Etude sur l'évolution intellectuelle chez les musulmans du Bengale 1857–1947 9783111672526, 9783111287751


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French Pages 208 Year 1971

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Table of contents :
AVANT-PROPOS
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION Le Croissant et le lotus : L'héritage du passé
CHAPITRE I. LA PRISE DE CONSCIENCE : 1857-1905
CHAPITRE II. PROBLÊMES DE LA PENSÉE ET DE L'ACTION
CHAPITRE III. LES GRANDS ÉCRIVAINS DE L'ÉPOQUE
CHAPITRE IV. LA PRISE DE POSITION : 1905-1947
CHAPITRE V. LA LITTÉRATURE MUSULMANE ET LA RENAISSANCE DES LETTRES BENGALI
GLOSSAIRE DES TERMES TECHNIQUES ET DES GENRES LITTÉRAIRES
BIBLIOGRAPHIE
INDEX ONOMASTIQUE
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Etude sur l'évolution intellectuelle chez les musulmans du Bengale 1857–1947
 9783111672526, 9783111287751

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ÉTUDE SUR L'ÉVOLUTION INTELLECTUELLE CHEZ LES MUSULMANS DU BENGALE 1857 - 1947

MAHMUD

SHAH

QURESHI

Etude sur révolution intellectuelle chez les musulmans du Bengale 1857-1947

PARIS

MOUTON

LA

HAYE

CET

OUVRAGE

A

ÉTÉ

PUBLIÉ AVEC LE CONCOURS DU

CENTRE

NATIONAL

DE

LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

©

1971, Mouton & Co. Printed in France

A Monsieur et Madame André Guimbretière

AVANT-PROPOS

Cette étude présente, comme l'indique son titre, les aspects primordiaux de l'histoire intellectuelle des musulmans au Bengale. En fonction de l'arrièreplan constitué par l'Inde impériale et des apports fournis par le réformisme hindouiste et la renaissance littéraire bengali, nous nous sommes efforcé de décrire et d'analyser les travaux philosophiques et littéraires ainsi que l'action sociale, religieuse et politique des musulmans afin d'esquisser un tableau relativement complet de cette histoire pendant la période moderne. Pour ne pas se contenter d'un résumé des faits et des idées, plus ou moins arbitraire, nous avons fait précéder cette étude d'une introduction assez longue sur l'héritage du passé et nous avons insisté à diverses reprises sur le conflit existant entre certaines tendances profondes de l'histoire. Nous avons essayé d'être aussi objectif que possible. C'est pourquoi nous nous sommes refusé à interpréter certains faits historiques de manière personnelle ou à pousser l'analyse des événements après 1947. Par ailleurs, on pourrait croire, d'après certaines pages, que nous avons été sévère à l'égard des Hindous ou des Anglais : notre intention véritable a toujours été de donner avec un maximum de précision toutes les informations concernant notre sujet, en évitant l'attitude polémique. Entrepris d'abord comme un essai historique limité aux seuls écrivains musulmans de langue bengali, ce travail a pris une dimension plus importante au cours des cinq années d'une longue recherche qui a permis d'accumuler presque tous les documents — imprimés ou manuscrits — relatifs à la question. Cependant, la complexité des problèmes évoqués nous a parfois empêché de rester aussi rigoureux et systématique que nous aurions dû l'être. M. le professeur Louis Renou, directeur de l'Institut de Civilisation Indienne à la Sorbonne et membre de l'Institut, a bien voulu diriger notre thèse et, en dépit de ses nombreuses et lourdes obligations, nous a dispensé les conseils les plus autorisés, ce qui a permis d'éviter de graves erreurs de jugement et des incohérences dans la présentation de cette étude. MM. les professeurs Charles Pellat, Jean Filliozat et Louis Dumont nous ont également apporté des précisions, surtout en ce qui concerne la documentation. La bibliographie se rapportant à notre travail est à peu près exhaustive et pourra servir à des recherches ultérieures. Nous avons pu la rassembler grâce non seulement aux riches bibliothèques parisiennes, mais aussi à celles d'Oxford, de Londres, de Copenhague et d'Outre-Atlantique. Pendant un voyage d'études aux Etats-Unis et au Canada, facilité par une

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Etude sur l'évolution intellectuelle du Bengale

bourse de ¡'UNESCO, nous avons pu mettre à profit la riche documentation de ces deux pays ainsi que les conversations très fructueuses que nous avons eues avec M. le professeur Wilfred Cantwell Smith, directeur de l'Institut d'Études Islamiques à l'Université McGill (Montréal). Par ailleurs, nos parents et nos amis n'ont pas hésité à nous envoyer, jusqu'au dernier moment, des coupures de journaux, des revues et des livres concernant la question. La finesse et la difficulté de la langue française sont proverbiales. Nous n'aurions donc pu achever la première rédaction de cet ouvrage sans l'aide de plusieurs amis. Nous ne pouvons malheureusement pas les citer tous ici. Cependant, nous devons dire que c'est grâce à M. André Guimbretière, professeur de langue et civilisation du Pakistan à l'École Nationale des Langues Orientales Vivantes, que notre texte a pu trouver cette version heureuse, délivré de ses ambiguïtés et de ses anglicismes. Il va sans dire que ces deux défauts n'ont pu disparaître totalement à cause de la nature du sujet traité : c'est nous seul qui sommes responsable de toutes les erreurs et de toutes les opinions formulées. Nous exprimons notre profonde gratitude et nos vifs remerciements à ces maîtres et à tous ceux qui nous ont aidé de diverses façons, sans oublier Mme A.M. Labrousse, du ministère de l'Éducation nationale, dont la compréhensive sympathie nous a toujours apporté réconfort et encouragement pendant notre long séjour à Paris. Avril 1965. Au moment de la publication, nous aimerions exprimer nos remerciements au C.N.R.S. et aux Editions Mouton et Cie, pour avoir su faciliter et mener à bien cette lourde tâche. Nous nous souvenons aussi avec douleur de nos trois maîtres à penser — MM. Louis Renou, Humayun Kabir et Muhammad Shahidullah, — qui auraient tant aimé voir cet ouvrage publié et qui ne sont malheureusement plus parmi nous aujourd'hui. Pendant les cinq années qui se sont écoulées depuis la rédaction de notre étude, un grand nombre de travaux concernant ce problème ont été publiés ; mais il n'a pas été nécessaire de corriger nos points de vue ni de changer nos perspectives. Cependant, nous portons à la connaissance des lecteurs et des chercheurs quelques titres récents dans un supplément bibliographique. Des erreurs ont pu se glisser ici et là ; quoi qu'il en soit, nous espérons que nos lecteurs seront satisfaits de cette mise à jour bibliographique. M.S.Q. Chittagong Baishâkh 1377 (15 avril 1970)

TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS

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INTRODUCTION

Le Croissant et le lotus : L'héritage du passé

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CHAPITRE I

La prise de conscience, 1857-1905

39

CHAPITRE I I

Problèmes de la pensée et de l'action CHAPITRE

III

Les grands écrivains de l'époque CHAPITRE

79

IV

La prise de position : 1905-1947 CHAPITRE

57

99

V

La littérature musulmane et la renaissance des lettres bengali .. GLOSSAIRE

Des termes techniques et des genres littéraires

127 159

BIBLIOGRAPHIE

I. Bibliographie des ouvrages généraux II. Bibliographie choisie des œuvres musulmanes en bengali .. III. Bibliographie des bibliographies Supplément bibliographique INDEX ONOMASTIQUE

169 192 199 201 203

INTRODUCTION

LE CROISSANT ET LE LOTUS L'HÉRITAGE DU PASSÉ

La civilisation est moins dans les choses que dans tusage qu'on en fait. Georges

DUHAMEL

... to a remarquable degree the modern study of the history of the sub-continent of India has developed within a two dimensional framework, preoccupied with men and events and neglectful of intellectual history and of the influence of ideas. So to speak the warp and woof of historical material is there, but we see it flat, lacking a three dimensioned view of the folds, creases and convolutions of the cloth of history. C.H.

PHILLIPS

(Historians of India, Pakistan and Ceylan, Londres, 1961, p. 1)

L'évolution intellectuelle des musulmans du Bengale dans les temps modernes, tel est le sujet de notre étude qui se limite pour les raisons exposées ci-dessous aux années 1857-1947 ; ces quatre-vingt-dix ans de l'histoire musulmane au Bengale, nous essaierons de les voir de près, dans la perspective limitée de leur stratification sociale, de leur évolution économico - politique et, plus particulièrement encore, de leur présence littéraire et intellectuelle représentée par les divers écrits bengali euxmêmes. Il va sans dire que nous préoccupant de ce dernier aspect, nous ne pourrons qu'élaborer de façon réduite les autres aspects qui sont, pour nous, indissociables de la vie intellectuelle de n'importe quel groupe humain et certainement de celui des musulmans du Bengale ; mais la complexité de la situation oblige à réduire notre champ de vision. Les musulmans du Bengale sont, ne l'oublions pas, membres de la communauté musulmane de l'Inde : ils sont donc un peuple islamique dans le

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Etude sur l'évolution intellectuelle du Bengale

sens universel que l'on accorde à ce qualificatif, mais ils sont aussi Bengalis, ce qui veut dire qu'ils sont les héritiers d'une civilisation provinciale conditionnée par les communautés voisines. Par ailleurs, toute leur évolution durant cette période a connu le joug colonialiste. Or, l'analyse structurale que nous proposons n'a pas l'ambition — soit dit en passant — d'être complète, mais voudrait prendre en considération tous les facteurs qui constituent l'infrastructure de cette vie intellectuelle. Pour cela, nous essaierons de dégager l'activité et la motivation des dirigeants et des écrivains musulmans, pour trouver, à travers l'histoire du Bengale, des relations entre les différents domaines. Cette évolution intellectuelle, il faut le constater dès le début, ne pouvait être indépendante de ce qui s'était passé chez les voisins immédiats, c'est-à-dire les hindous du Bengale. Dans les pages qui suivent, nous tâcherons d'esquisser le tableau de cette histoire passée. Ici, il suffira de noter que bien avant 1857, disons depuis les premières années du 19e siècle, des mouvements réformistes avaient pris naissance chez les hindous et devaient naturellement influencer leurs compatriotes musulmans. Le cours de l'histoire, cependant, s'orienta différemment et la communauté musulmane se singularisa aux yeux des historiens dès l'année 1857, lorsque le gouvernement britannique s'étant chargé du pays en transformant son statut de facto en statut de jure, ils trouvèrent chez les Hindous des sujets dociles et obéissants et s'aperçurent que les musulmans, devenus des rebelles, leur opposaient une résistance. Conséquence de cette situation, des conflits socio-religieux, économico-politiques, spirituels et intellectuels éclatèrent au cours de ces quatre-vingt-dix années et aboutirent, en 1947, à la création de deux nations distinctes et souveraines : la République indienne et la République islamique du Pakistan. Malgré les cloisons sociales qui représentent de multiples forces de dissuasion dans les temps modernes, il est hors de doute que la vie intellectuelle des musulmans au Bengale a subi l'influence des grands hindous de ce pays — Râjâ Rammohun Ray, Ishwar Chandra Vidyâsâgar, Bankim Chandra Chatterjee, Shri Ramakrishna, Swami Vivekananda, Rabindra Nath Tagore, C.R. Das, Subhâs Bose, pour n'en citer que quelques-uns, — et l'on peut même dire que leur pensée politique fut également profondément bouleversée par les idées des leaders indiens : Ranade, Gokhale, Naoroji, Gandhi, Nehru, tout comme le Bengale hindou ou l'Inde hindoue furent pendant ces années tumultueuses influencés par des personnalités musulmanes : Abdul Latif, Amir Ali, Sir Sayyid, Shiblî, Maulânâ Azad, Mohamed Ali, Iqbal, Jinnah et Nazrul. Quels que soient les courants et contre-courants de ces influences, les musulmans du Bengale semblent avoir voulu rester à l'écart de tout mouvement préconisé par les hindous, et c'est ainsi que les rares tentatives d'unification en vue d'une « renaissance » bengali ou d'un réveil national ne purent aboutir. Or, nous sommes amenés à nous poser la question suivante : pourquoi

Introduction

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n'y a-t-il pas eu de synthèse, et comment les forces de dissuasion ont-elles travaillé à leur insu ? Bien sûr, une réponse catégorique ne peut être donnée ni même souhaitée ; nous estimons qu'en esquissant l'histoire intellectuelle des musulmans du Bengale, nous trouverons l'essentiel des réponses à ces questions. Il y avait une difficulté insurmontable à tenter de voir l'ensemble du problème, car les chefs politiques ou les intellectuels ne jouèrent en général qu'un rôle limité dans l'espace et dans le temps. Et cela résultait évidemment du conflit qui mettait aux prises, d'une part, une religion telle que l'Islam et, d'autre part, le monde moderne avec ses inventions scientifiques, ainsi que la résistance des adeptes de l'Islam à tout réformisme généralisé ; par ailleurs, l'interaction d'un retour en arrière dû aux souvenirs du « passé glorieux » des musulmans, l'héritage lourd et « actuel », semble-t-il, firent obstacle aux progrès et aux développements qu'on aurait souhaités. Exprimés de façon didactique et sommaire, ces propos risquent de sembler vagues ou abstraits sans une lecture de ce travail qui se divise en deux parties principales. Dans la première partie, nous considérerons les événements de la période 1857-1905, pendant laquelle quelques chefs musulmans essayèrent d'éveiller leurs coreligionnaires de leur « sommeil éternel » et de les faire participer à l'action sociale et éducative ; par contre, la participation politique n'eut pas l'approbation de ces chefs, alors que dans le cas de leurs voisins, les hindous, cette participation débuta précisément à ce moment-là ; néanmoins, nous ne manquerons pas de mentionner les résultats positifs et néfastes de l'activité du groupe d'Amir Ali et ses répercussions au cours des années qui suivirent. Il nous apparaît ainsi légitime d'appeler cette période la « prise de conscience », ce qui, de ce fait, nous demande une étude serrée. Dans le premier chapitre, nous développerons les thèmes décelés dans les actes et les propos des personnalités musulmanes. Ensuite, au sein de cette prise de conscience, nous tâcherons de présenter, en deux chapitres, les motivations des intellectuels (journalistes, polémistes, etc.) et des écrivains, car ces penseurs et génies créateurs nous révèlent, fort curieusement d'ailleurs, la situation sociale et son évolution progressive, en mettant parfois exclusivement l'accent sur leur existence propre. La période plus récente, celle qui va de 1905 à 1947, nous présente un tableau extrêmement complexe de l'évolution politique et intellectuelle. En appelant l'histoire de cette période la « prise de position », nous voudrions décrire cette situation et analyser les faits essentiels qui amenèrent les musulmans du Bengale à se prononcer en faveur de la séparation à l'heure de la décision. Les divers aspects de la participation politique, qui souvent se prolongent sur le plan indien, révèlent également le rôle des intellectuels musulmans dans cette vaste entreprise, mais leurs travaux spéculatifs et littéraires nous fournissent assez de substance pour qu'on les considère dans un chapitre particulier. Les données que nous découvrirons

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Etude sur l'évolution intellectuelle du Bengale

à partir de leur histoire méconnue et mal connue, nous fournirent ainsi un ensemble des tableaux concernant l'évolution intellectuelle chez les musulmans du Bengale. Avant de porter notre attention sur la découverte de ces faits et sur leur interprétation — qu'elle soit d'ailleurs subjective ou objective — il ne serait peut-être pas déplacé d'examiner quelques points de l'histoire du Bengale en y indiquant la place des musulmans, leur origine et leur héritage du passé. Il est évident qu'une telle esquisse rétrospective ne peut être que partielle, eu égard à cette histoire dense et riche, mais sa nécessité préliminaire s'explique par la nature de notre étude. Le Bengale a été envahi par les musulmans tout au début du 13e siècle1. Le général turc Muhammad Bakhtiyâr Khalji n'eut pas de difficulté à le conquérir avec l'aide d'une petite troupe de cavaliers ; le roi hindou et sa dynastie survécurent en dominant quelques petites principautés du Bengale oriental, aux environs de Dacca 2. La conquête et la consolidation du pouvoir musulman au Bengale furent étonnamment rapides et d'une grande complexité. Les données historiques fondées exclusivement sur les sources musulmanes furent souvent discutées par les historiens et toujours réfutées par les écrivains hindous du 19e siècle qui tenaient les musulmans en suspicion 3. Chacun voulait, en effet, attribuer à ses « ancêtres » les qualités héroïques. En ce qui concerne la petitesse du groupe d'envahisseurs, il n'est toutefois pas possible d'en nier l'authenticité ; mais là n'est pas la question. Ce qu'on ignore et ce dont on doit tenir compte, c'est que les musulmans gagnèrent la bataille non seulement parce que leur tactique militaire était supérieure, mais aussi parce que la voie fut également préparée par la soumission du peuple opprimé — les bouddhistes et les hindous de basses castes. Aussi, la consternation causée par la puissance musulmane dans les autres parties de l'Inde et les conflits internes de la hiérarchie hindoue qui n'était pas suivie par la masse, ont joué, semble-t-il, un rôle capital en faveur des musulmans4. Pour la consolidation du pouvoir, les musulmans purent compter sur l'aide et sur la sympathie des nouveaux adeptes, principalement recrutés parmi ce peuple opprimé 5. 1. Date très discutée, cf. Indian Historical Quarterly, juin 1954, p. 133 sq. 2. Pour plus de détails cf. R.C. Majumdar, éd., The History of Bengal, Université de Dacca, 1953, t. I, p. 223. 3. Entres autres, l'écrivain Bankim Chandra Chatterjee essaya de donner une nouvelle interprétation ; cf. ses essais, Rachanâ Sangraha, éd. par Sâhitya Sangsad, Calcutta, t. II. On peut citer aussi une pièce de théâtre, par Haralâl Ray, Banger Sukhâbsân (fin du bonheur au Bengale), Calcutta, 1874, qui présente la réaction hindoue. 4. Sur ce sujet, on peut consulter l'historiographie musulmane Tabaqât-i-Nâsirî, par Minas Sirâj, dans la coll. « Bibliotheca Indica », Calcutta, 1864. 5. N'ignorons pas ce point, car un des facteurs du conflit moderne entre hindous et musulmans résidait dans l'insistance que ces musulmans mettaient à parler de leurs origines extra-indiennes. Voir par exemple Fazle Rabbi, The Origins of the Musulmans of Bengal, trad. du persan, Calcutta.

Introduction

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Il ne fait pas de doute qu'à cette époque, les Bengalis ont été attirés par flslam. Déjà bien avant l'invasion, les marchands et les voyageurs arabes, eux aussi missionnaires à leur manière, arrivèrent au Bengale et s'y installèrent même : la région était alors riche et bien connue pour ses produits naturels et artisanaux 6. Désormais nombreux furent les oulémas * et les soufis qui vinrent, établirent leurs khânqahs et propagèrent la foi du Dieu unique et de Mahomet, Son dernier prophète. Attiré par la simplicité, la générosité et la bonté des soufis — quelquefois même par leurs pouvoirs magiques ou surnaturels — et par le message démocratique et égabtaire de l'Islam, le peuple se convertit en masse à la nouvelle religion 7. Quelques rares hindous des hautes castes se convertirent également à la foi islamique, pas toujours pour la religion elle-même, mais par goût de la nouveauté et pour se faire accepter par la race dominante8. On peut ainsi constater que la propagation de l'Islam au Bengale fut pacifique et que le nombre des nouveaux adeptes alla toujours en croissant au cours des siècles. Cela a été largement dû aux saints soufis éparpillés aux quatre coins de la province, comme le prouvent les reliques de leurs tombeaux et de leurs châsses. L'enseignement de ces soufis a marqué toute la tradition littéraire du Bengale, dans sa vie spirituelle et intellectuelle Les envahisseurs d'origine turco-afghane amenèrent également avec eux les prêtres, guerriers, fonctionnaires et serviteurs, tous coreligionnaires de même origine. Les esclaves noirs de l'Abyssinie eurent aussi leur demeure au Bengale ; quelques-uns d'entre eux purent même usurper le pouvoir pendant les années 1486-1493. Beaucoup d'autres musulmans venus du Moyen-Orient trouvèrent loin de Delhi, capitale du pouvoir central, un exil agréable dans les moments critiques 10. 6. A.H. Dani, « Early Muslim Contact with Bengal », P.A.P.H.C., Karachi, 1951, p. 162-202 ; J.-J. Reinaud, Relations des voyages faits par les Arabes et les Persans dans flnde et la Chine dans le 9* siècle, Paris, 1845, t. I, p. xxxiv. * Cf. glossaire pour connaître les significations de ces ternies techniques de la théologie islamique. 7. Cf. à ce sujet la très importante étude de T.W. Arnold, The Preaching of Islam (Aligarh, 1896), Londres, 1961, p. 280. 8. Dans la littérature médiévale, des références abondent ici et là. On cite souvent les deux vers de Brindâvana Dâsa, Chaitanya-Bhâgavata (Adi. 14) : Hindou koulé kéha hèna, haiyâ Brâhman Apani asiyâ hay icchâya Javan. (Parmi les hindous, quelques-uns se firent bien volontairement javans, c'est-à-dire musulmans, bien qu'ils aient été parfois de la caste des brahmines.) Ainsi, pour diverses raisons, des hindous de toutes castes tels que les Bhojar Brahmin, les Pirali Brahmin ou le sultan Jalâl al-Dîn Muhammad (fils du roi Ganesha) se convertirent à l'Islam. Leurs apports à la nature composite de la culture bengali ont été reconnus par les historiens. 9. L'étude magistrale sur ce sujet est la thèse de doctorat de Muhammad Enamul Haq, Bangé Sufi Prabhâv, Université de Calcutta (1932), 1935. 10. Cf. K.R. Qanungo, History of Bengal, éd. par Sir I.N. Sarkar Université de Dacca, 1948, t. II, p. 1-18 ; Muhammad Rasim Firishtah, Târikh-i-Firishtah, éd. par Newal Kishore, Lucknow, 1281 A.H., t. II, p. 298.

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Etude sur l'évolution intellectuelle du Bengale

La province qui fut jadis marquée par une pluralité de groupes ethniques (et le grand souci des ethnologues a été de savoir si l'Aryen de type pur existait ou non au Bengale u ) devint ainsi un foyer où se côtoyaient diverses races possédant leurs propres cultures, mais placé sous la. domination musulmane. Avant la pénétration musulmane, le plateau du Gange qui s'étendait vers le nord-est de l'Inde fut un haut lieu du bouddhisme indigène. Par ailleurs, les Dravidiens dans le Bengale occidental et les Mongoliens dans le Bengale oriental occupaient de grandes superficies. L'influence de la civilisation aryenne y fut très tardive. Annadasankar Ray, dans son brillant exposé sur la littérature bengali, note que la partie continentale de l'Inde ignorait alors l'existence du Bengale. Mais le Bengale se développait grâce à la fertilité de son sol et à la diversité de sa population : « Les hommes se rencontrèrent, écrit-il, se mêlèrent sur ses rives, donnant l'impulsion à son génie qui n'a cessé de s'enrichir au cours de son histoire par des apports réguliers d'idées neuves et de sang neuf 12 . » Dès le 6e siècle avant Jésus-Christ, le Bengale, par l'intermédiaire des moines djaïns et bouddhistes, entra en contact avec la civilisation aryenne, mais ce n'est qu'au 3° siècle après Jésus-Christ (sous le règne d'Asoka) que celle-ci put vraiment pénétrer à l'intérieur du pays 13 . Cependant, la puissance dominante de l'époque (les bouddhistes) créa une synthèse des cultures divergentes dans ce pays de vallées et de rivières où, contrairement aux autres régions de l'Inde, on détestait le système des castes et autres caractéristiques de l'orthodoxie brahmanique. La langue bengali apparut dans sa forme primitive, et vers la fin de l'époque bouddhique (650-1100 après J.-C.) fut utilisée à des fins intellectuelles 14. Les réalisations artistiques et architecturales étaient également en plein essor à ce moment 15 . L'époque hindoue de l'histoire du Bengale ne dura qu'un siècle : la dynastie Sen régna sur la majeure partie de la province et y changea le cours de sa culture en fondant la tradition hindouiste propre. L'orthodoxie se fraya son chemin dans la hiérarchie sociale. Les brahmanes originaires des autres régions de l'Inde furent invités à s'installer au Bengale où on leur octroya des bourses et où on leur fit don de terres. En ce qui concerne la formation culturelle, l'érudition classique fut fondée sur l'étude du sanskrit. Les poètes bengali introduisirent le Gauriya-rîti dans la poétique sanskrite ; le Gitâ-Govinda de Jaya-Deva fut un événement de la cour de Lakshman Sen, le dernier roi hindou du Bengale. Sans se soucier du 11. Sur ce point, la réponse négative se trouve dans des travaux relatifs. Cf., par exemple, Biren Bonnerjea, L'Ethnologie du Bengale, thèse, Paris, 1927, p. XII. 12. Annadasankar et Lila Ray, Bengali Literature, Bombay, 1942, p. 3. 13. Cf. J.C. Gosh, Bengali Literature, Oxford-Londres, 1948, p. 5. 14. Muhammad Shahidullah, « Bânglâ Bhâsâr Itibritta », Sâhitya Patrikâ, II, 2, Université de Dacca, 1335 è. b., p. 129-308 ; cf. p. 136. 15. Voir la conclusion de la très importante étude de F.J. Monahan, The Early History of Bengal, Oxford, 1925.

Introduction

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développement de la langue du pays, ils firent tous leurs efforts pour organiser et sanskritiser les noms, le langage et même les mœurs ; ce processus se poursuivit même, malgré certaines difficultés, au cours de la période musulmane et jusqu'à nos jours 16. Après la chute du pouvoir hindou, le Bengale connut pendant plus d'un siècle des années noires, des guerres et le chaos. Les envahisseurs turcoafghans ne furent absolument pas les porte-drapeau de la civilisation musulmane ; de plus, ils s'étaient engagés à établir leur suprématie, naturellement par la force, certes, mais aussi par des guerres de dynasties et d'annexions. La paix revint un peu plus tard et une nouvelle ère commença lorsqu'un sultan pathan, Shams al-Dîn Ilyas Shah (1342-1357), prit la couronne de Gaur, unifiant toutes les parties du Bengale qui se trouvaient aux mains des musulmans 17. Désormais — comme le soulignait J.H. Rowlands — « au contact des musulmans, la vie du Bengale subit de profondes modifications. Leur influence se fit sentir non seulement sur la langue, la littérature et l'administration, mais aussi sur la vie religieuse et sociale18 ». Il est évident que nous ne pourrons pas décrire en détail tous les changements radicaux opérés dans tous les aspects de la vie du Bengale, car la domination musulmane de presque six cents ans présente une histoire riche, pittoresque et assez complexe ; le manque de documents nous y contraint, cependant que les dernières recherches à ce sujet nous éclairent et nous obligent à faire quelques remarques préliminaires. Délimitons d'abord la domination musulmane en deux grandes périodes : la première, la période des sultans pathans indépendants (1338-1576), et la deuxième, période mogole (1576-1757). Sur l'époque pathane, les avis des historiens sont souvent partagés. Un point de vue extrême, par exemple, a été formulé par J.C. Gosh : « La conquête musulmane porta un coup mortel à la culture hindoue et les conquérants n'avaient presque rien à offrir en échange. L'Inde avait rarement connu des souverains aussi barbares que les Pathans ou de détresse aussi totale. La culture musulmane en Inde ne fit pas son apparition avant le régime mogol et le Bengale ne devint une partie de l'Empire mogol qu'en 1576. Même alors, le Bengale était trop éloigné de Delhi, la capitale impériale, pour bénéficier pleinement de la culture musulmane 19. » Or, avec l'appui de sources sûres et exposées récemment, nous pourrions constater que la vérité historique est absolument contraire ; ce point de vue, d'ailleurs très répandu, ne reflète qu'une généralisation hâtive et

16. Annadasankar et Lila Ray, op. cit., p. 5. 17. Pour détails, voir N.K. Bhattasali, Coins and Chronology of the Early Independent Sultans of Bengal, Cambridge, 1922, p. 27. 18. J.H. Rowlands, La Femme bengali dans la littérature du Moyen Age, thèse, Paris, 1930, p. 25. 19. J.H. Rowlands, op. cit., p. 9. 2

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Etude sur l'évolution intellectuelle du Bengale

habituelle à certains historiens de l'Inde et, par conséquent, les faits ne sont pas rapportés avec objectivité. En effet, le régime pathan, qui fit connaître au Bengale un « âge d'or », n'avait pas accepté l'autorité de l'Inde septentrionale (jusqu'à la conquête du Bengale par Sher Shah en 1538) 20 et, indépendamment de l'autorité de Delhi, fit du Bengale une nation politique et culturelle 21 ; le pouvoir dominant considérait alors le pays comme sa propre patrie 22. La vie religieuse et sociale des hindous et des musulmans se modifiait et s'ouvrait aux idées nouvelles avec le progrès politique et économique du pays. L'orthodoxie hindoue avait certes perdu du terrain à Gaur, alors capitale, mais continuait à exercer une influence dans la ville de Navadvip, grâce à ses admirables instituts et à d'érudits pandits dans le Bengale tout entier. Depuis la venue du grand saint hindou Shri Chaitanya (1485-1533), qui propageait le vaishnavisme avec une parfaite liberté d'esprit, la renaissance de l'hindouisme ainsi qu'un renouveau culturel du pays se firent jour 2 3 . En outre, les cultes religieux obscurs, issus du bouddhisme tantrique, et l'hindouisme indigène, tels que Dharma, Manasâ, etc., étaient en plein essor, tout en produisant une vaste littérature 24 . L'influence de ces mouvements sur la vie intellectuelle du Bengale au Moyen Age fut énorme. Il va sans dire que le pouvoir dominant n'empêcha pas cet avancement, comme l'atteste la littérature de l'époque. Les musulmans à leur tour multipliaient le nombre des mosquées et des madrasas aux quatre coins du Bengale et développaient pour eux une culture profondément religieuse. Les initiatives de nombreux missionnaires arabes et persans furent remarquables sans se montrer fanatiques. Les saufis de différentes écoles, notamment ceux des ordres Chistîyâ et Suhrâwârdiyâ, qui venaient de l'Asie centrale, propagèrent leurs idées pacifiquement 25 . Leur enseignement avait une telle influence que ni les musulmans, ni les hindous ne pouvaient y échapper, et désormais ils marquèrent profondément les activités spirituelles et intellectuelles des Bengalis 26. Or, dans cet état de liberté, il ne fut pas surprenant de voir

20. Cf. Sir J.N. Sarkar, éd., History of Bengal, op. cit., t. II, p. 167. 21. La magistrale étude d'Abdul Karim, Social History of the Muslims in Bengal (Down to A.D. 1538), thèse, Université de Dacca (publ. par la Société asiatique), 1959, est la dernière mise au point sur ce sujet. 22. Diyâ al-Dîn Baranî, Târikh-i-Fîrûzshâhi, Calcutta, coll. « Bibliotheca Indica », 1890, p. 593. 23. Louis Renou, L'Hindouisme, Paris, 1951, p. 63, 102-103 ; Edward Cameron Dimock, A Study of the Vaishnava-Sahajiyâ Movement of Bengal, thèse, Harvard, 1958-1959. 24. Cf. à ce sujet S.B. Das-Cupta, Obscure Religious Cults, Calcutta, 1946. 25. Abdul Karim, op. cit., p. 85-88. 26. Cf. note 9.

Introduction

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l'apparition des bauls — les syncrétistes par excellence — même au sein de la société musulmane, bien que leurs idées sur le monde et la vie fussent parfois contraires aux idéaux islamiques. Imbus de l'amour fou des soufis et de l'ésotérisme du bouddhisme tantrique, les bauls exprimèrent une nouvelle philosophie de l'existence humaine chère aux indigènes du Bengale, car la divinité et la vie dans l'au-delà ont été, selon ses prophètes, « éloignées par les mandirs et les mosquées 27 ». Ainsi, il est juste de constater qu'à propos de l'islamisation du Bengale, le rôle des sultans ne fut pas de tout premier plan. Les sultans du Bengale ne furent pas nocifs ni ne se réjouirent de la destruction des temples 2S. Mais l'exemple des monarchies musulmanes constituait un grand facteur d'évolution sociale. Les sultans contribuèrent largement à la naissance d'une civilisation musulmane au Bengale. Ils construisirent de nombreuses mosquées et madrasas et s'efforcèrent d'en faire de véritables centres d'érudition et de théologie29. Ils établirent des contacts avec Bagdad et acceptèrent les califes comme Amîr-al-Muminîn (commandant des fidèles) et se déclarèrent Nâsir-i-Amîr al Mumiriin (assistant du commandant des fidèles ou Gawth al-Islâm wal-Muslimîn (aide de l'Islam et des musulmans 30. Ils fondèrent également les mosquées, les madrasas et les auberges de pèlerins dans les villes sacrées de La Mecque et de Médine 31 . Ils accordèrent toutes les facilités possibles aux pèlerins pour l'accomplissement du hagg32 — qui se continue traditionnellement encore aujourd'hui dans cette région lointaine. Il convient de signaler ce point qui explique le développement de l'orthodoxie au 19e siècle, qui s'enferma dans le rêve d'un retour à la pureté de l'Islam, même après la chute du pouvoir musulman en Inde. L'activité intellectuelle des musulmans au Moyen Age, centrée autour des instituts religieux, se nourrissait essentiellement de l'étude des sciences islamiques. Les méditations des soufis furent également appréciées par les Bengalis qui ont, en général, une tournure d'esprit mystique ; leurs œuvres ont malheureusement disparu en ne laissant aucune trace. Quelques rares manuscrits en arabe et en persan ont été sauvés ou connus par certaines

27. Cf. chap. HI. 28. Cf. « Early Muslim Rulers in Bengal and their Non-Muslim Subjects », J.A.S.P., IV, Dacca, 1959. 29. N.N. Law, Promotion of Learning in India during Muhammedan Rule by Muhammedans, Londres, 1916. 30. Abdul Karim, Social History of the Muslims in Bengal, Dacca, 1959, p. 45-47. 31. Muhammad Serajul Haq, «Muslim Bânglâr Kaékti Eitihâsik Tattya » (quelques points historiques du Bengale musulman), Bânglâ Academy Patrikâ, III, 1, Dacca, 1366, è. b., p. 102. 32. Abdul Karim, op. cit., p. 47-51.

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chroniques historiques de l'époque 3 3 . Les érudits musulmans apprirent le sanskrit afin d'apprécier la civilisation indienne, et certains essayèrent même d'écrire dans cette langue sacrée. Il ne nous est parvenu qu'un seul exemple de cette sorte de littérature, avec un hymne sur le Gange par un saint musulman du 14e siècle, Darâf Khan Ghâzi de Triveni. Son sanskrit, dit-on, est celui d'un maître de la langue, lucide, élégant et sonore 3 4 . Auparavant, l'exemple d'un grand derviche, Makhdum Jalal al-Dîn Tabrizi, qui vint au Bengale avant l'invasion musulmane, avait incité le poète de la cour hindoue à consacrer un ouvrage sanskrit, Shaikh-Subhodaya, à son enseignement et à ses miracles 35 . Les musulmans utilisèrent tout naturellement l'arabe d'abord et le persan ensuite. Les inscriptions de cette époque sont entièrement rédigées en arabe. Entre autres, les hâdits du Prophète — 1. L'éducation est obligatoire pour tous les hommes et femmes croyants ; 2. L'encre des érudits vaut mieux que le sang des martyrs ; 3. Il faut aller même en Chine pour l'acquisition du savoir, etc. — furent inscrits partout et ils favorisèrent, pour ainsi dire, la formation psychologique des musulmans. On se nourrissait alors de poésie persane, et un sultan tenta même d'inviter le poète Hâfiz d'Iran au Bengale 3 6 . Toutefois, les intellectuels du Moyen Age ne considérèrent pas le bengali comme moyen d'expression à cause de la pauvreté de cette langue 33. Parmi ces travaux, on peut citer une traduction en persan et puis en arabe d'un ouvrage sanskrit sur les systèmes du yoga, Amritkund (la version arabe est publiée dans le Journal asiatique, t. CCXIII, p. 292-344, intitulée « Hawd alHayât »), par Qadi Rukn al-Dîn al-Samarqandi (ms. 1218) ; un ouvrage sur le Tasawwuf, Manâqib al-Asfiyâ (se trouve dans Makhtûbât-i-Sadi, trad. Urdu, Béhar, 1926), par Shah Shu'ayb ; un livre sur fikh, Nâmi-i-Haqq (nouvelle éd., Bombay, 1885), par un disciple de Shaikh Sarf al-Dîn Abu Tawwamah, l'auteur de Maqâmat (ms. f° 11 de la Société asiatique de Calcutta), à qui l'on attribue généralement la rédaction ; une lexicographie persane avec importantes notices biographiques sur les poètes et érudits musulmans, Farhang-i-Ibrahîm' ou Sharfnâmâh (ms. f" 2-3, Alîya Madrasah, Dacca), par Ibrahim Rawwâm Fârûqî (entre 1459-1474) ; un livre sur Hadith, Sahîh al-Bukhâri (transcription annotée, Oriental Public Library, Bankipore), par Muhammad bin Yazdan Bakhsh (Khawâjgî Shirwânî), faite Mitre 14931519 ; un ouvrage sur le tir à l'arc, Hidâyat al-Ramî (27 chapitres et des dessins, écrits entre 1459-1474, le manuscrit, du British Muséum, selon les spécialistes, ne peut pas être d'avant le 17" siècle), par Muhammad Budai rurf Sayyid Mir Alawi. Les écrits des soufis ne nous sont pas parvenus, seules quelques lettres (maktubât) ont été publiées par le professeur Hasan Askari dans Bengal : Past and Present, LXVII, sériai n° 130, 1948, p. 32-39, et dans P.A.P.H.C., Dacca, 1953. Les malfûzât ou discours des soufis, ainsi que la littérature hagiographique sont fort peu nombreux. 34. Rames Basu, « The Cultural Products of Bengal : Muslim Culture during Muslim Rule », The Visva-Bharati Quarterly, Calcutta, Vaisakh 1355, è. b., p. 29. 35. Pour détail, cf. Muhammad Enamul Haq, Muslim Bengali Literature, Karachi, 1957. Une édition critique en bengali de Shaikh-Subhodaya a été établie par Sukumar Sen (Calcutta, 1927) ; une édition anglaise est en préparation par A.H. Dani, de la Société asiatique, à Dacca. On discute encore sur l'auteur de cet ouvrage, Halâydudha Misra, et la date ; cf. par exemple, Memoirs of Gaur and Pandua, par Abid'Ali Khan et Stapleton, Calcutta, 1931, p. 105-106. 36. Mahummad Enamul Haq, op. cit., p. 34, 41-42.

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encore mal cultivée par les gens de lettres. Les siddhâs bouddhistes, comme nous l'avons déjà indiqué, avaient exprimé leur pensée en bengali archaïque37, et pendant la domination hindoue le bengali perdit sa place au profit du sanskrit pour trouver son berceau d'évolution chez les indigènes illettrés. Son statut devint désormais différent. Le D r D.C. Sen, la grande autorité sur le sujet, a pu écrire : « L'élévation du bengali au statut de langue littéraire est attribuable à plusieurs influences dont la conquête musulmane est sans doute l'une des principales. Si les rois hindous avaient continué à garder leur indépendance, le bengali n'aurait pu se frayer un chemin jusqu'à la cour royale38. » Or, grâce aux sultans et à leurs généraux musulmans, le bengali fut encouragé ; ils patronnèrent presque tous les poètes de l'époque : Vidyâpati, Chandidasa, Krittivasa, Kavindra Parameshvara, pour ne citer que quelques grands noms. A leur tour, les musulmans apportèrent à la littérature classique du Bengale une contribution importante. Il faut citer : Muhammad Saghir, employé du sultan Ghyasuddin Azam Shah (1389-1409), qui composa en vers remarquables Yusuf-Zulékhâ, le fameux conte tiré de la Bible et du Coran pour les lecteurs bengali, en y mettant la couleur locale bengali39 ; Zainuddin, poète lauréat du sultan Yusuf Shah (1474-1481), qui présenta Ra&ulVijay 40, biographie romancée du Prophète à la manière bouddhiste ; les ouvrages de Muzammil (15e siècle), Nîti sâstra-vârîâ, Sâyât-Nâmâ (poèmes sur la morale et le mysticisme) 41, d'Afzal Ali (16e siècle), Nasihat-Nâmâ (poème philosophique), de Sabirid Khan (16° siècle), Vidyâ-Sundar, RasulVijay et Hanifâ-o-Kâyra Parir Larâi, et enfin de la main de Shaikh Faizullah (15e-16e siècle) : Go-rakshâ Vijay, Ghâzi-Vijay, Satya-Pîr, Jaynâler Chautishâ, Râg-nâma (sur la musique classique de l'Inde). Plusieurs autres auteurs apparurent sur la scène littéraire, plus nombreux encore pendant la période mogole (1576-1757), non à cause des encouragements prodigués par le pouvoir dominant, mais à cause du progrès naturel de l'idiome bengali et de l'acceptation de ce fait par les intellectuels musulmans. Il n'y a aucune preuve que les poètes bengali aient été couronnés par les Mogols, à l'exception de quelques chefs féodaux (hindous et

37. Beaucoup de philologues ont discuté sur la date et la langue de leurs travaux ; nous renvoyons, à ce sujet, aux travaux du D ' Muhammad Shahidullah, notamment à son article « Bauddha Gâner Bhâsâ », Sâhitya Patrikâ, I, 1, Université de Dacca, 1957. 38. D ' D.C. Sen, History of Bengali Language and Literature, Calcutta, 1911, p. 10. 39. La source de Saghir fut le Qur'an (XIII), les poètes persans Firdausi et Shaikh'Abd Allah Ansâri (E.G. Browne, A Literary History of Persia, t. II, Cambridge, 1928, p. 131-270). Il y ajoute par exemple un nom bengali pour celui qui achète Yusuf et une scène bengali à l'occasion du mariage de Zulékhâ (ms. 225-227 de l'Université de Dacca ; le D ' Enamul Haq prépare une édition à partir du manuscrit qu'il possède). 40. Ms. 594 de l'Université de Dacca. 41. Mss 237 et 119 de l'Université de Dacca.

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musulmans), des rois de Tippera (actuellement en Inde) et d'Arakan (Birmanie) *2. Sayyid Sultan (fin du 16e siècle43), auteur de Nabi-Bangsha, Shab-i-Mehrâj, Nasarullah Khan (fin du 16e siècle), auteur de Jang-nâmâ, Muhammad Khan (début du 17e siècle), auteur de Satya-Kali-VibâdSangbâd, Makhtul-Hussain, et les poètes Daulat Qazi, Qureshi Magan Thakur, Alaol, Shaikh Chand, Haji Muhammad, sont des grands noms pour toute la littérature bengali Il ne nous serait pas possible de citer, en quelques lignes, tous les noms des poètes musulmans, ni d'apprécier toutes leurs œuvres ; outre les quelques poètes mentionnés ci-dessus, nous savons aujourd'hui qu'il existe encore plus de cent poètes musulmans dont la plupart ont même écrit des chansons considérées comme des chants vaishnavites, par leur contenu et leur aspiration. Dans son ensemble, l'œuvre musulmane pourrait être classifiée en trois grandes catégories : les œuvres romantiques basées sur des contes tirés du Coran, de la poésie persane ou de la littérature légendaire de l'Inde, où l'on voit une recherche métaphysique d'intérêt humain ; les œuvres religieuses écrites à l'intention des lecteurs coreligionnaires pour mieux leur faire comprendre la philosophie, le droit et l'histoire de l'Islam ; et enfin les œuvres mystiques qui s'inspirèrent tout d'abord de la pensée soufi et ensuite se mélangèrent avec les mêmes courants bengali — vcdshnavite, baul, murshidi, etc. — Presque tous les poètes contribuèrent à ces trois catégories. Ils apportèrent du nouveau dans la forme, le style, l'emploi des néologismes arabo-persans, et un intérêt particulier pour l'homme et la vie. Les poètes musulmans introduisirent les histoires d'amour, de jalousie ou de souffrance humaine, sans se soucier de les transformer en exemples divins, comme ce fut le cas pour leurs confrères hindous. Dans toutes ces catégories, particulièrement dans la troisième, nous avons à notre portée une sorte de littérature qui a tenté de faire la synthèse entre la culture et les idées bengali et de traduire cette synthèse en une forme belle. C'est là que se formait une civilisation commune aux hindous et aux musulmans du Bengale, tout à fait distincte de la civilisation « indomusulmane » créée par les Mogols, voire opposée à elle 45. En dehors de la vie sociale et spirituelle, la création littéraire des musulmans illustre et renforce cette civilisation synthétique. Le poète Sayyid

42. Cf. Abdul Karim (Sâhitya Vishârad) et D ' Enamul Haq, Arâkân Râj sabhây Bânglâ Sâhitya, Calcutta, 1935. Cf. aussi la bibliographie des bibliographies. 43. Un de ses ouvrages, Ophâté Rasûl (Wafât-i-Rasûl), a été édité par Ali Ahmad, Noakhali, 1356 é. b. 44. Satyendra Gosal, « Muslim Contribution to Médiéval Bengali Literature, 1622-1672 », The Journal of the Visva-Bharati Study Circle, I, 1, Calcutta, 1959. 45. Sur ce dernier aspect de la question, on peut consulter les travaux de S. Abid Hussain, mentionnés dans notre bibliogr.

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Sultan, par exemple, dans son magnum opus, Nabi-Bangsha (la généalogie des prophètes), considère Brahrna, Vishnu, Maheshvar et Krishna comme des prophètes apparus avant la venue de ceux qui ont été mentionnés dans le Coran. Tout comme les musulmans participaient à l'extase vaishnavite, les hindous vénérèrent également les pîrs musulmans, en tant que chefs spirituels immédiats et intermédiaires. L'un des plus célèbres poètes du 17e siècle, le musulman Alaol, fut un des plus grands maîtres des sciences hindoues et devint ainsi le pionnier d'un néo-classicisme bengali4C. Par ailleurs, l'architecture bengali élaborée au cours du régime des sultans indépendants symbolise la synthèse culturelle. Les plus anciens temples hindous existant encore datent de cette époque. Malgré leur forme traditionnellement bengali, du type hutte, ces temples sont marqués par l'influence de l'architecture indo-sarrasine, comme en témoignent la dimension des voûtes, les nombreux dômes, les tours et les multiples rosaces et dessins géométriques 47. D'autre part, les mosquées, les madrasas et les monuments que les sultans construisirent, empruntèrent certaines formes et certains détails à l'architecture locale48. Cela apparaît clairement avec la mosquée Adina à Pandua, la seconde par ses dimensions dans toute l'Inde, qui a été construite entre 1364 et 1374 40. On remarque dans les autres mosquées anciennes un mélange d'art géométrique musulman et de dessins floraux s'inspirant des formes et de Yalpanâ hindous. Mieux encore, le symbole du lotus est repris mais sous une forme « islamisée », le mot « Allah » s'y trouvant gravé en arabe ; on voit également, çà et là, un grand nombre de croissants avec des étoiles. Ce symbole, notons-le, est devenu depuis lors très populaire chez les musulmans du Bengale 50. Quant à l'art, il est bien connu que l'orthodoxie musulmane ne favorise pas l'art figuratif. Comme ailleurs dans le monde islamique, le Bengale musulman, par conséquent, ne produisit pas d'objet d'art de valeur exceptionnelle. Toutefois, l'art folklorique du Bengale, hérité par les musulmans, prit un essor limité, certes, mais s'engagea dans une direction nouvelle. C'est dans l'art de la tapisserie, des ghâzir pat, et dans les travaux de céramique et de poterie que cet essor est remarquable51.

46. J.C. Gosh, op. cit., p. 83. 47. Bimal Kumar Dutt, « Bengal Temples », The Visva-Bharati Quarterly, XXI, 1, 1955, p. 43 ; Tarachand, Influence of Islam on Indian Culture, thèse, Allahabad (1922), 1954, p. 255. 48. R.E.M. Wheeler, Five Thousand Years of Pakistan, Londres, 1950, p. 110. Sur ce sujet, indiquons les titres récents : Muslim Architecture in Bengal, par A.H. Dani, Société asiatique, Dacca. 49. Abid'Ali Khan et Stapleton, op. cit., p. 127. 50. Muhammad Enamul Haq, Muslim Bengali Literature, op. cit., p. 44-45. 51. Cf. M. Rahman, Arts and Crafts of Muslim Bengal, Université de Rajshahi, 1962.

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Ce développement dans l'art, l'architecture et la littérature pendant la période des Pathans ne fut pas toujours patronné par le régime du pouvoir, mais favorisé par le climat socio-politique qui existait à cette époque. La tolérance et l'ambiance de libéralité dont témoigne la littérature médiévale aidèrent le génie bengali à trouver la synthèse recherchée. L'arrivée des Mogols ne fut peut-être pas décisive sur ce plan. D'ailleurs, une nouvelle fusion qui aurait eu de bons résultats n'était pas possible, paraît-il, à cause de la résistance que le Bengale leur opposa 52 . Si la bonne entente entre le lotus et le croissant qui façonnait les diverses cultures du peuple bengali en une civilisation originale ne fut pas menacée directement par l'invasion mogole, elle le fut par des guerres continuelles, par des conflits intérieurs entre chefs féodaux, et par la grande épidémie de 1575 53. Gaur, la capitale prestigieuse du Bengale, fut détruite et les autres villes qui prétendaient à ce titre n'atteignirent jamais une gloire égale à la sienne, ni à celle des villes de l'Inde centrale et septentrionale ; les nouvelles capitales du Bengale identifièrent leur culture à celle d'Agra et de Delhi 54 sans conserver l'originalité qui leur était propre. Le poète Mukunda Râma nous trace une peinture pathétique de l'époque 55. Les poètes bengali ne furent plus désormais patronnés par les empereurs mogols, mais ils n'hésitèrent pas à faire leur éloge lorsque la paix fut revenue pendant le règne de Shah Jâhân (1627-1657) et Aurangzeb (16571707) 56. Socialement, les Mogols apportèrent un nouvel élément représenté par les chiites57. La poésie héroïque et tragique concernant l'épisode de Karbalâ, les fêtes religieuses et sociales prouvèrent l'existence de cet élément, fort puissant jusqu'à la chute du pouvoir musulman 5S. La distribution généreuse de terres, surtout aux chefs féodaux hindous, et la nais52. Cf. à ce sujet Narhari Kavirâj, Swadhinaiâ Sangramé Bânglâ (le Bengale dans les luttes de l'indépendance ; étude marxiste, trad, en russe), Calcutta, 1961 (1954), e 3 éd. augmentée, p. 15. L'apport mogol sur la littérature et les moeurs du Bengale fut, cependant, très marqué depuis le 18e siècle ; il existe même des ouvrages ourdous et persans par les écrivains bengali (S.M. Ikram et P. Spear, The Cultural Heritage of Pakistan, Karachi, 1955, et N.I.M. Sufian, Bânglâ Sâhityer Nutan Itihâs, Dacca, s. d., p. 247-250). 53. Muhammad Enamul Haq, op. cit., p. 95. 54. Ibid., p. 97. 55. Cf. Kavikankan Chandî (16e siècle ; éd. de l'Université de Calcutta, 1924). Le D r M.E. Haq résume : « Morality was at a low ebb, famine was rampant and the starving peasantry were selling off their cattle and plots of land. In short, there was no atmosphere for the growth of culture. Literature remained static ; some minor writers were indeed born, but their works were wanting in life and fire, and there is hardly a significant name to mention among them. » (Op cit., p. 96.) 56. Cf. Kâlikâmangal (1676). Le poète Krisna Râma Das fait une intéressante remarque sur Aurangzeb, empereur fanatique et cruel envers les hindous, qui fut aimé par le peuple comme Râma. 57. James Wise, Notes on the Races, Castes and Trades of Eastern Bengal, Londres, 1883, p. 6, 27, 107 et sq. 58. Muhammad Enamul Haq, op. cit., p. 102-104.

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sance d'une classe moyenne de commerçants, de banquiers et intermédiaires, pour la plupart hindous 59, provoquèrent une stratification sociale à cette époque. Les nouveaux arrivants et les convertis indigènes à l'Islam se trouvèrent placés, généralement, soit en haut, soit en bas de l'échelle sociale 0O. Il y avait certes une classe moyenne musulmane — les fonctionnaires d'abord et ensuite les intellectuels et les commerçants, — mais numériquement affaiblie, traditionnellement aisée, elle ne joua pas un grand rôle dans la transformation sociale ; elle s'associa souvent avec la classe supérieure, et dans les moments critiques avec la classe inférieure 81. On retiendra ces points, car dans l'évolution intellectuelle des musulmans, à l'époque contemporaine, l'interaction des classes sociales a été un facteur déterminant. Economiquement, le Bengale fut un pays viable : il abondait en produits végétaux qui permettaient de nourrir et d'habiller ses habitants ainsi que de leur faciliter le commerce avec les étrangers 62. En dehors des références que nous trouvons dans l'historiographie musulmane et dans la littérature bengali, les chroniques de voyageurs arabes, chinois et européens à travers les siècles nous révèlent la richesse de cette terre alluviale 63. L'abondance de ses produits agricoles et l'excellence de ses industries indigènes l'ont mis à même de pratiquer, dès le début du 18e siècle, un commerce extérieur presque unilatéral. Le Bengale accrut sa richesse en or en vendant ses marchandises aux pays européens64. Mais, dans l'état de l'administration du moment, la richesse du pays ne fut employée qu'au profit de la classe supérieure qui frustra la classe inférieure et retarda l'évolution d'une classe moyenne. On peut penser que l'épanouissement de cette dernière aurait constitué le pilier le plus solide d'un système social équilibré. Or, l'évolution de cette classe moyenne fut tardive, et cela a été dû, en grande partie, aux Anglais, nouveaux 59. Voir Ksitish Chandra Chowdhury, The History and Economics of Land System in Bengal, préface de Sir P.C. Ray, Calcutta, 1927 ; voir aussi note 61. 60. A.K. Nazmul Karim, Changing Society in India and Pakistan, Dacca, 1956, p. 140. 61. B.B. Misra, The Indian Middle Classes : their Growth in Modern Times, Londres, 1961, p. 58, 78 et 186. 62. W.W. Hunter, The Imperial Gazettier of India, t. II : Bengal to Cutwa, Londres, 1881, p. 4 : « The people of the Eastern districts of the Province are as a rule much better off than those of the Western districts. » (p. 301.) 63. Voir par exemple les chroniques du voyageur maure Ibn Battutah, traduites en français par C. Defrémery et B.R. Sanguinetti, Paris, 1853-1859. Les chroniques chinoises (six voyageurs, entre le 14e et le 16° siècle) ont été traduites par P.C. Bagchi dans Visva-Bharati Annals, I, 1945, p. 96-134. Parmi les chroniques des voyageurs européens, citons Samuel Purchas, Hakluytus Posthunurs (voyageur vénitien, Nicolo di Conti), Glasgow, 1906 ; The Itinerary of Ludovico di Verthema of Bologna, Londres, 1928 ; The Book of Duarte Barbosa, Londres, 1921. 64. Sukumar Bhattacharya, The East India Company and the Economy of Bengal, from 1704 to 1740, thèse, Londres, 1954, p. 222-223.

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maîtres du pays. Ces derniers renversèrent le système du commerce extérieur et les richesses nationales furent transférées en Grande-Bretagne 63. A ce sujet, un fonctionnaire anglais nous explique mieux la situation : « Pendant l'administration musulmane, les particuliers dépensaient leur fortune sur place, au lieu même où ils l'avaient acquise ; et bien que des mesures sévères aient pu être prises par l'Etat pour son accumulation, la circulation rapide de l'argent permit d'améliorer largement et d'embellir le pays sans diminution de la valeur de la monnaie ®6. » Malgré son économie florissante, la situation au Bengale commença à décliner dès les premières années du 18" siècle. Le régime mogol s'affaiblit dans le centre et les conflits intérieurs ravagèrent le pays. Les chefs féodaux se déclarèrent indépendants et le chaos régna dans le Bengale tout entier 67 . Dans cet état de choses, le développement culturel par conséquent se trouva dans une impasse. Les poètes musulmans ne trouvèrent pas d'inspiration originale, sauf des écrivains comme Garibullah et Sayyid Hamza qui instituèrent un nouveau genre littéraire, dit dobhâshi (bilingue), c'est-à-dire une littérature musulmane de tendance rustique 68. La scène littéraire s'enrichit cependant par l'apparition d'un grand poète hindou, Bharat Chandra (mort en 1760), qui acquit sa célébrité en exaltant le néo-classicisme d'Alaol 69 . Bharat Chandra avait raison d'accepter le langage jâvcmi-mishâl (mélange musulman) dans son expression poétique, mais après que les tentatives des missionnaires chrétiens et des administrateurs anglais eurent fait naître la prose bengali, vers la fin du 18e siècle, une métamorphose intellectuelle se fit jour. Ensuite, la poésie bengali prit un nouveau tournant et revêtit un caractère plus citadin que jamais. Les intellectuels musulmans (tout comme beaucoup d'autres villageois hindous) se trouvèrent étrangers à cette nouvelle tendance. Un changement brusque de tous les aspects de la vie au Bengale apparut de nouveau imminent 70 . Ce changement est essentiellement dû à l'apparition d'une troisième force — force politique, économique et culturelle — au Bengale et peu

65. Cf. Harry Verelest, A View of the Rise, Progress and Present State of the Growth English Government in Bengal, Londres, 1772. 66. George Forster (Civil Service of the Honourable East India Company), A Journey from Bengal to England, Londres, t. I, p. 5. 67. Pour détails, cf. J.N. Sarkar, op. cit., t. II. 68. Muhammad Abdul Hai et Syed Ali Ahsan, Bânglâ Sâhityer Itibritta, Université de Dacca, 1956, p. 21-32, et infra, chap. III. 69. J.C. Gosh, op. cit., p. 95, 96-100 ; Muhammad Abdul Hai et Syed Ali Ahsan, op. cit., p. 23. 70. En soulignant l'attachement des grandes figures bengali à Calcutta, la nouvelle capitale, Arthur Geddes a justement observé : « Cette centralisation fut si marquée que l'on envisage, en général, par rapport à elle seule le développement du Bengale au 19* siècle, et qu'on en oublie également les origines rurales et le lien avec la tradition historique » (Au pays de Tagore : La civilisation rurale du BengaleOccidental et ses facteurs géographiques, Montpellier, 1927, p. 195-196.)

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après en Inde. Cette force représentait en grande partie le nouvel Occident — commerçant, impérialiste, chrétien et scientifique. Nous savons qu'à partir du 16* siècle, des commerçants et ensuite des missionnaires portugais, français, danois et anglais vinrent successivement sur le sol du Bengale 71. Motivés par l'intérêt commercial et l'ambition impérialiste, les Anglais y prouvèrent la supériorité de leur force d'organisation. Aidés par certains ministres, par des généraux et par la bourgeoisie hindoue naissante 72 , ils infligèrent une défaite à Sirâj-Uddowla, le dernier nabâb du Bengale, Bihar et Orissa73. Cette défaite, on le sait, entraîna pour les Bengali et ensuite les Indiens presque deux cents ans de domination étrangère. Peu après cet événement, une « renaissance » hindoue se manifesta au Bengale, mais les musulmans disparurent de la scène nationale pour une centaine d'années (1757-1857). Or, nous devons tenir compte du déroulement de ces années, faute de quoi le renouveau musulman vers la fin du siècle dernier ainsi que les courants et contre-courants de l'histoire immédiate risqueraient d'échapper à notre compréhension. L'impérialisme britannique en Inde commence avec la défaite de Plassey, au Bengale, en 1757 7*. Il est bien connu des historiens que cela n'entraîna directement aucun privilège pour la puissance anglaise et n'affecta pas, en soi, le destin politique du pays. Aucun nouveau privilège commercial ne fut demandé à Mir Zâfar, le nouveau nabâb. L'East India Company n'en désirait pas davantage, satisfaite des accords consentis précédemment. Pendant un temps assez long, elle ne montra aucun enthousiasme pour le contrôle et l'administration du pays et se contenta d'en exploiter les richesses75, bien que les développements ultérieurs, par exemple la dyarchie (introduite par Clive en 1765), ou le changement de la dernière capitale musulmane, Murshidabad à Calcutta (1768), aient eu de grandes répercussions sur la vie politico-économique du pays. La grande famine de 1769 76 détruisit l'équilibre économique de la masse et

71. Cf. J.A. Campos, Portuguese in Bengal, Calcutta, 1919 ; Précis historique sur les établissements français dans l'Inde, Pondichéry, 1865. Georg Nòrregaard, « The English Purchase of the Danish Possessions in the East Indies and Africa, 1845 and 1850 >, Revue Voilà les sept points auxquels il faut croire et qu'il faut énoncer 10. » Nous voyons donc que Naimuddin, ni dans cet exposé lucide de croyances traditionnelles, ni dans sa traduction du Coran 11 , ne développe de nouvelles idées ou ne se trouve influencé par l'école rationaliste de Sir Sayyid. Son livre a été toutefois très populaire au Bengale et a été réédité à diverses reprises. Enfin, il a publié quelques monographies et édité une revue religieuse, la première du genre 12 . Le Hindu-Mussalman de Shaikh Abdus Sobhan 13 est un livre très important pour différentes raisons. Il nous renseigne tout d'abord — et de façon très utile — sur la société musulmane et l'entente hindomusulmane de l'époque. De plus, sa publication ne passa pas inaperçue dans les milieux cultivés du Bengale. L'auteur écrit dans son introduction que son ouvrage venait d'être refusé par un imprimeur hindou, qu'il alla donc en trouver un second à qui il expliqua le contenu de son ouvrage. Il lui demanda s'il était d'accord pour le faire imprimer. L'imprimeur accepta, prit le livre, mais ne lui donna pas d'exemplaires. Ni la police, ni le tribunal ne voulurent, par la suite, défendre l'auteur. Ce dernier demanda alors aide au nabâb Abdul Latif qui la lui promit. Entre temps, devenu malade, il quitta Calcutta, publia son livre à Dacca et, comme nous l'avons déjà noté, le dédicaça à Sayyid Amir Ali, « le porte-drapeau de la société musulmane du Bengale ». Dans cette introduction, Abdus Sobhan admet en toute franchise qu'il manque de formation et de talent pour être un véritable écrivain. Il divise d'ailleurs les écrivains en deux classes : ceux, tout d'abord, qui se soucient de la justice et de la religion et sont peu populaires — évidemment, on doit considérer qu'il appartient à ce groupe. Le second groupe est formé d'indépendants qui peuvent écrire sur n'importe quel sujet, décrire n'importe quelle scène invraisemblable et purement imaginaire. C'est ainsi que notre auteur critique sévèrement Bankim Chandra sans en mentionner le 10. Ce passage est extrait de la quinzième édition (Calcutta, 1333 è. b., p. 287). En 1891, l'auteur publia un deuxième volume de Zobdât al-Mâçâel où l'on trouve plus de détails sur la foi (imân), sur la fin du monde et sur la résurrection. L'auteur avait projeté d'écrire un troisième volume qui n'a pu être achevé. 11. Qui comprend deux volumes, intitulés Bangânubadita Korân Sharif (1891 et 1892), ainsi que d'autres volumes contenant chacun un chapitre (jusqu'au treizième). Il faut signaler que c'est la première traduction faite par un musulman et la troisième en bengali, les deux premières ayant été faites d'abord par un Brahma, le Frère (bhâ0 Girish Chandra Sen, et puis par le Père William Goldseck. 12. On compte une trentaine de monographies actuellement introuvables. Pour la revue, cf. bibliogr. 13. Première édition en 1888, 86 pages. Seconde édition, Dacca, 1891 ; réédition en 1914, 183 pages.

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nom : en effet, dans ses romans, dit notre auteur, il blâmait par exemple les femmes de la famille royale musulmane qui, en dépit de leur voile, pouvaient agir à leur guise 14. Ainsi, pour les auteurs hindous, un grand empereur aux qualités nobles comme Aurangzeb peut paraître inférieur à son adversaire Shivâji, « un bandit vagabond », etc. Il est intéressant de noter ici que ces lignes nous révèlent la première réaction d'un écrivain musulman à l'encontre de l'œuvre du célèbre romancier Bankim Chandra dont les livres furent, par la suite, critiqués, blâmés et même brûlés en public, par d'autres écrivains et politiciens musulmans. La pensée de notre auteur est que les hindous, dont l'imagination est fertile, produisent de tels livres lorsqu'ils sont sous l'effet de la rage ou de la haine — lui-même, nous dit-il, y a été contraint. On peut donc très bien dire, sans s'écarter du sujet, que l'auteur n'a pas voulu attaquer la religion et la société hindoue, mais seulement montrer la décadence de la société musulmane due à l'ignorance et à l'inconscience, d'une part, à l'égoïsme et à la tricherie des âmlâs et des officiers hindous, de l'autre. A propos de la classe féodale musulmane, l'auteur écrit : « Il y a vingtcinq ans, les musulmans formaient numériquement la majorité des zamindars au Bengale, et si nous les comptions à présent, nous verrions qu'il n'en reste même pas un seizième 10. A l'heure actuelle, les hommes qui portent des titres comme les Rây Bâhâdur, Râjâ Bâhâdur, Kumâr Bâhâdur, etc. (titres des aristocrates hindous) remplissent les pages des annuaires de magistrats au lieu des Meer Shâheb, Khan Shâheb, Kâzi Shâheb (titres des aristocrates musulmans). Dans dix ans, si l'on compte de nouveau, on n'en trouvera plus aucun. L'enquête que nous avons faite 16 sur les raisons de la disparition des zamindars confirme cette situation. » L'auteur, invoquant son expérience personnelle, raconte, à l'appui de sa thèse, l'histoire des treize familles musulmanes de la classe des zamindars. Il insiste plus loin sur « le rôle de leaders sociaux joué par les zamindars, l'obligation dans laquelle ils étaient, vis-à-vis des paysans musulmans et d'eux-mêmes, d'employer les âmlâs musulmans et de prendre conscience de la grandeur de leur religion islamique, la seule religion vivante au monde ». Il plaide encore pour répandre l'instruction chez eux, dans leurs familles et dans la société, parce que « seule, l'instruction peut procurer à un homme les moyens d'acquérir la condition d'homme ; sans 14. En effet, chez Bankim Chandra Chatterjee, tous les personnages musulmans n'étaient que des tyrans, des oppresseurs, des séducteurs de femmes et des collecteurs d'impôts extorqués par la force ; ils manquaient de toutes les qualités humaines, si bien que le Shaikh et d'autres écrivains musulmans protestèrent vivement. A ce sujet, voir T.W. Clark, « The Rôle of Bankim Chandra in the Development of Nationalism », Historians of lndia, Pakistan and Ceylan, éd. C.H. Phillips, OxfordLondres, 1961, p. 439. 15. La roupie est divisée en seize annas, d'où cette allusion. 16. Nous n'avons aucun détail sur cette enquête officieuse, sauf des anecdotes mentionnées dans le présent ouvrage.

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elle, il devient un animal ». Soulevant le problème de la différence ethnique, qui était à l'origine de l'antagonisme culturel entre les groupes sociaux indiqués plus haut, il s'adresse directement à ces groupes : « Eh bien ! certains d'entre vous disent parfois : « Nous sommes les vrais ashrâjs « étrangers 17. C'est par malheur que notre famille est venue en Hin« doustan. Comment pouvons-nous apprendre le bengali ? C'est une honte ! « Comment les classes supérieures des musulmans pourraient-elles accepter « de parler cette langue indigne ? » Mais c'est de la pure folie de votre part ; depuis quatre générations, ou même davantage, vous habitez l'Hindoustan, le Bengale ; le bengali est votre langue maternelle et le parler de ce pays ; tous les documents relatifs à vos biens sont rédigés en bengali, et c'est grâce à la connaissance de cette langue que les âmlâs hindous sont en train de tout vous faire perdre et que vous devenez leurs esclaves. Les Anglais, qui ont passé un grand nombre d'examens et ont été nommés aux plus hauts postes, sont cependant en train d'apprendre l'arabe, le persan, le bengali et le sanskrit, de leur plein gré. Comment pouvez-vous désapprouver le savoir qui éclaire l'obscurité et fait progresser la société ?... Allons, laissez là ces idées folles, travaillez à apprendre au plus vite le bengali et faites en sorte que vos enfants l'apprennent en même temps que l'anglais, la langue officielle. » Dans les pages qui suivent, l'auteur donne plus de détails sur la mauvaise foi des hindous à l'égard des musulmans, particulièrement dans la vie publique. Selon lui, celle-ci ne fit que s'accentuer après la création du Congrès national (1885). Enfin, il suggère sept règles de conduite, que nous allons résumer en quelques mots : 1. Coopérer avec la classe dirigeante de tout son cœur, exprimer ses griefs avec modestie et prier pour obtenir ce dont on a besoin. 2. Renoncer à tout préjugé qui pourrait causer du tort à la religion et à la société. 3. Eviter d'avoir toute relation avec ces rebuts de la société qui déclarent : « Si vous étudiez l'anglais, vous deviendrez infidèles. » Ce sont les maulvi, les chefs religieux qui, en vérité, ne sont que des ignorants par excellence. Ils ne fréquentaient jamais les gens instruits, mais seulement les paysans les plus pauvres pour les exploiter, et nous avons déjà connu ce stade ultime de la décadence. Si nous restons encore dans cette situation et ne prenons pas soin d'instruire convenablement la jeunesse, dans vingt-cinq ans nous devrons baisser la tête pour dire : « Je suis un musulman. » 4. Eviter les préjugés contre l'élite occidentalisée. « Nous sommes convaincus, après un examen sérieux, que les musulmans qui sont allés

17. Il s'agit des plus hautes tribus d'Arabie, de Turquie, d'Iran, etc.

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à Londres pour s'instruire sont demeurés sincèrement fidèles à leur religion sacrée de l'Islam. » Les voyages en Europe ne doivent pas être considérés comme un critère d'infidélité, car les Turcs, les « joyaux de l'Islam », et d'autres musulmans sont des Européens. 5. Empêcher tout conflit sectaire (sunnisme, chiisme 18 , wahhabisme), toutes querelles inutiles, puisque personne n'est responsable du salut de l'âme d'autrui. C'est plutôt un devoir humain que de s'unir pour le progrès universel et la paix sociale. L'unité entre ces groupes opposés est tout à fait possible. L'orthodoxie seule n'apportera que des calamités plus graves. 6. Lire le Coran avec un grand et profond respect. Tant que les musulmans ont lu ce livre sacré avec respect, ils sont demeurés invincibles, en dépit de grands obstacles. 7. Unifier les musulmans par tous les moyens. On devra créer une association et publier un certain nombre de journaux en anglais, en ourdou et en bengali, à l'aide de souscriptions collectives faites dans toutes les classes de la société musulmane. Le contact direct entre le siège principal et ses succursales devra être établi pour propager cette unification. « Si tous les musulmans pouvaient être unis, rien ne serait perdu. Il n'y aurait rien que nous ne puissions faire. » Tous ces faits et ces réflexions dont l'auteur nous fait part dans son ouvrage sont l'expression même du bon sens et d'un amour véritable pour sa communauté, ce qu'on ne trouve pas chez les leaders, tout au moins de façon aussi nette. C'est avec ce même bon sens que l'auteur commence son introduction par ces mots : « Je suis de nationalité musulmane (jâti-té mussulmâri) et le bengali n'est pas ma langue nationale (jâtiya-Bhâsâ). » Mais il comprend qu'il est urgent et nécessaire de progresser matériellement, et, avec passion, il exhorte ses compatriotes à entreprendre l'étude du bengali. Abdus Sobhan, qui était aussi éditeur du journal Islam Suhrid (ami de l'Islam, sur lequel nous n'avons aucun détail ; il s'agit peut-être de la revue mensuelle de l'association des amis de l'Islam à Dacca, 1887), mérite qu'on lui reconnaisse un certain crédit pour ce premier document sociologique et un ton polémique caractéristique de cette prise de conscience. Hazrat

Muhammad-er

Jivan-Charit

o Dharmanîti

( M a h o m e t , s a v i e et

ses principes religieux) est le premier ouvrage — et l'œuvre capitale — de Shaikh Abdur Rahim (1859-1931), qui est sans doute un des grands penseurs musulmans du Bengale. Ce livre volumineux (958 p.) fut le 18. Signalons qu'au Bengale la différence entre les sunnites et les chiites, très peu nombreux, ne fut jamais aussi importante que celle qui existait entre les Turcs et les Persans. Cf. Garcin de Tassy, Mémoire sur la particularité de la religion musulmane dans l'Inde d'après les ouvrages hindoustanis, Paris, 1849, p. 12. Entre les sunnites et les wahhabites, il y eut des polémiques et des bagarres, même jusqu'à nos jours.

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premier de ce genre au Bengale. Le projet de son auteur était d'écrire une histoire complète du monde musulman. Dans son œuvre, Abdur Rahim s'efforce d'écrire, en une langue exquise et vigoureuse, une histoire de l'Arabie depuis le prophète Noé ; il décrit les conditions de vie et de culture en Arabie pré-islamique, la vie et l'enseignement de Mahomet dans le contexte du Coran et du hadît, ceci avec nombre de citations traduites de l'arabe par lui-même. Dans l'avis au lecteur, il précise que celui qui aura lu ce livre sera libéré de la propagande anti-islamique tendant à faire croire que Mahomet a prêché l'Islam par la force de l'épée. En appendice, il cite des passages de l'Ancien et du Nouveau Testament pour prouver l'ascendance de Mahomet, dernier envoyé de Dieu. Son livre suivant, Ylslamer Itibritta (histoire du monde musulman, 1910), est aussi une étude sur le développement de l'Islam comme force religieuse, sociale et culturelle à partir de l'Arabie des quatre califes jusqu'à la conquête de l'Inde en passant par l'Espagne, le Moyen-Orient et l'Asie du Sud. Cet ouvrage est d'ime conception tout à fait originale, mais, après un examen minutieux, on peut y discerner l'influence de l'Histoire des Sarrasins de Sayyid Amir Ali. Outre ses nombreuses études touchant divers aspects de l'Islam, deux titres doivent être mentionnés ici pour illustrer son activité littéraire : Pranay - Zâtrî, l'excellente traduction d'une nouvelle de Washington Irving, « Pilgrimage of Love », dans Taies of Alhambra (Calcutta, 1920) et BangarBhâshâ o Mussalmân Samâj (la langue bengali et la société musulmane), une des premières études importantes sur le sujet qui passe encore presque inaperçue dans sa première publication dans les cinq numéros de la revue Mâsik Mohammadi (Bhâdra-Pausha 1336 è. b., c'est-à-dire 1929). La renommée de Shaikh Rahim est toutefois plus éclatante dans un domaine différent, celui du journalisme. La clarté de l'expression à laquelle s'ajoute la vigueur du sanskrit, un amour extrême pour sa religion et la société, dénué de toute superstition, voilà les qualités que l'on trouve chez lui et chez trois de ses confrères avec lesquels il fonda et édita plusieurs des premières revues du Bengale musulman. D'une façon assez significative, ses efforts en ce sens soulevèrent un mouvement intellectuel à Calcutta. Le groupe qui se forma autour de lui et qui fut, par la suite, appelé le Sudhâkar est, à juste titre, célèbre pour avoir été le précurseur de la littérature musulmane au Bengale, source de la culture pakistanaise 19. Cependant, si l'on y regarde de plus près, nous nous trouvons en mesure d'apprécier son exacte contribution dans ce mouvement. Et l'on peut observer ici qu'au début, ses efforts acharnés ne visaient pas à susciter un mouvement intellectuel, comme ce fut le cas, mais plutôt à amener les musulmans du Bengale à être des Bengalis et des musulmans, à reprendre contact avec les sources de leur culture et à retrouver leur dignité perdue. 5

19. M. Abdul Hai et S. Ali Ahsan, op. cit., p. 127 ; cf. infra, note 30.

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Chronologiquement, la publication des journaux et des périodiques commença à une date antérieure. En 1831, le premier hebdomadaire édité par le musulman Maulvi Alim Allah — Sâmâchâr Sabhârâjertdra — parut à Calcutta. On sait qu'à cette époque paraissaient déjà quelques journaux bilingues des missions chrétiennes et les deux premiers journaux édités par les hindous : Sambâd Kaumudi (1819) et Sambâd Prabhâkar (1831), sous la direction respective de Râjâ Rammohun Ray et du poète Ishwar Gupta (1806-1858). Ces journaux firent sensation dans la vie culturelle du Bengale et il existe de très nombreux documents à leur sujet 20 . Mais il est bien difficile de présenter un tableau complet des efforts faits dans ce sens par les musulmans, car, jusqu'à nos jours, rien n'a été mentionné et les archives n'en ont gardé aucune trace. Une recherche particulière nous a permis de découvrir les noms de quelques journaux (et des objectifs qu'ils s'étaient assignés) que nous résumons brièvement ici. Ce fut donc Maulvi Rajab Ali qui avait publié, en 1846, un journal édité en cinq langues : en bengali ( J a g a d u d d i p a k Bhâskar), en anglais ( T h e Indian Sun), en persan, en hindi et en ourdou. Ce projet ambitieux ne fut que de courte durée 21. Après une longue interruption 22, une revue bimensuelle ( A z i z a n Nâhâr, avril 1874) fut publiée par un grand écrivain musulman de l'époque, Meer Musharraf Hussain (dont nous parlerons dans le chapitre suivant). Cette revue ne manqua pas d'attirer l'attention des intellectuels, notamment des étudiants musulmans de Hoogley College. La revue était rédigée dans un langage précieux et, comme le fit remarquer un journal hindou 23, « il semble qu'elle ne soit pas écrite par un musulman ; cette revue va même jusqu'à critiquer les abus sociaux ». Ensuite vint YAkhbâré Mohâmmadi (Chittagong, 1877), dont le rédacteur en chef était Shah Badi-al-Alam. Cet hebdomadaire paraissait en deux langues : le bengali et l'ourdou. En 1880, son rédacteur en chef commença à publier le Mohammedcui Observer, qui semble avoir été le premier hebdomadaire anglais de l'Inde musulmane, et qui influença très longtemps l'opinion des intellectuels musulmans occidentalisés. Le nom de Muhammad Naimuddin nous est déjà familier grâce à la précédente discussion sur Zobdat al-Mâçâel. En 1883 il publia à Mymensingh une revue mensuelle de tendance religieuse, YAkhbâré Islâmiya (les nouvelles islamiques). Pendant les dix années de sa parution, l'auteur 20. Cf. P.N. Bose et H.W.B. Morens, A Hundred Years of Bengali Press, Calcutta, 1920 ; B.N. Bandopadhaya, Bânglâ Sâmayik Patra, Calcutta, 1952. 21. Le journal anglais Friend of lndia écrivit de ce rédacteur en chef érudit : « Son persan est trop arabisé, son ourdou est trop persanisé, tout comme son bengali est trop sanskritisé. » Cité par K. Abdul Wadud, Bânglâr Jâgaran, op. cit., 1956, p. 116 (note). 22. Entre temps parut un journal, Faridpur Darpan, en 1861, ayant comme rédacteur en chef Shree Allah-dad Khan. Mais le journal le plus connu de l'époque fut le Dûrbin, qui paraissait en persan. 23. Kângâl Harinâth, Grâmbârthâ Prakâshikâ, juin 1874.

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défendit énergiquement la cause sectaire des hanafi et essaya de sauvegarder l'esprit puritain de la société musulmane contre les influences fâcheuses du christianisme, de l'hindouisme, notamment des Brahmos. Il est intéressant de signaler que la revue Akhbâré Islâmiya suscita, pour la première fois, une vive critique contre l'hebdomadaire Ahmadi24 dont la parution, dans ce même district, fut de courte durée. Ce conflit fut provoqué essentiellement par le fait que les musulmans, mangeurs de viande, virent se dresser contre eux les hindous, pour qui les vaches étaient sacrées. Cette controverse fut soulevée par le mouvement de protection des vaches sacrées lancé à grand fracas par les hindous et dont YAhmadi se fit le propagandiste. Cette querelle suscita alors une série d'articles émanant de chacun des camps rivaux. Il s'ensuivit que les problèmes sociaux, beaucoup plus importants, furent laissés de côté. Nous reproduisons ci-dessous quelques extraits caractéristiques des articles parus dans la presse de l'époque. On y perçoit une conscience vague de la réalité politique. L'auteur anonyme d'un article 25 plaide pour que ne soient plus tuées les vaches et conclut ainsi : « Frères ! si nous devions vivre au Bengale avec d'autres hommes que les hindous, les chrétiens par exemple, que deviendrionsnous ? S'il fallait les voir tuer les porcs n'importe où à l'occasion de leurs fêtes, que ressentirions-nous ? Nous n'osons ni le penser ni le dire. Les lois de nos gouvernants nous obligent maintenant à baisser la tête. Aux yeux de notre roi, vaches et porcs sont semblables. C'est pourquoi tout ce qui blesse les hindous ou les musulmans ne les concerne pas. Mais pourquoi nous autres musulmans blesserions-nous profondément nos frères hindous sans raison ? Est-ce parce qu'il n'existe aucune loi interdisant de tuer les vaches ? Pour ma part, je ne pense pas que ce soit logique. Un jour viendra où nous nous séparerons du roi, à moins que ce ne soit lui qui nous quitte. Mais les hindous et les musulmans ne se sépareront jamais. Nous ne pourrons pas nous séparer avant la fin du monde. Pourquoi ne pas réfléchir avant de blesser les gens avec lesquels nous avons des liens si intimes ? » Bien que d'un point de vue orthodoxe les réponses de YAkhbâré Islâmiya touchent les aspects les plus importants de ce problème, elles semblent refléter très exactement le sentiment populaire : « Les partisans de la protection des vaches n'auront pas à craindre que ces animaux soient totalement supprimés. Ils ne doivent pas oublier que tous les Indiens dépendent de la vache pour leur bien-être. Or, il est impossible qu'une communauté particulière souhaite son élimination... Le carnage n'est pas nouveau, et pourtant les vaches sont nombreuses ; alors, pourquoi cette crainte ? On ne les tue pas en tant qu'ennemies. On les tue, mais on 24. Son rédacteur en chef, Abdul Hamid Khan Yusufzai, se fit aussi connaître comme poète, et son recueil de poèmes, Udâshi (Tangail 1307 è. b.), est célèbre. 25. Cf. « Gokul Nirmul Ashankâ », Ahmadi, Vaishakh 1295 è. b.

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s'efforce aussi d'en augmenter le nombre et la qualité. Ce qui est détruit d'un côté est augmenté de l'autre... Un musulman ne peut mépriser tous les produits comestibles (hâlâl) mentionnés dans le livre sacré, ni se moquer d'eux. S'il le fait, il est considéré comme infidèle (kafir) 26. » La même revue a repris le thème et l'a largement développé dans un autre article : « Nombre de mouvements se dessinent de nos jours en faveur de la protection de la vache. L'Inde entière est agitée par ces mouvements renforcés par les réunions d'organisations nouvellement créées. La communauté hindoue actuelle est envahie de tristesse pour ce problème des vaches, la seule raison étant l'élimination des vaches par les mangeurs de viande. Leur argument est que la seule cause pour la destruction des vaches est l'insensibilité des chrétiens et des musulmans... La grande majorité de la population mondiale mange de la viande. Tous les habitants d'Europe, d'Afrique, d'Amérique et d'Asie centrale, occidentale et méridionale mangent la chair de la vache. Les vaches n'ont pas pour autant disparu de ces pays... Les hindous conseillent au gouvernement d'interdire par des lois le massacre des vaches ? Nous ne pouvons que rire de leur impertinence. Nous ne mangeons que notre nourriture. Pourquoi vous lamentez-vous ? Pourquoi ces mouvements sans signification ? Nous ne recherchons pas par la force vos vaches pour les tuer... Quelques rédacteurs de journaux ont même proposé que les zamindars et les râjâh hindous interdisent l'extermination des vaches dans leurs Etats afin de protéger la race. Nous nous demandons si notre gouvernement, noble et juste, autoriserait cette demande futile... A en juger d'après la conduite actuelle de nos frères hindous, nous avons réellement le sentiment que s'ils parvenaient au pouvoir, ils interdiraient aux musulmans le droit de manger de la viande et, par la suite, de pratiquer leur religion 27. » Ces citations nous révèlent bien la motivation du premier essai d'activité collective dans le domaine du journalisme. Nous voyons que ces deux journaux, fort bien édités pour l'époque, ne firent pas place dans leurs colonnes à des polémiques riches d'idées religieuses et sociales. Les dirigeants préférèrent s'occuper surtout des problèmes de leurs sectes propres en même temps que de leurs problèmes mineurs d'ordre socio-politique. Loin de Calcutta, leur grande ville, ils s'engagèrent dans des controverses sans grande importance, tandis que les hindous, leurs compatriotes, comme nous le savons, essayèrent de susciter une véritable renaissance, malgré les multiples problèmes du même genre qu'ils avaient à résoudre. Ce qu'il est important de souligner ici, c'est l'attitude caractéristique des musulmans à l'égard du problème de l'extermination des vaches, problème qui resta jusqu'à la veille de l'indépendance une des causes soi - disant importantes de l'antagonisme hindo-musulman. La version populaire selon 26. Akhbârê-lslâmiya, V, 5, Çravan 1295, è. b. 27. « Bhâraté Go-badh », Akhbûré-lslâmiya, V, 5 (Pausha).

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laquelle les musulmans tuent les vaches pour irriter les hindous, tandis que les hindous, de leur côté, jouent de la musique devant les mosquées28, semble être une généralisation hâtive. Cette irritation n'était, en effet, que le résultat d'un différend très ancien aggravé par l'existence isolée de deux peuples de religion opposée, voire de civilisation différente. Le contact avec le modernisme et la technologie les obligea à sortir de leur isolement, et ce que l'historien anglais Toynbee appelle « la lenteur du processus d'adaptation psychologique 29 » les empêcha de réaliser une synthèse nationale et laissa subsister encore des heurts à l'état latent. Dans le contexte de la discussion présente, nous pouvons donc dire que les musulmans ont, d'un côté, partiellement accepté la réalité (comme ce fut le cas de Ahmadï) et, de l'autre, ont défendu avec passion leurs traditions (comme ce fut le cas de Akhbârê Islâmiya), mais le résultat fut que chacun y trouva un obstacle au développement de la vie matérielle et intellectuelle. La situation prit entre temps une tournure différente. Comme nous l'avons déjà dit, il y eut à Calcutta un mouvement intellectuel qui s'appela plus tard le groupe sudhâkar 30. Celui-ci projeta d'éditer une anthologie ou série d'écrits sur l'Islam — Islam Tattva (1880) — pour apprécier la

réaction populaire à l'égard du journalisme musulman avant de prendre le risque de publier un journal national, le Sudhâkar. L'accueil favorable réservé par les lecteurs musulmans à cet ouvrage en deux volumes décida 28. Kingsley Davis, par exemple, signale ce fait parmi les raisons du conflit : The Population of India and Pakistan, Princeton, 1951, p. 195 ; ou Alain Petit : « La situation politique de l'Inde », La Revue de Paris, 15 décembre 1929, p. 8. 29. Cf. A. Toynbee dans un article intitulé « Pakistan as an Historian sees her », dans Crescent and Green, Cassel & C° Ltd., Londres, 1955. 30. Ce groupé était dirigé par le Shaikh Abdur Rahim, mais trois autres personnages non moins importants que lui, érudits eux aussi, en faisaient également partie. Leurs œuvres collectives ou individuelles laissèrent leur empreinte dans l'histoire littéraire du Bengale. D'abord, c'est à Meyrâj-Uddin Ahmad, professeur d'arabe et de persan aux collèges Dobton et Saint-Xavier de Calcutta, que le groupe est redevable pour l'ouvrage en question et l'explication des sources (originales). Pandit Réâjuddin Mash-Hâdi (1859-1919), professeur de bengali et de sanskrit au Collège islamique de Calcutta, est le principal traducteur ; son premier ouvrage, Samâj o Sanskârak, est un essai biographique et philosophique sur la vie et l'enseignement d'Afghâni ; il faut mentionner que ce livre a été interdit par le gouvernement du Bengale ; il publia trois autres ouvrages : Sauriâ-Vijay (La conquête de la Syrie par le premier calife des musulmans), Calcutta, 1895 ; Prabandha Kaumoudhi (essais divers) et Agnikukkut. Ce dernier ouvrage est une polémique intéressante contre les partisans musulmans, notamment l'écrivain Musharraf Hussain, du mouvement hindou pour la protection des vaches ; il essaya dans ce dernier livre de prouver, à partir de sources sanskrites, qu'à l'époque védique les hindous mangeaient de la viande et que les rishi célébraient la fête de Gomédha-Jagna en massacrant les vaches. Munshi Réâjuddin Ahmad (18621933), le quatrième collaborateur, est aussi un écrivain de valeur. Parmi ses œuvres on peut nommer : Grice-Turaska Zoudha, jur la guerre gréco-turque, travail de tendance panislamique mais abondamment documenté (Calcutta, 1898), une biographie de Mahomet (4* éd., 1948), Tohfât al-Moslemin, Krishak-Vandhou, recueil de poèmes, et Amâr Sangsâr Jivan, essai autobiographique. Il a été rédacteur de plusieurs journaux et revues dans les dernières années de sa vie.

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le groupe à entreprendre immédiatement la rédaction du journal, et le troisième volume prévu fut abandonné. Etant persuadé que c'est la religion qui fait l'homme et que l'Islam est la seule vraie religion du monde, ce groupe essaya d'amener les musulmans instruits du Bengale à renoncer à leur athéisme ou à leur indifférence envers l'Islam. Selon ce groupe, si ces musulmans avaient connaissance de la vraie signification de l'Islam, ils ne pourraient ni être indifférents, ni se convertir à d'autres religions, phénomène courant à cette époque. Pour mener à bien cette tâche ambitieuse, ces auteurs interprétèrent ou traduisirent librement les œuvres classiques sur ce sujet. Dans l'introduction de l'Islam Tattva, ils mentionnèrent les noms des ouvrages arabes, persans, ourdous et anglais dont ils s'inspiraient, mais il est curieux de remarquer l'absence de deux noms célèbres : Sir Sayyid et Amir Ali, dont le premier est resté dans l'ombre, effacé par la critique violente et l'apport intellectuel d'Afghâni, et le second dont les idées n'étaient pas encore répandues à ce moment-là. Le premier volume de Ylslam Tattva comprend trois parties : Athéisme ; Islam ; Foi. Suivant Afghâni, on y trouve un exposé approfondi sur l'athéisme et son développement dans différents pays, ainsi qu'une description analytique de la situation de l'Islam avant et après la diffusion de ces idées. Nos auteurs cherchent à prouver que le déclin du pouvoir musulman n'est pas imputable aux croisades, comme les historiens le pensent, mais à l'influence de l'enseignement des athées persans, et que ce sont ces idées qui ont corrompu le Bengale où les soufis eurent une énorme influence sur la masse des illettrés31. L'ouvrage comporte ensuite l'analyse philologique du mot Islam, suivie d'une démonstration philosophique à propos de la supériorité de leur religion. A cette fin, ils insistent, à plusieurs reprises, dans la deuxième partie, sur la conscience humaine (vivek) qui est, d'après eux, l'élément permettant le mieux à l'être humain d'atteindre la plénitude. La conscience est définie comme « la faculté de distinguer le bien du mal » et qui est pour l'homme comme un écran contre les préjugés et les croyances erronées 32. Sur ce thème, ils élaborent patiemment leurs arguments : « La religion islamique est basée sur la pureté de la connaissance, fruit du monothéisme. Le monothéisme libère la connaissance des préjugés et des fausses croyances. » Tout d'abord, ils enseignent que l'homme ne doit pas considérer comme créateur tout-puissant et destructeur un être animé ou inanimé, ou ne doit pas croire que Dieu s'est substitué à l'homme pour faire la paix ou pour tuer quelqu'un, ou multiples autres croyances du même genre... et c'est seulement l'Islam qui rejette les croyances sans fondement ; aussi considèrent-ils illogique le fait de suivre quelqu'un aveuglément. « L'Islam enseigne aux adeptes d'autres religions qu'il ne 31. Islam Tattva, t. I, p. 56-57. 32. Ibid., t. II, p. 41.

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faut rien croire ni faire sans preuve ; pour toute chose, il fait appel à la conscience qui débouche sur le bonheur... Il n'y a aucune religion au monde où cette qualité ait atteint son point culminant33. » La troisième partie est une analyse descriptive des croyances de l'Islam ; elle se divise en deux chapitres : les Anges et le Livre Sacré. Dans toute cette partie, les auteurs essaient de développer l'idée familière de l'histoire intellectuelle des musulmans, l'importance du Coran ; avec ferveur, ils expliquent que la croissance rapide des nations musulmanes et leurs progrès culturels et matériels sont dus au Coran. Chaque phrase et chaque conseil que l'on y trouve sont, selon ces auteurs, le meilleur instrument de progrès humain. La majeure partie du deuxième volume est consacrée aux envoyés de Dieu. L'importance du moment choisi pour ces envoyés et leur rôle dans l'expansion des facultés humaines dans le monde sont décrits dans ce chapitre. Il est intéressant de noter la comparaison établie par ces auteurs entre les intellectuels (les savants, les philosophes, etc.) et les prophètes. Les premiers sont chargés par Dieu de faire le bien matériel dans ce monde, particulièrement par la < conduite de la conscience humaine », mais ils ne peuvent pas percer les mystères du monde spirituel. Les prophètes, par ailleurs, sont des élus, possédant des qualités spéciales. Ils brisent les limites des cinq sens et de la conscience humaine. Dans ces circonstances, le rôle des prophètes, notamment celui de Mahomet qui est parfait, s'est bien manifesté dans la religion islamique34. Ces extraits nous montrent clairement la nature de la polémique qui n'avait peut-être rien de nouveau, mais était cependant très éloignée de celles du type apologétique que nous avons mentionnées dans le chapitre précédent. Ces travaux intellectuels récompensèrent néanmoins leurs auteurs et leur permirent d'obtenir de plus grands succès littéraires dans cette nouvelle profession du journalisme religieux. C'est ainsi que fut posée la première pierre d'une littérature « nationale » pour les musulmans du Bengale qui n'est pas tellement différente de celle des autres pays du monde islamique 35, et que, pendant une cinquantaine d'années, les musulmans du Bengale en nourrirent leurs esprits36. L'effort de ces précurseurs, comme nous l'avons déjà dit, atteignit son point culminant avec la publication de Sudhâkar (1889). Durant sa brève existence, cet hebdomadaire apporta à l'histoire intellectuelle du Bengale musulman les éléments suivants : d'abord le développement d'une communication étendue entre les membres de la communauté musulmane dans 33. lbid., p. 76-80. 34. lbid., p. 81-83. 35. Dominique Sourdel, L'Islam, Paris, 1959, p. 117-125 ; H.A.R. Gibb, Mohammedanism, a Historical Survey, New York, 1955, p. 127-145, et la très importante synthèse avec des détails bibliographiques de W.C. Smith, Islam in Modem History, New York, 1959, p. 47-97 (trad. française par A. Guimbretière, Paris, Payot, 1962). 36. Abdul Hai et Ali Ahsan, op. cit., p. 127.

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tout le Bengale, ensuite la diffusion des idées réformistes socio-religieuses de patriotisme et de nationalisme, enfin l'amorce d'un mouvement littéraire et journalistique localisé à Calcutta. La disparition du journal est due principalement à la crise financière, mais les dirigeants trouvèrent d'autres moyens pour rester dans le domaine du journalisme, car nous voyons que Reâjuddin Ahmad, un des quatre rédacteurs de l'Islam Tattva et Sudhâkâr, publia bientôt l'Islam Prachârak (Le Prédicateur de l'Islam, 1891). Pour cette nouvelle entreprise, il énumère dix raisons particulières 37 : 1. Réfuter la propagande des missionnaires chrétiens qui convertissent les gens avec l'argent et des moyens peu honnêtes ; 2. Montrer l'illogisme du brahmoïsme qui influençait les musulmans par l'enseignement conventionnel et faire ressortir la beauté de l'Islam ; 3. Préciser les devoirs et les rites à la jeunesse musulmane ; 4. Publier des études sur les institutions et les coutumes sociales ; 5. Essayer de retracer l'histoire « nationale » des musulmans du Bengale et les sauver de la situation pitoyable dans laquelle ils se trouvent pour avoir oublié qu'ils sont les premiers historiens du monde ; 6. Combattre les fakirs, c'est-à-dire les bauls 38 et les soufis qui sont plus dangereux pour l'Islam que les chrétiens, les hindous et les brahmos — « si on peut les appeler musulmans, le mot « fakir > n'a plus de raison d'exister » ; 7. Traduire fidèlement le Coran ; 8. Ecrire les biographies des saints musulmans, par exemple Kimayai-s'adât ; 9. Renseigner sur les diverses organisations religieuses du Bengale ; 10. Faire connaître les nouvelles conversions. Le rédacteur en chef et ses collaborateurs suivirent assidûment ces principes déjà établis et plusieurs des articles fournirent des matériaux utiles sur les conditions sociales de l'époque. Dans le numéro de mars-avril 1903 fut publié un article intitulé « Bangiya Mussulmân Samâjé Netar Abhâv » (pénurie des chefs dans la société musulmane du Bengale), qui fait la lumière sur la nature de la prise de conscience. En décrivant la situation sociale des musulmans, Sayyid Emdad Ali, qui devint plus tard un célèbre poète, dit : « A présent, nous n'avons pas d'éducation ni de richesse, ni même d'unité parmi nous. La société demande d'urgence une organisation et surtout un chef reconnu. Quelques-uns peuvent nous dire que nous avons la Muhammadan Literary Society et la Central Muhammadan Association... C'est exact, mais 37. Muhammad Idris Ali, « Munshi Muhammad Réâjuddin Ahmad », Academy Patrikâ, I, 3, p. 81-112. 38. Cf. l'introduction, p. 19 et 22, et le chap. III, p. 82.

Bânglâ

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elles auraient dû se fondre en une seule organisation, ainsi nos besoins auraient pu être satisfaits... Mais la masse musulmane du Bengale n'a pas confiance en elles, on pourrait le dire cent fois avec conviction, elle est même inconsciente de leur existence. » Dans le même numéro on remarque un autre article écrit par le poète Shaikh Fazlul Karim, intitulé « Unnatir Upây Ki ? » (quelle est la voie du progrès). L'auteur blâme les musulmans de leur faiblesse dont les hindous ne sont pas responsables, mais leur folie est de haïr les musulmans bien qu'eux aussi aient subi la même domination. Il invoque également l'idéal de La Fayette, Adison, Washington, Napoléon, Mazzini et appelle les musulmans à travailler pour la cause nationale. Même si on peut l'appeler cause nationale, déjà manifestée par le mouvement d'Aligarh, elle n'a pas le soutien de l'avant-garde. Sur le plan pan-indien, on sait que Shiblî Nu'mânî (1851-1914) 39 , disciple de Sir Sayyid, lança un mouvement plutôt théologique. Appelé Nadwât-alUlâmâ (association des oulémas, 1894), ce mouvement fut l'antithèse du premier et obtint la vive sympathie des dirigeants bengali ; plusieurs articles de la revue en témoignent : « Il y aurait à peu près 40 000 Maulvis de toutes sortes au Bengale, mais c'est dommage que nous n'en ayons même pas quarante comme ceux de Nadwât-al-Ulâmâ 40. » Cette remarque nous révèle la supériorité des chefs religieux de l'Inde du Nord et la faiblesse des chefs religieux du Bengale musulman qui ne purent lancer un mouvement du même ordre qu'en 1913, quand Ôs trouvèrent la voie à la suite d'une réforme gouvernementale de l'enseignement islamique, et la Supériorité de ceux de l'Inde du Nord. La revue conseille de suivre l'exemple des premiers et propagea l'idéal panislamique. Presque tous les numéros contiennent des poèmes, des articles passionnés en faveur du calife et de la Turquie. En outre, les dirigeants et l'élite sympathisante estimèrent que le Congrès national convenait seulement aux hindous et créèrent la Bengal Mohammedan Educational Society (1903). Comme dans le domaine culturel, ce groupe jeta ainsi les bases du séparatisme dans le domaine politique. Signalons que ce fut bien avant la création de la Ligue musulmane (1906) que ce séparatisme prit naissance. En 1898, on voit se développer un mouvement de réaction avec la publication de la revue mensuelle Koh-i-Noor. L'amitié et la bienveillance des hindous et des musulmans sont la marque de son idéal. Ce principe, en effet, a été pratiqué dans tous les numéros de la revue, avec la plus grande sincérité, grâce à la collaboration de tous les grands écrivains 39. Poète, penseur et historien, Shiblî est le chef rationaliste qui a voulu une renaissance religieuse de l'Inde musulmane ; ainsi il influença les écrivains bengali de la première moitié du 20* siècle. Sur lui, on peut lire l'article d'André Guimbretière, op. cit., p. 37 ; cf. aussi sa bibliogr. 40. « Nadwât-al-Ulâmâ o Islamiyâ Vishva-Vidyâlaya », Islam Prachârak, maijuin 1900.

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musulmans et d'un nombre considérable de confrères hindous. Ce fut la première revue de l'histoire culturelle du Bengale qui détermina cette voie nouvelle vers la fusion intellectuelle. Raushan Ali dirigea la revue consciencieusement et publia de nombreux articles contradictoires de ses collaborateurs en les accompagnant de remarques judicieuses. En une certaine occasion, il commente : « Nul zamindar ne doit se féliciter de profaner les déités hindoues. Ce sacrilège peut blesser l'âme et la religion hindoues, ce qui est tout à fait contraire à la conduite des musulmans. Le Livre Sacré l'interdit. D'un autre côté, les zamindars hindous ne doivent pas intervenir dans la vie religieuse des musulmans. Il ne fait pas de doute que les Shâstra hindous s'y opposent41. » Dans un autre article, intitulé « Ekhan Kartabya Kî ? » (quel est le devoir maintenant), le D r Muhammad Meerali analysa la situation critique de l'époque et souligna les quatre points suivants qui empêchaient l'entente cordiale des musulmans et des hindous : 1. Les différends religieux, les points de vue fanatiques de chaque groupe ainsi que les problèmes sectaires ; 2. La partialité des manuels scolaires en bengali ; 3. L'absence d'effort musulman dans le domaine littéraire ; 4. La déplorable situation économique des musulmans. « Si un hindou écrit que Fatima est la femme de Mahomet, précise^t-il, un musulman est choqué ; c'est sûrement ridicule et regrettable, mais qui blâmer ? Les musulmans ne disent pas que Sitâ est la mère de Râma. Ainsi, conclut-il, les musulmans doivent exposer les principes de leur religion en un bengali pur, ce qui fera disparaître tous les préjugés et malentendus. » Plusieurs autres articles et poèmes parus dans la revue nous laissent entrevoir une conscience politique peut-être un peu vague, une expression inarticulée de la souffrance des peuples asservis. En 1899, deux revues furent publiées dont les objectifs étaient à peu près les mêmes. La première, Hitakari, était de tendance littéraire et avait comme rédacteurs Meer Musharraf Hussain et Raushan Ali ; la seconde, Prachârak, de tendance réformiste, était dirigée par Madhu Meah, alias Mayejuddin Ahmed. Le fait important est que ces revues s'efforçaient de faire adopter le bengali comme langue nationale chez les musulmans. La même année apparaît à l'horizon littéraire du Bengale la revue Lahari, qui fut dirigée par l'éminent poète Mozammel Haq (1860-1933). Ce fut la première revue poétique du Bengale à laquelle collaborèrent également quelques poètes hindous qui y firent preuve d'un esprit ouvert en critiquant l'animosité hindoue à l'égard des musulmans. Ils essayèrent ainsi de préparer le rapprochement. Une autre revue importante de l'époque, Noor-al-Imân (1900), parut 41. Koh-i-Noor, Jaishtya 1306 è. b.

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au Bengale du Nord, sous la direction de Mirza Muhammad Yusuf Ali, traducteur de Kimaya-i-s'adât, d'Al-Ghazzali. Ce fut l'organe d'Anjumâni-Hemâyat-i-Islam (un groupe réformiste fondé en 1891 à Rajshahi) et de Noor-al-Samâj (section érudite de ce groupe fondé en 1895 et s'inspirant de la célèbre Ikhwânus Sâfâ et de la Société asiatique) : on y insiste encore sur la conscience qui est la lumière divine de l'intelligence. Bien que fondamentalement réformiste, la revue défendit l'entente hindomusulmane. Elle nous signale néanmoins un problème intellectuel posé par l'évolution linguistique. On sait que la littérature en prose prit naissance au début du 19® siècle. Le langage quotidien, que ce soit celui des hindous ou celui des musulmans, resta structuralement le même. Ce langage, représenté par les divers écrits — notamment le premier roman bengali 42 , — est très influencé par les langues musulmanes. La situation, cependant, commença à changer avec le style puissant de Bankim Chandra et les efforts des intellectuels hindous de la métropole dans le domaine social, religieux ou politique. Si un musulman écrivait bien à l'époque, il était de bon ton de prétendre que l'œuvre n'était pas celle d'un musulman ! Cela signifiait qu'aux yeux des hindous, un musulman ne pouvait pas bien écrire en bengali et que son parler n'était pas distingué. Face à un tel mépris, les musulmans de l'époque acquirent une sorte de complexe ; pour cette raison, tantôt ils protestèrent hardiment. La question linguistique fut ainsi une des causes de ce désaccord entre les hindous et les musulmans, et même parmi les différents groupes de cette dernière communauté, car l'orthodoxie n'avait pas alors compris l'importance de la langue maternelle. Le cas du rédacteur de Noor-al-Imân en est un exemple frappant. Il écrivit un livre intitulé Dugda-Sarobar (le lac de lait), ayant pour but d'améliorer la société musulmane. En réponse aux critiques hindoues formulées à l'égard de ce livre, il écrit : « Dans ce livre, j'ai employé des mots dérivés de l'arabe, du persan, du hindi, etc. Ceci est fréquent en bengali depuis plusieurs siècles, parce que cette langue est surtout liée avec les dialectes villageois, comme sont liés la chair et le sang. Ce qui a fait dire à un journaliste hindou : « Nous n'avons pas pu goûter le lait parce qu'il était « préparé dans la cuisine musulmane, et que les hindous ne sauraient, par « conséquent, y toucher 43 . » Néanmoins, le rédacteur n'oublia pas de mentionner que ce lait avait été goûté par plusieurs intellectuels hindous et qu'un zamindar de cette communauté l'avait même récompensé financièrement. Après le Sudhâkar, Shaikh Abdur Rahim, le chef de file, publia trois périodiques : Mihir (1892), Mihir o Sudhâkar

et Hafez (1897). Dans ces

42. Alâler Garer Dulâl (l'enfant gâté chez Richard, Calcutta, Tekchand Thâkur (pseudonyme de Peyâri Chand Mitra). 43. Noor-al-lmân, Çravan 1307 è. b. (1900).

1857), par

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dernières entreprises, il essaya de suivre uniquement la voie littéraire, sans mêler la religion à la littérature comme il l'avait fait auparavant. Il tenta de créer aussi, pour la première fois au Bengale, une littérature scientifique, malgré la difficulté de trouver les termes équivalents en bengali. En général, le rédacteur en chef et ses collaborateurs donnèrent une analyse plutôt objective des problèmes politiques. Un article intéressant intitulé « Congress o Mussalman Jatî » (le Congrès et la communauté musulmane) et publié dans le numéro deux de Hafez, peut servir d'exemple. L'avocatauteur, Shaikh Osman Ali, trouve deux raisons à l'antipathie musulmane envers le Congrès national : « Primo, étant donné la manière dont le Congrès critique et attaque le gouvernement, il semble bien qu'il soit une organisation antigouvernementale, les musulmans ne doivent donc pas y participer et devenir ouvertement les ennemis du gouvernement ; secundo, si le Congrès gagne quelque chose par ses activités, les musulmans craignent que les hindous prennent l'avantage et qu'il ne reste rien pour eux. » L'auteur essaie de défendre les arguments de ses coreligionnaires, mais au lieu de blâmer les hindous, il condamne le retard des musulmans, causé par leur « oisiveté éternelle ». Un examen minutieux des écrits musulmans nous révèle un problème plus grave que la prétendue oisiveté ; il semble, bien que les musulmans souffraient alors inconsciemment d'une blessure avivée par le complexe d'infériorité. Cependant, la situation commença à changer et un sentiment de respect de soi se fit jour, comme on le voit dans la nouvelle revue Nava Noor (la lumière nouvelle). Sous la direction du poète Sayyid Emdad Ali **, la revue — une des meilleures du Bengale — connut un grand succès. Cest dans cette revue que nous voyons pour la première fois l'apparition d'un grand nombre de poètes femmes des deux communautés. En outre, la revue constitue, pour ainsi dire, un dossier complet de la critique musulmane au sujet des écrits hindous rédigés contre les musulmans, et ce qui est remarquable, c'est que cette critique ne manque pas de lucidité. C'est pourquoi un nombre considérable d'écrivains hindous se joignirent à cette protestation des musulmans, expression de la classe moyenne naissante chez ces derniers. En contrepartie, la revue propagea ardemment l'amitié hindo-musulmane. On peut donc observer une évolution paradoxale de la vie culturelle du Bengale pendant cette période ; au lieu de prêcher des idées progressistes, les hindous suivirent pas à pas la voie de l'hindouisme agressif de Bankim Chandra et écrivirent abondamment contre les musulmans. Naturellement, les intellectuels musulmans, qui rêvaient de l'union parfaite avec leurs compatriotes, en furent blessés. Ils s'engagèrent de toutes leurs forces dans un combat contre les activités « antipatriotiques et antihumanitaires ». 44. Né à Dacca vers 1875, Emdad Ali fut très célèbre pour ses deux ouvrages : Dali, recueil de poèmes, et Tâpasi Rabiya, essai biographique et philosophique sur la vie et méditation de la fameuse soufi musulmane.

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Dans un article intitulé « Mâtri Bhàsâ o Bangiya Mussalman » (la langue maternelle et les musulmans du Bengale), le rédacteur en chef écrit : « Des hindous érudits organisent le Congrès et essaient d'obtenir le soutien des musulmans en les appelant « frères » dans les conférences, et ces mêmes personnes, une fois rentrées chez elles, se déchaînent contre les musulmans. Comment les musulmans pourraient-ils avoir confiance en ces personnes qui ont l'habitude de couper la plante à la racine et de l'arroser d'en haut pour la faire pousser 45 ? » Il va même jusqu'à demander aux écrivains, aux leaders et aussi à ses confrères d'abandonner cette sorte d'hypocrisie pour le bien de « la Mère infortunée » (c'est-à-dire l'Inde) et de prouver en pratique leurs désirs sincères, sinon le Congrès et les conférences n'ont pas de sens, ils sont comme des jeux d'enfants ou simplement un instrument pour tuer la vieille amitié entre les deux communautés et augmenter l'animosité actuelle. En une autre occasion46, le rédacteur écrit : « En lisant l'article de la revue Bhârati la communauté musulmane a compris que le rêve heureux d'une Inde unie restera pour toujours un rêve. » Il indique que les musulmans instruits connaissent bien la mauvaise foi des hindous dans le cas des services gouvernementaux ou autres. Il cite l'exemple d'un magistrat hindou qui ne faisait entrer aucun musulman dans un service quelconque de son district, parce qu'il favorisait ses coreligionnaires. « Voilà le résultat lorsqu'on obtient le pouvoir de gouverner un district, commente-t-il amèrement. Quelle serait la situation si l'hindou pouvait gouverner le Bengale tout entier ? Est-ce pour rien que les musulmans ne participent pas au Congrès ? » Ainsi dans beaucoup d'autres articles, le rédacteur et ses collaborateurs dénoncèrent les éléments antimusulmans qui se trouvaient dans les écrits hindous, de Bankim Chandra à Tagore 48, et firent un dernier appel à l'unité et à la fraternité entre les deux communautés49. Ce sentiment atteignit son point culminant lors de leur protestation contre le partage du Bengale (1905). Ils protestèrent au nom de la patrie sans même soutenir clairement la cause du Congrès. Ceci nous laisse entrevoir une situation politique différente 50. Mais ce qu'il est important 45. Nava-Noor, Pausha 1310 è. b. (1902). 46. Ibid., Agrahâyan 1310 è. b. 47. Bhârati est la fameuse revue littéraire publiée par les soins de la famille Tagore ; l'article en question est intitulé « Raj-sébây Hindu o Musulman » ; il est de Paresh Bandopadhaya et a paru dans le numéro d'Ashvin 1310 è. b. 48. Tagore (1861-1941) est la seule personnalité politique ou littéraire de l'Inde qui, à notre avis, ait consciencieusement gardé l'impartialité suprême dans le conflit qui opposait les deux communautés (nous en parlerons plus tard, dans le chap. IV). Cependant, ces publicistes ont trouvé dans quelques écrits mineurs de Tagore — par exemple, dans la pièce Sati, le poème « Shivâji Utsav » — les éléments qu'ils cherchaient. 49. Comme nous l'avons déjà signalé, quelques voix solitaires d'intellectuels hindous s'y joignirent. Cf. un article très important de N.C. Gosh publié dans la revue Nava Noor de la même année. 50. Cf. chap. V.

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d'ajouter ici, c'est que l'appel de ces intellectuels musulmans n'attira pas l'attention des dirigeants hindous, ni même celle de leur propre communauté. Bref, des différences à l'intérieur de la société, des différences entre les diverses communautés ainsi que la domination étrangère ont largement freiné le développement naturel des musulmans. Cependant, les efforts de la classe moyenne musulmane lui ont permis de prendre progressivement l'avantage grâce à un ensemble de connaissances d'origines indienne, islamique et même occidentale. Nous avons essayé de mettre en lumière les intellectuels et les journaux qui nous paraissaient importants. Le nombre de tous ceux qui ont participé à ces activités est certainement plus élevé qu'antérieurement, si on le compare avec la situation des précédentes décennies. Parmi la liste de cinq cent quinze personnes, dans les cinquante années qui ont précédé 1855 par exemple, il n'y avait que dix musulmans qui s'adonnaient à des activités littéraires51. Dans cette perspective, on peut comprendre le rôle de ces intellectuels et leurs motivations, ainsi que les problèmes qui se posèrent à eux dans l'exercice de leur métier. La prise de conscience, comme on le voit, ressort nettement de ces efforts et peutêtre plus encore de l'activité littéraire proprement créatrice que nous relaterons dans le chapitre suivant.

51. Selections from Londres, 1855, n° 22.

Records

of

Bengal

Government,

India Office Library,

CHAPITRE

III

LES GRANDS ÉCRIVAINS DE L'ÉPOQUE

The metaphysical subtleties of theology fell to the ground and there came faith to flower into poetry. The Reformation had gone. The Renaissance with its « Zeitgeist » began to work out the great synthesis — the synthesis of new ideals and our old allusions of at least five hundred crowned years of thought.

Hemendra

DAS-GUPTA

(Studies in Western Influences on 19th Century Bengali Poets (1857-1887),

Calcutta, 1935, p. XVI, thèse)

La littérature traditionnelle du Bengale avant le 19e siècle est totalement écrite en vers, qu'il s'agisse de contes romantiques ou de traités religieux1. Sans se soucier du contenu poétique, la plupart des kavis (poètes) hindous ou musulmans expriment leurs pensées et leurs émotions en un style simple, naïf, tout à fait dépourvu d'effets littéraires. Ce phénomène est d'ailleurs fréquent dans l'histoire de la littérature mondiale. Le cas de la littérature bengali est cependant remarquable en ce que ces poètes, extrêmement émotifs, sont amenés à faire des innovations sémantiques et syntaxiques. Dans le domaine de la prosodie, ils restèrent fidèles aux lois fixées par les rhétoriciens sanskrits. Bien qu'il y eût un signe de fatigue dans l'utilisation du payâr, mètre conventionnel avant le 19e siècle, la situation socio-culturelle ne permit pas l'évolution normale de la littérature en prose. Il est probable que l'introduction de l'imprimerie2 et l'évolution du système social auraient permis le développement de cette littérature en prose au moment voulu. Mais un élan apparut de l'extérieur, constitué par le besoin immédiat des fonctionnaires anglais pour contrôler l'administration qui prendra désormais ce développement en charge 3. En quelques décennies, il atteignit son paroxysme grâce à l'introduction des connaissances occidentales, des recherches scientifiques et des mouvements socio-religieux. 1. Seules quelques lettres en prose ont été découvertes au Moyen Age. La littérature vaishnavite du 17e siècle témoigne de cette orientation vers la prose ; consulter l'ouvrage exhaustif du D ' Sukumar Sen, Bâtiglâ Sâhityé Gadya, Calcutta, 1935. 2. Vers 1778. 3. D ' S.K. De, History of Bengali Littérature in the Nineteenth Century, 18001825, Calcutta, 1919.

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Dans les conditions défavorables décrites précédemment4, les musulmans ne purent pas déployer de force créatrice ni jouer un rôle significatif dans cette nouvelle entreprise. Récemment, un historien renommé a dit avec justesse : « De 1757 à 1857, les musulmans du Bengale n'ont fait que suivre, dans la littérature, la vieille tradition mogole. Nous pouvons appeler la production littéraire de l'époque : imitation des classiques. Celle-ci resta tout à fait intacte, malgré l'influence occidentale 5. » En fait, les poètes exprimèrent leur résistance psychologique aux nouveaux changements en imitant les classiques du Moyen Age ou la poésie didactique religieuse. Leurs écrits ne permirent pas de rapprochement avec l'évolution littéraire de l'époque. Toutefois, le chiffre de ces écrits, ajouté aux créations moyenâgeuses, ne serait pas moins de 10 000 punthis 6. Cette vaste littérature se distingue de la littérature moderne par sa particularité linguistique. Non seulement les mots arabo-persans, d'ailleurs courants dans la société, ont été employés, mais également de nouveaux termes, adjectifs, pronoms et même formes verbales. Comme pour d'autres langues musulmanes, les caractères de ces ouvrages bengali ont été parfois calligraphiés ou imprimés de droite à gauche. Est-ce là une expression de la résistance psychologique comme celle des hindous qui, à l'époque, insistèrent sur l'idiome sanskritisé ? Une étude d'ensemble nous manque pour préciser ce phénomène. Néanmoins, les historiens et les chroniqueurs sont de cet avis. Ce langage typique, bien qu'un peu déformé par l'évidence historique et la forme présente du parler du Pakistan oriental, n'était alors que l'idiome populaire. Il est curieux de constater que souvent on l'appelle mussulmanî bânglâ, et les ouvrages en question, dobhâshi-punthi, c'est-à-dire les ouvrages bilingues 7 ! On considère généralement que ce monde littéraire arabo-persan n'est pas extrêmement riche en valeurs intellectuelles et imaginatives 8 . Cependant, l'acceptation de l'existence totale de l'homme, comme suggère un critique9, est une qualité bien présente dans ces ouvrages et on ne la trouve pas toujours dans la littérature musulmane ultérieure. De plus, on serait tenté de réévaluer son importance historique

4. Cf. supra, p. 26 sq., 36 sq. et chap. II ; de plus, il n'y avait aucun musulman parmi les huit auteurs qui collaborèrent aux efforts de Fort William College (18011815) pour la publication des premiers manuels scolaires. 5. D ' M. Enamul Haq, Muslim Bengali Literature, Karachi, 1957, p. 173. 6. Le chiffre exact et l'authenticité de ces punthi ou manuscrits ne sont pas encore précisés ; cf. M. Hakim, « Vangiya Sâhityé Mussulman », Islam Darshan, 1921, n° 2, p. 526 ; Abdul Hai et Ali Ahsan, op. cit., p. 17 et 21-22. 7. W.W. Hunter, The Indian Mussalmans, op. cit., p. 146 ; pour la transformation linguistique chez les musulmans, cf. une étude récente de Munier Chowdhury, « The Language Problem in East Pakistan », U.A.L., Bloomington, XXVI, 3, 1960, p. 64-78. 8. Kazi Abdul Wadud, Shâshvat Bangâ, Calcutta, 1358, è. b., p. 263. 9. Syed Sajjad Husain, dans un discours publié dans la revue Masik Mohammadi, 17' année, n " 10-11, p. 448.

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malgré la négligence des intellectuels occidentalisés, qu'ils soient hindous ou musulmans. Dès l'apparition de la culture citadine, on considéra cette littérature, et même celle qui est proprement moyenâgeuse, comme une littérature folklorique (en bengali, bat-talâr sâhityà) pour mettre en relief son origine indigène 10. Sans doute est-ce là line sous-estimation critique du point de vue historique, car, pour les poètes ou narrateurs, lecteurs ou auditeurs, cette littérature attirait non seulement le peuple, mais aussi l'élite de l'époque. Si elle manque d'ingéniosité artistique et de profondeur philosophique, cela ne signifie pas qu'elle appartienne à une catégorie de littérature vulgaire qu'on peut ignorer. Car, à notre avis, la littérature folklorique, élément important de l'héritage culturel du Bengale, est tout à fait distincte. Cette littérature folklorique consiste, en réalité, en ballades et chants mystiques. Les ballades, qui sont des œuvres du passé, mais rassemblées au cours du premier quart du 20e siècle, sont très souvent l'œuvre de musulmans. De plus, ce sont les seules œuvres qui renseignent sur la vie sociale du Bengale, spécialement dans sa partie musulmane dépeinte en termes abstraits. Cette abstraction est due à la préoccupation des poètes pour la nature et le destin de l'homme qui n'est cependant pas éloignée de la réalité plébéienne. Romain Rolland a parlé de ces œuvres en termes élogieux : « Dans ces mymensingh ballade, j'ai trouvé la manifestation d'une pensée originale, d'innombrables exemples de swarâj et une haute valeur attachée aux actes et non pas à la passivité u . » La différence marquée entre ces ballades et la littérature moyenâgeuse résida dans ce que les premières ne s'accordent ni avec les sentiments communautaires, ni avec le < zèle religieux et iconoclaste », comme ce fut le cas pour la seconde12. Quant aux chants mystiques, riche réserve du lyrisme bengali, on en trouve une vingtaine de catégories, néanmoins liées les unes aux autres par la tradition folklorique ou la ferveur spirituelle. Parmi les plus appréciés, on peut citer les chants des saisons (il y a six ritu ou saisons au Bengale !), les bhâtiâli (chants des bateliers), d'inspiration panthéiste, les murshidi (chants dévots d'inspiration islamique 13. Voici un exemple : 10. Siddiqui Abdul Gafur (Anusandhân-Vishârad), « Mussulman o Bânglâ Sâhitya», Sâhitya Parishad Patrilàâ, Calcutta, 1323 è. b., p. 99 sq. Amalendu Chakravarty, « Bat-talâr Sâhitya, Nat um Sâhitya, 7" année, n° 6, p. 137-143. 11. Ahmad Sharif, « Punthi Sâhitya », Mah-i-Nau, Dacca, sept. 1954, p. 24. 12. D.C. Sen, Folk Literature of Bengal, Calcutta, 1920, p. 86 ; pour le classement des contes folkloriques des musulmans, ibid., p. 98-99. 13. Cf. à ce sujet le bulletin mensuel de l'ambassade du Pakistan à Paris, Pakistan, n°" 36-37 (1963) ; on peut également écouter quelques chansons dans l'enregistrement de Deben Bhattacharya, Chants et Danses populaires du Bengale, disques BAM n° LD 076, Paris. «

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Etude sur l'évolution intellectuelle du Bengale Une fleur s'épanouit sur le lac, Sur le lac du cœur D'où elle est portée par le fleuve de la respiration, Allah le tout-puissant en connaît la valeur. La fleur de lotus a ouvert ses pétales merveilleux Et elle est radieuse comme l'éclair. Connais-tu son nom ? C'est Rasul, le Messie.

Dans ce beau chant, on peut se demander si le lotus est ou non un symbole. Dans l'affirmative, ce ne peut être que le symbole hindou déjà manifesté dans l'art et l'architecture musulmane au Bengale14. Les chants des bauls, la plupart apocryphes, en outre, nous donnent un aperçu étonnant sur la naissance d'un syncrétisme15. « Par la simplicité de la langue, la profondeur de la pensée et la délicatesse de la musique, disait Tagore, ces chants n'ont pas leurs pareils dans le monde de la poésie16. » Les noms les plus illustres de la philosophie et de la poésie bail — Shah Lalan (1774-1894), Shah Madan (1858-1916) — sont d'origine musulmane et se sont beaucoup inspirés des soufis persans. Les traditionalistes et les modernistes leur ont, néanmoins, reproché de corrompre l'Islam. Cette poésie baul est de plus en plus populaire et elle est considérée comme le joyau de la culture traditionnelle bengali depuis ce jugement porté sur elle par Tagore et sa rénovation par Nazrul Islam, au début du siècle présent. Le regain de confiance en soi des musulmans du Bengale joue-t-il un rôle prépondérant ? En tout cas, sans se soucier de l'aspect syncrétiste, l'homme moderne, avec son angoisse et sa nostalgie spirituelle, ne peut qu'apprécier la profonde résonance des chants des bauls : Où pourrai-je Le trouver L'Homme de mon cœur? Hélas! Depuis que je L'ai perdu J'erre en vain à sa recherche A travers les terres proches et lointaines. Je languis pour ce beau lever de lune Qui doit éclairer ma vie Comme j'aspire à le contempler dans la plénitude, Avec mes yeux, dans la joie de mon cœur! 14. Cf. supra, p. 23. 15. Le professeur Muhammad Mansuruddin a déjà publié sept volumes de Hârâmani (les perles perdues), à Calcutta et à Dacca. L'es6ai philosophique de Kshiti Mohán Sen, The Bauls of Bengal (trad. Lila Ray) Visva-bharati, s. d., et la conférence de Tagore à Paris (cf. bibliogr.) ne présentent qu'un aspect de la pensée baulienne, l'aspect de sa ressemblance avec celle des upartishad et antres traditions indiennes. Le monumental travail de Upendra Nath Bhattacharya, Bânglâr Baul o Bânglâ Gân (Calcutta, 1368 è. b.) est recommandé. En outre, un choix de cent chants bauls, avec une introduction, est en préparation par l'auteur du présent ouvrage (UNESCO). 16. Introduction (Bénédiction) à Hârâmani, Calcutta, 1337 è. b., p. il.

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Ces lignes d'introduction sur l'histoire littéraire du Bengale à laquelle les écrivains musulmans contribuèrent visent à souligner deux points fondamentaux : le premier, c'est la prise de conscience culturelle chez les paysans illettrés, fait souvent ignoré des intellectuels modernes du Bengale ou de l'étranger ; le deuxième, c'est la mise en relief des sources de la tradition folklorique chez les écrivains citadins qui ne purent ainsi cacher leurs origines. L'analyse de nombreux ouvrages écrits par les musulmans en fera la preuve plus tard, mais notons en passant que cette tradition a été plus forte chez les musulmans que chez les hindous. On sait que ces derniers s'attachèrent à la culture occidentale sans même toujours essayer de réaliser une synthèse de leurs propres cultures, ce qui les écarta de la tradition et les mena, par conséquent, à une crise intellectuelle17. Ce qu'on peut ajouter, c'est que le domaine de l'intellect a été statique en milieu musulman, tandis que leurs compatriotes hindous furent plutôt dynamiques, L'intelligentsia naissante des musulmans s'est donc sentie plus proche de la masse et du monde lorsque vint la nouvelle impulsion grâce à des écrivains musulmans qui avaient une connaissance naturelle de la réalité plébéienne. On pourra le voir dans une analyse descriptive de leurs devanciers que nous considérerons ci-dessous. Dans le chapitre précédent, nous venons de voir comment les intellectuels musulmans essayèrent avec passion de trouver leur propre voie pour exprimer la vérité selon leur conscience, en cherchant un idiome qui n'aurait pas été d'origine étrangère, mais qui leur serait propre et refléterait le développement politico-social du pays. Ceci est encore plus remarquable chez les génies créateurs. « L'action du génie s'exerce évidemment beaucoup plus sur la matière, les idées et surtout les sentiments que sur l'expression », dit l'auteur de La vie intellectuelle en France, mais il nous rappelle que « cela ne signifie pas du reste qu'on n'éprouve pas le besoin d'une expression plus originale, plus individuelle et qu'on ne s'efforce pas de la découvrir, tandis qu'on se sent prisonnier de celle dont on dispose, de découvrir des formes qui en même temps soient adaptées à l'objet à exprimer et au tempérament18 ». Ce critère nous est utile pour considérer comme « génies » les auteurs dont nous allons retracer la genèse des œuvres. Parmi eux, Meer Musharraf Hussain (1847-1912) est le premier et de loin le meilleur. L'acceptation de son chef-d'œuvre, Vishâd-Sindku, comme un classique de la littérature bengali et l'intérêt suscité par ses successeurs, tant musulmans qu'hindous, l'ont rendu populaire auprès du grand public. Son œuvre se compose de trente-huit volumes — pièces de théâtre, 17. Ce problème a été admirablement étudié du point de vue sociologique par Edward Shils, The lntellectual between Tradition and Modernity ; The Indian Situation, La Haye, 1961 ; cf. aussi les critiques indiennes à propos de ce livre, dans Quest, Calcutta, n° 34, juillet-septembre 1962, p. 56-68. 18. Pierre Barrière, La vie intellectuelle en France, Paris, 1961, p. 396-397.

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romans, poésies, belles-lettres, essais, — mais trois ou quatre n'ont jamais été publiés, et de nos jours on ne trouve, avec beaucoup de difficultés, que sept ou huit ouvrages dans les bibliothèques de l'Inde, du Pakistan et de l'Angleterre19. Cependant, ces œuvres montrent le génie fécond de l'auteur, son élégance dans l'expression et son humanisme. La variété et l'étendue de ses écrits et surtout son style puissant et sanskritisé mais parfois poétique, l'ont immédiatement classé comme le précurseur des écrivains modernes du Bengale musulman. Quant à lui, peut-être n'était-il pas conscient de son génie comme l'étaient Bankim Chandra et Tagore. Ce sont les intellectuels des générations postérieures qui découvrirent son œuvre et s'enthousiasmèrent pour elle. S'il en avait été conscient, il aurait pu suggérer une nouvelle voie aux penseurs de l'époque. En effet, ses écrits, malgré leurs mérites et leurs multiples résonances, ne ressemblent pas à ceux des deux autres écrivains que nous venons de citer, et ils ne suivirent d'ailleurs pas le rythme de l'évolution littéraire. Son art est aussi original qu'est frappant son attachement aux écoles précédentes de la littérature bengali, par exemple celle de Ishwar Gupta (1833-1896) ou celle de Rangalâl (1827-1887). Son autobiographie, Amâr Jivani, publiée en douze volumes, de 1908 à 1912, nous fournit des renseignements sur son milieu social, malgré une sensibilité extraordinaire qui en fait presque un roman-fleuve. Sa famille ayant été ruinée, il travailla toute sa vie comme naib chez les derniers zamindars musulmans et se plaça de village en ville, c'est-à-dire qu'il n'a jamais pu être un citadin permanent ni s'associer aux mouvements intellectuels du pays. Contrairement à son « père révéré qui était bien versé dans la littérature persane mais qui ne pouvait écrire un seul mot de bengali », il commença à apprendre l'arabe à l'âge de quatre ans quatre mois quatre jours, selon la tradition musulmane, et fit ses études secondaires, acquérant une solide connaissance du bengali et des notions de sanskrit et d'anglais. Pendant ce temps, le goût de la littérature pénétra en lui, et il collabora à quelques grands journaux de la période dite de transition. Naturellement, cette collaboration, ainsi que son entourage et le milieu qu'il fréquenta, influença sa formation intellectuelle. Il constate franchement : « Krishnanagar est une ville dominée par les hindous. Les musulmans de la ville n'ont aucune influence. Moi aussi, j'ai commencé à imiter les manières et les coutumes des hindous qui peu à peu laissèrent une marque profonde dans mon esprit 20 . » Ainsi, par opposition aux écrivains hindous et aux autres intellectuels musulmans dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, Musharraf

19. A.K.M. Aminul Islam, Bânglâ Sâhityé Muslim Kavi o Kâvya, Dacca, 1959, p. 86-88. 20. Musharraf Hussain, Amar Jivani, Calcutta, 1908, t. I, p. 286.

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Hussain développa un esprit synthétique et s'efforça par ses écrits de rapprocher, en une entente cordiale, les deux communautés. Il chercha à opérer ce rapprochement dans un écrit polémique — GoJivan (1889) — où il exposait une série d'arguments à l'encontre des mangeurs de viande, afin d'attirer l'attention des musulmans à cet égard. Cela causa un scandale et l'auteur se vit intenter un procès en diffamation par le célèbre intellectuel, pandit Réâjuddin Mash-hâdi21. Par ailleurs, ses écrits islamiques ne montrent aucune tendance apologétique ou propagandiste, car l'auteur eut toujours, d'une part, le souci d'exposer ses idées sur l'art pour l'art et, d'autre part, l'obsession du beau langage. C'est peut-être pour cette raison que l'auteur, bien qu'il ait été conscient de la situation sociale et ait protesté contre l'oppression des étrangers dans son récit Udâsin Pathiker Marner Kathâ (1890), et contre la tyrannie des zamindars indigènes dans sa pièce de théâtre Zamidâr-Darpan (1873), se tenait néanmoins à l'écart des révoltes paysannes ou des cercles mondains et des milieux littéraires. Il se dévouait uniquement à son travail de fonctionnaire et d'écrivain et se contentait de mener une vie effacée auprès de sa femme à qui il consacra un volume de son autobiographie, Bibi Kulsum (1909), avec, comme sous-titre, Amâr Jivanir Jivani, c'est-à-dire « la biographie de ma biographie ». Sa première œuvre, Ratnavati (1869), est un conte légendaire dans la tradition sanskrite, pour illustrer la maxime : « Le savoir vaut mieux que la richesse. » L'auteur considère Ratnavati comme une création originale qui n'a pas été démentie jusqu'à présent, mais ce qu'il est important de signaler, c'est que ce fut la première œuvre de ce genre en prose pure écrite par un écrivain musulman. Basanta-Kumâri (fille du printemps) et Zarnidâr-Darpan (miroir des zamindars), publiées la même année, sont les meilleures de ses œuvres dramatiques. Basé sur la forme sanskrite de l'art théâtral, Basanta-Kumâri, drame psychologique, traite le thème de la jeune femme, épouse d'un vieil homme, qui s'éprend de son beau-fils. En ce qui concerne l'aspect dramatique de la situation et les personnages, la pièce est peut-être comparable et même supérieure à Kirtibilâs, pièce de J.C. Gupta (1851), mais n'atteint évidemment pas la qualité de Phèdre (1677) de Racine. Pour un jeune auteur musulman, qui n'avait pas de tradition dramatique derrière lui à cause de l'antagonisme religieux de la société, ce fut un succès immense, surtout lorsque l'on considère l'expression des passions humaines et la construction de l'intrigue. A ceci, nous devrions ajouter que la pièce fut mise en scène pour la première fois par l'auteur lui-même, chez lui. Son Zamidâr-Darpan, tant par le titre que par le sujet, nous rappelle la

21. Cf. note 30, p. 69.

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pièce célèbre, Nil-Darpan (1860), de Dinabandhu Mitra 22 . Une étude parallèle de ces deux grandes œuvres, selon Bankim Chandra, le doyen des lettres bengali, serait intéressante, car elle nous révélerait le contre-courant social du jour. « Nil-Darpan, dit Bankim Chandra, est La Case de l'Oncle Tom des Bengali. Tandis que La Case de l'Oncle Tom prêcha l'abolition de l'esclavage des Noirs d'Amérique, Nil-Darpan favorisa la suppression de l'esclavage de la paysannerie bengali par les planteurs d'indigo européens. Le but de ce livre, Zamidâr-Darpan, est de prendre comme exemple l'oppression des zamindars. Ce que le célèbre Nil-Darpan exposait sur les planteurs d'indigo est semblable à ce que ce livre présente sur les zamindars. L'histoire d'ailleurs a été assez bien conçue, mais nous sommes très ennuyés et très tristes de connaître l'incident causé par les paysans de Pabna (un district du Bengale-Oriental). Il n'est pas prudent de jeter de l'huile sur le feu. Nous conseillons donc à l'auteur de cesser la vente et la diffusion de ce livre23. » Musharraf Hussain n'accepta pas ce conseil. Heureux de voir son succès, il publia bientôt une deuxième édition de la pièce où il ajoutait un avertissement aux lecteurs : « Beaucoup d'ennemis ont essayé de briser ce Miroir (Darpan), mais cela ne l'a pas empêché de poursuivre ses représentations théâtrales. » Malgré sa naissance dans une famille zamindar et ses relations avec elle, l'auteur, qui cherchait passionnément à exprimer la vérité et la beauté, exposa sans hésitation l'exploitation des paysans : celle-ci était ignorée par l'intelligentsia hindoue, qui appartenait en majorité à cette classe d'oppresseurs. La construction des tableaux suit le modèle sanskrit. La déclaration du prologue est intéressante à citer : « Vous savez, il y a une catégorie spéciale d'animaux dans les provinces ; quelques-uns d'entre eux vivent même dans la ville où ils sont comme les chiens ; mais là, dans les provinces, ce sont de grands seigneurs. Dans la ville, on considère ces animaux comme très doux, très sobres, très calmes ; ils ne sont ni féroces, ni haineux — ce sont, en somme, des êtres irréprochables ; ils ne touchent même pas à la viande ou aux poissons. Mais dans les provinces, ni les chacals, ni les chiens, ni les porcs, ni les vaches ne peuvent leur échapper. Que dire ? Ces animaux deviennent des tigres dans leurs propres forêts... Sachez bien, ces animaux se divisent en deux groupes : les hindous et les musulmans. » La pièce commence alors par une scène de l'oppression exercée par un zamindar musulman sur ses paysans, scène dans laquelle juge, médecin, avocat anglais deviennent ses complices. La sympathie de l'auteur va aux 22. Sur Nil-Darpan, voir l'article de Jules Bloch dans Histoire des littératures, coll. Encyclopédie de la Pléiade, Paris, 1955, t. I, p. 1032-1033. Notons que la traduction anglaise de la pièce n'a pas été faite par J. Long, comme le dit Jules Bloch, mais par le célèbre poète Michael Madhusudhan Dutt, Long étant l'éditeur. Même à ce titre, ce dernier fut emprisonné par la Cour anglaise. 23. Cette critique a été publiée dans la célèbre revue Banga-Darshan (Bhâdra 1280 è. b.), dont Bankim Chandra était le directeur.

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paysans dans leur lutte pour l'existence, mais il ne voit qu'une seule chance de salut ; il l'a exprimée de la même manière que son prédécesseur, l'auteur de Nil-Darpan : la famme d'un paysan espère au dénouement que la reine Victoria — « la Mère » — les sauvera. Cette pièce peut être considérée comme une oeuvre primordiale pour une autre raison, car avec elle les personnages musulmans apparaissent pour la première fois dans une pièce de théâtre d'un auteur musulman ; jusqu'alors Musharraf Hussain ou les autres écrivains musulmans hésitaient à le faire, car ils craignaient l'antagonisme social interne et ils se contentaient de mettre en scène des personnages hindous, socialement différents de ceux-ci. L'œuvre la plus populaire, et l'une des meilleures de Musharraf Hussain, est Vishâd Sindhu (l'océan de tristesse). Cest l'histoire tragique de Karbalâ qui ne cesse d'émouvoir depuis des siècles les musulmans dans le monde entier, et qui est manifestement la raison de son succès. Mais l'auteur raconte avec «notion l'histoire de l'amour passionné de Yâzid envers Jainab, femme de Hassan, lui-même petit-fils du Prophète, en écartant toute question politique ou religieuse. Selon lui, la passion fut la véritable cause du combat de Karbalâ. Pour dépeindre cette histoire légendaire, il développa le thème en le divisant en plusieurs histoires secondaires et intrigues humaines. Le sens de la vie totale et l'analyse pénétrante des caractères sont constamment présents chez l'auteur de Vishâd Sindhu. Presque tous les personnages, surtout le protagoniste Yazid, ont été bien dépeints du point de vue de la critique littéraire, mais ce que l'on peut reprocher à l'auteur c'est d'écrire un roman-fleuve (en trois volumes : t. I, 1885 ; t. II, 1887 ; t. III, 1890) qui n'était pas dans la tradition littéraire du Bengale, et par conséquent le manque d'unité de l'œuvre. Malgré sa longueur et quelques bavardages inutiles, un lecteur est toujours impressionné par ses longs monologues qui constituent autant de méditations sur l'espoir, le bonheur, l'argent, etc. ; ces monologues, en outre, témoignent de la profondeur intellectuelle de l'auteur. En somme, Vishâd Sindhu est un des classiques bengali du 19e siècle et il obtient à juste titre le succès, même auprès des lecteurs hindous. Cependant, les critiques considèrent que c'est Gâzi Miyân-r Vastâni (les regrets de Gazi-Miya, 1899) qui est le chef-d'œuvre de Musharraf Hussain24. D'une forme complexe, ce roman-fleuve échappe également à toute classification littéraire. La corruption dans une société « féodale » est le thème de ce livre où l'auteur, en prophète-philosophe, jette un coup d'œil amusé sur les milieux qui l'entourent. Outre son sens aigu de l'observation, la critique de la vie et l'emploi de vieux proverbes sous une nouvelle forme constituent les mérites de cette œuvre conçue dans un style 24. M. Abdul Hai et Syed Ali Ahsan, op. cit., p. 83. N.I. Muhammad Sufian, op. cit., p. 393. Un des rares exemplaires de ce livre se trouve au British Muséum Library (cote 14127 ee 10). Le catalogue de cette bibliothèque note mal le nom de l'auteur : Ali Allah, Sayyid of Bogra, au lieu de Musharraf Hussain.

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très personnel ; l'auteur va même jusqu'à se critiquer ; la symbolisation allégorique des personnages et des lieux est justifiée pour dépeindre l'enfer de ce monde. Non sans ironie, il critique sévèrement les femmes bengali du haut monde qui cachent sous leurs voiles leur comportement hypocrite. Enfin, nulle situation grotesque ou cruelle n'échappe au regard vigilant de notre auteur. Voici ce qu'il dit, par exemple, des bouchers : « Il y a trois sortes de bouchers au Bengale. Le premier qui met le couteau dans la gorge de la vache est le véritable boucher. La deuxième sorte est l'avocat qui profite de la querelle opposant deux parties pour leur soutirer de l'argent. La troisième sorte, ce sont les médecins qui n'ont aucune formation professionnelle mais qui pratiquent tout de même. Ces trois sortes d'hommes, semblables à des animaux, n'ont aucune charité d'âme. Mettre la lame du couteau dans la gorge des hommes est leur seule religion. » Si l'on considère la littérature comme la critique de la vie, Gâzi Miyân-r Vastâni représente évidemment une des meilleures créations littéraires du Bengale. Parmi ses autres ouvrages, Maulud Sharif (l'éloge du Prophète, 1900), en vers, et Islâmer Jay (victoire de l'Islam, 1908), en prose, sont les meilleurs exemples d'écrits islamiques. Cest vers la fin de sa vie qu'il affirma son esprit religieux après avoir exposé sa vision universelle dans ses pièces de théâtre, ses romans ou ses récits divers. Néanmoins, l'auteur, fidèle à sa conception de la beauté artistique, ne devint jamais la proie de la bigoterie. On peut peut-être lui reprocher sa naïveté qui, quelquefois, apparaît dans ses longs monologues et empêche sa philosophie personnelle de s'exprimer plus clairement. Malgré cette réserve (mais il ne possédait pas l'instruction qui lui eût permis d'accéder à la littérature européenne, voire aux classiques sanskrits), ce fut une grande figure des lettres bengali et un artiste consciencieux du langage. Ensuite, Dad Ali (1856-1930), poète mineur, attire notre attention parce qu'il est un des premiers poètes qui suivirent le chemin du lyrisme moderne introduit par Bihârilal Chakravarty (1834-1894) et Rabindra Nath Tagore. Ses ouvrages : Bhângâ-Prân (cœur brisé), élégie écrite sur la mort de sa femme ; Shâmi-Kunja (jardin de paix), recueil de chants dévots ; Ashiki-Rctsul (l'amour du Prophète), ensemble de chants traditionnels en l'honneur de Mahomet ; Antimé-Mrityu (mourir à la fin) et le manuscrit Diwâni-Dad illustrent sa vision poétique plutôt moderniste. Ses œuvres remportèrent à l'époque un succès considérable, malgré l'existence peu mouvementée de ce poète villageois 25. 25. Voici une des principales raisons pour lesquelles la plupart des poètes musulmans demeurent inconnus. Nous ne considérons pas beaucoup d'autres poètes mineurs pour la seule raison qu'aujourd'hui leurs œuvres sont quasi introuvables. Ainsi, malgré nos recherches, nous n'avons malheureusement pas découvert les écrits de deux poètes chrétiens d'origine musulmane, Samuel Pir Box et Munshi Aji Bari.

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Mozammel Haq (1860-1933), moins talentueux que Musharraf Hussain, est certainement, en prose et en poésie, un artiste plus conscient du langage que les deux écrivains que nous venons de considérer. La raison en est la maîtrise qu'il avait acquise de l'anglais et du persan, bien que, comme eux, il n'eût pas fait d'études supérieures. Nous avons mentionné dans le chapitre précédent que sa revue poétique Lahari fut la première du genre au Bengale. Il lança un peu plus tard une seconde revue, Moslem Bhârat. Les deux publications, sous son habile direction et avec la participation de deux grands poètes, D.L. Roy pour la première et Kazi Nazrul Islam pour la seconde, comme principaux collaborateurs, firent date dans l'histoire littéraire du Bengale. Parmi ses six oeuvres poétiques, on peut considérer Hazrat Muhammad (1903) et Jâtiya Foârâ (la fontaine nationale, 1912) comme les plus significatives d'un poète musulman de l'époque. Dans Hazrat Muhammad, poésie de genre épique, le poète esquisse un brillant tableau de la vie de Mahomet, depuis sa naissance jusqu'à la conversion de son compagnon Abu Bakar, qui devint premier calife du monde musulman. En ce sens, l'œuvre est incomplète, mais le génie du poète se révèle avec élégance et intelligence, ce qui le met hors de toute critique. Par la densité et la gravité de l'expression, Mozammel Haq surpasse les poètes hindous du même genre, bien que l'on ne trouve pas chez lui cette nouvelle conscience de la poésie moderne qui avait déjà été expérimentée par Michael Dutt et Tagore. Dans la vision du poète, Mahomet était un homme simple ; c'était aussi un pauvre, que la riche veuve Khadija, éprise de lui, demanda en mariage. La force morale de Mahomet, la détermination de son âme grisée par l'amour de Dieu, et sa manière de prêcher ont été bien dépeintes. Par ailleurs, Jâtiya Foârâ est un recueil très populaire de poèmes de circonstance publiés auparavant dans des magazines et récités lors de réunions publiques. Dans son introduction, Mozammel Haq précise qu'il n'est pas sectaire et que son but est d'œuvrer pour la renaissance nationale. La condition décadente des musulmans, cependant, a fait naître chez le poète le besoin de vanter les mérites de l'Islam qui fit d'eux autrefois une « nation » incomparable dans tous les domaines de l'activité et de la pensée. Il les incite à retrouver leur « gloire perdue » en évitant le luxe et l'oisiveté. Voici quelques vers d'un poème intitulé « Inspiration » : Avancez vite vers le champ de l'action, Accomplissez la mission de votre vie. Les rayons sacrés de la connaissance pure Illuminent vos âmes. Unissez-vous les uns aux autres, Le lien fraternel vous apportera la force. Allez de l'avant vers le progrès et la gloire, Faites briller votre prestige national

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Deux œuvres en prose — Firdausi26 et Shâh-Nâmâ27 — sont cependant le meilleur apport du poète à la littérature bengali. La valeur de cette biographie et de cette traduction de l'épopée persane est due à une connaissance intime des sources directes et à la présentation à la fois élégante et fidèle dans la langue bengali. Connaisseur des lettres persanes, Mozammel Haq s'intéressa tout naturellement au soufisme persan et à sa contribution dans le domaine socioreligieux. Dans Maharshi Mansur (1896), Tâpas-Kâhini (biographie de saints soufis, 1910), Barpîr-Carit (biographie de saint Abdal-Qadir Jilâni), il décrit passionnément la beauté et le charme de la vie intérieure de ces mystiques renommés 28. Son Tipu^Sultan, en outre, est une monographie quasi historique sur le dernier souverain de Mysore, dans laquelle l'auteur regrette beaucoup l'échec de son héros dans le combat pour sauvegarder la liberté, ce qui nous révèle le sentiment patriotique de l'auteur. Il a écrit aussi trois romans : Darâf Khan Ghâzi, Zohra et Rangilâ Bâi s0, qui prouvent l'ingéniosité de l'auteur. Darâf Khan Ghâzi est un roman pseudo-historique sur le personnage légendaire de Darâf Khan Ghâzi 30. Dans la tradition locale, Ghâzi est un saint conquérant de la Triveni et l'auteur de Gangâ Stothra (hymne au Gange en sanskrit) 31 ; les musulmans et les hindous le vénèrent encore aujourd'hui. L'auteur essaie de retracer sa vie, mais, faute de documents nécessaires, l'ouvrage reste plutôt une biographie romancée. Zohra (1917) est le récit des souffrances d'une jeune villageoise musulmane que les parents veulent marier avec un garçon de leur choix ; la pauvre fille s'enfuit de la maison, et sa vie tragique commence lorsqu'elle se trouve entre les mains des bandits. L'oeuvre est conçue suivant un plan didactique, comme c'est le cas pour Kâpâlkundaïâ (1866), de Bankim Chandra, qui l'influença ; l'auteur permet à la jeune fille d'échapper à son sort et montre ainsi la victoire de la vertu. De style très personnel, Zohra

26. Biographie du poète persan, Calcutta, 1898, 88 pages ; 2' éd., 1911, 122 pages. 27. Traduction partielle de l'épopée de Firdausi, 1909, t. I, 335 pages ; en français, il existe deux ouvrages monumentaux du professeur Henri Massé sur ce sujet : Les épopées persanes et Firdausi et l'épopée nationale, Paris, 1935. 28. Signalons ici une importante publication sur la métaphysique persane à l'époque, Ershâdé Khâloquiâ ba Khodâ-Prâpti Tattra (Calcutta, s. d. [1900] ; 4" éd., 1949, 298 pages), d'un soufi dévot, Muhammad Abdul Karim. Ce livre comporte une description très complète des différentes écoles soufi et une comparaison intéressante entre le vedantisme et le soufisme. 29. Haq n'a pas pu achever ce roman < pour des raisons familiales ». Cf. M. Abdul Hai et S. Ali Ahsan, op. cit., p. 117. 30. Il est vraisemblable que Ghâzi est l'un des pancha-pîr (les cinq saints) que vénèrent à la fois les paysans hindous et musulmans ; Encyclopaedia of Religion and Ethics, Edimbourg, 1921, t. IX, p. 600. 31. Ibid., cf. p. 19-20.

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est un roman remarquable pour l'époque et important de nos jours pour son contenu social32. Artiste soucieux de beau langage, l'auteur a aussi répondu à la demande de l'époque en écrivant des manuels scolaires. Il l'a fait avec beaucoup de doigté et une vive compréhension des valeurs culturelles de sa propre communauté. Pionnier en ce domaine, il ne montre cependant pas de fanatisme dans ses œuvres, comme tentaient de le faire certains de ses confrères hindous et le groupe sudhâkar d'intellectuels musulmans auquel il appartenait33. Participant aux efforts intellectuels des journalistes et écrivains musulmans, Shaikh Fazlul Karim (1882-1936) fut l'un des meilleurs représentants de la prise de conscience des musulmans du Bengale34. Son poème épique sur le Prophète de l'Islam, Parîtrân Kâvya (délivrance, 1903), le place sur le même plan que Michael Dutt et Nabin Sen dans la poésie bengali et témoigne aussi d'une certaine prise de conscience du lyrisme moderne. Par ailleurs, il joua le rôle d'un moraliste dans la meilleure tradition islamique. A ce sujet, sa traduction de l'Asbât us-Çâmau de l'arabe, intitulée Çâmau-tatva (1903), fut un travail remarquable. Ses romans et essais — Laili-Majnu (1903), Hazrat Kwâzâ Mu'inuddin Chishti35 (hagiographie), Râjarshi Ebrâhim (Abraham, le prophète - empereur, 1920), Chintâr Châsh (culture de la pensée), Path o Pâthéya (le chemin et l'argent du voyage, 1913) — sont les meilleurs exemples parmi ses nombreux écrits ; beaucoup ne sont pas encore publiés. Sa pensée s'est toujours exprimée dans un langage beau et digne : « La vie passe, les mots restent. Ce qui n'est pas vrai meurt, mais la vérité demeure toujours. Dans la vie quotidienne, les musulmans sont tombés en décadence au-delà de toute attente. Et cependant, dans cette nuit noire de la chute incroyable, nous pourrons être fiers de quelque chose qui aura fait briller cette nation musulmane 36. > Nourri de cette conviction, Shaikh Fazlul Karim donna l'essor de la littérature bengali en tirant de riches enseignements du passé islamique. Bien que l'œuvre de ces quatre écrivains nous montre comment un littérateur musulman peut connaître le succès dans le domaine de la poésie ou de la prose moderne, on ne peut cependant ignorer qu'il y avait dans leurs 32. Préma-Darpan (miroir de l'amour), par Arjumand Ali Chaudhury, fut le premier du genre (1891), mais sa composition maladroite ne nous permet pas de le comparer à ce beau roman. 33. Nous avons, dans notre chapitre précédent, essayé de retracer la motivation du groupe sudhâkar ; normalement, ce groupe n'était pas fanatique, mais son insistance à évoquer les questions religieuses donne l'apparence du fanatisme au moment où Haq rédigeait ses ouvrages. 34. Il dirigea une excellente revue littéraire, Bâshanâ (le désir). 35. Il fut un ardent soufl d'ordre chistiyâ. 36. Path o Pâthéya, Calcutta, 1913, p. 5.

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écrits un certain retard qui était apparu également dans le cadre social. Ils suivaient plutôt la tradition ou l'élément moderniste de l'époque précédente. Il va sans dire que leurs compatriotes hindous avaient déjà dépassé ce stade, et qu'à présent ils progressaient en empruntant les idées de Rousseau, Voltaire, Mill, Comte, Marx ou Molière 37. Vers la fin du 19e siècle, la poésie épique connut une grande vogue au Bengale. En Occident, « elle avait fourni un vaste champ à l'ardent génie de la Renaissance, à son érudition, à son imagination, à sa foi 3 8 ». Il n'est pas surprenant que la renaissance bengali, qu'on cherchait toujours à comparer à l'Occident 39 , se soit développée de la même manière. Les contacts renoués avec les anciens classiques de l'Inde et la redécouverte des poèmes épiques occidentaux ont suscité chez les poètes bengali un enthousiasme irrésistible. Le lyrisme contemporain ne répondait pas à l'idéal national nouvellement surgi, ni à l'esthétique personnelle des intellectuels. Ainsi pendant presque un demi-siècle, Rangalâl Bandopadhaya (1827-1887), Michael Madhusudhan Dutt (1824-1873), Hemchandra Bandopadhaya (18381903), Nabin Chandra Sen (1847-1909) 40 maintinrent dans cet esprit les lecteurs bengali. Quels que soient leurs mérites et leurs défauts, ces poètes n'envisageaient en fin de compte qu'un retour à l'arianisme et à un hindouisme agressif que les musulmans ne pouvaient accepter ; seul Michael, nouveau converti au christianisme, qui était aussi un astâdasa-bhâsâbârbilâsîni-bhujangail, innova courageusement certains types et formes littéraires pour élargir l'horizon de la poésie bengali 42 . Quelques poètes musulmans, sous l'impulsion de ce climat littéraire, aspirèrent à écrire des poèmes épiques, pour la régénération de leur communauté, du moins pour rappeler à leurs coreligionnaires leur passé glorieux. Nous considérerons à ce propos deux grands noms : Kaikobad (1857-1951) et Hamid Ali (1874-1954), afin de mieux connaître la genèse de leurs œuvres. Kaikobad, pseudonyme de Muhammad Kazem al-Qureshi, est, semblet-il, le plus grand génie poétique musulman du Bengale. Ajoutons à cela qu'il est aussi une haute figure tragique du fait de la situation sociale de 37. Louis Renou, Les littératures de l'Inde, op. cit., p. 106. 38. Paul Van Tieghem, Histoire littéraire de l'Europe et de l'Amérique : de la Renaissance à nos jours, Paris, 1951, p. 26. 39. Sur cet aspect, voir l'introduction à un recueil d'études importantes, par Atul Chandra Gupta, Studies in the Bengal Renaissance, Jadabpur, 1958, p. XI-XII. 40. Cf. Indira Sarkar, Les idées sociales dans les œuvres poétiques de Nabin Sen, thèse, Paris, 1950. 41. Dons et qualités linguistiques d'un poète épique, suivant le rhétoriqueur sanskrit, Visvanâth Kavirâj. 42. A l'appui de notre thèse, on peut également mentionner deux poèmes épiques du célèbre biographe de Michael, Jogindra Basu : Prithvirâj (1915) et Shivâji (1918), mettant en scène deux personnages qui, dans le passé, luttèrent contre le pouvoir musulman.

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son époque et de son adhésion à l'école ancienne, méprisant la poésie moderne pendant toute sa vie, même lorsque Mallarmé et Rimbaud furent devenus des modèles pour les poètes du Bengale. Fils d'un avocat, il ne put poursuivre ses études supérieures à cause de la mort subite de son père. Avant d'obtenir un emploi dans le Service des Postes, il publia, lorsqu'il était écolier, deux recueils de poèmes : Viraha-Vilâs (réflexions sur la rupture, 1870) et Kushum Kânan (le jardin des fleurs, 1873). Œuvres d'un génie précoce, ces deux recueils n'obtinrent pas le succès, comme ce fut le cas pour son troisième recueil, Ashru-Mâlâ (la guirlande des larmes, 1894). Le grand poète Nabin Sen lui écrivit : « Je n'aurais jamais pu croire, avant d'avoir reçu votre livre, qu'un musulman eût pu écrire de si beaux poèmes en bengali. A vrai dire, très peu d'hindous cultivés ont une telle maîtrise du langage poétique 43. » En réalité, le recueil contient beaucoup de poèmes charmants sur la nature, le patriotisme et l'amour (par exemple un acrostiche sur sa bien-aimée hindoue). Ambitieux, le poète songea à écrire un poème épique original, car, à son avis, tous ses prédécesseurs n'avaient fait qu'imiter les classiques. Cette ambition le poussa à choisir une période de l'histoire panindienne, celle de la troisième guerre de Panipath (1856), comme thème central de son livre Mahâ-Shmashân (le grand four crématoire, 1904), incontestablement son chef-d'œuvre. Sa longue introduction nous fait connaître les raisons de son choix : « Depuis longtemps, je caressais en mon cœur l'espoir d'écrire un poème épique et guerrier, dépeignant les nobles et héroïques activités des musulmans de l'Inde, de telle façon que les musulmans du Bengale, en le lisant, pourraient dire avec fierté que jadis leurs ancêtres avaient été des héros incomparables, que leur noblesse et leur fierté n'avaient point été inférieures à celles d'autres peuples dans le monde. Or, j'ai dépeint, sous ma plume poétique, la gloire de ce passé héroïque partout où je l'ai trouvée, et je l'offre aux lecteurs. J'ai essayé aussi de leur rappeler le déclin de ce glorieux passé. J'ai réalisé mon désir. Il ne fait point de doute que maintenant ou dans deux cents ans la langue bengali sera sérieusement étudiée par les musulmans ; ils comprendront alors, en lisant ce Mahâ-Shmashân, que la troisième guerre de Panipath fut la dernière étincelle de bravoure et d'héroïsme de leurs ancêtres. » L'instinct de la justice et de la conscience musulmane chez Kaikobad semblent pourtant contredire cette déclaration. En effet, dans son épopée, il est aussi élogieux à l'égard des hindous que des musulmans qui se livrent une guerre fratricide. Cette attitude n'était guère courante à l'époque, notamment chez les poètes hindous qui, suivant les canons de l'art poétique, exaltaient les héros aryens et diminuaient leurs adversaires. Pour sa défense, Kaikobad explique sa démarche dans la même introduction : « Les hindous, comme les musulmans, étant engagés dans une bataille 43. M. Abdul Hai et S. Ali Ahsan, op. cit., p. 248.

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extrêmement sévère, sont des héros et des croyants. Il n'y aurait pas de mérite pour les musulmans à montrer que les hindous sont faibles, parce que le lion n'a pas de gloire à combattre un chacal. » Il se peut que le poète ait chéri un idéal noble et lui soit resté fidèle dans toutes ses œuvres. Néanmoins, l'intrigue est maladroite, car il ne parvient pas à centrer l'attention sur un héros principal. En outre, cinq épisodes de l'amour tragique entre les principaux personnages (parmi lesquels trois hindous) sont évoqués simultanément avec les événements de la guerre, et cet ensemble a certainement suscité un très grand intérêt ; mais tout cela ne nous conduit pas à un dénouement sublime relatant la grandeur de l'esprit humain. Pour la forme, il suit les pas des rhétoriciens sanskrits, mais il se soucie peu du développement logique de l'intrigue. La prosodie, la métaphore et le dialogue ne sont pas toujours d'un emploi heureux dans ce poème épique, quoique la description de la guerre, l'invocation du patriotisme et les élégies soient admirables. On se souviendra d'une scène où la femme du nabâb insiste pour rejoindre son mari sur le champ de bataille et l'arracher aux mains des ennemis. C'est bien dans la tradition des héroïnes musulmanes dont l'histoire nous offre tant d'exemples mais que la littérature a malheureusement omis d'illustrer**. Comme le désirait le poète, l'évocation du passé reste toujours vivante et nostalgique ; à plusieurs reprises, il y consacre des vers superbes qui expriment ses réflexions avec lucidité. Voici quelques vers tirés de son épopée : La vaillante déesse hindoue de la Fortune, Installant la foi aryenne au cœur de l'Inde, S'est confondue avec ce bûcher funéraire. Sur ce bûcher, par-dessus ces cendres. Un empire musulman tout neuf a été édifié. Cette nation, avec un courage extraordinaire, Ayant atteint le sommet de la gloire, Régna si bien sur l'Inde que des vivats Résonnèrent dans son ciel Et les fondations de l'Islam furent posées. Mais la Providence est capricieuse : Le ciel se couvrit à l'occident de nuages, Le tonnerre et les éclairs s"abattirent, Et dans ce feu en un instant Fut consumée la puissance colossale de l'Islam Qui ne fut plus que cendres et que ruines. O Delhi, terrible bûcher funéraire de l'Inde ! C'est sur ton sol que de nobles empires musulmans

44. Dans la tradition bengali, c'est juste le contraire : une héroïne de Hemchandra, par exemple, supplie son mari de ne pas aller sur le champ de bataille.

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S'écroulèrent et furent réduits en poussière. Cette grande nécropole est liée à chaque acte De l'histoire des musulmans, à leur ascension et à leur déclin. Chacune de ses pierres est pleine d'enseignements, Chaque ruine est une épopée, dans chaque grain de poussière Sont renfermés les mystères de la création et de la destruction. Comme en un miroir très pur s'y reflètent les empires. Une multitude de poètes, de héros et de rois, D'amants pieux et impies y dorment à jamais. Le destin de Delhi est de chérir tombe après tombe. N'est-ce pas la loi de la destruction Sans laquelle le monde ne saurait progresser ? Sans la destruction, ce monde serait en péril, Car seule la destruction engendre la vie. Telle est la loi de la création qui régit l'univers, Le monde animé et inanimé, le règne animal et végétal.

Kaikobad écrivit plusieurs autres kâvyas en vers libres et plusieurs poèmes qui ne sont malheureusement pas encore édités. Les deux kâvyas qui ont pu être publiés, Shiva-Mandir ba Jivmta-SamâdM (histoire de la ruine d'une famille zamindar par son nayeb hindou, 1917) 45, Muhârram Sharif ba Atma-Bisarjan (sur le thème de l'épisode de Karbalâ et les sacrifices des petits-fils du Prophète, 1933) ont reçu, à l'époque, l'approbation musulmane. Cependant, on ne trouve pas une rénovation de la conscience poétique chez le poète qui, avec la même monotonie, montre son obsession pour le patriotisme, la religiosité et la vérité historique. Kaikobad avait fait, d'un peu loin peut-être, écho à l'enseignement de Sayyid Amir A l i O n doit le noter parce que cette influence laissa désormais une empreinte profonde sur les littérateurs musulmans. Il faut aussi mentionner que le poète était un dévot de l'Ordre des soufis Quadéri, ce qui se reflète dans toutes ses oeuvres poétiques. Poussé par les mêmes mobiles, le poète Hamid Ali (1874-1954) laissa trois épopées ainsi que deux recueils de poèmes (Kavitâ-Kunjâ et Bhâtri Bilâp) et un ouvrage en prose, Parashya-Vîr (les héros persans). Dans l'introduction de sa première épopée, Kâsem - Badh (la meurtrière de Kâsem), il nous révèle : « Le grand poète Rabindra Nath Tagore a écrit dans la revue Bhârati, lors d'une critique de l'ouvrage — Mussdmân Châtrer Bânglâ Shikshâ — de l'Honorable Sayyid Nabâb Ali Chow-

45. Rappelons que dans le chapitre précédent, nous avons parlé de HinduMussalfnan par Shaikh Abdus Sobhan qui avait, pour la première fois, traité ce sujet. 46. M. Abdul Hai et S. Ali Ahsan, op. cit., p. 247-248.

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dhury » 47, que « nous ne pouvons pas renoncer à notre littérature sous le prétexte qu'elle est pleine de haine envers les musulmans... Le moment est venu de considérer les manuels scolaires destinés aux étudiants musulmans et aussi d'encourager les auteurs musulmans... Donc, les musulmans doivent jeter les bases d'une littérature séparée... » En fait, ajoute le poète Ali, nos nobles frères hindous ne désirent pas que les lecteurs et les étudiants musulmans lisent tout le temps des livres remplis des méfaits perpétrés par leurs ancêtres à eux, hindous, et vilipendent ces écrivains (hindous) dans le fond de leur cœur. C'est pourquoi ils nous conseillent de créer notre propre littérature. Une des raisons de cette publication (l'épopée) est de faire appel aux musulmans instruits pour les intéresser à la littérature, leur montrer l'art d'écrire et leur reprocher leur indifférence à cet égard. » Dans la deuxième épopée, intitulée Jaynâl-Uddhâr (le secours de Jaynâl, dernier épisode de Karbalâ), il réitère sa déclaration antérieure, mais avec un développement intéressant : « Mon principal but est d'écrire un beau poème qui sera une entreprise littéraire indépendante pour les lecteurs musulmans. Voilà un sujet intéressant qui n'a rien à voir avec les dieux et les déesses hindous et leurs cultes innombrables. » Ces deux épopées, en effet, ne sont que deux longs poèmes narratifs en vers libres s'inspirant des maîtres que nous avons mentionnés. Le poète ne se soucie pas de la chronologie historique, mais, par contre, on pourra apprécier chez lui la rigueur de l'intrigue et la peinture des types humains. Le sujet de sa troisième épopée, Sohrâb-Badh, est tiré d'un épisode de Shâh Nâmâ où Roustam, le grand héros perse, lutte contre son fils Sohrâb et le tue en duel. Le poète élabore son intrigue fort agréablement, mais l'absence de tout message poétique ne nous permet pas de comparer cette œuvre à l'épopée originale de Firdausi, ni à la version anglaise de Matthew Arnold ; le dénouement lui-même n'est pas aussi tragique que celui des autres versions antérieures en bengali, dans la littérature punthi. Le mérite de Hamid Ali réside dans la maîtrise qu'il a du vers libre et dans l'ingénieuse simplicité de l'intrigue. De plus, fait exceptionnel, ce poète, quoique ouléma traditionaliste et professeur d'arabe, écrivit ses œuvres littéraires dans sa jeunesse en l'espace relativement court de six années4S. 47. Originellement, ce livre était un discours en ourdou. La version anglaise est intitulée Vernacular Education in Bengal (being a speech delivered at the 12th session of Mohammedan Educational Conférence), Calcutta, 1900. Cette version a été faite pour le gouverneur du Bengale à qui elle a été dédiée. En présence du gouverneur et sous la présidence de Sayyid Amir Ali, l'auteur avait prononcé ce discours en fournissant tous détails sur les écrits hindous dirigés contre les musulmans. La bibliothèque de l'Institut indien à Oxford en possède un exemplaire. 48. Pour cette étude concernant le poète et ses oeuvres, nous sommes redevable à la famille du poète qui vit à Chittagong. Les histoires de la littérature bengali ne lui consacrent malheureusement pas assez de place. On peut, par ailleurs, consulter l'article de Abdul Kadir, « Kavi Abul Mâ-Ali Muhammad Hamid Ali », Mah-i-Nau, Dacca, mars 1960, p. 62-70.

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Nous avons déjà indiqué les qualités et les limites des œuvres épiques des poètes musulmans. Il nous reste à étudier leurs rapports avec la grande famille littéraire du Bengale. Sans doute, le succès qu'elles remportèrent s'explique par les courants d'idées de l'époque. C'est au moment où l'intelligentsia bengali renonçait à produire des œuvres de pure imitation que les poètes musulmans commencèrent à le faire. Le lyrisme moderne, lancé par les poètes Bihârilal Chakravarty et Rabindra Nath Tagore, se transformait en un mode d'expression littéraire très raffiné. Du point de vue de l'art poétique, la forme n'était pas sans défaut ; Tagore, le meilleur représentant du genre, importait par exemple de l'Occident « les langueurs sentimentales du crépuscule celtique, les affectations de l'esthétisme ' fin de siècle ' et le vague brumeux du symbolisme de Maeterlinck » 49. Toutefois, le lyrisme moderne apparaissait à la plupart des poètes — hindous et musulmans — comme une forme poétique dont l'existence ne pouvait être qu'éphémère. Les poètes musulmans, en particulier, proclamaient à haute voix l'immortalité et l'authenticité de la poésie épique. Ils ne se rendaient pas compte que la modification de la notion de temps et d'espace rendait impossible la recréation de l'univers grandiose de l'épopée. Us ne voyaient pas non plus à quel point leur faisait défaut l'héritage mythologique que leurs collègues hindous possédaient ou empruntaient — non sans habileté — à des cultures étrangères, notamment aux Grecs et aux Latins ; cet héritage leur paraissait beaucoup trop lointain pour leur servir de sujet d'inspiration. La tradition intellectuelle, le milieu littéraire et leur manque de formation ne facilitaient pas la tâche aux auteurs. Quant aux lecteurs, ils s'intéressaient plutôt à la littérature périodique et se souciaient fort peu de lire de grands ouvrages pseudo-classiques. Enfin, il importe de signaler que tout le monde sait désormais qu'il y a aussi des « génies littéraires » chez les musulmans du Bengale, des mahâkavis, c'est-à-dire des grands poètes qui écrivent des épopées. Les historiens hindous, d'une manière générale, évitent de mentionner leurs noms ou de faire l'analyse de leurs ouvrages, qui ne sont nullement inférieurs à ceux des hindous 50. Au cours des périodes successives de son histoire la vie intellectuelle au Bengale fut très mouvementée et subit le contrecoup des événements socio-politiques. Les intellectuels musulmans cultivèrent, à ce moment, les idées chères aux écrivains dont nous venons de parler. La glorification du passé et le souci du présent les empêchèrent de se tourner vers l'avenir, du moins jusqu'à la venue d'un poète-soldat Nazrul Islam.

49. J.C. Gosh, op. cit., p. 166. 50. Bien que les ouvrages hindous aient des défauts, mais ils y voient néanmoins des éléments évoquant la foi et la renaissance nationale du Bengale, ce que les musulmans, par contre, n'envisagent guère. 7

CHAPITRE

IV

LA PRISE DE POSITION : 1905-1947

Il y a eu dans l'histoire moderne de l'Inde un fait étrange : c'est que la position musulmane, tout en suivant un cours parallèle à la ligne politique hindoue, n'a jamais pu se confondre avec elle. En se tenant ainsi à l'écart, les musulmans subissaient l'influence d'un sentiment mystérieux dont ils ne pouvaient définir la source, et ils étaient guidés par une main invisible qui leur recommandait de ne pas frayer avec les hindous. Ce sentiment mystérieux et cette main invisible n'étaient rien moins que leur destinée symbolisée par le Pakistan qui agissait en eux par anticipation et à leur insu. B . R . AMBEDKAR

{Pakistan or the Partition of India, Bombay, 1946, p. 333-334)

La première moitié du 20" siècle, aux Indes, est la période la plus marquante de l'histoire de ce pays. Quant au Bengale, cette période est encore plus importante pour l'histoire tant socio-politique qu'intellectuelle et littéraire. Non parce qu'elle est récente, mais parce qu'elle est caractérisée par la plasticité des événements et des faits, ainsi que par l'ambiguïté des opinions et des idées, cette période offre une vaste perspective pour chaque activité humaine. C'est ainsi qu'il est extrêmement difficile, voire impossible, de marquer les jalons du développement intellectuel des musulmans en les séparant de l'histoire générale des idées du Bengale et de l'Inde. Car l'interaction de la politique et les divers mouvements socioreligieux ont été tantôt la conséquence, tantôt la cause de ce développement. Néanmoins, une vue synoptique peut être proposée dans ce chapitre qui, en développant le thème de notre étude précédente, s'appellera : la prise de position. Toute la période 1905-1947 n'est évidemment que le résultat suscité par la prise de conscience de la période précédente. Par ailleurs, on peut distinguer dans la période actuelle trois phases principales souvent mêlées : la participation politique, l'aventure altruiste et la crise à l'heure de la décision, qui furent marquées dans les diverses positions prises par les musulmans dans l'histoire moderne de l'Inde. En considérant ces différents points schématiquement, nous arriverons à voir comment le réveil de la société musulmane au Bengale se traduit dans sa forme actuelle. Il va sans dire que la situation particulière du Bengale ne peut pas être isolée de celle de l'Inde tout entière et que,

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pour l'examen des problèmes étudiés, il nous faut souvent retracer les faits globalement. La participation des musulmans à la vie politique fut entravée par les dirigeants du pays — par les Anglais et les dirigeants mêmes de la communauté musulmane. Sir Sayyid, nous l'avons vu plus haut, formula notamment ce principe de non-participation ; ses disciples le suivirent assidûment sur cette voie. En outre, il y eut des chefs religieux, notamment Munshi Meherullâh et d'autres intellectuels, qui interdirent aux musulmans toute activité politique et mirent l'accent sur le progrès économique et social. Cependant, l'attitude musulmane commença à changer dès le début du 20" siècle pour plusieurs raisons : d'abord la loi de 1892 introduisit dans le pays le Législative Council où les musulmans n'étaient pas vraiment représentés. Cette situation déclencha une vive protestation de la part des musulmans qu'un tardif changement politique du gouvernement vint essayer de calmer. En effet, dans une lettre adressée en août 1907 à toutes les autorités provinciales, le gouvernement de l'Inde déclara : « Avec le système électoral en vigueur jusqu'ici, les hindous prédominent largement dans toutes ou presque toutes les circonscriptions électorales, ce qui fait que les membres musulmans sont relativement peu nombreux, et même le système de nomination (c'est-à-dire la nomination des membres musulmans « supplémentaires » par le gouvernement) — bien qu'on ait insisté sur lui — n'a pas permis d'obtenir un recrutement satisfaisant de mahométans de classe en qui la communauté puisse avoir confiance. Le gouvernement de l'Inde suggère donc aux gouvernements locaux l'adoption des mesures suivantes : primo, outre le petit nombre des musulmans normalement éligibles, il semble désirable que chaque Council réserve exclusivement un certain nombre de sièges aux musulmans ; secundo, en vue de remplir ces sièges ou une partie d'entre eux, un collège électoral propre aux musulmans devrait être constitué 1 . » Cet électorat spécial fut, en effet, introduit par la loi de 1909 qui laissa les musulmans de l'Inde assez satisfaits, tandis que les hindous furent entièrement mécontents. Les hindous, sous la direction du parti du Congrès national, et poussés par leurs velléités d'indépendance ou par leur désir de renaissance hindouiste, suscitèrent désormais la lutte politique. Une telle situation inquiéta les musulmans, beaucoup plus peut-être que le déroulement des événements antérieurs. Nous faisons allusion aux incidents qui eurent lieu au Bengale en 1905 et qui se répandirent par la suite dans l'Inde entière. Cette année-là, le Bengale 2 fut partagé ; le gouver1. Ram Gopal, op. cit., p. 107-108. 2. Avant le Charter Act of 1853, la Bengal Presidency de l'Empire britannique comprenait le Bengale, le Bihar, l'Assam, l'Orissa et une partie de la Province-Unie ainsi que Delhi et une partie du Pendjab. Après cette loi, le Bengale, le Bihar, l'Orissa et l'Assam devinrent une seule province. En 1874, l'Assam devint une province séparée.

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nement de l'Inde créa, en effet, le 16 octobre 1905, pour « des besoins administratifs », une nouvelle province de « Bengale-Oriental et Assam », qui devint un territoire éminemment musulman 3 . Lord Curzon, alors vice-roi (1898-1905), ne cacha pas que la politique véritable du gouvernement désirait « une accélération du progrès des sujets mahométans ». Naturellement ces déclarations apportèrent un grand malentendu, surtout chez les hindous qui manifestèrent leur désapprobation à l'encontre des diverses tentatives du vice-roi. L'élite intellectuelle des hindous du Bengale fut, en outre, contrariée par certaines des activités de ce vice-roi — par ailleurs très capable, — telles que son refus de connaître officiellement le Congrès national et sa réforme de l'administration de l'université de Calcutta. De plus, on peut ajouter les difficultés d'ordre économique que rencontraient certains zamindars hindous 4 , propriétaires au BengaleOriental, mais qui vivaient à Calcutta (situation qui rappelle le régime des latifundia), ainsi que la diminution des emplois autrefois réservés aux diplômés hindous à cause du partage du Bengale. Or, dès que la nouvelle de ce partage fut connue, l'élite intellectuelle, issue de la bourgeoisie hindoue, commença à émettre de vives protestations. Quelques chefs musulmans, surtout des intellectuels, tels que Liakat Ali (directeur du journal Swctdeshi), Abdur Rasul (avocat), Abul Quasem et Dudu Bukhsh (hommes politiques), se joignirent à ces protestations 5. La Central Mohammedan Association d'Amir Ali avisa également le gouvernement en ces termes : « Aucune partie de la population d'expression bengali ne devra être séparée du Bengale si une nécessité urgente ne s'en fait pas sentir ; dans le cas actuel, cette nécessité n'existe pas 6. » A son tour et suivant la même démarche, le quotidien The Mussalmans, qui venait d'être fondé par un intellectuel Mujibur Rahman, déclara dans son numéro du 14 décembre 1906 : « C'est notre situation économique et politique qui fait de nous tous des Indiens, et dans notre vie quotidienne nous sommes d'abord Indiens et ensuite musulmans. » Cependant, dès que cette protestation prit un tour extrémiste et attaqua violemment non seulement les Anglais, mais aussi les musulmans, la position musulmane changea. La situation sera peut-être plus compréhensible 3. C.J. O'Donnel (M.P.), dans son enquête The Causes of Present Discontents in India (Londres, 1908), constate que c'était une mesure parfaitement raisonnable et légitime et on a parlé de ce partage depuis un demi-siècle (p. 63). Le BengaleOriental comprenait alors les divisions de Dacca, de Chittagong et de Rajshahi (15 districts) ; la nouvelle province devait avoir 106 540 miles carrés et une population de 31 millions de personnes, dont 18 millions de musulmans et 12 millions d'hindous. 4. K.K. Aziz, op. cit., p. 38. 5. Signalons que ces chefs étaient tous originaires du Bengale-Occidental ; le rapport de la police, file n" 491 (1907) à Calcutta, nota qu'il n'y avait pas un seul musulman éclairé et capable de diriger les masses au Bengale-Oriental et en Assam qui s'associât à la session du Congrès. H. et U. Mukherjee, lndia's Fight for Freedom or the Swadeshi Movement, 1905-1906, Calcutta, 1958, p. 149. 6. Amvika Charan Majumdar, lndian National Evolution, Calcutta, p. 223.

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si l'on considère avec soin l'attitude prise par le grand poète Tagore ; avec des hommes éminents comme Sir S.N. Bannerjee, B.C. Pal, Aurobindo Gosh (1872-1950) 7 , Tagore était à la tête de ce mouvement protestataire et il convient de dire que c'est lui qui voyait toujours clairement les problèmes bengali et indiens, voire mondiaux, avant ses confrères, grâce à une vision quasi prophétique. Pendant les jours fiévreux du mouvement dit Swadêçî, il écrivit ou parla éloquemment en faisant appel à la bonne foi de tous les hommes. « La raison, dit-il, pour laquelle les musulmans ne comprennent pas notre ressentiment vient de ce que nous n'avons jamais lié nos cœurs aux leurs. » Il reproche à ses coreligionnaires de n'avoir donné aucune preuve de leur intérêt pour le bien-être des musulmans. « Nous ne pouvons donc pas les blâmer si notre bonne foi les laisse plutôt perplexes 8 . » Les agissements hindous inquiétaient les musulmans ; contrairement aux hindous qui nourrirent très vite un sentiment antibritannique, ils manifestèrent leur reconnaissance aux Anglais, selon les directives de leurs chefs et en réponse à la bonne volonté de la classe dominante. Selon Julien Vinson 9, ils exprimèrent leur gratitude à Lord Curzon « d'avoir encouragé les études musulmanes sur l'Islam, la restauration des mosquées, la fondation de collèges musulmans. Sir R. Fuller, lieutenant-gouverneur de la nouvelle province Eastern Bengal, a été reçu à Dacca avec un enthousiasme indescriptible par les musulmans, tandis que les hindous s'abstenaient et que leurs journaux étaient pleins de protestations violentes ». Par la suite, des conflits sanglants 10 opposant hindous et musulmans éloignèrent ces derniers du sentiment fraternel qu'ils portaient à certains politiciens hindous. Julien Vinson a rassemblé, au cours de l'article précité, des faits et des détails qui permettent de mieux comprendre la tentative musulmane et les problèmes qu'elle posait. Nous citons, une fois de plus, cet extrait assez significatif 11 : « Il est bon de rappeler d'ailleurs que, dès le 5 novembre 1905, la Société littéraire mahométane de Calcutta 12 envoyait à ses coreligionnaires une circulaire pour les engager à ne prendre aucune part à l'agitation 7. Bien qu'il soit devenu plus tard un sage dans la tradition indienne, Aurobindo n'en laisse pas moins un bilan d'activités politiques très important ; cf. D ' V.P. Varma, The Political Philosophy of Shri Aurobindo, Bombay, 1960. 8. Your Tagore Today : Sélections form the Writing of Poet Rabindra Nath Tagore (trad. de H.N. Mukherjee), éd. par H.K. Sanyal, Bombay, 1945, p. 25-26. 9. « Le mouvement swadêçi », Revue du monde musulman, I, 1, novembre 1906, p. 24-25. 10. Julien Vinson traite d'un conflit survenu le 7 février 1906, ibid., p. 25-26. 11. Ibid., p. 26. 12. Il s'agit de la Muhammedan Literary Society, fondée par le nabâb Abdul Latif en 1863 (cf. chap. I). Toujours très active jusqu'à la mort de son fondateur, relancée à l'époque, cette société se transforma en un Muslim Institut vers les années 20 et publia un périodique, Muslim Review, sous la direction de l'islamologue renommé du Bengale, S. Khuda Bakhsh.

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contre la « partition » du Bengale ; on les invitait, dans ce document signé de Bakhtyar Shad, Syed Mohammad, Abdullah Khan Ahmed, etc., à demeurer bons et fidèles sujets de l'empereur-roi Edouard VII, en insistant sur ce point que les intérêts des mahométans de l'Inde sont tout différents de ceux des hindous, et en énumérant les bienfaits du gouvernement actuel : 1. Allocation annuelle de 50 000 roupies (83 500 F) pour les écoles musulmanes du Bengale ; 2. Fondation de bourses nombreuses à l'Université de Calcutta ; 3. Maintien des fondations antérieures ; 4. Attribution successive de plus de 100 000 roupies (167 000 F) pour la construction à Calcutta d'un hôtel devant servir à l'installation d'une madrasa ; 5. Tempéraments apportés aux règlements sur la peste, en faveur des dames musulmanes, derrière le voile qui ferme les gynécées ; 6. Autorisation, pendant l'épidémie, de faire un pèlerinage à La Mecque, en partant de Chittagong au lieu de Bombay, accordée aux musulmans du Bengale, du Behar et de l'Orixa (sic). •» Ne pouvant obtenir l'accord des musulmans, les hindous s'agitèrent et, avec le concours d'autres Indiens, adoptèrent une attitude de résistance passive, telle que le boycottage des tissus anglais, des titres étrangers, et ce dans le but de « créer des complications sans fin » au régime 13. Ceci n'était peut-être pas critiquable en soi, mais le malheur c'est que le mouvement prit rapidement une allure religieuse et que les mobiles d'ordre métaphysique et obscurantiste de l'orthodoxie hindoue furent employés dans le nouveau culte de Swarâj et dans l'idolâtrie envers la mère patrie 14. L'adoption de Bandé-Mâtaram comme hymne national, la fête Shivâji, les assassinats politiques et le fanatisme déclaré de certains chefs et intellectuels intensifièrent au Bengale le sentiment antimusulman chez l'hindou moyen 15. En conséquence, les musulmans se tinrent sur leurs gardes. Les chefs musulmans, hésitant sur l'attitude à prendre vis-à-vis de la politique brûlante du pays, comprirent qu'une réforme constitutionnelle était imminente. Ils formèrent aussitôt une délégation sous la conduite du nabâb Muhsin ul-Mulk, disciple de Sir Sayyid ; le nabâb obtint rapidement la signature de 4 000 dirigeants musulmans de toutes les provinces et Etats indigènes de l'Inde pour un cahier de doléances qui serait formellement présenté au vice-roi par l'Aga Khan (1877-1957), le 1er octobre 1906 1G. La réponse du vice-roi — Lord Minto — fut pleine de remarques élogieuses à l'égard de la communauté musulmane et de ses dirigeants, qu'il

13. K. Abdul Wadud, Bânglâr Jâgaran, op. cit., p. 178. 14. D r M.A. Buch, The Development of Indian Political Thought, Baroda, 1940, p. 182 ; et V.P. Menon, The Transfer of Power in India, Londres, 1957, p. 354-356. 15. Bien que de parti pris, le D r Rash Behari Gosh le dira dans son discours présidentiel du Congrès national réuni à Surat le 26 décembre 1907 ; sur la réalité quotidienne, cf. N. Chaudhuri, The Autobiography of an Unknown Indian, New York, 1957, p. 229. 16. Pour le texte complet, cf. Ram Gopal, op. cit., p. 329-335.

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appela « les descendants d'une race conquérante et dominante ». Il fut aussi satisfait de connaître la légitimité d e leurs points d e vue et les aspirations de la section éclairée de cette communauté. Sans se compromettre, il donna à la délégation l'assurance qu'elle pouvait compter, en ce qui concerne les droits et intérêts politiques des musulmans, sur le râj britannique qui donnerait ainsi la preuve de son sens de la justice et du fair-play. Il cita le problème de la nouvelle province du Bengale-Oriental et l'Assam où les musulmans avaient montré leur loyalisme malgré les difficultés provoquées par des agitations et le conditionnement administratif. Le partage, dit-il, a été uniquement dicté par les intérêts « des populations présentes et futures » ; l'avenir de cette province serait assuré, et les musulmans qui faisaient preuve de loyalisme ainsi que de modération pouvaient également être assurés de la sympathie ardente du pouvoir n . Cette entente anglo-musulmane, plus rassurante que celle que Sir Sayyid avait acquise, incita néanmoins les chefs à prendre une position plus concrète et plus décisive qu'ils ne l'avaient fait jusqu'ici. Ils décidèrent par conséquent de fonder une organisation qui leur permettrait d'être reconnus par le gouvernement britannique comme « une nation dans la nation », selon la formule de l'Aga Khan 1S. Cette organisation panindienne avait été le rêve d'un grand nombre de musulmans éclairés du siècle dernier ; lors de la session annuelle de la Ail India Mohammedan Educational Conférence, deux mois plus tard, Sir Salimullah (1871-1915), nabâb de Dacca, invita tous les chefs et proposa formellement la création de cette organisation. Dacca, alors capitale d e la nouvelle province d'Assam et Bengale-Oriental, devint ainsi, le 30 décembre 1906, le lieu où se rencontrèrent, pour la première fois, les plus représentatifs des chefs musulmans indiens, parmi lesquels figuraient presque tous les hommes de lettres et politiciens du Bengale 10 . On pourrait mieux comprendre le succès de cette rencontre si l'on tenait compte des résolutions qui y furent unanimement admises et qui sont peu connues des historiens : Réunis à Dacca, les délégués musulmans de toutes les parties de l'Inde décident de fonder une association politique, la AH India Muslim League, dans les buts suivants : a) promouvoir parmi les musulmans de l'Inde des sentiments de loyauté à l'égard du gouvernement britannique, afin d'éviter les malentendus que pourraient provoquer certaines mesures prises par le gouvernement ; 17. lbid., p. 335-338. 18. The Mémoires of Aga Khan : World Enough and Time Enongh, New York, 1954, p. 75-76 ; cf. aussi un important article en français de la même période, A. Le Chatelier, « Aga Khan », Revue du monde musulman, Paris, I, 2, novembre 1906, p. 48-85. 19. Syed Muhammad Taifoor, intellectuel octogénaire de Dacca ayant participé à cette auguste manifestation, nous a communiqué, à ce sujet, des notes biographiques sur les personnalités bengali.

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b) défendre les droits et intérêts politiques des musulmans de l'Inde et présenter fidèlement leurs revendications au gouvernement ; c) empêcher tous sentiments d'hostilité envers les autres communautés, tant que ces dernières respectent les principes adoptés ci-dessus 20.

Il convient de noter l'importance symbolique de la fondation de la Ligue musulmane à Dacca et de sa première session annuelle à Karachi (1907) : les deux villes, en effet, deviendront les foyers des militants musulmans pour la liberté, et depuis 1947, elles auront rang de capitales, la première, Dacca, pour le Pakistan-Oriental, et la seconde, Karachi, pour le gouvernement central 2 1 . La Ligue musulmane, qui devait permettre aux musulmans de devenir une « nation dans la nation », gagnera du terrain en recrutant ses adhérents parmi ceux des membres qui quitteront le Congrès national, tourmentés par ses ailes extrémiste et modérée, et aussi parmi la bourgeoisie, en rapide ascension. Grâce à Sir Salimullah, Dacca allait redevenir une grande ville dotée de maintes institutions académiques et philanthropiques, ce qui allait aider au développement culturel des musulmans du Bengale 22. Dès lors, les dirigeants musulmans sentaient de plus en plus le besoin de passer à l'action pour échapper à ce qu'on leur reprochait, le « sommeil éternel ». Ces dirigeants, d'ailleurs, ne sortaient pas de la classe des intellectuels, mais étaient en grande partie recrutés parmi ces chefs qui s'étaient consacrés au développement social en y jouant un rôle prestigieux par leurs actes ou par leurs origines aristocratiques. Contrairement à l'époque précédente, ces chefs seront fiers désormais d'avoir joué dans la vie un rôle supplémentaire, c'est-à-dire le rôle politique dans son sens propre. Par ailleurs, la belle époque de l'entente anglo-musulmane allait bientôt prendre fin, du moins en ce qui concernait la vie nationale des musulmans, car de lourds nuages commençaient déjà à obscurcir l'horizon politique de l'Inde. C'est vers 1912 que les musulmans commencèrent à perdre confiance dans la politique anglaise pour les raisons et à cause des incidents que nous énumérerons sommairement. Nous avons déjà indiqué que les réformes constitutionnelles de 1907 n'avaient pas donné les résultats que les musulmans escomptaient d'après les promesses faites par le vice-roi ainsi que par les autres autorités, notamment le secrétaire d'Etat chargé des Affaires de l'Inde. Entre temps, un

20. A.B. Rajput Muslim League, Yesterday and Today, Lahore, 1949, p. 19-20. 21. Depuis 1962, Karachi n'est plus la capitale du Pakistan, mais demeure encore la ville la plus importante pour les relations internationales et intérieures; elle est le lieu idéal pour la fusion des Pakistanais des différentes régions et compte un nombre de Bengalis toujours croissant. 22. Muhammad Habibullah, « Sir Salimullah », Masik Mohammadi, Dacca, XXI, 11, p. 644-645.

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incident au Collège d'Aligarh souleva l'élite contre les dirigeants anglais 23 . L'amour-propre, toujours vivace chez les musulmans, fut comme blessé par cet incident. C'est dans la session de la Ligue musulmane de 1910, à Nagpur, qu'on entendit pour la première fois des critiques adressées au gouvernement : la bureaucratie fut rendue responsable d'avoir créé la dissension entre les communautés indiennes, et de vives protestations s'élevèrent contre les dépenses énormes consacrées à la défense de l'Inde 24. En ce qui concernait le choix de l'attitude à prendre sur le plan politique, les dirigeants de la Ligue musulmane se prononcèrent pour l'unité entre les deux grandes communautés de l'Inde et lancèrent un appel aux hindous afin qu'une rencontre hindo-musulmane puisse avoir lieu à Allahabad l'année suivante. C'était là le premier signe d'une amitié politique entre les deux communautés, amitié qui devait atteindre son paroxysme au pacte de Lucknow, en 1916 2S, grâce aux efforts de Mohammed Ali Jinnah (1876-1948), alors jeune politicien exceptionnellement doué, formé à la mode occidentale et unioniste par excellence. C'est aussi grâce à lui que la Ligue musulmane abandonna dès 1913 son principe de loyalisme inconditionnel en adoptant une motion ayant pour objectif de développer en Inde le système d'autodétermination (self-government) qui lui était « convenable » 20. Toutefois, deux événements d'importance capitale doivent être traités pour comprendre la déception des musulmans et le cours de leur histoire, tant au Bengale qu'en Inde. D'abord, ce qui était le « fait accompli » 27, c'est-à-dire le partage du Bengale, fut annulé par la déclaration solennelle de Sa Majesté le roi George V, à l'occasion du durbâr à Delhi (12 décembre 1911). Surpris par cet événement inattendu, impressionnés par l'écrasante personnalité de Sa Majesté, les chefs musulmans tels que l'Aga Khan, Amir Ali, etc., conseillèrent à leurs coreligionnaires de renoncer à un mouvement de protestation à l'encontre de cette décision, consigne qui fut généralement suivie. Cependant, ces chefs loyalistes, on le sait, ne purent endiguer la montée des jeunes dirigeants radicaux et se trouvèrent dans l'obligation de quitter l'organisation 28. Par ailleurs, le nabâb Sali23. Conflit entre le secrétaire du Collège et le lieutenant-gouverneur des ProvincesUnies, bienfaiteur du Collège. Voir, par exemple, Ram Gopal, op. cit., p. 118-119. 24. Ibid., p. 119. 25. Pour plus de détails, cf. A.C. Banerjee, Indian Constitutiona! Documents, Calcutta, 1948, t. II, p. 289-295. 26. Ce mot clé de « convenable » (suitable) symbolise l'attitude de la Ligue musulmane qui, ayant à ce moment les mêmes objectifs pratiques que le Congrès national, garde cependant une entité distincte et le droit de modifier la notion d'autodétermination selon la convenance de ses adhérents. 27. Lord Morley, le secrétaire d'Etat aux Affaires indiennes, avait déclaré un peu plus tôt : « If I go to heaven one reason will be that, in spite of much pressure here, long and loudly continued, I stood firm by the Settled Fact. » Cité par K.K. Aziz, op. cit., p. 44. Cf. F.W. Hirst, « John Morley at the India Office », Manchester Guardian, 26 février 1929. 28. K.K. Aziz, op. cit., p. 82.

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mullah (mort en 1914) déclara, non sans amertume 29, dans son discours présidentiel de la Ligue musulmane à Calcutta (1912) : « Il est regrettable que la nouvelle province n'ait pratiquement rien apporté aux musulmans, si ce n'est qu'elle a séparé encore un peu plus les musulmans et les hindous. Il n'est pas exact de dire que le partage fut le résultat du différend hindo-musulman. Le vrai conflit est né du refus des musulmans de participer aux activités révolutionnaires hindouistes contre les Anglais. » Il termina en lançant un appel fervent pour le rapprochement hindomusulman 30. D'autre part, la réaction subite d'un grand chef, Viqar ulMulk (1841-1917), disciple de Sir Sayyid, ami et successeur de Muhsin ulMulk, jadis pro-britannique, serait intéressante à suivre en passant. Il l'exprima ainsi dans un article célèbre 31 : « Il est clair, suffisamment clair, d'après ce qui s'est passé, qu'il est inutile de demander aux musulmans de faire confiance au gouvernement. Ce sur quoi nous devons compter, c'est, avec l'aide de Dieu, la force de notre bras droit ; dans cette perspective, nous avons un exemple devant nous, celui de nos dignes compatriotes (c'est-à-dire les hindous). » Il finit donc par appeler les musulmans à l'agitation politique à la manière des hindous, mais, fait curieux, il leur interdit de participer aux activités du Congrès, car cette participation ne pouvait être, selon lui, qu'une politique de suicide. Le deuxième événement nous indique que les musulmans de l'Inde, plus particulièrement ceux du Bengale, donnaient leur adhésion à la « politique de suicide », c'est-à-dire au contact étroit avec le Congrès ; cet événement se déroule autour de la question de khilafat, qu'on peut appeler 1'« aventure altruiste » 32. Un renouveau du mouvement panislamique faisait son chemin grâce à l'agitation politique, comme le faisaient les hindous et avec le concours des hindous, car les dirigeants sentaient le besoin d'une entente pour lutter contre le tout-puissant pouvoir occidental, en vue de satisfaire les revendications des nations musulmanes et d'obtenir ensuite la liberté de leur propre pays. De caractère complexe, ce mouvement eut une influence profonde sur tous les aspects de la vie musulmane, notamment sur les aspects spirituel, culturel et politique. Les musulmans du Bengale, ainsi que ceux de l'Inde, étant pour la plu29. Lors du durbâr à Delhi, Sir Salimullah s'est vu offrir la plus haute distinction, celle de G.C.I.E. ; il émit alors ce commentaire : « This is nothing but a bait, a bribe and halter of disgrâce round my neck. » (Cf. Muhammad Habibullah (Bahar) : Mohammed Ali Jinnah, Calcutta, s. d. [1945], p. 34 (note), et « Sir Salimullah », loc. cit., p. 644.) 30. The Times, 5 et 6 mars 1912 ; Michael O'Dwyer, India as 1 know it, 18851925, Londres, 1925, p. 175. 31. «The Fate of Muslims in India», Aligarh lnstitute Gazette, 20 décembre 1911. Cité par A.H. Albiruni, op. cit., p. 110-111. 32. Le D r Ishtiaq Hussain Qureshi élabore tout un chapitre sous ce titre dans son excellente étude, The Muslim commumty of the Indo-Pakistan Subcontinent (6101947) : a Brief Historical Analysis, La Haye, 1962, p. 255-278.

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part sunnites, étaient dévoués aux Turcs et à leur sultan, considéré comme calife du monde islamique. L'imâm faisait au nom du calife la prière du vendredi. De plus, au 19e siècle, ce sont plutôt les Anglais qui avaient déclenché le rapprochement avec l'empire ottoman pour sauvegarder les frontières nord-ouest de l'Inde, menacées par les Russes, Ainsi, lorsqu'en 1876 ces derniers s'avancèrent vers Constantinople, des troupes indiennes furent envoyées pour les combattre et une propagande en faveur de la Turquie — « le plus grand empire musulman » — fut lancée 33. Par conséquent, les musulmans de l'Inde sympathisèrent avec la cause turque, se réjouirent et s'enorgueillirent de la grande victoire turque sur les Grecs (1897). Mais, étant donné le changement survenu dans la politique britannique, les dirigeants musulmans, à l'exemple de Sir Sayyid, incitèrent leurs coreligionnaires à ne jamais se mêler de questions de politique étrangère, ce qui aurait pu nuire à l'entente anglo-musulmane à l'intérieur du pays. La plupart des musulmans, surtout ceux du Bengale, ne suivirent pas cette directive. Nous savons déjà que l'intelligentsia musulmane, encore dans son enfance, s'était vivement intéressée à l'enseignement panislamique d'Afghâni 34 , et lorsqu'elle devint numériquement plus forte, au début du 20e siècle, elle se tourna résolument vers l'idéologie religieuse axée sur l'action politique. Plusieurs journaux, revues et pamphlets furent publiés, en bengali, en ourdou et même en anglais, soit pour élaborer le projet du panislamisme et expliquer sa philosophie pratique, soit pour faire passer cette idée dans les actes et l'implanter en Inde. Tandis que les revues bengali telles que Mohammadi (à la fois mensuelle et hebdomadaire), Al-Eslâm, etc., soulevaient des polémiques intéressantes et bouleversantes, la nouvelle génération de musulmans du Bengale subissait également l'enseignement de Maulânâ Abul Kalam Azad (1888-1958) et de Maulânâ Mohamed Ali (1878-1931), tel qu'il était professé dans deux grands journaux, VAl-Hilâl (Calcutta, 1912-1914) et le Comrade (Calcutta, 1912). Ces deux hommes, bien connus des historiens de l'Inde moderne, allaient dominer l'esprit musulman non seulement du Bengale, mais aussi de l'Inde entière. Pendant toute la période du mouvement Khilafat, qui ne se termina qu'en 1930, ils eurent l'avantage de rester en relation étroite avec cet esprit musulman, en ce qui concernait à la fois les demandes du califat et la liberté nationale. Le malheur turc des années 1915-1920, ainsi que les souffrances de certains autres peuples islamiques — Egyptiens, Libyens, Persans, etc., — suscitèrent chez les musulmans de l'Inde une ferveur sans égale. La grande guerre de 1914-1918 aggrava encore cet état de choses lorsque les soldats musulmans de l'Inde se trouvèrent face à face avec des coreligionnaires turcs. Les musulmans de l'Inde avaient fait confiance à la justice britannique envers la Turquie, mais le traité 33. Cf. V. Chirol, India, Londres, 1926, p. 217-218. 34. Cf. chap. I et II.

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de Sèvres (10 août 1920) fut humiliant pour la Turquie 33. Cela poussa les dirigeants à adopter, sans hésitation, le système de protestations en vogue chez les hindous. Malgré leur intention de l'employer dans la lutte de libération nationale, ils acceptèrent de l'utiliser tout d'abord pour la sauvegarde du peuple islamique 36 . L'influence de Mohamed Ali 3 7 ; qui avait été formé à Aligarh et à Oxford, ne s'exerçait pas seulement par son journal Comrade ou ses autres écrits, car c'était plutôt un orateur démagogue qui pouvait entraîner la masse. De son côté, Azad avait créé, à la manière de son maître Shiblî, une école de jeunes intellectuels, pour la plupart recrutés au Bengale 38 . Il exhorta dans des textes vigoureux les musulmans à faire leur devoir dans ces moments critiques ; nous en citons quelques extraits 39 pour faire comprendre les raisons profondes de ce grand penseur : L'histoire dira... qu'il y avait une communauté qui était « musulmane », qui possédait l'histoire la plus riche en noblesse et en dignité humaines, à laquelle avaient été donnés l'héritage et la conduite du monde, qui avait été envoyée sur terre pour libérer les serviteurs de Dieu des chaînes de la tyrannie et du despotisme, qui avait été envoyée pour briser les fers et non pour mettre des fers à ses propres pieds, qui était venue pour rompre les carcans qui entravent les hommes, à l'exclusion des serviteurs de Dieu, et non pour se parer des carcans les plus lourds, qui était le représentant et le calife de Dieu sur terre afin de maîtriser le monde et non de s'enorgueillir de sa propre servitude... (L'histoire dira...) que l'Inde s'avança vers le chemin de la libération et du progrès. Les hindous restèrent prêts à mourir pour cette tâche, mais les musulmans allèrent se cacher dans des grottes. Ils crièrent, mais ils fixèrent des verrous à leur bouche... Les hindous entreprirent la guerre sainte (jihâd), mais cette communauté musulmane de saints guerriers fit plus que de se taire, elle laissa entendre par des cris démoniaques que tous ceux qui combattaient pour la guerre sainte étaient des rebelles... ... Voici l'heure de la décision. Voici le moment où pour toujours va s'ins35. Cf. sur ce sujet, un important document, conservé à la Bibliothèque de l'Ecole Nationale des Langues Orientales Vivantes : Le Traité de paix avec la Turquie et l'attitude des musulmans de l'Inde. Adresse présentée par la députation dii Congrès national de l'Inde pour la défense du califat au vice-roi à Delhi, le 19 janvier 1920 (Paris, Bureau d'information islamique). 36. Sur ce point, il existe des opinions diverses, voire opposées ; consulter H.A.R. Gibb (éd.), Whither Islam ? A Survey of the Modern Movement in the Muslim World, Londres, 1932, p. 73, et W.W. Cash, The Muslim World in Revolution, Londres, 1925, p. 25-29. 37. En dehors de son autobiographie et de ses discours (cf. bibliogr.), consulter une importante étude de W.J. Watson, Muhammad Ali and the Khilâfat Movement, thèse, université McGill, Montréal, 1955. 38. Il n'existe aucune étude d'ensemble. On peut cependant profiter de quelques remarques dans B.G. Roy, « Islam in Modem Bengal », The Visva bharati Quarterly, Santiniketan, XXI, 1, 1955, p. 58-89. 39. Cités dans Nawâ-e-Azâdî (écrit sur l'indépendance, Bombay, 1957), traduit par André Guimbretière, Orient, n° 18, 1961, p. 53.

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crire la décision de notre victoire ou de notre défaite. Venez et bâtissez voire destin. Empêchez de toutes vos forces notre honneur et notre prospérité de sombrer. Ne laissez pas s'enfuir notre victoire. Ne souillez pas le voile de l'Islam de manière irréparable. Ne décevez pas l'espoir de la délivrance et ne faites pas échouer la libération de l'Inde dont la chance pourrait ne pas se retrouver avant des siècles.

Azad, érudit incontesté de la philosophie islamique, connaissait bien le savoir occidental ; il tenta, lui aussi, de formuler les principes de la vie intellectuelle et politique, de manière théologique. Inspiré par Sir Sayyid, il devint vite l'antithèse de ce penseur et homme d'action. Dès lors, son interprétation de l'Islam comme force humanitaire et son espoir d'arriver à la pureté initiale de l'Islam en développant la faculté d'ijtihâd lui ont permis de devenir le maître le plus progressiste au sein des oulémas orthodoxes. Cela constitue évidemment un problème complexe, car on ne peut attribuer que rétrospectivement le titre de progressiste aux chefs indiens d'alors. Azad eut le mérite d'être, pour un moment donné de l'histoire, le chef inspiré d'un « grand » peuple qui se trouvait à l'époque en déclin total. Admiré et vénéré par le mahatma Gandhi (1869-1948), le pandit Jawahar Lal Nehru (1889-1964) et d'autres dirigeants congressistes, comme symbole de la plus noble aspiration de ce parti politique, il travailla toute sa vie, avec une conviction inébranlable, au rapprochement hindo-musulman dans l'arène politique et sociale. Cet effort, en effet, devint une réalité pendant les années qui suivirent la première guerre mondiale. Grâce au miracle politique du mahatma Gandhi, le mouvement musulman pour le califat se trouva étroitement lié au mouvement du Congrès que les musulmans prenaient jusqu'ici pour une organisation hindouiste 40. Gandhi, en sa qualité de « héros national », imposait sa volonté au Congrès, à la Ligue et au comité de khilafat. Il se prononça pour un mouvement de masse en faveur de la « non-violence et de la non-coopération » avec le régime au pouvoir. Quelques dirigeants, notamment B.C. Pal, C.R. Das, Tagore 41, pandit Malaviya et M.A. Jinnah, élevèrent leurs voix contre une participation de la masse au mouvement sans entraînement préalable. Malgré cette protestation, c'est la méthode de Gandhi qui reçut l'approbation générale, et l'Inde entière entra dans une nouvelle phase de sa lutte anti-impérialiste. En décevant les dirigeants musulmans, les Turcs eux-mêmes développèrent simultanément une force laïque pour retrouver leur prestige national et dénoncèrent le califat. Aux télégrammes des musulmans de l'Inde et de 40. Cf., sur ce sujet, K.J. Mahale, Gandhi devant l'opinion française, thèse, Paris, 1962, chap. II. 41. Ses remarquables essais, Ethics of Destruction (Madras, 1923), n'ont pas retenu l'attention qu'ils méritaient.

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l'Egypte qui étaient en faveur du maintien du califat, Kemal Ataturk, père de la Turquie moderne, répondit : « Le califat doit être un gouvernement islamique s'adressant à tous les musulmans — ce drame des siècles, chéri par les musulmans, s'est toujours avéré irréalisable. Cela est plutôt devenu une cause de dissensions, d'anarchie, de guerre même parmi les croyants. Mieux compris, l'intérêt de tous a éclairé la vérité : le devoir des peuples musulmans est d'organiser des gouvernements pour chacun d'eux. Le vrai lien spirituel entre eux tous est la conviction que tous les croyants sont des frères *2. » Complètement désillusionnés, les musulmans qui avaient déjà pris position contae le loyalisme à l'égard des Anglais, s'allièrent et renforcèrent encore plus le Mouvement de non-coopération43. A la fameuse session du Congrès où il y avait, pour la première fois dans l'histoire, 1 0S0 musulmans parmi les 14 582 délégués, Maulânâ Hasrat Mohâni, un des dirigeants khilafatistes, proposa de donner au terme vague swarâj la définition de « indépendance totale ». Cette formule n'obtint malheureusement pas l'approbation du mahatma 44 . Les musulmans du Bengale suivirent en conséquence le chef politique du Bengale, C.R. Das, en se tenant à l'écart de la voie gandhienne, à l'exemple de leurs propres dirigeants, Maulânâ Akram Khan, Maulânâ A.H. Khan Bhasani, Wajed Ali Khan Panni, A.K. Fazhil Huq, Maulânâ Islamabadi et Husayn Shaheed Suhrawardy. Le désha-bandhu C.R. Das avait tenté, à plusieurs reprises, de résoudre le problème hindo-musulman par des solutions pratiques, notamment sous forme d'un pacte grâce auquel les musulmans devaient obtenir des emplois par priorité 43. Sa mort subite et l'incident brutal du carnage humain dans l'Inde tout entière arrêta cette noble tâche. La ferveur religieuse s'exalta à ce moment au sein de la communauté hindoue à cause de deux éléments nouveaux qui eurent des répercussions sérieuses sur la vie politique et intellectuelle de la péninsule. Les mouvements hindouistes Suddhi (réclamation) et Sangathan (consolidation), lancés par le mahâsabhâ hindou, parti politique extrémiste, devinrent très actifs, et les musulmans tinrent en suspicion toute démarche hindoue. A leur tour, eux aussi, ils organisèrent Tabligh et Tanzim pour répondre à 42. Rafiuddin Ahmad, « Romance of New Turkey », lndia and the World, Calcutta, septembre 1932, p. 202. 43. Pour plus de détails, cf. Rahmat Ali, « Le mouvement d'émancipation national de l'Inde », Maghreb, coll. « Les documents marocains », Paris, 1933, II, 17, p. 213 ; S.C. Bose, The Indian Struggle, Calcutta, 1948, p. 62. 44. B.R. Ambedkar, Pakistan or Partition of lndia, Bombay, 1946. 45. Appelé pacte hindo-musulman du Bengale (décembre 1923), il modifia le pacte hindo-musulman de Lucknow (1913), qui ignorait la représentation musulmane dans des provinces à majorité musulmane. Car, dans ces provinces surtout, les musulmans appartenaient aux classes inférieures et étaient ainsi plus faibles politiquement. Le pacte du Bengale fut condamné par la presse hindoue, tandis que les musulmans l'acclamaient et demandaient 80 % des postes gouvernementaux ou autres prévus dans le pacte. Cf. Ram Gopal, op. cit., p. 174-176.

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ces activités fanatiques. Tandis que ces mouvements parallèles se développaient et parfois se heurtaient, les dirigeants musulmans essayèrent, pour la première fois, tout au moins sur le plan indien, diverses tentatives pour faire évoluer socialement leur communauté. Ils tâchèrent de faire des mosquées et des madrasa des centres spirituels et intellectuels, comme ils l'étaient naguère, et aidèrent à la fondation d'écoles techniques et de services sociaux. Cette attitude leur permit d'améliorer la situation économique de leurs coreligionnaires en fondant les banques des sociétés commerciales et industrielles uniquement musulmanes 40. Ces entreprises, soit dit en passant, reçurent l'approbation de la très grande majorité des musulmans de toutes classes, de toutes idéologies, conformistes ou modernistes. Les conséquences de ces activités se firent sentir dans tous les domaines de la vie indienne. La lune de miel hindo-musulmane des années 20 devait ainsi prendre fin. Les historiens et journalistes ont de multiples raisons pour justifier la cause ou l'idéologie de leur propre communauté, mais il n'en reste pas moins que de 1923 à 1927 les querelles religieuses ont coûté la vie à 450 personnes et ont fait 5 000 blessés 47. Le désastre ne fit qu'empirer jusqu'en 1947 dans l'Inde britannique. On ne peut ignorer qu'il y eut même des émeutes à cause des écrits hindous dirigés contre le Prophète de l'Islam et la religion islamique *. Les problèmes constitutionnels surgirent à ce moment-là pour aggraver une fois de plus les différends entre hindous et musulmans. On se rappelle qu'au début du 20e siècle, la question de la représentation électorale divisa les deux communautés ; dans la deuxième décennie du siècle, cette même question se posa avec une plus grande acuité à cause des premiers résultats acquis et de l'attitude britannique dans la réforme proposée en 1917. Nous savons que déjà les lois de 1892 et 1909 avaient augmenté le nombre des membres au « Conseil législatif » de l'Inde, et la plupart d'entre eux étaient désormais des membres élus par le public. Ces membres « non officiels » avaient des droits limités soit dans le Conseil central, soit dans les Conseils provinciaux. La loi de 1919 avait ensuite élargi la notion de gouvernement démocratique au fur et à mesure que les Conseils provinciaux s'agrandissaient et acquéraient plus de pouvoir. Un certain nombre de ministères comme ceux de l'Agriculture, de l'Education, de l'Intérieur (local selfgovernment) et de la Santé publique passèrent aux mains des Indiens, responsables devant les assemblées législatives et non pas uniquement devant les gouverneurs anglais. Mais comme cette loi n'accordait le droit de vote qu'à quatre pour cent de la population du pays, on ne peut que constater la lenteur du progrès sur le chemin de l'autodétermination et du suffrage 46. Ram Gopal, op. cit., p. 162. Signalons qu'il n'existe aucune étude sur ce sujet. Nous constatons ces faits par les remarquables exemples laissés à Chittagong par Maniruz Islamabadi (cf. aussi chap. suivant). 47. Will Durant, The Case for India, New York, 1930. * Nous faisons allusion à l'affaire Rangilâ Rasul ; cf. aussi infra, p. 131, note 12.

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universel. Or, la responsabilité des Anglais n'en était pas moins grande, car, entre temps, ils n'avaient rien fait pour réaliser leur ambition de donner à l'Inde un nouveau statut administratif et constitutionnel 48 . La situation après la première guerre mondiale devint plus critique que jamais. Par ailleurs, ils avaient promis, à plusieurs reprises, une large participation des Indiens au gouvernement. L'Act of 1919 et autres mesures administratives et juridiques qu'ils mirent en vigueur, malgré les vœux des Indiens, n'étaient point acceptables 49. La dyarchie introduite par cette loi est en grande partie responsable de l'échec de coopération mutuelle entre les gouvernements des deux communautés 50. Conscient de ses défauts, le gouvernement britannique cependant annonça, le 27 novembre 1927, la constitution d'une commission (dite Simon...) pour examiner tous les problèmes constitutionnels. L'absence de représentants autochtones dans cette commission fut vivement ressentie par les Indiens. En signe de protestation, les dirigeants de tous les grands partis s'unirent afin de présenter un projet de constitution de l'Inde. Le résultat de cette réunion, le Rapport Nehru, devint la pomme de discorde pour les participants intéressés 5 l . Jinnah, qui s'alignait pour la dernière fois avec le Congrès national, essaya de sauver ses compatriotes de l'impasse politique en proposant les fameux amendements connus sous le titre de « Les quatorze points de Jinnah ». Devant les dirigeants indiens, il prit l'exemple du Canada et de l'Egypte, où l'ajustement politique n'était pas fondé sur la population, mais sur des principes d'équité 52 . Malgré la pression d'un chef libéral comme Sir Tej Bâhadur Sapru, 1'« Inde hindoue », représentée par M.R. Jayakar (du parti mahâsabhâ hindou), rejeta les propositions de Jinnah. M.R. Jayakar fit remarquer qu'il avait eu de grandes difficultés à persuader son parti de s'accommoder des « concessions » faites aux musulmans ; rien de plus ne pouvait donc être accordé, et même si les amendements avaient été acceptés, cela ne signifierait pas que la communauté musulmane tout entière soit prête à les ratifier, car Jinnah ne représentait qu'une petite fraction de cette communauté 53. Voilà les points de friction essentiels qui causèrent le séparatisme définitif des musulmans et l'éloignement de Jinnah qui, selon les chefs hindous, ne s'était jamais lassé de faire des efforts en vue d'un rappro48. Beni Prasad, India's Hindu-Muslim Questions, Londres, 1946, p. 40. 49. Sitaramayya, The History of the Indian National Congress, Bombay, 1947, t. I, p. 153-158 et 202 ; le mouvement Home Rule de Mrs. Annie Besant, dont Jinnah fut l'un des dirigeants, fut très actif. 50. P. Spear, The Oxford History of India, op. cit., p. 807. 51. Le titre exact est : Report of the Committee Appointed by the Conference to determine the Principles of the Constitution of India ; supplementary report, Allahabad, 1928. 52. Pour plus de détails, voir Khalid Bin Sayeed, Pakistan, the Formative Phase, Karachi, 1960, p. 72-73. 53. V.D. Mahajan, India since 1526, Delhi, 1960, p. 327.

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chement hindo-musulman. Les différents groupes musulmans 64 ne tardèrent pas alors à se réunir dans une conférence placée sous la présidence de l'Aga Khan à Delhi, le 1er janvier 1929. Les résolutions prises furent identiques aux amendements de Jinnah 55. Sans entrer dans le détail, on peut noter que non seulement le pourcentage des sièges à offrir aux musulmans dans le gouvernement central et dans les provinces opposait les musulmans aux hindous, mais que la forme fédéraliste du gouvernement central était aussi un point litigieux. Or, l'espoir d'entente commune en matière politique apparaissait désormais impossible. La presse hindoue blâmait vigoureusement les chefs musulmans, nommément Jinnah, en l'appelant 1'« enfant prodige », le « communaliste par excellence », le « chef de file des séparatistes », etc. Cependant Jinnah, qui fut jadis considéré par les chefs hindous comme 1' « ambassadeur de l'unité hindomusulmane » et « the pride of India and not the private possession of the Muslims » (le joyau de l'Inde et non la propriété privée des musulmans), ne crut pas à la théorie des deux nations pour l'Inde jusqu'en 1937 environ. Mais le grain de séparatisme avait été semé, le thème était devenu cher aux musulmans grâce à l'enseignement religieux, politique ou littéraire. Ce changement dans l'attitude musulmane a été souligné par le professeur L. Massignon en ces termes : « Avec Jinnah, l'Islam indien rebroussait chemin vers l'Occident, au lieu d'approfondir sa compréhension et sa participation de la spiritualité native de « Mother India » (mâtaram), susceptible d'aboutir à la rendre explicitement « fille d'Abraham », grande et une parmi les nations 56. » Ceci dit, il nous faut chercher l'origine, tout au moin» la première manifestation explicite du séparatisme musulman. Or, il serait légitime de quitter encore une fois le Bengale pour Allahabad où le poète du Pendjab, Shaikh Muhammad Iqbal (1873-1938), prononçait le 29 décembre 1930 un important discours pour exposer la théorie des deux nations. Ce long discours du président de la Ail India Muslim League est plein d'idées et de nombreux passages en sont souvent cités. Nous nous contenterons d'en résumer quelques points, car, à notre avis, en citer quelques passages n'expliquerait pas la pensée politique profonde du métaphysicien qu'était Iqbal 57 . La religion islamique est différente, dit Iqbal, de la foi occidentale qui est une affaire privée. Pour l'Islam, Dieu est l'univers, l'esprit et la matière,

54. Alain Petit (toc. cit., p. 8-25) écrit « qu'il y en avait trois qui étaient de tendance nettement opposées et qui tenaient leurs assises séparément ». A. Petit fait l'éloge de Jinnah. 55. Maurice Gwyer et A. Appadorai, Speeches and Documents on the Indian Constitution 1921-1947, Londres, 1957, t. I, p. 244-247. 56. L. Massignon, Annuaire du monde musulman, Paris, 1954, p. 131. 57. Lire le texte complet du discours dans Speeches and Statements of Iqbal, éd. Shamboo, Lahore, 1945.

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l'Eglise et l'Etat sont liés organiquement. Or, dans un « continent » comme l'Inde, qui est une Asie en miniature avec des affinités culturelles diverses, et qui, malgré tous les efforts du passé, n'a pu atteindre un principe d'harmonie interne 58 , les musulmans devraient rechercher leur propre patrie en Inde dans la lignée de leur culture et de leur tradition. C'est là que réside, selon lui, la solution permanente des communautés religieuses. Sans être outrageusement favorable à son propre parti ni opposé aux autres groupes religieux, il demande donc — pour le plus grand intérêt de l'Inde et de l'Islam — une « Inde musulmane » comprenant les provinces du nord-ouest de l'Inde (actuellement le Pakistan-Occidental) : « Pour l'Inde, cela signifie, précise-t-il, la sécurité et la paix résultant d'un équilibre interne du pouvoir ; pour l'Islam, une chance de se délivrer du joug que l'impérialisme arabe s'efforçait de lui faire subir — de mobiliser son droit, son enseignement, sa culture pour les amener à un contact intime avec son esprit original et celui des temps modernes. » On pourrait à bon droit contredire certains points de ce discours, certaines questions qu'Iqbal avait posées, mais on ne doit pas négliger son importance ni l'intégrité de son auteur ; le lyrisme dynamique d'Iqbal s'est manifesté par ailleurs dans ses chants nationaux islamiques et dans une nouvelle et vigoureuse philosophie de l'action 59. Son nom lui-même, plus que ses œuvres, est désormais une source d'inspiration pour les musulmans ; Iqbal fit pour l'idée du nationalisme chez les musulmans de la péninsule indo-pakistanaise ce que Bankim Chandra avait fait pour les hindous du Bengale, remarque le D* Shahidullah avec justesse ; mais précisons que l'influence du précurseur chez les intellectuels du Bengale fut très tardive, qu'elle ne débuta que quelques années avant la fondation du Pakistan (1947) et que le processus a depuis lors continué avec une force accrue 60. La théorie iqbalienne exposée dans ce discours et dans d'autres textes n'est évidemment que l'expression élégante, solide et provocante du sentiment musulman exprimé banalement depuis que cette communauté se trouvait sous la domination britannique. L'importance capitale de cette théorie réside dans ce que, en l'espace de dix ans, elle devint le leitmotiv de la pensée politique des musulmans indiens, aussi bien de l'élite que 58. Il préconise aussi, « Things would have been different if India had accepted the lead of Kabir or Akbar, but in its absence I can not think of other course except strengthening every religious community of India in its particular ideology and way of life. » (Ibid.) 59. André Guimbretière : « Une dynamique de l'eau et du feu : le poète Muhammad Iqbal », Journal des poètes de Bruxelles, avril 1958 ; Reconstruire la pensée religieuse de l'Islam, conférences d'Iqbal à Oxford et à Madras, traduit de l'anglais par Eva Meyrovitch, Paris, 1955 ; une exc ellente étude avec choix de textes par Luce-Claude Maître, Muhammad Iqbal, Par s, 1964. 60. Sur le sujet, cf. Abul Husain, « Impaci of Iqbal on Bengali Muslim Thought », Iqbal Review, Karachi, avril 1960, p. 54-62 aussi, cf. infra, p. 143, 145, 153.

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de la masse 61 . Le nom de cette « Inde musulmane » est dû à Chawdhry Rahmat Ali 62 , chef d'un groupe estudiantin de Cambridge. A la veille de la troisième conférence de la Table ronde à Londres (1933), il fit circuler une brochure où figurait le mot « Pakistan », qui désigne le groupement des provinces indiennes du Nord-Ouest, d'une part, et le « pays des purs », d'autre part. Dans son plan, Rahmat Ali ajoute encore, un « Bangi-Islam », c'est-à-dire le Bengale et l'Assam des provinces orientales et un « Usmanistan » qui veut inclure Hyderabad et Berar, les principautés musulmanes du Sud 63. Les délégués musulmans à Londres refusèrent de s'associer à ces demandes extravagantes qui, à leur avis, n'étaient qu'« un rêve d'étudiants, chimérique et impraticable 64 ». Les propositions de Rahmat Ali cependant suscitèrent un intérêt parmi l'intelligentsia musulmane et eurent du moins le mérite d'inclure le Bengale dans le « pays des purs ». On sait que dans la querelle constitutionnelle, le Bengale était un facteur majeur de désaccord, car le nombre et la place accordés aux musulmans de cette province dans les sièges gouvernementaux et publics étaient insuffisants. Les tentatives de C.R. Das moururent avec lui en 1925 6r\ La position hindouiste resta inchangée à l'égard du pacte de Lucknow. Les dirigeants musulmans du Bengale, A.K. Fazlul Huq, A.K. Gaznavi, Nabâb Bahadur Sayyid, Nabâb Ali Khan Chawdhury — trois ex-ministres — exprimèrent leur sentiment dans les déclarations qu'ils firent devant le Reform Committee du gouvernement de Sa Majesté 66 . En déplorant la situation du Bengale, ils soulignèrent deux points : les musulmans du Bengale, malgré leur majorité numérique, étaient devenus une minorité politique 67. Un gouvernement démocratique 61. Aziz Ahmad, « Iqbal et la théorie du Pakistan », Orient, n" 17, 1 er trim. 1960. 62. Certains prétendent que le mouvement de Chaudhry Rahmat Ali était financé par les Anglais. Mais il n'existe aucune preuve de cette aide britannique. Le mouvement entretenait des idées fantastiques et subsista jusqu'en 1948, année de la mort de son promoteur. En 1947, Rahmat Ali continuait sa propagande contre Jinnah parce que ce dernier avait accepté le Pakistan actuel en trahissant la nation Pak (cf. bibliogr.). Signalons aussi que la dénomination de Pakistan pour l'Etat musulman ne fut pas donné par la Ligue musulmane mais par ses critiques, et cela ne signifiait pas la terre des purs, malgré l'emploi avantageux qu'en faisaient les publicistes. Cf. Jinnah, Speeches and Writings, 1960, t. I, p. 509 (il le précisa à Gandhi lors de leur rencontre, en 1944). 63. Il faut signaler que le discours d'Iqbal ne fait jamais allusion à un Etat indépendant et souverain des musulmans, tandis que Rahmat Ali le fait catégoriquement. En outre, l'omission du Bengale dans le plan d'Iqbal est surprenante. Est-elle inconsciente ou concertée ? Cela n'est pas clair. Cf. à ce sujet Hafeez Malik, Miislim Nationalisai in India and Pakistan, Washington, 1963, p. 228. 64. Reginald Coupland, Reports on the Constitutional Problem in lndia, Londres, 1942, t. II, p. 199-200. 65. Cf. supra, note 45. Pour Maulânâ Azad, la conséquence en fut (1925) que les musulmans perdirent la confiance qu'ils avaient mise dans le parti du Congrès et que les graines du « partage » furent semées (India Wins Freedom, Calcutta, 1959, p. 21). 66. Ram Gopal, op. cit., p. 174. 67. Ibid.

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se trouve devant une situation difficile, face au manque de conceptions identiques, tant du point de vue social que politique. Signalons aussi que, de son côté, S. Khuda Bakhsh (1877-1931), l'éminent islamologue de Calcutta qui était devenu, peu de temps auparavant, un partisan de Gandhi as , écrivit que le pacte de Lucknow n'était qu'une « folie sublime » ; il prévoyait dans le swarâj professé par le Congrès un facteur devant diviser la société indienne en deux parties inégales, l'une allant au paradis et l'autre en enfer 69. D'après le Rapport Nehru (1928), où l'on envisageait une future constitution de l'Inde, la représentation musulmane du Bengale telle que la souhaitait la communauté musulmane, c'est-à-dire le collège électoral séparé, ne pouvait être acceptée qu'après un délai de dix ans. Ce fut une question d'importance pour les dirigeants musulmans qui s'étaient réunis au sein de la Bengal Muslim Ail Parties Conférence. Ils regrettèrent que le système actuel n'eût pas accordé le suffrage universel et que l'impôt censitaire ne pût être acquitté par les musulmans, économiquement faibles70. Nous connaissons déjà quelques-unes des autres raisons de l'échec en ce qui concerne une constitution commune pour l'Inde future. Du côté britannique, la commission Simon soumit son rapport en mai 1930 et les chefs indiens le condamnèrent presque à l'unanimité. Assez sceptique à l'égard des succès des institutions parlementaires aux Indes, la commission toutefois suggérait de nombreux changements constitutionnels — non pas nécessairement fondés sur des formes existantes, — par exemple l'abolition de la dyarchie et la dévolution du pouvoir « résiduaire » aux provinces71. Les conférences de la Table ronde à Londres (1930-1932) qui suivirent et discutèrent des travaux de cette commission, n'arrivèrent pas à un accord acceptable 72. En conséquence, le gouvernement de Sa Majesté imposa un décret concernant les problèmes des minorités 73. Les musulmans n'y obtenaient pas ce qu'ils demandaient : on leur offrait la majorité des sièges au Pendjab, mais non au Bengale74. En suivant le même principe, le gouvernement présenta enfin la fameuse loi de 1935, qui devint la « magna carta » de l'administration indienne des 68. Les diverses positions du professeur S. Khuda Bakhsh sont significatives ; elles permettent de comprendre la situation des intellectuels musulmans ; jusqu'en 1912, il professait un loyalisme inconditionnel à l'égard des Anglais (Essays : Indian and Islamic, p. 213-215), mais pendant le mouvement de Khilafat, il parlait de l'agitation politique et faisait l'éloge de Gandhi dans un article (Studies : Indian and Islamic, p. 30-36). 69. S. Khuda Bakhsh, Studies : Indian and Islamic, op. cit., p. 270. 70. Ram Gopal, op. cit., p. 214-215. Citons aussi une importante critique en bengali, par Daulat Ahmad, Nehru Report o Mussalman Samâj, Calcutta, s. d. 71. R. Coupland, op. cit., t. I, p. 102-103 ; cf. Report of the Indian Statutory Commission, Londres, Cmd. 3568,3569. 72. Pour détails, cf. K.K. Aziz, op. cit., p. 119-131. 73. Dit The Communal Award, 10 août 1932, Cmd. 4142. 74. I.H. Qureshi, op. cit., p. 291 ; K.K. Aziz, op. cit., p. 127-129.

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années ultérieures ainsi que le modèle des futures constitutions des républiques indienne et pakistanaise. Cet ingénieux travail du Parlement britannique ne plut pas aux Indiens. Les hindous et les musulmans critiquèrent la loi, les premiers surtout pour les sauvegardes accordées aux minorités, et les derniers pour la partie consacrée à l'administration centrale, parce qu'ils craignaient toujours la domination hindouiste 15. Mais, seule, la partie de cette loi concernant l'autonomie provinciale fut mise en vigueur. Tous les partis politiques de l'Inde prirent part aux élections générales de 1937. Jinnah, au retour de son exil volontaire en Angleterre, lors de sa participation aux conférences de la Table ronde, essaya d'unifier les innombrables sections de la Ligue musulmane et certains autres partis musulmans. Pour ne parler que du Bengale, des musulmans adhéraient encore au Congrès, au parti communiste, au Krishak Praja76, au United Muslim, au Khilafat, etc. 77 . Dans une large mesure la session de la Ligue de 1937 unifia tous ces partis et groupes lorsque cette organisation ellemême changea son programme et passa de l'autodétermination (statut de dominion) à l'indépendance complète, de l'attitude féodaliste à certaine notion socialiste de distribution économique et au principe de coopération avec les hindous sur la base de l'accord mutuel 78 . Toutefois, c'est le Congrès qui fut majoritaire dans huit provinces et y forma les gouvernements 79. En dehors des pratiques constitutionnelles anormales so , le fonctionnement de l'administration dans ces huit provinces devint au fil des jours de plus en plus humiliant pour les musulmans. Chaque jour, à l'ouverture des assemblées, on chantait le Bandé Mâtaram 81, on hissait partout le drapeau du parti du Congrès ; on (notamment le « département militaire » de ce parti) opprimait les sympathisants de la Ligue ou on imposait le silence aux membres de l'opposition dans les assemblées ; dans les Provinces-Unies, on remplaçait l'ourdou par le hindi, on obligeait les écoliers musulmans à saluer le portrait de Gandhi et à

75. Parmi beaucoup de critiques citées par V.D. Mahajan {op. cit., p. 347-348), nous retenons celle de Nehru qui compara la loi à une « machine with strong brakes but no engine », et celle de Jinnah qui la caractérisa comme un schéma « thoroughly rotten, fundamentally bad and totally unacceptable ». 76. Sous la direction du chef populaire A.K. Fazlul Huq, le Krishak Praja Party luttait pour l'obtention de droits agraires. Il visait à une révolution agraire par les méthodes parlementaires et constitutionnelles. Cf. Humayun Kabir, « Even the Muslims Disagree », Asia, XL, 8, août 1940. 77. M. Habibullah, op. cit., p. 77. 78. Ibid., p. 78-80. 79. En vérité, le résultat de l'élection de 1937 est trop complexe pour qu'il soit possible de dire que c'était une victoire du Congrès (K.K. Aziz, op. cit., p. 141-143 ; table, p. 142). Pour le développement ultérieur en faveur de la Ligue (1937-1945), cf. ibid., p. 160-161 et 249 (note 33). 80. C.H. Phillips, India, Londres, 1948, p. 133. 81. Supra, p. 37, note 117.

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chanter des hymnes hindouistes 82 . La situation empira à un tel degré qu'un historien anglais put écrire : « Il était de toute évidence que la nouvelle constitution signifiait un raj hindou, pur et simple 83. » Les autorités congressistes, soucieuses de renforcer leur parti, ignorèrent les critiques ou imposèrent des conditions inacceptables à la Ligue qui proposait un compromis ou, dans certains cas, un gouvernement de coalition 84. En conséquence, le « communalisme » ou l'antagonisme hindo-musulman se propageait dans l'Inde entière avec une agressivité accrue. Il est intéressant d'observer qu'au Bengale, où l'on établit un gouvernement de coalition, il n'y eut aucun incident de cette sorte. Le premier ministre de cette province, Fazlul Huq, le dira à haute voix dans une conférence de la Ligue à Calcutta en 1938 85 ; mais les premiers soucis de cet homme politique, originaire de Barishal (Bengale-Oriental), lui vinrent de son intention de répandre l'enseignement dans des régions déshéritées et de soulever les problèmes de la paysannerie. Il faut signaler qu'après le premier partage du Bengale (1905) et la fondation de l'université de Dacca (1921), c'est grâce à ses efforts que le Bengale-Oriental put s'engager dans la voie des transformations profondes 86 . Ainsi, malgré son opportunisme politique qui se fit jour dans sa longue carrière dès la fondation de la Ligue (1906) jusqu'à 1962, année de sa mort, il fut, avec C.R. Das et Subhâs Bose, l'un des chefs des plus populaires auprès des Bengalis de toutes tendances. Notons en passant qu'il fut surnommé Sheré-Bânglâ (tigre du Bengale) et Gariber mâ-bâp (la mère et le père des pauvres). Bien qu'exclu plus tard (1941) de la Ligue par Jinnah, il fut l'un des auteurs du projet audacieux du partage de l'Inde. Lors de la session annuelle tenue à Lahore, le 23 mars 1940, il fit cette proposition : « Les unités géographiquement contiguës devraient former des régions qui seraient aménagées, compte tenu des réajustements territoriaux nécessaires, de telle manière que les territoires où les musulmans sont numériquement en

82. Cf. les travaux de la Ligue musulmane, A.K. Fazlul Huq, Muslim sufferings under Congress Rule, Calcutta, 1939 ; Pirpur report, Delhi, 1938 ; Shareef report, Patna, 1939 ; sur la situation de l'éducation, cf. Kamal Yar Jung committee report, Calcutta, 1942. 83. H.G. Rawlinson, The British Achievement in India, a Survey, Londres, 1947, p. 214. De son côté, François Léger notait : « Ils (les congressistes) ne prennent en somme aucune précaution pour éviter de donner aux musulmans l'impression que la victoire congressiste inaugure une période de dictature infidèle » (c'est nous qui soulignons) ; op. cit., p. 119. 84. Pour les conditions, cf. R. Coupland, India : A Re-Statement, Londres, 1947, p. 214. 85. Ram Gopal, op. cit., p. 258. Huq a même rédigé un écrit polémique contre le comportement des congressistes dans les autres provinces (cf. note 82). 86. Sur ce sujet, il n'y a pas d'ouvrage authentique. Deux récentes biographies, fortement romancées, sur Fazlul Huq éclairent certains aspects de l'histoire du Bengale moderne : B.D. Habibullah, Sher-é-Bânglâ, Dacca, 1369 è. b. ; et Khandkâr Abdul Khaleque, Ek Shatâbdi, Dacca, 1369 è. b. (1962).

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majorité, comme dans les zones du nord-ouest et nord-est de l'Inde, soient groupés, afin de constituer des Etats indépendants dans lesquels les unités constituantes seraient autonomes et souveraines87. » Les hindous et les Anglais reconnurent l'idée même de Pakistan dans cette proposition exprimée en termes délibérément vagues et non définie par la Ligue ou d'autres personnalités musulmanes. Ils réagirent fortement contre une possible vivisection de l'inde 88. Rendant la Ligue très populaire à ses coreligionnaires, Jinnah devint bientôt leur quaid-e-azam (commandant suprême) et 1'« homme le plus important de l'Asie » 89. Son appel fut certes moins logique que celui d'Iqbal, mais plus fervent pour les partisans du « nationalisme musulman ». Il disait : « La différence entre hindous et musulmans a de profondes racines et qu'on ne saurait extirper. Nous sommes une nation avec notre culture propre et notre civilisation distincte, notre langage et notre littérature, notre art et notre architecture, nos noms et notre nomenclature, notre sens des valeurs et des proportions, nos lois juridiques et nos codes moraux, nos costumes et notre calendrier, notre histoire et nos traditions, nos aptitudes et nos ambitions. » Et il ajoutait : « Nous avons notre propre et distinctive conception de la vie. Par tous les canons du droit international, nous sommes une nation 90 . » Le mouvement en faveur du Pakistan, fondé sur ce principe de philosophie politique suivant lequel les hindous et les musulmans formaient deux « nationalités » différentes, marqua, en peu de temps, de son empreinte puissante la vie politique indienne. Nulle négociation ne fut désormais entreprise entre les Britanniques et les dirigeants indiens sans tenir compte de ce fait nouveau. Par ailleurs, la crainte des musulmans de subir, dès l'indépendance de l'Inde obtenue, une éventuelle dictature de la majorité hindouiste s'était avivée au cours des derniers événements qui avaient suivi le mouvement khilafatiste et avaient mené à l'administration 87. Pour le texte complet, cf. Maurice Gwyer et A. Appadorai, op. cit., t. II, p. 443-444 ; A.B. Rajput, op. cit., p. 79-80 (la date du 26 mars mentionnée dans ce livre est inexacte). 88. Le point de vue de M.K. Gandhi est le plus remarquable ; cf. ses essais, « To the Protagonists of Pakistan », Ghandi Sériés, n° 5, Calcutta, 1949. Pour les réactions anglaises, cf. K.K. Aziz, op. cit., p. 145-150. 89. Cette épithète a été employée par le journaliste anglais Beverley Nichols, Verdict on India (chap. « Dialogue with a Giant »), Londres, 1944. 90. Cité par François Léger, op. cit., t. I, p. 124. Citons aussi sa remarque non dépourvue de justesse sur Jinnah : « ... de 1940 à 1947, Mr. Jinnah maintiendra l'idée vivante, sans jamais s'engager trop loin, sans fermer réellement aucune porte, sans rejeter notamment l'hypothèse d'un lien confédéral assez lâche avec le reste de l'Inde, sans se laisser déborder par les troupes toujours plusi nombreuses qu'il rassemblera autour de lui. Mr. Jinnah continuera de manifester dans toute cette période les plus rares qualités du vrai politique telles que nous les avons déjà décelées chez lui : une véhémente imprécision, une évidente fermeté qui n'exclut pas une réelle souplesse, une énergie dont on sent qu'elle doit aboutir, même si jusqu'à la dernière minute personne, et lui-même tout le premier, ne sait pas exactement à quoi » (p. 127).

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congressiste de quelques provinces : cette crainte trouvait enfin un remède et une issue. La ligne politique n'est jamais simple et droite. Avec Jinnah comme chef éminent, les musulmans indiens passèrent désormais par des parcours difficiles. L'intransigeance apparente de Jinnah lui valut la condamnation véhémente de la presse hindoue et étrangère, mais les musulmans le chérirent d'autant plus jalousement 91 . La demande de création du Pakistan devenait plus pressante au fil des jours ; « grotesque et illogique », elle ne convenait ni aux hindous ni aux Anglais, sans l'approbation de qui cela ne pouvait s'accomplir. Quelques événements cependant favorisèrent sa réalisation. D'abord, elle acquit le soutien de deux chefs hindous de haute valeur. Le D r B.R. Ambedkar fut le premier à écrire un livre en anglais, Pakistan or Partition of India, juste après le vote de la résolution à Lahore. Dans ce livre, il juge le cas du Pakistan sous tous ses aspects et il en recommande la création parce qu'il la considère comme « un moindre mal, comparé à une friction perpétuelle entre les deux communautés 92 . L'influence de ce livre sur les partisans et les adversaires du Pakistan fut énorme. Durement frappés par la deuxième guerre mondiale, les Anglais, en la personne de Lord Lintithgow, alors vice-roi, et de Sir Stafford Cripps, membre du cabinet de Guerre, firent allusion à l'indépendance de l'Inde sous forme de déclarations 93 ou de propositions 94, afin de mobiliser les Indiens aux côtés des Alliés 95 . Ces propositions, symboliquement du moins, acceptaient le principe de l'autodétermination musulmane. Par ailleurs, suivant l'exemple d'Ambedkar, un autre dirigeant du Congrès, C. Rajagopalacharia, essaya de convaincre ses collègues d'arriver à un compromis avec la Ligue. Condamné, il abandonna son poste de premier ministre à Madras ainsi que le poste de membre du comité d'action 91. « Le secret du succès de Jinnah — notons-le en passant en nous ralliant au jugement du professeur Aziz Ahmad — reposait en fait exactement sur le contraire de ce qui apparaissait extérieurement être la situation ; il ne dirigeait' pas l'opinion musulmane, mais était mené par elle ; son rôle fut celui d'un homme de loi sincère et lucide qui pouvait formuler et exprimer en termes constitutionnels précis ce que le client désirait réellement. » Cf. « Remarque sur les origines du Pakistan », Orient, n° 26, 2* trimestre, 1963, p. 21-29. De son côté, l'historien anglais P. Spear compare le succès de Jinnah avec celui de Churchill en 1940. Cf. India, a Modem History, Ann Arbor, Michigan University Press, 1961, p. 408. 92. Le D ' Ambedkar est le chef incontesté des castes hindoues défavorisées, un des artisans de l'Inde moderne et de sa constitution de 1950 (Pakistan or Partition of India, op. cit.). 93. Cf. « August Offer » ; pour le texte et commentaire, cf. Coupland, op. cit., t. II, p. 333-335. 94. C.H. Phillips, The Evolution of India and Pakistan — Select Documents on the History of India and Pakistan, Londres, 1962, t. IV, p. 370-375. 95. La Ligue musulmane aida le gouvernement de diverses manières dans ses préparatifs de guerre, tandis que le Congrès restait à l'écart. Le parti communiste, bien que d'importance réduite, aida aussi le gouvernement après l'engagement de la Russie dans la guerre. Ce parti soutint alors l'action en faveur du Pakistan et le reconnut comme un mouvement de masse, s'inspirant de Marx et de Staline (cf. aussi notes 100 et 115).

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du Congrès ; il continua sa tâche de réconciliation jusqu'en 1944, date à laquelle Gandhi vit triompher sa « formule » 96 et put s'entretenir avec Jinnah. Il est évident que Gandhi le fit contre son gré lorsqu'il vit que parallèlement à son mouvement intitulé « Quittez l'Inde » (1942-1943), l'agitation musulmane fondée sur le slogan « Divisez et quittez » remportait le même succès 97. L'entrevue entre Gandhi et Jinnah échoua, car ce dernier, sûr de sa position, n'accepta pas « l'idée paternaliste hindoue de l'autonomie musulmane à l'intérieur d'une fédération indienne » ou la promesse du partage après la libération du pays 98. Les négociations, cependant, continuèrent, surtout du côté du pouvoir qui considérait l'Inde en état de guerre civile, les heurts et les bagarres allant en se multipliant " . La division psychologique du peuple indien se manifestait partout dans les activités des intellectuels 100 et des fonctionnaires, mais aussi des commerçants, des industriels et des paysans. Deux événements survenus à ce moment-là renversèrent la situation au profit de la Ligue. Juste après la guerre, il y eut en Grande-Bretagne un gouvernement travailliste qui décida d'en finir avec la situation indienne 101 et ordonna de nouvelles élections aux Indes pour juger de la position des différents partis politiques (1945). Jinnah et ses partisans attendaient cet instant de vérité depuis longtemps. Ils justifièrent leur demande de création du Pakistan, malgré le défi des congressistes et les soupçons des Anglais, en occupant tous les sièges musulmans de l'Assemblée législative centrale 102 . Dans les assemblées provinciales, le résultat des élections fut également étonnant ; au Bengale, par exemple, 113 sur 119 sièges musulmans furent acquis par la Ligue 103 . Le deuxième événement fut constitué par la mise en place d'un gou96. Cf. C. Rajagopalacharia, The Way Out, Londres, 1944. 97. Cf. Nawabzada Liakat Ali Khan : Jinnah-Gandhi Talks (septembre 1944), Text of Correspondance and other Relevant Documents, etc., Delhi, 1944 ; cf. auissi Gandhi-Jinnah Talks, etc., Delhi, 1944. 98. M.A. Jinnah, op. cit., t. I, p. 499-500. 99. Il est bon de rappeler que depuis ce temps-là, Gandhi se consacra principalement à l'établissement de la paix et à faire cesser le carnage humain. Au Bengale, il fut aidé par le premier ministre, H.S. Suhrawardy, que les hindous accusent généralement d'être responsable des bagarres. La tragédie indienne de cette période atteignit son paroxysme lorsque ce prophète de la paix fut assassiné par un intellectuel hindou extrémiste (1948). 100. Un vigoureux mouvement, dit de la « renaissance pour le Pakistan-Oriental », s'installa à Calcutta et à Dacca. Les intellectuels « progressistes », dont nous parlerons dans le chapitre suivant, y participèrent avec enthousiasme et les politiciens communistes s'accommodèrent du principe du Pakistan. Pour d'autres aspects, consulter, W. Norman Brown, « India's Pakistan Issue», P. A.PS., Philadelphia, 5 avril 1947, p. 178-179 (162-180) ; et infra, note 115. 101. Cf. India : The Statement of the Policy of His Majesty's Government, 14th June, Cmd. 6652. 102. K.K. Aziz, op. cit., p. 165. 103. D'un total de 495 sièges, la Ligue gagna 446, et le nombre augmentait encore dès que les assemblées siégeaient. Ram Gopal, op. cit., p. 305.

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vernement intérimaire pour l'Inde, le 2 septembre 1946, à la suite de négociations très difficiles 1W. La formation et les travaux de ce gouvernement créèrent des situations politiques spectaculaires, mais établirent aussi le besoin urgent du partage. La Ligue s'y joignit le 15 octobre 1946, après beaucoup d'hésitations 103. Ce gouvernement, qui avait Nehru comme vice-président, n'était en effet qu'un conseil exécutif du vice-roi ; il fonctionna jusqu'au 14 août 1947. Or, les membres du conseil désignés par la Ligue n'acceptèrent pas Nehru dans le rôle de premier ministre et n'assistèrent pas aux réunions tenues, souvent à sa résidence 106. En outre, le budget que Liakat Ali Khan présenta en qualité de membre chargé des Finances, surnommé « budget pour les pauvres », fut pour les congressistes un coup sérieux, car il préconisait de lever de lourds impôts sur les biens et propriétés des gros commerçants et industriels (pour la plupart des hindous, financiers du Congrès) et proposait d'établir une commission d'examen des fraudes fiscales 107. Bref, ces événements indiquaient clairement aux congressistes et aux dirigeants anglais qu'une coopération hindo-musulmane au sein d'un gouvernement fédéral aux Indes ne pouvait pas être réalisée108. De plus, les dirigeants anglais virent que les membres de la Ligue, bien qu'occupant des postes au conseil du vice-roi, ne participaient pas aux travaux de l'Assemblée constituante. Cette Assemblée avait pour tâche de préparer une nouvelle constitution et la Ligue n'y trouvait pas l'acceptation de son plan de création du Pakistan. En fait, les deux partis, Ligue et Congrès, n'avaient accepté que la moitié des conditions imposées par les Anglais et se trouvèrent ainsi en droit de défendre leurs propres positions. Les dirigeants congressistes, face à des problèmes insupportables, n'hésitèrent donc pas à accepter un peu hâtivement et au grand étonnement des nationalistes musulmans 109 le principe du partage et de la libération de l'Inde élaboré par le vice-roi, Lord Mountbatten, dans son projet du 3 juin 1947 110. Plus hâtivement encore, on prenait soin de ses biens, 104. Cf. « Cabinet Mission Scheme, 1946 ». Pour détails, cf. Mahajan, op. cit., p. 355-360. 105. Les cinq membres que la Ligue choisit pour la représenter furent Liakat Ali Kfian (Finances), I.I. Chundrigar (Commerce), A.R. Nishtar (Poste et Air), Gaznafar Ali Khan (Santé), Jogendra Nath Mandai (Législation) ; ce dernier, un hindou du Bengale de caste inférieure, fut choisi contre un membre musulman désigné par le Congrès et que la Ligue empêcha, par tous les moyens mais en vain, d'être nommé au gouvernement. 106. Toute la presse hindouiste et certaine presse étrangère s'en firent l'écho, mais à la vive protestation de la Ligue, le vice-roi clarifia la situation ; K.K. Aziz, op. cit., p. 170. 107. A. Campbell-Johnson, Mission with Mountbatten, Londres, 1951, p. 43. 108. A.K. Azad, op. cit., p. 166-176. 109. Ibid., p. 185-188. Azad, qui travailla toute sa vie pour l'unité indienne (voir, le début de ce chapitre), démasque les dirigeants congressistes et critique l'hypocrisie de ses collègues (p. 197). 110. Cf. Statement Regarding the Method of Transfer of Power, 3rd lune, 1947, Cmd. 7136, 1947. Détails, V.P. Menon, op. cit., p. 353-365.

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de ses frontières et de ses populations 111 . Là encore, un problème, entre autres, reste encombrant. Lors du partage, les hindous, appuyés par les Anglais, insistèrent sur la division de deux provinces : le Pendjab et le Bengale ; car la partie orientale de la première et la partie occidentale de la seconde comptaient en majorité des populations sikhs et hindoues m . Il va sans dire que c'était légitime, suivant le principe général qui s'appliquait à l'Inde tout entière. Mais les dirigeants de la Ligue, en la personne de Jinnah, protestèrent vivement. Jinnah soulignait que le partage du Pendjab et du Bengale détruirait la bonne marche de l'administration et de l'économie de ces deux provinces. Une solution à ce problème pouvait être trouvée, à son avis, dans l'échange des populations. Il avança même l'argument selon lequel, si l'on voulait partager ces deux provinces, il fallait faire de même pour d'autres provinces où certaines zones étaient peuplées en majorité de musulmans 113. Le premier ministre du Bengale, H.S. Suhrawardy, soutenu par quelques dirigeants hindous, notamment Sarat Chandra Bose (frère de Subhâs Bose), tenta, en dernière heure, de sauvegarder l'intégrité du Bengale en en faisant une région de « type indépendant » à l'intérieur du Pakistan 1W. Mais la majorité des dirigeants hindous, et même des communistes qui se montrèrent auparavant en faveur du Pakistan 115 , s'opposèrent à cette idée. Suhrawardy, avec l'appui du gouverneur du Bengale, Sir Frederick Burrows, demanda par ailleurs au gouvernement britannique de reconnaître le Bengale comme Etat indépendant ou, à défaut, d'accepter que Calcutta devienne cité libre. Cette demande fut rejetée par le gouvernei l 1. Azad notait aussi que la capitulation anglaise, à la demande de la Ligue, s'attachait beaucoup plus à sauvegarder les intérêts britanniques qu'à faire plaisir à ce parti, car le gouvernement travailliste fut toujours très favorable au Congrès (op. cit., p. 191). 112. La réponse du dernier vice-roi à Jinnah, évoquée par lui-même plus tard, ne nous laisse pas soupçonner l'appui des Anglais pour la division des provinces : « The feeling invoked in his heart (de Jinnah) by the prospect of the partition of these Provinces was the feeling invoked in my heart and the heart of Congress against the partition of India itself. » Cf. Asiatic Review, Londres, 1948, p. 398. Voilà une des raisons pour lesquelles Lord Mountbatten ne fut pas accepté par la Ligue comme gouverneur général de l'Inde et du Pakistan (il le fut pour l'Inde, et Jinnah fut investi de cette fonction au Pakistan). Les détracteurs de Jinnah, notonsle en passant, n'ont cependant pas de raisons de l'accuser d'être un politicien avide de pouvoir, car Gandhi lui avait offert, dès leur rencontre de 1944, la possibilité de devenir premier ministre de l'Inde, lors de la libération du pays. 113. Khalid Bin Sayeed, op. cit., p. 182-183. 114. G. Haldar, Sanskritir Rupântar, Calcutta, 1348 è. b., p. 251. Un des dirigeants de la Ligue, Abul Hashim, invoquait déjà (avril 1946) le statut du Bengale comme « Etat indépendant », en indiquant que la résolution prise à Lahore en 1940 pouvait être ainsi interprétée ; ajoutons que le « chef suprême » Jinnah et ses disciples au Bengale ne l'approuvèrent pas. Khalid Bin Sayeed, op. cit., p. 123-124. 115. W.N. Brown et A. Ahmad (cf. bibliogr.).

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ment de Sa Majesté sous le prétexte que le Congrès ne l'accepterait jamais 116 . Or, les hindous du Bengale, oubliant ou ignorant leurs violentes réactions contre le partage du Bengale au début du siècle, abandonnèrent la plus grande partie de cette province, c'est-à-dire les districts où les musulmans étaient en majorité : ces territoires allaient constituer un autre Etat avec l'adjonction d'une partie de l'Assam (district de Sylhet), selon les vœux des habitants, exprimés par un référendum. Attirés par l'Inde libre, ils ne manifestèrent aucune nouvelle tentative, comme ce fut le cas de quelques dirigeants musulmans, pour réaliser le projet d'un « Bengale indivisible ». Ainsi concluons-nous que le partage, ou, mieux, les partages de la péninsule indienne se firent grâce à des compromis entre les différents partis intéressés, ce qui explique que ni personne ni aucun parti n'était responsable, à titre individuel, de ce « désastre ». Et pourtant nul ne doutera que les positions musulmanes n'aient joué le rôle de plaque tournante dans le déroulement des événements en Inde moderne. Quant aux musulmans du Bengale, on ne peut nier l'importance de leur rôle qui constituait, comme nous venons de le voir, l'essentiel des positions musulmanes. Tourmentés par les confrontations intérieures et le souci de se lier avec les coreligionnaires de l'extérieur, ces adeptes de l'Islam, qui participèrent jadis lucidement à la civilisation composite du Bengale, arrivèrent à créer, eux aussi, leur propre demeure dans le « pays des purs », mais laissant leurs frontières ouvertes, en tous sens, à ceux dont ils venaient de se séparer. Il reste à examiner leurs activités littéraires et intellectuelles qui exprimèrent les mêmes idées qui se manifestèrent dans l'action sociopolitique, mais avec des éléments neufs qui laissaient présager un renouveau cohérent et affermi.

116. Leonard Mosley, The Last Days of the British Raj, Londres, 1961, p. 196.

CHAPITRE V

LA LITTÉRATURE MUSULMANE ET LA RENAISSANCE DES LETTRES BENGALI

Un intellectuel n'est pas seulement celui auquel les livres sont nécessaires, c'est l'homme dont une idée engage et ordonne la vie.

André

MALRAUX

In times of crises in their History, it is not Muslims that saved Islam, on the contrary, it is Islam that saved Muslims. IQBAL

Sous ce titre audacieux et peut-être un peu ambigu, nous voudrions englober dans ce chapitre les personnalités littéraires du 20e siècle et leurs importants écrits pendant la période 1905-1947. Ce faisant, nous essaierons également de montrer comment les événements socio-politiques de l'époque ont influencé ces écrits et, inversement, comment ces personnalités, face à la nouvelle situation, ont réagi ou participé aux divers mouvements. C'est pourquoi les œuvres littéraires ou scientifiques qui sont le fruit de la vie intellectuelle des musulmans du Bengale, comme d'ailleurs le suggère ce titre, ne peuvent être jugées isolément ; c'est dire que les critères de réussite de l'époque contemporaine doivent être en relation étroite avec les critères qui valent pour la société voisine. Or, cette société voisine qui était celle des hindous dominait la littérature moderne. C'est un fait évident, et nul ne doute que ses membres aient contribué en grande partie à une renaissance des lettres. Il importe de souligner cependant qu'à l'époque leurs contributions ne s'inspirèrent pas d'un idéal séparatiste mettant l'accent sur une littérature exclusivement hindoue. Fait curieux, dès la fin du 19e siècle, il existait chez les musulmans deux tendances parallèles : l'une pouvait être considérée comme la littérature « musulmane » et l'autre figurait dans la littérature du peuple bengali ; mais ce qui est problématique pour l'historien, c'est de classer les auteurs de manière systématique, car les plus représentatifs d'entre eux ont parfois participé à ces deux catégories divergentes, voire opposées. Nous avons essayé de montrer brièvement que ce problème résultait de certaines interprétations erronées des faits socio - religieux et d'une

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absence d'idées laïques ou libérales. Nous avons signalé aussi comment les écrivains musulmans, guidés par leur conscience vis-à-vis de leur propre communauté, ne pouvaient pas réagir autrement 1 . Le 20e siècle leur a ouvert l'ample notion du progrès, mais leur propre dynamisme et la situation politique de l'Inde les amenèrent à des conflits religieux, doctrinaux et idéologiques. C'est de là que vient le paradoxe, car la littérature tenait à devenir « musulmane ». Il est donc légitime d'analyser les œuvres musulmanes en classant les personnalités littéraires d'après leurs tendances personnelles : 1. Des écrivains comme Shiraji, Akram Khan, Islamabadi et leurs successeurs se consacrèrent à une littérature musulmane et dominèrent les vingt premières années du siècle présent. 2. Des écrivains et intellectuels musulmans comme Nazrul Islam, Abdul Wadud, etc., se sentaient fidèles à la tradition bengali. De ce groupe sortirent les devanciers d'une renaissance des lettres chez les musulmans du Bengale ; dans l'art poétique et en politique, ils sont parfois opposés au groupe précédent. 3. Des écrivains comme Lutfar Rahman, Rokeya Khatun, Shahidullah, etc., se situaient entre ces deux groupes. 4. Des intellectuels comme Humayun Kabir, Abu Syed Ayyub, Syed Mujtaba Ali et d'autres — plutôt individualistes — représentaient au Bengale l'esprit de la culture universelle inspirée par la civilisation occidentale. Ce classement assez logique nous permet de mieux comprendre la genèse des œuvres créées par les écrivains musulmans du Bengale ; d'autre part, il respecte assez bien la chronologie. La littérature musulmane de langue moderne eut pour précurseurs les écrivains que nous considérons dans le premier groupe. Mais ce mouvement avait déjà été amorcé auparavant par deux grands poètes, Kaikobad et Hamid Ali, qui exhortaient leurs coreligionnaires à créer une littérature originale 2 . Etant donné la limitation de leurs activités et l'adversité des temps, cette tâche resta inachevée jusqu'à la venue de Sayyid Ismail Hussain Shiraji (1880-1931). Passant pour un prodige 3 , ce poète et prosateur vigoureux devint vite le chef de file de cette école de pensée. Né pauvre, Shiraji ne bénéficia pas — et ce fut d'ailleurs le cas pour la plupart des écrivains musulmans — d'une éducation supérieure ; mais par ses efforts personnels, il acquit la maîtrise de l'arabe, du persan et du sanskrit. Orateur né, soutenu par ses dons littéraires, il devint assez riche, mais continua à distribuer ses richesses aux pauvres, surtout aux écrivains qui avaient des difficultés financières. 1. Cf. chap. II et m . 2. Cf. chap. m . 3. M. Serajul Haq, Shiraji-Charit, p. 12-13.

La littérature musulmane

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Inspiré par l'enseignement d'Afghâni, Shiraji fut un ardent partisan du panislamisme. Il participa aux mouvements politiques indiens et fut vite considéré comme l'une des personnalités éminentes du Bengale. Esprit agité et singulier, Shiraji ne pouvait pas rester à l'écart des mouvements de son époque ; aussi dénonça-t-il l'exclusivisme musulman et participat-il au Congrès national ; son rôle y fut plutôt celui d'un conciliateur et il lutta de toutes ses forces pour défendre les droits de ses coreligionnaires. C'est pourquoi, dit le D r Enamul Haq, « il combattit d'un côté contre les Anglais et de l'autre contre les hindous avec un héroïsme herculéen 4 ». Sa ferveur panislamique l'entraîna jusque sur les champs de bataille de Turquie. Lors de la guerre des Balkans, il accompagna la mission médicale qui, placée sous la direction du D r Ansari, alors président du Congrès national, fut envoyée par les musulmans indiens à l'aide de la Turquie. Son séjour (du 2 décembre 1912 au 15 juillet 1913) dans ce pays cher aux musulmans du Bengale lui apporta les honneurs turcs 5, mais sa meilleure contribution pour ses compatriotes réside dans les écrits qu'il rédigea à propos de cette contrée qui leur était inconnue Son journal de voyage, Turaska-Bhraman (Calcutta, 1913), publié d'abord sous forme de lettres écrites par un Bengali voyageant en Turquie, et qui traite de l'aspect physiologique et psychologique de ce pays et de son peuple, est le seul de ce genre. L'intérêt qu'y prendrait un sociologue ou un historien ne serait en rien diminué aujourd'hui, car ce livre nous offre un excellent aperçu de la stratification sociale, des mœurs et des goûts des Turcs, qui y sont comparés avec ceux des Bengalis. Ce qui est encore plus étonnant, c'est que Shiraji exprime nostalgiquement l'amour de son pays lorsqu'il essaie de décrire ce pays qui est à ses yeux « magnifique et qu'il faudrait imiter ». L'amour qu'il porte à son pays l'inspire également dans tous ses autres écrits ; dans un recueil d'essais intitulé précisément Svajâti-Prem, il esquisse ainsi l'idée qu'il s'en fait : « L'amour de la patrie est la colonne vertébrale de la vie nationale. Comme les herbes ont essentiellement besoin de la terre pour grandir, l'amour de la patrie est aussi nécessaire à la puissance et au développement d'une nation. Sans ce sentiment, une nation possédant même l'unité religieuse est faible et insignifiante 7. » Cette passion, qui est d'ailleurs le leitmotiv de toutes ses œuvres poétiques et de sa vie propre, pourrait-on dire, n'est cependant pas originale. Il la doit à tous ses prédécesseurs, les poètes Michael Madhusudhan Dutt, Rangalâl, Hemchandra Bandopadhaya, Nabin Sen et Kaikobad. Et tout 4. Muslim Bengali Literature, Karachi, 1957, p. 202. 5. Dans une cérémonie, le sultan de Turquie lui remit des insignes honorifiques et le titre de ghâzi pour ses services. Notre poète, dit-on, répondit en excellent turc. Ibid. 6. Il écrivit trois ouvrages sur la Turquie ; mais Turasker Diary et Navya Turquie ne furent publiés qu'en partie dans des revues. 7. Sayyid Shiraji, Svajâti Prem, p. 1. 9

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Etude sur l'évolution intellectuelle du Bengale

comme eux, il confond la notion de nation avec celle de communauté. En ce qui concerne le style, le sujet et la vision, ses œuvres poétiques, AnalPravâha (le fleuve de feu), Mahâ-shikshâ-Kâvya (le grand enseignement), Spain-Vijay-Kâvya (la conquête de l'Espagne) restent dans la ligne de la tradition littéraire du 19 e siècle. Pour créer plus de variété, il essaya d'y expérimenter quelques dizaines de mètres prosodiques, mais, par manque de force créatrice, ces œuvres ne sont pas artistiquement réussies. Seul, Anal-Pravâha fut très populaire à l'époque, et sa célébrité atteignit son paroxysme lorsque l'œuvre fut interdite par le gouvernement et que le poète fut emprisonné pendant deux ans. C'est un tour de force sur des thèmes chers au poète et que les lecteurs musulmans exigeaient alors de l'écrivain. Voici un extrait du premier poème d'Anal-Pravâha (dédicace) : Porte-drapeau

de la gloire de l'Islam

O les jeunes, lumières de l'esprit, Souhaitons

que le monde

prenne un nouveau

visage

Par le chant de l'Islam, par le réveil Des musulmans. Evoquons Et

l'amour

Comme

du

la gloire du passé

peuple.

je souhaite

passionnément

Que votre vie prenne feu En chassant la paresse.

Mahâ Shikshâ-Kâvya prend comme thème l'épisode de Karbalâ : mais l'auteur choisit de ne présenter que l'enseignement moral sur un ton didactique 8. Spain-Vijay-Kâvya est unique dans la littérature bengali, car ce long poème héroïque transporte les lecteurs bengali dans ce pays lointain qu'est l'Espagne. En prenant le thème de la conquête mauresque dans l'Histoire des Sarrasins d'Amir A l i 9 , Shiraji essaya, non sans succès, de créer une épopée originale. La peinture de caractère de l'empereur Roderique, de la reine Ethica et du conquérant Tariq en particulier, est tout à fait remarquable. A ce propos, on peut mentionner aussi son essai historique, Spainiya Mussalmân Sabhyatâ (la civilisation musulmane de l'Espagne), bien documenté, élégamment présenté, et qui s'inspira également d'Amir Ali. Sa documentation est cependant fondée sur d'autres historiens occidentaux sympathiques à l'Islam. Shiraji composa un grand nombre de poèmes lyriques, dont un excellent recueil, Premanjali (l'offrande de l'amour), qui lui apporta une célébrité considérable. Il écrivit des romans historiques, à l'instar de Bankim Chandra Chatterjee. Il est intéressant de noter qu'il fut romancier malgré lui et pour réagir contre les romans bengali critiquant les musulmans et leur civilisation. 8. Ce poème épique a été publié en partie dans la revue Al-Eslam, 1322 è. b. 9. Cf. chap. I.

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L'esprit romantique et exubérant de Shiraji n'était peut-être pas très favorable au roman moderne. Mais cela ne l'empêcha pas de chercher des lieux historiques pour créer des œuvres romanesques semblables à celles de Bankim Chandra que les musulmans condamnaient à l'époque à haute voix. Or, Shiraji, alors chef de file des intellectuels musulmans, imagina ce qu'on pourrait appeler des « contre-romans » pour répondre à Bankim Chandra et aux musulmans cultivés qui, malgré eux, lisaient ce dernier 10 ; à son avis, il fallait détourner les lecteurs de ces romans hindous. Ses trois romans, Rây-nandini, Târâbai, Firozâ-Begum plurent aux lecteurs musulmans de l'époque 11 ; mais comme créations littéraires, ils donnent par moment une fâcheuse impression de naïveté, impression évidemment causée par la schématisation poussée des personnages et l'extrême simplification de leurs rapports réciproques. De plus, l'auteur y joue le rôle de prédicateur avec ses longs discours sur la foi religieuse des héros ; quoique écrits en un style agréablement sanskritisé, ses romans n'ont qu'une valeur historique et témoignent de la réaction musulmane à l'encontre des positions hindoues. Cela est présent, d'une façon plus provocante, dans ses poèmes de circonstance, notamment Rangilâ Rasul12. En somme, Shiraji chercha à créer un monde littéraire exclusiviste pour les musulmans du Bengale et un pont entre les idées islamiques du 19e siècle et celles du 20e siècle, par le moyen de la littérature. Ecrivain, poète et orateur renommé, il a ainsi eu l'avantage d'influencer les intellectuels, les écrivains et même les masses musulmanes de la toute première moitié de notre siècle, tous engagés sur la même voie. Nous considérerons ensuite Maulânâ Maniruz-Zaman Islamabadi (18781950), qui fut l'une des grandes figures des promoteurs musulmans 13 . Ayant eu une formation religieuse, Islamabadi se consacra d'abord à l'enseignement, mais bientôt les Mouvements du Khilafat et de la noncoopération firent de lui un véritable meneur avec à son crédit des séjours prolongés en prison et la fondation de diverses organisations socio-poli10. Vers 1924, un certain médecin homéopathe, Syed Abul Hussain, publia un essai de 500 pages, Jnân Bhândar, critiquant les œuvres de Bankim Chandra. L'année suivante, un poète, Shaikh Muhammad Idris Ali, publia le même exemple de « contre-roman » avec Bankim-Duhitâ, dans lequel il raconte l'histoire fictive d'un amour entre la fille du célèbre romancier hindou et un musulman. 11. Dans les deux premiers romans, les héroïnes sont hindoues et les héros sont musulmans ; dès 1928, ils atteignirent leur deuxième édition. 12. Dans ce poème (cité dans la revue Bânglâ Academy Patrikâ, I, 2, p. 59) Shiraji excite l'esprit d'héroïsme des musulmans pour qu'ils vengent l'insulte faite à un prophète. Nous avons déjà indiqué (chap. IV, p. 112) à ce propos qu'un hindou écrivit un livre : Rangilâ Rasul (Lahore, 1924) qui ridiculisait le Prophète. Les musulmans protestèrent dans l'Inde entière et un fanatique assassina même l'auteur hindou (1929). 13. Islamabadi veut dire originaire d'Islamabad, ancien nom de Chittagong ; cf. Muhammad Habibullah, « Maulânâ Islamabadi », Mah-i-Nau, Dacca, I, 5, p. 24-26.

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tiques Dans le domaine politique, il travailla toute sa vie en ardent disciple de Mahatma Gandhi et de Maulânâ Azad, mais ses œuvres littéraires lui valurent d'être le chef de file de la littérature musulmane. Profondément influencé par Maulânâ Shiblî Nu'mânî, il essaya, tout comme son maître, d'écrire ou plutôt de récrire l'histoire de l'Islam 11. Son chef-d'œuvre, Bhâraté Mussalmân Sabhyatâ (la civilisation musulmane en Inde), loin d'être un ouvrage de propagande ou d'apologétique, nous révèle une pensée aussi claire et originale que celle contenue dans la thèse de doctorat d'un historien hindou 16. Son style agréable et son interprétation scientifique avaient rendu ce livre très populaire, à un moment donné, auprès des deux grandes communautés du Bengale. La plupart de ses écrits sont aujourd'hui épuisés, il n'en reste trace que dans les pages des journaux et des revues. Néanmoins, nous citerons les quelques titres qui rendent compte des sujets traités et des mobiles de leur auteur : Turasker Sultan (le sultan de Turquie), Nézamuddin Aoulîa (le grand saint de Delhi), Mussalmâner Abbhyutthân (le réveil musulman), Samâj-Sanskâr (la réforme sociale), Khagol-Shâstré Mussalmân (l'astronomie et les musulmans), Bhâraté Islam Pratcâr (la propagation de l'Islam en Inde) 17 , Bhougol-Shâstré Mussalmân (les études géographiques et les musulmans), Moslem-Viranganâ (les héroïnes...), Koranê Svâdhinatâr Vâni (le message de l'émancipation dans le Coran), Islamer TJpadésh (l'enseignement de l'Islam), Islamer Punya Kathâ (le message sacré de l'Islam), etc. Pendant les jours fiévreux du mouvement Khilafat, il a joué un grand rôle non seulement par ses écrits et ses discours passionnants, mais aussi par la puissante voie du journalisme. En effet, il fut dans sa jeunesse étroitement lié avec le groupe Sudhâkar. Son Sultan, qui fit sensation, fut d'abord un hebdomadaire, puis devint un quotidien, de 1903 à 1908. En 1929, un nouveau quotidien, intitulé Amîr, fut édité par lui, mais l'influence essentielle qu'il eut sur les intellectuels musulmans est cependant due à Al-Eslam, célèbre revue qu'il dirigea avec Maulânâ Akram Khan. C'est dans cette revue qu'on trouve la plupart des écrits importants d'Islamabadi et les écrits d'autres auteurs qu'il commentait par des notes pénétrantes et pleines d'idées. De 1940 à 1947, cette éminente personnalité demeura dans l'ombre 14. Il fut l'un des fondateurs de Jamiaté Ulâma-i-Hind (parti politico-religieux), de Krishak-Prajâ Samity (parti politique en faveur des paysans), de Bangiya Mussalman Sâhitya Samity (Société littéraire des musulmans du Bengale, 1911), etc. C'est aussi à son enthousiasme qu'on doit plusieurs sociétés industrielles, commerciales et des banques musulmanes, écoles, orphelinat, etc., institués pour la première fois au sein de la société musulmane. 15. Abdul Hai et S. Ali Ahsan, op. cit., p. 135. Sur Shiblî, cf. supra, p. 123. 16. Tarachand, Influence of Islam on Indian Culture, op. cit. 17. Inspiré par l'étude importante de T.W. Arnold, The Preaching of Islam, op. cit.

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à cause de sa politique antipakistaniste, tandis que son collègue, Maulâna Akram Khan, aussi brillant mais plus habile en politique, affermissait son autorité. L'éducation intellectuelle de Maulânâ Khan l'a sans doute aidé, mais on ne peut pas ignorer son bon sens en matière commerciale, car il possède encore aujourd'hui un grand réseau de journaux et de revues musulmanes dans les deux territoires du Bengale. Avant d'analyser son activité journalistique, nous parlerons de ses œuvres littéraires. Il a écrit une biographie de Mahomet, Mostâfâ Charit, qui est une création unique dans ce genre littéraire au Bengale. Avec des détails minutieux et des réflexions profondes, cette œuvre présente un Mahomet qui est aussi homme parfait et non seulement le Prophète des musulmans. Ce faisant, son auteur ne donnait pas une explication didactique de la vie et des activités du Prophète, mais s'efforçait de fonder solidement son interprétation sur la science historiographique. Il a recherché les liens logiques qui pouvaient exister entre les événements, le Verbe de Dieu (Qufan) et les traditions du Prophète (Hâdit). Profondément rationnel, il n'a dépeint la vie du Prophète que dans des circonstances et des situations qui étaient historiquement connues ou du moins historiquement concevables. Ainsi, l'esprit analytique de Maulânâ Akram Khan l'emporte sur la passion du dévot, et c'est la raison pour laquelle il fut condamné à l'époque par l'orthodoxie musulmane. Il faut aussi souligner que cette grande œuvre est écrite en un style impeccable, ce qui contribue à son succès même auprès des lecteurs hindous. Il a ensuite publié un opuscule, Mostâfâ Chariter Vedshistya (les qualités essentielles chez Mahomet), qui remporta le même succès que Mostâfâ Charit dont il est un excellent résumé. Ses essais de la première époque, réunis sous le titre Samasyâ-oSamâdhân (les problèmes et leurs solutions), soulevèrent à nouveau des controverses entre les orthodoxes et les modernistes. Dans ce livre, Maulânâ Akram Khan ne s'occupe pas de problèmes théologiques mais traite des problèmes quotidiens des musulmans (les questions bancaires, les intérêts, la peinture, la musique, etc.) auxquels s'oppose souvent leur religion et il essaie de leur apporter des solutions acceptables. En outre, il s'est engagé à traduire le Coran depuis longtemps ; les quelques parties qui sont déjà publiées ont été acclamées par les spécialistes et le public, pour la clarté du chapitre d'introduction et des annotations ainsi que pour la fidélité de la traduction. Maulânâ Akram Khan a un style très personnel et se rapproche de la tradition classique sanskrite du Bengale. En ceci, il surpasse tous ses épigones et tous les écrivains qui travaillaient à une « littérature musulmane ». Son langage puissant, acquis grâce à un dur labeur (étant donné qu'il sortait d'une famille parlant l'ourdou), l'a beaucoup aidé dans ses activités journalistiques et politiques. En 1901, il publia Mohammadi, revue trimestrielle qui, par la suite, devint mensuelle, puis hebdomadaire et même

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bihebdomadaire ; avant la publication du grand quotidien Azad, en 1936, il dirigea deux autres quotidiens — Sebak et Jâmânâ — pendant une courte durée. Azad et Mohantmadi sont parmi les plus populaires et les mieux organisés des journaux ou revues littéraires 18 que le Bengale musulman ait produits au cours de son histoire. Outre les encouragements qu'il a apportés aux intellectuels musulmans, Maulânâ Akram Khan a pu influencer ainsi l'opinion musulmane de toute la première moitié du 20e siècle. Ses idées libérales et sa vision du monde moderne (il permettait la publication de photos et de dessins dans les revues, la parution de critiques faites à l'encontre de l'orthodoxie, et la participation des femmes à des réunions littéraires, religieuses et politiques) ont fait de lui une des personnalités les plus lucides avant la création du Pakistan 19 . En politique, Akram Khan participa, alors qu'il était encore inconnu, avec Sir S.N. Bannerjee au mouvement contre le partage du Bengale (1905). Il devint célèbre pour son courage pendant les Mouvements de non-coopération et de Khilafat. Le chef incontesté du Bengale, C.R. Das, l'estimait beaucoup. Akram Khan fut emprisonné à plusieurs reprises par les Anglais, et comme d'autres dirigeants indiens — Gandhi, Nehru, Azad, Shiraji et Islamabadi — il a bien utilisé ces moments de loisirs qui lui étaient octroyés en rédigeant ses meilleurs écrits. Malgré ses activités réformistes en faveur de la société musulmane, Maulânâ Akram Khan travailla jusqu'en 1940 pour l'indépendance de la mère patrie indivisible. Mais à partir de ce moment-là, l'opposition entre ces activités d'une part, et le développement politique d'autre part, fit apparaître (comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent) une nouvelle philosophie politique, le pakistanisme, à laquelle il participa à la fois en théoricien et en homme d'action. Pour Shiraji, Islamabadi et Akram Khan, la politique, la littérature et la réforme sociale étaient à la fois une passion et une profession. Ils mettaient tout leur génie à parvenir à leur but : la régénération des musulmans au Bengale. Leurs confrères, disciples et successeurs n'eurent pas toujours le même sens de la vocation ou de la ferveur passionnée. Ils furent par ailleurs plus influencés par les contre-courants sociaux et par les mobiles littéraires — ce qui explique que nous les considérons dans le troisième groupe, en donnant pour l'instant la vedette à une nouvelle génération dont Kazi Nazrul Islam fut le chef de file. Nous avons mentionné, à plusieurs reprises, le nom de Nazrul Islam, le seul parmi les poètes musulmans qui soit très célèbre au Bengale et hors du Bengale. Pour accueillir un poète révolutionnaire comme Nazrul, la place avait 18. Parmi les revues importantes, il faut citer Al-Eslam, Saogât (depuis 1918), Moslem Bhârat et Bangiya Mussalman Sâhitya Patrikâ (1918-1924). 19. Il n'existe aucune étude le concernant, voir, cependant, l'article de Ataur Rahman, « Bângâli Muslim Sâhityikder Chintâdhârâ » XJttaran, Dacca, I, 5-6, p. 262.

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déjà été préparée par les conditions sociales d'après-guerre (1914-1918), la révolution russe 20 , les activités clandestines des terroristes du Bengale 21 et surtout les Mouvements de Khilafat et de non-coopération. Mais il ne faut pas non plus oublier que dans l'état de béatitude de la poésie bengali, Tagore chantait pour la première fois la gloire de la jeunesse et de la vie active, idée maîtresse de son recueil récent, Balâkâ22. Né en 1899 à Virbhum, dans le Bengale-Occidental, Kazi Nazrul Islam passa une enfance difficile. A dix-sept ans, il abandonna l'école et quitta « l'université pour l'univers », selon sa propre expression, c'est-à-dire qu'il s'engagea dans le 49" régiment bengali stationné à Karachi. Prodige, il avait certes déjà écrit des poèmes et des yatras 23, mais c'est au campement militaire de Karachi qu'il accomplit son apprentissage littéraire ; il acquit la connaissance de la poésie persane. Sa première publication, une nouvelle, Bâunduler Atma-Kâhini (autobiographie d'un vagabond), publiée dans la revue littéraire de tendance libérale Saogât, créa chez les lecteurs un grand enthousiasme par la nouveauté du sujet et l'originalité du style. Encouragé, Nazrul envoya plusieurs poèmes, notamment d'excellentes traductions en bengali de rubâ'iyât persans 2 i . De retour à Calcutta, il n'accepta aucun poste qu'il aurait pu trouver assez facilement ; il se consacra à la poésie et à des activités littéraires et politiques. Domicilié au bureau de la Bangiya Mussalman Sâhitya Samity 25, il eut des contacts avec un autre musulman révolutionnaire dont les idées socialistes l'influencèrent 20 . Il fit paraître ensuite, deux ans après sa première publication, deux poèmes intitulés « Vidrohi » et « Kamal Pasha », dans le même numéro de Moslem-Bhârat. Ces deux poèmes très 20. L'influence de la révolution russe sur les intellectuels indiens a été soulignée par K.M. Panikkar, L'Asie et la domination occidentale du 15' siècle à nos jours, Paris, 1953. 21. L'influence des terroristes du Bengale sur les activités politiques et littéraires de l'Inde est considérable. Il n'existe malheureusement aucune étude sur ce sujet ; on peut consulter un rapport du gouvernement qui essaye d'évaluer le terrorisme : Sédition Committee Report, Président, Justice S.A.T. Row Latt, Calcutta, 1918. 22. Publié en 1321-1322 è. b. ; trad. française, Cygne, Paris, 1923, par Pierre Jean-Jouve et Kâlidâs Nâg. 23. C'est-à-dire des pièces pour le théâtre rustique {cf. le glossaire). Entre douze et quatorze ans, Nazrul avait écrit des pièces et lui-même participait à leur mise en scène. Cf. Ajharuddin Khan, Bânglâ Sâhityé Nazrul, Calcutta, 1363 è. b., p. 4-8. 24. Cf. ses publications ultérieures : Rubâiyât-i-Hafiz (1337), Rubâiyat-i-Omar Kayyam (1961). 25. La plus célèbre association littéraire et culturelle des musulmans au Bengale. Presque tous les écrivains, hommes politiques et hommes d'affaires y ont été affiliés. La date de fondation, 1911 (4 septembre), est discutable. Certains la font remonter cinq ans plus tôt. Cf. à ce sujet M. Habibullah, « Sâhitya Samitir Itihâs », Mohammadi, 14" année, n° 7, 1348 è. b., p. 452-454. 26. Ce fut Muzaffar Ahmad, un des fondateurs du parti communiste en Inde, originaire de Sandvip Chittagong. Son essai, Communist Party Garâr Pratham Jug (les premières décennies (de la fondation) du parti communiste), Calcutta, 1959 ; « Nazrul-Ké Jéman Dekhétchi », Svâdinatâ, Calcutta, 25 juin 1947.

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célèbres, cités et publiés un peu partout, furent sans doute le plus grand événement de l'histoire littéraire du Bengale moderne, après l'attribution du prix Nobel à Tagore en 1913. Vidrohi ou le rebelle devint le surnom du poète ; en un certain sens, l'auteur, au cours de ce poème, révélait à ses compatriotes une philosophie de l'action. Voici quelques extraits : Dis : Héros ! Dis : Ma tête est haute. Les sommets de l'Himalaya Courbent leurs têtes En voyant la mienne. Dis : En traversant tout l'univers grandiose Et les grands deux, En parcourant la lune, le soleil, Les planètes et les étoiles, Fendant le trône de Dieu, Je me suis levé comme la merveille éternelle Du Seigneur de cet univers; Sur mon front apparaît l'œil de Siva, La marque royale de lai victoire. Je suis un révolté, un hors-la-loi Je suis un rebelle, le fils rebelle de l'univers, Fils ¿'Indra, je tiens la lune dans ma main Et le soleil sur mon front... Je joue de la flûte, Mais je bats aussi le tambour de la guerre... Je suis bédouin, je suis Gengis Khan. Je ne salue jamais personne d'autre que moi... Je suis disciple des lisi-fous, Durbâsâ et Visvamitra, Je suis la flamme, je brûlerai cette terre... Je cours ivre, suis-je fou ? Soudain, je viens de me connaître, Alors, je suis tout à fait déchaîné... Je souris comme une fleur, M'étant assis sur le feu de l'Enfer. ***

Grand rebelle, las du combat (seul ce jour je le serai), Je ne me reposerai que le jour Où les cris et les pleurs des opprimés Ne feront plus d'écho dans le ciel et dans l'air. Le jour où l'épée de l'oppresseur Ne sera plus suspendue

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Dans le cruel champ de bataille. Je serai calme ce jour-là, Rebelle las du combat. Après la publication de son premier recueil, Agnivînâ (le luth de feu), Nazrul devint le poète chéri des Bengali, qu'ils fussent intellectuels ou villageois mal éduqués, hindous ou musulmans. Ses poèmes, A j sristi-suker ullasé (sur l'extase du bonheur créateur), Bhângâr Gân (chants de destruction), Visher Bânshi (la flûte empoisonnée), chantent sur le même ton révolutionnaire la destruction du monde ancien, des préjugés et des oppressions malveillantes, afin de créer un nouveau monde. Budhadeva Bose, poète et critique bengali, a justement dit que « la libération de la servitude est la note fondamentale des poèmes de la première période exubérante, enflammés, ardents, enivrés et enivrants » 27. Il faut aussi mentionner les poèmes de tendance panislamique comme Afghâni, Khalid, Omar, Jaglul Pâshâ, etc. 2S, qui, écrits pendant cette première période, sont de véritables chants d'avant-garde pour ce qu'on peut appeler une renaissance du monde islamique. En les composant, le génie de Nazrul ne cherche pas à prendre parti pour sa communauté religieuse, mais témoigne bien plus de l'amour passionné qui le lie au sol du Bengale et à la civilisation de l'Inde. Avec une lucidité incomparable et une conviction inébranlable, il écrit quelques centaines de chants et de poèmes patriotiques, également très populaires au Bengale, dans lesquels il utilise souvent les métaphores musulmanes et la mythologie hindoue, au grand dam des critiques. Ayant résolu de se rapprocher du peuple, il néglige parfois la forme. Cependant, c'est dans ces écrits que l'on trouve quelques-uns des vers les plus beaux du poète et une réalisation presque parfaite de l'harmonieuse synthèse bengali 29. 27. B. Bose, An Acre of Green Grass, Calcutta, 1948, p. 37. 28. Ci. son anthologie, Sanchitû, Calcutta, 1928. 29. Considérons, à ce propos, un poème intitulé « Kandâri Hunshiâr », qu'il écrivit à la veille d'une grande bagarre entre les hindous et les musulmans, à Calcutta, le 2 avril 1926. Il en composa lui-même la musique et le chanta à l'ouverture solennelle d'une session du Congrès national : ... Asahây jâti maritché dubiâ Jânénâ santaran Kândâri ! Aj dekhib tomâr matri-mukti-pan « Hindou na orâ Muslim ? » Oi jiggâsé kon-jan Kândari ! Bal, dubitché manus santân mor mâr... Durgam giri, Kântâr maru, dustar pârâbâr Langité habé ratri-nishité, Jâtrirâ hunshiar. (La nation humiliée meurt en sombrant, car elle ne sait pas nager. Capitaine ! On verra aujourd'hui la promesse de libérer la « Mère ». Sont-ils hindous ou musulmans ? Qui le demande ? Dis, capitaine, que c'est l'homme fils de ma mère qui sombre. Il faudra parcourir, dans la profonde nuit, la montagne infranchissable, le désert interminable, les champs immenses. Attention, les passagers !) Soulignons aussi qu'un an plus tôt, notre poète avait conquis l'admiration de Gandhi en chantant pour lui Charkâr-Gân (chant du rouet). Cf. Visher Bânshi, Calcutta, 1331 è. b. La première édition fut interdite par le gouvernement.

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Nazrul introduit dans tous les aspects de la poésie bengali une force presque brutale, une exubérance et une virilité qui n'ont jamais eu de parallèle. C'est ainsi qu'il se voyait à la tête des jeunes générations des années 20 et 30. Ces générations d'alors furent tourmentées par le rêve d'une libération ainsi que par les courants et contre-courants de la période. Nazrul ne se contenta pas d'aider ces divers mouvements grâce à son génie littéraire ; il tenta de leur imprimer une nouvelle direction par le truchement du journalisme. Il dirigeait en effet la rédaction d'un quotidien, Nava-Jug (l'ère nouvelle), depuis 1920, avec Muzaffar Ahmad. Patronné par le dirigeant musulman A.K. Fazlul Huq, ce journal fut le premier, au Bengale, à défendre les droits des paysans et des travailleurs 30 . En 1922 (12 août), il fit paraître le premier numéro de son hebdomadaire, Dhumkétu (la comète) avec une « bénédiction » (en vers insolites) de Tagore et des éditoriaux révolutionnaires ; Nazrul déclara à ce propos : « Dhumkétu n'est pas le journal d'une communauté quelconque, il se propose de dénoncer et de chasser les erreurs ou les méprises qui font obstacle à l'unité hindo-musulmane. Celui qui comprend et vit profondément sa propre religion ne peut pas détester celle d'autrui. Pour nous, la foi en l'humanité est la religion suprême... Dhumkétu demande l'indépendance totale de l'Inde. Nous ne comprenons pas ce qu'est swarâj, chacun explique ce terme à sa façon. Or, pour nous acheminer vers l'indépendance totale, nous devons avant tout nous révolter. Nous révolter contre toute loi, contre toute sanction, contre toute interdiction qui nous enchaîne. Et en vue de cette révolte, on doit d'abord se connaître soimême 31. » Le ton dogmatique et la popularité de ce petit journal irritèrent le gouvernement et le poète fut arrêté pour menées séditieuses. Au procès, Nazrul fit une déclaration 32 dont l'éloquence et la hardiesse causèrent une stupéfaction générale. Nous en citons un extrait : Du côté du roi sont rangés les serviteurs salariés du roi ; à mes côtés se tient le Roi des rois, le Juge des juges, la Vérité éternelle, Dieu tout-puissant. Je suis un poète, envoyé par Dieu pour exprimer la Vérité inexprimée et pour donner une forme à la Création informe. Dieu s'exprime par la voix du poète. Ma voix est l'expression de la Vérité. Cette voix peut être séditieuse d'après la loi du roi, mais aux yeux de la justice elle n'est rien d'autre que la Justice et la Vérité. Cette voix est peut-être coupable dans la Cour du roi, mais aux yeux de la Loi divine elle est la Vérité innocente, immaculée, entière, inextinguible. La Vérité s'exprime d'elle-même. Aucun courroux royal ne peut la faire taire. Je suis le luth de l'Etre éternel — un luth qui chante la Vérité éternelle. 30. Les éditoriaux signés par Nazrul furent publiés sous le titre Jug-Bâni, la 1" éd. fut interdite, la 2e éd., Calcutta, 1356 è. b. 31. Cité dans ses essais, Rudra-Mangal, Durdiner Jâtri, Calcutta, 1333 è. b. 32. Râj-Bandir Jabânbandi, Calcutta, 1923.

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Je suis le luth divin. Je ne suis pas coupable de menées séditieuses. Le vrai coupable est Dieu dont je suis le porte-parole. Il n'existe pas de pouvoir royal ni de dieu supérieur pour Le punir. Il n'existe pas encore de police ni de prison pour l'emprisonner. La foi que j'ai en moi-même est solide et inébranlable. J'ai la conviction profonde Savoir dénoncé le mal comme mal, l'injustice comme injustice et le mensonge comme mensonge3S.

Nazrul fut condamné à un an de prison par le juge anglais, lui aussi poète, dit-on, qui, par une coïncidence intéressante, avait déjà condamné le poète Shiraji. Ces deux poètes musulmans furent les seuls exemples, tout au moins les premiers condamnés à faire de la prison pour la poésie nationaliste. Dans sa cellule, Nazrul composait beaucoup de poèmes qu'il chantait avec les autres prisonniers. Citons, par exemple, son célèbre « Shikal Parâr Gân » (le chant des enchaînés) : Si nous sommes dans les chaînes Sachez que ce n'est qu'une ruse Pour mieux briser nos chaînes. Vous croyez nous avoir verrouillés Dans les cachots de vos prisons, Mais nos cœurs en grand secret Complotent pour notre libération. Nous sommes détenus ici, mes frères, Pour que finisse la terreur des fers. Je vous le dis à tous, en vérité, Ces pieds qu'on nous a enchaînés Ne sont que l'engin de guerre Qui du peuple brisera les fers 34

Voyant que sa vie était aussi mouvementée en prison qu'au dehors, les autorités se montrèrent très sévères. En conséquence, le poète fit une grève de la faim et il ne rompit ce jeûne qu'au quarantième jour, sur l'insistance de ses amis écrivains, des dirigeants politiques et de ses compatriotes rassemblés dans une grande manifestation à Calcutta 35 . Après sa remise en liberté, Nazrul se maria 36 et publia plusieurs recueils de poèmes. Samyabâdi (les égalitaires ou les communistes) et Amar Kai33. Traduit par Luce-Claude Maître, « Les poètes rebelles du Bengale », Europe, 32' année, n° 101, mai 1954, p. 95. 34. Ibid., p. 96. 35. La résolution du poète serait mieux comprise si l'on considérait son refus de voir sa mère, qui tenta de lui parler dans la prison. Par ailleurs, Tagore lui adressa un télégramme disant : « Give up hunger strike. Our Literature claims you. » Les autorités ne le transmirent pas à Nazrul. Tagore lui dédia sa nouvelle pièce de théâtre, Basanta (1329 è. b.), alors que Nazrul était encore en prison. 36. On peut voir aussi dans ce mariage un essai de synthèse. Sa femme est une hindoue, Pramila Sen-Gupta ; ses fils s'appellent Krisna Muhammad, Aniruddha Islam et Sabysâchi Islam.

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fiyat firent de nouveau sensation. Dans ce dernier poème, l'auteur répond à ses critiques en disant : « Je suis un poète d'aujourd'hui et non le prophète de demain. » Ensuite, Nazrul passa quelque temps à Krishna-Nagar, ancien haut lieu des écrivains bengali, où il écrivit entre autres son meilleur roman, Mrityu-Kshudâ (l'appétit de la mort). Ce roman nous présente, encore timidement, un aspect nouveau de l'horizon nazrulien ; le héros de ce roman est dépeint selon la propre image et la conception de vie de Nazrul lui-même. Or Ansar, le héros, décide, nous dit Nazrul, qu'« il sacrifierait tout au service de l'Homme, endurerait toute souffrance avec patience, non parce que les hommes sont souffrants ou misérables, mais parce qu'ils sont beaux 37 ». Nazrul se tourna désormais vers la recherche du « beau ». Ses lectures de Tagore, de Shelley, de Keats, de Byron et des poètes persans l'inspirèrent, mais, comme ce fut le cas pour la conscience du « soi » (dérivé de la mystique hindoue 'so-hm et de la métaphysique musulmane de AnalHaq) décelée dans les poèmes de la première période, cette nouvelle tentative fut authentique, c'est-à-dire qu'elle prit naissance dans ses expériences 3S. Pour aboutir dans sa recherche, il se plongea dans le domaine musical. Il écrivit un très grand nombre de chansons, plus que ne le fit Tagore (qui en avait écrit plus de deux mille) ; malgré les défauts de la forme et les paroles de certaines chansons, Nazrul contribua avec éclat à l'épanouissement de la civilisation du Bengale grâce à ses nouvelles créations. Comme musicien, il a employé tous les râga et râgini de la musique classique de l'Inde et de la musique folklorique du Bengale ; de plus, il a remporté un succès considérable en introduisant de nouvelles mélodies composées sur des râga perdus ou oubliés, ainsi que sur des rythmes occidentaux. Il va sans dire qu'il composait la musique de toutes ses chansons. Comme ses créations littéraires, la vie du poète fut toujours dramatique. De par la force des choses et de par sa propre inconscience, Nazrul fut tantôt riche, tantôt pauvre. Dès 1935 environ, sa vie était entrée dans une nouvelle phase, bien qu'extérieurement il travaillât normalement 3 9 . Sa vie intérieure prit un aspect à la fois tragique et lumineux. Tragique, parce qu'il eut des soucis familiaux très graves 40, à quoi l'on peut ajouter que la situation du pays empirait ; hypersensible comme il était, il eut l'impression qu'il ne faisait pas assez pour ses compatriotes. Lumineux aussi, parce qu'il commença de s'entraîner très sévèrement à la méditation spi37. Mrityu-Kshudâ, p. 133. 38. Voir son très beau mais obscur essai, « Amâr Sundar », publié dans le quotidien Nava-Jug, 17 jaistya 1342 è. b. 39. A la même époque, la quotidien Nava-Jug réapparaît, ayant Nazrul Islam comme rédacteur en chef. 40. La mort de sa mère, de son fils, et la maladie de sa femme.

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rituelle, pratiquant le yoga, s'imposant le jeûne, récitant la prière à Kâli et lisant le Coran, la Gitâ, les Upanishads, les Purânas et le Tantra, etc. Nous n'avons pas de détails sur cette nouvelle période de la vie de Nazrul, et lui-même n'en a laissé que peu de témoignages, puisqu'il devait tomber malade en 1942 pour ne jamais guérir. Cependant, une belle traduction en vers de YAmpârâ 41, de nombreux chants islamiques, bauls, vaishnavites, et de très beaux hymnes à Kâli sont des exemples de création uniques dans la littérature bengali. Si l'on considère Nazrul Islam dans son unité et sa totalité, il apparaîtra, sans doute, comme un génie créateur qu'aucune formule ne peut enfermer et qui, avec la matière qui lui était fournie à une époque déterminée, a su façonner une image éternelle de l'univers et de l'humanité. Un succès immédiat, national et prolongé a rendu populaires ses vers, ses chansons et même ses romans, ses récits et ses drames parfois mal conçus. Nous terminerons cette esquisse du poète par ses propres paroles, d'ailleurs fort justes : « Je suis né dans cette époque de possibilités indéterminées du 20e siècle ; je suis l'un des tambours de son bataillon d'avant-garde — tel est mon signe 42. » Avec Nazrul Islam, les écrivains musulmans commencèrent à se situer sur la carte littéraire du Bengale. Us laissèrent à l'écart leur complexe d'infériorité et réussirent mieux dans leurs entreprises. Après la première guerre mondiale, les jeunes musulmans vinrent en plus grand nombre à Calcutta et se trouvèrent devant une situation politique et culturelle plus accueillante. C'est ainsi que débuta le jeune poète Jasimuddin, grâce aux encouragements que lui prodiguèrent le poète Nazrul et le grand homme de lettres bengali, le D r D.C. Sen. Les créations poétiques de Jasimuddin, qui de son vivant inscrit déjà son nom en lettres d'or au fronton de la littérature, nous offrent la mélodie et l'image vivante du Bengale rural dans la tradition de son vrai folklore, mais artistiquement raffiné comme par une touche magique. Né en 1904 dans le village de Faridpur, au Bengale-Oriental, il fut l'un des premiers poètes qui aient pu faire des études supérieures à l'Université Malgré ses séjours prolongés dans des villes bengali, le poète s'est toujours attaché à la vie villageoise. Il accepta au début de sa carrière la tâche heureuse mais difficile d'étudier sur le terrain la littérature folklorique, tâche que lui avait confiée son maître, le D r D.C. Sen. Il est sans doute vrai qu'il reçut sur ce point une impulsion du mouvement gandhien, Bock to the Village (retour au village), issu de l'agitation en faveur du califat et de la non-coopération (1920-1924).

41. Kâvya-é-Ampârû, Calcutta, 1340 è. b. 42. Nazrul Rachana-Sambhar, éd. par Abdul Kadir, Dacca, 1961, p. 96. 43. Il obtint son M.A. à l'université de Calcutta et fut quelques années professeur de littérature à l'université de Dacca.

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Les poèmes narratifs de Jasimuddin ressemblent beaucoup aux vieilles ballades du Bengale 44 par leur sens tragique, leur atmosphère familière et leur expression d'une quête de la vérité au cours de l'existence terrestre. Kavar (les tombes) iS , son premier poème écrit et publié dans ses années d'adolescence, fit sensation ; le D r D.C. Sen le choisit pour le manuel scolaire de littérature bengali où les écrits musulmans ne figuraient pas jadis ; or, le jeune poète fut tout de suite connu auprès des lecteurs bengali ; mais c'est seulement en 1929 qu'il fut apprécié à sa juste valeur par les écrivains et les intellectuels de toutes les communautés pour son récit en vers Nakshi Kânthâr Mâth (1928) 46. Dans ces poèmes et autres œuvres telles que Râkhâli (1930), Bâlu-Char (1930), Dhân-Ket (1932), Jasimuddin apporta une nouvelle mélodie pathétique à la poésie bengali. Sa langue moderne est en relation étroite avec celle des poètes villageois, mais cela n'empêche pas la réussite poétique. La grande famine du Bengale (1942-1943), conséquence de la deuxième guerre mondiale, offrit au poète la vision de la misère et de la tragédie humaines. Il en resta déprimé jusqu'au moment où il se tourna vers l'actualité brûlante. Il consacra alors son génie à la peinture de cette tragédie bengali. Avec les sinistres et violents tableaux du premier grand peintre musulman Zainul Abedin (né en 1917 à Mymensingh) 47 , les poèmes de Jasimuddin 48 sont les documents les plus représentatifs de cette période et comptent même parmi les meilleurs efforts artistiques de l'homme en vue de survivre dans ce monde. Jasimuddin a publié plusieurs recueils de poèmes 49, quelques drames lyriques, un journal littéraire, Jânder Dekhechi, et un journal de voyage, Chalé Muçâfir. L'œuvre de Jasimuddin, prise dans son ensemble, nous donne le tableau fidèle de la vie secrète du Bengale rural — expression de l'amour, de la mort, de la misère et de la joie — s'inscrivant dans la tradition folklorique. Il est évident, d'après ce que nous venons de dire, que ces deux poètes musulmans furent non pas les instigateurs d'une renaissance musulmane au Bengale, comme on est souvent tenté de le dire, mais les promoteurs d'une renaissance des lettres bengali. Leurs créations poétiques ne nous 44. Supra, chap. III. 45. Trad. anglaise de Yusuf Jamal Begum, « The Graves », Poems from East Bengal (P.E.N. Karachi, 1954, p. 74-78). 46. Cette œuvre est admirablement traduite en anglais par E.M. Milford, The Field of the Embroidered Quilt (avec une introduction de V. Elwin), Calcutta, 1939 ; Dacca (Oxford), 1958. 47. Voir l'excellent album Zainul Abedin, introduction par Jalal Uddin Ahmed, Pakistan Publications, Karachi, 1958. 48. Deux poèmes de cette période accompagnent l'article de Luce-Claude Maître, op. cit., p. 98-100 ; trad. française de Jacques Stepowsky. 49. Parmi ces poèmes, Matir Kânnâ (1951) est remarquable, car le poète, pour la première fois, traite de la vie citadine sur une grande échelle.

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laissent aucun doute à ce sujet, car leurs images empruntées au fond commun de la tradition bengali et leur vocabulaire d'inspiration arabo-persane élargissaient l'horizon de la littérature bengali. Leurs efforts ne ressemblent pas du tout à ceux d'Iqbal au Pendjab, par qui ils ne sont nullement influencés. Leur succès est essentiellement dû à leur génie propre, et c'est grâce à ces deux grands poètes que les écrivains musulmans trouvèrent désormais leur voie. Les jeunes poètes qui essayèrent de les imiter échouèrent généralement 50 parce qu'ils acceptaient partiellement la situation traditionnelle et la superposaient au monde moderne sans essayer de concilier les deux tendances. C'est de là que naissent l'ambiguïté et l'imperfection qui caractérisent ces jeunes poètes, ainsi que d'autres écrivains indiens de la période contemporaine. Nous le verrons plus clairement si nous considérons un mouvement intellectuel qui s'épanouissait à ce moment et marqua de son empreinte le déroulement ultérieur des événements. Appelé bouddhir moukîi (l'émancipation de l'intellect), ce mouvement débuta à Dacca vers 1926. Les professeurs et les étudiants de l'université se réunirent autour de Kazi Abdul Wadud et de quelques autres intellectuels déjà renommés pour leurs écrits insolites... En s'appelant les kemalistes, les partisans du mouvement s'inspirèrent de Kemal Ataturk, de Rammohan Ray, de Rabindranath Tagore, de Romain Rolland, sans parler des exemples classiques qu'ils tirèrent du prophète Muhammad, du poète persan Sa'adi et de Goethe ; en politique, ils prônaient l'harmonie des communautés religieuses et l'institution de la démocratie moderne par le renforcement de la lutte pour la libération ; en littérature, leurs efforts se caractérisaient par une coopération étroite avec les hindous (sans que se pose pour eux la question de l'inégalité persistante entre les communautés) et une recherche esthétique. En somme, les promoteurs du mouvement voulaient intégrer des éléments laïques, tout en continuant à travailler à un renouveau social. Le chef de file du mouvement, Kazi Abdul Wadud, naquit en 1894 à Faridpur, dans le Bengale-Oriental, mais fit ses études supérieures à Calcutta : c'est là qu'il réside depuis l'indépendance, en occupant des postes importants dans l'Instruction publique. Il reçut une éducation libérale, dans la tradition de l'esprit classique au Bengale. Devenu professeur de littérature au Collège de Dacca, il se fit connaître dans les milieux littéraires par ses essais 51 qui exprimèrent des points de vue neufs et nets sur 50. II faut cependant mentionner les noms de deux poètes, Benajir Ahmad (né en 1903, auteur de deux recueils, Bandir Bânshi, Vaishâkhi, et d'un essai, Islam-oCommunism) et Bandé Ali Mian, qui furent successivement disciples de Nazrul Islam et de Jasimuddin. 51. Les plus importants, publiés d'abord sous des titres divers, ont été réunis en un volume, Shâshvat Banga (l'éternel Bengale), Calcutta, 1951 ; trad. anglaise de quinze essais condensés, Creative Bengal, Calcutta, 1950.

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la religion, la littérature, la philosophie, la politique et la réforme sociale, ainsi que par des récits ou romans traitant de la vie musulmane 52 . En 1935, il fut remarqué par Tagore qui l'invita à Visva-Bharati (Santiniketan) pour une série de conférences (Nizam Lectures) sur le conflit hindomusulman 53. Dans cette suite d'exposés, Abdul Wadud examina les points importants du développement religieux chez les hindous et chez les musulmans, sans se demander quelles étaient les principales raisons du conflit actuel. « Il serait préférable, dit-il, de savoir quels sont les courants de pensée, les espoirs et les aspirations de ces deux communautés. Cela nous amènerait à la compréhension, voire à la solution du conflit, ou du moins nous aiderait à acquérir un peu de cette force morale qui nous permettrait de ne pas nous laisser abattre par la situation actuelle °4. » Puis il affirme que dans l'histoire intellectuelle des musulmans, il y avait toujours eu un grand conflit entre les rationalistes et l'orthodoxie, mais qu'à la fin c'était toujours la masse qui décidait, tandis que chez les hindous, la masse devait toujours subir l'orthodoxie 55. Les rationalistes musulmans durent cependant céder la place à Al-Ghazzali, qui préconisait le mariage entre le soufisme et le puritanisme. Les musulmans souffrirent de la faiblesse innée de cette pensée. Le rationalisme d'Ibn Rochd (Averroès) influença bien les idées européennes, mais il ne put l'emporter en Inde qu'au prix d'un tardif effort de la part de Sir Sayyid et d'Amir Ali. Entre temps, les musulmans indiens, pour la plupart hamfites modérés, durent subir, à cause de la situation socio-politique, l'influence des wahhabis, puritains par excellence ; les conditions sociales particulières au Bengale accentuèrent encore cette influence dans cette région. En conséquence, les musulmans du Bengale perdirent le libéralisme synthétique qu'ils avaient élaboré au Moyen Age et la raison qui les avait guidés au début du siècle dernier ; ils y gagnèrent, par contre, une foi stricte et le sentiment de la communauté en laissant de côté syncrétisme et la libre pensée "'6. Une « musulmanisation » des musulmans et la mise en disgrâce de la réflexion personnelle s'installèrent, malgré les recherches rationalistes de Sir Sayyid et d'Amir Ali. Une semblable influence s'étendit d'ailleurs sur la société hindoue avec les enseignements de Ramakrishna et Vivekananda. L'effort de réflexion personnelle apparut au public comme la faiblesse d'une classe 52. Cf. ses romans, Nadi Bakshé (1918) et Azâd ; ses récits, Mir-Parivâr (1917), Tarun ; et une pièce de théâtre, Path-o-Bipath. 53. Tagore avait une grande admiration pour l'érudition, le jugement impartial et surtout la puissance verbale d'Abdul Wadud. Cf. sa préface à « Hindu-Mussalmaner Birodh », dans Shâshvat Banga, Calcutta, 1951, p. 160. 54. Ibid., p. 166. 55. Ibid., p. 168. 56. Ibid., p. 168-176.

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de penseurs ; les traditions anciennes furent glorifiées, en revanche, et s'installèrent de nouveau 57 . Mais le plus grand obstacle à l'obtention d'une nouvelle vie indienne est venu, selon Abdul Wadud, de l'action politique au 19e siècle. L'élite lança certains mouvements, dit-il, pour ses propres intérêts et les imposa ensuite au public. Pour cette élite, le réveil indien ne pouvait être autre chose qu'une renaissance hindouiste 68 . Les contre-courants furent également présents chez les musulmans. Sir Sayyid, malgré ses idées libérales, ne pouvait faire autrement que de penser que sa religion était une lumière sans égale (ek lâ-jawâb nûr) ; ses paroles, « ce qui n'est pas vrai, n'est pas l'Islam », pouvaient certes promouvoir un renouveau des idées, mais malheureusement ses successeurs furent plutôt influencés par son séparatisme. En analysant la philosophie politique d'Iqbal qui attirait, à ce moment, l'attention des musulmans de l'Inde, Abdul Wadud diagnostiqua qu'Iqbal (ainsi que d'autres séparatistes d'ailleurs) n'était pas contre l'hindouisme, mais contre l'attitude hindouiste antimusulmane 59 . Ce grand penseur pourtant ne dénonça pas les chefs pour leur attitude à l'égard de la religion : Tagore et Gandhi avaient successivement affirmé que le Verbe Sacré ne constituait pas seul la religion, qui « est la conscience éternelle ». Malheureusement les Indiens en général n'approuvèrent qu'une partie de cet enseignement où Gandhi, par exemple, incitait chacun à être sincèrement religieux, ce qui provoqua le fanatisme. « Mais ce fanatisme ne reflète pas — et Abdul Wadud exprime ici son optimisme — le vrai visage de l'hindouisme ou de l'Islam d'autrefois ou d'aujourd'hui. » Abdul Wadud conclut son étude par ces mots : « Nous devons nous lier profondément avec notre entourage, nous engager à la méditation et nous efforcer de transformer ces religions en véritable laboratoire de forces créatrices au service de l'Homme 60. » Il va sans dire que ce résumé ne peut pas donner une juste idée de l'œuvre d'Abdul Wadud. Sa pensée lumineuse s'élabore dans plusieurs autres écrits 6 1 et dans ses derniers discours à Visva-Bharati, Bânglâr Jâgaran (le réveil du Bengale) 62. Le rationalisme dans la pensée religieuse fut une des idées maîtresses d'Abdul Wadud. Il l'avait prise tout d'abord à une source proche — l'enseignement du grand réformateur Râjâ Rammohun Ray. Or, il est naturel que notre auteur ait consacré des pages érudites à son maître immédiat. 57. 58. 59. 60.

Ibid., Ibid., Ibid., Ibid.,

p. p. p. p.

181. 181-186. 187-188. 196-200.

61. Citons au moins ses articles : « Griha-jndder Prâkkâlé » (au moment de la guerre intérieure, ibid., p. 48-54), «Bânglâr Mussulmaner Kathâ» (p. 95-111), « Sanmohita Mussalman t> (les musulmans hypnotisés, p. 394-400), etc. 62. Publié à Calcutta en 1956. 10

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Outre les œuvres déjà mentionnées, ses nombreux essais 63 ont enrichi le champ des recherches rammohuniennes, surtout en ce qui concerne l'influence exercée par l'Islam sur Râjâ Rammohun Ray et l'influence exercée par Râjâ Rammohun Ray sur les intellectuels bengali. De tous les penseurs européens, c'est Gœthe qui fit la plus grande impression sur Abdul Wadud. Grande âme de l'âge nouveau, épitomé de la renaissance européenne et du classicisme allemand, Gœthe lui apparut comme la figure la plus imposante dans le domaine des efforts entrepris en vue de 1' « émancipation de l'intellect ». Il lui consacra plusieurs articles et deux études magistrales — les premiers qui aient paru en bengali 64 . Il semble bien qu'Abdul Wadud préfère l'énergie morale au formalisme moral, et les valeurs vitales aux valeurs mythiques, dans la littérature, la politique et la pensée 65. Une réflexion claire servie par une profonde érudition a toujours poussé Abdul Wadud à entreprendre des études intéressantes sur les problèmes sociaux, politiques, culturels et littéraires. Qu'on soit d'accord ou non avec lui, ses écrits apportent à ses lecteurs un plaisir intellectuel. Ses efforts de synthèse se sont révélés fructueux, bien qu'à partir de 1940, date à laquelle s'aggrave le sentiment fanatique aussi bien chez les musulmans que chez les hindous, sa voix se soit quelque peu affaiblie et soit devenue plutôt solitaire 66. Son mouvement — « l'émancipation de l'intellect » (bouddhir moukti) — eut une existence d'une dizaine d'années au sein de Muslim Sâhitya Samâj. Les sessions annuelles de ce mouvement intellectuel et littéraire furent des événements à Dacca : aux deux premières assista Nazrul Islam, et à la dixième le grand romancier Sarat Chandra Chatterjee 67. Parmi ses amis et disciples, tous écrivains ou professeurs, il faut citer Kazi Motahar Hussain (né en 1897) 68, Sayyid Motahar Hussain Chow-

63. Cf. Shâshvat Banga, p. 23, 26, 203-222, 250-253, 314-318. 64. Kavigouru Gœthe, t. I et II, Calcutta, 1945-1947. 65. Lila Ray, A Challenging Decade : Bengali Literature in the Forties, Calcutta, 1953, p. 114. 66. En laissant de côté les problèmes contemporains, il commença, dès lors, à entreprendre ses ouvrages sur Gœthe, Tagore, Sarat Chandra, Nazrul Islam et se mit à étudier des problèmes théoriques tels que le renoncement dans l'Inde, Allah d'après le Qur'an, l'image de l'Etat islamique. Il prépare actuellement une biographie du Prophète. Nous le remercions de nous avoir écrit pour éclaircir certains points. 67. L'orthodoxie de Dacca s'opposait à ce mouvement. Après la troisième session, on interdit les manifestations à Salimullah Muslim Hall, grande résidence universitaire et centre des mouvements musulmans au Bengale-Oriental ; les activités des kemalistes demeurèrent alors clandestines. 68. Statisticien et mathématicien, grand mécène des lettres et des arts, rédacteur de la revue Shikhâ ; il a récemment publié plusieurs études. Cf. Sancharan (1937).

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dhury 69 , Shamsul Huda, Abul Fazal 7 0 et Sayyid Abul Hosen 71 , qui reprirent à leur compte la lourde tâche d'éveiller la société de sa léthargie mortelle et publièrent une revue littéraire, Shikhâ (la flamme), pendant cinq ans. Parmi tous les partisans du mouvement, Sayyid Abul Hosen, professeur de droit, fut le plus brillant et le plus révolutionnaire. Musulman pratiquant, il professait, au risque de se voir condamner par l'orthodoxie, que l'évolution de l'être humain n'a pas de limite et que l'on peut s'enrichir plus que le Prophète, car Mahomet a dit lui-même : « Soyez orné des qualités de Dieu » (tâkhâllâku bi akhlâkillâh). Passons maintenant au troisième groupe d'écrivains musulmans. Il convient de rappeler que ces écrivains ne constituaient pas un groupe en soi. Nous les considérons du point de vue de l'importance de leurs écrits et non comme partisans du premier ou du deuxième groupe. Ces écrivains sont, sans doute, des musulmans par l'esprit et le contenu de leurs ouvrages, mais ils ne furent pas les promoteurs d'un réformisme socioreligieux. Ils ne se mêlèrent pas en principe dans des débats interminables mettant aux prises les Anciens et les Modernes. Leur seul mobile fut d'oeuvrer pour une renaissance des lettres bengali. Ils se montrèrent soucieux des difficultés qui entouraient ou entravaient la participation musulmane à un épanouissement du Bengale littéraire, mais ils ne furent pas des intellectuels engagés, du moins pas aussi passionnément que le furent ceux que nous venons de considérer. Lutfar Rahman (1889-1936), né à Jessore, au Bengale-Oriental, est l'un des rares écrivains qui, dans ses œuvres et dans sa vie, ait laissé l'empreinte d'une riche pensée humanitaire. Son recueil de poèmes, Prakâsh, et ses essais, Unnata Jivan (la vie évoluée), Mânab Jivan (la vie humaine), Mahat Jivan (la vie ennoblie) et Priti-Upahâr (le don de l'amour), expriment la pensée originale et hautement idéaliste de l'auteur. « Ses essais ressemblent aux écrits moraux de Smiles (le moraliste écossais). Mais sa vision de la vie est plus poignante que celle de Smiles, qui a un plus grand souci des valeurs littéraires. Il fut en contact avec les missionnaires chrétiens dans sa jeunesse 72 . » Kazi Imdadul Huq est l'un des intellectuels musulmans les plus accomplis des premières années du siècle actuel, mais ses écrits ne témoignent

69. Poète et essayiste renommé. Sanskriti Kathâ est une publication posthume. 70. Auteur prolifique de nouvelles pièces de théâtre, de romans et d'essais littéraires ; parmi ces ouvrages, citons Chaucir (1934), Matir Prithivi (1940), Jivan Pather Jâtri (1948), Quaid-e-Azam (drame, 1946), Sâhitya-o-Sanskriti (1962), etc. 71. Parmi les ouvrages de S.A. Hosen, citons Bânglâr Mussalmâner Shiksâ Samasyâ, Bânglâr Balshi, Muslim Culture (traduction de M. Picktall), Hindou-Mussalman (pièce en cinq actes). 72. K. Abdul Wadud, Bânglâr Jâgaran, op. cit., p. 198.

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qu'imparfaitement de son génie. Son célèbre roman, Abdullah 73, est pourtant le meilleur portrait que l'on puisse faire de la société musulmane, avec ses qualités, ses abus et ses préjugés. Habilement écrit, Abdullah fut apprécié par Tagore et tous les autres grands écrivains de l'époque. Erudit, Kazi Imdadul Huq a publié ses recherches sur l'histoire intellectuelle des musulmans dans un recueil d'essais intitulé Pravandha-Mâlâ. Deux femmes écrivains jouèrent un rôle important dans l'évolution sociale et intellectuelle des trente premières années de notre siècle ; Begum Rokeya (Mmc R.S. Hussain, 1880-1932) avait le sens du service social ; elle fonda la première école secondaire pour les jeunes musulmanes à Calcutta (1911). Son intelligence et son humour s'exprimèrent avec bonheur dans ses écrits : Mati-Ckur, Sultânâr Svapna (publié d'abord en anglais, sous le titre Sultana's Dreatri), Padma-Râg et son chef-d'œuvre, Abarod-Bâsini (la femme enfermée). Que ce soit dans ses écrits ou dans ses actes, Begum Rokeya fut sans doute la championne du féminisme la plus remarquable de son époque. Nurunnesa Khatun (née en 1894) fut l'une des premières musulmanes qui, sortie de la « prison familiale », put se promener avec son mari dans l'Inde tout entière. Elle a joliment décrit ses expériences dans plusieurs récits et même dans des romans policiers 74 . Son essai, Mosletn Vikram-oBânglâr Mussalmân Râjatva, est également une chronique intéressante sur l'histoire « glorieuse » de l'Islam et la domination musulmane au Bengale. Muhammad Barkatullah, né en 1898 à Pabna, au Bengale-Oriental, est l'écrivain musulman du Bengale le plus célèbre pour son orientation philosophique. Ses ouvrages, Pârashya Prativâ (les génies persans) et Mânuser Dharma (la religion de l'homme), examinent les doctrines des soufis et des védantistes et montrent que toute recherche humaine n'est qu'à la quête d'une « religion » compatible avec le génie créateur de l'homme. Un style agréable rend facile la lecture de ces essais qui témoignent d'une pensée profonde. Deux écrivains, Ekramuddin et Rezaul Karim, attirent notre attention pour l'apport qu'ils firent à la critique littéraire et à l'étude de l'histoire. Ekramuddin essaya d'évaluer les génies de Tagore et de Bankim Chandra dans ses ouvrages, Rabindra-Prativâ (1926) et « Krisnakânter Will »-éBankim Chandra (1930). Sa pensée est libre de tout préjugé — fait exceptionnel dû aussi au choix des sujets. Il est aussi l'auteur de romans et de récits tels que Kânch-o-Mani, Jivan-Pan, Natun-Mâ, ainsi que d'une pièce, Anadhikâr Pravesh.

Signalons que, malade depuis 1918, Huq n'a pas pu terminer son roman. Il en avait publié trente chapitres dans la revue Moslem Bhârat. Puis Anwarul Quadir, un des kemalistes, le compléta en écrivant onze chapitres supplémentaires et en imposant un caractère psychologique au roman ; 1™ éd., Calcutta, 1933. 74. Cf. Granthâvali, Calcutta, 1925.

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Rezaul Karim à son tour écrivit un brillant essai intitulé Bankim Chandra-o-Mussalmân Samâj75, dans lequel il réfuta les allégations de ses coreligionnaires contre le célèbre romancier et reconnaît en ce dernier (Bankim Chandra) l'un des piliers de la renaissance actuelle au Bengale. Suivant en cela une tradition du Prophète : « Qu'ils s'aiment ou se méprisent, les hommes sont des frères en toute circonstance », l'auteur accomplissait une tâche noble à un moment critique de l'histoire du Bengale. Son ouvrage, Farâshi-Viplab (la Révolution française), fut la première étude complète en bengali sur le sujet et sans doute l'un des écrits historiques les plus intéressants des années 30 dans cette langue. Nous étudierons ensuite trois écrivains : Ibrahim Khan, Akbaruddin et Golam Mostafa, chez qui l'on décèle la tradition tagorienne, en dépit de leurs activités politiques ou de leurs efforts en vue d'un certain réformisme musulman. Ibrahim Khan (né en 1893 à Mymensingh) fut influencé par les Mouvements de Khilafat et de non-coopération. Il publia alors trois pièces de théâtre : Karrtal Pasha, Anowar Pasha et Kâjéiâ. Il témoigne d'une expérience intime de l'art et d'une connaissance profonde du monde dans ces pièces ainsi que dans ses nouvelles ou ses récits de voyages. Diplômé de littérature anglaise, il préféra suivre la voie gandhienne et refusa de travailler pour le gouvernement ; il fonda un collège d'études supérieures, avec l'aide d'un des rares zamindars musulmans, Wajed Ali Khan Panni, grand philanthrope et l'un des meneurs du mouvement pour l'indépendance pendant très longtemps. Malgré ses activités éducatives et politiques, Ibrahim Khan apparaît encore aujourd'hui comme un écrivain exceptionnellement doué. Akbaruddin (né en 1896) avait seulement vingt ans lorsqu'il fit sensation en publiant un article 76 qui reprenait les thèses des intellectuels musulmans du 19® siècle en vue de créer une littérature musulmane. Ecrit avec beaucoup d'esprit et d'intelligence, cet article est une analyse des écrivains hindous et des raisons qui les incitèrent à créer leurs œuvres. Ses pièces, Sultan Mahmud, Nadir Shah et Sindhu-Vijay (la conquête de Sind), ainsi que son roman, Matir Manus (l'homme de la terre), ne sont pas de tendance exclusiviste, malgré leurs sujets et leur contenu éminemment musulman. Golam Mostafa (né en 1895), ami et épigone de Nazrul Islam, est un poète très populaire auprès des jeunes et des lecteurs villageois. Son langage poétique fut influencé par Tagore et Nazrul, mais l'aisance de l'expression et la maîtrise de la prosodie firent beaucoup pour son succès. Ses recueils de poèmes, Raktarâg, Khosh-roj, Hâshnâ-Hénâ, Sahara, etc., ne 75. Ecrit en 1938, 1" éd., 1944 ; 2' éd., 1954. 76. « Bânglâ Sâhityé Mussalmaner Sthân » (place du musulman dans la littérature

bengali), Al-Eslam, Calcutta, 1916.

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nous laissent pas l'impression d'un créateur original : on y retrouve la mélodie tagorienne, mais on y découvre aussi des recherches intéressantes sur l'emploi original de certains mètres arabes. Ses deux romans, Bhângâ Vouk (le cœur brisé) et Rouper Neshâ (séduction de la beauté), excessivement romantiques, n'eurent pas de succès. Par ailleurs, ses deux essais monumentaux, Visva-Nabi (le prophète universel, 1942), et Islam-o-Jihâd, furent très appréciés. On fera des réserves sur ces livres, écrits avec élégance mais qui manquent d'arguments logiques. Abdul Kadir, disciple et confident de Nazrul Islam et gendre de Muzaffar Ahmad, est l'antithèse de ces deux personnalités auxquelles il fut attaché. Dans son recueil Dilrubâ et dans d'autres poèmes, il suit le chemin tracé par Tagore. Pour ses essais originaux sur la prosodie et sur les écrivains musulmans et ainsi que pour l'habile direction qu'il imprima à plusieurs revues littéraires 77, on serait tenté de le classer parmi les kemcilistes, mais en fait il fut toujours un intellectuel modéré. Shahadat Hussain (1893-1953) fut un écrivain prolifique avec ses quarante-cinq publications et une grande originalité d'expression musicale et esthétique. Que ce soit dans la poésie, dans les romans ou dans les drames, il se révéla comme un artiste de haute qualité, puisant à la fois aux sources des métaphores sanskrites et des images islamiques. Il est important de noter que cette personnalité avait participé au Mouvement gandhien de 1931 et qu'il fut emprisonné, mais qu'il n'a jamais écrit de poème révolutionnaire de genre nazrulien 7S. Deux célèbres écrivains portent le même nom : Wajed Ali. Soucieux de problèmes socio-culturels, ces deux épigones jouèrent le rôle de chefs intellectuels de groupes un peu divergents. S. Wajed Ali (1890-1951), haut fonctionnaire du gouvernement (Chief Presidency Magistrate à Calcutta), fit des études supérieures de littérature et de droit à Cambridge. Ses publications — essais et nouvelles — sont nombreuses. Citons ses principaux ouvrages : Bhavisyater Bângâli (paru en anglais sous le titre Bengalees of Tomorrow), Jivan-Shilpa (l'art de la vie), Muslim Sanskritir Adarsha (l'idéal de la culture musulmane), Sabhyatâ-o-Sâhityé Islamer Dân (la contribution islamique à la civilisation et à la littérature), Mâshuker Durbâr (nouvelles), Ibn Khalduner Samâj-Vijnân (la sociologie d'Ibn Khaldun d'après son Mukaddirnct). S. Wajed Ali fut pendant longtemps président de la fameuse société des écrivains musulmans, Bangiya Mussalman Sâhitya Samity, mais à l'époque du Mouvement pakistaniste, il fonda une nouvelle orgianisation autour de la revue littéraire qu'il dirigeait, Gulistân. Il préconisait un Bengale indivis et prônait l'unité hindomusulmane. Sa nouvelle, Bhârat-varsa, est un chef-d'œuvre immortel : elle

77. Jayati, Mah-i-Nau, etc. ; et une importante anthologie de la poésie bengali, JCâvya-Mâlancha. 78. Abdul Kadir, « Shahadat Hussain », Mah-i-Nau, Dacca, février 1954, p. 43.

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résume toute sa pensée et suggère la possibilité, pour l'état idyllique présenté par la tradition indienne, de subsister dans la réalité troublée d'aujourd'hui. En 1945, il fit un important discours qui exprime ses tendances profondes et les raisons de son art : « La religion de l'humanité est la religion naturelle des écrivains. Leur tâche est de donner forme aux mobiles profonds de l'homme — à sa joie et à son affliction, à sa souffrance et à sa peine, à son espoir et à son attente. » Il explique l'importance de cette tâche en indiquant que le rôle des écrivains est de semer des idées pour que le public y puise son inspiration, comme il avait l'habitude de le faire autrefois en s'inspirant des chefs religieux. La responsabilité de guider les hommes dans la voie du bien et du progrès incombe maintenant aux écrivains, et c'est pourquoi la littérature est devenue une affaire sérieuse. « Pour que la vie dans son ensemble puisse retrouver une forme saine et simple, il faut que certains idéals nouveaux apparaissent de temps en temps, ajoute-t-il. Quand dans la vie d'un peuple se présente une noble inspiration, les petits différends, les haines et les antipathies s'en vont dans le vent. Les écrivains ont aujourd'hui le pouvoir de nous apporter une telle inspiration 79 . » Quant au deuxième écrivain de même nom, Muhammad Wajed Ali (1888-1954), il est l'auteur de nombreux essais sur les problèmes culturels et littéraires. Il fut longtemps journaliste à Calcutta, mais passa les dernières années de sa vie dans son village natal de Khulna, actuellement au Pakistan-Oriental. Une pensée riche, claire et libérale, mais sans lourdeur, domine ses écrits. Ses petites biographies sur le Prophète, sur Haji Muhsin (philanthrope bengali), sur Sir Sayyid, sur Abdul Latif et sur Jinnah sont intéressantes et importantes, puisque la plupart d'entre elles sont les premières du genre 80. Ces notes sur les écrivains et intellectuels musulmans ne seraient pas complètes si nous ne considérions au moins trois illustres érudits : Abdul Karim Sâhitya Vishârad, le D r Muhammad Enamul Haq et le D r Muhammad Shahidullah. Abdul Karim (1869-1953), qui fut connu dans tous les milieux littéraires du Bengale par son titre honorifique Sâhitya Vishârad, que lui avait décerné la Société des pandits à Nadiya, fut un excellent spécialiste du sanskrit et de l'ancienne littérature bengali. Malgré ses moyens limités (ce n'était qu'un petit employé de l'Instruction publique à Chittagong), il 79. Ce discours présidentiel a été prononcé à la Ail Assam Bengali Language and Literature Conférence ; cf. Lila Ray, op. cit., p. 124. 80. L'éditeur de ces ouvrages (à l'exception de Quald-e-Azam, publié par un éditeur hindou à Calcutta, 1948), Muhammad Habibullah (connu sous le nom de Bahar), a aussi apporté beaucoup à la renaissance des lettres bengali et à la cause du pakistanisme par ses vigoureux essais et ses encouragements aux autres intellectuels. Lui et sa sœur, Shamsun Nahar, éditèrent une grande revue littéraire, Bulbul.

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réussit à rassembler une énorme collection d'ouvrages anciens — 2 0 0 0 manuscrits rares, dont 1 200 d'auteurs musulmans 81 . Il a révélé ainsi cent cinquante noms de poètes musulmans que les historiens ne connaissaient pas. Il publia quelques manuscrits importants avec introductions et annotations fort érudites 82 . Son essai historique, Arakan Râj sabhây Bânglâ Sâhitya (la littérature bengali à la cour d'Arakan), qu'il écrivit en collaboration avec le D 1 Enamul Haq, nous donne un tableau littéraire complet du 17e siècle. L'amour passionné pour la littérature et la tradition bengali qu'Abdul Karim défendit toute sa vie, aida sans doute les musulmans du Bengale à se libérer d'une sorte de complexe en ce qui concerne leur contribution à la littérature ancienne et les incita à tenter de nouvelles recherches dans cette direction. Le D r Enamul Haq, ardent collaborateur de Sâhitya Vishârad, se fit connaître d'abord par sa thèse de doctorat, Bangé Sufi Prabhav : étude historique et philosophique sur l'influence des soufis dans l'évolution intellectuelle des Bengalis, en particulier dans leur littérature. Ce travail, accompagné d'une publication ultérieure, Purva-Pakistané Islam, constitue une étude fondamentale, objective et hardie, sur l'histoire intellectuelle des musulmans du Bengale. Son récent ouvrage, Muslim Bengali Literature (en anglais et en bengali), malgré certains détails discutables, le place en tête des historiens pakistanais. Enamul Haq a écrit également une monographie linguistique, Chattagrâmi Bhâsâr Rahasya-Ved (sur le dialecte de Chittagong. Philologue et phonéticien renommé, le D r Muhammad Shahidullah (né en 1885) est le premier musulman du Bengale de formation française. Bien avant de soutenir sa thèse de doctorat, Les Chants mystiques, il était connu au Bengale comme poète et essayiste de talent. Dans les années 20, il dirigea la Bangiya Mussalman Sâhitya Samity et il ne perdit jamais son assise dans le tourbillon culturel du pays, car il s'en tint aux problèmes universitaires et aux recherches littéraires. Excellent érudit classique et fin connaisseur des tendances modernes, il donna pendant longtemps aux jeunes musulmans une nouvelle orientation en ce qui concernait les

81. Et cela sans l'aide d'aucune fondation ni du gouvernement. Les difficultés ne venaient pas seulement de la question financière ou de son manque de loisirs. Parfois, chez les hindous, on ne lui laissait pas toucher tel manuscrit, car on considérait ce dernier comme un élément religieux pour la pûjâ de Sarasvati (la déesse du savoir). Par sa supplication, Abdul Karim recevait la permission de le copier en restant debout et sans le toucher. Cf. la préface de Byomkesh Mostafi, secrétaire de Bangiya Sâhitya Parishad à Calcutta, dans la première description bibliographique des manuscrits qu'il a collectionnés, Prachin Punthir Vivaran (cf. aussi la bibliogr.). 82. Go-raksâ Vijay de Faizullah ; Mrigalabda de Rati Deva ; Jnân Sâgar d'Ali Raja (publication de Bangiya Sâhitya Parishad, Calcutta). Le Padmâbati «FAloal serait, apprend-on, publié par l'Académie bengali à Dacca.

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recherches littéraires et philologiques Esprit libéral, Shahidullah s'inspire d'une part des sources islamiques, comme on le voit, par ses études et ses traductions de Omar Kayyam, d'Iqbal et du Qur'ân, et d'autre part de la tradition sanskrite et bouddhiste. Dans ses nombreux essais parus dans des revues, son tempérament et son esprit scientifique s'expriment en un langage simple et direct. Entre tous ces écrivains que nous avons classés en trois groupes, il existe un point commun : le souci de leur identité. Ils voulaient se sentir d'abord Bengalis ou musulmans, ou bien à la fois musulmans et Bengalis. Leur conscience à cet égard fut tourmentée par le nationalisme exalté, que ce soit au sein du panislamisme ou du panindianisme. Le quatrième groupe que nous proposons présente certaines personnalités littéraires dont les mobiles sont quelque peu différents. Ces écrivains, en effet, ne se souciaient pas des attitudes socio-politiques de leur communauté religieuse. Ils ne voulaient être que des littérateurs au sens global. La connaissance du monde extérieur qu'ils avaient, les contacts internationaux qu'ils avaient pu prendre, ainsi que les études supérieures qu'ils avaient entreprises dans les diverses disciplines les aidèrent à réaliser leur ambition. En outre, ils arrivaient sur la scène littéraire au moment où les nationalistes (hindous et musulmans), les freudiens et les marxistes créaient dans le pays une période de Sturm und Drang bengali. Humayun Kabir est le plus connu et le plus doué des représentants de ce groupe. Né en 1906 à Faridpur, il se fit connaître très tôt comme un des plus brillants étudiants musulmans de la province et comme jeune poète distingué. Ses trois recueils de poèmes, Svapna-Sâdh, Sâthi et Astâdashi, témoignent de sa sensibilité et de son imagination belle et précise à propos de la nature et de la vie humaine, mais le poète y reste toujours fidèle à l'école tagorienne. Dans la pensée philosophique, cependant, il fut plus profond et original. Ses deux essais philosophiques sur Emmanuel Kant et ses deux études sur Karl Marx et le marxisme furent les premiers travaux scientifiques en bengali sur ce sujet. Par ailleurs, ses idées sur la vie et le monde se trouvent dispersées dans de nombreux essais. A ce propos, M. Jean Boulier-Fraissinet écrit : « Humayun Kabir, ministre de l'Union indienne pour la Recherche scientifique et les Affaires culturelles, cherche à la crise mondiale non pas principalement des causes économiques ou politiques abstraites et particulières, mais des causes plus profondes. Il les voit dans le conflit entre l'autorité et une liberté individuelle, irréductible aux cadres notionnels et aux instincts, et qui s'exprime notamment dans ses créations Imaginatives. Il cherche donc une

83. Citons, par exemple, quelques titres importants : Bhâsa o Sâhitya (Dacca, 1949) ; Bânglâ Sâhityer Kathâ ; « Bânglâ Bhâsâr Itibritta », Sâhitya Patrikâ, et Padmabati et Vidyâpati-Satak.

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solution dans une société qui saurait équilibrer l'ordre et la liberté de l'individu 84. » Soucieux de voir, en Inde, l'harmonisation parfaite de l'unité dans la diversité, Humayun Kabir reste dans la lignée de Rammohun, Tagore, Gandhi et Radhakrisnan et réfuté vigoureusement les thèses de dirigeants musulmans 85. Il donne cependant beaucoup plus d'importance à l'influence islamique sur la civilisation indienne que ces précurseurs ne l'avaient fait. Ses études, Bhâratvarsa-o-Islam et Bânglâr Kâvyas6, en témoignent. Son ami Abu Syed Ayyub, à qui il a dédié son chef-d'œuvre, Bânglâr Kâvya, est également un penseur original, mais d'orientation différente. Annadasankar Ray note dans son étude sur la littérature bengali : « Ses essais portent ordinairement sur des sujets philosophiques et il est de tendance marxiste 87 . » Cela était vrai, en effet, en 1942, date de cette observation. Ayyub était à ce moment-là un des dirigeants de la grande revue Parichay, et il édita avec un de ses collègues communistes une anthologie de la poésie bengali S8 . Plus tard, il se lança dans le mouvement international « liberté de la culture » pour s'intéresser surtout aux valeurs esthétiques que l'homme manifeste par ses actions ou ses idées 89. De même tendance libérale, Syed Mujtaba Ali est l'un des écrivains les plus célèbres de la littérature contemporaine. Sa célébrité acquise grâce à un récit de voyage en Afghanistan (vers 1927), Déshé-Vidéshé, il est devenu l'humoriste et le chroniqueur le plus accompli du Bengale. Né dans une famille cultivée de Sylhet (le district de l'Assam, actuellement au Pakistan-Oriental), il fut directement l'élève de Tagore lorsque, pendant les Mouvements de Khilafat et de non-coopération, il quitta l'école anglaise pour entrer à Santiniketan. Il y apprit l'allemand et le français à côté du sanskrit et du persan. En 1936, il soutint sa thèse de doctorat (The Origin of Khojâs and their Religious Life Today) et séjourna en Europe. Au retour, il occupa une chaire de religion comparée à l'Université de Baroda et ensuite à Visva-Bharati, ainsi qu'un important poste à la radiodiffusion indienne. Il ne commença à publier des nouvelles et des anecdotes sur la vie vécue en Europe et dans les différentes régions de l'Inde qu'assez tardivement. Esprit très brillant, il y ajoute une telle couleur que, malgré leurs extravagances, ses écrits remportent un grand succès auprès de tous les lecteurs bengali. Son érudition aide à la compré84. J. Boulier-Fraissinet, La philosophie indienne, Paris, 1961, p. 119. 85. The Indian Héritage, p. 33 ; Science, Democracy and Islam. 86. Publiées en 1349 de l'ère bengali, rééditées en 1365 à Calcutta. Il existe aussi une traduction en anglais qui n'est pas comparable à l'original : Studies in Bengali Poetry, Bombay, 1962. 87. A. et L. Ray, op. cit., p. 83. 88. A.S. Ayyub et H.N. Mukherjee, Adhunik Bânglâ Kavitâ, Calcutta, 1945. 89. Cf. à ce sujet l'introduction de Kavitâ-o-Prem (la poésie et l'amour) dans son anthologie, Panchisch Bacharer Premer Kavitâ et ses articles dans la revue Quest (dont il est le codirecteur).

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hension de modes de vie très divergents et à l'hypocrisie qui les caractérise souvent. Son style très personnel, où se mêlent l'emploi de néologismes arabo-persans ou franco-allemands et une façon de conter qui s'inspire de la tradition bengali, lui permet de franchir aisément la frontière qui sépare le Bengale indien du Bengale pakistanais. Erudit incontestable, le D r Mujtaba Ali n'écrit que rarement des essais sur des problèmes de controverse 90 . Il s'attache curieusement à son métier d'écrivain et ne se soucie que fort peu de donner une idée exacte de son personnage. Les trois écrivains dont nous venons de parler ont introduit, en collaboration avec d'autres écrivains hindous, une tendance progressiste et cosmopolite dans l'histoire littéraire du Bengale. Cette orientation est certes tout à fait dans la ligne de Tagore, mais elle est beaucoup plus poussée et témoigne d'un ferme désir de rapprochement entre l'Orient et l'Occident. Mais, engagés dans la voie de l'autodétermination, leurs compatriotes n'apprécièrent pas toujours à leur juste valeur les efforts faits dans ce sens. Le trait commun à ces écrivains — le cosmopolitisme — trouve une éloquente définition sous la plume de Humayun Kabir que nous sommes tenté de citer : « A l'époque moderne, c'est à peine s'il y a encore place pour l'effort spécifique de telle ou telle communauté donnée. Les formes de la civilisation et les attitudes intellectuelles deviennent identiques pour toutes les communautés ; et c'est désormais sur la base de la qualité et non sur celle des cultures indigènes que les intellectuels peuvent espérer exercer une influence sur le monde moderne 91. » Dans cette lignée, on pourrait citer une quantité de noms de jeunes écrivains, mais nous n'en retiendrons que quatre ; ceux de deux poètes : Ahsan Habib 92 et Abul Husain 93 ; et ceux de deux romanciers : Shaokat Osman 94 et Syed Waliullah 95, qui ont gardé la tête froide en traversant 90. Cf. par exemple ses essais « Muslim Sanskritir Adarsha » dans la célèbre revue Chaturanga (dont Humayun Kabir est le directeur), et Purva Pakistaner RâstraBhâsâ. 91. Extrait d'une lettre que Humayun Kabir nous a adressée (14 avril 1963). Nous le remercions vivement pour les renseignements qu'il a bien voulu nous fournir dans cette lettre. 92. D'expression romantique dans des contextes réalistes, Ahsan Habib est un des artistes consciencieux de la poésie bengali : cf. son recueil, Râtri-Shesh (la nuit est terminée), Calcutta, 1946. 93. C'est une diction élégante, mais parfois incisive, qu'Abul Husain nous offre dans ses poèmes, pour la plupart en prose : Nava-Basanta (nouveau printemps), Calcutta, 1940 ; cf. son poème « Dynamo » qui accompagne l'article de LuceClaude Maître, op. cit., p. 103-104. 94. Dès son début, Shaokat Osman se met au service du réalisme socialiste, issu de doctrines propagées par les écrivains « progressistes ». Il a écrit plusieurs romans, nouvelles et pièces de théâtre, publiés surtout après l'indépendance. 95. Syed Waliullah, né en 1922, s'attache à la réalité sociale décrite d'un point de vue global et sur un ton plutôt philosophique. Ses récits, Nayan Chârâ (Calcutta, 1945) et Lâl Shâlu (1949 ; trad. française d'Anne-Marie Thibaut : L'arbre sans racine, Paris, 1964), le mettent décidément en bonne place dans le peloton des romanciers nouveaux.

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les crises nationales ou intellectuelles et ont consacré leur talent aux créations artistiques de la vie intérieure. Avant de terminer ce chapitre sur les personnalités littéraires du Bengale musulman, rappelons que la classification que nous avons formulée ne peut être tout à fait exhaustive. Celle-ci n'avait d'autre ambition que de présenter en une sorte d'introduction à des recherches ultérieures les écrivains et les intellectuels musulmans ainsi que leurs écrits les plus importants. Chronologiquement parlant, les différents groupes peuvent se répartir ainsi : le premier groupe s'est manifesté notamment pendant les première et deuxième décennies de notre siècle ; le deuxième groupe s'est surtout fait remarquer au cours des deuxième et troisième décennies ; le troisième groupe a subsisté pendant toute la période en question ; le quatrième groupe, enfin, s'est révélé au début de la deuxième guerre mondiale. Il nous reste cependant à parler d'un dernier groupe, issu du pakistanisme. Dans le chapitre précédent, nous avons signalé des interférences sociopolitiques qui devaient amener les musulmans à combattre pour leur liberté. On sait que par la force des choses, les dirigeants bengali — qu'ils aient été musulmans ou hindous — durent céder la place à d'autres dirigeants dans cette lutte panindienne. Qui prit donc la responsabilité d'éveiller la masse musulmane de sa léthargie mortelle et de la confusion dans laquelle elle se trouvait à propos de la politique ambiguë du pays ? Ce furent les dirigeants survivants, les mullâhs, qui le firent, certes, avec un zèle incomparable, mais aussi les étudiants et les intellectuels en grand nombre, tous issus de la classe moyenne 96. Il est permis de ne parler que des intellectuels qui allièrent la détermination musulmane de devenir une nation à un mouvement de renaissance culturelle. Or, ces intellectuels dont nous voudrions dire quelques mots peuvent être considérés comme les devanciers de la première génération pakistanaise. Parmi plusieurs autres, les poètes Farruk Ahmad et Syed Ali Ahsan 97 , les écrivains journalistes 96. En ce qui concerne la stratification sociale, résumons la situation d'après le diagnostic du sociologue A.K. Nazmul Karim (op. cit., p. 144). Dans l'élite musulmane, il se forma une classe moyenne vers 1906, après le partage du Bengale, grâce aux privilèges spéciaux qu'elle obtenait de la part du gouvernement britannique. Elle devint très puissante dans la vie politique, plus puissante même que la haute bourgeoisie (cela ne peut pas s'appliquer aux autres régions de l'Inde). Cette classe, cependant, a été sévèrement touchée par la deuxième guerre mondiale et l'inflation. Par ailleurs, une classe commerçante fit une rapide ascension. Il faut aussi noter que ces deux classes sont un mélange des classes musulmanes sharif et non skarif, dû à la domination anglaise. 97. Farruk Ahmad est peut-être le poète musulman du Bengale le plus important des vingt-cinq dernières années. Son premier recueil, Sât-Sâgarer Mâjhi (le marin des sept mers), Calcutta, 1944, fut dédié à Iqbal, son maître préféré. Syed Ali Ahsan, poète et chef intellectuel, a traduit Iqbal et a écrit un excellent kavya, Châhar Darbesh, fondé sur la tradition de la littérature ancienne. Ses autres poèmes (Anek Akâsh — Tant de cieux) et ses essais révèlent un esprit cosmopolite et une érudition profonde ; il est actuellement directeur de l'Académie bengali à Dacca.

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Abul Kalam Shamsuddin, Mujibur Rahman Khan et Abul Mansur Ahmad 98 prirent la tête de ce mouvement à Calcutta et à Dacca, mais ce dernier se répandit très vite un peu partout en Assam et au Bengale. Le mouvement de Calcutta prit naissance au sein de la Purva Pakistan Renaissance Society (fondée en septembre 1942) avec les objectifs suivants : 1. Manifester sur le plan littéraire le pakistanisme qui inaugure la renaissance nationale ; 2. Aider aux recherches littéraires et scientifiques, publier des livres, organiser des conférences scientifiques et philosophiques sur le pakistanisme ; 3. Répandre ces idées auprès des littérateurs, des femmes et des étudiants ; 4. Etablir des rapports de bon ton avec d'autres mouvements susceptibles de contribuer au développement culturel de la « nation » ; 5. Traduire le sentiment de rapprochement hindo-musulman dans la littérature ; 6. Agir par la littérature contre toutes les idées réactionnaires : antipakistanaises, fascistes, etc. En deux ans, cette société acquit une grande réputation grâce à ses activités. Non seulement les musulmans, mais plusieurs intellectuels de gauche y prirent p a r t " . On comprend bien l'orgueil des dirigeants de cette société qui proclamèrent qu'il n'y avait pas en Inde, à cette époque, de mouvement semblable, et aussi leur souci d'un rapprochement avec la communauté voisine, mais tout ceci fut fait sur un ton qu'on pourrait appeler de « confiance agressive » 10°. Quant au mouvement de Dacca placé sous les auspices de Piirva Pakistan Sâhitya Sangsad (Association littéraire du Pakistan-Oriental, 1942), on peut noter que les raisons profondes et les mobiles sont identiques à ceux de l'entreprise précédente, avec toutefois une importance plus grande accordée à la littérature. S'inspirant du mouvement de la renaissance littéraire en Irlande, les dirigeants se soucièrent beaucoup de la future littérature du Bengale ; l'un d'eux définit la littérature non comme l'expression de la vie, mais comme ia rénovation des contes perdus ou cachés du passé 101. Les intellectuels du Bengale-Oriental manifestèrent leur nouvelle conscience par l'intermédiaire d'une revue très populaire, Pakistan, par la lecture, l'édition et l'adaptation de la littérature punthi ainsi que par la traduction d'Iqbal. Les activités de ces deux associations continuèrent à plein jusqu'en 1947 et diminuèrent après la création du 98. A.K. Shamsuddin est directeur du grand quotidien Azad et traducteur de Tourgueniev (Terres vierges), Poro Jami ; son collègue, M.R. Khan, directeur de la revue Mohammadi, est l'auteur d'un écrit polémique de haute valeur, Pakistan ; A.M. Ahmad est directeur d'un très important quotidien des années 40 (Ittehad, romancier et humoriste de grand talent. 99. Cf. la revue Mohammadi, 17e année, n o s 10-11 ; le numéro entier est consacré à la grande réunion de la société en 1942. 100. Cette attitude a été révélée, du point de vue politique, par Khalid Bin Sayeed, op. cit., p. 218. 101. Syed Ali Ahsan, « Purva Pakistaner Bânglâ Sâhityer Dhârâ », Mah-i-Nau, Dacca, août 1951, p. 49-55.

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Pakistan, mais la présence d'une nouvelle conscience, issue de ce mouvement, contribua à la formation psychologique de la génération montante de l'élite intellectuelle pakistanaise au Bengale. L'attitude de cette dernière, telle qu'elle s'est exprimée dans les mouvements de 1948, de 1952, de 1954 en faveur de sa langue maternelle et de son autonomie provinciale, témoigne amplement de ce fait. Cette attitude s'inscrit d'ailleurs dans un cadre nouveau et à l'échelon de l'histoire pakistanaise, c'est-à-dire que désormais elle ne fait plus partie de l'histoire musulmane du Bengale. Il est temps de conclure. Nous avons essayé de décrire et d'analyser dans la mesure du possible la situation des musulmans du Bengale en soulignant les points-clés de leur évolution intellectuelle. Il nous paraît inutile de reprendre les multiples thèmes que nous avons décelés dans les activités des personnalités, dans les idées et les événements. Il est à remarquer cependant que la tendance séparatiste des maîtres à penser chercha dans son ensemble à créer un monde exclusivement réservé aux musulmans. Les grandes figures élevèrent certes leur voix en faveur d'une synthèse harmonieuse. Mais la vie intellectuelle qui évoluait si rapidement dans cette période de presque un siècle ne pouvait échapper ni à la complexité de la conjoncture socio - politique, ni aux répercussions de la situation économique. Par conséquent, les mobiles de la pensée restent souvent confus, indécis ; l'évolution intellectuelle elle-même présente moins de forces créatrices qu'il ne semble à première vue. L'acceptation de l'humanisme dans ses aspects les plus élargis — idée de progrès et sécularisation — dans la vie et dans l'art reste encore problématique pour les intellectuels musulmans. Puisque le prophétisme ténébreux de leurs grandes figures en faveur d'une synthèse ne fut pas très écouté au cours de la période que nous venons d'analyser, il faut que les intellectuels se mettent en quête de tous les moyens permettant d'aboutir à une véritable métamorphose sociale et intellectuelle, c'est-à-dire à une renaissance nationale. Or, nous pensons pouvoir exprimer notre optimisme à cet égard, car, d'une manière générale, la sensibilité musulmane avait témoigné d'un renouveau dans le cadre de la foi existante et en fonction de la patrie à venir, tout en prenant conscience de la réalité pour l'exprimer avec intelligence.

GLOSSAIRE DES TERMES TECHNIQUES ET DES GENRES LITTÉRAIRES

Abbassides : Dynastie califienne de 750 à 1258. La dynastie tire son nom de son ancêtre, l'oncle du prophète Mahomet (Muhammad) 'Abbâs b. 'Abd al-Muttalib b. Hâshim. La période abbasside fut qualifiée par les penseurs musulmans d'« impérialiste » au 19e siècle et fut glorifiée plus tard pour sa contribution au savoir islamique. Adam : Le père du genre humain ; tout comme Jésus était le second Adam dans le christianisme, une relation fut établie entre Adam et Mahomet, le dernier apôtre. Alamgiri : Cf. 'Al-Fatâwâ Al-Alamgiriyya, consultations juridiques et religieuses décrétées par l'empereur mogol Aurangzeb. Alim : Celui qui sait, c'est-à-dire un érudit. Le terme désigne les docteurs de la loi et de la théologie islamique. Allah : Terme arabe pour désigner Dieu, créateur et maître du jugement ; en bengali, on emploie le terme Khodâ ; Isvar et Niranjan sont deux termes hindouiste et bouddhiste qu'on emploie rarement ; Allah a 99 autres noms d'attributs (Azîz, le Tout-Puissant ; Râhman, le Bienfaiteur ; Karim, le Généreux, etc.). A Ipanâ : Les décorations rituelles au Bengale ; art féminin, intimement lié aux fêtes religieuses et populaires. Amir (ou émir) : Commandant en chef, gouverneur, prince, aussi employé comme titre de noblesse ; le terme semble être fondamentalement islamique. Amlâ : Employé du zamindâr chargé de collecter les impôts. Ampârâ : Le premier et le dernier sûrât du Coran qui constituent la trentième partie du Livre. Ils sont récités dans les prières quotidiennes. Ana'l Haqq : « Mon, je, c'est la vérité créatrice », parole prononcée dans son extase transcendante par le mystique martyr Mansour Hallaj. Haqq a plusieurs significations, mais comme le souligne L. Massignon, « ce terme dynamique, fondamentalement hallagien, en relation étroite avec le Qur'ân (50, 41 : sayha bi'l haqq ; cf. 42, 17), est devenu, à cause des sûfîs, le nom commun de Dieu en pays turc, persan et indien » (Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane, Paris, 1954, p. 38). Anjuman : Mot persan qui désigne l'association religieuse, le groupement politique, etc. Les filiales bengali de l'association d'Amir Ali se désignaient par ce terme depuis la fin du 19* siècle. Ashrâf : Cf. Sharif. Azân (adhân) : Annonce ; terme technique désignant l'appel, qui consiste en sept formules (chez les sunnites), aux prières quotidiennes. B.A. : Bachelor of Arts. B.L. : Bachelor of Law. Bandé-Mâtaram : « Je salue la mère » ; hymne à la mère patrie. Bath-talâr Sâhitya : Littérature indigène ; différente des poèmes écrits par les poètes de la cour, cette partie de la littérature bengali a été écrite ou récitée à l'intention des villageois, sous l'arbre de Vatha (banyan ou Ficus indicà), d'où cette appellation indigène. Baul : Fou ; ce terme désigne un groupe de syncrétistes bengali — musulman ou hindou — qui cherche Dieu dans leur propre cœur et dans leur propre corps. La pensée des bauls, profonde et mystique, élabore un système de méditation en juxtaposant les écoles soufiste, vaishnavite et tantrique.

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Béhésht, bihisht (djanna en arabe) : Jardin ; le paradis selon la conception coranique. Bhâtiâli : Un des genres de chanson très populaires au Bengale. Chant des bateliers : « Il s'agit d'une mélodie sur le thème de la rivière et des grands espaces que l'on découvre au fur et à mesure de sa descente. Chaque strophe se termine par un cri aigu s'appuyant sur la dernière syllabe qui est prolongée par le chanteur aussi longtemps qu'il est possible » (Deben Bhattacharya). Brahmoîsme : Le syncrétisme dévotionnel des hindous de tendance sociale progressiste et anticommunaliste ; Râjâ Rammohan Ray (1772-1833) fonda en 1828 l'Eglise hindoue unitaire, qui prit bientôt après le nom de Brâhmasamâj (Société des croyants en Brahman), où le trait le plus impressionnant était de voir hindous, musulmans, chrétiens, pratiquer la prière en commun. D'une manière générale, le retour à certaines traditions hindoues s'opéra progressivement dans la confrérie, qui sur d'autres points demeurait fidèle à sa tendance originelle. C'est un mouvement fait pour une élite qui n'a guère pénétré dans les masses, mais qui a incité nombre d'hindous à réfléchir davantage aux postulats de leur religion et chercher à établir celle-ci sur des bases humainement plus rationnelles (L. Renou, L'Hindouisme, p. 114-116). Cadi : Cf. Qadi. Çâstra (shâstra) : Mot sanskrit signifiant précepte, règle. Ce terme recouvrait primitivement tous les traités, à l'exclusion des rituels ; plus tard, les çâstra désignaient presque exclusivement les livres de lois. Cepoy (ou cipaye) : Soldat indien. Chiisme : Secte islamique qui prend pour point de départ la reconnaissance d'Alî comme calife légitime après la mort du Prophète. Çiva : L'une des trois grandes divinités hindoues. Çiva est à la fois destructeur et bénéfique. Collège : Etablissement d'enseignement supérieur anglais aux Indes, affilié à une université. Communauté : Communauté religieuse. Communalisme : L'antagonisme qui dressait l'une contre l'autre les deux grandes communautés indiennes, hindoue et musulmane. On entend par ce terme l'expression du schisme des populations indiennes dans les domaines politique, social et culturel, surtout à partir du Mouvement khilafat et de non-coopération. L'état psychique d'un communaiiste, dynamique et conscient de la prise de position de sa propre communauté, changea le cours de l'histoire moderne de l'Inde. Cf. W.C. Smith, Modem Islam in India, première partie, chap. I. Dâr al-harb et dâr al-Islâm : D'après les conceptions musulmanes, le monde se divise en deux, dâr al-harb, « territoire de la guerre », et dâr al-lslâm, le « domaine de l'Islam ». Le domaine de l'Islam comprend tous les pays déjà placés sous la domination musulmane ; or le dâr al-harb est un territoire non musulman qui devait être conquis par la guerre sainte, et les fidèles, à défaut, devaient le quitter ; cette notion a évolué depuis le 19' siècle. Darvesh (darwîsh, darwèsh ; en arabe fakir) : En persan, ce terme signifie chercheur de portes, c'est-à-dire mendiant. Il signifie « maître spirituel » dans le mysticisme musulman. Dây-Bhâg : Les lois de répartition de la propriété (cf. bibliogr. I). Deputy magistrate : Magistrat adjoint d'un district qui est chargé de l'administration, de la perception des impôts et de la justice. « A cette époque (19e siècle) ce poste a été la plus haute fonction administrative qu'un Indien pouvait espérer » (Humayun Kabir, Studies in Bengali Poetry, Bombay, 1962, p. 67). Dharma : « Le terme considérable de dharma, proprement le « support » des êtres et des choses, désigne à la fois la loi dans sa plus grande extension, l'ordre qui préside aux faits dans les disciplines normatives, mais plus spécialement la loi morale, le mérite religieux : c'est le seul terme qui traduise notre mot de

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religion, et qui à la fois le déborde et demeure en deçà » (L. Renou, op. cit., p. 28-29). Dharma-Çâstra : L'enseignement sur la loi; recueil hindou d'ordre juridique. District : Unité administrative d'un magistrat. En 1881, il y avait 47 districts au Bengale. Division : Groupement de quelques districts d'une province administrés par un Commissioner. En 1881, il y avait 9 divisions au Bengale. Dobhâshi : Interprète ; bilinguisme ; employé pour un genre littéraire bengali dans lequel le langage et la pensée sont éminemment islamiques. Dozakh (duzakh, nâr, djahannam) : L'enfer selon la conception coranique. Durbâr : Cérémonie royale. Il s'agit de l'audition solennelle que le roi d'Angleterre accordait aux notables indiens. Ere bengali : Bangâbda ou Bânglâ San(a) ; L'année solaire introduite par le grand mogol Akbar en 1555-1556, correspondant à l'ère hijra (l'hégire est l'année musulmane depuis 622) qui est l'année lunaire. L'ère bengali et l'ère hijra sont désignées par è. b. et A. H. En 1965 ap. J.-C., il est 1372 è. b. et 1384 A. H. Fard (farz) : Les prescriptions strictement obligatoires du point de vue religieux. Fatima : Fille de Mahomet, épouse du quatrième calife, mère de deux Hasan, dont le dernier (Husayn) est le héros tragique de Karbalâ. Fatwâ : Décret religieux. Fikh (ou ftqh) : Intelligence, sagesse ; désigne la science de la loi islamique. Firingi (frengi) : Etranger, Européen, homme intelligent. Cf. la revue The Muslim World, Hartford, 1949, p. 307. Firishtâ : Désigne l'œuvre de l'historien persan Muhammad Kâsim Hindû Shah (1552-1623 ?). Il a écrit une histoire de l'Inde musulmane (traduite par Brigg, Londres, 1829). Fondamentaliste (au Pakistan) : Partisan d'un réformisme, opposé au traditionalisme, mais préconisant un retour aux sources et aux temps primitifs et envisageant même un certain rétablissement des premiers califats ; opposé à tout régime parlementaire (d'après A.W. Eister ; cf. bibliogr.). Forkan : Distinction, révélation, salut ; employé souvent comme synonyme du Coran, le quatrième livre et le Verbe sacré d'Allah. Gauriya-riti : L'école de Gaur ; style poétique des poètes bengali en sanskrit (cf. S.K. De, History of Sanskrit Poetics, V, II, p. 79). Ghazal : Poème persan monorime, principalement consacré au panégyrique, mais qui peut être aussi élégiaque, satirique ou moral. De courte durée — plus de quatre mais moins de quinze vers, — un ghazal exprime un lyrisme personnel et intense. Ghazi : Titre honorifique donné à qui se distingue dans une guerre contre les infidèles. Ghâzir pat : Les rouleaux de parchemin dépeignant les actes héroïques des gazis ou des ghâzis ; exemple de l'art traditionnel des musulmans au Bengale. Hâdith : Narration, récit ; relatif aux actes et aux paroles du Prophète et de ses compagnons. Hajj (Hadjdj) : Le pèlerinage à La Mecque, 'Arafat et Mina : la dernière des cinq « colonnes » de l'Islam. Hâlâl : Mot arabe désignant les produits comestibles pour les croyants. Hanafites : Ceux qui, parmi les musulmans sunnites, suivent la tendance (madhab) fondée par Abu Hanîfa. C'est la secte principale de l'Islam, les trois autres étant Shafa'i, Hambali et Maléki ; les différences qui séparent l'une de l'autre ces sectes ne sont pas très marquées. Le Report of the Census of India (t. VI, n

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p. 173) précise que pratiquement presque tous les musulmans du Bengale appartiennent à cette secte et interprètent assez librement les traditions du Prophète par le raisonnement analytique, tandis qu'ailleurs les hanafites ne croient à aucune modification. Ijrnâ : Consentement, accord ; est l'un des quatre usûls (bases, racines) sur lesquels repose la foi musulmane. ljtihâd : L'effort de la raison et de la connaissance humaine pour comprendre la situation où une injonction religieuse doit être appliquée et l'interprétation de cette loi selon le cas. Imâm : Guide ; le chef chargé de conduire une prière commune ; co terme ne désigne certainement pas un prêtre. Imân : Etymologiquement, tranquillité d'esprit et sécurité contre la peur ; ce terme signifie la foi, c'est-à-dire la confiance en Allah, la croyance en Lui, à Son Prophète et à Sa Prédication. Indra : Chef des lokapâla (régents du monde), plus généralement celui des vasus et des dieux. Dans l'épopée indienne, son rôle est celui de guerrier et de bienfaiteur. Injil (ou Andjîl) : Corruption du mot évangile. Jâti : Le mot bengali qui peut remplacer « nation » ; par exemple, farâshi jâti, la nation française ; cependant, l'emploi de ce mot pour désigner la communauté religieuse (sampradây) est assez fréquent. Jihâd : Littéralement une entreprise sérieuse pour défendre une juste cause ; synonyme de la guerre sainte musulmane par opposition à croisade ; on a même employé « crescentade ». Ka'ba : Le sanctuaire de l'Islam, situé à peu près au milieu de la grande mosquée de La Mecque. Kabtn : Le contrat de mariage chez les musulmans. Kafir : Infidèle. Kâli : La « Noire », une des principales divinités hindouistes, d'une image cruelle ; elle est vénérée au Bengale pour sa puissance. L'usage védique de sacrifice des animaux (clandestinement des êtres humains) s'est perpétué dans le culte de Kâli. Karbalâ (Karbelâ, Kerbelâ ou Meshhed Husain) : Se situe environ à 100 kilomètres au sud-ouest de Bagdad, à la limite du désert ; le petit-fils du Prophète y fut tué le 10 octobre 680. C'est sur la base de cet épisode historique que de nombreux poètes musulmans écrivirent des poèmes tragiques. Kavi : Poète. Kâvya : Poésie, récit poétique ou (rarement) recueil de poèmes. Khan : Titre de noblesse en turc, venant de kaghan. Khânqah : Couvents, monastères sûfî. Khilafat : Terme employé pour le mouvement politico-religieux des musulmans de l'Inde. A l'égal d'altruisme : sentiment d'amour pour autrui ; doctrine morale d'après laquelle le bien consiste à chercher l'intérêt de ses semblables. Local Self Government : Ministère des activités municipales (construction de routes, ponts, santé et certaines écoles, etc.) ; ne pas confondre avec Self-government (c;. infra). M.A. : Master of Arts. Madrasa : Etablissement musulman d'enseignement secondaire et supérieur. Mahâkavi : Grand poète ; désigne l'auteur de Mahâ-Kâvya, Mandir : Le temple hindou. Marshiyâ (martiya) : En turc, mersyé ; oraison funèbre.

poème épique.

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Masnavi : Long poème persan à rimes plates, de contenu narratif ou didactique. Mâtaram : Mère, mère-patrie. Maulânâ : Dérivé du terme arabe mawlâ, ayant différentes significations, notamment « tuteur » ou « seigneur ». Maulânâ « Notre Seigneur » est employé dans le Coran pour désigner Allah. En Inde, ce composé et maulvi (mawlawî, mawlây) furent utilisés pour désigner des érudits, des savants ou des saints ; maulvi (ou maulawi) est employé aujourd'hui communément pour « monsieur » ou pour désigner un simple religieux. Maulud-sharif (Mawlûd, Mawlid al-Nabi) : Fête commémorant la naissance du Prophète de l'Islam. Meer (mir) : Titre persan abrégé de la forme arabe, amîr. Ce titre est aussi traditionnellement porté par des poètes et hommes de lettres. Des Sayyid se désignaient parfois par ce titre. Mélâ : Foire ; VHindu-Mélâ fut une sorte de manifestation hindoue de la Patriotic Association du Maharshi, père de Tagore. Mléççha : Le « sale étranger », employé pour un non-hindou. Monâfek (munâfik) : Hérétique, sceptique, hypocrite... Muharram : Le premier mois (30 jours) de l'année islamique ; le 10, anniversaire de la bataille de Karbalâ. Mujâhid : Saint guerrier : celui qui est engagé dans le jihûd. Mujtâhid : Celui qui est compétent en ijtihâd. Mullâh : Homme religieux ; mujtâhid chiite. Mumin : Fidèle, celui qui a l'imân. Munshi : Dérivé de l'arabe inshâ, « secrétaire professionnel »... Ce terme désigne en Inde un indigène cultivé, notamment un professeur de langues appartenant au pays. Murîd : Novice ; celui qui est entré dans une confrérie. Murshid : Maître spirituel. Mutazili : Al'Mu'tazila, la grande école théologique qui a créé la spéculation dogmatique de l'Islam (depuis le 9e siècle), de caractère rationaliste et intellectualiste. Nabâb (nawâb, nawwâb) : Terme employé sous les souverains mogols des Indes pour désigner un vice-roi ou un gouverneur d'une province ; depuis la domination britannique, il a été offert comme titre honorifique pour les princes de sang royal ou pour les fonctionnaires de grande valeur. Aussi, on entend par nabâb (conception française du terme anglais nabob) les Anglo-Indiens riches. Nabi : Prophète. Nâjât : Salut. Namâj : La prière rituelle ou le service divin chez les musulmans (salât en arabe). Nationalistes musulmans : Appellation des congressistes ou autres musulmans qui, par leurs dires ou actes, manifestaient en faveur d'une nation politique en Inde et ont été opposés au nationalisme musulman ou au séparatisme musulman depuis 1930, ou plus concrètement depuis 1940. Cf. infra, « pakistanisme ». Nayeb ou nàib : Administrateur de biens ou gérant d'un zamindar. Pakistanisme : Nous employons ce terme pour le mouvement en faveur du Pakistan (1940-1947) que certains appellent le nationalisme ou le séparatisme musulman. Ce faisant, nous insistons sur l'aspect culturel, intellectuel et moral des partisans du mouvement. Pandit : Erudit, en sanskrit et en bengali. Pathan : Les Afghans. « On fait parfois une distinction entre Afghans et Pathans, ce dernier terme s'appliquant aux Durrânis et aux tribus alliées. Mais cette diffé-

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rence n'est probablement qu'une différence formelle (la désignation persane d'Afghans est d'étymologie inconnue) s'appliquant naturellement aux tribus occidentales, tandis que Pathan, forme indianisée du nom indigène, s'applique aux tribus orientales » (Encyclopédie de l'Islam, 1960, t. I, p. 223). Payâr : Mètre conventionnel bengali où chaque vers est composé de quatorze syllabes et rimé tous les deux vers. Pîr : Aîné en persan ; prêtre, éducateur religieux et surtout maître spirituel. Pravandha : Essai littéraire, discours érudit (aussi nivandha et rachanâ). Progressistes : Communistes ou pseudo-communistes (intellectuels et écrivains). « Aucun écrivain de moins de quarante ans, dit Mulk Raj Anand, ne pourrait affirmer aujourd'hui qu'il n'a pas, à un moment ou à un autre, subi l'influence de l'Association des écrivains progressistes qui fut fondée en 1935. Le mouvement auquel cette société donna naissance a été à l'origine de toute une littérature en vers et en prose qui s'est attachée à rester aussi près que possible de la nouvelle réalité indienne » (K.M. Pannikar, L'Asie et la domination occidentale, p. 443). Ajoutons à ceci que les littérateurs bengali furent influencés davantage par Nazrul Islam et Muzaffar Ahmed, bien avant 1935. Pûjâ : La forme extérieure essentielle des pratiques hindouistes ; l'adoration d'une déité, selon les canons minutieusement fixés par les traités, à des dates déterminées. Punthi ou Puthi : Manuscrit, ouvrage ; désigne aussi un genre de littérature bengali de tradition ancienne. Purânas : Antiquités ; désigne un genre de littérature de l'Inde ancienne (du 1" au 12* siècle), renfermant des traditions et légendes, et constituant une histoire plus ou moins mythique. Purdah : La réclusion des femmes portant le voile. Qadi (kazi, cadi) ; Le juge ; en 1864, les Anglais supprimèrent le recrutement des qadis en Inde. Qadéri (kâdiriyya) : Ordre derviche institué par 'Abd al-Kadir Al-Jîlânî (mort en 1166). Râj : Règne ou domination ; par exemple, British-râj. Râjâh : Roi ; sous la domination anglaise, désigne les princes d'Etats indigènes ou un simple titre pour un notable (par exemple, Râjâ Bâhâdur, etc.). Râma ou Râmachandra : Gracieux comme la lune ; le roi légendaire des hindous pour qui fut écrite l'épopée Râmâyanâ, « le geste de Râma », attribuée à Valmîki. L'image de Râma est souvent employée dans la terminologie nationaliste de l'Inde comme symbole de la justice et de l'être humain. L'épopée elle-même était plus sécularisée que le Mahâ-Bhârata, l'autre grande épopée de l'Inde. Toutes deux se développaient depuis le 2' siècle av. J.-C. Rasul : Envoyé, apôtre. Rishi : Sage. Ritu : Saison. Rozâ : Le jeûne que les musulmans font au mois de ramadân, le 9e mois du calendrier islamique. Ramadân est le seul mois qui figure dans le Coran. Il a été nommé pour l'envoi du Verbe sacré. Rubffî (pluriel Rubâ'iyât) : Quatrain persan condensant une pensée mystique ou philosophique. Sâheb (ou Sâhib) : Dérivé de l'arabe s-h-b ÇAshâb) dans le sens de compagnon ; employé dans l'Inde pour désigner les Européens, mais aussi les indigènes de haut rang ; au féminin, sahébâni, sahébâ, ou mem-sâheb (madame). Sâhitya : Littérature. Sal : Mot persan employé en turc et en bengali ; année, l'année astronomique.

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Sâlafia (salafiyyà) : Partisan des Anciens ; mouvement islamique. Sanad : Document. Sangathan : Consolidation ; désigne un mouvement réformiste des hindous. Sarasvatî : De parenté instable, ancienne déesse-rivière, c'est la patronne des arts, la divinité de l'éloquence et du savoir, l'inventrice du sanskrit (L. Renou, op. cit., p. 45). Sayyid (saiyyid, syed, etc.) : 1. descendant du Prophète ; 2. prince, seigneur, chef ou maître. Self-government : Terme politique souvent employé de manière erronée ; autodétermination administrative. Shâgird : Disciple, élève. (En bengali, ce mot a été transformé en shagred et désigne un disciple dévoué.) Shaikh (cheik) : Littéralement, le vieil homme ; employé aussi pour un maître soufi. Chez les musulmans de l'Inde, ce titre a été attribué ou pris avantageusement pour désigner la classe sociale. Shâriah : La loi canonique de l'Islam, l'ensemble des commandements d'Allah. Sharîf : Mot arabe ; pluriel ashrâf, shurafâ : « noblesse, sublime ». Malgré la doctrine de l'égalité de tous les Arabes et finalement de tous les croyants, la notion d'une classe supérieure exprimée dans ce terme s'éleva chez les musulmans. Shâstra : Cf. Çastra. Shirk : Le fait d'associer et en particulier de donner un compagnon à Allah, d'honorer quelqu'un d'autre à côté d'Allah. Siddhâ : Saint, maître mystique chez les bouddhistes. Sitâ : Femme de Râmâ ; type idéal d'une femme chaste. So-hm : La formule mystique hindoue qui signifie « Je suis Celui » — par extension il n'y a pas de différence entre Lui et Moi ; sa, « Il », « Lui » ; aham, « Moi », « Je » ; sa -f aham - sohm (ou sohatri), « Celui » ou « Lui » — désigne Brahman, c'est-à-dire le « créateur » qui forme la trinité avec deux autres grandes divinités : Vishnu (conservateur) et Çiva (destructeur). Selon les sectes, ils représentent l'un ou l'autre l'Etre suprême. Le mystique, dans son extase, croit se lier à l'Etre suprême. Soufisme (sûfisme) : Méthode d'introspection absolue pour le musulman qui, deux siècles après son apparition, a « vivifié » l'Islam. Le soufi ou le mystique musulman s'avance vers une vie spirituelle comme un voyageur pour atteindre la connaissance parfaite ([m'arifat). Un désir surhumain du sacrifice pour ses frères et un exercice spirituel individuel ou collectif de fanâ, c'est-à-dire la négation du soi dans l'extase, caractérisent le soufisme. Comme dit L. Massignon, « c'est grâce à sa mystique que l'Islam est une religion internationale et universelle. Internationale : par les travaux apostoliques des mystiques visitant les pays infidèles : c'est l'exemple persuasif des ermites musulmans... apprenant leurs langues populaires et se mêlant à leur vie, qui a converti tant d'Hindous et de Malais à l'Islam, bien plus que le fanatisme tyrannique des conquérants de langue étrangère... Universelle : ce sont les mystiques qui, les premiers, ont compris l'efficacité morale de la hanâfiyah, le fait d'un monothéisme rationnel, naturel à tous les hommes... » (Essai sur les origines du lexique technique..., p. 15). Suddhi : Mouvement en faveur de la reconversion des hindous. Sultan : Un prince puissant, un souverain indépendant d'un certain territoire ; dérivé de l'arabe. Sunna : Les traditions de la croyance et de l'action établies par le Prophète considérant une interprétation du Verbe sacré. Sunnite : Adhérent du sunnisme ; les sunnites suivent la tradition orthodoxe de

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Etude sur l'évolution intellectuelle du Bengale l'Islam ; ils acceptent le Coran et les hâdit comme base de toute croyance et l'enseignement de l'Islam ainsi que la légitimité des quatre premiers califes.

Sûrât : Verset du Coran. Suttee : Forme corrompue du mot sâti ( « la femme chaste » ) ; coutume sociale des hindous par laquelle les veuves devaient se faire brûler vivantes sur le même bûcher que le cadavre de leur mari. En 1817, il y eut 706 suttee au Bengale (sati dâha en bengali) ; interdit par le gouvernement en 1829. Swadeshi : « Ce mot swadêçî (les Anglais écrivent swadeshi) a été traduit par notre adjectif « autonome » , mais la traduction n'est pas rigoureusement exacte, car swadêçî (de swa, « soi, son, propre » , et deçà, « pays » ) a une signification plus générale et absolue. Il s'agit en définitive d'une tentative de rébellion pacifique contre l'Angleterre, d'une sorte de grève organisée par les hindous, mais que les musulmans se refusent de suivre » (Julien Vinson, « L e mouvement swadêçî » , Revue du monde musulman, I, 1, Paris, novembre 1906, p. 22-23). Grâce à Gandhi, le sens de ce terme avait été élargi et la participation des musulmans au mouvement politique avait été acquise depuis les années 20. Swadinatâ : Indépendance. Swarâj : Indépendance ou autodétermination politique ; ce terme est souvent employé confusément ; les congressistes, par exemple, n'entendaient que le Dominion Status de l'Inde par swarâj jusqu'en 1929. Tabligh : Propagande ; mouvement religieux des musulmans de l'Inde en faveur d'une conversion massive. Tafsir : Commentaire du Coran ; en bengali, ce terme implique nécessairement la traduction. Talaq : Renvoi d'une femme par son mari, forme du divorce selon la loi islamique. Tantrisme : « Religion » des Tantras (livres sacrés) qui est un développement autonome du yoga et qui prend son point de départ sur des représentations physiologiques et cosmogoniques originales. Il y a deux voies : dakshinâcarq (de droite) et vâmâcara (de gauche) ; les bauls suivent la dernière. Tanzim

: Mouvement politico-religieux des musulmans de l'Inde.

Taqlid : L'adhérence au droit musulman sans examen ; l'observance stricte de l'autorité traditionnelle en matière religieuse. Tariqat : Chemin, route, voie (de l'arabe tarîka, pluriel turuk) ; l'ensemble des rites d'entraînement spirituel préconisés pour la vie dans les diverses congrégations musulmanes. Traditionaliste : Celui qui affirme l'unité de la religion avec tous les autres aspects de la vie, moyennant éventuellement une interprétation exercée de cette tradition selon laquelle religion et politique se trouvent intégrées (d'après A . W . Eister). Nous avons employé ce terme aussi pour ce qu'on appelle « revivaliste » , à propos de la personne qui avait manifesté cette attitude au 19" siècle. Ulama : Cf. Alim. Ustâd : Maître ; maestro. Vaishnavisme : C'est la Bhakti ou le vishnuisme du Bengale, l'autre chemin vers la délivrance des piétistes hindous, qui depuis Shri Chaitanya (1485-1553) exerce une influence considérable sur le plan émotif et ensuite sur le plan intellectuel, aussi bien chez les hindous que chez leurs voisins. C'est une doctrine bien élaborée et « on y distingue et on y subdivise à l'infini des sentiments, des états d'âme, des états concomitants ou subsidiaires, à l'imitation des théories savantes qui avaient été échafaudées pour expliquer la poétique et la dramaturgie. D'autre part, une érotisation se produit, différente en son principe de celle du tantrisme, mais non moins intense, ni moins périlleuse » (L. Renou, L'Hindouisme, p. 63). Vivek : Conscience humaine.

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Wahhabi : D e wahhâbîya — groupe religieux qui suit l'enseignement de Muhammad b. 'Abd al-Wahhâb (1703-1792) ; en arabe, les partisans du groupe s'appelaient muwuhhdûn, c'est-à-dire unitaires. Pour leurs doctrines puritaines semblables, on croyait que les partisans des mouvements religieux de l'Inde au 19* siècle étaient tous des wahhabis. Wâqf (wakf, habs) : D a n s la terminologie juridique islamique, ce terme signifie les biens de mainmorte. Yatra

: Etymologiquement, « aller » ou « partir » ; désigne un genre de drame en opéra populaire, traditionnellement bengali.

Yavana : L'équivalent indien du terme grec ionia, exprimant plutôt du mépris que du respect ; employé souvent pour les musulmans de l'Inde. Yoga

: Etymologiquement, « union » et « règle » ; les moyens d'accès à la vie mystique ; technique d'ordre physiologique et psychologique pour acquérir le pouvoir physique et mystique.

Zabur : Ecriture ; le Livre de Dâwûd. Zakât

: L'impôt-aumône ; selon la loi islamique, un musulman doit payer chaque année 2,5 % de ses biens aux pauvres.

Zamindar : Propriétaire foncier, possesseur d'un bien-fonds ; « A u Bengale, ces propriétés sont habituellement vastes et le zamindar (zamidâr en bengali) est responsable vis-à-vis du gouvernement du paiement de l'impôt recouvrable sur le bien et aussi dans une certaine mesure du maintien de l'ordre sur toute son étendue. Dans d'autres parties de l'Inde, les zamindars ont des domaines plus petits, parfois occupés en commun, en vertu d'un règlement renouvelable périodiquement » (T.W. Haig, dans L'Encyclopédie de l'Islam). Les zamindars existaient à l'époque hindoue et musulmane avec la tâche principale de percevoir les impôts ; cependant, la formation, la fonction et le statut d'une nouvelle classe de zamindars ne furent qu'une innovation britannique après la loi de 1793.

BIBLIOGRAPHIE

ABRÉVIATIONS B.S.O.A.S. I.J.A.L. J.A.S.P. P.A.P.H.C. P.A.P.S.

UTILISÉES

Bulletin of the School of Oriental and African Studies. International Journal of American Linguistics. Journal of the Asiatic Society of Pakistan. The Proceedings of the All Pakistan History Conference. Proceedings of the American Philosophical Society. I. BIBLIOGRAPHIE DES OUVRAGES

GÉNÉRAUX

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INDEX ONOMASTIQUE

'Abd al-Wahhab : 33 n. Abdul Bari (D'), Md. : 33r n. Abdul Gafur Siddiqui (D ) : 59 n, 81 n. Abdul Hai, Muhammad : 26 n, 36 n, 53 n, 65 n, 71 n, 80 n, 87 n, 90 n, 93 n, 95 n, 132 n. Abdul Hakim, M. : 80 n. Abdul Kadir : 59 n, 96 n, 141 n, 150 n. Abdul Karim : 53. Abdul Karim (DO : 18 n, 19 n, 151, 152. Abdul Karim, Muhammad : 90 n. Abdul Karim (Munshi Sähitya Visharad) : 22 n, 151, 152. Abdul Latif (Nabab) : 12, 35 n, 35-36, 41-42, 43-48, 49, 50, 61, 102 n, 151. Abdul Mannan, Kazi : 46 n. Abdul Wadud, Kazi : 37 n, 38 n, 40 n, 44 n, 47 n, 49, 66 n, 80 n, 103 n, 128, 143-146, 147 n. Abdul Wali (Maulvi) : 57 n. Abdur Rahim (Shaikh) : 64-65, 69 n, 75. Abdur Rasul : 101. Abdus Sobhan (Shaikh) : 52, 61, 64, 95 n. Abid Hussain, S. : 22 n. Abott, Freeland : 33 n. Abraham : 91. Abu Bakar : 89. Abu Tawwamah (Shaikh), Sarf al-Din : 20 n. Abul Fazal : 147. Abul Hashim : 124 n. Abul Hosen, Sayyid : 147. Abul Husain : 115 n, 155. Abul Hussain, Syed : 131 n. Abul Quasem : 101. Adison : 73. Afghani, Sayyid Jamal al-Din : 46, 52, 69 n, 70, 108, 129. Afzal Ali : 21. Aga Khan : 103, 104, 106, 114. Ahmad, Abul Mansur : 157. Ahmad, Meyraj-Uddin : 69 n. Ahmad (Dr), Rafiuddin : 111 n. Ahmad (Munshi), Reäjuddin : 69 n, 72. Ahmad Khan, Sir Sayyid : voir Khan. Ahmad Sharif : 81 n. Ahsan Habib : 155. Aji Bari (Munshi) : 88 n. Akbar : 38, 115 n. Akbaruddin : 149. Alaol : 22, 23, 26, 152 n. Albiruni, A.H. : 42 n, 107 n. Al-Ghazzali : 75, 144.

Ali Ahmad : 22 n. Ali Ahsan, Syed : 26 n, 36 n, 53 n, 65 n, 71 n, 80 n, 87 n, 90 n, 93 n, 95 n, 132 n, 156, 157 n. Alim Allah (Maulvi) : 66. Ali Raja : 152 n. Al-Samarqandi, Qadi Rykn al-Din : 20 n. Ambedkar, B.R. : 99, 111 n, 121. Aminul Islam, A.K.M. : 84 n. Amir Ali, Sayyid : 12, 13, 28 n, 47-52, 61, 65, 70, 95, 96 n, 101, 106, 130, 144. Amir Hussain, Sayyid : 47 n. Aniruddhar Islam, Kazi : 139 n. Ansari (D ) : 129. Ansäri (Shaikh), 'Abd Allah : 21 n. Anwarul Quadir : 148 n. Appadorai, A. : 114n, 120 n. Arnold, Matthew : 96. Arnold, T.W. : 15 n, 132 n. Ashraf, K.M. : 57. Ashraf Ali (Meer) : 59. Askari, Hasan : 20 n. Asoka : 16. Ataur Rahman : 134 n. Aurangzeb, Alamgir : 24, 37 n, 38, 62. Averrofcs : 144. Ayyub, Abu Syed : 128, 154. Azad (Maulänä), Abul Kalam : 12, 108110, 116 n, 123 n, 132, 134. Azam (Shah), Sultan Ghyasuddin : 21. Aziz Ahmad : 116, 121 n. Aziz, K.K. : 42 n, 101 n, 106 n, 117 n, 118 n, 120 n, 122 n, 123 n. Badi-al-Alam (Shah) : 66. Badsha Mian : 34 n. Bagchi, P.C. : 25. Bakhtyar Shad : 103. Baljon, J.M.S. : 52 n. Bandé Ali Mian : 143 n. Bandopâdhâya, Bibhuti Bhusan : 38. Bandopadhaya, Hemchandra : 92, 94 n, 129. Bandopâdhâya, Mânik : 38. Bandopadhaya, Paresh : 77 n. Bandopadhaya, Rangalâl : 36, 84, 92. Banerjee, A.C. : 106 n. Bankim Chandra, voir Chatterjee. Bannerjee, Surendra Nath : 47 n, 102, 134. Baranî, Duyâ al-Dîn : 18 n. Barbosa, Duarte : 25 n. Barkatullah, Muhammad : 148.

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Index onomastique

Barrière, Pierre : 83 n. Basu, Jogindra : 92 n. Basu, Rames : 20 n. Bauls Oes) : 19, 22, 72, 82, 141. Benajir Ahmad : 143 n. Beni Prasad : 113 n. Besant (Mrs), Annie : 113 n. Bhasani (Maulànà), Abdul Hamid, voir Khan Bhasani. Bharat Chandra : 26. Bhattacharya, Deben : 81 n. Bhattacharya, Sukumar : 25 n. Bhattacharya, Upendra Nath : 82 n. Bhattasali, N.K. : 17 n. Bibhuti Bhusan, voir Bandopàdhàya. Bin Sayeed, Khalid : 113 n, 124 n, 157 n. Bloch, Jules : 86 n. Blunt, W.S. : 47 n. Bonnerjea, Biren : 16. Bose, Budhadeva : 137. Bose, P.N. : 66. Bose, Ràjnàràyan : 37, 40 n. Bose, Sarat Chandra : 124. Bose, Subhäs Chandra : 12, 111 n, 119, 124. Boulier-Fraissinet, Jean : 153. Bradley-Birt, F.D. : 44 n. Briggs : 28 n. Brown, W. Norman : 122 n, 124 n. Browne, E.G. : 21 n. Buch, M.A. : 103 n. Burrows (Sir), Frederick : 124. Byron : 140. Campbell-Johnson, A. : 123 n. Campos, J.A. : 27 n. Cash, W.W. : 109 n. Chaitanya, Shri : 16. Chakravarty, Amalendu : 81 n. Chakravarty, Bihärilal : 88, 97. Chandidasa : 21. Chatterjee, Bankim Chandra : 4, 14 n, 36, 37 n, 43, 62, 75, 76, 77, 84, 86, 90, 115, 130, 148, 149. Chatterjee, Sarat Chandra : 38, 146. Chaudhuri, N. : 103 n. Chaudhury, Arjumand Ali : 91 n. Chawdhry, Rahmat Ali, voir Rahmat Ali. Chirol, V. : 108 n. Chowdhury, Ksitish Chandra : 25 n. Chowdhury, Munier : 80 n. Chowdhury, S.B. : 37 n. Chowdhury, Sayyid Motahar Hussain : 146-147. Chowdhury, Sayyid Nabäb Ali : 38 n, 95-96. Chundrigar, I.I. : 123 n. Churchill : 121 n. Clark, T.W. : 62 n. Clive : 27.

Comte, A. : 92. Cornwallis (Lonp : 28. Coupland, Reginald 116 n, 119 n, 121 n. Cripps (Sir), Stafford : 121. Crook, B. : 46. Crooke, W. : 43 n. Curzon (Lord) : 101, 102.

117 n,

Dad Ali : 88. Dani, A.H. : 15 n, 20 n, 23 n. Dante : 33 n. Das, C.R. : 12, 110, 111, 116, 119, 134. Das, Krisna Rama : 24 n. Das, Tarak : 31 n. Däsa, Brindavana : 15 n. Das-Gupta, S.B. : 18 n. Daud Rahbar : 34 n. Daulat Ahmad : 117n. Davis, Kingsley : 69 n. De, S.K. : 79 n. Defrémery, C. : 25 n. De Tassy, Garcin : 64 n. Deva, Rati : 152 n. Di Conti, Nicolo : 25 n. Dimock, Edward Cameron : 18 n. Di Verthema, Ludovico : 25 n. Dudo-Mian : 34. Dudu Bukhsh : 101. Duhamel, Georges : 1. Durant, Will : 112. Dutt, Bimal Kumar : 23 n. Dutt, Michael Madhusudhan : 86 n, 89, 91, 92, 129. Dutt, R.C. : 28. Dutt, Satyendra : 38. Ekramuddin : 148. Elwin, V. : 142. Emdad Ali, Sayyid : 72, 76. Enamul Haq (Dr), Muhammad : 15, 20 n, 21 n, 22 n, 23 n, 24 n, 30 n, 80 n, 129, 151-152. Erasme : 33 n. Ethica : 130. Faizullah (Shaikh) : 21, 152 n. Farruk Ahmad : 156. Farüqi, Ibrahim Rawwàm : 20 n. Fazle Rabbi : 14. Fazlul Huq, A.K. : 111, 116, 118 n, 119, 138. Fazlul Karim (Shaikh) : 73, 91. Filliozat, Jean : 29. Firdausi : 21 n, 90, 96. Firishtah, Muhammad Rasim : 15 n. Forster, George : 26 n. Fuller (Sir), R. : 102. Gandhi (Mahatma), M.K. : 12, 34 n, 110-111, 117, 118, 120 n, 122, 124 n, 132, 134, 145, 154.

Index onomastique

205

Jasimuddin : 141-142, 143 n. Jaya-Deva : 16. Jayakar, M.R. : 113. Jilâni, Abdal-Qadir. Jinnah, Mohammed Ali : 12, 106, 107 n, 110, 113-114, 116 n, 118, 119-121, 122, 124, 151. Kabir : 115n. Kaikobad : 92-95, 128, 129. Kâlidâsa : 40. Kant, Emmanuel : 153. Karâmat AU (Maulvi) : 35-36, 42. Kavirâj, Narhari : 24 n. Kavirâj, Visvanâth : 92 n. Keats : 255. Kefayetullah (Munshi) : 59 n. Kemal Ataturk (Pasha) : 111, 135, 143, 149. Kemalistes (les) : 143-147, 150. Khadija : 89. KhaUd : 137. Khalji, Muhammad Bakhtiyâr : 14. Khan, Abid'AU : 20 n, 23 n. Habibullah, B.D. : 119n. Habibullah (Bahar), Muhammad : 52 n, Khan, Ajharuddin : 135 n. 105 n, 107 n, 118 n, 131 n, 135 n, Khan (Maulânâ), Akram : 111, 128, 132-134. 151 n. Khan (Shree), Allah-dad : 66 n. Habibur Rahman (Shaikh) : 54 n. Khan, Ibrahim : 149. Hafeez Malik : 116n. Khan, Gaznafar Ali : 123 n. Hafiz : 20, 135 n. Khan (Nawabzada), Liakat Ali : 122 n, Haldar, Gopal : 41 n, 124 n. 123. Hamid AU : 92, 95-96, 128. Khan, Muin-ud-Din Ahmad : 33 n. Hamidullah, Muhammad : 29 n, 40 n. Khan, Muhammad : 22. Harinâth (Kângâl) : 66 n. Khan, Mujibur Rahman : 157. Hasrat Mohâni (Maulânâ) : 111. Khan, Nasarullah : 22. Hastings, Warren : 28. Khan, Sabirid : 21. Hirst, F.W. : 106 n. Humayun Kabir : 118 n, 128, 153-154, Khan (Sir), Sayyid Ahmed : 12, 36, 4143, 48, 49-51, 52, 61, 70, 73, 100, 155 n. 103, 107, 108, 110, 144, 151. Hunter, W.W. : 25 n, 30 n, 31-32, 35, Khan Ahmed, AbduUah : 103. 36 n, 41, 41 n, 42, 43 n, 59 n, 80 n. Khan Bhasani (Maulânâ), A.H. : 111. Ibn Battutah : 25 n. Khan Chawdhury, Nabâb Ali : 116. Ibn Khaldun : 150. Khan Ghâzi, Darâf : 20, 90. Idris Ali, Muhammad : 72 n. Khan Panni, Wajed Ali : 111, 149. Idris Ali (Shaikh), Muhammad : 131 n. Khan Yusufzai, Abdul Hamid : 67 n. Ikram, S.M. : 24 n. Khandkâr, Abdul Khaleque : 119 n. Imdadul Huq, Kazi : 147, 148. Khuda Bakhsh, S. : 102 n, 117. Iqbal (Sir), Muhammad : 12, 30, 114- Krisna Muhammad : 139 n. 115, 116 n, 120, 127, 143, 145, 153, Krittivasa : 21. 156 n, 157. Lalan (Shah) : 82. Irving, Washington : 65. Law, N.N. : 19 n. Islamabadi (Maulânâ), M. : 52 n, 111, Léger, François : 26 n, 37 n, 119 n, 112 n, 128, 131-133, 134. 120 n. Ismael (Maulvi) : 59 n. Le Chatelier, A. : 104 n. Ismaïl Shahid (Shah) : 34. Le Goff, Jacques : 58 n. Levy : 57 n. Jaglul Pâshâ : 137. Jalâl al-Dîn Muhammad (le sultan) : Liakat Ali : 101. Lintithgow (Lord) : 121. 15 n. Long (Rév.), James : 59 n, 86 n. Jalal Uddin Ahmed : 142 n. Lutfar Rahman : 128, 147. Jamiruddin, John : 54.

Ganesha (le roi) : 15 n. Garibullah : 26. Gaznavi, A.K. : 116. Geddes, Arthur : 26 n. George V : 106. Gibb, H.A.R. : 7 l n , 109 n. Goethe : 143, 146. Gokhale : 12. Golam Mostafa : 149. Goldseck (Père), William : 61 n. Gosal, Satyendra : 22 n. Gosh (Shri), Aurobindo : 102. Gosh, J.C. : 16 n, 17, 23 n, 26 n, 37 n, 97 n. Gosh, N.C. : 77 n. Gosh, Rash Behari : 103 n. Guimbretière, André : 39 n, 49 n, 52 n, 71 n, 73 n, 109 n, 115 n. Gupta, Atul Chandra : 92 n. Gupta, Ishwar : 66, 84. Gupta, J.C. : 85. Gwyer, Maurice : 114n, 120 n.

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Index onomastique

Madan (Shah) : 82. Madhu Meah : 74. Mahajan, V.D. : 113 n, 118 n, 123 n. Mahale, K. J. : llOn. Mahdi Hussain : 33 n. Mahmud, S. : 45 n. Mahomet (Prophète) : 15, 21, 30, 64, 65, 71, 74, 88, 89, 91, 133, 143, 151. Maitra, A.K. : 27. Maître, Luce-Claude : 115 n, 139 n, 142 n, 155 n. Majumdar, Amvika Charan : 101 n. Majumdar, R.C. : 14 n. Malaviya (Pandit) : 110. Mallarmé : 93. Mallick, A.R. : 45. Malraux, André : 127. Mandai, Jogendra Nath : 123 n. Mann : 33 n. Mansuruddin, Muhammad : 82 n. Marx, Karl : 92, 121 n, 153. Mash-Hâdi (Pandit), Réâjuddin : 47, 69 n, 85. Massé, Henri : 90 n. Massignon, Louis : 114. Mayo (Lord) : 31. Mazzini : 73. Meerali (D*), Muhammad : 74. Meherullâh (Munshi) : 53-54, 100. Meile, Pierre : 28 n. Menon, V.P. : 103 n, 123 n. Meyrovitch, Eva : 115. Milford (Mrs), E.M. : 142 n. Mill : 92. Minas Sirâj : 14 n. Mir Zâfar : 27. Misra, B.B. : 25 n, 27 n. Mitra, Dinabandhu : 86. Mitra, Nabagopâl : 40 n. Minto (Lord) : 103. Mohamed Ali (Maulânâ) : 12, 34 n, 108109. Molière : 92. Monahan, F.J. : 16 n. Morens, H.W.B. : 66 n. Morley (Lord), John : 106 n. Mosley, Leonard : 125 n. Mostafi, Byomkesh : 152 n. Motahar Hussain (D'), Kazi : 146. Mountbatten (Lord) : 123, 124 n. Mozammel Haq : 74, 89-91. Muhammad (Haji) : 22. Muhammad Muhsin (Haji) : 45 n, 151. Muhammad Saghir : 21. Muhammad Taifoor, Syed : 104 n. Muhsin ul-Mulk : 103, 107. Mujibur Rahman : 101. Mujtaba Ali, Syed : 128, 154-155. Mukherjee, H.N. : 102 n, 154 n. Mukherjee, H. et U. : 101 n.

Mukherjee, Ramkrishna : 27 n. Mukhopâdhaya, Bhudev : 37, 40 n. Mukunda Râma : 24. Müller, Max : 31. Mumford, Lewis : 58 n. Musharraf Hussain (Meer) : 66, 69 n, 74, 83, 84 n, 86-88. Muzaffar Ahmad : 135 n, 138, 150. Muzammil : 21. Nâg, Kâlidâs : 135 n. Naimuddin, Muhammad : 59-61, 66 n. Naoroji : 12. Napoléon : 73. Nazmul Karim, A.K. : 25 n, 57 n, 156 n. Nazrul Islam, Kazi : 12, 82, 89, 97, 128, 134-137, 138-141, 143 n, 146, 149, 150. Nehru, Jawahar Lal : 12, 110, 113, 123, 134. Nézamuddin Aoulîa : 132. Nichols, Beverley : 120 n. Nishtar, A.R. : 123 n. Nörregaard, Georg : 27 n. Nurul Amin (Prof.), M. : 33 n. Nurunnesa Khatun : 148. O'Donnel, C.J. : 101 n. O'Dwyer, Michael : 107 n. Omar : 137. Omar Kayyam : 135 n, 153. Osman Ali (Shaikh) : 76. Ortega y Gasset, José : 39. Pal, Bipin Chandra : 38, 47 n, 102, 110. Panikkar, K.M. : 135 n. Parameshvara, Kavindra : 21. Petit, Alain : 69 n, 114n. Phillips, C.H. : 11, 62 n, 118 n, 121 n. Picktall, M. : 147 n. Pir Box, Samuel : 88 n. Prithvirâj : 92 n. Purchas, Samuel : 25 n. Qazi, Daulat : 22. Qanungo, K.R. : 15 n. Qureshi (D'), Ishtiaq Hussain : 107 n, 117 n. Qureshi, Mahmud Shah : 32 n. Qureshi, Magan Thakur : 22. Racine : 85. Radhakrisnan : 154. Rahman, F. : 51 n, 52 n. Rahman, M. : 23 n. Rahmat Ali : 111 n. Rahmat Ali, Chawdhry : 116. Rajab Ali (Maulvi) : 66. Rajagopalacharia, C. : 121, 122 n. Rajput, A.B. : 105 n, 120 n. Ramakrishna (Shri), Paramhangsa : 12, 144.

Index onomastique

207

Ram Gopal : 40n, lOOn, 103 n, l l l n , 112 n, 116 n, 117 n, 119 n, 122 n. Ranade : 12. Rangaläl, voir Bandopadhaya. Raushan Ali : 74. Rawlinson, H.G. : 119 n. Ray, Annadasankar : 16 n, 17 n, 154. Ray, Haraläl : 14 n. Ray, Lila : 16 n, 17 n, 146 n, 151 n, 154 n. Ray (Sir), P.C. : 25 n. Ray (Räjä), Rammohun : 12, 39, 66, 143, 145, 146, 154. Read (Sir), Stanley : 31 n. Reinaud, J.-J. : 15 n. Renou, Louis : 18 n, 36 n, 40 n, 57, 92 n. Rezaul Karim : 148. Rimbaud : 93. Roderique : 130. Rokeya Khatun (Mrs R.S. Hussain) : 128, 148. Rolland, Romain : 81, 143. Rousseau : 92. Rowlands, J.H. : 17. Roy, D.L. : 89.

Shariat-Allah (Haji) : 33-34. Shelvankar, K.S. : 41 n. Sher Shah : 18. Shiblî Nu'mânî (Maulânâ) : 12, 73, 109, 132. Shils, Edward : 83 n. Shiraji, Ismail Hussain : 128-129, 131, 134. Shivâji : 37, 38, 62. Sirâj-Uddowla : 27. Sitaramayya, P. : 113 n. Smiles : 147. Smith, William Cantwel! : 51 n, 52 n, 71 n. Sorokin, 58 n. Sourdel, Dominique : 71 n. Spear, P. : 27 n, 113 n, 121 n. Staline : 121 n. Stapleton : 20 n, 23 n. Stepowsky, Jacques : 142 n. Sufia Ahmed : 52 n. Sufian, N.I.M. : 24 n, 87 n. Suhrawardy, Husayn Shaheed : 111, 122 n, 124. Syed Mohammad : 103.

Sa'adi : 143. Sabysächi Islam : 139 n. Sajjad Husain, Syed : 80 n. Salimullah (Sir) : 104-105, 106-107. Sanguinetti, B.R. : 25 n. Sanyal, H.K. : 102 n. Sapru (Sir), Tej Bahadur : 113. Sarkar, Benoy : 37 n. Sarkar, Indira : 92 n. Sarkar (Sir), J.N. : 15 n, 18 n, 26 n. Sayyid Ahmad (Brelawi, Shahid) : 34. Sayyid Hamza : 26. Sayyid Sultan : 22-23. Scott (Sir), W. : 46. Sen (D'), D.C. : 21, 81 n, 141, 142. Sen, Girish Chandra : 61 n. Sen, Kshiti Mohan : 82 n. Sen, Nabin Chandra : 36, 91, 92, 93, 129. Sen (Dr), Sukumar : 79 n. Sen, S.N. : 41 n. Serajul Haq, Muhammad : 19 n, 128 n. Shah Jähän : 24. Shah Shu'ayb : 20 n. Shahadat Hussain : 150. Shahidullah (Dr), Muhammad : 16 n, 21 n, 115, 128, 151, 152-153. Shaikh Chand : 22. Shakespeare : 40. Shams al-Din Ilyas (Shah) : 17. Shamsuddin, Abul Kalam : 157. Shamsul Huda : 147. Shamsun Nahar : 151 n. Shaokat Osman : 155.

Tabrizi (Makhdum), Jalal al-Dîn : 20. Tagore, Rabindra Nath : 12, 26 n, 37 n, 38, 77, 82, 84, 88, 89, 95, 97, 102, 110, 135, 136, 138, 139 n, 140, 143, 144, 145, 146 n, 148, 149, 150, 154, 155. Tarachand : 23 n, 132 n. Tariq : 130. Tekchand Thâkur : 75 n. Thibaut, Anne-Marie : 155 n. Tilak, B.G. : 37 n. Tipu-Sultan : 90. Titu Mîr : 35. Titus, M.T. : 57 n. Tourgueniev : 157 n. Toynbee, A. : 69. Tritton. A.S: : 33 n. Vambery, A. : 45 n. Van Tieghem, Paul : 92 n. Varma, V.P. : 102 n. Verelest, Harry : 26 n. Vidyâpati : 21. Vidyâsâgar, Ishwar Chandra : 12. Vinson, Julien : 29 n, 102. Viqar ul-Mulk : 107. Vivekananda, Swami : 12, 144. Voltaire : 92. Wajed Ali, Muhammad : 151. Wajed Ali, S. : 150. Waliullah, Syed : 155. Waliyullah (Shah) : 33, 34. Washington, G. : 73.

208

Index onomastique

Watson, W.J. : 109 n. Wilson, C.R. : 29 n. Wise, James : 24 n. Wheeler, R.E.M. : 23 n.

Yusuf Ali, Mirza Muhammad : 75. Yusuf Jamal Begum (Mrs Muhammad Hussain) : 142 n. Yusuf Shah (Sultan) : 21.

Yazdan Bakhsh, Muhammad bin : 20 n. Yusuf Ali, A. : 35 n.

Zainuddin : 21. Zainul Abedin : 142.

ACHEVÉ D'IMPRIMER SUR LES PRESSES DE L'IMPRIMERIE DE CHATELAUDREN ( 2 2 ) D É P Ô T LÉGAL : 1 ER TRIMESTRE

1971