Flavius Josèphe: Les ambitions d'un homme 9782336005287, 233600528X

Quelles furent les ambitions cachées de Flavius Josèphe, historien Juif de l'Antiquité ? Il prône, à travers ses éc

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French Pages [154] Year 2013

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Table of contents :
Sommaire
Avant-propos
Introduction
CHAPITRE I Prosopographie
CHAPITRE II Polygynie/monogamie
CHAPITRE III Esséniens
CHAPITRE IV Site de Qumrân
CHAPITRE V Querelle Sadducéens/Pharisiens
CHAPITRE VI Choix du Pharisaïsme
Conclusion générale
Sources
Bibliographie
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Flavius Josèphe: Les ambitions d'un homme
 9782336005287, 233600528X

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Historiques série

Claude COHEN-MATLOFSKY

FLAVIUS JOSÈPHE Les ambitions d’un homme

Historiques

Travaux

Travaux

FLAVIUS JOSÈPHE

Historiques Dirigée par Bruno Péquignot et Denis Rolland La collection « Historiques » a pour vocation de présenter les recherches les plus récentes en sciences historiques. La collection est ouverte à la diversité des thèmes d'étude et des périodes historiques. Elle comprend trois séries : la première s’intitulant « travaux » est ouverte aux études respectant une démarche scientifique (l’accent est particulièrement mis sur la recherche universitaire) tandis que la deuxième intitulée « sources » a pour objectif d’éditer des témoignages de contemporains relatifs à des événements d’ampleur historique ou de publier tout texte dont la diffusion enrichira le corpus documentaire de l’historien ; enfin, la troisième, « essais », accueille des textes ayant une forte dimension historique sans pour autant relever d’une démarche académique. Série Travaux Georgiy VOLOSHIN, Le nouveau Grand Jeu en Asie centrale. Enjeux et stratégies géopolitiques, 2012. Emmanuel de CHAMBOST, Histoire de la CSF sous l’Occupation, L’enfance de Thales, 2012. Armand AJZENBERG, L’abandon à la mort… de 76 000 fous par le régime de Vichy, 2012. Michel GRENON, Charles d’Anjou. Frère conquérant de Saint Louis, 2012. Thomas PFEIFFER, Marc Lescarbot : pionnier de la NouvelleFrance, 2012. Michel VANDERPOOTEN, 3000 ans de Révolution agricole, Techniques et pratiques agricoles de l’Antiquité à la fin du XIXe siècle, 2012. Kilien STENGEL, L’aide alimentaire : colis de vivres et repas philanthropiques. Histoire de la Gigouillette 1934-2009, 2012. Donald WRIGHT, L’Antiquité moderne, 2012. Georges ASSIMA, La France et la Suisse. Une histoire en partage, deux patries en héritage, 2012. François CHEVALDONNE, Rosa Bordas, rouge du Midi, mémoires, oublis, Histoire, 2012.

Claude COHEN-MATLOFSKY

FLAVIUS JOSÈPHE Les ambitions d’un homme

Du même auteur Les laïcs en Palestine d’Auguste à Hadrien : étude prosopographique, Paris, Honoré Champion, 2001.

Illustrations de couverture : Photo 1 : Bas-relief : procession triomphale de Titus à Rome avec le butin sacré du Temple de Jérusalem. Photo 2 : Buste romain présumé de Flavius Josèphe.

© L'HARMATTAN, 2012 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-336-00528-7 EAN : 9782336005287

Sommaire

Avant-propos ..............................................................................9 Introduction ..............................................................................15 CHAPITRE I Prosopographie .........................................................................21 CHAPITRE II Polygynie/monogamie ..............................................................45 CHAPITRE III Esséniens ..................................................................................63 CHAPITRE IV Site de Qumrân .........................................................................85 CHAPITRE V Querelle Sadducéens/Pharisiens .............................................103 CHAPITRE VI Choix du Pharisaïsme .............................................................121 Conclusion générale ...............................................................137 Sources ...................................................................................141 Bibliographie ..........................................................................143

Avant-propos

Entre Hasmonéens et Hérodiens, quelles furent les ambitions cachées de cet historien juif de l’Antiquité. Cet ouvrage examine, à travers ses écrits et ceux d’autres auteurs anciens contemporains, le rôle que Flavius Josèphe cherchait réellement à jouer dans la société de l’époque. Une analyse détaillée de sa vie personnelle et de ses fonctions politiques nous éclairera sur le contexte historique et les mœurs et coutumes de la Palestine gréco-romaine. Dans cet ouvrage, il s’agit de prouver que Flavius Josèphe avait en fait planifié de devenir lui-même un souverain Hasmonéen. Tout au moins, il prône à travers ses écrits, le retour à la monarchie de type hasmonéen à savoir d’un RoiGrand Prêtre et ce, comme réponse à tous les maux de la Judée de l’époque. Donc l’élaboration de cette thèse se fera, dans ce livre, à travers une présentation prosopographique de Flavius Josèphe. Cette étude prosopographique mènera à élucider la question de polygamie ou plus exactement de polygynie au temps de Josèphe. Lumière sera faite ensuite sur les différents courants de pensée de l’époque : Esséniens/Qumrâniens, Sadducéens et Pharisiens. Enfin, la curiosité de Flavius Josèphe à l’égard des Esséniens, communauté qui rejeta le Temple de Jérusalem, son choix politique du Pharisaïsme par opposition aux autres écoles philosophiques de la Palestine hellénistique et sa description des Hasmonéens et des Hérodiens dans ses écrits, finiront de nous convaincre que cet historien juif avait des ambitions de

monarque à l’hasmonéenne ou tout au moins était nostalgique de cette période. La question fondamentale qu’un historien doit se poser sur Flavius Josèphe, comme il se la poserait sur d’autres auteurs étrangers récupérés par les Romains tels Polybe, Dion Chrysostome ou Plutarque, est la suivante : comment les élites locales ont-elles géré leurs relations avec la puissance dominatrice romaine et quel rôle ont-ils assigné, ces personnages de l’élite, à leurs traditions ou constitution politique dans cet environnement d’acculturation ? Autrement dit, comment et dans quelle mesure, ces Polybe, Flavius Josèphe, Dion Chrysostome ou Plutarque, ont-ils essayé de préserver le « respect de soi » au plan collectif pour leur peuple respectif tandis qu’ils vivaient sous domination romaine ? Claude Cohen-Matlofsky 22 novembre 2012

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À Hillel et Noah

À mes parents

Introduction

Le titre de cet ouvrage mérite tout d’abord qu’on s’y arrête. En effet je l’ai choisi pour plusieurs raisons. Mais avant de les énumérer j’entends dans les lignes qui suivent, m’assurer que nous sachions bien de qui nous allons parler. Car c’est sous un jour différent que je m’engage à présenter celui qui a fait couler tant d’encre, je nommerais : Flavius Josèphe. Flavius Josèphe est un historien juif qui a vécu au premier siècle de l’ère courante. Originaire de Judée il finit ses jours à Rome. Il a laissé plusieurs ouvrages dont je donnerai la description ultérieurement : la Guerre des Juifs, les Antiquités Judaïques, la Vie ou Vita (l’Autobiographie) et le Contre Apion1. Il convient de mentionner également Justus de Tibériade qui fut un historien juif contemporain de Flavius Josèphe et son concurrent dans la guerre contre les Romains. Justus a aussi écrit sur les événements de la Judée romaine, une Guerre des Juifs et une Chronique du peuple juif, témoignages qui ne nous sont pas parvenus. Certains chercheurs, comme Tessa Rajak, dans son article publié dans le périodique The Classical Quarterly2, dit que ce n’est pas un hasard si les livres de Josèphe nous sont parvenus à la place de ceux de Justus. En effet, Justus n’a pas fini à Rome 1

L’édition que j’utiliserai dans cet ouvrage lorsque je citerai les œuvres de Flavius Josèphe est celle de la bibliothèque Classique Loeb ou Loeb Classical Library, bilingue en grec et en anglais, des œuvres complètes de Flavius Josèphe en dix volumes, Harvard University Press. 2 T. Rajak, « Justus of Tiberias », CQ 23, 1973, p. 345-368.

comme Josèphe ; il s’est battu jusqu’au bout et est devenu le secrétaire d’Agrippa II, roi juif en Palestine après la guerre. Il eut été intéressant de pouvoir comparer les récits des événements vus par ces deux historiens contemporains des événements, l’un écrit en Palestine donc dans le contexte originel par Justus de Tibériade et l’autre à Rome dans le milieu flavien par Flavius Josèphe.3 Après Flavius Josèphe et Justus de Tibériade, il a fallu attendre la Renaissance pour trouver un autre historien juif en la personne d’Azariah de Rossi, lequel laissa quelques récits fragmentés sur la Palestine hellénistique. Les historiens furent une espèce rare chez les Juifs pendant des siècles : on eut des sages, des penseurs, des hommes de science, mais très peu d’historiens. Pour ma part je m’intéresse à l’histoire sociale et dans mon étude de Flavius Josèphe ce sont donc principalement l’homme et la société de son époque qui retiendront mon attention. À présent, je vais énumérer les raisons de mon choix de titre et de thème pour cet ouvrage : Flavius Josèphe entre Hasmonéens4 et Hérodiens5 : les ambitions d’un homme. La première raison est la suivante : Flavius Josèphe constitue de par sa personne même une charnière entre les périodes 3

Steve Mason, depuis le milieu des années 90, a mis l’accent sur le rôle de Josèphe en tant qu’historien romain. Mason avait organisé une conférence internationale à Toronto en 2001 précisément sur le thème, car personne n’avait jusqu’alors envisagé Flavius Josèphe comme un historien romain. Voir le livre qui en a résulté : Flavius Josephus and Flavian Rome, Oxford University Press, 2005. Plusieurs chercheurs, incluant Tessa Rajak, Jonathan Price et, à un degré moindre, Daniel Schwartz, résistent encore cette conception. 4 Dynastie des rois descendants de l’ancêtre Hashmonaï et qui tint les rênes du pouvoir en Palestine au lendemain de la révolte dite des Maccabées. Cette famille est mentionnée par exemple dans le premier livre des Maccabées IM 2, 1 ainsi que dans la Guerre des Juifs I, 36 et les Antiquités Judaïques XI, 111 de Josèphe. 5 Dynastie des rois descendants d’Hérode le Grand qui tinrent les rênes du pouvoir de 37 avant l’ère courante jusqu’à la destruction du deuxième Temple des Juifs à Jérusalem en 70 de l’ère courante.

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hasmonéenne et hérodienne en Palestine. En effet, Flavius Josèphe nous dit lui-même qu’il est Hasmonéen par sa mère, et prêtre par son père, puis nous apprenons qu’il a servi comme général de l’armée d’Agrippa II, lequel était un roi juif de la dynastie hérodienne. En outre, Flavius Josèphe lui-même utilise avec art les histoires respectives des Hasmonéens et des Hérodiens pour développer les thèmes fondamentaux de sa propre histoire6. Une autre raison pour laquelle j’ai choisi ce titre pour ce livre : Flavius Josèphe, loin de renier ses origines hasmonéennes, retourne à Rome, là- même où ses ancêtres avec Judah Maccabée7 avaient initié une relation complexe avec cette puissance étrangère. Enfin la troisième raison pour laquelle j’ai opté pour ce titre et c’est là carrément ce qui constitue mon objectif dans cet ouvrage : tenter de prouver que Flavius Josèphe avait en fait planifié de devenir lui-même un souverain Hasmonéen. Tout au moins, il prône à travers ses écrits, le retour à la monarchie de type hasmonéen à savoir d’un Roi-Grand Prêtre et ce, comme réponse à tous les maux de la Judée de l’époque. Donc, pour élaborer cette thèse, je ferai une présentation prosopographique, et j’expliquerai ce terme ultérieurement, de Flavius Josèphe. Cette étude prosopographique me mènera à élucider, ou du moins je tenterai de le faire, la question de polygamie ou plus exactement de polygynie au temps de Josèphe. Je ferai lumière ensuite sur les différents courants de pensée de l’époque : Esséniens/Qumrâniens, Sadducéens et Pharisiens. Pour ma part je les appelle plus volontiers partis politiques et j’expliquerai ultérieurement pourquoi, dans un chapitre plus particulièrement consacré au sujet. Enfin, la curiosité de Flavius Josèphe pour les Esséniens, communauté qui rejeta le Temple de Jérusalem, son choix politique du 6

Nous le voyons dans son ouvrage la Guerre des Juifs, du Livre I paragraphe 31 au Livre II paragraphe 110. 7 Fils de Mattathias et petit-fils de Hashmonaï, c’est Judah qui donna son surnom à la révolte des Maccabées. Cf. IM 2, 4.

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Pharisaïsme par opposition aux autres écoles philosophiques de la Palestine hellénistique et sa description des Hasmonéens et des Hérodiens dans ses écrits, finiront de convaincre je l’espère, que notre historien avait des ambitions de monarque à l’hasmonéenne ou tout au moins était nostalgique de cette période. La question fondamentale qu’un historien doit se poser sur Flavius Josèphe comme il se la poserait sur d’autres auteurs étrangers récupérés par les Romains tels Polybe8, Dion Chrysostome9 ou Plutarque10 est la suivante : comment les élites locales ont-elles géré leurs relations avec la puissance dominatrice romaine et quel rôle ont-ils assigné, ces personnages de l’élite, à leurs traditions ou constitution politique dans cet environnement d’acculturation ? Autrement dit, comment et dans quelle mesure, ces Polybe, Flavius Josèphe, Dion Chrysostome ou Plutarque, ont-ils essayé de préserver le « respect de soi » au plan collectif, si je puis dire, pour leur peuple respectif tandis qu’ils vivaient sous domination romaine ? En Palestine hellénistique et romaine, le refus de la présence étrangère fut marqué dans sa dimension socio-politique par l’insurrection des Maccabées, la Grande Guerre des Juifs contre les Romains et la Révolte de Bar Kokhba. Dans sa dimension socio-idéologique, la cible de ce refus fut l’aristocratie, sacerdotale ou laïque, acquise successivement à l’Égypte, la Syrie et Rome, et vivant son judaïsme comme une religion avec un culte dans le Temple, contrairement à ce que proposaient les maîtres et les scribes : un judaïsme qui soit un mode de vie réglementé à la portée de tous. En effet, l’époque hellénistique en Palestine fut celle de l’efflorescence du judaïsme rabbinique basé à la fois sur la Loi Écrite et son interprétation, la Loi Orale et qui devait, au lendemain de la destruction du deuxième Temple de Jérusalem 8

Auteur grec qui vécut de 210 avant l’ère courante à 126 après. Auteur grec qui vécut de 30 à 116 de l’ère courante. 10 Auteur grec qui vécut de 46 à 120 de l’ère courante. 9

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en 70 par Titus, supplanter la hiérarchie des prêtres observant uniquement la Loi mosaïque et ayant perdu leur raison d’être. Désormais le judaïsme fut dominé par l’élite des savants compilateurs de ce qui devint le Talmud. L’aspect social de cette évolution du judaïsme n’est pas négligeable car ce ne fut plus la naissance mais le mérite qui conférait une place au rang des autorités intellectuelles. En 66 de l’ère courante, lorsque débuta la révolte juive, la Palestine gravitait depuis au moins un siècle dans l’orbite de Rome. Il est intéressant de noter que le premier contact entre Rome et les Juifs fut sollicité par les Juifs eux-mêmes. À l’époque hasmonéenne, Judah Maccabée, qui libéra Jérusalem de la présence séleucide, proposa à Rome un traité de paix et d’amitié. Les Hasmonéens retrouvèrent l’indépendance politique et religieuse et la conservèrent pendant un siècle. Cependant si Rome ne s’opposa pas au cumul des fonctions politique et religieuse en la personne des souverains Hasmonéens, celui-là allait à l’encontre de la tradition juive et déchaîna l’hostilité des maîtres pharisiens contre les Sadducéens, soutien des Hasmonéens au début de leur règne dynastique. Les troubles affaiblirent le pouvoir et amenèrent Rome à intervenir directement dans la vie publique et nationale de la Palestine. Avec l’entrée de Pompée dans Jérusalem en 63 avant l’ère chrétienne prit fin la période d’indépendance politique dont avait joui le royaume hasmonéen. César restitua une partie du pouvoir politique aux Juifs pour les remercier de leur loyalisme, mais Rome de plus en plus, devint l’autorité réelle et les souverains placés sur le trône de Jérusalem ne furent plus que les vassaux de l’Empire. Hérode et les hérodiens furent les exemples les plus significatifs de cet état de fait. Le judaïsme hellénistique fut une véritable mosaïque de communautés et de factions. La Palestine n’était-elle pas au bord de la guerre civile lorsqu’en 66 Gestius Florus, son dernier procurateur ordonna un prélèvement sur le trésor du Temple ? Dans la Palestine romaine, l’ère des prophètes était révolue. Il semble cependant que le besoin de prophétie, le besoin d’une monarchie de droit divin aient été, eux, toujours vivants. 19

Les aspirations des Juifs palestiniens à l’époque furent multiples et parallèles. Les esprits se divisaient, semble-t-il, en deux grands courants : d’une part les mystiques largement inspirés par les Écrits prophétiques, d’autre part les pragmatiques voire ceux qui avaient un intérêt immédiat à défendre, en l’occurrence les élites intellectuelle, laïque et sacerdotale. L’espoir d’une restauration du royaume de Dieu par l’action motiva les Zélotes qui menèrent la guerre contre les Romains de 66 à 73-74 ; les Esséniens, ou plus largement les communautés de Qumrân, optèrent pour la retraite dans le désert et la méditation qui devaient les mener à la même fin. La lutte entre les différentes catégories sociales fut un autre moyen envisagé. Cette lutte opposa les Pharisiens, partisans d’un judaïsme dogmatique, au-delà du culte, dominé par les rabbins de condition sociale globalement modeste pour la plupart, aux Sadducéens, membres des aristocraties sacerdotales et laïques, partisans d’un judaïsme fondé sur la Loi écrite et le trésor du Temple. Les premiers chrétiens quant à eux, se vouèrent à la prédication pour précipiter le moment tant attendu par tous. À l’exception des Sadducéens et de quelques individus isolés, tous voyaient dans la domination romaine l’ombre apocalyptique prémessianique.

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CHAPITRE I Prosopographie

Tout au long de ce premier chapitre, j’entends compléter la notice prosopographique sur Flavius Josèphe contenue dans mon livre publié en 200111. La prosopographie, c’est l’étude des personnes, du grec prosopon qui signifie visage12, à partir de documents écrits de toutes sortes, littéraires et épigraphiques. La littérature est très abondante au sujet de Flavius Josèphe et la controverse sur sa traitrise a fait couler beaucoup d’encre. Peu d’auteurs anciens ont suscité une bibliographie aussi importante. Heinz Schreckenberg de l’Université de Münster, dans son livre publié en 196813 avait tenté de donner une liste complète des ouvrages écrits sur ce personnage et Louis Feldman de la Yeshivah University de New York, à son tour en fit de même dans son livre publié en 198414. On ne peut parler de Flavius Josèphe sans mentionner le livre de Tessa Rajak de l’Université d’Oxford publié en 198315. Par la suite, Steve Mason,

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C. Cohen-Matlofsky, Les laïcs en Palestine d’Auguste à Hadrien : étude prosopographique, Paris, 2001. 12 On constate la même racine “PRSP”, partsouf, visage en hébreu. 13 H. Schreckenberg, Bibliographie Zu Flavius Josephus, Leiden, 1968. 14 L. H. Feldman, Josephus and Modern Scholarship (1937-1980), BerlinNew York, 1984. 15 T. Rajak, Josephus: the Historian and his Work, Londres, 1983.

professeur et chercheur à l’université York de Toronto a entrepris un travail monumental, avec une équipe internationale de quatorze spécialistes, un travail de nouvelle traduction en anglais avec nouveaux commentaires historiques et littéraires des écrits de Flavius Josèphe. Ce projet devrait être publié en douze volumes aux éditions E. J. Brill et à ce jour, six volumes ont paru. En parallèle, une nouvelle traduction française avec notes des écrits de Josèphe, est en court également aux éditions du Cerf, sous la direction scientifique d’Étienne Nodet à l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes. De même en allemand, une nouvelle traduction est en cours sous la tutelle de Schreckenberg à l’Université de Münster. Faut-il ou non le percevoir comme un traitre, telle est la question majeure que les historiens de tout temps se sont posée sur Flavius Josèphe. Flavius Josèphe jouit d’une bonne réputation dans l’Antiquité. En effet, il écrivit sous la dictée des empereurs, comme bien d’autres historiens contemporains, pour les besoins de la société et de l’histoire romaine. Il jouit d’une bonne réputation également dans l’église du moyen âge qui faillit en faire un « Cinquième Évangile ». En effet, les auteurs chrétiens apprécièrent les œuvres de Flavius Josèphe comme une source importante des événements du premier siècle de l’ère courante, mais aussi comme preuve du châtiment divin pour le peuple Juif niant la messianité de Jésus. À présent, si l’on considère de près les passages sur Jésus dans l’œuvre de Flavius Josèphe, on s’aperçoit que certains fragments ont dû y être rajoutés notamment dans Antiquités Judaïques XVIII, 63-64. Les Antiquités Judaïques ont été publiées au début des années 90, donc en même temps que les Évangiles. Il est dès lors légitime de se demander si Flavius Josèphe lui-même n’aurait pas emprunté aux Évangiles ses données sur le christianisme naissant et ses premières grandes figures. Tandis que la Guerre des Juifs, qui fut publié peu après la chute du 22

Temple en 70, ne contient pas de mention de Jésus ni de Jean le Baptiste ni de Jacques frère de Jésus, les Antiquités Judaïques elles, mentionnent ces personnages. Ceci dit, de ce qui est mentionné sur ces personnages dans les Antiquités Judaïques de Flavius Josèphe on se doit de faire le tri et surtout, on doit se demander si certains passages n’ont pas été rajoutés dans la version occidentale par les chrétiens, notamment lorsque l’on compare celle-ci à la version arabe du dixième siècle de ce même ouvrage-témoignage de Josèphe. En effet, la version arabe ne mentionne pas le passage indiquant par exemple qu’il n’était « pas légitime d’appeler Jésus un homme ». Attardons-nous un instant sur la figure de Jésus dans les Antiquités Judaïques de Flavius Josèphe et citons le passage en laissant entre parenthèses ce qui, à mon sens, a dû être rajouté par des copistes chrétiens au cours des siècles, surtout au moyen âge, et ce, dans une tentative d’accréditer la foi en Jésus comme le Christ par les écrits de Flavius Josèphe. Voici ce que dit le passage des Antiquités Judaïques, Livre XVIII paragraphes 63-64. J’indiquerai entre parenthèses les phrases qui, selon moi, ont été rajoutées par des copistes chrétiens et sont inexistantes dans la version arabe : « Vers ce temps-là, un homme sage est né (s’il faut l’appeler un homme). Il accomplissait notamment des actes étonnants et est devenu un maître pour des gens qui acceptaient la vérité avec enthousiasme. Et il est parvenu à convaincre beaucoup de Juifs et de Grecs. (Le Christ c’était lui). Et quand, par suite de l’accusation de la part des gens notables parmi nous, il avait été condamné par Pilate à être crucifié, ceux qui l’avaient aimé dès le début n’ont pas cessé. (Il leur est apparu le troisième jour de nouveau vivant selon les paroles des divins prophètes qui racontent ceci et mille autres merveilles à son sujet). Et jusqu’à aujourd’hui le peuple qui s’appelle chrétien d’après lui [s’entend à sa suite] n’a pas disparu ».

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De même, dans des versions ultérieures de la Guerre des Juifs, tout le passage sur Jésus aurait été rajouté. Il est vrai qu’à côté des Évangiles, les Antiquités Judaïques de Josèphe constituent le document le plus ancien connu qui parle de la vie de Jésus. Beaucoup se sont penchés sur la question, mais l’objectif, dans ce que je viens de souligner ci-dessus, reste principalement d’éclairer le lecteur tout simplement sur la corruption, en tout cas concernant le christianisme naissant, des ouvrages de Josèphe, ou tout au moins de leurs traductions. Les Juifs quant à eux, ont longtemps renié Flavius Josèphe et la littérature rabbinique l’ignore. Cela dit, le Talmud ne mentionne pas non plus Philon d’Alexandrie notre philosophe juif contemporain de Flavius Josèphe, ni des meneurs de la guerre des Juifs contre les Romains tels Simon Bar Giora, Ioannes (Jean) de Gischala et Eleazaros (Eleazar) fils de Simon. Serait-ce parce que la vocation de cette compilation de discussions de rabbins n’est ni historique ni philosophique ? Mais alors pourquoi parle-t-on d’Hérode le Grand dans le Talmud, quoiqu’en des termes peu élogieux, ainsi que de Titus ? Au demeurant, d’aucuns veulent lire dans certains passages du Talmud, des mentions indirectes, non nominatives, de Flavius Josèphe. À ce propos je réfère le lecteur à l’article de Louis Feldman publié en 198416. Flavius Josèphe est lui-même muet sur de grandes figures rabbiniques tels Hillel et Yohanan Ben Zakkai. Ce dernier d’ailleurs, avec Shim`on Ben Gamalie’el, a dû être l’un de ses maîtres Pharisiens. En outre, Flavius Josèphe est très peu prolifique sur le christianisme naissant en tant que mouvement avec sa propre idéologie17, alors qu’il se vante par ailleurs de 16

L. H. Feldman, « Flavius Josephus Revisited: The Man, his Writings and his Significance », ANRW, II, 1984. 17 Il mentionne les chrétiens certes, dans Ant. XVIII, 55-142 et XX, 197-223.

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son érudition sur les différents courants du judaïsme, à la philosophie desquels il fut tour à tour initié, nous dit-il. Tout cela constitue autant de questions qui restent posées pour l’heure. Notons toutefois qu’au dix-neuvième siècle Flavius Josèphe fut perçu comme un traître et les historiens modernes lui furent pour la plupart hostiles. Il reste que tout ce que nous savons de Flavius Josèphe nous est parvenu surtout de sa propre plume et est contenu dans son ouvrage autobiographique, Vita. Quelques auteurs grécoromains parlent aussi de lui en passant. Mais en réalité, les auteurs anciens faisaient très peu référence à d’autres auteurs anciens dans l’Antiquité. Donc, parmi ceux qui font référence brièvement à Flavius Josèphe, on compte : Antonius Julianus préservé dans l’Octavius de Minucius Felix18, qui le considère comme un écrivain romain, Suétone dans son Divus Vespasianus appartenant à l’ouvrage majeur de cet auteur qui s’intitule la Vie des douze Cesars19 et qui cite Flavius Josèphe comme un prisonnier de noble naissance de Vespasien auquel il prédit son avènement. Appien20 et Dion Cassius21 dans leur Histoire Romaine respective mentionnent également cette prédiction de Flavius Josèphe à Vespasien. Porphyre22, dans son Traité de l’abstinence de la chair des animaux remarque que trois écoles philosophiques juives en Palestine ont été décrites par Flavius Josèphe. La notice prosopographique no. 312 sur ce personnage dans mon livre23, dit les choses suivantes :

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Antonius Julianus préservé dans l’Octavius de Minucius Felix 33 : 2-4. Suétone dans son Divus Vespasianus 5 : 6 dans les Vies des douze Cesars. 20 Appien, Histoire Romaine frag. 17. 21 Dion Cassius, Histoire Romaine 66. 22 Porphyre, Traité de l’abstinence de la chair des animaux 4, 11. 23 C. Cohen-Matlofsky, op. cit. p. 94-100. 19

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Iosepos, comme son nom est indiqué dans les sources originales qui nous sont parvenues en grec, est fils de Matthias24, alors en hébreu cela donne Yosef ben Mathithyahu. Il reçut son gentilice des empereurs romains de la gens des Flaviens, en même temps que la citoyenneté romaine. Ses tria nomina, ses trois noms, une coutume d’origine étrusque, tria nomina qu’on attribuait du reste à tout citoyen romain, fut donc : Titus Flavius Josephus. Ainsi ce juif Judéen, ce Yosef, nous est parvenu sous son nom romain de Flavius Josephus francisé bien sûr en Flavius Josèphe. Les personnes qui recevaient la citoyenneté romaine prenaient le nomen ou nom de famille, de celui qui avait favorisé leur naturalisation et leur nom d’origine devenait leur cognomen ou surnom. TITUS (praenomen) FLAVIUS (nomen) JOSEPHUS (cognomen). Il convient de nous attarder un instant sur son nom. Chez les Juifs de la Palestine romaine, et ceci est attesté dans toutes sortes de sources littéraires et épigraphiques de l’époque, on avait un prénom et le nom de famille consistait en ben en hébreu ou bar en araméen, fils d’untel et pour une femme donc bat ou barat en araméen, fille d’untel. Ainsi, le nom de famille était fils ou fille d’untel. Par exemple : Yehonathan ben Yehoseph25, ‘El`azar bar Zekhariah26, Shappirah bat Yeshua`27 ou Shalom barat Shim`on28. Quant à la manière dont les Romains transformèrent le nom de Flavius Josèphe, elle fut la suivante : son prénom juif,

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Mathithyahu en Hébreu, nom récurrent dans la famille de Josèphe, le nom de son frère aîné également. Ce ne fut pas inhabituel dans la société Judéenne de l’époque de suivre la coutume de patronymie et/ou de papponymie consistant à nommer un enfant du nom de son père ou de son grand-père paternel. Ainsi, Josèphe porta le nom de son grand-père paternel : Joseph, Iosepos en Grec. Son frère aîné, quant à lui, fut nommé d’après son père. Mathias/Mathithyahu. Voir Cohen-Matlofsky, op.cit. 25 C. Cohen-Matlofsky, op. cit. p. 170, notice no. 651. 26 C. Cohen-Matlofsky, op. cit. p. 62, notice no. 166. 27 C. Cohen-Matlofsky, op. cit. p.148, notice no. 528. 28 C. Cohen-Matlofsky, op. cit. p. 145, notice no. 510.

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Joseph, devint le surnom latin et son nom de famille juif, ben Mathithyahu, lui, disparut. Né à Jérusalem en 37-38 de l’ère courante, Flavius Josèphe fut issu, écrit-il dans son Autobiographie, d’une famille de l’aristocratie sacerdotale. Prêtre, descendant de la vingtquatrième lignée des sacrificateurs par son père29, Hasmonéen par sa mère, il aurait pu convoiter à la fois le grand-pontificat et le trône de Judée. J’avance pour ma part que telles furent vraisemblablement ses intentions, écrivant ceci à Rome, lieu même où ses ancêtres, de la famille de Hashmonaï, en particulier Judah surnommé Maccabée, étaient venus demander aide aux autorités dans leur lutte contre la domination grecque en Palestine. Un traité aurait été signé entre Judah et les Romains en 161 avant l’ère courante30. Chroniqueur de la guerre de 66-73-74, cet historien juif, Flavius Josèphe, devint le propagandiste de Titus. Dès l’enfance, il est élevé dans l’étude des lettres avec l’un de ses frères : Matthias. Il était courant que le fils aîné portât le même prénom que le père à l’époque. Par conséquent, Josèphe n’était vraisemblablement pas l’aîné de sa famille. Nous ne savons rien du début de sa vie jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de 14 ans. Il était réputé, nous dit-il encore, pour sa mémoire et sa perspicacité. Quand il eut à peine 14 ans, les chefs des prêtres et

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À ce propos voir la discussion dans les commentaires nos. 9 et 13 de Steve Mason dans Steve Mason, « Text and Commentaries of Josephus Life », S. Mason, ed. Flavius Josephus: Translation and Commentary, Vol. 2 in 12, Leiden : Brill, 2001. Ces commentaires de Steve Mason concernant la filiation sacerdotale de Flavius Josèphe viennent ici corroborer ma thèse. En effet, la discussion de Mason reflète en fait la polémique que les Pharisiens avaient soulevée sous le régime Hasmonéen, quant aux filiations sacerdotale et royale dans le judaïsme formatif et le cumul des fonctions royale et sacerdotale par les souverains Hasmonéens ; une polémique du reste, mentionnée également dans les Manuscrits dits communautaires de Qumrân. 30 Cf. IM 8, 17-18.

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les notables de Jérusalem faisaient appel à lui pour des questions de loi. À ce propos, André Lemaire31 fait très justement remarquer que Jésus lui-même reçut une formation intellectuelle précoce. Car ainsi que les sources le prescrivent, à 5 ans on était destiné à l’étude de la Bible, à 10 ans à celle de la Mishnah, à 13 ans à l’étude des commandements, à 15 ans à celle du Talmud et enfin à 18 ans, on était destiné au mariage.32 À 16 ans Flavius Josèphe intégra successivement les grandes écoles philosophiques de Palestine : Sadducéenne, Pharisienne/Essénienne. Mais laquelle de ces écoles aborda-t-il réellement en premier ? Logiquement ce devait être celle des Sadducéens puisqu’il nous dit avoir été de naissance aristocratique. Mais alors que les « chefs des prêtres et des notables » qui faisaient appel à lui, à ses dires, devaient être vraisemblablement d’obédience sadducéenne, les questions de loi qu’on lui posait à l’âge de 14 ans devaient en revanche, ressortir du domaine des études pharisiennes. Par conséquent, tout cela n’est pas vraiment clair. Au demeurant, son choix final d’adhérer au Pharisaïsme semble avoir été exclusivement politique, conformément aux souverains Hasmonéens, lesquels d’ailleurs finirent par jouir du soutien politique de ce courant. D’ailleurs à mon sens il s’agit bien là d’un autre indice précisément du penchant de Flavius Josèphe pour les Hasmonéens. En effet, Josèphe semble n’avoir été satisfait par aucune de ces écoles de pensée juive33. Je ne pense pas que Josèphe ait côtoyé de près les Esséniens, car son épisode avec Bannous ne 31 A. Lemaire, « L’expérience essénienne de Flavius Josèphe », Internationales Josephus-Kolloquium Paris 2001, Etudes sur les Antiquités de Josèphe, Munster, 2002, p. 138-151. 32 Mishnah Avot 5, 21. 33 Voir notamment S. Mason, Flavius Jospehus on the Pharisees, Leiden-New York, 1991. De même S. Mason, « Flavius Josephus and the Pharisees », article publié sur le Journal en ligne The Bible and Interpretation, avril 2003.

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reflète en rien qu’il l’ait fait. Je développerai ultérieurement ce point. Les Pharisiens par ailleurs, selon les sources, semblent avoir été opposés à la guerre des Juifs contre les Romains à moins de la mener de manière défensive ; ce que fit d’ailleurs précisément Flavius Josèphe. Notre personnage nous dit avoir passé notamment trois ans dans le désert avec un certain Bannous, un nazir, ascète en hébreu, vivant des produits naturels de la terre et se lavant à l’eau froide pour des raisons de pureté. Flavius Josèphe rompit ses relations avec Bannous nous dit-il, car il était temps pour lui, Josèphe, à l’âge de 19 ans, de rentrer mener une carrière politique à Jérusalem34. Or il nous avait déjà informés qu’il avait entamé sa carrière politique à l’âge bien précoce de 14 ans. D’autre part, le nom de Bannous ne se retrouve pas ailleurs dans l’onomastique juive de l’époque. Josèphe ne dit pas explicitement que Bannous était Essénien. Enfin dans l’hypothèse que Bannous ait pu être un sobriquet, ce personnage a dû vraisemblablement se rallier au mouvement nationaliste, celui des Sicarii d’Eleazaros, qui avaient fui Jérusalem en 66 et s’étaient établis à Massada où ils furent rejoints par les Zélotes après le siège de la capitale. Au demeurant, c’est la seule fois où l’on entend parler de ce fameux Bannous dans les écrits de Josèphe. En outre, Josèphe ne l’identifie pas comme un Essénien. De surcroît, Bannous n’est pas mentionné dans d’autres sources. Pour toutes les raisons invoquées ci-dessus, cette rencontre avec Bannous me paraît invraisemblable, étant donné l’âge de Josèphe à ce moment-là : 16 ans. En effet, bien qu’il ait été de coutume, dans la quête de la bonne philosophie pour les jeunes gens de l’Antiquité, de s’immerger dans une formation, il me semble difficile d’imaginer Flavius Josèphe séjournant pendant trois ans dans le désert. Il est difficile d’imaginer que ses parents lui aient laissé tant de liberté. En outre, je serais plus encline à imaginer un Josèphe préoccupé à se trouver une 34

Vita 11, 12.

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épouse à Jérusalem, plutôt qu’un Josèphe passant trois ans dans le désert. Par conséquent, je n’exclus pas que Flavius Josèphe ait pu avoir quelques rencontres ponctuelles avec ce dit Bannous, mais tout cet épisode est à considérer avec prudence. En conclusion, ses origines familiales auraient dû le pousser vers les Sadducéens. Cela dit il serait erroné d’identifier tous les prêtres aux Sadducéens, certains furent d’obédience Pharisienne, pour leur culture et leur idéologie tel Ioazros, à Jérusalem35. De même, les souverains Hasmonéens ne s’appuyèrent pas tous sur les Sadducéens. En effet, ces dynastes durent convenir de l’assise sociale bien plus large dont jouissaient les Pharisiens et ils finirent donc par convoiter leur soutien. À l’instar des Hasmonéens, Flavius Josèphe semble donc avoir opté pour le courant Pharisien surtout par opportunisme et par ambition, autant de traits caractéristiques de la personnalité de cet historien. En effet, une soif de savoir certes, mais aussi de pouvoir et de prestige, mêlée d’opportunisme ressort clairement de ce personnage qu’a été Flavius Josèphe. Quelques épisodes de sa vie abondent dans ce sens. En effet, il accepta l’honneur de participer en tant que sadducéen à une délégation envoyée à Rome auprès de Néron afin d’obtenir la libération de prêtres faits prisonniers à Jérusalem. Puis, tournant le dos à son ascendance, il n’hésita pas à adhérer au Pharisaïsme pour prendre la commande en tant que général d’un bataillon juif en Galilée, en accord avec la position pharisienne d’une guerre de défense urgente et nécessaire contre les Romains. Par la suite, il n’eut aucun scrupule à se rendre à l’ennemi plutôt que de prendre part à un suicide collectif. Donc Josèphe choisit le Pharisaïsme par opportunisme à la manière de ses ancêtres Hasmonéens en leur temps. Ceci étant dit, la quête de la meilleure philosophie était une démarche traditionnelle dans la culture gréco-romaine. Citons

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Prêtre pharisien mentionné dans Vita de Flavius Josèphe au paragraphe 197.

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Justin Martyr36 qui nous raconte comment déçu des philosophies péripatétique, pythagoricienne et platonique, il fut finalement converti au christianisme par un vieil homme. Galien et Lucien partirent également à la recherche d’une philosophie à leur goût. Comme la plupart des Juifs affluents de son époque, tel Philon d’Alexandrie par exemple, Flavius Josèphe fut à la fois conformiste vis-à-vis de la Loi juive et du culte, mais encore cosmopolite en terme de culture générale, tout en puisant, à sa convenance, certains éléments de la Halakhah des Pharisiens, comme d’autres dans les pratiques Sadducéennes ou Esséniennes/Qumrâniennes. Il convient à présent d’élaborer sur l’attitude intellectuelle de Josèphe. Dans son article, Eyal Regev37 essaye de répondre aux questions suivantes : 1- Dans quelles proportions Philon et Josèphe suivirent-ils la Halakhah38des Pharisiens, celle des Sadducéens et celle des Esséniens/Qumrâniens ? 2- Y a-t-il eu véritablement trois écoles distinctes de Halakhah en Palestine romaine ? 3- Y a-t-il eu un système légal Essénien/Qumrânien ? 4- Quelle fut l’étendue de l’influence gréco-romaine en termes juridiques sur la Halakhah rabbinique ? Regev rapporte sept cas pour lesquels Josèphe suivait la Halakhah pharisienne, cinq pour Philon. Josèphe suivit la Halakhah sadducéenne dans trois cas, dit-il et Philon dans deux. Enfin, Josèphe suivit les préceptes préconisés dans le MMT39 et 36

Dialogue avec Tryphon chapitre 8. Voir Eyal Regev, « From Qumran to Alexandria and Rome: Qumranic Halakhah in Josephus and Philo », The Halakhah in Light of Epigraphy, JAJ Sup. 3, 2011, p. 43-63. 38 En fait, le terme de Halakhah ne devrait désigner que celle des Pharisiens vu que ce terme désigne un processus de discussions sur des opinions divergentes de rabbins/docteurs de la Loi, afin d’aboutir à un concensus/précepte. 39 Miqsat Ma`ase Hatorah, également appelée Lettre Halakhique de Qumrân. 37

31

le Livre des Jubilées40 dans six cas, alors que Philon suivit la Halakhah Essénienne/Qumrânienne dans cinq cas. Je renvoie le lecteur à l’article de Regev pour le détail des différents cas. Cela dit, il convient de garder à l’esprit que la Halakhah sadducéenne perdue ou non encore retrouvée, ne nous a été révélée jusqu’à présent, qu’à travers les discussions dans les documents rabbiniques ou qumrâniens, lorsque les uns et les autres s’opposent aux opinions sadducéennes. Au demeurant, sans entrer ici dans le débat sur l’origine des Manuscrits de la mer Morte, il semble au moins, à l’appui de ce que je viens d’énoncer ci-dessus, qu’il n’y ait pas eu de consistance ni de cohérence dans l’attitude intellectuelle de Philon d’Alexandrie ou de Flavius Josèphe. Il semble que ni l’un ni l’autre n’ait opté pour l’ensemble d’une Halakhah et ceci reflète vraisemblablement la réalité parmi d’autres intellectuels de leur acabit dans la Palestine hellénistique et romaine et dans la diaspora. Dès lors, si ce n’était par le biais de la Halakhah, quels autres facteurs permettaient à un individu de l’époque de déterminer son obédience, son identité, voire son autoidentification en tant que membre du groupe des Pharisiens, des Sadducéens ou des Qumrâniens pour ne citer qu’eux ? Un élément de réponse à cette question serait à mon sens, l’opportunisme politique dont a fait preuve Flavius Josèphe, nous l’avons vu, à bien des égards. Au demeurant, il semble qu’au premier siècle de l’ère courante, en Palestine romaine, tout au moins, plusieurs intellectuels Juifs prirent des décisions individuelles concernant leur orientation juridique. Ce choix individuel, si tant est qu’il reflète un phénomène répandu et non un ensemble de cas exceptionnels, correspond à l’individualisme dans la société Judéenne, tel que répercuté par les lois de la pureté non sacerdotale discutées dans la Halakhah pharisienne, les inhumations en ossuaires, les tombeaux de 40

Dans la collection de la bibliothèque de Qumrân .

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familles nucléaires, et le style de décoration sur certains ossuaires de la période du Second Temple. Si l’on en croit ses dires, Flavius Josèphe aurait été de retour à Jérusalem à 19 ans après trois ans passés dans le désert. Puis, à nouveau, on ignore tout de sa vie jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de 28 ans. C’est alors que pour la première fois, il voyagea hors de son pays dans une ambassade envoyée à Rome lors de la révolte de 66, pour négocier la libération de prêtres emprisonnés. Josèphe accompagnait une délégation de sacrificateurs. Ils arrivèrent à Putéoles où Josèphe fit la connaissance d’un comédien juif nommé Alitur, que l’empereur Néron appréciait beaucoup. Flavius Josèphe fut reçu par Popée. C’est de cette impératrice judéophile qu’il obtint gain de cause pour sa délégation de prêtres prisonniers41. Les rebelles42, quant à eux, après la mise en déroute du gouverneur romain de Syrie Cestius Gallus, avaient rallié à leurs côtés les proromains et avaient ensuite procédé au recrutement de généraux supplémentaires incluant quelques prêtres pour mener la guerre. Parmi eux, se trouvaient : Ananos, le Grand Prêtre, Ioanes (Jean) l’Essénien et Josèphe. Ce dernier entra en fonction pour la haute et la basse Galilée. Flavius Josèphe43, à son retour de Rome essaya de dissuader les rebelles en leur rappelant leur infériorité par rapport à l’ennemi tant en matière militaire qu’en bonne fortune. Puis Josèphe, de concert avec les chefs des prêtres et à la tête des Pharisiens, fut d’avis que la guerre était urgente ne serait-ce que pour l’auto-défense. Il envoya deux de ses collègues à Jérusalem, fit provision d’armes et fortifia les places puis il se lia d’amitié avec les notables de Galilée. Il astreint les habitants au service militaire et ramena Tibériade et Tarichée à l’obéissance. Il échoua devant Sépphoris, qui avait été fortifiée par ses soins. Flavius Josèphe y fut abandonné par ses troupes à 41

Cf. Vita 16. Selon la Guerre des Juifs II, 562-565. 43 Selon Vita 17-19. 42

33

l’apparition de Vespasien et il fit un rapport au gouvernement de Jérusalem. Il organisa la résistance de Jotapata assiégée par Vespasien. Il dut essuyer les insultes de certains Galiléens tels Jean de Gischala qui alla même jusqu’à envoyer une délégation à Jérusalem demandant le remplacement de Josèphe. Jotapata prise, Flavius Josèphe se cacha dans une caverne et finit par se rendre aux Romains pour échapper au suicide collectif prôné par ses compagnons. Dès lors, la destinée de Josèphe fut étroitement liée à celle de Rome. Les soldats réclament sa mort. À Jérusalem on le pleure puis on le maudit quand on réalise sa lâcheté. Plus tard, les Romains le relâchèrent et il suivit Vespasien à Alexandrie où ce dernier fut proclamé empereur en 69 et où Flavius Josèphe prit femme pour la troisième fois de sa vie. Puis, de retour à Jérusalem en 70, persuadé de la supériorité militaire des Romains, il exhorta les habitants à se rendre pendant le siège de Titus. Une fois ramené dans le vaisseau de Titus après la chute de Jérusalem et du Temple, pour vivre à Rome, en fait dans le palais qu’occupait Vespasien avant de devenir empereur, Flavius Josèphe devint un protégé des empereurs Flaviens. C’est à ce moment-là qu’il rédigea à Rome tous ses récits historiques, principale source non chrétienne sur la période du Second Temple. Flavius Josèphe rapporta notamment le siège et la prise de Massada en 7344. Il demeure la seule source littéraire pour cet événement, bien qu’aujourd’hui la plupart des chercheurs lui préfèrent l’abondant matériel archéologique retrouvé sur le site de Massada. Vers 75, Josèphe « divorça » à nouveau et contracta un quatrième mariage à Rome, avec une juive originaire de la noblesse crétoise. Parmi ses honneurs, il fut fait propriétaire in absentia en Judée par Vespasien et par Titus.

44

D’aucuns incluant Steve Mason et W. Eck préfèrent l’année 74 pour la chute de la forteresse de Massada.

34

Josèphe reçut même une pension de Vespasien et l’empereur Domitien exempta sa propriété en Judée de toute taxation45. Tout ceci provoqua la jalousie des Juifs un peu partout dans l’empire, mais nul ne réussit à le discréditer aux yeux de Rome. Nous ignorons ce qu’il est advenu de ses biens fonciers en Judée car il n’y a aucun signe que Flavius Josèphe ne soit jamais retourné dans son pays natal46. Sa situation financière se sécurisa encore plus lorsqu’il épousa en dernières noces une juive de la noblesse crétoise de Rome. Attardons-nous à présent sur sa vie personnelle d’adulte et plus particulièrement sur sa situation matrimoniale. Nous avons des raisons de penser qu’il se maria quatre fois plutôt que trois. Tout d’abord, Josèphe mentionne qu’il aurait laissé une femme à Jérusalem pendant la guerre, avant d’aller prendre son commandement en Galilée47. Or ce devait être sa femme et non sa fiancée ou sa promise ou même, comme certains ont voulu le croire, simplement une amie. Car il était rentré à Jérusalem du désert vers l’âge de 19 ans, si tant est qu’il ait fait ce séjour dans le désert. C’est donc à ce moment-là, entre 16 et 19 ans, qu’il a dû prendre femme pour la première fois car ce fut l’âge matrimonial normal pour un homme de son époque. En effet la Mishnah48 fixe l’âge du mariage à 18 ans. De même, les inscriptions funéraires ainsi que le matériel archéologique trouvé dans les tombeaux taillés dans le roc de Jérusalem et de Jéricho49 en Palestine romaine attestent de cet âge au mariage. Le matériel archéologique du tombeau de la famille Goliath 45

Cf. Vita 422-429. Quoique selon Y. Shahar, Josèphe serait retourné en Judée. En ce cas, cela alimenterait ma thèse quant aux ambitions cachées de Flavius Josèphe. 47 Cf. Guerre des Juifs V, 419. 48 Avot 5, 21. 49 R. Hachlili and P. Smith, « The Genealogy of the Goliath Family », BASOR 235, 1979, p. 67-70. 46

35

fouillé à Jéricho, semble notamment indiquer que Yeho`ezer fils d’ ‘El`azar Goliath, avait été le grand-père de dix, voire de quatorze petits-enfants, lorsqu’il mourut à l’âge de 35 ans en 10 de l’ère courante50. En outre, le fait que Josèphe n’ait mentionné qu’en passant cette femme de Jérusalem n’est pas surprenant car il agit de même pour ses autres femmes. D’autre part si elle avait été sa sœur, au cas où il en aurait eu une, ou une bellesœur, il aurait au moins précisé un tel lien de parenté. Il y a donc tout lieu de penser qu’il s’agissait bien de sa première épouse laissée à Jérusalem pendant son commandement en Galilée. Donc même si Flavius Josèphe ne mentionne plus cette femme ailleurs dans ses écrits, l’existence de cette femme de Jérusalem est cruciale pour la compréhension de la vie privée de Josèphe et de ses ambitions cachées. Nous savons également par ses dires qu’il avait 28 ans lorsqu’il prit commande en Galilée et il est impensable de croire qu’il n’ait pas été marié à cet âge-là. Donc tout concorde à nous laisser penser qu’il avait laissé sa première femme à Jérusalem dans la guerre. D’autre part, pendant sa captivité, nous dit-il, il fut « forcé » par Vespasien d’épouser une prisonnière51. Cependant en sa qualité de prêtre, un cohen n’avait le droit d’épouser qu’une vierge. Or une prisonnière est censée avoir été violée. C’est pourquoi Josèphe s’attache à préciser dans ce passage de Vita que cette captive était vierge. À mon sens c’est encore lié à son ambition de restaurer la monarchie de type Hasmonéen à son avantage et donc de légitimer intacte son statut de prêtre. La question sous-jacente cependant reste de savoir si cette femme captive était juive. Ce qui nous mène à poser la question plus vaste : combien de fois Flavius Josèphe s’est-il marié, combien de ses femmes furent des juives, et qui plus est, comment définir la judéité à l’époque ?

50 51

Cf. C. Cohen-Matlofsky, op. cit., p. 167 notice no. 633 et la note. Cf. Vita 414-415.

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Mais la question de la judéité pourrait faire l’objet de tout un symposium, c’est pourquoi je ne prétendrais pas y répondre dans ces pages. Revenons un instant à la captive de Césarée. Nous savons que des païens prirent part à l’insurrection contre les Romains et surtout en Galilée où les païens étaient nombreux, Flavius Josèphe le dit lui-même : « ...Césarée sur mer, l’une des plus grandes villes de Judée avec une population composée surtout de Grecs... »52 Ainsi, la femme que Vespasien l’avait forcé à épouser, une captive et native de Césarée, devait être une païenne53. En outre, nous dit-il encore, cette femme le quitta alors qu’il suivit Vespasien à Alexandrie. Est-ce un comportement social normal à l’époque qu’une femme abandonne son mari ? Se serait-elle enfuie ou cachée pour ne pas avoir à le suivre à Alexandrie ? Une chose est sûre, l’ascendance de Flavius Josèphe ne lui aurait pas permis d’épouser une non-juive. Alors Josèphe aurait-il persuadé cette captive païenne de prendre la fuite ? Au demeurant, Flavius Josèphe avait 30 ans, sa première femme à Jérusalem allait périr dans le siège de Titus, si elle n’était pas déjà morte. Abordons à présent la question sous un autre angle que nous développerons d’ailleurs dans notre prochain chapitre. Il s’agit de s’attarder sur les notions de monogamie et polygamie ou polygynie dans la société judéenne de l’époque d’où notre personnage était originaire. D’obédience pharisienne à bien des égards et pour des raisons qui lui furent propres, par conséquent, à la lumière d’un idéal largement accepté de monogamie parmi ce groupe, Flavius Josèphe n’aurait pas pu être heureux dans la polygamie voire dans la bigamie. 52

Guerre des Juifs III, 409. La longue discussion sur la population de Césarée sur le site http://pace.mcmaster.ca/york/york/placePopup ?id=111 corrobore cet argument. 53

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N’est-ce pas clairement pour cela qu’il précise avec insistance à chaque fois qu’il mentionne une de ses femmes, qu’il est bel et bien libéré de la précédente, soit parce qu’elle est morte, soit qu’elle l’a quitté, soit qu’il l’a repudiée ou divorcée ? Au moment où il prit pour femme la captive de Césarée, Flavius Josèphe n’était pas sûr du sort de sa première femme de Jérusalem. C’est donc dans la gêne de l’éventualité de son statut de bigame qu’il nous dit avoir été « forcé » d’épouser une femme « supplémentaire » dirons-nous. Josèphe apparemment tenait à respecter le principe de monogamie idéale observé du reste au moins par les aristocrates et les souverains, tout spécialement les souverains Hasmonéens. Ce souci de monogamie constitue une preuve supplémentaire à mes yeux dans les écrits de Josèphe donc, de son ambition cachée de restaurer la monarchie de type Hasmonéen pour luimême. Il convient à présent d’envisager la question de cette captive de Césarée que Josèphe fut forcé d’épouser sous un autre angle encore. En effet, pourquoi Vespasien l’aurait-il forcé d’épouser une prisonnière ? 1- Était-ce la coutume qu’un conquérant romain forçât ses captifs, privilégiés ou pas, d’épouser un autre captif ? 2- Vespasien avait-il un objectif secret en exigeant cela de Josèphe : savait-il que Josèphe était descendant de prêtre, il aurait donc sciemment voulu souiller le statut de ce dernier ? 3- Ce futur empereur, Vespasien, savait-il qu’un cohen ne pouvait épouser qu’une juive vierge ? 4- Si oui, en forçant Josèphe à épouser cette captive il s’assurait que ce dernier ne pourrait plus occuper une position de pouvoir au sein des Judéens. 5- Enfin Vespasien fit-il cela pour empêcher Josèphe de restaurer la monarchie de type Hasmonéen à son avantage avec lui-même à sa tête comme Roi-Grand-Prêtre monogame ? Et qui d’autre que le futur empereur eût mieux connu les ambitions cachées de Flavius Josèphe ? 38

Selon la lecture de Steve Mason, Josèphe, plutôt que d’avoir été « forcé » aurait reçu tous les « honneurs et privilèges » de la part de Vespasien, qui l’aurait « autorisé » ainsi à épouser cette captive de Césarée. Cependant je suis en désaccord total avec Mason sur ce point car premièrement, comme je l’ai mentionné plus haut dans cet ouvrage, nous devons garder à l’esprit que Josèphe écrivit ses Livres à Rome, sous la dictée des empereurs Flaviens, par conséquent il n’avait pas d’autre choix que de les flatter et de leur témoigner sa gratitude pour la manière dont ils l’avaient traité. Deuxièmement, Josèphe utilise le terme « forcé » et « vierge » car il s’est senti obligé de se justifier visà-vis au moins de l’affluente communauté juive crétoise de Rome parmi laquelle il choisit sa dernière femme. En outre, la lecture de Mason ne répond pas à mes questions. En effet, fut-il habituel pour un commandant romain de « diriger » l’un de ses captifs, vers le mariage comme un « privilège » et fut-il tellement urgent pour Josèphe de se marier ? Josèphe nous précise d’autre part que cette captive l’aurait laissé. Par conséquent, fut-il habituel pour une femme d’abandonner son époux ? Une fois encore, la seule logique que je vois ici c’est celle d’un Josèphe, qui avait jadis été un Judéen affluent, marié à une Juive de Jérusalem, un Josèphe avec des ambitions bien déterminées, attaché à respecter l’idéal de monogamie, et qui tenait à se justifier par rapport à ce mariage non conventionnel, et ce, afin de faire tabula rasa pour mener à bien ses projets politiques de restauration de la monarchie Hasmonéenne en Judée. Par ailleurs, de sa femme Alexandrine Flavius Josèphe eut trois fils nous dit-il. Il nomma l’aîné Yrcanos (Hyrcan) et ce fut le seul qui survécut. Est-ce un hasard si deux souverains Hasmonéens de Judée portèrent ce nom ? Jean Hyrcan I qui fut le premier dynaste hasmonéen et régna de 135 à 104 avant l’ère courante et Jean Hyrcan II qui régna de 67 à 63 avant l’ère

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courante54. Josèphe ne mentionne pas avoir eu de fille, en eut-il ou choisit-il délibérément de ne mentionner que ses cinq fils comme ceux de la dynastie hasmonéenne55 Jean Hyrcan I, Aristobule I, Alexandre Jannée, Aristobule II et Jean Hyrcan II ? Les autres fils qu’eut Josèphe furent Ioustos (Justus) qui naquit en 76 et Agrippas (Agrippa) en 78 ; ces deux derniers moururent. Il eut deux autres fils de sa femme crétoise : Ioustos (Justus), et Simonides surnommé Agrippas ; ces deux derniers fils furent nommés d’après ceux décédés auparavant, une coutume courante à l’époque d’ailleurs56. Donc toujours veillant à rester monogame, Flavius Josèphe eut aussi cinq fils à l’instar des souverains Hasmonéens. Il convient de décrire ses écrits à présent. Le Josèphe qui est allé à Rome possédait le bagage intellectuel d’un Jérusalémite maîtrisant parfaitement l’hébreu et l’araméen, mais n’ayant pas apparemment consacré beaucoup de temps à l’interprétation des Livres de l’Ancien Testament. Il parlait également le grec. Il venait d’une Palestine qui avait été 54 Dans son commentaire no. 22 Steve Mason dans Steve Mason, « Text and Commentaries… », op. cit., écrit que Josèphe présente le règne de Jean Hyrcan I comme l’apogée de la dynastie Hasmonéenne (Guerre des Juifs I, 54-69 ; Ant. XIII, 230-300), et qu’il n’est pas surprenant qu’il ait nommé son fils aîné Hyrcanos. Il est vraisemblable qu’il ait nommé ce fils du nom de son souverain Hasmonéen favori.Voilà encore des arguments dans les commentaires de Mason qui viennent étayer ma thèse. 55 Il est significatif que même sa mère, importante dans l’ascendance noble qu’il proclame, ne soit nommée nulle part dans les écrits de Josèphe. Ses quatre femmes ne sont pas non plus nommées. Par contre, tous les membres masculins de sa famille le sont. Josèphe reflète, semble-t-il ici, le manque d’intérêt général à Rome, comme dans la société juive palestinienne sous domination romaine, pour les noms féminins. La filiation patronymique largement attestée, en particulier dans les inscriptions funéraires sur ossuaires, semble prouver que tandis que la matrilinéarité fut respectée tant à Rome qu’en Judée (car en temps de guerre, on n’est sûr que de la mère), le nom du père fut important pour la filiation, et par extension tous les noms masculins. Cf. l’article de Joseph Mélèze, « Père ou mère aux origines de la matrilinéarité juive », Le monde de Clio, avril 2003. 56 Cf. Tombeau de la famille Goliath à Jéricho par exemple, fouillé et décrit par R. Hachlili et P. Smith, op. cit

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hellénisée depuis Alexandre Le Grand, mais qui s’était efforcée de maintenir le judaïsme avec ses institutions politiques, sociales et éducatives. Une idiosyncrasie qui offrait toujours un ou des modes de vie, dont les esprits de l’époque étaient conscients des différences. Josèphe fut donc à cheval entre deux idéologies. Il fut, comme tous les juifs influents de l’époque, à la fois conformiste à l’égard des lois et des cultes juifs et cosmopolite de culture. Politicien puis soldat il devint finalement écrivain. Dans l’Antiquité il était important que les historiens fussent contemporains des événements. Ainsi le furent Hérodote, Thucydide, Polybe, Salluste et bien d’autres comme Flavius Josèphe. Ce dernier appartenait à une élite d’autochtones, urbaine et hellénisée qui existait dans tout l’Empire romain ; elle se composait de prêtres, propriétaires fonciers, dynastes, etc. Il émigra par la suite de la périphérie vers le centre car c’est à Rome qu’il s’appliqua, protégé et client des empereurs, à rédiger les témoignages que nous connaissons. Ces derniers constituent d’ailleurs une source principale pour l’avènement des Flaviens et dans sa flatterie des empereurs, Flavius Josèphe est bien dans le ton de l’époque. En outre pour l’histoire de la Palestine au premier siècle de l’ère courante, bon nombre de ses informations ont été authentifiées par les récentes découvertes archéologiques tels les sites de Qumrân et de Jotapata. On ne trouve nulle part d’indication sur la date de la mort présumée de Josèphe vers l’année 100 de l’ère courante. Dans ses écrits il fut tantôt soucieux de présenter sous le jour le plus favorable son propre rôle tantôt celui de son peuple. Parmi ses écrits figure la Guerre des Juifs, originellement écrit en araméen, en sept livres où il souligne la puissance romaine et critique le nationalisme des Zélotes rendus responsables de la catastrophe. Il y raconte les événements qu’il a vécus de 66 à 73 en Palestine romaine. Ce fut le premier ouvrage qu’il réalisa dès 71 et qui fut publié entre 75 et 79.

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Puis dans une intention largement apologétique, il écrivit les Antiquités Judaïques en vingt livres, où, pour montrer l’ancienneté de sa nation il commence à Adam. Dans cet ouvrage majeur, il paraphrase largement tout le Pentateuque. Il s’agit d’une histoire de la nation juive des origines les plus lointaines jusqu’à la grande révolte de 66. En fait les livres XII à XX des Antiquités Judaïques développent les deux premiers livres de la Guerre des Juifs. En outre à la fin des Antiquités Judaïques il annonce un nouveau résumé de la guerre qu’il n’aura pas eu le loisir d’écrire. Les Antiquités Judaïques furent publiées en 93-94. La Vie (Vita) soit son Autobiographie en un livre, fut également publiée en 93-94. La majeure partie de cet écrit parle des accusations que Josèphe dut réprouver quelque vingt ans après la révolte juive. Il parle des six mois qu’il a passés en Galilée entre 66 et 67. Il décrit longuement les conflits entre Juifs mais sans parler de l’ennemi romain : ce n’est donc point une vraie autobiographie. On se demande d’ailleurs si c’est Josèphe lui-même qui a nommé ce livre Vita (La Vie). En effet, cet ouvrage semble plutôt être un appendice de ses Antiquités Judaïques et il réécrit à sa façon le livre III de la Guerre des Juifs. Eusèbe57, cite l’Autobiographie (Vita) en l’appelant Antiquités. Ceci tendrait à prouver qu’aux troisième et quatrième siècles de l’ère courante l’Autobiographie n’avait pas de titre propre. Josèphe lui-même à la fin des Antiquités Judaïques émet le souhait de s’attarder sur sa vie et sa carrière, en réalité pour répondre à une attaque contre sa famille. Enfin sa dernière œuvre, le Contre Apion en deux livres, publiée en 96, s’en prend directement à l’un des champions de l’antisémitisme alexandrin, Apion de son nom, dont Josèphe s’applique à réfuter les attaques en partie en démontrant la très haute ancienneté du judaïsme. Pour ce faire, il cite entre autres, un grand nombre d’historiens anciens dont les écrits sont, pour la plupart, maintenant perdus. 57

Cf. Histoire Ecclésiastique 3, 10.

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Nous devons donc à Flavius Josèphe le seul récit complet de la guerre de 66 à 73-74, année de la chute de la forteresse de Massada que nous ne connaissons que par lui, comme source littéraire. Bien qu’aujourd’hui les chercheurs lui préfèrent l’abondant matériel archéologique retrouvé à Massada. Originellement écrits en araméen et en grec, les ouvrages de Flavius Josèphe furent traduits en latin, en syriaque, en slave, puis en anglais, en français, en italien, en hébreu moderne et en japonais. Les imperfections linguistiques et le choix des mots parfois, en grec, révèlent la nature juive de Josèphe. Son style est tragique et pathétique avec beaucoup d’exagération à l’orientale. Cela dit, il n’est pas le pire des historiens hellénisants qui ayant immigré à Rome, écrivirent pour la politique romaine, tels Polybe, Dionysos d’Halicarnasse, Appien, Arrien, Dion Cassius, etc. Selon H. St. J. Thackeray58, les récits de Flavius Josèphe auraient été écrits par plusieurs mains. Pour cela il se base sur le fait que Flavius Josèphe lui-même dans le Contre Apion59 indique qu’il utilisa des assistants pour le grec en écrivant la Guerre des Juifs mais pas pour le reste de ses ouvrages qui furent écrits ultérieurement après qu’il eût baigné dans un environnement hellénisant à Rome pendant vingt ans. Les expressions empruntées à Thucydide et à Sophocle, que l’on peut trouver dans les écrits de Josèphe, sont des imitations qui furent le fait de plusieurs autres écrivains du premier siècle de l’ère courante. D’autre part, il est naturel que Josèphe ait voulu essayer plusieurs styles dans ses travaux. Au demeurant, il semble avoir été au moins bilingue : araméen et grec. Parmi les opposants, nous l’avons vu, se classe Ioustos (Justus) de Tibériade. La lucidité politique de Flavius Josèphe le conduisit à penser que sous la pax romana la religion juive pouvait mieux se 58

H. St. J. Thackeray, Josephus, The Man and the Historian, New York, 1929. 59 Cf. Contre Apion 1, 50.

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développer que sous l’indépendance de la Judée. De même Yohanan Ben Zakkai’ et à sa suite Yeshua` ben Hananyah abondèrent dans ce sens. En cela, ils se rapprochèrent tous trois du prophète Jérémie ou des auteurs des Actes des Apôtres, plutôt que des fanatiques de 66. En somme : Hasmonéen et Grand Prêtre, idéal monogame, cinq fils, choix politique du Pharisaïsme, transparaissent comme tout autant d’éléments de conformité avec la dynastie hasmonéenne que l’on trouve dans l’auto-description de Flavius Josèphe à travers ses écrits. Dans le prochain chapitre, nous nous étendrons sur les questions de polygamie ou polygynie et monogamie dans la société de l’époque.

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CHAPITRE II Polygynie/monogamie

Au cours du précédent chapitre, je vous ai indiqué le plan de cet ouvrage et je viens d’achever mon étude prosopographique de Flavius Josèphe. Cependant, avant de poursuivre et d’aborder les questions de polygynie et de monogamie dans la société de la Palestine romaine, j’aimerais revenir un instant sur la définition de la prosopographie et sur ce qu’elle représente en tant qu’instrument de recherche historique. Il s’agit en effet, d’une approche dans la recherche historique, consistant à rassembler dans les sources littéraires et épigraphiques à notre disposition, des informations sur les individus. Ces individus incluent le commun des mortels, ayant vécu à une époque historique donnée dans une région géographique donnée. La prosopographie comme méthodologie de recherche avait initialement été utilisée pour compiler des listes de soldats romains avec leur cursus militaire. Appliquée à l’histoire juive en particulier, la prosopographie, et nous l’avons vu avec Flavius Josèphe, nous ouvre des voies encore vierges sur les aspects de la vie sociale de l’époque. Par l’approche prosopographique l’historien se façonne sa propre source, dénuée de toutes influences. Car au contraire de l’histoire politique et militaire, ce que la prosopographie permet de recueillir, à savoir les données sur la vie quotidienne, l’éducation, les coutumes funéraires, matrimoniales et autres,

les métiers, sont tout autant d’aspects non corrompus dans les récits des auteurs anciens. Ces auteurs anciens qui furent alors, comme nous le savons, employés par les souverains, à vanter leurs victoires sur les ennemis et à décrire par là même surtout les héros, grandes figures de l’histoire que nous ne connaissons que trop et parfois encore si mal. Les données recueillies sur la vie personnelle de Flavius Josèphe dans mon premier chapitre m’ont laissée avec la question du mariage en suspens. En effet, nous savons qu’il fut plus d’une fois marié. Le futil de manière multiple ou plutôt subséquente autrement dit : a-til eu plusieurs femmes à la fois ou fut-il marié et « divorcé » plusieurs fois comme il semble l’indiquer lui-même ? C’est sur la question matrimoniale que je vais me pencher dans ce chapitre. Plus précisément, et après une réflexion au sens large, je vais me demander si au temps de Flavius Josèphe le mariage était monogame ou si la polygynie était la norme dans la société de la Palestine romaine. Puis je déterminerai et expliquerai le choix de notre historien juif, choix que je compterai comme un indice supplémentaire de son ambition cachée d’un retour à un régime de type hasmonéen dont il se serait destiné à tenir les rênes. Tout d’abord, il est nécessaire de faire une clarification terminologique. En effet le terme habituellement utilisé pour désigner un homme marié à plusieurs femmes est « polygamie ». Cependant, le terme est inadéquat car il sous-entend un homme ayant épousé plusieurs femmes à la fois. Or la réalité sociale concernant le Judaïsme tout au moins, décrit plutôt des situations où un homme aurait eu une femme et plusieurs concubines. C’est donc le terme plus adéquat de « polygynie », plus proche de cette réalité, que j’utiliserai. C’est un terme que nous trouvons par ailleurs dans des travaux tels que par exemple l’article de Mordechai A. 46

Friedman60. D’autres travaux nous éclairent sur la question du mariage à l’époque qui nous préoccupe ; par exemple, l’article d’Isaiah. M. Gafni61. Tal Ilan62 a aussi fait une étude des femmes dans la société de la Palestine romaine. Salo Wittmayer Baron a consacré un chapitre du deuxième volume de son œuvre63 sur l’institution du mariage chez les Juifs de Palestine romaine. Dans un premier temps, il convient de faire quelques remarques d’ordre sociologique au sens large. Tout d’abord en effet, la position que la société en général prend à l’égard de la polygynie, en théorie et en pratique, reflète sa vue générale de l’institution du mariage et de ses objectifs. Il est présumé que dans une société où la polygynie est permise, le poids est surtout mis sur la procréation et porter un enfant est dès lors considéré comme le but principal du mariage. En outre, il apparaît qu’une société permettant la polygynie mettrait une certaine emphase sur la satisfaction sexuelle du mâle et, par là même, cela reflète les vues de cette société sur le statut de la femme. Les anthropologues ont montré que la polygynie est la forme commune et la plus acceptée de mariage. Par conséquent, elle est la plus largement répandue dans les sociétés à travers le monde. Selon les termes de l’anthropologue Jack Goody64, essayer de commencer par expliquer la polygynie est une

60

Cf. M.A.Friedman, « Polygyny in Jewish Tradition and Practice : New sources from the Cairo Gueniza », PAAJR (Proceedings of the American Academy for Jewish Research), 1982. 61 Cf. I.M. Gafni, « The Institution of Marriage in Rabbinic Times », D. Kramer, ed., The Jewish Family, Metaphor and Memory, New York-Oxford, 1989. 62 T. Ilan, Jewish Women in Greco-Roman Palestine, Tubingen, 1995. 63 Cf. S.W. Baron, A Social and Religious History of the Jews, deuxième édition, New York, 1958. 64 Cf. J. Goody, Production and Reproduction: A Comparative Study of the Domestic Domain, Cambridge University Press, 1976.

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démarche erronée. En réalité selon les cultures humaines, c’est la monogamie qui est rare, la polygynie elle, est commune. Quand on utilise le terme de polygynie pour désigner la réalité matrimoniale d’une société donnée qu’entend-on exactement ? Si cela implique que la majorité des hommes dans cette société épousent plusieurs femmes à la fois, alors la société juive de l’Antiquité romaine ne répond pas à cette désignation. Toutefois, il serait presque impossible, pour n’importe quelle société n’importe où, de répondre à cette définition. Ne serait-ce que pour des raisons démographiques simples on ne peut imaginer une société rigoureusement polygyne à moins d’avoir des mécanismes de régulation internes tels que l’exposition des nourrissons pour maintenir un équilibre démographique. Or inutile de le préciser, l’exposition de nourrissons ne fut jamais pratiquée dans les sociétés juives. Il n’y a pas de preuve d’exposition de nourrissons, s’entend nourrissons mâles, pour préserver l’équilibre démographique de la société juive comme cela se faisait couramment chez les Grecs par exemple où la polygynie était largement pratiquée avec les esclaves en particulier. Dès lors, nous devons présumer que si une société juive d’une quelconque époque a pratiqué la polygynie, ce fut limité. Seuls quelques-uns de ses membres masculins prirent plus d’une femme. La raison principale de cette limitation en fut, à la lumière de ce que nous venons d’indiquer, économique. Il existe deux dimensions inhérentes à la définition du statut matrimonial dans une société donnée : la dimension légale et la pratique réelle. Or à l’époque qui nous préoccupe pour les Juifs, il ne semble pas y avoir jamais eu encore de législation du statut matrimonial, ni en Palestine ni en diaspora. Il va s’agir donc uniquement de coutumes, voire de comportement social. Essayons à présent de brosser un tableau récapitulatif des pratiques matrimoniales à travers l’histoire juive. Examinons l’évolution de l’accouplement en institution du mariage des 48

sociétés de notre peuple depuis les origines jusqu’à la Palestine romaine à travers les documents ; plus précisément comment et quand est-on passé de la polygynie à la monogamie ? Allons-nous adopter la position de S. Baron et à sa suite celle de nombreux chercheurs qui se sont penchés sur la question ? En effet, cette approche consiste à dire que la polygynie comme type de mariage avait disparu de la société juive dès l’époque du Second Temple. Cette vue fut effectivement d’abord développée par Baron65. Un consensus parmi les chercheurs s’ensuivit et dès lors, jusqu’à preuve du contraire, il était accepté que tous les Juifs de la Palestine romaine, sauf exceptions, s’abstenaient d’épouser plus d’une femme. La majorité de ces chercheurs partageant cette conception inclut Lichtenstein, Low, Epstein, Lowy, Herr, Safrai, Friedman, etc. Guedalyiahu Alon ajoute sa voix à ce consensus également66. En réalité cette théorie se fonde sur la littérature talmudique où l’on peut percevoir à plusieurs reprises dans les exemples donnés, un ton négatif lorsqu’il s’agit de la possibilité qu’un homme épouse plusieurs femmes. Cela dit ce ton réprobateur du Talmud pourrait justement laisser croire que beaucoup d’hommes juifs pratiquaient la polygynie à l’époque et que telle était réellement la norme. Cependant, il serait en fait erroné de croire en une corrélation automatique entre les vues des rabbins et la pratique sociale réelle et ce, concernant différents aspects de la réalité sociale du reste, en Palestine romaine. Il convient de récapituler à ce stade. Pour l’histoire sociale de la Palestine romaine, nous possédons principalement comme sources : la littérature rabbinique, Flavius Josèphe, les 65

Dans le chapitre intitulé : « Monogamous trends », dans son œuvre monumentale A Social and Religious History of the Jews, op. Cit. 66 Dans son article en Hébreu, publié dans Tarbiz en 1939, que l’on peut traduire par « Méthode sociologique dans l’étude de la Halakhah ».

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manuscrits du désert de Judée et les tombeaux taillés dans le roc de la région de Jérusalem et de Jéricho. Ces sources étant du reste principalement d’obédience pharisienne. En effet, le Talmud source pharisienne, cela va sans dire, Flavius Josèphe qui avait opté nous l’avons vu, pour le courant de pensée pharisien, et les tombeaux qui semblent aussi avoir appartenu en majorité à des Pharisiens croyant en la résurrection des défunts, selon une théorie largement répandue. Abordons la littérature rabbinique à présent et ce, en tant que compilation de discussions de rabbins sur la Loi Écrite. Alors tout d’abord que nous dit cette Loi Écrite, la Torah, sur le mariage ? La question de la rivale-concubine-servante-maîtresse est largement développée dans le Pentateuque depuis Abraham. La réalité matrimoniale décrite là répond donc à la définition de la polygynie. À l’exception de Jacob qui a épousé deux sœurs mais là encore, de manière non concomitante. Donc là non plus il n’est pas question de polygamie mais bien encore de polygynie. Réfléchissons d’ailleurs un instant sur la défense du mariage « avec une femme et sa sœur » prescrite par le Lévitique67 : il y est donné comme raison de ne pas créer de rivalité, de leur vivant, entre deux sœurs que la nature prédestine à s’aimer. Jacob a, cependant, transgressé cette prescription. Au demeurant, le Document de Damas68, interprète et extrapole dans sa dimension philologique la prohibition biblique du Lévitique 18,18 que je viens de mentionner, et la considère comme prohibant tout second mariage simultané. Ce Document de Damas, nous le savons, compte parmi les documents de Qumrân, constituant notamment les exemplaires les plus anciens de la Loi Écrite. En outre dans ce manuscrit de Qumrân donc, ce même Document de Damas, on insiste sur le fait que Noah (Noé) ait 67 68

Cf. Lévitique 18, 18. Un des Manuscrits de Qumrân.

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pris seulement un mâle et une femelle de chaque espèce dans son arche. Ceci vient renforcer l’idéal monogame qui se profile au travers des textes de la Palestine romaine. Que nous dit la littérature rabbinique à ce propos ? Et bien, allons d’abord chercher des éléments de réponse dans son contexte naturel, en Babylonie, où, parmi le groupe dominant de la population, les Perses en l’occurrence, la polygynie était extrêmement répandue. Il n’est dès lors pas surprenant de constater que la société juive babylonienne pratiqua bien plus la polygynie que la société juive de Palestine. Cependant, la loi rabbinique ne prohibait pas la polygynie en Palestine romaine, et ce, parce que les Juifs s’opposaient fermement à la stricte monogamie prescrite dans la société gréco-romaine environnante. Ceci étant, très peu nombreux furent les rabbins prenant plusieurs femmes, et ce, à cause de raisons économiques mais aussi par considération humaine pour la première femme qui devait rester et se sentir heureuse. Il semble par conséquent qu’un idéal de monogamie ait pris lentement forme dans la loi rabbinique de la Palestine romaine. Au demeurant, dans la société de la Palestine romaine qui nous intéresse, une société en proie aux conflits donc, tout porte à croire que la polygynie était comparativement rare à cause de trois raisons que je vais énumérer : 1- Les limitations économiques, en effet il fallait pouvoir subvenir aux besoins de plusieurs femmes à la fois surtout en temps de guerre. 2- Un manque de femmes éligibles : étant donné l’absence pratiquement totale d’hommes célibataires, seul un surplus négligeable de femmes aurait pu être disponible. 3- En outre, la société romaine était monogame et son impact sur la société juive sous sa domination commençait à se faire sentir. Tout d’abord, les Juifs qui avaient la

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citoyenneté romaine ne pouvaient avoir plus d’une femme. Les souverains Hérodiens furent une exception. Par la suite avec l’Édit de Caracalla en 212 tous les Juifs devinrent citoyens romains, dès lors il ne devait plus y avoir de polygynie parmi eux. Il me semble que depuis les temps bibliques jusqu’au temps du Talmud on estimait dans les sociétés juives, que prendre plusieurs femmes n’était pas la meilleure idée, et ce, pour des raisons économiques. À la littérature biblique et talmudique viennent se rajouter les documents de Qumrân au sens large pour confirmer que la monogamie était la situation idéale. Ainsi, la polygynie était désormais plutôt une concession religieuse légale, dans le cas de stérilité maritale, de lévirat, et autres circonstances exceptionnelles. De même par ailleurs, le végétarisme est décrit comme un idéal dans les lois Noahides avec une concession légale religieuse de consommer de la viande, à condition qu’elle soit soumise à des prescriptions rituelles. Il n’y a pas dans la Bible, j’en conviens, de prohibitions quant au mariage multiple des hommes. Cependant à mon sens c’est une démarche erronée que de penser que l’absence de prohibition indique une pratique courante dans la réalité sociale. Il faut plutôt se dire que la polygynie dans la Bible comme dans le Talmud est exceptionnelle et pratiquée surtout dans l’objectif de la procréation, et elle est exceptionnelle par le fait même que cette littérature consiste en compilations de cas, de personnages et de situations exceptionnels. D’aucuns avancent même, qu’il n’y a pas de prohibition halakhique, légale donc, de la polygynie au sein du judaïsme pharisien à l’époque du Second Temple, à en croire la littérature rabbinique. En outre dans les sources tannaïtiques, le terme hébreu de tsarot, qui veut dire littéralement rivales, soit « femmes associées », désignant deux femmes mariées au même homme, est fréquemment utilisé. Un certain nombre de halakhot, que

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nous n’entreprendrons pas d’énumérer ici, reflètent une familiarité avec la possibilité de polygynie. Adiel Schremer69 rajoute que dans ces sources tannaïtiques il n’y a nulle part une opposition à la polygynie. Nous pouvons répondre tout d’abord qu’en revanche il existe plusieurs déclarations de rabbins dans cette même littérature, qui s’opposent fermement à la polygynie. À mon sens la démarche de Schremer est faussée au départ car le Talmud est une compilation de discussions entre rabbins ou docteurs de la loi tels qu’on les appelle communément entre historiens. Le Talmud est un recueil de jurisprudence. Or si le thème de la polygynie est si récurrent dans le Talmud, cela veut simplement dire que ce fut certes un grand débat à l’époque et que cette société de la Palestine romaine en grande mutation, ce judaïsme formatif tel que reflété dans la littérature rabbinique était encore réticent à prohiber la polygynie mais présentait petit à petit sans doute un idéal de monogamie à la romaine. Nous savons du reste que le Talmud a emprunté au jus (droit) romain dans bien d’autres domaines, pour les questions des dommages-intérêts par exemple. Citons en outre un autre exemple témoignant de tels emprunts et éloquent dans la discussion que nous menons ici. Il s’agit en effet du passage de la patrilinéarité biblique à la matrilinéarité prônée par le Talmud concernant la judéité, passage qui ne peut s’expliquer que par un emprunt du Talmud au droit romain environnant. En d’autres termes, à travers la Bible, il est clair que la judéité se transmet par le père. D’après le Talmud, c’est par la mère que l’on détermine si quelqu’un est juif ou pas et ceci est resté en vigueur jusqu’à nos jours. Or dans le droit romain contemporain en formation, dans le cas de couples mixtes, le statut d’un individu dans la société est également déterminé par un principe de filiation matrilinéaire, 69

Cf. A. Schremer, « How much Polygyny in Roman Palestine ? », PAAJR, 1997-2001.

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car en temps de guerre avec les viols et les brassages de population que cela implique, le bon sens nous dit : « on n’est jamais sûr que de la mère ». Je vous réfère à l’article de Joseph Mélèze70 à ce sujet et dont je vais citer un extrait : « ...Mariages mixtes et démographie juive : Quand on parle de l’origine de la filiation matrilinéaire, on invoque habituellement à ce propos le cas douloureux des femmes violées pendant les guerres contre les Romains. La filiation maternelle servirait avant tout à assurer la judéité des enfants qui étaient le fruit de ces viols. Mais le problème démographique que les responsables du peuple juif devaient affronter dépassait largement ces drames. Les défaites militaires à l’occasion desquelles se produisaient les viols provoquaient aussi, sinon d’abord, une pénurie d’hommes qui allait en s’aggravant d’une catastrophe à l’autre. Au drame des femmes violées, malheur qui n’avait qu’un caractère sporadique, venait s’ajouter le drame quasi permanent des jeunes filles et des veuves qui allaient rester sans époux, les hommes juifs étant morts à la guerre ou déportés comme captifs. Pour faire face à cette situation périlleuse, une première solution aurait pu consister à promouvoir la polygynie, théoriquement autorisée par la loi biblique et effectivement pratiquée dans les provinces romaines. Mais les juifs, à l’époque des Antonins, sont hostiles à la polygynie. Elle n’avait pas beaucoup de chance de devenir une arme efficace contre le dépeuplement. Une autre solution, plus réaliste, consistait à puiser hors de la communauté juive, l’élément masculin qui lui manquait. Ici resurgit le problème du mariage mixte, inséparable de celui de la filiation dans les discussions rabbiniques, qui a été au point de départ de cet exposé. La loi biblique admettait, on l’a déjà rappelé, qu’une femme païenne, en épousant un juif, fût

70

Cf. J. Mélèze, « Père ou mère : aux origines de la matrilinéarité juive », op.cit.

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intégrée à la société juive. Pour les hommes, la conversion au judaïsme, fonctionnant depuis la fin du IIe siècle avant notre ère, comme une sorte de « naturalisation », rendait possible le mariage d’une fille juive avec un païen converti au judaïsme. Nul doute que des gentils convertis au judaïsme pouvaient mieux que les violeurs romains servir à compenser les pertes de la substance humaine causées par les guerres »... Alors à la question : « est-il légitime de déduire des sources rabbiniques ce que la réalité sociale fut alors ? » je réponds oui et dans le sens que je viens de décrire en m’appuyant notamment sur ce passage de Joseph Mélèze. Il s’agissait d’une polygynie exceptionnelle et réparatrice. En fait, je serais bien plus encline à penser que les exemples trouvés dans le Talmud qui discutent de cas de polygynie sont virtuels et y sont apportés dans un but purement didactique comme base de la controverse. En effet par exemple à mon sens, le problème que posent le divorce et le gueth, de même que l’héritage dans le cas d’un mariage double ou multiple, sont autant d’exemples fictifs suffisant à nous laisser entendre qu’un idéal de monogamie se profilait à travers la littérature rabbinique à l’époque. Je vais donc renchérir la thèse de Mélèze et considérer ces exemples du Talmud où il est question de polygynie comme autant de tests de la part des sages pour tâter le terrain en proposant cette situation matrimoniale, avec la polygynie comme solution démographique ponctuelle pour une Palestine romaine en guerre. La perspective des législateurs de la Bible, comme celle des législateurs du Talmud en compilant ces écrits, fut de mettre en exergue une société ou une situation idéale, et ce, en faisant souvent des concessions au particulier. C’est pourquoi sur la question spécifique de la polygynie, elle n’est pas prohibée mais plutôt exposée, voire proposée dans une situation particulière alors que la majorité du peuple y était opposée et devait ou devrait être monogame.

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En Babylonie, comme nous l’avons mentionné, le contexte social dans lequel ont évolué certains sages du Talmud, était propice à la polygynie. C’est avec ceci en tête que nous lisons cet exemple de Rabbi Ami, un amora né en Babylonie, qui immigra en Palestine et s’épanouit à Tibériade au milieu du troisième siècle de l’ère courante. Dans le passage du Talmud Babli71 il dit que : « quiconque prend une femme en addition de sa femme actuelle doit divorcer de la première et lui payer sa ketubbah ». Ceci s’accorde parfaitement avec les nombreuses fois où Flavius Josèphe nous précise qu’il a dû se séparer d’une femme pour en épouser une autre. Donc effectivement, le contexte de la Palestine romaine avait été propice à la monogamie. Reprenons à nouveau le Document de Damas72. Ce texte renferme une position clairement « anti-polygyne ». Il s’agit du passage dans ce document qui condamne les « constructeurs du mur », les Pharisiens apparemment, pour avoir pris deux femmes pendant le temps de leur vie. Doit-on voir ce texte comme une condamnation du divorce ou de la polygynie ou des deux ? À mon sens le document condamne les deux. Cela dit, il est facile d’imaginer que ce texte de la communauté de Qumrân, une communauté en dispute avec la société environnante, ait eu tendance à généraliser son accusation de la pratique de la polygynie ou du divorce à toute la communauté avec laquelle elle est en dispute, à savoir ici les Pharisiens probablement. Donc disons que plusieurs sources attestent la pratique sporadique de la polygynie en Palestine à la fois des époques du Second Temple, Mishnaïque et Talmudique. La Palestine romaine de Flavius Josèphe n’y échappa pas non plus. La source la plus importante étant la Mishnah et les sources tannaïtiques relatives telles que la Tosefta, le Talmud 71 72

Yebamot 65a CD 4:20-21.

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Yerushalmi et le Talmud Babli, et en particulier le premier chapitre du traité Yebamot. Ce qu’il ressort de ces textes est une discussion houleuse entre Beth Shammaï et Beth Hillel sur les pratiques matrimoniales ; donc encore une fois le reflet d’une forte préoccupation de la société de l’époque. Cela va renforçant la préoccupation très forte de Flavius Josèphe nous donnant constamment des précisions sur son statut matrimonial. Flavius Josèphe, nous l’avons vu, s’attache à préciser à chaque occasion, qu’il est en quelque sorte séparé de la précédente avant d’épouser une autre femme. Soit que la femme précédente est morte ou présumée morte ou qu’il a été forcé d’en épouser une autre, soit qu’elle le quitte soit qu’il « divorce ». Au demeurant, la longue captivité de Flavius Josèphe a joué un rôle non négligeable dans son statut matrimonial. Flavius Josèphe dans ses Antiquités Judaïques73 et sa Guerre des Juifs74 précise qu’« il était de nos coutumes anciennes d’avoir plusieurs femmes en même temps » mais il fait référence aux temps bibliques ici. Justin75 dans son dialogue avec le Juif Tryphon, confirme que les Juifs partout dans le monde prennent autant de femmes qu’il leur plaît. Cela dit il s’agit là d’une source anti-juive comme nous le savons, et ceci traduit sans doute la réalité de l’absence de législation dans le judaïsme en matière matrimoniale. Les exemples de situations polygynes citées par Flavius Josèphe concernent la famille royale d’Hérode76 ou des aristocrates tels Joseph, fils de Tobie77.

73

Cf. Antiquités Judaïques XVII, 14. Cf. Guerre des Juifs I, 477. 75 Cf. Dialogue avec Tryphon 4, 141. 76 Voir Guerre des Juifs I, 477 et Antiquités Judaïques XVII, 18. 74

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Il semble aussi d’après les documents classifiés comme lettres de Bar Kokhba que dans celui connu comme les Archives de Babatha, Judah, le deuxième mari de Babatha ait été lui, marié à une autre femme également ; un autre exemple ici d’une famille aisée. Le cas du frère de rabbi Yehudah ben Ishmael78, qui entra dans le lévirat avec plus d’une femme, doit aussi être appréhendé comme exceptionnel. Dans le chapitre 10 de la Mishnah Ketubboth il est question du cas du payement de la ketubbah pour celui qui a deux femmes. Je serais encline à penser que dans tous ces cas la polygynie est regardée par les sages du Talmud comme compliquant légalement la situation d’une personne et est découragée pour des raisons économiques. En outre, il est intéressant de remarquer que les inscriptions funéraires et les ossements trouvés dans les ossuaires de la Palestine romaine du début de l’empire, indiquent que maris et femmes furent parfois inhumés ensemble mais il s’agit à chaque fois d’un mari avec son unique femme, une autre preuve de l’idéal de monogamie parmi les Pharisiens au moins, de l’époque de Flavius Josèphe. Je citerai deux exemples : El`azar et Shappirah, Hananyah et Mariah que vous pourrez trouver dans mon ouvrage79. Plus tard, dans la législation romaine, l’on trouve plusieurs exemples concernant les pratiques matrimoniales des Juifs. Par exemple la loi d’Arcadius et Honorius donnée en l’année 393 de l’ère courante et qui comprend une prohibition interdisant aux Juifs d’agir selon leur coutume (mos) et leur loi (lex) à propos du mariage. Cette loi d’Arcadius et Honorius stipule qu’aucun juif ne doit conserver sa coutume des unions du 77

Voir Antiquités Judaïques XII, 186-189. Cf. Yerushalmi Yebamot 4:11. 79 Cf. C. Cohen-Matlofsky, op. cit. notices nos 167, 238, 387 et 527: El`azar et Shappirah, Hananyah et Mariah, sont maris et femmes inhumés ensemble. 78

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mariage, il ne doit pas non plus contracter mariage selon sa loi ou contracter des mariages multiples concomitants. Cette législation prohibant explicitement la polygynie/polygamie chez les Juifs indique, semble-t-il que certains pratiquaient encore cette coutume matrimoniale dans l’Empire romain aux troisième et quatrième siècles. Et ce, peut-être jusqu’au début du cinquième siècle de l’ère courante car l’évêque maronite Théodoritos, parle également de cette coutume qu’avaient les Juifs et les Grecs dans le passé de se marier à deux ou plusieurs femmes en même temps. Alors ou bien ces sources font référence à une pratique répandue en Palestine bien avant la domination romaine et sous influence Babylonienne ou bien elles décrivent une situation de Juifs de diaspora, à Rome en particulier, où le retour à la polygynie fut possible parmi les Juifs. Cela dit, il y eut une tendance générale à désapprouver la pratique de la polygynie en Palestine romaine, tout au moins du temps de Flavius Josèphe. L’attitude des sages à l’égard de cette pratique matrimoniale, loin d’être approbative, ne fut pas généralement prohibitive mais s’attachait au cas par cas, comme pour toute question traitée dans ce recueil de jurisprudence qu’est le Talmud par essence. Il semble que les sages du Talmud n’aient pas désapprouvé la polygynie en elle-même et leur attitude à son égard dépendait des circonstances particulières au cas par cas. Si son objectif était la procréation tout en respectant et préservant la judéité et si elle ne posait pas problème au plan légal et économique alors la polygynie était regardée comme acceptable. L’attitude des rabbins devant cette pratique matrimoniale n’était pas mue par un sens éthique vis-à-vis de l’institution du mariage comme cela a été le cas chez les Chrétiens. Les rabbins eux furent préoccupés par le maintien de la paix conjugale et de la stabilité à l’intérieur de la famille. Dans le Midrash Hagadol Rabbi Ishmael dit en substance : si l’homme doit avoir deux femmes il finira par aimer l’une 59

d’elles et par haïr l’autre. Cette source illustre explicitement ce que nous venons de mentionner à propos des intentions de nos sages. En outre, la vue que deux femmes dans la même maison causent des querelles dans la maison est aussi répandue dans la littérature rabbinique. Nous pouvons citer un texte qui s’oppose à la polygynie en principe, il s’agit des dires de Rabbi Judah Ben Bathyrah dans le Avot de Rabbi Nathan qui dit en substance : Job avait l’habitude de se raisonner ainsi : « …quelle serait ma portion de dieu d’en haut et mon héritage de la part du dieu tout puissant ? S’il avait été approprié de donner dix femmes à Adam dieu les lui aurait données. Mais ce ne fut pas le cas et pour moi de même ma seule femme est suffisante »80. La rédaction finale du Avot de Rabbi Nathan prit forme au septième siècle de l’ère courante donc dans un contexte diasporique où le retour à la polygynie fut vraisemblable parmi les Juifs. Alors, disons en conclusion que la polygynie était largement pratiquée au temps de l’Ancien Testament préexilique. Les textes postexiliques des Proverbes, notamment, décrivent la nécessité d’une structure familiale monogame dans une réalité sociale où la Torah était devenue une force de vie sur une terre particulière et pour préserver le peuple sur cette terre d’Israël donc contre l’assimilation et la pratique de l’idolâtrie, l’ancien système patriarcal de la famille élargie fit donc place petit à petit à la famille nucléaire. En outre, par la suite la culture rabbinique vit dans la monogamie la norme et l’idéal. Cependant, les rabbins furent réticents à prohiber officiellement ce qui avait été permis par la Loi Écrite. Le principe de monogamie semble avoir été de rigueur et considéré comme un idéal sage dans une Palestine romaine en temps de guerre, et ce, au moins pour des raisons économiques.

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Cf. Job 31:2.

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Aucune mention du contraire ne peut se trouver ni dans les sources littéraires contemporaines ni dans le matériel archéologique. Nous l’avons indiqué, les exemples de la littérature rabbinique relatent des cas exceptionnels et les inhumations en cercueils ou en ossuaires dans les tombeaux taillés dans le roc de Jérusalem ou de Jéricho en Palestine romaine prouvent qu’à chaque instance d’une inhumation multiple ce sont les ossements d’un mari avec son unique femme que l’on retrouvait. Par ailleurs, la préoccupation de préserver la judéité dans une Palestine en guerre contre les Romains où les femmes juives étaient violées, fit que d’une part on passa à une filiation matrilinéaire à la romaine : il fallait que la femme soit juive car on n’est sûr que de la mère, et d’autre part, la polygynie représenta un danger car l’homme pouvait prendre des païennes comme deuxième et troisième femme, etc. C’est ainsi que nous lisons dans la littérature rabbinique à travers ses exemples de cas par cas, des recommandations implicites de la part des sages, d’un idéal de monogamie pour les Juifs dans cette Palestine romaine déchirée. Un idéal que Flavius Josèphe s’attacha à respecter. Ainsi, le mariage ne fut pas considéré comme un but sacré par les rabbins mais plutôt comme un moyen socio-économique optimal. Cela étant dit, la propagation de la pratique de polygynie dans les parties orientales de la méditerranée au moyen-âge comme l’indiquent les documents de la Guénizah du Caire et démontrée par Friedman, reflète-t-elle une influence musulmane ou le retour à une pratique juive ancienne ? La question reste posée.

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CHAPITRE III Esséniens

En parlant de mariage, nul ne peut ignorer le groupe des « Esséniens », contemporains de Flavius Josèphe et qui apparemment prônaient un idéal de célibat. Furent-ils un groupe d’ascètes menant une vie de type monastique dans le désert ? Y eut-il des Esséniens citadins et des Esséniens des campagnes voire des Esséniens vivant dans les centres urbains et d’autres dans le désert ? Doit-on les assimiler aux Qumrâniens ? Furent-ils les auteurs des Manuscrits de la mer Morte ? En quoi inspirèrent-ils les premiers Chrétiens ?81 Autant de questions auxquelles nous n’aurons pas la prétention de répondre dans le présent ouvrage. Dans un premier temps, voyons ce que dit Flavius Josèphe des Esséniens dans ses écrits. Nous ferons le point par la suite, sur la question du célibat. Nous examinerons le site de Qumrân dans le désert de Judée près de la mer Morte dans le chapitre suivant. Vraisemblablement, la plus fameuse relation faite entre texte et matériel archéologique par la recherche historique au vingtième siècle a été l’identification faite entre l’Essénien et le Qumrânien.

81 Sur l’interaction entre Juifs et Chrétiens voir T. Rajak, « The Jewish Community and its Boundaries », J. Lieu, J. North et T. Rajak, éds., The Jews among Pagans and Christians : in the Roman Empire, Londres, 1992, p. 9-29.

L’Essénien est un personnage connu depuis deux mille ans notamment à travers les textes grecs et latins. Le site de Qumrân quant à lui a été découvert et fouillé seulement au XIXe siècle. Les auteurs anciens en question sont Philon d’Alexandrie qui nous a laissé les deux notices les plus anciennes sur la communauté essénienne. L’une se lit dans son traité intitulé Quod omnis probus liber sit (§§ 75-91); l’autre dans son Apologie des Juifs, livre aujourd’hui perdu, mais dont Eusèbe de Césarée dans la Preparatio Evangelica (livre VIII, chapitre XI), a conservé le passage sur les Esséniens. Pline l’Ancien dans son Histoire Naturelle, Dion Chrysostome dans ses Discours et surtout Flavius Josèphe dans la Guerre des Juifs, les Antiquités Judaïques et Vita, ont également des notices sur les Esséniens. Des parallèles faits d’une part entre les Esséniens de Josèphe, en particulier ceux décrits dans la Guerre des Juifs II, 119-161, les Esséniens qui « vivaient dans le désert de Judée » tels que décrits par Pline l’Ancien dans son Histoire Naturelle 5,73 et d’autre part les gens des Rouleaux de La mer Morte, ont été cruciaux pour forger cette assimilation entre Esséniens et Qumrâniens. Parmi les auteurs anciens du reste, seul Pline l’Ancien place les Esséniens dans le désert de Judée. Donc, Pline l’ancien à la fin du premier siècle de l’ère courante mentionna la présence d’Esséniens dans cette région, bien qu’au Nord d’Ein Geddi soit quelque 34 km au Sud du site de Qumrân. Or nos manuscrits ont précisément été trouvés dans ces parages de la dépression de la mer Morte. À partir du XIXe siècle l’on connaissait des ruines sous le nom de Khirbet Qumrân qui indiquaient l’existence d’un établissement habité jusqu’aux alentours de l’an 70 après J.-C. C’est Sukenik qui en 1948, ayant lu la Règle de la communauté, le Commentaire d’Habakuk, le Rouleau des Hymnes et quelques autres textes, eut l’idée d’un lien direct

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entre ces œuvres et les Esséniens antiques que mentionne Pline dans son Histoire Naturelle. Deux ans plus tard, en 1950, intervinrent deux autres personnalités. D’abord, Roland de Vaux, dominicain de l’école Biblique et Archéologique de Jérusalem, qui dans un premier temps, répondit par la négative, mais il changea vite d’avis après avoir exploré et fouillé les lieux. Ayant en tête surtout la Règle de la Communauté, il repéra sur le site de Qumrân, de nombreux bassins de purification, des lieux de réunion ou de repas en commun, bien plus, un scriptorium avec même des restes d’encriers. Dès lors, Qumrân était bien pour lui, le « monastère » (sic) essénien, et c’est là que ces derniers auraient écrit les textes découverts. L’identification était en effet tentante et cette coïncidence fit immédiatement naitre la thèse, défendue par André DupontSommer, selon laquelle l’ensemble des manuscrits de la mer Morte provient d’une communauté essénienne qui se trouvait installée dans la région de Qumrân. Je réfère le lecteur à l’ouvrage de ce chercheur publié en 1959, Les écrits Esséniens découverts près de la mer Morte. Cette communauté aurait caché ces manuscrits dans les grottes du voisinage à l’approche des Romains, peu avant la chute de Jérusalem en 70 de l’ère courante. En outre, DupontSommer fit mieux connaître les notices sur les Esséniens des écrits des auteurs anciens. Ladite thèse essénienne a été bâtie à partir d’une brassée de Rouleaux, sept au juste. Or, restaient à venir les restes parfois substantiels de quelque neuf cents autres. En outre, en ces premiers temps de la recherche, on s’attacha essentiellement aux ressemblances entre les descriptions de la vie essénienne par Pline, Philon et Josèphe et ce qu’étaient censés dire de celleci certains des textes découverts. On laissa tomber les différences, considérées comme des fioritures ou éléments secondaires. Mais, depuis quelques années, on a tendance à mettre l’accent sur les différences, prises très au sérieux.

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Cette thèse « essénienne » a, dans un premier temps, difficilement trouvé un consensus dans le monde savant. Aujourd’hui encore elle a de nombreux contradicteurs. Dans Le mythe des Esséniens, un ouvrage publié en 1957 à Paris, Henri Del Medico, développe la thèse selon laquelle Philon d’Alexandrie aurait inventé les Esséniens de Palestine. Philon, philosophe grec d’Alexandrie, voulut qu’il y eût des Esséniens en Palestine pour démontrer aux païens que le « cénobitisme, phénomène typique et uniquement égyptien au premier siècle de notre ère, n’était pas incompatible avec le Judaïsme ». Il y eut bien en Égypte une espèce de monachisme égyptien, les Thérapeutes, mais rien de pareil n’a existé en Palestine où d’ailleurs, le célibat était considéré comme un péché grave. Dès lors, les Esséniens de Philon seraient probablement la traduction du grec Thérapeutes. En outre ajoute Del Medico, les témoignages concernant les Esséniens de Pline l’Ancien viendraient de Philon sur le travail duquel il aurait brodé. Il aurait notamment intercalé un « n » aux Esséens de Philon pour en faire Esséniens, probablement en souvenir des Essènes, confrérie de prêtres au Temple d’Artémis à Éphèse. Par ailleurs, ajoute encore Del Medico, le troisième témoin des Esséniens, Dion Chrysostome, rhéteur grec du premier siècle de notre ère, serait aussi fantaisiste que Philon et Pline. Dion corrobore donc le jugement de ses deux prédécesseurs concernant les Esséniens. Pour ma part je pense que c’est dans la description des Thérapeutes de Philon qu’il faut chercher l’origine de la communauté des Esséniens chez tous les autres auteurs anciens. Si Esséniens il y eut en Palestine, ils venaient d’ailleurs. En tout cas, ceux qui auraient investi temporairement le site de Qumrân étaient vraisemblablement originaires d’Alexandrie, soit des Thérapeutes, venus s’installer autour d’un autre lac salé, la mer Morte, pendant du lac Maréotis, témoins les manuscrits grecs de la grotte 4. En effet la description que Flavius Josèphe fait des

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Esséniens se rapproche de celle que Philon d’Alexandrie avait fait avant lui des Thérapeutes. Je me rapprocherais donc de la thèse de Del Medico. Dès lors, il s’agirait chez Philon comme chez Josèphe, de passages rajoutés dans le but de légitimer la perfection de la nation juive avec un mode de vie exemplaire tel celui des « sectaires » qu’ils décrivent. À partir des années 1960, certains chercheurs se sont opposés à la théorie de l’identification des Esséniens avec les Qumrâniens. En effet, Cecil Roth et Godfrey Driver s’étaient élevés contre cette théorie. Godfrey Driver82, avait identifié les Zélotes aux Qumrâniens, lesquels sont pour lui également les auteurs des Manuscrits. Ses arguments sont plutôt faibles, je les passerai en revue au chapitre suivant. Au demeurant, Driver n’a pas été suivi dans sa thèse. Dans les années 1990 Tessa Rajak à son tour émit ses doutes sur la thèse essénienne. Aujourd’hui encore la controverse reste ouverte. En fait, dans les années 1990 entre autres, on découvrit une littérature dans la littérature, un vrai corpus d’œuvres de sagesse, et l’on sortait alors d’un quelconque Essénisme. On était en présence d’une sagesse un peu particulière, avec la récurrence frappante de la notion de « connaissance » et plus encore de « mystère ». Le constat de la diversité de la masse des textes exhumés était irrésistible. Si l’on avait découvert en premier lieu ce lot de textes dits « de sagesse », on aurait plutôt pensé à la gnose judaïque pré-chrétienne. Par exemple, Tessa Rajak83 écrivait en substance dans son essai sur les Esséniens de Josèphe, je traduis et je cite : « ...Josèphe décrivit des ascètes juifs, qui furent au moins de la même tradition que ceux qui sur des générations écrivirent les Rouleaux de la secte de Qumrân, même si la corrélation 82

G. Driver, Aramaic Documents of the fifth century BC, Oxford, 1954. T. Rajak, The Jewish Dialogue with Greece and Rome. Studies in Cultural and Social Interaction, Leiden, E.J. Brill, 2002, Part two.

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n’est pas exacte,...le portrait des Esséniens dans Josèphe est basé sur celui de ceux qui occupèrent d’une manière ou d’une autre, à un moment ou à un autre, les installations de Qumrân... » Pour comprendre ce que Josèphe dit des Esséniens nous nous devons d’examiner la recherche des historiens allemands sur Flavius Josèphe. Ils nous disent en effet que, comme pour les études classiques et bibliques, les recherches sur Josèphe passèrent par plusieurs stades. Tout d’abord une période formative entre 1870 et 1920 en gros, pendant laquelle on considéra Flavius Josèphe comme un plagiaire de sources extérieures. On considérait qu’il avait largement copié des sources intermédiaires, hypothétiques et anonymes. Cette vue s’éloigne grandement de celle de Sukenik et de Vaux dans la deuxième moitié du vingtième siècle, selon laquelle Qumrân fut bel et bien la base d’habitation, ou un lieu d’étude ou autre, des Esséniens. Notre but sera dans les pages qui suivent, d’examiner de près ce que Flavius Josèphe dit sur les Esséniens dans sa Guerre des Juifs et comment une lecture aussi juste que possible de la mention des Esséniens par Josèphe, peut porter sur la question Qumrân-Essénien. Autrement dit, qu’est-ce qui nous permettrait dans la lecture stricte de Flavius Josèphe de déduire que le site de Qumrân fut le siège des Esséniens ? Qu’il ait été exploité à des fins politiques par les Romains, ou par les Chrétiens comme autolégitimation et antijudaïsme, pour son potentiel comme guide touristique pour les Croisés, les pèlerins et les archéologues, pour les sources que les historiens l’ont accusé d’avoir plagiées, Flavius Josèphe a, jusqu’à présent, reçu tous les traitements excepté une lecture patiente de ses écrits. Comme je l’ai indiqué antérieurement, Heinz Schrekenberg et Louis Feldman sont les deux noms à retenir de chercheurs qui

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ont exploré en profondeur les trente volumes de l’œuvre de Josèphe. Commençons ici par critiquer la méthodologie de certains chercheurs. Dans son essai publié en 200284, Tessa Rajak remarque encore avec perspicacité, je traduis et je cite : « ...À côté de tout à priori dicté par la recherche sur Qumrân, existe le défi de comprendre tout simplement Flavius Josèphe dans ses propres termes... » Donc même elle, Tessa Rajak, considère la nécessité de vérifier l’affirmation de l’identification Qumrân-Esséniens, ce qui lui permet par la suite d’utiliser la littérature Qumrânienne comme « contrôle sur le procédé » je dirais, consistant à déterminer ce qu’entendait réellement Josèphe dans ses lignes sur les Esséniens. Autrement dit, elle fait un va-et-vient entre les deux sources. Un autre chercheur, James Vanderkam85, tenta de donner une image équilibrée et raisonnable de la recherche actuelle sur le sujet. Le chapitre crucial dans lequel cet auteur identifie Esséniens et Qumrâniens dans son ouvrage, suit le modèle de Rajak : un va-et-vient entre les sources. Lorsqu’il rencontre des incohérences entre les écrits de Josèphe et les Rouleaux de la mer Morte, Vanderkam remarque, je traduis et je cite : « ...Il est raisonnable d’interpréter les données dans la mesure où elles ne se contredisent pas. Or tandis que la reconstruction historique requiert l’explication de toutes les sources sur la base d’une seule hypothèse, l’interprétation elle, requiert de donner priorité absolue à ce qui est indiqué dans chaque texte... »

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Cf. T. Rajak, The Jewish Dialogue with Greece and Rome. Studies in Cultural and Social Interaction, op. cit. 85 J. Vanderkam, The Dead Sea Scrolls Today, Grand Rapids: Eerdmans, 1994.

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Une différence essentielle donc à garder à l’esprit pour notre étude dans ce chapitre en particulier. Enfin, Ed Parish Sanders86, quant à lui, fait fusionner les sources de Josèphe et celles de Qumrân tant et si bien qu’il parle des Rouleaux de la mer Morte comme de la « littérature Essénienne ». Il traite Josèphe et les Rouleaux comme des expressions d’une seule et même réalité. Par exemple pour lui le célibat à Qumrân est le même que celui décrit à la fois dans 1QS et la Guerre des Juifs II, 120 ; et les Esséniens mariés des villes sont les mêmes que ceux décrits par CD (Le Document de Damas) et la Guerre des Juifs II, 160. Or Sanders ignore le fait qu’il n’y a pas de mention d’Esséniens à proprement parler, dans le Document de Damas. De même, comme pour Sanders les Rouleaux de la mer Morte constituent une source primaire alors que les écrits de Josèphe constituent une source secondaire, il peut dès lors utiliser les Rouleaux pour accuser Josèphe d’erreurs. Or vraisemblablement, Josèphe n’a même pas eu connaissance des Rouleaux de la mer Morte. D’autres chercheurs, telle Rebecca Gray87 ont utilisé des Rouleaux de la mer Morte ce qui clarifiait ou complétait les données de Flavius Josèphe sur les Esséniens. Steve Mason, chercheur et spécialiste de Flavius Josèphe, considère que toutes ces lectures jusque-là mentionnées de Josèphe ne sont pas des lectures loyales de notre historien juif : elles sont irrémédiablement contaminées par l’intrusion d’autres textes. Lire Josèphe à la lumière des Rouleaux de la mer Morte c’est comme lire l’Evangile de Matthieu à la lumière de celui de Luc, dit Mason. Pour l’interprétation, dit-il encore, peu importe quelle source fut primaire ou secondaire.

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Ed Parish Sanders, Judaism: Practice and Belief, London, 1992. R. Gray, The Prophetic Figures in Late Second Temple Jewish Palestine : The Evidence from Josephus, Oxford, 1993. 87

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En fait, Steve Mason propose une lecture plus purement littéraire du texte-même de Josèphe, dans son contexte linguistique avec les ressources extratextuelles partagées entre l’auteur et ses lecteurs avant tout. En réalité, on comprendra la démarche de Steve Mason, si on le replace dans le cadre du système universitaire Nord Américain qui l’a formé. En effet l’Histoire Ancienne y est enseignée dans les départements de Lettres Classiques, avec le Grec et le Latin, donc plus comme un cours de civilisation qu’un cours d’Histoire. Dès lors, l’archéologie, si fondamentale à la méthodologie en recherche historique, y est pratiquement ignorée. Donc revenons à ce qu’avance Steve Mason. Il va effectivement s’attacher à faire une étude de texte, exclusive de toute autre source et par là-même quasi sclérosante. Il s’agit d’une étude littéraire de toutes les mentions du groupe des Esséniens dans la littérature de Josèphe. Mason va notamment établir une concordance « Joséphique » si je puis dire, sur le sujet des Esséniens. Il est important de savoir par exemple qu’il n’existe pas de cohérence absolue dans les écrits de Josèphe sur le groupe des Esséniens, qu’il a fait des emprunts à d’autres auteurs ; mais ne retrouve-t-on pas le même problème pour d’autres sujets dans les écrits de Josèphe comme dans ceux de nombreux écrivains anciens d’ailleurs ? Au demeurant, une interprétation des Esséniens de Josèphe est logiquement préliminaire à l’hypothèse Qumrân-Esséniens, donc tous ceux qui partent de l’hypothèse que les Esséniens ne sont autres que les Qumrâniens et qui ensuite commencent à lire les données de Josèphe sur les Esséniens à la lumière des Rouleaux de la mer Morte, sont dans l’erreur méthodologique la plus totale. Alors, posons la vraie question : comment les Esséniens fonctionnent-ils dans les écrits de Josèphe ?

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Certains disent que le passage de la Guerre des Juifs II, 119161 sur les Esséniens est emprunté pour sa majeure partie à une description perdue par Philon d’Alexandrie. D’autres fondent leur argumentation sur les différentes orthographes en grec du terme Esséniens trouvées dans les divers passages des écrits de Josèphe. En effet, la plupart des passages contenant le terme orthographié essaioi ont une coloration définitivement nonjuive et constitueraient donc un emprunt aux écrits de Nicolas de Damas, secrétaire du Roi Hérode Le Grand. Les passages avec le nom orthographié essenoi viennent de trois autres sources imbriquées l’une dans l’autre : une source de l’école stoïcienne, une source juive hellénistique, représentante des habitudes de thèmes et de discours Alexandrins dans lesquels à la fois Philon et Josèphe ont puisé indépendamment ; la troisième source est celle selon laquelle les Esséniens sont des Pythagoriciens. D’ailleurs cette dernière source aurait également influencé Pline et Philon dans leur description des Thérapeutes, un groupe ascétique grec. Il ne fait pas de doute que Flavius Josèphe ait utilisé diverses sources pour ses écrits. La question est de savoir dans quel but il l’a fait : comme un auteur responsable ou comme un compilateur sans scrupules ? Pour certains auteurs donc, comme je viens de le mentionner, la seule utilisation d’une orthographe différente du terme Essénien en grec suffit à prouver que des sources différentes ont été utilisées. Or si nous considérons que la Guerre des Juifs dans son ensemble est un récit d’histoire politique et militaire, dans lequel le passage sur les Esséniens constitue un long excursus sur une école philosophique très stricte, une description bien plus détaillée du reste que celle que Josèphe nous fait des Pharisiens et des Sadducéens, nous pouvons nous attendre à ce que plusieurs mots inhabituels soient utilisés par cet auteur. Et c’est précisément ce que nous trouvons.

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Voici quelques exemples de l’étude scrupuleusement littéraire que fait Steve Mason des termes et expressions dans les passages concernant les Esséniens dans la Guerre des Juifs de Flavius Josèphe. Mason relève les termes et expressions uniques utilisés pour marquer les frontières d’une secte telles que : « admis, éjectés, les intrus, condescendant à manger de l’herbe (si expulsés), néophytes ». En outre, Mason relève les traits spéciaux d’une école philosophique : « habillement, être formés, porter du blanc, échanger, rendre un objet, membre de l’école, réfectoire, prier d’abord, s’envelopper dans un (manteau), théologie, parole sage, inculquer ». Mason classifie encore les outils uniques de cette école : « petite hache, pagne, pioche » et leur éthique et pratiques particulières : « sobriété, maîtres (de leur humeur), servants (de la paix), racines médicinales, très longue vie ». Il va de soi que Josèphe a peu l’occasion ailleurs, dans le courant de son récit largement politico-militaire de la Guerre des Juifs, d’employer ce vocabulaire sectaire que nous venons d’énumérer. Nous allons pour l’heure, à la suite de Steve Mason, continuer de contrer les chercheurs qui veulent voir dans les incohérences linguistiques de Josèphe dans ses écrits, le fait qu’il aurait systématiquement plagié d’autres auteurs. Tout d’abord, voici la traduction de la concordance établie par Mason, des mentions des Esséniens dans tous les écrits de Flavius Josèphe. Guerre des Juifs I, 78 Essaioi. Judas enseigne à des étudiants à Jérusalem au temps d’Aristobule I (104 av. J.-C.). Il prédit la mort d’Antigone I dans la tour de Straton. Discute la philosophie méprisable de Judas II, 113 Essaioi. Simon au temps

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d’Archélaus (6 ap. jc) interprète des rêves que d’autres n’ont pas pu interpréter II, 119-161 Essenoi. Esséniens décrits en détails comparés avec les Pharisiens et Sadduccéens II, 567 et III, 11 Essaioi. Jean commandant de la région Nord-Ouest de la Judée pendant la révolte III, 11 Essaioi Niger, Silas et Jean attaquent Ascalon. Jean et Silas meurent V, 145 Essenoi. Le plus vieux mur du Temple de Jérusalem a une "Porte des Esséniens"

Antiquités Judaïques XIII, 171-173 Essenoi. Au temps de Jonathan L’Hasmonéen (150 av. J.-C.) Josèphe interrompt sa para phrase de I M et décrit 3 écoles, compare les Esséniens Philosophiquement aux Pharisiens et aux Sadduccéens, en particulier leur attitude vis-à-vis de la destinée, et réfère à sa description plus détaillée dans Guerre II XIII, 298. Essenoi. Référence en passant après comparaison avec Pharisiens et Sadduccéens, pour expliquer la défection de Jean Hyrcan vers les Sadduccéens, réfère à sa description complète de Guerre II

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XIII, 311 Essenoi. Judas au temps d’Aristobule habituellement enseigne dans le Temple sur sa prédiction XV, 371-378 Essaioi. Après avoir noté que les Pharisiens furent exemptés du serment à Hérode, les nommés Esséniens furent également exemptés. Ce groupe est comme celui des Pythagoriciens. Promet d’en dire plus par la suite. Il explique que les Esséniens avaient prédit la montée et la chute d’Hérode. Ils avaient ce pouvoir de prédiction XVII, 346 Essaioi. Simon interprète des rêves que des experts n’ont pas su interpréter sous Archélaus XVIII, 11 Essenoi. Reparle des 3 anciennes philosophies et réfère encore à Guerre II XVIII, 18-22 Essenoi. Décrit leur doctrine

Vita 10-12 Essenoi. Réfère aux fréquentes descriptions antérieures

Contre Apion II, 203 note d ; 207 note f

En Grec ancien il y a au moins trois formes possessives de noms. Donc la variation que Josèphe fait entre essaioi et essenoi est conforme à son style habituel. Il a cette tendance à utiliser indifféremment les deux formes de génitif grec dans l’ensemble de ses écrits. D’ailleurs, il en est de même dans les Évangiles. Donc l’argument selon lequel Josèphe utilise des sources différentes suivant qu’il utilise l’une ou l’autre forme de génitif grec pour nommer les Esséniens est infondé.

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En outre dans le passage où Josèphe décrit les trois écoles philosophiques c’est la forme essenoi qui est utilisée et ce passage a souvent été attribué à des sources empruntées par Josèphe. Mais Josèphe utilise également la même forme du génitif dans d’autres passages de ses écrits qui sont considérés comme définitivement de lui : par exemple dans ses commentaires personnels sur Antiquités Judaïques XIII, 298 référant à la Guerre des Juifs et dans Vita 10 référant également à la Guerre des Juifs ainsi que dans sa référence à la « Porte des Esséniens (Essenoi) » à Jérusalem, dans la Guerre des Juifs V, 145. Il semble en outre que Josèphe ait été entièrement conscient des variations du génitif du grec ancien. Une autre particularité est à mentionner : il semble que Josèphe ait préfèré la forme essaioi pour un individu et essenoi pour le groupe des Esséniens. En fait, examinons le passage des Antiquités Judaïques XV, 371-378 : Josèphe a déjà cité les Essenoi deux fois dans les Antiquités Judaïques XIII, 171-173 ; 298 et là il mentionne que ce groupe est appelé Essaioi parmi les Judéens puis il revient immédiatement au Essenoi pour le reste du passage. Ainsi Josèphe nous donne lui-même l’explication de son choix : les Esséniens sont connus comme Essaioi pour les Juifs et comme Essenoi pour ses lecteurs Grecs et Romains. Comme par coïncidence, Philon d’Alexandrie, un Juif, nomme le groupe des Esséniens Essaioi aussi et par contraste, les auteurs latins Pline et Dion utilisent la forme Essenoi. La simple conclusion qui s’impose est que Josèphe, avec une sensibilité typique à ses lecteurs, a adapté son langage pour leur plaire. Tout en remarquant l’orthographe que les Juifs préféraient, il utilisa le pluriel Essenoi pour ses autres lecteurs. Tout cela implique donc que le nom des Esséniens était déjà connu de ses lecteurs non-juifs. Mais tout le matériel sur les Esséniens dans les textes grecs et latins guide dans cette direction. 76

Les Esséniens sont les seuls des trois écoles philosophiques décrites par Josèphe qui soient mentionnés par Philon, en longueur et à plusieurs reprises, et par des auteurs Grecs et Romains non-Chrétiens tels Pline et Dion. Josèphe s’accorde avec Philon dans sa description, à dire que les Esséniens étaient largement dispersés à travers toute la Judée. Si Philon et Josèphe ont tous deux choisi de faire des Esséniens les porteurs brillants de la vertue Judéenne, ces auteurs ont bien dû supposer qu’ils étaient connus, tout au moins de nom, des gens éduqués parmi les Grecs et les Romains. Quel fut le regard de Josèphe sur son audience et en particulier dans sa Guerre des Juifs ? Tous ses écrits présupposent une audience surtout non-juive à Rome curieuse de connaître la culture juive. Josèphe se positionne comme un chef de file aristocratique dans un système des aristocraties du monde de l’époque, érudit sur la constitution de sa nation et de sa patrie. En effet, directement engagé dans les discussions à la mode avec ses paires à Rome sur les différentes constitutions, Flavius Josèphe tenait à montrer que le code Judéen était le plus ancien, le plus pur et le plus noble qui soit. Il donna le détail sur son équilibre parfait entre les préceptes et la pratique, son accessibilité à tous, et sa combinaison entre son inexorable justice et son humanité. Plusieurs des fondateurs de la nation furent également de grandes figures philosophiques tels Abraham, Moise, Salomon et Daniel. Leur constitution discute des questions de base telles que le destin, le libre arbitre, la nature de l’âme. La culture Judéenne a même ses propres écoles philosophiques qui discutent de ces sujets. Les Judéens en tant que nation vivent philosophiquement, c’est à dire simplement et de manière vertueuse, méprisant même la mort dans leur détermination de suivre leurs lois excellentes. Ils réalisent dans leur quotidien les aspirations les plus hautes parmi tous les peuples du monde. Les discussions philosophiques de Josèphe sont parfaitement dans le ton de celles des philosophes populaires et moraux de la fin du premier siècle.

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Josèphe « crucifie » littéralement toutes les figures de messie, militant ou non et tous ceux qui favorisent la révolte. Selon Josèphe les meilleurs Judéens et certainement leurs chefs légitimes sont des citoyens du monde exceptionnels. Il voit déjà la dispersion et la croissance de sa nation dans le monde, son nombre et sa réputation et est impatient de voir le jour où, à son tour, sa nation deviendra une puissance mondiale. Cette vue cependant, similaire à celle de Philon, n’a rien d’apocalyptique. En réalité Josèphe apparait nettement antiapocalyptique, fondamentalement opposé à tout changement brutal ainsi qu’à toute personnalité messianique. Dans son interprétation biblique, Josèphe décidément favorise le sens plein du texte, le pshat, les prescriptions de la Loi et ses implications morales. Les auteurs Grecs et Romains quant à eux, ont declaré que la révolte était due à un chef Judéen paresseux, éduqué par un dieu antisocial et des lois exclusives. Les Judéens étaient à la fois non pieux envers les dieux et manquaient de respect pour les autres peuples. La victoire romaine fut une preuve réelle de la vertu romaine et de la chance, la bonne fortune. Dans sa Guerre des Juifs, Josèphe tente au contraire de montrer que les Judéens ont une constitution noble et ancienne, que ses héros ont dans le temps régné sur un état vigoureux avec l’aide divine et que leur roi le plus fameux, Hérode, fut un grand ami et allié de Rome. Qui plus est, la récente révolte ne fut pas l’expression du caractère national mais une aberration complète qui résulta de la tragique perte de contrôle du chef légitime en faveur d’une pléthore de démagogues égoïstes, qui ont fini par provoquer le châtiment divin. La vie, il faut l’admettre, fut difficile en Judée sous une série de gouverneurs romains abominables mais malgré cela, les chefs Judéens auraient gardé le contrôle sur la situation s’ils avaient réussi à maintenir la confiance du peuple. Si Flavius Josèphe a su avec art utiliser les histoires des Hasmonéens et des Hérodiens dans la Guerre des Juifs pour développer la base des thèmes de son histoire principale, 78

pourquoi ne devrions-nous pas rechercher les mêmes effets dans le passage sur les Esséniens, lequel forme le pont principal entre le Roi Hérode et son temps ? C’est en effet en décrivant les écoles de pensée de son temps dans son pays d’origine que Josèphe s’acharne à se positionner dans sa société d’adoption, la société flavienne de Rome. Selon Mason donc, Flavius Josèphe est un emprunteur responsable d’autres auteurs anciens et non un plagiaire sans scrupules. Les « Esséniens » de Qumrân ou Qumrâniens vivaient dans le célibat ou du moins dans l’abstinence sexuelle et CD 12, 1 qui dit le contraire en fait, ne concerne pas les résidents du site de Qumrân dans le désert de Judée. Les « Esséniens » de Qumrân, si tant est que le site fût investi au moins temporairement par des « Esséniens », parce qu’ils se comprenaient comme un temple spirituel en union étroite avec les esprits angéliques, vivaient dans l’abstinence sexuelle. En outre, d’aucuns peuvent établir un lien entre cette abstinence et la dureté des temps. Qui plus est, le mariage fut envisagé par cette communauté, uniquement dans une perspective eschatologique. En effet, il est impératif de préciser que la question du célibat des Esséniens/Qumrâniens ne peut être envisagée que jumelée à celle de l’abstinence sexuelle. Au demeurant, il n’y a pas de prescription de célibat dans les textes relatifs à ce groupe, mais il n’y a pas non plus de prohibition du mariage ni même de halakhot, lois, au sens large, sur le statut matrimonial ou la pratique de la vie conjugale concernant les Esséniens/Qumrâniens. En outre, en analysant les textes rabbiniques au cours de notre chapitre précédent, nous avions constaté l’absence d’une législation du mariage concernant la société juive contemporaine de la littérature de Qumrân, dans son ensemble. Ainsi, il n’y avait pas encore de législation du mariage dans la société juive palestinienne du temps de Flavius Josèphe. Les documents de la mer Morte pourraient nous éclairer sur la question des pratiques matrimoniales et ce, à condition 79

d’admettre qu’au moins une portion du groupe Essénien ait séjourné, à un moment ou à un autre, dans le désert de Judée, vraisemblablement sur le site de Qumrân. En admettant cela du reste, nous nous plaçons dans la lignée de Flavius Josèphe et distinguons avec lui deux classes d’Esséniens. Les uns vivant mariés et dispersés à travers le pays, les autres groupés en nombre restreint sur les rives de la mer Morte, et observant, ceux-là, la continence. Cependant, à en croire certains auteurs tels Harrison88, ou Hubner89, les documents de la mer Morte contesteraient précisément les témoignages de Pline et de Flavius Josèphe au sujet du genre de vie sinon des Thérapeutes, dont Philon d’Alexandrie nous entretient, au moins des adeptes de la communauté Essénienne installés dans le désert de Judée près de la mer Morte. Les uns leur refusent toute vie célibataire, d’autres sont d’avis qu’une vie célibataire n’y était pas la règle générale et que par conséquent la communauté sectaire de Qumrân comprenait aussi des membres mariés. C’est la conclusion à laquelle arrive Hubner il considère que pour les autres membres la continence était obligatoire le jour du shabbat seulement : voire les halakhot du Document de Damas 12,1. Le problème est donc de déterminer si les textes découverts dans le désert de Judée près de la mer Morte, à condition d’accepter que certains d’entre eux au moins concernent les communautés de Qumrân, contiennent des passages attestant la présence d’hommes mariés à l’intérieur de la communauté de Qumrân. Déjà au plan archéologique, le cimetière de Qumrân atteste de la présence de femmes et même d’enfants quoique rares. Reste à savoir si les Qumrâniens étaient des Esséniens. Nous consacrerons notre prochain chapitre à la question. 88

R.K. Harrison, The Dead Sea Scrolls, Londres, 1961. H. Hubner, « Zolibat in Qumran ? », New Testament Studies, 1971, p. 153167.

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Examinons pour l’heure certains documents. Le Document de Damas que nous avons déjà cité, découvert dans la Guenizah de la synagogue du Caire et également retrouvé de façon fragmentaire à Qumrân, envisage des membres de la communauté mariés. Il ne peut donc pas nous aider à trancher sur la controverse. Cette source dont la date reste incertaine, concerne avant tout des membres de la communauté vivant « dans le monde », et non ceux qui s’étaient groupés en cénobites, en maison conventuelle, telle apparemment celle du site de Qumrân. 1QH 17, 14 dit : « Et tu porteras secours à ceux qui te servent afin que leur postérité soit devant toi tous les jours ». Ce passage des Hymnes vise non pas précisément les membres du groupe de Qumrân, mais tous les croyants qui ont adhéré à la communauté. Il convient également d’écarter 1QM 7,3. En effet ce dernier texte se rapporte à un cas spécial, celui des membres de la communauté mobilisés pour la lutte suprême. Or pour la guerre sainte, les miliciens auraient été astreints à une pureté spéciale. Notre attention doit se concentrer sur le document appelé Sérèk, ou Règle de la Communauté et sur les fragments dits règles annexes qui paraissent s’y rapporter. Les documents semblent en effet nous livrer les ordonnances auxquelles étaient astreints les membres de la communauté de Qumrân qui vivaient en cénobites. Un premier texte 1QS 1,1 ne doit pas nous arrêter. On a prétendu y lire en effet, la mention de « femmes », mais cette lecture repose sur une manière de compléter la lacune du manuscrit à laquelle les spécialistes n’ont guère souscrit. En revanche 1QS 4,7 mentionne parmi les récompenses terrestres, la « fécondité », impliquant par conséquent, l’état conjugal des membres de la communauté. D’autres chercheurs suggèrent une interprétation spirituelle : « fécondité de la semence », c’est-à-dire les « fils spirituels que les membres de la communauté parvenaient à recruter ».

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D’autres chercheurs disent que cette expression de « fécondité » appartient à un fragment du texte. Du reste, l’allusion à une postérité et dès lors à l’état conjugal, se rencontre aussi dans 1QSa 1,4, 9-10. Mais ce texte décrit l’avenir eschatologique de la communauté ; alors quelle est la part de réalité dans le présent ? La question reste posée. Ce passage 1QSa 1, 4, 9-10 envisage à la fin des temps, le mariage pour tous les membres de la communauté sans distinction. 1QpPs 37, 3, 1-2 parle de membres de la communauté qui ont fui le monde et se sont établis dans le désert. Or, même pour eux, il est question d’une progéniture. Mais ce texte semble aussi théorique que 1QSa 1, 4, 9-10. Les arguments d’ordre général susceptibles de plaider contre un régime de vie célibataire adopté par les Esséniens et les Qumrâniens font défaut, mais que valent ceux versés au débat en faveur de l’observation du célibat ? L’absence de halakhot sur le mariage ne constitue pas en soi une preuve de renoncement à la vie matrimoniale chez les Qumrâniens ; car de même que nous l’avons vu chez les Pharisiens au travers de la littérature rabbinique, il n’y avait pas non plus de halakhot sur le mariage pour l’ensemble de la société juive palestinienne contemporaine et pourtant les gens pratiquaient la vie conjugale. En outre, le Sérèk ne contient pas de halakhot sur le shabbat et pourtant qui en contesterait l’existence et l’observation ? Soulignons plutôt l’insistance dans le Sérèk sur la pureté totale des membres de la communauté de Qumrân ce qui incluerait l’abstinence sexuelle. Insistons surtout sur cette notion, et disons à la suite de Francis Schmidt90 qui la développa : la communauté de Qumrân s’était comprise comme « un Temple Spirituel » où, en union avec les esprits angéliques, un culte spirituel devait être exercé

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F. Schmidt, La pensée du Temple de Jérusalem à Qumrân, Paris, 1994.

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sans interruption et où tous les membres de la communauté accédaient à un statut sacerdotal. Dans ces conditions, il est naturel que les membres de cette communauté aient rendu journalières les obligations imposées aux prêtres, pour s’acquitter du service cultuel et qu’ils aient abouti ainsi à la pratique d’une continence, je dirais, au moins pour le shabbat, témoins les textes liturgiques des Chants du Sacrifice du Shabbat retrouvés à Qumrân. Notons cependant, qu’un autre motif de renoncer à la sexualité, à savoir la révélation divine, motif attesté dans certaines traditions rabbiniques contemporaines du Christianisme naissant, n’apparaît pas jusqu’à présent, du moins explicitement, dans les textes Qumrâniens. Je veux parler de l’exemple de Moïse qui fit preuve de continence au lendemain de ses contacts avec Yahwé. D’après le livre d’Hénoch Ethiopien, l’abstinence sexuelle favorise la réception des révélations divines. Donc une situation que les rabbins pharisiens décrivent comme un état de fait a posteriori, les Qumrâniens eux la décriraient comme une nécessité a priori. En d’autres termes là où les rabbins disent en substance : la révélation divine a pénétré et libéré en quelque sorte l’homme de ses besoins sexuels, les Qumrâniens diraient : l’homme doit s’abstenir de relations sexuelles afin justement de recevoir cette révélation. Cela dit cette discussion mérite approfondissement et la lecture des textes de Qumrân est encore trop rudimentaire à ce stade de la controverse. Quant à la question de la signification que le « célibat Essénien » tel que nous venons de l’établir, a pu avoir sur les origines du monachisme chrétien, les limites de cet ouvrage ne permettent pas de la traiter en détail. Tout au moins, sur les origines de la virginité consacrée, pour expliquer les appels de Jésus et de Paul à une consécration totale à dieu, l’influence Essénienne/Qumrânienne n’a guère pu jouer car de part et d’autre le climat est radicalement différent. 83

En effet, la préoccupation d’une pureté rituelle qui domine à Qumrân est absente chez Jésus, chez Paul et dans les Actes des Apôtres, elle est même récusée. Si l’on considère les équations : Qumrân=Temple Spirituel et Premiers Chrétiens=Pharisiens-Prophètes, le seul point commun reste le concept de sainteté. Celle-ci est comprise comme une consécration à dieu avec pureté rituelle nécessaire chez les Qumrâniens, en tant que groupe révisant le Temple de Jérusalem. Cependant la pureté rituelle reste absente des préoccupations des premiers chrétiens. L’idée du Royaume de Dieu, commandant le renoncement au mariage ne se présente pas davantage ni chez les uns ni chez les autres. En conclusion, si les manuscrits dits proprement sectaires parmi les documents de la mer Morte, décrivent la pensée des habitants du site de Qumrân, alors il semble que chez les Qumrâniens une abstinence sexuelle purificatrice et eschatologique ait été prescrite avec une promesse de mariage pour tous à la fin des temps. Dans le prochain chapitre je tenterai, après une description du site archéologique de Qumrân, de répondre à la question de l’association Esséniens/Qumrâniens à travers, cette fois, le matériel archéologique.

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CHAPITRE IV Site de Qumrân

Mon questionnement sur les Esséniens de Flavius Josèphe et les Qumrâniens me mène inévitablement à me pencher de plus près sur le site de Qumrân. Notons en passant qu’à Ein Feshkhah, environ trois kilomètres au Sud de Khirbet-Qumrân un autre site communautaire attribué aux Esséniens fut découvert. Chaque historien doit désormais s’interroger sur le triangle : Esséniens-Qumrâniens-Rouleaux de la mer Morte. Dans ce chapitre, à la lumière des données archéologiques incluant les manuscrits, je m’engage à énumérer les différentes théories concernant les Qumrâniens. Qui furent-ils réellement ? Comme nous l’avons vu au cours du chapitre précédent, ils furent identifiés aux Esséniens et cela reste la théorie classique la plus largement acceptée. Cela dit, il reste à définir précisément qui furent les Esséniens. En réalité jusqu’à ce jour, malgré les études d’experts faites à leur propos, il nous est difficile de concevoir un tableau clair des différents groupes de la société juive de l’époque du Second Temple. Il en va de même pour les Pharisiens et les Sadducéens pour ne citer qu’eux. En sus de la thèse la plus commune qui identifie les Qumrâniens aux Esséniens, j’examinerai dans ce chapitre ce qui a mené certains à conclure que les Qumrâniens étaient un sousgroupe de Sadducéens, et d’autres à affirmer qu’il n’y avait pas

de Qumrâniens mais seulement une forteresse à Qumrân et que les Rouleaux de la mer Morte formaient une bibliothèque que des Jérusalémites avaient réussi à préserver de la destruction par les Romains. Cependant, les grottes de la mer Morte dans lesquelles les Rouleaux ont été trouvés n’étaient pas les plus proches géographiquement de Jérusalem, par rapport à celles de Jéricho par exemple. Mais tout d’abord éliminons la théorie qui a tenté de rapprocher les Qumrâniens des premiers Chrétiens. Cette théorie, que Joseph Fitzmyer avait été le premier à développer en établissant des correspondances entre certains textes de Qumrân et quelques textes du Nouveau Testament, est à nouveau reprise aujourd’hui par James Charlesworth. Mais en fait, cette vue peut être rejetée ne serait-ce que sur la base des données archéologiques et paléographiques selon lesquelles le ou les groupes de Qumrân existèrent bien avant le temps de Jésus. Il convient tout d’abord de donner une description du site de Qumrân. L’entrée est une tour, il y avait des salles de réunion, un service de table complet de plus de mille pièces, indiquant les repas communaux rituels dont il est question dans les textes. On compte un grand nombre de citernes, indiquant que l’alimentation en eau était liée non seulement à la survie d’une communauté importante dans le désert, mais également à la pratique de bains rituels mentionnés dans les textes pour certains. Il y a également une installation de bains, un bassin de filtrage, des cours, une étable, une cuisine et peut-être des entrepôts, un four à poterie et un autre à pain. Des ossements d’animaux furent également découverts, enterrés à l’intérieur de la communauté. Il s’agit d’ossements de chèvres et de moutons, placés dans des jarres pour certains. La grande question que l’on se pose encore reste relative aux équations suivantes : Qumrâniens = Esséniens Qumrâniens = Sadduccéens 86

Qumrâniens = non-résidents permanents du site de Khirbet Qumrân Qumrâniens= responsables de la copie et de la collection des Rouleaux de la mer Morte Les différentes théories ont été fondées d’une part sur des artéfacts archéologiques retrouvés sur le site de Qumrân, tels les latrines, le réfectoire/scriptorium/les encriers, les baumiers/les fioles/les poteries, les citernes, les lampes, le cimetière, les bijoux ; d’autre part sur les Rouleaux de la mer Morte. En hiver 2006 un article de Joe Zias, Stephanie HarterLaiheugue et James Tabor91 publié dans la Revue de Qumrân citant la découverte de latrines sur le site de Qumrân, veut accréditer la thèse essénienne. En effet, selon Flavius Josèphe entre autres, la communauté des Esséniens avait fixé des règles rigoureuses concernant les lieux d’aisance, préconisant d’enterrer les excréments avec une pelle, et cela au nord-ouest des habitations, à environ cinq cent mètres. Or, comme l’explique le découvreur, Joe Zias, les Bédouins du désert n’ont pas une telle coutume. On disposerait donc enfin, selon lui, d’une preuve de l’occupation essénienne du site. Avant cela en fait, en 2005, la Revue Sciences et Avenir annonçait, à propos des nombreuses campagnes de fouilles menées par les archéologues israéliens Yitzhak Magen et Yuval Peleg, les plus importantes depuis l’époque de Roland de Vaux : « La découverte de monnaies, de poteries et surtout de bijoux invaliderait la thèse selon laquelle ce site aurait abrité la célèbre secte des Esséniens qui vivaient dans la pauvreté pour

91 J. Zias, J. Tabor et S. Harter-Laiheugue, « Toilets at Qumran, the Essenes, and the Scrolls, New Anthropological Data and Old Theory », Revue de Qumran, 2006, p. 631-640.

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des raisons spirituelles et auraient été les auteurs des manuscrits de la mer Morte. »92 Signalons que l’hypothèse essénienne avait été remise en cause en 2005 par ces deux chercheurs israéliens, Yitzhak Magen et Yuval Peleg. En effet, à l’issue de neuf années de fouilles à Qumrân, Magen et Peleg ont affirmé qu’il n’y avait jamais eu de monastère essénien sur le site de l’ancienne forteresse, mais seulement une fabrique de poterie. Ces mises en question, en réalité, n’étaient pas nouvelles. Depuis des années, le matériel archéologique avait parlé, quoiqu’il fût partiellement encore à l’étude en raison de son abondance. En 1992, le colloque organisé par l’Académie des Sciences de New York aurait dû mettre un terme déjà aux suppositions qui veulent absolument établir un lien entre le site et les textes trouvés à proximité, voire à plusieurs kilomètres parfois. Les données fiables vont en un sens tout autre : l’hypothèse des « Esséniens de Qumrân » suppose que les habitants du site aient été des « cénobites » et qu’ils aient écrit les textes retrouvés dans onze grottes proches ou éloignées. Ils devaient donc consacrer du temps à l’écriture. On a ainsi imaginé qu’ils avaient consacré une pièce à cette seule activité : cette pièce sur le site, que d’autres considèrent comme un réfectoire à la romaine avec des bancs le long des tables et surélevé en étage, aurait été le fameux scriptorium. Pour le reste, ils vivaient très pauvrement, les uns sur les autres, par manque de place, et cela, jusqu’à leur disparition en l’an 68, au cours de la Première Guerre juive. Or en 1992, l’archéologue Pauline Donceel-Voûte93 a démontré que ce qu’on prenait pour des restes de tables à écrire n’étaient autre que des morceaux de tables à manger fixes ou de 92 Cf. P. Jean-Baptiste, « La véritable histoire de Qumran », Sciences et Avenir, janvier 2005, no. 695. 93 P. Donceel-Voute, « Coenaculum, la salle à l’étage du locus 30 à Khirbet Qumrân sur la mer Morte », Banquets d’Orient, collection Résidences Orientales IV, 1992, p. 61-84.

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banquettes, fixes elles aussi, et disposées le long des murs. D’ailleurs, correctement remis ensemble, ces restes correspondent parfaitement au modèle habituel d’une salle de repas en Orient et dans une partie de l’Empire romain, particulièrement située à l’étage où l’on peut jouir de la fraîcheur du soir. Les arguments avancés en faveur du scriptorium, du point de vue archéologique, se basaient sur la présence de deux encriers et sur le modèle des pièces totalement consacrées à la copie de manuscrits, appelées scriptoria, chez les moines du Moyen Âge, c’est-à-dire mille ans plus tard. En réalité, les deux seuls encriers trouvés sur place dans le locus 30, n’appartenaient même pas au niveau des restes du premier étage où le scriptorium essénien est supposé avoir existé mais à celui du rez-de-chaussée. Il faut ajouter que cette supposition était inutile : les historiens sérieux de l’Antiquité savent que, au contraire de Rome où existaient des entreprises de copie, les copistes en Orient étaient des scribes itinérants qui travaillaient sur les tablettes qu’ils emportaient. Il n’y a pas la moindre raison d’imaginer une confrérie de copistes simplement parce qu’on a trouvé un lot de manuscrits. En somme, le scriptorium des « moines » esséniens ne relève donc pas de l’histoire. Alors plutôt, la destination du site a été de nature économique, liée à la récolte du baume, un arbuste sauvage qui ne poussait que dans cette région, pas vraiment désertique à l’époque, et dont l’essence parfumée avait une valeur énorme. On stabilisait cette essence à l’aide d’extraits du bitume qui était disponible juste à l’Est de la mer Morte. Plusieurs géographes ou historiens de l’Antiquité en parlent et on sait ainsi que la Reine Cléopâtre d’Égypte, grande consommatrice de parfums, avait obtenu d’Antoine la possession de cette région. Elle n’a guère pu en jouir à cause de la victoire de Jules César. Parmi le matériel archéologique trouvé sur les lieux de Qumrân, on relève de la poterie et du verre. Des restes de

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production de l’une et de l’autre indiquent une fabrication sur place, particulièrement coûteuse pour le verre, même si ce n’était pas toute l’année, mais à l’occasion du séjour d’artisans spécialisés que ces productions étaient réalisées. Un tel coût se justifiait en vue de l’obtention de fioles destinées à recevoir les divers parfums. Ceux-ci servaient d’ailleurs moins pour le cosmétique que pour le culte et les ensevelissements. Une telle rentabilité économique suffit à expliquer la présence probable de soldats, sur place ou dans les environs : de telles richesses suscitaient la convoitise. La poterie produite sur place servait surtout à l’usage des habitants, riches. La grotte 4 située sous le promontoire a peut-être servi d’entrepôt, bien à l’abri des grosses chaleurs, ce qui expliquerait la présence, probable, d’étagères dans cette grotte. Un jeu complexe de canalisations à ciel ouvert conduisait l’eau des grosses pluies, ou des hauteurs, jusque dans les citernes. Mais il ne pleuvait que certains mois de l’année, d’où le nombre important de ces citernes. Ces canalisations, légèrement creusées dans le sol plutôt que souterraines, ce qui aurait nécessité un long travail, devaient être couvertes pour limiter l’évaporation. Les marches permettaient de descendre puiser l’eau au fur et à mesure que le niveau baissait. Il ne s’agit donc pas des marches qui descendent vers un miqweh, bain de purification rituel, comme certains ont voulu le voir. Ces quantités d’eau accumulées étaient en tout cas suffisantes pour que des poteries fussent réalisées à certaines époques de l’année. En effet, aucun indice ne permet de suggérer qu’une seule de ces citernes ait jamais servi de miqweh c’est-à-dire de lieu de bains rituels. En réalité, du point de vue de la Loi juive, les bains de purification pouvaient se faire directement dans la mer Morte étant donné que le Jourdain s’y écoule. De nombreuses lampes, qui, par nature, sont assez caractéristiques d’une époque et permettent de la dater à vingt-cinq ans près, ont été trouvées parmi le matériel archéologique. Elles

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s’échelonnent jusqu’au deuxième siècle de l’ère courante, ce qui n’a rien de surprenant car tant que subsistaient les baumiers, les lieux ont fonctionné au plan économique, sauf durant les années 68 à 70 du fait de la guerre. Les activités ont repris ensuite jusqu’en 135, fin de la Deuxième Guerre juive, ou peutêtre même au-delà. Selon les données archéologiques en notre possession jusqu’à ce jour, l’occupation du site s’étend depuis les premières traces d’une forteresse de l’âge du fer. Puis, peu avant ou pendant le règne du souverain Hasmonéen Jean Hyrcan qui régna de 135 à 104 avant l’ère courante, il fut réoccupé et ce, jusqu’au tremblement de terre de l’année 31 avant l’ère courante qui occasionna la destruction et l’abandon au moins partiels du site. Mais la présence humaine continua d’exister, le site fut réoccupé à partir de 4 avant l’ère courante. Khirbet Qumrân fut à nouveau détruit par les Romains en 68 de l’ère courante mais il ne fut pas totalement déserté et les rebelles de Bar Kokhba l’occupèrent entre 132 et 135 de l’ère courante. L’idée selon laquelle le site a été abandonné en 68, par les « moines esséniens », ne relève donc pas non plus de l’histoire. La connaissance qu’on a des tombes du cimetière adjacent de khirbet Qumrân, environ 1200, remonte pour une bonne part aux quelques fouilles faites dans les années 50 par Roland de Vaux, non qu’il n’y en ait pas eu depuis. La majorité des gens enterrés là sont des hommes mais il existe également des femmes. Des sites funéraires tout à fait semblables ont été mis au jour dans les régions avoisinantes, notamment à Ein Guhweir et en Nabatène. Ainsi, la question des cimetières de Qumrân reste ouverte. Le cimetière de Qumrân n’offre donc pas la spécificité qu’on lui a inventée en faisant de lui le cimetière des « moines esséniens ». Il importe d’avoir en tête ces données archéologiques démontrées avant d’aborder les hypothèses interprétatives qui veulent mêler le site aux manuscrits des grottes, au cimetière et 91

à certains passages, plus que douteux, de l’historien de la guerre juive, Flavius Josèphe. Revenons-en à l’article de Zias et Tabor. En marge des affirmations de leur article, on peut remarquer que l’enterrement des excréments n’est pas la caractéristique propre à une petite communauté juive. Dans la Bible, on lit en effet au livre du Deutéronome : « Tu auras un coin en dehors du camp où tu sortiras à l’écart. Tu auras une pique dans ton équipement, et, quand tu t’accroupiras à l’écart tu feras un creux avec elle puis tu te retourneras et tu recouvriras ton évacuation. Car YHWH ton dieu se promène au milieu de ton camp pour te protéger et pour livrer tes ennemis devant toi. Ton camp sera donc sain et il ne verra pas chez toi quoi que ce soit de choquant, sans quoi il se détournerait de ta suite » (Dt 23,13-15).94 Selon le co-auteur James Tabor, cette prescription correspondrait à la situation de Qumrân, où les latrines sont situées plus loin. Cette prescription est donc d’application générale pour tous les fils d’Israël, moyennant des adaptations qui n’ont pas manqué. C’est elle qu’évoque le livre II, 120-162 de la Guerre des Juifs où on lit de surcroît que les Esséniens ne vont pas aux toilettes le jour du shabbat. Tout le passage concernant les Esséniens de Josèphe existe dans les Philosophoumena, d’Hippolyte de Rome 170-235, qui interprètent l’Ancien Testament et la comparaison des deux textes montre clairement les déformations qu’a subies le passage en passant dans la version grecque de Josèphe. Tout indique en effet qu’il constitue chez Josèphe une interpolation réalisée au troisième siècle sur la base de la notice des Philosophoumena par un auteur païen lié au pouvoir impérial, fort en dérision et assez antisémite. Elle est d’ailleurs absente des manuscrits de l’Hégésippe latin tout comme de ceux du 94

E. Dhorme, éd. et tr., La Bible, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Vol. I, Paris, 1956.

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Yosippon hébraïque. En fait, le nom même d’Esséniens ou d’Essènes y est inconnu. Précisément, juste après la mention de ce que les Esséniens ne font pas le jour du shabbat, on lit que, les autres jours, ils le font « enveloppés de leur manteau afin de ne pas offenser les regards de Dieu »95. L’utilisation non critique de Josèphe et le rapprochement avec la situation de latrines, hors du contexte biblique, ne sont pas recevables. Dans le manuscrit de la mer Morte dénommé Rouleau du Temple, on peut lire ceci : « Tu aménageras pour eux un certain endroit, en dehors de la ville. C’est là qu’ils iront, à l’extérieur au nord-ouest de la ville. Tu y feras des édicules, des charpentes avec des fosses au milieu dans lesquelles descendra l’excrément, et ce ne sera visible de personne étant éloigné de la ville de trois mille coudées, environ 500 m. »96 Supposons que l’on puisse établir des correspondances avec les latrines découvertes par Zias : sont-elles des preuves ou simplement une suite de rapprochements partiels et fortuits ? Sur place, il n’y a nulle trace de fosses profondes ni d’édicules. La situation au nord-ouest n’est pas non plus significative d’un point de vue topographique : elles ne pouvaient assurément pas être à l’est, dans le vide. Quant à la distance approximative, elle ne correspond pas à ce qu’indique cet autre manuscrit : « Il y aura un espace d’environ deux mille coudées, environ 350 m, entre leur camp et l’endroit du lieu, et nulle chose honteuse et laide ne sera visible aux environs de tout leur camp »97.

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Cf. Guerre des Juifs II, 148. Cf.11QT 46,13, André Caquot tr., Écrits intertestamentaires, dans La Bible, op. Cit., p.105. 97 Cf. Règlement de la Guerre ou 1QM 7,7 ; parall. 4Q491 frag. 1, 3,7, Ecrits intertestamentaires, op. cit. p. 205. 96

93

Or, on l’a vu, le Deutéronome lui-même prescrit une distance : il n’y a donc là rien de particulier. En outre, des traces tout aussi probables d’autres latrines ont été découvertes à l’intérieur même du site de Qumrân. Que reste-t-il alors en faveur de l’argumentation ? Tout simplement des spéculations de la part de Zias et Tabor pour renforcer la thèse des « moines-Esséniens » et surtout une erreur de méthodologie consistant à explorer le site « avec les écrits de Josèphe en main ». Comme je le mentionnais au chapitre précédent, dans les années 1960, Cecil Roth98 et G.R. Driver99 s’étaient déjà élevés contre l’équation Esséniens=Qumrâniens. Tout d’abord il faut savoir que Roth part de l’hypothèse que dans le triangle Esséniens-Qumrân-Rouleaux de la mer Morte, les Qumrâniens auraient été les auteurs des Rouleaux de la mer Morte. Voici les arguments de Roth : 1- Pline l’Ancien, Philon d’Alexandrie et Flavius Josèphe décrivent une résistance passive de la part des Esséniens contre les Romains. Donc pour ces sources ils constituèrent essentiellement un corps pacifiste. Bien qu’il y eut des Esséniens qui, à titre individuel, firent ouvertement la guerre aux Romains certains même occupant un poste de commandement, comme Jean l’Essénien en Galilée. Or Le Rouleau de Qumrân sur la Guerre entre les fils de lumière et les fils des ténèbres, montre que la communauté fut belliqueuse. Donc selon cet argument de Roth ils ne peuvent pas être identifiés aux Esséniens. 2- Les Esséniens prônent le célibat comme un idéal. Or dans les Rouleaux de la mer Morte il n’est pas question de célibat

98

C. Roth, The Dead Sea Scrolls, A New Historical Approach, New York, 1966. 99 Cf. H.H. Rowley, « The Qumran Sectaries and the Zealots, an Examination of a Recent Theory », Vetus Testamentum, 1959, p. 379-392.

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et dans le cimetière de Qumrân on a retrouvé des ossements de femmes et même d’enfants, bien qu’en minorité. 3- Les Esséniens n’approuvaient pas l’esclavage, la communauté de Qumrân le tolérait. 4- Les Esséniens n’approuvaient pas les sacrifices d’animaux, en fait de la manière dont ils étaient pratiqués dans le Temple de Jérusalem ; la communauté de Qumrân les approuvaient, on a retrouvé des ossements d’animaux soigneusement assemblés dans des jarres sur le site de Qumrân. 5- Les Esséniens évitaient les vœux. La communauté de Qumrân les prescrivait en certaines occasions. 6- Le baptême chez les Esséniens avait un pouvoir régénérateur. Aucune preuve que tel fut le cas chez les Qumrâniens. 7- La communauté des biens prônée par les Esséniens fut respectée jusqu’à un certain degré seulement chez les Qumrâniens. L’histoire des bâtiments que Roth considère de type monastique à Qumrân datent du deuxième siècle avant l’ère courante donc ils furent occupés d’abord par les Esséniens puis par le groupe des Qumrâniens après le tremblement de terre de l’année 31 avant l’ère courante. 8- Le centre de la communauté de Qumrân fut détruit dans la guerre de 66-73/74 de l’ère courante. Mais Pline parle des Esséniens qui ont survécu à la guerre et nous avons vu à travers le récit de Flavius Josèphe dans sa Guerre des Juifs II, 120-160 que certains Esséniens au moins étaient des citadins. Donc selon Roth ceux qui furent écrasés par les Romains à Qumrân furent bien des Qumrâniens alors que les Esséniens pour lui étaient en ville. 9- La seule autorité pour placer les Esséniens comme ayant vécu près de la mer Morte est Pline l’Ancien mais il dit : à environ 34 km au Sud de Qumrân. 10- Pline dit que les Esséniens n’ont eu aucun conflit avec les autorités de Jérusalem. Or le Maître de Justice des Rouleaux de la mer Morte, dont les auteurs sont pour Roth, 95

les Qumrâniens, est décrit comme ayant été persécuté par le prêtre « cruel » à la tête du Temple de Jérusalem. En somme, selon Roth les similarités entre Esséniens et Qumrâniens, auteurs des Rouleaux de la mer Morte, sont superficielles et portent surtout sur l’organisation et la discipline. Et ce, parce que des groupes vivant dans les mêmes conditions géographiques développent la même organisation de survie, surtout dans le désert. À mon sens, tous ces arguments de Roth sont du type « l’un n’empêche pas l’autre ». Il me semble que les auteurs anciens ne pouvaient pas réellement connaître ces communautés du désert à moins d’y avoir séjourné eux-mêmes en observateurs. Or bien que Josèphe nous affirme l’avoir fait, nous avons émis nos doutes dans le premier chapitre de cet ouvrage, sur son épisode avec Bannous dans le désert de Judée. Donc ces auteurs anciens ont travaillé surtout sur des « ouï- dire ». Nous avons également émis nos doutes quant aux notices des auteurs anciens sur les Esséniens à proprement parler. Aujourd’hui avec les preuves archéologiques, d’aucuns peuvent faire la relation entre certains sectaires décrits dans les textes d’auteurs anciens et au moins un des groupes qui aurait à un moment donné occupé le site de Qumrân. Examinons à présent les arguments de Driver selon qui ce sont les Zélotes qu’il faut identifier avec la communauté de Qumrân, Zélotes qui sont également les auteurs des Rouleaux de la mer Morte, pour lui. Voici ses arguments : 1- Les Zélotes, brigands et Sicaires qui ont proliféré pendant les années formatives de la communauté des Rouleaux de la mer Morte furent animés par la même haine d’un ennemi étranger que les membres de cette communauté, à savoir les Romains ou Kittim pour la communauté. Pour les deux il est question du poignard incurvé : les Zélotes pour tuer, les membres de la communauté comme arme légitime de guerre.

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2- Zélotes et membres de la communauté de Qumrân se ressemblent dans l’aisance qu’ils avaient eu à former des groupes dispersés 3- Menachem et Eleazar, chefs Zélotes, brigands ou Sicaires alternativement et simultanément durant toute la révolte, occupèrent Massada qui resta entre les mains des rebelles jusqu’à la fin totale de la révolte. Ils auraient pu aisément prendre contact avec les membres de la communauté ou au moins quelques-uns d’entre eux, ceux qui désiraient prendre part à la résistance contre l’ennemi commun, à savoir les Romains. 4- Les Zélotes se disaient pauvres contre les riches, or les membres de la communauté de Qumrân se nommaient les « pauvres ». Tous ces arguments sont plutôt faibles. À la lumière des textes à présent, voire des Rouleaux de la mer Morte, j’examinerai les théories de Schiffman100 et de Golb101. La Bibliothèque de Qumrân fut fondée en gros entre 140 et 130 avant l’ère courante. C’est à dire que ses livres les plus anciens datent de ces années-là. On divise les manuscrits en trois groupes : - Livres de l’Ancien Testament - Livres Apocryphes et Pseudépigraphes - Livres particuliers à la communauté de Qumrân, non connus auparavant et ayant un caractère ésotérique comme par exemple : la Règle de la Communauté, le document à deux colonnes de La Règle de la Congrégation, le Rouleau de Cuivre, le Document de Damas, etc. Une nomenclature a été établie pour ces manuscrits. Les deux premiers caractères indiquent l’endroit où le document a 100

L. Schiffman, « The New Halakhic Letter (4QMMT) and the Origins of the Dead Sea Sect », BA, 1990, p. 64-73. 101 N. Golb, Who Wrote the Dead Sea Scrolls ? : The Search for the Secret of Qumran, New York, 1995.

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été trouvé ; par exemple : 1Q= Qumrân grotte no.1 ; les caractères suivants donnent le type de document (p=pesher, un commentaire biblique ; ap=apocryphe et tg=targum), ensuite vient le nom du manuscrit en question. Voici quelques exemples : 1QpHab= pesher de Habakouk trouvé dans la grotte no.1 de Qumrân, 1QapGen= apocryphe de la Genèse trouvé dans la grotte no.1 de Qumrân, etc. 4QMMT, Miqsat Maasé haTorah, est un texte important connu également sous l’appellation de Lettre Halakhique et trouvé donc dans la grotte no.4 de Qumrân. Il renferme une discussion entre Pharisiens et Sadducéens sur les lois de pureté et notamment sur l’impureté transmise par les liquides. Lawrence Schiffman a proposé d’identifier les Qumrâniens, pour lui aussi auteurs des Rouleaux de la mer Morte, aux Sadducéens. Il se base sur le fait que plusieurs des positions légales sur la pureté défendues dans certains écrits de la Torah, comme dans ceux des auteurs des Rouleaux et le 4QMMT en particulier, se recoupent étrangement avec les positions que la littérature rabbinique attribue aux Sadducéens. S’il a raison et si le 4QMMT est un texte de la communauté qui date des débuts de l’installation à Qumrân, cela impliquerait, selon Schiffman, qu’au début au moins, la communauté de Qumrân était d’obédience Sadducéenne ou tout au moins avait une coloration Sadducéenne dans ses positions légales. À la lecture de la dispute Pharisiens-Sadducéens dans la Mishnah102, Schiffman déclare que les quatre points de désaccord juridique soulevés dans ce passage trouvent leur écho dans le 4QMMT. Ce que la Mishnah présente comme étant la position des Sadducéens est également celle des auteurs du texte de Qumrân. Citons en substance l’une des problématiques posées dans le texte de la Mishnah. Il s’agit de la pureté d’un filet de liquide. Les Pharisiens déclarent pur un filet d’eau non interrompu. Les Sadducéens déclarent pur un filet d’eau provenant d’un terrain d’inhumation. En fait dans le 4QMMT la position des 102

Cf. Yadayim 4.6-7

98

Sadducéens sur la pureté des courants d’eau est exprimée ainsi : lorsqu’un liquide est versé dans un vase impur il entrainera avec lui cette impureté vers le vase pur duquel il avait été versé. Alors les Pharisiens leur font ensuite le reproche de ne pas croire que l’impureté des terrains funéraires puisse « contaminer » les filets d’eau qui en partent. Donc les Pharisiens disent que les Sadducéens n’appliquent pas leur principe selon lequel un courant liquide transmet l’impureté, à la situation des terrains funéraires. Les vues Sadducéennes et celles des auteurs des Rouleaux de la mer Morte coïncident sur bien d’autres points également. Schiffman ensuite, assimilant les Qumrâniens, auteurs des Rouleaux de la mer Morte aux Esséniens continue en disant qu’il va de soi que Sadducéens et Esséniens ont partagé la même vue sur la pureté car tous deux avaient des racines profondes dans la prêtrise. Il continue en précisant que les Qumrâniens s’appelèrent fils de Sadoq, nom qui fut à l’origine du terme Sadducéens. Contre cette vue de Schiffman, on peut dire que beaucoup de textes de Qumrân contredisent les vues Sadducéennes, comme par exemple ceux qui révèlent l’existence d’une multitude d’anges et le pouvoir de la destinée. Le Manuel de Discipline est un document qui présente des vues clairement antiSadducéennes. Schiffman est conscient de cela, mais il persiste en disant que les Sadducéens de la Mishnah sont différents des aristocrates décrits par les auteurs anciens comme Flavius Josèphe. Pour Schiffman, les Sadducéens de la Mishnah sont des conservateurs dans leur approche de la Loi et furent également appelés par un nom dérivé de « Sadoq ». Un point sur lequel je serais d’accord avec Schiffman : il y a encore beaucoup de choses que l’on ne comprend pas à propos des différents groupes Juifs de l’époque du Second Temple, voire du Judaïsme formatif, et des termes utilisés dans les textes pour les désigner. Penchons-nous à présent sur la théorie de Norman Golb.

99

Il propose que les bâtiments de Qumrân constituent les ruines d’une forteresse, vue qui avait été proposée du reste par Roland de Vaux en 1949. Pour Golb le site apparemment n’avait pas de relation directe avec les grottes. Les manuscrits de la mer Morte trouvés dans les grottes furent donc laissés làbas par des gens fuyant Jérusalem à l’approche des Romains au moment de la grande révolte. Des copies des Chants du Sacrifice du Shabbat, trouvées à la fois à Qumrân et à Massada, prouvent que ces documents ne furent pas l’œuvre d’une seule communauté spécifique. À cela nous pouvons répondre qu’il est probable qu’un habitant de Qumrân en ait emporté une copie à Massada, fuyant les Romains en 68 et rejoignant le camp des derniers résistants à Massada jusqu’en 73-74. En outre, le grand nombre de ces manuscrits prouvent qu’il s’agissait de l’œuvre de plusieurs groupes et Jérusalem est le seul centre intellectuel auquel on peut penser pour l’origine de ces manuscrits. Golb continue en disant que la série d’anomalies comme celle du célibat/mariage dans la thèse Esséniens=Qumrâniens rend sa théorie plus plausible. Dès lors, les désaccords en matière de théologie, de loi, etc. exprimés dans les différents manuscrits ne posent plus problème puisque ces manuscrits émanent de groupes différents, résidents de Jérusalem. Golb rajoute que dans son Histoire Naturelle publiée en 77 de l’ère courante, Pline, seul auteur ancien à avoir situé les Esséniens dans le désert de Judée près de la mer Morte, parle des Esséniens au temps présent et que donc ils n’ont pas pu avoir été les résidents de Qumrân alors détruit par les Romains depuis dix ans déjà. Selon Golb, ce qui a surtout influencé la thèse Esséniens=Qumrâniens, c’est le Manuel de Discipline découvert très tôt et présentant des similitudes avec les enseignements des Esséniens décrits dans les textes des auteurs anciens. Je rajouterais que dans la logique de Golb, ce Manuel de Discipline pourrait très bien avoir été un des livres cachés par des Esséniens Jérusalémites.

100

D’autre part, Golb fait remarquer très justement qu’aucun document de nature juridique ou autres concernant la vie quotidienne, par exemple des contrats de mariage, des contrats d’achat et de vente, etc. comme ceux constituant les lettres de Bar Kokhba, n’a été retrouvé dans ces grottes de Qumrân. Chose étonnante pour une communauté qui se voulait hautement organisée et qui aurait vécu sur le site de Qumrân pendant presque deux cents ans. Par conséquent, ceci représente un argument de plus renforçant l’idée que les Qumrâniens ne furent pas des résidents permanents du site. Golb pense aussi que tous les Manuscrits de la mer Morte, excepté le Rouleau de Cuivre, sont des copies d’originaux. Or si ni la thèse de Schiffman ni celle de Golb ne sont totalement convaincantes, celle selon laquelle certains « Esséniens » furent des Qumrâniens reste la plus plausible pour l’heure. Donc il est possible de conclure que plutôt qu’un seul, Il y eut plusieurs groupes non identiques qui auraient occupé à tour de rôle le site de Qumrân, comme d’ailleurs les autres sites fouillés dans la région de la mer Morte. Il nous reste à déterminer de quoi et comment ces groupes vécurent réellement à Qumrân et si certains d’entre eux ont réellement écrit tous ces Manuscrits ? Il me semble vraisemblable que le site de Qumrân a été à un moment donné au moins, une sorte de séminaire, une Yeshivat Cohanim, bien que ces deux termes présentent un anachronisme, alors disons plutôt un Beth Midrash leCohanim, une école de prêtres, tous citadins à l’origine, vivant à Qumrân non de manière permanente, rentrant de temps en temps à la ville pour rendre visite à leurs familles et leurs femmes et enfants venaient également leur rendre visite de temps à autre sur le site. En effet, à moins d’appartenir à un groupe de nomades habitués à vivre et à s’adapter à la vie désertique, je ne peux imaginer qu’à cette époque des citadins aient pu s’adapter rapidement à ce type de vie.

101

À la question de savoir si le site de Qumrân a abrité des « Esséniens » je répondrais : est-ce la bonne question puisque nous ne sommes même pas sûrs de l’existence d’un tel groupe, appelés « Esséniens ». Y a-t-il eu des Qumrâniens ? Certes, mais qui furent-ils alors ? Est-ce que lesdits Esséniens des textes des historiens anciens, y compris Flavius Josèphe, sont derrière les textes de Qumrân ? Je suis également convaincue qu’on n’est pas près de le savoir.

102

CHAPITRE V Querelle Sadducéens/Pharisiens

Au plan politique pur, Flavius Josèphe nous décrit dans ses écrits, cette période charnière de l’histoire de la Palestine entre deux régimes de nature bien différente. Les Hasmonéens, établirent une monarchie absolue avec un cumul des fonctions de Roi et de Grand Prêtre en la personne du dynaste : une monarchie sacerdotale absolue donc. Ce régime maintint du reste une Judée indépendante sous les auspices de Rome alors encore une République. Mais c’est également sous les Hasmonéens que l’on assista à une querelle virulente en Palestine entre Sadducéens et Pharisiens avec finalement l’affirmation de l’influence du Pharisaïsme sur le Judaïsme alors en formation. Quant au pouvoir Hérodien, il est de type tyrannique. Les tenants du régime à l’instar d’Hérode Le Grand, flirtent avec les empereurs Romains. La Judée ne fut plus un état indépendant, mais un état vassal avec Hérode lui-même en vassal de type hellénistique. Ainsi que nous l’avions indiqué dans notre premier chapitre, Flavius Josèphe parmi les trois écoles décrites dans les textes, a finalement opté pour la philosophie des Pharisiens. Après avoir examiné les enseignements des EsséniensQumrâniens et afin de comprendre le choix de notre historien juif contemporain parmi ces groupes, dans le présent chapitre, je vais m’interroger sur les Sadducéens et les Pharisiens, leur rôle politique, leur querelle et leur définition du Judaïsme.

Sadducéens et Pharisiens sont traditionnellement considérés comme deux groupes rivaux du Judaïsme formatif depuis peutêtre le règne de l’Hasmonéen Jonathan. Cette période voit l’apparition du Judaïsme « sectaire », un Judaïsme se répartissant en « sectes », bien que je n’aime pas employer ce terme pour l’époque. Je lui ai préféré celui de communauté dans les chapitres précédents. Cela dit, le Judaïsme se divise en écoles de pensée et de pratique : Pharisiens, Sadducéens et « Esséniens », pour reprendre la classification, sans doute trop simple, établie par Flavius Josèphe. Faut-il rendre la naissance de ces groupes concomitante de la naissance de la dynastie Hasmonéenne, c’est-à-dire au moment où les frères Maccabées décident de cumuler sous leurs auspices les titres et pouvoirs de chef militaire et de Grand Prêtre, puis ceux de Prince et Grand Prêtre attribués tantôt par la communauté juive elle-même tantôt par les souverains étrangers, en l’occurrence les Séleucides, pour finalement, comme Jean Hyrcan le premier, devenir Roi-Grand-Prêtre des Juifs ? À mon sens les groupes sont nés avant, mais ont pris une couleur politique plus déterminante depuis la révolte des Maccabées. Je suis encline à penser que l’origine de l’idéologie pharisienne doit se trouver dans l’exil de Babylone, au sixième siècle avant l’ère courante. Il en va de même pour les Sadducéens. Les Esséniens/Qumrâniens quant à eux seraient un mouvement plus récent, du deuxième siècle avant l’ère courante. Les premières dissensions apparurent dans la communauté juive de Judée lorsqu’en 153 avant l’ère courante Jonathan Maccabée accepta du Séleucide Alexandre Balas le titre de Grand Prêtre. En effet Jonathan appartenait bien à la tribu de Lévi, de la descendance d’Aaron, mais il n’était pas de la lignée de Sadoq, la seule habilitée par une tradition ancestrale à donner un Grand Prêtre au peuple d’Israël. Dès lors, Jonathan passait aux yeux des éléments les plus pieux de la communauté, les Hassidim, ceux-là mêmes qui avaient rejoint les rangs de 104

Matthatias, instigateur de la révolte des Maccabées, pour un Grand Prêtre illégitime. À cela s’ajoutait sa condition de chef de guerre qui l’amenait à contracter de nombreuses impuretés rituelles incompatibles avec la dignité sacerdotale. Les ambitions politiques et la dérive morale de la dynastie royale sous les règnes suivants firent le reste. Ces Hassidim prirent dès lors leurs distances vis-à-vis du pouvoir politique et formèrent le mouvement pharisien en hébreu Perushim, les séparés. Nous ne nous attarderons pas ici sur l’étymologie de leur nom. Pour ma part, ces Hassidim furent également les ancêtres des « Esséniens », dont le nom en aurait été décliné et qui ne furent autre que des Pharisiens radicaux. Ceux-là mêmes qui, dans le même temps, et pour les mêmes raisons, formèrent un groupe de laïcs et de prêtres qui s’éloignèrent du Temple de Jérusalem où pontifiait maintenant un Grand Prêtre illégitime, indigne de surcroît, et gagnèrent la mer Morte pour y mener une vie de fidélité totale à la Loi de l’Alliance : ils sont à l’origine de la Communauté de l’Alliance, plus connue sous le nom de Communauté de Qumrân. Simon, un autre fils de Mattathias, avait pris la relève dès l’incarcération de Jonathan. Il continua la lutte contre les Séleucides, chassa définitivement la garnison grecque qui occupait encore la Citadelle de Jérusalem ; en s’emparant du territoire de Joppé, il se donna un débouché précieux sur la Méditerranée ; il obtint d’Antioche l’exemption de tout impôt et, le premier depuis le début de la révolte, il frappa sa propre monnaie. Simon reçut, par un décret officiel émanant « des Juifs et des prêtres » et daté de l’an 140, le titre de Prince et de Grand Prêtre des Juifs. Ainsi, la communauté juive retrouvait sous l’autorité de Simon une totale autonomie, à la fois sur le plan religieux et sur le plan politique. La famille de Mattathias était donc installée à la tête de la communauté de Jérusalem ou plus exactement de l’état Juif ; car c’est bien d’un état qu’il s’agissait à présent, et dans cette famille le pouvoir allait se transmettre de façon héréditaire, comme on allait le voir bientôt à la mort de Simon : ses 105

descendants sont passés à l’Histoire sous le nom d’Hasmonéens. Durant tout le règne de Simon, le pays fut en paix103. Un tel éloge du gouvernement de Simon peut laisser croire que tout était au mieux dans le meilleur des mondes. En réalité beaucoup de Juifs voyaient d’un mauvais œil les pouvoirs militaire, politique et religieux réunis dans les seules mains d’un souverain étranger à la dynastie de David comme à celle de Sadoq. Ce fut Jean, un fils de Simon104, qui instaura le système dynastique des Hasmonéens : il monta sur le trône sous le nom de Jean Hyrcan I et cumula les fonctions et titres de Roi-GrandPrêtre des Juifs de 135 à 104 avant l’ère courante. Il reprit la politique de reconquête, et l’aide de Rome lui permit de maintenir conquêtes et indépendance. Les raisons qui avaient conduit les Pharisiens à prendre leurs distances vis-à-vis du père ne firent qu’empirer avec le fils. Jean Hyrcan, qui avait des sympathies marquées pour l’hellénisme, trouva tout naturellement auprès des Sadducéens de meilleurs alliés. Les Sadducéens, qui doivent probablement leur nom à Sadoq, Grand Prêtre qui consacra Salomon et remplit sa charge dans le Temple nouvellement construit, avaient montré leur penchant pour l’hellénisme dès avant la révolte maccabéenne. Paradoxalement, ils se voulaient conservateurs en matière religieuse, pour eux, seule comptait la Loi Écrite. Ils rejetaient donc la tradition orale contrairement aux Pharisiens qui y attachaient une importance égale à celle de la Torah. Ainsi, les Sadducéens ne croyaient pas à la résurrection des morts qui leur paraissait comme une nouveauté, alors que les Pharisiens y adhéraient au nom même de la tradition orale. Mais ce rigorisme des Sadducéens allait de pair avec une réelle ouverture dans les autres domaines : comme les princes

103 104

Cf. IM 14, 4-12. Cf. IM 16, 21.

106

Hasmonéens, descendants des Maccabées, ils se montraient réalistes tant dans les affaires politiques que sur le plan culturel. Du fait que la charge de Grand Prêtre était maintenant assumée par le souverain, l’aristocratie sacerdotale qui assurait la vie cultuelle du Temple de Jérusalem, se voyait obligée de composer avec le pouvoir politique qui s’appuyait de plus en plus dans l’administration du pays sur des notables ouverts à l’hellénisme. Dès la mort de son père, Aristobule, l’aîné de ses fils, prend le titre de roi en 104. Bien que son règne ne dure que deux ans, Aristobule a le temps de reconquérir la Galilée. À sa mort en l’an 103, sa veuve, Salomé Alexandra, installe l’aîné des frères d’Aristobule, qu’elle épouse, sur le trône. Dès le début, le nouveau roi affiche ses sympathies pour la culture grecque en hellénisant son nom, il sera désormais connu, non plus sous le nom de Jonathan, mais bien d’Alexandre Jannée. Il règnera de 103 à 76 avant l’ère courante. Alexandre reprend la politique d’expansion de ses devanciers. Les opposants d’Alexandre pensent que l’heure de l’insurrection a sonné ; ils font même appel au roi d’Antioche, Démétrius III (95-88), mais un sursaut national sauve une fois encore la dynastie. C’est alors l’extermination sauvage des mécontents. Alexandre impose le Judaïsme par la force : dans de telles conditions, l’unité du royaume ne pouvait être que fragile. Pour réprimer les mouvements insurrectionnels, il s’appuya sur des mercenaires venus d’Asie Mineure. Il entra en conflit avec les Pharisiens. Alexandre Jannée imposa son autorité par la terreur et réduisit au silence toute opposition par des représailles d’une telle cruauté, que les succès militaires par lesquels il redonnait pourtant à la terre d’Israël ses frontières du temps de Salomon, ne les firent pas oublier de ses contemporains. Il fit ainsi massacrer des Pharisiens en grand nombre. Lorsque mourut Alexandre Jannée, sa veuve, Salomé Alexandra, exerça le pouvoir de 76 à 67 avant l’ère courante, comme il l’avait lui-même décidé. Puisqu’elle ne pouvait pas

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être « le » Grand Prêtre, elle confia cette charge à l’aîné de ses fils, Jean Hyrcan II. Durant les neuf années que dura son règne, Salomé Alexandra conduisit avec habileté les affaires du royaume, cherchant à tout prix à maintenir la paix, elle réhabilita les Pharisiens. Avec l’appui de la reine, les Pharisiens étaient entrés dans le grand Conseil du Sanhédrin, qui n’était ouvert jusque-là qu’aux Anciens et à l’aristocratie sacerdotale à savoir, les Sadducéens. Leur accès au pouvoir s’opérait aux dépens des Sadducéens. Un groupe de mécontents trouva un leader en la personne d’Aristobule II, le frère du Grand Prêtre. Il prit la tête de l’opposition au gouvernement de sa mère, contestant l’emprise croissante des Pharisiens dans les affaires du pays. Salomé Alexandra sut encore éviter le pire, mais lorsqu’elle mourut en 67 les différends tournèrent à la guerre civile. Jean Hyrcan II était l’aîné, et le trône lui revenait de droit, mais Aristobule, son frère, était d’une tout autre taille. Le jour même où sa mère avait été frappée par la maladie qui devait l’emporter, il avait fait main-basse sur vingt-deux places fortes du royaume, s’assurant ainsi la maîtrise des opérations. Il s’imposa donc peu à peu dans cette guerre civile. Contraint de capituler, Jean Hyrcan conclut un accord avec son frère : il lui laissait la couronne et se contentait de sa charge de Grand Prêtre. C’est alors que tout fut remis en cause par l’arrivée sur scène d’un troisième homme. Un certain Antipater, Iduméen marié à une princesse arabe nabatéenne, prit le parti de Jean Hyrcan ; il savait le caractère insignifiant de ce prince, et il vit là l’occasion de satisfaire ses propres ambitions. Il connaissait bien la Nabatène, voisine de l’Idumée dont son père avait été gouverneur. Antipater convint donc avec le roi Arétas de Nabatène, de lui rendre les villes qui lui avaient été enlevées par Alexandre Jannée, en échange du soutien armé qu’il apporterait à Jean Hyrcan. Aristobule cette fois fut contraint de battre en retraite et dut se replier dans Jérusalem où il s’enferma, assiégé par les troupes d’Arétas et d’Hyrcan.

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Ayant brossé le tableau du rôle politique joué par Pharisiens et Sadducéens durant le règne de la dynastie Hasmonéenne, tournons-nous à présent vers la formation et l’idéologie de ces groupes. Ces deux groupes sont reconstruits dans les écrits de Flavius Josèphe, les Évangiles du Nouveau Testament et les écrits rabbiniques, plus particulièrement la Mishnah. Ces sources sont plutôt sommaires sur ces groupes, surtout sur les Sadducéens ; elles ont de plus été traitées avec scepticisme par les chercheurs, de par le parti pris, entre autres, de leurs auteurs. Il est important de citer l’ouvrage d’Anthony Saldarini105. Ce chercheur nous met en garde ainsi, en substance : essayer de comprendre Pharisiens et Sadducéens comme des groupes isolés, strictement religieux et non impliqués politiquement serait adopter un point de vue très dangereusement limité. Au lieu de cela, il faut les envisager dans la dynamique typique des sociétés de l’Antiquité où le politique et le religieux demeuraient étroitement imbriqués. Par conséquent, les aspects rituels et théologiques des différends entre Pharisiens et Sadducéens sont à englober dans le tableau plus vaste des développements socio-politiques de l’époque. De même, dire que les Pharisiens ont été complètement hermétiques à l’influence hellénisante serait également erroné. Tandis que les Séleucides et les Romains ont conduit l’hellénisation de manière militaire, en absorbant des états telle la Judée et en imposant ou prohibant certaines pratiques religieuses, ce furent les idées intellectuelles ou philosophiques de l’individualisme et de la démocratie qui se sont infiltrées dans les centres urbains et ont tissé les fils de l’hellénisme dans le tissu de la vie juive. Ce fut à peu près au tournant de l’ère courante, au moment où les Romains assumèrent la domination directe de la Judée, 105

A. Saldarini, Pharisees, Scribes, and Sadducees in Palestinian Society: a sociological approach, Grand Rapids : Eerdmans, 2001.

109

que les religions hellénistiques préconisaient une communication transcendante personnelle avec la divinité. La vie urbaine hellénisée engendra un profond désir de salut individuel et une assurance de l’immortalité, gratifiée par la participation à des rituels précis. Un accent était mis dans les philosophies de l’époque, mais aussi dans les religions, sur la liberté interne mais encore l’indépendance émotionnelle que l’on pouvait atteindre à travers un code de comportement, un guide pour supporter la solitude et l’anonymat inhérents aux grandes villes. Ces idées, teintées de l’idée grecque de démocratie, s’alignaient avec la Torah à la différence que les prêtres, dans la culture grecque, étaient les serviteurs du peuple plutôt qu’une classe dirigeante, comme chez les Juifs. La cristallisation du mouvement pharisien semble avoir été le résultat de leurs croyances religieuses spécifiques combinées avec leur position historique. Ils ont émergé donc comme mouvement politique après la révolte des Maccabées avec les premiers germes de la dynastie Hasmonéenne. La dynastie Hasmonéenne fut un point tournant dans l’histoire juive à la fois aux plans politique et religieux. Ce fut dû à la montée de l’activisme et de l’indépendance idéologique dans un contexte de répression païenne qui avait duré pendant des siècles auparavant. Louis Finkelstein106, propose que la cohésion sociale et la piété intense des Pharisiens fut la réponse à l’annihilation totale du Judaïsme prônée dans les décrets d’Antiochus IV Epiphane. Finkelstein continue en écrivant que la réussite de la révolte maccabéenne avait permis la pratique du Judaïsme selon la Loi de Moïse mais il ne fallait pas prendre cela pour acquis, il fallait dès lors une observance juive universelle de la Loi qui puisse créer une séparation claire entre les Juifs et les païens ou les « vrais juifs » et leurs opposants hellénisants.

106

L. Finkelstein, The Pharisees, the Sociological Background of their Faith, Philadelphie, reédité en 1962.

110

C’est alors que la tradition et les croyances religieuses des Pharisiens concernèrent surtout des questions de pureté individuelle et des idées théologiques comme le destin, la vie après la mort, pour supporter les situations sociales oppressantes. Pour les Pharisiens, les lois de pureté devaient s’appliquer à tous les juifs pieux et pas seulement aux prêtres ; dès lors il fallait trouver un moyen raisonnable de rester pur tout en fonctionnant avec les autres au quotidien. Ainsi, toute la communauté devait accepter cette idée afin de fonctionner en accord avec les lois de pureté. C’est à partir de là, selon Finkelstein, que les Pharisiens se séparent, Perushim=séparés, du reste de la communauté juive qui n’acceptait pas cet axiome de la pureté rituelle pour tous. L’idée de séparation et d’exclusivité a mené certains chercheurs à voir dans les pharisiens, un groupe appartenant à la basse aristocratie des soldats, éducateurs, comédiens-artistes et artisans. En outre, comme ils n’avaient ni le pouvoir politique héréditaire ni le pouvoir économique, ils étaient amenés à s’appuyer sur la masse du peuple afin de garder leur influence sur la vie juive de l’époque. Pour Finkelstein, ils ont beaucoup tablé sur la moralité et la croyance en une vie après la mort afin d’attirer les individus hellénisés des villes et surtout le « Jérusalémite typique ». Les Pharisiens ont sans doute attiré tout un éventail de groupes socio-économiques de l’époque. Ceci est dû à toutes leurs doctrines de la pureté, de la simplicité, de la fraternité, de la divinité et de la vie après la mort. Toutes ces doctrines engageant l’individu dans une relation directe avec le divin. Dans leur démarche pédagogique, les Pharisiens rajoutaient que la vie après la mort serait assurée aux personnes vertueuses. De là découlait la question : mais qu’est-ce que la vertu et comment l’atteindre ? La réponse pharisienne était : la vertu découle de la pureté individuelle. En même temps que cette doctrine de la pureté individuelle, se dessinait celle du mal et de l’injustice. Et les Pharisiens gagnèrent beaucoup d’adhérents ainsi. Josèphe écrit dans ses Antiquités Judaïques XVIII, 14-15 : 111

... « Ils croient aussi que les âmes sont immortelles et que sous la terre (dans le sheol ?), elles seront récompensées ou châtiées selon leurs vertus ou leurs vices dans leur vie d’ici-bas. Elles seront soit enfermées dans une prison éternelle soit pourront être réincarnées. Sur la base de ces doctrines ils furent très influents auprès du corps du peuple... dans ce sens, les habitants des villes payèrent tribut aux Pharisiens en adoptant un comportement vertueux à la fois dans leur mode de vie et dans leurs discours... ». S’aligner individuellement au Pharisaïsme fut un choix pieux mais qui se manifestait également au niveau social et politique. Saldarini107 suggère que cette réponse sociale révolutionnaire de la part des Pharisiens se comprend dans le contexte destabilisant d’un pays, Israël, en transition vers une puissance militaire, un royaume hellénistique dans les mains des Hasmonéens, lesquels furent capables de consolider l’indépendance relative de la Judée. Les Pharisiens luttèrent pour garder leur influence sur la vie juive de l’époque en menant un combat politique en parallèle. À cette fin, les Pharisiens défièrent constamment l’autorité religieuse des prêtres. Mais, comme l’écrit Josèphe108, cela ne les a pas toujours bien servi car ils se sont fait évincer du Sanhédrin lors de leur différend avec Jean Hyrcan, ils se sont fait massacrer par Alexandre Jannée. Leur pouvoir politique entraîna éventuellement la guerre civile. Alexandre Jannée d’ailleurs enjoint à sa femme Salomé Alexandra qui lui succéda de restaurer le pouvoir politique des Pharisiens afin d’endiguer cette guerre civile. Il semble que la popularité des doctrines pharisiennes auprès du peuple et leur réputation auprès de la classe dirigeante, provenaient de leur action de décentraliser la pureté rituelle et de leur audace dans l’interprétation de la Torah.

107 108

A. Saldarini, op. cit. Cf. Antiquités Judaïques XIII, 291-296 ; 372-373.

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Durant toute la domination Perse, les prêtres furent l’autorité religieuse sur les questions de rituel et de Torah et furent originellement les seuls juifs obligés de se plier à la plupart des rites de pureté à cause de leur proximité avec la divinité dans le Temple. Leur fonction fut d’apaiser la divinité à travers les rites sacrificiels et de guider le peuple selon la volonté divine, un privilège s’appuyant sur Deutéronome XVII. Ils comprirent la Loi Écrite comme la Loi unique, la plus élevée, résultat du vœu d’alliance et se considéraient comme la plus haute autorité à son égard. Comme nous l’avons mentionné à la suite de Saldarini, le pouvoir politique et le pouvoir religieux étaient étroitement imbriqués à l’époque et la classe dirigeante des prêtres releva très vite le défi lancé par les Pharisiens ; elle s’opposa à ces derniers, sous le nom de Sadducéens. Le nom lui-même de Sadducéens a des origines discutées. L’explication étymologique la plus acceptée est qu’il dérive du nom Sadoq, un Grand Prêtre du temps du roi David. Cela ne veut pas nécessairement dire que tous les Sadducéens étaient descendants de Sadoq. L’idée c’est l’authenticité de la lignée sacerdotale depuis Aaron. D’autres suggèrent de rapprocher le terme de Sadducéens avec le terme qui désigne justice en hébreu : Sedeq ou encore du grec proche de l’hébreu d’ailleurs Syndikoi=juges. Les Sadducéens ont d’ailleurs eu un rôle proéminent dans le Sanhédrin comme l’indiquent les Actes des Apôtres109. En dépit de leur nom à consonance de prêtres, et de leur association avec la lignée sacerdotale, les Sadducéens avaient des conceptions largement laïques. Ils considéraient le divin comme une entité lointaine, transcendant les affaires humaines et donc ils rejetèrent les doctrines du destin, de la vie après la mort et de la résurrection. Les sources nous les dépeignent comme sceptiques quant à la doctrine des anges et du destin répandue par ailleurs par les Pharisiens et qui, pour ces derniers, fut plus le résultat d’une 109

Cf . Actes 23.

113

interprétation qu’une lecture rigoureuse de la Torah. Et en fait, dans la majorité des sources, les Sadducéens sont surtout décrits en tant qu’opposants aux doctrines des Pharisiens. La lutte des Sadducéens contre les Pharisiens fut donc une lutte sociale de qui aura le dernier mot pour guider la vie juive à l’époque. Encore une fois, en vertu de l’inextricable lien entre politique et religieux à l’époque, celui qui gardait l’influence sur la société était celui qui conservait le pouvoir politique. Ce pouvoir résidait vraisemblablement dans le Sanhédrin, le conseil juridique suprême de Jérusalem qui décidait des Lois et des châtiments, de même il réglait les différends communautaires et fut l’endroit où Sadducéens et Pharisiens au moins se rencontraient. On peut voir cela dans la Mishnah110 et dans les Actes des Apôtres111. Dans la Mishnah Makkot les Sadducéens et les Pharisiens débattent sur le bon châtiment pour les faux témoins dans un cas qui appèlerait la peine capitale. Tout d’abord l’on en déduit que les deux groupes participaient aux procès de haute criminalité, une responsabilité du Sanhédrin. Dans les Actes, Luc relate l’histoire de Paul, qui se déclara pharisien lorsqu’il comparut devant le Sanhédrin. Ceci provoqua une argumentation sur la résurrection entre les membres du Sanhédrin et Paul. La compétition pour le pouvoir impliquait nécessairement le débat sur « qui avait l’autorité ultime pour l’interprétation de la Torah », et de même quel statut religieux devait-on octroyer à la Loi Orale ? Ceci dit, tous deux, Sadducéens comme Pharisiens, s’accordaient à laisser à la Torah le statut d’autorité suprême. Flavius Josèphe nous dit que les points de dissension les plus importants entre Sadducéens et Pharisiens restaient : les traditions passées oralement de génération en génération. Les Antiquités Judaïques XIII, 297-298 disent ceci en substance :

110 111

Makkot 1:6 Cf. Actes 23, op.cit.

114

... « Les Pharisiens ont livré à leur peuple un grand nombre d’observances transmises par leurs ancêtres, lesquelles ne sont pas inscrites dans la Loi de Moise. Pour cette raison les Sadducéens les rejettent et disent nous sommes censés considérer strictement les observances écrites et non celles qui constituent des traditions transmises par nos ancêtres. Sur ce point, de grandes dissensions sont survenues entre eux ». Les Pharisiens réclamèrent que la Torah orale ou tradition, avait autant d’autorité que la Torah écrite. Marc112 dans le Nouveau Testament prend note de rituels de pureté spécifiques disant : ... « Les pharisiens ne mangent pas avant de bien se laver les mains, ainsi observant la tradition de leurs pères, et ils ne mangent rien de ce qu’ils auront acheté au marché sans le laver également ; et il existe bien d’autres traditions qu’ils observent... ». Ces traditions, considérées comme divines, furent perpétrées en fait pour diminuer les privilèges et le pouvoir des prêtres. Finkelstein113 présente six points de discorde entre Pharisiens et Saduccéens : 1- Rituel et questions juridiques dans lesquels les Sadducéens transgressèrent le mot des Ecrits Saints. 2- Questions sur lesquelles les Sadducéens opposèrent l’esprit général de la Loi Biblique et non un énoncé spécifique 4- Les institutions décrites par les Pharisiens comme postbibliques 5- Des traditions sacerdotales auxquelles certains docteurs de la loi pharisiens s’opposaient et qu’ils qualifiaient de sadducéennes 6- Des controverses théologiques

112 113

Cf. Marc 7:3-4. L. Finkelstein, op. cit.

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Les cinq premières catégories concernent des disputes sur la Loi et sont des débats juridiques, alors que la dernière catégorie traite de différends d’ordre théologique. Les disputes sur la Loi sont rapportées en grande partie dans la littérature rabbinique et incluent des débats notamment sur l’impureté des métaux, les ablutions, la loi sur le faux témoignage, la responsabilité d’un maître pour les dommages commis par ses esclaves et des débats tels que les libations d’eau pendant la fête de Soukkot. Les débats théologiques qui sont mentionnés clairement dans les écrits de Flavius Josèphe et confirmés dans le Nouveau Testament, incluent les doctrines de la résurrection et de l’immortalité de l’âme, la doctrine des anges et l’idée de providence ou de destin. Dans les Actes des Apôtres au chapitre 23 il est énoncé : « Des dissensions ont été soulevées entre Pharisiens et Sadducéens... Car les Sadducéens disent qu’il n’y a pas de résurrection ni d’ange ni d’esprit ; mais les Pharisiens reconnaissent tout cela... » Josèphe parle de la dispute sur le Destin en ces termes : « Les Pharisiens, ils disent que certaines actions, mais pas toutes, sont le fait du Destin...Et alors que pour les Sadducéens, ils excluent le Destin et disent que cela n’existe pas, et que les événements de la vie d’un homme ne sont pas à sa disposition... » À l’origine les Pharisiens contraient la tradition sadducéenne en l’identifiant à la Torah écrite. Lorsqu’il y eut des désaccords, la tradition sadducéenne fut alors targuée de non divine et les traditions pharisiennes au contraire provenant directement de dieu et transmise au peuple par l’intermédiaire de Moise et des ancêtres, elles, furent considérées comme divines et nous obligeant. Ensuite les Pharisiens dirent que tout désaccord ultérieur était le fait d’une erreur humaine et qu’une nouvelle interprétation était en fait une redécouverte de ce qui avait été transmis au cours du temps.

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Ce pouvoir de l’interprétation donc permettait aux Pharisiens de s’engager instantanément au niveau théologique contre les Sadducéens dans tous les domaines catégorisés par Finkelstein. En fin de compte, cette interprétation de la Torah orale, combinée avec l’aptitude individuelle à maintenir la pureté et la communion avec dieu respectivement par des pratiques rituelles et la prière, transféra l’autorité à une classe intellectuelle et rendit le rôle des prêtres théoriquement non nécessaire pour la vie religieuse juive. Avec la destruction de Jérusalem par les Romains, les disputes entre Pharisiens et Sadducéens furent définitivement suspendues. La tradition pharisienne avait le plus à perdre en ce sens qu’elle était basée sur une forte relation de maître à disciple, une transmission du savoir par les écoles, les synagogues et les repas communautaires ; donc la dispersion après la destruction du Temple de Jérusalem en 70 fut vécue comme très déstabilisante pour la structure pharisienne. La différence entre Sadducéens et Pharisiens cependant c’est que les deuxièmes ne considéraient pas le peuple juif et la Judée comme une fin en soi, mais plus comme un moyen de faire progresser une culture particulière, une éthique et des idées spirituelles alors que les Sadducéens pendant cette période étaient interessés à préserver et développer la Judée comme une fin en soi. L’habilité des Pharisiens à pouvoir perdurer au-delà du corps politique et de l’institution religieuse du Temple était garantie selon la théorie susmentionnée. Les Pharisiens se sont donc préservés en tant que communauté et ont continué de s’identifier comme tels même en l’absence d’un état juif et après la destruction du Temple de Jérusalem. Les idées persistantes des Pharisiens incluent : 1- Le concept d’un dieu paternel omniscient et omnipotent 2- Croyance dans la valeur et l’immortalité de l’âme de l’individu 3- Insistance sur l’internalisation de la religion En fait, l’essence du Judaïsme pharisien consiste en un mode de pensée rationnel qui se développa par la suite avec les 117

rabbins, en une interprétation rigoureusement logique de la Torah. Tandis que leur rôle politique et social prit fin dans le cadre d’un état indépendant après 73-74 de l’ère courante, les traditions et croyances des Pharisiens perdurèrent par le biais de la gestion des affaires intérieures des Juifs de Palestine déléguée alors par les Romains aux rabbins. Le plus grand sujet de discorde entre Pharisiens et Sadducéens était le degré d’autorité attribué à la tradition ; les premiers considérant la Loi Orale comme divine, les seconds ne la reconnaissant même pas. Les Pharisiens ont intégré des influences hellénistiques et cherchèrent à élever l’homme au divin, à le connecter avec dieu au niveau individuel et spirituel, où la vénération et la louange étaient mues par un désir d’imitation du divin dans la vie quotidienne. Ce désir et la conviction religieuse nés dans un climat de troubles socio-politique, ont comporté des implications sociales radicales de démocratisation. La forte imbrication du politique et du religieux fit que les disputes entre Pharisiens et Sadducéens sur les lois, les traditions et la théologie affectèrent leur position respective au sein du peuple juif et leurs alliances avec les puissances dominatrices de la Judée. L’urgence de définir la vie juive au lendemain de la révolte des Maccabées, combinée avec les idées philosophiques hellénistiques d’individualisme et de démocratie au sein de la fabrique urbaine de Jérusalem ont préparé le terrain pour la réussite du Pharisaïsme. Les Pharisiens ont su combiner ces aspects du Judaïsme et de l’hellénisme pour reconnaître l’individu Juif et son salut personnel à travers la démocratisation du rituel. Cette compréhension de la vie juive est venue au détriment des élites sacerdotales et laïques et en fin de compte a mené à une perte de besoin pour le culte dans le Temple. L’opposition entre Pharisiens et Sadducéens les a fait préciser respectivement leurs positions théologiques et cela a

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ainsi clarifié la tradition juive qui a survécu la destruction du Temple de Jérusalem en 70 de l’ère courante. Dans un prochain chapitre, nous nous interrogerons plus précisément sur les influences grecques dans le Pharisaïsme.

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CHAPITRE VI Choix du Pharisaïsme

Nous allons comprendre dans ce chapitre le choix de Flavius Josèphe pour le Pharisaïsme en comparant Pharisaïsme et Stoïcisme, leurs théories et pratiques pédagogiques. De même, je vais énumérer dans un deuxième temps, les exemples de prétendants au trône de Judée et reclasser ainsi les ambitions de Flavius Josèphe, mentionnées dans le premier chapitre de cet ouvrage, dans leur juste contexte une fois de plus. Flavius Josèphe114 mentionne qu’il existe des similitudes entre Pharisiens et Stoïciens. Est-ce réellement son opinion personnelle ou celle d’un homme qui se fait le porte-parole des Pharisiens ? Flavius Josèphe essaie-t-il de dépeindre les Pharisiens, qu’il tient en haute estime, d’une manière à les rendre sympathiques à son audience romaine, composée en majorité d’aristocrates d’obédience stoïcienne ? Au demeurant, nous sommes sûrs d’une chose, c’est de l’influence de la philosophie grecque en Palestine de l’époque et en particulier celle du Stoïcisme sur le développement du Judaïsme pharisien. Flavius Josèphe porteur des deux cultures en est le témoin vivant écrivant à Rome. En ce qui concerne l’influence de la civilisation grecque sur la vie juive en Palestine, la littérature se divise en deux groupes : ceux qui la nient et ceux qui au contraire voient une influence pénétrante. 114

Cf. Vita 2, 12.

Il existe certes, une affinité idéologique entre Pharisiens et Stoïciens. Tous deux par exemple prônent un va-et-vient entre théorie et pratique. Tous deux déclarent que l’homme peut maîtriser ses émotions et atteindre la vertu. Tous deux utilisaient la logique dans l’argument. Les sources Talmudiques sont assez confuses dans leur allusion à l’influence grecque. Par exemple il est dit parfois que la langue grecque peut être utilisée en tout temps mais dans Menahot 99b on nous dit que, en substance : « On ne peut étudier le grec que lorsqu’il ne fait ni jour ni nuit ». En tout cas, celui qui cherche les similitudes entre Stoïciens et Pharisiens dans les sources rabbiniques, sera confronté au problème que Jacob Neusner115 avait si justement soulevé : celui de la nature de ces sources. En effet, le Talmud est en soi une source de nature anhistorique. Il est donc vain pour l’historien de l’utiliser pour prouver une cohésion historique quelle qu’elle soit. Les compilateurs du Talmud furent concernés par l’intemporel et non le temporel. Leur préoccupation ne fut pas de présenter un récit d’événements avec un souci d’exactitude historique, mais leur priorité fut plutôt d’explorer le sens de « l’être humain à l’image de dieu ». Cependant, Ernest Renan nous a rappelé qu’en Histoire, un document a d’autant plus de poids qu’il manque de forme historique car la priorité de ses auteurs n’aura pas été de déformer les événements pour la postérité. Le fait est que le Talmud constitue certainement un puits d’information pour la vie quotidienne des Juifs de l’époque et de cette source nous pouvons apprendre beaucoup sur la période. Le tout est pour l’historien, de trouver son chemin dans la forme apparemment anhistorique de l’écriture Talmudique.

115

Voir C. Batsch, « La littérature tannaïtique comme source historique pour l’étude du Judaïsme du deuxième Temple. Les questions méthodologiques de Jacob Neusner et de Peter Schafer », REJ, 2007.

122

À la suite de Neusner, nous constatons que le Talmud est préoccupé par les règles concernant la pureté rituelle, la dîme, le déroulement des sacrifices, les femmes et les fêtes. Pourquoi ces domaines intéressaient-ils particulièrement les rédacteurs du Talmud ? Peut-être parce qu’ils étaient les plus controversés et les moins compris ainsi les lois réclamaient clarification et spécificité. Et donc pour les sections majeures couvrant ces domaines, le Talmud fera office de guide et non de livre d’Histoire, et non plus de livre de référence montrant ce que la réalité fut sur le terrain concernant les questions soulevées par les sages dans leurs discussions. Toutefois, les divisions du Talmud ne couvrent pas tous les aspects de la vie. Nous apprenons par d’autres sources que pour les Pharisiens des premiers siècles de l’ère courante, l’éducation de la jeunesse était essentielle et cependant il n’existe pas de traité du Talmud consacré spécifiquement à l’éducation. La raison en est-elle qu’il n’y avait pas de controverse en la matière et que les sages n’ont pas jugé bon de perdre leur temps à en rédiger un traité ? Les valeurs, objectifs et procédés d’éducation furent-ils si bien compris et acceptés qu’il n’y ait pas eu lieu de les compiler en un traité du Talmud ? Si tel en fut le cas on pourrait assumer qu’il n’y eut pas de besoin de clarification car il n’y avait pas de défi extérieur dans le domaine de l’éducation, pas de changement dû à des conditions externes appelant un débat de l’intérieur comme réponse à une pression de l’extérieur. Par conséquent, s’il n’y a pas de discussion détaillée, car il y en a quelques-unes, sur l’éducation dans le Talmud, nous pouvons en déduire qu’il n’y eut pas de changements majeurs dans tous les aspects de l’éducation durant les années pendant lesquelles les discussions rapportées dans la Mishnah et la Guemara tinrent place. Ceci étant dit, peut-on alors suggérer que toute information sur l’enseignement provenant de source tannaïtique ou amoraïque serait plus historiquement fiable. L’information sur les délits civils par exemple sera moins fiable pour la recherche sur la tradition légale de facto de la période car elle serait 123

surtout légiférante, conformément à l’objectif central du Talmud. Par contre, une indication sur l’éducation, domaine qui n’a pas donné sujet à débattre, et n’a pas subi de changement dans le temps, comme nous l’avons avancé, serait moins légiférante et donc plus historiquement fiable. Ainsi, à cause des raisons énumérées jusqu’à présent, les données sur l’éducation ne seraient pas collectées en un seul endroit du Talmud mais plutôt dispersées dans plusieurs traités de ces sources rabbiniques, à plusieurs endroits. À nous donc d’en faire le tri et d’en tirer la ligne directrice. Nous pouvons collecter toutes les données relatives à l’éducation à travers le Talmud et constater qu’en fait il n’y a pas de contradiction et dans l’esprit de Renan, ceci devrait constituer une source riche d’informations à caractère précisément historique. Les données sur l’éducation sont donc de nature plus descriptive que légiférante et par là même, constituent une source d’information historique plus fiable. En outre, l’information sur l’éducation parce qu’elle est surtout pratique et simple dans le Talmud, elle évite toute la problématique de la définition de concepts abstraits inhérents à une comparaison entre Stoïciens et Pharisiens ; par exemple sur leur vision du monde ou leur philosophie du divin. Parmi les auteurs romains stoïciens de l’époque, citons Senèque (4-65), Marc Aurèle (121-180) et surtout l’éducateur Épictète (80-120) pour notre propos. Flavius Josèphe était de par son milieu à Rome, bien versé dans la culture stoïcienne. À travers les sources rabbiniques et les ouvrages d’auteurs anciens nous allons tenter d’établir une comparaison entre le système d’éducation chez les Pharisiens et chez les Stoïciens. L’éducation étant un domaine essentiel de leur civilisation respective.

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Flavius Josèphe était un aristocrate et dans les Diatribes publiées par Arrien116 disciple d’Épictète, les attitudes et objectifs aristocratiques des étudiants ressortent clairement, dès lors on comprend le choix de Josèphe de tenter d’assimiler Pharisaïsme et Stoïcisme malgré les nombreuses divergences. Les écoles stoïciennes furent simples et austères, pendant cette période les écoles romaines étaient toujours intra-muros. Les écoles rabbiniques étaient en plein air jusqu’en l’an 200 de l’ère courante, puis adjacentes à la synagogue117. L’école d’Épictète se tenait dans sa propre maison. Les Batey Midrash accueillaient des enfants dès l’âge de cinq ans et étaient dirigées par la communauté sous l’égide d’une autorité en matière d’éducation118. Cette autorité embauchait des enseignants et procurait des bâtiments pour l’éducation. Les écoles pharisiennes étaient réservées aux étudiants de sexe masculin119 et ouvertes théoriquement aux riches comme aux pauvres120. Même si selon la philosophie stoïcienne à la fois homme et femme étaient capables d’atteindre la vertu et même si Musonius Rufus, le maître d’Épictète enseigna aux deux sexes121, Épictète lui-même refusa d’admettre des étudiants de sexe féminin à son école. Dans les écoles pharisiennes, avec un maximum de vingtcinq disciples par classe comme dans les écoles stoïciennes, le maître avait un assistant, c’est le Resh Dukhna chez les Pharisiens122. L’école d’Épictète à Nicopolis dans le Nord de la Grèce attirait des étudiants venus de loin. L’organisation physique de 116

Nous utiliserons The discourses, traduits par W.A. Oldfather, Londres, 1967 en 2 Volumes. 117 Cf. Taanit 120a et Yebamot 126a. 118 Cf. Baba Batra 21a. 119 Cf. Kiddushim 29a. 120 Cf. Nedarim 81a, Baba Batra 21a, Horayot 4a. 121 Cf. Musonius Apud Stobaeus, II, 31:123. 122 Cf. Baba Batra 21a.

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la salle de classe était telle, que le maître était surélevé par rapport aux disciples chez les stoïciens par contre il s’asseyait au même niveau chez les Pharisiens123. Le maître pharisien restait modeste et commençait son cours par une plaisanterie, pour détendre ses disciples124, le maître stoïcien n’hésitait pas à reprendre sévèrement ses disciples en classe. Le maître pharisien se considérait comme devant donner l’exemple de moralité, de propreté dans sa tenue vestimentaire et son aspect physique, le maître stoïcien donnait une image de lui physiquement négligé pour démontrer qu’il fallait repousser toute forme de vanité. Le maître pharisien savait trouver le bon équilibre en attirant son disciple d’une main et le repoussant de l’autre. Le maître stoïcien restait toujours distant et révéré. Pharisiens comme Stoïciens prônaient l’institution du mariage mais alors que les maîtres pharisiens étaient tous tenus d’être eux-mêmes mariés125, ce ne fut pas le cas des maîtres stoïciens, Épictète en tout cas resta célibataire. Donc le maase venishma, faisons et nous comprendrons, des Pharisiens était respecté ; mais ce même va-et-vient entre théorie et pratique prôné aussi par les Stoïciens ne fut pas respecté par les maîtres de ces derniers. En matière de pédagogie à présent : les deux écoles insistaient sur l’importance du jeune âge des étudiants à la base et sur le va-et-vient entre théorie et pratique126 . Quant aux méthodes pratiquées en salle de classe, l’on note quelques divergences : Épictète donnait des cours magistraux puis il autorisait chaque étudiant à faire un exposé oralement sur un sujet particulier. Les rabbins enseignaient à chaque étudiant individuellement et selon le niveau de chacun. Les maîtres pharisiens furent conscients des besoins psychologiques

123

Cf. Nedarim 49b Berakhot 27b-28a, Meguila 21a. Cf. Hulin 89a, Erubin 54a, Pesahim 117a, Berahot 5b, Shabbat 13a ; 30b, Sotah 47a. 125 Cf. Kiddushim 82a. 126 Cf. Yoma 82a. 124

126

de chaque étudiant dans son individualité127. Ceci est confirmé dans leur classification en quatre groupes de leurs étudiants selon les capacités128. Épictète prévoyait des précepteurs pour chaque étudiant en difficulté. L’assistant du rabbin lui, prenait un petit groupe et enseignait aux disciples de ce groupe selon les méthodes du maître. Pour les deux écoles, la méthode de mémorisation129 était appliquée, toutes deux utilisaient les moyens de la mnémotechnique. Tandis que la mémorisation était nécessaire chez les Pharisiens faute de livres, chez les Stoïciens elle avait un autre objectif. Chez les Pharisiens la mémorisation permettait également de perpétuer la sagesse, chez les Stoïciens elle était vue comme le premier pas vers l’art oratoire et la rhétorique. Les Stoïciens autorisaient leurs étudiants à émettre des arguments hypothétiques. Les maîtres pharisiens autorisaient les questions explicatives uniquement. Dans les deux écoles, il y avait beaucoup de récitation orale ; chez les Stoïciens ce fut encore dans le but de développer l’aptitude à la rhétorique, pour les rabbins la récitation exerçait la mémoire. Les Stoïciens s’opposaient à l’utilisation de la verge pour discipliner leurs étudiants. Épictète, pour sa part, ne fut pas physiquement violent envers ses étudiants mais il le fut verbalement. Les rabbins divergeaient dans leur opinion sur les moyens de discipliner leurs étudiants. Un petit martinet fut occasionnellement utilisé mais l’utilisation de verges ou de bâtons était interdite130. Les rabbins mélangeaient souvent bons et mauvais étudiants en espérant que les uns émulent les autres, ils semblent avoir été plus flexibles et pratiques que leurs homologues stoïciens. Les maîtres pharisiens utilisaient des moyens psychologiques, par 127

Cf. Meguila 21a. Cf. Avot 5:12, 15. 129 Cf. Erubin 53b-54a. 130 Cf. Baba Batra 21a. 128

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exemple ils les « achetaient » avec des bonbons et du poisson131 et en dernier ressort, utilisaient des moyens physiques pour discipliner leurs étudiants. Dans les écoles pharisiennes les disciplines enseignées furent la Torah et la Loi Orale, mais également la gymnastique jusqu’après la Révolte des Maccabées. Chez les Stoïciens, Sénèque fut contre la pratique de l’athlétisme mais Épictète semble l’avoir enseigné dans son école bien que sceptique sur le rôle que la gymnastique ait pu avoir dans le développement de la vertu. Dans l’école d’Épictète, on étudiait également la lecture, l’argumentation hypothétique, la grammaire, les cours de morale, Les Diatribes, les exercices d’écriture, le combat, la géométrie et la musique. L’étudiant stoïcien était censé écrire et réciter ses propres discours et arguments pour la pratique de la logique et de la rhétorique. Ce degré d’indépendance ne fut jamais autorisé dans les écoles pharisiennes. Nous trouvons dans le traité Avot 4:14 une liste des qualités nécessaires chez un bon étudiant pharisien. Il doit réciter oralement en étudiant, utiliser un bon raisonnement, craindre et respecter son maître, doit faire preuve d’humilité et être joyeux, il doit remplir l’obligation du shimush hahamim, une sorte de stage chez son maître pour le voir mettre en pratique ses préceptes au quotidien. Il doit assidûment examiner les sujets d’étude et employer une argumentation fine. Ces valeurs font écho à certaines valeurs centrales du système éducatif des Stoïciens, surtout concernant l’argumentation, l’exactitude et la grammaire. Cependant la valeur d’étudier en groupe, la relation bilatérale, n’est jamais avancée chez les Stoïciens pour qui le concept de cours magistral dans la classe est central. À la fin de ses cours, Épictète assez souvent citait quelquesunes de ses Diatribes, comme des sortes de sermons pour encourager la vertu et le bon mode de vie parmi ses étudiants. 131

Cf. Taanit 24a.

128

Le but était d’enseigner les moyens pratiques d’atteindre l’harmonie avec l’univers par l’emploi de la raison, doctrine principale de la philosophie stoïcienne. Les Diatribes devenaient souvent des attaques personnelles contre des étudiants qui échouaient. Cependant, Épictète donnait rarement des conseils pratiques, car c’était contre la philosophie, car en fait chaque individu devait trouver par lui-même la synthèse entre son soi et l’harmonie universelle. Par contraste, les rabbins ne devaient jamais prêcher en classe132. Ils fournissaient cependant un exemple direct personnel, par le biais de leur institution du shimush hahamim. Par ce biais en effet, l’étudiant recevait une formation direct du quotidien d’un juif, en même temps il procurait a son maître des services en contrepartie de son éducation, par exemple il faisait la cuisine selon les rites du judaïsme chez son maître, etc...133. En somme, Épictète restait dans l’abstrait, alors que les rabbins étaient très pragmatiques dans leur enseignement et considéraient que l’action venait avant le savoir : maasse ve tilmod, fais et tu apprendras. Dans le Traité Avot 1:17 on trouve ceci : ... « J’ai grandi parmi les sages et je n’ai rien trouvé de mieux pour une personne que le silence. Étudier n’est pas la chose la plus importante mais l’action oui ; quiconque se laisse aller à trop parler appelle le péché... » Les priorités en matière d’éducation sont un bon indicateur des valeurs sociales et intellectuelles d’une période donnée de l’Histoire. En effet, elles nous montrent le regard qu’une société porte sur elle-même et la façon dont elle se perpétue. Nous voyons à notre tour ce que cette société a considéré comme essentiel pour elle-même. Les priorités en matière d’éducation reflètent les valeurs sociales et intellectuelles, car à travers son système d’éducation une société permet à ses mythes

132 133

Cf. Pesahim 3b. Cf. Ketubot 13a ; 96b ; Shabbat 40b.

129

fondamentaux et ses présuppositions intellectuelles de se perpétrer. Les chefs spirituels pharisiens ont insisté sur la religion comme ciment d’unité pour tous les Juifs et ce, dans le but d’unifier ce groupe ethnique du judaïsme préexilique. Les Pharisiens ont fait de la Torah un guide pour la vie, le siège de l’autorité religieuse, afin d’approfondir la vie spirituelle du « commun des mortels » juif. Ils voulurent procurer au commun des mortels juif un sens plus profond des responsabilités et lui ouvrir la voie vers l’expérience religieuse à laquelle il avait été rarement exposé auparavant. Dans ce contexte, seul un effort soutenu de l’éducation du peuple pouvait repousser l’impact de l’hellénisme. Le nouveau programme d’éducation fut essentiellement différent de celui de l’école des scribes précédente, basé alors sur le statut social. Le propos de l’éducation chez les Pharisiens était religieux. Les chefs de la vie juive croyaient qu’un système avec une base plus large et un programme intensif d’éducation assurerait l’observance des commandements, nourrirait l’esprit de piété et renforcerait les liens d’unité nationale. L’éducation juive fut pratique et bien intégrée dans tous les aspects et activités de la vie au quotidien. Le développement de la faculté intellectuelle ne devait être qu’un sous-produit de cette éducation. L’éducation juive populaire n’était pas établie pour acquérir la sagesse, mais elle fut plutôt une formation pour le peuple tout entier au dévouement à la Loi. La sagesse rabbinique ne fut donc pas spéculative par nature. C’est une sagesse pragmatique qui parfois lance un regard oblique sur la philosophie et préfère se consacrer aux besoins quotidiens instantanés du juif pieux. Les rabbins pharisiens ne donnaient pas dans la spéculation philosophique et ne citaient pas non plus d’arguments philosophiques pour soutenir leurs enseignements. Ils n’en ressentaient pas le besoin. Pour eux la Torah complétée par les enseignements des prophètes et autres traditions des pères, renfermait la vérité divine.

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Cependant, les Pharisiens restèrent ouverts aux influences extérieures, mais les emprunts furent toujours effectués à des fins bien pharisiennes. Par exemple, le débat rationnel, la philosophie rationnelle même, furent inclus dans les discussions rabbiniques comme moyen mais leurs fins furent en essence rejetées car c’est elles qui représentaient alors le réel danger aux yeux des rabbins. Donc de la philosophie rationnelle, on empruntait seulement la méthode et non l’objectif. En effet, les sages pharisiens s’opposaient à un concept du judaïsme plus largement étendu pour la poursuite de la science et de la métaphysique. Pour eux cela aurait entravé l’aspect fonctionnel du judaïsme qu’ils prônaient, cela aurait également sapé bon nombre des croyances et pratiques populaires. Pour les rabbins pharisiens, l’éducation pour la perfection individuelle et la spéculation fut bien moins importante que le besoin d’éducation comme moyen de préserver l’identité nationale. En conclusion : les deux écoles sont nées dans un contexte de civilisation en déclin : la Grèce post-alexandrine et le Judaïsme postexilique. Les deux répondaient à des besoins d’individus dans une société donnée. Les deux sont en quête d’un meilleur. Les deux étaient préoccupées de logique et de morale. Les deux proposaient un mode de vie au quotidien voire un comportement. L’une était par essence, inconsciemment au moins, élitiste, la grecque, l’autre réalisait la démocratisation du spirituel, la juive. La coloration politique des Pharisiens fut évidente et indispensable dès le début car dans la civilisation juive le politique et le religieux furent étroitement imbriqués. C’est pourquoi les méthodes utilisées par Stoïciens et Pharisiens vont diverger. L’urgence de la situation a mené les Pharisiens à mettre l’accent sur l’action par rapport à la contemplation. Au centre du Stoïcisme fut la préoccupation de l’harmonie avec la nature et d’un mode de vie contrôlé atteint par le moyen de l’étude, de la logique et du raisonnement. Les Stoïciens se concentraient sur les moyens, à savoir l’étude de la logique et de la dialectique, qu’ils considéraient comme plus importantes que les conclusions auxquelles ils arrivaient.

131

Les Pharisiens aussi espéraient enseigner à l’homme à vivre en harmonie avec la Loi divine mais ils mettaient toujours l’emphase sur le fait d’atteindre directement et de manière pratique cet objectif plutôt que sur le développement d’une aptitude intellectuelle pour ce faire. Car pour eux les abstractions intellectuelles pourraient détourner l’individu de sa quête de la piété. Avec cette démarche hic et nunc, les Pharisiens recherchaient en priorité le résultat propre. Les Pharisiens avaient une Loi transcendante et bien que ses raisons pouvaient être discutées rationnellement, ses commandements ne devaient pas être remis en question. Les Pharisiens insistèrent sur la transmission exacte de la Loi dans leur éducation. En faisant cela, leur but fut multiple : 1- Assurer la perpétuation d’une communauté aux prises avec l’acculturation, 2- Remplir le vide laissé par la perte de la souveraineté politique avec un système culturel enveloppant, 3- Agir pour le bénéfice de l’humanité en répandant la Loi morale. Tout ce programme était à la fois louable et ambitieux et nécessitait bien des méthodes de mémorisation exacte et un cursus d’études restreint et sanctifié. Pour Épictète, il était inutile de tenter d’améliorer le monde en persuadant les masses d’agir ou de se repentir. Les Stoïciens, en mettant l’accent sur le développement individuel, durent mettre en place un large éventail d’instruction pour le disciple attisant ainsi la forte aptitude individuelle à la critique. Cependant, le Stoïcisme a subi beaucoup de changement depuis sa formation et d’aucuns ont noté que depuis l’année 100 de l’ère courante sa vitalité intellectuelle s’était affaiblie. Les réformes de Panaetius ont sans doute prolongé la philosophie stoïcienne à Rome mais au prix d’en faire une philosophie plus pratique et moins sophistiquée. Est-ce à cette version que

132

Flavius Josèphe fait allusion en comparant les Stoïciens aux Pharisiens ? L’opinion la plus réaliste serait de reconnaitre la proximité géographique au moins des deux cultures et la grande probabilité des emprunts dans les deux sens donc entre Stoïciens et Pharisiens. Le développement du raisonnement, présent tant dans Les Diatribes que dans les discussions rabbiniques compilées dans le Talmud, la méthode dialectique, la logique, les techniques de mémorisation, les théories de l’organisation des écoles et autres, sont autant de similarités qui dénoncent des emprunts mutuels. Il n’y eut pas « contamination » car les sages de chaque côté étaient bien conscients de leur objectif et attitude divergents. Par conséquent, en surface et après examen des preuves dans les sources comparant les systèmes d’éducation respectifs des Stoïciens et des Pharisiens, l’énoncé de Flavius Josèphe est juste. Cependant après une étude plus approfondie du développement intellectuel et fonctionnel de ces deux écoles de pensée, les divergences apparaissent. Flavius Josèphe adhéra au Pharisaïsme, philosophie du groupe qui finit par soutenir le règne Hasmonéen mais resta réfractaire aux Hérodiens. Dans ses Antiquités Judaïques il ressort clairement que Flavius Josèphe favorisait le type de gouvernement Hasmonéen plutôt que l’Hérodien. Voici ce qu’il y écrit en substance134 : ... « La vie sous l’aristocratie est de loin la meilleure, ne vous laissez pas tenter par un autre régime politique, mais soyez satisfaits avec celui-ci, en ayant les lois pour vous diriger et gouverner toutes vos actions et soyez satisfaits de la souveraineté de dieu sur vous. Mais si vous devez vous passionner pour un roi alors choisissez-le de votre propre race, un compatriote, (Hérode était un Iduméen d’origine) et faites en sorte qu’il se comporte toujours en homme juste et vertueux. Qu’il laisse à dieu et aux lois leur sagesse supérieure, et qu’il ne fasse rien sans le conseil du Grand Prêtre et des anciens. Ne le 134

Cf. Ant. IV, 223-224.

133

laissez pas prendre plusieurs femmes (les souverains Hasmonéens n’en prirent qu’une, à l’encontre d’Hérode qui en prit dix) ni poursuivre l’abondance en argent et en chevaux, car à travers l’acquisition de ces richesses il pourrait dédaigner les lois. S’il démontre une tendance dans ce sens, restreignez son pouvoir avant qu’il ne l’exerce à votre détriment... ». Dans ses Antiquités Judaïques135 et dans la Guerre des Juifs136 Flavius Josèphe énumère les différents prétendants au trône de Judée. Tous, comme lui, vécurent pendant le règne des Hérodiens. Notons que deux d’entre ces prétendants au trône furent des chefs rebelles pendant la guerre contre les Romains, Josèphe aussi fut un Général juif pendant la guerre mais lui avait des ambitions plus subtiles et pensait obtenir en fin de compte le soutien de Rome comme Judah Maccabée avant lui, pour arriver à ses fins et prendre les rênes du pouvoir politique en Judée. Au demeurant, voici la liste de ces prétendants au trône de Judée avant Flavius Josèphe : 1- Judah, fils d’Hézékiah, dont le père avait été capturé et tué par Hérode. 2- Simon, un serviteur d’Hérode, un homme de taille imposante qui fut proclamé roi par ses partisans. 3- Athronges, un homme de grande taille également ; avec ses frères ils menèrent une guérilla contre Hérode et les Romains pour un temps. 4- Menahem, un chef rebelle, pendant la guerre contre les Romains, fils de Judah le Galiléen fit un raid dans l’arsenal royal d’Hérode Le Grand à Massada et rentra à Jérusalem « proclamé Roi ». Il visita le Temple accoutré d’habits royaux mais fut attaqué et tué. 5- Simon Bar Giora, un autre chef de la guerre juive contre les Romains en Galilée. Flavius Josèphe nous dit que ses soldats le respectaient beaucoup et se subordonnèrent à lui 135 136

Cf. Ant. XVII, 271-285. Cf. Guerre des Juifs II, 56 ; 433-434 ; VII, 29.

134

comme à un Roi. Simon Bar Giora fut appelé à Jérusalem pour renverser Jean de Gischala et les Zélotes, lorsque la ville tomba, il se rendit aux Romains accoutré d’une tunique blanche et d’un manteau pourpre pour indiquer sa royauté. Il fut ensuite emmené à Rome pour parader comme chef vaincu des Juifs dans la procession de la victoire.

135

Conclusion générale

La perspicacité politique de Flavius Josèphe l’a mené à conclure que la religion juive se développait mieux sous la pax romana plutôt que sous l’indépendance complète de la Judée. Il ne fut pas le seul à avoir eu cette conviction. En effet, Yohanan Ben Zakkai suivi de Yehoshuah Ben Hananiah ont pensé la même chose et en ce sens ils furent plus proches du prophète Jérémie ou des auteurs des Actes des Apôtres. Flavius Josèphe fut sans aucun doute un personnage très controversé de l’époque du Second Temple de l’histoire juive. Néanmoins, il y a des raisons de croire que Josèphe eut quatre femmes plutôt que trois et qu’il avait eu comme ambition cachée de devenir un souverain de type Hasmonéen en Judée. En voici les raisons : 1- Il aurait pu être un Grand-Prêtre-Roi car descendant des Hasmonéens par sa mère et d’une lignée sacerdotale par son père. 2- Il a nommé son fils aîné Hyrcan, nom de deux souverains Hasmonéens en Judée. 3- Ce fils de Josèphe, Hyrcan, fut le seul parmi ses fils, qui survécut. 4- Josèphe ne mentionne jamais de filles qu’il aurait eues. En a-t-il eu ? Et si oui, il aurait alors décidé délibérément de ne pas les mentionner car elles n’auraient pas été de grande importance en tant qu’héritières du trône d’une dynastie de type Hasmonéen qui aurait dû commencer par lui comme souverain.

5- Il affirme qu’il fut forcé par Vespasien d’épouser une prisonnière car une prisonnière n’est pas vierge. 6- Dès lors, Vespasien sachant qu’un cohen, prêtre en hébreu, ne pouvait épouser qu’une juive vierge, a forcé Josèphe d’épouser une païenne prisonnière dans le but de l’empêcher de briguer la royauté de type Hasmonéen pour lui-même. 7- D’autre part, Josèphe fut déjà marié car l’âge du mariage à l’époque était de 18 ans pour les hommes et il fut fait prisonnier dans les premières années de sa trentaine. 8- Il y avait un idéal de monogamie parmi les prêtres, les Pharisiens et les souverains Hasmonéens. Idéal que Josèphe respecte également. 9- La première femme de Josèphe fut une juive de Jérusalem, la seconde, une païenne prisonnière de Césarée. La troisième fut une païenne probablement d’Alexandrie, il l’aurait indiqué si elle avait été juive, comme il a précisé que sa quatrième épouse était juive. Il épousa la femme d’Alexandrie probablement après avoir appris la nouvelle de la mort de sa première femme lors du siège de Jérusalem et après avoir répudié sa seconde femme. Finalement, il divorça de sa troisième femme et se maria pour la quatrième fois à Rome, avec une juive de la noblesse crétoise. Encore une fois, nous constatons dans ce que nous venons de décrire, l’idéal de monogamie, puisque Josèphe insiste à chaque fois sur le fait qu’il était séparé de la femme précédente avant d’en épouser une autre. 10- Il est évident que Flavius Josèphe eut une vision. Il fut déçu des Hérodiens. Il dépeint Hérode Le Grand et les souverains Hérodiens en des termes peu élogieux. 11- Cependant, Josèphe ne fut pas populaire parmi les Judéens de l’époque. Par conséquent, il a sollicité l’aide des Romains à l’instar de son ancêtre Judah Maccabée, afin d’établir un gouvernement de type Hasmonéen qu’il aurait dirigé en cumulant la grande prêtrise et la royauté mais en

138

s’appuyant sur les Pharisiens car il fut capable de jauger leur influence politique sur la masse du peuple. 12- En outre, en tant que cohen Hasmonéen, il devait avoir une épouse d’ascendance noble telle la juive crétoise qu’il prit pour femme en dernières noces, la seule qu’il n’a pas répudiée et de laquelle il parle avec fierté.

139

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Sarraut Albert - Texte présenté par Nicola Cooper $OEHUW 6DUUDXW IXW O¶XQ GHV PDvWUHVSHQVHXUV GX FRORQLDOLVPH GH OD SpULRGH GHO¶HQWUHGHX[JXHUUHV&HWRXYUDJHGHHVWO¶XQGHVPHLOOHXUVH[HPSOHV GH OD MXVWL¿FDWLRQ GX FRORQLDOLVPH IUDQoDLV  LO WRXFKH j WRXV OHV LPSpUDWLIV FRORQLDX[GHOD)UDQFHGXWRXUQDQWGXVLqFOHDX[GpEXWVGHODGpFRORQLVDWLRQ &¶HVWHVVHQWLHOOHPHQW6DUUDXWTXLIDoRQQDOHODQJDJHDYHFOHTXHOOHV)UDQoDLV SDUODLHQWGHOHXUHPSLUHFRORQLDO (Coll. Autrement mêmes, 24.00 euros, 200 p.) ISBN : 978-2-296-99409-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-50121-8 HOMO SAPIENS (L’) ET LE NEANDERTAL SE SONT-ILS PARLÉ EN RAMAKUSHI IL Y A 100000 ANS ? Paléontologie génétique et archéologie linguistique

Diagne Pathé

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GH FHWWH UpYROXWLRQ VRQW SRUWpV SDU OH UDPDNXVKL HW VRQ YRFDEXODLUH FRPPH ODQJDJHGDWDEOHPDWpULHOOHPHQWHQWUHHWDQVDY-& (Editions Sankoré, 14.50 euros, 138 p.) ISBN : 978-2-296-99334-1, ISBN EBOOK : 978-2-296-50189-8 HISTOIRE DES PEUPLES RÉSILIENTS (Tome 1) 7UDXPDWLVPHHWFRKpVLRQ9,H;9,HVLqFOH

Benoit Georges

&H OLYUH UHYLHQW VXU O¶KLVWRLUH GH FRPPXQDXWpV pSDUVHV TXL VXUPRQWDQW OH WUDXPDWLVPH GH OHXU QDLVVDQFH LPSUREDEOH ¿UHQW SUHXYH GH UpVLOLHQFH FROOHFWLYH+LVWRLUHSDUWLFXOLqUHPDUJLQDOHGHUHVFDSpVHWGHIX\DUGVTXLVH SULUHQWHQFKDUJHSRXUVHVDXYHUWURXYDQWHQHX[PrPHVGDQVOHXUFRKpVLRQ LQWLPH FHWWH pQHUJLH TXL OHV KLVVD DXGHVVXV GH O¶RUGLQDLUH +LVWRLUH GH SHWLWHVVRFLpWpVKRUL]RQWDOHVTXLYLYDQWHQSpULSKpULHGXFRQWLQHQWHXURSpHQ LUUDGLqUHQW DX ORLQ MXVTX¶j VH SRVWHU HQ pFRQRPLHVPRQGH TXDQG OD VRFLpWp PpGLpYDOHWRXWHSpWULHGHYHUWLFDOLWpKLpUDUFKLTXHFORXDLWODSRSXODWLRQDXVRO (Coll. Historiques, série Essais, 23.00 euros, 222 p.) ISBN : 978-2-296-99201-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-50168-3 HISTOIRE DES PEUPLES RÉSILIENTS (Tome 2) &RQ¿DQFHHWGp¿DQFH;9,H;;,HVLqFOH

Benoit Georges

$X ;9,H VLqFOH OD &RQWUH5pIRUPH GpFODUD OH PHLOOHXU GH OD ERXUJHRLVLH persona non grata HW SRXVVDQW GHV FRPPXQDXWpV HQWLqUHV j O¶H[LO HOOH OHV FRQWUDLJQLW j VH UpIXJLHU GDQV XQH (JOLVH SOXV VRFLpWDLUH j WUDPHU GX OLHQ VRFLDOVRXUFHGHFRKpVLRQHWGHSXLVVDQFHjIDLUHSUHXYHGHFHWWHUpVLOLHQFH FROOHFWLYH TXL ¿W OD IRUWXQH GH O¶$PpULTXH SXULWDLQH 'DQV FH VHFRQG WRPH FHWWHKLVWRLUHGLWDXVVLFHTXHSULYpHVG¶XQHDYHQWXUHFRPPXQHO¶,QGHGHV FDVWHVHWO¶,WDOLHGX0H]]RJLRUQRQHIXUHQWSDVFHTXHSDUHVSULWGHGp¿DQFH O¶$PpULTXHGHVWHPSVPRGHUQHVSRXUUDLWQHSOXVrWUH (Coll. Historiques, série Essais, 23.00 euros, 224 p.) ISBN : 978-2-296-99200-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-50167-6 VAGABOND (LE) EN OCCIDENT. SUR LA ROUTE, DANS LA RUE 9ROXPH ±'X0R\HQ$JHDX;,;HVLqFOH

Sous la direction de Francis Desvois et Morag J. Munro-Landi

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Sous la direction de Francis Desvois et Morag J. Munro-Landi

&HYROXPHV¶LQWHUURJHVXUO¶HVWKpWLVDWLRQSURJUHVVLYHHWVLPXOWDQpHSDUWRXWHQ 2FFLGHQWGXYDJDERQG%RKqPHHWSRqWHRQOHYRLWGpULYHUOHQWHPHQWG¶XQH

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Soulaire Jacques

9pULWDEOHHQF\FORSpGLHULFKHPHQWLOOXVWUpHFHOLYUHQRXVSORQJHGDQVOHVPHUV IURLGHV j OD GpFRXYHUWH GH O¶XQLYHUV SDVVLRQQDQW GHV EDOHLQHV IUDQFKHV 8Q SUHPLHUYROHWGpWDLOOHO¶DQDWRPLHHWODSK\VLRORJLHGHFHVJpDQWVGXPRQGHDQLPDO XQVHFRQGGpURXOHO¶KLVWRLUHGHOHXUSrFKHSDUSD\VGHPDQLqUHFKURQRORJLTXHFH TX¶DXFXQHKLVWRLUHGHODFKDVVHjODEDOHLQHQ¶DYDLWIDLWDXSDUDYDQW (SPM, 39.00 euros, 560 p.) ISBN : 978-2-901952-93-0, ISBN EBOOK : 978-2-296-50078-5 HISTORIQUE DE L’ARTILLERIE DE MARINE ET DE LA COLONISATION FRANÇAISE

Laloire Jean-Claude - Préface du général de brigade Bertrand Noirtin &HW RXYUDJH SUpVHQWH OHV Bigors OHV $UWLOOHXUV GH 0DULQH HQJDJpV KRUV GX WHUULWRLUHPpWURSROLWDLQHQSDUWLFXOLHUVXUOHVFRQWLQHQWVDIULFDLQHWDVLDWLTXH GHSXLV OHXU FUpDWLRQ RI¿FLHOOH HQ  ,OV RQW DSSRUWp XQH FRQWULEXWLRQ GpFLVLYHjODFRQVWLWXWLRQGHVHPSLUHVFRORQLDX[VXFFHVVLIVHWjOHXUJHVWLRQ /¶DUWLOOHULHGH0DULQHFRQVWLWXHDXMRXUG¶KXLXQHDUPpHG¶H[FHOOHQFHIDFHDX[ PHQDFHVDFWXHOOHV (11.50 euros, 94 p.) ISBN : 978-2-296-99254-2 HISTOIRE NAVALE HISTOIRE MARITIME Mélanges offerts à Patrick Villiers

7H[WHVUpXQLVSDU&KULVWLDQ%RUGHHW&KULVWLDQ3¿VWHU &HV FRQWULEXWLRQV WUDLWHQW GH O¶KLVWRLUH QDYDOH HW PDULWLPH GH O¶$QWLTXLWp URPDLQH j OD SpULRGH FRQWHPSRUDLQH 7UDQVJUHVVDQW OD IURQWLqUH HQWUH PDULQHGHJXHUUHHWGHFRPPHUFH39LOOLHUVDHQVXLWHPHQpGHVWUDYDX[VXU O¶DUFKpRORJLH GX YDLVVHDX GH JXHUUH j O¶ÂJH FODVVLTXH OD EDWDLOOH QDYDOH OHV G\QDPLTXHV SRUWXDLUHV OH FRPPHUFH FRORQLDO HW OD WUDLWH GHV HVFODYHV OHV FRQYRLVDWODQWLTXHVHWODJXHUUHGHFRXUVHVDQVRXEOLHUODPDULQHGH/RLUH (SPM, 21.00 euros, 210 p.) ISBN : 978-2-901952-92-3 ROYAUMES (LES) NÉO-HITTITES À L’ÂGE DU FER Les Hittites et leur histoire

Freu Jacques, Mazoyer Michel

&H OLYUH SUpVHQWH O¶pSRTXH GLWH QpRKLWWLWH HW IDLW XQH FRQFOXVLRQ JOREDOH VXU O¶KLVWRLUH HW OD FLYLOLVDWLRQ KLWWLWHV /¶KLVWRLUH GHV eWDWV ©QpRKLWWLWHVª GpEXWH DSUqV O¶HIIRQGUHPHQW YHUV  GX JUDQG UR\DXPH GH +DWWL (OOH D FRQQX SOXVLHXUV SKDVHV  O¶kJH G¶RU FHOXL GHV FRQWDFWV UpJXOLHUV DYHF OHV $VV\ULHQV HW OHV URLV G¶8UDUWX G¶,VUDsO HW GH 3KU\JLH  OD SpULRGH ¿QDOH HW OD FRQTXrWH DVV\ULHQQHGHODVHFRQGHPRLWLpGX9,,,HVLqFOHjOD¿QGX9,,HVLqFOHDYDQW-& (Coll. Kubaba, série Antiquité, 36.00 euros, 366 p.) ISBN : 978-2-296-99244-3

L'HARMATTAN, ITALIA Via Degli Artisti 15; 10124 Torino L'HARMATTAN HONGRIE Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest ESPACE L'HARMATTAN KINSHASA Faculté des Sciences sociales, politiques et administratives BP243, KIN XI Université de Kinshasa

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Historiques FLAVIUS JOSÈPHE Les ambitions d’un homme Entre Hasmonéens et Hérodiens, quelles furent les ambitions cachées de cet historien Juif de l’Antiquité ? Cet ouvrage examine, à travers ses écrits et ceux d’autres auteurs anciens contemporains, le rôle que Flavius Josèphe cherchait réelle­ment à jouer dans la société de l’époque. Une étude prosopographique, une analyse détaillée de sa vie personnelle et de ses fonctions politiques, nous éclaireront sur le contexte historique ainsi que sur les mœurs et coutumes de la Palestine gréco-romaine. Dans cet ouvrage, il s’agit de prouver que Flavius Josèphe avait planifié de devenir lui-même un souverain hasmonéen. Tout au moins, il prône à travers ses écrits le retour à la monarchie de type hasmonéen à savoir d’un roi-grand prêtre, et ce, comme réponse à tous les maux de la Judée de l’époque. La question fondamentale qu’un historien doit se poser sur Flavius Josèphe comme il se la poserait sur d’autres auteurs étrangers récupérés par les Romains tels Polybe, Dion Chrysostome ou Plutarque, est la suivante : comment les élites locales ont-elles géré leurs relations avec la puissance romaine et quel rôle les membres de l’élite ont-ils assigné à leurs traditions ou constitution politique dans cet environnement d’acculturation ? Claude Cohen-Matlofsky est historienne. Elle a obtenu son doctorat en his­toire du judaïsme hellénistique et romain à la Sorbonne Paris-IV en 1989. Sa thèse, Les laïcs en Palestine d’Auguste à Hadrien : étude prosopographique, fut publiée en 2001 à Paris chez Honoré Champion. Elle a également enseigné à l’université de Toronto au Canada et à Paris-VIII. Elle est actuellement professeure à l’Institut universitaire d’ études juives Elie Wiesel à Paris et conférencière à l’IESR-EPHE.

Collection « Historiques » dirigée par Bruno Péquignot et Denis Rolland

15,50 €

ISBN : 978-2-336-00528-7