Folies à la Salpêtrière: Charcot, Freud, Lacan 9782759818877

Jean Martin Charcot n’a pas bonne presse, et pourtant... Hystérie et folie traversent les siècles, prenant les formes de

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French Pages 238 Year 2015

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Table of contents :
Sommaire
Présentation. La Salpêtrière, un théâtre de l’hystérie
Avant-propos 120 et 400 ans
Les Folles d’Enfer de la Salpêtrière
1. Charcot et la Salpêtrière
Charcot, Babinski, Clovis Vincent
Jean-Martin Charcot (1825-1893) : histoire documentée d’un itinéraire
Des femmes à l’écart, ou Charcot, Freud, Lacan
Le jeune Freud à la Salpêtrière (1885-1886)
2. Question de corps...
Somatose, hystérie et maladie des nerfs
Paradoxes et impasses : le désir hystérique
La crise comitiale : scène d’un réel
Freud avec Charcot : du symptôme hystérique au fantasme
Charcot, Freud et le transfert
Les figures et les mots du réel
L’hystérie : le temps de l’amour
Les auteurs
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Folies à la Salpêtrière: Charcot, Freud, Lacan
 9782759818877

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Folies à la Salpêtrière Charcot, Freud, Lacan

Photo de couverture : « Une leçon clinique du docteur Charcot à la Salpêtrière en 1887 » de Pierre-André Brouillet. Étudiants du service du Professeur Jean-Martin Charcot (1825-1893) qui explique le cas de Blanche Wittman, sa patiente et cobaye préférée pour ses recherches sur l’hystérie. Il est assisté de Joseph Babinski (1857-1932). Peinture de Pierre-André Brouillet (1857-1914), 1887. Paris, Musée d’Histoire de la Médecine – © Photo Josse/ Leemage.

EDP Sciences 109, avenue Aristide Briand 92541 Montrouge Cedex, France Tél. : 01 41 17 74 05 Fax : 01 49 85 03 45 17, avenue du Hoggar PA de Courtabœuf 91944 Les Ulis Cedex A, France Tél. : 01 69 18 75 75 Fax : 01 69 86 06 78 www.edpsciences.org © EDP Sciences, 2015 ISBN : 978-2-7598-1268-4 Il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage – loi du 11 mars 1957 – sans autorisation de l’éditeur ou du Centre Français d’Exploitation du Droit de Copie (CFC), 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

Folies à la Salpêtrière Charcot, Freud, Lacan

Sous la direction de

Houchang GUILYARDI

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Sommaire

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Présentation

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La Salpêtrière, un théâtre de l’hystérie D’une scène à l’autre : Charcot, Freud, Lacan Avant-propos 120 et 400 ans

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Les Folles d’Enfer de la Salpêtrière

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Mâkhi XENAKIS Entretien avec Danièle Epstein

1. Charcot

et la Salpêtrière

Charcot, Babinski, Clovis Vincent

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Élisabeth ROUDINESCO

Jean-Martin Charcot (1825-1893) : histoire documentée d’un itinéraire Alain LELLOUCH

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Des femmes à l’écart, ou Charcot, Freud, Lacan

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Marie JEJCIC

Le jeune Freud à la Salpêtrière (1885-1886)

81

Michelle MOREAU RICAUD

2. question de corps... Somatose, hystérie et maladie des nerfs

103

Houchang GUILYARDI

Paradoxes et impasses : le désir hystérique

123

Danièle EPSTEIN

La crise comitiale : scène d’un réel

139

Marie-José Sophie COLLAUDIN

Freud avec Charcot : du symptôme hystérique au fantasme

159

Marco Antonio COUTINHO JORGE

Charcot, Freud et le transfert

167

Danièle LÉVY

Les figures et les mots du réel

207

Colette SOLER

L’hystérie : le temps de l’amour

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Christian PISANI

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LES AUTEURS

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La Salpêtrière, un théâtre de l’hystérie D’une scène à l’autre : Charcot, Freud, Lacan

Possédées du malin au Moyen-Âge, les sorcières hystériques sont vouées au bûcher. Enfermées au XVIIe siècle, maltraitées, elles rejoignent la Cour des Miracles de l’Hospice de la Vieillesse-Femmes à la Salpêtrière, lieu de la grande exclusion, lieu de réclusion des femmes dérangeantes, indigentes, folles incurables, âgées ou gâteuses... Jusqu’à ce que le Dr Jean-Martin Charcot (1825-1893) mène le combat qui transforme l’ancien hospice en hôpital : l’École de la Salpêtrière de Paris est née, qui devient lieu de recherche, d’enseignement et de soins, de renommée internationale. Alors que l’hystérie était, comme le rapporte Charles Lasègue, une sorte de « corbeille » dans laquelle la médecine jetait ce qu’elle échouait à classer, Charcot donne enfin une place légitime à ceux que Wilhelm Griesinger prenait pour des « simulateurs » et confère à l’hystérie, jusqu’alors véritable « bête noire de la médecine », un

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La Salpêtrière, un théâtre de l’hystérie

statut d’authentique maladie. Renouvelant les gestes de Pinel et de Pussin, il libère les malades hystériques des chaînes de préjugés séculaires. Devant les succès de la méthode anatomo-clinique, Charcot applique à l’hystérie la démarche expérimentale, mais ne parvenant pas à identifier chez ces patient(e)s d’authentiques lésions, il est amené à opérer la distinction entre symptomatologie neurologique, et symptomatologie fonctionnelle de l’hystérie. Après avoir tenté divers traitements physiques, métallo- et électrothérapie, aimants, compression des ovaires – il s’aperçoit qu’il peut avantageusement remplacer ces techniques par l’hypnose. Tels des prestidigitateurs, les médecins hypnotiseurs de la Salpêtrière font alors surgir et disparaître contractures, paralysies, spasmes, convulsions, cécité... Un trajet qui le surprend lui-même, jusqu’à devoir abandonner l’idée d’une localisation lésionnelle, et se voir contraint de reconnaître le rôle du traumatisme et de sa représentation dans la production des symptômes hystériques. Attiré par la notoriété de Charcot, le jeune Freud arrive à Paris fin 1885 comme neuro-pathologiste. Il en repart quelques mois plus tard pour fonder la Psychanalyse. Au travers du corps de l’hystérique en convulsions, incarné par Blanche, Augustine ou Geneviève, vedettes des Leçons du Mardi, Freud découvre une mise en scène de fantasmes et de désirs inconscients. « Où sont-elles passées les hystériques de jadis, ces femmes merveilleuses, les Anna O., les Emmy von N... qui permirent la naissance de la psychanalyse ? » s’interroge Lacan. De l’hystérique, sujet d’une parole, il passera à la structure qui soutient cette parole, pour faire du « discours de l’hystérique », l’un des discours faisant lien social. Car Charcot n’a pas fabriqué seul l’hystérie. L’hystérique est le partenaire de son maître, mais si le maître

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FOLIES À LA SALPÊTRIÈRE - CHARCOT, FREUD, LACAN

gouverne, l’hystérique règne. Avec ses énigmes montrées en son corps, l’hystérique a conduit le maître à produire un savoir bouleversant le XXe siècle. De nos jours, la nomenclature du DSM veut évacuer tant la parole du Sujet que la structure, au profit d’un catalogue de troubles « somatoformes », volontairement désubjectivés : point de mal de vivre, de maladie d’amour, d’angoisse, de conflit, de culpabilité, de castration, comme destins de la condition humaine. Des théories utérines de l’Antiquité aux recherches neurologiques de Charcot, de la découverte du désir inconscient par Freud à la condition de parlêtre chez Lacan, l’hystérie traverse les siècles, et ses manifestations prennent la forme que « l’air du temps » leur propose. C’est à cette traversée historique et conceptuelle que nous vous convions...

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Avant-propos 120 et 400 ans

L’Association Psychanalyse et Médecine (APM) a organisé, avec l’Université Paris XIII, les 4 et 5 octobre 2013, un colloque dans l’amphithéatre Charcot, pour célébrer les quatre cents ans de la création de l’hôpital de la Salpêtrière, et le cent-vingtième anniversaire de la mort de Charcot. Réunissant psychanalystes, sociologues, historiens, écrivains, artistes, chacun y apporta un regard permettant de sortir Charcot de ses limbes et des mythes entourant le personnage, pour retrouver l’acuité de son apport, tant à la médecine qu’à ce qui lui échappe. Charcot fut celui qui ouvrit la voie à la découverte de l’inconscient, et eut le courage et l’honnêteté de ne pas s’en détourner. Au cours de ces deux journées de réflexion, riches de travail et d’échanges, nous avons traversé quatre siècles d’histoire, quatre siècles parcourant le cheminement des représentations et la place réservée à l’hystérie dans la Société. Ce fut tout d’abord le temps de l’enfermement tragique de ces femmes que la plasticienne et écrivain Mâkhi Xenakis a mis en scène, en écriture et en sculpture, avec les Folles d’Enfer de la Salpêtrière 1, une plongée dans la préhistoire de l’hôpital, alors Hospice de la Vieillesse-Femmes, créé par

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Avant-propos

un édit de Louis XIV. Jusqu’à ce que Charcot vienne marquer de son sceau une ère nouvelle dans le traitement – après les mauvais traitements – de ces femmes dites incurables. Contrairement à ses collègues qui évitaient ce poste peu prestigieux, Charcot passa toute sa carrière à la Salpêtrière transformant ce lieu réservé aux vieillards, indigentes, femmes « incurables », enfants, voleurs, mendiantes et autres miséreux, en un pôle d’attraction international, L’École de la Salpêtrière. De sa nomination comme médecin, en 1862, à la création, vingt ans plus tard, de la Chaire de clinique des maladies nerveuses, c’est un combat que Charcot, anatomoclinicien et chercheur, a mené et gagné contre l’archaïsme de la Faculté de Médecine et pour l’émergence d’un hôpital moderne. Un combat que Marcel Gauchet compare à « un tour de force stratégique... qui a consisté à transformer une position de faiblesse initiale en une position maîtresse 2 ». Homme-charnière, Charcot permit d’interroger l’autre scène de ces femmes qui se donnaient en spectacle. « Il se monte autour de la Salpêtrière, dans les années 1880, un théâtre de l’hystérie où la théâtralité hystérique se trouve démultipliée, exaltée, au point de devenir un écran derrière lequel on ne voit pas ce qui se passe réellement 3 ». Le théâtre hystérique a, en effet, recouvert d’une légende les découvertes scientifiques et médicales du chercheur hors pair qu’était Charcot. Car il ne se contenta pas des feux de la rampe qui fascinaient un public mondain, il mit au travail, sans relâche, cette énigme à laquelle l’hypnose le confronta, qui le mena à l’établissement de diagnostics différentiels, et au seuil de la découverte de l’inconscient. Le Charcot théâtral qui a marqué les esprits était avant tout un brillant chercheur, anatomopathologiste et neurologue, un des supports de la découverte freudienne, mais aussi un des piliers de la médecine moderne.

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FOLIES À LA SALPÊTRIÈRE - CHARCOT, FREUD, LACAN

Avec lui, une porte s’ouvre sur une dimension nouvelle, car s’appuyant sur ses connaissances scientifiques, il nous propulse dans un champ d’interprétation au-delà d’un jugement moral. À l’automne 1885, arrive à la Salpêtrière comme stagiaire, un jeune neurologue viennois, Sigmund Freud. Très impressionné par les démonstrations du Maître, il sut rebondir pour poursuivre le travail de Charcot... et s’en écarter. De la fascination du regard, il bascula vers l’écoute de la parole de ces femmes jusqu’ici muettes, une écoute saisie au travers d’un dispositif que Freud précisera, avec leur aide, au fil du temps. Un fil clinique et théorique qui nous mènera jusqu’à Jacques Lacan qui désenclavera l’hystérie de son statut de maladie, pour l’élever à la dignité d’un « discours ». Cet ouvrage, issu du colloque La Salpêtrière, un théâtre de l’hystérie. D’une scène à l’autre : Charcot, Freud, Lacan 4 cherche à rendre compte de la complexité de cette découverte et de la façon dont elle a cheminé. Il regroupe les contributions d’un certain nombre d’auteurs ayant participé à cet événement. Nous concluerons, en soulignant avec Marcel Gauchet, « l’inventivité d’un parcours », celui de Charcot, pour faire la distinction entre « la prétendue doctrine de la Salpêtrière » et « la pensée qui, chez Charcot, n’a cessé d’être en mouvement, à l’écoute des leçons des nouveaux cas, en clinicien toujours en éveil. » [...] « Un travail du médecin contre lui-même pour mettre en lumière des phénomènes relevant d’un autre ordre de déterminisme que celui qu’il connaît. [...] Avec Charcot, nous avons peu d’exemples d’honnêteté scientifique, d’intégrité scientifique aussi poussée dans l’épopée médicale 5 ». Association Psychanalyse et Médecine

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Avant-propos

1. Mâkhi Xenakis, Les folles d’enfer de la salpêtrière, Arles, Actes Sud. Site officiel : http://www.makhi-xenakis.com/ – Film sur http://vimeo.com/73813113 2. Extrait de l’intervention de Marcel Gauchet, Charcot, une clinique en mouvement, dans laquelle il retraça le parcours exceptionnel de Charcot, lors du Colloque La Salpêtrière, un théâtre de l’hystérie. D’une scène à l’autre : Charcot, Freud, Lacan, le 5 octobre 2013, (Cf. également Marcel Gauchet, Gladys Swain, Le vrai Charcot – Les chemins imprévus de l’inconscient, Paris, Calmann Lévy, 1997. 3. Ibid. 4. Colloque organisé par l’Association Psychanalyse et Médecine et l’Université Paris XIII-Villetaneuse, en partenariat avec l’Université de l’État de Rio de Janeiro (UERJ), l’Université Veiga de Almeida (UVA-RJ), la compagnie « Inconscient sur scène » et l’Association Insistance, les 4 et 5 octobre 2013, à l’amphithéâtre Charcot de l’hôpital de la Salpêtrière. 5. Marcel Gauchet, Gladys Swain, Le vrai Charcot – Les chemins imprévus de l’inconscient, Paris, Calmann Lévy, 1997.

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Les Folles d’Enfer de la Salpêtrière Mâkhi XENAKIS Entretien avec Danièle Epstein

Pourquoi une artiste, Mâkhi Xenakis, sculptrice, écrivain fut-elle invitée à ouvrir cette journée, dédiée à la Salpêtrière, à Charcot, et à l’hystérie ? Pour dire autrement ce que les archives ne suffisent pas à dire. DE : Mâkhi, pouvez-vous nous dire qui sont ces « Folles d’Enfer de la Salpêtrière », et comment a germé en vous cette idée ? MX : Lorsque j’ai été invitée à exposer mes sculptures à la Salpêtrière, en 2004, j’ai cherché à connaître l’histoire de ces lieux et me suis immergée dans les archives de l’Assistance Publique. Étudiant la période de sa création par Louis XIV en 1657 jusqu’à l’arrivée de Charcot en 1862, j’en ai exhumé des manuscrits pour la plupart

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Mâkhi Xenakis

inédits qui m’ont profondément bouleversée. J’ai alors décidé de faire spécialement des sculptures liées à cette partie de notre histoire peu connue. La Salpêtrière fut le plus grand lieu d’enfermement de femmes depuis Louis XIV. Des mendiantes mais aussi des folles, des criminelles, des filles de joie, des sorcières, des homosexuelles, des juives, des épileptiques, des aveugles, des adultérines, des protestantes, des vénériennes, des filles grosses, des orphelines, des « coquines de toutes sortes »... La rédemption par le travail et la prière. Ces femmes, vêtues de la même robe de prisonnière, chaussées des mêmes sabots, pour la plupart, le crâne rasé, devaient, par centaines, chaque matin, dès l’aube, traverser les cours et les jardins de l’hôpital, se rejoindre dans leurs nefs respectives et assister à la messe dans la chapelle Saint-Louis. Elles repartaient ensuite, selon un emploi du temps rigoureux, dans leur cellule ou leur dortoir, travailler jusqu’au soir. La plupart ne ressortaient pas vivantes de ces lieux. DE : Une confrontation qui ne vous a pas laissée indemne. MX : Effectivement, j’étais tellement effarée par tout ce que je découvrais que je n’arrivais plus à penser à autre chose... Alors j’ai décidé de faire sortir de l’oubli toutes ces femmes, à la fois par des sculptures nouvelles, liées à leur souffrance et par un livre que j’ai proposé à mon éditeur, Actes Sud, qui a accepté. Le matin, j’allais à la bibliothèque des archives de l’Assistance Publique, rue des Minimes, retranscrire sur mon ordinateur les écrits que je découvrais puis, dès mon retour à l’atelier, je tentais de réincarner la présence oubliée de ces milliers de femmes dans mon travail de sculpture en ciment armé teinté. Le soir, je reprenais les archives éparses sur mon ordinateur et tentais de lier dans la chronologie leur

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LES FOLLES D’ENFER DE LA SALPÊTRIÈRE

histoire. Le style que j’utilisais, sans ponctuations, était destiné à relier dans un même style d’écriture tous les textes, écrits parfois même en vieux français. Une sorte de psalmodie permettant d’entendre sans aucune emphase les pires instants vécus par toutes ces femmes oubliées. DE : En ciment « armé » ? Le choix du matériau m’évoque votre façon de « prendre les armes » pour rendre justice à ces femmes qui incarnent toute la misère du monde, celles qu’on préférait enfermer pour ne plus les voir ? Évidemment au nom du Bien, de l’ordre public et de l’ordre moral. MX : Le ciment est un matériau qui me plaît car il est beaucoup moins facile à travailler que le plâtre ou la terre qui sont plus souples, mais en même temps il est plus solide et surtout il n’y a pas de repentir possible... Une fois le ciment pris, cela fonctionne ou alors cela va à la poubelle... DE : Vous écrivez : « Laisser venir les images, laisser venir leur présence... traverser les siècles, croiser ces milliers de femmes oubliées... jusqu’à l’arrivée de Charcot ». Cent soixante pages sans ponctuation qui nous mettent à bout de souffle, à genoux. Cent soixante pages qui nous plongent dans la violence du quotidien de ces femmes. Sculpter, écrire, deux approches que vous avez menées de front pour tenter d’attraper une réalité qui nous dépasse. Cette immersion dans les archives de l’Assistance Publique, je l’imagine frénétique, sous tension, comme une descente aux enfers avec « les folles d’enfer... » ? J’ai envie de prendre la métaphore de la corde et de l’arc, pour dire que chacune de vos œuvres atteint sa cible comme autant de flèches contre l’oubli.

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Mâkhi Xenakis

Ces femmes oubliées, en perdition, ces folles d’enfer, reviendront hanter la Salpêtrière, de la Chapelle aux jardins... MX : Oui, elles reviendront peut-être même de nouveau bientôt dans les jardins, à l’occasion de l’exposition Charcot à la Salpêtrière. Ce qui me fait plaisir, c’est qu’elles continuent d’exister. En 2004, j’installais les sculptures, dans un premier temps, au centre de la nef de la chapelle de la Salpêtrière, puis, dans les jardins de la hauteur, près de la chapelle. L’espace de la chapelle était si grand que je tentais d’en représenter le plus grand nombre sous la forme d’un groupe compact, circulaire et pyramidal, autour duquel nous pourrions les découvrir. Je leur donnais un double regard, tel Janus, de manière, à la fois, à multiplier leur présence ainsi qu’à ce qu’elles nous suivent toujours de leur regard où que nous nous trouvions. DE : Oui, elles nous regardent et se rappellent, silencieuses, insistantes à notre mémoire. Une par une, toutes différentes, et en masse... MX : Dans un temps qui m’était imparti, de neuf mois... Je parvins à créer deux cent soixante sculptures. Comme je n’étais soutenue dans ce travail de sculpture par aucune institution ou galerie, j’appréhendais le moment où, l’exposition terminée, elles reviendraient « m’envahir » dans mon atelier. J’avais peur qu’elles m’engloutissent dans l’oubli avec elles... DE : Vous envahir, vous hanter, comme si elles sortaient des limbes ? Alors est-ce pour lutter contre des fantômes

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LES FOLLES D’ENFER DE LA SALPÊTRIÈRE

que vous leur avez donné corps, que vous leur avez donné vie, jusqu’à les faire adopter ? MX : Pour moi la sculpture comme l’art en général ne doit pas être morbide. L’art, c’est le combat entre la vie et la mort et c’est la vie, quand l’œuvre est réussie, qui gagne ! Je suis assez classique dans ce domaine par rapport à l’art d’aujourd’hui... Donc, quand je les ai créées je ne voulais surtout pas en faire des fantômes, au contraire, j’avais la prétention de leur redonner vie, par leur regard et leur présence. Votre idée qu’elles sortaient des limbes, en revanche, je n’y avais pas pensé mais on peut aussi le dire comme cela. Toujours est-il qu’aujourd’hui elles sont redevenues vivantes... Comme chaque année en automne, de grandes affiches envahissaient les couloirs du métro concernant le week-end d’adoption pour les animaux. Je décidais alors de faire des week-ends d’adoption dans mon atelier pour « mes folles ». À ma grande surprise, grâce au bouche à oreille et à l’intérêt que j’avais senti concernant ces sculptures, de nombreuses « adoptions » ont commencé à se faire. Je continue à en créer des nouvelles, si bien que pour l’instant plus de deux cent soixante-dix folles ont trouvé un nouveau foyer. J’ai reversé, pendant deux ans, trente pour cent de la vente à un orphelinat à Madagascar – là où Colbert envoyait les femmes de la Salpêtrière pour peupler nos nouvelles colonies. Puis, je me rendis compte que la plupart des gens décidaient d’eux-mêmes de leur choisir un prénom... Depuis cette période, les adoptions continuent régulièrement dans mon atelier et c’est moi qui maintenant demande à ce qu’elles aient un prénom choisi par le collectionneur et, en plus... qu’ils m’en donnent des nouvelles de temps en temps. Cela fonctionne très bien. Les gens semblent heureux de « jouer le jeu ».

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Mâkhi Xenakis

Avec le temps, le livre, sorti en même temps que l’exposition, et les sculptures se sont mises à « porter leur parole » dans différents lieux, tels qu’au musée des Beaux-Arts de Besançon, dans les jardins de Sciences Po à Paris, au Centre d’Art de Brest, à la Biennale de la céramique de Châteauroux, au Méjan à Arles, à la Grande Chapelle de Cavaillon, au musée des Beaux-Arts d’Arras... Régulièrement, le livre est adapté pour des spectacles ou des lectures. De nombreux articles et films leur ont été consacrés. Aujourd’hui, ce sont ces « Folles d’Enfer » qui me portent en me faisant rencontrer des gens passionnants de tous bords ; elles continuent à porter leur parole grâce à ceux qui désirent faire vivre ce travail. À l’occasion de cette invitation à introduire le colloque « La Salpêtrière, un théâtre de l’hystérie », en octobre 2013, j’ai créé un nouveau film de 33 minutes, avec des fragments de textes du livre dits par différentes voix de femmes. Au fil de cette lecture, des photos défilent, que j’ai réalisées lors des différentes étapes de leur création jusqu’à leur existence. DE : Un film poignant, ou plutôt une vidéo, où l’on découvre des morceaux choisis de votre écriture, mais aussi de très belles photos de ces lieux où s’entassèrent les Folles d’Enfer de la Salpêtrière ainsi que des photos de vos sculptures, sous différents angles, sous différentes lumières, à différentes étapes de leur création. Certaines de ces images sont particulièrement évocatrices où les « Folles » sont empaquetées, ficelées dans du film plastique transparent, comme étouffées, asphyxiées. Une vidéo que l’on peut visionner intégralement sur le net : http://vimeo.com/73813113

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LES FOLLES D’ENFER DE LA SALPÊTRIÈRE

MX : Oui je suis contente d’avoir pu synthétiser à la fois mon travail d’écriture et de sculpture en laissant ce témoignage sous la forme d’une vidéo. Je ne suis ni psychanalyste, ni historienne, j’ai montré cette histoire de mon point de vue de femme et d’artiste. Je m’arrête volontairement à l’arrivée de Charcot. Il s’agit surtout, dans ce livre, de montrer, par les archives, comment les questions posées par la société de cette époque sur la folie ou tout simplement « la différence » étaient vécues et traitées en France et comment, petit à petit, dans ce lieu même de la Salpêtrière, l’aube de la psychiatrie est née, d’abord avec l’arrivée de Pussin et de Pinel puis, plus tard, de Charcot. DE : « Les Folles d’enfer », ce sont donc des sculptures et une écriture. Une écriture qui est une plongée en apnée dans les entrailles de l’Hôpital Général et de l’Hospice de la Vieillesse-Femmes, ancêtre de la Salpêtrière. Et ce que vous nous faites entendre, c’est que les murs de la Salpêtrière ne suintent pas seulement du salpêtre qui a donné son nom au lieu, mais suintent aussi des cris de celles qui entravaient le bon ordre et les bonnes mœurs, toutes ces exclues/reclues qui ont hurlé leur détresse dans la surdité de l’ordre médical, de l’ordre religieux, et de l’ordre politique. MX : Tant mieux si c’est ressenti comme ça. C’était mon but. Dans cette aventure, j’ai découvert que la magie de l’art que je recherche s’est produit : la transmission d’une émotion ressentie au départ par l’artiste, seule dans son atelier, recueillie, et réappropriée ensuite par les autres. DE : « Laisser resurgir ce monde / oublié / insensé / continuer de suivre la trace de ces femmes / la trace de ce

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Mâkhi Xenakis

monde carcéral / inconnu / si lointain / si proche / respecter / ne rien inventer / ne retranscrire que ce qui est écrit. » Le propos est modeste, mais qu’est-ce que retranscrire l’écrit pour un artiste ? Ce n’est pas un miroir, ce n’est pas un écho, ce n’est pas une duplication, c’est un écart, un écart dans lequel l’artiste trouve demeure, pour faire œuvre. Un artiste est un trans-scripteur, il traverse l’écrit, entre en résonance avec lui, le sublime. L’artiste est un passeur. C’est ce que vous nommez la « magie de l’art ». Ce trop-plein d’affects que l’hystérique convertit dans son corps, n’est-ce pas ce que l’artiste sublime dans le corps de l’œuvre ? MX : L’art et la psychanalyse ou la psychiatrie sont deux mondes pour moi très parallèles. C’est-à-dire que ce que les Grecs nomment « la catharsis », est ce moment où l’artiste laisse son inconscient parler, pour trouver une sorte d’apaisement, d’apaisement thérapeutique... Nous parlions beaucoup de cette question lorsque je voyais Louise Bourgeois à New York.

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1. Charcot et la Salpêtrière

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Charcot, Babinski, Clovis Vincent Élisabeth ROUDINESCO

Une fois n’est pas coutume, je vais parler ici de la neurologie et de ma généalogie familiale. Dès mon enfance, j’ai été immergée dans la neurologie, puisque ma mère Jenny Aubry, née en 1903, neurologue de formation puis médecin des hôpitaux, avait été l’élève de Clovis Vincent, lui-même, comme vous le savez, élève de Joseph Babinski, lui-même élève préféré de Jean-Martin Charcot, celui que l’on voit sur le fameux tableau d’André Brouillet, Une leçon clinique à la Salpêtrière, en train de retenir la femme hystérique (Blanche Wittmann) plongée dans un sommeil hypnotique. Je suis un peu l’héritière de ces trois générations, dont j’ai été amenée ensuite à écrire l’histoire. Je rappelle que le terme neurologie a été inventé par le médecin anglais Thomas Willis (1621-1675), anatomiste du cerveau, qui fut le premier à mettre en relation le système cérébral et le système nerveux. Il était aussi

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Élisabeth Roudinesco

convaincu que l’hystérie était d’origine cérébrale et qu’elle provenait d’esprits animaux logés dans le cerveau des hommes et des femmes. Le terme de psychiatrie apparaîtra seulement en 1802, et cette branche de la médecine ne cessera d’être rattachée puis détachée puis rattachée à la neurologie. Dans ma famille, on admirait à ce point Clovis Vincent qu’on lui demanda d’être mon parrain. Je n’eus pas me temps de le connaître car il mourut en 1947, trois ans après ma naissance. Mais du point de vue généalogique, tout cela est fort intéressant car au sein de ma famille, entre mon père, médecin généraliste et élève de Thierry de Martel, lui-même neurologue, élève de Charcot, et ma mère, un clivage se produira, un très grand désaccord, lorsque ma mère quittera la neurologie et la neuropsychiatrie pour s’orienter vers la psychanalyse que mon père récusait. J’ai donc vécu toute mon enfance partagée entre la neurologie, quittée par ma mère et dont mon père était le défenseur, et la psychanalyse, adoptée par ma mère, qui d’ailleurs n’avait rien renié de la neurologie, mais qui était rejetée par mon père, lequel la considérait comme une « affaire d’obsédé sexuel ». Comme vous savez, Freud fut l’élève de Charcot et se réclama toujours de lui comme celui qui avait séparé, à l’hôpital de la Salpêtrière, les aliénées des épileptiques (non aliénées) et des hystériques en abandonnant l’idée fausse que celle-ci était la simulation de vraies maladies, pour en faire une névrose, c’est-à-dire une maladie nerveuse et fonctionnelle d’origine organique ayant un lien avec le système génital. Charcot supprimait donc l’idée de simulation et de maladie purement féminine, liée aux excès du sexe et à la possession démoniaque. D’où l’idée qu’il existait une hystérie masculine. Et pour la distinguer de la simulation, il eut recours à l’hypnose : en endormant

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les femmes sur la scène de la Salpêtrière, il fabriquait expérimentalement des symptômes hystériques qu’il faisait disparaître, prouvant le caractère névrotique mais non simulateur de la maladie. Il sera attaqué par Hippolyte Bernheim, chef de file de l’école de Nancy, fondateur des psychothérapies par suggestion, qui lui reprochait de fabriquer des hystériques. L’affrontement portait sur deux conceptions des médecines de l’âme. Héritier de la tradition du magnétisme, de Mesmer à Puységur, Bernheim avait dissous l’idée irrationnelle qu’il existait un fluide et avait inversé la position de Puységur en annihilant l’hypnose dans la suggestion. Si Puységur montrait qu’un sujet pouvait résister à la posture de maîtrise du médecin, par sa parole, Bernheim avait fait d’une clinique de la parole interactive un procédé thérapeutique. Aussi accusait-il Charcot d’assimiler l’hypnose à une pathologie puis de s’en servir, non pas comme une thérapie, mais comme d’un outil destiné à prouver la validité de sa classification de l’hystérie, hors de la neurologie. On connaît la suite, je la résume : constatant que les deux avaient raison, Freud abandonna l’hypnose sans passer par la suggestion. Il adopta la catharsis (élimination des passions par la purgation) puis appela psycho-analyse, du nom que lui avait donné son ami Josef Breuer, une nouvelle thérapie par la parole, détachée du regard. Et il emprunta à Charcot sa conceptualité de l’hystérie. Il y a donc deux Charcot : le neurologue, détenteur de la première chaire de neurologie au monde, celui qui a mis en place la discipline et décrit la fameuse et terrifiante maladie qui porte son nom (sclérose latérale amyotrophique), à ce jour incurable. Et puis l’autre, que ses contemporains considéraient comme très peu scientifique : celui de l’hystérie. On disait que l’hystérie était la part nocturne du César de la Salpêtrière, son côté littéraire

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et artistique puisqu’il s’était attelé à démontrer que l’hystérie était présente dans les œuvres d’art du passé : et que, au fond, les hystérique étaient des possédées et jamais des menteuses. Il défiait ainsi la positivité de son époque par un intérêt pour ce qui était considéré comme irrationnel. Et ce fut son meilleur élève, Babinski, qui démantela, en 1901, huit ans après sa mort, cet héritage de l’hystérie dont Freud s’était emparé en abandonnant lui-même la neurologie. Ce démantèlement lui permit d’aller plus loin dans la fondation de la neurologie moderne comme si, pour avancer d’un côté, il fallait détruire de l’autre, comme si l’un et l’autre domaine, celui de la neurologie et celui de la médecine des névroses, ne pouvaient être compatibles. L’acharnement que mit Babinski à détruire, en partie, l’héritage de son maître était assez rationnel : il s’agissait pour lui de délimiter un nouveau domaine, celui de la sémiologie lésionnelle et donc laisser aux psychiatres le soin de s’occuper de l’hystérie qu’il rebaptisera pithiatisme (simulation). Et pourtant cet homme si rationnel, auquel on doit le fameux signe du réflexe inverse du gros orteil permettant de déceler une lésion de la voie pyramidale, était aussi un être étrange, atteint de différents symptômes, dont la « maladie du doute », comme on disait à l’époque, une sorte de paranoïa avec compulsion obsessionnelle, qui lui aurait valu, aujourd’hui, un diagnostic de maladie mentale : raisonneur et redresseur de torts. Joseph et son frère, Henri, célibataires, formaient un couple indissociable. Henri, ingénieur des Mines, chercheur d’or et de diamants, fin gastronome, auteur – sous le pseudonyme d’Ali-Bab – d’un ouvrage réputé de gastronomie, partageait la vie de Joseph et s’occupait de tout : « Hyperscrupuleux, perfectionniste, sourcilleux, exigeant, minutieux, méticuleux, consciencieux à l’excès », écrit son biographe, « Babinski,

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sujet à de permanentes compulsions de vérification, remet son ouvrage cent fois sur le métier, inlassablement, qu’il s’agisse de l’examen du malade, de la recherche d’un seul et même signe, ou de la rédaction d’une communication. » Je n’insisterai pas sur la difficulté qu’il avait à écrire ses communications [...] Il pouvait rester des heures sur un même malade sans prononcer un mot. Il appréhendait de prendre la parole, il parlait lentement, de façon un peu hachée, signait lui-même, après l’avoir longuement relue et éventuellement retouchée, la banale ordonnance qu’il venait de dicter à son externe, retéléphonait le soir au confrère qui l’avait appelé en consultation afin de préciser quelques détails de la symptomatologie du malade ou de vérifier une fois de plus l’ordonnance qu’il avait rédigée. « Il eut toujours la phobie de la posologie, ce qui l’amenait à vérifier constamment ses prescriptions sur des formulaires. » On pourrait aussi pointer chez lui une certaine nosophobie : il avait horreur d’examiner des parkinsoniens ; son père avait eu une maladie de Parkinson et Babinski redoutait d’en être également frappé, ce qui, malheureusement, arriva. Dans une lettre de 1918, il explique que son démantèlement de l’hystérie n’avait peut-être pas comme cause seulement la rationalité scientifique. Il redoutait que la science fût capable de produire le pire mais il voyait aussi dans l’hystérie quelque chose d’incontrôlable, de démoniaque, échappant à la science et dont il avait peur. On retrouve là le leitmotiv de toute la production scientifique babinskienne : séparer l’hystérie de l’organique, le Vrai du Faux, le Bien du Mal : « Dans les circonstances présentes, disait-il, au milieu de tant d’événements tragiques, il est permis de se demander si la Science mérite d’être l’objet d’un culte. Les plus admirables créations de l’esprit humain ont eu, contre toute

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attente, pour effet principal, la destruction et le massacre ; avec un peu de pessimisme, on peut maudire le savoir et craindre qu’un jour quelque découverte ait pour conséquence l’anéantissement de l’humanité. J’espère cependant que les puissances du Bien finiront par l’emporter sur celles du Mal et que le travail, secondé par la Charité, parviendra à tarir les sources de larmes trop abondantes aujourd’hui. » Et c’est la raison pour laquelle, au-delà de son idée fixe de débusquer sans cesse l’hystérie ou la simulation derrière toute manifestation pathologique, Babinski était fasciné par les phénomènes de télépathie et de médiumnité au point de vouloir les éradiquer. Quant au fameux Clovis Vincent, tant admiré dans ma famille, il devint au lendemain de la Première Guerre mondiale l’un des grands spécialistes de la neurochirurgie. Il se rendit aux États-Unis pour s’informer des méthodes du grand pionnier de la chirurgie du cerveau, le professeur Harvey Cushing. Il importa ses techniques et devint bientôt un spécialiste unanimement reconnu de l’exérèse des tumeurs hypophysaires et autres méningiomes. Sa dextérité lui valut l’admiration de Cushing, ce qui lui permit de créer en 1933 le Centre neurochirurgical de La Pitié-Salpêtrière, puis de devenir le titulaire de la première chaire de neurochirurgie créée à la Faculté de médecine en 1939. Mais cela ne doit pas faire oublier l’autre aspect de sa personnalité qui était bien connue et qui fut mise en évidence par les historiens et notamment, récemment, par Jean-Yves Le Naour, dans un livre intitulé Les soldats de la honte (Perrin, 2011). Mobilisé en 1914, il devint comme mon père brancardier de combat. Et il n’hésita pas, tout en soignant des soldats français, à mettre en pratique ses théories aberrantes de la simulation, afin de

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dépister les fraudeurs, grâce à des chocs électriques qui avait, dit-on, le mérite de séparer les simulateurs des combattants réellement traumatisés, ce qui lui valut les félicitations de l’État-Major mais aussi les protestations de certains troupiers qui aboutiront à son renvoi à Tours dans un hôpital de l’arrière. On appelait cela la méthode du « torpillage », dont le soldat Baptiste Deschamps fit les frais. Il s’agissait, pour Vincent, de retourner un malheureux combattant comme une torpille pour le faire retourner au front. Renvoyé à l’arrière, Vincent voulut peaufiner sa méthode. Les Tourangeaux du centre-ville se plaignaient des hurlements des « torpillés ». Pourquoi torturer ainsi nos poilus ? Le 27 mai 1916, Baptiste Deschamps gravement handicapé depuis septembre 1914 et maintes fois électrisé, refusa formellement le traitement du Dr Vincent. « Tu n’as pas d’ordre à me donner, je ferai ce que je veux », répondit ce dernier en accusant « son » malade de lâche et de simulateur. Il saisit alors ses torpilles pour administrer sa fée électricité sur courant galvanique. Le zouave lui décocha soudain une série de coups de poing ; le médecin rossa alors de coups son patient tout en le maintenant sous ses genoux par souci d’efficacité. Baptiste Deschamps fut déféré en Conseil de guerre. La presse s’empara du sujet, on découvrit les méthodes thérapeutiques du bon docteur Vincent et commence alors ce qui fut dénommé « l’affaire Dreyfus de la médecine militaire ». Deschamps risquait la peine mort. Il sera condamné à six mois de prison avec sursis. Il faut voir là l’émergence d’un nouveau droit, celui du soldat blessé « à disposer de son pauvre corps » : un des épisodes de l’irruption de l’irrationnel dans ce qui a pourtant été présentée comme une histoire auréolée de gloire, celle du médecin, aujourd’hui contredite par les chercheurs.

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L’histoire du patient fait irruption ainsi au sein d’une historiographie qui n’est plus dominée par celle univoque de la science en progrès et de ses héros sans peur et sans reproche. Rappelons qu’à Vienne, quand eut lieu en 1920 le grand procès au cours duquel le psychiatre Julius Wagner Jauregg (qui sera prix Nobel de médecine en 1927 pour l’invention de la malariathérapie), fut accusé d’avoir utilisé les mêmes traitements électrique pour dépister les simulateurs imaginaires, Freud, appelé comme témoin par le tribunal ne l’accabla pas, mais prononça un violent réquisitoire contre ces méthodes de dépistage rappelant que l’éthique médicale interdisait ce genre de pratique et il ajouta : « Tous les névrosés, dit-il, sont des simulateurs puisqu’ils simulent sans le savoir et que c’est bien cela leur maladie. » Héritier de Charcot, et très attaché à la science la plus évoluée de son temps, Freud chercha en 1995, en rédigeant Esquisse d’une psychologie scientifique (exhumé en 1950) alors qu’il était neurologue de formation à faire de la psychologie une science naturelle. Aussi posa-t-il un certain nombre de corrélations entre les structures cérébrales et l’appareil psychique en tentant de représenter les processus psychiques comme autant d’états quantitativement déterminés par des particules matérielles ou neurones. Son ambition était de ramener à un modèle neurophysiologique l’ensemble du fonctionnement psychique normal ou pathologique : le désir, les états hallucinatoires, les fonctions du moi, le mécanisme du rêve, etc. Ce besoin de neurologiser l’appareil psychique et de fabriquer une « mythologie cérébrale » empêchait Freud d’avancer. Il en prit conscience et renonça à ce projet pour construire une théorie purement psychique de l’inconscient.

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Pourtant, même si en 1915, dans sa métapsychologie, il affirme que « toutes les tentatives pour deviner une localisation des processus psychiques et tous les efforts pour penser les représentations comme emmagasinées dans les cellules nerveuses ont radicalement échoué », il n’abandonnera jamais l’idée qu’une telle localisation puisse un jour être démontrée : « Les faiblesses de notre description du psychisme, écrit-il encore en 1920, dans Au-delà du principe de plaisir, disparaîtraient sans doute si nous étions déjà en mesure de remplacer les termes psychologiques par des termes de physiologie ou de chimie. » Quand il passa de cette mythologie cérébrale à une approche psychique de l’inconscient, Freud fit l’expérience d’une première modalité de l’irrationnel au contact de Wilhelm Fliess, médecin berlinois, qui exerça sur lui une emprise incontestable en brassant les thèses les plus folles de son temps. Cette confrontation, qui se solda par une rupture violente entre les deux hommes, fut à l’origine de la naissance de la psychanalyse. Un quart de siècle plus tard, alors que sa doctrine commençait à se figer, Freud s’en échappa en faisant semblant de s’égarer dans les sciences occultes. Ce fut l’étrange aventure de la télépathie ou transmission de pensée à distance. Bien qu’il eût en horreur la « marée noire de l’occultisme », il demeurait fasciné par les phénomènes relevant de l’étrange et de l’inexplicable. Et c’est pourquoi il y revenait périodiquement. Il expliquait son intérêt pour la télépathie en invoquant le fait que la psychanalyse et l’occultisme avaient toutes deux subi de la part des représentants du discours scientifique un traitement dédaigneux. Or, le progrès des sciences – découverte du radium et de la relativité – pouvait, selon lui, avoir une double conséquence : rendre pensable ce que la science antérieure rejetait dans l’occulte et susciter de nouvelles forces

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obscurantistes. Freud s’intéressait donc à ces phénomènes pour bien montrer que la psychanalyse n’était une aventure de la rationalité moderne que parce qu’elle avait su nommer, pour s’en extraire, la part obscure de l’humain, sans céder à l’irrationalisme. Pour terminer, je voudrais maintenant dire mon septicisme envers toute tentative d’annexer, sous la dénomination de neurosciences, tout le domaine du savoir sur l’homme comme si l’étude des fonctions cérébrales pouvait tout expliquer, y compris la création artistique, l’invention langagière, la sexualité, le droit, l’architecture, etc. Il y a, dans cette prétention à la maîtrise, quelque chose qui relève de l’irrationnel. Et dans la dénomination même, puisqu’on a réussi, au nom de ce rêve de domination, à ajouter à toutes les disciplines existantes le préfixe neuro : cela n’a rien de scientifique. On dirait une nouvelle mythologie cérébrale : neurolinguistique, neuropsychologie, neuropsychanalyse, neurophilosophie. Au point que demain on peut imaginer une nouvelle floraison de termes : neurohistoire, neurolittérature, neuroanthropologie, etc. Cette extension s’explique du fait de l’immense progrès accompli par la médecine depuis plus d’un siècle. Je vous ai parlé ici de Charcot et de ses successeurs, mais, en évoquant leur destin, il faut aussi se rappeler qu’ils vécurent à une époque où la quasi-totalité des maladies étaient incurables. Aujourd’hui les choses se sont inversées. Et si l’on se place du point de vue du sujet, c’est-à-dire de vous et moi, ce qu’on tolère de moins en moins c’est justement l’incurabilité qui, à la jonction du XIXe et du XXe siècle, était la norme et qui ne l’est plus aujourd’hui. De nos jours, c’est l’incurabilité qui est vécue comme une anomalie, alors qu’autrefois c’était le contraire : la maladie était un destin qui conduisait à la mort, aujourd’hui, elle

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ne l’est plus puisque la science médicale tend à retarder le moment de la mort en essayant de toujours rendre curable ce qui ne l’était pas au point d’avoir inventé deux termes terribles, chronicisation et rémission : l’entre la vie et la mort, voire l’entre deux morts, puisque dans l’un et l’autre cas, il y a le « ce n’est jamais fini ». Mais en même temps c’est « ce n’est jamais fini » qui est devenu la norme. Le monde n’est plus partagé entre les bien-portants et les malades mais, à partir d’un certain âge, entre les chroniques, avec ou sans rechutes, et ceux qui n’ont encore rien eu mais pour lesquels cela ne saurait tarder. D’une manière générale, dans le domaine des médecines de l’âme, les progrès en matière de guérison, d’efficacité et de résultats ont été beaucoup moins importants au XXe siècle que dans celui de la médecine organique. Force est de constater en effet que le savoir psychiatrique n’a su venir à bout ni de la folie, ni des souffrances psychiques. Certes, l’alliance des traitements chimiques et des thérapies par la parole de longue durée a permis de mettre fin à l’asile. Mais aucun des résultats obtenus ne peut être comparé à ce qui s’est passé du côté de la médecine scientifique. En cinquante années, après 1945, les progrès de celle-ci ont été stupéfiants grâce à des politiques de santé publiques fondées sur la prévention, lesquelles ont permis de guérir, voire de soigner avec bonheur, les grandes maladies organiques : cancer, diabète, affections cardiovasculaires, vieillissement, etc. Ces résultats prouvent d’ailleurs que les affections de l’âme ne sont en rien comparables à de telles maladies puisqu’elles font partie intrinsèquement de la condition humaine. Autrement dit, le décalage entre les progrès de la médecine scientifique et le peu de résultats obtenus par les différentes approches du psychisme s’est à ce point creusé

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durant la deuxième moitié du XXe siècle que les tenants de l’organicité ont fini par imposer l’idée que l’on devait traiter de la même manière le corps et l’esprit afin de mieux naturaliser ce dernier et de mettre fin ainsi à l’exception humaine en s’appuyant sur les expériences menées sur les animaux. Une nouvelle révolution a donc vu le jour au seuil du XXIe siècle, consistant à réduire l’homme à ses comportements et à traiter toutes les souffrances psychiques comme des maladies cérébrales. En conséquence, la psychiatrie est devenue, pour sa partie clinique, une branche de la neurologie et donc des neurosciences, pour sa partie sociale un système de surveillance de la dangerosité et, enfin, pour son approche subjective, un discours fondé sur l’évaluation des conduites. Dans cette perspective, on ne parlera plus que de neurones, de gènes ou de déficience cérébrale. Et, de même, au lieu de classer des maladies mentales, on définira des comportements à risque : suicide, toxicomanie, addiction, dépression, violence, délinquance, etc. Pour résumer, on dira donc que les progrès de la médecine moderne ont eu pour effet néfaste d’étendre les catégories de la norme et de la pathologie à des comportements sociaux qui ne relèvent en rien d’une quelconque maladie mais d’une volonté de normaliser les consciences. Ainsi sont nées les dérives d’un hygiénisme d’État qui a consisté, au-delà des nécessaires politiques de santé publique, à médicaliser tous les actes de notre existence : les passions, le sexe, la pensée, l’alimentation, les manières de vivre. D’où la naissance d’un esprit sécuritaire, nouvelle modalité de l’irrationnel, visant à faire du sujet le responsable de ses maladies et des dommages qu’elles causent à la société. Désormais, le mal ne viendra plus ni des dieux ni de la nature au sens classique mais

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de conduites humaines jugées désordonnées ou fautives. L’homme est irrationnel certes mais pour venir à bout de son irrationalité on prend le risque de favoriser une idéologie irrationnelle. Ce progrès a eu pour conséquence, à l’échelle mondiale, non seulement de favoriser un divorce entre l’approche du corps et celle de l’âme, mais encore d’induire des inégalités entre la médecine des pauvres et celle des riches. Quand le spécialiste des pays riches se fonde sur la science pour appliquer à son patient des thérapeutiques impersonnelles, celui-ci se sent contraint, pour soigner son âme, d’avoir recours soit à des médecines dites alternatives sans efficacité, soit à une multitude de psychothérapies souvent peu sérieuses. Au contraire, dans les pays pauvres, où la médecine scientifique n’est pas dominante, les thérapeutiques traditionnelles s’occupent de l’âme en prétendant guérir le corps. Ainsi, plus la médecine est riche en résultats face à la maladie, plus elle s’appauvrit dans sa relation au sujet. Mais, plus elle est inefficace sur le plan organique et plus elle est bénéfique pour l’âme du sujet dont le corps est abandonné à la mort. En désertant ainsi la subjectivité, la médecine scientifique des pays riches a donc livré les patients à des thérapeutiques de plus en plus magiques et auto-satisfaisantes. Les idéologues du bonheur ont alors proliféré avec comme slogan : « La bonne thérapie est celle qui convient au sujet qui la choisit ». Ce qui, comme je vous l’ai dit, est une des modalités de l’irrationnel : c’est bien parce que ça marche, rien de plus irrationnel. Autrement dit, avec une telle orientation, on a fini par renverser en son contraire un processus progressiste et démocratique, qui fondait la compréhension du psychisme sur la raison. Au lieu de favoriser l’approche rationnelle de la psyché, telle que Freud et ses successeurs l’avaient pensé, on a revalorisé

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l’illusion narcissique au point de préférer l’affect à la conscience, le corps à l’esprit, la jouissance au désir, les émotions à l’inconscient, le résultat à l’explication, en bref l’instinct à la pensée. En conséquence, la quête de l’estime de soi et du développement personnel est devenue l’un des enjeux majeurs de cette culture du narcissisme de la fin du XXe siècle, qui caractérise les classes moyennes des sociétés occidentales. La santé ne se définit donc plus comme le « silence des organes » – absence de maladie ou d’infirmité – mais comme un état de bien-être physique, social et mental qui aurait pour horizon fantasmatique l’accès à l’immortalité. C’est dans ce contexte qu’il faut situer les modalités de la transformation intervenue dans la psychanalyse à partir des années 1990. Comment peut-elle en effet subsister telle quelle dans un monde centré sur la volonté étatique de contrôler le psychisme et de ne saisir le sujet que par sa dangerosité, sa composition chimique, son animalité ou ses conduites ? Car, dans cette perspective, la psychanalyse, comme thérapeutique de l’âme, n’a pas grand chose à offrir : elle ne guérit pas, elle remanie la relation du sujet à son entourage, elle n’a pas de progrès à faire valoir au sens où la médecine le fait, puisqu’elle n’est pas une science. Autrement dit, aucune médecine de l’âme, rationnellement fondée, ne peut offrir autre chose que de permettre à un sujet d’interroger sa relation au monde, ses angoisses, son histoire, les déterminismes qui pèsent sur lui. Un progrès oui, une assurance de mieux se comprendre certes, mais rien qui ressemble à ce que lui propose la médecine scientifique, laquelle guérit le corps mais reste impuissante sur l’angoisse, le désir de mort, la destruction, la part sombre qui définit l’irrationnel humain.

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Jean-Martin Charcot (1825-1893) : histoire documentée d’un itinéraire Alain LELLOUCH 1

Ce travail porte témoignage d’une double commémoration, celle la 120e année de la mort de Jean-Martin Charcot (1825-1893) et celle des six cents ans (1613) de la création de l’Hôpital Général et de l’Hospice de la VieillesseFemmes, là où justement Charcot exerça comme médecin chef de service, de 1862 à sa mort, en 1893. Cet article fait suite à la présentation orale donnée à Merida (Yukatan, Mexique), le 3 octobre 2013, dans le cadre de la VIIe réunion internationale de la Société Internationale d’Histoire de la Médecine (SIHM) puis à sa publication dans Vesalius 2, le journal officiel de la SIHM. Au-delà des clichés plaqués sur le « monstre sacré » que fut Charcot, cette nouvelle recherche veut approfondir notre précédent travail. Par l’itinéraire qu’elle met en exergue, elle servira d’introduction au thème général de ce volume dédié à Charcot, Freud, Lacan et l’Hystérie.

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Alain Lellouch

Grand public et médecins d’aujourd’hui associent à Charcot l’image exclusive d’un neuro-psychiatre prestigieux. Après la création de la première chaire mondiale de Clinique des maladies nerveuses (1882) à la Salpêtrière, la notoriété de Charcot était telle que Freud voulut être son stagiaire, en 1885-1886. On évoque encore les travaux sur l’hystérie ou les séances d’hypnose, faisant accourir à la Salpêtrière, le Tout-Paris des lettres, des arts et du spectacle. En rester à ces clichés revient à méconnaître totalement l’itinéraire personnel et professionnel antérieur d’un homme dont les travaux sur l’hystérie ne furent qu’un aboutissement. C’est cette trajectoire qu’il va falloir ici nous attacher à faire émerger. Sources 1-4 Pour évaluer l’itinéraire de Charcot, les multi-facettes de l’homme, la nouveauté de sa méthode et l’ampleur de ses découvertes, l’investigation des onze volumes de ses Œuvres Complètes 3 ne suffit pas. Il faut recourir à d’autres sources imprimées et manuscrites. La liste ci-dessous énumère ces autres sources imprimées prises en compte que sont : – Les Leçons de Charcot, avec leurs différentes rééditions3, – Les Comptes rendus et mémoires présentés devant la Société de Biologie, – Les Exposés de titres et travaux successifs 4, – Enfin, les Thèses et travaux inspirés aux élèves 5. Le matériel d’archives 6 de la bibliothèque Charcot inclut 594 Observations inédites dont 379 Cas (63,80 %) investiguées chez les plus de 60 ans et ainsi réparties : pathologies articulaires : 44/112 ; respiratoires : 82/100 ; cardio-vasculaires : 42/55 ; neurologiques (dont neuro-vasculaires) :

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JEAN-MARTIN CHARCOT (1825-1893) : HISTOIRE DOCUMENTÉE D’UN ITINÉRAIRE

135/198 ; cancers : 51/108 ; abdominales : 19/22 ; cutanées : 6/6 ; enfin, Varia/températures /Fièvres : 2/13. Un itinéraire hors du commun 7 Comme l’a écrit la psychiatre Gladys Swain 8, « une étude chronologique fine » est « la clef de toute avancée dans la compréhension », nous ajouterons, dynamique de l’homme et de son œuvre. Quand Charcot passe, le 13 novembre 1861, du Bureau central d’administration de l’Assistance Publique de Paris à l’Hospice de la Vieillesse-Femmes, il a 36 ans. À l’opposé des autres médecins hospitaliers, attirés par les établissements plus prestigieux du centre de Paris, Charcot exerce toujours à la Vieillesse-Femmes, quittée seulement à son décès, en 1893, à 68 ans. Avec Charcot, la Salpêtrière devenait un authentique centre de soins, de recherches et d’enseignement, au rayonnement international. Pendant près de 21 ans, il y travailla avec acharnement, y enseigna avec passion et y fit ses découvertes. En début de carrière, il œuvre avec son alter ego, Alfred Vulpian : les deux amis, nommés en même temps interne des hôpitaux de Paris (1848), passent leur 4e année d’internat (1852) à la Vieillesse-Femmes. En 1856-1857 puis, en 1860, Charcot et Vulpian sont nommés Médecins des Hôpitaux de Paris et agrégés. Le 1er janvier 1862, tous deux deviennent chefs de service à la Salpêtrière. Mais Vulpian n’y demeure que 7 ans (1869) tandis que Charcot y reste jusqu’à sa mort (1893). Dans le vocabulaire des spécialités d’aujourd’hui, Charcot fut, tour à tour, « rhumatologue » (1853), « interniste » (1858-1869), « gériatre » (1866-1869) 9, « anatomopathologiste » et notamment « neuro-pathologiste » (1870-1880), enfin « psychiatre » (1881-1892). Un tel

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tronçonnage reste trop schématique. Il résulte pourtant d’une étude attentive de la vie de Charcot et de son œuvre, selon les sources plus haut détaillées. Charcot fut plus qu’un talentueux clinicien d’hôpital et de ville. Chercheur créatif, il fit nombre de découvertes. Il fut aussi un artiste doué 10, dessinateur et caricaturiste. Dans la Bibliothèque Charcot de la Salpêtrière10, on retrouve ses portraits : « le Dandy », « le Bohême » ou « le Novice ». Charcot fut encore enseignant hors pair, polyglotte, grand voyageur passionné de musées, d’églises et de civilisations passées. Il publia sur l’histoire de l’art 11 et celle de la médecine 12. Charcot s’intéressa encore à la psychologie, à l’hystérie 13 et à l’hypnose13, à la démonologie, au fantastique, au somnambulisme, au dédoublement de la personnalité et autres phénomènes paranormaux13. Sa dernière publication (1892) s’intitule : « The Faith healing » (la Foi qui guérit) 14. L’homme Charcot4-6 L’itinéraire tracé, tentons maintenant d’appréhender la psychologie de l’homme. Les témoignages des contemporains sont d’intérêt limité : ils ne concernent qu’un Charcot à l’apogée de sa gloire, méconnaissant ainsi le jeune médecin pour lequel on ne dispose pas de documents ; de plus, les contemporains ne sont jamais neutres, qu’ils s’agisse d’élèves trop laudateurs (Brissaud, Debove, Guillain, Meige et même Freud) ou de contempteurs peu bienveillants (le médecin suédois Axel Munthe ou les frères Goncourt) 15. Parmi les témoignants, Léon Daudet nous a paru plus digne de foi : proche de la famille, il était régulièrement convié aux réceptions données 217 boulevard St.

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Germain. Il connaissait de près Charcot : fin observateur, Daudet sut bien percevoir quelques traits cachés de la personnalité de celui qu’il nommait le César de la Faculté. Dans Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux de 1888 à 1905 16, il écrivait : « Charcot... de petite taille... avait un corps trapu, un cou de taureau, un front bas, de larges joues, une bouche à l’arc méditatif et dur. Il était... rasé avec des cheveux plats rejetés en arrière. Il avait la rectitude du visage d’un Bonaparte replet... Il marchait lourdement. La voix était impérieuse... L’arc de la bouche ironique et tendre s’inclinait plus à droite qu’à gauche, comme il arrive aux désabusés. On aurait cru qu’il venait de boire un liquide amer et magique. L’amertume était pour la vie courante inadéquate à quelque grand rêve ambitieux intérieur. La magie était par l’imagination sans cesse en mouvement... » Dans Les Œuvres et les hommes, le professeur Charcot ou le Césarisme de la Faculté 17, Daudet remarquait : « Il avait au tournant de la soixantaine, un beau visage dur... L’œil fortement braqué passait de la flamme observante à la lumière raisonnante avec des ondes de soupçon intercalaire... Le professeur Charcot... avait ce masque encyclopédique qui... fascine les humains... J’ai entendu des femmes, jeunes et charmantes dire de lui... Oh comme il est beau... Par-dessus tout, il était timide, et même autant qu’on pouvait en juger, d’une timidité maladive... »

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Et Daudet d’ajouter : « ... Je n’ai jamais connu d’homme plus autoritaire... Il ne supportait pas la contradiction... Son besoin de domination faisait qu’il était entouré de médiocres... Il était généreux... et recevait avec magnificence ». Pour tenter de décrypter cette personnalité, j’avais, dans deux travaux déjà publiés 18, 19, fait procéder à une double analyse, grapho et morpho-psychologique de l’homme. Il fut mis à la disposition de deux experts qualifiés (Claude Villard et Louis Corman) divers matériaux d’archives concernant Charcot, à différents âges de sa vie : photocopie d’une observation (1862), écrite de sa main, fac simile de deux lettres (1865, 1890) et d’une ordonnance autographe (1874) pour l’analyse graphologique et diverses photographies (datées : 1850, 1863, 1872 et 1890) d’un Charcot âgé respectivement de 25, 38, 57 et 65 ans, pour l’étude morpho-psychologique du visage. Signalons la bonne concordance observée entre le témoignage de L. Daudet et les résultats de ces études psychologiques. Elles révélaient six traits principaux de personnalité : 1. L’étendue du champ de conscience ; 2. La timidité et l’introversion rendant la communication malaisée avec autrui ; 3. Le refoulement pulsionnel ; 4. La pression d’un riche imaginaire ; 5. Quelques éléments obsessionnels et paranoïdes ; 6. Enfin, une activité professionnelle débordante avec acharnement au travail intellectuel, rendant compte de l’ampleur de l’œuvre accomplie. Ces traits nous serviront de grille de lecture pour mieux comprendre la démarche du savant et la créativité du médecin, découvreur de nombreuses maladies.

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La méthode Charcot 20 C’est un truisme que d’écrire que Charcot fut l’un des plus illustres représentants français de la méthode anatomo-clinique. Cette assertion mérite pourtant d’être nuancée. Elle reste vraie si l’on entend que Charcot visait, dans sa démarche médicale, à mettre systématiquement en corrélation signes d’examen clinique (recueillis du vivant du malade) et lésions anatomiques (de nécropsie). Élevé dans le moule de la tradition anatomo-clinique parisienne du premier tiers du XIXe siècle, Charcot vit ses maîtres (Requin, Piorry, Rayer) pratiquer une médecine d’hôpital ou d’hospice, à la française, bien différente de la médecine de laboratoire ou de microscope, telle qu’elle s’élaborait outre-Rhin, dans la 2e moitié du XIXe siècle. Il serait pourtant inexact d’assimiler la démarche scientifique novatrice de Charcot à la seule tradition anatomoclinique 21 de l’École de Paris prônée, au début du XIXe siècle, par Corvisart, Bayle et Laennec. Sur la base des sources déjà décrites et à partir de l’analyse des observations gériatriques du fonds Charcot, on a repéré huit approches méthodologiques20 caractérisant sa démarche anatomo-clinique rénovée. Les observations longitudinales de gériatrie sont l’outil de base sur lequel s’appuya Charcot. L’analyse du fonds d’archives permet de constater la méticulosité avec laquelle il analysait la symptomatologie de l’épisode clinique initial pour lequel la vieille femme pensionnaire était admise à l’Infirmerie de la Salpêtrière. L’évolution était relatée chaque jour, avec soin. Dans l’observation annotée de sa main, Charcot, consignait scrupuleusement améliorations et aggravations, jusqu’à l’examen nécropsique terminal. Ce suivi clinique systématique permettait de voir « se dérouler, jusqu’à ses dernières limites, le

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processus pathologique ». Mieux que quiconque, Charcot (et aussi son alter ego, Vulpian) surent tirer parti des avantages que comportait, pour le médecin d’hospice, le séjour permanent en institution. L’observation au long cours faite dans ce « musée pathologique vivant » de la Vieillesse-Femmes permettait de reconstituer toute l’histoire pathologique. Quand on examine en détail les observations gériatriques, on remarque, aussi, en plus des écrits du médecin, les dessins de l’artiste : Charcot crayonnait ou figurait à l’encre, en noir ou en couleurs, les déformations cliniques de ses malades. Il dessinait les lésions anatomiques d’autopsie, en les légendant avec soin. Ces schémas macroscopiques post-mortem de cerveaux (ou d’autres viscères), étaient parfois complétées de dessins visualisant les observations faites au microscope. Sept autres éléments caractéristiques de la démarche de Charcot : 1. l’importance donnée au « regard » médical 22 ; 2. à l’instrumentation clinique (thermométrie rectale, marteau à réflexe, fond d’œil)22 ; 3. au microscope22 ; 4. à quelques examens simples de laboratoire ; 5. aux données comparées de pathologie vétérinaire ; 6. aux mécanismes physio-pathologiques et aux classifications nosographiques ; 7. enfin, à l’exploitation méthodique des sources documentaires (Charcot lisait facilement la littérature médicale allemande et anglaise). Pour mieux faire comprendre la méthode Charcot, utilisons la métaphore de l’enquête policière systématique. Tout comme l’inspecteur ou le médecin légiste, Charcot eut à résoudre plusieurs énigmes. À partir de la victime (cadavre), il remontait au criminel agresseur (maladie causale). Charcot procédait à une enquête méticuleuse, fouillant dans le passé (antécédents) de la victime, s’enquérant d’indices (symptômes) laissés de son vivant. Grâce à l’inspection du cadavre (nécropsie), il recherchait

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les empreintes (lésions) abandonnées par le criminel sur le corps de sa victime. Comme le commissaire, il s’aidait des données complémentaires du microscope et du laboratoire, pour préciser les circonstances de la mort. Il recourait aux documents d’archives (sources documentaires) décrivant des agressions analogues commises par le même criminel sur d’autres victimes. Parfois, il reconstituait le crime (expérimentation). Cette investigation policière méthodique permit à Charcot de dresser le portrait robot du criminel (sémiologie) pour l’identifier (diagnostic) et le classer, en l’étiquetant (nosographie). Étape ultime : il fallait reconnaître le criminel en apportant la preuve de sa responsabilité dans l’agression commise (étiologie, physio-pathologie, pathogénie). Cette méthode fut très opérante dans les pathologies protéiformes (embolie pulmonaire, goitre exophtalmique, scléroses en plaques et latérale amyotrophique)... À propos de cette dernière affection, Charcot décrivait bien la démarche anatomo-clinique21 qu’il sut mettre en œuvre : « Il s’est agi, à l’origine, d’observations recueillies surtout du point de vue de l’anatomie pathologique. Les symptômes néanmoins avaient presque toujours été relevés avec quelque soin. Aussi, à un moment donné, devint-il possible, en comparant ces observations diverses, de saisir un certain nombre de traits fondamentaux qui nous ont permis plus tard de reconnaître l’affection pendant la vie ». Charcot, investigateur de talent sut manier avec bonheur cette méthode anatomo-clinique rénovée : on lui doit ses plus belles découvertes...

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Pour mesurer la créativité de Charcot, comparons les connaissances médicales, avant et après lui. Avant Charcot, on confondait « rhumatismes chroniques et goutteux », « paralysie agitante » (maladie de Parkinson), tremblements et mouvements anormaux, d’origine sénile ou dus à la sclérose en plaques. Hémorragie et ramollissement du cerveau étaient désignés d’un même terme : « apoplexie ». Les médecins ignoraient la claudication intermittente, pourtant décrite, dès 1831, chez le cheval, par les frères vétérinaires Bouley. Après Charcot, on distinguera « rhumatisme articulaire chronique progressif » 24 et goutte, « paralysie agitante » 25 et tremblements de la sclérose en plaques23, de l’âge 26, ou de la chorée 27. En médecine interne et gériatrie 28, Charcot excella pour décrire les lésions et mécanismes des processus vasculaires : « obturation » aiguë de l’artère pulmonaire avec mort, par migration embolique d’un caillot à point de départ veineux 29 ; claudication intermittente, chez l’homme, par ischémie artérielle chronique 30 ; conséquences de l’« altération sénile des artères » 31 : gangrènes des extrémités 32 et migration de caillots artériels. En France, Charcot fit connaître la maladie décrite par Basedow, en Allemagne et Graves, en Angleterre et l’épilepsie localisée de Jackson. Parmi ses autres contributions et celles de ses élèves, citons encore : les tuberculoses et pneumonies des vieillards 33, les cristaux de CharcotLeyden du crachat de l’asthmatique, les cirrhoses hypertrophiques du foie 34, les lésions rénales du mal de Bright 35. Charcot introduisit en France l’usage de la prise de température et ses Leçons de thermométrie 36, inspirés du médecin allemand Wünderlich, permirent de mieux

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caractériser les « fièvres intermittentes symptomatiques des vieillards » d’origine biliaire 37 ou urinaire. Dans la pathologie neurologique, Charcot distingua l’hémorragie 38 du ramollissement ischémique du cerveau 39. Il isola encore parmi les myélites chroniques, la sclérose latérale amyotrophique et reclassa les amyotrophies 40. Il édifia enfin une « théorie des localisations pour les maladies du cerveau » 41. Charcot et l’hystérie 42 : une question de méthode De toutes les affections polymorphes, la maladie-Protée par excellence, celle à laquelle Charcot consacra les dix dernières années de sa vie, fut, sans conteste, l’hystérie. Le regain d’actualité de cette pathologie à la fin du XIXe siècle, le fort intérêt que témoignèrent aux jeunes femmes hystériques de la Salpêtrière, non seulement Charcot mûr (mais aussi ses jeunes chefs de clinique et internes, exclusivement masculins), enfin le caractère spectaculaire que prirent les manifestations hystériques (vraies ou simulées) auxquelles se livraient les patients, femmes ou hommes de la Polyclinique, sont aujourd’hui bien connues. Insistons ici sur : 1. Le retournement de perspective épistémologique opéré par Charcot à propos de l’hystérie42, 2. Les efforts paradoxaux de ses hagiographes pour justement occulter cette dernière contribution du maître, géniale mais gênante. Pourquoi gênante ? Certains, tels que le médecin suédois Axel Münthe, avaient introduit dans le service, des comédiennes et ce, à l’insu du vieux maître autoritaire mais souvent naïf. Celles-ci, possiblement rétribuées, simulaient des attaques... Et Charcot n’avait pas su voir d’emblée la supercherie. Cette Hystérie de culture qui sévit, un temps, à la Salpêtrière selon les termes sévères de Bernheim sera dénoncée à

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Nancy. Pour Bernheim, l’hypnotisme se situait dans une sphère psychologique bien plus générale : impossible de le cantonner, comme le faisait Charcot, à la seule pathologie hystérique. Mais ce retour en force de l’affectif dans la médecine anatomo-clinique de l’époque, les élèves de Charcot n’en voulaient pas. En cette fin de siècle, cent ans après les soubresauts de l’affaire Mesmer, son magnétisme animal et son « baquet », ce retour de l’affectif bouleversait trop leurs certitudes organicistes et scientistes. Il s’agissait aussi, pour les pieux hagiographes, de préserver intacte la gloire du vieux maître dont on craignait qu’elle ne fût ternie, lui qui n’avait pas toujours su bien voir... la supercherie. Au début, Charcot aborda les hystériques selon la même démarche anatomo-clinique qui lui avait, jusqu’alors, si bien réussi : attaques de la grande crise décrites selon quatre phases (mouvements épileptoïdes, tonico-cloniques, contorsions clowniques, conduites passionnelles de joie ou de tristesse, délire) ; stigmates physiques pathognomoniques et « zones hystérogènes » identifiées grâce à l’activisme thérapeutique de certains élèves (Burcq, Vigouroux). L’ambition était d’appliquer sur ces zones différents traitements qu’on pensait spécifiques (métalloscopie, métallothérapie, compression ovarienne, électrothérapie, aimants). Mais comment se douter que la riche efflorescence de symptômes fonctionnels (moteurs, sensitifs, visuels...) que les hystériques « offraient » si généreusement au regard intrusif des hommes-médecins de la Salpêtrière était éphémère. Impossible de leur faire correspondre des signes physiques, fixes, objectifs et enregistrables ou encore des lésions anatomiques observables. Et ce, malgré la machinerie complexe d’enregistrements techniques divers, imaginée par les médecins de la Salpêtrière pour débusquer simulateurs, pithiatiques et hystériques...

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Charcot mis en échec par cette situation nouvelle à laquelle le confrontent les hystériques, va modifier bientôt sa stratégie d’approche : le point de vue anatomo-clinique céde, peu à peu, la place (même s’il ne disparut jamais complètement) au point de vue psychologique quand il s’agit d’expliquer les symptômes. L’utilisation à partir de 1878 de l’hypnose 43 comme technique expérimentale d’étude puis la mise en évidence, chez les hystériques, en 1885, d’un traumatisme psychique oublié43 révélé par hypnose contribue, de façon décisive, au changement de méthode. Ce traumatisme, Charcot le sait bien est d’origine sexuelle : « ce sont toujours des secrets d’alcôve », aurait-il confié... En effet, contrairement à l’opinion communément admise et sans doute véhiculée par les hagiographes protecteurs de Charcot, il semble bien que ce dernier ait pratiqué personnellement43 l’hypnose. Dès 1882, dans une communication à l’Académie des Sciences, il comparait le grand hypnotisme à la crise hystérique : « Les idées imposées dans ces conditions là peuvent, au gré de celui qui les fait naître, acquérir une intensité extrême, une puissance presque sans limite, comme cela a d’ailleurs souvent lieu dans nos rêves ». Quand Charcot mentionne « nos rêves », cette expression ne nous ramène-t-elle pas à la fine observation psychologique de Daudet qui voyait, dans le rictus amer du visage du César de Faculté, la trace enfouie de « quelque grand rêve ambitieux intérieur... inaccompli... ». Après le psycho-traumatisme oublié (1885) et les études sur le somnambulisme et le dédoublement de personnalité (1890)43, les notions de mémoire inconsciente et d’efficacité du rêve43 stimulent l’activisme des médecins-hommes de La Salpêtrière vis-à-vis des hystériques. Tout ceci précipite le changement de méthode et de paradigme opéré

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par Charcot 44. Un tel bouleversement des conceptions anciennes n’alla pourtant pas sans hésitations, insuffisances, maladresses et ambiguïtés persistantes en matière de pensée et d’expression anatomo-cliniques. Le même Charcot qui, dans sa jeunesse, avait opté pour une stricte conception organiciste des processus morbides chez les vieilles femmes de l’hospice fut capable, dans sa maturité, d’élaborer un nouveau mode d’explication psychologique pour les jeunes hystériques. Avec ce changement de paradigme, c’étaient la science psychologique 45 et bientôt ce que Freud appelera la « psycho-analyse » qui vont pénétrer le champ de la médecine... Mais si Charcot s’intéresse aux jeunes femmes hystériques et pratique sur elles l’hypnose44, n’est-ce que du seul fait de la modification institutionnelle survenue de La Salpêtrière qui lui fait accueillir, dès 1870, cette catégorie de malades 46 ? De retour à Vienne, après cinq mois passés dans le service de Charcot, d’octobre 1885 à février 1886, Freud 47 reconnaît bientôt sa dette : « C’est M. Charcot qui nous a enseigné le premier qu’il faut s’adresser à la psychologie pour l’exploration de la névrose hystérique ». Rien dans le cadre de référence anatomo-clinique limitant qui fut le sien, ne prédisposait Charcot à un telle ouverture vers les processus psychologiques et les psychothérapies... Avec les outils dont il disposait et la méthode qui fut la sienne, Charcot, s’il ouvrait une voie nouvelle, n’était pas à même de s’y engager ! Qu’importe, dans ce domaine de l’hystérie, n’en déplaise à ses hagiographes, Jean-Martin Charcot, le médecinvisionnaire aux 1000 facettes se montrait, une nouvelle fois encore, novateur.

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1. Alain Lellouch est docteur en médecine et en philosophie (histoire des sciences, Paris I-Panthéon-Sorbonne). Membre des Sociétés française et internationale d’histoire de la médecine, il est notamment l’auteur d’un livre dédié à Jean-Martin Charcot (1825-1893) et l’origine de la gériatrie (Recherches historiques sur le fond d’archives de la Salpêtrière), 92, boulevard des Batignolles, 75017 Paris. [email protected] 2. Jean-Martin Charcot (1825-1893), Un médecin aux multiples facettes, Vesalius, XIX, 2, 60-67, 2013. 3. Cf. Charcot (J.-M.), Leçons sur les maladies des vieillards et les maladies chroniques : la médecine empirique et la médecine scientifique. Parallélisme entre les anciens et les modernes, recueillies et publiées par B. Ball et Ch. Bouchard, Paris, 1867, Delahaye ed., 1 fasc. in-8, 96 p. Voir aussi : Tome VII des Œuvres complètes : Maladies des vieillards. Goutte et rhumatisme, Paris, 1890, Bureau du Progrès med. et Lecrosnier et Babé ed. ; Charcot (J.-M.), De l’importance de la thermométrie dans la clinique des vieillards, trois leçons faites à La Salpêtrière, recueillies et publiées par A. Joffroy, Gaz. Hebd. Med. Chir., 21 mai, 19 nov. et 14 déc. 1869 ; Charcot (J.-M.), Leçons du mardi à la Salpêtrière, Paris, Lecrosnier et Babé ed., 1878, p. 52. 4. Charcot (J.-M.), Exposé des titres du Dr Charcot, Paris, 1866, typ. Hennuyer, 1 fasc. in-4, 46 p. ; Exposé des titres scientifiques, Paris, 1872, imp. Martinet, 1 fasc. in-4, 86 p. ; Exposé des titres..., Versailles, 1878 a, imp. Cerf, 1 fasc. in-4, 144 p. ; Supplément à l’exposé des titres du Dr Charcot, Versailles, 1878 b, 1 fasc. in-4, 6 p. ; Exposé des titres scientifiques, Versailles, 1878 c, imp. Cerf, 1 fasc. in-4, 190 p. ; Exposé des titres scientifiques, Paris, 1883, imp ; V. Goupil et Jourdan, 1 fasc. in-4, 198 p. 5. Parmi les Thèses et travaux inspirés aux élèves : Ball (B.), Des embolies pulmonaires, Thèse Med., Paris, 1862, no1 ; Benni (Ch.), Recherches sur quelques points de la gangrène spontanée (accidents inopexiques et endartérite hypertrophique), Thèse Med. Paris, 1866 ; Bergeron, Recherches sur la pneumonie des vieillards (pneumonie lobaire aiguë), Thèse Med., Paris, 1866 ; Magnin (J.), De quelques accidents de la lithiase biliaire. Anomalie de la colique hépatique ; fièvre intermittente symptomatique ; angiocholite ; ictère chronique et ictère grave, Thèse Med., Paris, 1869, 148 p. ; Moureton (L.), Étude sur la tuberculisation des vieillards, Thèse Med., Paris, 1863, 66 p. ; Ordenstein (L.), Sur la paralysie agitante et la sclérose en plaques généralisée, Thèse Med., Paris, 1867, 84 p. ; Poumeau (I.), Du rôle de l’inflammation dans le ramollissement cérébral, Thèse Med., Paris, 1866, 152 p. ; Prevost (J.S.), Cotard (J.), Études physiologiques et pathologiques sur le ramollissement cérébral, Compt. Rend. Soc. Biol., Paris, 1866, XVIII : 16-19. 6. Lellouch (A.), Histoire de la vieillesse et de ses maladies (de l’Antiquité au siècle). La contribution de Jean-Martin Charcot (1825-1893) et des médecins des hospices parisiens, Thèse Philos. (Hist. Sc.), Paris I, Panthéon-Sorbonne, 1986, 1102 pp. La description des archives Charcot de La Salpêtrière est donnée pp. 1027-1057. XIXe

7. Lellouch (A.), Une étonnante trajectoire professionnelle ou l’itinéraire épistémologique de J.-M. Charcot, pp. 397-417 in : Mélanges en l’honneur de Mirko Grmek (École Pratique des Hautes Études, IVe section : sciences historiques et philologiques), édition préparée par Danièle Gourévitch, Genève, 1992, Droz ed. 8. Gauchet Marcel, Swain Gladys, Le vrai Charcot. Les chemins imprévus de l’inconscient, Paris, 1997, Calmann-Lévy, 282 p. cf. p. 18.

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9. Lellouch (A.), Jean-Martin Charcot (1825-1893) et l’origine de la gériatrie (Recherches historiques sur le fond d’archives de La Salpêtrière), Paris, 1993, Payot (Bibliothèque scientifique), 335 p. Cf. aussi : Lellouch (A.), J.-M. Charcot autrement : un pionnier en gériatrie, Rev. Prat. (Paris), 1996, 46 : 15-18. 10. Meige (H.), Charcot artiste. Plaquette de 45 p., Masson ed., Paris, 1925. Consulter aussi la description de l’iconographie des archives de la bibliothèque Charcot, à La Salpêtrière, in : Lellouch (A.), op. cit., Paris, 1986, pp. 1054-1057. 11. Charcot (J.-M.), Richer (P.), Les démoniaques dans l’Art, Paris, 1887 et Les Difformes dans l’Art, Paris, 1889. 12. Voir Leçons, supra : La médecine empirique et la médecine scientifique. Parallélisme entre les anciens et les modernes et : Charcot (J.-M.), Quelques documents concernant l’historique des gangrènes diabétiques, Gaz. Med., 1861, V, 539. 13. Sur Charcot et l’hystérie et l’hypnose, cf. infra, les notes 1 et 2 du § : Charcot et l’hystérie : une question de méthode. 14. Charcot (J.-M.), La Foi qui guérit (The Faith healing), Rev. Hebd., déc. 1892, 112-132. 15. Goncourt (Edmond et Jules de), Journal-Mémoire de la vie littéraire, Paris, Fasquelle et Flammarion, 1956. Cf. surtout : volume III (résumé). 16. Daudet (L.), Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux de 1885 à 1905, 2e série : Devant la Douleur, Paris, Nouvelle Librairie nationale, 1915, pp. 4-15. 17. Daudet (L.), Les Œuvres et les hommes, Paris, 1922. Cf. : Le professeur Charcot ou le Césarisme de la Faculté, pp. 197-243. 18. Corman (L.), Lellouch (A.), Analyse critique des données morpho-psychologiques et biographiques, Hist. Sc. med., 1989, 23, 107-113. 19. Villard (Cl.), Lellouch (A.), La personnalité de J.-M. Charcot (1825-1893) : étude psycho-graphologique sur manuscrits inédits, Hist. Sc. med., 23, 1989, 97-105. 20. Lellouch (A.), La méthode scientifique de Jean-Martin Charcot (1825-1893), Hist. Phil. Life Sc., 11, 1989, 43-69. 21. Lellouch (A.), De l’« anatomie pathologique première » à l’« anatomie médicale de structure » : continuité ou points de rupture épistémologique ?, Vesalius, 2006, XII, I : 30-35. 22. Dans sa notice nécrologique de Charcot, de 1893, Freud écrivait : « Ce n’était pas un homme de réflexion ou un penseur ; il avait la nature d’un artiste ; il était, pour employer ses mots, un visuel, un homme qui voit », in : Étude sur l’hystérie, tr. fr., Paris : PUF, 1967, p. 58, 106, 191. À rapprocher de la description du regard de Charcot par L. Daudet (cf. supra, § : L’homme Charcot), du coup d’œil du maître dont on vantait les « diagnostics éclair », des dessins, schémas (macroscopiques et microscopiques) de Charcot consultables dans le fond d’archives. In : Contracture hystérique et aimant ; phénomènes curieux de transmettre, Gaz. Hop., 21 novembre 1878 et Œuvres Complètes, t. IX, p. 275 et pp. 285-286, cité par Gauchet (M.), op. cit., p. 126, Charcot écrivait : « Il suffit de regarder fixement une hystérique pour la mettre dans cet état spécial de léthargie provoquée, dans cet état inconscient de résolution des membres, d’insensibilité, dont je vous rends témoins. Je me place en face de cette

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JEAN-MARTIN CHARCOT (1825-1893) : HISTOIRE DOCUMENTÉE D’UN ITINÉRAIRE

jeune hystérique ; je la regarde en face, en lui disant de me regarder ; elle tombe comme foudroyée dans cet état spécial, n’entendant plus rien, ne voyant plus rien, ne pensant plus à rien : lorsqu’on la réveillera, elle ne saura rien de ce qui s’est passé. » 23. Lellouch (A.), Charcot, découvreur de maladies. Actes du Colloque célébrant le centenaire de la mort de Charcot, 1993, Rev. Neurol. (Paris), 1994, 150, 8-9, 506-510. 24. Charcot (J.-M.), Étude pour servir à l’histoire de l’affection décrite sous le nom de goutte asthénique primitive, nodosités des jointures, rhumatisme articulaire chronique (forme primitive), Thèse Med., Paris, 1853. 25. Charcot (J.-M.), Vulpian (E.F.), De la paralysie agitante, Gaz. Hebd., 1861, VIII : 765-816. Cf. aussi supra, § : Sources : Thèses et travaux inspirés aux élèves : Ordenstein (L.), Sur la paralysie agitante et la sclérose en plaques généralisée, op. cit., 1867. 26. Charcot (J.-M.), Du tremblement dit sénile, chorée sénile de quelques auteurs, Progr. Med., 1876, 816. 27. Charcot (J.-M.), La chorée vulgaire (chorea minor) chez les vieillards, Progr. Med., 1878, 178. 28. Lellouch (A.), Jean-Martin Charcot (1825-1893) : Quelques découvertes en cardio-gériatrie, Actes Journ. Fed. Géront. Île-de-France (Paris, 19 avril 1989) : Deux cents ans d’histoire en gérontologie, 1990 : 67-71. 29. Charcot (J.-M.), Ball (B.), Sur la mort subite et la mort rapide à la suite de l’obturation de l’artère pulmonaire par des caillots sanguins dans les cas de phlegmatia alba dolens et de phlébite oblitérante, Gaz. Hebd. Med. Chir., 1858. 30. Charcot (J.-M.), Sur la claudication intermittente observée dans un cas d’oblitération complète de l’une des artères iliaques primitives. Mem. Soc. Biol., in : Gaz. Med. (Paris), 1859. Cf. aussi : Lellouch (A.), Le syndrome de Bouley-Charcot : genèse d’une grande découverte vasculaire, Actes XXXe Congr. Intern. Hist. Med., Bologne (Italie), 29 août-3 sept. 1989, 1990. 31. Lellouch (A.), J.-M. Charcot (1825-1893) et l’altération dite sénile des artères, Encycl. Art., 5 : 6-11, 1990. 32. Charcot (J.-M.), Gangrène du pied et de la jambe... C.R. Séances Soc. Biol., II, 2e série, année 1855, Paris, 1856 et Observations relatives à la gangrène spontanée chez le vieillard. (Ces observations sont reprises dans la thèse de l’élève Ch. Benni, op. cit. : cf. supra). 33. Charcot (J.-M.), Observations sur la pneumonie des vieillards et principalement sur les variations que subit la température dans cette maladie. (Ces observations ont été reproduites dans la thèse de l’élève Bergeron, op. cit. : cf. § : Sources). 34. Charcot (J.-M.), Gombault (V.), Contributions à l’étude anatomique des différentes formes de cirrhose du foie, Arch. Physiol., 1876, 463. 35. Charcot (J.-M.), Distinction anatomo-pathologique et clinique des divers types morbides compris sous la dénomination de Mal de Bright, in : Œuvres Complètes, tome VI, Leçons sur les maladies du foie et des reins, recueillies et publiées par Bourneville, Sevestre et Brissaud, Bureau Progr. Med. et Vve Babé et Cie ed, Paris, 1890.

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36. Cf. supra, § : Sources : Charcot (J.-M.), De l’importance de la thermométrie dans la clinique des vieillards, op. cit., 1869. 37. Cf. supra, § : Sources : Thèse inspirée à l’élève, Magnin (J.), op. cit., 1869. 38. Charcot (J.-M.), Bouchard (Ch.), Nouvelles recherches sur la pathogénie de l’hémorragie cérébrale, Arch. Physiol. Norm. Pathol., I : 110-127 ; 643-665 ; 725-734, 1868. 39. Cf. § : Sources : Thèses et travaux inspirés aux élèves : Poumeau (I.), op. cit., 1866 et Prevost (J.S.), Cotard (J.), op. cit., 1866. 40. Cf. supra, Gauchet (M.), Swain (Gladys), op. cit, 1997, pp. 209-238 : Gasser (J.), Le rôle de Charcot dans la construction de la neurologie moderne. 41. Charcot (J.-M.), Contributions à l’étude des localisations des hémisphères cérébraux, Rev. Mens. Med. Chir., 1877. 42. Sur Charcot et l’hystérie, cf. notamment : Lellouch (A.), op. cit., Paris, 1986, pp. 735-741 ; Lellouch (A.), Charcot, Freud et l’inconscient (Un nouveau paradigme médical est-il né à Paris, à la Salpêtrière, entre 1880-1890 ? Hist. Sc. Med., 2004, XXXVIII, 4, 411- 41 et aussi : Jean-Martin Charcot et l’hystérie, Cerveau et Psycho, 2005, 11. Lire encore la série d’articles fondamentaux de Gladys Swain in : Gauchet (M.), Swain Gladys, op. cit., 1997, L’appropriation neurologique de l’hystérie, surtout pp. 35-68 (II. 1865-1877 : La rencontre avec l’hystérie) et pp. 69-95 (II. 1877-1882 : La nouvelle hystérie). À propos du regard médical de Charcot, cf. aussi supra, § : La méthode Charcot, note 1. 43. Sur ces thèmes, on lira l’analyse chronologique minutieuse et détaillée qu’en donne : Gauchet (M.), op, cit., pp. 105-136 (I. 1878 : Le passage à l’hypnose), pp. 137-168 (II. 1885 : Le traumatisme et l’« élément psychique) et pp. 169-207 (III. Somnambulisme et dédoublement de la personnalité). 44. Sur le regard médical de Charcot et sa pratique personnelle vraisemblable de l’hypnose, cf. supra, § : La méthode Charcot, note 1. 45. Lellouch (A.), La nouvelle « théorie des sciences » de J.-M. Charcot (1825-1893). Colloque Jean-Martin Charcot (27 novembre 1993), séance commune à la Société Française d’Histoire de la Médecine, à la Société Française d’Histoire de la Neurologie et au Groupe de Recherche en Épistémologie et Histoire de la Médecine (GREM, Université Paris XII), Hist. Sc. Med., 1994, XXVIII, 4-297-305. 46. L. Corman (cf. supra, § : L’homme Charcot, note 1) formule l’hypothèse in : Lellouch (A.), op. cit., 1986, p. 1075, au vu des résultats de l’analyse morpho-psychologique, d’une « sensualité (de Charcot) chez lui très refoulée qui aurait pu se manifester par des voies détournées... vers la cinquantaine ». 47. Freud (S.), Quelques considérations pour une étude comparative des paralysies motrices et hystériques, Arch. Neurol., 26 : 29-43, traduit de l’anglais, Standard ed., vol. I : 157-172, Hogarth Press London, 1962. Cf. aussi : Charcot, trad. anglaise, Standard ed., vol. III : 9-27, Hogarth Press, London, 1962 et traduction française, in : Résultats, idées, problèmes, I, 1890-1920, Paris, PUF, 1982, pp. 61-73. Sur Charcot, aussi de Freud : Lettre du 20 janvier 1966 à Martha Bernays, in : Correspondance, trad. fr., Paris, Gallimard, pp. 206-209.

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Des femmes à l’écart, ou Charcot, Freud, Lacan 1 Marie JEJCIC

Il y a 120 ans, le 16 août 1893, Jean-Martin Charcot décédait. Médecin clinicien à la Salpêtrière, le nom de Charcot reste associé aux travaux sur l’hystérie, lesquels lui valurent à cette époque une renommée mondiale. Ainsi Freud, à l’issue de ses études de médecine ira passer six mois dans son service. Soit, mais outre la propension de notre époque à marquer chaque anniversaire en parlant de l’homme plus que de l’œuvre, ceci justifie-t-il de porter tant d’intérêt à Charcot si l’hystérie n’est plus d’actualité psychiatrique, ayant disparu du DSM-III, et que l’intérêt de la psychanalyse pour l’hystérie peut se passer de Charcot ? Si l’étape parisienne de Freud fut sans doute décisive dans son parcours, à prendre l’hystérie et l’invention de la psychanalyse, ne citera-t-on pas plutôt Breuer ? Car Freud rendit hommage à Charcot lors de sa mort, mais c’est avec Breuer qu’il signera Les études sur l’hystérie.

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Marie Jejcic

Et pourtant, un curieux intérêt pour le maître de la Salpêtrière perdure. De l’ouvrage de Didi-Huberman sur L’Invention de l’hystérie, en 1982, à ce film grand public de 2012, intitulé Augustine, son nom revient, mais dénoncé. Et voici qu’un critique très laudatif de ce film... gentil nous éveille avec l’association inopinée qu’il fait de Charcot, Freud et Lacan. Que réunit ces trois noms ? L’évidence moins criante qu’il n’y paraît interroge. Est-ce une succession historique ? Dans ce cas, deux fortes personnalités médicales françaises se retrouvent enserrer Freud. Est-ce la mention de la psychanalyse autour de l’hystérie, mais alors, pourquoi Charcot plutôt que Breuer ? Lacan plutôt qu’un autre ? Cette série mérite attention, car une série n’est jamais neutre. Elle implique une orientation, donc une interprétation qui, posée ou suggérée, veut faire acte. Compte tenu du rôle joué à notre époque par la doxa, nous verrons en quoi Charcot fait toujours nom. Ceci justifiera un retour à son œuvre, avant de saisir la particularité des positions de Freud et Lacan à leur début. Il se peut que Charcot-Freud-Lacan découvre, au lieu d’une série, une résistance à la série, inhérente à l’acte psychanalytique, résistance sans laquelle il n’est pas de psychanalyse. Ceci intéresse l’actualité. Charcot dans notre histoire On médit de Charcot. Pourquoi diantre médire d’un praticien de la fin du XIXe siècle parmi les plus brillants, les plus engagés de sa génération et qui fit plus que beaucoup d’autres pour la médecine, la clinique, l’hôpital, mais aussi pour le statut des femmes à l’hôpital ? On oublie les autres, pas Charcot ! En 1982, Didi-Huberman, avec L’Invention de l’hystérie, proposait une lecture sérieuse mais abusive sur deux

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points essentiels : la partialité de l’abord ; l’ouverture au grand public de données, professionnelles à l’origine. Voici la thèse : l’analyse des clichés de crises hystériques, spontanées ou provoquées sous hypnose, jetterait un nouveau regard sur la clinique de Charcot et rétablirait une vérité trop longtemps confisquée sur le maître. Ce service, autrefois de renommée mondiale, s’avérerait avoir été un repère de médecins et de mondains parisiens au regard concupiscent, avides d’expériences faites sur des hystériques hypnotisées. Cette lecture gêne par un accent de vérité qui viendrait révéler un procédé médical amoral, tout en le soustrayant à son contexte. La partialité de l’abord s’aggrave du recours au procédé même qu’il dénonce. Charcot fit prendre des photos de patients de son service pour mettre à disposition des professionnels. Ce livre s’autorise à les publier. Charcot découvrait la ressource de l’appareil photo à peine inventé qui mettait à disposition de la médecine un procédé technologique qui n’allait cesser de progresser jusqu’à l’imagerie médicale actuelle. Le regard s’affirmait au centre de l’observation médicale. Pourtant, ici, ces images dévoileraient « quelque chose d’abusif, de duplice, de captieux », selon l’auteur qui les dénonce mais les resitue dans la riche élaboration clinique de Charcot où elles trouvaient une fonction précise. Comment et pourquoi ignorer une œuvre de 9 tomes d’interrogations et d’observations cliniques et médicales qui témoigne pour le moins d’un souci, d’un sérieux, d’une implication tout autre qu’amorale ? Pourquoi montrer ces photos non plus aux professionnels mais à un public du XXe ou XXIe siècle désinformé du contexte et des questions posées ? Ce refus scientifique au profit d’une suspicion morale est une position pour le moins contradictoire et paradoxale puisque l’auteur procède par la même démarche qu’il condamne.

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Prenons un exemple. Didi-Huberman isole le mot cure qu’il pose comme fondateur de la psychiatrie pour aussitôt faire valoir sa racine commune avec curiosité. Du coup, l’iconographie concerne et la psychiatrie et la cure inféodées à une curiosité ici dénoncée. Ce n’est pas tout. À cette cure ainsi détournée, sans doute par hasard, il ajoute : « c’est aussi bien une charge, une direction (nous soulignons), un pouvoir ». Ce n’est plus seulement de Charcot dont il s’agit, mais de tous ceux qui, soucieux de La direction de la cure 2, tombent sous le coup de la curiosité et du pouvoir médical. Trop belle pour s’arrêter là, la charge lancée continue d’abattre, « en latin “cura” désigne l’objet du souci de la curiosité, du nettoyage et donc du sexe bien entendu. » Et voici : cure, curiosité, sexualité, pouvoir, direction... Rien ne manque, ou presque, car les omissions révèlent une indifférence à l’enjeu de la cure et du travail de Charcot. Curieusement, disparaissent et l’incurie et les incurables. C’est pourtant à l’incurie dans laquelle vivaient les hystériques hospitalisées que Charcot les arracha, à l’incurabilité, d’un mal si établi qu’on les nommait les incurables. Position paradoxale : un discrédit moral est porté sur un médecin pour considérer les hystériques, sans tenir compte des améliorations. D’autant que lorsqu’on parle des hystériques, les femmes ne sont jamais bien loin. L’auteur le reconnaît dans l’argument, mais l’oublie dans le texte : « La Salpêtrière était une espèce d’enfer féminin, une città dolorosa, quatre mille femmes, incurables, ou folles, encloses là. Un cauchemar dans Paris... » Des femmes, hospitalisées pour des raisons multiples, pas seulement de maladie, entraient, restaient, étaient livrées à tous les abus, et mouraient. Qu’à ceci Jean-Martin Charcot s’attaqua ne nous semble pas marginal.

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Il faudra attendre 1997 pour que paraisse une réponse sérieuse et précise de Marcel Gauchet et Gladys Swain qui prendront la peine de revisiter de façon objective, sans autre finalité que celle annoncée, l’œuvre de Charcot dans son entier. Le livre s’intitule : Le vrai Charcot. Cette mention de vérité qui suppose un faux Charcot dans le discours fait plus, elle inverse la lecture. À placer Charcot en position de sujet de ce discours, l’hystérie trouve sa place de signifiant maître auquel le pouvoir du maître est assujetti. La concision du titre profile l’erreur de Charcot 3. Revenons à notre lecture d’une direction de la cure accusée. N’est-ce pas là une association nôtre quelque peu abusive ? Charcot dans notre histoire (suite) En 2012, sortit un film intitulé Augustine 4 – patiente de Charcot connue par l’un de ces fameux clichés qui témoigne de sa beauté et de la vigueur de son regard – dont parle précisément Didi-Huberman. Le film suppose qu’Augustine séduisit le maître et le bouleversa. Émoi possible. Mais voici qu’un critique, directeur du service culturel du Nouvel Obs, loue le film, le juge impressionnant et, d’un même geste, semble vouloir abattre : Charcot, Freud, Lacan et la psychanalyse ! Lisons : « Le hasard, à moins que ce ne soit l’inconscient collectif, fait bien les choses. Alors que paraissent en rafale de nombreux livres consacrés à Sigmund Freud, sort un film sur celui dont il fut le stagiaire à la Salpêtrière, le disciple fervent et le traducteur appliqué : le professeur JeanMartin Charcot ». « Aucun autre homme, disait le jeune médecin viennois du grand neurologue français, n’aura jamais eu autant d’influence sur moi. » C’est, du reste, cette même année 1885, lorsque l’élève suit les cours du

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maître, que se situe « Augustine », l’impressionnant premier long-métrage d’Alice Winocour. La construction grammaticale est nette. Freud est premier d’une phrase où le sujet principal se voulait Charcot. Certes, l’on s’occupe beaucoup de Freud depuis quelques temps, et l’inconscient collectif n’y est pas pour grandchose. Freud est ici accusé de n’avoir pas dénoncé les procédés scandaleux des mœurs de la neurologie parisienne... Il y était, il a vu, il s’est tu... L’apport médical étant ici secondaire, les procédés ne sont considérés que sous l’angle de l’amoralité : « Elles frappent pour l’essentiel des femmes pauvres, violées, humiliées qui expriment, par leurs crises, une révolte physique. » Après ce ressenti ému pour ces pauvres femmes hystériques, voici que nous lisons : « ce qu’Alice Winocour appelle la “première manifestation féministe” » et que Lacan traduit par : « L’hystérique est une esclave qui cherche un maître sur qui régner. » Et voilà, Charcot, Freud, Lacan ! Viser le premier abat les deux autres ! Précisons tout de même. Lacan a si peu dit que l’hystérique était esclave qu’il en a fait un discours où tout sujet peut prendre place. En outre, ni Charcot ni Freud ni Lacan ne leur ont jamais fait l’affront de les qualifier de pauvres filles ce que, du reste, le fameux portrait d’Augustine autant que le film interdisent ! Alors que dit Lacan ? Cette citation estropiée non référencée évoque sans doute L’envers de la psychanalyse où sont élaborés les 4 discours. Lisons à la leçon du 18 mars 1970 5 : « Ce que l’hystérique veut – je dis ça pour ceux qui n’ont pas la vocation, il doit y en avoir beaucoup – c’est un maître. C’est tout à fait clair. C’est même au point qu’il faut se poser la question si ce n’est pas de là qu’est partie l’invention du maître. Cela bouclerait également ce que nous

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sommes en train de tracer. Elle veut un maître. C’est là ce qui gît dans le petit coin en haut et à droite, pour ne pas le nommer autrement. Nous sommes donc dans le discours hystérique. Elle veut que l’autre soit un maître, sache beaucoup de choses, mais tout de même pas qu’il en sache assez pour ne pas croire que c’est elle qui est le prix suprême de tout son savoir. Autrement dit, elle veut un maître sur lequel elle règne. Elle règne et il ne gouverne pas. 6 » Loin d’être esclave, l’hystérique mène le jeu au point qu’il ne soit de maître que d’elle. Cette lecture politique est autrement plus intéressante qu’un pseudo inconscient collectif qui avancerait masqué par des critiques. Quelle fonction prend le sujet du discours hystérique dans l’établissement du pouvoir où sa question, sur le réel pris comme vérité, stimule le signifiant maître ? Car il ne s’agit pas ici de structure hystérique. Lacan précise « en haut à droite » donc désigne, dans le discours, la fonction qu’un sujet, en dépit de sa structure, peut soutenir. Quant à la position de vérité qu’un sujet peut tolérer d’occuper pour un signifiant maître soucieux de contraindre le savoir à la maîtrise du pouvoir, le réel brigué ne manquera pas de lui faire retour. Ainsi, à la question que veut le sujet du discours hystérique, Lacan répond : un maître sur qui régner et qui ne gouverne pas mais qui saura produire la désillusion. Et le film est premier à contester ce versant esclave ! À la dernière scène, lors d’une présentation de malade, Augustine, le regard frondeur, ruine l’œuvre de Charcot et refuse la crise (serait-ce qu’elle pouvait résister à l’hypnose) puis, dans un clin d’œil, elle décide d’obtempérer et la simule ! Fin de Charcot et de sa démonstration, pas d’Augustine qui, après avoir séduit le maître, s’échappe. Elle voulait un maître, elle l’a obtenu... démonstration est faite, le maître n’était pas lui !

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Babinski ayant par la suite contesté Charcot et l’hystérie, celle-ci retourna au théâtre dont l’amphithéâtre de celui-là l’avait sortie. Comme il se vérifie, une série fait sens. Retour donc à Charcot par son œuvre et dans son histoire, afin de considérer peut-être une autre fonction de cette série. Charcot dans son histoire Né en 1825, 31 ans avant Freud, Charcot couvre le XIXe siècle. Médecin célébrissime, il doit sa notoriété mondiale à plusieurs raisons. Agrégé de médecine, il fut nommé chef de service à la Salpêtrière, hôpital parmi les plus défavorisés au point que M. Gauchet note que tout médecin qui y était nommé cherchait à en sortir au plus vite. Et Charcot restera, contredisant par ce seul trait la soif de pouvoir mondain dont on le crédite. Dès sa thèse, ses travaux en médecine interne furent remarqués, car la méthode qu’il introduisait – observer, comparer, diagnostiquer – lui avait permis de dissocier la goutte d’avec les maladies rhumatismales. Cela supposait une observation clinique comparative de différents patients aux manifestations symptomatiques similaires. Charcot changera de sujet d’étude mais gardera cette démarche rigoureuse, espérant obtenir les mêmes succès. Le nom de Charcot est aussi attaché à la neurologie qu’il contribua à fonder, à développer tant par ses études et nombreuses publications nationales et internationales que par la création, pour lui et par lui, d’une chaire de neurologie. Pendant huit ans, de 1862 à 1870, il s’y consacrera. En résulteront des travaux essentiels : la description de la sclérose en plaques ; l’atteinte de la syphilis et du tabès. Souvenons-nous, Freud, dans une note du cas Dora, rappelle ce diagnostic de tabès qu’il fit sur une femme

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classée hystérique, ce qui lui permit d’être remarqué par un confrère. C’est sans doute de son passage chez Charcot qu’il tenait cette finesse de diagnostic. Travailleur acharné, Charcot intervenait à tous les niveaux : théorique, clinique, institutionnel, politique, au point de faire de ce service – de femmes, hystériques de surcroît, d’un hôpital parmi les plus défavorisés –, le lieu vers lequel les yeux du monde entier devaient se tourner. M. Gauchet conclut : « De chaque handicap, il sut faire un atout ». Sur ce point, Lacan mérite de lui être associé qui saura en faire autant. Charcot, non content de remporter des succès médicaux, savait obtenir des crédits de l’administration. Aussi, il modernisa son service, les salles, introduisit l’hygiène et la technologie naissante, électrothérapie et photo dont le fameux atelier. Enfin, sa méthode rigoureuse rénova la conception de la clinique, d’autant qu’il innova aussi dans un troisième domaine : l’enseignement. Il conçut un enseignement hospitalier universitaire qui allait à l’encontre de l’enseignement universitaire hermétiquement théorique et déconnecté de toute clinique, si bien dénoncé par Molière. Dorénavant, la médecine sera enseignée à l’hôpital et transmise par des présentations de malades hebdomadaires : les leçons du mardi, réservées à ses internes et quelques rares privilégiés sur demande. Ainsi, doit-on insister sur l’amélioration notoire dans son service des conditions de vie sanitaires et médicales de femmes jusqu’alors jugées damnées et recluses. Comment ? Par une autre innovation. À l’hygiène et à une démarche médicale rigoureuse, il ajouta la décision osée de faire de son service un lieu ouvert, anticipant ainsi sur notre ère de la transparence. Charcot mit en place une consultation externe et ouvrit une présentation de malades. Ces décisions eurent des conséquences décisives. 1) Il étendit ses observations aux malades de ville. 2) Il incluait

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le personnel soignant dans le souci thérapeutique. 3) Il obtint des effets thérapeutiques nouveaux par une auscultation et une observation qui contraignaient le thérapeute à se mettre à l’épreuve de ses élèves, au risque de l’inattendu qui ne manque jamais de survenir avec la clinique. Freud souligne l’humilité et le courage qu’il fallait pour interroger sa pratique in vivo en public. Ce courage, cette exigence professionnelle, ce souci de la transmission l’impressionnèrent 7. La présentation de malades changea une convention. Jusqu’alors, la consultation clinique se faisait, comme l’indique son nom, au pied du lit du malade, soit dans des salles communes. Conduire les malades à l’amphithéâtre les obligeait à se lever, se laver, s’habiller. Il fallait s’en occuper, les sortir de leur chambre. Enfin, ils étaient auscultés devant des médecins et non plus devant des malades, ce qui changeait la relation imaginaire. Ainsi, si la guérison est loin d’être toujours possible, le progrès des conditions de vie – valorisation du soin, réhabilitation de l’hygiène, échange avec le patient, attention particulière qui lui était portée -, favorisait l’amélioration. De ce mouroir de femmes recluses à perpétuité, Charcot fit un service « hospitalier vivant » dans un lieu ouvert qu’il lui arrivait de nommer « musée vivant ». Musée : sa fonction autrefois n’était pas commerciale et renvoyait à l’étymologie : lieu des muses qui présidaient aux Arts libéraux dans la Grèce Antique. Les hystériques : ses muses. L’œuvre est ample et diverse. Les écrits témoignent des innovations et de la richesse des observations cliniques. Et Freud s’enthousiasma ! Il découvrait une méthode, une forme de clinique et de médecine nouvelle, l’exigence du diagnostic, la puissance de travail, la capacité de synthèse mais aussi un style de transmission, ceci avant même d’évoquer l’hystérie.

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Il est donc paradoxal de ne s’intéresser à Charcot que pour l’hystérie qui, en somme, fut son seul échec, fécond néanmoins si nous lui devons les recherches à venir de Freud et la naissance de la psychanalyse. En 1893, lors de son décès, Freud terminait le vibrant éloge qu’il lui faisait sur l’impasse où, avec l’hypnose, il avait néanmoins conduit les hystériques, mais ce constat ne justifiait ni pour lui ni même pour Babinski, la remise en question de l’œuvre ou du maître 8. Le tort de Charcot n’est pas de s’être trop occupé des hystériques, plutôt l’inverse. À tenir sur la médecine, il s’occupa de l’hystérie comme maladie, plus que des hystériques. Il fallut donc son courage et sa renommée pour aborder une pathologie méprisée, toujours jugée impossible à définir 9. Ces femmes, dites lubriques dans le meilleur des cas, étaient dites habitées par Satan. Le dernier acte de Charcot, et non des moindres, fut de soustraire la médecine à l’emprise de la religion toujours influente sur le corps médical. Il faut lire La Sorcière de Michelet 10 pour prendre la mesure des conséquences d’un frayage médical par le religieux ! Lesdites hystériques, sur des critères obscurs, étaient déclarées démoniaques, et point n’est besoin pour cela de remonter au Moyen-Âge. À la même époque, entre 1857 et 1873, une surprenante épidémie d’hystérie se développa à Morzine 11. Quel fut le diagnostic médical ? « Hystéro-démonopathie ». Le diagnostic est d’Esquirol, interne de Pinel. Ce diagnostic médico-religieux de la part d’un médecin informé prenait place dans un débat théologique sous-cutané qui se demandait si, pour être concernées par le démon, les femmes avaient ou non une âme ? Cette concession au religieux, par des médecins éclairés par la dynamique des idées de l’époque, rappelle le versant pertinent de l’hystérique qui dénonce le réel qui

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déjoue les rapports amoureux. Charcot avec décision et l’aide d’un proche collaborateur endiguera cet obscurantisme religieux qui œuvrait encore et laïcisera pour un long temps l’hôpital 12. Toutefois, le danger provient moins de la religion que de son esprit. La décision laïque et scientifique de Charcot eut des conséquences inattendues que lui-même dénonça. Aux États-Unis, des chirurgiens, découvrant par lui l’existence de zones hystérogènes – ovaires ou seins -, déduisirent avec un pragmatisme décidé que, pour guérir les hystériques, il suffisait de pratiquer l’ablation de la zone 13 ! Aujourd’hui, en France, des hôpitaux proposent des stimulations intracérébrales pour les TOC 14. L’hystérie avec Charcot Il y eut Charcot mais, rappelle Gauchet, il y eut aussi une période politique clémente qui permit ces recherches, soutint leurs entreprises, admit les innovations et accorda des crédits nécessaires. L’hystérie connaissait alors un regain d’intérêt médical. En 1859, le Dr Paul Briquet 15 avait publié un traité volontiers cité par Charcot, or si l’hystérie a disparu des classifications dès le DSM-III, oublié en France, ce traité perdure au Canada et aux États-Unis où l’on parle encore d’attaque ou du syndrome de Briquet ! Briquet définissait l’hystérie comme une « névrose de l’encéphale » lui conférant un contrefort neurologique adapté au DSM. Seule la partie affective du cerveau, pensait-il, était touchée, pas la partie cognitive. N’est-ce pas une des raisons qui feront à Freud et à Breuer insister sur l’intelligence particulière de leurs premières patientes ? En 1870, pour des raisons de réfection du service du Pr Delasiauve, spécialiste de l’épilepsie, Charcot se vit

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confier les patientes qui n’étaient pas atteintes du haut mal. Ainsi débuta son histoire avec l’hystérie. On lui reproche d’avoir trop cru au mal hystérique ; néanmoins, pour la première fois, la souffrance hystérique était prise au sérieux et observée, permettant enfin des progrès. Ainsi, il observa la simulation du mal épileptique mais, devant l’absence de lésions anatomiques et de dysfonctionnement organique, il renversa le raisonnement et déduisit que la simulation était la maladie elle-même ! L’observation est décisive et sa méthode utile. Il a distingué l’épilepsie de l’hystérie. Lisons-le et notons le style d’une démarche consciencieuse : « J’ai hérité de ce service [...] il y a environ quinze ou vingt ans, et dès les premiers moments, je fus témoin de ces attaques d’hystéro-épileptique. Je procédai avec la plus grande circonspection dans mes diagnostics, car je me disais comment se fait-il que ces choses là ne soient pas dans les livres ? Comment s’y prendrait-on si on voulait décrire cela d’après nature ? Je n’y voyais absolument que confusion, et l’impuissance à laquelle j’étais réduit me causait une certaine irritation ; lorsqu’un jour, par une sorte d’intuition, je me suis dit : mais c’est toujours la même chose, alors j’en conclus qu’il y avait là une maladie particulière, l’hysteria major, commençant par une attaque épileptoïde qui diffère si peu de la véritable attaque d’épilepsie qu’on l’a dénommée la maladie hystéro-épileptique, bien qu’elle n’aie rien de commun avec l’épilepsie. 16 » Au lieu d’ironiser sur les hystériques et leur simulation, Charcot observe la répétition de la crise au point qu’elle lui fasse signe de diagnostic 17. Dès lors, se conçoit son intérêt pour l’hypnose et cette pratique de reproduire la crise. Il observait ainsi et démontrait aux confrères incrédules le mécanisme hystérique. Il écrit : « L’attaque hystérique est comme... mais pas pour de

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vrai 18. » Ce qu’il pointe de singulier dans l’hystérie, le symptôme qui permet le diagnostic, c’est ce comme. Retournement avisé et fine observation ! Charcot fait des notations cliniques judicieuses. On a oublié ce que signifiait être clinicien. Que d’intelligence, de trouvailles, d’observations justes dans les écrits de psychiatrie. Par exemple, l’hypnose lui permet de faire des observations très pertinentes sur son analogie avec l’état mental hystérique. Certes, il déclenchait par hypnose des crises hystériques, mais pourquoi était-ce possible ? Il répond : les hystériques reproduisent leurs crises sous hypnose parce que l’hypnose retrouve leur état au moment de la crise, par conséquent l’hypnose révèle l’état de la crise hystérique. Et Charcot de faire cette déduction exquise, préfiguration du rapport au fantasme et au traumatisme : « l’hypnose, le somnambulisme, est l’état mental des hystériques. Une idée vient du dehors, c’est le phénomène du choc, qui va réveiller les idées relatives à l’absence du mouvement et au trouble de la sensibilité 19. » L’état mental des hystériques est l’hypnose 20. L’hystérie est un sommeil, Charcot va même jusqu’à parler d’une espèce de rêve qu’un choc éveille qui peut être un traumatisme. Loin d’être la cause de l’hystérie, le traumatisme en est l’éveil ! 21 Et Charcot ajoute : « qu’a-t-elle encore à part ces symptômes ? » Il répond : « Tout un passé. » L’écho avec Freud s’arrête là, Charcot vire aussitôt ce passé au compte de l’hérédité. Enfin, ayant observé la constante sexuelle, il ne sait qu’en faire. D’une jeune femme de 21 ans, atteinte d’hystérie depuis l’âge de 15 ans, il dit simplement : « les mauvais traitements qu’elle subissait de la part de son père, adonné aux excès de boisson et plus tard la prostitution, ont sans doute exercé une certaine action étiologique. 22 » Ces observations mirent Freud au travail, l’analogie s’arrête là car Freud allait

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produire une coupure en passant de l’observation de l’hystérie à l’écoute des hystériques, encore fallait-il la rendre possible. Freud à l’écart De retour à Vienne, Freud contactera Breuer. À propos de la lecture d’Antigone par Lacan, Nicole Loraux disait : « Antigone sans théâtre, cela convient à l’hystérie de Freud ». Différent de Babinski, Freud dissocie l’hystérie du théâtre et, après Breuer, ose s’en mettre à l’écoute, mais cette fois avec la résistance et le transfert. Ainsi Freud fit d’emblée un écart et le rendit possible. Écart, le signifiant est de Lacoue-Labarthe et Nancy 23 qui l’isolent pour pointer, dans L’instance de la lettre de Lacan, l’écart entre le texte donné à entendre et le texte à lire. En outre, ce signifiant reviendra avec Lacan qui en 1975 parle de l’écart possible d’une métaphore. Quel écart est-il soutenable sans rompre ? Selon le dictionnaire, écart convient autant aux contextes abstraits que concrets 24. Il a signifié entaille, incision, distance qui sépare les choses. Écart : séparation, entaille avec des repères préservés, la métaphore donc le langage sont présents. Nous dirons que l’écart pris par Freud avec la médecine au sujet de l’hystérie permit la psychanalyse. Une critique de Charcot pourrait porter sur cet écart qu’il ne sut pas prendre, fasciné par la crise hystérique. Captif du regard, il ne sut pas voir ; captif de la médecine, il surestima l’hérédité 25. Briquet, Charcot, Babinski procèdent par évolution, démonstration, contestation, mais Freud marque un écart par l’écoute et le savoir qu’il apprendra des hystériques. Abandonnant l’hypnose au profit du rêve « état hypnoïde » par excellence 26, il tient à l’écart l’anatomie. N’avait-il pas déjà soumis à Charcot,

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réfractaire, de soutenir une thèse sur les paralysies et anesthésies hystériques délimitées par une représentation commune du corps, et non anatomique 27 ? L’écart résulte d’une incision. Le décalage offre un nouveau point d’Archimède. Celui-ci ne fut pas tant l’écoute des hystériques par Breuer que celle de leur langage par Freud. Freud écoute moins ce qu’elles disent que la façon dont elles disent. Pour cela, il quitta le phénomène et s’intéressa aux causes. Ce faisant, il s’écartait de la médecine et s’éveillait au langage. Le passage est célèbre : Freud constate que ses études se lisent comme des nouvelles car l’objet le lui impose. Il ajoute « le diagnostic local et les réactions électriques n’ont aucune valeur pour l’hystérie, tandis qu’une présentation approfondie des processus psychiques, à la façon dont elle nous est donnée par les poètes... » Après Charcot, il s’écarte de Breuer en se situant non pas dans l’angle médical, mais dans celui du langage et des poètes – pas à la façon des psychologues. Du reste, Freud utilise « Dichter », terme dont use Heidegger à propos d’Hölderlin. Dichter, c’est la langue poétique, créatrice, élevée à la puissance d’un acte et porteuse d’une dimension ontologique 28. Ceci n’interroge donc pas la poésie de l’expression, mais en quoi le langage opère, fait acte dans l’être. À l’écoute de ses patientes, Freud révèle que la douleur hystérique relève d’une anatomie du langage. Cécilie le lui enseigna ; Elisabeth von R. le lui confirma. Freud parle d’une « paralysie fonctionnelle symbolique » 29, Cécilie paralysée éclate de rire à s’entendre se plaindre « de ne pas pouvoir avancer dans la vie ». De cette anatomie du langage hystérique, Freud dit : « ses jambes se sont mises à parler ». Il gardera cette position dans la psychose. À propos des schizophrènes, il parle de langage d’organe qui démontrera le mécanisme inconscient dans la Métapsychologie.

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Comment soutenir l’écart entre le langage et le corps ? Ceci n’est possible que de sa répétition dans le transfert. Dès Cécilie, Freud l’inclut dans l’analyse comme le démontre une note 30. La conversion de l’organe dans le langage ne se produit que dans le transfert et le transfert que de la dynamique sexuée. Un écart implique une succession d’écarts tenus par une cause qui vient en dernier dans l’observation d’Elisabeth et conditionne sa guérison : le désir refoulé pour son beau-frère. La sexualité embarrassait, avec Freud, sans elle, pas de traitement. Le sexuel travaille le traumatisme et le transfert. Mais Freud n’est pas Lacan et s’il envisage un impossible, il le rapatrie dans l’histoire, soit l’imaginaire ou, plus tard, dans le fantasme mais jamais, il ne posera cet impossible comme cause. Ainsi, il trébuchera sur le continent noir chez la femme ou sur l’opération qui définirait la psychose. Reste que la symbolisation freudienne n’est en rien jungienne. Condensée à l’imaginaire, si elle n’est pas lacanienne, elle n’interdit pas de le devenir. Écart de Lacan Mettre en série, Charcot-Freud-Lacan fait valoir l’écart qui permit la psychanalyse, plus encore celui, toujours à renouveler, qui la permet. Lacan débuta avec le cas Aimée, psychotique et non plus hystérique 31. Freud creusa l’écart avec le langage, jusqu’à parler de langage d’organe. À son tour, Lacan marquera un écart par la prise en compte de l’écrit. La direction de la cure travaille l’écart entre le dire et le dit, l’écoute et la lecture. Écart non pas dans une intériorité au langage, mais entre la parole et l’écrit, le langage et la lettre, marque d’un réel. À partir de l’instance de la lettre et par un nouage qui évolue (ISR en 46 et le stade du miroir, SIR en 53,

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et Le discours de Rome, enfin RSI en 75, Joyce et le nœud borroméen) L’ordre change, le réel reste, condition des autres registres. Les quarts de tour du discours écrivent l’écart de Lacan pris par l’entaille de la barre écrite, à franchir. Par les discours, l’hystérique passe du principe de la névrose au principe du sujet. Un écart n’est pas un simple décalage clinique. Il suppose une nouvelle métapsychologie, en l’occurrence ni méta ni psychologique, mais topologique. L’écart de l’écrit permit à Lacan un re-tour à Freud. Et l’on passa d’une impossible définition de l’hystérie à l’époque de Charcot, à un impossible dans la sexualité chez Freud, à l’impossible du rapport sexuel avec Lacan. De ce quart de tour procède le discours de l’analyste lequel, renversant la mise hystérique, tient sur le réel qu’aucun objet ne sature, semblant d’objet (a), reste d’un Autre. Après le cas Aimée, Lacan revient à la psychose, par le cas Joyce. La psychose encadre ainsi son enseignement. Avec Joyce, Lacan pose la fonction de l’ego comme sinthome, soit la suppléance d’un 4e nœud qu’il lit comme l’écriture d’une perversion nouvelle, ce qui mériterait d’être interrogé. Or, dans le nœud, Lacan inscrit la mort, la vie, les jouissances du sens et celle de l’Autre, mais pas le sujet comme lettre. Il reste à lire, mais autrement. En conclusion, l’on osera se demander si l’écart pris par Freud sur la médecine, conséquence de l’écart qu’il prit avec le langage sur la médecine et l’organique ; si l’écart pris par Lacan sur la philosophie, résultat de l’écart entre l’écrit et la parole, n’imposent pas, de nos jours, un nouvel écart. Ceci ouvre une question qui mériterait un déploiement, pour l’heure indiquons le fil de la réflexion. Cet écrit avec lequel Lacan travaille le langage n’est pas derridien, mais freudien. Effet du langage 32, il ne résulte pas d’une trace mais d’un réel. La lecture de l’impossible

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rapport sexuel au lit. C’est ainsi que nous lisons l’étonnant début d’Encore – « Alors commencez par vous supposer au lit » puis, insistant, « je n’en décollerai pas, de ce lit 33 », et cette articulation à « la lettre, ça se lit » 34. L’absence de rapport fait coupure, écrit, mais la lettre fait l’assemblage, Un, lalangue. Cette fonction de l’écrit modifie la définition de l’inconscient non plus structuré comme un langage, mais par un langage 35, l’accent portant sur la logique du rapport et non pas sur l’être, ni le corps. C’est pourquoi, le prochain écart à produire par les psychanalystes devrait être avec la psychologie et le sujet. Écart, non pas par l’adaptation d’une pseudo nouvelle clinique à de nouveaux symptômes, où l’on s’empêtre toujours, mais écart de l’hystérique à LA//femme, imposant l’écart du sujet du discours à la logique topologique du pas-tout. S’il n’est d’analyste que de l’écart inhérent à la castration, le discours étant de moins en moins du semblant, n’appelle-t-il pas un écart métapsychologique ? La topologie, partout mise à l’étude, rencontre une résistance dans la pratique qui indique peut-être qu’elle n’est pas continuité, mais effet d’un écart.

1. Texte réécrit présenté lors du Colloque international les 4 et 5 octobre 2013. La Salpêtrière, un théâtre de l’hystérie. D’une scène à l’autre : Charcot, Freud, Lacan. (400 ans de la Salpêtrière, 120e anniversaire de la mort de Jean-Martin Charcot. 2. Lacan J., La direction de la cure et les principes de son pouvoir (1958), Les Écrits, Paris : Seuil, 1966. 3. Charcot fut critiqué de son vivant, sur des points inverses. On observait que l’attention extrême qu’il prêtait à l’hystérie la suscitait plus qu’elle ne l’endiguait. Plus facile donc d’en ignorer la plainte théâtrale. Ce qui fut proposé par Babinski. Et de fait, ceci réduisit tant leur effectif qu’elles disparurent de la scène durant 50 ans ! Or, quand disparaît l’hystérie, ne reste plus qu’à s’occuper des femmes. 4. Winocour A., Augustine, Film, 2012.

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5. Lacan J., L’envers de la psychanalyse (1969-1970), Paris : Seuil, 1991, p. 150. 6. Ibid. Dans ce séminaire, Lacan élabore quatre discours qui structurent la société : le discours du maître, le discours de l’université, le discours de l’hystérique et celui de l’analyste. 7. Freud S., Résultats, Idées, Problèmes I, « Charcot », 1893, Paris : PUF, 1988, pp. 61-73, p. 68. 8. Observons qu’il est différent d’être un maître dans l’enseignant, même si l’on peut y échapper, ce que Lacan apprit, et en position de maître pour l’hystérique. 9. Lasègue C.-E., décédé en 1883, affirmait encore que « la définition de l’hystérie n’a jamais été donnée et ne le sera jamais. » 10. Michelet J. (1862), La sorcière, Paris : Garnier Flammarion, 1966. 11. Wajeman G., Le maître et l’hystérique, Paris : Navarin, Seuil, 1982. 12. Charcot J.-M., L’hystérie, Toulouse : Privat, 1971, p. 59. Charcot lui-même qualifia la violence des crises d’une dénommée Lern, de démoniaques, mais il n’en fit pas le diagnostic. Le qualificatif permet de décrire les attitudes effrayantes de la crise. Il ajoute « une Jerkers comme il se dit outre-Manche ». – Jerkers – celui qui est pris de secousses, de saccades – qui danse le Jerk en somme. 13. Charcot J.-M., op. cit., p. 120. 14. Amiel G., Journal Français de Psychiatrie no22, Toulouse : Érès, février 2004. 15. Paul Briquet, agrégé et médecin à l’hôpital de la Charité. Son ouvrage fut publié simultanément à Paris, Londres et New York en 1859, sous le titre Traité clinique et thérapeutique de l’hystérie, Paris : J.-B. Baillière et Fils. 16. Charcot J.-M., op. cit., p. 116. 17. Étonnant, Charcot ne pense pas que la proximité des hystériques et des épileptiques provoque la parenté des crises, alors que la critique ironise concluant que « ces attaques hystéro-épileptiques n’existent qu’en France et d’autres disent à la Salpêtrière », comme il le rapporte lui-même, lui s’intéresse à la répétition possible, op. cit., p. 120. 18. Ibid., p. 78. 19. Charcot J.-M., op. cit., p. 94. 20. Ibid., p. 94. 21. Il faut relire Complément métapsychologique pour constater combien Freud travaille de près ces notions. Métapsychologie (1915), Paris : Gallimard, 1978, pp. 125-146. 22. Ibid., p. 57. 23. Lacoue-Labarthe P. et Nancy J.-L., Le titre de la lettre (1973), Paris : Galilée, 1990. 24. Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française. 25. Freud S., Résultats, Idées, Problèmes I, « Charcot » (1893), Paris : PUF, 1988. 26. Breuer J., Freud S., Études sur l’hystérie, « Le mécanisme psychique de phénomènes hystériques » (1892), Paris : PUF, 1990, pp. 8 et 9. 27. Freud S., Freud par lui-même (1925), Paris : Folio Essais, 1987, p. 24. 28. Heidegger M. (1962), Approche d’Hölderlin, Tel, Paris : Gallimard, 1996.

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29. Freud S., Breuer J., op. cit., p. 121. 30. Freud S., Breuer J., op. cit., p. 145, note 1. 31. Jean Allouch a beaucoup insisté sur l’importance de la psychose dans l’accroche de la psychanalyse par Lacan. 32. Lacan J. (1972-73), Séminaire XX, Encore, Paris : Seuil, 1975. 16/1/73, p. 45. 33. Lacan J., ibid., 21/11/72, p. 10. 34. Lacan J., ibid., 9/1/73, p. 29. 35. Lacan J., ibid., 13/2/73, p. 47.

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Le jeune Freud à la Salpêtrière (1885-1886) Michelle MOREAU RICAUD 1

Sigmund Freud vient faire un stage à Paris, avant de s’installer à Vienne comme « médecin des maladies nerveuses », stage dont l’importance est en général sous-estimée par nombre de chercheurs. Or, de nos jours, il paraît « évident » que le jeune docteur Freud est venu pour étudier l’hystérie auprès du célèbre professeur Charcot. Pour lever ce malentendu, je m’appuierai à la fois sur des données biographiques et historiques ; en même temps, je montrerai l’importance de ce stage et l’influence qu’il aura dans la création future de la psychanalyse. Donc, pourquoi le jeune docteur Freud vient-il en octobre 1885 à Paris, dans le service du professeur Jean-Martin Charcot à l’hôpital de la Salpêtrière ? Quel projet a-t-il en choisissant ce service ? Et que fait-il, pendant ce stage de cinq mois, du trimestre d’hiver 1885 à celui du printemps 1886 ?

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Les recherches des historiens de la psychanalyse – dont quelques-uns participent à ce colloque 2 – seront une aide précieuse pour répondre à ces questions, sans oublier les différentes contributions personnelles de Freud sur le sujet 3 (Rapport de mon voyage d’études à Paris et à Berlin, Autobiographie, correspondance et travaux). Freud avant Freud : le jeune Freud à Vienne On ne peut que regretter la nouvelle annoncée le 28 avril 1885 par Freud à Martha Bernays (s’amusant de mettre dans l’embarras d’éventuels biographes) : « J’ai détruit toutes mes notes de ces quatorze dernières années, ainsi que les lettres, les extraits scientifiques et les manuscrits de mes travaux [...] Tout ce qui fait partie du passé qui a précédé le grand tournant de ma vie, notre amour et le choix que j’ai fait de ma profession est mort depuis longtemps [...] 4. » La source dans laquelle nous aurions pu trouver un jeune Freud, différent du Freud fondateur de la psychanalyse, serait-elle donc perdue ? Ses projets et sa vie d’avant ne pourraient être alors que rêvés, imaginés ? Heureusement, ses Lettres de Jeunesse 5 à Edward Silberstein et à d’autres, ainsi que celles adressées à Martha Bernays 6 nous fournissent des données précieuses. Si Freud, en 1885, veut faire tabula rasa pour « tout repenser » et se préparer à une nouvelle vie, dont la Salpêtrière fait partie, le « grand tournant » de sa vie est à dater autour de 1881-1882, années de la soutenance de sa thèse et de sa rencontre avec Martha. Rappelons très brièvement son parcours jusqu’ici : Freud (1856-1939) a quatre ans lorsque sa famille quitte Pribor (ex-Freiberg) – passe par Liepzig – et s’installe définitivement à Vienne. Son père, Jacob Freud, « juif toléré »

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dans l’ancienne Moravie, a fait faillite dans son petit commerce de laine et espère trouver du travail à Vienne. Cette splendide capitale de l’Empire austro-hongrois, puissance catholique, d’abord accueillante aux minorités ethniques, linguistiques et religieuses, devenue ensuite antisémite, se distingue alors par son atmosphère de patriarcat et de traditions. L’hystérie y fleurit... comme ailleurs ! Ses brillantes années de lycée terminées – durant lesquelles il est toujours « le premier de sa classe pendant sept ans » 7 et sa Matura (baccalauréat) en poche, Freud hésite entre le droit et la médecine, puis s’inscrit en 1873, à la faculté de médecine de Vienne. Celle-ci, fort réputée, compte parmi ses professeurs notamment Nothnagel, Meynert, Bruckner, noms illustres restés dans l’histoire de la médecine ; un autre, Josef Skoda a mis au point des techniques de diagnostic physique par percussion : le marteau de Skoda 8, utilisé par Charcot. Néanmoins, la faculté de médecine à Vienne, dont les découvertes médicales sont nombreuses sur le plan diagnostique, professe un nihilisme thérapeutique. À Vienne, Freud se heurte de front à l’antisémitisme de ses camarades et cette expérience douloureuse lui apprend, en tant que juif, à se « familiariser avec le destin de se trouver dans l’opposition et d’être mis au ban de la « majorité compacte » ; et il y gagne « une certaine indépendance de jugement 9 ». Jeune homme ambitieux, intéressé par le droit, les sciences, la littérature, et par la philosophie – il suit les cours de Frantz Brentano et a l’opportunité de traduire le dernier tome des œuvres du philosophe et économiste John Stuart Mill 10 – il est vite habité par le rêve d’être un homme de laboratoire, un chercheur. Dès 1878, il en fait la confidence – bien connue – à un ami 11 : « J’ai changé de laboratoire et me prépare à exercer une véritable

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profession : écorcher des animaux ou torturer des hommes et, de plus en plus, s’affirme ma préférence pour le premier terme de cette alternative ». Et il choisit la recherche en laboratoire de zoologie. Il va se spécialiser dans le domaine de l’histologie du système nerveux. On l’envoie à Trieste pour étudier au microscope les anguilles dont la reproduction était énigmatique : il publie ainsi, dès 1877, ses Observations de la conformation de l’organe lobé de l’anguille décrit comme glande germinale mâle 12. Puis il travaille et publie sur les fibres nerveuses postérieures d’un poisson archaïque : le Trompette. Tous ces travaux, Freud les désigne 13, chevaleresquement, comme « ceux de l’époque pré-Martha » ; et il « omettra [dans son Autobiographie] tous ses travaux histologiques et cliniques du temps où (il) était étudiant ou dozent », n’indiquant que ses « publications ultérieures, celles qui (paraîtront) sous forme de livre [...] 14 ». Il a aussi publié des études sur la cocaïne, et est donc déjà reconnu comme chercheur, alors qu’il continue ses études médicales avec « négligence », et soutient avec trois ans de retard sa dissertation doctorale en 1881 : De la moelle épinière des espèces de poissons inférieurs. Un tel sujet zoologique peut paraître étonnant pour un futur médecin, mais témoigne de ses qualités en recherche fondamentale et en histologie. Étonnamment, la dissertation d’un génie littéraire étudiant en médecine à Strasbourg, puis docteur en biologie à Zurich et mort à 23 ans, Georg Büchner, s’intitule Mémoire sur le système nerveux du barbeau 15. Notons une même veine encyclopédiste et évolutionniste chez ces deux chercheurs. Cette thèse enfin soutenue indique l’amorce d’un revirement de Freud : il se détourne en effet de la recherche expérimentale chez l’animal, s’orientant vers la recherche

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neuro-anatomique chez l’homme. Désormais, c’est à l’étude du système nerveux humain qu’il va se consacrer. Il entre à l’hôpital général et étudie chez Meynert à l’Institut d’anatomie du cerveau. Après ses quatre ans d’internat, il devient médecin spécialiste des maladies nerveuses. Son rêve est alors de continuer sa formation à Paris : « Au loin brillait le grand nom de Charcot... 16 » Deux raisons à ce changement d’orientation professionnelle L’une, officielle : il aurait suivi, le conseil de son « professeur vénéré », qui le voyant sans ressources, et sans avenir sur le plan institutionnel l’exhorte à abandonner la carrière théorique. Bruckner, qui ne peut l’engager comme assistant, lui conseille de tenter sa chance ailleurs ; cependant, Nothnagel ne lui laisse non plus aucun espoir. Ceci laisse supposer que Freud, malgré ses dons et travaux, n’aurait jamais pu, en tant que juif, faire carrière dans la recherche. Hypothèse que partagent les historiens, sauf Henri Ellenberger. Or, même si aucune loi ne l’interdisait, on sait qu’à ce moment-là de l’Histoire, les postes d’enseignants et de chercheurs s’avéraient plus difficiles à obtenir pour un juif que pour un chrétien. Il est arrivé même que l’on propose à des médecins des postes universitaires, à condition qu’ils se fassent baptiser (Karl Abraham par exemple). L’autre raison, celle-ci plus intime, expliquait le revirement de Freud : s’il avait été déraisonnable de choisir la science alors qu’il était pauvre 17, dès 1882, il devenait encore plus urgent pour lui de gagner sa vie, afin de pouvoir épouser Martha, une camarade de ses sœurs, dont il tombe passionnément amoureux. La veuve du rabbin Bernays n’était pas favorable au mariage de sa fille avec un

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Freud sans le sou, d’autant que les prétendants ne manquaient pas ; aussi les fiançailles de Sigmund avec Martha seront-elles tenues d’abord secrètes. Freud s’est-il souvenu, à ce moment-là, de sa composition du baccalauréat : Considérations à envisager dans le choix d’une profession ? Parions qu’alors, la rencontre amoureuse et la responsabilité d’une famille, n’avaient pas été envisagées ! En 1885, Freud, brillant étudiant de neuropathologie, qui a renoncé à la carrière de chercheur à laquelle il aspirait, termine ses études de médecine et soutient sa thèse ; il rencontre ses professeurs en quête d’appui pour l’obtention d’un poste d’assistant (Dozent). Rassuré – il a suffisamment de publications 18 – et écartant l’offre de « recommandations » de Nothnagel pour Buenos Aires et Madrid, il pose sa candidature. Et il postule également pour une bourse de voyage. Cette bourse, si importante et plus qu’« incertaine » selon lui, il en rêve la nuit : parfois, il l’obtient ; parfois Brücke lui apprend qu’il ne l’a pas obtenu, ou qu’il doit la partager avec un autre [un « Christian » ( !)]. Notons qu’avant d’être sûr d’obtenir cette bourse, Freud renonce à un poste, tant ce projet d’études compte pour lui 19. Enfin, le 20 juin de la même année, cette bourse lui est attribuée par treize voix contre huit pour 1 500 marks 20. Freud « élève » à la Salpêtrière (octobre 1885-février 1886) Freud choisit donc de passer deux trimestres à Paris dans le service du professeur Charcot. Le professeur parisien est, à l’époque, célèbre pour ses contributions dans le domaine de la neuropathologie, et aussi pour ses études sur l’hystérie. Son service à la Salpêtrière est devenu, dès 1882, la première chaire mondiale de Clinique des

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maladies nerveuses. Après Paris, Freud terminera son stage en passant quelques semaines à Berlin, dans le service du professeur Adolf Baginsky, spécialiste des enfants, 21 car un poste l’attend à Vienne, à l’Institut Max Kassowitz. Avant son départ vers Paris, le Dr Josef Breuer a lu à Freud, à plusieurs reprises, des passages de l’histoire du cas clinique 22 de sa patiente Anna O. (Bertha Pappenheim), traitée de 1881 à 1882 par la méthode cathartique, et dont les effets s’avéraient étonnants : des « représentations enfouies dans l’inconscient », avec leurs affects, revenaient au jour ! Freud parlera du cas d’Anna à Charcot... Freud a 29 ans, lorsqu’il arrive à Paris mi-octobre et s’installe dans un petit hôtel du quartier latin (La Paix), impasse Royer-Collard (puis il demeurera à l’Hôtel du Brésil, rue Gay-Lussac). Le 19 octobre, il se rend à la Salpêtrière où il est inscrit comme « M. Freud, élève de médecine », l’administration lui donnant un tablier et une clé d’un placard du labo contre un dépôt de trois francs. Il ne verra Charcot que le lundi suivant, après avoir visité la ville, les beaux quartiers, le Louvre, acheté un livre de Charcot (qu’il possède déjà en allemand), et vu trois pièces de théâtre de Molière, Le mariage forcé, Tartuffe, Les Précieuses ridicules, données dans la même soirée. Freud utilise le théâtre « comme cours de français » ! Le vingt-et-un, il assiste à la consultation externe (polyclinique), puis est présenté à Charcot, à qui il remet sa lettre de recommandation ; après un simple « charmé de vous voir », Charcot lui conseille de prendre contact avec le chef de clinique pour son travail, et lui fait visiter le laboratoire, l’amphithéâtre et plusieurs salles de malades ». « Admis sans autres formalités », Freud proposera à Charcot de lui soumettre ses préparations, « quelques-unes

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de ses coupes » de cerveau, emportées avec lui 23. Ce que nous oublions souvent, c’est ce jeune Freud, chercheur passionné de neuro-pathologie, venu chez Charcot pour y mener des recherches anatomo-cliniques et histologiques. Et, je le rappelle après A. de Mijolla 24 et A. Bolzinger 25 – pour travailler au microscope sur des coupes de cerveau d’enfants. Charcot d’ailleurs lui procurera ce matériel en écrivant à un de ses collègues 26. Comme l’a montré Alain Lellouch 27, depuis 1882, dans ce musée pathologique vivant que constituait l’Hospice de la Vieillesse-Femmes, Charcot avait développé une méthode d’investigation originale visant à mettre systématiquement en corrélation les signes cliniques et les lésions anatomo-histologiques découvertes à l’autopsie et au microscope. Cette méthode avait permis à Charcot d’obtenir de grands succès en découvrant un nombre impressionnant de maladies. Pourtant, les hystériques mettent en échec la méthode anatomo-clinique opposant au regard du médecin une efflorescence de symptômes auxquels ne correspondaient aucune lésion organique cérébrale. Mûri par cet échec, Charcot abandonnera progressivement le point de vue anatomo-clinique ; il décide aussi d’investiguer, pour ainsi dire expérimentalement, les hystériques au moyen de l’hypnose. Et c’est durant ce changement de perspective épistémologique fondamental qu’opère Charcot dans le domaine de l’hystérie, que Freud arrive de Vienne. 28 À La Salpêtrière, Charcot avait également longtemps dispensé un enseignement informel (les Leçons du Mardi) que la chaire de Clinique des maladies nerveuses, créée pour lui par Gambetta, en 1882, ne fera qu’officialiser. La notoriété internationale de Charcot avait d’ailleurs attiré, dans son service, de nombreux stagiaires étrangers venus pour y étudier et le jeune Freud était de ceux-là.

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Autour de Charcot, d’autres élèves, ceux-ci français – Joseph Babinski, Duchenne de Boulogne, Gilles de La Tourette, Désiré-Magloire Bourneville, et Paul Richer – travaillaient avec le maître. Par leurs découvertes ultérieures, ils feront rayonner, après Charcot, l’École de la Salpêtrière et donneront à la neurologie clinique française ses plus belles lettres de noblesse. Freud rencontre tous ces personnages qui gravitent peu ou prou autour de Charcot. Mais Freud n’a pas seulement contact avec les médecins cliniciens de La Salpêtrière ; il fréquente également le laboratoire d’enseignement du professeur Brouardel (1838-1906) – qui occupe la chaire de médecine légale, depuis 1879, et publiera L’infanticide. Freud a l’autorisation d’assister aux autopsies et à ses cours à la Morgue « qu’il manque rarement » ; mais il ne dit rien à sa « chère petite femme » 29 à propos d’une conférence dont le « récit horrifiant le plus récent » a fait la Une des journaux parisiens. Il rencontre aussi un célèbre histologiste, le professeur Ranvier du Collège de France qui lui montre ses préparations de coupes microscopiques de cellules nerveuses et la névroglie. Il s’offre à Charcot comme traducteur de son troisième volume des Leçons du mardi... par une lettre plutôt embrouillée, rédigée en français par la femme d’un collègue italien, Mme Riccheti, dans laquelle il signale avoir traduit le philosophe John Stuart Mill, 30 mais excuserait à l’avance un refus éventuel de Charcot. Cette offre, acceptée, le fait entrer dans les relations privées de Charcot : il sera reçu six fois dans son hôtel particulier, boulevard Saint-Germain, dans les réceptions, à dîner ou après le dîner, avec le Tout-Paris des sciences et des lettres, et également pour les « pourparlers » de la traduction allemande du livre de Charcot. « Je ne fais rien d’autre que de me laisser stimuler par Charcot », écrit Freud à sa future belle-sœur Minna. 31 Il

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a rapporté à Charcot la découverte de Breuer. « Mais le maître, dès mes premières allusions, ne manifesta aucun intérêt, ce qui fit que je n’y revins pas et ne m’occupai moi-même plus de la chose » 32 . Si Freud, à ce moment là, comme il en fera plus tard l’aveu, « ne comprenait rien aux névroses » 33, a-t-il appris quelque chose sur l’hystérie, pendant son séjour à La Salpêtrière ? Charcot le laisse continuer ses recherches de neuropathologie en laboratoire pour lesquelles il est venu ; cependant Freud va se laisser dérouter vers l’étude de l’hystérie. Car Freud est tous les jours auprès de Charcot : le lundi, il suit sa leçon publique (information et dernières recherches), le mardi, il participe aux fameuses Leçons du mardi au cours desquelles chefs de clinique et internes présentaient aux maître les cas cliniques difficiles où les assistants proposaient des cas énigmatiques de la consultation externe ; le mercredi, Freud est encore là pour assister à la consultation de l’ophtalmologue Henri Parinaud, en présence de Charcot 34 ; enfin, les autres jours de la semaine, il suit la visite, en salle. Rappelons qu’avant Paris, Freud, encore étudiant en médecine, avait assisté, à Vienne, à une démonstration publique du magnétiseur danois, Carl Hansen ; mais il restait sceptique, comme le montre une lettre écrite à son ami Silberstein dans laquelle il refuse la proposition d’aller rencontrer de nouveau le magnétiseur. Et, mises à part ses années chez Meynert, au cours desquelles il avait surtout vu pratiquer la neurologie clinique et reçu quelques patients dont il a rédigé des observations, Freud a-t-il vraiment travaillé avec des patients psychiatriques ? Certes, il avait aussi en juin 1885, juste avant de se rendre à Paris, effectué des consultations, deux fois par semaine, dans la maison de santé d’Oberdöbling, près de Vienne, où il était logé ; là se trouvaient gardés/soignés une soixantaine de malades

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riches ou de l’aristocratie. C’est donc bien à Paris, lors de son stage à la Salpêtrière, que Freud approche pour la première fois les grandes patientes hystériques. Questions : Freud a-t-il visité les loges des « folles » et vu ces femmes enfermées dans l’asile ? A-t-il assisté à des « attaques d’hystéro-épilepsie » décrites par Charcot ? A-t-il été le témoin de ces femmes dont le corps n’était plus que spasmes, contractures, suffocations ? A-t-il perçu la « montée des trois nœuds » (ovaire, épigastre, laryngisme) 35, a-t-il observé les attitudes passionnelles ? Les effrois sexuels ? Les attaques d’extase ? A-t-il croisé Geneviève et Rosalie 36, patientes justement prises en photos pendant son séjour, en 1886, par les neurologues photographes du service de Charcot, les docteurs Paul Richer 37 (1849-1933), Désiré-Magloire Bourneville (1848-1939) et Paul Regnard (1850-1927) ? Et Blanche Whittman, la fameuse patiente du tableau d’André Brouillet qui chute entre Charcot, Babinski et la surveillante-infirmière Mlle Bottard ? Freud possédait une reproduction de ce tableau, présenté l’année suivante au Salon de 1887, qui ornait son cabinet 38. Delbœuf rapporte que Blanche simulait l’hystérie 39. De ces patientes-là, Freud n’en dit rien. Cependant, grâce aux Documents iconographiques de Regnard et Bourneville et du livre de Georges Didi Hubermann, Invention de l’hystérie, on apprend qu’il a vu, et même autopsié, Joséphine Delet, souffrant d’une hémiplégie 40. Finalement qu’attendait vraiment Freud de son séjour à Paris ? À Martha, il écrit qu’il en espère « un certain profit subjectif et scientifique [...] » ; cependant, très vite, Charcot lui apparaît tel un « génie », ruinant ses « conceptions et (ses) desseins » 41. Freud témoigne de son admiration pour lui : « Il m’en a imposé par son brillant diagnostic et le très vif intérêt qu’il montre pour tout » (à

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sa première rencontre) ; et aussi : « Il m’arrive de sortir de son cours comme si je sortais de Notre Dame, tout plein de nouvelles idées sur la perfection » ; et ceci dès le 21 octobre 1885 ! Freud est-il devenu « croyant » en l’hypnose ? 42 ! Plus tard, désillusionné, il dira : « je n’aimais pas l’hypnose ; c’est un procédé incertain et mystique » 43. Freud a donc bien approché les patientes hypnotisées du service ; dans son Autobiographie et dans la nécrologie de Charcot qu’il rédige en 1893, il confiera : « Je ne négligeais pas non plus les occasions qui me furent offertes de connaître par moi-même les phénomènes si surprenants et si contestés de l’hypnotisme, surtout ceux auxquels Charcot a donné le nom de “grand hypnotisme”. Je fus stupéfait de découvrir qu’il s’agissait de faits incontestables, mais si étranges qu’il fallait vraiment les avoir vus pour n’en point douter ». Et il défendra alors la mémoire de Charcot attaqué de toutes parts : « Toutefois je n’ai observé chez Charcot ni attrait particulier pour les faits étranges, ni tentatives d’exploiter ceux-ci à des fins mystiques. Bien au contraire, il trouvait plutôt dans l’hypnotisme un champ de phénomènes à décrire scientifiquement, comme il l’avait fait quelques années plus tôt pour la sclérose en plaques ou l’atrophie progressive des muscles » 44. Mais revenons à son stage, pendant lequel Charcot lui apprend, de surcroît : – tout ce que ce qu’il sait sur l’hystérie, qu’il a séparée des pathologies organiques : la petite et la grande hystérie, avec ces « attaques » que l’on peut provoquer et arrêter, donc l’origine « idéogène » de l’hystérie (bien qu’encore liée pour Charcot à un terrain héréditaire ou syphilitique) ; ainsi que l’existence de l’hystérie masculine ! Et ce principe clinique, qui le marquera toute sa vie : « La théorie c’est bon, mais ça n’empêche pas d’exister ».

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– Charcot lui apprend également ce qu’il ne sait pas... mais dont il a l’intuition, sur l’étiologie de l’hystérie – à partir d’une confidence, saisie au vol par Freud – faite par Charcot à Brouardel 45 : « Dans ces cas-là, c’est toujours la chose génitale, toujours... toujours » 46. Retour et installation à Vienne : influence de Charcot sur sa clinique Freud va-t-il réaliser son fantasme, enfantin et séducteur, avoué à Martha : « [...] Je partirai pour Paris, je deviendrai un grand savant et je reviendrai à Vienne paré d’une grande, d’une énorme auréole et nous nous marierons aussitôt et je guérirai tous les malades nerveux incurables [...] » ? Rentrant à Vienne après un bref crochet chez Baginsky à Berlin, où se termine son voyage d’études, il est touché par les « marmots charmants et si touchants quand il souffrent ». Il écrit le 10 mars 1886, « je crois que je pourrai très rapidement me faire à la pédiatrie ». Il sera le directeur du service de neurologie pendant une dizaine d’années de ce premier hôpital public pour enfants : l’Institut des enfants malades du Dr Max Kassowitz. Il y fera trois fois par semaine une consultation de quinze à seize heures, apparemment non rémunérée 47. En témoignent ses premières publications sur les paralysies infantiles, dont il tire une légitime fierté : « Mon livre sur les diplégies de l’enfant a obtenu à Paris un succès gigantesque » 48. Et son désir : « Peut-être pourrais-je égaler Charcot » ? Médecin malgré lui, il ouvre également son cabinet de spécialiste de maladies nerveuses, le 25 avril 1886, jour de Pâques, après avoir passé un entrefilet dans la Neue Freie Press : « Le Dr Sigmund Freud, assistant de

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neurologie de l’université de Vienne, est revenu de son séjour de six mois à Paris et reçoit maintenant au 7 Rathausstrasse » 49. Lors de sa première conférence à la Société des médecins, il rapporte le cas du patient hystérique de Charcot (le jeune maçon tombé d’un échafaudage) et sera la risée de ses collègues ; mis au défi, il fera une présentation d’un métallurgiste de vingt-huit ans souffrant d’une subite hémianesthésie avec troubles oculaires. « Cette fois on m’a applaudi ». Entre autres patients, de jeunes femmes vivant une souffrance exprimée par le truchement de leur corps – ces patientes dites hystériques 50, Caecilie, Emma, Dora, Katarina, Olga, Élise, Mathilde, Anna... – viendront consulter Freud et seront accueillies par lui avec une attention nouvelle, une oreille différente, une écoute particulière. Si Freud n’a jamais utilisé les techniques de traitement telles que la compression ovarienne ou l’application d’aimants, utilisées dans le service de Charcot, il a appris à pratiquer les massages, l’électrothérapie, l’hypnose, techniques inefficaces, qu’il abandonnera alors au profit de la catharsis mise au point par Breuer. Puis, dix ans après son stage à Paris, ce « pauvre médecin de quartier » (Breton dixit) inventera avec ses patientes, notamment Mme Emmy von N., un nouveau « procédé », la « psycho-analyse », en français pour honorer ses « maîtres », technique de soin et théorie de la psyché, qui devait bouleverser les savoirs dans plusieurs domaines 51. Mais nous sommes déjà ici dans la création de la psychanalyse... En 1885, Freud s’interrogeait : « La graine produira-t-elle son fruit ? Je l’ignore ; mais ce que je sais c’est qu’aucun homme n’a jamais eu autant d’influence sur moi. » Freud avait bien compris ce tournant essentiel pris avec ce stage

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à la Salpêtrière. Ainsi à côté de la filiation viennoise de Freud, bien mise en relief par Albrecht Hirschmüller 52 dans son livre Josef Breuer, se fait jour une autre filiation française de la psychanalyse. Celle-ci sous-tend l’influence de deux médecins français exercée sur Freud, celle de Charcot et des médecins de La Salpêtrière, mais aussi celle de l’École de Nancy avec Bernheim, chez qui Freud a passé avec une patiente quelques semaines en 1889, et dont il a observé « les tours de force » 53, et traduit en allemand son ouvrage : Hypnotisme, suggestion, psychothérapie. Cependant l’École de la Salpêtrière semble avoir influencé davantage Freud que l’École de Nancy. Charcot eut sur Freud non seulement une influence sur le plan clinique mais aussi une influence qui s’est étendue sur le plan « artistique » comme j’ai essayé de le montrer ailleurs 54. Il restera en contact épistolaire avec Charcot jusqu’à sa mort, puis écrira la nécrologie déjà citée, et se tiendra au courant de ce qui se passait à la Salpêtrière. Sans doute a-t-il suivi de près l’évolution de Charcot vers la psychologie. « C’est M. Charcot qui nous a enseigné le premier qu’il faut s’adresser à la psychologie pour l’explication de la névrose hystérique. Nous avons suivi son exemple, Breuer et moi dans un mémoire préliminaire » écrit-il en 1893, dans l’article Quelques considérations pour une étude comparative des paralysies motrices organiques et hystériques, publié en français dans les Archives de Neurologie 55. A-t-il su la dernière position psychique de Charcot, un an avant sa mort, telle qu’elle apparaît dans l’interview à un journaliste de la New Review, sur le Health Healing, « la foi qui sauve » à propos des miracles que Zola décrit dans son roman Lourdes 56 ? Si le jeune Freud, avant son séjour à Paris, ignorait tout des névroses, comme il l’a déclaré tout net en 1925, c’est

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bien lors de son stage à la Salpêtrière du trimestre d’hiver 1885 au printemps 1886, qu’il va commencer à s’intéresser à cette énigme et s’initier aux arcanes de l’hystérie. Le transfert, très positif, qu’il a pour Charcot 57 le conduira à entamer une véritable conversion professionnelle aux conséquences incalculables pour l’histoire des idées, des sciences et de la médecine. À n’en plus douter, et cette communication s’est efforcée de le démontrer, la psychanalyse est bel et bien, entre autres, fille de l’hypnose et... de la neurologie 58, et d’abord fille de l’École neurologique française de Charcot, à La Salpêtrière.

1. Docteur en psychologie, Psychanalyste, Membre du Quatrième Groupe, Vice-présidente de l’AEHP (Association Européenne d’Histoire de la Psychanalyse). 2. Anzieu D., L’Auto-analyse de Freud, Paris : PUF, 1975 ; Bolzinger A., Portrait de Sigmund Freud, Trésors d’une correspondance, Paris : Campagne Première, 2012 ; Carroy J., Personnalités doubles et multiples, PUF, 1993 ; Didi Hubermann G., Invention de l’hystérie, Paris : Macula, reéd. 1982 ; Ellenberger H., À la découverte de l’inconscient : histoire de la psychiatrie dynamique, Simep, 1974 ; Gauchet M., Swain G., Le vrai Charcot. Les chemins imprévus de l’inconscient, Paris : Calmann-Lévy, 1997 ; Jones E., La vie et l’œuvre de Sigmund Freud, Paris : PUF, 2006, t. 1 ; Krüll M., Sigmund, fils de Jacob, Paris : Gallimard, 1983 ; Lellouch A., Jean Martin Charcot et les origines de la Gériatrie, Paris : Payot, 1993 ; Major R., Tallegrand Ch., Freud, Paris : Gallimard, 2006 ; Markus G., Freud ou les secrets de l’âme, Paris : Albin Michel, 1994 ; Le Rider J., Modernité viennoise et crises de l’identité, Paris : PUF, 1990 ; Mijolla A. (de)., Freud et la France, Paris : PUF, 2010 ; Roudinesco E., La bataille de cent ans, Paris : Seuil, 1986. 3. Freud S. (1886). Report of my studies in Paris and Berlin, SE, London, I, trad. M. Borch-Jacobsen, P. Koeppel, F. Scherrer : Mon voyage à Paris et à Berlin (1886), Cahiers Confrontation, 9, 1983. 4. Freud S., Lettre du 18 avril 1885, Correspondance, 1873-1939, Paris : Gallimard, 1967. Nous soulignons. 5. Freud S., Lettres de Jeunesse, Paris : Gallimard, 1990. 6. Freud S., Correspondance 1873-1939, op. cit. 7. Freud S., Sigmund Freud présenté par lui-même, Paris : Folio, 1989. 8. Josef Skoda (1805-1881), The Catholic Encyclopedia, vol. 14., New York : Robert Appleton Company, 1912. 5 déc. 2012. Il perfectionne les méthodes d’examen clinique

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de la région thoracique, la percussion Aveunbruger (Corvisart) et l’auscultation (Laënnec). Moins connu que son cousin Emil, constructeur de voiture. 9. Sigmund Freud présenté par lui-même (1925), Folios, essais, Gallimard, et Mijolla (de) A., op. cit., 1989. 10. Moreau Ricaud M., Freud, traducteur de « L’émancipation des femmes », de J.S. Mill, Topique 67, 127-139, Le Bouscat, L’esprit du temps, 1998. 11. Freud S. Lettre à Wilhem Knöpfmacher du 6 août 1878, Correspondance, Paris, Gallimard, 1968. 12. Il en fait des dessins envoyés dans ses lettres à E. Silberstein. Cf. Lettres de jeunesse, op. cit. 13. Freud S., Lettre à Martha, du 16 janvier 1885, Correspondance, op. cit., Fiancé : De la coca (1884), Robert Byck (ed), Sigmund Freud, De la cocaïne, Bruxelles, Éditions Complexe distribution, Paris : PUF, collection Textes, 1976 (New York, 1975), édition annotée par Anna Freud. Contribution à la connaissance de l’action de la cocaïne (1885), in Robert Byck (ed). Addenda à « De la coca » (1885-1886), in Robert Byck (ed), Sigmund Freud, De la cocaïne, Bruxelles, Éd. Complexe, 1976 (New York, 1975). À propos de l’action générale de la cocaïne (1885), Robert Byck (ed), Sigmund Freud, De la cocaïne, Bruxelles, Éd. Complexe, 1976 (New York, 1975). 14. Freud S., Ma vie et la psychanalyse, Paris, Idées, Gallimard 1974. 15. Écrite en 1836. Barbeau (Cyprinis barbus), Büchner G. (1813-1837), une « comète » selon J.-Ch. Bailly, BNF, 2011, mort du typhus en exil. Merci à Ralf Knübel pour la monographie de Jan Christoph Hauschild (1992), Georg Büchner, Monographie, Nîmes, Éd. J. Chambon, 1995. 16. Freud S. (1925) Sigmund Freud présenté par lui-même, cf. Ma vie et la psychanalyse, Paris, Folio, 1989, p. 17. 17. Freud S., Lettre à Martha du 23 juin 1884, Correspondance, op. cit. 18. Un article sortira dans Brain en 1886 sur un nouveau procédé de coloration des fibres nerveuses de la moelle épinière. 19. Freud S., « Mais le démon de l’homme est ce qu’il y a de bonheur en lui », Correspondance, op. cit., p. 151. 20. Freud S., Correspondance, op. cit., p. 166. 21. Baginski A. (1848-1918), il a écrit L’hygiène des écoliers. 22. Freud S., Sigmund Freud présenté par lui-même, Paris : Folio, 1989, p. 34. Et Hirschmüller A., Joseph Breuer, Paris : PUF, 1991. 23. Freud S., Lettre à Martha du 21 octobre 1885, Correspondance, op. cit. 24. Mijolla Alain (de), Freud et la France, Paris : PUF, 2011. 25. Bolzinger A., Trésors d’une correspondance, Paris : Campagne Première, 2012. 26. Freud S., Lettre à Martha du 21 octobre 1885, Correspondance 1873-1939, op. cit. 27. Lellouch A., Jean-Martin Charcot et les origines de la Gériatrie, Paris : Payot, 1993. 28. Lellouch A., idem. 29. Freud S., Lettre à Martha du 20 janvier 1886, Correspondance 1873-1939, op. cit.

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30. Moreau Ricaud M., Freud traducteur de l’Émancipation des femmes de J.S. Mill, Topique, 67, 1998. 31. Freud S., Lettre à Minna Bernays, Correspondance 1873-1939, op. cit. 32. Freud S., Ma vie et la psychanalyse, op. cit., p. 26. 33. Sigmund Freud présenté par lui-même (1925), Gallimard, Folio, 1989, p. 17. 34. Freud S., Rapport sur mes études..., op. cit., p. 9. 35. Didi Hubermann G. Invention de l’hystérie, Paris, Macula, réed. 1982. L’Iconographie photographique de la Salpêtrière, de Paul Regnard et Désiré-Magloire Bourneville, ainsi que le livre de Georges Didi Hubermann, Invention de l’hystérie, nous permettent de voir la « grande hystérie », jusqu’à la contraction ultime du corps (en opisthotonos) que la clinique actuelle ne rencontre plus qu’exceptionnellement ; Louise Bourgeois l’a immortalisée dans une belle sculpture en bronze, à partir d’un corps d’homme, son assistant ! 36. Idem, p. 139 et p. 145. 37. Paul Richer, médecin, dessinateur et sculpteur français très connu. Cf. Les démoniaques dans l’art, 1887, en collaboration avec Jean-Martin Charcot et Les Difformes et malades dans l’art, 1889, Paris, Delahaye et Crosnier. 38. Aux questions de sa fille Anna enfant, Freud expliquait que la jeune femme était trop serrée dans son corset ! 39. Sur le devenir de Blanche, on ne sait pas grand chose : devenue infirmière, on la dit ensuite hospitalisée à l’Hôtel-Dieu, puis amputée par suite des rayons dans le laboratoire d’Albert Londe à la Salpêtrière, elle aurait reçu une médaille du travail. Un roman suédois de Per Olov Enquist brode sur sa présence dans les recherches de Marie Curie. 40. Didi Hubermann G., op. cit., p. 110. Freud n’a pas pu voir Augustine, cette jeune fille de 15 ans, violée sous la menace d’un rasoir à 13 ans par son employeur, chez qui elle habitait et qui était l’amant de sa mère, et devenue la « préférée du service ». Les médecins la voyaient passer de « sa belle indifférence, sa neutralité, son quasisourire » à son attaque, avec « cris, secousses, tremblements, soubresauts », suivis de convulsions terribles et obscènes. Et sa contracture, faisant d’elle une statue vivante, une véritable œuvre d’art ? Un film avait été fait par Corti il y a quelques années sur cette patiente et dernièrement un autre par Alice Vinocour (2012). Il est intéressant aussi de lire dans un ouvrage assez récent, rassemblant des feuilletons publiés vers 1930, écrits par une autre patiente hospitalisée pour épilepsie par le Dr Magnan à la même époque où Freud vient à la Salpêtrière, Jeanne Louise Beaudon (1868-1943), devenue célèbre dans le monde des cabarets et par les peintures de Toulouse-Lautrec [...] Et elle devint Jane Avril. 41. Freud S., Lettre à Martha du 24 novembre 1885, Correspondance, op. cit. 42. Breton aurait-il lu les lettres de Freud ? ou plutôt perçu l’influence que Charcot a exercé sur Freud ? En 1951, il fait avec les Surréalistes, la liste des « statues emportées par l’occupant », pour les récupérer : il veut en ajouter d’autres, dont celle de « S. Freud : au centre du parvis de Notre-Dame » ! Breton, cité par Gauchet M., Swain G. Le vrai Charcot, op. cit., 1997. 43. Freud S. (1909), Cinq leçons sur la psychanalyse, Paris, PB Payot, 1975.

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44. Freud S. (1893), « Charcot » SE, London, trad. Laplanche et coll. Résultats, idées, problèmes II, PUF, 1984. 45. Paul Brouardel (1837-1906), médecin légiste à la Pitié ; labo d’enseignement à la morgue ouvert aux étudiants et chercheurs. 46. Lors d’une soirée chez Charcot, cité par Freud, Contribution... 47. Markus G., Freud ou les secrets de l’âme, Paris, Albin Michel, 1994. 48. Bolzinger A., op. cit. ; Freud, S. Les diplégies cérébrales infantiles (1893) : il publiera ensuite : Quelques considérations pour une étude comparative des paralysies organiques et hystériques (1893) ; Obsessions et phobies. Leur mécanisme psychique et leur étiologie (1894). 49. Nos italiques : cette formation à l’étranger devait attirer des patients. Puis il déménage à Maria-Theresien, et enfin au 19 de la Bergasse. 50. Maladie connue depuis 2000 ans av. J.-C., mais qui, malgré l’origine de son nom, n’épargne pas les hommes. On consultera : Freud S. (1895), Études sur l’hystérie, PUF, 1956 ; Hystérie, in Dictionnaire de Villaret ; et in Mijolla A. (de), Dict. Intern. de Psychanalyse, Hystérie, Paris, Calmann-Lévy, 2002 et Schaeffer J. Le refus du féminin, Paris, 1997 ; Carroy J. Personnalités doubles et multiples ; et last but not least, Harrus-Revidi G., Qu’est-ce que l’hystérie ?, Paris : Payot, 2001. 51. Et influencer les artistes (Dali...), les écrivains (Thomas Mann, Zweig...), qui se réclament de lui. Ainsi Zweig, par exemple, lui écrira : « J’appartiens à cette génération d’esprits qui n’est redevable presque à personne autant qu’à vous en matière de connaissance » et aussi : « Grâce à vous, nous voyons beaucoup de choses. Grâce à vous, nous disons beaucoup de choses qui, sinon, n’auraient été ni vues, ni dites ». Et encore : « Vous avez ôté leurs inhibitions à d’innombrables personnalités comme à la littérature de toute une époque », S. Zweig. Préface de R. Jaccard, in Sigmund FreudStefan Zweig, Correspondance, Paris : Payot, pp. 11-12. Et id., p. 51. 52. Hirschmüller A. (1978), Josef Breuer, trad. M. Weber, Paris : PUF, 1991. 53. [...] « Bernheim dont j’ai pu voir moi-même, en 1889, les tours de force extraordinaires. Mais je me rappelle que déjà alors j’éprouvais une sorte de sourde révolte contre cette tyrannie de la suggestion ». Freud S. Psychologie collective et analyse du moi, Essais de psychanalyse, Paris : Payot, 1985. 54. Moreau-Ricaud M., Freud collectionneur, Paris : Campagne Première, 2011. 55. Freud S., Quelques considérations pour une étude comparative des paralysies motrices organiques et hystériques ,in Résultats, idées, problèmes, I, Paris, PUF, 1984. 56. Zola E., Lourdes, Paris : Gallimard, Folio, 1985. 57. Quel transfert ! Cf. Lacan, « Dès qu’il y a quelque part le sujet supposé savoir, il y a transfert. » 58. Cf. A. Bolzinger, « La psychanalyse est fille de la neurologie », op. cit. ; Freud S., The Prefaces and footnotes, The Complete Works of Sigmund Freud, London, Standard Edition.

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2. question de corps...

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Somatose, hystérie et maladie des nerfs Houchang GUILYARDI

Jean-Martin Charcot n’a pas bonne presse. Aussi célèbre que méconnu, dévalorisé autant que caricaturé, considéré scientifique mondain, prestidigitateur de foire, manipulateur des corps et des femmes, il est connu pour les façonner, pour en tirer gloriole. Comme de coutume, il faut souvent des années ou des siècles pour reconnaître la dimension d’un bâtisseur. Comme le prédisait – pour son propre compte – Lacan, il est mis en pièces et dévoré par les siens, chiens d’Actéon, après son décès. J.-M. Charcot n’est pas sorti du purgatoire. Se pencher sur la vie de J.-M. Charcot, ses méthodes et travaux dévoile à qui en prend la peine un novateur authentique et un expérimentateur souple, travailleur sincère non infatué, agissant, ce qui est rare, autant sur les plans clinique, théorique que politique. Les travaux de Marcel Gauchet et Gladys Swain ont permis d’initier sa reconsidération.

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Charcot a produit un temps d’ouverture méconnu, une bascule tant pour la neurologie, dont il est reconnu fondateur, que passeur vers la reconnaissance des territoires psychiques, permettant une autre émergence : celle de la psychanalyse. Temps d’ouverture clôturé, refermant une part des avancées à l’intérieur de dogmes d’airain réducteurs. D’un effroyable lieu d’enfermement et d’exclusion, que l’on a peine à se représenter, d’un des lieux des plus tragiques de relégation, où aucun médecin en place ne souhaitait s’investir, de l’hospice dit de la Vieillesse-Femmes, asile des « folles », « femmes de mauvaises mœurs », pauvres et indésirables, Charcot a bâti un hôpital de réputation mondiale : la Salpêtrière, blason dont bénéficient sans reconnaissance, et souvent en toute inconscience, ceux qui y prennent quotidiennement leurs quartiers, de noblesse ou non. Initié par Charcot, au-delà d’une identification, Freud va tâtonner et inventer de nouvelles méthodes. À son imitation et à partir des interrogations soulevées, procédant par « déblaiement par strates du matériel psychique pathogène » 1, passer de la douleur physique à l’histoire de la souffrance 2. Jean-Martin, fils aîné de Freud, né en 1889, trois ans après le passage à la Salpêtrière 3, recevra le prénom de Charcot. Véritable nom du sujet 4, privilège du grand-père, nomination et filiation inscrivant dans la chair le lien de profonde continuité entre Charcot et Freud, dans le passage vers l’autre scène et l’éveil à l’existence du sujet. Après la reconnaissance de la part psychique accordée aux figures du corps, il ne manquait qu’à accorder la parole aux malades. Le lieu d’origine, la causalité attribuée aux perturbations et errements du corps et de l’esprit a cheminé à travers

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l’histoire, partant de l’âme pour se rendre au cœur, remonter vers le cerveau, puis avec la science suivre le trajet du nerf, le colorier, le titiller, le sectionner. Long trajet métonymique partant du lieu de la douleur, de l’artéfact et de l’empêchement, vers la recherche du site responsable, son origine supposée. La sémiologie, science des signes, a permis de s’étonner, observer, décrire. Rationalisation avec essai de cohérence et logique pour aboutir à une classification, un ordonnancement des signes. La frêle psychopathologie de l’époque de Charcot paraissait se résumer à trois champs : l’hypocondrie, quasiment disparue des classifications, l’épilepsie, sujet majeur des travaux de Babinski, et l’hystérie, sous laquelle Charcot a finalement désigné ce qui lui apparaissait être porté par l’esprit. À partir de la révolution française, puis à travers un large mouvement européen au cours du XIXe siècle, la psychiatrie s’est appliquée à la description clinique des pathologies psychiques, bientôt suivie par les classifications. Des cliniciens exceptionnels y ont peint des études précises, comme oubliées actuellement. La classification ainsi remaniée en permanence a pu offrir fin XIXe et au cours de la première moitié du XXe siècle, un ensemble sémiologique et nosographique exceptionnel comportant des repérages cliniques majeurs, aux abords thérapeutiques, chimiques et psychologiques. Nosographie modifiée par les apports freudiens, ensemble culminant avec les travaux de Henri Ey. Nosographie délaissée au cours du dernier tiers du XXe siècle, les acteurs privilégiant les recherches explicatives, dans des directions profondément divergentes, de la génétique la plus fixiste, aux foisonnantes théories « psychodynamiques ». Par réaction ou régression, des travaux se présentant « athéoriques » ont rejeté hyperinterprétations

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jugées hasardeuses, élaborations peu compréhensibles ou considérées absconses, pour faire retour au palpable et indiscutable : retour au signe. Ce dernier mouvement a développé des collections de symptômes toujours plus nombreuses et discriminantes, déployées pour la psychiatrie à travers un manuel statistique et diagnostique à diffusion mondiale (DSM). Vers la fin de sa vie, Freud avançait qu’il ne savait plus ou pas ce qu’était l’hystérie. Quelques décennies plus tard, devenue à nouveau et plus souvent qu’à son tour un fourre-tout désignant tout et son contraire, elle présente des définitions différentes pour médecine, chirurgie, psychiatrie et psychanalyse. Spectacle pour le langage commun, aux éléments excessifs, à l’occasion flamboyants, s’évanouissant une fois encore et échappant à la maîtrise. L’hystérie résistante paie cependant ses ébats au prix fort. La saga analytique s’est poursuivie durant ce temps à travers des mondes bigarrés, souvent dans l’extraterritorialité, revenant abondamment sur l’hystérie, et au-delà. Mais l’institution médicale a tenu fermement en main l’accès aux malaises physiques, soutenue magistralement par la machinerie scientifique hégémonique et la surpuissante industrie hospitalo-pharmaceutique. D’une modestie et discrétion remarquables, les rares psychanalystes aventurés dans les temples hospitaliers, se sont généralement retrouvés confinés comme auxiliaires médicaux. La personnalisation excessive des acteurs et la pente narcissique de glorification des grands hommes, culte de la personnalité auquel chacun s’identifie plus ou moins et adore confusément succomber, constitue une délicieuse glissade vers le Moi idéal. Il est plus facile d’y communier que de considérer les facteurs opératoires.

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Ainsi a été occulté un facteur essentiel dans le passage de témoin entre Charcot et Freud. Procédé passé sous silence, sujet central d’une innovation décriée de Charcot et comme méconnu, l’effet magistral de la présentation de malades. C’est cette mise en place, entre des acteurs impliqués, qui a produit cet effet saisissant pour Freud. Dispositif ayant constitué, au-delà de Charcot, un temps éblouissant, une révélation quasi divine, comparée à Moïse recevant les tables de la loi. Court moment ayant permis un changement de niveau et formant expérience pour l’ensemble d’une vie professionnelle. Position à la portée considérable. Rencontre, Tuché, événement à partir duquel peuvent jaillir élaborations et créations. Mise en place de chercheurs à une place différente, permettant de percevoir des effets de vérité et manques. Dimension du Maître véritable qui, davantage que se complaire dans la démonstration, permet des ouvertures. Freud n’a jamais effectué de présentation de malades, ni pratiqué en lieu hospitalier. Remarquons qu’il ne les a jamais critiquées. Davantage, ses Cinq psychanalyses peuvent être considérées comme sa forme personnelle de présentation de malade. Depuis, les présentations ont été instituées et fourni des repérages cliniques, théoriques et techniques pour tous médecins, systématique accès possible à une autre scène. Elle est pratiquée plus que discrètement dans la formation des psychanalystes. Fouiller dans les secrets, étaler les douleurs émotionnelles au grand jour, choquant la pudeur et le respect, provoque un imaginaire d’abus et d’exposition de l’intime... Si certaines présentations sont des auto-glorifications, dégradantes par leurs conditions et le comportement qui les sous-tend, elles peuvent à l’inverse permettre à travers un dispositif respectueux, un moment de pose, une mise à

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plat attentive aux difficultés du sujet et à la considération de son désir. Véritables entretiens analytiques, dans lesquels le présentateur aussi s’expose, elles peuvent constituer un moment aux retombées exceptionnelles, et faire partie intégrante du chemin du sujet et de la formation clinique des professionnels. « [...] cette activité de J. Lacan valut plus de coups à ceux qui la soutinrent que de remerciements pour servir la psychanalyse. En ce moment où y avoir assisté fait figure, pour nombre, de carte de visite 5 ». Par abus et pour des raisons d’incapacité et d’absence de positionnement éthique, est largement utilisée « l’étude de cas ». Témoignage de seconde main, déformé et expurgé par définition, elle transporte moins de complexité, et de là, de respect du sujet. Ayant abandonné une part de sa richesse et de sa vérité, elle ne véhicule pourtant pas moins, et peut-être davantage, d’objectivation, d’utilisation de l’intime et d’entorses au secret. Il faut soutenir que le rejet des « Entretiens cliniques analytiques publics » concerne souvent une résistance envers l’émergence de l’inconscient et une horreur du dévoilement de la castration. Les « malades imaginaires » ayant sombré, engloutis dans la littérature, bientôt suivis par les « maladies fonctionnelles », au psychisme incompréhensible et territoires flous, la médecine s’est alors efforcée de proposer des diagnostics renouvelés. Des malades de Charcot pourraient être actuellement pris en charge selon des appellations modernes. Certains seraient par exemple maintenant qualifiés de fibromyalgiques ou de spasmophiles. Fibro fibres, myo les muscles, algie la douleur. La douleur.

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Un lieu, Puis un autre, Parfois tout le corps. « J’ai une fibromyalgie de la tête aux pieds. » disait une patiente. Terme consonant avec fibrome, agrémenté d’algie, évoquant une néocroissance, une excroissance protosexuelle. Petit bout de naissance, de petit « a » non choisi qui pointe à l’horizon. Et fait mal. Très mal. À notre époque, fibromyalgies, spasmophilies, glossodynies, vulvodynies, voire algoneurodystrophies, pour ne citer qu’une part des douleurs qui échappent généralement aux causalités réputées d’ordre physique ou psychique, résistent férocement aux traitements. Leur cousine, spasmophilie, littéralement celle qui « aime les spasmes », traverse le corps par des secousses abréactives, permettant d’évacuer immobilisations pétrifiantes et tensions extrêmes, devenues insoutenables. Équivalent de crise épileptique, « petit mal », parfois avec une brève perte de connaissance. Crises de « tétanie », contractures suivies de résolution et fatigue apaisée jusqu’à l’endormissement. Hypercontractures localisées (trismus, Sadam 6...) ou généralisées, pétrification physique et psychique. Blocage de la motricité corporelle et du langage. Le tétanisé ne pouvant bouger ni respirer, ni parler. Effacement de toute cognition, de la moindre capacité de réflexion ou d’action, avec parfois une sensation de mort imminente. Nous retrouvons dans le déroulement de ces séquences Charcot et les scènes historiques de l’hystérie, point par point. Devant de telles plaintes, de telles souffrances, et n’en pouvant mais, le médecin se doit d’offrir un cautère, un

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os à ronger, une poudre, un calmant. Douleurs transférées, imagées et espoir. Prescriptions des antalgiques du monde, manœuvres physiques, chirurgie. Quitte à retrancher ou rendre malade, léser sous couvert de science. Ceci mobilise une considérable part de l’activité et des investissements du pays. Le réel perforant le corps jusqu’aux abysses, les soins ne parviennent, avec les plus grandes difficultés, qu’à accrocher des petits bouts de métonymie, creusant au passage, comme on dit, « le gouffre de la sécurité sociale », actualisant sur écran national celui du réel fou, soutenu par la demande infinie de l’impossible. Nous retrouvons ici l’archétype tryptique, archétryptique fracture-trauma-lésion, temps d’accession à des positions différentes, modifications majeures, changements massifs de vie et de jouissance, survenant lors d’événements de vie, mais en impasse corrosive. Entre plaintes et revendications insistantes de la frustration, les fibromyalgiques pour exemple, désignent l’actualisation paradigmatique, selon la terminologie freudienne, de la douleur du roc de la castration. Qu’il nous faut requalifier de roc de l’incastration. Exigence de revenir au déni, rejet de l’imposition de la barre, refus du renouvellement de la castration, brutale et survenue sans parachute ni soutien, regardée in situ dans l’étonnement et la surprise, parfois dans l’hébétude. Suivie, selon la sthénicité, de demande d’assistance, éternellement urgente, d’effacement, d’éradication de la douleur. État psychotique ayant subi la frappe du Signifiant Maître. Qui ne passe pas, qui ne passe pas ailleurs que dans la douleur simple, essentielle, dans sa fixation primaire et indéracinable. « [...] Cette structure psychotique comme étant quelque chose où nous devons nous

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sentir chez nous. Si nous ne sommes pas capables de nous apercevoir qu’il y a un certain degré, non pas archaïque, à mettre quelque part du côté de la naissance, mais structurel, au niveau duquel les destins sont à proprement parler fous ; si pour nous le sujet n’inclut pas dans sa définition, dans son articulation primitive, la possibilité de la structure psychotique nous ne serons jamais que des aliénistes. 7 » Au-delà des diagnostics, attentions portées sur les concepts et la résolution des énigmes, approcher une part de la réalité en jeu, nécessite d’utiliser des repérages métapsychologiques aussi précis que possible, collés aux constats cliniques. L’observation quotidienne montre que la structure est mobile et se modifie, se transforme, que son positionnement change au long de la journée et de la vie, et ceci selon les circonstances et les interlocuteurs rencontrés, autrement dit selon les transferts. Les états structurels constituent ainsi des états temporaires. Chaque parlêtre passe, bascule au cours d’une même journée par différentes positions, souvent de manière instantanée et aisée. Les organisations névrotiques et psychotiques s’interpénètrent et la modalité de sujet est souvent fragile et vacillante, clignotant comme une diode. Elle s’éteint avec l’effacement de la représentation possible du désir, l’écrasement de la Spaltung produisant l’éclipse du sujet, caché d’abord à lui-même. Chacun est cependant accoutumé, durant des temps plus ou moins étendus, à retrouver ses chemins préférés, parfois édifiés longuement et avec difficulté, et sa jouissance trouve son point d’équilibre préférentiellement sur ces sillons.

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« Nous savons que plusieurs états psychiques peuvent coexister chez une même personne 8 ». Au long de l’existence, en place d’un état supposé absolu et continu, les parlêtres sont soumis à une extrême variabilité, selon des alternances entre de multiples places. Variabilité commandée par la division subjective, ses empêchements et les voies frayées. La structure se présente ainsi comme juxtaposition d’éléments multiples, intégrés ou pas dans la castration, avec la perversion en mécanisme d’évitement et de jouissance en circuit court. Organisée, capitonnée et sereine, la structure est vectorisée, ancrée dans le nœud borroméen par un désir, vers un fantasme, cible aimantée à l’horizon, un leurre, un objet dit petit « a ». Insuffisamment soutenue par une castration inapprochable, rejetée, non advenue, ou dont l’accès s’est avéré refusé, elle est émaillée de blessures, de douleurs et d’une profusion de réel. Éléments brisés, déchirés lors de castrations blessantes, massives, non accompagnées ou désavouées, à l’effectivité impossible. Considérer la relativisation de la nosographie entre alternances et changements de position, actes et passage à l’acte, temporalité et rencontres, a pour corollaire que la structure est modifiée au cours d’une vie et à travers les générations. Si la psychiatrie du XXe siècle a concentré son action sur les soins portés aux schizophrènes, des catégories ont largement échappé à la psychiatrisation et pour une part à la psychopathologie analytique : en particulier les somatés, et malgré de multiples travaux, les paranoïaques et paraphrènes. La qualification de folie, réservée aux schizophrènes qui se présentent manifestement illogiques et incohérents,

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démontre que les catégorisations s’arrêtent aux signes simples, d’emblée discordants, sans référence conséquente à la métapsychologie. Tandis que paranoïa et paraphrénie, « dans l’ordre, la cohérence et la clarté », tout aussi psychotiques, sont considérés normaux dans les communautés humaines. Elles échappent à la psychiatrisation et en pratique aux classifications, voire aux théorisations, pourtant prolifiques, et sont absous des soins, hors de timides – et généralement erronées – approches familiales ou politiques. Norme psychotique, norme sociale paradoxale : la psychose règne et fait loi dans l’histoire de l’humanité, époque contemporaine incluse. Les psychotiques y édictent fréquemment les lois des communautés. Des régions entières sont prises dans la mégalomanie infantile, entre chutes dans la passivité, incurie mélancolique et paranoïa vive, réagissant au moindre artéfact, à la plus mince réflexion, risquant d’entacher un imaginaire immense et exaltant. Nous évoluons ainsi familialement, socialement et politiquement depuis les aurores de l’humanité dans un bain de forclusion, des mondes de psychose endémique, d’incohérence et de persécutés persécuteurs. Lorsque la frappe du Signifiant Maître ne parvient pas à maintenir le rond symbolique qui permettrait l’édification du nœud borroméen, l’état psychotique est alors ancrage dans une jouissance incastrée. Par suppléances et inflation de réel blessant, il épuise le sujet et meurtrit son corps. « Ne devient pas fou qui veut 9 » Il est nécessaire d’apporter à ce tableau accablant un souffle d’air, selon une pondération fondamentale : si l’on admet ou suppose que tous les parlêtres passent par la

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psychose, il faut préciser qu’une part d’eux et une partie d’entre eux, n’y restent pas fixés la majeure partie du temps. Les schizophrènes eux-mêmes n’y sont pas soumis à chaque instant : de nombreux éléments cohérents et adaptés en réchappent, métaphorisations incluses. Si les parlêtres passent par la psychose, certains disposent de davantage de points d’appui, de facilités à revenir dans les circuits de mobilité du langage et du corps, bénéficiant de « points de capiton » assurés et plus apaisés, à travers des nœuds borroméens efficients. Quelques parcelles se dérobent chez chacun à la fixation immobilisante de la jouissance folle. La difficulté tient dans le caractère de puissance, d’ordre imaginaire, capable de maintenir une fixité de la forclusion. C’est ici la question de « la réversibilité de la psychose », toujours abordée timidement. La clinique montre qu’une réversibilité par déplacements de la forclusion et du trou de réel, sur un lieu différent, ailleurs, dans le corps propre, sur un « proche », ou plus loin, dans la société, est quotidienne. Ce qui mène à la corrélative question de l’étayage de la psychose, posée d’un point de vue inverse. Il serait plus conforme à la réalité clinique de partir du constat suivant selon lequel les psychoses « compensées » remplissent le champ, et cèdent aux événements. Les somatoses offrent la première marche du deuil de la position Toute, par une incarnation, sans représentation autre que le site et l’atteinte, accompagnée de douleurs et d’altérations. Elles sont éprouvées, selon le terme freudien, à travers la perception-conscience floue des symptômes et phénomènes. Le sujet s’y retrouve bousculé, obnubilé par la naissance sans paroles de l’objet et l’insupportable destitution de l’océan de rêve, auquel est substitué un éprouvé

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incompréhensible et persécutif, bien qu’exquis. Changement massif et radical de la jouissance qui lui a été ordinaire, a déterminé et organisé tout ou partie de sa vie. Le deuil à effectuer ne peut être considéré par le sujet que consister en une éradication de la douleur, et réintégration de l’Ensemble Nostalgique Antérieur. Douleur brute de la castration, toxicomanie en puissance, n’ayant pas accès au produit miracle, loin d’être entré en état névrotique organisé, en névrosie. Ne bénéficiant pas d’un accès souple à la pondération et au soulagement par les substitutions offertes par le langage, les métaphores, et par conséquent par la mobilité physique souple des lieux de dissociation, s’installe un empire des signes et des phénomènes, avec les essais « forcenés », au sens propre et éreintants, des traitements, avec inflation de sens dans les répertoires et classifications médico-psychiatriques. De là une prolifération d’un symbolique cerclé de la « connaissance » savante, essayant de remplacer comme il peut le réel sidéral. L’objet. Où est-il situé ? Où est-il ? Dans le corps propre ? Ailleurs ? L’objet petit « a », vectorisation enserrée à l’horizon des ronds noués borroméennement, du réel, du symbolique et de l’imaginaire, comme le désigne son articulation majeure, l’exercice de sexualisation, est situé préférentiellement en dehors du corps propre. Le choix de l’organe est un choix de l’objet, du petit a. Trouvant un lieu comportant la marque de la différence, de la Loi, du symbolique, du Nom du Père. Un objet à la distance qu’on peut, retranché et utilisé dans une relation de jouissance à travers un débat érotisé. Comme l’obsessionnel qui sépare impulsivement et sans cesse les objets extérieurs au corps, la maladie autoimmune, paranoïa interne, décrète objet élu et par

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définition étranger une partie du corps. À séparer, rejeter, déshumaniser. Érotisation primaire par décollement, non sexuelle à proprement parler. Lieu, dès lors, possiblement voué à la dévastation, aux risques lésionnels, parfois létaux. La « complaisance somatique », traduction traditionnelle du terme freudien Somatisches Entgegenkommen, orientant vers une certaine indignité, signifie plus exactement une rencontre dans le corps, la division intra-matière corporelle, castration dans le corps propre, onanisme qui n’en peut mais. La médecine pratiquant la causalité sur la réalité contiguë, visible et apparente, métonymique et appréhendable, les conversions hystériques et somatoses mènent quotidiennement à l’erreur diagnostique, assortie de passages à l’acte intempestifs médicaux et chirurgicaux. Massacre ordinaire des innocents. C’est dans la somatose que l’on rencontre dans sa radicale netteté et la plus large étendue, la vérification et l’actualisation de l’axiome de Lacan selon ce qui a été forclos du symbolique réapparait dans le réel 10. Ce qui différencie, et explique une part de la méconnaissance portant sur les somatoses, avec ce qui est traditionnellement considéré comme psychose, est l’absence d’une représentation de l’Autre, non suivi par conséquent d’une élaboration langagière. Les sots-matés se trouvent dans la perception, sous l’emprise des sens, et en déficit de sens, en-deçà de la paranoïa et sa combativité. Ils ont besoin d’aide : médecine officielle et thérapies traditionnelles les appuient en proposant un tenant lieu de la représentation pour le grand Autre, une nomination. Puis en y incluant du sens, à travers des constructions de mots ou de science, un imaginaire ésotérique ou incompréhensible à l’occasion,

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permettant là aussi simultanément de maintenir du hors sens et réserver une place pour le réel, une respiration à la vérité. La médecine propose ainsi aux sots-matés une suppléance de batailles, combats et guerres, jetant à l’occasion le bébé symbolique, héritage des ancêtres, avec l’eau du bain réel. Accès à la représentation et politique de la canonnière. Nomination et premiers pas symboliques. Relais pour la paranoïsation de la mélancolie des corps. Dans cette configuration, le couple maître-somaté apparaît nécessaire, et se découvre longtemps indissociable. Le Maître pouvant occuper diverses positions sur la ligne reliant le Dieu salvateur au tenant lieu d’Autre dévastateur. Nominations, mots énigmatiques, images, bouc émissaire, monothéismes, les figures de la représentation proposée sont multiples. Elles permettent de résilier la position de déchet apragmatique, mélancolisé et somaté, en accédant à la scène. Jeter un coup d’œil, à distance et avec soutien, sur l’omnipotence de l’Autre incastré qui entame le corps et altère la structure. Amorcer enfin le débat jusque-là confiné en soi-même, avec haine et violence internes, dévoration de sa chair, que l’amour à mort puisse enfin s’exercer à l’extérieur du corps propre. Pour autant, et durant tout ce temps, les somatés ne se trouvent généralement pas en situation d’opérer le moindre rapport entre les manifestations corporelles et l’arrière-fond structurel, invisible et masqué tant pour eux que pour les intervenants. Entre les lignes du réel du corps, sa douleur éprouvée, et la chaîne signifiante du sujet, une barrière reste étanche aux consciences. Banalisation caricaturale d’une vie considérée « normale ». Il n’y a aucun problème, hors le désastre vécu. Et la réticence envers la psychanalyse est incluse, extrême. Un fossé sépare les

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conceptions et ainsi la clientèle médico-hospitalière d’avec ceux qui se dirigent vers les psychanalystes. Débordé par la jouissance Autre, le sujet ne peut rien en voir, ne veut rien en savoir. Il est seulement en situation de l’éprouver, éprouver cette jouissance douloureusement et incompréhensiblement fracturée. L’imaginaire merveilleux et totalisant ne cède pas. Les sots-matés vivent dans le rêve, imaginé, espéré, halluciné, diurne. Construction parfois partagée dans un roman, un feuilleton, une émission vantant le bonheur sans nuage. Ce rêve merveilleux présente le contraste le plus saisissant et comme invisible avec la réalité vécue dans l’échec et l’impasse du cauchemar de la vie quotidienne. Les guérisseurs traditionnels, acteurs de la vie psychique, se présentent selon les mêmes options : assistance à la défense et rites obsessionnels, organisation d’une guerre et encouragements, réassurance narcissique et visions d’espoir, mettant en avant deux éléments majeurs : un Forstellungsreprësentanz et l’autorisation de la haine 11. « Quelque part on sait ce que veulent dire ces signes 12 ». La mise en place d’une alternative paranoïaque permet en effet un chemin vers l’extrusion de la forclusion du corps, de quitter la somatose et sa persécution aveugle, dans laquelle le seul interlocuteur pour une haine sans paroles est un morceau de sa chair. Fait remarquable, aussi incontournable que méconnu : le phénomène psychosomatique, la maladie grave, la somatose est déplaçable, critère non exclusif du symptôme hystérique, bénéficiant de la mobilité de la conversion. Comme le montre la clinique, les lésions elles-mêmes peuvent régresser, voire disparaître. Car c’est ici

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l’ensemble du bloc forclusion-masse de réel, épaisse part toxique délétère, qui peut se déplacer par expédition et transfert sur le voisin, la famille, le prochain. La Somatose, ou psychose somatique, dans sa caricature figée, holophrase bétonnée, paraît intangible et pétrifiée, de ce fait volontiers qualifiée de génétique. Terme interdit et scandaleux dans de vastes circuits, elle est en réalité et au sens large, psychogénétique, héritière en droite ligne de la forclusion du Nom-du-Père, elle-même fille du désaveu. Dans une configuration névrotique, le sujet veut comprendre, les symptômes étant pour lui lieux de dialectique, porteurs de soucis et d’interrogations. Mais la somatose est non seulement forclose, elle est enclose, enkystée, hors du champ de conscience. Elle échappe à la vue, ne porte pas vers la réflexion, sinon par la gêne, les dégâts et handicaps qu’elle occasionne, du moins si l’entourage, le système médical et « l’assistance sociale » ne parviennent à effacer, comme par hallucination négative, son existence, et le réduire à un non-événement. À l’inverse, idée fixe, obsédante et monomaniaque, elle peut occuper tout le champ. Dans ces deux conjonctures, elle apparaît cependant hors possibilité d’équivoques, associations et métaphores, celles-ci ne pouvant accéder aux franchissements, elle bénéficie pour tout développement de quelques lignes métonymiques. Sans insister sur les phénomènes d’angoisse les plus simples, menant aux innombrables retranchements et autres « ectomies » : appendice, sein, prostate, amygdales, utérus... les manifestations de l’hystérie et des somatoses sont encore massivement traitées médicalement et chirurgicalement, conduisant rencontres angoissantes et atteintes physiques fugaces à des mutilations corporelles et symboliques. Manœuvres soulageantes ou délétères, par

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entames et sutures, tentatives confuses « d’opérer », surdéterminer une castration dans le réel, en place de castration symbolique, limitant ou relayant l’immensité folle. Lors de la désinstitutionalisation de la psychiatrie fin du XXe siècle, un nombre considérable de malades stabilisés en hôpital psychiatrique, se sont retrouvés après sortie des murs, affublés d’un développement somatique souvent lourd et dévastateur. Aucune analyse ni statistiques n’ont été réalisées de ces morbidités et mortalités considérables, inaperçues. Les psychanalystes, praticiens du symbolique barré par le réel, ne se présentant pas pour la plupart comme magiciens, et la psychanalyse pas davantage comme pratique de « guérison », offrent ainsi une raison supplémentaire, si elle était nécessaire, de non adresse pour sot-matés. Les quelques affublés d’une altération conséquente du corps, maladie auto-immune, cancer, pelade, etc., qui entreprennent cependant une cure analytique, parlent d’ailleurs assez peu, au cours d’une longue traversée, du phénomène, peu utilisable dans la cure, paraissant constituer ailleurs leur identité. La nomination première, médicale ou politique, du symptôme ou phénomène de la maladie, réalise un acte de fondation, une apposition générationnelle, essai de Nomdu-Père. La chose, bouffie d’imaginaire, avec son zeste de symbolique, peut quitter le pur réel à travers une laborieuse élaboration de sens. À travers visualisations, ritournelles, holophrases et discours courant, elle pose cependant la première pierre à un accès au signifiant maître, fondant ou refondant du père, de l’étranger. Et pouvoir quitter l’hébétude, l’écrasement mélancolique sans accès aux signifiants, offrir un représentant pour la haine. Si la nomination réalise ce point de capiton, s’ouvre l’immensité à construire.

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SOMATOSE, HYSTÉRIE ET MALADIE DES NERFS

Il n’y a ni une castration, ni recherche d’un objet unique à partir de la réputée première, irrémédiablement perdue, selon la mythologie analytique – Quelle est-elle et quand serait-elle advenue ? Question qui se perd dans la nuit des temps et des espaces. Au-delà de cette sépartition supposée inaugurale, par substitutions, contiguïtés et métaphores, le sujet en rencontrera un grand nombre, une succession de « phases de latence », comportant chacune risques de délabrement et bascule physique, mais d’abord relance du mouvement, mobilité et enrichissement de la vie psychique et corporelle. La gestion de la perte, des douleurs et souffrances, autrement dit des suites immédiates et difficiles de la (et des) castration(s), a constitué la tâche principale que se sont assignées les religions. Par dérives institutionnelles de ses prétendants à représenter le grand Autre, elles ont souvent laissé déferler l’imaginaire, le laissant devenir prééminent sur le symbolique, ou funeste, se cercler en totalitarisme. La médecine a voulu pondérer cet imaginaire et gérer les fracas physiques en mettant de côté le symbolique, sauf sous des formes ténues. Elle a empiété et remplacé la religion pour le meilleur et pour le pire. Au-delà des tentatives foncières de ses acteurs d’échapper à la castration, la politique aurait pour visée doctrinale, à travers crises et responsabilités, de gérer les entrechocs sociaux induits par ces pertes, douleurs et souffrances, effets des castrations successives, de leurs refus et difficultés. Ces questions croisées ont pour partie, à l’insu de leurs acteurs, été modifiées, et se transformeront à l’aide des clés conceptuelles fournies par la psychanalyse et ses virtualités métaphoriques décuplées, dont l’essence et le projet consistent à ne pas céder aux impasses étourdissantes du Tout, pour, face à la douleur et aux difficultés de la castration humaine, participer aux transmutations inventives.

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1. S. Freud, Études sur l’hystérie (À propos d’Elizabeth Von R.), Paris : PUF, 1956. 2. Jacques Sédat, L’hystérique invente la psychanalyse. In Figures de la psychanalyse no 27, Toulouse : Érès, 2013. 3. Octobre 1885 à février 1886. 4. Gérard Pommier, Le nom propre, fonctions logiques et inconscientes, Paris : PUF, 2013. 5. Marcel Czermak, Bulletin de l’Association freudienne no 23, juin 1987. 6. Sadam : syndrome algo-dysfonctionnel de l’appareil manducateur. 7. J. Lacan, L’Identification, 18e leçon, 2 mai 1962 (p. 273 du texte de l’AFI). 8. S. Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse, Paris : PUF, 1970. 9. J. Lacan, Inscription sur le mur de la salle de garde, Hôpital Sainte-Anne. 10. Jacques Lacan, « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », dans Écrits, Paris : Seuil, 1966, p. 577. 11. Jeanne Favret-Saada, Désorceler, Paris : Éditions de l’Olivier, 2009. 12. J. Lacan, Problèmes cruciaux, 5 mai 1965, p. 182.

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Paradoxes et impasses : le désir hystérique Danièle EPSTEIN

Charcot, les hystériques, ont permis à Freud d’inventer la psychanalyse. Alors, pour commencer, je donnerai la parole à une analysante, qui nous fait entendre là, la problématique hystérique, presque à ciel ouvert. Cette femme, jeune et jolie, débute son analyse, en même temps qu’elle collectionne ses amants d’un jour sur les sites de rencontre. « Je n’arrive pas à remplir ce grand vide, mes attentes sont disproportionnées : les hommes sont des objets interchangeables et j’en suis un moimême. Je fais tout pour me rendre indispensable, sinon je chute dans l’inexistence... je réponds très précisément à la demande que j’imagine, je joue le personnage qu’on attend de moi, mais au final, ça ne me satisfait pas, je ne me sens moi nulle part... j’essaye de valoriser les hommes et crac, par deux mots, je les saque, je leur fais sentir qu’ils ne sont pas à la hauteur, qu’ils n’en font

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jamais assez... c’est le chaos absolu, je suis la reine des emmerdeuses... » Une position hystérique, certes, mais qui nous renvoie aussi à la problématique du désir, tel qu’il se présente dans sa dimension hystérique. Car l’hystérie n’est pas sans évoquer la structure même du désir, en mettant la loupe sur ce qu’il y a de paradoxal dans le désir. L’hystérique fomente des conflits, s’en nourrit, et s’y épuise... Elle choisit son maître, mais c’est pour mieux le mettre en défaut. Car à travers lui, c’est la question de son être qu’elle interroge, mais évidemment, ce n’est jamais ça : ainsi mis au défi, l’élu est frappé d’impuissance. Comme cette analysante le dit si bien, elle se fait l’objet du désir de l’autre pour le combler, se rendre indispensable. Une position sacrificielle, pour se plaindre après de ne pas être reconnue dans son propre désir. Une demande d’amour suivie de la plainte d’être incomprise. Entre la demande, le désir, et ce que l’autre est en mesure de donner : un écart, une faille, qui alimente sans fin la contestation, la déception, la plainte ou la revendication de l’hystérique. Rappelons-nous du rêve, dit de « la Belle Bouchère ». La Belle Bouchère veut prouver à Freud qu’il se trompe en disant que le rêve est un accomplissement de désir, et elle raconte son rêve : « Je veux donner un dîner. Mais il ne me reste qu’un peu de saumon fumé. Je me mets en tête de faire le marché, quand je me rappelle que c’est dimanche après-midi et que tous les magasins sont fermés. Je me dis que je vais appeler au téléphone chez quelques fournisseurs. Mais le téléphone est en dérangement. Ainsi il me faut renoncer à mon envie de donner un dîner » 1. Ce à quoi Freud, loin de revenir sur le rêve comme accomplissement de désir, en vient à penser que le désir de l’hystérique est d’être insatisfait. Rêve princeps qui sera repris au fil des séminaires de Lacan. « Le désir de l’hystérique,

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dit Lacan, n’est pas désir d’un objet mais désir d’un désir » 2. Ce qui signifie que l’hystérique se doit d’être insatisfaite, pour que son désir reste à vif. Si l’objet cause du désir – celui que Lacan a nommé objet a – laisse toujours à désirer, un écart qui est là, de structure, chez tout un chacun, l’hystérique est celle qui se nourrira de cet écart, pour remettre toujours sur le tapis ce qui la fait souffrir, à savoir cette faille inhérente au Sujet et à la relation. À ce type de lien, Lacan donnera statut de discours. Le lien social, pour Lacan, c’est la position que le sujet occupe dans le discours, et le discours hystérique est celui qui est fondateur de la psychanalyse. Le psychanalyste crée de la demande parce qu’il offre son écoute : celui qui parle lui adresse sa plainte, et en attend un Savoir sur l’énigme de son désir. Mais ce Savoir échouera à dire le vrai du vrai, la Vérité-Toute, sur la cause du désir, il y aura toujours un reste, et ce reste (l’objet a) nous rend perpétuellement désirants. Ainsi s’engage le transfert et avec lui le processus analytique. Ce qui revient à dire que les hystériques ont inventé avec Freud la psychanalyse. L’hystérie est connue depuis la nuit des temps : les Égyptiens, Hippocrate, Platon en firent une affaire de femme, une affaire d’utérus. Dans le Timée, Platon écrit : « Chez les femmes, ce qu’on appelle matrice ou utérus... est un animal au-dedans d’elles qui a l’appétit de faire des enfants ; et lorsque malgré l’âge propice, il reste un long temps sans fruits, il s’impatiente et supporte mal cet état »... et ce que Platon va décrire n’est rien d’autre que le processus de conversion hystérique devant la représentation sexuelle inconciliable. « (L’utérus) erre partout dans le corps... jette en des angoisses extrêmes et provoque d’autres maladies de toutes sortes » 3. Un utérus itinérant qu’il fallait séduire par des vapeurs aromatiques,

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ou anesthésier, ou dompter 4. Ainsi, dans l’ouvrage que Mâkhi Xenakis a publié à partir des archives de l’Assistance Publique, on peut lire : « On peut pratiquer des saignées / placer des sangsues entre les cuisses / la vulve / parfois les sangsues s’engouffrent au fond des sexes / on les récupère alors à l’aide de jets d’eau salée »... « le chloroforme / la valériane / la belladone / l’éther/ l’eau de vie / les calment aussi / par inhalation / mais aussi par injection / directement par sonde dans l’utérus // quand aucun de ces traitements ne fonctionne / on a recours de nouveau à la cellule » 5. Aujourd’hui, la version du mâle triomphant – « mal-baisée » – traduit l’autre forme d’angoisse devant le féminin, l’angoisse de castration. À érotiser toute relation, l’hystérique relance le fantasme de l’homme, on peut même dire : l’hystérique est le fantasme de l’homme. Les manifestations hystériques sont dans le sillage des fictions de l’époque : ce fut le couple « possédées/prêtre » de la religion, puis le couple « médecin-malade » de la pensée positiviste. Dans la lignée des convulsionnaires, il y a les transes vaudous, les sectes et leurs gourous (suicide collectif du temple du soleil), les fans et leur idole 6. Mais la constante, c’est le sexuel, les affres du sexuel, versant féminin. Précisons d’emblée : pas le féminin anatomique, mais le féminin en chacun de nous, homme ou femme. Autrefois avancée par Freud, puis formulée par Lacan, la théorie de la bisexualité qui fit scandale en son temps, s’est transformée en théorie militante, la théorie queer, ou théorie du genre, qui trouve aujourd’hui sa validation tant au niveau des manuels scolaires que de l’état civil. Notre regard dépend des fictions de l’époque : il y eut l’échappée belle de ces femmes en extase, illuminées de recevoir en elles l’Autre divin, il y eut les convulsionnaires déchaînées, pénétrées par l’Autre malin. La sorcière du

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Moyen-Âge était possédée du démon, elle avait, comme on dit, « le diable au corps » et n’y était pour rien. Le prêtre devait l’exorciser, la désenvoûter. En cas d’échec, pas de demi-mesures, pas d’alternative autre que le bûcher pour brûler l’Autre en elle, le malin. Face au bâillon de la représentation religieuse du monde, la jouissance scandaleuse du Féminin ne pouvait alors se vivre que drapée de fiction religieuse. Être possédée, ou illuminée, n’était-ce pas la seule façon de manifester son désir tout en le déniant ? Quant au couple « médecin-malade », Charcot, le père de la neurologie moderne, le découvreur de la sclérose en plaques (1868), ou de la sclérose latérale amyotrophique, nommée « maladie de Charcot », Charcot connu pour sa démarche scientifique, sera bousculé par ce que les hystériques actent sous suggestion hypnotique : des paralysies, et contractures équivalentes aux manifestations spontanées. Alors, à son tour, Charcot bousculera les théories de l’époque. Que ses cours aient été des événements médicaux, mais aussi mondains qui attiraient le Tout-Paris, ne retireront rien à sa démarche de chercheur et il n’hésitera pas à remettre en question l’idée alors admise d’une localisation, qu’elle soit génitale ou cérébrale. Venu de l’anatomie pathologique, et n’ayant, comme l’écrit Freud, « aucune prédilection pour l’étude psychologique de la névrose » 7, il abandonnera cependant l’idée d’un support lésionnel et fera la distinction entre les paralysies organiques et les paralysies hystériques. Tout comme Freud et Lacan, il n’hésitera pas à réviser sa théorie, au fur et à mesure de ce qu’il observe. La lecture de l’œuvre de Charcot, comme de celle de Freud ou de Lacan, a ceci de particulièrement stimulant qu’elle permet de suivre pas à pas les remaniements d’une théorie en train de se construire, avec ses allers-retours, ses questionnements, une théorie qui n’est pas un dogme, mais qui se modifie au fil de la clinique.

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Charcot distinguera donc la lésion organique, neurologique, de ce qu’il appellera une lésion dépendante d’une idée, ou une lésion dynamique fonctionnelle, qu’on peut appeler aujourd’hui – dans l’après-coup freudien – une liaison névrotique. Une lésion qui est en fait liaison de souvenirs, de fantasmes, autour d’images et de signifiants, qui mettront le corps érogène en ébullition, jusque dans sa dé-liaison. Charcot fut effectivement l’homme-charnière que décrivent Gladys Swain et Marcel Gauchet dans leur livre 8, en ce qu’il remarquera une distorsion entre le fait réel, et sa représentation psychique, distorsion qui ouvrira la voie à une autre dimension, celle de l’inconscient. Dès lors, l’hystérie sera conçue comme une vraie maladie, mais une maladie de la représentation. Une distorsion qui amènera Freud à abandonner sa théorie de l’événement traumatique (1897), pour privilégier celle du fantasme, en tant que lui-même traumatisant. Si comme l’écrit Freud, « l’hystérique, souffre pour la plus grande part de réminiscences », c’est parce que le souvenir est là à l’état de traces, déconnecté du temps, et travesti parce que passé par le tamis du fantasme. « Mais enfin, questionne Freud, faussement naïf, qu’est-ce donc qui se transforme en douleur physique ? Avec prudence, poursuit-il, car Freud a toujours avancé avec beaucoup de prudence, on répondra quelque chose qui aurait pu et qui aurait dû donner naissance à une douleur morale » 9 : ainsi, une analysante qui se heurte à des butées relationnelles familiales, professionnelles, et amicales, arrive un jour, détachée, presque légère, en affirmant qu’elle a pris le parti de laisser couler, que rien ne l’affecte plus, mais... des migraines la terrassent le week-end... Écoutons Freud : « Dans l’hystérie, l’idée incompatible est rendue inoffensive, par le fait que la somme d’excitations est transformée en quelque chose de somatique. Pour ceci,

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je désire proposer le nom de conversion » 10. La charge, la surcharge d’affects de la représentation inconciliable fait alors « un saut du psychique au somatique ». Mais « l’hystérique est ignorante de la distribution des nerfs, elle prend les organes dans le sens populaire du nom » 11. Le corps anatomique est remplacé par le corps d’usage, tel qu’il se présente au travers du prisme du langage. Freud, après avoir passé quelques mois à la Salpêtrière, évoquera à son retour à Vienne, un Charcot « à ce point pénétrant que de toute la journée, on ne pouvait chasser de son oreille la parole entendue » 12. Pourtant, il ne tardera pas à se démarquer de celui qui l’aura fasciné. La rencontre fut, certes, déterminante. Mais là où avec Charcot, le corps se donne à voir, Freud fera un quart de tour - comme le quart de tour qui fait le passage de l’Hystérique au Discours de l’Analyste - et se détachera du regard pour se centrer sur l’écoute. C’est l’invention du divan. « Je n’ai pas toujours été psychothérapeute, écrit-il dans ses Études sur l’hystérie (1895). Comme d’autres neurologues je fus habitué à m’en référer aux diagnostics locaux et à établir des pronostics en me servant de l’électrothérapie, c’est pourquoi je m’étonne moi-même de constater que mes observations de malades se lisent comme des romans » 13. Roman familial, actes manqués, rêves, lapsus, lui feront découvrir non seulement la dimension inconsciente du symptôme, mais aussi que le symptôme est le masque d’un désir inconscient parce qu’interdit. Ce que Freud remarque aussi, c’est la place de l’identification imaginaire chez l’hystérique, la duplicité des identifications et du fantasme. « La solution du symptôme exige deux fantasmes sexuels, reprend Freud, dont l’un a un caractère masculin et l’autre un caractère féminin ». Et il évoque cette dramaturgie de l’attaque hystérique où

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une femme « joue en même temps les deux rôles du fantasme sexuel sous-jacent... la malade tient d’une main sa robe serrée contre son corps (en tant que femme), tandis que de l’autre main, elle s’efforce de l’arracher (en tant qu’homme) » 14. Freud y entendra le paradoxe du désir, la tension entre une identification féminine et une identification masculine. N’est-ce pas au nom de ce même paradoxe du désir que des hommes se sentiront autorisés à exercer des violences sexuelles sur les femmes, se persuadant à bon compte que « quand une femme dit non, c’est qu’elle veut dire oui... ». « Que veut la femme ? » 15, c’est à Marie Bonaparte que Freud pose la question. Marie Bonaparte, qui, on le sait, avait elle-même quelques soucis avec sa sexualité au point de se lancer dans de multiples opérations, pour cause de frigidité. Jusqu’à la fin de sa vie, Freud, tout comme l’hystérique, butera sur l’énigme de la femme, mais à la différence des hystériques, il n’en fera pas symptôme : la pulsion épistémophilique le poussera à faire de l’énigme une question théorique. Pourtant, en 1932, il déclarera forfait et écrira « Si vous voulez en apprendre davantage sur la féminité, interrogez votre propre expérience, ou adressez-vous aux poètes, ou bien attendez que la science soit en état de vous donner des renseignements plus approfondis et plus coordonnés » 16. Or, précisément, s’il y a une question à laquelle le discours de la science échoue à répondre, c’est bien « Que veut la femme ? ». En revanche, « Que veut l’hystérique ? » pourrait bien nous guider dans les arcanes du désir féminin, car, comme le dit Nestor Braunstein 17, « l’hystérique mène jusqu’au bout la position structurale féminine ». Et s’il est une question dont l’hystérique ne se dépêtre pas, c’est bien celle de son être : « Qu’est-ce

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qu’une femme, comment être femme ? » Et plus précisément « Qu’est-ce qu’être femme pour un homme ? ». Une question qui en appelle évidemment au père, comme le montre l’analyse de Dora 18. Une question sans fond. Sans fond parce que quelque chose échappe du féminin – il n’y a pas de signifiant de La Femme, dira Lacan, ce qui le fera écrire : LA / . Un trou dans le savoir aimante les fantasmes et les alimente : sainte ou sorcière, vierge ou salope, maman ou putain. De la pudeur à l’impudeur, du voile au viol, l’éternel féminin est en fait un éternel continent noir qui en appelle aux fantasmes archaïques, comme aux fantasmes œdipiens d’une mère incestueuse et interdite, castratrice et castrée. L’hystérie, on l’a vu, résonne avec l’air du temps, et si ses manifestations ont changé, elle est plus que jamais sur le devant de la scène. L’hystérie donne le la et le socius se met au diapason et vice-versa. Il y a hystérisation galopante de notre société, une société du spectacle, de l’émotion, qui est peut être le revers, l’antidote de la pensée technocratique, désancrée du corps et de l’intime ? L’hystérie, à la fois pathologie, structure psychique, type de lien social, incarne tout à la fois un certain type de rapport à l’autre, au discours, au désir, et à la jouissance. Et pourtant... l’hystérie a disparu du DSM-5, réduite à des signes visibles et isolés : troubles somatoformes, personnalités multiples. On coche des cases, on quantifie, la logique comptable a envahi et subverti le domaine du soin, pour faire de l’homme un produit normalisé. On ne s’interroge plus, ni sur le sens, ni sur la structure. Circulez, y a rien à penser... Les grandes crises de conversion d’antan ont certes disparu, mais d’autres symptômes ont pris la relève qui viennent toujours « se loger dans les failles du savoir de la science » : syndrome des jambes sans repos, fibromyalgies,

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spasmophilie, crises de tétanie... Dans un contexte d’obligation de performance, d’exigence de jeunisme et de beauté, c’est le vernis moïque et narcissique qui craque et laisse fleurir de nouvelles pathologies. Mais un des grands classiques propre à l’hystérie, c’est d’offrir la géographie imaginaire de son corps réel à la découpe du chirurgien : la chirurgie esthétique est la grande gagnante, qui offre de découper son corps suivant le pointillé de son fantasme, de le transformer jusqu’à se faire l’autre de l’autre sexe. L’état civil validera l’opération en officialisant la nouvelle apparence, ainsi que la conviction psychique d’une erreur de la « nature ». Quant aux moments d’excitation et de dépression réactionnels aux satisfactions ou blessures narcissiques, ils seront diagnostiqués et traités comme troubles bi-polaires, alors que Freud, en son temps, évoquait déjà les symptômes d’une hystérie peu convertissable et s’attachait à distinguer mélancolie/manie d’avec les troubles hystériques de l’humeur 19. Qu’est-ce qu’être femme ? se demande l’hystérique. Une voie permet d’approcher cette question, qui en passe par Lacan et la Jouissance. La jouissance, pour Lacan, n’est pas le plaisir, mais un au-delà du principe de plaisir, c’est une tension, un excès, jusqu’à la douleur, du côté de la Pulsion de mort. Lacan distingue une Jouissance phallique et une Jouissance supplémentaire, qu’il appelle pas-tout phallique. La Jouissance phallique, marquée de l’entrée dans le langage, bordée par le langage, après-coup du langage sur le corps, est partielle et limitée. Quant à la Jouissance dite « pastout phallique », jouissance supplémentaire, ou encore l’Autre jouissance, elle est retour à un état de corps d’avant l’entrée dans le langage, donc de l’ordre de l’ineffable (les mystiques), de l’ordre d’une radicale altérité, de

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l’ordre du désordre. Deux bords, en rapport non pas à l’utérus, non pas au pénis, mais au phallus, au signifiant phallique : jouissance phallique et « pas-tout phallique ». Pourquoi le phallus ? Parce que garçons et filles se construisent autour d’une angoisse, dite angoisse de castration, celle de perdre le pénis ou de ne pas l’avoir : un membre repérable qui fait la différence, en plus ou en moins, et qui de ce fait, prendra statut d’opérateur symbolique, le phallus, signifiant de la sexuation, signifiant du manque et du désir. Or, l’organe - le pénis - ne sera jamais à la hauteur du phallus, en tant que symbole. Ovide déjà, dans « Les métamorphoses », se posait la question de la différence entre la jouissance de l’homme et de la femme : qui, de l’homme ou de la femme, prend le plus de plaisir à l’amour ? demande Zeus à Tirésias. Tirésias, condamné à se métamorphoser en femme durant sept ans, était censé en savoir un bout sur la jouissance de la femme. Et il répondit : « Si la jouissance du couple pouvait se diviser en dix parties égales, alors l’homme aurait une partie et la femme les neuf autres ». Après Lacan, la réponse s’éclaire avec le concept de jouissance : l’une phallique – jouissance locale et limitée parmi ceux qui se rangent côté homme – l’autre « pas-tout » phallique », une jouissance supplémentaire, dite Autre jouissance, côté femme. Dans un numéro de la revue Che Vuoï 20, consacré au Féminin, je distinguais la féminité du Féminin : La féminité – du côté de la traversée structurante du Penisneid freudien, de l’envie du pénis, et du roc de la castration – du côté de ce que Lacan appelle Jouissance phallique, partielle et limitée, bordée par le langage ; et le Féminin comme accès à ce que Lacan appelle Jouissance pas-tout phallique, l’Autre jouissance, ineffable, au-delà/en-deçà de la féminité, un retour aux sources vers « la part de l’ombre », selon l’expression de Monique Schneider.

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En quoi, concernant l’hystérique, cette distinction nous intéresse-t-elle ? L’hystérique est dans la séduction. La féminité se montre, elle capte le regard, le piège. C’est une mise en scène du corps, érigé tel un phallus. Une parade pour parer à cette menace diffuse d’être livré à la part de l’ombre, une parade phallique pour faire bord à l’Autre jouissance, vécue chez l’hystérique comme menace d’effondrement. Si la parade de la féminité est un passage obligé du devenir femme, l’hystérique s’y accroche de crainte d’être en perdition. La femme-objet, objet du fantasme, objet cause du désir, loin d’être seulement en position de soumission à l’homme – comme on le dénonce souvent - jouit de sa position de toute-puissance séductrice. Car se faire objet, c’est un acte, c’est se faire maître du fantasme, un acte qui signe la puissance de la femme en lutte contre l’angoisse de castration : elle érige ce qu’elle a, à la place de ce qu’elle n’a pas, le phallus. La séduction comme antidote à l’angoisse de castration. Mais à trop se regarder être regardée, comme c’est le cas chez l’hystérique, se faire objet, c’est aussi être prisonnier de son image, de son image narcissique, empêché d’être sujet de son désir. Or si le Sujet est capté par son image sans faille, qui couvre la part de l’ombre, il échoue à se laisser dé-faillir. En s’accrochant ainsi aux branches d’un corpsfétiche qui dénie la castration, le piège se referme sur la maîtrise et son symptôme : frigidité, vaginisme... L’offre séductrice et prometteuse de l’hystérique s’échoue sur une dérobade qui la sauve, puisque son désir est l’insatisfaction. Mais si jamais le miroir est brisé, effracté, l’image narcissique d’un Moi plein, suffisant, chutera du côté de l’insuffisance d’un Moi idéal, et le Sujet oscillera entre vide dépressif et remplissage addictif, souvent traité, là encore, comme trouble bipolaire, dans l’intérêt de l’industrie pharmaceutique.

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La féminité fait symptôme, quand elle vient blinder le Sujet contre le risque du Féminin, le Féminin qui gît au creux de tout Sujet, comme on dit ci-gît : des traces éteintes, ou plutôt en sommeil, recouvertes par le langage. Le Féminin, sans image dans le miroir, sans mot pour se dire, lieu d’un trou bordé par les représentations et le langage, c’est ce que Marguerite Duras a approché au plus près de son Écriture. Dans un interview à propos d’India Song, elle dit du miroir : « C’est comme des trous, dans lesquels l’image s’engouffre et puis ressort : je ne sais pas où elle va ressortir... c’est d’une extrême jouissance » 21. L’Autre jouissance, une traversée à la dérobée, qui se dérobe au phallique, qui fait effraction et se diffracte au lieu des repères moïques, pour mettre en abîme la dimension phallique de la féminité 22 ; une échappée belle vers l’Unheimlich, qui éclipse le « Nom », qui éclipse le Sujet, qui éclipse l’image, un franchissement et une plongée dans la part de l’ombre, qui, sans doute, ne peut se risquer qu’à l’abri du Nom-du-Père, qui garantit d’en revenir. Alors, une question se pose : si l’hystérique s’accroche ainsi aux branches de la féminité, de crainte de se perdre dans le Féminin, n’est ce pas par crainte de ne pas en revenir, quand la métaphore paternelle échoue à lester le réel ? Si, pour l’hystérique, il s’agit de faire tenir le Père, de soutenir le désir du Père, qu’en est-il du signifiant du Nom du Père pour la mère ? Si la façade de l’hystérique miroite, n’est-ce pas pour masquer ce qui lui vient à manquer pour se tenir, la métaphore paternelle ? Charcot décrivait les formes délirantes de l’attaque hystérique, il décrivait l’état hallucinatoire des attitudes passionnelles, il parlait de psychose hystérique, et Freud dans ses Études sur l’hystérie évoquait la nécessité de soustraire l’hystérique au « danger de succomber dans la psychose » 23.

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Danièle Epstein

Alors, l’hystérie ferait-elle fonction de rempart contre le risque de sombrer dans une forme de folie, le risque de chuter dans « un mot-absence, un mot-trou, creusé en son centre d’un trou, de ce trou où tous les autres mots auraient été enterrés » 24 ?

1. Sigmund Freud, L’interprétation des rêves, Paris : PUF, 1967, p. 133. 2. Jacques Lacan, « Le désir et son interprétation », Le Séminaire, Livre VI, séance du 15 avril 1959. 3. Cité par Gérard Wajeman, Le maître et l’hystérique, p. 127, Navarin, Seuil, 1982. 4. Diane Chauvelot, L’hystérie n’est plus ce qu’elle était, exposé aux Cartels Constituants. 5. Mâkhi Xenakis, Les folles d’enfer de la Salpêtrière, Arles : Actes Sud, 2004, pp. 253-4. 6. Catherine Clément. L’appel de la transe, Paris : Stock, 2011. 7. Sigmund Freud, Ma vie et la psychanalyse, Idées, NRF, 1971. 8. Marcel Gauchet et Gladys Swain, Le vrai Charcot. Les chemins imprévus de l’inconscient, Paris : Calmann-Lévy, 1997. 9. Sigmund Freud, Études sur l’hystérie, Paris : PUF, 1981, p. 132. 10. Sigmund Freud, « Les psychonévroses de défense », 1894, in Névrose, psychose et perversion, Paris : PUF. 11. Sigmund Freud, in « Résultats, Idées, problèmes », cité par Marcel Gauchet, Le vrai Charcot, p. 167. 12. Sigmund Freud, in « Résultats, Idees, problèmes », cité par Marcel Gauchet, Le vrai Charcot, p. 160. 13. Sigmund Freud, Études sur l ’hystérie, Paris : PUF, 1981, p. 127. 14. Sigmund Freud, « Les fantasmes hystériques et leur relation à la bisexualité », in Névrose, psychose et perversion, Paris : PUF, 1973. 15. Ernest Jones. Sigmund Freud : life and work, London : Hogarth Press, 1955, vol. 2, p. 468. 16. Sigmund Freud, « La féminité », 5e conférence, 178, in Nouvelles conférences sur la psychanalyse, Idées, Gallimard, 1981. 17. Nestor Braunstein, La Jouissance, un concept lacanien, Éditions Point Hors ligne, 1990. 18. Sigmund Freud, Cinq psychanalyses, Paris : PUF. 19. Sigmund Freud, Études sur l’hystérie, Paris : PUF, 1981, p. 68. 20. Danièle Epstein, « L’ombilic de la féminité », in Che Vuoï, 2011, no 36, « Du féminin », Éditions La Rumeur Libre.

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21. Marguerite Duras, Interview à propos d’Anne Marie Stretter (Le ravissement de Lol. V. Stein). 22. Danièle Epstein, « Il n’y a de féminin qu’après-coup », in Le féminin, un concept adolescent, ouvrage collectif sous la direction de Serge Lesourd, Toulouse, Érès, 2001. 23. Sigmund Freud, « Études sur l’hystérie », Paris : PUF, 1981, p. 212. 24. Margurite Duras, Le ravissement de Lol. V. Stein, Paris : PUF, p. 48.

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La crise comitiale : scène d’un réel Marie-José Sophie COLLAUDIN

Une question Jean et Paul, 9 ans, arrivent dans le Centre Médico-Psychologique où je travaille au tout début de ma pratique, adressés par une institution spécialisée car ils étaient très agités. Les parents racontent : ces deux enfants, jumeaux bivitellins, ne dorment pas ; nés prématurément, Jean ayant eu une hémorragie méningée est resté trois semaines en néonatologie dont la dernière semaine seul (son frère étant rentré à la maison avec sa mère et son père). Il parle très peu mais a des crises de petit mal. Paul ne parle pas et prend les mêmes médicaments que son frère, « à titre préventif » selon le médecin de l’hôpital. Je m’en étonne et parle à ces enfants de ce qu’ils ont vécu au début de leur vie. Les parents arrêtent le traitement de Paul qui se met à dormir la nuit. Peu de temps après, Jean refuse de prendre son traitement, ce que les parents acceptent ; de

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temps en temps, il se réfugie sur son lit pour se reposer, puis les crises cessent. Six mois après, à la consultation de neurologie infantile de routine, le médecin dit « vous pouvez arrêter le traitement, son EEG est normal ». Les parents n’ont pas osé dire que leurs enfants ne prenaient plus de médicament depuis six mois. Il n’y a pas eu de cure analytique dans la suite pour des raisons très complexes. Tina, elle, est arrivée à l’âge de quatre ans. Elle ne parlait pas et prenait un important traitement médicamenteux en raison de comas épileptiques avec troubles respiratoires nécessitant une hospitalisation d’urgence. Jumelle, Tina est née un long moment après sa sœur univitelline ; deux enfants qui renvoyaient cette mère à sa jalousie envers sa propre sœur. Sa naissance fut en même temps une menace de mort, comme plus tard les maltraitances maternelles. Alors que sa fille commençait à parler, cette femme, triomphante, me rapporte qu’une psychiatre aurait dit que Tina n’apprendrait jamais à lire et à écrire ; pendant cet énoncé, Tina a barbouillé de rouge le visage d’un enfant sur un livre d’images racontant sans texte la vie quotidienne d’un enfant : encore une menace de mort. Les comas ont cessé, Tina énonçait quelques mots, mais sa mère, séparée du père des enfants, a interrompu la cure de Tina après la rencontre d’un autre homme médecin : ce dernier lui aurait dit que, pour le cas de Tina, une cure psychanalytique ne servait à rien. Ce « savoir » allait dans le sens du fantasme de la mère : sa sœur lui aurait pris son père. Une question s’impose alors à moi. Après le récit des parents fait dans l’émotion, si le fait de parler à leur fils Jean de sa douleur psychique – celle de la séparation d’avec sa mère et de son jumeau, et de sa douleur physique – celle de l’hémorragie méningée – a eu pour effet

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la cessation des crises, ainsi que la normalisation EEG (et donc l’arrêt des médicaments par les neurologues du service), la douleur n’est-elle pas à l’origine de ces crises et sous quelles conditions ? Comment pour Tina la menace de mort en arrive-t-elle à provoquer un coma, où elle est comme le déchet de la jouissance maternelle ? (Objet a, dirait Lacan, à la place de celui que la mère ne peut pas perdre). Depuis l’Antiquité, la crise comitiale fait énigme Son nom vient de la Rome antique. Pendant l’assemblée des Comices où s’élaboraient les lois et à laquelle pouvaient assister tous les citoyens (donc pas les femmes ni les esclaves), si quelqu’un avait une crise convulsive, la séance du jour était suspendue et remise à plus tard : légiférer était considéré comme impossible. La victime de cette crise était déclarée SACER, c’est-à-dire vouée aux dieux infernaux. On pouvait la tuer : meurtre ou sacrifice d’un seul pour la sauvegarde de tous ? D’où l’appellation : mal sacré. Ou bien, elle devait pratiquer des rites de purification, comme parfois manger la cervelle d’animaux que l’on venait de tuer. Elle est aussi appelée crise d’épilepsie, du grec épilambano : tombé dessus, surprendre, saisir. Pour les Grecs de l’Antiquité, ce sont les humeurs qui montent au cerveau ; un exemple de traitement à cette époque est de faire ingérer de la fiente d’un pigeon recueillie pendant son vol, c’est-à-dire ingérer quelque chose qui est en train de se perdre. L’expérience clinique La crise comitiale peut survenir chez des enfants de tous âges, même chez les nourrissons, voire immédiatement

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après la naissance ou chez des adultes et des vieillards. Nous connaissons des personnes célèbres affectés par ce symptôme, Alexandre le Grand, Gustave Flaubert, Vincent Van Gogh, Fédor Dostoïevski et bien d’autres. Tous les médecins connaissent l’apparition d’une crise convulsive isolée lors des premières poussées dentaires ou lors d’un accès de fièvre, le plus souvent chez les enfants de moins de trois ans, dans un excès de douleur ou de température corporelle. La médecine parle d’épilepsie quand la crise comitiale se répète et en distingue deux formes principales : – Le grand mal : qui est une répétition de crises tonicocloniques aboutissant à la perte de conscience avec signes végétatifs (perte d’urine, hypersalivation), accompagnée de clonies de tous les membres par excitation simultanée de toutes les voies motrices. L’enregistrement EEG montre l’onde convulsivante comme une dépolarisation intense avec pointes ondes et ondes lentes. Pendant l’hypertonie : on assiste à une décharge massive des formations réticulées du tronc cérébral par les noyaux réticulo-thalamiques dans un circuit sous-cortical ; pendant les clonies, il y a inhibition dans ce circuit en même temps que présence de signes végétatifs. – Le petit mal : est une suite de clonies palpébrales et d’une absence, c’est-à-dire une suspension courte de la conscience sans perte du tonus ni perte de conscience. À l’EEG, on perçoit des décharges à localisation thalamique. Par l’hypothalamus passent la douleur et les perceptions ; on peut donc supposer que ces manifestations électriques sont l’exagération de fonctions physiologiques normales. Les crises comitiales peuvent affecter des personnalités diverses, affectées de troubles névrotiques comme psychotiques.

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N’importe qui peut faire une crise comitiale dans certaines conditions : ingestion de produits convulsivants ou stimulation lumineuse intermittente (par exemple, une route ensoleillée bordée d’arbres, en été, en voiture à une certaine allure). Ces produits ou la SLI (stimulation lumineuse intermittente réalisée avec une lampe) étaient utilisés pour mesurer le seuil convulsivant d’un sujet en fonction des doses ou des durées de SLI nécessaires pour provoquer les premières clonies palpébrales précédant une crise. La mesure de ce seuil aidait le médecin à choisir la dose de médicament neurotrope. La crise convulsive du nouveau-né en Afrique n’inquiète personne ; on s’occupe du nourrisson comme d’habitude. Or l’EEG d’un nouveau-né ordinaire est comparable à l’EEG hors crise d’un enfant pour qui les médecins ont porté le diagnostic de syndrome de Lennox (clonies oculaires ou absences associées à des spasmes en flexion et anomalies EEG, les spasmes en flexion étant à mon avis la réaction à l’hospitalisation du premier bilan) ; donc l’EEG se modifie avec la maturation de l’enfant ainsi que le seuil convulsivant. Et dans la phase paradoxale du rêve, l’enregistrement EEG montre des ondes lentes comme dans la phase tonique de la crise. La pratique des électrochocs dans les accès dépressifs avec douleur morale intense de la mélancolie fut inventée par Cerletti en Italie en 1938 : on envoie un courant alternatif dans le cerveau par des électrodes placées sur les tempes, le patient étant sous curare ou sous anesthésie générale courte, c’est-à-dire que l’on provoque une crise généralisée. Cela soulage momentanément, au prix pour le sujet d’être séparé de lui-même quelque temps, mais n’empêche pas la répétition des accès. Plusieurs praticiens de la psychanalyse ou de la psychiatrie ont observé la survenue d’une ou deux crises

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comitiales lors de la dépétrification ou du « dégel » d’un enfant autiste, c’est-à-dire quand il commence à être touché par la parole de l’autre et à entrer dans l’identification primordiale : Simon, en voiture sur la route entre l’aéroport où il était arrivé de son pays d’origine pour être adopté (à quelques mois) par ses parents et le domicile de ces derniers, lors de son deuxième passage sur cette route a eu une crise convulsive, qui ne s’est pas répétée. Il a, pour la première fois dans mon bureau, pleuré et dit : « maman » (à six ans) peu de temps après ce deuxième voyage. Un professeur de médecine, chef de service en électroencéphalographie, m’avait rapporté deux exemples « qu’il ne comprenait pas » : – un jeune homme resté suspendu – en raison de problèmes mécaniques imprévus – par les bras au-dessus d’un haut fourneau en fonction pendant une demi-heure a eu une crise comitiale une demi-heure après, et qui s’est répétée par la suite. – Chez les adolescents, quand les crises cessent, apparaissent des problèmes de peau ou des crises de colère. Avec Sigmund Freud, dans l’Esquisse d’une théorie scientifique Dans l’Esquisse d’une psychologie scientifique, Sigmund Freud, pensant que les phénomènes psychiques empruntent les voies physicochimiques de la matière, cherche comment une perception empruntant les voies nerveuses de la sensibilité, dont l’intensité est mesurable (selon les lois de Fechner) sous forme de quantité, peut arriver au cortex sous forme de qualité. Dans ce texte, il imagine, en plus des neurones du système phi – groupe de neurones où aboutissent les stimulations extérieures et des neurones

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recevant les excitations endogènes du système psy –, une troisième forme de neurones, les neurones omega sensibles à la période et transformant en qualité les excitations arrivant aux systèmes phi et psy. Freud propose deux hypothèses pour l’écoulement de l’excès d’excitation : dans la voie motrice ou par la multiplication des neurones pouvant se partager la quantité. Or, tous les flux d’excitation ont une période et, en particulier, la voix. Deux sons d’intensité égale et de périodes contraires émis simultanément s’annulent : on ne les entend pas. Travaux des neurosciences Gérald Edelman (deux fois prix Nobel), entendu, en 1982, lors d’un colloque sur la biologie de la conscience, et dans son livre Biologie de la conscience, identifie dans le cerveau des voies réentrantes : voies émanant de toutes les chaînes neuronales des perceptions, pouvant se connecter aux autres chaînes de neurones des autres perceptions ; et intervenir sur l’excitation en cours ; ce qui rend très complexe les processus de conduction du système nerveux et n’est pas sans rappeler la phrase du poète : les odeurs, les couleurs et les sons se répondent. Enfin, les travaux de certains neurophysiologistes cités par G. Pommier dans son livre, Comment les neurosciences confirment la psychanalyse, montrent que lors d’une première perception pour un enfant, si on parle à l’enfant de ce qu’il vit, la manifestation électrique change d’hémisphère cérébral et peut se mémoriser, sinon, elle reste là où elle arrive sans possibilité de mémorisation. Mais le frayage, sur lequel Freud a beaucoup insisté, provoqué par cette perception demeure : pour une perception déterminée (par exemple, la chaleur associée à la terreur d’être brûlé vif sur le haut fourneau – terreur, donc pas

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de représentation), le passage d’une excitation facilite un passage ultérieur pour cette perception (exemple, l’excès de chaleur), mais on peut le supposer, quand aucune voie réentrante n’intervient, comme celle utilisée par la voix dans la parole adressée au sujet au moment de cette perception. Là, il s’agit alors de traces non passées par le refoulement originaire au sens de Lacan et de Dolto, donc des traces dans le réel. Parler de traces mnésiques entraîne de la confusion. La parole adressée au sujet enfant sur ce qu’il vit transforme ses perceptions à partir de tous les organes des sens, en sensations lui appartenant, ce qui construit l’image inconsciente du corps selon Dolto ; celle-ci, évoluant toute la vie en même temps que se multiplient les représentations, est déjà bien élaborée vers trois quatre ans, sauf pour la sphère sexuelle. Il s’agit bien de mémoire permettant de parler. Ma construction sur la crise comitiale Lorsqu’elle n’est pas la manifestation d’un processus irritatif mécanique douloureux ou non (tumeur, AVC, embarrure ou hématomes cérébraux, etc.), la crise de cette épilepsie, qualifiée d’essentielle par la médecine, est la décharge dans les voies motrices (de manière synchrone pour la totalité des neurones dans le grand mal, ou pour un groupe de neurones dans le petit mal) d’un trop d’excitation déclenchée par une perception. Il y a excès, soit quand le tabou, dont nous parlerons plus loin, ne fonctionne pas, soit quand l’excitation n’a pas été modulée auparavant au bon moment, c’est-à-dire pas barrée par du signifiant. Donc l’image inconsciente du corps, au sens de Dolto, n’est pas assez développée pour supporter cette excitation, qui devient traumatique, sans la décharger dans une crise convulsive. La limite n’est pas donnée par le

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signifiant énoncé par la voix qui, empruntant ces voies réentrantes identifiées par G. Edelman, pourra interférer sur les autres voies de la perception pour limiter l’excitation, mais par l’épuisement du corps : la perte de connaissance proche de la mort. La répétition des crises est la conséquence du frayage décrit par S. Freud : ce phénomène ne détruit pas le cerveau, comme certains neurologues le disaient pour que les patients prennent leur traitement neurotrope, mais augmente son excitabilité de manière singulière pour chaque patient. Les adolescents « guéris » ont de grosses colères sans doute à la place de leurs crises. Dans bien des cas, le contexte familial est souvent incestuel, c’est-à-dire inconsciemment incestueux, peu de paroles séparatrices sont adressées à l’enfant pris dans la jouissance inconsciente d’un adulte, ce qui entretient un niveau d’excitation permanent, élevé, comme pour Corentin. Corentin a eu, vers l’âge de quatre ans, une gastroentérite (la gastroentérite est très douloureuse) par intoxication alimentaire alors qu’il était chez ses grands-parents pendant une courte absence de sa mère. Ensuite, il a eu des absences, de type petit mal, traitées par les médicaments neurotropes habituels. Il ne mangeait plus que des aliments de petit enfant (ceux d’avant cette gastroentérite) tant, sans doute, il redoutait d’avoir mal au ventre. M’étonnant qu’après mes paroles, les absences surviennent encore chez cet enfant entouré de parents aimants et soucieux de sa personne, j’ai demandé à sa mère que son médecin généraliste veuille bien vérifier sa santé digestive. L’échographie abdominale a montré des ganglions dans l’abdomen, sans doute sources d’excitation (ne se manifestant pas comme une douleur consciente, car transmise par les voies du système parasympathique) pendant

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certains moments de la digestion. Sa mère était très inconsciemment incestueuse avec ce dernier enfant. Le petit mal a cessé après que j’ai pu parler à Corentin de ses ganglions qui troublaient la progression du bol alimentaire, et, le moment venu, de son amour pour sa mère. L’excitation inconsciente (car sans représentation) provoquée, à certains moments de la digestion par la présence de ces ganglions, ajoutée au niveau d’excitation permanente de cet amour œdipien inconscient aussi, faisait crise, faute de signifiants pour créer les représentations nécessaires. Souvent, il y a confusion des places dans les générations, comme l’a souligné Lucien Mélèse, ce qui a pour effet d’entretenir un niveau élevé d’excitation incestueuse permanente auquel peut s’ajouter d’autres sources d’excitations telles que la douleur physique. Parfois, il s’agit de la jouissance incestueuse d’un adulte mise en acte sur un enfant comme pour Elvire. Elvire, essai de transmission du déroulement de sa cure Elvire, dans sa sixième année, arrive accompagnée par son père et sa mère, il y a plus de 25 ans. Ses parents attendent d’un psychanalyste, pour leur fille, la guérison de crises comitiales généralisées, ayant chacune entraîné une hospitalisation avec bilan neurologique et prescription médicamenteuse au long cours. La première crise survint un matin dans son lit alors qu’Elvire avait un peu plus de quatre ans. La veille, Raoul, un cousin par sa grand-mère maternelle, ayant sensiblement le même âge que ses parents, était dans le coma suite à un accident dont il mourut. La deuxième crise arriva lors d’une sieste, dans le lit où dormait « Mémé », arrière-grand-mère

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d’Elvire, ayant assuré sa garde pendant que les parents travaillaient, de ses trois mois à ses trois ans, jusqu’à sa mort (subite, dans son lit, alors qu’elle lisait un livre). Sa mort n’a pas été parlée directement avec l’enfant, par ces parents qui semblent très proches de leur fille. La mère se dit « bizouilleuse » et le père est très amusé, séduit par sa fillette. Elvire a une apparence poupine pour son âge, parle beaucoup mais de manière presque inintelligible ; pendant le récit de ses crises (convulsions généralisées à tout l’appareil moteur, suivies de perte de conscience et d’urine), Elvire s’étend sur le divan les jambes écartées. Je m’adresse à elle pour me présenter, lui dire pourquoi ses parents viennent avec elle me parler, et l’invite à me parler d’elle avec modelage, dessin, en plus des mots. Elvire s’installe sur le siège à vis devant la table et me dit : « Je suis grande » (grande remplace ici son énoncé phonématique qui se trouve être son patronyme) ; puis : « prête-moi ton gros crayon » (mon stylo). Je réponds : « Non, tu peux utiliser tous ceux de la boîte qui est là pour toi, mais pas celui-ci, c’est le mien ». Elvire dessine très rapidement et sans dire mot, une forme ronde flanquée d’une excroissance pointue avec à son extrémité un zigzag très appuyé ; cette forme reviendra dans la composition de plusieurs dessins, comme dans la séance suivante (sur la chemise rose préparée pour contenir ses dessins) : là, en plus, une forme quadrangulaire m’apparaîtra plus tard figurer un lit. À la fin de cette rencontre et des suivantes, lorsque ses parents reviennent dans le bureau et malgré leur injonction d’arrêter, Elvire, de manière compulsive et prompte, met les livres de ma bibliothèque sous le divan. J’interviens seulement pour lui dire : « La séance (!) est terminée, je t’attends la semaine prochaine pour continuer de parler. » Pendant les trois premières rencontres, j’avais écrit tout ce qu’Elvire me disait, parce

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que je ne comprenais que très peu de ses paroles et peutêtre aussi pour faire limite à son excitation ; à la troisième, je crois, Elvire me dit : « Qu’écris-tu ? – J’écris ce que tu me dis. » Elle : « Pourquoi tu n’écris pas ce que tu me dis ? – C’est toi qui l’écris dans ta tête et dans ton cœur. » Elle : « J’arrive pas. » Elvire parlant distinctement, à la quatrième séance, me dit : « Saul (son unique frère de deux ans plus âgé qu’elle) veut venir chez toi. – C’est lui qui veut ou c’est toi qui veux ? » Elle : « C’est moi. » – « Pourquoi ? » Elle : « Parce que je veux ». – « Tu l’aimes beaucoup ? » Elle : – « Oui, je veux me marier avec lui... – Crois-tu que c’est possible ? » Elle se tait. Moi : – « Ce n’est pas permis, c’est interdit. » Elle : – « Tu es méchante, je vais te manger... et si ce n’était pas interdit ? » – « Nous serions des animaux, nous ne pourrions pas parler. » Elle : – « Je suis un lion, je te griffe, je te tue, tu es morte. » Plus tard, Elvire dessine « un bonhomme qui a les yeux qui brillent. » Un jour, elle me dit : « J’ai peur de mourir dans mon grandi », ou encore : « Mon papa va me donner un bébé. » Je lui ai répondu qu’elle pouvait en rêver mais, comme c’était interdit pour son père, ce n’était pas permis pour elle. Je ne sais plus quand, je lui ai parlé de son arrière-grand-mère (qui s’était occupée de tous ses oncles et tantes et de leurs enfants) et de sa mort : « Tu ne savais pas que la mort existait, tu as cru que ta Mémé t’avait abandonnée, comme tu avais cru qu’elle était la maman de toute la famille », et j’avais écrit, avec ses parents et devant elle, une généalogie familiale à partir des arrièregrands-parents maternels et paternels en énonçant leur noms et en précisant qui était vivant et qui était mort. Pendant plusieurs séances, Elvire couvre une feuille de couleurs à la manière d’un fond, et me dit : « C’est la cuisine de Mémé », et sur ce fond, avec des playmobils

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et des animaux en plastique, elle met en scène des « mariages » : d’abord entre animaux et humains, en mélangeant les grands et les petits, ensuite entre grands animaux et petits animaux, puis entre humains – les adultes entre eux et les enfants entre eux. Enfin, Elvire invente un animal qu’elle qualifie d’« imaginaire », l’appelle « le dé », et le dessine en état évocateur de jouissance sexuelle face à une petite fille, puis le dessine face à des animaux et l’oublie. Après quelques dessins abstraits où « force rouge » est face à « force verte », Elvire dessine : « C’est un bonhomme, il s’appelle gros cochon. » – Pourquoi ? Elle se tait. Ce bonhomme a un pantalon dont une jambe est plus large que l’autre, à côté de lui se trouvent écrites quatre consonnes (qui m’évoquent de l’hébreu) sur lesquelles je questionne Elvire qui répond : « Je ne sais pas, tu sais bien que je ne sais pas lire. » La semaine suivante, son père raconte : « Samedi, Elvire était avec moi dans le jardin, le facteur me remit le courrier que j’ai porté dans la maison. Elvire me suivait, un courant d’air a fermé la porte d’entrée entre elle et moi ; le facteur était en train de partir. Quand je suis sorti dans le jardin, Elvire était en état de crise généralisée, il a fallu l’hospitaliser. » Je lui demande : « Ce facteur ressemblet-il à quelqu’un de vos relations ? » Le père se tait, puis : « à Élie, le mari de ma sœur, surnommée Zizou ». « Parlez-moi de lui. » Il m’apprend que cet homme s’était présenté comme gynécologue, sous un nom juif (alors qu’il avait un patronyme yougoslave) et qu’il était en fait veilleur de nuit dans un établissement de soins. Il était mort d’une gangrène généralisée consécutive à une blessure gravissime à la jambe, ayant refusé l’amputation. Tout cela n’avait été su qu’à sa mort. Cet homme portait toujours des pantalons, dont une jambe était plus large

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que l’autre, buvait beaucoup d’alcool jusqu’à l’ivresse. Zizou et Élie ont deux enfants : une fille et un garçon : Saul (même prénom que le frère d’Elvire). Quelques jours après, au téléphone, la mère d’Elvire en pleurs me dit : « Je me souviens, un après-midi, Elvire ayant dix-huit mois, est restée seule avec Élie à l’heure de la sieste, pendant que sa femme, les autres enfants, et moi sortions faire des courses. Le soir, j’avais vu des taches rosées dans ses couches, je n’ai pas voulu le savoir. » Me revient une de ses paroles : « Dans ma famille, les filles qui faisaient pipi au lit étaient menacées d’être assises sur le poêle allumé. » Elvire, au début, m’avait affublée de différent noms : « madame grosse bête », « grosse maligne », « caca », « zizou », « bisou » et un jour, en début de cure, avait dessiné quelques taches rouges estompées avec quelques traits. Lors de la séance suivante, j’ai construit, en présence de ses parents, un mythe sur ce qui s’est passé là d’interdit, en ajoutant qu’à dix-huit mois elle était encore trop petite pour savoir que c’était interdit et que ses parents n’avaient pas voulu cela. Après cette séance, Elvire eut sa dernière crise convulsive, en voiture, un jour où sa mère était vêtue pour la première fois d’une fourrure ayant appartenu à une femme décédée, il y a longtemps, inconnue d’Elvire et de sa mère. Sa mère avait expliqué à ses parents devant Elvire d’où venait cette fourrure, mais n’avait pas répondu aux questions de sa fille au sujet de la mort de cette femme. Or, Elvire avait eu une crise un an auparavant, sur le trajet de sa séance seule en voiture avec son père, vêtu (cela m’a été dit un an après) d’une veste de fourrure ayant appartenu à Élie. Ce jour-là, du service d’urgence médicale où elle était restée quelques heures, au téléphone, Elvire m’avait dit : « J’ai des problèmes dans ma tête et dans mon cœur, peux-tu m’aider à les oublier ? »

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À la séance suivante, après cette dernière crise, j’ai reparlé à Elvire de la mort et des personnes connues et décédées avant ses trois ans : oncle Élie, Mémé, oncle Raoul. À partir de ce jour, Elvire cessa de mettre les l’ivres sous l’elit. Cette mise en scène n’était plus nécessaire et les crises cessèrent ; l’électroencéphalogramme étant maintenant normal, ses médicaments neurotropes furent arrêtés par son prescripteur : le neurologue dont je n’ai pas connu le nom. Lorsque l’excitation d’Elvire était sans limite (lors de certaines perceptions sans mémoire mais empruntant ce frayage dont parle S. Freud), la crise comitiale la déchargeait dans les voies motrices ; la limite était alors l’épuisement du corps lors de la perte de conscience, état proche de la mort. Cette excitation était maintenant limitée, barrée par les paroles à elle adressées au bon moment, et transmettant l’interdit auquel sont soumis tous les humains, c’est-à-dire chaque parlêtre. Progressivement, Elvire exprime des affects : Chagrin : « ma Mémé, j’aurais pas voulu qu’elle soit morte. Je l’aimais très beaucoup. » Crainte : « Qu’est-ce que ça ferait si j’allais voir mon papa ? » (qui est dans la salle d’attente.) Puis Elvire se met à penser : « Est-ce que tonton Raoul (décédé d’un coma post-traumatique) redeviendra vivant ?... Les chiffres, ça ne s’arrête jamais... Il y a dans les livres des secrets qui ne sont pas pour les enfants. » Enfin, Elvire rêve : « Cette nuit j’ai pleuré, tu étais morte. » Plus tard : « Je ne trouvais plus mes parents ; je les retrouve, ils étaient dans une barque en face de moi dans une autre barque. » Et : « Celui-là, je ne le ferai pas (= je ne le dessinerai pas), c’était trop trop trop long et ça faisait mourir. » Ce rêve, impossible à mettre en forme, parle de cet excès d’excitation qui la faisait convulser lorsqu’un

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signe lui arrivant par ses perceptions (ressemblance, fourrure, etc.) sans parole à elle adressée, ou au réveil quand la vie d’une personne connue et investie par ses parents était en danger et (ou) que ses parents dormaient, ou en se réveillant dans le lit où son arrière-grand-mère est morte. Elvire, un jour, me dit : « Je ne savais pas parler. Si j’avais eu 7 ans (son âge à ce jour), je lui aurais dit arrête » (le conditionnel pour la première fois.) Elle écrit alors : « Je n’ai plus de probl aime » et dit : « Je n’ai plus de problème avec tonton Élie, je n’ai plus de problème avec rien. » Elle écrit dans ce dernier dessin, chaque mot ou groupe de mots dans une bulle : zizi-zizou ; mort-vivant ; fille : cette bulle touche une autre bulle où se trouve un triangle rouge, encore : « Je n’ai plus de problème » : bulle venant d’un dessin stylisé : petit arbre au tronc et branches rouges (ce qui reste gravé du transgresseur sans doute ivre ?) attaché à une forme verte (de peur) ressemblant à une tête avec des bras (projection de son image inconsciente du corps de ses dix-huit mois ?) ; deux dates 1897 (date de naissance de son arrière-grand-mère ?), 1990 (nous sommes en juin 1990). Au verso, Elvire écrit : « né en 1840, mort en 1897, âge : 57 ; né en 1805, mort en 1885, âge : 80 », une tache rouge avec quatre traits verticaux sur le bord supérieur, d’autres dates au crayon. Deux ans après la fin de sa cure, Elvire m’écrit une lettre. En résumé voici ce qu’elle écrit : « elle va bien, elle est dans les premières de sa classe, fait du violon et du piano ; en fin de conte, tout va bien pour moi. E.G. qui t’écrit cette lettre car elle adore la nature. » En bordure du papier à lettre, des animaux, des écureuils, des oiseaux, des fleurs, des champignons. Elvire disait vouloir devenir vétérinaire. Peut-être le piano et le violon, permettant de rester dans une relation à l’Autre sans corps à corps avec

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LA CRISE COMITIALE : SCÈNE D’UN RÉEL

un autre, pourront-ils contribuer à ce que la part restante du réel traumatique communique avec celle d’autres sujets et reste du côté de la vie. La crise comitiale : mal sacré Le tabou Claude Rabant, lors d’un colloque de Correspondances Freudiennes sur « l’interdit, ses énoncés » a parlé de la constitution du tabou qui « s’applique à toute chose qu’il est interdit de toucher » comme de la première inscription de la jouissance, rappelant S. Freud : « Notre expression, horreur sacrée, est ce qui convient le mieux pour désigner l’aire du tabou. » C. Rabant a écrit : « Ce qui se prohibe de soi, dans l’horreur sacrée d’une jouissance inconnue, et non par le commandement d’un dieu ou d’un système d’énoncés..., ainsi va le tabou, loi qui ne montre pas ses fondements, loi pure et inquiétante du sacré en son équivoque émergence et son évidence oppressive, son automatisme de sanction. » La mise en réserve de jouissance donnerait sa force à l’interdit ; mais l’interdit, lui, doit être énoncé à haute voix, sans justification ni répétition, par une parole sans demande et, comme le disait Françoise Dolto, sans séduction. « Le tabou se transmet par la transgression ; la limite se transgresse en s’inscrivant, n’assure aucun espace stable, mais fait passer sans cesse la menace et la présence obscure de la force sacrée. Le tabou se prohibe de lui-même, sans autre fondement que le danger qu’il constitue en lui-même ; sans le tabou, la mort erre et peut frapper à tout instant. » Chez les Indiens de l’Himalaya, un rite de transe où les prêtres portent des masques sur le visage, a lieu la nuit. Il est interdit de photographier ; si quelqu’un transgresse

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cela, on le tue. S’agit-il d’un rite pour permettre d’inscrire quelque chose d’avant les images, peut-être de cette limite du tabou ? Une adolescente que je ne connais pas, venant d’une institution dite « spécialisée », devant une vitrine d’une galerie exposant de tels masques, a eu une crise comitiale : ces masques, portés par personne, et sans autre pour lui parler, n’avaient plus de fonction quant à une inscription possible ; pour elle, étaient-ils monstrueux ? La crise comitiale ne s’écrit pas Fédor Dostoïevski, malgré tant de temps à écrire de grands romans et à perdre au jeu, a eu des crises comitiales jusqu’à la fin de sa vie (lors d’une hémoptysie) comme en témoigne, dans son journal, Anna Grigoievna, sa deuxième épouse. La date du début de ses crises est inconnue. Mais l’on sait, par son frère, que Fédor était victime de « crises de léthargie » – peut-être ces crises dites « morphéïques » survenant à l’endormissement ou au réveil. Fédor, enfant, mettait un papier à côté de son lit sur lequel il avait écrit : « si on le trouvait mort, d’attendre cinq jours avant de l’enterrer. » Avait-il peur de mourir pendant son sommeil ou d’être enterré vivant ? Mais pourquoi ? Voici comment Fédor Dostoïevski parle de ses instants précritiques à son ami Strahov : « Pendant quelques instants, j’éprouve un bonheur impensable à l’état normal, et inimaginable pour qui ne l’a pas vécu. Je suis en harmonie parfaite avec moi-même et l’univers entier ; la sensation est si forte et si suave que, pour quelques secondes d’une telle félicité, on donnerait dix ans de sa vie peut-être toute sa vie... ; croyez-moi, je ne l’échangerais pas contre toutes les joies du monde. » De Kirilov, le héros des Démons, roman publié en 1869, F. Dostoïevski dit : « Il vit des minutes d’harmonie éternelle »

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LA CRISE COMITIALE : SCÈNE D’UN RÉEL

(comme s’il n’y avait plus de temps donc plus de mort) « il doit se transformer physiquement ou mourir ». De quelle jouissance F. Dostoïevski ne voulait-il pas être privé ? Préférait-il perdre au jeu que de mourir de son excès ? L’interdit et l’invention du réel dans le transfert de la cure psychanalytique Dans la relation d’un adulte sujet et d’un enfant, sujet en construction, le fait que le tabou se constitue sans commandement ni énoncés, montre la grande importance de la position du sujet quant à l’interdit et permet de poser la question d’un lien entre le sans limite provoquant la crise (cessant avec l’épuisement du corps) et un sans limite de la jouissance de l’adulte. À dix-huit mois, ce que F. Dolto appelle « image inconsciente du corps », c’est-à-dire : « l’ensemble des perceptions transformées, par la parole d’un autre à lui adressée, en sensations appartenant au sujet », n’est pas très développée, surtout du côté génital, d’autant qu’une mère « bizouilleuse » ne parle peut-être pas beaucoup à sa fille de ce que vit cette dernière. Si Élie, comme je le suppose, a transgressé, en acte, l’interdit de l’inceste en faisant du corps d’Elvire un instrument de jouissance, il a provoqué un trop d’excitation (réel traumatique) là où il n’y avait pas de première inscription de cette jouissance, ni autre ni Autre, seulement la possibilité d’une limite réelle. Elvire a inventé, dans le transfert, toujours en présence de ses parents, deux mises en scène pour en parler : la première, s’étendre les jambes écartées sur le divan ; la suivante, répétée jusqu’à la construction du mythe : mettre les livres sous le divan. Là se montrait, comme dans la crise mais sans convulsions, ce lieu de jouissance si proche de la mort par la

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mise en scène de deux signifiants : Élie, ivre, non liés à des représentations, donc ne lui appartenant pas. Ces signifiants ne faisaient pas lettre pour elle, et semblaient n’être que des signes sonores d’un réel en souffrance. Les quatre consonnes imprononçables écrites sur le dessin à côté du « bonhomme gros cochon » sont une première inscription du réel de cette jouissance, rendue possible par mon énonciation, dans le transfert, de l’interdit d’utiliser mon « gros crayon ». Après coup, j’ai pensé au premier interdit énoncé dans la Genèse : tous les arbres sauf un. Ces quatre lettres ont fait bord à l’excès de jouissance et cette limite symbolique, en rencontrant le réel, a donné accès à l’imaginaire. Ainsi, Elvire a pu accepter le mythe qui a « inventé le réel » et interrompu la répétition des crises comitiales. Les parents d’Elvire, à la fin de sa cure, m’ont dit : « Pourquoi ne dites-vous pas aux médecins que les crises peuvent cesser par le traitement psychique ? » Les enfants, avec qui se trouvait Elvire à l’hôpital, y sont encore ou continuent d’avoir des crises. –« Permettez-vous que je parle de son histoire à des collègues de travail et que je l’écrive ? » Leur réponse a permis la publication de ce travail. Après réflexion, demander à Elvire (qui a environ trente ans) sa permission ne serait pas judicieux : ce refoulement-là doit demeurer intact pour sa vie dans le symbolique. Est-ce de cela qu’il s’agit dans le Judaïsme dans ces deux fondements que sont : l’imprononçable du mot Dieu (alors qu’on peut en parler avec d’autres noms) et l’interdit de produire des images (qui existe aussi dans la religion musulmane) ? La crise comitiale est bien un mal sacré car elle se répète si la parole de l’autre-Autre ne construit pas le pulsionnel en séparant l’humain de la bête en un lieu singulier pour chaque sujet donc mystérieux.

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Freud avec Charcot : du symptôme hystérique au fantasme Marco Antonio COUTINHO JORGE

Charcot clinicien

L’importance du séjour de Freud à Paris ces quelques mois, entre octobre 1885 et février 1886, pendant lesquels il a fréquenté le service de J.M. Charcot, a été déterminante. Ce n’est pas un hasard si Jean-Martin a été le nom que Freud a choisi pour un de ses fils. Comme l’a bien formulé Ola Andersson, un des fondateurs de l’historiographie érudite de la psychanalyse 1, dans les premières approches que Freud a fait du champ psychopathologique, il a été exposé à deux postures scientifiques différentes : celle de Theodor Meynert, pour qui les explications des troubles psychiques étaient de nature anatomo-physiologique (méthode physiologique explicative) et celle de Charcot, qui soutenait que l’observation clinique devrait se maintenir indépendante de

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Marco Antonio Coutinho Jorge

la médecine théorique, c’est-à-dire, de l’anatomie et de la physiologie 2. L’indépendance de la description clinique peut être perçue dans les écrits de Charcot d’une façon surprenante, et on a pu remarquer combien il a marqué très tôt les recherches du jeune Sigmund Freud qui avait l’habitude de citer avec plaisir la maintenant célèbre phrase de Charcot selon laquelle « La théorie c’est bon, mais ça n’empêche pas d’exister ». Huit mois après la fin de son stage à Paris, Freud écrit d’une façon très significative dans une lettre à Carl Koller : « Tu as raison de supposer que Paris signifie pour moi un nouveau début dans l’existence. J’ai trouvé là un maître, Charcot, tel que je me l’étais toujours représenté, j’ai appris à voir cliniquement, dans la mesure où j’en suis capable, et j’ai emporté avec moi une bonne quantité de connaissances positives. J’ai seulement été assez bête pour n’avoir eu d’argent que pour cinq mois » 3. Cet attachement à la souveraineté de la clinique sera dorénavant la grande force de la méthode freudienne. Il dira longtemps après : « Je me préoccupe avec le fait isolé et j’attend que de lui puisse jaillir l’universel ». Devant la clinique de l’hystérie qui lui a été présentée par Charcot, Freud s’est vu désigné pour poursuivre un chemin ouvert par le maître parisien duquel il raconte avoir entendu un jour : « Je décris les formes cliniques et anatomiques des pathologies, mais par rapport aux mécanismes psychologiques, j’attends que quelqu’un d’autre le fasse 4 ». Après avoir abandonné l’hypnose, Freud ouvre le chemin pour une autre clinique, non plus celle de Charcot basée sur l’observation et le voir cliniquement, mais sur l’entendre. Et la phrase de Charcot, « La théorie c’est bon, mais ça n’empêche pas d’exister » sera toujours présente pour Freud dans ses constantes reformulations théoriques : deux grands dualismes pulsionnels, deux topiques,

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FREUD AVEC CHARCOT : DU SYMPTÔME HYSTÉRIQUE AU FANTASME

entrelacées par la grande construction de la théorie du narcissisme. Dans une espèce de radicalisation de la formule de Charcot, à la fin de sa vie, Freud va jusqu’à rapprocher le processus de la théorisation de celui de la production de fantasmes : « Sans spéculer ni théoriser – pour un peu j’aurais dit fantasmer – métapsychologiquement, on n’avance pas ici d’un pas » 5. Mais curieusement c’est le fantasme qui va parcourir l’œuvre de Freud du début jusqu’à la fin, dès ses premières études sur l’hystérie, dans lesquelles le concept même d’inconscient, vrai fondateur de la découverte de la psychanalyse, surgit homogénéisé avec celui du fantasme. Nous savons que l’appréhension par Freud de la dimension du fantasme hystérique va opérer un grand bouleversement dans sa clinique : dans les narrations des scènes traumatiques de séduction qu’il entend quotidiennement, Freud finit par découvrir que l’hystérique ne se réfère pas à un fait qui s’est passé dans la réalité, mais il découvre également qu’elle ne ment pas – elle dit la vérité, mais la vérité d’une autre scène, celle du désir sexuel inconscient. Dans un petit texte écrit peu après les Trois essais sur la théorie de la sexualité, une des perles de son œuvre, convaincu du fait qu’il devait faire un compte rendu simple et précis du chemin qu’il a du parcourir jusqu’aux Trois essais, nommé Mes points de vue sur le rôle de la sexualité dans l’étiologie des névroses, Freud résume ce bouleversement de sa conception avec une formule lapidaire : « Les “traumatismes sexuels infantiles” ont été substitués dans un certain sens par “l’infantilisme de la sexualité” » 6. Si le sexe est toujours traumatique, le fantasme surgit donc pour Freud comme l’élément qui permet au sujet – l’hystérique – de faire face au réel du sexe.

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Marco Antonio Coutinho Jorge

Le cycle du fantasme Après ses trois grands livres sur l’inconscient – sur les rêves (1900), la vie quotidienne (1901) et les mots d’esprit (1905) 7 – qui composent ce qu’on peut appeler le « cycle de l’inconscient », et la création du concept de pulsion (aussi 1905) 8, qui fut la réponse théorique consistante que Freud a donné à la question de la bisexualité qui dominait dans son dialogue avec Wilhelm Fliess ; Freud se penche longuement sur l’étude du fantasme, dans une période que je nomme le « cycle du fantasme », lequel s’étend de 1906 à 1911.

Dans cette période très féconde de son œuvre, Freud entame une flamboyante recherche sur le fantasme dans plusieurs directions : dans son rapport avec le symptôme, la création littéraire, le jeu de l’enfant, les théories sexuelles de le´nfant, les romans familiers. Il s’agit là de petits textes pleins de révélations et d’insights, lesquels démontrent l’étendue de l’action du fantasme dans l’appareil psychique. Et en 1911, Freud écrira un article qui constitue à mon avis la clôture du cycle du fantasme, Formulations sur les deux principes du fonctionnement psychique. Dans cette étude, il introduit pour la première fois le dualisme fondamental principe de plaisir/principe de réalité, qui lui permettra de bâtir sa première conception

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FREUD AVEC CHARCOT : DU SYMPTÔME HYSTÉRIQUE AU FANTASME

du fonctionnement de l’appareil psychique. Le principe de réalité ne s’oppose pas au principe de plaisir, il est son prolongement et travaille dans la direction d’atteindre son but, et sa structure est la même que celle du fantasme : la réalité est essentiellement subjective, elle est fantasmatique. Il est remarquable que Freud ait écrit à la même époque que les Formulations son essai clinique sur le cas Schreber, dans lequel il annonce la grande nouveauté apportée par la psychanalyse à l’étude des psychoses : le délire n’est pas une expression pathologique de la psychose, mais la tentative de reconstruction que le psychotique développe pour rétablir ses liens sociaux. À partir de là, il devient chaque fois plus clair pour Freud que le fantasme représente pour la névrose ce que le délire – forme particulière du fantasme – représente pour la psychose. En 1924, Freud écrira deux petits articles dans lesquels il développera l’idée selon laquelle la réalité est de toute façon toujours perdue. Il faut sans doute souligner également l’importance attribuée par Lacan à la dimension du fantasme inconscient. Dans son Allocution sur les psychoses de l’enfant, qui a clôt la rencontre des psychanalystes lacaniens avec des antipsychiatres organisée par Maud Mannoni en 1967 autour de ce thème, il a formulé : « La valeur de la psychanalyse, c’est d’opérer sur le fantasme » 9. La fin de l’analyse, Lacan l’a aussi située par rapport à la traversée du fantasme, « où se constitue pour chacun sa fenêtre sur le réel » 10. C’est la dimension clinique qui une fois de plus importe surtout à Freud. Seulement après l’écriture des textes qui constituent le cycle du fantasme, Freud ira s’engager finalement, après plusieurs années d’hésitation, à écrire sur la technique psychanalytique. Là il y a bien sûr un facteur

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Marco Antonio Coutinho Jorge

politique qui le pousse dans cette direction, puisque l’IPA venait d’être fondée en 1910 et que les disciples de Freud attendaient de lui ces écrits indispensables pour les Instituts de formation analytique qui commençaient à former des analystes. Mais il y a aussi un facteur éthique qui permettra à Freud de transmettre dans ses écrits des éléments essentiels sur la technique analytique et la direction du traitement dans les années suivantes : il venait de construire une conception consistante de l’appareil psychique centrée autour du fantasme.

Pour terminer, je voudrais paraphraser Charcot en disant : on voit bien, dans la clinique contemporaine, que le DSM – classification psychopathologique utilisée actuellement, qui se prétend athéorique, en dépit de toute la construction fine établie par la psychopathologie classique, psychiatrique et psychanalytique – que le DSM, ça n’empêche pas non plus l’hystérie d’exister.

1. E. Roudinesco, P.M. Johansson, « Apresentação », in O. Andersson, Freud precursor de Freud, op. cit., p. 17. 2. O. Andersson, Freud precursor de Freud, São Paulo : Casa do Psicólogo, 2000, p. 75. 3. A. de Mijolla, Freud et la France, Paris : PUF, 2010, p. 21. 4. A. de Mijolla, op. cit., p. 30. 5. S. Freud, L’Analyse avec fin et l’analyse sans fin, in S. Freud, Résultats, idées, problèmes II, Paris : PUF, 1987, p. 240.

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6. S. Freud, Mis tesis sobre el papel de la sexualidad en la etiología de las neurosis, in Obras completas, v. VII. Buenos Aires, Amorrortu, p. 266. 7. Lacan a affirmé sur ces trois livres qu’ils sont « canoniques en matière d’inconscient ». J. Lacan, L’Instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud, in Écrits, Paris : Seuil, 1966, p. 522. 8. Octave Mannoni a formulé l’hypothèse fort analytique selon laquelle Freud se reposait de l’écriture du livre sur la sexualité en écrivant son livre sur les mots d’esprit. O.Mannoni, Freud – uma biografia ilustrada, Rio de Janeiro, Jorge Zahar, 1994, p. 116. 9. J. Lacan, Allocution sur les psychoses de l’enfant, in Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 366. 10. J. Lacan, Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École, in Autres écrits, op. cit., p. 254.

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Charcot, Freud et le transfert Danièle LÉVY

« L’homme avait encore beaucoup à donner et à enseigner », écrit Freud dans la nécrologie qu’il rédige à la mort de Charcot en août 1893, « nul n’avait approché sa personne sans en tirer enseignement ». [...] L’évocation se poursuit par un portrait de l’homme à l’ouvrage : « Ce n’était pas quelqu’un qui rumine, ni un penseur, mais c’était une nature artistiquement douée, selon ses propres termes un visuel, un voyant. Sur sa façon de travailler, il nous racontait lui-même ce qui suit : il avait coutume de regarder et regarder toujours à nouveau les choses qu’il ne connaissait pas, d’en renforcer l’impression jour après jour jusqu’à ce que soudain la compréhension en surgît. Devant l’œil de son esprit s’ordonnait alors le chaos, dont le retour incessant des mêmes symptômes avait donné l’illusion ». [...]

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Danièle Lévy

Associez « oreille » à « œil », vous avez quelque chose qui ressemble à l’écoute analytique. Mais restons encore un peu avec le Freud de 1893, car cette « nécrologie » fait le bilan des apports de Charcot aux questions posées par ce qu’on a appelé l’hystérie et désigne avec précision les points sur lesquels il a fallu changer de voie pour avancer. Le portrait s’approfondit avec la mention de l’aveuglement et de la jouissance, devant lesquels Charcot ne reculait pas : « On pouvait l’entendre dire que la plus grande satisfaction qu’un homme puisse vivre était de voir quelque chose de nouveau et de le reconnaître comme nouveau [...], il revenait toujours aux mérites de ce “voir”. D’où venait-il donc que les hommes ne voyaient jamais en médecine que ce qu’ils avaient déjà appris à voir, comme il était merveilleux de pouvoir voir brusquement de nouvelles choses – états pathologiques – qui pourtant étaient vraisemblablement aussi vieilles que le genre humain ? [...] Il devait lui-même se dire qu’il voyait maintenant bien des choses qui durant 30 ans avaient échappé à son regard dans ses salles de malades. [...] Il était conduit à penser au mythe d’Adam, qui avait dû éprouver au plus haut degré cette jouissance intellectuelle prisée par Charcot, lorsque Dieu lui avait présenté les êtres vivants du Paradis pour qu’il les distingue et les nomme ». Serait-ce à Charcot que Lacan doit son « instant de voir », temps initial de tout acte 1 ? Un Charcot vu par Freud, qui n’introduit pas à la légère son éloge posthume par la jouissance d’Adam ? Je gage qu’il y trouve la légitimation de son propre penchant pour la découverte et la nomination de l’inouï. Mais poursuivons encore un peu la lecture, et voilà le transfert en clair : « Comme enseignant, Charcot était littéralement fascinant, chacune de ses conférences était un petit chef-d’œuvre de

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CHARCOT, FREUD ET LE TRANSFERT

construction et d’articulation à la forme achevée, et à ce point pénétrant qu’on ne pouvait de toute la journée chasser de son oreille la parole entendue et de son esprit l’objet de la présentation 2. » Dans une lettre à Martha 3 (auprès de qui il laissait libre cour à son ironie), Freud dit qu’il sortait des Leçons de Charcot « comme on sort de Notre-Dame ». Il aimait beaucoup Notre-Dame et y entrait souvent pendant les six mois de son séjour à Paris – puis il allait écouter sa « merveilleuse » Yvette Guilbert, avec qui le lien ne sera jamais rompu. Sa remarque – et cette séquence où le désir affleure, de Notre-Dame à la chanteuse de la gouaille qui savait aussi le pathétique – laissent entendre que Freud écoutait Charcot dans cet état d’esprit qu’il qualifiera plus tard d’attente croyante, forme première du transfert, qui ne va jamais sans un brin (au moins) d’exaltation 4. L’éloge du « grand Charcot » par Freud nous introduit donc au thème du transfert. Freud nous dit que le Professeur Charcot lui a ouvert les yeux : sur l’hystérie et les hystériques, sans doute, certainement sur l’audace de voir ce qui n’est pas visible – ce qui crevait les yeux ? « Regarder, regarder encore, jusqu’à ce que, devant l’œil de l’esprit, s’ordonne le chaos dont le retour incessant des mêmes symptômes donne l’illusion » : Charcot connaît aussi ce que Lacan appellera « le temps pour comprendre ». Quant à Freud, parle-t-il de Charcot, ou de sa propre démarche ? On retrouve assurément l’artiste. Mais « regarder, regarder encore, jusqu’à ce que s’ordonne le chaos... », ne serait-ce pas aussi une caractéristique de la démarche scientifique, du scientifique passionné, forcément passionné ? Ce désir de percevoir ce qui reste inaperçu et de réordonner l’ensemble à partir de là, est-ce autre chose que le désir qui meut le chercheur ? « Circonspect et perspicace », dira Freud à propos du

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Danièle Lévy

« jeune chercheur », l’enfant à l’âge de la curiosité et des théories sexuelles infantiles 5. La curiosité infantile ne succombe pas toujours au refoulement, elle se prolonge parfois la vie durant et devient un talent qu’il est vital pour le sujet de mettre au travail, – en termes lacaniens, un sinthome ? Les propos du « Grand Charcot » 6 n’exposent rien de moins que les conditions subjectives de sa démarche clinique. Ils doivent sonner comme des confidences aux oreilles du jeune Freud (30 ans à peine) qui y reconnaît sa propre inclination. Dans l’embarras où il se trouve à ce moment-là vis-à-vis de ses propres recherches, ces propos qui nomment un désir l’incitent à donner libre court au talent qu’il se découvre, assonant avec le don de Charcot. « L’objet de la présentation » n’est pas non plus indifférent : l’hystérie que Charcot explore, c’est autrement intéressant que l’histologie ! Reconnaissance d’un désir et changement d’objet : le passage chez Charcot autorise Freud à entamer le virage qui le mènera vers autre chose. Charcot de son côté appréciait l’acuité et la précision de ce jeune médecin autrichien qui lui avait apporté avec ses lettres de recommandation un échantillon de son travail de chercheur : des préparations microscopiques faites par lui. Charcot lui en fera compliment. Il est important de souligner que ni Charcot ni Freud n’étaient des aliénistes. Ils ne s’intéressaient pas spécialement à la maladie mentale. L’un et l’autre étaient des médecins et chercheurs spécialisés dans les maladies nerveuses, qui n’étaient pas encore distinguées des troubles neurologiques. C’est pour Charcot que fut créée en 1882 la première Chaire de neurologie en France. Quant à Freud, il avait entamé non sans succès une carrière de chercheur en neurobiologie (dirait-on aujourd’hui),

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CHARCOT, FREUD ET LE TRANSFERT

recherchant entre autres le sexe des anguilles dans le port de Trieste et étudiant un curieux neurone géant chez un certain poisson ! Diverses circonstances l’ayant renvoyé à la pratique médicale, sa plaque de médecin à Vienne portera le titre de Neuropathologist. À l’hôpital où il fait des vacations dans le service des enfants, il ne tardera pas à se trouver comme Charcot confronté à l’indigence : celle des patients et celle des connaissances. La pauvreté des moyens thérapeutiques est à peine moindre en clientèle privée. Charcot et Freud sont en proie au désir persistant de comprendre et de soigner. Échapper à la misère en trouvant un moyen de la vaincre. Des scientifiques : Lacan a plusieurs fois attiré l’attention sur la supériorité de la démarche scientifique dans l’abord clinique, y compris en psychanalyse. Le paradoxe n’est qu’apparent, car la démarche scientifique commence par une description fine et fidèle des phénomènes 7, qui ne sont jamais tout à fait ce qu’ils paraissent à première vue, ainsi qu’une étude de leurs variations. Partant de là, il devient possible d’établir les faits, de repérer des invariants, puis de tenter avec persévérance d’y découvrir une structure interne : alors viennent logique, schémas, graphes, équations... 8 ; à condition, troisième point essentiel, que les allers-retours entre clinique et théorie soient constants. Un désir est reconnu, un objet nouveau est trouvé, ce sont les conditions d’un amour de transfert. Qu’il y ait transfert de Freud sur Charcot, un autre signe l’indique : en présentant la pensée de Charcot sur l’hystérie, Freud la rend proche de ses propres préoccupations et pensées du moment. Voici comment il introduit la question 9 : « [...] si je trouve un être humain dans un état comportant tous les signes d’un affect douloureux, pleurs, cris,

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agitation, [je suis porté à] conclure à l’existence chez cette personne d’un processus psychique correspondant ; mais l’hystérique, lui, répond qu’il ne sait pas. [...] D’où vient que l’hystérique est soumis à un affect dont il affirme ne rien savoir du motif ? [...] Si l’on rassemble les divers indices dont il ressort que le malade se comporte pourtant comme s’il en avait connaissance, si on trouve dans l’histoire de la maladie un traumatisme apte à provoquer ces expressions d’affect, alors tout cela nous pousse à cette solution que le malade se trouve dans un état psychique particulier, dans lequel le lien d’interdépendance n’englobe plus toutes les impression et les souvenirs et dans lequel un souvenir isolé a la possibilité d’exprimer son affect par des phénomènes corporels sans que le groupe des autres processus psychiques, le moi, en ait connaissance. » Cette théorie d’un clivage de la conscience est issue du Moyen-âge, note Freud. La psychanalyse se rangera pourtant de ce côté sans y mêler ni Dieu ni Diable. Charcot, lui, se garde de prendre le virage vers les pathologies de l’âme, dont il sait pourtant qu’elles ont été bien arpentées par les religieux. « [Il] traita l’hystérie comme un nouveau thème de la neuropathologie 10, fit la description complète de ses manifestations, y démontra l’existence de lois et de règles et apprit à connaître les symptômes qui rendent possibles le diagnostic d’hystérie ». Il procédait par des « recherches minutieuses » [portant sur] « la sensibilité, le comportement des organes des sens, les troubles trophiques et les modifications du métabolisme. On décrivit ses formes multiples », etc. 11. C’est le chercheur méthodique qui a fait le pas significatif. La démarche scientifique a légitimé l’hystérie, c’està-dire, en a fait un objet digne d’étude. Elle l’a retirée de l’environnement religieux, démoniaque et sexiste (pardon

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pour l’anachronisme) dans lequel elle était tenue depuis deux millénaires au moins, – même si depuis le 12 XVIIIe siècle d’autres médecins, notamment Briquet , le prédécesseur de Charcot, s’efforçaient d’en rendre raison. Freud écrit : « Le travail de Charcot restitua d’abord toute sa dignité à ce sujet ; on abandonna peu à peu l’habitude du sourire méprisant auquel la malade pouvait s’attendre à coup sûr ; celle-ci n’était plus par nécessité une simulatrice, puisque Charcot de toute son autorité répondait de l’authenticité et de l’objectivité des phénomènes hystériques » 13. Une description clinique soigneuse vaut légitimation, car elle fait exister comme unité un ensemble de phénomènes où l’on ne voyait ni ordre ni consistance. Un objet nouveau est apporté à l’investigation. Remarquons tout de même que l’autorité acquise joue un rôle dans la reconnaissance de ce nouvel objet. De quel type d’objet s’agit-il ? En médecine, le premier à avoir décrit une maladie avec une précision suffisante lui donne souvent son nom. Charcot avait isolé et décrit plusieurs maladies neurologiques, notamment la sclérose en plaques avec son ami Vulpian. La « sclérose amyotrophique unilatérale », qui frappe de nos jours le célèbre physicien Stephen Hawking, porte toujours le nom de maladie de Charcot. L’hystérie allait-elle devenir une seconde « maladie de Charcot » ? Histoire d’un échec qui mérite des précisions. L’hystérie ne sera pas non plus nommée « maladie de Freud ». Pourquoi ? Parce que la démarche a changé. Freud ne cherche plus à identifier des maladies, mais des types de fonctionnement psychique, et souligne qu’ils se manifestent par des phénomènes qui peuvent être pathologiques ou normaux. Le pathologique ne relève pas nécessairement d’une maladie !

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Avec Freud, nous allons passer au-delà de l’hystérie. C’est le psychisme avec toutes ses variantes qui fait et fera l’objet de l’investigation. Freud n’apporte pas à la science un objet particulier, mais un domaine nouveau. Il crée une nouvelle science. La physique n’est pas nommée science de Galilée, la chimie n’est pas la science de Lavoisier, et lorsqu’on dit « la psychanalyse de Freud », c’est qu’on met en doute le caractère scientifique de la psychanalyse. Que cette nouvelle science soit authentiquement scientifique, la question reste posée aujourd’hui et bien malin qui y apportera une réponse définitive. Quelque chose de la démarche reste (l’instant de voir et ses suites), quelque chose doit être abandonné : la mesure, l’échantillonnage, la prévisibilité des résultats. Le raisonnement de Freud sur l’apport de Charcot se poursuit en deux temps. Le premier concerne la question qui « se posait et se reposait toujours », celle de l’étiologie de l’hystérie. Le second est une remarque de méthode, elle est capitale. L’étiologie de l’hystérie, Charcot la voulait désespérément neurologique. Faute de découvrir la moindre lésion dans le système nerveux de ses hystériques décédées, il avait supposé une « lésion dynamique » ou « fonctionnelle ». Aujourd’hui, on parlerait probablement d’un « déficit » dans les neurotransmissions... Mais l’exigence clinique de Charcot l’a conduit plus loin. Freud arrive à Paris à l’automne 1885 et s’en va six mois plus tard. C’est le moment où Charcot, après quinze ans d’exploration des différents phénomènes physiques liés à l’hystérie, fait un « pas admirable [par lequel] il dépassa encore le niveau de son approche habituelle de l’hystérie ». Constatant que dans l’anamnèse des malades figuraient régulièrement des moments traumatiques et que les accès hystériques reproduisaient ou évoquaient ces

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situations, il prend une direction qui pour nous se rapproche du « psychique », celle du traumatisme et de la représentation. Sans renoncer à son étiologie neuro-dynamique, il accepte la proposition de Janet d’ouvrir dans son service un laboratoire de psychologie – non sans avoir intimé à ce psychologue avant la lettre l’ordre de faire ses études de médecine : nul n’entre à la Salpêtrière s’il n’est médecin – ou malade. Voici comment Freud décrit ce « pas admirable » qui ressemble à un recul. « En étudiant les paralysies hystériques qui surviennent après les traumatismes, il les reproduisit artificiellement » et « par une démonstration sans faille, il parvint à prouver que ces paralysies étaient le résultat de représentations 14* qui dominaient le cerveau dans des moments de disposition particulière. Ainsi était pour la première fois élucidé le mécanisme d’un phénomène hystérique, et c’est de ce morceau de recherche clinique d’une incomparable beauté que partit son propre élève Janet, que partirent Breuer et d’autres pour jeter les bases d’une théorie de la névrose qui coïncide avec la conception du Moyen-Âge, une fois remplacé le “démon” de l’imagination cléricale par une formule psychologique » 15. Notons au passage dans la notation de Freud le surgissement de la beauté, qui signale toujours l’imminence du désir... Freud ne précise pas que le moyen de produire cette « démonstration sans faille » était l’hypnose, très à la mode à l’époque et objet de nombreuses recherches. Charcot n’utilisait pas l’hypnose comme un instrument à produire des guérisons-minute comme beaucoup de ses contemporains (dont certains très sérieux). Il avait rapidement compris que les effets de l’hypnose allaient et * Souligné par l’auteur.

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venaient, puisque lors de ses Leçons, il provoquait luimême le transfert (c’était le terme utilisé à la Salpêtrière) des symptômes, notamment les hémianesthésies hystériques qui passaient d’un côté à l’autre du corps. L’hypnose était pour Charcot un moyen de reproduire expérimentalement les symptômes hystériques majeurs qu’il avait identifiés au cours de sa longue recherche, et de les faire varier : contractures, paralysies, insensibilités localisées, « zones hystérogènes » – deviendront-elles plus tard les « zones érogènes » de Freud ? Le Maître de la Salpêtrière supposait que seuls les hystériques étaient hypnotisables, ce caractère indiquant une particularité, sinon une anomalie, de leur système nerveux. Pourquoi ne semble-t-il pas avoir pensé à donner aux contractures l’ordre de disparaître ? Pourquoi n’a-t-il pas pensé que son pouvoir de médecin chef, son charisme, sa parole pouvaient jouer un rôle dans les déplacements de symptômes qu’il obtenait ? Mettons cela au compte de sa réserve : on le disait timide et la timidité se cache souvent sous des dehors autoritaires. Il y a aussi sa passion pour la médecine scientifique, il citait souvent Claude Bernard comme un de ses maîtres. Pour la médecine scientifique, une maladie suit son cours dans le corps du malade. Même s’il est connu et admis que le « moral » y joue un rôle, ce facteur n’est pas considéré comme scientifique 16. Il relève de l’éthique du médecin, de son humanité, de ce qui ne s’apprend pas à l’École. Avec la psychanalyse, c’est de tout autre chose que du « moral » qu’il va s’agir : du fonctionnement psychique. La question du « psychique » 17 pourtant se faisait jour à l’époque dans toute l’Europe, presque toujours en rapport avec celle de l’hypnose. Des congrès internationaux étaient organisés, on commençait à parler de « psychothérapie », c’est-à-dire de moyens non médicaux d’obtenir

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des résultats médicaux, notamment des rémissions de symptômes. Peut-être la grande controverse qui était en cours a-t-elle durci la position de Charcot ? En effet, dès l’époque du stage de Freud à Paris et pendant plusieurs années, une controverse défraya la chronique. Elle opposait au « grand Charcot » et à ses élèves (École de la Salpêtrière) une « Université de village », Nancy, 20 000 habitants à l’époque. Hyppolyte Bernheim, titulaire de la chaire de Clinique médicale et son entourage reprochaient violemment aux Parisiens de ne pas utiliser le « sommeil hypnotique » pour guérir les malades, sacrifiant ainsi la thérapeutique à leur pulsion d’investigation. À ces critiques d’ordre déontologique s’ajoutaient de puissants désaccords cliniques et théoriques. Nancy affirmait que le phénomène central n’était pas l’hypnose, mais la suggestion, l’hypnose n’étant qu’un épiphénomène qui pouvait se produire ou non. Et ils affirmaient, nombreux exemples cliniques à l’appui, que la suggestion guérissait 18. C’est qu’une tradition ignorée de Charcot (mais non de ses internes, semble-t-il !) s’était fait jour à Nancy : celle des « somnambules ». Elle était héritée du lointain Mesmer, qui lui-même n’avait fait que revêtir d’habits de Cour et de Lumières les pratiques ancestrales des magnétiseurs. Cette tradition s’était maintenue particulièrement dans les régions de l’Est, et spécialement dans les internats de médecine. Elle se réincarna à Nancy dans la personne de deux anciens internes des Hôpitaux de Strasbourg. Bernheim lui aussi venait de Strasbourg, l’Université ayant été évacuée sur Nancy lorsque l’Alsace-Lorraine devint prussienne en 1870. Installé dans un village pauvre de Lorraine, le « bon docteur Liébault » se désespérait de voir son cabinet vide, parce que les malades s’adressaient aux guérisseurs locaux, moins chers et plus familiers. Se souvenant soudain d’avoir vu pendant son internat à

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Strasbourg une hémorragie arrêtée instantanément par une simple injonction, il se décida à apposer devant sa porte cette plaque mémorable : Docteur Liébault Guérisseur Dès lors, le cabinet ne désemplit pas, au point que le bon docteur s’installe en ville, à Nancy, où lui vient l’idée d’appliquer sa méthode thérapeutique du « sommeil provoqué » à des groupes de 20 ou 30 malades, il affirme que le nombre renforce l’effet thérapeutique. Il enjoint à la troupe de « dormir » et chaque malade expose à son tour ce dont il se plaint. Le docteur répond à chacun, par exemple : « Demain à 7 heures 1/4, ce sera passé ! ». Naturellement, on en cause dans toute la ville, si bien qu’un beau jour, Madame Hyppolyte Bernheim ellemême se présente à la consultation car la sciatique dont elle souffre a résisté à tous les traitements. La sciatique disparaît et le Professeur, intrigué, demande à rencontrer le médecin-guérisseur – ce qui montre une indépendance d’esprit peu fréquente. Bientôt, il apprend le métier auprès de son collègue guérisseur. On retrouve toujours des enchaînements de faits semblables (notamment l’épouse guérie) au point de départ des médecines réputées miraculeuses. Mais nous sommes à la veille du XXe siècle et plus personne dans les sphères intellectuelles et bourgeoises ne peut croire au magnétisme. Il faut donc trouver une explication rationnelle. Bernheim doute de la nécessité du « sommeil provoqué » de Liébeault et assure que l’injonction suffit. Pour expliquer cette surprenante efficacité de la parole, son sens pratique et son ingéniosité lui inspirent ceci : la suggestion procède en « introduisant une idée dans le cerveau » du patient 19. C’est un phénomène

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universel, car toute idée ou toute parole entendue entraîne chez l’auditeur une adhésion spontanée, au moins dans un premier temps, et toute idée tend à se réaliser : « L’idée qu’on a des puces produit des démangeaisons ». Seules des réticences personnelles arrêtent cette docilité fondamentale : Bernheim a découvert la résistance. Il faudra longtemps et de nombreux détours pour qu’émerge une théorie du langage aussi judicieuse. Avec l’École de Nancy, même si le recours au « cerveau » reste inévitable (était-ce déjà une métaphore ?), on est plus près du psychisme que ne l’était Charcot. Freud lui-même, qui a eu connaissance par Breuer du cas « Anna O » 20, s’essaiera longuement à l’hypnose et à la suggestion dans sa pratique de médecin. Puis il y renoncera à cause du caractère aléatoire et instable des résultats, mais aussi pour des raisons d’éthique : il avait vu à Nancy des malades qui ne se laissaient pas guérir sur ordre se faire admonester : « Que faites-vous, vous vous contre-suggestionnez ! » Et de commenter : le malade avait certainement le droit de se défendre contre la pression exercée sur lui. En effet, trois ans après son séjour chez Charcot, Freud se rend à Nancy afin de se perfectionner dans la suggestion. Il n’y fera aucun progrès. Au contraire, Bernheim lui confiera rencontrer certaines limites : la suggestion réussit mieux avec les pauvres de l’hôpital qu’avec les riches patients qui lui viennent de toute l’Europe 21, plus cultivés et habitués à être obéis. Il n’en reste par moins que c’est à Nancy, Freud l’écrira plus tard, qu’il reçut « les plus fortes impressions relatives à la possibilité de puissants processus psychiques demeurés cependant cachés à la conscience des hommes » 22. À l’été 93, date de la mort de Charcot, six ans se sont écoulés depuis le séjour à Paris. Freud est en train

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d’abandonner l’hypnose, car il a trouvé autre chose : cédant à l’injonction de plusieurs patientes : « Taisezvous, laissez-moi parler », il s’est lancé dans l’exploration de ce qu’il appelle dès lors le psychisme. C’est peut-être pourquoi il ne mentionne pas la question épineuse de l’hypnose dans son hommage à Charcot. Et pourquoi il ne craint pas de conclure sur l’écroulement final du système élaboré à la Salpêtrière. Ce constat est introduit par un énoncé méthodologique capital : « mais la matière purement psychologique ne supportait pas le traitement exclusivement nosographique 23 qu’elle trouvait à l’École de la Salpêtrière ». Tel est le second temps du raisonnement dont le premier temps était l’invocation par Charcot du traumatisme et de la représentation obsédante (ce dernier terme est de Janet). Ce second pas est propre à Freud, et il est décisif : la catégorisation médicale des pathologies n’apporte pas grand chose à l’étude du fonctionnement psychique. Une autre méthode est nécessaire et il est en train de la trouver : c’est la psychanalyse. L’article nécrologique se conclut sur le caractère provisoire de toute connaissance scientifique : les thèses de Charcot seront rapidement « à ébranler et à corriger. [...] Il est inévitable que le progrès de notre science, en accroissant nos connaissances, dévalue en même temps bien des choses que Charcot nous a enseignées », etc. Nous constatons qu’en dépit des règles du genre nécrologie, mais conformément à l’ordinaire, se manifestent ici deux caractères du transfert, plus un. Premièrement, le transfert est toujours à la fois positif et négatif (ambivalence) : Freud loue son maître, le sert en traduisant en allemand une grande partie de ses écrits (ainsi d’ailleurs qu’un livre de Bernheim), et puis le dépasse et change de terrain. L’admiration justifiée reste,

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le transfert passionnel des débuts (« on sortait des leçons de Charcot comme de Notre-Dame ») est tombé. Notons qu’un autre transfert flambe à ce moment là : l’étrange Docteur Fliess est devenu le confident unique des trouvailles et des questions de Freud. Le mouvement de parole s’est inversé : Freud écoutait respectueusement Charcot, il l’écoutait penser. Maintenant, c’est lui qui pense et lui qui parle, mais pas sans un interlocuteur électif auquel il s’est passionnément attaché. Le transfert serait-il une condition de la créativité ? Nous le savons des artistes, puisqu’aucun ne le devient sans maître, au minimum en copiant leurs tableaux. Deuxième caractéristique : le moment transférentiel rend à peu près inextricables les relations entre lui et moi, entre le mien et le sien, au point que certains termes de l’un seront repris par l’autre, mais utilisés en des sens différents. Tel, on va le voir, le terme de transfert, probablement aussi les « zones », et cet œil clinique qui sait être patient mais s’adjoindra toujours plus l’oreille. Ainsi, dans le passage concernant la représentation traumatique, l’argument de Freud porte sur le savoir du patient (« il dit qu’il ne sait pas, mais se comporte comme s’il savait »), point qui n’attirait pas l’attention de Charcot. Le terme de résultat (« le symptôme est le résultat d’une représentation ») est également un déplacement de la pensée de Charcot, qui ne parlait que du traumatisme et de ses effets de répétition, – en quoi il était proche de l’agieren freudien : ce qui passe directement aux actes sans laisser d’espace pour la parole. Au moment où il écrit sa nécrologie, Freud est déjà dans son idée de fonctionnement psychique. Cette idée ne pouvait pas exister chez Charcot qui ne pensait que neurologie tout en ayant renoncé à la rejoindre directement. Deux ans plus tard, en 1895, Freud essaiera une dernière fois de mettre en parallèle le fonctionnement psychique

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avec le système nerveux. Dans le texte intitulé Esquisse d’une psychologie scientifique, il imagine une structure du système nerveux compatible avec son expérience clinique, principalement avec la résistance que le sujet oppose à sa propre mémoire inconsciente et avec l’insistance de la répétition. Il ne publiera pas ce texte, qui pourtant préfigure plus d’une découverte récente des neurosciences, et se consacrera désormais à l’exploration du fonctionnement psychique proprement dit au moyen de la méthode qu’il a inventée. Pourquoi cette réserve ? Il a écrit ce texte au retour d’une rencontre avec Fliess, dont il se détachera assez violemment peu après. Mais est-ce la seule raison ? Sans doute fallait-il décrire plus avant les faits psychiques avant de penser à leurs correspondants neurophysiologiques, et sans doute les moyens de l’époque ne permettaient-ils pas d’aller bien loin dans l’exploration du fonctionnement neurologique. Une troisième raison cependant paraît déterminante même si elle reste souterraine : c’est la raison éthique. Freud a compris que sa méthode implique, exige le respect de la dimension subjective et de sa dynamique évolutive. Il a découvert le sujet, un sujet qui ne se confond ni avec le moi conscient ni avec la « personne humaine », un sujet mû par des désirs inconscients qui sont des effets de son histoire singulière et sont sensibles à la parole. Il ne faudrait cependant pas déduire de cette abstention vis-à-vis de la dimension neurologique que Freud ait soutenu l’existence d’un psychisme sans rapport avec la physiologie. Ce qu’il affirme, au contraire, c’est que chacun des deux agit sur l’autre selon ses voies propres. Par conséquent, ils ne forment pas une unité. La réalité psychique n’est pas soluble dans le fonctionnement neurophysiologique ainsi que le postulait Charcot, comme le postulent aujourd’hui la plupart des neurosciences.

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Éternelle tentation du déni de la dimension psychique et de sa clé subjective. Troisièmement, point essentiel pour le travail analytique : le transfert peut (souvent) autoriser une personne à retrouver la voie perdue de son désir... Entrer dans l’influence d’un Autre pour ensuite s’en détacher et s’autoriser à voir ce que l’on voit, à le dire puis à le laisser s’élaborer, c’est-à-dire, à évoluer. Sans rechigner à en payer le prix. Charcot et le terrassier neurasthénique Voyons maintenant Charcot lui-même au travail, examinons-le d’autant plus près que ses Leçons si prisées de Freud et de tant d’autres élèves de médecine sont aujourd’hui presque introuvables 24. Dans son projet de présenter l’hystérie comme une authentique maladie, et non comme un travers de femmes insatisfaites et de dégénérés, Charcot présentait des hommes à sa clinique, insistant sur le fait que l’hystérie pouvait frapper des hommes vigoureux et virils, des pères de familles. Cela ne fut possible qu’à partir de l’ouverture d’une consultation externe, la polyclinique (1883), puisque la Salpêtrière était un hospice réservés aux femmes. Il s’agit d’une sciatique. Le malade se présente debout mais penché sur le côté, position qui indique une sciatique du côté opposé. Nous sommes dans une leçon, il s’agit d’enseigner la médecine aux élèves et singulièrement la démarche clinique : de quel genre de sciatique s’agit-il, demande Charcot ? Arthritique ou neurale ? Pendant qu’il raisonne, notons comment il présente cet homme : « un pauvre hère s’il en fut, dénué de tout ou peu s’en faut, et même d’intelligence ». Le malade en effet lui a confié qu’il avait essayé maintes fois

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d’apprendre à lire, à l’école, au régiment, il n’a jamais pu y parvenir. Ces détails ont certainement alerté le médecin et l’homme attentif qu’était Charcot. Il demande tout de suite au malade de se mettre nu, – il l’exigeait de tous ses malades, sans exception. Les riches qui venaient l’après-midi à son cabinet ne se montraient qu’à l’assistant, les pauvres de la clinique restaient sous le regard des nombreux auditeurs. « Notre salle est surchauffée, comme un atelier de peintre, nous pouvons examiner le malade à loisir sans commettre un acte d’inhumanité ». Il présente alors des dessins, vus de face et de dos, d’un homme présentant la même inclinaison et également victime de sciatique, et demande aux élèves s’ils voient une différence entre les dessins qui leur sont présentés et l’homme qu’ils ont devant les yeux. Que s’agit-il donc de remarquer ? « Cette déformation est bien remarquable, bien facile à saisir, elle saute aux yeux, elle a dû se présenter à moi bien des fois, car elle n’est point rare. Eh bien, messieurs, il arrive que je l’ai remarquée seulement il y a deux ans » [et elle n’avait guère été remarquée auparavant]. « Singulière faiblesse de nos facultés d’observation, qui fait que nous ne voyons pas les choses cependant parfaitement visibles sans le concours d’une adaptation particulière de notre esprit. » De telles remarques se retrouvent un grand nombre de fois dans ses Leçons. Freud n’a pas inventé le Charcot de l’instant de voir, pour reprendre le terme de Lacan. Il y a plus d’une ressemblance entre Lacan et Charcot, ne serait-ce que les cours ouverts à tous et non inscrits dans aucune formation académique : Charcot procédait de la même façon avant que lui soit attribuée la chaire de neurologie créée pour lui. Il n’était pas le seul à l’époque, l’enseignement de la médecine était devenu si académique

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que les médecins inventifs communiquaient par des cours privés qui étaient très suivis. Ce qu’il s’agit de remarquer, à la différence des images, c’est que chez l’homme le membre gauche est légèrement fléchi et que le talon se décolle du sol de plusieurs centimètres. Ceci à soi seul, dit Charcot, autorise un diagnostic différentiel de sciatique « neurale », et non arthritique. Il dit autre chose à propos de ce signe : « Une fois la chose bien vue, il est facile d’apprendre aux autres à la voir à leur tour. Mais le tout est de la voir une première fois ». On est porté à comparer avec les questions de transmission en psychanalyse... Une fois que l’on a fait l’expérience de l’inconscient, rien n’est plus pareil, mais est-il si facile de le « faire voir » à d’autres ? « L’adaptation particulière de notre esprit » dont parle Charcot est certes son entraînement à la clinique médicale, mais ses recherches particulières sur l’hystérie y ont leur part. Car mise à part la grande attaque hystérique avec convulsions et attitudes passionnelles, qui n’est que trop spectaculaire, les autres signes idiopathiques ont été difficiles à déceler et à mettre en évidence. Ce sont les stigmates (le terme ne vient-il pas des « recherches » de l’Inquisition sur les sorcières ?) : zones hystérogènes, c’est-à-dire susceptibles de déclencher la crise mais aussi parfois de l’arrêter, hémianesthésie, où les muscles d’un côté du corps sont comme endormis et la sensibilité éteinte, rétrécissement du champ visuel, anosmie, etc. On ne s’intéresse plus guère à ces signes distinctifs. Ils sont de nouveau laissés aux médecins quand ils attirent l’attention, et rendus aux neurologues dans les cas aigus... Mais revenons à notre malade.

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Après ses insuccès dans l’intellect, il a été employé dans un four à plâtre, travail pénible dans un lieu surchauffé, alors qu’il dormait dans une chambre « où l’eau suintait des murs ». Il était bien payé mais buvait presque toute sa paye. « On sait que l’alcoolisme prédispose à l’hystérie », rappelle Charcot, « sous l’influence de l’alcool [...] une modification profonde s’est produite sournoisement dans le système cérébrospinal ». La névralgie s’est déclarée au bout de quelques années de ce régime, il a été hospitalisé pendant plus d’un an et a perdu son emploi. Il en a trouvé un autre, comme... terrassier. Moins bien payé, il peinait à peine moins et les séquelles de la sciatique lui rendaient la tâche difficile. Un accident de travail est survenu : « en déchargeant un wagon de ballast, V. reçut un coup au front qui le renversa à terre et le laissa sans connaissance ». Plaie, fièvre, au bout de huit jours tout est en voie de guérison. Mais c’est alors que « son caractère change complètement et depuis, il n’a pas discontinué d’être sous le coup de cette prostration et de ce découragement profonds dont il porte la marque évidente sur son visage et son attitude, ainsi que vous n’aurez pas manqué de le remarquer ». Attitude « triste et abandonnée », insomnie, rêves terrifiants : « Je vois presque toutes les nuits une main qui m’étreint la gorge et qui m’étrangle ; alors je me réveille tout à coup, plein d’effroi, et je ne puis me rendormir. Ou bien, je suis entraîné vers un précipice où je tombe, toujours du côté gauche (celui de la sciatique). Avant mon accident, je ne rêvais jamais » 25. Pour Charcot, le diagnostic semble évident : neurasthénie. Mais son sens critique n’est jamais endormi, et il est informé que le malade a été « depuis 3 mois pris de syncopes ». De plus, la « neurasthénie », objecte-t-il, n’est pas apparue comme c’est le cas habituel à la suite d’un

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excès, ni face à un obstacle à franchir « comme de commencer une carrière libérale ou passer un examen ». Elle est survenue à la suite du traumatisme, d’un choc nerveux, ce qui suggère une hystérie. On va donc chercher les signes pathognomoniques, ainsi que cela se faisait à la Salpêtrière : On demande au sujet de serrer dans ses mains un dynamomètre. Celui-ci indique du côté droit une puissance très inférieure à ce qui serait attendu d’un homme de son métier : 20 au lieu de 80. Indice d’une hémianesthésie qui sera trouvée à l’avant de la jambe atteinte, alors que l’arrière est plutôt hyperesthésique. D’autres signes classiques sont mis en évidence : rétrécissement du champ visuel (mesuré et représenté sur un graphique), ainsi qu’une autre anomalie dans la perception des couleurs : l’un et l’autre font rarement défaut dans l’hystérie. Les syncopes sont-elles assimilables à une forme fruste d’attaque hystérique ? on a demandé au malade de les décrire : « Il lui semble que quelque chose remonte de l’aine gauche vers le ventre, puis vers la région du cœur où il éprouve des battements rapides, la région du cou enfin où il ressent comme un étranglement. Après quoi ses oreilles sonnent et sifflent, ses tempes battent, enfin la vue s’obscurcit (un autre malade dit : c’est comme si des flots de sang me montaient aux yeux) et il y a un instant d’inconscience » 26. Ce phénomène, qui se présente spontanément avec une fréquence croissante, présente donc les caractères de l’« aura hystérique », qui est la première phase de la crise. On a affaire à une « forme fruste » de l’hystérie. Dernier signe : l’aura peut-elle être suscitée à partir d’une région du corps ? Là encore, réponse positive : « par un frôlement ou une pression un peu vive d’un ovale de peau

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situé au-dessus de l’aine ». Il y a donc bien une « zone hystérogène ». Le diagnostic d’hystérie est ainsi établi. Reste à étudier les antécédents familiaux, qui répondront aux attentes. Ils sont présentés sur un « tableau de famille » 27 : un frère du père était « aliéné », le père et la mère sont morts de tuberculose, la sœur de la mère est épileptique, le frère du malade également, ainsi qu’une cousine germaine. Il s’agit donc bien d’une « famille névropathique », prédisposant à l’hystérie ou autres « névroses ». Névrose, à l’époque, veut dire maladie des nerfs. La présentation se termine par une discussion nosographique : l’hystérie et la neurasthénie peuvent s’associer ou se présenter isolées, toutes deux sont « des névroses que font apparaître vulgairement le choc nerveux ou le traumatisme ». Quelques auteurs ont voulu introduire une espèce morbide nouvelle sous le nom de « névrose traumatique générale », dont l’hystérie ne serait qu’une variété. Charcot s’oppose fermement à ce qu’on noie ainsi le poisson hystérique. Il soutient d’abord que tous les symptômes attribués à une telle entité se ramènent facilement à l’hystérie ou à la neurasthénie, associées ou isolées, et qu’il y a donc deux névroses traumatiques 28. Et de poursuivre ainsi : « Il n’existe pas de famille d’hystéries, l’hystérie est une et indivisible 29, c’est du moins mon humble avis ». Enfin, on a voulu proposer d’autres noms afin d’éviter les connotations fâcheuses de l’hystérie. Peine perdue, répond-il. Le mot est installé par l’usage et de plus, le terme ne signifie rien par lui-même (et surtout pas l’utérus), le mot « n’est qu’un symbole ». Cette leçon nous présente le personnage de Charcot médecin. Sa démarche est fine et rigoureuse, respectueuse dans une certaine mesure même si la relation médecin-

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malade a évolué depuis cent vingt-cinq ans. Son malade est vivant, observé avec bienveillance, situé dans sa vie et dans son histoire. Après l’observation, les signes les plus subtils s’organisent en un tout cohérent pour délinéer le tableau d’une hystérie. La problématique ne manque pas d’actualité : arthrose ou stigmate nerveux, trace sur le corps d’un événement marquant ? Car la question de l’organicité est plus que jamais présente aujourd’hui, forte de réponses nouvelles par le moyen des substances chimiques qui sont le support des communications entre neurones : dopamine, sérotonine, etc. Mais pourquoi la mise en évidence de mécanismes physiologiques sous-jacents devrait-elle supplanter la dimension psychique ? C’est à cette question que la thèse de Lacan, suivant laquelle le phénomène principal du psychisme n’est pas l’image mais le langage, apporte une réponse. Le langage, autrement dit, le fonctionnement symbolique de l’être humain, qui se tresse avec son imaginaire et avec le réel de son organisme. Le langage, c’est autre chose que les idées, c’est matériel : ce sont des ondes variées qui frappent des membranes avant de monter se faire traiter dans le cerveau qui n’est pas immatériel non plus. Remarquons que dans l’observation de notre plâtrier, la représentation-cause dont parle Freud, celle dont le symptôme hystérique serait le résultat, n’est pas identifiée. Charcot laisse toujours dans l’ombre les points subjectifs concrets sur lesquels la dimension psychique proprement dite pourrait se développer. Ce qui est mis en évidence est le terrain, la disposition particulière qui fait réagir d’une façon plutôt que d’une autre. On peut dire que la dimension psychologique est présente, mais non la dimension proprement subjective, laissée à la privacy. Ainsi va la démarche médicale, qui est aussi à sa façon une éthique.

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Charcot n’est pas un psy. Le fait qu’il n’ait pas inventé la psychanalyse ne peut pas être retenu contre lui. Avant d’en revenir à la question du transfert du malade sur Charcot, dont on a dit qu’elle était le ressort de son échec, et à d’autres points de vue transférentiels, venons-en au transfert tel que la psychanalyse l’a mis en évidence. Le transfert, en psychanalyse Nous l’avons vu, le terme de transfert était en usage à la Salpêtrière : il désignait la possibilité, découverte là, de transférer les symptômes d’un endroit du corps à un autre. Et l’on tenait que cette mobilité des symptômes organiques était caractéristique de l’hystérie. Il avait été démontré expérimentalement, par exemple, qu’une hémianesthésie disparaissait lorsqu’était administrée au malade une dose suffisante de chloroforme, ce qui n’est pas le cas avec une paralysie résultant d’une lésion nerveuse. Les transferts s’opéraient sous l’action des aimants, ou des métaux, ou de la « faradisation », préférentiellement sous hypnose au moment où Freud était présent. En état d’hypnose (réelle ou supposée ?) le déplacement du symptôme était induit par un geste, de préférence à la parole : une contracture du bras droit passait au bras gauche dès que ce dernier était frôlé, frappé, comprimé ou simplement désigné par l’expérimentateur. De même pour l’hémianesthésie : le corps de l’hystérique avait tendance à se diviser en deux parties dont l’une était comme anesthésiée... C’est avec son corps que l’hystérique dit sa division. L’abord était différent à Nancy, où l’on pratiquait la guérison par suggestion sans s’inquiéter de diagnostic. On en

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concluait que la production de symptômes et leur disparition n’étaient pas propres à un état nerveux spécifique qui serait l’hystérie. La suggestion, c’est-à-dire l’action médicale sans autre moyen que le geste et la parole, était reliée à la pensée et à la parole, le cerveau en étant le siège supposé, et non à un terrain particulier. Lorsque Bernheim reconnaît que les malades pauvres de l’hôpital se montrent plus sensibles à son action suggestive que les malades riches, capricieux et habitués à s’imposer, ne fournit-il pas à qui veut l’entendre une indication sur la nature du transfert ? Il n’est pas inutile de montrer sur cet exemple comment la recherche n’avance qu’à tâtons, et comment ces tâtonnements se traduisent par des débats dont la polémique avec ses excès n’est jamais absente. Les transferts n’y sont certainement pas pour rien. Est-ce de Paris que Freud a repris ce terme de transfert ? C’est possible, car pour lui le terme désigne originellement un déplacement : l’affect qui était primitivement lié à une représentation ne s’exprime plus qu’en liaison à une autre représentation. Le déplacement deviendra par la suite une loi générale du fonctionnement psychique, à cause du refoulement des représentations initiales qu’il faut toujours éviter mais dont on ne s’éloigne jamais. À cause du refoulement, l’affect n’est jamais lié à la représentation correspondante. Il perd aussi son caractère significatif, expressif, puisqu’il peut être remplacé par un passage à l’acte ou un symptôme. Retenons ce qui est essentiel : transfert signifie déplacement. Le phénomène du transfert n’a pas été découvert par la psychanalyse, mais elle seule l’a exploré dans toutes ses dimensions. Les magnétiseurs, les prêtres, les commerçants le connaissaient bien, les séducteurs et les escrocs aussi, comme une situation dans laquelle l’interlocuteur se prête à tous vos désirs. Pour les chefs, on l’appelle

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autorité. Mais c’est un usage différent qui en est fait en psychanalyse. Il ne s’agit pas de l’utiliser pour produire un effet souhaité, que ce soit par le patient ou par l’opérateur, mais de le laisser se déployer suivant sa propre logique. Ce déploiement produit des effets singuliers, et au bout du compte se révèle l’inverse de ce que croyaient les séducteurs : c’est un fantasme du sujet qui se projette sur l’opérateur, et celui-ci n’est apprécié qu’en tant que partenaire dont on espère l’accomplissement du fantasme. Le déploiement du transfert conduit à la découverte du fantasme – à condition que le psychanalyste ne joue pas le jeu suggéré par l’analysant, mais un autre : son rôle de psychanalyste. Le transfert mis en évidence par la psychanalyse se présente sous plusieurs aspects. Les plus connus, transfert positif et transfert négatif, ne sont que les plus visibles, il s’en faut que ce soit les plus opérants. Pour y comprendre quelque chose, mieux vaut y ajouter la définition synthétique de Lacan : le transfert est la mise en acte de l’inconscient 30. La situation de parole qui est propre à la psychanalyse conduit vers les fantasmes inconscients mais n’y parvient pas : ceux-ci se manifestent alors en acte, à travers des relations de l’analysant à l’analyste qui sont vécues comme des réalités et agies en conséquence. C’est en ce point facilement oublié que l’action de l’analyste est cruciale : parvenir (ou non !) à renvoyer ce réel à ses composantes symboliques et imaginaires qui sont cachées dans la mémoire du patient et affleurent dans sa vie sous forme de symptômes, actes et rencontres manqués, répétitions, etc. Transfert positif Une confiance s’établit, une « attente croyante » déjà signalée du temps de Charcot, qui trouve ce terme dans

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les recherches des Anglais sur les suites des accidents de chemin de fer, le railway spine. Il part de ce thème dans son dernier opuscule La foi qui guérit, où il s’agit de montrer que les soi-disant miracles ne sont pas plus miraculeux que bien d’autres phénomènes de guérison subite, selon lui attribuables à l’hystérie. Il souligne dans le mode de production des miracles, d’une part la dimension de l’attente : on ne se décide à faire le pèlerinage de Lourdes qu’après avoir tout essayé et traversé une sorte de désespoir, puis s’être longuement préparé et finalement consentir aux sacrifices de toutes sortes imposés par le voyage, – car il faut aller chercher le miracle, nul n’est prophète en son pays. D’autre part, l’accent est mis sur l’environnement symbolique de l’éventuelle guérison, à savoir, les nombreux rites qui doivent être accomplis avant d’arriver au lieu sacré où le miracle pourra se produire. Lorsque c’est le cas, il suscite aussi des obligations après, par exemple les ex-voto. Le miracle ne va pas sans contrepartie, il engage. Il en va toujours ainsi des guérisons subites, affirme Charcot, que le but du voyage soit la Vierge de Lourdes, ou le Grand Professeur de Paris. Mais il n’en conclut rien sur la relation entre le malade et le Grand Professeur, rien sur la vie intérieure du malade. Ce qui l’intéresse est d’ordonner le chaos : unifier le phénomène des guérisons subites en y reconnaissant les mêmes conduites, les mêmes états d’esprit, les mêmes conditions. La chose devient alors pensable, c’est le travail du clinicien. Freud, qui a laissé parler les malades, relie l’attente croyante non à un lieu sacré, mais à une personne qui l’est à peine moins : « l’Autre inoubliable que rien ne pourra jamais égaler » 31. Cet Autre est ordinairement incarné dans le personnage de la mère, celle qu’on a cru avoir ou celle qu’on aurait voulu avoir. Elle n’est plus là, elle n’est

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pas ce qu’elle devrait être, de toute façon elle est perdue, mais la nostalgie ne cessera jamais. D’où s’aperçoit immédiatement que l’attente croyante peut être négative. V. (le plâtrier) n’attendait plus rien de bon de la vie ni de personne. Il ne lui restait plus qu’à tomber malade d’une souffrance sans adresse, sans autre adresse possible que l’anonymat de l’hôpital où l’on renonce à se soutenir comme sujet pour s’abandonner aux mains de l’Autre. De là peut-être pourra revenir une attente positive, une confiance : le sujet pourra « se confier » et parler librement au médecin dont il espère ou croit espérer la guérison. Il est vrai que Freud découvre d’abord cette attente croyante chez les hystériques qui s’adressent à lui. Mais il ne tardera pas à identifier d’autres modalités transférentielles dans d’autres structures psychiques : par exemple, l’ambivalence domine chez l’obsessionnel, il vous fait confiance sans y croire, tout comme il ne peut pas opter pour un côté ou l’autre parce qu’il ne veut rien lâcher. Le psychotique, lui, s’effraie du chaos qu’il projette, mais s’attache au respect qui lui est signifié. Lacan mettra en évidence la dimension de savoir que le transfert suppose chez l’Autre, mais ce savoir s’avérera n’être autre que le savoir inconscient inscrit dans le sujet. L’accès à ce savoir passe par le déchiffrement du transfert dans la cure. Mais dans le transfert positif, il n’y a pas que l’espoir d’aller mieux. Magnétiseurs et autres hypnotiseurs avaient déjà remarqué que leurs « sujets » pouvaient, à leur demande, accomplir de véritables exploits : exploits sensoriels, sentir l’odeur d’une rose à cinquante mètres de distance alors que la distance moyenne est de un à deux mètres et que même Proust n’excédait pas quinze mètres. Exploits de guérison : une contracture vieille de plusieurs années et qu’on

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prenait pour une paralysie cède en une séance, parfois deux. Le marquis de Puységur, qui avait repris le flambeau de Mesmer, remarque que « son paysan » en savait long sur sa maladie, fixait lui-même les rendez-vous nécessaires et annonçait la date de sa guérison, qui survint à point nommé comme celles qu’annonçait le bon Dr Liébault à ses malades « endormis ». Les « sujets » en savaient long aussi sur leur magnétiseur, devançant ses moindres désirs. 32 Braid, un orthopédiste anglais du début du XIXe siècle qui fut le premier à vouloir donner à ces phénomènes une base physiologique, compare ces exploits des corps à ce qui se passe en cas d’émotions intenses, dans des phénomènes comme l’érection, où l’accélération de la circulation capillaire réussit l’impossible. Autant dire que ces phénomènes sont apparentés au désir. La psychanalyse comprend que c’est l’amour qui agit : « l’amour de transfert présente tous les caractères d’un amour véritable », écrit Freud. Et Lacan de préciser qu’il s’agit d’un amour passionnel. L’amour de transfert n’a que peu à voir avec l’idéalisation chrétienne. Il est fait de tension, d’émotion et de désir, d’attente croyante. Cet amour là ne vit que de miracles, il se situe aux extrêmes, hors de la réalité quotidienne. Tout en étant vécu comme plus réel que la réalité ordinaire. Que doivent les expérimentations de Charcot à la complaisance de ses hystériques ? Ils et elles donnaient à voir au public des Leçons ce que le Grand Médecin attendait d’eux et d’elles, transformant subrepticement la relation scientifique et thérapeutique en une complicité de rôles dont le public était le témoin. Elles donnaient raison au Professeur, « soutenant le Nom-du-Père », comme le dira Lacan, le soutenant de leur corps et en présence de tiers. On va aujourd’hui répétant qu’il n’y a plus d’hystériques

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comparables à celles de la Salpêtrière. Peut-être. Mais a-t-elle disparu, cette impression d’une maladie indéfiniment entretenue par une espèce de complicité entre malade et médecin, complicité qui triomphe de toute entreprise raisonnable ? Voyez les relations décrites par Michel Schneider entre Marilyn Monroe et son psychanalyste de Los Angeles, le Dr Ralph Greenson 33. Voyez les opérations obtenues contre toute logique dans ce qu’on appelait le syndrome de Münchhausen, et la passion de certaines petites filles pour les ciseaux, les aiguilles, la couture... Derrière l’espoir de guérir se profile la réalisation des vœux infantiles : se montrer à tout prix uni à l’Autre, l’avoir dans sa poche, dut-on en mourir. Certes, de telles mises en scène et en acte se produisent au détriment du désir propre, du moins en apparence. Il ne serait pas moins juste de dire que le désir peut élire cette voie : soutenir le désir de l’Autre, y être pris. Parfois, le désir ne peut s’exprimer que par ce biais. Parfois pour ne pas dire souvent, combien de femmes ne vivent que dans le désir de leur homme élu... À défaut d’une écoute adéquate, ajoutera Freud. Transfert négatif Le transfert peut aussi tourner à l’aigre, parfois dès la première rencontre. L’autre est porteur de tout le mal, il est mauvais, malveillant, il m’exploite et se moque de moi. Mauvais patron, mauvais président, mauvais analyste. Escroc, charlatan. Philosophe du mauvais, comme Spinoza ou Marx. À remarquer que pour ceux-là comme pour bien d’autres, la mauvaiseté attribuée au personnage subsiste alors même que par ailleurs on reprend les idées qu’il a émises. C’est ce que font pas mal de capitalistes aujourd’hui avec les idées de Marx et ce que fit tout le

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siècle avec les idées de Spinoza, le philosophe maudit. Les idées sont reprises et développées, quand ce n’est pas le système entier, mais de façon méconnaissable, déguisée et déniée. Il est hors de question de reconnaître sa paternité à l’auteur. C’est ce qui se passe aujourd’hui avec une grande partie des connaissances issues de la psychanalyse, tandis que Freud est à la fois tenu pour dépassé et attaqué de façon virulente. L’analyste doit accepter jusqu’à un certain point la formulation de ces griefs, parce qu’ils expriment quelque chose du sujet. Il doit aussi savoir les limiter à cause de l’angoisse qu’ils comportent. Car l’enjeu de l’analyse n’est pas que le patient « vous ait à la bonne » comme dit Lacan ; et qu’il « vous tienne à l’œil » (id.) n’est pas un problème. L’enjeu de l’analyse est que trouve place pour le sujet ce qui se dessine à travers les sentiments bons ou mauvais : la répétition d’un pan du passé, la mise en acte de l’inconscient. L’inconscient, ce sont des désirs qui habitent le corps mais ne peuvent s’exprimer que de façon détournée. Dans l’analyse, dont la règle est la parole, ils s’exprimeront sous forme langagière, mais aussi, de façon plus prégnante et plus sensible, par le type de relation que le patient entretient avec l’analyste et avec l’analyse. C’est cette relation qui est au cœur du transfert. Les formes premières de l’amour et de la haine, telles qu’elles se sont constituées dans les temps infantiles, sont revécues si je puis dire sur le dos du psychanalyste. Il appartient à ce dernier de trouver comment renvoyer au patient de quoi y retrouver les traces de sa propre histoire. Alors, l’intensité relationnelle tombe, le psychanalyste redevient un psychanalyste, et le sujet ainsi revenu dans ses chaussures, peut avancer dans sa vie. Parfois il en est reconnaissant à l’analyste, si le transfert est positif. S’il continue son XVIIe

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analyse, il comprendra que c’est lui qui a fait le travail, l’analyste ayant surtout montré qu’il était de taille à le supporter ! Car c’est à l’analyste qu’était imparti le rôle de l’Autre inoubliable. L’amour de transfert, c’est l’espérance de réaliser le désir avec cet Autre pour partenaire : non analysé, il ne conduit qu’à la répétition des premières embûches, – car les liens initiaux ne sont pas toujours réjouissants. Si l’analyste parvient à renvoyer l’acte à l’envoyeur de façon que celui-ci y retrouve des moments de son histoire où il a été ébranlé dans son corps et dans son esprit, il pourra éviter dans une certaine mesure que son existence ne soit tout entière absorbée par le même ratage. L’analyse met donc en évidence une division subjective inévitable, structurelle, qui se retrouve à chaque pas. Ici : ce que je ne peux pas dire ni ne veux savoir se reporte sur l’autre. Il me renverra – ou non – mes affaires de façon que je puisse m’en saisir. S’il n’y parvient pas, si cela ne se fait pas, il ne me reste qu’à trouver une place dans ce que je crois être son désir. Mais cette place ne sera pas sans rapport avec les désirs inconscients qui me mènent. Charcot et les transferts Retournons maintenant à Charcot et à ses malades. Il leur renvoie quelque chose, mais ce quelque chose n’est pas analytique. Il les décrit en proie à la maladie et les accepte comme malades, il n’interroge pas leur position subjective. Quant à sa propre position, elle paraît inébranlable : il est médecin chef. De son désir ne passe que la curiosité, ce voir à l’acuité exceptionnelle, et la volonté d’ordonner le chaos. Ce que Charcot renvoie à ses malades n’est pas négligeable. Ce n’est pas une pure exploitation du transfert

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comme on l’a dit trop vite. Il fait attention à eux, c’est déjà beaucoup, il les regarde, il voit quelque chose d’eux. Avec l’institution qu’il dirige, il s’efforce de les soigner. Eux acceptent, plus ou moins, ce rôle de malade. Parfois, ils guérissent, parfois ils s’améliorent, parfois ils restent malades, peut-être pour que le grand médecin continue à s’occuper d’eux. Il ne les embête pas avec la dimension psychique, dont souvent ils ne veulent rien savoir, et ce passage sous silence du transfert peut être apprécié. Pour que quelqu’un entame un travail d’élaboration psychique, d’autres conditions sont nécessaires. Il faut d’abord que la personne se sente entendue au-delà de ce qu’elle dit explicitement. Souvent, cela suffit pour entraîner une amélioration de son état. Sans doute l’attention de Charcot pouvait produire cet effet, il parle de guérisons subites inexpliquées. Les malades partent et l’on ne sait plus rien d’elles. Lorsque l’amélioration se produit, l’envie de continuer ne vient pas forcément. Elle dépend du caractère des patients, de ce qui a été entendu d’eux et probablement d’une alchimie qui se produit ou ne se produit pas entre les personnes. À la Salpêtrière, pour autant que nous le sachions, la parole restait sans suite. Mais que se passait-il dans les couloirs, entre les malades, avec les infirmières ? Aucun compte rendu de séance publique ne nous le dira. À la Salpêtrière comme aujourd’hui en médecine, les traitements étaient rationnels, physiques et médicamenteux, et progressifs : serrer tous les jours le dynamomètre que nous avons vu entre les mains de notre plâtrier-terrassier, cures d’hydrothérapie, bromures dont une certaine efficacité apaisante a été constatée. Il y a des progrès et tout le monde en est content : « Les gens veulent aller mieux, dit

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un praticien adepte des techniques de mieux être du corps, ils ne veulent pas aller bien ! » Charcot n’essaie pas à proprement parler d’éliminer le symptôme, comme s’il savait que le symptôme a sa raison d’être et que le supprimer brutalement peut entraîner un déséquilibre grave. Il témoigne d’une sorte d’éthique médicale : la guérison passe par le patient. « Je le pansai, Dieu le guérit », vieille tradition médicale. Il n’essaie pas non plus de débarrasser les patients de leurs problèmes, comme ferait un psychothérapeute. Il a le courage de reconnaître qu’il ne sait pas comment se produisent les guérisons qu’il constate parfois, notant toutefois qu’elles surviennent généralement à la suite de circonstances nouvelles accompagnées d’une grande émotion. Quand aux malades, touchés par l’intérêt qui leur est porté, ils « peuvent y aller » : la dimension inconsciente parle à travers leurs symptômes, qui ont ainsi trouvé sinon une adresse, du moins un cadre. Les grandes hystériques choisies pour leur aptitude à reproduire la « crise » s’embarquent avec lui, comme les anciennes « somnambules » avec leurs magnétiseurs et autres psychothérapeutes. Autant de formes du transfert sans espoir d’analyse. Charcot dans les transferts En revanche, il est clair que Charcot produit du transfert, qu’il y a un transfert à Charcot. Le personnage qui ressemblait à Bonaparte et qu’on appelait le Napoléon des névroses, son charisme dirait-on aujourd’hui, l’autoritarisme qu’on lui reprochait souvent, son extraordinaire célébrité, sa bibliothèque copiée de celle des Medicis (médecins) à Florence. Mais quel chef de service, quel grand médecin, quel médecin même trouve naturel que ses ordonnances soient discutées ? Il n’y a pas que les

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nécessités de fonctionnement du service. N’importe quel petit chef, personne jugée importante par quelques autres ou investie d’autorité suscite autour de lui une sorte d’aura, respect et animosité mêlés. « Le chef doit jouir d’une grande liberté libidinale », remarque Freud. Les vœux inconscients se projettent sur une telle personne, chacun lui prête les vices et les vertus dont il n’ose rêver pour soi-même, exagère ou conteste son autorité. Face à un chef, on n’est plus celui qu’on croyait être, parce que les démêlés avec les relations archaïques prennent le devant de la scène. Un tel transfert se repère encore aujourd’hui dans les ouvrages consacrés à Charcot, soit occupés à faire fonctionner la légende, soit à la déconstruire au prix le plus souvent d’une image dévitalisée. Les discussions sur ses apports ne se concluent jamais, on n’en finit pas de débattre sur Charcot. Sa place dans l’histoire de la médecine ne justifie pas ces arguties sans fin. Le nombre des personnes (700 !) réunies aujourd’hui sur son nom et celui de la Salpêtrière suffit à montrer que cette relation transférentielle subsiste. Pourquoi ? Ne serait-ce pas parce qu’avec l’hystérie, il a touché à ce à quoi on ne doit pas toucher, la dimension inconsciente avec sa charge sexuelle, et que, attrait supplémentaire, il semble s’y être brûlé les ailes ? Revient ici la « liberté libidinale » attribuée au chef, entre érotique et sacré. Jean-Martin Charcot meurt « seul » (en réalité, un ou deux de ses élèves étaient présents) dans un hôtel de Vézelay – ou Saint-Père-sous-Vézelay... Et certain roman mémorable lui prête une compagne cette nuit là, Blanche, la belle hystérique du tableau de Brouillet qui serait devenue par la suite assistante de Marie Curie 34. Charcot le clinicien scientifique est un héros romantique, il n’en manque pas dans les sciences.

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Enfin, dernier transfert : celui que Charcot opère luimême sur l’hystérie et les hystériques. La convulsion, le spasme, la sorcière parfois obscène, mais aussi le pauvre gars frappé dans sa force vitale, ne serait-ce pas pour lui aussi sa face cachée ? On ne sait pas grand-chose de sa personnalité, il ne se « confiait » pas. Son ami A. Daudet dit qu’il était timide sous son masque de médecin. Mais quelques indices témoignent de cette face cachée : outre son talent d’artiste (mais la plupart de ses dessins ont disparu), son activité incessante, son extraordinaire productivité, son goût du démoniaque, son hôtel particulier de style gothique, et pour finir, sa mort d’une crise cardiaque dans une chambre d’hôtel à Vézelay juste avant l’âge de la retraite... Il existe aussi une raison objective à cet intérêt pour l’œuvre de Charcot : il a ré-initié le débat ancestral sur l’âme et le corps. Le débat qu’il n’aura pas avec Freud, il en est pourtant l’initiateur : neurologique ou psychique ? Neurosciences ou psychanalyse ? Ce débat qui n’a jamais eu lieu reste d’une actualité brûlante, mais il ne trouve pas sa place car il est présenté comme une alternative. La « structure psychique hystérique » que Freud mettra en évidence et Lacan après lui épuise-t-elle la question de l’hystérie ? Comment se pose aujourd’hui la question du substrat neurologique ? Cette question reste pendante, dans la mesure où la position dominante reste : ou l’un, ou l’autre, ou la psychanalyse ou le médicament. Souvent, les pratiques conjuguent l’un et l’autre, ou bien ignorent l’un des deux, si bien qu’on n’a aucune idée de la façon dont ils pourraient s’articuler. Il faut tout de même rappeler que ni Freud ni Lacan ne renoncent à la matérialité, Freud avec sa notion d’inscription psychique, de traces mnésiques, qui doivent bien

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s’inscrire quelque part d’une façon ou d’une autre – mais où et comment ? – ainsi que ses schémas d’appareils, indiquant un mode de fonctionnement que la neurologie pourrait tester si elle acceptait de les prendre en considération. Lacan de son côté insiste sur le fait que le langage est lui aussi matériel : porté par la parole, il est matière et mouvement, ce sont des ondes, des glottes, des cordes vocales, des membranes qui vibrent, ce sont des zones cérébrales qui s’activent. Le langage lui-même est structure, évolutive, certes, mais structure quand même, et cette structure se reporte sur ce que nous appelons la réalité, qui est un découpage du réel par le langage. Enfin, troisième matérialité mise en jeu par la psychanalyse, et massivement : celle du corps, particulièrement le corps envisagé dans son investissement érotique, dans sa valence sexuelle, qui ne va certes pas sans que la physiologie y ait sa part – mais quelle est-elle ? À la fin de sa recherche, Freud s’interroge sur la vie (pulsions de vie/pulsion de mort) et Lacan fait de même en posant à propos de la vie et de la mort la question de la jouissance. La psychanalyse a pour seul moyen la parole, mais ce n’est pas une pratique intellectuelle. N’était le transfert presque toujours négatif qu’elle suscite, les connaissances qui en sont issues pourraient intéresser les neurologues, car il y a peu de chances que leurs méthodes les conduisent jusque là. Et les découvertes récentes des neurosciences 35 ne contredisent les thèses psychanalytiques que dans la mesure où elles prétendent supplanter la réalité psychique. Mais, pour paraphraser la question de Freud, la matière purement psychologique supporterait-elle un traitement purement scientifique ?

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1. « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée », in Écrits, Points, Seuil 1, pp. 194 à 211. 2. Freud, nécrologie de Charcot parue en novembre 93 dans la Wiener medizinische Wochenschrift (La semaine médicale de Vienne). In Résultats idées problèmes I, Paris : PUF, pp. 61-73. 3. Freud resta fiancé 4 ans à une jeune fille allemande, Martha Bernays, qui était d’une famille de grands rabbins et d’érudits. Chercheur brillant mais sans grand avenir universitaire, il n’avait pas de quoi subvenir aux besoins d’une famille. C’est seulement en s’installant comme médecin qu’il put épouser sa belle. Une autre carrière et une recherche autre s’entamaient. 4. Ce phénomène était repéré depuis longtemps sous d’autres noms. Au XIXe siècle, les descendants de Mesmer l’appelaient « le rapport » et y voyaient le moteur des guérisons dites miraculeuses. Dans son dernier article « La foi qui guérit », Charcot reprend de ses collègues anglais le terme de « faith-healing », la guérison par la foi. Mais il appartiendra à Freud, partant de ses découvertes en clinique psychanalytique, de nommer le phénomène transfert, d’en décrire les diverses formes, d’en expliquer le fonctionnement, de trouver les voies de sa résolution et d’en montrer le caractère universel, alors que Charcot le réservait aux structures hystériques. 5. Freud S., Trois Essais sur la théorie sexuelle, II, 1905. 6. Charcot était de petite taille, mais ses surnoms de « Napoléon de névroses » ou d’« Empereur de la Salpêtrière » n’étaient pas dus seulement à une certaine ressemblance physique. 7. En psychanalyse, « les phénomènes » incluent au premier chef la parole du patient et son rapport à la parole et au langage. 8. Voir par exemple, dans le Séminaire I, Les écrits techniques de Freud, chapitre VII, Seuil, pp. 90-91. 9. Op. cit., p. 69. 10. Je souligne. 11. Ibid., p 69. 12. Sur l’ensemble des travaux de Charcot et l’évolution de sa recherche, ne pas manquer le livre incontournable de M. Gauchet et G. Swain, Le vrai Charcot. Chemins imprévus de l’inconscient, Calmann-Lévy, 1997. 13. Ibid. 14. Je souligne. 15. Réf. Ibid., p. 72. 16. Les neuroleptiques et autres produits y ont-ils changé quelque chose ? Cela paraît évident mais je n’en suis pas sûre, voir la discussion sur la coexistence entre l’organique et le parlant, ou le physiologique et le psychique, pp. 182, 189, 202-203. 17. Le terme avait une connotation irrationnelle. Ainsi, le grand psychologue américain William James rédige en 1889 des « Expériences d’un psychiste » dans lesquelles il conte ses expériences de tables tournantes. On peut dire que jusqu’à Freud – au moins –, le domaine psychique est un champ de bataille où s’opposent partisans de la rationalité scientifique et amateurs de miracles.

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18. Dans son ouvrage de 1884, De la suggestion dans l’état hypnotique et dans l’état de veille, Bernheim popularise des contre-expériences qui ruinent les démonstrations de Charcot. Cf. J. Carroy, L’invention des « sujets ». Hypnose, suggestion et psychologie, PUF, 1991. 19. Hyppolyte Bernheim. De la Suggestion, Éditions Retz, 1972. Les ouvrages de Bernheim ont été réédités chez L’Harmattan entre 2000 et 2005. De la suggestion et de ses applications thérapeutiques (1884) avait lancé la polémique. 20. Le cas Anna O est conté dans les Études sur l’hystérie. Il s’agit de la patiente de Breuer qui s’était guérie de graves symptômes en racontant jour après jour à son médecin, en les revivant, les circonstances traumatiques qu’elle avait vécues auparavant. Le rapprochement entre ces circonstances et les symptômes devenait évident. Freud utilisait l’hypnose lorsque les souvenirs ne revenaient pas, lorsque les patients n’avaient « rien à dire ». S. Freud et J. Breuer, Études sur l’hystérie, 1895, PUF, 1956 et rééditions, pp. 15-35. 21. Des disciples de Bernheim se retrouveront au fondement de développement médicaux importants en Allemagne (Albert Moll, Varschow), en Autriche (Krafft-Ebbing), aux États-Unis (James Baldwin, Morton Prince), en Russie (Bechterew). En 1900, H. Bernheim était le plus grand psychothérapeute connu ; en 1910, il n’était plus rien. Il meurt en 1919. Pour se faire une idée concrète du personnage, consulter le site « la médecine à Nancy depuis 1872 ». 22. Sigmund Freud, Selbstdarstellung, 1925, Ma vie et la psychanalyse, Idées, NRF, pp. 23/24. 23. Je souligne. 24. J. Sédat a dirigé une « Bibliothèque des introuvables » rééditée par Tchou dans les années 1990, mais devenue également introuvable. J’y ai trouvé – entre autres – le malade exposé le 23 octobre 1888. Quelques Leçons du mardi sont également disponibles aux Éditions L’Harmattan. 25. Martin Charcot, Leçons à la Salpêtrière, Tchou : Bibliothèque des Introuvables, vol. 1, pp. 39-40. 26. Ibid., p. 45. 27. Ibid., p. 48. 28. Comparer cette problématique avec le Post-traumatic syndrome d’aujourd’hui. 29. Cette dernière formule, en italique dans le texte ! 30. Cette phrase revient maintes fois chez Lacan. Bien sûr dans le séminaire sur le Transfert (Sém. VIII, 1960-61) mais dans sa forme la plus achevée dans le séminaire XI « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse » (1964) : « le transfert est la mise en acte de la réalité de l’inconscient » [et] « la réalité de l’inconscient – vérité insoutenable – c’est la réalité sexuelle. » 31. S. Freud, Traitement psychique, 1890, in Résultats, idées, problèmes, PUF, vol. 1, p. 1 à 23, notamment pp. 9 et 11. 32. Lire à ce sujet notamment les ouvrages de Jacqueline Carroy, particulièrement L’invention des sujets, op. cit. et Nuits savantes. Une histoire des rêves, 1800-1945, Éditions de l’EHESS, 2012.

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Danièle Lévy

33. Schneider M. Marilyn, dernières séances, Éditions Grasset 2006. On y apprend aussi que Marilyn quand elle séjournait à New York avait une autre psychanalyste qui n’était autre que Marianne Kris. Dans la biographie consacrée à Anna Freud par Elisabeth Young-Brühl (trad. Française, Payot, 2006), on apprend aussi qu’à Londres elle a consulté plusieurs fois Anna et qu’elle a légué une partie de sa fortune à la Tavistock Clinic. 34. Peter Olov Enquist, Blanche et Marie, Arles, Actes Sud, 2005. 35. Cf. les ouvrages publiés depuis quelques années par F. Ansermet (psychanalyste) et P. Magistratti (neurologue) chez Odile Jacob : À chacun son cerveau. Psychanalyse et neurosciences et Les énigmes du plaisir et plus récemment : Arlette Pellé, Le cerveau et l’inconscient, Éditions Armand Colin, 2015.

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Les figures et les mots du réel Colette SOLER

Sous ce titre, les Figures et les mots du réel, je vais d’abord parler du théâtre de l’hystérie, car de fait l’hystérie est une structure clinique théâtrale, qui donne à voir, même quand c’est par le biais de la parole. Cependant, si on se demande ce qui définit son théâtre, puisqu’après tout le théâtre peut mettre en scène des chose très diverses, je crois qu’on ne peut répondre qu’en faisant un détour. Et ceci, parce que l’hystérie n’est pas seulement histrionique, elle est aussi hystorique, en écrivant histoire avec un y, comme le fait Lacan. Ce qu’elle a de commun avec l’histoire au sens banal, l’hystérie, c’est qu’elle raconte des histoires. Vous percevez l’équivoque de l’expression qui veut dire d’abord fabriquer du récit, de la fiction articulée, autrement dit de la chaîne signifiante. Mais l’expression raconter des histoires désigne aussi le côté peu fiable de ces histoires, nuance que l’on retrouve quand on dit à propos des turbulences hystériques « C’est du théâtre ». Pauvre

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Colette Soler

hystérique d’ailleurs qui voudrait tellement qu’on la prenne au sérieux. Heureusement Freud vint, non sans avoir été précédé par Charcot. Hystorique avec un y, ça indique aussi que c’est une structure qui fluctue selon l’histoire et, de fait, il n’y a pas une seule hystérie mais des hystéries, des figures multiples de l’hystérie. C’est logique. Structuralement, l’hystérie c’est un sujet, homme ou femme, couplé à un partenaire supporté par un signifiant maître, ce que nous écrivons S1. Dès lors, ses portraits varient en fonction de ce signifiant Maître et de ses évolutions historiques. L’hystérie de Socrate n’est pas celle du Moyen-Âge ou plus généralement celle des époques de régence de la religion. Cette dernière n’est pas non plus tout à fait ce que je vais appeler l’hystérie freudienne pour désigner celle dont Freud fut le partenaire. Chacune de ces hystéries interpelle un signifiant Maître distinct ; pour Socrate, le maître antique, pour les hystéries religieuses, rien moins que Dieu au-delà de ses prêtres, de l’inquisiteur au simple confesseur. Pour les hystéries de la Salpêtrière du temps de Charcot, si proches de celles de Freud, c’est le S1 du médecin des corps, pas des âmes, et déjà, de ce fait, Charcot n’a pas pu ignorer que le problème sexuel était sous-jacent. Freud s’en est tout juste distingué en sollicitant la parole hystérique à propos des symptômes de corps. Cette hystérie-là est couplée au S1 du sexe, supporté par l’Homme. Charcot l’a bien perçu qui s’imaginait en une célèbre formule que le remède pouvait être le pénis à répétition. Erreur flagrante certes, mais fulgurante intuition d’un homme qui sans doute n’était pas sans s’être senti questionné. Il est intéressant de mesurer le pas franchi par Freud. Ce n’est pas l’usage de la parole, Charcot aussi a utilisé la parole, mais celle des commandements de l’hypnose, comme on sait. Freud, levant ce commandement et sollicitant l’association

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libre de la parole hystérique, a pu recueillir autre chose. Il a réussi à produire une hystérie qu’il faut appeler je crois l’hystérie analysante, qui demeure et sans laquelle il n’y a pas d’analyse d’ailleurs. C’était un changement par rapport aux hystériques de Charcot. C’est au regard et non à l’écoute que celles-ci offraient leurs corps souffrants, elles furent une aubaine pour l’appareil photo, et c’est par lui qu’elles nous restent si présentes. Celles de Freud ne donnaient pas moins à voir, mais par leur discours et c’est ce qui a permis à Freud de recueillir le savoir sur le sexe que ce discours comportait. Je reviendrai sur leur mérite, mais le premier le plus évident des mérites de cette hystérie freudienne, ce fut de réintroduire par son récit la question sexuelle que la science en général et même celle des docteurs laissait de côté. Je dis par son récit et pas par ses symptômes de corps, bien que ce soit par ses manifestations corporelles si spectaculaires, si impressionnantes parfois, que l’hystérie a été identifiée, et Freud a eu d’abord affaire à ces phénomènes spectaculaires, dits de conversion. On le constate, leur côté spectaculaire a disparu pour l’essentiel, et justement parce qu’ils étaient des conversions. C’est la grand découverte du temps de Freud, une fois mise en mot, les conversions disparaissent. La formule générale de la conversion, donnée par Lacan, c’est « je parle avec mon corps », il faudrait dire plutôt, l’inconscient parle par le corps, « mystère du corps parlant ». Finalement, ce n’est pas le propre de l’hystérie, elle n’en est qu’une version particulière et accentuée. Ce qui compte donc, ce n’est pas tant son idiome corporel, que ce qu’elle met en scène dans cet idiome que Freud s’est employé à traduire pour en dégager, ce que j’appelle son récit ou son message, disons les histoires qu’elles ont racontées à Freud. Elles ont raconté à Freud l’histoire de l’amour pour le père, leur

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père, et sous cet amour, le rapport du désir à son désir d’homme. Mais, comme on le sait, nul n’échappant au destin que lui fait la structure de langage, les histoires d’amour finissent toujours mal, sauf dans les contes pour enfant. Alors en réalité, le théâtre des hystériques met en scène un autre théâtre qui n’est pas à proprement parler le leur, qui a une portée universelle, le théâtre des affaires d’amours, des amours sexuées. C’est un fait, et qui n’est pas dû à l’hystérie, les affaires d’amour, je ne parle pas des amours domestiques qui s’ajustent à l’économie de la maison, du foyer, je parle des vraies, celles auxquelles la littérature a fait un sort depuis l’origine de notre civilisation. Ces affaires là, s’exhibent sur une scène que ce soit celle du roman ou du théâtre, et sont clivées des liens sociaux ordinaires. Lacan le notait dans Télévision, les acteurs sont capables des plus hauts faits, ça va du plus bouffon jusqu’au plus noble, du théâtre de boulevard au théâtre tragique, du fait divers au fait d’éclat, comme je m’étais exprimé, peu importe les variantes, c’est une scène où se montre en image et en récit la fin annoncée, quasi programmée qui fait passer du « Tu es ma femme » de la parole instituante de l’amour, à la parole assassine du « Tué ma femme ». Ce théâtre-là, par son issue tragique, répercute ce qui n’est pas du théâtre, qui n’est ni symbolique ni imaginaire, à savoir un réel. Le réel du sexe tel que la psychanalyse l’a mis en évidence et qui est comme frappé de malédiction. C’est à ce théâtre que l’hystérie freudienne prête son corps, et pour dire que jamais le désir sexué ne peut satisfaire l’insatiable de l’amour qui d’ailleurs se fonde de cette impossibilité. Cependant, l’inconvénient du théâtre c’est qu’il ne fait pas plus que montrer. C’est beaucoup, mais le discours de l’hystérie vaut plus que son théâtre,

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c’est grâce à lui que Freud a pu produire ce que Lacan nommait une « subversion sexuelle », soit un savoir sur le réel du sexe que jusque là les semblants du discours masquaient. De ce réel, Lacan en a donné les formules frappantes, Ya pas de Rapport sexuel, Ya de l’Un, et rien d’autre que de l’Un tout seul. Cependant, je dis que c’est le réel de la psychanalyse, car c’est Freud qui l’a approché et introduit dès le départ. 1904. Freud, en mettant en évidence la « perversion polymorphe » qu’il découvrait chez l’enfant, mais qui s’avère être la perversion polymorphe non de l’enfant mais de la jouissance des parlants, Freud reconnaissait, sans le dire dans ces termes, que cette jouissance morcelée – à la fois morcelée et autoérotique, n’est pas liante, ne fait pas couple car elle n’a pas d’autre partenaire que l’objet dit partiel de la pulsion. Dès lors elle ne condescend que très difficilement au lien du désir ou de l’amour, et l’appariement des corps sexués dans l’acte devient un problème à éclairer. Freud le dit textuellement dans une note de 1915 des Trois essais. Ce savoir sur la structure d’une jouissance qui ne se situe que de l’objet a, savoir que Lacan écrit comme le produit du discours hystérique, fut construit par Freud, qui l’a déchiffré dans la parole de ses hystériques, et c’est autre chose que le théâtre de l’hystérie, et de beaucoup plus important. Les pulsions constituent la « réalité » sexuelle de l’inconscient, vérité insoutenable dit Lacan, et pourquoi insoutenable, sinon parce que cette réalité dite sexuelle n’est pas constituante du couple, n’apparie pas les corps sexués, préside à l’impossible du rapport. Du coup, tout ce qui s’exhibe sur la scène, je ne parle pas seulement de celle du théâtre mais de la scène de nos vies quotidiennes, tout ce qui se montre de la différence sexuelle n’est que semblant, images, symboles qui projettent les manifestations de ce que l’on nomme féminité ou virilité dans le registre

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comique de la mascarade et du paraître, d’un faire la femme et faire l’homme qui ne dit rien du réel du sexe. Et comment ignorer ce réel quand on sait qu’il n’est pas sans commander à la vérité, aux manifestations subjectives des parlants, à leur conduite, à leur pensée, à leur discours. Freud s’en est aperçu avec les enfants dont les théories sexuelles ne font que transposer les modes de jouissance polymorphe. Or ces forgeries du discours, faites pour palier au non rapport, changent avec les époques, celles des premières hystéries freudiennes ne sont plus les nôtres. C’était ce que l’on a appelé l’époque victorienne, les semblants du sexe étaient alors étroitement liés au couple de la famille patriarcale, que Freud a transposé avec son Œdipe et que Lacan a tenté de rationaliser par sa métaphore paternelle. Les « amoureuses » du temps de Freud ont donc interrogé l’homme par le biais du père, elles furent ainsi les meilleurs suppôts de la métaphore paternelle, toutes dévouées au soutien de son... désir d’homme et on comprend bien que faire désirer, satisfasse le vœu de l’amour, le vœu d’être l’agalma de l’autre. Autant dire que le théâtre de l’hystérie, n’est pas au même niveau que le savoir propre à son discours. Son savoir de la jouissance perverse polymorphe introduit la subversion sexuelle et dénonce, sans qu’elle le sache, l’absence du rapport sexuel. Son théâtre au contraire est celui du semblant de l’homme-père qui pourrait construire un couple de suppléance à cette absence du couple réel des corps. Quoi de mieux alors que la pantomime de la femme-femme, celle qui soutiendrait le désir de cet homme père, puisque le désir rapproche ce que la jouissance sépare. On saisit là, je crois ce qui nécessite l’hystrionisme de l’hystérie, son recours au théâtre. C’est que la cause du désir n’étant pas son objet, que cette cause n’ayant pas d’images et pas de

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signifiant, il ne reste alors pour mobiliser cette cause que l’on ne sait pas et que l’on ne commande pas, que le recours à l’imaginaire au « à tout hasard » de la pantomime des sexes. Et ça donne la grande comédie hystérique de la féminité, qui de nos jours encore fait croire que l’hystérie est femme par excellence. Sur la scène, oui, mais pas plus. Les mises en scène en sont variées, oscillant du triomphe à la douleur, selon que le sujet prête son corps à l’image de la femme idéale, ou selon qu’il désespère de s’y égaler. Alors cet amour pour le père, qui fait l’armature du sujet hystérique, selon Lacan, c’est une belle histoire d’amour, mais une histoire triste, où il s’avère que le désir et la castration vont main dans la main, et que donc faire désirer et châtrer sont des opérations voisines, sur lesquelles l’amour pour le père blessé s’enracine, tandis que dans tous les cas l’insatiable de l’amour entretient ces impasses. Souffrance de l’hystérie. Mais surtout, l’amour du père impuissant, fait clinique bien assuré, ne peut faire oublier qu’il n’y a pas de désir qui n’aille vers une jouissance et qu’au niveau de la relation des sexes, les corps, qui ne se rapprochent certes pas sans le désir, ne s’apparient vraiment que par un symptôme de jouissance. Dire symptôme, c’est dire jouissance réglée par l’inconscient, et le symptôme, lui, n’est pas un semblant, il convoque le réel du corps, pas sa pantomime. C’est là que l’hystérique dit « pouce ». Je traduit par cette expression « dire pouce » ce que Lacan appelait sa « grève du corps » ; Freud avait dit aversion primaire, aversion pour la chair, refus de prêter son corps à l’autre à titre de symptôme de jouissance. Là, c’est la sortie du théâtre. Éthique hors Sexe dit Lacan, Sexe avec une majuscule pour rappeler qu’il fut un temps où le sexe désignait les femmes, éthique qui fait prévaloir l’amour sur la

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jouissance sexuée, tout comme la philia grecque le faisait pour les amis. Cette exigence de l’amour ne peut que buter sur le droit à la jouissance qui prévaut désormais dans le discours. Où sont passées les hystériques d’antan ? Freud en leur donnant la parole leur a permis de se dispenser des spectaculaires conversions des époques précédentes. Mais après un siècle, la subversion de la jouissance perverse étant passée dans les mœurs, et la parité s’étendant jusqu’au droit de chacun à disposer à son gré de ses désirs, de ses jouissances, du choix du partenaire et aussi bien de son propre sexe indépendamment de l’anatomie, le Un de l’homme-père en place de signifiant Maître ne tient plus l’affiche. Sur la scène sociale, la logique du pas-tout triomphe, c’est une multiplicité de symptômes originaux de corps et de couples qui se montrent au gré des contingences. On peut s’attendre à ce que le théâtre y gagne en variété, d’ailleurs le théâtre de boulevard spécialisé dans la monomanie égrillarde n’est déjà plus. Du coup, on peut s’attendre à ce que les figures de l’hystérie qui se feront partenaires de tel ou tel type symptomatique se diversifient aussi, et c’est au point que l’on se demande déjà où elle est passée. D’autant que si l’hystérique se voue au désir insatisfait qui agalmatise, ça ne signifie pas qu’elle s’insurge contre les symptômes de jouissance. Bien loin de là, ils lui servent plutôt de boussole : son symptôme propre c’est de s’y intéresser au symptôme de l’autre, dit Lacan, sans majuscule à autre. Ainsi s’avère que la formule première dont Lacan a caractérisé l’hystérie, à savoir « qu’est-ce qu’une femme ? » n’était qu’une version restreinte, ajustée à l’époque de l’homme-père, de la formule plus générale de l’hystérie, Lacan l’a bien vu, « Qu’est-ce que le symptôme de jouissance de l’autre ? Et il y a tant

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d’autres aujourd’hui que ça promet beaucoup de nouveaux récits au théâtre et dans le roman. Il semble quand même, à partir de l’expérience analytique, que partout où il y a eu encore un symptôme Père, une version père du symptôme, les hystériques analysantes d’aujourd’hui, ne diffèrent guère de celles de Freud, sauf que désormais, en raison même du dispositif, pour raconter leurs histoires, elles jouent plus du récit que de la pantomime. Elles aussi, comme le cinéma, sont passées au parlant.

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L’hystérie : le temps de l’amour Christian PISANI

« Circulez, il n’y a rien à voir » dirait l’hystérique en appelant le regard qu’elle récuse, mais il est déjà trop tard, elle est attrapée autant qu’elle attrape, comme si elle tombait dans son propre piège. L’hystérique se montre en se cachant. Mais si elle est ailleurs que là où on la voit, c’est qu’elle est aussi d’un autre temps. La question n’est peut-être pas tant de savoir ce qu’est l’hystérie d’aujourd’hui comparée à l’hystérie d’hier ou d’avant-hier, mais de poser d’emblée que l’hystérie est toujours d’un autre temps, ou encore pour marquer l’ambiguïté, qu’elle est toujours l’Autre de son temps. Sa force est de le cacher, de le faire oublier. C’est bien ce qui permet de la retrouver paradoxalement au fait de son époque, assurée qu’elle est de ne pas en être, elle peut bien devenir ce que l’on veut qu’elle devienne. Je souhaite mettre l’accent sur la singularité temporelle de l’hystérie. Cette temporalité est sans doute ce qui a pu

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Christian Pisani

ouvrir le chemin de la temporalité de l’analyse comme telle, j’entends de la cure analytique. L’analyse comme l’hystérie viennent rappeler que le présent est une énigme, que l’actuel nous échappe. Cela bien sûr n’est pas nouveau. Augustin dans son argumentation serrée, l’avait déjà affirmé. Mais dans notre champ propre, celui de la cure et de la clinique de la névrose, nous retrouvons ce fait massif : le présent n’existe pas. Si nous pouvons supposer son éclat, nous ne pouvons l’inclure en pensée, sauf au titre d’une construction de pensée, d’une nomination du présent qui bute très vite sur un impensable. Penser le présent c’est le rater immanquablement. La clinique dans son ensemble peut être envisagée comme une « clinique du temps ». Chacun traite à sa façon la question du temps, cela pourrait être une définition du symptôme. Le symptôme serait alors une réponse à la question du temps. Cette question qui jamais ne se referme. Il ne peut donc y avoir que de mauvaises réponses, et c’est bien ce qui amènera Freud à reconnaître que le symptôme ne peut jamais disparaître complètement. Le temps de l’hystérie est le temps de l’amour Comment le sujet hystérique affronte-t-il l’incidence du temps ? Par l’amour. L’hystérique ne voudrait connaître du temps que celui de l’amour. Voilà sa réponse. Voilà comment elle traverse le temps. Si l’on se demande ce qui demeure au-delà des images protéiformes de l’hystérie, ce qui ne change pas, nous proposerions donc : le temps de l’amour. Plus largement, ce qui reste, c’est bien la manière dont l’hystérique compose avec le temps. Nous entendons

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L’HYSTÉRIE : LE TEMPS DE L’AMOUR

ainsi, la manière d’oublier la distension, selon la formule d’Augustin, l’écart, tout en s’appuyant sur sa présence continue, jamais en défaut. C’est une façon de traiter du désir : le désir nous anime mais nous passons notre temps à oublier son ressort. Le temps suppose l’écart, la faille. L’inadéquation est la règle : je ne suis jamais à « ma » place dans le temps, plus radicalement, si l’on prend au sérieux l’approche d’Heidegger, l’expression « dans le temps » est impropre. Nous devrions plutôt dire : « je n’ai d’autre place que celle du temps », place distendue et écartelée voire démembrée. L’écart en psychanalyse pourrait-être l’autre nom du désir. Et la spécificité de cet écart dans l’hystérie, son actualité vivante, celle du désir, nous pouvons la désigner comme l’amour. L’amour est l’objet du désir de l’hystérique. Ce qui spécifie l’hystérie, c’est le désir d’amour. Cette expression est à prendre au sens strict : il s’agit bien d’un désir au sens freudien, c’est-à-dire un désir d’abord et avant tout sexuel, à ceci près qu’ici, ce qui est sexuellement désiré c’est l’amour. S’il peut sembler curieux d’associer aussi directement désir et amour c’est pourtant ce qui, au fil de la pratique, nous paraît situer au plus près l’enjeu clinique de l’hystérie. Cette formulation est différente de ce qui est souvent désigné comme le préalable nécessaire de l’amour. Il est vrai que c’est une constante clinique et plus largement une constante de la vie amoureuse : l’hystérique ne désirerait pas sans amour. Oui, mais si nous en restons là, nous oublions qu’il y a une force érotique qui pousse à l’amour, qui cherche l’amour. Il y a du désir, toujours et encore, c’est le point de départ de la psychanalyse.

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Resituons alors la question du temps : le temps entendu maintenant comme actualité sans cesse reconduite du désir, sera donc le temps de l’amour. Voilà ce qui à la fois ne s’arrête pas et rythme la clinique de l’hystérie. La clinique de l’hystérie serait une clinique du temps orientée par ce désir d’amour. C’est par ce biais que l’on pourrait entendre les manifestation cliniques. C’est le fil conducteur qui nous permet de relier des éléments d’apparence disparate, qui peuvent tantôt s’apparenter à un trouble de l’humeur – euphorie ou abattement –, à une clinique dominée par la peur ou l’angoisse, à un débordement émotionnel susceptible de provoquer des comportements hors norme, dérangeants ou inquiétants, et bien sûr aux expressions corporelles de ce désir d’amour. Je voudrais pointer quelques aspects de cette temporalité amoureuse dans la clinique la plus quotidienne. Il arrive souvent que la demande d’analyse soit d’emblée associée à une souffrance d’amour. La perte de l’être aimé, la séparation ou le sentiment de ne plus occuper la première place : la première place dans l’amour de l’autre. Disons que l’amour est d’emblée en question, l’amour est d’emblée la question. C’est bien cela qui a permis la naissance de l’analyse : la rencontre entre une attente de savoir et d’élucidation chez Freud et l’attente sans cesse reconduite de l’amour. Le transfert y trouve bien sûr son fondement. La cure analytique permet d’aimer, elle permet aussi de parler d’amour. Pour autant, cet amour de transfert a sa particularité, « nouvel amour » selon Lacan, c’est en tout cas un amour qui met précisément au premier plan le registre temporel de l’amour. L’articulation entre la répétition, première version freudienne du transfert, et la possibilité du nouveau est au cœur de l’interrogation.

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L’HYSTÉRIE : LE TEMPS DE L’AMOUR

Temps/Parole/Amour, sont au principe de l’hystérie. L’analyse est le lieu où le désir d’amour de l’hystérie peut se déployer en parole. Notes sur la temporalité amoureuse de l’hystérie L’hystérique est celle qui attend l’amour. Voilà sans doute sa modalité temporelle essentielle. Il ne s’agit pas ici de l’attente qui reporte au lendemain le moment d’agir, de passer à l’action, comme chez l’obsessionnel pour qui l’exercice continu de la pensée nourrit l’attente et permet d’affronter le hiatus du temps. Il ne s’agit pas de la pensée qui se substitue à l’acte. Nous pourrions presque dire qu’il s’agit dans l’hystérie d’une attente en acte, c’est-à-dire d’une attente qui essaie de se jouer au présent. C’est une attente vibrante et émotionnelle, une attente qui module le lien à l’autre et donne en quelque sorte le tempo de l’échange. La clinique de l’attente est une constante de l’hystérie, elle est indissociable de l’insatisfaction qui est au cœur du désir comme Lacan l’a formalisé. Je voudrais insister sur l’incidence temporelle qui va avec cette insatisfaction. L’attente suppose une anticipation qui se trouve être en l’occurrence une anticipation conjointe de la rencontre et de la chute. Rencontre précisément d’un amour, au titre de cette présence continue de l’amour comme moteur. L’hystérique vit avec cet amour qu’elle anticipe psychiquement. Cet amour ne cesse donc pas d’être à la fois actuel et inactuel, il est le vecteur temporel de l’hystérie si l’on prend soin de rappeler que cette vectorisation est d’un registre particulier qui ne se laisse pas appréhender sous le registre de la succession temporelle commune.

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Chute parce qu’elle attend aussi la chute de celui ou celle qui est investi, chute de la puissance supposée de l’Autre. Nous touchons là à l’articulation entre le registre phallique et l’amour. Cette articulation est cruciale dans l’hystérie mais elle ne sature pas la question de l’amour. La chute est le pendant de l’attente, elle est la garantie de la relance du désir d’amour. Recherche de l’amour et attente de la chute sont au principe du rythme qui scande le mouvement hystérique. Ce balancement continu peut prendre un caractère obsédant et le doute peut se manifester au titre de l’interrogation sur l’amour : « M’aime-t-il vraiment ? » « Est-ce moi qu’il aime ou mon corps ? » « Qu’est-ce qu’il aime en moi ? Et puis aussi : « Est-ce que je l’aime ou est-ce seulement parce que je veux l’aimer, plus radicalement parce que je veux aimer ? » L’hystérie est bien une névrose en mouvement continu, c’est ce qui la rend si difficile et en même temps si vivante, elle ne cesse de se déplacer sur ce fil temporel rythmé par l’amour et le désamour. La temporalité oscille d’une figure amoureuse à l’autre. Rimbaud l’a condensé : « Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, – le nouvel amour 1 ! » Il y a des moments de frein et d’accélération, mais l’amour est toujours à la fois origine et horizon. L’hystérique est appendue à l’amour, son temps est celui, suspendu, et dépendant de la perception de l’amour. C’est bien ce qui donne cette propension à la tristesse, vite qualifiée de dépression, car le creux de l’amour laisse le sujet sans allant et le rythme se ralentit. Mais il s’agit d’une clinique de la temporalité amoureuse avant tout et non d’une maladie dépressive, d’où ces parcours de plus en plus nombreux où l’hystérique, parfois si changeante

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dans son humeur, sera tantôt dépressive, tantôt bipolaire, quitte à construire pour l’occasion « des cycles rapides », qui ne sont que des cycles amoureux. Nous pourrions en sourire si le sujet n’en payait le prix fort, celui d’un assujettissement aliénant à une désignation, qui l’enferme sans jamais bien sûr faire taire la question, mais en compromettant, parfois de façon irréversible, la possibilité d’ouverture et de création. L’amour exige le commencement absolu Être la première ou le premier dans ce que l’autre non seulement éprouve mais a éprouvé et éprouvera. Cette insistance si connue en littérature et dans la vie quotidienne, sur l’avant et l’après de l’amour, est bien du registre de la distension augustinienne, de ce présent impossible, sauf à le désigner comme triple présent, présent du passé, présent de l’avenir, et du coup bien sûr un présent/présent qui s’échappe en permanence. C’est bien d’ailleurs de cette impossible permanence dont il s’agit sauf à en faire celle précisément de l’impossible. Les formulations de Lacan sur le réel qui revient toujours à la même place, précisément celle de l’impossible, pourraient faire écho ici à ce présent impossible. L’angoisse est liée à cette proximité avec l’impossible du présent, ou encore pour rejoindre la question du possible qui est au cœur de l’angoisse, nous pourrions dire : l’angoisse resserre au moment où s’ouvre le possible, soit le moment où une attente, un futur, est en passe de devenir présent. Si nous approchons d’un présent trop présent, c’est le corps qui prend le pas, le corps de l’angoisse. Je pense à cette patiente qui pouvait dire qu’à certains moments « elle se sentait vivante », elle avait la perception de son corps, de ses membres. Cela devenait

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rapidement intolérable. C’était trop, trop de présence précisément, tout se resserre alors, le souffle manque, et c’est l’angoisse. Bien différent de l’anxiété d’attente et d’anticipation que Freud a si bien décrit dans son texte sur la névrose d’angoisse qualifiée de névrose actuelle 2. Névrose actuelle mais assurément pas névrose du présent au sens où je viens de l’évoquer dans sa connotation d’angoisse. Soulignons ici la différence avec la névrose en général et de l’hystérie en particulier, que nous pourrions qualifier de « temporo-névrose ». L’hystérie est ailleurs que dans l’actuel, elle est dans la tension temporelle constante, aiguisée. Freud l’a martelé en nous disant qu’elle souffre du passé, qu’elle souffre de réminiscences. Maladie du souvenir, maladie du retour, mais j’ajouterai indissociablement, maladie de l’avenir. L’hystérie combine, comme nous tous, mais sur un mode qui lui est propre, la rétroaction et l’anticipation. C’est bien sûr ici de la fonction du trauma qu’il s’agit. Nous retrouvons la question de l’actualité de l’hystérie. L’hystérie n’est pas une névrose actuelle, c’est pourquoi elle ne se démode pas. Mais revenons à l’amour. L’hystérique ne veut pas seulement aimer et être aimée, elle veut plus, elle veut l’absolu de l’amour, que nous posons aujourd’hui sous sa modalité temporelle, celle de l’éternité. Car ce souci, qui peut confiner à l’obsession ou au harcèlement, sur l’absolu commencement et l’unicité de l’amour est bien celui d’un amour hors du temps, d’un amour pour reprendre une formulation heideggerienne « toujours déjà là », un amour qui ne peut trouver sa portée véritable que s’il abolit la contrainte du passé et de l’avenir. L’amour fait irruption comme un moment, une trouvaille, une rencontre inaugurale, il semble s’affranchir du passé même si nous savons qu’il va avec la répétition, mais ce n’est pas contradictoire.

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La répétition est une manière de s’affranchir du passé puisqu’elle peut être vue comme une forme d’éternisation. À ce titre, l’amour est bien toujours le premier amour, nous pourrions d’ailleurs pousser plus loin et avancer que le ressort de l’amour est bien du côté du temps, entendu comme cette référence au premier. Ce qui est singulier dans ce temps de l’amour dans l’hystérie est cette contradiction sans cesse renouvelée entre l’attente d’un amour de toujours et pour toujours et la nécessité de rappels continus de cet amour, tant dans les manifestations actualisées ou réactualisées que dans la nécessaire rivalité avec l’autre. Car la notion de préférence est toujours présente, autrement dit la référence à autre chose qu’à l’absolu de l’amour. La seule évocation de la durée contrevient à l’éclat inaugural de l’amour. Il faudrait imaginer un éclat sans cesse renouvelé, un éclat qui ne dure pas et se reconduit sans cesse, mais la pensée de ce qui peut durer s’insinue bien vite et gâte ce moment hors temps. Le temps de l’amour : « expression corporelle » Le temps de l’amour dans l’hystérie est aussi celui de la présence du corps. Il nous faut pour cela partir de la demande d’analyse : souffrir moins, du symptôme bien sûr, donc du temps qui s’inscrit, souvent dans le corps. Il ne s’agit pas seulement ici de la vieillesse, il s’agit de la conversion comme ce qui peut installer un repère dans le temps. Ce qui pour Freud relève d’une satisfaction érotique est aussi dans le même mouvement une inscription temporelle. Cette douleur musculaire insistante et inexpliquée, qui revient souvent à la même place, est aussi un jalon, un point d’identité, douloureux et familier, le sujet la

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retrouve. Nous pourrions dire aussi qu’il s’y retrouve, comme si une part de lui-même à la fois ignorée et affichée avait élu domicile en un lieu repérable. Comme si, dans le symptôme de conversion, le temps, toujours mobile et insituable, le temps qui finalement n’est que battement, comme l’inconscient, trouvait un lieu, une forme d’ancrage. Le corps dans l’hystérie ne cesse pas d’actualiser le conflit, il est au sens strict, un corps de paroles. La cure analytique fourmille d’exemples : souvent le sujet ouvre la séance en parlant avec son corps. À peine occupe-t-il la place sur le divan, qu’un moment de tension est perceptible, un moment qui précède toute parole mais où le corps s’exprime, pour chacun de façon différente : mouvement particulier des mains, rougeur, fixité du corps, autant de manifestations qui ouvrent la séance et se modulent ensuite, s’assouplissent et s’apaisent avec l’ouverture de la parole. Ce mouvement régulièrement observé nous montre à quel point le corps de l’hystérique est un corps de parole. Ce temps, bien sûr, est indissociable de l’amour de transfert, de l’amour tout court. Il est le rappel incarné, vivant, de la présence continue de l’amour que nous évoquions. Au-delà de la conversion proprement dite du symptôme, il y a cette plasticité qui donne à la présence du corps de l’autre, force de parole. Le désir d’amour dans l’hystérie est à relier en premier lieu à l’érotisation non seulement du corps mais du lien à l’autre, de la parole, du comportement. Singulièrement, cette érotisation généralisée s’accompagne régulièrement d’un évitement, d’un dégoût voire d’une anesthésie du champ de la génitalité. Cette érotisation, nous pouvons la qualifier selon l’orientation de Lacan, de « phallicisation ».

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Le temps de l’amour dans l’hystérie est indissociable de cette configuration particulière : l’amour sera particulièrement investi, c’est-à-dire érotisé, sexualisé, dans la mesure même où il peut participer du rejet puissant de la génitalité. Le désir d’amour est d’abord une « phallicisation » de l’amour. Nous sommes au cœur de l’ambiguïté foncière de l’hystérie : elle désexualise en sexualisant, elle met l’amour en avant, elle érige l’amour supposé à distance de la sexualité en lui donnant une place éminemment sexuelle. Ce mouvement désirant est nécessairement associé au fantasme, et le fantasme amoureux, comme le souligne Gérard Pommier dans son ouvrage Que veut dire faire l’amour 3 occupe une place toute particulière. L’écart, parfois le grand écart, souligné entre l’amour et le désir tiendrait en fait à une parenté foncière. Le désir adossé au fantasme cherche son actualisation, disons qu’il cherche son présent, lui qui est indissociable de l’empreinte et de la trace. Dans l’hystérie, cette actualisation est celle de l’érotisation sans cesse renouvelée, ce n’est plus une présence mais une omniprésence érotique, phallique. À ceci près qu’elle se refuse comme telle, ce qu’elle veut c’est l’amour. Ce qui est masqué, tout en étant toujours là, c’est l’incidence majeure du fantasme. Le désir d’amour, comme tout désir, ne va pas sans fantasme et le fantasme d’amour n’est pas que la bluette où le prince charmant viendra réveiller la belle endormie, même si à bien y regarder, cette bluette apparente peut sentir le soufre.

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Traits symboliques, imaginaires et réels de l’amour formulés sous l’angle temporel Temps symbolique de l’amour Le temps de l’inscription, l’amour de la trace et la transmission, seraient du ressort symbolique. C’est le temps du souvenir et de la remémoration, de l’oubli en acte et du refoulement qui trouve son actualité dans le retour du refoulé. C’est l’amour épinglé : je suis attrapé par ce que je perçois de ma « propre » inscription symbolique chez l’autre. Nous pourrions dire par les traces de l’Autre symbolique, toujours déjà là, dans la rencontre de cet autre aimé. Temps de télescopage entre le nom et l’image pour le dire de façon caricaturale. Le nom est ici ce qui vient marquer la désignation, la présence fixée par la place symbolique, celle des coordonnées qui me situent dans l’histoire et la génération, mais aussi et surtout me situent dans ces petites marques, souvent inaperçues de ma singularité symbolique. Ce qui de l’Autre symbolique s’inscrit dans les détails. C’est la présence de ce détail chez l’Autre aimé, ou plus rigoureusement ce en quoi la présence de l’Autre aimé vient manifester ce détail, même s’il ne se situe pas « chez » elle, simplement il se manifeste, sans d’ailleurs que je le perçoive autrement que par le biais précisément du sentiment amoureux. Je serai donc d’autant plus dans le présent de l’amour que ce présent sera la manifestation d’un drôle de passé, d’un passé toujours présent en quelque sorte ou encore d’un passé qui assure la continuité de ma présence symbolique. Je pense à une analysante qui ne cesse d’interroger ce qu’elle éprouve au regard de ce que sa mère a pu éprouver pour son père. Elle se débat avec cet ancrage qu’elle appelle

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et repousse dans le même temps. S’étonnant d’être avec un homme qui n’a aucun des critères qu’elle pense être les siens dans le choix d’un homme. Il n’a rien de ce qui lui plaît mais beaucoup de son père, ce qui la ramène à sa mère, ce qui est inacceptable. Elle tente de faire tenir tout en même temps : le père crucial, d’autant plus qu’il est dénigré par la mère, la mère qu’elle ne peut que retrouver tout en cherchant à ne pas lui ressembler, et la possibilité d’un amour qui ne se réduise pas à la duplication. Quand elle doute de son amour, quand elle se demande si elle ne se trompe pas sur ce qu’elle éprouve, qu’elle essaie de faire la part de ce qui lui appartient et ce qui lui vient de l’autre, elle est en fait entre deux temporalités. Est-elle arrimée au présent ou au passé, à cet homme ou à ce qu’il marque de la présence de l’Autre symbolique ? Question bien sûr sans réponse qui ne fait que reconduire le hiatus de l’un à l’Autre, qui est aussi le hiatus du temps. L’hystérique est dans cet entre-deux, entre deux-temps, voilà ce qui finalement la situe le mieux. Le temps de l’hystérie, ce temps de l’amour, est au plus près du temps comme tel, c’est-à-dire du temps insituable autrement que dans l’écart même. Ce qu’elle aime finalement, c’est précisément cet entre-deux. Cliniquement, cela est perceptible. Le plus souvent, ce qui l’occupe n’est pas une personne ou une autre, mais l’entre-deux personnes, le lien, ce qui se passe entre elles, ce qui est éprouvé, non seulement par l’un et l’autre mais aussi ce qui serait l’éprouvé de l’entre deux. C’est particulièrement observable dans les rêves. L’entre-deux sexes est bien sûr au premier plan, entre homme et femme, sans jamais pouvoir se situer véritablement. Ce qui sépare et rapproche, sans jamais se refermer sur l’un ou l’autre, focalise l’intérêt, c’est même à cet endroit, pourtant si malaisé à cerner, que l’hystérique se tient.

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C’est là qu’elle occupe le terrain, qu’elle s’identifie pour reprendre la position freudienne. L’hystérie est cruciale pour situer la temporalité dans la mesure où elle cherche sa place dans l’entre-deux. Temps imaginaire de l’amour Le temps imaginaire de l’amour est au premier plan dans l’hystérie. Il est ce temps de circulation et d’arrêt sur images, ce temps de ravissement narcissique où la temporalité semble être celle, suspendue, de l’accord parfait. C’est à la fois le temps à l’horizon, celui de l’attente que nous évoquions, celui de la rêverie et celui qui ne cesse de s’actualiser dans la vie relationnelle. Qu’il y ait ou non de partenaire, il se déploie dans l’échange le plus quotidien. Il s’agit de la circulation permanente de l’image, si aliénante et épuisante chez l’hystérique. Récemment, une analysante faisait ce constat qu’elle passait son temps à se demander quelle image elle renvoyait aux autres, à se comparer avec l’image qu’elle se fait des autres mais aussi à ce que l’autre pense d’un troisième, par rapport à elle, dans un mouvement de fuite permanente. Elle ne cesse de faire jouer les places imaginaires les unes au regard des autres. La trouve-t-on amusante et lui fait-on remarquer qu’elle met de l’ambiance, elle est contente mais aussitôt contrariée à l’idée qu’elle est méprisée. On ne la prend pas au sérieux, elle manque de « consistance », comme elle dit. La trouve-t-on solide, capable de supporter la solitude et traverser les épreuves du deuil et de la séparation, elle se sent flattée mais aussitôt contrariée à l’idée que l’autre ne perçoit pas sa fragilité, sa sensibilité, ne mesure pas sa souffrance. Très vite alors se met en place comme une rivalité dans l’échelle de la souffrance et du deuil : qui souffre le plus ?

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Au fond, elle est en permanence à la recherche d’une définition d’elle-même dans le regard de l’autre. Chez elle, l’amour narcissique domine et occupe la place, il faut d’ailleurs l’entendre, non seulement comme l’amour de l’image idéalisée d’elle-même, mais amour d’une définition. Comme l’on parle de définition d’image, dès qu’elle perçoit chez l’autre, transitoirement bien sûr, une stabilité relative possible de son image, elle s’y attache. Pas seulement au titre d’une belle et bonne image mais d’une image qui tienne, un moment. La modalité temporelle dominante de cet amour imaginaire serait celle désignée par Freud comme réminiscence. Qu’est-ce que qui se passe dans l’hystérie ? Ou encore quel est le statut de ce qui revient, le statut du retour ? Une réminiscence, ce serait du passé non reconnu comme tel. Une image ou une représentation du passé, qui se présente au présent sans que je sache qu’elle « appartient » au passé. « Souffrir de réminiscences », c’est bien alors souffrir d’un passé qui ne s’avoue pas comme tel, qui n’est pas reconnu comme tel, selon l’orientation freudienne. Mais quel est ce singulier passé vécu au présent ? Ce qui est éminemment présent pourtant c’est le symptôme, c’est le corps qui se manifeste par la douleur ou l’empêchement, c’est le corps qui met le passé au présent. Le corps court-circuite le souvenir, ou encore il faudrait soutenir qu’il se souvient, qu’il est le lieu même du souvenir, en lieu et place de la remémoration qui resitue le souvenir dans le champ de la pensée, le corps, dans le symptôme, rappelle que rien n’est oublié. L’hystérie est donc au cœur d’une question cruciale sur le temps, et les conséquences de cette ouverture première des études sur l’hystérie par Breuer et Freud, restent majeures.

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Temps « réel » de l’amour Et le reste ? Ce qui n’est ni de l’ordre de la trace symbolique qui peut devenir l’insigne de l’amour ni de la captation narcissique qui semble nous faire approcher l’amour total, peut-on l’aimer ? Et à quel temps le référer ? Lacan est sans doute celui qui nous permet d’aller au plus loin dans cette optique. Rappelons-nous l’ouverture de la psychanalyse, ce moment où Freud en pinçant là où Elizabeth a mal, perçoit une mimique de satisfaction en lieu et place de la grimace de douleur attendue. C’est là que s’inaugure le bénéfice primaire du symptôme. Le symptôme n’est pas seulement une métaphore qui permet de dire de façon camouflée un sens sexuel, il est aussi un mode de satisfaction, avec Lacan nous pourrions dire un mode de jouissance. Pourtant, quand il s’agit de cet amour réel, de cet amour indissociable de l’au-delà du principe de plaisir, il y a autre chose encore, autre chose non plus à dire, mais à éprouver. Le symptôme hystérique serait alors aussi ce qui du corps cherche à s’exprimer non plus par métaphores inscrites sur le corps mais par bouts, par morceaux, bien sûr organisés par un fantasme, sinon ce serait la psychose. Le temps de l’amour est alors celui branché sur ces bouts de corps qui s’attrapent et se frottent, se frôlent et se détachent, sans que le sujet ne sache ce qui le lie si puissamment à l’autre. C’est là que se joue aussi la répétition, celle qui ne peut que répéter des moments que nous pourrions qualifier de moments de jouissance, des moments qui reviennent tels quels, inchangés, puisqu’ils ne peuvent entrer véritablement dans le temps, ils ne peuvent qu’être ré-éprouvés, ils ne peuvent que se confronter à ce trou qui fonde véritablement la jouissance.

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C’est dans la mesure où, dans le champ des névroses, l’hystérie est celle qui cherche l’amour avec le plus d’acharnement, qu’elle en explore les facettes et les contradictions, qu’elle peut aussi nous faire approcher cette part irrépressible où l’amour et la pulsion se rapprochent. Cette formulation du « désir d’amour » que nous proposons trouverait, dans ce registre, son objet. L’amour serait bien l’objet du désir de l’hystérique dans la mesure où il s’agit de cet amour qui fait feu de tous les bois du corps, de tout ce qui du corps de l’autre n’a pu qu’être joui sans être inscrit autrement que par ce moment d’éprouvé. Cela fait date, mais la datation est impossible, cela suppose un lieu, celui du corps à la rencontre du corps de l’Autre. C’est cette rencontre qui se répète comme rencontre ratée au sens où elle ne peut faire deux, elle fait retour, et retour encore, sur le corps, voilà sans doute le ressort le plus puissant de l’amour, voilà ce que l’hystérique aujourd’hui comme hier cherche finalement à rencontrer, quitte à payer le prix fort. Sans doute ce chemin est-il jalonné de méprises qui l’éloignent de son désir d’amour en le rabattant sans cesse sur d’infinies figures et de vains défis adressés au savoir, mais c’est par elle, encore et toujours que l’analyse trouve son fondement. C’est à ce point que l’analyse veut mener et du coup alléger, desserrer les nœuds, ouvrir sur un amour qui ne se réduise plus à l’amour phallique. C’est l’hystérique qui, d’une certaine manière, répond de l’analyse, c’est elle qui, même si elle disparaît des classifications psychiatriques, continue d’occuper cette place qui ne cesse de maintenir la question au-delà des réponses successives qu’on lui apporte. C’est en cela que l’analyse a partie liée avec elle, non pas par concours inaugural de circonstances, mais parce que

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l’analyse ne peut se maintenir que si elle ne prétend pas répondre, que si elle maintient cet inconfort, en tentant seulement de le rendre fécond. Nous touchons maintenant au socle le plus solide ou, selon le regard que l’on voudra porter, à la butée irréductible. Peut-être qu’à ce point, nous pourrions situer les invariants de l’hystérie, au-delà du caractère protéiforme de ses figures et de ses manifestations dans l’ordre de la culture et du savoir. Il s’agirait ici de la part, hors temps et hors définition, mais néanmoins puissante et active, de l’attachement amoureux, celle que Lacan, prenant au sérieux la bascule freudienne de 1920, va progressivement situer du côté du réel. Qu’est-ce à dire ? Le temps de l’amour envisagé par ce biais est le plus éloigné de notre conception commune du temps, il n’obéit nullement à la chronologie linéaire du temps mais bien à une autre logique centrée finalement sur la pulsion : la modalité temporelle qui s’en approche le plus sans jamais être en adéquation est celle de de la répétition. Freud avait dû le reconnaître, les effets escomptés par la remémoration venant transformer les réminiscences en souvenir, même en prenant soin d’y adjoindre la reviviscence, soit le retour de ce qui a été « initialement » éprouvé, « l’affect coincé », ne suffit pas à faire tout disparaître. Le sujet malgré cette remise à plat temporelle persiste à rejouer des éléments douloureux, disons le mot, traumatiques. Qu’est-ce qu’il rejoue précisément ? C’est bien la difficulté et c’est Lacan qui nous aidera à nous repérer. Il rejoue ce qu’il ne peut jouer, la répétition se distingue des autres mécanismes psychiques du retour dans la mesure où elle répète ce qui n’a pu s’inscrire.

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Il y a une contradiction logique : comment quelque chose qui n’a pas eu lieu peut-il revenir ? Il faudrait plutôt dire comment quelque chose qui n’a pas trouvé de lieu pour s’inscrire, n’a pas trouvé de place dans l’histoire symbolique du sujet, peut-il être présent ? C’est tout l’apport de Lacan que d’avoir soutenu qu’il y a bien un lieu, « drôle de lieu » formalisable mais impensable, qu’il a désigné comme le lieu du réel. S’il n’y avait la clinique la plus quotidienne, cela pourrait bien être perçu comme des élucubrations. Le problème est que cet « impensable » se manifeste malgré tout, c’est le noyau dur de la clinique. Une analysante tout récemment, qui est dans ce moment si délicat à situer de la fin d’analyse, évoquait qu’il restait quelque chose comme un os, quelque chose qui continuait de l’interroger dans son « rapport au temps ». Il ne s’agit plus tellement de la question de l’histoire familiale, de la place qu’elle occupe, elle a la perception d’être un peu à distance de cette interrogation. Cependant, il s’agit toujours du temps, envisagé comme une butée, d’une interrogation en quelque sorte dépouillée du temps. Y a-t-il un « os du temps » ? En tous cas, l’interrogation sur le temps au-delà ou endeçà de la remémoration demeure, elle insiste, comme la question qu’on ne veut pas abandonner, que l’on ne veut pas perdre, c’est bien ici de la corrélation entre le temps et la castration dont il s’agit. La fin de l’analyse, au sens fort, n’est finalement pas plus pensable que la fin tout court. S’il y a bien un moment où les séances s’arrêtent, la fin de ce qui se joue et ne cesse de se répéter dans l’analyse, reste ouverte. Que l’on puisse pousser jusqu’à l’interrogation du temps sans faire histoire, nous pourrions dire aussi sans faire d’histoires, pourrait être envisagé comme une fin acceptable.

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Et l’amour ? Précisément il est là, au début comme à la fin. La fin d’analyse ne pourrait, au bout du compte, qu’être envisagée de cette façon, c’est-à-dire avec un nouvel amour, disons un amour renouvelé. Le temps de l’amour aurait alors le premier et le dernier mot. Là où l’obsessionnel veut seulement avoir le dernier mot, l’hystérique, c’est sa force, laisse toujours le dernier mot à l’amour.

1. Rimbaud A., « À une raison », in Œuvres complètes, Paris : Gallimard, 1976, p. 130. 2. Freud S. (1895), Qu’il est justifié de séparer de la neurasthénie un certain complexe symptomatique sous le nom de « névrose d’angoisse », in Névrose, psychose et perversion, Paris : PUF, 1978, p. 15. 3. Pommier G., Que veut dire « faire » l’amour ? Paris : Flammarion, 2010, p. 146.

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Les auteurs Marie-José Sophie COLLAUDIN Psychanalyste, Psychiatre, Directrice de publication de Che Vuoi. Membre du Cercle Freudien. Marco Antonio COUTINHO JORGE Psychanalyste, Directeur du Corpo Freudiano Seçao Rio de Janeiro. Membre d’Insistance et de la Société internationale d’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse. Professeur de l’Université de l’État de Rio de Janeiro. Danièle EPSTEIN Psychanalyste. Membre de l’Association Psychanalyse et Médecine, Membre du Cercle Freudien. Houchang GUILYARDI Psychanalyste, Psychiatre, Pitié-Salpêtrière, Président de l’Association Psychanalyse et Médecine, Président de Ravan Pajouhan. Membre d’Espace Analytique. Marie JEJCIC Psychanalyste, Maître de Conférences HDR en psychopathologie et psychanalyse, Unité Transversale de Recherche en Psychogenèse et Psychopathologie, Paris XIII. Membre de l’Association Lacanienne Internationale.

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LES AUTEURS

Alain LELLOUCH Docteur en médecine et en philosophie. Membre des Sociétés Française et Internationale d’Histoire de la Médecine, auteur de « Jean Martin Charcot, et l’origine de la gériatrie ». Danièle LÉVY Psychanalyste, agrégée de philosophie. Membre du Cercle Freudien. Michelle MOREAU RICAUD Psychanalyste, Docteur en psychologie, Vice-présidente de l’Association européenne d’Histoire de la Psychanalyse, Présidente de la Maison Ferenczi. Membre du Quatrième Groupe. Christian PISANI Psychanalyste, Docteur en philosophie, Docteur en psychologie. Séminaires Psychanalytiques de Paris. Élisabeth ROUDINESCO Historienne, Directrice de recherches, Université Paris VII-Diderot. Présidente de la Société Internationale d’Histoire de la Psychiatrie et de la Psychanalyse. Colette SOLER Psychanalyste, École de Psychanalyse des Forums des Champs Lacaniens. Mâkhi XENAKIS Plasticienne, écrivain, auteur de l’ouvrage « Les folles d’enfer de la Salpêtrière », éditions Actes Sud.

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