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SIMÉON LE JUSTE: L’ AUTEUR OUBLIÉ DE LA BIBLE HÉBRAÏQUE
Judaïsme ancien et origines du christianisme Collection dirigée par Simon Claude Mimouni (EPHE, Paris) Équipe éditoriale: José Costa (Université de Paris-III) David Hamidovic (Université de Lausanne) Pierluigi Piovanelli (Université d’Ottawa)
Bernard BA RC
SIMÉON LE JUSTE : L’AUTEUR OUBLIÉ DE LA BIBLE HÉBRAÏQUE
2015
© 2015, Brepols Publishers n.v., Turnhout
All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2015/0095/31 ISBN 978-2-503-55306-1
P RÉFACE Qui est l’auteur de la Torah, ou du moins son rédacteur final ? En 2000, Bernard Barc publiait Les arpenteurs du temps. Essai sur l ’histoire religieuse de la Judée à l ’époque hellénistique aux éditions du Zèbre à Lausanne. La recherche biblique était alors marquée par la théorie de la Reichsautorization apparue en Allemagne dans les années 1980 : plusieurs historiens, comme Ehrard Blum et Peter Frei, développaient l’idée que la lettre d’Artaxerxès Ier (465-424) citée en Esdras-Néhémie 7, 11-28 était un témoignage parmi d’autres de la politique de l’empire perse visant à garantir la reconnaissance et l’obligation des droits locaux par les autorités de l’empire ; une telle politique supposait la mise par écrit des législations locales, qui prenaient alors leur place dans le droit perse ; la rédaction finale de la Torah, qu’on peut symboliser par le nom d’Esdras, devait être comprise à la lumière de cette politique d’autorisation impériale perse. Bernard Barc s’inscrivait au rebours de cette perspective : la rédaction finale de la Torah est beaucoup plus tardive ; elle doit être mise en relation avec le grand prêtre Simon, fils d’Onias II, dont l’auteur du Siracide fait longuement l’éloge au chapitre 50 de son livre et dont l’activité se situe dans les années 220-195 environ. Aux yeux de Bernard Barc, ce Simon n’est autre que Siméon le Juste (ha-çadîq), dont l’extrême attention portée à la Torah est rappelée au début des Pirqé Avot. Le livre de Bernard Barc a parfois été critiqué comme faisant la part trop belle à la numérologie, alors qu’il ne faisait que prendre au sérieux les règles de la gêmatria de la tradition juive. On y a aussi vu la démarche d’un spécialiste des textes gnostiques projetant sur la Bible un mode de penser ésotérique. Il est vrai que Bernard Barc est l’éditeur de quelques-uns des traités de Nag Hammadi et qu’il a contribué à la formation de plusieurs des coptisants du Québec. Mais il est aussi un hébraïsant de première force, recruté par l’Université française en 1967 pour enseigner l’hébreu biblique ; il m’a été d’un grand secours lorsque je rédigeais le volume des Nombres pour la collection « La Bible d’Alexandrie », paru en 1994. Dans le livre qu’il donne à lire aujourd’hui, Bernard Barc élargit son propos à l’ensemble de la Bible hébraïque, dont Siméon le Juste est à ses yeux l’auteur oublié. Ce que Siméon a élaboré, c’est un véritable « monument », - le mot revient souvent sous la plume de Bernard Barc : il veut dire par là que rien n’est laissé au hasard dans l’écriture de la Bible, ni la division en livres, ni la division en sections, ouvertes ou fermées, ni l’emploi des mots, dont aucun n’est superflu, ni leur survenue dans l’ordre du
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texte, ni l’orthographe elle-même, dont les variations sont significatives. La lettre est donc fondamentale. Et la lecture littérale s’impose, selon les règles que Bernard Barc dégage, par exemple lorsqu’il explicite l’algorithme des lettres bibliques. Mais cette lecture littérale de la Bible de Siméon à laquelle se livre Bernard Barc n’a rien à voir avec la lecture littérale de l’école d’Antioche des IVe-Ve siècle ou avec la lecture historico-littérale de la Bible qui s’est imposée dans le monde savant depuis la Renaissance : il ne s’agit pas de raisonner en termes d’histoire et de contexte historique, mais de déployer le sens du texte au fur et à mesure que l’on avance dans sa lecture. Il en résulte que, parfois, le sens littéral ainsi dégagé en vient à rejoindre ce que nous appellerions plutôt le sens caché ou allégorique. En fait, Siméon a un projet, qui peut se définir en deux phrases : d’abord, l’histoire se déroule conformément à un plan divin conçu par le Dieu Très-Haut et mis en œuvre par ses deux hypostases, Elohim et YHWH ; ensuite, le dessein du Très-Haut se manifeste dans la création par des nombres et des lettres-nombres organisés selon un algorithme, singulièrement l’année solaire parfaite de 364 + 1 jours. Il en résulte que Siméon obéit à des contraintes d’écriture, que Bernard Barc résume parfaitement au § 108, et qu’il éclaire au fur et à mesure que son ouvrage avance. 65 tableaux aident le lecteur à visualiser la déconstruction du projet de Siméon opérée par Bernard Barc. Pour lire avec profit pareil livre, il faut se débarrasser de nos modes habituels d’approche de la Bible. Il faut accepter que Siméon fonctionne un peu à la manière des grands rhétoriqueurs des XVe et XVIe siècles ou de l’Oulipo, illustré, entre autres, par Raymond Queneau, Georges Perec, Italo Calvino, Harry Mathews ou Jacques Roubaud. La Bible de Siméon n’est pas un ouvrage d’histoire ordinaire, qui enquête sur le passé et qui en fait le récit pour le donner à comprendre. Le passé correspond à un dessein de Dieu qui se déploie dans l’histoire et dont il est rendu compte au moyen d’un nombre limité de règles d’écriture. Beaucoup de biblistes n’accepteront pas de suivre Bernard Barc, dont la démarche est trop neuve pour être d’emblée convaincante. Mais même pour ces lecteurs récalcitrants, il y aura un bon usage du livre. C’est ainsi, par exemple, que le tableau 15 donné au § 93 sur les dates explicites de la Bible ne manquera pas de susciter la réflexion pour longtemps ; pourquoi, en effet, ces dateslà, et pas d’autres ? Au § 216, le tableau 55 sur une chronologie de l’histoire universelle impressionnera même les plus sceptiques des lecteurs. J’ai lu ces pages passionnantes et foisonnantes, mais parfois difficiles à suivre (notamment les § 134-141), avec mes interrogations de spécialiste de la Bible grecque des Septante et d’historien du canon. Au § 58, Bernard Barc suggère que la LXX aurait été traduite, non à Alexandrie, mais à Léontopolis, dans la cité des Oniades réfugiés en Egypte. C’est une idée qui n’avait jamais été avancée jusqu’ici. Certains septantistes ont
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bien exposé qu’une version rivale de la LXX, mais non la LXX elle-même, avait vu le jour à Léontopolis. D’autres ont situé la confection de la traduction d’Esaïe, et de ce seul livre, dans cette cité. Mais localiser la LXX à Léontopolis et la dater du milieu du IIe siècle contredit toutes les sources anciennes, qui sont unanimes sur Alexandrie et qui mettent la traduction en relation avec Ptolémée Lagos ou Ptolémée Philadelphe, au début du IIIe siècle avant notre ère. Vers 220, Démétrios le Chronographe semble bien citer le texte de la LXX. Cependant, on comprend bien pourquoi Bernard Barc est partisan d’une datation basse pour la LXX : elle permet d’attribuer à Siméon un rôle central. Mais ne peut-on imaginer que Siméon soit l’héritier de traditions textuelles antérieurs à lui, et dont la LXX serait en certains cas le témoin ? Prenons l’exemple des cinq livres de la Torah. Aux § 126-127 et 234, Bernard Barc attire l’attention sur le fait qu’Exode, Lévitique et Nombres, mais non Deutéronome, commencent par la lettre waw, qui signifie « et » ; il est clair que, littéralement, Exode s’ajoute à Genèse ; Lévitique, à Exode ; et Nombres, à Lévitique ; et qu’il en va autrement de Deutéronome. Cependant, la LXX offre une différence notable par rapport au texte hébreu massorétique : Exode ne commence pas par « et », kai en grec. Là où le texte hébreu offre deux ensembles, à savoir les quatre premiers livres et Deutéronome, la LXX en a trois : Genèse, Exode-Lévitique-Nombres, Deutéronome. Or, le texte hébreu samaritain et la Peshitta syriaque, traduite normalement sur l’hébreu, offrent le même texte que la LXX. On doit donc se demander si la LXX, le Samaritain et la Peshitta n’attestent pas l’existence d’un texte hébreu antérieur à celui de Siméon, dans lequel l’histoire de la création du monde et des patriarches était mise à part de l’histoire de Moïse et des Hébreux dans le désert ; par l’ajout du waw en tête d’Exode, Siméon aurait unifié ces deux histoires ; toutefois, dans les deux cas, Deutéronome aurait constitué un ensemble spécifique, sans doute parce que le locuteur n’est plus Dieu, mais Moïse. J’ai soumis à Bernard Barc la réflexion que je viens de retracer. Il m’a fait part de son désaccord, avec des arguments forts que je résume en quelques phrases. Selon lui, il n’est pas possible que Siméon ait introduit la complexe architecture arithmologique dont il est l’inventeur dans un texte hébreu préexistant. En effet, si le travail de Siméon avait consisté à peaufiner un texte hébreu à sa disposition, il faudrait que ledit texte ait déjà présenté, à quelques détails près, l’organisation généalogique de l’histoire biblique et les noms des personnages. Il aurait donc existé avant Siméon un texte ressemblant étrangement à celui de Siméon ! On ne peut qu’être sensible à cette argumentation, tout en rappelant que la question du personnage historique de Siméon le Juste est délicate, puisque Flavius Josèphe en fait le fils d’Onias I et le situe donc au début du IIIe siècle (Antiquités juives XII 43). Il est vrai que le consensus des historiens contemporains récuse ce témoignage et qu’ils sont pratiquement unanimes pour voir en
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Siméon le Juste le fils d’Onias II, comme le fait Bernard Barc. Mais ce qu’on peut suggérer est ceci : Siméon pourrait être le dernier maillon d’une lignée de grands prêtres qui aurait travaillé dans le même sens pendant un siècle. Mes remarques sur l’histoire du canon ont moins d’incidences sur les thèses avancées par Bernard Barc. Celui-ci s’inscrit dans la perspective du canon tripartite, Loi, Prophètes et Ecrits, qu’il ne discute nulle part. Pourtant, la plus ancienne réalité canonique que nous atteignons en lisant la Bible elle-même est soit la Loi soit l’ensemble constitué par la Loi et les Prophètes. Cette dernière appellation ne renvoie pas à deux sous-corpus, d’un côté la Loi, de l’autre les Prophètes : en 4 Maccabées 18,10-19, la Loi et les Prophètes comprennent non seulement Genèse, Nombres et Deutéronome, mais aussi Esaïe, Ezéchiel, Psaumes, Proverbes et Daniel ; dans l’Evangile de Jean 12,34 et 15,25, sous la mention de la Loi est introduite en fait une citation des Psaumes. Nous avons donc affaire, non pas à une Bible bipartite, mais à une Bible bi-définie ou bi-référencée. Cette Bible bi-définie est celle des tannaim, qui emploient l’expression « la Loi et les Prophètes ». La Bible tripartite apparaît seulement dans les années 200 avec les amoraim, chez qui il est question de la Loi et des Prophètes et des Ecrits. Les textes que les historiens du canon citent à l’appui de l’existence du canon tripartite dès l’époque maccabéenne prouvent seulement que l’expression « la Loi et les Prophètes » a été ressentie comme inappropriée pour rendre compte de livres qui ne relèvent ni du genre juridique, ni du genre prophétique. Alors, quel est le canon de Siméon ? Ne serait-ce pas celui qui est désigné par la Loi et les Prophètes ? On peut d’ailleurs se demander si l’expression « la hauteur de la double » de Siracide 50,2, que Bernard Barc commente au § 64-68 et dans laquelle il voit les deux tables de la Loi, ne pourrait pas désigner le canon bi-référencé, la Loi et les Prophètes. Le livre de Bernard Barc ne manquera pas de susciter d’autres interrogations et d’autres discussions. Nous n’en avons pas fini de nous souvenir de ce grand homme oublié : Siméon le Juste. Gilles Dorival Professeur émérite à l’Université d’Aix-Marseille Membre honoraire de l’Institut Universitaire de France (chaire « Judaïsme hellénistique et christianisme ancien »)
T RANSCRIPTION DE L’HÉBREU Chaque fois que la référence aux lettres hébraïques sera nécessaire, les mots seront cités sous leur forme consonantique ( )ראשיתet la transcription en sera simplifiée (ré ’chit) avec comme seul souci de permettre au non hébraïsant de « dire » ce que les lettres font « voir ». א
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ך,) ( כ 3
3
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(1) Dans la langue moderne ces lettres ne sont plus prononcées. (2) Les lettres h et kh sont prononcées approximativement comme le ch dur de l’allemand. (3) La deuxième graphie de ces cinq lettres ne se rencontre que lorsqu’elles apparaissent en fin de mot ( מלך: mèlèkh, mais מלכי: malki). La transcription des voyelles a été simplifiée (a é è i o ou) sans tenir compte des distinctions subtiles introduites par les ponctuateurs juifs (les Naqdanim) plusieurs siècles après la fixation du texte original. La transcription des noms propres présente un problème insoluble dans la mesure où on se trouve pris en tenaille entre une démonstration qui se fonde sur la lecture littérale des noms hébreux, mais s’adresse à un public accoutumé à l’onomastique de la Septante. On parlera donc de Moïse – le Moüsès des Septante – et non de Mochéh, de Salomon et non de Chelomoh. Inversement, lorsqu’il s’agira de personnages secondaires que la lecture traditionnelle laisse le plus souvent dans l’ombre (Irad, Mehouyaël etc.), on retiendra une orthographe simplifiée de l’hébreu, ce que l’on fera également dans les cas où la Septante a intentionnellement modifié les noms hébreux. Malgré sa célébrité, le Mathusalem de la Septante reprendra le nom de Métouchélah qu’il a dans l’hébreu.
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TR ANSCRIPTION DE L’HÉBREU
À l’époque de Siméon le juste (vers 200 avant notre ère), on pratiquait une « lecture littérale » de la Bible hébraïque, une notion qui n’a rien à voir avec notre « sens littéral » moderne qui, sans le dire, se conforme le plus souvent au sens transmis par la traduction grecque de la Septante ou la traduction araméenne des Targumim. Afin de ne pas rebuter inutilement le lecteur, le « sens littéral » des Bibles modernes sera conservé lorsque la démonstration n’en pâtira pas. Sauf indication contraire, les textes seront alors cités d’après la traduction d’Édouard Dhorme 1. Cette traduction déjà ancienne, présente le double avantage d’indiquer en note certaines corrections apportées au texte hébreu et s’efforce également d’être plus littérale que d’autres qui pourtant le prétendent. Lorsque la démonstration se fondera sur une reconstitution de la « lecture littérale » de l’hébreu telle qu’elle se pratiquait à la période du second Temple (avant 70 de notre ère), les citations seront systématiquement notées en italique. Il en sera de même lorsque les termes de ces citations seront explicitement repris dans le commentaire. Les hébraïsants pourront retrouver par eux-mêmes la justification de ces traductions en se reportant au texte hébreu. Les trente années d’études dont ce livre fait la synthèse ont par ailleurs été jalonnées par la publication d’articles qui en développaient certains aspects.
1. DHORME E., Ancien Testament, I-II, Paris, Gallimard, 1956-1959.
« Quant à Dieu lui-même, Moïse montra qu’il est unique, incréé, éternellement immuable, plus beau que toute forme mortelle, connaissable pour nous par sa puissance, mais inconnaissable en son essence. Que cette conception de Dieu ait été celle des plus sages parmi les Grecs, qui s’inspirèrent des enseignements donnés pour la première fois par Moïse, je n’en dis rien pour le moment ; mais ils ont formellement attesté que cette conception de Dieu est belle et convient à la nature comme à la grandeur divine ; car Pythagore, Anaxagore, Platon, les philosophes du Portique qui vinrent ensuite, tous, peu s’en faut, ont manifestement eu cette conception de la nature divine. Mais tandis que leur philosophie s’adressait à un petit nombre et qu’ils n’osèrent pas apporter parmi le peuple, enchaîné à d’anciennes opinions, la vérité de leur croyance, notre Législateur, en conformant ses actes à son discours, ne persuada pas seulement ses contemporains, mais il mit encore dans l’esprit des générations successives qui devaient descendre d’eux une foi en Dieu innée et immuable. » Flavius Josèphe, Contre Apion II, 168-169
« Pour entrer dans les temps fabuleux, il faut être sérieux comme un enfant rêveur. » Gaston Bachelard, Le droit de rêver
Introduction
DE LA LECTURE TRADITIONNELLE À LA LECTURE LITTÉRALE
Un jour de novembre 1981, je revenais d’un séjour de deux ans au Québec où j’avais participé, modestement, au lancement d’un projet très ambitieux d’édition des Textes de la Bibliothèque copte de Nag-Hammadi, projet qui, trente ans plus tard, devait aboutir à la publication des Écrits gnostiques dans La Bibliothèque de la Pléiade. Pendant ces deux années, je m’étais plongé dans l’étude du copte, oubliant totalement l’hébreu biblique, que j’avais auparavant enseigné pendant douze ans à l’université de Nancy. Un jour de novembre 1981 donc, après mon retour à l’enseignement de l’hébreu, mais à l’université Jean-Moulin de Lyon, j’étudiais dans les Avot de Rabbi Natan, l’un des plus anciens traités du judaïsme rabbinique, les péripéties qui ponctuèrent les douze premières heures de la vie d’Adam. À chacune de ces heures correspondait un enseignement ramassé en quelques mots : Comment Adam, le premier homme, fut-il créé ? La première heure sa poussière fut rassemblée. La deuxième, sa forme fut créée. La troisième, il fut fait golèm. (Avot de Rabbi Natan, Texte A, 1)
Le thème du rassemblement de la poussière d’Adam à la première heure avait été suggéré par le récit de la Genèse : Et Yahvéh-Élohim forma l’homme, poussière provenant du sol. (Genèse 2, 7)
Rabbi Natan donnait à l’article (ha-) placé devant le mot « sol » (ha’adamah) une valeur de plénitude et en déduisait que la poussière dont Adam avait été façonné avait été prélevée de la totalité du sol, des quatre coins du monde. Elle avait donc dû au préalable être rassemblée, ce qui rendait nécessaire ce premier acte du scénario de création d’Adam. La fabrication du golèm d’Adam renvoyait par analogie au seul texte biblique où ce mot était attesté, un psaume que les rabbins attribuaient à Adam lui-même et dans lequel le père de 1’humanité se désignait lui-même comme golèm en disant : « Tes yeux ont vu mon golèm » (Psaume 139, 16). On connaît le succès qu’aura ce thème. C’était l’acte trois des Avot de Rabbi Natan. Le même procédé était utilisé pour les heures suivantes. Chaque fois, le texte renvoyait de façon mécanique à un ou plusieurs textes bibliques. Il était donc évident que l’auteur avait voulu résumer en douze
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INTRODUCTION
énoncés, douze chapitres d’un enseignement sur Adam fondé sur une lecture littérale du texte hébreu. Un énoncé pourtant attira particulièrement mon attention, le deuxième, celui qui parlait de la création de la « forme » (çourah) d’Adam. Alors que le verbe « former » (yaçar) apparaissait effectivement dans le deuxième récit de création – « Et Yahvéh-Élohim forma l’homme, poussière provenant du sol » (Genèse 2, 7) – le substantif çourah dérivé de ce verbe n’était attesté que quatre fois, en tout et pour tout, dans la Bible et les quatre fois dans un même passage du prophète Ézéchiel. C’était donc sur ce texte que Rabbi Natan avait dû fonder son enseignement sur la forme d’Adam ! Pourtant, aucune de ces quatre occurrences ne semblait faire référence à Adam, mais pour dire vrai, le texte était difficile, voire incompréhensible, comme bon nombre de passages d’Ézéchiel. Partisan pour quelques heures encore de l’hypothèse de corruptions introduites par ses copistes, je tentai d’estimer l’étendue des dégâts qu’avait subis ce texte au cours de sa transmission. Pour ce faire, je me tournai vers la traduction grecque de la Septante – faite, pensait-on, sur un texte hébreu plus ancien que celui qui nous est parvenu – et je mis en parallèle les deux versions en m’efforçant de traduire l’hébreu de façon littérale sans me préoccuper de sens, mais seulement de syntaxe. HÉBREU
GREC
Toi, fils d’Adam, annonce la maison d’Israël, la Maison et ils seront honteux de leurs transgressions et ils mesureront un plan. Et s’ils sont honteux de tout ce qu’ils ont fait,
Et toi, fils d’homme annonce à la maison d’Israël la Maison et ils se fatigueront de leurs transgressions. Et annonce son aspect et sa disposition et eux recevront le châtiment de tout ce qu’ils ont fait. la forme (çourat) de la Maison et sa disposition Et tu décriras (diagrapsein) la Maison et ses sorties et ses entrées et toute sa forme (çourato) et ses sorties et tous ses commandements. et sa nature (upostasis). Et toute ma forme (çourati) Et tous ses commandements et toute sa loi, fais-les connaître et écris pour leurs yeux. et toutes ses lois, fais-leur connaître et décris (-les) devant eux. Et ils conserveront toute sa forme (çourato) Et ils conserveront tous mes préceptes (dikaiôma) et tous ses commandements et tous mes commandements et ils les pratiqueront. et ils les pratiqueront. (Ézéchiel 43, 10-11)
Bien que les deux textes aient été, de toute évidence, tissés sur une trame identique, de nombreux détails les opposaient. Dans trois cas sur quatre au moins, la « forme », attestée dans l’hébreu, était absente du grec. Pourtant, le traducteur semblait s’être astreint à rendre, mot à mot,
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un texte conforme aux canons du style hébraïque. La première partie de son énoncé suivait la règle du parallélisme, la deuxième, celle du chiasme (verbe-compléments / compléments-verbe), puis venait une conclusion. Le grec, de surcroît, ne présentait que peu de difficultés d’interprétation. Une voix ordonnait au prophète d’annoncer aux exilés la reconstruction du Temple (la Maison), de les inciter au repentir et à l’acceptation du châtiment et de les préparer à l’observance des règles cultuelles du nouveau Temple. Pour tout dire, le texte grec présentait les caractéristiques d’une traduction scrupuleuse faite sur un original d’excellente qualité. Le texte hébreu, au contraire, semblait avoir subi un cataclysme. Dès les premiers mots sa syntaxe faisait problème. Le sens du grec était clair. Le prophète annonçait à ceux qui étaient revenus d’exil la construction d’un nouveau Temple, le second Temple construit en 515 avant notre ère et détruit par les romains en 70 de notre ère. Le texte hébreu, en revanche, par le simple jeu d’un ’ét ( – )אתparticule de l’accusatif ou préposition – bouleversait le sens naturel. Trois traductions étaient en fait possibles : « Annonce (’ét) la maison d’Israël, (c’est-à-dire) (’ét) la Maison », « Annonce (’ét) la maison d’Israël avec (’ét) la Maison », ou encore « Annonce avec (’ét) la maison d’Israël, (’ét) la Maison ». Quelle que soit l’option choisie, on se trouvait en présence d’un discours théologique qui identifiait la maison d’Israël avec le second Temple. Une telle identification du peuple d’Israël avec le Temple, du Temple de chair avec le Temple de pierre, n’aurait pas été surprenante dans la bouche d’un Judéen du premier siècle de notre ère. On pouvait lire dans l’Évangile de Jean cette parole de Jésus : « Défaites ce sanctuaire et dans trois jours je le relèverai » avec la précision suivante : « Il parlait du sanctuaire de son corps » (Jean 2, 18-22). Dans un texte prophétique communément daté du VIe siècle avant notre ère, le thème du corps, temple de Dieu, paraissait pour le moins prématuré. Aussi déroutante était l’avalanche de substantifs hétéroclites qui suivait : « La forme de la maison et sa disposition et ses sorties et ses entrées et toute sa forme et tous ses commandements et toute ma forme et toute sa loi... ». Il était tentant, comme le proposait Dhorme, de restaurer ce texte ruiné de façon à lui donner un sens acceptable : Lire d’après les Septante weçarta « tu dessineras », au lieu de çourat « la forme du » dans le texte massorétique où ce mot figure quatre fois, indice évident de désordre. « Sa forme », au singulier leçon du qerê – c’est-à-dire de la lecture et non de l’Écriture – Après « ordonnances » on a pour la troisième fois le mot traduit par « forme », à supprimer d’après les Septante et quelques manuscrits massorétiques. À la fin au lieu de çourato « sa forme », lire, d’après le contexte, torotayw « ses lois », mot lu par les Septante, mais avec le possessif de la première personne. (Dhorme, p. 602, n. 11)
Dhorme s’était efforcé, en se fondant tantôt sur la Septante, tantôt sur quelques manuscrits hébreux tardifs, tantôt sur le contexte, de supprimer
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trois des occurrences de ce mot forme dans lequel il voyait « un indice évident de désordre ». Mais pouvait-il s’agir, comme il le supposait, de corruptions textuellesComment expliquer concrètement que des scribes, distraits ou incompétents, aient introduit, au fil de la transmission, par erreur, coup sur coup, par trois fois au moins dans un même passage, ce mot çourah qui n’apparaissait nulle part ailleurs dans le corpus biblique ? La seule hypothèse plausible n’était-elle pas d’admettre que ces corrections avaient été faites intentionnellement afin d’introduire dans le texte hébreu un enseignement sur la « forme » ? Se pouvait-il alors que l’une de ces occurrences du mot « forme » renvoie effectivement à la forme d’Adam comme l’enseignait l’auteur des Avot de Rabbi Natan ? Pour le vérifier, il fallait procéder par élimination. La première occurrence, « la forme de la Maison », désignait explicitement la forme du Temple. La troisième était construite, contre le cours du texte, avec un pronom possessif à la première personne, « ma forme », qui ne pouvait désigner que la forme de celui qui parlait à Ézéchiel. Or cet interlocuteur était identifié quelques phrases auparavant : L’esprit me souleva et me fit entrer dans le parvis intérieur et voici que la gloire de Yahvéh remplissait la Maison. J’entendis quelqu’un me parler de l’intérieur du Temple [...] Il me dit : « Fils d’Adam, tu as vu l’emplacement de mon trône et l’emplacement de la plante de mes pieds, où je demeurerai au milieu d’Israël pour toujours ; la maison d’Israël ne souillera plus mon saint nom [...] » (Ézéchiel 43, 5-7)
Malgré le mystère dont s’entourait le personnage, la mention de son « saint nom » suffisait à l’identifier à Dieu lui-même. L’expression « ma forme » ne pouvait alors que désigner la forme de Dieu. Il existait donc une forme du Temple et une forme de Dieu ! Mais quelle était alors la forme désignée par les autres occurrences ? Si une occurrence du texte faisait allusion à la forme d’Adam – comme le pensait l’auteur des Avot de Rabbi Natan – ce ne pouvait être que l’une de celles-ci. De même que l’énoncé initial juxtaposait Temple et maison d’Israël, la suite du texte juxtaposait deux « formes » dont la première était également celle du Temple : La forme de la maison et sa disposition et ses sorties et ses entrées et toute sa forme et tous ses commandements.
Puisque la première occurrence désignait la forme du Temple, la seconde ne devait-elle pas logiquement désigner, comme précédemment, la forme de la maison d’Israël ? Pour Rabbi Natan, Adam semblait donc représenter « la forme de la maison d’Israël ». Dans les récits du Paradis, il était en effet enseigné que Yahvéh-Élohim avait « formé » (yaçar) l’homme (Genèse 2, 7). Puisque Adam avait été formé, il possédait donc
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une forme dont héritaient ses descendants. Il était alors logique de voir en lui la « forme » de la Maison d’Israël. En fonction d’une telle lecture, les particularités du texte hébreu n’étaient nullement incohérentes mais donnaient au texte un poids théologique absent de la version grecque, en distinguant une triple forme organisée selon un schéma classique : Forme de Dieu Forme du Temple Forme d’Israël
Monde divin Lieu de la médiation Monde humain
Le texte d’Ézéchiel, lu de cette façon, devenait alors le fondement scripturaire de nombreux développements théologiques dispersés dans la littérature postérieure. Le texte juif du Midrach Rabbah qui enseignait : Grand est le pouvoir des prophètes qui représentent le créateur sous la forme (çourah) de la créature ! (Genèse Rabbah 24)
n’était-il pas une allusion au prophète Ézéchiel chargé de révéler la forme de Dieu aux descendants d’Adam, le premier homme formé à l’image de Dieu ? Un thème comparable apparaissait dans l’hymne de l’Épître aux Philippiens, l’un des premiers textes chrétiens : Tendez à l’unanimité entre vous et avec le Christ Jésus qui, possédant forme de dieu (morphê théou), n’a pas regardé comme une prérogative d’être égal à Dieu, mais s’est anéanti en prenant forme d’esclave (morphê doulou), en devenant pareil aux hommes. (Philippiens 2, 5-7)
Cette révélation d’une triple forme, bien que traitée différemment, se retrouvait également dans un texte gnostique qui m’était devenu familier lors de mon séjour à Québec : la Première Pensée à la triple forme (prôtennoia trimorphos) 1. Ces constatations m’incitèrent à formuler deux hypothèses. La première était que les enseignements des littératures chrétienne, juive et gnostique sur la « forme », loin d’être des développements étrangers au texte biblique, se fondaient en dernière analyse sur sa lecture littérale. La deuxième était plus surprenante encore. Tout concourait à montrer que la répétition du mot « forme » dans le texte hébreu ne devait rien au hasard mais avait été faite intentionnellement afin de fonder dans l’Écriture cet enseignement théologique sur la triple forme. Une question se posait alors. Pourquoi avait-on oublié cette lecture littérale du texte d’Ézéchiel ? Chez les chrétiens, cet oubli pouvait s’expliquer par l’abandon du texte hébreu au profit du texte grec de la Septante, qui 1. POIRIER P.-H., La Pensée Première à la triple forme (NH XIII, 1), QuébecLouvain, Les Presses de l’Université Laval-Éditions Peeters, 2006.
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ne mentionnait pas le thème. Le texte latin de la Vulgate, souvent présenté comme un retour à la « vérité hébraïque », aurait pu le faire réapparaître, mais il n’en avait rien été. Jérôme avait soigneusement continué d’occulter ce thème en traduisant les quatre occurrences de çourah par trois mots différents ( figura, descriptio, ordo) et en suivant la syntaxe du grec. La transmission du texte hébreu par les rabbins témoignait de ce même souci d’occultation. Les copistes avaient gommé de la lecture d’Ézéchiel cet enseignement sur la triple forme. Certes, l’Écriture étant protégée par le dogme de l’intangibilité, le texte n’avait pas été retouché, mais dans la marge du manuscrit Bl9a de Léningrad – devenue Petersbourg entre-temps – les occurrences de çourah qui renvoyaient à la forme de la maison d’Israël et à la forme de Dieu avaient été corrigées afin qu’à la lecture n’apparaisse plus que la forme du Temple. Cette rencontre impromptue avec le texte d’Ézéchiel suggérait une histoire de l’herméneutique biblique très différente de celle que décrivent les manuels, une histoire en trois actes. Le ou les derniers rédacteurs de l’Écriture hébraïque avaient à l’origine fixé le texte de façon à en permettre une lecture littérale qui débouchait, paradoxalement, sur un sens allégorique. Cette lecture littérale avait été connue et transmise jusqu’au deuxième siècle de notre ère au moins, – Rabbi Natan en témoignait –. Enfin, pour des raisons qui restaient à définir, cette lecture littérale avait été occultée au profit d’une autre lecture qui se serait développée au cours des dix-huit derniers siècles. Ce passage d’une lecture littérale ancienne à cette lecture nouvelle semblait par ailleurs être lié à un conflit qui, au début du second siècle de notre ère, opposa l’École d’Aqiba, défenseur de la langue du Sanctuaire, à l’École d’Ismaël, défenseur de la langue des fils d’Adam, conflit qui aboutit à la victoire sans partage de la seconde école. La nécessité de vérifier cette hypothèse me parut incontournable. Aussi, ce jour de novembre 1981, je décidai de quitter l’École d’Ismaël et d’aller m’asseoir aux pieds de Rabbi Aqiba afin d’être initié à la langue du Sanctuaire. Ce fragment autobiographique est, comme il se doit, une récriture des faits. Il a été rédigé dans l’année qui suivit ma rencontre avec ce que j’ai appelé, bien plus tard, la lecture littérale de la Bible. Il raconte, de façon honnête me semble-t-il, et sans aucun frisson mystique, comment je me suis trouvé entraîné dans une aventure intellectuelle qui dure depuis plus de trente ans déjà et dont ce livre présente les principaux résultats. Comment interprétait-on la Bible avant notre ère, c’est-à-dire avant la fondation du christianisme et du judaïsme rabbinique ? La venue du Messie pour les uns, la destruction du Temple pour les autres, provoquèrent un renouvellement profond de cette interprétation. Pour les chrétiens qui reconnaissaient en Jésus de Nazareth le Messie annoncé par les prophètes, ce premier siècle devint celui de la descente du Fils de Dieu sur terre. Pour les juifs, au contraire, ce siècle fut celui de la destruction du Temple et de
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la remontée dans les cieux de la Chekhinah, cette Présence divine désormais privée d’habitation terrestre. Alors que les chrétiens pensaient vivre dans un monde nouveau, les juifs restaient prisonniers du monde présent et accueillaient dans le corpus de leurs Écritures un livre qui répétait de façon obsessionnelle « qu’il n’y avait rien de nouveau sous le soleil » (Écclésiaste 1, 9). Si les premiers voyaient en Jésus celui qui accomplissait les prophéties, les seconds voyaient dans l’empereur romain qui brûlait leur Temple et leur ville, un nouveau Nabuchodonosor, les entraînant dans un nouvel exil. Pour les deux, une nouvelle relation au texte de la Bible s’instaurait. Les chrétiens abandonnèrent le texte hébreu des cinq livres de la Torah au profit de sa traduction grecque (le Pentateuque) et l’ensemble du corpus hébraïque (Tanakh) au profit de celui de la Septante. Ils enseignèrent que « la lettre tuait, mais que l’Esprit faisait vivre ». Ils ajoutèrent un Nouveau Testament à cet Ancien Testament qu’étaient devenues pour eux les Écritures judéennes. Les juifs rabbiniques, quant à eux, gardèrent le texte hébreu mais doublèrent la Torah écrite (Torah) d’une Torah orale, qui fut progressivement codifiée sous le nom de Michnah. Ils enseignèrent alors que « la Michnah était l’âme de la Torah ». Sans elle, la Torah était morte. Le paradoxe des deux religions naissantes fut donc de conserver le corpus ancien des Écritures qui était leur héritage commun, tout en déclarant que sa « lettre » était source de mort pour les uns ou écriture morte en attente d’une nouvelle âme pour les autres. En réalité, ce n’était pas l’Écriture ellemême que l’on déclarait morte ou source de mort, mais l’interprétation qui en avait été donnée à la période du second Temple, une interprétation que chacun entendait renouveler pour l’adapter aux besoins nouveaux de sa communauté. L’ancienne interprétation – qui s’était élaborée de 200 avant notre ère à 70 de notre ère – perdit progressivement le statut officiel qu’elle avait eu pendant les derniers siècles du second Temple. On cessa de l’enseigner tout en en gardant le souvenir, voire la nostalgie. Et chacun put extraire de cet édifice ruiné, les pierres qui lui convenaient en les retaillant de façon à les intégrer à la nouvelle interprétation qu’il construisait. Pour nous qui arrivons deux millénaires après ces événements fondateurs, vingt siècles pendant lesquels l’interprétation du texte biblique a continué d’évoluer et a vécu de nouvelles périodes de refondation, l’interprétation qui avait cours à la période du Temple est devenue irréelle, entachée par une subjectivité, voire une fantaisie, que l’exégèse actuelle héritière du rationalisme n’a pu que rejeter. Pour se faire une première idée de l’antinomie des deux approches et mesurer ainsi l’abîme qui s’est creusé entre l’interprétation moderne et celle de la période du Temple, le plus simple est de partir de l’hypothèse qui fut à l’origine de la critique moderne.
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Cette hypothèse fut formulée en 1753 par Jean Astruc 2 (1684-1766) à propos du récit du Déluge, qui nous montre Noé tiraillé entre deux interlocuteurs divins – Yahvéh et Élohim – qui lui donnent des ordres contradictoires. Cet épisode du Déluge doit être replacé dans un panorama de l’histoire universelle que l’on nomme « Récits des origines » et qui va de la création d’Adam à la prise de possession de la terre par les soixante-dix peuples qui furent dispersés après le Déluge, suite à leur tentative avortée de construire la tour et la ville de Babel 3. Après avoir décrit la création du monde, puis l’histoire d’Adam, d’Ève et de leurs trois fils Caïn, Abel et Seth, l’auteur reconstitue la généalogie de l’humanité jusqu’à la onzième génération, celle des fils de Noé. C’est alors que Noé reçoit l’ordre de sélectionner les humains et les animaux qui monteront avec lui dans l’Arche. Dans un premier temps, c’est Élohim, qui donne ses consignes : De tous les animaux, de toute chair, tu en introduiras deux de chaque espèce dans l’arche pour les garder en vie avec toi : ils seront mâle et femelle. Des oiseaux selon leur espèce, des bestiaux selon leur espèce, de tous les reptiles du sol selon leur espèce, il en viendra deux de chaque vers toi pour sauvegarder la vie. (Genèse 6, 19-20)
Immédiatement après, c’est au tour de Yahvéh d’intervenir pour rectifier les ordres d’Élohim : De toutes les bêtes pures, tu en prendras pour toi sept et sept, le mâle avec sa femelle, et de toutes les bêtes qui ne sont pas pures, deux, le mâle avec sa femelle. Également des oiseaux des cieux, sept et sept, mâle et femelle, pour faire survivre la race à la surface de toute la terre. (Genèse 7, 2-4)
Et Noé exécuta cet ordre aussi scrupuleusement que le précédent. Pour justifier ces commandements contradictoires, la plupart des commentateurs modernes reprennent sous des formes diverses la solution proposée par Jean Astruc. Jean Louis Ska, professeur d’Ancien Testament à l’Institut Biblique de Rome, donne dans son Introduction à la lecture du Pentateuque 4 un résumé clair de ces solutions et considère, pour sa part, que le récit du Déluge « cache sa dualité derrière une unité de composition ». On peut assurément lui trouver une cohérence superficielle, mais celui « qui lit attentivement le texte ne peut pas ne pas noter certaines tensions surprenantes ». Ska en relève six parmi lesquelles les deux qui viennent d’être citées : d’abord une tension entre « les ordres divins : Dieu demande à Noé 2. ASTRUC J., Conjectures sur la Genèse, introduction et notes de Pierre Gibert, Paris, Noêsis, 1999. 3. Je conseille au lecteur de lire ou de relire, dès maintenant, les onze premiers chapitres de la Genèse dans une traduction. C’est en effet à cette section que l’on nomme « Protogénèse » que se réfèreront pour l’essentiel les analyses à venir. 4. SKA J.-L., Introduction à la lecture du Pentateuque. Clés pour l ’interprétation des cinq premiers livres de la Bible, Bruxelles, Lessius, 2000.
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de prendre avec lui un couple de chaque espèce animale ou sept couples d’animaux purs et un couple d’animaux impurs » et une autre tension créée par l’emploi des noms divins, Yahvéh : (= le tétragramme YHWH) ou Dieu (= Élohim) ». Et Ska, à la suite de Jean Astruc, de tirer de ces tensions la conclusion qu’il existe en fait deux récits, l’un dans lequel Dieu porte le nom d’Élohim, l’autre dans lequel il porte le nom de Yahvéh et de montrer qu’en prenant pour guide l’emploi des noms divins dans l’ensemble du récit du Déluge, on parvient à reconstituer deux scénarios qui présentent, chacun, une cohérence certaine, quoique imparfaite. Cette présence d’un double récit est une évidence qui s’impose effectivement à tout lecteur attentif et qui s’imposait donc aux lecteurs judéens d’avant notre ère lorsqu’ils scrutaient les Écritures. Mais cette même constatation a conduit anciens et modernes à des conclusions opposées. L’explication retenue par la majorité des exégètes modernes est que « le récit du déluge est le fruit d’un travail rédactionnel qui a combiné deux récits parallèles et complets du même événement » et que « mis à part quelques rares cas, le travail rédactionnel a conservé ces textes antérieurs dans leur intégrité ». Ce qu’il faut avant tout retenir de cette hypothèse – car c’est là que se situe le point de rupture avec l’interprétation ancienne – c’est l’affirmation d’un travail rédactionnel qui aurait reproduit deux versions contradictoires du Déluge, en les fusionnant dans un seul récit, mais sans se permettre de les harmoniser afin d’en éliminer les incohérences. Ont été proposées d’autres solutions moins radicales qui admettent un seul récit primitif, celui de l’Élohiste, auquel des ajouts Yahvistes auraient été faits afin de répondre à des préoccupations nouvelles. Mais cette hypothèse, comme la précédente, maintient que le glossateur Yahviste aurait inséré ses propres remarques sans se soucier des contradictions qu’il introduisait dans le récit antérieur. L’hypothèse alternative a été formulée de façon particulièrement claire par Philon, un juif d’Alexandrie contemporain de Jésus, qui se consacrait à l’interprétation allégorique de la Loi dans sa version grecque. Il expliquait la présence des noms divins de Seigneur (kurios = Yahvéh) et de Dieu (théos = Élohim) d’une toute autre manière en l’associant aux deux chérubins qui surmontent l’arche d’alliance (Exode 25, 18-20). (Ces deux noms représentent) – disait-il – les deux facultés les plus vénérables et les plus hautes de Celui qui Est, la faculté créatrice (poiètikè) et la faculté royale (basilikè). Sa faculté créatrice est appelée Dieu (théos), c’est grâce à elle qu’il a mis en place, créé et ordonné cet Univers. Sa faculté royale est appelée Seigneur (kurios), par elle il commande ce qui existe et gouverne avec justice et fermeté. En effet, puisque seul il est véritablement, il est indubitablement Créateur, car il a mené le néant à l’existence et, par
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nature, il est Roi, car personne n’aurait plus de droit à commander ce qui existe que son Créateur 5.
Dans un autre traité, il reprend le même thème à propos des trois hommes qui apparurent à Abraham (Genèse 18). Lorsque l’âme, comme au soleil de midi, est toute illuminée de Dieu, et que, comblée de part en part de la lumière spirituelle, elle est laissée sans ombre par les rayons diffusés autour, elle saisit une triple vision d’un seul objet, l’objet lui-même comme réalité, et d’autre part, comme deux ombres qui rayonneraient à partir de lui […] En fait, il y a au centre […] le Père de l’Univers et de chaque côté, les Forces les plus anciennes et les plus proches de l’Être, la Force créatrice et la Force royale. Le nom de la force créatrice est Dieu, c’est par elle en effet qu’il a établi et organisé l’Univers. La force royale a comme nom Seigneur, il est juste, en effet, que ce qui a fait, gouverne et domine ce qui est 6.
Et Philon de conclure : Il y a trois rangs parmi les dispositions de l’âme de l’homme. À chacun d’eux revient l’une des visions que l’on a dites. Au meilleur, la vision centrale, celle de l’Être qui est pleinement, au suivant la vision de l’être tourné vers la droite, celle du bienfaiteur dont le nom est Dieu ; au troisième la vision tournée vers l’autre côté, celle du Souverain qui a comme appellation Seigneur 7.
Appliquée au récit du Déluge, la théorie philonienne signifie donc qu’en suivant les directives de Yahvéh et d’Élohim, Noé ne fait qu’exécuter fidèlement les ordres d’un Dieu caché unique, à la fois créateur et gouverneur du monde, « le Père de l’Univers ». On entre alors dans une autre démarche exégétique qui conduit à l’interprétation suivante du récit du Déluge. Si les ordres du Créateur et ceux du Roi sont différents, c’est en fait parce qu’ils s’adressent à des hommes différents. En tant que Créateur et sous l’appellation d’Élohim, le Père de l’Univers donne à Noé l’ordre de faire entrer dans l’arche des animaux destinés à l’ensemble des hommes, c’est-àdire aux soixante-dix nations qui seront dispersés après le Déluge, puis, en tant que Roi et sous le nom de Yahvéh, il lui donne l’ordre de faire monter dans l’arche les animaux destinés au peuple qui sera choisi pour mettre en pratique sa Loi, c’est-à-dire au peuple d’Israël. Cela explique pourquoi, à la différence d’Élohim, Yahvéh prescrit à Noé de distinguer les animaux purs 5. Philon d’Alexandrie, De Vita Mosis II, 99-100, MONDÉSERT CL. et alii, Philon d ’Alexandrie. De Vita Mosis, Paris, Le Cerf, 1967, p. 237 (Les œuvres de Philon d’Alexandrie 22). 6. Philon d’Alexandrie, De Abrahamo 119-121, éd. J. Gorez, (Les œuvres de Philon d’Alexandrie no20), Paris, Le Cerf, 1966, p. 73. 7. Philon d’Alexandrie, De Abrahamo 124, éd. J. Gorez, (Les œuvres de Philon d’Alexandrie no20), Paris, Le Cerf, 1966, p. 75.
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des animaux qui ne le sont pas, conformément à la loi sur le pur et l’impur qui sera promulguée au Sinaï et destinée au seul Israël (Lévitique 11). Une interprétation fondée sur le principe philonien rejette donc a priori l’hypothèse d’une incohérence de l’Écriture au profit d’une approche indéfectiblement confiante qui fait le pari que chacun des détails en apparence contradictoires du récit du Déluge – aussi bien l’opposition des Noms divins, que celle des nombres, des espèces animales ou du pur et de l’impur – doit concourir à la manifestation d’une cohérence supérieure cachée et réservée aux seuls initiés. J. L. Ska parlait d’une dualité de récits se cachant derrière une unité de composition, Philon défend la proposition inverse et entend démontrer que la dualité apparente des interventions divines concourt en réalité à la réalisation d’un plan unique du Père de l’Univers. Ces deux lectures sont bien évidemment inconciliables et nous placent face à une alternative. Ce récit du Déluge est-il le résultat d’une rédaction qui aurait privilégié le respect des sources au détriment de la cohérence en juxtaposant sans précaution deux versions contradictoires ? Cette composition aurait-elle ainsi pris le risque non seulement de discréditer cette Torah qui prétend être une vérité révélée, mais aussi de suggérer l’existence de deux divinités antagonistes ? Ou bien ce récit est-il, au contraire, une construction savante dont la cohérence profonde se cacherait derrière des contradictions de surface ? Serait-ce un récit destiné à une double lecture ? La lecture superficielle rendue aussi bien par les traductions anciennes que modernes se doublerait-elle d’une lecture allégorique fondée sur la lettre de l’Écriture et réservée aux seuls initiés ? Bien que la justesse de l’intuition de Jean Astruc soit de plus en plus remise en question, l’hypothèse alternative qui vient d’être suggérée par Philon n’est pas prise en considération actuellement, car trop d’évidences, ou jugées telles, s’y opposent. Pour que l’hypothèse philonienne soit pertinente, il faudrait en effet non seulement que le texte ait été écrit de première main par un seul auteur, mais aussi que celui-ci ait été initié au maniement de l’allégorie, une technique qui s’est élaborée en milieu grec et que les Judéens n’ont pu maîtriser qu’après avoir adhéré à la culture hellénistique. De plus, pour qu’une telle interprétation allégorique s’impose, il aurait également fallu que l’élite des croyants, constituée en majorité par la classe sacerdotale de Jérusalem, eût été acquise à cette culture hellénistique. De telles conditions n’ayant pu être remplies, si elles le furent, qu’après une hellénisation de plusieurs générations, il faudrait alors dater la rédaction finale de la Torah au plus tôt de la seconde moitié du troisième siècle avant notre ère. Or il existe un témoignage dont la valeur historique est reconnue, celui du Livre d’Esdras-Néhémie, qui atteste que ce texte de la Torah existait déjà à la période perse, vers 400 avant notre ère, donc au moins un siècle avant que la culture grecque ne commence vraiment à se répandre en
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Judée. De plus, cette date de 400 avant notre ère se trouve confirmée par la Lettre d’Aristée à Philocrate, qui atteste que cette Torah a été traduite en grec vers 282 avant notre ère, donc quelques années seulement après le rattachement de la Judée au royaume grec d’Alexandrie, ce qui implique que l’original traduit remonte la période perse. La valeur accordée par les historiens aux témoignages d’Esdras et d’Aristée s’explique en partie par le fait que ces deux livres, probablement écrits au second siècle avant notre ère, respectent les canons de l’historiographie grecque. Les textes de la même période qui se prononcent en faveur d’une promulgation de la Torah à la période hellénistique ont au contraire été écrits en fonction de règles qui, a priori, ne plaident pas en faveur de leur valeur historique. Ces textes judéens partent en effet du principe que la Bible révèle un modèle universel de l’histoire et que, par conséquent, seuls les événements de la période postbiblique dont on peut démontrer la conformité au modèle révélé méritent d’être considérés comme historiques. Le rôle de l’historien qui épouse cette thèse consiste alors, non pas à rapporter les faits de façon objective, mais à découvrir ceux qui, dans le flot ininterrompu des événements, relèvent réellement de l’Histoire. Il lui faut alors traduire ces faits en des termes qui mettent en évidence leur conformité avec le modèle biblique. Il n’est donc plus question de rapporter les faits historiques pour eux-mêmes mais d’en donner une version théologique conforme au modèle révélé. Pour déchiffrer de tels témoignages, il est alors nécessaire d’identifier au préalable les modèles bibliques auxquels ils renvoient. Dans certains cas, la référence scripturaire est explicitement donnée, introduite par des formules telles que « conformément à l’Écriture » ou « parce qu’il est dit » ; l’identification du texte qui doit servir de modèle à l’interprétation de l’histoire se fait alors sans difficulté. Mais le plus souvent la référence à l’Écriture est plus subtile et seulement accessible à ceux qui ont, au préalable, mémorisé le texte révélé. Elle est indiquée au moyen d’un mot ou d’une expression qui ne se rencontre que dans un seul texte de l’Écriture, un mot hapax. Le passage de l’histoire au modèle biblique se fait alors de façon mécanique par « analogie verbale ». Mais il ne s’agit que d’une première étape, car une fois identifié, ce modèle biblique doit lui-même être interprété en fonction de règles herméneutiques spécifiques fondées sur le postulat de la perfection de l’Écriture. Et ce n’est qu’au terme de cette démarche d’interprétation de l’Écriture elle-même que la portée « historique » de l’événement qui renvoyait à ce modèle peut être saisie. Pour être en mesure de déchiffrer la littérature judéenne écrite en fonction de ces règles et qui enseigne, à mots couverts, que la rédaction de l’Écriture a été réalisée à la période hellénistique, il est donc nécessaire de réapprendre à interpréter les modèles bibliques eux-mêmes, en fonction des règles anciennes. Bref, il faut faire abstraction des vingt siècles d’histoire de l’exégèse qui nous séparent des origines.
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C’est à redécouvrir cette lecture oubliée de la Bible hébraïque que s’emploiera ce livre, non sans avoir au préalable tenté de mesurer ce qui nous en sépare. Le rappel de quelques moments décisifs de l’interprétation biblique permettra d’apprécier la profondeur du gouffre qui s’est creusé au cours des vingt derniers siècles. Pendant cette période, la fixation du texte hébreu lui-même a évolué. Alors qu’à l’origine les seules consonnes du texte étaient écrites, les spécialistes de la transmission l’ont progressivement enrichi, d’abord en fixant sa vocalisation, puis sa ponctuation et sa division en versets et en chapitres; autant de changements qui ont eu une influence sur son interprétation. Alors qu’avant notre ère l’interprétation s’était élaborée à partir du texte mémorisé et de règles d’interprétation transmises oralement de maître à disciple, les exégètes postérieurs, surtout à partir du Moyen Âge, ont créé une panoplie d’instruments nouveaux, faite de concordances, de grammaires, de dictionnaires et d’éditions critiques du texte lui-même. Ces instruments, conçus en fonction de critères différents de ceux de la lecture ancienne ont également contribué à codifier un nouveau type d’interprétation. Ce n’est qu’après avoir apprécié les apports de l’interprétation des vingt derniers siècles et rappelé les principes généraux de l’interprétation ancienne qu’il sera possible de proposer une lecture nouvelle des textes sur lesquels se fonde la critique actuelle pour dater la rédaction de Torah de la période perse. On découvrira alors que le livre d’Esdras et la Lettre d’Aristée qui servent de preuve en faveur de la promulgation de la Torah à cette période, présentent en fait, par le biais des modèles scripturaires auxquels ils renvoient l’initié, une version de l’histoire bien différente de celle qui est actuellement retenue par la critique. Mais c’est dans un autre traité, mis à l’index par le judaïsme rabbinique mais conservé en traduction grecque par les chrétiens, le traité de Sagesse de Jésus Ben Sira, qu’on trouvera la solution de l’énigme. C’est là qu’il est dit, mais à mots couverts, dans un langage réservé aux initiés, que celui qui a promulgué la Torah est Siméon fils d’Onias, grand prêtre du Temple de Jérusalem entre 220 avant notre ère et 195 avant notre ère, celui que le judaïsme rabbinique et les chrétiens surnommeront Siméon le Juste. Si le témoignage de Ben Sira rend crédible l’hypothèse d’une composition de la Torah à la période hellénistique, il nous parle aussi des règles qui ont présidé à cette composition en présentant Siméon comme le « fondateur de la double hauteur » de l’Écriture. Il entend par là qu’à côté du sens superficiel destiné à tous – celui que transmettent les traductions – un sens allégorique a été inscrit dans le texte lui-même qu’il est possible de redécouvrir par le biais d’une approche logique. Selon les témoignages anciens, cette quête du sens allégorique se fondait sur une « lecture littérale » de l’Écriture faite en fonction de règles empruntées à la logique grecque, des
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règles qui ne faisaient que développer deux principes inhérents à l’origine divine de cette Écriture et que l’on peut résumer ainsi : « Dans l’Écriture, il n’y a rien de superflu et rien de contradictoire ». En d’autres termes, ce monument était pour eux d’une logique parfaite. Cela impliquait, en dernière analyse, que chaque lettre avait été choisie par son auteur divin de façon à s’intégrer dans un édifice logique sans faille. La perfection de cette révélation rendait, par ailleurs, inutile tout recours à une connaissance non révélée. L’Écriture devait être interprétée par l’Écriture et seulement par l’Écriture. Pour ses lecteurs anciens, le corpus biblique était une encyclopédie du savoir universel dans laquelle ils devaient trouver réponse à toutes leurs questions. C’est à vérifier cette hypothèse que s’emploiera la deuxième partie de ce livre. Pour qu’une telle démonstration soit convaincante, on ne peut se contenter d’illustrer ce fonctionnement logique en glanant dans l’ensemble du texte biblique des exemples soigneusement choisis de façon à étayer la thèse. On se doit au contraire de considérer que si le texte est construit de façon logique, il doit pouvoir être interprété de façon systématique en commençant par le commencement. C’est ainsi que, dans un premier temps, nous redécouvrirons dans le récit de création l’algorithme qui permet effectivement de passer d’une interprétation superficielle à un sens allégorique réservé aux seuls initiés. Dans un second temps, nous montrerons, par différents biais, que l’ensemble de l’histoire biblique, de la création jusqu’à la destruction du premier Temple, a bien été construite en fonction de cet algorithme. Puis, nous entrerons dans le détail du texte en décrivant l’organisation logique du panorama de l’histoire universelle que constituent les onze premiers chapitres du livre de la Genèse, de la création d’Adam à la dispersion de l’humanité à partir de Babel. Au terme de cette exploration austère mais indispensable, on pourra enfin lire avec un regard neuf ce récit du Déluge qui fut à l’origine de la théorie des sources. On découvrira alors, non seulement sa parfaite unité littéraire, mais on comprendra également que, par le biais de la lecture littérale, il devient un résumé de l’histoire de l’humanité, de ses origines à la venue de ce grand prêtre oublié de la période hellénistique que fut Siméon fils d’Onias.
Première partie
Vingt siècles d’interprétation du texte hébreu de la Bible
Chapitre 1
QUELQUES ÉTAPES DÉCISIVES DE L’HISTOIRE DE L’INTERPRÉTATION DE LA BIBLE Vingt siècles d’histoire de l’interprétation de la Bible ne peuvent se résumer en quelques pages 1. Mais pour qui désire retrouver le regard que portaient les lecteurs de la période du Temple sur le texte hébreu, il est nécessaire de procéder par étapes et de s’arrêter sur quelques-uns des choix décisifs qui ont progressivement engagé les lecteurs sur de nouvelles pistes d’interprétation au point même d’occulter, au moins partiellement, le sens originel du texte. Cet oubli des origines commença au début de notre ère au moment même de l’émergence de deux nouvelles religions issues de la religion judéenne de la période du Temple, les religions chrétienne et juive. § 1 L’École de Yavnéh ou la fondation du judaïsme rabbinique Sous le règne de l’empereur Titus, en l’an 70 de notre ère, Jérusalem fut prise, après avoir résisté pendant plusieurs années, et son Temple fut détruit. D’après la tradition juive, Yohanan ben Zaccaï, obtint de l’empereur l’autorisation de se replier vers la côte méditerranéenne dans la bourgade de Yavnéh et d’y fonder une « École ». Celle-ci devint le centre de la vie religieuse de la Judée jusqu’à ce qu’une nouvelle révolte conduite par Simon bar Kokhba en 132 et noyée dans le sang en 135, entraîne la fermeture définitive de l’École et l’exil des autorités juives hors de Judée 2 . À partir de ce moment, les rabbins s’efforcèrent de tempérer les ardeurs messianiques de leurs coreligionnaires. Rabbi Meir enseigna que toutes les dates qui avaient été calculées pour la venue du Messie étaient maintenant
1. On trouvera un panorama de l’herméneutique des premiers siècles dans HENNE P., La Bible et les Pères, Parcours historique de l ’utilisation des Écritures dans les premiers siècles de l ’Église, Paris, Le Cerf, 2010. Pour le Moyen Âge se reporter à DAHAN G., Lire la Bible au moyen âge. Essais d ’herméneutique médiévale Genève, Droz, 2009, et pour l’histoire de la critique biblique du XV e au XVIII e siècle à GIBERT P., L’invention critique de la Bible, Paris, Gallimard, 2010. 2. MIMOUNI S. C., Le judaïsme ancien du VI e siècle avant notre ère au III e siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, (Nouvelle Clio), Paris, PUF, 2012, p. 415-567. On trouvera dans cette synthèse très didactique toutes les informations utiles sur les acteurs et la littérature de cette période.
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VINGT SIÈCLES D’INTERPRÉTATION DU TEXTE HÉBREU
dépassées et que l’entrée dans le monde futur ne dépendait plus que de la pratique de la Torah. Quand le culte du Temple cessa, suite à la destruction de la ville de Jérusalem, la religion judéenne se reconstruisit autour de la Torah qui devint, dès les lendemains de la défaite de 70, l’unique pilier sur lequel reposerait désormais le judaïsme. L’autorité de cette Torah était en effet reconnue par tous les Judéens, aussi bien les sadducéens que les pharisiens ou les esséniens, ou ceux de la Diaspora, et cela depuis plusieurs siècles déjà, même si l’on ne s’accordait pas toujours sur son interprétation. Les sadducéens, dit-on, ne reconnaissaient que l’autorité de la Torah écrite. Ils l’interprétaient de façon littérale en s’opposant à toute innovation. Les rabbis pharisiens, au contraire, enseignaient que Moïse n’avait pas seulement reçu la Loi écrite à laquelle se référaient les sadducéens, mais aussi une Loi orale qui s’était transmise, de maître à disciple, – de Moïse aux Anciens, des Anciens aux Prophètes et des Prophètes aux hommes de la Grande Assemblée – et dont ils étaient les fidèles dépositaires. Et c’est en attribuant leurs innovations à cet enseignement oral reçu et transmis depuis Moïse que les pharisiens conféraient à ces dernières, une véritable autorité. Ils se donnaient ainsi les moyens de mettre en œuvre une réforme rendue nécessaire par la destruction du Temple et leur départ de Jérusalem. Cet enseignement oral qu’ils constituaient au fil des besoins de la communauté et qui devait à son tour être consigné dans un nouveau corpus écrit nommé Michnah, avait pour eux une valeur éminente qu’ils exprimaient par la formule à l’emporte-pièce déjà citée : « La Michnah est l’âme de la Torah. » Cette réforme profonde de la religion juive s’accompagna naturellement d’un réexamen du corpus littéraire légué par les siècles précédents, ce qui conduisit les maîtres de Yavnéh à mettre à l’index la presque totalité de la littérature antérieure. En plus des textes de la Torah, des Prophètes et de quelques autres écrits dont l’autorité était depuis longtemps reconnue, sept nouveaux livres seulement furent acceptés dans le canon des Écritures, parfois après des débats contradictoires – Daniel, Esdras, Néhémie, les 1er et 2e livres des Chroniques, l’Ecclésiaste et Esther – tandis que les autres, des centaines probablement, voire plus, écrits en hébreu, en araméen ou en grec, furent rejetés et interdits de lecture. Flavius Josèphe, qui écrivait à la fin du premier siècle de notre ère, et qui revendiquait son appartenance au parti pharisien, se félicitait d’une telle situation : Par une conséquence naturelle, ou plutôt nécessaire – puisqu’il n’est pas permis chez nous à tout le monde d’écrire l’histoire et que nos écrits ne présentent aucune divergence, mais que seuls les prophètes racontaient avec clarté les faits lointains et anciens pour les avoir appris par une inspiration divine, les faits contemporains selon qu’ils se passaient sous leurs yeux, – par une conséquence naturelle, dis-je, il n’existe pas chez nous une
CHAP. 1 – QUELQUES ÉTAPES DÉCISIVES DE L’HISTOIRE
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infinité de livres en désaccord et en contradiction, mais vingt-deux seulement qui contiennent les annales de tous les temps et obtiennent une juste créance. Ce sont d’abord les livres de Moïse, au nombre de cinq, qui comprennent les lois et la tradition depuis la création des hommes jusqu’à sa propre mort. C’est une période de trois mille ans à peu près. Depuis la mort de Moïse jusqu’à Artaxerxès, successeur de Xerxès au trône de Perse, les prophètes qui vinrent après Moïse ont raconté l’histoire de leur temps en treize livres. Les quatre derniers contiennent des hymnes à Dieu et des préceptes moraux pour les hommes. Depuis Artaxerxès jusqu’à nos jours tous les événements ont été racontés, mais on n’accorde pas à ces écrits la même créance qu’aux précédents, parce que les prophètes ne se sont plus exactement succédé. Les faits montrent avec quel respect nous approchons nos propres livres. Après tant de siècles écoulés, personne ne s’y est permis aucune addition, aucune coupure, aucun changement. Il est naturel à tous les Juifs, dès leur naissance, de penser que ce sont là les volontés divines, de les respecter, et au besoin de mourir pour elles avec joie 3.
En fermant le canon des Écritures et en décrétant que l’inspiration avait cessé à la mort du dernier prophète, les rabbins mettaient de fait à l’index toute la production littéraire postérieure à cette mort. Ces derniers prophètes appartenaient, disaient-ils, à une Grande Assemblée dont le dernier survivant avait été un certain Siméon le Juste (Pirqé Avot 1-2) 4 . À la mort de celui-ci, l’inspiration avait donc cessé et tous les écrits postérieurs, y compris le Traité de Sagesse écrit par l’un des disciples de Siméon, Jésus Ben Sira, devaient par conséquent être exclus du corpus. En fait, comme l’indique Flavius Josèphe, il fut décidé que l’inspiration avait cessé officiellement sous le règne d’Artaxerxès (400 avant notre ère), c’est-à-dire au moment de la venue d’un certain Esdras à Jérusalem. Une telle décision eut donc pour conséquence de rejeter du patrimoine religieux du judaïsme la presque totalité de la production littéraire judéenne des périodes hellénistique et romaine, un patrimoine qui aurait été définitivement perdu si des communautés chrétiennes n’avaient conservé certains de ces ouvrages et si les fouilles archéologiques n’en avaient exhumé quelques autres. En prenant la décision de gommer un demi-millénaire de littérature, les maîtres de Yavnéh affirmaient en fait leur volonté de rompre de façon radicale avec la période hellénistique du second Temple et de se rattacher directement à l’histoire biblique et à cette Torah qu’Esdras avait ramenée de Babylone, le lieu d’exil du peuple judéen des temps bibliques.
3. Flavius Josèphe, Contre Apion I, VIII, 37-42, éd. Th. Reinach et L. Blum (Collection des universités de France), Paris, Les Belles Lettres, 1972, p. 9-10. 4. Traduction française dans Leçons des pères du monde, Pirqé Avot et Avot de Rabbi Nathan, version A et B, éd. E. Smilévitch, (« Les Dix Paroles »), Paris, Verdier, 1983, p. 25.
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§ 2 Les vingt-deux livres du canon de Yavnéh Le corpus de vingt-deux livres dont parle Flavius Josèphe était constitué de trois parties – Les livres de Moïse (cinq livres), les Prophètes (treize livres) et quatre autres livres. Si le premier groupe correspond à la Torah, le contenu des deux autres sections est toujours discuté mais, quelle que soit la solution adoptée, il est certain que pour obtenir le nombre vingtdeux, il a fallu regrouper entre eux de façon artificielle certains livres des Prophètes et des Écrits, ce qui n’avait de sens que si les auteurs du canon conféraient une valeur symbolique à ce nombre 22. Comme le suggère Origène dans un texte cité par Eusèbe de Césarée 5, la raison en est que ce nombre est celui des lettres de l’alphabet hébreu. Dès lors faire coïncider le nombre des livres de l’Écriture avec celui des lettres de cette même Écriture devait indiquer que, de même que l’alphabet était parfait avec ses vingt-deux lettres, l’Écriture l’était avec ses vingt-deux livres et que rien ne pouvait y être ajouté ni en être retranché. Origène détaille également une liste de ces livres à laquelle on peut se référer au moins pour identifier ceux d’entre eux qui ont été regroupés de façon à atteindre le nombre voulu (Tableau 1). Le corpus des vingt-deux livres était divisé en trois parties : la Torah, les Prophètes et les Écrits. La Torah était composée des cinq livres qui relatent l’histoire de l’humanité de la création d’Adam à la mort de Moïse. Les Prophètes étaient implicitement organisés en diptyque. Un premier volet contient quatre livres (sept en réalité) que la tradition juive désigne du nom de Prophètes antérieurs et dans lesquels est consignée la suite de l’histoire biblique, de la mort de Moïse à la destruction du premier Temple en 587 avant notre ère et au départ des Judéens en exil à Babylone. Le deuxième volet de ce diptyque, constitué de quatre livres (seize en réalité) désignés par la tradition comme ceux des Prophètes postérieurs, contient des oracles prononcés pendant la période royale et après le retour de l’Exil. Enfin, après une fluctuation qui a probablement duré jusqu’au milieu du deuxième siècle de notre ère, voire plus tard, le contenu de la troisième partie du corpus, celle des Écrits, fut fixé à neuf livres. Quatre (Job, les Proverbes, les Psaumes et le Cantique des Cantiques) devaient déjà appartenir au corpus antérieur des textes sacrés au même titre que la Torah et les Prophètes, tandis que les cinq derniers (sept en réalité) ne furent intégrés officiellement au corpus qu’au terme d’un débat contradictoire.
5. BARDY G., Eusèbe de Césarée. Histoire ecclésiastique, Paris, Le Cerf, 1955, p. 125-126 (Sources chrétiennes 41). Voir BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 116.
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Tableau 1 Le canon de Yavnéh 5 livres de la Torah Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome 8 livres des Prophètes Prophètes antérieurs Josué, Juges + Ruth, 1 + 2 Samuel, 1 + 2 Rois
Prophètes postérieurs Isaïe, Jérémie + Lamentations, Ézéchiel, les douze petits prophètes 9 livres des Écrits
Job, Proverbes, Psaumes, Cantique des Cantiques, 1 + 2 Chroniques, Esther, Esdras + Néhémie, Daniel, Qohélet,
Suite à cette sélection draconienne, la production littéraire de la période du second Temple tomba rapidement dans l’oubli, à l’exception toutefois des quelques textes majeurs que certaines communautés chrétiennes conservèrent en traduction et qui nous sont parvenus par ce biais. Parmi ces livres exclus du canon, un ouvrage mérite une mention spéciale, car il constitue l’un des documents sans lequel notre connaissance de la littérature du second siècle avant notre ère se réduirait à peu de chose, le Traité de Sagesse écrit en hébreu par Jésus Ben Sira vers les années 180 avant notre ère et traduit en grec par son petit-fils vers 120 avant notre ère. Rejeté par les maîtres de Yavnéh, ce traité fut conservé par les chrétiens dans sa version grecque, sous le nom d’Ecclésiastique. Quant au texte hébreu, il continua à circuler sous le manteau dans une version remaniée dont plusieurs manuscrits fragmentaires furent découverts dans la Guénizah du Caire (§ 64). § 3 Les vingt-quatre livres de la Bible hébraïque actuelle Dans sa préface aux Livres des Rois (le Prologue Galeatus) Jérôme décrit deux canons, l’un de vingt-deux livres et un autre de vingt-quatre qui correspond au corpus actuel de la Bible hébraïque. Non que de nouveaux livres aient été ajoutés au canon de Yavnéh mais parce que deux d’entre eux qui étaient artificiellement rattachés à d’autres ont retrouvé leur autonomie en passant de la classe des Prophètes à celle des Écrits. Il s’agit des livres de Ruth et des Lamentations qui étaient respectivement rattachés aux livres des Juges et de Jérémie. Ces déplacements auraient été opérés pour des raisons de commodité, afin de regrouper les cinq textes qui étaient lus aux grandes fêtes juives (Le Cantique des Cantiques à Pessah, Ruth à Chavouot, les Lamentations pour le 9 Ab, jour anniversaire de
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la destruction du Temple, Qohélet à Soukkot et Esther à Pourim). Mais ce passage des livres de Ruth et des Lamentations de la classe des Prophètes à celle des Écrits doit également être apprécié en fonction de l’organisation du corpus en trois niveaux. On considérait en effet que la Torah avait été à la fois écrite par la main même de Dieu et révélée oralement à Moïse, ce qui garantissait doublement son origine divine en tant qu’Écriture et Parole. Les oracles des prophètes avaient également été dictés par Dieu, mais prononcés et mis par écrit par des intermédiaires humains. Quant aux Écrits, ils étaient assurément l’œuvre d’hommes éminents, Job, David, Salomon, mais des œuvres humaines. Le corpus biblique se trouvait donc structuré en fonction d’un modèle de tripartition classique qui, sans retenir la terminologie des philosophes grecs, rattachait la Torah au monde intelligible, les Prophètes à celui de la médiation, et les Écrits au monde sensible. Il n’a donc pas pu échapper à ceux qui ordonnèrent le déclassement des livres de Ruth et des Lamentations, qu’en les faisant descendre dans la classe des Écrits, ils remettaient implicitement en cause l’autorité prophétique qui leur était précédemment reconnue. Ils devenaient alors l’expression de la pensée de leur auteur et non celle d’une vérité prophétisée sous l’inspiration divine et en attente d’une réalisation nécessaire. Un tel remaniement pourrait être la conséquence de l’échec de la révolte messianique conduite par Bar Kokhba entre 132 et 135. Dans un tel contexte politique et religieux, il était en effet sage de relativiser l’importance de ces écrits sur lesquels se fondait l’espérance en la venue des temps messianiques et en la restauration du Temple. C’est en effet en conclusion du livre de Ruth qu’est consignée la généalogie de la lignée davidique d’où devait naître le Messie, celui que les rabbins nommeront « le fils de Pèrèç » (Ruth 4, 18-22). Quant aux Lamentations sur la destruction de l’ancien Temple que contient le second livre, leur valeur prophétique ne pouvait qu’attiser l’espoir de la reconstruction imminente de ce Temple. Mais que ce déclassement ait de plus eu pour effet d’occulter le nombre vingt-deux, symbole de perfection de l’Écriture, n’est probablement pas non plus anodin. C’est pendant les deuxième et troisième siècles en effet que se constitue le nouveau corpus, la Michnah, dont le nom signifie doublement (de la Torah). Se trouve alors mise en avant une nouvelle Torah qui, par sa présence même, démontre que les Écritures n’étaient pas complètes. Au corpus de la Torah écrite s’ajoute celui de la Michnah, la Torah orale, qui, sans supprimer l’ancien corpus l’emporte sur lui, comme la vie l’emporte sur la mort, comme le sous-entend la formule ciselée à l’époque : « La Michnah est l’âme de la Torah. » La fixation définitive du canon des Écritures juives, avec son organisation en trois parties, la Torah, les Prophètes et les Écrits, est donc l’aboutissement d’un processus de plusieurs siècles dont la chronologie est encore
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débattue. L’incertitude porte particulièrement sur le contenu et l’organisation de la troisième partie, les Écrits 6. Il conviendra donc de ne pas inclure de façon anachronique dans le canon des Écritures de la période du Temple des textes qui n’ont acquis autorité que plus tard et inversement, il faudra redonner au livre de Ruth sa place originelle, à la suite du livre des Juges, et lui rendre ainsi la valeur prophétique qu’on lui reconnaissait à la période hellénistique. § 4 Le livre d’Esdras-Néhémie Il sera intéressant de rechercher les raisons qui ont motivé la sélection de chacun des livres qui furent intégrés au corpus après la destruction du Temple, ainsi que celles qui ont justifié que d’autres qui faisaient pourtant autorité, tel le livre de Sagesse de Jésus Ben Sira, en aient été écartés. On se contentera dans l’immédiat d’examiner le cas du livre qui influencera de façon décisive et durable les études bibliques postérieures, jusqu’à maintenant, le livre d’Esdras-Néhémie. L’histoire biblique, telle qu’elle a été consignée dans les livres des Rois, s’interrompt avec la destruction du Temple de Salomon et le départ en exil des Judéens en Babylonie, le dernier événement relaté étant le retour en grâce du roi Joachin de Juda alors en exil à Babylone. Il arriva, en l’an trente-sept de la déportation de Joachin, roi de Juda, au douzième mois, le vingt-sept du mois, que Évil-Merodakh, roi de Babel, en l’année de son avènement, releva la tête de Joachin, roi de Juda, et le fit sortir de la prison. Il lui parla avec bonté et mit son trône au-dessus des trônes des rois qui étaient avec lui à Babel. Il changea ses vêtements de prisonnier et Joachin prit ses repas devant lui, sans interruption tous les jours de sa vie. Sa ration, ration constante, lui fut donnée de la part du roi de Babel, au jour le jour, tous les jours de sa vie. (2 Rois 25, 27-30)
À partir de ce 27e jour du 12e mois, l’histoire n’est plus écrite qu’en pointillés. De l’exil des Judéens en Babylonie, on ne connaît pour ainsi dire que la durée, 70 ans. Quant à leur retour, il n’est évoqué que dans quelques oracles des prophètes Aggée et Zacharie qui incitent le peuple à entreprendre la reconstruction du Temple qui commença la deuxième année du roi Darius (519 avant notre ère) sous la direction d’un gouverneur nommé Zorobabel fils de Chealtiel et d’un grand prêtre nommé Josué fils de Yoçadaq.
6. On trouvera une synthèse sur ces questions de canon dans un article de DORIVAL G., « La formation du canon biblique de l’Ancien Testament », dans E. NORELLI (éd.), Recueils normatifs et canons dans l ’Antiquité, Prahins, Éditions du Zèbre, 2004, p. 83-112.
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De façon surprenante, l’histoire biblique s’interrompt définitivement pendant cette reconstruction et rien n’est dit de la date d’achèvement des travaux. On admettra que si l’auteur maîtrisait l’histoire de la période royale, il devait, a fortiori, connaître celle de la période perse, plus proche de lui. Pourtant, il ne fait allusion ni à la date d’inauguration du nouveau Temple ni à l’histoire de la Judée d’après 519 avant notre ère, comme si le temps s’était arrêté avant la Dédicace de ce nouveau Temple. Un tel silence ne pouvait satisfaire les adeptes du mouvement pharisien qui fondaient sa légitimité sur une transmission ininterrompue de la Torah de Moïse jusqu’à eux 7. Mais par ailleurs, conformément à cette même doctrine pharisienne qui entendait interdire de lecture toute la littérature non canonique, une version officielle de l’histoire postbiblique ne pouvait être admise qui si elle était intégrée au canon des livres inspirés. Le livre d’Esdras-Néhémie, dont on verra qu’il est une œuvre pharisienne de la période hasmonéenne (vers 100 avant notre ère) antidatée de la période perse (400 avant notre ère), permettait de combler, bien que très partiellement, le silence des livres canoniques anciens sur la période postexilique. C’est en effet par lui qu’on apprenait qu’après la prise de Babylone en 539 avant notre ère, Cyrus, roi des Perses, avait promulgué un édit qui encourageait les Judéens qui le voulaient, à revenir à Jérusalem afin d’y reconstruire la Maison de Yahvéh, le Dieu d’Israël (Esdras 1). C’est aussi dans ce livre qu’était donnée la liste de ceux qui étaient revenus sous la conduite du gouverneur Zorobabel et du grand prêtre Josué, ce qui confirmait les dires du prophète Aggée. On y apprenait également que la première chose qu’avaient faite ces nouveaux arrivants avait été de reconstruire l’autel du Dieu d’Israël pour y offrir des holocaustes « selon ce qui est écrit dans la Loi de Moïse, l’homme de Dieu » (Esdras 3, 2). Ils avaient ensuite entrepris de reconstruire le Temple malgré l’opposition des gens du pays. Cette reconstruction avait été achevée le troisième jour du mois d’Adar, la sixième année du règne de Darius (en février-mars 515 avant notre ère). La dédicace du Temple – que les Prophètes passaient sous silence – avait alors été célébrée dans la joie et le grand prêtre Josué avait mis en place le personnel du Temple « selon ce qui est écrit dans le Livre de Moïse » (Esdras 6, 18). Le sacerdoce de la période perse connaissait donc déjà la Torah et agissait en conformité avec elle. De plus, il officiait dans un Temple dont la dédicace avait bien été faite. Ce livre d’Esdras-Néhémie que les maîtres de Yavnéh introduisirent dans le canon des Écritures permettait non seulement de rompre les 7. Le traité des Pirqé ’avot 1-2, E. SMILÉVITCH, Leçons des pères du monde, Pirqé Avot et Avot de Rabbi Nathan, version A et B, Lagrasse, Verdier, 1983, p. 25-34, dresse la liste des vingt-deux chaînons de la transmission orale de la Torah, de Moïse jusqu’aux disciples de Yohanan ben Zaccaï, fondateur de l’École de Yavnéh. Voir BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 94-102.
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silences du corpus ancien sur la date de dédicace du second Temple, mais brossait aussi un panorama de l’histoire postérieure qui garantissait l’antiquité de la doctrine pharisienne. En effet, immédiatement après avoir relaté la dédicace du Temple par Josué, l’auteur faisait entrer en scène Esdras, un personnage totalement inconnu de l’histoire biblique bien que son arbre généalogique en fasse un descendant direct des grands prêtres du premier Temple et en dernier ressort du prêtre Aaron lui-même (Esdras 7) 8. Cet Esdras, prenant la tête d’une nouvelle caravane d’exilés recrutés parmi ceux qui n’avaient pas voulu suivre Josué fils de Yoçadaq lors du premier retour, était parti de Babylone le premier jour du premier mois de la septième année d’Artaxerxès, – sans qu’on puisse décider si l’événement s’était produit en 458 avant notre ère, sous le règne d’Artaxerxès Ier ou en 398 avant notre ère, sous celui d’Artaxerxès II – et était arrivé à Jérusalem le premier jour du cinquième mois de cette même année, porteur d’un firman d’Artaxerxès qui authentifiait sa mission et la définissait ainsi : Et toi, Esdras, avec la sagesse de ton Dieu qui est dans ta main, établis des juges et des magistrats qui rendent la justice à tout le peuple qui est au-delà du fleuve, à tous ceux qui connaissent la loi de ton Dieu ; et à quiconque ne la connaît pas, tu la lui enseigneras. Et quiconque n’accomplira pas la loi de ton Dieu et la loi du roi, justice rigoureuse sera faite de lui. (Esdras 7, 25-26)
Esdras est présenté par l’auteur comme un « prêtre, scribe de la loi du Dieu des cieux » (Esdras 7, 12), « un scribe versé dans la loi de Moïse, qu’avait donnée Yahvéh, Dieu d’Israël » (Esdras 7, 6), « appliquant son cœur à étudier la loi de Yahvéh, à la mettre en pratique, et à enseigner, en Israël, la loi et le droit » (Esdras 7, 10). « Il est le prêtre-scribe, scribe des paroles ordonnées par Yahvéh et de ses lois au sujet d’Israël. » (Esdras 7, 11) Cette titulature complexe mériterait d’être analysée de près en particulier en ce qui concerne la distinction qui est faite entre « la Loi du Dieu des cieux » et la « Loi de Moïse », la première étant associée à la double fonction de prêtre-scribe et la seconde seulement à celle de scribe. Quoi qu’il en soit, Esdras le prêtre-scribe vient donc à Jérusalem, sur l’ordre d’Artaxerxès, pour prendre la direction religieuse du peuple judéen à la place du grand prêtre et du clergé alors en exercice. Il arriva, en effet, accompagné de prêtres et de lévites venus avec lui de Babylonie, et c’est avec eux qu’il offrit des sacrifices sur l’autel du Temple. Il devint grand prêtre à la place du grand prêtre, mais, comme le précisait le firman d’Artaxerxès, sa mission principale consista, avant tout, à placer la Torah au centre de la religion judéenne. 8. Ben Sira, qui écrit entre 190 avant notre ère et 180 avant notre ère, fait l’éloge de trente-deux personnages passés qui jouèrent à ses yeux un rôle déterminant dans l’histoire biblique, mais il ignore jusqu’au nom d’Esdras (§ 52).
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Pour un lecteur de la fin du premier siècle de notre ère pour qui la Torah était devenue l’unique pilier de la religion depuis la destruction du Temple, c’est évidemment ce rôle de « promulgateur de la Torah » reconnu à Esdras qui justifiait l’entrée du livre d’Esdras-Néhémie dans le canon. La cérémonie de cette promulgation était mise en scène dans le livre de Néhémie (Chapitre 8). On y apprenait comment la Torah, qui était jusque-là conservée dans le Temple hors de portée du peuple et réservée à la caste sacerdotale, avait été sortie du Temple par Esdras à la demande expresse du peuple et portée à la connaissance de l’ensemble de celui-ci. Et tout le peuple se réunit comme un seul homme sur la place qui est en face de la porte des Eaux, et ils dirent à Esdras, le scribe, d’apporter le livre de la loi de Moïse que Yahvéh avait prescrite à Israël. Esdras, le prêtre, apporta la loi en face de l’assemblée [où étaient] les hommes, les femmes et tous ceux capables de comprendre, le premier jour du septième mois. (Néhémie 8, 1-2)
Pour les maîtres pharisiens de Yavnéh qui sortaient de près de deux siècles de conflit avec le parti des prêtres sadducéens, le grand prêtre Josué qui officiait dans le Temple au moment de la venue d’Esdras ne pouvait être que la préfiguration d’un grand prêtre sadducéen, défenseur d’une Écriture qu’il gardait jalousement dans un Temple coupé du peuple. Esdras, au contraire, était le modèle du pharisien qui libérait cette Loi afin de la mettre à la portée de tous « hommes, femmes et ceux qui sont capables de comprendre ». On assistait à la naissance du judaïsme rabbinique sous l’égide du prêtre-scribe Esdras. La suite du livre d’Esdras-Néhémie expose alors en détail la liturgie de lecture de la Torah, une liturgie proche de celle des synagogues où enseignaient les pharisiens avant la destruction du Temple : (Esdras) lut dans ce livre, sur la place qui est en face de la porte des Eaux, depuis l’aube jusqu’au milieu de la journée devant les hommes, les femmes et ceux qui pouvaient comprendre. Les oreilles de tout le peuple [étaient attentives] au livre de la loi. Esdras le scribe se tenait sur une estrade de bois qu’on avait faite pour cela… Esdras ouvrit le livre aux yeux de tout le peuple, car il se trouvait au-dessus de tout le peuple, et lorsqu’il l’ouvrit, tout le peuple se tint debout […]. (Néhémie 8, 3-5)
Les maîtres de Yavnéh savaient, sans aucun doute, que ce récit n’était qu’allégorique, que leur Esdras était l’équivalent de la Marianne de notre République, mais en intégrant ce livre dans le canon des textes sacrés – probablement après l’avoir remanié – ils lui conféraient, aux yeux du peuple juif, une valeur historique indiscutable. L’appartenance d’Esdras au canon des Écritures garantissait en effet la véracité révélée des faits rapportés à son propos et l’exactitude aussi bien des dates que des événements. Il ne faudrait cependant pas faire dire aux textes plus qu’ils ne disent. Cette Torah n’est pas apportée de Babylone par Esdras, comme on le pré-
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tendra par la suite, elle était déjà connue des bâtisseurs du second Temple et du grand prêtre Josué car, comme on l’a vu, celui-ci agit « selon ce qui est écrit dans la Loi de Moïse », aussi bien lorsqu’il reconstruit l’autel que lorsqu’il met en place le personnel du Temple. L’auteur pharisien considère donc que la Torah était déjà le texte sacré auquel les grands prêtres se référaient avant la naissance du mouvement pharisien, mais que – tous les mots comptent – ils agissaient conformément « à ce qui est écrit » comme le fera, des siècles plus tard, le parti sadducéen conservateur. L’innovation d’Esdras n’est donc pas d’apporter une Torah écrite mais de promouvoir une interprétation orale de cette Torah. Alors que Josué n’était que grand prêtre, Esdras est à la fois prêtre et scribe. Alors que Josué, le prêtre, agissait conformément à ce qui est « écrit » dans la loi, Esdras, est un « prêtre-scribe, scribe des paroles ordonnées par Yahvéh et de ses lois au sujet d’Israël », ce qui signifie, si l’on donne tout leur poids aux mots, qu’en tant que scribe il s’intéresse « aux paroles ordonnées par Yahvéh » et s’intéresse par déduction aux « lois » écrites, en tant que prêtre. Dans un autre passage, on insiste également sur cette double fonction en précisant qu’il avait la double mission d’« enseigner, en Israël, la loi et le droit ». Pour un lecteur de l’école de Yavnéh, cette affirmation de l’existence d’une Torah, à la fois « écriture » et « parole », « loi et droit », confirmait bien qu’Esdras était le modèle des maîtres pharisiens de Yavnéh qui enseignaient qu’en plus de la Torah écrite, existait une Torah orale qu’ils faisaient également remonter à Moïse. Esdras entend donc être l’homme de la synthèse de l’Écriture et de la Parole et, en se présentant comme les héritiers d’Esdras dont la généalogie fait un descendant en ligne directe d’Aaron (Esdras 7, 1-5), les pharisiens se posent eux-mêmes en héritiers authentiques aussi bien de Moïse que d’Aaron. Il est en effet bien connu que si Moïse était celui qui avait reçu la Torah au Sinaï, « il avait la bouche lourde et la langue lourde » de sorte que Yahvéh avait fait appel à Aaron pour remédier à ce handicap : N’y a-t-il pas Aaron, ton frère, le Lévite ? Je sais qu’il saura parler lui ! […] Tu lui parleras et tu mettras les paroles dans sa bouche. Quant à moi, je serai avec ta bouche et avec sa bouche. Je vous enseignerai ce que vous devez faire. C’est lui qui parlera au peuple pour toi et c’est lui qui te servira de bouche, tandis que toi tu seras pour lui comme un Dieu. (Exode 4, 14-17)
Esdras le prêtre-scribe, descendant d’Aaron porte-parole de Moïse, fait donc la synthèse des paroles de Moïse et de cette Torah héritée des prêtres et montre le chemin à suivre aux maîtres de l’École de Yavnéh qui s’efforcent à leur tour de faire la synthèse des enseignements antérieurs, aussi bien ceux des sadducéens que des pharisiens et d’autres mouvements de la période du Temple. Le patronage d’Esdras présentait enfin l’avantage de garantir l’antiquité de la doctrine pharisienne. Alors qu’historiquement, aux dires de Flavius
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Josèphe, le parti des pharisiens ne s’était constitué au plus tôt que pendant la seconde moitié du deuxième siècle avant notre ère, en réaction contre le parti sadducéen, cette mise en scène lui conférait une antiquité confortable, le faisant remonter à la période perse. Cela garantissait l’antériorité de sa doctrine sur celle des sadducéens historiques dont le parti ne s’était constitué que vers 142 avant notre ère. Mais cela garantissait surtout que la doctrine pharisienne, héritée par tradition de la période perse, n’avait été en aucune façon contaminée par les cultures grecque et romaine de la période hellénistique, à la différence de celle des grands prêtres sadducéens accusés de complaisance envers l’hellénisme. Du fait de son entrée dans le canon des Écritures, le livre d’EsdrasNéhémie devint la version officielle de l’histoire judéenne postbiblique, une version de l’histoire qui a continué à s’imposer, en substance au moins, jusqu’à nos jours. § 5 Le quatrième livre d’Esdras Le rôle d’Esdras fut encore amplifié. Promulgateur de la Torah orale, il devint aussi celui à qui l’on attribua la redécouverte de la Torah écrite dont l’original aurait été brûlé au moment de la destruction du premier Temple. L’histoire supposée de la transmission de cette Torah depuis sa promulgation au Sinaï jusqu’à sa redécouverte par le pharisien Esdras fut pour le moins chaotique. D’abord révélée à Moïse, puis oubliée pendant la période royale, elle n’aurait été redécouverte une première fois qu’à l’époque du roi Josias, peu avant l’Exil en Babylonie. Alors que ce roi avait envoyé le scribe Chaphan donner des consignes aux artisans qui réparaient le Temple de Salomon, le grand prêtre de l’époque, Hilqiyahou, dit à Chaphan : « J’ai trouvé dans la Maison de Yahvéh le livre de la Loi. » Chaphan le lut puis l’apporta au roi en disant : « le prêtre Hilqiyahou m’a donné un livre » et il le lut devant le roi qui découvrit que Yahvéh avait décidé de faire venir un malheur sur Jérusalem et ses habitants pour les punir de l’avoir abandonné et de s’être livrés à l’idolâtrie. Le roi décida alors d’entreprendre une réforme : Le roi monta à la Maison de Yahvéh, ayant avec lui tous les hommes de Juda et tous les habitants de Jérusalem, les prêtres, les prophètes, ainsi que tout le peuple, du plus petit jusqu’au plus grand. Il lut à leurs oreilles toutes les paroles du Livre de l’Alliance qui avait été trouvé dans la maison de Yahvéh. Le roi se tint debout sur l’estrade et il conclut l’alliance en présence de Yahvéh, pour marcher à la suite de Yahvéh et pour observer ses commandements, ses témoignages, ses préceptes, de tout cœur et de toute âme, et pour maintenir les termes de cette alliance qui sont écrits dans ce livre. Tout le peuple adhéra à l’alliance. (2 Rois 23, 2-3)
On aura noté que le scénario présente de nombreuses similitudes avec celui de la promulgation de la Torah par Esdras, mais aussi des différences
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qui font que les deux récits mériteraient d’être lus en contrepoint. L’adhésion à la réforme ne fut que de courte durée et le fils de Josias, Joaqim, se refusa à la poursuivre malgré les interventions du prophète Jérémie (Jérémie 36). Le Temple fut donc détruit et ce serait lors de cette destruction que le rouleau de la Torah aurait été brûlé. Esdras, nouveau Moïse, aurait alors obtenu que la Torah lui soit à nouveau révélée – ce que raconte le Quatrième livre d’Esdras 9 : Ta loi a été brûlée ; c’est pourquoi personne ne connaît plus les œuvres que tu as faites, ni celles que tu vas faire. Si donc j’ai trouvé grâce devant toi, envoie en moi l’Esprit saint et j’écrirai tout ce qui a été fait dans le monde, depuis le début, tout ce qui était écrit dans ta loi. (4 Esdras 14, 21-22)
Esdras raconte alors lui-même quel fut le scénario de cette nouvelle révélation. Je pris cinq hommes avec moi, selon l’ordre reçu, et, étant parti dans le champ, nous y demeurâmes. Le lendemain, la voix m’appela et me dit : « Esdras, ouvre la bouche et bois ce que je te donne à boire. » J’ouvris la bouche et voici : une coupe pleine m’était présentée ; son contenu était comme de l’eau mais sa couleur était semblable au feu. Je pris la coupe et je bus ; et lorsque j’eus bu, mon cœur faisait jaillir l’intelligence, ma poitrine s’enflait de sagesse, mon esprit conservait la mémoire. Alors ma bouche s’ouvrit et ne se ferma plus. Le Très-Haut donna aussi l’intelligence aux cinq hommes (qui étaient avec moi) et ils écrivirent ce que je disais en ordre, à l’aide de signes qu’ils ne connaissaient pas. Ils restèrent quarante jours ; ils écrivaient le jour, et mangeaient du pain pendant la nuit. Pour moi, je parlais le jour et je ne me taisais pas la nuit. En quarante jours, ils écrivirent quatre-vingt-quatorze livres. Lorsque les quarante jours furent passés, le Très-Haut me parla et dit : « Les premiers livres que tu as écrits, publie-les ; que les dignes et les indignes les lisent. Quant aux soixante-dix derniers, tu les conserveras pour les livrer aux sages de ton peuple. Car en eux est la source d’intelligence, la fontaine de la sagesse, le fleuve de la connaissance. (4 Esdras 14, 37-48)
Cette « Torah d’Esdras » était donc composée de quatre-vingt-quatorze livres répartis en deux groupes de vingt-quatre et soixante-dix livres. Le groupe des vingt-quatre livres – et non de vingt-deux comme l’enseignait Flavius Josèphe –, correspond à la Bible hébraïque d’après le décompte qu’en firent les rabbins (§ 3). Que ces vingt-quatre livres soient accessibles « aux gens dignes et aux gens indignes » n’est pas pour surprendre car à l’époque où écrit notre auteur, à la fin du premier siècle de notre ère probablement, les chrétiens, comme les juifs, ou même les gnostiques, lisent 9. GEOLTRAIN P., « Quatrième livre d’Esdras », DUPONT-SOMMER A. – PHILONENKO M. (éd.), La Bible, Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, 1987, p. 1463-1465.
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ces livres. Les soixante-dix autres livres en revanche sont réservés « aux hommes sages » du peuple. On a voulu identifier ces livres à la littérature ésotérique de l’époque, ce qui n’est pas impossible, mais on pensera plutôt qu’ils symbolisent la Torah orale, une Torah dont les dépositaires, tels soixante-dix livres vivants, étaient les soixante-dix maîtres de Yavnéh. Sans remettre en question le fait que la Torah avait été révélée une première fois à Moïse, cette version des faits enseignait donc que le texte qui était entre les mains des maîtres de Yavnéh avait été dicté par Esdras, suite à la destruction du texte original. Esdras agissant sous l’inspiration divine, ce texte était assurément authentique, mais différait cependant de l’original sur un point : les scribes l’avaient mis par écrit « à l’aide de signes qu’ils ne connaissaient pas ». On savait en effet qu’à l’époque des rois de Juda on utilisait encore l’ancienne écriture (paléohébraïque) et que l’écriture araméenne (hébreu carré) dans laquelle était consigné le texte de la Torah, ainsi que les autres livres, n’avait été introduite en Judée qu’à partir de la période perse. Cette légende a joué un rôle déterminant dans l’histoire de l’interprétation, car sans remettre en question l’authenticité mosaïque de la Torah, elle signifiait que le texte conservé dans les synagogues – le seul qui nous soit connu – n’avait été mis par écrit qu’à la période postexilique et au moyen d’un alphabet araméen dont la graphie était différente de celle de l’alphabet paléohébraïque utilisé avant l’exil en Babylonie. Une fois dégagée de sa gangue de merveilleux, cette affirmation pouvait alors signifier qu’Esdras était en fait l’auteur du texte et que la Torah qui nous était parvenue, loin d’être un autographe de Moïse, était une œuvre de la période perse. Telle fut la conclusion que tirèrent certains exégètes chrétiens, à partir de la Renaissance. § 6 L’interprétation allégorique de l’Ancien Testament N’ayant aucune compétence en matière d’histoire de l’exégèse chrétienne, je me contenterai d’en présenter un résumé en me reposant sur l’analyse d’un spécialiste de ce domaine et en ne retenant que les faits bruts, alors qu’ils auraient mérité d’être replacés dans leur contexte historique et religieux, ce que fait remarquablement l’auteur 10. Comme cela a été suggéré à propos du livre d’Esdras-Néhémie et du 4 ème Esdras, la lecture que l’on faisait de l’histoire au premier siècle de notre ère s’effectuait à un double niveau. Lorsqu’il s’agissait des textes canoniques, aussi bien de la Torah que des Prophètes ou des autres Écrits, on considérait que leur caractère sacré suffisait à garantir l’authenticité des informations qui s’y trouvaient consignées et que, prises dans leur sens littéral, celles-ci ne pou10. GIBERT P., Petite histoire de l ’exégèse biblique, Paris, Le Cerf, 1992.
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vaient qu’être conformes à la réalité historique. Qu’Esdras arrive à Jérusalem la septième année du roi Artaxerxès et qu’il lise pour la première fois la Torah en public le premier jour du septième mois de cette même année, devait être considéré comme un fait historique indubitable. Mais cette lecture de surface n’est pas la seule. En antidatant de la période perse l’histoire du judaïsme pharisien qui ne commença que trois siècles plus tard, le texte prend également une dimension prophétique qu’il convient avant tout de déchiffrer, car telle est sa portée réelle pour les spécialistes de la période du Temple. Le sens littéral de l’Écriture n’est qu’un tremplin vers son sens allégorique. À période ancienne, le maître incontesté de ce type d’interprétation fut Philon, un juif d’Alexandrie contemporain de Jésus. Son œuvre, écrite en grec, fut rejetée par les maîtres de Yavnéh en même temps que les interprétations qu’il proposait et qui s’inspiraient pour une bonne part de l’enseignement des philosophes grecs. Les chrétiens, au contraire, lui reconnurent une grande autorité et développèrent à sa suite une exégèse allégorique de la Bible qui devait, pendant plus d’un millénaire, occuper la place principale dans l’interprétation chrétienne de l’Ancien Testament. Pour illustrer ce fonctionnement du sens allégorique il suffira d’un exemple, celui des fleuves du Paradis. Un fleuve sortait d’Éden pour arroser le jardin et de là il se divisait pour former quatre têtes. Le nom du premier fleuve est Pichon […] Le nom du deuxième fleuve, Gihon […] Le nom du troisième fleuve, Tigre […] Et le quatrième fleuve est l’Euphrate. (Genèse 2, 10-14)
Certains commentateurs anciens, peu nombreux, s’en tinrent au sens littéral du texte et s’efforcèrent de faire œuvre de géographe en identifiant le Pichon et le Gihon avec des fleuves connus, Nil, Gange, Indus, voire même le Danube 11. L’immense majorité s’attacha, au contraire, à décrypter le sens allégorique de ces fleuves. Le plus ancien commentaire connu, celui de Ben Sira – vers 180 avant notre ère –, considère, en se fondant sur une lecture littérale du texte hébreu, qu’il s’agit d’un fleuve unique qui, se divisant en trois, représente la Torah qui se répand dans le monde pour l’abreuver de sagesse (sophia), d’intelligence (sunesis) et d’instruction (paideia) (Ecclésiastique 24, 23-29). Pour Philon d’Alexandrie, deux siècles plus tard, les trois premiers fleuves représentent les trois parties de l’âme (rationnelle, irascible et appétitive) et les vertus correspondantes (prudence, courage et modération) tandis que le quatrième fleuve, celui de la synthèse, naît de l’harmonie des trois parties de l’âme et symbolise
11. On trouvera un répertoire des solutions proposées dans Encyclopaedia Judaica, art. « Paradise », 13, col. 78.
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la vertu de Justice 12 . Quant aux auteurs chrétiens, ils appliquèrent aux Évangiles ce que Ben Sira enseignait à propos de la Torah et virent dans les quatre fleuves une allégorie du Christ-Sagesse partagé entre les quatre Évangiles. Ce dernier type d’interprétation qui vise avant tout à montrer que l’Ancien Testament annonce le Nouveau sera une constante de l’exégèse allégorique chrétienne pendant de nombreux siècles. Aussi bien chez les juifs que chez les chrétiens, les règles d’interprétation finiront par être codifiées en fonction de ce modèle des fleuves. On distinguera alors quatre sens de l’Écriture. Dans le judaïsme rabbinique on enseignera que ces quatre sens reconstituent les lettres mêmes du Paradis ( פרדס: pardés) et on distinguera quatre niveaux d’interprétation, les niveaux littéral ( פ שת: Pechat), allégorique ( רמז: Rémèz), homilétique ( ד רש: Derach) et ésotérique ( ס וד: Sod). Chez les Chrétiens on retrouvera une organisation similaire, bien qu’exprimée en des termes différents. Un distique latin tardif résume assez bien les choses : « La lettre enseigne les faits, l’allégorie, ce que tu dois croire, le sens moral, ce que tu dois faire, l’anagogie, ce à quoi tu dois tendre. » Autrement dit, le sens premier, ou sens littéral (ou encore sens historique), dit les faits et les événements ; le sens allégorique exprime les vérités théologiques ou christologiques du texte d’abord perçu dans un sens littéral (ou historique) ; Le sens moral, ou encore tropologique, dit ce que le croyant doit faire, comment il doit agir en fonction de sa foi ; quant au sens anagogique, il oriente vers les fins dernières, vers l’au-delà de la vie, comme en une sorte de contemplation anticipée caractéristique de la vie éternelle […]. Il y a naturellement une hiérarchie de valeur entre ces quatre sens. La tradition médiévale tout comme la tradition patristique passe rapidement sur le sens littéral traditionnellement considéré sinon comme négligeable, du moins comme peu important, en tout cas le moins important des quatre en ce qui concerne l’Ancien Testament. Le sens allégorique est naturellement le plus important. Depuis les origines du christianisme, il dit la foi, son contenu. Il oriente directement vers le Christ 13 […].
§ 7 Quinze siècles plus tard… Descartes, Spinoza et Richard Simon ou la redécouverte du sens littéral Ce n’est vraiment qu’à partir de la Renaissance que ce dogme des quatre sens de l’Écriture sera progressivement remis en question et que l’on commencera à admettre que certains textes peuvent ne correspondre qu’à l’un 12. À propos des enseignements de Philon sur les Fleuves du Paradis, voir GOULET R., La Philosophie de Moïse. Essai de reconstitution d ’un commentaire préphilonien du Pentateuque, Paris, J. Vrin, 1987, p. 114 sq. 13. GIBERT P., L’invention critique de la Bible, Paris, Gallimard, 2010, p. 167.
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de ces niveaux de sens. Voici ce qu’écrivait Lefèvre d’Étaples sur le sujet en 1512 : Ce n’est pas qu’il faille chercher partout ces quatre sens ; mais dans les passages qui ne demandent que le seul sens littéral, cherchons le sens littéral ; cherchons l’allégorie dans ceux qui sont allégoriques, la tropologie dans ceux qui ont rapport aux mœurs ; enfin dans ceux qui demandent une intelligence divine et transcendante, cherchons l’anagogie et une élévation divine 14 .
On reconnaît alors que dans certains cas le sens littéral doit l’emporter, voire se suffire à lui-même. Cette nouvelle orientation de l’exégèse se dessine un demi-siècle après l’impression de la première Bible par Jehan Gutemberg en 1455, une révolution qui va permettre au texte biblique dont les manuscrits étaient jusque-là réservés aux clercs, de devenir progressivement « un objet commercial offert au libre choix de n’importe qui ». Le « premier effet de cet abord se fit sentir dans une prise en considération nouvelle du sens littéral » – le plus accessible pour un non-initié – et « ce sens allait occuper le devant de la scène qu’il garderait jusqu’à nos jours ce qu’il n’avait guère connu en quinze siècles de christianisme 15 ». Cette polarisation de la recherche sur le sens littéral aura principalement pour conséquence de discréditer progressivement toute interprétation allégorique du texte. En 1543, Martin Luther verra dans l’allégorie « vaine spéculation, creuses rêveries et frivolités ». Mais ce retour au « sens littéral » n’a encore rien à voir avec ce qu’il deviendra un siècle plus tard. Pendant tout le Moyen Âge on avait lu la Bible en version latine, dans la Vulgate, puis l’invention de l’imprimerie avait permis de redécouvrir la traduction grecque et, tout naturellement, la recherche du sens littéral conduisit à se référer au texte hébreu au nom de la « vérité hébraïque ». De cette confrontation des différents textes naquit une nouvelle discipline, la critique textuelle, dont Érasme fut l’un des champions. La révolution dans les études bibliques se produisit réellement au dixseptième siècle, un siècle qui « apparaît comme celui de la raison et de l’ordre, de la quête de la vérité et de l’harmonie, et que domine, symboliquement, l’édition en 1636 du Discours de la méthode de Descartes 16 ». On se pose alors des questions sur l’auteur réel du Pentateuque – attribué dans son entier à Moïse lui-même – en prenant conscience que dans les derniers chapitres du Deutéronome, Moïse raconte sa propre mort 17. Cette constatation fut en quelque sorte le déclencheur de ce qui deviendrait, à la fin du XVII e siècle, « l’exégèse critique ». 14. GIBERT P., L’invention critique de la Bible, Paris, Gallimard, 2010, p. 180. 15. GIBERT P., L’invention critique de la Bible, Paris, Gallimard, 2010, p. 183. 16. GIBERT P., L’invention critique de la Bible, Paris, Gallimard, 2010, p. 191. 17. RÖMER T. – MACCHI J.-D. – NIHAN C. (éd.), Introduction à l ’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 68.
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En 1670, Spinoza publia son Traité théologico-politique qui fixait les règles de « l’enquête historique ». (L’enquête historique) doit rapporter les fortunes propres à chaque livre ; comment il a été recueilli à l’origine, en quelles mains il est tombé, combien de leçons différentes sont connues de son texte, quels hommes ont décidé de l’admettre dans le canon […] 18.
Ce traité de Spinoza exercera une influence profonde sur le fondateur de la « Critique biblique », Richard Simon, qui publia en 1678, huit années seulement après la parution du traité de Spinoza, un ouvrage intitulé l ’Histoire critique du Vieux Testament, dans lequel il établit quatre principes que l’on peut résumer ainsi. En premier lieu, une étude du texte biblique doit s’intéresser aux différents états du texte étudié et aux changements qu’il a pu subir pendant son histoire. En second lieu, on ne doit pas prendre au pied de la lettre l’attribution des textes bibliques à des auteurs précis ; « il suffit de savoir que l’inspiration couvre tous ceux qui ont écrit, corrigé, ou annoté l’Écriture au cours de sa rédaction ». En troisième lieu le corpus des livres sacrés qui nous est parvenu ne contient que des abrégés de documents plus complets conservés dans les archives dont se sont servis les rédacteurs. En quatrième lieu enfin, il faut tenir compte des nombreux changements qu’ont pu subir les textes au cours de leur transmission. Et Simon résume ainsi sa pensée : Ceux qui font profession de critique ne doivent s’arrêter qu’à expliquer le sens littéral de leurs auteurs, et éviter tout ce qui est inutile à leur dessein 19.
La critique biblique doit, dès lors, devenir une discipline scientifique autonome, coupée de l’approche théologique inspirée par l’allégorie. § 8 Le rejet de la Gématria Parmi les techniques d’interprétation utilisées par les interprètes juifs aussi bien que chrétiens, la gématria est celle qui suscita le plus de réserves de la part des défenseurs du sens littéral, et avec raison. Le mot lui-même est un emprunt à peine déformé à la geometria des Grecs, ce qui suffit à faire comprendre que cette technique a dû se développer dès la période hellénistique, avant que le judaïsme rabbinique n’ait décidé de rompre, de façon radicale, avec toute influence culturelle étrangère. La technique d’interprétation nommée gématria consiste à l’origine à attribuer à chaque lettre de l’hébreu une valeur numérique en fonction de son ordre d’appari18. APPUHN CH., Spinoza, Traité théologico-politique, II, Paris, Garnier-Flammarion, 1965, p. 137-158. 19. Cité dans GIBERT P., Petite histoire de l ’exégèse biblique, Paris, Le Cerf, 1992, p. 215.
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tion dans l’alphabet et à convertir par ce procédé chaque mot de l’Écriture en nombre. Par ce procédé ce mot devient alors mathématiquement comparable avec l’ensemble des mots dont les lettres correspondent au même nombre. Pour ses utilisateurs anciens, cette technique fondait sa légitimité sur le fait que le texte étant d’origine divine, chacune de ses lettres devait nécessairement correspondre à une intention divine. Par déduction, que deux mots aient une même valeur numérique devait manifester cette intention et conduire à les interpréter l’un par l’autre On passait ainsi du sens littéral à un sens allégorique inspiré par ces correspondances cachées. Sous sa forme première, cette gématria s’est contentée de transposer en hébreu le modèle numérique des Grecs. Ces derniers, en effet, à la différence des peuples sémitiques qui notaient les nombres au moyen de signes spécifiques, les représentaient graphiquement au moyen des lettres de leur alphabet. Adapté à l’alphabet hébreu (Tableau 2), ce système d’équivalence associa les neuf premières lettres aux unités, les neuf suivantes aux dizaines et les quatre dernières aux quatre premières centaines 20 . Tableau 2 La gématria rabbinique Unités א
’
’alèf
Dizaines 1
י
y
yod
Centaines 10
ק
q
qof
100
ב
b-v
bét
2
כ
k-kh
kaf
20
ר
r
réch
200
ג
g
gimel
3
ל
l
lamèd
30
ש
s-ch
sin, chin
300
ד
d
dalèt
4
מ
m
mém
40
ת
t
taw
400
50
ה
h
hé
5
נ
n
nun
ו
w
waw
6
ס
s
samèkh
60
ז
z
zayin
7
ע
‘
‘ayin
70
ח
h
hét
8
פ
p
pé
80
ט
t
tét
9
צ
ç
çadè
90
Bien que ce système d’équivalence entre lettres et nombres soit connu du judaïsme rabbinique depuis ses origines, les écrits anciens n’y font qu’exceptionnellement référence, sans que l’on puisse dire a priori si c’est par méfiance envers cette technique héritée de la période du Temple ou parce qu’au contraire ils considèrent qu’il s’agit là d’une science secrète dont la transmission ne peut se faire qu’oralement. Parmi les quelques illustrations de ce procédé qui nous sont parvenues celle qui est régulièrement citée 20. Pour combler le handicap provoqué par l’absence d’équivalents pour les cinq dernières centaines, on a identifié celles-ci aux cinq lettres (kaf, mèm, nun, pé et çadé) qui possèdent une forme spécifique lorsqu’elles apparaissent en position finale.
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dans les articles d’encyclopédie traitant de gématria a trait à la vision de l’échelle de Jacob. Voici qu’une échelle était dressée par terre, sa tête touchant aux cieux, et voici que des anges d’Élohim montaient et descendaient sur elle. (Genèse 28, 12)
Que peut bien symboliser cette échelle ( סלם: soulam) que Jacob voit en songe ? Dans ce cas particulier, le recours à la gématria est en apparence la seule voie d’interprétation possible car ce que l’on traduit conventionnellement par « échelle » n’apparaît qu’une seule fois dans l’ensemble du corpus biblique, si bien que le sens de cet hapax ne peut pas être précisé par recoupement de ses occurrences. Puisque les anges montent à cette soulam et en descendent on pense naturellement à une échelle. Mais, par le biais de la gématria, on peut échapper à la trivialité d’un tel sens en donnant à la graphie סלםsa valeur numérique qui est 130 ( ס: 60 + ל: 30 + ם: 40 = 130). Alors, après enquête, ou en se laissant guider par l’intuition, on découvre que ce nombre est également celui de la montagne du Sinaï ( סיני: 60 + 10 + 50 + 10 = 130). De cette rencontre on peut alors déduire que l’échelle que Jacob voit en songe préfigure les escarpements de la montagne du Sinaï, pyramide dont les anges, messagers divins, parcourent les degrés afin d’établir le contact entre le ciel et la terre, entre l’homme et son Dieu. Jacob, le père des douze tribus d’Israël, aurait eu en songe la révélation anticipée du Sinaï. Mais comment savoir – car telle est la raison qui fera à juste titre rejeter cette technique – si cette rencontre riche d’enseignements entre l’échelle de Jacob et le Sinaï ne relève pas des lois du hasard ? La vérification serait en théorie tout à fait possible, quoique coûteuse ; il suffirait de calculer systématiquement la valeur numérique de chacun des mots du lexique et de classer ces valeurs de façon à faire apparaître l’éventail des possibles. On pourrait alors, pour démontrer la validité de la méthode, vérifier que tous les mots affectés de la valeur numérique 130 concourent bien à construire un tableau cohérent dont le thème est la révélation du Sinaï. On conviendra cependant que, si un tel réseau de correspondance avait été introduit dans le texte par son ou ses auteurs, la chose aurait été démontrée depuis longtemps. Les gardiens du texte hébreu auraient déjà créé une concordance de ces équivalences numériques, comme ils l’ont fait pour les mots eux-mêmes (§ 27). Pour juger de la fragilité du système on se contentera de signaler qu’à côté des mots sinaï et soulam dont la valeur est 130 apparaît un autre mot de même valeur, sémèl ( = סמל60 + 40 + 30 = 130) dont le sens est « idole ». La vision de Jacob aurait alors pour le moins été construite en un diptyque, campant, face à face, Yahvéh sur le Sinaï et cette « idole de la Jalousie » installée dans le Temple de Jérusalem et menaçant de l’en chasser (Ézéchiel 8, 3-5).
CHAP. 1 – QUELQUES ÉTAPES DÉCISIVES DE L’HISTOIRE
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Mais on notera surtout que ce système d’équivalence, qui donne aux lettres des valeurs de 1 à 400 (Tableau 2), est peu performant du fait qu’il associe les mots à un éventail de valeurs numériques beaucoup trop large. Alors que le mot père ( אב: ’av) correspond au nombre 3, le pays de Tarsis ( )תרשישvaut 1210, ce qui, compte tenu de la faible étendue du vocabulaire biblique, moins de cinq mille mots, ne permettrait d’associer en moyenne que cinq mots à chaque nombre. Confrontés à l’inefficacité d’un tel système d’équivalence, les mystiques ont mis au point d’autres systèmes plus favorables à leur quête. L’un de ceux qui a encore actuellement la faveur des ésotéristes modernes, car il permet d’établir des corrélations en nombre presque illimité, consiste à ramener les centaines et les dizaines à des unités : Tarsis ( )תרשישqui valait à l’origine 1210 peut alors être ramené à la valeur 13 par addition du nombre des milliers, centaines et dizaines (1210 = 1 + 2 + 10 = 13) puis à 4 (13 = 1 + 3 = 4). Par ce biais les cinq mille mots de la Bible peuvent être associés à des valeurs numériques comprises entre 1 et 9 et le foisonnement des équivalences servir de tremplin aux comparaisons les plus fantaisistes, comme dans l’exemple suivant, relevé dans les rayons des librairies pour grand public : Le mot ’alèf, qui donne son nom à la lettre ()א, s’écrit avec deux autres lettres : le Lamed ( ל: 30) et le Pé final ( ף: 800), soit אלףqui a pour valeur arithmologique 1 + 30 + 800 = 831. Ce nombre se simplifie à 3 (8 + 3 + 1 = 12 ; 1 + 2 = 3). Le 1 et le 3 sont (donc) inséparables. Nous verrons que la lettre gimel G, qui a pour valeur arithmologique 3, est l’initiale d’un mot ( )גמלdont le nombre (3 + 40 + 30) se simplifie à 1 21.
Bien que la critique biblique moderne ait abandonné avec raison le monopole d’une telle gématria aux ésotéristes, elle n’est cependant pas totalement insensible à la fascination qu’exercent les nombres et certains spécialistes prêtent quelque crédit à un cas particulier qui mérite d’être analysé. Dans l’épisode de la guerre qu’Abram mena contre une coalition de rois étrangers (Genèse 14), il est précisé qu’il partit guerroyer « avec ses hommes aguerris, ceux qui étaient nés dans sa maison, trois cent dixhuit hommes ». Le nombre a de quoi frapper l’imagination et il est peu probable que l’auteur l’ait choisi au hasard. Il devient alors tentant d’associer ce nombre 318 au nom du serviteur d’Abram, Éliézér ( אליעזר: 1 + 30 + 10 + 70 + 7 + 200 = 318) qui apparaît quelques phrases plus loin et qui ne réapparaîtra plus par la suite. Les rabbins interpréteront cette « coïncidence » en disant qu’Éliézer à lui seul était aussi précieux aux yeux d’Abram que les 318 hommes nés dans sa maison (Nedarim 32a).
21. DE SOUZENELLE A., La lettre chemin de vie. Le symbolisme des lettres hébraïques, Paris, Albin Michel, 1993, p. 31.
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Prêter crédit à cette rencontre de deux nombres, c’est oublier qu’en matière de probabilités on ne peut se prononcer sur la foi d’un seul exemple. Pour que la corrélation soit pertinente, il faudrait être en mesure de démontrer que le procédé se répète dans le texte, avec une fréquence telle que son interprétation en fonction des lois du hasard doit être raisonnablement exclue, ce qui n’a pas été démontré. Dans la mesure où une arithmologie biblique fondée sur les systèmes d’équivalence traditionnels de la gématria rabbinique ancienne et de la mystique du Moyen Âge ne présentait aucune garantie d’objectivité, il était logique que la critique biblique y renonce en même temps qu’elle renonçait à l’exégèse allégorique. Ces deux méthodes d’interprétation constituaient une marque d’allégeance envers l’ésotérisme. § 9 Jean Astruc et ses Conjectures sur la Genèse Alors que les principes énoncés par Richard Simon se sont imposés à la critique biblique jusqu’à nos jours, c’est à un autre personnage qu’il revient d’avoir fourni le modèle de la « critique des sources » à laquelle Richard Simon invitait lorsqu’il enseignait que les livres sacrés n’étaient que des abrégés de documents antérieurs. Ces documents étaient depuis longtemps perdus. Mais ne pouvait-on en retrouver la trace dans la rédaction finale de la Torah en portant un regard critique sur le texte lui-même ? Comme on l’a noté, celui qui tenta de vérifier cette hypothèse se nommait Jean Astruc. Il était le médecin privé de Louis XV et l’auteur de traités novateurs sur la pratique de l’accouchement et la contagion de la peste. En 1753, il publia, de façon anonyme, un mémoire intitulé Conjectures sur les mémoires originaux dont il paraît que Moïse s’est servi pour composer le livre de la Genèse. Avec des remarques qui appuient ou qui éclaircissent ces Conjectures 22 . Comme l’indique ce titre fleuve, Astruc ne remettait pas en question l’origine mosaïque du Pentateuque, mais pensait que, pour raconter les événements passés, Moïse avait mis à contribution des sources antérieures dont certaines même auraient remonté au Déluge, voire avant. Partant du fait que lorsque Moïse racontait la création du monde, il se référait à « des événements arrivés 2433 ans avant qu’il ne naquit », il fallait qu’il en ait été instruit par révélation, ou qu’il l’ait appris par le rapport de ceux qui en avaient été eux-mêmes les témoins 23 ». Or « Moïse parle toujours, dans la Genèse, comme un simple historien ; il ne dit nulle part que ce qu’il raconte lui ait été inspiré » alors qu’il le précisera dans les livres suivants, 22. ASTRUC P. GIBERT, Paris, 23. ASTRUC P. GIBERT, Paris,
J., « Conjectures sur la Genèse », introduction et notes de Noêsis, 1999. J., « Conjectures sur la Genèse », introduction et notes de Noêsis, 1999, p. 132.
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comme l’indiquent les formules : « Et Dieu dit à Moïse… ». Il a donc eu connaissance de ces événements, soit par la tradition orale, soit par des écrits anciens qu’il aurait connus. Astruc penche en faveur de cette deuxième hypothèse en s’autorisant de l’opinion de Richard Simon et se fixe en conséquence pour but de reconstituer « ces mémoires originaux dont Moïse se serait servi ». Bien évidemment, à l’époque d’Astruc, comme encore actuellement, on ne possédait aucune trace manuscrite de tels Mémoires et leur reconstruction devait se fonder exclusivement sur la critique interne du texte biblique lui-même. Astruc prit en compte quatre faits qui, pour lui, prouvaient l’existence de documents différents. Le premier était « la répétition fréquente de mêmes faits », ce qui était par exemple le cas pour la création de l’homme, racontée deux fois (Genèse 1, 26-28 et 2, 7) et surtout pour le Déluge dans lequel, comme on l’a dit, se trouvaient entremêlés deux documents, voire même trois pour certains détails 24 . La deuxième preuve en faveur de l’existence de documents distincts résidait, on s’en souvient, dans le fait que Dieu était lui-même désigné de deux noms différents. On pourrait croire – dit Astruc – que ces deux noms Élohim et Jéhovah (= Yahvéh) sont employés indistinctement dans les mêmes endroits de la Genèse, comme des synonymes et propres à varier le style, mais ce serait se tromper. Ces mots ne sont jamais confondus ensemble : il y a des chapitres entiers, ou des grandes parties de chapitres, où Dieu est toujours nommé Élohim et jamais Jéhovah ; il y en d’autres, pour le moins en aussi grand nombre, où l’on ne donne à Dieu que le nom de Jéhovah, et jamais celui d’Élohim 25.
Astruc voyait là la preuve de l’existence de « deux ou trois Mémoires joints et cousus ensemble par morceaux ». Il tirait une troisième preuve de l’opposition de style qui aurait existé entre ces mémoires et les textes rédigés par Moïse lui-même et qu’il faisait commencer au troisième chapitre de l’Exode. La quatrième preuve enfin se fondait sur le fait que l’ordre chronologique des événements rapportés n’était pas toujours respecté, ce qu’Astruc se refusait à attribuer à une négligence de Moïse mais au fait que la Genèse avait été composée
24. En fait, Astruc reprenait ici une thèse énoncée soixante-dix ans plus tôt par Campegius Vitringa (1659-1722) dans ses Observationes sacrae, mais dont il n’avait pas écrit la démonstration : « Ces Mémoires et ces recueils des pères, conservés chez les Israélites, nous pensons que Moïse les a réunis, disposés, développés et complétés là où ils présentaient des lacunes et que c’est grâce à eux qu’il a composé le premier de ses livres » (voir ASTRUC J., « Conjectures sur la Genèse », introduction et notes de P. GIBERT, Paris, Noêsis, 1999, p. 103). 25. ASTRUC J., « Conjectures sur la Genèse », introduction et notes de P. GIBERT, Paris, Noêsis, 1999, p. 140.
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de plusieurs différents Mémoires coupés en morceaux, qui avaient été insérés en entier les uns à la suite des autres ; que l’ordre chronologique était observé dans chacun de ces Mémoires en particulier, mais qu’en les insérant par morceaux, cet ordre s’était trouvé dérangé dans quelques endroits.
En fonction de ces principes, Astruc organisa son texte sur quatre colonnes. Le critère déterminant fut d’abord l’opposition des noms divins ; la colonne A fut réservée à Élohim, la colonne B à Jéhovah. Quant aux textes dans lesquels les noms divins n’apparaissaient pas, il les répartit entre les colonnes C et D, tout en admettant que ceux de cette dernière colonne auraient pu être eux-mêmes subdivisés en plusieurs Mémoires. § 10 Naissance et effondrement de la théorie documentaire La thèse d’Astruc suscita peu d’échos en France. On était à la veille de la Révolution. « C’est à l’étranger, en particulier dans l’aire germanique, qu’il trouva ses véritables héritiers et continuateurs, ceux qui allaient, non sans critique, assurer le relais de ses thèses et contribuer à les placer sur une ligne de continuité qui aboutit aussi bien au consensus de l’héritage de Wellhausen à la fin du XIX e siècle qu’à la remise en question de cet héritage à la fin du vingtième 26 ». Les successeurs d’Astruc étendirent sa théorie à l’ensemble du Pentateuque. L’origine mosaïque de celui-ci fut alors abandonnée au profit d’une rédaction de la Torah à partir de documents rédigés à différentes moments de l’histoire d’Israël : bien qu’aucune preuve extérieure ne soit venue étayer, de façon décisive, une telle chronologie, on mit ces différentes étapes de rédaction en relation avec des événements cruciaux de l’histoire royale et postexilique, ce qui, en France, aboutit, dans les années soixante du vingtième siècle, à l’élaboration d’un modèle « canonique » de la théorie documentaire. Quatre documents auraient servi à l’élaboration du Pentateuque, le Yahviste (J), l’Élohiste (E), le Deutéronomiste (D) et le Sacerdotal (P). Le document yahviste aurait été composé sous le règne de Salomon, fils de David, vers 930 avant notre ère, à une période où les douze tribus se trouvaient réunifiées autour de Jérusalem, de son roi et de son Temple. Il aurait eu pour but de légitimer l’empire davidique. À la mort de Salomon cet empire éclata, et le Royaume du nord dont la capitale fut Samarie, fédéra les dix tribus entrées en dissidence. C’est pendant cette période, entre 850 avant notre ère et 750 avant notre ère, et dans ce Royaume du Nord, qu’aurait été rédigé le document élohiste. Après la destruction du Royaume du Nord par les Assyriens (750 avant notre ère), ce document aurait été ramené à Jérusalem par des réfugiés de Samarie et joint au docu26. ASTRUC J., « Conjectures sur la Genèse », introduction et notes de P. GIBERT, Paris, Noêsis, 1999, p. 109.
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ment Yahviste. L’histoire du document deutéronomiste, plus obscure, se serait déroulée entre 750 avant notre ère et 620 avant notre ère. Il aurait probablement été rédigé dans le royaume du Nord, puis amené à Jérusalem à une date indéterminée, déposé dans le Temple de Jérusalem, oublié et redécouvert en 613 avant notre ère par le grand prêtre Hilqiyahou (§ 5). Ce document qui insiste sur l’alliance, l’obéissance à la loi et la vénération exclusive de Yahvéh, aurait servi de guide à Josias, roi de Juda, dans sa réforme de la religion judéenne. C’est peu d’années après cette réforme avortée, entre 597 avant notre ère et 587 avant notre ère, que le Royaume de Juda fut à son tour détruit et qu’une partie de sa population fut exilée en Babylonie. C’est pendant cet exil (vers 550 avant notre ère), voire après le retour des exilés, que le quatrième document, le document sacerdotal, aurait été rédigé. Privé de son indépendance politique et intégré à l’empire perse, le peuple judéen se tourna alors vers le Temple. Aussi cette dernière source insista-elle logiquement sur l’importance des institutions religieuses et de la médiation sacerdotale. D’après cette reconstitution de l’histoire du texte fondée exclusivement sur le témoignage du texte lui-même, l’achèvement de la rédaction de la Torah aurait donc effectivement coïncidé avec la venue du prêtre-scribe Esdras, soit qu’il l’ait apportée toute rédigée de Babylone, soit qu’il ait placé au centre de la religion judéenne un texte rédigé définitivement par les milieux sacerdotaux de Jérusalem au début de la période perse, soit qu’il ait mis lui-même la dernière main à cette rédaction. Quoi qu’il en soit, le monument aurait donc acquis sa forme définitive vers 450 avant notre ère, ou au plus tard en 398 avant notre ère, « la septième année du roi d’Artaxerxès » II. Depuis les années soixante-dix, ce consensus a volé en éclat, mais, comme le note Thomas Römer, dans sa nouvelle Introduction à l ’Ancien Testament – un ouvrage qui servira probablement de référence universitaire aux études sur l’Ancien Testament pour la ou les prochaines décennies : Aucun nouveau consensus ne s’est encore réalisé aujourd’hui depuis l’effondrement de la théorie documentaire ; plusieurs approches cohabitent ainsi, sans qu’il soit possible de dire avec certitude laquelle est marginale, et laquelle majoritaire 27.
Certains, « toujours relativement nombreux, bien que leurs conceptions présentent plusieurs divergences dans le détail » continuent à défendre la théorie documentaire. D’autres penchent en faveur de la composition des quatre premiers livres à partir de deux sources seulement, les documents yahviste et sacerdotal qui dateraient tous deux de l’Exil (entre 587 avant notre ère et 536 avant notre ère). L’auteur du document yahviste serait un théologien de la Diaspora, intégrant dans son œuvre quelques sources plus 27. RÖMER T. – MACCHI J.-D. – NIHAN C. (éd.), Introduction à l ’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 81.
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anciennes, et qui polémiquerait contre l’idéologie deutéronomiste du sanctuaire unique. Le document sacerdotal, quant à lui, serait un écrit indépendant rédigé à la période perse (à partir de 536 avant notre ère) afin de remplacer le document yahviste. En fin de compte, la rédaction finale aurait gardé les deux documents… mais « plus de la moitié des textes du Pentateuque serait des ajouts tardifs » (de la période grecque ?) à ces deux documents. D’après une troisième théorie enfin, le document actuel serait « le résultat du dialogue conflictuel entre deux écoles, deutéronomiste et sacerdotale » pendant la période postexilique. Chacune aurait disposé de ses propres documents, mais la synthèse qui nous est parvenue contiendrait des éléments « proches tantôt de l’idéologie deutéronomiste, tantôt de l’idéologie sacerdotale, et qui indiquent un dialogue permanent entre les deux écoles ». Comme on peut le constater, bien que la théorie documentaire classique ait volé en éclat, la recherche biblique continue toujours à partir du principe, posé par Jean Astruc, qu’il faut interpréter le texte actuel comme une synthèse de documents antérieurs qu’il serait toujours possible de repérer dans l’œuvre finale. Mais la théorie se fragilise elle-même, car s’il est évident que l’auteur – individuel ou collectif – du texte final a utilisé une documentation antérieure, il ne semble pas que l’usage qu’il en a fait ait été servile au point qu’il soit encore possible d’identifier ces emprunts et de les classer en fonction de critères pertinents. Pour rendre compte de cette cohérence de l’ensemble, tout en maintenant encore la théorie des sources, on en est alors réduit à faire l’hypothèse d’un « dialogue permanent entre deux écoles » qui aurait conduit en fait à une rédaction commune. Malgré ces combats d’arrière-garde on s’oriente donc, contraint et forcé, vers l’hypothèse d’une production littéraire attribuable à un seul rédacteur, individuel ou collectif. Pour clore ce panorama succinct d’histoire de l’interprétation, on se référera à l’état de la question que fait Thomas Römer. Sa position peut être ainsi résumée. « L’effondrement de la théorie documentaire traditionnelle a progressivement conduit la recherche depuis quelques années à souligner toujours plus l’importance du travail des derniers rédacteurs et éditeurs du Pentateuque », une orientation qu’il faut poursuivre sans pour autant « négliger la reconstruction en amont des documents traditionnels employés par les éditeurs de la Torah ». Römer juge donc que cette reconstitution est encore possible même s’il en relativise l’importance. L’un des progrès de la recherche actuelle serait en effet « la reconnaissance graduelle du fait que les scribes responsables de la composition du Pentateuque n’étaient pas de simples compilateurs des sources anciennes, mais étaient animés par un projet théologique bien précis », une avancée qu’il faudrait poursuivre en vue d’une « meilleure compréhension des principaux programmes idéologiques des éditeurs de la Torah dans la seconde moitié de la période perse ».
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En ce qui concerne ces « éditeurs de la Torah et leur milieu sociologique », Römer doute « qu’un document aussi ambitieux et aussi coûteux que la Torah se soit fait sans le soutien politique et économique des principales autorités » et considère qu’il s’agit, avant tout, « d’une littérature de compromis entre les principaux courants religieux et politiques de l’époque, ainsi qu’un magistral effort de synthèse entre les différentes traditions sur l’Israël ancien collectées au Temple de Jérusalem ». Quant à être plus précis sur les auteurs de cette synthèse, Römer pense que « la coalition qui a édité le Pentateuque avait évidemment accès à la Librairie du second Temple, et incluait manifestement des scribes sacerdotaux ». Il faudrait également inclure dans « la coalition » des scribes d’obédience plus laïque… « Néanmoins, la localisation sociologique, politique et institutionnelle de tels scribes demeurerait difficile à préciser ». Enfin, l’hypothèse selon laquelle « l’administration perse (achéménide) aurait commandité l’édition de la Torah aux principales instances religieuses et politiques de la Judée à Jérusalem » est peu probable et un consensus se dessinerait actuellement pour voir « dans l’édition de la Torah principalement un développement interne à la communauté de Jérusalem », mais qui ne serait pas seulement dicté par des considérations d’ordre religieux, mais aussi économiques et politiques, qui viseraient entre autre à réhabiliter la ville comme centre économique et administratif de la province de Judée, voir même « refléter une certaine revendication d’autonomie dans le contexte de la fin du V e et au début du IV e siècle, lorsque l’empire perse ne contrôle plus l’Égypte et que sa domination sur la Palestine s’affaiblit continuellement 28 ». Pour Römer, la rédaction définitive de la Torah aurait donc était réalisée « dans le contexte de la fin du V e et au début du IV e siècle ». Aucune allusion à Esdras lui-même n’est faite par l’auteur, mais les dates qu’il retient parlent d’elles-mêmes et correspondent exactement à la date traditionnelle de la « venue » d’Esdras qui se situe selon les uns en 448 avant notre ère, selon les autres en 398 avant notre ère. Bien qu’aucune allusion ne soit faite à ce « scribe des paroles ordonnées par Yahvéh » (Esdras 7, 11), on reconnaît que la Torah aurait été rédigée, dans ce milieu, par une coalition « incluant manifestement des scribes sacerdotaux » et « des scribes d’obédience plus laïque ». Elle serait donc, en quelque sorte, la synthèse des deux institutions – prêtres et scribes – qu’Esdras représente à lui seul dans la tradition. On notera enfin que la thèse d’une Torah commanditée par l’autorité perse que défend une minorité n’est pas sans rappeler ce firman d’Artaxerxès, envoyant Esdras en mission officielle et lui donnant, semblet-il, compétence pour faire appliquer « la loi de son Dieu et la loi du roi ». 28. RÖMER T. – MACCHI J.-D. – NIHAN C. (éd.), Introduction à l ’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 111.
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En somme, après plus de 250 ans de débat, la « théorie documentaire » qui était partie en 1753 de l’hypothèse d’une Torah rédigée à partir de mémoires pouvant remonter au Déluge, voire au-delà, en revient, après deux siècles et demi de controverses, à une rédaction faite à partir de la « Bibliothèque du Temple » à la Période perse. Il n’est évidemment plus question d’une Torah écrite par le prêtre-scribe Esdras sous l’inspiration divine, mais de celle, très proche, de prêtres et de scribes « animés par un projet théologique bien précis » et qui auraient accepté de rédiger un texte de compromis à défaut de pouvoir faire une synthèse. Après 19 siècles d’histoire de l’interprétation, la version pharisienne de l’origine de la Torah fondée sur le livre d’Esdras-Néhémie et sur son amplification qu’est le quatrième d’Esdras sert toujours de modèle de référence. Römer, en revanche, passe sous silence l’hypothèse, pourtant bien connue des spécialistes et diffusée auprès du grand public, selon laquelle l’histoire biblique aurait pu être écrite à la période hellénistique. Dans un dossier de janvier-février 2007 du Monde de la Bible – consacré à la question : « À partir de quand peut-on parler d’Israël ? » – J. L. Ska, après avoir montré qu’au fil des recherches la tendance a été de proposer une date de plus en plus tardive pour la rédaction de l’histoire biblique, conclut ainsi son panorama de l’histoire de la recherche : Nous arrivons à la fin des années quatre-vingt-dix, avec Niels Peter Lemche et l’école de Copenhague, avec aussi Thomas Thompson ou Philip Davies 29, à ce que certains appellent le « révisionnisme », le « négationnisme », ou encore le « minimalisme ». Ces exégètes partent d’une critique radicale des récits bibliques. Inutile de se demander, affirment-ils, qui étaient Abraham, Moïse ou David : il s’agit d’une pure création littéraire de l’époque hellénistique. Ceux qui la composent veulent se définir contre la culture grecque envahissante. Les Empires assyrien, perse, étaient tolérants sur le plan religieux. Les Grecs, eux, ont voulu imposer leur culture, d’où une résistance très forte pour définir et préserver l’identité israélite 30.
J’ai moi-même argumenté, depuis le début des années 1990, en faveur d’une rédaction de l’histoire biblique à la période hellénistique. Mais, à 29. LEMCHE N.-P., Israelites in History and Tradition, Louisville (KY), Westminster John Knox Press, 1998 ; Id., Prelude to Israels Past : Background and Beginnings of Israelite History and Identity, Peabody (M.), Hendrickson Publishers, 1998 ; Id., The Canaanites and Their Land, Sheffield, Sheffield Academic Press, 1991. THOMPSON T., The Bible in History : How Writers Create a Past, Londres, Jonathan Cape, 1999 ; DAVIES P. R., Whose Bible Is It Anyway ? Londres et New York, T. & T. Clark Publischers, 2004. 30. Pour en savoir plus sur l’École de Copenhague et les débats qu’elle suscite, on pourra se référer à la thèse récente de WAJDENBAUM P., Argonauts of the desert : Structural Analysis of the Hebrew Bible, Copenhagen International Seminar, Sheffield, 2011, et à la recension qu’en a fait LABUSCHAGNE C.- J. dans Review of Biblical Literature 04/2013.
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la différence des tenants de l’école de Copenhague qui fondent leur argumentation sur l’analyse thématique du texte biblique lui-même en lien avec l’archéologie, je me suis astreint à ne fonder cette hypothèse que sur les seuls témoignages des auteurs judéens d’avant la destruction du Temple (70 de notre ère). Ces œuvres, généralement conservées par les chrétiens, s’accordent en effet à associer la promulgation de la Torah, voire sa rédaction, non pas à Esdras, mais à un personnage oublié qui fut grand prêtre du Temple de Jérusalem de 220 avant notre ère à 195 avant notre ère environ 31, Siméon le Juste. Dans cette nouvelle étude je montrerai que cette attribution et cette datation peuvent être confirmées, non plus en faisant appel à des témoins extérieurs comme je l’ai fait dans Les arpenteurs du temps, mais en fondant l’argumentation sur le texte hébreu lui-même et en démontrant que les règles qui ont été mises en œuvre pour sa rédaction suffisent à garantir qu’il s’agit bien d’une œuvre de la période hellénistique écrite par Siméon le Juste lui-même.
31. BARC B., « Siméon le Juste, rédacteur de la Torah ? » dans Titres et Corpus, Paris, Le Cerf, 1992 et Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 71-78.
Chapitre 2
DU ROULEAU DE LA TORAH À LA BIBLE DE STUTTGART VINGT-DEUX SIÈCLES DE TRANSMISSION DU TEXTE
Que l’on date la rédaction de la Torah de la période perse (entre 450 avant notre ère et 400 avant notre ère) ou de la période hellénistique (vers 200 avant notre ère), plus de deux millénaires nous séparent de celleci, des millénaires pendant lesquels le texte s’est enrichi d’ajouts qui sont maintenant pris en compte dans sa lecture, comme s’ils appartenaient au document original. Aussi n’est-il pas inutile de rappeler les étapes de cette transmission et d’apprécier dans quelle mesure celles-ci nous ont progressivement éloigné de la lecture ancienne de la Bible au point de modifier parfois radicalement le regard porté sur ce corpus. § 11 Un alphabet sans voyelles En hébreu, comme dans d’autres langues sémitiques, les mots se construisent à partir d’un schéma consonantique de base. La notion d’« écriture » par exemple, est écrite au moyen des consonnes ( כתבktb) que l’on module pour obtenir différentes réalisations verbales ou nominales en ajoutant des consonnes non radicales préfixées ou suffixées ( כתב־תי: katav-ti : j’ai écrit). Parfois d’autres consonnes que les grammairiens ont nommé « mères de lecture » peuvent également être ajoutées à la structure consonantique du mot pour suggérer, mais pas toujours, la prononciation d’une ou plusieurs de ses voyelles. Le substantif ( תלדתtoldot : généalogies) est également écrit תלדות, תולדתou תולדות, les ( וwaw) suggérant ici la prononciation de la voyelle o (§ 130, Tableau 33). Comparé à l’alphabet grec qui note systématiquement consonnes et voyelles, l’alphabet hébreu ne permet donc qu’une fixation approximative. Et surtout, alors que l’écriture grecque permet la lecture correcte de mots dont on ignore le sens, la connaissance de la langue hébraïque est une condition préalable nécessaire à la lecture du texte consonantique. Mais même dans ce cas, de nombreux passages subsistent qu’il n’est pas possible de lire correctement sans l’aide d’un maître (§ 18). Les manuscrits les plus anciens de la Bible ne notent que cette structure consonantique et ce n’est que bien plus tard, à partir du V e siècle de notre ère probablement, que les copistes commencèrent à introduire le système
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très élaboré des points voyelles qui permit de lire correctement le texte sans même en comprendre la signification (§ 18). § 12 Les manuscrits bibliques du désert de Juda Depuis la découverte des manuscrits du désert de Juda, à Qumran, mais aussi dans d’autres sites du sud de la Judée, à Wadi Sdeir, Nahal Se’elim, Nahal Hever, Murabba‘at ou Massada, nous disposons de copies fragmentaires sur parchemin du texte de la Torah dont les plus anciennes peuvent remonter au deuxième siècle avant notre ère. Si l’on retient l’hypothèse basse d’une rédaction de cette Torah vers 200 avant notre ère, on serait donc en présence de manuscrits copiés moins d’un siècle après la production du texte original, alors qu’avant ces découvertes le plus ancien manuscrit hébreu complet connu était daté des premières années du deuxième millénaire de notre ère. Le nombre des manuscrits bibliques découverts dans le désert de Juda est à première vue impressionnant – 200 rouleaux bibliques dont 87 pour la Torah – mais dans la majorité des cas, il ne s’agit que de fragments, parfois minimes, dont l’appartenance à des manuscrits différents ne peut être démontrée, et avec une marge d’erreurs, que par le biais de l’analyse de leur écriture 1. Dans un premier temps, les études de critique textuelle faites sur ces nouveaux textes bibliques ont porté exclusivement sur les manuscrits découverts à Qumran et c’est à partir de ce seul corpus qu’ont été élaborées des théories sur l’histoire de la transmission du texte avant la destruction du Temple en 70 de notre ère. En se fondant sur l’examen de ce matériel nouveau, on a proposé un scénario de l’histoire du texte consonantique antérieurement à sa fixation définitive vers la fin du premier siècle de notre ère. Cette période ancienne aurait avant tout été caractérisée par une « fluidité textuelle », le plus souvent manifestée par l’instabilité de l’orthographe, – les mères de lecture y sont souvent très abondantes – mais aussi par la présence de variantes qui en modifient substantiellement le contenu et le sens. En se fondant sur l’étude de ces variantes, F.M. Cross 2 avait conclu à l’existence de trois types de textes, qu’il désignait de façon conventionnelle 1. Pour se faire une opinion précise sur la nature, l’état de conservation et l’importance des manuscrits bibliques de la Torah découverts à Qumran, voir BERTHELOT K. – LEGRAND T. (éd.), La bibliothèque de Qumran, II, Paris, Le Cerf, 2010, p. 1-69, où sont édités tous les fragments du livre de l’Exode. 2. CROSS F. M., « The History of the Biblical Text in the Light of Discoveries in the Judean Desert », Harvard Theological Review 57, 1964, p. 281-299. Pour un exposé d’ensemble sur les problèmes de critique textuelle voir « Histoire du texte et critique textuelle de l’Ancien Testament dans la recherche récente », dans SCHEN-
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comme babylonien, égyptien ou palestinien. Bien qu’une telle « tripartition » ait été rejetée car trop radicale il n’en demeure pas moins que cette fluidité textuelle est bien réelle. Que ces textes aient été l’œuvre des scribes de la « secte de Qumran » ou apportés ici depuis le Temple de Jérusalem, ou encore tirés d’un dépôt de manuscrits mis au rebut (Guénizah), cette fluidité paraît signifier que ceux qui les copièrent ne se référaient pas à un texte standard dont ils auraient admis l’autorité. Les scribes ne se sentaient pas tenus par le dogme de l’intangibilité du texte qui s’imposera universellement au judaïsme à partir des premiers siècles de notre ère. Cette hypothèse de fluidité textuelle a été corrigée depuis peu par Emmanuel Tov 3 dans une étude qui ne prend pas seulement en compte les manuscrits bibliques retrouvés près de Qumran (87 pour la Torah), mais aussi les 23 rouleaux, dont 14 de la Torah, découverts sur les autres sites du désert de Juda. Après avoir effectué une comparaison minutieuse de ces deux groupes de manuscrits avec le texte consonantique tel qu’il est conservé sous sa forme actuelle 4 , Tov est arrivé à la conclusion qu’il fallait distinguer clairement deux catégories de textes anciens qu’il définit comme « identiques » ou seulement « comparables » au texte consonantique actuel. Le critère retenu est quantitatif. Sont considérés par lui comme « identiques » les manuscrits qui présentent au maximum « cinq écarts par colonne » par rapport au texte standard et comme seulement « comparables », ceux dont les écarts sont plus nombreux. Classés en fonction de ces critères, Tov constate alors que ces deux types de textes se superposent à deux aires géographiques bien distinctes : Qumran ne fournit que des textes « comparables », alors que les textes provenant des autres sites du désert de Juda sont « identiques ». Par exemple, en ce qui concerne la Torah, les textes de Genèse, Exode, Nombres et Deutéronome trouvés à Murabba‘at ne présentent aucune différence par rapport au texte consonantique actuel, ce qui n’est jamais le cas pour les manuscrits retrouvés à Qumran. En se référant alors aux témoignages rabbiniques anciens, Tov suggère que la copie des rouleaux « identiques » au texte actuel serait étroitement liée au centre spirituel du judaïsme, Jérusalem, et vraisemblablement au Temple lui-même. Ces copies ressemblent en effet à des éditions « de luxe » – grandes marges, grand nombre de lignes et fort peu d’intervenKER A. – HUGO Ph. (éd.), L’enfance de la Bible hébraïque. Histoire du texte de l ’Ancien Testament, Labor et fides, Genève, 2005, p. 11-33. 3. TOV E., « La nature du texte massorétique à la lumière des découvertes du désert de Juda et de la littérature rabbinique », dans SCHENKER A. – HUGO Ph. (éd.), L’enfance de la Bible hébraïque. Histoire du texte de l ’Ancien Testament, Labor et fides, Genève, 2005, p. 105-131. 4. Cette forme est celle que l’on trouve dans les rouleaux de la Torah des synagogues, aussi bien que dans les éditions modernes dont la plus utilisée actuellement est la Biblia Hebraica Stuttgartensia (BHS), 5e édition, Stuttgart, 1997.
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tions de scribes – ce qui indiquerait probablement qu’ils avaient un statut officiel et que les règles appliquées par les scribes étaient déjà celles que retiendront en fin de compte les rabbins. Ces textes proviendraient donc de milieux proches du Temple, tandis que ceux de Qumran – Tov opte implicitement pour la provenance sectaire de ces derniers – « se feraient le reflet d’une communauté qui manifeste une approche ouverte de l’Écriture », et ne se sent donc pas liée par le dogme de son intangibilité. Tov considère par ailleurs que la fixité de transmission des manuscrits « identiques » au texte actuel ne peut s’expliquer que s’ils ont tous été copiés à partir d’une seule source, en l’occurrence l’un (des) exemplaire(s) modèle(s) situé(s) dans un centre important, c’est-à-dire au Temple de Jérusalem jusqu’à sa destruction en 70 de notre ère, et plus tard dans un autre centre (Yavnéh ?). Une telle hypothèse est par ailleurs solidement étayée par des sources rabbiniques qui parlent en effet d’un modèle de la Torah découvert dans la cour du Temple ainsi que de rouleaux copiés ou révisés selon cette Torah modèle. Quant à l’origine de ce modèle, Tov suggère qu’au début de la période hasmonéenne (vers 140 avant notre ère), un exemplaire modèle aurait été déposé dans la cour du Temple en réponse à l’ampleur de la diversité textuelle. Les textes divergents du texte modèle auraient cependant continué à circuler jusqu’à la destruction du Temple puis progressivement, mais sans décision autoritaire, le texte modèle se serait imposé universellement sous l’impulsion pharisienne. C’est le texte consonantique de nos Bibles. Tov reconnaît cependant qu’aucune date n’est vérifiable, ni tardive, ni ancienne, mais que l’hypothèse opposée, selon laquelle le texte modèle que l’on retrouve dans nos Bibles serait le résultat d’un processus de standardisation opéré seulement à la suite d’une période de fluidité textuelle, ne saurait non plus être démontrée. On se trouve donc face à deux scénarios contradictoires entre lesquels Tov se refuse à trancher. Celui qui emporte actuellement l’adhésion de l’immense majorité des spécialistes est que le texte standard ne s’est imposé que tardivement après une longue période de fluidité textuelle. Cela impliquerait évidemment que depuis la période perse, date supposée de l’achèvement de la rédaction de la Torah, le texte aurait été recopié avec une certaine liberté par des scribes non encore soumis à la règle d’intangibilité de l’Écriture. Dans cette perspective, le texte standard qui aurait été imposé dès la période hasmonéenne comme norme de référence aux scribes « habilités » ne serait qu’un texte parmi d’autres – pas nécessairement le plus ancien, ni le plus fidèle – et aurait été choisi pour des raisons inconnues par les autorités du Temple comme étalon pour les copies à usage public. Le corollaire d’une telle hypothèse est évidemment qu’aucun des témoins actuels du texte hébreu ne peut prétendre reproduire le texte original et qu’il est donc légitime de vouloir reconstituer cet original perdu à partir de l’ensemble des témoins dont nous disposons, ce qui est actuellement l’un des buts de la critique textuelle.
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Les conclusions de Tov permettent cependant d’envisager un autre scénario. Si l’on retient l’hypothèse d’une rédaction de la Torah à la période hellénistique (200 avant notre ère), ce texte modèle que Tov fait remonter à la période hasmonéenne (140 avant notre ère) pourrait tout aussi bien être le texte original de la Torah écrit en 200 avant notre ère. Tov reconnaît en effet qu’aucune date, « ni tardive, ni ancienne », ne peut être prouvée. On serait en présence du texte dont l’intangibilité aurait été décrétée par le grand prêtre Siméon le Juste lui-même et garantie par un système de contrôle des copies à usage officiel. Pour expliquer l’existence de copies non conformes telles que celles qui ont été trouvées dans le désert de Juda, on pourrait alors envisager une double hypothèse. Ces copies non conformes auraient pu être faites dans des groupes religieux revendiquant une certaine autonomie par rapport au Temple (les pharisiens, par exemple) ou opposés au Temple (les « esséniens » ou les samaritains). On peut aussi supposer que certaines d’entre elles aient été faites de mémoire par des scribes qui n’avaient pas mémorisé l’orthographe originale du texte. Ce ne serait qu’après la destruction du Temple que le texte standard aurait été reconnu et que les copies non conformes auraient été éliminées, comme le furent tous les écrits déclarés non canoniques. Si cette hypothèse était vérifiée, cela signifierait que le texte consonantique hébreu actuel de nos Bibles est bien la copie conforme du texte original, avec toutes les conséquences que cela impliquerait, et d’abord en matière de critique textuelle. § 13 Le texte consonantique de la Torah Qu’ils viennent de Qumran ou d’un autre site, les manuscrits bibliques du désert de Juda nous permettent de constater que le texte consonantique que nous connaissons, abstraction faite des variantes qu’on y rencontre, était déjà copié à période ancienne en fonction des normes qui s’appliquent encore actuellement à la copie du rouleau de la Torah et que la seule armature consonantique du texte était fixée, à l’exclusion de tout signe spécifique de vocalisation ou de ponctuation. Cependant bien qu’il ne possède ni voyelles, ni signes de ponctuation, ni division en versets ou en chapitres, ni titre au début des livres, ce texte n’en est pas moins parfaitement structuré. Il est composé au moyen des vingt-deux lettres de l’alphabet hébreu, dont cinq ( )כמנפצprennent une forme spécifique lorsqu’elles sont écrites en fin de mot ()ךםןףץ, ce qui leur a valu l’appellation de « lettres finales ». En tenant compte de cette double graphie de cinq lettres, le nombre des signes qui composent actuellement le texte hébreu est donc de vingt-sept lettres, en tout et pour tout. Un examen minutieux du texte permet par ailleurs de constater que certaines de ces lettres attirent l’attention par leur taille ou par leur écriture
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en indice ou en exposant. C’est le cas par exemple de la première lettre de le Torah, le bét ( )בde ( ב ראשיתau commencement…) dont la taille est supérieure à la normale, alors qu’à la fin de ce même récit de création un hé ( )הde petite taille est placé en exposant : « Telle fut la genèse des cieux et de la terre quand ils furent créés ()ב ה בראם. » (Genèse 2, 4) 5 Plus surprenante encore est la présence, dans le livre des Nombres, d’un passage encadré par la lettre noun ()נ, écrite à l’envers, comme si le scribe avait voulu mettre ce texte entre parenthèses (Nombres 10, 35-36). Mais bien que les manuscrits ne s’accordent pas toujours sur le choix de ces subtilités, ce qui pourrait laisser croire que ces dernières ont été ajoutées à l’initiative de scribes, l’étude de quelques-uns de ces cas montrera, le moment venu, qu’ils appartenaient bien au texte original (§ 87). § 14 L’Écriture de noms divins en paléohébreu Il existe cependant une différence entre certains manuscrits anciens et les rouleaux des synagogues. Alors que, dans ces derniers, les noms de Dieu sont écrits comme le reste du texte en alphabet araméen, certains manuscrits du désert de Juda écrivent le nom de Yahvéh ( )יהוהau moyen de l’alphabet paléohébreu ()יהוה. C’est également le cas, mais rarement, pour le nom de Él ( אל: Dieu = )אל. Ce phénomène est également observable dans certains manuscrits grecs anciens qui ne traduisent pas le nom de Yahvéh par « Seigneur » (kurios), mais conservent l’image du tétragramme hébreu יהוהen l’imitant au moyen de lettres grecques majuscules (Π Ι Π Ι). Ces faits sont d’interprétation délicate. Deux hypothèses sont possibles. On peut en effet considérer que la présence de ces noms divins écrits en paléohébreu provient d’initiatives prises par certains scribes afin de souligner leur caractère sacré. On peut, au contraire, penser qu’on a choisi de mettre en évidence deux des noms divins au moment même de la fixation du texte en les écrivant au moyen de ces cinq lettres paléohébraïques ()אהויל. Si une telle hypothèse était retenue – et l’analyse de témoignages anciens la confirmera – il faudrait alors considérer que le texte de la Torah n’avait pas été fixé au moyen de vingt-sept signes, mais bien de trente-deux. Aux vingt-deux lettres fondamentales et aux cinq lettres finales s’ajouteraient cinq lettres paléohébraïques. Dans l’immédiat on notera seulement que la première michnah du plus ancien traité de mystique juive, le séfér yetsirah, fait écho à ce modèle 32 en postulant que c’est « Au moyen de trente-deux sentiers merveilleux de sagesse – les lettres de l’Écriture – que Dieu a gravé et créé son monde » (§ 76).
5. Ces deux particularités graphiques sont absentes de la Bible de Stuttgart mais attestées dans les rouleaux de la Torah.
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§ 15 Trente-deux signes et un blanc À la différence des manuscrits grecs de la même époque, le texte de la Torah est fixé en écriture discontinue ; chaque mot est séparé du suivant par un espace. Il ne s’agit pas là d’une innovation. Certaines inscriptions sémitiques de la période royale indiquaient déjà le découpage des mots en mettant entre eux un point de façon à faciliter une lecture rendue difficile par l’absence de voyelles. Ce même résultat est obtenu dans le texte biblique par un blanc, espace non écrit qui permet de connaître le découpage précis des mots voulu par l’auteur. Ce fait est capital. Imaginons que la Torah ait été fixée en écriture continue comme l’étaient les textes grecs ! Ce que nous lisons « Au commencement Élohim créa » serait alors apparu sous la forme בראשיתבראאלהים. Un lecteur non initié aux subtilités de la théologie biblique qui enseigne que le mot Élohim doit être considéré comme un singulier bien que sa forme soit plurielle, aurait alors spontanément coupé le mot ’( אלהיםélohim) en deux pour lui donner la valeur de singulier imposée par l’accord avec le verbe et aurait compris : « Au commencement le dieu de la mer ( אל ה־ים:’él ha-yam) créa… », attribuant ainsi la création biblique au dieu Yam, un dieu du panthéon phénicien voisin. Le choix de l’écriture discontinue, tout au contraire, interdit d’envisager cette solution de bon sens et impose de garder la lecture la plus difficile, celle d’Élohim accordé au singulier quoique de forme plurielle. Ce blanc ne sert pas seulement à fixer le découpage en mots, mais aussi à organiser le texte en unités de sens. Il existe en effet dans les manuscrits des blancs de longueurs différentes qui permettent de hiérarchiser le texte en paragraphes et en livres. Le découpage en paragraphes est double. Dans un premier cas, le blanc se trouve placé comme dans notre typographie et le scribe commence le nouveau paragraphe en allant à la ligne. Mais il arrive aussi que ce blanc apparaisse au milieu d’une ligne, le texte reprenant alors sur la même ligne après une pose suggérée par l’espace non écrit. Selon la terminologie des grammairiens anciens, les paragraphes du premier type seraient des « paragraphes ouverts » et les autres des « paragraphes fermés », une distinction qui aurait trait à leur interprétation. Le paragraphe ouvert correspondrait à une unité dont le lecteur serait invité à « ouvrir » l’interprétation. Cette expression classique se retrouve, par exemple, dans le récit des études d’Aqiba qui demande à son mentor : « Ouvre-moi le goût de la Michnah 6 !» C’est ainsi que la fin de l’œuvre de chacun des six premiers jours de la création est marquée par un retour à la ligne, ce 6. Cf. Avot de Rabbi Natan A, 6 (autre traduction française dans Leçons des pères du monde, Pirqé Avot et Avot de Rabbi Nathan, version A et B, éd. E. Smilévitch, (coll. « Les Dix Paroles »), Paris, Verdier, 1983, p. 116) ; texte commenté dans BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 27.
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qui est une invitation à considérer que chaque jour traite d’une création spécifique qu’on doit interpréter indépendamment des autres. Dans le cas contraire, celui du paragraphe fermé, il s’agit aussi d’un enseignement complet en soi, mais dont on est invité à différer l’interprétation jusqu’à ce qu’apparaisse le blanc d’un paragraphe ouvert. L’expression « fermer » est, elle aussi, attestée à période ancienne et se retrouve dans un texte écrit vers 163 avant notre ère, et dans lequel un mystérieux vieillard vêtu de lin donne à Daniel l’ordre de renoncer à l’interprétation du texte hébreu en lui disant : « Ferme les paroles 7 ». Ce deuxième cas de figure se rencontre par exemple dans le texte des « dix commandements » dont chacun, pris indépendamment, constitue un paragraphe fermé, mais dont l’ensemble (Deutéronome 5, 1-6, 3) constitue un paragraphe ouvert, probablement pour signifier au lecteur que ces commandements forment un tout et que l’on ne peut se contenter de la pratique de l’un d’entre eux. D’ailleurs le titre hébreu donné à cet ensemble de commandements n’est pas « les dix paroles » (‘asarah devarim) mais « la dizaine (ou la décade) des paroles » (‘asèrèt hadevarim) (Deutéronome 4, 13) ce qui suffit à indiquer qu’elles constituent un tout indissociable. Ce système des paragraphes ouverts et fermés définit donc de façon impérative les unités minimales du texte et en impose une interprétation globale, une règle capitale de l’herméneutique ancienne qui a été rendue caduque par l’introduction de la division en chapitres et versets. Suite à ces innovations la division en paragraphes est devenue un organe témoin de l’interprétation passée que les éditions modernes négligent souvent. Bien que les titres actuels des livres de la Torah (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome) leur aient été donnés par les juifs d’Alexandrie, la division en livres n’en est pas moins réelle dans le texte hébreu. Elle est indiquée au moyen d’un blanc de plusieurs lignes placé entre chaque livre. Lorsqu’on voulait identifier ces livres autrement que par leur numéro d’ordre, on se contentait alors d’en citer les premiers mots : « Au commencement… » pour la Genèse, « Et ceux-ci sont les noms… » ou seulement « les Noms », pour le livre de l’Exode, etc. Ce qui frappe donc avant tout, lorsqu’on voit un rouleau de la Torah, c’est l’économie des moyens mis en œuvre pour en fixer le texte. Il l’a été, en tout et pour tout, au moyen de trente-deux signes visibles et d’un signe invisible, ce blanc, de longueur variable, présent à tous les niveaux du texte. Ce blanc omniprésent sépare lettres, mots, paragraphes et livres. Il définit de façon impérative quoique silencieuse, l’organisation intégrale de la révélation, de sa moindre lettre à son ensemble, comme s’il était le signe non écrit par lequel ce Père de l’Univers dont parlait Philon révèle sa présence et dirige tout. 7. Cf. Daniel 12, 4. Texte commenté dans BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 87-93.
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§ 16 Écriture et Lecture On pourrait penser qu’un lecteur ancien, se fondant sur sa propre connaissance de la langue hébraïque, était capable de lire ce texte biblique dont la seule structure consonantique était notée. En fait il n’en est rien. Dans de nombreux cas, une telle connaissance ne lui suffisait pas. L’Écriture n’introduisait pas automatiquement à la Lecture. Le fait est suffisamment important, et oublié, pour qu’on prenne le temps de l’illustrer de quelques exemples. La première difficulté de lecture apparaît dès la première consonne du texte, le bét de beré ’chit. Les traductions rendent généralement ces premiers mots par « Au commencement Élohim créa les cieux et la terre ». Chouraqui 8 propose, quant à lui, une traduction calque de l’hébreu – « ENTETE Élohîms créait les ciels et la terre » – mais qui n’éclaire en rien le sens du texte. Ceux qui choisissent de traduire par « au commencement » en faisant précéder le mot « commencement » de l’article défini, lisent implicitement le premier mot de la Torah en vocalisant sa première consonne avec la voyelle a de l’article défini (ba-ré ’chit) bien que la prononciation unanimement admise par la tradition juive orthodoxe et indiquée dans toutes les éditions imprimées vocalisées soit beréchit, la voyelle « e » indiquant l’indétermination. On devrait donc traduire littéralement : « En un commencement », ce qui ne manquerait pas de plonger le lecteur dans une profonde réflexion métaphysique sur les origines. La traduction par « ENTETE » que retient Chouraqui est quant à elle aussi astucieuse que trompeuse, car bien qu’elle tienne matériellement compte de cette omission, elle choisit de la rendre au moyen d’une formule qui, de fait, ne suggère en rien un commencement « indéterminé », bien au contraire. Cette première observation permet déjà de préciser le rapport qui existe entre écriture et lecture dans le texte biblique. Il est évident qu’un lecteur hébraïsant livré à lui même face au texte non vocalisé lirait spontanément ba-rè’chit avec l’article défini. On doit donc admettre que si la lecture officielle impose d’omettre ici l’article, c’est que pendant les siècles qui ont précédé la fixation écrite des voyelles, un enseignement oral, répété de façon invariante de génération en génération, a imposé cette lecture insolite. L’autorité de cette transmission orale a été telle que cette simple voyelle « a » qu’appelle le bon sens n’a été réintroduite, ni dans la lecture synagogale, ni dans les manuscrits vocalisés, ni même dans les textes imprimés. Ce premier exemple a valeur paradigmatique et le raisonnement qu’il induit peut, par exemple, être repris à propos de nombreux noms de personnages dont la graphie ne suggère nullement la lecture. Les cas sont en effet multiples pour lesquels l’écriture de « mères de lectures » suggérant 8. CHOURAQUI A., La Bible, Paris, Desclée de Brouwer, 1989.
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les voyelles aurait suffit, en partie au moins, à lever l’ambiguïté. Pourquoi avoir écrit נחet non pas נוחpour le nom de Noé (noah), alors que la mère de lecture naturelle de la voyelle o est le waw ( ? )וLa graphie משהsuggère d’abord une lecture masah ou machah, voire mésah ou méchah, mais sûrement pas celle de mochéh, qui est pourtant la prononciation unanimement admise du nom hébreu de Moïse. Les scribes des manuscrits du désert de Juda – qui ne se sentaient pas liés par le dogme de l’intangibilité de l’Écriture – écrivent régulièrement מושהen indiquant la voyelle o au moyen du waw. Que les lecteurs hébraïsants qui, par habitude, douteraient de la pertinence de ces remarques en vérifient eux-mêmes le bien fondé en s’exerçant à lire dans un texte non vocalisé les noms des soixante-dix peuples qui furent dispersés après le Déluge (Genèse 10), ceux des généalogies d’Ésaü (Genèse 36) ou la liste des soixante-dix membres de la lignée de Jacob qui descendirent en Égypte (Genèse 46). Ils ne pourront que se rendre à l’évidence et conclure, aussi paradoxal que cela puisse paraître, que le but de l’auteur du texte hébreu n’a pas été d’en permettre la lecture individuelle sans une mémorisation préalable auprès d’un maître. Un exemple plus surprenant encore permettra d’entrevoir quelle a pu être la raison d’une telle fixation et quel type de réflexion elle visait à provoquer chez le lecteur. Dans le récit bien connu de la tour de Babel (Genèse 11, 1-9) il est précisé que lorsque les hommes choisirent les matériaux de construction de leur ville et de leur tour : La brique leur servit de pierre et le bitume ( חמר: hémar) leur servit de mortier ( חמר: homèr). (Genèse 11, 3)
Le moins que l’on puisse dire est que quelques mères de lecture auraient grandement facilité la tâche du lecteur dans son choix des matériaux. Il suffisait pour cela d’écrire ( חימרhémar) pour le bitume et ( חומרhomèr) pour le mortier. Mais force est de constater qu’une écriture ambiguë a été préférée, et soigneusement préservée par les copistes, qui met le lecteur non informé par la tradition orale en grand danger de confondre « bitume » et « mortier ». En fait, un choix d’écriture aussi énigmatique, et pourtant intentionnel, ne peut avoir pour but que d’inciter le lecteur ancien à rechercher une solution à cette énigme. Pourquoi le mettre en présence d’une graphie unique ( )חמרdont on doit faire une double lecture (hémar ou homèr) sans qu’il soit possible de trancher sans le secours d’une tradition orale ? Confronté à ce dilemme, le lecteur cherchera alors la solution de cette énigme en interrogeant l’ensemble du récit de Babel. Qu’y lira-t-il ? Qu’au lendemain du Déluge, « toute la terre avait un seul langage et un seul parler » (Genèse 11, 1) et cela jusqu’à ce que le choix des matériaux incriminés incite Yahvéh à intervenir : « Allons ! Descendons et ici même confondons leur langage, en sorte qu’ils ne comprennent plus le langage les uns des autres », un projet mis à exécution et qui provoqua
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la « confusion des langues » de l’humanité et l’interruption du chantier. Et c’est en souvenir de cette confusion postdiluvienne des langues que la ville reçut le nom de Babel ce qui signifie « dans la confusion (ba-bél) », car « là, Yahvéh confondit le langage de toute la terre et de là Yahvéh les dispersa sur la surface de toute la terre » (Genèse 11, 9). Bien que l’énigme n’ait été que déplacée, cette remise en contexte permet d’entrevoir que le choix de la graphie ambiguë חמרn’est le fait ni du hasard, ni de la négligence d’un scribe, ni de l’absence de normes orthographiques, mais bien la marque d’une intention délibérée d’exprimer dans la matérialité même de l’écriture le thème de la confusion, développé dans l’histoire de Babel. Ces quelques remarques qu’il serait possible de multiplier, autorisent à formuler l’hypothèse selon laquelle certains choix graphiques au moins ont été intentionnels, mais que loin d’avoir été dictés par le souci de faciliter la lecture – rôle imparti à un enseignement oral parallèle – ils ont été placés là comme des jalons afin de guider le lecteur – et non l’auditeur – dans sa quête d’un sens allégorique de cette Écriture. Il existerait donc bien dans ce texte deux niveaux d’interprétation, l’un fondé sur la Lecture, l’autre sur l’Écriture. Et les conflits qui opposeront pendant les siècles suivants les partisans de la Torah écrite à ceux de la Torah orale, trouveraient alors leur point d’ancrage dans la fixation originelle du texte lui-même. § 17 Du rouleau au codex Dans le monde hellénistique, jusqu’aux premiers siècles de notre ère, les œuvres littéraires furent écrites sur des rouleaux de papyrus ou de parchemin. Ce fut aussi le cas en Judée comme en témoignent les découvertes du désert de Juda. Le texte de la Torah des synagogues est écrit sur un rouleau unique de parchemin dont la longueur avoisine les 26 mètres, et qui comporte, selon le modèle standard, 245 colonnes de 42 lignes. Si une telle présentation permet la lecture suivie du texte, elle ne se prête pas à une consultation ponctuelle en sautant d’un livre à l’autre. L’interprétation de l’Écriture par l’Écriture qui se pratiquait à période ancienne et qui imposait de mettre en relation des passages dispersés dans les cinq livres, voire même dans l’ensemble du corpus, impliquait donc nécessairement une mémorisation préalable du texte. Par ailleurs, comme l’a montré l’exemple de §( חמר16), le passage d’un sens de surface à un sens allégorique se fondait aussi sur l’observation de la graphie même des mots, ce qui impliquait d’avoir accès au texte lui-même, au moins tant que l’orthographe n’en avait pas été mémorisée. Mémorisation de la Parole et vision de l’Écriture étaient donc complémentaires et indissociables. Ce rapport avec le texte fut modifié par l’apparition, vers le II e siècle de notre ère, de l’ancêtre de nos livres, le codex. Cependant, l’impact de ce progrès technique qui permettait de parcourir le texte en tout sens ne
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se fera sentir que très progressivement. Bien que les premiers codices de la Bible hébraïque qui nous soient parvenus datent du Moyen Âge, ce n’est véritablement qu’avec l’invention de l’imprimerie et les premières éditions imprimées que cette nouvelle approche de l’Écriture s’imposera. Il sera alors possible de circuler dans le texte sans l’avoir mémorisé. § 18 La fixation des voyelles Les manuscrits découverts dans la Guénizah du Caire nous ont appris qu’au cours du premier millénaire de notre ère, plusieurs systèmes de notation des voyelles avaient été inventés par les scribes 9. Celui qui finira par s’imposer sera le système tibérien des éditions actuelles, un système complexe qui fixe, avec une minutie extrême, la prononciation des voyelles. Les premiers manuscrits complets vocalisés de la Bible remontent au Moyen Âge et c’est sur un codex daté de 1008 qu’a été faite l’édition scientifique dont se servent les spécialistes européens actuels et à laquelle renvoie cette étude. Ces systèmes de vocalisation n’ont pas été conçus à l’origine pour dispenser de la mémorisation, donc de la transmission orale, mais plutôt pour en garantir la fidélité. Dans le judaïsme, la lecture liturgique du texte se fait encore sur le texte non vocalisé, ce qui exige donc une mémorisation préalable de celui-ci, même si la présence d’un maître qu’impliquait cet apprentissage peut maintenant être remplacée par la consultation d’un texte écrit vocalisé. Il existe, à cet effet, un ouvrage, le tiqun haqore’im, qui reproduit sur deux colonnes un modèle manuscrit du rouleau de la Torah et, en regard, une édition imprimée du texte vocalisé. La question qui s’est posée aux spécialistes chrétiens, à partir de la Renaissance, a été de savoir si cette vocalisation, fixée tardivement, était fidèle au texte original. Des opinions opposées s’affrontèrent sur le sujet aussi bien chez les juifs que chez les chrétiens et si le débat n’est plus d’actualité, il n’en est pas tranché pour autant. Il existerait plutôt sur ce point un consensus pour répondre par la négative et considérer que pendant les nombreux siècles de transmission purement orale de la vocalisation du texte, des modifications, volontaires ou non, ont été introduites qui ont pu en biaiser le sens. La motivation des chrétiens qui émirent, pour la première fois, des réserves sur la parfaite authenticité des voyelles était d’ordre théologique plus que scientifique. Luther, par exemple, qui considérait que l’Ancien Testament avait d’abord pour fonction d’annoncer Jésus, soupçonnait les juifs d’avoir falsifié, par endroits, la vocalisation du texte afin d’en gommer la portée christologique. Reprise par Jean Morin, cette hypothèse 9. Sur l’histoire de la vocalisation, voir HADAS-LEBEL M., L’hébreu : 3000 ans d ’histoire, Paris, Albin Michel, 1992, p. 75-84.
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conduisit à considérer que les voyelles du texte ne bénéficiaient pas du même degré d’inspiration que les consonnes. Il était donc possible de les amender. Et bien qu’actuellement le problème ne soit plus posé en termes d’inspiration, l’importance des voyelles est souvent négligée. L’absence de la voyelle « a » de l’article dans beré ’chit, par exemple (§ 16) est tacitement considérée comme une erreur de la transmission orale. L’apparat critique de la Bible de Stuttgart propose en conséquence de comprendre baré ’chit, comme le faisaient déjà, à époque ancienne, Origène ou les Samaritains. § 19 À propos du pronom féminin de la deuxième personne du singulier L’hypothèse d’erreurs de vocalisation a ouvert la porte à la critique textuelle, une porte dans laquelle se sont engouffrés les tenants de la critique biblique qui finiront par englober dans une même suspicion le texte consonantique lui-même et sa vocalisation. Mais cette affirmation de l’infidélité des scribes, qui a été dictée à la fois par des préoccupations d’ordre théologique et par l’antijudaïsme de l’époque, résiste-t-elle à l’analyse ? La deuxième partie de ce livre démontrera que non, mais il n’est pas inutile d’accréditer dès maintenant une thèse qui prend à contre-pied l’ensemble de la critique biblique actuelle en l’illustrant d’un exemple qui me semble avoir valeur paradigmatique. Pour en saisir la portée, il est d’abord nécessaire de parler un peu de grammaire. À la différence du français qui emploie le pronom personnel « toi » aussi bien pour le masculin que pour le féminin, l’hébreu distingue les deux genres. On dira à un homme : ’atah et à une femme : ’ate, et l’écriture des deux pronoms sera, dans l’immense majorité des cas, différente. On écrira אתהpour le masculin et אתpour le féminin. Il existe cependant quelques passages où le pronom masculin ’atah est écrit את, comme le féminin, et où l’ambiguïté de l’écriture est levée par la tradition de lecture qui enseigne que dans ces cas-là la vocalisation est bien celle du masculin ’ata. Dans le livre des Psaumes par exemple on lit : « Et toi ( אתlu ’ata) Yahvéh, jusques à quand ? » (Psaume 6, 4) alors que les consonnes sont celles de la forme féminine ! La désignation d’un personnage par le pronom personnel de la deuxième personne du féminin singulier ( אתlu ’ate) est très rare dans la Torah. Ce pronom est réservé en tout et pour tout à quatre personnages, dont deux sont notoirement féminins, Saraï et Rébecca, et les deux autres réputés masculins. Le premier cité est Moïse et le second Yahvéh ! Lorsque les fils d’Israël demandèrent à Moïse de servir d’intermédiaire entre eux et Yahvéh, ils lui dirent : Entends tout ce que dit Yahvéh notre Dieu, puis toi ( אתlu ’ate), tu nous diras tout ce qu’aura dit Yahvéh. (Deutéronome 5, (24), 27)
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Dans un autre passage c’est Moïse, qui dit à Yahvéh : Si Toi ( אתlu ’ate) tu agis de la sorte, tue-moi plutôt ! (Nombres 11, 15)
On s’attendrait évidemment à ce que ces deux cas soient traités comme celui du Psaume 6, 4 cité précédemment et que la lecture du masculin ’atah lève l’ambiguïté de l’écriture féminine את. Or il n’en est rien ! Dans les deux cas, la lecture synagogale impose, encore actuellement, de lire ’ate, donc de désigner explicitement Yahvéh et Moïse comme des personnages féminins dans ces deux passages de l’Écriture. On conviendra qu’une telle lecture n’a pu s’imposer à la suite d’une erreur de scribe qui aurait été entérinée par l’ensemble des communautés juives du Moyen Âge et encore moins à la suite de la décision de rabbins désireux d’imposer l’idée de la féminité de Yahvéh. Les deux autres attestations de l’emploi du pronom féminin concernent, comme on l’a dit, deux femmes : Saraï et Rébecca. Cela ne devrait pas faire problème a priori. Pourtant, on constate, en lisant les textes relatifs aux quatre personnages désignés comme féminins par le pronom ’ate, que cette féminité est en quelque sorte contrebalancée, d’un point de vue grammatical, par un accord au masculin. Dans le cas de Yahvéh, le pronom féminin est suivi d’un verbe au masculin : « Si toi (’ate : féminin), tu fais (‘oséh : masculin) ». De même pour Moïse : « Toi (’ate : féminin), tu diras (tedabér : masculin). Mais la contradiction apportée par l’accord est encore plus surprenante chez les femmes. Avant d’entrer dans l’alliance qui devait changer son nom en Abraham, Abram descendit en Égypte (Genèse 12, 10-20) et décida de faire passer son épouse Saraï pour sa sœur afin d’éviter que les Égyptiens, qui ne manqueraient pas d’être séduits par sa beauté, ne se débarrassent de lui, en le tuant, et ne la donnent comme concubine au Pharaon. Il s’en excusa d’avance auprès d’elle en la flattant sur sa beauté qui ne pouvait qu’éblouir les Égyptiens : « Car toi ( את: ’ate) (tu es) une épouse belle d’aspect. » (Genèse 12, 11) Et effectivement, dès leur arrivée, les Égyptiens virent Saraï mais trouvèrent que « lui ( הוא: hou’ : masculin) (est) très belle (yafah : féminin) ». Elle apparût donc comme féminine à Abram et comme masculine et féminine aux Égyptiens. Cependant cette « androgynie » de Saraï, à la différence de celles de YHWH et de Moïse, ne peut être détectée que par ceux qui voient le texte de la Torah, alors qu’elle est voilée à ceux qui ne font qu’entendre cette histoire, car, dans le cas de Saraï, la voyelle placée sous les consonnes du pronom masculin ( )הואindique explicitement qu’il doit être lu au féminin (hi’). L’histoire de Rébecca est plus surprenante encore. Après son entrée dans l’alliance, Abraham, devenu vieux, décida d’envoyer son serviteur au pays de ses origines, à Ur en Chaldée, afin d’y trouver une épouse pour Isaac, son fils. La rencontre avec la future épouse, nommée Rébecca, eut lieu auprès d’un puits où les filles de la ville venaient pour puiser de l’eau. Rébecca fit boire le serviteur d’Abraham qui lui demanda : « De qui
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(es-tu) la fille, toi ( את: féminin) ? » (Genèse 24, 23). On apprend par ailleurs, dans les traductions françaises, que « la jeune fille était d’un très bel aspect, qu’elle était vierge et qu’aucun homme ne l’avait connue » (Genèse 24, 15-16). Cette traduction ne rend pas les subtilités de l’hébreu qui, une fois encore, distingue écriture et lecture. Rébecca, comme Saraï, est en effet masculine pour qui voit l’Écriture, car il est écrit à son propos : « Et le jeune-homme ( נער: masculin) est très bonne (tovat : féminin) d’apparence. » Mais elle est féminine pour qui ne fait qu’entendre cette histoire puisqu’il est prescrit en marge des manuscrits de lire le mot נערavec la prononciation du féminin : « la jeune-fille ( נערה: na‘ara : féminin). » En dehors de Yahvéh, Rébecca, Saraï et Moïse, aucun autre personnage n’est explicitement désigné au moyen du אתdu pronom féminin. Cependant, pour être exhaustif, il faut encore examiner un dernier texte dans lequel une « épouse » anonyme est ainsi désignée. On se trouve alors renvoyé à l’épreuve des eaux d’amertume à laquelle doit être soumise une femme soupçonnée d’adultère par son mari, à tort ou à raison. Elle devra se présenter devant le prêtre qui lui dira : Si un homme n’a pas couché avec toi et si tu ne t’es pas débauchée par impureté avec un autre que ton mari, sois innocentée par ces eaux d’amertume qui rendent maudit ! Mais toi ( את: vocalisé ’ate), si tu t’es débauchée avec un autre que ton mari, si tu t’es rendue impure et si un homme a déposé en toi son épanchement, à l’exception de ton mari ! […] Que Yahvéh te livre à l’imprécation et au serment au milieu de ton peuple, en faisant, lui Yahvéh, que ton flanc dépérisse et que ton ventre gonfle ! Que ces eaux qui rendent maudit entrent dans tes entrailles pour faire gonfler le ventre et dépérir le flanc ! (Nombres 5, 19-22)
Dans la mesure où tous les emplois du pronom אתont construit jusqu’ici un système cohérent quoique énigmatique, il est logique d’intégrer cette dernière occurrence à l’ensemble de ce système. On entre alors dans une logique qui, bien qu’éloignée de notre approche du texte biblique, n’en est pas moins rigoureuse. L’argumentation est fondée sur l’analogie verbale. Puisque Saraï et Rébecca, sont les deux seules femmes qui soient désignées au moyen du את, celle qui doit se soumettre au rite des eaux d’amertume doit nécessairement être l’une d’entre elles. Pour trouver la solution il faut alors revenir aux deux textes qui désignaient Saraï et Rébecca au moyen du pronom ’ate. À propos de Rébecca il était précisé qu’elle « était vierge et (qu’)aucun homme ne l’avait connue » (Genèse 24, 15-16) avant sa rencontre avec le serviteur d’Abraham et son mariage avec Isaac. Elle ne peut donc être soupçonnée d’adultère et soumise à l’épreuve des eaux d’amertume. Reste alors Saraï ! Abraham l’aurait-il soupçonnée, à tort ou à raison, d’avoir commis l’adultère avec Pharaon ? Lui aurait-il imposé l’épreuve des eaux d’amertume qui rendent stérile l’adultère ? Ce que l’on sait de Saraï, c’est qu’elle était stérile au moment de sa sortie d’Ur en Chaldée (Genèse
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11, 30) et qu’elle le resta après son séjour chez Pharaon (Genèse 16, 1-2) ! Mais cette stérilité ne fut que momentanée et cessa à partir du moment où le couple entra dans l’alliance et où, de Saraï qu’elle était, l’épouse d’Abraham devint Sarah (Genèse 17, 15-19). On s’en tiendra là, car suffisamment d’indices ont été réunis qui permettent, pour le moins, d’accréditer l’hypothèse d’un texte de la Torah dont l’écriture aussi bien que la lecture auraient été protégées dès les origines par la règle d’intangibilité. Par ailleurs, ces anomalies qui, prises séparément, auraient pu être considérées comme des fautes, constituent, après analyse, un système dont l’harmonie d’ensemble garantit la parfaite conservation en même temps que l’intentionnalité. En indiquant au moyen de ce jeu d’écriture que le אתde quatre personnages est à la fois masculin et féminin, l’auteur invite naturellement l’initié à méditer sur le thème de l’androgynie et à rechercher, conformément au principe d’interprétation de l’Écriture par l’Écriture, le texte de la Torah qui lui fournira la clé d’interprétation de l’ensemble. Il se trouve alors immédiatement renvoyé au récit de la création de l’homme que nous lisons : « Élohim créa l’homme à son image. À l’image d’Élohim il le créa. Masculin et féminin il les créa » (Genèse 1, 27), mais qui devait se lire dans l’Antiquité de la façon suivante : Et Élohim créa le modèle ( )אתde l’Adam (intelligible qui est) associé à son image : (C’est dire qu’) associé à l ’image d’Élohim, (Yahvéh) a(vait auparavant) créé le modèle de celui-ci ( את־ו: ’oto) masculin et (que) féminin il a(vait) créé le modèle de ceux-ci ( את־ם: ’otam). (Genèse 1, 27)
Sans entrer dans une lecture littérale pour laquelle nous ne sommes pas encore équipés, on peut déjà comprendre que si Saraï, Rébecca et Moïse sont présentés comme « androgynes » et désignés au moyen du את, c’est pour signifier qu’ils incarnent, chacun à leur façon, le modèle androgynique de l’homme primordial dont le « אתa été créé masculin et féminin ». Par déduction, l’affirmation de l’androgynie de Dieu s’impose alors, car Adam ayant été « créé à l’image de Dieu », son androgynie implique nécessairement l’existence d’un modèle divin lui-même androgyne. Mais revenons à notre propos initial qui était de vérifier la fiabilité de la vocalisation du texte actuel. Le fait que celui-ci, tel qu’il est fixé dans ses consonnes comme dans ses voyelles, construise un discours aussi insolite que cohérent me paraît être la meilleure garantie d’une transmission rigoureusement fidèle de l’original. Et bien que l’hypothèse prenne à contrepied les conclusions actuelles de la critique biblique, son degré de probabilité me paraît, pour le moins, largement suffire à en justifier la vérification, même si celle-ci doit orienter vers une lecture littérale de l’Écriture débouchant sur un sens allégorique mis à l’index depuis le dix-huitième siècle par les défenseurs du sens littéral à portée historique (§ 7-8).
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§ 20 La division en versets et chapitres En même temps que la vocalisation, les ponctuateurs juifs du Moyen Âge ont introduit dans le texte un système complexe de signes nommés signes de cantilation qui assurent une triple fonction. Associés à chaque mot, ces signes de formes variées codifient d’abord la mélodie du chant synagogal ; ils jouent alors un rôle comparable à celui des neumes dans le chant grégorien des chrétiens. Ils indiquent, par ailleurs, la place de l’accent tonique qui, en hébreu, peut être sur la dernière ou l’avant-dernière syllabe. Mais surtout, par le biais de leur division en signes conjonctifs et disjonctifs, ils fournissent au lecteur une information comparable à celle de notre ponctuation. Alors que certains signes indiquent l’organisation interne de la phrase, comme le font nos virgules et points-virgules, deux signes nommés sillouq et sof passouq, fixent un découpage en versets que reprendront les moines chrétiens. Cette division qui visait probablement avant tout à rythmer la lecture publique en fonction des capacités respiratoires du chantre a eu parfois pour conséquence, soit d’associer dans un même verset plusieurs phrases, ou inversement de scinder une phrase, jugée trop longue, en deux ou plusieurs versets. Par ce biais, comme par la distinction entre signes conjonctifs et disjonctifs, la cantilation a donc pu induire une compréhension du texte différente de celle qu’indiquait le seul texte consonantique. Faut-il alors considérer que les signes de cantilation fixent une syntaxe de la lecture aussi ancienne que le texte lui-même ? Faut-il au contraire lier cette fixation à l’institution de la lecture synagogale par les pharisiens au premier siècle avant notre ère ? Il est difficile de trancher, car nous manquons, bien évidemment, d’information sur la diffusion orale du texte de la Torah auprès du peuple judéen avant l’apparition du mouvement pharisien, au premier siècle avant notre ère. Si l’on est redevable aux juifs de la séparation du texte en versets, c’est en revanche aux chrétiens que l’on doit sa division en chapitres. Faite d’abord sur le texte latin de la Vulgate par les copistes du Moyen Âge, cette division n’a été introduite dans le texte hébreu qu’avec les premières éditions imprimées. Elle s’est alors ajoutée au découpage traditionnel en paragraphes ouverts ou fermés, sans pour autant faire disparaître ceux-ci. Dans les traductions modernes, c’est le découpage du texte en fonction des versets et des chapitres qui s’est imposé et la division actuelle en paragraphes qu’on y observe est le plus souvent due à l’initiative des traducteurs et ne reflète pas, ou imparfaitement, le découpage ancien en paragraphes ouverts ou fermés (§ 15). Plus encore que la division en versets, l’invention des chapitres a induit une lecture nouvelle, un fait souvent sous-estimé et qui mérite d’être illustré au moyen d’un exemple. Alors que, dans le texte original, les sept jours du récit de création correspondaient chacun à un paragraphe ouvert
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et étaient tous mis sur le même plan, le découpage en chapitre a provoqué une coupure matérielle entre les six premiers jours et le septième en repoussant ce dernier au début du chapitre deux, probablement afin de mettre en évidence l’importance de ce septième jour – le sabbat – et à travers lui celui du repos dominical des chrétiens. Mais si la rupture entre temps de travail et temps de repos devient ainsi palpable, c’est au détriment d’un récit de création dans lequel l’interprétation de l’œuvre du septième jour était indissociable de celle des jours précédents (cf. chapitre 10). Un tel choix a également eu pour conséquence de rejeter à l’intérieur du deuxième chapitre une phrase-clé « Celles-ci sont les généalogies des cieux et de la terre » (Genèse 2, 4) qui servait auparavant de frontière entre le récit de création et les récits du paradis. § 21 D’une Écriture unique à la confusion des traductions Pour illustrer l’impact que ce découpage en chapitres du récit de création a eu sur la compréhension de son contenu, il suffira de comparer la façon dont quatre traductions modernes articulent entre eux les récits des sixième et septième jours malencontreusement disjoints par les copistes du Moyen Âge. Cette mise en concurrence des traductions permettra, d’une part, d’entrevoir la complexité des rapports que les spécialistes actuels entretiennent avec le texte hébreu et, d’autre part, la variété des lectures qu’ils en proposent. Dans le même temps, elle servira d’introduction au chapitre suivant dans lequel on s’efforcera de comprendre comment et pourquoi on en est arrivé à une telle diversité des lectures et des interprétations. La traduction « universitaire » d’Édouard Dhorme, dans La Bibliothèque de la Pléiade, est celle que nous citerons dans la suite de ce livre pour la double raison que son auteur, comme nous l’avons dit, s’est efforcé plus que les autres de respecter la littéralité de l’hébreu et a pris soin de justifier en note les corrections importantes qu’il faisait. Voici sa traduction des sixième et septième jours en respectant la présentation typographique exacte qu’il en propose : 1, 31 Élohim vit tout ce qu’il avait fait et voici que c’était très bien. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour. CHAPITRE II
A insi
furent achevés les cieux, la terre et toute leur armée. 2 Élohim acheva, au septième jour, l’œuvre qu’il avait faite et il se reposa, au septième jour, de toute l’œuvre qu’il avait faite. 3 Élohim bénit donc le septième jour et le consacra, parce qu’en lui il se reposa de toute son œuvre qu’Élohim avait créée par son action. 4a Telle fut la genèse des cieux et de la terre quand ils furent créés. 4b Au jour où Yahvé Élohim fit la terre et les cieux, il n’y avait encore sur terre aucun buisson des champs […] 1
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Cette traduction impose visuellement le découpage du Moyen Âge en introduisant le titre « CHAPITRE II » et en commençant ce nouveau chapitre par une lettre en caractère gras : « Ainsi furent achevés les cieux… » De plus, il choisit de rattacher la phrase « 4a Telle fut la genèse des cieux et de la terre quand ils furent créés » au récit de création du septième jour, alors que dans le rouleau de la Torah elle est présentée sans ambiguïté comme l’énoncé initial d’un nouveau paragraphe. Ce choix de lecture – dont on verra par la suite qu’il est capital – provoque de plus le découpage du verset 4 en deux demi-versets numérotés 4 a et 4b avec un passage à la ligne entre les deux. Cependant, bien que Dhorme joue librement avec le découpage du texte, il s’efforce de rendre littéralement l’hébreu, même lorsque le sens paraît incohérent. C’est ainsi qu’Élohim « achève » le septième jour une création qu’il a déjà « achevée » la veille. Par ailleurs en traduisant « (Élohim) se reposa de toute son oeuvre qu’Élohim avait créée » il rend fidèlement un texte hébreu qui suppose un dédoublement de personnalité surprenant chez Élohim. À l’inverse, il corrige le dernier énoncé, en traduisant par « avait créée par son action », un texte qui signifie littéralement avait créée en vue de faire (bara’ la‘asot). Les autres traducteurs optent pour des découpages divers, mais choisissent, chacun à sa façon, de gommer les difficultés d’interprétation créées par les répétitions du verbe « achever » et du mot « Élohim » ainsi que par l’expression créer en vue de faire. Les traducteurs de la TOB mettent en évidence la division en chapitres au moyen d’un 2 de grande taille tout en rattachant l’œuvre du septième jour à celles des six jours précédents. Comme Dhorme, ils transforment le titre du paragraphe suivant en formule de conclusion : « Telle fut la naissance du ciel et de la terre, lors de leur création. » Par ailleurs, ils imposent une grille de lecture de la suite du récit en ajoutant le titre : LES DÉBUTS DE L’HUMANITÉ et le sous-titre : Le paradis terrestre. Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour. 2 1Le ciel, la terre et tous leurs éléments furent achevés. 2 Dieu acheva au septième jour l’œuvre qu’il avait faite, Il arrêta au septième jour toute l’œuvre qu’il faisait. 3 Dieu bénit le septième jour et le consacra car il avait alors arrêté toute l’œuvre que lui-même avait créée par son action. 4Telle fut la naissance du ciel et de la terre lors de leur création. 31
LES DÉBUTS DE L’HUMANITÉ Le paradis terrestre Le jour où le Seigneur Dieu fit la terre et le ciel, 5il n’y avait encore sur terre aucun arbuste des champs […]
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Pour gommer la contradiction introduite par la répétition du verbe « achever » qu’ils conservent, les traducteurs usent d’un double procédé. Ils reviennent à la ligne après chaque énoncé et suppriment les conjonctions de coordination présentes devant chacun d’entre eux. Par ce double biais ils laissent entendre que ce texte doit être lu comme un fragment poétique dans lequel on aurait appliqué la règle du parallélisme, c’est-à-dire la répétition du même thème sous deux formes différentes. « Il acheva au septième jour » devient alors synonyme de « il arrêta au septième jour », ce qui laisse entendre que le verbe « achever » qui devrait signifier « continuer son œuvre jusqu’à son achèvement », prend ici le sens d’« arrêter » comme dans le stique suivant. Ce souci d’éliminer une contradiction a, dans ce cas précis, une conséquence regrettable, car en rendant par « arrêter » le verbe hébreu chabat, dont le sens technique est « pratiquer le sabbat », les traducteurs font disparaître du récit de création le thème qui lui donne tout son sens et qui est qu’en pratiquant le sabbat l’homme ne fait que reproduire dans l’histoire le modèle révélé par Dieu lors de la création. De même, la répétition insolite du nom d’Élohim que Dhorme conservait est élégamment gommée par la substitution de « lui-même » au nom d’Élohim, ce qui suffit à éliminer la contradiction. Enfin, comme chez Dhorme, l’expression créer en vue de faire devient « créer par son action ». La Bible du Rabbinat dont la traduction date de la fin du XIX e siècle, mais qui sert toujours de référence au judaïsme français et qui vient d’être rééditée, respecte le découpage du texte hébreu et rattache, matériellement au moins, le titre « Telles sont les origines du ciel et de la terre » à ce qui suit. Dieu examina tout ce qu’il avait fait : c’était éminemment bien. Le soir se fit, puis le matin : ce fut le sixième jour. 2 Ainsi furent terminés les cieux et la terre avec tout ce qu’ils renferment. 2 Dieu mit fin, le septième jour, à l’œuvre faite par lui ; et il se reposa, le septième jour, de l’œuvre qu’il avait faite. 3Dieu bénit le septième jour et le proclama saint, parce qu’en ce jour il se reposa de l’œuvre entière qu’il avait produite et organisée. 4 Telles sont les origines du ciel et de la terre, lorsqu’ils furent créés ; à l’époque où l’Éternel-Dieu fit une terre et un ciel. 5Or, aucun produit des champs ne paraissait encore sur la terre […]. 31
Cette fidélité matérielle au texte hébreu n’est pourtant que de surface. Le traducteur élimine lui aussi la difficulté provoquée par la répétition du verbe « achever » en le rendant par deux verbes français différents : « terminer » et « mettre fin ». Par ailleurs, comme la TOB, il fait disparaître la deuxième mention d’Élohim en traduisant « l’œuvre entière qu’il avait produite » au lieu de toute son œuvre qu’Élohim avait créée. Quant à la phrase sibylline qu’il avait créée en vue de faire, elle devient « qu’il avait créée et organisée ». On finira ce tour d’horizon en citant la traduction à succès de Chouraqui que l’éditeur présente en des termes dithyrambiques :
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Bousculant les images ou les formules convenues, retrouvant la beauté initiale et le rythme originel de la langue qui l’a vu naître, cette traduction de la Bible a été jugée par André Malraux comme « une grandiose aventure de l’esprit », tandis que le grand théologien Hans Urs von Balthasar y voyait « une traduction vraiment inspirée qui nous a rendu la parole ».
À la différence des traducteurs précédents, Chouraqui décide de faire du récit de création – comme de toute la Bible d’ailleurs – une œuvre poétique qu’il divise intégralement en stiques. Par ailleurs, il accentue l’opposition entre sixième et septième jour en ajoutant un titre, « Jardin en ‘Édèn », qui rattache ainsi l’institution du sabbat – un verbe qu’il rend par « chômer » – à l’entrée au jardin d’Éden. On a là, par le biais du découpage et du titre, une exaltation du sabbat qui contraste avec sa disparition dans la traduction de la TOB. 31 Élohîms voit tout ce qu’il avait fait, et voici : un bien intense. Et c’est un soir, et c’est un matin : jour sixième 2. Jardin en ‘Édèn 1 Ils sont achevés, les ciels, la terre et toute leur milice. 2 Élohims achève au jour septième son ouvrage qu’il avait fait. Il chôme, le jour septième, de tout son ouvrage qu’il avait fait. 3 Élohims bénit le jour septième, il le consacre : Oui, en lui il chôme de tout son ouvrage qu’Élohims crée pour faire. 4 Voilà les enfantements des ciels et de la terre en leur création, au jour de faire YHWH Élohims terre et ciels. 5 Tout buisson du champ n’était pas encore en terre […]
La répétition du verbe « achever » est maintenue, mais la contradiction gommée à la fois par le changement des temps (ils sont achevés – il achève) et par le découpage en stiques. Pour le reste la lecture littérale est respectée « il chôme de tout son ouvrage qu’Élohims crée pour faire », sauf en ce qui concerne le respect des temps auquel Chouraqui n’attache que très peu d’importance. On peut donc constater, en relisant ces quatre traductions, que le découpage en chapitres, comme le non-respect du découpage ancien en paragraphes, exerce une influence importante sur l’interprétation générale du texte. Mais ce qui est en même temps apparu, c’est la grande liberté que prennent les traducteurs avec le texte hébreu lui-même, une liberté qui est la conséquence de plus de deux siècles de critique biblique et que nous tenterons d’expliquer dans le prochain chapitre. § 22 L’occultation du fonctionnement analogique de l’Écriture La dernière étape de la fixation du texte hébreu fut la désignation des chapitres et des versets au moyen de chiffres, un moyen économique de renvoyer l’interlocuteur à un texte sans avoir à le citer. Désigner sous le
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sigle Gn 2, 1-5, le récit du septième jour de la création dispense assurément d’en mémoriser le texte mais présente également l’avantage d’éviter un débat sur le sens même d’un texte dont les traductions ont montré qu’il ne faisait pas l’objet d’un consensus. Mais à l’inverse, dans la mesure où ce système occulte la division ancienne en paragraphes ouverts ou fermés (§ 15) il contribue à atomiser le texte en faisant du verset une unité de sens susceptible d’être interprétée indépendamment du paragraphe dans lequel elle s’inscrit. Avant l’apparition des références chiffrées, la seule façon de renvoyer à un texte était de le citer sinon intégralement du moins au moyen d’un extrait caractéristique qui permettait de l’identifier de façon certaine. Pour évoquer le récit du septième jour de la création, la citation explicite de quelques mots caractéristiques suffisait : « Ainsi qu’il est dit (ou écrit) : Élohim acheva, au septième jour. » L’auditeur se remémorait alors l’ensemble du paragraphe ouvert consacré à ce jour (Genèse 2, 1-3) et pas seulement les mots cités. Cette façon de citer est communément employée dans la littérature ancienne tant juive que chrétienne. Dans le récit de la Passion de l’Évangile de Jean, par exemple, la mort de Jésus est rapportée en ces termes : Après quoi Jésus, sachant que tout était accompli, dit pour accomplir l’écriture : J’ai soif. Il y avait là un vase rempli de vinaigre. Ils mirent au bout d’un javelot une éponge remplie de vinaigre et la portèrent à sa bouche. Quand Jésus prit le vinaigre, il dit : C’est accompli. Il baissa la tête et remit l’esprit (Jean 19, 28-30).
Le thème du persécuté à qui l’on donne à boire du vinaigre renvoie explicitement au Psaume 69, 22 : « Ils ont mis du poison dans ma nourriture et pour ma soif ils m’ont abreuvé de vinaigre. » Mais si l’on s’en tient à cette seule allusion au vinaigre que Jésus boit, on a peine à comprendre qu’un tel geste puisse permettre « de finir l’écriture ». Et pourtant, tel est bien le sens qu’il faut donner au texte, ce que confirme la parole prononcée par Jésus après avoir bu – et ce sera sa dernière parole – : « C’est fini ! » En fait, ce qui demeure anecdotique pour le non-initié, prend une dimension toute autre pour qui a mémorisé le Psaume dans son intégralité. Tout naturellement, il s’en récite la suite : Ils ont mis du poison dans ma nourriture et pour ma soif ils m’ont abreuvé de vinaigre. Que leur table devant eux devienne un lacet et leurs mets sacrés un piège ! Que leurs yeux s’obscurcissent au point de ne plus voir, et fais ployer leurs reins sans cesse ! Déverse sur eux ton courroux, que l’ardeur de ta colère les atteigne ! Que leur enclos soit dévasté, qu’il n’y ait plus d’habitant sous leurs tentes ! Puisqu’ils persécutent celui que tu as frappé, et qu’ils ajoutent à la douleur de ta victime, impute-leur faute sur faute, qu’ils n’obtiennent
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pas de toi leur justification, qu’ils soient effacés du livre de vie et qu’ils ne soient pas inscrits parmi les justes ! (Psaume 69, 23-29)
L’initié – et lui seul – comprend alors qu’en buvant le vinaigre Jésus signifie que l’histoire du salut est achevée, que le jugement des persécuteurs – qu’ils soient juifs ou romains – est venu, qu’ils seront « effacés du livre de vie » et n’auront pas part « avec les justes ». Plutôt que de recourir à ces citations explicites, les auteurs judéens les plus anciens préféraient renvoyer leurs lecteurs à l’Écriture par le biais d’un mot caractéristique glissé dans le texte lui-même, un système de référence qui n’était accessible qu’à l’élite de ceux qui, en plus d’avoir mémorisé le texte biblique, avait acquis le réflexe de guetter le renvoi à l’Écriture dans chaque mot du texte. Un tel réflexe existe encore chez les spécialistes modernes qui mettent un point d’honneur à débusquer de telles allusions, mais ces « citations implicites » que signalent les éditions ne sont en général considérées que comme des raffinements de lettrés s’exprimant à travers les mots de l’Écriture, sans que ces renvois n’aient une importance réelle pour l’interprétation du texte. En fait, ces citations implicites peuvent fournir dans bien des cas la clé d’interprétation d’un texte, car loin d’être des artifices littéraires, elles sont au contraire des renvois cryptés à un texte biblique qui en livre la portée réelle. On a vu, par exemple, à quel point le titre de « scribe » donné à Esdras avait fait de lui un personnage clé de l’histoire biblique et conduit à lui attribuer la rédaction définitive de la Torah, sous le règne d’Artaxerxès (§ 4-5). Mais comme Esdras est avant tout présenté par la tradition comme celui qui est à l’origine de la Torah orale enseignée par les pharisiens, on hésite à donner au titre de « scribe » le sens banal de « copiste » qu’il a généralement. Dans les traductions de Dhorme et de la Bible du Rabbinat, Esdras est « un scribe versé (sofèr mahir) dans la loi de Moïse » (Esdras 7, 6), de même pour la TOB qui traduit : « c’était un scribe expert dans la Loi de Moïse. » Chouraqui préfère un terme très technique : « Lui, l’actuaire, expert dans la Tora de Moshè ». En réalité, l’expression sofèr mahir signifie littéralement, et sans ambiguïté, « scribe rapide », un qualificatif qui suggère la dextérité du copiste et non son « expertise » dans l’interprétation de la Loi. Pour échapper au sens premier de ce titre et particulièrement à cette épithète de « rapide » qui enferme Esdras dans un rôle de copiste à la dextérité exceptionnelle, A. Gelin se référait à l’évolution de la fonction de scribe au cours de l’histoire : Littéralement « scribe rapide ». L’expression vise d’abord l’habileté dans l’art d’écrire (Ps 45, 2). Profession rare qui s’enseignait dans des écoles réputées : la mention de Qiryat Sôphèr, « la ville des scribes » en Josué 15, 5 garde le souvenir de l’une d’elles, en Canaan, à l’époque préisraélite. Ces écoles préparaient les cadres bureaucratiques des cours orientales et
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les fonctionnaires des différentes administrations. Aussi le titre de scribe en vint-il à désigner une charge administrative. C’est bien ainsi qu’il faut entendre le titre du verset 12 : Esdras est une sorte de Secrétaire pour les affaires juives à la cours perse. Mais le Chroniste (auteur supposé du livre d’Esdras) a commenté ici le titre officiel d’après la conduite d’Esdras à Jérusalem : le scribe est celui qui lit, traduit et explique la loi au peuple d’Israël. Esdras inaugure ce genre d’activité qui sera si fécond après l’Exil et dont les scribes (grammateïs) du temps du Christ seront les continuateurs 10.
Mais si cela peut expliquer pourquoi Esdras a reçu le titre de scribe, la présence de l’épithète « rapide » n’en demeure pas moins incongrue. En fait A. Gelin, qui note effectivement que l’expression « scribe rapide » a été empruntée au Psaume 45, aurait pu faire l’économie de toute cette démonstration s’il avait considéré que cette « citation implicite » du psaume avait été placée là pour le mettre sur la piste de la solution. En effet en disant d’Esdras qu’il est un « scribe rapide » l’auteur renvoie au texte du psaume où l’on peut lire : Mon cœur s’agite en belles paroles. Je vais dire mes poèmes au roi. Ma langue est le calame d’un scribe rapide 11 (sofèr mahir). (Psaume 45, 2)
Alors que le nom de scribe renvoie à la fonction de copiste, la référence au psaume suffit à en inverser le sens et à faire d’Esdras un homme de l’oralité et seulement de l’oralité. Son cœur s’agite en « belles paroles », il « dit » ses poèmes et n’a pour tout calame que « sa langue ». Par le biais de l’analogie verbale et de la lecture littérale, l’auteur du livre d’Esdras fait de son héros le champion de la Torah orale enseignée par les pharisiens, mais réserve cette version de l’histoire aux seuls initiés. Cette technique de la citation implicite qui permet, par le biais de l’analogie verbale, d’interpréter un texte par référence à un autre, ne peut fonctionner que dans le texte hébreu ou dans des traductions littérales qui s’imposeraient de rendre ces expressions de façon identique dans les deux passages mis en parallèle dans l’hébreu. Or il n’en est rien dans les traductions modernes : Dhorme rend l’expression sofér mahir par « scribe versé dans » en Esdras 7, 6 et par « scribe habile » en Psaume 45, 2 ; la TOB par « scribe expert dans » et « habile écrivain » ; la Bible du Rabbinat par « scribe, versé dans » et « scribe expert » et Chouraqui par « l’actuaire, expert dans » et « scribe habile ». En adaptant le sens au contexte, les tra10. La Bible de Jérusalem en fascicules, Le Livre d ’Esdras-Néhémie, p. 49. 11. Voici les traductions proposées par les traducteurs citées précédemment ; TOB : « Le cœur vibrant de belles paroles, je dis mes poèmes en l’honneur d’un roi. Que ma langue soit la plume d’un habile écrivain ! » Bible du Rabbinat : « Mon cœur agite un beau dessein ; je veux consacrer mon poème au roi ! Ma langue est le burin d’un scribe expert. » Chouraqui : « Mon cœur vibre à la parole du bien. Moi je dis mes faits au roi. Ma langue est le stylet d’un scribe habile. »
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ductions court-circuitent irrémédiablement le fonctionnement de l’analogie verbale, ce qui dans le cas d’Esdras conduit à un contre-sens. § 23 Le texte hébreu original a-t-il été parfaitement conservé ? Bien que la fixation consonantique originelle du texte hébreu se soit enrichie au fil des siècles d’informations nouvelles, de voyelles écrites d’abord, puis d’un système de découpage hybride, fait de cantillation, de division en versets et chapitres et enfin de références chiffrées, force est de constater qu’aucun de ces perfectionnements n’a modifié le texte consonantique lui-même. Le texte officiel actuel des rouleaux des synagogues est celui qui était déjà attesté dans certains manuscrits des deux premiers siècles avant notre ère (§ 12). Malgré tous ces apports nouveaux il est donc demeuré inchangé depuis la période du second Temple, même dans ses détails les plus surprenants, comme l’emploi du pronom §( את19). Néanmoins, cette fidélité exemplaire des copistes ne suffit pas à garantir que nous soyons en présence du texte original tel qu’il fut fixé par son dernier rédacteur. D’autres formes textuelles sont en effet attestées à la période du Temple qui pourraient signifier que la forme qui nous est parvenue n’est qu’une forme parmi d’autres, qui se serait imposée a posteriori, à la fin du premier siècle de notre ère ou au deuxième, comme seule forme officielle, au détriment des autres. Cependant, cette hypothèse perd de sa crédibilité si l’on prend en compte la forme même sous laquelle ce texte nous est parvenu. Revenons une fois encore sur ce אתdu pronom de la deuxième personne du féminin singulier (§ 19). Si le monument allégorique qu’il construit confère à quatre personnages bibliques – Rébecca, Saraï, Moïse et Yahvéh – un statut « androgynique », c’est parce que des « fautes d’orthographe et de vocalisation » ont été soigneusement conservées depuis vingt-deux siècles au moins, alors qu’elles auraient dû être corrigées. Il suffisait en effet de lire ’ata au lieu de ’ate, de remplacer le waw de « celui-ci » par le yod de « celle-ci » et d’ajouter un hé à « jeune homme » pour en faire une « jeune fille ». Or cela n’a pas été fait. Pourtant, ce thème d’une androgynie humaine à l’image de l’androgynie divine qui pouvait paraître séduisant pour l’élite judéenne hellénisée de la période du Temple, ne pouvait recueillir l’assentiment des autorités de Yavnéh désireuses de rompre avec la culture hellénistique. Si cette fluidité avait encore été d’actualité à l’époque de Yavnéh, si l’intangibilité du texte n’avait pas déjà eu force de dogme, les rabbins auraient sans aucun doute corrigé ces « fautes » avant de déclarer intangible une Écriture qu’ils voulaient exemplaire. S’ils ne l’ont pas fait c’est que l’intangibilité du texte avait déjà force de dogme à leur époque et que celui qui avait canonisé ce texte y avait sciemment introduit ces « fautes » afin de guider l’initié vers un sens allégorique de l’Écriture. On peut même supposer que la proclamation du dogme de l’intangibilité avait eu pour pre-
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mière fonction de protéger ces « fautes » que des scribes non-initiés aux subtilités de l’interprétation allégorique n’auraient pas manqué de corriger s’ils en avaient eu le pouvoir. Dans de telles conditions la redécouverte de l’interprétation de la période du Temple implique nécessairement le retour à une lecture littérale du texte consonantique hébreu qui rende compte de toutes ces particularités négligées par les interprètes postérieurs.
Chapitre 3
L A PANOPLIE DE L’EXÉGÈTE Si le texte consonantique de la Torah n’a pas varié, il n’en va pas de même du regard porté sur lui au fil des générations. Dès les premiers siècles de notre ère, mais surtout à partir de la Renaissance, les interprètes ont forgé des instruments destinés à en guider la lecture. Grammaires, dictionnaires, concordances, éditions savantes avec apparats critiques et traductions sont sur la table de tout spécialiste de la critique biblique. Mais s’ils facilitent l’étude, ils dressent aussi un écran entre le texte hébreu et son lecteur en lui soufflant des solutions qui orientent inévitablement son interprétation. Aussi n’est-il pas inutile, pour mieux mesurer la distance qui nous sépare des lecteurs anciens, de nous intéresser à ces instruments afin de comprendre en fonction de quelles règles ils ont été conçus et quels types d’interprétation ils ont progressivement imposées. À période ancienne, autant que nous le sachions, le seul instrument auquel on faisait appel était la mémoire, car bien que le recours au texte écrit ait été pratiqué – les manuscrits du désert de Juda en ont apporté la preuve – celui-ci ne pouvait dispenser de la mémorisation (§ 16). Dans la démarche actuelle au contraire, cette mémorisation est devenue secondaire et a été en grande partie remplacée par des instruments qui permettent de compenser l’atrophie de nos mémoires. Le premier est le texte vocalisé des Bibles modernes. Mais d’autres instruments ont été élaborés, grammaires, concordances et dictionnaires, dont la conception reflète les théories de l’époque qui les a produits. § 24 La théorie de la trilitéralité Nous ne savons que peu de chose de l’histoire de la grammaire hébraïque avant le Moyen Âge. Celui qui fut à l’origine de la théorie grammaticale actuelle est Menahem ben Saruk, un juif d’Espagne vivant à la fin du dixième siècle 1. Sa contribution principale fut la théorie de la trilitéralité de la racine hébraïque, une théorie empruntée aux grammairiens arabes et qui postule que chaque racine verbale de l’hébreu – et par conséquent toutes les formes verbales ou nominales qui en sont dérivées – est consti1. HADAS-LEBEL M., L’hébreu : 3000 ans d ’histoire, Paris, Albin Michel, 1992, p. 86.
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tuée de trois consonnes qu’il faut rétablir même lorsque l’une d’entre elles n’est pas apparente dans la forme étudiée. Cette conception trilitère de la racine va progressivement supplanter la théorie antérieure qui considérait qu’il existait également des racines de deux, voire d’une seule lettre. Ce débat théorique entre grammairiens est à mettre en rapport avec les deux facettes du texte hébreu qui est à la fois Écriture par son armature consonantique et Lecture par sa vocalisation. Alors que pour les Anciens, l’Écriture était le seul critère d’identification de la racine, pour Menahem ben Saruk et ses successeurs, jusqu’aux grammairiens actuels, c’est en fonction de la Lecture que celle-ci doit être définie. Dans les dictionnaires bibliques actuels les verbes apparaissent sous leur forme trilitère, que leurs consonnes radicales soient stables ou non, et comme cette trilitéralité se manifeste pleinement à la troisième personne du singulier du passé (ou accompli), c’est sous cette forme que le verbe est généralement cité. C’est ainsi que le verbe « donner » apparaît sous la forme trilitère « il a donné » ( נתן: natan) alors que deux de ses consonnes peuvent disparaître en cours de conjugaison. Dans la forme « j’ai donné » ( נתתי: natati) le deuxième nun de la racine manque alors qu’à l’inverse dans la forme « je donnerai » ( אתן: ’ètèn) c’est le premier qui manque. Quant à la forme « pour donner » ( לתת: latét) de l’infinitif construit, elle ne conserve qu’une seule lettre stable, le taw ()ת. Par référence à son Écriture, le verbe « donner » est donc monolitère ()ת. Bien que les témoignages sur le sujet soient rares et que la théorie trilitère se soit imposée, il est toujours possible de classer l’ensemble des racines hébraïques en fonction du critère de leur écriture. Il suffit pour cela de consulter une concordance (§ 27) et de passer en revue l’ensemble des occurrences du mot attestées dans le corpus de façon à définir par comparaison quelles sont ses lettres stables. Pour le linguiste moderne, définir une règle en fonction d’un corpus donné et non de la langue elle-même constituerait une erreur de méthode. Pour les grammairiens anciens de la Bible cette identification allait, au contraire, de soi, puisqu’ils considéraient que toute vérité se trouvait dans l’Écriture. La théorie de la trilitéralité modifie avant tout l’approche antérieure en ce qu’elle conduit à distinguer entre elles des formes qui étaient précédemment rattachées à une même racine. Un exemple suffira à faire comprendre l’enjeu de ce nouveau classement. Alors que pour les anciens, les verbes « s’asseoir » ( ישב: yachav), « revenir » ( שוב: chouv) et « faire prisonnier » ( שבה: chavah) renvoyaient à un même modèle bilitère שב, ces verbes se trouvent actuellement classés sous trois entrées différentes en fonction de la spécificité de leur vocalisation. En adoptant la théorie trilitère on a donc supprimé ce qui paraissait être une ambiguïté du classement ancien, et du même coup permis la rédaction de grammaires, dictionnaires et concordances en fonction de principes clairs. Mais en procédant à cette réforme on s’est tourné résolument vers la Parole aux dépens de l’Écriture. Ce n’est plus seulement en fonction des seules consonnes écrites que se fait le clas-
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sement des mots, mais d’abord en fonction des voyelles qui leur sont associées dans la lecture. Souvent en effet, ce sont elles et elles seules qui permettent de distinguer des formes de graphie identique : selon qu’elle sera vocalisée hochiv ou héchiv, la forme écrite השיבsera classée sous yachav ( ישב: s’asseoir) ou chouv ( שוב: revenir). Le principe de la trilitéralité s’est imposé depuis si longtemps et les témoignages sur la théorie antérieure sont devenus si rares qu’il est actuellement difficile d’imaginer qu’une théorie grammaticale ait pu se construire dans l’Antiquité à partir de l’observation de l’Écriture seule et encore moins qu’elle ait pu servir de norme à l’interprétation du texte comme l’est actuellement la théorie de la trilitéralité. On a en effet peine à comprendre que la réunion des verbes « s’asseoir », « revenir » et « être prisonnier » sous un même chapeau ( )שבait pu déboucher sur autre chose qu’une interprétation purement subjective renvoyant, par exemple, à un « lieu » identifié aux lettres שבet dans lequel on « habiterait » ( )ישבcomme dans une « prison » ( )שבהet vers lequel tout homme « retournerait » ()שוב. On sait effectivement que les interprètes anciens étaient friands de ces jeux d’écriture, mais la critique biblique, qui se fonde sur une démarche qui se veut objective, ne peut qu’être sceptique à l’égard d’une telle technique d’interprétation : La façon [qu’a le judaïsme ancien] d’aborder le texte sacré manifeste une étonnante liberté créatrice et révèle un ensemble de présuppositions, de méthodes et de techniques qui se formuleront plus tard en des règles précises [...]. Constamment se manifestent une virtuosité et un art de jongler avec les mots (mais fort sérieusement), qui enchantent l’âme sémitique. Un long usage des telles méthodes aboutira à la formulation de règles herméneutiques dont les sept plus anciennes sont attribuées à Hillel (début du premier siècle), mais lui sont antérieures, peut-être empruntées au monde hellénistique. Les plus célèbres sont le raisonnement a fortiori (qal wahomer) et celui par analogie 2 (gezérah chawah).
Ces règles n’auraient donc pas été énoncées a priori afin de guider l’interprétation, mais seulement a posteriori afin de limiter les excès d’une interprétation fondée sur la logique supposée de la révélation et sur l’analogie verbale. § 25 Une grammaire hébraïque probabiliste De façon plus générale, les grammairiens du Moyen Âge et leurs successeurs se sont attachés à la description matérielle de la morphologie de 2. GEORGE A. & GRELOT P. (edd.), Introduction à la Bible, t. III : « Nouveau Testament », vol. I : « Au seuil de l’ère chrétienne », Paris, Desclée, 1976, p. 112-113.
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l’hébreu biblique, c’est-à-dire à montrer comment les lettres radicales des racines trilitères dont nous venons de parler se combinaient avec des lettres préfixées, infixées, ou suffixées, pour construire le discours. Du point de vue de son écriture ce système syntaxique est d’une grande économie de moyens et d’une grande rigueur. Dix des consonnes ( )אבהויכלמנתsuffisent à noter une syntaxe parfaitement cohérente que la vocalisation permet d’affiner : par exemple la graphie זרעוvocalisée zire‘ou signifiera « semez ! » et vocalisée zare‘o, « sa semence ». Mais si les grammairiens actuels sont en mesure de proposer une description parfaitement cohérente de la morphologie de l’hébreu, il n’en va pas de même de sa syntaxe. Sur ce point les grammaires traditionnelles se montraient très discrètes. Celle de Mayer Lambert par exemple ne consacre à la syntaxe que 35 pages contre 365 à la morphologie et se contente d’énoncer quelques principes généraux 3. À l’inverse, Paul Joüon, un grammairien du début du vingtième siècle, dont les travaux font toujours autorité 4 , consacre la moitié de son traité à la syntaxe et d’abord à l’emploi des temps et des modes du verbe en faisant précéder son analyse des remarques suivantes : La question des temps et des modes, qui est à la fois la plus importante et la plus délicate de la syntaxe hébraïque, était négligée par les anciens grammairiens. Certains auteurs exégètes ou traducteurs, surtout anciens, semblent n’avoir eu sur cette matière que des idées vagues ; en traduisant, ils se guident plutôt par une sorte d’instinct que par une connaissance précise de la valeur des formes. On est même allé jusqu’à émettre l’idée singulièrement hardie que les formes temporelles, notamment en poésie, sont employées d’une façon à peu près indifférente. Sans doute il se trouve dans notre texte massorétique, surtout dans les parties poétiques, beaucoup de formes difficiles et même impossibles à expliquer d’une façon satisfaisante. Mais il y a, par contre, un grand nombre d’exemples, principalement dans la bonne prose narrative, où la valeur propre des formes temporelles apparaît d’une façon assez claire. De ces exemples clairs nous tâcherons de dégager les principes qui peuvent guider pour l’explication des cas plus ou moins difficiles 5.
En fait, Joüon reconnaît qu’il est impossible d’énoncer des règles applicables à l’ensemble du texte et qu’il doit, à son corps défendant, se contenter d’une analyse fondée sur une sélection de textes principalement choisis dans « la bonne prose narrative ». Mais même en prenant de telles précau3. LAMBERT M., Traité de grammaire hébraïque, Hildesheim, Gerstenberg, 1972 (réédition anastatique avec index). 4. JOÜON P., Grammaire de l ’hébreu biblique, Rome, Institut pontifical de Rome, 1923 (réimpression photomécanique 1987). 5. JOÜON P., Grammaire de l ’hébreu biblique, Rome, Institut pontifical de Rome, 1923, p. 289-290, § 111.
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tions il reconnaît ne pouvoir définir la valeur propre des formes verbales que de façon « assez claire ». Cela signifie qu’en dehors de cette sélection, l’interprète et surtout le traducteur, en seront réduits « à se guider par une sorte d’instinct », c’est-à-dire à rendre le temps des verbes en fonction de l’idée qu’ils se font du sens du texte. On pourrait penser que depuis l’édition de la grammaire de l’hébreu biblique de Paul Joüon, en 1923, les études de grammaire biblique ont progressé et abouti à une meilleure connaissance du fonctionnement de la syntaxe du système verbal hébreu. En fait il n’en est rien et, malgré les nombreuses études faites au cours du vingtième siècle, non seulement Joüon reste la grammaire biblique française de référence mais, fait exceptionnel dans l’édition, elle a même été traduite récemment en anglais, sans modification du texte original, mais seulement augmentée de notes qui font état des recherches du vingtième siècle 6. Pour justifier cette incohérence apparente de la syntaxe du verbe hébreu, Joüon avance une série de raisons. Il est bon de se rappeler les points suivants. L’emploi des temps n’est pas soumis à des règles absolument rigides ; en hébreu, comme en toute langue, l’écrivain jouit d’une certaine liberté grammaticale. En poésie le choix de telle forme peut être dicté par des considérations non grammaticales, par exemple, par quelque nécessité métrique. Une forme qui a originairement une valeur bien précise, peut perdre cette valeur par suite d’un usage trop fréquent ou trop large ; tel emploi peut même devenir pour ainsi dire mécanique. Enfin, il faut prévoir ici plus que partout ailleurs la possibilité de menues altérations du texte massorétique : or un changement grammatical minime peut dénaturer entièrement la forme 7.
Mais ces raisons ne suffisent pourtant pas à expliquer l’aspect chaotique de la syntaxe. Joüon se voit contraint d’associer à chaque règle un degré de probabilité, un procédé surprenant dans une grammaire qui se veut normative. Dans le vaste champ des explications grammaticales on doit bien souvent se contenter, si l’on veut être sincère, de simples probabilités. Le lecteur sera sans doute surpris de voir revenir si souvent les mots probable, probablement, peut-être que l’on n’est pas accoutumé à trouver sous la plume des grammairiens. Mais, au risque de paraître méticuleux, nous n’avons pas voulu donner au lecteur l’impression que toutes les explications sont également certaines 8.
6. JOÜON P. – MURAOKA T., A Grammar of Biblical Hebrew, translated and revised, Rome, Pontificio Istituto Biblico, 1996. 7. JOÜON P. – MURAOKA T., A Grammar of Biblical Hebrew, translated and revised, Rome, Pontificio Istituto Biblico, 1996, p. 290. 8. JOÜON P. – MURAOKA T., A Grammar of Biblical Hebrew, translated and revised, Rome, Pontificio Istituto Biblico, 1996, p. IX.
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Ce qui est plus surprenant encore est que ce caractère probabiliste peut même conduire le grammairien à énoncer des règles contradictoires à propos d’un même fait de langue en fonction de ses contextes d’apparition. Dans la première phrase de la Torah : « Au commencement Élohim créa les cieux et la terre » (Genèse 1, 1) dont l’ordre des mots est en hébreu « Au commencement créa (3e personne du masculin singulier) Élohim (forme du masculin pluriel) les cieux et la terre », Joüon considère que c’est le genre et le nombre du verbe qui définit le genre et le nombre réels du sujet. Il en tire la conclusion qu’Élohim, quoique ayant la marque -im du masculin pluriel, doit être considéré comme un masculin singulier puisque le verbe créer est accordé au masculin singulier. Cependant, lorsqu’il rencontre quelques versets plus loin une construction parfaitement identique : « Existera (3e personne du masculin singulier) des luminaires (forme du pluriel) », il comprend « des luminaires existeront » (Genèse 1, 14) et justifie cette lecture en formulant une nouvelle règle selon laquelle l’accord entre le sujet et le verbe peut ne pas se faire lorsque le verbe précède le sujet 9, ce qui est effectivement le cas dans cet exemple, mais qui l’était également dans l’énoncé « créa Élohim » du premier verset. Il est donc clair que dans ces deux exemples ce n’est pas la règle grammaticale qui a déterminé le choix du grammairien, mais le sens attendu par celui-ci qui l’a conduit à créer la règle appropriée. C’est « l’instinct », théologique en l’occurrence, qui impose de faire d’Élohim un singulier alors que l’identification des luminaires avec le soleil et la lune impose de formuler la règle inverse. En réalité, malgré les travaux des grammairiens, les traducteurs se laissent toujours guider par leur instinct quand ils rendent les temps des verbes et projettent souvent sur le texte hébreu un sens traditionnel que l’hébreu n’implique nullement. Pour illustrer l’importance du phénomène, il suffit de mettre en parallèle une traduction moderne des premiers versets de la Genèse avec une traduction littérale qui se contente de donner aux temps des verbes leur valeur fondamentale et respecte l’emploi des conjonctions de coordination. Traduction de Dhorme Au commencement Élohim créa les cieux et la terre. La terre était déserte et vide. Il y avait des ténèbres au-dessus de l’Abîme et l’esprit d’Élohim planait au-dessus des eaux. Élohim dit (passé simple) : « Qu’il y ait de la lumière ! »
Traduction littérale Au commencement Élohim a(vait) créé les cieux et la terre Et la terre a(vait) existé (étant) désert et vide et ténèbres au-dessus d’un abîme et l’esprit d’Élohim plane au-dessus des faces des eaux. Et Élohim dit (passé simple) « (une) lumière existera »
9. JOÜON P. – MURAOKA T., A Grammar of Biblical Hebrew, translated and revised, Rome, Pontificio Istituto Biblico, 1996, p. 458 § 150 b.
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Et il y eut de la lumière. Élohim vit que la lumière était bonne et Élohim sépara la lumière des ténèbres. Élohim appela la lumière Jour et il appela les ténèbres Nuit. Il y eut un soir, Il y eut un matin : premier jour.
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Et (une) lumière exista Et Élohim vit que la lumière (est) bonne Et Élohim sépara la lumière des ténèbres Et Élohim appela la lumière Jour. Et il a(vait) appelé (auparavant) les ténèbres nuit Et un soir exista Et un matin exista : jour un. (Genèse 1, 1-5)
Cette mise en parallèle suffit à montrer que la liberté prise dans la traduction des temps des verbes n’est nullement imposée par l’incohérence du texte hébreu mais seulement par une tradition de lecture. Puisqu’il s’agit d’un récit des origines, on considère qu’il doit renvoyer de façon uniforme à la sphère du passé ce que l’on met en évidence par l’emploi systématique des imparfaits ou des passés simples. En revanche, si l’on s’en tient aux oppositions verbales du texte lui-même un autre sens apparaît que l’on peut gloser ainsi : Au commencement Élohim avait créé les cieux et la terre. Puis la terre avait existé, (étant) désert, vide et obscurité au-dessus des faces d’un abîme (tandis que) l’esprit d’Élohim plane (en permanence) au-dessus des faces des eaux. Et Élohim dit (alors) : « (De la) lumière existera ». Et (de la) lumière exista. Puis Élohim vit que la lumière (est) bonne. Et Élohim appela la lumière Jour après avoir appelé les ténèbres Nuit. Et (un) soir exista, et (un) matin exista : Jour un. (Genèse 1, 1-5)
Tout en restant un récit des origines, ce texte prend alors un relief nouveau. La manifestation de la lumière n’est plus un événement parmi d’autres mais l’événement central du récit, enchâssé entre le rappel d’événements antérieurs – création initiale des cieux et de la terre et histoire de la terre avant l’apparition de la lumière – et l’énumération d’événements postérieurs à la manifestation de la lumière. Le récit devient une marche mystérieuse vers la manifestation de ce « Jour » dont le texte précise qu’il n’est rien d’autre que le nom de cette lumière mystérieuse, donc l’instrument de la manifestation de la lumière dans le monde sensible. Ces explications n’ont pris en compte que quelques faits grammaticaux et sont donc loin de rendre compte intégralement de la syntaxe du texte hébreu en question. Elles suffisent cependant à faire comprendre que cette liberté que prennent ici les traducteurs avec les temps des verbes n’est pas justifiée par l’absence de cohérence de la syntaxe hébraïque. Elle s’explique plutôt par la projection sur le texte d’une tradition d’interprétation qui empêche de lui donner le sens que ferait apparaître sa « lecture littérale ». § 26 Les dictionnaires d’hébreu biblique La théorie de la trilitéralité a également été retenue par les auteurs des dictionnaires pour le classement des formes verbales. Le dictionnaire
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juif traditionnel de Sander et Trenel 10 suit ce principe pour les verbes, mais, pour des raisons de commodité, classe les formes dérivées de la racine sous leur lettre initiale, « manger » ( אכל: ’akhal) sera classé sous la lettre א, mais « nourriture » ( מ־אכל: ma’akhal) sous la lettre מ. Plus radicale est la présentation du dictionnaire scientifique de Brown, Drivers et Briggs (BDB) 11 qui regroupe systématiquement sous la racine אכלtous les dérivés, rendant ainsi plus tangible le rôle fondamental de la racine trilitère hébraïque. Comme ce classement permet de distinguer entre elles des formes que la théorie antérieure rattachait à une même racine stable (§ 24), on s’attendrait à ce que les sens associés à chaque racine gagnent en cohérence. Or, dans bien des cas, il n’en est rien. Certaines racines trilitères se présentent comme des nébuleuses réunissant les sens les plus divers. Prenons un exemple simple, celui de la racine paqad ()פקד, abondamment attestée dans le corpus. Sander et Trenel, en accord pour l’essentiel avec le dictionnaire de Brown, propose de lui donner les sens suivants : 1° Chercher, visiter, examiner, se souvenir en bien ou en mal, punir, venger. 2° Chercher quelqu’un ; apercevoir, regretter son absence ; le demander ; être privé, manquer, d’une chose. 3° Compter, faire le dénombrement. 4° Faire visiter, examiner, soigner, par un autre ; préposer, établir quelqu’un sur les autres ; ordonner. 5° Confier une chose aux soins d’un autre, lui confier un dépôt 12 . Ces traductions multiples dont beaucoup ne sont dictées que par le seul contexte, donnent l’impression d’un champ sémantique inorganisé qui laisserait au lecteur une grande liberté d’interprétation. Mais pour le lecteur ancien qui pensait le texte en hébreu et pour qui la Torah exprimait de façon parfaite la pensée de Dieu, cet éclatement du sens était impensable. Il aboutissait en effet à donner des sens contradictoires à une même Écriture – « se souvenir en bien // venger ; être privé d’une chose // la compter » etc. –. Pour lui, une même graphie devait nécessairement exprimer une pensée divine parfaitement cohérente. Il fallait donc redécouvrir cette cohérence en associant patiemment entre elles toutes les occurrences, comme on reconstituerait un puzzle à partir de pièces multiples. Dans le cas de la racine paqad, il reconstituait alors les motifs d’une fresque dans laquelle Dieu « visitait » son peuple, faisait le « dénombrement » des 10. SANDER N.-Ph. – TRENEL I.-L., Dictionnaire hébreu-français, Paris, Bureau des Archives israélites, 1859 [réimpression : Genève, Slatkine 1991]. 11. BROWN F. – DRIVER S. R. – BRIGGS A., A Hebrew and English Lexicon of the Old Testament, Oxford, Clarendon Press, 1906, (réimpression corrigée, 1962). 12. SANDER N.-Ph. – TRENEL I.-L., Dictionnaire hébreu-français, p. 588589.
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bons comme des méchants, leur demandait de rendre ce qui leur avait été « confié en dépôt, examinait » leurs œuvres en « se souvenant d’eux en bien comme en mal » afin de « soigner » les uns et de « punir » les autres. Au fil des occurrences se dessinait la fresque du Jugement. Ne faut-il pas alors considérer que la difficulté à laquelle se heurtent les lexicographes vient de ce qu’ils cherchent à traduire et classer en fonction d’un sens littéral tourné vers l’histoire, des graphies qui ne seraient en fait que des codes intraduisibles à partir desquels se construirait un sens allégorique fait avant tout pour être contemplé ? § 27 Les concordances Alors que le dogme ancien était que l’Écriture devait être interprétée par l’Écriture et constituait donc un système clos, on commença à transiger à partir du Moyen Âge en appliquant à l’hébreu un modèle étranger mis au point par les grammairiens arabes pour le Coran. Par ailleurs, à partir de la Renaissance, les savants chrétiens mirent à contribution les traductions anciennes de la Bible (grecques, latines etc.) pour interpréter les passages difficiles de l’hébreu. On renonça, de façon implicite et progressive, au dogme de l’intangibilité en proposant des corrections de l’hébreu suggérées par ces traductions. À partir du dix-neuvième siècle, le déchiffrement des hiéroglyphes et des textes cunéiformes d’Assyro-Babylonie puis d’Ougarit mit à la disposition des biblistes un corpus riche et diversifié de textes mythologiques, poétiques, juridiques ou historiques qui permirent de replacer la littérature biblique dans le contexte religieux et culturel du Moyen Orient. Le dogme ancien de la sola scriptura, de l’interprétation de l’Écriture par l’Écriture, fut définitivement considéré comme caduc. Pourtant, dans le même temps, on continua de perfectionner un « moteur de recherche » qui s’était élaboré progressivement depuis le haut Moyen Âge et qui visait à l’origine à garantir l’intangibilité de l’Écriture puis à pallier les déficiences de la transmission orale. On dressa d’abord des listes qui pointaient les occurrences où se rencontrait une orthographe inhabituelle. On fit des répertoires de formes hapax. Ces informations furent notées de façon abrégée en marge des manuscrits (Massorah parva) afin de renvoyer à des listes exhaustives 13 (Massora magna). Ces travaux qui occupèrent pendant des siècles les Massorètes eurent pour effet de protéger efficacement le texte contre toute tentative de modification de la moindre de ses lettres. Puis la démarche se généralisa et aboutit progressivement à l’élaboration de concordances systématiques de la Bible dans lesquelles chaque unité graphique des vingt-quatre livres de la Bible rab13. La Massora parva du Manuscrit B19a a été éditée en marge de la Bible de Stuttgart par WEIL G. E.
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binique était répertoriée et classée. Parmi les concordances actuellement en circulation la plus utilisée et la plus complète est celle de Salomon Mandelkern publiée en 1896 14 . Rien n’y manque ou presque, pas même les quelque 2500 occurrences du pronom démonstratif, citées chacune avec son contexte et sa référence. Par le biais de ce travail titanesque, Mandelkern se montre fidèle, jusqu’à l’excès, au principe ancien selon lequel « rien n’est superflu dans l’Écriture ». Mais s’il s’attache à l’Écriture, c’est pour la mettre au service d’une tradition rabbinique dont l’autorité l’emporte sur celle de l’Écriture ellemême. L’exemple du את, ce pronom personnel de la deuxième personne du féminin (’ate) dont deux occurrences désignent respectivement Yahvéh et Moïse (§ 19) illustre bien l’ambiguïté de la démarche. Bien que Mandelkern conserve soigneusement ces deux occurrences féminines aberrantes (Deutéronome 5, (24), 27 et Nombres 11, 15), il les noie au milieu des formes masculines avec un commentaire qui indique, comme une évidence, que la féminin est ici un masculin : « ’ate : ’ = אתatah : » אתה15 ! Il renonce également à décompter les occurrences de ’( אתét) lorsqu’elles servent à introduire le complément d’objet direct, comme dans la phrase « Élohim créa [’ét] les cieux et [’ét] la terre », ou lorsqu’elles ont une valeur de préposition ( = אתavec). Dans ces deux cas il se contente de dresser la liste des verbes qui peuvent se construire avec ces deux particules mais sans indiquer de références, comme si cette graphie faisait exception et ne contenait aucune information utile. Ce traitement spécial réservé au אתde l’accusatif peut se justifier par le fait qu’il ne semble jouer qu’un rôle secondaire. Joüon note à son propos que placé devant un nom « il est très fréquent mais rarement nécessaire » (Joüon § 125f) et qu’on « remarque une grande liberté » dans son emploi (Id. § 125i). En revanche l’omission des occurrences de = אתavec est d’autant plus surprenante que le millier d’occurrences de son synonyme ‘( עםim = avec) sont intégralement citées (p. 881-885). En fait la raison de cette omission – que Mandelkern en ait conscience ou qu’il suive une tradition antérieure – montre qu’il subordonne de façon radicale l’Écriture à la Lecture traditionnelle. En effet, au moment où les maîtres de Yavnéh prirent le contrôle de l’interprétation de l’Écriture, ce אתfut au centre d’un débat contradictoire qui opposa les défenseurs de la Torah orale qui le considéraient comme un « mot vide » aux défenseurs de l’Écriture. Ces derniers, sous la conduite de Rabbi Aqiba, faisaient de ce אתle mot clé de toute la révélation et rétorquaient à leurs adversaires : « Si ce mot est vide pour vous, c’est que vous n’avez pas pris la peine d’y 14. MANDELKERN S., Veteris Testamenti Concordantiae hebraicae atque chaldaicae, Leipsig, Veit, 1896. 15. MANDELKERN S., op.cit., col. 1261b pour Nombres 11, 15 et col. 1262a. pour Deutéronome 5, (24), 27.
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toucher. En fait il est votre vie 16. » Mandelkern opte de toute évidence en faveur du « mot vide » et reconnaît ainsi implicitement qu’il y a du « superflu » dans l’Écriture. On pourrait continuer longtemps encore à analyser le classement des occurrences retenu dans les concordances. Toutes s’accordent sur deux points : d’une part, elles classent les mots en fonction de la théorie trilitère empruntée aux grammairiens arabes et rangent, d’autre part, les occurrences en fonction de leur lecture et non de leur racine, ce qui a pour effet d’atomiser le vocabulaire et surtout de détruire l’ordre chronologique d’apparition des occurrences dans le corpus qui revêtait une importance décisive dans l’interprétation ancienne. La suite de cette étude montrera en effet que les premières occurrences d’une graphie servent à décrire son « paradigme » que les Anciens nommaient « construction paternelle » (binian ’av). Cependant, bien que les concordances aient été mises au service de la Parole plutôt que de l’Écriture, elles n’en demeurent pas moins l’instrument indispensable sans lequel il serait impossible au spécialiste moderne qui n’a pas mémorisé intégralement le corpus de pratiquer de façon systématique cette interprétation de l’Écriture par l’Écriture qui était la clé de l’herméneutique ancienne. Sans une concordance je n’aurais pas pu faire cette étude. § 28 Les traductions anciennes Les premiers traducteurs du texte hébreu furent ceux qui, dès la promulgation de la Torah, durent en présenter le contenu aux Judéens dont la langue parlée était alors l’araméen et (ou) le grec. Il est probable que dans un premier temps les traductions araméennes (les Targums) restèrent orales, ce qui explique que la plus ancienne traduction écrite de la Torah qui nous soit parvenue ait été faite en grec par ceux que l’on nomme « les Septante ». Un récit de cette entreprise a été rapporté dans la Lettre d’Aristée à Philocrate. On y raconte comment soixante-douze Anciens furent envoyés de Jérusalem à Alexandrie, à la demande expresse du Roi Ptolémée Philadelphe, afin d’y traduire la Torah (voir chapitre 6). C’est en se fondant sur le témoignage d’Aristée concernant Philadèlphe que les spécialistes datent généralement cette traduction grecque de 281 avant notre ère. Lorsque les chrétiens choisirent de lire l’Ancien Testament dans la version grecque de la Septante, ils accordèrent tout naturellement crédit à ce témoignage d’Aristée, sans toutefois faire rentrer la Lettre d’Aristée dans leur canon des Écritures. Et de même que le Livre d’Esdras garantissait 16. BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 10-17.
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l’authenticité du texte hébreu aux yeux des juifs et des chrétiens, la lettre d’Aristée joua le même rôle pour le texte grec auprès des communautés hellénophones tant juives que chrétiennes. La traduction grecque fut progressivement abandonnée par les chrétiens d’occident au profit de diverses traductions latines et finalement au profit de celle de Jérôme, la Vulgate. C’est seulement à la Renaissance que la Septante fut redécouverte en occident, particulièrement par le biais de l’édition de Bibles polyglottes qui présentaient sur une même page, grâce à une disposition typographique ingénieuse, le texte hébreu et plusieurs de ses versions anciennes dont celle de la Septante. Les érudits pouvaient alors comparer les textes et noter les différences souvent importantes qui séparaient le texte hébreu du texte grec. Dans un contexte de suspicion envers les copistes juifs que l’on accusait volontiers d’avoir corrigé les Écritures pour en gommer les prophéties messianiques, il était alors tentant de voir dans ce texte grec dont l’antiquité était garantie par la Lettre d’Aristée, une traduction fidèle du texte hébreu original ou du moins d’un texte antérieur aux corrections des copistes juifs. La comparaison des deux permettait alors de détecter les corrections supposées apportées par les copistes juifs et de restituer un sens de l’hébreu jugé préférable. Une telle attitude de défiance à l’égard du texte hébreu pouvait par ailleurs être légitimée, pensait-on, par le fait que les manuscrits sur lesquels s’étaient fondées ses éditions imprimées ne dataient au mieux que de la fin du premier millénaire de notre ère, alors que les manuscrits grecs étaient plus anciens de cinq siècles au moins. Toutes ces raisons firent qu’en matière de critique textuelle, on accorda volontiers la préférence au texte grec lorsque l’hébreu présentait des difficultés d’interprétation. La division actuelle des sciences bibliques fait que critique textuelle et critique biblique sont devenues des disciples autonomes. Si le rôle de la Septante paraît capital pour la première, il est en apparence sous-estimé par la seconde. Dans l’Introduction à l ’Ancien Testament, parue en 2005, et destinée à servir de manuel de référence aux futurs étudiants en exégèse, A. Schenker ne consacre qu’un paragraphe d’une vingtaine de lignes à « l’apport des versions anciennes » dont six lignes seulement sont consacrées à la Septante (LXX) : La plus ancienne traduction de la Bible est la LXX. Elle est un témoin textuel très précieux à cause de son antiquité. Par ailleurs elle a parcouru ellemême une histoire textuelle complexe dont on doit tenir compte lorsqu’on en fait usage. Depuis la découverte des manuscrits bibliques de la mer Morte qui s’échelonnent pour l’essentiel du II e siècle avant au I er siècle apr. J.-C., certaines formes de la Septante se retrouvent en hébreu 17. 17. RÖMER T. – MACCHI J.-D. – NIHAN C. (éd.), Introduction à l ’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 46.
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Mais cette concession à la critique textuelle étant faite, l’auteur estime que l’étudiant en sait assez sur le sujet, ce qui explique que dans la bibliographie placée en fin de chapitre, il ne juge pas même utile de mentionner la traduction française de la Septante publiée dans la collection La Bible d’Alexandrie et qui aurait pourtant permis à l’étudiant de juger sur pièce en quoi cette Septante pouvait être un « témoin textuel très précieux ». L’autonomie des deux disciplines les a même conduites à développer des théories contradictoires. On a vu que Les Conjectures sur la Genèse de Jean Astruc avaient durablement engagé la critique biblique dans la voie de la théorie documentaire. L’hypothèse de départ d’Astruc était que l’emploi des noms de Yahvéh et d’Élohim, dans le texte hébreu, constituait un bon critère d’identification des sources Yahviste et Élohiste. Une telle hypothèse impliquait évidement de faire une confiance totale aux copistes qui avaient transmis le texte hébreu originel, car sans une transmission scrupuleuse de ces noms divins jugés caractéristiques des deux « sources », la théorie documentaire aurait perdu toute crédibilité. Mais si l’on se tourne maintenant du côté de cette Septante, dont l’antiquité ferait un témoin privilégié de l’histoire ancienne du texte hébreu, force est de constater que la répartition des noms divins Kurios et Théos qui traduisent respectivement les noms de Yahvéh et d’Élohim y est sans rapport avec celle de l’hébreu. En introduction de sa traduction commentée du livre de la Genèse grecque, Marguerite Harl a présenté une étude comparée de l’emploi de ces noms en hébreu et en grec à partir d’un échantillon portant sur 54 occurrences des noms de Dieu. Elle en a tiré la conclusion suivante : Il est impossible de comparer les deux textes pour l’usage des noms divins ; le nom théos a tendance à prédominer dans la Septante (+ 18 occurrences par rapport à Él-Élohim…) ; le Tétragramme-« Yahvéh » est plus fréquent dans le TM (texte hébreu) que ne l’est le nom de kurios seul dans la Septante (- 18 occurrences) 18.
Est-il besoin de préciser que pour un échantillon de 54 occurrences, de tels écarts sont énormes ? Cette constatation renvoie de toute évidence dos à dos critique biblique et critique textuelle, en démontrant qu’il existe une incompatibilité évidente entre la démarche de la première qui a défendu pendant plus de deux siècles une théorie des sources fondée à l’origine sur les emplois des noms divins dans l’hébreu et celle de la seconde qui considère que l’ancienneté du texte grec garantit sa plus grande fidélité à un texte original perdu. En tout état de cause, si Jean Astruc avait lu la Bible en grec, il n’aurait probablement pas eu l’intuition de la théorie documentaire. Inversement, les spécialistes de critique textuelle devraient, soit renoncer à corriger le texte hébreu à partir du grec, soit renoncer à la théorie documentaire et considérer que le grec étant un meilleur témoin, 18. HARL M., La Genèse, (La Bible d’Alexandrie no1), Paris, Le Cerf, 1986, p. 50.
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c’est sur ce texte, et non sur l’hébreu, que les spécialistes de la critique biblique devraient se fonder. On pourrait objecter que le critère des noms divins n’a été que le point de départ de la théorie documentaire et qu’elle se fonde maintenant sur un ensemble complexe de critères. L’argument serait pourtant sans valeur car la constatation faite à propos de l’emploi des noms divins vaut, à des degrés divers, pour l’ensemble du vocabulaire. Marguerite Harl note par exemple « qu’il n’est pas moins difficile de comparer le lexique grec concernant l’homme et le lexique correspondant dans l’hébreu qu’il ne l’était dans le cas des deux principaux noms divins » (p. 59). Ces différences peuvent même aboutir, dans certains cas, à créer des systèmes totalement différents dans les deux textes. Par exemple, en ce qui concerne la terminologie des sacrifices, le terme technique du « sacrifice par balancement » (tenoufah) est rendu dans la Septante par six termes différents et celui du « sacrifice par élévation » (teroumah), par quatre termes dont trois servent également à désigner le premier type de sacrifice 19. En matière de rituel, la fantaisie n’est pourtant pas de mise ; aussi doit-on admettre que l’auteur de l’un des deux textes a sciemment voulu modifier, voire détruire, le rituel des sacrifices du Temple. Dans son introduction au livre des Nombres 20 Gilles Dorival a montré que, principalement en matière de culte, les traducteurs des quatre premiers livres du Pentateuque avaient fait des choix qui aboutissaient soit à unifier certaines réalités du culte, soit à en éliminer d’autres, soit encore à opérer des distinctions absentes du TM, soit surtout à brouiller des pans entiers de la religion du désert.
Tous les faits de langues ne sont cependant pas affectés au même degré : En termes de critères syntaxiques, le livre des Nombres apparaît comme une traduction relativement littérale, ainsi que les études récentes le démontrent ; l’étude de l’ordre des mots qui reproduit souvent celui de l’hébreu confirmerait cette conclusion ; en revanche, en terme de critères lexicaux, par son goût de la variation, de l’unification et des échos de mots, par les doubles traductions aussi, le livre des Nombres apparaît comme une traduction relativement libre 21.
L’origine des écarts entre hébreu et grec peut s’expliquer de deux façons. La première serait que la Septante aurait été traduite sur un texte hébreu plus ancien et de meilleure qualité que celui qui nous est parvenu. Dans ce cas, les variantes entre le grec et l’hébreu seraient imputables aux scribes du texte hébreu et pourraient être légitimement corrigées à partir du grec. 19. BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 5. 20. DORIVAL G., Les Nombres, (La Bible d’Alexandrie no 4), Paris, Le Cerf, 1994, p. 48-50. 21. DORIVAL G., Les Nombres, (La Bible d’Alexandrie no 4), Paris, Le Cerf, 1994, p. 64-65.
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C’est l’hypothèse que j’avais retenue en 1987 dans un premier article intitulé « Le texte hébreu de la Torah a-t-il été réécrit 22 ? », mais qu’une comparaison plus poussée des deux versions m’a contraint d’abandonner au profit de l’hypothèse inverse. Celle qui s’impose au regard des analyses faites dans la suite de cette étude est que le texte hébreu, protégé dès sa promulgation par le dogme de l’intangibilité de l’Écriture, nous est parvenu sous sa forme originale 23. Les variantes observées dans la traduction grecque doivent en conséquence refléter les choix de ses traducteurs plutôt qu’un texte antérieur au texte hébreu actuel. § 29 Plaidoyer en faveur d’une traduction littérale Dès le deuxième siècle avant notre ère, ces différences de contenu entre les textes hébreu et grec étaient connues des lecteurs bilingues. Le petit fils de Jésus Ben Sira, qui traduisit en grec le livre de Sagesse de son grandpère, vers l’année 130 avant notre ère, y fait allusion dans son avant-propos : Vous êtes invités à faire la lecture (de cette traduction du traité de Jésus Ben Sira) avec bienveillance et attention et à montrer de l’indulgence, là où nous semblerions, malgré nos laborieux efforts d’interprétation, rendre mal quelques-unes des expressions. Car elles n’ont pas la même force, les choses dites en hébreu dans ce livre, quand elles sont traduites dans une autre langue. D’ailleurs non seulement ce volume, mais la Loi elle-même, les Prophètes et les autres livres offrent aussi une différence considérable quant à leur contenu. (L’Ecclésiastique, Prologue)
Comparée au jugement qu’il porte sur sa propre traduction, qu’il a voulu aussi fidèle que possible à l’exception de « quelques expressions qu’il aurait mal rendues », l’appréciation portée sur la traduction de la Septante confirme parfaitement les remarques faites précédemment : « Elle offre – dit-il – une différence considérable quant à son contenu », par rapport au texte hébreu. Cette « infidélité » du grec conduira le juif Aquila, au deuxième siècle de notre ère, à faire une nouvelle traduction, absolument littérale, du texte hébreu. Autant qu’on puisse en juger à travers les fragments provenant des Hexaples d’Origène, Aquila s’est astreint à rendre de façon mécanique chaque mot de l’hébreu par un seul et même équivalent grec, quel que soit le contexte, en respectant aussi bien l’ordre des mots dans la phrase que leur syntaxe, ce qui fait de sa traduction un calque de l’hébreu. C’est ainsi qu’il traduit la graphie ’( אתét) de l’accusatif, qui n’a pas d’équivalent en grec, par sun (avec), une préposition qui rend effectivement le deuxième 22. BARC B., « Le texte hébreu de la Torah a-t-il été réécrit ? », dans TARDIEU M. (éd.), Les règles de l ’interprétation, Paris, Le Cerf, 1987, p. 69-88. 23. BARC B., « Siméon le Juste, rédacteur de la Torah ? », dans TARDIEU M. (éd.), La formation des canons scripturaires, Paris, Le Cerf, 1992, p. 123-154.
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sens du אתhébreu : « Hénoch marcha avec [ ]אתl’Élohim » (Genèse 5, 22, cf. § 27). En donnant ce sens incongru au אתde l’accusatif, Aquila commet assurément un barbarisme, mais préfère encourir les persiflages des puristes plutôt que de passer sous silence un mot jugé superflu par certains, mais essentiel pour lui. C’est ainsi que dès la première phrase de la Torah il traduit « au commencement a créé Élohim le sun des cieux et le sun de la terre », donnant probablement à ce אתle sens d’intégralité comme l’avait fait avant lui Aqiba. Pour rendre accessible au non-hébraïsant de langue française, une lecture littérale qui respecte la matérialité du texte hébreu, il n’est d’autre voie que celle suivie par Aquila. Le rendu de la syntaxe de l’hébreu en français ne fait pas difficulté, à condition de renoncer à l’élégance de la traduction. Tout au plus doit-on introduire (entre parenthèses) des gloses qui mettent en relief les particularités de cette syntaxe, et ces particularités seulement. Rien n’empêche non plus de rendre le lexique à condition de s’imposer de ne retenir qu’un seul équivalent français pour l’ensemble des occurrences d’un même mot hébreu. Une telle contrainte nuit assurément à la compréhension immédiate du texte, mais c’est le prix à payer pour redécouvrir ce sens allégorique que les anciens disaient connaître. § 30 Après vingt siècles d’interprétation L’approche actuelle de la critique biblique est, comme on l’a constaté, conditionnée par des décisions prises au cours des deux millénaires passés. Ce fut d’abord la division du texte en versets avec l’introduction de signes de cantilation qui indiquaient une ponctuation absente du texte antérieur. Ce fut ensuite la division en chapitres qui relégua au second plan les paragraphes ouverts et fermés de la lecture ancienne. Puis vint la révolution provoquée par l’introduction de la trilitéralité qui aboutit à l’élaboration des grammaires, des dictionnaires et des concordances qui servent actuellement de base aussi bien à l’apprentissage de l’hébreu qu’à l’interprétation du texte biblique. Survint également l’abandon radical de l’interprétation allégorique au profit du « sens littéral » ou « sens historique » qui imposa de nouvelles règles au nom de la raison. Le texte fut alors soumis à la critique et la recherche s’attacha à reconstituer, par la seule critique interne, d’hypothétiques documents perdus dont le texte actuel serait soit une compilation, soit une synthèse. Dans le même temps la critique textuelle se développa de façon autonome, se fixant pour objectif d’explorer toutes les variantes de la transmission du texte, principalement à travers ses traductions, et de mettre à profit ces différences pour améliorer un texte hébreu jugé trop souvent fautif. Les traductions, indispensables à la diffusion du texte hors du cercle toujours plus restreint des hébraïsants, ont également joué un rôle déterminant dans l’évolution du sens de l’Écriture, et cela dès les origines. Après
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vingt siècles de transmission, la Bible est devenue un patrimoine mondial de l’humanité. Chacun s’attache légitimement à en proposer une lecture spécifique adaptée au public auquel il s’adresse. Actuellement, l’Alliance biblique française a sur ses rayons 14 traductions en français commercialisées entre 1956 et 2002 et selon le décompte fait sur le site Internet de l’Alliance biblique universelle, il existait au 31 décembre 2004, des traductions complètes de la Bible (Ancien et Nouveau Testament) en 422 langues. Le propos des chapitres précédents n’était pas de porter un jugement de valeur sur des traductions qui, pour la plupart, sont l’œuvre de croyants pour qui la Bible contient un message vivant qu’il faut transmettre à chaque génération et chaque culture, en l’actualisant en fonction des besoins de chacun. Il visait seulement à permettre au lecteur de mesurer objectivement la distance qui sépare notre compréhension du texte de celle que pouvaient avoir les Judéens des deux derniers siècles avant notre ère. Parallèlement elle a tracé la marche à suivre pour retrouver – s’il existe – le sens que les anciens lisaient dans le texte biblique. § 31 Où Siméon le Juste transparaît derrière le patriarche Siméon Au terme de ce survol rapide de vingt siècles d’interprétation, nous poserons deux jalons extrêmes qui permettront d’entrevoir la profondeur du gouffre qui s’est creusé entre nous et ceux qui, il y a vingt siècles et plus, lisaient la Bible hébraïque avec la conviction que son origine divine en garantissait la perfection. Pour accéder au sens voulu par son auteur divin, il leur suffisait d’admettre que rien ne pouvait être ni superflu ni contradictoire dans cette révélation et que l’interprétation devait jaillir de l’application stricte de ces deux principes. L’exégèse était une démarche purement logique qui devait nécessairement déboucher sur un sens de l’Écriture et un seul. Pour jalonner cette remontée de la multiplicité des interprétations contemporaines vers une Écriture unique dont le contenu serait accessible par le biais de la lecture littérale, j’ai choisi un exemple qui, dans l’immédiat, permettra seulement de substituer à la multiplicité des hypothèses modernes une énigme dont la solution ne sera vraiment dévoilée qu’en conclusion de ce livre. Le texte de la Bénédiction prononcée par Moïse sur les chefs des tribus d’Israël (Deutéronome 32, 1-43) est l’un des plus difficiles de la Torah. Pour s’en convaincre il suffit de se reporter à l’apparat critique de l’édition hébraïque de la BHS 24 qui lui consacre 114 notes alors qu’il n’est composé que de 461 mots, soit en moyenne une note pour quatre mots de l’hébreu. 24. Biblia Hebraica Stuttgartensia, ELLIGER K. - RUDOLPH W., éd., Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 5e édition, 1997.
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Ces notes ne proposent pas toutes de corriger le texte, mais suggèrent au moins que d’autres leçons que celles attestées par l’hébreu pourraient être prises en considération ou être préférées. Et cela bien que les rouleaux des synagogues ne contiennent pas la moindre variante et que les manuscrits hébreux du Moyen Âge, comme ceux de la Renaissance, n’attestent que quelques variantes mineures qui ne modifient en rien le sens de ce texte, tout au plus son orthographe. Parmi ces notes, 24 invitent à corriger le texte et sont présentées avec des degrés de probabilité étalonnés avec soin, du plus impératif qui impose de « lire » autre chose que le texte ou d’insérer un mot absent du texte, au plus réservé qui se contente de « proposer » une correction, en passant par des degrés intermédiaires tels que des lectures « probables » ou « possibles ». D’autres notes, les plus nombreuses, renvoient au texte hébreu de la Bible samaritaine ou aux différents témoins du texte grec ou syriaque pour indiquer qu’ils contiennent des leçons différentes qu’on juge utile de faire connaître au spécialiste en lui laissant le soin d’en faire l’usage qui lui paraîtra bon. Cet apparat critique ne souligne cependant que les difficultés spécifiques au texte et laisse aux grammairiens et aux lexicographes le soin de régler les problèmes courants de syntaxe ou de sémantique qui s’y rencontrent et dont on a entrevu la complexité. À la lumière de ce qui vient d’être dit, on ne peut alors s’étonner que les traductions de cette Bénédiction varient considérablement d’une Bible à l’autre, comme en témoigne le bref passage suivant (Deutéronome 33, 21) : Et il a vu ses prémices, car là-bas il y eut partage de la terre des chefs, rassemblés avec les conducteurs des peuples. Le Seigneur a fait la justice, et son jugement est avec Israël. (Septante) Il a reconnu sa principauté, en ce que le docteur d’Israël devait être déposé dans sa terre. Il a marché avec les princes de son peuple et a observé à l’égard d’Israël les lois du Seigneur et les ordres qu’on lui avait prescrits. (Vulgate) Il choisit pour lui les prémices, dès que la part du chef a été réservée. Puis il vient à la tête du peuple : il a accompli la justice de Yahvé et ses jugements à l’égard d’Israël. (Dhorme) Il a jeté ses regards sur les prémices, là où est la part réservée pour le sceptre. Il a rejoint les chefs du peuple ; il a mis en œuvre la justice du SEIGNEUR et ses décisions en faveur d’Israël. (TOB) Il s’est adjugé les prémices de la conquête, là est sa part, réservée par le Législateur. Il s’avance cependant aux premiers rangs du peuple, accomplissant l’œuvre sainte du Seigneur, fidèle à ses devoirs envers Israël ! (Bible du Rabbinat) Il voit : à lui l’en-tête ; oui, là est la part de l’exarque mystique. Il arrive, têtes des peuples ! La justification de YHWH il l’a faite, ses jugements avec Israël. (Chouraqui)
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Pour Dhorme, cette prophétie de Moïse concernerait Gad, fils de Jacob et de Zilpah, dont la tribu se serait adjugé les prémices de la conquête en Transjordanie quand la région fut partagée entre Ruben, Gad et la demitribu de Manassé. Si l’on se réfère maintenant à l’organisation primitive du texte en paragraphes ouverts ou fermés, la Bénédiction et le récit de la mort de Moïse qui suit immédiatement constituent un seul paragraphe ouvert (Deutéronome 33, 1-34, 12). La Bénédiction elle-même est divisée en neuf paragraphes fermés qui constituent autant d’unités de sens distinctes mais organisées en un seul monument comme l’était le décalogue (§ 15). Il convient donc d’abord de s’intéresser au cadre narratif général dans lequel s’inscrivent ces bénédictions : Et voici la bénédiction par laquelle Moïse, l’homme de Dieu, bénit les fils d’Israël, avant sa mort. Il dit : Yahvéh est venu du Sinaï et de Séïr il s’est levé pour eux, il a resplendi depuis le mont Paran et il est arrivé à Meribah de Qadès, à sa droite le feu de la Loi pour eux ! Oui, il est l’ami des peuples. (Deutéronome 33, 1-3)
Jusque là Moïse a rappelé les interventions de Yahvéh au désert… mais le texte alors passe subitement de la troisième à la deuxième personne — ce qui suggère un changement d’interlocuteur — et s’adresse à un personnage mystérieux à qui il annonce qu’il a autorité sur les « saints » et que chacun d’entre eux « porte ses paroles ». Mais tous ses saints sont dans ta main et ils s’abaissent à tes pieds, chacun porte [le poids] de tes paroles. (Deutéronome 33, 3)
Jusqu’ici celui qui parlait était Moïse, mais à partir de là Moïse se tait et c’est au autre personnage qui prend la parole et dit, parlant de Moïse : Moïse nous a prescrit une Loi. (Deutéronome 33, 4)
Celui qui parle n’est donc pas Moïse, mais bien le personnage mystérieux à qui Moïse a donné autorité sur l’ensemble des saints. Il faut alors tenter de l’identifier. Puisqu’il s’inclut lui-même dans le groupe des bénéficiaires de la Torah en disant « Moïse nous a donné une Loi », il est donc le chef de l’une des douze tribus d’Israël à qui cette Torah est destinée. Pour l’identifier il suffit alors de dresser la liste des fils de Jacob qui sont cités dans les bénédictions, en partant du principe que tous leurs noms doivent être prononcés à l’exception du nom de celui qui parle et qui doit logiquement se désigner lui-même par le pronom de la première personne. Onze patriarches sont effectivement cités dans les bénédictions, dans l’ordre suivant : Ruben, Juda, Lévi, Benjamin, Joseph, Zabulon et Issachar, Gad, Dan, Nephtali et Acher. Le seul qui manque à l’appel est Siméon, le deuxième fils de Jacob et de Léah, c’est donc lui, Siméon, qui doit remplir la fonction de porte-parole de Moïse pour annoncer l’avenir des fils d’Is-
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raël. Mais il le fait sans rien dire sur son propre avenir car aucune phrase des bénédictions n’est écrite à la première personne du singulier. Ce silence n’est en fait qu’apparent, car si le rôle du patriarche Siméon n’est annoncé dans aucune prophétie, il l’est en revanche dans le récit lui-même. Après avoir prononcé une bénédiction sur les huit premiers patriarches Siméon s’interrompt. Et c’est à cet endroit précis qu’apparaît la phrase qui nous a servi à illustrer la confusion des traductions : Il choisit pour lui les prémices, dès que la part du chef a été réservée. Puis il vient à la tête du peuple : il a accompli la justice de Yahvé et ses jugements à l’égard d’Israël. (Deutéronome 33, 21)
Lue en fonction des règles de la lecture littérale 25, la première partie de cette prophétie peut être traduite ainsi : Et il (?) vit (le) Principe en vue de lui (?) car (conformément à mon plan) là (haut est) l ’héritage de celui qui grave-leprécepte : « Atteignez le seuil (du Jubilé)». (Deutéronome 33, 21)
Le défi consiste avant tout à identifier les personnages désignés par un pronom en partant des informations fournis par le texte lui-même. Un premier indice est l’emploi du verbe « voir » qui s’oppose au verbe « dire » qui introduisait les paroles de Siméon. Celui qui a contemplé le « principe » est donc dans le monde de la vision, alors que Siméon est dans celui de la parole. Par ailleurs, celui qui a gravé le précepte : « Atteignez le seuil (du Jubilé) » est Moïse, car, comme on le verra, c’est lui qui a révélé le modèle jubilaire qui servira d’étalon à l’histoire universelle (chapitre 14). Ce « Principe » (ré ’chit) que Moïse a vu est celui au moyen duquel Élohim a créé le modèle des cieux et le modèle de la terre, un « Principe » qui n’est autre que la Sagesse divine elle-même (Genèse 1, 1). Ce qu’il faut retenir de cette phrase, c’est donc que Moïse a contemplé ce Principe en vue d’un autre et que c’est à cet autre qu’il reviendra de « dire » ce que Moïse a contemplé. Et qui pourrait être cet autre si ce n’est le patriarche Siméon. Cette tentative de reconstitution de la lecture littérale est si éloignée des lectures actuelles qu’il ne peut paraître que fantaisiste. Sa pertinence n’apparaîtra qu’au fil des démonstrations. Dans l’immédiat elle permet au moins d’entrevoir la profondeur le gouffre qui s’est creusé entre le texte et nous.
25. Justifier cette traduction nous entraînerait dans des digressions sans fin. J’invite donc le lecteur hébraïsant à y revenir après avoir lu l’intégralité de cette étude. Il disposera alors des moyens d’en vérifier la validité.
Deuxième partie
L’histoire de la Torah comme on la racontait à la période hellénistique
Chapitre 4
L’HISTOIRE DE LA TORAH D’APRÈS LE L IVRE D’ESDRAS 1 § 32 De l’histoire au modèle de l’histoire S’il existe un large accord pour reconnaître que le canon de la Bible hébraïque était définitivement fixé au plus tard au deuxième siècle de notre ère et que le texte consonantique de ses livres n’a plus varié par la suite, la reconstitution de l’histoire de cette fixation fait encore débat 2 . Pour trancher sur la date de fixation définitive de la Torah on dispose de quelques repères chronologiques jugés historiquement sûrs. Le premier, fondé sur le témoignage du Livre d’Esdras-Néhémie (§ 4), est la date de venue d’Esdras à Jérusalem, la septième année d’Artaxerxès Ier (451 avant notre ère) ou d’Artaxerxès II (398 avant notre ère). Même si le rôle historique d’Esdras est débattu, et même si le personnage lui-même est souvent relégué au second plan, les dates citées dans cet ouvrage sont considérées comme valables. La seconde moitié de la période perse est le cadre historique communément admis actuellement pour la promulgation de la première partie du corpus biblique, la Torah. Le deuxième repère chronologique est fourni par la Lettre d’Aristée à Philocrate qui date le Pentateuque, c’est-à-dire la traduction grecque de cette Torah, du début du règne du roi Ptolémée II Philadelphie, vers 280 avant notre ère, donc d’une cinquantaine d’années seulement après la fin de la période perse ce qui rend très vraisemblable une promulgation du texte hébreu avant le début de la période hellénistique (333 avant notre ère). La chronologie fondée sur le livre d’Esdras semble donc confirmée par la Lettre d’Aristée. Enfin, une troisième information est donnée par le traducteur du Livre de Sagesse de Jésus Ben Sira, qui dit avoir découvert l’existence de ce traité de Sagesse écrit par son aïeul, lors d’un voyage qu’il fit en Égypte la trentehuitième année du roi Ptolémée VII Évergète (132 avant notre ère). Le 1. Voir BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 55-67. 2. Le livre d’Esther fait exception. Sa canonicité sera encore rejetée par Rabbi Samuel, mort en 254 (voir HARL M. – DORIVAL G. – MUNNICH O., La Bible grecque des Septante. Du judaïsme hellénistique au christianisme ancien, Paris, Le Cerf, 1988, p. 325-326.)
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traité de Ben Sira fut donc traduit pendant le dernier tiers du II e siècle avant notre ère, à une époque où la Bible hébraïque avait déjà été traduite. En effet, dans le prologue de sa traduction, le petit fils de Ben Sira précise que la Loi (= Torah), mais aussi « les Prophètes et d’autres livres » étaient déjà traduits. Un corpus hébreu des livres historiques (= prophètes antérieurs) et des prophètes (= prophètes postérieurs) avait donc déjà été constitué avant 120 avant notre ère. Quant à la mention des « autres livres », elle est trop vague pour qu’il soit possible d’en déduire qu’il existait déjà une liste officielle de ces « Écrits », mais au moins que certains d’entre eux circulaient déjà en version grecque. Tels sont les trois documents principaux sur lesquels se fondent les spécialistes pour décider des dates de rédaction des différentes parties du corpus biblique. Mais Avant de se prononcer sur la valeur historique de ces documents, il faut réapprendre à les lire comme pouvaient les lire les Judéens de la période du Temple. Plutôt que de s’interroger sur l’exactitude historique des faits, ils cherchaient à comprendre comment ces histoires particulières se conformaient au plan général de l’Histoire révélé par l’Écriture. Esdras agissait-il conformément à l’Écriture ? On a vu que pour garantir cette conformité un auteur pouvait introduire dans son récit des références explicites à l’Écriture. Il pouvait aussi, de façon plus discrète mais non moins impérative, glisser dans une phrase un mot ou une expression, caractéristiques d’un passage de l’Écriture et d’un seul. Le lecteur initié, raisonnant alors par analogie verbale, se trouvait orienté mécaniquement vers un modèle biblique qui pouvait modifier profondément le sens apparent du récit, voire le contredire. Comme on l’a vu, c’est ainsi qu’Esdras, « le scribe rapide », devenait le champion de la Torah orale par le biais du psaume 45, qui révélait que sa « langue était le calame d’un scribe rapide » (§ 22). C’est en soumettant successivement le livre d’Esdras et la Lettre d’Aristée à l’épreuve du raisonnement par analogie verbale que nous tenterons d’apprécier la pertinence des dates proposées pour la rédaction de la Torah. Dans le même temps, nous ferons un premier pas dans le monde oublié de l’herméneutique de la période du second Temple. § 33 Un conflit de légitimité entre Esdras et Josué fils de Yoçadaq L’histoire d’Esdras commence par une généalogie en dix-sept générations qui le présente comme le fils de Sérayah, dernier des prêtres de la période du premier Temple (2 Rois 25, 18-21) et fait de lui le descendant de la dynastie sacerdotale qui aurait présidé aux destinées d’Israël depuis le don de la Torah au Sinaï et qui remonterait à Aaron lui-même. Avant d’être un scribe, Esdras est donc, avant tout, un prêtre dont la légitimité est fondée sur une fausse généalogie. Alors que l’histoire biblique fixe, de
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façon rigoureuse, la généalogie de la lignée royale de Juda, d’Adam à la 51e génération, celle de Joachin, dernier des rois de Juda (§ 104), elle interrompt celle de la lignée sacerdotale à la 28e génération, avec la mort de Pinhas, petit fils d’Aaron (§ 117). À partir de là, les grands prêtres du Temple de Jérusalem ne sont mentionnés que sporadiquement, sans qu’il soit possible de reconstituer leur généalogie. Pour construire sa généalogie factice, l’auteur du livre d’Esdras a en fait repris tous les prêtres cités par la Bible 3 et l’a complétée en inventant les autres personnages (Esdras 7, 1-5). Par ce subterfuge généalogique, Esdras devient non seulement l’héritier légitime de Sérayah, dernier prêtre du Premier Temple, mais aussi le successeur légitime d’Aaron lui-même. Le véritable enjeu de cette construction généalogique ressort de sa comparaison avec la généalogie de Josué fils de Yoçadaq, le grand prêtre que le prophète Aggée présente comme le restaurateur du Temple après l’Exil (§ 190). La généalogie de Josué (1 Chroniques 5, 29-41), composée de 49 générations, met en scène les mêmes personnages que celle d’Esdras, un parallélisme qui implique très probablement que l’une ait été copiée sur l’autre. Quant au but de l’opération, il est d’affirmer la légitimité du champion de chacun des camps. La comparaison des généalogies donne sans équivoque l’avantage à Esdras. Il est en effet fils de Sérayah, alors que Josué, son concurrent, est fils de Yoçadaq, fils de Sérayah. Josué est donc le neveu d’Esdras ! Il ne peut donc exercer sa fonction de grand prêtre du temple de Jérusalem que par intérim, en attendant le retour d’exil de son oncle Esdras. § 34 Le voyage d’Esdras de Babylone à Jérusalem On a souvent noté que la chronologie interne des livres d’Esdras et Néhémie était incohérente et qu’il était impossible, en particulier, de dater, de façon satisfaisante, l’ordre des interventions respectives d’Esdras et de Néhémie en Judée. Par ailleurs, une particularité surprenante de cette chronologie, mise en évidence par A. Sérandour 4 , montre que cette cohérence existe bien, mais à un autre niveau. Certains événements sont en 3. Les grands prêtres bibliques cités sont Sérayah (2 Rois 25, 18), Hilqiyahou, le prêtre qui découvrit la Torah dans le Temple de Yahvéh au temps des derniers rois de Juda (2 Rois 22), Çadoq fils de Ahitouv, le premier prêtre du Temple de Salomon (2 Samuel 15, 27 s.) et enfin la lignée des trois prêtres de la période du Désert, Pinhas, Éléazar et Aaron (voir Chapitre 16). On notera que le nom du prêtre Yehoyada (2 Rois 12, 1-13) n’est cité par aucune des généalogies, probablement parce qu’il se montra incapable de réparer ce Temple (§ 36) qu’Esdras et Josué prétendent restaurer. 4. SÉRANDOUR A., « À propos des calendriers des livres d’Esdras et de Néhémie », dans AMPHOUX C.-B. (éd.), Études sémitiques et samaritaines offertes à Jean Margain, Lausanne, Éditions du Zèbre, 1998, p. 281-289.
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effet datés par référence au calendrier « profane », alors que d’autres, dont la chronologie d’Esdras fait partie, reprennent le calendrier « sacré » de la Bible elle-même. Ce fait suggère que l’auteur a voulu présenter l’œuvre conjointe d’Esdras, le prêtre et de Néhémie, le gouverneur, comme des prolongements de l’histoire biblique, tant sacrée que profane. Le voyage d’Esdras de Babylone à Jérusalem est daté avec un luxe de précision : Cet Esdras monta de Babylone […]. Et montèrent aussi [plusieurs] d’entre les enfants d’Israël, d’entre les prêtres, les Lévites, les chantres, les portiers et les Nethinim, vers Jérusalem, dans la septième année du roi Artaxerxès. Il arriva à Jérusalem dans le cinquième mois ; c’était la septième année du Roi. En effet le premier jour du premier mois, il fixa le voyage depuis Babylone, et le premier jour du cinquième mois il arriva à Jérusalem, car la bonne main de son Dieu était sur lui. (Esdras 7, 7-9)
Esdras partit donc de Babylone « le premier jour du premier mois », une date qui, dans le modèle biblique, est à la fois celle de l’achèvement de la construction de la Tente du désert, préfiguration du Temple, et celle de l’entrée en fonction du prêtre Aaron dont Esdras est le descendant (Exode 40, 1-18). Transposé à l’histoire du second Temple ce modèle signifie qu’Esdras quitte Babylone pour Jérusalem le jour même de la consécration du nouveau Temple et de l’entrée en fonction de Josué fils de Yoçadaq, le nouvel Aaron. Ce départ, qui survient immédiatement après le rappel de la généalogie qui prouve qu’Esdras est le grand prêtre aaronide légitime, laisse alors présager un conflit de préséance entre lui et Josué et que la destitution annoncée de Josué s’inscrit dans le plan divin. § 35 Esdras est le nouvel Éléazar, fils d’Aaron Esdras arriva à Jérusalem « le premier jour du cinquième mois », une date qui, comme celle de son départ de Babylone, renvoie à un modèle de la Torah et correspond au jour anniversaire de la mort d’Aaron, au jour où, sur l’ordre de Dieu, Éléazar, son fils, fut fait grand prêtre à la place de son père. Toute la communauté des fils d’Israël partit de Qadès et ils arrivèrent à Hor, la montagne. Yahvéh parla à Moïse et à Aaron, à Hor, la montagne, sur la frontière du pays d’Édom, en disant : « Aaron va être réuni à ses aïeux, car il n’entrera pas au pays que je donne aux fils d’Israël, puisque vous avez été rebelles à mon ordre aux eaux de Méribah. Prends Aaron et son fils, Éléazar, et fais-les monter à Hor, la montagne. Dépouille Aaron de ses habits et tu en revêtiras Éléazar, son fils. C’est là qu’Aaron sera réuni et mourra. » (Nombres 20, 22-29) Le prêtre Aaron monta à Hor, la montagne, sur l’ordre de Yahvéh et il y mourut, en l’an quarante de la sortie des fils d’Israël du pays d’Égypte, au cinquième mois, le premier (jour) du mois. (Nombre 33, 37-38)
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Cette nouvelle date élargit la perspective et invite à interpréter l’histoire d’Esdras et de Josué à la lumière de celle des deux premiers grands prêtres bibliques. Esdras dont le nom signifie « Aide » (‘Ezra’) devient alors un avatar d’Éléazar (’el-‘azar : Dieu a aidé) et revit ce que ses ancêtres avaient vécu pendant les quarante années du Désert. Puisque Esdras arrive à Jérusalem le jour anniversaire de la mort d’Aaron et de l’entrée en fonction d’Éléazar, le temps est venu pour Josué fils de Yoçadaq de se dépouiller de ses habits de grand prêtre au profit de ce nouvel Éléazar. Conformément au plan divin, c’est Esdras, qui fera entrer le peuple dans la Terre promise. § 36 La septième année d’Artaxerxés Reste alors à confronter au modèle biblique la date sur laquelle repose entièrement l’hypothèse d’une promulgation de la Torah à la période perse afin de vérifier si, elle aussi, se prête à une lecture analogique. Cette date apparaît deux fois, mais avec des constructions grammaticales différentes et barbares. La première date, exprimée au moyen du nombre cardinal – « dans l ’année du sept (qui est) en vue d’Artaxerxés » (Esdras 7, 9) – est celle du départ en mission d’Esdras à partir de Babylone. La seconde, construite avec l’ordinal – « l ’année de la septième (année) en vue du roi » (Esdras 7, 10) – est celle de son arrivée à Jérusalem. La syntaxe étrange choisie par l’auteur pour exprimer ces dates ne doit rien au hasard, ni à la fantaisie. Elle a pour but de renvoyer impérativement le lecteur aux deux événements de l’histoire biblique dans lesquels il pourra lire le sens allégorique de la mission d’Esdras. La première date, celle qui fait explicitement référence au roi perse Artaxerxès, renvoie à un seul épisode de l’histoire biblique, un épisode complexe de l’histoire des rois de Juda dont on ne retiendra que les extraits les plus significatifs : Dans l ’année du sept (qui est) en vue de Jéhu (roi d’Israël), Joas devint roi (en Juda) et il régna quarante ans à Jérusalem […] Joas fit ce qui est droit aux yeux de Yahvéh durant tous les jours que l’instruisit le prêtre Yehoyada […] Joas dit aux prêtres : « Tout l’argent des redevances qui est apporté à la Maison de Yahvéh […] les prêtres le recevront […] et ce sont eux qui répareront les dégâts de la Maison partout où des dégâts seront constatés. » Or, en l’an vingt-trois du roi Joas, les prêtres n’avaient pas réparé les dégâts de la Maison. Le roi appela le prêtre Yehoyada et les autres prêtres. Il leur dit : « Pourquoi ne réparez-vous pas les dégâts de la Maison ? Maintenant donc, ne prenez plus d’argent de vos connaissances, mais donnez-le pour les dégâts de la Maison. » Les prêtres consentirent à ne plus prendre l’argent de la part du peuple et à ne plus réparer les dégâts de la Maison. Alors le prêtre Yehoyada prit un coffre et perça un trou dans son couvercle puis il le plaça à côté de l’autel. Les prêtres gardiens du seuil y déposaient tout l’argent apporté à la Maison de Yahvéh. Dès qu’ils voyaient qu’il y
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avait beaucoup d’argent dans le coffre, alors le scribe du roi et le grand prêtre montaient ramasser et compter l’argent qui se trouvait dans la Maison de Yahvéh. Puis ils remettaient l’argent contrôlé aux mains de ceux qui faisaient le travail […] afin de réparer les dégâts de la Maison de Yahvéh, bref pour tout ce qui s’imposait en fait de réparation à la maison de Yahvéh. (2 Rois 12, 1-13)
En renvoyant à ce texte par le biais de la date « dans l ’année du sept en vue de Jéhu », l’auteur suggère qu’Artaxerxés ne fait que rejouer le rôle de Jéhu, roi d’Israël, ce qui se justifie par le fait que les rois perses firent de Samarie, l’ancienne capitale des rois d’Israël, le centre administratif de la province perse de Transeuphratène. Dès lors les rôles joués dans le récit biblique par le roi Joas et le prêtre Yehoyada doivent logiquement renvoyer à un « roi » et un prêtre judéens de la période perse. Il suffit alors de se remémorer les premiers chapitres du Livre d’Esdras pour comprendre qu’ils sont la préfiguration du gouverneur Zorobabel fils de Chealtiel et du prêtre Josué fils de Yoçadaq, les deux personnages qui entreprirent ensemble la restauration du Temple de Jérusalem après le retour de l’Exil, mais qui ne furent pas plus capables de la mener à terme que ne l’avaient été Joas et Yehoyada. Quant à Esdras, « le prêtre-scribe, scribe des paroles ordonnées par Yahvéh » (Esdras 7, 11), il apparaît dans le modèle biblique au détour d’une phrase : « Dès que (les prêtres gardiens du seuil) voyaient qu’il y avait beaucoup d’argent dans le coffre, alors le scribe du roi et le grand prêtre montaient ramasser et compter l’argent qui se trouvait dans la Maison de Yahvéh. » En fait, la traduction de Dhorme corrige le texte hébreu dans lequel on doit lire littéralement : Et (celui qui est) le scribe du Roi et le grand prêtre monta. (2 Rois 12, 11)
Ce personnage mystérieux qui monte pour restaurer le Temple ruiné cumule donc les fonctions de « scribe et de grand prêtre » comme le fera Esdras, « le prêtre scribe » (Esdras 7, 11), lui qui monte de Babylone à Jérusalem pour réparer les dégâts subis par le Temple suite à l’incurie de Josué fils de Yoçadaq. § 37 La septième année pour le Roi La deuxième référence à la septième année, « l ’année de la septième pour le roi » (Esdras 7, 8) correspond, quant à elle, à la date d’arrivée d’Esdras à Jérusalem et non plus à celle de son départ de Babylone. Cette date renvoie en effet, par le biais de l’emploi insolite du nombre ordinal, à deux passages de la Torah dont le premier s’adresse à celui qui, comme le roi Artaxerxès, maintient « son frère hébreu » en esclavage : Si ton frère hébreu, homme ou femme, se vend à toi, il te servira six ans, et dans la septième année tu le renverras de chez toi en liberté. Quand tu
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le renverras en liberté tu ne le renverras pas les mains vides. (Deutéronome 15, 12-13)
Il suffit alors de lire l’édit qu’Artaxerxès remet à Esdras au moment de son départ pour comprendre que le seul souci du roi perse est bien de se conformer au commandement divin : J’ai donné l’ordre de laisser partir avec toi tous ceux du peuple d’Israël et de ses prêtres et lévites qui sont dans mon royaume et qui désirent aller à Jérusalem, puisque tu es envoyé de la part du roi et de ses sept conseillers pour faire une enquête au sujet de Juda et de Jérusalem, conformément à la loi de ton Dieu qui est dans ta main, pour porter l ’argent et l ’or que le roi et les conseillers veulent bien donner au Dieu d’Israël dont la demeure est à Jérusalem. (Esdras 7, 13-15)
Artaxerxés exécute la prescription du Deutéronome sur trois points : il renvoie le peuple libre, le renvoie la septième année et le renvoie avec de l’or et de l’argent, et non pas les mains vides. On notera de plus qu’il est stipulé dans la suite du texte du Deutéronome que ce départ doit être volontaire : la septième année venue, l’esclave peut également choisir de rester avec son maître (Deutéronome 15, 16-17). De la même façon, Artaxerxès n’oblige pas tous les Judéens à partir, mais seulement « ceux qui désirent aller à Jérusalem » (Esdras 7, 13). Artaxerxès et Esdras, en cette « septième année », accomplissent donc avec zèle les Écritures. Le deuxième texte de la Torah où est reprise l’expression « la septième année » se trouve dans le livre du Lévitique : Parle aux fils d’Israël et tu leur diras : Quand vous entrerez au pays que je vous donne, la terre sabbatisera un Sabbat pour Yahvéh : six années durant tu ensemenceras ton champ et six années durant tu tailleras ta vigne, tu en récolteras le produit ; mais à la septième année, ce sera pour la terre un Sabbat sabbatique, un Sabbat pour Yahvéh [...] (Lévitique 25, 2-4)
Cette deuxième référence vient compléter utilement la première en établissant un lien entre la venue d’Esdras et l’entrée dans le « Sabbat sabbatique ». Là encore, il faut revenir à la lecture littérale du texte hébreu. Ce que les traducteurs rendent par « Sabbat sabbatique » – un pléonasme – devrait être traduit par « sabbat du sabbat ( jubilaire) », c’est-à-dire un sabbat qui, arrivant au terme des sept semaines de la période jubilaire de 49 ans (7 x 7), donnera à Israël l’occasion d’entrer dans une ère nouvelle à la condition expresse d’être intégralement fidèle à la pratique de la Torah (voir Chapitre 14). À la lumière de ce nouveau texte, on comprend alors que si l’auteur choisit ici l’expression « La septième année pour le Roi » et non pas, comme précédemment, « l ’année du sept (qui est) en vue d’Artaxerxès » c’est afin d’indiquer que le Roi à qui cette année est destinée n’est pas un roi humain, mais Yahvéh lui-même, conformément au texte du Lévitique
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qui précise que ce sabbat jubilaire sera « un sabbat pour Yahvéh ». Avec la venue d’Esdras, le peuple judéen a donc l’occasion d’entrer dans une ère nouvelle, placée sous le signe de la fidélité à la Torah. § 38 Esdras et la tour de Babel Cette analyse n’a pris en compte que la généalogie d’Esdras et la chronologie de son voyage. Elle n’a fait qu’effleurer l’interprétation d’un texte composé comme une mosaïque de références scripturaires. Elle suffit, cependant, à montrer qu’on se trouve en présence d’un texte codé dont les dates n’ont pas été imposées par l’histoire profane de la période perse, mais par la volonté de renvoyer le lecteur à des modèles bibliques. Que le récit soit composé en fonction des règles de l’historiographie grecque n’est qu’un trompe-l’oeil. C’est dans ses références implicites à l’Écriture que se trouve la clé de son sens allégorique. On comprend alors qu’en faisant sortir Esdras de Babel, l’auteur lui fait refaire le voyage de l’humanité au lendemain du Déluge. Cette ville ne reçut son nom de Babel – (celle qui est) dans la confusion – qu’après la décision de Yahvéh de « confondre les langues » de ses habitants et de les disperser dans tout l’univers. Avant cette décision « toute la terre avait un seul langage et un seul parler » (Genèse 11, 1), ce qui signifie que ses habitants possédaient encore la totalité de la connaissance antédiluvienne transmise par Noé et ses descendants. On en déduira que puisqu’Esdras vient de Babel – que le lieu soit symbolique ou non – il est en possession de cette connaissance primordiale. Par ailleurs, le drame qui provoqua la dispersion commença le jour où les bâtisseurs « remplacèrent la pierre par le brique et le mortier par le bitume » (§ 16). La construction de la ville et de la tour (migdal) fut alors interrompue et c’est à ce moment que l’humanité entra dans la confusion. À l’inverse, lorsqu’Esdras entra à Jérusalem, la ville avait déjà été reconstruite par Néhémie (Néhémie 3) et la tour également, à condition de ne pas banaliser le sens du texte. Quand Esdras commence à lire la Torah devant le peuple, ce n’est pas « sur une estrade de bois qu’on avait faite pour cela » qu’il se tient mais « sur la tour (migdal) de bois qu’ils avaient faite en vue de la parole (ladavar)» (Néhémie 8,4). Cette double construction de la ville et de la tour, interrompue au lendemain du Déluge a donc enfin été menée à bien, grâce au retour de Néhémie et d’Esdras. § 39 La Promulgation de la Torah orale Cette restauration de la religion judéenne, que doit provoquer la venue du prêtre-scribe Esdras, est mise en scène quelques chapitres plus loin, dans la liturgie de promulgation de la Torah célébrée le premier jour du septième mois :
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Et tout le peuple se réunit comme un seul homme sur la place qui est en face de la porte des Eaux, et ils dirent à Esdras, le scribe, d’apporter le livre de la loi de Moïse que Yahvéh avait prescrit à Israël. Esdras, le prêtre, apporta la loi en face de l’assemblée [où étaient] les hommes, les femmes, et tous ceux capables de comprendre, le premier jour du septième mois. (Néhémie 8, 1-2)
Une fois encore, la date de convocation du peuple renvoie à deux passages de l’Écriture dont il suffira de citer le premier 5 : Au septième mois, le premier du mois, ce sera pour vous le sabbat jubilaire [chabatôn], rappel en fanfare, convocation sainte. (Lévitique 23, 24)
La promulgation de la Torah se fait donc bien le jour du sabbat jubilaire auquel renvoyait déjà la date d’arrivée d’Esdras (§ 36). Elle marque donc bien l’entrée dans une nouvelle ère de l’histoire religieuse de la Judée dont la suite du texte décrit le rituel. À la demande expresse du peuple, Esdras fait sortir le Livre de la Torah qui se trouvait jusque-là conservé dans le Temple. Ressortant – tel un nouvel Éléazar – revêtu des vêtements sacerdotaux dont Josué fils de Yoçadaq a été dépouillé, « Esdras le prêtre » apporte processionnellement cette Loi sur la place publique, la mettant à la portée du peuple tout entier, non seulement des hommes et des femmes, mais aussi de « ceux qui étaient capables de comprendre », une allusion probable aux prosélytes. Le prêtre Esdras, devenu scribe, décide alors de remplacer – ou au moins de doubler – le rituel des sacrifices du Temple par celui de la lecture de la Torah. Il lut dans ce livre, sur la place qui est en face de la porte des Eaux, depuis l’aube jusqu’au milieu de la journée devant les hommes, les femmes et ceux qui pouvaient comprendre. Les oreilles de tout le peuple [étaient attentives] au livre de la loi. (Néhémie 8, 3)
La place où se tient Esdras lors de cette lecture est également hautement symbolique, à condition toutefois de lire le texte sans le corriger. Dans la traduction de Dhorme on lit : Esdras, le scribe, se tenait sur une estrade de bois qu’on avait faite pour cela. (Néhémie 8, 4)
Alors que la lecture littérale fait référence à « (la) tour de bois qu’ils avaient faite en vue de la parole », une allusion à la tour de Babel dont la construction, momentanément interrompue, est alors menée à bien au moment de la venue d’Esdras. Avec son enseignement, la confusion des langues et des interprétations prend fin.
5. Voir aussi Nombres 29, 1-6.
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Esdras ouvrit le livre aux yeux de tout le peuple, car il se trouvait au-dessus de tout le peuple, et lorsqu’il l’ouvrit tout le peuple se tint debout. Et Esdras bénit Yahvéh, le grand Dieu, et tout le peuple répondit : Amen, Amen ! en levant les mains. Puis ils s’inclinèrent et se prosternèrent, la face contre terre […]. Les lévites expliquaient au peuple la loi, et le peuple se tenait là debout. Ils lurent dans le livre de la Loi de Dieu, en l’expliquant, en en donnant le sens et en faisant comprendre la lecture. (Néhémie 8, 5-8)
§ 40 Du sens littéral à la lecture littérale Le livre d’Esdras-Néhémie est en fait écrit à double hauteur. Pour le lecteur en quête d’histoire, son sens littéral présente un scénario mettant en scène un personnage de la période perse qui reçoit mission de placer la Torah au centre de la religion judéenne et d’en rendre le sens accessible à tous. Pour le lecteur ancien initié à la technique de l’analogie verbale, c’une une version beaucoup moins consensuelle de l’histoire qui transparaît sous l’écorce du texte. Par le biais de la lecture littérale, des dates symboliques empruntées à l’histoire biblique lui font découvrir dans l’Écriture le modèle de sa propre histoire. Esdras, le nouvel Éléazar, intervient conformément à un plan divin pour pallier l’incapacité des autorités religieuses du Temple. Sa mission, légitimée par une généalogie qui lui confère un « droit d’aînesse » sur Josué fils de Yoçadaq, est de reprendre au grand prêtre en exercice cette Torah écrite dont le Temple a fait son bien propre afin d’en faire une Torah orale accessible à tous par le biais de la lecture, de la traduction et de l’interprétation. Bien qu’antidaté de la période perse, ce programme est en réalité celui du mouvement pharisien qui n’apparut en Judée qu’aux environs de l’an 100 avant notre ère (§ 4). Sous l’apparence d’un conflit du passé entre Esdras et Josué fils de Yoçadaq, c’est le conflit qui opposa pharisiens et grands prêtres sadducéens pendant les deux siècles qui précédèrent la destruction du second Temple qui est visé. La « septième année d’Artaxerxès » sur laquelle se fonde la critique pour dater la rédaction de la Torah n’est en réalité que la date symbolique de fondation du mouvement pharisien, la date d’institution d’une Torah orale qui finira par l’emporter sur l’Écriture.
Chapitre 5
L A L ETTRE D’A RISTÉE À P HILOCRATE OU L ÉGENDE D’A RISTÉE § 41 Un scénario de légende La date de rédaction de la Lettre d’Aristée à Philocrate 1 , plus connue sous le nom de Légende d’Aristée, a été et est encore discutée (entre 200 avant notre ère et 80 de notre ère !). Une majorité de spécialistes s’accorde cependant en faveur de la seconde moitié du II e siècle avant notre ère 2 . Le thème central de cette légende est celui de la traduction de la Torah en grec, mais de nombreux autres thèmes, en apparence sans lien avec cette traduction, occupent la plus grande partie du traité. Cette constatation a fait penser à une œuvre composite qui aurait réutilisé des documents antérieurs particulièrement dans la description du banquet qui occupe une partie importante du traité. Pour comprendre le but réel de l’œuvre et découvrir la clé générale de lecture qui permet d’en saisir la cohérence, il est d’abord nécessaire d’en retracer le scénario. Chargé de constituer la Bibliothèque d’Alexandrie, Démétrios de Phalère reçut pour mission de « réunir, au complet si possible, tous les ouvrages parus dans le monde entier 3 » (9). Il annonça alors au roi Ptolémée qu’il « existait des lois des juifs qui mériteraient d’être transcrites et de faire partie de la bibliothèque. Mais qu’il fallait en outre les traduire » (10). Une intervention insistante d’Aristée visant à convaincre le roi de libérer tous les esclaves juifs avant d’entreprendre cette traduction vient alors
1. PELLETIER A., La Lettre d ’Aristée à Philocrate, introduction, texte critique, traduction et notes, index complet des mots grecs, Paris, Le Cerf, 1962 (Sources chrétiennes 89). 2. PELLETIER A., La Lettre d ’Aristée à Philocrate, introduction, texte critique, traduction et notes, index complet des mots grecs, Paris, Le Cerf, 1962, p. 57-58 (Sources chrétiennes 89), opte pour le début du second siècle avant notre ère. HARL M. – DORIVAL G. – MUNNICH O., La Bible grecque des Septante. Du judaïsme hellénistique au christianisme ancien, Paris, Le Cerf, 1988, p. 40-44, présentent un état de la question, mais se refusent à prendre parti : « Il manque un argument décisif pour trancher entre ces différentes hypothèses ». 3. Les références renvoient au découpage en paragraphes de l’édition de PELLETIER A., La Lettre d ’Aristée à Philocrate, introduction, texte critique, traduction et notes, index complet des mots grecs, Paris, Le Cerf, 1962 (Sources chrétiennes 89).
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rompre le fil du récit. Le roi consent à cette libération, ce qui lui coûte six cent soixante talents, soit plus de 26 tonnes de métal précieux 4 (27). On revient alors au thème central (11-27). Les spécialistes locaux ayant constaté que les manuscrits de la Torah en leur possession « avaient été écrits avec assez de négligences et d’inexactitudes », Démétrios propose au roi de lui procurer un « texte correct » en provenance du Temple de Jérusalem et de demander au grand prêtre de ce Temple, nommé Éléazar, « d’envoyer des hommes des plus honorables, des anciens, compétents dans la science de leur Loi, six de chaque tribu, afin qu’en faisant soumettre à l’examen ce qui aura obtenu l’accord de la majorité et en obtenant ainsi une interprétation exacte, on établisse brillamment un texte digne de l’État et des intentions du roi » (32). Le roi envoie alors au grand prêtre une ambassade chargée d’objets précieux d’un poids total de 50 talents d’or et de 70 talents d’argent (33) et y ajoute 100 talents d’argent pour les sacrifices et les besoins du Temple, soit au total plus de 17 tonnes de métal précieux (42). Aristée interrompt une nouvelle fois son récit pour décrire avec un luxe de détails les présents envoyés par le roi et pour nous apprendre que « le prix des pierreries et la façon dans les différents arts représentaient bien cinq fois la valeur de l’or », soit le prix de plus de cinq tonnes d’or (51-82). Puis l’auteur enchaîne avec la description du Temple de Jérusalem et de ses réservoirs souterrains qui l’ont particulièrement impressionné, disserte sur le culte et le vêtement porté par le grand prêtre Éléazar (83-99), élargit ensuite sa description à la citadelle, puis à la ville de Jérusalem, puis à la Palestine toute entière, montrant ainsi que toute la Terre sainte s’organise de proche en proche autour du Temple et de son grand prêtre. Et, pour conclure, il fait allusion aux mines de cuivre et de fer d’Arabie dont l’exploitation a été interrompue, par suite de « faux bruits » (100-120). On revient enfin au thème principal. Le grand prêtre choisit six anciens par tribu, soit soixante-douze anciens dont la liste nominative est reproduite (47). Mais, alors qu’il s’apprête à les envoyer en Égypte, il se montre soudain « très inquiet » et demande avec insistance aux émissaires de Ptolémée de lui promettre de ne pas retenir les anciens à Alexandrie lorsqu’ils auront accompli leur traduction (121-127). À la suite de quoi il se lance dans une longue apologie de la Torah (128-171). La scène se déplace alors de Jérusalem à Alexandrie. Les soixante-douze anciens débarquent et sont reçus au palais. « Quand ils furent là avec les cadeaux et les peaux précieuses sur lesquelles la Loi était écrite avec des ors et dans ses caractères juifs, un admirable travail de parchemin aux rac4. « En poids marchand selon le système attique, le Talent pèse près de 40 kg. » (PELLETIER A., La Lettre d ’Aristée à Philocrate, introduction, texte critique, traduction et notes, index complet des mots grecs, Paris, Le Cerf, 1962, p. 148, note [Sources chrétiennes 89]).
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cords parfaitement dissimulés, dès qu’il vit ces hommes, le roi les pressa de questions sur ces livres. Lorsqu’ils eurent dégagé les rouleaux de leurs housses et déroulé les parchemins, le roi fit une longue pause, se prosterna sept fois et dit : « Merci à vous, mes amis, plus encore à celui qui vous a envoyés, et par dessus tout au Dieu dont voilà les oracles » (176-177). Puis le roi déclara : « Je compte pour une grande date ce jour de votre arrivée ici, et l’anniversaire en sera célébré toute ma vie durant. » Et il ajouta de façon plus surprenante : « Il se trouve coïncider en effet avec celui de notre victoire navale sur Antigone. Aussi ai-je décidé de dîner ce soir en votre compagnie. Tout le service sera conforme à vos usages et je le partagerai avec vous. » (180-181) On assiste alors à un Banquet au cours duquel le roi interroge successivement chacun des soixante-douze anciens pour recueillir leur avis sur un point précis de l’exercice de la royauté. Le Banquet dure sept jours ; dix anciens sont interrogés chacun des cinq premiers jours et onze les deux derniers, et après cet exercice interminable le roi conclut le banquet par ces mots : « J’ai beaucoup gagné à votre venue, car c’est un grand profit pour moi que cette doctrine que vous m’avez proposée sur les devoirs d’un roi. » (293-294) C’est après ce Banquet que les traducteurs se rendirent dans l’Île et furent enfin invités à entreprendre la traduction. « Ils procédèrent au travail en se mettant d’accord entre eux sur chaque point par confrontation. Du texte résultant de leur accord, Démétrios faisait alors dresser une copie en bonne et due forme (302). Or il advint que le travail de la traduction fut achevé en soixante-douze jours, comme si pareille chose était due à un dessein prémédité. » (307) Le travail terminé, « Démétrios réunit la communauté des juifs à l’endroit où s’était accomplie l’œuvre de la traduction, et il en fit lecture à toute l’assemblée, en présence des traducteurs ». L’assemblée demanda alors à Démétrios de communiquer aux chefs de la communauté juive une copie de toute la Loi (308-309). « Après la lecture des rouleaux, debout, les prêtres, les anciens du groupe des traducteurs et les délégués du politeuma, ainsi que les chefs du peuple, firent cette déclaration : “Maintenant que la traduction a été faite correctement, avec piété et avec une exactitude rigoureuse, il est bon que cette œuvre reste comme elle est, sans la moindre retouche”. À ces mots, ce fut une acclamation générale ; alors ils les invitèrent à prononcer une malédiction, selon leur usage, contre quiconque retoucherait la lettre du texte soit en l’allongeant, soit en l’altérant si peu que ce fut, soit en y retranchant ; excellente mesure pour le garder à jamais immuable. » (310-311)
On donna lecture au roi « du texte tout entier, et il conçut une admiration sans borne pour le génie du législateur » (312). Puis il se prosterna devant les livres, donna ordre d’en prendre grand soin et de les conserver
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religieusement (317). Alors le roi laissa, à contrecœur, les anciens repartir vers Jérusalem non sans leur avoir donné deux talents d’or par personne – soit plus de 5 tonnes et demi d’or – et non sans les avoir invité avec insistance à revenir le voir. Ainsi s’achève la Lettre d’Aristée à Philocrate. Cette légende a subi au cours des siècles suivants des remaniements qui en ont modifié la portée première, particulièrement en ce qui concerne la technique de traduction du texte. La version primitive selon laquelle la traduction retenue ne l’aurait été qu’au terme d’un débat entre les soixantedouze, fut remplacée par celle d’un sens que chacun aurait reçu individuellement par révélation, une version à laquelle Philon d’Alexandrie fait écho au début de notre ère. Établis à l’écart, comme sous l’influence d’une inspiration divine, ils prononçaient non qui ceci, qui cela, mais tous les mêmes noms et les mêmes verbes, comme si en chacun d’eux se fit entendre la voix d’un invisible souffleur 5.
Les chrétiens continuèrent à développer la légende 6 en exaltant le rôle du roi Ptolémée Philadelphe. Quant au nombre des traducteurs, il fut ramené à soixante-dix par référence aux soixante-dix anciens choisis par Moïse, d’où le nom de « Septante » (LXX) qui fut donné à cette traduction grecque. Les juifs d’Alexandrie, puis les chrétiens, reconnurent l’inspiration du texte grec au même titre que celle du texte hébreu et, comme cela avait été le cas pour le Livre d’Esdras, la valeur historique de la Légende d’Aristée s’imposa, mais l’œuvre ne fut toutefois pas reçue dans le canon des Écritures chrétiennes. § 42 La date de traduction du Pentateuque Bien que le Ptolémée de la légende ne reçoive jamais l’épithète de Philadelphe, il est présenté comme « le fils de Lagos », donc identifié par ce biais au fils de Ptolémée Ier Soter (12-13, 20), ce qui suffit à l’identifier avec Ptolémée II. La Torah aurait donc été traduite, d’après la légende, sous Ptolémée II Philadelphe qui régna de 285 avant notre ère à 246 avant notre ère 7.
5. Philon d’Alexandrie, De Vita Mosis II, 37, MONDÉSERT CL. et alii, Philon d ’Alexandrie. De Vita Mosis, Paris, Le Cerf, 1967, p. 208 (Les œuvres de Philon d ’Alexandrie 22). 6. PELLETIER A., La Lettre d ’Aristée à Philocrate, introduction, texte critique, traduction et notes, index complet des mots grecs, Paris, Le Cerf, 1962, p. 78-98 (Sources chrétiennes 89). 7. COLLINS N.L., The Library in Alexandria and the Bible in Greek, Leyde, Brill, 2000. Pour l’auteur, la lecture de la traduction aux Juifs daterait de la fin 281 et la lecture au roi de la première moitié de 280.
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Pour mesurer la pertinence de cette attribution, donc le crédit que l’on peut accorder à cette datation de traduction, il ne faut pas s’en tenir au seul personnage de Ptolémée, mais s’intéresser également à l’ensemble des acteurs, aussi bien à Démétrios de Phalère le bibliothécaire et à Arsinoé, l’épouse de Ptolémée, qu’à des personnages secondaires comme Antigone ou le philosophe Ménédème d’Érétrie, qui sont également présentés comme contemporains de la venue des soixante-douze anciens. La présence aux côtés de Ptolémée II de Démétrios de Phalère, le fondateur historique de la Bibliothèque d’Alexandrie, fait problème. On sait en effet qu’il fut emprisonné par Philadelphe dès son avènement et mis à mort en 280 avant notre ère, pour avoir conseillé au roi Ptolémée Ier Soter d’attribuer la royauté à Ptolémée Kéraunos plutôt qu’à Philadelphe. Démétrios ne fut donc pas bibliothécaire sous Philadelphe, une contradiction qu’on résout en datant la traduction du tout début du règne de Ptolémée Philadelphe 8. À cette première difficulté de synchronisation du jeu des acteurs s’en ajoute une autre. Dans le discours que Ptolémée adresse aux soixante-douze anciens à leur arrivée au port d’Alexandrie, il précise en effet que la date de leur venue se trouve coïncider avec l’anniversaire de sa victoire navale sur Antigone. On connaît, en effet, deux batailles navales entre Philadelphe et Antigone Gonotas : à Cos, vers 260 avant notre ère, où Philadelphe fut cruellement battu, et à Andros vers 245 avant notre ère (?) ; de celle-ci on ne connaît pas l’issue. C’est seulement de cette dernière bataille qu’il pourrait être question, en supposant qu’elle ait été victorieuse. Mais l’anachronisme reste cependant flagrant, car Arsinoé II, morte en 269 avant notre ère, est supposée vivante dans la lettre qu’envoie le grand prêtre Éléazar à Philadelphe, 25 ans plus tard 9. Quant à Démétrios de Phalère, bien que mort en 280 avant notre ère, il n’en continue pas moins à diriger les opérations de traduction jusqu’au bout. On pourra objecter que certaines des dates qui viennent d’être citées sont incertaines, mais ces incertitudes ne suffisent en rien à garantir la valeur historique du scénario. Dans de telles conditions, dater la traduction du début du règne de Ptolémée II Philadelphe, comme on le fait généralement (282 avant 8. HARL M. – DORIVAL G. – MUNNICH O., La Bible grecque des Septante. Du judaïsme hellénistique au christianisme ancien, Paris, Le Cerf, 1988, p. 76-77 : « Comme il est impossible que Démétrios ait été le collaborateur de Philadelphe, il faut supposer que la traduction de la Torah en grec est antérieure à la mort de Lagos, dont Démétrios a été le bibliothécaire : elle daterait au plus tard de 282 avant notre ère. Cette datation haute se heurte à deux objections : les témoignages anciens ne parlent pas de Lagos, mais de Philadelphe ; en outre, il n’y a pas de preuve que la Loi ait été conservée dans la Bibliothèque d’Alexandrie ». Mais ces objections ne semblent pas insurmontables. 9. PELLETIER A., La Lettre d ’Aristée à Philocrate, introduction, texte critique, traduction et notes, index complet des mots grecs, Paris, Le Cerf, 1962, p. 187 (Sources chrétiennes 89).
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notre ère), se fonde plus sur l’autorité de la tradition chrétienne qui est unanime à reconnaître à ce roi le mérite de cette traduction, que sur les données chronologiques contradictoires de la légende. § 43 Le roi que Yahvéh choisira pour écrire un double de la Torah La traduction du Pentateuque par Ptolémée, comme la promulgation de la Torah par Esdras, est en fait décrite par référence à des modèles bibliques. Mais alors que le livre d’Esdras renvoyait au modèle du « prêtre » Éléazar fils d’Aaron, la légende d’Aristée renvoie, quant à elle, à celui du « roi » que Yahvéh choisira pour écrire un double de la Torah à partir d’un exemplaire envoyé par les prêtres lévitiques, un roi dont la venue a été prophétisée par Moïse lui-même dans le Livre du Deutéronome. Quand (toi Israël) tu seras entré au pays que te donne Yahvéh, ton Dieu, que tu l’auras conquis et que tu y habiteras, quand tu diras : « Que j’établisse un roi sur moi, comme toutes les nations qui sont autour de moi ! », tu pourras établir sur toi un roi que choisira Yahvéh, ton Dieu ; du milieu de tes frères tu établiras un roi sur toi, tu ne pourras t’imposer un homme étranger qui ne soit pas ton frère. Que seulement il n’ait pas beaucoup de chevaux pour lui et qu’il ne ramène pas le peuple en Égypte, afin d’avoir beaucoup de chevaux, car Yahvéh vous a dit : « Vous ne recommencerez plus à revenir par cette route ! » Qu’il n’ait pas beaucoup de femmes pour lui et que son cœur ne dévie pas. Qu’il n’ait pas pour lui trop d’argent et trop d’or ! Or quand il sera assis sur le trône de sa royauté, il écrira pour lui un double de cette Loi sur un livre d’après les prêtres, les Lévites. Elle sera avec lui et il lira en elle, tous les jours de sa vie, afin qu’il apprenne à craindre Yahvéh, son Dieu, à observer toutes les paroles de cette Loi, ainsi que les préceptes, pour les pratiquer, pour que son cœur ne s’élève pas au-dessus de ses frères et pour qu’il ne dévie pas du commandement ni à droite, ni à gauche, afin qu’il prolonge les jours de son règne, lui et ses fils, au milieu d’Israël. (Texte hébreu : Deutéronome 17, 14-20)
Pour un juif de langue grecque qui lit la lettre d’Aristée, la question est avant tout de savoir si ce roi Ptolémée qui ordonne de faire une traduction de la Torah à partir d’un texte envoyé par le grand prêtre du Temple de Jérusalem est bien celui dont Moïse a annoncé la venue ou s’il n’est au contraire qu’un mystificateur qui tente de se faire passer pour le Roi annoncé par les Écritures. Pour en avoir le cœur net, il lui suffit alors de se reporter à la prophétie de Moïse et de vérifier, point par point, si la réalisation racontée dans la légende est bien conforme au modèle biblique. Le texte biblique auquel se réfère le lecteur d’Alexandrie, pour mener à bien cette comparaison, est évidemment le texte grec, un texte qui diffère de l’hébreu sur plusieurs points (en italiques dans la traduction).
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Lorsque tu seras entré dans la terre que le Seigneur, ton Dieu, te donne comme part d’héritage, que tu en auras hérité, que tu y habiteras, et que tu diras : « Je vais établir sur moi un chef, tout comme les autres nations qui m’entourent ! », tu devras établir sur toi un chef que choisira le Seigneur, ton Dieu. Pris parmi tes frères, tu l’établiras sur toi comme chef ; tu ne pourras pas établir sur toi un homme étranger, car il n’est pas ton frère. Donc, il ne multipliera pas sa cavalerie et, non, il ne doit pas faire retourner le peuple en Égypte, afin de multiplier sa cavalerie ; le Seigneur a dit : « Vous ne retournerez plus par cette route. » Et il ne multipliera pas ses femmes, et son cœur ne changera pas. Son argent et son or, il ne les multipliera pas à l’excès. Et il adviendra, quand il siègera sur son pouvoir, qu’alors il écrira pour luimême sur un livre ce deutéronome, en le recevant des prêtres, les lévites ; et il sera avec lui et il y lira tous les jours de sa vie, afin qu’il apprenne à craindre le Seigneur son Dieu, en observant tous ces commandements et en mettant en pratique ces règles du droit afin que son cœur ne s’élève pas au-dessus de ses frères, afin qu’il ne dévie pas des commandements, à droite ou à gauche, de façon qu’il ait longue vie, au temps de son pouvoir, lui et ses fils, parmi les fils d’Israël. (LXX : Deutéronome 17, 14-20)
La différence la plus frappante entre l’hébreu et le grec est que le traducteur a systématiquement évité de rendre les mots « royauté » (mamlakhah) et « roi » (mèlèkh) par leurs équivalents grecs naturels (basileia et basileus), un fait d’autant plus significatif que, partout ailleurs dans la traduction grecque de la Torah, ces équivalences naturelles sont retenues de façon systématique lorsqu’il s’agit du roi d’Égypte (basileus tôn Aiguptôn). Les titres qui remplacent ici ceux de « royauté » et de « roi » sont « pouvoir » (arkhè) et « chef » (arkhôn), un titre qui sert par ailleurs à désigner dans la Septante aussi bien des chefs de peuples étrangers que les chefs de chacune des tribus d’Israël (Nombres 7, 2 et s.). Dès lors, il devient au moins évident pour le lecteur grec de la légende que celui qui « écrira pour lui-même sur un livre ce deutéronome, en le recevant des prêtres, les lévites » et qui réalisera ainsi la prophétie ne peut pas être le roi Ptolémée lui-même. D’ailleurs la légende elle-même ne prétend pas que Ptolémée ait écrit lui-même ce « deutéronome », mais seulement qu’il a entériné la proposition de traduction faite par Démétrios de Phalère. Faut-il alors considérer que c’est à Démétrios qu’il revenait d’accomplir la prophétie ? Pas davantage, car il est précisé que « Démétrios faisait seulement dresser une copie en bonne et due forme » de ce que les anciens avaient traduits oralement (303), ce qui signifie, à condition évidemment de prendre chaque information au sérieux, qu’il n’écrivait pas lui-même le texte et ne peut donc pas être celui qui accomplit la prophétie. L’identité du « chef » que Dieu a choisi pour mettre par écrit cette traduction demeure donc mystérieuse, mais une piste est cependant fournie par un autre trait de la prophétie :
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Pris parmi tes frères, tu l’établiras sur toi comme chef ; tu ne pourras pas établir sur toi un homme étranger (allotrios), car il n’est pas ton frère.
Ce chef ne sera donc pas un étranger (allotrios), mais un « frère », c’està-dire l’un des fils d’Israël, donc un juif, et de façon plus précise quoique énigmatique pour le lecteur moderne, un juif portant le titre de « chef ». Mais l’auteur, semble-t-il, n’entend pas en dire plus sur ce point. On se trouve donc en présence d’un scénario mettant en scène trois groupes d’acteurs : l’autorité royale d’Alexandrie, représentée par Philadelphe et Démétrios, l’autorité de Jérusalem, représentée par le grand prêtre Éléazar et ses soixante-douze anciens, et la communauté juive d’Alexandrie, bénéficiaire de la traduction, représentée par les délégués du politeuma et les chefs (hégouménoi) du peuple (310), alors que son « chef » (arkhôn) mystérieux annoncé par les Écritures demeure dans l’ombre 10. § 44 La prophétie concerne-t-elle le roi Ptolémée ? Pour déchiffrer le rôle que l’auteur fait jouer à Ptolémée il suffit de confronter le portrait qu’en fait la légende avec le modèle royal décrit dans la prophétie de Moïse. Aristée insiste d’abord sur les relations d’amitié qui lient le roi à ses interlocuteurs de Jérusalem (41, 125, 228, 318). Le grand prêtre Éléazar lui-même donne au roi le titre d’« ami sincère », mais c’est à défaut de pouvoir l’appeler « frère », un titre que la prophétie réserve aux fils d’Israël : « Tu ne pourras pas établir sur toi un homme étranger (allotrios), car il n’est pas ton frère. » Cependant, cette amitié que témoigne Philadelphe envers les juifs n’aveugle pas le grand prêtre qui, après avoir reconnu en lui « un ami sincère » ajoute immédiatement : « Bonne santé à toi, à la reine Arsinoé ta sœur, et à vos enfants. » Comme le note l’éditeur de la Légende, « Arsinoé II, fille de Ptolémée premier, était bel et bien la sœur de Ptolémée II Philadelphe, aussi peut-on s’étonner que le grand prêtre des juifs ait l’air de fermer les yeux sur cette situation, abominable selon la législation mosaïque » 11. Le livre du Lévitique met en effet en garde contre une telle pratique : « La fille de ton père, tu n’en découvriras pas la nudité ! » (Lévitique 18, 9), mais en précisant qu’une telle pratique est au contraire commune en Égypte : « Ce qui se fait en Égypte, vous ne le ferez pas. » (Lévitique 18, 3). Probablement faut-il alors voir dans la remarque d’Éléazar, une façon de rappeler que Ptolémée, bien que son 10. Le titre d’Arkôn n’est employé qu’une seule fois dans la Lettre et pour désigner un « chef » militaire (§ 281 : tôn dunaméôn arkhontas), ce qui n’éclaire en rien le texte du Deutéronome. 11. PELLETIER A., La Lettre d ’Aristée à Philocrate, introduction, texte critique, traduction et notes, index complet des mots grecs, Paris, Le Cerf, 1962, p. 127 (Sources chrétiennes 89).
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« amitié » le pousse à faire traduire la Torah, n’en continue cependant pas moins à vivre en infraction avec la Loi. En fait, le portrait que peint la Légende est celui d’un roi étranger soucieux non pas d’être celui qui a été choisi, mais d’apparaître comme tel. Ptolémée s’efforce en effet de reproduire chacun des traits distinctifs du chef annoncé par la prophétie, mais le plus souvent de façon caricaturale. Il était annoncé à propos du roi que choisirait le Seigneur qu’il « ne multiplierait pas ses femmes ». Ptolémée est effectivement monogame, mais l’époux de sa sœur, et les mauvaises langues disaient même à l’époque que c’était de là que lui était venu son surnom de Philadelphe (l’amant de sa sœur). La prophétie précisait également que le chef que choisirait le Seigneur « ne devrait pas faire retourner le peuple en Égypte afin de multiplier sa cavalerie ». Or Ptolémée et son père avant lui avaient ramené le peuple en Égypte. Aussi, dès qu’Aristée apprend le projet du roi, lui fait-il remarquer que : Puisque le code que nous avons non seulement l’intention de transcrire mais encore de traduire est écrit pour tous les juifs, comment justifieronsnous notre mission, pendant qu’il s’en trouve un nombre considérable en esclavage dans ton royaume ? (15)
Le père de Philadelphe, nous dit Aristée, « avait en effet déporté près de cent mille juifs » en Égypte, et parmi eux « il avait armé quelque trente mille hommes d’élite qu’il avait installés en garnison dans le pays » tandis que les autres avaient été réduits en esclavage et mis au service de ses soldats (12-13). Il avait donc bien « fait retourner le peuple en Égypte » afin de multiplier son armée… dont les chars et les chevaux étaient le fleuron. Il ne pouvait de ce fait passer aux yeux des juifs qui liraient la traduction grecque du texte du Deutéronome pour celui que Dieu avait choisi. Aussi Philadelphe s’efforce-t-il sans attendre de se mettre en règle avec la prophétie et donne-t-il l’ordre de libérer tous les esclaves juifs, civils et militaires, prenant en compte, mais un peu tard, l’interdiction. Et il fait même d’une pierre deux coups puisqu’il décide également de dédommager ses soldats de la perte de leurs esclaves en versant à chacun d’eux une indemnité de vingt drachmes (soit au total 2 millions de drachmes), commençant ainsi à distribuer ses biens afin de se conformer au deuxième critère fixé par le Deutéronome : « Son argent et son or, il ne les multipliera pas à l’excès. » Il continuera d’ailleurs, comme on l’a relevé en résumant la légende, à vider le trésor royal en couvrant le grand prêtre Éléazar et les soixantedouze anciens de tonnes d’or et d’argent, sans compter les multiples objets précieux qu’Aristée décrit avec un luxe de détails (51-82). Mais comment pourrait-il distribuer ce trésor royal, s’il ne l’avait auparavant amassé contrairement à l’injonction de la prophétie ? C’est également pour se conformer à la prophétie de Moïse que le roi fait un banquet de sept jours pendant lequel il demande conseil auprès de
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chacun des soixante-douze anciens sur la façon d’exercer la royauté conformément à la Loi.. Il montre ainsi qu’il « ne s’élève pas au dessus de ses frères ». Et comme la prophétie annonçait que le chef choisi par le Seigneur pratiquerait les commandements de façon à avoir « longue vie, au temps de son pouvoir », le roi interroge d’emblée le premier des anciens pour savoir « de quelle manière il pourrait garder sa royauté inébranlable jusqu’au bout » (187). Et après avoir consulté les soixante-douze, un à un, et avoir reconnu la supériorité de leur sagesse, il conclura le banquet en disant : « J’ai beaucoup gagné à votre venue, car c’est un grand profit pour moi que cette doctrine que vous m’avez proposée sur les devoirs d’un roi. » (293-94) Ptolémée s’est fait successivement le disciple de chacun des soixante-douze anciens montrant par-là que « son cœur », siège de l’intelligence, « ne s’est pas élevé au-dessus de ses frères ». Mais là encore, il s’agit d’une conversion tardive, postérieure à la libération des cent mille juifs, ces frères qu’il avait maintenus en esclavage. En somme, toute cette mise en scène ne vise qu’à convaincre les soixantedouze de faire la traduction. En effet, une fois que celle-ci est achevée, « le roi entre dans une grande joie car le but qu’il s’était proposé, à son avis était bien atteint » (312). Il cesse alors de se conformer à la prophétie qui précisait que cette traduction de la Torah « serait avec lui et qu’il y lirait tous les jours de sa vie ». Il ne la lit pas lui-même, mais « se fait donner lecture du texte tout entier et en conçoit une admiration sans borne pour le législateur » (312). Puis il se prosterne devant les livres et, au lieu de les garder pour en faire une lecture quotidienne, donne ordre à d’autres « d’en prendre soin et de les garder religieusement » (317). L’auteur de la Lettre d’Aristée trace le portrait d’un roi Ptolémée qui, sur les conseils de son entourage, s’efforce maladroitement de jouer le rôle du chef choisi par Dieu pour traduire la Torah. Mais il ne s’agit de toute évidence que d’un rôle de composition destiné à séduire les traducteurs, et qui ne suffit certainement pas à garantir l’historicité de cette version des faits. On peut même penser que Ptolémée Philadelphe n’a été retenu, de préférence à Ptolémée Philopatôr ou Philométôr, que parce que son surnom d’« ami de son frère » faisait écho à la prophétie. § 45 Les soixante-douze anciens Les acteurs judéens, comme les acteurs grecs, empruntent les traits de modèles bibliques. À la période hellénistique, comme d’ailleurs à la période perse et probablement même à la période royale, les seules tribus auxquelles les habitants de Judée pouvaient s’identifier étaient celles de Lévi pour la classe sacerdotale et de Juda pour le reste de la population. Aussi la sélection de six anciens par tribu ne peut-elle avoir qu’un sens symbolique et doit-elle être également interprétée par référence à un modèle biblique. On se trouve alors renvoyé au seul groupe de soixante-douze que connaisse la
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Torah. C’était aux temps anciens du séjour au désert, à un moment où le peuple se prit précisément à regretter l’Égypte : « Qui nous fera manger de la viande, car c’était bon pour nous en Égypte ? » (Nombres 11, 18) : « Pourquoi sommes-nous sortis d’Égypte ? » (Nombres 11, 20) Alors Moïse sortit et dit au peuple les paroles de Yahvéh. Il rassembla soixante-dix hommes des anciens du peuple et les fit se tenir autour de la Tente. Yahvéh descendit dans la nuée et lui parla. Il reprit de l’esprit qui était sur lui et en mit sur les soixante-dix hommes, les anciens. Or dès que l’esprit se reposa sur eux, ils prophétisèrent, mais ils ne recommencèrent pas. Deux hommes étaient restés dans le camp ; le nom de l’un était Éldad et le nom du deuxième était Meydad. L’esprit se reposa sur eux, car ils étaient parmi les inscrits, mais ils n’étaient point sortis vers la tente, et ils prophétisèrent dans le camp […] (Nombres 11, 24-26)
En fait le modèle est beaucoup plus complexe que ne le laisse supposer cet extrait, mais celui-ci suffit à faire entrevoir la fonction des anciens de la Légende d’Aristée 12 . Alors que les prophètes Éldad et Meydad ne réapparaîtront plus dans la suite de l’histoire biblique, l’institution des anciens perdurera mais ne possédera plus ce don de prophétie qu’elle eut à ce moment crucial de l’histoire du désert, alors qu’ils étaient encore au nombre de soixante-douze prophètes. Il est d’ailleurs probable que l’auteur de la Légende a glissé intentionnellement le nom de plusieurs prophètes – Élisée, Jésias (Isaïe), Jérémie, Ézéchiel, Daniel et Zacharie – dans la liste nominative des soixante-douze anciens désignés pour aller à Alexandrie (47-50). Cette mise en scène de soixante-douze, plutôt que de soixante-dix anciens, laisse donc entendre que la traduction qu’ils vont réaliser bénéficiera bien de l’inspiration divine, pendant la durée de l’entreprise. La LXX sera une traduction inspirée au même titre que le texte hébreu lui-même et, comme ce fut le cas pour les soixante-douze anciens du désert dont il était dit qu’ils « prophétisèrent, mais ne recommencèrent pas », l’inspiration cessera lorsque la traduction sera achevée et plus personne ne pourra en changer une seule lettre. Que les traducteurs aient été choisis symboliquement parmi les douze tribus d’Israël est également significatif. Alors que le texte hébreu de la Torah avait été transmis par le seul prophète Moïse, de la tribu de Lévi, la traduction le sera par des représentants de l’ensemble des tribus d’Israël. À la Torah hébraïque des prêtres lévites envoyée à Alexandrie par le grand prêtre Éléazar se substituera un Pentateuque grec fondé sur l’inspiration de l’ensemble du peuple représenté par les soixante-douze, comme l’avait 12. DORIVAL G., « La Bible des Septante : 70 ou 72 traducteurs ? », dans Norton G. J., Pisano S. (édd.), Tradition of the Text. Studies offered to Dominique Barthélemy in Celebration of his 70th Birthday, Fribourg, Presses universitaires de Fribourg, 1991, p. 45-62.
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d’ailleurs annoncé Moïse. En effet, lorsque Éldad et Meydad s’étaient mis à prophétiser dans « le camp d’Israël », Josué était intervenu auprès de Moïse pour qu’il les fasse taire, ce qui lui avait valu la réponse suivante : Es-tu jaloux pour moi ? Et qui peut donner à tout le peuple du Seigneur d’être des prophètes, sinon Seigneur, lorsqu’il donne son esprit sur eux ? (LXX Nombres 11, 29).
Avec la venue des soixante-douze anciens à Alexandrie se réalise donc cette prophétie qui garantit l’authenticité de leur inspiration. Mais on ne peut par ailleurs s’empêcher de penser que si le premier geste que fait Philadelphe à leur arrivée est de les inviter à un banquet, c’est pour rappeler que l’institution des anciens a effectivement été mise en place pour satisfaire l’envie de nourritures égyptiennes manifestée par le peuple : « Qui nous fera manger de la viande, car c’était bon pour nous en Égypte ? » (Nombres 11, 18) Aussi, pour bien montrer aux traducteurs la pureté de ses intentions et que ce banquet culturel auquel il les invite n’a pas pour but de les helléniser, Ptolémée s’empresse de préciser : « Tout le service sera conforme à vos usages et je le partagerai avec vous » (180-181). Le repas sera cachér ! La façon dont est faite la traduction confirme également l’inspiration des anciens. Le roi voulait qu’elle soit faite en appliquant les critères des éditions critiques du corpus classique de la littérature grecque alors en chantier à Alexandrie. Pour lui, la traduction retenue aurait dû « obtenir l’accord de la majorité » (32). Mais il ne sera plus question d’une traduction majoritaire mais d’une traduction faite, après débat assurément, mais avec l’accord de tous : « Ils se mettent d’accord entre eux sur chaque point par confrontation. » (302) Les nombreux écarts que l’on observe entre le texte hébreu de la Torah et sa traduction grecque (§ 28) doivent en conséquence être considérés comme inspirés. C’est sous l’inspiration divine que les soixante-douze annoncent que cette traduction sera écrite par un « chef » et non par un « roi » contrairement à ce qu’annonçait le texte hébreu ; c’est également sous l’inspiration divine que le passage qui annonçait que la venue du roi ne se produirait qu’après la conquête de la Terre promise est actualisé. Il était écrit dans l’hébreu qu’elle se réaliserait : « Quand tu seras entré au pays que te donne Yahvéh, ton Dieu, que tu l ’auras conquis et que tu y habiteras. » (Deutéronome 17, 14) Sous l’inspiration divine, les anciens remplacent le terme de « conquête » par celui « d’héritage » — « Lorsque tu seras entré dans la terre que le Seigneur, ton Dieu, te donne comme part d’héritage, que tu en auras hérité, que tu y habiteras » (LXX, Deutéronome 17, 14). Ce terme technique ne désigne plus la terre d’Israël, mais la partie de la terre d’Égypte donnée par Joseph en héritage aux fils d’Israël (§ 106). C’est alors le statut de la communauté juive d’Alexandrie et de son chef qui sont prophétisés et légitimés. La Bible de Jérusalem devient la Bible d’Alexandrie.
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Il y aurait encore beaucoup à dire sur ces anciens. En effet, si la majorité d’entre eux porte des noms bibliques, d’autres portent des noms grecs – Théodose, Théodote, Théophile, Dosithée ou Jason. Tous en revanche possèdent à la perfection une double culture. Alors que Ptolémée avait fixé comme niveau de recrutement qu’ils « soient versés dans la connaissance de leur loi et capables d’en faire une traduction » (39), les hommes choisis par le grand prêtre ne sont pas seulement des juifs bilingues, ils sont avant tout des spécialistes en philosophie. Pour vérifier leur compétence en la matière, Ptolémée prendra d’ailleurs la précaution d’inviter les philosophes d’Alexandrie au Banquet et, dès le premier soir, leur demandera leur avis sur la qualité de la prestation des dix premiers anciens. C’est le philosophe Ménédème d’Érétrie qui répondra en leur nom en reconnaissant que ces anciens qui font de Dieu « le principe de leurs réponses » ont raison car « toute puissance et toute beauté a son principe en Dieu » (201). Dès le troisième jour du banquet, les anciens seront acclamés par « l’assistance et surtout les philosophes, car de fait, par leur culture et leur éloquence, ces hommes les dépassaient de beaucoup » (235), à tel point même que, le quatrième jour, Ptolémée demandera au quarante-septième ancien « en quoi consiste la philosophie ? » (256). La question n’a rien de surprenant car Démétrios avait déclaré au roi que la Loi de Moïse était elle-même un traité de philosophie, et même qu’elle était « hyper-philosophique (philosophoteran) et très pure » (31). Bien qu’aucun de ces détails n’ait de valeur historique au sens moderne du terme – Ménédème d’Érétrie serait mort, semble-t-il, vers 287 avant notre ère et ne serait probablement jamais venu à Alexandrie –, ils sont là pour donner aux traducteurs le statut de gens maîtrisant non seulement la langue, mais aussi la culture grecque, particulièrement philosophique. § 46 Le grand prêtre Éléazar Dans la mesure où Ptolémée et les soixante-douze renvoient à des modèles bibliques, il est logique de penser qu’il en va de même du grand prêtre Éléazar, et cela d’autant plus qu’aucun grand prêtre de ce nom n’est par ailleurs connu à la période hellénistique. Comme l’était Esdras (§ 35), le grand prêtre Éléazar n’est qu’un avatar de cet autre Éléazar qui succéda à Aaron et eut pour rôle de faire entrer le peuple dans la Terre promise. On comprend alors la crainte que manifeste ce nouvel Éléazar au moment où les soixante-douze s’apprêtent à partir pour l’Égypte. Bien que Ptolémée ait énormément insisté dans sa lettre sur le fait qu’il avait libéré tous les juifs qui jusque-là étaient esclaves (36-37), le grand prêtre n’en redoute pas moins qu’il n’ait dans l’idée d’enfreindre la règle énoncée dans la prophétie et de « faire revenir le peuple dans cette Égypte » dont le Seigneur les a fait sortir. Aussi conclut-il sa lettre en précisant que les anciens ayant
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été « envoyés avec la Loi » – dans laquelle Ptolémée pourra lire que le peuple ne doit pas revenir en Égypte – « il sera donc bon que tu donnes des ordres, ô roi juste, pour que, une fois la traduction des livres terminée, ils nous reviennent en sécurité » (46), un « ils » ambigu qui désigne à la fois les anciens, mais aussi les Livres. On sait en effet que les rois d’Alexandrie avaient la fâcheuse habitude de faire venir des manuscrits pour en faire une copie et de renvoyer la copie au lieu de l’original. En cette période d’hellénisation des juifs, le risque n’est pas mince de voir les anciens revenir avec ce texte grec qu’ils ont traduit et d’en faire le texte officiel de Jérusalem à la place du texte hébreu. Une telle crainte ne s’avèrera pas fondée. Le roi respectera effectivement les termes du contrat, mais à contrecœur. Il ne retiendra pas les anciens en Égypte, mais les invitera toutefois à « venir le voir souvent après leur retour en Judée ». Il demandera également à Éléazar de ne pas retenir ceux d’entre eux qui aurait le désir de revenir auprès de lui, « car il aimait beaucoup la compagnie des personnes cultivées » (321). Si Aristée ne donne que peu de détails sur le grand prêtre lui-même, il décrit en revanche avec « émerveillement » le costume qu’il « a été jugé digne de revêtir dans les fonctions liturgiques » et en est impressionné « au point de se croire dans un autre monde », un émerveillement que ressentait également Jésus Ben Sira quand il voyait le grand prêtre Siméon sortir du Saint des Saints le Jour des expiations (Ecclésiastique 50). § 47 La communauté juive d’Alexandrie Dans cette affaire, mis à part ce mystérieux chef qui aurait écrit le texte mais que la légende n’évoque pas directement, la communauté juive d’Alexandrie paraît être totalement passive. Elle n’est pas consultée avant que le roi n’entreprenne sa démarche auprès du grand prêtre mais seulement convoquée pour entendre cette traduction faite intégralement par des spécialistes venus de Jérusalem et choisis par le grand prêtre Éléazar à la demande de Ptolémée. Mais cette traduction qui leur est imposée n’en est pas moins plébiscitée par les juifs d’Alexandrie et c’est le peuple luimême qui demande que le texte de cette Loi soit communiqué aux autorités juives, et non l’inverse : Le travail terminé, Démétrios réunit la communauté des juifs à l’endroit où s’était accomplie l’œuvre de la traduction, et il en fit lecture à toute l’assemblée, en présence des traducteurs qui furent d’ailleurs accueillis avec enthousiasme par la foule, pour leur contribution à un bien considérable. Ils firent une ovation pareille à Démétrios et lui demandèrent de communiquer à leurs chefs (hègoumenoi) une copie de toute la Loi. (308-9)
En fait la communauté juive d’Alexandrie revit une nouvelle sortie d’Égypte. Alors qu’ils étaient esclaves du roi d’Égypte comme l’avaient été
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leurs ancêtres au temps de Moïse, Aristée, obtient du nouveau Pharaon leur libération et, suite à cette sortie symbolique d’Égypte, leur permet de recevoir la Torah. § 48 Esdras et Aristée au service d’une même cause On aura noté que les scénarios du livre d’Esdras et de la légende d’Aristée présentent de nombreux points communs qui méritent d’être soulignés. En premier lieu il s’agit, dans les deux cas, de faire de la Torah ou de son équivalent grec le Pentateuque, la loi officielle des communautés judéennes aussi bien de Jérusalem que d’Alexandrie. Dans le livre d’Esdras, comme dans la lettre d’Aristée, cette réforme marque la rupture d’avec une situation antérieure qui faisait du Temple et de son grand prêtre les détenteurs exclusifs de la Torah. Esdras, devenu grand prêtre, met fin à cette situation de monopole en faisant sortir la Torah du Temple, ce que fait également Éléazar dans la Légende, lorsqu’il confie aux soixante-douze « les peaux précieuses sur lesquelles la Loi était écrite avec des ors et dans ses caractères juifs » pour qu’ils la portent à Alexandrie. Dans les deux cas, le sacerdoce se trouve alors dessaisi de la Torah au profit de l’ensemble du peuple. Esdras fait une lecture publique de cette Torah arrachée au Temple « en présence des hommes et des femmes et de tous ceux qui peuvent comprendre » ; ce sont tous les juifs de Jérusalem, voire les prosélytes, qui sont ainsi invités à adhérer à cette Loi. Il en va de même à Alexandrie puisque la traduction du Pentateuque, loin d’être faite sous le contrôle de la seule classe sacerdotale, est symboliquement confiée à l’ensemble du peuple, représenté par six membres de chacune de ses tribus, et lue publiquement en présence de toute la communauté d’Alexandrie. Dans les deux récits, cette réforme est présentée, quoique de façon différente, comme une initiative populaire. C’est l’ensemble du peuple de Jérusalem qui « comme un seul homme » exige que la Torah sorte du Temple de Jérusalem. De même, à Alexandrie, c’est l’assemblée toute entière qui exige qu’un exemplaire du Pentateuque soit remis à chacun des chefs de communauté. Pour satisfaire cette exigence nouvelle du peuple, le texte hébreu, dont la lecture était réservée à l’élite du Temple, doit nécessairement être transmis dans la langue vernaculaire du peuple. Aussi les soixante-douze la traduiront-ils en grec pour la communauté juive d’Alexandrie. L’auteur du livre d’Esdras ne dit pas explicitement que la Torah a été traduite avant d’être enseignée au peuple de Jérusalem. Il choisit une formule obscure. Les lévites « lisaient le livre de la Loi de Dieu, en l’expliquant, en en donnant le sens et en faisant comprendre la lecture ». Cela implique de fait sa traduction orale, dans l’attente d’une mise par écrit qui aboutira aux diffé-
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rentes traductions araméennes connues sous le nom de Targum. S’il existe sur ce point une différence entre les deux scénarios, elle tient au fait qu’à Jérusalem l’interprétation orale araméenne du texte ne se substituera pas au texte hébreu lui-même alors qu’à Alexandrie, c’est la traduction grecque faite oralement par les soixante-douze anciens qui sera mise par écrit et se substituera au texte original hébreu. Ce scénario commun aux deux textes, qui vise à faire de la Torah le texte sacré de référence pour les communautés de Judée et d’Égypte et à en imposer la lecture publique, correspond à ce que nous savons du projet du mouvement pharisien qui se structurera à partir de la fin du deuxième siècle avant notre ère en Judée et qui finira par s’imposer, deux siècles plus tard, après la destruction du Temple. Tout concourt donc à montrer que nous sommes en présence de deux fictions littéraires qui visent à fonder la légitimité de la doctrine pharisienne face au Temple. Dans ce contexte, Esdras-Éléazar devient le symbole de la doctrine pharisienne, comme Marianne est en France, celui de l’idéal républicain. § 49 Éléazar-Esdras-Boèthos : fondateur du parti pharisien En plus des deux textes qui viennent d’être étudiés et qui parlent à mots couverts de l’origine du mouvement pharisien, il en est au moins deux autres qui traitent en clair de l’origine des pharisiens en faisant d’ÉléazarEsdras leur héros fondateur. Le premier rapporte un événement qui, d’après Flavius Josèphe, se serait produit sous le règne de Jean Hyrcan (134 avant notre ère à 104 avant notre ère), c’est-à-dire au début de la période d’indépendance de la Judée qui suivit l’occupation grecque séleucide et pendant laquelle une lignée sacerdotale, celle des Hasmonéens, cumula les fonctions sacerdotales et royales. À cette époque, les deux grands partis qui s’affrontaient en Judée pour obtenir la majorité au Sanhédrin étaient celui des sadducéens liés au Temple et celui des pharisiens qui bénéficiait du soutien populaire. Voici en résumé le détail de l’incident qui opposa les pharisiens au roi Jean Hyrcan – d’autres disent que ce fut à son successeur, le roi Alexandre-Jannée (de 103 avant notre ère à 76 avant notre ère) 13. (Flavius Josèphe) prétend que les pharisiens jouissaient d’un grand prestige auprès du peuple et qu’Hyrcan était au départ leur disciple. Lors d’un banquet donné en leur honneur, on en serait venu à une rupture parce qu’un des leurs, nommé Éléazar, aurait dit à Hyrcan : « Puisque tu désires connaître la vérité, renonce, si tu veux être juste, à la grande prêtrise et contente-toi de gouverner le peuple ». Hyrcan lui demanda pourquoi il devait déposer la grande prêtrise, « parce que – dit l’autre – nous avons 13. Talmud de Babylone. Qiddouchim 66a.
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appris de nos anciens que ta mère fut esclave sous le règne d’Antiochus Épiphane » (Antiquités judéennes XIII, 10, 5 sqq § 288-298). Hyrcan fut naturellement courroucé et laissa aux pharisiens le soin de trouver un châtiment approprié pour le calomniateur. Lorsque ceux-ci ne proposèrent que la flagellation au lieu de la peine de mort attendue par Hyrcan, ce dernier tomba dans une telle fureur que « non seulement il renonça à la secte des pharisiens [...] mais il abolit tous leurs statuts et fit punir ceux qui continuaient à les observer » 14 .
Une fois encore on se trouve face à un texte qui rapporte les événements en les réinterprétant en fonction de modèles qui rappellent de toute évidence ceux de la légende d’Aristée. Les pharisiens reprennent le rôle des anciens. Ils sont invités à un Banquet par le roi Hyrcan qu’ils accusent, à demi-mot, d’avoir du sang grec dans les veines. Sa mère aurait été esclave sous le dernier roi grec persécuteur des Judéens, Antiochus-Épiphane, et l’on peut supposer le pire. Comme le Ptolémée de la Légende, Hyrcan invite les pharisiens convoqués au Banquet à lui enseigner comment « être un roi juste ». À la différence de la Légende qui donnait la parole, chacun à son tour, aux soixante-douze anciens envoyés par le grand prêtre Éléazar, c’est ici Éléazar lui-même qui devient leur porte-parole – on est à Jérusalem où il est resté – et demande au roi de renoncer au sacerdoce qui le lie au parti sadducéen, pour gouverner avec le seul parti pharisien. Mais là s’arrête le parallèle avec la Légende, car, en dehors d’une courte période pendant laquelle ils contrôlèrent le Sanhédrin sous le règne d’Alexandra (76 avant notre ère à 67 avant notre ère), les pharisiens furent maintenus dans l’opposition et parfois même victimes de représailles sanglantes de la part du pouvoir sadducéen, et cela jusqu’à la destruction du second Temple et à la fondation de l’École de Yavnéh. Ce qu’il faut avant tout retenir de ce premier texte, c’est qu’il projette sur le parti pharisien de Judée le modèle de la communauté d’Alexandrie. Il suggére par là qu’au moment de sa fondation ce parti entretenait des relations privilégiées avec cette communauté. Le second texte met également en scène Esdras (= « Aide »), mais en lui donnant son nom grec de Boèthos (= « Aide »). Ce témoignage, conservé dans l’une des compilations les plus anciennes du judaïsme rabbinique, les Avot de Rabbi Natan (vers 150 de notre ère), commente la version officielle de l’origine du mouvement pharisien consignée par les maîtres de l’École de Yavnéh dans les Pirqé avot 15 . L’idée maîtresse de cette doctrine officielle est que le parti pharisien est l’héritier d’une tradition orale qui remonte jusqu’à Moïse, une tradition qui s’est transmise de génération en généra14. SCHÄFER P., Histoire des juifs dans l ’antiquité, (trad. P. Schulte), Paris, Le Cerf, 1989, p 89. 15. BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 94-100.
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tion pendant la période biblique, a ensuite été recueillie par une assemblée de cent vingt membres, la Grande Assemblée, dont le dernier survivant fut Siméon le Juste. Ce Siméon aurait eu pour disciple un certain Antigone qui aurait demandé à ses disciples de ne pas vivre dans l’espérance d’une récompense après la mort, ce qui aurait semé la zizanie parmi les commentateurs postérieurs et particulièrement, trois générations plus tard, entre un certain Juda fils de Tabaï et Siméon ben Chatah, le fondateur officiel du parti pharisien. C’est à propos du conflit d’interprétation qui opposa ces deux maîtres que Rabbi Natan introduit son commentaire non officiel sur l’origine du parti pharisien. Réexaminant l’enseignement d’Antigonos sur l’au-delà, qui était « Ne soyez pas comme des serviteurs qui servent le Maître afin de recevoir un salaire, mais soyez comme des serviteurs qui servent le Maître sans attendre aucun salaire, et que la crainte des cieux soit sur vous », Juda fils de Tabaï et Siméon fils de Chatah s’interrogent : Que virent nos pères pour dire cette parole ? Est-il possible qu’un travailleur fasse son ouvrage tout le jour et ne prenne pas son salaire le soir ?… Alors ils se mirent à interpréter (cet enseignement) à partir (de textes) de la Torah (pirchu min hatorah) et se brisèrent à partir d’eux deux brisures, les sadducéens et les boéthusiens, les sadducéens d’après le nom de Çadoq et les boéthusiens d’après le nom de Boèthos. (Avot de Rabbi Natan 5) 16
Dans ce conflit d’interprétation qui l’oppose au pharisien Siméon ben Chatah, Juda ben Tabaï ne peut être que le champion de la thèse sadducéenne selon laquelle il n’existe pas de rétribution après la mort. Dans de telles conditions, le nom de « boéthusiens » qui est donné aux opposants des sadducéens ne peut désigner que les pharisiens dont Siméon ben Chatah est le fondateur. Mais alors que les sadducéens choisissent comme ancêtre éponyme Çadoq, le premier grand prêtre du Temple de Salomon, les pharisiens revendiquent un fondateur dont le nom grec, Boéthos, qui signifie « l’aide » ou « le secourable », n’est que la traduction de l’araméen Esdras (‘ ézra’ = « l’aide »). Le choix même du nom du fondateur éponyme est une énigme. Pourquoi avoir retenu celui d’Esdras, c’est-à-dire la forme araméenne (‘èzra’) du mot hébreu qui signifie « Aide » (‘èzer) et dont la traduction grecque est boéthos, plutôt que le nom d’Éléazar, comme le font la Légende d’Aristée et le récit du conflit des pharisiens avec Jean Hyrcan ? Face à un mouvement sadducéen qui revendiquait l’héritage de Çadoq, premier grand prêtre du Temple salomonien, il aurait été de bonne guerre pour les pharisiens de se proclamer les héritiers légitimes d’Éléazar, fils d’Aaron. Ils auraient signifié par là que l’enseignement pharisien ne remontait pas
16. Leçons des pères du monde, Pirqé Avot et Avot de Rabbi Nathan, version A et B, éd. E. Smilévitch, (coll. « Les Dix Paroles »), Paris, Verdier, 1983, p. 113.
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seulement aux origines du Temple comme celui des sadducéens, mais au grand prêtre Aaron lui-même, le contemporain de Moïse. La substitution du nom d’Esdras à celui de son modèle biblique Éléazar pourrait s’expliquer par le souci qu’auraient eu les pharisiens de prendre leurs distances d’avec cette caste sacerdotale dont ils étaient issus. Le choix du nom d’Esdras est fondé sur un modèle scripturaire. Pour les lecteurs anciens, rompus à la pratique du raisonnement par analogie, les noms de Boéthos et d’Ezra’ renvoyaient de façon automatique au texte de la Torah où ce mot était attesté pour la première fois, au moment où Yahvéh-Élohim donne à Adam le premier commandement : De tout arbre du jardin tu pourras manger, mais de l’arbre de la science du bien et du mal, tu n’en mangeras pas, car le jour où tu en mangerais, tu mourrais. (Genèse 2, 16-17)
Et prévoyant que l’homme ne serait pas capable de respecter ce commandement, Yahvéh-Élohim avait alors ajouté : Il n’est pas bon que l’homme soit seul : je veux lui faire une aide qui soit semblable à lui. (Genèse 2, 18)
Lue selon les règles de la lecture littérale, cette annonce prend un tout autre sens : (Que) l ’homme existe en vue de son (vêtement de) lin (n’est) pas (le) bien. Je ferai pour ce (vêtement de lin), un aide (masculin qui soit) comme son enface. (Genèse 2, 18)
Le lin (bad) étant exclusivement réservé à la confection des habits du grand prêtre, on doit alors comprendre que Yahvéh-Élohim, prévoyant que les prêtres (sadducéens) qui auraient le monopole de ces vêtements de lin seraient incapables de guider les hommes vers le bien, avait annoncé dès les origines la venue de cet « Aide » qui s’opposerait à eux et guiderait les hommes vers le bien. Le rôle joué par le parti pharisien à la période hellénistique avait donc été annoncé par Dieu dès les origines de l’humanité ! Le triple nom d’Éléazar-Esdras-Boèthos, donné au fondateur du parti pharisien, suggère que l’histoire des origines de ce parti est en réalité infiniment plus complexe que ne le laisse supposer la version officielle du livre d’Esdras. Dans celle-ci, Esdras vit à la période perse, donc bien avant la fondation de la communauté d’Alexandrie, et s’il est originaire de la Diaspora, c’est de celle de Babylone. Pourtant, comme on l’a noté (§ 48), le modèle religieux qu’il entend promouvoir en Judée est celui de la communauté d’Alexandrie, un modèle sans Temple, entièrement tourné vers l’étude de la Torah. Ce rapport avec l’Égypte est également confirmé aussi bien par le récit du conflit des pharisiens avec Jean Hyrcan, que par le nom grec de Boéthos qu’ils donnent à leur fondateur. Une telle convergence d’indices oriente vers une origine alexandrine du mouve-
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ment pharisien. Elle suggère que la communauté judéenne d’Égypte a en fait exercé une influence décisive sur l’histoire religieuse de la Judée. Par l’intermédiaire du mouvement pharisien, elle lui a proposé un nouveau modèle religieux qui, parce qu’il était fondé sur la Torah et le culte synagogal, a permis à la communauté juive de survivre à la destruction de son Temple.
Chapitre 6
L E LIVRE DE SAGESSE DE JÉSUS BEN SIRA ET SON ÉLOGE DES P ÈRES § 50 La plus ancienne œuvre littéraire de la période postbiblique Lors du remaniement du canon des Écritures, qui donna au Livre d’Esdras-Néhémie le statut de texte sacré, les maîtres de Yavnéh censurèrent de façon radicale la littérature judéenne de la période hellénistique (§ 2). Ils exclurent en particulier du canon le traité de sagesse composé trois siècles auparavant par Jésus Ben Sira. Suite à cette censure, le texte original hébreu de ce traité fut oublié et l’œuvre ne fut plus accessible, du moins officiellement, que dans la traduction grecque faite par le petit fils de l’auteur et conservée par les chrétiens (§ 32). Celle-ci nous est parvenue en deux recensions dont la plus ancienne sera citée ici. Par ailleurs, cinq manuscrits découverts à la fin du XIX e siècle dans la Guénizah du Caire contiennent une version hébraïque des trois cinquièmes de ce traité. Certains spécialistes ont cru avoir retrouvé là le texte hébreu original du traité. En réalité il ne peut s’agir, dans le meilleur des cas, que d’une version remaniée (§ 68). Ce traité de Sagesse écrit par Jésus Ben Sira – l’Ecclésiastique des Bibles chrétiennes, que l’on nomme également le Siracide – est l’un des rares textes judéens d’avant notre ère dont la date de rédaction soit connue de façon assez précise. Un premier indice est fourni par l’éloge de Siméon fils d’Onias qui clôt le traité (Ecclésiastique 50). L’éloge est écrit au passé, donc après la mort de ce grand prêtre du Temple de Jérusalem qui, selon l’historien Flavius Josèphe, aurait exercé sa charge entre 220 avant notre ère et 195 avant notre ère approximativement. L’œuvre de Ben Sira est donc postérieure à cette dernière date. Elle est, par ailleurs, antérieure à 132 avant notre ère, date à laquelle son traducteur la découvrit lors d’un voyage qu’il fit en Égypte la trente-huitième année du roi Ptolémée VII Évergète. De plus, comme aucune allusion à l’éviction de la lignée des prêtres Oniades qui survint en 175 avant notre ère n’y est faite, on peut raisonnablement dater l’écrit du premier quart du second siècle avant notre ère. À la différence du livre d’Esdras-Néhémie ou de la Lettre d’Aristée dont les dates de composition sont inconnues, le traité de Ben Sira s’inscrit donc dans un contexte historique précis. Il fut écrit pendant les années qui suivirent la mort du grand prêtre Siméon fils d’Onias dont Ben Sira fut le contemporain.
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§ 51 Que sait-on de Siméon fils d’Onias, surnommé le Juste ? Ben Sira consacre la dernière partie de son traité à faire l’Éloge des Pères qui contribuèrent de façon significative à la construction de l’histoire d’Israël. Dans ce but il sélectionne trente-deux acteurs – individus ou groupes – dont le dernier est le grand prêtre Siméon qu’il met en scène au moment où, sortant de la Maison du voile, c’est-à-dire du Saint des Saints du Temple de Jérusalem, il bénit le peuple, lors de la cérémonie du jour des Pardons (Ecclésiastique 50). Les allusions à ce grand prêtre sont nombreuses dans la littérature judéenne. Son rôle de premier plan dans l’histoire religieuse de la période hellénistique était connu aussi bien par le judaïsme rabbinique qui voyait en lui le dernier des inspirés 1 que par les premières générations chrétiennes qui en faisaient un précurseur de Jésus 2 . C’est seulement au moment de la canonisation du livre d’Esdras, et comme conséquence logique de celle-ci, que son rôle fut occulté et qu’il tomba dans l’oubli au point même d’être ignoré des biblistes actuels. Jean Hadot indique seulement en note de la traduction de la Pléiade que « la longueur et le ton de l’éloge » que fait Ben Sira du grand prêtre, « font supposer que ce personnage joua un rôle important dans la vie religieuse d’Israël » mais sans être en mesure de préciser lequel (p. 1877). L’Introduction à l ’Ancien Testament publiée en 2004 sous la direction de T. Römer 3 ne prête, quant à elle, aucune attention au grand prêtre et signale seulement en dernière ligne d’un excursus consacré à « l’éloge des Pères » qu’« Aaron et le prêtre Simon font l’objet des notices les plus longues et les plus élogieuses » (p. 671). En annexe de cette Introduction, le tableau chronologique qui met en évidence les acteurs principaux de l’histoire judéenne de la période hellénistique cite les rois grecs, les Lagides d’Alexandrie et les Séleucides d’Antioche, mais ignore la dynastie des prêtres oniades dont le nom n’est pas même prononcé. Tout au plus, dans la colonne réservée à l’histoire judéenne de cette époque, peut-on lire : « 200 avant notre ère à 142 avant notre ère : la Palestine soumise aux Séleucides », puis « Début des difficultés entre les juifs et les dirigeants séleucides ; conflits entre les grands prêtres à Jérusalem » (p. 695). 1. Voir BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 94-100. 2. Il doit être identifié avec ce vieillard nommé Siméon, qui était Juste et qui vint au Temple pour accueillir Jésus (Luc 2, 25-32). Voir BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 92. Sur l’image de Siméon le juste dans la littérature rabbinique voir TROPPER A., Simeon the Righteous in Rabbinic Literature. A Legend Reinvented (Arbeiten zur Geschichte des antiken Judentums und des Urchristentums, 84), Leyde, Brill, 2013. 3. RÖMER T. – MACCHI J.-D. – NIHAN C. (éd.), Introduction à l ’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 2004.
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Il est vrai que nous sommes très peu informés sur l’histoire judéenne de la période lagide (312 avant notre ère à 200 avant notre ère) et que les documents qui parlent de la dynastie des prêtres oniades sont d’interprétation délicate. Le plus célèbre, en dehors de l’Éloge de Ben Sira, est le roman des Tobiades, cité par Flavius Josèphe dans ses Antiquités judéennes 4 , une œuvre qui aurait été composée à Alexandrie vers la moitié du second siècle avant notre ère. Les héros principaux de ce roman, Hyrcan et son père Joseph le Tobiade, sont chargés de prélever les impôts de la Judée pour le roi d’Égypte. Leur histoire présente une ressemblance certaine avec celle de Joseph, le patriarche, qui fut le bras droit du Pharaon lors du séjour des fils de Jacob dans cette même Égypte. Aussi est-il prudent de se montrer réservé sur la valeur historique de ce roman. Maurice Sartre résume ainsi l’histoire de la Judée entre la conquête d’Alexandre (333 avant notre ère) et la révolte maccabéenne (168 avant notre ère) 5. À partir de la fin du IV e siècle (312 avant notre ère), les juifs se trouvèrent au contact de l’hellénisme à la fois en Palestine et en Égypte. Avec l’arrivée des Grecs lagides, ils se trouvèrent confrontés à une nouvelle culture, beaucoup plus séduisante aux yeux de beaucoup que celle des Perses, et dont l’acquisition paraissait nécessaire à ceux qui étaient soucieux de maintenir leur rang et leur pouvoir dans la Judée passée sous tutelle grecque (p. 305). Les juifs jouirent au moins à partir de Ptolémée II Philadèlphe (282 avant notre ère) d’une relative autonomie sous la direction du grand prêtre, « à la fois chef spirituel et temporel des juifs, interlocuteur presque unique du roi ». Le peuple juif conserva son organisation propre, ainsi que ses propres lois et coutumes (p. 306), mais subit comme tout le royaume la pression fiscale lagide. Au total, tout en restant strictement dans la souveraineté lagide, les juifs purent préserver leur particularisme tout en conservant une attitude loyale envers l’autorité royale. Pendant cette période lagide deux grandes familles tinrent le haut du pavé en Judée. La famille des Oniades à laquelle appartenait Siméon occupa la charge héréditaire de grand prêtre du Temple de Jérusalem et cela probablement dès l’arrivée des Lagides. Une autre grande famille, celle
4. Antiquités judéennes XII, 156-222 et 228-236 (voir la traduction de Julien Weill [dir. Théodore Reinach, Paris, Ernest Leroux éditeur, 1900] en ligne : http:// remacle.org/bloodwolf/historiens/Flajose/). 5. SARTRE M., D’Alexandre à Zénobie, Histoire du Levant antique, Paris, Fayard, 2001. Mon résumé renvoie particulièrement au Chapitre IX « Les juifs et la Judée d’Alexandre à l’avènement d’Antiochus IV » p. 303-323, ainsi qu’à une analyse critique très fouillée du Roman des Tobiades p. 324-332. Tout en suivant la datation traditionnelle qui rattache « l’acte de naissance du judaïsme » à Esdras, Sartre reconnaît que la chronologie basse proposée dans l’article de 1992 : Siméon le Juste, rédacteur de la Torah est « fortement argumentée et entraîne d’importantes conséquences » (p. 304, note 2).
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des Tobiades, obtint pour l’un de ses membres, Joseph le Tobiade, la charge de fermier des impôts, charge que son fils Hyrcan obtint après lui. D’après la légende des Tobiades – mais l’historicité du fait a été contestée – le père de Siméon, Onias II, aurait refusé de payer le tribut au roi d’Égypte, escomptant la victoire de Séleucos II d’Antioche (246 avant notre ère ; 225 avant notre ère) sur l’Égypte. Quoi qu’il en soit, lorsqu’Antiochos III conquit la Judée à la bataille de Panéion (199 avant notre ère) – alors que Siméon fils d’Onias était en fonction (220 avant notre ère ; 195 avant notre ère) – les juifs ne s’opposèrent pas à la conquête et aidèrent même Antiochos à chasser la garnison lagide de Jérusalem. Deux documents transmis par Flavius Josèphe 6 et dont l’authenticité est maintenant reconnue, permettent de juger de l’excellence des rapports qui existaient à la fin du pontificat de Siméon entre Jérusalem et Antioche. Le premier traite de dons et d’exemptions fiscales accordées aux juifs car, dit Antiochos : « Ils nous procurèrent une abondance de provisions pour nos soldats et nos éléphants et ainsi nous aidèrent à expulser la garnison égyptienne de la citadelle » (Antiquités judéennes XII, 138-144). Le deuxième document a trait à la pureté du Temple et de la ville de Jérusalem : Il est interdit à tout étranger d’entrer dans le péribole du Temple qui est interdit aux juifs, excepté à ceux d’entre eux qui peuvent entrer après s’être purifiés conformément aux lois ancestrales. Personne n’introduira dans la ville de la chair de cheval, de mule, d’âne sauvage ou domestique, de léopard, de renard, de lièvre ou d’une façon générale, de tout animal prohibé par les juifs. Il est interdit d’introduire leur peau ou même de manger l’un quelconque de ces animaux dans la ville. Il sera permis d’user uniquement des animaux pour les sacrifices connus par les ancêtres et nécessaires à l’adoration de Dieu. Quiconque violera ces lois paiera aux prêtres une amende de 3000 drachmes d’argent. (Antiquités judéennes XII, 145-147)
Un tel édit, promulgué peu après 200 avant notre ère, répond évidemment à une exigence formulée par le grand prêtre Siméon et, à ce propos, M. Sartre souligne que « c’est à coup sûr une manifestation de la volonté d’Antiochos III de voir respecter la Torah » et ajoute : « C’est le droit de ioudaizein au sens littéral, “vivre à la juive”, ce qu’il ne faut en aucun cas considérer comme une dispense explicite de ellènizein, “vivre à la grecque” ». Les raisons qui ont pu conduire Siméon à demander de telles garanties se comprennent différemment selon que l’on considère que la Torah a été promulguée à la période perse ou non. Dans le premier cas, – c’est la position à laquelle se rallie M. Sartre – « si les juifs, grand prêtre en
6. On en trouvera la reproduction intégrale dans SARTRE M., D’Alexandre à Zénobie, Histoire du Levant antique, Paris, Fayard, 2001, p. 310.
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tête, sentent la nécessité de faire confirmer leur droit de respecter la Torah, peut-être est-ce parce que se profilent des menaces sur celle-ci, du fait de juifs hellénisés qui préfèreraient plus de souplesse ». Si au contraire, comme le laisse entendre Jésus Ben Sira, cette Torah a été promulguée par Siméon lui-même, le but est tout autre et vise avant tout à faire appuyer par l’autorité grecque une réforme encore nouvelle et peut-être fragile. La victoire des Séleucides à Panéion eut par ailleurs pour conséquence d’écarter le clan des Tobiades du pouvoir. Hyrcan le Tobiade perdit la charge de fermier des impôts et dut même fuir Jérusalem et se réfugier en Transjordanie, à Iraq-al-Amir, où sa famille possédait des terres. Il y entreprit la construction d’un palais somptueux au centre d’un « paradis » à la mode perse 7. C’est dans les années qui suivirent, probablement peu après qu’Onias III ait succédé à son père Siméon mort vers – 195, que Ben Sira écrivit son traité et son Éloge des grands ancêtres qui firent l’histoire d’Israël. § 52 Les trente-deux bâtisseurs de l’histoire d’Israël Pour comprendre le rôle que Ben Sira fait jouer à Siméon dans l’histoire de la religion judéenne et à quel point celui-ci fut déterminant à ses yeux, il faut abandonner résolument l’approche qui nous a été imposée par deux siècles de critique biblique et retrouver le regard des lecteurs anciens, comme nous avons tenté de le faire à propos de l’histoire d’Esdras et de la Lettre d’Aristée. Pour Ben Sira, l’importance historique d’un personnage postbiblique n’est prouvée que si les péripéties de sa propre histoire reproduisent des modèles décrits dans l’histoire biblique. Dans cette perspective, l’importance historique de Siméon fils d’Onias doit donc être confirmée par des modèles bibliques qui la préfigurent. Pour aider son lecteur à déchiffrer ces modèles sans avoir à se confronter directement à une histoire biblique foisonnante, Ben Sira a écrit son Éloge des Pères en sélectionnant les personnages et les événements qui, à ses yeux, montraient le mieux la conformité de l’œuvre du grand prêtre à un plan divin annoncé dans les Écritures et entièrement orienté vers sa venue. C’est donc par le biais d’une comparaison de l’éloge de Siméon (Ecclésiastique 50) avec ceux des grands ancêtres qui préparèrent sa venue que le destin exceptionnel du grand prêtre se dessine progressivement.
7. Sur l’histoire de la famille des Tobiades, voir SARTRE M., D’Alexandre à Zénobie, Histoire du Levant antique, Paris, Fayard, 2001, p. 324-332. On y retrouvera même une reconstitution du palais de Iraq-al-Amir.
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Tableau 3 Les trente-deux bâtisseurs de l’histoire d’Israël (Ecclésiastique 44-50) 1. Hénokh
17. Élie
2. Noé
18. Élisée
3. Abraham
19. Ézéchias
4. Isaac
20. Isaïe
5. Jacob
21. Josias
6. Les douze tribus
22. Jérémie
7. Moïse
23. Ézéchiel
8. Aaron
24. Les douze prophètes
9. Pinhas fils d’Éléazar
25. Zorobabel
10. Josué fils de Nun
26. Josué fils de Yoçadaq
11. Caleb fils de Yephouné
27. Néhémie
12. Les douze juges
(28). Hénokh8
13. Samuel
28 (29). Joseph
14. Nathan
29 (30). Sem
15. David
30 (31). Seth
16. Salomon
31 (32). Adam 32 (33). Siméon fils d’Onias
Ben Sira sélectionne trente-deux acteurs. Que Siméon apparaisse en dernière position suffit alors à indiquer sans ambiguïté qu’il est bien celui qu’un plan divin a prédestiné à conduire Israël au seuil d’une ère nouvelle 9. Le premier personnage cité est Hénokh, septième patriarche antédiluvien, alors qu’on s’attendrait à voir figurer Adam en tête de l’éloge. De façon plus surprenante encore, Hénokh a droit à un second éloge, en 28e position, immédiatement après Néhémie alors que ce personnage de la période perse devrait être le précurseur direct de Siméon. L’histoire des générations bibliques se trouve de ce fait divisée en deux volets placés, tous 8. À partir du « retour » d’Hénokh, deux computs sont possibles selon que l’on tient compte ou non de la répétition du nom d’Hénokh, ce qui fait apparaître Siméon en 32e pu 33e position. La raison de cette ambiguïté sera expliquée au terme de cette étude (§ 233) 9. J’ai préféré l’expression « ère nouvelle » à celle de « monde futur », opposé au « monde présent », afin d’éviter de projeter de façon anachronique sur cette période des notions qui ne prendront que plus tard le sens qu’on leur connaît. D’après le traité des Avot de Rabbi Natan, l’un des conflits majeurs entre sadducéens et pharisiens portait précisément sur l’existence de ce « monde futur » dont les premiers auraient nié l’existence. (voir BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 97-98).
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les deux, sous le patronage d’Hénokh, l’un composé de vingt-sept noms et l’autre de quatre, et ce n’est qu’en conclusion de cette double histoire qu’apparaît le trente-deuxième, Siméon fils d’Onias. En réalité l’architecture dessinée par Ben Sira est plus subtile encore car après avoir parcouru l’histoire biblique en partant des origines, d’Hénokh à Néhémie, il remonte le cours de cette histoire, de Joseph (23e génération de l’humanité) à Sem (11e), puis à Seth (2e) et enfin à Adam (1er). Et c’est au terme de ce mouvement mystérieux de descente et de remontée de l’histoire universelle que Siméon fils d’Onias apparaît, dans toute sa gloire, sortant de la Maison du Voile pour bénir le peuple. Pour comprendre les raisons qui ont incité Ben Sira à placer Hénokh à l’origine de l’histoire, il faut s’intéresser à l’étymologie de son nom (hanokh), une forme de l’impératif du verbe hanakh qui signifie : « Fais la dédicace (du Temple) ! » On est donc en présence d’un nom programme qui fait du patriarche antédiluvien un archétype du sacerdoce. Par son nom, Hénokh révèle qu’avant même le Déluge, Dieu a décidé qu’un Temple lui serait consacré, dont un nouvel Hénokh ferait la dédicace. Dans cette logique divine, le retour d’Hénokh à la vingt-huitième génération, au moment même où apparaît Siméon fils d’Onias 10, atteste que cette dédicace tant attendue est imminente et que ce grand prêtre a été choisi pour la réaliser. Et c’est effectivement Siméon, qui, « pendant sa vie, réparera la Maison, pendant ses jours affermira le Sanctuaire » (Ecclésiastique 50, 1). § 53 Un peuple sous l’autorité des prêtres et des rois D’emblée, Ben Sira nous oriente vers une vision de l’histoire biblique dominée par l’institution sacerdotale, alors que la lecture traditionnelle, tournée vers le « sens historique », met l’accent sur l’institution royale et sur cet Arbre de Jessé d’où naîtra le Roi Messie. L’histoire biblique est en effet organisée autour de la lignée royale de Juda. À partir d’Adam, père de l’humanité, l’auteur biblique dresse un arbre généalogique dont il élague progressivement les branches jugées inutiles tant et si bien qu’à la cinquantième et unième génération, seule subsiste la lignée des rois de Juda dont le dernier représentant est le roi Joachin (§ 104, Tableau 20). En plaçant Hénokh à l’avant de la scène, Ben Sira entend donc signifier que, conformément au plan divin, le sacerdoce l’emportera sur la royauté. La spécificité de ces deux institutions est rappelée par Ben Sira à l’occasion de l’éloge qu’il fait du prêtre Pinhas, fils d’Éléazar, dernier maillon d’une généalogie sacerdotale qui s’interrompt à la 28e génération (§ 117, Tableau 26).
10. Siméon est le 28e dans l’ordre des généalogies descendantes (§ 52 : tableau 3).
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Parce que (Pinhas) fut zélé dans la crainte du Seigneur […] fut conclue avec lui une alliance de paix, qui le fit chef des saints et de son peuple, afin qu’à lui et à sa descendance appartint la souveraineté du sacerdoce pour les siècles. Il y eut aussi l’alliance avec David, fils de Jessé, de la tribu de Juda, héritage du roi qui va de fils en fils, mais l’héritage d’Aaron passe à sa descendance. (Ecclésiastique 45, 23-25)
Bien que l’arbre généalogique de la lignée royale (celle de Juda) soit ininterrompu, c’est donc à la lignée sacerdotale (celle de Lévi), dont on perd momentanément la trace à la mort de Pinhas, qu’il reviendra de gouverner le peuple « pour les siècles ». En fonction de cette lecture de l’histoire, Siméon fils d’Onias peut donc apparaître comme l’héritier légitime de la lignée sacerdotale sans avoir à présenter un arbre généalogique sans faille. Pour qu’il soit reconnu comme successeur légitime d’Aaron, il lui suffit de réaliser l’objectif de la lignée sacerdotale fixé par Hénokh avant le Déluge : « faire la dédicace du Temple. » § 54 La double vie de Salomon Si l’on s’intéresse maintenant à l’organisation géométrique de la fresque historique peinte par Ben Sira, on constate qu’elle prend la forme d’un diptyque articulé autour du personnage de Salomon. Les seize premiers personnages, d’Hénokh à Salomon, construisent un modèle de l’histoire qui aurait dû logiquement atteindre sa perfection avec la dédicace du Temple de Salomon, une dédicace qui aurait marqué l’accomplissement du projet antédiluvien annoncé par le nom d’Hénokh. Mais il n’en fut rien. Alors qu’il aurait dû introduire Israël dans une ère nouvelle, Salomon précipita son peuple dans « la folie », en menant une double vie. Dans un premier temps il se conduisit conformément au plan divin et guida Israël jusqu’au seuil d’une ère nouvelle : Après (David) se leva un fils plein de savoir, à cause de lui, (Israël) habita au large. Salomon régna en des jours de paix, Dieu lui donna le repos tout autour, afin qu’il bâtît une Maison à son nom, qu’il préparât un Sanctuaire pour l’éternité. Comme tu fus sage en ta jeunesse, tu débordas d’intelligence comme le Fleuve. Ton âme recouvrit la terre, tu l’emplis de paraboles énigmatiques. Jusqu’aux îles bien loin arriva ton nom, tu fus aimé dans la paix. Pour les chants, les proverbes, les paraboles, pour les interprétations les contrées t’admirèrent. (Ecclésiastique 47, 12-17)
Mais alors qu’il aurait pu être le Roi choisi par Yahvé qu’annonçait le Deutéronome (§ 43), il trahit sa mission en multipliant l’or et l’argent ainsi que les épouses :
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Au nom du Seigneur Dieu, lui qu’on appelle le Dieu d’Israël, tu amassas l’or comme l’étain, comme le plomb tu amassas l’argent. Tu livras tes flancs aux femmes, tu les laissas dominer sur ton corps. Tu imprimas une souillure à ta gloire, tu profanas ta descendance, amenant la colère sur tes enfants, les jetant dans l’affliction par ta folie au point que l’empire fut partagé en deux et que d’Éphraïm sortit une royauté rebelle. (Ecclésiastique 47, 18-21)
Dans la deuxième partie de sa vie, Salomon s’acharna à détruire en lui l’image du Roi que choisirait Yahvéh (1 Rois 10, 23-11, 3). Non content d’avoir multiplié l’or et l’argent et les épouses – il eut sept cents épouses et trois cents concubines (1 Rois 11, 3) – il « multiplia aussi les chevaux » en introduisant la charrerie dans l’armée d’Israël et « s’éleva au-dessus de ses frères » en faisant assassiner tous ceux qui étaient mieux placés que lui pour succéder à David. Il devint alors l’antitype parfait du roi que choisirait Yahvéh et provoqua par sa conduite le report de la réalisation du plan divin. Á cause de lui, aux seize premiers héros de l’histoire biblique qui avaient préparé la construction du premier Temple, durent s’en ajouter seize autres qui travaillèrent à la restauration de ce Temple dont Siméon fils d’Onias devait devenir le grand prêtre 11. À la mort de Salomon les douze tribus se scindèrent en deux royaumes ennemis, celui de Juda et celui d’Éphraïm qui, dans son arrogance, usurpa le nom d’Israël. Puis Salomon reposa avec ses pères et il laissa après lui, de sa descendance, une « folie de peuple », un homme privé d’intelligence, Roboam (roi de Juda) qui détourna le peuple de son dessein et Jéroboam fils de Nabat (roi d’Israël), qui fit pêcher Israël et indiqua à Ephraïm la voie du péché. Alors leurs péchés se multiplièrent terriblement, au point qu’ils furent enlevés de leur terre. Ils recherchèrent toutes les actions mauvaises, jusqu’à ce que le châtiment tombât sur eux. (Ecclésiastique 47, 23-25)
Ceux qui travaillèrent à la restauration de ce Temple que Salomon avait ruiné furent d’abord des rois et des prophètes, mais qui ne purent empêcher la destruction du Temple et l’exil en Babylonie. Puis ce fut le retour de l’exil et l’entrée dans l’histoire des grands hommes de la période postexilique que l’on a déjà croisés dans les livres d’Esdras-Néhémie : Zorobabel et Josué fils de Yoçadaq entreprirent la restauration du Temple ruiné et 11. La destruction du second Temple en 70 de notre ère marqua l’échec définitif du projet de Siméon. Les maîtres de Yavnéh présentèrent alors le grand prêtre comme un nouveau Salomon, accusé d’avoir, lui aussi, pactisé avec « les nations » (l’hellénisme) et causé par là la perte d’Israël. (Voir Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 101-103. Il est d’ailleurs possible que le titre de « Juste » qui lui est donné fasse référence à sa quête d’une « Justice » qui était l’idéal du philosophe.
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Néhémie « releva les murs tombés (de Jérusalem), rétablit portes et verrous et ressuscita les demeures » (Ecclésiastique 49, 11-13). Tout était alors prêt pour accueillir le grand prêtre qui, conformément à la prophétie d’Hénokh, devait réussir là où Salomon avait échoué. Dieu avait donné le repos à Salomon « afin qu’il bâtît une Maison à son nom, qu’il préparât un Sanctuaire pour l’éternité ». Le roi échoua et c’est au prêtre Siméon fils d’Onias qu’il revint de « réparer la Maison (que Salomon avait ruinée) » et d’« affermir le Sanctuaire (que Salomon avait préparé) » (Ecclésiastique 50, 1). On notera qu’Esdras, qui était présenté par l’auteur du livre du même nom comme le véritable fondateur de la religion judéenne à la période perse, n’est pas même mentionné dans l’Éloge des Pères, alors qu’il aurait dû prendre place aux côtés de Josué, Zorobabel et Néhémie. On a accusé à tort Ben Sira d’avoir occulté son rôle par parti pris alors qu’écrivant un siècle avant la fondation du parti pharisien il ne pouvait que l’ignorer. Pour lui, ce nouvel Éléazar auquel les pharisiens identifieront leur fondateur est Siméon lui-même, c’est lui qui porte les vêtements d’Aaron (§ 58). § 55 Hénokh, modèle des générations descendantes et montantes On s’attendrait à ce que Siméon soit cité en 28e position, immédiatement après Néhémie – telle est en effet sa place dans la chronologie descendante – mais c’est Hénokh qui réapparaît (§ 52, Tableau 3) et à sa suite quatre personnages classés dans un ordre montant, de Joseph fils de Jacob, à trois personnages antédiluviens, Sem, fils aîné de Noé, Seth, fils cadet d’Adam et Adam lui-même. Nul n’a été créé sur terre pareil à Hénokh, car lui il a été enlevé de la terre ! De même nul homme ne naquit semblable à Joseph, chef de ses frères, soutien de son peuple, ses ossements furent visités. Sem et Seth parmi les hommes furent glorifiés, mais au-dessus de tout vivant dans la création est Adam. (Ecclésiastique 49, 14-16)
Il existe entre ces quatre personnages un dénominateur commun, celui d’avoir vécu avant que la Torah n’ait été officiellement révélée à Moïse : Adam, Seth et Sem sont des personnages antédiluviens et Joseph est le seul des douze fils de Jacob dont il soit précisé qu’il mourut en Égypte avant la révélation de la Torah (Genèse 50, 22-26). Par ailleurs, Joseph, Sem, Seth et Adam eurent comme Hénokh le privilège de vivre une double histoire. Sem naquit cent ans avant le Déluge et vécut encore pendant cinq cents ans après sa sortie de l’Arche. Il hérita donc d’une connaissance antédiluvienne, mais partagea aussi la vie des soixante-dix peuples qui furent dispersés à partir de Babel après le Déluge. L’histoire de Seth est beaucoup plus mystérieuse et impossible à interpréter sans appliquer au récit biblique les techniques de la lecture littérale, aussi se contentera-t-on, pour l’instant, de noter qu’un double récit de naissance
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lui est consacré ce qui lui confère de fait un double statut 12 . La vie d’Adam fut également partagée en deux périodes. Il passa ses cent trente premières années dans le jardin d’Éden et vécut encore pendant huit cents ans après sa sortie du Jardin. Dans ce cortège de personnages antédiluviens, la présence de Joseph a de quoi surprendre. Il fut en effet le seul des quatre à n’avoir pas vécu avant le Déluge. Mais il possède également une double connaissance, qui lui vient d’une part de son statut de fils de Jacob, donc d’héritier de la promesse faite à Abraham et d’autre part de son assimilation à la culture égyptienne par son mariage avec Asenath, fille de Poti-péra le prêtre de On (Genèse 41, 45). Faut-il alors établir un parallélisme entre la double connaissance possédée par les patriarches antédiluviens et celle que Joseph a acquise à la fois auprès de la lignée des croyants issus d’Abraham et auprès des Égyptiens par son mariage avec Asenath ? On retiendra pour le moins que la connaissance dont héritera Siméon a été puisée à deux sources, la foi des croyants issus d’Abraham et la raison des nations dispersées après l’épisode de Babel. Si Hénokh apparaît deux fois dans l’éloge de Ben Sira, d’abord comme chef de la lignée descendante des croyants puis de la lignée montante de ceux qui sont guidés par la raison, c’est parce qu’il a acquis une double « connaissance » lors d’un double voyage. Tel est du moins le sens du texte hébreu qui répète par deux fois l’expression : « Et Hénokh marcha en compagnie d’Élohim ». La traduction des LXX propose une version différente des faits qui gomme cette notion de voyage et précise seulement que c’est au terme de sa vie, qu’Hénokh « fut transféré ». Et Hénokh vécut cent soixante-cinq ans et il engendra Methousala. Après qu’il eut engendré Methousala, Hénokh plut à Dieu pendant deux cents ans et engendra des fils et des filles. Et tous les jours d’Hénokh furent de trois cent soixante-cinq ans. Puis Hénock plut à Dieu et il ne fut pas trouvé, parce que Dieu l’avait transféré (metatithèmi). (LXX Genèse 5, 21-24)
Le rapport entre les deux « voyages » d’Hénokh et les deux lignées de l’humanité est indiqué par le traducteur de Ben Sira au moyen de ce verbe « transférer » (metatithèmi) que le texte biblique associe au second «voyage ». Mais alors qu’il devrait logiquement renvoyer à la seconde 12. Les récits de naissance des trois fils d’Adam et particulièrement de la naissance de Seth ont été analysés dans trois articles. BARC B., « Caïn, Abel et Seth dans l’Apocryphon de Jean et dans les Écritures », dans Colloque international : L’Évangile selon Thomas et les textes de Nag Hammadi, (BCNH, section « Études » no8), Québec-Louvain, 2007, p. 18-42. « Seth et sa race dans la Bible et dans le Livre des secrets de Jean », dans Les textes de Nag Hammadi, histoire des religions et approches contemporaines », Paris, Académie des inscriptions et belles-lettres, 2010, p. 155-176. Et enfin « Le mythe gnostique de Seth et de sa race est-il conforme aux Écritures hébraïques ? », Adamantius 18, 2012, p. 11-21.
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lignée, celle de Joseph, c’est à celle des croyants dont le premier modèle fut Noé qu’il renvoie (voir Tableau 3, § 52) Hénokh plut au Seigneur et il fut transféré (metatithèmi), exemple de repentir pour les générations. Noé fut trouvé parfait…(Ecclésiastique 44, 16-17)
Par déduction, la génération montante de ceux qui se laissent guider par la raison doit être liée au premier voyage. Nul n’a été créé sur terre pareil à Hénokh, car lui il a été enlevé (analambanô) de la terre ! De même Nul homme ne naquit semblable à Joseph… (Ecclésiastique 49, 14-15)
La connaissance des croyants (de Jérusalem ?) serait celle qu’Hénokh a contemplée dans le monde céleste, tandis que celle des Judéens d’Égypte dont Joseph est le modèle leur aurait été enseignée par Hénock pendant son séjour « sur terre ». Mais ce que Ben Sira veut avant tout enseigner, c’est que le grand prêtre Siméon a hérité de la totalité de cette connaissance accumulée avant lui par les Judéens des deux communautés et en a fait la synthèse. § 56 Siméon, héritier des rois David, Ézéchias et Josias Cette double sagesse dont hérite Siméon lui a été transmise par le biais des deux institutions sacerdotale et royale. Des indices sont disséminés dans l’Éloge des Pères qui indiquent que les rois et les prêtres qui marquèrent en bien l’histoire passée d’Israël ne firent que préparer la venue du grand prêtre oniade qui devait cumuler les fonctions de chef spirituel et temporel des Judéens. Ben Sira attire d’abord l’attention sur trois rois de Juda. Hors de David, d’Ézéchias et de Josias tous (les rois) furent pervers en leur perversité. Parce qu’ils abandonnèrent la Loi du Très-Haut, les rois de Juda furent abandonnés, car ils donnèrent leur corne à d’autres, leur gloire à une nation étrangère, ils incendièrent la cité choisie du Sanctuaire. Ils transformèrent en désert ses voies. (Ecclésiastique 49, 4-6)
Si David, Ézéchias et Josias sont loués c’est parce qu’à la différence des autres rois, y compris de Salomon, ils se conformèrent à la « Loi du TrèsHaut », ce Très-Haut dont Siméon est le grand prêtre (50, 7). Pour illustrer en quoi consiste cet héritage royal, Ben Sira attire l’attention sur le roi Ézéchias en lui attribuant la mise en chantier des travaux que Siméon mènera à bien. De même qu’Ézéchias avait « fortifié sa cité » (Ecclésiastique 48, 17), Siméon « fortifia la cité contre un siège » (50, 4) ; de même qu’Ezéchias avait « amené l’eau au milieu de la cité, creusé le rocher et construit des réservoirs pour les eaux » (48, 17), Siméon « creusa le réservoir des eaux, bassin semblable à la mer par son étendue » (50, 3). Ayant
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alors mis le lecteur sur la piste d’une comparaison systématique de l’œuvre de Siméon avec celle de l’un des trois rois qui pratiquèrent la Loi du TrèsHaut, Ben Sira lui laisse, et nous laisse, le soin de préciser le portrait du grand prêtre en reportant sur lui les hauts faits des deux autres rois, et d’abord de David : […] Dans sa jeunesse (David) n’a-t-il pas tué le géant et enlevé l’opprobre du peuple, en levant la main avec la pierre de sa fronde, en abattant l’orgueil de Goliath ? Il invoqua le Seigneur, le Très-Haut, et celui-ci donna à sa droite la force pour renverser l’homme puissant dans la guerre, pour élever la corne de son peuple. Aussi on lui fit gloire des dix mille, on le loua pour les bénédictions du Seigneur en lui apportant le diadème de gloire, car il écrasa les ennemis tout autour, Il anéantit les philistins adversaires, jusqu’à ce jour il brisa leur corne. (Ecclésiastique 47, 4-7)
En comparant Siméon à David abattant l’orgueil de Goliath, ce Philistin venu d’Égypte, Ben Sira indique que la politique anti-lagide de Siméon était bien conforme au plan divin. Mais il insiste surtout sur son action de restaurateur du culte primitivement instauré par David. En toutes ses œuvres (David) offrit l’action de grâces au Saint, au TrèsHaut, en un oracle de gloire. De tout son cœur il chanta des hymnes, il aima celui qui l’avait fait. Il établit des chantres devant l’autel, par leur voix il adoucit les chants. Il donna aux fêtes de la splendeur, il ordonna parfaitement les temps, en leur faisant louer son saint nom, en faisant dès l’aurore résonner son sanctuaire. Le Seigneur lui enleva ses fautes, Il éleva pour l’éternité sa corne, Il lui donna l’alliance royale, le trône de gloire en Israël. (Ecclesiastique 47, 8-11)
Il suffit de lire la description que fait Ben Sira de la liturgie du jour des Pardons (Ecclésiastique 50, 16-19) pour comprendre que le grand prêtre qui la préside rend au culte cette splendeur originelle que lui avait conféré David. Il est le nouveau David à qui Dieu donnera « l’alliance royale, le trône de gloire en Israël ». Mais Siméon doit aussi être comparé à un troisième roi, Josias, ce roi de la quarante-neuvième génération, contemporain de la redécouverte de la Torah dans le Temple, ce roi qui « convertit le peuple » à la Torah et supprima les sanctuaires locaux qui faisaient concurrence à celui de Jérusalem (2 Rois 22-25). […] Josias fut bien dirigé en convertissant le peuple, il supprima les abominations de l’iniquité. Il dirigea son cœur vers le Seigneur, au jour des sans-loi il affermit la piété. (Ecclésiastique 49, 2-3)
Ben Sira ne fait aucune allusion explicite à la redécouverte de la Torah par le prêtre Hilqiyahou au temps de Josias, mais le renvoi à l’histoire de ce roi suffit à faire comprendre que la réforme entreprise par Siméon a été
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préfigurée par celle de Josias et doit donc, comme plus tard celle qu’on attribuera à Esdras, aboutir à placer la Torah au centre de la religion judéenne (voir Chapitre 9). § 57 Siméon héritier des prêtres Hénokh, Aaron et Pinhas Parallèlement à l’éloge des rois, Ben Sira fait l’éloge des prêtres en attirant l’attention sur trois d’entre eux, comme il l’avait fait pour les rois. Il dit à propos de Pinhas, fils d’Éléazar, fils d’Aaron : Pinhas, fils d’Éléazar, fut le troisième en gloire. (Ecclésiastique 45, 23)
On pense alors naturellement que les trois qui se partagèrent cette « gloire » furent Aaron, Éléazar et Pinhas, les trois prêtres de la période du désert. Mais le raisonnement sur lequel repose cette conclusion manque de rigueur, car si Ben Sira fait un long éloge d’Aaron – le plus long de tous – et un éloge mitigé de Pinhas, il ne dit rien en revanche à propos du prêtre Éléazar dont le nom n’est évoqué qu’en qualité de père de Pinhas. Il n’y a donc pas lieu d’intégrer Éléazar dans la liste des trente et un prédécesseurs de Siméon, car la logique imposerait alors d’y inclure également Noun, Yephouné, Yoçadaq et Onias dont les noms sont mentionnés dans les mêmes conditions que celui d’Éléazar (Tableau 3). Éléazar ayant été exclu, il faut alors découvrir l’identité du prêtre manquant : Pinhas étant « le troisième en gloire », Aaron devient le deuxième et le premier ne peut alors être que l’un des prédécesseurs d’Aaron inclus dans la liste, ce qui nous renvoie une fois encore à Hénokh. Siméon est donc à la fois l’héritier d’Hénokh, d’Aaron et de Pinhas et pour préciser en quoi il leur est redevable, il faudrait, comme on l’a fait pour les rois, analyser chacune des notices qui leur sont consacrées. De même que Ben Sira amorçait la comparaison avec les rois en rapportant en des termes identiques les travaux de Siméon et ceux du roi Ézéchias, il décrit en des termes identiques les vêtements d’Aaron et ceux de Siméon : « la robe de gloire » qui revêt Siméon « de perfection d’honneur » (Ecclésiastique 50, 11) est identique à la « robe de gloire qui revêtait Aaron de perfection d’honneur » (45, 7-8). En d’autres termes, Siméon fils d’Onias hérite donc du vêtement sacerdotal que portait avant lui Aaron, et par le fait même de sa fonction. § 58 Siméon est le nouvel Éléazar Les Pharisiens faisaient arriver Esdras à Jérusalem le jour anniversaire de la mort d’Aaron, le jour où son fils Éléazar, sur ordre de Yahvéh, avait revêtu les vêtements sacerdotaux de son père et hérité de sa fonction (§ 35). Par ce biais, ils identifiaient leur fondateur à Éléazar et présentaient le mouvement pharisien et sa volonté de supplanter le sacerdoce sadducéen
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comme un accomplissement de la volonté divine annoncé dans les Écritures (§ 35). En procédant ainsi ils ne faisaient en fait que s’approprier le thème développé près d’un siècle auparavant par Ben Sira à propos de Siméon. En revêtant les vêtements d’Aaron, comme l’avait fait Éléazar avant lui, Siméon avait accompli dans l’histoire du second Temple ce qu’Éléazar avait fait de façon exemplaire à la période du Désert. Siméon était le nouvel Éléazar qui, conformément au plan divin, prenait la place de la lignée sacerdotale en fonction depuis les débuts de la période perse. C’est lui qui avait été choisi pour introduire le peuple judéen dans la Terre promise comme Éléazar l’avait fait avant lui. Si Ben Sira passe sous silence le nom d’Éléazar dans la liste des trois grands prêtres bibliques — Hénokh, Aaron et Pinhas — ce n’est pas qu’il soit indigne d’y figurer, mais parce que son entrée en fonction a en fait été différée suite aux manigances de son fils Pinhas. Ce fait méritera qu’on lui consacre une attention particulière. L’histoire de Pinhas et de ses fils préfigure en effet celle du sacerdoce de la période du second Temple avant l’arrivée des Oniades. Elle explique pourquoi ces Oniades ont dû attendre la période hellénistique avant d’exercer la fonction de grand prêtre (§ 119-121). Bien que par des biais insolites pour l’historien moderne habitué à travailler sur des documents non littéraires, l’identification de Siméon avec Éléazar nous fournit une clé de lecture d’ensemble de l’histoire religieuse de la Judée de la période hellénistique. Le modèle d’Éléazar est en effet le dénominateur commun des trois textes que nous avons étudiés. Esdras, également présenté comme un nouvel Éléazar, faisait sortir la Torah du Temple pour la faire connaître au peuple (§ 35). C’est également un grand prêtre Éléazar qui remettait le texte de la Torah aux soixante-douze anciens afin qu’ils l’emportent à Alexandrie pour l’y faire traduire 13. Mais pour faire sortir la Torah du Temple comme le font Esdras et le grand prêtre de la Lettre d’Aristée, encore faut-il qu’elle y ait été placée auparavant. Et pour Ben Sira, celui qui a placé cette Torah dans le Temple est Siméon lui-même. C’est lui qui a « fondé la double hauteur » d’une Sagesse qui s’était constituée au fil des générations jusqu’à ce qu’il en fasse la synthèse. En résumé, Siméon serait le bénéficiaire ultime d’une double connaissance qui se serait élaborée au fil de l’histoire, connaissance transmise par les institutions royale et sacerdotale et particulièrement par trois de leurs représentants les plus prestigieux, les prêtres Hénokh, Aaron et Pinhas et les rois David, Ézéchias et Josias. De plus, en tant que grand prêtre revêtu des habits d’Aaron, il serait le nouvel Éléazar dont la mission serait de faire entrer Israël dans la Terre promise. Mais il est avant tout celui qui a réalisé le commandement fait à Hénokh avant le Déluge : « Fais la dédi13. Dans l’acte de fondation de l’École de Yavnéh, celui qui fait la synthèse de l’enseignement de la période du Temple porte également le nom d’Éléazar (voir BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 100).
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cace (du Temple) ! », une mission que Josué fils de Yoçadaq, le prêtre, et Zorobabel, le gouverneur, n’avaient pas été capables de réaliser avant lui. Le décret visant à garantir la pureté du Temple et celle de Jérusalem, promulgué par le roi Antiochos III à la demande de Siméon vers 200 avant notre ère, serait là pour témoigner du rôle qu’il a joué dans la restauration de la religion judéenne (§ 51). Dès lors un scénario bien différent de celui que retiendra la critique biblique se dessine. Dans un premier temps, entre 225 avant notre ère et 200 avant notre ère, Siméon aurait fait de la Torah l’un des piliers de la religion judéenne. Ce mérite lui sera d’ailleurs reconnu par les maîtres de Yavnéh qui ne conserveront de lui qu’un seul enseignement : « Le monde repose sur trois (piliers), la Torah, le Culte et la Concorde » et reconnaîtront qu’étant le dernier survivant de la Grande Assemblée, il fut aussi le dernier des auteurs inspirés (Pirqé Avot, 1, 2 14). Les récits fondateurs rapportés aussi bien dans la Lettre d’Aristée que dans le Livre d’Esdras deviennent alors les témoins de réformes postérieures dont on peut fixer au moins approximativement la chronologie. Dans la mesure où le petit fils de Ben Sira connaît déjà un texte de la LXX, une traduction grecque a donc été faite avant sa venue en Égypte, donc avant 132 avant notre ère. Pour des raisons exposées par ailleurs, le projet de cette traduction pourrait en fait remonter à l’an 163 avant notre ère, au moment où le petit fils de Siméon, Onias IV décida de retourner en Égypte après que la lignée oniade eut été définitivement écartée du souverain pontificat 15. Quant à la récupération du modèle d’Éléazar-Esdras par le mouvement pharisien, elle devrait être datée de la fin du deuxième siècle avant notre ère ou plus probablement au début du premier siècle.
14. Leçons des pères du monde, Pirqé Avot et Avot de Rabbi Nathan, version A et B, éd. E. Smilévitch, (coll. « Les Dix Paroles »), Paris, Verdier, 1983, p. 25. 15. Voir BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 87-93.
Chapitre 7
SIMÉON, GRAND PRÊTRE DU T RÈS-H AUT Comme on l’a constaté, Ben Sira considère que les personnages bibliques antérieurs à Siméon fils d’Onias ont préparé sa venue. Pour mettre en évidence ce fait, il crée un jeu de miroir continuel entre les Pères (Ecclésiastique 44-49) et le grand prêtre (Ecclésiastique 50). Les rois — David, Ézéchias et Josias — et les prêtres — Hénoch, Aaron et Pinhas — apportent chacun leur pierre à un édifice dont Siméon sera le bâtisseur. Il est donc logique d’envisager que telle est la fonction de chacun des trente et un prédécesseurs du grand prêtre. Il suffira ici d’en vérifier l’hypothèse en nous intéressant à la notice consacrée au plus illustre d’entre eux, Abraham. Ben Sira résume ainsi la vie du Père des croyants : Abraham est le père élevé d’une multitude de nations, nul n’a été trouvé qui l’égalât en gloire. Il a observé la loi du Très-Haut, il est entré en alliance avec lui. En sa chair il a marqué l’alliance et dans l’épreuve il fut trouvé fidèle. C’est pourquoi (le Très-Haut) lui marqua par serment que les nations seraient bénies en sa descendance, qu’il le multiplierait comme la poussière de la terre, qu’il élèverait comme les astres sa descendance, qu’il les ferait héritiers de la mer à la mer, depuis le fleuve jusqu’à l’extrémité de la terre. (Ecclésiastique 44, 19-21)
§ 59 Yahvéh, Él et le Très-Haut On retiendra de ce portrait « qu’Abraham a observé la loi du TrèsHaut ». Que le nom donné au patriarche soit Abraham ( )אברהםet non Abram ( )אברםsuffit déjà à faire comprendre qu’il n’a observé cette loi qu’après avoir fait alliance avec Élohim, une alliance concrétisée par l’imposition d’un nouveau nom (Genèse 17, 3-27). Cette loi du TrèsHaut qu’observe Abraham est celle que lui a révélée Élohim, une loi qui doit donc, à terme, s’appliquer à l’ensemble de l’humanité dont Élohim a la charge 1. Cette loi n’est ni celle de Yahvéh, ni celle d’Élohim, mais celle du TrèsHaut. Ce titre divin revient également comme un leitmotiv dans l’éloge 1. Cette alliance avec Élohim n’est cependant que temporaire, car elle est immédiatement précédée de l’annonce d’une alliance future avec Yahvéh, une nouvelle alliance en quelque sorte (Genèse 17, 1-2).
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que fait Ben Sira de Siméon. Au cours de la liturgie du jour des Pardons qui sert de toile de fond à cet éloge, trois noms divins sont invoqués : Seigneur (= Yahvéh), Dieu (= ’el) et Très-Haut (= ‘ élyon). Siméon est le soleil « brillant sur le sanctuaire du Très-Haut » (50, 7). Pendant que « les fils d’Aaron tiennent l’offrande du Seigneur en leurs mains » (50, 13), il ordonne « l’offrande du Très-Haut, tout puissant » (50, 14). Il verse « le parfum d’agréable odeur, au Très-Haut, roi universel » (50, 15), tandis que « les fils d’Aaron sonnent de la trompette en mémorial devant le TrèsHaut » (50, 16) et que « le peuple adore son Seigneur, le tout puissant Dieu Très-Haut » (50, 7) et « supplie le Seigneur Très-Haut en priant devant le Miséricordieux, jusqu’à ce que soit accomplie la cérémonie du Seigneur » (50, 9). La liturgie s’achève sur une double bénédiction, destinée à toute l’assemblée des fils d’Israël. La première, prononcée par Siméon lui-même, est « la bénédiction du Seigneur » (50, 20), la seconde, « une bénédiction de la part du Très-Haut » (50, 21). Si les titres de Dieu et de Seigneur sont courants dans la Bible, celui de Très-Haut (‘ élyon) est beaucoup plus rare et presque exclusivement attesté dans le livre des Psaumes où il apparaît vingt-deux fois. Quant au titre complet de Dieu Très-Haut (’él ‘ élyon), il n’apparaît en tout et pour tout qu’en deux occasions, et pour la première fois, lors de la rencontre entre Abram et Melki-çédèq où il est répété trois fois 2 . C’est donc dans cet épisode que Ben Sira nous invite à rechercher la place spécifique qu’occupe le Très-Haut dans la procession des noms divins. Dans la mesure où ce titre peut être employé seul, comme substantif, il n’y a pas lieu d’en faire une épithète dans l’expression que la tradition rend par « Dieu très-haut ». Il doit logiquement être considéré comme un substantif au même titre que Yahvéh et Élohim. En conséquence, l’expression ’él ‘ élion, doit être comprise dans le sens de « Dieu du Très-Haut ». Pour expliquer cette subordination de Dieu (’el ou ’élohim) par rapport au TrèsHaut, il suffit alors de se reporter au modèle philonien de tripartition de la Divinité (supra, p. 12-13) qui postulait l’existence d’un Dieu inconnaissable qu’il désignait comme « celui qui Est, Père de l’Univers », un Dieu caché qui se manifestait par le biais de deux Puissances, comme créateur sous le nom de Dieu (Él ou Élohim) et comme gouverneur du monde sous le nom de Seigneur (Yahvéh). Le Très-Haut occupe donc chez Ben Sira la place qu’occupera le Père de l ’Univers chez Philon.
2. La deuxième occurrence se rencontre dans un passage où « Dieu du TrèsHaut » est mis en parallèle avec Élohim : « (les fils d’Israël) se rappelaient qu’Élohim est leur rocher et le Dieu du Très-Haut (’él ‘ élyon) leur rédempteur » (Psaume 78, 35). Par le biais de l’analogie, les fonctions de « rocher » et de « rédempteur » qu’exercent Élohim et Él ‘élyon doivent être identifiés à celles de Yahvéh car il est écrit : « Yahvéh (est) mon rocher et mon rédempteur ! » (Psaume 19, 15)
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Les noms divins de l’éloge de Siméon sont organisés de façon rigoureuse en fonction de ce modèle de tripartition. Alors que les trois acteurs de la liturgie – Siméon, les fils d’Aaron et le peuple – invoquent des noms divins, le grand prêtre est le seul qui soit mis en relation directe avec le Très-Haut. Le Sanctuaire dont il est le soleil brillant est celui du TrèsHaut. C’est lui, Siméon, qui ordonne « l’offrande du Très-Haut » et verse « le parfum d’agréable odeur, au Très-Haut, roi universel ». En sa qualité de grand prêtre il exerce seul cette fonction de médiation entre le Dieu inconnaissable et le reste des croyants, qu’il s’agisse des prêtres lévites, fils d’Aaron, ou du peuple. Le grand prêtre s’adresse au Très-Haut tandis que les fils d’Aaron et le peuple n’invoquent que ses hypostases, Yahvéh et Él. § 60 Abram contre Melki-çédèq Pour en savoir plus sur la théologie des noms divins sous-jacente à la liturgie du jour des Pardons, il faut se reporter au modèle biblique de la rencontre d’Abram avec Melki-çédèq (Genèse 14, 18-20). C’est en effet dans ce récit qu’apparaît la première occurrence du Très-Haut, celle qui, pour le lecteur ancien, doit définir le paradigme d’interprétation de ce titre. La critique biblique s’accorde généralement sur le caractère erratique du récit de la rencontre entre Abram et Melki-çédèq. Elle considère qu’on pourrait « faire abstraction de ces versets sans que le sens du chapitre 14 – la guerre des rois – en soit le moins du monde affecté 3 ». Dhorme comprend ainsi le texte hébreu : Melki-çédèq, roi de Salem, apporta du pain et du vin. Il était prêtre du Dieu Très-Haut. Il bénit Abram et dit : « Béni soit Abram par le Dieu Très-Haut, créateur des cieux et de la terre ! Béni soit le Dieu Très-Haut qui a livré tes adversaires en ta main ! » Abram lui donna la dîme de tout. (Genèse 14, 18-20)
Cette version de la rencontre entre Abram et Melki-çédèq projette en fait sur l’hébreu le sens de la LXX. Pour y parvenir, Dhorme doit ajouter deux fois le nom du patriarche – « Il bénit Abram » et « Abram lui donna » – là où l’hébreu n’a que des pronoms qui renvoient logiquement au peuple et non à Abram. Un retour à la lecture littérale de l’hébreu a donc pour conséquence de modifier fondamentalement le scénario. Abram dont on faisait l’interlocuteur privilégié de Melki-çédèq devient alors le
3. On trouvera un panorama complet des réinterprétations du personnage de Melki-çédèq dans CERBELAUD D. et alii, Melchisédech prêtre du Dieu très-haut, (Supplément Cahiers Évangile n°136), Paris, Le Cerf, 2006.
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témoin muet d’une rencontre entre le prêtre du Dieu du Très-Haut et le peuple 4 . Et Melki-çédèq, roi de Chalem, a(vait) fait sortir (du) pain et (du) vin (avant l ’intervention de Béra, roi de Sodome) Et ce (Melki-çédèq est) prêtre en vue du Dieu du Très-Haut Et (Melki-çédèq) bénit le (peuple) Et (le peuple) dit : Béni (est) Abram en vue du Dieu du Très-Haut (qui) acquiert cieux et terre et béni (est) le Dieu du Très-Haut qui a livré tes ennemis (à toi, Melki-çédèq) dans ta main. Et (le peuple) lui donna (à lui Melki-çédèq) la dîme de la totalité. (Genèse 14, 18-20)
Selon le découpage ancien du texte en paragraphes (§ 15), l’histoire de Melki-çédèq est intégrée au paragraphe fermé qui correspond à l’ensemble du récit de la Guerre des rois (Genèse 14). Elle doit donc être interprétée à la lumière de cet ensemble et non comme un fragment erratique sans rapport avec cette Guerre des rois. Dans ce contexte, Melki-çédèq entre en scène au dernier acte d’une guerre mondiale dans laquelle se sont affrontés les rois des nations (§ 207). Neuf rois se sont affrontés, à quatre contre cinq, dans une lutte incertaine dont un seul a réchappé, Béra, roi de Sodome. Et c’est au moment où ce roi, dont le nom signifie « associé au mal » (be-ra‘), s’apprête à proposer un marché de dupe à Abram, qu’un dixième et dernier roi entre en scène : Melki-çédèq, dont le nom signifie « mon roi (est) justice ». Contrairement à ce que laisse entendre la lecture traditionnelle, Melki-çédèq n’entre pas en rapport direct avec Abram, mais seulement avec le peuple qu’il bénit. Le peuple, séduit, choisit alors à son tour de bénir Él, le Dieu de Melki-çédèq, c’est-à-dire l’hypostase du TrèsHaut dont la fonction créatrice s’adresse à l’ensemble de l’humanité. Le peuple qui a choisi le camp de Él tente alors d’entraîner Abram à sa suite en lui déclarant qu’il a été béni « en vue du Dieu du Très-Haut ». Par là, le peuple lui signifie qu’il doit renoncer à Yahvéh et à la promesse que cette hypostase divine lui avait faite au moment de son entrée en Canaan : Yahvéh dit à Abram : « Va-t-en de ton pays, de ta patrie et de la maison de ton père vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai et je grandirai ton nom. Tu seras bénédiction : je bénirai ceux qui te béniront et maudirai quiconque te maudira ; en toi seront bénies toutes les familles du sol. » (Genèse 12, 1-2)
4. Les différences entre les deux traductions proviennent principalement de l’interprétation des « pronoms », qu’ils soient indépendants ou inclus dans les formes verbales. Alors que la lecture traditionnelle les identifie aux personnages de façon intuitive, la lecture littérale le fait en fonction de règles objectives et immuables.
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Abram refuse donc de suivre le peuple qui le somme de choisir « la bénédiction du Dieu du Très-Haut » de préférence à la « bénédiction de Yahvéh ». Il exposera les raisons de ce refus, peu après, lors de sa rencontre avec le roi de Sodome. Il dira à ce dernier : J’ai levé ma main vers Yahvéh, le Dieu du Très-Haut, (qui) acquiert cieux et terre pour attester que, pas même d’un fil à une courroie de sandale, je ne prendrai rien de ce qui est à toi (Béra) et tu ne pourras pas dire : J’ai enrichi Abram. (Genèse 14, 22-23).
À la différence du peuple qui se tourne vers le Dieu de Melki-çédèq, Abram réaffirme sa fidélité à Yahvéh : « J’ai levé ma main vers Yahvéh, le Dieu du Très-Haut qui acquiert cieux et terre ». Pour lui en effet Yahvéh et Él ne sont que deux fonctions complémentaires du Très-Haut : « Yahvéh (est) le Dieu du Très-Haut ». Abram, tout en reconnaissant que le Dieu (’Él) que sert Melki-çédèq est bien une hypostase du Très-Haut, choisit pour sa part rester fidèle à Yahvéh. § 61 Melki-çédèq, roi de Chalem Melki-çédèq exerce une double fonction, celle de « roi de Chalem » et celle de « prêtre de ’El, le Dieu du Très-Haut ». Et Melki-çédèq roi de Salem […] (est) prêtre en vue du Dieu du Très-Haut.
Son nom qui signifie « Mon roi (est) justice » est également un nom double dont la première partie renvoie explicitement à sa fonction royale. Par déduction, la seconde doit alors définir son statut sacerdotal. Dans la Bible, en effet, la vertu de justice (çedaqah) est un attribut récurrent des prêtres. Le premier prêtre du Temple de Salomon se nommait Çadoq (« le juste ») et le restaurateur du Temple après l’Exil était fils de Yoçadaq (« celui que Yahvéh a déclaré juste »). Quant à Siméon fils d’Onias, il sera surnommé Siméon le Juste par les maîtres de Yavnéh et les Chrétiens 5, mais Ben Sira ne le désigne pas explicitement ainsi. La royauté de Melki-çédèq s’exerce sur la ville de Chalem, une ville que la tradition identifie avec Jérusalem. Cette identification est effectivement confirmée par deux autres occurrences du nom de Chalem dont la première établit un parallèle explicite entre Chalem et Sion, l’autre nom de Jérusalem. Et dans Chalem exista la hutte d’(Élohim) Et sa demeure (permanente est) dans Sion (Psaume 76, 3)
5. Voir BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 94-103.
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L’HISTOIRE DE LA TOR AH COMME ON LA R ACONTAIT
La seconde occurrence évoque quant à elle le statut de la ville de Chalem à l’époque de Jacob, c’est-à-dire bien avant que le roi David n’en chasse les Cananéens et n’en fasse la capitale du royaume d’Israël : Et Jacob vint (à) Chalem, la ville de Sichem qui (se trouve) dans la terre de Canaan (Genèse 33, 18).
À l’époque de Jacob, Chalem était encore une ville du pays de Canaan placée sous le contrôle de Sichem fils de Hamor, c’est-à-dire sous contrôle cananéen (Genèse 34). Melki-çédèq est donc le roi prêtre de Chalem ()שלם, la ville qui deviendra Jérusalem, mais avant que l’imposition du nom de Jérusalem ( )ירו־שלםne lui ait conféré un nouveau statut. Ce statut est défini par la forme yerou- préposée devant -chalem. C’est une forme de l’impératif de la racine yarah dont le sens général est enseigner et dont le mot torah (enseignement) est dérivé 6. Chalem est donc le nom que portait la ville avant que la Torah n’y soit enseignée, avant qu’elle ne reçoive son nom programme : « Enseignez (la Torah à) Chalem ! » § 62 Melki-çédèq, prêtre du Dieu du Très-Haut Lors de la cérémonie du jour des Pardons, le peuple et les fils d’Aaron rendent un culte à Yahvéh, le Dieu traditionnel des Judéens et à Élohim le Dieu des nations alors que Siméon est le prêtre du Très-Haut lui-même. Le titre de « Dieu (du) Très-Haut » (‘el ‘ élyon) est traduit dans la Septante par « Dieu suprême » (o upsistos théos), un titre que les Grecs réservaient à Zeus 7. Cela suggère que, pour le traducteur de la Septante au moins, le Dieu de Melki-çédèq n’est autre que Zeus lui-même. Bien que cette interprétation paraisse audacieuse, elle ne fait cependant que rendre littéralement l’hébreu. Conformément aux lettres de son écriture, le Dieu du Très-Haut ( )אל עליוןs’identifie en effet au Dieu de la montée de Yavan 8 ( אל על יון: ’él ‘al yavan). C’est dire qu’il est lié à la venue des Ioniens, nom générique donné par la Bible aux Grecs. Faut-il en conclure que Melki-çédèq préfigure le sacerdoce oniade placé à la tête du Temple de (Jéru)salem par les Lagides au début de la période hellénistique ? On peut effectivement envisager que les Oniades se soient employés à « helléniser » Jérusalem, une hellénisation pouvant aller jusqu’à introduire un culte de Zeus dans le Temple. Cependant le nom même de Melki-çédèq, — « mon roi est justice » — renvoie plutôt au modèle du 6. La racine yarah, en apparence trilitère ()ירה, ne contient en fait qu’une consonne stable ( )רet doit être considérée comme une racine monolitère (§ 24). 7. LIDDELL H. & SCOTT R., Greek-English Lexicon, Oxford, Oxford University Press, 1843 (rééd. 1996), p. 1910. 8. Yavan, l’un des fils de Japhet apparaît pour la première fois dans la Table des Peuples (Genèse 10, 2-4).
CHAP. 7 – SIMÉON, GR AND PRÊTRE DU TRÈS-HAUT
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roi-philosophe décrit par Platon dans La République et dont l’idéal est le Bien et la Justice. Le Melki-çédèq biblique serait alors une préfiguration tout à fait acceptable des grands prêtres oniades qui précédèrent Siméon et qui se seraient efforcés d’initier les Judéens à la culture grecque sans pour autant renoncer à la religion judéenne traditionnelle. Comme le note M. Sartre, aux yeux du pouvoir lagide, il n’y avait pas d’incompatibilité entre vivre à la grecque (helléniser) et à la judéenne (judaïser) (§ 51). § 63 Siméon, nouvel Abraham, prêtre du Très-Haut En faisant d’Abraham le modèle de Siméon, Ben Sira invite à chercher en quoi chacune des péripéties de la vie du patriarche peut préfigurer un épisode de celle du grand prêtre. La vie de Siméon serait inscrite en filigrane derrière celle d’Abraham, de sa venue en Canaan jusqu’à son entrée dans l’alliance. Le lecteur contemporain du grand prêtre qui connaissait parfaitement l’histoire de son pontificat était en mesure de vérifier les dires de Ben Sira. Quant à nous qui ne disposons plus que de bribes d’informations nettement insuffisantes sur l’histoire oniade, il nous faut inverser la démarche. Puisqu’il n’est plus possible de lire l’histoire d’Abraham à la lumière de celle de Siméon, il nous faut faire le pari qu’il est encore possible de redécouvrir la vie de Siméon et son œuvre à travers le modèle d’Abraham. La démarche est infiniment plus périlleuse et les résultats hypothétiques, au moins tant que la lecture littérale de l’histoire d’Abraham n’aura pas été faite intégralement. Car si l’histoire de Siméon y est inscrite, elle ne peut l’être que dans le sens allégorique de l’Écriture auquel seule la lecture littérale peut donner accès. Le déchiffrement sommaire du texte sur Melki-çédèq auquel Ben Sira nous a renvoyé par le biais du titre de « Très-Haut », permet déjà d’esquisser un scénario plausible. Lorsque Siméon fils d’Onias sort de la Maison du voile, le jour des Pardons, la situation religieuse de la Judée n’est plus celle qu’il a trouvée au moment de son arrivée. Le peuple a cessé d’être un inconditionnel du Dieu du Très-Haut et s’est rallié à la position qui fut celle d’Abram. Il adore maintenant le Seigneur Yahvéh (50, 17). Quant aux « fils d’Aaron », le clergé traditionnel du Temple, il reconnaît maintenant l’autorité de Siméon. La conception théologique du grand prêtre a également évolué. Il s’est refusé à devenir « le prêtre du Dieu du Très-Haut » en adhérant à l’hellénisme comme l’y invitait le peuple. Mais il n’a pas voulu non plus être le prêtre du Dieu national « Yahvéh » comme devait l’y inviter le clergé judéen représenté dans l’éloge par les fils d’Aaron. Il a choisi d’être le prêtre du Très-Haut lui-même en faisant la synthèse du modèle hellénistique et de la religion traditionnelle judéenne. Il ne s’agit encore là que d’une hypothèse, mais dont la suite de cette étude confirmera la valeur.
Chapitre 8
SIMÉON, FONDATEUR DE LA DOUBLE HAUTEUR § 64 La fondation de la double hauteur Au retour de l’Exil en Babylonie Josué fils de Yoçadaq et Zorobabel fils de Chealtiel avaient entrepris la reconstruction du Temple de Salomon (§ 4), un mérite que Ben Sira leur reconnaît : En leurs jours ils construisirent la Maison, ils élevèrent le Temple consacré au Seigneur, destiné à une gloire éternelle. (Ecclésiastique 49, 12)
Mais ce Temple n’était encore consacré qu’au « Seigneur », donc à la seule Puissance royale du Très-Haut. On y célébrait donc le culte traditionnel de Yahvéh comme on l’avait fait à l’époque du premier Temple, mais pas le culte d’Élohim, cette Puissance créatrice du Très-Haut dont la sagesse avait été répandue sur l’humanité entière. La restauration du culte à la période perse (de 536 avant notre ère à 332 avant notre ère) n’était donc encore qu’une étape dans la marche d’Israël vers la connaissance du Très-Haut lui-même, une connaissance qui impliquait la synthèse préalable des Sagesses révélées par ses deux hypostases. Celui qui devait faire cette synthèse fut Siméon fils d’Onias. Yahvéh avait donné le repos à Salomon : Afin qu’il bâtisse une Maison à son nom, et qu’il prépare un Sanctuaire pour l’éternité. (Ecclésiastique 47, 13)
Mais après la trahison de Salomon, c’est Siméon fils d’Onias, qui fut choisi pour réaliser le plan divin : Siméon, fils d’Onias, fut le grand prêtre, qui, pendant sa vie, répara la Maison, pendant ses jours, affermit le Sanctuaire. (Ecclésiastique 50, 1)
Siméon « répara la Maison » que Salomon « avait bâtie » et « affermit le Sanctuaire » que Salomon avait « préparé ». Cette entreprise de restauration du Temple fut étroitement associée à une autre entreprise, beaucoup plus mystérieuse : Par lui (Siméon) fut fondée la double hauteur (hupsos diplês), soubassement élevé (hupsêlos) de l’enceinte du Saint. (Ecclésiastique 50, 2)
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L’HISTOIRE DE LA TOR AH COMME ON LA R ACONTAIT
Pour découvrir ce que fut cette « fondation de la double hauteur » 1, il faut étendre l’enquête à l’ensemble du traité de Ben Sira et faire la synthèse des deux exposés construits en diptyque qui annoncent cette fondation. Ben Sira les a placés intentionnellement à des endroits stratégiques, au début (Ecclésiastique 1) et au milieu du traité (Ecclésiastique 24) avant d’en faire la synthèse dans l’Éloge final de Siméon (Ecclésiastique 50). Il s’agit d’un double compte rendu des voyages de la Sagesse à travers l’histoire de l’humanité. Le premier volet est un récit de voyage en cinq étapes et le second un discours dans lequel la Sagesse commente les cinq étapes de son voyage 2 . Et c’est en conclusion de ce discours que Ben Sira fournit la clé d’interprétation de ce diptyque : Tout cela c’est le livre de l’alliance du Dieu Très-Haut, la loi que nous a ordonnée Moïse, en héritage pour les assemblées de Jacob. (Ecclésiastique 24, 23)
Par-delà son sens apparent, l’histoire consignée dans « le Livre de l’Alliance du Dieu (du) Très-Haut » raconte donc comment la Sagesse divine s’est manifestée à l’humanité, des origines jusqu’à la synthèse faite par ce « Livre de l’alliance » qui n’est autre que « la Loi ordonnée par Moïse ». Pour découvrir ce qu’est cette « double hauteur » il faut organiser patiemment le vocabulaire biblique en couples à la fois antithétiques et complémentaires. En face du mal est le bien, En face de la mort est la vie, Ainsi en face de l’homme pieux est le pécheur Considère de même toutes les œuvres du Très-Haut Elles sont deux à deux, l’une en face de l’autre. (Ecclésiastique 33, 14-15)
1. On ignore l’équivalent hébreu de hupsos diplês. La traduction littérale de cette expression est «la hauteur/élévation de la double». Diplê comme substantif est un hapax de la LXX qui désignait dans la tradition savante grecque un signe que l’on mettait devant les vers inauthentiques d’Homère (G. Dorival). On distinguait ainsi deux niveaux dans le texte d’Homère. Cette expression renvoie au thème extrêmement complexe de la « dyade des tables de pierre » (voir louah dans Mandelkern p. 635). 2. J’ai parcouru ces deux itinéraires de la Sagesse à maintes reprises au cours de ces vingt dernières années, j’y ai consacré un article : « Siméon le Juste, rédacteur de la Torah ? », dans Titres et Corpus, Paris, Le Cerf, 1992 et un chapitre de Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 69-78. Chaque voyage a apporté un lot d’observations nouvelles qui n’étaient pas toujours en accord avec les précédentes. Pour l’historien, cette lecture littérale qui correspondait à une démarche initiatique dans l’Antiquité, s’apparente paradoxalement à l’approche des sciences expérimentales. Chaque lecture affine ou contredit la précédente et la rend en partie caduque. Le lecteur pourra cependant s’y reporter car nombre de pistes évoquées alors n’ont pas été réexaminées ici.
CHAP. 8 – SIMÉON, FONDATEUR DE LA DOUBLE HAUTEUR
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Jean Hadot voit dans cette affirmation l’expression d’un « dualisme très accentué, mais toujours sous le contrôle de la puissance divine ». En fait, l’opposition est beaucoup plus subtile. Pour Ben Sira il ne s’agit pas d’opposer deux sagesses irréconciliables, mais de montrer qu’elles sont toutes les deux des manifestations d’une Sagesse unique, ce qu’il affirme dès les premiers mots de son traité : Toute Sagesse vient du Seigneur. Elle est avec lui pour l’éternité. (Ecclésiastique 1, 1)
§ 65 Les voyages de la Sagesse créée par Yahvéh Yahvéh a créé la Sagesse avant même qu’Élohim ne crée les cieux et la terre : Le Seigneur (= Yahvéh) lui-même a CRÉÉ (la Sagesse). Il l’a VUE. Il l’a DÉNOMBRÉE. Il l’a RÉPANDUE sur toutes ses oeuvres, avec toute chair selon ses largesses. Il l’a PRODIGUÉE à ceux qui aiment le (Seigneur). (Ecclésiastique 1, 9-10)
Le voyage de la Sagesse s’organise en cinq étapes, au rythme des cinq premiers jours de la création opérée par Élohim (§ 72). Les deux premières étapes se déroulent dans l’intelligible : Yahvéh crée la Sagesse et la contemple. La troisième, l’étape centrale, est décrite au moyen d’un terme emprunté aux mathématiques. Yahvéh « dénombre » (exarithméin) la Sagesse : il la manifeste à travers des nombres. Au cours de la quatrième étape, cette Sagesse « comptée » est « répandue sur toutes ses œuvres » et « sur toute chair selon ses largesses ». Les êtres inanimés aussi bien qu’animés se voient donc attribuer un nombre spécifique qui mesure « les largesses » de Yahvéh à leur égard. Enfin, à l’étape ultime de ce voyage, la cinquième, la Sagesse jusque-là dispersée « est prodiguée (chorègein) à ceux qui aiment » (le Seigneur). À défaut de savoir quel mot hébreu traduit ce chorègein 3, on peut au moins saisir l’intention du traducteur qui compare Yahvéh à un chorège de la Grèce antique organisant les chœurs de ceux qui l’aiment et qui ne peuvent donc être que les amis (philoi) de sa Sagesse 3. Les chapitres 1 et 24 de Ben Sira manquent dans le texte hébreu de la Guénizah du Caire, sans qu’il soit possible de savoir si cette absence est due au hasard — les manuscrits sont fragmentaires —, ou à une censure. La seconde hypothèse ne peut pas être exclue car c’est précisément dans ces chapitres que se trouve exposée la thèse sur la double hauteur de la Torah qui vaudra à Ben Sira d’être rejeté du canon des Écritures par les maîtres de Yavnéh, lorsqu’ils décideront que « la Torah n’est plus dans les cieux » (BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 112).
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L’HISTOIRE DE LA TOR AH COMME ON LA R ACONTAIT
(sophia). La Sagesse de Yahvéh s’adresse donc aux vrais philosophes, ceux qui savent passer de l’observation de la Sagesse terrestre à la contemplation de la Sagesse céleste par la médiation des nombres. Bien qu’il convienne de rester prudent quant à l’interprétation de cette première présentation, plusieurs indices évidents invitent à penser que, pour Ben Sira, la Sagesse que Yahvéh propose à ses fidèles vise à faire d’eux des philosophes. Le schéma même de manifestation de cette Sagesse reprend en effet celui de la manifestation platonicienne du réel organisée à trois niveaux. Dans l’intelligible, lieu de contemplation des idées, Yahvéh crée et contemple la Sagesse ; dans le monde sensible qui est celui de la multiplicité, il répartit cette Sagesse sur l’ensemble des créatures que Ben Sira divise en deux catégories, les œuvres et la chair. Enfin, à la frontière de l’intelligible et du sensible, dans ce lieu intermédiaire que Platon définissait comme celui des objets mathématiques, la Sagesse est « dénombrée». La quête des Idées par le vrai philosophe doit donc le conduire à dépasser le stade de l’observation de cette sagesse dispersée dans le monde pour accéder à la contemplation d’une Sagesse céleste que Yahvéh lui-même a contemplée dans son unité avant de la répandre dans le monde au moyen des nombres. Mais bien que ce cursus ressemble à celui qu’enseignaient certains héritiers de Platon, l’initié n’a pas pour autant besoin d’aller l’étudier à Alexandrie ou Antioche. La véritable Académie qu’il est invité à rejoindre est celle dont le chorège est Yahvéh lui-même et dont le siège est le Temple de Jérusalem. § 66 La Sagesse sortie de la bouche du Très-Haut Lorsque La Sagesse prend elle-même la parole au milieu du traité c’est pour confirmer qu’elle est devenue la Sagesse des fidèles du Temple de Jérusalem par décision divine : Je suis sortie de la bouche du Très-Haut, comme un nuage je couvris la terre. Dans les hauteurs j’ai dressé ma tente, mon trône fut la colonne de nuée. Le cercle du ciel, seule je l’ai parcouru, dans les profondeurs des abîmes j’ai marché. Dans le flot de la mer, sur toute la terre, en tout peuple, en toute nation, je me suis enrichie. Parmi eux j’ai cherché un lieu de repos : « En quel héritage pourrais-je demeurer ? » Alors il me commanda, le créateur de toutes choses, celui qui m’a créée fit reposer ma tente. Il me dit : « En Jacob dresse ta tente, en Israël sois en héritage. » Avant l’éternité, dès le commencement, il m’a créée, pour l’éternité je ne disparaîtrai pas. Dans la sainte tente devant Lui, j’ai accompli le ministère, c’est ainsi qu’en Sion je me suis établie.
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Dans la cité bien-aimée semblablement il m’a fait reposer, c’est en Jérusalem qu’est ma puissance. (Ecclésiastique 24, 3-11)
Il suffit de mettre en parallèle le récit initial et ce discours pour comprendre que la Sagesse ne fait que commenter ce que fut sa mission à chaque étape du voyage organisé pour elle par Yahvéh, de sa création à son installation définitive dans le Temple (Tableau 4). Qu’elle soit « sortie de la bouche du Très-Haut » lui-même et non de la bouche de l’une de ses hypostases, suffit à démontrer que la Sagesse enseignée par les puissances créatrice et royale que sont Élohim et Yahvéh a la même origine divine. Elle plante d’abord sa tente « dans les Hauteurs » afin de contempler le monde intelligible. Et c’est au terme de ces deux premières étapes que se produit l’événement, aussi mystérieux que décisif, qui va lui permettre d’entrer dans le monde sensible afin de s’enrichir « en tout peuple et toute nation » avant d’être donnée à Israël. Tableau 4 Le voyage de la Sagesse Le Plan de Yahvéh Intelligible
Médiation
Sensible
Sa réalisation par la Sagesse
Le (Seigneur) a créé la Sagesse.
Je suis sortie de la bouche du Très-Haut.
Il l’a vue (contemplée).
Dans les hauteurs j’ai dressé ma tente.
Il l’a dénombrée.
Le cercle du ciel, seule, je l’ai parcouru.
Il l’a répandue sur toutes ses Dans le flot de la mer, sur toute œuvres, la terre, Sur toute chair selon ses largesses. en tout peuple, en toute nation, je me suis enrichie. Il l’a prodiguée à ceux qui l’aiment.
Il me dit : « En Jacob dresse ta tente, en Israël sois en héritage. »
Dans le récit initial il était dit que « elle avait été dénombrée » avant « d’être répandue sur toute chair ». La phrase énigmatique qu’elle prononce lors de sa troisième étape – « Le cercle du ciel, seule, je l’ai parcouru » – ne fait que préciser les règles de cette numération. « Parcourir les cercles du ciel » (teqoufot hachamayim) est un terme d’astronomie. La Sagesse a observé les déplacements annuels du soleil sur la ligne d’horizon et a élaboré un calendrier solaire à partir de cette observation. Ce calendrier, avant tout liturgique, permettra aux hommes terrestres d’entrer en relation avec le monde divin. Pendant la quatrième étape de son voyage, la Sagesse parcourt alors le monde sensible afin de s’y enrichir et ce n’est
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qu’au terme de cette quête universelle qu’elle reçoit l’ordre de s’installer en Israël. Dans le contexte politique où vivait Ben Sira, l’image de cette Sagesse terrestre « parcourant l’univers afin de s’enrichir » de la connaissance de « tout peuple et de toute nation » ne pouvait qu’évoquer la conquête de l’Univers habité (oikoumènè) par Alexandre le Grand et le projet des ses successeurs de collecter la connaissance universelle afin de la conserver dans la bibliothèque d’Alexandrie 4 . L’hellénisation de la Judée par les rois lagides d’Alexandrie s’inscrivait donc dans le plan divin. Mais c’est à ce moment que se produit le coup de théâtre final. Alors que la Sagesse s’interroge sur le lieu qui pourra lui procurer « le repos » – une interrogation de pure forme tant il est évident que sa place est à Alexandrie – un ordre venu de Yahvéh lui commande de choisir Jérusalem : En « Jacob dresse ta tente, en Israël sois en héritage ». En se conformant à cet ordre, la Sagesse réalise enfin le plan de Yahvéh qui prévoyait de « la prodiguer à ceux qui l’aiment », lui, Yahvéh. Le centre mondial de la véritable Sagesse ne sera donc pas Athènes, Alexandrie ou Antioche, mais Jérusalem. La lecture actualisante de ce compte rendu des voyages de la Sagesse est cependant remplie de pièges, dont le principal réside dans le titre même de Très-Haut (‘ élyon : )עליוןque Ben Sira donne au Dieu suprême. Par son écriture, il signifie « Celui qui est au dessus de Yavan » (‘al yavan : )על יון, terme que le traducteur des LXX avait rendu par hupsistos (« très-haut »), le titre donné par les Grecs à Zeus. On pourrait alors en conclure que Ben Sira reconnaît implicitement que le Dieu suprême est bien le Dieu de Platon et que l’hellénisation de la Judée apporte aux Judéens la véritable Sagesse. En fait il n’en est rien. Ben Sira qui connaît le sens allégorique de l’Écriture sait que le Dieu de Platon n’est qu’une imitation, voire une contrefaçon du Très-Haut. Comme le dira Flavius Josèphe trois siècles plus tard 5, Platon et les autres philosophes ne sont que des plagiaires de Moïse. § 67 De la Parole à l’Écriture La « double hauteur » dont parle Ben Sira correspond aux deux faces des Tables de la Loi que Yahvéh a donnée à Moïse : Alors Yahvéh me donna les deux tables de pierre, écrites du doigt d’Élohim, et sur lesquelles étaient toutes les paroles que Yahvéh avait dites avec vous. (Deutéronome 9, 10) 4. Voir CANFORA L., La véritable histoire de la bibliothèque d ’Alexandrie, traduit de l’italien par J.-P. Manganaro et D. Dubroca, Paris, Éditions Desjonquères, 1988. 5. Voir la citation de Flavius Josèphe placée en exergue de ce livre.
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Et Moïse s’en retourna et descendit de la Montagne. Il avait dans sa main les deux tables du Témoignage, tables écrites sur leurs deux côtés, elles étaient écrites de part et d’autre. Or les tables étaient l’œuvre d’Élohim et l’écriture était l’écriture d’Élohim, gravée sur les tables. (Exode 32, 15)
Rabbi Aqiba, l’un des derniers défenseurs de la lecture littérale, plaçait ces tables dans la voûte céleste 6. Elles constituaient pour lui une frontière entre l’intelligible et le sensible. Sur leur face inférieure, tournée vers le monde sensible, le doigt d’Élohim avait gravé « toutes les paroles qu’avait dites Yahvéh » et sur leur face supérieure, tournée vers l’intelligible, Élohim avait gravé une Écriture silencieuse faite pour être contemplée. Ce que nous enseigne Ben Sira c’est que la clé qui permet à l’initié de passer d’un sens entendu dans l’obscurité du monde terrestre à un sens contemplé dans la lumière des cieux est celle des nombres. Cette certitude sera encore celle des maîtres chrétiens de l’École d’Alexandrie quatre siècles plus tard quand ils enseigneront par la bouche de Clément d’Alexandrie que « les nombres de la Bible ont été donnés pour guider vers les saintes demeures de l’audelà 7 ». Sur le fronton du Temple de Jérusalem il est écrit : « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre ! » 8 Comme le démontrera la suite de cette étude, l’étude des nombres de la Bible est effectivement une propédeutique incontournable pour qui veut accéder au sens allégorique de l’Écriture. Ben Sira enseignait ce sens allégorique, aussi son traité fut-il exclu du canon des Écritures par le judaïsme rabbinique, lorsque les maîtres de Yavnéh décidèrent que la Torah n’était plus dans les cieux. Il le fut au même titre que les évangiles et autres écrits hérétiques. Les évangiles et les livres des hérétiques ne souillent pas les mains. Les livres de Ben Sira et tous les livres qui ont été écrits à partir de là et par la suite ne souillent pas les mains. (Tosefta Yadaïm 2, 13)
Le corpus des textes sacrés au contraire « souille les mains ». § 68 De Siméon fils d’Onias à Simon fils de Yohanan Bien qu’exclu du canon des Écritures, le livre de Ben Sira continua d’être lu. Après avoir déclaré de façon catégorique qu’il « était interdit de lire dans le Livre de Ben Sira », Rabbi Joseph (mort en 333) confessait : « Les paroles précieuses qui s’y trouvent, nous les citons » (Talmud Babli, Sanhedrin 100b). L’œuvre de Ben Sira continua donc à circuler comme en 6. Voir BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 29-41. 7. Clément d’Alexandrie, Stromates VI, 86, 3, éd. P. Descourtieux, (Sources chrétiennes no446), Paris, Le Cerf, 1999, p. 235. 8. Une tradition tardive prétendra que cette inscription était gravée sur le fronton de l’Académie où enseignait Platon.
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témoignent les manuscrits du texte hébreu découvert dans la Guénizah du Caire (§ 50). S’il était prouvé, comme certains spécialistes l’ont prétendu, que ces manuscrits reproduisent le texte original de Ben Sira, il faudrait alors s’y référer plutôt qu’à la traduction grecque faite par son petit-fils. Malheureusement, il n’en est rien et il suffit de confronter la traduction grecque de l’éloge de Siméon avec le texte hébreu de la Guénizah pour s’en convaincre. Texte grec
Siméon, fils d’Onias, fut le grand prêtre, qui, pendant sa vie, répara la Maison, pendant ses jours, affermit le Sanctuaire. Par lui fut fondée la double hauteur soubassement élevé de l’enceinte du Saint.
Texte hébreu de la Guénizah Grand parmi ses frères et splendeur de son peuple fut Siméon, fils de Yohanan, le prêtre (lui) qui (vécut) à l’époque où fut visitée la Maison et (qui), pendant ses jours, a affermi le Palais. Pendant ses jours fut bâti un mur et les pierres angulaires de la résidence (qui est) dans le Palais du Roi9.
« Siméon fils d’Onias » est remplacé par « Siméon fils de Yohanan » et « la double hauteur » par « un mur ». Pour permettre au lecteur d’identifier ce nouveau fondateur et son œuvre, le réviseur multiplie les allusions. Il précise d’abord que ce Siméon vécut « à l’époque où fut visitée la Maison ». Le verbe « visiter » (paqad) est, comme on l’a dit, un code qui renvoie à la fresque du jugement (§ 26). « La visite de la Maison » évoque alors la destruction du Temple, un événement dont le nouveau Siméon et son père Yohanan auraient été contemporains. S’il s’agissait de la destruction du Temple de Salomon, le père de Siméon devrait être identifié à Yohanan fils de Qaréah. De tous les personnages bibliques, celui-ci est en effet le seul à porter ce nom et à être impliqué dans la destruction du premier Temple. Le personnage est en apparence peu recommandable, car il fit descendre une partie des Judéens en Égypte au moment de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor (Jérémie 40-43) alors que Yahvéh avait interdit ce retour. On pourrait objecter que le Yohanan biblique n’est pas de lignée sacerdotale, mais l’objection devrait être repoussée au nom de la lecture littérale, car le Yohanan biblique est fils de Qaréah ()קרח, nom dont l’écriture est identique à celle du prêtre lévite Qoré ()קרח, un révolté comme lui (Nombres 15).
9. 1. BEN-HAYYIM Z. (éd.), The Book of Ben Sira. Text, Concordance and an Analysis of the Vocabulary, Jérusalem, Academy of the Hebrew Language and the Shrine of the Book, 1973.
CHAP. 8 – SIMÉON, FONDATEUR DE LA DOUBLE HAUTEUR
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Si la référence à ce personnage biblique ne peut être écartée, il paraît plus logique que le Yohanan visé par le texte hébreu ait été un contemporain de la destruction du second Temple et non du premier. Le personnage visé serait alors Yohanan ben Zaccaï, le fondateur même de l’École de Yavnéh (§ 1). Sa ressemblance avec le Yohanan du premier Temple est frappante : comme Yohanan fils de Qaréah, le fils de Zaccaï était de lignée sacerdotale. Comme lui il fit sortir le peuple judéen de Jérusalem au moment de la destruction du Temple. Comme lui il emmena le peuple en exil. Mais la ressemblance s’arrête là, car, à la différence de son modèle, Yohanan ben Zaccaï ne ramena pas le peuple en Égypte (§ 43), mais le conduisit dans une bourgade de Judée, Yavnéh. Si l’on retient cette identification, le Siméon fils de Yohanan que l’on veut substituer à Siméon fils d’Onias, doit alors être l’un des disciples de Yohanan ben Zaccaï et l’un des plus illustres d’entre eux, puisqu’il fut « grand parmi ses frères et splendeur (tif ’éret) de son peuple ». Parmi les soixante et onze sages de cette période que cite le traité des Pirqé Avot 10 dix portent le nom de Siméon, mais celui qui paraît le mieux s’accorder avec l’œuvre décrite dans la suite du texte hébreu est celui que la tradition rabbinique présentera comme le fondateur de la mystique juive, Siméon fils de Yohaï. Le réviseur emprunte en effet les termes de son éloge au vocabulaire de la mystique des « Palais » (hékhalot) enseignée à cette période 11. Siméon est la « splendeur » (tif ’éret) de son peuple, « le mur » (qir) qu’il construit renvoie par analogie au « mur du Palais » (qir hahékhal) dont parle Ézéchiel dans sa description du Temple futur (Ézéchiel 41, 20). Quant aux mots qui servent à définir l’œuvre du nouveau Siméon — les pierres d’angle (pinot) de « la résidence » céleste (ma‘on) qu’est « le Palais » (hékhal) du Dieu Roi (mélék) — ils sont empruntés au vocabulaire des premiers traités de mystique juive, les Hékhalot. Ce faisceau d’indices suffit, me semble-t-il, à prouver que le texte hébreu de la Guénizah n’est qu’une réinterprétation du texte hébreu original dont le but est à la fois d’occulter le rôle historique joué par Siméon fils d’Onias à la période du second Temple et de lui substituer Siméon ben Yohaï 12 , 10. Le Traité des Pères (Pirqé Avot), premier traité de la Michnah, rapporte les enseignements de 71 maîtres, nombre probablement intentionnel et qui correspond à celui des 70 sages composant le Sanhédrin et à leur président. On trouvera la liste de ces Sages avec un résumé de leur vie, en appendice du Dictionnaire hébreu-français de SANDER N. Ph. et TRENEL I., Paris 1859, réimpression Genève 1982, p. 797-811. Voir la traduction française : Leçons des pères du monde, Pirqé Avot et Avot de Rabbi Nathan, version A et B, éd. E. Smilévitch, (coll. « Les Dix Paroles »), Paris, Verdier, 1983. 11. ODEBERG H. (éd.), 3 Enoch or The Hebrew Book of Enoch, New York, Ktav Publishing House, 1973, Index to the hebrew Text. 12. L’identification de « Siméon ben Yohanan (ben Zaccaï) » avec « Siméon ben Yohaï » peut aussi être fondée sur la comparaison des graphies des deux noms.
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L’HISTOIRE DE LA TOR AH COMME ON LA R ACONTAIT
chef de file de la « nouvelle » mystique juive enseignée après la destruction de ce Temple. Que les mystiques juifs aient fait de leur fondateur un nouveau Siméon prenant le relais de l’ancien, n’a rien d’original. Les autres mouvements religieux héritiers de la Bible avaient fait de même. Le fondateur du mouvement pharisien se nommait, dit-on, Siméon ben Chatah. Le chef des apôtres se nommait Simon bar Yonah avant de recevoir le nouveau nom de Pierre (Matthieu 16, 15-19). Le fondateur de la gnose séthienne aurait été un certain Simon que ses disciples identifiaient à la Grande Puissance de Dieu mais que ses adversaires chrétiens appelaient Simon le magicien. Celui qui prit la tête des juifs, lors de la révolte messianique de 132 de notre ère, était nommé Simon bar Kokhba (fils de l’étoile) par ses partisans et Simon bar Kosiva (fils de la honte) par ses adversaires. Qu’il s’agisse de leur nom véritable ou d’un surnom choisi par eux-mêmes ou par leurs disciples, ces multiples avatars de Siméon fils d’Onias montrent sans ambiguïté que, trois siècles après sa mort, le grand prêtre était encore une référence incontournable pour tous ceux qui entendaient rénover la religion judéenne tout en s’inscrivant dans la continuité de l’histoire du second Temple et de son interprétation des Écritures. Reste alors à retrouver qu’elle était cette interprétation que l’on a voulu occulter. Et puisque l’accès au sens allégorique passe par l’apprentissage de la géométrie, puisque « les nombres de la Bible ont été donnés pour guider vers les saintes demeures de l’au-delà », la voie à suivre est toute tracée.
Il se pourrait que le nom de Yohaï ()יוחאי, qui résiste à toute analyse étymologique, ne soit en réalité qu’une abréviation du nom de Yohanan ben Zaccaï, composée au moyen des trois premières lettres de Yohanan ( )יוח־נןet des deux dernières de Zaccaï ()זכ־אי.
Troisième partie
L’Algorithme d’interprétation de l’Écriture
Chapitre 9
L ES VINGT-DEUX JOURS DE LA CRÉATION § 69 « Il y eut un soir, il y eut un matin, jour Un » Lorsqu’on lit le récit de création, on est d’abord intrigué par la formule qui ponctue la fin de chacun des jours : « Il y eut un soir, il y eut un matin : jour un… deuxième jour etc. » Cette formule énigmatique se répète six fois jusqu’à ce qu’Élohim « bénisse le septième jour et le consacre, parce qu’en lui il s’est reposé de toute son œuvre » (Genèse 2, 3). Puisque Dieu a créé le monde en six jours et s’est reposé le septième, l’homme doit imiter son créateur en travaillant six jours et en se reposant le septième. Tel est le commandement qui a été donné sur le mont Sinaï : Souviens-toi du jour du Sabbat pour le sanctifier : six jours tu travailleras et tu feras toute ta besogne, mais le septième jour est le Sabbat pour Yahvéh, ton Dieu ; tu ne feras aucune besogne (Exode 20, 8-10).
C’est aussi en combinant ce modèle numérique du récit de création avec un verset des Psaumes qui enseigne que « mille ans sont, aux yeux de Dieu, comme le jour d’hier » (Psaume 90, 4) que certains croyants ont calculé la durée de l’histoire humaine. Puisque mille ans sont un jour devant l’Éternel, le modèle créé en six jours devrait se réaliser en six mille ans. Et puisque les rabbins ont calculé que l’an 2015 de notre ère correspondait à l’an 5775 de la création du monde, la fin des temps approche, mais sans être encore imminente. Ce que l’on peut retenir de ces spéculations sur la date de la fin des temps c’est qu’il existerait une correspondance mystérieuse entre le modèle numérique de la création initiale et la durée de l’histoire humaine. § 70 Et le matin du jour de l’Un exista La Septante lit : « Il y eut un soir et il y eut un matin, un jour […] deuxième jour etc. » ; et les targumim également. Tel est aussi le sens que retiennent les traductions modernes, y compris celle de Chouraqui, qui se veut pourtant la plus fidèle au texte hébreu : « Et c’est un soir et c’est un matin : jour un. » À s’en tenir au sens véhiculé par ces traductions, l’auteur du texte hébreu aurait décompté les six premiers jours de la création sans se soucier d’en intégrer l’énumération dans le récit lui-même. Cette absence de syntaxe – « jour un… jour deuxième » – a même conduit certains com-
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L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE
mentateurs astucieux à considérer qu’une telle énumération devait être absente du texte original. Elle aurait été ajoutée par un copiste, d’abord en marge d’un manuscrit, puis intégrée, telle quelle, dans le texte lui-même. Cette explication qui contredit la règle d’intangibilité de l’Écriture ne pouvait évidemment pas être celle que donnaient les interprètes anciens. Ces traductions traditionnelles de l’énumération des jours constituent par ailleurs une énigme redoutable pour qui tente de définir à quel type de découpage du temps elles renvoient ? Une formule comme « il y eut un soir, il y eut un matin, deuxième jour » implique-elle un décompte des jours du soir au soir ou du matin au matin ? Faisant la synthèse des recherches sur le sujet, R. de Vaux avait avancé l’explication suivante : Pendant longtemps en Israël, on a compté le jour de matin à matin. Lorsqu’on voulait indiquer la durée totale d’un jour de vingt-quatre heures, on disait « jour et nuit » ou une formule équivalente, mettant le jour d’abord : on pourrait aligner une cinquantaine de références... Cela suggère que l’on comptait le jour à partir du matin, et c’est en effet un matin, avec la création de la lumière que commencèrent le monde, la distinction du jour et de la nuit et le temps (Genèse 1, 3-5). On a tiré la conclusion contraire de l’expression qui ponctue le récit de la création : « Il y eut un soir et il y eut un matin, 1er, 2e, etc., jour » ; cependant cette formule, venant après la description de chaque œuvre créatrice qui se fait évidemment pendant la période lumineuse, indique plutôt le temps vacant jusqu’au matin, fin d’un jour et début de l’œuvre suivante 1.
Cette explication embarrassée apporte assurément quelque lumière sur la division des jours dans la Bible, mais n’éclaire en rien le sens de la formule : « Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour. » La solution de cette énigme m’a été soufflée par une étudiante israélienne qui, en 1983, avait dû suivre mes cours d’hébreu biblique par obligation plus que par enthousiasme et qui ne manquait pas de me contredire dès que l’occasion s’en présentait. Elle me fit remarquer que dans la construction wayehi boqèr yom ’éhad que je traduisais, comme on me l’avait appris, par « il y eut un matin, jour un », le mot « jour » était un complément de nom de « matin » et qu’il fallait donc comprendre : « Le matin du jour un exista. » (Genèse 1, 5) Je dus me rendre à l’évidence. En plus de respecter la syntaxe, cette traduction présentait aussi l’avantage de réintégrer dans le texte ces nombres que l’on jugeait hors syntaxe. Mais elle provoquait par contrecoup un bouleversement dans l’organisation du récit de création lui-même. Alors que la lecture traditionnelle considérait que la création de la lumière (Genèse 1, 1-5) s’était produite le premier jour, celle de la voûte céleste le deuxième et ainsi de suite jusqu’à la création de l’homme 1. DE VAUX R., Les institutions de l ’Ancien Testament, I, Paris, Le Cerf, 1961, p. 275 sqq.
CHAP. 9 – LES VINGT-DEUX JOURS DE LA CRÉATION
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le sixième jour, la simple présence d’un complément de nom modifiait la corrélation entre les jours et les œuvres créées. L’expression « le matin du jour un exista » ne se rapportait plus à ce qui précédait comme l’enseignait la lecture traditionnelle : Élohim appela la lumière jour et il appela les ténèbres nuit. Il y eut un soir. Il y eut un matin : jour un. (Genèse 1, 5)
Elle servait alors d’introduction à l’œuvre du jour suivant : Et Et Et Et Et
Élohim prononça en vue de la lumière (le nom de) jour il a(vait auparavant) prononcé en vue de l’obscurité (celui de) nuit (le) soir exista (le) matin du jour d(e l’) Un exista Élohim dit : un firmament existera […] (Genèse 1, 5-6)
Le premier jour n’était plus celui de la manifestation de la lumière, mais celui de la fabrication de la voûte céleste. Le deuxième jour devenait alors celui de l’apparition des arbres que l’on fixait traditionnellement le troisième jour, et de même pour les créations suivantes, tant et si bien que l’homme n’était plus créé le sixième jour, mais le cinquième ! 2 § 71 Un Jour exemplaire antérieur aux jours dénombrés Ce décalage des œuvres par rapport aux jours avait par ailleurs pour effet de rejeter la manifestation initiale de la lumière, et plus généralement l’ensemble des événements qui précédèrent « le matin du jour Un », dans un temps primordial antérieur et extérieur aux jours dénombrés dans le texte. Ce paragraphe initial devenait un résumé de l’histoire universelle qui, allant de l’obscurité vers la lumière par étapes successives, atteignait son but « au matin du jour Un ». Cette dernière expression pouvait aussi être traduite par « le matin du jour d(e l’) Un », et renvoyait alors par analogie au « Jour de Yahvéh » annoncé par les prophètes, le jour du Jugement 3. Afin de distinguer ce prologue des jours suivants, on l’appellera « jour exemplaire » ; « jour » car c’est alors que la lumière a été manifestée sous ce nom — « et Élohim prononça en vue de la lumière : jour » — mais « exemplaire » car cette manifestation précède celle du « jour d(e l’)Un » et résume donc toute l’histoire, des origines à l’avènement du Jour de Yahvéh. Au moyen d’un principe, Élohim a(vait) créé le modèle des cieux et le modèle de la terre 2. Philon d’Alexandrie (voir § 75) et plusieurs Pères de l’Eglise font aussi du « jour un » celui d’une création intelligible mais maintiennent la modèle de la création en six jours. 3. Voir BARC B. « “Au commencement” Essai de lecture littérale du prologue du récit de création », dans Tsafon, Revue d ’études juives du Nord 40 (2000-2001), p. 77-101.
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L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE
Et la terre a(vait) existé (sous forme de) tohu et de bohu et de l ’obscurité de la montée des faces de l ’abîme Et l ’esprit (féminin) d’Élohim couve (en permanence) la montée des faces des eaux Et Élohim dit : (de la) lumière existera Et (de la) lumière exista Et Élohim vit le modèle de la lumière car (il est) bon Et Élohim fit séparation entre le fils de la lumière et entre le fils de l ’obscurité Et Élohim prononça en vue de la lumière (le nom de) jour Et il a(vait auparavant) prononcé en vue de l ’obscurité (celui de) nuit Et (le) soir exista Et (le) matin du jour d(e l ’) Un exista. (Genèse 1, 1-5)
§ 72 La première semaine de la création Un nouveau schéma d’organisation des œuvres de la création se dessine alors qui fait précéder les sept jours de la création initiale d’un « jour exemplaire » (Tableau 5). À chaque jour correspondent une ou plusieurs œuvres dont la lecture littérale transforme le sens apparent en un sens allégorique qui est probablement celui que les maîtres de la mystique judéenne de la période du second Temple enseignaient. Pour eux en effet, « l’œuvre du commencement » (ma‘aséh beré ’chit) constituait le premier degré d’une initiation dont la phase ultime était l’étude de « l’œuvre du char » de Yahvéh (ma‘aséh merkavah) décrite par le prophète Ézéchiel (Ézéchiel 1). D’après ce nouveau schéma, la création proprement dite ne se déroule plus en six jours, mais en cinq, le sixième jour étant consacré non plus à créer ou à faire, mais à organiser « les cieux et la terre et les armées » créées ou faites pendant les jours précédents : Et le matin du jour du sixième exista Et furent répartis les cieux et la terre et (les) partie(s) de leur armée. (Genèse 1, 31-2, 1)
Le récit des six premiers jours est alors suivi de celui d’un septième que les inventeurs de la division en chapitres ont coupé du récit de création et placé en tête d’un nouveau chapitre (§ 20). Et Élohim répartit pendant le jour du septième l ’œuvre (que) (Yahvéh) a(vait) faite. (Genèse 2, 2)
Telle est l’organisation de la première semaine de l’histoire du monde 4 . 4. On aura noté que le retour à la lecture littérale transforme les nombres en leur donnant une valeur de substantif alors que la traduction traditionnelle en fait des épithètes. La traduction de yôm ’éhad par «Jour (de l’)Un » et non pas par « Jour un » est en dernière analyse imposée par le principe de non-contradiction.
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§ 73 Les vingt-deux jours de la création Le texte consacré à ce septième jour est d’une étonnante complexité. Et Élohim répartit pendant le jour du septième l ’œuvre (que) (Yahvéh) a(vait) faite Et (Yahvéh) sabbatisa pendant le jour du septième de(s) partie(s) de l ’œuvre d’(Élohim) qu’il avait faite Et Élohim bénit le modèle du jour du septième Et il déclara-saint le modèle de celui-ci Car en ce (jour) (Yahvéh) a(vait) sabbatisé des partie(s) de l ’œuvre de celui-ci, (œuvre) qu’Élohim avait créée pour (que Yahvéh la) fasse. (Genèse 1, 31-2, 1-3)
Dans l’immédiat on ne s’intéressera qu’à l’expression « jour du septième » qui est répétée par trois fois. Puisque rien n’est par définition superflu dans l’Écriture, cette triple mention doit nécessairement renvoyer l’initié à trois « jours du septième » différents. La création ne s’arrête donc pas au septième jour de la première semaine, mais se poursuit deux autres « septième jour ». Et comme un septième jour ne peut arriver sans les six qui le précèdent, la création dont le « jour exemplaire » décrivait le modèle a donc été réalisée sur trois semaines complètes. Rien n’est dit dans le récit de la création de ce qui se produisit pendant les six jours ouvrables de ces deuxième et troisième semaines. Pour le savoir, il faut recourir à l’analogie verbale. En indiquant que Dieu avait « sabbatisé » le septième jour de la deuxième semaine et qu’il avait « béni » et « déclaré saint » le septième jour de la troisième, Siméon renvoie automatiquement l’initié à deux textes du livre de l’Exode qui décrivent ce que Dieu fit pendant les jours ouvrables de ces deux semaines. À propos de la deuxième semaine, le récit de création disait : « Et il sabbatisa pendant (le) jour du septième », sans préciser laquelle des deux En effet, dans le texte hébreu l’énumération des jours de la création suit un double modèle. L’article est omis devant les cinq premiers nombres, ce qui autorise une double interprétation : soit « jour cinquième », soit « jour d’un cinquième ». Mais cette ambiguïté apparente est au contraire levée à partir du sixième nombre où la construction yôm ha-chichi impose de donner au nombre sa valeur de substantif et de comprendre « jour du sixième (nombre) » et non pas « le sixième jour » (hayôm ha-chichi). Pour éviter d’une part qu’il y ait contradiction dans l’énumération des jours et d’autre part que l’article devant « le sixième » ne devienne superflu, la logique impose de retenir pour les premiers jours la solution compatible avec l’orthographe du sixième et de substantiver leur nombre : « Jour d’Un », « jour d’un deuxième ». Cette solution remet évidemment en question la fonction que l’article a dans la langue naturelle. Comme on le comprendra par la suite, la lecture littérale fait de l’article un signe de perfection ou de plénitude. Dans la mesure où la création n’est parfaite qu’au soir du cinquième jour, l’article de plénitude ne peut logiquement être employé qu’à partir du sixième.
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L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE
hypostases divines était désignée par le pronom. Cette ambiguïté est levée par l’un des deux textes du livre de l’Exode. Car une hexade de jours Yahvéh a fait le modèle des cieux et le modèle de la terre Et dans le jour du septième il a sabbatisé. (Exode 31, 17)
Pendant l ’hexade de jours 5 de cette deuxième semaine, c’est donc Yahvéh, qui intervient pour « faire (‘asah) le modèle des cieux et le modèle de la terre » qu’Élohim avait créés (bara’) pendant le jour exemplaire (Genèse 1, 1). Une précision qui est en accord avec la phrase de conclusion du récit de création qui annonçait qu’ « Élohim a(vait) créé en vue de faire » (Genèse 2, 3). Élohim et Yahvéh sont donc complémentaires. Le second « fait » dans le monde sensible ce que le premier « a créé » dans l’intelligible. Le second texte du livre de l’Exode renvoie également au « jour du septième » du récit de création mais par le biais des verbes « bénir » et « déclarer-saint » caractéristiques de la fin de la troisième semaine. Alors que le récit initial disait : « Et Élohim bénit (le) modèle du jour du septième et il déclara-saint son modèle », le deuxième texte reprend à son compte ces mêmes verbes, mais en les appliquant à nouveau à Yahvéh : Une hexade de jours Yahvéh a fait le modèle des cieux et le modèle de la terre (c’est-à-dire) le modèle de la mer et le modèle de(s) partie(s de ce) qui est en ceux-ci Et (Élohim) se reposa pendant le jour du septième. C’est pourquoi Yahvéh a(vait auparavant) béni le modèle du jour du sabbat Et a(vait) déclaré saint son modèle. (Exode 20, 11)
Pendant les six jours ouvrables de cette troisième semaine c’est encore Yahvéh, qui prend le relais d’Élohim. Comme pendant la deuxième, « il fait le modèle des cieux et le modèle de la terre » qu’Élohim avait créés. Mais une phrase en apposition vient préciser la spécificité de sa nouvelle activité par rapport à la précédente. Elle établit une équivalence entre « faire le modèle des cieux et le modèle de la terre » et faire « (le) modèle de la mer », comme si la « mer » – qui se perd à la ligne d’horizon – faisait la synthèse des cieux et de la terre !
5. Alors qu’Élohim « crée » en cinq jours, Yahvéh « fait » en une hexade de jours. Ce jour supplémentaire renvoie à Genèse 2, 1 « Et le matin du jour du sixième exista et furent totalisés (kl) les cieux et la terre et le total (kl) de leur armées ». Probalement faut-il comprendre que le rôle de Yahvéh est de faire, dans le monde terrestre, la synthèse des trois composantes que sont les cieux, la terre, et les armées (angéliques ?) qui sont à leur service.
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Tableau 5 La création en vingt-deux jours JOUR Jour exemplaire
EXEMPLAIR E
Création du modèle des cieux et du modèle de la terre. La lumière est nommée « jour » (Genèse 1, 1-5).
P R EMIÈR E
SEMAINE
Jour d(e l’)Un
Fabrication du modèle du firmament et séparation des eaux (1, 6-8).
Jour d(u) deuxième
Apparition de la (terre) sèche et sortie de la verdure (c’est-à-dire) de l’herbe et de l’arbre (1, 9-13).
Jour d(u) troisième
Fabrication du modèle des illuminateurs et du modèle des étoiles (1, 14-19).
Jour d(u) quatrième
Création du modèle des grands « dragons » et du modèle de toute l’âme de la vivante et du modèle de tout le volant ailé (1, 20-23).
Jour d(u) cinquième
Fabrication du modèle de la vivante de la terre et du modèle du bétail et du modèle de tout le rampant du sol. Création du modèle d’Adam (1, 24-31).
Jour du sixième
Répartition des cieux et de la terre et de toute leur armée (2, 1).
Jour du septième
Répartition de l’œuvre que (Yahvéh) avait faite (2, 2a).
D EUXIÈME
SEMAINE
Une hexade de jours
(Pendant) une hexade de jours fabrication du modèle des cieux et du modèle de la terre par Yahvéh (Exode 31, 17).
Jour du septième
Et (Yahvéh) sabbatise (Genèse 2, 2b).
TROISIÈME
SEMAINE
Une hexade de jours
(Pendant) une hexade de jours fabrication du modèle des cieux et du modèle de la terre par Yahvéh (c’est-à-dire) du modèle de la mer et du modèle de tout ce qui est en eux (Exode 20, 11).
Jour du septième
Et Élohim bénit le modèle du jour du septième Et il déclare saint son modèle (Genèse 2, 3).
Pour ce premier contact avec la lecture littérale, on s’en tiendra strictement à l’observation de la « géométrie » qui s’est dessinée. Entre le moment où Élohim « a créé le modèle des cieux et le modèle de la terre »
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L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE
(Genèse 1, 1) et celui où « il a trouvé le repos pendant le jour du septième » de la troisième semaine (Exode, 20, 11), vingt-deux jours se sont écoulés (Tableau 5) qui s’organisent en fonction du modèle : 1 + 7 + 7 + 7 = 22
§ 74 La création en vingt-deux œuvres du livre des Jubilés Ce modèle d’une création en vingt-deux jours nous est devenu si étranger, et depuis si longtemps, qu’il paraît totalement surréaliste. Pourtant des témoignages recueillis dans la littérature de la période du second Temple prouvent qu’il était effectivement connu jusqu’au premier siècle de notre ère au moins. J’en citerai deux. Le premier nous vient du livre des Jubilés, une des œuvres les plus prestigieuses de la période hasmonéenne (vers 100 avant notre ère), qui ne nous a été conservée dans son intégralité qu’en version latine. Son antiquité est prouvée par des fragments retrouvés parmi les manuscrits de la mer Morte que l’analyse paléographique a permis de dater du début du second siècle avant notre ère. Le Livre des Jubilés est un commentaire suivi de l’histoire biblique, de la création du monde jusqu’au don de la Torah. Il se présente comme une révélation faite par un ange à Moïse. On se trouve donc en présence d’une interprétation du récit de création élaborée quelques décennies seulement après Ben Sira par un auteur qui, par fidélité à la Torah, s’est coupé du Temple de Jérusalem et de son sacerdoce, probablement à la suite de l’éviction de la lignée des Oniades et de son remplacement par des prêtres favorables à une hellénisation radicale de la Judée. L’auteur des Jubilés mélange lecture traditionnelle et lecture littérale. Sa version du récit de création en fournit une bonne illustration. Bien qu’il retienne le cadre « apparent » de la création en six jours, il le réinterprète en fonction de deux des thèmes propres à la lecture littérale. Il distingue le modèle intelligible décrit par le « jour exemplaire », de la réalisation de ce modèle pendant les jours suivants. Par ailleurs il organise l’ensemble du récit en fonction du modèle vingt-deux. Pour opposer le jour exemplaire aux autres jours, il ne reprend pas explicitement les termes d’intelligible et de sensible qui n’ont pas d’équivalent en hébreu biblique mais formule cette opposition en précisant que l’œuvre du premier jour a été « préméditée dans la connaissance du cœur de Dieu » et créée en présence de la cour angélique, donc dans le monde céleste. Le premier jour, il créa les cieux, en haut, la terre, les eaux et tout esprit servant devant lui… les abîmes profonds, les ténèbres […] et la lumière […], ce qu’il avait prémédité dans la connaissance de son cœur. Alors nous (les anges) avons regardé ses œuvres, nous l’avons béni et nous avons chanté
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devant lui les louanges de tout son ouvrage, car il avait fait sept grandes choses le premier jour 6.
Comme pour ce premier jour, le compte rendu de chacun des jours suivants s’achève sur l’indication du nombre des œuvres créées et cela jusqu’à ce que le nombre vingt-deux soit atteint (Tableau 6) : Il y eut en tout vingt-deux sortes (d’ouvrages). Il a achevé le sixième jour tout son ouvrage, tout ce qui est dans les cieux et sur la terre, dans la mer et dans les abîmes, dans la lumière et dans les ténèbres, partout 7.
Tableau 6 Les vingt-deux œuvres de la création d’après les Jubilés 1er jour
7 œuvres
Cieux, Terre, Eaux, Esprits, Abîmes, Ténèbres et Lumière.
2 e jour
1 œuvre
Firmament
3 jour 4 e jour
4 œuvres 3 œuvres
Mers, Semence, Arbres et Jardin d’Éden Soleil, Lune et Étoiles
5e jour 6 e jour
3 œuvres 4 œuvres
Dragons, Poissons et Oiseaux Animaux sauvages, Bétail, Reptiles et Adam
e
L’auteur de cette mise en nombres de la création ne suit pas de façon stricte les règles de la lecture littérale. Il s’en tient non seulement au cadre traditionnel de la semaine tel qu’il devait déjà figurer dans le texte grec et, au moins sous forme orale, dans les traductions araméennes de son époque, mais n’hésite pas, afin d’atteindre le nombre 22, à faire figurer le Jardin d’Éden parmi les œuvres créées alors qu’il est absent du modèle. Il n’attache pas non plus d’importance au choix des verbes et présente comme « créées » des œuvres « faites » ou que le modèle présente implicitement comme préexistantes. Il conserve néanmoins le souvenir d’une création structurée en fonction d’un modèle 22 — qu’il transpose des « jours » de la création aux « œuvres » créées —, qu’il s’efforce de fonder sur le texte lui-même au prix de ces quelques remaniements et dont il organise les nombres intermédiaires de façon harmonieuse. Au modèle des sept œuvres du premier jour, correspond, dans la réalisation, un groupe de sept œuvres inanimées créées les troisième et quatrième jours et un groupe de sept œuvres animées créées les cinquième et sixième jours. La création sensible double donc le modèle intelligible comme dans le modèle biblique mais s’en trouve séparée par l’œuvre unique du deuxième jour, le firmament. 6. Jubilés 2, 2-3 dans DUPONT-SOMMER A. – PHILONENKO M. (éd.), Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, 1987, p. 641-642. 7. Jubilés 2, 15-16, DUPONT-SOMMER A. – PHILONENKO M. (éd.), Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, 1987, p. 644.
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L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE
Pour l’auteur des Jubilés, cette géométrie de la création préfigure en fait le modèle même de l’histoire d’Israël, une correspondance entre modèle et histoire que la lecture littérale confirmera. Il y a eu vingt-deux chefs de l’humanité depuis Adam jusqu’à lui (JacobIsraël) et vingt-deux sortes d’ouvrages ont été faites avant le septième jour. Celui-ci (le sabbat) est béni et saint, celui-là (Jacob-Israël) aussi est béni et saint. L’un et l’autre existent pour la sanctification et la bénédiction 8.
Le souci de prouver la perfection d’une œuvre en l’associant au nombre 22 s’imposera encore, trois siècles plus tard, aux fondateurs de l’École de Yavnéh. Ils se présenteront eux-mêmes comme les héritiers d’une Torah orale transmise par vingt-deux générations 9 et d’une Écriture parfaite rédigée en vingt-deux livres (§ 2). § 75 Le modèle intelligible de la création d’après Philon d’Alexandrie Plus d’un siècle après l’auteur des Jubilés, Philon d’Alexandrie, maître incontesté de l’interprétation allégorique en milieu juif alexandrin, ne mentionnera pas les 22 jours de la création, mais, comme le Livre des Jubilés, fera du premier jour, celui d’une création incorporelle et intelligible, constituée de sept éléments. En premier lieu donc, le Créateur fit le ciel incorporel et la terre invisible et l’idée de l’air et du vide ; il nomma l’un ténèbres, parce que l’air est noir par nature ; l’autre abîme, car le vide est très profond et immense. Ensuite ce fut l’essence incorporelle de l’eau et du souffle, et après tout cela, en septième lieu, l’essence de la lumière qui, elle aussi incorporelle et intelligible, était le modèle du soleil et de tous les astres lumineux qu’il allait créer à travers le ciel 10.
Comme l’auteur des Jubilés, Philon enseigne aussi que c’est d’après ce modèle intelligible que fut ensuite créé le monde sensible : Mais quand fut créée la lumière et que l’obscurité reflua et se retira, quand le soir et le matin eurent été fixés comme limites dans leur intervalle, nécessairement la mesure du temps fut constituée aussitôt. Cette mesure le créateur l’appela jour, non pas premier jour, mais jour « un », ainsi dit à cause de l’isolement en soi du monde intelligible avec sa nature monadique. Ainsi donc, 8. Jubilés 2, 23 dans DUPONT-SOMMER A. – PHILONENKO M. (éd.), Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, 1987, p. 645. 9. BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, §. 95-99. 10. Philon d’Alexandrie, De opificio mundi 29, ARNALDEZ R., Philon d ’Alexandrie. De opificio mundi, Paris, Le Cerf, 1961, p. 159-161 (Les œuvres de Philon d ’Alexandrie 1).
CHAP. 9 – LES VINGT-DEUX JOURS DE LA CRÉATION
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le monde incorporel fondé dans le Logos divin, était désormais arrivé à son terme. Quant au monde sensible, il fut créé en perfection selon ce modèle 11.
Comme les deux témoignages précédents le montrent, on a donc continué jusqu’au début de notre ère au moins, aussi bien en Judée qu’à Alexandrie, à transmettre sous une forme déformée mais encore parfaitement identifiable une interprétation du récit de création inspirée par sa lecture littérale, une lecture fondée sur l’Écriture même du texte hébreu et qui enseignait que le monde sensible était le reflet d’un modèle intelligible conçu dans la pensée du Très-Haut. Cette notion de modèle intelligible est exprimée dans le texte hébreu au moyen de la particule ’ét ( )אתdont les grammairiens ont fait un banal introducteur du prédicat direct mais qui était, pour les lecteurs anciens, le « signe » (’ot : )אותqui les renvoyait à la contemplation de ce modèle intelligible. Élohim ne crée pas « les cieux et la terre », mais un double modèle : « le modèle ( )אתdes cieux et le modèle ( )אתde la terre » (Genèse 1,1). Comme l’enseignait encore Rabbi Aqiba au deuxième siècle de notre ère, ce ’ét dont les grammairiens ont fait un mot vide était en réalité le « signe » qui permettait à l’initié d’accéder à la « Vie 12 » (§ 219). Le second axiome qui se trouve vérifié est que la manifestation de ce modèle intelligible dans le sensible ne peut se faire sans la médiation des nombres (§ 66-67) et prioritairement par celle de ces sept premiers nombres qui servent de charpente au récit de création et dont l’organisation géométrique dessine le nombre 22… un nombre qui est celui des lettres fondamentales de l’alphabet hébreu (Tableau 1).
11. Philon d’Alexandrie, De opificio mundi 35-36, De opificio mundi 29, ARNALDEZ R., Philon d ’Alexandrie. De opificio mundi, Paris, Le Cerf, 1961, p. 163 (Les œuvres de Philon d ’Alexandrie 1). 12. BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 10-15.
Chapitre 10
L’ALGORITHME DE L’ARITHMOLOGIE BIBLIQUE § 76 Une création sur le modèle de l’alphabet Le Livre de la formation (Séfèr Yetsirah) est « le premier essai spéculatif connu de la pensée juive. Il a servi de socle conceptuel à de nombreux systèmes de philosophie et de mystique juives. Discours cosmologique pour les uns, manuel initiatique pour les autres, il a suscité un immense intérêt, malgré sa brièveté 1 ». Sa date de rédaction est discutée. Certains optent pour le troisième siècle de notre ère, d’autres pour le sixième siècle. Quoi qu’il en soit, c’est là que l’on trouve la description la plus fidèle de l’algorithme de l’arithmologie biblique tel qu’il fut élaboré par Siméon deux siècles avant notre ère. Dans sa recension brève, le Séfèr Yetsirah commence ainsi : (Au moyen de) trente-deux sentiers de Sagesse, Yahvéh Sabaoth a gravé son monde selon trois (manifestations de la racine) ( ספרspr) : (le) livre ( ספר: séfèr), (le) nombre ( ספר: sefar), (le) récit ( ספור: sipour). (Ces trente-deux sentiers sont constitués de) dix sphères ( ספרות: sefirot) sans quoi (rien n’existe) et (de) vingt-deux lettres fondamentales » (Séfèr Yetsirah, recension brève, 1- 2).
Comme Ben Sira, l’auteur considère qu’il existe une correspondance parfaite entre la création elle-même et le Livre qui la raconte. C’est dans l’Écriture et les signes qui la composent qu’il faut rechercher ces trentedeux sentiers de Sagesse qui ont présidés à la création et que doivent parcourir ceux qui veulent se mettre à l’école de cette Sagesse. Comme l’enseignait déjà Ben Sira (§ 66), cet itinéraire comporte trois étapes que l’auteur associe à des variations vocaliques de la racine ספר. Le monde créé par la Sagesse et dont la formation est gravée dans le Livre est d’abord fait pour être contemplé ; de même que Dieu « a vu » la Sagesse, l’initié doit voir l’Écriture fixée dans le « Livre » (séfèr) 2. Ce Livre est également un monument « numérique » (sefar) que l’initié doit compter comme 1. On trouvera les traductions des deux recensions de ce traité dans FENTON P.-B., Séfer Yesirah ou le Livre de la Création, Exposé de cosmogonie hébraïque ancienne, Paris, Rivages, 2002. 2. La traduction du mot séfèr par « Livre » — et non pas par « rouleau » — est bien évidemment un anachronisme (§ 17).
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L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE
Dieu lui-même a « dénombré » la Sagesse, au moment où elle « parcourait les cercles du ciel ». Ce livre est enfin une parole, dont le « récit » (sipour) doit être annoncé à ceux qui marchent encore dans l’obscurité, pour qu’ils puissent entendre cette Sagesse qu’ils ne peuvent contempler. Cette descente de la Sagesse divine a bien évidemment pour but de préparer la remontée de l’initié, de la parole aux nombres et des nombres à la vision. La Bible aurait donc été révélée en vue d’une triple approche. Elle serait « Parole » pour l’ensemble du peuple croyant qui en entend la lecture et l’interprétation orale donnée par les targumim et les commentaires. Pour les initiés, elle serait une « Écriture » porteuse d’un enseignement caché réservé à ceux qui savent contempler les signes eux-mêmes. Et c’est afin de permettre le passage de cette Parole révélée dans le monde sensible à cette Écriture qui ne se laisse contempler que dans l’intelligible, que Dieu aurait créé un instrument de médiation, d’ordre mathématique, dont la connaissance constituerait une propédeutique indispensable à toute contemplation du monde intelligible. Pour le Séfèr Yetsirah, le système numérique qui permet ce passage du sensible à l’intelligible est organisé en fonction du nombre trente-deux, luimême constitué des vingt-deux lettres fondamentales de l’alphabet hébreu et des dix sphères — autre variation vocalique sur la racine — ספרqui deviendront les dix sefirot de la Cabbale juive. Alors que le livre des Jubilés n’établissait pas de rapport explicite entre les vingt-deux œuvres de la création et les lettres de l’alphabet hébreu, le Séfèr Yetsirah fait de cette correspondance le fondement de son système. C’est au moyen de ces vingt-deux lettres considérées comme autant de « sentiers de sagesse », que Dieu « a gravé » (haqaq) son monde. La question qui se pose alors est de savoir si la mise en relation des 22 jours de la création avec les 22 lettres de l’alphabet a été imaginée par l’auteur du Séfèr Yetsirah ou si, au contraire, il n’a fait que renvoyer à un algorithme déjà gravé dans le texte biblique lui-même. En d’autres termes, la correspondance objective entre le nombre des jours de la création et celui des lettres de l’alphabet a-t-elle été voulue par Siméon ? § 77 La révélation de l’ordre des lettres et des nombres Pour mettre en relation les vingt-deux jours de la création et les vingtdeux lettres de l’alphabet, il est impératif de connaître au préalable l’ordre même de ces lettres. Et comme toute connaissance doit se fonder sur une révélation, l’attestation de l’ordre alphabétique doit nécessairement figurer dans le corpus biblique, même s’il ne fait que suivre un ordre établi antérieurement à la rédaction de la Bible 3. Il est effectivement donné dans 3. Un abécédaire paléo-hébreu du XI e ou XII e siècle avant notre ère attesterait déjà cet ordre. Voir KOKHAVI M., « An Ostracon of the Period of the Juges from Isbet Sartah », Journal of the Tell Aviv University, 4, 1977, p. 1-3.
CHAP. 10 – L’ALGORITHME DE L’ARITHMOLOGIE BIBLIQUE
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trois psaumes écrits « en vue de David 4 ». Les deux premiers (Psaumes 111 et 112) sont composés de vingt-deux stiques dont chacun commence par l’une des lettres de l’alphabet. De façon plus solennelle encore, le Psaume 119 associe cette révélation de l’ordre des lettres à un monument composé de vingt-deux strophes de huit stiques chacune, et dont chaque stique commence par la même lettre. L’ordre des lettres a donc bien été révélé, mais seulement au roi David, comme si les trente-deux générations qui le précédèrent – d’Adam à son père Jessé (§ 104 Tableau 20) – avaient parcouru, une à une, les trente-deux étapes nécessaires à l’apprentissage intégrale de l’Écriture. Puisque toute connaissance doit provenir du texte biblique, on doit également y trouver la révélation de l’ordre des nombres. Le nom et l’ordre des sept premiers d’entre eux est effectivement fixé par l’énumération des sept jours de la création : « Et le matin d(u) jour d(u nombre) Un exista, etc. » Mais cette révélation primordiale de l’hebdomade ne suffit pas à rendre compte intégralement du système numérique biblique qui se construit en fait à partir des douze premiers nombres 5. Pour connaître l’ordre intégral de ceux-ci, il faut attendre que Moïse ait achevé d’ériger la Demeure et qu’il l’ait consacrée. C’est en effet lors de la fête liturgique de douze jours qui célèbre la dédicace de l’autel du désert que les Princes des douze tribus d’Israël viennent, à tour de rôle, apporter leur offrande selon un ordre processionnel savamment calculé. L’ordre des nombres et des jours se trouve alors associé à celui des douze tribus d’Israël. Celui qui offrit son offrande le premier jour fut Nakashon fils d’Amminadab de la tribu de Juda […] Au deuxième jour, Netanel fils de Souar, prince d’Issachar fit l’offrande […]
4. Ces trois psaumes alphabétiques sont inclus dans un ensemble complexe de dix psaumes (Psaumes 110-119) regroupés sous le titre générique : « En vue de David (est) ce qui provient de la taille (de la vigne) [ledawid mizmor] » (Psaume 110, 1). La tradition voit dans ce psaume 110 l’annonce de la venue d’un nouveau Melki-Çédèq, ce qui confère à l’ensemble des dix psaumes une portée messianique. Les Psaumes 9 et 10 sont également présentés comme alphabétiques par la tradition, mais de façon peu convaincante pour plusieurs raisons. Ces deux psaumes doivent être considérés comme ne faisant qu’un. Cinq lettres sont manquantes et deux inversées. Quant aux dix sept lettres restantes elles ne peuvent être mises en rapport avec le texte qu’à condition de diviser celui-ci en un nombre de stiques très variable (de 2 pour le gimel à 14 pour le lamèd). 5. La construction des nombres de la Bible hébraïque est extrêmement complexe. Ils peuvent être énumérés, soit dans l’ordre décroissant — « La totalité des jours d ’Adam fut de neuf cents année(s) et trente année(s) » (Genèse 5, 5) — soit dans l’ordre croissant — « Adam vécut trente et cent d ’année » (Genèse 5, 3). Par ailleurs, le nom de la chose décomptée peut être répété ou non après chacun des nombres — « neuf cents année(s) et trente année(s) ».
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L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE
Au jour du douzième jour, ce fut le prince des fils de Nephtali, Akhira, fils d’Eynan. (Nombres 7, 12-84)
Les outils mathématiques qui permettent de déchiffrer le sens allégorique des Écritures n’ont donc été révélés que progressivement. Dès la création (première génération de l’humanité) l’ordre des sept premiers nombres a été donné, ce qui a permis à l’humanité de mesurer le temps en semaines. C’est à la vingt-sixième génération, c’est-à-dire au milieu de l’histoire biblique (§ 104, Tableau 20), que le modèle intégral des douze premiers nombres a été connu, lors de la procession des douze princes d’Israël (Nombres 7, 12-84). Mais il a fallu attendre la trente-troisième génération – héritière des 32 sentiers de Sagesse – pour que David puisse comparer l’ordre des nombres avec celui des lettres et de ce fait être en mesure « d’ordonner parfaitement les temps » liturgiques (Ecclésiastique 47, 10) 6. § 78 Vingt-deux jours face à vingt-deux lettres Le concept de lettres-nombres qui est à la base de la gematria rabbinique (§ 8) était étranger au monde judéen jusqu’à la période hellénistique. Alors que pour l’usage profane, les Judéens se servaient traditionnellement de systèmes de numération empruntés à l’Égypte ou à la Babylonie et disposaient de signes spécifiques pour désigner les nombres 7, la Bible ne met à contribution ni ces systèmes profanes ni ces signes spécifiques mais écrit les nombres en toutes lettres : les « cent et trente an(s) » d’Adam avant qu’il n’engendre Seth sont écrits mé ’ah ouchelochim chanah. En suggérant de mettre les vingt-deux jours du récit de création en rapport avec les vingt-deux lettres de l’alphabet, l’auteur biblique innove donc et recourt, de façon cryptée, à un code d’équivalence entre lettres et nombres dont le modèle lui a été fourni par l’alphabet grec dont les signes sont à la fois lettres et nombres.
6. Les règles de combinaison des nombres entiers entre eux (par addition) doivent avoir été révélées au même titre que leur ordre. En fonction de ce principe, le Livre des généalogies d ’Adam (Genèse 5) indique d’abord la durée de vie des patriarches avant et après l’engendrement d’un fils, puis fait le total des deux nombres. La règle de l’addition (en fonction d’un système décimal) étant révélée, l’initié pourra par la suite combiner entre eux les nombres et il deviendra superflu d’indiquer le total (Genèse 11, 10-26). Des travaux pratiques sur l’addition des nombres sont également proposés à l’occasion du recensement des tribus (Nombres 26). 7. À la période royale on utilisait les signes numériques de l’écriture cursive égyptienne du Nouvel Empire. « Les plus anciens témoins israélites de l’emploi des lettres en tant que chiffres ne datent que du début du premier siècle av. J.-C., ou, tout au plus, des toutes dernières années du II e siècle avant l’ère chrétienne » cf. IFRAH G., Histoire universelle des chiffres, Paris, Seghers, 1981, p. 284-287. L’usage profane des lettres-nombres en Judée serait donc postérieur à Siméon.
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Tableau 7 L’algorithme des vingt-deux lettres fondamentales
Première semaine
Deuxième semaine
Troisième semaine
Jour exemplaire
(1)
(taw)
()ת
Jour de l’Un
1
’alèf
א
Jour du deuxième
2
bét
ב
Jour du troisième
3
gimèl
ג
Jour du quatrième
4
dalèt
ד
Jour du cinquième
5
hé
ה
Jour du sixième
6
waw
ו
Jour du septième
7
zayin
ז
Une hexade de jours
1
hét
ח
2
tét
ט
3
yod
י
4
kaf
כ
5
lamèd
ל
6
mém
מ
Jour du septième
7
nun
נ
Une hexade de jours
1
samèkh
ס
2
‘ayin
ע
3
pé
פ
4
çadè
צ
5
qof
ק
6
réch
ר
Jour du septième
7
sin-chin
ש
Jour exemplaire
1
taw
ת
Valeur totale des lettres fondamentales
85
Le ’alèf devient alors le signe du Un, le bét du deuxième nombre, jusqu’à ce que la septième lettre, le zayin, corresponde au septième nombre. Le modèle de création étant structuré en trois semaines successives, on entre alors dans une nouvelle semaine avec la huitième lettre qui prend à nouveau la valeur un qui est celle du premier jour de la semaine et le même calcul s’applique à la troisième semaine. Le texte biblique contiendrait donc un double système de numération dont l’un, écrit en toutes lettres, serait accessible à l’ensemble des lecteurs, tandis que l’autre, fondé sur le modèle grec des lettres-nombres, serait réservé aux seuls initiés.
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L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE
C’est en combinant de façon logique les trois paramètres que sont l’ordre des jours, celui des nombres et celui des lettres, que l’on peut reconstituer l’algorithme (Tableau 7). Mais, d’emblée, un problème se pose car, s’il peut paraître logique d’associer le « jour exemplaire » avec la première lettre, du fait qu’il est cité en tête des vingt-deux jours (Genèse 1, 1-5), cette solution provoquerait une contradiction dans la mesure où elle aurait pour conséquence d’associer avec la deuxième lettre de l’alphabet la création de la voûte céleste qui est explicitement datée du « jour (de l’) Un ». Les jours et les lettres de même rang devant être impérativement mis en parallèle, on doit alors associer le ’alèf au « jour (de l’) Un » et laisser momentanément le « jour exemplaire » sans lettre correspondante. Cette contradiction étant levée, les sept premières lettres s’associent naturellement aux sept jours de la première semaine, les sept lettres suivantes aux jours de la deuxième et les sept suivantes aux jours de la troisième. Ce couplage de vingt et une lettres avec vingt et un jours étant réalisé, celui de la dernière lettre, le taw, avec le « jour exemplaire » s’impose. § 79 Ceux qui seront marqués au front du signe du taw Ce report du « jour exemplaire » à la fin des temps n’a rien d’un jeu gratuit. Il est en fait justifié par la règle de prescience divine. Si le modèle décrit dans le « jour exemplaire » est placé en tête de la Bible, c’est qu’il contient en germe l’intégralité du plan arrêté par le Très-Haut, un plan dont la réalisation intégrale coïncidera en fait avec la fin de l’histoire humaine. L’humanité issue du Un retournera à cet Un que symbolise le taw au terme d’une histoire organisée sur le modèle de la tripartition, conformément au modèle des trois semaines du récit de création. Le taw est donc le signe qui permettra à l’humanité de la fin des temps de remonter vers le monde intelligible. Ce rôle éminent est illustré par un oracle d’Ézéchiel (Ézéchiel 8-9) dont on ne retiendra que la partie concernant le taw. Le châtiment de Jérusalem ayant été décrété par Yahvéh, six hommes sont chargés d’exécuter la sentence : Et voici que six hommes vinrent de la direction de la porte supérieure, […] chacun ayant à la main son instrument de destruction. Au milieu d’eux il y avait un homme vêtu de lin ayant une écritoire de scribe à la ceinture. Alors la gloire du Dieu d’Israël […] appela l’homme vêtu de lin ayant une écritoire de scribe à la ceinture.[…] Et Yahvéh lui dit : « Passe au milieu de la ville, au milieu de Jérusalem et tu traceras un taw sur le front des hommes qui gémissent et geignent au sujet de toutes les abominations qui se commettent au milieu d’elle (Jérusalem) ». Quant aux (cinq) autres (hommes), il leur dit : « Traversez la ville à la suite et frappez ! […] Vieillards, jeunes
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gens, jeunes filles, petits enfants et femmes, tuez-les jusqu’à extermination, mais ne vous approchez d’aucun homme sur lequel est le taw […]. Or voici que l’homme vêtu de lin qui avait une écritoire à sa ceinture rendit compte, en disant : « J’ai fait comme tu me l’avais ordonné. » (Ézéchiel 8-9)
Chacun des six intervenants est affecté à une catégorie particulière de la population : « l’homme vêtu de lin avec une écritoire de scribe à la ceinture » — un grand prêtre écrivain qui n’est autre qu’une préfiguration de Siméon lui-même 8 — est chargé de marquer du taw les « hommes », tandis que les cinq autres doivent exterminer cinq autres catégories : « vieillards, jeunes gens, jeunes filles, petits-enfants et femmes ». En présence d’un tel scénario on ne peut s’empêcher de penser d’abord au rôle salvifique du signe de la croix chez les chrétiens. Dhorme fait la relation en traduisant ce passage par : « Tu traceras une croix sur le front des hommes qui gémissent », et justifie cette audace en note au moyen d’un argument paléographique cousu de fil blanc : « Une croix, littéralement un taw, c’est-à-dire la lettre taw qui en écriture hébraïque ancienne avait la forme d’une croix. C’est une marque protectrice. » Quant au thème de l’hécatombe qui n’épargne que les « hommes » et exclut du monde futur les autres catégories, et particulièrement les « femmes », il doit bien évidemment être interprété allégoriquement. Il sera repris, des siècles plus tard dans un logion de l’Évangile de Thomas et mis dans la bouche d’un nouveau Siméon : Simon Pierre leur dit : « Que Mariam sorte de parmi nous, car les femmes ne sont pas dignes de la vie. » Jésus dit : « Voici, moi je vais la guider afin de la faire mâle, en sorte qu’elle devienne, elle aussi, un esprit vivant semblable à vous les mâles, car toute femme qui se fera mâle entrera dans le Royaume des cieux. » (Évangile de Thomas, Logion 114, 51, 18-26) 9
L’Homme avait été créé unique puis divisé en homme et femme et projeté dans le cycle des engendrements ; le signe du taw qui le marque au front et dont la valeur est « un » implique donc nécessairement le retour de l’humanité à cette unité primordiale. § 80 La procession des nombres intelligibles La traduction littérale que j’ai proposée pour les formules d’énumération des jours s’efforce de rendre compte de deux énigmes. La première est posée par le passage du nombre cardinal – « et le matin d(u) jour (de l ’)
8. BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 87. 9. MAHÉ J.-P. – POIRIER P.-H. (éd.), Écrits Gnostiques, la bibliothèque de Nag Hammadi, Paris, Gallimard, 2007, p. 328.
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L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE
Un exista » – à l’ordinal pour les jours suivants – « et le matin d(u) jour du sixième exista ». La seconde a trait à l’emploi en apparence aberrant de l’article défini qui est omis devant les cinq premiers nombres, mais écrit devant les sixième et septième. L’omission de l’article devant les cinq premiers nombres permettrait de comprendre indifféremment, « le matin du jour un exista » ou « le matin du jour de (l ’) Un exista ». Au contraire, et quoi qu’en disent les traducteurs, la présence de l’article devant les nombres six et sept impose de comprendre « le matin du jour du sixième exista ». En conséquence, le choix entre les deux traductions théoriquement possibles pour les cinq premiers jours doit se faire par référence au principe de non-contradiction qui impose alors de retenir une traduction identique pour les sept nombres, donc celle qui fait du nombre un complément de nom : « le matin du jour (de l ’) Un exista ». Ce qui peut paraître du pinaillage est en fait d’une importance capitale, car l’alternance entre cardinal et ordinal d’une part, et l’emploi ou l’omission de l’article d’autre part, suffisent à faire passer d’un sens superficiel dans lequel les nombres n’ont pour fonction que de déterminer l’ordre des jours, à un sens allégorique qui met l’accent sur les nombres eux-mêmes et décrit la procession des sept premiers nombres intelligibles – « Le matin du jour du (nombre) UN exista ». Le thème de la Sagesse dénombrée prend alors un relief nouveau, chaque étape de la création se trouvant associée à la manifestation d’un nombre intelligible. Que le nombre cardinal ne soit employé que pour le Un, alors que les nombres suivants sont ordinaux, – deuxième, troisième, etc. – suggère par ailleurs que tous les nombres ne sont que des émanations du nombre Un. Qu’ils soient deuxième (1+1) ou septième (1+1+1+1+1+1+1), tous les nombres proviennent de l’« Un ». La parenté entre ce modèle biblique et la théorie platonicienne de la procession des nombres intelligibles paraît alors évidente 10. La procession de ces nombres intelligibles est par ailleurs associée à la notion de « jour » (yom), une notion qui ne désigne pas notre jour de vingt-quatre heures, mais s’oppose à « nuit » et ne désigne donc que la période lumineuse. Yom est donc le nom qu’a choisi Élohim pour manifester la « lumière » intelligible dans le monde sensible. Et Élohim vit le modèle de la lumière […] Et Élohim prononça en vue de la lumière (le nom de) jour. (Genèse 1, 4-5)
Les nombres intelligibles sont donc les véhicules empruntés par la lumière pour se répandre dans le monde créé. C’est par conséquent en étu10. RICHARD M.-D., L’enseignement oral de Platon, Paris, Le Cerf, 1986, p. 205 sqq. Pour Platon le « un » et le « deux » ne sont pas des nombres, mais les principes d’où découlent tous les nombres.
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diant ces nombres que l’initié pourra accéder à la lumière intelligible ellemême. Mais la formule « jour de (l)’UN » est plus riche de sens encore, car elle renvoie par analogie au dogme fondamental de la religion judéenne formulé dans le Deutéronome : Entends, Israël : Yahvéh (est) notre Élohim : Yahvéh (est) Un. (Deutéronome 6, 4)
Puisque l’Un n’est autre que Yahvéh, la puissance royale du Très-Haut, le monument construit par les nombres émanés de cet Un doit donc servir à guider l’initié vers la découverte du nom de Yahvéh. En résumé, les vingt-deux signes de l’Écriture sont donc d’origine divine, écrits par le doigt même d’Élohim et révélés à David dans un ordre spécifique qui permet de les identifier aux nombres dont le modèle intégral avait été révélé à Moïse. Dès lors chaque mot de l’Écriture devient potentiellement un nombre qui doit guider l’initié dans une quête qui, à son terme, lui fera connaître le nom même de Yahvéh. Les nombres écrits en toutes lettres aussi bien que les lettres-nombres ont pour fonction d’introduire l’initié au sens allégorique de l’Écriture, cette deuxième hauteur fondée par Siméon. § 81 Les cinq lettres finales, profondeur de la fin La description du système des lettres-nombres serait incomplète si elle ne prenait en considération la totalité des signes de l’Écriture et n’intégrait au système les cinq lettres – kaf, mém, nun, pé et çadè ( – )כמנפצqui ont une graphie spécifique lorsqu’elles sont placées en fin de mot ()ךםןףץ. Dans la mesure où la graphie de ces cinq lettres est uniquement liée à leur position finale on doit leur garder leur valeur numérique de lettre fondamentale : donner au kaf final du mot ha-mèlèkh ( ה־מלך: le roi) une valeur différente de celle du kaf fondamental de la forme malko ( מלכ־ו: son roi), reviendrait en effet à introduire une contradiction dans l’Écriture en affectant deux valeurs numériques différentes au même nom. Mais à l’opposé, ne pas reconnaître à ce kaf final une valeur spécifique ferait de lui une lettre superflue, ce qui est également inacceptable. On doit donc considérer que les lettres finales ont une double valeur numérique, l’une liée à leur appartenance au système des lettres fondamentales, l’autre spécifique, liée à leur position finale. Sous peine de retomber sur les mêmes valeurs, les lettres finales doivent nécessairement être calculées par référence à un modèle différent de celui des lettres fondamentales. Celui qui vient alors à l’esprit est le modèle dix. En effet, bien que le calcul du temps soit fait par référence au modèle sept de la semaine, le système numérique biblique est décimal. De plus, le nombre dix et ses multiples jouent un rôle de premier plan dans la structuration de l’histoire biblique. Pour ne prendre que quelques exemples, Moïse reste sur le Sinaï quarante jours et quarante nuits, le séjour au
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L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE
désert dure quarante ans, le modèle parfait du temps révélé à Moïse est une période jubilaire de cinquante ans… Et Moïse meurt à l’âge de cent vingt ans. Autant de nombres qui sont divisibles par dix, mais non par sept. Ces exemples suggèrent que si l’histoire se déroule en fonction du modèle de l’hebdomade qui est celui de la semaine, son achèvement implique de transcender cette hebdomade pour accéder à un nouveau modèle, celui de la décade. La description du modèle jubilaire des cinquante ans fournira une bonne illustration de ce passage du 7 au 10 (Chapitre 14). En effet, alors que la période jubilaire de 49 ans se construit au moyen de sept semaines (7 x 7 = 49), l’entrée dans l’année du jubilé, symbole de l’entrée conditionnelle dans une ère nouvelle, implique l’abandon du modèle 7 au profit du modèle 10 (49 + 1 = 50 = 5 x 10). Le Séfer Yetsirah invite également à retenir cette solution. En postulant l’existence de trente-deux sentiers de sagesse et non de vingt-deux, il ajoute aux vingtdeux lettres fondamentales, « dix sefirot » dont il décrit ainsi l’organisation : Dix sefirot sans quoi (rien n’existe). Cinq face à cinq comme les dix doigts […] Profondeur du commencement et profondeur de la fin. (Séfèr Yetsirah, recension brève, 3-5)
Dans la mesure où le nom de sefirot est dérivé de cette racine ספר autour de laquelle l’auteur a organisé les trois modalités de manifestation des lettres fondamentales (§ 76), le modèle des sefirot doit logiquement être mis en rapport avec des lettres. À s’en tenir à la description du Séfèr Yetsirah, les dix sefirot seraient donc, à l’origine, deux groupes de cinq lettres dont l’un symboliserait « la profondeur du commencement » et l’autre « la profondeur de la fin », ce qui suggère d’identifier les cinq lettres finales de l’alphabet à cette profondeur de la fin. Pour retrouver la valeur respective de chacune des lettres finales, il suffit alors de se reporter au modèle de la gematria rabbinique (§ 8) qui a conservé une valeur des lettres calculée à base dix. On obtient ainsi pour ces lettres finales des valeurs qui correspondent à des multiples de 10. Tableau 8 Le modèle arithmologique des lettres finales Lettre finale ך Kaf ם Mém ן Nun ף Pé ץ Çadè Total
Valeur 20 40 50 80 90 280
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§ 82 L’algorithme des lettres araméennes et le modèle du temps Le texte biblique étant intégralement écrit au moyen des vingt-sept signes – 22 lettres fondamentales et 5 lettres finales – dont les valeurs viennent d’être calculées, l’algorithme peut alors être mis en forme de façon définitive dans un tableau unique qui devra servir de référence à toutes les analyses postérieures (Tableau 9). On le nommera algorithme des lettres araméennes, car c’est au moyen de cet alphabet et non du vieil alphabet paléohébreu que ces 27 signes sont écrits. Tableau 9 L’algorithme des lettres araméennes Lettres fondamentales Première semaine
Deuxième semaine
Troisième semaine
א
’alèf
1
1
ב
bét
2
3
ג
gimèl
3
6
ד
dalèt
4
10
ה
hé
5
15
ו
waw
6
21
ז
zaîn
7
28
ח
29
hét
1
ט
tét
2
31
י
yod
3
34
כ
kaf
4
ך
20
58
ל
lamèd
5
מ
mém
6
ם
40
109
נ
nun
7
ן
50
166
ס
samèkh
1
167
ע
‘ayin
2
169
פ
pé
3
ף
80
252
ץ
90
346
63
צ
çadé
4
ק
qof
5
351
ר
réch
6
357
sin chin 7
364
ש Jour exemplaire
Lettres finales
ת
taw
1
365
196
L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE
Le parallélisme qu’établissait Ben Sira entre les nombres de la Sagesse « dénombrée » et le calendrier solaire qu’elle construisait en parcourant les cercles du ciel » se trouve alors confirmé, car la somme des 27 lettres araméennes correspond effectivement au modèle de l’année solaire. Qui connaît l’algorithme des lettres-nombres, connaît donc le modèle du temps, un modèle immuable composé de 52 semaines (7 x 52 = 364), un temps au rythme duquel l’humanité devra parcourir son histoire, les années succédant aux années, jusqu’à ce que vienne un homme vêtu de lin portant une écritoire à la ceinture (§ 79) qui la marquera au front de ce taw qui la fera entrer dans le 365e jour, celui du retour vers le monde intelligible (364 + 1). Comme il se doit, cet algorithme du temps était connu d’Hénokh, ce patriarche de la septième génération de l’humanité dont le nom-programme annonçait la dédicace du Temple (§ 55). Le total des jours d’Hénokh fut de trois cents soixante-cinq ans. (Genèse 5, 23)
Puisqu’il vécut 365 ans – et non pas 364 – il reçut donc ce signe du taw qui le fit échapper à la mort et lui permit de retourner dans le monde exemplaire, celui d’Élohim. Et Hénokh marcha en compagnie de l’Élohim Et il ne fut plus, car Élohim l’avait pris. (Genèse 5, 24)
§ 83 Les cinq lettres divines, profondeur du commencement Bien que les rouleaux actuels de la Torah ne gardent aucune trace des cinq sefirot, profondeur du commencement dont parle le Séfèr Yetsirah, leur mise en parallèle avec les cinq lettres finales profondeur de la fin invite à les identifier avec les cinq lettres paléohébraïques qui servaient à écrire les noms divins de Yahvéh ( )יהוה = יהוהet de El ( )אל = אלdans certains manuscrits anciens. Tableau 10 L’algorithme des lettres paléohébraïques Valeur ’alèf
א
1
hé
ה
5
waw
ו
6
yod
י
10
lamèd
ל
30 52
CHAP. 10 – L’ALGORITHME DE L’ARITHMOLOGIE BIBLIQUE
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Dans la mesure où le Séfèr Yetsirah enseigne que face aux cinq sefirot, « profondeur de la fin », existent cinq autres sefirot, « profondeur du commencement », il parait logique d’identifier ces dernières avec les cinq lettres des noms divins ()אהויל. Comme l’a laissé entrevoir le modèle du récit de création, ce sont effectivement ces deux hypostases du Très-Haut qui se répartissent la tâche pendant ces 22 jours. La valeur arithmologique totale des lettres qui composent leur nom, calculée sur la même base 10 que les lettres finales (§ 8), est alors 52, un nombre qui, lorsqu’il est multiplié par celui de la semaine (52 x 7 = 364), engendre effectivement l’année solaire parfaite. Cette année solaire est donc l’unité de mesure choisie par le Très-Haut pour se manifester par le biais de ses hypostases. Au modèle 364 + 1 des jours de l’année se superpose alors un autre modèle réservé à ceux qui auront acquis la connaissance des noms divins : (52 + 364 + 1 = 417) Bien que l’harmonie du monument prêche en faveur de cette solution, on doit cependant reconnaître que l’introduction de la notion des lettres divines repose sur un état du texte antérieur à celui que nous connaissons et n’est donc qu’une hypothèse dont la validité devra être confirmée (Chapitre 12). § 84 Quand vous serez introduits auprès des pierres de marbre pur ! Parvenus au seuil de la lecture littérale, il n’est pas inutile de rappeler la mise en garde que Rabbi Aqiba adressait à ceux qui voulaient s’y aventurer. Dans Les arpenteurs du temps j’ai consacré un chapitre entier, intitulé « Quatre entrèrent au Paradis », à un texte composé par les disciples d’Aqiba en hommage à leur maître et qui mettait en garde contre les dangers de cette lecture littérale qui avait fleuri à la période du second Temple. Le voici : Quatre furent introduits au paradis : le fils de Azzaï, le fils de Zoma, un Autre et Rabbi Aqiba. Rabbi Aqiba leur avait dit : « Quand vous serez introduits auprès des pierres de marbre pur, soyez avertis (par illumination) que vous ne devez pas dire : « Eaux ! Eaux ! » […] Le fils de Azzaï a fait fleurir et est mort. […] Le fils de Zoma a fait fleurir et a été frappé. […] Un Autre a coupé dans les plantations. Aqiba [a été introduit en paix et] est sorti en paix. (Talmud de Babylone, Hagigah 14b)
Comme le texte biblique lui-même, ce récit à double hauteur ne laisse apparaître son véritable sens qu’au terme d’un raisonnement par analogie
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L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE
qui associe chacun de ses mots avec un texte de l’Écriture 11. On découvre alors qu’en « faisant fleurir » cette interprétation littérale, Ben Azzaï et Ben Zoma, – qui se prénommaient tous les deux Siméon et qui, de ce fait, représentent des grands prêtres continuateurs de l’interprétation de Siméon fils d’Onias – avaient en fait mené leur communauté à la ruine. L’exégèse de Siméon ben Azzaï, grand prêtre de Jérusalem, avait conduit à la destruction du Temple par les Romains et à l’expulsion des juifs hors de Jérusalem. Siméon ben Zoma, chef des Samaritains, avait de son côté entraîné sa communauté dans la folie. Quant au troisième, cet Autre dont le nom ne devait pas même être prononcé – les rabbins le nommaient par dérision Élicha ben Abouyah : Dieu-Sauveur, fils de Dieu-son-Père – il avait été à l’origine d’une hérésie encore bien vivante, l’hérésie chrétienne, et s’était taillé une doctrine à sa mesure en pillant ce que ses prédécesseurs avaient fait fleurir. Comme les deux autres, le porte-parole de cette hérésie revendiquait le patronage de Siméon en se faisant appeler « Simon, fils de Yonah » avant de recevoir le nom de Pierre. Le seul des quatre à être sorti en paix, après avoir échappé aux pièges de cette interprétation ancienne qu’il avait lui-même pratiquée, fut Aqiba. En quittant le Paradis de l’interprétation, il aurait tiré la porte derrière lui et, de l’avis de ses disciples, plus personne n’y serait plus entré. En réalité, ces sentiers de Sagesse que Siméon avait tracés continuèrent à être parcourus, mais en secret, par de multiples voyageurs. Comme on l’a vu, un nouveau Siméon, surnommé bar Yohay (§ 64) rouvrit rapidement cette porte et tous les mystiques juifs s’y engouffrèrent. Celui qui se nommait Simon fils de Yonah avant de devenir l’apôtre Pierre, devint la pierre angulaire d’une Église qui développa pendant plus d’un millénaire une exégèse allégorique, héritière des méthodes exégétiques de la période du Temple. Le plus malchanceux de tous fut le continuateur supposé de Siméon ben Zoma, le grand prêtre samaritain. Nommé Simon la Grande Puissance par ses adeptes et surnommé Simon le magicien par ses adversaires chrétiens, il fut considéré par ces derniers comme l’unique responsable de toutes les hérésies gnostiques qui devaient fleurir jusqu’au cinquième siècle de notre ère. Alors que certains avaient voulu occulter la doctrine de Siméon fils d’Onias en interdisant l’accès aux arbres du paradis, on vit donc surgir trois nouveaux rameaux qui se développèrent sur le terreau de l’enseignement du Temple. Qu’avaient-ils appris de l’interprétation ancienne lors de leur séjour dans le Paradis ? La consigne donnée par Aqiba était : « Quand vous serez introduits auprès des pierres de marbre pur, soyez avertis (par illumination) que vous ne devez pas dire : Eaux ! Eaux ! » Les pierres qu’ils contemplaient étaient les pierres de l’Écriture ; les eaux doubles, 11. BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 29-41.
CHAP. 10 – L’ALGORITHME DE L’ARITHMOLOGIE BIBLIQUE
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qui en avaient sculpté les deux faces, étaient les mots de cette révélation « à double hauteur » dont il fallait faire la synthèse en disant seulement : « Eaux ! » Mais il n’existe pas de synthèse qui vaille si elle ne repose sur une analyse rigoureuse fondée sur l’algorithme qui vient d’être décrit. Comme on l’a dit, au linteau de la porte du Temple, comme au frontispice de l’Académie, il est en effet écrit : « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre ! » C’est donc par l’étude de cette « géométrie » dont l’algorithme a été gravé dans le récit de création que doit commencer l’initiation au sens allégorique de l’Écriture. Comme on l’a dit, l’enseignement de la période du Temple était divisé en deux cycles. Le premier, qui correspondait à l’étude du récit de Création, se nommait « Œuvre du commencement » (ma‘asèh bere’chit) et pouvait être enseigné par un maître en présence de deux disciples. C’est à ce premier niveau d’initiation que doit correspondre l’algorithme des lettres fondamentales. Le second niveau d’initiation était appelé « Œuvre du char » (ma‘asèh merkavah) et concernait l’interprétation de la vision du char divin par Ézéchiel. Cette interprétation, à la différence de la première, n’était pas enseignée. L’initié devait la redécouvrir par lui-même, le maître se contentant de porter une appréciation sur sa démarche au fur et à mesure de la progression de son cheminement vers la contemplation du char. Ce niveau supérieur de l’initiation mystique devait probablement renvoyer à l’algorithme des lettres divines. Certains lecteurs, je n’en doute pas, seront tentés de mettre la charrue avant les bœufs et de se dispenser de propédeutique. Ils auront sans aucun doute entrevu dans les pages qui précèdent de multiples pistes susceptibles d’alimenter une lecture ésotérique. Si tel est leur choix, je leur déconseille de lire la suite de ce livre car elle risque de les décevoir. Elle entend seulement s’intéresser à « l’Œuvre du commencement » et s’employer à redécouvrir les règles de l’herméneutique de la période du Temple. C’était un temps où logique et mystique ne faisaient qu’un. Ceux qui pratiquaient cette discipline étaient nommés « physiciens » (phusikoi) à Alexandrie. En Judée ont leur donnait le nom de dorché hamourot, ceux qui interprètent la Bible en se consacrant à l’étude de sa « matérialité » (homèr), c’est-à-dire de son support matériel qu’est l’Écriture. Lorsque Rabbi Aqiba s’opposait à Rabbi Ismaël à propos du ’( אתét) qui n’était pour ce dernier qu’un mot vide, il précisait que ce אתn’était vie que pour qui « prenait la peine d’y toucher ». C’est donc à comprendre la partie tangible de cette Écriture qu’il nous faut avant tout nous appliquer en réapprenant à en scruter la Lettre et rien que la Lettre.
Chapitre 11
UNE TRIPLE CONFIRMATION DE LA VALIDITÉ DE L’ALGORITHME
§ 85 Un récit de création ciselé par son auteur ? Que les mots du récit de création aient été comptés par son auteur est une hypothèse admise par certains exégètes actuels. Dans son interprétation des premiers chapitres de la Genèse, André Wénin propose d’organiser le cadre d’ensemble des six jours de la création en un diptyque dont le premier volet correspondrait aux quatre premiers jours et le second au cinquième et au sixième jours. Cette division du récit, qui opposerait créations inanimée et animée, serait suggérée au lecteur par l’auteur lui-même au moyen d’harmonies numériques cachées sous le nombre des mots de chaque jour. (On peut) regrouper les quatre premiers jours en un ensemble ciselé qui reflète par sa régularité l’ordonnancement des éléments du cadre : il est formé en effet de trois unités de 69 mots chacune : les deux premiers jours (2 paroles), le troisième (2 paroles) et le quatrième, soit en tout 207 mots (69 x 3). La deuxième partie (jours 5 et 6 : v. 20-31) en comptera à son tour 206, selon une disposition moins régulière, cependant. Serait-ce la trace de ce que, lorsqu’il s’agit du monde du vivant, c’est le foisonnement qui s’impose, avec un certain désordre caractéristique de la vie 1 ?
Cette harmonie, l’auteur le reconnaît, n’est pas parfaite, mais la question essentielle est de savoir si elle existe réellement dans le texte ou si elle a été projetée sur lui par l’interprète ? Il suffit en fait d’analyser le raisonnement pour en découvrir les failles. S’il est exact que les récits des troisième et quatrième jours comptent objectivement 69 mots chacun, le premier groupe de 69 mots, auquel l’auteur parvient en additionnant le premier et le deuxième jour, n’est en revanche obtenu qu’au prix d’un découpage subjectif du texte. Comme on l’a signalé (§ 15), le récit de chaque jour correspond à un paragraphe ouvert, donc indépendant, ce qui exclut le regroupement arbitraire de deux jours. De plus, le nombre 69 que construiraient ensemble les deux premiers jours n’est obtenu qu’en sacrifiant les deux premiers versets et en ne faisant commencer le décompte 1. WÉNIN A., D’Adam à Abraham ou les errances de l ’humain, Paris, Le Cerf, 2007, p. 23.
202
L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE
qu’au moment où Élohim prend la parole (Genèse 1, 3). Ce n’est donc qu’au prix d’un double choix de l’interprète que l’harmonie 69 x 3 = 207 apparaît. En fait, la seule évidence textuelle objectivement discernable est que les récits des quatre premiers jours sont respectivement composés de 52, 38, 69 et 69 mots, donc d’un total de 228 mots et non de 207. Quant au deuxième volet du diptyque, dont l’auteur s’efforce de limiter l’incohérence en voyant dans son imperfection même une intention de l’auteur biblique qui aurait voulu par là symboliser « le foisonnement du monde du vivant », il est objectivement composé de 241 mots que l’auteur ramène à 206 en excluant le récit du 7e jour qui compte 35 mots. Comme on peut en juger, l’harmonie suggérée ici n’est obtenue que par la combinaison d’éléments objectifs (la répétition du nombre 69) et de choix subjectifs de découpage du texte, tant et si bien que la démonstration ne garantit nullement que le rédacteur du texte biblique ait effectivement compté les mots du texte. Et même s’il l’avait fait, encore faudrait-il être en mesure de justifier le choix des nombres eux-mêmes et particulièrement celui du nombre 69 plutôt que d’un autre ? D’autres harmoniques relevées par A. Wénin paraissent plus convaincantes. Les jeux de chiffres sont certainement volontaires dans ce texte. En base 5, on trouve 10 fois « et Dieu dit », « les cieux », « faire », la racine zrh « semer », « selon son espèce » et 5 fois « appeler », « séparer », « vivant », « lumière » et « luminaires ». En base 7, on compte 7 mots en 1,1 ; 14 en 1,2 et 35 en 2,1-3 (les phrases 2a, 2b et 3a ayant chacune 7 mots, dont l’adjectif « septième ») ; 7 fois « créer » (avec 2,4a), « et il vit que c’est bien », « ramper » et la racine ‘wp « voler » ; 14 fois « jour », 21 fois « terre » et 35 fois « Dieu ». C’est là le signe indubitable que ce texte a été véritablement ciselé par son ou ses auteurs 2 .
L’énumération est assurément impressionnante, mais pour que l’intentionnalité soit démontrée de façon indiscutable encore faudrait-il être en mesure de rendre compte du choix préférentiel des bases 5 et 7. Pourquoi le verbe « faire » a-t-il été employé 10 fois et le verbe « créer » 7 fois seulement ? Pourquoi le mot « cieux » a-t-il été répété 10 fois et le mot « terre » 21 fois (3 x 7) ? On pressent effectivement que ce nombre 7 qui sert de modèle global au récit de la création en sept jours n’a pas pu se répéter avec une telle régularité à tous les niveaux du texte par le simple jeu du hasard, mais il n’est pas possible d’en apporter la démonstration sans la connaissance d’un algorithme qui permettrait de justifier ces choix.
2. WÉNIN A., D’Adam à Abraham ou les errances de l ’humain, Paris, Le Cerf, 2007, p 23, note 15.
CHAP. 11 – UNE TRIPLE CONFIRMATION DE LA VALIDITÉ
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§ 86 Une création à mots comptés Reprenons le décompte des mots du récit de création en ne nous laissant guider que par les seules évidences textuelles observables. Comme on l’a dit, les divisions en versets et en chapitres qui nous sont familières étaient à l’origine absentes. Seule existait une division en paragraphes, indiquée par un blanc (§ 15). En se référant à ce découpage objectif, le récit s’achève sur la mention du troisième sabbat : Car en lui (le jour du septième), (Yahvéh) a(vait) chômé de toute son œuvre qu’(Élohim) avait créée pour que (Yahvéh la) fasse (Genèse 2, 3). Cette section de texte, parfaitement délimitée, est organisée en sept paragraphes conclus de façon systématique, sauf pour le dernier, par la formule et le matin du jour du… exista. Il est donc possible de compter de façon parfaitement objective les mots de chacun des paragraphes ce qui fait apparaître un total de 469 mots qui se répartissent de la façon suivante en fonction de l’algorithme : 52 mots pour le « jour exemplaire » et 417 pour les trois semaines de la création. (Tableau 11). Les mots ont donc bien été comptés, mais en fonction de deux nombres de l’algorithme, du nombre 52 qui est celui des noms divins et de 417 qui renvoie à l’algorithme complet constitué à la fois par le nombre de ces noms divins symbolisés par les lettres paléohébraïques (52) et par celui de l’année solaire auquel correspondent les lettres araméennes (52 + 364 + 1 = 417). Tableau 11 Le nombre des mots du récit de création nombre de mots Le jour exemplaire
Jour exemplaire
Genèse 1,1-5
52
Jour de l’Un
1,6-8
38
Jour du deuxième Jour du troisième Jour du quatrième Jour du cinquième Jours du sixième et du septième Total
1,9-13
69
1,14-19
69
1,20-23
57
1,24-31
149
2,1-3
35
Les trois semaines de la création
417
Cette organisation numérique du récit de création, trop parfaite et trop chargée de sens pour pouvoir être attribuée au hasard, fait intervenir le nombre 52 des lettres divines à deux niveaux, celui du modèle et celui de sa réalisation, ce que l’on peut expliquer en se référant, une fois encore, à
204
L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE
l’enseignement de Ben Sira et particulièrement à l’énoncé initial de son traité qui posait comme axiome : Toute Sagesse vient du Seigneur. Elle est avec lui pour l’éternité. (Ecclésiastique 1, 1)
Pour la lecture littérale, le mot « tout » (kol) a comme fonction spécifique de mettre l’accent sur le fait que la notion qu’il précède, ici celle de « Sagesse », est constituée d’éléments multiples. Lorsque la Sagesse se répand dans le monde elle le fait par de multiples voies ; d’abord sous une forme quantifiée – « Dieu l’a dénombrée » – puis éclatée, – « Dieu l’a répandue sur toutes ses créatures et sur toute chose selon ses largesses » (Ecclésiastique 1, 9-10). Inversement, lorsqu’elle « est avec le Seigneur » dans l’intelligible, elle est une. Appliqué au modèle numérique du récit de création, cet enseignement de Ben Sira peut s’interpréter ainsi. La Sagesse divine, symbolisée par le nombre 52 des lettres divines, s’est répandue dans la création par deux voies, d’une part, en se multipliant sept fois jusqu’à ce qu’elle ait construit le modèle parfait du temps, celui de l’année solaire (52 x 7 = 364), et, d’autre part, en se manifestant elle-même par le biais des noms de Él et de Yahvéh (52). La réalisation intégrale du plan divin, symbolisée par le nombre 416, ne peut donc être atteinte qu’à la fin des temps, après la révélation intégrale de ces Noms. Lorsque l’homme aura atteint ce terme, il se trouvera en possession d’une Sagesse parfaite (52 + 364 = 416) à la fois intelligible et sensible. Il possèdera la Sagesse « des cieux et de la terre » et pourra alors être marqué au front de ce signe du taw qui l’introduira à la contemplation du modèle intelligible (416 + 1 = 417). § 87 À propos de deux nouns inversés Une deuxième référence à l’algorithme 417 se rencontre dans le livre des Nombres : (Les fils d’Israël) partirent donc de la montagne de Yahvéh pour un voyage de trois jours et l’Arche de l’Alliance de Yahvéh se déplaçait devant eux durant le voyage de trois jours pour rechercher pour eux un lieu de repos. Et la nuée de Yahvéh était au-dessus d’eux pendant le jour, quand ils partaient du camp. Or, quand l’Arche partait, Moïse disait : « Lève-toi, Yahvéh, que soient dispersés tes ennemis et que fuient devant toi ceux qui te haïssent ! » Et quand elle se reposait, il disait : « Reviens, Yahvéh, vers les myriades des milliers d’Israël ! » ] (Nombres 10, 33-36)
]
Cette traduction du texte peut suffire à la démonstration qui va suivre, à condition cependant de noter qu’elle corrige le temps des verbes de sorte que le lecteur pense se trouver en présence d’un récit du passé alors qu’il n’en est rien. En effet, si le départ de l’Arche d’alliance peut effectivement
CHAP. 11 – UNE TRIPLE CONFIRMATION DE LA VALIDITÉ
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être considéré comme un événement du passé – « Quand l’arche partit, Moïse dit (way’omèr) » – il n’en va pas de même de son arrivée qui, contrairement à ce que laissent entendre les traducteurs, ne s’est pas encore produite – « quand (l’Arche) se reposera (Moïse) dira (yo’mar) ». Les fils d’Israël ont donc déjà quitté la montagne de Yahvéh et entrepris un voyage de trois jours, mais n’ont pas encore atteint « le lieu de repos » de l’Arche d’alliance. Pour attirer l’attention de l’initié sur ce texte, Siméon a délimité le paragraphe qui décrit le départ de l’Arche et son repos futur au moyen de deux signes (] … ]) qui placent les paroles de Moïse comme entre parenthèses, deux signes mystérieux dont l’aspect est celui de nouns inversés. Cette curiosité graphique n’a pas échappé aux commentateurs anciens et le midrash Sifré en donne deux raisons dont la première est : (Un signe particulier de) ponctuation (est ajouté) sur ce (texte), avant et après, parce que ce (lieu) n’a pas été son lieu. (Sifré, 84)
À première lecture, cette remarque paraît signifier que ces deux versets auraient été primitivement placés ailleurs dans le texte, dans un autre lieu, et que la présence des deux nouns inversés indiquerait au lecteur leur déplacement. Une telle explication paraît d’autant plus plausible qu’elle est confirmée par la version grecque de la Septante. Alors que dans l’hébreu le texte entre nouns commence après la phrase : « Et la nuée de Yahvéh était au-dessus d’eux pendant le jour, quand ils partaient du camp », le texte grec place cette phrase après le texte entre nouns. Ce texte occupe donc bien une place différente. Et il arriva, au moment où le coffre levait le camp, que Moïse dit : « Éveilletoi, Seigneur, que soient dispersés tes ennemis, que s’enfuient tous ceux qui te haïssent ». Et au lieu de repos, il dit : « Tourne-toi, Seigneur, vers les milliers, les myriades d’Israël ! » Et la nuée faisait de l’ombre sur eux de jour quand ils levaient le camp hors du campement. (LXX Nombres 10, 35-36)
Cependant, considérer que la traduction grecque respecte l’ordre de l’original reviendrait à admettre une correction du texte hébreu que l’ensemble des observations faites jusqu’ici rend pour le moins très improbable. En fait, si l’on applique les règles de la lecture littérale, ce « lieu » (maqom) dont parle le Midrash ne se réfère pas à la place des paroles de Moïse dans le texte, mais bien plutôt au Lieu où l’Arche aurait dû trouver le repos au terme de ses déplacements, c’est-à-dire dans le Temple. Le mot maqom désigne en effet avant tout le Temple de Jérusalem, ce « Lieu (maqom) que Yahvéh a choisi parmi toutes les tribus (d’Israël) pour y mettre son Nom » (Deutéronome 12, 5). Pour un lecteur vivant après la destruction du Temple, les nouns auraient donc été placés là à son intention pour lui signifier que ce Temple que les Babyloniens puis les Romains
206
L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE
avaient détruit n’était pas « le lieu de repos » promis à Israël et qu’il fallait attendre la construction d’un nouveau Temple. À la suite de cette première explication, le Midrash Sifré en rapporte une autre qui remonterait à la période du Temple et que Judas le Prince (surnommé Rabbi), la plus haute autorité du Judaïsme du II e siècle de notre ère, aurait reprise à son compte. Rabbi (Juda le Prince) enseigne (que la raison de la présence des nouns est) que ce (passage constitue) un livre en substance. C’est (en effet) en se référant (à ce passage que les Sages) ont enseigné qu’un livre qui a été effacé et dont ne subsistent que quatre-vingt-cinq lettres – comme c’est le cas dans le passage « Or, quand l’Arche partait... » – souille les mains. (Sifré, 84)
Selon cette deuxième interprétation, le passage placé entre deux nouns – et qui est effectivement composé de 85 lettres – constituerait un « Livre en substance » (séfèr be‘açmo). Ce nombre de lettres devrait en conséquence servir d’étalon pour juger de la sacralité d’un texte biblique détérioré : un texte dont quatre-vingt-cinq lettres auraient été conservées serait « sacré » – tel est le sens de l’expression « souille les mains » – mais ne le serait plus si ce nombre n’était pas atteint. Quand on se réfère à l’algorithme, le raisonnement sur lequel reposent les paroles des Sages devient clair. Si l’on calcule le total des valeurs numériques des 22 lettres fondamentales (§ 78, Tableau 7), on obtient en effet le nombre 85 (28 x 3 + 1). On peut alors faire de ce nombre un symbole de perfection et en déduire par extrapolation du nombre des lettres à leur valeur arithmologique, qu’un rouleau de la Torah dont ne subsisterait que le nombre 85 de ses lettres serait donc complet en substance. À l’époque de Juda le Prince la Torah était écrite au moyen de ces 22 lettres dont la valeur cumulée est 85. Si ce témoignage du Midrach ne permet pas de savoir comment Juda le Prince interprétait cette règle et dans quelle mesure il reprenait à son compte une exégèse fondée sur l’arithmologie ancienne, il prouve au moins que la référence au modèle arithmologique élaboré par Siméon quatre siècles plus tôt se transmettait encore par tradition à la fin du deuxième siècle de notre ère. La question est alors de savoir si Siméon s’est contenté de compter les lettres de ce texte pour renvoyer l’initié au seul algorithme des lettres fondamentales ou s’il a codé dans ce monument entre deux nouns l’ensemble des nombres de l’algorithme (52 + 364 + 1 = 417). Tel est le cas ! Pour retrouver le modèle de l’année solaire, il suffit en effet de calculer la somme de l’ensemble des lettres en leur donnant leur valeur de lettres fondamentales (tableau 12). On obtient alors le nombre 365 ! Il reste alors à vérifier que le nombre 52 des lettres divines s’y trouve également. Si tel est le cas, ce ne peut être que dans le nom de Yahvéh, cité deux fois, et dont il faut alors calculer la valeur arithmologique par référence au modèle de ces
CHAP. 11 – UNE TRIPLE CONFIRMATION DE LA VALIDITÉ
207
lettres divines ( י: 10 + ה: 5 + ו: 6 + ה: 5 = 26). Les deux occurrences de Yahvéh ajoutant le nombre 26 x 2 = 52 au nombre précédent, l’algorithme intégral se trouve alors reconstitué. Tableau 12 Les nombres du texte entre nouns inversés 3 Nombres 10, 35-36
nombre de lettres
valeur des lettres fondamentales
ויהי בנסע הארן
12
48
ויאמר משה
8
40
קומה יהוה
8
41
ויפצו איביך
10
35
וינסו משנאיך מפניך
16
74
ובנחה יאמר
9
37
שובה יהוה
8
39
רבבות אלפי ישראל Total
14
51
85
365
valeur des lettres divines
26
26 52
De plus, pour confirmer que ce voyage ne prendra fin que lorsque Israël aura acquis cette parfaite connaissance de l’Écriture que symbolise le nombre 417, Siméon a fait en sorte que l’Arche n’atteigne son lieu de repos que 417 jours après l’entrée des fils d’Israël dans le désert (§ 98). Au terme de cette démonstration on peut enfin comprendre pourquoi l’auteur a choisi de placer cette annonce de Moïse entre deux nouns inversés. Conformément à l’algorithme (§ 82) le noun final correspond au nombre 50, qui est celui du modèle jubilaire révélé par Yahvéh à Moïse (§ 90), un modèle qui correspond au nombre d’or de l’histoire biblique et dont la réalisation ne surviendra que lorsque Israël pratiquera la Torah. En inversant cette lettre, Siméon a voulu signifier que cette entrée dans le jubilé serait reportée tant que les conditions n’auraient pas été remplies. Pendant cette période intermédiaire, Israël sera condamné à marcher au rythme des semaines qui le conduiront jusqu’à de nouveaux seuils jubilaires (7 x 7 + 1). Que les nouns inversés n’aient pas été écrits sous leur forme finale ( = ן50), mais sous la forme normale ( = נ7), vient confirmer que le marche continue encore au rythme des semaines. § 88 Les vingt-six acteurs de l’histoire antédiluvienne Une troisième confirmation est apportée par les valeurs arithmologiques cumulées des noms des vingt-six acteurs de l’histoire antédiluvienne – 3. La présentation du texte hébreu sur plusieurs lignes n’a pour but que de faciliter la vérification des résultats. Seul le résultat final est significatif.
208
L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE
vingt-deux hommes (22) et quatre femmes (Ève, Adah, Çillah et Naamah) – qui, tous ensemble, construisent une fois encore le nombre 417. Tableau 13 Les 26 acteurs de l’histoire antédiluvienne 4 Ordre d’apparition
acteurs
noms
nombre
Total cumulé
Ordre d’apparition
1er
Adam
אדם
11
11
14 e
Youval
יובל
16
216
2
Ève
חוה
12
23
15 e
Touval-Caïn
תובל־קין
29
245
3e
Caïn
קין
15
38
16 e
Naamah
נעמה
20
265
4
Abel
הבל
12
50
17e
Seth
שת
8
273
Hénokh
חנוך
18
68
18 e
Énoch
אנוש
21
294
Caïnan
קינן
22
316
Mahalalel
מהללאל
27
343
e
e
5e
acteurs
nombre
Total cumulé
Irad
עירד
15
83
19
7e
Mehouyaël
מחויאל
22
105
20 e
8e
Mehiyaël
מחייאל
19
124
21e
Yéréd
ירד
13
356
9
Metouchaël
מתושאל
26
150
22 e
Métouchélah
מתושלח
26
382
10 e
Lamekh
למך
15
165
23 e
Noé
נח
8
390
11
Adah
עדה
11
176
24 e
Sem
שם
13
402
12 e
Çillah
צלה
14
190
25 e
Cham
חם
7
410
13
Yaval
יבל
10
200
26 e
Japhet
יפת
7
417
6
e
e
e
e
e
On notera d’abord que si la valeur exemplaire de l’histoire antédiluvienne ressort assurément du nombre 417 que construisent ses acteurs, elle est aussi exprimée par les lettres mêmes de leurs noms qui vont du ’alèf d’Adam ( )אדםau taw de Japhet ()יפ ת. Ces vingt-six acteurs doivent donc parcourir de façon prophétique l’intégralité de l’histoire humaine, de ses origines à son terme, ce que confirmera la suite de la démonstration. § 89 La Protogenèse, modèle de l’histoire universelle L’histoire de ces vingt-six personnages antédiluviens est rapportée dans le premier volet d’un triptyque, dont les panneaux révèlent successivement les trois formes que peut prendre l’arithmologie. Ce premier volet, intitulé Généalogies des cieux et de la terre (Genèse 2, 4 – 4, 26), construit ses modèles arithmologiques à partir des noms des acteurs que sont Caïn, Abel et Seth et de leurs lignées respectives. Par 4. L’ordre des noms correspond à celui de leur apparition dans le récit. La seule difficulté de construction de cette liste réside dans la double orthographe du nom d’un personnage caïnite : Mehouyaël/Mehiyaël (Genèse 4, 18), une double orthographe qui ne doit pas être attribuée à une faute de scribe, mais considérée comme intentionnelle et prise en compte dans le calcul arithmologique qui, – sans cette faute ! – ne serait pas conforme à l’algorithme.
CHAP. 11 – UNE TRIPLE CONFIRMATION DE LA VALIDITÉ
209
sa technique de construction, fondée uniquement sur la valeur numérique des lettres, ce monument est comparable à celui des 26 personnages antédiluviens décrit précédemment. Ce n’est qu’avec le deuxième volet, intitulé Livre des généalogies d’Adam (Genèse 5, 1 – 6, 8) qu’apparaissent les nombres visibles – écrits en toutes lettres –, ceux qui mesurent la durée de vie d’Adam et de ses descendants jusqu’à Japhet et qui construisent par ce biais une chronologie suivie de la période antédiluvienne. Le troisième volet enfin, celui des Généalogies de Noé (Genèse 6, 9 – 9, 29), organise l’histoire du Déluge en fonction du calendrier de l’année solaire dont le modèle a été révélé dans le récit de création. C’est alors seulement qu’apparaissent les premières dates de l’histoire biblique mesurées en années, mois et jours. C’est à analyser successivement ces trois Généalogies de l’histoire antédiluvienne que s’attachera la dernière partie de cette étude. Que le lecteur ne s’attende cependant pas à y trouver une interprétation suivie des récits eux-mêmes – ce qui exigerait que chaque mot du texte ait été soumis à la lecture littérale – mais seulement une description des monuments que construit l’arithmologie et une évocation des pistes d’interprétation vers lesquelles celle-ci oriente l’initié. C’est en effet par ce biais des nombres, insolite pour nous mais familier aux héritiers de Platon, que la cohérence interne de l’ensemble de l’histoire biblique peut être démontrée le plus aisément.
Quatrième partie
La panoplie de l’arpenteur du temps
Chapitre 12
L ES CALENDRIERS ET LEUR USAGE BIBLIQUE § 90 La guerre des calendriers À la période hellénistique la guerre des calendriers faisait rage en Judée. Pour autant que l’on sache, trois étaient en concurrence : un calendrier lunaire de 354 jours calculé sur la base de 12 lunaisons de 29 ou 30 jours, peut-être hérité de la période royale, un calendrier solaire de 365 jours, calculé en fonction d’un modèle proche de celui du calendrier solaire égyptien et un calendrier luni-solaire sur le modèle du calendrier babylonien repris par les Perses et proche du calendrier macédonien que les rois grecs d’Égypte tentaient alors d’imposer en orient. Ce calendrier luni-solaire s’efforçait, de façon encore empirique, d’accorder le comput des douze lunaisons avec le temps solaire en ajoutant un treizième mois, chaque fois que cela paraissait nécessaire. Le débat entre spécialistes sur la nature du calendrier biblique n’est pas clos. Si l’on s’accorde sur la durée du calendrier lunaire, il n’en va pas de même pour le calendrier solaire. Pour les uns, comme Annie Jaubert en avait fait la démonstration, il aurait été de 364 jours. D’autres au contraire optent pour une durée de 365 jours en se référant aux 365 ans de la vie du patriarche Hénokh 1 (Genèse 5, 23) ? 364 ou 365 ? Sur ce point l’algorithme semble renvoyer les adversaires dos à dos en suggérant la validité des deux modèles, mais en faisant dépendre leur réalisation respective de l’attitude du peuple judéen. Lorsque celui-ci pratiquera parfaitement la Torah et sera marqué au front du signe du taw (364 + 1), il atteindra effectivement le 365e jour. Tant qu’il continuera à avoir la nuque raide et à se rebeller contre son Dieu, il sera condamné à voir se succéder des années de 364 jours, jusqu’à ce que sa fidélité arrête la roue du temps et qu’il entre dans ce monde nouveau auquel Ben Sira aspirait. L’histoire biblique devrait donc logiquement être mesurée en années solaires de 364 jours jusqu’à ce que l’apparition d’un 365e jour vienne témoigner de l’entrée effective de l’humanité dans cette ère nouvelle. 1. JAUBERT A., La date de la Cène : calendrier biblique et liturgie chrétienne, (Études bibliques), Paris, Gabalda, 1957. BARC B., « Les calendriers bibliques », dans Les calendriers et leurs implications culturelles, Lyon, Éditions lyonnaises d’art et d’histoire, 2001, p. 37.
214
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
§ 91 Les calendriers du livre des Jubilés Pour apprécier le temps de l’histoire en fonction de l’algorithme, il ne suffit pas de connaître la durée de l’année solaire, encore faut-il redécouvrir l’organisation interne de celle-ci. Comme l’ordre des lettres et des nombres, celui des divisions du calendrier en mois et saisons doit en théorie être fondé sur l’analyse du texte biblique lui-même. On peut cependant se dispenser de cette démonstration car deux œuvres majeures de la période hellénistique – le livre des Jubilés et le Traité astronomique du livre d’Hénokh éthiopien (1Hén 72-83) – conservent des descriptions des calendriers solaire et lunaire qui, à l’usage, s’avèrent conformes au modèle biblique. Le seul point de divergence entre ces deux descriptions porte sur la place du « jour des saisons » que le livre d’Hénokh place à la fin de chaque trimestre, alors que le livre des Jubilés le place, avec raison, au début. Le début du premier mois, le début du quatrième et le début du septième et le début du dixième sont des jours à commémorer, ce sont aussi les jours des saisons dans les quatre divisions de l’année. Ils sont prescrits et institués comme une attestation éternelle. Noé les a institués comme des fêtes pour (toutes) les générations du monde. […] Chaque (saison) compte treize semaines, d’une de ces dates de commémoration à l’autre. […] Le total des jours institués par ordre forme cinquante-deux semaines et leur tout forme une année complète. C’est ainsi qu’il est gravé sur les tables célestes et institué par elles. Il n’y a aucun dépassement en une année et d’année en année. Et toi (Moïse) ordonne aux enfants d’Israël de garder aux années ce nombre de trois cent soixante-quatre jours (qui) forment une année complète. (Jubilés 6, 23-31)
Ce calendrier solaire, composé de 364 jours comme dans l’algorithme, constitue pour l’auteur une norme intangible car il a été « gravé sur les tablettes célestes et institué par elles ». Il serait donc conforme à un modèle révélé dans l’Écriture elle-même. Les jours y sont répartis en quatre saisons, ce qui représente une innovation par rapport au calendrier égyptien qui n’en connaissait que trois. Chacune de ces saisons est inaugurée par un « jour des saisons » suivi de trois mois de trente jours, alors que le calendrier égyptien de 365 jours se composait de douze mois consécutifs de trente jours auxquels s’ajoutaient cinq jours surnuméraires en fin d’année. Par ailleurs, autre originalité par rapport au calendrier égyptien qui divise les mois en décades, le calendrier de l’année parfaite divise l’année en semaines en accordant à cette partition une valeur symbolique extrêmement forte, puisqu’elle est réputée transposer dans l’histoire le rythme que Dieu lui-même a choisi pour opérer sa création. On notera enfin que ce calendrier est composé
CHAP. 12 – LES CALENDRIERS ET LEUR USAGE BIBLIQUE
215
d’un nombre parfait de semaines [364 = 52 x 7]. Il est donc perpétuel, immuable pour l’éternité, chaque année reproduisant le modèle de façon invariante. Aucune fête n’y est mobile, chacune tombe toujours à la même date et le même jour de la semaine. § 92 Querelle à propos de la date du sabbat En conclusion de sa description l’auteur des Jubilés adresse des reproches virulents aux Judéens qui suivent un calendrier lunaire de 354 jours : Il y en aura qui observeront attentivement la lune, mais elle trouble les saisons, elle a dix jours d’avance sur chaque année. C’est pourquoi il leur arrivera des années troublées par eux-mêmes, ils feront d’un jour prescrit un jour réprouvé [...] car ils se tromperont au sujet des mois, des sabbats, des fêtes et du jubilé. C’est à ce sujet que je te donne (à toi Noé) des ordres et des instructions pour que tu les leur communiques, car après ta mort, tes fils les déformeront, en sorte qu’ils ne donneront plus à l’année trois cent soixante-quatre jours seulement, et ainsi ils se tromperont au sujet du mois, de la saison, du sabbat et mangeront du sang avec tout ce qui est chair. (Jubilés 6, 36 -38)
L’auteur fait à ses adversaires le quadruple reproche de se tromper « au sujet des mois, des sabbats, des fêtes et du jubilé ». Il est en effet indubitable qu’ils se trompent en ce qui concerne les mois dans la mesure où une année de 354 jours fait alterner des mois de 30 et 29 jours alors que ceux du calendrier solaire sont uniformément de 30 jours. De cette première erreur découlera inévitablement un décalage de la date des fêtes : la fête des Pardons qui doit se célébrer « le dixième jour du septième mois » tombera le 187e jour de l’année lunaire et le 193e de l’année solaire, un décalage qui ne fera que s’accentuer d’année en année. L’erreur se répercutera également sur le calcul des jubilés, ces périodes de 49 ans révélées à Moïse et que l’auteur des Jubilés retient comme unité de mesure de l’histoire (Lévitique 25, 8-12). Alors qu’un jubilé calculé en fonction de l’année solaire durera 17 836 jours (364 x 49), il ne sera que de 17 346 jours (354 x 49) d’après le calendrier lunaire. Mais si le reproche paraît justifié dans ces trois cas, on ne voit pas, a priori, comment le passage d’un calendrier à l’autre pourrait avoir une influence sur la date de célébration du sabbat. Dans le monde contemporain, l’existence d’un triple calendrier, solaire des chrétiens, luni-solaire des juifs et lunaire des musulmans, n’empêche pas les trois religions de vivre au même rythme de la semaine. On pourrait assurément évacuer le problème en disant que l’auteur s’est laissé emporter par la polémique, mais l’approximation n’étant pas de mise quand il s’agit de calendrier, il faut plutôt rechercher le type de comput qui pourrait effectivement entraîner
216
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
un tel décalage dans la célébration du sabbat. La seule solution satisfaisante est alors d’admettre que si le calendrier solaire du livre des Jubilés ne comporte que 364 jours décomptés, il en a possède en réalité un 365e, comme dans l’algorithme [364 +1] mais qui ne pourra pas être comptabilisé tant que durera l’infidélité d’Israël. Pour étayer cette hypothèse on peut alléguer un enseignement conservé dans une compilation juive des IV e-V e siècles, qui rapporte que Satan a pouvoir de tenter l’humanité pendant les 364 premiers jours de l’année, mais que le 365e, le jour de Kippour — le jour des Pardons — il perd son pouvoir (Lévitique Rabah 21, 4). Ce midrach est d’autant plus précieux qu’il est enseigné à une époque où le calendrier solaire a été depuis longtemps abandonné par le judaïsme. En mettant ce 365e jour en rapport avec le jour des Pardons, le midrach invite effectivement à accorder à ce jour un statut spécial. Comme le 365e jour de l’algorithme, le jour des Pardons devient un jour hors du temps, un jour pendant lequel le croyant cesse de travailler, de s’alimenter, de dormir, s’abstient de rapports sexuels et, se consacrant entièrement à la prière, devient semblable aux anges de Dieu 2 . Si l’on retient l’hypothèse qui place le 365e jour en dehors du comput, le reproche que fait l’auteur des Jubilés aux partisans du calendrier lunaire est alors pleinement justifié, car s’ils continuent à égrainer les jours sans interruption alors que le calendrier solaire fait une pause d’un jour, leur sabbat se trouvera effectivement avancé d’un jour dès la deuxième année, un décalage qui se répercutera sur les six années suivantes. La présence d’un 365e jour relégué hors comput, mais bien réel, a par ailleurs l’avantage de réduire le décalage qu’aurait provoqué un calendrier de 364 jours par rapport au temps solaire réel. Ramené à un quart de jour par an au lieu d’un jour et quart, le décalage devient acceptable pour un certain temps au moins, puisqu’au bout de vingt années, il n’est encore que de cinq jours par rapport au temps réel. Ce même décalage existait d’ailleurs dans le calendrier égyptien de la période hellénistique et l’on sait que le décret de Canope promulgué par Ptolémée III en 238 avant notre ère pour introduire les années bissextiles se vit opposer une fin de non-recevoir de la part des autorités religieuses égyptiennes et resta lettre morte jusqu’à l’entrée en vigueur de la réforme julienne. À la suite du livre des Jubilés, on considérera que cette année solaire de 364 jours est composée de quatre trimestres de 91 jours, eux-mêmes composés d’un « jour des saisons » suivi de trois mois de 30 jours avec un 365e jour en fin d’année, mais hors comput.
2. Pirqè de Rabbi Éliézer 46 éd. M.-A. Ouaknin et E. Smilévitch, (« Les Dix Paroles »), Lagrasse, Verdier, 1983, p. 295-299.
CHAP. 12 – LES CALENDRIERS ET LEUR USAGE BIBLIQUE
217
Tableau 14 Le calendrier de l’année solaire parfaite Première saison
Deuxième saison
jour des saisons
1
1er mois
30
2 e mois
30
3e mois
30 91e jour
jour des saisons
1
4 mois
30
5e mois
30
6 e mois
30 182 e jour
e
Troisième saison
jour des saisons
1
7e mois
30
8e mois
30
9 mois
30 273e jour
jour des saisons
1
e
Quatrième saison
10 mois
30
11e mois
30
12 e mois
30 364 e jour
e
(jour exemplaire) (1) (365e jour)
§ 93 Les dates explicites de la Bible Dans le récit des « Quatre qui entrèrent au Paradis 3 » (§ 84) un glosateur mettait en garde ceux qui seraient tentés de suivre l’exemple de Ben Zoma — qui « avait fait fleurir » (la lecture littérale) « et avait été frappé » (de folie) — en citant un proverbe : « As-tu trouvé du miel ? Mange ce qui te suffit. Autrement tu serais tellement rassasié que tu le vomirais ! » (Proverbes 25, 16). Il est en effet nécessaire de contrôler son appétit si l’on ne veut pas se laisser entraîner dans le tourbillon des nombres et le sens allégorique qu’ils induisent. Il faudra donc renoncer à suivre la plupart des pistes qui se présenteront et se contenter de démontrer l’existence d’une arithmologie biblique gravée dans l’Écriture elle-même et dont le rôle est d’introduire l’initié à un sens allégorique. Deux monuments arithmologiques seront analysés. Le premier est celui que construisent les nombres cachés sous les noms des personnages — les 26 personnages antédiluviens en ont fourni une première illustration (§ 88). Le second sera reconstitué à partir de l’ensemble des dates explicites dispersées dans le corpus biblique.
3. BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 29-41.
218
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
Tableau 15 Les dates explicites de la Bible jour
mois
1
1er
er
Sacrifice d’expiation pour le Sanctuaire
Éz. 45, 18
Assèchement des eaux après le Déluge
Gn. 8, 13
§ 216
Érection de la Demeure du désert
Ex. 40, 17
§ 152
Oracle sur la conquête de l’Égypte par Éz. 29, 17 Nabuchodonosor 7e
1er
Sacrifice d’expiation pour celui qui a Éz. 45, 20 péché
§ 216
Oracle sur la victoire de Nabuchodo- Éz. 30, 20 nosor sur l’Égypte
§ 216 § 94
10 e
1er
Choix de l’agneau pascal Remontée du Jourdain
Jos. 4, 19
14 e
1er
La Pâque
Ex. 12, 6; Lv. 23, 5; Nb. 28, 16.
La Pâque de la deuxième année
Nb. 9, 3-5
Célébration de la Pâque en Canaan
Jos. 5, 10
La Pâque du nouveau Temple
Éz. 45, 21
Départ de la ville de Ramsès
Nb 33, 3
Début de la fête des Azymes
Lv. 23, 6 ; Nb. § 177, 196 28, 17
15
e
1
er
Ex. 12, 2-3
21e
1er
Fin de la fête des Azymes
Ex. 12, 18
er
1
2
Dénombrement des tribus
Nb. 1, 1, 18
14 e
2e
La Pâque de l’homme impur
Nb. 9, 11
15
2
Arrivée au désert de Sin
Ex. 16, 1
e
e
e
§ 177, 196
17e
2e
Les fontaines du grand abîme se fendent Gn. 7, 11
§ 149, 178, 184
20 e
2e
Départ du désert du Sinaï
Nb. 10, 11
§ 98, 114
27
2
Assèchement de la terre
Gn. 8, 14
§ 145, 216
1er
3e
Arrivée au désert du Sinaï
Ex. 19, 1
Oracle contre Pharaon
Éz. 31, 1
5e
4e
Vision de la gloire de Yahvéh
Éz. 1, 1-2
9
e
4
Départ en exil du roi Sédécias
Jr. 39, 2; 52, 6
§ 110, 117
1er
5e
Mort d’Aaron
Nb. 33, 38
§ 116, 119
5e
Incendie de la Maison de Yahvéh
2 R. 25, 8
§ 187
5e
Incendie de la Maison de Yahvéh
Jr. 52, 12
§ 107, 115, 153, 224
Oracle aux anciens d’Israël
Éz. 20, 1
e
7e 10
e
e
e
§ 121
CHAP. 12 – LES CALENDRIERS ET LEUR USAGE BIBLIQUE
219
1er
6e
Oracle sur la reconstruction du Temple
Ag.1, 1
5e
6e
Vision de l’idole de la Jalousie
Éz. 8, 1
6
e
Début de la reconstruction du Temple
Ag.1, 15
e
7
Sabbat jubilaire
Lv. 23, 24; Nb. § 148 29, 1
7e
Sabbat du Sabbat jubilaire
Lv. 23, 32
7
Jour des Pardons
Lv. 16, 29; 23, § 104, 158 27; 25, 9; Nb. 29, 7
15e
7e
Début de la fête des Tabernacles
Lv.23, 34, 39; Nb. 29, 12
Célébration de la « Fête »
Éz. 45, 25
17
7
Repos de l’arche sur le mont Ararat
Gn. 8, 4
§ 111, 144, 192
21e
7e
Oracle sur le Temple et Zorobabel
Ag. 2, 1
§ 113, 115, 155
22 e
7e
Fin de la fête des Tabernacles
Lv.23, 34, 39; § 94 Nb. 29, 12
15e
8e
Institution d’une nouvelle fête par Jéroboam
1 R. 12, 32-33
4e
9e
Annonce de la gloire future de Jérusa- Za. 7, 1 lem
24 e
9e
Fondation du Temple de Yahvéh Oracle sur l’élection de Zorobabel
Ag. 2, 20
1er
10 e
Apparition des têtes des montagnes
Gn. 8, 5
§ 194, 199
5
10
e
Annonce de la chute de Jérusalem
Éz. 33, 21
§ 198
10
e
§ 118
24
e
1
er
9e 10
e
e
e
e
e
10
e
Ag. 2, 10,18
Oracle contre Jérusalem
Éz. 24, 1
Nabuchodonosor assiège Jérusalem
2 R. 25, 1; Jr. 52, 4
§ 196, 202
§ 94
§ 231
12 e
10 e
Oracle contre Pharaon
Éz. 29, 1
1er
11e
Dernières paroles de Moïse
Dt. 1, 3
11
Vision de l’homme monté sur un cheval Za. 1, 7 roux
§ 116, 151, 158, 212
1er
12 e
Oracle sur la fin de Pharaon
Éz. 32, 1
§ 209
25e
12 e
Retour en grâce de Joachin
Jr. 52, 31
27e
12 e
Retour en grâce de Joachin
2 R. 25, 27
24
e
e
(30 ) e
(12 ) e
Accomplissement du modèle de l’année parfaite
§ 224
§ 116 § 114, 116,140, 202
220
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
Ben Sira enseignait que ces deux volets de l’arithmologie sont interdépendants. Il existait pour lui une correspondance mystérieuse entre les personnages bibliques et les dates du calendrier : Pourquoi un jour l’emporte-t-il sur un autre jour, quand toute la lumière des jours de l’année vient du soleil ? C’est dans la connaissance du Seigneur qu’ils furent séparés, il a rendu différents les temps et les fêtes. Il a élevé et sanctifié certains d’entre eux, il en a placé d’autres dans le grand nombre des jours. Ainsi les hommes viennent tous du sol, c’est de la terre qu’a été créé Adam. Dans l’abondance de son savoir le Seigneur les a séparés, il a rendu différentes leurs voies. Parmi eux il en a béni et élevé, il en a sanctifié et rendu proches de lui, parmi eux il en a maudit et abaissé, il les a renversés de leur place. (Ecclésiastique 33, 7-12)
Ces temps et ces fêtes sont mis en évidence par les dates. L’accostage de l’arche du Déluge sur les montagnes d’Ararat est daté du « septième mois, du dix-septième jour du mois » (Genèse 8, 4). La fête des Tabernacles commence « le quinzième jour du septième mois » (Lévitique 23, 34). À côté de ces dates exprimées en clair, il en est d’autres qui doivent être déduites du texte. La fête des Tabernacles durant « huit jours », on peut en déduire qu’elle prend fin le vingt-deuxième jour du septième mois. Pour dresser un catalogue exhaustif « des temps et des fêtes » il faudrait prendre en compte toutes ces données chronologiques incomplètes ce qui impliquerait de longues démonstrations dont l’utilité serait négligeable dans le cadre de cette étude. Aussi se contentera-t-on de mettre en ordre les dates explicites complètes du corpus (Tableau 15). Elles sont au nombre de 53, mais, comme certaines d’entre elles correspondent à plusieurs événements, elles ne sont en fait que 40 sur les 364 théoriquement possibles. Après analyse, elles peuvent être regroupées sous trois rubriques en fonction de leur objet. Les unes construisent le calendrier liturgique, d’autres servent à dater les grands événements de l’histoire biblique, les troisièmes enfin datent certains oracles des prophètes. § 94 Les calendriers liturgiques de Juda et d’Israël Le choix que fait Siméon de classer ces dates explicites sous trois rubriques – l’histoire, la liturgie et la prophétie – doit probablement être mis en rapport avec la tripartition du réel. Les dates de l’histoire renverraient alors au monde sensible et celles des prophéties au monde intelligible, les dates liturgiques établissant la médiation entre le monde divin et le monde de l’homme. Le calendrier liturgique n’a été révélé qu’au moment de la sortie d’Égypte, lorsque Yahvéh a annoncé :
CHAP. 12 – LES CALENDRIERS ET LEUR USAGE BIBLIQUE
221
Ce mois (est) pour vous la tête des mois : (Il est le) premier pour vous en vue des mois de l ’année (Exode 12, 2)
En réalité cette liturgie ne commence que le dixième jour du premier mois avec le choix de l’agneau pascal (Exode 12, 3). Puis viennent les célébrations de la Pâque (pésah), de la fête des Azymes (maçot), du Sabbat jubilaire (chabaton), du Sabbat du Sabbat jubilaire (chabat chabaton), du jour des Pardons (yom hakipourim) et pour conclure, de la fête des Tabernacles (Soukot) qui dure huit jours. Le cycle des fêtes institué par Yahvéh commence donc le 10e jour du 1er mois pour prendre fin le 22e jour du 7e mois, au moment de la cérémonie de clôture de la fête des Tabernacles (Tableau 16) 4 . Il faut attendre la construction du premier Temple et la mort de Salomon pour qu’une première réforme liturgique, mineure en apparence, ait lieu. Elle fut décidée par Jéroboam, premier roi d’Israël, au moment du schisme des deux royaumes. Désireux d’éviter que les israélites ne continuent à offrir des sacrifices au Temple judéen de Jérusalem, Jéroboam construisit deux veaux d’or qu’il présenta aux tribus en disant : « Voici tes dieux, Israël, qui t’ont fait monter du pays d’Égypte. » Il les installa, l’un à Bethel, l’autre à Dan, et institua une nouvelle fête : Jéroboam fit une fête le huitième mois, le quinzième jour du mois, pareille à la fête qui existait en Juda […] Il monta donc à l’autel qu’il avait fait dans Béthel, le quinzième jour du huitième mois, mois qu’il avait imaginé de lui-même, et dans lequel il avait institué une fête pour les fils d’Israël. (1 Rois 12, 32-33)
Le schisme politique s’accompagna donc d’un schisme liturgique. Alors que les Judéens, rassemblés autour du Temple de Jérusalem, dédié à Yahvéh, conservaient la liturgie révélée pendant le séjour au désert, les Israélites, rassemblés autour du Temple de Él (beyt-’él) y ajoutèrent une nouvelle fête. Aucune autre modification ne fut apportée à ces calendriers jusqu’à la fin de l’histoire royale d’Israël et de Juda. Ce n’est qu’au moment de la déportation des Judéens en Babylonie qu’un nouveau calendrier liturgique, destiné au Temple idéal, fut révélé au prophète Ézéchiel (Ézéchiel 45, 18-25).
4. Si la prise en compte des seules dates explicites peut suffire dans le cadre de cette étude, il faudra nécessairement étendre l’enquête à l’ensemble des dates. C’est ainsi que la fête de Chavouot — qui deviendra la Pentecôte des chrétiens — n’est pas explicitement datée, ce qui a provoqué de nombreuses controverses entre pharisiens, sadducéens et samaritains sur la date de sa célébration. (Voir Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, Paris, 1998 p. 197-200).
222
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
Tableau 16 Les calendriers liturgiques Le calendrier liturgique du Désert Jour Mois 10 e
1er
Choix de l’agneau pascal.
Ex. 12, 2-3
14e
1
La Pâque
Ex. 12, 6 ; Lv. 23, 5; Nb. 9, 3-5 ; 28, 16; Jos. 5, 10
15e
1er
Début de la fête des Azymes
Lv. 23, 6 ; Nb. 28, 17
er
21
1
Fin de la fête des Azymes
Ex. 12, 18
14 e
2e
La Pâque de l’homme impur
Nb. 9, 11
1er
7e
Le Sabbaton (Sabbat jubilaire)
Lv. 23, 24 ; Nb. 29, 1
9
e
7
Le Sabbat du Sabbaton
Lv. 23, 32
10 e
7e
Le jour des Pardons
Lv. 16, 29; 23, 27 ; 25, 9 ; Nb. 29, 7
15e 22e
7e 7e
Le début de la fête des Tabernacles 8e jour de la fête des Tabernacles.
Lv.23, 34, 39 ; Nb. 29,12
e
er
e
Le rituel du royaume d’Israël 15e
8e
Institution d’une fête par Jéroboam
1 R. 12, 32-33
1
1
Sacrifice d’expiation pour le Sanctuaire
Éz. 45, 18
7e
1er
Sacrifice d’expiation pour celui qui a péché
Éz. 45, 20
14 e
1er
La Pâque du nouveau Temple
Éz. 45, 21
15
7e
La Fête (Hag)
Éz. 45, 25
Le rituel du Nouveau Temple révélé à Ézéchiel er
er
e
On constate d’abord que les fêtes du calendrier du désert sont célébrées pendant les sept premiers mois seulement, c’est-à-dire dans le cadre de l’hebdomade, alors que l’innovation apportée par le roi Jéroboam consiste à faire sortir Israël de ce cadre terrestre, en célébrant une fête le huitième mois, donc hors de l’hebdomade. Cette évasion de l’hebdomade sur laquelle règne Yahvéh a pour corollaire logique l’abandon du culte de Yahvéh pour celui de l’autre hypostase du Très-Haut qu’est Él. Israël abandonne le Temple de Yahvéh ( )יהוהpour le Temple de Béthel, c’est-à-dire pour « la Maison de Él » (beyt-él : )בית־אל. Au moment du schisme des tribus les Judéens de Jérusalem demeurent donc yahvistes tandis que les Israélites de Beth-Él deviennent élohistes, des choix que le Très-Haut, dans sa prescience parfaite, avait inscrit dans les noms mêmes d’Israël ()ישראל et de Juda ( )יהודה5. 5. Le nom d’Israël est composé du nom divin Él [ ]אלet de la forme yisra []ישר dérivée de la racine stable sr []שר. L’étymologie du nom d’Israël est révélée dans
CHAP. 12 – LES CALENDRIERS ET LEUR USAGE BIBLIQUE
223
On doit logiquement supposer que le nouveau calendrier liturgique institué par Jéroboam en l’honneur dieu Él était solaire. Él(ohim) n’est-il pas l’inventeur du modèle de l’année solaire parfaite 6 ? Si tel est le cas, il faudrait alors en déduire que le calendrier liturgique révélé par Yahvéh au moment de la sortie d’Égypte est lunaire. On reviendra sur le sujet, mais il déjà possible de relever deux arguments en faveur de cette hypothèse. Le premier ressort du fait que le cycle des fêtes du calendrier du Désert ne commence que « le 10e jour du premier mois » et réduit, de ce fait, la durée de l’année liturgique à 354 jours, ce qui correspond à la durée de l’année lunaire. Le deuxième argument est plus subtil. Il ressort de la comparaison des durées réelles des années liturgiques d’Israël et de Juda, de la première à la dernière de leurs célébrations respectives. Le cycle des fêtes de Juda qui commence le 10 e jour du 1er mois, date du choix de l’agneau, et s’achève le 22e jour du 7e mois, à la fin de la fête des Tabernacles, se déroule sur 189 jours 7. Le cycle liturgique d’Israël – si l’on admet qu’il est fondé sur le calendrier solaire – doit commencer le 1er jour du 1er mois et s’achever le 15e jour du 8e mois, date de la nouvelle fête instituée par Jéroboam. Sa durée effective est donc 228 jours 8. Il suffit alors de faire la somme des temps liturgiques d’Israël et de Juda pour comprendre que le culte qu’ils rendront à chacune des hypostases divines les conduira par l’épisode du combat de Jacob avec l ’ange (Genèse 32, 25-33), lorsque l’adversaire du patriarche lui dit : « On ne t’appellera plus du nom de Jacob, mais Israël, parce que tu as combattu ( )שר־יתavec Élohim (» )אל־הים. Quant au nom de Juda ()יהודה, il est, à ma connaissance, le seul nom biblique qui contienne les quatre lettres du Tétragramme ()יהוה. Quant à sa cinquième lettre, le dalèt ( )דelle renvoie à la racine monolitère qui signifie « louer, rendre grâces ». 6. À propos de l’interprétation des noms divins, on se contentera de noter que la graphie de Él ( )אלest à la fois identique à celle de la préposition « vers » (’él : )אלet de la négation « ne pas » (’al : )אלqui sert à introduire une interdiction – « ne fais pas (ceci) ! (» )אל תעשה. En fonction du principe de non-contradiction on doit alors comprendre que Él symbolise un attribut divin vers lequel l’homme tend mais sans pouvoir l’atteindre. Quant à la forme ’Élohim ()אלהים, elle est la synthèse de trois noms divins : ’Él ( )אלune forme du masculin, ’Éloah ( אל־הou )אלו־הforme portant la marque du féminin et ’Élohim ( )אל־ה־יםqui porte en plus la marque du pluriel. Élohim exprime donc la synthèse des représentations que l’humanité peut se faire de la divinité. Et comme Adam a été créé à l ’image d ’Élohim, il doit contenir en lui ces potentialités divines, d’où la formule du récit de Création : — Et Élohim créa le modèle d ’Adam dans son image, (c’est dire que) dans l ’image (des lettres) d ’Élohim, (Yahvéh) a créé le modèle de celui-ci masculin, et féminin il a créé le modèle de ceux-ci (qui deviennent alors pluriels comme Él-oh-im) (Genèse 1, 27). 7. Par référence à un calendrier lunaire où alternent des mois de 30 et 29 jours, la durée du cycle des fêtes de Juda qui ne commence que le 10 e jour du premier mois est de (20 + 29 + 30 + 29 + 30 + 29 + 22 =) 189 jours. 8. Par référence au calendrier solaire (§ 92, tableau 15), la durée du cycle des fêtes d’Israël est de deux trimestres (91 + 91) plus un jour des saisons (+ 1), plus un septième mois (+ 30) plus quinze jours (+ 15 = 228 jours).
224
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
des chemins différents jusqu’à l’entrée dans une ère nouvelle, conforme à l’algorithme (189 + 228 = 417). La validité de cette équation devra bien évidemment être confirmée par la lecture littérale de l’histoire des deux royaumes. § 95 Le calendrier liturgique du Temple idéal Le nouveau calendrier liturgique dont Ézéchiel a la vision (Tableau 16) fait la synthèse des deux calendriers précédents. Le premier mois, le premier du mois, tu prendras un jeune taurillon sans défaut et tu feras un sacrifice d’expiation pour le sanctuaire. […] Tu feras de même le sept du mois, pour l’homme qui a péché par mégarde ou pour l’inexpérimenté ; tu feras la propitiation pour la Maison. Le premier mois, le quatorzième jour du mois, ce sera pour vous la Pâque, fête de sept jours : on mangera des Azymes […]. Le septième mois, le quinze du mois, lors de la Fête [hag], il fera de même pendant sept jours […]. (Ézéchiel 45, 18-25)
Ce calendrier est solaire – il commence le 1er jour du 1er mois comme celui d’Israël – mais s’achève, comme celui de Juda, avec la fête des Tabernacles devenue la Fête par excellence (hag). Il fait donc bien la synthèse des deux liturgies, symbolisant par là la réunification des tribus à la fin des temps et leur entrée dans l’ère nouvelle au moment où elles atteindront le nombre de l’algorithme (§ 94). Il est alors normal que ce calendrier passe sous silence trois des célébrations de la période royale, le Sabbaton, le Sabbat du Sabbaton et le jour des Pardons, trois célébrations qui n’avaient de raison d’être qu’avant l’entrée dans cette ère nouvelle dont elles célébraient l’avènement par anticipation (voir chapitre 14). Ces quelques remarques suffisent à montrer que ces dates liturgiques s’inscrivent bien dans un système cohérent, qu’elles apparaissent dans la Torah, dans les Livres historiques ou dans le corpus des Prophètes. § 96 Les périodes de l’histoire postdiluvienne À la différence des dates liturgiques qui se répètent d’années en années, celles de l’histoire biblique renvoient à des événements ponctuels dont l’ordre de succession doit être explicité, d’où la nécessité de mentionner l’année de l’événement. L’an six cent de la vie de Noé, le deuxième mois, le dix-septième jour du mois, en ce jour-là, se fendirent toutes les fontaines du grand Abîme. (Genèse 7, 11)
Alors que le judaïsme rabbinique date sa chronologie de la création du monde, Siméon adopte un système de chronologie relative. Il date les
CHAP. 12 – LES CALENDRIERS ET LEUR USAGE BIBLIQUE
225
événements par référence aux jalons de l’histoire que sont la naissance de Noé, la sortie d’Égypte ou le ministère du prophète Ézéchiel, mais aussi par référence aux règnes des derniers rois de Juda, Sédécias et Joachin ou de rois étrangers comme Nabuchodonosor, Éwil-Mérodak ou Darius. Il reprend en fait le système de chronologie relative en usage à son époque, mais le met au service d’un projet original. Tableau 17 Les périodes de l’histoire postdiluvienne Du début à la fin du Déluge Jour Mois Année 600 e année de Noé
Événements
Références
17e
2e
17e
7e
Repos de l’arche sur le mont Gn 8, 4 Ararat
1er
10 e
Apparition des têtes des mon- Gn 8, 5 tagnes
1er
1er
27e
2e
15
1
601e année de Noé
Les fontaines du grand Abî- Gn 7, 11 me se fendent
Assèchement des eaux après Gn 8, 13 le Déluge Assèchement de la terre
Gn 8, 14
De la sortie d’Égypte à l’entrée en Canaan e
er
1 année de la sortie d’Égyp- Départ de la ville de Ramsès Nb 33, 3 te e
15e
2e
Arrivée au désert de Sin
er
1
3e
Arrivée au désert du Sinaï Ex 19, 1 (?)
1er
1er
1er
2e
Dénombrement des tribus
Nb 1, 1, 18
20 e
2e
Départ du désert du Sinaï
Nb 10, 11
1
5
1er
11e
10 e
1er
er
e
Ex 16, 1
2 e année de la sortie d’Égyp- Érection de la Demeure du Ex 40, 17 te désert
40 année de la sortie d’Égyp- Mort d’Aaron te e
Nb 33, 38
Dernières paroles et mort de Dt 1, 3 Moïse (41e) année de la sortie Remontée du Jourdain d’Égypte
Jos 4, 19
226
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
De la destruction du Temple au retour en grâce de Joachin 8e année de Nabuchodono- Départ de Joachin en Baby- 2 R 24, 12 sor lonie 10 e
10 e
9e année de Sédécias
Nabuchodonosor assiège Jé- 2 R 25, 1; rusalem Jr 52, 4
9e
4e
11e année de Sédécias
Entrée des babyloniens à Jé- Jr 39, 2; rusalem 52, 6
7e
5e
19e année de Nabuchodono- Incendie de la Maison de 2 R 25, 8 sor Yahvéh
10 e
5e
Incendie de la Maison de Jr 52, 12 Yahvéh
25e
12 e
27e
12
er
1
6
24 e
6e
Début de la reconstruction Ag 1, 15 du Temple
21e
7e
Oracle sur le Temple et Zo- Ag 2, 1 robabel
24 e
9e
Fondation du Temple et an- Ag 2, nonce de l’élection de Zo- 10-20 robabel
24 e
11e
Vision de l’homme monté Za 1, 7 sur un cheval roux
4e
9e
37e année de Joakin
e
Retour en grâce de Joachin
Jr 52, 31
Retour en grâce de Joachin
2 R 25, 27
La reconstruction du Temple e
2 année de Darius e
4 e année de Darius
Oracle sur la reconstruction Ag 1, 1 du Temple
Annonce de la gloire future Za 7, 1 de Jérusalem
De façon surprenante en effet les dates explicites de cette chronologie ne concernent ni l’histoire des patriarches, ni celles des juges ou des rois d’Israël et de Juda, à l’exception des derniers d’entre eux. Pour Siméon, le rôle des dates n’est pas de jalonner l’histoire biblique elle-même, mais seulement de mettre en évidence les périodes intermédiaires qui permettent de la structurer. Aussi les dates explicites ne concernent-elles que trois événements clés, la traversée du Déluge, la traversée du Désert jusqu’au franchissement du Jourdain et la traversée de l’exil des Judéens en Babylonie, de la destruction de leur Temple à sa reconstruction. (Tableau 18). Par le biais des dates explicites, l’histoire biblique se trouve alors structurée en quatre périodes conformément à l’annonce faite à Abram par Yahvéh au moment de son entrée en Canaan : Ce ne sera qu’à la quatrième période [dor] que ta race reviendra vers sa terre. (Genèse 15, 16)
Les événements datés ont donc été soigneusement sélectionnés par Siméon en fonction d’un plan d’ensemble qui vise à organiser l’histoire en périodes.
CHAP. 12 – LES CALENDRIERS ET LEUR USAGE BIBLIQUE
227
Tableau 18 Les traversées de l’humanité 1. Histoire antédiluvienne Traversée du Déluge 2. Histoire patriarcale Traversée du Désert 3. Histoire des 12 tribus Traversée de l’Exil 4. Histoire postexilique Vers la Jérusalem nouvelle
§ 97 Les dates du ministère d’Ézéchiel Pour que le tableau des dates explicites soit complet encore faut-il y intégrer dix dates du livre d’Ézéchiel qui correspondent à des oracles ou des visions contemporaines de la troisième traversée, celle de l’Exil. Tableau 19 Les dix dates explicites d’Ézéchiel Jour
Mois Année
5e
6e
6e
Vision de l’idole de la Jalousie
Éz 8, 1
10 e
5e
7e
Oracle aux anciens d’Israël
Éz 20, 1
10e
10
9e
Oracle contre Jérusalem
Éz 24, 1
12e
10e
10e
Oracle contre Pharaon
Éz 29, 1
7e
1er
11e
Oracle contre l’Égypte
Éz 30, 20
1er
3e
11e
Oracle contre Pharaon
Éz 31, 1
5
e
10 e
12e
Annonce de la chute de Jérusalem
Éz 33, 21
1er
12 e
12e
Oracle sur la fin de Pharaon
Éz 32, 1
1er
1er
27e
Oracle sur la conquête de l’Égypte
Éz 29, 17
5
4
30 e
Vision de la Gloire de Yahvéh quittant le Temple Éz 1, 1-2
e
e
e
La première de ces dates est celle de la Vision de la Gloire de Yahvéh quittant le Temple, plus connue sous le nom Vision du char (merkavah) de Yahvéh, une vision qui deviendra la pièce maîtresse de la mystique juive après la destruction du Temple, après que la Gloire de Yahvéh aura effectivement quitté celui-ci : La trentième année, le quatrième mois, le cinq du mois, alors que j’étais au milieu des déportés, au bord du fleuve Kebar, il advint que le ciel s’ouvrit et je vis des visions de Dieu.
228
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
– Le cinq du mois, celle-ci est la cinquième année de la déportation du roi Joachin, la parole de Yahvéh fut adressée à Ézéchiel, fils de Bouzi le prêtre, dans le pays des Chaldéens, au bord du fleuve Kebar, et là la main de Yahvéh fut sur lui – Je regardai : et voici […] (Ézéchiel. 1, 1-3)
Si cette vision est placée en tête du livre d’Ézéchiel, bien qu’elle soit chronologiquement la dernière – Elle est datée de la 30e année du ministère du prophète alors que les neuf autres s’échelonnent de la 6 e à la 27e année – c’est en fonction de la règle de prescience divine qui veut que l’aboutissement du plan divin soit révélé avant les étapes intermédiaires qui conduiront à celui-ci 9. La date de la vision de la Gloire de Yahvéh – « la trentième année, le quatrième mois, le cinq du mois » – est suivie d’un commentaire qui précise que cette trentième année correspond à « la cinquième année de la déportation du roi Joachin ». Cette remarque, que l’on considère généralement comme une glose, fournit en réalité la clé d’interprétation indispensable à la mise en ordre des dates. Cette troisième période intermédiaire dans laquelle s’insèrent les dates d’Ézéchiel est en effet entièrement placée sous le patronage du roi Joachin. Elle commence avec son départ en exil à Babylone – « la huitième année du règne de Nabuchodonosor » – et s’achève au moment de son retour en grâce lors de l’avènement d’Évil-Merodakh, successeur de Nabuchodonosor (Tableau 18). En précisant que le ministère d’Ézéchiel commence « la cinquième année de Joachin », Siméon permet à l’initié d’associer chacune des visions du prophète à un moment précis de la vie de Joachin. Dès lors ce roi que la lecture traditionnelle a relégué au second plan devient le personnage principal de cette période, celui dont le retour en grâce garantira la survie de la royauté davidique. § 98 La conversion des dates en nombres Cette mise en ordre sommaire des dates explicites du corpus biblique suffit à montrer que chaque événement daté l’a été en fonction d’un projet d’ensemble cohérent qui englobe non seulement l’intégralité des douze livres de l’histoire biblique, de la 600 e année de Noé au retour en grâce de Joachin la 37e année de son exil, mais aussi une partie au moins du corpus prophétique (Jérémie, Ézéchiel, Aggée et Zacharie). Ces dates explicites qui n’apparaissent que lors des traversées de l’humanité, celles du Déluge, 9. En réalité le système est plus sophistiqué encore. Alors que les sept premières dates apparaissent dans l’ordre descendant du livre d’Ézéchiel (du chapitre 8 au chapitre 33), les trois dernières sont dans l’ordre montant du texte (du chapitre 32 au chapitre 1), un procédé que l’on a déjà rencontré dans l’éloge des Pères de Jésus Ben Sira (§ 55).
CHAP. 12 – LES CALENDRIERS ET LEUR USAGE BIBLIQUE
229
de la période du Désert, et de l’Exil à Babylone, ont donc pour effet de diviser l’histoire en quatre périodes qu’elles servent à relier entre elles (§ 96, Tableau 17). Mais si cette fonction de jalon justifie leur présence, elle n’explique pas pourquoi telle date a été préférée à telle autre. Pourquoi le Déluge commence-t-il le 17e jour du 2e mois plutôt qu’un autre jour ? Puisque rien ne peut être superflu dans l’Écriture, ce choix doit pouvoir être justifié. Le texte entre deux nouns analysé dans le précédent chapitre (§ 87) fournit la clé générale d’interprétation de ces dates. On a vu que les lettres de ce texte avaient été comptées et choisies de façon à construire l’algorithme complet (417). Cette révélation de l’algorithme était, par ailleurs, mise en relation explicite avec un voyage de trois jours qui devait conduire les fils d’Israël de la montagne de Yahvéh, le mont Sinaï, jusqu’à leur lieu de repos. (Les fils d’Israël) partirent donc de la montagne de Yahvéh pour un voyage de trois jours et l’Arche de l’Alliance de Yahvéh se déplaçait devant eux durant le voyage de trois jours pour rechercher pour eux un lieu de repos. (Nombres 10, 33).
Ces trois jours de marche peuvent par ailleurs être intégrés à la chronologie de la période du Désert grâce à une autre information de ce même livre des Nombres : En la deuxième année, au deuxième mois, le vingt du mois, la nuée s’éleva d’au-dessus de la Demeure du Témoignage. Alors les fils d’Israël, suivant leurs déplacements, partirent du désert du Sinaï et la nuée se posa dans le désert de Paran. (Nombres 10, 11)
La marche de trois jours qui doit conduire les fils d’Israël jusqu’au désert de Paran commence donc le 20 e jour du 2e mois de la 2e année de leur séjour au désert – c’est le premier jour de marche – se poursuit le 21e jour du mois et atteint son but le 3e jour, c’est-à-dire le 22e jour du 2e mois de la 2e année de la sortie d’Égypte. C’est donc à cette date que la nuée « trouve le repos », mais sans que les raisons du choix de cette date ne soit justifié. Pour que cette justification apparaisse, il faut procéder à la conversion de cette date en un nombre de jours. Interprétée par référence au calendrier de l’année solaire (§ 92, Tableau 14), chaque date correspond en effet à un jour spécifique de l’année qu’il est possible de calculer. Avant d’atteindre le désert de Paran, le peuple devra marcher une année entière (364), continuer sa marche pendant le « jour des saisons » du premier mois de la deuxième année (+ 1), puis pendant tout le premier mois (+ 30) et jusqu’au 22e jour du deuxième mois (+ 22 = 417). La date choisie par Siméon vient alors confirmer, par le biais du nombre 417 de l’algorithme qu’elle construit, que la marche dans le désert, de la sortie d’Égypte à l’entrée en Paran, doit être lue comme une allégorie de
230
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
la marche des fils d’Israël vers ce monde nouveau dont le désert de Paran devient la représentation symbolique. L’histoire des tribus dans le Désert devient alors une anticipation de l’histoire universelle. Sans prétendre à l’exhaustivité, la suite de cette étude montrera effectivement que les dates explicites dont un catalogue ordonné vient d’être dressé ont été choisies par Siméon afin de renvoyer l’initié d’une période de l’histoire à l’autre par le biais de leur conversion en nombre. Pour cela, il fallait que leur nombre soit limité, ce qui explique que 40 dates seulement aient été retenues sur les 364 possibles. L’hypothèse ne sera pas vérifiée pour ces 40 dates mais seulement pour 27 d’entre elles (§ 93, Tableau 15 colonne de droite). Cependant, comme l’étude ne porte que sur les onze premiers chapitres de la Genèse, ces résultats qui rendent compte de 70% des dates explicites suffisent amplement à démontrer la validité de la démarche. On peut donc raisonnablement s’attendre à ce qu’une enquête étendue à l’ensemble de l’histoire postdiluvienne permette de rendre compte de toutes les dates explicites.
Chapitre 13
UNE HUMANITÉ EN MARCHE VERS LE JUBILÉ § 99 La période jubilaire, nombre d’or de l’histoire Comme son nom l’indique, le livre des Jubilés date tous les grands événements de l’histoire biblique par référence à un comput jubilaire qu’il présente comme une révélation transmise à Moïse par un ange. Ceci est le récit de la répartition légale et certifiée du temps, des années en leurs semaines et en leurs jubilés, pour toutes les années du monde, telle que le Seigneur l’a révélée à Moïse sur le mont Sinaï lorsqu’il monta recevoir les tables de la Loi et des commandements sur l’ordre du Seigneur. (Jubilés, prologue)
Cette « répartition légale et certifiée du temps » s’organise de la façon suivante : Il y a quarante-neuf jubilés, une semaine (d’années) et deux ans (49 x 49 + 7 + 2 = 2410) depuis le temps d’Adam jusqu’à ce jour (du don de la Torah au Sinaï) et il y a encore un délai de quarante ans (+ 40 = 2450) pour apprendre les commandements du Seigneur avant qu’Israël traverse le Jourdain en direction de l’ouest pour passer au-delà dans le pays de Canaan. (Jubilés 50, 4)
De la création d’Adam à l’entrée dans la Terre promise sous la conduite de Josué, 2450 ans se seraient donc écoulés, c’est-à-dire 50 périodes jubilaires de 49 ans (50 x 49 = 2450). L’entrée en Terre promise aurait, par conséquent, eu lieu l’année jubilaire qui suivit cette dernière période (50 x 49 + 1). C’est effectivement au lendemain de l’entrée dans la Terre promise, au moment de la prise de la ville de Jéricho, que les trompettes du Jubilé retentirent pour annoncer le jour des Pardons et l’entrée dans l’année jubilaire 1 (Josué 6). Mais le rendez-vous fut manqué à cause d’un Judéen nommé Achan, qui enfreignit la loi de l’anathème. Il préleva sur le butin qui devait être intégralement consacré à Yahvéh « un beau manteau 1. En dehors de la Torah, le mot « jubilé » (yovél) n’est attesté qu’à l’occasion de la prise de Jéricho (Josué 6, 5-13), une référence partiellement occultée dans la traduction de Dhorme qui rend l’expression « corne du jubilé » (qèrèn hayovél), par « corne de bélier », mais conserve l’expression « trompettes des Jubilés » (choferot hayovelim) (Josué 6, 8).
232
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
de Chinear, deux cents sicles d’argent et un lingot d’or dont le poids était de cinquante sicles » (Josué 7, 21). Ce larcin eut des conséquences dramatiques, car il contraignit les fils d’Israël, qui auraient pu hériter de la Terre promise dès leur entrée en Canaan, à continuer leur marche à travers le temps, vers d’autres jubilés : D’autres jubilés passeront avant qu’Israël soit purifié de tout péché de fornication, d’impureté, de profanation, de transgression et d’égarement, qu’il habite dans tout le pays en sécurité, qu’il n’y ait donc plus de Satan, qu’il n’y ait plus aucun mal et que le pays soit désormais purifié pour toujours. (Jubilés 50, 5)
De l’avis de l’auteur du livre des Jubilés, l’histoire devra donc continuer à se dérouler au rythme du modèle jubilaire tant que les commandements de la Torah seront transgressés par Israël et cela sans qu’il soit possible de prévoir combien de jubilés seront nécessaires avant que l’entrée dans cette année jubilaire soit réussie. § 100 La révélation du modèle jubilaire Ce calcul du temps en jubilés se fonde effectivement sur une révélation faite à Moïse : Tu compteras pour toi (Moïse) sept sabbats d’années, sept fois sept années : les jours des sept sabbats d’années feront pour toi quarante-neuf ans. Tu feras retentir le cor en fanfare au septième mois, le dix du mois. C’est au jour des Pardons que vous ferez retentir le cor dans tout le pays. Vous sanctifierez l’année des cinquante ans et vous proclamerez l’affranchissement dans le pays pour tous ses habitants. Ce sera pour vous un Jubilé : vous retournerez chacun dans sa possession (’ahouzah) et vous retournerez chacun dans sa famille (michpahah). Cette année des cinquante sera pour vous un Jubilé : vous n’ensemencerez pas et vous ne moissonnerez pas ses regains, vous ne vendangerez pas ses vignobles incultes, car c’est un Jubilé, ce sera pour vous chose sainte, vous mangerez du champ ce qu’il produit. (Lévitique 25, 8-12)
Moïse a donc reçu l’ordre de compter sept années sept fois, afin de constituer une période jubilaire de quarante-neuf ans. C’est le dixième jour du septième mois de cette quarante-neuvième année qu’on sonnera du cor pour célébrer le jour des Pardons (yom hakipourim). On notera que ce jour des Pardons n’est pas le dernier jour de la quarante-neuvième année, mais seulement 193e 2 . Il n’est donc qu’une étape vers un accomplissement jubilaire qui ne surviendra qu’au moment de l’entrée dans la 50e année. Pourquoi Siméon a-t-il choisi ce 193e jour ? Dans la mesure où 2. Le 10 e jour du 7e mois = un semestre de 182 jours + 1 jour des saisons + 10 = 193.
CHAP. 13 – UNE HUMANITÉ EN MARCHE VERS LE JUBILÉ
233
le temps biblique doit se dérouler conformément à l’algorithme on doit établir un parallèle entre l’entrée dans le Jubilé et la réalisation parfaite de l’algorithme de la création. Cette corrélation peut être formulée ainsi : lorsque le peuple aura atteint le 364 e jour de cette 49e année – au terme de 171 jours de marche – il possèdera la connaissance des lettres araméennes de l’Écriture, de ’alèf à chin. Lorsqu’il entrera dans l’année du Jubilé il lui restera encore à découvrir les lettres divines (+ 52 = 416) et c’est seulement au terme de ces 52 derniers jours de marche qu’il entrera dans cette ère nouvelle symbolisée par la lettre taw (416 + 1 = 417). Entre le moment où sonne la corne du Jubilé — le 193e jour de l’année — et celui du retour à l’Un, 224 jours s’écouleront (416 – 192 = 224), c’est-à-dire 32 semaines (32 x 7 = 224) au cours desquelles le peuple aura tout loisir d’apprendre les 32 signes de cette Torah dont la pratique conditionnera son entrée dans une ère nouvelle (§ 102). § 101 Un modèle jubilaire tombé en désuétude Autant le livre des Jubilés accorde d’importance à cette période jubilaire, autant les commentateurs modernes, aussi bien juifs que chrétiens, la relèguent au second plan. Le Dictionnaire encyclopédique du judaïsme donne la définition suivante du jubilé : Institution du droit biblique intervenant tous les cinquante ans et célébrant la libération des esclaves juifs et la restauration de la propriété familiale. Le jubilé était fêté tous les sept cycles d’années sabbatiques, chaque cycle durant sept années […]. Les lois de l’année du jubilé étaient conçues de telle sorte que chaque juif pouvait recommencer une nouvelle vie sur des bases égalitaires. Ainsi chaque terrain vendu depuis l’ancien jubilé devait retourner à son propriétaire d’origine, ce qui signifiait, en dernier ressort, aux familles à qui avait été attribuée la terre, après la conquête du pays par Josué. Tous les esclaves juifs, y compris ceux qui avaient accepté volontairement la prolongation de leur esclavage après qu’il fut arrivé à son terme, devaient être affranchis et recevoir une allocation leur permettant de recommencer une nouvelle vie. Si ces dispositions avaient été parfaitement appliquées, aucun individu n’aurait pu amasser des richesses excessives, de même qu’aucun juif n’aurait été réduit à la pauvreté perpétuelle et à l’esclavage.
Mais il ne s’agirait en réalité que d’un modèle théorique dont le judaïsme justifie la non-application de la façon suivante : Comme les lois de l’année du jubilé s’appliquaient aux douze tribus vivant en terre d’Israël, elles furent apparemment abandonnées par les Juifs (la tribu de Juda) qui revenaient d’exil et réintégraient la terre d’Israël 3. 3. Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, Paris, Le Cerf, 1998, p. 527-528.
234
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
On laisse ainsi entendre que la loi aurait pu être appliquée à la période biblique mais pas après la dispersion. Ce silence total de l’Écriture concernant l’application de la loi jubilaire a conduit les biblistes chrétiens à considérer qu’elle n’avait correspondu historiquement à aucune pratique réelle. De l’avis de R. de Vaux, on a aucun indice que la loi ait jamais été appliquée. « C’était une loi utopique et elle est restée lettre morte 4 ». § 102 Les conditions d’entrée dans le Jubilé Revenons à la lecture littérale. Si l’on ne relève aucune trace de célébration de l’année jubilaire dans l’histoire biblique, c’est effectivement parce que les conditions de sa célébration ne furent jamais remplies. Dans le livre du Lévitique en effet, la description du modèle jubilaire est suivie d’un long développement qui mérite d’être relu intégralement (Lévitique 26). Il rappelle – comme le suggérait l’arithmologie – que l’entrée dans le Jubilé sera expressément conditionnée par la fidélité à la Torah, donc à sa connaissance et à sa pratique intégrale. Si vous marchez selon mes préceptes et observez mes commandements […], je placerai ma Demeure au milieu de vous et mon âme ne se dégoûtera pas de vous. Je me promènerai au milieu de vous, je serai votre Dieu et vous serez mon peuple. (Lévitique 26, 3-13)
Dans le cas contraire, les jubilés continueront à s’ajouter aux jubilés jusqu’à la dispersion des Judéens parmi les nations. « Si vous ne m’écoutez pas et si vous ne mettez pas en pratique tous ces commandements […] Je vous disperserai parmi les nations et je dégainerai l’épée derrière vous, tandis que votre pays sera dévastation et que vos villes seront en ruine » (Lévitique 26, 14-33)
Il suffit de parcourir l’histoire des tribus, de leur installation au pays de Canaan jusqu’aux dernières années de l’histoire du royaume de Juda, pour constater qu’à aucun moment le peuple ne pratiqua cette Torah qui lui aurait permis d’entrer dans l’ère nouvelle symbolisée par le Jubilé. En conséquence, si ce retour annoncé de chacun dans sa possession (’ahouzah) et dans sa famille (michpahah) (§ 100) a effectivement eu lieu pendant la période biblique, il n’a pu correspondre qu’à cette dispersion du peuple judéen parmi les nations prévue en cas d’infidélité. § 103 L’organisation jubilaire de l’histoire biblique Lorsque Yahvéh ordonna à Moïse de « compter pour lui-même » ce modèle jubilaire, il lui révéla en fait, mais en secret, le plan de l’histoire 4. DE VAUX R., Les institutions de l ’Ancien Testament, Paris, Le Cerf, 1967, tome I, p. 137 et tome II p. 267-27.
CHAP. 13 – UNE HUMANITÉ EN MARCHE VERS LE JUBILÉ
235
future du peuple élu telle qu’il ressort de la lecture des douze livres de l’histoire biblique (§ 229). Il suffit en effet de dresser l’arbre généalogique de l’humanité pour constater que le nombre des générations qui se succèdent d’Adam jusqu’à la destruction de Jérusalem par Nabuchodonosor et au départ en exil du dernier roi de Juda, Sédécias, s’inscrit effectivement dans le cadre d’un Jubilé (§ 104, Tableau 20). L’histoire biblique met en scène de nombreuses lignées issues des trois fils de Noé, mais dont la trace se perd progressivement au fil de l’histoire. La lignée de Japhet s’interrompt à la 13e génération et celle de Cham à la 14 e, tandis que celle de Sem, d’où sortira Israël, poursuit sa marche mais en subissant un élagage sévère au fil des générations. À la 23e génération, les douze fils de Jacob-Israël occupent seuls l’avant de la scène et cela jusqu’à la période du Désert. Dix d’entre eux se perdent alors dans les sables du Désert et les deux seules tribus dont la généalogie peut être reconstituée sont celles de Lévi et de Juda. La généalogie sacerdotale des fils de Lévi s’interrompra à la 28e génération (§ 118, Tableau 28), tandis que la lignée royale de Juda se maintiendra jusqu’à la 51e génération, celle du roi Joachin (§ 104, Tableau 20). L’organisation généalogique globale de l’histoire a été conçue par Siméon sur le modèle jubilaire en rapport avec deux institutions. De l’avis de Ben Sira (§ 56-57), ces institutions, sacerdotale et royale, auraient fonctionné en parallèle pendant toute la durée de l’histoire mais en vue de leur réunification entre les mains d’un prêtre-roi qu’il identifie à Siméon lui-même. C’est effectivement vers l’histoire de ces deux institutions que la lecture littérale nous entraînera jusqu’à la fin de ce livre. § 104 Les cinquante générations de la lignée royale de Juda 5 Prêtres et rois partagent les mêmes ancêtres jusqu’à la 22e génération, celle de Jacob, puis leurs généalogies se séparent. C’est d’abord la lignée de Lévi qui prend en charge les fils- d’Israël : les prêtres lévites, Moïse et Aaron (26 e génération), guideront le peuple dans le désert, et les fils et petit-fils d’Aaron – Éléazar (27e) et Pinhas (28e) – prendront la tête du peuple au moment de son entrée en Canaan. C’est à ce moment-là que la généalogie sacerdotale s’interrompt. Ce n’est qu’après une période inter5. Cette organisation généalogique de l’histoire (Tableau 20) ne vaut que pour le texte hébreu. Les LXX introduisent en effet un personnage supplémentaire entre Arpakhchad (le 12 e) et Chelah (le 13e) ce qui suffit à occulter le modèle arithmologique originale de l’histoire postdiluvienne en décalant toutes les générations (LXX Genèse 11, 12-13). Ce nouveau personnage, nommé Caïnan, est en fait l’homonyme d’un patriarche antédiluvien, — peut-être sa « réincarnation ». On ne peut en effet exclure que le nom ait été choisi intentionnellement par le traducteur, mais pour en saisir la raison éventuelle, il faudra d’abord déchiffrer la fonction symbolique du Caïnan antédiluvien (§ 149-150).
236
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
médiaire, celle des Juges, que l’institution royale prend le relais avec le roi David. Nous sommes alors à la 33e génération de l’humanité. Tableau 20 Les cinquante et une générations royales 6 1ère
Adam
אדם
11
11
Genèse 5
2e
Seth
שת
8
19
Ibid.
3e
Énoch
אנוש
21
40
Ibid.
4
Caïnan
קינן
22
62
Ibid.
Mahalalel
מהללאל
27
89
Ibid.
e
5e
Yèrèd
ירד
13
102
Ibid.
7e
Hénokh
חנוך
18
120
Ibid.
8e
Metouchélah
מתושלח
26
146
Ibid.
9
6
e
Lamekh
למך
15
161
Ibid.
10 e
Noé
נח
8
169
Ibid.
11e
Sem
שם
13
182
Genèse 11, 10-26
12 e
Arpakhchad
ארפכשד
25
207
Ibid.
13 e
Chélah
שלח
13
220
Ibid.
14 e
Ébèr
עבר
10
230
Ibid.
15
e
Pèlèg
פלג
11
241
Ibid.
16 e
Reou
רעו
14
255
Ibid.
17e
Seroug
שרוג
22
277
Ibid.
18
e
Nahor
נחור
20
297
Ibid.
19e
Térah
תרח
8
305
Ibid.
20 e
Abraham
אברהם
20
325
Ibid.
21
Isaac
יצחק
13
338
Genèse 21, 2-5
22 e
Jacob
יעקב
12
350
Genèse 25, 26
Juda
יהודה
23
373
Genèse 29, 35
e
e
23
e
6. La construction du tableau implique d’être attentif à trois particularités. La première est que certains rois sont désignés explicitement comme « fils de », ce qui impose d’inclure le nom du père dans le calcul sous peine d’en faire une information superflue. En deuxième lieu, lorsque le nom d’un personnage apparaît avec plusieurs orthographes, on doit retenir celle qui est attestée dans la phrase qui permet de le replacer dans la généalogie (Références de la colonne de droite). Enfin, lorsque le personnage change de nom (Salmah qui devient Salmon en Ruth 4, 20-21), on doit retenir le nom sous lequel le personnage engendre et non pas celui sous lequel il a été engendré. Il va de soi qu’une fois posées, ces règles seront appliquées de façon systématique à tous les tableaux généalogiques de cette étude.
CHAP. 13 – UNE HUMANITÉ EN MARCHE VERS LE JUBILÉ
237
24 e
Pèrèts
פרץ
13
386
Genèse 38, 27-30
25e
Hesron
חצרון
24
410
Ruth 4, 18-22
26 e
Ram
רם
12
422
Ibid.
27
Amminadab
עמינדב
24
446
Ibid.
28e
Nahchon
נחשון
28
474
Ibid.
e
Salmon
שלמון
31
505
Ibid.
30 e
Booz
בעז
11
516
Ibid.
31e
Obèd
עובד
14
530
Ibid.
32
29
e
Jessé
ישי
13
543
Ibid.
33 e
David
דוד
14
557
Ibid.
34 e
Salomon
שלמה
23
580
2 Samuel . 12, 24
35e
Roboam fils de Salomon
רחבעם־בן־שלמה
17 + 23
620
1 Rois 14, 21
36 e
Abiam
אבים
12
632
1 Rois 15, 2
37
Asa
אסא
3
635
1 Rois 15, 9
38e
Josaphat fils d’Asa
יהושפט ־בן־אסא
26 + 3
664
1 Rois 22, 41
39e
Joram fils de Josaphat יהורם ־בן־יהושפט
26 + 26
716
2 Rois 8, 16
40
Ochosiah fils de Joram
אחזיהו־בן־יהורם
23 + 26
765
2 Rois 8, 25
41e
Joas
יהואש
22
787
2 Rois 12, 1
42
e
e
e
Amasiah
אמציה
19
806
2 Rois 12,22
43 e
Azariah fils d’Amasiah
עזריה־בן־אמציה
23 + 19
848
2 Rois 15, 1
44 e
Jotam fils d’Ozias
יותם־בן־עזיהו
16 + 23
887
2 Rois 15, 32
45e
Achaz fils de Jotam
אחז־בן־יותם
9 + 16
912
2 Rois 16, 1
46 e
Ézéchias fils de Achaz
חזקיה־בן־אחז
27 + 9
948
2 Rois 18, 1
47e
Manassé
מנשה
25
973
2 Rois 20, 21
48e
Amon
אמון
20
993
2 Rois 21, 18
49
e
Josias
יאשיהו
25
1018
2 Rois 21, 26
50 e
Joachaz fils de Josias
יהואחז־בן־יאשיהו
23 + 25
1066
2 Rois 23, 30
50 e
Élyaqim fils de Josias אליקים־בן־יאשיהו יהויקים surnommé Joaqim
23 + 25 31
1145
2 Rois 23, 34
51e
Joachin
יהויכין
31
1176
2 Rois 24, 6
50 e
Mattaniah surnommé Sédécias
מתניה צדקיהו
22 + 27 = 49 1225
e
2 Rois 24, 17
238
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
Que David apparaisse à la 33e génération suffit à définir la place qu’il occupe dans le plan divin. Il hérite en effet des trente-deux générations qui l’ont précédé et ont construit au fil de l’histoire le nombre des 32 lettres de l’Écriture. On comprend alors que David ait été choisi pour recevoir la révélation de l’ordre de l’alphabet (§ 77), cet ordre sans lequel les lettres ne pourraient devenir nombres. Doté de cette connaissance il peut alors connaître le nombre que ses ancêtres ont construit au moyen de leur nom. Il découvre alors que le nombre 557 a été atteint au moment de sa naissance 7 (Tableau 20), un nombre qui correspond au jour des Pardons célébré le 10 e jour du 7e mois. Avec la venue de David, c’est donc une nouvelle occasion d’entrer dans le Jubilé qui est offerte à Israël à condition qu’il apprenne de la bouche de David, les trente-deux lettres de l’Écriture, et cela pendant les trente-deux semaines qui le séparent encore de l’accomplissement de l’algorithme (§ 100). Mais, comme lors de la prise de Jéricho (§ 99), l’occasion sera manquée par la faute de Salomon et, au lieu d’entrer dans une ère nouvelle, les tribus seront divisées en deux royaumes ennemis, ceux d’Israël et de Juda. L’histoire reprendra alors sa marche vers un nouveau jubilé. § 105 La quarante-neuvième génération royale Le moment décisif étant celui du passage de 49 à 50, il faut alors nous intéresser en priorité aux rois des quarante-neuvième et cinquantième générations, car c’est à eux que doit être offerte une nouvelle occasion d’entrer dans le Jubilé. Jusqu’à la quarante-neuvième génération, les rois de Juda, à quelques rares exceptions (§ 56), firent ce qui est mal aux yeux de Yahvéh. Puis vint le 49e, le roi Josias, qui fit ce qui est droit aux yeux de Yahvéh et marcha dans toute la voie de David son père : ne déviant ni à droite ni à gauche. (2 Rois 22, 2)
Conformément au plan, c’est sous son règne que la Torah fut logiquement redécouverte. Alors qu’il avait envoyé le scribe Chaphan donner des consignes à Hilqiyahou, le prêtre qui supervisait la restauration du Temple de Yahvéh, ce dernier annonça à Chaphan : « J’ai trouvé dans la Maison de Yahvéh le livre de la Torah » (2 Rois 22, 8). Le roi Josias entreprit alors une réforme religieuse fondée sur l’enseignement de cette Torah redécouverte et tout le peuple adhéra à l’alliance. On procéda au nettoyage du Temple et du pays, jusque-là entièrement dédiés aux cultes étrangers (2 Rois 23), car telle était la condition préalable fixée par Yahvéh dans le Lévitique et dont le peuple judéen pouvait enfin avoir connaissance en lisant la Torah : 7. 557 = 364 + 182 (un semestre) + 1 (jour des saisons) + 10 = 10 e jour du 7e mois.
CHAP. 13 – UNE HUMANITÉ EN MARCHE VERS LE JUBILÉ
239
Vous ne vous ferez pas d’idoles et vous ne vous érigerez pas de statue ni de stèle, vous ne placerez pas de pierre gravée dans votre pays pour vous prosterner devant elle car je suis Yahvéh, votre Dieu. (Lévitique 26, 1)
À la suite de quoi le roi Josias ordonna au peuple de « célébrer la Pâque en l’honneur de Yahvéh » selon le rituel décrit dans le livre de la Torah. Et le narrateur de préciser qu’il « n’avait pas été fait une Pâque comme celle-là depuis les jours des Juges qui jugèrent Israël, ni durant tous les jours des rois d’Israël et des rois de Juda » (2 Rois 23, 21-22). La dernière Pâque avait effectivement été célébrée au temps de Josué, au moment de l’entrée en Canaan (Josué 5, 10-12). Mais alors que les conditions étaient à nouveau remplies pour que le successeur de Josias (le 50 e roi de Juda) fasse entrer le peuple dans le Jubilé. Les trois fils de Josias, Joachaz (2 Rois 23, 32), Joaqim (2 Rois 23, 37) et Sédécias (2 Rois 24, 19) occupèrent successivement le trône et « firent ce qui est mal aux yeux de Yahvéh », provoquant ainsi la destruction du Temple et la dispersion des Judéens. L’entrée dans le Jubilé était, une fois de plus, reportée. § 106 Retourner dans sa « possession » et dans sa « famille » Il suffit de lire l’histoire de ces trois rois pour comprendre qu’ils subirent effectivement le sort réservé par Yahvéh à ceux qui seraient infidèles à la Torah. Ce jubilé qui aurait pu être celui du retour à l’Un, se solda par une nouvelle dispersion. Le modèle jubilaire prévoyait en effet que lorsque serait atteint le nombre 50 : Chacun retournerait dans sa possession (’ahuzah) et chacun retournerait dans sa famille (michpahah). (Lévitique 25, 8-12)
Deux termes-clés dont il faut connaître le paradigme d’interprétation si l’on veut comprendre l’enjeu réel de l’histoire des trois frères. Ce paradigme doit être reconstitué à partir des premières occurrences des mots « possession » et « famille ». La première référence à la « possession » (’ahuzah) se rencontre dans le récit de l’Alliance conclue entre Yahvéh et Abraham : Je te donnerai, pour toi et pour ta race après toi, le pays de tes pérégrinations, tout le pays de Canaan, en vue de la possession du monde (futur) (’ahuzat ‘ ôlam). (Genèse 17, 8)
C’est ce même terme qu’emploie Abraham au moment d’acheter à Hébron, dans le pays de Canaan, une « possession funéraire » (’ahuzat qèvèr) afin d’y enterrer son épouse Sarah (Genèse 23, 4, etc.). C’est enfin ce même terme qu’utilisera plus tard Jacob à propos de cette même concession funéraire (Genèse 48, 4). Ceux qui reviendront en Canaan au moment du jubilé reviendront donc bien dans l’une de leurs « possessions ». S’ils se sont conformés à la Torah, ils entreront dans une ère nouvelle et cette
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LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
possession sera alors pour eux « la possession du monde (futur) » (’ahuzat ‘ ôlam). Dans le cas contraire, ils mourront en Canaan et cette possession ne sera pour eux qu’une concession funéraire (’ahuzat qèvèr). En plus de leur « possession » en Canaan, Jacob et ses fils en acquerront une autre en Égypte grâce à Joseph, le fils aîné de Jacob et de Rachel : Joseph installa son père et ses frères, il leur donna une possession (’ahuzah) en Égypte, au meilleur endroit du pays, dans la terre de Ramsès, comme l’avait ordonné Pharaon. (Genèse 47, 11)
Cette enquête exhaustive sur les occurrences qui construisent le paradigme d’interprétation du mot « possession 8 », amène à conclure que le retour vers la « possession » se fera, pour les uns, en Canaan – c’est-à-dire en Judée ou en Samarie – pour d’autres en Égypte. Le modèle jubilaire annonçait par ailleurs le retour vers la « famille » (michpahah). La première occurrence du mot nous apprend que l’organisation de l’humanité en « familles » ne commença qu’après le Déluge (Genèse 8, 19), au moment de la naissance des soixante-dix peuples issus des trois fils de Noé. Il est, par ailleurs, précisé dans « la Table des peuples » (Genèse 10) que les fils de Cham (Genèse 10, 20) et de Sem, l’ancêtre d’Israël, furent organisés en familles (Genèse 10, 31), tandis que ceux de Japhet ne bénéficièrent pas d’une telle organisation. Un autre groupe d’occurrences, qu’il faut coordonner entre elles par le biais d’un enchaînement d’analogies verbales, permet de préciser le lieu où devra s’opérer ce retour des descendants d’Abraham « vers leur famille ». Avant d’envoyer son serviteur vers la ville de Nahor, son grand-père, afin d’y trouver une épouse pour son fils Isaac, Abraham avait donné à ce serviteur l’ordre suivant : Tu ne prendras pas pour mon fils une femme d’entre les filles de ces cananéens au pays desquels j’habite ; mais tu iras à la maison de mon père, dans ma famille (michpahti), et tu y prendras une femme pour mon fils. (Genèse 24, 37-38)
Le berceau de la famille d’Abraham se trouvait à Our des Chaldéens (’our kasdim) (Genèse 11, 28), une ville dont le nom signifie « lumière des Chaldéens », conformément à son écriture 9. Retourner dans sa famille c’est donc retourner vers cette lumière des Chaldéens, un peuple dont le territoire s’identifie à celui de Babel comme le précise un texte d’Ézéchiel, à propos du lieu d’exil du roi Sédécias : 8. Le paradigme de la « possession » et de la « famille » a été reconstitué à partir des occurrences de la Torah mises en relation explicite avec un lieu (cf. Mandelkern, p. 35 et 1222-23). 9. Les graphies de la lumière (’or : )אורet de la ville d’Ur (’our : )אורétant identiques, Ur doit renvoyer au paradigme de la lumière (Genèse 1, 1-5).
CHAP. 13 – UNE HUMANITÉ EN MARCHE VERS LE JUBILÉ
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Je l’emmènerai à Babel, le pays des Chaldéens, mais il ne le verra pas et c’est là qu’il mourra. (Ézéchiel, 12, 13)
Le pays des Chaldéens d’où sort la famille d’Abraham est donc le pays de Babel, qui fut le point de départ de la dispersion des soixante-dix peuples au lendemain du Déluge. Le retour « dans la famille » prévu par le modèle jubilaire, sera donc un retour à Babel, dans la lumière des Chaldéens. Ainsi explicité par le biais de l’analogie, le modèle jubilaire révélé à Moïse prévoit donc que ceux qui atteindront le Jubilé s’en retourneront les uns vers leur « possession », soit en Canaan, soit en Égypte, d’autres vers leur « famille », en Babylonie. Mais ce retour n’aura pas la même signification pour tous. Pour ceux qui seront fidèles à la Torah, la « possession » de Canaan vaudra possession du monde futur (’ahuzat ‘ ôlam) alors que pour les autres elle ne sera que la possession d’une concession funéraire (’ahuzat qèvèr). Pour ceux qui seront fidèles à la Torah le retour dans la « famille » sera un retour vers la « lumière des Chaldéens » (’our kasdim) alors que les autres retourneront aussi dans cette lumière, mais après avoir été aveuglés. § 107 Une dispersion des fils de Josias conforme à l’Écriture Alors que la succession royale s’était faite de père en fils jusqu’à la 49e génération, trois fils de Josias montèrent successivement sur le trône de David à la 50e génération et furent effectivement dispersés conformément au modèle jubilaire. Joachaz, le fils aîné de Josias, succéda à son père et régna trois mois au terme desquels le pharaon Néchao l’emmena en Égypte où il mourut (2 Rois 23, 34). Il retourna donc malgré lui dans « la possession » (’ahuzah) que Joseph avait donnée à Jacob et ses fils en Égypte. Son nom même de Joachaz l’y prédestinait (yeho-’ahaz : « Yahvéh a possédé »). Le pharaon Néchao plaça alors sur le trône de Juda le deuxième fils de Josias, Élyaqim (« Él-fera-se-lever ») dont il changea le nom en Joaqim (« Yahwé[h]-fera-se-lever »), une initiative pour le moins surprenante de la part d’un pharaon qui retire au roi le patronage de Él pour lui substituer celui de Yahvéh (2 Rois 23, 34). D’abord vassal du roi d’Égypte, Joaqim devint ensuite celui du roi de Babel, Nabuchodonosor, après l’entrée de ce dernier en Judée. En fin de compte, malgré – ou à cause de – sa révolte contre les rois d’Égypte et de Babel, il ne fut exilé ni en Égypte, ni en Babylonie, mais « se coucha avec ses pères » (2 Rois 24, 1-6). Le paradigme d’interprétation de cette expression est donné dans le récit de la mort de Jacob-Israël : Quand furent proches les jours de la mort d’Israël, il appela son fils Joseph et lui dit : […] « Quand je me coucherai avec mes pères, tu m’emporteras d’Égypte et tu m’enterreras dans leur tombe ! » (Genèse 47, 29-30)
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LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
Les fils (d’Israël) exécutèrent pour lui tout ce qu’il leur avait ordonné. Ses fils le transportèrent au pays de Canaan et le mirent au tombeau dans la grotte du champ de Makpélah, champ qu’Abraham avait acheté à Éphron, le hittite, comme « possession de sépulture » (’ahuzat qévèr) en face de Mambré. (Genèse 50, 12-13)
Joaqim, deuxième fils de Josias, fut donc inhumé en Canaan dans la concession funéraire d’Abraham et retourna ainsi dans sa « possession », conformément au modèle jubilaire. À la mort de Joaqim, son fils Joachin lui succéda pour trois mois seulement puis fut emmené en exil à Babel où il bénéficia de la lumière des Chaldéens. Et c’est après cet intérim sur lequel nous reviendrons (§ 116) que le roi de Babel mit sur le trône le troisième fils de Josias qui se nommait à l’origine Mattaniah (« Don-de-Yah(véh) »), mais à qui le roi de Babel imposa le nom de Sédécias (« Justice-de-Yah(véh) »). Comme l’avait fait Joaqim avant lui, Sédécias tenta de fuir mais il fut repris. Et (le roi de Babel) creva les yeux de Sédécias, le fit attacher d’une double chaîne d’airain et l’emmena à Babel. (2 Rois 25, 7)
Il retourna donc malgré lui à Babel, dans sa « famille », parachevant ainsi la réalisation du modèle jubilaire. Mais ayant été au préalable aveuglé par Nabuchodonosor, il ne profita pas de la lumière des Chaldéens. Il n’entra pas dans l’année du 50, conformément à son double nom de MattaniahSédécias dont la valeur est 49 (§ 104, Tableau 20). Cette tripartition jubilaire ne toucha pas que les rois. Le peuple luimême fut dispersé selon le même schéma. L’élite de la nation fut déportée à Babel avec Joachin (2 Rois 24, 14-16). On laissa en Canaan ceux qui pouvaient être vignerons ou cultivateurs (2 Rois 25, 12) tandis que, sous la houlette d’un personnage nommé Ismaël, le reste du peuple se leva et entra en Égypte (2 Rois 25, 26). Ainsi furent accomplies les Écritures, les rois et le peuple, victimes de leur infidélité à la Torah, rejoignirent qui sa « possession », qui sa « famille », et entamèrent leur marche vers un nouveau Jubilé. Cette fin tragique de la royauté judéenne était en fait écrite dans les lettres même des noms de ceux qui, depuis Adam, avaient construit les 50 générations de l’histoire royale de Juda. Le nombre 1225 atteint par Sédécias (Tableau 20) portait en lui l’annonce de cette fin tragique. Une fois converti en date il renvoie en effet au 11e jour du 5e mois 10, lendemain de la destruction du Temple et du palais royal et jour du départ de Sédécias pour Babylone : Au cinquième mois, le dix du mois – c’était l’an dix-neuf du roi Nabuchodonosor, roi de Babel – Nebouzaradan […] entra dans Jérusalem et il 10. 1225 = (364 x 3) + 91 (un trimestre) + 1 (jour des saisons) + 30 + 11 = 11e jour du 5e mois.
CHAP. 13 – UNE HUMANITÉ EN MARCHE VERS LE JUBILÉ
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brûla la Maison de Yahvéh et la Maison du Roi, ainsi que toutes les maisons de Jérusalem […] (Jérémie 52, 12-14)
Cependant, la fin tragique du royaume de Juda ne compromit pas la survie de la lignée davidique. Celle-ci fut garantie par Joachin, fils de Joaqim, parti en exil à Babel avant la destruction de Jérusalem. Ainsi s’accomplissait la promesse faite par Yahvéh : J’humilierai la race de David, mais ce ne sera pas pour toujours. (1 Rois 11, 39)
À la différence de Sédécias, qui fut aveuglé avant d’entrer à Babel, dans la lumière des Chaldéens, Joachin y entra les yeux grands ouverts et, lui, le roi de la 51e génération, prit la tête du peuple exilé à Babel pour le conduire une nouvelle fois vers un nouveau jubilé. Mais il serait prématuré de tenter de le suivre dans cette nouvelle période de l’histoire judéenne. § 108 Une histoire construite en fonction d’un algorithme Le modèle de l’histoire royale qui vient d’être esquissé permet déjà de saisir dans ses grandes lignes quel fut le projet de Siméon. L’affirmation première est que l’histoire se déroule conformément à un plan divin conçu dans la pensée du Très-Haut et mis en œuvre dans la création par ses deux hypostases que sont Élohim et Yahvéh. La seconde affirmation est que ce projet du Très-Haut a été manifesté dans cette création par la médiation de nombres organisés en fonction d’un algorithme, le modèle de l’année solaire parfaite de 364 + 1 jours. Le passage du sens apparent de l’histoire à son sens allégorique ne peut alors se faire sans la médiation de ces lettres-nombres dont l’algorithme d’interprétation a été gravé dans le récit même de la création. C’est cet algorithme, et lui seul, qui doit logiquement servir de clé d’interprétation de tous les nombres de l’Écriture. Qu’il s’agisse, comme on l’a vu, de dates ou de nombres cachés sous les noms des personnages, ou de tout autre nombre. Tout doit pouvoir être interprété par référence à cette année solaire parfaite. Un tel projet de mise en forme de l’histoire, pour être crédible auprès des contemporains de Siméon, devait nécessairement tenir compte de l’histoire passée de la Judée dont l’élite judéenne conservait la mémoire. Les fouilles archéologiques ont effectivement démontré que certains épisodes de la version biblique de l’histoire royale, au moins depuis la dynastie des Omrides (850 avant notre ère), se référaient à des faits réels vérifiables. Mais si l’histoire biblique s’inspire de faits réels, ceux-ci ont dû être sélectionnés et réinterprétés afin de les inscrire dans le cadre extrêmement contraignant de l’algorithme. Et comme les documents dont Siméon a dû se servir pour réécrire cette histoire sont intégralement perdus, il ne nous reste plus que le modèle de l’histoire élaboré par ce grand prêtre du Temple de Jérusalem vers 200 avant notre ère.
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LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
Les contraintes d’écriture que Siméon s’est imposé étaient extrêmement strictes. L’histoire royale devait être inscrite dans le modèle jubilaire révélé à Moïse. David devait y apparaître à la 33e génération et, par voie de conséquence, les rois de Juda qui lui succédèrent jusqu’à la destruction du Temple devaient être impérativement au nombre de 17 11. De plus, conformément au modèle jubilaire, ils devaient se succéder de père en fils jusqu’à la 49e génération. C’est à cette génération, celle du roi Josias, que la Torah devait être à nouveau révélée. Quant aux rois de la 50e génération, ils devaient être impérativement au nombre de trois, de façon à réaliser le retour de chacun à sa « possession » ou dans sa « famille » conformément au paradigme de ces deux notions. Enfin, pour ménager l’avenir et faire survivre la royauté davidique, il fallait confier ce rôle à un personnage de la 51e génération, Joachin, en attendant qu’un 52e ne fournisse au peuple judéen une nouvelle occasion de se conformer au modèle (52 x 7=364). D’autres contraintes, plus astreignantes encore, viennent du fait que Siméon a construit le modèle arithmologique de la royauté (§ 104, Tableau 20) au moyen des noms des personnages. Ces noms ont dû être choisis et orthographiés de façon à ce que le 33e, David corresponde au nombre 557, un nombre qui, par le biais de correspondances cachées entre nombres et dates explicites, renvoyait l’initié au jour des Pardons. Par ailleurs le dernier roi, Sédécias, devait atteindre le nombre 1225 et renvoyer ainsi, grâce à la conversion de ce nombre en date, au lendemain de la destruction du Temple. Compte tenu de telles contraintes, peut-on encore se fonder sur le témoignage biblique pour reconstituer ce que fut l’histoire des Judéens de la période royale ? La technique d’écriture choisie par Siméon semble l’interdire. Mais on pressent déjà que la lecture littérale peut, en revanche, permettre de compenser cette perte en renouvelant notre connaissance des origines de la Bible elle-même et du projet de son auteur.
11. Si le royaume de Juda disparaît à la 50 e génération, la généalogie royale continue. Le roi Joachin (51e) survivra à la déportation… Et comme l’algorithme de l’année parfaite est composé de 52 semaines, on doit supposer qu’après Joachin viendra un 52e roi qui aura pour mission de faire entrer le peuple judéen dans une ère nouvelle.
Chapitre 14
CHRONOLOGIE ET GÉNÉALOGIES DES ROIS DE JUDA ET D’ISRAËL § 109 Une chronologie éclatée C’est à partir de quarante-quatre données chiffrées dispersées dans l’ensemble des douze premiers livres de la Bible que l’on peut reconstituer la chronologie de l’histoire biblique. De ce monument complexe on connaît surtout le début, la chronologie antédiluvienne, remarquable par son avalanche de nombres ainsi que par la longévité exceptionnelle de ses personnages (Genèse 5). Metouchélah, le Mathusalem de la Septante, vécut 969 ans ! Les commentateurs modernes n’ont accordé que peu d’importance à cette chronologie et cela d’autant moins qu’elle suggère une cohérence d’ensemble de l’histoire qui ne pouvait que paraître suspecte au regard de la théorie des sources. À propos des Récits des origines – les onze premiers chapitres de la Genèse – Thomas Römer fait la remarque suivante : Il est vrai qu’un système assez dense de références chronologiques, prenant son point de départ en Genèse 5, 3, permettrait de dater la création du monde en l’an 2666 avant l’Exode (Exode 12, 40-41), ce qui correspond à l’an 3146 avant la dédicace du Temple de Jérusalem par Salomon (1 Rois 6, 1) ou encore, semble-t-il, à l’an 4000 avant la dédicace de l’autel purifié par Judas Maccabée (en 166 avant notre ère), ce qui donnerait un indice assez précis pour l’ancrage des inventeurs du système. Ce système semble faire de la création du monde l’événement inaugural du temps en termes physiques et historiques. Cependant, on voit bien que le réseau des notices chronologiques est tissé en surface de la Torah et des Prophètes antérieurs et qu’il n’a aucune importance pour l’intelligence de la plupart des récits des origines 1.
De façon surprenante, Thomas Römer, qui date la rédaction de la Torah de la période perse (350 avant notre ère), suggère que cette chronologie aurait pu être composée, ou au moins remaniée, pour faire de la dédicace de l’autel du Temple maccabéen, en 166 avant notre ère, l’aboutissement d’un plan divin arrêté dès la création du monde. Cette hypothèse suppose 1. RÖMER T. – MACCHI J.-D. – NIHAN C. (éd.), Introduction à l ’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 115-116.
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LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
donc que le texte hébreu ait pu être remanié, voire même augmenté de chapitres entiers (Genèse 5 et 11, 10-26), trente ans après la mort de Siméon le Juste. En réalité, cette datation tardive vise d’abord à confirmer que la trame chronologique qui parcourt toute l’histoire et lui confère une cohérence apparente ne peut être qu’un ajout qui ne remet pas en cause une rédaction de l’ensemble à la période perse. La conclusion qui ressort de la lecture littérale est à l’inverse que cette chronologie, loin d’être « tissée en surface de la Torah et des Prophètes antérieurs », constitue la charpente même de toute l’histoire biblique, comme l’a déjà laissé entrevoir l’organisation jubilaire de celle-ci (Chapitre 14). En mettant en ordre les dates explicites (§ 96, Tableau 18), on a constaté que l’histoire biblique était organisée en quatre périodes qui allaient respectivement de la Création au Déluge, du Déluge à la sortie d’Égypte, de l’entrée en Canaan à l’exil en Babylonie et du retour de cet exil à la dédicace annoncée d’un nouveau Temple. Il paraît alors logique de considérer que la même répartition en périodes a présidé à l’élaboration de la chronologie et de s’intéresser successivement à chacune de ces périodes avant d’en faire la synthèse. § 110 D’Adam à la naissance des fils de Noé Le Livre des généalogies d’Adam (Genèse 5, 1 – 6, 8) fournit tous les éléments nécessaires à la reconstitution de la chronologie antédiluvienne. Pour cela, il suffit d’additionner les durées de vie de chacun des dix premiers patriarches avant qu’il n’engendre un fils. Adam vécut cent trente ans et il engendra (un fils) à sa ressemblance. (Genèse 5, 3)
Selon ce comput, Noé, le dixième des patriarches, naquit en 1057 (§ 110, Tableau 21) et aurait engendré ses trois fils, l’année de ses 500 ans : Noé était âgé de cinq cents ans et Noé engendra Sem, Cham et Japhet. (Genèse 5, 32)
Telle est du moins l’opinion de la lecture traditionnelle, alors que le respect du temps des verbes impose de repousser cette naissance à l’année suivante : Et Noé exista (étant) fils-bâtisseur de cinq cents (d’)année(s) Et Noé engendra (ensuite) le modèle de Sem, modèle de Cham et le modèle de Japhet (Genèse 5, 32)
La durée exacte de la période antédiluvienne doit donc se calculer ainsi : 1056 années s’écoulent avant la naissance de Noé, auxquelles s’ajoutent les 500 ans de sa vie avant qu’il n’engendre (1056 + 500) et c’est l’année suivante, en 1557 de la création d’Adam, que naissent ses trois fils. La conver-
CHAP. 14 – CHRONOLOGIE ET GÉNÉALOGIES DES ROIS
247
sion de ce nombre en date renvoie alors au 9e jour du 4 e mois solaire 2 et, par ce biais, met la naissance des fils en rapport avec un événement précis de l’histoire biblique : En l’an onze de Sédécias, au quatrième mois, le neuf du mois, la ville de Jérusalem fut ouverte d’une brèche […] le roi de Babel égorgea les fils de Sédécias […] Puis il creva les yeux de Sédécias et le fit attacher d’une double chaîne d’airain pour l’emmener à Babel. (Jérémie 39, 2-40, 16)
Par le biais de cette date explicite, la naissance des trois fils de Noé – Sem, Cham et Japhet – est alors mise en parallèle avec le départ en exil des trois fils de Josias – Joachaz, Joaqim et Sédécias – comme si cette naissance triple avait été la cause de la traversée du Déluge et de la tripartition postdiluvienne des soixante-dix descendants des fils de Noé (Genèse 10) ; comme si la traversée du Déluge préfigurait le départ en exil. Tableau 21 La Chronologie d’Adam au Déluge Références
Personnages
Durée de Comput vie
Gn 5,3
D’Adam à la naissance de Seth
130
130
Gn 5,6
De Seth à Énoch
105
235
Gn 5,9
D’Énoch à Caïnan
90
325
Gn 5,12
De Caïnan à Mahalalel
70
395
Gn 5,15
De Mahalalel à Yèrèd
65
460
Gn 5,18
De Yèrèd à Hénokh
162
622
Gn 5,21
De Hénokh à Métouchélah
65
687
Gn 5,25
De Métouchélah à Lamekh
187
874
Gn 5,29
De Lamekh à Noé
182
1056
Gn 5,32
De Noé à Sem, Cham et Japhet
500
1556
Gn 7,6
De Sem au repos de l’Arche sur les montagnes 100 d’Ararat
1656
1556 + 1 : 9e jour du 4e mois solaire : départ de Sédécias en exil. 1656 : 17e jour du 7e mois solaire : repos de l’Arche du Déluge sur les montagnes d’Ararat.
Ce jeu de miroir entre les fils de Noé et ceux de Josias, par le biais d’une date explicite, est évidemment une invitation à comparer leurs deux histoires. Il suffira dans l’immédiat d’une remarque dont l’importance apparaîtra dans les chapitres suivants. En créant un parallélisme entre la 2. 1557 = (364 x 4) + 91 (1 trimestre) + 1 (jour des saisons) + 9 = 9e jour du 4 e mois solaire.
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LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
naissance des fils de Noé et celle des fils de Josias, Siméon fait des Récits des origines (Genèse 2,4 – 11,9) un modèle de l’ensemble de l’histoire postdiluvienne. Les onze générations antédiluviennes construiraient de façon prophétique, étape par étape, un modèle de l’histoire d’Israël, des origines jusqu’au départ des Judéens en exil à Babylone. Dans de telles conditions, l’interprétation de l’histoire postdiluvienne ne prendrait sens que par référence à son modèle antédiluvien, une hypothèse qui exigera une vérification minutieuse. § 111 Le repos de l’Arche du Déluge sur les montagnes d’Ararat Si les générations antédiluviennes préfigurent l’histoire d’Israël jusqu’au départ en exil à Babylone, le récit même du Déluge ne doit-il pas logiquement annoncer la suite de cette histoire ? Comme précédemment la réponse est donnée par une date explicite. La date exacte du Déluge doit être déduite de l’âge atteint par Noé au moment du cataclysme : Noé était âgé de six cents ans quand eut lieu le Déluge, les eaux sur la terre. (Genèse 7, 6)
D’après cette traduction, qui néglige une fois de plus de respecter le temps des verbes, Noé aurait eu 600 ans accomplis au moment du Déluge. La lecture littérale indique au contraire qu’il n’atteignit cet âge qu’après le cataclysme : Noé (est) fils-bâtisseur de six cents année(s) Et le déluge a(vait auparavant) existé, (c’est-à-dire des) eaux sur la terre (Genèse 7, 6)
Noé n’atteignit donc le nombre 1656 (1056 + 600) qu’au lendemain du Déluge. La conversion de ce nombre en date renvoie alors au 17e jour du 7e mois solaire 3, date à laquelle l’Arche trouva effectivement le repos sur les montagnes d’Ararat, au lendemain du cataclysme. Et l ’arche reposa dans le mois du septième dans le sept-dix(ième) jour en vue du mois sur les montagnes d’Ararat (Genèse 8,4)
Puisque l’histoire antédiluvienne est une préfiguration de l’histoire de l’humanité jusqu’à la destruction du premier Temple (§ 110), la traversée du Déluge devrait alors préfigurer l’exil des Judéens et le repos de l’Arche sur les montagnes d’Ararat, leur retour de l’exil ? Pour le confirmer il faudra procéder à la lecture littérale du récit du Déluge.
3. 1656 = (364 x 4) + 182 + 1 + 17 = 17e jour du 7e mois solaire.
CHAP. 14 – CHRONOLOGIE ET GÉNÉALOGIES DES ROIS
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§ 112 Les années sont doubles après le Déluge Ce n’est qu’après avoir fait le décompte des soixante-dix nations qui peupleront la terre après le Déluge (Genèse 10) et avoir raconté leur dispersion à partir de Babel (Genèse 11, 1-9) que Siméon renoue avec la chronologie, mais en restreignant sa perspective historique aux ancêtres directs d’Abraham (Genèse 11, 10-26), d’Isaac, de Jacob et des douze tribus d’Israël qui descendront en Égypte au terme de la période. Dès le premier énoncé, la clé d’interprétation des nombres de l’histoire postdiluvienne est donnée, une clé formulée sous forme d’énigme et que les traductions occultent en projetant sur l’hébreu le sens de la Septante. « Sem avait cent ans quand il engendra Arphaxad, la deuxième année après le déluge ». (LXX Genèse 11,10)
Selon la LXX, Sem engendra donc Arpaxad à l’âge de 100 ans et n’avait, par conséquent, que 98 ans au moment du Déluge. La lecture littérale du texte hébreu impose une interprétation différente. Et Sem (est) fils-bâtisseur d’une centaine d’année(s) Et (il) engendra (ensuite) le modèle d’Arpakhchad deux-années-doubles après le Déluge. (Genèse 11,10)
Sem avait donc cent ans à la fin du Déluge — et non pas 98 — et n’a donc pas pu engendrer son fils avant l’âge de 102 ans. Mais l’énigme n’est pas pour autant résolue car la traduction traditionnelle « deux ans après le Déluge » ne rend que très partiellement la complexité de la forme hébraïque. L’interprétation correcte — dont la suite des analyses confirmera la validité — est « deux-années doubles » 4 . Cela signifie concrètement qu’après le Déluge, et après le Déluge seulement, la marche de l’humanité s’effectuera à un double rythme, conformément au double modèle du temps institué par Élohim lors de la création. Et Élohim fit le modèle des grandes années-doubles des illuminatrices : le modèle du grand illuminateur en vue de l ’instructrice du jour et le modèle du petit illuminateur en vue de l ’instructrice de la nuit […] (Genèse 1, 16)
4. Les grammairiens interprètent chenatayim ( )שנתיםdans le sens de « deux années consécutives », comme le fait la LXX, ce qui ne rend pas compte d’une construction hébraïque complexe dont l’analyse logique reste à redécouvrir. En attendant, comme cette expression conditionne le calcul de toute la chronologie postdiluvienne, il a fallu trouver, de façon empirique, la solution qui garantirait la perfection de l’Écriture, c’est-à-dire un fonctionnement logique de la chronologie postdiluvienne. La lecture « deux-annéesdoubles » est la seule qui permette d’obtenir ce résultat.
250
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
Ce double rythme – que l’on rendra en multipliant par deux les nombres – se réfère en réalité à trois calendriers. L’un, « le modèle du grand Illuminateur » sera le calendrier solaire de 364 jours décrit dans l’algorithme. Il sera imité par le calendrier luni-solaire – celui « grandes années-doubles » – qui suivra en fait le rythme du calendrier lunaire de 354 jours mais en le complétant de façon empirique afin de combler son retard annuel de dix jours, ce qui donnera l’illusion d’un calendrier solaire. C’est ainsi que trois rois d’Israël, Éla, Ochosias et Peqahyah, règneront chacun « deux années doubles » (§ 115, Tableau 24). Le « modèle du petit Illuminateur », enfin, sera le calendrier lunaire de 354 jours institué par Yahvéh au moment de la sortie d’Égypte et dont les dates liturgiques ont permis d’entrevoir la composition. L’attribution du calendrier lunaire à Juda et du calendrier solaire à Israël (§ 94), ne signifie cependant pas que chacun de leurs rois s’en tiendra à son calendrier. Les règnes des rois d’Israël et de Juda seront en effet mesurés aussi bien en années qu’en années-doubles, en mois, en lunaisons ou en jours (Tableaux 25 et 26), donc par référence aux trois calendriers. Il y aura de plus inversion des rôles au terme de l’histoire royale. Israël, qui marchait apparemment dans la lumière sombrera, au moins provisoirement, dans les ténèbres (§ 115) tandis que Juda sera invité à entrer dans la lumière (§ 114). § 113 Du Déluge à la sortie d’Égypte Revenons à l’établissement de la chronologie postdiluvienne. Entre la fin du Déluge et la sortie d’Égypte, la collecte des données ne présente aucune difficulté (Tableau 22). En tenant compte du fait que les années sont doubles après le Déluge on atteint le nombre 2024, un nombre qui correspond, une fois encore, à une date explicite, le 21e jour du 7e mois solaire 5 . Cette date renvoie à un oracle du prophète Aggée, prononcé sous le règne de Darius le perse. En l’an deux du roi Darius, au septième mois, le vingt-et-un du mois, la parole de Yahvéh fut adressée, par la main du prophète Aggée, pour dire : « Sois fort Zorobabel oracle de Yahvéh ! et sois fort Josué fils de Yoçadaq, ô grand prêtre, et sois fort, peuple du pays tout entier oracle de Yahvéh ! Agissez, car je suis avec vous oracle de Yahvéh des armées ! Selon l’engagement que j’ai conclu avec vous, à votre sortie d’Égypte 5. 2024 = (364 x 5) + 182 + 1 + 21 = 21e jour du 7e mois solaire.
251
CHAP. 14 – CHRONOLOGIE ET GÉNÉALOGIES DES ROIS
et mon esprit se tient au milieu de vous, ne craignez rien ! » Car ainsi a parlé Yahvéh des armées : « Encore un bref délai et je vais ébranler les cieux et la terre, la mer et le continent, puis j’ébranlerai toutes les nations, pour qu’arrivent les objets précieux de toutes les nations et je remplirai de gloire cette Maison oracle de Yahvéh des armées ! À moi l’argent et à moi l’or oracle de Yahvéh des armées ! Grande sera la gloire de cette Maison, de la seconde plus que de la première a dit Yahvéh des Armées et dans ce lieu je mettrai la paix oracle de Yahvéh des armées ! » (Aggée 2, 1-9)
Tableau 22 Du Déluge à la sortie d’Égypte Références
Personnages
Gn 11, 10
Du Déluge à Arpakhchad
Gn 11, 12
D’Arpakhchad à Chèlah
Gn 11, 14 Gn 11, 16 Gn 11, 18
Durée
Années doubles
Comput
2 ans
4
4
35 ans
70
74
De Chèlah à Ébèr
30 ans
60
134
De Ébèr à Pèlèg
34 ans
68
202
De Pèlèg à Reou
30 ans
60
262
Gn 11, 20
De Reou à Seroug
32 ans
64
326
Gn 11, 22
De Seroug à Nahor
30 ans
60
386
Gn 11, 24
De Nahor à Térah
29 ans
58
444
Gn 11, 26
De Térah à Abram
70 ans
140
584
Gn 21, 5
D’Abraham à Isaac
100 ans
200
784
Gn 25, 27
D’Isaac à Jacob
60 ans
120
904
Gn 47, 28
De Jacob à l’entrée en Égypte
130 ans
260
1164
Durée du séjour en Égypte
430 ans
860
2024
Ex 12, 40
2024 : 21 jour du 7 mois solaire : annonce de la gloire du nouveau Temple. e
e
Par le biais de la concordance des dates, la sortie d’Égypte devient alors la préfiguration d’une nouvelle sortie d’Égypte qui n’adviendra qu’après le règne de Darius le perse. Derrière la sortie de l’Égypte pharaonique se profile déjà celle de l’Égypte hellénistique. Comme le prophétise Aggée, l’événement annonciateur de cette deuxième sortie sera la construction d’un nouveau Temple dont la gloire sera supérieure à celle du Temple salomonien. Ce Temple est celui dans lequel Siméon fils d’Onias lui-même exercera la fonction de grand prêtre.
252
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
§ 114 De la sortie d’Égypte à la fin du royaume de Juda De la sortie d’Égypte à la mise en chantier du Temple salomonien, aucune information chiffrée n’est donnée concernant la durée de vie de ceux qui construisent la lignée de Juda. Il faut attendre le règne de Salomon pour qu’un nombre global vienne réparer cette omission : En l’an quatre cent quatre-vingt après l’exode des fils d’Israël du pays d’Égypte, en l’an quatre du règne de Salomon sur Israël, au mois de Ziv qui est le deuxième mois, (Salomon) entreprit la construction de la Maison pour Yahvéh. (1 Rois 6, 1)
Tableau 23 De la sortie d’Égypte à la fin du royaume de Juda Générations
Personnages
Durée de règne
Années doubles
Comput
Références
De l’Égypte à Salomon 477 ans 954
954
1 R 6, 1
34 e
Règne de Salomon
40 ans
80
1034
1 R 11, 42
35
Règne de Roboam
17 ans
34
1068
1 R 14, 21
36 e
Règne d’Abiam
3 ans
6
1074
1 R 15, 2
37e
Règne d’Aza
41 ans
82
1156
1 R 15, 9
38
e
Règne de Josaphat
25 ans
50
1206
1 R 22, 42
39e
Règne de Joram
8 ans
16
1222
2 R 8, 17
40 e
Règne d’Ochosias
1 an
2
1224
2 R 8, 26
41
Règne de Joas
40 ans
80
1304
2 R 12, 1-2
42 e
Règne d’Amazias
29 ans
58
1362
2 R 14, 1
43
e
e
Règne d’Azarias
52 ans
104
1466
2 R 15, 1
44 e
Règne de Jotham
16 ans
32
1498
2 R 15, 32
45e
Règne d’Achaz
16 ans
32
1530
2 R 16, 1
46
e
Règne d’Ézéchias
29 ans
58
1588
2 R 18,1
47e
Règne de Manassé
55 ans
110
1698
2 R 21, 1
48e
Règne d’Amon
2 ans
4
1702
2 R 21, 19
49
e
Règne de Josias
31 ans
62
1764
2 R 22, 1
50 e
Règne de Joachaz
3 mois
6
1770
2 R 23, 31
50 e
Règne de Joaqim
11 ans
22
1792
2 R 23, 36
51
Règne de Joachin
3 mois
6
1798
2 R 24, 8
50 e
Règne de Sédécias
11 ans
22
1820
2 R 24, 18
e
e
1820 : cinq années solaires ou cinq années lunaires + un jubilé.
CHAP. 14 – CHRONOLOGIE ET GÉNÉALOGIES DES ROIS
253
Ces 480 ans qui séparent la sortie d’Égypte de la mise en chantier du premier Temple prennent donc fin la quatrième année du règne de Salomon. Par déduction, ce règne commença donc 477 ans après la sortie d’Égypte. Et comme il dura quarante années (1 Rois 11, 42), il s’acheva 517 ans après la sortie d’Égypte. Le lien avec le comput de la période patriarcale étant alors rétabli, la suite de la chronologie se construit sans difficulté, à condition de ne prendre en compte que les nombres, indépendamment des unités de temps qu’ils mesurent (années ou mois). Et sans oublier que les années sont doubles après le Déluge. On constate alors (Tableau 23) que l’histoire du royaume de Juda s’achève au moment où la lignée de ses rois a parcouru cinq années solaires parfaites (364 x 5 = 1820), depuis sa sortie d’Égypte. Cependant, dans la mesure où le calendrier lunaire a été institué au moment de cette sortie d’Égypte (§ 94), le nombre 1820 doit aussi être apprécié en fonction de ce nouvel étalon du temps qu’est l’année lunaire de 354 jours. La fin du royaume de Juda correspond alors à cinq années lunaires (354 x 5) plus un jubilé (+ 50 = 1820). Ces cinquante derniers jours de l’histoire royale de Juda correspondent au 20 e jour du 2e mois lunaire 6, une date explicite qui nous renvoie au livre des Nombres (§ 98). En la deuxième année, le deuxième mois, le vingt du mois, la nuée s’éleva d’au-dessus de la Demeure du Témoignage. Alors les fils d’Israël, partirent du désert du Sinaï et la nuée se posa dans le désert de Paran. (Nombres 10, 11)
Cette double datation – solaire et lunaire – de la fin du royaume de Juda est là pour rappeler que l’entrée dans l’ère nouvelle implique la fidélité à Yahvéh. À la 50e génération, celle des fils de Josias, les Judéens qui possèdent désormais la Torah redécouverte dans le Temple par Josias, se trouvent à la croisée des chemins. Conformément au modèle jubilaire, ils peuvent choisir la fidélité à la Torah et entrer dans la lumière (364 x 5) ou « faire ce qui est mal aux yeux de Yahvéh » et rester dans les ténèbres (354 x 5). Ils choisirent l’infidélité et la cinquantième année (+ 50) devint pour eux le point de départ d’un nouveau cycle jubilaire. En renvoyant – par le biais de la date explicite du 20e jour du 2e mois – à la marche de trois jours des fils d’Israël en direction du désert de Paran, Siméon invite l’initié à appliquer ce modèle au roi Sédécias, qui quitte Jérusalem pour une nouvelle marche qui, au terme de l’histoire, conduira le peuple judéen vers ce désert de Paran dont le nom signifie « splendeur jubilaire 7 ». 6. 50 = 30 + 20 = 20 e jour du 2 e mois lunaire. 7. Le mot Paran ( )פארןest composé de pe’er ( )פארet du noun final ( )ןdont la valeur 50 est celle du Jubilé. Si cette lecture est retenue, on devra logiquement considérer que toutes les graphies terminées par un noun ont un rapport avec le Jubilé.
254
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
§ 115 De la sortie d’Égypte à la fin du royaume d’Israël Après avoir pris l’initiative du schisme, Jéroboam fonda un royaume auquel il donna le nom d’Israël (§ 94). À la différence du royaume de Juda, qui fut jusqu’à la fin gouverné par la dynastie unique des descendants de David, le royaume d’Israël fut gouverné par plusieurs dynasties royales concurrentes jusqu’à la destruction de sa capitale Samarie par le roi d’Assyrie. Tableau 24 De la sortie d’Égypte à la fin du royaume d’Israël Générations
Personnages
Durée de Années Comput règne doubles
Référence
De la sortie d’Égypte à Salomon
477 ans
954
954
1 R 6, 1
34 e
Règne de Salomon
40 ans
80
1034
1 R 11, 42
35e
Règne de Jéroboam
22 ans
44
1078
1 R 14, 20
36
e
Règne de Nadab
2 ans
4
1082
1 R 15, 25
37e
Règne de Baassa
24 ans
48
1130
1 R 15, 33
38e
Règne de Éla
2 années doubles
4
1134
1 R 16, 8
39e
Règne de Zimri
7 jours
14
1148
1 R 16, 15
40 e
Règne d’Omri
12 ans
24
1172
1 R 16, 21
41e
Règne d’Achab
22 ans
44
1216
1 R 16, 29
42
Règne d’Ochosias
2 années doubles
4
1220
1 R 22, 52
43e
Règne de Joram
12 ans
24
1244
2 R 3, 1
44 e
Règne de Jéhu
28 ans
56
1300
2 R 10, 36
45
Règne de Joachaz
17 ans
34
1334
2 R 13, 1
Règne de Joas
16 ans
32
1366
2 R 13, 10
e
e
46 e
Règne de Jéroboam
41 ans
82
1448
2 R 14, 23
47e
Règne de Zacharie
6 mois
12
1460
2 R 15, 8
48e
Règne de Chalum
1 lunaison
2
1462
2 R 15, 13
49e
Règne de Menahem
10 ans
20
1482
2 R 15, 17
50 e
Règne de Peqahyah
2 années doubles
4
1486
2 R 15, 23
51e
Règne de Pèqah
20 ans
40
1526
2 R 15, 27
52
Règne d’Osée
9 ans
18
1544
2 R 17, 1
= 35
e
e
1544 : 10 e jour du 5e mois lunaire : destruction du premier Temple.
CHAP. 14 – CHRONOLOGIE ET GÉNÉALOGIES DES ROIS
255
Comme celle de Juda, la chronologie royale d’Israël peut être reconstituée à partir de la durée de règne de ses rois en appliquant les mêmes règles que précédemment. On doit, comme précédemment, faire abstraction des unités de temps auxquelles les nombres sont associés et respecter la règle des années doubles (Tableau 24). Le nombre 1544 qui marque la fin du royaume d’Israël renvoie alors au 10 e jour du 5e mois lunaire 8 , date à laquelle le Temple de Jérusalem fut brûlé par le roi de Babylone : Au cinquième mois, le dix du mois – c’était l’an dix-neuf du roi Nabuchodonosor, roi de Babel – Nebuzaradan, chef des gardes du corps, celui qui se tient devant le roi de Babel, entra dans Jérusalem et il brûla la maison de Yahvéh et la maison du Roi, ainsi que toutes les maisons de Jérusalem. Il brûla aussi par le feu toute maison de grand personnage. Toute l’armée des Chaldéens, qui était avec le chef des gardes du corps, démolit toute la muraille autour de Jérusalem. (Jérémie 52, 12-14)
Bien que le royaume d’Israël ait été historiquement détruit avant celui de Juda, Siméon lui fait porter une part de responsabilité dans la destruction du royaume de Juda et de son Temple. C’est en effet le roi d’Israël qui prit l’initiative du schisme qui survint à la mort de Salomon. Le châtiment que subirent les deux royaumes est également illustré par une série d’oracles prononcés par Ézéchiel à cette même date du 10e jour du 5e mois lunaire (Ézéchiel 20-23). Le plus célèbre d’entre eux est l’allégorie des deux prostituées (Jérusalem et Samarie) qui se laissèrent séduire par l’Égypte et en furent châtiées de façon exemplaire. Il y avait deux femmes, filles d’une même mère. Elles se prostituèrent en Égypte ; elles se prostituèrent dans leur jeunesse ; là furent pressés leurs seins, là on caressa leur poitrine virginale. Leurs noms : l’aînée [s’appelait] Oholah et sa sœur, Oholibah. Elles furent à moi et enfantèrent des fils et des filles. Leurs noms [désignent], Oholah, Samarie et Oholibah, Jérusalem […] (Ézéchiel 23)
Si les prostitutions de Samarie (= Israël) et celles de Jérusalem ne pouvaient qu’entraîner leur destruction, la date de leur châtiment, choisie par le Très-Haut, portait en elle la promesse de ce retour en grâce dont bénéficia Joachin, le survivant des rois de Juda. Samarie fut détruite 510 ans après le schisme de Jéroboam (Tableau 24) et Juda 786 ans après le début du règne de Roboam (§ 114, Tableau 23). L’histoire cumulée des deux royaumes fut donc de 1296 ans, un nombre qui renvoie au 21e jour du 7e mois solaire, date à laquelle Aggée prophétisa la reconstruction du
8. 1544 = (354 x 4) + 59 (bimestre) + 59 + 10 = 10 e jour du 5e mois lunaire.
256
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
Temple de Jérusalem (§ 113, Tableau 22). On doit en déduire que si Israël et Juda provoquèrent par leur division la destruction du premier Temple, ils préparèrent aussi l’avènement d’un nouveau Temple qui, conformément au plan divin exprimé par les nombres et la prophétie d’Aggée, devait être reconstruit à Jérusalem et non pas à Samarie. § 116 Le retour en grâce de Joachin Après le châtiment de Jérusalem et de Samarie, le seul personnage de lignée royale capable de garantir la pérennité de la lignée davidique était Joachin fils de Joaqim, roi de la 51e génération, exilé à Babylone avant la destruction du Temple (§ 96, Tableau 18). La dernière date explicite de l’histoire biblique, celle de son retour en grâce après 36 ans d’exil, est là pour confirmer son destin exceptionnel : Il arriva en l’an trente-sept de la déportation de Joachin, roi de Juda, au douzième mois, le vingt-sept du mois, qu’Éwil Mérodaq, roi de Babel, en l’année de son avènement, releva la tête de Joachin, roi de Juda [et le fit sortir] de la prison. (2 Rois 25, 27)
La durée totale de l’exil de Joachin fut donc de 36 (ans), 11 (mois) et 26 (jours), une durée qui, comme les précédentes, doit être appréciée en faisant abstraction des unités de temps – (36 + 11 + 26) – et correspond au nombre 73 (Tableau 25). Les chronologies de chacune des trois périodes précédentes s’étant jusqu’ici construites en parfaite harmonie avec l’algorithme, ce nombre 73 qu’ajoute le dernier roi de Juda doit logiquement donner une clé d’interprétation définitive de l’histoire royale conforme à cet algorithme. Le nombre atteint par Joachin peut être apprécié de façons différentes, par référence aux calendriers solaire ou lunaire d’une part, et d’autre part en prenant successivement comme point de départ le début de chacune des trois périodes de l’histoire – la sortie d’Égypte, le Déluge ou la création d’Adam (Tableau 25). Après vérification, on constate qu’un calcul effectué par référence au calendrier lunaire ne renvoie à aucune date explicite, quel que soit le point de départ choisi. L’histoire de Juda s’achève donc dans la lumière. Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement, puisque l’exil de Joachin l’avait conduit à Babylone, dans la lumière des Chaldéens, une lumière dont la manifestation « au matin du jour de l’Un » avait été annoncée dès les premières phrases du récit de création (§ 71). De la sortie d’Égypte au retour en grâce de Joachin, 1944 années se sont écoulées qui prennent fin le 2e jour du 5e mois solaire9, c’est-à-dire au lendemain de la mort d’Aaron, jour de l’entrée en fonction de son fils Éléazar (§ 58). 9. De la sortie d’Égypte au retour en grâce de Joachin : 3968-2024 = 1944 = (364 x 5) + 91 + 1 + 30 + 2 : 2 e jour du 5e mois solaire.
CHAP. 14 – CHRONOLOGIE ET GÉNÉALOGIES DES ROIS
257
Le prêtre Aaron monta à Hor, la montagne, sur l’ordre de Yahvéh et il y mourut, en l’an quarante de la sortie des fils d’Israël d’Égypte, au cinquième mois, le premier du mois. (Nombres 33, 38)
Du Déluge au retour en grâce de Joachin, 3968 années se sont écoulées. On est alors renvoyés au 24 e jour du 11e mois solaire 10 et, par ce biais, aux oracles de la première partie du Livre de Zacharie. Comme on le verra en étudiant la chronologie du Déluge, ces oracles annoncent en effet à mots couverts ce que seront les dernières semaines de l’histoire du monde (§ 213). Il nous reste encore à interpréter la chronologie intégrale. Deux hypothèses sont théoriquement possibles : la première, qui consiste à additionner les années simples de la période antédiluvienne (1656) aux années doubles des périodes postdiluviennes (+ 3968 = 5624), doit être écartée car elle ne correspond à aucune date explicite ni solaire, ni lunaire 11. On doit alors en déduire que lorsque le Très-Haut a mesuré la durée totale de l’histoire il l’a fait en fonction de l’algorithme — c’est-à-dire du modèle de l’année solaire. Conformément à ce comput (Tableau 25), il avait donc prévu que l’histoire durerait 10 années solaires (364 x 10 = 3640). En bref, si les fils de Josias avaient été fidèles à la Torah au moment de sa redécouverte dans le Temple, Juda serait entré dans une ère nouvelle au terme de 5 années solaires (§ 114, Tableau 23) et le premier Temple n’aurait pas été détruit. Mais il n’en fut rien. Juda trahit et dut alors repartir pour une nouvelle marche de 5 années solaires, jusqu’à ce qu’une nouvelle occasion soit donnée à Joachin, le jour de son retour en grâce. L’avenir de Juda dépendra donc du parti que prendra le 51e roi de Juda au moment de sa réhabilitation par Éwil-Mérodaq, roi de Babel. Sera-t-il ce roi messianique attendu ou entraînera-t-il le peuple dans une nouvelle période jubilaire ? La réponse a déjà été donnée par le nombre 3968 des années doubles atteint au moment du retour en grâce de Joachin. Alors que le plan du Très-Haut, calculé en années simples, prévoyait 10 années solaires, la réhabilitation de Joachin, calculée en fonction des années doubles instaurées après le Déluge, n’intervint que la 11e année, le 24 e jour du 11e mois. La nouvelle échéance qui se dessine et que Zacharie a prophétisée à cette date (§213), sera donc la reconstruction du Temple. Ce qui vient d’être décrit n’est que l’armature arithmologique en fonction de laquelle Siméon a écrit l’histoire royale. Si elle permet d’en entrevoir les grandes lignes, elle ne peut être qu’un tremplin vers la lecture littérale des textes eux-mêmes, une lecture qu’il faudra redécouvrir. 10. Du Déluge au retour en grâce de Joachin : 3968 = (364 x10) + 182 + 91 + 1 + 30 + 24 = Le 24 e jour du 11e mois solaire. 11. 5624 renvoie au 12 e jour du 6 e mois solaire ou au 19e jour du 11e mois lunaire dates qui ne correspondent à aucune des dates explicites listées. Il n’est cependant pas impossible qu’il renvoie à une date « cachée » qui pourrait être redécouverte pas le biais de la lecture littérale.
258
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
Tableau 25 Les dix années d’années de l’histoire biblique Références
Personnages et événements
Durée
Années simples
Années doubles
Création Gn 5, 3
D’Adam à Seth
130 ans
Gn 5, 6
De Seth à Énoch
105 ans
235
Gn 5, 9
D’Énoch à Caïnan
90 ans
325
Gn 5, 12
De Caïnan à Mahalalel
70 ans
395
Gn 5, 15
De Mahalalel à Yèrèd
Gn 5, 18
De Yèrèd à Hénokh
65 ans
460
162 ans
622
Gn 5, 21
De Hénokh à Métouchélah
65 ans
687
Gn 5, 25
De Métouchélah à Lamekh
187 ans
874
Gn 5, 29
De Lamekh à Noé
182 ans
1056
Gn 5, 32
De Noé à Sem
500 ans
1556
Gn 7, 6
De Sem au Déluge
100 ans
1656
Déluge Gn 11,10
Du Déluge à Arpakhchad
2 ans
1658
4
Gn 11,12
D’Arpakhchad à Chélah
35 ans
1693
74
Gn 11,14
De Chélah à Ébèr
30 ans
1723
134
Gn 11,16
De Ébèr à Pèlèg
34 ans
1757
202
Gn 11,18
De Pèlèg à Reou
30 ans
1787
262 326
Gn 11, 20
De Reou à Seroug
32 ans
1819
Gn 11, 22
De Seroug à Nahor
30 ans
1849
386
Gn 11, 24
De Nahor à Térah
29 ans
1878
444 584
Gn 11, 26
De Térah à Abraham
Gn 21, 5
D’Abraham à Isaac
70 ans
1948
100 ans
2048
Gn 25, 27
D’Isaac à Jacob
784
60 ans
2108
904
Gn 47, 28
De Jacob à l’entrée en Égypte 130 ans
2238
1164
Ex 12, 40
De l’entrée à la sortie d’Égypte
2668
2024
430 ans
Années doubles
259
CHAP. 14 – CHRONOLOGIE ET GÉNÉALOGIES DES ROIS
Références
Personnages et événements
Durée
Années simples
Années doubles
Années doubles
Sortie d’Égypte 1R 6, 1
De la sortie d’Égypte à Salomon
477 ans
3145
2978
954
1R 11, 42
Règne de Salomon
40 ans
3185
3058
1034
1R 14, 21
Règne de Roboam
17 ans
3202
3092
1068
1R 15, 2
Règne d’Abiam
3 ans
3205
3098
1074
1R. 15, 9
Règne de Aza
41 ans
3246
3180
1156
1R 22, 41-51
Règne de Josaphat
25 ans
3271
3230
1206
2R 8, 17
Règne de Joram
8 ans
3279
3246
1222
2R 8, 26
Règne d’Ochosias
1 an
3280
3248
1224
2R 12, 1-2
Règne de Joas
40 ans
3320
3328
1304
2R 14, 1
Règne d’Amazias
29 ans
3349
3386
1362
2R 15, 1
Règne d’Azarias
52 ans
3401
3490
1466
2R 15, 32
Règne de Jotham
16 ans
3417
3522
1498
2R 16, 1
Règne d’Achaz
16 ans
3433
3554
1530
2R 18, 1
Règne d’Ézéchias
29 ans
3462
3612
1588
2R 21, 1
Règne de Manassé
55 ans
3517
3722
1698
2R 21, 19
Règne d’Amon
2 ans
3519
3726
1702
2R 22, 1
Règne de Josias
31 ans
3550
3788
1764
2R 23, 31
Règne de Joachaz
3 mois
3553
3794
1770
2R 23, 36
Règne de Joaqim
11 ans
3564
3616
1792
2R 24, 8
Règne de Joachin
3 mois
3567
3822
1798
2R 25, 27
Durée de l’exil de Joachin
36 ans 11 mois 26 jours
3603 3614 3640
3894 3916 3968
1870 1892 1944
1944 : 2 e jour du 5e mois solaire : entrée en fonction du nouvel Éléazar 3968 : 24 e jour du 11e mois solaire : oracles messianiques de Zacharie 3640 : retour en grâce de Joachin au terme de 10 années solaires
Chapitre 15
CHRONOLOGIE ET GÉNÉALOGIE DES PRÊTRES LÉVITIQUES
§ 117 Les 28 générations de la généalogie lévitique Immédiatement après avoir fait l’éloge de Pinhas, fils d’Éléazar, fils d’Aaron, vingt-huitième et dernier chaînon de la généalogie des prêtres lévites, Ben Sira énonce les règles de succession des lignées royale et sacerdotale : L’alliance avec David, fils de Jessé, de la tribu de Juda, (est un) héritage du roi qui va de fils en fils, (alors que) l’héritage d’Aaron passe à sa descendance. (Ecclésiastique 45, 23-25) (§ 53)
Si la règle énoncée à propos de la royauté est claire, il n’en va pas de même de celle de la succession sacerdotale. Par comparaison avec cette royauté qui se transmet « de fils et fils », l’expression « l’héritage d’Aaron passe à sa descendance » doit indiquer que la fonction de grand prêtre a bien été transmise aux descendants d’Aaron mais sans respecter l’ordre chronologique de la filiation. Dès lors, dans la mesure où la lignée d’Aaron s’interrompt avec son petit-fils, Pinhas fils d’Éléazar, la règle énoncée par Ben Sira ne peut que concerner l’ordre de succession des deux descendants d’Aaron. Le non-respect de l’ordre chronologique doit alors être imputé à Pinhas, qui aurait exercé les fonctions sacerdotales avant son père Éléazar. Alors que cette usurpation de fonction aurait pu être racontée en clair, Siméon préfère entourer de mystère l’histoire passée de ces « fils d’Aaron » qui officient à ses côtés dans le nouveau Temple lors de la liturgie du jour des Pardons (Ecclésiastique 50). Le sujet est en effet brûlant. Il s’agit d’expliquer pourquoi « l’alliance de prêtrise éternelle » accordée par Yahvéh à Pinhas a été brisée (§ 120) et pourquoi la charge du souverain pontificat a été remise à la lignée des prêtres oniades. Les noms des vingt-huit bâtisseurs de la généalogie lévitique construisent le nombre 450 (Tableau 26), un nombre qui ne renvoie à aucune date explicite du calendrier solaire, mais au 7e jour du 4 e mois lunaire 1, avantveille de la destruction de Jérusalem et du départ en exil de Sédécias (Jérémie 39, 2 ; 52, 6). 1. 450 : 354 + 30 + 29 + 30 + 7 = 7e jour du 4 e mois lunaire.
262
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
Tableau 26 Les vingt-huit générations sacerdotales Générations
Noms
Valeur
Valeurs cumulées
Références
1er
Adam
אדם
11
11
Gn 5
2e
Seth
שת
8
19
Ibid.
Énoch
אנוש
21
40
Ibid.
4e
Caïnan
קינן
22
62
Ibid.
5e
Mahalalel
מהללאל
27
89
Ibid.
6
3
e
Yèrèd
ירד
13
102
Ibid.
7e
Hénokh
חנוך
18
120
Ibid.
8e
Métouchélah
מתושלח
26
146
Ibid.
9
e
Lamekh
למך
15
161
Ibid.
10 e
Noé
נח
8
169
Ibid.
11e
Sem
שם
13
182
Gn 11, 10-26
12
e
Arpakhchad
ארפכשד
25
207
Ibid.
13e
Chélah
שלח
13
220
Ibid.
14 e
Ébèr
עבר
10
230
Ibid.
15
e
Pèlèg
פלג
11
241
Ibid.
16 e
Reou
רעו
14
255
Ibid.
e
17
Seroug
שרוג
22
277
Ibid.
18e
Nahor
נחור
20
297
Ibid.
19e
Térah
תרח
8
305
Ibid.
20
e
Abraham
אברהם
20
325
Ibid.
21e
Isaac
יצחק
13
338
Gn 21, 2-5
22 e
Jacob
יעקב
12
350
Gn 25, 24-26
23
e
Lévi
לוי
14
364
Ex 6, 16-25
24 e
Qehat
קהת
11
375
Ibid.
25e
Amram
עמרם
20
395
Ibid.
26
e
Aaron
אהרן
19
414
Ibid.
27e
Éléazar
אלעזר
21
435
Ibid.
28e
Pinhas
פינחס
15
450
Ibid.
e
7 jour du 4 mois lunaire : avant-veille de la destruction du Temple de Salomon (Jérémie 39, 2 ; 52, 6) e
e
En l’an onze de Sédécias, au quatrième mois, le neuf du mois, la ville fut ouverte d’une brèche […]. Le roi de Babel creva les yeux de Sédécias et le fit attacher d’une double chaîne d’airain pour l’emmener à Babel. (Jérémie 39, 2-7)
CHAP. 15 – CHRONOLOGIE ET GÉNÉALOGIE DES PRÊTRES
263
On peut déduire de ce renvoi au texte de Jérémie que la fonction sacerdotale des fils d’Aaron cessa au moment de la destruction du Temple de Salomon, ce qui est logique puisqu’elle était liée à l’existence même de ce Temple. Mais la perfection de l’Écriture semble être prise en défaut. Pourquoi mettre fin à la lignée lévitique l’avant-veille de la destruction du Temple et pas le jour même ? Cette généalogie (Tableau 26) associe par ailleurs le nom de Lévi, fondateur du sacerdoce lévitique, au nombre de l’année solaire parfaite (364). Il faut en déduire que Lévi marcha dans la lumière tous les jours de sa vie 2 et que le passage de la lumière aux ténèbres — impliqué par la date lunaire de la fin du sacerdoce lévitique — doit être imputé à ses descendants. Pour résoudre cette énigme, il faut maintenant s’intéresser à l’histoire même des descendants de Lévi. La lignée lévitique ne commence qu’à la 23e génération, au moment où se produit la distinction entre les fonctions sacerdotale (Lévi) et royale (Juda). De la naissance de Lévi (en 351) à la mort de Pinhas (en 450), la lignée lévitique, devenue autonome, construit le nombre 100 (tableau 27) qui la conduit jusqu’au 8e jour du 4 e mois solaire 3, c’est-à-dire à la veille de l’exil de Sédécias (Jérémie 39, 2 ; 52, 6), et non plus à l’avant-veille comme dans la chronologie générale (tableau 26). Tableau 27 Généalogie de Lévi et de ses fils 23e
Lévi
לוי
14
14
Ex 6, 16-25
24 e
Qehat
קהת
11
25
Ibid.
25e
Amram
עמרם
20
45
Ibid.
26 e
Aaron
אהרן
19
64
Ibid.
27e
Éléazar
אלעזר
21
85
Ibid.
28
Pinhas
פינחס
15
100
Ibid.
e
100 = 8e jour du 4 e mois solaire Veille de la destruction du Temple (Jérémie 39, 2 ; 52, 6)
Alors que la chronologie générale associait les lévites aux ténèbres l’avant-veille de la destruction du Temple (renvoi à une date lunaire), leur chronologie propre (Tableau 27) les fait à nouveau passer des ténèbres à la
2. On notera également que ce nombre 364 se divise en deux semestres de 182 jours dont le premier est construit par Sem avant le Déluge et le second par les descendants de Sem jusqu’à Lévi après le Déluge. Lévi hérite donc du modèle antédiluvien sans être victime de l’illusion créée par les années doubles… 3. 100 : 91 + 1 + 8 = 8e jour du 4 e mois solaire.
264
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
lumière, mais pour un répit d’un seul jour qui n’empêchera pas la destruction du Temple le lendemain même. Cette lumière, dans laquelle ils ont baigné avant de replonger dans les ténèbres, est bien évidemment celle de la Torah découverte par le grand prêtre Hilqiyahou, sous le règne de Josias (§ 105). Mais puisque le Temple fut détruit dès le lendemain et le peuple emmené en exil il faut en déduire que les fils d’Aaron, pas plus que les rois de Juda, ne surent saisir l’occasion qui leur était offerte d’entrer dans le Jubilé en pratiquant les commandements révélés par cette Torah. § 118 Les 26 générations de la chronologie lévitique Une autre piste de solution de l’énigme lévitique est fournie non plus par la généalogie mais par la chronologie de cette lignée. Alors que la généalogie lévitique atteignait la 28e génération (Tableau 26), sa chronologie chiffrée est interrompue dès la 26e (Tableau 28), au moment de la mort d’Aaron, qui survient la quarantième année du séjour des fils d’Israël dans le désert : Le prêtre Aaron monta à Hor, la montagne, sur l’ordre de Yahvéh et il y mourut, en l’an quarante de la sortie des fils d’Israël d’Égypte. (Nombres 33, 38)
Alors que les prêtres et les rois partageaient la même chronologie jusqu’à la sortie d’Égypte et atteignaient ainsi ensemble le nombre 2024 (§ 116, Tableau 25), ils se séparent alors et, tandis que la lignée royale poursuit son histoire jusqu’à la 51e génération (§ 116, Tableau 25), la chronologie de la lignée sacerdotale s’interrompt la quarantième année du désert, au moment de la mort d’Aaron. Du Déluge à la mort d’Aaron, 2104 années doubles se sont donc écoulées qui renvoient par conversion au 10 e jour du 10 e mois solaire 4 . En la neuvième année du règne de Sédécias, le dixième mois, le dix du mois, il advint que Nabuchodonosor, roi de Babel, arriva, lui et toute son armée, contre Jérusalem. Ils campèrent auprès d’elle et édifièrent contre elle un retranchement tout autour. La ville devint en état de siège jusqu’à l’an onze du roi Sédécias. (2 Rois 25, 1)
La chronologie d’Aaron, comme la généalogie de Pinhas, nous renvoie donc, une fois encore, au temps de Sédécias, dernier roi de Juda, confirmant par là que la fonction sacerdotale de la lignée aaronide prit bien fin avec la destruction du Temple de Salomon.
4. 2104 = 364 x 5 + 182 + 91 + 1 + 10 = 10 e jour du 10 e mois solaire.
CHAP. 15 – CHRONOLOGIE ET GÉNÉALOGIE DES PRÊTRES
265
Tableau 28 La chronologie lévitique
Références
Personnages et événements
Années simples
Durée
Gn 5, 3
D’Adam à Seth
130 ans
Gn 5, 6
De Seth à Énoch
105 ans
235
Gn 5, 9
D’Énoch à Caïnan
90 ans
325
Gn 5, 12
De Caïnan à Mahalalel
70 ans
395
Gn 5, 15
De Mahalalel à Yèrèd
65 ans
460
Gn 5, 18
De Yèrèd à Hénokh
Gn 5, 21
De Hénokh à Métouchélah
Années doubles
162 ans
622
65 ans
687
Gn 5, 25
De Métouchélah à Lamekh
187 ans
874
Gn 5, 29
De Lamekh à Noé
182 ans
1056
Gn 5, 32
De Noé à Sem
500 ans
1556
100 ans
1656
Gn 7, 6
De Sem au Déluge
Gn 11, 10
Du Déluge à Arpakhchad
2 ans
4
Gn 11, 12
D’Arpakhchad à Chélah
35 ans
74
Gn 11, 14
De Chélah à Ébèr
30 ans
134
Gn 11, 16
De Ébèr à Pèlèg
34 ans
202
Gn 11, 18
De Pèlèg à Reou
30 ans
262
Gn 11, 20
De Reou à Seroug
32 ans
326
Gn 11, 22
De Seroug à Nahor
30 ans
386
Gn 11, 24
De Nahor à Térah
29 ans
444
Gn 11, 26
De Térah à Abraham
Gn 21, 5
D’Abraham à Isaac
Gn 25, 27
D’Isaac à Jacob
Gn 47, 28
De Jacob à l’entrée en Égypte
Ex 12, 40
De l’entrée à la sortie d’Égypte
430 ans
2024
70 ans
584
100 ans
784
60 ans
904
130 ans
1164
Jusqu’à la mort d’Aaron et de 40 ans Moïse ( ?)
2104
2104 : 10 e jour du 10 e mois solaire : Siège de Jérusalem
§ 119 L’inversion des pontificats d’Éléazar et Pinhas L’inversion des pontificats d’Éléazar et de Pinhas que suggère Ben Sira peut effectivement être déduite des dates qui viennent d’être recueillies. Puisque la mort d’Aaron renvoie par analogie à la 9e année du règne de Sédécias (§ 118, Tableau 28) et la fin du pontificat de Pinhas à la 11e année
266
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
de règne de ce même roi (§ 117), l’ordre de succession de ces deux prêtres aaronides est respecté. On s’attendrait alors à ce que le pontificat d’Éléazar, fils d’Aaron, vienne s’intercaler logiquement entre ceux de son père Aaron et de son fils Pinhas et renvoie par analogie à la 10e année du règne de Sédécias. Le seul indice chronologique dont nous disposions pour vérifier cette hypothèse est sa date d’entrée en fonction, au lendemain de la mort d’Aaron. Le prêtre Aaron monta à Hor, la montagne, sur l’ordre de Yahvéh et il y mourut, en l’an quarante de la sortie des fils d’Israël d’Égypte, au cinquième mois, le premier du mois. (Nombres 33, 38)
L’investiture d’Eléazar eut donc lieu le 2e jour du 5e mois, une date qui renvoie également à la fin de l’histoire royale mais pas à la 10 e année de Sédécias. Ce 2e jour du 5e mois sera celui du retour en grâce de Joachin qui n’advint que 26 ans après le départ en exil de Sédécias 5. 10 e jour du 10 e mois de la 9e année de Sédécias
Fin du pontificat d’Aaron
9e jour du 4 e mois de la 11e année de Sédécias
Fin du pontificat de Pinhas
2 e jour du 5e mois de la 37e année de l’exil de Joachin Début du pontificat d’Éléazar
Par le biais de cette chronologie cachée, le prêtre Pinhas devient alors le modèle du sacerdoce lévitique qui conduira le premier Temple à sa perte, alors qu’Éléazar, dont le pontificat ne commencera qu’après la destruction du premier Temple, sera le modèle du sacerdoce du nouveau Temple 6. On comprend alors pourquoi les mouvements religieux de la période hellénistique revendiqueront le patronage d’Éléazar plutôt que celui de Pinhas. Ben Sira fera de Siméon fils d’Onias un nouvel Éléazar (§ 58). Les Judéens d’Égypte rapporteront que leur Torah leur a été envoyée par le prêtre Éléazar (§ 46). Le fondateur du mouvement pharisien sera identifié à Éléazar (= Esdras) lui-même (§ 35). Et c’est également la mort et la résurrection de ce même (É)L(é)azare que les Évangiles de Luc et de Jean met-
5. Le retour en grâce de Joachin, comme on l’a vu (§ 116, tableau 25) correspond à trois dates différentes selon qu’il est calculé par référence à la Création, au Déluge ou à la sortie d’Égypte. La date du 2e jour du 5e mois est obtenue en partant de la sortie d’Égypte. Le temps écoulé jusqu’au retour en grâce de Joachin est alors de 1944 (ans), soit 364 x 5 + 91 + 1 +30 + 2 = 2 e jour du 5e mois. 6. Le retour en grâce de Joachin se produit la 37e année de son exil qui commence avec le règne de 11 ans de Sédécias. La fin du règne de Sédécias et celle du pontificat de Pinhas adviennent donc 26 ans avant la réhabilitation de Joachin qui est également celle de l’entrée en fonction d’Éléazar.
CHAP. 15 – CHRONOLOGIE ET GÉNÉALOGIE DES PRÊTRES
267
tront en scène après la destruction du second Temple 7. À l’inverse, rares seront ceux qui revendiqueront le patronage de Pinhas 8. § 120 La jalousie de Pinhas Ce peu d’estime des Anciens pour Pinhas paraît d’autant plus surprenant que le seul épisode connu de sa vie rapporte en quelles circonstances Yahvéh contracta avec lui « une alliance sacerdotale éternelle ». Cela se passa pendant le séjour au désert, le jour où le peuple commença à forniquer avec les filles de Moab et à se prosterner devant leur dieu, le Baal de Péor. La colère de Yahvéh s’enflamma alors contre Israël et il ordonna à Moïse de tuer les hommes qui s’étaient attachés au Baal de Péor. Et c’est alors que Pinhas intervint : Et voici qu’un homme d’entre les fils d’Israël vint et fit approcher la Madianite, aux yeux de Moïse et aux yeux de toute la communauté des fils d’Israël, alors que ceux-ci pleuraient à l’entrée de la Tente du rendezvous. Ce que voyant, Pinhas, fils d’Éléazar, fils d’Aaron, se leva du milieu de la communauté, prit une lance dans sa main, entra dans l’alcôve et les transperça tous deux, l’homme d’Israël et la femme, par le bas ventre. Le fléau cessa alors de peser sur les fils d’Israël […] Et Yahvéh parla à Moïse en disant : « Pinhas, fils d’Éléazar, fils du prêtre Aaron, a détourné ma fureur des fils d’Israël en se montrant jaloux pour moi au milieu d’eux, et je n’ai pas exterminé les fils d’Israël malgré ma jalousie. C’est pourquoi parle ainsi : “Voici que moi, je lui accorde mon alliance de paix, et elle sera pour lui et sa race après lui une alliance de prêtrise éternelle, parce qu’il s’est montré jaloux pour son Dieu et a fait propitiation pour les fils d’Israël”. » (Nombres 25, 10-13)
L’inversion de l’ordre de succession d’Éléazar et Pinhas doit alors être mise en relation avec cette alliance qui désignerait Pinhas comme successeur direct d’Aaron, aux dépens d’un Éléazar, qui n’aurait pas réagi face au 7. Ces Évangiles rapportent une double version de l’histoire de (É)L(é)azare. Luc raconte la mort de Lazare (Luc 16, 19-31) et Jean, la résurrection de « Lazare de Béthanie » (Jean 11, 1-12, 11), Bèth-ania dont l’assonance avec beth-onia, « le Temple d’Onias », ne pouvait échapper à ceux qui connaissaient l’histoire passée du Temple. 8. Le seul écrit ancien qui nous ait été conservé et qui fasse l’éloge de Pinhas est le Livre des Antiquités bibliques du Pseudo-Philon (dans DUPONT-SOMMER A. – PHILONENKO M. (éd.), La Bible, Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, 1987, p. 1316, p. 1317, p. 1355-1360, p. 1364, p. 1368, p. 1370), un écrit dont on s’accorde à dater la rédaction définitive d’après la destruction du second Temple, donc d’une époque où le modèle d’Éléazar est en passe de devenir caduque. La littérature rabbinique portera un grand intérêt à Pinhas, comme le montre l’index de The Legends of the Jews (L. Ginzberg, volume VII, Philadelphie 1967) qui consacre 47 entrées à Pinhas contre 24 seulement à Éléazar.
268
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
spectacle donné par l’homme d’Israël et la Madianite. Mais si l’arithmologie confirme bien que l’inversion des pontificats des descendants d’Aaron est conforme à la volonté de Yahvéh, elle met également fin au pontificat de Pinhas au moment de la destruction du premier Temple et contredit par le fait même que « l’alliance de prêtrise » passée avec lui ait pu être « éternelle ». Pour rendre compte de cette contradiction apparente, il faudrait entrer de plain-pied dans la lecture littérale. On se contentera d’une remarque. Le mot que les traducteurs rendent ici par « éternel » est en fait un substantif (‘olam) dont le sens premier est « monde ». Les rabbins préciseront cette notion ambiguë en distinguant deux temps du monde, « le monde présent » (ha‘olam hazéh) et « le monde à venir » (ha‘olam haba’). Bien que ces expressions soient absentes du corpus biblique, la distinction des deux mondes y est cependant exprimée, mais par le biais d’une double orthographe du mot ‘olam. Écrit avec waw ()עולם, il renvoie à l’histoire présente du monde – jusqu’à l’entrée effective dans le Jubilé – ; écrit sans waw ()עלם, il renvoie au monde nouveau auquel on accèdera après avoir passé avec succès l’épreuve jubilaire. D’après ce code – dont la validité sera confirmée en plusieurs occasions – l’alliance conclue avec Pinhas n’est donc que temporaire ( )עולםet doit seulement lui permettre de se préparer à l’entrée dans le Jubilé. En fait, la lecture littérale des termes de cette alliance indique la limite de sa validité : En vue de ce qui est conforme au jubilé, parle : Voici que Moi, je lui donne le modèle de mon alliance (qui est) Paix Et une alliance de prêtrise du monde (( )עולםaur)a (auparavant) existé pour lui et pour sa race (qui est) en dessous de lui. (Nombres 25, 12-13)
Le plan divin prévoit donc deux Alliances. La première, passée avec Pinhas « et sa race après lui » couvrira la période jubilaire qui prendra fin avec l’exil des rois de la cinquantième génération. Elle deviendra alors caduque et sera remplacée par une nouvelle « alliance de Paix » qui, elle, sera donnée. Le choix du verbe « donner » ( )נתןest ici capital car, interprété littéralement – c’est-à-dire en fonction de sa seule lettre stable, le taw (– )ת, il signifie que cette nouvelle Alliance ne prendra effet que lorsqu’Israël se sera conformé à l’algorithme de création et sera prêt à recevoir le signe du taw, ce signe que Siméon, le nouvel Éléazar, tracera sur le front des hommes d’Israël (§ 79). § 121 La trahison de Pinhas Le haut fait qui valut à Pinhas d’obtenir cette alliance sacerdotale est pour le moins surprenant :
CHAP. 15 – CHRONOLOGIE ET GÉNÉALOGIE DES PRÊTRES
269
Il prit une lance dans sa main, entra dans l’alcôve et les transperça tous deux, l’homme d’Israël et la femme (madianite), par le bas ventre. (Nombres 25, 8)
L’identité des deux amants n’est révélée qu’à la fin de l’épisode : Or le nom de l’homme d’Israël qui fut frappé, celui qui fut frappé avec la Madianite, était Zimri fils de Salou, prince de la maison paternelle des Siméonites et le nom de la femme madianite qui fut frappée était Kozbi, fille de Sour. Celui-ci était chef de clans de maison paternelle en Madian. (Nombres 25, 15)
Pour comprendre pourquoi l’union d’un Siméonite et d’une Madianite a pu provoquer une telle crise de jalousie de la part de Pinhas, il faut s’intéresser à l’origine des Madianites. Madian était l’un des fils qu’Abraham avait eu sur ses vieux jours avec Qetourah (Genèse 25, 2). Les Madianites appartiennent donc à la lignée des fils d’Abraham et peuvent, de ce fait, se considérer comme les héritiers de la promesse au même titre que les autres fils d’Abraham. Par leur union, Zimri l’homme d’Israël et Kozbi la madianite réalisent donc symboliquement la réunification de la descendance d’Abraham. Ce qui paraît inacceptable pour Pinhas c’est que cette réunification soit faite par un siméonite alors qu’elle revient de droit aux fils de Lévi puisque Moïse le lévite en a donné l’exemple en épousant Çiporah, la fille du prêtre de Madian (Exode 2, 21). Ce que Pinhas refuse, c’est donc de voir une autre tribu réaliser ce qu’il considère être du seul ressort des Lévites, une attitude que Yahvéh approuve et qui vaudra « à Pinhas et à sa race » d’exercer le sacerdoce jusqu’à la 50 e génération des rois de Juda et même au-delà, à condition qu’ils se montrent fidèles à la pratique de la Torah. Après la traversée du Jourdain et l’entrée en Canaan, Éléazar mourut (Josué 24, 29-33) alors que Pinhas fit preuve d’une longévité étonnante. Il vivait encore à la fin de la période des Juges : En ces jours-là, l’Arche d’Alliance d’Élohim se trouvait dans ce lieu (à Béthel), et Pinhas ()פינחס, fils d’Éléazar, fils d’Aaron, se tenait devant elle en ces jours-là. (Juges 20, 28)
Mais Pinhas joue alors un double jeu symbolisé par la double orthographe de son nom. Sous l’orthographe de פינחס, « il se tient devant l’arche d’Élohim » à Béthel, et sous celle de פנחסil exerce les fonctions de « prêtre en vue de Yahvéh » à Silo (1 Samuel 1, 3). S’il officie correctement en tant que prêtre d’Élohim, il n’en va pas de même de sa seconde fonction qu’il exerce « sans connaître Yahvéh, ni l’usage des prêtres vis-àvis du peuple » (1 Samuel 2, 12-17). Aussi Yahvéh décide-t-il de le faire mourir (2, 26) et annonce-t-il sa décision à Éli, le père adoptif de Pinhas 9 : 9. Dans le livre de Samuel, Pinhas devient le fils du prêtre Éli. Cette « réincarnation » des personnages bibliques est fréquente. Le sujet sera abordé à propos des
270
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
Le signe pour toi, ce sera ce qui arrivera à tes deux fils, Hofni et Pinhas : ils mourront tous deux le même jour. Alors je susciterai pour moi un prêtre fidèle : il agira suivant ce qui est en mon cœur et dans mon âme, je lui bâtirai une maison durable et il marchera en présence de mon oint tous les jours. Et il adviendra que quiconque sera resté dans ta maison viendra se prosterner devant lui pour une obole d’argent ou une boule de pain et il dira : Daigne m’admettre à l’une des fonctions sacerdotales pour que je mange un morceau de pain. (1 Samuel 2, 34-36)
Cette « maison durable » dont la construction est annoncée est le Temple postexilique construit pour l’éternité. Et c’est devant le prêtre « fidèle » de ce nouveau Temple que les descendants de Pinhas devront se prosterner s’ils veulent occuper ne serait-ce qu’une fonction sacerdotale subalterne. Juste châtiment de leur infidélité. Le destin de Pinhas et de Hofni fut effectivement tragique. Au cours d’une bataille contre les Philistins « l’arche d’Élohim fut prise et les deux fils d’Éli, Hofni et Pinhas, moururent » (1 Samuel 4, 1-12). Lorsque la nouvelle parvint à Silo, la femme de Pinhas, qui était enceinte, accoucha et appela son garçon Ikavod ( )אי־כבודen disant : « La gloire ( )כבודa été exilée d’Israël » (1 Samuel 4, 19-22) 10. Ce fils que Pinhas ( = פנחס12) engendra alors qu’il était prêtre de Yahvéh à Silo prolongea la lignée lévitique jusqu’à la vingt-neuvième génération et jusqu’au nombre 96 (Tableau 29), c’est-à-dire au 4 e jour du 4 e mois solaire 11. Tableau 29 De Lévi au fils de Pinhas 23e
Lévi
לוי
14
14
Ex 6, 16-25
24 e
Qehat
קהת
11
25
Ibid.
Amram
עמרם
20
45
Ibid.
26 e
Aaron
אהרן
19
64
Ibid.
28e
Pinhas
פנחס
12
79
Ibid.
I-kavod
אי־כבוד
20
96
1 Samuel
25
e
96 : 4 e jour du 4 e mois solaire (veille de la vision de la gloire de Yahvéh)
Récits des origines lorsque les deux représentants des fonctions sacerdotale et royale, Hénokh et Lameck passeront de la lignée caïnite à la lignée séthite (§ 154 et 157) 10. Traduit selon les règles de la lecture traditionnelle, le nom de I-kavod ( )אי־כבודsignifie « Oû (est la) gloire ? ». En lecture littérale au contraire, la valeur « interrogative » des particules doit disparaître car elle impliquerait une certaine ignorance de la part du Révélateur. איdoit alors être interprété conformément à l’algorithme, c’est-à-dire en fonction de la valeur de ses lettres : « De une ( = א1) la gloire d’Israël est devenue trois ( = י3) », suite à la dispersion des exilés en Égypte, en Canaan et à Babylone. 11. 96 = 91 + 1 + 4 = 4 e jour du 4 e mois.
CHAP. 15 – CHRONOLOGIE ET GÉNÉALOGIE DES PRÊTRES
271
Le jour où Ikavod cessa ses fonctions, « la Gloire ( = כבודkavod) d’Israël » partit donc en exil, ce que confirme la vision de cette Gloire exilée qu’eut le prophète Ezéchiel le lendemain de ce départ, alors qu’il était luimême en exil : La trentième année, le quatrième mois, le cinq du mois, alors que j’étais au milieu des déportés au bord du fleuve Kebar, il advint que le ciel s’ouvrit et je vis des visions de Dieu. (Ézéchiel 1, 1) […] C’était la vision de la ressemblance de la gloire (kavod) de Yahvéh. (Ézéchiel 1, 28)
§ 122 La résurrection des Siméonites L’alliance de Yahvéh avec Pinhas a donc été rompue pour cause d’infidélité et sa lignée réduite à mendier des postes subalternes auprès du prêtre « fidèle » qui prendra la tête du nouveau Temple après le retour de l’exil. Est-ce à dire que la réunification de la descendance d’Abraham dont Zimri le siméonite et Kozbi la madianite avaient rêvé et que Pinhas avait empêchée par jalousie sera à nouveau possible ? Tel est du moins le scénario qu’a retenu l’auteur du Testament de Siméon 12 , deuxième fils de Jacob, quelques décennies après la mort de Siméon fils d’Onias. Sur son lit de mort et en présence de ses fils, le patriarche Siméon prophétise en ces termes la résurrection de sa lignée : Si vous arrachez de vous la jalousie et toute raideur de nuque – dit-il à ses fils – comme la rose refleuriront mes os en Israël, comme le lys, ma chair en Jacob ; mon odeur sera comme l’odeur de l ’encens et comme les cèdres les saints issus de moi se multiplieront à jamais et leurs rameaux s’étendront au loin 13.
Par le biais de métaphores empruntées à l’éloge de Siméon fils d’Onias, l’auteur du Testament fait du patriarche biblique une préfiguration de ce grand prêtre oniade dont Ben Sira disait : Qu’il était glorieux, entouré de son peuple, quand il sortait de la maison du voile. […] Comme la fleur des roses aux jours du printemps, comme le lys sur le bord
12. Cet apocryphe juif a été rédigé très vraisemblablement en hébreu ou en araméen mais n’a été conservé entièrement qu’en traduction grecque. Il pourrait remonter au II e siècle avant notre ère, selon S. Mimouni. On a retrouvé des témoins plus ou moins proches parmi les documents de la mer Morte. Sous la forme où il nous est parvenu, ce Testament contient des interpolations chrétiennes évidentes. 13. Testament de Siméon 6, 1-2, dans DUPONT-SOMMER A. – PHILONENKO M. (éd.), La Bible, Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, 1987, p. 830-831.
272
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
des eaux, comme le rameau du Liban au jour de l’été, comme le feu et l ’encens sur l’encensoir […] (Ecclésiastique 50,5-9)
Pour l’auteur du Testament, Siméon le patriarche revivra donc en Siméon le grand prêtre, mais à la condition expresse que les fils de ce nouveau Siméon « arrachent d’eux la Jalousie » dont Pinhas et sa descendance sont l’incarnation. En d’autres termes, les Siméonites doivent supplanter les Lévites. Mais en attendant que les os de Siméon ne refleurissent, – à l’époque où l’auteur écrit, Siméon fils d’Onias est mort – le patriarche incite ses fils à vivre sous l’autorité bicéphale des prêtres et des rois : Maintenant, mes enfants, obéissez à Lévi et à Juda, et ne vous dressez pas contre ces deux tribus, car c’est d’elles que se lèvera pour nous le salut de Dieu. Car le Seigneur suscitera quelqu’un de Lévi, en tant que grand prêtre, et de Juda, en tant que roi – Dieu et homme – C’est lui qui sauvera toutes les nations et la race d’Israël 14 .
La tribu de Siméon sera donc soumise aux rois judéens et aux prêtres lévitiques, mais seulement jusqu’à la venue d’un « Sauveur » issu, à la fois, de Lévi et de Juda. § 123 L’arithmologie au service de la lecture littérale Ce déchiffrement sommaire des généalogies et chronologies des lignées royales et sacerdotale ne doit pas faire illusion. Malgré toutes les précautions prises pour ne passer des nombres à l’histoire qu’en prenant pour guide le principe d’analogie verbale, les interprétations suggérées doivent être accueillies avec réserve. Le plus souvent en effet, ce passage des nombres à l’histoire s’est fondé sur des traductions traditionnelles qui ne sont qu’un pâle reflet du sens que révèlerait une lecture littérale sans concession. Le discours dont j’ai habillé l’architecture numérique du texte afin d’en faire apparaître l’harmonie, n’est qu’une variation sur un thème. D’autres viendront, fondées sur la lecture littérale, qui, de proche en proche, préciseront le sens allégorique caché sous les nombres. L’arithmologie a d’abord pour fonction de ménager une passerelle entre la lecture traditionnelle et une lecture littérale fondée sur des règles logiques qui restent en grande partie à décrire. Elle n’est, en tout état de cause, qu’une propédeutique. Elle ne doit en aucun cas servir de tremplin à une spéculation sur les nombres qui ne serait pas contrôlée par la lecture littérale des textes. Les nombres sont seulement des jalons destinés à
14. Testament de Siméon 7, 1-2, dans DUPONT-SOMMER A. – PHILONENKO M. (éd.), La Bible, Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, 1987, p. 832.
CHAP. 15 – CHRONOLOGIE ET GÉNÉALOGIE DES PRÊTRES
273
baliser le parcours que doit suivre l’initié pour parvenir sûrement au sens allégorique de l’Écriture. S’il convient de se montrer réservé quant à la validité des interprétations de détail proposées dans cette étude, on peut en revanche tirer de cette première approche quelques conclusions concernant la technique d’écriture élaborée par Siméon pour réaliser cette « double hauteur » de l’histoire biblique. Pour le chercheur habitué à une approche rationaliste – ce qui fut mon cas pendant les quinze premières années de mon enseignement universitaire – l’existence d’un monument arithmologique sous-jacent au texte hébreu lui-même ne peut être que déstabilisante. Elle remet en effet en question de façon radicale une ligne de partage qui nous est familière entre une approche rationnelle fondée sur plusieurs siècles de critique biblique et une approche mystique se servant des lettres-nombres comme d’un moyen commode, mais purement subjectif, de fonder des spéculations sans rapport nécessaire avec le texte lui-même. L’ampleur du monument décrit dans les précédents chapitres et l’harmonie parfaite des nombres qui ont servi à le construire suffisent à démontrer, de façon définitive me semble-t-il, que l’histoire biblique a bien été écrite sur fond de géométrie, en fonction d’un modèle mathématique élaboré a priori, celui de l’algorithme du récit de création. L’idée reçue selon laquelle la chronologie biblique aurait été plaquée de façon artificielle et tardive sur un texte déjà rédigé doit alors être définitivement rejetée. Si ce monument arithmologique se construisait à partir des seuls nombres visibles du texte, on pourrait effectivement considérer qu’elle n’est qu’un placage tardif, mais il n’en est rien car ces nombres sont en profonde harmonie avec le récit et lui donnent sens. Les trois monuments qui confirmaient la validité de l’algorithme (Chapitre 12) construisaient le nombre 417 uniquement à partir de lettres, sans faire appel à aucun nombre visible. Le récit de création confirmait l’algorithme par le nombre de ses mots. Le texte entre nouns inversés par le nombre de ses lettres et par la somme des valeurs numériques cachées sous celles-ci. Quant aux vingt-six acteurs du Récit des origines ils le confirmaient par la valeur arithmologique de leurs noms. Aucune de ces confirmations ne faisait appel à des nombres visibles mais chacune était, au contraire, totalement dépendante de l’écriture même des récits concernés. Les mots du récit de création ont été comptés. Chacune des 85 lettres du texte entre nouns inversés a été comptée et choisie de façon à ce que leur somme donne 365. Les acteurs antédiluviens ont été nommés de façon à construire cet algorithme au moyen de leurs lettres, du ’alèf d’Adam au taw de Japhet. On retrouve les mêmes contraintes dans la construction des généalogies royales (§ 104, Tableau 20) et sacerdotales (§ 117, Tableau 26) qui mettent à contribution l’orthographe de 71 noms propres.
274
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
L’importance de cette architecture numérique est enfin confirmée par le système surprenant de correspondance entre nombres et dates. Chacun des dix monuments arithmologiques décrits précédemment – d’autres suivront – renvoie de façon systématique à une ou plusieurs des quarante dates explicites dont le catalogue a été dressé (§ 93, Tableau 15). On notera de plus que ces dates sont dispersées aussi bien dans les douze livres de l’histoire biblique que dans le corpus prophétique. Cette correspondance entre histoire et prophétie met en évidence leur complémentarité. Si elle n’exclut pas l’existence d’un corpus prophétique antérieur à Siméon, elle implique pour le moins sa mise en harmonie avec le sens allégorique de l’histoire biblique voulu par lui. Que l’architecture numérique sous-jacente à l’Écriture construise encore actuellement un édifice parfaitement harmonieux, implique par ailleurs que l’œuvre originale de Siméon ait été conservée de façon exemplaire au cours des deux millénaires de sa transmission. Un seul yod (= 3) ajouté à un nom propre aurait suffi à ruiner un monument entier. Si nous ne sommes pas en présence « d’un autographe de Moïse » comme le croyaient les Anciens, nous sommes en présence d’un autographe de Siméon. La comparaison des manuscrits hébreux anciens montre cependant que quelques menues divergences portant sur l’orthographe pleine ou défective des mots se sont glissées dans le texte. On ne peut donc exclure que quelques monuments arithmologiques aient pu être endommagés par la suppression ou l’ajout d’un yod ou d’un waw à la graphie d’un nom propre, mais en vingtcinq ans d’étude, je n’ai débusqué aucune erreur de ce type. Si l’orthographe souvent surprenante des noms propres (§ 16) a été respectée de façon aussi stricte même lorsqu’il s’agissait de noms hapax donc particulièrement vulnérables, on doit admettre que cette fidélité de la transmission du texte vaut a fortiori pour l’ensemble. Quelles que soient ses difficultés de lecture, le texte ne doit donc faire l’objet d’aucune correction. Chaque lettre doit être considérée comme conforme au texte original. Seule cette confiance indéfectible en la perfection de l’Écriture peut guider l’initié vers le sens allégorique que Siméon a gravé dans le texte et que les scribes ont conservé intact en se refusant à déraciner aucune lettre de l’Écriture.
Chapitre 16
L ES GÉNÉALOGIES, D’A DAM À LA VENUE DU FILS DE P ÈRÈÇ § 124 L’organisation généalogique de l’histoire biblique L’histoire biblique est organisée en quatre périodes, peut-être faudrait-il dire quatre âges : de la Création au Déluge, du Déluge à la sortie d’Égypte, de l’entrée en Canaan à l’Exil et de l’Exil à la dédicace attendue du nouveau Temple. À ces divisions fondées sur les nombres – dates explicites, années de la chronologie universelle et valeur arithmologique des noms des personnages – se superpose une division de l’histoire fondée sur l’organisation généalogique des trente-trois premières générations, d’Adam à David 1. Le code choisi par Siméon pour jalonner ce nouvel arpentage du temps est le mot « généalogies » (toldot) qui figure dans le titre de chacune des treize sections qui composent le monument (Tableau 30). Campegius Vitringa (1659-1722) fut le premier à s’être servi de ces titres pour identifier les mémoires et recueils des pères qui auraient servi à Moïse pour rédiger l’histoire biblique et ouvrir ainsi la porte à « la théorie des sources » : Ces mémoires et ces recueils des pères, conservés chez les Israélites, nous pensons que Moïse les a réunis, disposés, développés et complétés là où ils présentaient des lacunes et que c’est grâce à eux qu’il a composé le premier de ses livres. Et le plus probable m’a paru être que Moïse a formé ce livre avec divers fragments et documents des Patriarches, et qu’il a mieux aimé transmettre à la postérité ces Mémoires des Patriarches avec leurs titres, en les enrichissant toutefois, ça et là, que de les utiliser pour composer une histoire nouvelle et suivie 2 .
Vitringa fut donc le véritable inventeur de cette théorie que Jean Astruc et ses successeurs développeront (§ 9). À l’heure actuelle, les exégètes n’accordent plus la même importance aux titres des généalogies mais leur reconnaissent toutefois une fonction dans « l’Histoire des origines 3 » 1. La treizième généalogie, celle de Pèrèç, énumère les descendants de la lignée royale de Juda, de Pèrèç fils de Juda, jusqu’à David (Ruth 4, 18-22). 2. Citation extraite de ASTRUC J., « Conjectures sur la Genèse », introduction et notes de P. GIBERT, Paris, Noêsis, 1999, p. 103. 3. SKA J.-L., Introduction à la lecture du Pentateuque, clés pour l ’interprétation des cinq premiers livres de la Bible, (Le livre et le rouleau no5), Bruxelles, Lessius, (trad. de F. Vermorel), 2000, p. 36-38.
276
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
(Genèse 2, 4-11, 9). Quant aux traducteurs, ils prennent le parti de rendre le mot toldot en fonction du contexte. La première occurrence est interprétée par les uns comme une formule de conclusion du récit de création : « Telle est la naissance du ciel et de la terre » (Genèse 2, 4), alors que d’autres en font le titre des récits du paradis qui lui font suite (§ 21). Les occurrences suivantes prennent parfois des sens inattendus : « Voici le livret de famille d’Adam » (Genèse 5, 1) ; « Voici la famille de Noé » (TOB), titre qu’Édouard Dhorme préfère rendre par « Voici l ’histoire de Noé » (Genèse 6, 9) etc. Ces traductions disparates ont pour effet de gommer le caractère récurrent de ces titres que le découpage du texte opéré au Moyen Âge a souvent relégués en milieu de chapitre, tant et si bien qu’ils ne sont guère plus que les organes témoins d’un découpage ancien considéré comme de peu d’utilité. § 125 Les généalogies d’Adam à David Tableau 30 Les Généalogies des cieux et de la terre et les douze généalogies humaines Ordre des Périodes
Titre des Généalogies
Références
Orthographe du mot toldot תולדות
5
Généalogies des cieux et de la terre
Gn 2, 4-4, 26
TWLDWT
1
1 Livre des généalogies d’Adam
Gn 5, 1-6, 8
TWLDT
תולדת
2
2 Généalogies de Noé
Gn 6, 9-9, 29
TWLDT
תולדת
Le Déluge
3
4
3 et généalogies des fils de Noé : Sem, Cham et Japhet
Gn 10, 1-11, 9
TWLDT
תולדת
4 Généalogies de Sem
Gn 11, 10-26
TWLDT
תולדת
5 et généalogies de Térah
Gn 11, 27-25, 11 TWLDT
תולדת
6 et généalogies d’Ismaël
Gn 25, 12-18
7 et généalogies d’Isaac
Gn 25, 19-35, 29 TWLDT
TLDT
תלדת תולדת
8 et généalogies d’Ésaü, celui Gn 36, 1-8 d’Édom
TLDWT
תלדות
9 et généalogies d’Ésaü, père d’Édom
Gn 36, 9-37, 1
TLDWT
תלדות
10 Généalogies de Jacob
Gn 37, 2-Nb 2, TLDWT 34
תלדות
11 et généalogies d’Aaron et de Moïse
Nb 3, 1-Rt 4, 17 TWLDT
תולדת
12 et généalogies de Pèrèç
Rt 4, 18-22
TWLDWT
תולדות
CHAP. 16 – LES GÉNÉALOGIES, D’ADAM À LA VENUE
277
Les trente-trois premières générations sont divisées en treize généalogies. La première porte le nom générique de Généalogies des cieux et de la terre et les douze autres sont explicitement placées sous le patronage d’un ou plusieurs personnages bibliques. Chaque détail d’écriture de ces titres compte – leur ordre d’apparition, leur syntaxe, les noms des personnages mis en scène ainsi que les valeurs arithmologiques qui leur correspondent et enfin les orthographes du mot toldot lui-même. On voit alors apparaître un plan de l’histoire extrêmement élaboré qui fait de l’histoire des trentetrois premières générations — d’Adam à David — une préfiguration de l’histoire universelle. § 126 Des panneaux d’Écriture assemblés au moyen de crochets Pour organiser entre elles ces généalogies on doit d’abord s’intéresser à un détail de syntaxe que les traducteurs négligent systématiquement, la présence ou l’omission de la conjonction de coordination devant leurs titres. Que le texte consonantique hébreu n’ait contenu à l’origine aucun autre signe de ponctuation que les blancs qui en séparent les mots ou le divisent en paragraphes (§ 15) n’est pas une marque d’imperfection. La division du texte en phrases ainsi que la structure interne de chacune, sont en effet fixées, de façon impérative, au moyen de la conjonction de coordination – la lettre waw ( – )ו־placée en début de mot. En retenant ce waw initial comme critère de classement, on peut alors répartir tous les énoncés du texte en deux classes en fonction de sa présence ou de son omission. La règle peut être énoncée comme suit : un énoncé avec waw initial s’ajoute à celui qui précède alors qu’un énoncé sans waw initial explique celui qui précède. Pour rendre sensible cette opposition qui a disparu des traductions, chaque énoncé avec waw commencera par la conjonction de coordination « et » en français, tandis que les énoncés explicatifs seront introduits par un signe d’apposition ( :). : Au moyen d’un principe Élohim a(vait) créé le modèle des cieux et le modèle de la terre Et la terre a(vait) existé (sous forme de) tohu et de bohu et d’obscurité de la montée des faces du tehom Et l ’esprit (féminin) d’Élohim agite (en permanence) la montée des faces des eaux Et Élohim dit : (de la) lumière existera Et (de la) lumière exista Et Élohim vit le modèle de la lumière (qui est) comparable à Moi (qui suis le) bien Et Élohim sépara le fils-bâtisseur de la lumière et le fils-bâtisseur de l ’obscurité
278 Et Et Et Et
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
Élohim prononça en vue de la lumière : Jour avait (auparavant) prononcé en vue de l ’obscurité : Nuit (le) soir exista (le) matin du jour d(e l ’) Un exista (Genèse 1, 1-5)
Le corollaire de cette règle est évidement que l’omission de la conjonction devant l’énoncé initial du récit de création – : Au moyen d’un principe, Élohim avait créé – fait de celui-ci l’explication d’un silence antérieur qui ne peut être que la pensée même de celui qui révèle. Pour reprendre l’expression du livre des Jubilés, l’histoire biblique dans son ensemble ne fait que révéler ce que le Très-Haut a auparavant « prémédité dans la connaissance de son cœur » (§ 74). Chaque énoncé de l’Écriture doit alors être interprété comme une manifestation de cette pensée divine qui dicte à chacun des acteurs bibliques – y compris aux deux hypostases que sont Élohim et Yahvéh – ce qu’il doit faire et dire. Cette prise en compte de la conjonction doit être systématique, même lorsqu’elle induit des sens en apparence aberrants. L’énoncé initial des Généalogies des cieux et de la terre Au jour où Yahvéh-Élohim fit la terre et les cieux, il n’y avait encore sur la terre aucun buisson des champs
prend alors un sens incongru : : Pendant le jour (où) Yahvéh Élohim fera terre et ( )ו־cieux et ( )ו־tout buisson de la campagne un terme existera sur la terre […] (Genèse 2, 4-5) 4 .
Le « buisson de la campagne » devient l’une des trois œuvres que Yahvéh-Élohim reçoit l’ordre de faire, au même titre que les cieux et la terre ! Par ailleurs, pour que le découpage des énoncés en fonction du waw initial soit parfaitement objectif, encore faut-il que ce code soit univoque et n’apparaisse donc jamais en position initiale dans un contexte dont l’analyse serait ambiguë. Il suffit de se référer à la liste des rares mots des dictionnaires commençant par un waw 5 pour se convaincre que le contexte
4. Conformément à la règle de prescience divine, ce premier énoncé doit résumer l’ensemble du projet du Très-Haut. Chacun de ses mots doit donc renvoyer par analogie à des modèles qui l’expliciteront. Le sens allégorique de cet énoncé n’apparaîtra donc que progressivement, au fil des démonstrations. 5. Ces mots dictionnaires sont seulement au nombre de six. Voir DAVID-
SON B., The Analytical Hebrew and Chaldee Lexicon, Londres, Samuel Bagster & Sons, 1963, p. 234.
CHAP. 16 – LES GÉNÉALOGIES, D’ADAM À LA VENUE
279
syntaxique dans lequel ils apparaissent ne permet jamais de donner à leur waw initial cette valeur de conjonction : Il a fait des crochets (wawim : )וויםpour les colonnes. (Exode 38, 28)
Si ces wawim ne peuvent être confondus avec la conjonction, ils y renvoient pourtant par analogie. De même que ces « crochets » servent à assembler les panneaux de la Tente du désert (Exode 25-27 et 35-39) et donnent ainsi cohérence au Sanctuaire où se tient la Présence divine, de même les waw de l’Écriture donnent cohérence à la Révélation, en faisant de cette Écriture dont les énoncés sont reliés entre eux au moyen de « crochets » le Sanctuaire spirituel dans lequel se manifeste la Sagesse divine. § 127 La réalisation chiffrée du plan divin Les treize titres de généalogies doivent être classés en fonction de la présence ou de l’omission du waw initial. Sont alors mises en évidence cinq généalogies devant lesquelles la conjonction est omise, celles des cieux et de la terre, d’Adam, de Noé, de Sem et de Jacob (§ 125, Tableau 30). Du fait de l’absence de conjonction, ces généalogies doivent être considérées comme autant de développements qui s’enchaînent, d’explication en explication, à partir du récit initial de la Création. Ce rapport des généalogies entre elles est exprimé en clair par Siméon. Alors que les derniers mots du récit de création annoncent qu’« Élohim a(vait) créé en vue de faire » (Genèse 2, 3), les premiers mots des Généalogies des cieux et de la terre reprennent le thème en indiquant que « Yahvéh Élohim fera terre et cieux » (Genèse 2, 4). Les deux hypostases divines que sont Yahvéh et Élohim sont donc chargées de « faire » ensemble dans le monde sensible ce qui a été « créé » par Élohim dans l’intelligible. Mais dans un ordre inverse ! Alors qu’Élohim avait créé « le modèle des cieux et le modèle de la terre », Yahvéh-Élohim « fera terre et cieux ». Le titre de ces premières généalogies suffit à indiquer qu’elles ont valeur exemplaire et contiennent en fait une synthèse de l’histoire de la terre et des cieux dont les quatre généalogies suivantes, placées sous le patronage de quatre grands ancêtres, détailleront les étapes de réalisation. C’est donc en quatre étapes seulement que se construit l’histoire, sous les patronages d’Adam, de Noé, de Sem et de Jacob (Tableau 31). Leurs noms et la valeur arithmologique à laquelle ils correspondent ont été choisis de façon à exprimer les grandes lignes de leur histoire. On notera d’abord qu’Adam (11) sert de médiateur entre le modèle 33 que construisent les cieux et la terre et sa réalisation par les trois autres représentants de l’humanité, Noé, Sem et Jacob (8 + 13 + 12 = 33). Quant au nombre 77, il mesure la totalité de l’histoire de ces généalogies royales, conformément à un plan arrêté par le Très-Haut lui-même et révélé dès les origines à la lignée caïnite (Genèse 4, 24) (§ 157).
280
LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
Tableau 31 Un modèle réalisé en quatre périodes Graphies
valeur
total
5e
Généalogies des Cieux et de la Terre
Périodes
שמים + ארץ
22 + 11
33
1e
Livre des Généalogies d’Adam
11
אדם
11
2 e Généalogies de Noé
נח
8
3e Généalogies de Sem
שם
13
יעקב
12
4
e
Généalogies de Jacob
33 77
§ 128 L’inversion provoquée par la traversée du Déluge Le plan divin prévoit par ailleurs que l’ordre de la réalisation devra inverser celui du modèle, que Yahvéh-Élohim fera d’abord la terre (11), puis les cieux (22). Dans ces conditions, il est logique qu’Adam (11), qui entame cette marche de la terre vers les cieux, soit associé au nombre de la terre (11). Par contre, puisque le chemin que parcourt l’humanité doit la conduire de la terre jusqu’aux cieux, on s’attendrait à ce que Jacob (12), qui met la dernière main à la réalisation du plan, soit identifié au nombre 22 des cieux ! Or il n’en est rien. En fait l’histoire de cette quatrième période généalogique comprend plusieurs étapes. Les généalogies de Jacob sont suivies de celles de Moïse et d’Aaron, puis de celles de Pèrèç (§ 125, Tableau 30). Et c’est seulement lorsque naîtra David — descendant de Pèrèç à la 33e génération, (§ 104, Tableau 20) que l’histoire de la terre et des cieux (11 + 22 = 33) s’achèvera. Réunis en un seul royaume sur leur Terre (=11) les fils de Jacob pourront alors recevoir le nom céleste d’Israël (ישראל = 22) (Genèse 35, 9-10). La réunification de la terre et des cieux (= 33) sera alors réalisée et David pourra régner à Jérusalem ( = ירושלם33) pendant 33 ans (1 Rois 2, 11). En précisant que la marche de l’humanité se fait de la terre vers les cieux et non l’inverse, Siméon indique que le monde terrestre, lieu de la réalisation, n’est qu’une image inversée du « modèle des cieux et de la terre » créés par Élohim. Cette inversion s’est produite lors de la traversée du Déluge, lorsque les lettres de Noé ( )נחdont le nom signifie « repos » (nouah) s’inversèrent pour devenir le signe de la « grâce » (hén : )חןqui accompagnera l’humanité pendant son parcours terrestre : Et Noé ( )נחa trouvé grâce ( )חןaux yeux de Yahvéh. (Genèse 6, 8)
Les fils de Noé seront logiquement atteints par cette inversion. Eux qui furent engendrés avant le Déluge dans l’ordre « Sem, Cham et Japhet »
CHAP. 16 – LES GÉNÉALOGIES, D’ADAM À LA VENUE
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(Genèse 5, 32), engendreront dans l’ordre inverse après le Déluge : d’abord les fils de Japhet, puis ceux de Cham et enfin ceux de Sem (Genèse 10). Le Déluge est donc à la fois le lieu de la médiation entre l’intelligible et le sensible, mais aussi le lieu d’inversion du modèle. Pour le confirmer il suffit d’apprécier les grandes étapes de la vie des quatre chefs de file de l’humanité par référence à ce point d’inversion que fut le Déluge (Tableau 32) 6. Tableau 32 La vie des patriarches avant et après le Déluge ADAM
NOÉ
SEM
JACOB
Naissance
Avant
Avant
Avant
Après
Engendrement d’un fils
Avant
Avant
Après
Après
Mort
Avant
Après
Après
Après
Adam est du côté du modèle et Jacob de la réalisation. Quant à Noé et à ses fils qui embarquent dans l’arche pour la grande traversée du Déluge, ils assurent le passage entre les deux mondes. En plus de ce phénomène d’inversion, la traversée du Déluge provoque également le passage de l’unité à la multiplicité. Alors que l’humanité s’était reproduite de père en fils unique avant le Déluge, Noé engendre trois fils dont les lignées seront multiples et se trouveront soumises aux trois rythmes du temps symbolisés par les calendriers solaires, luni-solaires et lunaires. Le monde de l’inversion sera aussi celui de la tripartition. § 129 De la désobéissance d’Adam à la venue du Messie Les quatre périodes de l’histoire regroupent en fait douze généalogies partielles dans lesquelles le mot « généalogies » apparaît sous quatre orthographes : une forme pleine dans laquelle les deux waw sont écrits ( )תולדותet trois formes défectives ( §( )תולדת תלדת תלדות125 : Tableau 30). La forme pleine n’apparaît que dans les premières généalogies, celles des cieux et de la terre, et dans les dernières, celles de Pèrèç, l’ancêtre du roi David, ce qui confirme par un autre biais que le modèle ne sera pleinement réalisé qu’à la 33e génération, lorsque naîtra David. Ces particularités orthographiques n’avaient pas échappé à la sagacité des commentateurs juifs anciens. Le Midrach Rabba sur la Genèse, rédigé au IV e siècle de notre ère à partir de traditions souvent anciennes, en propose la justification que voici :
6. « Naissance, engendrement d’un fils et mort » correspondent aux trois données chiffrées de la chronologie des patriarches antédiluviens (Genèse 5).
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LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
Toutes les généalogies de l’Écriture sont défectives, à l’exception de deux, à savoir : « Celles-ci sont les généalogies de Pèrèç » et notre texte : (Celles-ci sont les généalogies des cieux et de la terre). Et pourquoi sont-elles défectives ? Rabbi Judan enseigne au nom de Rabbi Aboun : « Le six (qui leur manque : c’est-à-dire la valeur numérique du waw [= 6] qui n’est pas écrit) correspond aux six choses qui furent enlevées à Adam (après sa désobéissance) : sa gloire, sa vie, sa taille, le fruit de la terre, le fruit des arbres et les luminaires [...]. » Rabbi Bérékia enseigne au nom de Rabbi Samuel ben Nahman : « Ces choses furent créées dans leur perfection, c’est seulement lorsque Adam pécha qu’elles furent altérées, et elles ne retrouveront pas leur perfection jusqu’à ce que vienne le fils de Pèrèç (le Messie). C’est pour cette raison que dans le verset : “Voici les généalogies de Pèrèç”, généalogies a une écriture pleine avec (deux) waw. » (Genèse Rabbah 12, 6)
§ 130 Les généalogies des cieux ou de la terre Dans la mesure où la forme pleine – avec deux waw – est celle des Généalogies des cieux et de la terre, les formes défectives – avec un seul waw en début de mot ou en fin de mot – doivent renvoyer soit aux cieux, soit à la terre. L’association des cieux et de la terre à l’une ou l’autre orthographe est imposée par l’orthographe des généalogies d’Adam. Dans la mesure où son nombre est celui de la Terre (= 11), l’orthographe de sa généalogie ()תולדת – écrite avec le waw en début de mot – doit donc être celle de la Terre. Par voie de conséquence, les généalogies écrites avec le waw en fin de mot ( )תלדותseront celles des Cieux. Toutes les généalogies peuvent alors être classées en fonction de ce critère, sauf une, celle d’Ismaël, le fils d’Abram et de Hagar l’Égyptienne, que ses généalogies, doublement défectives ()תלדת, placent dans une position de médiation entre les cieux et la terre. De ce seul fait, Ismaël devient un personnage-clé de l’histoire. Quant aux généalogies de la lignée d’Israël qui étaient terrestres jusqu’à Isaac, elles deviendront célestes avec Ésaü et Jacob, après qu’Ismaël aura joué le rôle de passeur entre la Terre et les Cieux.
CHAP. 16 – LES GÉNÉALOGIES, D’ADAM À LA VENUE
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Tableau 33 L’orthographe des généalogies תולדות des cieux et de la terre תלדות des cieux (gauche)
תלדת entre terre et cieux
תולדת de la terre (droite) Adam Noé Sem, Cham et Japhet
Ésaü, celui d’Édom, Ésaü, père d’Édom Jacob
Ismaël
Sem Térah Isaac
Aaron et Moïse תולדות de Pèrèç (Restauration des cieux et de la terre)
L’orthographe des toldot permet également de préciser l’histoire des fonctions sacerdotale et royale. La fonction sacerdotale étant liée à la terre – les généalogies d’Aaron et Moïse sont terrestres – la fonction royale doit être liée aux cieux, ce que confirment les généalogies d’Ésaü et de Jacob dont le waw est écrit en fin de mot. C’est en effet dans les généalogies d’Ésaü – dont le deuxième nom est Édom – qu’est dressée la liste « des rois qui régnèrent au pays d’Édom (= Ésaü) avant qu’un roi ne règne sur Israël » (Genèse 36, 31-39). Quant aux généalogies de Jacob (de Genèse 37, 2 à Nombres 2, 34), elles racontent comment les fils d’Israël descendirent en Égypte et furent réduits en esclavage par le Pharaon, jusqu’à ce que la lignée sacerdotale d’Aaron et Moïse vienne les en faire sortir pour les conduire dans le désert et, par-delà le désert, les ramener en Canaan. Le plan de l’histoire d’Israël se trouve alors esquissé. Jusqu’à Isaac la lignée d’Israël ne sera soumise à aucun pouvoir royal. Ce n’est qu’après l’éviction d’Ismaël par Sarah (Genèse 21, 1-13), qu’Ésaü et Jacob se trouveront soumis à la domination de rois étrangers jusqu’à ce que la lignée sacerdotale d’Aaron et Moïse, les libère de la domination du roi d’Égypte et les guident, jusqu’à la venue d’un « Roi que choisira Yahvéh ». Quant à Ismaël, lié à Canaan par son père Abram et à l’Égypte par sa mère Hagar, il paraît tout désigné pour être le passeur de la terre aux
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LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
cieux. Mais ces cieux sur lesquels règnent des rois étrangers ne sont peutêtre pas aussi sereins qu’on pourrait l’imaginer ! § 131 La terre, les cieux et le buisson de la campagne Dans la phrase initiale des Généalogies des cieux et de la terre le Très Haut avait annoncé son plan et indiqué que l’action conjointe de YahvéhÉlohim viserait un triple objectif : Dans le jour où Yahvéh-Élohim fera terre et cieux et tout buisson de la campagne, un terme existera dans la terre [...] (Genèse 2, 4-5)
À la lumière du schéma de tripartition des généalogies qui répartit les générations entre la terre et les cieux, à l’exception de celle d’Ismaël (§ 130, Tableau 33), ce « buisson ( שיח: siah) de la campagne » dont la mention paraît incongrue, ne peut renvoyer qu’aux généalogies d’Ismaël. Une deuxième occurrence du mot « buisson » est là pour le confirmer. On se trouve renvoyés à l’histoire d’Abram/Abraham, de ses deux épouses, Hagar et Sarah et de leurs deux fils, Ismaël et Isaac. Et plus précisément au moment où Hagar et Ismaël, chassés par Abraham à l’instigation de Sarah, errent dans le désert jusqu’à ce que l’eau vienne à leur manquer. Et quand l’eau de l’outre fut épuisée, Hagar jeta l’enfant sous l ’unique des buissons (’ahad hasihim). (Genèse 21, 15)
C’est alors qu’un ange de Dieu vint renouveler à Hagar la promesse de faire d’Ismaël une grande nation. Elle ouvrit les yeux, vit un puits, donna à boire à l’enfant. Et le narrateur de conclure : Dieu fut avec le garçon qui grandit et habita au désert. C’était un tireur d’arc ; il habita dans le désert de Paran, et sa mère lui fit épouser une femme du pays d’Égypte. (Genèse 21, 20-21)
Ismaël habite donc dans ce désert de Paran, désert de « la splendeur jubilaire » ()פאר־ן, que les fils d’Israël n’atteindront qu’après leur sortie d’Égypte, au terme de 417 jours de marche (§ 87 et 98). Alors que la construction de l’histoire jubilaire est confiée aux descendants d’Isaac, la lignée d’Ismaël semble vivre hors du temps et campe à Paran dans l’attente de la venue d’Israël. Cette jonction des deux lignées aurait donc dû se produire au moment de l’arrivée du peuple à Paran. Mais cette échéance, comme tant d’autres, fut manquée et les tribus continuèrent leur marche vers de nouveaux Jubilés (Nombres 11). § 132 Le buisson interprété conformément à son écriture Pourquoi Siméon a-t-il choisi de placer Ismaël sous un « buisson » plutôt qu’entre ciel et terre, dans la voûte céleste par exemple ? On pren-
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dra prétexte de ce choix pour simuler ce que pourra(it) être une lecture littérale fondée, sans réserve aucune, sur le seul examen des lettres de l’Écriture. Lorsque Rabbi Aqiba enseignait que le ’ét ( )אתavait valeur de plénitude du seul fait qu’il était écrit au moyen des première et dernière lettre de l’alphabet, il reconnaissait implicitement que chaque graphie stable devait manifester une intention divine, aussi bien dans le choix de ses lettres que dans leur ordre d’écriture (§ 219). S’il en est bien ainsi, le raisonnement appliqué au אתdoit aussi pouvoir l’être à toutes les graphies stables bilitères et, entre autres, à celle du « buisson » ()שח. De plus, puisque la valeur cachée du אתa été déduite de la place de ses lettres dans l’algorithme, il doit en être de même de שח. L’algorithme associe chacune des vingt-deux lettres à une étape spécifique du plan divin : les sept premières à la création initiale (de אà )זet celles des deux semaines suivantes (de חà נet de סà )שà une double réalisation de ce modèle qui doit conduire au seuil d’un monde nouveau (+ )ת. Interprété par référence à l’algorithme, le « buisson » ( )שחsous lequel Ismaël est jeté ne lui apporte donc pas une connaissance intégrale, de ’alèf à taw, mais seulement une connaissance encyclopédique des deux semaines de la réalisation, de hét ( )חà sin ()ש, mais qu’il doit acquérir en remontant du sin au hét. À l’école de son « buisson » Ismaël apprend donc la réalisation du plan divin, mais sans en connaître le modèle. Et comme cette réalisation inverse le modèle, le buisson ( שח: de sin à hét) ne lui en transmet qu’une image inversée. C’est donc cette connaissance inversée et imparfaite qu’il transmet à Jacob et Ésaü en les faisant passer de la terre aux cieux. Ce qui n’est encore qu’un jeu d’Écriture peut recevoir un début d’interprétation par le biais de l’analogie verbale, en intégrant au débat la troisième occurrence de la racine stable שח7 qui met en scène Isaac lui-même, le concurrent d’Ismaël : Isaac rentrait d’être allé au puits de Lahaï-Roï. Il habitait au pays du Sud. Comme Isaac sortait pour méditer ( )שחdans la campagne à l’approche du soir […]. (Genèse 24, 62-63)
Isaac « médite » ()שח, un verbe que certains commentateurs juifs traduiront par « se promener au milieu des plantes » par référence au buisson ( )שיחsous lequel a été jeté Ismaël. Les deux demi-frères ont donc partie liée avec le « buisson de la campagne » (siah hasadèh). Mais comme toujours en lecture littérale, un mot renvoie à un autre qu’il faut égale7. Les dictionnaires ne donnent le sens de « buisson » qu’aux deux occurrences de שחqui viennent d’être analysées. Les autres sont classées dans le dictionnaire de Sander et Trenel sous les rubriques suivantes : שוחavec le sens de « méditer » « en se promenant au milieu des plantes » : nous dirions « péripatétiser » (p. 707) – שחה ou שחוavec le sens de « nager » (p. 710), et שיחavec ceux de « parler, s’entretenir, prier, se plaindre, méditer » (p. 711-712). Le traité des Pirqé-avot donnera au mot le sens de « discussion ».
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LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
ment soumettre à l’analyse. Que symbolise cette « campagne » où les deux demi-frères se rencontrent ? Dépouiller systématiquement toutes les occurrences du mot, ne serait-ce que dans la section des Généalogies des cieux et de la terre, conduirait à faire, d’analogie en analogie, un commentaire complet des récits du paradis 8. Fort heureusement, la sixième occurrence suffit à mettre sur la piste de la solution : Caïn dit à Abel son frère [Allons à la campagne !] et, comme ils étaient dans la campagne ()שדה, Caïn se leva contre Abel son frère et le tua. (Genèse 4, 8)
Ce « meurtre » fut perpétré après que Yahvéh eut invité Caïn à choisir entre le bien et le mal, aussi le Targum de Jonathan fait-il de la « campagne » le champ clos d’une controverse théologique qui aurait dégénéré en fratricide. Caïn dit à son frère Abel : « Viens, sortons tous les deux dans la campagne. » Et il advint que lorsque tous deux furent sortis dans la campagne ()שדה, Caïn répondit et dit à Abel : « Je vois que le monde a été créé par amour mais qu’il n’est pas régi selon le fruit des bonnes œuvres et qu’il y a, dans le jugement, acception des personnes. Pourquoi ton offrande a-t-elle été accueillie avec faveur et mon offrande à moi n’a-t-elle pas été accueillie avec faveur ? » Abel répondit à Caïn en disant : « Le monde a été créé par amour et il est régi selon le fruit des bonnes œuvres et il n’y a point dans le jugement acception des personnes. Parce que les fruits de mes œuvres étaient meilleurs que les tiens et antérieurs aux tiens, mon offrande a été accueillie avec faveur. » Caïn répondit à Abel : « Il n’y a ni jugement, ni juge, ni un autre monde ! Point de remise de récompense pour les justes ni de châtiment pour les méchants ». Abel répliqua à Caïn en disant : « Il y a un jugement et il y a un juge et il y a un autre monde ! Il y a remise de récompense pour les justes et un châtiment pour les méchants ! » Sur ces questions, ils se querellaient en pleine campagne 9.
8. On apprend que cette campagne produit de la « verdure » (Genèse 2, 5), que s’y rencontrent des êtres portant le nom générique de « vivante de la campagne », façonnés à partir du sol comme le fut Adam lui-même (Genèse 2, 19), que ces êtres façonnés ont ensuite été « faits » par Yahvéh-Élohim et seront donc envoyés dans le monde terrestre après qu’Adam leur aura donné des noms (Genèse 2, 20), que le plus « rusé » de tous les vivants de la campagne est le serpent (Genèse 3, 1), qu’il maîtrise la connaissance liée aux arbres du paradis et l’enseignera à la femme. À la suite de quoi le serpent sera maudit (Genèse 3, 14) et Adam, privé de la vivante de la campagne, n’aura plus comme nourriture que la « verdure » de cette même campagne, jusqu’à son retour vers le sol paradisiaque (Genèse 3, 18). 9. Targum de Jonathan sur Genèse 4,8 dans Targum du Pentateuque I. Genèse, éd. R. Le Déaut, (Sources chrétiennes no245), Paris, Le Cerf, 1978, p. 103-105.
CHAP. 16 – LES GÉNÉALOGIES, D’ADAM À LA VENUE
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Pour le targumiste, le conflit des deux frères ennemis préfigurait celui qui opposait à son époque les sadducéens à leurs adversaires pharisiens qui les accusaient de défendre les thèses de l’hellénisme, alors qu’eux-mêmes prétendaient fonder leur doctrine de l’au-delà sur un enseignement oral de Moïse. Bien qu’il s’agisse là d’une lecture actualisante, elle paraît être fidèle au modèle biblique. Cette « campagne » serait le lieu de débats contradictoires entre partisans de thèses opposées dont Caïn et Abel auraient été les archétypes. Transposée dans l’histoire postdiluvienne la lutte fratricide entre Caïn (15 : )קיןet Abel (12 : )הבלdevient alors celle d’Ésaü (15 : )עשו contre Jacob (12 : )יעקב. § 133 Une réalisation conforme au modèle L’orthographe défective des généalogies d’Ismaël n’est qu’une illustration des pistes d’interprétation qui se cachent derrière les choix orthographiques du mot toldot. La perfection du système implique en effet que chaque « généalogie » occupe dans le plan divin une place conforme à son orthographe. L’itinéraire de l’histoire universelle se trouve ainsi balisé, un itinéraire qui conduit du modèle à la réalisation et permet, par cette réalisation, un retour vers le modèle. La frontière entre modèle et réalisation est le Déluge (§ 128, Tableau 32), une frontière qui provoque inversion et tripartition et ne laisse donc filtrer dans le monde terrestre qu’une image déformée de la réalité. Pour atteindre la contemplation du modèle lui-même, il faut donc échapper aux pièges de son ombre terrestre. L’arithmologie et la lecture littérale ont cette fonction. Si les généalogies des cieux et de la terre mettent en scène un dieu paysagiste qui dessine un jardin en Éden, l’irrigue au moyen d’un fleuve, y plante des arbres et fait d’Adam un agriculteur, la phrase initiale doit refléter un état des lieux antérieur à ces aménagements. Au jour où Yahvéh Élohim fit la terre et les cieux, il n’y avait encore sur la terre aucun buisson des champs et aucune herbe des champs n’avait encore germé, car Yahvéh Élohim n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol. (Genèse 2, 4-5)
Tel est certainement le sens que Siméon voulait faire connaître au noninitié. Mais pour cet initié qui savait qu’il vivait dans un monde d’inversion, la phrase initiale devait au contraire révéler l’aboutissement du plan divin et la réalisation de celui-ci devait nécessairement s’inscrire dans le cadre d’une tripartition, celle des cieux, de la terre et du buisson. Pour accéder à ce sens allégorique, la première opération consiste à inverser l’ordre des priorités entre sémantique et syntaxe. C’est en respectant la syntaxe du waw, en dépit du bon sens, que « le buisson de la campagne » devient le troisième volet d’un projet divin – « Dans le jour où Yahvéh-Élohim fera terre et cieux et tout buisson de la campagne, un terme
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LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS
existera dans la terre [...] » (Genèse 2, 4-5). Il faut alors rechercher, par le biais de l’analogie verbale, les récits qui permettront, de proche en proche, de reconstituer la fonction de ce buisson, ce que nous avons commencé à faire. C’était un premier pas dans la compréhension de l’énoncé initial des Généalogies des cieux et de la terre, d’autres suivront, lorsque l’occasion se présentera, qui permettront progressivement d’en découvrir le sens allégorique. Si l’histoire postdiluvienne n’est que le reflet du modèle antédiluvien, il doit être possible d’en lire les grandes lignes dans le modèle lui-même, celui que décrivent les trois premières généalogies. On s’en tiendra donc là pour une première approche. Et puisque l’arithmologie constitue la propédeutique à toute lecture littérale, c’est en priorité à la redécouverte de l’armature numérique de chacune de ces trois généalogies que l’on s’emploiera. Les généalogies des cieux et de la terre ne contiennent aucun nombre visible à l’exception de la phrase mystérieuse prononcée par Lamekh : Caïn sera vengé sept fois Et Lamekh soixante-dix et sept fois ! (Genèse 4, 24)
C’est donc aux nombres cachés des généalogies de Caïn et de Seth qu’il faudra s’intéresser en priorité. Le livre des Généalogies d’Adam joue sur deux tableaux. Comme on l’a vu, les noms des personnages y construisent un modèle arithmologique (§ 88), mais la place de chaque personnage dans le plan divin est également définie au moyen d’une chronologie visible qui a jusqu’ici résisté à toute tentative d’interprétation. Les Généalogies de Noé, enfin, – c’est-à-dire le récit du Déluge – introduisent un nouvel instrument de mesure, le calendrier, en datant les temps forts de la traversée de Noé et de ses fils. C’est donc à reconstituer la chronologie du Déluge à partir de ces dates que l’on s’emploiera. Cela nous ramènera, par des chemins inexplorés depuis deux millénaires, aux origines mêmes de l’interprétation biblique moderne qui s’était appuyée sur le récit du Déluge pour élaborer la théorie des sources (§ 174).
Cinquième partie
Les récits des origines à l’épreuve de l’Arithmologie
Chapitre 17
LES GÉNÉALOGIES DES CIEUX ET DE LA TERRE § 134 L’humanité naquit d’un acte de connaissance Cette première section contient les généalogies des trois fils d’Adam, Caïn, Abel et Seth, trois généalogies partielles qui décrivent ensemble ce que Siméon désigne du terme générique de Généalogies des cieux et de la terre. En mettant en lumière le plan de l’histoire suggéré par les orthographes du mot généalogies (§ 130, Tableau 33), on est arrivé à la conclusion que ces premières généalogies étaient en fait un modèle que les généalogies suivantes, celles d’Adam, de Noé, de Sem et de Jacob, avaient pour fonction de développer. L’enjeu de ce chapitre sera donc de montrer comment ces Généalogies des cieux et de la terre décrivent effectivement un modèle intégral de l’histoire aussi bien antédiluvienne que postdiluvienne conforme à celui qu’esquissait l’orthographe des toldot. Tout commence avec l’engendrement de Caïn et Abel. Pour la lecture traditionnelle, il aurait eu lieu après l’expulsion d’Adam hors du jardin d’Éden : Yahvéh Élohim renvoya donc (Adam) du jardin d’Éden pour qu’il cultivât le sol d’où il avait été pris. Il chassa l’homme et il installa à l’orient du jardin d’Éden les Chérubins et la flamme tournoyante de l’épée pour garder la route de l’arbre de vie. L’homme connut Ève, sa femme, elle conçut et enfanta Caïn […]. (Genèse 3, 23-4, 1)
Pour la lecture littérale au contraire — conformément au temps des verbes — tout commence avant cette sortie du Jardin. La naissance de Caïn et d’Abel est la conséquence d’une connaissance qu’Adam avait acquise avant d’être renvoyé. Et l ’Adam (façonné) a(vait) connu le modèle d’Ève, son épouse (quand ils étaient encore dans le jardin) Et elle conçut Et elle engendra le modèle de Caïn. (Genèse 4, 1)
Cette référence au passé étant occultée par la lecture traditionnelle, le verbe connaître est alors interprété en fonction de son contexte immédiat – « il connut Ève sa femme, elle conçut et elle enfanta » – et devient un euphémisme servant à désigner les rapports sexuels – connaître, au sens
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LES RÉCITS DES ORIGINES À L’ÉPREUVE DE L’ARITHMOLOGIE
biblique du terme 1. En réalité, puisque Caïn et Abel sont les fruits d’une connaissance acquise pendant le séjour dans le Jardin, celle-ci ne peut être que celle que l’épouse d’Adam a acquise en mangeant du fruit de « l ’arbreconseiller de la connaissance (qui est) bon et mauvais » (Genèse 2, 9). Elle prit de son fruit et en mangea, elle en donna aussi à son mari qui était avec elle et il en mangea. Alors se dessillèrent leurs yeux, à tous deux, Et ils connurent Car (conformément à mon plan) eux (sont) nus. (Genèse 3, 7)
Bien que l’on parle communément des arbres du paradis, l’arbre planté par Yahvéh-Élohim est en réalité un arbre unique qui est potentiellement arbre d’une connaissance bonne et mauvaise, mais qui ne devient arbre de vie que pour qui s’abstient d’en consommer la partie mauvaise. C’est à son sujet que le premier de tous les commandements – donc le plus important – fut donné par Yahvéh-Élohim à Adam : D’une partie de l ’arbre du jardin tu mangeras Et de l ’arbre de la connaissance (provient) bien et mal, tu ne mangeras pas de ce (mal). (Genèse 2, 16-17)
Yahvéh-Élohim n’interdit donc pas à Adam de manger de l’arbre de la Connaissance mais l’invite à le faire avec discernement, une consigne que Moïse rappellera à Israël dans son dernier discours : Vois ! J’ai mis aujourd’hui devant toi la vie et le bien, la mort et le mal. Ce que je te commande aujourd’hui, c’est d’aimer Yahvéh, ton Dieu, de marcher dans ses voies, d’observer ses commandements, ses préceptes et ses sentences. Alors tu vivras […] J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction ! Mais tu choisiras la vie, afin que tu vives, toi et ta race […]. (Deutéronome 30, 15-20).
Tous les hommes peuvent donc accéder à cette connaissance, mais ceux qui n’auront pour se guider que leur propre raison risqueront fort de pencher du côté du mal et de la mort, tandis que ceux qui se soumettront à la Loi de Yahvéh, l’Élohim d’Israël, pencheront du côté du bien et accèderont à la vie. L’histoire de la deuxième génération humaine – celle de Caïn, Abel et Seth – doit alors évoquer, à mots couverts, les péripéties de la transmission
1. Contrairement à l’idée reçue, le verbe connaître n’est employé en tout et pour tout qu’à propos de trois couples : Adam et Ève, son épouse (Genèse 4, 1 et 4, 25), Caïn et son épouse (Genèse 4, 17) et Élqanah et Anne, les parents de Samuel (1 Samuel 1, 19). Les verbes utilisés communément pour parler de l’union d’un homme et d’une femme sont « venir vers », « prendre », « coucher avec », des verbes qui doivent correspondre dans chaque cas à une intention spécifique de l’auteur.
CHAP. 17 – LES GÉNÉALOGIES DES CIEUX
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de cette connaissance primordiale à double tranchant que Ben Sira mettait en scène dans ses voyages de la Sagesse (§ 66, Tableau 4). § 135 Caïn et Abel ou la révélation du modèle jubilaire Le modèle préfiguré par le récit de naissance de Caïn et Abel est exprimé par le monument arithmologique que construisent leurs noms. Et l ’Adam (façonné) ( אדם: 11) a(vait) connu le modèle d’Ève, son épouse (quand ils étaient encore dans le jardin) Et elle conçut Et elle engendra le modèle de Caïn ( קין: 15) Et elle dit : J’ai acquis un époux (qui s’identifie au) modèle de Yahvéh Et (ensuite) elle continua (en direction du seuil du Jubilé) en vue d’engendrer le modèle du frère de celui-ci, (c’est-à-dire) le modèle d’Abel ( הבל: 12). Et Abel exista, (en tant que) pasteur de petit bétail Et Caïn a(vait auparavant) existé,(en tant que) serviteur du sol. Et (Abel) exista à partir de la limite des jours Et (ensuite) Caïn fit venir (à partir) du fruit du sol une oblation en vue de Yahvéh … Abel, de son côté, apporta les premiers-nés de son petit bétail et de leur graisse. Or Yahvéh eut égard à Abel et à son oblation, mais à Caïn et à son oblation il n’eut pas égard. (Genèse 4, 1-5)
La transcription arithmologique du récit de naissance des deux frères se fait sans difficulté. Le nombre que construit en propre Caïn (15) ajouté à celui de son père Adam (+ 11) donne 26, nombre auquel vient s’ajouter celui d’Abel (12) qui, héritant à son tour d’Adam (+ 11) construit le nombre 23. Les deux frères construisent donc ensemble une période jubilaire (26 + 23 = 49). Tableau 34 Caïn et Abel ou la révélation du modèle jubilaire 1ère génération
Adam
2 génération
Caïn
2 e génération
Abel
e
קין15 הבל12
= אדם11 + 11
26
+ 11
23 49
Leur histoire se superpose alors à celle des 49 premières générations de l’humanité, d’Adam au roi Josias (voir chapitre 15). Le modèle arithmologique organise cette histoire en deux périodes. La première est placée sous le seul patronage de Caïn et la deuxième sous le double patronage de Caïn et d’Abel. Jusqu’à la 26 e génération, celle de Moïse et de la révélation du
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LES RÉCITS DES ORIGINES À L’ÉPREUVE DE L’ARITHMOLOGIE
nom de Yahvéh ( = יהוה26), l’humanité se conformera donc au modèle caïnite et marchera, de génération en génération, vers la connaissance du nom de Yahvéh, un nom dont les lettres divines construisent effectivement ce modèle 26 [ = יהוה10 + 5 + 6 + 5 = 26]. C’est donc avec raison qu’Ève établit une relation entre Caïn et l’acquisition du nom de Yahvéh, en disant au moment de sa naissance : J’ai acquis un époux (qui s’identifie au) modèle de Yahvéh (Genèse 4, 1)
Puisque l’histoire de Caïn annonce celle des 26 générations qui précédèrent la révélation du nom de Yahvéh à Moïse, celle d’Abel doit préfigurer l’histoire des 23 générations qui la suivirent, du don de la Torah à la redécouverte de cette Torah, dans le Temple, à l’époque du roi Josias. Le peuple judéen atteindra alors le « seuil » d’un Jubilé, comme l’annonce le récit de naissance d’Abel. Et (ensuite) elle continua (en direction du seuil ( )סףdu Jubilé) en vue d’engendrer le modèle du frère de celui-ci, (c’est-à-dire) le modèle d’Abel. […] Et (Abel) exista à partir de la limite ( )קץdes jours…
Ces deux récits de naissance suffisent alors à faire comprendre que le conflit qui va opposer les deux frères au moment où Abel, atteindra « la limite ( )קץdes jours » après en avoir franchi le « seuil », doit préfigurer cet autre conflit qui provoquera la destruction du Temple et l’exil des Judéens, à la 50e génération. § 136 Les fonctions royale et sacerdotale Pour cette première approche de la lecture littérale, on se contentera de mettre en évidence l’identification de Caïn et Abel avec les deux institutions qui régiront le peuple judéen au cours de son histoire, la royauté et le sacerdoce. L’histoire de ces institutions commença au moment où Adam fut introduit dans le jardin d’Éden : Yahvéh-Élohim prit Adam et l’installa dans le jardin d’Éden pour le servir et le garder. (Genèse 2, 15)
Sa fonction de serviteur (‘ évèd) avait trait au service divin (‘avodah) apanage du sacerdoce ; quant à celle de gardien (chomér), elle relève de la fonction royale. Le roi que choisira Yahvéh, « gardera (chamar) toutes les paroles de la Torah » afin de les accomplir (§ 43). Au moment de sa naissance, Caïn, le fils aîné, hérita logiquement de cette double fonction. Il fut « serviteur (‘ovéd) du sol », donc prêtre, alors que le nombre de son nom ( קין: 15) l’identifiait à la fonction royale (mèlèkh : מלך: 15). Jusqu’à la 26 e génération, il y eut donc cumul des fonctions : Melki-çédèq, le roi-prêtre de Salem en fut l’illustration (§ 60-62). Mais la situation changea avec l’engendrement d’Abel. Caïn dut alors par-
CHAP. 17 – LES GÉNÉALOGIES DES CIEUX
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tager l’héritage paternel avec son frère et le conflit qui les opposa eut donc pour enjeu ce partage. En résumé, et sous réserve d’une lecture littérale intégrale de l’épisode des deux frères, l’histoire des deux fonctions qu’il préfigure serait la suivante. Jusqu’à la sortie d’Égypte, les deux fonctions auraient été confondues. Ce n’est qu’à partir de cette sortie, que la fonction sacerdotale aurait été confiée aux lévites (Aaron et Moïse) et la fonction royale à Juda. Jusqu’à la 49e génération, celle du roi Josias et du grand prêtre Hilqiyahou, les deux fonctions auraient cohabité. Mais à la 50e génération, les rois représentés par les trois fils de Josias se seraient révolté contre Yahvéh, comme le fit Caïn, et auraient provoqué la destruction du Temple de Salomon et, par voie de conséquence, l’interruption de la fonction sacerdotale, symbolisée par Abel. La fonction royale aurait subsisté en la personne de Joachin, le roi de la 51e génération. Ce roi que les analyses précédentes présentaient sous un jour plutôt favorable, aurait donc été en réalité un suppôt des caïnites et le continuateur d’un modèle royal contrefait. Et effectivement ce n’est pas à Yahvéh qu’il dut son retour en grâce. Celui qui « plaça son trône au-dessus des trônes des rois qui étaient avec lui à Babel » (2 Rois 25, 28) fut un roi étranger, Éwil-Mérodakh, successeur de Nabuchodonosor, roi de Babel. § 137 Les deux fils de Caïn se partagent sacerdoce et royauté Abel mourut sans laisser de postérité, ce qui ne fut pas le cas de Caïn. Et c’est à l’histoire de sa lignée qu’est consacrée la suite des Généalogies des cieux et de la terre. Et Caïn ( קין: 15) connut le modèle de son épouse Et elle conçut Et elle engendra le modèle d’Hénokh ( חנוך: 18) (Genèse 4, 17)
On se souvient qu’au moment de la naissance de Caïn, sa mère avait déclaré à son sujet : « J’ai acquis un époux (qui s’identifie au) modèle de Yahvéh » (§ 135). Ce rapport annoncé, d’époux à épouse, se concrétisa au moment où Caïn connût le modèle de son épouse et hérita, par le fait même, de cette connaissance paradisiaque que celle-ci possédait. C’est donc de cet acte de connaissance que naquit Hénokh, celui dont le nom signifie : « Fais la dédicace (du Temple) ! ». C’est, semble-t-il, au moment de cette naissance que la fonction sacerdotale vacante depuis l’assassinat d’Abel, commença à être exercée par la lignée caïnite. L’histoire d’Hénokh est résumée en quelques mots qui suffisent à évoquer le rôle capital qu’il sera appelé à jouer en vertu de cette connaissance qu’il possède : Et (Hénokh) exista, bâtissant une ville
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LES RÉCITS DES ORIGINES À L’ÉPREUVE DE L’ARITHMOLOGIE
Et (Caïn) prononça le nom de la ville : (un nom) comparable au nom de son fils Hénokh Et fut engendré en vue d’Hénokh (18) le modèle de Irad ( עירד: 15). (Genèse 4, 17-18)
La lecture traditionnelle s’écarte ici résolument de la lecture littérale en choisissant de suivre le texte grec qui fait de Caïn le bâtisseur de la ville à laquelle il aurait donné le nom de son fils Hénokh : Et Caïn connut sa femme et, ayant conçu, elle enfanta Hénokh. Comme il édifiait une ville, il donna à la ville le nom de son fils Hénokh. (LXX Genèse 4, 17-18)
Pour la lecture littérale, ce n’est pas Caïn qui bâtit la ville, mais Hénokh lui-même. De plus, il n’est pas dit que le nom de la ville est « Hénokh » mais seulement qu’elle porte « un nom comparable au nom d’Hénokh ». Aucune ville biblique ne portant le nom d’Hénokh, il faut donc en chercher une qui soit « comparable » à ce nom. La comparaison ne peut alors se faire, de façon objective, que par le biais du nombre d’Hénokh (= 18). Lorsqu’on parcourt l’histoire biblique à la recherche de la première ville dont le nombre est 18, on est alors renvoyé à la ville de Chalem (= שלם 18), cette ville dont Melki-çédèq sera le roi-prêtre, et qui deviendra plus tard Jérusalem (§ 61). C’est la ville que Yahvéh choisira pour y construire son Temple et y faire résider son Nom. Le choix de Jérusalem remonte donc aux origines de l’humanité ! La lecture traditionnelle s’écarte également de la lecture littérale en considérant que Irad fut le fils de Hénokh. Tel est le sens qu’elle donne en effet à la formule : « Et fut engendré en vue d’Hénokh le modèle de Irad ». Une telle lecture est en fait impossible car elle introduirait un mot superflu dans l’Écriture ! En effet si Hénokh était le fils unique de Caïn, comme le sous-entend la lecture traditionnelle, il aurait été superflu de préciser que Caïn donna à la ville un nom « comparable au nom de son fils Hénokh », il aurait suffi de dire « comparable au nom de son fils ». En inversant le raisonnement, on arrive à la conclusion que si le nom d’Hénokh a été répété, c’est nécessairement parce que Caïn a eu un autre fils dont il n’a pas encore été question. Dès lors la formule qui suit : « Et fut engendré en vue d’Hénokh le modèle de Irad », dans laquelle le nom de l’engendreur est passé sous silence, doit signifier, à demi-mot, que Irad est ce deuxième fils de Caïn, un frère cadet d’Hénokh qui devra se mettre au service de son frère aîné puisqu’il « a été engendré en vue d’Hénokh ». Pour saisir la logique de cette généalogie, il faut maintenant passer des personnages à leurs fonctions. Caïn, dont on a vu qu’il exerçait les fonctions de roi (par son nom) et de prêtre (par son rôle de serviteur) doit alors à son tour répartir celles-ci entre ses fils. Puisque la fonction sacerdotale
CHAP. 17 – LES GÉNÉALOGIES DES CIEUX
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revient au fils aîné, Hénokh ( חנוך: 18), l’homme de la dédicace du Temple, la fonction royale (mèlèkh : מלך: 15) devra alors revenir à Irad ( עירד: 15) comme le confirme son nombre. Mais comme Irad a été engendré en vue d’Hénokh, on doit aussi en déduire que cette autonomie de la fonction royale n’est que provisoire et qu’à terme les deux fonctions devront être réunifiées et confiées à un prêtre. On se contentera dans l’immédiat de noter qu’à ce moment de leur histoire (Tableau 35) les deux frères possèdent ensemble le nombre 85, qui est celui des lettres fondamentales de l’Écriture (§ 78, Tableau 7). Tableau 35 Le partage des fonctions royale et sacerdotale 1re génération
Adam ( אדם: 11)
2 e génération 3e génération
Caïn ( קין: 15) Sacerdoce Hénokh ( חנוך: 18)
Royauté Irad ( עירד: 15)
44
41 85
§ 138 Vers la réunification des fonctions sacerdotale et royale Contrairement à ce que laisse entendre la lecture traditionnelle, Hénokh n’eut donc pas de descendance dans la lignée caïnite, alors que Irad, son frère cadet, engendra une lignée royale qui ne s’éteignit qu’à la septième génération. Et fut engendré en vue de Hénokh le modèle de Irad ( עירד: 15) Et Irad a(vait auparavant) engendré le modèle de Mehouyaël ( מחויאל: 22) Et Mehiyaël ( מחייאל: 19) a(vait ensuite) engendré le modèle de Métouchaël ( מתושאל: 26) Et Métouchael ( מתושאל: 26) a(vait ensuite) engendré le modèle de Lamekh ( למך: 15) (Genèse 4, 18)
Une fois de plus, le respect du temps des verbes revêt une importance capitale. Après avoir annoncé que la sagesse royale de Irad devrait se mettre au service de la sagesse sacerdotale d’Hénokh, l’auteur enchaîne les générations en inversant le temps des verbes, indiquant par-là que ce n’est qu’à la sixième génération, celle de Lamekh, que cette sagesse royale de la lignée de Irad devra effectivement se mettre au service du prêtre Hénokh.
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LES RÉCITS DES ORIGINES À L’ÉPREUVE DE L’ARITHMOLOGIE
Tableau 36 La généalogie caïnite jusqu’à Lamekh 1re
Adam
אדם
11
2e
Caïn
קין
15
Irad
עירד
15
4e
Mehiyaël
מחייאל
19
5e
Metouchaël
מתושאל
26
6
Lamekh
למך
3
e
e
15 101
L’arithmologie permet par ailleurs de quantifier la part de sagesse que Lamekh devra alors apporter à Hénokh, une part mesurée par la somme des nombres construits par les générations royales qui l’ont précédé (Tableau 36). Cependant, pour opérer correctement ce calcul, il faut encore déjouer un piège caché sous l’orthographe du nom du fils d’Irad : d’abord nommé Mehouyaël ( = מחויאל22) au moment de sa naissance, il change de voie de sagesse avant d’engendrer son fils Metouchaël et prend alors le nom de Mehiyaël ( = מחייאל19). Ce deuxième nom étant celui qu’il porte lorsqu’il engendre, c’est du nombre 19 que son fils Metouchaël doit hériter 2. Ce piège ayant été déjoué, le nombre que Lamekh apporte à Hénokh en se mettant à son service est le nombre 101. Au moment où Hénokh devient roi-prêtre en recueillant l’héritage de Lamekh, il devient possesseur d’un nombre dont le calcul présente à nouveau un piège. Dans le récit de naissance d’Hénokh, le ’et était écrit devant son nom : « Et elle engendra le modèle (’et) d’Hénokh », c’est-à-dire l’intégralité de sa généalogie, de ’alèf à taw, ce qui le faisait hériter des sagesses d’Adam et de Caïn et atteindre ainsi le nombre 44 (§ 137, Tableau 35). Mais il n’en va pas de même au moment de la réunification des fonctions, car il est précisé que Irad a été engendré en vue d’Hénokh et non du modèle (’et) d’Hénokh, ce qui signifie que l’héritage royal possédé par Lamekh (101) ne s’ajoute qu’à la sagesse personnelle d’Hénokh (+ 18) qui atteint alors le nombre 119. Lui qui est une préfiguration de Moïse atteint alors le seuil du nombre 120 qu’atteindra Moïse au moment de sa mort, mais seulement le seuil. Pour le franchir il devra en effet transmigrer de la lignée de Caïn à celle de Seth (§ 154, Tableau 44).
2. La deuxième orthographe du nom, Mehouyaël ( = מחויאל22), n’est pas superflue puisqu’elle contribue à la construction du nombre 417 des 26 personnages antédiluviens (§ 88, tableau 13).
CHAP. 17 – LES GÉNÉALOGIES DES CIEUX
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§ 139 Lamekh et ses trois rejetons : Yaval, Youval et Touval-Caïn Alors que Lamekh aurait dû renoncer à la royauté après avoir remis sa part de sagesse à Hénokh, il s’y refusa et engendra trois fils destinés à lui succéder. Et Lamekh prit en vue de lui(-même) une dyade de femmes : le nom de l ’unique (est) Adah et le nom de la deuxième (est) Çillah Et Adah engendra le modèle de Yaval ( יבל: 10) : celui-ci a existé (comme) père de celui qui habite une tente et une acquisition Et le nom de son frère (est) Youval ( יובל: 16) : celui-ci a existé (comme) père de tous ceux qui utilisent (une) lyre et (une) flûte. Et Çillah [...] a(vait) engendré (auparavant) le modèle de Touval-Caïn ( תובל קין: 14 + 15 = 29) : (celui qui) affûte tout taillant de cuivre et de fer Et la sœur de Touval-Caïn (est) Na‘amah ( נעמה: 20). (Genèse 4, 19-22)
Les noms et les nombres des descendants de Lamekh suffisent à faire comprendre que ce modèle de royauté illicite entend s’imposer à l’humanité jusqu’à la 49e génération, c’est-à-dire jusqu’à la fin du royaume de Juda. Touval-Caïn (29) et sa sœur Naamah (+ 20 = 49) construisent en effet le modèle jubilaire, tandis que les graphies des noms de Yaval ()יבל et de Youval ()יובל, reproduisent celles du jubilé ( יבל: yovél et יובל: yôvél). Pour préciser le rôle que joueront ces caïnites dans l’histoire postdiluvienne, il faudrait soumettre à une lecture littérale intégrale les notices qui accompagnent leurs récits de naissance. On découvrirait alors que Yaval, celui qui habite une « tente », servira de modèle au royaume dissident d’Israël qui, à la mort de Salomon, se séparera de celui de Juda au cri de « à tes tentes, Israël ! » (1 Rois 12, 16 et 2 Rois 13, 5). En contrepoint, son frère jumeau, Youval, le joueur de « lyre », renverra à la lignée de Juda dont le fondateur David fut le seul joueur de la lyre de toute la Bible (1 Samuel 16, 16). Quant à Touval-Caïn, ce spécialiste du travail des métaux qui « affute ( )לטשtout taillant », il est la préfiguration de ces Philistins qui occuperont Israël et Juda et se réserveront le monopole de l’« affûtage ». On ne trouvait plus de forgeron dans tout le pays d’Israël car les Philistins s’étaient dit : « Il ne faut pas que les Hébreux se fabriquent des épées ou des lances. » Tous les Israélites descendirent donc chez les Philistins pour affûter [ ]לטשchacun son soc, sa houe, sa hache ou son burin. (1 Samuel 13, 19-20) 3 3. Ben Sira identifie ces Philistins venus d’Égypte avec l’occupant grec (Ecclésiastique 50, 26).
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LES RÉCITS DES ORIGINES À L’ÉPREUVE DE L’ARITHMOLOGIE
Par le biais de l’analogie verbale, les trois fils de Lamekh deviennent alors une préfiguration des différentes manifestations de ces pouvoirs royaux contrefaits qui auront le contrôle de l’histoire jusqu’à la venue du « roi que choisira Yahvéh » 4 . Tableau 37 Lamekh et ses trois rejetons Lamekh למך15
15
Touval-Caïn
קין-תובל
+ 29
Lamekh למך15
15
Yaval et Youval
יבל
+ 10
יובל
+ 16
44
41
85
Les nombres qu’ils construisent ne peuvent que témoigner de la nature de leur contribution à l’histoire. On entrevoit alors que Touval-Caïn (44) incarnera un modèle sacerdotal concurrent de celui d’Hénokh (44) (§ 137, Tableau 35). Mais avec ses frères (+ 41 = 85) il aura cependant un rôle positif en enseignant aux Judéens les lettres fondamentales de l’écriture (§ 78, Tableau 7) — comme l’avaient fait Hénokh et Irad avant eux (§ 137, Tableau 35). Ils les préparent ainsi à la lecture de cette Torah qui sera redécouverte à la 49e génération, sous le règne du roi Josias. Nous retrouverons effectivement ces trois frères tout au long l’histoire. § 140 Seth, le bâtisseur d’un monde nouveau Les généalogies des cieux et de la terre s’achèvent sur le récit de naissance de Seth, le seul descendant direct d’Adam qui reçoive le titre de « Filsbâtisseur » ( )בןalors que Caïn et Abel sont seulement désignés comme « engendrés » ( )ילדmais jamais comme fils. C’est effectivement Seth, son fils Énoch et leurs descendants qui bâtiront 5 l’humanité antédiluvienne
4. Le thème du pouvoir royal contrefait est développé en I Samuel 8, 4-21. 5. Dans la lecture traditionnelle la racine stable בןcorrespond à la fois au substantif « fils » ( בן: bén) et aux verbes « bâtir » ( בנה: banah) et « avoir l’intelligence d’une chose » ( בין: bîn ). On doit en déduire que le titre de « fils » est réservé à ceux qui, comme Seth et sa lignée, auront pour fonction de « bâtir la connaissance ». Mais probablement faut-il aussi en déduire que cette élaboration se fera au moyen de la dialectique car la racine בןcorrespond aussi à la préposition bén ()בין qui sert à distinguer les contraires : « Et Elohim fit séparation entre ( )ביןla lumière et entre ( )ביןl ’obscurité » (Genèse 1,4).
CHAP. 17 – LES GÉNÉALOGIES DES CIEUX
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jusqu’à l’irruption d’Hénokh le caïnite dans la lignée séthite, à la septième génération. Et (ensuite) Adam (le terrestre) ( אדם: 11) connut le témoignage du modèle de son épouse Et elle engendra un fils-bâtisseur Et elle prononça le modèle de son nom : Seth ( שת: 8) : car (conformément à mon plan) Élohim a fondé pour moi une race autre en dessous d’Abel : car (c’est conformément à mon plan que) Caïn l ’a assassiné Et en vue de Seth, (comme) complément de celui-ci a(vait) été (auparavant) engendré un fils-bâtisseur Et (Adam) prononça le modèle de son nom : Énoch ( אנוש: 21). (Genèse 4, 25-26)
Ce récit de naissance de Seth est d’une extrême complexité. Il résume effet en quelques mots la totalité de l’histoire de l’humanité séthite jusqu’à la fin des temps, ce que l’arithmologie confirme. Tableau 38 La généalogie séthite 1re
Adam
אדם
2
Seth
שת
8
Énoch
אנוש
21
e
3e
11
40
La lignée séthite construit le nombre 40, un nombre qui nous renvoie par différents biais à la période du désert. La vie de Moïse n’a-t-elle pas été divisée en trois périodes de 40 ans, dont la troisième fut celle du Désert ? N’est-il pas resté 40 jours et 40 nuits sur la Montagne pour y recevoir la Torah ? Ce nombre doit donc avoir un rapport étroit avec la révélation, mais sans qu’il soit encore possible de l’interpréter en lui-même. On peut en revanche calculer ce qu’il ajoute aux lignées précédentes et découvrir ainsi qu’il est bien celui qui conduira l’humanité jusqu’au seuil d’une ère nouvelle. Il faut pour cela faire la synthèse des contributions respectives de chacune des lignées des Généalogies des cieux et de la terre, celles d’Hénokh, de Touval-Caïn, des jumeaux Yaval et Youval et de Seth, sans oublier Abel bien qu’il ait été privé de descendance. Grâce à Seth l’humanité atteindra enfin le nombre 364 qui la rendra conforme à l’algorithme (Tableau 39).
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LES RÉCITS DES ORIGINES À L’ÉPREUVE DE L’ARITHMOLOGIE
Tableau 39 Le modèle arithmologique des cieux et de la terre Adam Abel
Caïn Hénokh
Irad
Seth Énoch
Mehiyaël Metouchaël Lamekh
44
Touval-Caïn
Yaval et Youval
130
127
23
40
Total : 364
Seth et son fils Énoch ont donc pour mission de conduire cette humanité jusqu’au seuil (364) de ce taw (+1) qui servira de laissez-passer à ceux qui en seront marqués au front. Pour confirmer que telle est bien leur mission, Siméon a choisi de leur donner des noms construits en fonction de l’algorithme lui-même. Celui d’Énoch ( )אנושsignifie « homme, humanité », comme dans le dicton célèbre : « Le vin réjouit le cœur de l’homme (( » )אנושPsaume 104, 15). Sous ce nom générique, le fils de Seth représente donc l’humanité séthite toute entière, mais une « humanité souffrante » car la racine אנשsignifie également « être malade, être souffrant ». C’est donc conformément aux lettres de son nom, qu’Énoch ( )אנושreprésente la marche de l’humanité souffrante de ’alèf à chin. Avant d’atteindre le seuil du monde futur, elle devra parcourir deux étapes dont la première la conduira de ’alèf à nun ( – )אנjusqu’à ce jubilé qui correspond à la fin de la royauté de Juda – et la seconde de nun à chin (– )נש c’est-à-dire de la fin de la royauté jusqu’au seuil d’une ère nouvelle. Énoch, fils de Seth, représente donc bien l’ensemble de l’humanité dont les généalogies postdiluviennes raconteront l’histoire. De même que les lettres du nom d’Énoch font de lui un représentant de l’humanité souffrante, celles de Seth ()שת, dont le nom signifie « fondation », attestent qu’il aura pour mission de faire passer cette humanité du chin au taw, pour l’introduire dans l’ère nouvelle. Il sera le fondateur d’une nouvelle humanité. On comprend alors pourquoi les gnostiques séthiens, héritiers de cette lecture littérale, feront de Seth un personnage messianique 6. 6. J’ai traité de l’interprétation de ce modèle biblique par les gnostiques dans : « Caïn, Abel et Seth dans l’Apocryphon de Jean et dans les Écritures », Colloque
CHAP. 17 – LES GÉNÉALOGIES DES CIEUX
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§ 141 Un royaume de prêtres et une nation sainte Le propos de ce chapitre n’était que de décrire l’architecture arithmologique des généalogies des cieux et de la terre. Les interprétations avancées n’avaient d’autre but que de mettre en relief la cohérence du monument numérique sans prétendre en percer le sens allégorique. Malgré de nombreuses incertitudes, on peut au moins déduire de cette analyse que Siméon a organisé l’histoire autour de trois « fonctions », celle du prêtre représentée par Hénokh, celle du roi représentée par Lamekh et ses fils et celle du peuple séthite représenté par Énoch. Lorsque les fils d’Israël arrivèrent au désert du Sinaï, la première parole que prononça Yahvéh fut pour leur révéler le but de cette tripartition des fonctions : Vous avez vu ce que j’ai fait à l’Égypte et comment je vous ai porté sur les ailes des aigles et vous ai fait venir vers moi. À présent, si vous écoutez bien ma voix et si vous gardez mon alliance, vous serez pour moi privilégiés parmi tous les peuples, car toute la terre est à moi. Et vous, vous existerez (étant) un royaume de prêtres et une nation sainte. (Exode 19, 4-6)
Dans ce royaume idéal vers lequel doit tendre Israël, le pouvoir royal sera exercé par les prêtres, conformément au modèle qui prévoyait que l’héritage royal de Lamekh reviendrait au prêtre Hénokh (§ 138). Mais plus surprenante est l’annonce qui concerne les fils d’Israël eux-mêmes. L’avenir qui leur est promis n’est pas de devenir un peuple (‘am) saint, mais une « nation (goy) sainte » parmi les soixante-dix nations (goyim) qui composèrent l’humanité après le Déluge (Genèse 10). L’initié, contemporain du grand prêtre Siméon, pouvait alors penser que la promesse faite au Sinaï était sur le point de se réaliser : le grand prêtre Siméon n’exerçait-il pas de fait la fonction royale – même si c’était encore sous contrôle des rois lagides d’Alexandrie d’Égypte – et le peuple judéen n’était-il pas devenu une nation hellénisée parmi les nations de l’empire hellénistique ?
international : L’Évangile selon Thomas et les textes de Nag Hammadi, (BCNH, section « Études » no8), Québec-Louvain, 2007, p. 18-42 ; « Seth et sa race dans la Bible et dans le Livre des secrets de Jean », dans Les textes de Nag Hammadi, histoire des religions et approches contemporaines », Paris, Académie des inscriptions et belles-lettres, 2010, p. 155-176 ; « Le mythe gnostique de Seth et de sa race est-il conforme aux Écritures hébraïques ? », Adamantius 18, 2012, p. 11-21.
Sixième partie
Le livre des généalogies d’Adam
Chapitre 18
D’A DAM À M AHALALEL
L ES CINQ BÂTISSEURS DU MODÈLE DE L’HISTOIRE
§ 142 L’histoire des séthites antédiluviens 1 La conjonction de coordination étant omise devant le titre – Celui-ci (est) le livre des généalogies d’Adam (le terrestre) (§ 125, Tableau 30) –, la fonction de cette nouvelle généalogie doit donc être d’expliciter le récit qui précède et plus précisément l’histoire de cette lignée de Seth et d’Énoch qui a été évoquée en conclusion des Généalogies de cieux et de la terre (§ 140). Le Livre des généalogies d’Adam (Genèse 5, 1-6, 8) revient effectivement sur l’histoire des trois derniers personnages de la généalogie précédente – Adam le terrestre ()אדם, Seth et Énoch – mais en les associant, de façon surprenante, avec les deux personnages de la généalogie caïnite qui symbolisaient respectivement les fonctions sacerdotale et royale, le prêtre Hénokh et le roi Lamekh. Cette « réincarnation » de personnages caïnites dans la lignée séthite a fait problème à la critique biblique. Aussi l’a-t-elle expliquée par la juxtaposition maladroite de deux sources primitivement indépendantes. Pour la lecture littérale, au contraire, elle doit signifier qu’en passant de la lignée caïnite à la lignée séthite, Hénokh et Lamekh dotent cette humanité séthite des institutions royale et sacerdotale qui la gouverneront. À ces cinq personnages déjà mis en scène par les Généalogies des cieux et de la terre – Adam, Seth, Énoch, Hénokh et Lamekh – viennent s’ajouter cinq nouveaux acteurs, Caïnan, Mahalalel, Yèrèd, Métuchélah et Noé, dont les rôles restent à définir. De plus, cette généalogie ne s’achève pas avec la naissance de Noé, dixième patriarche antédiluvien, mais avec celle d’une onzième génération, celle de Sem, Cham et Japhet, ancêtres des soixante-dix nations qui peupleront la terre après le Déluge. C’est donc, à la onzième génération, au moment où la lignée séthite sort de la décade qu’elle se divise. Alors que les dix générations séthites précédentes se succédaient de père en fils unique, la onzième inaugure le modèle de la triparti1. Afin d’éviter toute confusion entre le modèle biblique de Seth et l’interprétation qu’en proposeront certains gnostiques dits séthiens, les acteurs du modèle biblique seront nommés séthites.
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LE LIVRE DES GÉNÉALOGIES D’ADAM
tion. Cette sortie de la décade et la tripartition qui en est la conséquence seront mises en scène dans le célèbre récit de « l ’union des fils de l ’Élohim et des filles d’Adam (le façonné) » (Genèse 6, 1-4) qui sert de conclusion à ce Livre des généalogies d’Adam (voir ch 21). Ce que nous traduisons par « Livre » (séfèr : )ספרrenvoie en fait à une racine qui recouvre la triple notion d’écriture, de nombre et de récit (§ 76). De fait, ce sont les nombres qui occupent la place centrale dans cette nouvelle section. Aussi l’enquête sera-t-elle essentiellement arithmologique et menée à trois niveaux. On s’intéressera d’abord, comme dans les généalogies précédentes, aux nombres cachés sous les noms des personnages. Dans un second temps on reviendra sur l’interprétation de la chronologie de la période antédiluvienne que construisent les nombres visibles des patriarches avant engendrement. Dans un troisième temps enfin, on esquissera une interprétation de la fonction de chacun des personnages antédiluviens, fondée sur les rapports qu’entretiennent leurs nombres spécifiques avec l’algorithme et avec les dates explicites du calendrier. Par ce biais il sera confirmé que l’intention de Siméon a bien été de composer une Histoire en tout point conforme à l’algorithme du récit de création. § 143 La chronologie cachée des séthites antédiluviens Les générations séthites antédiluviennes sont au nombre de onze. Chacune hérite du nombre construit par le nom de la ou des générations précédentes. C’est ainsi qu’à la dixième génération, celle de Noé, l’humanité a atteint le nombre 169 par le biais des noms de ses personnages (Tableau 40). Les choses se compliquent à la onzième génération, au moment où se produit la sortie de la décade, au moment où Sem, Cham et Japhet quittent le monde de l’Unité pour celui de la tripartition. Et Noé exista (en tant que) fils-bâtisseur de cinq cents (d’)année Et Noé engendra (ensuite) le modèle de Sem ( שם: 13) (qui est aussi) le modèle de Cham ( חם: 7) et le modèle de Japhet ( יפת: 7). (Genèse 5, 32)
La construction hébraïque attendue aurait dû être « Et Noé engendra le modèle de Sem et le modèle de Cham et le modèle de Japhet », mais il n’en est rien. Dans la mesure où la conjonction est omise devant le nom de Cham, on doit alors identifier son modèle avec celui de son frère aîné – le modèle de Sem sert également de modèle à Cham – alors que Japhet dont le nom est précédé de la conjonction conserve son autonomie. Sem et Cham (13 + 7 = 20) héritent donc ensemble du nombre construit par la lignée jusqu’à Noé (169 + 20 = 189) tandis que Japhet (7) en hérite en propre (169 + 7 = 176). Le nombre qu’ils construisent alors à eux trois – (189 + 176 = 365) – est celui de l’algorithme, de ’alèf à taw.
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CHAP. 18 – D’ADAM À MAHALALEL
Tableau 40 La lignée séthite d’Adam au Déluge Générations
Noms
1e
Adam
Apport propre אדם
Total cumulé
11
11
Seth
שת
8
19
3e
Énoch
אנוש
21
40
4e
Caïnan
קינן
22
62
5
2
e
Mahalalel
מהללאל
27
89
6e
Yèrèd
ירד
13
102
7e
Hénokh
חנוך
18
120
8
146
e
Métouchélah
מתושלח
26
9e
Lamekh
למך
15
161
10 e
Noé
נח
8
169
11e
Sem +Cham
שם + חם
13 + 7
Japhet
יפת
7
e
Total
189
+ 176 365
On est alors confronté à une énigme. De même que les Généalogies des cieux et de la terre allaient du ’alèf d’Adam ( )אדםau taw de Seth ()שת, les nouvelles généalogies vont du ’alèf d’Adam jusqu’à un taw, mais à celui de Japhet ()יפת. Dès lors, puisque Seth, dernier personnage des Généalogies des cieux et de la terre, construisait avec le taw de son nom le modèle 364 (§ 140, Tableau 39) et conduisait ainsi l’humanité souffrante au seuil d’une ère nouvelle, ne faudrait-il pas en conclure que Japhet – qui construit le nombre 364 + 1 avec le taw de son nom – fera entrer cette humanité dans ce monde nouveau (364 + 1) au seuil duquel Seth l’avait conduit ? S’il est clair que, par le biais de leur rapport à l’algorithme, Seth et Japhet sont effectivement des acteurs de la fin des temps, la question est de savoir lequel des deux fera entrer l’humanité dans l’ère nouvelle. L’enjeu de cette compétition entre Seth et Japhet ne pouvait échapper aux contemporains de Siméon. Il leur suffisait en effet de se reporter aux Généalogies des fils de Noé pour découvrir que Japhet était l’ancêtre de Yavan, le Ionien, fondateur éponyme du peuple grec (Genèse 10, 2). En faisant de Japhet le dernier personnage de l’histoire antédiluvienne, la révélation biblique indique sans équivoque que les Grecs joueront un rôle capital pendant la dernière période de l’histoire de l’humanité. Mais faire de Japhet celui qui introduit Israël dans une ère nouvelle signifierait que le projet divin était l’hellénisation non seulement de la Judée mais de l’univers entier. Pour trancher sur ce point capital, il faut passer de l’arithmologie au récit lui-même et, avant tout, au commentaire qui suit immédiatement la naissance de Japhet :
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LE LIVRE DES GÉNÉALOGIES D’ADAM
Et Noé engendra trois fils-bâtisseurs : le modèle de Sem, modèle de Cham et le modèle de Japhet Et (à la suite de cela) la terre fut corrompue en vue des faces de l ’Élohim. (Genèse 6, 10-11)
Bien loin de faire entrer l’humanité dans l’ère nouvelle, Japhet est à l’inverse celui qui la projette dans la tripartition et la « corruption 2 ». Cette corruption de la terre aura pour première conséquence le Déluge qui fera passer l’humanité du modèle à sa réalisation. Pour affirmer son rôle de leader, Japhet, dernier fils de Noé, sera alors le premier à engendrer après le Déluge (Genèse 10, 1-2). Le modèle 364 + 1 construit par lui ne symbolise donc pas l’entrée dans une ère nouvelle, mais l’entrée dans un nouveau cycle de l’histoire qui se sera placé sous le signe de la tripartition du modèle et de son inversion. § 144 La chronologie visible des séthites antédiluviens Au modèle 365 que viennent de construire les noms des acteurs, le Livre des généalogies d’Adam superpose une chronologie chiffrée qui fournit pour chacun des neuf premiers patriarches une triple information, l’âge auquel il engendra un fils, le nombre d’années qu’il vécut après cet engendrement et enfin le total des années de sa vie 3. Caïnan vécut soixante-dix ans et il engendra Mahalalel. Après avoir engendré Mahalalel, Caïnan vécut huit cent quarante ans. Il engendra des fils et des filles. Le total des jours de Caïnan fut de neuf cent dix ans et il mourut. (Genèse 5, 12-14)
Un examen minutieux de la syntaxe des nombres de ces notices montre que certains accords ne se font pas : le mot « année » se rencontre la plupart du temps au singulier bien que le nombre qui l’accompagne soit pluriel ; les nombres sont généralement classés en allant des unités aux 2. La racine hébraïque traduite par « corrompre » ( )שחתexprime par ses lettres ce changement de statut de l’humanité. À la lumière de l’algorithme (§ 82, tableau 9) elle signifie en effet que cette humanité qui avait atteint le seuil de l’ère nouvelle symbolisé par le chin ()ש, va devoir parcourir à nouveau l’intégralité des deux semaines de réalisation, depuis leur première lettre, le hét ()ח, avant d’avoir à nouveau la possibilité d’atteindre le taw ()ת. L’humanité quitte l’incorruptibilité pour un monde de corruption. 3. Alors qu’il semble superflu d’indiquer l’âge total des patriarches – il n’est que la somme des deux autres nombres – l’interprétation de l’Écriture par l’Écriture rend cette précision nécessaire. Par le biais de l’addition des deux nombres partiels, c’est la règle de combinaison des nombres qui est enseignée. Bien que l’humanité marche au rythme de la semaine (7), les nombres, qui ont pour fonction de manifester la pensée du Dieu caché, sont révélés sur le modèle de la décade (10), une révélation essentielle comme l’était celle de l’ordre des nombres et des lettres (§ 77).
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CHAP. 18 – D’ADAM À MAHALALEL
dizaines et aux centaines – Et Seth vécut cinq années et cent d’année – c’est-à-dire de l’un vers le multiple – mais le classement inverse existe aussi, par exemple pour Adam qui vécut neuf cents an(s) et trente an(s). Le mot « année » peut ou non être répété après les centaines et les dizaines etc. Chacune de ces particularités doit logiquement avoir sa raison d’être, qu’il reste à découvrir. Dans le cadre de cette étude il suffira de mettre en lumière l’architecture numérique générale du monument sans tenter d’en percer toutes les subtilités. La durée totale de la période antédiluvienne peut être calculée en additionnant les âges atteints par chacun des patriarches au moment où il engendre un fils (Tableau 41). On découvre alors que Noé naquit en 1056 de la création d’Adam et que ses trois fils, engendrés alors qu’il avait 500 ans, naquirent en l’an 1556. Le Livre des généalogies d’Adam n’en dit pas plus, mais les généalogies de Noé qui suivent immédiatement préciseront que Noé était âgé de 600 ans au moment du Déluge (Genèse 7, 11). Le cataclysme ayant eu lieu 100 ans après la naissance des trois fils, la durée totale de la période antédiluvienne fut donc de 1656 ans. Tableau 41 La chronologie de la période antédiluvienne Référence
Personnage
Durée de vie avant l’engendrement d’un fils
Construction du comput
Genèse 5, 3
Adam
130
130
5, 6
Seth
105
235
5, 9
Énoch
90
325
5, 12
Caïnan
70
395 460
5, 15
Mahalalel
65
5, 18
Yèrèd
162
622
5, 21
Hénokh
65
687
5, 25
Métouchélah
187
874
5, 29
Lamekh
182
1056
5, 32
Noé
500
1556
+100
1656
Sem, Cham et Japhet Genèse 7, 10-11
Le Déluge
La valeur symbolique du nombre 1656 apparaît par le biais de sa conversion en date. Il renvoie alors au 17e jour du 7e mois solaire 4, une date explicite de la chronologie du Déluge : 4. 1656 = (364 x 4) + 182 + 1 + 17 = 17e jour du 7e mois solaire.
312
LE LIVRE DES GÉNÉALOGIES D’ADAM
Élohim se souvint de Noé, de tous les animaux et de tous les bestiaux qui étaient avec lui dans l’arche. Élohim fit passer un vent sur la terre et les eaux s’apaisèrent. Alors se fermèrent les fontaines de l’Abîme et les écluses des cieux, l’averse des cieux fut retenue, les eaux revinrent de dessus la terre, allant et revenant, et les eaux décrurent au bout de cent cinquante jours. Au septième mois au dix-septième jour du mois, l’arche se reposa sur les monts d’Ararat. (Genèse 8, 1-4)
La fin de la période antédiluvienne ne correspond donc pas au début du Déluge, comme on aurait pu s’y attendre, mais à la fin de celui-ci, au moment où Noé et ses fils atteignent les montagnes d’Ararat. Ces montagnes d’Ararat sur lesquelles l’arche vient reposer prennent alors une importance insoupçonnée de la lecture traditionnelle. Elles deviennent le but ultime du voyage de l’humanité souffrante à travers l’histoire. C’est sur les montagnes d’Ararat qu’elle trouvera le repos ! § 145 La chronologie antédiluvienne de la Septante Dans la version qu’il donne de l’histoire des patriarches antédiluviens, le traducteur de la Septante propose une chronologie différente de celle de l’hébreu et fait durer la période antédiluvienne 2242 ans au lieu de 1656 5. Apprécié par référence à l’algorithme, ce nombre correspond également à une date du récit du Déluge, le 27e jour du 2e mois 6, mais renvoie à un événement différent de celui de l’hébreu. Et Noé enleva le toit du coffre (= l’arche) qu’il avait fait et il vit que l’eau avait quitté la face de la terre. Le second mois, le vingt-sept du mois, la terre fut sèche. Et le Seigneur Dieu parla à Noé en ces termes : « Sors du coffre, toi et ta femme, et tes fils et les femmes de tes fils avec toi, et toutes les bêtes sauvages qui sont avec toi, toute chair depuis les volatiles jusqu’aux bestiaux, tout reptile qui se meut sur la terre, fais-les sortir avec toi ; croissez et multipliez-vous sur la terre ». Et Noé sortit et sa femme et ses fils et les femmes de ses fils avec lui. (LXX Genèse 8, 13b-18)
Compte tenu de la rareté des événements bibliques datés 7, on doit raisonnablement considérer que le renvoi à ce moment particulier de l’histoire du Déluge correspond à une intention du traducteur et a pour but de substituer à l’interprétation allégorique de l’hébreu une interprétation 5. BARC B., « De la pierre à la brique ou la métamorphose de l’Écriture », dans LOUBET M. - PRALON D. (éd.), Eukarpa, Études sur la Bible et ses exégèses, en hommage à Gilles Dorival, Paris, Le Cerf, 2011, p. 137-146. 6. 2242 : (364 x 6) + 1 jour des saisons + 30 + 27 = 27e jour du 2 e mois solaire. 7. Le texte grec a le même nombre de dates explicites que le texte hébreu – 40 seulement sur les 364 possibles – c’est dire que la correspondance entre le nombre de la LXX et la date du Déluge a très peu de chance d’être due au hasard, même si une coïncidence demeure théoriquement possible.
CHAP. 18 – D’ADAM À MAHALALEL
313
nouvelle fondée sur ce nouveau rapport à l’Écriture. Alors que le texte hébreu se référait au moment où Noé trouvait le repos sur les montagnes d’Ararat, mais restait encore dans l’arche dans l’attente de l’assèchement de la terre, la date choisie par la Septante est au contraire celle de la sortie de l’Arche. Cette nouvelle date ne constitue en fait qu’un des éléments de la réinterprétation du texte hébreu opérée par le traducteur grec. À la différence du texte hébreu qui désigne de deux mots différents l’arche du Déluge (tévah) et l’arche d’alliance (’aron) où sont déposées les tables de la Loi, le traducteur grec choisit de désigner les deux arches au moyen d’un même nom grec (kibotos), tant et si bien que pour le lecteur hellénophone sortir de l ’arche du Déluge devient synonyme de sortir de l ’arche de l’Alliance. Que peut alors préfigurer cette sortie ? Sûrement pas l’abandon de l’Alliance elle-même ! En traduisant la Torah en grec l’auteur de la Septante se fixe au contraire comme but d’en faire la norme de vie des Judéens hellénophones d’Égypte. Cette sortie préfigure plutôt le choix fait par les Judéens d’Égypte de faire sortir du Temple-Arche de Jérusalem les rouleaux de la Loi qui y étaient conservés, afin de les mettre ainsi à la disposition de la communauté d’Égypte. En actualisant le sens du texte hébreu, le traducteur entend montrer que le statut des Judéens de la Diaspora et particulièrement celui des Judéens d’Alexandrie est, lui aussi, conforme à un plan divin inscrit dans l’Écriture. Dans la Lettre d’Aristée à Philocrate, les 72 anciens qui représentent les 12 tribus d’Israël font effectivement sortir la Torah du Temple pour l’apporter à Alexandrie. Leur débarquement dans le port d’Alexandrie ressemble alors à une nouvelle sortie de l’Arche. Alexandrie est le nouvel Ararat où les Judéens trouveront le repos. Quoi qu’il en soit des détails de cette interprétation, il paraît au moins assuré que le traducteur grec a bien choisi intentionnellement de modifier la date de l’hébreu pour la faire coïncider avec ce nouvel événement fondateur, ce qui implique – et c’est le point qui méritait ici d’être mis en avant – qu’il maîtrisait de façon encore précise, voire parfaite, la lecture littérale du modèle qu’il traduisait 8. § 146 Les nombres visibles des vies des patriarches antédiluviens Comme on a pu en faire l’expérience en étudiant la généalogie caïnite, l’écriture des modèles antédiluviens se fixe pour objectif de condenser en quelques mots une histoire dont le développement ne demandera pas 8. BARC B., « Du Temple à la Synagogue. Essai d’interprétation des premiers targumismes de la Septante », dans Mélanges en l ’honneur de Marguerite Harl, Paris, Le Cerf, 1995, p. 11-26 et BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 87-93 : « Onias IV, Le retour en Égypte ».
314
LE LIVRE DES GÉNÉALOGIES D’ADAM
moins de douze livres, de la Genèse au Deuxième livre des Rois. Dans ce plan général, le Livre des généalogies d’Adam ne constitue que la première étape de ce développement, mais une étape capitale puisqu’elle est placée en position de médiation entre le modèle décrit dans les Généalogies des cieux et de la terre et sa réalisation postdiluvienne par les trois grandes généalogies suivantes, celles de Noé, de Sem et de Jacob. Les données chiffrées associées à chaque patriarche antédiluvien (Tableau 42) servent en fait à expliciter la nature de sa contribution spécifique à la construction d’un modèle de l’histoire universelle. Pour que ce monument complexe soit parfaitement logique il n’est pas nécessaire – mais pas exclu – que la fonction symbolique de chacun des nombres visibles qui le composent soit démontrable. La règle du « non superflu » exige seulement que chacun ait une fonction à l’intérieur de l’ensemble, ce qui était le cas des valeurs numériques de leurs noms dont chacune contribuait de façon nécessaire à la construction du modèle 365 (§ 143 Tableau 40). C’était également le cas pour les années de vie des patriarches avant engendrement qui construisaient ensemble le modèle 1656. Tableau 42 Les données chiffrées de l’histoire antédiluvienne Nombres cachés Personnage
Arithmologie nombre nombres propre cumulés
Adam
Nombres visibles
11
Durée de vie
année de naissance
année de mort
avant engendrement
après engendrement
vie totale
11
130
800
930
1
930 1042
Seth
8
19
105
807
912
130
Énoch
21
40
90
815
905
235
1140
Caïnan
22
62
70
840
910
325
1235
Mahalalel
27
89
65
830
895
395
1290
Yèrèd
13
102
162
800
962
460
1422
Hénokh
18
120
65
300
365
622
987 : enlèvement
Métouchélah
26
146
187
782
969
687
1656
Lamekh
15
161
182
595
777
874
1651
Noé
8
169
500
Sem + Cham
13 +7
189
Japhet
7
Le Déluge
176 365
1056
1556 Plus 100 jusqu’au Déluge
1656
Pour mettre en évidence de façon indiscutable la fonction allégorique du monument numérique que construit le Livre des Généalogies d’Adam, il
CHAP. 18 – D’ADAM À MAHALALEL
315
n’est donc pas nécessaire de décrypter tous ses nombres, mais seulement de montrer que chacun des patriarches contribue par un ou plusieurs d’entre eux à la construction du modèle de l’histoire universelle. Par ailleurs, que la priorité soit accordée ici à l’arithmologie, ne doit pas empêcher de tirer profit de l’étymologie des noms des Patriarches – le nom doit correspondre à la fonction – ainsi que des brèves notices biographiques qui sont consacrées par Siméon à six d’entre eux : Adam, Seth, Énoch, Hénokh, Lamekh et Noé. § 147 Adam (le terrestre), père de l’humanité séthite C’est l’Adam terrestre ( )אדםqui engendre la lignée séthite, ce qui signifie que celle-ci aura pour mission d’occuper la terre. Et Adam (le terrestre) ( )אדםvécut trente et cent d’année Et il engendra dans sa ressemblance (qui est) comparable à son image Et (ensuite) il prononça le modèle du nom de celui-ci (c’est-à-dire de) Seth (Genèse 5, 3)
Élohim a « créé le modèle de l ’Homme dans l ’image (çélém) » (Genèse 1, 27), alors que Yahvéh « a fait l ’homme terrestre dans la ressemblance (demout) » (Genèse 5, 1). L’image est donc le lieu de création du modèle intelligible et la ressemblance celui de la fabrication de ce modèle dans le monde sensible. À la lumière de ce paradigme, celui qui est engendré dans la ressemblance comparable à l’image participe donc à un double statut, terrestre et céleste. Les traducteurs corrigent généralement ce texte en lui ajoutant le mot « fils » pour le rendre plus compréhensible : (Adam) engendra un fils à sa ressemblance, à son image. Il l’appela du nom de Seth. (Genèse 5, 3)
Le sens devient alors tout à fait banal. En identifiant cet engendrement à celui du seul fils d’Adam, les traducteurs occultent le fait que c’est l’ensemble de la lignée séthite qui bénéficie de ce double statut et pas seulement son fondateur. Du même coup, le thème du report de la proclamation du nom de Seth après l’engendrement de l’intégralité de cette lignée qu’implique la syntaxe de la lecture littérale se trouve occulté et le retour du fondateur à la fin des temps, gommée. Conformément aux lettres chin et taw qui le composent, le nom de Seth ne peut en effet être prononcé qu’à la fin des temps. Que la lignée séthite soit engendrée dans la ressemblance – c’est-à-dire dans ce monde terrestre où les modèles intelligibles se manifestent au moyen des « noms » – implique qu’elle le soit à la ressemblance du nom même d’Adam et de son nombre ( = אדם11). Et effectivement, les généra-
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LE LIVRE DES GÉNÉALOGIES D’ADAM
tions des Généalogies de l ’Adam terrestre, au nombre de 11, reproduiront bien le nombre du fondateur, mais dans le monde sensible 9. Pourquoi Adam a-t-il vécu trente et cent d’année avant d’engendrer ? On notera d’abord que l’ordre de construction des nombres inverse celui qui nous est familier, en allant des unités aux centaines. En engendrant Seth à l’âge de trente et cent d’année Adam le terrestre entame donc la marche de l’humanité de l’un vers le multiple, conformément au deuxième commandement édicté par Élohim le jour même de la création du modèle d’Adam : Fructifiez ()פר־ו Et devenez nombreux ()רב־ו Et remplissez le modèle de la Terre. (Genèse 1, 28)
Après avoir « fructifié » ( )פר־וen se nourrissant du « fruit » ()פר־י des arbres du jardin, les hommes vont devoir « devenir nombreux » ()רב־ו, un but qui ne sera effectivement atteint qu’à la onzième génération au moment où le dernier des fils de Noé, Japhet, entrera dans l’histoire : Et (Japhet) exista Car (conformément à mon plan) l ’Adam façonné a(vait) transgressé (?) en vue d’être nombreux ()ל־רב. (Genèse 6, 1)
Pour comprendre pourquoi Adam engendre Seth à l’âge de 130 ans il faut replacer cet engendrement dans le cadre chronologique des Généalogies des cieux et de la terre. Dans celles-ci Seth et sa lignée étaient engendrés après la naissance de Yaval, Youval et Touval-Caïn, ces enfants de Lamekh qui devaient être les promoteurs d’un modèle royal contrefait (§ 139). Au moment de leur naissance, Yaval et Youval avaient construit le nombre 127 et Touval-Caïn le nombre 130. Ce nombre était donc le nombre maximal atteint par la lignée caïnite (§ 139, Tableau 37). La lignée de Seth qu’engendre Adam le terrestre à l’âge de 130 ans prend donc le relais de celle de Caïn. Pour préciser les raisons de cet engendrement, il faudrait entrer plus avant dans la lecture littérale et commencer par déchiffrer l’histoire de l’acteur le plus mystérieux des récits du Jardin, le Serpent (nahach : נחש: 15). Cet animal marche sur la 15e voie de sagesse, la voie royale qu’emprunteront à sa suite Caïn, Irad et Lamekh (§ 139, Tableau 9. Siméon a résumé l’histoire d’Adam et de sa descendance dans une formule lapidaire prononcée en aparté par le Dieu caché : « (Quand quelqu’un) verse le sang ( )דםde l ’Adam façonné ()ה־אדם, (c’est) dans l ’Adam terrestre (( )אדםque) le sang de celui-ci est versé, car (conformément à mon plan, c’est) dans l ’image d ’Élohim (que ce quelqu’un) a fait le modèle d ’Adam (( )את ה־אדםen agissant ainsi) » (Genèse 9, 6). Le sang d’Abel, fils de l’Adam façonné, a été versé par Caïn, ce qui a eu pour conséquence l’engendrement dans le monde terrestre d’une autre lignée en dessous d’Abel, la lignée séthite issue de l’Adam terrestre. En provoquant l’apparition dans le monde terrestre de ces séthites qui sont « comparables à l’image », Caïn a donc « fait » – c’est-à-dire manifesté dans le monde terrestre – ce « modèle intelligible d’Adam » qu’Élohim avait créé « dans son image ». Et cela conformément au plan du Très-Haut.
CHAP. 18 – D’ADAM À MAHALALEL
317
37). Il est donc l’inspirateur du modèle royal caïnite, un modèle qu’il a probablement révélé à l’épouse d’Adam lors de leur entretien. Toujours estil que c’est immédiatement après cette initiative qui provoqua l’expulsion d’Adam hors du Jardin que Yahvéh-Élohim annonça au Serpent quelles en seraient pour lui les conséquences : Je fonderai ( )שתune haine entre ton fils-bâtisseur et le fils-bâtisseur de l ’épouse Entre le fils-bâtisseur de ta semence et le fils-bâtisseur de la semence de celleci. (Genèse 3, 15)
Le fils-bâtisseur du serpent (= 15) appartiendra à la lignée Caïn (= 15) et le fils-bâtisseur de cette épouse dont le nom est Ève ( חוה: 12) à celle d’Abel ( הבל: 12). La semence du serpent est donc la lignée caïnite et celle de l’épouse la lignée séthite, cette « semence autre » qui fut engendrée « en dessous d’Abel » après que son assassinat par Caïn l’eut condamné à s’exiler du monde terrestre (§ 144). Avec la « fondation » ( )שתde l’humanité séthite, en l’an 130 de la vie d’Adam, commence la guerre que livrera la semence de Seth ( )שתà la semence royale contrefaite issue du Serpent. Revenons aux nombres de la vie d’Adam : Et furent les jours d’Adam (le terrestre) après avoir engendré le modèle de Seth (au nombre de) huit cents année(s) Et il engendra des fils et des filles Et le total des jours d’Adam (lui) qui est vivant fut (au nombre de) neuf cents année(s) et trente année(s) Et il mourut. (Genèse 5, 4-5)
Après l’engendrement de Seth, la 130e année d’Adam, la vie terrestre du père de l’humanité fut de 800 ans et prit fin lorsqu’il atteignit « neuf cents année(s) et trente année(s) ». L’ordre des nombres se trouve alors inversé, remontant des centaines aux dizaines, comme si Adam amorçait, par sa mort, un retour vers l’unité originelle. Ce retour est également signifié par le fait que le total des jours d’Adam est accordé au singulier – « Et le total des jours d’Adam fut (au nombre de) neuf cents année(s) et trente année(s) » – alors qu’il sera systématiquement accordé au pluriel pour les autres patriarches : – « Et le total des jours […] furent ». Mais ce retour vers l’Un n’est encore qu’amorcé car il a été interrompu par la mort d’Adam, la 930 e année, 70 ans avant qu’il n’atteigne le millénaire. Le livre des Jubilés en donnera la raison suivante : À la fin du dix-neuvième jubilé, dans la septième semaine, la sixième année de celle-ci 10, Adam mourut et tous ses enfants l’ensevelirent dans la terre de 10. Comme l’indique son titre, le livre des Jubilés convertit la chronologie biblique en périodes jubilaires. La mort d’Adam, en 930, survient au terme de 18 jubilés (49 x 18 = 882) 6 semaines d’années (+ 7 x 6 = 42) et 6 années (+ 6 = 930).
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LE LIVRE DES GÉNÉALOGIES D’ADAM
sa création. Il fut le premier à être mis en terre. Il s’en fallut de soixantedix ans qu’il vécut mille ans. Mille ans sont comme un seul jour dans l’ordonnance des cieux (Psaume 90,4). C’est pour lui qu’il avait été écrit à propos de l’arbre de la connaissance, « le jour où vous en mangerez, vous mourrez » ; C’est pourquoi il n’acheva pas les années de ce jour, mais mourut durant ce (temps) 11.
Qu’une durée de mille ans soit l’équivalent d’« un seul jour » se fonde sur le fait que le nombre « mille » ( )אלףest homographe de la première lettre de l’alphabet, le ’alèf ( )אלףdont la valeur arithmologique est « un ». Dans l’algorithme de la création, ce ’alèf correspond au jour de l ’Un, c’està-dire au jour de Yahvéh, jour du Jugement. Par déduction, en mourant à 930 ans et non à 1000, Adam laisse à ses descendants le soin de construire ce nombre 70 qui manque encore à l’accomplissement du plan divin, un nombre qui sera, entre autres, celui des 70 nations de l’histoire postdiluvienne (Genèse 10). En mourant à 930 ans Adam reporte la fin des temps et rend donc nécessaire l’engendrement de la lignée séthite. § 148 Seth, le premier et le dernier Reconstituée à partir de ses deux récits de naissance (§ 140 et 147), la biographie de Seth peut se résumer ainsi. Dans le premier, Seth, le fondateur de cette semence autre, est engendré par l ’épouse d’Adam. Il réside alors dans le monde intelligible qui est celui de l ’image et où se trouve l ’épouse et c’est là que son nom est prononcé par sa mère. Le second récit se montre discret quant au statut de Seth pendant la durée de l’histoire séthite. La formule générale – « Adam engendra dans la ressemblance qui est comparable à l ’image » – ne le vise pas en particulier mais signifie néanmoins que lui et sa lignée sont dans le monde terrestre, lieu de la ressemblance. Il sera par ailleurs précisé que Seth mourut comme moururent les autres patriarches, conséquence logique de son statut terrestre. Seth a donc bien été engendré dans la ressemblance par son père, l’Adam terrestre. Mais il est mort. Et c’est seulement après l’engendrement intégral de cette humanité souffrante ( )אנושque symbolisait son fils Énoch ( )אנושque son nom sera prononcé sur terre. À la lumière de la lecture littérale, Seth devient un modèle messianique dont les traits seront repris, quelques siècles plus tard, aussi bien par les chrétiens que par les gnostiques (§ 147, note 9). Ce statut exceptionnel de Seth est bien évidemment confirmé par les nombres qui lui sont associés. Et Seth vécut cinq années et cent d’année 11. Jubilés 4, 29-30 dans DUPONT-SOMMER A. – PHILONENKO M. (éd.), Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, 1987, p. 657.
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Et il engendra le modèle d’Énoch Et Seth vécut après avoir engendré le modèle d’Énoch, (pendant) sept années et huit cents année(s) Et il engendra des fils-bâtisseurs et des filles-bâtisseuses Et le total des jours de Seth furent (au nombre de) douze année(s) et neuf cents année(s) Et il mourut. (Genèse 5, 6-8)
Seth vécut 912 ans et mourut donc en l’an 1042 de la création d’Adam (§ 146, Tableau 42). Ces deux nombres sont là pour confirmer la fonction du patriarche telle qu’elle vient d’être esquissée. Convertis en date, les 912 ans de sa vie renvoient au premier jour du septième mois solaire 12 , date à laquelle Yahvéh s’adressera à Moïse pour lui dire : Parle vers les fils-bâtisseurs d’Israël en vue de dire : Dans le septième mois, dans le un en vue du mois , existera pour vous un sabbat jubilaire. (Lévitique 23, 24)
Le sabbat ( )שבתוןauquel renvoie ce texte n’est pas un sabbat ordinaire ()שבת. Écrit avec ce noun final ( )ןdont la valeur numérique est 50, il symbolise l’entrée dans le jubilé. De façon exemplaire, Seth entre donc dans ce jubilé de la fin des temps. Mais de façon anticipée, car l’histoire de sa lignée n’en est encore qu’à son début. Cette lecture du personnage de Seth est confirmée par la date même de sa mort en l’an 1042. En effet, bien que ce nombre (1042 = 2 années + 314 jours) ne renvoie, à ma connaissance, à aucune date explicite, il indique en revanche, par soustraction, qu’il reste encore 50 jours de marche (314 + 50 = 364) aux descendants de Seth avant d’atteindre le seuil de l’ère nouvelle. C’est dire qu’après la mort de Seth, 50 générations devront encore se succéder avant que le nom de Seth ne soit prononcé dans le monde terrestre. L’entrée dans l’ère nouvelle est donc programmée pour la 52e génération, celle d’un fils du roi Joachin, mais reste bien évidemment conditionnée par la pratique de la Torah par Israël. § 149 Énoch ou l’humanité souffrante Énoch, fils de Seth, vécut 905 ans et mourut en l’année 1140 (§ 146, Tableau 42). Et Énoch vécut quatre-vingt-dix année(s) Et il engendra le modèle de Caïnan Et Énoch vécut après avoir engendré le modèle de Caïnan, (pendant) cinq (et) dix années et huit cents année(s) Et il engendra des fils-bâtisseurs et des filles-bâtisseuses 12. 912 = (364 x 2) + 182 + 1 + 1 = 1er jour du 7e mois solaire.
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LE LIVRE DES GÉNÉALOGIES D’ADAM
Et le total des jours d’Énoch furent (au nombre de) cinq année(s) et neuf cents année(s) Et il mourut. (Genèse 5, 9-11)
L’année de sa mort, en 1140, renvoie à une des dates explicites du récit du Déluge, le dix-septième jour du deuxième mois 13 : Et les eaux du Déluge ont existé au-dessus de la terre dans l ’année des six cents d’année(s) en vue des vies de Noé, dans le deuxième mois, dans le dix-sept(ième) jour en vue du mois : En ce jour ont été fendues les sources de l ’abîme nombreux Et les écluses des cieux ont été ouvertes Et (ensuite) une pluie-continue exista au-dessus de la terre (pendant) quarante jours et quarante nuits. (Genèse 7, 10-12)
Cette date correspond au 48e jour de l’année 14 . Puisque Énoch meurt la veille du 49e jour, ce jour fatidique où l’humanité séthite devra choisir entre la fidélité aux commandements ou la transgression, ce choix reviendra à son fils Caïnan ainsi qu’à tous les patriarches qui l’entourent sur son lit de mort en cette année 1140. Sont alors présents, Mahalalel, Yèrèd, Métouchélah, Lamekh et le dernier d’entre eux, Noé, né en 1056. Le seul qui soit absent est Hénokh, car « il a été pris » par Élohim dès l’an 987. Mais ce qu’il faut avant tout noter c’est qu’avec Énoch disparaît le dernier représentant du modèle séthite décrit dans les Généalogies des cieux et de la terre. Adam est mort en 930 et Seth en 1042. La connaissance du modèle de la fin des temps qu’ils avaient acquise en construisant le nombre 364 disparaît donc avec eux (§ 144). L’humanité commence à s’enfoncer dans l’oubli de ses origines. § 150 Le roi Caïnan et Mahalalel, le prêtre de la fin des temps Le 49e jour, au lendemain de la mort d’Énoch, la succession revient de droit à son fils Caïnan. Comme on l’a dit, C’est à lui qu’il incombera de faire entrer les patriarches dans le Jubilé ou de les entraîner dans un nouveau cycle jubilaire. Et Caïnan vécut soixante-dix année(s) Et il engendra le modèle de Mahalalel Et Caïnan vécut après avoir engendré le modèle de Mahalalel (pendant) quarante année(s) et huit cents année(s) Et il engendra des fils-bâtisseurs et des filles-bâtisseuses Et le total des jours de Caïnan furent (au nombre de) dix années et neuf cents année(s) Et il mourut. (Genèse 5, 12-14) 13. 1140 = (364 x 3) + 1 + 30 + 17 = 17e jour du 2 e mois solaire. 14. 48 = 1 + 30 + 17 : 17e jour du 2 e mois solaire.
CHAP. 18 – D’ADAM À MAHALALEL
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Bien que Caïnan soit séthite d’origine, son nom révèle ses accointances avec le modèle caïnite. Il porte le nom de Caïn ( )קינ־augmenté de la lettre finale qui symbolise ce Jubilé ( קינ־ן: qayinan) dans lequel il doit faire entrer le peuple. S’il est le roi qui doit présider à l’entrée dans le Jubilé, il doit alors s’allier à un autre pour reconstituer ce modèle jubilaire que construisaient ensemble Caïn et Abel aux origines (§ 135, Tableau 34). Face à Caïnan (22 : )קינ־ן, le nouveau Caïn, doit alors se tenir un nouvel Abel. Le rôle est rempli par Mahalalel (27 : )מהללאל, le fils de Caïnan, qui construira effectivement le modèle jubilaire (22 + 27 = 49) en s’associant à son père. Et Mahalalel vécut cinq années et soixante année(s) Et il engendra le modèle de Yèrèd Et Mahalalel vécut après avoir engendré le modèle de Yèrèd (pendant) trente année(s) et huit cents année(s) Et il engendra des fils-bâtisseurs et des filles-bâtisseuses Et le total des jours de Mahalalel furent (au nombre de) cinq et quatrevingt-dix année(s) et huit cents année(s) Et il mourut. (Genèse 5, 15-17)
Puisque Caïn et Abel préfiguraient respectivement les fonctions royale et sacerdotale (§ 140), Caïnan et Mahalalel doivent faire de même. Et puisque Caïnan exerce la fonction royale qu’exerçait Caïn, Mahalalel doit exercer la fonction sacerdotale d’Abel, ce qui est conforme à l’étymologie de son nom. Il est « celui qui adresse ses louanges à Dieu » (mahalal ’él), ce qui correspond bien à la fonction liturgique du prêtre. La question est alors de savoir si ce nouveau Caïn assassinera à nouveau son frère ou si, au contraire, il fera effectivement entrer l’humanité dans le Jubilé. On se contentera de formuler une hypothèse que la lecture littérale devra confirmer, ou infirmer. Dans la mesure où Caïnan ajoute au nom de Caïn, ce noun final qui est la marque d’entrée dans le Jubilé, on fera le pari d’une entrée réussie, ce qui implique qu’à la différence de Caïn il n’élimine pas Mahalalel, puisque c’est seulement ensemble (22 + 27 = 49) qu’ils pourront franchir le seuil jubilaire. Mais il existe une différence capitale entre Caïn et Abel et leurs avatars. Alors que les premiers étaient frères, Mahalalel est engendré par Caïnan et survit à son père. Caïnan meurt en 1235 et Mahalalel 55 ans plus tard, en 1290. On est donc dans un scénario inverse du précédent. Alors qu’Abel avait été privé de sa fonction sacerdotale et ne pouvait faire mieux que de crier à l’injustice depuis le lieu de son exil, Mahalalel, à la 5e génération de cette lignée séthite qui a été envoyée dans le monde terrestre, en dessous d’Abel, hérite de Caïnan et lui survit pendant 55 ans. Ce scénario laisse entendre qu’à la fin des temps la réunification des fonctions royale et sacerdotale se fera bien au profit du sacerdoce (§ 63).
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LE LIVRE DES GÉNÉALOGIES D’ADAM
§ 151 Les Cinq générations qui construisent le modèle de l’histoire Comme viennent de le montrer les analyses précédentes et comme le confirme une fois encore l’arithmologie, Énoch (21), Caïnan (+ 22) et Mahalalel (+ 27 = 70) préfigurent l’histoire du peuple séthite représenté par Énoch et celle de ses institutions, la royauté exercée par Caïnan et le sacerdoce par Mahalalel. Ces deux institutions construisent avec le peuple le nombre 70 qui avait manqué à Adam pour atteindre le millénaire (§ 147). On en conclura que cette tripartition des fonctions présidera à l’histoire humaine jusqu’à ce qu’elle atteigne ce millénaire qui symbolise le retour à l’Un. Tableau 43 Les cinq premiers patriarches Le modèle général de l’histoire 1
Adam
2
Seth
du début ()א à la fin ()ת
La tripartition des fonctions 3
Énoch
4
Caïnan
5
Mahalalel
Le Peuple La Royauté Le Sacerdoce
Pour en savoir plus, il faudrait tenter d’interpréter chacun des nombres choisis par Siméon pour quantifier l’apport de ces trois patriarches à l’histoire. Le travail reste en grande partie à faire mais un exemple indiquera la piste à suivre. Le nombre qui mesure la durée de l’histoire des trois institutions qui conduiront jusqu’à l’entrée dans une ère nouvelle correspond à la période de 1055 ans qui va de la naissance d’Énoch à la mort de Mahalalel. (§ 146, Tableau 42). Ce nombre correspond au 23e jour du 11e mois 15 et renvoie par ce biais, à la veille d’une vision du prophète Zacharie (Zacharie 1, 7 sqq). Si le prophète ne bénéficie de cette vision que le lendemain de la date prévue pour l’entrée dans une ère nouvelle, c’est qu’une fois encore celle-ci a été reportée, ce que la vision de Zacharie confirme. Le prophète voit des hommes qui parcourent la terre et viennent rendre compte de leur mission à un ange de Yahvéh : Ils dirent : « Nous avons circulé sur la terre et voici que la terre est paisiblement habitée. »
15. 1055 = (364 x 2) + 182 + 91 + 1 + 30 + 23 = 23 e jour du 11e mois solaire.
CHAP. 18 – D’ADAM À MAHALALEL
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Alors l’ange de Yahvéh prit la parole et dit : « Yahvéh des armées, jusques à quand n’auras-tu pas pitié de Jérusalem et des villes de Juda, contre lesquelles tu es courroucé depuis soixante-dix ans ? » […] Alors Yahvéh dit : « Je reviens à Jérusalem avec pitié : en elle sera rebâtie ma Maison. » (Zacharie 1, 12-16)
On comprend alors que le retour des Judéens à Jérusalem au terme des 70 années de leur exil à Babylone – comme le nombre 70 construit par les trois patriarches antédiluvien – aurait dû les introduire dans une ère nouvelle, mais qu’il n’en fut rien. L’histoire exemplaire jouée par les cinq premiers patriarches antédiluviens est donc toujours en attente de réalisation, une réalisation liée par Yahvéh à la reconstruction du Temple. Adam et Seth ont révélé le modèle intégral de l’histoire. Énoch, Caïnan et Mahalalel ont mis en place le modèle de ses institutions. Mais cinq autres patriarches antédiluviens devront encore ajouter leur pierre à l’édifice avant que Noé ( )נחn’apporte le repos ( )נוחattendu par l’humanité souffrante.
Chapitre 19
DE Y ÈRÈD À NOÉ
L A RÉALISATION TERRESTRE DU MODÈLE DE L’HISTOIRE
§ 152 Cinq face à cinq Puisque les cinq premiers patriarches ont construit un modèle dont la perfection a été atteinte au moment de la mort de Mahalalel, les cinq patriarches suivants doivent préfigurer la réalisation de ce modèle. C’est donc à Yèrèd, Hénokh, Métouchélah, Lamekh et Noé qu’il reviendra de prophétiser l’histoire terrestre de la lignée séthite. Ce second volet des Généalogies de l ’Adam terrestre, qui va de la mort de Mahalalel en 1290 jusqu’au repos de l’Arche sur les montagnes d’Ararat en 1656, dure 366 ans. Nous sommes alors renvoyés à une nouvelle date explicite – le premier jour du premier mois de la deuxième année 1 – date à laquelle Moïse acheva la construction de la Demeure (michkan : )משכןdu désert. Au premier mois de la deuxième année, au premier du mois, fut érigée la Demeure. (Exode 40, 17)
Au thème du repos de l’Arche répond alors celui de l’achèvement de la Demeure du désert érigée par Moïse, une Demeure qui est elle-même le modèle du Temple parfait dont la dédicace aura lieu à la fin des temps. Les cinq patriarches antédiluviens qui vont œuvrer pendant 366 années jusqu’au repos de l’Arche vont donc annoncer par leur vie ce que sera l’histoire postdiluvienne de la lignée séthite, jusqu’à la construction de ce Temple idéal (ha-bayit : )ה־בית, un Temple terrestre qui sera la ressemblance terrestre de l’Arche (tévah : )תיב־ה, comme l’indique l’ordre inversé de ses lettres 2. § 153 Yèrèd, l’homme de la descente Et Yèrèd vécut deux et soixante année(s) et cent d’année Et il engendra le modèle d’Hénokh 1. 366 = 364 + 1 + 1 = 1er jour du 1er mois de la 2 e année solaire. 2. Ce Temple qui doit assurer la médiation entre Dieu et l’homme est conçu sur le mode de la tripartition : il est « Demeure » dans l’intelligible (michkan : )משכן, Arche dans la médiation (tévah : )תיב־הet Temple dans le sensible (ha-bayit : )ה־בית.
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LE LIVRE DES GÉNÉALOGIES D’ADAM
Et Yèrèd vécut après avoir engendré le modèle d’Hénokh (pendant) huit cents année(s) Et il engendra des fils-bâtisseurs et des filles-bâtisseuses Et la répartition des jours de Yèrèd furent (au nombre de) deux et soixante année(s) et neuf cents année(s) Et il mourut. (Genèse 5, 18-20)
Le nom de Yèrèd (yèrèd : « – )ירדIl descendra » – renvoie au paradigme du verbe descendre ( )רדdont les premières occurrences se rencontrent dans l’épisode de la tour de Babel. Yahvéh descendit ( )וי־רדpour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. Et Yahvéh dit : « Voici qu’eux tous forment un seul peuple et ont un seul langage. S’ils commencent à faire cela rien désormais ne leur sera impossible de tout ce qu’ils décideront de faire. Allons ! Descendons ( )נ־רד־הet ici même confondons leur langage en sorte qu’ils ne comprennent plus le langage les uns des autres. » Puis Yahvéh les dispersa de là sur la surface de toute la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. C’est pourquoi on l’appela du nom de Babel. Là, en effet, Yahvéh confondit le langage de toute la terre et de là Yahvéh les dispersa sur la surface de toute la terre. (Genèse 11, 5-9)
Par le biais de l’analogie, la « descente » annoncée par Yèrèd renvoie donc bien au début de la période postdiluvienne et plus précisément à cette première « descente » de Yahvéh dont la conséquence sera la tripartition des 70 nations engendrées par les trois fils de Noé (Genèse 10), une tripartition qui, comme on l’a vu, a été gravée par Siméon dans la triple orthographe des généalogies postdiluviennes ()תולדת תלדת תלדות, (§ 130 Tableau 33). La descente qu’annonce Yèrèd a donc une portée universelle. Elle est le paradigme de toutes les descentes de l’histoire postdiluvienne, aussi bien celle de Yahvéh sur le mont Sinaï (Exode 19, 20) que celles des fils de Jacob en Égypte puis en Canaan après leur traversée du Jourdain, ce fleuve dont le nom symbolise la descente vers le Jubilé ( = ירד־ןyardén) 3. Yèrèd mourut en 1422, 132 ans après Mahalalel. Ce nombre mesure son apport personnel à l’histoire en renvoyant au 10 e jour du 5e mois 4 , date à laquelle les « maisons » de Juda et celles qui abritaient leurs institutions furent détruites sur ordre de Nabuchodonosor roi de Babel :
3. Ces deux « descentes », celle de Yahvéh vers Moïse et celle des fils de Jacob vers le Jubilé, sont à mettre en rapport avec l’histoire des lignées sacerdotale (§ 117, tableau 27) et royale (§ 104, tableau 20). Alors que Moïse le lévite vivra par anticipation la fin des temps sans avoir à traverser le Jourdain, le peuple traversera ce Jourdain et entamera sa descente vers le Jubilé en prenant pour guide un modèle royal contrefait. Le nom de Yèrèd annonce donc bien l’histoire postdiluvienne, aussi bien celle du peuple que celle de ses institutions sacerdotale et royale. 4. 132 = 91 + 1 + 30 + 10 = 10 e jour du 5e mois solaire.
CHAP. 19 – DE YÈRÈD À NOÉ
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Au cinquième mois, le dix du mois – c’était l’an dix-neuf du roi Nabuchodonosor, roi de Babel – Nebouzaradan, chef des gardes du corps, celui qui se tient devant le roi de Babel, entra dans Jérusalem et il brûla la maison de Yahvéh et la maison du roi, ainsi que toutes les maisons de Jérusalem. Il brûla aussi par le feu toute maison de grand personnage. (Jérémie 52, 12)
Yèrèd préfigure donc l’histoire séthite postdiluvienne des lendemains de la dispersion des peuples au lendemain du Déluge à la destruction du premier Temple qui se produisit à la cinquantième génération. § 154 Hénokh, l’homme de la Dédicace différée du Temple Hénokh, fils de Yèrèd, patriarche de la septième génération, naquit en 622 et fut pris par Élohim en 987, au terme d’une vie de 365 ans. Il fut le contemporain de tous les patriarches antédiluviens à l’exception de Noé qui ne naîtra que 69 ans après son enlèvement. Et Hénoch vécut cinq et soixante année(s) Et il engendra le modèle de Métuchélah Et Hénoch marcha (jusqu’au taw avec) le modèle de l ’Élohim après avoir engendré le modèle de Métuchélah, (pendant) trois cents année(s) Et il engendra des fils-bâtisseurs et des filles-bâtisseuses Et la répartition des jours d’Hénoch exista (pendant) cinq et soixante année(s) et trois cents année(s) Et Hénoch marcha (jusqu’au taw avec) le modèle de l ’Élohim Et il n’est plus car (conformément à Mon plan) Élohim a pris son modèle. (Genèse 5, 21-24)
Avant d’être engendré par Yèrèd dans la lignée séthite, Hénokh avait appartenu à la lignée caïnite. Il était l’aîné des fils de Caïn, titulaire de la fonction sacerdotale, tandis que son frère, Irad exerçait la fonction royale, mais à titre provisoire. Le plan divin prévoyait en effet qu’à la sixième génération caïnite, Lamekh, un descendant d’Irad, renoncerait à la royauté au profit d’Hénokh qui deviendrait alors roi-prêtre (§ 138). La traduction arithmologique de cette réunification des fonctions était exprimée par le nombre 119 obtenu par Hénokh en ajoutant à son nombre propre (= 18) celui du patrimoine caïnite de Lamekh (+ 101 = 119). Et c’est précisément au lendemain de cette réunification des pouvoirs entre ses mains – le 120e jour de l’année – qu’Hénokh sera engendré par Yèrèd dans la lignée séthite (§ 144, Tableau 41). Si Yèrèd préfigure l’histoire du peuple judéen de sa dispersion postdiluvienne à la destruction du premier Temple, Hénokh, son contemporain, doit appartenir à la même période, mais sans la parcourir intégralement puisqu’il naît 162 ans après Yèrèd et est « pris » par Élohim 435 ans avant la mort de son père. Plusieurs indices conduisent alors à faire d’Hénokh
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LE LIVRE DES GÉNÉALOGIES D’ADAM
une préfiguration de Moïse. Moïse ( = שמה18) marcha sur la même voie de sagesse qu’Hénokh ( = חנוך18). C’est Moïse, qui construisit le modèle de ce Temple dont le nom d’Hénokh annonçait la dédicace. Moïse enfin mourut à l’âge de 120 ans, âge atteint par Hénokh au moment de son entrée dans la lignée séthite (§ 144, Tableau 41). Et Moïse (est) fils-bâtisseur de(s) cent et vingt année(s de l ’Esprit) au moyen de sa mort. (Deutéronome 34, 7)
Les vies d’Hénokh et de Moïse se répondant à travers le miroir du Déluge, tout ce qui est dit de l’un doit alors s’appliquer à l’autre. C’est en vertu de cette symétrie que l’auteur du livre des Jubilés peindra un portrait d’Hénokh dans lequel transparaissent les traits de Moïse. Hénokh fut le premier des humains nés sur la terre à apprendre l’écriture, la sagesse et la science, et à écrire dans un livre les signes du ciel suivant l’ordre des mois, afin que les humains connaissent les saisons, en leur ordre, mois par mois. Il fut le premier à rédiger un témoignage, et, parmi la gent terrestre, à donner un témoignage aux humains. Il parla des semaines de jubilés, il fit connaître les jours de l’année, il donna l’ordre des mois, parla des sabbats comme nous (les anges) les lui avions enseignés. Il vit dans une vision de son sommeil le passé et l’avenir, ce qui adviendrait parmi les humains, génération après génération, jusqu’au jour du jugement, il vit et connut tout. Il rédigea son témoignage et le déposa sur terre, pour tous les humains, pour toutes leurs générations 5.
Moïse, à son tour, devient le reflet d’Hénoch : Moïse fut sur la montagne quarante jours et quarante nuits, et le Seigneur lui montra ce qui (fut au) commencement. Il lui révéla aussi ce qui adviendrait, le récit complet de la répartition, légale et certifiée, de tout le temps 6.
Avec Hénokh, le septième, s’achève la première semaine de l’histoire séthite. À ce moment les sept premiers patriarches ont construit un modèle intégral de l’histoire et de sa réalisation, de la création d’Adam jusqu’à la destruction du premier Temple annoncée par la mort de Yèrèd.
5. Jubilés 4, 17-19 dans DUPONT-SOMMER A. – PHILONENKO M. (éd.), Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, 1987, p. 655. 6. Jubilés 1, 4, DUPONT-SOMMER A. – PHILONENKO M. (éd.), Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, 1987, p. 636.
CHAP. 19 – DE YÈRÈD À NOÉ
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Tableau 44 Les sept premiers patriarches 1
Adam
11
2
Seth
8
du début ()א à la fin ()ת
3
Énoch
21
4
Caïnan
22
Le Peuple La Royauté Le Sacerdoce
5
Mahalalel
27
6
Yèrèd
13
L’histoire du peuple jusqu’à l’entrée dans le Jubilé
7
Hénokh
18
L’histoire de l ’institution sacerdotale jusqu’à la dédicace du nouveau Temple
Le Déluge
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§ 155 Les trois derniers patriarches antédiluviens Les trois derniers patriarches auront donc pour fonction de préfigurer la suite de l’histoire judéenne, du départ en exil des Judéens jusqu’à la fin des temps. Alors que jusqu’ici le rôle de l’arithmologie consistait à fournir les clés d’interprétation d’une histoire en apparence connue, car consignée dans les douze premiers livres bibliques, celle à laquelle renvoient les trois derniers patriarches – celle du second Temple et de son grand prêtre – a été volontairement occultée par Siméon. De la période de domination de la Judée par les rois perses (536 avant notre ère ; 333 avant notre ère) il ne mentionne que quelques bribes d’histoire insérées dans les livres prophétiques d’Aggée et Zacharie 7 et ne dit rien, en clair, sur la période hellénistique, d’Alexandre le Grand (333 avant notre ère) jusqu’à son propre pontificat (220 avant notre ère ; 195 avant notre ère). La connaissance de cette période-clé de l’histoire judéenne et de la place qu’elle occupe dans le plan divin dépend donc essentiellement de la capacité de l’initié à décoder le sens allégorique des textes bibliques – historiques ou prophétiques – qui en sont la préfiguration. L’enlèvement d’Hénokh, dont les raisons demeurent encore mystérieuses, ayant provoqué le report de la réalisation du plan divin, le cycle 7. Les informations fournies par le livre d’Esdras-Néhémie ne peuvent pas être prises en compte dans la mesure où la rédaction de ce livre est postérieure à Siméon (§ 32). La mention de Néhémie parmi les grands ancêtres dont Ben Sira fait l’éloge (Ecclésiastique 49, 13) montre cependant que le personnage jouissait d’une réputation positive, bien qu’il n’ait pas été retenu par Siméon dans sa version de l’histoire postexilique.
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LE LIVRE DES GÉNÉALOGIES D’ADAM
des engendrements continue avec Métouchélah, Lamekh et Noé et ne s’interrompt qu’au moment de la naissance des fils de Noé, en 1556. De l’enlèvement d’Hénokh en 987 à la naissance des fils de Noé 569 années s’écoulent. Ce nombre, dont la conversion en date renvoie au 22e jour du 7e mois 8 , nous projette, comme il se doit, dans la période perse. En l’an deux du roi Darius, au septième mois, le vingt et un du mois, la parole de Yahvéh fut adressée à Aggée, pour dire : […] « Encore un bref délai et je vais ébranler les cieux et la terre, la mer et le continent pour qu’arrivent les objets précieux de toutes les nations et j’emplirai de gloire cette Maison […]. Grande sera la gloire de cette Maison, de la seconde plus que de la première, et dans ce lieu je mettrai la paix. (Aggée 2, 1-9)
Les 569 années qui séparent l’enlèvement d’Hénokh de la naissance des fils de Noé préfigurent donc la période biblique qui va de la « mort » de Moïse, le nouvel Hénokh, jusqu’à la deuxième année du règne de Darius. Ainsi se trouve résumée toute l’histoire judéenne, de l’entrée en Canaan à la mise en chantier du nouveau Temple à la période perse. Dès lors, « le bref délai » qu’il faut encore attendre avant que « la gloire du second Temple » ne se manifeste, doit correspondre aux 100 années qui séparent la naissance des fils de Noé en 1556 du repos de l’Arche en 1656. Les trois derniers patriarches occupent l’avant de la scène pendant ces 669 ans. Pour connaître le rôle joué par chacun d’eux, il faut alors diviser le nombre 669 en nombres intermédiaires conformes à l’algorithme : 669 = 364 + 182 + 123 Ces nombres peuvent alors être affectés aux trois derniers patriarches. Le nombre 364, celui que construisait la lignée de Seth (§ 140, Tableau 39), revient de droit à Noé ( = נח7 + 1) car il est le seul des patriarches antédiluviens à marcher sur la même voie de sagesse que Seth ( = שת7 + 1). Noé devient alors le modèle du « peuple » séthite en marche vers le repos ()נוח. Le deuxième nombre – 182 – est celui des années que vécut Lamekh avant d’engendrer Noé (§ 144, Tableau 41). Il doit donc représenter l’apport de la fonction royale exercée par Lamekh. Dans ces conditions, le dernier nombre – 123 – ne peut que correspondre à l’apport de Métouchélah et identifier ce dernier à la fonction sacerdotale. C’est ce que confirme le nombre 123 qu’il partage avec le prêtre Aaron, fondateur du sacerdoce lévitique, mort à l’âge de 123 ans 9. L’histoire préfigurée par Métouchélah (le prêtre), Lamekh (le roi) et Noé (le peuple) reproduit donc dans le monde terrestre le modèle construit 8. 569 = 364 + 182 + 1 + 22 = le 22 e jour du 7e mois solaire. 9. Aaron avait 83 ans au moment de la sortie d’Égypte (Exode 7, 7) et mourra la 40 e année du désert (+ 40 = 123).
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dans l’intelligible par Énoch (le peuple), Caïnan (le roi) et Mahalalel (le prêtre), mais comme le sensible n’est que le reflet de l’intelligible, les trois fonctions s’y manifestent dans un ordre inversé. Cette inversion s’accompagne aussi d’une dissymétrie. Alors qu’Énoch (21) Caïnan (+22) et Mahalalel (+27) construisaient le nombre 70 (7 x 10), Métouchélah (26), Lameck (+15) et Noé (+8) construisent le nombre 49 (7 x 7). Mais comme le projet divin prévoit de recréer les cieux et la terre par le biais de l’ensemble des générations humaines, les six patriarches devront s’unir (70 + 49 = 119) pour atteindre la fin des temps (119 + 1 = 120). L’équation de l’histoire conçue par Siméon est donc la suivante : 70 + 49 + 1 = 120. § 156 Le prêtre Métouchélah Et Hénokh vécut cinq et soixante année(s) Et il engendra le modèle de Métouchélah Et Hénokh marcha (jusqu’au taw avec) le modèle de l ’Élohim après avoir engendré le modèle de Métouchélah […] Et Métouchélah vécut sept et quatre-vingt année(s) et cent d’année Et il engendra le modèle de Lamekh Et Métouchélah vécut après avoir engendré le modèle de Lamekh (pendant) deux et quatre-vingt année(s) et sept cents année(s) Et il engendra des fils-bâtisseurs et des filles-bâtisseuses Et la répartition des jours de Métouchélah furent (au nombre de) neuf et soixante année(s) et neuf cents année(s) Et il mourut. (Genèse 5, 21-27)
Le prêtre Métouchélah fut engendré par Hénokh avant que ce dernier n’ait « marché (jusqu’au taw avec) le modèle de l ’Élohim ». Il hérita donc de la fonction sacerdotale de son père mais ne connut pas ce taw qui lui aurait permis d’échapper à la mort. Il mourut l’année même du Déluge en 1656 (§ 146, Tableau 42). Comme tous les autres patriarches antédiluviens, Métouchélah (מתו־ )שלחporte un nom-programme. Le sien signifie « Ils sont morts ! ()מתו Envoie ! (» )שלח. Ce constat de la mort des patriarches antédiluviens ne peut avoir lieu qu’après 1651, date de la mort de Lamekh, fils de Métouchélah. À cette date en effet, et si l’on fait exception d’Hénokh qui a été « enlevé », Métouchélah et Noé sont les seuls survivants. Dès lors, l’ordre exprimé dans la deuxième partie du nom-programme de Métouchélah – « Envoie ! » – ne peut s’adresser qu’à Noé. L’analogie verbale nous renvoie alors à un épisode aussi célèbre que mystérieux du récit du Déluge, dans lequel le verbe « envoyer » est martelé à cinq reprises :
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Au septième mois, le dix-septième jour du mois, l’arche reposa sur les monts d’Ararat […] Au bout de quarante jours, Noé ouvrit la fenêtre de l’arche qu’il avait faite. Il envoya (wayichlah) le corbeau. Celui-ci sortit, allant et revenant jusqu’à ce que les eaux fussent séchées de dessus la terre. Puis il envoya (wayichlah) d’auprès de lui la colombe, pour voir si les eaux avaient diminué de la surface du sol. La colombe ne trouva pas d’endroit où reposer la plante de son pied et elle revint vers lui dans l’arche, car les eaux étaient sur la surface de toute la terre. Il envoya sa main (wayichlah yado), la prit et la ramena vers lui dans l’arche. Il attendit encore sept autres jours et recommença à envoyer (chalah) la colombe hors de l’arche. La colombe vint à lui, au temps du soir, et voici qu’en sa bouche il y avait une feuille d’olivier toute fraîche. Alors Noé sut que les eaux avaient diminué de dessus la terre. Il attendit encore sept autres jours et envoya (wayichlah) la colombe, mais elle ne revint plus vers lui. (Genèse 8, 4-12)
Le paradigme du verbe « envoyer » est donné à la fin des récits du Paradis au moment de l’envoi de l’Adam façonné hors du Jardin (Genèse 4, 24). Ce Corbeau et cette Colombe devront donc être « envoyés » hors de l’Arche, comme Adam le fut hors du Jardin. Dans la mesure où l’histoire des trois derniers patriarches – Métouchélah, Lamekh et Noé – préfigure celle des Judéens de la période du second Temple (§ 155), l’ordre d’expulser le Corbeau et la Colombe hors de l’Arche doit alors viser deux acteurs de la période postexilique qui devront être exclus du Temple par un nouveau Noé. Cette énigme sera résolue en son temps lors de l’analyse de la chronologie du Déluge (§ 197 et § 207-216). § 157 Lamekh, le roi que Yahvéh n’a pas choisi Et Lamekh vécut deux et quatre-vingt année(s) et cent d’année Et il engendra un fils-bâtisseur Et il prononça le modèle de son nom : Noé, en vue de dire : « Celui-ci nous consolera de notre tâche et de la souffrance de nos mains provoquée par le sol qu’a maudit Yahvéh. » Et Lamekh vécut après avoir engendré le modèle de Noé (pendant) cinq et quatre-vingt-dix année(s) et cinq cents d’année(s) Et il engendra des fils-bâtisseurs et des filles-bâtisseuses Et la répartition des jours de Lamekh fut sept et soixante-dix année(s) et sept cents année(s) Et il mourut. (Genèse 5, 28-31)
Lamekh appartenait à la sixième génération caïnite et ses enfants – Yaval, Youval et Touval-Caïn – à la septième. Lorsqu’il se réincarna dans la lignée séthite, à la neuvième génération, il avait donc déjà abdiqué sa
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fonction royale en faveur du prêtre Hénokh, puis s’était rétracté et avait conçu des modèles contrefaits de royauté que ses trois rejetons s’étaient employés à diffuser après le Déluge aussi bien en Israël qu’en Juda et parmi les nations (§ 139). Transposé à la période postexilique, le modèle de royauté de Lamekh ne peut donc être celui du Roi que choisira Yahvéh, mais bien au contraire, celui de ces rois étrangers – Perses ou Grecs – qui imposeront leur domination à la Judée. La durée même de la royauté de Lamekh – sept et soixante-dix année(s) et sept cents année(s) (777) – en fait une royauté terrestre, prisonnière de ce monde sensible créé sur le modèle 7 de l’hebdomade. Cet emprisonnement de Lamekh dans le monde de l’hebdomade avait d’ailleurs été décrété par le Très-Haut, dès l’engendrement de Yaval, Youval et Touval-Caïn, quand il avait dit – en aparté – Lamekh (est égal à) soixante-dix et sept. (Genèse 4, 24)
Cette domination d’un modèle contrefait de royauté n’aura donc qu’un temps. De même que le prêtre Métouchélah avait survécu au roi Lamekh, le sacerdoce de la période postexilique survivra à la royauté. De même que Métouchélah avait survécu cinq ans, le temps d’une nouvelle création, le sacerdoce postexilique survivra jusqu’au seuil d’une nouvelle création. Et c’est alors qu’apparaîtra un nouveau Noé. § 158 Noé, l’homme du Repos Nous aurons l’occasion d’examiner en détail la généalogie que Siméon consacre à l’histoire de Noé (Genèse 6, 9-9, 29). Dans l’immédiat, nous nous contenterons d’observer le nom même de Noé et ses dates. Noé naquit en 1056 ce qui renvoie l’initié au 24 e jour du 11e mois 10, date à laquelle le prophète Zacharie eut la vision des temps messianiques (Zacharie 1, 7-6, 15). Le vingt-quatre du onzième mois – le mois de Shevat – la deuxième année du règne de Darius, la parole de Yahvé fut adressée à Zacharie. (Zacharie 1, 7)
Le prophète surprend le dialogue, déjà cité, entre un ange et Yahvéh luimême : Yahvéh tout puissant, jusqu’à quand tarderas-tu à prendre en pitié Jérusalem et les villes de Juda contre lesquelles tu es irrité depuis déjà soixantedix ans ? […] Yahvé donna une réponse encourageante, une réponse consolante ()נחם. (Zacharie 1, 12-13) 10. 1056 = (364 x 2) + 182 + 91 + 1 + 30 + 24 = le 24 e jour du 11e mois solaire.
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Cette réponse « consolante » ( )נחםrenvoie à la phrase prononcée par Lamekh le jour même de la naissance de Noé : Celui-ci (Noé) nous consolera ( )נחםde notre tâche et de la souffrance de nos mains provoquées par le sol qu’a maudit Yahvé. (Genèse 5, 29)
Cette consolation qu’annonce l’oracle de Zacharie fait d’abord état du retour en grâce du grand prêtre Josué fils de Yoçadaq (Zacharie 3), puis de la fondation du Temple par le gouverneur Zorobabel fils de Chealtiel, un personnage de lignée davidique (Zacharie 4, 4-10). Mais c’est à un troisième personnage, nommé Germe, qu’il reviendra de construire le Temple fondé par Zorobabel : Voici un homme dont le nom est Germe, sous ses pas tout germera et il construira le Temple de Yahvéh. C’est lui qui sera revêtu de majesté, il siègera sur son trône pour dominer. Un prêtre aussi siègera sur son trône, et tous deux témoigneront d’une entente parfaite entre eux. (Zacharie 6, 12-13)
Par le biais de ce renvoi aux oracles de Zacharie, Siméon signifie que Noé préfigure l’histoire du peuple judéen jusqu’à la venue de Germe (çèmah : = צמח11), un personnage mystérieux que son nombre identifie à un nouvel Adam ( = אדם11). Mais avant cette venue le peuple devra revivre les 595 années de domination royale pendant lesquelles Noé fut contemporain du roi Lamekh, son père (§ 146, Tableau 42). Ce nombre, apprécié par référence à l’algorithme 595 = 364 + 182 + 49 indique qu’à la mort de Lamekh, Noé atteignit le seuil d’un nouveau jubilé et fut donc en situation de faire le choix décisif qui lui permettrait ou non d’entrer dans une ère nouvelle. Lorsque cette occasion se présenta à lui, Noé fit d’abord le choix d’exister, puis celui d’engendrer : Et (Lamekh) mourut Et Noé exista (en tant que) fils-bâtisseur de cinq cents (d)année Et Noé engendra (ensuite) le modèle de Sem (qui est aussi) le modèle de Cham et le modèle de Japhet. (Genèse 5, 32)
Ces cinq cents d’année qui firent exister Noé représentent la somme des cent-d’année que cinq de ses ancêtres – Adam, Seth, Yèrèd, Métouchélah et Lamekh – avaient vécus avant d’engendrer 11. Arrivé au seuil du jubilé, Noé hérite donc de la connaissance intégrale de l’histoire dont Adam ( )אדםet 11. Avant d’engendrer, Adam vécut « trente et cent d ’année (me’at chanah) » (Genèse 5, 3), Seth « cinq années et cent d ’année » (5, 6), Yèrèd, « deux et soixante année(s) et cent d ’année » (5, 18), Métouchélah, « sept et quatre-vingt année(s) et cent d ’année » (5, 25) et Lamekh, « deux et quatre-vingt année(s) et cent d ’année »
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Seth ( )שתavaient construit le modèle de ’alèf à taw. Il hérite également du modèle des institutions préfigurées par Yèrèd (le peuple), Métouchélah (le sacerdoce) et Lamekh (la royauté). Et c’est en faisant la synthèse de cet héritage qu’il devient fils-bâtisseur de cinq cents d’année. L’histoire de Noé aurait-elle pu s’arrêter là et avec lui celle de l’humanité ? Ce serait oublier qu’en même temps que ce modèle des cinq cent d’année dont il héritait, ses ancêtres en avaient construit un autre qu’il est également possible de quantifier. Puisque Noé naquit en 1056, et non pas en 500 de la création du monde, c’est que cet autre modèle dont il hérita fut de 556 années (1056 – 500). On est alors renvoyée au 9e jour du 7e mois 12 , veille du jour des Pardons : Au dix du septième mois, qui est le jour des Pardons, il y aura pour vous convocation sainte. […] C’est pour vous un Sabbat sabbatique : vous vous humilierez, le neuf du mois au soir, depuis le soir jusqu’au soir vous sabbatiserez votre Sabbat. (Lévitique 23, 27-32)
Comme le modèle des 500 ans, ce second modèle conduit donc bien Noé au seuil d’une ère nouvelle. Mais alors que le modèle des 500 l’y aurait introduit par anticipation, le modèle qui conduit au jour des Pardons reporte cette entrée à la fin de son histoire terrestre. Noé doit choisir entre le modèle intelligible (500) et sa réalisation dans un monde sensible soumis au rythme jubilaire. Aussi, après avoir fait le choix d’exister dans l’intelligible, fait-il celui d’engendrer. En décidant d’engendrer une onzième génération, celle de Sem, Cham et Japhet, qui feront sortir l’humanité de la décade intelligible, Noé fait donc le choix d’entrer dans le monde terrestre. Ce qui se réalisera au terme de sa traversée du Déluge. Lamekh et Métouchélah mourront en effet avant le Déluge, alors que Noé survivra : Noé vécut trois cent cinquante ans après le Déluge. Le total des jours de Noé fut de neuf cent cinquante ans et il mourut. (Genèse 9,28-29)
Il mourut à 950 ans ! 50 années lui manquèrent pour atteindre le millénaire, comme il en avait manqué 70 à Adam (§ 147). Ces manques cumulés (70 + 50 = 120) devront être comblés par l’humanité postdiluvienne. Le manque d’Adam sera compensé par l’engendrement des 70 peuples qui constitueront la lignée séthite d’après le Déluge. Quant au manque de Noé, il le sera par l’histoire postdiluvienne et ses Jubilés. Les peuples (70) parcourront l’histoire au rythme jubilaire (+ 49) jusqu’à ce que les conditions d’une entrée réussie soient remplies et mette fin au cycle des jubilés (+1 = 120).
(5, 28). Les quatre autres patriarches vécurent moins de cent ans avant d’engendrer (§ 146, tableau 42). 12. 556 = 364 + 182 + 1 + 9 = 9e jour du 7e mois solaire.
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LE LIVRE DES GÉNÉALOGIES D’ADAM
§ 159 Le plan de l’histoire universelle révélé par les nombres Bien qu’une partie seulement des données numériques du Livre des généalogies d’Adam ait été prise en considération, bien que leur interprétation n’ait été encore qu’esquissée, les faits exposés suffisent, me semble-t-il, à démontrer de façon définitive que l’histoire biblique a bien été construite par Siméon en fonction d’un modèle arithmologique que le texte hébreu actuel a conservé intact. Ce modèle est l’algorithme de l’année solaire parfaite en fonction duquel le récit de création a été structuré et à partir duquel tous les nombres de la Bible, aussi bien visibles que cachés, doivent, sous bénéfice de vérification, pouvoir être interprétés. Tableau 45 Les dix premiers acteurs de l’histoire universelle Le modèle intégral de l’histoire l
Adam
du début ()א
2
Seth
à la fin ()ת
Le modèle de tripartition des fonctions 3
Énoch
Le Peuple
4
Caïnan
La Royauté
5
Mahalalel
Le Sacerdoce
La réalisation du modèle jusqu’à la reconstruction du Temple 6
Yèrèd
L’histoire postdiluvienne jusqu’à la reconstruction du Temple
7
Hénokh
Une histoire sacerdotale exemplaire interrompue par l’enlèvement d’Hénokh (et de Moïse)
La réalisation du modèle à travers l’histoire du nouveau Temple 8
Métouchélah
Le sacerdoce postexilique
9
Lamekh
La royauté postexilique
10
Noé
Le nouveau Seth
Cependant, si l’arithmologie balise les itinéraires que doit suivre l’initié dans sa quête du sens allégorique, elle ne lui apporte pas, à elle seule, les solutions. Elle l’oriente seulement, mais de façon sûre, vers les textes qui racontent la réalisation du modèle antédiluvien, des textes intentionnellement dispersés dans l’ensemble du corpus et dont le sens ne lui apparaîtra que s’il applique les règles de la lecture littérale. L’arithmologie n’est donc pas une fin en soi, un gadget qui dispenserait de la lecture littérale des textes et servirait de tremplin à des élucubrations sans fondement dans l’Écriture, elle est seulement un tremplin vers cette lecture littérale. C’est dire que l’interprétation des nombres proposée dans les précédents cha-
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pitres ne vaut que ce que vaut la lecture littérale que j’ai tentée de faire des textes. Il est en conséquence prudent d’accueillir le détail de ces résultats avec réserve dans la mesure où ils ne reflètent que le stade encore embryonnaire d’une enquête en perpétuelle évolution. Il est cependant déjà possible de dresser une liste des paradigmes principaux retenus par Siméon pour structurer l’histoire. Le premier est le principe de tripartition, qui se conjugue de multiples façons et à de multiples niveaux – notions, personnages, chronologie, généalogies etc. – mais dont l’illustration majeure est l’organisation systématique de l’histoire ellemême autour de trois fonctions – le peuple, la royauté et le sacerdoce. Cette histoire s’organise par ailleurs de part et d’autre d’un axe de symétrie, le Déluge. Il est le lieu de médiation entre le modèle intelligible dont la description vient d’être esquissée et sa réalisation dans le monde sensible rapportée dans les généalogies postdiluviennes. Ce passage du modèle à la réalisation se fait comme à travers un miroir. La traversée du Déluge s’accompagne en effet d’un phénomène d’inversion, mais d’une inversion provisoire qui cessera lorsque la réalisation sera parfaite. La fabrication de la terre et des cieux a pour but de réaliser dans le monde terrestre une nouvelle création des cieux et de la terre. Ce passage du modèle à la réalisation se produit au moment de la sortie de la décade. La dixième génération (Noé) est engendrée dans le modèle et la onzième (celle des fils de Noé) engendre dans le monde sensible. En plus du phénomène d’inversion qu’elle induit, cette sortie s’accompagne également du passage de l’unité à la multiplicité. Alors que les générations séthites antédiluviennes se succédaient de père en fils unique, elles se divisent après le Déluge en fonction du principe de tripartition. Alors que les années étaient simples avant le Déluge, elles cèdent la place à un triple calendrier, solaire, luni-solaire et lunaire. Mais cet éclatement de l’Un dans la tripartition n’est qu’une phase transitoire qui prépare le retour à l’Un. Ces paradigmes, dans leur ensemble, témoignent de l’adhésion de Siméon à des thèses enseignées à la période hellénistique par les philosophes, mais d’une adhésion dont les raisons profondes et les implications ne doivent être connues que des seuls initiés. À la différence du Babylonien Bérose et de l’Égyptien Manéthon qui, un siècle auparavant, avaient écrit en grec et pour les Grecs, l’histoire de leur peuple, Siméon choisit de l’écrire en hébreu, une langue accessible aux seuls lettrés du Temple de Jérusalem. Son projet ne vise donc pas en premier lieu à faire connaître aux Grecs l’histoire passée du peuple judéen, mais à démontrer aux lettrés du Temple que l’hellénisation de la Judée par les fils de Japhet s’inscrit dans un plan divin arrêté dès les origines. Il reste à découvrir quelle est la place que le Très-Haut a réservée aux Grecs dans ce plan.
Chapitre 20
L ES FILS DE L’ÉLOHIM ET LES FILLES DE L’A DAM FAÇONNÉ § 160 Un fragment sur les anges séduits Quatre passages de la Genèse – la description des arbres et des fleuves du Paradis (Genèse 2, 8-14), le fragment sur les anges séduits (Genèse 5, 32-6, 4), l’ivresse de Noé (Genèse 9, 20-27) et l’épisode de la Tour de Babel (Genèse 11, 1-9) – sont généralement considérés par la critique biblique comme des pièces rapportées. Elles auraient été insérées dans le récit par le dernier rédacteur « au IV e siècle, peut-être encore tout au début du III e siècle » avant notre ère, c’est-à-dire une quarantaine d’années après la conquête de l’Orient par Alexandre le Grand. Cette datation tardive, qui constitue une entorse à la thèse de la rédaction de la Torah à la période perse, est justifiée par le fait qu’aucun de ces récits n’a de parallèle dans la mythographie proche orientale ancienne, mais surtout, bien que cela soit dit en termes prudents, parce qu’une influence grecque est perceptible pour deux d’entre eux au moins. « Le motif de l’arbre de vie fait intervenir le thème de l’immortalité (toute hypothétique qu’elle soit), peut-être aux prises avec des théories gréco-phéniciennes sur l’immortalité de l’âme humaine ». Quant au « fragment sur les anges séduits, il rejoint cette même préoccupation (d’immortalité) et y ajoute la notion des générations intermédiaires des Géants et des Héros, connue dès la Théogonie et le Catalogue des femmes attribués à Hésiode et maintes fois répétée depuis par les auteurs grecs et hellénistes 1 ». Les traductions actuelles projettent généralement sur le texte hébreu du « fragment des anges séduits » le sens retenu par la Septante, ce qui explique que la traduction d’Édouard Dhorme, bien que faite sur l’hébreu, s’accorde dans l’ensemble avec le grec. Les scénarios des deux versions seraient identiques. Les fils de Dieu – identifiés par la tradition à des anges – s’étant laissé séduire par la beauté des filles des hommes, en auraient choisi comme épouses et des Géants (gigantes), ou des Héros (giborim), seraient nés de cette union contre nature. À la suite de quoi, Yahvéh aurait décidé de punir l’humanité en limitant la durée de la vie humaine à cent 1. RÖMER T. – MACCHI J.-D. – NIHAN C. (éd.), Introduction à l ’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 2004,, p. 124-125.
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LE LIVRE DES GÉNÉALOGIES D’ADAM
vingt ans, reportant ainsi sur l’humanité entière la faute commise par ces femmes séductrices. Septante (Traduction de Marguerite Harl)
Hébreu (Traduction d’Édouard Dhorme)
Et Noé était âgé de cinq cents ans et il engendra trois fils, Sem, Cham, Japhet (LXX Genèse 5, 32).
Noé était âgé de cinq cents ans et Noé engendra Sem, Cham et Japhet (Genèse 5, 32).
Et il arriva, lorsque les hommes commencèrent à être nombreux sur la terre, que des filles leur naquirent. Or, apercevant les filles des hommes, les fils de Dieu virent qu’elles étaient belles et ils prirent pour eux des femmes parmi toutes celles qu’ils avaient choisies. Et le Seigneur Dieu dit : « Mon esprit ne restera pas en ces hommes pour toujours, parce qu’ils sont des chairs, mais leurs jours seront de cent vingt ans ». Or les géants étaient sur la terre en ces jours-là ; et après cela, quand les fils de Dieu s’approchaient des filles des hommes et qu’ils engendraient pour eux-mêmes, c’étaient là les géants du temps passé, les hommes fameux 2 . (LXX Genèse 6, 1-4)
Quand les hommes commencèrent à se multiplier à la surface du sol et que des filles leur naquirent, il advint que les fils d’Élohim s’aperçurent que les filles des hommes étaient belles. Ils prirent donc pour eux des femmes parmi toutes celles qu’ils avaient élues. Alors Yahvéh dit : « Mon esprit ne restera pas toujours dans l’homme, car il est encore chair. Ses jours seront de cent vingt ans ». En ces jours-là il y avait des géants sur la terre et même après cela : quand les fils d’Élohim venaient vers les filles des hommes et qu’elles enfantaient d’eux, c’étaient les héros qui furent jadis des hommes de renom. (Genèse 6, 1-4)
Lu de cette façon, ce fragment fait effectivement figure d’ajout, inséré là sans précaution, sans que son auteur se soit rendu compte qu’il battait en brèche l’autorité divine. Les patriarches postdiluviens, même les plus fidèles, continueront en effet à vivre bien au-delà de la limite des 120 ans. Sem vivra 600 années (Genèse 11, 10-11), Abraham 175 (Genèse 25, 7) et Moïse sera en fait le seul à respecter scrupuleusement la règle et à mourir à l’âge de 120 ans. Pour éliminer cette contradiction, mais sans toucher au texte, des commentateurs ingénieux supposèrent que la condamnation avait été prononcée 120 ans avant le Déluge et qu’elle ne concernait par conséquent que les humains qui devaient périr 120 ans plus tard, engloutis dans les eaux du cataclysme et nullement l’humanité postdiluvienne 3. 2. Dans le texte hébreu, le récit de naissance des fils de Noé et l’épisode des anges séduits constituent un paragraphe unique. Il existe donc un lien de cause à effet entre les deux événements, fait qui a été occulté lors de la division du texte en chapitres. 3. On trouve cette réinterprétation dans un manuscrit de la mer Morte : « L’an quatre cent quatre-vingt de la vie de Noé, leur fin survint pour Noé. Dieu (’élohim) avait dit : “Mon Esprit ne séjournera pas indéfiniment dans l’homme”. Leurs jours se limiteront à cent vingt ans jusqu’au temps des eaux du Déluge. » (dans La
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La traduction de cet épisode en fonction des règles de la lecture littérale fait disparaître cette contradiction et montre surtout que ce « fragment sur les anges séduits », bien loin d’être une pièce rapportée, s’inscrit parfaitement dans la continuité de l’histoire biblique et en constitue même un moment décisif. En voici un essai de traduction littérale : Et Noé exista (comme) fils-bâtisseur de cinq cents d’année Et Noé engendra le modèle de Sem, (qui est aussi le) modèle de Cham et le modèle de Japhet Et (Japhet) exista : car (conformément à mon plan) l ’Adam (façonné) avait réalisé (le modèle) en vue de rendre nombreuse la montée des faces du sol. et (parce que, en conséquence,) des filles-bâtisseuses avaient été engendrées en vue (des fils de Noé). Et les fils-bâtisseurs de l ’Élohim virent le modèle des filles-bâtisseuses de l ’Adam (façonné) car (conformément à mon plan) elles (sont) bonnes Et ils prirent pour eux des femmes en provenance de la part qu’ils avaient choisie Et Yahvéh dit : Mon esprit (qui est) dans (l ’)Adam (terrestre) en vue du monde (présent) ne jugera pas : pendant que (les fils de l ’Élohim) pèchent (par ignorance) celui-ci (l ’esprit) est chair et les jours de cette (incarnation de l ’esprit aur)ont existé (pendant) cent et vingt année(s avant qu’il ne juge) : (C’est dire que) les Tombés ont existé dans la terre pendant ces (cent-vingt) jours et (que c’est) en complément qu’après (le jubilé) les fils-bâtisseurs de l ’Élohim viendront vers les filles-bâtisseuses de l ’Adam (façonné) et ils (aur)ont (auparavant) engendrés eux-mêmes pour eux-mêmes des héros qui provenant du monde (intelligible sont) les hommes du Nom. (Genèse 5, 32-6, 4)
Jusqu’ici nous n’avions fait qu’effleurer la lecture littérale, occupés que nous étions à vérifier avant tout la structure arithmologique des généalogies bibliques. Le moment est maintenant venu de dépasser cette géométrie qui n’était qu’une propédeutique, de franchir le seuil du sens allégorique Bibliothèque de Qumrân, 1, 4Q252, Paris, Le Cerf, 2008 p. 301-302) Le Déluge étant daté de l’an 600 de la vie de Noé, l’annonce aurait été faite en 480 de sa vie, donc 120 ans avant le Déluge. L’auteur de cette exégèse, qui écrit un siècle environ après la mort de Siméon, ne reconnaît donc pas la règle d’intangibilité de l’Écriture et semble même ignorer l’importance du choix des noms divins puisqu’il attribue à Dieu (Élohim) une annonce qui, dans le texte hébreu, est faite par Yahvéh. Ce document provient donc d’un groupe religieux qui a renoncé à la lecture littérale enseignée par Siméon ou qui l’ignore.
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de l’Écriture et d’entreprendre un déchiffrement sommaire, mais systématique, du texte lui-même en commentant chacun de ses énoncés dans l’ordre. § 161 Et (Japhet) exista Et Noé exista (comme) fils-bâtisseur de cinq cents (d)’année Et Noé engendra le modèle de Sem (qui est aussi) le modèle de Cham et le modèle de Japhet Et (le modèle de Japhet) exista. (Genèse 5, 32-6, 1)
Nous avions quitté Noé au moment où, à l’âge de cinq cents ans, il avait hérité des modèles construits par cinq de ses ancêtres : Adam, Seth, Yèrèd, Métouchélah et Lamekh. Il avait, de ce fait, acquis une parfaite connaissance de l’histoire de l’humanité, du ’alèf d’Adam à taw de Seth ainsi que des trois fonctions qui devaient présider cette histoire et que représentaient les trois derniers patriarches antédiluviens (§ 158). Noé aurait pu transmettre à ses fils cet héritage symbolisé par le nombre 364 des Généalogies des cieux et de la terre (§ 140, Tableau 38), mais il n’en fut rien. Au taw de Seth ( )שתqui construisait ce nombre 364, Noé substitua le taw de Japhet ( §( )יפת143, Tableau 40). La lignée séthite fut alors projetée dans une nouvelle année (364 + 1) et l’accomplissement du modèle séthite reporté. En engendrant une 11e génération, Noé fit sortir l’humanité de la décade et provoqua ainsi le passage du modèle à la réalisation. Et c’est à décrire ce passage que s’emploie l’épisode des « fils de l ’Élohim et des filles de l ’Adam façonné » et à expliquer par là pourquoi les Grecs, descendants de Japhet, ont été amenés à jouer un rôle de premier plan dans l’histoire postdiluvienne, particulièrement dans celle de la Judée de la période hellénistique. Tel est le sens de l’expression : Et (Japhet) exista 4 . (Genèse 6, 1)
Mais en choisissant le verbe « exister » ()ה, un verbe dont la seule lettre stable est le hé ’ ()ה, Siméon indique à l’initié que ces Grecs participent en réalité, à leur insu, à l’avènement du règne de Yahvéh, conformément à la clé d’interprétation de ce verbe révélée par Moïse : Le hé ’ (est) en vue de Yahvéh ()ה ל־יהוה. (Deutéronome 32, 6)
Ce hé ’ qui est la lettre du cinquième et dernier jour de la création initiale, signifie de plus que Japhet ne se manifestera vraiment que pendant l’ultime période de l’histoire, au moment de la réalisation définitive 4. Une affirmation réservée aux initiés, car le nom de Japhet doit être restitué à partir de l’antécédent le plus proche.
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de ce modèle de création. Transposée dans l’histoire judéenne, la venue des Grecs, fils de Japhet, et l’hellénisation de la Judée qu’elle provoqua, deviennent alors des signes annonciateurs de l’accomplissement définitif du plan divin. § 162 Un résumé en forme d’énigme Le rôle joué dans l’histoire postdiluvienne par la lignée de Japhet aurait été la conséquence d’un acte posé aux origines par l’Adam façonné (ha’adam), un acte mystérieux que Siméon résume en quelques mots empruntés à des paradigmes déjà décrits dans le récit de Création et les Généalogies des cieux et de la terre : Et (Japhet) exista parce que (conformément à mon plan) l ’Adam (façonné) avait commencé (à réaliser le modèle) ( )חלen vue de rendre nombreuse la montée des faces du sol. (Genèse 6, 1)
La racine stable que les traductions rendent ici par « commencer » peut garder ce sens en lecture littérale, mais à condition de préciser que ce commencement est celui de la réalisation du plan divin dans le monde sensible conformément aux lettres de cette racine ( )חל5. Ce passage de l’intelligible au sensible ayant comme corollaire le passage de l’unité à la multiplicité, il est alors logique de préciser qu’Adam réalise le projet divin en rendant l’humanité « nombreuse » ()רב. Cette initiative est conforme au deuxième commandement qu’il avait reçu lors de sa création : Fructifiez et devenez nombreux ()רב et conduisez à la plénitude le modèle de la terre. (Genèse 1, 28)
L’Adam façonné « avait commencé à devenir nombreux » en engendrant Caïn et Abel et continué en engendrant Seth et sa lignée dans le monde terrestre. C’est en effet en vue de ces engendrements qu’il avait été façonné (yaçar : )יצרavec un double penchant (yéçèr : )יצרau bien et au mal et instruit de l’usage qu’il devrait faire de cette liberté de choix qui lui était octroyée : De l ’arbre-conseiller de la connaissance (provient) bien et mal, tu ne mangeras pas de ce (mal). (Genèse 2, 17)
5. L’algorithme est construit sur le modèle de trois semaines (§ 78, tableau 7). La première est celle de la création du « modèle », la seconde qui s’achève avec le noun, la lettre jubilaire, est celle de sa réalisation par les Judéens. Replacées sur l’algorithme, les lettres de la racine חלcorrespondent aux premier ( )חet cinquième ()ל jours de la deuxième semaine, donc à une réalisation intégrale par Israël du modèle créé pendant les cinq premiers jours de la première semaine.
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Lors de leur engendrement Caïn et Abel héritèrent de cette liberté de choix et Yahvéh prit soin d’indiquer à Caïn quel était le bon choix : Si tu fais le bien, ne te relèveras-tu pas ? Mais si tu ne fais pas le bien, le péché est tapi à ta porte : son élan est vers toi, mais, toi, domine-le ! (Genèse 4, 7)
Mais, au lieu de faire le bien, Caïn se laissa dominer par son mauvais penchant et c’est ainsi qu’il fit « tomber les faces du sol », contraignant Adam à intervenir pour provoquer la « (re)montée de ces faces » (Genèse 6, 1). Lorsque l’Adam façonné avait réparti les fonctions sacerdotale et royale entre ses deux fils, Caïn avait hérité de la fonction de « serviteur du sol » (§ 136), c’est-à-dire de la fonction sacerdotale exercée par Adam dans le Jardin. Mais après que Yahvéh eut préféré l’offrande d’Abel à la sienne, Caïn se révolta et revendiqua pour lui la double fonction de « serviteur du sol » et de « gardien ». C’est alors que ses faces tombèrent ( נפל־ו: naflou) (Genèse 4, 5), des « faces » qui s’incarnèrent dans les trois rejetons de Lamekh, Yaval, Youval et Touval-Caïn, ce qui justifia le nom de « Tombés » ( נפל־ים: nefilim) qui leur sera donné dans la suite du récit (§ 170). À partir de ce moment les héritiers du penchant mauvais d’Adam dominèrent sans partage sur la terre et ne manifestèrent qu’une connaissance éclatée et inversée du modèle contemplé par Adam dans le Jardin. Ils pervertirent ainsi l’humanité : Le mal de l ’Adam (façonné qui est) dans la terre est nombreux Et le penchant ( )יצרdes pensées de son cœur (est) seulement (le) mal. (Genèse 6, 5)
Afin de contrer cette domination du mal, Adam engendra alors dans le monde terrestre la lignée de Seth – à laquelle appartient Japhet – en lui fixant pour objectif de provoquer la (re)montée de ces faces du sol que la lignée caïnite avait fait descendre. C’est à expliquer les enjeux de cette histoire et ses péripéties que « le fragment sur les anges déchus » va s’employer. § 163 Les filles de l’Adam façonné En plus de ces caïnites représentés par les fils de Lamekh et de ces séthites représentés par les fils de Noé, Siméon met en scène un troisième groupe, celui de « filles de l ’Adam façonné » qui auraient été engendrées en vue des fils de Noé, afin de les aider, semble-t-il, à réaliser « cette montée des faces du sol ». L’ Adam (façonné) avait commencé (à réaliser le modèle) en vue de rendre nombreuse la montée des faces du sol et des filles-bâtisseuses avaient été engendrées en vue de ceux-ci (les fils de Noé).
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Qui sont ces « filles-bâtisseuses » ? Elles doivent logiquement s’identifier à des personnages féminins de l’histoire passée. Cependant, bien que quatre femmes aient été mises en scène dans les Généalogies des cieux et de la terre, aucune d’entre elles n’appartient à la catégorie des « filles » (benot). Ève est « l’épouse » (’ichah) de l’Adam façonné, Adah et Cillah, les « femmes » (nachim) de Lamekh, et Naamah, la « sœur » (’ahot) de Touval-Caïn. Ces « filles de l ’Adam façonné » ne pouvant s’identifier à aucune d’entre elles, on doit alors les identifier avec ces « filles » anonymes qu’engendrèrent les neuf patriarches séthites après avoir atteint la dernière année de leur vie : Et furent les jours d’Adam (le terrestre) après avoir engendré le modèle de Seth (au nombre de) huit cents année(s) Et il engendra (ensuite) des fils-bâtisseurs et des filles-bâtisseuses. (Genèse 5, 4)
Une telle identification fait cependant problème, car les filles qui viennent d’être citées sont celles de l’Adam terrestre ( )אדםet non de l’Adam façonnée ( ! )ה־אדםÀ l’examen cependant, cette objection ne vaut que pour sept d’entre elles, mais pas pour les filles d’Hénokh et de Lamekh, car, comme on l’a vu, ces deux patriarches furent d’abord engendrés dans la lignée caïnite de l’Adam façonné avant de se réincarner dans celle de Seth. À ce titre, les filles d’Hénokh et de Lamekh, et elles seules, peuvent donc revendiquer le titre de « filles de l ’Adam façonné ». Ce point étant établi, leur rôle doit alors être de révéler aux « fils de l ’Élohim » le modèle des institutions sacerdotale et royale qu’incarnaient Hénokh et Lamekh, une révélation rendue nécessaire car au moment où se place l’action, à la veille du Déluge (en 1656), ceux qui avaient incarné les modèles sacerdotaux et royaux authentiques ne sont plus en état de le faire. Hénokh le prêtre-roi « a été pris par Élohim » (§ 146, Tableau 42) et Lamekh est mort en 1651, après avoir engendré, à la septième génération, les contrefaçons du modèle royal que sont Yaval, Youval et Touval-Caïn. Ces filles-bâtisseuses qui appartiennent à la fois aux lignées caïnite et séthite sont donc en situation d’intervenir auprès des deux lignées masculines pour les attirer vers le mal ou vers le bien. § 164 Les fils de l’Élohim Et les fils-bâtisseurs de l ’Élohim virent le modèle des filles-bâtisseuses de l ’Adam (façonné).
Qui sont ces « fils de l ’Élohim » ? L’emploi du nom d’Élohim avec l’article ( )ה־אלהיםrenvoie en premier lieu à Hénokh qui parcourut « (jusqu’au taw) le modèle de l ’Élohim » après sa réincarnation dans la lignée séthite. Il fit en réalité deux fois le voyage, une première fois, à l’âge
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de 65 ans, après avoir engendré Métouchélah, une seconde fois après avoir atteint l’âge de 365 ans (§ 154). Les fils de l’Élohim appartiennent donc à la lignée séthite et doivent, de plus, être les dépositaires d’une connaissance comparable à celle du roi-prêtre Hénokh. Leur identification avec les descendants d’Hénokh que sont Sem, Cham et Japhet, s’impose alors et cela d’autant plus que Noé, comme Hénokh avant lui, eut le privilège de « parcourir (jusqu’au taw) le modèle de l ’Élohim » avant de les engendrer. Noé a(vait) parcouru jusqu’au taw le modèle de l ’Élohim Et Noé engendra (ensuite) trois fils-bâtisseurs. (Genèse 6, 9-10)
Les acteurs du drame sont maintenant identifiés. Ils se répartissent en trois groupes conformément au modèle de la tripartition. D’un côté de la scène se trouvent des caïnites et de l’autre des séthites et, au centre, en situation de médiation, ces « filles de l ’Adam façonnée » qui furent engendrées dans la lignée séthite par deux patriarches venus de la lignée caïnite. On entrevoit alors l’enjeu. Si « les fils de l ’Élohim » s’unissent aux « filles de l ’Adam façonné » ils apprendront d’elles les modèles véritables de la royauté et du sacerdoce ; dans le cas contraire, ils en seront réduits à reproduire les modèles contrefaits dont les trois fils de Lamekh se sont faits les champions 6. § 165 Les fils de l’Élohim préférèrent les femmes aux filles Le rideau se lève au moment où les filles d’Hénokh et de Lamekh se manifestent aux fils de Noé dans une vision. Et les fils-bâtisseurs de l ’Élohim virent le modèle des filles-bâtisseuses de l ’Adam (façonné) car (conformément à mon plan elles sont) bonnes, celles-là ()הנה.
D’emblée, le scénario de la lecture traditionnelle se sépare, de façon décisive, de celui de la lecture littérale. Contrairement à ce que la Septante et les traductions modernes laissent entendre, ces filles-bâtisseuses 6. Le troisième fils de Lamekh, Touval-Caïn, personnage au nom double, doit de ce fait correspondre à un double modèle. Sous le nom de Touval, il est – comme ses frères Yaval et Youval – le champion d’un modèle de royauté contrefait, celui que retiendront les Philistins. Mais il est aussi un nouveau Caïn et, à ce titre, exerce, comme son père, la fonction de « serviteur du sol » (Genèse 4, 2), la fonction sacerdotale. Les thèmes de la royauté et du sacerdoce sont évidemment complémentaires mais leur enchevêtrement est si complexe qu’il est impossible d’en faire la synthèse dans cette étude. Si le modèle royal y a été privilégié, c’est parce qu’il peut être reconstitué à partir de généalogies qui parcourent l’intégralité de l’histoire biblique. Le modèle sacerdotal est à l’inverse fondé sur une rupture généalogique dont le but est probablement de justifier l’irruption de la lignée sacerdotale des Oniades dans l’histoire de la Judée de la période hellénistique.
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que contemplent les fils de Noé ne sont pas « belles » (yafot), d’une beauté perverse, mais « bonnes » (tovot). En les contemplant, c’est donc le Bien, but ultime de toute connaissance, que les fils de Noé contemplent en elles. Ce qu’elles leur proposent c’est de faire un choix conforme au commandement de Yahvéh-Élohim et de préférer les modèles authentiques de la royauté et du sacerdoce, aux modèles contrefaits qu’incarnent les trois rejetons de Lamekh. Mais les fils de Noé refusèrent de venir vers les « filles de l ’Adam façonné » et préférèrent « prendre des femmes ». Et ils prirent pour eux des femmes (issues) de la partie qu’ils avaient choisie.
La lecture traditionnelle identifie les « filles » (benot) aux « femmes » (nachim) en plus de maquiller la « bonté » des premières en une beauté trompeuse. Pour la lecture littérale il en va tout autrement. La faute des fils de Noé fut de préférer « prendre des femmes » plutôt que de contempler les « filles de l ’Adam façonné ». Le titre de « femmes » (nachim) étant réservé à Adah et Cillah, les « deux femmes prises » par Lamekh (§ 143), les fils de Noé choisissent donc d’imiter ce roi révolté en « prenant » à leur tour pour modèle ces « femmes » qui avaient engendré Yaval, Youval et Touval-Caïn. Du fait de ce choix les fils de Noé renoncèrent à la vision du bien et décidèrent d’entrer dans le monde sensible en compagnie des « femmes qu’ils avaient choisies ». Et Noé vint – et ses fils et son épouse et les femmes de ses fils (sont) avec lui – vers l ’arche. (Genèse 7, 7)
§ 166 Deux femmes pour trois fils Le choix de ces femmes posait un problème délicat ! Elles étaient deux, ils étaient trois. Pour découvrir les préférences de chacun, il faut revenir une fois encore au Livre des généalogies d’Adam (§ 139) et aux fonctions respectives des rejetons d’Adah et de Cillah. Comme on l’a vu, les deux enfants d’Adah – Yaval et Youval – seront destinés à la lignée de Sem d’où naîtront Jacob et les douze tribus d’Israël : Yaval, celui qui « habite une tente », servira de modèle au royaume dissident d’Israël qui, à la mort de Salomon, se sépara de celui de Juda au cri de « à tes tentes, Israël ! » (1 Rois 12, 16 et 2 Rois 13, 5) ; Youval, le « joueur de lyre », servira, quant à lui, de modèle de la lignée de Juda dont le fondateur, David, fut le seul joueur de la lyre de toute l’histoire biblique (1 Samuel 16, 16). Adah, la mère de Yaval et Youval fut donc choisie par Sem en vue des lignées de Juda et d’Israël. Le fils de Cillah, Touval-Caïn, passé maître dans l’art d’aiguiser les objets métalliques, préfigurera quant à lui le modèle des rois étrangers et
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particulièrement celui de ces Philistins venus d’Égypte qui revendiqueront le monopole du métier de rémouleur (1 Samuel 13, 19-20). Pour le lecteur de la période hellénistique qu’était Ben Sira, l’identification de ces Philistins avec les occupants grecs venus d’Égypte allait de soi 7 et, par voie de conséquence, Cillah ne pouvait avoir été « choisie » que par Japhet. Quant à Cham, tout choix lui fut interdit suite à la malédiction dont Noé frappa son fils, lorsqu’il s’éveilla de son ivresse au lendemain du Déluge. Et il dit : Maudit (est) Canaan (fils de Cham) : (en tant que) serviteur des serviteurs il existera en vue de ses frères Et il dit : Béni (est) Yahvéh le Dieu de Sem et Canaan existera (en tant que) serviteur en vue de ce qui provient de lui (Yahvéh) (C’est dire que Canaan) dilatera Élohim en vue de Japhet et (que Japhet) s’installera dans les tentes de Sem et (que) Canaan existera (en tant que) serviteur en vue de ce qui provient de lui (Japhet) (Genèse 9, 25-27)
On ne retiendra de cette prophétie que le titre de « serviteur » qui est donné à Canaan. À la différence de ses frères qui se feront les propagateurs des modèles royaux de Yaval et Youval, Canaan exercera, sous l’influence de Touval-Caïn, une double fonction, royale et sacerdotale. Il sera « le serviteur ( )עבדdes serviteurs » et exercera un sacerdoce de second plan, mais au service du sacerdoce de ses deux frères. Ce que Noé prophétise en « s’éveillant de son vin » ce n’est rien moins que l’histoire universelle du sacerdoce. On s’en tiendra là bien que le lien entre fonctions royale et sacerdotale ait été seulement esquissé. Revenons maintenant à l’arithmologie. Elle est là pour confirmer que le modèle qui vient d’être décrit imparfaitement est effectivement valide.
7. À la différence des autres descendants de Noé, les Philistins ne sont directement rattachés à aucun des fils de Noé. Le texte précise seulement que Miçraïm, fils de Cham, engendra « les Kaslouhim d’où sont sortis les Philistins » (Genèse 10, 13-14), ce qui n’implique pas de lien généalogique nécessaire entre les Philistins et l’Égypte, mais seulement leur présence dans ce pays. On peut y voir une invitation à établir un parallèle avec les rois grecs de la période hellénistique qui, comme les Philistins du modèle biblique, envahirent la Judée en venant d’Égypte, mais sans être eux-mêmes Égyptiens. Le titre de Tyran (sèrèn = turanos) que Siméon donne aux princes des Philistins, suggère également leur rattachement aux institutions de la Grèce. Ben Sira identifiera les occupants grecs avec les Philistins (Ecclésiastique 50, 25-26), un surnom qui sera par la suite donné à tous les occupants de la Judée.
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Tableau 46 Les fils d’Élohim et leurs femmes Fils de Noé
Femmes de Lamekh
Total
Sem
שם
13
Adah
עדה
11
24
Cham
חם
7
Adah et Cillah
עדה + צלה
11 + 14
32
Japhet
יפת
7
Cillah
צלה
14
21
50
77
27
Le nombre que construisent les fils de Noé en « choisissant » les femmes de Lamekh est 77 (Tableau 46), nombre qui avait effectivement été annoncé par le Très-Haut lors de la naissance des enfants de Lamekh : : Adah et Cillah entendez ma voix (au temps du Jubilé) : femmes de Lamekh écoutez ma parole car (conformément à mon plan) j’ai assassiné un époux en vue de ma blessure et un engendré en vue de ma meurtrissure Car (conformément à mon plan) Caïn sera maintenu debout trois fois sept et Lamekh soixante dix et sept. (Genèse 4, 23-24)
Ce nombre 77 qui mesure la durée de domination des rois que Yahvéh n’aura pas choisis est aussi celui que construiront les généalogies royales au cours des quatre périodes de l’histoire (§ 127, Tableau 31). § 167 Les choix des fils de Noé et le choix de Yahvéh Si l’histoire marche inéluctablement vers l’accomplissement du plan divin, les choix opérés par les fils de Noé sont en mesure d’en retarder la réalisation à défaut de pouvoir l’empêcher. Leur choix néfaste sera en effet imité par d’autres personnages de l’histoire postdiluvienne sur lesquels Siméon attire l’attention par le biais du verbe « choisir » ( בחר: bahar). Ce verbe, qui apparaît pour la première fois au moment du choix des femmes par les fils de Noé, – « Et ils prirent pour eux des femmes (issues) de la part qu’ils avaient choisie ( – » )בחרa déjà été rencontré lors de l’analyse de la lettre d’Aristée dont le scénario était calqué, de façon parodique, sur le modèle du « Roi que choisira ( )בחרYahvéh ». Ce Roi idéal, on s’en souvient, devait éviter le triple piège dans lequel tombera l’humanité devenue nombreuse ( )רב: Il ne rendra pas nombreux ( )רבpour lui-(même) des chevaux […] Et il ne rendra pas nombreux ( )רבpour lui-(même) des femmes […] Et (de l ’) or et (de l ’) argent il ne rendra pas nombreux ( )רבpour lui-(même) […]. (Deutéronome 17, 16-17)
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C’est en refusant de « rendre nombreux ( )רבchevaux, femmes et or-etargent » que le Roi que choisira Yahvéh conduira l’humanité vers cette plénitude vers laquelle elle doit tendre. Pour retracer les étapes de l’histoire de cette royauté pervertie qui dominera l’humanité jusqu’à ce qu’apparaisse ce Roi idéal, il suffit de lire, dans l’ordre, les premières occurrences du verbe choisir. Comme il se doit, cette histoire est organisée sur le modèle de la tripartition. Les premiers à faire un mauvais choix furent donc les fils de Noé qui choisirent ( )בחרles femmes de Lamekh au lieu des filles de l’Adam façonné. De ce fait, ils se placèrent sous la domination d’un modèle contrefait de royauté dont la première manifestation postdiluvienne fut la fondation par Nemrod de la première royauté terrestre dont la capitale fut Babel 8. Suivant l’exemple des fils de Noé, Lot, le neveu d’Abram, décida de se séparer de son oncle et « choisit » ( )בחרle « kikar du Jourdain » (Genèse 13, 11), un mot que les traducteurs ont pris l’habitude de rendre ici par « cercle », sous l’influence de la Septante, mais qui désigne partout ailleurs l’unité de poids de l’or et de l’argent, le sicle. En choisissant ce « sicle du Jourdain », dont les rois sont Béra, roi de Sodome (Be-ra‘ = associé au mal), et Bircha, roi de Gomorhe (Bi-rcha‘ = associé au péché), Lot choisit l’or et l’argent et par le fait même un modèle de royauté contrefait qu’il transmettra à ses descendants, les rois de Moab et d’Amon (Genèse 19, 30-38). Le troisième choix néfaste fut celui des « chevaux » ( )סוסque fit le roi d’Égypte. Après avoir laissé Moïse et les fils d’Israël s’enfuir, Pharaon 8. Les modèles royaux contrefaits sont symbolisés par Yaval ()י־בל, Youval (יו־ )בלet Touval-Caïn ()תו־בל, personnages dont la racine ( בלbal) constitue le dénominateur commun. Cette racine est traditionnellement associée à la notion de confusion, notion complexe qui symbolise la situation de l’humanité dispersée après l’épisode de la tour de Babel. La clé d’interprétation de cette racine בלest donnée immédiatement après l’épisode étudié ici : « Yahvéh vit que la malice de l’homme sur la terre était grande et que tout l’objet des pensées de son cœur ( )לבn’était toujours que le mal. » (Genèse 6, 5) Ce que l’on nomme confusion ( )בלn’est en fait que l’image inversée du cœur ()לב, siège des pensées de l’homme, une inversion liée au passage de l’intelligible au sensible et qui, s’accompagnant de tripartition, sera à l’origine de discours multiples et contradictoires, donc mauvais. Alors qu’Abel ( )ה־בלpréfigurait la synthèse de tous ces discours éclatés et contradictoires, son assassinat a conduit la lignée caïnite à lui substituer le triple modèle de confusion représenté par Yaval ()י־בל, Youval ( )יו־בלet Touval ()תו־בל. Et c’est à cause de cette inversion du « cœur » ( )בל → לבque survient ce Déluge qui n’est rien d’autre que « ce qui provient de la confusion » (maboul : )מ־בולprovoquée par cette perversion de l’intelligence. Yahvéh descendra alors pour en tirer les conséquences et entérinera la confusion ( )בל־לdes langues et la dispersion des nations. C’est alors qu’apparaîtra le premier royaume contrefait, celui de Babel (( = ב־בלcelui qui est) associé à la confusion), dont le programme est inscrit dans le nom même de Nimrod, son fondateur : « Nous nous révolterons. » (Genèse 10, 8-10)
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changea d’avis, décida de les poursuivre et choisit pour cette expédition six cents chars et leurs chevaux : Il prit six cents chars choisis ( )בחורet tous les chars de l’Égypte avec des écuyers sur chacun d’eux […] Il y avait tous les chevaux ( )סוסet les chars de Pharaon, ses cavaliers et son armée. (Exode 14, 7-9)
Ces quatre royaumes projetés à l’avant de la scène par le biais du verbe choisir – Babel, Moab, Amon et l ’Égypte – ont valeur exemplaire et représentent l’ensemble des institutions royales contrefaites qui régiront les 70 nations dispersées sur la terre après le Déluge ; le nombre 70 qu’ils construisent ensemble est là pour le confirmer (Tableau 47). Tableau 47 Les choix contrefaits de royauté Les femmes
Babel
בבל
9
L’or et L’argent
Moab et Amon
מואב
15
עמון
21
Les chevaux
Égypte
מצרים
25 70
§ 168 Les deux Esprits En choisissant les femmes de Lamekh de préférence aux filles de l’Adam façonné, les fils de Noé retardèrent donc la venue du Roi idéal. Aussi Yahvéh décida-t-il d’envoyer son Esprit pour qu’il agisse à l’intérieur de ces hommes mauvais jusqu’à ce qu’ils mettent fin à leurs transgressions. Un nouveau délai fut accordé, symbolisé par le nombre 120, qui repoussa d’autant le jour du Jugement. Et Yahvéh dit : Mon esprit (qui est) dans (l ’)Adam (terrestre) en vue du monde (présent) ne jugera pas : pendant que (les fils de l ’Élohim) pèchent-par-ignorance, celui-ci (l ’Esprit est) chair Et les jours de cet (Esprit aur)ont existé (pendant) cent-vingt année(s) (avant qu’il ne juge). (Genèse 6, 3)
On lit communément dans les commentaires que le mot « esprit » ( רוח: rouah) est féminin en hébreu, alors qu’il suffit de se reporter à ses trois premières occurrences pour constater qu’il n’en est rien. La première, celle sur laquelle repose le malentendu, présente effectivement l’esprit d’Élohim en accordant le verbe au féminin :
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Et l ’esprit ( רוח: ruah) d’Élohim couve (au féminin) la montée des faces des eaux. (Genèse 1, 2)
La deuxième occurrence que les traducteurs rendent par « Ils entendirent la voix de Yahvéh-Élohim qui se promenait dans le jardin, au souffle (ruah) du jour » signifie littéralement : Et ils (l ’Adam façonné et son épouse) entendirent le modèle de la voix de Yahvéh-Élohim qui marche (jusqu’au taw) dans le jardin, en vue de l ’esprit ( )רוחdu jour (du jugement). (Genèse 3, 8)
Dans ce contexte, la construction de la phrase ne permet pas de décider du genre de l’esprit de Yahvéh-Élohim aussi doit-on lui reconnaître les deux genres, le genre féminin en tant qu’esprit d’Élohim et, par déduction, le genre masculin en tant qu’esprit de Yahvéh, ce que confirme la troisième occurrence, celle de notre texte, par laquelle Yahvéh annonce : Mon esprit (( )רוח־יqui est) dans (l ’)Adam (terrestre) en vue du monde (présent) ne jugera pas (au masculin).
Le paradigme oppose donc deux Esprits, l’Esprit féminin d’Élohim qui couve depuis les origines les eaux dispersées de la Sagesse et l’Esprit masculin de Yahvéh qui s’incarne dans l’humanité postdiluvienne jusqu’au jour du jugement. Mais bien qu’agissant séparément et par des voies différentes, l’un (Élohim) en faveur de toute l’humanité et l’autre (Yahvéh) en faveur de la part élue de cette humanité qu’est Israël, les deux marchent à travers l’histoire vers ce taw, ce jour du Jugement, où leurs deux voies seront réunifiées (Yahvéh-Élohim). En bref et de façon simplificatrice, l’Esprit est le principe qui devra guider l’humanité postdiluvienne par la raison (Élohim) et par la révélation (Yahvéh), jusqu’à ce que la synthèse de ces deux voies conduise cette humanité jusqu’au Très-Haut lui-même. Les lettres stables du mot « Esprit » ( )רחpermettent par ailleurs de préciser sa fonction. Celle-ci sera de guider l’humanité postdiluvienne pendant toute la durée de sa remontée de la terre vers les cieux, du dernier jour de travail de la troisième semaine ( )ר־au premier jour de la deuxième ()־ח. Pour préciser ce thème de l’Esprit, il faudrait soumettre à la lecture littérale l’ensemble des occurrences de Ruah. On découvrirait alors que le texte biblique hébreu de 200 avant notre ère contient déjà en substance la théologie de l’Esprit qui sera développée pendant les siècles suivants 9. Dans la Règle de la communauté (100 avant notre ère ?) découverte parmi les manuscrits de la mer Morte, ce paradigme des deux Esprits est réinterprété de façon pessimiste. L’auteur n’espère plus la réunification des 9. Cette piste d’interprétation avait été explorée par Pascale MÉCHALI, Le thème de l ’Esprit dans la Torah, Université Lyon III, 1999, dans un mémoire de maîtrise inédit.
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Esprits d’Élohim et de Yahvéh, mais voue à l’un d’entre eux et à ses sectateurs une haine éternelle : C’est Lui (le Très-Haut) qui a créé les (deux) Esprits de lumière et de ténèbres Et sur ces (deux Esprits) il a fondé toute œuvre […] L’un d’eux Dieu l’aime pour toute la durée des siècles Et en tous ses actes il se complet à jamais, L’autre, il abomine son conseil et toutes ses voies, il les hait pour toujours 10.
Pour l’auteur de la Règle, la réconciliation finale entre Élohim et Yahvéh, entre la raison et la foi, entre les Nations et Israël, est devenue impensable. § 169 Les cent vingt jours de l’Esprit de Yahvéh Le choix du nombre 120 comme mesure de la durée de l’action de l’Esprit de Yahvéh dans l’homme nous renvoie par analogie au seul autre événement qui soit associé à ce nombre, la mort de Moïse à l’âge de 120 ans. Ce nombre est en fait constitué de deux nombres complémentaires : 70 qui représente les 70 nations de l’histoire postdiluvienne et 50 qui mesure la période jubilaire pendant laquelle se déroulera cette histoire. Lorsque l’humanité entière (70), guidée par Élohim, aura parcouru l’intégralité de son histoire et qu’Israël, devenu fidèle à Yahvéh, aura enfin réussi son entrée dans le Jubilé (+ 50 = 120), alors les deux Esprits seront réunifiés. Les 120 jours de l’action de l’Esprit de Yahvéh à l’intérieur de l’homme prendront fin et celui-ci se manifestera au grand Jour, celui du Jugement. Ce schéma de l’histoire sera repris par Luc (Actes des apôtres) et appliqué à la première communauté chrétienne pour montrer que sa fondation accomplissait parfaitement les Écritures. Quarante neuf jours après la résurrection de Jésus, Pierre constate que, suite à la défection de Judas, les disciples ne sont plus que « cent vingt environ » – en fait 119 – et propose alors à la communauté de remplacer Judas en demandant au Seigneur de désigner lui-même « celui qu’il aura choisi » (Actes 1, 25). Le choix du Seigneur tombe sur Matthias (= le Don de Dieu), et, le lendemain, le cinquantième jour, celui de la Pentecôte, le nombre parfait est atteint. Les cent vingt disciples sont alors « remplis par l’Esprit » et peuvent annoncer la bonne parole aux juifs venus de toutes les nations – des 70 nations qui furent dispersées à partir de Babel – pour célébrer à Jérusalem la « fête des cinquante », la Pentecôte. La communauté chrétienne qui vient d’accom-
10. Règle de la Communauté 3, 25-4, 1, dans DUPONT-SOMMER A. – PHILONENKO M. (éd.), Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, 1987, p. 17.
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plir les Écritures et d’entrer dans le Jubilé (50), invite l’ensemble des juifs venus de la diaspora (+ 70) à se joindre à elle (= 120) 11. § 170 Dans l’attente du jour du Jugement La référence au jugement ( – )דןMon Esprit […] ne jugera pas ( – )דןa disparu de toutes les traductions et cela, une fois encore, à la suite de la Septante qui traduit : Mon esprit ne restera pas en ces hommes-ci pour toujours, parce qu’ils sont des chairs, mais leurs jours seront de cent vingt ans. (Genèse 6, 3)
Les traducteurs modernes ne font que proposer des variations sur ce thème. Dhorme traduit : « Mon esprit ne restera pas (yadon) toujours dans l’homme parce qu’il est chair », la TOB, « Mon Esprit ne dirigera pas toujours l’homme », la Bible du Rabbinat, « Mon esprit n’animera plus les hommes pendant une longue durée » et Chouraqui, « Mon souffle ne durera pas dans le glébeux (sic !) en pérennité ». Il est clair que la forme yadon a été traduite ici par chacun en fonction du seul contexte et non par référence à un champ sémantique bien défini. Et pour cause, cette occurrence que les dictionnaires classent sous la racine trilitère doun ( )דוןou din ( )דיןfait problème. Bien que la racine stable דןait partout ailleurs le sens de « juger » ou des sens dérivés, les lexicographes, et les traducteurs à leur suite, considèrent que dans le cas particulier de notre texte – et seulement dans ce cas – il s’agit d’une racine de même graphie que la racine « juger » ()דן, mais sémantiquement distincte et dont le sens ne peut être que conjecturé du fait de son attestation dans ce seul passage de la Bible hébraïque. Le dictionnaire scientifique de Brown (BDB) s’appuie sur l’autorité de traductions anciennes, de celle des Septante principalement, pour proposer le sens de « demeurer, habiter » mais propose aussi d’éliminer le problème en suggérant qu’un scribe a lu à tort yadon ( )ידוןalors que le modèle qu’il recopiait aurait eu yalin ()ילין, un verbe qui signifie d’abord « passer la nuit » et par extension, « rester, demeurer ». En conclusion, que ces explications se réfèrent à des arguments philologiques ou qu’elles reposent sur l’autorité de la tradition, elles aboutissent dans les deux cas au même résultat, l’élimination du sens de « juger », une élimination justifiée en dernière analyse par le fait qu’il paraît impensable que ce texte puisse parler de Jugement, une notion qui, comme le notait Römer, implique une réflexion théologique sur l’immortalité. § 171 Les Tombés et les Héros Après avoir annoncé la date du jugement, Siméon revient sur l’histoire des cent vingt jours qui le précéderont : 11. Voir BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 104-107.
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: (C’est dire que) les Tombés ont existé dans la terre pendant ces jours et (que c’est) en complément qu’après (le jubilé) les fils-bâtisseurs de l ’Élohim viendront vers les filles-bâtisseuses de l ’Adam (façonné) Et ils (aur)ont (auparavant) engendrés eux-mêmes pour eux-mêmes des héros qui provenant du monde (intelligible sont) les hommes du Nom.
Après avoir rétabli l’ordre des événements tel qu’il ressort de l’emploi des temps des verbes, on comprend que ces 120 ans de l’histoire postdiluvienne seront divisés en deux périodes. La première durera un jubilé (50) et prendra donc fin au moment de la destruction du premier Temple et du départ en exil. La seconde durera soixante-dix années (+ 70 = 120) et correspondra par déduction à la période exilique et postexilique jusqu’au jugement programmé pour la 120 e année. Au cours de cette histoire deux groupes joueront un rôle de premier plan, les Tombés ( נפל: nafil) et les Héros ( גבר: gibor). Les Tombés existeront dans la terre pendant ces jours. Leur lien avec le verbe tomber (= נפל 15) permet de les identifier avec les trois enfants de Lamekh qui naquirent lorsque les faces de Caïn tombèrent. On peut également préciser que les deux premiers d’entre eux séviront dans la terre pendant la durée d’un jubilé ()יבל יובל, conformément à leurs noms de Yaval ( )יבלet Youval ()יובל. Ils imposeront aux Judéens des modèles contrefaits de royauté jusqu’à ce que Yahvéh décide de mettre fin à la royauté de Juda à la 50 e génération. C’est après cette entrée manquée dans le jubilé que commencera la période de 70 ans qui devra conduire jusqu’au Jugement (50+70 = 120). Pendant cette période les Judéens, privés de rois de lignée davidique, tomberont sous la domination des rois des nations, babyloniens, perses et grecs. Et c’est pendant cette période postexilique que les Héros joueront un rôle mystérieux qui sera précisé lors de l’étude du récit du Déluge (§ 188-189). Lorsque les « Tombés » et les « Héros » auront joué leur rôle, la malédiction qui frappait l’humanité depuis que les fils de Noé avaient préféré les femmes de Lamekh aux filles de l’Adam façonné cessera. Les 120 ans de l’incarnation de l’Esprit de Yahvéh étant accomplis, « les fils-bâtisseurs de l ’Élohim viendront vers ces filles-bâtisseuses de l ’Adam (façonné) » qui incarnent le bien. Ils s’uniront à elles conformément aux lettres du verbe venir (bo’ : )ב←אqui expriment un mouvement de la dualité ( = ב2) vers l’unité ( = א1). L’histoire sera alors achevée. Le Jugement annoncé par Yahvéh avant le Déluge pourra avoir lieu. § 172 Une esquisse d’histoire des institutions royale et sacerdotale On aura au moins compris que ce texte que l’exégèse traditionnelle considérait comme une pièce rapportée occupe, tout au contraire, une place centrale, à la frontière entre un modèle antédiluvien qu’il résume et sa réalisation postdiluvienne qu’il annonce. Par la vertu de l’analogie
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verbale, 64 mots ont suffi à Siméon pour retracer l’histoire de la fonction royale, des origines jusqu’au jour du jugement, une histoire dont il a fallu reconstituer le détail à partir de données recueillies aussi bien dans les Généalogies des cieux et de la terre que dans le Livre des généalogies d’Adam. À l’origine, lorsque l’Adam façonné avec un double « penchant » était encore seul dans le jardin d’Éden, il avait cumulé les fonctions sacerdotale et royale. Comme prêtre il fut « serviteur » du sol paradisiaque, comme roi, il en fut le « gardien ». Lorsqu’il fut « envoyé » hors du jardin afin de « devenir nombreux », et de « réaliser » ainsi la deuxième étape du plan divin, il engendra Caïn et Abel, deux frères entre lesquels fut réparti équitablement l’héritage paternel. Caïn reçut le sacerdoce – il fut « serviteur du sol » – et Abel, la royauté – il fut « gardien ». Mais Caïn, cédant au penchant mauvais, malgré la mise en garde de Yahvéh, assassina l’enveloppe charnelle de son frère et revendiqua pour lui-même la fonction royale, tandis qu’Abel, le vrai roi, se trouvait provisoirement exilé hors du monde terrestre, dans l’attente d’une intervention divine qui lui rendrait sa fonction. Caïn s’attribua donc de façon indue la double fonction de roi-prêtre et, imitant son père, l’Adam façonné, répartit à son tour ces fonctions entre ses deux fils. À Hénokh revint le sacerdoce et à Irad, la royauté. Mais comme le plan divin prévoyait que cette division des pouvoirs ne durerait que jusqu’à la sixième génération, Lamekh, sixième patriarche caïnite, rendit la fonction royale au prêtre Hénokh qui devint alors Roi-prêtre, comme Adam l’avait été pendant son séjour dans le Jardin d’Éden. Ayant ainsi reconstitué le modèle original, Hénokh transmigra de la lignée caïnite à la lignée séthite et s’y réincarna à la septième génération, se manifestant ainsi aux Séthites sous les traits du Roi-prêtre véritable. La carrière séthite d’Hénokh fut mouvementée. Au terme de la première partie de sa vie il engendra Yèrèd, dont le nom-programme – Il descendra ! – annonçait déjà l’histoire postdiluvienne. Après cela il se mit à l’école de l’Élohim et, « marchant avec lui jusqu’au taw », il eut le privilège de contempler l’histoire future jusqu’au jugement. Ses études achevées, il revint sur terre et diffusa probablement sa connaissance auprès des séthites, mais pour une raison qui reste à élucider, Élohim le prit de sorte que le peuple (représenté par Yèrèd) fut privé provisoirement de ses institutions. Yèrèd confia alors à son fils Métouchélah la fonction sacerdotale. Lorsque Hénokh transmigra dans la lignée séthite, Lamekh se repentit d’avoir abandonné à celui-ci le pouvoir royal. Il prit deux femmes, Adah et Cillah, et engendra d’elles une septième génération caïnite, celle de Yaval, Youval et Touval-Caïn a qui il transmit les fonctions royale et sacerdotale qu’il exerçait de façon illégitime. Lamekh était-il de connivence avec Élohim au moment de l’enlèvement d’Hénokh ? Les analyses précédentes n’ont pas permis de le découvrir. Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’il décida de profiter de la vacance du pouvoir royal provoquée par cet enlèvement pour se réincarner à son tour dans la lignée séthite. Après l’enlèvement
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d’Hénokh, Métouchélah fils de Yèrèd, personnage de la huitième génération, avait occupé la fonction sacerdotale laissée vacante. Et c’est alors que Lamekh décida de se réincarner, à la neuvième génération, afin d’imposer aux séthites les modèles royaux qu’il avait conçus avec Adah et Cillah. Cette entreprise de subversion porta ses fruits à la onzième génération séthite, lorsque les fils de Noé préférèrent les femmes de Lamekh à ces filles de l’Adam façonné qui connaissaient les véritables modèles de royauté et de sacerdoce. En préférant les femmes aux filles, ils provoquèrent la traversée du Déluge et l’entrée dans une histoire postdiluvienne entièrement soumise à des modèles royaux et sacerdotaux contrefaits. Ignorant le modèle du roi idéal, les hommes fondèrent de multiples royaumes qui prirent le contre-pied de ce modèle en multipliant femmes, or-argent et chevaux. Mais cette situation ne durera qu’un temps. Lorsque seront accomplis les 120 ans de l’Esprit, les fils d’Israël, descendants des fils de l’Élohim, viendront vers les filles de l’Adam façonné et instruits du véritable modèle du Sacerdoce et de la Royauté, ils seront alors prêts à accueillir le Roi que choisira Yahvéh.
Septième partie
La traversée du déluge Un voyage à travers l’histoire universelle
Chapitre 21
L ES GÉNÉALOGIES DE NOÉ
DEUX SOURCES OU UNE DOUBLE HAUTEUR ? § 173 Noé, médiateur entre modèle et réalisation Alors que le récit de l ’union des fils de l ’Élohim et des filles de l ’Adam façonné, résumait l’histoire des institutions royale et sacerdotale, les généalogies de Noé vont résumer l’histoire du Peuple. Comme celle des institutions, cette histoire est organisée conformément au modèle de tripartition et nous transporte à la frontière entre modèle et réalisation, dans ce lieu précis où le modèle s’inverse, un lieu dont le présent est à la fois mémoire du passé et annonce de l’avenir. Cette inversion avait été prédite dans la dernière phrase du Livre des généalogies d’Adam. Et Noé ( )נחa trouvé (la) grâce ( )חןau moyen des yeux de Yahvéh. (Genèse 6, 8)
En traversant le Déluge, Noé ( )נחva quitter provisoirement le « repos » ( )נחdu monde intelligible pour son reflet terrestre qu’est la « grâce » ()חן. Alors que son regard était tourné vers l’Un – du 7e jour de la réalisation vers le premier ( – )נ←חil va regarder vers la fin des temps et commencer une marche qui, avec l’assistance de la « grâce » de Yahvéh, le conduira du premier jour de la réalisation postdiluvienne jusqu’au Jubilé ()ח←ן. Ce simple jeu de lettres suffit à faire comprendre que Noé est bien un personnage frontière entre deux mondes dont il a la connaissance parfaite. Il résume, à lui seul, l’histoire de l’humanité entière. Les « cinq cents d’année » qu’il a atteint avant d’engendrer ont fait de lui l’héritier de la connaissance des patriarches antédiluviens (§ 158), la « grâce » qu’il a trouvée lui garantit la connaissance intégrale de l’avenir de l’humanité postdiluvienne jusqu’au Jubilé. Dès lors la lecture littérale du récit du Déluge doit permettre à l’initié de suivre, pas à pas, le voyage de Noé à travers cette histoire universelle, lui qui, par son nombre ( נח: 8), préfigure dans l’histoire, ce que réalisera Seth ( שת: 8) lors de son retour à la fin des temps (§ 148). Il ne peut être question de proposer une lecture littérale du récit du Déluge. Un chapitre entier n’ayant pas suffi à rendre compte des 64 mots de l’histoire des fils de l ’Élohim et des filles de l ’Adam façonné, un livre entier ne suffirait pas à interpréter les 1100 mots du récit du Déluge. Une
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lecture attentive de cet épisode, même dans une traduction moderne, permet d’entrevoir la complexité du monument et surtout de comprendre que son interprétation exige la connaissance préalable de modèles décrits aussi bien dans le Récit de création que dans les Généalogies des cieux et de la terre. Les « eaux » du Déluge sont ces eaux incréées de la Sagesse que l’Esprit d’Élohim « couve » (Genèse 1, 2), celles dont l’histoire a été prophétisée dès le premier jour de la création (Genèse 1, 6-8) et que les fleuves du paradis ont pour fonction de répartir entre les nations (Genèse 2, 10-14). Les animaux qui monteront dans l’Arche renvoient aussi à une longue histoire, de leur création le quatrième jour (Genèse 1, 20-23) et de leur fabrication le cinquième (Genèse 1, 24-25), jusqu’à leur façonnage et à leur présentation à l’Adam façonné (Genèse 2, 19-20) ; des animaux surprenants, créés, façonnés et faits, comme le fut Adam lui-même. Pour une première approche littérale du récit du Déluge nous nous en tiendrons, autant que faire se peut, à la chronologie des événements. L’arithmologie remplit ici une fonction nouvelle : il ne s’agit plus de jouer avec les nombres cachés sous les noms des personnages ou d’analyser une chronologie visible mesurée en années comme dans le Livre des généalogies d’Adam, mais de replacer les dates du Déluge sur le calendrier de l’année parfaite décrit par l’algorithme, comme on note les grandes commémorations sur nos calendriers. Avec la traversée du Déluge et l’entrée dans le monde sensible, c’est le temps de l’histoire qui se met en marche avec ses jours, ses mois et ses années. § 174 Le Déluge dans l’interprétation moderne Dans son commentaire sur la Genèse 1, Gerhard Von Rad (1901-1971) disait à propos du Déluge : L’histoire biblique du déluge, telle que nous la lisons, est un entrelacement artistique des deux sources J (yahviste) et P (sacerdotale). Le rédacteur est parvenu à réunir ces deux textes d’une manière admirable, de telle sorte que les deux relations du Déluge ont été conservées pour ainsi dire intactes. Comme le récit sacerdotal était extérieurement le plus long et littérairement le plus récent, il est resté déterminant pour la forme et le contenu de tout le récit dans sa rédaction finale. C’est lui qu’il faut préférer pour comprendre l’ensemble. Mais une séparation des textes est indispensable à une analyse plus détaillée ; c’est la connaissance des caractéristiques des deux traditions 2 qui permet seule une vraie compréhension de ce récit sous sa forme actuelle3 […]. 1. VON RAD G., La Genèse (Commentaires bibliques), Genève, Labor et Fides, 1968. 2. Von Rad divise ainsi ces « traditions » : appartiendraient à la version Yahviste, Chapitre 7, 1-5, 16b, 8-10, 12, 17b, 22-23 ; Chapitre 8, 6a, 2b, 3a, 6b, 8-12,
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Si la majorité des biblistes du XXI e siècle ont pris leurs distances par rapport à cette théorie des sources, ils n’en continuent pas moins à considérer que ce récit est bien le résultat de l’enchevêtrement de deux récits antérieurs et que cette évidence suffit à elle seule à démontrer que la Bible actuelle est le résultat d’une longue histoire littéraire que Jacques Briend résume ainsi : Nous pouvons conclure que la source d’inspiration directe du texte biblique (du Déluge) ne peut être qu’une tradition mésopotamienne qui a connu diverses versions écrites au cours des siècles. Plus important est de reconnaître qu’il y a deux récits qui ont été combinés en Genèse 6-8. Le récit le plus ancien a longtemps été attribué à un document yahviste composé au dixième siècle avant notre ère. En réalité, il présente une première version d’inspiration mésopotamienne, élaborée à la fin du VIII e siècle ou même au VII e siècle avant notre ère. L’autre texte, plus récent, qualifié de sacerdotal, représente une nouvelle élaboration du même thème, offrant une autre image de Dieu, une autre perception des rapports de l’homme avec la divinité. Ce second récit a été élaboré durant la période de l’exil (VI e siècle av. J.-C.). Le texte que nous lisons dans la Genèse constitue une unité littéraire qui s’appuie sans conteste possible sur une longue mémoire mésopotamienne 4 .
Pour distinguer ces deux récits, la critique s’est fondée, dans un premier temps, sur la présence des deux acteurs divins, Yahvéh et Élohim et, une fois cette distinction posée, a reconstitué deux trames indépendantes ayant chacune sa chronologie propre. Au regard de cette analyse la source yahviste aurait fait durer le Déluge « soixante et un jours » et la source sacerdotale « un an et dix jours 5 ». Bien que la terminologie ait évolué, le découpage proposé par Von Rad reste toujours en vigueur et est repris en substance dans la nouvelle Introduction à l ’Ancien Testament publiée sous la direction de Römer, mais en des termes qui montrent sans ambiguïté que s’il existe encore un accord minimal quant à « la distinction de deux trames narratives indépendantes », les voix se font discordantes lorsqu’il faut rendre compte de la forme actuelle du texte. L’analyse des doublets, des contradictions et des tensions (du texte) a généré une « critique des sources » dont l’acquis principal reste aujourd’hui la 13b, 20 ; et à la version sacerdotale, Chapitre 6, 9-22 ; Chapitre 7, 6, 11, 13-16a, 17a, 18-21, 24 ; Chapitre 8, 1, 2a, 3b, 4, 5, 7, 13a 14-19. 3. VON RAD G., La Genèse (Commentaires bibliques), Genève, Labor et Fides, 1968, p. 116-117. 4. BRIEND J., « Le récit biblique du Déluge et les mythes mésopotamiens », dans AA.VV., Aux origines de la Bible, Paris, Bayard 2007, p. 57-64. 5. VON RAD G., La Genèse (Commentaires bibliques), Genève, Labor et Fides, 1968, p. 126.
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distinction de deux trames narratives originairement indépendantes : l’une, appelée « sacerdotale » (sigle P : textes en ’élohim en ce qui concerne Gn 1-11), que la majorité des commentateurs considèrent comme une source autonome ; une autre, pré- ou non-sacerdotale (sigle J : textes en Yhwh, sauf exceptions), qui garderait encore les traces, soit d’une source antérieure (« laïque » selon O. Eissfeldt, « nomade » d’après G. Fohrer), soit d’une rédaction postérieure (« yéhowiste »), soit encore des deux. Les sources P et J auraient été combinées en un seul développement narratif par le travail d’un rédacteur (sigle R), dont l’ampleur et la nature restent sujettes à discussion 6.
Cette hypothèse de deux sources détectables par le biais de leurs contradictions ne pouvait évidemment pas être celle des lecteurs anciens. Dans la mesure où elle postule l’existence de deux chronologies inconciliables, elle aurait remis en question la perfection de l’Écriture et par là même son origine divine. Pour un adepte de la lecture littérale, il ne pouvait s’agir que d’un récit unique à l’intérieur duquel chaque indication chronologique devait avoir une fonction spécifique et s’inscrire dans une cohérence d’ensemble parfaite, à l’image du Dieu qui l’avait conçue. Pour Jean Astruc l’emploi des noms divins de Yahvéh et d’Élohim dans le récit du Déluge était la preuve de l’existence de deux sources hétérogènes encore parfaitement discernables du fait des contradictions qu’elles introduisaient dans le récit. À partir de ces deux sources, parfaitement identifiables, il était possible de reconstituer une double chronologie du Déluge. Pour Philon d’Alexandrie au contraire, ces noms divins désignaient deux hypostases divines intervenant tour à tour dans le récit pour y exécuter un plan arrêté par le Père de l’univers. Par déduction, la chronologie des événements devait alors être unifiée et cohérente. Pour trancher entre ces thèses alternatives, il suffira donc de vérifier si cette chronologie est cohérente ou non, s’il est, ou non, possible de démontrer que chacun de ses nombres entre dans la construction d’un modèle cohérent conforme à l’algorithme. § 175 Les pièces du puzzle Pour vérifier la cohérence de la chronologie diluvienne, on analysera de façon systématique chacune des informations chiffrées sur lesquelles s’est fondée la critique pour reconstituer sa double chronologie du Déluge. Elles sont au nombre de quinze, auxquelles on doit ajouter deux données numériques étrangères à la chronologie, dont l’une fixe les dimensions de l’arche et l’autre la hauteur maximale qu’atteindront les eaux du Déluge. Les voici, 6. RÖMER T. – MACCHI J.-D. – NIHAN C. (éd.), Introduction à l ’Ancien Testament, Genève : Labor et Fides, 2004, p. 120-121.
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citées d’après la traduction de Dhorme, dans l’ordre de leur apparition avec l’indication de leur rattachement par Von Rad à l’une ou l’autre source (Y = Yahviste et S = sacerdotale). 1 (S) Élohim dit à Noé : « […] Fais-toi une arche en bois de cyprès […] tu l’asphalteras d’asphalte à l’intérieur et à l’extérieur. Voici comment tu la feras : longueur de l’arche trois cents coudées, sa largeur, cinquante coudées, sa hauteur trente coudées. » (Genèse 6, 13-15) 2 (Y) Yahvéh dit à Noé : « Entre dans l’arche, toi et toute ta maison […] car encore sept jours et je ferai pleuvoir sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits. » (Genèse 7, 1-4) 3 (S) « Noé était âgé de six cents ans quand eut lieu le Déluge, les eaux sur la terre. » (Genèse 7, 6) 4 (Y) « Et il advint, au bout de sept jours, que les eaux du Déluge furent sur la terre. » (Genèse 7, 10) 5 (S) « L’an six cent de la vie de Noé, le deuxième mois, le dix-septième jour du mois, en ce jour-là, se fendirent toutes les fontaines du grand Abîme et s’ouvrirent les écluses des cieux. » (Genèse 7, 11) 6 (Y) « Il y eut averse sur la terre quarante jours et quarante nuits. Ce jour-là même, Noé entra dans l’arche, ainsi que Sem, Cham et Japhet, fils de Noé, la femme de Noé et les trois femmes de ses fils avec eux. » (Genèse 7, 12) 7 (S) « Le Déluge dura quarante jours sur la terre. » (Genèse 7, 17) 8 (S) « Les eaux avaient grandi de quinze coudées de haut et les montagnes avaient été recouvertes. » (Genèse 7, 20) 9 (S) « Et les eaux grandirent au dessus de la terre durant cent cinquante jours. » (Genèse 7, 24) 10 (S) « Et les eaux décrurent au bout de cent cinquante jours. » (Genèse 8, 3) 11(S) « Au septième mois, au dix-septième jour du mois, l’arche se reposa sur les monts d’Ararat. » (Genèse 8, 4) 12 (S) « Les eaux allèrent en décroissant jusqu’au dixième ; au dixième mois, le premier du mois, apparurent les sommets des montagnes. » (Genèse 8, 5) 13 (Y) « Au bout de quarante jours, Noé ouvrit la fenêtre de l’arche qu’il avait faite et lâcha le corbeau... Puis il lâcha d’auprès de lui la colombe. » (Genèse 8, 6-7) 14 (Y) « Il attendit encore sept autres jours et recommença à lâcher la colombe hors de l’arche. » (Genèse 8, 10) 15 (Y) « Il attendit encore sept autres jours et lâcha la colombe, mais elle ne revint plus vers lui. » (Genèse 8, 12) 16 (S) « En l’an six cent un, au premier mois, au premier jour du mois, il advint que les eaux s’étaient desséchées de dessus la terre. » (Genèse 8, 13) 17 (S) « Au deuxième mois, le vingt-septième jour du mois, la terre était sèche […] Noé sortit donc, ainsi que ses fils, sa femme et les femmes de ses fils avec lui. » (Genèse 8, 14)
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LA TR AVERSÉE DU DÉLUGE
§ 176 Un plan conçu dans la pensée du Très-Haut Alors que le récit du Déluge ne commence qu’avec l’apparition de la première date complète : « En l’an six cent de la vie de Noé, au deuxième mois, au dix-septième jour du mois » (Genèse 7, 11), quatre données chiffrées, à première vue disparates, précèdent cette date. Ce sont les dimensions de l’Arche calculées par Élohim (Genèse 6, 13-15), l’annonce de la durée des pluies mesurée par Yahvéh (Genèse 7, 1-4), l’âge de Noé au moment du Déluge (Genèse 7, 6) et une période de sept jours (Genèse 7, 10). Ces quatre informations chiffrées ont été placées par Siméon en tête du récit en fonction de la règle de prescience divine et doivent, par conséquent, avoir pour fonction d’esquisser les grandes lignes d’un plan divin dont le récit du Déluge sera la version développée. Les deux premières informations quantifient le projet du Très-Haut et la part respective que prendront Élohim et Yahvéh dans sa réalisation. Le troisième nombre – l’âge de Noé au moment du Déluge – définit la fonction de médiateur qui sera celle du patriarche. Le quatrième nombre enfin – les sept jours – évoque la réalisation définitive du projet divin. § 177 Élohim profile l’Arche pour une course à travers le temps C’est à Élohim, l’architecte du monde, qu’il revient d’intervenir en premier, ce qu’il fait en calculant les dimensions de l’Arche : (De) trois cents coudée(s sera) la longueur de l ’Arche, (de) cinquante coudée(s) sa largeur et (de) trente coudée(s) sa hauteur. (Genèse 6, 15)
Dans la mesure où il est maintenant établi que les monuments arithmologiques se fondent sur les seuls nombres, indépendamment des réalités qui leur sont associées, on fera abstraction des notions de longueur, largeur et hauteur, pour ne retenir que les nombres. L’addition des trois mesures de l’Arche donne alors un total de 380 (300 + 50 + 30), dont la conversion en date renvoie au 15e jour du 1er mois 7. L’Arche a donc été profilée pour conduire l’humanité jusqu’à cette date : Au premier mois, le quatorze du mois, au crépuscule, c’est la Pâque pour Yahvéh. Et au quinzième jour de ce mois, c’est la fête des Azymes pour Yahvéh : sept jours durant vous mangerez des azymes. (Lévitique 23, 5-6)
L’Arche d’Élohim doit donc transporter l’humanité jusqu’au premier jour de la fête des Azymes (les pains sans levain), un jour qui sera aussi celui de la sortie d’Égypte, celui de la mise au tombeau de tous les premiers-nés des Égyptiens et celui de la séparation des fils d’Israël d’avec les Nations. 7. 380 = 364 + 1 + 15 : 15e jour du 1er mois de la deuxième année solaire.
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Ils partirent donc de Ramsès, au premier mois, le quinzième jour du premier mois. Au lendemain de la Pâque, les fils d’Israël sortirent, la main levée, sous les yeux de toute l’Égypte, tandis que les Égyptiens mettaient au tombeau ceux d’entre eux qu’avait frappés Yahvéh, tous les premiers-nés. De leurs dieux aussi Yahvéh avait fait justice. (Nombres 33, 3-4)
À ce moment précis de son histoire l’humanité se trouve donc scindée en deux groupes. Les fils d’Israël sont invités à passer sous le contrôle de Yahvéh – c’est en effet « pour Yahvéh » que la fête des Azymes est célébrée – mais sans pour autant se séparer d’Élohim car les deux hypostases divines continueront à les guider pendant leur séjour dans le désert. Quant aux autres nations – particulièrement la nation égyptienne – elles continueront à marcher sous la houlette du seul Élohim comme elles l’avaient fait depuis le Déluge. On doit alors comprendre que jusqu’à la fête des Azymes les fils de Jacob ne disposaient pour se guider que de la sagesse d’Élohim manifestée lors de la création et transmise de génération en génération. À compter du premier jour des Azymes ils commencent à se nourrir d’une autre sagesse qui leur est donnée en propre par Yahvéh, sagesse symbolisée par ces azymes, des pains sans levain qui s’identifient par leur graphie (maçôt : )מצותaux commandements (miçwot : )מצותde Yahvéh. Élohim a donc profilé l’Arche en vue d’une croisière à travers le temps qui doit mener les soixante-dix nations et les soixante-dix descendants de Jacob (Genèse 46, 8-27) jusqu’à la sortie d’Égypte, jusqu’au moment où Israël sera invité à se séparer du reste de ces nations. On notera par ailleurs que cet événement crucial se produit au moment précis où la lignée de Juda a parcouru la moitié de son histoire. Vingtcinq générations se sont succédé jusqu’à celle de Moïse, la vingt-sixième, et vingt-cinq autres se succèderont, après Moïse, jusqu’à ce que le roi Joachin soit réhabilité (§ 104, Tableau 20). § 178 Yahvéh programme les cent vingt jours d’incarnation de son Esprit Yahvéh prend alors le relais d’Élohim et révèle à Noé son projet : Yahvéh dit à Noé : « Entre dans l’arche, toi et toute ta maison, car j’ai vu que tu étais juste devant moi en cette génération. De toutes les bêtes pures, tu en prendras pour toi sept et sept, le mâle avec sa femelle, et de toutes les bêtes qui ne sont pas pures, deux, le mâle avec sa femelle. Également des oiseaux des cieux, sept et sept, mâle et femelle, pour faire survivre la race à la surface de la terre car encore sept jours et je ferai pleuvoir sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits et je supprimerai de la surface du sol tous les êtres que j’ai faits. » Noé agit en tout selon ce qu’avait ordonné Yahvéh. (Genèse 7,1-5)
Cette traduction laisse entendre que le projet de Yawhéh est prévu pour durer 47 jours. Après avoir patienté sept jours, il fera pleuvoir pendant
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LA TR AVERSÉE DU DÉLUGE
quarante jours et quarante nuits afin de supprimer tous les êtres qu’il a faits. Pour intégrer cette information à la chronologie générale du Déluge, il faudrait connaître la date à laquelle Yahvéh décide de patienter, mais ce n’est pas le cas. Aussi suppose-t-on que le comput commence le premier jour de l’année et que Yahvéh, après avoir patienté une semaine, envoie le Déluge sur la terre à partir du huitième jour. C’est en retenant cette solution, satisfaisante en apparence, que l’on crée la première contradiction, car il est précisé, quelques phrases plus loin, que le Déluge n’a pas commencé le 8e jour du 1er mois, mais le 17e jour du 2e mois ! L’an six cent de la vie de Noé, le deuxième mois, le dix-septième jour du mois, en ce jour-là, se fendirent toutes les fontaines du grand Abîme et s’ouvrirent les écluses des cieux. (Genèse 7, 11)
Force est alors d’admettre l’existence de sources contradictoires dont la première ne peut être que Yahwiste – c’est Yahvéh qui parle – et la seconde Sacerdotale. Pour la lecture littérale, conformément à la règle de prescience divine, l’annonce faite par Yahvéh vise en réalité l’accomplissement final du plan. Quant au verbe que l’on traduit par « faire pleuvoir » (matar) il doit être interprété en fonction de son paradigme (§ 200-201). La traduction que l’on peut alors proposer prend la forme d’une énigme : Car en vue de jours (qui sont un) témoignage du sept, moi, je fais-mesurer la montée de la terre (pendant) quarante jour(s) et quarante nuit(s). (Genèse 7, 4)
Comme il se doit, ces « jours (qui sont un) témoignage du sept » renvoient alors par analogie au dernier acte du Déluge, au moment où Noé réalisera ce témoignage d’une hebdomade de jours en envoyant la Colombe hors de l’Arche (Genèse 8, 10-12). Toute l’action de Yahvéh vise donc ce but ultime, le renvoi de la Colombe ! Pour y parvenir Yahvéh « mesurera (matar) la montée de la terre (pendant) quarante jours (40) et quarante nuits ». Mais ces jours ne commenceront à être mesurés qu’après quarante jours (+ 40) de pluie continue (gèchèm) (§ 185) et quarante jours (+ 40 = 120) de Déluge (maboul) (§ 186), ce qui signifie que Lorsque Yahvéh aura mesuré le quarantième de ces jours, les 120 jours de l’incarnation de son Esprit dans l’homme prendront fin. Ce sera le jugement ! (§ 169) § 179 La six centième année de Noé Les rôles respectifs d’Élohim et de Yahvé ont été quantifiés par les deux premières données numériques. Élohim a été associé au nombre 380 des dimensions de l’Arche et Yahvéh au nombre 120 de l’incarnation de son Esprit. Ensemble les deux hypostases du Très-Haut ont donc transposé dans l’histoire postdiluvienne ce nombre 500 que Noé avait reçu de
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CHAP. 21 – LES GÉNÉALOGIES DE NOÉ
cinq de ses ancêtres (§ 158) et qui symbolisait la synthèse de la Sagesse antédiluvienne. On est alors en droit de se demander pourquoi cette connaissance n’a pas été transmise par Noé lui-même alors qu’il en était le détenteur légitime. La réponse est donnée par le troisième nombre. Et Noé est fils-bâtisseur de six cents d’ année(s) Et le Déluge a existé (auparavant). (Genèse 7, 6)
Alors qu’avant le Déluge Noé avait contemplé le modèle 500, c’est sur le modèle 600 qu’il bâtira l’histoire postdiluvienne. Ce passage d’un nombre à l’autre doit être interprété par référence à l’algorithme. De même que le modèle 500 renvoyait au cinquième jour de la création, jour où elle avait atteint sa perfection de même le nombre 600 doit renvoyer au sixième jour (§ 73, Tableau 5), à propos duquel il est écrit : Et le matin du jour du sixième exista Et furent répartis les cieux et la terre et les parties de leur armée. (Genèse 2, 1)
C’est donc lorsque Noé et ses fils atteignent les six cents ans, après leur traversée du Déluge et leur sortie de l’Arche, que se réalisa cette tripartition annoncée par le sixième jour de la création. Noé et ses fils étant passé du monde intelligible au monde sensible les généalogies de l’humanité postdiluvienne devront en conséquence se répartir en généalogies des cieux, de la terre et en généalogies des armées, celles d’Ismaël, trait d’union entre les cieux et la terre (§ 130, Tableau 33). Le rôle des hypostases divines sera donc de révéler à l’humanité postdiluvienne divisée ce modèle dont elle n’a plus qu’une connaissance éclatée. Tableau 48 La gestion postdiluvienne d’un double héritage
Héritage séthite
Héritage caïnite
Adam
אדם
11
Seth
שת
8
Yèrèd
ירד
13
Métouchélah
מתושלח
26
Lamekh
למך
15
Sem
שם
13
Cham
חם
7
Japhet
יפת
7
73
27 100
Au moment de leur sortie de l’Arche, les fils de Noé ne débarquèrent pas les mains vides. Ils possèdent un double héritage : la connaissance des cinq patriarches séthites que leur père Noé leur a transmise, mais aussi
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LA TR AVERSÉE DU DÉLUGE
la connaissance caïnite qu’ils ont acquise en choisissant les femmes de Lameck et leurs rejetons. Comme il se doit, l’arithmologie vient confirmer cette lecture de l’histoire et certifier que la contribution symbolisée par le nombre 100 est bien celle de l’humanité entière (Tableau 48). Les trois premiers nombres du récit du Déluge ont donc pour fonction d’indiquer à mots couverts que les trois acteurs de l’histoire, Élohim, Yahvéh et l’Humanité séthite auront pour mission de construire dans le monde sensible le modèle intelligible de la création. § 180 La dernière hebdomade des Jours Puisque les trois premiers nombres ont renvoyé aux six premiers jours du récit de création, le quatrième nombre doit logiquement renvoyer au septième jour, celui de l’accomplissement définitif du plan divin. C’est au moment de l’embarquement de Noé et de sa famille dans l’Arche, que Siméon révèle ce quatrième nombre. Noé entra donc dans l’Arche, et avec lui ses fils, sa femme et les femmes de ses fils, à cause des eaux du Déluge. Des bêtes purs et des bêtes qui ne sont pas pures, des oiseaux et de tout ce qui rampe sur le sol, il en vint vers Noé dans l’Arche, deux par deux, mâle et femelle, selon qu’Élohim avait ordonné à Noé. Et (Noé) exista en vue l ’hebdomade des jours Et (avant cela) les eaux du Déluge ont existé sur la terre. (Genèse 7, 7-10)
Cette « hebdomade de jours » en vue de laquelle Noé existe, renvoie par analogie à une série de textes qui en fournissent la clé d’interprétation. Le premier est l’histoire de l’Arche profilée par Élohim pour conduire les fils d’Israël jusqu’au premier jour de la célébration de la fête des Azymes (§ 177). Dans ce premier contexte l’expression l ’hebdomade des jours renvoie aux sept jours que doit durer la célébration de la fête des Azymes. Et au quinzième jour de ce mois, c’est la fête des Azymes pour Yahvéh : une hebdomade de jours (chive‘at yamim) durant vous mangerez des azymes. (Lévitique 23, 5-6)
Noé existe donc en vue de cette « hebdomade de jours » qui marquera l’entrée des fils d’Israël dans l’alliance de Yahvéh. On aura cependant noté que la tournure retenue ici est « une hebdomade de jours (chive‘at yamim) » sans l’article de plénitude devant le mot « jour », alors que d’après l’annonce faite avant le Déluge, Noé doit exister en vue de « l ’hebdomade des jours (chive‘at ha-yamim) » avec l’article de plénitude. Le rythme de la célébration reproduira en effet celui de la création. La fête sera célébrée une première fois pendant sept jours au moment de la sortie d’Égypte, une deuxième fois au moment de l’entrée en Canaan (§ 99). Mais c’est
CHAP. 21 – LES GÉNÉALOGIES DE NOÉ
371
seulement lors de la troisième célébration que l’hebdomade des jours (avec l’article) sera atteinte : Lors donc que Yahvéh t’aura fait entrer au pays du Cananéen, du Hittite, de l’Amorrhéen, du Hévéen et du Jébuséen […] tu pratiqueras cette pratique en ce mois : sept jours durant, tu mangeras des azymes et au septième jour il y aura une fête de Yahvéh. On mangera des azymes pendant l ’hebdomade des jours (chive‘at hayamim) et l’on ne verra pas chez toi de pain levé, ni l’on ne verra chez toi de levain dans tout ton territoire. (Exode 13, 5-7)
L’aboutissement du plan divin est donc bien de conduire le peuple jusqu’à la célébration de la fête des Azymes, mais telle qu’elle sera pratiquée lorsque Israël sera entré en possession de sa terre conformément au rituel révélé par le prophète Ézéchiel : Le premier mois, le quatorzième jour du mois, ce sera pour vous la Pâque, fête des semaines de jours (chavou‘ot yamim) on mangera des azymes. En ce jour-là le Prince (nasi’) fera pour lui-même et pour tout le peuple du pays le sacrifice d’un taurillon comme expiatoire. L’hebdomade de jours de la fête (chive‘at yemé hahag) il offrira un holocauste pour Yahvéh : sept taurillons et sept béliers sans défaut en vue du jour de l ’hebdomade des jours (leyom chive‘at hayamim). (Ézéchiel 45, 21-25)
Ce nouveau rituel pratiqué dans le nouveau Temple conduira donc à l’entrée d’Israël dans cette hebdomade des jours annoncée par Yahvéh dès avant le Déluge. Mais ce qui frappe avant tout c’est que le rôle de grand prêtre sacrificateur y sera tenu par un Prince (nasi’), un titre qu’Ézéchiel applique à David afin de suggérer le statut messianique de ce Prince qui conduira Israël dans l’ère nouvelle : Je susciterai à leur tête un seul pasteur qui paîtra (les tribus), mon serviteur David ; c’est lui qui les paîtra, c’est lui qui sera pour elles un pasteur. Alors moi, Yahvéh, je serai leur Dieu, tandis que mon serviteur David sera Prince (nasi’) au milieu d’elles […]. Ils seront sur leur sol en sécurité, ils sauront que je suis Yahvéh quand je briserai les barres de leurs jougs et que je les délivrerai de la main de ceux qui les asservissent. Ils ne serviront plus de proie aux nations, les bêtes sauvages ne les dévoreront plus, ils habiteront en sécurité sans que personne ne leur cause de l’effroi […]. (Ézéchiel 34, 23-28)
Que Noé « existe en vue de l ’hebdomade des jours » signifie donc que, conformément au plan du Très-Haut, la marche de l’humanité vers une nouvelle création se fera au rythme de la création initiale. Dans un premier temps le modèle du cinquième jour sera réalisé par l’humanité antédiluvienne, puis le modèle du sixième jour par l’humanité postdiluvienne, puis une succession de trois septièmes jours – pendant lesquels on mangera des azymes et au terme de ces trois semaines (3 x 7 = 21) de consomma-
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LA TR AVERSÉE DU DÉLUGE
tion des azymes des commandements divins on atteindra cette hebdomade des jours annonciatrice de l’entrée dans une ère nouvelle (21 + 1 = 22). § 181 Trois acteurs en marche vers la fin des temps Au moyen des quatre nombres qui précèdent le récit du Déluge, Siméon construit donc un résumé de l’histoire de l’humanité postdiluvienne en marche vers cette hebdomade des jours qui la conduira jusqu’au jour du Jugement et à l’entrée dans la nouvelle création. Ces quatre nombres que l’exégèse critique répartissait entre les sources Yahviste et Sacerdotale (§ 175) présentent donc par anticipation une synthèse du plan divin que la suite du récit développera au moyen de douze nombres, de l’entrée à la sortie de l’Arche. D’après l’annonce qui vient d’être faite le scénario sera le suivant. Dans un premier temps, l’humanité ne connaîtra du Dieu suprême que sa fonction créatrice personnifiée par Élohim. C’est lui qui guidera le peuple élu jusqu’à la sortie d’Égypte en profilant l’Arche à cet effet. Il ne faudrait cependant pas en conclure que Yahvéh demeurera inactif pendant cette première période. Dès les lendemains du Déluge, c’est lui qui décidera de la dispersion des peuples, c’est lui qui ordonnera à Abram de quitter la lumière des Chaldéens pour se rendre en Canaan et qui dialoguera avec les patriarches tout au long de cette période. Mais jusqu’à la sortie d’Égypte il agira dans le secret, réservant la révélation de l’intégralité de son Nom ( = יהוה26) à la 26 e génération. À partir de la sortie d’Égypte le peuple élu sera placé sous la double houlette de Yahvéh et d’Élohim et cela jusqu’à ce que l’Esprit de Yahvéh atteigne le 120e jour de son incarnation. Alors Élohim (380) et Yahvéh (+ 120 = 500) ayant ensemble accompli leur mission et parfaitement révélé le modèle antédiluvien, le jugement aura lieu et on entrera dans la nouvelle création.
Chapitre 22
L ES CENT VINGT-NEUF PREMIERS JOURS DU DÉLUGE OU
DE L’ENLÈVEMENT D’H ÉNOKH À L’EXIL DES JUDÉENS
§ 182 Le paradigme des eaux Le thème central du Déluge est celui des eaux. En fonction de la règle, maintenant bien établie, qui veut que le paradigme d’interprétation d’un thème soit décrit par ses premières occurrences, celui de l’histoire des eaux doit d’abord être cherché dans le récit de création des deux premiers jours (Genèse 1, 5-10). Élohim dit : « Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux ! » Élohim fit donc le firmament et il sépara les eaux qui sont au-dessous du firmament d’avec les eaux qui sont au-dessus du firmament. Il en fut ainsi. Élohim appela le firmament Cieux. Il y eut un soir, il y eut un matin : deuxième jour. Élohim dit : « Que les eaux de dessous les cieux s’amassent en un seul lieu et qu’apparaisse la Sèche ! » Il en fut ainsi. Élohim appela la Sèche Terre et il appela l’amas des eaux Mer. Élohim vit que c’était bon. (Genèse 1, 6-11)
Ce premier paradigme est complété par un second qui décrit les règles de répartition postdiluvienne de ces eaux entre les descendants de Noé. Un fleuve sortait d’Éden pour arroser le jardin et de là se divisait pour former quatre têtes. Nom du premier fleuve : Pishon. C’est lui qui contourne tout le pays de Hawilah où se trouve l’or, et l’or de ce pays est bon. Là se trouve le bdellium et la pierre d’onyx. Nom du deuxième fleuve : Gihon. C’est lui qui contourne tout le pays de Couch. Nom du troisième fleuve : Tigre. C’est lui qui coule à l’orient d’Assur. Le quatrième fleuve c’est l’Euphrate. (Genèse 2, 10-14)
L’interprétation de chacun de ces paradigmes exigerait une longue analyse qui nous ferait perdre le fil de notre propos : il s’agit seulement d’organiser les données chronologiques du récit du Déluge 1. Aussi suffira-t-il de 1. On trouvera une analyse de l’histoire des Fleuves du Paradis dans BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 42-53.
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LA TR AVERSÉE DU DÉLUGE
faire nôtre l’interprétation qu’en donnait Jésus Ben Sira et d’admettre avec lui que l’histoire des eaux et des fleuves, telle qu’elle est consignée dans le livre de la Torah, n’est rien d’autre que l’histoire de la Sagesse divine se répandant dans le monde : Toute cette (histoire de la Sagesse), c’est le livre de l’alliance du Dieu TrèsHaut, la Loi que nous a ordonnée Moïse, en héritage pour les assemblées de Jacob ; Elle fait déborder la sagesse comme le Phison (Pichon), comme le Tigre au jour des fruits nouveaux. Elle répand à flot l’intelligence comme l’Euphrate, comme le Jourdain au jour de la moisson, elle fait jaillir l’instruction comme le Fleuve, comme le Gihon au jour de la vendange. Le premier n’a pas encore achevé de la connaître tant que le dernier ne l’a pas découverte, car plus abondante que la mer est sa pensée, son dessin plus vaste que le grand abîme. (Ecclésiastique 24, 23-29)
Si tel est bien le double paradigme des eaux, le récit du Déluge doit alors raconter comment ces eaux de la Sagesse intelligible se sont divisées et répandues dans le monde terrestre jusqu’à ce qu’elles soient « données en héritage pour les assemblées de Jacob ». § 183 Les eaux triples du Déluge et leur modèle arithmologique Ces eaux de Sagesse se déversent sous la triple forme de « pluie-continue » (gèchèm) pendant quarante jours et quarante nuits (Genèse 7, 12), sous forme de « Déluge » (maboul) pendant quarante jours (Genèse 7, 17) et de « pluie-mesurée » (matar) pendant quarante jours et quarante nuits (Genèse 7, 4). Ce que la tradition nomme « eaux du Déluge » ne représente donc, à proprement parler, qu’un tiers des eaux de Sagesse qui se déverseront sur la terre 2 . Ces eaux triples arroseront la terre pendant les 120 jours de l’incarnation de l’Esprit de Yahvéh dans l’homme, des jours organisés en trois périodes égales conformément au principe de tripartition (3x40). L’Esprit de Yahvéh assistera donc l’humanité jusqu’à ce qu’elle ait atteint une parfaite connaissance de la Sagesse du Très-Haut. Ces eaux qui renvoient à l’histoire de l’Esprit par le biais du nombre 120, renvoient également au modèle jubilaire (49) par le biais de la valeur arithmologique de leurs noms (Tableau 49).
2. On continuera cependant à employer le mot Déluge dans son acception traditionnelle. Lorsqu’il prendra la valeur spécifique que lui confère la lecture littérale il sera écrit en italique.
CHAP. 22 – LES CENT VINGT-NEUF PREMIERS JOURS
375
Tableau 49 La tripartition des eaux du Déluge Genèse 7, 12
Pluie-continue
gèchèm
גשם
16
Genèse 7, 17
Eaux du Déluge
maboul
מבול
19
Genèse 7, 4
Pluie-mesurée
matar
מטר
14
3
49
La Sagesse divine se répandra donc au rythme de périodes jubilaires jusqu’à ce que les 120 jours de l’Esprit soient accomplis. Comme on l’a vu, ce double rythme est celui des fonctions royale et sacerdotale. Quarante neuf est effectivement le nombre des générations royales qui mèneront les Judéens jusqu’à la redécouverte de la Torah sous le règne de Josias. Quant aux 120 jours de l’Esprit ils correspondent à la Sagesse sacerdotale possédée par Moïse. Par référence au rythme jubilaire, l’histoire se déroulera donc sur trois périodes dont la dernière sera incomplète (49 + 49 + 22 = 120). La première de ces périodes est celle qui conduira l’humanité des lendemains du Déluge à la destruction du royaume de Juda par Nabuchodonosor (§ 114). Une deuxième période jubilaire la suivra. Et comme le rythme jubilaire est celui des rois révoltés, elle commencera logiquement avec la domination de Nabuchodonosor roi de Babel, à partir de la 50 e génération, et se poursuivra avec la domination des rois des Perses et des Grecs de la période postexilique. Et c’est alors que le peuple judéen entrera dans les 22 jours de la dernière période de son histoire. Pendant celle-là il devra reproduire dans la terre de Juda le modèle 22 de la création initiale et le construire au rythme de son apprentissage de l’Écriture. S’il y parvient, Israël atteindra alors le taw, au moment même où seront accomplis les 120 jours de l’Esprit de Yahvéh. Les trois fonctions seront alors réunifiées et Israël deviendra « une royauté de prêtres et une nation sainte » conformément à l’annonce faite par Moïse (§ 141). Le rythme sacerdotal sera différent du rythme royal, au moins pour ceux d’entre les prêtres qui suivront les traces de Moïse, dont la vie exemplaire fut partagée en trois parties égales de 40 ans 3. Comme lui, ils parcourront les trois étapes de la manifestation de la Sagesse (40 + 40 + 40 = 120) avant d’être rejoints par le peuple au moment de l’entrée dans l’ère nouvelle.
3. BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 19.
376
LA TR AVERSÉE DU DÉLUGE
Tableau 50 La sagesse des prêtres, des rois et du peuple Sagesse des prêtres
40
40
40
Sagesse des rois et du peuple judéen
49
49
22
120
Il reste maintenant à vérifier que la chronologie du Déluge se construit bien en fonction de ce double modèle et de montrer, dans la mesure du possible, que les multiples rebondissements de cette histoire annoncent les péripéties de l’histoire postdiluvienne jusqu’à l’entrée dans l’ère nouvelle. C’est à cela que seront employés les derniers chapitres de cette étude. § 184 Les quarante neuf jours qui précédèrent le Déluge Comme il se doit, la première date mentionnée est celle du début du Déluge : Et les eaux du Déluge ont existé (provoquant) la montée de la terre dans l’année des six cents d’année(s) en vue des vies de Noé dans le deuxième mois dans le dix-sept(ième) jour en vue du mois : (C’est) en ce jour (qu’) ont été fendues les sources de l ’abîme nombreux et (que) les écluses des cieux ont été ouvertes Et une pluie-continue exista (provoquant) la montée de la terre (pendant) quarante jours et quarante nuits. (Genèse 7, 10-12)
Les eaux du Déluge ont existé le 17e jour du 2e mois, c’est-à-dire le 48 jour de l’année, à la veille de l’achèvement d’une période jubilaire 4. L’irruption de ces eaux de confusion ( מ־בול: maboul = ce qui provient de la confusion) a été provoquée par le choix des fils de Noé : en préférant les femmes de Lamekh aux filles d’Adam, ils ont opté en faveur des modèles contrefaits de royauté institués par Yaval ()י־בל, Youval ( )יו־בלet TouvalCaïn ()תו־בל, des modèles calqués sur celui de la période jubilaire ( יו־בל: yovèl). Dès lors le choix qu’ils firent ayant eu lieu le 48e jour de l’année, ils se trouvèrent d’emblée au seuil d’une échéance jubilaire (49) dont la suite du texte fixe l’enjeu – (C’est) en ce jour (qu’) ont été fendues les sources de l ’abîme nombreux et (que) les écluses des cieux ont été ouvertes. On pense alors spontanément que l’expression « c’est en ce jour » renvoie à ce 48e jour qui vient d’être mentionné. Mais la lecture littérale impose de rejeter cette interprétation car elle introduirait un mot superflu dans l’Écriture. Si la division des eaux avait eu lieu le 48e jour, Siméon e
4. 17e jour du 2 e mois solaire = 1 + 30 + 17 = 48.
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aurait écrit : « dans le deuxième mois, dans le dix-septième jour pour le mois les sources de l ’abîme nombreux ont été fendues. » Si l’expression « en ce jour » a été ajoutée, ce ne peut alors être que pour renvoyer au jour suivant, le 49e jour, celui de l’échéance jubilaire 5. Par voie de conséquence, les quarante jours et quarante nuits de pluie-continue qui font suite à cette échéance jubilaire (voir supra Genèse 7, 12) doivent commencer le 50e jour de l’année. La chronologie des 50 premiers jours de l’année du Déluge peut être résumée ainsi. Le 48e jour, les fils de Noé choisirent de prendre pour modèle les femmes de Lamekh, créant ainsi la confusion dans la transmission de la Sagesse primordiale. Ayant choisi le modèle « caïnite », ils se soumirent au rythme jubilaire et dès le lendemain, le 49e jour, ils se virent proposer une occasion de renoncer à leur erreur. Ils n’en profitèrent pas et au lieu d’entrer directement dans l’ère nouvelle, ils précipitèrent l’humanité dans le cycle des jubilés de l’histoire postdiluvienne. C’est alors que l’histoire du Déluge commença réellement, le 50e jour de la 600e année de Noé. Les 49 jours qui précèdent le début du Déluge ne peuvent alors renvoyer qu’au dernier jubilé de l’histoire antédiluvienne. Ils correspondent effectivement à la période d’activité des trois derniers patriarches antédiluviens, Mathusalem (26), Lamekh (+15) et Noé (+8 = 49). Après l’enlèvement d’Hénokh, ils furent, en effet, à l’origine de la tripartition des fonctions sacerdotale (Métouchélah), royale (Lamekh) et de celle du peuple symbolisé par Noé (§ 156-158). Ils préparèrent ainsi le passage de l’humanité de l’unité à la tripartition, en la dotant des institutions bonnes et mauvaises qui la guideraient pendant sa traversée de l’histoire terrestre. § 185 Les quarante jours et quarante nuits de pluie-continue Les eaux du Déluge existent dès le 48e jour alors que la pluie-continue existe à partir du 50e. Elles existent donc parallèlement. Cela signifie que, pendant cette période l’humanité bénéficiera d’un double enseignement de Sagesse. Les eaux du Déluge diffuseront la sagesse royale contrefaite des descendants de Lamekh tandis que la pluie-continue enseignera une autre sagesse. Que cette pluie tombe « jour et nuit » – et pas seulement le jour –
5. Le démonstratif hou’ est précédé de l’article de perfection (ha-hou’ : )ה־הוא, ce qui suffit à faire de « ce jour », un jour d’accomplissement du modèle. Pour en savoir plus sur les règles d’emploi des pronoms, il faudra procéder à une étude systématique de leur fonction symbolique. L’étude du pronom de la deuxième personne du féminin singulier ( את: ’at) (§ 19) suffit déjà à montrer que les règles de leur emploi ne sont pas celles de la langue naturelle.
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suffit à identifier sa provenance en renvoyant l’initié à l’histoire de Moïse 6 et à la sagesse de la lignée sacerdotale à laquelle il appartient : Puis Yahvéh dit à Moïse : « Écris pour toi ces paroles, car c’est selon la teneur de ces paroles que j’ai conclu une alliance avec toi et avec Israël. » Moïse resta là avec Yahvéh, quarante jours et quarante nuits, il ne mangea pas de pain et ne but pas d’eau, il écrivit sur les tables les paroles de l’Alliance, les dix paroles 7. (Exode 34, 27-28)
Les « quarante jours et quarante nuits » de pluie-continue répandent donc progressivement sur l’humanité la Sagesse que Moïse gravera sur les tables sous la dictée de Yahvéh pendant les « quarante jours et quarante nuits » de son séjour au Sinaï, une Sagesse destinée à Israël. § 186 Les quarante jours de Déluge La Sagesse sacerdotale a pour fonction de provoquer la « montée de la terre », Et une pluie-continue exista (provoquant) la montée de la terre (pendant) quarante jours et quarante nuits. (Genèse 7, 12)
La Sagesse royale symbolisée par les eaux du Déluge existe aussi pendant cette période de « montée de la terre », mais sans qu’il soit dit qu’elle y participe : Et le Déluge exista (pendant les) quarante jour(s) de la montée de la terre. (Genèse 7, 17)
La Sagesse sacerdotale et la sagesse royale seront donc en concurrence pendant toute la période patriarcale, jusqu’à ce que Moïse en grave la synthèse sur les Tables de pierre. Mais alors que la Sagesse de Moïse destinée à Israël existera pendant « quarante jours et quarante nuits », la Sagesse royale destinée à l’humanité entière n’existera que pendant les « quarante jours ». Que la Sagesse royale contrefaite des Nations soit associée au jour plutôt qu’à la nuit ne peut manquer de surprendre le lecteur du vingt-et-unième siècle. Et pourtant il suffit d’observer les contextes d’apparition de l’expression « quarante jours » dans l’ensemble du corpus biblique pour constater que toutes ses occurrences concernent bien les Nations ! On consacre « quarante jours » à l’embaumement de Jacob, car telle est la durée d’em6. En dehors des occurrences du récit du Déluge (Genèse 7, 4, 12), les attestations de l’expression « quarante jours et quarante nuits » renvoient toutes à Moïse (Exode 24, 18 ; 34, 28 ; Deutéronome 9, 9, 11, 18 ; 10, 10) à l’exception cependant de 1 Rois 19, 8 qui l’associe à Élie, mais en présentant le prophète sous les traits d’un nouveau Moïse. 7. Voir aussi Exode 24, 15-18.
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baumement des corps en Égypte (Genèse 50, 3) ; les explorateurs envoyés par Josué mettent « quarante jours » pour explorer le pays de Canaan (Nombres 13, 25 et 14, 34) ; Goliath le Philistin se présente « quarante jours » d’affilée pour défier Israël (1 Samuel 17, 16). Jonas prophétise que Ninive sera détruite au bout de « quarante jours » (Jonas 3, 4). Ézéchiel, enfin, se couche pendant « quarante jours » sur le côté droit pour porter le péché de Juda au moment où Jérusalem tombe sous les coups de Nabuchodonosor (Ézéchiel 4, 6). Les « quarante jours » mesurent donc bien la Sagesse répandue sur l’ensemble des nations – l’Égypte, Canaan, la Philistie, Ninive ou Babel – tandis que « les quarante jours et quarante nuits » symbolisent la double part que recevront les fils d’Israël. En d’autres termes, pendant les « quarante jours », Élohim répand sa sagesse sur l’humanité entière, tandis que pendant les « quarante jours et quarante nuits », Yahvéh répand sur Israël la Sagesse d’Élohim et sa propre Sagesse. Pour préciser la nature de cette double Sagesse, il faut alors se référer au paradigme du récit de création qui précisait que le jour et la nuit étaient les noms à travers lesquels la lumière et l’obscurité se manifestaient dans le monde terrestre (Genèse 1, 1-5). On doit en déduire que les nations ne bénéficient pas de la connaissance du modèle de la lumière qu’est le Bien, mais seulement d’une image confuse et contrefaite de cette lumière que les eaux du Déluge leur ont fait connaître. Quant à Israël il est appelé à partager cette connaissance des nations, mais hérite en plus d’une autre connaissance qui prend l’apparence de la nuit mais sans être pour autant obscurité. La lumière de la raison dont héritent les Nations n’est donc qu’une apparence de lumière et les ténèbres de la foi d’Israël, une apparence de ténèbres. § 187 Les cent vingt-neuf premiers jours de l’année du Déluge La pluie-continue et le Déluge ayant débuté le 50e jour de la 600 e année de Noé, leurs eaux cessèrent de tomber le 129e jour (49 + 40 + 40), alors que l’esprit de Yahvéh n’avait encore agi que pendant 80 jours. Pour savoir à quel moment précis de l’histoire corresponde le nombre 129, il suffit de le convertir en date. On est alors transporté au 7e jour du 5e mois 8, date de la destruction du premier Temple : Au cinquième mois, le sept du mois – c’est l’an dix-neuf du roi Nabuchodonosor, roi de Babel – Nebouzaradan, chef des gardes du corps, serviteur du roi de Babel, entra dans Jérusalem. Il brûla la Maison de Yahvéh et la Maison du roi, ainsi que toutes les maisons de Jérusalem. Il brûla aussi par le feu toute maison de grand personnage. Toute l’armée des Chaldéens qui
8. 129 = 91 + 1 + 30 + 7 = 7e jour du 5e mois solaire.
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était avec le chef des gardes du corps, démolit toute la muraille autour de Jérusalem. Quant au reste de la population, ceux qui étaient restés dans la ville, et quant aux déserteurs qui avaient déserté auprès du roi de Babel, ainsi que le reste des artisans, Nebouzaradan, chef des gardes du corps, les envoya en exil. Mais le chef des gardes du corps laissa du bas peuple du pays, ceux qui pouvaient être vignerons et cultivateurs. (2 Rois 25, 8-11)
Le paroxysme de la Confusion ( )בלa donc été atteint au moment où Nabuchodonosor, roi de Babel ()ב־בל, s’est emparé de Jérusalem et a emmené Sédécias en exil à Babylone, tandis que ses frères étaient exilés, l’un en Égypte, l’autre en Canaan. En brûlant « la Maison de Yahvéh », Nabuchodonosor a mis fin au pouvoir sacerdotal hérité de Métouchélah ; en brûlant « la Maison du Roi », il a mis fin au pouvoir royal contrefait hérité de Lamekh et de ses fils ; en brûlant « toutes les maisons de Jérusalem », il a mis fin à la cohabitation du peuple et de ses institutions. Les 129 premiers jours du Déluge préfigurent donc la période de l’histoire biblique qui va de l’enlèvement d’Hénokh à la destruction du premier Temple. Telle est l’enseignement de l’arithmologie. Place doit maintenant être laissée à la lecture littérale qui, par le biais de l’analogie, devra interpréter l’ensemble des péripéties liées à cette période de 129 jours. Elles sont nombreuses et exigeraient chacune, une analyse spécifique : Le Déluge dura quarante jours sur la terre. Les eaux s’accrurent et soulevèrent l’arche qui s’éleva au-dessus de la terre. Les eaux grandirent et s’accrurent beaucoup sur la terre et l’arche allait sur la surface des eaux. Les eaux grandirent beaucoup, beaucoup, au-dessus de la terre et toutes les hautes montagnes qui existent sous tous les cieux furent recouvertes. Et les eaux avaient grandi de quinze coudées de haut et les montagnes avaient été recouvertes. (Genèse 7, 17-20)
On notera seulement qu’au terme de cette histoire infiniment complexe, c’est-à-dire au moment de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor, les eaux royales du Déluge ont atteint « quinze coudées » de haut, un nombre qui renvoie par analogie à la voie de Sagesse sur laquelle marchèrent Caïn ( = קין15), Irad, ( = עירד15), Lamekh ( = למך15), Ésaü ( = עשו15) et tous les champions d’une royauté contrefaite (mèlekh : = מלך15). Ces eaux du Déluge, hautes de quinze coudées au moment de la destruction du premier Temple ont donc atteint leur apogée. Leur décrue peut alors commencer. On tirera enfin un ultime enseignement de l’arithmologie de cette période. Puisque la domination des rois de Juda prend fin le 129e jour, après qu’ils ont entraîné le peuple judéen dans la confusion, une nouvelle période commence le 130e jour. Le peuple judéen libéré du modèle caïnite que les rois de Juda lui avaient imposé se tourne alors vers le modèle de
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la lignée séthite. C’est en effet la 130e année de sa vie qu’Adam engendra Seth, selon qu’il est écrit dans le Livre des Généalogies d’Adam (§ 148) : Et Adam (le terrestre) vécut trente et cent d’année Et il engendra dans sa ressemblance (qui est) comparable à son image et il prononça le modèle de son nom : Seth. (Genèse 5, 3)
Au moment où les Judéens partent en exil, l’Esprit de Yahvéh a déjà agi pendant quatre vingt jours. Quarante jours manquent donc encore avant que l’heure du Jugement ne sonne. Ces quarante jours correspondent alors au nombre 40 que la lignée séthite avait construit dans les Généalogies des cieux et de la terre (§ 140, Tableau 38). Et comme ces généalogies exemplaires calculaient que ce nombre conduirait l’humanité jusqu’au seuil de l’ère nouvelle (364), la suite du récit du Déluge doit donc préfigurer l’histoire judéenne, de la destruction du premier Temple jusqu’à la fin des temps.
Chapitre 23
L ES CENT CINQUANTE JOURS HÉROÏQUES OU
DU DÉPART EN EXIL À LA RECONSTRUCTION DU T EMPLE Alors que l’histoire biblique, de la création à la destruction du premier Temple, avait été consignée en détail dans les douze premiers livres du corpus, aucun livre n’est consacré aux périodes exilique et postexilique. Rien n’est dit en clair sur les 70 ans du séjour des Judéens en Babylonie. Le seul événement daté de la période perse est la mise en chantier du second Temple. Quant à la période grecque, elle est totalement passée sous silence, ce qui explique qu’on ait pu dater la rédaction de l’histoire biblique de la période perse. Il ne faudrait pas pour autant en déduire que Siméon s’est désintéressé de l’histoire postexilique, mais seulement qu’il a voulu en réserver la connaissance aux seuls initiés et la leur révéler en les renvoyant, par le biais de l’arithmologie et de l’analogie, aux événements des 129 premiers jours (Chapitre 23) qui en sont la préfiguration. Parallèlement à ce renvoi systématique aux modèles bibliques du passé, Siméon a élaboré un discours sur l’avenir, placé dans la bouche de prophètes contemporains des périodes exilique et postexilique, Jérémie, Ézéchiel, Aggée, Zacharie et Malachie. § 188 Les Héros, « hommes du Nom » La première donnée arithmologique de la période est associée à une racine en apparence banale ( גבר: gavar) que les traductions rendent par « grandir » ou « croître » : Et les eaux grandirent au-dessus de la terre durant cent cinquante jours. (Genèse 7, 24)
Conformément à la règle, ce verbe gavar doit être interprété à la lumière de son paradigme, celui des « héros » ( גבר־ים: giborim) du récit d’Union des fils de l ’Élohim et des filles de l ’Adam façonné (§ 171). Il renvoie donc l’initié à ces temps héroïques, d’où la traduction du verbe par « rendre héroïque » : Il ne resta que Noé et ceux qui étaient avec lui dans l’arche.
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LA TR AVERSÉE DU DÉLUGE
Et (ensuite) les eaux rendirent-héroïque (yigverou : )י־גבר־וla montée de la terre (pendant) cinquante et cent jour(s). (Genèse 7, 24)
Comme l’indique l’article de perfection placé devant le mot « eaux » ( ה־מים: ha-mayim), les eaux de Sagesse de ces temps héroïques seront complètes, à la fois célestes et terrestres. Quant à l’identité de ces héros qui présideront à l’histoire exilique et postexilique, elle doit être déduite de leur paradigme : (C’est dire que) les Tombés ont existé dans la terre pendant ces (cent-vingt) jours et (que c’est) en complément qu’après (le jubilé) les fils-bâtisseurs de l ’Élohim viendront vers les filles-bâtisseuses de l ’Adam (façonné) et ils (aur)ont (auparavant) engendrés eux-mêmes pour eux-mêmes des héros qui provenant du monde (intelligible sont) les hommes du Nom. (Genèse 6, 3-4)
Ces héros interviendront donc pendant une période intermédiaire, entre le départ des Judéens pour Babel et le moment où les « fils de l’Élohim » renonceront au modèle royal contrefait enseigné par leurs « femmes » et viendront vers ces filles qui connaissent le véritable modèle des fonctions sacerdotale et royale. Siméon laisse à l’initié le soin d’identifier ces « héros » à partir d’une série d’indices : ils porteront le titre d’hommes, seront « les hommes du Nom » et proviendront du « monde (intelligible) ». Puisqu’ils sont des « hommes » ()אנש־ים, ils doivent appartenir à la lignée séthite dont l’ancêtre éponyme fut Énoch ( אנוש: ’énoch) (§ 149). Leur rattachement à la lignée caïnite est donc exclu. Puisqu’ils portent le titre d’« hommes du Nom » ( אנשי ה־שם: ’anché ha-chém), ils doivent être à la fois au service du Nom par excellence ( ה־שם: chém), celui de Yahvéh, et au service de la lignée de Sem ( שם: chém), l’ancêtre du peuple élu. Enfin, puisque le monde d’où ils viennent est le monde intelligible 1 ( מ־עולם: mé-‘ ôlam), ils doivent être identifiés à des personnages antédiluviens qui se seraient réincarnés après le Déluge dans le lignée de Sem. Enfin, dans la mesure où ils sont engendrés par les fils de l ’Élohim, ils doivent eux-mêmes posséder cette qualité de fils-bâtisseurs de l ’Élohim. La synthèse de ces indices impose alors d’identifier ces Héros avec les « fils-bâtisseurs » qu’Hénokh a engendrés après son premier séjour auprès de l’Élohim : Et Hénokh marcha (jusqu’au taw avec) le modèle de l ’Élohim après avoir engendré le modèle de Métouchélah, (pendant) trois cents année(s) Et il engendra des fils-bâtisseurs et des filles-bâtisseuses. (Genèse 5, 22) 1. La lettre waw correspondant au sixième jour de la première semaine de la création, sa présence dans la graphie du mot עולםdoit donc renvoyer au modèle intelligible du « monde » que décrit cette semaine.
CHAP. 23 – LES CENT CINQUANTE JOURS HEROÏQUES
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Ils sont en effet les seuls, avec Noé et ses fils, à connaître le modèle de l’Élohim qu’Hénokh a découvert lors de son premier voyage. Au terme de cette remise en ordre des pièces d’un puzzle extrêmement complexe, on peut raisonnablement conclure que ces Héros sont les héritiers d’Hénokh et que leurs « eaux héroïques » doivent être celles de la Sagesse sacerdotale des « hommes du Nom », ceux qui connaissent le nom de Yahvéh. § 189 Les Héros « chasseurs » En réalité, ce statut sacerdotal du héros qui vient d’être déduit de la première occurrence du mot gibor ne rend compte que de la moitié du paradigme. La deuxième occurrence de gibor renvoie en effet à une autre catégorie de héros qui, elle, n’a pas une origine antédiluvienne. Elle n’apparaît qu’après le Déluge, au moment où Cham, le deuxième fils de Noé, engendre sa lignée : Et Kouch (fils de Cham) a(vait) engendré le modèle de Nimrod : Celui-ci (Nimrod) a(vait)réalisé (le modèle) pour qu’existe un héros ()גבר dans la terre : Celui-ci (Nimrod) a existé (en tant que) héros de chasse ( )גבר צידen vue des faces de Yahvéh : Car après le jubilé il sera dit : Comparable à Nimrod (est) le héros de chasse ( )גבור צידen vue des faces de Yahvéh Et le principe (de Sagesse) du royaume de ce (Nimrod est) Babel ( בבל: 9) et Érekh ( ארך: +11) et Accad ( אכד: +9) et Kalnéh ( כלנה: + 21 = 50) dans la terre de Chinear. (Genèse 10, 8-10)
Nimrod, ce petit-fils de Cham dont le nom signifie « Nous nous révolterons ! », est donc le fondateur du royaume dont la capitale sera Babel, un royaume qui se révoltera effectivement au moment de la construction de la tour de Babel et dont la révolte est appelée à durer jusqu’au jubilé conformément au modèle 50 que construisent ses quatre villes. Conformément au plan divin, la domination du roi de Babel ne prendra donc fin qu’à la cinquantième génération des rois de Juda après qu’un nouveau roi de Babel, Nabuchodonosor, aura conduit les fils de Josias à leur perte. Ce Nimrod exercera la fonction de héros de chasse ( )גבר צידet se survivra après le jubilé, donc après la disparition de son royaume, en la personne d’un autre « héros de chasse » ( )גבור צידqui lui sera comparable et qui reproduira après l’exil le modèle du roi révolté qu’incarnait Nimrod. Après le départ des Judéens en exil, face aux héros que seront les hommes du Nom se dresseront donc des anti-héros désignés comme héros de chasse. Les premiers incarneront une fonction sacerdotale d’origine antédiluvienne remontant à Hénokh, les seconds hériteront de la fonction royale instituée après le Déluge, à l’instigation des fils de Lamèch. Le temps des Héros sera
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LA TR AVERSÉE DU DÉLUGE
donc encore un temps d’affrontement entre les modèles du sacerdoce et de la royauté. Pour en savoir plus sur ces héros de la période exilique et postexilique, il faudrait entrer de plain pied dans l’interprétation des épisodes de l’histoire biblique qui préfigurent leur action. Une première piste est fournie par le titre de chasseur ( )צידdonné au héros royal, un titre qui renvoie par analogie au seul chasseur de toute l’histoire biblique, Ésaü (Genèse 25, 27), le frère ennemi de Jacob. Par ce biais, Siméon invite donc l’initié à lire dans l’histoire conflictuelle d’Ésaü ( = עשו15) et de Jacob (= יעקב 12), une préfiguration des conflits internes qui traverseront l’histoire postexilique. Mais comme le conflit qui opposa les deux fils d’Isaac n’est luimême qu’une reprise du conflit primordial qui opposa Caïn ( = קין15) et Abel ( = הבל12), l’histoire des institutions du second Temple devra donc, en dernière analyse, être interprétée à la lumière de l’histoire des deux fils de l’Adam façonné. Du départ en exil à la reconstruction du Temple, l’histoire judéenne sera donc celle d’un antagonisme entre pouvoir royal et sacerdotal, comme ce fut le cas pendant les périodes précédentes. Les personnages qui incarneront alors ces deux fonctions seront Zorobabel fils de Chealtiel, le gouverneur et Josué fils de Yoçadaq, le grand prêtre. Ces acteurs portent des noms fonctions. Zorobabel (zerou bavel : Vannez Babel !) est le représentant du roi des Perses qui a reçu mission d’éliminer le roi de Babel, ce que fera Cyrus 2 . Quant à Josué, grand prêtre postexilique, il est un nouveau Josué, chargé comme son modèle, de faire entrer le peuple dispersé au pays de Canaan. Pour définir correctement sa fonction il faudra donc au préalable déchiffrer l’histoire de son illustre modèle. Comme Josué, ce grand prêtre postexilique recevra mission de faire entrer le peuple dans la terre promise à son retour de l’exil, mais comme Josué il mourra avant que cette terre n’ait été conquise. Les eaux héroïques du récit du Déluge sont donc la représentation allégorique de cette double Sagesse que les Judéens ramèneront en Canaan au retour de leur exil à Babel et dont les garants seront Zorobabel fils de Chealtiel, le gouverneur mis en place par le pouvoir perse, et Josué fils de Yoçadaq, le nouveau Josué. Le premier, le gouverneur, sera le porte-parole 2. L’étymologie du nom de Zorobabel ( )זר־בבלest donnée dans un oracle de Jérémie contre Babylone que Dhorme traduit de façon conventionnelle par : « J’enverrai à Babel ( )בבלdes vanneurs ( )זר־יםet ils la vanneront (( » )ו־זר־והJérémie 51, 2). D’après l’Écriture, Zorobabel est « le vanneur de Babel » ( )זר־בבלet, d’après la lecture (zerou-bavel), celui qui donne l’ordre de vanner Babel : « vannez Babel ! ». Cette traduction est purement conventionnelle – d’autres préfèrent rendre le verbe par « piller » ou « traiter comme un pays étranger, ennemi ». Quoiqu’il en soit, la mission de Zorobabel est de détruire Babylone, mission que les Perses exécuteront. Zorobabel est donc le représentant du pouvoir perse et son rôle consiste alors à maintenir la Judée sous la domination de rois étrangers.
CHAP. 23 – LES CENT CINQUANTE JOURS HEROÏQUES
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d’une sagesse étrangère héritée de Nimrod ; le second, d’une sagesse sacerdotale héritée de Josué, l’auxiliaire de Moïse, une sagesse dont l’origine remonte à Hénokh lui-même. § 190 La décrue des eaux Cette période des eaux héroïques pendant laquelle royauté et sacerdoce continueront à être en concurrence, durera cent cinquante jours. Et les eaux rendirent-héroïque (yigverou : )י־גבר־וla montée de la terre (pendant) cinquante et cent (du) jour. […] Et à partir d’une extrémité (miqeçéh) des cinquante et cent jour(s) les eaux diminuèrent. (Genèse 7, 24-8, 3)
C’est sous l’influence de la Septante que les traducteurs modernes donnent à mi-qetséh le sens de « au bout de » dans la phrase « et les eaux décrurent au bout de (mi-qeçéh) cent cinquante jours ». En réalité, le mot qeçèh est un terme technique qui désigne les deux extrémités d’une chose, comme dans l’expression « de l ’extrémité vers l ’extrémité (min haqeçèh ’èl haqeçèh) » (Exode 26, 28). On doit en déduire que l’expression « à partir d’une extrémité (miqeçèh) des cent cinquante jours » renvoie au début de la période et non à sa fin comme le laisse entendre la lecture traditionnelle en traduisant par « au bout de ». Les eaux qui avaient atteint leur cote maximale de quinze coudées au moment du départ des Judéens en exil (§ 187), commencent logiquement à décroître au début de la période de cent cinquante jours. Probablement faut-il associer cette décrue des eaux de Sagesse qui arrosent l’humanité entière au fait que les Judéens en commencent alors la collecte, conformément au plan divin. Et Élohim dit les eaux (qui proviennent) de la descente des cieux vers un lieu unique seront collectées. Et la (terre) sèche sera vue. (Genèse 1, 9)
À l’imitation de la Sagesse de Jésus Ben Sira qui « s’était enrichie en tout peuple, en toute nation » avant d’être donnée en plénitude à Israël (§ 67), le peuple judéen s’enrichit de cette sagesse encore dispersée dont la synthèse devra être faite dans ce « lieu unique » qu’est le Temple. La mission de 150 jours confiée à ces héros fait suite aux 129 jours de la première période. Elle prend donc fin le 279e jour (129 + 150 = 279), c’est-à-dire 85 jours avant la fin de l’année (364 – 279 = 85). Ce n’est donc qu’après avoir reçu de la bouche des héros l’enseignement d’une double Sagesse que le peuple judéen entrera dans la période décisive de son histoire, celle qui le mènera jusqu’au taw. Placée sous les auspices du nombre 85, cette ultime période sera celle de la réalisation du modèle de création, celle pendant laquelle sera rédigée cette Écriture dont la double hauteur
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sera gravée au moyen des lettres fondamentales dont la valeur numérique est 85 (§ 78, Tableau 7). § 191 150 jours répartis entre trois groupes d’exilés Si les 150 jours des eaux héroïques commencent au moment du départ en exil des Judéens, ils ne s’achèvent pas au moment du retour des seuls exilés de Babylone qui eut lieu au bout de 70 ans, conformément à la prophétie de Jérémie : Quand soixante-dix ans se seront écoulés pour Babylone, je m’occuperai de vous et j’accomplirai pour vous mes promesses concernant votre retour en ce lieu (à Jérusalem). (Jérémie 29, 10)
Il faut donc rendre compte de la fonction de ces 80 jours manquants qui doivent alors correspondre à l’apport spécifique du reste du peuple exilé en Égypte ou resté en Canaan. Pour cela il faut se reporter au paradigme d’interprétation du nombre 80. Sa première occurrence renvoie à l’histoire de Moïse : Et Moïse (est) fils-bâtisseur de quatre-vingt année(s) et Aaron fils-bâtisseur de trois et quatre-vingt année(s) lorsqu’ils parlent vers Pharaon. (Exode 7, 7)
Le nombre 80 doit donc être interprété par référence aux 80 premières années de la vie de Moïse qui furent partagées entre l’Égypte et le pays de Madian où il trouva refuge après avoir tué un égyptien (Exode 2, 15). C’est là qu’il eut la vision du Buisson ardent et la révélation du nom de Yahvéh (Exode 3). Si rien n’est dit de la durée respective de ces deux séjours, c’est qu’elle peut être déduite du parallélisme qui existe entre les 120 ans de la vie de Moïse et les 120 jours de l’histoire des eaux du Déluge. Puisque ces eaux se répandent en trois périodes de 40 jours, la quête de la Sagesse par Moïse doit nécessairement épouser le même rythme. Cette tripartition harmonieuse de sa vie était encore connue de la première communauté chrétienne. Dans les Actes des apôtres, le diacre Étienne rappelle aux juifs qui s’apprêtent à le lapider que les 120 années de la vie de Moïse furent divisées en trois parties égales : pendant 40 ans « il fut initié à toute la sagesse des Égyptiens », pendant 40 ans, « il se réfugia dans le pays de Madian » et pendant 40 ans « il opéra des signes et des prodiges […] dans le Désert » (Actes 7, 20-36). Cette même tripartition de la vie, symbole d’une maîtrise parfaite de la Sagesse, sera également appliquée à Rabbi Aqiba par ses disciples 3. Les 150 jours de l’histoire judéenne sont donc la synthèse de trois nombres intermédiaires (40 + 40 + 70 = 150) qui doivent être mis en rap3. BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 18-20.
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port avec la dispersion jubilaire des fils de Josias entre trois pays, Babylone, Canaan et l’Égypte (§ 107). On peut en déduire que puisque le nombre 70 renvoie aux exilés de Babylone, le nombre 40, répété par deux fois, doit renvoyer à ceux de Canaan et d’Égypte. Cependant, si la durée du séjour des exilés d’Égypte renvoie bien au modèle de Moïse qui passa 40 ans en Égypte, le lieu d’exil du troisième groupe n’est pas Madian, mais Canaan. La contradiction n’est en fait qu’apparente, car Qetoura, la mère de Madian (Genèse 25, 1-2), l’engendra pendant le séjour d’Abraham en Canaan (Genèse 24, 3). Les 40 ans d’exil des Judéens en Canaan ( כנען: 20) correspondent donc bien à l’exil de Moïse au pays de Madian ( מדין: + 20 = 40). Ce parallèle entre l’histoire des exilés et celle de Moïse nous apprend en fin de compte que ceux d’Égypte et de Canaan se conformèrent au plan divin en collectant la sagesse des Égyptiens et celle des Cananéens comme Moïse l’avait fait. Mais il met surtout en lumière l’attitude des Judéens de Babylone qui, au lieu d’acquérir la Sagesse que Moïse enseigna pendant ses 40 années au Désert, préférèrent collecter celle des 70 nations pendant les 70 ans de leur exil à Babel. Au terme des 150 jours héroïques une part de la Sagesse aura donc bien été collectée auprès des nations. Mais il restera encore à en faire la synthèse sous le contrôle du Temple 4 . On disposera pour cela d’un délai de 85 jours avant d’atteindre le seuil de l’ère nouvelle (§ 190). § 192 Le repos de l’Arche au retour de Babel Et les eaux diminuèrent à partir d’une extrémité (miqeçéh) des cinquante et cent jours Et dans le septième mois le dix-septième jour pour le mois l ’arche donna-le-repos (à) la montée des montagnes d’Ararat. (Genèse 8, 3-4)
Entre le premier jour de l’exil des Judéens – le 130 e jour de l’année (§ 190) – et le moment où l’arche trouve le repos sur les montagnes d’Ararat – le 200e jour de l’année 5 – 70 jours se sont écoulés qui correspondent donc à la durée de l’exil en Babylonie prophétisée par Jérémie. L’accostage de l’Arche sur les montagnes d’Ararat préfigure donc le retour des Judéens de Babylone à Jérusalem après la défaite du roi de Babel face aux Perses. 4. L’Égypte avait été conquise par les Perses dès 525 avant notre ère, une dizaine d’années seulement après la prise de Babylone par Cyrus. À partir de cette date, sagesse égyptienne et cananéenne deviennent alors deux facettes d’une même sagesse, celle des Perses. Ce qui peut expliquer pourquoi le récit ne fait pas intervenir les exilés d’Égypte, de façon spécifique pendant cette période, alors qu’ils occuperont le devant de la scène à la période grecque. 5. Le 17e jour du 7e mois solaire : 182 + 1 + 17 = 200.
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Le 200e jour du Déluge, la période de domination de la Perse sur la Judée commence, l’ancien royaume de Juda est intégré à la province perse de Transeuphratène. Lorsque les exilés de Babylone reviennent au bout de 70 ans, ceux de Canaan-Madian, qui sont restés sur place, ont déjà achevé les 40 ans de leur collecte de Sagesse. Ils peuvent donc, à ce titre, revendiquer une primauté sur les nouveaux arrivants. Mais tel n’est pas le plan divin. L’élection de ceux de Babel avait en effet été annoncée plusieurs siècles auparavant par la bouche du prophète Isaïe : Moi, Yahvéh, j’ai tout fait [...], Moi qui dis de Jérusalem : elle sera habitée ; et des villes de Juda : elles seront rebâties. Ses ruines, je les relèverai ! Moi qui dis à l ’abîme : sois sec, j’assècherai tes fleuves ! Moi qui dis à Cyrus ( כורש: 23) : mon berger ! tandis qu’il fera aboutir toute ma volonté, en disant de Jérusalem : qu’elle soit rebâtie ! et du Temple : tu seras fondé ! (Isaïe 44, 24-28)
La victoire de Cyrus le roi des Perses sur le roi de Babel avait été programmée par Yahvéh afin de confier aux exilés de Babel, et non à ceux de Canaan, la mission de rebâtir Jérusalem et de « fonder » le nouveau Temple. Ce changement de domination n’apporte aucune sagesse nouvelle aux exilés. Cyrus ( = כורש23) marche sur la même voie de Sagesse que Nimrod le révolté ( = נמרד23) et ce qu’il propose aux exilés de reconstruire c’est un pays à son image, le pays de Juda ( = יהודה23) et non de recréer la terre d’Israël ( = ישראל22) sur le modèle des 22 jours de la création initiale. § 193 Les montagnes d’Ararat et leurs habitants Si le repos de l’Arche sur les montagnes d’Ararat préfigure le retour des Judéens de Babylonie en Transeuphratène et à Jérusalem, pourquoi avoir donné à ces montagnes le nom d’Ararat, une région d’Arménie connue à période ancienne sous le nom d’Urartu ? En dehors du récit du Déluge il n’est fait mention d’Ararat qu’en une occasion, c’est donc là qu’il faut chercher la solution. Pendant la période royale, sous le règne d’Ézéchias de Juda, Sennacherib, roi d’Assur, tenta de prendre Jérusalem, se proposant d’emmener les Judéens dans ce pays d’Assur qu’il faisait miroiter à leurs yeux comme une nouvelle Terre promise (2 Rois 18, 31-32). Le roi Ézéchias refusa de se laisser tenter et l’Ange de Yahvéh sortit et frappa le camp des Assyriens obligeant Sennachérib à battre en retraite et à s’en retourner à Ninive :
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Or, comme (Sennachérib) était prosterné dans la Maison de son dieu Nisrok, Adrammélekh et Sarèser le frappèrent de l’épée et s’enfuirent au pays d’Ararat. (2 Rois 19, 37)
Adrammélekh ( אדרמלך: 26) et Sarèser ( שראצר: + 24 = 50) dont les noms construisent le modèle jubilaire, auraient donc occupé le pays d’Ararat dès la période royale, longtemps avant le retour des exilés de Babylonie, et se seraient promis, comme l’indique leur nombre, d’y rester jusqu’au Jubilé. Leur ambition était plus grande encore. Le livre d’Isaïe propose en effet une version des faits identique à celle du livre des Rois, à un détail près : Il y est précisé que les deux meurtriers sont les fils-bâtisseurs du roi Sennachérib : Or, comme (Sennacherib) était prosterné dans la Maison de son dieu Nisrok, Adrammélekh et Sarèser, ses fils-bâtisseurs, le frappèrent de l’épée et s’enfuirent au pays d’Ararat. (Isaïe 37, 38)
Le modèle arithmologique qu’ils construisent s’en trouve alors modifié. Les deux fils dont les noms valent 50 héritent en commun du nombre de leur père Sennachérib ( סנחריב: + 20) et construisent alors le nombre 70. Adrammélekh et Sarèser prétendent donc non seulement réaliser le modèle jubilaire mais aussi hériter de la sagesse des soixante-dix nations, au même titre que les Judéens qui reviennent après soixante-dix ans d’exil. En un mot, ils prétendent être les bénéficiaires des cent vingt jours de l’Esprit (70 + 50 = 120), les héritiers légitimes de la sagesse de Moïse. Adrammélekh, Sarèser et les habitants des montagnes d’Ararat se prennent pour le peuple élu ! Pour transposer dans l’histoire de la période perse ce conflit de légitimité entre les fils de Sennacherib et les habitants de l’Arche de retour en Canaan, il faut revenir à l’histoire du royaume d’Israël qui en décrit le modèle. On a vu qu’à la mort de Salomon, les douze tribus s’étaient scindées en deux royaumes, Juda et Israël, dont l’histoire entrelacée est rapportée dans le deuxième livre des Rois (§ 94). Privilégier l’histoire de la tribu de Juda, comme nous l’avons fait dans les analyses précédentes, ne doit pas faire oublier que les deux royaumes sont complémentaires et que la réalisation définitive du plan divin implique leur réunification préalable sous la houlette d’un nouveau David qui leur fera revivre ces temps idéaux où ils ne formaient qu’un seul peuple. À la différence de la tribu de Juda dont on peut suivre la généalogie des origines jusqu’à la destruction du premier Temple (§ 104, Tableau 20), les tribus d’Israël disparaissent avant cette date, au moment de leur exil en Assyrie (§ 115, Tableau 24). La tradition juive rabbinique dira d’elles qu’elles sont passées de l’autre côté du fleuve Sanbation, c’est-à-dire au-delà de ce Grand Sabbat ( שבת־ון: Chabaton) de la fin des temps qui verra leur retour. Les habitants du pays où vient reposer l’Arche ne sont donc pas ces
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Israélites mais les nations qui furent déportées pour coloniser le territoire laissé vide par leur exil. L’origine de ces colons est rapportée dans le deuxième livre des Rois. Après la tentative avortée de Sennachérib contre Jérusalem, Salmanasar, fils de Sennachérib, prit la ville de Samarie, emmena les tribus d’Israël en exil dans cette nouvelle terre promise où Ézéchias avait refusé d’entraîner le peuple judéen et mit à leur place des colons étrangers : En l’an neuf d’Osée (roi d’Israël), le roi d’Assur (Salmanasar) s’empara de Samarie et il déporta les Israélites en Assyrie. (2 Rois 17, 6) (À la suite de quoi) le roi d’Assur fit venir des gens de Babel, de Koutah, d’Awwah, de Hamath et de Sepharwaïm. Il les installa dans les villes de Samarie à la place des fils d’Israël. (2 Rois 17, 24)
Ces colons ignoraient le culte de Yahvéh. Au début de leur installation en ce lieu (la Samarie), ils ne révéraient pas Yahvéh et Yahvéh lâcha contre eux des lions qui faisaient un carnage parmi eux. Ils s’adressèrent au roi d’Assur pour dire : « les nations que tu as déportées et installées dans les villes de Samarie ne connaissent pas le culte du dieu du pays. Aussi a-t-il lâché contre elles des lions et voilà que ceux-ci les mettent à mort, vu qu’ils ne connaissent pas le culte du dieu du pays. » Alors le roi d’Assur donna un ordre, en disant : « faites partir de là-bas l’un des prêtres que vous avez déportés de là ; qu’il aille s’installer là-bas et qu’il leur apprenne le culte du dieu du pays ». Il vint donc l’un des prêtres qu’on avait déporté de Samarie et il s’installa à Béthel : il leur apprenait comment on devait révérer Yahvéh. (2 Rois 17, 24-28)
Ces nations associèrent en fait au culte de Yahvéh le culte des idoles importé en Samarie par Adrammélekh et Sarèser, les deux fils de Sennachérib. La dernière de ces nations, celle des Sepharwaïtes, alla même jusqu’à diviniser Adrammélekh : Quant aux gens de Sepharwayim, ils brûlaient leurs fils par le feu en l’honneur d’Adrammélekh et d’Anammélek, dieux de Sepharwaïm. (2 Rois 17, 31)
Quant aux gens de Béthel, la ville où s’était installé le prêtre d’Israël envoyé pour initier ces colons au culte de Yahvéh, ils ne furent pas en reste : lorsque la reconstruction du Temple postexilique fut entreprise par les Judéens revenus d’exil : (La ville de) Béthel envoya Sarèser et Régém-Mélék, chacun avec ses gens, pour adoucir la face de Yahvéh. (Zacharie 7, 2)
Quel que soit le sens précis de ce texte, il met en scène le second des meurtriers de Sennachérib en l’associant à Béthel, la ville du prêtre de Yahvéh, et lui prête l’intention de se concilier les bonnes grâces de ce Yahvéh dont les Judéens sont en train de reconstruire le Temple.
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Ces renvois analogiques – tous ont été pris en compte – signifient que, sous le pseudonyme d’Ararat, les montagnes où l’Arche se repose sont les montagnes de Transeuphratène sur lesquelles les habitants de Canaan, descendants de ces colons étrangers déportés par les Assyriens, continuent de pratiquer un culte syncrétiste, pseudo-yahviste. Comme l’indique le nombre d’Ararat ( אררט: 15), ce pays est toujours contrôlé par un pouvoir royal contrefait, celui des fils du roi d’Assur. À travers le thème d’Ararat on rejoint donc l’histoire de la Transeuphratène et celle des conflits qui opposèrent les Judéens revenus de leur exil à Babylone aux habitants de Samarie, qu’il faut alors identifier à ce tiers des habitants de Judée restés sur place après la destruction du premier Temple. § 194 Les Cinq derniers jours des temps héroïques Les yavhistes authentiques de retour de 70 ans d’exil à Babylone seront condamnés à rester enfermés dans leur Arche jusqu’à la fin de la période des « eaux héroïques », tandis que les seconds pourront pratiquer impunément leur culte au grand jour sur « toute montagne élevée et sur toute colline verdoyante ». C’est seulement à partir du 1er jour du 10 e mois – le 275e jour de l’année 6 – que la situation commencera à s’inverser. Les eaux avaient existé (effectuant un) aller et (une) diminution, jusqu’au dixième mois Dans le dixième (mois), dans le un en vue du mois, les têtes des montagnes ont été vues. Et (la lumière) exista à partir de l ’extrémité de quarante jour(s) Et Noé ouvrit le modèle de la fenêtre de l ’arche qu’il avait fait Et il envoya le modèle du Corbeau. (Genèse 8, 5-7)
L’identité de celui qui va débloquer la situation n’est pas révélée en clair. Par qui « les têtes des montagnes ont-elles été vues » ? Qui, ou quoi, « existe à partir de l ’extrémité de quarante jours » ? Pour répondre à ces questions, on doit considérer qu’en l’absence de toute autre précision, l’anonyme qui « voit les têtes des montagnes » doit être celui que le paradigme a désigné comme premier sujet du verbe « voir ». On se trouve alors renvoyé au récit de création : Et Élohim dit : (De la) lumière existera Et (de la) lumière exista Et Élohim vit le modèle de la lumière. (Genèse 1, 4)
Conformément à ce paradigme, celui qui « voit les têtes des montagnes » doit alors être Élohim et ce qui commence à exister : « la lumière ». Cinq jours avant la fin de la période des héros, Élohim aurait donc décidé d’ap6. 1er jour du 10 e mois solaire = 182 + 91 + 1 + 1 = 275e jour.
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porter la lumière aux Judéens. Cette décision aurait été provoquée par la vision de « têtes des montagnes » d’Ararat sur lesquelles règnent les fils divinisés de Sennacherib et où habitent ces Samaritains. Cette identification est confirmée par les autres occurrences de l’expression « têtes des montagnes », dont il suffira de citer la plus explicite 7. Écoutez la parole de Yahvéh, ô fils d’Israël, car Yahvéh a un procès avec les habitants du pays car il n’y a ni vérité, ni piété, ni connaissance d’Élohim dans le pays. (Osée 4, 1) […] Car ils se sont prostitués à l’écart de leur Élohim. Sur les têtes des montagnes ils sacrifient et sur les collines ils encensent […]. (Osée 4, 12-13)
L’entreprise des cinq derniers jours des « eaux héroïques » vise donc à mettre fin aux cultes syncrétistes pratiqués par ces Samaritains. Élohim – l’hypostase divine préposée à l’ensemble de l’humanité – constate que ceux qui sacrifient sur les « têtes des montagnes » d’Ararat ne le « connaissent » pas et « se prostituent à l ’écart de leur Élohim ». Les cinq jours de transition entre le temps des héros et la période suivante vont donc être employés par Élohim à préparer une riposte contre les cultes idolâtriques de ceux qui sont restés en Canaan, une riposte qui sera la fondation du Temple de Yahvéh sur l’une de ces montagnes d’Ararat encore vouées à un culte syncrétiste. § 195 L’Arche devient Temple La décision prise par Élohim de manifester la lumière coïncide avec le début d’une nouvelle période prévue pour durer 40 jours : Dans le dixième (mois), dans le un en vue du mois, les têtes des montagnes ont été vues Et (la lumière) exista à partir de l’extrémité de quarante jour(s) Et Noé ouvrit le modèle de la fenêtre de l ’arche qu’il avait fait. (Genèse 8, 6-7)
On notera que cette période de 40 jours commence le 1er jour du 10 mois (le 275e jour de l’année) c’est-à-dire cinq jours avant la fin de la période de 150 jours des eaux héroïques (129 + 150 = 279). C’est donc pendant ces cinq jours – entre le début du 275e jour à la fin du 279e – que va se produire l’événement décisif qui mettra fin au temps des héros. e
7. Le livre des Juges (Juges 9) renvoie également aux « têtes des montagnes » à propos de l’histoire d’Abimélek et associe alors celles-ci aux maîtres de Sichem, capitale religieuse de la Samarie, qu’Abimélek finit par exterminer. Ce même thème de l’extermination de ceux qui adorent les idoles sur « les têtes des montagnes » sera repris par Ézéchiel 6, 13 et Joël 2, 5.
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Noé qui était resté inactif dans son Arche jusqu’à ce moment précis, prend l’initiative qui va permettre au peuple judéen d’atteindre le terme de son histoire. Et Noé ouvrit le modèle de la fenêtre de l ’arche qu’il avait fait. (Genèse 8, 6)
Cette ouverture n’a lieu qu’après que « le modèle de l ’Arche a été fait ». Cette « fabrication » avait été annoncée en conclusion du récit de création, lorsque le Très-Haut avait précisé qu’Élohim « avait créé en vue de faire » (Genèse 2, 3). Ces cinq derniers jours sont donc consacrés par Noé à faire cette Arche qui jusqu’ici n’avait pas de statut dans le monde terrestre. Et comme le monde sensible n’est que la représentation inversée de l’intelligible, cette réplique de l’Arche ( תיב־ה: tévah) recevra un nom dont les lettres stables ( )ב←תinverseront celle de l’Arche ()ת←ב. L’Arche deviendra Temple, la Maison de Yahvéh 8 ( בית: bayit). De plus, pour signifier que ce Temple aura pour mission de faire la synthèse de toute la Sagesse, les cinq jours que dure sa construction participent à la fois aux deux périodes. Dernier jour de la période des « eaux héroïques », ils sont aussi les premiers jours de la nouvelle période de 40 jours qui commence. § 196 Temps sacré et temps profane Pour rendre plus évidente encore cette fonction de médiation du Temple, Siméon en fait débuter la construction à une double date. Alors que sa mise en chantier a lieu le 1er jour du 10 e mois dans la chronologie du Déluge (§ 194), le livre du prophète Aggée la date explicitement du 24 e jour du 6 e mois du règne de Darius le Perse. C’est à cette date que Zorobabel et Josué vont collecter les matériaux nécessaires à la reconstruction : En l’an deux du roi Darius, au sixième mois, au premier jour du mois, la parole de Yahvéh fut adressée, par l’organe du prophète Aggée, à Zorobabel, fils de Chealtiel, et à Josué fils de Yoçadaq, le grand prêtre, pour dire : […] Est-ce le moment pour vous d’habiter dans vos maisons lambrissées, alors que cette Maison est en ruine ? (Aggée 1, 4) Montez à la montagne et ramenez du bois, bâtissez la Maison et je l’agréerai, j’en serai honoré, a dit Yahvéh. (Aggée 1, 8)
La « montagne » sur laquelle il faut monter est l’une des montagnes d’Ararat, celle où repose l’Arche. Le « bois » ( )עץqu’il faut en 8. La place des lettres stables du Temple ( )ב←תdans l’algorithme suffit à suggérer sa relation à l’Arche ()ת←ב. On notera seulement que ce Temple ()בת contient implicitement toute la création dont le récit commence avec le bèt ( )ב־de Berè’chit « au moyen d’un principe » (Genèse 1, 1) et s’achève avec le taw ( )־תde la‘asoT « qu’Élohim avait créée en vue de faire (la‘asoT) » (Genèse 2, 3).
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ramener est ce « bois de gofèr » ( )עצי גפרdont l’Arche doit être faite (Genèse 6, 14). Alors Yahvéh réveilla l’esprit de Zorobabel, fils de Chealtiel, gouverneur de Juda et l’esprit de Josué, fils de Yoçadaq, grand prêtre et l’esprit de tout le reste du peuple. Ils vinrent faire le travail dans la maison de Yahvéh des armées, leur Dieu, le vingt-quatrième jour du sixième mois. (Aggée 1, 14-15)
D’après ce comput du prophète Aggée, la reconstruction du Temple commence le 176 e jour 9 de l’année et doit être achevée cinq jours plus tard, le 181e jour et non pas le 279e comme dans la chronologie du Déluge. Cette contradiction n’est bien évidemment qu’apparente et introduite là pour tester la sagacité de l’initié. Elle s’explique par le fait que la date d’Aggée n’est pas calculée par référence au début du Déluge mais par référence à celui du règne de Darius le Perse. Ce règne ne commença qu’au moment où l’arche accosta les montagnes d’Ararat 10, c’est-à-dire le 200 e jour du Déluge. Il faut donc ajouter aux 181 jours indiqués par Aggée, les 199 qui précédèrent le repos de l’Arche, ce qui nous conduit au 380e jour de l’année, (199 +181), c’est-à-dire au 15e jour du 1er mois 11, date de la sortie d’Égypte. Au moment de l’entrée en fonction du nouveau Temple, Zorobabel, Josué et le peuple de Canaan se retrouvent donc dans la situation qui fut celle des fils d’Israël au moment de leur sortie d’Égypte. La suite de leur histoire dépendra donc de l’attitude qu’ils adopteront face aux commandements divins. Le 279e jour ayant été atteint, ils disposent encore d’un délai de 85 jours (364 – 279) pour acquérir, jour après jour, la connaissance parfaite d’une Écriture dont les 22 lettres araméennes construisent ce nombre 85 (§ 78, Tableau 7). § 197 Le Corbeau chassé de l’Arche Les deux premières décisions que prend Noé au début de cette nouvelle période sont d’« ouvrir le modèle de la fenêtre de l ’Arche » et d’« envoyer le modèle du Corbeau ». Et Noé ouvrit le modèle de la fenêtre de l ’arche qu’il avait fait Et il envoya le modèle du Corbeau.
9. 24 e jour du 6 e mois solaire = 91 + 1 + 30 + 30 + 24 = 176 e jour. 10. Puisque l’arche accoste au moment où les Judéens exilé à Babel sont libérés par les Perses, le comput de la période perse doit débuter à cette date, c’est-à-dire le 200 e jour de l’année. 11. 380 = 364 + 1 + 15 = 15e jour du 1er mois solaire de la deuxième année.
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Le paradigme du verbe « ouvrir » ( פתח: patah) a été défini au début du récit du Déluge, lorsqu’il a été précisé que « les sources de l ’abîme nombreux avaient été fendues et les écluses des cieux ouvertes (( » )פתחGenèse 7, 11). En « ouvrant la fenêtre », Noé donne donc à l’humanité postdiluvienne la possibilité d’accéder aux eaux de la Sagesse céleste 12. Cependant cette fenêtre qu’il ouvre n’est pas celle du Temple mais celle de l’Arche, ce qui doit signifier que cette Sagesse céleste est encore confinée dans le monde intelligible mais en passe de se manifester dans l’histoire. Telle est du moins ce qu’annonce cette « fenêtre » ( חלון: halon) dont les lettres préfigurent la réalisation ( )חל־du plan divin au terme d’une période jubilaire ( )־ון13. À la suite de cette ouverture, le « modèle du Corbeau » est « envoyé » ( שלח: chalah) comme l’Adam façonné avait été envoyé hors du Jardin d’Éden (Genèse 3, 23). Cet envoi signifie probablement que ce Corbeau est exclu – au moins provisoirement – de cette Sagesse céleste que le peuple judéen doit acquérir pendant les 85 derniers jours de son histoire et est envoyé hors de l’Arche dans le lieu de la Sagesse terrestre. Ce Corbeau (‘orèv : )ערבfait partie de deux listes d’animaux impurs interdits à la consommation (Lévitique 11, 13-19 ; Deutéronome 14, 14), des listes dans lesquelles il apparaît en compagnie du Gypaète barbu (pèrès : )פרס, un rapace que sa graphie identifie au Perse (paras : )פרס. Parmi les oiseaux, voici ceux qui sont une horreur ; on ne les mange pas, ils sont une horreur : L’aigle, le gypaète (pèrès : )פרס, l’aigle marin, le milan, les différentes espèces de vautours, toutes les espèces de corbeaux (‘orév : )ערב […]. (Lévitique 11, 13-15)
Ce Corbeau que Noé envoie n’est donc pas l’occupant perse (paras : )פרסlui-même, mais les habitants du pays de Canaan qui partagent l’impureté des Perses. Que Canaan soit le pays des Corbeaux est confirmé par l’histoire du prince Corbeau (‘orèv) et de son compère Loup (ze’èv), deux princes de Madian, l’autre nom du pays de Canaan (Juges 7, 5). Les 40 jours de la période perse doivent alors être mis en rapport avec les 40 ans que Moïse passa en Madian. Et puisque que Moïse eut la révélation du nom de Yahvéh pendant ce séjour en Madian, le grand prêtre de la période perse doit être prêtre de Yahvéh, l’héritier des prêtres lévites de la période biblique dont le modèle fut ce Pinhas avec qui Yahvéh avait fait 12. La définition du paradigme du verbe ouvrir ( )פתחdevrait être précisée à partir de trois textes (Genèse 4, 7 ; 6, 16 et 7, 11). D’après Genèse 6, 16 – « Tu placeras l ’ouverture de l ’arche dans son flanc. Inférieurs, deuxièmes et troisièmes tu la feras » – l’ouverture aurait pour fonction de manifester l’intelligible à travers les trois niveaux du réel. 13. La racine חלrenvoie par ses lettres à la « réalisation » dans le monde sensible (voir § 163, note 5). La terminaison suffixée ( )־וןdoit, quant à elle, signifier que cette réalisation est celle du modèle jubilaire symbolisé par le noun final ()ן.
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alliance. Mais comme cette alliance n’était valable que pour la durée du premier Temple, ces prêtres lévites ne sont que les vestiges d’un sacerdoce dépassé et seront réduits à occuper des postes subalternes dans le nouveau Temple (§ 121). Par le biais de cette série de renvois analogiques, du Corbeau à Madian et de Madian à Canaan, on entrevoit que le Corbeau représente ce tiers des Judéens qui restèrent en Canaan après le départ des autres en Babylonie et en Égypte. Il est guidé par un sacerdoce local qui se prétend héritier des 120 jours de l’Esprit alors qu’il ne pratique qu’une religion syncrétiste et ne possède qu’une Sagesse terrestre qui ne cessera d’être enseignée que lorsque la Terre d’Israël aura été « asséchée » de toutes les eaux qui y coulent encore. Et (le Corbeau) sortit, sortant et revenant jusqu’ à l ’assèchement des eaux qui proviennent de la montée de la terre. (Genèse 8, 7)
À l’époque où Siméon écrit son Histoire de la Judée, cette partie du peuple qu’il assimile aux colons venus à la suite d’Adramélekh et de Sareser, participe au culte de Yahvéh, mais reste encore attachée au culte « des idoles » : Ces nations (déportées par le roi d’Assur) révéraient Yahvéh, mais elles servaient leurs idoles. Leurs fils aussi, et les fils de leurs fils agissent comme ont agi leurs pères, jusqu’à ce jour. (2 Rois 17, 41)
Le 5e jour du 10 e mois, Noé ouvre la fenêtre derrière laquelle se laisse entrevoir la Sagesse céleste et envoie hors du Temple la Sagesse terrestre dont le Corbeau est le porte-parole. La synthèse de ces deux Sagesses devient alors possible. Il reste aux Judéens 85 jours pour la réaliser. § 198 Perspectives d’avenir Ce fut aussi le 5e jour du 10 e mois, le jour même où la reconstruction du Temple fut achevée, que Yahvéh révéla au prophète Ézéchiel qu’elle serait l’histoire de ces derniers jours. Les circonstances de cette révélation furent les suivantes : « La onzième année de notre déportation, le dixième mois, le cinq du mois, il advint que le fugitif vint de Jérusalem vers moi, (Ézéchiel), pour dire : « La ville a été frappée. » (Ézéchiel 33, 21)
À défaut d’autre information le nom de cette ville anonyme doit être déduit de son paradigme, c’est-à-dire de la première occurrence du mot ville. On est alors renvoyé à la ville qu’Hénokh avait entrepris de construire alors qu’il appartenait encore à la lignée caïnite. C’est à cette ville que son père Caïn avait donné le nom de Chalem ()שלם, le nom porté par Jérusalem avant que la Torah n’y soit enseignée (§ 61, § 137). La ville qui a
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399
été frappée est donc Chalem et non pas Babel comme l’enseigne la lecture traditionnelle. Et si le fugitif vient de Jérusalem et non de Chalem c’est qu’il a « fui » la ville alors que la Torah y était déjà enseignée. Telle est en effet l’étymologie du nom de Jérusalem : « Enseignez la Torah à Salem » ( ירו־שלם: yerou-chalayim). Les mots choisis par le fugitif pour annoncer la nouvelle – « La ville (Chalem) a été frappée » – signifient également que le « signe » que Yahvéh avait donné à Caïn pour que celui qui le rencontrerait « ne le frappe pas » (Genèse 4, 15) a cessé de le protéger. Le délai accordé aux habitants caïnites de Chalem est dépassé et les fils de Seth ont retrouvé les droits dont l’assassinat d’Abel les avait privés. Quant au « fugitif » (ha-palit) qui vient annoncer la nouvelle, il rejoue le rôle de cet autre « fugitif » (ha-palit) qui était venu annoncer à Abram l’enlèvement de Loth par le roi de Sodome : Le fugitif (ha-palit) vint annoncer la chose à Abram, l’Hébreu […]. Dès qu’Abram entendit que son frère (Loth) avait été emmené captif, il mobilisa ses artisans-de-la-Dédicace (hanikhim), les engendreurs (yelidim) de sa Maison […]. (Genèse 14, 13-16)
Maintenant que l’enseignement de la Torah commence à être dispensé par le Temple, les fidèles rassemblés autour du grand prêtre peuvent entrer en action. Ils seront « les engendreurs de ce Temple et les artisans de cette Dédicace (hanikhim) » annoncée par Hénokh dès avant le Déluge. Ayant appris la bonne nouvelle de la bouche du fugitif, Ézéchiel, qui était resté muet jusqu’à cet instant, se met alors à prophétiser l’histoire de ce Temple 14. Yahvéh suscitera à la tête du peuple judéen un berger unique, un nouveau David, qui sera son prince (Ézéchiel 34). Mais auparavant le pays de Seir-Édom – où habite Ésaü ( עשו: 15), le nouveau Caïn ( קין: 15) – aura été dévasté (Ézéchiel 35-36) et la maison d’Israël aura retrouvé vie conformément à la célèbre vision des ossements desséchés (Ézéchiel 37, 1-14). C’est alors que se produira la réunification de la maison d’Israël et de la maison de Juda avec à leur tête un berger unique (Ézéchiel 37, 15-28) et que la guerre eschatologique contre Gog et Magog mettra définitivement fin à la domination des peuples étrangers (Ézéchiel 38-39). Et Yahvéh de conclure ce panorama de l’histoire future en annonçant que « son Esprit sera alors répandu sur les Judéens » : Lorsque je les ramènerai du milieu des peuples et que je les rassemblerai hors des pays de leurs ennemis, par eux je me montrerai saint aux yeux de nombreuses nations. Ils sauront que je suis Yahvéh leur Dieu quand, après les avoir exilés chez les nations, je les rassemblerai sur leur sol et je ne lais14. On doit considérer que les événements ou paroles rapportées entre deux dates explicites, se rattachent à la première date. La date suivante apparaissant en Ézéchiel 40, 1, L’interprétation doit donc prendre en compte l’ensemble des chapitres 33, 21 à 39. Sur le système chronologique du livre d’Ézéchiel cf. § 97.
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serai personne d’entre eux là-bas. Je ne leur cacherai plus ma face parce que j’aurai répandu mon Esprit sur la maison d’Israël, oracle d’Adonaï Yahvéh. (Ézéchiel 39, 27-29)
Cet Esprit qui avait été divisé en trois entre Josué, Zorobabel et le peuple (Aggée 1, 14-15 : § 196), au moment de la mise en chantier du Temple, sera alors réunifié. Les 120 jours de son incarnation prendront fin et il sera répandu en plénitude sur la maison d’Israël. Mais pour que cette promesse s’accomplisse, encore faut-il que le peuple judéen parcoure sans encombre les 85 derniers jours de marche qui le conduiront au seuil de l’ère nouvelle. Dans l’interprétation juive rabbinique et chrétienne, cet accomplissement se serait produit à la période perse, au moment où Esdras aurait fait sortir la Torah du Temple. C’est alors que le peuple aurait retrouvé cette Unité qui est la condition préalable à son entrée dans le monde futur : Et tout le peuple se réunit comme un époux unique ( )כ־איש אחדsur la place qui est en face de la porte des Eaux, et ils dirent à Esdras, le scribe, d’apporter le livre de la loi de Moïse que Yahvéh avait prescrit à Israël. Et Esdras le prêtre fit venir le modèle de la Torah en vue des faces de l ’assemblée, de l ’époux jusqu’ à l ’épouse et à l’ensemble de ceux qui sont capables de comprendre, le premier jour du septième mois. (Néhémie 8, 1-2)
L’avenir annoncé par la lecture littérale de l’histoire biblique est tout autre. En précisant que le Corbeau continuera à vivre dans la dissidence jusqu’à son propre pontificat (§ 197), Siméon laisse entendre que cette belle unanimité mise en scène par l’auteur du Livre d’Esdras, n’est toujours pas réalisée au moment où lui-même occupe ses fonctions. L’équation construite par l’arithmologie est parfaitement claire sur ce point : de la mise en chantier du second Temple, le 275e jour (§ 195), jusqu’au 364 e jour de l’année, 89 jours restent à vivre qui seront divisés en deux périodes, dont la première durera 40 jours (§ 194) et la seconde 49, une période jubilaire. Cela signifie en clair qu’après la reconstruction du Temple à la période perse, l’antagonisme entre séthites (= 40, § 140, Tableau 39) et caïnites (= 49, § 135, Tableau 34) continuera. Les Judéens seront instruits d’une double Sagesse, la Sagesse révélée par Yahvéh qu’enseignera le Temple et celle des Nations que l’hellénisme leur fera connaître.
Chapitre 24
L A MESURE DES DERNIERS JOURS § 199 L’histoire du second Temple Une nouvelle période de quarante jours commence le premier jour du dixième mois, au moment où la construction du nouveau Temple est entreprise : Dans le dixième (mois), dans le un en vue du mois, les têtes des montagnes ont été vues. Et (ensuite de la lumière) exista à partir d’une extrémité de(s) quarante jour(s). (Genèse 8, 5)
À partir de cette double information il est possible de reconstituer une chronologie de l’histoire du second Temple, de sa mise en chantier jusqu’à l’entrée d’Israël dans une ère nouvelle. Le 1er jour du 10 e mois – qui est le 275e jour de l’année 1 – les « têtes des montagnes ont été vues » par Élohim (§ 194). Au lendemain de cette vision, et pour rompre avec les cultes des hauts lieux que pratiquaient les habitants de Transeuphratène, la reconstruction du Temple a été entreprise. La Judée entre alors dans une nouvelle période de quarante jours, calculée à partir de la pose de la première pierre du nouveau Temple. Appréciés à l’aune de l’année parfaite, ces quarante jours ne constituent encore qu’une étape intermédiaire (275 + 40 = 315) avant qu’une ultime période jubilaire (315 + 49 = 364) ne conduise les Judéens au seuil d’une ère nouvelle, à condition, bien sûr, qu’ils se montrent fidèles à la Torah et ne manquent pas, une fois encore, leur entrée dans le Jubilé. L’histoire du second Temple est donc organisée en deux périodes, de 40 puis de 49 jours, qui transposeront dans le monde sensible les modèles construits aux origines par Seth – dont l’histoire était associée au nombre 40 (§ 140, Tableau 38) – et par Caïn et Abel dont le modèle était 49 (§ 135, Tableau 34). Comme il se doit, la fin de l’histoire sera donc conforme au modèle, mais en inversera l’ordre. Alors qu’Adam avait d’abord engendré Caïn et Abel (49) puis Seth (40), l’histoire du second Temple sera d’abord placée sous le patronage séthite, avant de passer sous contrôle caïnite. 1. Le 1er jour du 10 e mois solaire = 182 + 91 + 1 + 1 = 275 jours.
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LA TR AVERSÉE DU DÉLUGE
Comme il se doit, ce scénario avait été annoncé à mot couvert par le Très-Haut avant même le Déluge quand il avait précisé : Car (c’est) en vue de jours (qui constituent le) témoignage du sept (que) moi je mesure la montée de la terre (d’Israël pendant) quarante jour(s) et quarante nuit(s). (Genèse 7, 4)
Après les quarante jours et quarante nuits de pluie continue (§ 185) et les quarante jours de Déluge (§ 186) viendront donc « quarante jours et quarante nuits » pendant lesquels sera « mesurée la montée de la terre », des jours au terme desquels les 120 jours de l’incarnation de l’Esprit prendront fin. Le Jugement devrait donc logiquement avoir lieu 40 jours après la mise en chantier du Temple qui eut lieu le 275e jour, c’est-à-dire le 315e jour et être suivi d’une ultime période jubilaire (+7 x 7 = 364) que le Très-Haut évoquerait dans la phrase obscure : « en vue de jours (qui constituent le) témoignage du sept ». Que la date du jugement soit fixée le 315e jour, donc avant la fin de l’année, n’est surprenant qu’en apparence ! L’ordre annoncé par le Très-Haut se doit de prévoir que la traversée du Déluge provoquera l’inversion du modèle et reportera de ce fait le jugement de l’humanité terrestre à la fin des temps. Pour des raisons qu’il faudra découvrir, le peuple judéen inversera effectivement l’ordre des périodes. Il parcourra d’abord une nouvelle période jubilaire (275+49 = 324), puis les 40 jours qui le conduiront au seuil du jugement (324+40 = 364). Cette mesure de l’histoire temporelle du second Temple en fonction de l’algorithme de l’année solaire a été doublée d’une mesure de son histoire spirituelle. Mais alors que l’histoire temporelle est calculée à partir de la mise en chantier de ce Temple (275 + 40 + 49 = 364), son histoire spirituelle ne commence qu’une fois la reconstruction achevée, au moment où ce Temple entre en fonction cinq jours plus tard (275+5+84=364). Interprétée à la lumière de l’algorithme, cette double équation permet de résumer l’histoire du second Temple. Puisque l’achèvement de sa construction, le 280e jour, coïncide avec le nombre construit par les lettres finales de l’algorithme (§ 81, Tableau 8), ce Temple doit être destiné à durer jusqu’à la fin des temps. Quant aux 84 jours (280 + 84 = 364) que durera son histoire, ils laissent entendre que l’entrée dans une ère nouvelle ne se produira que lorsque le peuple aura acquis la connaissance des lettres de l’Écriture de ’alèf à chin (§ 78, Tableau 7). Si le peuple adhère à l’enseignement du Temple et se conforme à la révélation écrite au moyen de ces lettres, il atteindra le seuil de l’ère nouvelle et accédera à ce taw qui le réunira au modèle. La fabrication de la terre et des cieux prendra alors fin. La création de nouveaux cieux et d’une nouvelle terre sera enfin réalisée. Tel est le programme ! § 200 Mesurer quarante jours et quarante nuits Nous n’en sommes pas là ! Pendant les deux périodes précédentes, la Sagesse divine avait instruit le peuple élu en déversant sur lui une pluie
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continue pendant 40 jours et 40 nuits tandis qu’elle déversait un Déluge de 40 jours sur les nations. Après que la Sagesse se sera répandue et dispersée dans l’humanité entière viendra le temps de sa collecte et de sa synthèse. Et c’est à réaliser celle-ci que seront employés les 40 derniers jours de l’histoire de l’Esprit. La nature de cette synthèse est exprimée au moyen de la racine ( מטר: mtr), une racine que les traducteurs rendent par faire pleuvoir à la suite de la Septante, mais qui est, selon toute vraisemblance, la transcription du verbe grec mesurer (métreïn) 2, d’où la traduction littérale proposée : Je mesure ( מ־מטיר: mamtir) la montée de la terre (d’Israël pendant) quarante jour(s) et quarante nuit(s). (Genèse 7, 4)
Ces quarante jours de mesure revêtent une importance telle que le TrèsHaut en avait annoncé la venue dès la première phrase des Généalogies des Cieux et de la Terre : Pendant le jour où Yahvéh-Élohim fera (la) terre et (les) cieux et tout buisson de la campagne, un terme ( טרם: térém) existera dans la terre Et toute la verdure de la campagne fera germer (ce) terme Car (conformément à mon plan) Yahvéh-Élohim n’(aur)a pas mesuré ( ה־מטיר: himtir) la montée de la terre (avant ce terme). (Genèse 2, 4-5)
Comme le verbe mesurer, le mot térém – que l’on traduit de façon conventionnelle par « pas encore » – est très probablement un emprunt au grec térmos, le terme 3. Si l’on retient cette lecture, le plan fixé par le Très-Haut prévoirait que la mesure effective de la montée de la terre pendant ces 40 jours et 40 nuits ne pourrait être pleinement réalisée avant que ne survienne ce terme. En hébraïsant des mots grecs, Siméon veut probablement suggérer que ces 120 ans de l’action de l’Esprit n’atteindront leur terme et leur pleine mesure qu’à la période hellénistique 4 . 2. En fait, les deux sens se superposent. Le projet est de « mesurer » le nombre de jours de « pluie » qui manquent encore pour atteindre le nombre quarante. 3. Le dictionnaire BDB (BROWN F. - DRIVER S. R. - BRIGGS Ch. A., A Hebrew and English Lexicon of the Old Testament, Oxford, Clarendon Press, 1906, réimpression corrigée, 1962, p. 382) note que le mot tèrèm n’a d’équivalent dans aucune autre langue sémitique et ne se rattache à aucune racine sémitique connue. 4. Il est également probable que ces mots grecs ont été choisis parce qu’ils exprimaient par l’ordre même de leurs lettres le principe d’inversion entre modèle intelligible et réalisation sensible. Lorsque le « terme » ( )טר־םaura été atteint, la « mesure » ( )מ־טרrestaurera l’ordre du modèle. Si cette lecture littérale est exacte, le « terme » renverrait alors au substantif « tour » ( )טורdont le paradigme est donné en Exode 28, 15-21. Le pectoral (hochen : )חש־ןque le Grand prêtre porte sur sa poitrine est orné de 12 pierres précieuses qui représentent les 12 tribus d’Israël. Ces pierres sont organisées en quatre rangées (tourim : )טור־ים. L’Israël divisé est donc appelé à se mettre en ordre et à se réunifier autour de son grand prêtre. C’est ainsi que la « mesure » permettra d’atteindre le « terme ». Le nombre construit
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§ 201 Les nations qui furent mesurées Le rôle de la racine matar ( )מטרpeut être comparé à celui de la racine bahar dont les occurrences, placées à points nommés, permettaient de dresser la liste des personnages qui avaient « choisi » de promouvoir des modèles contrefaits de royauté (§ 171). Le verbe matar sert, quant à lui, à identifier les peuples et nations qui feront l’objet de cette mesure et par ce biais à découvrir ce que signifie cette mesure de l’action menée par l’Esprit de Yahvéh pendant les 120 jours de son incarnation dans l’homme. Le verbe mesurer renvoie par analogie à trois récits qui n’ont a priori rien en commun. Le premier est le récit de la Guerre des dix rois, que la critique considère comme un bloc erratique 5, le deuxième est celui des Dix plaies d’Égypte, le troisième enfin celui du don de la Manne. À défaut de pouvoir lire littéralement chacun de ces récits on peut néanmoins en saisir la fonction, par le biais des modèles arithmologiques auxquels le verbe mesurer renvoie. La première mesure fut celle du soufre et du feu qui s’abattirent sur les pays de Sodome et Gomorrhe : Et Yahvéh fit-mesurer ( )מטרsur Sodome et sur Gomorrhe du soufre et du feu provenant de Yahvéh, des cieux. Il anéantit ces villes, ainsi que tout le circuit, tous les habitants des villes et les germes du sol. (Genèse 19, 24-25)
La deuxième mesure fut celle de la grêle qui s’abattit sur le pays d’Égypte : Moïse tendit son bâton vers les cieux et Yahvéh fit éclater tonnerres et grêles ; un feu passa sur la terre et Yahvéh fit mesurer ( )מטרde la grêle sur le pays d’Égypte. (Exode 9, 23)
La troisième, enfin, fut la mesure du pain céleste que le peuple du désert appela manne : Je ferai mesurer ( )מטרen provenance des cieux, du pain. (Exode 16, 4)
par ces 4 rangs de pierres est 196 (49x4), ce qui confirme qu’elles symbolisent bien une marche en ordre dispersé vers le jubilé, comme les lettres du pectoral ()חש־ן du grand prêtre symbolisent l’aboutissement de cette marche au terme des deux semaines de la réalisation ()ח←ש. Une information manque ! La corrélation entre les 12 pierres et les 12 tribus. On peut supposer, sous bénéfice d’une démonstration, que lorsque l’initié aura appris à lire l’histoire cachée de ces tribus, il connaîtra enfin la place que chacune occupe sur le pectoral du grand prêtre et dans le plan divin. 5. « Le bloc erratique de Genèse 14 qui met en scène un Abraham intervenant dans une sorte de “guerre mondiale” est à juste titre considéré comme très tardif ». DE PURY A., dans RÖMER T. – MACCHI J.-D. – NIHAN C. (éd.), Introduction à l ’Ancien Testament, Genève : Labor et Fides, 2004, p. 152.
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§ 202 Le soufre et le feu qui s’abattirent sur Sodome et Gomorrhe La première mesure concerna Sodome et Gomorrhe. On est alors renvoyés à l’histoire de Lot (§ 168), qui se rendit à Sodome et Gomorrhe après avoir choisi le « sicle du Jourdain » (Genèse 13 et 18-19) et au rôle joué par les rois de ces villes pendant la Guerre des dix rois (Genèse 14). Ils portent respectivement les noms de Béra, – celui qui est « associé au mal » (be-ra‘) – et de Bircha – celui qui est « associé à la méchanceté » (bi-recha‘). Tableau 51 La Guerre des rois La coalition Babylonienne Leur nom 1
Amrafel roi de Chinear
2
Ariokh roi d’Éllasar
3
Kedorlaomér roi d’Élam
4
Tideal roi de Goyim
5
Béra roi de Sodome
6
Birsha roi de Gomorrhe
7
Chineav roi d’Admah
8
Shémévér roi de Goyim
Leur royaume
אמרפל21
שנער+ 22
= 43
אריוך20
אלסר+ 13
= 33
= 76
כדרלעמר33
עילם+ 16
= 49
125
תדעל12
גוים+ 18
= 30
155
ברע10
סדם+ 11
= 21
176
ברשע17
עמרה+ 19
= 36
212
La coalition perse
9
Hi-Çoar roi de Béla6
שנאב17
אדמה+ 16
= 33
245
שמאבר22
צביים+ 18
= 40
285
היא צער21
בלע+ 9
= 30
315
= 49
364
Le roi prêtre de la période hellénistique 10 Melki-çédèq roi de Chalem
מלכי צדק31
שלם+ 18
Les dix rois engagés dans ce conflit mondial s’affrontent, comme il se doit, sur fond d’arithmologie. Ils se battent dans un premier temps à quatre contre cinq, jusqu’à l’apparition d’un dixième roi : Melki-çédèq, le 6. En Genèse 14, 2 Dhorme traduit : « le roi de Béla (c’est Çoar) » faisant de Çoar un deuxième nom de la ville de Béla. Dans la mesure où les noms des neuf autres rois sont indiqués, on doit considérer qu’il en va de même ici et lire « le roi de Béla (est) Hi-Çoar ( = היא־צער21) », un nom double comme celui de Touval-Caïn et de bien d’autres. Une deuxième difficulté vient du fait que le nom de ce roi apparaît ensuite sous une autre orthographe ( = הוא־צער24) qui modifie sa valeur arithmologique (Genèse 14, 8). Alors qu’avec sa valeur 21 il permettait aux rois d’atteindre le nombre 315, c’est-à-dire la dernière période jubilaire de l’histoire (315+49 = 364), son nouveau nom construit le nombre 318, mettant ainsi la coalition des rois à égalité avec les 318 hommes de la dédicace recrutés par Abram pour les affronter (Genèse 14, 14). Pour en savoir plus, il faudra consacrer une monographie à la Guerre des rois.
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fameux roi de Chalem (§ 60-62). Le nombre 364 que construisent leurs noms et leurs royaumes suffit à faire comprendre que le conflit qui les oppose est la synthèse de tous les conflits de la période postdiluvienne, de la dispersion de Babel au jour du Jugement. Ces dix rois des nations sont donc la représentation symbolique de l’ensemble des royaumes qui se succéderont au cours de l’histoire, depuis Amraphel, roi du pays de Chinear, le pays de Babel, jusqu’au dernier d’entre eux, Melki-çédèq roi de Chalem, la ville dont le nom fut choisi par Caïn lui-même dès les origines et qui deviendra Jérusalem (§ 137). Par le biais de l’analogie on peut rattacher ces dix rois à trois périodes de l’histoire. Puisque les quatre premiers vivent « pendant les jours d’Amrafel, roi de Chinear » (Genèse 14, 1), ils doivent symboliser la domination de Babylone, cette ville du pays de Chinear qui fut fondée par Nimrod au lendemain du Déluge (§ 189). Cette domination ayant historiquement duré jusqu’à la prise de Babylone par Cyrus le perse, c’est toute l’histoire biblique jusqu’à la fin de la captivité des Judéens de Babylonie qui se trouve placée sous le signe de ces quatre premiers rois. Le chef de la coalition adverse, Béra, roi de Sodome, entre en scène au moment où l’histoire atteint le 176e jour de l’année, c’est-à-dire le 24 e jour du 6e mois, la date à laquelle commence la construction du second Temple dans le livre du prophète Aggée : En l’an deux du roi Darius, au sixième mois, au premier jour du mois, la parole de Yahvéh fut adressée, par l’organe du prophète Aggée, à Zorobabel, fils de Chealtiel, gouverneur de Juda, et à Josué, fils de Yehoçadaq, le grand prêtre […]. Alors Yahvéh réveilla l’Esprit de Zorobabel, fils de Chealtiel, gouverneur de Juda, et l’Esprit de Josué, fils de Yehoçadaq, le grand prêtre, et l’Esprit de tout le reste du peuple. Ils vinrent faire le travail dans la maison de Yahvéh des armées leur Dieu, le vingt-quatrième jour du sixième mois. (Aggée 1, 1-15)
L’événement étant explicitement datée de « l’an deux du roi Darius » (Aggée 1, 1), Béra et les coalisés qui l’assistent, deviennent alors une préfiguration des rois Perses qui assujettiront la Judée après la victoire de Cyrus sur Babylone. Par voie de conséquence l’histoire d’Abram et de Lot, ce neveu qui se rendit à Sodome et Gomorrhe après avoir « choisi le sicle du Jourdain », deviennent elles-mêmes une préfiguration de l’histoire de la période perse. Cette coalition conduite par Béra tiendra l’avant de la scène jusqu’au 315e jour, date à laquelle elle sera à son tour détrônée par un nouveau roi « Melki-çédèq, roi de Salem et prêtre du Dieu du Très-Haut », un roi prêtre dont la royauté s’exercera sur le peuple judéen pendant la dernière période jubilaire de l’année (Tableau 51). Dans la mesure où il prend le relais des Perses, ce roi prêtre mystérieux ne peut être que grec, ce qu’indique d’ailleurs sa fonction de prêtre du dieu du Très-Haut (’él ‘ élion : )אל עליוןun dieu que sa graphie désigne comme le dieu de la montée de Yavan (’él ‘al
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yavan : )אל על יון. Ce roi-prêtre de la période hellénistique exercera donc sa domination sur (Jéru)salem pendant la dernière période jubilaire mais disparaîtra le 364 e jour, à la veille de l’entrée dans une ère nouvelle. Pour en savoir plus il faudrait entreprendre la lecture littérale de cette épopée royale aux multiples rebondissements. Mais le schéma arithmologique suffit déjà à montrer que cette fresque de la royauté des nations, bien loin d’être le récit erratique que suppose la critique biblique, occupe une place stratégique dans le plan de l’histoire biblique. Elle préfigure de façon schématique l’histoire des trois grands empires qui, conformément au plan divin, domineront le Proche-Orient au cours des trois grandes périodes de son histoire, Babylone, la Perse et les Grecs d’Alexandrie d’Égypte. § 203 La grêle qui s’abattit sur l’Égypte La grêle qui s’abat sur l’Égypte est la septième des dix plaies dont Yahvéh affligea les Égyptiens. Comme celle des dix rois, l’histoire des dix plaies est construite sur fond d’arithmologie, mais à la différence de la première qui l’était par référence à l’algorithme de l’année parfaite et s’achevait sur une période jubilaire (49), la seconde l’est en fonction du nombre 120 que les plaies construisent au moyen de leurs noms et s’achève sur un modèle 40 (Tableau 52). Les deux monuments constituent en fait un diptyque dont les éléments sont construits en parallèle. Le premier, comme on l’a vu, est un résumé d’histoire de la fonction royale contrefaite. Le second décrit le combat mené par la fonction sacerdotale dont Aaron et Moïse sont la personnification contre cette fonction royale pervertie, incarnée par le roi d’Égypte. Tableau 52 Les dix plaies d’Égypte L’Égypte pharaonique 1
Sang
2
Grenouilles
3
Vermine
דם10
Exode 7, 14-25
צפרדע+ 19
= 29
כן+ 11
= 40
40
7, 26-8, 11 8, 12-15
L’Égypte sous domination perse 4
Mouches
ערב+ 10
= 50
5
Peste
דבר+ 12
= 62
6
Pustules
שחין+ 18
= 80
7
Grêle
ברד+ 12
8, 16-28 40
9, 1-7 9, 8-12
L’Égypte hellénistique ) ארב)ה+ 9
= 92
8
Sauterelle
= 101
9
Obscurité
חשך+ 12
= 113
10 Mort des aînés
מת+ 7
= 120
9, 13-35 40
10, 1-20 10, 21-29 11, 1-10 et 12, 29-30
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De même que l’histoire des rois était organisée en trois périodes – babylonienne, perse et grecque – les plaies envoyées contre l’Égypte par Moïse et Aaron le seront pendant trois périodes de 40 ans qui se superposeront aux trois périodes de l’histoire royale. Les trois plaies qui frappent l’Égypte pendant la première période (Sang, Grenouilles et Vermine = 40) doivent alors correspondre à la période de domination babylonienne et évoquer les rapports que les Judéens entretiendront avec l’Égypte pendant cette période, c’est-à-dire pendant toute la durée de l’histoire biblique. Et effectivement la plaie qui clôt cette première période et que l’on identifie conventionnellement à la « vermine » ( כן: kén) à la suite de la Septante, renvoie par son écriture – (ce qui est) conforme ( )כ־au Jubilé ( – )־ןà cette cinquantième génération des rois de Juda, cette « vermine » qui, par sa désobéissance envers Yahvéh, provoqua effectivement la destruction du premier Temple et le départ en exil. La deuxième série de plaies (Mouches, Peste et Pustules) doit alors correspondre à la période d’occupation de l’Égypte par les Perses 7, ce qui s’accorde avec le fait que la première de ces plaies, les mouches ( ערב: ‘arov), s’identifie par sa graphie à ce Corbeau ( ערב: ‘orév) qui symbolisait la Samarie de la période perse (§ 201). Quant à la dernière plaie de cette deuxième période, celle des Pustules ( שחין: chehin) elle renvoie également à la Samarie de la période perse, mais par le biais des fondateurs des cultes idolâtriques pratiqués sur les monts d’Ararat. C’est en effet à la suite de la fuite d’Adramélék et de Sareser au pays d’Ararat, donc suite à leur venue dans le pays de Canaan (§ 197), que le roi judéen Ézéchias fut atteint de pustules ( )שחיןet qu’ayant supplié Yahvéh de le guérir, il fut exhaussé, mais sa montée au Temple de Yahvéh, retardée de trois jours : Voici que je vais te guérir ; au troisième jour tu monteras à la Maison de Yahvéh […]. Puis Isaïe dit : « Prenez un gâteau de figues. » On en prit un, on l’appliqua sur les pustules ( )שחיןet le roi guérit. (2 Rois 20, 1-7)
Puisque les deux premières périodes de quarante jours renvoient à la domination des royaumes babyloniens et perses sur l’Égypte, la troisième – celle de la Grêle, des Sauterelles, de l’Obscurité et de la Mort des premiers nés – doit logiquement renvoyer à la domination d’un troisième royaume qui ne peut être que celui d’Alexandre et, après lui, des rois grecs d’Alexandrie, les Ptolémées. À ce moment, la mesure du soufre ( גפרית: 16), du feu ( אש: + 8) et de la grêle ( ברד: + 12 = 36) a atteint un cumul des précipitations de 36 sur les 40 prévus (§ 201). Les fils d’Israël n’ont donc plus que trois jours d’esclavage à subir (36 + 3) avant que la mort des premiers-nés des Égyptiens 7. Cette conquête de l’Égypte n’aura pas lieu sous le règne de Cyrus, mais peu de temps après, sous son successeur Cambyse (529-222).
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(+1=40) n’oblige le Pharaon à les libérer. Ce qui explique probablement pourquoi le roi Ézéchias, bien que guéri des Pustules (la 6 e plaie), ait dû attendre encore trois jours, comme les fils d’Israël, avant de pouvoir monter au Temple de Yahvéh. § 204 La Manne qui s’abattit sur Israël La sortie d’Égypte eut lieu le jour même où la dixième plaie – la Mort – frappa les premiers-nés des Égyptiens, une mort qui, par son nombre, construisit le modèle des 120 jours de l’incarnation de l’Esprit. (§ 203, Tableau 52). Alors les fils d’Israël traversèrent à pied sec la « Mer des roseaux » ( ים סוף: yam souf ), franchissant ainsi ce « jour de la fin » (יום סוף: yom sof ) qui leur donna accès à un monde nouveau et à une nourriture nouvelle. Ils renoncèrent alors aux nourritures égyptiennes et mangèrent les Azymes des commandements divins 8, mais ne persévérèrent pas. Hanté par le souvenir des nourritures égyptiennes, le peuple murmura contre Moïse et Aaron, leur reprochant de l’avoir fait sortir d’Égypte où « il mangeait du pain à satiété » (Exode 16, 3). Alors Yahvéh transigea et, comme tout retour en Égypte était exclu, décida de mesurer pour le peuple un pain de substitution : Voici que Moi, Je mesure ( )מ־מטירpour vous un pain (qui est) le « min » ( )מןdes cieux. (Exode 16, 4)
À ce pain, le peuple donna le nom de Manne ( מן: 13) à cause de sa provenance. En mesurant cette Manne, Yahvéh prit en fait acte du refus du peuple d’accomplir le modèle 40 qui l’aurait introduit dans l’ère nouvelle dès son séjour au Désert. Ajoutant au soufre ( גפרית: 16), au feu ( אש: + 8) et à la grêle ( ברד: + 12) le nombre de la Manne (+ 13 = 49), il engagea le peuple dans une nouvelle période jubilaire. Au terme des 40 ans de sa traversée du désert, le peuple se sépara donc de Moïse qui, ayant parcouru les 120 jours de l’Esprit, fut dispensé de continuer sa marche. Moïse resta dans le désert, quant au peuple, il traversera le Jourdain – le fleuve de la « descente vers le jubilé » ( ירד־ן: yarden) – et marcha vers un nouveau Jubilé. La Manne continua de tomber pendant 9 jours encore après l’entrée des tribus dans la Terre promise, 8. Les « commandements » ( )מצותsont une forme dérivée de la racine stable ()צו. Quant aux « azymes » ()מצות, leur forme au singulier est maçah ()מצ־ה. Dans la mesure où commandements et azymes sont identifiés l’un à l’autre par leurs graphies, ils doivent logiquement dériver d’une même racine stable qui ne peut alors être que la racine monolitère ( )צqui leur est commune et dont la valeur arithmologique est 4. C’est donc en mangeant les Azymes (= 4) qu’Israël aurait pu combler les quatre jours qui manquaient encore pour que prenne fin l’incarnation de l’Esprit.
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jusqu’au jour où le peuple célébra à nouveau la Pâque, comme il l’avait fait au moment de sa sortie d’Égypte et mangea à nouveau les azymes des commandements divins. Les fils d’Israël campèrent à Guilgal et firent la Pâque au quatorzième jour du mois, au soir, dans les steppes de Jéricho. Et ils mangèrent le lendemain de la Pâque des produits du pays, azymes ( )מצותet graines grillées, en ce jour là même. Et le lendemain la Manne cessa, comme ils mangeaient les produits du pays : il n’y eut plus de Manne pour les fils d’Israël. (Josué 5, 10-12).
Alors les prêtres soufflèrent dans « les trompettes des Jubilés » (Josué 6, 4) pour inviter le peuple à entrer dans l’année jubilaire. Jéricho fut détruite avec tous ses habitants et tous leurs biens furent intégralement consacrés à Yahvéh par anathème afin d’éloigner du peuple toute tentation de se tourner à nouveau vers les sagesses étrangères. Mais ce rendez-vous jubilaire fut à nouveau manqué par la faute d’un Judéen, Akhan, qui enfreignit la loi de l’anathème (Josué 7, 1). Il préleva sur le butin « un beau manteau de Chinear, deux cents sicles d’argent et un lingot d’or d’un poids de cinquante sicles ». N’ayant pu renoncer à la sagesse de Chinear, c’est-à-dire de Babylone, ni à celle de l’Égypte d’où proviennent l’or et l’argent, Akhan contraignit le peuple à reprendre une fois encore sa marche jubilaire, une marche qui devait le conduire jusqu’à la 50 e génération, sous la conduite de modèles contrefaits de royauté. § 205 Modèle biblique et Histoire hellénistique Il suffit donc de prendre comme guide le verbe « mesurer » (matar : métreîn) pour que ces quarante jours et quarante nuits dont la mesure avait été annoncée par le Très-Haut avant même le Déluge deviennent une préfiguration de la dernière période de l’histoire du peuple judéen. Deux voies lui sont proposées. L’une est sacerdotale, celle qu’emprunta Moïse (40 x 3 = 120) et qui le conduisit au seuil de l’ère nouvelle, l’autre royale, placée sous le contrôle de ces royautés contrefaites, héritières des fils de Lamekh. Au moment de la naissance de Yaval, Youval et Touval-Caïn, le Très-Haut en avait mesuré la durée : Lamekh (est égal à) soixante-dix et sept. (Genèse 4,24)
Tel est le nombre que construisent effectivement les royaumes de Sodome, de Gomorrhe, d’Égypte et d’Israël (Tableau 53). C’est aussi le nombre que construiront les Généalogies des Cieux et de la Terre au terme de l’histoire 9 (§ 127, Tableau 31). 9. La comparaison entre les trois modèles 77 devrait être développée. Puisque Yaval ( יבל: 10), Youval ( יובל+16) et Touval-Caïn ( תובל קין: +29 = 55) ne construisent ensemble que le nombre 55, le Très-Haut a donc prévu qu’un autre
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Tableau 53 Les mesures de l’histoire royale Sodome
סדם
11
soufre
Gomorrhe
עמרה
19
feu
Égypte
מצרים
25
grêle
Israël
ישראל
22
manne
77
גפרית16 אש8 ברד12 מן13 49
Bien que l’arithmologie n’ait pas pour fonction d’apporter les solutions mais seulement d’orienter l’initié vers les textes qui les contiennent, on pressent déjà que le modèle 40+49 qui préfigure l’histoire du second Temple dans le récit du Déluge annonce que cette période, comme les précédentes sera dominée par un conflit entre pouvoir royal et sacerdotal, un conflit entre le grand prêtre (40) du Temple de Jérusalem et les rois hellénistiques (49) qui contrôleront la Judée pendant cette période. Le peuple judéen se trouvera tiraillé entre ces deux modèles, celui que propose le sacerdoce du Temple du Dieu Yahvéh et cette culture hellénistique qu’imposent les nouveaux occupants. Le plan général des trois périodes de l’histoire ayant été esquissé par le biais des occurrences du verbe mesurer il nous faut alors passer de l’arithmologie à la lecture littérale pour comprendre comment le récit de la troisième période préfigure l’histoire de la Judée hellénistique.
« personnage » apparaîtrait – dont la valeur serait « 22 » – et réaliserait le modèle 77. Dans les Généalogies des cieux et de la terre (§ 127, tableau 31), ce modèle 55 des fils de Lameck est construit par les généalogies de la Terre (11), d’Adam (+11), de Noé (+8), de Sem (+ 13) et de Jacob (+12 = 55), alors que le 22 manquant est identifié aux généalogies des Cieux (= 22). Ces cieux doivent alors être identifiés à Israël (= 22) dans le tableau des « mesures », tandis que Sodome (11), Gomorrhe (+19) et l’Égypte (+25 = 55) correspondront à la manifestation de la royauté des fils de Lameck opprimant les généalogies de la Terre.
Chapitre 25
L ES AMOURS D’UN GRAND PRÊTRE ET D’UNE COLOMBE § 206 L’entrée en scène de la Colombe Nous avions quitté Noé au moment où il « envoyait » hors de l’Arche le Corbeau samaritain, allié du Gypaète perse (§ 197). À partir de l ’extrémité (= du début) des quarante jours (Noé) ouvrit le modèle de la fenêtre de l ’arche qu’il avait fait Et il envoya le modèle du Corbeau Et (le Corbeau) sortit, sortant et revenant jusqu’ à l ’assèchement des eaux qui proviennent de la montée de la terre. (Genèse 8, 7)
Le Corbeau rodera donc jusqu’à l’assèchement des eaux, mais son allié perse disparaîtra avant le terme. Selon le calendrier de la Guerre des Rois (§ 202, Tableau 55), l’empire perse dont les chefs de file sont Béra et Bircha n’exercera sa domination sur la Transeuphratène que jusqu’au 315e jour, c’est-à-dire jusqu’au début de la dernière période jubilaire (315+49 = 364). Toujours selon ce calendrier, le roi qui exercera sa domination sur (Jéru) salem pendant le dernier jubilé sera Melki-çédèq. Pourtant, au moment où il devrait apparaître, le 316 e jour du Déluge, c’est la Colombe qui entre en scène. Et (Noé) envoya le modèle de la Colombe (qui provient) de son modèle afin de voir (si) les eaux (qui proviennent) de la montée des faces du sol sont Voix. Et (avant cela) la Colombe n’avait pas trouvé (ce qui provient) du repos en vue de la plante de son pied Et (la colombe) revint vers lui, vers l ’arche, car des eaux (constituent) la montée de l ’ensemble des faces de la terre Et (Noé) envoya sa main Et il la prit Et il fit venir son modèle vers lui vers l ’arche Et il réalisa le témoignage d’une hebdomade de jours autres Et il atteignit-le-seuil du renvoi du modèle de la colombe (qui est le) ‘min’ de l ’Arche Et la colombe vint vers lui en vue du temps du soir Et voici (que) les montées de l ’olivier (du) déchiré (étaient) dans sa bouche Et Noé connût : car les eaux (qui proviennent) de la montée de la terre sont devenues Voix. Et il réalisa (doublement) le témoignage d’une hebdomade de jours autres
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Et il envoya le modèle de la colombe Et elle n’avait pas (auparavant) atteint le seuil de la venue vers lui du témoignage. (Genèse 8, 8-12)
Nous sommes maintenant suffisamment familiarisés avec les techniques d’écriture élaborées par Siméon pour savoir que chacun des mots de ce texte a dû être soigneusement choisi en fonction de son paradigme d’interprétation. C’est donc à la lumière de l’ensemble des informations recueillis précédemment qu’il va nous falloir tenter d’interpréter une histoire dont on sait déjà qu’elle doit être celle de la Judée, entre sa conquête par Alexandre le Grand et l’expulsion espérée de l’occupant grec. § 207 La Colombe grecque et ses fils De même que le Perse ( )פרסétait représenté par le Gypaète ()פרס, le Grec auquel la Bible donne le nom de Ionien ( יון: yavan) (Genèse 10, 2) est représenté par la Colombe ( = יונ־הyonah). L’entrée en scène de celle-ci coïncide donc bien avec la conquête de la Judée par Alexandre et l’enseignement qu’elle dispensera pendant la dernière période jubilaire sera donc, pour le moins, comparable à celui de la sagesse d’Alexandrie d’Égypte. À la différence du Corbeau samaritain et du Gypaète perse, la Colombe ne figure pas dans les listes d’oiseaux impurs interdits à la consommation, mais sans que l’on puisse pour autant en conclure que sa sagesse peut être enseignée sans précaution au peuple judéen. Moïse a en effet édicté une règle qui place l’enseignement des « fils-bâtisseurs de la Colombe » (bené hayonah) – les philosophes – sous un strict contrôle sacerdotal : Si l’offrande (d’un homme d’entre les fils d’Israël) à Yahvéh est un holocauste d’oiseau, on offrira pour son offrande des tourterelles et des filsbâtisseurs de la colombe ( בני ה־יונה: bené hayonah). Le prêtre fera approcher (le fils de la colombe) de l’autel et lui pincera la tête, puis il le fera fumer sur l’autel et son sang se videra sur la paroi de l’autel. Il enlèvera son jabot, qui est dans son plumage, et le jettera à côté de l’autel, à l’est, à l’endroit de la cendre. Puis il lui fera une fente entre les ailes, il ne les séparera pas, et le prêtre le fera fumer sur l’autel, sur les bois qui sont sur le feu. C’est un holocauste par le feu, odeur apaisante pour Yahvéh. (Lévitique 1, 14-17)
La préparation à laquelle doit être soumis l’enseignement de sagesse des philosophes avant de pouvoir être offerte à Yahvéh en « odeur apaisante » est donc affaire de spécialiste et relève exclusivement de la compétence du prêtre. Le sacerdoce judéen de la période hellénistique – ou l’un des ses prêtres – aura donc pour mission d’adapter l’enseignement des philosophes afin de le rendre compatible avec celui que Yahvéh a révélé à Moïse.
CHAP. 25 – LES AMOURS D’UN GR AND PRÊTRE
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§ 208 Le dernier jubilé de l’histoire du monde À partir du moment où l’Arche trouve le repos sur les montagnes d’Ararat, Noé revient à l’avant de la scène. C’est lui qui ouvre « le modèle de la fenêtre de l ’Arche » et qui envoie « le modèle du Corbeau ». On aurait alors pu s’attendre à ce qu’il devienne le grand prêtre de ce Temple terrestre qu’il avait fait, mais il n’en est rien. Il continue à se tenir dans l’Arche et non dans le Temple. Il continue donc à diriger l’histoire depuis le monde intelligible 1. Pour l’heure, l’enseignement de sagesse que dispense le Temple terrestre est encore celui de ce Corbeau dont Noé a envoyé le modèle hors de l’Arche. Le Temple n’est encore qu’un Temple de Yahvéh, comme l’était le premier Temple, un Temple dans lequel on enseigne la sagesse acquise par Moïse pendant son séjour en Madian, lorsque le nom de Yahvéh lui fut révélé. Tel sera l’enseignement dispensé par le Temple pendant toute la période perse, de sa mise en chantier, le 275e jour de l’année (§ 194), jusqu’à la fin de la période, 40 jours plus tard (+40 = 315). Avec l’arrivée des Grecs, la situation change. Le peuple judéen se tourne à nouveau vers le modèle royal des nations (315+49 = 364) comme l’avait fait le peuple au temps d’Abram, au moment de la venue de Melki-çédèq (§ 202, Tableau 55). Pendant l’ultime période jubilaire les acteurs de l’histoire hellénistique rejouent donc cet épisode de l’histoire patriarcale. Comme on l’a vu (§ 61-62), Melki-çédèq était « roi de Salem », donc d’une (Jéru)salem qui n’avait pas encore reçu la Torah. Il était dans le même temps « prêtre du Dieu du Très-Haut » ( אל־עליון: ’el ‘ élyon), c’est-à-dire du Dieu qui « règne sur Yavan » ( אל על יון: ’el ‘al yavan). L’identification du personnage qu’il préfigure devait être évidente pour les contemporains de Siméon qui connaissaient l’histoire de la Jérusalem hellénistique et de son Temple. Quant à nous, les informations que nous possédons sur cette période nous permettent seulement d’avancer une hypothèse. Si les Ptolémées ont placé les Oniades à la tête du Temple dès les débuts de la conquête, on peut alors identifier Melki-çédèq avec le premier des grands prêtres oniades. Ces grands prêtres ont en effet administré la Judée au nom du roi d’Égypte. Par ailleurs, les liens étroits de la famille oniade avec l’Égypte hellénistique autoriseraient à les présenter comme des prêtres initiés à la philosophie et aptes à enseigner la Sagesse d’Élohim, l’hypostase divine chargée des nations. Si l’on retient cette hypothèse, 1. Noé ne quittera l’Arche qu’au lendemain du 364 e jour, ce qui signifie que ce « repos » ( )נוחque symbolise son nom ( )נחne se manifestera qu’au moment de l’entrée dans une ère nouvelle. En fait le paradigme d’interprétation du personnage de Noé est révélé par son nombre ( = נח8). Il est un avatar de Seth ( = שת8) et transpose dans l’histoire le modèle construit par celui-ci dans les Généalogies des cieux et de la terre (§ 140) et dans le Livre des Généalogies d ’Adam (§ 148).
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la fidélité d’Abram à Yahvéh et son refus de suivre le peuple séduit par l’hellénisme devrait alors préfigurer l’attitude du sacerdoce de Jérusalem, refusant d’abandonner la religion Yahviste traditionnelle pratiquée à la période perse. Mais on pourrait aussi penser que Melki-çédèq préfigure le roi lagide lui-même. § 209 La première semaine du dernier Jubilé Les données chronologiques du récit du Déluge qui se rapportent à la période hellénistique détaillent l’emploi du temps de Noé pendant les trois premières semaines de cet ultime jubilé, mais sans souffler mot, ou presque, des 4 dernières semaines. Les jalons sont les suivants (voir texte § 206) : la première semaine « (Noé) envoya le modèle de la Colombe », pendant la deuxième, « il réalisa ( )וי־חלle témoignage d’une hebdomade de jours autres […] », pendant la troisième « il réalisa ( )ויי־חלencore le témoignage d’une hebdomade de jours autres », mais selon un scénario différent 2. Cette troisième semaine s’acheva le 2e jour du 12e mois 3, au lendemain du jour où le prophète Ézéchiel annonça la fin de Pharaon, roi d’Égypte (Ézéchiel 32, 1). Et c’est effectivement au cours des semaines suivantes que Noé (r) enverra définitivement la Colombe, mais sans que la date de ce (r)envoi ne soit précisée. Les rapports de Noé avec la Colombe dureront donc trois semaines, 21 jours pendant lesquels ils prépareront ensemble une nouvelle création. Mais lorsque le seuil du 22e jour – celui du taw – sera atteint, Noé enverra la Colombe, comme il avait envoyé le Corbeau. Pour que le peuple judéen entre dans l’ère nouvelle il est en effet nécessaire qu’il se rassemble autour du Temple. Les communautés judéennes d’Égypte et de Canaan (la Samarie) doivent renoncer à leur autonomie et se fondre dans l’Israël réunifié. La principale difficulté d’interprétation du texte relatif à l’histoire de la première semaine vient de ce qu’il fait intervenir simultanément « la Colombe » ( ה־יונה: ha-yonah) et « le modèle de la Colombe » ( את ה־יונה: ’et ha-yonah). Ce modèle représente la sagesse céleste dont seul Noé a la connaissance, tandis que la Colombe est la sagesse des Grecs, simple reflet 2. L’orthographe du verbe « réaliser » ( )חלmontre, d’une part, que le scénario diffère d’une semaine ( )וי־חלà l’autre ()ויי־חל. D’autre part, que ces jours soient désignés comme des « jours autres » (yamim ’ahérim) ne signifie pas qu’ils s’ajoutent aux précédents – la précision aurait été superflue – mais que Noé ( נח: 8), même s’il marche au rythme de la semaine pour accompagner le peuple, n’en continue pas moins à suivre l’exemple de cette « race autre » (zera‘ ’ahér), la race de Seth ( שת: 8) (Genèse 4, 25). 3. La période perse s’étant achevée le 315e jour, il faut ajouter à ce nombre les trois premières semaines de la période grecque (+21 = 336), ce qui conduit au 2 e jour du 12 e mois (336 = 182+91+1+30+30+2).
CHAP. 25 – LES AMOURS D’UN GR AND PRÊTRE
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de la sagesse véritable transmis à l’humanité postdiluvienne par Japhet. Le pari de Noé consiste donc à convertir la sagesse des Grecs de façon à ce qu’elle ne fasse plus qu’un avec la Sagesse véritable. Le récit de la première semaine se lit ainsi : Et (Noé) envoya le modèle de la Colombe (qui provient) de son modèle afin de voir (si) les eaux (qui proviennent) de la montée des faces du sol sont devenues Voix Et (avant cela) la Colombe n’avait pas trouvé (ce qui provient) du repos en vue de la plante de son pied Et (la Colombe) revint vers lui (Noé), vers l ’arche, Car (les) eaux (sont celles de la) montée de l’ensemble des faces de la terre Et (Noé) envoya sa main Et il la prit Et il fit venir son modèle vers lui vers l ’arche.
Avant que Noé n’« envoie le modèle de la Colombe », la Colombe terrestre « n’avait pas trouvé (ce qui provient) du repos en vue de la plante de son pied ». Moïse l’avait annoncé : Parmi ces nations tu n’auras pas de tranquillité, et n’existera pas (ce qui provient) du repos en vue de la plante de ton pied. (Deutéronome 28, 65)
Les conquêtes d’Alexandre et l’hellénisation de l’Univers qui s’en est suivie entrent donc bien dans un plan divin, mais n’en constituent qu’une étape. Comme l’avait annoncé Moïse – et comme l’enseignait Ben Sira – l’avenir de la sagesse des Grecs n’est pas parmi les nations, pas même à Alexandrie d’Égypte, mais à Jérusalem ! En tout peuple, en toute nation, je me suis enrichie, parmi eux tous j’ai cherché un lieu de repos : En quel héritage pourrais-je demeurer ? Alors il me commanda, le créateur de toute chose, celui qui m’a créée fit reposer ma tente. Il me dit « En Jacob dresse ta tente, en Israël sois en héritage. » (Ecclésiastique 24, 6-8)
Noé, qui avait acquis une sagesse parfaite en faisant la synthèse des voies de sagesse de cinq des patriarches antédiluviens (§ 162), a transmis cette sagesse à ses trois fils, Sem, Cham et Japhet. La sagesse que Japhet transmet à son fils Yavan ( )יוןet à la Colombe ( )יונ־הprovient donc de ce modèle dont Noé a fait la synthèse et qu’il a « envoyé » dans le monde terrestre par l’intermédiaire de ses fils. Et (Noé) envoya le modèle ( )אתde la Colombe (qui provient) de son (propre) modèle ()את־ו.
Mais la sagesse de la Colombe et de ses fils, les philosophes (§ 211), n’est qu’un reflet du modèle de sagesse de Noé lui-même car Japhet n’en a transmis qu’une image inversée. Alors que les philosophes pensent contempler les Idées, ils n’en perçoivent que l’ombre, du fond de leur caverne.
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LA TR AVERSÉE DU DÉLUGE
Cet envoi du « modèle de la Colombe » hors de l’Arche a valeur de test. Noé qui habite dans le monde de la vision veut « voir (si) les eaux (qui proviennent) de la montée des faces du sol sont devenues Voix ». Mais le test ne sera pas concluant et le modèle de la Colombe, la sagesse véritable, reviendra dans le monde intelligible où se trouve l’Arche, car les seules eaux de sagesse que le monde terrestre soit prêt à recevoir sont « (celles de la) montée de l ’ensemble des faces de la terre », une sagesse terrestre. Pour rendre compte des voyages de la Sagesse, Siméon fait appel à deux paradigmes, celui de la tripartition du réel et celui des eaux. Le premier est modulé en termes de vision/voix/audition. L’enjeu consiste à apporter à ceux qui sont hors de l’Arche – c’est-à-dire dans le monde sensible qui est celui de l’audition – la possibilité de voir cette Sagesse que Noé lui-même a contemplée. Et comme ce but ne peut être atteint que si une voix établit la médiation entre ces deux mondes 4 , il confie cette mission de médiation aux « eaux (qui proviennent) de la montée des faces du sol » et qui, sont seules capables de remplir cette fonction. Pour identifier ces eaux « des faces du sol », on doit alors se reporter au paradigme des eaux du récit de création (§ 186-187). Depuis le monde intelligible où il se tient, Noé « envoie les eaux des faces du sol » en mission auprès des « eaux de l ’ensemble des faces de la terre », dans l’espoir que ces eaux de sagesse monteront ensemble vers ce lieu unique qu’est l’Arche et qu’elles y seront réunifiées. La division de ces eaux de sagesse s’est produite au moment du conflit qui opposa Caïn et Abel. Caïn qui était serviteur du sol avait hérité de la sagesse du sol. Abel, et Seth après lui, avaient donc hérité de la sagesse de la terre. Le sol d’où provenait la sagesse de Caïn était celui du jardin d’Éden et la terre destinée à Seth, celle d’Israël. Mais lorsque Caïn se révolta contre Yahvéh, « ses faces tombèrent » (Genèse 4, 5) et il fut « errant et fugitif dans la terre » de Seth (Genèse 4, 12). Deux écoles de sagesse se trouvèrent alors en concurrence dans le monde terrestre, une école séthite héritière de la sagesse intelligible et une école caïnite dont la prétention était d’enseigner la sagesse du monde intelligible – une sagesse du sol opposée à celle de la terre – alors qu’elle n’en connaissait plus qu’une contrefaçon. Le projet de Noé n’était donc pas de proposer au peuple judéen la sagesse hellénique mais la véritable Sagesse en lui montrant que l’enseignement des philosophes n’en était qu’une émanation. Mais cette démarche se solda provisoirement par un échec car les Judéens préférèrent s’abreuver aux seules eaux de l ’ensemble des faces de la terre. Noé changea alors de stratégie et décida de préparer cette synthèse, en secret, dans l’Arche : 4. Cette fonction de médiation de la Voix implique son appartenance à l’intelligible comme au sensible, ce qui est exprimé par les expressions complémentaires « entendre une voix » (Genèse 3, 10) et « voir des voix » (Exode 20, 18).
CHAP. 25 – LES AMOURS D’UN GR AND PRÊTRE
Et Et Et Et
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(la Colombe) revint vers lui (Noé), vers l ’arche, (Noé) envoya sa main il prit la (Colombe) il fit venir son modèle vers lui vers l ’arche
En « revenant ( )שבvers Noé, vers l ’Arche », la Colombe manifestait son désir de l’instruire de la sagesse des Grecs. Mais si elle pouvait revenir ( )ש←בvers l’Arche, elle ne pouvait pas venir ( )ב←אdans l’Arche sans le consentement de Noé 5. Aussi celui-ci intervient-il en « envoyant sa main » hors du monde intelligible afin de « prendre » la Colombe et de s’approprier ainsi la sagesse des Grecs 6. Et comme le peuple judéen avait par ailleurs refusé de recevoir le modèle de cette sagesse parfaite qu’il lui avait envoyé, il fait également « venir ce modèle vers l ’Arche ». La synthèse de la sagesse des Grecs et de son modèle ne se ferait donc pas au grand jour, dans le monde terrestre, mais dans le secret de l’Arche. § 210 La deuxième semaine du dernier Jubilé Au début de la deuxième semaine, le peuple judéen qui marche au rythme jubilaire depuis le début de la période perse n’en est encore qu’à son 47e jour de marche. Il n’« atteindra le seuil » ( )סףd’un nouveau jubilé 7 que le deuxième jour de la deuxième semaine (47+2 = 49) et c’est seulement le lendemain, le 50e jour, qu’une nouvelle occasion d’entrer dans l’ère nouvelle lui sera offerte. Aussi Noé se doit-il de patienter jusqu’à cette nouvelle échéance. Et (Noé) réalisa le témoignage d’une hebdomade de jours autres Et il atteignit-le seuil ( )סףde l ’envoi du modèle de la Colombe [...].
Une fois ce seuil du jubilé atteint, – le 324 e jour – Noé jugea que les Judéens étaient maintenant en mesure de faire le choix décisif qui les introduirait dans un monde nouveau et s’apprêta à envoyer une seconde fois le « modèle de la Colombe » hors de l’Arche. Mais la Colombe grecque revint à la charge pour lui proposer un compromis. Et la Colombe vint vers lui en vue du temps du soir Et voici (que) les montées de l ’olivier (du) déchiré (étaient) dans sa bouche 5. Conformément à ses lettres, la racine « שבrevenir » correspond à un mouvement de remontée ( )ש←בqui conduit du dernier jour de la réalisation ( )ש־de l’algorithme au deuxième jour du modèle ()־ב. Par voie de conséquence, le verbe venir ( )ב←אdoit symboliser l’étape suivante, celle du retour à l’Un. 6. Ce que Noé « prend » c’est la Colombe elle-même ( )ויקח־הet non pas son modèle ()ויקח את־ה. 7. Le paradigme du verbe « atteindre le seuil » ( )סףa été décrit dans le récit de naissance de Caïn et Abel où il a été précisé que ce « seuil » (saf ) correspondait au 49e jour de la période jubilaire (§ 135).
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LA TR AVERSÉE DU DÉLUGE
Et Noé connût car les eaux (qui proviennent) de la montée de la terre étaient devenues-Voix.
Alors que pendant la première semaine la sagesse des Grecs était revenue vers lui ( )ש←בet avait été prise par lui, elle vient vers Noé au moment où le peuple atteint le seuil du Jubilé. Son attitude a donc changé. Si elle vient ()ב←א, c’est qu’elle aspire désormais à ne faire qu’un avec Noé. Elle ne désire plus s’imposer, mais seulement participer à la sagesse intelligible que possède le patriarche. Pour que ce projet se réalise, encore faut-il que le Corbeau, porte-parole de cette religion traditionnelle de la période perse cesse lui aussi de faire dissidence. C’est dans ce but que la Colombe vient « en vue du temps du soir » ()לעת ערב. Conformément à sa graphie ()ע←ת, ce temps est en effet celui qui sépare encore les Judéens de leur entrée dans l’ère nouvelle, un temps qui mérite le nom de temps du « soir » ( ערב: ‘ érèv) car le Corbeau ( ערב: ‘orèv) continue encore à aller et venir (§ 206). Il s’agit donc de mettre fin aux réticences des partisans de la religion Yahviste traditionnelle que le Corbeau représente. § 211 L’olivier du Déchiré D’après la lecture traditionnelle, la Colombe viendrait vers Noé avec « dans la bouche une feuille d’olivier toute fraîche (taraf : » )טרףqui serait un symbole de paix. Pourtant, partout ailleurs dans la Bible, cette racine טרףprend le sens de déchirer, lacérer. Il n’y a donc aucune raison objective de ne pas l’interpréter de la même façon dans le récit du Déluge alors que c’est précisément là qu’est décrit le paradigme de cette racine. Et voici (que) les montées de l ’olivier (du) déchiré (étaient) dans sa bouche.
À la différence de la première semaine pendant laquelle elle s’était faite le porte-parole de la sagesse des Grecs, le discours que la Colombe a « dans la bouche » est désormais celui des « montées de l ’olivier (du) déchiré » ! La deuxième occurrence du verbe taraf permet de percer la signification de cette montée mystérieuse. Elle apparaît dans l’histoire de Joseph, ce fils de Jacob et de Rachel qui, après avoir été vendu par ses frères et conduit en Égypte, devint le bras droit du Pharaon. Il fut le seul de tous les fils de Jacob à ne pas avoir participé à la sortie d’Égypte. Il mourut en Égypte et y fut inhumé, mais provisoirement car il avait fait promettre à ses fils de ramener ses ossements au pays de Canaan, « le jour où Élohim les aurait visités » (Genèse 50, 24-26). Ce qu’ils firent (Josué 24, 32). Dans l’histoire de Joseph, l’adjectif taraf renvoie de façon explicite à la scène où les fils de Jacob apportent à leur père la tunique (ketonèt) portée par Joseph, une tunique (khiton) telle qu’en portent les Grecs ! Ils la lui montrent en disant :
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« Nous avons trouvé ceci : reconnais donc si c’est la tunique (grecque) de ton fils ou non ! ». Il la reconnut et dit : « (C’est) la tunique (grecque) de mon fils ! Une bête féroce l’a dévoré ! Joseph a été (doublement) déchiré (tarof toraf : ( » ! )טרף טרףGenèse 37, 33)
La sagesse que la Colombe a dans la bouche pendant la deuxième semaine du dernier jubilé n’est donc plus celles des Grecs, mais celle de Joseph, le déchiré. Bon nombre d’indices dispersés à dessein par Siméon dans les profondeurs du texte invitent effectivement à établir un rapport entre cet olivier (du) déchiré qui vient vers Noé et la communauté judéenne d’Égypte représentée par la famille des prêtres Oniades en fonction dans le Temple de Jérusalem au nom du pouvoir lagide. Alors que le nom de Joseph ( יוסף: yosèf ) signifie « il fera atteindre le seuil » du Jubilé, la mission du grand prêtre oniade ( און: ’on) sera de faire franchir ce seuil et de faire entrer ces Judéens d’Égypte dans cet ultime jubilé ()א←ן. Comme Joseph, ils sont fils de Jacob mais portent la tunique de l’hellénisme. Leur double appartenance et leur lien avec la famille oniade ont été scellés par le mariage de Joseph avec Asnat, la fille du prêtre de On (( )אוןGenèse 41, 45). On apprend par ailleurs que ce On était le fils-bâtisseur de Pélèt (bèn pélèt : Nombres 16, 1). Le nom reflétant la fonction, ceux de Pélèt et d’Asnat mis en relation avec un Joseph vêtu à la grecque font probablement écho à ceux de Platon et de l’Athénée où enseignaient ses disciples. Ce que la Colombe hellénique propose à Noé c’est donc, selon toute vraisemblance, de faire sienne la sagesse de la communauté judéenne hellénisée d’Égypte. Avec l’entrée en scène du nouveau Joseph, c’est le troisième groupe des exilés qui revient. S’il « vient en vue du temps du soir », c’est afin de mettre fin à la dissidence du Corbeau. Les descendants de Joseph sont en effet les possesseurs légitimes de cette terre accaparée par le Corbeau. Au moment de la mort de Salomon, le schisme entre la tribu de Juda et les tribus d’Israël avait été provoqué par Jéroboam, un éphraïmite, donc un descendant d’Éphraïm, le fils cadet de Joseph. Ce pays d’Éphraïm, la Samarie, avait donc appartenu aux Éphraïmites jusqu’à l’exil des tribus d’Israël en Assyrie. Ce n’est qu’après leur départ que les Corbeaux, ces colons étrangers vaguement initiés au culte de Yahvéh, en avaient pris possession. En accueillant la sagesse des Judéens d’Égypte le Temple ferait donc un nouveau pas vers la synthèse. La Judée continue cependant encore à vivre dans la tripartition. Ceux qui sont revenus de Babylonie sont toujours enfermés dans l’Arche alors que les exilés d’Égypte ont pris possession du Temple et que le peuple du pays, à l’image du Corbeau, oscille entre les deux camps. Bien que ce schéma ne soit qu’une approximation, il permet de rendre compte de la situation nouvelle créée par l’entrée en scène de la communauté d’Égypte.
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LA TR AVERSÉE DU DÉLUGE
Et Noé connût : car les eaux (qui proviennent) de la montée de la terre sont devenues Voix.
Noé, représentant symbolique de l’humanité séthite, connaît ()י־דע. Ce verbe renvoie par analogie à l’arbre de la Connaissance ( )דע־תqui est bon et mauvais (Genèse 2, 9). En effet la sagesse qu’apporte Joseph, ce fils de Jacob déchiré (tarof toraf : )טרף טרףentre deux cultures, c’est une sagesse double qui peut conduire au bien comme au mal. Les fleuves de Sagesse qui s’étaient dispersés dans les 70 nations après le Déluge ont maintenant convergé vers Jérusalem. Aux ténèbres de la foi s’est ajoutée la lumière des nations. Jérusalem peut alors dispenser un double enseignement qui lui donnera accès à l’ère nouvelle quand il aura réussi à en faire la synthèse. Tel est le scénario annoncé par le prophète Zacharie : En vue du temps du soir (( )לעת ערבde) la lumière existera. Il arrivera qu’en ce jour-là des eaux vives sortiront de Jérusalem, la moitié vers la mer orientale et la moitié vers la mer occidentale (Zacharie 14, 7).
§ 212 Zacharie prophétise les cinq dernières semaines du monde La fin de cette deuxième semaine du dernier jubilé correspond au 329e jour de l’année. Cinq semaines restent encore à parcourir avant d’atteindre le but (329+(7x5) = 364), le temps qu’il faut pour reproduire, au rythme des semaines, le modèle des cinq jours de la création. C’est précisément la veille de ce 329e jour, donc le 24 e jour du 11e mois 8, dernier jour ouvrable de la deuxième semaine, que Zacharie reçut la révélation de ce que seraient ces cinq dernières semaines : Le vingt-quatrième jour du onzième mois qui est le mois de Shevat, en l’an deux de Darius, la parole de Yahvéh fut adressée à Zacharie, fils de Bérékyahou, fils de Ido, le prophète. (Zacharie 1, 7)
Le choix de Zacharie ( זכר־יה: Yah(véh) s’est souvenu) fils de Bérékyahou, fils de Ido comme prophète des cinq semaines pendant lesquelles une double Sagesse va cohabiter à Jérusalem est justifié par sa double généalogie. À quelques phrases d’écart, les noms du père et du grand-père du prophète sont répétés, mais avec des orthographes différentes, et construisent par ce biais un monument arithmologique tourné à la fois vers le passé et l’avenir (Tableau 58). La première généalogie est associée au nombre 50 et introduit un bref rappel des erreurs passées des Judéens qui provoquèrent la destruction du premier Temple à la 50e génération (Zacharie 1, 1-6). Quant à la seconde généalogie (70+1) elle mesure le chemin qui reste à
8. 329 : 182+91+1+30+25 : 25e jour du 11e mois solaire.
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parcourir jusqu’à ce que se réalise l’entrée dans l’ère nouvelle 9 (50+70+1 = 120+1). Tableau 54 La généalogie de Zacharie Zacharie 1, 1
Zacharie 1, 7
Zacharie
זכריה
25
זכריה
25
fils de Bérékyah(ou)
ברכיה
+20
ברכיהו
+26
fils de Ido(’)
עדו
+12
עדוא
+13
50 70+1 120+1
Cet avenir est évoqué dans une fresque grandiose (Zacharie 1, 7-6, 15) dont chacun des sept tableaux décrit, sous forme d’allégorie, une étape de la marche de l’histoire vers la fin des temps : Ces sept récits de visions nocturnes […] sont agencés selon une structure concentrique et symétrique. Construits en miroir, ces récits constituent un cycle visionnaire. Les récits initial (chevaux montés, 1, 8-15), central (chandelier flanqué de deux oliviers, 4, 1-14) et final (attelages de chars, 6, 1-8) renvoient les uns aux autres et sont placés sous les auspices de la couleur et de la lumière. De même, les quatre récits intermédiaires (cornes démantelées par des artisans célestes, 2, 1-4 ; l’arpenteur céleste de Jérusalem, 2, 5-9 ; la malédiction volante, 5, 1-4 ; l’Impiété dans le boisseau, 5, 5-11) se répondent en évoquant le renouvellement de l’espace et du temps autour de Jérusalem et du Temple reconstruit en son sein, jusqu’aux confins de l’univers 10 […].
Ces visions, que nous ne tenterons pas d’interpréter, sont entrecoupées de paroles adressées à Zorobabel et à Josué fils de Yoçadaq dans lesquelles se laisse effectivement lire une histoire des institutions du second Temple qui tournera en faveur du Sacerdoce. Comme le note Arnaud Sérandour, par delà l’allégorie on devine « un écrit idéologique légitimant comme voulus par Dieu des institutions existantes, et qui fait, en particulier, de la fonction héréditaire de grand prêtre du Temple de Jérusalem la clé de voûte du nouvel ordre cosmique introduit dans le chaos obscur par le dieu national 11 ». 9. Ce retour à l’Un est symbolisé par le ’alèf ( = א1) qui est ajouté au nom de Ido’ ()עדו־א. 10. SÉRANDOUR A., dans RÖMER T. – MACCHI J.-D. – NIHAN C. (éd.), Introduction à l ’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 458 sqq. 11. SÉRANDOUR A, dans RÖMER Th. et alii (éd.), Introduction à l ’Ancien Testament, Paris, Labor et Fides, 2005, p. 465.
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LA TR AVERSÉE DU DÉLUGE
§ 213 La troisième semaine du dernier Jubilé Lorsque commence la troisième semaine, Jérusalem se trouve donc tiraillée entre deux enseignements. À l’enseignement traditionnel yahviste est venu s’ajouter celui des Judéens d’Égypte inspiré par l’hellénisme. Cette situation perdurera pendant toute la troisième semaine : Et (Noé) réalisa ( )ויי־חלle témoignage d’une hebdomade de jours autres.
La formule est la même que pour la deuxième semaine, mais à un détail près. Alors que dans le premier cas la réalisation était écrite avec un seul yod ()וי־חל, elle l’est ici avec deux yod ()ויי־חל. Le paradigme d’interprétation de ce redoublement du yod est décrit dans les Généalogies des cieux et de la terre. Pour indiquer qu’Adam a été façonné avec un double penchant – au bien et au mal – le verbe façonner est écrit avec deux yod ( ויי־צר: wayyiçér), alors que pour les animaux – purs ou impurs – donc façonnés avec un seul penchant, ce verbe est écrit avec un seul yod ( וי־צר: wayiçér). Pendant cette troisième semaine le Temple continuera donc à enseigner cette double sagesse symbolisée par l’arbre de la connaissance. Probablement faut-il comprendre que les prêtres oniades placés à la tête du Temple par l’autorité grecque se feront les porte-parole de la sagesse des Judéens d’Égypte, tandis que les prêtres lévites descendants de Pinhas continueront à enseigner la sagesse traditionnelle de la période royale. § 214 Les vingt-huit derniers jours Au terme de cette troisième semaine le 336 e jour a été atteint, 28 jours restent encore à parcourir avant de fouler le seuil ( )סףde l’entrée dans l’ère nouvelle. C’est pendant ces jours décisifs que « le modèle de la Colombe » sera « envoyé », hors de l’Arche, mais sans que la date en soit précisée. C’est donc pendant ces 28 jours que le modèle intelligible de la Sagesse, jusque-là caché dans l’Arche, sera révélé au peuple judéen. Et (Noé) envoya le modèle de la colombe Et (la Colombe) n’avait pas (auparavant) atteint-le-seuil ( י־ספ־ה: yasfah) de la venue vers lui du témoignage. (Genèse 8, 12)
Que ces derniers jours soient au nombre de 28 suffit à démontrer leur importance décisive. Ce nombre est, en premier lieu égal à la somme des lettres fondamentales de chacune des trois semaines du récit de création (1+2 → +7 = 28x3 = 84). Il est également en harmonie avec les lettres finales qui le multiplient par 10 (28x10 = 280). Il est donc le nombre d’or qui construit l’année parfaite (28x13 = 364) en se multipliant lui-même par le nombre de la lumière ( = אור13 : ’or). Mais ce nombre d’or est aussi celui de la 28e voie de sagesse sur laquelle ne marchèrent que de rares personnages bibliques. Sur l’ensemble des noms des acteurs de l’histoire – de
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la création d’Adam jusqu’aux 120 ans de Moïse – cinq seulement l’empruntèrent 12 avec à leur tête Siméon ( = שמעון28), le deuxième fils de Jacob et de Léah. C’est donc lui – dont le nom signifie « Entendez le Jubilé » ( – )שמעו־ןqui prendra la tête d’Israël pour le conduire jusqu’à cet ultime jubilé. Ce modèle dont la connaissance conditionne l’entrée dans une ère nouvelle doit impérativement être entendu avant que la Judée n’atteigne le seuil. Et c’est seulement si elle accepte de l’entendre ( )שמעde la bouche de Siméon qu’elle accédera à cette connaissance unifiée : Entends ()שמע, Israël : Yahvéh (est) notre Élohim : Yahvéh (est) Un. (Deutéronome 6, 4)
§ 215 La Colombe céleste envoie son Bien-aimé en mission Si le récit du Déluge lui-même ne dit rien de plus sur le pontificat de Siméon fils d’Onias, de nombreux autres textes bibliques permettent de briser ce silence. Pour cela il suffit de se reporter par le biais de l’analogie aux textes où apparaissent la racine שמעou la Colombe. Nombreuses sont les références à la Colombe que l’on peut glaner à travers les livres prophétiques, mais c’est en dernière analyse au Cantique des Cantiques qu’il faut se reporter pour connaître le fin mot de l’histoire. Parmi les noms que le Bien-aimé ( דוד: dod) du Cantique donne à sa fiancée, celui de Colombe revient comme un leitmotiv : « Que tu es belle ma compagne, que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes » (Cantique 1, 15), « Lève-toi, ma com12. La vérification a été faite sur les 533 noms d’un « répertoire des noms propres de la Torah » établi par Jean Maillard en 1996 (non publié). Cinq noms seulement correspondent au nombre 28. Par ordre d’apparition dans l’histoire biblique, le premier est Siméon ( שמעון: 28) fils de Jacob et de Léah (Genèse 29, 33). Le deuxième, Benjamin ( בנימין: 28), fut ainsi nommé par son père Jacob, après que sa mère Rachel lui eût donné le nom de Ben Oni ( בן־אוני: 9+17 = 26) qui signifie « fils-bâtisseur de mon Oniade ! » (Genèse 35, 18) ce qui justifie son nombre. Le troisième fut Joseph, le frère aîné de Benjamin, mais il ne marcha sur cette 28e voie qu’après que le Pharaon lui eût donné son nom égyptien de Safnat Panéah (צפנת־ פענח: 15+13 = 28). L’un des points communs entre Siméon, Benjamin et Joseph est qu’ils séjournèrent en Égypte avant que leur père et leurs frères n’y descendent. Les deux derniers personnages qui marchèrent sur cette 28e voie portent le nom d’hommes (’anachim). Ils appartiennent donc au groupe de ces héros qui seront les hommes du Nom (§ 188) et qui assisteront les fils d’Israël. Le premier d’entre eux, Nahchôn ( נחשון: 28) fils d’Aminadav ( עמינדב: 24) (Nombre 1, 7), sera préposé à la tribu de Juda et la conduira jusqu’à la fin des temps (28+24 = 52). Le second est Pedahçour ( פדהצור: 28) père de Gamaliel ( גמליאל: 23) (Nombre 1, 10), l’homme préposé à la tribu de Manassé fils de Joseph et qui ne conduira celui-ci que jusqu’au seuil de la fin des temps (28+23 = 51). On peut en conclure que, bien que les fils de Joseph aient joué un rôle capital dans l’histoire, ce n’est pas dans la communauté judéenne d’Alexandrie d’Égypte que la Sagesse trouvera le repos, mais auprès des Judéens de Jérusalem.
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LA TR AVERSÉE DU DÉLUGE
pagne, ma belle, et viens t’en, ma Colombe » (Cantique 2, 14) 13. Pour se convaincre que le Cantique des Cantiques est bien une allégorie des rapports qu’entretint Siméon avec la Sagesse céleste avant son entrée en fonction au Temple de Jérusalem, il suffira de soumettre à la lecture littérale les derniers propos qu’échangent le Bien-aimé ( דוד: dod) et sa Colombe. Les traducteurs, avant tout sensibles à la « poésie » du Cantique, les rendent ainsi : O toi (ma colombe) qui demeures dans les jardins, Des compagnons prêtent l’oreille à ta voix, Fais en sorte que je t’entende ! –
Et la Colombe de répondre : Fuis donc, mon bien-aimé Et sois semblable à la gazelle Ou au faon des biches, Sur les montagnes des baumiers ! (Cantique 8, 13-14)
Sous cette apparence poétique se cachent en réalité un projet et une mission dont l’avenir de la Judée dépendra : (Toi) la (Colombe qui) habite dans les jardins, des compagnons sont-enattente en vue de ta Voix : Fais moi entendre.
La Colombe que fréquente Siméon n’est pas la sagesse des Grecs, mais la Sagesse intelligible, celle qui habite dans les Jardins (d’Éden), dans un monde intelligible qui est celui de la vision alors que le monde sensible est celui de la parole que l’on entend. Entre ce vu et ce dit, la médiation doit être assurée par la Voix (§ 209). À la lumière de ce paradigme, on comprend que le Bien-aimé qui contemplait jusqu’ici la Sagesse dans les jardins (d’Éden), désire renoncer à cette vision pour entrer lui-même dans le monde de l’audition : « Fais-moi entendre ». Sa demande est motivée par le fait que « des compagnons » ( חבר־ים: havérim) – que l’analogie impose d’identifier à des hommes d’Israël 14 – sont en attente de la manifestation de cette Voix. Le Bien-aimé demande donc à être cette Voix qui guidera l’élite d’Israël dans son ultime marche jubilaire. Et comme le passage de l’intelligible au sensible ne peut se faire sans l’imposition d’un Nom qui reflète le rôle de l’envoyé, celui de Siméon ( שמעון: chime‘on) s’impose, lui qui signifie « Entendez le Jubilé ( שמעו־ן: chime‘oun) » vers lequel vous êtes en marche. 13. Voir aussi Cantique 4, 1 ; 5, 2, 12 ; 6, 9. 14. Le mot compagnon renvoie par analogie à Juges 20, 11 « Et (une partie de(s) homme(s) d ’Israël (qui sont) vers la ville fut rassemblée, compagnons ( חבר־ים: havérim) comparables à l ’époux de l ’Unique » un texte qui mériterait une longue analyse…
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La Colombe céleste accède à la demande de Siméon et lui ordonne alors de partir en mission : Fuis, mon bien aimé Et sois-semblable en vue de toi-(même) (qui agis) en vue de (la) gazelle ou en vue du faon des cerfs (qui sont) sur les montagnes de(s) baumiers. (Cantique 8, 14)
Alors que le monde intelligible est « image » (çèlèm), le monde terrestre dans lequel le Bien-aimé va entrer est « ressemblance » ( דמ־ות: demout). Pour y accéder Siméon doit donc devenir « semblable » ( דמ־ה: deméh). Il pourra alors remplir sa mission et enseigner au peuple judéen une sagesse qui servira d’aliment aussi bien aux impurs (la gazelle) qu’aux purs (le cerf), car il est écrit : L’impur et le pur en mangeront, (eux qui sont) comparables à la gazelle et comparables au cerf. (Deutéronome 12, 15)
L’intérêt que porte la Colombe aux montagnes plantées de baumiers n’a rien d’anecdotique, car c’est de cet arbre qu’est extraite l’huile d’onction qui sert à la consécration des grands prêtres (Exode 25, 6 ; 29, 7). Derrière ces montagnes des baumiers ( = בשם15) se cachent les montagnes d’Ararat ( אררט: 15) du récit du Déluge. Conformément à son ordre de mission, Siméon est donc chargé d’enseigner la sagesse véritable à l’ensemble de la population judéenne, aussi bien à ceux qui en sont dignes qu’aux autres et sans limiter sa mission à la seule montagne du Temple de Jérusalem. Cette mission est résumée d’un mot sous lequel se cache tout un programme « : Fuis [ ברח: berah] ! » Par le biais de l’analogie, la Sagesse intelligible ordonne en fait à Siméon de reprendre à son compte le modèle que préfiguraient les premiers fuyards de l’histoire biblique, Hagar et Ismaël dont le nom signifie – « il entendra Dieu » ( ישמע־אל: yichma‘el) –. Comme l’avait fait le fils d’Hagar l’égyptienne et d’Abram l’hébreu, Siméon fils d’Onias devra rétablir la médiation entre les cieux et la terre (§ 135-136). Lorsque certains maîtres de Yavnéh, trois siècles plus tard, envisageront d’exclure le Cantique des Cantiques du canon des Écritures, Rabbi Aqiba leur objectera que « le Cantique des Cantiques est le Saint des Saints », signifiant par là que cette Arche qui avait abrité le dialogue amoureux de Siméon et de la Sagesse était la partie la plus sacrée du Temple, ce Saint des Saints dont l’accès était exclusivement réservé au grand prêtre. On se prend alors à rêver qu’une lecture littérale suivie de l’autobiographie de Siméon qu’est le Cantique apporte de précieuses informations de détail sur le parcours intellectuel du grand prêtre avant son entrée en fonction au Temple de Jérusalem.
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LA TR AVERSÉE DU DÉLUGE
§ 216 Une vision fugitive du plan de l’Histoire Ainsi s’achève l’année du Déluge, une année dont le calendrier a révélé le plan de l’histoire universelle : En l’an six cent un, au premier mois, au premier jour du mois, il advint que les eaux s’étaient desséchées de dessus la terre. (Genèse 8, 13)
Tableau 55 Une chronologie de l’histoire universelle Période antédiluvienne Du 1er au 49e jour
Métouchélah (26 : le prêtre), Lamekh (+15 : le roi) et Noé (+8 = 49 : L’homme de la synthèse) construisent le modèle des institutions (§ 184)
Période babylonienne DU DÉLUGE Du 50 au 129 jour e
e
À LA DESTRUCTION DU PREMIER
TEMPLE
Les 40 jours de Déluge
Les 40 jours et 40 nuits de pluie-continue
Histoire de la Sagesse des nations (lumière de la raison) rendue « confuse » par la traversée du Déluge (§ 186)
La double part de Sagesse révélée à Moïse pendant les 40 jours (lumière véritable de la raison) et les 40 nuits (ténèbres de la foi) de son séjour sur la montagne du Sinaï (§ 185)
DE
TEMPLE TEMPLE
LA DESTRUCTION DU PREMIER DU SECOND
À L’INAUGUR ATION
Du 130 e au 200 e jour Les 70 premiers jours des eaux héroïques Les Judéens exilés à Babylone collectent la sagesse des nations pendant 70 ans jusqu’à ce que l’Arche repose sur les montagnes d’Ararat (§ 192) Période perse Du 200 e au 279e jour
Les 80 derniers jours des eaux héroïques Pendant 75 jours, cohabitation conflictuelle entre les Yahvistes authentiques (Les habitants de l’Arche) et les Pseudo-yahvistes (les habitants des montagnes d’Ararat) représentés par le Corbeau samaritain à la solde d’Adramelekh et de Sareser (§ 193) Pendant les 5 derniers jours, reconstruction du Temple (§ 194) Fin des 150 jours des eaux héroïques
Du 280 e au 314 e jour
DE L’INAUGUR ATION
DU NOUVEAU
TEMPLE
DARIUS GR AND
SOUS
À LA VENUE D’A LEXANDRE LE
LE
PERSE
Cohabitation conflictuelle entre les Judéens et le Corbeau samaritain (§ 197) Le grand prêtre marche au rythme de Moïse (le modèle 40 des séthites)
Le peuple continue sa marche au rythme des Nations (le modèle 49 des Caïnites)
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CHAP. 25 – LES AMOURS D’UN GR AND PRÊTRE Période grecque LE
DERNIER JUBILÉ DE L’HISTOIRE UNIVERSELLE
(§ 208)
Du 315e au 364 e jour
Le grand prêtre oniade continue à adhérer au modèle séthite
Le peuple continue à adhérer au modèle caïnite
1ère semaine (§ 209)
Le grand prêtre propose sans succès au peuple la véritable Sagesse dont la Colombe n’est qu’un « reflet »
Le peuple refuse et continue sa marche jubilaire
2e semaine (§ 210)
Le grand prêtre propose à nouveau au peuple la véritable Sagesse. Le grand prêtre accueille alors la Sagesse hellénisée des Judéens d’Égypte (celle de Joseph)
Le peuple atteint une nouvelle échéance jubilaire
3e semaine (§ 213)
Le grand prêtre enseigne une double Sagesse
Les 4 dernières semaines (§ 214-215)
Venue de Siméon fils d’Onias L’homme de la Synthèse
364+1
Retour au jardin d’Éden
ou
Le peuple refuse à nouveau d’adhérer à la vraie Sagesse
L’élite d’Israël – les « Compagnons » – adhère à son enseignement maintien dans le monde terrestre
Que la terre soit sèche au moment où Noé entre dans la nouvelle année est la conclusion logique de l’histoire des eaux. Au terme des 120 (ans) d’action de l’Esprit de Yahvéh, les eaux de la sagesse dispersées dans l’univers ont été intégralement collectées dans le Temple et leur synthèse réalisée conformément à l’annonce faite par Élohim le deuxième jour de la création. Les eaux qui proviennent de la descente des cieux seront collectées vers un lieu unique Et la sèche sera vue. (Genèse 1, 9)
Si Noé, le 10e des patriarches, n’avait pas engendré une 11e génération, l’humanité antédiluvienne serait restée dans le monde intelligible. Le modèle jubilaire construit par Métouchélah (26), Lamekh (+15) et Noé lui-même (+8 = 49) pendant les 49 premiers jours de l’année du Déluge les auraient directement conduits à la fin des temps. Mais Noé engendra une 11e génération qui provoqua la corruption de la terre. On passa alors du modèle de la période jubilaire à celui de l’année (364). Ce nouveau plan divin impliquait que le retour au modèle se réaliserait en sept périodes jubilaires (49x7 = 343) et qu’au terme de ce délai le peuple judéen serait en mesure de réaliser sur terre le modèle de la création initiale (343+21 = 364) et d’entrer dans une ère nouvelle (+1 = 365). Telle est la prophétie que révèle la chronologie du Déluge. Pour la réaliser Noé et ses fils doivent sortir de l’Arche et traverser l’histoire postdiluvienne.
430
LA TR AVERSÉE DU DÉLUGE
Au deuxième mois, le vingt-septième jour du mois […] Noé sortit donc, ainsi que ses fils, sa femme et les femmes de ses fils avec lui. (Genèse 8, 14)
En choisissant les femmes de Lamekh et le modèle jubilaire contrefait de Yaval, Youval et Touval, les fils de Noé avaient trahi le modèle construit par Métouchélah, Lamekh et Noé pendant les 49 premiers jours de l’année du Déluge. Ce modèle étant occulté, un nouveau comput du temps est instauré dont le point de départ est le début du Déluge, le 50 e jour de la 600e année (§ 184). C’est donc au bout de 372 jours qu’aura lieu la sortie de l’Arche. Le dernier jour passé dans l’Arche – le 7e jour du 1er mois 15 – renvoie alors par analogie à un oracle du prophète Ézéchiel. La onzième année, le premier mois, le sept du mois, il advint que la parole de Yahvéh me fut adressée en ces termes […] « Me voici contre Pharaon, roi d’Égypte […] Je fortifierai les bras du roi de Babel, je placerai mon épée dans sa main et je briserai les bras de Pharaon qui poussera devant lui les gémissements d’une victime. Je fortifierai les bras du roi de Babel et les bras du roi d’Égypte tomberont. On saura que je suis Yahvéh quand je placerai mon épée dans la main du roi de Babel et qu’il la brandira contre le pays d’Égypte. » (Ézéchiel 30, 20-26)
Dans sa prescience parfaite, le Très-Haut se devait d’annoncer quelle serait la fin de l’histoire postdiluvienne dont il avait fixé le plan. Pour l’initié contemporain de Siméon, qui pensait vivre les derniers jours du monde, ce roi d’Égypte ne pouvait être que le roi lagide d’Alexandrie et le roi de Babel le roi séleucide d’Antioche, deux dynasties hellénistiques qu’un conflit endémique opposait depuis la partition du royaume d’Alexandre. La cinquième guerre de Syrie se préparait et « Yahvéh avait placé son épée dans la main du roi » séleucide « qui la brandissait contre le pays d’Égypte ». Cette victoire que Siméon espérait deviendra réalité lors de cette cinquième guerre de Syrie, en 199 avant notre ère, lorsque le roi séleucide Antiochus III écrasera l’armée Lagide à la bataille de Panéion (§ 51).
15. 315 jours (364-49) s’écoulent jusqu’à la fin de l’an 600, auxquels s’ajoutent les 57 jours de l’an 601 (1+30+26) qui précèdent la sortie de l’Arche. La durée du séjour fut donc de 372 jours, qui prennent fin le 7e jour du 1er mois solaire (372 = 364+1+7).
Huitième partie
L’Hébreu, une langue sacrée
Chapitre 26
L E MODÈLE RÉVÉLÉ DE LA SYNTAXE ET DU VOCABULAIRE BIBLIQUES
§ 217 Les nombres de la Bible Aristote reprochait à certains héritiers de Platon d’avoir transformé la philosophie en mathématiques : Les Mathématiques sont devenues, pour les Modernes, toute la philosophie, quoi qu’ils disent qu’on ne devrait les cultiver qu’en vue du reste 1.
Quelle que soit la place que Siméon accorde aux nombres, 150 ans environ après la mort de Platon, il ne peut encourir ce reproche. Ces nombres sont mis par lui au service d’un discours théologique. Ils sont un instrument de médiation conçu par le Très-Haut pour se manifester dans le monde sensible et permettre à l’humanité d’accéder à la connaissance de l’Un. N’étant pas philosophe, je me garderai bien de préciser les rapports de Siméon à la philosophie, celle qui s’enseignait à Alexandrie au troisième siècle. Il suffira de noter que le système élaboré par Siméon présente des similitudes certaines avec l’enseignement oral attribué à Platon (§ 80). L’idée de la gematria lui vient également des Grecs. En Judée, comme dans le monde sémitique en général, les nombres étaient notés au moyen de signes spécifiques. Dans les lettres autographes de Simon bar Kochba, leader de la deuxième révolte juive (132 de notre ère), les nombres sont toujours écrits au moyen d’un système emprunté à l’Égypte pharaonique. En fait, ce n’est vraiment qu’à partir du deuxième siècle de notre ère, donc un demi-millénaire après Siméon, que les juifs commencèrent à utiliser les lettres pour noter des nombres, et d’abord, semble-t-il, dans les inscriptions funéraires. Chez les Grecs, au contraire, les nombres ont toujours été notés au moyen des lettres de l’alphabet. Les traités de mathématiques de la période hellénistique utilisaient toujours ces lettres d’un maniement peu commode, ce qui obligeait les mathématiciens à pratiquer le calcul mental ou à se servir d’un abaque. Comme les Grecs et les Égyptiens, Siméon adopte le système décimal, mais construit son algorithme en fonction d’un double modèle fondé sur 1. Aristote, Métaphysique A, 992a 32-b1, éd. J. Tricot, Paris, Vrin, 1986, vol. 1, p. 98.
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L’HÉBREU, UNE LANGUE SACRÉE
les nombres 10 et 7. Conformément au modèle platonicien, il associe le nombre 10 au monde intelligible. Quant au nombre 7 il en fait le symbole de la manifestation de l’intelligible dans le monde sensible, une manifestation dans le temps dont l’unité de mesure est la semaine exemplaire du récit de création, une semaine qui se dédouble en passant de l’intelligible au sensible, d’où les deux semaines de la réalisation jusqu’à la réunification au premier jour de la quatrième semaine. La plupart des monuments numériques construits par Siméon le sont à partir de ce modèle du temps. Moïse prend la semaine comme étalon lorsqu’il révèle le modèle jubilaire (7x7). L’algorithme complet des lettres araméennes construit l’année parfaite et immuable en multipliant le nombre 52 des lettres divines (§ 83) par celui de la semaine (52x7 = 364). L’humanité n’échappe au rythme de la semaine qu’au moment de son retour à l’Un, symbolisé par la lettre taw. Les trois semaines de la création (7x3+l = 22), les sept semaines de la période jubilaire (7x7+1 = 50) et les 52 semaines de l’année parfaite (7x52+1 = 365), tendent toutes vers ce retour à l’Un, bien que par des voies différentes. Ce modèle 7 est associé par Siméon à la fonction royale. Le récit de naissance de Caïn et Abel, instaure le rythme jubilaire (7x7 = 49). Au lendemain de la naissance d’Abel, alors que le passage de 49 à 50 aurait pu permettre de quitter le monde sensible pour l’intelligible, c’est Caïn qui l’emporte. La lignée royale issue de lui impose alors le modèle 7 pour toute la durée de l’histoire, alors que le sang ( דם: 10) d’Abel est relégué dans l’intelligible (Genèse 4, 10). La lignée caïnite se reproduira sur 7 générations au terme desquelles les fils de Lamekh, Yaval ( )יבלet Youval ()יובל imposeront ce modèle jubilaire ( )יובל – יבלà l’humanité postdiluvienne. Mais leur domination sur le monde terrestre ne dépassera pas le nombre 77, conformément à l’annonce faite par le Très-Haut à leur père Lamekh (Genèse 4, 24) qui, lui-même, mourra dans sa 777e année (Genèse 5, 31). La contre-attaque sera menée par la lignée de Seth. Dans ce but, elle sera engendrée en dessous d’Abel, dans le monde sensible, mais aura pour mission, comme l’indique le nombre 40 qui lui est associé, de révéler la décade intelligible dans ce monde soumis à la domination caïnite. Sa mission se déroulera en 4 périodes (10x4), conformément à l’annonce faite par Yahvéh à Abram au sujet des quatre périodes de l’histoire 2 (Genèse 15, 16), et ce n’est qu’à la quatrième que Seth ( ש←ת: 8), le fondateur d’une humanité nouvelle, se manifestera pour ouvrir à ces hommes souffrants les portes du monde intelligible. En attendant le retour de Seth, son fils Énoch – représentant symbolique de cette humanité souffrante – devra parcourir les 32 voies (40-8 = 32) qu’exige l’apprentissage complet de la Sagesse, un itinéraire que parcourront effectivement les 32 générations de l’humanité jusqu’à la venue de David le bien-aimé. Mais cette histoire exemplaire en 2. Que l’histoire biblique soit organisée en quatre périodes paraît également dicté par la procession des nombres intelligibles (1+2+3+4 = 10).
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préfigure une autre que Ben Sira décrit dans son Éloge des Pères, celle de la Judée de la période du second Temple et de son grand prêtre (§ 52). § 218 De l’Un au multiple Comme on peut en juger par ce bref récapitulatif, Siméon s’est imposé d’écrire systématiquement l’histoire en fonction d’un double modèle en identifiant le nombre 10 à l’intelligible et le 7 au sensible et en associant respectivement les fonctions sacerdotale et royale à ces deux nombres. Comme l’explique Ben Sira, cette mise en forme de l’histoire impose d’organiser le réel en couples d’éléments opposés et complémentaires. En face du mal est le bien, en face de la mort est la vie. Ainsi en face de l’homme pieux est le pécheur. Considère de même toutes les œuvres du TrèsHaut, elles sont deux à deux, l’une en face de l’autre. (Ecclésiastique 33, 14-15)
Cette organisation en couples d’opposés, bien connue de la philosophie grecque, aurait été provoquée par le conflit primordial qui opposa les deux frères ()אח, comme l’intelligible ( = א1 de la 1ère semaine) s’oppose au sensible ( = ח1 de la 2e), comme le modèle s’oppose à la réalisation. Une telle organisation se prête en apparence à une interprétation dualiste, mais en apparence seulement. La théorie développée par Siméon est en fait plus subtile et doit être interprétée par référence au dogme énoncé par Ben Sira dès la première phrase de son traité. Toute sagesse vient du Seigneur, elle est avec lui pour l’éternité… UN est sage, ce (Seigneur) qui siège sur son trône. (Ecclésiastique 1, 1-8)
C’est donc l’Un qui se manifeste dans le multiple et tous les nombres constitutifs du multiple proviennent nécessairement de lui. Le premier couple des œuvres du Très-Haut – celui qui, par définition, doit fournir le paradigme d’interprétation de tous les autres couples – est constitué des cieux ( שמים: 22) et de la terre ( ארץ: 11), mentionnés dès la phrase inaugurale de la révélation. On doit déduire de leurs nombres, non que la terre s’oppose aux cieux, mais qu’elle est incluse dans les cieux comme le nombre 11 est inclus dans le nombre 22. La terre sensible n’est qu’une émanation des cieux intelligibles, provisoirement séparée d’eux. Mais ces couples d’opposés sont appelés à terme à se réunifier, comme royauté et prêtrise sont appelées à être exercées par un unique roi-prêtre. § 219 Le ’ét des cieux et le ’ét de la terre L’Un qui se conçoit lui-même comme décade dans l’intelligible, se manifeste dans le sensible par le biais des sept premiers nombres 3 qui, se 3. Il n’est pas nécessaire que la décade se manifeste elle-même dans le sensible, l’hebdomade suffit. Le nombre 7 est en effet le dernier des nombres premiers de la
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L’HÉBREU, UNE LANGUE SACRÉE
combinant entre eux, servent à la construction de tous les nombres du monde sensible. Je laisse aux philosophes le soin d’explorer ce fonctionnement théorique des nombres de la décade qui, aux dires d’Aristote, occupait tant les héritiers de Platon. Quant à Siméon, s’il emprunte aux Grecs la notion de lettres-nombres, il la met au service d’un projet original : construire un algorithme qui servira d’étalon à sa rédaction de l’histoire biblique. Si les analyses précédentes ne permettent pas d’affirmer qu’il ait réussi intégralement ce pari ambitieux, elles permettent pour le moins de formuler quelques-unes des règles générées par l’algorithme et qui devront servir de base à une nouvelle description de la syntaxe et du vocabulaire bibliques. Tableau 9 L’algorithme des lettres araméennes Première semaine
Deuxième semaine
Troisième semaine
Jour exemplaire
Lettres fondamentales א ’alèf 1 ב bét 2 ג gimèl 3 ד dalèt 4 ה hé 5 ו waw 6 ז zaîn 7 ח ט י כ ל מ נ
hét tét yod kaf lamèd mém nun
1 2 3 4 5 6 7
ס ע פ צ ק ר ש
samèkh ‘ayin pé çadé qof réch sin chin
1 2 3 4 5 6 7
ת
taw
1
Lettres finales 1 3 6 10 15 21 28
ך
20
ם ן
40 50
ף ץ
80 90
29 31 34 58 63 109 166 167 169 252 346 351 357 364 365
décade, les nombres suivants pouvant être obtenus par combinaison des nombres de l’hebdomade (8 = 2x4), (9 = 3x3), (10 = 2x5). Une analyse détaillée de ces propriétés combinatoires et du profit que Siméon a pu en tirer dans la structuration de son système reste à faire.
CHAP. 26 – LE MODÈLE RÉVÉLÉ DE LA SYNTAXE
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Il est inutile de revenir sur le rôle des nombres visibles de la Bible, ceux qui sont écrits en toutes lettres. En effet, les démonstrations précédentes ont montré, à partir d’un échantillon significatif, qu’ils avaient effectivement été choisis en fonction de l’algorithme. Bien que l’analyse n’ait porté pour l’essentiel que sur le modèle antédiluvien, les multiples échos renvoyés par les textes post-diluviens montrent que cette armature numérique doit être sous-jacente à l’ensemble de l’histoire. L’étude des nombres visibles ne constitue qu’une propédeutique, car la construction de l’algorithme au moyen de 32 lettres-nombres fait de celuici la clé d’interprétation, non seulement de ces nombres visibles eux-mêmes, mais aussi de chacun des mots construits au moyen de ces 32 lettresnombres. On doit donc avancer l’hypothèse d’un système dans lequel chacun des mots du texte pourrait être mis en relation avec l’algorithme par le biais du ou des nombres auxquels ses lettres correspondent. Bien que la vérification d’une telle hypothèse soit hors de portée dans l’immédiat, il est cependant possible de montrer qu’elle est loin d’être invraisemblable et qu’elle méritera d’être vérifiée en se fondant sur une analyse fine de l’organisation interne de l’algorithme lui-même. Comme on l’a vu, les 32 signes qui le composent font appel à un double alphabet : l’alphabet araméen qui sert à écrire les lettres fondamentales et finales et l’alphabet paléohébreu réservé à l’écriture des noms divins. On s’en tiendra à l’analyse de l’algorithme des lettres araméennes en partant du principe que la fonction de chacune d’entre elles dépend d’un triple critère : son rang dans l’algorithme, son rattachement à une semaine et le nombre qui lui est affecté à l’intérieur de cette semaine. Rabbi Aqiba faisait du ’ét ( )אתle symbole d’un modèle à portée universelle à cause du rang occupé par ses lettres dans l’alphabet. Puisqu’elles étaient au premier et au dernier rangs, elles incluaient de ce fait l’ensemble des lettres dont le Très-Haut s’était servi pour se révéler et contenait donc implicitement l’intégralité de la révélation elle-même. Interprété par référence à l’algorithme, ce ’ét conduit du premier jour de la création intelligible (le ’alèf ) au retour à cet intelligible à la fin des temps (le taw) et dessine de ce fait le modèle intégral de l’histoire universelle. Quant à la valeur de ses lettres, elle vient confirmer les observations précédentes en enseignant que tout vient de l’Un ( א: 1) et que tout retourne à l’Un ( ת: 1). Pour en savoir plus sur ce ’ét il faut alors se référer à son paradigme, c’est-à-dire à ses deux premières occurrences qui apparaissent dans l’énoncé initial : Associé à un principe Élohim a créé le ’ét des cieux ( שמים: 22) et le ’ét de la terre ( ארץ: +11 = 33).
Comme on l’a constaté lors de la description du système des généalogies, ce paradigme sera développé dans les Généalogies des cieux et de la terre, puis dans l’ensemble des généalogies partielles jusqu’à ce que la naissance
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L’HÉBREU, UNE LANGUE SACRÉE
de David, à la 33e génération des généalogies de Pèrèts, réalise à nouveau la synthèse de ces cieux (22) et de cette terre (+11 = 33) (§ 127, Tableau 31). Il faut également apprécier ce paradigme en prenant en compte le principe de prescience divine qui veut que le Très-Haut annonce l’aboutissement de son projet avant d’en dévoiler les étapes de réalisation. Dans ces conditions, l’énoncé initial du livre de la Genèse doit en fait présenter par anticipation une synthèse du projet divin dont le récit de création développera par la suite le modèle et que l’histoire biblique aura pour mission de réaliser. Et effectivement, sous réserve d’une étude plus approfondie des règles de la lecture littérale, il semble bien que Siméon ait ciselé cet énoncé initial, si simple en apparence, de façon à y inclure l’équation de toute la révélation. Si l’on pose comme hypothèse que les « noms » sont des nombres, que les « verbes » sont des multiplicateurs de ces nombres et que les « mots outils » définissent la syntaxe des noms et verbes, l’énoncé initial construit alors l’équation suivante : Associé à un principe ( ראשית: 18) Élohim ( אלהים: +20 = 38) a créé ( ברא: x9 = 342) le ’ét des cieux ( שמים: 22+342 = 364) et le ’ét de la terre ( ארץ: 11+342 = 353).
Au terme de cette création, lorsque son ’ét est atteint au moment du retour à l’Un, les modèles de l’année solaire (364+1 = 365) et de l’année lunaire (353+1 = 354) sont alors parfaitement réalisés. Dans la mesure où l’histoire doit marcher vers cette réunification des cieux et de la terre, il est alors possible de calculer le nombre d’années qui devront se dérouler avant que leur conjonction se réalise. Elle se produira au terme de 11 649 « jours ». Lorsque les nations qui n’ont pour se guider que la lumière de la raison (364) auront exploré les 32 voies de la Sagesse, elles pourront échapper au jugement mais à condition d’adhérer à l’Un : [(364x32) +1 = 11 649] Quant aux Judéens fidèles qui marcheront dans les ténèbres (353) de la foi sur la voie unique (1) de Yahvéh, ils devront se réapproprier les 32 voies de sagesse des Nations (1+32 = 33) et accéderont alors à l’ère nouvelle sans avoir à se soumettre au jugement : [353x33 = 11 649] § 220 Les trois semaines de l’algorithme Le raisonnement fondé sur l’observation du ’ét doit logiquement être transposable à chacune des semaines de l’algorithme. Puisque les première et dernière lettres de l’alphabet – le ’alèf et le taw – symbolisent le modèle intégral de la révélation, les première et dernière lettres de chaque semaine
CHAP. 26 – LE MODÈLE RÉVÉLÉ DE LA SYNTAXE
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doivent logiquement symboliser le modèle propre de chacune d’entre elles. Trois nouvelles séquences bilitères se trouvent alors mises en évidence – אז pour la première semaine, חןpour la deuxième et סשpour la troisième – qui doivent, chacune, renvoyer à un paradigme, comme le ’ét renvoyait à celui des cieux et de la terre. Le אזde la première semaine Le paradigme d’interprétation du ’( אזaz) a été placé par Siméon en conclusion des Généalogies des cieux et de la terre. Les traductions donnent à cette graphie le sens banal de « alors ». Alors ( )אזon commença d’invoquer le nom de Yahvéh. (Genèse 4, 26)
Pour la lecture littérale au contraire, cette phrase n’annonce pas la suite de l’histoire mais, compte tenu de l’omission du waw en début d’énoncé, doit être lue comme une explication de ce qui précède : ’az ( )אזa(vait) été réalisé en vue de prononcer (ce qui est) associé au nom de Yahvéh. (Genèse 4, 26)
Ce אזa donc été placé là pour indiquer que ces Généalogies des cieux et de la terre dont l’histoire vient d’être exposée n’ont fait que développer le récit de création de la première semaine ()א←ז, ce que confirme la valeur paradigmatique de ces premières généalogies telle qu’elle est ressortie des analyses précédentes et particulièrement de celle des noms de ses personnages. Du ’alèf d’Adam au chin d’Énoch, c’est le modèle 364 de l’année parfaite qui s’est construit et a conduit l’humanité jusqu’au seuil de cette ère nouvelle dans laquelle elle sera introduite lors du retour de Seth (chin→taw) (§ 140, Tableau 39). Ce ’az devient alors le code qui renvoie à l’intégralité du modèle intelligible de l’histoire, mais d’un modèle destiné à être réalisé car il est écrit : ’az ( )אזa été réalisé ()חל. Cette nouvelle racine bilitère doit, elle aussi, être interprétée par référence à l’algorithme. Puisqu’elle est composée de deux lettres de la deuxième semaine dont les valeurs sont 1 ( )חet 5 ()ל, elle doit signifier que cette réalisation du plan divin en cinq jours sera conforme au modèle intelligible décrit dans les cinq jours de la création initiale. L’interprétation de la phrase de conclusion des Généalogies des cieux et de la terre, implique enfin de prendre en compte le verbe prononcer (qara’ : )קראdont le paradigme d’emploi a été défini au début du récit de création : Et Élohim prononça ( )קראen vue de la lumière : jour. (Genèse 1, 5)
Le verbe prononcer a donc comme fonction d’affecter un nom – jour – à une réalité intelligible – lumière – afin de lui permettre de se manifester dans le monde sensible. Au terme de ce décodage, la phrase de conclusion des Généalogies des cieux et de la terre apprend à l’initié que le modèle qui
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L’HÉBREU, UNE LANGUE SACRÉE
vient de lui être révélé dans son intégralité ()אז, l’a été en vue de sa réalisation dans le monde sensible ()חל, et que cette réalisation implique de manifester les réalités du monde intelligible en prononçant ( )קראleurs noms. Le חןde la deuxième semaine La deuxième semaine est placée sous le signe du חן, une graphie dont la première occurrence apparaît en conclusion du Livre des Généalogies d’Adam, une conclusion qui sert aussi d’introduction aux Généalogies de Noé, c’est-à-dire au récit du Déluge. Et Noé ( נ←ח: noah) a trouvé (la) grâce ( ח←ן: hén) (qui est) associée aux yeux de Yahvéh. (Genèse 6, 8)
La première occurrence de חןest donc plantée comme un jalon entre l’histoire antédiluvienne décrite dans le Livre des Généalogies d’Adam et sa réalisation postdiluvienne dont le récit du Déluge fournit, comme on l’a vu, un avant-goût prophétique. Et pour bien marquer que ce חןapparaît au moment précis où se réalise cette inversion provoquée par le passage de l’intelligible au sensible, Siméon joue avec le code. Dans l’intelligible il s’identifie au repos que Noé ( נ←ח: noah) incarne et dans le sensible à l’image inversée de ce repos qu’est la grâce ( ח←נ: hén) qui, au terme de l’histoire, permettra de retrouver ce repos. Cette grâce, conformément à son écriture ()ח←ן, aura par ailleurs pour fonction d’assister le peuple judéen dans sa marche vers ce jubilé que symbolise son noun final ( = ן50). Le סשde la troisième semaine La troisième semaine de l’algorithme doit alors se référer à l’histoire de ceux qui n’ont pas reçu la révélation et n’ont pour se guider que leur seule raison, c’est-à-dire aux nations et aux Judéens qui suivent leur exemple. On chercherait en vain dans le corpus biblique la racine ( סשsach) caractéristique de cette troisième semaine. Mais plutôt que d’accuser l’Écriture d’imperfection, on doit, tout au contraire, rechercher les raisons de cette absence. De même que la réalisation par Israël inversait provisoirement le modèle – Noé, le repos ( )נ←חs’inversait en grâce ( – )ח←נl’histoire de la troisième semaine doit également être soumise à cette loi de l’inversion. La graphie sach ( )ס←שdu modèle ne peut donc logiquement apparaître que sous sa forme inversée (chas : )שס. Cette racine est attestée pour la première fois au lendemain de la mort de Josué et de toute la génération du désert : Après eux surgit une autre génération qui ne connaissait pas Yahvéh […]. Ils abandonnèrent Yahvéh et servirent le Baal et les Astartés. La colère de Yahvéh s’enflamma contre Israël et il les livra à la main des pillards ()שס qui le pillèrent ()שס, il les vendit à la main des ennemis d’alentours et ils ne purent plus tenir devant leurs ennemis. (Juges 2, 10-16)
CHAP. 26 – LE MODÈLE RÉVÉLÉ DE LA SYNTAXE
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Cette racine שסqui renvoie l’initié à l’entrée en scène de pillards, l’invite à diviser l’histoire postdiluvienne en deux périodes dont la première irait du Déluge à la mort de Josué et la seconde de cette mort à la destruction du Temple. Avec la mort de Josué et du peuple du désert, le souvenir de la révélation du Sinaï se perd. Alors que la deuxième semaine était placée sous le signe de la grâce accordée par Yahvéh, la troisième est alors placée sous le signe des nations qui pilleront l’Israël devenu infidèle. Les trois semaines de l’algorithme sont donc composées d’un modèle, celui de la création initiale de la première semaine et d’une réalisation selon un double itinéraire symbolisée par les deuxième et troisième semaines. L’itinéraire de la deuxième semaine est celui de la réalisation du plan divin par les croyants placés sous la houlette lévitique – c’est Moïse le lévite qui révèle le modèle jubilaire. L’itinéraire de la troisième semaine, au contraire, est celui des nations, celui qu’empruntera le peuple judéen infidèle sous la férule de la royauté contrefaite des pillards. À la lumière des trois racines bilitères qui les résument, les trois semaines de l’algorithme construisent en fait un modèle d’interprétation conforme à la tripartition du réel, auquel l’initié devra se référer dans son interprétation de l’histoire. Tableau 56 L’algorithme et l’histoire Algorithme 1ère semaine
2 e semaine
Histoire א ↓ ז נ→ח ח←ן
3 e semaine
ס ↑ ש
Retour à l’un
ת
Modèle révélé de l’histoire
De l’engendrement de Seth à Noé
Le temps de la Grâce
De Noé à la mort de Josué
Le temps des Pillards
De la mort de Josué à la destruction du 1er Temple
Retour à l’Un
§ 221 Les dix lettres – plus une – de la syntaxe Lorsqu’elles entrent dans la composition de mots, ces lettres peuvent être stables et instables. Les lettres stables sont celles du lexique biblique, les lettres instables celles de la syntaxe. Onze lettres seulement ()אבהויכלמנשת peuvent avoir une fonction syntaxique. Mais il en est une parmi celles-ci, le chin ()ש, qui n’est pas employée dans les quatre premiers livres en tant que lettre syntaxique. Elle a donc été exclue par Siméon de la partie de la révélation fixée sous la dictée de Yahvéh et mérite de ce fait d’être traitée à part. Elle sera donc provisoirement exclue de l’analyse de la syntaxe.
442
L’HÉBREU, UNE LANGUE SACRÉE
Alors que les 22 lettres qui servent à composer le lexique construisent ensemble un multiple de 7 avant d’atteindre le taw (7x12+1 = 85), les 10 lettres syntaxiques construisent, quant à elles, un multiple de la décade (10x4) (Tableau 57). On retrouve donc au niveau du lexique et de sa syntaxe cette distinction entre les fonctions royale (7) et sacerdotale (10). Alors que les mots du vocabulaire, comme on le verra, appartiennent au patrimoine commun de l’humanité postdiluvienne dominée par le modèle royal contrefait de Babel (§ 139, Tableau 37), c’est à la fonction sacerdotale qu’il revient de révéler l’ordre de l’univers décrit au moyen de ces mots. Cette mise en ordre n’a donc pas été confiée à la royauté caïnite enfermée dans l’hebdomade (= 49) (§ 135, Tableau 34), mais à la lignée de Seth (= 40) (§ 140, Tableau 38). C’est en elle que l’Esprit de Yahvéh s’incarnera au cours des trois périodes de l’histoire (40x3 = 120), jusqu’à ce que le lévite Moïse devienne bâtisseur des 120 ans de l’Esprit, le jour du Jugement. Tableau 57 Les lettres de la syntaxe révélée Lettres fondamentales Première semaine
Deuxième semaine
Troisième semaine Jour exemplaire
Somme des valeurs
א
’alèf
1
1
ב
bét
2
3
ה
hé
5
8
ו
waw
6
14
י
yod
3
17
כ
kaf
4
21
ל
lamèd
5
26
מ
mém
6
32
נ
nun
7
39
taw
1
40
))ש ת
Puisque l’Esprit de Yahvéh se révèle à Israël par la bouche de Moïse, la connaissance de ces lettres syntaxiques qui dévoilent l’ordre du monde et symbolisent l’action de cet Esprit doit être réservée à Israël. C’est ce que confirme la répartition de ces lettres syntaxiques entre la première et la deuxième semaines de l’algorithme, alors que la troisième, celle des Pillards (§ 220), en est privée. Cette syntaxe que les grammairiens ont été incapables de décrire en recourant au modèle de l’arabe (§ 25) doit bien évidemment être analysée
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en fonction des règles de la lecture littérale. Pour en découvrir la cohérence il faut partir du principe que chaque lettre syntaxique, quel que soit son emploi dans la langue naturelle, ne peut avoir qu’une seule fonction. Un exemple permettra d’illustrer la marche à suivre. La lettre syntaxique hé ’ ()ה, qu’elle serve à marquer l’article, l’interrogatif, le féminin ou le factitif de la langue naturelle, doit correspondre à une fonction unique révélée par Moïse dans le Deutéronome : ה ליהוה: (Le) hé ’ (est) en vue de Yahvéh. (Deutéronome 32, 6)
Par ailleurs, puisque aucune contradiction ne peut exister dans l’Écriture, la fonction du hé ’ dans la syntaxe doit correspondre à celle qu’il a dans le vocabulaire, c’est-à-dire dans la racine monolitère ( )הdu verbe hayah (exister). Et c’est effectivement par référence à cette racine que sont désignées ou que se désignent les deux hypostases du Très-Haut. L’écriture du nom de Yahvéh signifie : « Il fera exister 4 ». Et c’est aussi par référence à ce verbe qu’Élohim se désigne lui-même lorsque Moïse lui demande de lui dire son nom : Tu diras aux fils d’Israël, J’existerai (’èheyèh : )א־ה־יהm’a envoyé vers vous. (Exode 3, 14)
En dernière analyse, la fonction du verbe exister doit être déduite de son paradigme : Et Élohim dit : (la) lumière existera ()י־ה־י Et (la) lumière exista ()וי־ה־י. (Genèse 1, 3)
Le rôle de cette lettre syntaxique est donc d’apporter au peuple judéen qui marche dans les ténèbres de la foi une lumière qui n’est autre que le nom même de Yahvéh.
4. La vocalisation du Tétragramme Yahvéh ( )יהוהest en partie garantie par son emploi dans les noms de personnages sous la forme Yahou, comme dans Isaïe : Yécha‘ yahou. Cette voyelle a de la première syllabe impose d’en faire une forme verbale au factitif, de même la voyelle é de la deuxième syllabe, d’où la traduction « il fera exister ». Cependant le waw de la deuxième syllabe fait problème car dans toutes les occurrences du verbe « exister » de la concordance de Mandelkern (309d-323c) – elles sont plus de 3000 – la deuxième consonne, le yod, est parfaitement stable, ce qui devrait logiquement conduire à conclure que la racine stable du verbe « exister » est bilitère ()הי. En fait, il n’en rien. Il existe bien une occurrence d’exister dans laquelle la deuxième consonne est waw (Genèse 27, 29), mais que Mandelkern a classé à part sous une racine hawah ( הוה: Mandelkern 308d -309a) à laquelle il donne pourtant le même sens d’exister. En vertu du principe de non contradiction, cette « exception » doit suffire à démontrer que seule la première consonne ()ה d’exister est stable et que la racine est bien monolitère. La graphie du Tétragramme, bien qu’écrite avec un waw, doit être considérée comme dérivée du verbe exister.
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L’HÉBREU, UNE LANGUE SACRÉE
§ 222 Cinq lettres de la syntaxe face à cinq L’analyse qui vient d’être esquissée à propos de la lettre hé ’ et de ses rapports avec les noms divins, devra être étendue à l’ensemble des lettres syntaxiques. On peut déjà diviser ces lettres en deux groupes. Cinq d’entre elles en effet ont une fonction à tous les niveaux de l’algorithme. Il s’agit des lettres ()אהויל. Comme l’ensemble des lettres fondamentales, elles servent à construire le vocabulaire. Elles ont pour deuxième fonction de fixer la syntaxe. Comme troisième, elles s’identifient aux « mères de lecture » (§ 225). En quatrième lieu, elles servent enfin à écrire les noms divins de Yahvéh et de Él, lorsqu’ils se manifestent dans des personnages bibliques comme les prophètes Isaïe (yecha‘yahou : )ישע־יהוou Ézéchiel (Yehèzqé ’l : )יחזק־אל. Enfin, et avant tout, elles correspondent aux « lettres divines » au moyen desquelles le Très-Haut lui-même a désigné ses deux hypostases ( )יהוהYahvéh et ( )אלÉl (Dieu). Ces cinq lettres sont donc les signes de la manifestation du Très-Haut à tous les niveaux de la révélation. Les cinq autres lettres syntaxiques ( )בכמנתont, quant à elles, des fonctions spécifiques qui restent à décrire de façon précise. En bref et à titre d’hypothèse, le beth de la première semaine, dont la valeur est 2 doit exprimer l’« association » de deux réalités dont la première nommée est antérieure à l’action faite par la seconde. En s’associant à ( )בun principe (antérieur à la création) Élohim a créé…
Le kaf ( כ: 4) – de la deuxième semaine – doit exprimer une « comparaison » entre deux réalités dont la première nommée serait antérieure. La seule occurrence de cette particule dans le récit de création en donne le paradigme d’interprétation. Elle apparaît au moment où Élohim annonce ce que sera la fabrication ( )עשdans le monde sensible de l’Adam créé ()ברא dans l’intelligible : Et Élohim dit : nous ferons (( )עשdans le monde sensible) Adam (qui sera) associé à ( )בnotre image (qui est) comparable ( )כà notre ressemblance. (Genèse 1, 26)
Une telle formule suffit à résumer l’anthropologie biblique 5.
5. Le récit de Création et celui des Généalogies de Cieux et de la terre distinguent trois états successifs d’Adam au moyen de la syntaxe et d’un vocabulaire spécifique. Dans l’intelligible se trouve le modèle d’Adam ( )את ה־אדםqui a été créé en étant associé à l’image d’Élohim. Dans le monde sensible se trouve l’Adam individuel ( – )אדםson nom est alors écrit sans l’article, comme c’est le cas pour les noms de tous les personnages bibliques. Cet homme individuel a été fait et associé à la ressemblance d’Élohim. Enfin à l’intersection de l’intelligible et du sensible, il y a l’Adam ( )ה־אדםdu Jardin d’Éden qui a été façonné avec un double penchant et qui symbolise l’Humanité dans sa perfection (cf. BARC B., « Caïn Abel et Seth dans
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Le mém ( מ: 6) – de la deuxième semaine – doit exprimer un mouvement, du sensible vers l’intelligible, comme le suggère sa première occurrence : Les eaux qui (proviennent) du ( )מ־dessous des cieux seront collectées vers un lieu unique […]. (Genèse 1, 9)
Quant à la symbolique des deux dernières lettres, elle a déjà été illustrée à plusieurs occasions. Le noun pointe vers l’accomplissement, qu’il s’agisse de celui du sabbat ( נ: 7) ou du Jubilé ( ן: 50). Le taw ( ת: 1) enfin anticipe l’entrée dans l’ère nouvelle au lendemain du Jubilé. En bref, ces cinq lettres symboliseraient le mouvement de l’histoire des origines ( )בjusqu’à la fin des temps ()ת, deux lettres qui incluent l’ensemble du récit de création, de son premier mot ( )ב־ראשיתà son dernier ()ל־עשות. Le séfér yetsirah conserve des traces de cette organisation de la syntaxe, quand il enseigne que les 10 sephirot sont « cinq face à cinq, profondeur de la fin et profondeur du commencement ». Face aux cinq lettres syntaxiques qui guident vers la connaissance de la fin des temps ( בכמנת: 20) se trouvent effectivement les cinq lettres divines ( אהויל: 20) qui révèlent celui qui est au commencement de tout. Il va sans dire que ces quelques remarques n’ont d’autre prétention que de suggérer une hypothèse susceptible de rendre compte de la fonction de cette syntaxe dont la logique échappe à l’approche traditionnelle. Encore faudra-t-il en vérifier le fonctionnement sur l’ensemble du texte biblique. § 223 Le chin, une lettre « frontière » Alors que les 10 lettres de la syntaxe qui viennent d’être évoquées se rattachaient aux deux premières semaines de l’algorithme et étaient associées à la décade, le chin ( ש: 7) correspond au septième jour de la troisième semaine, donc à la semaine des pillards, celle de la domination d’un pouvoir royal terrestre. Mais si le chin est bien destiné à ceux qui sont soumis à ce pouvoir royal contrefait, il n’est révélé que le septième jour de la troisième semaine, donc après que ces nations auront peiné pendant les six jours ouvrables de cette ultime semaine. Elles auront alors atteint le 21e jour, le jour de ce sabbat décisif qui les introduira, ou non, dans l’ère nouvelle. Pour les grammairiens, le chin ( ש: ché-) préfixé devant un nom ou un verbe remplit la même fonction que le pronom relatif ’achèr ( אשר: que). Pour la lecture littérale au contraire, leurs graphies différentes impliquent des fonctions différentes conformes à leur écriture. Alors que ché- ( )שest la lettre frontière entre le monde sensible et le retour au monde intellil’Apocryphon de Jean (BG) et dans les Écritures », dans BCNH, section « Études » 8 (2007) p. 16-42).
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gible, ’achèr ( )אשרva dans un premier temps du ’alèf au chin puis recule du chin au rèch, indiquant par là que ce retour dans l’intelligible a été une fois de plus reporté 6. Une autre particularité du chin, la plus déroutante pour le linguiste, est qu’il correspond à deux phonèmes de l’hébreu, le s et le ch. Cela ne fait pas problème lorsque le texte est vocalisé. Un point diacritique placé à gauche ou à droite de la lettre permet de lever l’ambiguïté ( =שּׂs et =שּׁch). Dans le texte consonantique original au contraire, rien ne permet de connaître la prononciation exacte de cette lettre. Seul celui qui en a mémorisé la juste lecture auprès d’un maître peut connaître de façon certaine la véritable prononciation et éviter les contresens. Sans l’aide d’un maître, la graphie שבעpourra être lue sava‘ et signifier « il a été rassasié » ou lue chava‘ « il a juré » ! Pour savoir si quelqu’un a étudié l’Écriture auprès d’un maître habilité, il suffit alors de lui faire passer le test du sin-chin, un test redoutable que Siméon a mis en scène dans le livre des Juges, à l’occasion d’un conflit entre les gens de Galaad ( גלעד: gile῾ad) et ceux d’Éphraïm. Mais avant d’interpréter le sens allégorique de ce conflit, il faut s’intéresser aux forces en présence. Éphraïm, le fils de Joseph, a déjà fait l’objet de commentaires qui montrent qu’il préfigure la frange hellénisée du peuple judéen en conflit avec le Temple de Jérusalem. C’est un éphraïmite qui prend la tête du schisme des tribus d’Israël à la mort de Salomon. Quant à Galaad ()גלעד, son paradigme d’interprétation est donné dans l’histoire de Jacob fuyant Laban l’araméen, son beau-père. (Jacob) s’enfuit donc, avec tout ce qui était à lui, il se leva et traversa le Fleuve, puis il se dirigea vers la montagne de Galaad ()גלעד. (Genèse 31, 21)
Le patriarche prit la fuite avec ses deux épouses, Léah et Rachel, leurs servantes Bilhah et Zilpah, ainsi que les 11 fils qu’il avait eu d’elles pendant son séjour en Aram. Lorsque Laban l’araméen le rattrapa, Jacob lui rappela les années passées auprès de lui : Voici vingt ans que je suis dans ta maison : je t’ai servi quatorze ans pour tes deux filles et six ans pour ton petit bétail, et tu as changé dix fois mon salaire. (Genèse 31, 41)
Le séjour de Jacob en Aram s’est donc déroulé au rythme de l’apprentissage des lettres fondamentales de cet alphabet araméen qui servira à fixer la révélation et cela selon un ordre conforme à l’algorithme. Jacob a servi une première semaine d’années pour obtenir la main de Rachel la cadette des filles de Laban, mais suite à un subterfuge de son beau-père, c’est Léah, l’aînée, qui lui a été donnée comme épouse. Aussi a-t-il dû servir 6. Ce jeu d’Écriture entre ché et ’achèr sera repris par les maîtres de Yavnéh dans le titre du Cantique des Cantiques (§ 238).
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encore une autre semaine d’années avant d’épouser Rachel, et encore les 6 jours ouvrables d’une troisième semaine d’années avant d’acquérir le petit bétail de Laban. Avant sa rencontre avec son beau-père, près de la montagne de Galaad, Jacob avait donc acquis la connaissance des 20 premières lettres de l’alphabet araméen, il en était à l’acquisition de la 21e lettre, le chin. Et si son salaire avait changé dix fois, c’est probablement qu’il avait été revalorisé avec l’acquisition de chacune des 10 lettres de la syntaxe qu’il avait étudiées pendant cette même période. Il ne lui manquait plus que la 11e lettre de cette syntaxe, ce taw qui lui permettrait d’accéder à l’ère nouvelle. Laban accepta alors de conclure avec lui une alliance dont le rituel fut le suivant : Jacob prit une pierre et l’érigea en stèle. Puis Jacob dit à ses frères (les Araméens) : « Ramassez des pierres ! » Ils prirent des pierres et en firent un monceau. Ils mangèrent là sur ce monceau. Laban l’appela (en araméen) Yegar sahadouta’ ( יגר שהדותא: 12+24) et Jacob l’appela (en hébreu) Gale‘ éd ( גלעד: +14 = 50). (Genèse 31, 45-47)
C’est en fonction de ce modèle qui associe la venue de Jacob au pays de Galaad avec l’apprentissage de la 21e lettre – le chin-sin – que Siméon a construit le récit du conflit entre Galaad et Ephraïm. Galaad s’empara des gués du Jourdain, vers Éphraïm. Lors donc qu’un des fuyards ( )פלטd’Éphraïm disait : « Je veux passer ! », les hommes de Galaad lui disaient « Es-tu d’Éphraïm ? » et s’il disait : Non ! Ils lui disaient : « Prononce donc chibolet ( » ! )שבלתet il prononçait sibolet ( )סבלתcar il ne réussissait pas à parler correctement. Alors on le saisissait et on l’égorgeait ( )שחטaux gués du Jourdain. (Juges 12, 5-6)
Jacob devient Galaad et Laban l’araméen, Éphraïm, mais l’enjeu reste le même. Pour accéder à l’ère nouvelle, il faut posséder une parfaite connaissance de la Torah aussi bien écrite qu’orale. Or les Éphraïmites – les habitants du royaume dissident d’Israël – n’ont pas cette connaissance et se montrent incapables de donner le mot de passe qui leur permettrait de traverser, dans le sens de la montée, ce Jourdain qui sépare le monde sensible du monde intelligible. Mais par delà cette référence au royaume dissident d’Israël, c’est à une autre dissidence que Siméon fait allusion en présentant ces Éphraïmites sous les traits de fuyards ( פלט: pèlèt), une graphie qui les identifie à ces disciples de Platon qui parlent grec, une langue qui ignore le phonème ch et les contraint de lui substituer son équivalent le samèkh ()ס, la première lettre de la troisième semaine. Seth dont le nom se prononce bien évidemment chét en hébreu conformément à sa fonction qui est d’introduire l’humanité dans l’ère nouvelle, sera transcrit en grec au moyen d’un sigma (sèt). La prononciation correcte de la lettre chin est le privilège de celui qui a renoncé à la sagesse contrefaite des nations.
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L’HÉBREU, UNE LANGUE SACRÉE
§ 224 Les lettres finales Une autre particularité de l’algorithme est de donner une forme spécifique à cinq lettres de l’hébreu ( )ךםןףץlorsqu’elles apparaissent en position finale. Il s’agit très probablement d’une innovation imaginée par Siméon pour compléter le nombre 85 des lettres fondamentales et atteindre ainsi celui de l’année parfaite (+280 = 365). En effet, pour autant que je sache, l’épigraphie n’atteste pas l’existence de telles graphies finales dans les documents antérieurs à 200 avant notre ère. Tableau 58 Les cinq lettres finales Lettres fondamentales Deuxième semaine
Lettres finales
kaf
כ
4
ך
20
mém
מ
6
ם
40
nun
נ
7
ן
50
Total partiel Troisième semaine Total
Effectifs cumulés
127 pé
פ
çadé
צ
3
ף
4
ץ
24
80 90 280
304
La prise en compte de ces lettres finales (§ 81) n’a pas été totalement négligée dans les démonstrations précédentes. Les valeurs numériques du mém (= 40) et du noun (= 50) ont même occupé une place fondamentale dans celles-ci puisque 50 est le nombre que construisaient Caïn et Abel et 40 celui de la lignée de Seth. Mais pour que la démonstration soit satisfaisante, encore faut-il rendre compte de la fonction symbolique des autres lettres finales. On se contentera de noter que le nombre 127 construit au cours de la deuxième semaine au moyen de ces lettres à double graphie (Tableau 58) renvoie une fois encore à une date explicite, le 9e jour du 5e mois lunaire. L’histoire de cette deuxième semaine s’achève donc la veille de la destruction du premier Temple 7 (Jérémie 52, 12), ce qui confirme que l’histoire judéenne de la période royale n’est qu’une étape préparatoire à celle du second Temple qui se déroulera pendant cette 3e semaine à laquelle sont associés les deux dernières lettres à double graphie, le pé et le çadé. Lors de cette troisième semaine pendant laquelle les pillards perses, puis grecs, occuperont la Judée, on atteindra le nombre 304 (Tableau 58) qui 7. 127 : 59+59+9 = 9e jour du 5e mois lunaire.
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correspond au 30 e jour du 10 e mois 8, veille du jour où Moïse prononcera les paroles du Deutéronome (§ 93, Tableau 15). Le peuple judéen se trouvera alors face à une nouvelle échéance et une nouvelle occasion d’entrer dans une ère nouvelle. Et comme cette entrée implique la réunification préalable des deux fonctions réparties entre Caïn (50) et Seth (40), le çadéh finale (90 = 50+40), dernière des lettres finales, pourrait alors symboliser cette réunification et le pé (80) la phase préparatoire à cette réunification. Cela reste à confirmer, mais on peut apporter à l’appui de cette interprétation la fonction que ces deux lettres finales ( ףet )ץont dans le récit de naissance de Caïn et Abel. Le seuil (sof : )סףde la période jubilaire qui est atteint au moment de la naissance d’Abel est écrit au moyen de ce pé final et la limite (qéç : )קץque franchissent les deux frères au moment de leur entrée manquée dans le jubilé par le çadé final (§ 135-136). Ces lettres finales sont toutes orientées vers la fin d’une histoire dont elles jalonnent les étapes. L’initié est probablement invité à en déduire que le peuple judéen ne pourra pas l’emporter sur les nations qui l’oppriment tant qu’il n’aura que la « foi » pour guider sa marche dans les ténèbres, mais que la donne s’inversera s’il sait acquérir cette lumière de la raison que les nations se sont accaparée de façon illégitime, alors qu’elle lui était destinée. § 225 Les lettres instables nommées mères de lecture Face à ces cinq lettres finales « profondeur de la fin » se trouvent cinq autres lettres « profondeur du commencement » ()אהויל, celles qui servent à révéler les noms divins. Comme on l’a dit, elles interviennent à tous les niveaux du texte – dans l’écriture paléohébraïque des noms divins, mais aussi dans la constitution du vocabulaire et dans la syntaxe. De plus, elles peuvent aussi être écrites alors que leur présence ou absence n’apporte en apparence aucune information syntaxique ou sémantique. Dans les titres des Généalogies (§ 125, Tableau 17) le mot toldot apparaît sous quatre graphies ()תולדות תולדת תלדות תלדת, sans que le waw ( )וne modifie la syntaxe et la sémantique apparentes du texte et la même observation peut être faite à propos de ces cinq lettres ( )אהויל9. Les grammairiens, considérant qu’elles avaient été placées là pour faciliter la lecture du texte consonan8. 304 : 182+91+1+30 = 30 e jour du 10 e mois, veille du jour où Moïse prononcera ses dernières paroles. 9. Les grammairiens ne donnent ce nom qu’à quatre lettres : ה י ו א. (Joüon § 7a). En fait le laméd ( )לprésente objectivement la même instabilité dans le verbe prendre dont la racine stable est קחmais qui peut devenir לקחlorsqu’elle est conjuguée à l’accompli (laqah : il a pris). Cette « fantaisie » d’écriture était nécessaire pour que les lettres divines se manifestent à tous les niveaux du vocabulaire et de la syntaxe.
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L’HÉBREU, UNE LANGUE SACRÉE
tique leur ont donné le nom de mères de lecture (matres lectionis), tout en reconnaissant qu’elles ne remplissaient ce rôle qu’imparfaitement. Comme on l’a noté, leur emploi ne facilite en effet en rien la lecture de certains noms propres (§ 16) et encore moins celle du pronom « elle » ( )היאqui est le plus souvent écrit dans la Torah avec le waw du masculin ()הוא. Tableau 59 Les mères de lecture Lettres fondamentales
Somme des valeurs
Première semaine
א ה ו
’alèf hé waw
1 5 6
1 5 6
Deuxième semaine
י ל
yod lamèd
3 5
3 5 20
Dans la mesure où la fonction des lettres syntaxiques étudiées précédemment était dictée par leur place dans l’algorithme, on doit considérer qu’il en va de même pour les mères de lecture, par exemple, pour les waw qui apparaissent dans le mot toldot. Cette lettre, la sixième de la première semaine, doit alors être interprétée à la lumière de l’œuvre faite ce jour-là : Et furent répartis ( )כלles cieux et la terre et la partition ( )כלde leur armée. (Genèse 2, 1)
Les waw du mot toldot, aussi bien par leur emploi ou leur omission que par leur place dans le mot, indiquent donc bien comment s’est faite la répartition des cieux et de la terre entre les différentes lignées de l’humanité, comme cela a été démontré par ailleurs (chapitre 17). Mais cet exemple permet surtout de comprendre que, tant que le récit de création n’aura pas été interprété intégralement, la fonction réelle de chacune des lettres instables du texte nous échappera en grande partie. La syntaxe de l’hébreu biblique devra être entièrement réexaminée à la lumière de l’algorithme. § 226 Les lettres stables du vocabulaire Les mêmes règles doivent s’appliquer à l’étude du vocabulaire. Il faut avant tout renoncer à la théorie de la trilitéralité de la racine dont l’origine ne remonte qu’au Moyen Âge (§ 24) et revenir à un classement des racines fondé sur la distinction entre lettres stables et instables, une distinction
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qui doit être fondée, dans chaque cas sur une enquête exhaustive. Celle-ci est encore possible, et à peu de frais, grâce aux concordances qui dispensent de la mémorisation du texte. Au terme d’une analyse même sommaire, on arrive alors à la conclusion que les 22 lettres fondamentales de l’alphabet araméen peuvent entrer dans la construction des racines stables 10 et que ces racines peuvent être composées d’une ou de plusieurs lettres stables, jusqu’à sept dans certains noms de personnages comme celui du roi d’Élam, Kedorlaomèr ( §( )כדרלעמר202). Les racines monolitères Dans le cas des racines monolitères, par exemple le taw ( )תradical du verbe « donner », rien ne s’oppose à une interprétation en fonction de l’algorithme. On peut déduire de la 22e et dernière position de cette lettre, que le verbe « donner » de la langue naturelle devra prendre le sens technique d’un « don » fait au moment de l’entrée de l’humanité dans l’ère nouvelle. Tel est en effet le sens de son paradigme. Il est écrit à propos du modèle du grand et du petit illuminateurs et des étoiles : Et Élohim donna ( וי־ת־ן: wayitén) leur modèle. (Genèse 1, 17)
Ce verset enseigne qu’à la fin des temps ceux qui marchent dans les ténèbres sous la conduite du petit illuminateur ou dans la lumière sous la conduite du grand illuminateur seront réunifiés comme le seront les 12 tribus d’Israël symbolisées par les étoiles 11. Cette réunification aura lieu lorsque se produira la conjonction des calendriers lunaire et solaire, au terme de 33 cycles (§ 219). Les 12 tribus d’Israël enfin réunifiées pourront alors recevoir ce don. Une fois leur liste exhaustive établie, chacune des racines monolitères devra être confrontée à l’algorithme. On en déduira, par exemple, que si la racine stable du mot Torah ( )תו־ר־הest écrite au moyen du réch ( )רc’est pour indiquer que cet enseignement de Moïse ne sera parfaitement révélé qu’au dernier jour ouvrable de l’histoire, le 6 e de la 3e semaine et que cette révélation – dont Siméon sera l’instrument – permettra aux Judéens de
10. Ce classement des racines en fonction de leurs lettres stables a pour premier effet de supprimer la notion d’homonymie. En vertu du principe de non-contradiction, les homonymes de la langue naturelle doivent concourir à la définition d’une réalité unique. C’est ainsi que le soir (‘orév : )ערבdu récit de création, le corbeau (‘orév : )ערבdu Déluge (§ 197) et la mouche (‘arov : )ערבdes plaies d’Égypte (§ 203) renvoient à une même réalité, l’histoire des Judéens restés en Canaan au moment de l’Exil. 11. L’identification des fils de Jacob avec les constellations se fonde sur le songe de Joseph dans lequel ses frères lui apparaissent sous la forme de onze étoiles. Voir BARC B. « À propos de deux thèmes de l ’Évangile de Judas : Nébrô et les étoiles », dans Rivista di Storia e Letteratura Religiosa 44/3, 2008, p. 655-681.
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passer avec succès le test du sin-chin qui leur ouvrira les portes d’une ère nouvelle (§ 223). Les racines bilitères La référence des racines bilitères à l’algorithme a été illustrée par la répartition des 22 jours de la création en semaines. Les quatre racines bilitères (אז, נח- חןet )שס, formées à partir de la première et de la dernière lettre de chacune de ces semaines, construisaient un modèle parfaitement harmonieux dont l’interprétation était donnée par le paradigme de chacune de ces racines (§ 220). Un tel codage du vocabulaire implique inévitablement une sélection des racines de la langue naturelle et une adaptation de leur sens en fonction des exigences de l’algorithme. Comme on a pu le constater, la particule ’( אזaz) perd son sens banal de « alors » pour devenir un code intraduisible désignant de façon synthétique le modèle constitué par les Généalogies des cieux et de la terre. Cette métamorphose du sens devra concerner, à des degrés divers, toutes les « particules » de l’hébreu. Les mêmes principes doivent régir l’interprétation des racines verbales bilitères. La racine חלque les traducteurs rendent de multiples façons en fonction de ses contextes d’apparition devient le symbole de la réalisation par Israël, pendant les cinq jours de la deuxième semaine ( )ח←לdu projet divin révélé par les cinq premiers jours du récit de création. Parmi les nombreuses racines bilitères dont il faudra dresser la liste et vérifier la compatibilité avec l’algorithme, celles qui servent à exprimer les liens de parenté méritent une attention particulière. Les titres de frère ( אח: ’ah) et de fils ( בן: bén) apparaissent à la deuxième génération de l’humanité : Caïn et Abel sont frères (Genèse, 4, 2. 8-11) alors que le titre de fils est réservé à Seth (Genèse 4, 25) et à sa descendance (Genèse 4, 26). Dans la mesure où la graphie du mot frère est à la fois associée au premier jour du modèle ( א: 1) et au premier jour de sa réalisation par Israël ( ח: 1), les frères doivent appartenir aux deux mondes et leur histoire refléter cette double appartenance. Sans avoir à entrer dans l’interprétation littérale du conflit sanglant qui opposa Caïn et Abel on peut noter que Caïn ( קין: 15), dont le nombre est associé à la royauté et la graphie orientée vers le jubilé ( )קי←ןrevendique effectivement la fonction sacerdotale attribuée par Yahvéh à son frère Abel dans le monde sensible. Caïn quitte alors le monde intelligible, ce sol (’adamah) qu’il avait pour mission de servir. Ses faces tombent alors dans le monde sensible, cette terre (’èrèç) dans laquelle il deviendra errant et fugitif après qu’il en aura chassé Abel son frère. Alors la voix des sangs d’Abel criera depuis ce sol intelligible où son frère l’a exilé. Et c’est en réponse à cette supplication que Seth sera engendré dans le monde sensible, en dessous d’Abel, et recevra le titre de fils ()בן, c’est-àdire de bâtisseur ( בנ־ה: banah : bâtir), chargé de construire l’histoire de l’humanité jusqu’à son entrée réussie dans le jubilé ()ב←ן.
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Ces variations sur le thème du frère et du fils ne donnent qu’un faible aperçu d’un codage des liens de parenté que le lecteur pourra enrichir en l’étendant aux lettres du père ( אב: ’av) par rapport à celles du fils ( )בןainsi qu’à celles de la mère ( אם: ’ém) ou de la fille ( בת: bat). Les racines de trois lettres et plus Le problème posé par les racines de trois lettres stables ou plus est infiniment plus complexe. Appréciées en fonction du nombre de leurs lettres, les racines monolitères exprimaient la pensée de cet Unique qu’est le TrèsHaut, et les racines bilitères la manifestation de cette pensée dans la médiation. On peut alors considérer que les racines trilitères, et a fortiori les racines comportant plus de trois lettres stables, doivent décrire la manifestation de cette pensée dans le monde sensible, un monde placé, comme on l’a vu, sous le signe de l’inversion du modèle et de son éclatement dans la multiplicité. Il est dès lors logique que les représentants les plus illustres de la royauté contrefaite des nations soient aussi ceux dont les noms comportent le plus grand nombre de lettres. Tel était le cas de Kedorlaomèr ()כדרלעמר, le roi babylonien de la Guerre des rois (§ 202, Tableau 51). Tel est aussi le cas du plus illustre de ses successeurs, Nabuchodonosor roi de Babel, dont le nom peut comporter jusqu’à 10 lettres et quatre orthographes mais dont les lettres stables, au nombre de 7 seulement, ( נבכדאצר: 28), construisent un nombre égal – et concurrent – de celui de Siméon lui-même ( שמעון: 28) 12. Il paraît évident que si de tels noms se réfèrent à l’algorithme, ce ne peut être par l’ordre de leurs lettres, qui imposerait de parcourir l’algorithme en tous sens. Ce ne peut alors être que par le biais du nombre qu’elles construisent ou par l’interprétation de leur étymologie – Kedorlaomer ()כדרלעמר, dont le nombre est 33, est comparable à la période (qui est) en vue de la gerbe ()כ־דר־ל־עמר. 12. L’une des graphies du nom de Nabuchodonosor est composée de 8 lettres – = נבכדנאצר35 (2 Rois 24, 1) –, deux le sont de 9 lettres – = נבוכדראצר40 (Jérémie 21, 2) et = נבוכדנאצר41 (2 Rois 25, 22) – et la quatrième de 10 lettres – = נבוכדראצור46 (Jérémie 49, 28). Leur valeur totale est 162. La comparaison entre elles de ces quatre graphies montre qu’elles ne sont en réalité composées que de 7 lettres stables ( נבכדאצר: 28), dont la valeur est égale au nombre de Siméon. Le nombre stable des quatre graphies de Nabuchodonosor est donc 112 (28 x 4), ce qui doit probablement signifier que les lettres ajoutées à son nom (162 = 112 + 50) symbolisent sa fonction qui sera d’empêcher la 50 e génération judéenne, celle des fils de Josias, de réussir son entrée dans le Jubilé. Les nombres atteints par ce roi (35, 40, 41 et 46) dépassent tous le nombre 33 vers lequel doit tendre l’humanité. De plus, le nombre des lettres de son nom (8, 9 et 10) le projette hors de l’hebdomade dans laquelle le reste de l’humanité est cantonnée. On rejoint alors par le biais des nombres un des grands thèmes de la littérature prophétique, celui de la divinisation des rois…
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L’HÉBREU, UNE LANGUE SACRÉE
On ne peut pas exclure que Siméon ait également eu recours à l’étymologie pour interpréter certaines racines trilitères. Le verbe créer ( ברא: bara’), par exemple, peut être déduit de la racine bilitère (ראvoir) et exprimer une action associée ( )ב־au monde de la vision ()ב־רא, par opposition au verbe faire ( )עשqui désignerait une action faite dans le monde sensible, pendant la semaine de domination des pillards. Alors que les hypostases divines et l’homme peuvent faire, le pouvoir de créer n’appartient en effet qu’aux hypostases divines et d’abord à Élohim que le récit de création associe effectivement au monde de la vision – « Et Élohim vit ( )וי־ראle modèle de la lumière ». Siméon justifie cette impossibilité matérielle qu’il y a à interpréter tous les mots de l’Écriture par référence directe à l’ordre de l’algorithme, en faisant de cette « imperfection » l’une des conséquences néfaste du passage de l’intelligible au sensible. Cette confusion observable dans l’ordre des lettres doit être attribuée à la fonction royale contrefaite incarnée par Lamekh et ses descendants. Le nom de Lamekh ( )למךn’est-il pas l’anagramme de roi ( ? )מלךCette confusion de l’ordre des lettres se manifesta dès les lendemains du Déluge lorsque les hommes entreprirent de construire la ville de Babel et sa tour. Jusque-là, la terre avait été « une lèvre unique et des paroles uniques » (Genèse 11, 1), mais lorsqu’ils commencèrent à construire la ville et la tour, ils remplacèrent le mortier ( חמר: homér) par du bitume ( חמר: hémar), suite à une mauvaise interprétation de la graphie חמר. De là naquit la confusion des langues et des interprétations, ainsi que la dispersion des 70 peuples à partir de cette ville qui reçut le nom de Babel ( ב־בל: dans la confusion) et eut pour premier roi, Nimrod, dont le nom signifie « nous nous révolterons » ! § 227 De la rectitude des noms Dans la mesure où il a été abondamment démontré que Siméon avait construit son œuvre en s’inspirant de modèles empruntés au monde grec, il est logique d’établir un parallèle entre la théorie qu’il a élaborée à propos de la langue biblique et celle que développait Socrate dans le Cratyle, à propos de la rectitude des noms. Selon l’hypothèse socratique, les noms reflèteraient dans une certaine mesure, de par leur forme même, l’idée à laquelle ils renvoient. À ses débuts l’humanité aurait parlé une langue unique qui aurait reflété cette rectitude des noms mais qui se serait déformée par la suite donnant naissance à des langues multiples. Mais alors que la langue grecque (indo-européenne) et son écriture (qui met sur le même plan consonnes et voyelles) se prêtaient difficilement à une telle démonstration – il suffit de lire le Cratyle pour s’en convaincre – l’hébreu (langue sémitique) et son écriture (qui ne fixe que l’armature consonantique) s’y prêtaient infiniment mieux et Siméon a su tirer profit de cette circonstance favorable. Cependant, pour qu’une telle opération de codage soit
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possible, encore a-t-il fallu que plusieurs autres conditions soient remplies. Il fallait d’abord que l’hébreu soit une langue morte, ce qui était le cas au moins depuis la fin de la période perse. Cet idiome devenu le domaine réservé de l’élite intellectuelle du Temple, il était alors possible d’en faire une « langue sacrée », reflet fidèle de cette langue divine dont avait rêvé Socrate. Cette langue hébraïque était la langue même d’Adam, celle dont Yahvéh-Élohim s’était servi pour dialoguer avec lui dans le jardin d’Éden. C’est cette langue que les rabbins nommeront « langue du sanctuaire » (lechon haqodéch) par opposition à l’araméen, la langue vernaculaire parlée en Judée. Mais pour que l’entreprise réussisse encore fallait-il que l’élite de Jérusalem, ou une partie d’entre elle au moins, cautionne cette « résurrection » de la langue hébraïque ancienne et reconnaisse à Siméon le droit d’en soumettre le fonctionnement à l’impératif d’un algorithme. Pour cela il fallait lui reconnaître le droit de remanier la langue en fonction de son projet. Il fallait faire de lui ce Législateur dont Socrate disait : « Celui qui est compétent comme artisan des noms, c’est le législateur 13 », lui seul « est l’homme capable d’appliquer sur des lettres et des syllabes la forme d’une chose 14 ».
13. Platon, Cratyle 389a, éd. ROBIN L. et MOREAU M.-J., Platon, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, 1950, volume I, p. 613-691. 14. Platon, Cratyle 390 e, éd. ROBIN L. et MOREAU M.-J., Platon, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, 1950, p. 613-691.
Chapitre 27
DE 32 À 22 LIVRES OU L’OCCULTATION DE L’ÉCRITURE § 228 Le dogme de l’intangibilité de l’Écriture Au terme de ce premier essai de lecture littérale, tout reste encore à redécouvrir. Le monument a en effet été conçu de façon à entraîner l’initié dans la quête d’un sens allégorique qui ne peut être atteint qu’à la fin des temps puisque c’est précisément la connaissance parfaite de ce sens allégorique qui en conditionne l’entrée. Plus prosaïquement, il m’a fallu renoncer à suivre de multiples pistes dont chacune aurait pu faire l’objet d’un livre entier. Les monuments majeurs, restés en grande partie inexplorés, sont bien évidemment le Récit de création et celui des Généalogies des cieux et de la terre. C’est là que prennent naissance tous les grands thèmes dont on peut suivre le développement à travers l’ensemble de l’œuvre en se laissant guider par le fil d’Ariane de l’analogie verbale. Les thèmes dont la fonction allégorique n’a été évoquée qu’en passant sont multiples – animaux, arbres, fleuves, mais c’est avant tout à la fonction symbolique de la femme qu’il faudra s’intéresser. Si elle n’a été qu’évoquée, c’est parce que la piste de l’arithmologie orientait vers la description d’une histoire dont les hommes sont les artisans alors que les femmes n’ont pas cette mission, mais celle de permettre à l’homme d’accéder à l’ère nouvelle. Comme l’a montré l’arithmologie, la construction des généalogies est réservée aux personnages masculins, mais sans les femmes, ils ne peuvent réaliser le plan divin (§ 88, Tableau 13). Sans Ève ( חוה: 12), Adah ( עדה: +11), Cillah ( צלה: +14) et Naamah ( נעמה: +20 = 57), les acteurs masculins de l’histoire antédiluvienne n’auraient construit que les 12 mois de l’année solaire (30x12 = 360), mais sans pouvoir accéder, ni aux jours de fête que sont les « jours des saisons » (360+4), ni à la connaissance des lettres divines (+52). Sans elles, l’accès à l’ère nouvelle (+1 = 417) leur aurait été interdit. Comme le hé ( )־הsuffixé à leurs noms l’indique, les femmes doivent conduire l’humanité vers le seul « existant » véritable ()ה, source de toute existence, Yahvéh. La femme biblique est l’avenir de l’homme. Il était impératif, pour une première approche de la lecture littérale de s’intéresser d’abord au présent de l’humanité. Bien que tout ou presque reste à redécouvrir du sens allégorique de la Bible, la démonstration de l’existence de ce sens constitue un fait capi-
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tal. Qu’il soit encore possible d’en comprendre le message, après plus de 20 siècles d’histoire, conduit inévitablement à réviser, de façon fondamentale, l’idée que nous nous faisions de l’origine et de l’histoire du texte biblique. La théorie documentaire, battue en brèche depuis quarante ans et sans cesse en recul, doit être définitivement abandonnée. Le texte biblique n’est pas le résultat de remaniements opérés sur plusieurs siècles, mais l’œuvre d’un auteur de la période hellénistique. Celui-ci s’est assurément inspiré de documents antérieurs pour réécrire l’histoire. Cependant, en soumettant cette réécriture aux impératifs de l’algorithme, il s’est interdit d’introduire dans son œuvre les documents eux-mêmes. La critique textuelle doit elle aussi adapter ses objectifs. Le texte hébreu n’a pas été défiguré au cours de sa transmission par des scribes qui y auraient introduit leurs propres exégèses ou l’auraient corrompu par inadvertance. Il nous est parvenu intact, sous sa forme initiale. Il n’y a donc pas lieu de le corriger. Si les grammairiens ont jugé sa grammaire « probabiliste », ce n’est pas qu’elle le soit, bien au contraire, mais parce qu’ils ont projeté sur elle un modèle inadapté, celui des grammairiens arabes. Si le vocabulaire de la Bible est atteint de « polysémie galopante » c’est que ses graphies renvoient à un algorithme qui en fixe le sens en fonction de l’ordre de ses lettres et des nombres auxquels elles correspondent. Le texte a été conçu pour être vu, une vision que les traductions ne peuvent rendre. L’acte fondateur de notre approche actuelle du texte a été la décision prise, tant par les juifs que par les chrétiens, de se libérer de la conception figée de la religion judéenne qu’imposait la lecture littérale. Entièrement tournée vers le Temple et son sacerdoce, cette dernière devenait caduque avec sa destruction. Il était alors impératif de rompre avec une interprétation ancienne devenue obsolète. Cela conduisit en particulier à remanier le canon fixé par Siméon, afin d’élever au rang de textes inspirés des œuvres propres au mouvement pharisien, comme le livre d’Esdras. Mais pour saisir l’ampleur de ces remaniements et leur objet, il est indispensable de définir d’abord quel fut exactement le Canon fixé par Siméon et quelle fut l’organisation de son contenu. § 229 Les 12 livres de l’histoire biblique Il serait prématuré de tirer des conclusions identiques à propos des trois parties du texte biblique – Torah, Prophètes et Écrits. Les démonstrations précédentes ont, en effet, porté, pour l’essentiel, sur les 12 premiers livres, ceux qui consignent l’histoire, de la Création à la destruction du premier Temple. Ces livres seuls ont été construits par Siméon en fonction d’une architecture numérique sous-jacente qui en garantit la cohérence d’ensemble. Les dix années solaires de l’histoire biblique mesurées par les noms des personnages de la lignée de Juda, le modèle jubilaire que construisent leurs 50 générations jusqu’à leur dispersion en trois directions, l’organi-
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sation de leurs généalogies en fonction de l’orthographe du mot toldot, le fonctionnement de l’analogie verbale qui renvoie mécaniquement l’initié en direction de tout le texte, sont autant de faits qui garantissent cette cohérence. Que celle-ci soit observable dans un manuscrit datant du début du deuxième millénaire de notre ère suffit par ailleurs à démontrer que la version de l’histoire biblique que nous possédons est en tout point conforme à l’original. De 200 avant notre ère à 1008 de notre ère, date du manuscrit de Saint-Pétersbourg, le texte a donc été transmis de façon invariante par une lignée de scribes juifs. Une telle fidélité ne peut s’expliquer que si le dogme de l’intangibilité de l’Écriture a été promulgué au moment même de la publication du texte. Il était en effet indispensable, pour que le message prophétique gravé sous ses lettres soit transmis intact aux générations futures, qu’aucune lettre de l’Écriture ne soit supprimée ou ajoutée avant que ses prophéties ne s’accomplissent. Le simple ajout d’un yod ou d’un waw aurait suffi à endommager le monument de façon irrémédiable. Si le nom de Noé ( )נחavait été orthographié par un scribe avec un waw, comme le bon sens l’exigeait ()נוח, l’ensemble des monuments arithmologiques des généalogies postdiluviennes aurait été détruit. Il est plus difficile de savoir par quelles voies ce texte nous est parvenu intact. Comme le rappelle E. Tov (§ 12), les sources juives anciennes nous apprennent qu’un manuscrit étalon était conservé dans le Temple, mais on ignore s’il échappa ou non à la catastrophe de 70 avant notre ère. Quoi qu’il en soit, le texte fut transmis pendant plus d’un millénaire avec une fidélité parfaite par une lignée de scribes jusqu’à ce que la famille des Ben Acher en fasse l’édition qui nous sert de référence. L’hypothèse d’une période de fluidité textuelle de plusieurs siècles, avant que le texte canonique ne soit promulgué, doit aussi être définitivement écartée. Le texte fut nécessairement parfait dès sa promulgation et conservé dans sa perfection depuis ce jour. La thèse de E. Tov, qui postulait l’existence d’un texte de référence conservé dans le Temple depuis la période asmonéenne peut donc être retenue, à condition d’être reformulée de façon plus radicale sur deux points. D’une part, ce texte étalon conservé dans le Temple ne concernait pas que la Torah, mais pour le moins l’ensemble de l’histoire biblique. D’autre part, l’hypothèse d’une période de fluidité textuelle avant sa promulgation doit être écartée. Pour le reste, la thèse de Tov se trouve confirmée bien que la date de fixation du texte proposée par lui (167 avant notre ère au plus tôt) doive être remontée de quelques décennies. À l’inverse, l’hypothèse de la fluidité textuelle fondée par Cross sur le témoignage des manuscrits découverts dans les grottes de Qumran doit être écartée de façon définitive. Deux hypothèses peuvent alors expliquer l’existence des textes « erronés » retrouvés dans le désert de Juda. Certains d’entre eux peuvent être des copies faites de mémoire,
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d’autres l’œuvre de Judéens qui ne se sentaient plus liés par le dogme de l’intangibilité promulgué par un Temple dont ils ne reconnaissaient plus l’autorité et dont ils s’étaient séparés. Il reste à comprendre pourquoi ces manuscrits furent déposés dans ces grottes et par qui. § 230 Les 16 livres des prophètes Les analyses précédentes ayant essentiellement porté sur les 12 premiers livres, il convient d’étudier de plus près le statut des deux autres parties du Corpus – les Prophètes et les Écrits. Comme on l’a vu, la règle d’analogie verbale crée des correspondances obligées entre le corpus prophétique et les 12 premiers livres, et cela d’abord par le biais des dates explicites (§ 93, Tableau 15). Les livres de Jérémie, d’Ézéchiel, d’Aggée et de Zacharie, sous couvert de jalonner l’histoire et les oracles de ces prophètes, proposent des dates qui servent en réalité à orienter l’initié vers des épisodes de l’histoire biblique que leurs oracles ont pour fonction d’expliciter. Le corpus prophétique remplit alors une double fonction : expliciter l’histoire passée consignée dans les 12 premiers livres tout en annonçant l’histoire du second Temple. Pour rédiger ce corpus prophétique, comme pour écrire les 12 livres de son histoire, Siméon a pu s’inspirer de documents antérieurs. Le deuxième livre des Maccabées parle effectivement de textes prophétiques qui auraient été conservés dans le Temple depuis le temps de Néhémie (§ 237). Cependant, cette première approche de la lecture littérale n’ayant fait qu’effleurer le corpus des Prophètes, il est prudent de s’en tenir à une hypothèse de portée très générale sur le sujet. Mon sentiment actuel est que les textes prophétiques peuvent être classés en deux groupes. L’un serait constitué d’oracles antérieurs remaniés par Siméon en fonction des règles de la lecture littérale ; l’autre aurait été écrit de première main par le grand prêtre. Mais il ne s’agit là que d’une hypothèse qui reste à vérifier. § 231 Les 4 livres des Écrits Le corpus ancien des « Écrits » (§ 2) comportait quatre livres, le Cantique des Cantiques et trois autres – Job, les Proverbes et les Psaumes. Ces trois livres sont placés sous le patronage de trois personnages – Job, Salomon et David – dont les noms construisent le modèle d’une période jubilaire (Tableau 60). La Sagesse qu’ils dispensent doit donc guider la marche des Judéens jusqu’à leur entrée dans un nouveau Jubilé. Faut-il en conclure que cette entrée sera réalisée par l’auteur du quatrième écrit, le Cantique des Cantiques ? Bien que ce traité soit attribué à Salomon par son titre actuel – Cantique des Cantiques de Salomon – le dernier dialogue entre la Colombe du Déluge et son Bien-aimé suggère plutôt qu’il s’agit d’une autobiographie allégorique de Siméon, ce que l’arithmologie vient confirmer. En ajoutant le nombre du grand prêtre ( שמעון: 28) à celui de ses
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trois prédécesseurs (+49 = 77) on atteint la limite fixée par le Très-Haut au fondateur de la royauté contrefaite des nations : « Lamekh (est égal à) soixante-dix sept » (Genèse 4, 24). Siméon aurait donc reçu du Très-Haut mission de libérer son peuple de la domination de cette royauté contrefaite que représentaient les rois lagides d’Alexandrie. Tableau 60 L’arithmologie du corpus des Écrits Livre
Auteur
Nombre
Total cumulé
איוב12
Job
Job
Psaumes
David
Proverbes
Salomon
שלמה23
49
Cantique des Cantiques
(Siméon)
שמעון28
77
דוד14
26
Les trois personnages qui préparent la venue de Siméon peuvent par ailleurs être mis en relation avec les trois fonctions – prêtre, roi et peuple – qui structurent toute l’histoire biblique. La corrélation la plus évidente est celle du livre des Proverbes avec la sagesse royale d’Israël dont Salomon fut le parangon. Quant au livre des Psaumes, il est placé sous le signe de la Loi ( תורה: torah) dont le sacerdoce a eu la révélation par Moïse, frère du grand prêtre Aaron : Heureux l’homme qui n’est pas allé au conseil des méchants, qui ne s’est pas arrêté sur la voie des pécheurs et qui n’a pas siégé à la séance des railleurs, mais qui trouve son plaisir dans la Loi ( )תורהde Yahvéh et jour et nuit médite sa Loi ()תורה. (Psaume 1, 1-2)
Ce psaume initial suggère donc que le roi David fut à la fois l’héritier des prêtres et des rois et de ce fait le modèle du roi-prêtre de la fin des temps, fidèle à la Torah. C’est également dans un « éloge de la Torah » (Psaume 119) que l’ordre des lettres de l’alphabet lui a été révélé. Si les deux premiers Écrits – Proverbes et Psaumes – consignent la sagesse des institutions royale et sacerdotale, le troisième, celui de Job, doit logiquement contenir une encyclopédie de la sagesse de la troisième composante de l’humanité, les peuples dispersés après le Déluge. Pour s’en convaincre il suffit de reconstituer l’arbre généalogique de chacun des cinq sages qui participent au débat contradictoire rapporté par ce livre : Job, Éliphaz, Bildad, Sophar (Job 2, 11-13) et Élihou (Job 32, 1-5). Tous appartiennent à des lignées autres que celle d’Israël et antérieures. Job, le Outsite et Élihou, le Bouzite descendent de Nakhor le frère d’Abram ; Éliphaz, le Témanite, appartient à la lignée d’Ésaü, frère de Jacob ; Bildad, le Chouhite, à celle d’un des fils d’Abraham et de Qétourah et Sophar, le Naama-
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tite, à la lignée de Naamah, la fille de Lamekh (Genèse 4, 22). Dans ce débat, ils se font donc les porte-parole de cette sagesse universelle dispersée dans toute l’humanité au lendemain du Déluge. Que leur sagesse soit appelée à jouer un rôle déterminant dans l’histoire d’Israël est également confirmé par l’arithmologie. Le nombre 191 qu’ils construisent ensemble (Tableau 61) permet en effet d’atteindre le seuil du 9e jour du 7e mois solaire 1, veille de ce Sabbat jubilaire ( )שבת שבתוןqu’on célèbrera au moment de l’entrée dans l’ère nouvelle (Lévitique 23, 32). Tableau 61 Les acteurs du Livre de Job Job
איוב: 12
Éliphaz Bildad Sofar Élihou fils de Barakhel
de Outs
עוץ: 12
24
אליפז: 19
le Teymanite
תימן: 17
36
בלדד: 15
le Chouahite
שוח: 14
29
צופר: 19 צפר: 13
le Naamatite
נעמת: 16
48
אליהוא: 21 ברכאל: 18
le Bouzite
בוז: 15
117
74
54 191
191 = 182+1+8 : 8e jour du 7e mois solaire, veille du Sabbat jubilaire (Lévitique 23, 32)
Pour mesurer le bénéfice que les Judéens pourront tirer de la Sagesse consignée dans les Écrits, il suffit alors d’ajouter le nombre des sages d’Israël dont hérite Siméon (77) (Tableau 60) à celui des sages des nations (+191 = 268). Lorsque la synthèse de la Sagesse universelle aura été réalisée on atteindra le 25e jour du 9e mois 2 . Le peuple devra alors entrer dans une nouvelle phase de son histoire : À partir de ce jour et par la suite, le vingt-quatrième jour du neuvième mois, le jour où a été fondé le Temple de Yahvéh, appliquez votre cœur. (Aggée 2, 18)
L’expression que Dhorme rend par « Appliquez ( שימו נא: simou na’) votre cœur ( לבב־כם: levav-khém) » est intraduisible tant les codes se bousculent. La racine שם, doit être comprise à la lumière de son paradigme : Et (Yahvéh-Élohim) plaça ( )שםlà (( )שםdans le jardin) le modèle d’Adam qu’il avait façonné (avec un double penchant). (Genèse 2, 8)
Le prophète invite donc les Judéens qui seront en possession de la sagesse universelle consignée dans les Écrits à s’identifier avec cet Adam 1. 191 = 182+1+8 : le 8e jour du 7e mois solaire. 2. 268 = 182+1+30+30+25 : 25e jour du 9e mois solaire.
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que Yahvéh-Élohim avait placé dans le Jardin. De même qu’il avait été placé ( )שםlà ( )שםpour exercer la double fonction royale de gardien et sacerdotale de serviteur (§ 136), les Judéens devront, eux aussi, faire la synthèse de la sagesse des prêtres du Temple et de celle des rois des Grecs, en réunifiant leur « cœur double » ()לב־ב. La voie à suivre pour y parvenir est celle qu’indique la particule na’ ( )נ←אajoutée après le verbe placer. Conformément à l’algorithme, cette synthèse fera remonter la sagesse dispersée, de la fin de la deuxième semaine ( )נau début de la première ()א. La sagesse humaine ira à la rencontre de la sagesse divine. Lorsque le dernier des Écrits aura été publié, la révélation sera complète et le peuple disposera alors d’une encyclopédie de la Sagesse universelle, divine et humaine, dont il pourra faire la synthèse 3. Pour en savoir plus sur les Écrits, et particulièrement sur le plus énigmatique d’entre eux, le livre de Job, il faudrait reconstituer la « biographie » cachée de chacun des personnages mis en scène. Par exemple, le dernier d’entre eux, celui qui permet donc à la sagesse du peuple d’atteindre sa perfection, porte le nom d’Élihou. Qui mieux que lui dont le nom ( )אל־יהוfait la synthèse de Él ( )אלet Yahvéh (()יהו)ה, pourrait réunifier toute Sagesse. Ne s’identifie-t-il pas aussi au prophète Élie ()אל־יהו dont Malachie a annoncé le retour à la fin des Temps : Voici que, moi, je vous envoie le prophète Élie ()אל־יה, avant que vienne le jour de Yahvéh, jour grand et terrible. Il ramènera le cœur ( )לבdes pères vers les fils et le cœur ( )לבdes fils vers leurs pères, de peur que je ne vienne frapper d’anathème le pays. (Malachie 3, 23-24)
Grâce à lui s’opérera la synthèse de toute sagesse, celle du Père (la sagesse révélée par le Très-Haut) et celle du Fils (la sagesse de la lignée séthite), dans un cœur ( )לבréunifié. § 232 Sagesse d’Israël et Sagesse des nations Pour préciser la nature de la sagesse consignée dans les Écrits, il suffit de mettre en parallèle un texte des Proverbes (La sagesse d’Israël) et un 3. En fait, bien que ces quatre livres soient placés sous le patronage d’un seul personnage, tous sont des œuvres collectives comme l’est le livre de Job. Dans les psaumes attribués au roi David, on en retrouve aussi qui sont attribués au roi Salomon (Psaume 72) ou à des personnages de lignée sacerdotale, Moïse lui-même (90) ou les fils de Qoré (42 etc.). D’autres enfin sont attribués à des personnages plus mystérieux comme Asaf (50 etc.) ou Heyman et Eytan (88-89). La même structure compilatoire se retrouve dans le livre des Proverbes de Salomon où sont également rapportés des proverbes de sages anonymes (Proverbes 22, 17), ou de personnages énigmatiques comme Agour (Proverbes 30) ou le roi Lemouel (Proverbes 31). Dans la mesure où les personnages du livre de Job construisent un modèle arithmologique qui en explique la fonction, on doit supposer qu’il en va de même de chacun des autres livres et de l’ensemble des 4 Écrits, une hypothèse dont la preuve reste à administrer.
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texte de Job (la sagesse des nations). La Sagesse, ce Principe (ré ’chit) auquel Élohim s’est associé pour créer le modèle des cieux et celui de la terre, se décrit elle-même en ces termes dans le Livre des Proverbes : Yahvéh m’a acquise (comme) Principe (ré ’chit) de sa Voie. (Proverbes 8, 22)
Le Livre de Job, pour sa part, présente la sagesse des Nations en contrepoint de celle d’Israël : Voici Behémot que j’ai fait avec toi […] Lui (est) le Principe (ré ’chit) des Voies de Él. (Job, 40, 15-19)
En bref, alors que la voie de la sagesse intelligible révélée à Israël par Yahvéh ( )יהוהest unique et antérieure à la création, les voies de la sagesse terrestre attribuées à Behémot – un nom pluriel – conduisent les nations vers la connaissance de Dieu ( )אלpar des voies multiples 4. Les quatre derniers livres du Corpus bibliques constituent donc bien une encyclopédie de la Sagesse universelle en quatre tomes – sagesse du peuple (Job), sagesse des rois-prêtres (Psaumes) et sagesse des rois d’Israël (Proverbes) – dont Siméon aurait fait la synthèse dans le Cantique des Cantiques après en avoir contemplé le modèle intelligible dans le Saint des Saints du Temple de Jérusalem – un modèle dont la Colombe grecque n’aurait connu qu’une image inversée. § 233 Les 32 livres de la Bible de Siméon Il ressort de ce qui précède que le Canon de la Bible de Siméon était composé de 32 livres – les 12 livres de l’histoire biblique, les 16 livres des Prophètes et les 4 des Sages. On en sait maintenant assez sur l’arithmologie pour saisir la symbolique attachée au choix d’un tel nombre. Pour être parfaite, une révélation écrite au moyen de 32 signes se devait d’être exposée en 32 livres. Quant à son sens allégorique, il ne pouvait être révélé qu’après un apprentissage progressif des signes de cette Écriture par 32 générations. C’est donc logiquement que ce sens allégorique fut révélé à la 33e génération, lorsque le roi David reçut la révélation de l’ordre des lettres de cette Écriture et par ce biais la connaissance de l’arithmologie. Mais comme l’histoire du premier Temple n’est que la préfiguration de celle du second, l’histoire du roi David ( )דודse devait d’annoncer la venue d’un nouveau David, le Bien-aimé ( )דודdu Cantique. 4. Ce Behémot que l’exégèse moderne identifie à un hippopotame doit être interprété en fonction du paradigme du récit de création. Ce « bétail » (behémah) a été fait par Élohim le quatrième jour de la création (Genèse 1, 25) et l’Adam du paradis a été chargé de prononcer ses noms (Genèse 2, 20). Le Bétail appartient donc à ce bestiaire sacré composé de Corbeau, de Loup, de Gypaète ou de Colombe, et qui a partie liée avec la sagesse des nations.
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Ben Sira avait organisé son Éloge des Pères selon ce même modèle, mais sans en faire une mesure impérative de l’histoire (§ 52, Tableau 3). Si l’on ne considère que le nombre des personnages dont il fait l’éloge, Siméon fils d’Onias apparaît en 32e position. Mais si, au contraire, on tient compte de la répétition du nom d’Hénokh – qui ne peut être superflue – Siméon n’apparaît plus qu’en 33e position ce qui fait de lui un nouveau David et lui confère un statut messianique. En posant cette double équation, Ben Sira a sans doute voulu rappeler à ses lecteurs que cette entrée dans une ère nouvelle à laquelle les conviait le grand prêtre, était conditionnée par leur adhésion à la réforme qu’il avait entreprise. Siméon occupait de droit le 32e degré de sagesse car il avait donné à l’Écriture sa forme définitive en 32 livres, mais ne pouvait atteindre le 33e degré, celui du retour à l’Un, sans être accompagné par le peuple judéen. § 234 L’organisation interne des 32 livres Les 12 livres de l ’histoire biblique Bien que la division du corpus biblique attestée à Alexandrie – Loi, Prophètes et Écrits – ait été adoptée par les pharisiens et, à leur suite, par le judaïsme rabbinique et les chrétiens, cela ne suffit pas à garantir qu’elle corresponde à l’organisation originelle du corpus voulue par Siméon. La lecture littérale du texte hébreu fournit en effet des indices en faveur d’une organisation différente, fondée sur la nécessaire complémentarité entre Écriture et Parole. La lecture littérale oppose deux types d’énoncés, selon qu’ils commencent ou non par une conjonction de coordination (waw). Un énoncé s’ajoute au précédent quand la conjonction est présente, dans le cas contraire il l’explique. Comme toute règle de lecture littérale, celle-ci ne peut souffrir d’exception et doit donc aussi s’appliquer à l’énoncé initial de chaque livre. Que le livre de la Genèse commence sans waw suffit alors à signifier qu’il explicite la pensée silencieuse du Très-Haut, qui en est l’auteur. Inversement, que les livres de l’Exode, du Lévitique et des Nombres commencent par un waw indique qu’ils s’ajoutent à celui de la Genèse pour former un ensemble de quatre livres. Le Livre du Deutéronome, au contraire, commence sans waw et doit donc être lu comme une explication des livres précédents, ou plus justement, comme le premier maillon d’une explication qui se continuera dans les livres suivants, car tous, de Josué au 2e livre des Rois, commencent par un waw. Organisés en fonction de ce critère, les douze premiers livres se présentent donc comme un diptyque dont le deuxième volet (8 livres) expliquerait le premier (4 livres). On peut saisir la portée de cette division en comparant le dernier énoncé du 4 e livre avec le premier du 5e :
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Celles-ci (sont) les ordonnances et les sentences qu’a ordonnées Yahvéh, par la main de Moïse (beyad mochéh) vers les fils d’Israël […]. (Nombres 36, 13) Celles-ci (sont) les paroles (devarim) qu’a dites Moïse vers tout Israël […]. (Deutéronome 1, 1)
Moïse a donc écrit de sa propre main les quatre premiers livres sous la dictée de Yahvéh et commenté oralement cette Écriture dans les huit livres suivants. Que le Deutéronome soit un commentaire des livres précédents est en accord avec le titre de deuxième Loi ou de doublement de la Loi (deuteros nomos) que lui donneront les Judéens de langue grecque. Ce statut est également confirmé par son contenu qui est à la fois une interprétation de l’histoire passée d’Israël et une annonce de son histoire future. En fonction de la règle qui vient d’être rappelée, le rattachement des sept livres suivants à ce Deutéronome par le biais du waw devrait alors signifier qu’ils rapportent la suite des paroles de Moïse, ce que leur lecture traditionnelle contredit. Mais c’est compter sans la règle de prescience divine qui stipule que l’aboutissement du plan divin doit être exposé avant que les étapes intermédiaires de sa réalisation ne soient détaillées. Or, comme cela a été annoncé avant le Déluge, ce plan ne sera réalisé qu’au terme des 120 ans de l’incarnation de l’Esprit de Yahvéh dans l’homme. Le Deutéronome se doit donc d’annoncer par anticipation la fin de l’incarnation de cet Esprit – qui surviendra lorsque Moïse aura atteint l’âge de 120 ans – en laissant aux livres suivants le soin de détailler les péripéties qui y conduiront. Les douze livres de l’histoire biblique sont donc organisés sur le modèle 4+8, mais un modèle que les titres des Généalogies permettent encore de préciser. Comme on l’a vu, ces Généalogies (toldot) s’interrompent à la 33e génération, avec les généalogies de Pèrèç qui servent de conclusion au 8e livre du Corpus, le livre de Ruth (§ 125, Tableau 30). En fonction de ce nouveau critère, les 4 premiers livres (Genèse, Exode, Lévitique et Nombre) et les quatre suivants (Deutéronome, Josué, Juges et Ruth) constituent donc un diptyque décrivant un modèle intégral de l’histoire, de la création jusqu’à ces temps messianiques que préfigure le fils de Pèrèç. Quant aux quatre derniers livres (1 et 2 Samuel et 1 et 2 Rois), ils rapportent comment le peuple judéen a compromis ce plan et retardé sa réalisation en choisissant de se soumettre à un modèle royal contrefait qui le conduira à la catastrophe et à la destruction du premier Temple. Les 12 livres de l’histoire biblique sont donc organisés en trois tétrades qui transposent dans l’histoire le modèle de la création en trois semaines. Les 16 livres des Prophètes et les 4 des Écrits Les livres de l’histoire biblique (3x4) sont suivis de 16 livres prophétiques que le principe d’harmonie impose d’organiser sur un modèle comparable (4x4), sans qu’il soit pourtant aisé d’en apporter la preuve. Pour définir
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le classement interne des textes prophétiques en tétrade, il faudrait en effet connaître leur ordre. Or les manuscrits divergent sur ce point. Par ailleurs deux textes (Ézéchiel et Jonas) commencent par la conjonction sans qu’on sache avec certitude à quel autre texte ils s’ajoutent. On doit donc, dans l’immédiat, se contenter de considérer l’organisation du corpus prophétique en 4 fois 4 livres comme un impératif lié au principe de non contradiction. Puisque la révélation a été conçue par le Très-Haut en fonction des quatre nombres qui constituent la décade intelligible (1+2+3+4 = 10), elle doit se manifester dans l’Écriture en multipliant ce modèle jusqu’à ce qu’il devienne conforme au nombre des 32 signes qui ont servi à fixer cette Écriture. L’équation qui rend compte de façon harmonieuse de cette irruption de la pensée divine dans le monde par la Torah et les Prophètes est alors (4+8+16 = 28). Quant aux 4 livres des Sages, ils sont chargés de collecter la sagesse terrestre dispersée depuis les lendemains du Déluge et qui est, elle aussi, une manifestation de la Sagesse du Très-Haut. C’est en faisant la synthèse de la Sagesse des « croyants » et de celle des « philosophes » que se réalisera le plan divin révélé par l’algorithme (4+8+16+4 = 32). Tableau 62 Le Canon des 32 livres Origine des livres
Les 32 livres
Dieu (4 livres)
Genèse, Exode, Lévitique, Nombres
Les Prophètes Histoire prophétique (2 x 4 livres)
Deutéronome, Josué, Juges, Ruth 1 Samuel, 2 Samuel, 1 Rois, 2 Rois
Paroles prophétiques (4 x 4 livres)
Isaïe, Jérémie, Lamentations, Ėzéchiel les 12 prophètes
Les Sages (4 livres)
Job, Psaumes, Proverbes, Cantique
§ 235 Une Écriture à l’image de la Création Le parallélisme entre l’algorithme et le Canon peut encore être précisé en mettant les 8 tétrades (4x8 = 32) qui composent ce dernier en relation avec les 8 jours de la création initiale. Au jour exemplaire qui décrit le modèle intelligible de la création correspond la tétrade des livres divins révélés à Moïse. Aux 6 jours ouvrables de la semaine de création, nécessaires à la manifestation du modèle intelligible dans le monde sensible, correspondent les 6 tétrades des livres des prophètes qui – de Moïse, le plus grand d’entre eux, jusqu’à Malachie – ont manifesté cette tétrade divine.
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Mais ce modèle ne sera parfaitement réalisé que lorsque la tétrade des livres des Sages aura fait la synthèse de la Sagesse dispersée dans le monde sensible et l’aura réunie à la Sagesse révélée par Moïse et les prophètes. Tableau 63 Une Écriture sur le modèle de la Création La création initiale
Le canon de la Bible
Platon
Le Jour exemplaire
1x4
Dieu (4 livres)
Les dieux
Les six jours ouvrables
6x4
Les Prophètes (6 x 4 livres)
Les poètes
1x4
Les Sages (4 livres)
Les rhapsodes
Le septième jour
Ces trois niveaux – Dieu, Prophètes et Sages – présentent des similitudes non seulement avec le schéma de tripartition du réel mais aussi avec la théorie de l’inspiration développée par Platon dans le dialogue entre Socrate et Ion 5. Ion est un rhapsode, spécialisé dans l’interprétation d’Homère, « qui est entre les poètes, le meilleur et le plus divin » (530b). Ces poètes – et Homère plus que tous – ne sont eux-mêmes que « les interprètes d’une pensée qui vient des dieux » (535a). Ion le rhapsode est donc l’interprète d’une pensée qui lui viendrait des dieux par l’intermédiaire d’Homère. Socrate compare « cette puissance divine qui met en branle » Ion « à la pierre qui a été appelée magnétique par Euripide et qu’on appelle le plus souvent la pierre d’Héraclée ». Cette pierre en effet ne se borne pas à attirer simplement les anneaux quand ils sont en fer, mais encore elle fait passer dans ces anneaux une puissance qui les rend capables de produire ce même effet que produit la pierre et d’attirer d’autres anneaux ; si bien qu’il se forme parfois une file tout à fait longue, d’anneaux suspendus les uns aux autres, alors que c’est de la pierre en question que dépend la puissance qui réside en tous ceux-ci. Or c’est ainsi, également, que la Muse, par elle-même, fait qu’en certains hommes est la Divinité, et que par l’intermédiaire de ces êtres en qui réside un Dieu, est suspendue à elle une file d’autres gens qu’habita alors la Divinité ! (533d-e)
La Divinité se manifesterait par l’intermédiaire de la Muse à des hommes en qui résiderait la divinité et par qui d’autres hommes seraient à leur tour habités par la divinité. La théorie de l’inspiration développée par Siméon, qui va de Moïse aux prophètes et des prophètes aux sages, pré5. ROBIN L. et MOREAU M.-J., Platon, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1950, volume I, p. 57-72.
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sente pour le moins des similitudes avec celle qui va des Muses à Homère et d’Homère aux rhapsodes. Le judaïsme conservera cette hiérarchie de la révélation et expliquera que les Écrits confirment les Prophètes et les Prophètes la Torah. Même si la fonction précise de chacun de ces 32 livres reste à définir, on peut du moins déduire des remarques précédentes qu’ils constituent bien le premier Canon des Écritures judéennes. Publié par Siméon vers 200 avant notre ère, et qu’il sera conservé intact jusqu’à aujourd’hui. § 236 La Bible hébraïque et ses premières traductions Un peuple barbare n’était digne de considération aux yeux d’un Grec que s’il pouvait prouver son antiquité. Écrire l’histoire du peuple judéen répondait donc à une nécessité imposée par l’hellénisme. Au cours du siècle qui précéda la rédaction de l’histoire biblique, le prêtre égyptien Manéthon avait écrit l’histoire de l’Égypte, peut-être à la demande du bibliothécaire d’Alexandrie désireux de constituer un fonds encyclopédique de la culture universelle. Le prêtre Bérose de Babylone avait fait de même pour l’histoire de la Babylonie, et peut-être aussi Dios pour celle de la Phénicie. Mais si l’œuvre de Siméon s’inscrit dans le cadre de cette production littéraire provoquée par l’hellénisation de l’Orient, elle le fait à contrecourant. Alors que Manéthon et Bérose écrivaient en grec afin de rendre l’histoire de leur peuple accessible à un public de langue grecque, Siméon l’écrit en hébreu, une langue que seuls quelques lettrés judéens pouvaient encore comprendre. Son projet n’était donc pas d’abord de convaincre les Grecs de l’antiquité de sa nation, mais de convaincre l’élite sacerdotale de Jérusalem que, conformément à un plan divin arrêté depuis la création, Jérusalem et Israël avaient été choisis pour être le centre de l’Univers. S’il fallait trouver dans la littérature grecque un modèle dont Siméon se serait inspiré pour écrire l’histoire biblique, il faudrait se tourner vers l’Iliade et l’Odyssée plutôt que vers les historiens. C’est en effet afin de masquer la violence et l’immoralité de cette épopée que, dès le cinquième siècle avant notre ère, des philosophes grecs inventèrent l’allégorie 6. Par ce biais ils firent de l’Iliade et de l’Odyssée, une œuvre à double hauteur. Mais la comparaison avec la Bible s’arrête là. À la différence des Grecs qui plaquèrent a posteriori cette interprétation allégorique sur le texte d’Homère pour lui conférer un sens allégorique qui en était à l’origine absent, Siméon plaça le sens allégorique au cœur même de son œuvre en écrivant celle-ci, dans ses moindres détails, en fonction de ce sens allégorique. 6. PEPIN J., Mythe et allégorie. Les origines grecques et les contestations judéochrétiennes, (Philosophie de l’Esprit), Paris, Aubier 1958. On trouvera un résumé de ce livre fait par ROQUES R. dans Revue d ’histoire des religions 159/1, 1961, p. 81-92.
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Que cette Écriture ait d’abord été destinée aux lettrés du Temple de Jérusalem et que sa rédaction en langue hébraïque en ait interdit la lecture aux Grecs ne signifie pas, pour autant, que Siméon ait renoncé à faire connaître l’histoire de la Judée aux lecteurs hellénophones et d’abord aux Judéens d’Égypte. Alors que le judaïsme de Yavnéh occultera le rôle joué par la communauté d’Égypte dans l’histoire du second Temple, Siméon en fait non seulement l’une des trois composantes du peuple judéen dispersé au moment de la destruction du premier Temple (§ 106-107) mais surtout celle qui a joué un rôle déterminant à la période hellénistique, ne serait-ce que par le fait que la lignée des grands prêtres oniades a été choisie dans ses rangs. Compte tenu de cette place privilégiée que Siméon leur accorde dans l’histoire, il serait surprenant qu’il n’ait pas eu le souci de faire connaître son œuvre à ces Judéens de langue grecque. Un épisode de la vie de Jérémie annonce, me semble-t-il, qu’une traduction grecque du texte hébreu faisait effectivement partie de son projet. On se trouve transportés au moment de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor. Malgré les admonestations de Jérémie, qui incitait les Judéens restés à Jérusalem à rejoindre les exilés de Babylone, ceux-ci refusèrent d’écouter la voix de Yahvéh et, entraînant de force Jérémie avec eux, descendirent en Égypte et arrivèrent à Takhpankhès (Jérémie 42, 1-43, 7). Malgré cette trahison, Yahvéh n’abandonna pas la communauté d’Égypte et donna à Jérémie l’ordre suivant : « Prends dans tes mains de grandes pierres et tu les cacheras en sécurité dans le four à brique qui est dans l’entrée de la Maison de Pharaon, à Takhpankhès, en vue des yeux des hommes de Juda » (Jérémie 43, 9). Le prophète emporta ces pierres qui servaient de support à l’Écriture et, sur ordre de Yawhéh, les cacha dans le four à briques ( – )מלבןc’est-à-dire dans un atelier de traduction – situé dans « l’entrée de la maison de Pharaon ». Un tel scénario et une telle topographie ne sont pas sans évoquer le palais royal d’Alexandrie et sa bibliothèque dont la vocation était de centraliser le savoir universel. Quant à la ville de Takhpankhès, où devait être réalisée cette traduction, elle pourrait évoquer, en transcription libre, le Sérapéion, où se trouvait précisément la bibliothèque d’Alexandrie 7. Quoi qu’il en soit, ce projet de traduction ne fut pas concrétisé du vivant du grand prêtre, mais seulement par son petit fils, Onias IV à partir de 163 avant notre ère. Tel est du moins le scénario que suggère la lecture littérale du dernier chapitre du Livre de Daniel 8. En Judée, la traduction de la Bible était tout aussi nécessaire car depuis la fin de la période perse au moins, l’araméen avait supplanté l’hébreu 7. Cf. B. BARC, « De la pierre à la brique ou la métamorphose de l’Écriture », dans Eukarpa, Études sur la Bible et ses exégèses, en hommage à Gilles Dorival, éd. LOUBET M. et PRALON D., Paris, Le Cerf, 2011, p. 137-146. 8. Voir BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 87-93.
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comme langue vernaculaire. On peut donc supposer qu’une traduction araméenne fut également prévue dès la promulgation du texte hébreu. Faite d’abord oralement pour une population en grande partie analphabète, elle fut progressivement mise par écrit dans les Targumim. De telles traductions, comme nos traductions modernes, avaient pour effet d’occulter l’algorithme lui-même et par voie de conséquence de libérer le lecteur du carcan interprétatif qu’il imposait. Les deux hauteurs du texte se trouvaient de fait dissociées. Le sens superficiel et « historique » de l’Écriture, le seul qui soit immédiatement accessible, était ainsi conservé, tandis que son interprétation allégorique était laissée à l’appréciation des commentateurs. Il devenait alors possible de l’adapter aux besoins spécifiques des communautés auxquelles on s’adressait. En fait, le traducteur grec de la Torah retiendra une solution de compromis. Il renoncera à faire une traduction littérale qui soit un calque du texte hébreu mais, comme son modèle, usera de l’analogie verbale pour orienter son lecteur vers de nouvelles interprétations, en corrigeant par exemple la date du Déluge (§242). Les premières communautés chrétiennes elles aussi échapperont au carcan du texte hébreu en lui préférant le texte grec. Même si l’évangélisation du monde hellénophone leur imposait un tel choix, il leur permettait dans le même temps de renouveler l’interprétation allégorique de l’Ancien Testament sans être soumis à des contraintes d’un autre âge 9. Quant aux maîtres de Yavnéh, avant tout préoccupés de rompre avec l’hellénisme et avec la langue grecque qui en véhiculait les thèses, ils firent le choix de la fidélité à l’hébreu, mais durent énoncer de nouvelles règles d’interprétation afin d’échapper à la lecture littérale. § 237 Une histoire racontée au « passé prophétique » J’ai négligé jusqu’ici de souligner l’une des curiosités les plus déroutantes de l’hébreu biblique, l’emploi de temps dits « conversifs » ou « inversifs ». Il existe en hébreu biblique un temps du récit – qui devrait donc renvoyer au passé – mais dont la graphie se confond avec celle du futur. Sa valeur de passé serait alors indiquée par une particularité de vocalisation et la place de l’accent tonique, deux critères qui n’apparaissent pas dans la graphie du texte consonantique lui-même mais seulement lors de sa lecture. La graphie ו־יהיaurait valeur de passé dans la phrase « et la lumière exista ( ו־יהי: wayehi) » et de futur dans la phrase « et (le firmament) existera ( ו־יהי: wiyhi), faisant séparation 10… » Ces valeurs contradictoires étant 9. BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 104-107. 10. JOÜON a fait un état de la question sur ce sujet dans sa Grammaire de l ’hébreu biblique § 117 et ss.). Dans la réédition anglaise (2003) de cette grammaire, T. MURAOKA (§ 117) signale les recherches faites au cours du 20e siècle
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incompatibles avec la perfection de l’Écriture, il n’est d’autre solution que de considérer que ces formes ont en fait une double valeur, simultanément passée et future. Celui qui s’en tient au sens superficiel du texte y lira un événement du passé, alors que l’initié, tout en reconnaissant cette évidence de bon sens, y lira d’abord l’annonce d’un événement futur dans la mesure où la graphie est celle du futur et non du passé. Pour rendre fidèlement les textes où cette forme se rencontre – elle est omniprésente dans les récits – il aurait donc fallu traduire : « et la lumière existera-et-a-existé. » Le lecteur devra donc corriger les phrases où ces verbes ont été rendus par un passé simple afin de ne pas surcharger la traduction « et la lumière exista ». Ces formes sont en fait des « passés prophétiques » dont l’emploi suggère que ces événements du passé doivent être d’abord lus comme des préfigurations du présent et de l’avenir. Pour que l’histoire biblique soit reçue par l’initié comme une prophétie, encore faut-il qu’il puisse y lire en filigrane, mais de façon évidente, l’histoire politique et religieuse de son temps. Siméon a donc dû écrire l’histoire biblique en y inscrivant en filigrane l’histoire contemporaine connue de ses lecteurs. Cette actualisation de l’histoire passée a été à l’origine d’un genre littéraire que l’on nomme « prophétie post eventum » dont on trouve une excellente illustration dans le livre de Daniel. Son auteur – qui écrit vers 163 avant notre ère – met en scène un homme vêtu de lin qu’il fait surgir des profondeurs de la période perse (vers 500 avant notre ère) pour prophétiser l’histoire du second Temple et particulièrement celle de la période hellénistique dont ses lecteurs sont les acteurs. S’adressant à un auditoire hellénisé, il annonce, à mots couverts, mais avec un luxe de détails vérifiables, l’histoire passée de la dynastie lagide. Guerres, querelles de succession, adultères et assassinats, rien ne lui est épargné. Comment le lecteur pourrait-il alors douter qu’une prophétie aussi exacte quand elle rapporte les événements passés ne soit aussi en mesure d’annoncer son propre avenir 11 ? De la même façon, le lecteur du récit biblique du Déluge sera d’autant plus enclin à recevoir comme vraies les prophéties sur les dernières semaines du monde, qu’il aura été capable de traduire en faits politiques et religieux contemporains, l’allégorie du Corbeau et celle des amours du grand prêtre et de la Colombe. Mais si la redécouverte de la lecture littérale nous oblige inévitablement à nous montrer réservés quant à la valeur historique du récit biblique – au sens moderne du terme – elle est en contrepartie en mesure de nous apporpour démontrer l’existence de telles formes dans les langues sémitiques voisines de l’hébreu. Mais bien que quelques traces aient été recueillies en faveur de l’existence de formes comparables, l’emploi systématique de celles-ci en hébreu biblique doit correspondre à une innovation dictée par les impératifs de la lecture littérale. 11. BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 87-93.
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ter de précieuses informations sur l’histoire de la Judée hellénistique, donc sur la préhistoire proche des religions juive, chrétienne et gnostique. Par exemple, en lisant l’histoire des prêtres aaronides – Aaron, Éléazar et Pinhas – au « passé prophétique », on voit transparaître le conflit qui opposa Siméon au clergé local et les difficultés qu’il eut à faire accepter sa réforme (§ 119-121). Mais c’est probablement en soumettant à cette lecture l’histoire des hébreux en Égypte – et particulièrement celles de Joseph et de Moïse – que l’on découvrira le rôle insoupçonné joué par la communauté judéenne d’Égypte dans la réforme de la religion du Temple de Jérusalem. Le recours systématique de Siméon à un « passé prophétique » qui actualise le sens de l’histoire passée en fonction d’événements contemporains doit inciter l’historien à la plus grande prudence. L’historicité d’un événement de l’histoire du premier Temple devient en effet indémontrable tant qu’elle ne peut être fondée que sur le seul témoignage de la Bible. Cela ne signifie pas que cet événement ne reflète pas l’histoire judéenne passée, mais seulement que le genre littéraire choisi par l’auteur ne permet plus de le vérifier. À cet égard, la thèse de ceux que l’on a accusé à tort de « minimalisme » ou de « révisionnisme » était trop radicale et polémique (§ 10). La réécriture de l’histoire par Siméon a dû s’inspirer d’archives conservées dans le Temple. Sur ce point on peut probablement retenir en substance le témoignage du 2e livre des Maccabées qui rapporte que Néhémie aurait fondé une bibliothèque et « rassemblé les livres concernant les rois et les prophètes, ceux de David et les lettres des rois relatives aux offrandes » (2 Maccabées 2, 30). De telles archives, dont certaines pouvaient remonter à la période royale, ont certainement été mises à profit par Siméon dans sa rédaction de l’histoire. Leur existence est d’ailleurs corroborée par une formule répétée en conclusion de plusieurs des notices consacrées aux rois de Juda et d’Israël : Le reste des actes de Joram et tout ce qu’il a fait, est-ce que ces choses ne sont pas écrites au Livre des Chroniques des rois de Juda ? (2 Rois 8, 23)
Ces rappels ne s’imposaient que si le lecteur avait encore accès à de telles Chroniques dans lesquelles il pouvait lire une autre version de l’histoire ou trouver des informations non exploitées. On doit cependant objecter que dans la mesure où Siméon a fait de la Bible l’unique source de toute connaissance, il n’a pas pu encourager ses lecteurs à la compléter en faisant appel à de tels documents. Il suffit en fait de revenir à la lecture littérale pour éliminer cette contradiction apparente : Le reste des paroles de Joram et une partie de ce qu’il a fait, ces (choses) ne sont pas écrites dans le Livre des paroles des jours. (2 Rois 8, 23)
Par le biais de l’analogie, ce Livre des paroles des jours renvoie au Livre par excellence, ce Livre des généalogies d’Adam dans lequel est contenu le modèle intégral de l’histoire. La formule signifie alors que les informa-
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tions supplémentaires que l’on pourrait glaner dans des documents extrabibliques – par exemple dans les Annales des rois dont parle le livre des Maccabées – ne sont pas conformes au plan divin et ne méritent donc pas d’être prises en considération. Les documents dont Siméon a pu s’inspirer pour écrire l’histoire biblique ne provenaient pas seulement de la bibliothèque du Temple. Celuici appartenait à une famille dont les racines étaient en Égypte, une famille proche du pouvoir Lagide puisqu’elle lui devait la charge héréditaire de grand prêtre du Temple de Jérusalem, une famille imprégnée de culture grecque. Il a donc bénéficié du patrimoine de cette communauté judéenne dont l’implantation en Égypte remontait au moins au début de la période perse, une communauté déjà si importante au moment de la construction de la ville d’Alexandrie qu’un quartier entier lui fut réservé. Cette communauté devait posséder des archives sur sa propre histoire et un patrimoine littéraire et religieux accumulé au cours des siècles précédents. On peut donc raisonnablement penser que Siméon s’en est inspiré pour écrire cette histoire biblique dans laquelle il accordait un rôle de premier plan à ces Judéens exilés en Égypte 12 . Comme les autres Judéens, ceux de la diaspora alexandrine devaient pouvoir lire une prophétie de leur propre histoire dans les récits relatifs à l’Égypte des temps anciens et comprendre par ce biais qu’ils avaient joué un rôle capital dans la réforme de Siméon fils d’Onias. Jacob n’était-il pas descendu en Égypte avec ses fils ? Joseph n’avait-il pas épousé Asnat, la fille du prêtre de On ? N’était-il pas devenu le bras droit de Pharaon ? Éphraïm, ce fils de Joseph, né en Égypte, n’étaitil pas le possesseur légitime de cette partie du royaume davidique colonisée par les Corbeaux ? Et avant tout, les prêtres et les lévites – Moïse, Aaron, Pinhas et Éléazar – qui avaient pris la tête des tribus d’Israël lors de leur marche vers la Terre promise, n’étaient-ils pas venus d’Égypte comme Siméon lui-même ? § 238 L’occultation de la double hauteur Trois siècles séparent la réforme de Siméon de la contre-réforme orchestrée par le mouvement pharisien après la destruction du Temple. Ces siècles furent marqués par une intense activité littéraire dont une partie importante s’inscrit dans la continuité de l’œuvre de Siméon et s’inspire des techniques d’écriture mise au point pour la rédaction de la Bible ellemême. Dans ces pastiches de l’Écriture les monuments arithmologiques ne manquent pas. Le livre de Daniel – modèle de ce que l’on appelle le genre apocalyptique – reprend la technique de la prophétie post eventum et celle 12. MÉLÈZE MODRZEJEWSKI J., Les Juifs d ’Égypte, de Ramsès II à Hadrien, (Quadrige), Paris, PUF, 1991.
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des dates codées. Le livre des Jubilés conserve le souvenir des 22 jours de la création, décrit le calendrier de l’année parfaite et structure systématiquement l’histoire en Jubilés. Un traité découvert parmi les manuscrits de la mer Morte réinterprète les 120 ans de l’Esprit et propose une chronologie du Déluge en 364 jours 13. Flavius Josèphe conserve dans ses Antiquités judéennes l’œuvre d’un chronographe de la période asmonéenne qui mesure l’histoire biblique en 10 années solaires parfaites qu’il divise en 10 périodes structurées en fonction des mêmes nombres que la Bible de Siméon (1000, 364, 354, 120, 70 et 50) 14 . On trouve encore des références à l’arithmologie ancienne chez les rabbins des premiers siècles de notre ère (§ 87) aussi bien que chez les chrétiens 15 ou les gnostiques 16. Mais plus que de l’arithmologie cette littérature postbiblique s’inspire avant tout du modèle de la « double hauteur » en rédigeant des textes à double niveau d’interprétation, dont le véritable sens est intentionnellement caché. On l’a constaté à propos des livres d’Esdras (ch. 5) et de la Lettre d’Aristée à Philocrate (ch. 6), mais c’est l’ensemble de cette littérature qu’il faudrait soumettre au test de l’analogie verbale afin de vérifier s’il permet ou non de passer d’un sens banal à un sens allégorique codé en fonction de modèles de l’Écriture. Lorsque les maîtres de Yavnéh décidèrent de l’abandon de la double hauteur, ils présentèrent également leur réforme dans ce langage codé que seuls des initiés pouvaient comprendre. Ils annoncèrent que désormais la Bible ne serait plus composée de 32 livres mais de 22 (§ 2), une affirmation d’autant plus surprenante en apparence qu’ils conservaient intact le corpus des 32 livres de la Bible de Siméon et y ajoutaient même 7 nouveaux livres (Esdras, Néhémie, 1 et 2 Chroniques, Daniel, Qohélet et Esther : voir § 2, Tableau 1). La valeur symbolique d’une telle affirmation ne peut se comprendre que par référence au Canon précédent que Siméon avait organisé sur le modèle 32 des « signes » de l’Écriture et non pas des 22 « sons » de la lecture. Comme les 5 lettres finales et les 5 lettres divines ne se distinguaient des 22 autres que par leur forme graphique, 13. Voir BERTHELOT K. – LEGRAND T. – PAUL A., La bibliothèque de Qumran, I, Paris, Le Cerf, 2008, p. 299-307. L’auteur garde le souvenir d’une chronologie du Déluge en 364 jours, mais sans être capable d’en fonder l’organisation interne sur la lecture littérale, ce qui le conduit à corriger le modèle biblique. 14. Voir B. BARC, « Bible et mathématiques à la période hellénistique », dans Mélanges en l ’honneur de Jean Margain, Prahins, le Zèbre, 1998, p. 269-279. 15. Par exemple, le récit que fait Luc de la fondation de la première communauté chrétienne est écrit en fonction des modèles arithmologiques des 120 jours de l’Esprit et des 70 peuples : voir BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 104-107. 16. BARC B, Le livre des secrets de Jean, (Bibliothèque copte de Nag Hammadi, section « Textes » 35), Québec-Louvain, 2012, p. 20-25. Les Entités du monde intelligible sont organisées en fonction du nombre 32 et les Archontes qui ont enfermé l’humanité dans le temps de l’histoire sont au nombre de 364.
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ce nombre 32 ne pouvait être connu que des lettrés qui voyaient le texte même de l’Écriture tandis que ceux qui ne pouvaient que l’entendre, n’en connaissaient que les 22 « sons » correspondant à ces signes. En passant de 32 à 22, on passait donc symboliquement de l’Écriture à la Parole, de la Torah écrite du Temple à la Torah orale du parti pharisien, d’une Écriture réservée aux seuls lettrés à une Parole accessible à l’ensemble du peuple juif. Cependant, cette priorité donnée à l’enseignement du peuple juif ne provoqua pas l’abandon de l’interprétation ancienne fondée sur l’Écriture, mais l’étude de ces « signes » qui introduisaient à la connaissance de la fin des temps (lettres finales) et à la contemplation de la divinité (lettres divines) fut réservée aux seuls initiés qui élaborèrent alors, dans le secret, une nouvelle mystique, celle des Sefirot, dont témoigne le Séfèr yeçirah, quelques siècles plus tard (§ 76). Lors de cette réforme, le livre de Ben Sira ne fut pas retenu dans le canon biblique, sous le prétexte fallacieux qu’il avait été écrit après la mort de Siméon le Juste. Les maîtres de Yavnéh ne pouvaient pourtant pas ignorer que d’autres livres qu’ils intégraient dans le nouveau canon étaient également postérieurs à celui de Ben Sira. C’était le cas du livre d’Esdras, mais aussi des livres des Chroniques qui proposaient une réinterprétation de l’histoire écrite par Siméon. C’était aussi celui du Livre de Daniel. Le rejet de l’œuvre de Ben Sira s’imposait en fait parce qu’il présentait une apologie de Siméon et de son œuvre. Dès lors, comme l’interprétation fondée sur la contemplation des lettres, l’enseignement de Ben Sira devait être réservé aux seuls « mystiques ». Aussi son texte fut-il corrigé et son enseignement attribué au fondateur de cette nouvelle mystique, Siméon ben Yohaï (§ 68). On aurait pu craindre que le Cantique des Cantiques de Siméon, dont le caractère autobiographique était connu des maîtres de Yavnéh, ne subisse le même sort. Certains rabbins le préconisaient. Mais les partisans de son maintien, dont Rabbi Aqiba fut le porte-parole, obtinrent en fin de compte gain de cause, mais au prix de concessions. L’auteur véritable du Cantique fut occulté et son œuvre placée sous le patronage de Salomon. Cantique des Cantiques qui (( )אשרest) pour Salomon.
La raison de ce nouveau titre est discrètement suggérée par l’emploi de la forme ’achér ( )אשרdu pronom relatif, alors que la forme préfixée ché( )ש־est la seule attestée dans le Cantique lui-même. Ce détail, en apparence insignifiant, prend tout son sens par référence à l’algorithme et à la lumière de ce test du sin-chin ( )שque les Galaadites firent passer aux Ephraïmites (§ 223). Alors que le pronom ché- ( )ש־est le sésame dont la juste prononciation permet le retour à l’Un, le relatif ’achér ( )אשרsymbolise au contraire une entrée manquée dans la fin des temps. Conformément à ses lettres, il signifie qu’après avoir parcouru l’histoire du début à la fin, de alèf à chin ()א←ש, et avoir atteint le seuil de l’ère nouvelle, on est
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revenu en arrière. Au lieu de passer du chin au taw, l’histoire a inversé sa marche, revenant du chin au resh ()ש←ר. Comme l’enseignera Rabbi Méir, toutes les spéculations sur la date d’entrée dans l’ère nouvelle ayant été contredites, celle-ci ne dépendrait plus que de la pratique de cette Torah orale ( )תו־ר־הenseignée par le judaïsme rabbinique et dont le rèch ( )רest la seule lettre stable. Cette demi-mesure qui consistait à conserver le Cantique tout en refusant son interprétation messianique – on usera d’un procédé analogue pour les livres de Ruth et des Lamentations (§ 3) – montrait en fait que l’attitude adoptée à l’égard de Siméon était la conséquence d’un compromis. Le procès exemplaire qui aboutit à l’excommunication d’Éliézer ben Hyrcanos, l’un des derniers défenseurs de la double hauteur, en fournit une illustration 17. Les minutes de ce procès font état de quatre témoins présentés par Éliézer et qui furent successivement récusés par les maîtres de Yavnéh et par Rabbi Josué, le président du tribunal. Le premier témoin, un Caroubier ( חרוב: harouv), censé défendre l’enseignement du Temple détruit ( חרוב: harouv), se rangea en fin de compte du côté des maîtres de Yavnéh. Éliézer fit alors témoigner un Canal ( אמת: ’amat) dont les eaux charriaient la Vérité ( אמת: ’émèt). Ces eaux de Sagesse étaient celles dont Jésus ben Sira, tel un canal, avait rêvé d’irriguer l’univers (Ecclésiastique 24, 30-33). Le témoignage de Ben Sira fut également rejeté. Éliézer en appela alors aux Murs ( כותל: kotel) de l’école de Yavnéh derrière lesquels le Bien-aimé se tenait, attendant impatiemment que sa fiancée le laisse entrer (Cantique des Cantiques 2, 9). Par égard pour Éliézer les murs commencèrent alors à s’écrouler pour laisser entrer ce Bien-aimé, mais suite à l’intervention de Rabbi Josué ils interrompirent leur chute et depuis ce jour « ils penchent mais tiennent ». Jouant alors sa dernière carte, Éliézer en appela à une Voix céleste. Mais cette Voix demeura silencieuse et envoya sur terre, pour la représenter, une « fille de la Voix » qui invita les maîtres de Yavnéh à renoncer à l’enseignement d’Eliézer dont l’authenticité était pourtant indiscutable à ses yeux. S’autorisant de ce renfort ambigu, les maîtres de Yavnéh décidèrent alors que la « Torah n’était plus dans les cieux ». Éliézer fut excommunié et l’herméneutique de la période du Temple avec lui. En plus du pronom ’achèr introduit dans le titre du Cantique pour dissuader les lecteurs d’en faire la lecture allégorique, les maîtres de Yavnéh l’attribuèrent à Salomon et non plus à David ()דוד, le Bien-aimé ()דוד. En procédant ainsi ils faisaient tomber Siméon de son piédestal ! Il n’était plus le précurseur des temps messianiques qu’avait été David mais un personnage double dont la mort avait provoqué un schisme en Israël. 17. BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 108-115.
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Enfin, pour marquer que son maintien dans le canon des Écrits ne lui conférait pas un statut comparable à celui des livres de Job, des Proverbes et des Psaumes, on enseigna que ces trois livres étaient des « Livres de vérité », ce qui laissait entendre à demi-mot que le quatrième n’en faisait pas partie 18. En rejetant l’enseignement de « vérité » ( )אמתdispensé par le « canal » ( )אמתde Ben Sira, les maîtres de Yavnéh ne faisaient que tirer les conséquences du rejet de l’enseignement de Siméon. L’acte de fondation de l ’École de Yavnéh (Pirqé ’avot 1-2), écrit à la gloire du mouvement pharisien, marque la même désapprobation de l’œuvre de Siméon. Il dresse la liste des 22 personnages ou groupes qui auraient transmis la Torah de Moïse jusqu’à un 22e, nommé, comme il se doit, Éléazar 19. Dans cette chaîne de transmission, Siméon le Juste occupe la 5e place en compagnie d’une Grande Assemblée (kenèsèt hagedolah) mythique dont les 120 membres auraient possédé collégialement l’Esprit de Yahvéh, en plénitude. Tant que Siméon avait été l’un des membres de cette Grande Assemblée dont il était chronologiquement le dernier, il avait bénéficié de l’inspiration et respecté les règles édictées par cette Assemblée : Soyez circonspects dans le jugement, que vos élèves se dressent nombreux et faites une haie à la Torah. (Pirqé ’avot 1, 1)
Mais Siméon survécut aux 119 autres et énonça alors trois « vérités » dont deux furent contredites par l’histoire : Siméon le Juste, un des derniers hommes restant de la Grande Assemblée, disait : Le monde tient sur trois choses, sur la Torah, sur le service (du Temple) et sur la prodigalité (divine). (Pirqé ’avot, 1, 2)
Le service liturgique fut interrompu suite à la destruction du Temple et le temps des prodigalités divines prit fin le jour où la Présence divine (chekhinah), privée de Temple, remonta dans les Cieux. Le seul point sur lequel Siméon ne s’était pas trompé, c’était en affirmant que le monde reposait sur la Torah, le seul pilier sur lequel reposait désormais la religion juive. En fait, les traducteurs modernes corrigent implicitement ce texte des Pirqé avot quand ils lui font dire que Siméon fut « l’un des der18. Le nom de « livres de Vérité (’émèt : » )אמתest une anagramme construite à partir de la première lettre des noms de ces traités : Job ()איוב, Proverbes (michelé : )משליet Psaumes (tehilim : )תהלים. En fait le seul des trois livres qui ait un titre est celui des « Proverbes de Salomon (michelé chelomoh) ». Les livres de Job et des Psaumes n’ont pas de titre et celui des Psaumes de David (tehilah ledawid) n’est donné qu’au dernier des Psaumes attribués à ce roi (Psaume 145). Cette anagramme est donc une construction a posteriori dont l’intention polémique est pour le moins probable. En reconnaissant la « vérité » de trois Écrits seulement sur les quatre qui composent cette partie du corpus, on suggère que le contenu du quatrième, le Cantique des Cantiques ne reflète pas cette vérité. 19. BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 94-102.
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niers hommes restant de la Grande Assemblée ». Pour ce faire, ils lisent « restes » (che’aré : )שאר־יalors qu’il est écrit « chantres » (cheyaré : )שיר־י. Les auteurs des Pirqé ’avot reconnaissaient donc que Siméon avait été le 120e et dernier chantre de cette Grande Assemblée, celui qui aurait dû atteindre la plénitude des 120 jours de l’Esprit. Il aurait dû être ce chantre des chantres (chayar hacheyarim : )שיר השיריםdont le Cantique des Cantiques (chir hachirim : )שיר השיריםavait conservé les chants. Mais à l’instar de Salomon dont l’infidélité avait provoqué l’éclatement du royaume davidique en deux royaumes antagonistes, Juda et Israël, l’enseignement de Siméon avait provoqué l’apparition de sectes dont les interprétations s’étaient opposées. L’origine de ces conflits est attribuée par les maîtres de Yavnéh à Antigone, disciple et successeur de Siméon, dont le nom grec suffit à indiquer l’adhésion à l’hellénisme. Lançant le débat sur le dogme de la résurrection, cet Antigone aurait provoqué l’apparition de deux « sectes » antagonistes, les sadducéens et les pharisiens, qui devaient s’affronter au cours des siècles suivants jusqu’à ce Yohanan ben Zaccaï mette fin aux polémiques en fondant l’École de Yavnéh et en imposant l’autorité d’un nouvel Éléazar, d’un nouvel Esdras. Ce rejet d’une partie de l’œuvre de Siméon peut également expliquer l’introduction du traité du Qohélet – l’Ecclésiaste de la Bible grecque – dans le nouveau canon des Écritures, ainsi que son attribution implicite à Salomon. Le Cantique des Cantiques, comme son titre l’indique, décrit la période faste du pontificat de Siméon, l’époque où il chantait à l’unisson avec ces 120 inspirés de la Grande Assemblée. Pendant cette première période, il avait reproduit le modèle de la première moitié du règne de Salomon, au temps où sa sagesse surpassait celle de toutes les nations. Mais comme le Salomon de la deuxième période, Siméon s’était ensuite laissé séduire par les femmes étrangères, les sirènes de l’hellénisme 20. Comme Salomon introduisant les chevaux dans l’armée d’Israël, Siméon avait introduit dans Jérusalem un nouveau cheval de Troie, l’hellénisme, qui avait finalement provoqué la chute de la ville et de son Temple. Comme Salomon, Siméon avait perverti ses voies et transmis à Antigone un enseignement qui fut à l’origine de tous les conflits des siècles suivants. En attribuant le livre du Qohélet à Salomon, les maîtres de Yavnéh en faisaient probablement un testament spirituel dans lequel Siméon se repentait de ses erreurs passées et reconnaissait avant tout la vanité de ses spéculations sur l’imminence des temps messianiques. Ce qui a été est ce qui sera et ce qui s’est fait est ce qui se fera : il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Qu’il y est quelque chose dont on dise : vois ceci,
20. BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 101102.
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c’est nouveau ! Cela a déjà été aux siècles qui furent avant nous. (Ecclésiaste 1, 9-10)
Au chir hachirim de sa jeunesse, Siméon répond « hévél havalim – Vanité des vanités » un leitmotiv dont les échos se répercuteront tout au long du traité du Qohélet. Cette Grande Assemblée de 120 membres ( כנס־ת: kenèsèt) dont le Cantique était l’Hymne, a cédé la place à une communauté ( קהל: qahal) plus modeste incarnée par les 70 maîtres de Yavnéh dont le Qohélet ( )קהל־ת21 se fait le porte-parole. En fait, c’est tout le livre du Qohélet qu’il faudrait analyser dans cette perspective de lecture actualisante. Pendant que les maîtres de Yavnéh s’employaient à occulter l’herméneutique de la période du Temple (entre 70 de notre ère et 135 de notre ère), les chrétiens reconnaissaient aussi qu’elle avait fait son temps. Lorsque Jésus fut présenté au Temple par ses parents, un vieillard nommé Siméon, qui était dit « juste », et qui attendait l’accomplissement des Écritures – depuis plus de deux siècles – vint à sa rencontre et reconnut que sa tâche était désormais terminée. Il avait enfin vu le salut annoncé dans les Prophètes (Luc 2, 25-35). Bien que pour des raisons opposées, juifs et chrétiens reléguèrent donc Siméon dans l’oubli. Les premiers le rendaient responsable des schismes qui avaient divisé la Judée après sa mort, les seconds considéraient que son rôle de prophète des temps messianiques avait pris fin avec l’accomplissement de ses prophéties. Le jugement porté sur le maître rejaillit sur le disciple. L’œuvre de Ben Sira, conservée par les chrétiens, fut occultée par les juifs. Mais en rejetant ce Canal ()אמת, ils savaient qu’ils se privaient de la part de Vérité ()אמת qu’il véhiculait, celle de ce sens allégorique dont la découverte émerveillait Ben Sira : Quant à moi, comme un canal dérivé du fleuve, comme un cours d’eau je suis sorti vers le paradis. J’ai dit : « Je vais arroser mon jardin, je vais saturer mon parterre. » Mais voici que mon canal est devenu fleuve. Puis mon fleuve est devenu mer. Je veux faire encore briller l’instruction comme l’aurore, je la révèlerai le plus loin possible. Je veux répandre encore une doctrine conforme à la prophétie, je la laisserai pour les générations des siècles. (Ecclésiastique 24, 30-33)
Le temps a enfoui ce Paradis de l’interprétation ancienne (§ 6) sous les sédiments de vingt siècles d’histoire, mais en le conservant intact. Pour sauver ce qui pouvait l’être de l’œuvre de Siméon malmenée par l’histoire, il fallut choisir entre Écriture et Parole. Les héritiers juifs et chrétiens de Siméon choisirent la « Parole ». La parole vivante des maîtres de Yavnéh, 21. Le paradigme d’interprétation de קהלse trouve dans Genèse 28, 1-3. Jacob ne deviendra une communauté de peuples (qahal ‘amim) que s’il se refuse à épouser les filles de Canaan, symboles d’une sagesse étrangère.
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la Michnah, devint « l’âme de l’Écriture ». Les chrétiens enseignèrent que « la lettre tue mais que l’Esprit fait vivre » (2 Corinthiens 3, 6) et qu’« au commencement était la Parole » (Jean 1, 1). Mais si cette Écriture appartient à la préhistoire de nos religions, elle peut devenir, par le biais de sa lecture littérale, un document précieux pour notre connaissance de l’histoire de l’Orient hellénistique. Si elle n’annonce plus notre avenir, elle parle toujours de notre passé.
Conclusion
COMME UN CANAL DÉRIVÉ DU FLEUVE Ben Sira, qui avait probablement parcouru tous les degrés de l’initiation sous la conduite de Siméon lui-même, s’émerveillait en découvrant les prophéties cachées dans l’Écriture : « Quant à moi – disait-il – comme un canal dérivé du fleuve, comme un cours d’eau je suis sorti vers le paradis. J’ai dit : « Je vais arroser mon jardin, je vais saturer mon parterre. » Mais voici que mon canal est devenu fleuve, puis mon fleuve est devenu mer. Je veux faire briller l’instruction comme l’aurore, je la révèlerai le plus loin possible. Je veux répandre encore une doctrine conforme à la prophétie, je la laisserai pour les générations des siècles » (Ecclésiastique 24, 30-33).
J’ignore s’il sera possible, un jour futur, de refaire avec lui l’intégralité du voyage vers ce monde disparu, ni même si quelqu’un d’autre décidera de l’entreprendre. Pour ma part, j’ai mis mes pas dans ceux de Ben Sira. Comme lui, je suis sorti vers le paradis. Comme lui, j’ai voulu « arroser mon jardin ». Comme le sien, mon canal a rejoint le fleuve. Mais je me suis arrêté là, me contentant d’observer de la rive ces tourbillons qui auraient dû m’emporter jusqu’à la Mer. J’ai tenté de « dire » dans ce livre ce que j’avais « vu », en espérant que d’autres chercheurs seraient pris de la même envie de « voir ». Tel était en effet le souhait de Ben Sira, quand il disait, en pesant évidemment chacun de ses mots : « Voyez ! … Ce n’est pas pour moi seul que j’ai peiné ! » (Ecclésiastique 24, 34). § 239 Les étapes d’une recherche Lorsque j’ai découvert que l’oracle d’Ézéchiel 1 décrivait la triple forme de Dieu, du Temple et de l’Homme, j’ai pensé que la présence de ce thème était due à une réécriture du texte original visant à en actualiser le sens. Que cette correction introduise un modèle calqué sur la tripartition platonicienne du réel suffisait, me semblait-il, à la dater de la période hellénistique, mais sans que cela ne remette en question l’ancienneté de l’oracle du prophète. Cela signifiait seulement que le texte qui nous était parvenu avait été réécrit afin d’y introduire des thèmes inspirés par l’hellénisme. 1. Cf. le commentaire d’Ézéchiel 43, 10-11 dans le chapitre 1.
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CONCLUSION
La question était alors de savoir s’il s’agissait d’une initiative isolée ou, au contraire, d’une entreprise concertée de plus grande étendue ? Dominique Barthélemy avait apporté un début de réponse dans une étude consacrée au nombre des fils de Jacob descendus en Égypte 2 . Il avait montré, de façon convaincante me semblait-il, que le nombre de 70 attesté dans l’hébreu – alors que le texte grec donnait trois nombres contradictoires (70, 71 et 72) – impliquait une normalisation a posteriori du texte hébreu à partir de sources disparates antérieures et encore conservées dans la LXX. Fort de ce parrainage, je retins donc l’hypothèse d’une réécriture de l’hébreu faite à la période hellénistique à partir d’un texte antérieur comparable à celui de la LXX. Dans la mesure où le réviseur du texte d’Ézéchiel avait modifié le sens de son modèle en y introduisant des occurrences du mot « forme » à contre-courant du sens attendu, il me semblait logique de m’intéresser en priorité aux mots ou constructions improbables de l’hébreu que la critique biblique avait l’habitude de corriger. Avant d’y voir des fautes de scribes, il fallait vérifier que ces bizarreries n’étaient pas des indices placés là intentionnellement pour orienter vers une interprétation à portée théologique, comme c’était le cas dans le texte d’Ézéchiel. Ces réécritures avaient également un impact sur l’histoire de l’interprétation du texte hébreu. On devait en effet expliquer comment ce thème de la triple forme, que seule une lecture littérale permettait de redécouvrir, était encore connu, un demi-millénaire plus tard, aussi bien par le judaïsme que par le christianisme ou le gnosticisme. Cela signifiait, soit que cette lecture littérale était encore pratiquée après la destruction du Temple, soit pour le moins, que les thèmes qu’elle véhiculait s’étaient transmis de générations en générations à l’ensemble des héritiers de la Bible. Dans les deux cas, on pouvait alors espérer qu’une lecture littérale des innombrables « accidents » textuels du texte hébreu (§ 31) mettrait en lumière l’origine biblique d’autres thèmes de la littérature postérieure. Revenant à l’enseignement de l’hébreu après deux années exclusivement consacrées à l’étude des textes gnostiques de Nag Hammadi, et particulièrement à celle de textes adamologiques 3, j’accordai naturellement la priorité à la lecture littérale des premiers chapitres de la Genèse dans l’espoir d’y déceler la présence, au moins embryonnaire, de thèmes que l’on considérait comme spécifiquement gnostiques, comme, par exemple, celui de la 2. BARTHÉLEMY D. « Les tiqquné sopherim et la critique textuelle de l’Ancien Testament » Suppl. Vetus Testamentum (congrès de Bonn, 1962), Leyde, Brill, 1963, p.285-304 ; réédité dans Études d’histoire du texte de l’Ancien Testament, O.B.O. 21, Göttingen, 1978, p. 91-110. 3. BARC B. L’hypostase des Archontes, Traité gnostique sur l ’origine de l ’homme, du monde et des Archontes, BCNH « Textes » n° 5, Louvain, Presses de l’Université Laval-Peeters, 1981.
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triple forme d’Adam. La méthode la plus sûre pour accéder à cette lecture littérale était d’appliquer au texte hébreu les règles d’herméneutique qui étaient pratiquées avant la destruction du Temple et que l’école d’Aqiba avait continué de mettre en oeuvre. Elles postulaient, en résumé, que le texte reflétait la perfection de son auteur divin et que, de ce fait, rien ne pouvait y être superflu ni contradictoire. La conversion à une telle lecture, abandonnée depuis près de deux millénaires et fondamentalement en contradiction avec l’approche de la critique biblique, exigea de ma part une longue période de « désintoxication » et d’apprentissage. Alors que je m’étais accoutumé à fonder la théorie des sources sur ces doublets et ces contradictions flagrantes dont le récit du Déluge était l’exemple le plus évident, il me fallut apprendre à déjouer ces apparences, en faisant le pari qu’une solution existait qui ne remettait pas en cause la perfection de ce texte, donc son unité. Ce n’est qu’au terme d’un apprentissage de plusieurs années, en 1987, que je fus en mesure de publier un premier article sur le sujet, prudent dans son titre, mais beaucoup moins dans son contenu, dans lequel je défendais la thèse de la réécriture : « Le texte de la Torah a–t-il été récrit ? » 4 J’aurais sans aucun doute progressé beaucoup plus vite dans mes recherches si je n’avais pas refusé de prendre en compte cet autre axiome de l’herméneutique ancienne selon lequel les lettres de l’Écriture étaient aussi des nombres. Il est vrai que l’usage que les mystiques tant juifs que chrétiens avaient fait de cette technique nommée gématria (§ 8) suffisait à dissuader tout universitaire digne de ce nom — et désireux de le rester — de s’y fourvoyer. Pourtant le nom même de « géométrie » que le judaïsme lui donnait témoignait en faveur de l’origine hellénistique de cette technique d’interprétation, et cela d’autant plus sûrement que la notion même de lettres-nombres était totalement étrangère au monde sémitique. C’est seulement après avoir redécouvert, par le biais de la syntaxe, l’ordre de procession des jours du récit de création (§ 69-70), que l’importance décisive de l’arithmologie s’imposa à moi. Après avoir admis que la lecture de la formule traditionnelle « Il y eut un matin, jour un » signifiait littéralement « le matin du jour d(e l’)Un exista » (§ 69-70), il me suffit de quelques heures pour reconstituer ce que j’ai appelé « l’algorithme de l’année parfaite » et de quelques semaines pour redécouvrir les confirmations qui en garantissaient la validité (§ 85-89). Puisque, comme l’enseignait Jésus ben Sira, la Sagesse d’en haut s’était manifestée dans le monde d’en bas par la médiation des nombres, la remontée de l’initié vers cette Sagesse cachée ne pouvait se faire que par la médiation des nombres (§ 65-66). L’arithmologie constituait la propédeutique à l’initiation. 4. BARC B. « Le texte de la Torah a-t-il été récrit ? » dans Les règles de l ’interprétation, Paris, Cerf, 1987, p. 69-88.
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CONCLUSION
L’interprétation des nombres par référence à cet algorithme et au calendrier de l’année solaire perpétuelle qu’il construisait devait logiquement commencer par le premier des monuments numériques de la Bible – le « Livre des généalogies d’Adam ». Ces généalogies fixaient la durée de la période antédiluvienne à 1656 ans. Converti en date en fonction du calendrier solaire, ce nombre – qui avait résisté par le passé à de multiples tentatives d’interprétation – renvoyait au « 17e jour du 7e mois », date du repos (nouah) de l’Arche du Déluge sur les montagnes d’Ararat. Cette corrélation entre ces généalogies et l’histoire diluvienne suggérait alors qu’elles construisaient un modèle de l’histoire depuis ses origines et jusqu’à ce que l’humanité accède au repos (nouah) symbolisé par Noé (noah) (§ 144). Mais s’il en était ainsi, la perfection de l’Écriture n’exigeait-elle pas que cette corrélation entre nombres et dates puisse être vérifiée sur l’ensemble des nombres qui construisaient les générations antédiluviennes ainsi que sur l’ensemble des dates de l’histoire postdiluvienne ? Je m’engageai alors dans une recherche de longue haleine dans le but de mettre les nombres visibles et cachés des récits antédiluviens en relation avec les dates qui ponctuaient l’histoire biblique à partir du récit du Déluge. Bien que cette recherche soit loin d’être achevée, les résultats obtenus suffisent à confirmer la cohérence impressionnante du monument construit par Siméon en même temps que sa complexité. On peut alors conclure de ce double examen que l’ensemble constitué par les douze livres de l’histoire biblique a été composé en fonction d’une architecture numérique globale cohérente conforme à l’algorithme du récit de création. Cette redécouverte de l’arithmologie et de sa fonction structurante de l’histoire biblique marqua un tournant décisif de ma recherche. L’hypothèse de la « réécriture » d’un texte antérieur proche de celui des LXX, que j’avais défendue jusqu’ici, ne pouvait plus suffire à rendre compte des faits. Il ne s’agissait pas seulement de corrections ponctuelles à portée théologique, mais bien d’une structuration intégrale des douze livres de l’histoire en fonction d’un modèle mathématique, ce que l’organisation des générations royales en fonction du modèle jubilaire venait par ailleurs confirmer (§ 104). Les douze livres de l’histoire biblique devaient donc avoir été entièrement composés sur nouveaux frais. De plus, ce travail de rédaction était d’une telle complexité et supposait un tel niveau de cohérence qu’il paraissait impossible d’y voir une œuvre collective. J’optais donc pour un auteur unique, celui que désignait Ben Sira : Siméon fils d’Onias, celui que la tradition postérieure avait surnommé Siméon le Juste. C’est la thèse que je défendis en 1992 dans un deuxième article intitulé « Siméon le Juste rédacteur de la Torah ? » 5, mais sans parler ni de lettres-nombres, 5. BARC B. « Siméon le Juste, rédacteur de la Torah ? » dans Titres et Corpus, Paris, Cerf, 1992 p. 123-154.
COMME UN CANAL DÉRIVÉ DU FLEUVE
487
ni d’algorithme et sans étendre la démonstration à l’ensemble de l’histoire biblique. Huit ans plus tard, en 2000, alors que je maîtrisais déjà suffisamment le sujet pour envisager de publier la démonstration qui vient d’être faite, j’en formulais l’hypothèse dans un « essai » intitulé les arpenteurs du temps 6 et j’en apportais l’illustration dans un ensemble d’articles. Si les analyses menées au cours de ces vingt dernières années m’ont permis de rendre compte de façon objective de l’organisation de l’histoire biblique en fonction d’un algorithme, elles sont très loin d’avoir percé la portée allégorique de cette histoire. Si la chronologie du Déluge qui sert de conclusion à ma démonstration établit de toute évidence la corrélation entre déluge et histoire universelle, elle ne propose qu’un plan extrêmement condensé de cette histoire. Pour en saisir les détails il faudra que la lecture littérale prenne le relais et enrichisse, par le biais du raisonnement par analogie verbale, ce qui n’est qu’en germe dans le récit du Déluge. Dans cette perspective, quelques pistes d’interprétation ont été explorées en partant de mots clés comme le « corbeau » ou la « colombe », mais il ne s’agissait là que d’essais. Pour être en mesure d’étendre la démonstration à l’ensemble du texte, il faudra au préalable écrire une nouvelle grammaire fondée sur les dix « signes » qui suffisent à en coder la syntaxe (§ 211). Il faudra dans le même temps réorganiser le vocabulaire en fonction des mêmes critères et substituer au champ sémantique de la lecture traditionnelle, un champ symbolique fondé sur la seule écriture (§ 226-227). Tant que ces études n’auront pas été réalisées, la prudence imposera de privilégier l’analyse des faits mathématiques – dont l’exactitude est vérifiable – et de ne voir dans leur interprétation que des approximations qui devront être soumises à vérification. La technique d’écriture choisie par Siméon implique, en dernière analyse, que chaque mot ait été choisi en fonction de sa compatibilité avec l’algorithme. L’interprétation de chacun doit donc être confrontée à celuici. Le moindre détail d’écriture, omis ou mal interprété, peut provoquer un contresens. Aussi n’est-il pas inutile de conclure ce livre en attirant l’attention sur la complexité du système élaboré par Siméon, avant d’évoquer quelques unes des pistes nouvelles que la redécouverte de la « double hauteur » de l’Écriture permet d’entrevoir. § 240 Les contraintes d’écriture imposées par l’algorithme. Que l’histoire biblique ait été structurée en fonction d’un algorithme et rédigée avec comme premier souci d’éviter toute contradiction, conduit 6. BARC B. Les arpenteurs du temps, Histoire du texte biblique 5, Lausanne, Édition du Zèbre, 2000.
488
CONCLUSION
à modifier de façon radicale notre approche du texte. Il faut en effet admettre que les nombres de la Bible, que la théorie documentaire considérait comme plaqués a posteriori par un dernier rédacteur, constituent au contraire l’armature même de l’histoire. C’est l’algorithme décrit dans le récit de création qui a imposé les règles de rédaction de cette histoire jusque dans ses moindres détails. Par le biais de l’arithmologie, chaque lettre-nombre doit alors être interprétée par référence à la place qu’elle occupe dans l’algorithme et au nombre qui lui est affecté. Les démonstrations précédentes ont illustré à maintes reprises ce fonctionnement logique de l’écriture, mais tout un travail d’analyse reste à faire avant de découvrir le sens nouveau que ces lettres-nombres servent à coder. Par contre, la structuration du récit en fonction des nombres visibles a été décrite de façon beaucoup plus précise et permet déjà de saisir l’importance des contraintes de rédaction que Siméon s’est imposé. Il a organisé son système en fonction de deux modèles symbolisés par les nombres 7 et 10. Le modèle 7 des lettres fondamentales lui a servi à inscrire l’histoire dans le temps à un double rythme, celui de la semaine et de l’année solaire (7 x 52 = 364) et celui de la période jubilaire (7 x 7 = 49). Le modèle 10 des lettres finales renvoie, quant à lui, à des événements qui transcendent l’histoire et en symbolisent l’accomplissement. Ce sont, par exemple, les 40 jours de la révélation du Sinaï, l’entrée jubilaire de la 50e année ou les 120 ans de l’incarnation de l’Esprit de Yahvéh. De ces deux unités de mesure de l’histoire, la première est de loin celle qui a imposé à Siméon les contraintes d’écriture les plus strictes, particulièrement lorsqu’elle se fonde sur les lettres-nombres des noms des personnages. Le modèle arithmologique des généalogies antédiluviennes décrit précédemment (§ 88) en fournit une bonne illustration. Alors que Siméon a pu s’inspirer d’annales des rois d’Israël et de Juda pour écrire l’histoire de la période royale – le fait est corroboré par l’archéologie au moins à partir de la dynastie des Omrides vers -750 – il semble qu’il ait eu les coudées franches pour raconter l’histoire antérieure et, à plus forte raison, le modèle de l’histoire antédiluvienne. Chaque détail doit donc relever d’un choix opéré en fonction d’un projet d’ensemble conçu a priori et que l’initié doit être en mesure de déchiffrer. Que Siméon ait choisi de mettre en scène 26 acteurs, – un nombre qui est celui du nom de Yahvéh (26 = )יהוהdoit correspondre à une intention. En poussant la logique jusqu’au bout, on doit également considérer que le nombre des lettres qui servent à composer ces 26 noms – 99 lettres – relève d’un choix. Dans le comput digital de l’Antiquité, ce nombre précédait en effet ce retour à l’Un qui est au centre du propos de Siméon. Toutefois, l’intentionnalité de ces nombres 26 et 99 ne pouvant pas être démontrée, leur prise en compte dans l’interprétation dépend donc entièrement du degré de perfection que le chercheur est conduit par d’autres biais à accorder à l’Écriture.
489
COMME UN CANAL DÉRIVÉ DU FLEUVE
Tableau 64 Les 26 acteurs de l’histoire antédiluvienne Ordre d’apparition
Acteurs
Noms
Nombres
Total cumulé
Ordre d’apparition
Acteurs
Noms
1er
Adam
אדם
11
11
14 e
Youval
יובל
16
216
2
e
Ève
חוה
12
23
15
e
TouvalCaïn
תובל־ קין
29
245
3e
Caïn
קין
15
38
16 e
Naamah
נעמה
20
265
4
e
Abel
הבל
12
50
17e
Seth
שת
8
273
5e
Hénokh
חנוך
18
68
18e
Énoch
אנוש
21
294
6
e
Irad
עירד
15
83
19
e
Caïnan
קינן
22
316
7e
Mehouyaël
מחויאל
22
105
20 e
Mahalalel
מהללאל
27
343
8e
Mehiyaël
מחייאל
19
124
21e
Yéréd
ירד
13
356
9e
Metouchaël
מתושאל
26
150
22 e
Métouchélah
מתושלח
26
382
10 e
Lamekh
למך
15
165
23 e
e
11
Adah
עדה
11
12 e
Çillah
צלה
14
13 e
Yaval
יבל
10
Nombres
Total cumulé
Noé
נח
8
390
176
24
e
Sem
שם
13
402
190
25e
Cham
חם
7
410
200
26 e
Japhet
יפת
7
417
Que ces 26 personnages construisent le nombre 417 au moyen des valeurs numériques des lettres de leurs noms permet au contraire de démontrer l’intentionnalité du monument numérique. La probabilité pour que le nombre construit par leurs 26 noms et leurs 99 lettres corresponde à celui de l’algorithme, par le simple jeu du hasard, relèverait du miracle. Il est plus sage d’en déduire – ce que la lecture des textes eux-mêmes confirme – que l’histoire antédiluvienne construit un modèle de l’histoire universelle : une histoire avançant au rythme de l’année solaire (364) et qui, par l’acquisition progressive de la connaissance des noms divins (+ 52), doit conduire l’humanité jusqu’au seuil de l’ère nouvelle (+ 1 = 417). Pour orienter cers cette lecture Siméon a multiplié les indices. De même que l’algorithme se construit du ’alèf à taw les noms des acteurs conduisent l’histoire du ’alèf d’Adam [ ]אדםau taw de Seth [ §( ]שת140), puis au taw de Japhet [ §( ]יפת143). Si le choix des noms des 26 personnages et de leur nombre en fonction de l’algorithme constitue déjà une contrainte importante, il en existe une autre infiniment plus astreignante encore. Elle a probablement été inspirée à Siméon par le Cratyle, un traité dans lequel Socrate enseigne la théorie de « la rectitude des noms ». Pour Siméon cette théorie implique
490
CONCLUSION
que les noms des personnages soient conformes à leur fonction. Le paradigme de cette conformité a été formulé par Adam lui-même lorsqu’il a imposé le premier nom. S’il a donné à son épouse « le nom d’Ève (hawah : Vivante) », c’est pour indiquer, de façon prophétique, qu’elle serait « la mère de tout vivant (hay) » (Genèse 3,20). Bien que cette règle de rectitude des noms n’ait pas été vérifiée sur l’ensemble des noms de l’histoire biblique, les exemples cités au fil des analyses ont été assez nombreux pour que cette correspondance nécessaire entre nom et fonction soit établie. Énoch ()אנוש, fils Seth, reçoit le nom d’« humanité souffrante » parce qu’il préfigure par ses lettres l’histoire de cette humanité en marche vers la fin des temps (de ’alèf à chin), et cela dans l’attente du retour de Seth ()שת qui la fera passer du chin au taw conformément aux lettres de son nom. Lamekh ()למך, l’inventeur d’un modèle royal contrefait, porte les lettres de « roi » ()מלך, mais dans le désordre. Noé ( )נחsera ainsi nommé parce qu’il apportera le repos ([ )נוחnwh] à l’humanité et Hénokh ( )חנוךparce qu’il annoncera la dédicace ( )חנוכהdu Temple. Ainsi donc, le choix du nom du personnage suffit à définir le scénario d’une histoire que les récits le concernant ne feront que développer. En plus de jouer un rôle conforme à son nom, donc aux lettres qui le composent, le personnage doit également agir en conformité avec le nombre que ces lettres construisent. Pour explorer cette nouvelle piste il faut commencer par dresser la liste des acteurs de l’histoire biblique et calculer les valeurs numériques des noms de chacun. Un test opéré sur les noms des 5 premiers livres – 500 noms environ – permet alors de constater que ces valeurs sont comprises entre 2 (le hittite : ht = 2) et 33 (Kedorlaomèr le roi d’Élam : kdrl‘mr = 33). Elles correspondent donc objectivement à ces 32 « sentiers de sagesse » que sont les 32 signes qui ont servi à construire l’algorithme. Pour en savoir plus, il faut alors classer les personnages en fonction de leur sentier de Sagesse en posant comme principe que ceux qui parcourent le même sentier doivent jouer des rôles comparables. C’est ainsi que la lutte fratricide primordiale entre Caïn (qyn = 15) et Abel (hbl = 12) devient la préfiguration de celle qui opposera Ésaü (‘sw = 15) et Jacob (y‘qb = 12) après le Déluge. C’est ainsi que Hénokh (hnwk = 18) devient la préfiguration de Moïse (msh = 18). Une enquête menée de façon systématique promet d’être très fructueuse. Siméon s’est enfin imposé une contrainte supplémentaire en choisissant d’organiser l’histoire autour de trois fonctions : le prêtre, le roi et le peuple 7. Comme on l’a vu, l’histoire antédiluvienne préfigure avant tout 7. Si cette tripartition présente des similitudes avec les trois fonctions duméziliennes, elle s’en distingue sur plusieurs points fondamentaux. Pour Dumézil, ces fonctions sont plus idéologiques que sociétales. Par ailleurs la tripartition qu’il décrit – roi, guerrier et producteur – réunit royauté et sacerdoce dans une même fonction alors que le modèle biblique les distingue tout en faisant du roi-prêtre un
COMME UN CANAL DÉRIVÉ DU FLEUVE
491
les rapports entre royauté et sacerdoce que les lignées de deux des fils de Jacob – Juda et Lévi – incarneront. Pour construire le modèle antédiluvien de ces deux fonctions Siméon a imaginé deux lignées, celles de Caïn et de Seth, dont les personnages construiraient le modèle de l’année solaire par le biais de leurs noms (§ 140, tableau 39). Il a, d’autre part, fait de chaque personnage antédiluvien le symbole d’une étape de cette histoire, donnant les rôles principaux aux représentants des deux institutions, Hénokh le prêtre et Lamèkh le roi, qu’il fait passer de la lignée caïnite à la lignée séthite. Le scénario de ce passage a évidemment pour fonction de fonder la supériorité du sacerdoce sur une royauté contrefaite et d’annoncer par ce biais le rôle décisif joué par Siméon lui-même dans cette histoire. Cette description sommaire du modèle arithmologique de l’histoire antédiluvienne indique que Siméon a poursuivi simultanément un double projet. Le premier était de faire de la période antédiluvienne un modèle de l’histoire postérieure. Le second était de montrer, par le biais de l’arithmologie, que ce modèle n’était lui-même que la manifestation d’une pensée divine qui avait choisi de se révéler par le biais des nombres de l’algorithme. § 241 Bible hébraïque et Bible grecque Que le texte biblique que nous possédons ait été écrit vers 200 avant notre ère conduit inévitablement à réexaminer l’histoire de ses différentes versions et leur datation. On considérait que le texte hébreu actuel était l’aboutissement d’un travail de rédaction opéré à partir de documents ou de traditions encore repérables dans l’œuvre finale. Quant à la fixation définitive de cette histoire et à la déclaration de l’intangibilité de son texte, on les repoussait aux premiers siècles de notre ère. Un tel scénario permettait d’expliquer que diverses recensions du texte biblique – grecques ou qumraniennes – aient pu attester des formes textuelles différentes de l’hébreu. Certaines pouvaient être plus anciennes que texte hébreu canonique et donc susceptibles de servir à le corriger. La version, la plus connue, et celle qui a été le plus mise à contribution pour corriger ce texte, est celle des LXX, dont la traduction des cinq premiers livres, le Pentateuque, était datée au plus tard de l’année 282 avant notre ère, donc de plus d’un demi siècle avant le pontificat de Siméon 8. Cette datation haute paraissait d’autant plus probable qu’elle se fondait sur le témoignage unanime des auteurs anciens. Dans ces conditions, la remise en question de cette antériorité de la LXX par rapport à Siméon ne peut se fonder que sur l’examen du texte grec lui-même et sur sa comparaison avec le texte hébreu. modèle idéal. Enfin la fonction de guerrier est rattachée dans la Bible à la fonction royale. 8. HARL M. – DORIVAL G. – MUNNICH O., La Bible grecque des Septante. Du judaïsme hellénistique au christianisme ancien, Paris, Cerf, 1988, p. 56-58.
492
CONCLUSION
Il est notoire que la LXX traduit l’hébreu en s’imposant comme règle d’en rendre le « mot à mot ». En règle générale, à un mot de l’hébreu correspond un mot du grec et l’ordre même des mots est le même dans les deux textes. Bien que les entorses à cette règle soient parfois nombreuses, comme dans le texte d’Ézéchiel (cf. ch.1), elles ne suffisent cependant pas à remettre en question l’interdépendance des deux versions. On doit donc admettre que l’un des deux textes – l’hébreu ou le grec – a pris l’autre comme modèle. Pour se convaincre de l’antériorité de l’hébreu on prendra comme exemple la phrase de l’hébreu qui annonce que l’action de l’Esprit de Yahvéh durera 120 ans avant que le jugement ne survienne (§169). Cette lecture repose avant tout sur l’ordre d’enchaînement de trois substantifs : « Il ne jugera pas, mon esprit (1) (qui est) dans l ’homme (2) en vue du monde (présent) (3) … Pendant que ceux-ci transgressent-par-ignorance, lui (l ’esprit est) chair Et (aur)ont existé les jours de celui-ci 120 (jours) d’(une) année (avant qu’il ne juge) ». (Genèse 6,3)
L’ordre des mots du grec est identique : « Il ne restera pas, mon esprit, dans ces hommes pour toujours Parce que ceux-ci sont chair ; Seront donc les jours de ceux-ci, 120 ans » (LXX Genèse 6,3)
Tout en respectant l’ordre des mots, cette version a le verbe « rester » à la place du verbe « juger », et le mot « homme » est mis au pluriel. Ces deux différences suffisent à faire comprendre que la règle des 120 ans s’applique à la durée de vie de l’homme lui-même et non pas à celle de l’action de l’esprit dans le monde. Quelle lecture retenir ? À s’en tenir à la comparaison des deux phrases à la lumière de ce que nous savons du rôle de l’Esprit dans la littérature judéenne ancienne, on conclura que le texte hébreu, même s’il ne datait que de la période perse, attesterait d’une théologie de l’Esprit anachronique. En retenir la lecture littérale imposerait en effet d’antidater de plusieurs siècles un thème théologique qui ne sera clairement formulé que dans les textes fondateurs du christianisme. Dans ces conditions, le texte grec paraissait préférable, aussi a-t-on choisi de corriger l’hébreu en supposant que le verbe « juger » (yadîn) était en fait une faute de scribe qu’il fallait corriger en lisant (yalîn) « passer la nuit », un verbe que le grec aurait interprété dans le sens de « rester ». Si cette correction de l’hébreu a pour effet d’occulter le rôle de l’Esprit, elle crée par contrecoup une incohérence en limitant la durée de vie maximale de l’humanité post-diluvienne à 120 ans. Les patriarches postdiluviens – à l’exception de Joseph et de Moïse – dépasseront allègrement cette limite aussi bien dans le texte grec que dans le texte hébreu. Les modernes verront alors dans cette contradiction la preuve de l’existence de sources antérieures indépendantes
COMME UN CANAL DÉRIVÉ DU FLEUVE
493
qu’un rédacteur aurait reprises sans se soucier de l’harmoniser. Quant aux Anciens, dont l’exégèse devait garantir la perfection de l’Écriture, ils ont éliminé cette contradiction qui ne pouvait être qu’apparente en enseignant que la règle avait été énoncée 120 ans avant le Déluge et ne visait donc que l’humanité destinée à périr dans ses eaux … 120 ans plus tard. Alors que l’application des 120 ans à la durée de vie des hommes, en contradiction flagrante avec l’ensemble de l’histoire patriarcale, n’est sauvée que par un tour de passe-passe exégétique, l’application des 120 jours à la durée de l’action de l’Esprit fournit au contraire une clé d’interprétation de toute l’histoire post-diluvienne. Pour s’en convaincre, on se reportera au plan de l’histoire universelle décrit par la chronologie du Déluge. Construite sur le modèle de l’année solaire parfaite (le modèle 7), cette histoire l’est aussi en fonction des 120 jours de l’Esprit divisés en trois périodes de 40 jours (modèle 10). Le monument des « dix plaies d’Égypte » en apporte une confirmation surprenante (§ 203 : Tableau 52). Toute l’histoire postdiluvienne, de Noé jusqu’aux 120 ans de Moïse a en fait été pensée et écrite par Siméon en fonction de l’annonce antédiluvienne des 120 ans de l’Esprit, ce qui ne peut en aucun cas être conciliable avec la reprise d’un texte antérieur non soumis aux règles de la lecture littérale. § 242 L’actualisation du sens des Écritures Renoncer à chercher les traces d’une préhistoire du texte hébreu dans le texte grec ne diminue en rien l’importance de ce dernier, bien au contraire. S’il ne peut plus être daté d’avant la réforme de Siméon, il devient alors le témoin de la réception de cette réforme par la communauté judéenne d’Égypte, voire par l’ensemble de la diaspora hellénophone. Comme on l’a entrevu à propos des 120 ans de l’Esprit, le traducteur n’a pas fait œuvre servile, bien au contraire, il a fait appel des techniques de réécriture qui lui permettaient de renouveler le sens de son modèle tout en le respectant, autant que faire se pouvait. On peut donc avancer l’hypothèse que cette technique de « réécriture » par le biais de la traduction, correspondait à un projet cohérent destiné à adapter le message du Temple de Jérusalem aux besoins des communautés hellénophones de la diaspora. Si tel était le cas, la LXX deviendrait alors le premier chaînon d’une histoire de l’interprétation qui aurait débuté dans les décades qui suivirent la mort de Siméon. Un exemple suffira à illustrer l’intérêt d’aborder le texte grec dans cette perspective. Dans l’hébreu, la période antédiluvienne dure 1656 ans. Par le biais de la conversion de ce nombre en date, la fin de cette période coïncide, comme on l’a vu, avec le repos de l’arche sur les montagnes d’Ararat. En passant alors de l’arithmologie à la lecture littérale, on découvre que ces montagnes que la tradition situe en Arménie préfigurent en fait les montagnes
494
CONCLUSION
de Palestine et, avant tout, celle où sera construit le Temple de Jérusalem (§ 111). Le modèle antédiluvien hébreu suggère donc qu’un plan divin arrêté dès le Déluge a prévu que l’humanité trouverait le repos à Jérusalem et dans son Temple, comme l’enseignait Ben Sira (Ecclésiastique 24). Tableau 65 Chronologie comparée de l’hébreu et de la Septante Durée de vie
Avant engendrement
Après engendrement
Vie totale
Hébreu
Grec
Hébreu
Grec
Hébreu
Grec
Adam
130
230
800
700
930
930
Seth
105
205
807
707
912
912
Énôs
90
190
815
715
905
905
Kainan
70
170
840
740
910
910
Maleleêl
65
165
830
730
895
895
Yaréd
162
162
800
800
962
962
Énoch
65
165
300
200
365
365
Mathusalem
187
167
782
802
969
969
Lamech
182
188
595
565
777
753
Noé
500
500
Sem, Cham, Japhet
100
100
Déluge
1656
2242
Le traducteur grec suit de très près son modèle hébreu. Le nombre des personnages, leur ordre et leurs noms sont identiques et les énoncés sont construits en suivant l’ordre de l’hébreu. Il en va de même de la durée de vie totale des acteurs, sauf pour le dernier d’entre eux, Lamèkh. À l’examen, la différence entre les deux textes porte, pour l’essentiel, sur la durée de vie des patriarches avant engendrement, c’est-à-dire sur les nombres servant à calculer la durée de la période antédiluvienne. Au lieu des 1656 ans de l’hébreu on obtient alors une durée de 2242 ans. La conversion de ce nombre en date, en prenant pour référence le calendrier de l’année parfaite du texte hébreu, montre alors que son choix correspond à une intention exégétique précise. Comme celui de l’hébreu, il renvoie en effet à une date de l’histoire du Déluge, mais au lieu de faire coïncider l’accomplissement du modèle avec le repos de l’Arche sur la montagne du Temple, il le met en rapport avec la sortie de Noé et de ses fils hors de l’Arche 9. Le lecteur initié peut alors comprendre que ce nouveau plan divin prévoit que l’huma9. 2242 = (364 x 6) + 58 = 1 + 30 + 27 = 27e jour du 2 ème mois, date de la sortie de l’Arche (LXX Genèse 8, 14).
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nité postdiluvienne ne trouvera pas le repos dans l’Arche-Temple de Jérusalem, mais seulement après en être sorti. Pour mesurer les implications de cette réinterprétation, il faut alors la recouper avec d’autres innovations du texte grec. Dans le texte hébreu, l’ordre des lettres du mot « Arche » (TYBH : tèvah) est inversé par rapport à celui des lettres du mot Temple (HBYT : habayit). On doit en déduire que le Temple de Jérusalem a été construit à la ressemblance de l’Arche conçue par Élohim avant le Déluge et que sa construction terrestre a été soumise à cette règle de l’inversion qui caractérise les reproductions sensibles de modèles intelligibles. L’Arche (tévah) du Déluge du texte hébreu ne présente aucun rapport avec l’Arche (’aron) d’alliance dans laquelle ont été déposées les Tables de la Loi. Cette homonymie des deux Arches, qui nous est familière, est une innovation de la LXX qui a traduit les deux mots de l’hébreu (tévah et ’aron) par le même équivalent grec (kibotos). Lorsque l’on conjugue la modification de la nouvelle durée de la période antédiluvienne avec la synonymie entre les deux Arches un nouveau plan divin se dessine. Le repos annoncé par Noé n’est plus destiné au peuple judéen resté fidèle au Temple de Jérusalem, mais à ceux qui en sont sortis. On retrouve alors, en substance, dans le texte grec, la thèse qui sera développée aussi bien dans le Livre d’Esdras que dans la Lettre d’Aristée : celle d’une Torah qui échappe au monopole du Temple de Jérusalem pour être mise à la disposition du peuple… et dans la langue du peuple. Mais cette sortie de l’Arche ne signifie pas l’abandon de la Torah qui y est déposée, bien au contraire. Comme le prouve l’acte même de traduction qu’est la LXX, il s’agit d’une réappropriation de cette Torah par la diaspora égyptienne. Comme Esdras et comme le grand prêtre Éléazar de la Lettre d’Aristée, le Noé de la version grecque sort de l’Arche-Temple en emportant avec lui les tables de la Loi. Lorsque les 72 anciens descendent du navire qui les a conduits de Judée jusqu’au port d’Alexandrie et présentent au roi Ptolémée le rouleau de la Torah qu’ils ont apportés, ils ne font qu’accomplir les Écritures 10. § 243 Histoire et modèle de l’histoire La densité impressionnante du réseau arithmologique sous-jacent au texte hébreu, aussi bien que la logique qui en commande la rédaction 10. Ce qui vient d’être dit de l’origine du texte de la LXX et de son projet d’actualisation du sens des Écritures pourrait également s’appliquer à d’autres versions anciennes et particulièrement à la Torah des Samaritains (voir BARC B., Les arpenteurs du temps, Prahins, Éditions du Zèbre, 2000, § 79-85). De même, il n’est pas exclu que certaines variantes des manuscrits bibliques découverts dans le Désert de Juda visent à actualiser le sens de l’hébreu. En tout état de cause, comme ces variantes ne peuvent être antérieures à la Bible de Siméon, on doit donner raison à d’E. Tov et considérer que ces copies dépendant d’un texte étalon, celui de Siméon, qui, selon la tradition juive, était conservé au Temple (§ 12).
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jusque dans les moindres détails, imposent, comme on l’a dit, de faire de l’histoire biblique une œuvre écrite de première main par Siméon dans une langue entièrement reconstituée en fonction de son projet. Dans ces conditions, l’hypothèse de strates littéraires de périodes différentes qu’il serait encore possible de distinguer par la seule critique interne des textes perd toute vraisemblance. L’abandon définitif de la théorie des sources et de ses avatars s’impose donc et devrait d’ailleurs être bien accueillie par l’immense majorité des exégètes. Depuis plusieurs décennies déjà, ils lui ont substitué d’autres approches (sémiotique, narratologie, rhétorique) qui relèguent au second plan les questions relatives aux étapes de rédaction du récit biblique. Que Siméon ait voulu faire de l’histoire biblique une préfiguration de l’histoire judéenne de la période postbiblique et de sa propre histoire, impose inévitablement de s’interroger sur la valeur historique des événements relatés dans son oeuvre. Bien que Siméon ait respecté, en apparence, les critères de composition codifiés par les historiens grecs, son objectif premier n’a pas été de rapporter fidèlement l’histoire passée des Judéens, mais de montrer à ses contemporains en quoi cette histoire passée – réelle ou reconstituée – était une préfiguration de ce que devait être leur propre histoire conformément au plan divin. Le plus déroutant pour le lecteur du XXIe siècle est, sans doute, de découvrir le soin avec lequel Siméon a voulu les convaincre de la place centrale que lui-même occupait dans ce plan (§ 237). Pour réaliser son projet il a dû non seulement sélectionner les événements qui le servaient, mais aussi les reformuler entièrement pour les conformer aux impératifs draconiens de l’arithmologie et de la lecture littérale. Ce qui est vrai des événements de l’histoire passée l’est aussi des personnages puisque, comme on l’a dit, ne pouvaient être retenus que des personnages dont le nom et la fonction étaient jugés – ou rendus – conformes au plan d’ensemble. Peut-on encore se fonder sur le récit biblique pour connaître l’histoire de la Judée de la période royale et à plus forte raison celle des périodes antérieures ? Le livre d’Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, intitulé La Bible dévoilée 11 illustre bien les difficultés d’une entreprise qui vise à confronter Bible et histoire. Dans un prologue intitulé « Au temps du roi Josias », Silberman, le bibliste, considère comme une évidence, que « Pendant le règne du roi Josias (de -640 à -609) les dirigeants de Jérusalem ont jeté l’anathème sur la moindre trace de vénération des déïtés étrangères… Ils se lancèrent dans une vigoureuse campagne de purification religieuse à travers le pays et ordonnèrent la destruction de tous les sanctuaires locaux… Dorénavant le Temple qui surplombait Jérusalem… devait 11. FINKELSTEIN I. – SILBERMAN N.-A., La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l ’archéologie, Paris, Bayard, 2002.
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être reconnu comme l’ « unique » lieu de culte légitime pour l’ensemble du peuple d’Israël. Le monothéisme moderne est né de cette innovation ».
Mais alors que Silberman fait du règne de Josias, celui de la « Grande Réforme » d’où serait né le monothéisme moderne et accorde une valeur historique incontestable au récit biblique, l’archéologue Finkelstein est contraint, quant à lui, de reconnaître que « l’archéologie n’a pas fourni de preuve convaincante des réalisations spécifiques de Josias » 12 . La centralisation du culte dans le seul Temple de Jérusalem et la destruction de tous les temples concurrents ne peut être fondée sur aucune évidence archéologique : « Le temple de Bethel, – cible première de Josias dans sa campagne contre l’idolâtrie – n’a toujours pas été identifié » (§ 94) et le seul autre temple contemporain de Josias découvert à Jérusalem ne semble pas avoir été détruit à cette époque. Un seul fait pourrait corroborer la réforme. Les représentations de dieux cananéens sur les cylindres sceaux deviennent plus rares en Judée à cette période, mais, a contrario, le même phénomène est également constaté, quoique à un degré moindre, dans les pays voisins de Moab et d’Ammon non visés par cette réforme. En fait la seule évidence archéologique indiscutable plaiderait plutôt en faveur de la thèse inverse. Selon Finkelstein, « Dans les quartiers d’habitation de tous les sites importants de la fin du VIIe siècle on a retrouvé un grand nombre de figurines qui représentent une femme debout soutenant ses seins avec ses mains (identifiée généralement à la déesse Ashérah) ». On a là une preuve indiscutable de la persistance du polythéisme. Pour maintenir la vraisemblance du récit biblique, on peut tout au plus, comme le fait Finkelstein, minimiser la contradiction en admettant que « au moins pour ce qui concerne le domaine privé, ce culte très populaire paraît s’être poursuivi, en dépit des instructions religieuses imposées par Jérusalem » (p. 428). Il est évident qu’en l’absence du témoignage biblique, les archéologues n’auraient à aucun moment envisagé l’hypothèse d’une réforme religieuse sous le règne de Josias. Les seuls faits corroborés par l’épigraphie auraient été la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor et l’exil du roi Joachin à Babylone. Pour juger de l’historicité de cette réforme – c’est-à-dire pour juger de l’essentiel – nous ne disposons plus que de l’œuvre de Siméon qui fait de la fin de l’histoire royale le modèle d’une entrée manquée dans le jubilé dont la conséquence aurait été la dispersion des trois communautés à Babylone, en Palestine et en Égypte (§105-107). Une telle présentation de l’histoire visait avant tout à inviter les contemporains de Siméon à ne pas reproduire les erreurs passées et à adhérer à cette Torah dont la « redécouverte » dans le Temple avait été prophéti12. FINKELSTEIN I. – SILBERMAN N.-A., La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l ’archéologie, Paris, Bayard, 2002, p. 426.
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sée par l’histoire de Josias. Dès lors on ne peut plus se fonder sur le seul témoignage de la Bible pour dater l’origine de « monothéisme moderne », comme le fait Silberman. On doit confronter la version biblique aux documents extrabibliques de la période perse et hellénistique qui fournissent quelques indices de ce que fut la religion judéenne entre l’exil en Babylonie et la réforme de Siméon. § 244 La religion judéenne à la période perse L’histoire de la Judée que Siméon écrit vers 200 avant notre ère, s’arrête au moment du retour en grâce de Joachin (561 avant notre ère ?) et passe sous silence l’histoire postérieure. Cela n’est que partiellement vrai de la période perse dont les débuts sont évoqués dans les livres d’Aggée et de Zacharie. Mais les personnages de Zorobabel et de Josué mis en scène sont plus emblématiques qu’historiques. (§ 189). Pourtant ce silence ne signifie pas que Siméon se désintéresse de l’histoire de ces périodes, mais plutôt qu’il a choisi d’en réserver la connaissance aux seuls initiés capables de la lire en filigrane dans l’histoire biblique. Autant dire que notre connaissance de la Judée de la période perse dépend exclusivement des témoignages non bibliques qui nous sont parvenus. On a vu que le propos de l’auteur des livres d’Esdras-Néhémie était de confirmer la redécouverte de la Torah sous le règne de Josias et d’en antidater la promulgation au début de la période perse en l’attribuant à Esdras. Par ce biais, le rôle historique de Siméon se trouvait occulté au profit du fondateur éponyme du mouvement pharisien. Pour écrire son ouvrage l’auteur pharisien – qui écrit probablement vers 100 avant notre ère – s’est servi de documents antérieurs qui se rapportaient au rôle joué par Néhémie. Alors que Siméon ne fait pas mention du personnage – probablement parce qu’il ne lui reconnaît pas le statut de précurseur de sa réforme religieuse – son rôle dans l’histoire « profane » de la Judée est attesté par les auteurs postérieurs. Le deuxième livre des Maccabées, probablement écrit sous le règne d’Alexandre Jannée (103/76 avant notre ère), à une époque où la Judée a retrouvé son indépendance, reconnaît à Néhémie le mérite d’avoir doté Jérusalem d’une bibliothèque. Bien que Ben Sira soit un fidèle disciple de Siméon, il ne tait pas l’existence de Néhémie et juge bon de l’ajouter à la liste des grands ancêtres qui préparèrent la venue du grand prêtre. Il en fait même son précurseur direct et dit de lui : « De Néhémie aussi le souvenir est hors pair, lui qui a relevé nos murs tombés, qui établit portes et verrous, qui ressuscita nos demeures » (Ecclésiastique 49,12).
Ce même rôle de bâtisseur de Jérusalem lui est reconnu par le rédacteur du livre d’Esdras-Néhémie qui inclut dans son œuvre des « Paroles
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de Néhémie », des Mémoires qui rapportent en détail la reconstruction des murs de Jérusalem malgré l’opposition de Sanballat de Samarie et de Tobiyah (Néhémie 2, 1-7, 5). Il n’y a pas lieu de douter de l’authenticité de ces Mémoires, ce qui n’exclut cependant pas que le rédacteur du livre double d’Esdras-Néhémie ne les ait remaniés pour les inclure dans sa synthèse. Son traité est en effet un monument complexe, inspiré par les méthodes de composition de la Bible elle-même. Il conjugue en effet deux calendriers. Le livre d’Esdras proprement dit (Esdras 7, 1-10, 44) suit le calendrier solaire conforme à l’algorithme alors que le livre de Néhémie ainsi que la section du livre d’Esdras rédigée en araméen, suivent le calendrier lunaire babylonien en usage à la cour perse (§ 34). Au double titre de l’ouvrage et à son double calendrier – religieux pour Esdras et profane pour Néhémie – s’ajoute le fait que l’ouvrage est écrit en une double langue, dans la langue profane de la Judée (l’araméen) et dans sa langue sacrée (l’hébreu). Pour un lecteur au fait de l’herméneutique de la période du temple, un tel procédé d’écriture « à double hauteur » devait signifier que cette œuvre entendait s’inscrire dans la continuité de la Bible à double auteur écrite de Siméon. Si l’histoire d’Esdras devait être lue comme une « prophétie » de l’histoire pharisienne, mise en scène à la période perse, celle de Néhémie pouvait alors être lue, en contrepoint, comme la version pharisienne de l’histoire profane de la Judée à la même période, une version fondée au moins en partie sur des documents que Ben Sira aurait connus. Le travail rédactionnel opéré par le dernier rédacteur d’Esdras-Néhémie est cependant si complexe 13 qu’il n’est pas sûr qu’il nous permette encore d’accéder à autre chose qu’une reconstitution « théologique » de l’histoire de la période perse 14 . Pour entrevoir ce qu’a pu être l’histoire religieuse de la Judée à cette période perse, il faut également verser au dossier les archives d’une garnison de mercenaires judéens en poste à la frontière sud de la Haute Égypte, à Éléphantine. Ces archives, dont certaines pièces sont datées, ont été constituées entre 440 et 400 avant notre ère, pendant la période de domination perse sur l’Égypte. Elles pourraient donc être en partie contemporaines de la mission de Néhémie à Jérusalem (445/432 avant notre ère ?) 15. Parmi ces documents, dont l’authenticité est assurée, trois ont particulièrement retenu l’attention des biblistes dans la mesure où ils concernaient directement la vie religieuse de ces mercenaires judéens et les rapports 13. ABADIE P., « Esdras-Néhémie », dans RÖMER T. – MACCHI J.-D. – NIHAN C. (éd.), Introduction à l ’Ancien Testament, Genève : Labor et Fides, 2004, p. 883-593. 14. Le Livre XI des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe qui traite de la période perse présente une version de l’histoire presque exclusivement fondée sur les livres d’Esdras-Néhémie, d’Esther et de Daniel. 15. GRELOT P. Documents araméens d ’Égypte (Introduction, traduction, présentation), Paris Le Cerf, 1972. p.345-420.
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qu’ils entretenaient avec le gouverneur de Judée et le Temple de Jérusalem. Ils font en particulier référence à un grand prêtre nommé Yohanan, également mentionné par le livre d’Esdras-Néhémie et par Flavius Josèphe. Le premier document dresse la liste des fidèles qui se sont acquittés du « denier du culte » auprès du Temple de la garnison, le Temple de Yaho. Il indique que la somme recueillie avait été affectée par les donateurs aux membres d’une triade divine : « L’argent qui est parvenu en ce jour aux mains de Yédonyah fils de Gamaryah, au mois de Pamenhotep, (constitue) une somme de 31 karch 8 sicles, dont : Pour Yahô, 12 k(arch) 6 s(icles). ; Pour ’Achim-Bêt’el, 7 karch ; Pour Anat-Bêtel, 12 karch. » (N° 89, lignes 119-124)
Le deuxième document, intitulé « Papyrus pascal » par ses éditeurs, est daté de la 5e année de Darius II (419-418 avant notre ère). Il est adressé à la garnison juive par un certain Hananyah en exécution d’un ordre du roi Darius. Le texte, très abîmé, vise à imposer à la garnison un calendrier des fêtes judéennes qui paraît être conforme à celui de la Bible (Exode 12, 15-20 et Lévitique 23, 5-8). Aussi les éditeurs se sont-ils sentis autorisés à combler les nombreuses lacunes – entre [] dans le texte – en se référant à la version biblique : Et maintenant, cette année-ci, l’an 5 du roi Darius, il a été mandé par le roi à Archama : […………………..] Maintenant vous comptez ainsi quator[ze jours depuis le premier jour des Nissan, et faîtes la Pâque]. Et depuis le 15e jour jusqu’au 21e jour de [Nissan, ce sera pour vous la fête des Azymes. Maintenant, vous], soyez purs et prenez garde : ne [ faites pas] de travail [le 15e ni le 21e jour. En outre] ne buvez pas [de bière], et [ne mangez] rien de fermenté. [Mangez des azymes depuis le 14 e jour de Nisan au] coucher du soleil jusqu’au 21e jour de Nisa[n au coucher du soleil. Pendant 7 jours n’introduisez pas le levain] dans vos chambres et tenez-le à l’écart pendant ces jours-là » (N° 96 lignes 1-10)
Cet ordre, venant de l’administration centrale perse, ne vise probablement qu’à fixer un calendrier des fêtes qui garantisse un bon fonctionnement du service des contingents de mercenaires judéens de l’Empire. Les dates de ce calendrier doivent en revanche avoir été dictées à l’administration par une autorité religieuse judéenne, selon toute vraisemblance celle du Temple de Jérusalem. Malgré le mauvais état du document, cette « lettre pascale » prouve donc que le rituel codifié par Siméon dans la Bible reprenait, au moins en partie, celui de fêtes célébrées à la période perse… mais sans que cela permette de connaître la portée symbolique de ces rites de la Pâque et des Azymes. Le troisième document est constitué par un lot de lettres postérieures à 410 avant notre ère. Elles ont pour sujet la destruction du temple de
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Yaho par les Égyptiens et les démarches entreprises auprès des gouverneurs de Samarie, de Judée et du grand prêtre Yohanan pour obtenir sa reconstruction. Les prêtres d’Éléphantine reprochent à ce grand prêtre, à qui ils ont adressé des suppliques pendant trois ans, de ne pas avoir agi en faveur de la reconstruction de leur temple. Ils s’adressent alors aux gouverneurs de Judée et de Samarie pour obtenir celle-ci et l’obtiennent… avec comme seule réserve de ne plus offrir d’holocaustes. Faut-il justifier le silence du grand prêtre du Temple de Jérusalem par son opposition à la reconstruction d’un temple judéen dédié à une triade divine ? Cela n’est pas impossible, mais on peut en douter. On ne comprendrait pas que les prêtres d’Éléphantine aient sollicité son intervention en faveur de la reconstruction de leur temple polythéiste, s’ils n’avaient eu des raisons d’espérer une réponse favorable. Pour compléter ce maigre dossier, on doit enfin mentionner une littérature aux relents de paganisme qui continua à circuler en Judée longtemps encore après la réforme de Siméon. Elle avait pour thème la révolte et le châtiment de géants. Une version en a été conservée dans le Livre d’Hénoch éthiopien 16. On a par ailleurs retrouvé, parmi les manuscrits du désert de Juda, de nombreux fragments d’un « Livre des Géants » qui développe les mêmes thèmes 17. L’allégorie biblique de l’union des fils d’Élohim et des filles d’Adam (§ 171) pourrait être une réinterprétation de cette littérature. Somme toute, nous ne disposons que de peu de témoignages extrabibliques antérieurs à la réforme et qui ne suffisent pas à nous informer sur l’attitude du Temple de Jérusalem à l’égard des temples locaux avant la réforme de Siméon. § 245 Israël et le monothéisme En datant la rédaction finale de l’histoire biblique de la période perse, on la protégeait de toute contamination par l’hellénisme. Sur un point aussi fondamental que celui de l’origine du « monothéisme moderne », l’attribution de cette découverte à Josias et à sa « Grande Réforme » – vers 613 avant notre ère – permettait de faire de Platon – dont l’Académie ne fut fondée qu’en 387 avant notre ère – un disciple de Moïse. Cette thèse, comme l’indiquait la citation placée en exergue de ce livre, était défendue par Flavius Josèphe dans le Contre Apion :
16. CAQUOT A., « I Hénoch », dans DUPONT-SOMMER A. – PHILONENKO M. (éd.), La Bible, Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, 1987, p. 465-625. 17. BERTHELOT K. – LEGRAND T. – PAUL A., La bibliothèque de Qumran, I, Paris, Le Cerf, 2008, p. 153-237.
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« Quant à Dieu lui-même, Moïse montra qu’il est unique, incréé, éternellement immuable, plus beau que toute forme mortelle, connaissable pour nous par sa puissance, mais inconnaissable en son essence. Que cette conception de Dieu ait été celle des plus sages parmi les Grecs, qui s’inspirèrent des enseignements donnés pour la première fois par Moïse, je n’en dis rien pour le moment ; mais ils ont formellement attesté que cette conception de Dieu est belle et convient à la nature comme à la grandeur divine ; car Pythagore, Anaxagore, Platon, les philosophes du Portique qui vinrent ensuite, tous, peu s’en faut, ont manifestement eu cette conception de la nature divine.
Maintenant que le rôle de Siméon est connu, la suite du texte de Flavius, qui fait mention d’un « Législateur » que l’on identifiait tacitement à Moïse lui-même, prend un relief nouveau : « Mais tandis que la philosophie (des Grecs) s’adressait à un petit nombre et qu’ils n’osèrent pas apporter parmi le peuple, enchaîné à d’anciennes opinions, la vérité de leur croyance, notre Législateur, en conformant ses actes à son discours, ne persuada pas seulement ses contemporains, mais il mit encore dans l’esprit des générations successives qui devaient descendre d’eux une foi en Dieu innée et immuable. » (Contre Apion II, 168-169).
En fin connaisseur des Écritures, Flavius savait bien que Moïse n’avait pas « persuadé ses contemporains » et encore moins les « générations successives qui devaient descendre d’eux ». Toute l’histoire biblique est là pour le confirmer. Flavius, qui disait avoir fait le tour de toutes les sectes juives avant d’adhérer à celle des pharisiens, devait identifier ce Législateur à Esdras, mais ne devait pas ignorer que le fondateur éponyme du mouvement pharisien n’était qu’un avatar de Siméon lui-même. Tout en maintenant que Moïse était bien le père du monothéisme, c’était donc au sacerdoce de la période hellénistique que Flavius attribuait le mérite d’avoir réalisé ce que les Grecs avaient été incapables de faire : « apporter parmi le peuple (judéen), enchaîné à d’anciennes opinions, la vérité de la croyance (en un Dieu unique) ». La lecture littérale du texte hébreu nous permettra certainement d’en savoir beaucoup plus sur ce qu’étaient ces « anciennes opinions ». On se contentera ici d’évoquer le sujet par le biais de l’emploi biblique des noms d’Élohim et de Yahvéh. Comme l’enseignait encore Philon d’Alexandrie au début de notre ère, Élohim est la « fonction créatrice » du Dieu invisible et Yahvéh sa « fonction royale », celle qui impose sa loi à Israël. Les deux guident l’humanité vers la connaissance du Dieu invisible, mais par des voies différentes. La voie de connaissance symbolisée par Élohim a été inscrite en Adam dès sa création « à l’image d’Élohim » 18. Tous ses des18. Alors que le nom de Él (’l) au singulier comme au pluriel Élim (’lym) est attesté dans les documents épigraphiques, tout porte à croire que celui d’Élohim
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cendants en ont donc hérité. Elle s’est d’abord transmise de fils unique en fils unique jusqu’au Déluge, puis a été partagée entre chacun des 70 peuples après la dispersion de Babel. La lignée d’Abram, comme les autres lignées, a donc reçu sa part de la connaissance inscrite par Élohim dans sa création. Ce n’est qu’après sa sortie d’Égypte, lorsque Yahvéh aura révélé son nom, que les descendants d’Abraham bénéficieront d’une deuxième voie de connaissance qui les distinguera des autres nations. Le défi qu’il leur faudra alors relever sera d’opérer la synthèse entre ces deux voies qu’ils sont seuls à connaître, entre leur propre foi et la sagesse qu’ils partagent avec les nations. La première étape de cette synthèse est résumée par Siméon dans la formule : « Entends Israël : Yahvéh (est) notre Élohim (c’est-à-dire que) Yahvéh (est) Un ». (Deutéronome 6, 4)
Tous les mots comptent et d’abord l’injonction d’« entendre » ! Elle signifie qu’à ce moment de leur histoire les fils d’Israël sont encore privés de la vision et condamnés à marcher dans les ténèbres. Au cours de cette marche ils ne pourront réaliser qu’une synthèse imparfaite entre le dieu Yahvéh, dont ils ont reçu la révélation au Sinaï, et leur Élohim, cette part de connaissance de Dieu par la raison dont ils ont hérité en propre après la dispersion des peuples. Cette synthèse, encore imparfaite, leur permettra seulement de dire : « Yahvéh (est) notre Élohim », notre représentation propre de la divinité. Quant à la formule « Yahvéh (est) Un », placée en apposition, elle doit être interprétée par référence au paradigme du mot « Un » (’éhad). On est alors renvoyés à l’algorithme qui indique que l’architecture numérique sur laquelle se construit l’histoire universelle procède de ce « Un », principe de tous les nombres. « Yahvéh (est) Un » doit alors signifier que c’est à Yahvéh, et à Yahvéh seul qu’il revient d’organiser l’histoire jusqu’à son accomplissement. On rejoint là le thème des 120 jours de l’Esprit de Yahwéh. C’est seulement lorsque ces 120 jours de l’Esprit seront accomplis – le jour même de la mort de Moïse à l’âge de 120 ans – qu’Israël accédera à la « vision » et sera alors en mesure d’opérer la synthèse parfaite annoncée par Moïse : « (À) Toi, on a fait voir en vue de connaître : Car Yahvéh (est) l ’Élohim et il n’en est pas d’autre que lui. » (Deutéronome 4, 35-36)
(’lhym) est un néologisme forgé par Siméon pour exprimer, par le biais de l’écriture, l’ensemble des représentations que l’humanité s’est faite de la divinité au cours de son histoire. Él (’l) est un nom masculin singulier qui se transforme en féminin par l’adjonction du suffixe du féminin (Éloah : ’l-h) et en pluriel quand il reçoit la marque du pluriel (’Élohim : ’l-h-ym).
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CONCLUSION
En accédant à la « vision », l’Israël réunifié « connaîtra » que le dieu du Temple de Jérusalem dont le nom est Yahvéh, est le Dieu (ha-’élohim), la synthèse parfaite des représentations divines partielles des 70 peuples. L’ambition de Siméon est donc bien celle du « Législateur » dont parle Flavius Josèphe. Comme Moïse il entend montrer que « Dieu est unique, incréé, éternellement immuable, plus beau que toute forme mortelle, connaissable pour nous par sa puissance, mais inconnaissable en son essence ». § 246 La mise en œuvre de la réforme Lorsque Siméon prit ses fonctions à Jérusalem, vers 225 avant notre ère, la Judée était sous le contrôle des Ptolémées d’Égypte depuis près d’un siècle. Depuis deux, voire trois générations, l’élite judéenne avait été soumise à la politique d’hellénisation systématique menée par Alexandrie. Les traditions religieuses des temples locaux avaient été respectées – on pouvait à la fois helléniser et judaïser – mais dans le même temps, la culture grecque et les dieux des Grecs avaient acquis droit de cité au moins dans les nouvelles villes hellénistiques de la côte et du nord de la Palestine. Si l’on admet que la réforme de Josias est une préfiguration de celle de Siméon, la description de la religion judéenne avant Josias doit pouvoir s’appliquer à la situation que trouva Siméon à la veille de sa propre réforme. S’il en est ainsi, le catalogue impressionnant des cultes impies pratiqués avant la réforme de Josias doit pouvoir se prêter à une lecture actualisante (2 Rois 23, 4-20). Dans les livres des Rois, l’introduction de ces pratiques polythéistes est imputée aux rois d’Israël et de Juda. Salomon aurait construit des temples pour accueillir les dieux de ses épouses étrangères. Quant aux rois d’Israël et de Juda ils se seraient également montrés accueillants à l’égard des « autres Élohim ». La lecture littérale de ces modèles bibliques de syncrétisme pourra probablement conduire à une meilleure appréciation des pratiques religieuses judéennes antérieurement à la réforme, mais permettra surtout de préciser la nature de ce projet de réforme. Faire en sorte que Yahvéh, devienne l’Élohim par excellence, implique d’opérer une synthèse entre Yahvéh, le dieu national, et les conceptions de la divinité enseignées par les philosophes. Siméon se proposait-il de convertir le peuple judéen à la culture hellénistique, comme le lui reprocheront les maîtres de Yavnéh ? Se proposait-il au contraire de contrer cet hellénisme envahissant en faisant de Jérusalem une nouvelle Alexandrie et de son Temple une nouvelle Académie, comme le pensait Ben Sira ? Autant que j’en puisse juger, cette seconde hypothèse me semble la plus probable. La lecture littérale permet d’entrevoir qu’une telle réforme centralisatrice du culte autour du Temple de Jérusalem suscita une résistance de la
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part du clergé judéen. Une lecture actualisante de la réforme de Josias suggère en effet que les prêtres des sanctuaires locaux furent écartés de l’exercice du sacerdoce dans le nouveau Temple. « Les prêtres des hauts lieux ne montaient pas à l’autel de Yahvéh à Jérusalem, ils ne faisaient que manger des azymes au milieu de leurs frères (2 Rois 23,9).
Ils auraient dû se soumettre à la réforme et manger ces azymes, dont Siméon avait fait des symboles de fidélité aux commandements (§ 177). Qu’ils soient invités à manger ces azymes « au milieu de leurs frères » doit également être interprété à la lumière du paradigme du mot « frère », celui des premiers frères ennemis que furent Caïn et Abel (Genèse 4, 2). Probablement faut-il comprendre que ces prêtres des hauts lieux, représentés comme des caïnites au service des autres dieux, durent se soumettre à la lignée séthite des prêtres oniades. Il y eut également conflit entre le grand prêtre oniade et le clergé de Jérusalem. Il est évoqué dans le conflit paradigmatique qui opposa Éléazar (= Siméon) à Pinhas (= le clergé aaronide). L’issue de ce conflit avait été annoncée par un homme d’Élohim à Héli, le père de Pinhas (1 Samuel 2, 27-36) : « Tes deux fils, Hofni et Pinhas, mourront tous deux le même jour. Alors je susciterai pour moi un prêtre fidèle : il agira suivant ce qui est en mon coeur et dans mon âme, je lui bâtirai une maison durable et il marchera en présence de mon oint tous les jours. Et il adviendra que quiconque sera resté dans ta maison viendra se prosterner devant lui pour une obole d’argent ou une boule de pain et il dira : Daigne m’admettre à l’une des fonctions sacerdotales pour que je mange un morceau de pain. (1 Samuel 2, 34-36)
À la différence du clergé des hauts lieux, les prêtres du Temple de Jérusalem furent maintenus en fonction mais dans des rôles subalternes, et à condition d’avoir fait acte de soumission en venant se prosterner devant le nouveau grand prêtre. Il faudrait également croiser ces bribes d’information avec l’interprétation allégorique des dernières phrases du Cantique des Cantiques qui indiquent que Siméon ne put imposer sa réforme qu’après de nombreux efforts et grâce à l’appui du groupe de ses « compagnons » (§ 215). On peut s’attendre à ce que la lecture littérale transforme de nombreux textes bibliques en prophéties de la réforme et permette d’en saisir progressivement les intentions et la portée. Nous n’en sommes pas encore là.
506
CONCLUSION
§ 247 Une réforme destinée à l’ensemble du peuple judéen Que l’accès au sens allégorique soit réservé aux proches du Temple ne doit pas faire oublier que l’ambition de cette réforme était de réunifier l’ensemble du peuple judéen autour du Temple et de sa Loi. Il fallait donc que le sens « visible » de la Bible soit accessible à tous. La nécessité d’une traduction araméenne du texte – le Targum – a donc dû s’imposer dès la mise en œuvre de la réforme. Cependant, comme celle-ci s’adressait à un peuple en grande majorité illettré, elle a pu rester orale dans un premier temps. Il est cependant peu probable que Siméon n’en n’ait pas contrôlé lui-même le contenu. Faire de Jérusalem le centre mondial de la culture judéenne imposait également de rendre cette histoire accessible aux communautés de la diaspora dont la langue vernaculaire était le grec. Si rien n’autorise à penser que Siméon ait pu réaliser lui-même une traduction grecque, la lecture littérale du récit de descente du prophète Jérémie en Égypte, laisse entendre qu’il en a au moins annoncé la réalisation (§ 236). § 248 Siméon et la communauté judéenne d’Égypte Que Siméon ait conçu une réforme qui fasse la synthèse entre la culture traditionnelle de la Judée et de la culture grecque ne signifie pas pour autant qu’il ait eu pour projet d’acculturer les Judéens. Lorsqu’il entreprit d’écrire son histoire de la Judée, il s’inscrivait assurément dans une démarche déjà amorcée un siècle auparavant par le prêtre Bérose, auteur d’une histoire de la Babylonie, et le prêtre Manéthon, d’une histoire de l’Égypte (§ 236). Il est même possible, mais non démontrable, que Siméon se soit inspiré de leurs travaux dans la mesure où on trouve déjà chez Bérose un récit du Déluge et chez Manéthon une légende sur les persécutions que subirent les Juifs d’Égypte du fait des Égyptiens. Mais s’il s’inscrit en apparence dans la ligne de ces historiens, son but est très différent. Alors qu’ils écrivaient leur histoire en grec afin de faire connaître au public hellénophone l’antiquité de leur civilisation et de leur religion, Siméon écrit l’histoire des Judéens en hébreu, une langue qu’il a ressuscitée dans ce but. Il ne s’adresse donc pas aux Grecs, pas même aux Judéens de la diaspora dont la langue est le grec, ni même au peuple judéen dont la langue est l’araméen. Cette Écriture qui dénonce, par le biais de l’allégorie, les déviances provoquées par l’hellénisme et vise à faire de Jérusalem une nouvelle Alexandrie, s’adresse à une élite initiée au préalable à cette langue sacrée que les générations suivantes nommeront « Langue du Sanctuaire [lechon haqodèch] ». La réforme est donc avant tout celle du Temple et de son clergé même si elle fut mise à la portée du peuple aussi bien de Judée que de la diaspora par le biais de traductions.
COMME UN CANAL DÉRIVÉ DU FLEUVE
507
Afin de faire adhérer les habitants de Judée à sa réforme, Siméon a fait de l’histoire biblique une préfiguration de leur propre histoire. Il a consacré sept livres à cette entreprise – du livre de Josué au deuxième livre des Rois –, des livres dont le cadre géographique est la seule Palestine. Dans ces conditions on voit mal comment les Judéens de la diaspora qu’il voulait faire adhérer à sa réforme auraient pu y lire une préfiguration de leur propre histoire. Mais à l’inverse, il paraît inconcevable que Siméon, dont la famille appartenait à la diaspora d’Égypte, n’ait pas inclus dans son projet de réforme cette communauté judéenne d’Égypte. Elle était déjà si importante à l’époque d’Alexandre le Grand qu’elle occupait au moins un quartier d’Alexandrie. Dans la mesure où les sept derniers livres sont exclusivement consacrés à l’histoire de la Judée, l’histoire des Judéens d’Égypte ne peut donc avoir été écrite en filigrane que dans les premiers livres de l’histoire biblique – de la Genèse au Deutéronome. Cette hypothèse, à première vue audacieuse, devra bien évidemment être soumise à la lecture littérale, mais un survol, même rapide, de la période patriarcale – de la sortie de Babel à la sortie d’Égypte – suffit à en montrer la vraisemblance. Après la dispersion des peuples à partir de Babel, l’histoire biblique se focalise sur l’histoire d’Abram et de sa descendance. Dès sa sortie d’Our des Chaldéens (= Babel) le patriarche descendit en Égypte et livra son épouse Saraï à la convoitise du Pharaon (§ 19). Après son retour d’Égypte, Saraï étant stérile, il prit comme seconde épouse Hagar l’Égyptienne qui donna naissance à Ismaël. Et c’est seulement après cela, qu’Abraham entra dans l’alliance, que la stérilité de Sarah cessa et que de leur union naquit Isaac. Abraham chassa alors Hagar l’Égyptienne et son fils Ismaël qui prit une épouse égyptienne et s’en alla vivre au pays de Paran. Quant à Isaac, né après l’entrée d’Abraham et Sarah dans l’alliance, il fut le seul de tous les patriarches à ne pas descendre en Égypte. A partir de Jacob, fils d’Isaac, et de ses douze fils, l’histoire est entièrement tournée vers l’Égypte. C’est d’abord Joseph qui est vendu par ses frères et se trouve exilé en Égypte où il devient le bras droit de Pharaon. C’est sur l’ordre de Pharaon qu’il épouse Asnat – l’Athénienne ( ?) – fille du prêtre de On – l’ancêtre éponyme des Oniades ( ?) – ce On dont il est précisé qu’il était fils de Pèlèt – de Platon ( ?) (Nombres 16, 1). Lors d’une première descente des onze autre fils de Jacob en Égypte, le plus jeune d’entre eux, Benjamin, fut retenu par Joseph. Et c’est pour obtenir sa libération que le deuxième fils de Jacob, Siméon (shim‘on : « Entendez le Jubilé ! »), se constitua volontairement prisonnier. L’intérêt que Siméon porte à Benjamin s’explique probablement moins par le nom programme que Jacob lui avait imposé (bin yamin : « Il a connu les jours du Jubilé ») que par celui que lui avait donné sa mère : ben ’oni : « fils bâtisseur de mon
508
CONCLUSION
Oniade ». Au terme de l’histoire patriarcale, les ancêtres éponymes des douze tribus habitèrent dans le meilleur des districts d’Égypte, la terre de Goshen et c’est là que moururent Jacob et Joseph. On perdit alors la trace des tribus pendant plusieurs siècles, jusqu’à l’entrée en scène d’un nouveau Pharaon qui n’avait pas connu Joseph. Et c’est alors qu’un membre de la tribu de Lévi, Égyptien d’adoption, Moïse, prit en main les destinées des tribus d’Israël et les fit sortir d’Égypte pour les conduire jusqu’à la frontière de la Terre promise. L’histoire biblique serait organisée en un triptyque dont les volets latéraux annonceraient l’histoire des communautés d’Égypte et de Judée et le volet central – la période du désert – la synthèse de ces deux histoires. Si l’histoire patriarcale préfigure celle de la communauté judéenne d’Égypte, on peut alors s’attendre à ce que sa lecture littérale nous révèle la place capitale que cette communauté a occupé dans le processus de réforme entrepris par Siméon. Selon toute vraisemblance, c’est la double culture de sa communauté d’origine qu’il a mise à contribution pour opérer une synthèse entre la foi traditionnelle des Judéens de Palestine et l’enseignement des philosophes auquel il avait été initié. Mais cette synthèse ne visait pas à ramener le peuple judéen de Palestine en Égypte en l’hellénisant, mais bien au contraire à faire sortir d’Égypte les Judéens hellénisés d’Égypte, afin que tous soient réunis dans Jérusalem. Conformément à un plan divin conçu avant la création du monde, la Sagesse avait parcouru le monde entier et s’était enrichie en tout peuple et en toutes nations. Et, après avoir en vain cherché parmi elles un lieu de repos, elle s’était interrogée : « En quel héritage pourrais-je demeurer ? » Alors il me commanda, le Créateur de toute chose, celui qui m’a créée fit reposer ma tente. Il me dit : « En Jacob dresse ta tente. En Israël sois en héritage » Avant l’éternité, dès le commencement, il m’a créée, pour l’éternité je ne disparaîtrai pas. Dans la sainte tente devant lui, j’ai accompli le ministère, c’est ainsi qu’en Sion je me suis établie. Dans la cité bien-aîmée semblablement il m’a fait reposer. C’est dans Jérusalem qu’est ma puissance. Je me suis enracinée dans le peuple glorifié, dans la part du Seigneur, dans son héritage. » (Ecclésiastique 24, 3-11).
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I NDEX DES TABLEAUX
Tableau 1
Le canon de Yavnéh
Ch. 1
§2
Tableau 2
La gematria rabbinique
Ch. 1
§8
Tableau 3
Les trente-deux bâtisseurs de l’histoire d’Israël
Ch .6
§ 52
Tableau 4
Le voyage de la Sagesse
Ch. 8
§ 66
Tableau 5
La création en vingt-deux jours
Ch. 9
§ 73
Tableau 6
Les vingt-deux œuvres de la création d’après les Jubilés
Ch. 9
§ 74
Tableau 7
L’algorithme des vingt-deux lettres fondamentales
Ch. 10
§ 78
Tableau 8
Le modèle arithmologique des lettres finales
Ch. 10
§ 81
Tableau 9
L’algorithme des lettres araméennes
Ch. 10
§ 82
Tableau 10
L’algorithme des lettres paléo-hébraïques
Ch. 10
§ 83
Tableau 11
Le nombre des mots du récit de création
Ch. 11
§ 86
Tableau 12
Les nombres du texte entre nuns inversés
Ch. 11
§ 87
Tableau 13
Les vingt-six acteurs de l’histoire antédiluvienne
Ch. 11
§ 88
Tableau 14
Le calendrier de l’année solaire parfaite
Ch. 12
§ 92
Tableau 15
Les dates explicites de la Bible
Ch. 12
§ 93
Tableau 16
Les calendriers liturgiques
Ch. 12
§ 94
Tableau 17
Les périodes de l’histoire postdiluvienne
Ch. 12
§ 96
Tableau 18
Les traversées de l’humanité
Ch. 12
§ 96
Tableau 19
Les dates du ministère d’Ézéchiel
Ch. 12
§ 97
Tableau 20
Les cinquante et une générations royales
Ch. 13
§ 104
Tableau 21
La chronologie d’Adam au Déluge
Ch. 14
§ 110
Tableau 22
Du Déluge à la sortie d’Égypte
Ch. 14
§ 113
Tableau 23
De la sortie d’Égypte à la fin du royaume de Juda
Ch. 14
§ 114
Tableau 24
De la sortie d’Egypte à la fin du royaume d’Israël
Ch. 14
§ 115
516
INDEX DES TABLEAUX
Tableau 25
Les dix années d’années de l’histoire biblique
Ch. 14
§ 116
Tableau 26
Les vingt-huit générations sacerdotales
Ch. 15
§ 117
Tableau 27
Généalogie de Lévi et de ses fils
Ch. 15
§ 117
Tableau 28
La chronologie lévitique
Ch. 15
§ 118
Tableau 29
De Lévi au fils de Pinhas
Ch. 15
§ 121
Tableau 30
Les généalogies des cieux et de la terre
Ch. 16
§ 125
Tableau 31
Un modèle réalisé en quatre périodes
Ch. 16
§ 127
Tableau 32
La vie des patriarches avant et après le Déluge
Ch. 16
§ 128
Tableau 33
L’orthographe des généalogies
Ch. 16
§ 130
Tableau 34
Caïn et Abel ou la révélation du modèle jubilaire
Ch. 17
§ 135
Tableau 35
Le partage des fonctions royale et sacerdotale
Ch. 17
§ 137
Tableau 36
La généalogie caïnite jusqu’à Lamekh
Ch. 17
§ 138
Tableau 37
Lamekh et ses trois rejetons
Ch. 17
§ 139
Tableau 38
La généalogie séthite
Ch. 17
§ 140
Tableau 39
Le modèle arithmologique des cieux et de la terre
Ch. 17
§ 140
Tableau 40
La lignée séthite d’Adam au Déluge
Ch. 18
§ 143
Tableau 41
La chronologie de la période antédiluvienne
Ch. 18
§ 144
Tableau 42
Les données chiffrées de l’histoire antédiluvienne
Ch. 18
§ 146
Tableau 43
Les cinq premiers patriarches
Ch. 18
§ 151
Tableau 44
Les sept premiers patriarches
Ch. 19
§ 154
Tableau 45
Les dix premiers acteurs de l’histoire universelle
Ch. 19
§ 159
Tableau 46
Les fils de l’Élohim et leurs femmes
Ch. 20
§ 166
Tableau 47
Les choix contrefaits de royauté
Ch. 20
§ 167
Tableau 48
La gestion postdiluvienne d’un double héritage
Ch..21
§ 179
Tableau 49
La tripartition des eaux du Déluge
Ch. 22
§ 183
Tableau 50
La sagesse des prêtres, des rois et du peuple
Ch. 22
§ 183
Tableau 51
La guerre des rois
Ch. 24
§ 202
Tableau 52
Les dix plaies d’Égypte
Ch. 24
§ 203
517
INDEX DES TABLEAUX
Tableau 53
Les mesures de l’histoire royale
Ch. 24
§ 205
Tableau 54
La Généalogie de Zacharie
Ch. 25
§ 212
Tableau 55
Une chronologie de l’histoire universelle
Ch. 25
§ 216
Tableau 56
L’algorithme et l’histoire
Ch. 26
§ 220
Tableau 57
Les lettres de la syntaxe révélée
Ch. 26
§ 221
Tableau 58
Les cinq lettres finales
Ch. 26
§ 224
Tableau 59
Les mères de lecture
Ch. 26
§ 225
Tableau 60
L’arithmologie du corpus des Écrits
Ch. 27
§ 231
Tableau 61
Les acteurs du Livre de Job
Ch. 27
§ 231
Tableau 62
Le Canon des 32 livres
Ch. 27
§ 234
Tableau 63
Une Écriture sur le modèle de la Création
Ch. 27
§ 235
Tableau 64
Les 26 acteurs de l’histoire antédiluvienne
Conclusion § 240
Tableau 65
Chronologie comparée de l’hébreu et de la Septante
Conclusion § 242
I NDEX DES ŒUVRES ET AUTEURS ANCIENS1
I. Bible hébraïque Livre de la Genèse Gn 1,1 25, 73, 219 Gn 1,1-5 25, 70, 71, 73, 78, 86, 106, 126, 186 Gn 1,2 168, 173 Gn 1,3 85, 221 Gn 1,4 194 Gn 1,4-5 80 Gn 1,5 70, 220 Gn 1,5-6 70 Gn 1,5-10 182 Gn 1,6-11 182 Gn 1,6-8 73, 86, 173 Gn 1,9 190, 216, 222 Gn 1,9-13 73, 86 Gn 1,14 25 Gn 1,14-19 73, 86 Gn 1,16 112 Gn 1,17 226 Gn 1,20-23 73, 86, 173 Gn 1,24-25 173 Gn 1,24-31 73, 86 Gn 1,25 232 Gn 1,26 222 Gn 1,26-28 9 Gn 1,27 19, 25, 94, 147 Gn 1,28 147, 162 Gn 1,31-2,1 72, 86 Gn 1,31-2,1-3 73 Gn 1,31-2,4 21 Gn 2,1 73, 179, 225, 235 Gn 2,1-3 86 Gn 2,1-5 22 Gn 2,2a 73 Gn 2,2b 73 Gn 2,2 72 Gn 2,3 69,73, 86, 127, 195 Gn 2,4 13, 20, 124, 127
Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn
2,4-5 2,4-4,26 2,4-11,9 2,5 2,7 2,8 2,8-14 2,9 2,10-14 2,15 2,16-17 2,17 2,18 2,19 2,19-20 2,20 3,1 3,7 3,8 3,14 3,15 3,18 3,20 3,23 3,23-4,1 4,1 4,1-2 4,2 4,3 4,3-5 4,5 4,7 4,8 4,8-11 4,12 4,15 4,17 4,17-18 4,18 4,19-22
126, 131, 133, 200 89 110, 124 131 chap.1 et § 9 231 160 134, 211 6, 173, 182 136 49, 134 162 49 131 173 131, 232 131 134 168 131 147 131 240 197 134 134, 135 135 136, 164, 226, 246 136 136 162, 209 162, 197 131 226 209 198 137 137 88, 138 139
1. Cet index renvoie aux paragraphes du livre et non aux pages.
520 Gn 4,22 Gn 4,23-24 Gn 4,24 Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn
4,25 4,25-26 4,26 5 5,1 5,1-6,8 5,3
Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn
5,4 5,4-5 5,5 5,6 5,6-8 5,9-11 5,12-14 5,15-17 5,18 5,18-20 5,21-24 5,21-27 5,22 5,23 5,24 5,25 5,28 5,28-31 5,29 5,32
Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn
5,32-6,1 5,32-6,4 6,1 6,1-4 6,3 6,3-4 6,5 6,8 6,9 6,9-10 6,9-9,29 6,10-11 6,13-15 6,14 6,15 6,16 6,19-20 7,1-4
INDEX DES ŒUVRES ET AUTEURS ANCIENS
231 166 127, 133, 157, 205, 231 134, 209, 226 140 220, 226 109, 128 124, 147 89, 110, 142 77, 110, 147, 158, 187 163 147 77 158 148 149 144, 150 150 158 153 55, 154 156 29, 188 82, 90 82 158 158 157 158 110, 128, 143, 158, 160 161 160, 188 147, 161, 162 142, 160 168, 170, 241 188 162, 167 128, 173, 220 124 163 89, 158 143 175, 176 196 177 197 chap.1 175, 176
Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn
7,1-5 7,2-4 7,4 7,6 7,7 7,7-10 7,10 7,10-12 7,11
Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn
7,12 7,17 7,17-20 7,20 7,24 7,24-8,3 8,1-4 8,3 8,3-4 8,4 8,4-12 8,5 8,5-7 8,6 8,6-7 8,7 8,8-12 8,10 8,10-12 8,12 8,13 8,14 8,19 9,6 9,20-27 9,25-27 9,28-29 10
Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn
10,1-2 10,2 10,2-4 10,8-10 10,13-14 10,20 10,31 11,1-9 11,1 11,3 11,5-9 11,9
178 chap.1 178, 183, 199, 200 111, 175, 176, 179 165 180 175, 176 149, 184 96, 144, 175, 176, 178, 197 175, 183, 184, 186 175, 183, 186 187 175 175, 188 190 144 175 192 93, 111, 175 156 175, 199 194 195 175, 195 197, 206 206 175 178 175, 214 175, 216 175, 216 106 147 160 166 158 16, 106, 110, 112, 141, 147, 153 143 143, 207 62 167, 189 166 106 106 16, 112, 160 16, 38, 226 16 153 16
INDEX DES ŒUVRES ET AUTEURS ANCIENS
Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn
11,10 11,10-11 11,10-26 11,28 11,30 12,1-2 12,10-20 12,11 13 13,11 14 14,1 14,2 14,8 14,13-16 14,14 14,18-20 14,22-23 15,16 16,1-2 17,1-2 17,3-27 17,8* 17,15-19 18 18-19 19,24-25 19,30-38 21,1-13 21,15 21,20-21 23,4 24,3 24,15-16 24,23 24,37-38 24,62-63 25,1-2 25,2 25,7 25,27 28,1-3 28,12 31,21 31,41 31,45-47 32,25-33 33,18 34 35,9-10 35,18 36
112 160 77, 109, 112 106 19 60 19 19 202 167 8, 202 202 202 202 198 202 60 60 96, 217 19 59 59 106 19 chap.1 202 201 167 130 131 131 106 191 19 19 106 131 191 121 160 189 238 8 223 223 223 94 61 61 128 214 16
Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn Gn
36,31-39 37,2 37,33 41,45 46 46,8-27 47,11 47,29-30 48,4 50,3 50,12-13 50,22-26 50,24-26
Livre de l ’Exode Ex 2,15 Ex 2,21 Ex 3 Ex 3,14 Ex 4,14-17 Ex 7,7 Ex 9,23 Ex 12,2 Ex 12,3 Ex 13,5-7 Ex 14,7-9 Ex 16,4 Ex 19,4-6 Ex 19,20 Ex 20,8-10 Ex 20,11 Ex 20,18 Ex 24,15-18 Ex 24,18 Ex 25,6 Ex 25,18-20 Ex 25-27 Ex 26,28 Ex 28,15-21 Ex 29,7 Ex 31,17 Ex 32,15 Ex 34,27-28 Ex 34,28 Ex 35-39 Ex 38,28 Ex 40,1-18 Ex 40,17
130 129 211 55, 211 16 177 106 107 106 186 107 55 211 191 121 191 221 4 155, 191 201 94 94 180 167 201, 204 141 153 69 73 209 186 185 215 chap.1 126 190 200 215 73 67 185 185 126 126 34 152
Livre du Lévitique Lv 1,14-17 207
521
522 Lv Lv Lv Lv Lv Lv Lv Lv Lv Lv Lv Lv Lv Lv Lv Lv
INDEX DES ŒUVRES ET AUTEURS ANCIENS
11 11,13-15 11,13-19 18,3 18,9 23,5-6 23,24 23,27-32 23,32 23,34 25,2-4 25,8-12 26 26,1 26,3-13 26,14-33
Livre des Nombres Nb 1,7 Nb 1,10 Nb 2,34 Nb 5,19-22 Nb 7,12-84 Nb 10,11 Nb 10,33 Nb 10,33-36 Nb 10,35-36 Nb 11 Nb 11,15 Nb 11,18 Nb 11,20 Nb 11,24-26 Nb 13,25 Nb 14,34 Nb 16,1 Nb 16,11 Nb 20,22-29 Nb 25,8 Nb 25,10-13 Nb 25,12-13 Nb 25,15 Nb 26 Nb 29,1-6 Nb 33,3-4 Nb 33,37-38 Nb 33,38 Nb 36,13
chap.1 197 197 44 44 177, 180 39, 148 158 231 93 37 92, 100, 106 102 105 102 102 214 214 130 19 77 98, 114 98 87 13, 87 131 19, 27 45 45 45 186 186 248 211 35 121 120 120 121 77 39 177 35 116, 118, 119 234
Livre du Deutéronome Dt 1,1 234 Dt 4,13 15
Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt Dt
4,35-36 5,1-6,3 5,(24),27 6,4 9,9 9,10 10,10 11,18 12,5 12,15 14,14 15,12-13 15,16-17 17,14 17,14-20 17,16-17 28,65 30,15-20 32,1-43 32,6 33,1-2 33,1-34,12 33,4 33,21 34,7
245 15 19, 27 80, 214, 245 185 67 185 185 87 215 197 37 37 45 43 167 209 134 31 161, 221 31 31 31 31 154
Livre de Josué Jos 5,10-12 Jos 6 Jos 6,4 Jos 6,5-13 Jos 6,8 Jos 7,1 Jos 7,21 Jos 15,5 Jos 24,29-33 Jos 24,32
105, 204 99 204 99 99 204 99 22 121 211
Livre des Juges Jg 2,10-16 Jg 7,5 Jg 12,5-6 Jg 20,11 Jg 20,28
220 197 223 215 121
Livres I et II de Samuel 1S 1,19 134 1S 1,3 121 1S 2,12-17 121 1S 2,34-36 121 1S 2,26 121
INDEX DES ŒUVRES ET AUTEURS ANCIENS
1S 2,27-36 1S 2,34-36 1S 4,1-12 1S 4,19-22 1S 13,19-20 1S 16,16 2S 15,27
246 246 121 121 139, 166 139, 166 33
Livres I et II des Rois 1R 2,11 128 1R 6,1 114 1R 10,23-11,3 54 1R 11,3 54 1R 11,39 107 1R 11,42 114 1R 12,16 139, 166 1R 12,32-33 94 1R 19,8 185 2R 8,23 237 2R 12,1-13 33, 36 2R 12,11 36 2R 13,5 139, 166 2R 17,6 193 2R 17,24 193 2R 17, 24-28 193 2R 17,31 193 2R 18,31-32 193 2R 17,41 197 2R 19,37 193 2R 20,1-7 203 2R 22 33 2R 22,2 105 2R 22,8 105 2R 22-25 56 2R 23 105 2R 23,2-3 5 2R 23,9 246 2R 23,21-22 105 2R 23,32 105 2R 23,34 107 2R 23,37 105 2R 24,1 226 2R 24,1-6 107 2R 24,14-16 107 2R 24,19 105 2R 25,1 118 2R 25,7 107 2R 25,8-11 187 2R 25,12 107 2R 25,18 33 2R 25,18-21 33
2R 2R 2R 2R 2R
25,22 25,26 25,27 25,27-30 25,28
226 107 116 4 136
Livre d ’Isaïe Is 37, 38 Is 44, 24-28
193 192
Livre de Jérémie Jé 21,2 Jé 29,10 Jé 36 Jé 39,2-40,16 Jé 39,2 Jé 39,2-7 Jé 42,1-43,7 Jé 43,9 Jé 49,28 Jé 51,2 Jé 52,6 Jé 52,12 Jé 52,12-14
226 191 5 110 117 117 236 236 226 189 117 153, 224 107, 115
Livre d ’Ézéchiel Ez 1 Ez 1,1 Ez 1,1-3 Ez 1,28 Ez 4,6 Ez 6,13 Ez 8,3-5 Ez 8-9 Ez 12,13 Ez 20-23 Ez 23,2-4 Ez 30,20-26 Ez 32,1 Ez 33,21 Ez 33,21-39 Ez 34 Ez 34,23-28 Ez 35-36 Ez 37,1-14 Ez 37-15-28 Ez 38-39 Ez 39,27-29 Ez 40,1 Ez 41,20 Ez 43,5-7
72 121 97 121 186 194 8 79 106 115 115 216 209 198 198 198 180 198 198 198 198 198 198 68 chap.1
523
524
INDEX DES ŒUVRES ET AUTEURS ANCIENS
Ez 43,10-11 Ez 45,18-25 Ez 45,21-25
chap.1 94, 95 180
Livre d ’Osée Os 4,12-13
194
Livre de Joël Jo 2,5 Jo 3,4
194 186
Livre d ’Aggée Ag 1,1 Ag 1,1-15 Ag 1,4 Ag 1,8 Ag 1,14-15 Ag 2,1-9 Ag 2,18
202 202 196 196 196, 198 113, 155 231
Livre de Zacharie Za 1,1-6 Za 1,7 Za 1,7-6,15 Za 1,12-13 Za 1,12-16 Za 3 Za 4,4-10 Za 6,12-13 Za 7,2
212 151, 158, 212 158, 212 158 151 158 158 158 193
Livre de Malachie Ma 3,23-24 231 Livre des Psaumes Ps 1,1-2 Ps 6,4 Ps 19,15 Ps 45,2 Ps 69,22 Ps 69,23-29 Ps 76,3 Ps 78,35 Ps 90,4 Ps 104,15 Ps 111 Ps 112 Ps 119 Ps 139,16 Pr 8,22 Pr 22,17
231 19 59 22 22 22 61 59 69 140 77 77 77 chap.1 232 231
Pr 25,16
93
Livre de Job Job 2,11-13 Job 32,1-5 Job 40,15-19
231 231 232
Livre du Cantique Ct 1,1 Ct 1,15 Ct 2,9 Ct 2,14 Ct 4,1 Ct 5,2 Ct 5,12 Ct 6,9 Ct 8,13-14 Ct 8,14
des Cantiques 238 215 238 215 215 215 215 215 215 215
Livre de Ruth Ruth 4,18-22 Ruth 4,20-21
3, 124 104
Eccl 1,9 Eccl 1,9-10
chap.1 238
Livre de Daniel Dn 12,4
15
Livre d ’Esdras Esd 1 Esd 3,2 Esd 6,18 Esd 7 Esd 7-10,44 Esd 7,1-5 Esd 7,6 Esd 7,7-9 Esd 7,8 Esd 7,9 Esd 7,10 Esd 7,11 Esd 7,13 Esd 7,13-15 Esd 7,25-26
4 4 4 4 244 4, 33 22 34 37 36 4, 36 10, 36 37 37 4
Livre de Néhémie Né 2,1-7,5 Né 8,1-2 Né 8,3 Né 8,3-5
244 4, 39, 198 39 4
INDEX DES ŒUVRES ET AUTEURS ANCIENS
Né 8,4 Né 8,5-8
39 39
Livres I et II des Chroniques 1Ch 5, 29-41 33 II. Bible grecque Livre de la Genèse Gn 4,17-18 Gn 5,32 Gn 6,1-4 Gn 6,3 Gn 8,13b-18
137 160 160 241 145
Livre des Nombres Nb 7,2 43 Nb 10,35-36 87 Nb 11,29 45 Livre du Deutéronome Dt 17,14 45 Dt 17,14-20 43 Livres I et II des Macchabées 2M 2,30 237 Livre du Siracide Si 1,1 Si 1,1-8 Si 1,9-10 Si 24,3-11 Si 24,6-8 Si 24,23 Si 24,23-29 Si 24,30 Si 24,30-33 Si 24,34 Si 33,7-9 Si 33, 14-15 Si 44,16 Si 44,19-21 Si 44-49 Si 44-50 Si 45,7-8 Si 45,23 Si 45,23-25 Si 47,4-7 Si 47,8-11 Si 47,10 Si 47,12-17 Si 47,13
64, 86 218 64, 86 64, 248 209 64 6, 182 238 238 238 93 64 55 58 58 52 57 57 53, 117 56 56 77 54 64
Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si Si
47,18-21 47,23-25 48,17 49,2-3 49,4-6 49,11-13 49,12 49,13 49,14 49,14-16 50 50,1 50,2 50,3 50,5-9 50,7 50,11 50,13 50,14 50,15 50,16 50,17 50,16-19 50,20 50,21 50,25-26 50,26
Livre d’Ézéchiel Ez 43,10-11
54 54 56 56 56 54 64, 244 155 55 55 46, 51, 52, 58, 64 52, 54, 64 64 56 122 56, 59 57 59 59 59 59 62 56 59 59 166 139 chap.1
Évangile selon Matthieu Mt 16,15-19 68 Évangile selon Luc Lc 2,25-32 51 Lc 2,25-35 238 Lc 15,19-31 119 Évangile selon Jean Jn 1,1 238 Jn 2, 18-22 chap.1 Jn 11,1-12,11 119 Jn 19,28-30 22 Actes des Apôtres Ac 1,25 Ac 7,20-36
525
169 191
Épîtres I et II aux Corinthiens 2Co 3,6 238
526
INDEX DES ŒUVRES ET AUTEURS ANCIENS
Épître aux Philippiens Ph 2, 5-7 chap.1 III. Littérature apocryphe IV Esdras 4Esd 14,21-22 4Esd 14,37-48
5 5
I Hénoch 72-83
91
Jubilés Prologue 1,4 2,2-3 2,15-16 2,23 4,17-19 6,23-31 6,36-38 50,4 50,5
99 154 74 74 74 154 91 92 99 99
Testament de Siméon 6,1-2 122 7,1-2 122 Écrits qumraniens Règle de la communauté 3,25-4,1 168 Évangile selon Thomas 114 79 IV. Littérature rabbinique Avot de Rabbi Natan Texte A, 1 chap.1 5 49 A, 6 15 Midrach Genèse Rabbah 12,6 129 24 chap.1 Lévitique Rabbah 21,4 92 Sifré 84
87
Pirqé Rabbi Eliezer 46 92
Séfèr Yetsirah Recension brève 1-2 Recension brève 3-5
76 81
Talmud de Babylone Hagigah 14b 84 Nedarim 32a 8 Qiddouchim 66a 49 Sanhedrin 100b 68 Mishna Pirqé Avot 1,1 1,2 1-2
238 58, 238 1, 4, 238
Tosefta Yadaïm 2,13
67
Targum Targum de Jonathan Genèse 4, 8 132 V. Auteurs grecs Aristée Lettre à Philocrate 9 41 10 41 12-13 44 15 44 31 45 32 41 176-177 41 180-181 41, 187 44 293-294 41, 201 45 235 45 302 41, 307 41 308-309 47 310-311 41 312 41, 317 44 321 46 Aristote Métaphysique A, 992a 32-b1
217
45 44 45
44
INDEX DES ŒUVRES ET AUTEURS ANCIENS
Clément d’Alexandrie Stromates VI, 86, 3 67 Eusèbe de Césarée Histoire Ecclésiastique 2 Flavius Josèphe Contre Apion 1, 8, 37-42 2, 168-169 Antiquités juives 12, 138-144 12, 145-147 13, 10,5
1, 245 245 51 51 49
Philon d’Alexandrie De Abrahamo 119-121 chap.1
De Abrahamo 124 De opificio mundi 29 35-36 De Vita Mosis II, 37 II, 99-100 Platon Cratyle 389a 390e Ion 530b 533d-e 535a
chap.1 75 75 41 chap.1
227 227 235 235 235
527
TABLE DES MATIÈRES Préface de Gilles Dorival . . . . . . . . . . . . . . .
7
Transcription de l’hébreu . . . . . . . . . . . . . . .
9
Introduction De la lecture traditionnelle à la lecture littérale. . . . . . .
13
PREMIÈRE PARTIE VINGT SIÈCLES D’INTERPRÉTATION DU TEXTE HÉBREU DE LA BIBLE Chapitre 1 Quelques étapes décisives de l’histoire de l’interprétation de la Bible
29
1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.
L’École de Yavnéh ou la fondation du judaïsme rabbinique . Les vingt-deux livres du canon de Yavnéh . . . . . . . . Les vingt-quatre livres de la Bible hébraïque actuelle . . . . Le livre d’Esdras-Néhémie . . . . . . . . . . . . . . Le quatrième livre d’Esdras . . . . . . . . . . . . . L’interprétation allégorique de l’Ancien Testament . . . . . Quinze siècles plus tard… Descartes, Spinoza et Richard Simon Le rejet de la Gématria . . . . . . . . . . . . . . . Jean Astruc et ses Conjectures sur la Genèse . . . . . . . Naissance et effondrement de la théorie documentaire . . .
29 32 33 35 40 42 44 46 50 52
Chapitre 2 Du rouleau de la Torah à la Bible de Stuttgart Vingt-deux siècles de transmission du texte . . . . . . . .
59
11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19.
Un alphabet sans voyelles . . . . . . . . . Les manuscrits bibliques du désert de Juda. . . Le texte consonantique de la Torah . . . . . L’écriture de noms divins en paléohébreu . . . Trente-deux signes et un blanc . . . . . . . Écriture et Lecture. . . . . . . . . . . . Du rouleau au codex . . . . . . . . . . . La fixation des voyelles . . . . . . . . . . À propos du pronom féminin de la deuxième singulier . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . personne du . . . . .
59 60 63 64 65 67 69 70 71
530 20. 21. 22. 23.
TABLE DES MATIÈRES
. . . .
75 76 79 83
Chapitre 3 La panoplie de l’exégète . . . . . . . . . . . . . . . .
85
24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31.
La division en versets et chapitres . . . . . . . . . D’une Écriture unique à la confusion des traductions . . L’occultation du fonctionnement analogique de l’Écriture Le texte hébreu original a-t-il été parfaitement conservé ?
La théorie de la trilitéralité . . . . . . . . . Une grammaire hébraïque probabiliste . . . . . Les dictionnaires d’hébreu biblique . . . . . . Les concordances . . . . . . . . . . . . . Les traductions anciennes . . . . . . . . . . Plaidoyer en faveur d’une traduction littérale . . . Après vingt siècles d’interprétation . . . . . . Où Siméon le juste transparaît derrière le patriarche
. . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Siméon
. . . . . . . .
85 87 91 93 95 99 100 101
DEUXIÈME PARTIE L’HISTOIRE DE LA TORAH COMME ON LA RACONTAIT A LA PÉRIODE HELLÉNISTIQUE Chapitre 4 L’histoire de la Torah d’après le livre d’Esdras . . . . . . .
107
32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40.
. . . . Yoçadaq . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
107 108 109 110 111 112 114 114 116
Chapitre 5 La lettre d’Aristée à Philocrate ou Légende d’Aristée . . . .
117
41. 42. 43. 44. 45. 46. 47. 48.
117 120 122 124 126 129 130 131
De l’histoire au modèle de l’histoire . . . . . Un conflit de légitimité entre Esdras et Josué fils Le voyage d’Esdras de Babylone à Jérusalem . . Esdras est le nouvel Éléazar, fils d’Aaron. . . . La septième année d’Artaxerxès . . . . . . . La septième année pour le Roi . . . . . . . Esdras et la tour de Babel . . . . . . . . . La Promulgation de la Torah orale. . . . . . Du sens littéral à la lecture littérale . . . . .
Un scénario de légende . . . . . . . . . . La date de la traduction du Pentateuque . . . Le roi que Yahvéh choisira pour écrire un double La prophétie concerne-t-elle le roi Ptolémée ? . Les soixante-douze Anciens . . . . . . . . Le grand prêtre Éléazar . . . . . . . . . . La communauté juive d’Alexandrie . . . . . Esdras et Aristée au service d’une même cause .
. de . . . . . . .
. . de . . . . .
. . la . . . . .
. . . . . . Torah . . . . . . . . . . . . . . .
531
TABLE DES MATIÈRES
49. Esdras- Éléazar -Boèthos : fondateur du parti pharisien . . .
132
Chapitre 6 Le livre de Sagesse de Jésus ben Sira et son Éloge des Pères . .
137
50. 51. 52. 53. 54. 55. 56. 57. 58.
. . . . . . . . .
137 138 141 143 144 146 148 150 150
Chapitre 7 Siméon, grand prêtre du Très-Haut . . . . . . . . . . .
153
59. 60. 61. 62. 63.
. . . . .
153 155 157 158 159
. . . . . . . . .
161
La plus ancienne œuvre littéraire de la période postbiblique Que sait-on de Siméon fils d’Onias, surnommé le Juste ? . Les trente-deux bâtisseurs de l’histoire d’Israël . . . . . Un peuple sous l’autorité des prêtres et des rois . . . . . La double vie de Salomon . . . . . . . . . . . . . Hénoch, modèle des générations descendantes et montantes Siméon, héritier des rois David, Ézéchias et Josias . . . . Siméon, héritier des prêtres Hénokh, Aaron et Pinhas . . Siméon est le nouvel Éléazar . . . . . . . . . . . .
Yahvéh, Él et le Très-Haut . . . . . . . Abram contre Melki-çédèq . . . . . . . Melki-çédèq est roi de Chalem . . . . . . Melki-çédèq est prêtre du Dieu du Très-Haut Siméon, nouvel Abraham, prêtre du Très-Haut
Chapitre 8 Siméon, fondateur de la double hauteur 64. 65. 66. 67. 68.
. . . . .
La fondation de la double hauteur . . . . . Les voyages de la Sagesse créée par Yahvéh . . La Sagesse sortie de la bouche du Très-Haut . . De la Parole à l’Écriture . . . . . . . . . De Siméon fils d’Onias à Simon fils de Yohanan
. . . . .
. . . . .
. . . . .
. . . . .
. . . . .
. . . . .
. . . . .
. . . . .
. . . . .
161 163 164 166 167
TROISIÈME PARTIE L’ALGORITHME D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE Chapitre 9 Les vingt-deux jours de la création 69 70. 71. 72. 73. 74.
. . . . . . . . . . .
« Il y eut un soir, il y eut un matin, jour Un » . . . Et le matin du jour de l’Un exista . . . . . . . . Un Jour exemplaire antérieur aux jours dénombrés . La première semaine de la création . . . . . . . Les vingt-deux jours de la création . . . . . . . La création en vingt-deux oeuvres du Livre des Jubilés
. . . . . .
. . . . . .
. . . . . .
173 173 173 175 176 177 180
532
TABLE DES MATIÈRES
75. Le modèle intelligible de la création d’après Philon d’Alexandrie 182 Chapitre 10 L’algorithme de l’arithmologie biblique . . . . . . . . . .
185
76. 77. 78. 79. 80. 81. 82. 83. 84.
Une création sur le modèle de l’alphabet . . . . . . . . La révélation de l’ordre des lettres et des nombres . . . . . Vingt-deux jours face à vingt-deux lettres . . . . . . . . Ceux qui seront marqués au front du signe du Taw . . . . La procession des nombres intelligibles . . . . . . . . . Les cinq lettres finales, profondeur de la fin . . . . . . . L’algorithme des lettres araméennes et le modèle du temps . . Les cinq lettres divines, profondeur du commencemens . . . Quand vous serez introduits auprès des pierres de marbre pur !
185 186 188 190 191 193 195 196 197
Chapitre 11 Une triple confirmation de la validité de l’algorithme . . . .
201
85. 86. 87. 88. 89.
. . . . .
201 203 204 207 208
. . . . . . . . . .
213
Un récit de création ciselé par son auteur ? . . Une création à mots comptés . . . . . . . À propos de deux nuns inversés . . . . . . Les vingt-six acteurs de l’histoire antédiluvienne La Protogenèse, modèle de l’histoire universelle
. . . . .
. . . . .
. . . . .
. . . . .
QUATRIÈME PARTIE LA PANOPLIE DE L’ARPENTEUR DU TEMPS Chapitre 12 Les calendriers et leur usage biblique 90. 91. 92. 93. 94. 95. 96. 97. 98.
La guerre des calendriers . . . . . . . Les calendriers du livre des Jubilés . . . Querelle à propos de la date du sabbat . . Les dates explicites de la Bible . . . . . Les calendriers liturgiques de Juda et d’Israël Le calendrier liturgique du Temple idéal . Les périodes de l’histoire postdiluvienne. . Les dates du ministère d’Ézéchiel . . . . La conversion des dates en nombres . . .
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
213 214 215 217 220 224 224 227 228
Chapitre 13 Une humanité en marche vers le Jubilé . . . . . . . . . .
231
99. La période jubilaire, nombre d’or de l’histoire . . . . . . 100. La révélation du modèle jubilaire . . . . . . . . . .
231 232
533
TABLE DES MATIÈRES
101. 102. 103. 104. 105. 106. 107. 108.
Un modèle jubilaire tombé en désuétude . . . . . Les conditions d’entrée dans le Jubilé . . . . . . L’organisation jubilaire de l’histoire biblique. . . . Les cinquante générations de la lignée royale de Juda La quarante-neuvième génération royale . . . . . Retourner dans sa possession et dans sa famille . . . Une dispersion des fils de Josias conforme à l’Écriture Une histoire construite en fonction d’un algorithme.
. . . . . . . .
. . . . . . . .
. . . . . . . .
233 234 234 235 238 239 241 243
Chapitre 14 Chronologie et Généalogie des rois de Juda et d’Israël . . . .
245
109. 110. 111. 112. 113. 114. 115. 116.
. . . . . . . .
245 246 248 249 250 252 254 256
Chapitre 15 Chronologie et Généalogie des prêtres lévitiques . . . . . .
261
117. 118. 119. 120. 121. 122. 123.
. . . . . . .
261 264 265 267 268 271 272
Chapitre 16 Les généalogies, d’Adam à la venue du fils de Pèrèç . . . . .
275
124. 125. 126. 127. 128. 129. 130. 131. 132. 133.
275 276 277 279 280 281 282 284 284 287
Une chronologie éclatée . . . . . . . . . . . . . D’Adam à la naissance des fils de Noé . . . . . . . . Le repos de l’Arche du Déluge sur les montagnes d’Ararat Les années sont doubles après le Déluge . . . . . . . Du Déluge à la sortie d’Égypte . . . . . . . . . . De la sortie d’Égypte à la fin du royaume de Juda . . . De la sortie d’Égypte à la fin du royaume d’Israël . . . Le retour en grâce de Joachin . . . . . . . . . . .
Les 28 générations de la généalogie lévitique Les 26 générations de la chronologie lévitique L’inversion des pontificats d’Éléazar et Pinhas La jalousie de Pinhas . . . . . . . . . La trahison de Pinhas . . . . . . . . . La résurrection des Siméonites . . . . . . L’arithmologie au service de la lecture littérale
. . . . . . .
. . . . . . .
. . . . . . .
. . . . . . .
. . . . . . .
L’organisation généalogique de l’histoire biblique . . . . Les généalogies d’Adam à David . . . . . . . . . . Des panneaux d’Écriture assemblés au moyen de crochets La réalisation chiffrée du plan divin . . . . . . . . L’inversion provoquée par la traversée du Déluge . . . De la désobéissance d’Adam à la venue du Messie . . . Les généalogies des cieux ou de la terre . . . . . . . La terre, les cieux et le buisson de la campagne . . . . Le buisson interprété conformément à son écriture . . . Une réalisation conforme au modèle . . . . . . . .
. . . . . . . . . .
534
TABLE DES MATIÈRES
CINQUIÈME PARTIE LES RÉCITS DES ORIGINES À L’ÉPREUVE DE L’ARITHMOLOGIE Chapitre 17 Les généalogies des cieux et de la terre . . . . . . . . . .
291
134. 135. 136. 137. 138. 139. 140. 141.
. . . . . . . .
291 293 294 295 297 299 300 301
Chapitre 18 D’Adam à Mahalalel Les cinq bâtisseurs du modèle de l’histoire . . . . . . . .
307
142. 143. 144. 145. 146. 147. 148. 149. 150. 151.
L’histoire des séthites antédiluviens . . . . . . . . . . La chronologie cachée des séthites antédiluviens . . . . . La chronologie visible des séthites antédiluviens . . . . . La chronologie antédiluvienne de la Septante . . . . . . Les nombres visibles des vies des patriarches antédiluviens . Adam (le terrestre), père de l’humanité séthite . . . . . Seth, le premier et le dernier . . . . . . . . . . . . Énoch ou l’humanité souffrante . . . . . . . . . . . Le roi Caïnan et Mahalalel, le prêtre de la fin des temps . . Les cinq générations qui construisent le modèle de l’histoire
307 308 310 312 313 315 318 319 320 322
Chapitre 19 De Yèrèd à Noé La réalisation terrestre du modèle de l’histoire . . . . . . .
325
152. 153. 154. 155. 156. 157.
325 325 327 329 331 322
L’humanité naquit d’un acte de connaissance . . . . . Caïn et Abel ou la révélation du modèle jubilaire . . . Les fonctions royale et sacerdotale . . . . . . . . . Les deux fils de Caïn se partagent sacerdoce et royauté . Vers la réunification des fonctions sacerdotale et royale . Lamech et ses trois rejetons : Yaval, Youval et Touval-Caïn Seth, le bâtisseur d’un monde nouveau . . . . . . . Un royaume de prêtres et une nation sainte . . . . . SIXIÈME PARTIE LE LIVRE DES GÉNÉALOGIES D’ADAM
Cinq face à cinq . . . . . . . . . . . Yèrèd, l’homme de la descente . . . . . Hénokh, l’homme de la Dédicace différée du Les trois derniers patriarches antédiluviens . Le prêtre Métouchélah . . . . . . . . Lamekh, le roi que Yahvéh n’a pas choisi . .
. . . . . . Temple . . . . . . . . .
. . . . . .
. . . . . .
. . . . . .
TABLE DES MATIÈRES
535
158. Noé, l’homme du Repos . . . . . . . . . . . . . . 159. Le plan de l’histoire universelle révélé par les nombres . .
333 335
Chapitre 20 Les fils de l’Élohim et les filles de l’Adam façonné . . . . .
339
160. 161. 162. 163. 164. 165. 166. 167. 168. 169. 170. 171. 172.
339 342 343 344 345 346 347 349 351 353 354 354 355
Un fragment sur les anges séduits . . . . . . . . . . Et ( Japhet) exista . . . . . . . . . . . . . . . . Un résumé en forme d’énigme . . . . . . . . . . . Les filles de l’Adam façonné . . . . . . . . . . . . Les fils de l’Élohim . . . . . . . . . . . . . . . . Les fils de l’Élohim préférèrent les femmes aux filles . . . . Deux ‘femmes’ pour trois ‘fils’ . . . . . . . . . . . . Le choix des fils de Noé et le choix de Yahvéh . . . . . . Les deux Esprits . . . . . . . . . . . . . . . . . Les cent vingt jours de l’Esprit de Yahvéh . . . . . . . Dans l’attente du jour du Jugement . . . . . . . . . . Les Tombés et les Héros . . . . . . . . . . . . . . Une esquisse d’histoire des institutions royale et sacerdotale SEPTIÈME PARTIE LA TRAVERSÉE DU DÉLUGE UN VOYAGE À TRAVERS L’HISTOIRE UNIVERSELLE
Chapitre 21 Les généalogies de Noé Deux sources ou une double hauteur ? . . . . . . . . . . 173. 174. 175. 176. 177. 178.
361
Noé, médiateur entre modèle et réalisation . . . . . . . Le Déluge dans l’interprétation moderne . . . . . . . Les pièces du puzzle . . . . . . . . . . . . . . . Un plan conçu dans la pensée du Très-Haut . . . . . . Élohim profile l’Arche pour une course à travers le temps . Yahvéh programme les cent vingt jours d’incarnation de son Esprit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179. La six centième année de Noé . . . . . . . . . . . . 180. La dernière hebdomade des jours . . . . . . . . . . 181. Trois acteurs en marche vers la fin des temps . . . . . .
361 362 364 366 366 367 368 370 372
Chapitre 22 Les cent vingt-neuf premiers jours du Déluge De l’enlèvement d’Hénokh à l’exil des Judéens . . . . . . .
373
182. Le paradigme des eaux . . . . . . . . . . . . . . 183. Les eaux triples du Déluge et leur modèle arithmologique .
373 374
536 184. 185. 186. 187.
TABLE DES MATIÈRES
Les Les Les Les
quarante-neuf jours qui précédèrent le Déluge . . quarante-jours et quarante nuits de pluie-continue . quarante.jours de Déluge . . . . . . . . . . cent vingt-neuf premiers jours de l’année du Déluge
. . . .
376 377 378 379
Chapitre 23 Les cent cinquante jours héroïques. Du départ en exil à la reconstruction du Temple . . . . . .
383
188. 189. 190. 191. 192. 193. 194. 195. 196. 197. 198.
. . . . . . . . . . .
383 385 387 388 389 390 393 394 395 396 398
Chapitre 24 La mesure des derniers jours . . . . . . . . . . . . . .
401
199. 200. 201. 202. 203. 204. 205.
L’histoire du second Temple . . . . . . . . . . . . Mesurer quarante jours et quarante nuits . . . . . . . Les nations qui furent mesurées . . . . . . . . . . . Le souffre et le feu qui s’abattirent sur Sodome et Gomorrhe La grêle qui s’abattit sur l’Égypte . . . . . . . . . . . La Manne qui s’abattit sur Israël . . . . . . . . . . . Modèle biblique et Histoire hellénistique . . . . . . . .
401 402 404 404 405 407 410
Chapitre 25 Les amours d’un grand prêtre et d’une Colombe . . . . . .
413
206. 207. 208. 209. 210. 211. 212. 213. 214. 215.
413 414 415 416 419 420 422 424 424 425
Les Héros, ‘hommes du Nom’ . . . . . . . . . . Les Héros ‘chasseurs’ . . . . . . . . . . . . . La décrue des eaux . . . . . . . . . . . . . . Cent cinquante jours répartis entre trois groupes d’exilés Le repos de l’Arche au retour de Babel . . . . . . Les montagnes d’Ararat et leurs habitants . . . . . Les cinq derniers jours des temps héroïques . . . . L’Arche devient Temple . . . . . . . . . . . . Temps sacré et temps profane . . . . . . . . . . Le Corbeau chassé de l’Arche . . . . . . . . . . Perspectives d’avenir . . . . . . . . . . . . .
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L’entrée en scène de la Colombe . . . . . . . . . . La Colombe grecque et ses fils . . . . . . . . . . Le dernier jubilé de l’histoire du monde . . . . . . . La première semaine du dernier Jubilé . . . . . . . . La deuxième semaine du dernier Jubilé . . . . . . . L’olivier du Déchiré . . . . . . . . . . . . . . Zacharie prophétise les cinq dernières semaines du monde La troisième semaine du dernier Jubilé . . . . . . . Les vingt-huit derniers jours . . . . . . . . . . . La Colombe céleste envoie son Bien-aimé en mission . .
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537
TABLE DES MATIÈRES
216. Une vision fugitive du plan de l’histoire . . . . . . . .
428
HUITIÈME PARTIE L’HÉBREU, LANGUE SACRÉE Chapitre 26 Le modèle révélé de la syntaxe et du vocabulaire bibliques . .
433
217. 218. 219. 220. 221. 222. 223. 224. 225. 226. 227.
433 435 435 438 441 444 445 448 449 450 454
Les nombres de la Bible . . . . . . . . De l’Un au multiple . . . . . . . . . Le ’ét des cieux et le ’ét de la terre . . . . Les trois semaines de l’algorithme . . . . Les dix lettres — plus une — de la syntaxe . Cinq lettres de la syntaxe face à cinq . . . Le chin, une lettre « frontière » . . . . . Les lettres finales . . . . . . . . . . Les lettres instables nommées mères de lecture Les lettres stables du vocabulaire . . . . . De la rectitude des noms . . . . . . .
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Chapitre 27 De 32 à 22 livres ou l’occultation de l’Écriture . . . . . . . . . 457 228. 229. 230. 231. 232. 233. 234. 235. 236. 237. 238.
Le dogme de l’intangibilité de l’Écriture . . . Les 12 livres de l’histoire biblique . . . . . Les 16 livres des Prophètes . . . . . . . . Les 4 livres des Écrits . . . . . . . . . . Sagesse d’Israël et Sagesse des nations . . . . Les 32 livres de la Bible de Siméon . . . . . L’organisation interne des 32 livres . . . . . Une Écriture à l’image de la Création . . . . La Bible hébraïque et ses premières traductions Une histoire racontée au « passé prophétique » L’occultation de la double hauteur . . . . .
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457 458 460 460 463 464 465 467 469 471 474
Conclusion Comme un canal dérivé du fleuve . . . . . . . . . . . .
483
239. 240. 241. 242. 243. 244. 245.
483 487 491 493 496 498 501
Les étapes d’une recherche . . . . . . . . . Les contraintes d’écriture imposées par l’algorithme Bible hébraïque et Bible grecque . . . . . . . L’actualisation du sens des Écritures . . . . . Histoire et modèle de l’histoire . . . . . . . La religion judéenne à la période perse . . . . Israël et le Monothéisme . . . . . . . . . .
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538
TABLE DES MATIÈRES
246. La mise en œuvre de la réforme . . . . . . . . . . . 247. Une réforme destinée à l’ensemble du peuple judéen . . . 248. Siméon et la communauté judéenne d’Égypte . . . . . .
504 506 506
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
509
Index des Tableaux . . . . . . . . . . . . . . . . . .
515
Index des œuvres et auteurs anciens . . . . . . . . . . .
519
I. Bible hébraïque . . . II. Bible grecque . . . . III. Littérature apocryphe . IV. Littérature rabbinique. V. Auteurs grecs . . . .
519 525 526 526 526
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