grand pouvoir, donne des ordres publics à un Premier ministre qu’il a nommé, pour faire récupérer, par un particulier, de l’argent sorti illégalement. De deux choses l’une, ou le Président, dans sa logique de fonctionnement de l’État, instruit de nouveau le Premier ministre de donner pouvoir au procureur de la République pour qu’il règle le problème, ou alors, il abandonne. Mais là, il continue de donner des ordres à son Premier ministre qui lui dit régulièrement : « Mais ils ne veulent pas payer. » Et le Président continue de recevoir celui qui doit de l’argent à l’État, mais plus grave, au moment où arrive la mission de la Banque mondiale et du FMI, Lansana Conté accélère l’élection du Conseil national du patronat guinéen et rend visite à monsieur Sylla, pour lui dire qu’il faut qu’il soit élu président dans les quarante-huit heures. Je ne suis pas contre, mais il fait partie de ceux qui ont gagné facilement de l’argent. L’affaire devient grave et relève du domaine public. Et le président Conté continue à recevoir sous le fromager monsieur Sylla et monsieur Cellou. C’est pourquoi je dis que Cellou Dalein Diallo et monsieur Mamadou Sylla sont des victimes. Les deux auraient tort de se quereller. Le responsable de ce désordre institutionnel, de ce désordre gouvernemental, c’est monsieur Lansana Conté. Il pense qu’en opposant ses ministres, il est tranquille, à l’abri d’un contrôle. C’est pour cela qu’il encourage Mamadou Sylla à faire ce qu’il veut. Donc, monsieur Lansana Conté se conduit comme ces dieux grecs qui enfantaient et bouffaient leurs propres enfants. Aujourd’hui, il est devenu un frein à la liberté de la Guinée, au respect dû à la Guinée, au fonctionnement régulier des institutions pour lesquelles il a prêté serment sur son honneur et publiquement. J’ai toujours dit que pour que la Guinée récupère son indépendance du 2 octobre 1958, il faut que Conté quitte le pouvoir. S’il ne s’en va pas, avec le désordre qu’il a créé, avec les ministres qu’il a transformés en perturbateurs, avec les hommes d’affaires qu’il a transformés en perturbateurs, alors la Guinée va mourir dans son âme et dans son corps. Monsieur Conté secrète un venin qui tue lentement le corps de la nation guinéenne.

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XL. « L’armée a le devoir de s’imposer si… » Par Abdoulaye Condé pour « La Nouvelle Tribune » de mars 2005

Dans cette longue interview, Jean-Marie Doré se prononce sur toutes les questions d’actualité. Il commente les résultats du congrès, réagit aux accusations présidentielles et réaffirme le rôle républicain de l’armée dans une situation de transition. LA NOUVELLE TRIBUNE : Merci monsieur le secrétaire général de l’UPG de recevoir notre rédaction et de répondre à ses questions. Vous êtes donc engagé dans le troisième congrès de votre parti… ? JEAN-MARIE DORÉ : Conformément à la décision de notre bureau politique qui a convoqué ce congrès pour le samedi 15 et dimanche 16 mars dans la salle des fêtes de la mairie de Matam. Les statuts disent que le bureau politique est élu pour quatre ans. Le dernier congrès a eu lieu en octobre 1998. Donc pour rester dans la légalité de notre parti, nous sommes obligés de tenir en 2003 notre troisième congrès ordinaire. LA NOUVELLE TRIBUNE : Quels sont vos commentaires par rapport aux conclusions de ce troisième congrès ? JEAN-MARIE DORÉ : Le congrès a été appelé pour renouveler la direction du parti, adopter les statuts et le règlement intérieur, puis trouver des réponses aux multiples interrogations des Guinéens sur leur existence, sur leur place dans la sous-région et sur le rôle qui doit être celui de notre pays par rapport à toutes ces structures qui toutes, veulent que l’Afrique sorte de l’ornière et puisse nourrir son peuple et lui donner une raison de vivre. Alors, le congrès est allé au-delà de tout cela. Donc le congrès a adopté les statuts, il a créé un comité central dont le bureau exécutif est désormais le bureau politique national de vingt-cinq membres. Et nous avons constaté qu’il ne faut pas regarder seulement la ligne d’horizon, il faut aller au-delà de l’horizon. Notre pays est très 301

riche. Mais aujourd’hui, les bailleurs de fonds veulent financer les projets qui intéressent les grands ensembles. C’est pourquoi, pour que la Guinée puisse développer toutes ses ressources, il faut lier nos projets à ceux de la Sierra Leone, ou du Liberia puis du Mali et de la Côte d’Ivoire. Mais il faut aller du simple au complexe. Le simple pour la Guinée, c’est de réussir à faire à trois l’Union des États du fleuve Mano. La Guinée ne peut pas jouer un quelconque rôle de grand pays au sein de la CEDEAO si elle est incapable de jouer un rôle fédérateur, un rôle dynamique, intelligent et efficace au sein de l’Union des États du fleuve Mano. Un grand pays, c’est d’abord la grandeur de son leader. Or, ce qui est regrettable, c’est que le président Conté fait des fixations obsessionnelles sur certains chefs d’État de la Mano River Union pour ne pas aller de l’avant. C’est pourquoi le congrès a insisté sur la nécessité pour notre pays de dépasser les états d’âme, les clivages, les souvenirs des anciennes querelles pour aborder son rôle de fédérateur de la Sierra Leone et du Liberia, afin que nous puissions facilement développer nos ressources énergétiques, organiser l’espace par les routes fluviales, terrestres, etc. ; et que compte tenu des difficultés de gestion des compagnies aériennes, au lieu que chacun des pays ait sa propre compagnie, l’ensemble de ces pays puisse créer une compagnie d’aviation en liaison avec les opérateurs économiques qui pullulent dans nos régions et auxquels il faut parler de manière pédagogique et didactique. Et nous avons constaté aussi que la société guinéenne est mal gérée, son territoire est mal géré ; non seulement le niveau des ministres successifs de l’Intérieur est très bas depuis le départ d’Alsény René Gomez, mais de plus en plus, la gestion du territoire est médiocre. Et l’un des facteurs principaux de cette médiocrité de notre administration territoriale est le fait que le gouvernement l’ait tenu pour en faire un instrument de sa longévité par des fraudes successives qui lui assurent le monopole des résultats aux élections ; c’est continuer à recruter les préfets, les sous-préfets, les gouverneurs n’importe où ; il y a aujourd’hui dans notre administration préfectorale des moniteurs d’agriculture, des ingénieurs agronomes, des infirmiers, des agents techniques de santé, des chômeurs, même des hommes d’affaires. Tantôt on ramasse des ratés pour leur donner la tête de l’État. C’est pourquoi le congrès s’est profondément penché sur cette question. Parce que beaucoup de choses dépendent de la bonne gestion du territoire. La seule façon d’y parvenir, tout au moins, la seule façon d’entamer sérieusement une partie des difficultés, c’est de commencer immédiatement, sans délais, à créer une École Nationale d’Administration qui va recruter à des niveaux très élevés, pour préparer 302

les futurs préfets, sous-préfets, les futurs directeurs de l’administration centrale, des finances, de la diplomatie, à la mission de l’État qui n’est pas seulement de commander les citoyens, mais aussi de développement économique, d’harmonisation des rapports sociaux, car pour gérer la totalité des relations entre les hommes dans un pays, il faut apprendre. On ne naît pas compétent pour être préfet. LA NOUVELLE TRIBUNE : Le congrès, presque à l’unanimité, vous a reconduit dans les fonctions de secrétaire général du parti et par la même occasion vous pouvez être le candidat de l’UPG à la présidentielle de décembre 2003. Par rapport justement à ces deux grandes responsabilités, quelles sont les visions de monsieur Jean Marie Doré pour la Guinée ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est une véritable thèse qu’il faut développer ; mais on ne va pas développer une thèse dans une interview, on va essayer de schématiser. Ce que j’ai dit en entrée de jeu montre les tâches qui attendent un parti qui veut conquérir le pouvoir puisque tout est par terre, tout est désarticulé. Ces derniers jours ont été marqués par une sortie de jeunes, de tous les usagers de la route, ce qui montre que le pays est déstabilisé par le gouvernement à cause de son incompétence et de son insouciance, ainsi que son refus de réfléchir aux problèmes qui justifient sa présence à la tête du pays. Et le pays est à l’abandon. Je ne parle pas de la saleté qui est devenue le parfum de tous les Guinéens, je ne parle pas de la délinquance, je ne parle pas de tout ce qui obscurcit l’horizon de la Guinée. Ce pays n’est plus connu sur le plan international. Le hasard du calendrier a voulu que nous présidions le Conseil de sécurité, seulement à cause de ça, on parle de la Guinée. Pas à cause de nos réalisations, mais parce que nous devons émettre un vote qui soit favorable aux Américains ou aux Français, c’est uniquement pour cela et cela ne veut rien dire de la valeur d’un pays. Donc pour rester dans l’essence de votre question, si je suis élu président de la République, c’est pour que la Guinée subisse une véritable métamorphose positive, que la loi soit respectée, que le président de la République soit respecté parce que quand il dit « A », il faut que les populations constatent « A ». Le sens de l’honneur qui induit son comportement au quotidien, qu’il considère son mandat comme un sacerdoce et non comme un tremplin pour s’enrichir et qu’il impose cela à la totalité des ministres et des hauts fonctionnaires qui ont en charge la gestion des intérêts de notre peuple. Vous vivez avec moi à Conakry, vous savez qu’aujourd’hui toutes les règles qui sont élémentaires dans un 303

État qui se respecte n’ont plus le droit d’exister. En plus, il faut accélérer pour créer la première condition du développement de la Guinée, c’està-dire, doter le pays de ressources énergétiques afin que chaque région assume sa responsabilité face à son souci de développement, à son souci de bien-être. S’il faut s’endetter, on s’endettera, mais on construira un barrage pour la haute Guinée, un pour la basse Guinée, un pour le Fouta, un pour la forêt ; parce qu’il n’est pas possible d’envisager le développement de ce pays sans cette indépendance énergétique ; de donner de l’eau potable, sinon gratuitement, tout au moins à un prix tel que chaque citoyen se sente obligé de l’accepter symboliquement. Mais aujourd’hui, non seulement nous vivons dans le « château d’eau » et nous sommes obligés de payer cette eau, mais nous la payons à un prix plus élevé qu’en Guinée-Bissau, au Sénégal, au Mali, en Mauritanie, en Côte d’Ivoire, au Liberia et en Sierra Leone. Je ne dis pas que c’est un scandale, mais un non-sens. Et puis, résoudre le problème de l’université. Regardez le désordre de Kankan, une grande université dans une si grande région comme la haute Guinée, on y envoie quelqu’un qui veut caporaliser les étudiants au lieu d’engager avec eux un dialogue responsable. Ils vivent dans la saleté, et il n’y a rien qui puisse contribuer à des études sérieuses. Allez au bloc des professeurs, à côté de chez moi, ici, c’est là où vit l’élite intellectuelle de notre pays, le sommet de notre intelligentsia, mais la saleté dans laquelle vivent les habitants de cette résidence pose un sérieux problème. Comme à Boulbinet, comme au bloc des professeurs, comme à Manquepas, comme à Koulewondy, est-ce que vous croyez qu’un enfant qui est élevé dans ces conditions peut avoir le sens du beau, de l’esthétique ? Or, on ne peut pas bâtir une nation sans aspirer au beau ; celui qui aspire à l’utile aspire en même temps au beau, l’utile doit s’accoupler avec le beau. Or, aujourd’hui, les gens s’enferment dans une villa bien meublée aux abords farouches et répugnants, donc, ce n’est pas digne de ce pays. C’est pourquoi je pense qu’il faut tout renouveler, faire de l’armée nationale, une vraie armée ; elle est désarticulée aujourd’hui. Au temps de Sékou Touré, l’armée nationale guinéenne, sans vivre dans des conditions idéales, était une grande armée de combat. Aujourd’hui, on s’embourgeoise d’une façon ostentatoire. Elle a un gros ventre et de petits pieds. Donc, il faut que l’armée développe la discipline dans ses casernes où il fait bon vivre aussi bien pour le soldat du rang que pour le général, le marié comme le célibataire. Il n’est pas normal que le soldat ait le souci de payer son loyer, qu’il ait le souci d’acheter le médicament. Quelqu’un qui a fait don de sa vie 304

pour que nous vivions en sécurité ne doit pas avoir ce genre de soucis là. Or, aujourd’hui ce sont là leurs soucis, sans compter qu’on les utilise comme main-d’œuvre agricole dans les champs du président de la République. Ce n’est pas normal. La police, n’en parlons pas ! Si vous êtes sur la route (souvent je suis sur la route), vous constaterez que lorsque le policier siffle, le chauffeur ne s’arrête pas. Et souvent le chauffeur qui ne s’arrête pas, qui nargue le policier, n’a pas de permis, sa voiture n’a pas de papiers. C’est tout ça qu’il faut régler pour que la Guinée puisse aspirer à la grandeur et jouer son rôle de grand pays. Parce que nous sommes grands par la dimension de notre territoire, nous sommes grands par le chiffre de notre population, mais surtout nous sommes grands par notre histoire. N’oubliez pas que Niani était en territoire guinéen, la capitale de l’empire du Mali. Donc ce pays-là aujourd’hui n’est pas reconnaissable dans l’actualité de sa condition d’existence. C’est inacceptable.

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XLI. « À la réunion de Paris, ils se sont partagé le pouvoir… » Propos recueillis par Benn Pepito pour « La Lance » le 4 janvier 2002

« À la réunion de Paris, ils se sont partagé le pouvoir : Biro, président intérimaire pendant six à douze mois, passe ensuite le relais à Alpha Condé avec Sidiya comme Premier ministre et Bâ Mamadou comme président de l’Assemblée nationale », a déclaré le président de l’UPG à la rédaction de « La Lance ». LA LANCE : Avec la disparition de Marcel Cross, qu’est-ce que vous avez retenu de cet homme ? JEAN-MARIE DORÉ : D’abord, je crois que je dois profiter de cette occasion pour renouveler et réitérer à son épouse et ses enfants, aux cadres nationaux et aux militants de son parti, à toute la famille de l’opposition, mes condoléances. Marcel Cross n’a pas eu un rapport idéologique particulier, ni philosophique, mais il a accordé à l’opposition le fruit de son expérience. Toujours capable de trouver le mot juste pour éviter les cassures. Et c’est pour cela que sa disparation, à ce moment précis de l’histoire de l’opposition guinéenne et de la classe politique guinéenne, est une perte considérable. Comme je suis un optimiste, je pense que nous trouverons quelqu’un comme lui, qui fera office de conciliateur, sans renoncer pour autant à la gestion de son parti. Il a une expérience acquise en tant que membre du gouvernement de Sékou Touré, dont il a été le ministre de la Coopération. C’est quelqu’un qui avait une aptitude à vendre l’image de la révolution auprès de gens qui n’étaient pas révolutionnaires. C’est un acquis considérable qu’il a su utiliser, depuis son entrée en politique dans la IIe République. LA LANCE : Certains se demandent où sont les partis politiques, où se trouve l’opposition par rapport à la situation actuelle dans le pays ? 307

JEAN-MARIE DORÉ : Je crois que c’est une fausse interrogation non justifiée. Les partis politiques existent. Mais il y a une mentalité en Guinée qui croit que quand on est opposant, on doit toujours crier plus fort et s’agiter. La politique, ce n’est pas de l’agitation. Elle consiste, dans un champ politique pluriel, à tout mettre en œuvre pour trouver un moyen d’expression commun. Nous devons nous concerter, mais pour aller vers nos interlocuteurs que sont les partis de la majorité. C’est du débat qui s’instaure entre cette opposition et la majorité que l’on trouvera la voie moyenne pour résoudre les problèmes qui se posent à notre pays. LA LANCE : Pensez-vous que les partis politiques jouent vraiment leur rôle ? JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Certains ne jouent pas leur rôle. Je vais être clair avec vous. Je crois qu’un parti comme l’UPG a une vision claire de ce que c’est qu’un parti politique. Parce que nous avons à surmonter des difficultés. Il faut que le gouvernement et nous, discutions entre nous. LA LANCE : La difficulté en Guinée, c’est quoi ? JEAN-MARIE DORÉ : Il faut appeler les choses par leur nom. Le président Conté a posé comme théorème que lui, il ne dialogue pas ! C’est là où il a tort, fondamentalement. Et gravement. Cette affirmation pourrait prêter à rigoler, si ça ne déteignait pas sur l’aptitude des Guinéens à aller les uns vers les autres. La fonction présidentielle en général, dans un pays en voie de développement, est une fonction essentiellement de dialogue. Si le Président ne dialogue pas, si la philosophie d’État n’est pas de dialoguer, alors chacun pousse verticalement. Cela veut dire que, le jour où il y a des difficultés, chacun souffle sur le feu, sans se préoccuper de savoir si le feu est orienté vers la case du voisin. Le président de la République en Guinée devrait au moins deux fois par an, réunir les leaders d’opinion, élargir cela aux syndicats, aux chambres de commerce, aux chambres d’agriculture pour dire : « Voilà ! J’aimerais avoir votre opinion sur l’orientation du pays… » Donc de cette conception anormale négative, condamnable de la vie sociale, découle un comportement qui tend à s’instaurer comme une tradition dans ce pays où chacun s’isole dans son coin et ne s’approche pas de l’autre. Et chacun finit par croire que c’est sa façon de penser qui est la meilleure. Certains membres de l’opposition ont dit : « Tant que monsieur Lansana Conté est président de la République, nous n’irons pas aux élections. » La bêtise est tellement monumentale que je me sens 308

incapable de commenter ça. Mais Lansana Conté ne nous favorisera jamais pour aller gagner les élections contre lui. C’est à nous de faire la cohésion autour d’idées fortes pour le déboulonner. La Constitution française est élaborée de telle manière que ce n’est pas le président de la République qui décide de la date des élections. Bon ! Il se trouve que ce gouvernement est dirigé par un courant politique qui n’est pas le courant du Président. Or, ce courant des socialistes sait qu’en organisant les législatives avant la présidentielle, cela gêne le Président. C’est pourquoi ce dernier a décidé d’organiser l’élection présidentielle avant les législatives, parce qu’aucun parti n’organise des élections pour favoriser son concurrent… Donc aujourd’hui, à mon avis, les partis existent. Mais la philosophie de ces partis consiste toujours à nier l’autre. Chacun agit en fonction de l’ambition qu’il a, en oubliant que cette ambition ne peut prospérer que par l’acceptation de l’autre. Imaginez par exemple que moi j’aille aux élections avec Lansana Conté. Que j’arrive en deuxième position ou en première position. Au deuxième tour, je ne pourrais jamais gagner sans l’apport de l’UPR ou de l’UFR. C’est pourquoi dans les relations avec l’UPR, l’UFR ou le RPG, on se bat, hein ! Il y a des moments même où on s’attaque violemment, mais, il y a des seuils qu’il ne faut pas dépasser. Parce que si vous dépassez ce seuil, le jour où vous avez besoin des autres, ils choisiront la victoire des adversaires plutôt que celle du supposé allié. Donc, il faut qu’à partir du 1er janvier 2002, il y ait une mutation dans les états-majors des partis. J’ai eu l’occasion de réfléchir beaucoup à cette question. Du point de vue logistique en 1998, l’opposition aurait dû arriver au pouvoir, mais elle n’a pas réussi. Non seulement à cause de ses tares fondamentales et du comportement de certains qui croyaient déjà qu’ils avaient gagné les élections (ils ne voulaient même pas recevoir à leur siège les militants des autres partis. Et les autres ont pris la distance). Mais ce qui a été grave, au sortir de ces élections qui étaient à notre portée et qu’on n’a pas gagnées, c’est qu’un débat négatif s’est instauré au sein de l’UPR et du RPG. Le RPG n’acceptait pas que le nouveau parti, l’UPR, soit le premier parti de l’opposition alors que l’UPR disait que son candidat était arrivé deuxième. Est-ce que nous sommes partis aux élections pour être le deuxième parti de la Guinée ? Ou plutôt pour gagner les élections ? Donc le débat de savoir dans l’opposition qui est le premier parti, à mon avis c’est tellement infantile et stupide… Nous étions trois candidats de l’opposition, Bâ Mamadou, Alpha Condé, Jean-Marie Doré. L’espérance des militants était que l’un de nous soit le vainqueur. Hélas ! 309

LA LANCE : Au moment du référendum, vous étiez absent, certains pensent que c’est par peur de se faire prendre, ou peut-être de ne pas subir ce qui est arrivé aux autres. JEAN-MARIE DORÉ : Un mois avant mon départ, mon parti a fait une déclaration solennelle, catégorique, pour condamner sévèrement l’initiative du référendum. Nous avons envoyé une déclaration à nos bases, signée de moi. « L’Indépendant » a aussi publié une interview où je déclarais : « Si monsieur Lansana Conté reste au pouvoir, on ne pourra jamais redresser la Guinée. » Ce numéro a paru quinze jours avant que je ne parte. Je crois que c’est ce que je devrais craindre si j’avais eu peur pour ma liberté. LA LANCE : Peut-être qu’ils avaient pensé que vous alliez participer à la caravane que l’opposition avait organisée. JEAN-MARIE DORÉ : Je ne pouvais pas participer à cette caravane pour des raisons graves, parce que les organisateurs de la caravane n’étaient plus de mon courant de pensée. Pourquoi ? Parce qu’il avait été décidé que les leaders des partis se retrouvent à Paris pour aller rencontrer les chefs d’État ou les responsables de l’Union européenne pour leur demander de poser comme principe que l’aide financière pour organiser les élections ne soit accordée que s’il y a un dialogue entre le gouvernement et l’opposition, ce qui instituerait un organisme de contrôle et de gestion des élections. Voilà pourquoi quand je suis parti d’ici, je devais rencontrer les autres, c’était correct. Mais je suis arrivé à Paris et les cadres de mon parti qui sont là-bas sont venus m’informer de la réunion à laquelle ils ont participé à la demande de Bâ Mamadou, de Sidya Touré, d’Alpha Condé qui savaient que j’étais à Paris et qui ne m’ont pas consulté. Bâ Mamadou était avec des gens de mon parti qu’il croyait être ses militants. Parce que dès qu’ils voient des Guinéens, ils croient que tous les Guinéens sont pour eux. Ils ne posent même pas la question « de quel parti êtes-vous ? ». Ils se sont mis à déblatérer, à raconter des bêtises. Eux, ils se sont partagé le pouvoir : « Biro va être président intérimaire pendant six ou douze mois, il va ordonner les élections pour que monsieur Alpha Condé soit président de la République, pour que Sidya soit Premier ministre, pour que Bâ Mamadou soit président de l’Assemblée nationale. » Je crois que ce sont des comportements inacceptables. Moi, j’étais à Paris avec Siradiou et Mansour Kaba. Aucun d’eux n’a pensé à nous avertir. À Washington, Biro a rencontré des Guinéens et leur a raconté que, bientôt, il serait président intérimaire… Écoutez ! Réellement, je crois que je 310

peux mieux gouverner la Guinée que Lansana Conté, je peux mieux gouverner la Guinée que beaucoup de gens. C’est pourquoi je dois veiller à ne pas avoir un comportement répréhensible, à ne pas faire de bêtises. Et puis parmi les gens qui se sont réunis, seuls deux sont leaders de partis, Sidya Touré et Alpha Condé. Mais en tant qu’opposant, je considère que monsieur Alpha Condé est le patron de son parti ; quelles que soient maintenant les interprétations que tel ou tel peut donner, il a l’autorité sur le RPG. Mais les autres, au nom de quel parti ils étaient là ? L’UPR est dirigée par Siradiou et Bâ Ousmane, vous comprenez. Alors, même si j’avais eu l’intention de participer à une réunion, je ne l’aurais jamais faite avec des gens qui ne peuvent pas engager un parti. C’est pourquoi je me suis abstenu d’y participer. Et puis, ils ont décidé aussi, là-bas, que désormais, les deux partis devraient agir pour qu’il y ait un seul candidat à l’élection présidentielle en 2003. Mais si nous devons décider qu’il y ait un seul candidat à la présidentielle en 2003, ce n’est pas exclu. Nous devons discuter de façon responsable. On ne peut pas me prendre au carrefour, comme ça, me dire allons faire une réunion pour qu’il y ait un seul candidat aux élections de 2003. Pour cela, moi, je dois consulter ma base. LA LANCE : Mais c’était une réunion exclusivement réservée à la Codem et vous, vous ne faites pas partie de la Codem. JEAN-MARIE DORÉ : Non, ce n’était pas une réunion exclusivement réservée à la Codem. Siradiou allait y participer. Est-ce que monsieur Biro fait partie de la Codem ? Monsieur Biro est du PUP, il n’a jamais démissionné formellement du PUP. Et si c’était une réunion de la Codem, à quel titre monsieur Biro participerait à cette réunion ? Je vous dis que la faiblesse de l’opposition vient de l’intérieur, de son intelligence ou de son inintelligence. La sociologie guinéenne commande l’attitude politique. Si aujourd’hui monsieur Doré souscrit à un accord, qui va céder ? Pour que monsieur Siradiou Diallo ou monsieur Alpha Condé ou monsieur Sidya devienne chacun l’unique candidat. Personne ne votera pour ce monsieur. Donc, il faut d’abord que je consulte ma base pour venir donner cet accord. Il en est de même si monsieur Siradiou Diallo fait un communiqué de presse au Fouta : « Votez pour monsieur Jean-Marie Doré. » Les gens vont dire : « Mais il nous prend pour du bétail ! » Il y a des décisions qu’un leader politique prend tout seul, il y en a qu’il ne peut pas prendre tout seul. C’est cela qui a gâté beaucoup de choses. Parce que notre lutte doit tendre à convaincre Lansana Conté de ne pas être candidat en 2003. Je vais me battre pour persuader Conté que 311

le plus grand service qu’il peut rendre à cette nation est de partir, sans provoquer le désordre pour rien. LA LANCE : Comment vous allez vous y prendre ? JEAN-MARIE DORÉ : La politique commande d’avoir une intelligence. Conté peut trouver quelqu’un au sein du PUP ou d’autres partis de la mouvance. Frédéric Chiluba a réussi. Il voulait faire le même jeu que monsieur Conté. La population a dit non, même de l’intérieur de son parti. Alors il a trouvé un dauphin qu’il a soutenu certainement avec ses sous et son influence.

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XLII. « Il y a des fous sur la scène politique guinéenne… » Par Abdoulaye Condé pour « La Nouvelle Tribune » du 15 janvier 2002

Le leader de l’UPG qui rentre d’un long voyage a accepté de se livrer à nos questions qui abordent l’ensemble des sujets de l’actualité nationale ; Jean-Marie Doré, peu éloquent sur certains aspects de sa longue absence, donne la position de son parti sur le référendum, les futures législatives, les scandales financiers, etc. Très réservé sur les tractations politiques secrètes qui font état d’un rapprochement UPGPUP-UPR, Jean-Marie Doré fait néanmoins un sévère réquisitoire contre certains leaders de l’opposition. LA NOUVELLE TRIBUNE : Monsieur Doré, vous rentrez d’une longue tournée africaine et européenne. Est-ce que vous pouvez nous dire ce qui a justifié cette première longue absence du pays ? JEAN-MARIE DORÉ : Tout parti qui aspire à gouverner doit tisser des relations pour lui-même, mais aussi pour son action future ; établir des relations de confiance avec les partis de sa sensibilité. Nous sommes un parti du centre. Nous sommes allés en Europe rencontrer tous les partis de sensibilité centriste dans les pays de la Communauté européenne. Nous sommes restés plus longtemps, parce qu’en planifiant le voyage, nous n’avions pas pensé qu’en Europe, pendant les mois d’août et de septembre, les gens se reposent des durs labeurs de l’hiver et du printemps. Et donc, il a fallu nous aussi, dépendre d’un congé forcé. Puis après l’Europe, nous avons fait la tournée d’une partie des pays d’Afrique de l’Ouest et jusqu’au centre dont le Tchad, le Niger, le Burkina Faso, le Mali, le Bénin, le Togo, la Côte d’Ivoire. C’est un voyage que j’aurais dû faire plus tôt pour renforcer nos relations avec ces partis, avec ces personnalités et avec ces organisations. Et je crois aussi que c’est un acquis pour la Guinée, parce qu’à l’avenir, quand il y 313

aura des problèmes dans notre pays, il nous sera possible d’ajouter notre voix à celle de toutes les autres personnes intéressées à la gestion ou à l’avenir de la Guinée et on sera plus facilement compris. Et je pense que tout leader politique qui gère une structure qui a une certaine importance dans le pays, devrait pouvoir tisser à l’étranger des relations responsables. Je sais que certains partis en ont, le RPG, l’UPR, l’UFR et le PUP aussi. LA NOUVELLE TRIBUNE : Selon les indiscrétions, vous avez pu rencontrer le président Charles Taylor du Liberia. Vous savez que ce pays actuellement vit sous embargo de l’ONU et la rébellion semble avoir repris au Libéria. Il accuse la Guinée d’alimenter tout ça. Est-ce que vous avez évoqué cette question d’instabilité qui est préjudiciable à tous les pays de la sous-région avec le chef de l’État libérien ? JEAN-MARIE DORÉ : Vous voulez que j’anticipe, je vous dis que je ne peux pas parler de cela tant que je n’ai pas vu mon bureau politique. Mais je vais vous dire une chose qui n’altère pas l’obligation que j’ai de réserver la primeur de mon rapport à mon parti. Il n’y a aucune loi, il n’y a aucun décret, il n’y a aucun arrêté de l’État guinéen qui interdit au citoyen guinéen d’aller au Liberia, au citoyen libérien de venir en Guinée. Deuxièmement, il y a une chose fondamentale qui fait que moi j’encourage tous les Guinéens à se rendre au Liberia, c’est que la Guinée a un ambassadeur accrédité auprès de Charles Taylor au Liberia, c’est monsieur Souaré, le Liberia a un ambassadeur accrédité auprès de Lansana Conté, il n’y a aucune interdiction. LA NOUVELLE TRIBUNE : Le problème n’est pas au niveau de l’interdiction du voyage. Le problème est que le pays est en guerre, il y a une situation d’instabilité qui renaît. Nous voudrions savoir si vous avez évoqué ce sujet et comment ? JEAN-MARIE DORÉ : Vous savez parfaitement que j’allais vous dire que je n’ai jamais été d’accord avec cette guerre inacceptable, que j’ai condamnée et que je continue de condamner. Cette guerre qui a donné asile à un mouvement libérien sur notre territoire parce que les Guinéens n’aiment pas dire la vérité. Le président Lansana Conté est allé assister à l’intronisation de Charles Taylor, cela lui interdit automatiquement d’entretenir une faction libérienne qui lutte pour prendre le pouvoir politique au Liberia. Sans cette règle-là, tant que les pays africains ne l’observent pas, nous allons perdre notre argent, financer l’industrie d’armement en Ukraine, en Russie et en Amérique. Ce n’est pas normal ; moi, je veux la paix entre la Guinée et le Liberia, que ça plaise à Charles Taylor ou pas, que ça plaise à Lansana Conté ou pas, je vais m’investir 314

avec leur concours ou pas pour qu’il y ait la paix sur les 800 kilomètres de frontières. J’ai l’obligation morale et humaine de m’investir dans la recherche de la paix, mais je dois encourager tous les partis politiques, tous les membres du gouvernement guinéen ou libérien, pour qu’il y ait la paix. Les gens qui attaquent le Liberia trouvent refuge en Guinée, on ne peut pas nier cela. Quand quelqu’un fuit Voinjama, il ne peut pas aller en Sierra Leone, il vient en Guinée ; s’il ne pouvait pas trouver refuge en Guinée, il ne peut pas demeurer au Liberia. Donc, il faut que cela soit clair, il faut que le président Lansana Conté comprenne qu’il n’a pas le droit d’exposer la vie de nos citoyens en donnant des soutiens inconsidérés à des vagabonds, qui n’ont aucune chance, qui n’ont même pas la possibilité de conquérir une mairie au Liberia. LA NOUVELLE TRIBUNE : Vous rentez donc d’Europe, mais avant votre départ, il y avait une question en suspens ici, vous avez d’ailleurs rencontré le chef de l’État au sujet de cette affaire de modification constitutionnelle. À l’époque, il s’agissait de la voie législative, mais l’idée référendaire était en l’air. Vous êtes parti avec la conviction que le chef de l’État allait respecter ses deux mandats. En votre absence, il y a eu ce référendum. Quelle est la position de l’UPG face à cette nouvelle situation ? JEAN-MARIE DORÉ : Vous savez que j’ai fait une déclaration écrite pour dire de privilégier l’élection du Parlement et que le Parlement s’obligerait à modifier les dispositions de la Constitution devenues soit obsolètes, soit que le temps a démontré que ces dispositions ont été en deçà, ou contraires à notre marche vers le progrès. On l’a dit, j’en suis encore convaincu. Je n’étais pas opposé à la modification de la Constitution, je vais vous donner des exemples : quand le Président dit de modifier, d’élever le plafond d’âge des candidats, je pense que c’est tout à fait normal. Pourquoi ? Parce qu’il y a des gens qui, à l’âge de cinquante ans sont séniles, et vous retrouverez des gens qui, à l’âge de quatre-vingt-dix ans sont encore en pleine force intellectuelle. Deuxièmement, le problème du nombre de mandats, on marche aujourd’hui vers une réduction, d’une façon générale, du nombre de mandats. Parce qu’en réalité, ce n’est pas un individu qui gouverne, c’est une équipe qui gouverne, donc l’équipe donne à l’individu qui est élu un programme ; si vraiment un programme est adapté, il y a adéquation entre le programme et les besoins du pays, je crois qu’en dix ans, on résout les problèmes pour lesquels on est élu, ça, c’est une première remarque. Deuxième remarque, n’oubliez pas qu’en Guinée, contrairement à ce que l’on dit, il n’y a pas d’ethnisme, il n’y a même pas de tribalisme en 315

Guinée. Mais la Guinée a une réalité régionaliste, profondément régionaliste ; ça peut être un bien, comme ça peut être un mal. Je crois que c’est un bien pour notre pays parce que le forestier a beau s’affirmer forestier, il s’exprime forestier dans un cadre guinéen, le Malinké a beau parler du Mandé, il s’exprime dans le cadre de l’entité guinéenne, il en est ainsi du Peul et du Soussou. Si la régionalisation, appelons les choses politiquement, le régionalisme, est si accepté, ça veut dire qu’il y a des ambitions au niveau de chaque région, de s’essayer à la direction du pays. Je crois que cet appel à l’affirmation de la personnalité régionale des gens devrait nous inciter à la prudence et favoriser, au moins, pour un mandat, le ressortissant de chacune de ces entités, s’essayer à gérer la synthèse nationale. Si aujourd’hui, c’est Lansana Conté, demain, ça peut être JeanMarie Doré ou Siradiou ou un autre, je ne sais pas. Mais si on accapare en disant « nous, nous restons là jusqu’à la fin de notre vie », vous favorisez chez les autres une impatience qui va casser tous les freins de la modération pour sauver la synthèse nationale. C’est pourquoi je me suis toujours dit et je dis dans vos colonnes, que le président Lansana Conté a fait des choses utiles, il a même fait des choses très intéressantes. Il était militaire, il est venu par la force au pouvoir ; comme beaucoup de militaires dans ce cas, il aurait pu créer des conditions pour rester indéfiniment sans loi qui limite son action. Quand on est dans un État d’exception, dès qu’il y a une loi qui vous gêne, vous prenez une ordonnance. Il n’y a pas de Parlement. Mais nous, nous l’avons dit, il faut une Constitution. La Constitution est adoptée par le peuple et on ne va pas la modifier comme on veut. Et Conté a donné une Constitution à ce pays qui a donné un président de la République élu au suffrage universel, qui a donné une Cour suprême, une Assemblée nationale, puis des institutions dérivées qui sont le Conseil économique et social et autres parce que ce sont des inventions du président de la République, ce ne sont pas des institutions républicaines. Il y a trois institutions républicaines : le président de la République, l’Assemblée nationale et la Cour Suprême, les autres dépendent de la seule volonté du président de la République. Donc je ne comprends pas que le même Lansana Conté, qui a mis son pays sur les rails de la constitutionnalité, ne fasse rien ou même se voit obligé d’ignorer ce qu’il a fait. Parce que la réussite totale du système de Lansana Conté, c’est la création d’institutions crédibles dans ce pays, parce que Sékou Touré qui avait bénéficié des institutions démocratiques de la colonisation a fait l’inverse ; au fur et à mesure, le multipartisme est devenu monopartisme puis est devenu révolution au nom de laquelle tout était étriqué. Lansana 316

Conté a pris un système de monopartisme à la mort de Sékou Touré, puis il en a fait une structure multipartite et démocratique. Aujourd’hui Lansana Conté, à force de durer, est en train de revenir au statu quo d’où il est issu, c’est-à-dire un homme du parti unique, donc un négateur de la démocratie. C’est pourquoi je n’étais pas d’accord que l’on sabote la Constitution de 1990 par une Constitution dictée par des préoccupations de confiscation du pouvoir. LA NOUVELLE TRIBUNE : Monsieur Doré, excusez-moi de vous interrompre. Mais la question est de savoir quelle est la position de l’UPG face au référendum. Dans vos réponses, vous dites que vous n’étiez pas opposé à la révision, je veux que vous disiez de façon succincte pourquoi vous n’étiez pas opposé ? JEAN-MARIE DORÉ : Je n’étais pas opposé parce qu’il y avait consensus général de modifier la Constitution. Ce sont les modalités qui faisaient la différence. Et ce que j’ai condamné chez le Président, c’est que même son parti était pour la modification constitutionnelle, mais à l’Assemblée, pour lui donner un caractère démocratique. Une modification beaucoup plus réfléchie parce que le projet qui vient du gouvernement n’est pas discuté, il n’est discuté que par les obligés du gouvernement. Tandis qu’à l’Assemblée, les débats permettent de connaître les limites ou la portée de chaque modification, on n’en a pas fait cas, on est passé outre. LA NOUVELLE TRIBUNE : Monsieur Doré, de toutes les façons, la Constitution a été modifiée à 98 %. Le chef de l’État sera en première ligne en l’an 2003 et vous serez sans doute candidat… JEAN-MARIE DORÉ : Je pense que le président Conté, pris à froid, est un homme de bon sens, je crois et je prie Dieu pour que ce bon sens demeure en lui et lui dicte ses décisions politiques. Et je lui conseille de ne pas être candidat en l’an 2003, parce qu’il a un pays uni, il faut qu’il ajoute quelque chose pour la consolidation et l’approfondissement de cette unité du pays qu’il a reçue. LA NOUVELLE TRIBUNE : Vous estimez que Lansana Conté ne sera pas candidat en l’an 2003, pourquoi changer alors la Constitution ? JEAN-MARIE DORÉ : Ce n’est pas Conté qui a pris l’initiative de changer la Constitution, ce sont des petits irresponsables autour de lui qui voyaient venir le terme du mandat de Conté ; leur ambition s’aiguisait, mais ils n’avaient aucun moyen d’accéder au pouvoir. N’oubliez pas que les gens qui ont poussé Conté à changer la Constitution sont les mêmes qui voulaient qu’on casse le PUP. 317

LA NOUVELLE TRIBUNE : À quoi ça va leur servir, eux, si le Président n’est pas candidat en 2003 ? JEAN-MARIE DORÉ : Mais tout cela exprime la duplicité, qu’ils veulent se servir de lui. Ce n’est pas bon pour lui d’être candidat en 2003 et ensuite, comme je vous ai dit tout à l’heure, plus il va rester, plus il va casser ce qui est un acquis pour lui. Conté a le droit de désigner dès maintenant quelqu’un, soit de le montrer aux gens, soit de le préparer en sous-main pour que ce monsieur soit son challenger visàvis des autres. Vous savez, avec la durée dans la fonction, l’opinion s’inverse, même ceux qui devraient applaudir commencent à critiquer. Et ce n’est pas bon, pour un homme, de partir avec un camp désagrégé derrière lui. J’insiste là-dessus, Conté est un homme de bon sens. Je vais vous surprendre, Conté et moi, nous ne sommes pas des ennemis, il me respecte, ses femmes me respectent, son jeune frère me respecte. Donc, au-delà de la critique politique, j’ai le devoir de lui souhaiter du bien. Je lui souhaite de faire tout pour que le bon sens dont il est crédité naturellement l’emporte chez lui ; et que même s’il peut rester longtemps, que ce ne soit pas physiquement, mais par la permanence de ses idées générales et de proposer quelqu’un. C’est pourquoi, convaincu qu’il le fera, j’affirme qu’il ne sera pas candidat en 2003. LA NOUVELLE TRIBUNE : Vous qui connaissez un peu la classe politique, ses partisans, est-ce que vous avez une idée sur quelqu’un qui peut jouer le challenger ? JEAN-MARIE DORÉ : Moi je sais que je suis le meilleur challenger. Moi, Jean-Marie Doré, secrétaire général de l’UPG, devant la nation, devant Dieu, devant les hommes, je propose à Conté de me céder le pouvoir. LA NOUVELLE TRIBUNE : Mais vous n’êtes pas du PUP. JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Je crois qu’aujourd’hui Conté doit négocier avec quelqu’un pour lui succéder, pour que ses acquis demeurent, pour qu’il continue d’être honoré dans ce pays, je crois que c’est moi. Et je suis prêt devant la nation, devant Dieu, devant les hommes, je propose à Conté de me céder le pouvoir. LA NOUVELLE TRIBUNE : Pourquoi alors ne le rejoignez-vous pas politiquement ? JEAN-MARIE DORÉ : Ses méthodes de gouvernement ne me conviennent pas. Cette façon de changer au jour le jour, de prendre des incompétents, des ministres bidon, de laisser faire la gabegie puis de faire 318

des discours de circonstance, tout cela ne me convient pas, il faut de la suite dans les idées. LA NOUVELLE TRIBUNE : Pour rester dans le cadre du référendum, vous étiez à Paris et vous êtes membre du MORAD, on vous a vu sur TV5 où vous avez accusé les autres leaders et le président de l’Assemblée de vouloir conquérir et se partager le pouvoir par la force. Mais en réplique, lors d’une conférence de presse, Bâ Mamadou et les autres ont dit qu’ils ne savaient même pas où vous vous trouviez, que vous parlez de quelque chose que vous ignorez. JEAN-MARIE DORÉ : Je crois que Bâ Mamadou n’est pas en bonne santé, il faut bien noter cela. Je crois qu’avec l’âge, la santé mentale de Bâ Mamadou décline. Moi je vous ai dit ici que je suis parti en mission de mon parti et quand j’étais à Paris, monsieur Siradiou Diallo m’a téléphoné pour me dire d’attendre sur place que les leaders politiques viennent pour aller voir l’UE afin que les fonds que l’UE doit donner pour les élections soient subordonnés à l’implication de l’opposition dans la gestion des élections, que ces élections soient gérées conformément à la loi. Mais malheureusement, ils se sont retrouvés à Paris, monsieur Sidya Touré, monsieur Alpha Condé (je dis entre parenthèses au moins ces deux-là ont chacun un parti), mais curieusement, monsieur Bâ Mamadou qui ne dirige aucun parti, et monsieur Biro Diallo (dont on ne sait s’il est du PUP, de l’UPR ou s’il est en chômage des partis) pour se partager un pouvoir qu’ils n’ont pas. LA NOUVELLE TRIBUNE : Et Siradiou ? JEAN-MARIE DORÉ : Non ! Siradiou n’a pas participé. Ces quatre se sont réunis en compagnie de cadres guinéens à Paris. Vous savez, quand vous réunissez des cadres guinéens à Paris, chaque parti a son représentant là-bas. Donc, ces quatre se sont réunis pour décider de l’alternance en 2003, l’unicité des candidatures et que monsieur Biro serait président intérimaire pendant six mois ou un an, et qu’ils organiseraient des élections et que c’est Alpha Condé qui serait président. La Guinée a beau avoir des difficultés financières, aujourd’hui, il faut respecter les Guinéens, parce que de grands hommes sont morts dans ce pays. Ce sont nos références dans l’histoire. Il ne faut pas parler de nous au rabais. Et donc ces gens se sont dispersés, l’un est parti à Bordeaux, l’autre à Strasbourg, Biro est parti à Washington informer les Européens et les Américains qu’il n’y a que deux partis en Guinée, le RPG et l’UFR. Écoutez, que Biro le dise, je comprends, mais Bâ Mamadou ne peut parler de parti que de l’UPR. Je crois qu’ils se sont rendu compte qu’ils 319

ont commis des erreurs et ils se sont mis à nier ce qui est une évidence à Paris. LA NOUVELLE TRIBUNE : Vous faites des affirmations qui sont graves, est-ce que vous avez la preuve tangible ? JEAN-MARIE DORÉ : Il y avait des militants de mon parti qui ont participé à ces réunions, s’il vous plaît. Mansour Kaba était à Paris, Siradiou était à Paris, j’étais à Paris, mais ils ont pris le soin de ne pas nous inviter à cette réunion. On avait décidé d’aller à Bruxelles, voir l’UE afin de discuter les conditions d’octroi de l’aide pour les fonds électoraux à la Guinée. Voilà pourquoi les partis devaient se connecter, mais certains ont cru que l’heure était venue d’écarter ceux qui n’étaient pas de vrais opposants. Il y a des fous sur la scène politique guinéenne, c’est pourquoi, devant un homme simple comme Lansana Conté, on échoue depuis dix ans. LA NOUVELLE TRIBUNE : Selon des indiscrétions, vous êtes sur le point, avec l’UPR et le PUP, de fonder une alliance. Qu’en dites-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Cette nouvelle-là, c’est vous qui me l’apprenez. Je ne vois pas comment je peux fonder une alliance entre le PUP qui est le parti de la majorité et un parti de l’opposition. Si vous voyez cela, c’est parce que je parle avec Somparé ; on dit que je vais m’allier à lui, mais c’est complètement faux. On peut discuter, il faut discuter. Le propre d’un parti politique, c’est de discuter, toujours discuter. Il ne faut pas rompre, dès que vous rompez, il n’y a plus de parti politique. Il y a les problèmes des élections, le problème de l’économie, le problème de notre diplomatie, la Mano River qui est en panne, la CEDEAO, on ne sait plus où elle va. Tout cela doit faire l’objet d’un débat quotidien entre les partis politiques. Moi, quand je vois Somparé, c’est pour lui dire que le parti qu’il soutient fait telle erreur. Nous discutons avec le PUP qui est un interlocuteur obligé. Dès que vous êtes un parti politique d’opposition, automatiquement, le parti politique majoritaire devient votre interlocuteur obligé. Donc, parler avec un interlocuteur ne veut pas dire s’allier avec lui. LA NOUVELLE TRIBUNE : Pourtant une réunion est envisagée chez vous entre Somparé, Siradiou et vous-même… JEAN-MARIE DORÉ : Je ne suis pas au courant. S’il y a une réunion, moi je viens d’arriver, ils ne m’ont pas dit qu’il y aurait réunion entre Somparé et moi.

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LA NOUVELLE TRIBUNE : Il y a aussi l’actualité nationale qui est caractérisée par les différents scandales financiers que le chef de l’État a dénoncés, d’ailleurs. Par rapport à cette situation, quelle est la position de l’UPG et celle de son leader ? JEAN-MARIE DORÉ : Je ne félicite pas le Président pour son discours, ni du 21 décembre, ni du 1er janvier parce que c’est une situation qu’il connaît depuis longtemps. Il avait eu la possibilité de résoudre le problème à froid, mais il attend des circonstances particulières pour en parler, moi, cela ne me surprend pas. C’est pourquoi, je n’approuve aucun commentaire fait sur ce sujet. Le Président ne doit pas se contenter de dénoncer, un président ne dénonce pas ses ministres. Quand un ministre est en forfait avec ses obligations, nous savons qu’il est sanctionné par un décret qui le remplace, c’est tout. À qui le Président va dénoncer son ministre ? Est-ce qu’il nous a consultés pour les recruter ? Donc quand le Président lâche des informations concordantes qu’un ministre est en forfait avec ses obligations, un haut fonctionnaire en forfait à ses obligations, il le sanctionne ; il le traduit en justice ; c’est à ce moment que nous sommes informés. Mais qu’il dise « mes ministres me mentent » : qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Que je lui dise : « Ah ! Bon il faut le changer. » C’est le domaine dans lequel le chef de l’État est un roi. Il prend la décision de nommer des gens sans consulter personne, même pas son parti. LA NOUVELLE TRIBUNE : Par rapport aux scandales euxmêmes, avec l’annonce des sommes astronomiques détournées, quelle est votre position ? JEAN-MARIE DORÉ : Pour moi, ce n’est pas une question de montant, du point de vue de la morale publique, pour un franc comme pour 15 milliards, il faut la même sanction. Je ne félicite pas le Président, parce qu’il y a longtemps que ces messieurs auraient dû être traduits devant les tribunaux, et renvoyés de leurs fonctions. Et puis, j’avais demandé que le statut du comité de lutte contre la corruption fasse l’objet d’une loi. Il y a beaucoup de confusion. Mes copains qui sont là-bas, je les connais tous. LA NOUVELLE TRIBUNE : Vous étiez d’ailleurs là-bas à la commission nationale de lutte contre la corruption, le jeudi 3 janvier 2002. JEAN-MARIE DORÉ : J’y étais pour saluer Moussa Yambaya, Amadou Diallo, Chaïkou Yaya Baldé, ce sont des collègues et je sais 321

qu’ils honorent, par leurs comportements, l’Assemblée nationale. Mais, il faut qu’ils aillent jusqu’au bout. LA NOUVELLE TRIBUNE : Il paraît que vous avez aussi un dossier sur la pêche, des éclaircissements à fournir… JEAN-MARIE DORÉ : Je ne sais pas. Moi, je n’ai pas de dossier sur la pêche, je ne suis pas un membre du comité pour que j’aie un dossier sur la pêche. Si j’ai des informations, je les donne à la structure à laquelle j’appartiens, je n’ai aucun dossier sur la pêche. Mais, je sais que la pêche est un domaine dans lequel l’État perd beaucoup d’argent, par la faute du Président ; parce que le Président a nommé quelqu’un là-bas et des informations concordantes lui sont parvenues contre ce monsieur, mais il l’a toujours laissé faire. Et puis après, on veut nous montrer qu’on est vigilant, ce n’est pas normal. J’insiste beaucoup : je ne félicite pas le Président à cause du retard incompréhensible qu’il a mis à ordonner qu’on sanctionne ces gens-là, ce n’est pas aujourd’hui que le Président est au courant que les ministres lui mentent ; ce n’est pas parce qu’il y a une réaction qu’on va le féliciter, je refuse catégoriquement de féliciter le Président. LA NOUVELLE TRIBUNE : Dans quel état vous retrouvez votre parti après une si longue absence ? JEAN-MARIE DORÉ : Ah ! Ils ont bien géré le parti. Ils ont été remarquables. Par exemple, ils ont cessé de faire partie du MORAD dès l’instant où monsieur Bâ Mamadou s’est autoproclamé président du MORAD, alors qu’il ne dirige aucun parti. Le MORAD doit être dirigé par un leader de parti. C’est soit Bangoura au nom du RPG, puisque Alpha Condé n’est pas là, ou bien celui qui me remplaçait statutairement, puisque je l’avais présenté. LA NOUVELLE TRIBUNE : Je parle de l’état de votre parti luimême ? JEAN-MARIE DORÉ : L’UPG est très forte. D’après les informations que j’ai de la haute Guinée, de la forêt, de Sangarédi, de Kamsar, de Matoto, je suis vraiment très content. Je crois que la direction de notre parti est très mûre. Les cadres ont bien géré ; vous savez bien que gérer ne veut pas dire qu’on ne fait pas d’erreurs ; mais ce ne sont pas quelques petites erreurs d’appréciation qu’il faut voir, c’est la marche générale du parti ; et je suis vraiment content de la façon dont mon intérimaire, d’une façon spécifique, et d’une façon plus générale, le bureau politique, les responsables des bureaux régionaux, des sections ont mené la barque, parce qu’il n’y a pas eu de hiatus dans le combat 322

contre le référendum. Alors, quand le référendum a eu lieu, ils se sont engagés dans des discussions, pour qu’on instaure une structure de contrôle des élections. LA NOUVELLE TRIBUNE : Justement par rapport à ces législatives qui s’annoncent cette année, quelle est la position de l’UPG ? JEAN-MARIE DORÉ : L’UPG va lutter de toutes ses forces pour qu’un organisme de contrôle, au sein duquel seront représentés et le gouvernement et les partis de la majorité et les partis de l’opposition, soit mis en place. Avec des attributions clairement définies, de manière consensuelle, qui permettent, non pas de supprimer la fraude, mais de réduire le champ de la fraude afin que l’Assemblée qui va sortir de ces élections soit essentiellement représentative de la nation. Aucun gouvernement n’organise les élections pour favoriser l’opposition. Il faut expliquer ça aux gens. En France, en Angleterre, en Allemagne, le gouvernement organise les élections quand il croit que l’opposition est en difficulté. Mais ici, on dit non, non ; mais c’est comme ça partout dans le monde. LA NOUVELLE TRIBUNE : Dans ces pays, pourtant, les délais sont fixés et respectés… JEAN-MARIE DORÉ : Mais en Guinée, c’est l’opposition qui a demandé que l’on reporte la date des élections. En Guinée, nous devons lutter, le pouvoir ne se donne pas, il s’arrache, et celui qui est au pouvoir lutte pour empêcher qu’on le lui prenne. Mais tout ce que nous disons, c’est que cela se fasse dans le respect des lois votées par notre peuple. Donc, ici, nous sommes un parti libre, nous ne dépendons de personne, nous pouvons faire du chemin avec un parti. Il y a un parti aujourd’hui qui a une sensibilité proche de notre parti, c’est l’UPR, mais ça ne veut pas dire que nous sommes prêts à faire tout ce que dit l’UPR, et je ne crois pas que l’UPR soit prête à avaler tout ce que nous disons. Nous devons négocier avec le parti principal, qui soutient le gouvernement, c’est-à-dire le PUP. Discuter avec le PUP ne veut pas dire qu’on est ami du PUP, non ! Mais le gouvernement s’exprime par lui. Donc, je ne vois pas comment on peut aller s’asseoir avec Lansana Conté pour parler du HCE. L’interlocuteur c’est le PUP. C’est le ministre de l’Intérieur qui organise les élections. Non, si le PUP et nous, nous nous mettons d’accord sur quelque chose, le ministre de l’Intérieur sera obligé d’accepter, parce que le ministre ne le fait pas pour lui, il le fait pour favoriser le parti qui soutient son gouvernement. 323

La politique est l’art du possible. Il faut demander ce qui est possible. Il faut donc s’adapter au contexte national. Mais certains disent « si on n’accepte pas ce que nous avons dit, alors nous n’irons pas ». Alors à ce moment, ils vont se replier sur eux-mêmes. Il y a quarante-huit partis en Guinée, si toi tu viens avec tes propositions, tu dis que c’est ça ou rien, alors ça veut dire qu’il n’y a pas de débats entre les partis politiques. Donc, il faut aller dans un esprit d’ouverture, dans un esprit de responsabilité. Savoir faire des concessions. Parce qu’aucun parti ne veut retourner dans son siège en disant « on n’a pas accepté ce que j’ai dit ». Je crois au destin de la Guinée. Aujourd’hui, je crois également que la Guinée a des moyens colossaux. C’est pourquoi le général Lansana Conté doit se détourner des soutiens « bidon », des mouvements « bidon ».

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XLIII. « J’ai signé des accords qui ne sont pas forcément des garanties pour des élections démocratiques » Par Abdoulaye Condé pour « La Nouvelle Tribune » du 2 mai 2002

Dans cette longue interview réalisée le jeudi 2 mai 2002, le leader de l’UPG répond à toutes les questions d’actualité nationale et internationale, des législatives du 30 juin 2002 en Guinée aux présidentielles française, malienne en passant par les rapports au sein de l’opposition, etc. LA NOUVELLE TRIBUNE : Monsieur le secrétaire général, votre parti a décidé d’aller aux législatives du 30 juin prochain. D’ailleurs, vous avez lancé un appel à tous les partis politiques afin qu’ils participent à ces élections. Pourquoi, et quels sont les résultats de cet appel ? JEAN-MARIE DORÉ : Je crois que ce n’est pas la première fois que l’on traite du sujet. Nous sommes dans un pays en voie de développement dont chacun connaît le parcours, de la colonisation jusqu’au 28 septembre, jusqu’à notre indépendance en octobre 1958, en passant par le régime de la « révolution » : l’arrivée des militaires le 3 avril 1984, la transition démocratique, l’installation du multipartisme, etc. Et aujourd’hui, quoi qu’on puisse en penser, il y a une nouvelle ère multipartite en Guinée ; avec ses hésitations, avec ses reculs, ses avancées, avec tout ce qui en découle ; mais le multipartisme est devenu une réalité. Il est vrai que sur le plan économique ce régime ne montre pas qu’il y a des talents, pour sortir le pays de la turbulence. Et le moins que l’on puisse dire sur ce plan, c’est qu’il a échoué. Le fait qu’on échoue sur le plan économique, qu’on hésite sur le plan politique, crée des problèmes sur le plan social et sur les conditions sociales. C’est pourquoi aujourd’hui, l’une des facettes les plus dramatiques dans la crise en Guinée, c’est la baisse de la moralité qui induit la rupture des instincts face à certains actes délictueux. Je dis cela 325

pour vous faire comprendre qu’il est du devoir impérieux des partis qui contestent cette politique, qui proposent une alternative, qu’ils ne soient pas absents de la scène. Je pense à un parti ami (qui devrait être mon ami), c’est le RPG, qui est un grand courant dans ce pays. Que vous l’aimiez ou pas, que vous acceptiez le discours de son président ou pas, ses méthodes de travail, etc., c’est un grand parti qui a des devoirs vis-àvis de sa base. Nous avons négocié pendant deux mois. Deux mois de négociations difficiles. Il y a eu des avancées sur des points importants ; maintenant, on va voir sur le terrain si ces déclarations de principe expriment la conviction profonde du gouvernement et des acteurs politiques de la mouvance et de l’opposition à se conformer à leurs engagements. C’est seulement après ça qu’on sera convaincu que chacun est vraiment animé de la volonté de faire des élections sérieuses ou non. LA NOUVELLE TRIBUNE : Justement, avant de revenir sur les résultats des négociations, par rapport à l’appel, est-ce que vous avez rencontré les partis politiques individuellement pour les inciter à participer et quels sont ceux qui veulent réellement participer ? JEAN-MARIE DORÉ : Écoutez ! Au moment où je vous parle, trois partis de l’opposition vont aux élections : l’UPG, l’UPR et le RPG ; il reste trois autres partis qui sont traditionnellement de l’opposition. Trois, parce qu’il y a de nouveaux arrivés qui tantôt sont de la mouvance, tantôt indéterminés, je dis bien indéterminés. Mais parmi ces partis, je parle du RPG, ni par amitié, ni par aversion, mais par nécessité politique, par l’exigence de la vérité nationale. C’est un courant important, car tout un pan d’une région de la Guinée s’affirme dans ce courant. C’est pourquoi moi, j’ai spécialement lancé un appel au RPG, en lui disant que moi j’ai signé des accords qui ne sont pas forcément des garanties pour des élections démocratiques. C’est le jour de la proclamation des résultats définitifs des élections que nous verrons si le gouvernement a été sérieux ou non. D’ici là, un parti ne peut pas s’attendre qu’on vienne lui mettre la viande sur la langue, ce n’est pas vrai. Nous devons nous battre. LA NOUVELLE TRIBUNE : Et l’UFR, l’UFD du professeur Sow, les autres ? JEAN-MARIE DORÉ : Non, je n’ai pas de relations avec ces partis, et l’appel que j’ai lancé d’une manière générale s’adresse à tous les partis ; s’ils l’entendent, c’est bon ! S’ils ne l’entendent pas, ce n’est pas mon affaire. 326

LA NOUVELLE TRIBUNE : Vous parlez d’accords très importants, est-ce que vous pouvez tous les citer ? JEAN-MARIE DORÉ : Oui ! Pour le premier, le gouvernement admet que le respect de la loi fondamentale impose que, dans le fait politique, l’administration observe un devoir de réserve. On a dit « oui », chacun est libre d’avoir son opinion. Mais pour un gouvernement, un préfet, un sous-préfet, cette opinion ne s’exprime pas en termes partisans pour ou contre un parti politique. Le gouvernement a admis ce principe. Le gouvernement admet aussi qu’il ne doit pas y avoir d’intervention des forces de sécurité et des forces armées pour gêner la libre expression des partis dans le processus électoral. Il admet également qu’il faut donner aux représentants des partis, immédiatement après la proclamation, les fiches de résultats. Le gouvernement accepte que des partis politiques accompagnent les fiches de résultats au niveau des commissions de centralisation. Ce n’est pas critiquer le gouvernement que de dire que le sous-préfet, pour ce qui concerne sa zone, s’arrêtait dans les buissons, après la proclamation des résultats, pour modifier les PV. Et des résultats à ratures étaient acceptés par les autorités préfectorales. Or la loi dit qu’un PV de résultats ne doit pas être surchargé, sinon il est automatiquement annulé. Aujourd’hui, nous avons convenu que cela ne se fera pas. Et les partis politiques et les représentants des autorités préfectorales seront présents à la centralisation. À la centralisation, les magistrats qui venaient représenter les autorités de l’État, parce qu’on pense qu’ils sont neutres, se permettaient d’inverser les résultats sans modifier le total. On a pris des mesures. On a adopté des positions dans l’accord pour les rendre impossibles. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas par-ci par-là des dérapages. Mais il ne faut pas que cela soit des dérapages organisés, encouragés, contrôlés et protégés. Il y a aussi d’autres points importants, mais c’est là où les partis politiques ont le plus souffert. Aussi que les sous-préfets n’interviennent pas pour contrarier le déplacement des partis à l’intérieur. Il y a des sous-préfets qui disent « tel parti ne doit pas venir dans ma zone ». C’est anormal. Le sous-préfet n’a pas le droit, parce qu’en insultant le leader d’un parti, en le traitant de salopard, il insulte le chef de l’État dont la garantie, l’écriture, la signature ont favorisé l’émergence du multipartisme, parce que c’est lui qui a signé le décret portant application de la loi fondamentale, portant application de la charte des partis politiques. Donc, tout cela découle d’une certaine ignorance et aussi d’une pratique que nous dénonçons régulièrement à l’Assemblée nationale. Il faut une École Nationale d’Administration pour qu’on enseigne la mission de l’État, le devoir des agents de commandement. Je 327

crois que cela commence à être compris et on va bientôt créer cette école. Nous pensons, pour que cette école atteigne sa mission, qu’il faudrait qu’on recrute par voie de concours, qu’on ne choisisse pas en fonction des penchants politiques. LA NOUVELLE TRIBUNE : Pour rester toujours dans le cadre des élections, est-ce que vous estimez que ces points d’accords sont susceptibles de garantir la crédibilité du scrutin du 30 juin ? JEAN-MARIE DORÉ : Absolument ! Je vous ai dit tout à l’heure que ces accords-là ne sont rien. Le vrai accord qu’on a signé, c’est le contrat de confiance. C’est-à-dire que pour une fois, on va essayer de se faire confiance, de croire que l’autre, s’il a la majorité, ne va pas nécessairement empêcher le gouvernement de gouverner. Je crois que c’est ce qui est important. On n’empêchera le gouvernement de gouverner que s’il n’applique pas la loi. On l’empêchera de violer la loi, mais si le gouvernement prend de bonnes initiatives, monsieur Condé, ce n’est pas pour le bonheur des ministres, c’est pour le bonheur des populations. Regardez ! D’après l’analyse de mon parti, il y a 65 % de chômeurs dans la population active de Conakry. Et je crois que l’action positive des partis de l’opposition qui ont critiqué cette politique de non-investissement a commencé à porter ses fruits. La nécessité pour le gouvernement, pour la première fois, de tenir compte de l’opinion des partis, c’est d’aller ensemble aux élections, de promettre d’une façon forte qu’il ne faut pas que l’extérieur nous prenne au mot, et ne nous confonde pas, parce que nous avons donné parole. Ce sont des signes forts qui permettent de penser qu’il faut aller aux élections. Et on va voir aux résultats ; c’est aux résultats que nous allons juger cela. Je pense que nous avons négocié. Nous n’avons pas été naïfs, nous ne sommes pas des gens qui croient tout ce qu’on dit, que nous allons le croire par enchantement. Il faut que nous soyons présents sur le terrain, c’est vrai que certains partis comme le RPG ont beaucoup de condamnés, mais il fallait prendre le gouvernement de haut, présenter la liste du RPG et nous allions tous voir si le gouvernement allait invalider les candidats du RPG. L’UFR a des condamnés, le RPG a des condamnés, moi aussi j’ai des condamnés. Mais on a dit qu’il faut les mettre sur les listes parce que les motifs de condamnation ne sont pas légitimes, donc, moi j’en ai mis. Si on invalide la liste, naturellement je n’y vais pas. Parce que j’ai deux personnes sur ma liste qui ont été condamnées pour rien, qui n’ont rien fait. Le cas du professeur Alpha Condé est un cas particulier. Je le dis amicalement, il fallait nous dire clairement de faire du problème Alpha 328

Condé un cas d’école. Moi je l’ai posé en avril dernier chez Charles Pascal Tolno. J’avais dit : « Discutons du problème d’Alpha Condé. Soyons sincères, Alpha Condé n’est pas un militant de base. Vous ne pouvez pas me dire que le cas d’Alpha Condé est comme celui de Samaké ou de quelqu’un d’autre, ce n’est pas vrai. C’est le leader du parti, le fondateur du parti, quand son problème se pose, il faut en parler clairement, appeler à une réunion les leaders de partis. » Mais, le secrétaire administratif du RPG, le docteur Mohamed Diané, avait dit non et que le problème d’Alpha Condé ne se posait pas. Alors, comme il ne faut pas être plus royaliste que le roi… LA NOUVELLE TRIBUNE : Monsieur Doré, votre ami et allié Siradiou Diallo estime, pour sa part, que le minimum d’accords qui a été obtenu par les partis politiques n’a pas été respecté par le ministre de l’Intérieur… JEAN-MARIE DORÉ : Écoutez ! Chacun apprécie à sa façon. Siradiou est un ami sincère. Notre amitié date de 1969 et elle ne s’est jamais démentie. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’accrocs. Les vrais amis sont ceux entre lesquels il y a souvent des accrocs. On est de vrais amis, car malgré tout, on sort de ces accrocs pour continuer toujours à aller de l’avant. Il a sa lecture des accords, mon parti a sa lecture des accords. Mais je crois qu’il se réfère ici au problème de la caution, parce qu’il y a eu unanimité parmi les partis politiques y compris le PUP, et tous les partis de la mouvance pour fixer le montant à 100 000 FG, puis le ministre, qui nous avait dit qu’il acceptait cette proposition, sous réserve de l’accord du Conseil des ministres, a fini par porter la somme à 150 000 FG. Donc ici, il y a eu une distorsion par rapport aux textes du compromis négocié par les partis politiques. Puis nous devions installer le Conseil national électoral avant de fixer la date du scrutin. Mais comme chacun le sait, les négociations ont hésité. Or il y avait une urgence du chronogramme qui faisait qu’il fallait impérativement faire les élections au terme du premier semestre de l’année. C’est pourquoi ici, la violation de l’esprit de l’accord par rapport à ça est due au calendrier. Ce n’est pas un calcul contre les partis politiques. C’est pourquoi je n’y accorde pas beaucoup d’importance. Cette fois-ci le Conseil national électoral est mis en place deux mois avant les échéances électorales. C’est un progrès par rapport au Haut Conseil aux affaires électorales qui a été expressément mis en place quelques jours avant le scrutin présidentiel du 14 décembre 1998. Je ne suis pas loin de partager l’analyse de l’UPR, mais je n’en fais pas un problème et une critique de fond. 329

LA NOUVELLE TRIBUNE : Monsieur Doré, certains vous accusent d’être le porte-parole de l’administration, que répondez-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Écoutez ! Il y a des gens très intelligents en Guinée. Il y a des gens moins intelligents, il y a des idiots, il y a des gens d’esprit et je ne peux pas empêcher la prolifération des imbéciles. Vous savez dans la société, il y a eu, il y a et il y aura toujours des bons et des mauvais, des souhaitables et des indésirables. J’analyse sans complaisance le comportement du gouvernement sans prendre la permission de qui que ce soit. Si mon parti estime qu’il faut encourager une initiative du gouvernement, on le fait, sans même tenir compte de l’opinion des partis amis, parce que nous sommes un parti pour agir. Donc si le gouvernement fait mal, je dis non ! Et s’il persiste, je le combats. Vous avez vu ici dans l’affaire du soutien illégitime, immoral accordé par le gouvernement du général Lansana Conté à l’Ulimo. Estce que j’ai demandé l’avis de quelqu’un ? Aucun parti politique n’est venu au secours quand on a tué nos militants. Et ma vie était menacée. J’ai des documents qui attestent qu’on voulait me tuer personnellement. Ces farceurs qui parlent, ces partis politiques qu’on ne voit que dans les pâtisseries, où étaient-ils ? Le gouvernement n’est pas composé d’ennemis ; le gouvernement de la mouvance présidentielle est composé de Guinéens parmi lesquels vous et moi avons nos parents, nos frères, nos amis. Certains sont dans l’opposition et leurs enfants dans la mouvance présidentielle. Est-ce que vous croyez qu’il faut aller vers la mouvance présidentielle avec le couteau entre les dents ? C’est idiot ! Il ne faut pas transposer chez nous la pratique politique d’autres pays. C’est malgré nous que nous sommes obligés d’être de la mouvance ou d’être de l’opposition. C’est une question de méthode. Dans certaines affaires de la politique du gouvernement, que je condamne par principe, je condamne relativement parce que c’est une question de méthodologie. Par exemple, on laisse faire, puis on prend des mesures à contretemps alors qu’il y avait le temps d’agir, c’est tout cela qui fait que je ne suis pas de la mouvance. LA NOUVELLE TRIBUNE : Votre réponse est assez claire. Mais pour revenir au scrutin législatif, on sait que la date butoir du dépôt des dossiers de candidature était le 2 mai, est-ce qu’on peut savoir dans quelle circonscription l’UPG va présenter ses candidats ? JEAN-MARIE DORÉ : D’abord nous avons une liste nationale de soixante-seize candidats ; ensuite nous présentons des candidats uninominaux dans toute la forêt, nous présentons un candidat 330

uninominal à Matoto et à Siguiri. J’attends un coup de téléphone pour confirmer Kankan, mais si le RPG allait aux élections, nous retirerions nos candidats dans ces circonscriptions. Moi je le fais, eux, ils ne le font jamais. Ils nous ont violemment attaqués à notre base sans succès, et en prétendant qu’ils sont partout. Ce n’est pas vrai, aucun parti n’est partout ; le PUP en basse Guinée, nous sommes en forêt, l’UPR au Fouta, le RPG en haute Guinée, et nous avons eu plus de difficultés parce qu’à un moment donné, les forestiers disaient que Lansana Conté était leur fils. Il a fallu du temps pour leur démontrer que Lansana Conté n’est ni Toma, ni Guerzé, ni Kono, que Lansana Conté est le fils de Moussaya dans Dubréka, qu’il est de la basse Guinée. Que donc si c’est le motif pour lequel vous votez pour lui, vous vous trompez, et je crois que les forestiers ont compris maintenant et ils vont le démontrer sur le terrain. LA NOUVELLE TRIBUNE : Croyez-vous que la donne a réellement changé sur le terrain ? JEAN-MARIE DORÉ : Totalement ! Vous allez voir, je voudrais même que vous veniez participer à notre campagne en forêt. Vous allez vous rendre compte de l’éveil de conscience colossal et profond actuellement en forêt. C’est pourquoi nous allons aux élections, parce que nous voulons vérifier cette prise de conscience. Si nous n’allons pas aux élections, nous allons frustrer tous ces forestiers qui attendent d’exprimer qu’ils ont enfin compris qu’on peut voter contre Lansana Conté sans être forcément contre lui. Ils croient que le fait, par exemple, de dire je suis contre Conté veut dire que vous êtes son ennemi. Lansana Conté n’est pas mon ennemi, jamais ! Je le dis clairement, Lansana Conté n’est pas mon ennemi. LA NOUVELLE TRIBUNE : Vous l’avez toujours dit. JEAN-MARIE DORÉ : Oui ! Je l’ai toujours dit. LA NOUVELLE TRIBUNE : Monsieur Doré, quels seront vos thèmes de campagne ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est d’abord expliquer thématiquement les grands problèmes auxquels notre pays est confronté. Nous ne faisons pas la politique en disant : « Ah ! Le gouvernement est mauvais. » Non ! Il faut expliquer les problèmes, dire pourquoi il n’y a pas d’emplois en Guinée, pourquoi il n’y a pas d’investissements, comment faire pour que l’étranger ait confiance en notre pays et vienne investir. Vous savez, les thèmes favoris de certains partis c’est de dire « tant que Lansana Conté est en Guinée, il ne faut pas investir ». Non ! Si l’on n’investit pas, vous 331

croyez que les forestiers vont attendre que Jean-Marie Doré soit président pour commencer à manger à leur faim ? Que ce soit Lansana Conté, Siradiou Diallo, Alpha Condé ou qui saisje encore, il faut que les forestiers continuent de vivre bien. Quand je dis : « bloquer tout investissement en forêt, jusqu’à ce que je devienne président », c’est criminel, c’est irresponsable. Nous allons donc expliquer les problèmes guinéens, nous allons expliquer les conditions de l’alternance, parce que celle-ci n’est pas seulement qu’un parti vienne au pouvoir, mais qu’il ajoute sa part à ce que Sékou Touré, Lansana Conté ont fait ; il faut surtout tenir un discours pour créer la confiance entre ceux qui se disputent le pouvoir. Il ne faut pas que Lansana Conté croie que si nous prenons le pouvoir on va l’humilier, détruire ses biens, le diaboliser. Le vrai obstacle à l’alternance, c’est le manque de confiance entre les acteurs politiques. Nous qui sommes les amis de Sékou Touré, nous sommes heureux aujourd’hui de lui rendre hommage. On reconnaît par exemple qu’on avait mal fait de privatiser toutes les sociétés et entreprises d’État, alors que ce n’est pas par hasard que le président Sékou Touré les avait créées. Lansana Conté a compris cela aujourd’hui. C’est un événement colossal. Qui aurait pensé en 1984 qu’on allait faire un château en Guinée, et le baptiser « Palais Sékhoutoureyah » ? Tout cela démontre qu’il y a une nouvelle recomposition du tissu social guinéen, la moralisation de la vie sociale, la « réconciliation des facteurs de division », pour les transformer en facteurs d’unité nationale. LA NOUVELLE TRIBUNE : Les Américains disent pourtant qu’ils ne voient pas d’alternative au pouvoir de Lansana Conté dans la mesure où les partis politiques guinéens, pour reprendre leur terme, sont trop régionalistes. Qu’en dites-vous ? JEAN-MARIE DORÉ : J’aurais voulu traiter ce sujet d’une façon spécifique, parce que je me suis penché là-dessus en termes de recherche. C’est qu’au départ, des candidats à la présidence ont créé des partis pour accéder au pouvoir, et non sur une base programmatique. On a créé les partis sur la base de l’ambition des hommes qui voulaient devenir président. Forcément, il y avait opposition entre, non seulement les partis qui s’affirmaient de l’opposition et Lansana Conté, mais aussi et surtout à l’intérieur de cette opposition, il y avait opposition entre les opposants parce que chacun se voyait président de la République. C’est au fur et à mesure des avancées que la clarification commençait à se faire, même entre les partis de l’opposition. Moi je veux aller avec l’opposition dans la vérité, c’est-à-dire qu’on sache que quand on est dans une alliance, que 332

cette alliance n’est pas un parti politique. L’alliance est un lieu de réflexion, pour que chacun s’affirme mieux, mais on ne peut pas créer une alliance pour que le responsable devienne un leader à part. C’est pourquoi, moi par exemple, je suis contre l’idée du MORAD qui veut qu’il y ait un chef qui décide en autonomie, qui soit libre des partis. Non ! Ce sont les partis qui sont autonomes ; je n’accepterai jamais d’entrer dans une alliance où il y a quelqu’un qui n’est rien du tout, et qui vient m’imposer le programme de son parti. LA NOUVELLE TRIBUNE : Qu’est-ce qui empêche Jean-Marie Doré de l’UPG, Sidya Touré de l’UFR, Siradiou Diallo de l’UPR, Alpha Condé du RPG, le professeur Alfa Sow de l’UFD, etc., de se retrouver pour fonder un seul parti ? JEAN-MARIE DORÉ : Les affirmations de principe de certains partis vont à contre-courant de la philosophie politique de mon parti. Mais pourquoi voulez-vous que j’obéisse à ces types-là ? Voyez aussi, par exemple, le PUP est un parti qui laisse tout faire. Le préfet vole et on dit, « tant qu’il est dans mon parti, il fait ce qu’il veut », le sous-préfet vole l’argent de l’État, et on laisse faire, simplement pour que le jour des élections, il favorise le PUP. Moi je ne peux pas cautionner cela. C’est antinomique de ma vision de l’État. LA NOUVELLE TRIBUNE : Mais comme vous avez des visions souvent communes avec Siradiou, pourquoi ne pas commencer à deux ? JEAN-MARIE DORÉ : Siradiou et moi avons des convergences philosophiques. Mais je suis un homme de droite, je suis un conservateur, c’est-à-dire que je veux le progrès, mais qu’on ne détruise pas ce qui est acquis. C’est pour cela que je suis conservateur. Siradiou est un libéral. Donc, dans une certaine mesure, il y a convergence, mais quelqu’un qui veut un régime socialiste, je ne peux pas conjuguer avec lui. LA NOUVELLE TRIBUNE : La base d’une formation politique est donc possible avec Siradiou ? JEAN-MARIE DORÉ : Je dis que philosophiquement le discours que j’entends sur l’économie, sur la famille, sur l’État, sur l’administration à l’UPR, recoupe celui de l’UPG. Donc dans une certaine mesure, il y a convergence. Mais il y a des difficultés. C’est que la majorité des gens qui votent pour moi sont agriculteurs, ils ne sont pas éleveurs, ils ne sont pas commerçants ; donc si on les met ensemble, on risque de faire exclusivement soit la politique des agriculteurs, soit celle des commerçants. Mais comme nous sommes 333

des gens, je prétends, intelligents, parce qu’il n’y a pas de raison pour que j’aie honte de l’intelligence que Dieu m’a donnée, pour le moment, raisonnons en termes de consultations serrées, et non en termes de vision ; on ne peut pas le faire. Somparé aussi est un libéral que j’ai connu dans le bureau de Sékou Touré ; c’est Sékou Touré qui nous a mis ensemble ; c’est Sékou Touré qui m’a recommandé Decazy quand il venait en 1974 à Genève ; et depuis lors nos relations d’amitié ne se sont pas démenties. Mais Somparé seul ne fait pas le PUP, Decazy seul ne fait pas le PUP. Et il y a des comportements au PUP qui sont antinomiques de ce que je comprends comme mission de l’État. C’est pourquoi on ne peut pas s’entendre. Mais il y a beaucoup de points de convergence entre Siradiou et moi. Et puis, même sur le plan intellectuel, on a les mêmes réflexions. Alpha Condé, je ne l’ai pas bien connu en Europe. C’est mon jeune frère qui a étudié avec lui. Je ne peux donc pas formuler de jugement de valeur sur ses convictions profondes en matière de marche de l’État, mais je vois que globalement, ses électeurs sont à plus de 800 kilomètres de ma base. Donc, je suis obligé de faire attention à ce que fait le RPG, que ça leur plaise ou non. Nous avons été plus honnêtes avec le RPG que ce parti ne l’a été avec l’UPG. Mais on avait tranché ce différend au siège du RPG, depuis mon retour d’Europe ; on y était allé pour une visite de vingt minutes et on est restés près de quatre heures. Je pense qu’on a réglé les problèmes. Aucun événement sérieux n’est venu me dire que c’est vrai ou que c’est faux, mais je pense que leur tort en tant qu’ami, que je leur reproche, c’est d’être soupçonneux. Ce n’est pas normal. LA NOUVELLE TRIBUNE : D’ailleurs, une crise semble opposer Alpha et Siradiou. Quelle est votre analyse ? JEAN-MARIE DORÉ : Je pense, d’après ce que j’en sais, que les difficultés entre Alpha Condé et Siradiou viennent toujours de cet esprit soupçonneux du leader du RPG. Alpha Condé, intellectuel universitaire, a hérité de son passage à la tête de la FEANF certains comportements qui font qu’il soupçonne toujours Siradiou et les autres. Il doit dépasser l’esprit estudiantin et savoir que nous sommes des leaders, qui voulons prendre le pouvoir et l’exercer, parce qu’aucun de nos partis, seul, ne peut gouverner la Guinée. Si moi, j’étais président de la République aujourd’hui, j’irais obligatoirement tendre la main à Somparé, à Siradiou, à Alpha Condé, etc. LA NOUVELLE TRIBUNE : Que pensez-vous alors de son projet d’amnistie ? 334

JEAN-MARIE DORÉ : Je considère que c’est un gag qui est lancé comme cela, d’abord, pourquoi c’est lui qui propose l’amnistie ? Pourquoi et à partir de quelle analyse il pense que c’est lui qui doit prendre une telle initiative ? Moi je pense qu’il ne faut pas amnistier les chefs d’État, ils n’ont commis aucun crime. Il faut respecter l’Afrique. Je ne crois pas que les chefs d’État africains, si je les compare aux chefs d’État latino-américains, nord-américains, européens, soient les seuls coupables. Regardez ce qui se passe en Israël aujourd’hui, regardez ce qui se passe en Afghanistan. Croyez-vous que c’est normal, ça ? Et pourquoi moi je vais jeter la pierre sur Laurent Gbagbo, sur Lansana Conté, sur Abdoulaye Wade ? Ce sont des histoires, il faut cesser les clichés. LA NOUVELLE TRIBUNE : Monsieur Doré, l’élection présidentielle se déroule actuellement au Mali. Le premier tour vient de s’achever et le deuxième est pour bientôt. Comment voyez-vous la suite et fin de ce scrutin ? JEAN-MARIE DORÉ : Les Maliens sont nos frères, je n’ai pas le droit de me mêler de leurs affaires. Mais en tant qu’Africain, sans intention de me mêler de quoi que ce soit, d’après ce que j’ai entendu et sous réserve que ce que j’ai entendu soit vrai, le président Konaré n’a pas bien préparé ces élections. Comment comprendre qu’un chef d’État oppose au candidat officiel de son parti quelqu’un qui n’est pas membre de l’Adema ? Peut-être qu’il y a une explication rationnelle au Mali que je ne connais pas. Et s’il y a cette explication valable, je m’excuse de faire ce commentaire. Mais, si ce que je dis est vrai, je suis très peiné. Je crois que Soumaïla Cissé sera président de la République du Mali. LA NOUVELLE TRIBUNE : Vous faites allusion à ATT qui serait soutenu par Alpha Konaré ? JEAN-MARIE DORÉ : Évitez-moi les procès d’intention. J’ai d’excellentes relations fraternelles avec ATT, mais Soumaïla Cissé sera président. Il y a aussi une élection présidentielle en France avec un premier tour dont les résultats ont surpris le monde entier, pas seulement les Français. Depuis, il y a une forte mobilisation en faveur de Chirac, au second tour. LA NOUVELLE TRIBUNE : Comment analysez-vous cet autre scrutin qui intéresse aussi les Guinéens ? JEAN-MARIE DORÉ : Je crois que la défaite écrasante, humiliante de Jospin, est dans la logique de la théorie politique du parti socialiste, qui s’est toujours posé en donneur de leçons, mais sans balayer devant sa 335

porte. On a vu même ici Guy Labertit donner des jugements de valeur sur les institutions guinéennes, sur les hommes politiques ; ce n’est pas acceptable, ça ! La France est profondément conservatrice. J’ai étudié en France, j’ai vécu en France. Et moi, j’ai trouvé tout à fait normal que ce soient deux hommes de droite qui aillent au second tour. LA NOUVELLE TRIBUNE : D’aucuns estiment en Guinée que vous êtes du côté de Jean-Marie Le Pen, plutôt que de Jacques Chirac, vrai ou faux ? JEAN-MARIE DORÉ : Oui ! Je suis bien du côté de Jean-Marie Le Pen, parce que le discours politique doit être vrai, le discours politique doit être authentique. Jean-Marie Le Pen prêche pour la France. Il dit qu’il y a trop de Noirs en France, c’est la vérité ! Allez voir là-bas. Chirac aussi l’avait dit, quand il a parlé des odeurs et a insulté les Noirs. Il avait dit également que la démocratie est un luxe pour les Africains. Aujourd’hui, il tient un discours contraire, parce qu’il a besoin du vote des émigrés. Je n’apprécie pas cette variation du discours politique de Chirac. Jean-Marie Le Pen dit que les Juifs ne doivent pas faire la loi à partir de leur fortune, que les émigrés doivent être acceptés dans un nombre qui ne gêne pas la culture et l’authenticité françaises. Mais c’est la vérité, ça ! Quand vous allez dans les foyers à Paris, le Noir est humilié par sa façon de vivre. Moi, je n’accepterais pas que la Guinée tombe dans la dépendance des étrangers. Je veux que les étrangers qui viennent soient utiles et viennent en Guinée avec des capitaux pour des investissements. Mais je ne veux pas des chômeurs, des vagabonds français, allemands, américains ou arabes qui viennent ici, infester les trottoirs de sida, de maladies vénériennes, je ne l’accepterais pas. N’oubliez pas qu’actuellement les Guinéennes sont des femmes saines, mais la pauvreté a fait que beaucoup d’entre elles se prostituent pour vivre. Et les gens qui prostituent nos femmes sont des hommes interdits d’amour dans leurs pays. Jean Marie Le Pen tient le même discours. Pourquoi pensez-vous que je vais lui refuser mon soutien ? Et maintenant, voyez la France qui prêche la démocratie, qui donne des leçons, qui envoie ses observateurs chez nous pour superviser des élections, cette France est en train de frauder à grande échelle. Les médias d’État sont mobilisés avec des insanités à la bouche, pour insulter et violer la loi. Pourquoi violer la loi alors que la candidature de Jean-Marie Le Pen, son programme, son discours ont été acceptés par la Cour constitutionnelle, et près de 20 % des Français s’y sont reconnus. Je ne garantis pas à 100 % qu’il va gagner, mais il aura au moins fait la démonstration que seule la vérité est le meilleur véhicule du discours politique. 336

XLIV. « Nous ne sommes pas étonnés du comportement quasi servile de la Cour suprême » Par Abdoulaye Condé et M. Sacko pour « La Nouvelle Tribune » du 13 août 2002

Après la proclamation officielle et définitive, le lundi 8 juillet, des résultats des législatives du 30 juin 2002 par la Cour suprême, nos reporters ont longuement interrogé le leader de l’UPG, Jean-Marie Doré. Il réagit par rapport à cette proclamation avant de se prononcer sur l’ensemble des questions d’actualité nationales. LA NOUVELLE TRIBUNE : Monsieur Jean-Marie Doré, la Cour suprême vient de proclamer les résultats officiels des législatives du 30 juin dernier. Elle a confirmé dans leur globalité les résultats du ministère de l’Administration du territoire par rapport au rejet de votre requête et à la confirmation des résultats du ministère. Quelle est votre réaction ? JEAN-MARIE DORÉ : Nous ne sommes pas étonnés du rejet de nos demandes de rétablissement dans nos droits qui nous ont été conférés par les suffrages du peuple, et qui ont été confisqués et détenus par le gouvernement au profit de receleurs, qui ont été proclamés comme députés. Nous ne sommes pas étonnés du comportement quasi servile de la Cour suprême. Parce qu’en réalité, la série de violations de la loi a commencé depuis le décret appelant les citoyens aux urnes et fixant la date des élections, la révision des listes électorales, la distribution sélective des cartes d’électeurs, l’immixtion intolérable, manifeste et inacceptable de l’administration dans le processus électoral, en violation de l’accord qui a été conclu entre les partis politiques et le ministère de l’Administration du territoire. Nous avons constaté qu’en réalité tout cela n’a été possible que sous le couvert et en fonction d’une plus grave violation de la loi, qui a été initiée, conduite, protégée et proclamée par 337

le président de la République. En effet, les 8 et 9 juin, monsieur Lansana Conté, président de la République, s’est rendu à Mamou, à une manifestation politique du PUP ; et ce, en violation catégorique, publique, solennelle de son serment, tout aussi manifeste et solennel, d’appliquer scrupuleusement et de faire appliquer la loi fondamentale, les lois organiques et les lois, y compris les règlements subséquents. Dès lors, cette venue de l’illégalité, c’est-à-dire, de retour à l’État sauvage, la négation absolue du droit, celui qui est chargé de protéger la loi, a automatiquement initié et exécuté les autres violations de la loi pour les pouvoirs dérivés de l’autorité du président de la République. Donc, devant ces faits publics internationalement constatés et diffusés en direct par la radiotélévision guinéenne, nous ne pouvons pas être naïfs pour nous étonner que la Cour suprême ait le toupet d’aller à contrecourant de la volonté du président de la République, président du Conseil supérieur de la magistrature. Mais ce qui est dramatique dans cette nouvelle évolution de notre pays, c’est que la Cour suprême, qui est une des institutions essentielles de notre pays, ait refusé catégoriquement de dire le droit. Et, au lieu du manteau d’abeilles des magistrats qui impose l’autorité de l’État à la volonté des citoyens, la Cour suprême, par sa Chambre constitutionnelle et administrative, s’est muée en cabinet d’avocats pour justifier les violations de la loi par le ministre de l’Administration du territoire. LA NOUVELLE TRIBUNE : Vous n’étiez pas naïf de penser que la Cour Suprême allait faire autre chose, mais vous avez tout de même fait recours. Par rapport aux arguments évoqués par l’institution judiciaire suprême pour rejeter votre requête, qu’est-ce que vous avez à dire ? JEAN-MARIE DORÉ : Elle n’avait pas d’arguments. La Cour suprême a recouru à des arguties pour tenter d’expliquer et de justifier pourquoi le ministre de l’Administration du territoire a été obligé de violer la loi. Or, ce n’est pas le devoir du juge d’expliquer pourquoi le voleur a volé. Il doit constater qu’il y a eu vol et il applique la loi. Or, le ministre de l’Administration a volé nos suffrages, les a répartis à son gré entre des partis ou des candidats qui font le jeu du gouvernement. Et la Cour suprême s’est appliquée à faire avaler aux citoyens que « oui, acceptez que le ministre ait violé la loi, soit parce qu’il ne pouvait pas faire autrement que de vivre des rapines, soit parce que les travaux publics n’ont pas fait les routes, et à ce moment-là, on ne peut pas appliquer la loi ». 338

Le président de la Cour suprême oublie seulement que la loi a été faite par des Guinéens qui connaissent l’état des routes, l’état des communications défectueuses en Guinée, et qui ont dit que « le ministre doit publier les résultats sous quarante-huit heures ». LA NOUVELLE TRIBUNE : La Cour suprême elle-même semble avoir accusé du retard par rapport à la loi dans le délai de publication des résultats… JEAN-MARIE DORÉ : Dès lors que l’article 33 de la loi fondamentale a été violé par le président de la République, président du Conseil supérieur de la magistrature, vous savez, on s’en fout du ministre de l’Administration et de la Cour suprême qui ont des pouvoirs subordonnés. Le président de la Cour suprême vous a expliqué qu’il est un planton devant le petit palais, et qu’il n’aurait pas le toupet ou l’outrecuidance d’aller à contre-courant de la volonté d’un président qui est sorti, depuis le lancement de la campagne du PUP à Mamou, du cadre de la loi. Que devient Lansana Conté par rapport à la loi fondamentale ? C’est ça le vrai problème. Il faut qu’on ait le courage de dire ça. Il est important de savoir que le président Conté, en refusant d’appliquer la loi fondamentale, en se moquant d’elle, en piétinant la loi fondamentale, qui est la seule source de sa légitimité et de sa légalité, est sorti de l’État de droit, pour rentrer dans l’État sauvage. Pendant la campagne, j’ai posé ce problème, et le CNC a censuré mon intervention et ma critique sur la présence illégale, anticonstitutionnelle et inadmissible du président de la République à Mamou. Donc en ce moment, la Guinée d’aujourd’hui ressemble à tout sauf à un État de droit. Puis, nous allons partir à la présidentielle de 2003 et Lansana Conté ne sera pas candidat. Parce que le référendum du 11 novembre est nul et de nullité absolue, ne s’appliquera aux candidats que la loi fondamentale de 1990. Donc Lansana Conté ne sera pas candidat parce que s’il est candidat, la Guinée ne sera plus la République issue du vote du 28 septembre 1958. Nous lui dénions le droit de se présenter aux élections, parce qu’il est tenu de respecter l’ordre national guinéen. LA NOUVELLE TRIBUNE : Pour revenir à la Cour suprême, comment expliquez-vous le rejet de la requête de l’UPR ? JEAN-MARIE DORÉ : Au sortir de ces élections, la plus urgente des nécessités, c’est de refaire l’unité de l’opposition, pour qu’on trouve une base commune minimale d’action, afin de réaliser la nécessaire et obligatoire alternance. Dès lors, il faut éviter tout ce qui peut nous éloigner les uns des autres. Toutefois, nous avons un devoir de vérité 339

envers nos militants. J’ai lu la requête de l’UPR, elle était vraiment bien articulée, elle aurait encore réduit la Cour Suprême à s’agenouiller davantage dans la lecture de son arrêt de courtisan, pour plaire au président de la République. L’UFR est un parti où il y a beaucoup de cadres compétents, et je ne crois pas que ce soit un oubli. Je refuse d’admettre que les cadres de l’UFR ne savaient pas que cinq jours francs, la limite extrême, c’était le 15 juillet à minuit. Et que déposée après minuit, la requête était nulle de plein droit, et si elle était nulle de plein droit, la Cour suprême se dispensait d’avoir même à exposer l’argumentation. Donc, je prends acte de ça, et je ne dis rien dans l’intérêt de l’unité de l’opposition. LA NOUVELLE TRIBUNE : Et le droit de vérité envers vos militants ? JEAN-MARIE DORÉ : Le droit de vérité à nos militants est qu’il n’est pas normal que l’UFR, avec la qualité et le nombre de ses cadres, se soit trompée pour déposer sa requête le 16 juillet, et non le 15 ; je ne l’accepte pas. LA NOUVELLE TRIBUNE : Aujourd’hui, vous avez décidé de vous battre pour reconstruire l’opposition. Mais votre allié des législatives du 30 juin, Siradiou Diallo, par des sorties médiatiques, semble s’éloigner davantage et prendre ses distances vis-à-vis des leaders du FRAD. Comment comptez-vous concilier tout ce magma ? JEAN-MARIE DORÉ : Je suis, comme Siradiou Diallo, Alpha Condé, Sidya Touré ou le doyen Bâ Mamadou, libre de mes actes, et je n’en réponds que devant mes militants, et dans l’intérêt de l’unité de l’opposition, devant les militants de l’opposition. Donc s’il s’éloigne, il prend ses responsabilités devant l’histoire. Ce n’est pas à moi de le juger. Aujourd’hui, je dois éviter, de façon rituelle, de dire ou de poser des actes qui fragilisent l’unité de l’opposition. Le FRAD a raison dans son argumentaire ; ceux qui ont été aux élections ont eux aussi leurs raisons. Parce que si les États-Unis condamnent sévèrement le processus électoral et la façon dont il a été mené, c’est parce que nous avons été aux élections. Donc, nous avons rendu un éminent service à la lutte pour l’alternance. Mais pour les partis qui n’ont pas été comme l’UFR, le RPG et la fraction de l’UPR, qui se reconnaît en Bâ Mamadou aujourd’hui, leur appel de boycott est venu renforcer la lassitude de la population devant la série de violations de la loi et des vols des résultats des élections. Et tout cela doit s’additionner au lieu de se soustraire, pour mobiliser les militants autour du seul mot d’ordre qui vaille la peine 340

d’être soutenu. C’est-à-dire mettre fin à ce régime antinational qui fait la négation du droit de notre peuple à se libérer de l’obscurantisme, de mauvaises conditions de vie, de l’habitat médiocre, de l’alimentation insuffisante et parfois manquante. Pendant que la Guinée d’aujourd’hui, avec son potentiel forestier, agricole, minier, végète dans la misère, le gouvernement cultive le culte de l’enrichissement illicite et vulgaire. Tout cela interpelle notre conscience et nous impose de dresser les forces qui veulent le changement en vue de mettre fin à ce régime de malheur national. LA NOUVELLE TRIBUNE : Mais une fois encore, comment allezvous faire pour rapprocher les positions qui deviennent de plus en plus antagonistes entre leaders de l’opposition ? JEAN-MARIE DORÉ : J’ai fait une lecture des interviews du leader de l’UPR dans « L’œil du Peuple » et dans « L’Enquêteur ». Quand monsieur Siradiou fait une interview, certes il parle au nom de l’UPR, mais il ne traduit pas une décision officielle de l’UPR. Connaissant monsieur Siradiou qui est un ami depuis 1969 – je connais Bâ Ousmane, tout comme Habib Diallo, Yaya Kéita et le président d’honneur du parti – je ne crois pas que l’UPR se soit engagée à s’éloigner de l’opposition. Parce que l’UPR, aujourd’hui, plus que tout autre parti, veut l’alternance. Je me permets de le dire catégoriquement, je crois qu’on ne peut pas accuser l’UPR en tant que parti politique d’être pour le maintien de ce carcan de régime sans intelligence, qui ne peut évoluer que dans l’obscurité et le mépris de la volonté des citoyens, de nos coutumes, de nos traditions, de notre fierté nationale, de notre volonté d’offrir à notre peuple le progrès. C’est-à-dire un niveau de vie décent par la maîtrise de l’énergie, une alimentation décente, un habitat décent et des moyens de communication dignes. La Guinée est le seul pays de l’Afrique de l’Ouest dont la capitale n’a pas de politique de transport. Tout ce qui a été fait ici par les Européens a été cassé, la Sogetrag en est un triste exemple. Ce régime n’a plus rien à offrir, la seule porte de sortie qu’il lui reste c’est de partir et de laisser à la Guinée le soin de se trouver un fils que tout le monde va aider pour faire la compétition avec les autres pays. Regardez le Mali, j’ai écouté le nouveau président Amadou Toumani Touré, le dimanche 28 juillet, lors du deuxième tour des législatives, regrettant amèrement que la population ne soit pas sortie pour voter et demandant à la classe politique de trouver la solution au problème du désintéressement de la population à la chose électorale, au Mali, alors que tout le monde sait que la moyenne nationale de la 341

participation se situe au-dessous des 30 %. Ce gouvernement fait des contorsions d’un obèse qui veut rentrer dans la culotte d’un enfant de cinq ans, pour dire qu’il y a 72 %. La Cour suprême, le président de la République plus le ministère de l’Administration du territoire donnent l’image réfractée et négative des Guinéens. LA NOUVELLE TRIBUNE : Monsieur Doré, il se trouve que votre requête a aussi visé les résultats de l’UPR… JEAN-MARIE DORÉ : Pas directement. Mais je constate, selon les résultats sortis des urnes et confirmés par les procès-verbaux, qu’à N’Zérékoré l’UPR a eu 2 063 voix, et que le ministère de l’Administration lui a donné 9 000 voix ; 800 à Yomou et qu’on a diffusé 3 000 voix, à Guéckédou 1 411 et on lui a donné 28 000 voix, 4 770 à Kissidougou contre 18 000 voix. Parce qu’après avoir pris les voix de l’UPR au Fouta pour qu’elle n’ait pas de députés uninominaux dans son bastion, il fallait lui donner des compensations ailleurs. C’est pourquoi on a pris nos voix en forêt et nos sièges, pour que l’UPR s’en sorte avec dix-huit députés plus deux. Sinon, après les décomptes officiels et ses vols, l’UPG était à quatorze députés, et l’UPR à six députés. D’une manière ou d’une autre, notre problème ne change pas. Ce gouvernement s’est rendu coupable de manifestations honteuses. Comme une sorte de maladie vénérienne qu’on a oublié de soigner, et qui va procréer des enfants difformes, des enfants mongoloïdes. Ce gouvernement ne peut plus rien donner d’autre que des enfants mal formés, et c’est pourquoi, pour que notre pays ne soit pas habité par des mongoloïdes, il faut que ce gouvernement parte.

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XLV. « J’accuse Bâ Mamadou… » Par A. Condé et N. M. Camara pour « La Nouvelle Tribune » du 14 mars 2000

Face à la situation politique peu reluisante de la Guinée et les précédents débats houleux à l’Assemblée sur l’extension du mandat présidentiel, le dossier Alpha Condé et autres prises de position non moins importantes de certains leaders en Guinée comme à l’extérieur, « La Nouvelle Tribune » a rencontré le député, l’honorable Jean-Marie Doré, qui n’a pas lésiné sur les mots pour décrire les réalités politiques actuelles du pays. Sûrement que chaque homme politique guinéen y trouvera son compte, et aura à redire. Le débat ne fait que commencer. LA NOUVELLE TRIBUNE : L’Assemblée nationale vient de boucler une session extraordinaire au cours de laquelle certaines propositions et certains projets de loi ont été discutés et d’autres rejetés. Sur l’ensemble du déroulement des travaux, quels sont vos sentiments ? JEAN-MARIE DORÉ : Je suis satisfait dans la mesure où les débats ont montré une prise de conscience en profondeur des cent quatorze députés par rapport aux enjeux de notre société. Si ces projets et propositions que nous venons de discuter avaient été soumis en 1996 ou même en 1997, on les aurait votés dans le désordre, sans se préoccuper de leur impact sur la vie nationale, sur les intérêts des jeunes, des femmes 343

et des régions. Mais aujourd’hui, le débat a porté sur le fond. Ce n’est pas parce que la proposition de loi sur le mandat présidentiel était bonne ou mauvaise que les gens l’ont rejetée. C’est parce qu’ils ont étudié le projet par rapport aux enjeux du processus démocratique. Est-ce qu’il est souhaitable, dans un pays en devenir, qu’un président élu reste longtemps en fonction ou alors il faut que le terme soit moins loin, pour que périodiquement, on se réfère au souverain, c’est-à-dire au peuple ? Si le président est bon, on le reconduit. S’il n’est pas bon, on ne l’impose pas indéfiniment à la population. Ce n’est pas l’analyse des volets qui est le plus important. Mais c’est un sentiment profond qui a guidé les parlementaires. Prenons, par exemple, le mandat sur l’élection des conseils de quartier ou des présidents de quartiers ou de districts. Cela arrangeait le PUP, immédiatement, que l’on vote cette proposition de loi déposée par mon frère et ami Gnouma Fènello Millimouno, député uninominal de Guéckédou. Mais le problème n’était pas pour certains députés du PUP de savoir si ça arrangeait leur parti immédiatement. C’est parce qu’ils l’ont analysé par rapport à la catégorie des fonctionnaires chargés de promouvoir ces dispositions, c’est-à-dire les préfets. Tout le monde s’est rangé à l’avis selon lequel les préfets actuels n’ont aucun repère par rapport à la Constitution, aux lois administratives, à l’économie, à la sociologie. Donc, si on leur livrait de gérer la nomination de présidents des conseils de quartiers ou de présidents de districts, on ferait le plus grand mal au pays. Voilà la raison pour laquelle les députés, dans leur immense majorité, n’ont pas rejeté les propositions de loi, mais ont estimé qu’elles étaient prématurées par rapport à la compétence des gens chargés de l’appliquer dans ces dispositions essentielles. LA NOUVELLE TRIBUNE : À propos de l’extension du mandat présidentiel, le député Ahmed Tidiane Cissé disait dans une de ses interviews, que vous étiez favorable et d’ailleurs prêt à voter cette proposition. Qu’en est-il exactement ? JEAN-MARIE DORÉ : Monsieur Cissé est un citoyen, un député, il est libre de faire un commentaire. Je suis député appartenant à un parti qui détermine les questions fondamentales de mon attitude à l’Assemblée. La seule attitude de l’UPG est que le mandat de cinq ans renouvelable une fois est une bonne chose. Mais si le débat national montrait que certaines garanties peuvent être prises pour relever la dérive, nous sommes prêts à enlever le plafond de soixante-dix ans parce que c’est antidémocratique, étant donné que certains individus sont papa à quarante ans et d’autres à quatre-vingts, encore lucides aussi bien dans la ville que dans le village. Mais pour le mandat, si les débats montraient 344

qu’il y avait des garanties, nous étions prêts à porter sa durée de cinq à sept ans, mais renouvelable une seule et unique fois. C’est ce qu’on a dit ici à notre siège. Maintenant, si monsieur Ahmed Tidiane Cissé souhaite que je vote le mandat, ça, c’est une autre chose. Mais cette proposition de mon parti telle que je l’ai exprimée il y a un mois, et confiée à un journaliste, il y a quinze jours, part d’une analyse en profondeur. Maintenant il n’est pas exclu que ce que je dis au promoteur de la loi, aux autres députés et je l’ai dit aussi à Siradiou Diallo, si nous étions dans une période de prospérité économique, de stabilité sociale induite par la prospérité économique, réellement, le débat n’aurait pas été aussi important. La population ne serait pas concernée par ces votes, mais aujourd’hui avec ses difficultés de tous les jours, elle aurait le sentiment qu’on veut provoquer sa colère en lui imposant une présidence à vie. Voilà ce que la population aurait compris parce qu’elle conjuguait l’adoption de cette loi avec ses problèmes au quotidien et elle ne l’accepterait pas. Donc un mandat du peuple est obligé de tenir compte de ce qui préoccupe en profondeur la population et qui sous-tend son action par rapport aux élus. LA NOUVELLE TRIBUNE : Vous êtes un centriste dans la vie politique guinéenne. Vous avez des contacts tant avec l’opposition qu’avec la mouvance présidentielle. Est-ce que, du côté de cette dernière, vous avez eu quelques échos en ce qui concerne l’attitude du chef de l’État lui-même, par rapport à cette proposition d’extension du mandat ? JEAN-MARIE DORÉ : J’ai rencontré le président de la République à propos de cette loi. Il faut vous dire qu’il n’y a pas de mystère. J’ai affirmé ma position d’opposant au président de la République et je lui ai dit ma préoccupation devant les gens, tel que je viens de vous l’expliquer ; c’est aussi clair que ça. Et je pense qu’il serait souhaitable que le Président, périodiquement, reçoive aussi les autres courants politiques de notre pays. Parce que, que vous soyez opposant radical, du centre ou de la mouvance présidentielle, avec toutes ces nuances, c’est par rapport au président de la République que nous nous déterminons. Et la bonne administration de la démocratie imposerait que le chef de l’État reçoive tous les leaders politiques. L’administration imposerait également que ceux-ci acceptent de rencontrer le Président d’une manière sérieuse. On réglerait un tas de problèmes : voyez par exemple, je suis en désaccord avec certaines prises de position qui sont objectivement contre monsieur Alpha Condé. Si l’opposition avait compris qu’au lieu d’aller faire de la vocalise dans les rues, on demande 345

respectueusement rendez-vous au président de la République pour que chacun pose les contours de ses préoccupations, je ne dis pas qu’on aurait sorti monsieur Alpha Condé de la prison, je ne veux pas anticiper, mais ce problème se poserait en des termes différents de ceux d’aujourd’hui. Mais, il faut faire très attention, il y a des années, l’opposition passait le plus clair de son temps à piéger ses leaders. Dès que vous avez un petit problème, on cherche en réalité à vous pousser vers le précipice par des prises de position disproportionnées, parfois opposées à votre intérêt fondamental. Si quelqu’un allait aujourd’hui à sa prison civile, pour demander à Alpha Condé ce qu’il aimerait faire, il va dire « mon cher ami, j’aimerais prendre mes bagages et te suivre ». Tout prisonnier veut sortir de la prison. Personne ne peut dire que monsieur Alpha Condé est heureux d’être en prison. À moins qu’il soit fou ! Donc, son intérêt serait que l’attitude de l’opposition contribue à cette sortie et non pas à agresser inutilement. Parce que certains propos injurieux à l’endroit du chef de l’État servent à quoi ? À raidir son attitude vis-à-vis du problème. C’est pourquoi j’accuse nommément certains leaders de l’opposition de vouloir rechercher, sur les décombres du RPG, leur propre promotion politique. Je dis ça à monsieur Bâ Mamadou qui s’est mis à radoter. Il ne s’agit pas de radoter ; rappelez-vous, quand monsieur Bâ Mamadou est revenu de France en 1997, il a dit que lui, Alpha Condé et Siradiou s’étaient rencontrés et qu’ils allaient chasser Conté et que dans quinze jours Lansana Conté allait prendre la fuite. Est-ce que quand il est venu ici, il a engagé une action visant à faire partir Lansana Conté ? Monsieur Alpha Condé est resté en France. Et quand il est rentré, on a pensé que c’était lui le maître d’œuvre. Il ne faut pas que Bâ Mamadou, par des propos inconsidérés, m’emmène à dire des choses qui vont affaiblir l’opposition. Je l’accuse, pour ses propos inconséquents, de nuire à la liberté de celui qui a cru en lui. Il dit que moi, je vais dans les allées du pouvoir. Mais moi, j’ai rencontré le Président publiquement. Je ne suis pas comme lui qui s’est caché des états généraux, pour aller clandestinement négocier avec monsieur Biro et qui a aussi laissé les autres sur le champ de bataille pour s’aligner au PUP par écrit et monsieur Bâ a abandonné, en pleine campagne, le PUP pour aller de nouveau s’aligner derrière l’opposition, sans rompre officiellement l’accord qu’il avait signé. Il est aujourd’hui l’allié du PUP ; il a signé un accord tambour battant avec le PRP pour faire l’UPR et c’est le même Bâ Mamadou qui dit aujourd’hui que les militants viennent de lui demander de ne pas prendre sa retraite. À quelle occasion les militants lui ont-ils dit cela ? Bâ Mamadou est un homme cyclothymique. 346

LA NOUVELLE TRIBUNE : Pour rester dans le même débat, qu’est-ce que cela présage dans l’avenir politique de l’UPR ? JEAN-MARIE DORÉ : Dans l’avenir politique de l’UPR, cela veut dire que Bâ Mamadou n’est pas d’accord avec l’UPR. Ce qui veut dire qu’il n’accepte pas la présidence de Siradiou Diallo, la vice-présidence de Bah Ousmane et qu’il veut récupérer l’UNR, pour abandonner ses partenaires devant les difficultés induites par ses propos délibérément inconscients et inconséquents. Je sais, c’est un homme qui n’est pas crédible. Je crois que Bâ n’assume pas son âge. Et il est beaucoup plus en décrépitude intellectuelle que ne le laisse présager, n’est-ce pas, la marche de son âge ? C’est pourquoi moi je pense que l’opposition, la classe politique guinéenne y compris le PUP, nous devons réfléchir aux véritables intérêts de notre pays. Que ceux qui restent dans l’opposition ou dans la mouvance présidentielle aient seulement en esprit que la Guinée fait partie d’une compétition sous-régionale et régionale, et que chacun de nous doive apporter une contribution responsable pour que le pays puisse occuper son véritable rang. Mais que ce ne soient pas des paroles en désordre. Aller raconter des histoires, raconter à tort ou à raison : « Demain on va faire un coup d’État. Je suis le Kabila. » Est-ce que vous croyez que Kabila est une référence ? Kabila a démontré la débilité de toutes ses prises de position, aussi bien verbales que son action sur le terrain. Donc ici, je ne souhaite pas que le Kabila qui doit sortir en Guinée ressemble à Bâ Mamadou ! LA NOUVELLE TRIBUNE : Au moment où vous débattiez des propositions et projets de loi à l’Assemblée, du côté de la présidence, Mamadouba Diabaté engageait un autre débat. Celui de la formation militaire comme critère d’éligibilité à la présidence de la République. Que pensez-vous de cela ? JEAN-MARIE DORÉ : Ça, c’est des paroles pour rien. Supposons qu’on veuille imposer le service militaire obligatoire dont la conséquence immédiate serait de l’exiger à toute personne qui aspire à une fonction publique. Croyez-vous que les capacités financières et même les infrastructures de la Guinée permettent d’aborder les jeunes de dix-huit ans pour faire l’armée ? Non. Donc si le gouvernement ne peut pas me permettre de faire le service militaire, pourquoi on m’imposerait de présenter les papiers de l’armée ? Donc ici, c’est une parole comme une autre. C’est pour faire plaisir à un vieux général. Pour moi, cela n’a aucune espèce d’importance. Je ne vois pas ce que le service apporte au débat politique et économique. Cela veut dire qu’on va se passer de la 347

compétence des gens qui ont la solution au problème de la nation. Actuellement, vous les journalistes, faites attention ! Ne tenez pas compte de n’importe quoi. Analysez par rapport à l’intérêt fondamental de la Guinée. D’où que vienne la proposition, soit de l’UPR, de l’UPG ou du PUP… Vous êtes obligés d’en tenir compte, si cette proposition est porteuse de solutions à nos problèmes ; ce n’est pas l’auteur qu’il faut voir, mais c’est plutôt le contenu du message qui est le plus important. LA NOUVELLE TRIBUNE : Par rapport à la démission du directeur de l’OLA RTG, Yacine Diallo, quelle est votre opinion làdessus ? JEAN-MARIE DORÉ : J’ai déjà donné mon opinion. Monsieur Yacine n’est pas de mes amis, donc je ne cherche pas à lui en mettre un peu plus dans l’assiette. Mais je dis par rapport au phénomène politique guinéen, à l’attitude du Guinéen vis-à-vis de son intérêt, monsieur Yacine était dans une position où il avait beaucoup d’intérêts liés à sa fonction. Le fait de démissionner et de rester en Guinée est un acte de courage. Parce qu’un précédent Guinéen, Diallo lui aussi, avait démissionné. Mais il avait préalablement fui la Guinée puis s’était assis loin, à sept heures de vol d’avion de Conakry, et il avait raconté tout ce qu’il pensait sur le président Lansana Conté. Monsieur Boubacar Yacine était intimement lié au président Conté et s’était engagé à fond pour la défense et la promotion de son image, pour argumenter contre les adversaires et ennemis de Lansana Conté. Puis, on nomme un nouveau ministre après avoir fait partir un vieux ministre, un peu sénile sur les bords. Yacine s’attendait à ce que ce soit lui. Et on prend quelqu’un de si loin, la Chine, alors monsieur Boubacar Yacine a pensé qu’on était injuste vis-à-vis de lui. Et il est parti. Je crois que c’est quelque chose qu’il faut lever. Quelles que soient maintenant ses motivations profondes, apparemment il est parti par ressentiment. Il se pourrait aussi que son départ procède de certains calculs. Mais je ne peux pas anticiper sur la nature de ses calculs pour l’accabler. LA NOUVELLE TRIBUNE : Quelles sont actuellement les grandes activités de l’UPG, votre parti ? JEAN-MARIE DORÉ : Nous sommes en train méthodiquement de préparer les élections, mobiliser la base. C’est un travail qui ne se fait pas avec tambour. On le fait à Conakry et à l’intérieur du pays. Notre dernière manifestation s’est déroulée le samedi 4 mars 2000 à Koloma. Nous y avons rencontré les femmes à la base dans le cadre des préparatifs. Nous le faisons tous les jours de la semaine. 348

LA NOUVELLE TRIBUNE : Il se pourrait que les législatives et les communales, comme en 95 d’ailleurs, soient couplées. Est-ce que l’UPG, dans ce cadre, est en mesure de couvrir tout le pays ? JEAN-MARIE DORÉ : Partout où nous pensons que nous devons faire le plein de nos voix, nous allons être présents. Vous savez qu’au cours des élections législatives, on peut ne pas faire la campagne comme pour la présidentielle où on vote pour un seul homme. Ici on vote pour plusieurs hommes. On vote pour le secrétaire général et pour les cadres. Donc vous êtes obligé de tenir compte des lieux d’implication de ceux qui font la promotion des cadres et aller vers eux. Donc, d’après ce que nous sommes en train de faire, nous venons à l’approche des élections, telle est la carte et la durée de nos séjours dans les différentes préfectures de la Guinée. LA NOUVELLE TRIBUNE : Par rapport à 1995, quelle sera la nouveauté en l’an 2000 ? JEAN-MARIE DORÉ : L’UPG aborde les élections pour avoir un grand groupe parlementaire à l’Assemblée. Et nous allons faire tout ce qui est possible pour que nous parvenions à cette fin. À cet effet, notre cadre électoral sera Conakry, le Fouta, la haute Guinée, la forêt et certaines préfectures de la basse Guinée. LA NOUVELLE TRIBUNE : Vous êtes centriste, avec qui comptez-vous faire alliance cette année ? JEAN-MARIE DORÉ : L’alliance sera dictée sur le terrain. Le RPG est une force, l’UPR est une force, le PUP est également une force. Tous ces partis sont animés par des Guinéens. Alors par respect pour les Guinéens, nous verrons sur le terrain quel type d’alliance tactique ou stratégique conclure avec les uns et les autres. Mais nous irons tout seuls aux élections, de manière précise, et éventuellement nous conclurons une alliance.

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XLVI. « Tous les forestiers exigent le départ de l’Ulimo » Par A. Condé, M. Sacko et I. Marco pour « La Nouvelle Tribune » du 28 novembre 2000

Dans cette interview, le leader de l’UPG parle de l’unanimité forestière contre l’Ulimo, explique les dangers de ce mouvement résiduel. Jean-Marie Doré regrette les hésitations et les retournements de certains hauts cadres de la forêt. Jean-Marie Doré donne aussi les raisons de son attitude dans l’« affaire Alpha Condé ». LA NOUVELLE TRIBUNE : Monsieur Doré, le 19 novembre 2000, la Coordination des jeunes et les ressortissants de la forêt se sont réunis à Cosa pour dénoncer la présence de l’Ulimo en forêt. C’est un sujet sur lequel vous êtes souvent intervenu, pour demander au gouvernement de prendre les mesures qui s’imposent. Le mardi 21 novembre, nous avons entendu des répliques venant de la forêt. Où se situe la vérité dans tout cela ? JEAN-MARIE DORÉ : La vérité est sur le terrain, le gouvernement guinéen n’a pas su gérer son implication dans la guerre du Liberia. Il a encore moins bien géré la fin de la guerre du Liberia. Après la guerre, le gouvernement a cru devoir déposer les fugitifs de l’Ulimo à Macenta. C’est très dangereux. Parce que, quand on parle de la sous-région, pour la Guinée, c’est la Guinée-Bissau, le Sénégal, la Sierra Leone, le Mali et la Côte d’Ivoire. Vous ne pouvez pas échapper au destin de la Guinée qui veut s’intégrer dans un ensemble plus large. Je crois que l’avis du ministre des Finances sur l’implication de la Guinée dans les derniers événements pourrait déjà coûter plus de 25 millions de dollars US. Estce que vous pensez que cela soit raisonnable que la Guinée dépense cette somme pour une guerre qu’elle aurait pu éviter il y a sept ans ? Je dis que ce n’est pas raisonnable, étant donné la nature, l’importance des conséquences dramatiques dans notre vie nationale. Ils n’ont pas le droit 351

de dépenser de telles sommes alors qu’on a des difficultés énormes dans la construction et le développement national. Voilà pourquoi j’ai regretté et j’ai usé du geste et de la parole pour attirer l’attention du gouvernement sur le danger grave qui menaçait notre avenir. Il est évident que Charles Taylor ne peut pas entreprendre une guerre contre la Guinée et la gagner, de la même manière la Guinée ne peut pas gagner une guerre contre Taylor. Donc, tous les efforts qu’ils vont faire de part et d’autre sont des efforts pour rien. Pour notre génération, ce n’est pas bien. C’est pourquoi, j’ai pensé que rien que pour ça, il fallait éradiquer l’Ulimo. LA NOUVELLE TRIBUNE : Comment éradiquer l’Ulimo selon vous ? JEAN-MARIE DORÉ : Écoutez ! L’affaire est d’une banalité extrême, on veut en faire une question d’honneur pour Lansana Conté. Mais nous savons où se trouve l’honneur de notre nation. C’est d’abord son état de développement, qu’il n’y ait pas de mendiants en Guinée. Qu’une nation proclame son honneur tous les jours si ses habitants vivent dans la misère. Cette nation n’a pas d’honneur. Nous sommes tous nés de bonne famille. Ce n’est pas à cause de la politique que nous allons apprendre à être des hommes d’honneur. Donc, le gouvernement a refusé de s’exécuter. C’est vrai que sous notre pression, le gouvernement a fait partir El hadj Kromah, mais ses hommes sont restés en Guinée. C’était un mal parce que ses hommes sont restés dans une zone dangereuse. Vous savez qu’il y a un problème d’intégration entre les autochtones de la forêt et le Manding (Konianké et Malinké) entre lesquels personnellement, je ne trouve pas de différence. Je crois que, compte tenu des affrontements qu’il y a eus entre ces deux entités en 1991, le gouvernement devrait mettre une politique d’éradication des causes d’opposition pour des populations qui sont condamnées à vivre ensemble. Parce que les Malinkés qui sont en forêt sont des forestiers à cent pour cent. Ce volet devrait être inscrit aux priorités du gouvernement. Mais, en plus de la présence de l’Ulimo bien revendiquée par un des éléments et combattue par un autre, je pense que cela aurait pu pousser le gouvernement à ne pas admettre même l’ombre de l’Ulimo en forêt. C’est ce que j’ai dénoncé, pour des raisons énormes, ce n’est pas une affaire de politique politicienne, parce qu’on ne peut pas construire la Guinée en permettant aux non-Guinéens de vivre dans un affrontement avec les autochtones. Le Liberia est entré dans une action illégale, à savoir se faire justice en envoyant des commandos pour détruire les caches secrètes de l’Ulimo sur notre territoire. C’est une illégalité qui équivaut à une autre. Et c’est ce que le gouvernement ne veut pas 352

entendre. On dit non, puisque le président Conté dit à la communauté internationale que l’Ulimo n’existe pas. Comment voulez-vous que l’Ulimo n’existe pas, alors qu’il y a un Toma ou un Guerzé, dont le père ou la mère a été tué par un élément de l’Ulimo ? LA NOUVELLE TRIBUNE : Puisque vous aviez rencontré le chef de l’État, est-ce que vous n’envisagez pas à nouveau de le rencontrer pour lui expliquer comment se présente la situation ? JEAN-MARIE DORÉ : Je voudrais rencontrer à tout moment le président de la République pour lui faire part de mes propositions de solution. Quelle que soit l’importance métaphysique pour certains, il faut que l’Ulimo quitte la forêt. Je voudrais le dire au Président, parce que je combats cet aspect de sa politique, bien que j’en aie soutenu d’autres au grand dam de beaucoup de partis politiques. Si vous partez sur le terrain à Macenta, cela vous permettra de faire des reportages qui feront taire tout le monde. L’Ulimo est bien à Macenta. J’ai tenu une conférence à l’issue de laquelle j’ai proposé au gouvernement de faire partir l’Ulimo en douceur, mais les tueries ont continué. C’est pourquoi tous les jeunes de la forêt, toutes catégories confondues de tous les bords politiques, PUP, UFR, RPG et UPG, se sont réunis avec les sages et la Coordination de la forêt qui étaient d’accord avec les jeunes gens. Mais c’est quand le gouvernement s’est mis à désapprouver le principe de la réunion que les cadres se sont retirés sur la pointe des pieds en dégageant leur responsabilité. Sinon, tous les forestiers, députés, ministres, préfets, sous-préfets sans exception, sont totalement d’accord sur la revendication. LA NOUVELLE TRIBUNE : Comment expliquez-vous alors les démentis ? JEAN-MARIE DORÉ : C’est de la lâcheté, parce qu’ils ont des postes de responsabilité qu’ils ne veulent pas perdre. Sinon, ils parlent tous le même langage. Maintenant que l’affaire est devenue une affaire d’État, on dit que c’est monsieur Doré qui est en train de manipuler les jeunes. C’est un honneur pour moi que ces ministres, qui disent à Conté qu’ils contrôlent la forêt et que le PUP est majoritaire là-bas, disent aujourd’hui comment le PUP peut être majoritaire en forêt et que ces ministres, députés, toute cette hiérarchie de menteurs ne soient pas capables de canaliser. On me dit : « Messieurs Lansana et Lasso sont avec Manou Cissé en forêt. » Dans un pays normal, cela ne devrait pas se faire. Les jeunes ont donc décidé de marcher, ils font les mêmes dénonciations que moi. On peut mépriser les forestiers, mais on ne peut 353

pas dire qu’ils ne ressentent pas les douleurs. Pour démentir les jeunes, le ministre de l’Administration du territoire rédige des communiqués ici, qu’il envoie au gouverneur de N’Zérékoré. Depuis lundi 20 novembre 2000, ils travaillent sur le projet, mais ils n’ont réuni personne, ils ont donc fait venir des fonctionnaires, les classiques chefs religieux en nombre très limité. Puis ils ont appelé un type de la radio rurale, pour lui dire de lire le communiqué, pour dire que la forêt « dit non ». Ce n’est pas comme ça qu’on va résoudre le problème. Cela prouve encore une fois le drame que vit la Guinée. Dès qu’un problème se pose, on ferme les yeux et on dit que le problème n’existe pas. Ce qui se passe aujourd’hui avec les jeunes gens, c’est l’expression de la totalité des cadres forestiers. Surtout ceux qui sont avec le pouvoir parce qu’ils sont méprisés. Ils n’ont pas d’autres possibilités de s’exprimer, parce qu’ils ont en eux quelque chose qui les tire vers le bas. Alors, quand les jeunes s’expriment comme ça, ils sont très contents. Mais ils n’osent pas exprimer la totalité de leur personnalité. Vous rappelez-vous du procès d’Alpha Condé, Lasso qu’on a interrogé à l’occasion, a dit qu’on l’a recruté au Liberia. Doukouré a été recruté à N’Zérékoré, Lasso a été recruté à N’Zérékoré, mais où se trouve alors l’Ulimo ? Je vous dis que Lansana Conté n’a pas que des mauvaises initiatives. C’est l’exploitation des initiatives qui pose problème. LA NOUVELLE TRIBUNE : Est-ce que l’Ulimo est aussi organisée en forêt, comme les jeunes ont voulu le faire croire ici ? JEAN-MARIE DORÉ : L’Ulimo est parfaitement en forêt. Je condamne le fait que Taylor envoie des commandos. J’ai envoyé des gens à Koyama et dans les autres coins, dénoncés par les jeunes qui ont vérifié la réalité des faits. Je suis un homme responsable. Tout ce qui se passe là-bas, je le sais… Au lieu de dire au président Lansana Conté ce qui se passe pour qu’ils prennent des mesures qui s’imposent, ils ne le font pas. Cette guerre a déjà coûté beaucoup. LA NOUVELLE TRIBUNE : À part vous qui avez dénoncé la présence de l’Ulimo en forêt, pourquoi les jeunes ont-ils attendu ces périodes d’attaques pour dire que cette faction est en forêt ? JEAN-MARIE DORÉ : Je ne sais pas pourquoi ils ont attendu, mais il y a des choses qui se passent en forêt qu’aucun journal n’a rapportées. Les attaques de l’Ulimo sur les populations locales, les différents déplacements de celles-ci, permettent à l’Ulimo de moissonner leurs champs. Cette dévastation des cultures a créé une nouvelle situation en forêt. 354

LA NOUVELLE TRIBUNE : Quels sont vos rapports avec ces jeunes-là ? JEAN-MARIE DORÉ : Mon rapport avec eux est celui de tous les forestiers. Parce que ce sont des jeunes forestiers, je suis forestier. Donc, je ne peux pas dire que je n’ai pas de rapports avec eux. Ils dénoncent une situation que j’ai commencé à dénoncer depuis 1993. Dans une longue interview parue cette semaine dans « Jeune Afrique », le président Taylor revient longuement sur la question. Les gens ont dit que j’ai été plusieurs fois au Liberia, mais je suis parti dans le cadre d’une mission officielle. Je suis allé demander à Charles Taylor de voir la réalité en face, c’était devant les députés du PUP, du RPG. Je lui ai dit : « Voilà mon ami, tu es élu, tu es au milieu de ton mandat, tu n’as pas encore construit une maison que tu as promise à la population. Il n’y a pas de courant électrique ici, tu n’as aucun intérêt à faire la guerre avec la Guinée. Tu n’as aucun intérêt à créer une situation ici, qui provoquerait la colère de la Guinée. Parce que toi, tu dois raisonner en termes d’entrée et Lansana Conté est en train de raisonner en termes de bilan puisqu’il est sur la sortie. Et ensuite, il faut que tu ailles à Conakry dans l’initiative de te réconcilier avec Lansana Conté, parce que d’une part, Conté est plus âgé que toi et nous sommes en Afrique, c’est donc ton aîné, et il est plus ancien que toi dans la fonction. » Taylor avait accepté le principe de venir ici. Le président de l’Assemblée du Mali, monsieur Nouhou Diallo et beaucoup d’autres parlementaires se sont impliqués pour organiser la rencontre. Si les chefs d’État sont venus ici au mois de mai avec le président Konaré et le représentant de l’ONU, c’est l’aboutissement de ces démarches que nous avions faites. Malheureusement, ce n’est pas nous qui décidons de signer la paix… Moi, en tant que forestier, que ce soit le Liberia qui tire le canon, que ce soit la Guinée, c’est d’abord des forestiers qui meurent le long de la frontière. Est-ce que vous ne pensez pas que je dois être plus soucieux de la paix que d’autres ? Mais la paix ne peut être effective que lorsqu’il y a la justice. Je crois que c’est stupide de me menacer, c’est le gouvernement qui a prêté serment de protéger tous les Guinéens, il doit poser des actes qui conduisent à la paix. Considérer les revendications de ces jeunes en soi, vérifier la part de vérité et la part d’exagération, et quelle est la solution disponible à court terme ; c’est comme ça. Mais ce gouvernement nous a habitués à aller à contresens de ses obligations. LA NOUVELLE TRIBUNE : Est-ce que le président libérien et le président du RPG se connaissent ? 355

JEAN-MARIE DORÉ : Je ne peux pas répondre à cette question, parce que chacun a ses relations. J’en ai qui me sont propres. Siradiou Diallo a ses relations, Alpha Condé aussi a les siennes. Je ne peux pas vous dire, si un jour, ils se sont rencontrés ou pas. Si vous avez remarqué, pendant le procès je n’ai rien dit, parce que je n’aime pas qu’on se moque de moi. Alpha entretenait des rapports de leader avec moi. Cela impose des devoirs. J’apprends de source sûre que monsieur Alpha Condé risque d’avoir des problèmes s’il rentre en Guinée. J’ai informé les responsables du RPG, notamment Doubassi, qui était le rédacteur en chef du « Patriote ». Je lui ai dit de téléphoner à Alpha pour lui dire ceci et cela. Doubassi, après deux jours, est venu me dire « tu sais, si je dis ça à Alpha, il va croire que je suis complice ». J’étais un peu embarrassé. J’ai fait venir monsieur Mohamed Diané du RPG pour lui expliquer de tout faire afin qu’Alpha ne rentre pas pour les élections. J’ai dit que c’était extrêmement grave, parce que l’information que j’ai est contrôlée. Je ne sais pas ce qu’il a fait après. Toujours est-il qu’après notre réunion à Dixinn, le RPG a envoyé une délégation pour alliance. Aussitôt après, Alpha m’a appelé pour me demander de le rejoindre à Paris, pour poser les jalons de l’alliance. Je lui ai dit que je ne pouvais pas venir à Paris, mais on est convenus de nous rencontrer à Abidjan. Une fois à Abidjan, je l’ai appelé, il m’a dit de voir, avant son arrivée, El hadj Mory Kaba et Famani Condé, pour baliser le cadre de la rencontre. J’ai dit à ces deux derniers que c’est simple : ni Alpha, ni moi ne serons présidents, donc j’ai démontré à El hadj Kaba et Famani Condé combien la situation était grave. Donc, il ne faut pas qu’Alpha prenne le risque inutile de venir. Pour ces élections, je veux être candidat du RPG et de l’UPG puisque le RPG ne peut pas rester sans participer aux élections. Comme cela, en 2003, Alpha sera le candidat du RPG et de l’UPG. Je pense que ma proposition n’a pas dû convenir à Alpha et il n’est pas venu. Je suis resté onze jours à Abidjan, il n’a pas non plus téléphoné pour me dire qu’il était empêché et cela m’a coûté beaucoup d’argent. Vous savez, je ne suis pas milliardaire, je n’ai pas beaucoup de dépenses avec mes habitudes suisses. Mais ce qui m’a fait mal, c’est d’entendre qu’Alpha est arrivé à Abidjan et qu’il a rencontré certains de ses amis et s’est caché de moi pour repartir. J’ai fini par digérer cette foutaise, parce qu’il n’y a aucune raison pour qu’il se foute de moi. Quand nous étions en campagne à Dabola, j’ai rencontré une très haute personnalité du régime actuel, lequel, avec beaucoup de précautions, m’a dit : « Votre Alpha est venu, mais on va le coffrer. » Alors, j’ai dit à Damaro et El hadj Djiba : « Fonçons à Mamou, je vais faire venir 356

Siradiou, Bâ Mamadou et Alpha pour leur dire de prendre des dispositions afin que l’après-élection ne soit pas perturbée. » Après Faranah, je suis venu à Mamou pour demander au représentant du RPG de joindre Alpha. Alors Alpha m’a appelé, je lui ai dit de venir nous rejoindre à Mamou. Il m’a dit qu’il allait à Guéckédou, avec Ould Dada, j’ai insisté pendant la conversation. Il a coupé la communication. Et quelques jours après, Condé a été arrêté à Pinet. On a initié le dialogue national parce que j’ai compris que les premières déclarations du RPG n’allaient pas dans le bon sens. Quand quelqu’un est en taule, il faut raisonner en fonction de sa liberté. Tout ce que vous devez faire doit concourir à le sortir de prison. On s’est mis à menacer Conté. Je leur ai dit que ce n’était pas bien. C’est encore moi qui suis allé voir les représentants du RPG pour leur dire qu’ensemble, nous devions initier le dialogue national, et que le RPG devait venir sans condition. Mais ils ont dit : « Comment voulez-vous qu’on vienne au dialogue sans tête ? » Si, à l’époque, nous étions tous parvenus à dialoguer, l’opinion aurait vu et apprécié notre attitude responsable. Et nous souhaitons que cette affaire soit réglée, car le RPG est maintenant sur la bonne trajectoire. J’apprécie le dialogue national et général qui conduira à la démarche vers l’intégration nationale. LA NOUVELLE TRIBUNE : Quels sont vos rapports avec monsieur Charles Pascal Tolno ? JEAN-MARIE DORÉ : Il entretient des rapports normaux, humains avec moi. Il est membre de la Codem, je n’en suis pas. Les notables de Guéckédou et de Kissidougou ont insisté pour que je rencontre Tolno afin de lui dire de venir à l’UPG. J’ai fait toutes ces démarches, je ne peux pas faire plus que je ne le dois. Et je n’ai pas à porter de jugement sur le comportement de Tolno. Il a créé son parti qu’il dirige et il réagit comme il le pense pour l’intérêt du pays. Vous savez, seul le terrain départage les gens.

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XLVII. « Je suis sous le choc. Je suis très émue… » Par Bah Boubacar Loudah pour Africaguinee.com

L’émotion est grande dans la famille de l’ancien Premier ministre guinéen, Jean-Marie Doré, décédé dans la nuit du 28 au 29 février 2016, après une longue maladie. Son épouse, Aïcha Bah, encore sous le choc, remercie le peuple de Guinée qui partage sa douleur. Cette fois-ci donc, ce n’est pas au tribun que la presse s’adresse, mais plutôt à sa brave épouse éplorée, celle-là même qui a contribué à faire de lui un illustre homme politique qui a charmé et convaincu plus d’un Guinéen. Car ne dit-on pas que derrière un grand homme, il y a une grande femme ? Aïcha Bah en fut une. Parcourant en sa compagnie villages et hameaux, sous le soleil et sous la pluie, parfois à pied quand la voiture ne pouvait pas affronter certaines pistes impraticables, à la conquête de nouveaux adhérents pour le compte de l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG), un parti que son époux venait de créer à la faveur de l’avènement du multipartisme en Guinée. Si l’UPG et son leader se sont fait une place parmi les grandes formations politiques du pays, il y avait incontestablement l’apport tous azimuts d’Aïcha Bah ; tant il est vrai que les prises de décisions importantes passent toujours une nuit à la maison, dit un proverbe africain. 359

Au décès de son illustre compagnon de lutte, elle a reçu le correspondant d’africaguinee.com pour une interview. En réponse, juste quelques mots : « Je suis sous le choc. Je suis très émue. Pour le moment je ne peux pas donner d’interviews. J’ai perdu mon mari. Comprenez mon émotion. Je remercie le peuple de Guinée », a lancé en substance la veuve au micro du reporter. À ce jour, une question essentielle préoccupe madame Doré Aïcha Bah : « Quel avenir pour l’UPG sans Jean-Marie Doré ? »

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XLVIII. Hommage à l’honorable Jean-Marie Soumahoro Doré

Icône politique de référence au niveau national, l’un des cinq grands promoteurs de la démocratie multipartite en République de Guinée, l’honorable Jean-Marie Doré nous a quittés le 29 janvier 2016 pour rejoindre ses frères d’armes : les honorables Siradiou Diallo et Bâ Mamadou et Son Excellence le général président Lansana Conté, laissant sur le terrain le professeur président Alpha Condé. L’ex-Premier ministre Jean-Marie Doré a laissé à la Guinée l’image d’un homme véridique et sincère, tant avec lui-même qu’avec les autres, de sa famille, de son camp ainsi que ses adversaires politiques. Il savait dénoncer les insuffisances et reconnaître les mérites. Nous nous souviendrons en effet toujours du qualificatif très peu élogieux d’« opposition la plus bête d’Afrique » qu’il a attribué à l’opposition politique guinéenne de son époque, opposition à laquelle il appartenait et dont il était un des leaders incontestés. Il savait vanter les mérites de feu président Lansana Conté, chaque fois que ce dernier posait des actes forts comme lors des agressions armées et barbares subies par la Guinée en provenance du Liberia et de la Sierra Leone, en fin 2000 et début 2001. Il a aussi souvent critiqué sévèrement le président Conté pour la mal gouvernance qu’il tolérait parce qu’il en était complice, disait-il. Au niveau national, l’honorable Jean-Marie Doré a apporté sa pierre d’angle à l’édification du retour de la Guinée à une vie constitutionnelle normale, après une longue et douloureuse transition militaire. Sur le plan international, feu Jean-Marie Doré a porté haut le flambeau de la Guinée au BIT (Bureau international du travail) durant son long séjour à Genève. L’honorable Jean-Marie Doré a en plus et toujours été reconnaissant envers ses amis, surtout quand il s’agissait de prendre de grandes 361

décisions politiques, comme il l’a fait en renonçant à se présenter à la dernière élection présidentielle de décembre 2015, pour soutenir le candidat réélu, le professeur Alpha Condé. Le recueil réalisé par le docteur Aly Gilbert Iffono vient apaiser un souci majeur qui habitait tous les admirateurs du défunt tribun, parce que celui-ci écrivait moins, sinon pas. De son vivant, il avait choisi comme mode d’expression l’improvisation oratoire. Heureusement qu’il s’en tirait à bon compte. Mais, comme le dit l’adage, « la parole s’envole, les écrits restent ». N’eût été donc le précieux travail de notre compatriote, qui fut du reste son compagnon pendant près d’une décennie, tout se serait effectivement envolé et notre Doré national serait tombé très rapidement dans les oubliettes de l’histoire, ce qui aurait été une catastrophe pour l’histoire politique de notre pays. Merci donc à notre ami et frère, le docteur Iffono, qui a fait preuve de réflexes d’intellectuel en pensant à sauvegarder justement, contre toute attente, cet important pan de notre histoire nationale qu’il nous aurait été difficile sinon impossible de reconstituer. En m’adressant enfin fraternellement à cet illustre disparu et au regard des nombreux et loyaux services rendus, tant à la Guinée qu’au système des Nations unies, je termine mon propos en priant Dieu le Tout-puissant et Miséricordieux, pour qu’il protège la famille de notre cher grand frère Jean-Marie Doré et qu’il reçoive son âme dans son paradis. Amen ! Honorable MICHEL KAMANO Président de la commission Économie, Finances, Plan et Coopération de l’Assemblée nationale

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XLIX. À mon mentor Jean-Marie Doré « Les meilleures choses ont une fin, pas les pires »

Si dans la vie, chacun de nous est fier de quelque chose, moi je suis fier d’avoir été, une décennie durant, un ami et protégé de Jean-Marie Doré. Pourtant, nos relations sont parties d’une banale rencontre qui remonte au début des années 2000. En effet, nous avons été élus députés, tous les deux, (lui à l’UPG et moi au PUP) pour le compte de la septième mandature, mais lui n’a pas siégé, en protestation des tricheries dont il aurait été victime de la part des autorités d’alors, en charge des législatives. Cependant, il était fréquemment au siège de l’Assemblée nationale et nous nous croisions souvent dans le bureau du questeur, feu François « Socobois » Millimono. Chacune de nos rencontres donnait lieu à des causeries d’ordre scientifique, culturel, politique et surtout historique, ma discipline de formation. À la longue, nos rapports ont pris du relief. Moi, j’allais à sa recherche chez l’honorable Talibé Diallo de l’administration parlementaire, un autre grand ami à lui, et lui, faisait toujours un crochet chez « Socobois » dans l’intention de m’y trouver. Ainsi évoluèrent nos relations, se renforçant au fil du temps. Puis, un jour, dans le bureau du questeur, il me taquina en ces termes : « Iffono, que viens-tu chercher ici à l’Assemblée où le PUP n’a envoyé que des ménagères et des mareyeuses ? Il va falloir te trouver autre chose à faire

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pour plus d’utilité au pays. Je m’en chargerai et tu peux compter sur moi. » Nous étions en 2006. Une semaine plus tard, il m’invita à l’accompagner à un endroit qu’il ne précisa pas. C’était en fin de compte chez madame M’Baranga Gassarabwe, représentante du PNUD en Guinée. Celle-ci nous reçut à l’annonce de notre présence dans sa salle d’attente. Sans perdre de temps, il s’adressa à la dame en ces termes : « Madame M’Baranga, trouvez-moi un poste dans l’une de vos directions régionales de l’UNESCO, pour ce jeune homme. Il n’est pas de mon parti, c’est un pupard 2 », tint-il à préciser en rigolant. « Mais peu importe, ajouta-t-il. J’ai découvert en lui des aptitudes intellectuelles qu’il pourrait mieux valoriser ailleurs qu’à l’Assemblée, où les gens ne font que dormir. » La dame prit bonne note et promit de s’y mettre. Elle me demanda à cet effet de garder le contact avec elle et au besoin de l’appeler au téléphone. Ce que je fis pendant les mois suivants. Depuis, j’ai compris que JeanMarie Doré tenait à sa promesse, celle de changer le cours de ma vie. Il y avait donc pour moi toutes les raisons d’espérer. Dans la longue attente du plaisir d’une suite intéressante de la part de madame M’Baranga, mon portable sonna, un jour du mois de mars 2007, vers 17 heures. « Doré à l’appareil. Viens me voir maintenant. C’est urgent », me dit-il. Sans perdre de temps, je le rejoignis à sa résidence de Donka. Il commença l’entretien par des informations relatives aux difficultés de collaboration entre le président Lansana Conté et son Premier ministre, Lansana Kouyaté. Il conclut en me disant que Conté avait pris la décision de se débarrasser de lui ; et que d’ailleurs, il lui aurait demandé de lui proposer des cadres qu’il pourrait faire venir au gouvernement, à l’exception d’Alpha, (entendez Alpha Condé, son ennemi juré). « Alors, mon cher ami, prépare-toi à entrer au gouvernement. Le Président me promet au moins deux portefeuilles et je t’en offrirai un. Va réfléchir et reviens me voir dans deux jours, pour me dire ce que tu en penses. » J’ai voulu lui donner à l’instant ma réponse, mais il insista sur le temps de réflexion. Ce que je fis. Quand après les deux jours il me vit venir, il se mit à rire. J’ai eu très peur que ce ne soit que du bluff. Tout de suite, il enchaîna : « Je connais ta réponse ; inutile de parler. Va te préparer. Tu seras ministre bientôt. C’est sûr ! Au revoir, monsieur le ministre », me dit-il, en me serrant la main. Je vous laisse deviner ma joie après ces propos ! Puis, de longs mois s’écoulèrent. Mais 2

Terme péjoratif qui désignait un militant du PUP, Parti de l’unité et du progrès dont le président était le chef de l’État, Lansana Conté.

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Doré ne se lassait pas de me rassurer que tout irait pour le mieux. Et tombe la nouvelle du limogeage de Kouyaté. Arrive à sa place le docteur Ahmed Tidiane Souaré, un grand ami de Doré et qui, par bonheur, se trouve être un camarade de promotion à moi, c’est-à-dire la prestigieuse « Promotion Mao 3 » de l’université guinéenne. Cette conjonction de relations ne pouvait pas ne pas régler mon problème. Plus aucun doute que ma nomination n’était plus qu’une affaire de jours. Les choses s’arrangèrent effectivement à souhait et me voici ministre de la Culture, des Arts et Loisirs du gouvernement du docteur Ahmed Tidiane Souaré. Il est important et opportun de rappeler que le département de la culture était une nouvelle création, car depuis l’indépendance, c’était la première fois que celle-ci acquérait une telle importance grâce à la sagacité du Premier ministre Souaré, ingénieur géologue de son état. Qui l’eût cru ? Pourtant, c’est bien lui qui a eu la meilleure compréhension du concept de culture et surtout de ce qu’il désignait et représentait pour un pays comme la Guinée qui a tout eu et brillé par sa culture tant à l’intérieur que sur le plan international. En effet, aussi curieux que cela puisse paraître, le président Ahmed Sékou Touré, qui a tiré le meilleur parti de la culture, ne l’a pas sublimée en l’érigeant en ministère à part entière. L’acte du Premier ministre Ahmed Tidiane Souaré n’était que justice rendue. Depuis 2008 déjà, il anticipa cette invite faite récemment au président Alpha Condé par le Sénégalais Amadou Lamine Sall, invite qui passa plutôt pour une leçon de morale, quand ce dernier faisait observer que « … Dans la dure réalité du pouvoir, la rareté des fonds, le sacrifice dans les choix des premières priorités, gardez des places réservées et numérotées à vos écrivains, vos artistes, vos poètes. Si dans la marche funeste de la Guinée, une lumière s’est souvent levée quelque part pour éclairer la nuit, ce fut toujours la lumière de votre musique, de vos ballets, de vos poèmes. Si les ballets de Kéita Fodéba n’avaient pas existé et fasciné le monde, si l’orchestre Bembéya Jazz national n’avait pas existé et fasciné le monde, si l’équipe de football du Syli national n’avait pas marqué l’histoire du ballon africain, si Djibril Tamsir Niane n’avait pas révélé Soundiata à l’histoire du monde, qu’aurions-nous retenu de la Guinée ? En effet, c’est la culture qui commande et domine tout. Donnez

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La « Promotion Mao » est la huitième de l’université guinéenne.

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donc du relief à votre gouvernement avec un ministère de la Culture digne de la nouvelle Guinée et de sa reconquête du monde4. » Le Premier ministre Ahmed Tidiane Souaré a donc donné du relief à son gouvernement, en créant un ministère de la Culture, acte qui fut vivement salué et lui-même loué par les artistes et hommes de culture qui pensaient être enfin logés à meilleure enseigne, même si les moyens n’ont pas toujours suivi. Au ministère de la Culture, des Arts et Loisirs, je fis à peine un an, parce que notre gouvernement devait être « renversé » par une junte militaire dirigée par un certain capitaine Moussa Dadis Camara, suite au décès du président Lansana Conté, le 22 décembre 2008. Mais cet intermède militaire fut tout aussi de courte durée. Et s’engagèrent alors des tractations qui débouchèrent sur une transition portant l’honorable Jean-Marie Doré à la primature. Là encore, des surprises m’attendaient. À quarante-huit heures de la diffusion du décret de formation du gouvernement de la transition, Doré m’appela pour m’informer qu’il me prenait dans son équipe, au poste de ministre de la Décentralisation et du Développement local. En toute sincérité, si j’étais sûr d’occuper un poste important dans l’administration de la transition, je ne m’attendais pas à être à nouveau et de sitôt ministre. Seul Doré avait ses raisons de me faire nommer deux fois ministre à moins de deux ans d’intervalle. Je le comprendrai trois ans plus tard, lorsque, dans une interview à Guineebox.com, il déclara : « Aly Gilbert Iffono a été un excellent ministre. C’est pourquoi dans le gouvernement de la transition, je l’ai encore pris comme ministre de la Décentralisation. C’est un homme compétent, affable, discret et efficace5. » De ce qui précède, point n’est besoin de dire que j’étais vraiment dans les bonnes grâces de Jean-Marie Doré. Je lui en resterai infiniment reconnaissant. Aussi, par-delà et à cause de la grande estime qu’il avait pour moi, Jean-Marie Doré me consultait sur beaucoup de questions et prenait en compte mes observations. Le dernier cas, le plus illustre du reste, c’est d’avoir réussi à lui faire partager ma préoccupation quand, après avoir été investi comme candidat du parti à la présidentielle, je lui ai humblement suggéré de retirer sa candidature. Parce que, lui ai-je dit, non seulement il ne gagnerait pas, mais il perdrait aussi la caution, tellement 4

Lettre au président Alpha Condé au lendemain de son élection à la magistrature suprême de son pays, publiée dans « l’Indépendant » n° 1091 du 22 mai 2014. 5 Guineebox.com du 18 octobre 2013.

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la donne avait changé depuis peu. À ces propos, je l’ai senti visiblement embarrassé, parce qu’il savait que je ne lui avais jamais menti, mais aussi parce que la direction nationale du parti attendait d’aller en campagne. Il m’a alors demandé d’évoquer et de défendre ma suggestion en BPN. Ce que je fis en réunion des responsables du parti, spécialement convoquée à cet effet. Croyez-moi, j’étais seul dans ma position, après le tour de table. Toutes sortes d’arguments furent avancés pour contrer mon idée. JMD n’a pas hésité à me donner publiquement raison, à la surprise de plus d’un. Chacun se souviendra que le retrait de la candidature de Doré avait fait grand écho dans la cité. Un journaliste très inspiré notait de façon presque prémonitoire que « depuis le début du multipartisme en Guinée, c’est la première fois que Jean-Marie Doré – qui a eu le mérite d’élever le niveau du débat pendant les campagnes présidentielles – est absent. Ce qui marque à coup sûr la fin d’une certaine époque. Et peut-être la fin de la carrière politique de cet homme qui, ces derniers temps, a une santé pas très bonne6. » Voilà qui était bien perçu et bien rendu. Mais moi, j’étais heureux et fier d’avoir été compris et soutenu par mon leader sur une question aussi sensible. Très certainement, certains amis avaient tenté la même démarche auprès de lui, mais c’était à huis clos et sans témoins. Quant à moi, ce fut en plénière du BPN que le problème fut posé et débattu, le PV des réunions du parti en fait foi. Et ce ne fut pas tout ! À la question de savoir qui nous allions soutenir, les débats furent également houleux. Le président du parti nous accorda quarante-huit heures pour décider. À deux, il a demandé mon avis et je lui ai opposé ses propres propos en ces termes : « Tu nous as toujours dit que vous étiez quatre initiateurs de la lutte pour l’ancrage de la démocratie en Guinée. Deux sont morts et vous êtes deux survivants. Et qu’à cet effet, tu avais un devoir moral vis-à-vis du groupe. » Aussi, après avoir observé et apprécié objectivement l’ambiance de la campagne à l’américaine initiée par le RPG pour la présidentielle, tu n’as pas hésité à affirmer qu’« avec tant de moyens matériels et humains mobilisés et la détermination de ses militants auxquels il faut tout naturellement ajouter autres dispositions imperceptibles et inaudibles, si Alpha perd cette élection, c’est qu’il est maudit ». Pour moi donc, le reste devait couler de source. Là encore, il m’a donné raison, avant que nous ne nous retrouvions en BPN pour en débattre. Ainsi, nous avons décidé en BPN de soutenir son compagnon 6

Ibrahima S. Traoré in Guinee7 le 2 septembre 2015.

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de lutte, Alpha Condé. Cependant, tout n’était pas réglé pour autant. Il fallait trouver la formule idoine pour faire passer l’information de la disponibilité de Doré au Président Alpha, convaincu que le premier n’irait pas aussi facilement offrir ses services au second, tout comme ce dernier se ferait prier pour solliciter l’appui de son ami, même si, de toute évidence, il en avait besoin. Pour résoudre le problème, j’ai pris l’initiative de me faire introduire auprès de Me Abdoul Kabélé Camara, alors ministre de la Défense, leur ami commun, par le colonel Mamadou Sandé, mon ami. Au ministre, j’ai annoncé la nouvelle de la disponibilité de l’Honorable Jean-Marie Doré, après le retrait de sa candidature à la présidentielle, tout en lui demandant d’exploiter cette opportunité en faveur du président. Il m’a fermement promis qu’il joindrait celui-ci au téléphone – parce qu’il était absent du pays – pour lui passer le message. Ce qu’il fit le même jour, puisqu’il m’a rappelé peu après pour me dire que la mission était accomplie. De retour au pays, le Président Alpha Condé fit faire la démarche requise et le doyen Doré accepta la sollicitation. Les Guinéens auront ainsi vu les deux compagnons faire campagne ensemble sous la bannière du RPG-arc-en-ciel en faveur du président sortant. Je me garde toutefois de décliner les offres qui avaient été faites au leader de l’UPG par son ami, offres annoncées à la direction nationale du parti, à qui il était demandé de faire un projet de répartition. Mais, évitant de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir abattu, tous acceptèrent de surseoir à ce projet, du reste difficile à exécuter, tellement l’offre était insignifiante par rapport à la demande. La suite ? Il n’en fut rien. Jean-Marie mort entre-temps, tous les espoirs se sont effondrés. Cependant, j’avoue personnellement être encore très heureux et fier d’avoir été à l’origine de cette initiative qui a abouti à souhait. Car réussir pareille prouesse entre deux personnages aux sensibilités politiques et idéologiques à la fois complexes et divergentes n’était pas du beurre à couper. Ces quelques rappels pour te dire, honorable Jean-Marie Doré, que tu m’as couvert de tes libéralités et que tu vas me manquer pour toujours. Ainsi, va la vie. Personne n’y peut rien. Autant tu as été utile, autant tu devrais rester. Hélas ! « Les meilleures choses ont une fin, pas les pires », dit la sagesse. S’il est vrai que l’idéal vécu immortalise l’homme, mon cher Doré, tu es mort en homme comblé. En effet : 368

— Tu as aimé Dieu et tu lui as consacré suffisamment de temps de prière. — Tu as aimé la vérité et tu l’as dite à qui voulait l’entendre. — Tu as haï l’injustice et tu l’as combattue de toutes tes forces. — Tu as été sensible à la misère des autres et tu as partagé. — Tu as aimé la joie, le plaisir et la bonne humeur et tu as inventé l’humour. — Pour rapprocher les hommes et décloisonner leurs idées, tu as choisi le centre en politique. Grand intellectuel ouvert à sa société, tu le fus en tout cas républicain convaincu et politicien alerte, tu l’as prouvé Tribun élégant et débatteur rompu, tu en fus l’incarnation. Mais, et la démocratie, dans tout ce panorama ? Sera-t-elle un jour en Guinée ce « combat sans effusion de sang » comme tu nous l’as toujours enseigné ? Rassure-toi Jean-Marie, elle le sera. Car ta lutte n’aura pas été vaine. Tes poulains la poursuivront et la gagneront. Chers amis et admirateurs de JMD ! Certes Doré est parti, mais tout n’est pas parti avec lui. Je voudrais rassurer tous ceux qui, depuis la mort de leur idole, se soucient de l’avenir de son riche patrimoine intellectuel et politique, dont j’avais entrepris bien avant sa mort avec tout naturellement son accord, de sauvegarder une infime partie. Vous avez ainsi entre les mains un recueil de ses plus grandes et percutantes interviews que je considère comme le message d’un centriste avisé pour une démocratie apaisée adressé aux Guinéens. Dr Aly Gilbert Iffono L. « Point de presse du leader de l’UPG » Par Sékou Amadou Cissoko pour « La Nouvelle Tribune » du 3 juin 2004. Jean-Marie Doré dénonce : « À propos des accords secrets ContéGbagbo ». Le jeudi 3 juin 2004, M. Jean-Marie Doré, secrétaire général de l’Union pour le Progrès de la Guinée (UPG), a donné, à son domicile de Donka, un point de presse sur la situation sécuritaire au sud-est de la Guinée, notamment dans les préfectures de Lola et Beyla. Qu’est-ce que 369

la sécurité collective ? Est-ce que le territoire guinéen est un territoire sacré ? C’est entre autres sur ces questions que M. Jean-Marie Doré a focalisé son intervention. Dans son exposé liminaire, M. Jean-Marie a tout d’abord regretté (actualité oblige) le manque de déclaration officielle suite à la démission du Premier ministre Lonseny Fall. Tout le pays pourtant, dit-il, s’est senti concerné, toute la presse en a fait un grand écho. Expliquant le concept de sécurité collective. M. Jean-Marie Doré dira qu’il prend la totalité de tout ce qui fait la substance d’un peuple pour vivre et espérer des lendemains profitables. Bref, il faudrait que le peuple jouisse de tous ses droits fondamentaux pour son bien-être. En outre, dit-il, il y a l’arrangement pour qu’en aucun cas l’existence physique du peuple ne soit affectée. L’existence physique, précise M. Doré, c’est le territoire national que nous revendiquons légitimement et qu’autrui nous reconnaît comme notre zone d’existence et de vie. Donc, il s’accomplit, sur le territoire national, des actes sacrés. Et nous n’avons pas ainsi le droit de nous déposséder nous-mêmes de cette vie dont la mise en œuvre des attributs facilite la vie. C’est pourquoi vivre et inciter à vivre dans l’espace de l’autre relève du domaine du parti. C’est ainsi, illustre-t-il, que les militaires, les gendarmes, les policiers, les douaniers, les agents secrets ont le droit de dissiper toute menace pouvant affecter ces territoires-là. C’est ce qui fait que la fonction de l’armée relève aussi du sacré. Après cette mise au point, M. Jean-Marie Doré a évoqué en amont et en aval les circonstances malheureuses qui ont amené la guerre civile au Liberia. Une guerre au cours de laquelle, selon lui, la Guinée a joué un rôle incendiaire, puisqu’elle n’était pas partie pour s’interposer, mais pour combattre les forces qui sont venues libérer la majorité de la population. Ainsi, la guerre qui devait finir en quatre mois s’est étalée sur dix ans du fait, poursuit-il, de notre irruption illégale, inacceptable, incontrôlée et non analysée ou analysée à sens unique. Par cette situation, la Guinée, dira-t-il, est devenue une force « agressante » à la solde de l’étranger contre les populations guinéennes de Macenta et de Yomou. Là, affirme-t-il, il y a eu une violation de tous les principes moraux et juridiques. Pour Jean Marie Doré, il est inadmissible qu’une nation engage ses troupes au service d’un pays étranger pour venir tuer ses propres citoyens, sur son territoire, dont il a la charge sacrée par serment d’assurer la paix pour impulser le progrès. Aussi, note-t-il, que les populations Guerzé, Toma notamment, ont eu à souffrir de cette situation ! Face à cette à réalité, l’UPG a dénoncé cette inacceptable action. Toutes choses qui font dire 370

au leader de l’UPG que « la mauvaise politique de notre gouvernement a fait souffrir une partie de la population guinéenne ». Et M. Doré d’illustrer cette triste situation par la présence de l’ULIMO sur le territoire guinéen qui combattait à l’époque le Président Charles Taylor. Pour lui, la politique que mène le gouvernement guinéen vise à éliminer notre avenir. Parce que, dit-il, sur les champs de bataille du Liberia, il y avait des jeunes guinéens. Et c’est pourquoi il était contre cette guerre qui a fait souffrir le sud-est de la Guinée. Dans cette lancée, M. JeanMarie Doré a invité toute la population guinéenne à resserrer les rangs afin qu’aucune aventure sanguinaire, horrible, n’arrive à une quelconque de nos frontières. Allusion faite à la guerre en Côte d’Ivoire, dont le déroulement vise à impliquer la totalité de nos frontières depuis Goyela jusqu’à Odienné, impliquant ainsi Siguiri, Mandiana, Kankan, Kérouané, Beyla, Lola et Yomou. À l’analyse de la crise ivoirienne, M. Doré a avoué qu’il soutenait Gbagbo au départ, car, explique-t-il, « je n’accepterais pas que Alassane Ouattara vienne faire la pagaille en Côte d’Ivoire ». Dans son entendement, M. Alassane Ouattara, burkinabé, ne peut revendiquer la présidence en Côte d’Ivoire. Pour Jean-Marie Doré, sa position vis-à-vis du président ivoirien a varié à partir de Linas-Marcoussis, car, dit-il, son frère et ami Gbagbo a souscrit aux accords qui confient par exemple le ministère de la Défense à Guillaume Soro, secrétaire général des Forces nouvelles. Ce qui est pour lui insensé, car il est inadmissible de confier la défense à quelqu’un qui vous a combattu par les armes. Pour refaire l’unité de la Côte d’Ivoire, M. Doré affirme que certains observateurs pensent que la résolution de la crise passe par les armes. « Ainsi, M. Gbagbo veut, au-delà des accords de Marcoussis, imposer sa suprématie. » Dans cette logique, M. Doré s’indigne « par rapport aux informations qui concernent notre âme, notre unité, notre sécurité, notre tranquillité. Selon ces informations, M. Gbagbo et le Président Conté auraient conclu un accord de coopération militaire pour favoriser la reconquête du Nord. Pour cela, le territoire national de Guinée, et plus pratiquement Pinet (connu davantage dans l’affaire Alpha Condé) jusqu’à Mandiana, va être compromis dans le développement des violences militaires. Notre gouvernement étant insensible à l’appel de son peuple, ne dément pas les bruits qu’on lui prête. » M. Doré ajoute qu’éventuellement nos troupes pourraient prêter main-forte aux troupes ivoiriennes. Devant cette situation, il s’insurge : « J’élève une protestation véhémente contre cette 371

infiltration de nos forces armées, de notre diplomatie, la complicité entre les autorités ivoiriennes et guinéennes pour accéder, ébranler la crise de la République dans ces préfectures. Et il condamne sévèrement cette attitude, si elle était confirmée par des actes concrets à l’initiative ou à l’acceptation de notre gouvernement ». Après cette condamnation, le secrétaire général de l’UPG a, une fois de plus, évoqué avec tristesse les crises d’eau et d’électricité qui frappent nos populations, que le gouvernement veut engager dans des aventures inacceptables, condamnables. « Ce que je dis, précise M. Doré, ne veut pas dire que la Guinée doit refuser sa solidarité à la Côte d’Ivoire, parce que nous avons des institutions républicaines. Si la Guinée veut exprimer sa solidarité, il faut que ça soit des actes publics. Donc, si l’Assemblée nationale n’a pas ratifié un accord militaire de défense entre la Guinée et la Côte d’Ivoire, je condamne toute implication du Président Conté, secrètement ou par quelque moyen que ce soit. Puisque, tenant compte du caractère divin du territoire national, même le Président n’a pas le droit de signer des accords scélérats pour mettre en danger, même potentiellement, le pays. Si cet accord devait entrer en vigueur, si notre territoire devait être attaqué, je demanderai à la totalité des populations de la Forêt et de la Haute Guinée de se lever et de faire barrage à cette pagaille », conclura Jean-Marie Doré. Suite à ce point de presse, animé le 3 juin 2004 par l’honorable JeanMarie Doré, voici la lettre de protestation de l’ambassadeur ivoirien en Guinée. À Monsieur Jean-Marie Doré Secrétaire général de l’Union pour le Progrès de la Guinée (UPG), Conakry Monsieur le Secrétaire général, C’est avec consternation et indignation que nous avons lu dans les journaux de la place, le compte rendu de votre conférence de presse du jeudi 3 juin 2004 à votre domicile de Donka, siège du parti que vous dirigez. Une conférence de presse au cours de laquelle vous avez tenu des propos désobligeants et irrévérencieux à l’endroit de Son Excellence Monsieur Laurent Gbagbo, Président de la République de Côte d’Ivoire en vous immisçant allègrement dans les affaires intérieures ivoiriennes.

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Nous voudrions vous signifier que contrairement à vos allégations, l’État de Côte d’Ivoire, à notre connaissance, n’a jamais signé d’accord secret de défense militaire avec l’État de Guinée. Vous voudriez bien apporter les preuves de vos affirmations gratuites dont le seul but inavoué est de jeter l’opprobre sur un pays à qui vous dites devoir beaucoup. La malhonnêteté est déjà mauvaise en soi. Mais quand elle vient d’un homme politique comme vous, elle n’est ni plus ni moins que corruption de l’opinion publique. Non, Monsieur Jean-Marie Doré, non, vous ne devez rien, et absolument rien à la Côte d’Ivoire qui vous a accueilli, comme bien d’autres Africains et étrangers, dans la pure tradition de son hospitalité légendaire. C’est au nom des liens de fraternité existant entre la Côte d’Ivoire et la Guinée que les Présidents Laurent Gbagbo et Lansana Conté se concertent souvent pour asseoir les bases d’une coopération multiforme et bénéfique à leurs deux pays et à leurs peuples et ce, dans un esprit de conciliation et de paix. Insinuer que le Chef de l’État guinéen a mis son territoire et son armée à la disposition de son homologue ivoirien pour attaquer les rebelles qui occupent le nord de la Côte d’Ivoire est extrêmement tendancieux et grave, même pour un responsable connu pour sa légèreté comme vous. Prétendre que c’est une cinquième colonne visant à éliminer les originaires de l’ethnie mandingue, que vous appelez les Diola de Côte d’Ivoire, on comprend dès lors vos accointances douteuses avec Charles Taylor, le rebelle sanguinaire et ex-Président du Liberia, votre ami avec qui vous avez, semble-t-il, préparé les attaques ignobles contre votre propre patrie, la Guinée, et sacrifié d’innocentes vies humaines dans la région dont vous vous autoproclamez porte-voix et maître penseur. On est à se demander par ailleurs si vous êtes sérieux, quand vous affirmez que le Président Laurent Gbagbo a signé les accords de LinasMarcoussis et qu’il doit en assumer les contraintes. Nous vous rappelons que pour la paix et rien que pour la paix en Côte d’Ivoire, le Président de la République n’a signé qu’un seul décret à Paris, c’est celui relatif à la nomination de Monsieur Seydou Elimane Diarra, en qualité de Premier ministre consensuel issu des accords de LinasMarcoussis, signés eux, par les partis politiques, la société civile et les mouvements rebelles. Vous voudriez bien vous y référer pour votre propre gouverne. 373

La Côte d’Ivoire et la Guinée ont heureusement des rapports excellents de bon voisinage et de coopération que leurs gouvernements respectifs s’attellent à préserver et à renforcer. Ne vous en déplaise ! ZORO BI BAH Jeannot Ambassadeur La réaction de l’ambassadeur a appelé celle de l’Honorable JeanMarie Doré par laquelle il essaie non seulement de recadrer son correspondant, mais aussi d’assumer ses propos. À Monsieur ZORO BI BAH Jeannot Ambassadeur de Côte d’Ivoire en Guinée « Tout ce qui est excessif est insignifiant » (Talleyrand.) Monsieur, Votre lettre ouverte, qui fait écho à ma conférence de presse relativement aux effets délétères probables (il y a déjà eu des victimes guinéennes en nombre) de la crise ivoirienne, m’a beaucoup surpris par les propos que vous me prêtez et qu’en aucun cas, au cours de mon entretien avec la presse, je n’ai tenus ni à l’égard de votre président, Monsieur Laurent Gbagbo, ni à celui de la Côte d’Ivoire. Aucune raison ne pouvait le justifier, au demeurant, mon exposé et les discussions avec les journalistes ont été dûment enregistrés et ils font foi. Par contre, votre lettre ouverte est émaillée d’injures et de propres orduriers qui s’apparentent plus à des discours de « jeunes patriotes » que de la réflexion et de l’analyse maîtrisées d’un diplomate de carrière. Je le regrette sincèrement pour vous et pour votre pays, où dans mon adolescence j’ai étudié comme le font actuellement des milliers de jeunes ivoiriens en Forêt et à Conakry. Pour dire que si la Côte d’Ivoire est hospitalière, la Guinée l’est davantage et par tradition. S’agissant de mes relations avec Charles Taylor, que j’assume et que tout mon pays connaît, le Président Lansana Conté, l’ami du moment de votre Président, Monsieur Laurent Gbagbo, sait parfaitement que mon patriotisme ne pouvait pas autoriser qu’il soit pensable que je m’associe à quiconque pour faire du tort à mon pays. Vous le traitez de rebelle sanguinaire. C’est possible, mais on n’a jamais découvert de charniers au Liberia, ni au centre de Monrovia, et je crois que vous prenez là des risques inutiles au moment où circulent des rapports des Nations unies

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sur lesquels je m’abstiens de porter un quelconque jugement… pour le moment. Cela dit, revenons au fond de la question qui nous occupe, et que pour des raisons obscures vous tenez à cacher l’épaisseur de grossièretés telles que corruption de l’opinion, malhonnêteté, légèreté, etc. La Communauté internationale, les Nations unies mettent en garde votre président sur les risques de débordement de « votre guerre » sur les voisins et votre président était venu en janvier à Conakry pour remercier le Président Lansana Conté pour l’aide reçue pendant les affrontements. Mieux ou pire, les paysans, de N’Zo-Goïla à Mandiana, assistent inquiets et paniqués aux activités militaires à nos frontières, toutes craintes que confirment les allées et venues de votre président socialiste auprès de Lansana Conté qui est loin d’être un militant de la cause de l’Internationale socialiste. Et vous croyez que parler de la sécurité de nos populations relève de vos « affaires intérieures » ? Non, Monsieur l’Ambassadeur. Il est de mon devoir comme de celui de tout Guinéen de mettre en garde le gouvernement de mon pays, la Guinée, contre l’accomplissement d’un acte impie. Si la Guinée doit venir en aide à la Côte d’Ivoire dont l’unité est malheureusement et dangereusement menacée, elle doit le faire dans le cadre d’un accord légal dûment ratifié par l’Assemblée nationale. Que cela vous plaise ou non, je le maintiens. La sphère de notre sécurité collective ne peut pas relever de vos « affaires intérieures ». D’autre part, je vous laisse l’entière responsabilité de votre affirmation selon laquelle le Président n’est pas tenu par les accords de Linas-Marcoussis. Si ce n’est pas le cas, si LinasMarcoussis est l’œuvre simple de partis politiques (bien entendu dont le FPI), je ne vois pas pourquoi il s’est trouvé dans l’obligation de signer à Paris ce décret nommant le Premier ministre et pourquoi la Communauté internationale le presse de l’appliquer ? Mon parti a estimé que ces accords contenaient des clauses qui entravent son application : celle de confier les forces armées au chef du mouvement de contestation armée. Si vous trouvez que nous avons eu tort de croire cela, vous voudriez bien nous en excuser. À Conakry, le Président Laurent Gbagbo a dit publiquement que « si la paix ne nous a pas unis, la guerre nous a unis ». Comment peut-on être unis par une guerre si on n’y participe pas ? Des sources multiples et dignes de foi ont insisté sur les dessous guerriers de l’amitié de circonstance qui unit actuellement Lansana Conté et Laurent Gbagbo. Ce sont là, entre autres, des indications qui fondent et confortent nos présomptions pour alerter notre opinion publique… et 375

la vôtre sans compter les affirmations des journaux étrangers s’appuyant sur des articles de presse de la Côte d’Ivoire qui n’ont jamais été démentis par votre gouvernement. Et puis, nous ne voyons pas pourquoi Monsieur Guillaumes Soro se permettrait de menacer notre pays s’il ne se fondait pas, pour le moins, sur la persistance de ces rumeurs venant souvent de sources internationales officielles. Vous-même vous évitez d’être catégorique sur l’existence d’un accord secret puisque vous écrivez : « … l’État de Côte d’Ivoire, à notre connaissance, n’a jamais signé d’accord secret de défense militaire avec la Guinée ». Car vous ne pouvez pas tout savoir et cela est compréhensible dans la mesure où vous n’êtes qu’une simple boîte à lettres. Plus loin, vous qui, comme un preux chevalier qui part en guerre contre une simple déclaration dubitative faite à titre préventif, vous contentez de dire que mes insinuations sur la probabilité d’attaque contre les rebelles du nord de la Côte d’Ivoire en utilisant le territoire guinéen, sont extrêmement tendancieuses. Vous vous gardez bien de dire qu’elles sont fausses même venant de quelqu’un de « léger » comme moi. Qu’est-ce qu’il faut retenir de votre vigoureuse et dérisoire sortie contre une déclaration légère faite par un homme léger dans une matière lourde de conséquence pour les populations guinéennes pour que vous ne paraissiez pas faire beaucoup cas de ces populations. Je maintiens mes déclarations et votre réaction me renforce dans mes convictions qu’il faut que le peuple de Guinée demeure vigilant pour préserver sa sécurité, sans cesser dans des conditions transparentes d’apporter sa solidarité à la Côte d’Ivoire en vue de refaire l’unité de son territoire et de son peuple. Conakry, le 12 juin 2004 Honorable Jean-Marie Doré

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Table des matières

En guise d’épigraphe ............................................................................ 7 Remerciements ..................................................................................... 9 Avertissement..................................................................................... 11 Mot de Goumou Nianga Komata ....................................................... 15 Préface ................................................................................................ 15 Introduction ........................................................................................ 19 I. Investiture du Premier ministre Jean-Marie DORÉ........................ 25 II. « Si j’étais le porte-parole de l’opposition… ».............................. 31 III. « Crise politique en Guinée : Qu’en pense Jean-Marie Doré ? » . 37 IV. « Jean-Marie Doré en colère contre le port de la burqa » ............ 41 V. « À propos des divisions ethniques en Guinée forestière »........... 43 VI. « Bras de fer entre pouvoir et opposition : Jean-Marie Doré donne sa position ».................................................................... 47 VII. « De la présidentielle en Guinée et la caution de 800 millions de FG »............................................................ 55 VIII. « L’opposition s’est ridiculisée » .............................................. 61 IX. « Qui sera le candidat unique de la forêt ? » ................................ 67 X. « Quand Cellou Dalein voit le basin blanc sur ses épaules, il se voit en petit César »........................................................... 75 XI. « Amnistier Bah Oury serait une bonne chose… »...................... 81 XII. « La Guinée n’est pas à l’abri de l’islamisme ».......................... 87 XIII. « Si je sors de mes gonds, Cellou va y laisser plus que des plumes »....................................................................... 91 XIV. « J’insiste auprès d’Alpha Condé pour révoquer le préfet de Yomou »............................................................................. 101 377

XV. « Quand on veut mener la vie publique d’une façon libre, il faut être honnête… » ........................................................... 107 XVI. « Drame de Taouyah et protection de l’enfance : coup de gueule de Doré »........................................................ 115 XVII. « Ebola, Macky Sall, Dalein, Alpha Condé » : les vérités de Jean-Marie Doré................................................................. 119 XVIII. « Je ne suis pas d’accord avec l’exclusion du centre »......... 127 XIX. « Alpha Condé est un sous-produit de ma gestion… » ........... 137 XX. « Notre unité est à la merci de n’importe quel événement… » 147 XXI. « Alpha Condé a dit qu’il a trouvé un pays, mais pas un État… » ................................................................................................. 155 XXII. « C’est un conflit d’intérêts qu’on veut habiller en opposition ethnique » ......................................................... 163 XXIII. « Les révélations de Jean-Marie Doré après la présidentielle de 2010 »............................................. 169 XXIV. « La présidence de l’Assemblée est taillée à ma mesure… » ..................................................................... 173 XXV. « J’ai vu des ministres, aujourd’hui opposants, ramper chez Lansana Conté… » ......................................................... 179 XXVI. « Nous demandons à ce qu’on respecte la Guinée et les Guinéens » ..................................................................... 191 XXVII. « Mon âge importe peu… je suis candidat à la présidence de l’Assemblée »..................................................................... 197 XXVIII. « Cellou Dalein a eu des problèmes avec le gouvernement…».................................................................... 205 XXIX. « Je connais profondément les raisons qui opposent Dadis à Konaté…» ............................................................................... 213 XXX. « La colère de Jean-Marie Doré à propos des tueries de Zogota… » ......................................................................... 219 XXXI. « Assassinat de madame Boiro, contrat BSGR, affaire Waymark et Sagem… » .......................................................... 231 XXXII. « Un Africain ne peut pas militer pour le mariage homosexuel » .......................................................................... 237 378

XXXIII. « Accusé d’être à la solde du pouvoir, Jean-Marie Doré réplique » .................................................... 241 XXXIV. « Affaire des deux milliards accordés à certains leaders de l’opposition… » ................................................................. 249 XXXV. « Toute personne impliquée dans les massacres du 28 septembre ne devrait pas être retenue… » .................... 261 XXXVI. « Jean-Marie Doré et l’État d’urgence » ........................... 269 XXXVII. « Il y a un vrai désordre au ministère des Mines »........... 279 XXXVIII. « Le report des élections n’est pas l’expression d’un complot » ........................................................................ 287 XXXIX. « Lansana Conté est devenu un frein à la liberté de la Guinée… » ..................................................................... 293 XL. « L’armée a le devoir de s’imposer si… » ................................ 301 XLI. « À la réunion de Paris, ils se sont partagé le pouvoir… »...... 307 XLII. « Il y a des fous sur la scène politique guinéenne… » ........... 313 XLIII. « J’ai signé des accords qui ne sont pas forcément des garanties pour des élections démocratiques »................... 325 XLIV. « Nous ne sommes pas étonnés du comportement quasi servile de la Cour suprême » ......................................... 337 XLV. « J’accuse Bâ Mamadou… ».................................................. 343 XLVI. « Tous les forestiers exigent le départ de l’Ulimo » ............. 351 XLVII. « Je suis sous le choc. Je suis très émue… » ....................... 359 XLVIII. Hommage à l’honorable Jean-Marie Soumahoro Doré ..... 361 XLIX. À mon mentor Jean-Marie Doré ........................................... 363

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Structures éditoriales du groupe L’Harmattan L’Harmattan Italie Via degli Artisti, 15 10124 Torino [email protected]

L’Harmattan Sénégal 10 VDN en face Mermoz BP 45034 Dakar-Fann [email protected] L’Harmattan Cameroun TSINGA/FECAFOOT BP 11486 Yaoundé [email protected] L’Harmattan Burkina Faso Achille Somé – [email protected] L’Harmattan Guinée Almamya, rue KA 028 OKB Agency BP 3470 Conakry [email protected] L’Harmattan RDC 185, avenue Nyangwe Commune de Lingwala – Kinshasa [email protected]

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Puisse donc ce livre contribuer à sauver une infime partie du vaste patrimoine intellectuel et politique de l’homme et essayer d’apaiser tant d’admirateurs, comme ce journaliste qui, à l’annonce de la mort de Jean-Marie Doré, titra son papier : « Et la bibliothèque prit feu ! » Ses combats politiques, ses prises de position face aux débats qui ont agité la société guinéenne, sa conception de l’opposition politique, ses réactions face au terrorisme, ses idées quant à l’organisation des grands scrutins électoraux... Rares sont les sujets sur lesquels la voix de Jean-Marie Doré ne s’est pas posée, et l’on en prend particulièrement conscience à la lecture de cette collection d’interviews données entre 2000 et 2015. L’occasion pour le lecteur de se confronter à une personnalité charismatique, aux mots directs et intransigeants, parfois polémique mais toujours entière. En se focalisant sur les dialogues de l’ex-Premier ministre de la transition, sur ces échanges, Aly Gilbert Iffono redonne tout son poids à la parole médiatique, publique et politique de cette figure incontournable de l’histoire guinéenne. Ancien député, ancien ministre, président de l’Association des historiens de Guinée, membre de l’Association des écrivains de Guinée (AEG), Aly Gilbert Iffono est maître de conférences en histoire à l’université de Sonfonia. Titulaire d’un doctorat nouveau régime de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris, il est l’auteur de nombreuses publications en sciences sociales et humaines.

35 € ISBN : 978-2-343-24226-2

Aly Gilbert Iffono

« Jean-Marie Doré [...] a juste feuilleté quelques pages de la première mouture du tapuscrit quand, déjà très malade, il m’a trouvé à Paris. À la vue du volume du document que je lui ai présenté – j’étais déjà à 75 interviews répertoriées –, il s’est écrié : “Ah, Iffono, je ne savais pas que j’étais aussi bavard ! Si ce travail aboutit, tu m’auras rendu un grand service. Parce que je parle comme ça, sans garder le moindre bout de papier en archives. Merci mon cher ami ! »

Aly Gilbert Iffono

Guinée : Jean-Marie Doré, Premier ministre de la transition, parle

Guinée : Jean-Marie Doré, Premier ministre de la transition, parle

GUINÉE : JEAN-MARIE DORÉ, Premier ministre de la transition,

PARLE Recueil des grandes interviews

Préface de Soufiane Dabo