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English Pages 257 [256] Year 2014
Goya
Page 4 : Autoportrait, 1815 huile sur bois, 51 x 46 cm Académie royale San Fernando, Madrid
Mise en page : Baseline Co Ltd 19-25 Nguyen Hue Bitexco, 11e étage District 1, Hô Chi Minh-Ville Vietnam
ISBN : 978-1-78042-104-9
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Avant-Propos « Le sommeil de la raison engendre des monstres. L'imagination désertée par la raison crée des pensées impossibles, inutiles. Unie à la raison, l'imagination est la mère de tous les arts et la source de toute leur beauté. » – Goya
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Biographie 1746
Naissance de Francisco de Goya y Lucientes à Fuendetodos, près de Saragosse. Ses parents appartiennent à la petite noblesse rurale et son père est maître doreur. Nous savons peu de chose sur l’enfance et l’adolescence de Goya à Saragosse à l’exception de quelques faits ponctuels.
1759
Il entre à l’âge de treize dans l’atelier du peintre local José Luzan, où il restera quatre ans.
1763 1766
Goya part pour Madrid où il échoue au concours de l’Académie San Fernando. A vingt ans, il tente à nouveau le concours de la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando (Académie royale des Beaux-Arts de San Fernando), sans plus de résultat.
1767-71 Goya séjourne à Rome où il est influencé par le néoclassicisme romain. Il aurait obtenu une mention spéciale au concours de peinture organisé par l’Académie de Parme. 1771
Goya reçoit sa première commande de fresques : la décoration de la voûte de l’église Notre Dame del Pilar à Saragosse.
1773
Goya s’établit à Madrid où il épouse Josefa Bayeu dont les trois frères sont peintres. Ceux-ci lui obtiennent des commandes pour la Manufacture royale de Santa Barbara. Ainsi, en 18 ans, Goya produira trois séries de cartons de tapisserie (1774-1780, 1786-1788, 1791-1792). Il poursuit parallèlement une carrière de portraitiste.
1774
Peintures d’Aula Dei.
1778
Il réalise des gravures d’après Vélasquez.
1780
Goya est élu membre de l’Académie royale des Beaux-Arts de San Fernando. Il essaie de s’introduire peu à peu dans l’univers complexe de la cour. Il réussit à faire impression sur la famille royale avec ses cartons destinés au Palais du Prado. La carrière de Goya paraît définitivement consolidée, ce qui contribue à expliquer sa rébellion croissante contre la tutelle artistique de son beau-frère Francisco Bayeu. 5
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1785
Goya est nommé, quelques jours avant ses quarante ans, sous-directeur de la section peinture de l’Académie royale des Beaux-Arts de San Fernando.
1786
Goya devient Peintre du Roi.
1789
Goya est promu Peintre de la Chambre du Roi.
1792
Goya devient sourd à la suite d’une longue et grave maladie. Il se lance alors dans une série de « tableaux de cabinet » qui lui permettent de satisfaire sa fantaisie et son imagination.
1795
Goya est nommé directeur de l’Académie de peinture. Il effectue la même année le premier portrait de la duchesse d’Albe dont il tombe vraisemblablement amoureux.
1797
Son infirmité l’empêchant d’exercer sa fonction, Goya est nommé directeur honoraire.
1798
Il entreprend la décoration de l’église La Ermita de San Antonio de la Florida à Madrid.
1799
Parution du recueil des quatre vingt planches des Caprices. Goya devient Premier Peintre de la Chambre.
1805-10 Il réalise plusieurs natures mortes et entreprend les quatre-vingt deux planches des Désastres de la guerre, dans un contexte politique agité, marqué par la guerre et l’occupation française. 1812
Son épouse Josefa Bayeu décède.
1814
Goya peint les Deux Mai 1808 et Trois Mai 1808.
1816
Publication de La Tauromachie.
1819
Goya achète, non loin de Madrid, une maison de campagne qui deviendra la « Maison du Sourd ». Il y réalise probablement, en 1821-1822, ses peintures « noires ». Il effectue sa première lithographie.
1824
Il rejoint tous ses amis exilés en France, sous le prétexte de prendre les eaux à Plombières.
1825
Parution des lithographies : Les Taureaux de Bordeaux.
1828
Mort de Goya, à Bordeaux, en avril. 7
«I
l n’y a pas de règles en peinture », voilà ce que déclara Goya en 1792
devant l’Académie Royale San Fernando à Madrid. Il suggéra que l’on permît aux étudiants de développer librement leurs dons artistiques et de s’inspirer de maîtres de leur propre choix, plutôt qu’adhérer aux doctrines de l’école néoclassique. Goya se réclamait toujours de Vélasquez, de Rembrandt et de la nature comme étant ses maîtres.
L’Adoration du nom de Dieu par les anges 1772 fresque, 700 x 1500 cm basilique du Pilar, Saragosse
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Néanmoins, son œuvre ne se prête pas à une classification simple et la variété de son style est remarquable. Francisco Goya vécut quatre-vingt-deux ans (1746-1828) et produisit une œuvre colossale : environ 500 peintures à l’huile et fresques, près de 300 eaux-fortes et lithographies ainsi que quelques centaines de dessins, et expérimenta des techniques diverses. Ainsi, à la fin de sa vie, il fut l’un des pionniers d’une nouvelle technique d’impression : la lithographie.
Autoportrait 1773-1774 huile sur toile, 58 x 44 cm Collection Ibercaja, Saragosse
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Goya traita des sujets extrêmement variés. Il devint le portraitiste le plus éminent d’Espagne, décora les églises de Saragosse et de Madrid de tableaux d’autel et de fresques et conçut
des
tapisseries
illustrant
la
vie
madrilène. Ses observations personnelles sont consignées dans ses nombreux carnets de croquis. Deux événements catastrophiques bouleversèrent dramatiquement la vie de Goya et sa conception du monde.
Les Noces de la Vierge 1774 huile sur plâtre, 306 x 790 cm Aula Dei, Saragosse
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Le premier survint en 1792, lorsqu’il fut atteint par une maladie, probablement une infection de l’oreille interne, qui le laissa complètement sourd. L’invasion de l’Espagne par Napoléon en 1808, suivie de six années de combats pour l’indépendance espagnole, constitua le second cataclysme. Durant la guerre, de terribles atrocités furent perpétrées de part et d’autre, dont un grand nombre furent illustrées par Goya dans une série de gravures qui témoignent de la cruauté du genre humain.
Le Goûter 1776 huile sur toile, 272 x 295 cm Musée du Prado, Madrid
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Francisco Goya, fils d’un maître doreur, naquit le 30 mars 1746 à Fuendetodos, un petit village d’Aragon. Quand Goya était enfant, sa famille s’installa dans le quartier commerçant,
quartier
très
animé
de
Saragosse, capitale d’Aragon. Goya fréquenta les cours de la fondation religieuse, les Ecoles Pieuses de Saint-Antoine. C’est là qu’il rencontra Martin Zapater, qui deviendra par la suite un fidèle ami. A l’âge de quatorze ans, Goya prit des leçons de dessin et de peinture chez José Luzán Martínez.
Bal au bord du Manzanares 1777 huile sur toile, 272 x 295 cm Musée du Prado, Madrid
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Peintre religieux local, ce dernier avait pour habitude de faire recopier des gravures des Grands Maîtres par ses élèves, les familiarisant avec les œuvres. Parmi les autres élèves de Luzán se trouvaient trois frères doués : Francisco, Manuel et Rámon Bayeu, qui devaient plus tard devenir les beaux-frères de Goya. En 1763, Goya soumit un dessin à l’Académie Royale San Fernando à Madrid dans l’espoir d’obtenir une place, mais sa candidature ne recueillit pas une seule voix de la part du jury de l’Académie.
L’Ombrelle 1777 huile sur toile, 104 x 152 cm Musée du Prado, Madrid
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Trois ans plus tard, il fit une nouvelle tentative mais échoua. Goya fit un voyage en Italie en 1770, allant probablement à Rome et à Naples, et en avril 1771, il obtint une mention favorable pour un tableau soumis à l’Académie des Beaux-Arts à Parme. En juin de la même année, il était de retour à Saragosse où il reçut sa première commande importante : la décoration du plafond du coreto, ou « Petit Chœur », de la basilique du Pilar, la grande cathédrale de la ville. En juillet 1773, il épousa Josefa Bayeu, la sœur de ses trois condisciples.
Le Prince Baltasar Carlos 1778 eau-forte d’après Velázquez, 32 x 23 cm Musée du Prado, Madrid
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A cette époque, Francisco Bayeu travaillait à la décoration du nouveau Palais Royal à Madrid, sous la direction d’Anton Mengs, l’un des représentants du style néoclassique. Sans aucun doute, Goya espérait faire avancer sa carrière en épousant la sœur d’un peintre éminent. Le couple eut sept enfants, dont seul un fils devait atteindre l’âge adulte. Goya et son épouse s’installèrent à Madrid, en hiver 1774.
Christ en Croix 1780 huile sur toile, 253 x 153 cm Musée du Prado, Madrid
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La capitale avait été transformée au cours du XVIIIe siècle par les rois espagnols, qui firent construire de nombreux édifices religieux et civils, agrandirent les cinq palais des Habsbourg et édifier trois nouvelles résidences royales. Ils firent appel à une équipe de décorateurs pour en réaliser les intérieurs. En 1775, Anton Mengs (1728-79), le premier peintre du roi Charles III, fut chargé de surveiller l’exécution de nombreux cartons de tapisseries.
La Novillada 1780 huile sur toile, 259 x 136 cm Musée du Prado, Madrid
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Le déménagement des époux Goya fit suite à la première commande royale d’une série de cartons de tapisseries destinées au Palais de l’Escurial. Goya obtint cette commande sur la proposition de Mengs qui, auparavant, avait déjà engagé Francisco Bayeu afin qu’il s’occupât des nouveaux palais royaux. Pendant plusieurs années, la conception d’autres séries de cartons pour la Manufacture Royale fournit à Goya une occupation lucrative. Durant les années 1780, la carrière de Goya prospéra.
Regina Martyrum 1780-1781 fresque, coupole de la basilique du Pilar, Saragosse
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Enfin élu à l’Académie Royale San Fernando en 1780, il en fut nommé directeur adjoint de la peinture en 1785. En juin 1786, il obtint le titre de Peintre du Roi avec un salaire annuel de 15.000 réaux (équivalant à l’époque à environ 230 euros), et en 1789 il fut promu Peintre de la Chambre du Roi. Suite à cette nomination, il devint un portraitiste réputé.
Saint Bernardin de Sienne prêchant en présence d’Alphonse V d’Aragon 1781-1783 huile sur toile, 480 x 300 cm San Francisco el Grande, Madrid
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Cependant Goya, fils de parents de condition modeste et né loin des splendeurs de la cour, ne devint jamais, en dépit de sa position officielle, un courtisan. Il ne peignit pas seulement les membres élégants de l’élite, mais aussi les artisans, les travailleurs et les victimes de la pauvreté. Il sympathisa même avec le courant philosophique des Lumières espagnoles dont les membres étaient en profond
désaccord
avec
tout
ce
représentait la cour.
Maria Teresa de Bourbon 1783 huile sur toile, 132,3 x 116,7 cm Collection Mellon Bruce, Washington
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que
Troublés par les inégalités sociales de l’époque, les adhérents au cercle des Lumières avaient le sentiment que la monarchie, par son aveuglement et sa négligence, n’avait pas fait grand-chose pour sortir l’Espagne du MoyenAge. Goya devint un expert en gravure et il se servit de cette technique pour noter ses observations personnelles. A travers ses gravures et ses nombreux dessins, il ridiculisa la vulgarité et la sottise du genre humain.
Portrait du comte de Floridablanca 1784 huile sur toile, 262 x 166 cm Banco de España, Madrid
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Sa vision critique semble avoir été exacerbée par la surdité dont il était affligé à la suite d’une infection en 1792. Les premières années du XIXe siècle furent désastreuses pour l’Espagne. Le 21 octobre 1805, la flotte espagnole fut détruite par les Anglais à Trafalgar, coupant ainsi l’Espagne de ses colonies. En 1806, l’Espagne consentit à apporter son soutien à Napoléon dans sa conquête du Portugal. Des milliers de troupes françaises envahirent l’Espagne.
La Famille de l’Infant Louis de Bourbon 1784 huile sur toile, 248 x 330 cm Corte di Mamiano, Parme
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En 1808, le roi Charles IV abdiqua en faveur de son fils dénué d’intelligence, Ferdinand VII, et le vieux roi se réfugia en France à Bayonne en compagnie de la reine Marie-Louise et de Manuel Godoy, son Premier Ministre. Napoléon convia Ferdinand à Bayonne et le persuada de rendre la couronne à son père, suite à quoi Ferdinand fut jeté en prison. Charles abdiqua ensuite en faveur de Napoléon et s’en alla vivre en exil à Rome, laissant ainsi Napoléon libre d’installer, en juin 1808, son frère Joseph Bonaparte sur le trône espagnol.
La Duchesse d’Osuna (comtesse de Benavente) 1785 huile sur toile, 104 x 80 cm Bartolomé March Severa, Madrid
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Napoléon
ne
s’attendait
à
aucune
résistance et il fut surpris lorsqu’un grand nombre de patriotes espagnols déclarèrent une guérilla sans merci à l’envahisseur. Pendant six ans, l’Espagne fut transformée en un champ de bataille : six ans de massacres, de terreurs et de souffrances. En 1812, le pouvoir de Napoléon commença à décliner. L’armée anglaise gagna du terrain en Espagne.
La Marquise de Pontejos 1786 huile sur toile, 211 x 126 cm National Gallery, Washington
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Elle entra finalement dans Madrid en août 1812, chassant Joseph Bonaparte et l’armée française. Les Cortès libérales, le parlement espagnol à Cadix, cherchèrent à rétablir la monarchie, mais sous une forme constitutionnelle
et
rendant
compte
au
gouvernement. Ferdinand VII revint en Espagne acclamé par la population mais, au mépris des Cortès,
il
instaura
aussitôt
un
régime
autocratique et mit fin aux Lumières en Espagne.
Le Printemps 1786-1787 huile sur toile, 177 x 192 cm Musée du Prado, Madrid
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Il rétablit l’Inquisition, fit dissoudre les Cortès et fit emprisonner beaucoup de leurs membres ainsi que bon nombre de ceux qui avaient soutenu le gouvernement français. Goya ayant accepté la charge de peintre de Joseph Bonaparte durant l’occupation française, il dut comparaître devant le Tribunal de l’Inquisition et fut accusé de collaboration. Il fut néanmoins acquitté parce qu’il affirma n’avoir jamais porté sa médaille française et avoir peint Joseph d’après une gravure et non en personne.
L’Eté 1786-1787 huile sur toile, 276 x 641 cm Musée du Prado, Madrid
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Ferdinand ne s’intéressait pas beaucoup à l’art, mais il était content d’avoir un artiste célèbre à son service. Goya continua de bénéficier d’un salaire annuel de 50.000 réaux et réussit à se soustraire à ses devoirs de peintre de la Cour. Il se renferma de plus en plus sur luimême et l’iconographie présente dans son œuvre devint de plus en plus imaginative. Il était fasciné depuis longtemps par la démence et la superstition, et, sur ses vieux jours,
L’Automne 1786-1787 huile sur toile, 275 x 190 cm Musée du Prado, Madrid
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il peignit des images puissantes et sombres sur les murs de sa propre maison, la « Quinta del Sordo » (la maison du sourd), des images connues généralement comme ses « peintures noires ». En 1812, Josefa Goya décéda. L’année suivante, Leocardia Weiss, l’intendante de Goya, mère de deux enfants et divorcée depuis peu, mit au monde une fille, Maria del Rosario Weiss, dont on assure communément qu’elle est l’enfant de Goya.
L’Hiver 1786-87 huile sur toile, 275 x 293 cm Musée du Prado, Madrid
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En 1820, un coup d’État libéral à Cadix força Ferdinand à accepter une monarchie constitutionnelle et, pendant trois ans, le roi fut soumis à la domination d’un gouvernement libéral. En 1823, le roi français, Louis XVIII, envoya des troupes en Espagne et rendit à Ferdinand le pouvoir absolu. Le roi prit aussitôt des mesures punitives et instaura une fois de plus un régime de terreur qui vit emprisonner et fusiller les libéraux.
Le Maçon blessé 1786-1787 huile sur toile, 268 x 110 cm Musée du Prado, Madrid
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Profondément déçu par l’Espagne, Goya, prétextant sa mauvaise santé, demanda la permission de faire une cure à Plombières, en France. L’autorisation fut accordée et il partit pour Paris où il visita le fameux Salon. Il s’installa ensuite à Bordeaux où quelques membres des Lumières espagnoles vivaient en exil. En 1824, Leocadia Weiss le rejoignit avec ses enfants. Le roi accorda à l’artiste plusieurs prolongations de ses vacances en France et, en mai 1826, Goya retourna à Madrid afin de prier le roi de lui permettre de prendre sa retraite tout en continuant de lui verser sa pension.
Portrait de Charles III en costume de chasse 1787 huile sur toile, 207 x 126 cm Musée du Prado, Madrid
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Ferdinand accepta et Goya retourna à Bordeaux où il décéda deux ans plus tard, le 16 avril 1828. L’habileté de Goya en tant que portraitiste réside dans sa capacité à saisir la personnalité de son modèle plutôt que de s’astreindre à réaliser une copie conforme. Ses talents de portraitiste furent acclamés dès le début de sa carrière et la protection royale lui assura une succession ininterrompue de commandes.
L’Escarpolette 1787 huile sur toile, 169 x 100 cm Collection du duc de Montellano, Madrid
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Plus de deux cents de ses portraits existent toujours et ils offrent une étude complète de la société espagnole de cette époque. Goya a transmis à la postérité les portraits de trois rois successifs et de leurs familles, de leurs courtisans et de beaucoup d’aristocrates espagnols. Il peignit également des potentats politiques, parmi lesquels des hommes d’Etat, des penseurs libéraux et des officiers de l’armée qui ont contribué à former l’histoire de l’Espagne, et il peignit aussi ses amis et ses connaissances.
Procession de Village 1787 huile sur toile, 169 x 137 cm Collection particulière
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Goya voua une grande admiration aux tableaux de Diego Vélasquez (1599-1660). En 1774, on le pria de dessiner des cartons de tapisserie à l’intention du futur roi Charles IV, ce qui lui donna l’occasion d’étudier les chefsd’œuvre de Vélasquez dans les collections royales. Quatre ans plus tard, Goya imprima onze gravures réalisées d’après Vélasquez, les premières reproductions des œuvres de cet artiste jamais réalisées.
Bandits attaquant une diligence 1787 huile sur toile, 169 x 137 cm Collection du duc de Montellano, Madrid
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Goya allait par la suite adopter le procédé de représenter sa propre personne en tant qu’artiste dans le tableau et s’en servir souvent, comme Vélasquez dans Les Ménines. Plus d’un siècle après la mort du maître, Goya prit sa place comme premier portraitiste à la Cour d’Espagne. Lorsqu’il fut nommé Peintre du Roi pour la première fois en 1786, Charles III était sur le trône et s’appliquait à réformer un pays à peine sorti du Moyen-Age.
La Prairie de San Isidoro 1788 huile sur toile, 44 x 94 cm Musée du Prado, Madrid
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Le Portrait de Charles III en costume de chasse de 1787 peint par Goya montre un homme réputé pour sa laideur. Charles III respectait la tradition mais, en même temps, il accueillit favorablement les idées des Lumières françaises au fur et à mesure qu’elles s’infiltrèrent en Espagne. Il choisit des ministres compétents, ayant une idée claire des besoins de l’Espagne et le désir de réaliser des réformes économiques et sociales.
Saint François Borgia et le moribond impénitent 1788 huile sur toile, 350 x 300 cm Cathédrale de Valence
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En 1777, Charles III nomma le comte de Floridablanca au poste de Premier Ministre. Floridablanca fut impliqué dans de nombreux projets et se préoccupa particulièrement du développement de l’industrie et de la solution des problèmes ayant trait à l’agriculture et à l’irrigation.
Le
Portrait
du
Comte
de
Floridablanca datant de 1783 fut la première commande importante d’un portrait que reçut Goya et il espérait s’assurer ainsi une introduction dans les cercles officiels de Madrid.
Don Manuel Osorio Manrique de Zuñiga 1788 huile sur toile, 127 x 101 cm The Metropolitan Museum of Art, New York
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La présentation de Goya à Floridablanca ne semble pas lui avoir procuré les occasions escomptées. Il eut pourtant la chance d’être présenté à la petite cour domestique de l’Infant Don Louis de Bourbon, le plus jeune frère de Charles III. En la personne de l’Infant, Goya trouva pour la première fois un mécène auquel le lia une affinité intellectuelle. Don Louis avait été destiné à une carrière ecclésiastique, à six ans, il fut fait cardinal et à dix ans il était archevêque de Séville, mais son tempérament fut incompatible avec sa vocation.
Le Colin-maillard 1788-1789 huile sur toile, 269 x 350 cm Musée du Prado, Madrid
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En 1754, il renonça à sa barrette de cardinal et se plongea dans une vie impie au grand déplaisir du roi. En 1776, Louis de Bourbon épousa la belle Maria Teresa de Vallabriga âgée de dix-sept ans. Le roi désapprouva cette alliance, la mariée n’étant pas de sang royal, et Don Louis fut obligé de se retirer de la cour. En été 1783, Goya séjourna dans leur résidence à Arenas de San Pedro, où il réalisa plusieurs portraits de l’Infant Louis et de sa famille.
Charles IV 1789 huile sur toile, 137 x 110 cm Tabacalera, Madrid
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La Famille de l’Infant Louis de Bourbon représente une scène de la vie quotidienne des proches
de
l’Infant
d’un
caractère
extraordinairement intime. Ce portrait, le premier portrait de groupe important réalisé par Goya, est d’une remarquable complexité. La composition est basée sur des modèles européens, en particulier Hogarth et l’école anglaise que Goya a pu connaître par des estampes.
La Reine Marie-Louise 1789 huile sur toile, 137 x 110 cm Tabacalera, Madrid
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Le tableau rappelle également Les Ménines de Vélasquez. Cette scène détendue de la vie domestique, qu’elle soit réelle ou inventée, indique à quel point Goya se sentait à l’aise au sein de l’intimité familiale de l’Infant. En juin 1786, Goya, en compagnie de son beau-frère Francisco Bayeu, fut nommé Peintre du Roi avec un salaire fixe de 15.000 réaux par an. En accord avec sa nouvelle situation, Goya ajouta à son nom la particule distinguée « de ».
Autoportrait 1790-1795 huile sur toile, 42 x 28 cm Académie royale San Fernando, Madrid
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En dépit de la mort de Charles III en décembre 1788, la carrière de Goya continua de prospérer. Quelques mois après que Charles IV fut monté sur le trône, Goya fut promu Peintre de la Chambre du Roi. En 1799, on lui attribua la fonction artistique la plus élevée : Premier Peintre de la Cour, avec un salaire annuel de 50.000 réaux et 500 ducats pour son équipage. Il se vanta à son ami Zapater, déclarant : « la maison royale est folle de moi. »
La Noce 1791-1792 huile sur toile, 267 x 293 cm Musée du Prado, Madrid
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Charles IV n’avait aucune passion pour les affaires de l’Etat et se montrait peu enclin à gouverner. Il était marié à Marie-Louise de Bourbon, princesse de Parme, une femme immensément vaniteuse et obsédée de luxe. Comme peintre principal de Charles IV, la fonction essentielle de Goya était de fournir de nombreux portraits du roi et de sa famille. La grande toile de Goya représentant La Famille de Charles IV et datant de 1800, représente des membres de la famille royale grandeur nature, arborant avec ostentation habits et bijoux.
Las Gigantillas (Les petits Géants) 1791-1792 huile sur toile, 137 x 104 cm Musée du Prado, Madrid
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Une fois de plus, Goya s’introduisit lui-même dans le tableau : on le voit dans l’ombre à gauche travaillant sur une toile. Le regard fixe et sans expression, il regarde hors du tableau comme s’il observait le groupe dans un miroir. La famille royale est peinte sans aucune tentative pour améliorer leurs traits ; leur décadence et leur prétention sont clairement mises à nu ; il y a quelque chose d’étonnant à penser qu’ils n’ont élevé aucune objection.
Le Pantin 1791-1792 huile sur toile, 267 x 160 cm Musée du Prado, Madrid
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La reine Marie-Louise fut une épouse impopulaire et sa vie privée dissolue jeta même le doute sur la paternité de ses enfants. Un de ses favoris fut Manuel Godoy. Ses succès auprès de la reine lui assurèrent une ascension fulgurante vers les sommets du pouvoir. En 1792, âgé de vingt-cinq ans, il fut nommé premier secrétaire d’Etat, entamant ainsi la série des charges publiques et des titres qu’il devait détenir, y compris celui de Premier Ministre et de capitaine général de l’armée. Le Portrait de Manuel Godoy réalisé par Goya en 1801 le montre à l’apogée de sa puissance.
Jeune Femme endormie vers 1792 huile sur toile, 59 x 145 cm Collection Antonio MacCrohon, Madrid
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Ce portrait fut probablement commandé pour commémorer une victoire durant la guerre avec le Portugal, connue sous le nom de « Guerre des Oranges ». Goya peint l’assurance tranquille de Godoy ; tandis que la bataille fait rage à l’arrière-plan, le général victorieux est allongé nonchalamment sur son siège de commandement pendant qu’un aide de camp attend sa réponse à l’information transmise sur le bout de papier qu’il tient dans la main droite. L’homme le plus influent d’Espagne faisait bonne mine. L’année d’avant, Goya avait réalisé un portrait de l’épouse de Godoy, La Comtesse de Chinchón.
Corral de Locos (Maison de fous) 1793-1794 huile sur fer blanc, 43,8 x 32,7 cm Meadows Museum, Dallas
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Ce portrait, réalisé cinq mois avant la naissance de leur premier enfant, représente la comtesse assise sagement au milieu d’une pièce vide, sa naïveté rehaussée par sa robe d’un blanc argenté. Sa chevelure blonde est décorée d’épis de blé, symbole de fécondité et référence à sa maternité future, à laquelle elle ne semble guère préparée. La comtesse paraît peu sûre d’elle et elle fut probablement incapable de rivaliser avec la maîtresse de son époux, modèle probable de la Maja nue peinte par Goya.
La Marquise de la Solana 1794-1795 huile sur toile, 183 x 124 cm Musée du Louvre, Paris
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Maria Teresa quitta finalement son mari volage. Godoy était un travailleur infatigable et un réformateur fervent ; il choisit plusieurs libéraux pour diriger son gouvernement. Jovellanos était l’ami de Godoy et un des plus grands intellectuels du siècle des Lumières en Espagne. Lorsque Goya fit le portrait de Gaspar Melchor de Jovellanos en 1798, celuici venait d’être nommé ministre de la religion et de la justice.
La Duchesse d’Albe s’empoignant les cheveux 1796-1797 Album A (dit de Sanlúcar) lavis d’encre de Chine, 17,1 x 10,1 cm Bibliothèque nationale, Madrid 84
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Durant la guerre d’indépendance (18081814), l’Espagne fut divisée entre les fidèles de la Monarchie et les afrancesados, c’est-à-dire ceux qui apportèrent leur soutien aux Français, croyant que ceux-ci amèneraient un régime plus éclairé. Goya ne se rangea d’aucun côté de façon définitive, mais, plus préoccupé de son métier et de sa bourse que de politique, il accepta le poste officiel de Peintre du Roi français. A ce titre, on lui confia le soin de sélectionner cinquante œuvres d’art espagnoles à expédier en France.
Jeune Femme se baignant dans une fontaine 1796-1797 Album A (dit de Sanlúcar) lavis d’encre de Chine, 17,1 x 10,1 cm Bibliothèque nationale, Madrid 86
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Il fut également engagé pour faire les portraits d’officiers français, par exemple celui du Général Nicolas Guye, qui avait été nommé commandeur de l’Ordre des Deux-Siciles et de l’Ordre Royal d’Espagne, en même temps qu’il était fait chevalier de la Légion d’Honneur. Ferdinand VII ne posa réellement qu’une seule fois pour Goya, aussitôt après son avènement en 1808. Néanmoins, à la suite du retour du roi à Madrid après l’abdication de Napoléon en 1814, Goya réalisa plusieurs portraits de lui, prenant modèle sur le premier portrait.
Danseuse andalouse et guitariste 1796-1797 Album A (dit de Sanlúcar) lavis d’encre de Chine, 10,6 x 9,2 cm Musée du Prado, Madrid
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La toile Ferdinand VII était une commande du conseil municipal de Santander pour décorer l’Hôtel de Ville. Goya consentit à réaliser ce tableau en quinze jours et il fut exécuté conformément au contrat. Une statue très vivante,
représentant
l’Espagne,
baisse
les yeux remplis de tristesse vers le roi, signe de l’antipathie de Goya pour Ferdinand. En tant que peintre de la cour, Goya était obligé de produire des portraits de l’entourage royal, mais il eut aussi le temps de peindre des membres
de
l’aristocratie,
ses
propres
connaissances et ses amis.
Caricatura alegre (Caricature joyeuse) 1796-1797 lavis d’encre de Chine, 19 x 13 cm Musée du Prado, Madrid
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En 1785, il fit le portrait de la Duchesse d’Osuna, l’une des femmes les plus distinguées de Madrid, admirée pour son élégance et son goût exquis. Faisant partie de l’avant-garde des
Lumières
s’impliquèrent
espagnoles, dans
les
Osuna
l’amélioration
de
l’éducation et de l’industrie ainsi que dans diverses œuvres charitables. Elle employa son rang et sa fortune à protéger artistes, scientifiques et écrivains, et durant trente ans, elle fut la protectrice indéfectible de Goya. Son portrait par Goya traduit bien sa personnalité vivante et intelligente.
Máscaras crueles (Masques cruels) 1796-1797 Album B (dit de Madrid), planche 55, lavis d’encre de Chine, 23,7 x 15 cm National Gallery of Art, Washington 92
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Le Portrait de Mariana, Marquise de Pontejos fut probablement réalisé en 1786 lorsque, âgée de vingt-quatre ans, elle épousa Francisco
Antonio
Monino
y
Redondo,
ambassadeur d’Espagne au Portugal et frère du comte de Floridablanca. Ce portrait démontre que Goya connaissait bien la peinture française et anglaise. Le Portrait d’Isabel de Porcel de 1805, montre l’épouse d’un des meilleurs amis de Goya. Son mari était Antonio Porcel, un fonctionnaire du gouvernement, protégé par Godoy et ami de Jovellanos.
Saint Ambroise vers 1796-1799 huile sur toile, 190 x 113 cm The Cleveland Museum of Art, Cleveland
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Ce portrait fut réalisé au cours d’une visite que Goya leur rendit dans leur maison à Grenade, pour les remercier de leur hospitalité. Comme ce fut la mode parmi l’élite sociale de l’Espagne, Dona Isabel porte le costume de la maja, femme de la classe des artisans en Espagne. Goya a saisi l’expression d’une femme qui adore la toilette. De sa tête, la mantille noire tombe sur ses épaules, montrant les reflets dorés de ses cheveux. Tout comme dans le Portrait de Francisca Sabasa y García, réalisé aux alentours de 1805, Goya joue sur le contraste entre le noir et l’or.
Portrait de Martin Zapater 1797 huile sur toile, 83 x 64 cm Musée des Beaux-Arts, Bilbao
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Goya fit le Portrait de La Duchesse d’Albe au cours d’un séjour au domaine des ducs d’Albe en Andalousie. La duchesse d’Albe était la dame occupant le plus haut rang en Espagne après la reine et sa beauté était légendaire. Il ne fait aucun doute que l’amitié entre Goya et la duchesse ait été très intime et elle atteignit son sommet en 1797, année où ce portrait fut réalisé, un an après la mort de son mari. Les esquisses que fit Goya sur les activités quotidiennes de la duchesse, entre autres La Duchesse d’Albe arrangeant sa coiffure témoignent de leur intimité.
La Duchesse d’Albe 1797 huile sur toile, 210,2 x 149,3 cm Hispanic Society, New York
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Il n’existe cependant aucune preuve étayant la légende populaire d’une liaison romantique entre l’artiste et sa protectrice. L’importance de la religion chrétienne en Espagne au cours du XVIIIe siècle se manifeste dans le nombre des églises qui furent édifiées ou remaniées à cette époque. Le patronage de l’Eglise établit la carrière de Goya à Saragosse, où ses peintures de la Vierge, du Christ et des saints étaient très demandées. Pendant la plus grande partie de sa vie, Goya participa à de larges projets pour des fondations religieuses.
Bellos Consejos (Jolis Conseils) 1797-1798 Les Caprices, planche 15, eau-forte et aquatinte, 21,8 x 15,3 cm Calcografìa Nacional, Madrid 100
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Dans ses premières œuvres, il dut se conformer aux demandes de ses protecteurs mais, plus tard, une fois son poste de peintre à la cour de Madrid assuré, il eut assez d’assurance pour interpréter des sujets traditionnels d’une manière inventive et audacieuse. Peu après son retour d’Italie en 1771, Goya reçut sa première commande de grande importance du chapitre de la basilique du Pilar à Saragosse. La basilique avait été reconstruite à plusieurs reprises et, dans les années 1770, on avait entrepris de la remanier à nouveau, cette fois dans le style néoclassique.
El Aquelarre (Le grand Bouc) 1797-1798 huile sur toile, 44 x 31 cm Musée Lázaro Galdiano, Madrid
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Le chapitre demanda à Goya de présenter des ébauches pour le plafond du petit chœur de la Chapelle de la Vierge dans le cadre de la redécoration de l’intérieur de la basilique. Au début du mois de novembre 1771, Goya présenta un essai de fresque, pour prouver qu’il maîtrisait cette technique, et une ébauche à l’huile qui fut acceptée par le chapitre. Le devis s’élevait à 15.000 réaux, l’équivalant du salaire annuel d’un peintre de la cour ; c’était une somme considérable étant donné la petite taille de la fresque et surtout, du fait qu’il s’agissait d’un artiste inconnu, au début de sa carrière.
Tu que no puedes (Toi qui ne peux pas) 1797-1798 Les Caprices, planche 42, eau-forte et aquatinte, 21,7 x 15,1 cm
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L’Adoration du nom de Dieu par les anges glorifie l’Eglise triomphante à la manière traditionnelle de l’art baroque. Au centre de la composition, le nom de Dieu est inscrit en hébreu dans un triangle représentant la Trinité. A l’arrière plan, une explosion de lumière dorée illumine une foule d’anges flottants sur des nuages ondulants dans un espace infini. L’illusion surprenante donnée par la fresque suscita un vif intérêt et jeta les bases de la carrière de Goya, faisant de lui le peintre le plus prospère de Saragosse en seulement trois ans.
El sueño de la razon produce monstruos (Le Sommeil de la raison engendre des monstres) 1797-1798 Les Caprices, planche 43, eau-forte et aquatinte, 21,6 x 15,2 cm 106
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Le second grand projet de Goya fut une série d’épisodes de la vie de la Vierge peinte pour la chartreuse d’Aula Dei. Des onze compositions que Goya peignit pour la chapelle
du
monastère,
seules
sept
demeurent. Peintes à l’huile directement sur le plâtre, ces vastes compositions mesurent chacune environ huit mètres sur dix. Dans Les Noces de la Vierge, Goya plaça les personnages monumentaux grandeur nature sur les marches d’un escalier comme des acteurs sur une scène, créant ainsi l’illusion de plusieurs plans de profondeur.
Bruja poderosa que por ydropica… (Sorcière puissante qui, à cause de son hydropisie, est emmenée en sortie par celles qui volent le mieux) 1797-1798 plume et sépia, 24 x 16,8 cm Musée du Prado, Madrid 108
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Cet ensemble de personnages aux traits classiques qui apparaît sous une draperie rappelle les œuvres classiques que Goya avait vues durant sa récente visite à Rome. Le format néoclassique est parfaitement approprié à la solennité du sujet, quoique sa retenue et sa rigueur contrastent fortement avec les travaux religieux postérieurs de Goya. Lorsque, en 1774, son beau-frère Francisco Bayeu le pria de l’assister dans l’élaboration de cartons de tapisserie à l’intention de la famille royale, Goya saisit l’occasion de pouvoir travailler à Madrid.
Que se la llevaron ! (Et ils l’enlevèrent !) 1797-1798 Les Caprices, planche 8, eau-forte et aquatinte, 21,7 x 15,2 cm
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Bien qu’heureux d’être employé par la cour, Goya désirait néanmoins une consécration officielle. Son admission à l’Académie Royale San Fernando lui avait été refusée par deux fois. En 1780, l’œuvre qu’il présenta, le Christ en Croix, fit de sa troisième tentative un succès. Le choix du sujet du Christ en Croix ne comportait pas de risques de controverse et Goya l’exécuta délibérément dans le style du clair-obscur, un style devenu populaire dans toute l’Europe au XVIIe siècle. Créé par le Caravage, ce style se sert d’un contraste exagéré entre la lumière et l’ombre afin de rehausser l’impact dramatique.
Portrait de Josefa Bayeu vers 1798 huile sur toile, 82 x 58 cm Musée du Prado, Madrid
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S’inspirant de scènes de crucifixion de Mengs et de Vélasquez, Goya montre un Christ isolé, levant les yeux au ciel, en proie à une agonie intérieure. Même si elle est dépourvue d’originalité, cette peinture lui assura sa place à l’Académie et lui valut d’y être élu à l’unanimité. En mars 1780, des problèmes financiers obligèrent la Manufacture Royale de Tapisserie à cesser le travail et Goya fut libre d’accepter d’autres commandes. On lui demanda de revenir travailler à la basilique du Pilar, où on lui commanda la décoration, sous la direction de Francisco Bayeu, d’une des coupoles pour 60.000 réaux.
Gaspar Melchor de Jovellanos 1798 huile sur toile, 205 x 133 cm Musée du Prado, Madrid
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Cependant, plus tard, il fut amené à regretter d’avoir accepté cette commande. Goya travailla extrêmement vite et peignit 212 mètres carrés en quatre mois. Regina Martyrum montre le monde céleste peuplé de saints et d’anges qui circulent autour de la Vierge en Gloire. Le coup de pinceau délié et l’audace de la composition avec sa disposition spacieuse et sa maîtrise formidable de l’illusion de la perspective furent en totale contradiction avec l’esthétique néoclassique préférée par Bayeu.
Le Miracle de saint Antoine de Padoue 1798 fresque, diamètre 5,5 m San Antonio de la Florida, Madrid
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En février 1781, on demanda à Goya de présenter des ébauches pour les pendentifs de la coupole dont les sujets seraient la Foi, la Force, la Charité et la Patience. Un mois plus tard, ses ébauches furent rejetées sous prétexte qu’elle n’étaient « pas finies » et montraient « les mêmes défauts » que la fresque. Son image de la Charité, en particulier, fut considérée comme indécente et les fresques achevées dans la coupole auraient été « condamnées par le public ». Goya protesta furieusement auprès de l’administration de la basilique du Pilar, plaidant en faveur de la liberté créative de l’artiste.
La Maja nue 1798-1805 huile sur toile, 97 x 190 cm Musée du Prado, Madrid
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On le convainquit finalement d’effectuer les retouches requises, après quoi, il retourna à Madrid. De retour à Madrid, Goya et six autres peintres furent sollicités pour l’exécution de tableaux d’autel pour l’église de San Francisco El Grande. L’artiste choisit lui-même le sujet du vaste tableau d’autel : Saint Bernardin de Sienne prêchant en présence d’Alphonse V d’Aragon. Au centre d’une composition triangulaire conventionnelle, le saint se tient debout, une étoile au-dessus de sa tête. A droite, comme une signature, Goya introduisit une fois de plus son autoportrait ;
La Maja vêtue 1798-1805 huile sur toile, 95 x 190 cm Musée du Prado, Madrid
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il regarde le spectateur d’un air confiant, presque comme s’il savait que cette peinture serait le véritable point de départ de sa carrière. Durant les années suivantes, Goya fut occupé à dessiner des cartons de tapisserie et à exécuter des portraits. Au printemps 1798, la reine Marie-Louise lui demanda de peindre des fresques pour la chapelle royale de San Antonio de la Florida. Goya y peignit Le Miracle de Saint Antoine de Padoue. Il se détourna de la façon traditionnelle baroque de décorer les plafonds, selon laquelle les personnages se meuvent parmi des nuages ondoyants dans un jaillissement de lumière.
La Comtesse de Chinchón 1800 huile sur toile, 216 x 144 cm Collection du duc de Sneca, Madrid
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Goya mit juste quatre mois à achever les fresques de la coupole, traçant l’ébauche de la composition directement sur le plâtre humide et modifiant le dessin initial au fur et à mesure de son travail. De nos jours, la chapelle n’est pas seulement visitée pour ses fresques, mais également en tant que monument à la mémoire de Goya dont la sépulture se trouve entre les marches de l’autel. Presque vingt ans plus tard, en 1817, Goya reçut la commande d’un tableau d’autel pour la sacristie de la cathédrale de Séville. L’artiste impétueux fut obligé de réaliser plusieurs ébauches avant de satisfaire ses protecteurs.
La famille de Charles IV 1800-1801 huile sur toile, 280 x 336 cm Musée du Prado, Madrid
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La composition de Sainte Justine et sainte Rufine située dans la sacristie pour laquelle elle fut conçue, dérive d’une version de Murillo. S’il est vrai que Goya eut du mal à réaliser une image convenablement pieuse pour la cathédrale de Séville, deux autres œuvres datant de ses dernières années en Espagne témoignent par contre d’une ferveur religieuse inhabituelle chez lui. En 1819, les pères
des
Ecoles
Pieuses
à
Madrid
commandèrent un tableau d’autel pour leur chapelle. Commencée en mai, La Dernière Communion de Saint Joseph de Calasanz fut achevée en quatre mois.
Cannibales préparant leurs victimes vers 1800-1808 huile sur bois, 32,8 x 46,9 cm Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie, Besançon
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Utilisant la luminosité et une palette de couleurs semblable à celle de Rembrandt, Goya représenta le saint frêle, entouré de ses fidèles disciples, recevant l’hostie. Une fois le tableau d’autel remis, l’artiste rendit presque la moitié de ses gages et écrivit au recteur, lui déclarant s’être senti obligé de « faire quelque chose en hommage à son compatriote ». Quelques jours plus tard, il fit parvenir en cadeau à l’école le petit tableau La Prière au jardin des oliviers. S’il est vrai que les succès de
Goya
en
tant
que
portraitiste
et
peintre religieux suffiraient à eux seuls à le classer
parmi
les
grands
maîtres,
Cannibales contemplant leurs victimes vers 1800-1808 huile sur bois, 32,7 x 47,2 cm Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie, Besançon
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il est également vrai qu’il consacra une grande partie de sa carrière à l’illustration des différents aspects de la vie contemporaine espagnole. Un grand nombre d’œuvres fut réalisé de son propre chef ou consigné dans l’un de ses nombreux carnets de croquis privés, mais son travail à la Manufacture de Tapisseries de Santa Bárbara, où il créa des cartons pour les palais royaux, lui fournit d’autres occasions encore d’exécuter une vaste série de scènes basées sur l’observation de la vie quotidienne. Sa vie durant, Goya fut fasciné par les courses de taureaux.
Don Manuel Godoy vers 1801 huile sur toile, 180 x 267 cm Académie royale San Fernando, Madrid
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Aux environs de 1779, il peignit La Course de jeunes taureaux montrant des jeunes gens qui s’amusent lorsqu’un taureau est lâché dans l’enclos. Goya se représenta lui-même en toréador, vêtu de rose, se retournant pour accrocher le regard du spectateur tout en montrant son habileté à manier la cape. Plus tard, entre 1812 et 1819, Goya peindrait une Course de taureaux. En 1816, Goya annonça la première édition de la Tauromachie. Cette série de trente-trois eaux-fortes forme un ensemble donnant une vision complète de ce sport.
Isabel de Porcel 1804-1805 huile sur toile, 82 x 54 cm National Gallery, Londres 132
Les treize premières planches retracent l’histoire de la tauromachie, introduite en Andalousie par les Maures. Quand il se fut retiré en France, Goya commença à travailler sur quatre lithographies montrant des scènes de courses de taureaux. Goya garda jusqu’à la fin de sa vie le goût de l’expérimentation. Les Taureaux de Bordeaux, réalisés en 1825, sont parmi les premières gravures imprimées selon une nouvelle technique : la lithographie. Traditionnellement, les gravures étaient faites en gravant une image sur des plaques de bois ou de métal que l’on passait ensuite à l’encre.
Francisca Sabasa y García 1804-08 huile sur toile, 71 x 58 cm National Gallery, Washington
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En lithographie, l’ébauche est directement tracée sur la pierre à l’aide d’un crayon gras, au lieu d’être gravée, ce qui permet à l’artiste de
réaliser
des
formes
plus
souples.
Divertissement en Espagne présente de larges traits de crayon qui servent à indiquer le mouvement tumultueux de la foule qui se passionne pour le combat. Goya était passionné par les courses de taureaux, mais son passe-temps favori était la chasse.
La Marquise de Santa Cruz 1805 huile sur toile, 124,7 x 207,9 cm Musée du Prado, Madrid
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Le carnet de croquis de Goya, connu sous le nom d’Album F contient plusieurs scènes montrant un homme et son chien en train de chasser. Avec un lavis hâtif d’encre brune, Goya capture la force physique, l’agilité et la coordination requises pour l’exercice de ce sport. En 1775, Goya réalisa une série de scènes de chasse pour sa première commande royale. Commandés pour la salle à manger du palais de l’Escurial, ces cartons étaient conçus pour être transposés sur des tapisseries.
El Maragato menace le frère Pedro de Zalvidia vers 1806-1807 huile sur bois, 29,2 x 38,5 cm Art Institute, Chicago
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Aujourd’hui, beaucoup de ces compositions grandeur nature sont exposées au Musée du Prado, mais les esquisses restèrent la propriété de l’artiste et furent vendues comme peintures en soi. A l’origine, les sujets des tapisseries devaient représenter des scènes champêtres françaises ou des scènes hollandaises, mais Charles proposa de changer de sujet. Il souhaita voir représentés « des divertissements et des costumes de l’époque présente » qu’il jugea plus appropriés à l’ambiance informelle de sa résidence de campagne.
Le Pré de San Isidor 1788 huile sur toile, 44 x 94 cm Musée du Prado, Madrid
140
Cette demande fournit à Goya l’opportunité d’étudier ses concitoyens au travail et pendant leurs loisirs. Parmi les illustrations de la vie quotidienne de Goya, on trouve une rixe dans une
auberge,
des
lavandières
et
des
marchands des quatre saisons vendant leurs marchandises. Bal au bord du Manzanares montre des personnages bavardant, chantant et jouant de la musique pour accompagner les danseurs. Ces majos et majas, membres pauvres de la société qui travaillaient dur, portent les costumes multicolores typiques de la classe des artisans madrilènes.
Le Frère Pedro de Zalvidia tente de désarmer Maragato 1806-1807 une des six planches représentant la capture du bandit El Maragato par le frère Pedro de Zalvidia huile sur bois, 29,2 x 38,5 cm Art Institute, Chicago 142
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Il n’est toutefois pas certain que ces personnes soient de véritables artisans, il se peut aussi qu’elles représentent l’aristocratie désœuvrée dont les membres considérèrent comme le dernier chic de s’habiller de costumes imitant le style des artisans. En 1780, la Manufacture de Tapisseries fut contrainte de suspendre son activité à cause de problèmes financiers découlant des guerres contre l’Angleterre. Pendant cette période, Goya trouva du travail comme portraitiste, ainsi que dans la décoration d’institutions religieuses.
Lutte entre Maragato et le frère Pedro de Zalvidia 1806-1807 une des six planches représentant la capture du bandit El Maragato par le frère Pedro de Zalvidia huile sur bois, 29,2 x 38,5 cm Art Institute, Chicago 144
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Quand la Manufacture rouvrit ses portes en 1786, Goya reçut la commande d’une nouvelle série de cartons pour la salle à manger du Palais du Prado et ces cartons devaient comporter les toiles les plus grandes sur lesquelles Goya ait jamais travaillé. Le thème de la série était les quatre saisons. Le Printemps, L’Eté et L’Automne sont représentés par des personnages jouissant des plaisirs de chaque saison de l’année. L’Hiver contraste fortement avec les autres saisons, car il présente une scène lugubre.
Le Frère Pedro de Zalvidia triomphant de Maragato 1806-1807 une des six planches représentant la capture du bandit El Maragato par le frère Pedro de Zalvidia huile sur bois, 29,2 x 38,5 cm Art Institute, Chicago 146
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Au lieu de se plier à la convention traditionnelle d’associer l’hiver à l’abattage annuel d’un porc, symbole de la nourriture permettant de subsister pendant les sombres mois d’hiver, Goya choisit de mettre l’accent sur la misère des pauvres gens mourant de faim. L’année suivante, Goya accepta la commande de Charles III de créer des cartons destinés à la chambre à coucher de sa fille. Les cartons représentent des divertissements joyeux à Madrid. L’un des rares exemples d’un paysage dans l’œuvre de Goya, La Prairie de San Isidro, représente le jour de la fête de San Isidro, le patron de Madrid.
Le Frère Pedro de Zalvidia tire sur Maragato 1806-1807 une des six planches représentant la capture du bandit El Maragato par le frère Pedro de Zalvidia huile sur bois, 29,2 x 38,5 cm Art Institute, Chicago 148
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Cette fête importante, célébrée le 15 mai, comprenait une procession de pèlerins vers l’ermitage de San Isidro. L’esquisse ne fut jamais reproduite sur carton car Charles III mourut en 1788. Le nouveau roi, Charles IV, demanda à Goya de réaliser une série de cartons de tapisseries sur « des thèmes rustiques et comiques » pour garnir les murs de son cabinet à l’Escurial, palais qu’il préférait à celui du Prado. La série est dominée par le grand tableau intitulé La Noce, qui dépeint un mariage de convenance tragi-comique.
Maragato ligoté par le frère Pedro de Zalvidia 1806-1807 une des six planches représentant la capture du bandit El Maragato par le frère Pedro de Zalvidia huile sur bois, 29,2 x 38,5 cm Art Institute, Chicago 150
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Goya y ridiculise l’union d’une jeune fille avec un vieil homme laid mais riche. Les trois âges de l’homme sont représentés par les personnages disposés en frise ; la vieillesse est symbolisée par l’homme à droite, la mariée symbolise la jeunesse, et à gauche un garçon dansant sur une roue de carriole représente l’enfance. Le garçon ressemble quelque peu à celui porté sur les épaules d’un autre personnage dans Las Gigantillas (petits géants), un autre carton créé pour le cabinet du roi. Il est difficile
aujourd’hui
d’imaginer
l’hilarité
suscitée à l’époque par une personne difforme.
Le Colosse vers 1808-1812 huile sur toile, 116 x 105 cm Musée du Prado, Madrid
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L’idiot souligne l’intérêt de Goya pour ce qui est monstrueux et rappelle les fameux portraits des nains de la cour de Philippe IV peints par Vélasquez. Goya fit également une série de peintures pour la duchesse d’Osuna qui lui commanda aussi bien des sujets modernes que des sujets traditionnels pour décorer l’un des salons principaux de sa résidence d’été dans les environs de Madrid. En avril 1787, il présenta sept tableaux dont L’Escarpolette, Procession de Village et Bandits attaquant une diligence.
Le Rémouleur 1808-1812 huile sur toile, 68 x 50,5 cm Szépmüvészeti Múzeum, Budapest
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La scène frivole de L’Escarpolette, située dans un paysage idéalisé, est fortement influencée par les artistes français du Rococo. Une composition tout aussi équilibrée, la Procession de Village montre les deux personnes les plus importantes d’un village espagnol, à savoir le prêtre et le maire, descendant une colline à la tête du cortège derrière une effigie. De telles processions, conjuguant foi et folklore étaient très fréquentes, particulièrement en périodes de sécheresse et d’épidémies.
La Porteuse d’eau 1808-1812 huile sur toile, 68 x 52 cm Szépmüvészeti Múzeum, Budapest
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Critiquées par les réformateurs, ces processions étaient le sujet favori de discussion des membres de la société éclairée, tels les Osuna et leur cercle. Bandits attaquant une diligence présente le problème contemporain du banditisme de grand chemin, un fait très courant aux abords de Madrid. En 1798, Manuel Godoy fournit à Goya l’occasion de rivaliser
avec
la
renommée
de Diego
Vélasquez (1599-1660), son prédécesseur le plus célèbre parmi les artistes de la cour. Godoy avait acheté le tableau Vénus au miroir de Vélasquez, peint aux environs de 1650.
Majas au balcon vers 1808-1812 huile sur toile, 162 x 107 cm Collection particulière
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Godoy fit accrocher ce tableau dans un cabinet spécial au milieu d’autres tableaux de Vénus et il commanda à Goya un nu pour l’y suspendre. Le nu n’est pas courant dans l’art espagnol à cause de la désapprobation de l’Eglise. En l’occurrence, le modèle n’est probablement pas la duchesse d’Albe, comme on l’a supposé, mais la maîtresse de Godoy, Pepita Tudó, une actrice célèbre d’une grande beauté.
Général Nicolas Guye 1810 huile sur toile, 106 x 84,7 cm Collection Marshall Field, New York
160
Comme le suggère le titre du tableau, La Maja nue ne dissimule pas d’allusion mythologique ; elle n’est pas une déesse, mais une femme faite de chair et d’os. Du vivant de Goya,
ce
tableau
attira
l’attention
de
l’Inquisition qui le considéra comme obscène et immoral, et en mars 1815, le Grand Inquisiteur convoqua Goya pour le questionner. On ne connaît pas la réponse de l’artiste, mais on imagine avec difficulté comment Goya a pu défendre ce nu de toute évidence sensuel.
Caridad (Charité) 1810 Les Désastres de la Guerre, planche 27 eau-forte et lavis, 16,1 x 23,6 cm
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On ignore si La Maja vêtue fut réalisée avant ou après La Maja nue. Gardant exactement la même pose que son homologue déshabillée, mais d’un style plus hardi, le personnage est tout aussi aguichant et désirable. Ses vêtements dissimulent à peine son corps voluptueux, les ombres de sa robe dessinent la forme de ses jambes et la large ceinture rose accentue sa taille. Goya était fasciné par les femmes de toutes conditions et dans des situations différentes.
Y non hai remedio (Et c’est sans remède) vers 1810-1811 Les Désastres de la Guerre planche 15, eau-forte, 14,1 x 16,8 cm
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Ses carnets de croquis contiennent aussi La Danseuse et le guitariste andalou et le dessin érotique Jeune Femme se baignant dans une fontaine. Dans le carnet de croquis connu sous le nom d’Album B se trouve une série de dessins sur la nature et les habitudes des prostituées. Goya évoque souvent la nature enjôleuse des femmes. Son ami Moratín, chez qui Goya séjourna lors de son exil volontaire en France, le décrivit comme quelqu’un de « sourd, vieux, faible et chancelant, ne parlant pas un mot de français, mais tellement heureux et si impatient de tout essayer ».
Grande Hazaña ! Con muertos ! (Quel Exploit ! Avec des morts !) vers 1812-1815 Les Désastres de la Guerre, planche 39 eau-forte et lavis, 15,5 x 20,8 cm
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La Laitière de Bordeaux, le dernier grand tableau de sa vie immortalise une jeune fille ordinaire aux joues roses. A cause de son habitude de réutiliser des toiles ayant déjà servies, la laitière de Goya semble faire face à la tête d’un homme barbu portant un chapeau, que l’on aperçoit vaguement à travers la couleur du fond. Goya exécuta cette peinture à l’âge d’environ quatrevingts ans, à un moment de sa vie où il était libéré des contraintes des commandes ;
Lo peor es pedir (Le pire est de mendier) vers 1812-1815 Les Désastres de la Guerre, planche 55 eau-forte et lavis, 15,5 x 20,5 cm
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il peignit à coups de pinceau extrêmement libres, anticipant sur les techniques des impressionnistes. Les nombreuses commandes royales qu’il reçut pour des cartons de tapisseries permirent à Goya de coucher sur le papier ses observations sur le monde dans lequel il vivait. La plus grande partie de ces cartons furent des descriptions insouciantes de la vie à Madrid et aux alentours, mais on trouve également parmi eux des exemples précoces d’un travail plus critique à l’égard de la société.
La Forge 1812-1816 huile sur toile, 181,6 x 125 cm Collection Frick, New York
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Avec Le Maçon blessé, un carton de tapisserie datant de 1786, Goya montre les dangers
auxquels
étaient
exposés
les
travailleurs dans l’exécution de leur tâche. La peinture montre deux hommes portant un maçon blessé qui est probablement tombé de l’échafaudage que l’on aperçoit au fond. Cette image reflète le désir sincère de Charles III d’améliorer les conditions de travail des ouvriers.
Course de taureaux 1812-1819 huile sur bois, 45 x 72 cm Académie royale San Fernando, Madrid
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Les accidents survenant sur les échafaudages étaient si fréquents qu’en 1778, Charles avait émis un édit fixant des normes de sécurité à respecter dans la construction d’échafaudages et pris des dispositions pour venir en aide aux blessés et à leurs familles. D’ordinaire, l’iconographie de Goya est de nature assez générale mais, à certaines occasions, il relate des incidents précis. De 1806 à 1807, il réalisa une série de six petites peintures intitulée La Capture du bandit surnommé « El Maragato ».
Scène d’Inquisition 1812-1819 huile sur bois, 46 x 73 cm Académie royale San Fernando, Madrid
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Les six tableaux racontent dans un style vivant et narratif, les planches se suivant comme les séquences d’une bande dessinée, comment Pedro de Zaldivia, un moine courageux et déterminé, désarma le bandit connu sous le nom de « El Maragato » et en occasionna l’arrestation. L’incident fit vive impression sur l’imagination populaire en Espagne. L’histoire fut relatée dans une publication officielle et la série de Goya suivit de près cette parution.
Supplice de l’estrapade 1812-1823 Album F, planche 56, lavis de sépia, 20,5 x 14,3 cm Hispanic Society, New York
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A l’époque de Goya, le catholicisme était une force majeure dans la société espagnole. L’Eglise possédait environ un cinquième du patrimoine de la nation et, dirigée par la bureaucratie, elle engendra la stagnation économique.
Les
adeptes
du
courant
philosophique des Lumières cherchèrent à réformer l’Eglise. Dans de nombreux dessins et estampes, Goya se moque de la stupidité et des vices du clergé. Caricature joyeuse représente l’Eglise en parasite.
Chasseur chargeant son fusil 1812-1823 lavis de sépia, 20,5 x 14,2 cm Collection particulière, Paris
178
179
Moine jouant de la guitare provient d’un album de dessins réalisés entre 1824 et 1828 et dans lequel Goya dépeint des personnages qui semblent être le produit d’un croisement avec une race de géants. Les mains immenses du moine ne semblent guère lui permettre de jouer de l’instrument qu’il tient dans ses mains. Dans ses carnets de croquis, Goya fit de nombreux dessins montrant les punitions physiques, mentales et spirituelles infligées aux individus par ceux qui détenaient le pouvoir, y compris par l’Inquisition.
Chasseur avec son chien, en attente 1812-1823 lavis de sépia, 20,5 x 14,5 cm Collection particulière, Milan
180
181
Les esquisses de Goya soulignent et condamnent l’injustice du Saint-Office et sa façon, contraire à toute raison, de priver les gens de liberté. Quelle cruauté montre un corps déformé de manière grotesque, dont les angles ingrats font écho au crucifix suspendu au-dessus qui désigne les Inquisiteurs comme étant les tortionnaires. La détresse physique et la douleur extrême sont évoquées aussi bien dans l’image que dans le titre de l’ouvrage Ce n’est pas supportable.
Chasseur avec son chien 1812-1823 lavis de sépia, 20,5 x 14,2 cm Collection particulière, Paris
182
183
Supplice de l'Estrapade représente un homme sans défense, les poings liés derrière le dos que l’on remonte à plusieurs reprises du sol pour le faire retomber avec une telle force que ses bras sont démis de ses épaules. Goya exprima également le soulagement éprouvé par ceux qui furent relâchés. Divine Liberté représente un homme à genoux levant les bras et la tête dans un geste de gratitude. La Scène d’Inquisition fut réalisée entre 1815 et 1819, après le retour du despote Ferdinand VII et après que Goya eut été lui-même convoqué devant le tribunal.
Chasseur avec son chien qui rapporte un lapin 1812-1823 lavis de sépia, 20,5 x 14,6 cm The Metropolitan Museum of Art, New York
184
185
Les tableaux les plus terrifiants de Goya furent inspirés par les émeutes politiques qui ravagèrent l’Espagne durant la guerre qui sévit sur la péninsule de 1808 à 1814. Goya voyagea à travers les campagnes déchirées par la guerre pour coucher sur le papier les événements du siège de Saragosse. Ensuite, Goya retourna à Madrid où il apprit probablement
comment
Saragosse
était
tombée aux mains des Français en février 1809 et comment les derniers contingents de l’armée espagnole furent vaincus.
Ferdinand VII 1814 huile sur toile, 225,5 x 124,5 cm Musée des Beaux-Arts, Santander
186
187
Au printemps 1810, l’Espagne attaqua les Français avec une vigueur renouvelée et il s’ensuivit un combat qui devait ruiner le pays : les champs furent laissés à l’abandon, les villages pillés et incendiés et de terribles atrocités furent perpétrées de part et d’autre. Alors que les troupes de Napoléon occupaient la majeure partie de l’Espagne, Goya commença à travailler sur une série de quatrevingt-cinq gravures intitulée Les Désastres de la Guerre consacrée à la terrible bataille.
Le Deux Mai 1808 1814 huile sur toile, 266 x 345 cm Musée du Prado, Madrid
188
189
Les planches de cette série illustrent la souffrance
que les hommes s’infligent les uns
aux autres. Goya puisa ses sujets dans des incidents dont il fut le témoin lors de son voyage à Saragosse et sur le chemin du retour. Ses facultés visuelles étaient indubitablement exacerbées par sa surdité. Pour toutes ces estampes, Goya fit des dessins préparatoires, pour la plupart à la sanguine, et les scènes violentes sont représentées avec un réalisme et une vie, que seul un témoin oculaire pouvait être capable de reproduire.
Le Trois Mai 1808 1814 huile sur toile, 266 x 345 cm Musée du Prado, Madrid
190
191
Une des gravures montre des réfugiés s’enfuyant, en proie à la panique, à travers la campagne et porte en fait l’épigraphe « Je l’ai vu ». Pour renforcer l’horreur, Goya ajouta des notes ironiques. Dans Quel Exploit ! Avec des morts !, des cadavres nus et mutilés sont attachés aux branches d’un arbre. La position de chacun des trois hommes évoque l’immense souffrance subie avant de mourir. Cela est pire montre un corps mutilé empalé sur le tronc d’un arbre brisé, les traits convulsés dans un cri d’agonie.
No se puede mirar (On ne peut pas regarder cela) 1814-1823 Album C, planche 101, lavis d’encre de Chine et de sépia, 20,5 x 14,2 cm Musée du Prado, Madrid 192
193
Une branche isolée transperce les épaules de l’homme tandis qu’au fond, des soldats français s’acharnent sur d’autres victimes. Les estampes 48 à 64 des Désastres de la Guerre décrivent la terrible famine qui dura de 1811 à 1812. La guerre sur la péninsule fut également le sujet de quelques-unes des peintures les plus dramatiques de Goya. Le Colosse fait référence au poème Prophétie des Pyrénées de Juan Bautista Arriaza. Le colosse est une figure ambiguë.
Que crueldad (Quelle cruauté) 1814-1823 Album C, planche 108, lavis de sépia, 20,5 x 14,2 cm Musée du Prado, Madrid 194
195
Peut-être représente-t-il le génie tutélaire de l’Espagne qui se tourne pour faire face à son rival, Napoléon, connu sous le nom de « L’Ogre de l’Europe » ou bien, il symbolise l’impuissance, brandissant vainement ses poings serrés contre un ennemi invincible. Au premier plan, la folie est représentée sous les traits d’un âne, immobile dans le flot des masses en fuite, et qui reste toujours esclave de la selle, peu importe qui est son maître.
Divina Libertad (Divine Liberté) 1814-1823 Album C, planche 115, lavis d’encre de Chine et de sépia, 20,6 x 14,4 cm Musée du Prado, Madrid 196
197
Dès que les troupes napoléoniennes furent enfin chassées, en 1814, et que le nouveau gouvernement libéral fut en place, Goya chercha l’occasion de noter les incidents qui avaient marqué le début de ces années de violents conflits. Il obtint un soutien financier officiel afin d’ « immortaliser à l’aide du pinceau les exploits les plus remarquables et les plus héroïques, ou les scènes de notre glorieuse insurrection contre le tyran de l’Europe ». Goya réalisa deux larges toiles en commémoration des événements violents du 2 et 3 mai 1808.
Autoportrait 1815 huile sur bois, 51 x 46 cm Académie royale San Fernando, Madrid
198
Peintes six ans après les incidents, Goya nous fournit une interprétation profondément personnelle de ce qui se passa. Le Deux Mai 1808 fut ce jour fatal à Madrid, lorsqu’une foule de civils se rassembla à la Puerta del Sol près du Palais Royal et s’insurgea spontanément contre les Français. En réponse, le commandant en chef français, Murat, appela sa cavalerie à la rescousse pour écraser la rébellion et pendant deux heures, il y eut des combats féroces partout dans la ville.
Portrait de Mariano Goya vers 1815 huile sur bois, 59 x 47 cm Collection du duc d’Albuquerque, Madrid
200
Cette toile de Goya décrit un tourbillon de violence et de fureur. Le Trois Mai 1808 rappelle l’exécution de plus de quarante hommes et femmes sur la colline du Principe Pío. Le point de mire du tableau est un homme qui suffoque et écarte les bras, horrifié par son destin. Son geste suggère qu’il affronte la mort avec bravade et désespoir en même temps. Le séparant des personnages qui l’entourent dans l’ombre, la lumière crue d’une lanterne posée sur le sol devant le peloton d’exécution éclaire sa chemise blanche et son pantalon jaune.
(Témérité de Martincho dans l’arène de Saragosse) 1815-1816 dessin préparatoire pour la planche 18 de La Tauromachie sanguine 18,2 x 29,6 cm
202
203
La couleur claire de ses vêtements laisse entendre qu’il est innocent, tandis que son geste et la paume blessée de sa main droite nous rappellent le Christ crucifié. Le temps est figé, mais il n’y a aucun doute quant à ce qui va suivre. Les soldats impitoyables semblent anonymes, impénétrable
leurs
dos
et
leurs
forment
un
mur
mouvements
sont
identiques lorsqu’ils s’apprêtent à tirer, fermement campés sur leurs jambes écartées pour résister à l’effet de recul du fusil.
Desgracias acaecidas en el tendido de la plaza de Madrid, y muerte del alcalde de Torrejón (Malheurs survenus sur les gradins de l’arène de Madrid et mort du maire de Torrejón) 1815-1816 La Tauromachie, planche 21, eau-forte et aquatinte, 24,5 x 35,5 cm 204
205
Même si Goya est censé avoir été témoin des exécutions et avoir fait des croquis des cadavres, cette œuvre présente cependant quelques anomalies : Le Trois Mai 1808 était censé être une récapitulation de l’horreur de ces
exécutions.
Pour
intensifier
l’effet
dramatique, Goya a peint un paysage morne. Les deux tableaux évoquent les bruits de façon extrêmement vivante. Le Trois Mai 1808 est un jalon important dans l’évolution de la peinture du XIXe siècle.
El célebre Fernando del Toro barilarguero, obligando à la fiera con su garrocha (Le célèbre Picador Fernando del Toro excitant le taureau avec sa pique) 1815-1816 La Tauromachie, planche 27, eau-forte et aquatinte, 24,5 x 35 cm 206
207
Obéissant en apparence aux normes de la peinture officielle, le sujet de Goya n’est cependant pas un héros traditionnel classique en action mais la tension angoissée de l’instant précédant l’exécution d’un homme ordinaire. On ignore si ce chef-d’œuvre fut exposé en public du vivant de Goya. Après la première maladie de Goya en 1792, des sujets tragiques et des scènes obscures font leur apparition dans le travail de l’artiste.
Banderillas de fuego (Banderilles de feu) 1815-1816 La Tauromachie, planche 31, eau-forte et aquatinte, 24,5 x 35 cm
208
209
Pendant sa convalescence, Goya peignit une série d’ouvrages sur des feuilles de ferblanc, qu’il présenta à l’Académie. Cette série consiste en onze tableaux dont six représentent des taureaux, des courses de taureaux et des comédiens ambulants ; les autres représentent des scènes de souffrance humaine et de désespoir dans lesquelles il n’y a pas de guérison à la maladie et pas d’espoir. Dans leur ensemble, ces gravures marquent une orientation nouvelle dans la carrière de Goya, où il commença à explorer la face sombre de la nature humaine.
Que se rompe la cuerda (La Corde va se rompre) vers 1815-1820 eau-forte et aquatinte, 17,5 x 22 cm Musée du Prado, Madrid
210
211
Parmi ces tableaux se trouve La Maison de fous. Goya révéla la tragique réalité de tels établissements, générant
la
crasseux,
sur-peuplés
claustrophobie.
Durant
et les
e
dernières années du XVIII siècle, à une époque où les hommes et les femmes éclairés pensaient que c’était signe de peu d’intelligence que de croire aux choses occultes, Goya commença à s’intéresser au thème de la sorcellerie.
Sainte Justine et sainte Rufine 1817 huile sur toile, 309 x 177 cm Sacristie de la cathédrale de Seville
212
213
Le Grand Bouc, aussi appelé Le Sabbat des sorcières est l’une des six peintures sur le thème de la sorcellerie qui garnissaient les murs du boudoir de la duchesse d’Osuna à La Alameda, sa maison de campagne. On ignore s’il s’agit là d’une commande spéciale de sa protectrice libérale, ou si elle acheta les peintures une fois terminées. Goya s’adonna à son goût du fantastique avec une collection de dessins à la plume, intitulée Songes, qu’il entreprit en 1797.
La dernière Communion de saint Joseph de Calasanz 1819 huile sur toile, 250 x 180 cm Eglise Saint-Antoine-Abbat, Madrid
214
215
Il les perfectionna, les grava et en fit une série de quatre-vingts eaux-fortes intitulée Les Caprices qui fut mise en vente le 6 février 1799. Les Caprices peuvent être considérés comme la contribution de Goya à la lutte des intellectuels espagnols, désireux d’introduire en Espagne les idées des Lumières. Ces gravures, traversées de pointes satiriques et caricaturales, suscitent des émotions excessives, parmi lesquelles, la peur et l’horreur.
La Prière au jardin des oliviers 1819 huile sur toile, 47 x 35 cm Collège des Ecoles pieuses de Saint-Antoine, Madrid
216
S’il est vrai que ces gravures expriment en général une critique, le sens de quelques images de Goya reste aujourd’hui obscur. Les planches sont numérotées et portent des inscriptions explicatives, mais celles-ci ne livrent pas toujours le sens parce que Goya se servit de proverbes connus, de figures de rhétorique, de passages de dictons et de doubles sens. L’intention de Goya est manifestement de ridiculiser l’ordre social existant,
Goya soigné par Arrieta 1820 huile sur toile, 117 x 79 cm Institute of Arts, Minneapolis
218
219
dans lequel le travailleur opprimé, à peine capable
de
survivre
avec
ses
gages
misérables, entretient un aristocrate, un membre improductif de la société, qui considère
tout
travail
utile
comme
déshonorant. L’image est certes comique, mais le ton moralisateur ne peut être ignoré. Le Sommeil de la raison engendre des monstres représente un artiste qui, en travaillant la nuit, s’est endormi la tête sur les bras, appuyé sur un meuble couvert de feuilles de papier et de crayons.
Saturne dévorant ses enfants 1820-1823 huile sur plâtre, transférée sur toile, 143,5 x 81,4 cm Musée du Prado, Madrid
220
221
Son travail de créateur a été interrompu par le sommeil et la raison céda la place à l’imagination
de
son
subconscient.
Le
cauchemar dans son esprit est illustré par les créatures qui sortent de l’obscurité et tournent autour de lui, pendant qu’un lynx allongé observe, et qu’au centre, un chat noir regarde fixement avec de grands yeux hostiles. On peut supposer que le personnage soit désespéré, incapable de poursuivre ; il s’agit là d’une image traditionnelle de la mélancolie.
Le Pèlerinage de San Isidro 1820-1823 huile sur plâtre, transférée sur toile, 140 x 438 cm Musée du Prado, Madrid
222
223
Le Sommeil de la raison se situe au milieu de la série, après les images satiriques de la société et en introduction au thème de la sorcellerie. On peut donc émettre l’hypothèse que l’écrivain ait abandonné son travail parce qu’il se doute que la vérité ne sera jamais découverte par la raison. En même temps, cette image montre comment l’imagination est libérée lorsque la raison est plongée dans le sommeil. Les chauves-souris, chouettes et autres animaux qui peuplent la nuit nous entraînent dans le monde imaginaire de Goya.
La Leocadia 1820-1823 huile sur plâtre, transférée sur toile, 147 x 132 cm Musée du Prado, Madrid
224
Les planches suivantes montrent des lutins, des démons, des fantômes et une foule de sorcières. Goya illustre l’initiation de sorcières novices, leurs rites et leurs remarquables habitudes nocturnes. Il y a plusieurs scènes montrant des sorcières en vol, comme le dessin préparatoire de la planche numéro 65, intitulé Sorcière puissante qui, à cause de son hydropisie, est emmenée en sortie par celles qui volent le mieux. Goya utilisa les sorcières pour réaliser des effets comiques mais, ce qui est plus important, elles lui servirent aussi d’allégories du comportement humain.
Le Chien 1820-1823 huile sur plâtre, transférée sur toile, 131,5 x 79,3 cm Musée du Prado, Madrid
226
227
En procédant ainsi, il insinua que la ligne séparant les activités humaines et la magie noire est très mince. En faisant les gravures des dessins des Caprices, Goya espérait rendre son travail accessible à un large public. De la réclame fut faite pour la série le 6 février 1799 dans le quotidien Diario de Madrid. Le 19 février, la réclame parut une nouvelle fois mais, au lieu d’être généralement disponible dans les librairies madrilènes comme la fois précédente,
Deux Etrangers 1820-1823 huile sur plâtre, transférée sur toile, 125,1 x 261 cm Musée du Prado, Madrid
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229
cette fois-ci, la série pouvait uniquement être achetée dans un magasin de parfums et d’alcools situé dans l’immeuble qu’habitait Goya. Deux jours plus tard, les gravures furent retirées de la vente. Que Goya ait changé d’avis est probablement dû à la crainte qu’une large distribution de ses satires sociales impitoyables, ayant trait à de sordides intrigues à la cour, puisse entraîner des conséquences fâcheuses, et que les acheteurs puissent être poursuivis en justice.
Vision fantastique ou Asmodée 1820-1823 huile sur plâtre, transférée sur toile, 127 x 263 cm Musée du Prado, Madrid
230
231
En Grande-Bretagne, où depuis les jours de William Hogarth, personne n’était à l’abri du ridicule, il était évident que la caricature constituait une arme politique puissante. En Espagne, ce genre de gravures était interdit. En février 1819, Goya acheta une maison près de l’ermitage de San Isidro. Portant déjà par coïncidence le nom de « Quinta del Sordo » (la maison du sourd), cette maison devint le lieu de rassemblement des amis de Goya.
Judith vers 1821-1823 huile sur plâtre, transférée sur toile, 146 x 84 cm Musée du Prado, Madrid
233
Après sa maladie, qui avait failli l’emporter durant l’hiver 1819, Goya se mit à décorer sa maison d’une série de peintures, connues sous le nom de peintures noires. Goya peignit de larges compositions à l’huile, à coups de pinceau rapides, directement sur le plâtre des murs. Ces peintures furent transférées sur des toiles en 1873 et se trouvent actuellement au Musée du Prado. Elles sont peuplées de personnages sinistres et, à cause de leur nature extrêmement visionnaire, la signification de ces œuvres connut diverses interprétations.
Le grand Bouc 1821-1823 huile sur plâtre, transférée sur toile, 140 x 438 cm Musée du Prado, Madrid
234
235
Traditionnellement, ces peintures ont été considérées comme une étude du comportement humain, dans l’intention de comprendre le fléau qui frappa le pays du peintre. Une autre hypothèse serait qu’elles pourraient tout simplement être une réaction au nouvel engouement de l’Europe pour les représentations violentes, mystérieuses et surnaturelles. Ces tableaux étaient censés être regardés dans une obscurité quasi totale, à la lueur d’une bougie et peut-être l’artiste a-t-il convié des hôtes afin de les divertir avec ses inventions.
Deux Vieillards 1821-1823 huile sur plâtre, transférée sur toile, 144 x 66 cm Musée du Prado, Madrid
236
237
Goya s’inquiétait du fait que ses peintures puissent l’incriminer et, à la restauration du pouvoir absolu de Ferdinand VII en 1823, transféra la « Quinta del Sordo » au nom de son petit-fils, Mariano. Au début de l’année suivante, Goya se cacha et demanda un congé pour aller en France sous prétexte d’y faire une cure. Le 24 juin, il arriva à Bordeaux au domicile de son ami, l’auteur dramatique Leandro Fernandez de Moratín.
Le Saint-Office 1821-1823 huile sur plâtre, transférée sur toile, 123 x 166 cm Musée du Prado, Madrid
238
239
Goya s’installa à Bordeaux et vécut en exil volontaire
parmi
les
représentants
de
l’Espagne libérale jusqu’à sa mort, à l’âge de quatre-vingt-deux ans. La vie et l’œuvre de Francisco
Goya
semblent
présenter
de
nombreuses contradictions. Durant près de quarante ans, Goya fut le peintre principal de la cour et il se fit le rapporteur de l’étincelante richesse de la noblesse espagnole. En même temps, Goya fut un penseur libéral, et ce, dans l’un des pays les moins éclairés d’Europe.
Hercule Farnèse Dessin du Cuaderno Italiano Musée du Prado, Madrid
240
241
Il fut un commentateur infatigable des conditions sociales de son époque. Il haïssait l’autorité sous toutes ses formes. Dans ses travaux privés, Goya exprima une souffrance universelle et analysa minutieusement le genre humain. Goya était un pragmatique et pourtant, sa pensée était aussi préoccupée par des visions inquiétantes et par le surnaturel.
Moine jouant de la guitare 1824-1828 Album H, planche 3 pierre noire, 18,3 x 13,6 cm Musée du Prado, Madrid
242
Un incident macabre posthume confère encore plus d’intérêt à la vie de cet artiste fascinant. Lorsqu’en 1901, on exhuma son corps de sa sépulture à Bordeaux pour le transférer à Madrid, on s’aperçut que sa tête avait été mystérieusement retirée de sa tombe. Son rejet de l’héroïsme et son refus de glorifier ou d’idéaliser influencèrent fortement les peintres réalistes français du milieu du XIXe siècle.
Diversión en España (Divertissement en Espagne) 1825 lithographie, 30 x 41 cm
244
245
Inspirés par Goya, Jean-François Millet et Gustave
Courbet
peignirent
les
classes
ouvrières et les conditions très dures dans lesquelles elles vivaient. D’autres grands peintres français, Eugène Delacroix et Honoré Daumier, pour n’en citer que deux, doivent beaucoup à l’œuvre de Goya. Son plus grand admirateur fut peut-être Edouard Manet, qui s’inspira de chefs-d’œuvre de Goya pour réaliser plusieurs de ses toiles principales.
La Laitière de Bordeaux 1825-1827 huile sur toile, 74 x 68 cm Musée du Prado, Madrid
246
Index A L’Adoration du nom de Dieu par les anges
9
L’Automne
45
Autoportrait
11
Autoportrait
71
Autoportrait
199
B Bal au bord du Manzanares Banderillas de fuego (Banderilles de feu)
17 209
Bandits attaquant une diligence
57
Bellos Consejos (Jolis Conseils)
101
Bruja poderosa que por ydropica… (Sorcière puissante qui, à cause de son hydropisie, est emmenée en sortie par celles qui volent le mieux)
109
C Cannibales contemplant leurs victimes
129
Cannibales préparant leurs victimes
127
248
Caricatura alegre (Caricature joyeuse) Caridad (Charité) Charles IV
91 163 67
Chasseur avec son chien
183
Chasseur avec son chien qui rapporte un lapin
185
Chasseur avec son chien, en attente
181
Chasseur chargeant son fusil
179
Le Chien
227
Christ en Croix
23
Le Colin-maillard
65
Le Colosse
153
La Comtesse de Chinchón
123
Corral de Locos (Maison de fous) Course de taureaux
81 173
D Danseuse andalouse et guitariste La dernière Communion de saint Joseph de Calasanz
89 215
Desgracias acaecidas en el tendido de la plaza de Madrid, y muerte del alcalde de Torrejón
249
(Malheurs survenus sur les gradins de l’arène de Madrid et mort du maire de Torrejón)
205
Deux Etrangers
229
Le Deux Mai 1808
189
Deux Vieillards
237
Diversión en España (Divertissement en Espagne)
245
Divina Libertad (Divine Liberté)
197
Don Manuel Godoy
131
Don Manuel Osorio Manrique de Zuñiga
63
La Duchesse d’Albe
99
La Duchesse d’Albe s’empoignant les cheveux
85
La Duchesse d’Osuna (comtesse de Benavente)
37
E El Aquelarre (Le grand Bouc)
103
El célebre Fernando del Toro barilarguero, obligando à la fiera con su garrocha (Le célèbre Picador Fernando del Toro excitant le taureau avec sa pique)
207
El Maragato menace le frère Pedro de Zalvidia
139
El sueño de la razon produce monstruos (Le Sommeil de la raison engendre des monstres)
107
L’Escarpolette
53
L’Eté
43
250
F La Famille de Charles IV La Famille de l’Infant Louis de Bourbon
125 35
Ferdinand VII
187
La Forge
171
Francisca Sabasa y García
135
Le Frère Pedro de Zalvidia tente de désarmer Maragato
143
Le Frère Pedro de Zalvidia tire sur Maragato
149
Le Frère Pedro de Zalvidia triomphant de Maragato
147
G Gaspar Melchor de Jovellanos
115
Général Nicolas Guye
161
Le Goûter
15
Goya soigné par Arrieta
219
Le Grand Bouc
235
Grande Hazaña ! Con muertos ! (Quel Exploit ! Avec des morts !)
167
H/I Hercule Farnèse Dessin du Cuaderno Italiano L’Hiver Isabel de Porcel
241 47 133
251
J Jeune Femme endormie
79
Jeune Femme se baignant dans une fontaine
87
Judith
233
L La Laitière de Bordeaux Las Gigantillas (Les petits Géants)
247 75
La Leocadia
225
Lo peor es pedir (Le Pire est de mendier)
169
Lutte entre Maragato et le frère Pedro de Zalvidia
145
M Le Maçon blessé
49
La Maja nue
119
La Maja vêtue
121
Majas au balcon
159
Maragato ligoté par le frère Pedro de Zalvidia
151
Maria Teresa de Bourbon
31
La Marquise de la Solana
83
Marquise de Pontejos
39
252
La Marquise de Santa Cruz Máscaras crueles (Masques cruels)
137 93
Le Miracle de saint Antoine de Padoue
117
Moine jouant de la guitare
243
N/O No se puede mirar (On ne peut pas regarder cela)
193
La Noce
73
Les Noces de la Vierge
13
La Novillada
25
L’Ombrelle
19
P Le Pantin
77
Le Pèlerinage de San Isidro
223
La Porteuse d’eau
157
Portrait de Charles III en costume de chasse
51
Portrait de Josefa Bayeu
113
Portrait de Mariano Goya
201
Portrait de Martin Zapater
97
253
Portrait du comte de Floridablanca
33
La Prairie de San Isidoro
59
Le Pré de San Isidor
141
La Prière au jardin des oliviers
217
Le Prince Baltasar Carlos
21
Le Printemps
41
Procession de Village
55
Q Que crueldad (Quelle Cruauté)
195
Que se la llevaron ! (Et ils l’enlevèrent !)
111
Que se rompe la cuerda (La Corde va se rompre)
211
R Regina Martyrum
27
La Reine Marie-Louise
69
Le Rémouleur
155
S Saint Ambroise
95
Saint Bernardin de Sienne prêchant en présence d’Alphonse V d’Aragon
29
254
Saint François Borgia et le moribond impénitent
61
Sainte Justine et sainte Rufine
213
Le Saint-Office
239
Saturne dévorant ses enfants
221
Scène d’Inquisition
175
Supplice de l’estrapade
177
T (Témérité de Martincho dans l’arène de Saragosse)
203
Le Trois Mai 1808
191
Tu que no puedes (Toi qui ne peux pas)
105
V/Y Vision fantastique ou Asmodée
231
Y non hai remedio (Et c’est sans remède)
165
255