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French Pages [116] Year 2019

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Mexico - 29 juillet, 15 heures
Mérida - 30 juillet
31 juillet, 8 h 30
2 août
5 août
6 août, 10 heures
9 août, 8 heures
13 août, 8 heures
14 août, 9 h 30
Progreso, golfe du Mexique - 15 août, 8 heures
16 août, 7 h 30
17 août, 11 heures
19 août, midi
20 août, 8 heures
21 août, 10 h 30
22 août, 9 heures
23 août, 7 h 30
24 août
Mexico - 25 août, 15 heures
26 août, 8 heures
27 août, 21 heures
30 août, 10 heures
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Du même auteur À la conquête du chaos : pour un nouveau réalisme en politique, Denoël, 1991. Jusqu’à l’os : pour arrêter en politique la machine à se donner des claques, Régine Deforges, 1991. La République sociale (collectif), L’Harmattan, 1992. Rocard : le rendez-vous manqué, Ramsay, 1994. Sept Jours dans la vie d’Attika (collectif), Ramsay, 2000. Le Nouvel Âge du capitalisme (collectif), L’Harmattan, 2000. Le Manifeste pour une école globale (collectif), L’Harmattan, 2002. Causes républicaines, Le Seuil, 2004. En quête de gauche : après la défaite. Entretien avec Michel Soudais, Balland, 2007. Laïcité. Réplique au discours de Nicolas Sarkozy, chanoine de Latran, Bruno Leprince, 2008. L’Autre Gauche, Bruno Leprince, 2009. Qu’ils s’en aillent tous ! Vite, la révolution citoyenne, Flammarion, 2010. L’Europe austéritaire : critique argumentée du traité « Merkozy » (collectif), Bruno Leprince, 2012. La Règle verte : pour l’éco-socialisme, Bruno Leprince, 2013. L’Ère du peuple, Fayard, 2014. Le Hareng de Bismarck (Le poison allemand), Plon, 2015. Le Choix de l’insoumission. Entretien biographique avec Marc Endeweld, Le Seuil, 2016.

L’Avenir en commun, programme de La France Insoumise et son candidat Jean-Luc Mélenchon : élections présidentielle et législatives 2017, Le Seuil, 2016. De la vertu, Éditions de l’Observatoire, 2017.

Ouvrage publié dans la collection « Le monde à l’endroit » dirigée par Cécile Amar © Éditions Plon, un département de Place des Éditeurs, 2019 12, avenue d’Italie 75013 Paris Tél. : 01 44 16 09 00 Fax : 01 44 16 09 01 www.lisez.com EAN : 978-2-259-28299-4 « Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »

« La révolution extirpe la royauté dans le roi, l’aristocratie dans le noble, le despotisme dans le soldat, la superstition dans le prêtre, la barbarie dans le juge, en un mot, tout ce qui est la tyrannie dans tout ce qui est le tyran. » Victor Hugo, Quatrevingt-treize

Mexico 29 juillet, 15 heures J’ai posé sac à terre. Vacances ! J’ai déballé mes affaires. C’est vite fait. Mon bagage est dans le style minimaliste des gens qui sont tout le temps par monts et par vaux. J’ai coupé tous les contacts avec la France. On ne m’alertera qu’en cas d’événement grave. Assez grave pour justifier de ma part une prise de parole en plus de ce qu’auront déjà dit mes amis. Puis j’ai sorti l’ordinateur. Les vacances, ce sont les moments où on peut écrire au long cours. À Noël j’ai commencé un livre. Il s’agit pour moi de remettre en forme actualisée ma théorie de « l’ère du peuple », ce nouveau moment politique qui engendre les révolutions citoyennes. Je m’y suis remis au fil de mon séjour politique au Mexique puisque c’était le sujet de trois de mes conférences. Et puis la mobilisation populaire à Hong Kong a lieu en ce moment même et qu’elle prend des formes qui alimentent bien ma thèse. Écrire ne me coûte pas. C’est le contraire. D’ailleurs je n’ai jamais cessé de le faire. D’autres font de la peinture, du dessin, de la mécanique, du tricot ou de la musique. Moi, j’écris. Ça ne prend que quelques heures par jour et ça me détend autant qu’un bain de mer quotidien. Depuis peu, j’ai pris le goût d’écrire plusieurs textes en même temps pour varier mes états d’esprit une fois que je suis vissé à mon clavier. J’ai donc commencé à écrire dès mon arrivée au Mexique un point de situation sur ce séjour politique que j’ai publié sur mon blog. C’est presque une coquetterie. Car j’ai déjà mis en ligne

quatre récits vidéo sur le sujet. Mais j’ai besoin d’écrire pour fixer mes idées. Pendant des années ce fut le moyen d’apprendre mes fiches avant les discours ou les émissions : j’en faisais des posts pour mon blog. On fixe mieux dans l’esprit ce qu’on s’est approprié en le mettant en forme. Et surtout l’écrit reste un moyen d’échange et de compréhension très fort avec ceux qui partagent mes centres d’intérêt.

Mérida 30 juillet Bon c’est raté. Je n’aurai eu aucun répit. Et ça commence fort aujourd’hui même. On vient de retrouver le corps de Steve Maia Caniço dans la Loire. C’est peu dire que j’ai l’estomac mordu. C’est trop ! Longtemps je n’ai pu ni dire ni écrire ce que je viens de publier sur Facebook. Il m’en coûte encore. Mais je pourrai dire le jour de ma bascule. Ce jour, c’est celui-ci. Le jour où le Premier ministre est venu annoncer comment le rapport de l’Inspection générale de la police nationale ne permettait pas d’établir un lien entre la noyade de Steve Maia Caniço et la charge de police qui a poussé les jeunes dans l’eau de la Loire. Mon post sur Facebook est intitulé « Une coïncidence troublante ». Il fonctionne pour moi comme une frontière franchie. En voici les mots : « Steve est mort. Je pense à ses pauvres parents qui se rongeaient les sangs entre espoir fou et désespoir asphyxiant. Ton jeune est parti faire la fête et il ne reviendra jamais. Tout l’amour que tu lui portais te reste comme un douloureux membre fantôme. Le futur que ton gamin ouvrait pour toi a fondu dans le néant en un instant comme son pauvre corps. Avec le décalage horaire et le temps des vérifications je réagis plus tard que vous. Tant mieux. J’ai eu le temps d’éteindre les aveuglements de la stupeur et de la sidération. À présent je lis qu’on ne “saurait établir de coïncidence” entre la disproportion de la charge de police et la mort de Steve. Ils nous diront ensuite, je suppose, qu’on ne peut établir de lien entre sa chute dans l’eau et sa noyade,

non plus. Ces mots à eux seuls disent où est rendue la parole officielle dans notre pays. Les Castaner et Belloubet, les bras ballants, toujours prêts à justifier n’importe quoi, débitent leurs grosses ficelles pour gagner du temps et miser sur les dilutions de l’été. Braves gens, tenez-le-vous pour dit. Il n’y aura pas de justice rendue. Ils sont tous là pour ça. Voilà ce qu’est devenu notre pays. Un pouvoir qui ne contrôle plus la police parce qu’il l’a sollicitée pour des tâches dont il ne veut pas assumer la responsabilité politique. Une police dont les syndicats menacent les juges sans que nul n’y voie rien à redire, et surtout pas la ministre concernée, Nicole Belloubet. Un magistrat qui avoue avoir menti pour ne pas embarrasser le pouvoir et sa corporation, qui se tait avec application. Toute cette chaîne de pouvoir aveuglée arrête, garde à vue pour un oui pour un non, vend à la presse les comptes rendus d’audition et juge à la chaîne des opposants de toute sorte : syndicalistes, militants écologistes, députés opposants. Tout se tient. Le régime fait tirer sur une femme de 83 ans au quatrième étage d’un immeuble, Mme Zineb Redouane, éborgne vingt-deux personnes et en mutile six autres. Et chaque fois, les mêmes ministres pitresques, Castaner et Belloubet, se sont contentés d’afficher leur mine perpétuellement hébétée de gens qui ne contrôlent plus rien et n’assument jamais rien. Telle est la France aujourd’hui. Et bien sûr les procès politiques ne sont plus loin. En septembre ce sera celui des six Insoumis choisis au hasard parmi plus de vingt-cinq présents ce jour-là qui ont eu l’audace de vouloir surveiller une perquisition menée au mépris des règles de procédure, sur un motif politique fallacieux et avec des méthodes disproportionnées d’habitude réservées à la traque du grand banditisme. Telle est la France de Macron. Mais comme a dit le policier chargé de la perquisition chez l’Insoumis Manuel Bompard : “On est mieux ici qu’au Venezuela.” Police politique et justice politique n’ont pas fini de faire des Steve mourant sans qu’on puisse “établir de coïncidences” avec les brutalités dont ils ont fait l’objet. Conclusion : on peut établir une coïncidence entre la façon dont Castaner et Belloubet dirigent leur ministère, et la multiplication des actes de violences policières et judiciaires dans le pays. Une coïncidence

troublante compte tenu de la question qu’elle pose : est-ce encore un État de droit que la Macronie ? »

31 juillet, 8 h 30 Mon post fut qualifié de « terrible violence » par deux commentateurs de plateau de télé. Ce n’est donc pas la noyade la « terrible violence » mais mon commentaire. L’habituel transfert d’indignation s’est donc vite mis en place dans les médias moulins à paroles du pouvoir. On sait pourquoi. Mes phrases disent ce que tout le monde a compris en écoutant le Premier ministre : justice ne sera pas rendue. Ici de nouveau, l’habitude prise dans les médias de me taper dessus à tout propos fait perdre de vue ce qui est en train de se passer en France, au point de faire ressembler notre pays au pire de ce qui se passe ailleurs en matière de dérive autoritaire. Car telle est bien devenue l’ambiance avec le régime macroniste. Il a ouvert un cycle bien spécial de violences où la politisation de la justice et de la police joue un rôle clé. L’un après l’autre, tous les compartiments de la vie en société sont contaminés par cette ambiance de violence politique. Dans les relations de travail où tous les droits ont été réduits. Jusqu’au point où on peut voir de façon caricaturale un préfet faire interner de force un subordonné qui lui déplaît. Violences dans les relations syndicales placées sous la menace des mauvais traitements réservés à des cibles choisies comme Gaël Quirante, Alexandre Langlois et tant d’autres. Brutalisations sans bornes face aux luttes écologistes, comme on le voit de façon grimaçante avec les perquisitions et gardes à vue en chaîne des personnes accusées d’avoir décroché le portrait du Président. Hargne contre les mouvements sociaux avec cette vague

inouïe de condamnations de Gilets jaunes prononcée à la chaîne dont le pouvoir aime ensuite se vanter devant l’Assemblée. Comme si le but de la justice n’était plus d’être juste mais d’être impitoyable. Tous les jours, toutes les heures, humiliations et brimades pleuvent désormais dans certains quartiers sur ceux qui ont la couleur de peau ou l’allure qui déplaît. Et ces « policiers » qui affichent des symboles d’extrême droite ou menacent de représailles les juges ! Car tout ne vient pas d’en haut. Un état d’esprit s’est répandu. La Macronie affolée par l’insurrection des Gilets jaunes a fait tout ce qu’il fallait pour disloquer la nature républicaine de l’esprit dans lequel l’État accomplit ses missions. Comme on est passé de l’usager au client dans le service public, on est passé de la police à la société de sécurité et on passe de la justice individualisée à la justice d’exception. Cet ordre des choses, celui de « la seule politique possible » qui « libère les énergies », devient un idéal assumé. L’ordre ! O majuscule. Les gardiens de la paix deviennent « les forces de l’ordre ». Assurer la tranquillité devient « le maintien de l’ordre ». Et ainsi de suite. Dans cette ambiance, la France ressemble à Hong Kong. Mais ici il y a pire. Les dirigeants du parti au pouvoir agissent avec la mentalité d’un client face aux administrations auxquelles ils passent commande. Comme si les fonctionnaires étaient leurs serviteurs, et non ceux de l’État… et du peuple. Ce peuple, au nom duquel la justice est rendue et qui délègue son pouvoir aux commissaires de police ceints de leurs écharpes bleu blanc rouge. Dès lors, le ministre est roi comme le client. Il n’assume plus la responsabilité politique de ses ordres. Et si les résultats sont à l’inverse des annonces, c’est aux fonctionnaires de l’assumer. Ils sont désormais tenus pour responsables des ordres qu’ils ont reçus. La conséquence de cette façon de faire a conduit Castaner à reporter sur le préfet de police de Paris la responsabilité de l’échec du « maintien de l’ordre », comme si on pouvait domestiquer une insurrection. Il l’a donc limogé. Et cela pour le remplacer par un personnage symbolique : le préfet Lallement, celui qui avait félicité des policiers pour avoir matraqué le député insoumis Loïc Prud’homme.

Cette nomination dans ce contexte signifiait que le centre de gravité de la doctrine d’emploi de la police n’est plus la protection des usages républicains de la vie en société mais l’exécution des vindictes politiques du pouvoir. On ne saurait mieux ruiner les principes de base du consentement à l’autorité. Une bonne partie de la population a horreur de la politisation des grands outils d’autorité dont le pays dispose en commun. Police, justice, armée doivent être scrupuleusement tenus à distance d’un usage partisan. En faisant le contraire, la Macronie a fait entrer l’État dans une phase où finit par régner le chacun pour soi. Les policiers ne veulent pas trinquer pour avoir exécuté les ordres. Un syndicat de police peut alors menacer les juges. Sur le terrain, des magistrats hésitent à désavouer les auxiliaires de justice qu’ils retrouveront demain dans d’autres circonstances. Chaque corps s’autonomise et négocie implicitement avec les autres la couverture de ses erreurs. Des policiers abusent de la force contre Mme Legay, le procureur ment1 pour couvrir. Puis il se défausse en prétendant avoir menti pour complaire au pouvoir politique. Le corps de justice est horrifié par cet aveu ! Pour en réduire la portée à la seule singularité du personnage2 Belloubet, se contenter de le muter pour toute sanction. Et ainsi de suite. Dans la situation actuelle, l’État est pris en tenaille entre la violence des exigences du pouvoir et la balkanisation des équipes qui doivent mettre en œuvre une politique insoutenable. Dans chaque cas de débordement on ne sait plus ce qui doit être attribué à un ordre du pouvoir politique ou à la tribalisation des instruments de l’État. Si Maia Caniço est mort, est-ce parce que Castaner a ordonné que les horaires de la fête de la Musique soient « fermement » encadrés ? Ou est-ce parce que les paroles de la dernière chanson des Bérurier noir qui étaient diffusées ont exaspéré les « forces de l’ordre » ? D’où vient cet usage « aussi disproportionné de la force », selon la formule d’un syndicat de police ? Voilà dans quelle ambiance arrive le procès qui est fait à trois parlementaires insoumis et deux militants pour leur comportement pendant le déroulement de la perquisition aventureuse au siège du

mouvement en octobre 2018. Nous sommes convoqués3 à la rentrée de septembre afin d’être jugés pour « rébellion ». Un procès programmé comme un spectacle par une succession de fuites de presse et la préparation d’une affiche aguichante. C’est un procès politique. Une première en France. Un seuil est franchi. Dans la forme, il s’agit de faire couvrir par une décision du tribunal correctionnel une opération hasardeuse du parquet, disproportionnée et conduite avec un mépris amateuriste des règles de procédure. Les uns sont appelés à couvrir les autres. Mais le pouvoir politique qui a accompagné le montage politique depuis ses origines fait un test. Après les syndicalistes, les écologistes, les Gilets jaunes, peut-on abattre juridiquement un parti politique d’opposition et son principal porte-parole après une élection présidentielle où il a réuni près de 20 % des suffrages ? Cette technique vient de loin. Elle porte un nom : lawfare. Elle a déjà été utilisée en grand en Amérique du Sud. L’emprisonnement de l’ancien président du Brésil Lula en est la figure emblématique. Un procédé désastreux pour la démocratie et le respect dû, dans l’esprit public, aux autorités judiciaires. Le pape lui-même s’en est ému et il a prononcé une ferme condamnation de ce type de méthodes. Le procès politique des Insoumis en France est un cahier de brouillon, un essai, un prototype. Évidemment les mains ont tremblé à l’heure du couteau. Seuls six parlementaires sur les quinze présents le jour de l’action ont d’abord été incriminés. C’était quand même le tiers du groupe Insoumis à l’Assemblée nationale. Puis il n’en fut retenu que trois et un député européen, sans qu’on sache sur quels critères ce tri a été fait. Mais on a bien vu la volonté d’une mise en scène pour en faire un spectacle politique. Le pouvoir veut édifier le public. C’est pourquoi je dois prendre la plume. C’est une façon de rendre témoins ceux que notre défense intéresse aussi, après qu’ils ont été gavés des poncifs hargneux des bien-pensants dans tous les médias. Ceux qui mesurent à quel point cette affaire dépasse ce que l’on pense de moi ou des Insoumis. Ceux qui comprennent quel

danger représentent les chiens de garde de la Macronie, déguisés en gentils promoteurs de la « libération des énergies ».

1. Jean-Michel Prêtre, procureur de Nice, a avoué avoir menti concernant la charge de police qui a blessé gravement Geneviève Legay le 23 mars 2019. Il avait prétendu qu’elle n’avait pas été « en contact avec les forces de l’ordre » alors que les images montraient le contraire. 2. Ce procureur a déjà été mis en cause dans deux affaires (en 2009 pour « fausses déclarations » puis en 2018 quand il a été perquisitionné dans une enquête pour « corruption »). 3. Bastien Lachaud, député de Seine-Saint-Denis, Alexis Corbière, député de Seine-Saint-Denis, Jean-Luc Mélenchon, député des Bouches-du-Rhône, Manuel Bompard, eurodéputé, Bernard Pignerol, conseiller d’État, Muriel Rozenfeld, attachée de presse de La France Insoumise.

2 août Je l’ai sur l’estomac. J’y reviens donc. Ce transfert d’indignation des commentateurs, c’est exactement la méthode utilisée dans le traitement médiatique des perquisitions. Ce n’est plus l’arbitraire de cette opération qui est en débat, c’est l’appréciation de ma réaction. Il est inadmissible que la victime ait le mauvais goût de faire du scandale quand son bourreau officie. Pour eux, Calas était certes innocent mais il criait trop fort tandis qu’on le rouait. Ça m’occupe la tête toute la journée. Le soir est venu. Je n’en dors pas. Je sors prendre l’air. En tête, ces mots échangés avec l’un des miens inscrit dans la liste des perquisitionnés, auditionné et cité dans une des procédures. On comparait nos incriminations. « Je suis accusé de recel d’abus de biens sociaux », dit-il, les yeux interrogatifs. « Ça ne peut pas m’atteindre. C’est trop grossier. » Menteur ! Il a les larmes aux yeux ! « Détournement de fonds public et recel de détournement. » Il s’agit de sa paye d’assistant parlementaire européen… « Tu comprends j’étais payé 1 200 euros par mois puis 1 300. Tu te rends compte ? L’office central de répression de la fraude et de la corruption arrête son travail contre les fraudeurs du fisc qui volent 80 milliards par an parce que le procureur préfère qu’ils s’occupent de nous ! » « Et tout ça à cause de moi », me dis-je. Ce garçon a juste fait son boulot auprès de moi, il a obéi à mes demandes parce que c’est le propre de tout contrat de travail. Et ça lui a valu sept heures de perquisition, la confiscation de son matériel informatique et de son téléphone. Sans oublier sa réputation dans l’immeuble. Car les Pieds

Nickelés qui menaient l’opération n’avaient pas repéré à l’avance l’étage de leur intervention. Ils ont donc tapé à toutes les portes jusqu’à le trouver. « Police ! Police ! » Armés, attifés de gilets pareballes, criant dans les escaliers et tapant au hasard des portes à 7 heures du matin : police républicaine ou milice du pouvoir ? La guerre contre les militants politiques insoumis est menée au clairon. J’hésitais. Je tranche. Je mets de côté les pages déjà prêtes de mon projet de livre initial. Je commence cette chronique. J’ai eu mes proches. On vient d’apprendre la présence de l’avocat macroniste Dupond-Moretti. Il vient comme avocat des parties civiles que sont les policiers et magistrats impliqués dans la conduite lamentable de la perquisition au siège du mouvement La France Insoumise. Tout le monde convient donc que notre procès sera un moment important d’agression politique contre nous. En tout cas la volonté d’organiser un spectacle politiquement édifiant est évidente. Les détails sont soignés. Dès lors il est clair que je ne suis pas convoqué avec mes camarades pour être « jugé » mais pour être mis au pilori et condamné. Je ne dois pas accepter de me faire couper la gorge dans le vacarme confus de l’information spectacle qui va prévaloir. Je prends donc la plume. Je vais donner ma part de témoignage sur notre époque puisque j’ai l’honneur d’être parmi les trois premiers députés Insoumis inculpés politiques depuis la guerre d’Algérie. Mais je vais le faire à ma façon. Sans m’en obséder. Sans assommer de détails les lecteurs du livre que je prévois de faire avec ces lignes. Et sans sombrer dans le juridisme, qui est toujours l’engloutissement de la parole des victimes. Je vais le faire au fil du clavier et parfois des rêveries qui m’atteignent chaque jour. Je vais écrire « à sauts et à gambades », comme disait Montaigne. Une chronique « consubstantielle à son auteur », comme il le disait de ses propres chroniques consignées dans Les Essais. Et je compte, de cette façon, réunir au moins une fois noir sur blanc quelques-unes de nos raisons de dénoncer ce qui nous est infligé. Nous avons trop tardé à le faire.

Le nez dans l’action, absorbés par mille et une tâches quotidiennes de notre travail d’opposants, nous n’avons pas pris conscience des vingt-cinq heures de télévision diffusées à charge contre nous sur ce sujet. Je vais dévoiler ce que je sais sur cette opération purement politique. J’en connais le coût. Au fil des jours je vais retrouver ma blessure. Celle qui m’a été infligée au fer rouge le jour des perquisitions. Cette humiliation sans nom d’avoir été réduit au rang de bandit, comme un objet sans droits, manipulé par des gens sans visage, nié dans ma dignité de militant politique et de député, amer de voir tant de gens qui m’ont été si fidèles et dévoués traités comme des voyous. Depuis j’ai appris les noms et les parcours de mes persécuteurs judiciaires. Je sais que tout ici est un plan politique, de Castaner à Belloubet en passant par toutes sortes de petits rouages zélés faits du même bois. Je serais donc bien naïf de croire que le procès politique qui va m’être administré ce jour-là en septembre soit autre chose qu’une longue séance de pilori médiatique conclue par une violence judiciaire. Qu’est-ce que cela pourrait être d’autre dans un pays où nous voici rendus au point que nous montre le cas de Steve Maia Caniço ?

5 août Les jours passés au Mexique en juillet décantent. Mais pourquoi faut-il que ce matin j’aie la tête dans cette rencontre-là ? Peut-être parce que sur le moment déjà, j’y ai puisé tant d’énergie et de courage, sans pouvoir me l’expliquer. J’ai rencontré un Mexicain de 93 ans. Marchant d’un pas ferme, il parle un français impeccable avec une maîtrise de l’imparfait du subjonctif qui reste la cerise sur le gâteau de notre langue. Il s’agit de Sieva Esteban Volkov. Le petit-fils de Léon Trotsky. Cela se passait dans la maison où il a vécu avec lui et son épouse Natalia Sedova pendant leur séjour à Coyoacán, jusqu’à son assassinat. Cette maison, Volkov l’a ensuite occupée à son tour jusqu’en 1970. En fait, j’étais logé à deux pas dans le même quartier. J’y tenais trop. Tout donc donnait à ce moment une force extraordinaire. Volkov a les yeux très bleus. Il forme les mots avec une extrême précision de prononciation. Un peu mécaniquement je tâchais de lire sur son visage les traits de son grand-père. Je crois que tout le monde fait de même. Il faut du temps pour que Sieva s’impose à soi sans ce filtre. Son contact est donc physiquement très prenant. Le moment venu, devant le portrait de sa mère et celui de son père, j’ai vu sa beauté personnelle comme leur mélange. Il dit : « Cet homme, c’est mon père. Je ne l’avais jamais vu avant que cette photo n’arrive ici. » Silence. La brise de l’histoire cruelle vécue par cet homme passe sur nous. J’ai connu l’intellectuel de haut vol, trotskyste de grande tenue, Pierre Broué, qui maîtrisait si bien cette histoire. C’est lui qui avait

présenté à Sieva sa sœur qu’il n’avait jamais connue avant cela non plus. Broué l’avait retrouvée à l’occasion d’une réunion des enfants des vieux bolcheviks tenue à Moscou après la dissolution de l’URSS. À la stupeur générale, pour la première fois de sa vie, elle avait voulu dire à haute voix qui elle était. Pierre Broué regardait dans le vide en me racontant cette histoire, englouti comme nous le sommes tous dès qu’il s’agit des destins vécus dans le sillage terrible de la révolution d’Octobre. Staline a fait mourir, l’un après l’autre, tous les membres du comité central qui avaient organisé la prise du pouvoir. Et souvent leur famille avec. Au-delà de tous les indispensables bilans de cette histoire, je perçois mieux, à présent que me voici à mon âge et après tant d’années d’engagement politique, la part proprement humaine de cette histoire. Trotsky aurait recommandé que l’on ne parle pas de politique avec son petit-fils. Il lui aurait recommandé de ne pas en faire. Cela lui ressemble si peu ! J’en ai déduit le poids en lui de tous ses deuils. Ses deux fils ont été assassinés. J’ai lu qu’il pratiquait alors dans ces circonstances les coutumes des Juifs d’Ukraine. Fallait-il que ce marxiste et matérialiste si éminent fût désemparé et atteint au plus profond de lui ! En déambulant dans la maison, Sieva décrivait les lieux et précisait les alentours du moment de l’assassinat de Trotsky. Il l’appelle « mon grand-père » ou bien, à la russe, « Lev Davidovitch ». La grande Histoire devient soudain intime. Il raconte en s’adossant comme lui à la porte en face du bureau où il venait de recevoir un coup de piolet dans le crâne : « Mon grand-père a dit à ses gardes : Ne le tuez pas, il doit parler. » Sieva mime. Nous sommes glacés. Puis il nous montre l’endroit où le « Vieux », comme on l’appelait, a prononcé ses dernières paroles, couché sur le sol de la cuisine, dans une mare de sang. « Il a dit, raconte Sieva, ne laissez pas entrer l’enfant, il ne doit pas me voir comme ça. » Sieva avait treize ans et il revenait du collège. On est entré dans les chambres. Sur les murs les impacts de balles de la première tentative d’assassinat. Natalia avait poussé Léon à temps dans la ruelle du lit, contre le mur. Il a survécu. Dans la chambre voisine, Sieva avait son lit. Lui aussi a sauté dans le coin de la pièce, côté mur. En passant le criminel a tiré une rafale de

son pistolet-mitrailleur sur le lit. Sieva a reçu une balle dans l’orteil. Et quand tout s’est arrêté il a crié : « Grand-père ! » Il le croyait mort. On regarde le coin du mur. Le silence est en velours noir. Puis on sort de là. La petite porte qui donne dehors est suivie de deux marches trop hautes. Sieva refuse qu’on l’aide à descendre. Bon pied bon œil. Sous le soleil, il retrouve le sourire pour dire le mal qu’il pense des « stalinistes » qui avaient poussé à la trahison une des secrétaires et le chef des gardes officiels mexicains. Il a l’air navré en le racontant. On s’assied à une table du petit bar désormais installé dans la cour de la maison. Il ne veut rien d’autre que de l’eau. « J’aurais préféré qu’on m’appelle Sebastian, plutôt qu’Esteban. Ce serait plus proche de Sieva », confie-t-il quand un serveur amical lui donne du « don Esteban ». Puis en voyant mes compagnons attaquer une pomme, il en demande et ses yeux sont pleins de malice en croquant chaque tranche avec délicatesse. « Il n’y a pas autant de variétés de pommes ici qu’en France », regrette-t-il. « Esteban, quel est le secret de votre bonne forme ? lui demandai-je en mode badin. – Mes deux filles sont médecins », rigole-t-il. Je me laissai envahir par le silence qui suivit, absorbé par nos verres d’eau et nos pommes. Trotsky note un détail à la fin de son livre Ma vie. Il dit qu’il voit l’herbe verte se détacher sur le ciel bleu en haut du mur face à sa fenêtre. Donc il écrivait la fenêtre ouverte à dix mètres à peine du point de tir du premier mitraillage de sa maison. « Mon grand-père n’avait pas peur. Ce mot n’existait pas dans son vocabulaire », me précise son petit-fils. Dans mon esprit d’autres points d’interrogation sidérés. Les chaises dans le bureau montrent que Trotsky et son assassin étaient séparés d’à peine plus d’un mètre. Comment le « Vieux », tribun et meneur d’hommes, a-t-il pu ne rien pressentir venant d’un homme si près de lui et dont il ne voyait pas une main ? Cette main ostensiblement cachée m’obsède ! C’est la première chose qu’on m’a apprise pour ma sécurité : « Ne jamais se laisser trop approcher par quelqu’un dont on ne voit pas les mains. » Quel besoin, pour commenter le texte que l’assassin lui soumettait, de lui demander de passer derrière lui ? Puis soudain, je m’en veux de mes

questions. J’ai tellement détesté la fin du film de Netflix sur Trotsky ! Il y est rendu lui-même responsable d’avoir provoqué physiquement son assassin. Ce film est de bout en bout une ignominie, bourré d’erreurs historiques et de pures inventions dégradantes pour sa mémoire et pour la vérité. Comment est-il possible que, tant d’années après que le dernier chapitre de cette histoire a été clos, une telle hargne entoure encore le personnage ? Faut-il qu’ils aient tous eu peur de lui ! Un dernier coup d’œil et une photo devant sa tombe. J’y retrouve le nom de Natalia Sedova, son épouse, dont les restes ont été ramenés ici, à ses côtés. C’est la deuxième fois que je croise l’ombre de Natalia. Nous la cherchions au cimetière de Saint-Germain-lèsCorbeil il y a de cela bien des années. Car Natalia est morte en Essonne, dont j’ai été sénateur. Nous étions quelques ex-trotskystes à vouloir déposer sur sa tombe nos roses rouges de militants de la gauche socialiste. On chercha en vain. Elle était déjà revenue à Coyoacán retrouver Léon dans le sable de cette petite cour. « Je suis content d’avoir fait votre connaissance », me dit Sieva, un brin précieux. « Vous êtes le personnage le plus controversé de la politique française, ajoute-t-il narquois. – D’où tirez-vous ça ? lui demandai-je avec le sourire. – Je regarde France 2 », répond-il. Puis il éclate de rire. Pour finir il me tient le bras pour me montrer un tableau où Lénine parle devant des dirigeants bolcheviks. Au premier plan : Staline. Sieva me fait remarquer la chaise vide à côté de ce dernier. Et sur le siège le bonnet du chef de l’armée Rouge. « Je ne l’avais pas remarqué, dis-je. – Il ne faut pas en rester seulement à ce qui se voit tout de suite. Il y a aussi parfois ce qui n’est pas montré et alors le message change complètement de sens. » Ici, tout à l’heure, paradoxalement, dans tout ce halo de violence, la lumière paisible autour de Sieva savourant en silence ses tranches de pomme avec un sourire amusé en me regardant me remplit de détermination. Je sais que j’y puise à cette heure de quoi avancer mon travail d’écriture. Il faut être là, toujours, pour attester de nos raisons d’agir et assumer d’avoir appelé à l’insoumission. Se dérober, négocier sa tranquillité, ce serait rompre cette charnière intime qui nous lie à nous-même. Renoncer, c’est commencer à mourir.

6 août, 10 heures La gravité du procès politique organisé contre nous tient au fait qu’il s’agit précisément de parlementaires d’opposition réprimés en raison d’une action politique collective. C’est une nouveauté en France. C’est le premier cas typique de lawfare, c’est-à-dire d’une instrumentalisation délibérée de la justice et de la police par le pouvoir pour atteindre un but d’élimination politique d’un adversaire. Cette étape n’a pu être franchie sans un profond pourrissement initial. Il s’est nourri longuement. Pour que ce seuil soit franchi, il aura fallu qu’une ambiance existe déjà. Un contexte où la brutalité et la violence judiciaires se sont banalisées au point que les médias favorables au pouvoir puissent ensuite s’en réclamer pour nier la gravité du moment. C’est alors le règne de : « Pourquoi vous plaignez-vous ? On a déjà vu ça ! Il en a été fait de même à ceux-ci ou à ceux-là. » Pur mensonge. Aucune action n’est comparable par son ampleur et ses intrusions aux domiciles personnels de onze personnes en même temps avec les méthodes de travail réservées à la répression du grand banditisme. S’il est vrai que nous avons tous été traumatisés, c’est aussi le moment d’admettre cependant que, du moins, nous avons la chance d’être assez visibles pour que notre défense coûte aussi à la réputation de nos agresseurs. Mais c’est loin d’être le cas de la plupart de ceux que le régime et le système frappent sans relâche ni retenue. C’est pourquoi il faut les mettre sous la lumière. Car c’est sur cette base qu’a été banalisé cet autoritarisme violent dont finalement peu de monde se doutait. Ça se savait peu jusqu’à

l’épisode de la répression de masse des Gilets jaunes. À présent c’est la règle. Il est temps d’en prendre conscience. La foi aveuglée dans les institutions qui génèrent de tels abus est en réalité le terreau qui les rend possibles. Les horreurs de l’Inquisition n’ont été possibles qu’en raison de la confiance accordée à l’Église. Ceux qui confondent la justice et les tribunaux ne seront jamais capables de changer les lois que les tribunaux mettent en œuvre. Il ne s’agit donc pas seulement de dénoncer le sort réservé à des figures emblématiques de notre famille au sens large du terme. Je veux dire des figures comme le postier Gaël Quirante, le policier Alexandre Langlois ou la lanceuse d’alerte Céline Boussié, méthodiquement persécutés, humiliés et appauvris. Ou Julien Coupat, traqué et harcelé sans motif autre que la paranoïa débile de ses accusateurs. Leur martyre ferait l’histoire d’un livre. Je ne mettrai pas non plus en avant Jérôme Rodrigues, le Gilet jaune éborgné par un tir policier de balle en caoutchouc. Il est dorénavant dans la ligne de mire de la machine à persécuter. On l’a vu cet été quand un procureur a décidé de le placer en garde à vue après une scène de ménage. Et bien sûr il en a informé la presse tout de suite. De cette façon il a eu son nom dans le journal et son ministre le connaîtra. Il sera bien noté puisqu’il a réussi à infliger à sa victime une stigmatisation nationale. Il faut aller plus profond en quelque sorte. Là où sont les gens qui ne sont « rien », comme dirait Macron. C’est-à-dire là où va si peu l’éclairage médiatique qui changerait tout. Chez les gens du commun. Des « Madame et Monsieur Tout-le-monde » qui se font prendre par hasard alors qu’ils sont juste là, parfois pour la première fois de leur vie, dans une action collective. Des vies simples faites de bonheurs simples, fracturées à coups de marteau. Des gens à qui il faut un sang-froid inouï pour surmonter les coups qui leur ont été portés. Comme ce couple d’habitants de Valdoie très investi dans le mouvement des Gilets jaunes. Le père est street medic du mouvement. Le 24 avril, leur domicile est perquisitionné. Et on leur confisque… leurs enfants. Leurs deux filles de 4 et 6 ans sont placées en foyer. Raison invoquée : « l’état d’insalubrité » du domicile constaté pendant la perquisition d’après le procureur. Une décision

d’une cruauté absurde et d’une violence totale. La décision sidère les militants. Finalement, le 6 mai, les juges du tribunal de grande instance de Belfort désavouent le parquet. Le couple récupère ses enfants, traumatisées à vie par cet enlèvement judiciaire. Le père de famille manifeste un sang-froid hors du commun. « Plusieurs petits détails ont été montés en épingle pour justifier le placement des enfants. Cela n’a pas été maintenu car il n’y avait pas de vraie raison, pour finir. On nous a accusés que notre frigo ne marchait pas alors que seule la lumière ne marchait pas. On a des animaux à la maison. La perquisition a eu lieu à 6 h 30, et, ce jour-là, le chien avait décidé de faire ses besoins dans le couloir et puis sur le balcon1 », raconte le père de famille. Pour lui, c’est simple : « Il fallait arrêter un des leaders locaux, ce fut moi. » L’instrumentalisation politique de la justice, c’est ça en bout de chaîne, au niveau du terrain. Là où règnent des tyranneaux qui se sentent la bride sur le cou pour assouvir des représailles de classe. C’est clair : l’objectif est dans ce cas de terroriser les autres militants et personnes engagées. Tous sont tétanisés, à juste titre, par la menace de telle pratique barbare. Dans ces situations, tout bascule d’un instant à l’autre pour les victimes. C’est ce qui est arrivé à Étienne H. à Saint-Étienne-duRouvray. Depuis le premier acte, il passe du temps au rond-point des Vaches. Il filme, il documente, son gilet jaune sur le dos. « Jusqu’au 9 mai, à 6 heures du matin, 20 à 25 policiers débarquent au domicile de sa compagne, viennent chercher le jeune homme dans sa chambre et le placent en garde à vue. La perquisition dure plusieurs heures. Des enquêteurs fouillent à la recherche de vêtements, d’autres policiers – « cagoulés » – feuillettent tous les livres un par un, retournent les lits et saisissent 9 ordinateurs, 3 téléphones, 3 appareils photos, des clés USB, des cartes SD en état de marche ou ne fonctionnant plus depuis longtemps2. » « Brassards, cris, cagoules, on sort le jeune homme du lit pour l’interpeller et le placer en garde à vue. Évidemment tout ce monde dans un logement exigu, ça dérange forcément quelques bibelots. Il semblerait d’ailleurs qu’un groupe de policiers soit expressément mandaté pour ça. Toute la maison est passée au peigne fin3. » Le jeune homme apprend qu’il

est poursuivi pour « dégradation volontaire aggravée », car on le soupçonne d’avoir jeté de la peinture sur le tribunal de grande instance de Rouen un samedi de mobilisation des Gilets jaunes. Son matériel informatique ne lui est pas rendu. Et quelques jours après la perquisition, Étienne H. apprend par un policier qu’une autre enquête est ouverte contre lui pour « incitation à attroupement armé », « organisation de manifestation non déclarée » et « détention d’engin incendiaire ». En cause : sa supposée appartenance au site Rouen dans la rue. Ce qui pourrait expliquer la « perquisition démesurée », selon son avocate, Chloé Chalot. Cette démesure joue son rôle. On en entend parler partout. Les familles sont assommées par le déchaînement de violence dans lequel elles se trouvent prises sans raison. La peur est terrible. Ainsi de cette mère d’un garçon de 19 ans condamné à deux mois de prison avec sursis et déchu de ses droits… C’est un des samedis jaunes de décembre 2018. Son fils manifeste à Paris avec une « amie hongroise » de 21 ans, comme le raconte sa mère dans une lettre ouverte4. Vers 14 heures, paniqués par les gaz lacrymogènes, les deux jeunes s’isolent du cortège. Ils sont interpellés par des policiers. D’après le témoignage de la mère, l’un d’entre eux éructe à la figure de la jeune fille : « T’es une putain, t’es moche. » Les jeunes passent quarante-huit heures en garde à vue. Puis direction le tribunal de grande instance de Paris où le jeune homme est jugé en comparution immédiate. Il est accusé de « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens » et de « violence sur une personne dépositaire de l’autorité publique sans incapacité » sur la base du témoignage d’un policier. « Je m’interroge : est-ce bien mon fils et son amie que l’on juge ou le mouvement des Gilets jaunes en son ensemble ? » se demande publiquement la mère. Et elle conclut : « Il est maintenant clair que ce tribunal est devenu un tribunal politique. » Il faut dire que les questions posées par la juge ont de quoi traumatiser. « Vos parents vous ont-ils normalement éduqué ? Quel est votre niveau de conceptualisation ? […] C’est très révélateur cette façon de tout contester ! Vous êtes comme vous êtes, M., on ne va pas vous

refaire. » Le procureur requiert six mois de prison ferme. Le jeune homme est condamné à deux mois de prison avec sursis et trois ans de privation des droits civiques, civils et de famille. Peut-être n’ont-ils pas été jugés entre 4 et 5 heures du matin comme tant d’autres ? Là encore il s’agit de faire peur. Et il faut bien admettre que ça marche. D’une marche à l’autre les Gilets jaunes ont vu les effectifs dans la rue changer de nature. Dans le même temps, les éborgnages impunis et les encouragements à la répression ont réussi à dissuader nombre de gens paisiblement engagés aux côtés des Gilets jaunes et que cette ambiance suffoque. Il y a vraiment de quoi avoir peur. Le ciel peut vous tomber sur la tête en un instant. Pour R., il a suffi d’une clé. Âgé de 26 ans, mis en examen pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de destruction et de dégradations graves », il a été détenu à la maison d’arrêt de Seysses (HauteGaronne) pendant plus de quatre mois. Tout a commencé le 2 février 2019. Ce jeune homme de nationalité suisse gardait la fille d’une amie chez elle. Il est sorti observer l’arrestation de manifestants en gilets jaunes ce samedi de mobilisation. Il est interpellé. Panique à bord. Il refuse de donner son identité, invente un faux nom, puis il refuse ensuite de se soumettre à un test ADN. Il a sur lui un trousseau de clés. Et parmi celles-ci une clé Allen, comme celles pour réparer des vélos. Et il a aussi un passe PTT qui permet d’ouvrir les halls d’immeubles. Comme souvent dans les affaires de Gilets jaunes, en appui des accusations, il y a des « notes de contexte » du renseignement ou des policiers. Pour les enquêteurs, dans ce cas, ces clés sont « caractéristiques du fonctionnement des activistes d’ultragauche pilotant le mouvement des Gilets jaunes et leurs manifestations, en tout cas sur la ville de Toulouse ». Le 6 février, en début de soirée, le domicile de R. et celui de l’amie dont il gardait la fille, ce fameux samedi jaune, sont perquisitionnés. Une perquiz en grand style. « Une quarantaine de policiers et deux membres de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) passent au peigne fin le domicile de R. durant trois heures. Ils y saisissent ordinateurs, téléphones, tracts, banderoles, mais aussi des brochures sur les

Gilets jaunes ainsi que des livres évoquant la violence d’État5. » On voit qu’il s’agissait bien d’un criminel endurci. Remis en liberté le 21 juin, R. est toujours sous contrôle judiciaire. Ce jour-là Steve Maia Caniço tombe dans la Loire pendant une charge de police. Cette ambiance volontairement agressive et ostensiblement acharnée est devenue la norme. La criminalisation n’a pas peur du ridicule. La situation des décrocheurs de portraits du président Macron en donne une idée très significative. Pour dénoncer son « inaction climatique et écologique », à partir du 21 février 2019, des militants d’Action non-violente-COP21 (ANV-COP21) ont choisi de décrocher les portraits d’Emmanuel Macron dans des mairies. Difficile d’imaginer une action moins agressive ou plus humoristique. Pourtant la répression se fait au son du canon : « 131 auditions, 82 gardes à vue et 66 perquisitions liées à ces décrochages. Et aussitôt une série de treize procès entamés en mai6. » La vague de répression se déclenche d’une façon assez soudaine et généralisée pour qu’on comprenne bien l’intention politique. C’est partout pareil ! À Bure face aux actions contre l’installation d’une poubelle nucléaire géante. Une lutte écologique désormais emblématique. Le 16 juin 2018, la mobilisation dans la Meuse a franchi un nouveau cap. Plus de 3 000 personnes venues de toute la France se sont réunies à Bar-le-Duc pour une manifestation contre ce projet dangereux. Cette fois, cinq jours après le succès de la manifestation du 16, c’est la rafle. Une large vague d’arrestations d’opposants et de perquisitions des domiciles. Dix personnes ont été interpellées. Certaines n’ont été relâchées qu’après soixante heures de garde à vue. D’une façon inédite, l’avocat du collectif écologiste, Étienne Ambroselli, a lui-même été arrêté. Autant de procédés d’intimidation sans rapport avec une action de justice, si ce mot a encore un sens dans un tel contexte. « Les gendarmes lui reprochent d’avoir été présent lors d’une manifestation non déclarée à Bure le 15 août 2017 et d’avoir été en contact avec des personnes masquées leur jetant des pierres7. » Après quarante-huit heures de garde à vue, il est placé sous le statut de témoin assisté. Deux

ordinateurs portables, une tablette, un téléphone portable, huit clés USB et trois disques durs externes sont saisis chez lui. Le placement en garde à vue d’un avocat est un fait exceptionnel. Il a suscité la colère de cinquante de ses confrères. Ils dénoncent cette « atteinte au droit à une défense effective », une « gravissime remise en cause du plein exercice de la profession d’avocat ». En vain. Au moment même où Étienne Ambroselli subit l’assaut, une dizaine de lieux militants dont la Maison de la résistance à Bure étaient également perquisitionnés et d’autres militants écolos mis en garde à vue. Deux cents gendarmes et enquêteurs étaient mobilisés. Rien de moins. Ils n’ont rien d’autre à faire ? Il s’agissait de faire peur, d’intimider. Et de ramasser tout ce qu’il était possible d’informations sur la vie des gens visés. Rien de toutes ces saisies n’était acceptable. Le 26 juin 2018, la justice ordonne la restitution du matériel de l’avocat des opposants. Mais quand le procès de l’avocat Ambroselli a lieu on assiste à du jamais vu : l’accusé n’est pas informé de son procès, qui se déroule sans lui. L’arrestation de maître Ambroselli est évidemment une manœuvre pour signifier que plus personne n’est hors d’atteinte du pouvoir. Pour que le signal soit bien clair l’avocat est sorti de garde à vue sans mise en examen ni contrôle judiciaire. Cela veut dire qu’aucune charge n’a pu être retenue contre lui. Mais il est montré que charge ou pas on peut détenir un avocat pendant des heures sans raison. La saisine de son matériel professionnel est une violation du secret des correspondances entre l’avocat et ses clients. Sur le plan professionnel, c’est aussi destructeur que le viol du secret des sources d’un journaliste. Le Syndicat des avocats de France (SAF) dénonce « de très graves violations des droits de la défense et du secret professionnel ». Le conseil national des barreaux et la Ligue des droits de l’homme ont fait de même. La garde des Sceaux est restée muette. Il va de soi qu’elle est d’accord avec ce genre de méthodes. Et son silence est un encouragement pour ceux qui voudraient bien s’y livrer. L’art de la récompense des durs et des violents a ses grandes heures sous Castaner et Belloubet.

Je repense à mon collègue insoumis, Loïc Prud’homme, matraqué en pleine rue alors qu’il récupère son vélo un jour de mobilisation des Gilets jaunes à Bordeaux. La ville est connue pour la violence disproportionnée mise en œuvre contre les manifestants. On s’attend à un rétropédalage après l’agression du député. C’est le contraire qui se produit. Le préfet de région félicite les policiers. Deux mois plus tard, il sera promu préfet de police à Paris en remplacement de celui que le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a rendu responsable du désordre non maîtrisé à Paris. Au total, c’est un mélange détonant pour les libertés publiques qui s’accumule. D’un côté une idéologie sécuritaire paranoïaque au sommet de l’État, un ministre faible qui encourage les éléments les plus violents. De l’autre un appareil de répression judiciaire sous pression sécuritaire. À la fin, quand quelque chose tourne mal, on ne sait plus ce qui est dû à la volonté politique, à l’erreur humaine ou au manque de professionnalisme. Mais comme la règle veut désormais que personne n’assume plus aucune responsabilité politique, on peut être certain qu’en cas de « bavure » c’est l’escalade dans l’art de se défiler et de reporter sur les victimes toute la responsabilité des abus qui sont commis. On l’a vu à propos du matraquage à Nice d’une manifestante rouée de coups, Mme Legay, à qui le Président en personne a suggéré de montrer à l’avenir davantage de sagesse.

22 heures Je relis ce que j’ai écrit ce matin… J’ai du mal à me rendre compte que je parle de la France. J’ai connu des militants exilés de pays où la police et la justice inspiraient cette peur parmi la population. Leurs témoignages avaient la même musique : celle du ridicule. La répression est ridicule. Ceux qui répriment, si ce n’était le mal qu’ils causent, sont en réalité burlesques. Confrontés à l’absurdité de leurs actes, ils se cachent lâchement derrière qui un uniforme, qui une arme, qui une robe de palais de justice. Mais l’absurde saute aux yeux. On pourrait en rire ! Mais soudain on réalise : tout ça est vrai. Tout ça s’est vraiment passé. Ici dans cette

République française que des ballots comme moi continuent de regarder avec des yeux d’amoureux transi. Mais tout n’est jamais « ou tout noir ou tout blanc ». Il serait injuste de ne pas dire comment les juges du siège ont pu aussi désavouer les excès de ceux du parquet quand ceux-ci entraînent l’institution dans le ridicule qui affaiblit son autorité. Ainsi à propos des décrocheurs de portraits. Le deuxième procès a eu lieu à Strasbourg le 26 juin. Il s’est conclu par une relaxe des trois militants accusés de « vol en réunion ». Et certes un militant a été condamné pour avoir refusé le prélèvement de son ADN. Mais il a été dispensé de peine. Un jugement « historique » pour les organisateurs. D’autres procès sont prévus en septembre, octobre, novembre, décembre, février et septembre 2020 à Lyon, Paris, Orléans, Mulhouse, Nancy, Bonneville, Grenoble, Saint-Étienne et Nantes. Il est douteux qu’il en résulte autre chose que des mobilisations dans chacune de ces villes et une élévation du niveau de conscience des gens du cru qui vont découvrir ces abus de pouvoir. Ces abus, nous les avons à l’esprit quand nous voyons la grande armée débarquer chez nous et dans nos locaux. Nous savons qu’à Bure tout a été saisi quand bien même ceux qui le faisaient savaientils qu’ils allaient trop loin. Ils se doutaient que toutes les saisies pouvaient être restituées. Alors pourquoi ont-elles été faites ? Pour effrayer cela va de soi. Mais aussi peut-être pour en savoir davantage sur les réseaux de chacun. À qui sont destinées ces informations ? C’est toute la question quand on voit comment est organisé le mécanisme des fuites de presse avec les pièces d’un dossier d’instruction. Si ça fuit dans la presse, ça fuit où aussi ? Enfin, nous connaissions à la fois la dureté dont ils sont capables et la volonté politique à la racine de la démarche. Mais nous avons pu observer de près aussi le niveau élevé d’amateurisme dans l’exercice de cette violence. Et, à la fin du cycle, nous savons que les juges du siège n’aiment pas être transformés en courroie de transmission des délires des gens du parquet. Au total il va de soi que l’autorité judiciaire est complexe et diverse. À cette heure tout ce qui reste d’indépendance de la justice est concentré

dans la conscience des juges du siège qui se cramponnent à l’application de la loi. Et même si celle-ci ne nous convient pas, mieux vaut ça que les abus politisés des cow-boys. Reste que le système dans son ensemble est pris en tenaille. D’un côté, une pression du pouvoir politique pour encourager la répression à n’importe quel prix. De l’autre, un arsenal de lois répressives de plus en plus dures rognant les libertés individuelles. On connaît le refrain : « Ceux qui n’ont rien à se reprocher n’ont rien à craindre. » Avec ce genre de raisonnement la démocratie est mal partie.

1. « Le Gilet jaune récupère ses filles qui avaient été placées en foyer », L’Est républicain, 7 mai 2019. 2. Cécile Amar, « Le procès d’Étienne H., “gilet jaune” et supposé contributeur du site Rouen dans la rue, Nouvelobs.com, 21 juin 2019. 3. « Rouen : les petits arrangements du renseignement territorial et de la cellule d’investigation Gilets jaunes », Lundimatin (lundi.am), 17 juin 2019. 4. « Témoignage d’une mère d’un Gilet Jaune (19 ans) condamné à deux mois de prison avec sursis », Paris-luttes.info, 3 janvier 2019. 5. Vanessa Vertus, « En prison depuis quatre mois. Son crime ? Être anarchiste », Reporterre, 17 mai 2019. 6. Aude Bariéty, « Décrochage de portraits de Macron : des procès dans toute la France », Le Figaro, 19 juillet 2019. 7. Jade Lindgaard, « Bure : la justice annule la perquisition de l’avocat des militant.e.s », Mediapart, 26 juin 2018.

9 août, 8 heures Ce matin le golfe du Mexique devant ma fenêtre a pris les couleurs de la Méditerranée. Ce bleu-vert qui se couche sur le sable des hauts-fonds reçoit le reflet des nuages et vire ici et là au gris. Pas de sargasse en vue. Ces algues restent confinées pour l’instant dans les Caraïbes. Un désastre tout droit venu des eaux de ruissellement chargées des engrais de l’agriculture intensive. Ici des pélicans font le plongeon sans problème dans l’eau claire. Le rivage bienveillant m’appelle. Je m’en détourne. Au travail ! Je dois commencer à entrer dans le journal des mauvais souvenirs. Car c’est un très mauvais souvenir et il faut que chacun le sache. Pas question d’accepter le rôle que les cyniques voudraient nous voir remplir : « Vous en avez vu d’autres ! », « C’est le jeu ! » et toute cette banalisation viriliste de la brutalité. Ici, il ne s’agissait que de nous stigmatiser. Des heures de télé en boucle résonnent en écho dans notre voisinage qui a assisté à la scène, dans nos familles qui s’inquiètent, dans nos réseaux qui nous interrogent et dans la masse immense de ceux pour qui « il n’y a pas de fumée sans feu ». C’était une pure et simple opération de police politique. Elle est destinée à nourrir la communication de nos adversaires. Mais c’est aussi une façon d’essayer de nous intimider par tous les moyens possibles. Et de nous meurtrir psychologiquement aussi lourdement que possible. Oui : meurtrir ! Parce que, à part les juges, les policiers et les voyous qu’ils pourchassent, nul n’est préparé à subir sans traumatisme l’invasion, sans crier gare, de son domicile par des policiers armés et munis de gilets pare-balles qui saisissent tout le contenu de vos

ordinateurs, fouillent vos tiroirs et alertent tous vos voisins de leur présence infamante pour vous. Car ici on parle de gens honnêtes, des militants, c’est-à-dire des gens accoutumés à l’abnégation et au dévouement. Ils n’ont jamais commis aucun délit, pas un d’entre eux n’a de casier judiciaire, personne ne s’est jamais enrichi si peu que ce soit dans ces activités. Nombre d’entre eux ne peuvent encore parler de cette séquence sans avoir les larmes aux yeux. Nombre ont eu des crises d’angoisse à répétition à partir de ce jour. Combien se sont réveillés en sursaut depuis lors à 6 h 30 bien des matins, l’oreille aux aguets, le cœur battant ? Les décideurs et les organisateurs de cette intimidation violente savaient parfaitement tout cela. Depuis lors cet impact psychologique m’a été confirmé par les militants syndicalistes ou écolos avec qui j’ai parlé de ce qu’ils ont connu eux aussi depuis, puisque c’est devenu un usage courant de perquisitionner pour un oui pour un non, de maintenir en garde à vue et d’être convoqué pour des heures d’audition. Les plus braves, les plus endurcis l’avouent : personne ne vit cette situation autrement que comme un traumatisme. Et davantage encore quand vos gosses sont rendus témoins comme ce fut le cas pour l’une d’entre nous. Parce que ces messieurs-dames savent y faire. Ils vous font le coup de la grosse arrivée par surprise à 7 heures du matin. Ils savent très bien que vous n’avez aucune intention de fuite. Mais par un premier coup bien frappé il leur faut commencer ce travail de domination par lequel il est prévu de vous soumettre comme une chose toujours inquiète que le système pourra mastiquer sans résistance. Écrire ces lignes, c’est retourner gratter sur une cicatrice si fraîche ! Il ne faut pas forcer au premier jet, aux premiers jours de cette chronique. Je vais lâcher ce clavier aujourd’hui. Mais j’ai à noter encore une idée. En écrivant, je m’interrogeais sur l’étrange sentiment qui nous anime tous, depuis ce jour-là. Ce n’est pas seulement la révolte contre l’arbitraire politique qui vous lâche sur le dos policiers et magistrats, et vous traîne sur le pilori médiatique pour y être flétri sans scrupule. Après tout peut-être faut-il être Quasimodo un jour pour mériter l’affection d’Esmeralda ? Non ce

n’est même pas ça. Quelle est cette amertume qui nous remplit ? Quel mot pour nommer son objet ? Ce n’est pas le plus simple à dire. Ne sommes-nous pas des militants de la révolution citoyenne ? Ne sommes-nous pas toute l’année au contact des meneurs de luttes, femmes et hommes du commun si souvent ployés sous le poids de la responsabilité du combat qu’ils animent ? Ne sommes-nous pas si souvent solidaires des victimes d’innombrables crimes et abus politiques dans le monde ? Nous devrions avoir le cuir plus épais. Ne devrions-nous pas être hors de portée de ces bassesses de si petits calibres ? Et pourtant nous ne le sommes pas. Une illusion terrible vient de s’écrouler en nous. Nos amis de l’étranger nous ont inondés de messages de solidarité après les perquisitions. Partout c’était le même étonnement : « Comment une chose pareille est-elle possible en France ? » Cette question nous ronge le cœur. Quels naïfs nous étions jusque-là ! Malgré tout ce que nous dénoncions et disions nous étions quand même persuadés que la France, « ce n’était pas pareil », comme on dit. Nous protestions pour que justice soit rendue ici où là, à celui-ci ou à celle-là. Au fond c’était penser, au bout du bout, que cette justice existait. Nous étions de cette armée de nigauds qui répondaient « oui, j’ai confiance dans la justice de mon pays » quand on leur posait la question. Mon cas est le plus grave dans ce registre. Car ma culture politique personnelle ne fait de moi ni un anti-flic ni un anti-magistrat. Au contraire : ma religion républicaine me les faisait voir comme les serviteurs d’un idéal que je révère. Ça ne m’a pas empêché de savoir choisir mon camp chaque fois que j’ai été convaincu d’une cause. Comme je l’ai été pour exiger la vérité sur la mort d’Adama Traoré. Mais le fond restait la confiance. Dans le contexte du système macroniste, quelque chose de cette confiance m’est tombé du cœur comme du bois mort. Comme ce jour de grand vent dans le Loiret où s’est abattu de tout son long un sapin magnifique qui manqua de peu couper ma maison en deux. Au fond, c’est comme ce jour de notre enfance où nous avons compris que le Père Noël n’existait pas.

13 août, 8 heures Merveille des restes du décalage horaire. Je me relève du lit aussi facilement qu’un roseau qui a d’abord ployé. Il faut dire qu’un stupide oiseau pousse des cris perçants sous ma fenêtre dès que le jour pointe. Puis passe, au son du tambour, le détachement des conscrits qui vont lever les couleurs comme cela se fait chaque matin dans toutes les villes du Mexique. Je suis fan. Bon, d’accord, leurs visages couverts de sueur dans la marche au pas cadencé me poussent à la compassion. Me revient en mémoire ce soldat mexicain sur les ChampsÉlysées, marchant en tête du détachement de son armée, l’année où son pays fut à l’honneur dans le défilé du 14 juillet 2015. Ce garçon à l’air si concentré portait sans faiblir un énorme aigle, symbole du pays. Combien pesait cette bête tenue à bout de bras pendant près de deux kilomètres ? J’imagine que ses compatriotes retenaient tous leur souffle. Ici, l’armée est une armée de conscription. Enrique Peña Nieto était alors le président du Mexique. Porté au pouvoir par l’oligarchie, il menait le pays à la trique vers toujours plus de misère sociale et de violences. Alors ce jour de fête nationale à Paris, on n’a pas oublié nos devoirs de militants. Après avoir publié une tribune dans Libération, on est allés sur le terrain. Les copains avaient convoqué un comité d’accueil politique pour exiger la vérité sur les quarante-trois étudiants disparus après un épisode de répression. Au Mexique, les syndicalistes et les militants manifestaient toutes les semaines pour demander : « Où sont-ils ? »

Postés à la sortie de la maison de l’Amérique latine où se tenait une réception en l’honneur de Peña Nieto, affichant des sourires de supporters sur le visage, les copains simulaient la sympathie pour ne pas être évacué par les gardes du chef d’État mexicain ou par la police française. Et quand le misérable s’est approché d’eux, croyant toucher des mains favorables, nos camarades ont pu lui crier dessus : « Assassin ! Où sont les 43 ? Où sont les 43 ? Assassin ! » Je souris à l’idée que ce type se souviendra que la France c’est ça aussi. Quand on aime vraiment un peuple ami, on partage ses souffrances.

22 heures Je me repasse la scène. Ce jour-là, cent policiers sont sur le pied de guerre pour une opération de police politique sans précédent dans les annales de la Ve République. Il s’agit de la totalité des effectifs de l’OCLCIFF1 et de quelques supplétifs pris ici ou là pour compléter le bataillon. Le seul nom de cette équipe suffit à vous rendre suspect et même infâme du seul fait qu’elle s’occupe de vous. Il s’agit de perquisitionner par surprise dix-sept lieux dont quinze domiciles privés de militants femmes et hommes membres de La France Insoumise. Ils ont en commun de travailler avec moi ou de l’avoir fait dans les sept années précédentes même pour quelques semaines de mission. L’énormité du déploiement de force est stupéfiante compte tenu de la minceur du prétexte. Il s’agit de deux « enquêtes préliminaires » très discutables déclenchées par des dénonciations dont les auteurs eux-mêmes ont avoué qu’ils les avaient faites pour la circonstance. Car, dans tout ce remue-ménage, le grotesque est roi. Je suis mis en cause sur la base de deux dénonciations nommées « signalements » dans le vocabulaire euphémisé de la bonne société. La première « enquête préliminaire » concerne l’usage que j’aurais fait de mes assistants parlementaires dans la période où j’étais député européen à Strasbourg. Cette histoire démarre comme

une farce. C’est une eurodéputée d’extrême droite, Sophie Montel, qui m’a dénoncé en juin 2017. Auparavant elle avait donné une liste de seize députés européens qu’elle accusait des mêmes délits. Elle m’ajoute à la liste en juin sur ordre de Mme Le Pen comme elle le raconte dans un livre paru depuis2. Quelque temps plus tard, dans la trouille des plaintes déposées pour « dénonciation calomnieuse », elle relativise le sens de sa démarche : « un pied de nez à la justice » selon ses propres mots. Rien de moins. Humour douteux. Mais la « justice » si prompte d’ordinaire à sanctionner les outrages contre elle a l’air de supporter tranquillement l’outrage des « pieds de nez » d’extrême droite. Je suis bien placé pour le savoir. J’ai vu comment Mme Le Pen elle-même pouvait en bénéficier. Condamnée en première instance pour avoir reconnu à la télévision avoir distribué un faux tract en arabe contre moi en 2012, Mme Le Pen condamnée deux fois en première instance bénéficia en appel d’un stupéfiant non-lieu. Et quand Mme Le Pen en personne s’oppose physiquement à la saisie de ses ordinateurs, personne ne la renvoie en correctionnelle comme nous. Cette fois-ci encore la mansuétude est de règle. La dénonciation de Montel semblait attendue. Séance tenante, en juin 2018, le procureur général informe la presse qu’il me rajoute sur sa liste de ses enquêtes préliminaires. Nous sommes alors vingt mis en cause dans tous les partis. En voici la liste. Pour le MoDem : Marielle de Sarnez et Robert Rochefort. Pour le PS : Édouard Martin, Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy, Jean-Louis Cottigny. Pour Les Républicains : Michèle Alliot-Marie, Angélique Delahaye, Brice Hortefeux, Marc Joulaud, Tokia Saïfi, Constance Le Grip, Jérôme Lavrilleux. Pour l’UDI : Jean Arthuis, Dominique Riquet. Pour EELV : Yannick Jadot, Michèle Rivasi. Pour le PCF : Patrick Le Hyaric. Pour le PRG : Virginie Rozière. Pour les Insoumis : Emmanuel Maurel. Plusieurs déposent des plaintes en dénonciations calomnieuses. Bien sûr elles ne connaissent aucune suite. Pour le reste, seul et unique, je ferai l’objet du cirque des perquisitions à domicile et au siège du mouvement. EELV, le PS et LR dorment en paix le matin. Les autres conviennent du rendez-vous

et seuls leurs sièges ont été concernés. L’aubaine pour le pouvoir était trop belle. Des mois d’écoutes téléphoniques possibles, suivis de la confiscation de tous nos agendas et courriers personnels et professionnels, sans oublier la confiscation du fichier des adhérents du Parti de Gauche et sans doute d’une partie de celui du mouvement La France Insoumise. La deuxième « enquête préliminaire » à mon sujet concerne les comptes de campagne de la présidentielle. Elle a été ouverte en avril 2018. En effet le président de la Commission nationale des comptes de campagne3, François Logerot, s’est offert le ridicule d’opérer un signalement auprès du parquet deux mois après avoir pourtant validé l’ensemble de mes comptes. Pourquoi ? Selon L’Express, c’est parce qu’il avait lu dans la presse qu’il y aurait un problème. Ah le brave homme. Il a vite vu son salaire augmenté de 57 %. Mais après tout l’essentiel à mes yeux est là : mes comptes ont été validés sans dénonciation de la moindre irrégularité4. Et ce, après avoir transmis des milliers de pièces justificatives à la Commission et fait des réponses précises à ses centaines de questions. Tout a été déclaré, la moindre dépense. Nous avons accepté tous les rejets de demandes de remboursement car ce n’était pas à nous d’évaluer si oui ou non une dépense relevait du compte de campagne. Les malveillants ont voulu faire de ces rejets la preuve d’une irrégularité. C’est ne rien comprendre à ce qui nous était imposé. Nous avions l’obligation de déclarer impérativement la moindre dépense. C’est la Commission elle-même qui l’avait exigée. Elle craignait à l’époque une répétition de l’affaire Bygmalion dans laquelle il y avait une accusation de sous-facturation massive. Elle voulait donc pouvoir décider elle-même si chaque dépense était ou non une dépense de campagne. Quoi qu’il en soit, les accusations et insinuations ont été développées par la même unique source : JeanGuy de Chalvron. Il s’agit du rapporteur à qui avait été confiée l’étude de mon compte. Hasard : c’est l’ancien directeur de cabinet du ministre socialiste Louis Mexandeau qui appartenait à une des fractions qui m’a été le plus hostile au PS du temps où j’en étais membre.

Jean-Guy de Chalvron avait en réalité des démêlées avec la Commission tout entière et en particulier avec le président de celle-ci, le sieur François Logerot. Bien conseillé par un journaliste, il comprit vite l’intérêt médiatique de mettre mon nom en avant pour inonder de lumière sa misérable querelle de préséance bureaucratique. Un jour, il glissa bien qu’il n’en avait pas spécialement contre moi mais contre les critères de remboursement choisis par la Commission et son président. Lequel lui répondit bien vertement qu’il ne savait pas de quoi il parlait. Avant cela il aura pourtant bien violé tous les devoirs de son obligation de réserve. Curieusement, quand tous les documents furent ouverts à la presse, aucune rédaction n’en organisa l’analyse. Pourtant des dizaines de personnes se sont précipitées sur nos cinquante-deux cartons de factures. C’était en effet bien plus de travail que de recopier sans vérification des accusations sans preuve. Le prétendu « service investigation » de la radio d’État France Info qui avait joué un rôle écœurant de soi-disant « révélation » fut incapable de présenter une seule facture abusive. « Il n’y a rien d’illégal là-dedans », fut-il obligé de reconnaître de temps à autre comme si c’était un détail sans importance. Personne ne relevait. La légende de la surfacturation était répandue et l’honorabilité des gens compromise par les centaines de références que Google fournit dès qu’on tape nos noms. Ma conseillère en communication dans la campagne présidentielle fut littéralement traînée dans la boue. Les accents du sexisme le plus décomplexé se sont lâchés. Le travail accompli par elle, son expérience accumulée dans notre campagne de 2012 et dans les campagnes électorales de Senders et de Podemos furent réduits à un vague appoint dans le meilleur des cas. On me dit même : « Comment expliquez-vous que vous ayez confié votre campagne à des amis ? » On rêve ? Il aurait fallu que je la confie à des ennemis ? Après quoi sa société a subi un dénigrement hargneux qui en salissait la réputation et menaçait l’existence de l’entreprise et des emplois qu’elle permet. Et tout le monde passa bien vite à autre chose, faute d’avoir le courage de faire « une investigation » dans nos milliers de factures. Le pot aux roses vint ensuite. Quand on a découvert que le héros de l’investigation à la radio d’État est aussi, depuis plusieurs années, à la tête d’une

agence de conseil en communication et relations publiques. Ce parangon de la transparence n’a bizarrement jamais rendu publics les comptes de sa société. Ce qu’il reprochait pourtant avec tant de véhémence mal renseignée à notre prestataire de services. On ne saura donc jamais qui paye à ce guichet. Une référence discutable finissait de s’effondrer. Mais personne ne reprocha rien à ces misérables agitateurs d’insinuations. J’ai cru rompre l’encerclement et prouver ma bonne foi en proposant que tous les comptes soient réexaminés. Peut-on faire mieux ? Ni réponse ni suite de presse. Puis j’ai offert que seul mon compte le soit. Que puis-je faire de plus ou de mieux pour prouver ma bonne foi ? Je n’ai pas eu davantage de réponse. On devine le nombre de gens qui n’ont pas intérêt à voir leur compte remis sur la sellette. Mais la machine à répandre le doute et le soupçon a continué son travail. Titre après titre, buzz après buzz, mes proches et moi avons été méthodiquement salis, nos vies privées saccagées. Nous sommes devenus les bouche-trous des rubriques à sensation lorsqu’elles sont à court de sujet. Un pilori sans fin, sans motif concret, sans réponse à nos demandes. Près de deux ans après il n’y a pas encore un seul fait sur la table contre l’un d’entre nous. Pourtant d’habitude tout le fonctionnement ordinaire des parquets est accompagné de fuites de presse illégales qui soutiennent son action. Parfois des bouffées de rumeurs venant des beaux quartiers remontent jusqu’à moi. « Il paraît que ça va bientôt sortir. C’est énorme ! On parle d’argent du Venezuela et de Russie. » Inutile de dire que c’est autant d’inventions. Elles ramènent à la niche provisoirement ceux qui finissent par se sentir mal à l’aise avec toute cette histoire. Car ça commence à se voir que quelque chose ne tourne pas rond. L’acharnement contre nous commence à être mal ressenti dans des milieux pourtant bien éloignés de nous mais qui n’aiment pas l’instrumentalisation de la justice. Et la Macronie a tellement abusé de la force depuis lors ! Beaucoup de gens n’ont plus grande estime pour le duo de la répression aveugle que forment Castaner et Belloubet. Sur ce sujet des comptes de campagne, j’en reste à ce que j’ai proposé : que mes comptes soient réexaminés. Je veux me répéter.

Nous avons fait la campagne la moins chère dans la durée et nous n’avons pas demandé le plafond de remboursement. Nous avons répondu à deux mille questions posées par les agents chargés de nous contrôler. Sans aucune exception. Et enfin : nos comptes ont été validés par le Conseil constitutionnel sur la recommandation de la fameuse Commission des comptes de campagne. Pendant ce temps, c’est à peine si on entend parler des exploits de l’équipe macroniste dans ce domaine. Ou alors seulement pour apprendre que tout va bien et que le parquet a classé sans suite tous les signalements à son sujet. Pourtant le financement de la campagne de Macron a fait l’objet de beaucoup de questions… Le livre Dans l’enfer de Bercy des journalistes Frédéric Says et Marion L’Hour affirme qu’il a utilisé les moyens du ministère de l’Économie pour lancer sa campagne. Le député UDI Philippe Vigier a même affirmé que 120 000 euros d’argent public auraient été utilisés pour organiser des dîners En Marche !. La Commission des comptes de campagne de son côté a remarqué presque 87 000 euros de dons qui dépassaient la limite maximale autorisée. Le président Logerot a jugé bon de signaler ces donateurs. Mais pas le candidat Macron qui a accepté leur argent de trop ! Fine mouche ce Logerot ! De toute façon tout cela restera sans suite. Non-lieu ! Telle est la décision du parquet. J’ai déjà dit qu’après nous avoir signalés, son salaire a été augmenté de 57 %. L’ingratitude est mal acceptée dans ces milieux. Les ristournes généreuses accordées par les amis P-DG du Président pour diverses prestations ont donc été toutes blanchies. Il y en a pourtant, en tout, pour 208 000 euros. Une paille. Enfin, une enquête préliminaire a été ouverte à propos de faveurs accordées par la ville et la métropole de Lyon à la campagne présidentielle de Macron. Bizarrement, celle-ci ne donne lieu à aucune perquisition ni à l’Élysée, ni au siège du parti du Président, ni du maire de Lyon ordonnateur. Ce malheureux a pourtant bien fini par être perquisitionné à son tour. Mais pour une tout autre affaire assez dérisoire. Ça lui a vite appris ce qu’il en coûte d’avoir pris ses distances avec le pouvoir à propos des municipales. La police

politique a désormais un agenda large. Chacun doit se le tenir pour dit.

1. L’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. 2. Bal tragique au Front national. Trente ans au cœur du système Le Pen, Éditions du Rocher, 2019. 3. CNCCFP : Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. 4. Selon un article paru dans L’Express du 29 mai 2018 : « La publicité autour de la démission du rapporteur de Chalvron aurait, selon nos informations, conduit la CNCCFP à se décider d’effectuer un signalement le 16 mars 2018 au procureur de la République de Paris, parallèlement à sa décision de valider le compte de campagne. »

14 août, 9 h 30 Je reprends où je me suis arrêté hier soir tard. « Chacun doit se le tenir pour dit », ai-je écrit avant d’éteindre l’ordinateur. Encore faut-il vouloir regarder cette situation en face. Ce n’est pas facile déjà pour ceux qui veulent continuer à croire en une république idéalisée. J’imagine que ça l’est encore moins pour ceux qui n’ont pas le temps ni le goût de questionner les choses. Là règne un dégoût bien entretenu par le sensationnalisme médiatique. « Tous pourris », « C’est tous les mêmes », « Ils ont tous des affaires », se dit la majorité des gens qui a mieux à faire qu’enquêter à son tour plutôt que se fier aux journalistes. On peut en rester là si l’on croit à une justice juste et à une police policée agissant au royaume des Bisounours. Ce serait vrai, dans un monde sans Benalla et sans suppression de l’impôt sur la fortune. Mais dans la vraie vie, tout est politique et tout se tient depuis l’altitude des grands principes jusqu’aux plus modestes rouages qui les mettent en œuvre. Et le discernement doit être l’impératif catégorique suprême. Il suffit de voir quels ont été les éléments de langage tout en finesse rabâchés par les snipers de la Macronie pour comprendre le but visé. Sous prétexte d’égalité devant la loi, ils ont ardemment travaillé à occulter l’énormité politique de l’acte commis par leur ministre de la Justice. Avec la subtilité nuancée qu’on lui connaît, le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, a immédiatement identifié le problème posé. « On n’est pas à Caracas, on n’est pas au Venezuela, même si je sais que Mélenchon a une fascination pour ce pays et pour la manière dont l’État de droit est

réglé au Venezuela. Ici on est en France ; l’indépendance de la justice, elle est totale. » Ou encore : « Mais comment osez-vous vous plaindre ? » a-t-on lu et entendu. « La loi est la même pour tout le monde. » Sur France 2, le nouveau secrétaire d’État à la jeunesse, Gabriel Attal, a estimé qu’« au fond ce que fait Jean-Luc Mélenchon, c’est l’éloge de l’impunité pour les puissants ». « Je ne suis pas pour le retour des privilèges », osa même celui qui joue pourtant d’une particule de noble quand ça l’arrange1 ! Leur hypocrisie, leur mauvaise foi tranquille, c’est tout un art ! Ces bonnes âmes gouvernementales n’ont pas de telles exigences d’égalité de traitement dans les autres domaines essentiels de la vie. Comment écouter leurs prêchi-prêcha sans leur rire au nez ? Tous égaux devant les procédures ? Sauf Alexandre Benalla à qui on a demandé gentiment à quelle heure on pouvait venir le perquisitionner. Puis qui rendit l’opération impossible parce qu’il n’avait pas la clef de l’appartement. Et qui a eu le temps de faire faire le ménage avant d’ouvrir la porte. Sauf encore pour le secrétaire général et le directeur de cabinet de l’Élysée. Ils mentent devant la commission d’enquête sénatoriale, ils font l’objet d’une procédure judiciaire, et elle est bien vite interrompue sans qu’on ait fouillé un téléphone ni un tiroir. Et ainsi de suite. Dans ce déchaînement, il s’agit surtout de faire admettre un fait sans précédent : le président d’un groupe parlementaire d’opposition et tout son entourage se font confisquer tous leurs documents de travail et personnels. Je l’ai dit et je le répète : c’est de la démagogie de dire que la procédure s’applique de la même façon pour tous, dans un tel cas. L’application de la loi est un art d’évaluation des situations. C’est pourquoi d’ailleurs il y a des juges à qui revient de faire cette évaluation. Sinon on mettrait à leur place des robots qui rapprocheraient les faits des textes qui les qualifient et les sanctionnent. On y viendra peut-être. Mais pour l’instant ce n’est pas le cas. Et ici, nous parlons de la façon d’agir pour accéder à la vérité face à une incrimination douteuse. Très douteuse comme le savent ceux-là mêmes qui mènent « l’enquête » depuis plusieurs mois.

Par conséquent le tam-tam sur les perquisitions et les indignations de la bonne société médiatico-politique ont joué magnifiquement le rôle d’une diversion. Pendant qu’il a duré, on n’a pas dit un mot des raisons pour lesquelles tout cela a eu lieu. Plus un mot sur les dénonciations crapoteuses à l’origine des « enquêtes préliminaires » qui nous ont valu cette « descente de police ». On n’a pas discuté une seconde de l’abus de pouvoir que toute cette procédure développe. Qui a retenu qu’à ce moment-là, ce 16 octobre où on nous perquisitionne au marteau-pilon nous ne sommes accusés de rien ? Et c’est toujours le cas. Je ne fais l’objet que d’une « enquête préliminaire » dont le but est précisément de savoir si nous devrons être poursuivis. D’ailleurs à l’heure où les policiers surgissent chez moi, je ne sais rien de cette enquête préliminaire, je n’en connais aucun détail ni rien d’officiel. Je n’en ai jamais été officiellement informé non plus. La plupart des autres perquisitionnés ignoraient même qu’ils puissent être concernés. Quant à moi, je n’y pensais même plus. J’ai autre chose à faire, il est vrai, que de me laisser clouer au sol des procédures judiciaires tortueuses et des intrigues d’influence que je vois fonctionner ici et là. J’ai mon groupe parlementaire à présider. C’est dévorant et chronophage, accroché sur l’actualité et les activités de seize têtes dures. Et mes tâches au mouvement. Et mes travaux d’écriture. Sans oublier mes allées et venues à Marseille où sont testées pratiquement toutes nos idées d’action. En somme, que du passionnant. La gestion des coups tordus de la Macronie me soûlerait. J’ai eu tort ? C’est bien possible, vu ce qu’a été la suite. Car cette enquête préliminaire, j’en avais certes appris l’existence des mois auparavant. Mais c’était uniquement par des fuites de presse. Comme c’est toujours le cas depuis 2017, depuis que des procureurs ont décidé de consacrer une part de leur activité à détruire ma réputation. Mais tout de même ! Jamais aucune autorité d’aucune sorte ne s’est rapprochée de moi pour m’informer de quoi que ce soit, fût-ce pour me confirmer l’ouverture de cette enquête. Ballot que je suis ! Je n’y ai donc pas cru. Un an après le signalement de mon compte de

campagne et sept mois après ma mise en cause à propos de mes assistants parlementaires européens, sans nouvelle, j’ai pensé naïvement que le caractère grotesque des mises en cause avait dissuadé des magistrats et des policiers qui ont sans doute bien d’autres choses à faire. Avant Macron peut-être était-ce bien le cas.

1. On apprend dans Crépuscule, de Juan Branco (Au diable vauvert, 2019), qu’il se fait aussi appeler « Attal de Couriss » (du nom de sa mère).

Progreso, golfe du Mexique 15 août, 8 heures Aujourd’hui Libération publie un portrait de Louise Michel signé Laurent Joffrin, Lider maximo du journal. J’approuve. Louise Michel est dans mon panthéon spécial depuis le jour où j’ai croisé l’ombre de ses pas en Nouvelle-Calédonie où elle fut déportée. En fait, les juges de l’époque ne savaient plus quoi faire d’elle après son arrestation à la fin de la Commune de Paris de 1871. Certes, on avait tué en vrac des milliers de gens. Mais fusiller une femme par décision de justice, vraiment, ça ne le faisait pas. Surtout à sa demande ! Car telle fut sa défense : demander à être fusillée comme les autres parce qu’elle se déclarait aussi coupable qu’eux des événements de la Commune. Écho : je me souviens soudain d’une conférence de José Bové à l’époque où il me fréquentait. Il justifiait le passage à l’acte illégal du fauchage des champs de maïs OGM avec un argument que j’ai fait mien depuis. On peut s’opposer physiquement à une décision quand son application n’a pas fait l’objet d’un débat démocratique. Qui avait décidé qu’il est légal de planter des OGM aux effets à long terme aussi inconnus ? Qui a décidé de courir un risque si grand de contamination des autres plantations ? Qui a choisi de le faire et donc d’augmenter l’usage pourtant nocif des pesticides que ces plantes permettent ? Quel débat, quel vote avaient rendu cela possible ? Les paroles injustes qu’il a eues contre moi ne me font pas oublier quel lutteur courageux a été Bové et quel bond en avant dans la prise

de conscience populaire a permis son engagement. Bové a fauché illégalement dans un champ d’OGM. Il fut pris, jugé et emprisonné. Il nous raconta que le juge aurait dit : « Ça m’ennuie de vous condamner, mais c’est la loi. » Et Bové lui aurait répliqué : « Si ça vous ennuie, démissionnez. » En quelques mots, c’était là un dévoilement complet de l’absurdité d’une telle décision. Je suis très sensible à cette radicalité morale. Elle affirme notre responsabilité personnelle permanente sur les actes que nous posons dans l’exercice de nos devoirs professionnels que l’on soit cheminot ou juge. Elle retourne cette exigence contre ceux qui refusent de l’assumer. Elle parvient de cette façon à vider la décision qui est prise de toute sa prétention pompeuse à être « naturelle ». Louise Michel agissait de même quand elle mettait au pied du mur ses juges. « Puisque vous avez condamné à mort les autres pour les motifs que vous me reprochez, alors faites-en autant avec moi. » C’était sa façon de finir de discréditer ce type de « justice ». Car celle-ci arrivait après les boucheries de l’armée des contre-révolutionnaires. Les juges tâchaient comme souvent de donner un air naturel à la violence du pouvoir. « Une femme, ce n’est pas humain de la fusiller », semblaient dire avec bienveillance les importants. Ils avaient été moins regardants pendant la semaine sanglante où l’on massacra plusieurs dizaines de milliers d’insurgés des deux sexes sur les barricades. Ces juges voulaient se donner à bon compte un air d’humanité et de bienséance. Leur sens de la mesure s’affichait comme une façon d’effacer la cruauté des jugements qu’ils avaient rendus auparavant. Louise Michel les ramenait à eux-mêmes. À leur médiocrité, à leur obéissance déshumanisée, à leur acceptation de banaliser le mal qu’ils incarnaient, pour reprendre l’angle de pensée d’Hannah Arendt. Car ils avaient déjà fait assassiner ou briser tant de monde avant ça. J’ai parcouru, il y a bien longtemps, une exposition sur les lettres des déportés vers la Nouvelle-Calédonie. De pauvres vies détruites demandant pitié, report ou autorisation d’emmener parents ou enfants avec soi ne sachant à qui les confier. En vain. Bagne ou déportation pour tous. Cette déportation me parle. Non seulement parce que j’ai vu sur place ses restes. Mais aussi parce que, quasi en même

temps, y avaient été expédiés des milliers de combattants berbères de l’Algérie dont la révolte générale avait commencé deux jours avant le déclenchement de l’insurrection de la Commune, le 16 mars 1871. Et si dans les deux cas la question sociale joue un rôle moteur, la question de l’appartenance nationale fut le fond de scène. À Paris contre le projet d’occupation allemande approuvé par les capitulards français qui prétendaient diriger le pays, en Kabylie en déclarant illégitimes les occupants qui dépossédaient de leurs terres les autochtones. Les activistes des deux mouvements furent massacrés. Mais l’un et l’autre donneront des fruits inouïs des décennies plus tard. En Calédonie, dans la morne beauté absolue des paysages, dans les humiliations de la captivité, Louise Michel se fit institutrice pour les petits Kanaks. Et quand les déportés furent tous appelés aux armes pour affronter la révolte des Kanaks du grand chef Ataï en 1878, Louise, sublime témoin des vertus que nous voudrions toujours incarner, refusa de prendre le fusil, quand bien même sa vie était-elle aussi menacée que celle des autres. J’aime Louise Michel pour cela presque davantage que pour tout le reste. Louise au visage farouche avait l’esprit si fin, si sensible. Il faut que je retrouve les vers si délicats de son « chant des captifs ». Où entendre encore ces « coquillages qui murmurent en s’ouvrant » ? Et ces fleurs « qui frissonnent d’amour sous le vent » ? Le cœur plein de vertu est hors de portée de la souillure de ses bourreaux.

16 août, 7 h 30 Parfois la nuit se refuse. Le sommeil ne vient pas. On tourne et retourne dans les draps au fil de brèves glissades dans de petits rêves confus. Mais on se lève quand même, tôt. Il est 7 heures. Un petit matin rasant court sur l’horizon. Je cherche « Le Chant des captifs » de Louise Michel. Magie des moteurs de recherche. Le voici. J’aurais dû le lire avant de me mettre au lit pour apaiser mon esprit mis à vif par le retour au souvenir des épisodes de violences que nous avons subies. Silence, silence les mille voix qui jacassent dans la mémoire. Silence. Voici ce rivage calédonien : jusqu’au bout du regard c’est l’océan infini. La terre la plus proche est à des milliers de kilomètres. Une petite femme marche sur le sable trop blanc. Ici l’hiver n’a pas de prise, Ici les bois sont toujours verts ; De l’Océan, la fraîche brise Souffle sur les mornes déserts, Et si profond est le silence Que l’insecte qui se balance Trouble seul le calme des airs. Le soir, sur ces lointaines plages, S’élève parfois un doux chant : Ce sont de pauvres coquillages Qui le murmurent en s’ouvrant. Dans la forêt, les lauriers-roses, Les fleurs nouvellement écloses

Frissonnent d’amour sous le vent. Viens en sauveur, léger navire, Hisser le captif à ton bord ! Ici, dans les fers il expire : Le bagne est pire que la mort. En nos cœurs survit l’espérance, Et si nous revoyons la France, Ce sera pour combattre encor ! Voici la lutte universelle : Dans l’air plane la Liberté ! À la bataille nous appelle La clameur du déshérité !… … L’aurore a chassé l’ombre épaisse, Et le Monde nouveau se dresse À l’horizon ensanglanté !

14 heures Ça m’obsède. Pourquoi n’ai-je pas pris au sérieux la menace qui pesait sur moi avec ces mystérieuses « enquêtes préliminaires » ? Peut-être parce que j’avais eu accès au dossier calamiteux pour le pouvoir sur une autre affaire me concernant. Une dizaine de personnes d’extrême droite projetaient mon assassinat et celui de Christophe Castaner. Personne ne m’avait prévenu non plus pendant les quatre mois où l’enquête courait pour les retrouver. Je restais alors « seul et sans arme », comme disent les procureurs, dans le danger. Le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, n’avait pas bonne mine sur ce dossier. Il allait d’une bévue à l’autre. À la radio il affirma par exemple que la DGSI avait assumé ma surveillance pendant la période. Qu’un service de renseignement intérieur surveille sans le lui dire un président de groupe d’opposition n’est pas un usage courant dans une démocratie. Pourtant j’avais laissé tomber. À quoi bon se prendre la tête avec un service de renseignement ? Mon avocat sur

ce dossier, Juan Branco, avait brillamment obtenu que nous nous constituions partie civile afin d’obtenir l’accès au dossier. De son côté la ministre de la Justice, l’inénarrable Nicole Belloubet, était restée prudemment muette comme à l’accoutumée pour se défausser de toute responsabilité. J’avais donc pensé que c’était assez de bévues à mon sujet. Selon moi, personne au gouvernement ne se risquerait à se couvrir encore de ridicule et de soupçons de manipulation à mon sujet. J’ai eu tort. Avec les perquisitions du 16 octobre 2018, un beau retournement de situation médiatique s’opère. On ne parle plus des motifs de l’action judiciaire. Mais de mon comportement. Comme s’il était hors sol. Hors contexte. Sans lien avec le motif absurde de l’action et la violence disproportionnée des moyens. Les abus de pouvoir commis à la chaîne ce jour-là sont eux aussi effacés. On discute donc seulement de ma réaction, de celle des policiers, et blablabla. On se pousse du col, on fronce les sourcils, et surtout on peut enfin se lâcher sans retenue. La haine de caste dont j’ai été accablé pendant la semaine qui a suivi annonçait celle qui bientôt allait se déchaîner sans vergogne un mois plus tard contre les Gilets jaunes. On y retrouve tous les poncifs traditionnels des vaches enragées dérangées dans leurs ruminations par le passage des cortèges syndicaux. Je suis cet animal agressif et violent dont on va montrer des jours durant les gros yeux exorbités par dix secondes de colère. Une scène qui sert depuis de générique dans une émission de divertissement. Parce que mon visage est ainsi fait et je ne peux en utiliser d’autre même dans les grandes circonstances. Le pauvre Jaurès était caricaturé de même : le cheveu en bataille, la barbe hirsute, une bouteille de vin de messe dans la poche et parfois un brandon enflammé à la main. Les méthodes contemporaines n’ont guère évolué ! Sans imagination dans tous les pays du monde, les leaders de notre famille politique sont accusés d’être de violents impulsifs. Sanders l’Étasunien, Andrés Manuel López Obrador le Mexicain, Iglesias l’Espagnol, Kirchner l’Argentine, tous nous sommes bestialisés de même. Évidemment, nous avons tous droit aux photos dégradantes, poings fermés et bouche grande ouverte. Car depuis

des siècles, on montre ceux qui communiquent avec les puissances infernales d’en bas, par leur gosier béant.

22 heures La scène des perquisitions aura permis une véritable jouissance médiatique dans le dénigrement. Je vais pouvoir être pleinement pour eux cet arrogant qui hurle : « Ma personne est sacrée » ou bien « La République, c’est moi ». Bien fait pour moi. Une fois de plus j’ai pris trop au sérieux tous ces gens. J’ai cru qu’ils savaient de quoi je parlais et pourquoi j’en parlais. J’ai oublié leur niveau d’inculture en dépit de leurs grades. J’ai négligé les raisons de la haine si intense qui les anime quand on touche au monde qui rend possible leurs salaires disproportionnés et leur paresse au travail. Où ai-je la tête ? N’ai-je pas déjà assez payé pour savoir qu’il n’est pas bon de s’écarter des rivages des formules toutes faites ? Je me rappelle ce jour au congrès du Parti de Gauche en 2010 où je m’étais exclamé : « Je suis le bruit et la fureur, le tumulte et le fracas, ceux de mon époque, etc. » J’avais testé la formule sur mon blog et des lecteurs cultivés l’avaient relevée avec faveur. Malheur ! J’en fus aussitôt accablé par dix plumitifs et bavards de plateau qui me montrèrent sous mon « vrai jour » d’animal furieux. Aucun d’entre eux ne savait qu’il s’agissait d’un vers connu de Shakespeare. Aucun ne savait qu’il avait déjà servi de titre à un roman de Faulkner qui est un monument de la littérature mondiale. La caricature de « Mélenchon, l’éternel énervé » parce qu’il parle fort est née dans ces ignorances satisfaites d’elles-mêmes. Car ici encore je parle en sachant de quoi je parle. « Ma personne est sacrée » renvoie au statut des premiers tribuns du peuple à Rome en 494 avant l’ère chrétienne. Un statut inchangé depuis deux mille six cents ans pour les députés. Le peuple latin s’était mis en grève et retiré sur une colline de Rome, l’Aventin. Incapables de survivre sans le travail de la plèbe les patriciens durent négocier. Il leur fallut reconnaître au peuple le droit de mettre son veto aux décisions du Sénat qui gouvernait pour le compte des riches.

Pour cela ils furent contraints d’accepter l’élection de députés de la plèbe, les tribuns du peuple. Prudents, ces derniers exigèrent une immunité totale pour leurs actes et leurs propos. On les déclara donc inviolables, et même « sacro-saints », si bien qu’attenter à leur personne était aussi un crime religieux. À cette époque, qui s’attaquait à eux était immédiatement voué à être mis à mort. Cette immunité est reprise en France dès la première Assemblée nationale. Mirabeau y fait voter l’inviolabilité des députés craignant pour eux les représailles du roi. C’est un héritage précieux pour ceux qui s’opposent aux puissants : la personne du représentant du peuple est sacrée pour la protéger, justement et précisément, de la répression. « La République, c’est moi », ai-je crié à la face de ce gardien de porte, dont le mutisme devant notre demande de pénétrer dans nos locaux pour assister à la perquisition tenait plutôt d’une attitude de videur de boîte de nuit. J’aurais dû mieux choisir mon public ! Car les commentateurs troncs des plateaux télé ont réduit mon propos à leur propre dimension mesquine et à l’esprit monarchique du maître qu’ils servent en la personne du président de la Ve République. La vérité est encore une fois trop sophistiquée pour mes agresseurs. Je suis la République devant tout autre corps et notamment ceux du « maintien de l’ordre » comme ils disent. Tout simplement parce que la loi qui les commande est proposée ou votée par des gens comme moi, députés de la Nation tout entière. Dans l’histoire politique républicaine, le caractère inviolable du tribun ou du député est l’incarnation de la souveraineté du peuple. Laquelle est réputée une et indivisible. Face à quelque juge ou policier que ce soit, la République c’est bien moi, et ils me doivent le respect dû à ceux que je représente, leur maître, le peuple souverain. Tous mes collègues députés Insoumis sont venus sur ce palier du siège de notre mouvement ceints de leur écharpe tricolore. Aucun salut républicain de la part de policiers et gendarmes. Ceux-là n’avaient finalement que leurs armes comme moyen de se faire reconnaître. Savent-ils que chaque séance des assemblées s’ouvre au son du tambour de la garde républicaine qui bat la générale au

passage de son président ? Ainsi s’affiche la soumission des forces armées à l’autorité républicaine qu’incarnent les députés. Les spadassins qui traitent des parlementaires comme ils n’oseraient peut-être pas traiter des passants dans la rue (encore que depuis quelque temps…) se sont bien éloignés de tout ce que la République signifie dans ses symboles. Acquis à la logique de ce temps, la justice pour eux est un service client, la police une société de sécurité et la masse confuse du commun des mortels un ramassis de « justiciables » suspects par principe et toujours susceptibles d’être introduit de force dans la broyeuse. Législateur, je connais un peu la loi. Disons même que je la connais suffisamment pour savoir quand on viole mes droits et ceux de ceux qui m’accompagnent ce matin-là. Il est illégal de m’interdire d’entrer au siège de mon mouvement. Et si un tel ordre est pris, ce n’est pas à un exécutant de m’en informer mais au magistrat présent de m’en donner les raisons. Mais comme cette interdiction était illégale, l’intéressé s’est déchargé de sa responsabilité sur le malheureux mis en faction devant une porte dont je ne pouvais deviner qu’il était gendarme vu qu’il feignait le mutisme et ne portait pas d’uniforme ! Tous les autres, policiers, procureurs, gendarmes ou que sais-je encore étaient en jean ou tenue de sport. Tout juste si certains arboraient un misérable brassard rouge comme celui d’une société de gardiennage. C’est le style « BAC1 » généralisé. Vêtus comme pour une descente chez des bandits, ils n’ont même pas pris la peine d’un salut réglementaire, ni de se présenter. Ce laisser-aller général est un signe supplémentaire d’avachissement de la conscience républicaine. Ce mépris et cette désinvolture détruisent d’abord leurs auteurs. Comment prendre au sérieux après cela des gens qui ne s’accordent pas à eux-mêmes le respect de leur fonction ?

Minuit L’écriture de ces lignes m’a fait un bien fou. Je peux enfin dire ce que j’ai sur le cœur depuis tant de mois. Je plaide coupable. En effet

j’ai pris au sérieux les représentants du système auquel je m’adressais. J’ai misé sur leur formation intellectuelle. Mal m’en a pris. Ici je tiens à dire qu’à mes yeux d’ancien professeur personne n’est obligé de tout savoir. Et il arrive souvent qu’en sachant peu on soit plus avancé en expérience humaine que bien des savants. Mais quand on ne sait pas, on demande avant de parler et il n’y a aucune honte à cela. Je sollicite mon entourage dix fois par jour car je ne suis savant qu’en peu de domaines. Je ne connais rien aux mathématiques, à la mécanique, au tricot, à la cuisson des asperges ni à celle du canard, rien à propos des grades des fonctionnaires de justice, j’en passe et des meilleures. Mais quand je ne sais pas, je ne m’aventure pas à faire le malin en donnant des leçons de maintien aux autres. Ici je m’amuse d’être décrit comme une bête furieuse par ceux-là mêmes qui ne comprennent pas le sens des paroles que je leur adresse quand je leur résume l’histoire de nos rôles respectifs de l’Antiquité à nos jours. Le jour des perquisitions contre La France Insoumise est juste un coup politique mal monté par les zélés du pouvoir qui voulaient soigner leur promotion. La seule chose qu’ils ont parfaitement réussie, de façon totalement imprévue par eux (mais peut-être après tout était-ce bien pour finir la seule chose qu’ils escomptaient), c’est à créer un leurre médiatique à partir du déroulement totalement vicié de leur opération. C’est réussi. Car tout ici est vices de procédure, abus de pouvoir, sottises à répétition. Nous avons eu raison de nous révolter parce que la loi, le sacré et la République, c’était nous ce matin-là et non pas ces deux malheureux pandores devant cette porte. Je n’ai qu’un regret : avoir ignoré qu’ils étaient si fragiles aux décibels. D’autant que dans leurs auditions ils déclarent à tour de rôle « ne s’être jamais senti physiquement menacés ». Je compatis pourtant aux souffrances psychologiques qui les ont fait tomber aussitôt malades, au point d’obtenir de leur médecin un arrêt de travail de sept jours. Une semaine pour s’en remettre. Combien pour nous et nos familles qui ont subi leurs assauts ce jour-là ? Je recommande quand même qu’ils ne soient pas envoyés sur des

opérations de terrain contre des vrais délinquants ou contre des manifestants car elles sont souvent bien plus bruyantes. Malgré tout, le but n’était pas de les affronter. Une vidéo me montre d’ailleurs demandant à mes amis de les respecter. Cette histoire est triste et désolante pour eux évidemment dont le métier ne consiste pas à persécuter des opposants, et pour moi qui me fais toujours des romans sur le dévouement des serviteurs de l’État. La République, ce n’était pas non plus la caméra de « Quotidien » filmant pour le procureur, ni les magistrats qui n’assumaient pas leurs responsabilités dans l’action en laissant les plantons se débrouiller seuls. Je me ferai traiter d’arrogant pour ces lignes. Une fois de plus ce sera passer à côté de ce qu’est une conscience engagée dans notre famille politique. Nous avons tous la tête pleine de récits et de personnages qui peuplent notre imaginaire et alimentent nos raisons d’agir. Ce n’est pas affaire d’érudition mais d’appétit pour la dignité de ce que nous pensons incarner au fil du temps d’une génération à l’autre. Et quand bien même parfois notre culture historique se limite aux souvenirs de nos anciens, tout en nous nous pousse à en transmettre les leçons de vie que nous en avons retenu. Les tribuns du peuple romain vivent en moi comme des modèles et des raisons de me lever le matin. Et combien autour de moi ont les yeux qui brillent quand on évoque les communards ou les soldats de l’an II, les hussards noirs de la République ou Louise Michel, le chant des bannis sur les lèvres, nos mères ou nos pères quand ils se dédiaient au bien commun dans l’action revendicative ou l’entraide ? Nous sommes de ce bois-là. Celui dont on fait les flûtes ; celles qui jouent leurs petites notes aigrelettes si vives même quand le soir tombe.

1. Brigade anti-criminalité.

17 août, 11 heures Aujourd’hui je reçois des nouvelles mornes de Marseille. Il s’agit d’une alerte sur le site d’une radio à propos des plastiques en Méditerranée. Depuis un mois hors de France, je n’avais eu que du revigorant venant des équipes marseillaises qui militent avec moi : réussite de la campagne de signatures contre la privatisation d’ADP, victoire des syndicalistes de McDo contre leurs odieux persécuteurs, que sais-je encore. Marseille et sa mer, la Méditerranée, m’importent. C’est une passion depuis que je suis né sur son rivage, à Tanger, voyageant dans ma famille à Casablanca mais aussi en Algérie à Staoueli et Oran. Depuis le collège où l’on m’a biberonné aux épopées de Rome et d’Athènes. Depuis cette fascination pour l’Égypte antique et ces heures à bâiller aux corneilles au pied des pyramides, depuis mes fraternités tunisiennes, et ceci et cela, et Homère et Braudel, et « la supplique pour être enterré sur la plage de Sète », et Saint-Exupéry qui y dort avec les dauphins dans son avion abattu par les Allemands, et… au secours je n’en finirai plus. J’ai fait à Marseille, face à la mer, deux discours dans les campagnes présidentielles de 2012 et 2017. Ce furent des paroxysmes. Je les ai vécus comme des chants d’amour. « Je suis venu recevoir sur cette plage, au bord de ses lèvres fraîches, le baiser de la Méditerranée notre bonne mère à tous. La mère de notre monde. Écoutez, écoutez le murmure de l’histoire longue qui travaille en nous », ai-je clamé en 2012. De quel bonheur la vie m’a gratifié à ce moment-là en me permettant de prononcer ces mots qui viennent des millions de cœurs riverains de notre berceau commun. Quel honneur indicible c’est pour

moi d’avoir pu être cette voix qui appela, en 2017, 100 000 personnes rassemblées sur le Vieux-Port à une minute de silence pour la mémoire des migrants morts noyés dans le plus grand cimetière naturel du monde qu’est devenu notre Méditerranée. La « mer violette » selon Homère scintillait et je sentais la force de sa présence monter en moi. À l’unisson avec ceux qui accompagnaient mes paroles par leur présence attentive, milliers et milliers à la gorge serrée, communiant sans retenue dans la douleur pour les enfants perdus en mer.

19 h 30 J’ai quitté le clavier quelques heures. Évoquer la mer et pouvoir s’y plonger. Ce n’est pas la Méditerranée, mais un bout de l’Atlantique. Cet océan c’est aussi le mien. Je le retrouvais de temps en temps quand on allait à la plage du côté du cap Spartel à Tanger. Je ne peux m’empêcher de les comparer : ici, l’eau est chaude, tiède mais jamais fraîche. Ce que les deux ont en commun : le plastique. Il est devenu impossible de se baigner sans tomber sur des bouts de plastique, des bouteilles, des gobelets, des pailles… Je supporte mal cette pollution. J’ai donc pris un sac-poubelle (en plastique) pour y mettre tout ce que je ramasse. Je le fais en sachant que demain il faudra recommencer. Comme beaucoup de gens je n’arrive pas à constater sans rien faire ! Ce soir, je suis rappelé à cette affaire de perquisitions. Un message de mon avocat, Maître Mathieu Davy. Il me prévient qu’il m’a transmis plusieurs pages de défense en vue de la préparation du procès politique de septembre. Je lirai plus tard. J’ai besoin d’abord de vider mon sac dans ces lignes. J’y gagnerai la tranquillité de l’esprit dont j’ai besoin pour vivre ce moment. Le parquet a besoin d’un procès à propos des perquisitions pour effacer le flop géant des enquêtes préliminaires et des dénonciations grotesques qui les motivent. Les dossiers des comptes de campagne présidentielle et des assistants parlementaires sont vides. Trois

magistrats instructeurs les ont en charge désormais et ils découvrent l’ampleur des bêtises accumulées dans la procédure comme sur le fond. Fin juin, la presse qui collabore avec le parquet m’informait en même temps que tout le monde de mon « renvoi en correctionnelle ». La procureure qui nous pourchasse doit peut-être avoir une ligne directe avec quelques rédactions parisiennes qui, en échange, doivent lui rendre quelques attentions. Qui sait ? En tout cas elle n’en a pas avec moi car je n’ai eu aucun coup de fil, et la convocation officielle mettra un mois et demi à me parvenir. Le coup du mépris et des attitudes hautaines. Ça doit marcher avec les voleurs de mobylette. En tout état de cause, j’aurais dû être sur mes gardes ! Coïncidence parmi les coïncidences, le jour même, quelques heures plus tôt, on apprenait que les hauts dirigeants de l’Élysée bénéficiaient d’un non-lieu après avoir menti devant la commission d’enquête sénatoriale sur l’affaire Benalla. Un contrecoup médiatique était indispensable. En tout cas, me voilà donc de nouveau informé d’une évolution majeure de mon dossier par des fuites de presse. Elles sont bien documentées puisqu’elles disposent des termes d’une convocation que je n’ai pourtant pas reçue. Ainsi va la justice sous la baguette de Mme Belloubet ! Une nouvelle saison du feuilleton peut commencer. Encore une fois un beau buzz, la projection des images culte et les jacassements de plateau entre « experts » du bavardage. Le trio « police-jugemédia » turbine à plein régime : passe-moi le sel je te passe le poivre. Il faut dire que ce nouvel épisode avait déjà eu un beau prélude. Ce fut une convocation, à grand tam-tam en pleine campagne des européennes, le 7 mars. Il s’agissait d’être « auditionnés » à propos de notre comportement le jour des perquisitions. La boucle à buzz avait encore bien tourné. Le programme était alléchant : six des dix-sept membres du groupe parlementaire Insoumis étaient convoqués. On était en vacances parlementaires. Elles ont été bien pourries par cette annonce puisque

nous sommes autant de naïfs que ce cinéma impressionne. Un tiers d’un groupe parlementaire d’opposition convoqué par la police en vue de leur envoi en correctionnelle. Aucun média ne releva. Leur obsession c’était de savoir par quelle porte et à quelle heure j’entrerais dans le palais de justice pour se gorger d’images humiliantes. Curieusement aucune des femmes députées, pourtant présentes en totalité le jour des perquisitions, ne figurait dans ces convocations. On aurait tort de croire que c’était alors de douces biches cachées sous les feuillages. Qui a entendu une seule d’entre elles à la tribune de l’Assemblée sait à quoi s’en tenir. Mais le machisme procédural existe. Peut-être n’ont-elles pas poussé sur la porte avec assez de force pour être digne du rôle écrit à l’avance. Je ne plaisante pas. Un journaliste de La Voix du Nord a osé demander au député Insoumis Adrien Quatennens dans une interview : « Vous n’avez pas poussé la porte autant que Mélenchon. N’est-ce pas une manière de marquer vos distances avec lui ? » Interdit de rire. C’était là une offre alléchante. Marquer ses distances avec moi est récompensé en général d’une riche couverture médiatique parfois même la une du Monde mais jamais moins qu’une petite tartine de rubricard publiée ici où là pour attirer le chaland. En pleine campagne européenne donc, le cycle des violences judiciaires s’est remis en marche après le sketch de la convocation à des auditions. Ce fut de nouveau le traditionnel moment de la publication illégale des procès-verbaux auxquels elles ont donné lieu. La nouvelle saison du feuilleton démarrait sans réel angle vif. En effet, ces copiés-collés ne contiennent strictement aucune information nouvelle par rapport aux épanchements précédents. Ils ne retranscrivent pas un mot de notre défense. Mais ils permettent à L’Express de publier le 15 mai, onze jours avant le vote des élections européennes, des « révélations » qui aguichent ses lecteurs. Les « putes à clic » sont au boulot comme se moque Raquel Garrido. Le contenu reste pourtant très faible. C’est une pauvre photocopie de

mon audition qui a eu lieu deux mois auparavant. Ce délai interroge. Ou bien ceux qui ont « vendu » ces documents ont attendu leur heure pour nuire électoralement ou bien ce sont les médias qui ont retenu ce qu’ils savaient pour être certains d’obtenir l’impact négatif le plus efficace dans la campagne électorale. Le journal Le Monde bat le record : il attend le 21 mai, quatre jours avant le vote, pour publier une belle page de copié-collé sous un titre aguichant : « “Nos nez se sont touchés” : retour sur la houleuse et médiatique perquisition au siège des “Insoumis” ». Branle-bas de combat chez les Insoumis. Nous interrogeons nos contacts policiers pour pister les fuites. « Ce n’est pas de chez nous. C’est sorti après l’arrivée chez les autres. » Les autres ? On devine la présence des justiciers désintéressés derrière la transmission d’un document secret. Ils ont éprouvé le besoin de mettre en péril, gratuitement bien sûr, leur honneur et leur tranquillité, en prenant l’initiative de transmettre des pièces couvertes par le secret de l’instruction qui protège les droits de la défense. Quel terrifiant secret risquait d’être caché à l’attention du monde s’agissant de cette pantalonnade du jour des perquisitions ? On comprend bien l’intérêt de cette publication pour des adversaires médiatiques aussi constants que ces deux titres qui ne publient sur moi qu’à charge depuis tant d’années et constamment depuis la dernière élection présidentielle. Un des principaux sondeurs de la place de Paris m’avait averti avec amusement : « J’ai gagné de l’argent avec vous monsieur Mélenchon. La dernière semaine des présidentielles j’ai eu de belles commandes pour savoir qui de vous ou de Mme Le Pen arriverait au second tour et même que donnerait un match entre vous deux. » La trouille des oligarques n’est pas passée. Ils ne sont que neuf personnes mais c’est eux qui versent les salaires de 90 % des médias puisqu’ils les possèdent. En tout cas ces publications illégales de comptes rendus d’audition ne méritent pas que leurs auteurs s’en rengorgent comme ils le font en se présentant comme des héros agissant au péril de leur vie. Mieux vaudrait qu’ils appellent ça des « avis à la population »

plutôt que d’entretenir cette ambiance de mystère ridicule qui amorce leurs pompes à clics. Car dans ce cas leurs « investigations » ne sont en réalité que des copiés-collés et le seul travail produit consiste à faire vérifier les ennuis possibles avant publication, par des avocats du droit de la presse. Pierre Péan, grand journaliste d’enquête lui, mort cette fin de mois de juillet, avait été sévère à ce sujet : « Ça fait des années que je m’évertue à répéter que je ne me reconnais pas sous le vocable de “journaliste d’investigation”, disait-il. “Investigation”, c’est la traduction d’une expression américaine policière. Je préfère le mot “enquête”. Je me définirais plutôt comme un “enquêteur d’initiative sur sujets sensibles”. » Un de ces « sujets sensibles » s’intitulait « La face cachée du Monde ». Un autre, « TF1, un pouvoir ». Ce n’était pas pour leur faire des compliments. Il avait été particulièrement sévère en prenant ses distances avec cette façon de faire du journalisme. Il écrivait : « Attendre sur son bureau les PV des juges, ce n’est pas ce que j’appelle de l’enquête, mais de la simple gestion de fuites. Le journaliste devient un pion, rentrant dans les objectifs des uns et des autres, devenant l’outil de vengeances ou de stratégies judiciaires. Je revendique de prendre l’initiative, je ne suis pas un auxiliaire de justice, je n’ai pas besoin de la justice pour déterminer le sujet de mes enquêtes. » Il n’est plus là pour tenir cette frontière. Elle est donc engloutie pour toujours. Et la plupart des titres au sujet de son décès le qualifient de « grand journaliste d’investigation » car la caste se venge toujours même après la mort de ses adversaires. Le copié-collé a de beaux jours devant lui dans les habits usurpés du prestige de « l’investigation ».

23 heures J’y reviens. Son bruit voisin m’a appelé je crois. La mer. Je la devine dans la nuit. Elle joue sa musique sur le sable en roulant des coquillages. La mer Méditerranée contiendrait 25 milliards de débris plastiques. C’est un laboratoire citoyen piloté par des scientifiques de « l’expédition MED » qui a fait l’enquête et le calcul dans une collecte

d’échantillons d’eau de mer de Rome à Marseille, via le nord de la Corse, puis Toulon et Port-Saint-Louis. Je n’en suis pas étonné. J’ai présenté un rapport sur les défis maritimes à la commission des affaires étrangères de l’Assemblée avec le député inclassable mais si cordial Joachim Son-Forget. Présenté en juin, publié en juillet, il a eu moins d’écho que n’importe quel ragot à mon sujet dans l’égout médiatique. Dommage. C’est un gros travail qui a été fait au fil de plus d’un an. En tout cas, on sait maintenant qu’une très mauvaise pente est prise. L’équivalent de 600 000 bennes à ordures de plastique est jeté à l’eau chaque année venant de tous côtés : rivages, rivières, océans. La Méditerranée est désormais la mer la plus polluée du monde. Et comme elle met cent ans à renouveler ses eaux, la densité de cette pollution va s’accentuant. On dit qu’on y trouvera bientôt davantage de plastiques que de poissons. Ce n’est pas tout. La contamination au plastique, c’est contagieux. Ah ? Pourquoi ? C’est tellement évident ! L’eau est un tout. Mers, nuages, pluies, ruissellements, le cycle de l’eau sur terre est aussi global que permanent. Et il intègre tout le vivant, puisque celui-ci est surtout composé d’eau. Tout ce qui vit est branché d’une manière ou d’une autre sur ce circuit. Un être humain est composé de 65 % d’eau, 78 % chez nos bébés. Chaque jour le corps élimine 2,4 litres de cette eau. Je ne fais pas de dessin. Il faut la remplacer. Et nous voilà alors connectés au grand tout du liquide en circulation. Implacable besoin. À 2 % de manque d’eau on a soif, à 10 % on délire. À 12 % on est mort. L’eau est si évidente, elle a été si longtemps un bien commun toujours disponible d’une façon ou d’une autre qu’il aura fallu notre époque pourrie pour comprendre que même ça pouvait devenir un poison. Parce que bien sûr de l’eau il y en aura toujours en circulation. Une circulation de plus en plus active. Un degré de réchauffement climatique provoque sept pour cent d’évaporation supplémentaire. Et tout ça finit par de la pluie. Et même de plus en plus souvent. Les pollueurs irresponsables qui disent « après moi, le déluge » ont raison : c’est bien ça qui va se passer. Un déluge, mais un déluge plastifié. Car le plastique dans l’eau ce ne sont pas seulement les sacs, les bouteilles, les filets abandonnés et toutes ces ordures qu’on retrouve

ensuite sur les plages ou dans d’immenses îles flottantes en mer, ces gyres qui ont dorénavant la taille d’un sixième continent. Ce sont surtout des milliards de petites particules parfois invisibles à l’œil nu. Elles rendent l’eau imbuvable ici et là. Et les poissons qui les avalent dont la consommation est même interdite aux femmes enceintes dans plusieurs pays. On n’en finit plus de remonter la chaîne alimentaire en y trouvant du plastique. Et maintenant voilà qu’on va peut-être finir de s’apitoyer pour mieux oublier : « Oui on comprend bien vos problèmes avec la Méditerranée », comme si le plastique devait seulement s’ajouter à la longue liste des commisérations dont on accable les Méditerranéens. Cette fois-ci il y en a pour tout le monde. Le plastique est en mer ? Donc il en remonte dans les nuages. Et il retombe donc avec la pluie un peu partout. Jusque dans la neige en Suisse ! Et partout en fait, avec le vent qui va. Partout dans l’air qu’on respire. La mer, la neige, vos estomacs, vos poumons, votre sang : plastique, vous dis-je. Bon, il y a quand même une bonne nouvelle. Mais elle commence mal. Les masses de plastique en mer contiennent des milliers de bactéries, virus et autres opportunistes qui ont ainsi créé un écosystème à leur goût. Dans cette masse de vie grouillante une bonne partie est faite de nos tout petits ennemis intimes les plus dangereux. Où est la bonne nouvelle là-dedans ? Eh bien justement. Parmi toutes ces bestioles accrochées aux plastiques, on va sûrement trouver celles qui les détruisent en les consommant. Ça prendra moins de temps pour elles que pour nous avec des épuisettes. Et ça sera certainement moins long que le temps que mettent les déchets nucléaires à devenir inoffensifs. Juste quelques centaines d’années. Trêve de plaisanterie. L’existence d’une « plastisphère » globale, présente à toutes les étapes du cycle de l’eau, est désormais un défi central. Certes il vient après bien d’autres. Mais l’eau est première pour toute vie. Là encore il ne suffira pas d’imposer la fin du saccage et donc du plastique. Il ne suffira pas non plus de le remplacer par des matériaux biodégradables. Il faudra réparer les dégâts ! C’est-à-dire s’atteler à la tâche d’extraire le poison de là où il se trouve. Je sais que notre « planification écologique » est une réponse pragmatique pour

prendre en charge cette mission immense. Je déplore qu’on la regarde de haut dans les milieux où le mot « planification » est devenu contre toute raison un épouvantail. Dommage qu’il y ait un Office de répression de la fraude qui s’occupe de politique et pas de police ni de tribunaux voués à la délinquance écologique. Evo Morales, le président de la Bolivie, avait proposé à l’ONU la formation d’un « tribunal international de justice climatique ». Quand nous gouvernerons, il y aura une police et des tribunaux affectés à la répression des voyous pollueurs. Le principe pollueur-payeur méthodiquement appliqué pourrait nous aider à respirer, à boire et à manger sans danger. Et c’est promis : on n’enverra pas ces policiers perquisitionner des militants « climatosceptiques » qui auraient jeté un mégot dans la rue.

19 août, midi C’est mon anniversaire. Je viens de passer la matinée à remercier des dizaines de personnes qui ont pensé à moi. Je ne sais jamais bien quoi dire. Que doit-on dire quand plus que les mots, ce sont les pensées qui touchent ? Un tel ou une telle a pensé à moi aujourd’hui. Une pensée tendre. Pas une pensée politique, pas une pensée de convenance. Une pensée douce. Alors je dis « merci ». C’est un petit bonheur simple. Voilà. Cependant je pense qu’il ne faut pas abuser avec les anniversaires. Les accumuler n’est pas toujours bon pour la santé. Avec le temps qui passe, les anniversaires sont des moments un peu étranges. Ma journée d’anniversaire devient une journée du souvenir. Je me rappelle les miens qui ne sont plus là. Ma mère qui m’a mis au monde un 19 août 1951. On fêtait ensemble mon anniversaire au cinéma. J’adorais y aller. Les westerns et les pirates avaient la faveur de ma mère, une « scoute toujours » aux Éclaireuses de France. Entre cow-boys et Indiens elle m’enseignait l’amour des Peaux-Rouges. La couleur m’est restée. Je n’aimais guère qu’ils perdent tout le temps. Mais quand on venait aux jeux avec mes camarades, les Indiens sous ma conduite s’en sortaient mieux. Contre toute logique hollywoodienne, nous remportions de nombreuses victoires et quelques scalps improvisés. À présent je sais à quel point ce ne fut pas un jeu mais un ethnocide abominable. Au Mexique où j’écris ces lignes cela dépassa tout ce qu’on avait vu jusque-là en matière de barbarie. Certes les conquistadors ne

pouvaient pas savoir qu’ils amenaient des maladies qui allaient tuer tant de monde. Des millions de gens ! Cette faux de la mort passant au hasard du paysan au général, du savant au soldat, explique la victoire finale du tout petit nombre qui entourait Hernán Cortés. Mais la cruauté des traitements infligés ensuite aux vaincus, la destruction méthodique par l’Église de tous les documents écrits des peuples soumis font bouillir de rage. Ça oui c’est un ethnocide, c’est-à-dire la volonté délibérée et méthodique de détruire tout ce qui pouvait permettre aux vaincus de reconstituer leur culture et donc la puissance de leur identité. La destruction des Indiens de l’Amérique du Sud s’observe dans la diminution des rejets de gaz carbonique contenus dans les glaces du pôle Nord. Certains proposent que ce soit la date donnée au commencement de l’Anthropocène, l’ère où l’action d’humains s’imprime dans la nature de manière irréversible. Le jour où AMLO, le nouveau président mexicain m’a reçu, j’ai fait une seconde rencontre qui avait un sens bien différent. J’ai retrouvé avec mes compagnons la tombe d’Hernán Cortés dans l’église qui jouxte son ancien quartier général au cœur de la ville. Elle n’est signalée nulle part. Sur place on ne la voit pas tout de suite car elle est placée dans un angle mort du chœur oriental. Une grande plaque. Rien de plus. Son nom. Interdit de photographier. J’observais. Il y avait un office religieux et donc pas question de manquer de respect aux pratiquants. De l’autre côté de la nef un christ dans une vitrine en plastique ceinturé de guirlandes de Noël lumineuses. Vers l’entrée deux personnes continuent de repeindre des anges en plâtre. Ainsi passe la gloire et la vanité des dominations par la violence.

19 h 15 Des messages me sont arrivés tout le jour et même la soirée. Je ne m’y habitue pas. Ça me touche toujours autant. Je viens de publier un post sur ma page Facebook pour remercier tous ces gens que je ne connais pas personnellement et qui pourtant me disent des mots d’affection.

J’ai publié un extrait d’un discours tenu en 2012. Je lisais des vers de Victor Hugo. C’est mon état d’esprit ce jour de mes 68 ans. 68. Un bon cru : l’année de ma naissance politique. En tout cas en retrouvant cet enregistrement je me souviens combien j’étais heureux et fier de citer le grand poète devant tous ces gens dont les yeux brillaient, en parfaite complicité avec moi. J’entends la salle retenir son souffle. Jusqu’à cette clameur qui saluait, non pas moi, et peut-être même pas seulement la beauté de la mise en mots de Victor Hugo, mais une idée : la révolution comme un nom pour la nouvelle civilisation à faire naître. Le même Victor écrivait : « Ceux qui vivent sont ceux qui luttent. » Il n’y a aura pas d’automne dans la lutte à laquelle je participe même si de terribles hivers sont toujours possibles. Mettons du bois dans le feu de l’esprit de rébellion qui doit nous animer. Voici le texte de Victor Hugo. Et désormais ce mot Révolution sera le nom de la Civilisation Jusqu’à ce qu’il soit remplacé par le mot Harmonie Oui ! Tous et toutes autant que nous sommes, grands et petits Puissants et méconnus illustres et obscurs Dans toutes nos œuvres bonnes ou mauvaises Quelles qu’elles soient Poèmes Drames Romans Histoires Philosophies, À la Tribune des Assemblées Comme devant les foules du théâtre Comme dans le recueillement des solitudes Oui pour tout ! Oui pour toujours Oui pour réhabiliter les lapidées, et les accablés Oui pour conclure logiquement et marcher droit Oui pour consoler Oui pour secourir, pour relever, pour encourager, pour enseigner Oui pour panser en attendant qu’on guérisse Oui pour transformer la Charité en Fraternité La fainéantise en travail L’oisiveté en utilité L’iniquité en justice La populace en peuple

La canaille en nation Les nations en humanités La guerre en amour Les préjugés en examens Les frontières en soudures Les limites en ouvertures Les ornières en rails L’instinct du mal en volonté du bien La vie en droit, les rois en hommes Oui pour ôter des religions, toutes les religions, l’enfer et des sociétés le bagne Oui ! Pour être frères et sœurs du misérable, du serf, du fellah, du prolétaire, du déshérité, de l’exploité, du trahi, du vaincu, du vendu, du sacrifié, de la prostituée, du forçat, de l’ignorant, du sauvage, du nègre, du condamné et du damné Oui ! Oui nous sommes tes fils, Révolution !

23 h 30 Au début, les cow-boys responsables des perquisitions ne se rendent pas compte qu’elles sont confites d’abus et d’erreurs de procédure. Mais avec notre grabuge, ils comprennent que toutes leurs erreurs vont être examinées à la loupe et vont devenir ultravisibles. Ils voient bien qu’ils sont tombés sur des gens déterminés et bien documentés sur leurs droits. À ce moment ils craignent le scandale. Mais la faiblesse, pour ne pas dire pire, des réactions de soutien les rassure vite. Quel changement dans les mœurs politiques en France ! On n’est plus dans les années où un front s’était spontanément formé pour soutenir la Ligue communiste révolutionnaire le jour de sa dissolution. Ce soir-là, en 1973, ses militants avaient participé à une bataille rangée avec des policiers venus protéger un meeting d’extrême droite. Deux cars de police avaient brûlé. Une perquisition du local de cette organisation y avait découvert des armes et des cocktails Molotov. Le gardien de ces lieux cette nuit-là était le militant

alors trotskyste Edwy Plenel. À l’époque il ne plaidait pas pour le droit à fouiller le local dont il avait la garde ! D’abord caché, Alain Krivine, le principal responsable de la LCR de l’époque, finit par se rendre à la justice. Mais il était entouré dans une marche commune par Edmond Maire alors secrétaire général de la CFDT et par François Mitterrand premier secrétaire du PS. Leurs successeurs se sont contentés de me jeter des pierres avec les autres. Europe 1 trompera même ses auditeurs en prétendant que c’est la première fois qu’un dirigeant politique se dresse contre une perquisition. La procureure interviewée, Mme Champrenault, qui connaît pourtant si bien le Parti socialiste1 et son histoire, ne pense pas à lui répondre que c’est faux. En effet, le jour où fut déclenchée une perquisition au siège du PS, en 1979, pour y saisir un émetteur radio alors interdit, les dirigeants présents bloquèrent de force la porte d’entrée. Elle fut ouverte par la police à coups de hache. Puis une empoignade physique eut lieu dans l’escalier avec la participation en première ligne de personnalités comme Laurent Fabius, actuel président du Conseil constitutionnel. Personne ne fut envoyé en correctionnelle. Ici nos agresseurs se seront vite rassurés par la hargne qui se déversa contre moi. Ils purent donc tranquillement décider de nous convoquer en audition quatre mois après les faits et de nous envoyer en correctionnelle huit mois plus tard. Ils ont eu cette audace dans l’ivresse de l’ambiance qui régnait contre les Gilets jaunes, arrêtés à la pelle et jugés nuit et jour sans que nul ne s’émeuve d’une « justice » rendue entre 5 heures et 6 heures du matin. Ils sont ainsi allés de l’avant à partir du moment où ils avaient la certitude que leurs échanges de bons procédés avec les médias garantissaient leur tranquillité. Ils ont été servis, par la bienveillance de ceux-ci ou, mieux encore, leur participation active au dénigrement nécessaire pour nous criminaliser en toute bonne conscience. Sans oublier la production de charges contre nous. Que les images utilisées dans les auditions soient celles de « Quotidien » qui s’est bien gardé de le dire à ses téléspectateurs est un symptôme supplémentaire d’une dérive glaçante.

En tout cas, ce viol de nos droits est assumé parfois de façon bien décevante de la part de gens que l’on imaginerait moins prompts à fermer les yeux. Ainsi quand le journal Mediapart publie dès le 19 octobre, trois jours à peine après l’événement, un article intitulé « Les premières découvertes des perquisitions Mélenchon ». Puis, à nouveau, le 7 février 2019, cinq articles du Nouvelobs.com et un dans l’édition imprimée de l’hebdomadaire recopient à leur tour des documents officiels. La presse « de gôche » a bien réglé ses comptes personnels avec moi. Un viol tranquille du secret de l’instruction où sont exposés des pans entiers de l’enquête et de l’instruction. Comme d’habitude, on y retrouvait des extraits des procès-verbaux. Mais il y avait aussi des pièces pourtant sous scellés, auxquelles ni moi ni mon avocat n’avons eu accès. Mais ces récits vont plus loin que d’habitude. J’ai pu ainsi retrouver des propos tenus hors procès-verbal dans la salle de l’audition donc rapportés directement par l’un des trois enquêteurs présents. Tout le monde s’en fout : aucune de nos plaintes sur le sujet n’a été suivie d’effet. Le permis de fuites illégales est sans bornes. Il est récompensé par une bienveillante cécité des journalistes qui ont leurs entrées dans le système et gèrent les indiscrétions à gage. Ces jours-là, sont-ils encore journalistes ? Dans l’excitation qui les submerge, ils perdent pied et laissent aller leurs bas instincts : chacun en veut un bout, qui pour régler un vieux compte, qui pour plaire au pouvoir, qui pour vendre du clic. Si Libération parle de « choc des légitimités », ce qui peut paraître presque amical, la conclusion est carrément dans le registre de l’incitation à la répression. Qu’on en juge : « La justice est totalement indépendante dans cette affaire, comme dans les affaires individuelles. Il n’est pas admissible qu’on l’empêche de travailler dans la sérénité et que l’on porte atteinte aux enquêtes en cours », insiste Youssef Badr, porte-parole de la chancellerie, comme le rapporte pieusement la porte-plume. Avant de réclamer des têtes : « Reste à savoir si des poursuites seront engagées contre les élus LFI.

L’article 434-25 du Code pénal dispose en effet que “jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance” est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende2. » Laurent Joffrin en personne donne sans autre précaution un quitus à la chancellerie : toute la procédure est clean à part les élus qui protestent : « Là où la limite est franchie, c’est quand des députés de la Nation font entrave, par le nombre et les décibels, à une enquête judiciaire parfaitement légale. Dès lors que la procédure régulière est respectée, les élus – seraient-ils insoumis – doivent comprendre que la loi s’applique à tout le monde, député ou citoyen… » Y compris la loi sur le secret de l’instruction ? Non bien sûr. Curieusement, Mediapart se positionne un cran au-dessus dans le service après-vente de ses informateurs. Fabrice Arfi y purge une violence aveuglée à mon égard. Il me compare à Louis XVI et me brocarde de toutes les manières. Il se risque même à dire qu’il y a des « faits concrets » à notre charge sur le compte de campagne présidentielle. Un mensonge de propagande macroniste qu’il se garde bien de documenter. Au total, il cautionne et argumente sur tous les points à l’appui sans réserve des violences judiciaires que nous subissons. Mais la conclusion est le plus triste du morceau. Elle engage le programme commun de nos assaillants et de nos détracteurs : la prochaine campagne présidentielle. Arfi est plus direct que d’autres : « Le patron des Insoumis se rend-il compte de la violence symbolique d’un prétendant à la magistrature suprême qui pense pouvoir s’en prendre physiquement à un représentant du ministère public parce qu’il ne supporte pas d’être la cible de l’œil judiciaire ? Que se passera-t-il si un jour il atterrit à l’Élysée ? Qu’arrivera-t-il aux policiers et aux procureurs non soumis, auxquels il n’a d’ailleurs pas prévu de donner une totale indépendance, qui voudront enquêter sur un proche du président Mélenchon ? La réponse se trouve dans les images du 16 octobre, mais il n’est pas certain que le chef insoumis soit pressé, ce jour-là, de les diffuser sur

Facebook et Twitter. » Autrement dit il n’y a pas d’instrumentalisation de la justice par Macron mais il y en aura une si Mélenchon est président. On comprend mieux la hargne de tout le reste de ce texte si navrant de servilité pour le système qui alimente en fuites illégales le grand chef de « l’investigation ». Ne pourrait-on bénéficier au moins d’une trêve des règlements de comptes dans ce genre de situation extrême au moment où tout le système est en train de basculer dans une dérive autoritaire ? Résultat : pour les Insoumis et pour moi-même, le secret de l’instruction n’existe pas. Le but est de multiplier les occasions de ternir l’image des personnes concernées. C’est le système du pilori médiéval. Mais pourquoi faut-il que la presse cotise au système en garantissant son impunité ? Donc ce sont seulement des mots ces, soi-disant, « principes cardinaux de notre procédure pénale et du droit à un procès équitable que sont la présomption d’innocence et les droits de la défense » ânonnés par la caste des bien-pensants. Oui des mots seulement. On a donc raison de se révolter aurait publié Libération à l’époque où ce journal était maoïste. Car il l’a été. En tout cas nous voilà en correctionnelle ! Le procès politique spectacle est habilement prévu pour la rentrée. Ainsi sera assurée la meilleure visibilité aux acteurs du jour qui vont recevoir la lumière médiatique. Leur gloire devrait être garantie pour les repas de famille ! On fera face. Notons quand même : le procès aura lieu sans même attendre les conclusions de l’enquête de l’IGPN demandée par ceux de nos amis brutalisés ce jour-là par des policiers en perte de sang-froid. Mais, allons, pas de regret. Après l’affaire Steve que peut-on attendre ? Sans doute l’IGPN ne pourra-t-elle établir de coïncidence entre leurs blessures, bien physiques celles-là, et les coups qu’ils ont reçus.

1. Catherine Champrenault a été membre du cabinet de Ségolène Royal vers 2000 puis promue de façon « soudaine » par Christiane Taubira et François Hollande en 2014 au poste qu’elle occupe.

2. « Perquisition contre des élus : le choc des légitimités », Libération, 18 octobre 2018.

20 août, 8 heures Il y a quelques jours, pour le sondage de CNNPolitics, Bernie Sanders est placé en tête pour la primaire du Parti démocrate en vue de la prochaine élection présidentielle. Ainsi donc, sur tout le continent américain, la terre politique est en train de trembler. Une fois de plus. Les Amériques, comme on disait, sont en pleine ébullition. Au sud, ils répandaient que l’appétit pour les régimes populaires s’était retourné en ferveur pour le libéralisme. Le cycle électoral prouve le contraire. La contagion est au nord à présent. Le Mexique vient de quitter le rivage des politiques néolibérales. Et de quelle manière ! En un seul jour de vote. Le nouveau président Andrés Manuel López Obrador, en diminutif AMLO, a gagné dès le premier tour l’élection présidentielle avec davantage de voix qu’aucun président dans le passé. Et il a conquis la majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat. Les priorités ne sont plus les mêmes du jour au lendemain. La moitié de la population qui vit en dessous du seuil de pauvreté est devenue le centre des préoccupations. La lutte contre la corruption devient la tirelire officielle des nouvelles conquêtes sociales. La caisse qui reçoit les récupérations s’appelle « Caisse de récupération de l’argent volé au peuple ». Et les sommes récupérées sont officiellement attribuées à des programmes sociaux. C’est un pays crucial de 135 millions d’habitants. C’est ici qu’a eu lieu la première révolution sociale du XXe siècle. Il a été ensuite directement impliqué dans deux des plus violentes crises financières « régionales » de la fin de ce siècle, en 1982 et en 1994. Elles

annonçaient le désastre qui s’est accompli sur le plan mondial en 2008. Le fait marquant est là désormais. Cette vague n’est pas restée contenue par le mur de séparation avec les États-Unis. Elle travaille aussi le cœur de l’empire. L’incrustation dans le paysage politique de Sanders et de la nouvelle équipe des jeunes élus de sa mouvance est un signal de première grandeur. Lui, c’est l’homme de la sécurité sociale, du soin des pauvres et du bon salaire pour les ouvriers. Ça se voit de loin, ça se sent, les États-Unis sont entrés dans la boucle du grand changement. Chacun à leur manière, Obama et Trump en étaient des signes annonciateurs. Certes des signes paradoxaux puisque ni l’un ni l’autre n’a fait autre chose que de chercher à donner une chance supplémentaire à l’oligarchie de son pays. Mais d’une façon ou d’une autre les deux ont incarné une volonté populaire « dégagiste ». À présent, il s’agit de tout autre chose de bien plus radical. Quelque chose de plus constituant dans la mesure où c’est tout un peuple qui se recompose politiquement en proclamant qu’il a des droits inaliénables. Le droit à la santé dont Sanders fait son cheval de bataille est de cette nature. Il s’enracine dans la conscience de soi la plus intime. Aucun baratin raciste ou antisocialiste n’a de prise sur une personne diabétique dont la vie dépend d’un médicament dont le prix est notoirement gonflé. Quand Sanders participe à un voyage organisé de diabétiques pour aller acheter au Canada ce médicament qui coûte dix fois moins cher làbas, il participe à un processus collectif d’identification de classe. Ici il y a bien « nous », dans le car, et « eux », ceux qui nous préfèrent morts plutôt que de renoncer à leurs tarifs abusifs. Le retour des mots du socialisme dans l’espace public du débat démocrate est un résultat de cette maturation qui s’opère dans la profondeur du pays. La contagion des idées a sa dynamique. Quand des personnes se motivent pour leurs droits sociaux, elles sont bien vite conduites à s’interroger sur les raisons de leur situation en cessant de s’en rendre personnellement responsables comme le souhaiteraient les dominants. Quand le pauvre s’interroge sur les causes de la pauvreté, la terre tremble. Et quand les diabétiques s’interrogent sur les causes de l’épidémie qui les frappe, l’agroalimentaire peut

s’inquiéter, et ainsi de suite jusqu’au cœur du modèle productiviste qui détruit les êtres humains et la nature. Les peuples des États-Unis sont entrés dans cette turbulence. À mes yeux, c’est une chance pour nous. Le destin du cœur de l’Empire implique le monde entier. Du coup, on voit mieux quel rôle extraordinaire peuvent jouer les individus dans l’histoire. Andrés Manuel López Obrador, Sanders ou Corbyn, c’est avant tout l’histoire d’une résistance personnelle engagée contre vents et marées. Ils ont été isolés mais ils sont restés des points d’appui auxquels des forces populaires renaissantes ont pu s’accrocher pour s’affirmer. Andrés Manuel m’a fait la leçon sur le sujet parce que je relativisais le rôle que chacun d’entre nous peut jouer. « Il faut être persévérant. Les autres croient qu’ils peuvent tromper tout le monde tout le temps. Ce n’est pas vrai. Le peuple accumule de l’expérience. Il comprend et il juge chacun. Ne te laisse pas détourner de ta route. À gauche on critique toujours les leaders. C’est normal. Ne t’arrête pas à ça. Les conservateurs vont essayer de t’abattre. Ne te laisse pas impressionner. » Ses yeux brûlaient : « Moi, ils m’ont carrément mis en prison. » Une pause, avec un sourire en coin : « Ça ne les a pas avantagés. » AMLO a deux ans de moins que moi. Il a eu un infarctus il y a quelques années. Des zélés l’enterraient publiquement. En ce moment il paraît très en forme. Il rayonne. En fait l’action politique contient une énergie cachée. Car l’engagement est une manière de se mettre en contact avec la totalité du monde. On discute ses problèmes, on s’intéresse aux autres, on met son nez dans les sujets les plus baroques. De la sorte on finit par se sentir « uni par un lien magique à la plus petite poussière dans l’univers ». J’aime cette formule. Je l’ai trouvée dans mes vingt ans, sans jamais l’oublier. Je la tiens d’un roman d’un écrivain de science-fiction : Ray Bradbury ! Un jour, je devrai faire le point sur tout ce que m’a appris la « littérature de gare », comme disent ceux qui la méprisent si sottement.

20 h 30

Le comique s’infiltre partout. Heureusement. Il fonctionne comme une saine respiration. Ce soir, je pense au côté ridicule de mes assaillants dans l’épisode des perquisitions. Ceux-là, c’est le monde des Pieds Nickelés. L’amateurisme y règne en maître. Exemple : la convocation au tribunal correctionnel pour aller me faire condamner pour mes crimes le jour des perquisitions m’a été adressée au numéro 120 de ma rue. Pourtant je me contente de vivre au 38. Heureusement, grâce aux fuites de presse, j’étais au courant depuis un mois et demi déjà. C’est donc moi qui ai dû faire les recherches pour retrouver ce précieux document officiel. Ce sera une petite anecdote de plus sur le niveau lamentable de professionnalisme de mes agresseurs judiciaires. Car ils ont collectionné les bourdes les plus grotesques contre nous. La quasi-totalité des procédures en sont disqualifiées d’avance. Le jour des perquisitions, ce fut un festival. Mais c’est surtout le « n’importe quoi » qui frappe l’esprit. La procureure, grande stratège et meneuse de troupes, prétendait nous prendre « par surprise ». Sauf qu’en dépit de trois réunions de préparation des semaines avant l’action elle avait aussi oublié de donner les bonnes adresses aux policiers. Ils ne disposaient donc d’aucun repérage préalable. Après avoir parfois erré dans la rue, ils ont encore dû le faire dans les étages, frappant à chaque porte pour trouver leur client. On espère que ce genre de « surprise », comme les appelle la procureure de Paris, est géré avec plus de sérieux quand il s’agit de terrorisme ou de grand banditisme. Une fois dans la place, c’est tout en finesse. À l’un d’entre nous qui n’était pas à son domicile ce matin-là : « Ou étiez-vous cette nuit ? » Chez l’autre, c’est la colocataire dont le matériel est saisi, téléphone et portable. Elle n’a rien à voir ni avec l’une ni avec l’autre des « enquêtes préliminaires ». Ces photos de vacances sont à la disposition du juge. Chez une autre, les fins limiers fouillent chaque chaussure et toutes les poches des vêtements suspendus, démontent un meuble et examinent toute la cave. Du travail sérieux, diront les cyniques que cette violence n’impressionne pas tant que ce n’est pas chez eux que ça se passe. Évidemment le procès-verbal dérape un peu puisque les « enquêteurs » veulent y mettre aussi des mentions sur les courriers

de la famille. Cela sera refusé. Mais ils ont maintenu la liste des vêtements masculins et féminins, la description du contenu du frigo et la poussière dans la salle de bains. On comprend que les maniaques de la précision soient tellement épuisés après un tel effort ! Du coup, ils deviennent distraits et font des erreurs. Et quelle erreur ! Le lendemain à 18 heures, ils téléphonent tout affolés. Il faut revenir tout de suite sur place car ces messieurs-dames ont oublié dans l’appartement exploré à la loupe… un sac. Et celui-ci contient… les scellés. C’est-à-dire les pièces à conviction qu’ils avaient si laborieusement sélectionnées. Évidemment, l’intéressée ne peut dédier son emploi du temps à la police et se rendre sur place sur-lechamp. Et personne ne peut venir à sa place permettre aux piteux d’échapper au ridicule. Rageux, ceux-ci décident « puisque vous refusez de venir quand on vous le demande nous allons mettre les scellés sur tout l’appartement ». Aussitôt dit, aussitôt fait. Un magnifique plastique autocollant est placé en travers de la porte avec les mentions d’usage. Et on écrit en gros sur la bande plastique : « affaire Mélenchon » pour que nul dans le voisinage ne l’ignore. L’intéressée n’a plus qu’à chercher un autre endroit pour dormir ! Son propre appartement est séquestré. Les voisins peuvent commenter à loisir. La perquisition de flétrissement, c’est un art. D’ailleurs ici c’est déjà à un voisin qu’il sera demandé de signer le procès-verbal. Un ordinateur aussi est confisqué. Il sera rendu hors d’usage. Ça c’est de la perquiz, mon pote ! Au siège du mouvement, l’amateurisme va battre des records avec beaucoup de succès. Il faut dire que les esprits ne sont pas encore très clairs. On découvre dans les comptes rendus de leur audition que personne ne se rappelle exactement l’heure à laquelle il a commencé son travail. On note un écart d’une heure et demie selon les déclarations. Pourtant au rez-de-chaussée quelqu’un est catégorique. Un policier barre la route des Insoumis : « Personne n’entre, tout l’immeuble est perquisitionné. » Il nous aura pris pour des gamins de banlieue. L’immeuble est le siège d’une bonne dizaine de sociétés sans aucun rapport avec nous. On le dit au petit malin. Il semblait l’ignorer. Dès lors, il n’oppose plus aucune résistance au passage des amis. D’ailleurs, personne n’a l’air au courant de l’origine

de cette interdiction. Qui l’a décidée ? Qui a donné l’ordre ? Personne n’en sait rien. De toute façon, ce doit être une décision toute fraîche car deux députés sont déjà entrés plus tôt. Et l’un d’entre eux est même reparti sans problème. En fait, aller et venir est simple. Plus simple que ne le croit l’obscur tireur de ficelle qui aurait décrété l’interdiction de le faire. Pour entrer dans le local du mouvement, il y a trois portes. Une seule est gardée. Les deux autres ne le sont pas. Pourquoi ? Si tout accès est interdit comment se fait-il qu’on n’éprouve le besoin de ne garder qu’une seule porte ? L’une des trois, celle de la salle de presse du mouvement, s’ouvrira sans coup férir dès que mon ordre de le faire a été entendu de l’intérieur. Tout un tas de gens y ont pénétré dont un bon groupe de journalistes avant que je puisse moi-même entrer dans cette salle de presse. Ce qui prouve bien que l’interdiction n’était pas si évidente que ça. Mais pour entrer à l’endroit même de la perquisition c’était encore plus simple. C’est le moment de faire une révélation. Il suffisait de prendre le second escalier ou l’ascenseur monte-charge tout à fait libre d’accès dès le rez-de-chaussée. Mais cette intrusion violente n’était pas dans nos buts. Il s’agissait pour moi d’obtenir d’entrer tout ce qu’il y a de plus officiellement en faisant céder ceux qui avaient donné l’ordre contraire. Car il s’agissait de savoir ce qui était saisi et de m’opposer officiellement tout de suite à la confiscation du fichier en le faisant noter au procès-verbal. Il n’a jamais été question de mener une bataille rangée. Et nous sommes tous assez connaisseurs du droit pour savoir que ce serait un franchissement terrible. Quand je pousse sur la porte d’entrée réservée aux militants, je sais très bien que nous ne l’enfoncerons pas. D’ailleurs je le dis au policier qui est directement en faction devant. Échange burlesque. Moi : « Écoutez mon vieux ne vous mettez pas de profil on va finir par se toucher. » Lui : « Ben c’est à cause de mon arme de service. » Moi : « Sérieux ? Vous avez mis le cran de sécurité j’espère ! » Lui : « Ne vous inquiétez pas, c’est fait bien sûr ! » Moi : « Tant mieux ! Vous non plus ne vous inquiétez pas, personne ne vous touchera ! » Les policiers reconnaissent dans leur procès-verbal d’audition qu’ils ne se sont jamais sentis menacés physiquement. Les seuls qui ont perdu leur sang-froid, ce sont deux

policiers très nerveux à l’intérieur. Des amateurs. Ils se jettent sans raison sur des militantes et les précipitent au sol. Tous leurs collègues observent la scène d’un air navré. Il y a des journalistes partout. Le truc part en vrille de leur propre faute ! Soudain sans crier gare tout s’arrête, tout le monde s’en va. Ça, ce n’était pas prévu. Car nous ne saurons rien de ce qu’ils emmènent. D’ailleurs ils refusent de le dire. Une personne que j’identifierai ensuite comme une adjointe du procureur m’invective alors que je lui dis de continuer son travail maintenant que je suis dans les lieux. « Avec les vidéos on verra bien qui va porter plainte. » Ambiance Far West ou cour de récré. À mon domicile, le régime des entrées et sorties semblait plus aléatoire encore. Et toutes sortes de personnalités judiciaires, dont je suis bien incapable d’apprécier l’importance, sont là. Apparemment les règles ne sont pas les mêmes qu’au siège. Entrent chez moi à tour de rôle le député européen Younous Omarjee, un de nos avocats, Bernard Pignerol mon ami et conseiller spécial et, vers la fin, c’est mon assistante marseillaise qui arrive. Bref, il y a foule du coup puisque huit policiers se sont déjà installés un peu partout avec leurs ordinateurs sans oublier les magistrats. Mon ordinateur, mon téléphone sont siphonnés. Tout le reste n’intéresse personne. Quand on me rend mon téléphone, je décide que je m’en vais. Personne ne s’y oppose. Et c’est à la dernière arrivée, mon assistante, qui n’a été témoin de presque rien, qu’on fait signer je ne sais quel procès-verbal qu’on pourra lire ensuite dans la presse. Les trous dans la raquette aussi en disent long sur l’amateurisme de l’enquête. « Effet de surprise » prétend la procureure ! Quelle blague ! Un coup bien mal ficelé plutôt. Le manque de professionnalisme règne en maître. Par exemple, dans l’enquête sur les comptes de campagne, nos Sherlock Holmes ont juste oublié un personnage essentiel : le directeur de campagne, Manuel Bompard ! Quelqu’un a fini par s’en rendre compte. Bompard sera donc perquisitionné « par surprise » plus de trois mois après les autres. Cinq policiers à domicile à Toulouse. Mais Bompard navigue constamment entre Paris et Toulouse. Du coup il demande comment ces messieurs venus de Paris ont fait pour savoir qu’il serait à Toulouse ce jour-là. Il reçoit une réponse pleine d’humour : « Depuis

les auditions sur les perquisitions on vous a mis une puce pour vous suivre ! » Ça c’est de la poilade, non ? Et pour faire bonne mesure le même boute-en-train continue avec les mots qu’il entend à la télé : « De toute façon on est mieux ici qu’au Venezuela, non ? » Ça c’est de la police républicaine ? Ça c’est de la « justice indépendante » sans parti pris politique ? À d’autres !

21 août, 10 h 30 Bon je me suis décidé au réveil : j’ai lu avec attention le document rédigé par nos avocats au sujet du procès « pour rébellion » programmé pour septembre. Autant l’avouer : c’est drôle. Je crois que nos avocats mesurent comme moi la farce dont il s’agit. Cela se voit au ton de leur écriture. Ils s’adressent à un juge qui va découvrir cette affaire à travers leurs écrits et ceux des « plaignants ». Alors, tout en rappelant le droit, ils attirent son attention sur les nombreuses absurdités, parfois graves, commises par les procureurs et les policiers le matin où ils ont attaqué un mouvement politique. Mais déjà, à la lecture des motifs de l’incrimination contre moi, je me dis que ces gens nous croient aussi nuls qu’eux : ils sont aussi peu sérieusement rédigés qu’ils ont mené tout le reste de cette action. En voici un bout : on y apprend que je me serais rendu coupable des faits reprochés en étant « seul et sans armes », puis que je devrais être puni pour avoir agi « en réunion ». Je suis donc « seul, en réunion », un exploit rare qui vaut bien mes prouesses en hologramme.

17 heures Les perquisitions du 16 octobre avaient été suivies d’auditions libres d’une vingtaine de mes proches ou anciens employés. Elles ont duré des heures elles aussi. Entre cinq et dixhuit heures. Oui dix-huit heures ! Les questions sont souvent étranges et on devine que quelqu’un qui n’y connaît vraiment rien les a rédigées

ailleurs et avant. Même les policiers chargés de les poser sont parfois obligés de se consulter entre eux, voire de sortir de la pièce pour consulter une « ombre », et réussir à décrypter le sens d’une question. Entre ces moments de flottement, le matériel informatique qui plante ou l’imprimante, ou que sais-je encore, il vaut mieux s’armer de patience. D’autant que chaque réponse est consignée avec la maladresse de ceux qui regardent leurs doigts pianoter sur le clavier puis relèvent les yeux vers l’écran, corrigent, et ainsi de suite. Pour tâcher de prouver que mes assistants parlementaires ont travaillé pour le parti plutôt que pour moi comme député, on leur demande : « Quand vous ouvriez une lettre adressée à monsieur Mélenchon, comment saviez-vous si c’était au chef du parti qu’elle était adressée ou au député ? » Question métaphysique… Au-delà du comique, elle prouve une méconnaissance totale des usages français à propos de l’activité des parlementaires. En France, on ne distingue pas l’activité parlementaire de l’activité politique de l’élu. C’est écrit en toutes lettres et répété plusieurs fois dans le règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Quelle ridicule perte de temps que ces inquisitions au ras du bonnet ! Pour ce qui me concerne, la totalité des questions auxquelles j’ai dû répondre correspondait à des réponses déjà données par écrit au responsable du Parlement européen qui m’avait déjà interrogé à la suite des articles dans la presse. Apparemment aucun enquêteur n’était allé demander des nouvelles au Parlement européen. Il aurait suffi de me demander et tout était dit sans avoir besoin de mobiliser des fonctionnaires de police visiblement exaspérés par ce genre de séquence. Car ceux qui nous interrogent sont quand même par ailleurs chargés de lutter contre la fraude fiscale. Ce sont notamment eux qui ont enquêté sur les infractions fiscales de Carlos Ghosn ou, plus récemment, sur la vente d’Alstom à General Electric. Leur travail compte pour le pays. On peut comprendre que certains d’entre eux soient excédés de devoir lâcher des recherches aussi sensibles pour demander à une assistante payée à peine plus que le Smic si son bureau était dans la pièce de droite ou celle de gauche par rapport à l’entrée du siège du Parti de Gauche où se trouvait mon bureau.

Tout cet amateurisme dans la procédure et la gestion de la situation est une indication. On ne peut croire que tant de gens de ce niveau soient aussi nuls. C’est donc que le but n’est pas l’action mais son impact médiatique. Il s’agit de nous criminaliser aux yeux de tous. Et les quelques secondes d’énervement général fournies par la caméra de « Quotidien » à la police vont être une aubaine pour le plan de communication politique des macronistes. Mais il y a surtout la peur qui sera diffusée par cette action parmi nous tous, députés mal à l’aise dans un tel tableau et militants du siège du mouvement menacés d’être entraînés dans une tourmente destructrice. Évidemment à ce moment-là le pays n’est pas encore entré dans la phase de répression brutale et disproportionnée qui a banalisé la violence policière et judiciaire et rendu évident son contenu politique. Car tel est le revers pour les institutions de ce type d’agression. L’instrumentalisation politique de la police et de la justice est sans aucun doute un énorme atout pour le pouvoir. Mais c’est au prix d’un discrédit élargi pour ses agents. Ce n’est pas une société vraiment civilisée que celle où s’effacent dans la haine réciproque les frontières du respect mutuel entre les agents institutionnels et le commun des citoyens. Mais quoi qu’il arrive, si l’expression dit bien son message « force doit rester à la loi », encore faut-il que ce soit la loi républicaine et pas celle du Far West et des cow-boys.

22 août, 9 heures J’ai annoncé à mes amis que je ne serai pas avec eux pour l’université d’été de La France Insoumise. Étant sur le continent américain, je me faisais un devoir d’informer les camarades brésiliens que j’étais prêt à voyager pour rendre visite à Lula, prisonnier politique du gouvernement Bolsonaro. La date m’a été confirmée un peu tard mais je ne veux pas m’y soustraire. L’arbitrage entre rentrer au pays et rester encore quelques jours en Amérique me semblait évident. J’ai appris aussi qu’une université argentine, de sciences sociales et politiques, souhaite m’honorer… Je vais donc refaire mon sac : direction l’Argentine d’abord, puis l’Uruguay et enfin le Brésil. L’Argentine pour y recevoir un diplôme de docteur honoris causa d’une grande université1 qui a assis son prestige notamment dans les sciences sociales et les relations internationales. Ce pays, c’est une sacrée histoire pour moi. Mon grand-père y a d’abord émigré avant d’en repartir pour l’Algérie, miséreux comme un peigne sans dents. Puis je m’y suis engagé à fond dans la lutte contre la dictature des généraux Viola et Videla. Il s’agissait d’arracher le plus de monde possible aux camps de torture. C’est un livre à écrire. Les souvenirs de cette période ne doivent bénéficier d’aucun oubli. Car la junte militaire et ses complices ont massacré trente mille personnes. Parmi eux trente-deux Français. Je n’oublie rien. Je ne pardonne rien. L’unique décoration que j’ai

acceptée dans ma vie est celle que m’a attribuée le président Alfonsín, celui qui a rétabli la démocratie en Argentine et organisé le premier procès contre les généraux. J’avais tiré d’affaire deux femmes détenues au terrible camp de torture El Vesuvio. J’avais pris ma part dans une campagne formidable d’Amnesty International qui avait sauvé la vie à des dizaines de personnes. Puis j’ai accompagné ces deux femmes, témoins à charge, au procès. Je me revois onze heures durant à écouter. Sous une petite lumière au coin gauche devant moi, le magistrat le plus fantastique qu’on puisse imaginer : le procureur Julio César Strassera. Petite figure allongée, lunettes studieuses. Que son nom traverse les gouffres du temps et du néant. Seul, face au bataillon d’avocats des généraux qui démolissaient un par un tous les témoins à charge. Et lui, imperturbable, sachant que ce procès était par lui-même la démonstration la plus haute qui puisse être faite de ce qu’est la justice dans une démocratie. « Les brutes croyaient détruire des idées en massacrant ceux qui les portaient. Nous les jugeons sur des faits en leur donnant tous les moyens de se défendre. » Non seulement d’après la loi mais d’après l’esprit des droits humains qu’elle doit servir. Car le mal qu’ils incarnent infecte tout ce qui se trouve autour d’eux et nul ne peut se croire à l’abri d’en être atteint. Je revois ce témoin, une femme âgée, le chignon haut, à l’ancienne. Je l’observais de dos, droite sans toucher le dossier de la chaise comme se tiennent les dames de la bonne société argentine. « Oui, monsieur le juge, mon fils était un révolutionnaire et il lisait les livres des subversifs. Je le condamne pour cela. Il ne croyait plus en Dieu. Que Dieu lui pardonne. Il devait sans doute être puni pour tout ça. Mais moi ? Moi, je n’ai rien fait. Je crois en Dieu et je m’oppose aux subversifs. Pourquoi suis-je punie ? Qu’est-ce que j’ai fait pour qu’on me rende mon fils découpé en morceaux dans un sac en plastique ? »

22 h 30

La journée a passé en connexion avec la France, l’Argentine, le Brésil. Mes amis organisent mes voyages et mes rencontres. Les décalages horaires ne facilitent rien. Les uns sont dans la nuit, les autres dans le jour. On discute de chaque situation politique, ils m’apportent des informations précises sur les événements dans ces deux pays. Ce qui nous amène à parler de l’affaire qui vaut à Lula d’être emprisonné. Une question me taraude : « Savait-il qu’il n’y aurait pas d’autre issue que son enfermement ? » Je crois que l’équipe de Lula a fait une erreur en pariant sur la loyauté de la justice de son pays. On a les preuves maintenant que le soi-disant juge indépendant Moro était de mèche avec d’autres juges pour organiser sa condamnation sans preuve2. Sa récompense a été immédiate. Il a été nommé ministre de la Justice de Jair Bolsonaro, le président d’extrême droite. Mais l’erreur est de ne pas avoir vu comment le cadre juridique avait changé au Brésil au point de permettre une telle condamnation. Tirons-en la leçon. De notre côté nous ne devons pas faire comme si rien n’avait changé chez nous en France. D’année en année, les lois se sont durcies. Depuis dix ans, c’est pratiquement une loi par an en moyenne sur le thème de la sécurité intérieure. Aucun bilan n’en est jamais fait. On continue à rogner les libertés publiques. La méthode est toujours la même. De préférence le thème invoqué est la lutte contre le terrorisme. Tout le monde est tétanisé. Le problème, c’est que les méthodes prévues pour les terroristes sont aussitôt appliquées aux militants politiques et syndicaux. Mais plus frontalement, il s’agit de répliquer à des situations insurrectionnelles comme avec les émeutes de banlieue, surtout depuis 2005, puis sous Cazeneuve et Valls, et jusqu’à aujourd’hui. Dans ce cas se constitue une union sacrée des droites et d’une bonne partie du Parti socialiste pour adopter des textes liberticides. Il y a évidemment un lien direct très étroit entre le niveau des luttes écologiques et sociales et l’ampleur des répressions légalisées ensuite.

C’est le contexte de spoliation sociale et de saccage écologique qui explique le saut autoritaire opéré par le régime macroniste. De fait, en deux ans et demi, ce régime a produit une mutation profonde du régime des libertés publiques sous la houlette de Nicole Belloubet et Christophe Castaner. Ils sont entourés d’un large réseau de magistrats et de policiers liés à l’époque du PS hégémonique dont ils étaient membres tous les deux. Au point que par moments on se demande qui manipule qui dans cette chaîne d’interdépendance. Au total, ils ont rompu une longue tradition républicaine. Elle donnait la priorité à la protection des libertés publiques quand bien même les « va-du-menton » s’en offusquaient. Forte d’une majorité qui marche au son du canon, ils ont fini par se griser de leurs succès faciles. Jusqu’à se faire sévèrement remettre en place par le Conseil constitutionnel dont Belloubet a pourtant été membre. Elle y avait été désignée sous François Hollande en 2013. S’il y a une chose qu’elle sait faire, c’est bien « réseauter » ! Se faire des amis qui vous rendront des services et à qui vous rendrez des services. Le réseautage peut être un art de camouflage du trafic d’influence. Cette fois, le pouvoir macronien est allé trop loin. Dans une décision cosignée par les militants d’extrême gauche Valéry Giscard d’Estaing et Alain Juppé, il a censuré un nombre impressionnant de dispositions. Pour l’occasion, il a rendu sa décision la plus longue de son histoire. On ne découvre pas moins de 395 paragraphes au fil desquels sont mises à nu les contradictions entre cette loi et les droits les plus fondamentaux, et notamment ceux inscrits dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, abondamment citée. Une quinzaine d’articles, en tout, ont été retoqués, ce qui constitue un autre record pour une loi concernant la justice. Mais est-ce vraiment encore de justice dont il est question ? La loi scélérate prévoyait par exemple de permettre aux procureurs d’utiliser de manière illimitée les techniques d’espionnage sonore des lieux suspectés ou d’interceptions des correspondances électroniques. Comme d’habitude, ces trouvailles furent présentées comme une simple extension de méthodes déjà existantes. Car il est vrai qu’elles sont déjà autorisées dans un certain nombre de cas liés au terrorisme ou au grand banditisme. Dans ces cas, la défense n’a

aucun droit. Pourtant on voit bien la violence intrusive de ces méthodes. Mais Belloubet voulait encore étendre cette possibilité pour presque toutes les enquêtes. Heureusement, le Conseil constitutionnel nous en a provisoirement prémunis en censurant cette disposition. Il a aussi empêché l’autorisation de perquisitionner en pleine nuit le domicile de n’importe qui. Autre invention humaniste de la ministre bloquée par le Conseil : le jugement par téléconférence pour prolonger des détentions provisoires de suspects. J’évoque ici quelques-unes des dispositions choquantes de cette loi, celles qui nécessitent le moins de temps d’explication sur une page d’écriture. Je ne peux pas reproduire le débat parlementaire qui fut long, technique et très houleux. Les députés Insoumis ont défendu pied à pied la liberté. On peut relire aujourd’hui les réponses méprisantes de la ministre et les sarcasmes des députés de La République en Marche pour constater l’incroyable état d’esprit sécuritaire aveuglé qui anime ces gens. Il serait naïf de ne pas en prendre la mesure. Tout est contaminé. Sous Macron, même une loi sur l’école est une occasion pour chercher le moyen de faire taire son opposition sociale. La réforme Blanquer a inventé un « devoir d’exemplarité » de la part de la communauté éducative vis-à-vis de l’extérieur. La chose peut paraître inoffensive ou même positive pour les pisse-vinaigre. Mais d’après les mots du ministre lui-même, il s’agit de rappeler le « devoir de réserve » des enseignants et du personnel de l’Éducation nationale. Autrement dit, la Macronie a posé les bases juridiques pour pouvoir interdire aux enseignants de critiquer publiquement sa politique sur l’école. Cette interdiction est étendue à toute expression sur les réseaux sociaux. Cette mesure a été inventée par le ministère au moment même où un mouvement de professeurs s’organisait via les réseaux sociaux en dehors des canaux syndicaux traditionnels. Désormais, les enseignants qui affichent publiquement leur insoumission aux politiques éducatives décidées par le pouvoir s’exposent à des sanctions disciplinaires. S’ils y manquent, ils pourraient connaître le sort réservé dans la police à Alexandre Langlois. Lui a été mis à pied sans salaire pour avoir révélé plusieurs

dysfonctionnements graves et pour dénoncer le « management » qui pousse au suicide des dizaines de policiers. Pour faire passer ses trouvailles les plus visiblement dangereuses la Macronie n’a jamais manqué d’habileté de communication, il faut bien le dire. Le début du quinquennat commença dans ce domaine par un bon tour de bonneteau. Leur prétexte, la main sur le cœur paraissait si émouvante. « Pas possible de continuer à vivre sous l’État d’urgence, ce régime d’exception inventé pendant la guerre d’Algérie. » Conclusion ? La sortie de l’État d’urgence ? Non. Le contraire. Toutes les dispositions du régime d’exception ont été transférées dans la loi ordinaire. Trop fort ! Puis les droits que tout cela contenait ont encore réduit à chaque occasion au fil des lois sécuritaires. Jusqu’au moment où le Conseil constitutionnel a fini par ressortir du placard la Déclaration des « droits de l’homme et du citoyen » pour montrer à quel point Castaner et Belloubet dépassaient les bornes. Mais désormais, du fait des lois déjà votées et de ce que le Conseil a fini par valider ensuite, la France vit sous un régime plus dur que celui de l’État d’urgence ! À présent les autorités administratives peuvent prononcer des assignations à résidence, des perquisitions administratives sur la seule foi des notes secrètes du renseignement. Elles peuvent imposer des périmètres de sécurité avec fouille obligatoire autour de rassemblements. Et dans tous ces cas, bienheureux quand un juge peut contrôler ce qui se fait si peu que ce soit. Car le plus souvent son intervention n’est pas prévue. Désormais on ne peut passer à côté du bilan pour notre démocratie. Le voici : 95 % des mesures de privation de liberté et de droits prévues pour les terroristes sont appliquées à des militants politiques ou syndicaux. Vous lisez bien ! 95 % ! Sans parler des Gilets jaunes sur lesquels a été testé tout ce que la loi permettait en matière de brutalité contre les droits et libertés au sens où on les entendait avant le régime Macron. Face à cette insurrection citoyenne, de façon crue et sans faux-semblants, le régime ne mettait plus le masque de la

lutte contre le terrorisme pour cacher ses intentions réelles : interdire l’expression de ses opposants. Macron s’est ainsi offert cette possibilité normalement réservée aux régimes autoritaires. Une accusation exagérée ? J’entends encore la voix du député de droite Charles de Courson, pendant le vote de la loi anticasseurs. Celui-là est très loin d’être un partisan des Insoumis. Il a pourtant comparé à haute voix certaines mesures de cette loi à celles du régime de Vichy. Quoi qu’il en soit le Conseil constitutionnel n’a pas annulé toutes les trouvailles du gouvernement. Ce qui en reste est rude. Très rude. Notamment la possibilité, sur réquisition d’un préfet, de pratiquer des fouilles sur n’importe quelle personne dans et autour d’une manifestation. Fouille qui ouvre la porte aux gardes à vue et perquisitions désormais totalement intégrées à l’arsenal des brimades sans contrôle. Ou bien la création d’une peine d’un an d’emprisonnement pour quiconque se dissimulerait le visage en manifestation. Ces masques, ce sont aussi ceux que beaucoup portent pour se prémunir des effets de l’usage massif des gaz lacrymogènes, devenu systématique sous Macron. La loi Belloubet sur la justice a été un paroxysme. Elle contenait les mesures les plus répressives et liberticides sur le plan de la procédure judiciaire qu’on n’avait jamais vues. Son objectif était de renforcer de manière illimitée les pouvoirs des procureurs pour généraliser les méthodes expérimentées contre La France Insoumise, les militants écolos ou les Gilets jaunes. Elle donnait aux procureurs un pouvoir sans bornes dans le cadre d’une enquête préliminaire et pour toutes les enquêtes sur des crimes ou délits. On parle ici des pouvoirs absolus d’une seule personne, un magistrat statutairement dépendant du pouvoir. Nous parlons d’un type d’enquête dont les incriminés ne sont même pas officiellement informés et pendant laquelle la défense n’a pratiquement aucun droit. Depuis un an et demi que durent les deux enquêtes préliminaires contre moi, je n’ai jamais rencontré un juge ni eu connaissance d’une seule page du dossier qui me concerne et dont la presse diffuse pourtant de larges extraits.

1. L’UNLaM (Université nationale de La Matanza). 2. Le journal The Intercept a fait des révélations fracassantes à ce sujet après avoir réellement mené une enquête.

23 août, 7 h 30 Seul le décalage horaire me permet un lever de lièvre de si bonne heure. Le café tiède ouvre la journée. Pourquoi ai-je voulu regarder les gros titres de la presse des jours passés ? Ma sélection a été faite automatiquement par je ne sais quel robot numérique sans état d’âme. Je découvre les contorsions des officiels à l’occasion de la visite de Poutine en France. Macron affirme que la Russie n’est pas un ennemi mais un partenaire. Tant mieux, c’est ce que je dis depuis assez longtemps. La France n’a jamais rien à gagner à se fâcher avec la Russie. C’est une des plus solides leçons de l’histoire. Dommage que la Macronie médiatique m’ait agoni d’injures sur le thème. Les réflexes pavloviens sont toujours là. Je me fais donc traiter de « Poutinolâtre » par un ou deux rubricards qui n’ont pas pris note de la nouvelle ligne. Moi, je regrette juste de n’avoir pas pu demander des nouvelles de l’homme et du parti que je soutiens en Russie. Il s’agit de Sergueï Oudaltsov, président du Front de gauche, une petite formation courageuse et active dans les mouvements sociaux. Je suis allé, il y a un an, rendre visite sur place à Sergueï et à ses camarades. J’admire leur courage. Oudaltsov a déjà fait quatre ans et demi de prison pour avoir organisé des manifestations contre la deuxième élection de Poutine. Quand on le voit de près, tendu comme une corde à violon et dur comme un roc, on sait qu’il ne cédera pas. Et moi je sais que je ne le lâcherai pas. Au total on trouve à l’Élysée un meilleur « Poutinolâtre » que moi. Mais c’est une girouette.

22 heures Nul ne sera épargné. La dérive autoritaire n’épargne aucun secteur. Et les médias qui ne s’y intéressent pas devraient se méfier, la presse est aussi concernée. La haine des Russes permet bien des manipulations. Voyons cela. Macron était dans sa semaine antiPoutine cette fois-là. Il s’agissait selon lui de mettre sous surveillance la chaîne Russia Today. Avec Macron, la presse de son côté a intérêt à bien se tenir devant le pouvoir. Là encore le prétexte a eu un résultat prévisible. C’est toute la presse en ligne qui se trouve menacée des foudres d’un pouvoir mécontent d’elle. Ce fut le cas avec la loi « contre les fakes news », ces « fausses informations » qui soudain semblaient effrayer un gouvernement qui en produit pourtant lui-même tellement. Comique : au printemps 2018 a été adoptée une loi prétendant permettre de distinguer le vrai du faux. Des siècles de débats philosophiques tranchés par Christophe Castaner et Nicole Belloubet. Cette folle entreprise a donné lieu à quelques échanges comiques à l’Assemblée. Ainsi quand une collègue de droite rappelait au gouvernement que « l’enfer est pavé de bonnes intentions ». Je lui ai montré que son affirmation risquait de tomber sous le coup de cette loi. En effet, elle reposait sur trois « fausses informations » : d’abord que l’enfer existe, ensuite qu’il est pavé et enfin que le gouvernement a de bonnes intentions ! Mais le ridicule de ces prétentions n’a rien empêché : la loi a été votée. Elle tape fort ! Ainsi, il a été donné pouvoir au CSA, dont la composition dépend de l’exécutif, d’interdire en cours de campagne électorale la diffusion de certains sites internet. Et aussi des chaînes de télévision. Il peut le faire s’il considère que ces chaînes sont sous influence d’un gouvernement étranger et qu’elles agissent dans le but de déstabiliser notre pays. Comment le déterminera-t-il ? Il le déduira du contenu de la chaîne. Périlleux ! On connaît la musique ! Exemple : présenter des événements internationaux avec un autre biais que l’atlantisme habituel des médias officiels pourrait être une preuve suffisante de manipulation. En principe c’est la chaîne Russia Today qui est dans le collimateur. Pour nous, la question n’est pas de

défendre ce média en particulier, ni ce qui se dit sur son antenne. C’est en effet une télévision financée par la Russie et qui présente un point de vue russe sur l’actualité. Comme France 24 le fait pour la France dans les dizaines de pays à travers le monde où elle est diffusée. Mais vouloir faire fermer une chaîne de télévision parce qu’elle a une ligne éditoriale qui déplaît, quoi que l’on pense de celleci, c’est pouvoir faire fermer n’importe quelle autre. Au revoir le pluralisme dans le paysage médiatique. L’autre volet de la loi est encore plus sévère. Il confie aux multinationales qui gèrent les réseaux sociaux le soin d’organiser la censure des informations qu’elles mettent en circulation. C’est une grande première. Ici est instituée une censure privée, sans contrôle des institutions républicaines chargée de protéger les libertés publiques. Cette même logique a été suivie un an plus tard à l’occasion d’un texte voté au prétexte de la lutte contre la cyberhaine. Il oblige les plateformes internet à mettre en place une censure aux moyens d’algorithmes. Le résultat de cette méthode, testée par Google aux États-Unis en 2017, est connu : une baisse considérable du trafic de visiteurs sur les sites internet qui diffusent des contenus progressistes, pacifistes et socialistes. Dans ce cas les réclamations devront être formulées par des mathématiciens de haut vol mobilisés à chaque changement d’algorithme que voudra faire en toute liberté telle ou telle plateforme. Et bien sûr on ne saurait imposer dans de telles situations une cohérence des règles entre elles. Au revoir l’unité de la loi.

24 août Encore une « aurore aux doigts de rose » comme les nommait Homère. Voir des choses passer dans le ciel et que ce soit de grands oiseaux est désormais un spectacle assez rare. On s’y arrête d’instinct. Ici ce sont des pélicans. J’ai connu une époque où il y avait beaucoup de grosses bêtes partout. Mais dans les années 50 la population du globe est passée à deux milliards d’êtres humains. Il avait fallu deux cent mille ans pour atteindre le premier milliard. Et depuis tous les douze ans il y a un milliard de personnes de plus. Le caractère prédateur et destructeur du capitalisme de notre époque sur la nature est poussé jusqu’à l’extrême. À partir de 1950 toutes les courbes qui décrivent les activités destructrices de l’environnement deviennent exponentielles. Impossible d’ignorer que c’est insoutenable. Même si par je ne sais quel miracle le système devenait raisonnable, il est désormais impossible de renverser la tendance qui bouscule tous les cycles de notre écosystème. Les programmes politiques qui ne prennent pas en compte immédiatement cet objectif sont des bavardages nuisibles. Je me demande si les pélicans ont un cri. Je ne l’ai jamais entendu. Les gens des villes comme moi, qui vis entre Paris et Marseille, vivent dans le vacarme quasi permanent. Du coup on n’a pas pu se rendre compte qu’à l’inverse la nature devenait silencieuse. Les espèces se partageaient les bandes sonores pour que leurs individus communiquent entre eux. L’une après l’autre ces bandes sont devenues muettes. Le silence s’étend. Les archives sonores en témoignent. Même malentendant comme moi, on s’effraie de cette

sorte de silence qui n’a rien à voir avec le manque de bruits. Le silence du vide. Le silence du néant. Où sont passés les musiciens de la vie ?

23 heures Lois après lois, détails après détails, c’est tout un environnement législatif qui a été modifié de fond en comble. Le domaine de l’arbitraire et des privations de liberté s’est considérablement étendu. Le monde des droits collectifs et des libertés individuelles en France n’est plus celui d’une démocratie comme nous en avions l’usage et la tradition avant le régime Macron. Nous sommes devenus ce pays où la police a le visage de Christophe Castaner et la justice celui de Nicole Belloubet, deux politiciens carriéristes fuyards du naufrage du PS. Ils affichent le plus honteux bilan de violences et de répressions depuis de nombreuses décennies. Un bilan qui a valu à notre pays la honte d’un opprobre internationale. Pourtant en France les observateurs médiatiques semblent ne pas se rendre compte de la nouvelle situation. La télévision de l’État chinois se réclame de l’exemple des lois françaises pour demander qu’on l’imite en punissant d’un an de prison ceux qui manifestent avec un masque ! N’est-on pas en devoir de se demander comment on en est arrivé là ? Quand Poutine mis en cause pour son traitement des manifestants dans son pays peut répliquer en citant le sort réservé aux Gilets jaunes n’est-il pas temps de tourner la page de la cécité volontaire ? Car les alertes officielles n’ont pas manqué. Les macronistes les ont regardées de haut. Mais la dérive autoritaire a bel et bien été pointée sur la scène internationale. Et la France des officiels aurait dû en être meurtrie. Ce fut d’abord le Parlement européen. Pour qu’il vote une résolution comme celle-là il faut vraiment que la mesure soit comble, car d’habitude les eurodéputés ne connaissent de problèmes que dans les pays de la liste noire tenue à jour par les États-Unis. Cette fois-là ils condamnent sans détour « le recours à des interventions violentes et disproportionnées de la part des autorités publiques lors de protestations et de

manifestations pacifiques ». Puis c’est le Conseil de l’Europe. Il demande la suspension de l’usage des LBD et qualifie la loi anticasseurs de « grave ingérence dans l’exercice du droit à la liberté de réunion ». Le summum, c’est ce 6 mars avec la hautecommissaire aux droits de l’homme des Nations unies ! Ce jour-là les Nations unies demandent « urgemment l’ouverture d’une enquête sur tous les cas rapportés d’usage excessif de la force ». Au total dans tous les classements internationaux concernant les libertés, la qualité de la justice et de la police la France dégringole. Pourtant dans les classes moyennes sachantes, secteur charnière du corps électoral, la prise de conscience n’est pas au rendez-vous. Le régime a réussi à diaboliser toutes ses oppositions les unes après les autres dans le même registre du dénigrement et de l’appel au mépris de classe. Qu’il s’agisse de bestialiser un leader d’opposition ou de stigmatiser les « gens qui ne sont rien » la forme la plus moisie de la vieille réaction a trouvé un porte-voix et un visage qui lui fournit le prétexte des apparences juvéniles et entreprenantes. Neuf milliardaires détenant 90 % des médias du pays assurent le service après-vente. Mais pour finir une triviale réalité s’impose. Ce que l’on appelle le néolibéralisme est un régime à vocation autoritaire.

Mexico 25 août, 15 heures Temps maussade. Un coup d’œil sur mon robot lecteur. Les commentateurs économiques se font peur. La récession guette et avec elle une possible crise financière. J’y crois. Le problème n’est pas de savoir si cette crise va avoir lieu mais quand. Le capitalisme n’a jamais été un système stable. Mais il est dorénavant de plus en plus instable. De 1816 à 1929 on a connu quatorze crises en un siècle. Et douze ensuite en seulement quarante ans. Une mégabulle de dollars flotte sur le monde. Elle grossit tous les jours à mesure que les États-Unis font tourner la planche à billets. Les autres banques centrales se mettent à copier la méthode. Les indicateurs deviennent fous, les anciennes règles ne semblent plus fonctionner. La suite est écrite d’avance.

22 heures Il est remarquable que deux enquêtes, l’une aux États-Unis, l’autre en France, montrent comment ce sont les secteurs d’opinion attachés au libéralisme qui se montrent les moins attachés aux formes démocratiques du pouvoir. Le régime macroniste n’a pas encore rencontré de résistance victorieuse. Il agit donc comme s’il n’avait pas de limite. Un tableau rêvé par tous les pouvoirs autoritaires lui est acquis. C’est l’éclatement du front syndical incapable d’obtenir quoi que ce soit au moment où le code du travail a été disloqué puis la

fonction publique et ainsi de suite. C’est la fragmentation des mouvements sociaux. C’est la hargne des partis de la vieille gauche perclus de nostalgie de leur grandeur passée, hostiles à tout ce qu’ils ne contrôlent pas. Dans leur périphérie, c’est le goût des disputes théologiques inconciliables des lanceurs d’appels à l’union. Ils pullulent parmi les « ex » de tous les groupes et leurs bulletins paroissiaux concurrents. C’est la diabolisation méthodique dont j’ai fait l’objet, encouragée par toutes les jalousies et la perpétuation des querelles personnelles les plus mesquines, quand bien même ma candidature à la présidentielle a amené notre famille politique sur un podium qu’elle se contentait de commenter jusque-là. Bref, le monarque peut sourire de toutes ses dents pointues : le haut de la société est rassemblé, le bas est éparpillé. La machine à piller la société et la nature peut donc tourner à plein régime. Le maintien de l’ordre idéologique est assuré. Il s’ancre comme dans tous les régimes de tempérament autoritaire sur un étroit couplage du viol des libertés individuelles avec la volonté d’imposer par la propagande et la répression la plus implacable une pensée unique hégémonique. La Macronie est sur ce chemin. Nous savons à quoi nous en tenir. Les coupables sont donc les indifférents. Et aussi les sectaires, ceux qui se réjouissent des ennuis des autres pensant que leur tour ne viendra pas et qui se moquent de l’état de leur démocratie. Et tous ceux qui oublient cette vieille règle : la liberté, c’est d’abord la liberté de ceux qui ne sont pas d’accord. Et les « pas d’accord » deviennent très fâchés si l’on croit qu’il est possible de leur clouer le bec par la violence d’État. Le macronisme est une fin d’époque. L’oligarchie, le gouvernement des riches, n’a jamais été un régime stable. Celui-là l’est moins que d’autres. Il ne résistera pas aux surgissements des milliers de gens exclus des services dont leur vie dépend. Il ne survivra pas davantage aux tempêtes que vont déchaîner le changement climatique et la sixième extinction des espèces. Car c’est le régime de la bonne gouvernance des intérêts privés. Et notre époque est celle de la mobilisation pour l’intérêt général humain. L’adaptation de la civilisation humaine aux nouvelles conditions de son environnement naturel n’est compatible ni avec le règne de la concurrence libre et non faussée, ni avec celui de la main invisible du marché, ces deux piliers branlants de l’ordre

social établi et du désordre écologique qu’il engendre. L’ère du peuple est commencée, celui des multitudes humaines enchâssées dans les réseaux collectifs du monde urbanisé où nous devons vivre. Elle est porteuse de ces révolutions citoyennes qui ont déjà éclaté d’un continent à l’autre, avançant, reculant, mais indomptables.

26 août, 8 heures Le petit matin. Quelques lignes avant que commence la cohue de la nouvelle étape. Je me demande comment je vais réagir en retrouvant Lula. Je le revois. Ce jour-là il était sur le perron de mon ministère de l’Enseignement professionnel. On avait mis les petits plats dans les grands pour lui donner de belles images à diffuser au Brésil. Ses accompagnateurs pensaient à une visite formelle. Mais Lula est ancien ouvrier métallo, métier dans lequel il a perdu un doigt. Il n’en finissait plus de m’interroger sur la façon avec laquelle les Français enseignent les métiers. Ce n’était pas prévu. L’emploi du temps explosait. Pas lui. Tranquille. Lula avait un cadeau pour moi. Une humble horloge en plastique. Mais toutes les heures sont annoncées à grands cris d’oiseaux de l’Amazonie. Jamais deux fois le même à la suite. Combien de fois avons-nous bondi à la maison quand ils se mettent à crier ! Je peux dire que Lula compte les heures chez moi. Je n’arrive pas à m’en défaire.

14 heures Le moment est venu de donner à ce livre la définition du phénomène qu’il décrit à propos de notre procès politique. Il est temps de définir le lawfare. Lawfare. Encore un mot anglais. Il paraît que je ne prononce pas correctement « Lao ». C’est assez rare de me voir employer un mot anglais plutôt qu’un mot français. Si je le fais, c’est parce qu’il n’a pas encore d’équivalent dans notre langue. Pour le traduire, on dit : l’« instrumentalisation de la justice à des fins

politiques ». Mais cette expression ne rend pas compte de la dimension idéologique qu’il y a dans le lawfare. De toute façon il faut en rester à ce mot parce que c’est celui qui est utilisé par nos amis dans tous les pays où cette méthode est employée contre nous. Le lawfare est une arme au service d’une idéologie. Elle se répand dans tous les régimes libéraux. Elle est le symptôme de l’évolution spontanée des gouvernements libéraux en régimes autoritaires. Elle consiste à détruire par des méthodes judiciaires les personnes qui s’opposent à leur politique. La méthode a d’abord été utilisée largement contre les militants des mouvements sociaux. Elle est dorénavant entrée dans la sphère politique. Le lawfare a déjà frappé des femmes et des hommes politiques de premier plan. Évidemment cela s’est passé surtout en Amérique du Sud puisque c’est l’unique endroit au monde où ont été menées victorieusement des campagnes électorales contre les libéraux. L’unique région du monde où des gouvernements rompant avec les politiques sociales des libéraux ont été reconduits par de nouvelles victoires électorales. La contre-attaque ne pouvait passer de nouveau par des coups d’État militaire après l’expérience ineffaçable qu’en ont fait les peuples de la zone dans les années 70. Les putschs de policiers comme en Équateur n’ayant pas été probants une nouvelle technique s’est imposée. Elle frappe dès lors de tous côtés. La liste est désormais bien longue. On y retrouve presque tous les dirigeants de la vague démocratique qui a traversé ce continent. C’est l’ancien président du Brésil, Lula, c’est Cristina Kirchner, ancienne présidente de l’Argentine, c’est Correa, ancien président de l’Équateur. Mais aussi, en Europe, Pablo Iglesias en Espagne qui subit depuis quatre ans un acharnement médiatique et judiciaire sur le financement du mouvement Podemos. Il est accusé d’avoir perçu de l’argent vénézuélien… Accusation jamais prouvée. C’est même l’inverse puisqu’il a dénoncé des policiers payés par le ministère de l’Intérieur pour fabriquer de fausses preuves dans cette accusation. Les lois sont détournées de leur visée initiale afin d’organiser cette persécution. C’est le point de départ du lawfare : les régimes vont détourner un arsenal judiciaire existant pour lutter contre le

terrorisme ou le grand banditisme et mener leurs persécutions. Au besoin ils modifient par petites touches leurs dispositifs légaux pour rendre ce travail possible. Pour l’exécution, ils vont s’appuyer sur des juges et des procureurs, parfois des policiers, qui leur sont soit acquis politiquement, soit soumis pour leur carrière. Les politisés se fréquentent et manœuvrent parfois ensemble pour leur carrière en cherchant à « faire plaisir » à leur ministre de la Justice ou de l’Intérieur. Ils seront décorés, ils seront promus, ils seront protégés. Dès lors, pour eux, pensent-ils, persécuter un opposant est une aubaine de carrière ! Une occasion de montrer sa disponibilité. Le lawfare est rendu possible ensuite grâce à un usage méthodique des échanges de bons procédés avec certains médias. Ceux-ci vont déclencher les affaires : des fuites, des articles de presse qui sous-entendent sans démontrer ni prouver. Hop, le prétexte pour ouvrir une enquête est trouvé. Leur rôle ne s’arrête pas là : tout au long des enquêtes, ces médias distillent des bouts de procès d’audition. Bien sûr ils diffusent exclusivement la version des enquêteurs. En Mauritanie c’est d’ailleurs un journaliste qui porte plainte contre le principal candidat de l’opposition. Il obtient son incarcération pendant de longs mois avant de se rétracter. La caractéristique fondamentale du lawfare est qu’aucune preuve matérielle ne vient jamais corroborer les accusations. Kirchner aurait volé 600 millions de dollars : la police a eu beau fouiller tous les réseaux bancaires, elle ne trouve rien. Elle finira par percer les murs de sa maison. Chou blanc. Rien. Pas le début d’un billet vert litigieux. Lula a pris douze ans de prison sur la base du « doute » du juge Moro. Il aurait reçu un somptueux pot-de-vin : un appartement triplex. Où est cet appartement ? Personne ne le dira. Il n’existe pas. Mais le juge a un « doute ». Et cela suffira pour condamner l’ancien président. « Lula pourrira en prison », proclame celui qui a été élu grâce à l’élimination judiciaire de ce rival qui était donné gagnant dans les enquêtes d’opinion. Le brave juge indépendant Moro, de son côté, est aussitôt devenu le ministre de la Justice du nouveau président d’extrême droite brésilien, Jair Bolsonaro. Et ainsi de suite.

Autre composante essentielle du lawfare : les accusateurs. Il y a toujours des accusateurs « extérieurs » dans ces affaires de lawfare. Ils ont pour caractéristique d’être plus instables les uns que les autres. Pour Correa en Équateur, l’accusateur est un militant politique adverse. Il prétend avoir été enlevé et séquestré Aucune preuve de cela, ni d’ailleurs aucun mobile en vue. Mais il a été aussitôt placé « sous protection » de la police… aux États-Unis. Ces accusateurs qui s’épanchent dans les médias sans jamais être contredits, et la justice fait toujours en sorte de leur éviter d’être confrontés à ceux qu’ils accusent. Le lawfare, c’est aussi une violation des droits des mis en cause (comme on dit dans le langage judiciaire). Les droits de la défense en somme sont bafoués à chaque étape du lawfare. Ne pas avoir accès au dossier, ne pas avoir accès aux pièces sur lesquelles repose l’accusation, ne pas pouvoir avoir recours à certaines procédures, tel est le régime ordinaire. Les juridictions qui jugent elles-mêmes posent problème : être jugé par un tribunal dont l’une des figures fait partie des accusateurs, par exemple. Ainsi, alors que nous demandions le dessaisissement du tribunal de Paris du fait des propos tenus publiquement par Mme Champrenault, procureure générale, celle-ci a dépaysé le jugement à Bobigny. Pourtant elle a aussi la responsabilité de ce tribunal. On finit par être jugé par ceux-là mêmes qui nous accusent ! Le lawfare est une farce : quoi que vous fassiez, même si vous prouvez votre innocence, les accusations portées par les médias et l’acharnement des juges et procureurs feront en sorte que vous soyez enfermé dans les procédures le plus longtemps possible. Dès lors, vous êtes évidemment soumis à un pilori médiatique sans fin. Il fonctionne comme un feuilleton dont chaque épisode chasse la mémoire du fragile point de départ de l’histoire. Le résultat de cette méthode pour l’adversaire est considérable. Votre réputation est salie, votre énergie est consacrée en grande partie à vous défendre et, bien sûr, beaucoup d’argent est englouti dans ces affaires.

Le lawfare est une guerre judiciaire, médiatique et psychologique. La leçon des expériences montre qu’on ne peut rien négocier, rien stopper. Il ne faut donc jamais renoncer à mener cette bataille comme une bataille politique, un rapport de force. Jusqu’à ce que la réputation de l’adversaire devienne aussi discutée que celle de l’accusé sans preuve. Le juge Moro hier sanctifié est aujourd’hui considéré comme le prototype du magistrat corrompu par le goût du pouvoir et de la notoriété. Un malhonnête avec une toque qui a sacrifié à sa gloriole intéressée une figure mondiale du Brésil populaire. Ne jamais renoncer ! Accepter le combat, c’est déjà commencer à démanteler la stratégie de l’adversaire, car elle consiste à vouloir vous clouer dans l’espace des incriminations purement judiciaires là où il n’est question pourtant que de rapport de force politique. Il faut sans relâche démasquer et révéler ce qui se trame. Peu importe la quantité de personnes qui regarderont de près. Mais chacune d’entre elles compte. C’est elles qui vont comprendre et diffuser le rejet de la méthode, diffuser le nom des agresseurs et de leurs agents d’exécution. Et ça c’est l’échec moral du lawfare. Récapitulons. Le lawfare est une chaîne d’actions politiques hostiles qui commence avec une dénonciation sans preuve par des personnalités perturbées, se continue dans une campagne de presse hostile et se couronne dans l’ouverture de procédures judiciaires sans fin dans lesquelles l’accusé n’accède à aucun moment à son dossier. Le lawfare est désormais possible en France. D’abord expérimenté contre les syndicalistes et les lanceurs d’alerte, puis appliqué aux luttes écologiques, il fait ses débuts en politique avec le procès en correctionnelle contre les Insoumis. C’est la première démonstration chimiquement pure de ce procédé. Un jeu habile avec les médias de la part de personnalités perturbées, des accusations sans aucune preuve lancées de façon aguichante et rabâchées, un pouvoir politique aux aguets comptant sur un réseau d’amis magistrats politisés, une bonne provocation et hop le feuilleton tourne tout seul. Jusqu’au grain de sable qui fera dérailler le dispositif de l’agression.

27 août, 21 heures La vérité finit toujours par éclater. La question est de savoir : estce que la vérité suffit à innocenter ? Dans le lawfare votre innocence ne vous protège pas. D’étape en étape, chaque rouage couvre les abus de pouvoir du précédent. Sans fin. Seuls la résistance morale et le combat protègent contre la honte de la stigmatisation et les harcèlements du dénigrement. Le grain de sable finit toujours par arriver. Dans la justice, dans la police, dans les médias, partout existent aussi des consciences libres qui croient à la noblesse de leur métier et refusent de pendre comme des marionnettes au bout des fils tirés d’en haut.

30 août, 10 heures Décidément tous les aéroports sont les mêmes. Le monde rapetisse et s’uniformise. Comme les goûts les couleurs les maisons les vêtements. Ça ne me plaît pas. Je conclus mes lignes, l’ordinateur sur les genoux. Je vais à la rencontre de Lula. Lula est le plus connu et le plus spectaculaire des victimes politiques du lawfare. Il incarne le cas le plus grossier et le plus violent de manipulation judiciaire par le pouvoir politique. Lula n’a pas été autorisé à participer aux funérailles de son frère. Lula a pu voir sa famille quelques instants à la mort foudroyante de son très jeune petit-fils qui lui ressemblait tant. Lula est innocent. Lula est un combattant de notre cause universelle. Lula est un être humain rugueux et affectueux. Lula est notre frère dans la grande famille de notre idéal. Ses juges sont des misérables. Lui entre dans la galaxie de nos porte-flambeaux inoubliables.

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