Reeducation des patients douloureux 9782294770531, 9782294771248


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Les auteurs
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Remerciements
Avant-propos du coordinateur et directeur de collection
Avant-propos des auteurs-coordinateurs
Préface
Complément en ligne
Abréviations
Partie I Introduction à la douleur
Chapitre 1 Pourquoi aborder spécifiquement la thématique de la douleur ?
Plan du chapitre
Présentation générale du livre
Généralités sur la douleur
Utilisation du livre
Référence
Chapitre 2 L’EBP et le champ de la douleur
Plan du chapitre
Evidence-based practice (EBP)
L’EBP dans le champ de la douleur
Références
Chapitre 3 Histoire et définitions
Plan du chapitre
Introduction historique sur la douleur : à travers le temps et les cultures
Représentations culturelles et religieuses de la douleur
La douleur à travers l’histoire : de l’Antiquité à Descartes
Évolution après le XVIIe siècle
La révolution de l’imagerie moderne
Une histoire de la douleur et de l’antalgie
Les sociétés savantes – l’IASP et la SFETD
Références
Partie II Les différentes dimensions de la douleur
Chapitre 4 La dimension sociétale de la douleur
Plan du chapitre
Qu’est-ce que la dimension sociétale ?
Pourquoi l’aborder en premier dans cet ouvrage ?
Douleur et société
Application clinique
Références
Chapitre 5 La dimension perceptive de la douleur
Plan du chapitre
Introduction
Pour comprendre une perception douloureuse, il faut parler de la conscience
La composante attentionnelle d’une perception douloureuse
Références
Chapitre 6 Les dimensions psychologique, cognitive et comportementale de la douleur
Plan du chapitre
Introduction
La douleur dans les pathologies psychiatriques
Physiopathologie cognitive de la douleur
Déterminants cognitifs de la prise en charge de la douleur
Conclusion
Références
Chapitre 7 La dimension physiologique systémique de la douleur
Plan du chapitre
Introduction
Douleur et inflammation
Le système nerveux autonome, les « stress » et la douleur
Respiration et système nerveux autonome
Douleur et motricité
Synthèse
Références
Chapitre 8 La dimension sensorielle de la douleur – Introduction
Plan du chapitre
Présentation de la nociception
Transduction
Conduction
Transmission
Perception
Modulation
Références
Chapitre 9 La dimension sensorielle de la douleur – la transduction
Plan du chapitre
Le potentiel d’action
Canaux ioniques et récepteurs
Conclusion
Références
Chapitre 10 La dimension sensorielle de la douleur – la conduction
Plan du chapitre
Introduction
Les neurones de premier ordre : fibres C, Aδ et Aβ
Les neurones de deuxième ordre
Les neurones de troisième ordre
Une réflexion sur les voies nociceptives
Références
Chapitre 11 La dimension sensorielle de la douleur – transmission et perception
Plan du chapitre
La transmission
La perception
Références
Chapitre 12 La dimension sensorielle de la douleur – modulation et sensibilisation
Plan du chapitre
La modulation
La sensibilisation
Références
Partie III Les approches thérapeutiques modulatrices
Chapitre 13 Les différents moyens pour moduler la douleur
Plan du chapitre
Introduction à la partie III de l’ouvrage
Taxonomie des familles de mécanisme
Outils thérapeutiques modulateurs
Chapitre 14 Hypnose
Plan du chapitre
Introduction
Histoire brève de l’hypnose
Termes et techniques de l’hypnose
État des connaissances scientifiques à l’heure actuelle
Applications de l’hypnose dans la douleur
Conclusion
Références
Chapitre 15 Pourquoi les thérapies cognitives et comportementales
Plan du chapitre
Présentation des TCC et fondements théoriques
Les TCC, une thérapie brève centrée sur le patient et son fonctionnement
Références
Chapitre 16 Repenser l’abord du patient autour de ses objectifs et de ses attentes
Plan du chapitre
Introduction
Le contexte médical et les liens de causalité
La réalité de la douleur et la nécessaire « négociation » sur les attentes du traitement
Objectifs, attentes du patient et TCC
Références
Chapitre 17 Les outils des thérapies cognitives et comportementales
Plan du chapitre
L’évaluation en première intention
La mise en place des TCC en kinésithérapie
Référence
Références
Chapitre 18 Thérapie d’acceptation et d’engagement
Plan du chapitre
Présentation de la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT)
Les six processus thérapeutiques de l’Hexaflex
L’ACT, un modèle intégratif et transdiagnostique
Utiliser l’ACT en thérapie
Références
Chapitre 19 Éducation aux neurosciences de la douleur(pain neuroscience education)
Plan du chapitre
Introduction
Définitions
Contexte
Pour quoi ?
Pour qui ?
Pour quoi ?
Comment ?
Contenu
Les images, exemples et métaphores
Exemple d’adaptation d’utilisation de métaphore dans le contexte précis d’un patient
L’importance de la communication lors de l’examen clinique
Recommandations
Des sessions de PNE uniquement
La PNE durant le traitement
Données de la littérature
Chez les patients lombalgiques « chroniques »/persistants
Effets sur les composantes psychocognitives
Perspectives
Références
Chapitre 20 Thérapie cognitive fonctionnelle (cognitive functional therapy [CFT])
Plan du chapitre
Généralités
La place de la CFT dans la prise en charge d’un patient douloureux
Les principes d’utilisation du concept de CFT
Les processus d’une évaluation et d’un traitement CFT
Conclusion
Références
Chapitre 21 L’entretien motivationnel
Plan du chapitre
Définir un cadre de référence à l’utilisation de l’entretien motivationnel
Généralités sur l’entretien motivationnel
L’esprit de l’entretien motivationnel
Les processus de l’entretien motivationnel
Les outils de l’entretien motivationnel
Conclusion
Références
Partie IV Raisonner et appliquer
Chapitre 22 Raisonnement clinique dans l’accompagnement d’une personne douloureuse
Plan du chapitre
Introduction
Classification des douleurs par mécanismes
Les caractéristiques du symptôme
Démarche d’évaluation
Décider des soins
Proposition de soins
Apport du raisonnement bayésien
Péroraison
Références
Chapitre 23 Communication
Plan du chapitre
Introduction
Construction de l’échange
L’écoute active
La communication verbale
S’exprimer sans paroles : les langages paraverbal et non verbal
Le lieu des soins : la place des effets contextuels
Références
Chapitre 24 Résolution de cas cliniques
Plan du chapitre
Cas clinique 1 – L’importance que la douleur prenne sens pour soi-même
Cas clinique 2 – L’imbrication des différentes composantes du modèle biopsychosocial
Référence
Index
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Reeducation des patients douloureux
 9782294770531, 9782294771248

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Chez le même éditeur Dans la même collection Rééducation en neurologie. Éléments pour une pratique clinique raisonnée, par S. Rostagno, C. Tourlet et A. Pallot, 2022, 512 pages. Santé Publique/Sciences Humaines et Sociales/Formation et Professionnalisation. Éléments pour une écologie de la pratique professionnelle, par G. Rall, Y. Le Faou, A. Morichon, A. Pallot, 2021, 376 pages.

Du même auteur Evidence Based Practice en rééducation. Démarche pour une pratique raisonnée, par A. Pallot, 2019, 424 pages.

Autres ouvrages Locomotion humaine : marche, course – Bases fondamentales, évaluation clinique et application thérapeutique de l’enfant à l’adulte, par A. Delafontaine, 2018, 372 pages. Réussir la démarche de recherche en kinésithérapie et thérapie manuelle Méthodologie. Lecture critique d’articles. Mémoire de fin d’études, par A. Delafontaine, 2019, 304 pages. Démarche clinique et diagnostic en kinésithérapie, par M. Dufour, S. Tixa et S. Del Valle Acedo, 2018, 386 pages. Masso-kinésithérapie et thérapie manuelle pratiques - Tome 1. Bases fondamentales, applications et techniques. Tête et tronc, par M. Dufour, S. Barsi, P. Colné, 3e édition,2020, 568 pages. Masso-kinésithérapie et thérapie manuelle pratiques - Tome 2. Membres, par

M. Dufour, S. Barsi, P. Colné, 3e édition,2020, 664 pages. Biomécanique fonctionnelle – Membres – Tête – Tronc, par M. Dufour, K. Langlois, M. Pillu et S. Del Valle Acedo, 2e édition, 2017, 568 pages. Anatomie de l’appareil locomoteur – Tome 1 Membre inférieur, par M. Dufour, 3e édition, 2015, 552 pages. Anatomie de l’appareil locomoteur – Tome 2 Membre supérieur, par M. Dufour, 3e édition, 2016, 536 pages. Anatomie de l’appareil locomoteur – Tome 3 Tête et tronc, par M. Dufour, 3e édition, 2017, 424 pages.

Les indispensables en kinésithérapie et physiothérapie Adrien Pallot

Rééducation des patients douloureux Éléments pour une pratique clinique raisonnée Thomas Osinski Kinésithérapeute Consultant douleur (hôpital de Garches) Formateur à l’IFMK EFOM

Adrien Pallot Kinésithérapeute Référent pédagogique et enseignant au CEERRF Responsable d’UE et enseignant à l’Insitut d’ingénierie de la Santé (Université de Picardie) Enseignant dans les IFMK IRFSS Limoges, ASSAS, La Musse, Strasbourg,

EFOM

droits d'auteur ELSEVIER Elsevier Masson SAS, 65, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-lesMoulineaux cedex, France Rééducation des patients douloureux. Éléments pour une pratique clinique raisonnée, 1re édition, de Thomas Osinski et Adrien Pallot. © 2022 Elsevier Masson SAS ISBN : 978-2-294-77053-1 e-ISBN : 978-2-294-77124-8 Tous droits réservés. Les praticiens et chercheurs doivent toujours se baser sur leur propre expérience et connaissances pour évaluer et utiliser toute information, méthodes, composés ou expériences décrits ici. Du fait de l’avancement rapide des sciences médicales, en particulier, une vérification indépendante des diagnostics et dosages des médicaments doit être effectuée. Dans toute la mesure permise par la loi, Elsevier, les auteurs, collaborateurs ou autres contributeurs déclinent toute responsabilité pour ce qui concerne la traduction ou pour tout préjudice et/ou dommages aux personnes ou aux biens, que cela résulte de la responsabilité du fait des produits, d’une négligence ou autre, ou de l’utilisation ou de l’application de toutes les méthodes, les produits, les instructions ou les idées contenus dans la présente publication. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. Toute reproduction ou

représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle).

Ce logo a pour objet d’alerter le lecteur sur la menace que représente pour l’avenir de l’écrit, tout particulièrement dans le domaine universitaire, le développement massif du « photo-copillage ». Cette pratique qui s’est généralisée, notamment dans les établissements d’enseignement, provoque une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée. Nous rappelons donc que la reproduction et la vente sans autorisation, ainsi que le recel, sont passibles de poursuites. Les demandes d’autorisation de photocopier doivent être adressées à l’éditeur ou au Centre français d’exploitation du droit de copie: 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. Tél. 01 44 07 47 70.

Table des mati'res Instructions pour l'accès en ligne Image de couverture Chez le même éditeur Titre de page droits d'auteur Table des mati'res Les auteurs Citation Remerciements Avant-propos du coordinateur et directeur de collection Avant-propos des auteurs-coordinateurs

Préface Complément en ligne Abréviations

Partie I Introduction à la douleur Chapitre 1 Pourquoi aborder spécifiquement la thématique de la douleur ? Plan du chapitre Présentation générale du livre Généralités sur la douleur Utilisation du livre Référence Chapitre 2 L’EBP et le champ de la douleur Plan du chapitre Evidence-based practice (EBP) L’EBP dans le champ de la douleur Références Chapitre 3 Histoire et définitions

Plan du chapitre Introduction historique sur la douleur : à travers le temps et les cultures Représentations culturelles et religieuses de la douleur La douleur à travers l’histoire : de l’Antiquité à Descartes Évolution après le XVIIe siècle La révolution de l’imagerie moderne Une histoire de la douleur et de l’antalgie Les sociétés savantes – l’IASP et la SFETD Références

Partie II Les différentes dimensions de la douleur Chapitre 4 La dimension sociétale de la douleur Plan du chapitre Qu’est-ce que la dimension sociétale ? Pourquoi l’aborder en premier dans cet ouvrage ? Douleur et société Application clinique Références

Chapitre 5 La dimension perceptive de la douleur Plan du chapitre Introduction Pour comprendre une perception douloureuse, il faut parler de la conscience La composante attentionnelle d’une perception douloureuse Références Chapitre 6 Les dimensions psychologique, cognitive et comportementale de la douleur Plan du chapitre Introduction La douleur dans les pathologies psychiatriques Physiopathologie cognitive de la douleur Déterminants cognitifs de la prise en charge de la douleur Conclusion Références Chapitre 7 La dimension physiologique systémique de la douleur Plan du chapitre Introduction Douleur et inflammation

Le système nerveux autonome, les « stress » et la douleur Respiration et système nerveux autonome Douleur et motricité Synthèse Références Chapitre 8 La dimension sensorielle de la douleur – Introduction Plan du chapitre Présentation de la nociception Transduction Conduction Transmission Perception Modulation Références Chapitre 9 La dimension sensorielle de la douleur – la transduction Plan du chapitre Le potentiel d’action Canaux ioniques et récepteurs Conclusion

Références Chapitre 10 La dimension sensorielle de la douleur – la conduction Plan du chapitre Introduction Les neurones de premier ordre : fibres C, Aδ et Aβ Les neurones de deuxième ordre Les neurones de troisième ordre Une réflexion sur les voies nociceptives Références Chapitre 11 La dimension sensorielle de la douleur – transmission et perception Plan du chapitre La transmission La perception Références Chapitre 12 La dimension sensorielle de la douleur – modulation et sensibilisation Plan du chapitre La modulation

La sensibilisation Références

Partie III Les approches thérapeutiques modulatrices Chapitre 13 Les différents moyens pour moduler la douleur Plan du chapitre Introduction à la partie III de l’ouvrage Taxonomie des familles de mécanisme Outils thérapeutiques modulateurs Chapitre 14 Hypnose Plan du chapitre Introduction Histoire brève de l’hypnose Termes et techniques de l’hypnose État des connaissances scientifiques à l’heure actuelle Applications de l’hypnose dans la douleur Conclusion Références

Chapitre 15 Pourquoi les thérapies cognitives et comportementales Plan du chapitre Présentation des TCC et fondements théoriques Les TCC, une thérapie brève centrée sur le patient et son fonctionnement Références Chapitre 16 Repenser l’abord du patient autour de ses objectifs et de ses attentes Plan du chapitre Introduction Le contexte médical et les liens de causalité La réalité de la douleur et la nécessaire « négociation » sur les attentes du traitement Objectifs, attentes du patient et TCC Références Chapitre 17 Les outils des thérapies cognitives et comportementales Plan du chapitre L’évaluation en première intention La mise en place des TCC en kinésithérapie Référence

Références Chapitre 18 Thérapie d’acceptation et d’engagement Plan du chapitre Présentation de la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) Les six processus thérapeutiques de l’Hexaflex L’ACT, un modèle intégratif et transdiagnostique Utiliser l’ACT en thérapie Références Chapitre 19 Éducation aux neurosciences de la douleur(pain neuroscience education) Plan du chapitre Introduction Définitions Contexte Pour quoi ? Pour qui ? Pour quoi ? Comment ? Contenu

Les images, exemples et métaphores Exemple d’adaptation d’utilisation de métaphore dans le contexte précis d’un patient L’importance de la communication lors de l’examen clinique Recommandations Des sessions de PNE uniquement La PNE durant le traitement Données de la littérature Chez les patients lombalgiques « chroniques »/persistants Effets sur les composantes psychocognitives Perspectives Références Chapitre 20 Thérapie cognitive fonctionnelle (cognitive functional therapy [CFT]) Plan du chapitre Généralités La place de la CFT dans la prise en charge d’un patient douloureux Les principes d’utilisation du concept de CFT Les processus d’une évaluation et d’un traitement CFT Conclusion

Références Chapitre 21 L’entretien motivationnel Plan du chapitre Définir un cadre de référence à l’utilisation de l’entretien motivationnel Généralités sur l’entretien motivationnel L’esprit de l’entretien motivationnel Les processus de l’entretien motivationnel Les outils de l’entretien motivationnel Conclusion Références

Partie IV Raisonner et appliquer Chapitre 22 Raisonnement clinique dans l’accompagnement d’une personne douloureuse Plan du chapitre Introduction Classification des douleurs par mécanismes Les caractéristiques du symptôme

Démarche d’évaluation Décider des soins Proposition de soins Apport du raisonnement bayésien Péroraison Références Chapitre 23 Communication Plan du chapitre Introduction Construction de l’échange L’écoute active La communication verbale S’exprimer sans paroles : les langages paraverbal et non verbal Le lieu des soins : la place des effets contextuels Références Chapitre 24 Résolution de cas cliniques Plan du chapitre Cas clinique 1 – L’importance que la douleur prenne sens pour soi-même

Cas clinique 2 – L’imbrication des différentes composantes du modèle biopsychosocial Référence Index

Les auteurs Auteurs coordinateurs Thomas Osinski, diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute ; Master 1 Mesure Performance Santé Ingénierie (Université Joseph Fourier, Grenoble) ; Master 2 Recherche Organisation en Santé, option Recherche clinique (Université Pierre et Marie Curie, Paris) ; doctorat recherche clinique innovation technologique, santé publique (Université de Versailles SaintQuentin-en-Yvelines) ; kinésithérapeute ; formateur à l'IFMK EFOM (Paris) Adrien Pallot, diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute ; Master Ingénierie de la rééducation, du handicap et de la performance motrice (IRHPM) (Université de Picardie) ; diplôme universitaire Méthodes en recherche clinique ; diplôme universitaire Interprétation des essais thérapeutiques ; kinésithérapeute ; référent pédagogique et enseignant au CEERRF ; responsable d'UE et enseignant à l'Institut d'ingénierie de la santé (Université de Picardie) ; enseignant dans les IFMK IRFSS Limoges, ASSAS, La Musse, Strasbourg, Besançon, Saint-Michel, EFOM ; membre du conseil d'administration de la Société Française de Physiothérapie (SFP) ; membre du comité de pilotage des Journées francophones de kinésithérapie (JFK)

Auteurs Sessi Acapo, diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute ; Master 2 Biomécanique humaine, sport et santé (UFR Staps

URCA) ; Master 2 Recherche en rééducation et réadaptation (UPMC Paris 6) ; kinésithérapeute Romain Bouchenoire, diplôme d’État de masseurkinésithérapeute ; DU Thérapies cognitives et comportementales de la douleur chronique (Université Pierre et Marie Curie, Paris) ; DU Pratiques paramédicales en nutrition et micronutrition (Université de Bourgogne) ; kinésithérapeute ; enseignant à l’École universitaire de kinésithérapie de la région Centre-Val de Loire (EUKCVL) Morgan Colas, diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute ; DU Hypnose et communication thérapeutiques (Université de Nantes) ; kinésithérapeute ; enseignant à l’École Universitaire de Kinésithérapie de la région Centre-Val de Loire (EUKCVL) ; président de l'Union régionale des professionnels de santé des masseurs-kinésithérapeutes libéraux (URPS MKL) de la région Centre-Val de Loire Jean-Philippe Deneuville, diplôme d’État de masseurkinésithérapeute ; MSc Physiotherapy (University of Dundee, Royaume-Uni) ; doctorant bio-ingénierie mécanique (Université de Poitiers) ; kinésithérapeute Florence Hapillon, diplôme d’État de masseurkinésithérapeute ; Master en sciences de l’éducation – ingénierie et conseil en formation (Université de Rouen) ; DU Rééducation pelvi-périnéale (Université Pierre et Marie Curie, Paris) ; kinésithérapeute ; enseignante dans les IFMK de Reims, Rouen, Besançon, Vichy ; enseignante en DU d'hydrothérapie (Saint-Joseph, Thonon-les-Bains) ; secrétaire adjointe de la CPTS du Bas Chablais ; secrétaire adjointe de l'AMKRC ; membre du comité scientifique de l'AFRePP Charles Lagaert, diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute ; kinésithérapeute ; enseignant dans des IFMK de l'AP-HP et de l'EFOM François Perrin, diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute ; Master 2 STAPS VHMA option recherche (Université Paris V) ; DU Kinésithérapie respiratoire pédiatrique (Lille) ;

kinésithérapeute ; responsable d'UE Musculo-squelettique, IFMK AP-HP Victor Pitron, doctorat de médecine, psychiatre (Unité de pathologies professionnelles et environnementales, HôtelDieu, Paris) ; chercheur en sciences cognitives Guillaume Raynal, diplôme d’État de masseurkinésithérapeute ; kinésithérapeute Nathan Risch, diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute ; licence de psychologie ; Master Recherche en sciences cognitives ; doctorant (CHU Lapeyronie, Institut de génomique fonctionnelle, Université de Montpellier, Clinique de la Lironde) ; kinésithérapeute Laurent Rousseau, diplôme d’État de masseurkinésithérapeute ; DU TCC douleur chronique (Saint-Antoine, Paris) ; DU Douleur (Rennes) ; kinésithérapeute ; formateur en formation initiale ; co-président du GI Douleur de la Société Française de Physiothérapie (SFP)

Réviseuse Aurélie Morichon, diplôme d’État de masseurkinésithérapeute ; Master Ingénierie de la rééducation, du handicap et de la performance motrice (IRHPM) (Université de Picardie) ; kinésithérapeute ; responsable pédagogique et enseignante dans les IFMK EFOM et CEERRF ; enseignante à l'Institut d'ingénierie de la santé (Université de Picardie) et à l'IRFSS Limoges ; secrétaire générale adjointe de la Société Française de Physiothérapie (SFP) ; membre du comité de pilotage des Journées francophones de kinésithérapie (JFK)

Relecteurs Clément De Renty, diplôme d’État de masseurkinésithérapeute ; kinésithérapeute ; enseignant à l'IFMK Nevers et au CHIMM Tiphaine Divay, diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute ;

kinésithérapeute ; enseignante à l'IFMK de Besançon Julie Durand, diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute ; Master 2 Ingénierie de la santé parcours ingénierie de rééducation, handicap et performance Motrice (Université Jules Verne, Amiens) ; DIU CESAM en biostatistiques (La Sorbonne, Paris) ; kinésithérapeute ; enseignante dans les IFMK Assas, de l'AP-HP et de Besançon Baptiste Gomis, diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute ; kinésithérapeute Élise Janvier, diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute ; DIU Formation des professionnels de santé à la prise en charge de la douleur ; kinésithérapeute ; enseignante à l'IFMK de Meaux ; kinésithérapeute ; cheffe de projet pour l'Association Ville-hôpital de lutte contre la douleur d’Île-de-France (AVHLCD) Pierre-Loup Mercier, diplôme d’État de masseurkinésithérapeute ; Master 2 Ingénierie de la santé, du handicap et de la performance motrice (Université Jules Verne, Amiens) ; kinésithérapeute ; enseignant dans les IFMK d'Assas, de Besançon ; membre du comité de pilotage des Journées francophones de kinésithérapie (JFK) ; secrétaire de Santé eSports Alexis Wurtz, diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute ; kinésithérapeute à l'IURC d'Illkirch, service nutrition

Citation « La douleur est un aussi puissant modificateur de la réalité que l’ivresse. » Marcel Proust

Remerciements Si vous prenez le temps de lire ces quelques lignes, je souhaiterais vous remercier pour avoir pris du temps pour vous pencher sur le contenu de cet ouvrage collaboratif et aussi pour avoir le courage de lire ces remerciements. En premier lieu, mes remerciements vont à l’ensemble des collègues qui ont accepté de collaborer à cet ouvrage et en particulier à Adrien Pallot qui m’a proposé cette belle aventure et a eu le courage de démarrer ce chantier colossal de collection. De manière toute personnelle je présente des remerciements pleins de gratitude pour ma femme qui m’a toléré lors de ce projet et a supporté ma moindre présence absorbée par d’interminables moments de lecture et d’écriture pour tenter de fournir un travail, cohérent, agréable et novateur. Thomas Osinski

Encore une aventure exaltante qui s’achève, en ayant emprunté un chemin toujours autant enrichissant dont je remercie profondément les personnes suivantes d’y avoir été présentes : ● Thomas, pour avoir partagé la co-coordination de l’ouvrage ; cela a été riche en construction d’approches contemporaines dans un plan réflexif inaccoutumé et en apprentissage guidé de manière bienveillante. ● Les co-auteurs, pour l’expertise de leurs participations respectives. ● Les relecteurs, pour leur aide rétrocontrôlante de nos erreurs ! ● Jo Nils, pour avoir ajouté sa vision préambulienne. ● Mélanie Chacun, pour sa pasilience, néologisme inéluctable de

type mot-valise formé par les deux mots patience et résilience ; un savoir-faire/être partagé par l’ensemble de l’équipe d’Elsevier. ● Aurélie Morichon, la One-Above-All marvélienne de la collection, experte ès minutie dont les compétences tant spécifiques que transversales sont à la fois infaillibles et immédiates ; ses reprises d’écrits sont d’une dualité contradictoire : entre gratitude incommensurable et incapacité frustrante à la mettre en défaut… CHAPEAU ! ● Tous mes proches, famille et amis, qui soutiennent de près ou de loin mes projets en acceptant les contraintes qu’ils génèrent ; pardonnez mes absences ! ● Agnès Palma, auto-nommée Mamy, dont sa partie non masquée de Rummikub ne m’a pas laissé le temps de lui montrer un autre ouvrage publié, maintes fois bavardé au sein des discussions variées toujours altruistes qu’elle provoquait ; pour toutes les valeurs que tu m’as insidieusement inculquées, j’espère un jour être à la hauteur de te ressembler. Adrien Pallot

Avant-propos du coordinateur et directeur de collection C’est il y a plusieurs années, bien avant même le début d’écriture de notre premier livre sur l’evidence-based practice, que des songes vinrent souffler l’idée huluberlue de la construction d’une collection d’ouvrages en kinésithérapie. À l’époque clairement immodérée et miragineuse, cette rêverie fanstasmagorique se devait d’être posée sur papier, grossièrement structurée, afin de la soumettre au crible critique de l’intérêt et de la faisabilité. C’est grâce à plusieurs échanges avec mes comparses historiques que le pas fût passé de la présenter à un éditeur. Une surprise, puis un « ouf » apaisé, de s’entendre répliquer que cette idée était également en tête de l’équipe éditoriale. S’enchaînèrent alors réunions et discussions, améliorant le projet. Les éléments de construction se dessinèrent, puis se mirent en œuvre. Le méta-objectif de cette collection est simple, mais exhaustif : apporter un contenu actualisé et argumenté de moyens pluri-référentiels (théories, raisonnements, pratiques, …) pour les prises en charge des patients dans les divers champs de la kinésithérapie. Un chantier titanesque, demandant de rassembler différents profils afin de mélanger et pondérer leurs apports (savoirs, savoir-faire, avis, …) pour aboutir à une vision large et nuancée, et donc au plus juste. Cette route est passionnante et apprenante, autant personnellement que collectivement. Je souhaite qu’elle le soit également autant à la lecture qu’elle ne l’est à l’écriture. Un grand merci à toute l’équipe d’Elsevier pour cette aventure rocambolesque, et plus particulièrement à : • Stéphanie et Mélanie, pour votre suivi et votre longanimité

malgré toutes nos deadlines clairement débordés • Marie, pour votre guidance et votre prévenance, pour, au moins, cette même raison • Mathilde et Sonia, pour la réalisation de cette utopie, vos mots concrétisent et accompagnent L’idée de cet ouvrage a été de construire son squelette (parties et chapitres) selon un modèle réflexif. L’abord des patients douloureux se fait ici via une approche multidimensionnelle pour appréhender au mieux cet aspect de la douleur. Ceci permet de faire focaliser le lecteur sur les multicausalités, interdépendantes ou non, engendrant la douleur, afin de se concentrer sur la cohérence de la proposition de projet de soin adapté à l’unicité de chaque cas clinique rencontré. Le thérapeute pourra donc croiser les différentes notions abordées, au gré des besoins pour les patients : • Les éléments de raisonnement clinique • Les savoirs physiologiques et physiopathologiques • Les grandes dimensions de la douleur • Les approches thérapeutiques modulatrices L’abord par dimension est proposé dans l’ordre de « l’infiniment grand » à « l’infiniment petit ». Cet agencement nous permet de recentrer le patient en tant qu’individu social, avant de le considérer comme une somme complexe d’activités physiologiques biologiques. Il permet d’examiner les différents prismes s’emboitant les uns les autres pour mieux comprendre la perception du sujet. S’en suit des propositions d’approches thérapeutiques, non mutuellement exclusives, afin que le thérapeute puisse proposer un parcours de soins adapté. Ainsi, le thérapeute saura davantage appréhender une pratique réflexive contemporaine. Pour ce faire, j’ai eu le plaisir de partager la coordination de cet ouvrage avec Thomas Osinski, pour sa vision non dogmatique du soin, son pragmatisme réflexif et son accompagnement progressant et bienveillant. Vois, en ces derniers mots, ma profonde confiance et mes infinis

remerciements. Adrien Pallot

Avant-propos des auteurscoordinateurs Il est fréquent de justifier un livre ou un travail sur la douleur par la fréquence de ce symptôme et le coût humain et social des syndromes connexes. Il est évident que ce sont d’excellentes raisons de s’intéresser aux neurosciences de la douleur afin de mieux comprendre et accompagner les patients qui en souffrent, ou sont à risque d’en souffrir. Nonobstant cela, nous pensons qu’aborder les neurosciences de la douleur permet de comprendre bien d’autres choses et peut représenter une ouverture large vers nombre d’autres domaines de la santé, tous essentiels dans le développement d’une pratique clinique fondée sur les évidences. À l’époque de la compilation de la première édition de cet ouvrage, des divergences et des tensions existent dans le domaine de l’étude et de la compréhension de la douleur. Loin de pouvoir résoudre cet état de fait dans un tel condensat d’informations, le parti pris d’une vision de la douleur comme phénomène émergeant dans le système nerveux d’un être humain consubstantiellement social fut adopté. Cette position se veut transcendante par rapport à ces dits conflits et capable d’apporter autant de réponses que de soulever de nouvelles interrogations chez le lecteur. La nature même de ce que chacun appelle la douleur étant probablement vouée à rester sujet de débats, nous espérons participer à la naissance de questionnements riches et sains à la fois pour chacun, mais aussi pour tous. Ouvrage d’une collection, ce livre s’appuie sur des notions parfois développées plus en détails ailleurs dans la collection et tente de faire un lien avec l’ensemble des autres spécialités de cette dernière. Comprendre la douleur, les représentations et les théories

développées à son sujet, les substrats physiologiques putatifs de cette expérience, ainsi que la complexité de cette expérience intime de notre corps, doit permettre un raisonnement clinique enrichissant malgré sa complexité. Au nom de l’ensemble des personnes qui ont pris de leur temps, de leurs connaissances et de leurs expériences pour contribuer à cet ouvrage, que nous espérons novateur, utile et pertinent, nous tenions à vous remercier pour votre lecture attentive à venir et le temps que vous nous accorderez. Thomas Osinski et Adrien Pallot

Préface Chronic pain is recognised by the World Health Organization (WHO) as a disease, and it is one of the most prevalent and costly diseases worldwide [1]. Neuroscience research has tremendously advanced our understanding of the pathophysiology of pain and chronic pain. The knowledge regarding central sensitisation [2–16], defined as an amplification of neural signalling within the central nervous system that elicits pain hypersensitivity [17], initiated a paradigm shift in the understanding and management of chronic pain, including a shift away from primarily considering peripheral mechanisms when making patient management decisions [18]. This paradigm shift from peripheral to central mechanisms is also reflected in physiotherapeutic approaches for patients with chronic pain, which is thoroughly addressed in this book. Pain neuroscience education applies the knowledge regarding central sensitisation to explain to patients that their pain is (at least partly) due to central mechanisms. At least 12 randomised clinical trials (n=755) have examined the effects of pain neuroscience education in patients with osteoarthritis undergoing knee arthroplasty [19], patients receiving spinal surgery [20], chronic spinal pain [21], fibromyalgia [22,23], and chronic fatigue syndrome [24], among others. The pooled effects showed positive results of clinical relevance in the short term for pain (-5.91/100; 95% CI, -13.75 to 1.93), disability (-4.09/100; 95% CI, -7.72 to -.45) and kinesiophobia (-13.55/100; 95% CI, -25.89 to -1.21), and in the medium term for pain (-6.27/100; 95% CI, -18.97 to 6.44), disability (-8.14/100; 95% CI, -15.60 to -.68) and pain catastrophizing (-5.26/52; 95% CI, -10.59 to .08) [25], but also makes one modest when we consider the size of the observed effects. The fairly small to medium effect sizes come as no surprise, as pain

neuroscience education is not a comprehensive intervention. On the contrary, pain neuroscience education often is the first step towards engaging patients with chronic pain in a comprehensive, multimodal (lifestyle) intervention [26]. This idea is substantiated by a trial where we combined 3 sessions of pain neuroscience education with 15 sessions of cognition-targeted exercise therapy for patients with chronic spinal pain, and observed small effects after the education sessions, but medium to large effects (maintained at 12 months followup) after the complete treatment [27]. Besides education and exercise therapy, contemporary pain science olso inspired other physiotherapeutic approached for treating pain, such as stress management [28], behavioural graded activity [29], and more recently sleep management [30], weight management including nutritional support [31]. Together, this calls for a lifestyle approach for managing chronic pain [26], with physiotherapists at the front line of implementing such a lifestyle approach. Moreover, physiotherapists worldwide are front runners in implementing contemporary pain science into clinical practice, and this new book will greatly support us in continuing to take on this leading role. This brief overview of the science supporting the integration of contemporary pain science in physiotherapy practice sets the scene for a comprehensive book on this topic. This book is part of the evidencebased practice stream and emphasizes the complex aspect of pain and the importance of the different biopsychosocial dimensions. It’s a comprehensive overview of our current understanding of pain, chronic pain and the options we as physiotherapists have for translating scientific understanding of (chronic) pain into clinical practice, including treating patients with (chronic pain). The book is written by a team of french experts on pain under direction of Dr. Thomas Osinski from the Université Versailles Saint Quentin in France and M.Adrien Pallot from the University of Amiens. Dr. Osinski is respected authority in the field of pain and physiotherapy. They developed the book into a state-of-the-art, top-level masterpiece. I would like to congratulate all the collaboration with the publication of this book; it’s a key milestone for our profession, and an important

achievement that will greatly facilitate implementation contemporary pain science into clinical practice.

of

Professor Jo Nijs1–3 PhD, PT, MT 1Pain

in Motion Research Group (PAIN), Department of Physiotherapy, Human Physiology and Anatomy, Faculty of Physical Education & Physiotherapy, Vrije Universiteit Brussel, Belgium 2Chronic pain rehabilitation, Department of Physical Medicine and Physiotherapy, University Hospital Brussels, Belgium 3Department of Health and Rehabilitation, Unit of Physiotherapy, Institute of Neuroscience and Physiology, Sahlgrenska Academy, University of Gothenburg, Sweden. University of Gothenburg Center for Person-Centred Care (GPCC), Sahlgrenska Academy, University of Gothenburg, Gothenburg, Sweden

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Complément en ligne Les références peuvent être consultées en ligne. Pour accéder à ce complément, connectez-vous à l'adresse suivante : http://www.em-consulte.com/e-complement/477053 et suivez les instructions pour activer vos accès.

Abréviations ACT acceptance and commitment therapy (thérapie d'acceptation et d'engagement) AGCC acide gras à chaîne courte AGPI acide gras poly-insaturés AINS anti-inflammatoire non stéroïdien AMP adénosine monophosphate AMPA acide α-amino-3-hydroxy-5-méthylisoazol-4-propionate AMPc adénosine monophosphate cyclique AMS aire motrice supplémentaire APA American Psychological Association (Association américaine de psychologie) ATP adénosine triphosphate AVQ activités de la vie quotidienne BDNF brain-derived neurotrophic factor BPS biopsychosocial CCA cortex cingulaire antérieur CFT cognitive functional therapy (thérapie cognitive fonctionnelle) CGRP calcitonin gene-related peptide CIF Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé CPF cortex préfrontal

CPP cortex pariétal postérieur CRH corticoréline DCRB désir, capacités, raisons, besoins DDPD demander-demander-partager-demander DMN default mode network (réseau en mode par défaut) DN4 Douleur Neuropathique 4 items DSM Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) EBM evidence-based medicine EBP evidence-based practice ECR essai contrôlé randomisé EM entretien motivationnel EVA échelle visuelle analogique GABA acide gamma-aminobutyrique GDNF glial cell line-derived factor GMPC guanosine monophosphate cyclique HAS Haute autorité de santé HPC heat, pinch and cold IASP International Association for the Study of Pain IC intervalle de confiance IL interleukine Inserm Institut national de la santé et de la recherche médicale IRM imagerie par résonance magnétique IRMf imagerie par résonance magnétique fonctionnelle KAR kainate receptor (récepteur kaïnate) LCNS lombalgie chronique non spécifique

LNS lombalgie non spécifique MBCT mindfulness-based cognitive therap (thérapie cognitive fondée sur la pleine conscience) MBSR mindfulness-based stress reduction (réduction du stress fondée sur la pleine conscience) MrgprD Mas-related G-protein coupled receptor member D NGF nerve growth factor NK1 neurokinine 1 NMDA N-méthyl-D-aspartate NS neurone nociceptif spécifique PA potentiel d'action PKA protéine kinase A PKC protéine kinase C PLT potentialisation à long terme PNE pain neuroscience education (éducation aux neurosciences de la douleur) PPSE potentiel postsynaptique excitateur PPSI potentiel postsynaptique inhibiteur PS professionnel de santé PSFS Patient Specific Functional Scale QO questions ouvertes R-R rééducation-réadaptation RBRV région bulbaire rostroventrale SDRC syndrome douloureux régional complexe SF-36 Short Form 36 SFETD Société française d'étude et de traitement de la douleur SGPA substance grise périaqueducale

SNA système nerveux autonome SNC système nerveux central SNP système nerveux périphérique SNS système nerveux sympathique ST spinothalamique (faisceau) TCC thérapie cognitive et comportementale TENS transcutaneous electrical nerve stimulation (stimulation nerveuse électrique transcutanée) TNF tumor necrosis factor TRPV transient receptor potential vanilloid VM ventromédial (noyau) VMPo ventro-médial postérieur (noyau) VP ventral postérieur (noyau) VPL ventro-postéro-latéral (noyau) VPM ventro-postéro-médial (noyau) WDR wide dynamic range (large gamme de réponse)

PA R T I E I

Introduction à la douleur PLAN DE LA PARTIE 1. Pourquoi aborder spécifiquement la thématique de la douleur ?3 2. L’EBP et le champ de la douleur 8 3. Histoire et définitions 12

CHAPITRE 1

Pourquoi aborder spécifiquement la thématique de la douleur ? T. Osinski, A. Pallot

« La connaissance éveille vos capacités, l’expérience enrichit vos compétences. » Alain Leblay

PLAN DU CHAPITRE Présentation générale du livre 4 Généralités sur la douleur 4 Utilisation du livre 6 Référence 7

Présentation générale du livre À la lecture de ce livre, vous aurez l’opportunité (et nous espérons, le plaisir) d’aborder la douleur dans nombre de ses dimensions. Il est entendu que, malgré notre effort pour fournir un travail riche et pertinent, il est impossible d’être exhaustif, ni même de donner réponse à toutes les interrogations. Cela s’explique par la contrainte d’un ouvrage matériel aux limites (dé)finies face à une littérature extrêmement riche par son contenu, sa diversité et son dynamisme,

mais également par le souhait de s’adresser principalement à des professionnels ou futurs professionnels de santé (PS) et particulièrement ceux du champ de la rééducation-réadaptation (R-R). À cette fin, il ne sera pas abordé dans le détail les éléments de pharmacologie, génétique ou d’examen complémentaire car nous les pensons plus adaptés dans un ouvrage médical où le diagnostic d’une atteinte organique a bien plus de sens que dans le domaine de la R-R d’où nous venons. Pour autant, nous ne nous interdirons pas d’évoquer ces sujets, entre autres tant qu’ils peuvent être utiles à l’exercice d’une pratique raisonnée. La volonté qui anima la conception de cet ouvrage était de ne pas répliquer la forme attendue de plusieurs livres sur le domaine de la douleur. Cela s’explique par une vision de la douleur qui en fait un objet conscient incarné de l’être humain que nous pensons être profondément social. De plus, nous sommes persuadés que les professionnels de la R-R n’ont pas la même nature de relation avec le patient que peuvent avoir d’autres professions de santé. De même, cet ouvrage, quoique intelligible par chacun qui a pu suivre une formation initiale de PS, n’a pas été pensé comme un ouvrage de vulgarisation grand public, même si nous espérons qu’il puisse servir de base aux professionnels pour l’éducation des patients et, plus largement, de la société. L’abord et la compréhension de la plainte douloureuse d’une personne en R-R doivent se faire, selon nous, en tentant de cerner chez le patient ce qui peut expliquer le symptôme, quelles interactions ce symptôme entretient avec le comportement du patient et quelles interactions la personne douloureuse entretient avec son environnement. Dans cette démarche de raisonnement, le diagnostic biomédical a de l’intérêt mais ne saura être central. De ce fait, dans cet ouvrage, nous nous intéresserons aux mécanismes de la nociception, de la perception douloureuse et du comportement dans la douleur. Par conséquent, la table des matières n’a pas été pensée par pathologie ou type de douleur, mais par dimension ou niveau d’interaction. De même, nous n’avons pas constitué de catalogue thérapeutique qui ne saurait être valide dans le temps et serait, à nos yeux, moins pertinent

qu’une compréhension de la multidimensionnalité de la douleur. L’ouvrage a pour objectif d’aborder la douleur à travers différents points de vue tels que : • les aspects historiques et sociétaux ; • les aspects psychocognitifs de la perception et du comportement ; • les notions de neurophysiologie en lien avec la nociception. Les données seront présentées à contre-pied de ce qui peut être fréquemment fait dans les ouvrages généralistes sur la douleur. En effet, nous pensons qu’il n’est pas utile de prioriser la neurophysiologie de la nociception car nous sommes convaincus que la pratique du soin en R-R bénéficie plus d’un abord global du patient, ce qui, selon nous, doit reposer sur une compréhension de certaines données des neurosciences comportementales et psychocognitives. C’est le fait d’avoir déjà expérimenté de la douleur sans avoir consulté qui nous fait penser que la cognition et le comportement sont des choses prédominantes dans la prise en soin d’un patient se plaignant de douleur. Conscients aussi de l’influence des autres (ou de la société) sur nos actions, nous proposons une progression au cours du livre allant des facteurs sociaux vers les facteurs neurophysiologiques de la plainte douloureuse. Évidemment, comme tout ouvrage, nous ne pouvons pas embrasser l’ensemble des données diffusées dans la littérature (pharmacologie, etc.). De même, les outils ou approches thérapeutiques évoqués n’ont pas tous la même efficacité clinique théorique (celle-ci étant d’ailleurs dynamique dans le temps via la progression des données de la science), mais leur présentation sert de bases réflexives sur les principes théoriques et leur apport dans le raisonnement clinique. Les exemples et contextes de soins seront souvent axés sur des affections musculosquelettiques car c’est dans cette population que la douleur est le symptôme le plus « important » de la consultation/plainte. Les populations d’autres champs (neurologique, pédiatrique, gériatrique, psychiatrique, cardiorespiratoire, etc.) ne seront pas abordées spécifiquement dans le détail. Néanmoins, le lecteur pourra

entièrement adapter par analogie les éléments qu’il lira ici dans ces autres champs.

Généralités sur la douleur La douleur est une expérience consciente ; nous ne pouvons pas imaginer une douleur dont nous ne soyons pas conscients. La vision que nous allons proposer essaie de s’intégrer dans une certaine compréhension de l’évolution. Ainsi, si nous nous interrogeons sur ce qui peut aider un organisme à survivre suffisamment longtemps pour se reproduire et faire en sorte que son mode de fonctionnement se pérennise, voire se développe, il est possible que nous en arrivions à la conclusion que pouvoir assurer sa pérennité et son intégrité est une capacité utile. Qu’est-ce qui pourrait être utile pour assurer la pérennité et l’intégrité d’un organisme ? Probablement l’existence en son sein d’un système capable de détecter une atteinte à son intégrité et d’agir de façon ad hoc face à cela. Une telle mécanique complexe semblerait bien être un possible avantage évolutif. Mais agir uniquement suite à la détection d’une atteinte de soi n’est probablement pas aussi efficace que de pouvoir prédire un risque et d’éviter le risque d’une atteinte de l’organisme. Un tel système serait déjà performant probablement (et le deviendrait plus encore) s’il était capable de s’adapter et de devenir plus sensible si une partie du corps est lésée et nécessite plus d’attention et de protection. Intuitivement, nous pouvons aussi imaginer qu’un tel système doit être capable de se coordonner à l’ensemble des autres systèmes de l’organisme afin qu’une fois un danger détecté, l’organisme puisse, selon son expérience, décider de la pertinence (ou non) de ce danger, puis faire en sorte d’agir de façon efficace par rapport à ce danger afin d’éviter la lésion ou, si la lésion n’a pas pu être évitée, de trouver une façon de protéger particulièrement cette partie de l’organisme qui aurait besoin de cicatriser. Au-delà de posséder la capacité d’un tel système d’alarme de détecter des lésions ou dangers pour l’organisme, d’interagir avec les autres systèmes (afin de permettre la mise en protection et faciliter la cicatrisation) et de pouvoir s’adapter afin de donner des

informations reflétant les variations de l’état de l’organisme, l’organisme gagnerait probablement à pouvoir faire en sorte que le danger détecté devienne son ultime priorité et puisse asservir le reste de l’organisme à l’objectif de protection. Mais tout organisme a aussi besoin de stabilité pour assurer sa pérennité. De fait, avoir la possibilité de réguler un tel système (voire de l’inhiber) semble aussi très avantageux d’un point de vue évolutif afin : • que l’organisme puisse apprendre et savoir donner une valeur juste, non excessive, à un danger ; • qu’il puisse agir même en cas de risque pour son intégrité (exemple : ne plus s’alimenter car un danger – ou une lésion – a été détecté dans le système d’assimilation de l’énergie nécessaire à la survie pourrait devenir rapidement non productif – moins d’énergie, mort de l’organisme, etc.). Dans cette expérience de pensée, nous sommes arrivés à nous dire qu’un organisme gagnerait à posséder un système de détection de danger et de lésion de son intégrité avec les capacités suivantes : • détection d’atteinte à son intégrité ; • détection d’un danger de façon non spécifique, seul le risque compte ; • interaction avec les autres systèmes afin de faciliter la cicatrisation ; • sensibilisation pour rendre compte d’une augmentation du risque ou du besoin de protection ; • modération quand une erreur est faite ou qu’il existe des priorités plus importantes. Un tel système existe chez l’être humain. La nociception est un sens qui a la possibilité de détecter des stimuli (internes ou externes) inhabituellement intenses et de s’adapter à l’état de l’organisme. De plus, il est capable de réagir à une atteinte de l’organisme. Ce système est constitué de fibres sensitives globalement polymodales et de haut seuil, ce qui signifie qu’elles vont être activées par des stimulations

intenses qu’importe la nature du stimulus. Quand elles sont activées, elles vont transmettre un message électrique, codé en train d’ondes, aux neurones de la moelle épinière qui, s’ils sont suffisamment excités, s’activeront et entraîneront des réactions locales et une transmission d’information vers différents centres cérébraux et sous-cérébraux. Ainsi, les réactions locales permettent un ajustement du corps (par exemple le réflexe de retrait qui est mis en jeu lorsque nous retirons notre pied d’une punaise que nous n’avions pas vue au sol et sur laquelle nous venons de marcher). Par la suite, la transmission vers les centres supérieurs permet de potentiellement solliciter la conscience. Or, la conscience nous apparaît comme un puissant mécanisme, qui a le pouvoir d’asservir les autres systèmes et de coordonner l’organisme vers une tâche précise. L’introspection permet de s’en convaincre ; toute personne qui se souvient d’avoir eu envie d’aller aux toilettes pendant un film au cinéma, mais qui a été prise par l’action, se souvient qu’en réalité si la conscience est absorbée par le fait de décortiquer l’histoire du film, elle peut faire en sorte de taire l’envie d’uriner à tel point que nous ne pensons à aller aux toilettes qu’une fois rentrés chez nous. L’accès des informations issues de la nociception à la conscience doit, selon nous, se faire selon les modalités proposées par Dehaene et al. [1], c’est-à-dire par une intégration diffuse dans le cerveau de différentes informations et via un canal unique qui empêche d’être conscient de plusieurs construits à la fois ; même si la capacité du système d’alterner entre différentes tâches suffisamment rapidement pour ne pas se rendre compte de sa lenteur (et aussi de ne pas en tenir compte dans sa représentation du monde) nous donne souvent l’impression que nous faisons plusieurs choses en même temps car nous n’avons pas souvenir en réalité d’avoir interrompu une tâche pour en continuer une autre. Un complexe système d’inhibition diffus est présent dans les différents niveaux du système nerveux qui est responsable de la perception consciente ; il assure la priorité entre les perceptions et le fait (si possible) d’avoir une réponse cohérente par rapport à la stimulation. Cette introduction à la neurophysiologie de la douleur a pour objectif de proposer une vision générale des mécanismes de la

nociception et de la perception douloureuse. La volonté est de penser la douleur comme inscrite dans un processus d’évolution darwinienne en lui donnant ainsi une fonction et un intérêt. Nous reviendrons dans certains chapitres sur les données scientifiques qui sous-tendent ces propositions.

Utilisation du livre Comme dit précédemment, l’abord de la douleur dans cet ouvrage n’a pas la volonté d’aboutir à un diagnostic médical d’une structure ou d’un élément biologique responsable de la sémiologie du patient. Non pas que le diagnostic médical soit inutile pour la R-R, mais le corps des professionnels de la R-R n’a pas le même objet de travail que celui des professionnels médicaux. À notre avis, il faut penser la R-R (et particulièrement la kinésithérapie) comme ayant pour objet la fonction du patient pour qu’il assume ses participations individuelles et sociales. Il est évident qu’une considération éthique sur le bien-être et la qualité de vie peut être envisagée pour autant, mais ce n’est pas la place des professionnels de la R-R dans la société. Ces distinctions nous semblent importantes car la fonction d’un corps de professionnels conditionne l’objet de son action, et donc de sa réflexion. Ainsi, en étant une profession centrée sur la fonction et les participations individuelles et sociales, il nous faut penser comment l’expérience de la douleur influence ces paramètres de vie. À cette fin, voici l’organisation de cet ouvrage et les éléments explicatifs de son utilisation par le lecteur.

Partie I – Introduction à la douleur Le lecteur trouvera ici les informations introductives à la douleur afin de comprendre : • pourquoi il a été intéressant d’individualiser un ouvrage sur le symptôme « douleur » ; • comment pouvoir lire le livre selon ses souhaits et besoins ;

• l’atout de l’utilisation d’une démarche evidence-based practice pour les patients douloureux ; • les origines de la compréhension de la douleur et son état actuel des connaissances.

Partie II – Les différentes dimensions de la douleur La douleur sera présentée sous les diverses dimensions dans lesquelles elle a une existence. Nous avons volontairement choisi d’aller du « mégascopique » (dimension sociétale) vers le « microscopique » (dimension sensorielle). Comme évoqué en amont dans ce chapitre, cela permet d’aborder la douleur par un point de vue autre que ce qui est couramment fait actuellement dans les différents cursus ou ouvrages. Le lecteur pourra alors, au gré de ses besoins et envies, rechercher les informations qu’il souhaite dans les chapitres suivants : • dimension sociétale (afin de comprendre les interactions des éléments culturels et sociétaux avec la douleur d’un individu) ; • dimension comportementale et psychocognitive (afin d’appréhender pourquoi une personne peut devenir un patient et comment elle peut mettre en place une démarche qui la maintient dans son état) ; • dimension perceptive (afin de se représenter comment l’activité du tissu neuronal permet une expérience consciente douloureuse) ; • dimension physiologique systémique (afin d’envisager la nociception et la douleur comme des événements non isolés et ne pouvant pas être compris dans leur importance avec une vision simplement sensorielle) ; • dimension sensorielle (afin d’appréhender des bases de neurophysiologie pouvant expliquer pour partie une plainte

douloureuse).

Partie III – Les approches thérapeutiques modulatrices Sont regroupées ici différentes thérapeutiques utilisables par le clinicien pour prendre en charge la douleur d’un patient. Ces moyens sont présentés un à un, mais leurs effets modulatoires concernent un ou plusieurs de ces éléments : • risque de génération des afférences ; • modulation inconsciente de l’intégration ; • modulation consciente de l’intégration ; • perception du corps ; • comportement.

Partie IV – Raisonner et appliquer Dans cette partie, sont abordés : • des notions de raisonnement utiles à une prise en charge réflexive des patients douloureux ; • des exemples de résolutions de cas clinique ; • certains outils diagnostiques à utiliser sur le terrain. Cela permettra d’expliquer comment réunir au mieux la plupart des notions vues avant et de donner quelques exemples démonstratifs.

Points à retenir ■ Ce livre est pensé pour aider les professionnels de la rééducation-réadaptation dans la compréhension des phénomènes douloureux et la prise en charge des patients souffrant de douleur.

■ Les chapitres sont conçus par dimension pour être lus de façon indépendante et permettre de développer une vision globale. ■ Cet ouvrage demeure parcellaire tant son sujet est vaste. ■ Des propositions sont faites dans une volonté de logique facilitant l’autonomie du praticien.

Référence [1] Dehaene S, Lau H, Kouider S. What is consciousness, and could machines have it ? Science 2017 ; 358(6362) : 486-92.

CHAPITRE 2

L’EBP et le champ de la douleur T. Osinski, A. Pallot

« He jerked his hand from the box, stared at it astonished. Not a mark. No sign of agony on the flesh. He held up the hand, turned it, flexed the fingers. ‘Pain by nerve induction,’ she said. » Frank Herbert, Dune

PLAN DU CHAPITRE Evidence-based practice (EBP) 9 L’EBP dans le champ de la douleur 10 Références 11

Evidence-based practice (EBP) Contexte Les deux principaux méta-objectifs des métiers de la santé sont de prévenir une pathologie chez un individu et/ou de la soigner. Outre les éléments intrinsèques d’une situation de soin, comme ses acteurs (patient, soignant, etc.) et son contexte (localisation géographique, type de pratique, etc.), les données scientifiques doivent elles aussi

être prises en compte pour aboutir à une prise en charge, quelle qu’elle soit. Cela permet de garantir que ces métiers pratiquent selon des standards démontrés, nécessaires, mais non suffisants. Cette démarche d’adjoindre ces données scientifiques dans une démarche de prise de décision clinique n’est pas nouvelle. Goodman, par exemple, est remonté jusqu’au serment d’Hippocrate pour l’illustrer [1]. Cependant, il faut prendre en compte l’aspect dynamique dans cette approche ; par leur nature, les normes de qualité d’une « bonne donnée scientifique » évoluent constamment. Pendant longtemps les pratiques empiriques étaient principalement fondées sur une sélection ad hoc d’informations provenant d’une littérature variable (théories du mécanisme incluses), d’opinions d’experts, de jugements d’autorité, d’expériences et/ou d’essai-erreur [2]. Comme le déclarent Sur et Dahm [3] : « L’utilisation de la méthodologie scientifique, comme dans la recherche biomédicale, et l’analyse statistique, comme en épidémiologie, était rare dans le monde de la médecine ». L’essor de la recherche scientifique, et en particulier de la recherche clinique, a permis de systématiser l’utilisation de procédures, admises à un instant t et évolutives dans le temps, afin d’essayer d’objectiver des éléments utiles aux thérapeutes (mais étant trop « biaisables » dans une analyse subjective sur le terrain d’une situation de soin). Néanmoins, la mise en œuvre de ces données scientifiques dans le terrain clinique n’était pas si formelle. Sur et Dahm [3] rapportent que c’est dans le courant des années 1960 qu’il y eut des initiatives pour incorporer les sciences fondamentales et biomédicales à la pratique clinique. La plus connue initialement était l’enseignement de l’épidémiologie clinique dans ces années-là à l’école de médecine de l’Université McMaster, dont le doyen John Evans a invité un jeune professeur de médecine, David Sackett, à rejoindre un nouveau type d’école de médecine [3, 4]. Elle était fondée sur la résolution de problèmes de patient, incorporant épidémiologie et statistiques au sein des disciplines cliniques [4]. S’ensuivent des années de diffusion et de promotion de cette thématique. C’est en 1991 que le terme evidence-based medicine (EBM) apparaît dans un éditorial de l’American College of Physicians Journal Club [5], suivi l’année d’après d’un article

éminent dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) présentant cette démarche comme une nouvelle approche pour enseigner la pratique de la médecine [6]. Il faut attendre l’année 2000 pour que Sackett et ses coauteurs énoncent clairement, dans la deuxième édition de leur livre Evidence-based Medicine : How to Practice and Teach EBM [7], le célèbre triptyque « packagé » patient-thérapeutescience : l’EBP est « l’intégration des meilleures données issues de la recherche à l’expertise clinique et aux valeurs du patient ».

Démarche EBP La décision de soin découlant de la démarche EBP princeps prend en considération les trois composantes suivantes, dans des proportions dépendant de la situation de soin : • l’expérience du clinicien ; • les préférences du patient ; • les données de la recherche. Néanmoins, ces trois dimensions ne sont pas exhaustives ; d’autres facteurs viennent pondérer ces décisions. Rob Herbert et ses coauteurs en citent quelques-uns [8] : • coût et/ou durée de l’intervention ; • compétences du thérapeute ; • ressources régionales fournies pour la santé ; • influences culturelles (dont religieuses). Aujourd’hui, cette décision se doit de reposer sur une approche biopsychosociale. Du fait de son évolution, nous avons proposé de faire évoluer la définition de l’EBP pour lui apporter un visage, nous semble-t-il, plus contemporain et complet telle que : « L’EBP est l’application clinique individualisée raisonnée du plus haut niveau de preuve possible dans un contexte de soin multidimensionnel unique » [9].

La démarche d’intégrer les données scientifiques actualisées dans ses réflexions cliniques induit une amélioration de la qualité et la pertinence des soins, ce qui a des répercussions à plusieurs niveaux (liste non exhaustive) [8] : • pour les patients : – sécurité des soins ; – efficacité des soins ; – guidance face à la grande source d’informations inégales qu’ils peuvent avoir ; – etc. • pour les professionnels : – déontologie ; – éthique ; – professionnalisme ; – autonomie professionnelle ; – etc. • pour les financeurs des soins : – balance bénéfice/risque ; – balance coût/efficacité ; – etc.

Les sept étapes de l’EBP [9] La mise en œuvre d’une démarche EBP passe par plusieurs étapes. Initialement au nombre de quatre, d’autres se sont rajoutées ensuite. Il y a actuellement cinq étapes « cœur » (car centrales cliniquement) et deux étapes connexes. Les cinq étapes « cœur » sont : • formuler une question « répondable » (étape aussi appelée « ask » en anglais) : – découle d’une situation clinique ; – provient de n’importe quelle étape clinique (diagnostique, thérapeutique, pronostique, etc.). • trouver les meilleures preuves disponibles (étape aussi

appelée « acquire » en anglais) : – consiste à aller chercher dans les ressources internes (nos connaissances déjà acquises) si celles-ci sont présentes et récentes ; – le cas échéant, aller les chercher dans les ressources externes (bases de données, collègue, etc.). • évaluer de façon critique les preuves (étape aussi appelée « appraise » en anglais) : – correspond à la lecture critique d’articles. • appliquer les preuves au patient (étape aussi appelée « apply and act » en anglais) : – réunion, intégration et pondération des différents éléments cliniques et scientifiques entre eux afin de découler sur une proposition de soin (apply) ; – décision avec le patient de la proposition de soin (si applicable) ; – réalisation du soin (act). • évaluer le processus (étape aussi appelée « assess » en anglais) : – évaluation des résultats des décisions à l’aide : – d’évaluations intermédiaires ; – d’évaluations finales ; – comparaison de ces résultats aux données scientifiques et aux éléments d’expertise métier. Deux autres étapes ont été proposées par la suite : • cultiver un esprit d’investigation (appelée étape 0 du fait de sa nature) : – générer les premiers questionnements ; – poser les bases de « travail » de l’EBP ; – commencer à se sensibiliser à cette démarche ; – vivre d’éventuelles dissonances cognitives. • diffuser les résultats de l’EBP : – échanger avec ses pairs, les autres professionnels, les étudiants, etc. ; – partager les exemples de cette démarche au niveau local,

régional et national ; – publier des études de cas, etc. Si vous souhaitez approfondir cette démarche EBP, nous vous renvoyons vers l’ouvrage de la référence [9].

L’EBP dans le champ de la douleur Après la lecture du chapitre 1 et du début de ce chapitre, il est aisé de comprendre tout le bénéfice qu’apporte une approche clinique EBP. Son côté multidimensionnel passant du « microscopique » (comme les savoirs biomédicaux, entre autres) au « mégascopique » (comme les aspects culturels, les systèmes de santé publique, etc.) permet de répondre au mieux aux différents éléments composant le symptôme « douleur » et la plainte douleur de la personne. L’intérêt de cette approche est d’être plus holistique et éthique qu’une approche centrée uniquement sur le savoir du praticien et son expérience qui pourrait l’amener à des jugements biaisés. Les nombreuses avancées faites concernant la douleur nous permettent de soutenir l’importance de l’intégration du pilier des données scientifiques pour l’optimisation des soins des patients. En effet, nous sommes passés d’une compréhension linéaire quasi purement mécanique de la douleur (un capteur de la douleur est stimulé, donc cela engendre l’activation d’une douleur) à une vision globale et intégrative de nombreux phénomènes. Il est assez évident, lorsque l’on connaît cette évolution, de comprendre tout le progrès en faveur des patients que cela a pu apporter (et apportera encore). De plus, la philosophie de l’ouvrage est qu’un patient, dans sa plainte douloureuse, s’appréhende mieux en utilisant un cadre dit biopsychosocial. Dans un tel cadre, la plainte douloureuse d’un patient se comprend comme émergeant de l’interaction de facteurs biomédicaux, psychocognitifs et sociaux de celui-ci. Les facteurs biomédicaux sont entendus comme l’ensemble des éléments en lien avec la physiologie du corps du patient à une échelle « microscopique », lorsque l’on prend les parties du corps du patient séparément et non comme un tout. Nous utilisons l’image d’un corps

« inanimé ». Cela englobe par conséquent, de façon non exhaustive, les facteurs génétiques, les facteurs immunitaires, l’état structurel et fonctionnel des tissus. Au niveau « macroscopique », celui de la personne en tant qu’objet d’étude, est englobé sous le terme de facteurs psychocognitifs ce qui se rapporte aux aspects de la pensée, du comportement et de la manière de les choisir (ses pensées et comportements), que cela soit sain ou pathologique. Ce niveau de facteurs est particulièrement intéressant car c’est celui de la perception douloureuse et de la décision de consulter. Il est possible de rétorquer à cette division que c’est le fonctionnement du système nerveux qui fait naître ces éléments psychocognitifs. Nous sommes pleinement en accord avec cela et considérons que le « psychocognitif », c’est du biomédical en soi, mais vu sous un autre angle, ce qui permet d’en affiner la compréhension. C’est cette réflexion sur une tentative de facilitation de compréhension des choses qui nous force à diviser l’insécable. C’est pour cela qu’il nous faut éviter, en opposition à une réflexion « biomédicale », d’opter pour une vision exclusivement psychologisante qui ne s’intéresserait qu’à un corps « désincarné ». Au-delà de ces deux premiers ensembles, il y a celui des facteurs sociaux, le « mégascopique », qui sont tous les éléments résultant des interactions de la personne avec ceux qui l’entourent, qu’ils soient proches (conjoint, famille, amis, etc.) ou qu’ils soient lointains (éléments/individus du travail, de la société, de la culture, etc.), et qui vont pouvoir influencer les expériences et sa façon de les interpréter. La suite des chapitres de cet ouvrage va permettre au lecteur de pouvoir appréhender et utiliser des éléments de réflexion pour construire sa prise en charge de personnes présentant une plainte de douleur en répondant multidimensionnellement à trois questions importantes : • Pourquoi le patient douloureux fait-il cette expérience consciente d’« une » douleur ? • Pourquoi la personne souffrant de douleur fait-elle la démarche de consulter pour cela et/ou d’autres éléments qu’elle énonce ?

• Comment puis-je l’aider pour atteindre ses objectifs de fonction et de participation sociale ; et si cela est nécessaire, comment puis-je l’accompagner afin de moduler au mieux « sa » douleur et ses conséquences ?

Points à retenir ■ L’EBP est l’application clinique individualisée raisonnée du plus haut niveau de preuve possible dans un contexte de soin multidimensionnel unique. ■ La démarche EBP comprend la captation de plusieurs éléments situés dans des dimensions différentes, ainsi que l’étude de leurs interactions afin de répondre au mieux à une situation clinique. ■ L’évolution des connaissances sur la douleur a permis de développer une compréhension complexe de l’expérience douloureuse qui transcende le « simple » phénomène de la nociception. ■ Une approche EBP est donc naturellement logique lors de l’accompagnement de patients douloureux.

Références [1] Goodman KW. Ethics and evidence-based medicine : fallibility and responsibility in clinical science. New York : Cambridge University Press ; 2003. [2] Glasziou P, Del Mar C, Salisbury J. Evidence-based practice workbook. Second edition. Massachusetts : Blackwell Publishing ; 2007. [3] Sur RL, Dahm P. History of evidence-based medicine. Indian J Urol 2011 ; 27(4) : 487-9. [4] Smith R, Rennie D. Evidence-based medicine-an oral history. JAMA 2014 ; 311(4) : 365-7. [5] Guyatt G. Evidence-based medicine. ACP J Club 1991 ;

114(suppl 2) : A16. [6] Evidence-Based Medicine Working Group. Evidence-based medicine : a new approach to teaching the practice of medicine. JAMA 1992 ; 268(17) : 2420-5. [7] Sackett DL, Strauss SE, Richardson WS, et al. Evidence-based Medicine : How to Practice and Teach EBM. Second edition. Edinburgh : Churchill Livingstone ; 2000. [8] Herbert R, Jamtvedt G, Birger Hagen K, Mead J. Practical evidence-based physiotherapy. Second edition. Churchill Livingstone : Elsevier Ltd ; 2012. [9] Pallot A, Davergne T, Gallois M, et al. Evidence-based practice en rééducation – Démarche pour une pratique raisonnée. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson SAS ; 2019.

CHAPITRE 3

Histoire et définitions S. Acapo, T. Osinski

« L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir. » Jean Jaurès

PLAN DU CHAPITRE Introduction historique sur la douleur : à travers le temps et les cultures 13 Représentations culturelles et religieuses de la douleur 13 La douleur à travers l’histoire : de l’Antiquité à Descartes 13 Évolution après le XVIIe siècle 14 La révolution de l’imagerie moderne 17 Une histoire de la douleur et de l’antalgie 17 Les sociétés savantes – l’IASP et la SFETD 18 Références 19

Introduction historique sur la douleur : à travers le temps et les cultures La nature intrinsèquement aversive de la douleur a en tout temps poussé les hommes à tenter de comprendre cette expérience vécue par

tous, lui donner du sens afin de pouvoir agir dessus et s’en libérer. Les êtres humains ont toujours essayé de comprendre pourquoi ils ressentent de la douleur et comment la réduire. La douleur est le plus ancien problème médical [1] et elle est probablement la raison la plus commune qui nous pousse à rechercher des soins [2]. Dans le passé, douleur et maladies étaient pensées comme des conséquences de mauvaises actions. De nos jours et dans notre culture, l’approche médicale est celle à laquelle nous sommes le plus fréquemment confrontés. Le médecin est la personne que nous consultons le plus souvent quand une douleur nous gêne et celle-ci est présente dans de multiples maladies. L’accès à des traitements pour la réduire fait partie des droits humains de base [3]. La douleur peut être définie sous plusieurs angles, par exemple à travers un aspect médical, philosophique, religieux ou bien anthropologique. À travers les époques et les différentes cultures, la compréhension du phénomène douloureux reflète l’esprit de son temps [3]. Comme nous sommes baignés dans une culture occidentale, nous aborderons dans ce chapitre l’évolution de la conception de la douleur principalement en Occident. La compréhension de la douleur a évolué, influencée principalement par la religion puis par la science. Les anciennes croyances traditionnelles, les anciens concepts et attitudes n’ont cependant pas été complètement remplacés et certains perdurent jusqu’à nos jours [4]. L’objectif de ce bref aspect historique est de comprendre comment le cadre conceptuel dans lequel nous nous plaçons va influencer notre façon d’aborder l’expérience de nos patients douloureux. De la même manière, il s’agira d’approcher la façon dont la culture a modelé notre compréhension de la douleur et a pu parfois compliquer son traitement [1].

Représentations culturelles et religieuses de la douleur L’explication religieuse de la douleur a été prédominante à travers le temps et les différentes cultures [3]. Quand celles-ci adoptent une

représentation de la douleur comme châtiment divin à cause d’une mauvaise action ou d’un péché, les prêtres prennent la place des guérisseurs et des médecins [6]. Parmi les écrits les plus anciens, il y a plus de 4000 ans, le terme de douleur apparaît dans un livre de médecine traditionnelle chinoise. Elle y est décrite comme le résultat d’un déséquilibre entre le yin et le yang [3]. Le livre contient également des descriptions des signes et symptômes de douleur nociceptive et inflammatoire. Chez les pratiquants de l’hindouisme, l’acceptation de la douleur et de la souffrance comme conséquence juste du Karma est primordiale. Le détachement du monde pour se focaliser sur Dieu est un des buts principaux des traditions hindoues. En acceptant, on devient moins attaché au changement de cet état : « Le plaisir et la douleur sont juste des visions de l’esprit. Elles apparaissent et disparaissent. Elles sont éphémères. Supporte-les patiemment » [4]. Dans le bouddhisme, « la vie est souffrance » et « la douleur et la souffrance sont causées par l’attachement ». La douleur est présente dans tous les aspects de la vie et la teinte. Le vieillissement, la maladie, la mort, la peur, la perte, la déception, la douleur font partie de la vie, personne ne peut y échapper. La solution réside dans le « Noble Chemin en 8 étapes » et la méditation [4]. Dans l’islam, la douleur est le résultat d’un péché ou un moyen de tester la foi du croyant à travers les vicissitudes de la vie. Dieu utilise la douleur et la souffrance pour révéler le croyant, tester son caractère et sa foi. Elle est une fatalité [4]. Dans le judaïsme, la Torah décrit la douleur des femmes en Égypte et leur joie lors de leur libération [4]. Il y est peu fait référence à la douleur, à l’exception de quelques « histoires » comme celle des épreuves infligées par Dieu à Job et qui provoquent des douleurs atroces. La douleur est au centre de la pensée chrétienne. La douleur et la souffrance permettent d’atteindre le paradis, le royaume de Dieu. Il s’agit de la volonté de Dieu en dehors de tout sens ultime autre que la vie éternelle. La souffrance est à l’origine de la compassion envers son prochain et mature la foi. Dieu apaise la douleur et réconforte le

croyant [4]. Des exemples illustrent cela, comme la crucifixion du Christ, la douleur de l’enfantement comme conséquence du péché originel ou, ici également, l’histoire des épreuves traversées par Job [1].

La douleur à travers l’histoire : de l’Antiquité à Descartes L’histoire liant l’homme et la douleur est très ancienne. Les plus anciennes preuves de l’utilisation d’opium, et donc d’action humaine pour le soulagement de la douleur, ont été découvertes sur des tablettes sumériennes. Elles montrent la culture et l’utilisation d’opium à usage récréatif et contre la douleur 5000 ans avant J.-C. [4]. Des restes de camps néolithiques montrent qu’il y a eu culture de graines de pavot en Suisse environ 3200 à 2600 avant J.-C. Des restes d’opium ont également été trouvés dans des tombes égyptiennes et à Thèbes montrant son usage 1500 ans avant J.-C. La bière était alors utilisée comme agent analgésique en complément [5]. Le papyrus Ebers, l’un des plus anciens traités médicaux (1552 avant J.C.), décrit comment la déesse Isis a apaisé son fils Horus avec de l’opium [4]. En 800 avant J.-C., Homère écrit dans son fameux poème l’Odyssée comment un homme utilise l’opium pour apaiser sa douleur et oublier ses soucis [4], et comment la belle Hélène de Troie sert une boisson aromatisée à l’opium aux combattants [6]. L’opium, bien connu au Moyen-Orient, a été réintroduit en Europe par Paracelse (fin du XVe siècle) et est arrivé en 1680 en Angleterre [4]. Tous ces témoignages du passé montrent que l’usage de substances actives contre la douleur est ancien et que les hommes ont probablement depuis tout temps tenté de trouver de quoi soulager leurs douleurs et souffrances. De nombreuses théories et hypothèses explicatives du phénomène douloureux émaillent également l’histoire. Chez les Grecs anciens, Aristote (384-322 avant J.-C.) croyait que la douleur était due aux mauvais esprits qui pénétraient le corps par les blessures. Il voyait la douleur et le plaisir non comme des sensations,

mais comme des émotions résidant dans le cœur [7]. Le cœur était le siège des sentiments, des émotions et des fonctions mentales [8]. Selon lui, le rôle du cerveau était de calmer la chaleur produite par le cœur [6]. Hippocrate (460-377 avant J.-C.) partageait une vision similaire, croyant que la douleur était causée par le déséquilibre des fluides vitaux [4, 6]. Ce n’est qu’après la Renaissance et les progrès en anatomie via les dissections que cette idée fut abandonnée [8]. Galien (vers 130-201) proposa une vision opposée à celle d’Aristote. D’après ses observations cliniques médico-chirurgicales et une approche expérimentale, il considérait le cerveau comme l’organe des sentiments et des sensations et comme le centre du système nerveux connecté aux nerfs périphériques [6]. Il proposa que la douleur soit une caractéristique spécifique du toucher. Dans sa pratique, il utilisait la douleur comme moyen diagnostique pour identifier une maladie sous-jacente [6]. Il décrivit également la symptomatologie classique de l’inflammation : douleur, chaleur, rougeur, gonflement. Le philosophe et médecin perse Ibn Sina dit Avicenne (980-1037) a étudié le soulagement de la douleur dans son livre en 14 volumes Canon de la médecine en 1025. Il donna à la douleur un caractère plus spécifique en considérant cette sensation comme indépendante du toucher ou de la température. Il est considéré comme le premier à avoir formulé ce qui ressemble à la théorie de la spécificité [8] qui a été développée plus tard. Dans les années 1630, René Descartes (1596-1650) écrit son célèbre traité L’Homme où il compare le corps humain à une machine. Un dessin célèbre (figure 3.1) illustre sa théorie selon laquelle la transmission de l’information de la douleur se fait par des nerfs périphériques via la moelle épinière pour arriver dans le cerveau et la glande pinéale où la perception de la douleur émerge à la conscience [6, 8]. Cette théorie changea la perception de la douleur, passant d’une expérience spirituelle et mystique à une sensation physique et mécanique. Cela impliquait qu’un traitement de la douleur pouvait être trouvé en recherchant les fibres de la douleur à l’intérieur du corps plutôt qu’une cause extérieure et supérieure, le plus souvent

Dieu. Cela a également déplacé le centre de la douleur du cœur vers le cerveau et a ouvert la voie à de nouveaux concepts [4].

FIGURE 3.1 Illustration du chemin entre stimulus et intégration cérébrale. Source : dessin réalisé par Cyrille Martinet.

Évolution après le XVIIe siècle Grâce aux progrès de l’anatomie, et en particulier celle du cerveau, le développement des sciences expérimentales à partir du XVIIe siècle a permis d’affiner les concepts autour de la douleur. Une des principales interrogations longtemps débattues résidait autour de la question de l’existence d’une voie spécifique de transmission de la douleur dans le système nerveux. Le XIXe siècle a vu les recherches se

concentrer sur la compréhension du mode de transmission de la douleur du corps à la moelle épinière et au cerveau [7]. De nombreux médecins et chirurgiens ont également publié des cas cliniques, tels que S. Weir Mitchell qui décrivit plusieurs syndromes douloureux comme la douleur du membre fantôme ou le syndrome douloureux régional complexe d’après ses observations pendant la Guerre civile américaine [1]. Au cours de l’histoire, quatre théories différentes ont été proposées (figure 3.2) : les théories de la spécificité, de l’intensité, du schéma (pattern) et du gate control. Aucune de ces théories n’a été admise de façon exclusive [7, 8] et certaines ont coexisté au cours du temps.

FIGURE 3.2 Les quatre différentes théories de la douleur. A. Théorie de la spécificité : selon cette théorie, les nocicepteurs (organes sensoriels spécialisés) possèdent des seuils d’activation à des niveaux (ou proches de niveaux) nocifs/dangereux, augmentant l’activité avec des stimuli nocifs plus intenses. Ces neurones afférents périphériques ont des connexions sélectives à des neurones spinaux et du tronc cérébral particuliers. B. Théorie de l’intensité : elle suggère que les organes sensoriels périphériques ne sont pas différenciés avec des seuils d’activation bas ou élevés. La théorie suggère que des fibres afférentes transmettent les stimuli non nocifs (par exemple la pression sur la peau) en générant un certain niveau d’activité alors que les stimuli nocifs/dangereux sont signalés par un plus grand niveau de décharge. Les fibres afférentes codant pour l’intensité vont à leur tour activer les projections neuronales avec une large plage dynamique (wide dynamic range [WDR]). Une activation faible des projections

WDR indique un stimulus non nocif ; une activation forte indique un événement douloureux (nocif). C. La théorie du schéma : elle propose que les organes somatiques sensoriels ont une grande variété de seuils d’activation possibles. Les neurones afférents individuels répondent à des stimuli avec des intensités variables. Le mode et le lieu de la stimulation sont indiqués par le schéma d’activité composite d’une population de neurones d’une région du corps. Les projections centrales des neurones codent pour la nature et le lieu de la stimulation par le schéma et la distribution de leur activité. D. La théorie du gate control : selon cette théorie, la gamme des neurones afférents primaires ayant des nocicepteurs spécialisés à seuils d’activation ainsi que des voies centrales n’existe pas. Les fibres afférentes primaires à large diamètre (fibres A) s’adaptent plus rapidement aux stimuli maintenus que les fibres de petit calibre (fibres C). Une porte présynaptique dans la substance gélatineuse de la corne dorsale de la moelle épinière entre les fibres afférentes primaires et les neurones projetés est contrôlée par l’équilibre des activités des fibres A et C. Quand l’input des fibres C surpasse celui des fibres A, la porte s’ouvre, permettant l’activation des neurones projetés. Le contrôle descendant du système nerveux central est considéré comme un facteur modulant la porte. GRD : ganglion de la racine dorsale ; SG : substance gélatineuse ; T : neurone de projection. Source : Perl ER. Ideas about pain, a historical view. Nat Rev Neurosci 2007 ; 8(1) : 71-80. Reproduction autorisée.

La théorie de la spécificité a été l’une des plus influentes dans l’histoire. En 1811, Charles Bell, anatomiste et médecin écossais, fut le premier à proposer que les fonctions des racines ventrales et dorsales des nerfs étaient intrinsèquement différentes. Il avait identifié que les racines ventrales étaient responsables des contractions musculaires, le rôle des racines dorsales restant encore vague. C’est Magendie qui, en 1822, en démontra la fonction pour la sensibilité. Bell proposa également l’idée que les nerfs sensitifs étaient spécialisés dans leur fonction, c’est-à-dire qu’ils répondaient à un certain type de stimulus. Cette loi, dite de Bell-Magendie, établit que les branches antérieures des nerfs spinaux contiennent uniquement des fibres motrices et les branches postérieures des fibres sensitives. En 1840, en se référant à ces découvertes, Muller développa la théorie de spécificité de la fibre nerveuse. Jusqu’à la fin du siècle, grâce notamment à Schiff et Brown-Séquard, plusieurs écrits supportent l’hypothèse d’une voie spinale essentielle conduisant l’information liée à un stimulus douloureux, sensation indépendante

du toucher. Max Von Frey (1896) observa qu’au niveau histologique différents types de structures neurales coexistent dans une même région cutanée et que ces différentes structures peuvent être associées à des sensations cutanées séparées telles que les sensations de pression, froid, chaud, douleur, etc. [7]. Au début du XXe siècle, Sherrington (1906) [7], prix Nobel de physiologie/médecine en 1932, nota que la douleur venait principalement d’une blessure et appela « nocif » le stimulus responsable d’une blessure tissulaire. Il proposa que des organes sensoriels signalant des événements nocifs étaient responsables de la douleur [7]. Cette introduction de la nociception puis celle de la synapse, avec le mode de transmission et la modulation, sont des étapes importantes dans la compréhension de la douleur et du fonctionnement du cerveau. En opposition à la théorie de la spécificité, le neurologue allemand Erb (1874) proposa la théorie de l’intensité qui considère que la douleur est produite par des sensations intenses, généralement désagréables, qui impliquent des stimuli forts alors qu’un stimulus faible ne produit pas de douleur. Il proposa que la douleur est le résultat d’une activation vigoureuse de voies nerveuses normalement impliquées dans d’autres sensations. À la fin du XIXe siècle, trois théories circulaient : la douleur comme émotion (héritée des anciens philosophes), la théorie de la spécificité et la théorie de l’intensité [7]. Au début du XXe siècle, l’enregistrement des signaux électriques nerveux permit des avancées notables. La découverte des potentiels d’action a permis de corréler l’activité d’une fibre afférente à une expérience sensorielle. Des enregistrements de réponses différentes à la stimulation sélective de fibres nerveuses ont été réalisés. Au milieu du XXe siècle, les progrès en électrophysiologie ont permis d’enregistrer l’activité de fibres nociceptives myélinisées appelées Aδ, ainsi que celle de plus de petites fibres non myélinisées appelées fibres C [7]. Différents schémas d’activités neuronales des fibres nerveuses primaires en réponse à des stimuli de différentes modalités (mécanique, thermique et chimique) ont été identifiés. Le psychologue américain John Paul Nafe formula à partir de ces découvertes la théorie

du schéma (pattern theory) [8]. Les guerres ont été l’occasion pour de nombreux cliniciens d’observer et de traiter des blessures importantes. Livingston décrivit ces années comme « les plus excitantes et productives de ma vie » [1]. Beecher observa que les soldats blessés rapportaient des intensités de douleur moins élevées que celles des civils [9] et formula la conclusion suivante : « il n’y a pas de relation directe entre la blessure en tant que telle et l’expérience de la douleur ». Son intuition lui a également permis de mettre en lumière les composantes « réactionnelles » cognitives et émotionnelles ainsi que les facteurs contextuels de la douleur [9]. Ces observations ont ouvert la voie à l’utilisation de protocoles en double aveugle et d’échelles numériques dans les études cliniques [1]. En Angleterre, Cicely Saunders proposa un concept de « douleur totale », intégrant la composante physique et de détresse mentale à des aspects sociaux, spirituels et émotionnels [1]. Dans une revue en 1962, Melzack et Wall développèrent la théorie du schéma et conclurent qu’il existait des schémas d’activation temporels et spatiaux des fibres nerveuses. En 1965, ils élaborèrent la théorie du gate control sur les mécanismes douloureux, postulant qu’une « porte neurale » localisée dans la corne dorsale de la moelle conditionne l’activation de neurones médullaires pouvant faire remonter des informations vers le cerveau. L’activité de cette porte serait elle-même modulée par des centres supérieurs. Ils postulèrent également l’absence de récepteurs spécifiques et d’une voie centrale spécifique à la douleur. Cette théorie stipule qu’il n’existerait pas de voie spécifique de la douleur faisant remonter un message de douleur de la périphérie vers le cerveau, mais que la perception d’une douleur passe par l’intégration de plusieurs signaux neuronaux au niveau médullaire. Cette intégration serait sous contrôle de sites suprasegmentaires [7]. Cette théorie, dominante jusqu’au début du XXIe siècle [8], est jugée maintenant trop simpliste, notamment à cause de son manque d’explication des phénomènes au long terme [2]. L’application moderne et directe de cette théorie est la TENS (transcutaneous electrical nerve stimulation ou neurostimulation électrique transcutanée) [1], considérée comme un outil de

perturbation de l’activité de ladite porte afin de perturber l’intégration de différents messages qui pourraient tendre à une perception douloureuse.

La révolution de l’imagerie moderne La fin du XXe siècle a vu l’émergence de techniques d’imagerie telles que la tomographie par émission de positons (TEP ou PET) et l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), permettant de visualiser le flux sanguin et les échanges de fluide in vivo, image indirecte de l’activité cérébrale [7]. Les études ont montré que les stimulus « nocifs » sont traités dans différentes zones du cerveau comme l’insula antérieure, le cortex cingulaire antérieur ou bien le cortex somatosensoriel. Sur une proposition de Wall et Melzack, cette étape dans le cerveau a été appelée une neuromatrice de la douleur. L’apparition de ces images de l’activité cérébrale alors que le sujet perçoit de la douleur a permis de décrire différents réseaux cérébraux impliqués dans des aspects distincts de l’expérience douloureuse. Par exemple, il est décrit une voie sensoridiscriminative de la douleur impliquant le cortex sensoriel primaire et secondaire dont l’activité varie en fonction de la localisation et de l’intensité de la perception douloureuse. Une autre voie est dite cognitivo-émotionnelle, impliquant le cortex cingulaire antérieur et le cortex préfrontal dont l’activité varie selon l’attention de la personne envers une douleur et son aspect aversif. Les études neurochimiques ont également éclairé d’autres aspects de la neurophysiologie de l’expérience douloureuse. Parmi les progrès, il y a par exemple la localisation des neuropeptides (substance P, calcitonine, etc.) dans une population de cellules des ganglions de la racine dorsale de la moelle épinière. L’identification de TRPV1, un type de récepteur exprimé sur les terminaisons des fibres nociceptives sensibles notamment à la chaleur, par Julius en 1997, est considérée comme une étape importante dans la compréhension des mécanismes moléculaires et cellulaires de la douleur [8]. Chaque théorie reflète l’état des connaissances de son époque.

Aucune de ces théories n’explique à elle seule l’ensemble des mécanismes de la douleur, tant d’un point de vue physiologique que dans ses multiples dimensions (affective, cognitive, sensorielle), qui ne sont toujours pas parfaitement comprises. La recherche scientifique est en perpétuel mouvement et se poursuit. Les découvertes à venir ne manqueront pas, soyons-en sûrs, d’ébranler nos certitudes et de nouvelles théories viendront proposer d’autres modèles explicatifs.

Une histoire de la douleur et de l’antalgie Comme évoqué plus haut, l’utilisation de substances pour soulager la douleur est aussi ancienne que la douleur elle-même. En Chine ancienne et en Inde, l’opium était utilisé pour soulager les douleurs dentaires et les douleurs articulaires [6]. En Égypte ancienne, l’électricité était également utilisée pour soulager les affections rhumatismales, les raideurs articulaires ou les maux de tête, le patient plongeant son membre douloureux dans un récipient contenant un poisson électrique [6]. L’utilisation de cortex salicis (écorce de saule contenant de la salicyline, substance chimique très proche de l’acide acétylsalicylique, ou aspirine, qui n’a été synthétisée qu’à l’orée du XXe siècle) était déjà répandue à l’époque d’Hippocrate [5]. La pharmacopée de l’époque comprenait aussi différents médicaments (jusquiame, mandragore, solanacées, opium), auxquels pouvaient être associés l’application de chaud, de froid, les bains ou la saignée pour soulager la douleur [6]. La thériaque était composée de plusieurs ingrédients, parfois jusqu’à 70, comme de l’opium, de la cannelle, du safran, du poivre ou bien de la chair de vipère mélangés avec du vin ou du miel [6]. Pline l’Ancien dressa une liste de l’ensemble des substances utilisées dans l’Antiquité dans son livre Histoires naturelles [5]. On retrouve dans l’ouvrage près d’une centaine de produits dont un tiers étaient destinés au traitement de la douleur [5]. À la même époque que Descartes, en 1680, Sydenham fut le premier à utiliser le laudanum en Angleterre et à promouvoir le traitement de la douleur [8]. Le laudanum est un mélange d’opium, de safran, de

cannelle et de clous de girofle dans du vin (sherry) [1]. Durant le XIXe siècle, les opioïdes furent le traitement standard pour les douleurs aiguës et persistantes. La morphine a été synthétisée et produite industriellement en Allemagne vers 1820. L’opium et ses dérivés sous toutes leurs formes (poudres, élixirs, cachets etc.) étaient alors disponibles en libre service. Vers 1870, les médecins commencèrent à formuler des craintes concernant des formes d’habitudes de consommation ou de narcomanie [1]. En 1898, la compagnie allemande Bayer introduisit un dérivé de morphine sous le nom commercial d’héroïne comme un remède contre la toux. En 1910, la classe ouvrière américaine avait appris à en écraser les cachets sous forme de poudre pour atteindre des concentrations plus élevées [1]. Leur fort pouvoir addictif ainsi que les effets d’une « crise des opioïdes » ont entraîné la régulation des prescriptions, les premières lois de contrôle datant de cette époque. Cela a eu pour conséquence une course des laboratoires afin de fournir d’autres antalgiques sans ces effets secondaires. En 1899, Bayer introduisit l’aspirine, un antalgique très efficace et d’usage présumé sûr (même si nous lui connaissons maintenant des effets indésirables notables), se plaçant comme une alternative à l’utilisation des opioïdes. En 1900, le comprimé de 500 mg d’aspirine était produit en masse en Europe et aux États-Unis. En 1846, le Dr Oliver Wendell Holmes, qui a introduit le stéthoscope aux États-Unis, fut le premier à décrire un nouveau processus que nous connaissons sous le nom d’anesthésie. Son livre Medical Essays a eu un impact considérable. À l’époque, les chirurgiens étaient fiers d’opérer le plus rapidement possible, réduisant ainsi la douleur induite chez leur patient [1]. L’utilisation de l’éther et du chloroforme a permis la réalisation de procédures chirurgicales plus longues et plus complexes. L’anesthésie a fait l’objet de débat en ce temps, certains médecins considérant comme non éthique le fait d’opérer un corps inconscient et pensant que l’anesthésie pouvait potentiellement retarder la guérison [1].

Les sociétés savantes – l’IASP et la SFETD

En 1973, John Bonica, célèbre pour son livre The Management of Pain (publié en 1953), invita 300 chercheurs et cliniciens à une convention de 3 jours pour initier la construction d’une prise en charge multidisciplinaire de la douleur [1]. De cette réunion internationale est née l’International Association for the Study of Pain (IASP) et sa revue associée, Pain. À l’heure actuelle, l’IASP compte plus de 7000 membres à travers 125 pays, possède 96 chapitres nationaux et 25 groupes spéciaux (site internet de l’IASP). Les missions de l’IASP sont multiples : promouvoir et organiser la recherche, établir grâce à des comités d’experts une taxonomie et des définitions revues régulièrement (1re édition en 1986), organiser un congrès international biannuel, éditer la revue Pain. Des groupes d’intérêt, vingt à l’heure actuelle, organisent la mise en relation de professionnels dans des domaines précis tels que la douleur dans le cancer ou la douleur pédiatrique. L’un des sous-groupes de l’IASP est en charge de la mise à jour de la terminologie en lien avec la douleur. Il édite des définitions de la douleur, de ses mécanismes et manifestations cliniques. Depuis les années 2010, ce groupe remet à jour la définition des catégories cliniques de la douleur. Actuellement, l’IASP reconnaît trois grands types de douleur, à savoir les douleurs neuropathiques (douleurs causées par une lésion ou une maladie du système nerveux somatosensoriel), les douleurs nociceptives (douleurs qui résultent d’une lésion réelle ou potentielle du tissu non neural et qui sont dues à l’activation de nocicepteurs) et les douleurs nociplastiques (douleurs qui résultent d’une altération de la nociception malgré l’absence de preuve évidente d’une lésion tissulaire réelle ou potentielle provoquant l’activation des nocicepteurs périphériques, ou de preuve de maladie ou de lésion du système somatosensoriel à l’origine de la douleur). La douleur neuropathique a été la première à être définie, les autres étant donc définies par rapport à elle. En 2020, l’IASP a proposé une révision de la première définition de la douleur datant de 1979. La nouvelle définition a été construite à partir de celle initiale qui était : « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable en lien avec un dommage tissulaire réel ou

potentiel ou du moins exprimé en de tels termes ». Après 2 ans de travail, le groupe a sollicité les membres de l’association, ainsi que des experts en linguistique et des personnes du grand public à travers une démarche participative pour parvenir à une nouvelle définition accessible à tous et consensuelle. Ce travail a abouti à une nouvelle définition de la douleur comme : « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée ou ressemblant à celle associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ». Une explication de texte a été proposée pour comprendre les idées clés de cette définition. Elle comprend six notes explicatives qui sont les suivantes : • la douleur est toujours une expérience personnelle qui est influencée à des degrés divers par des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux ; • la douleur et la nociception sont des phénomènes différents. La douleur ne peut pas être déduite uniquement de l’activité des neurones sensoriels ; • à travers leurs expériences de vie, les individus apprennent le concept de la douleur ; • le rapport d’une personne à une expérience de douleur doit être respecté ; • bien que la douleur joue généralement un rôle d’adaptation, elle peut avoir des effets négatifs sur le fonctionnement et le bien-être social et psychologique ; • la description verbale n’est qu’un des nombreux comportements permettant d’exprimer la douleur ; l’incapacité de communiquer n’exclut pas la possibilité qu’un être humain ou un autre animal éprouve de la douleur. À cela s’ajoute un rappel sur l’étymologie du terme anglais pain. Ce terme trouve son origine dans l’anglais moyen, provenant de l’anglais-français « peine » (douleur, souffrance) et du latin poena (pénalité, punition), lui-même issu du grec poine (paiement, pénalité, récompense). Ce travail a été effectué car plusieurs critiques avaient été émises à

l’égard de la première définition, parmi lesquelles [10] : • l’aspect potentiellement trivial et non spécifique de la notion de désagréable ; • la faible place apparente des dimensions sociales et cognitives dans l’expérience douloureuse ; • la place centrale du dommage tissulaire, ainsi que la possible dichotomie entre corps et esprit. De plus, l’ancienne définition a été interprétée comme excluant les nourrissons, les personnes âgées et les autres personnes – même les animaux – qui ne pouvaient pas exprimer verbalement leur douleur. Ainsi, le changement central dans la nouvelle définition, par rapport à la version de 1979, est le remplacement de la terminologie qui s’appuyait sur la capacité d’une personne de décrire l’expérience pour la qualifier de douleur. La Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) est le chapitre français de l’IASP. Créée en 1976, cette association multidisciplinaire a pour missions principales « le développement des méthodes d’exploration, d’évaluation et de traitement de la douleur » ainsi que « l’enseignement et la diffusion de toute notion concernant l’évaluation et le traitement de la douleur » (site internet de la SFETD). Elle édite des standards, options et recommandations (SOR) et référentiels de bonne pratique accessibles sur son site internet. Elle organise également un congrès annuel et, depuis 2017, a ouvert la Commission rééducation-réadaptation (C2R), une cellule spécialisée dans la promotion de la rééducation-réadaptation. Ce survol de l’histoire de la douleur nous montre combien ce phénomène est complexe et que la compréhension que nous pouvons en avoir dépend du cadre philosophique et culturel où l’on se place pour l’étudier. Cet ouvrage s’inscrit dans les courants modernes de compréhension de la douleur. L’approche biopsychosociale de la perception et de la plainte douloureuses permet d’englober un grand nombre de dimensions qui influencent la douleur. L’histoire de la douleur est toujours en pleine évolution car il n’existe pas encore de modèle exhaustif et consensuel. L’exposé, plus loin dans cet ouvrage,

des progrès réalisés dans les différents domaines scientifiques permettra, nous l’espérons, une compréhension plus fine de l’expérience complexe que vivent les patients douloureux.

Points à retenir ■ La douleur est un phénomène complexe et culturel. ■ Plusieurs associations nationales et internationales visant à développer la recherche et la prise en charge des patients douloureux existent. ■ Plusieurs théories ont existé et existent pour expliquer la perception douloureuse, beaucoup de domaines de recherche restant à explorer. ■ Depuis longtemps, l’humanité a tenté de donner du sens à la douleur, en proposant des explications et en apportant des réponses plus ou moins folkloriques.

Références [1] Meldrum ML. A capsule history of pain management. JAMA 2003 ; 290(18) : 2470. [2] Loeser JD, Melzack R. Pain : an overview. Lancet 1999 ; 379(9164) : 1607-9. [3] Vadivelu N, Urman RD, Hines RL (Eds). Essentials of pain management. New York : Springer ; 2011. [4] Ghosh S. Introduction to pain, religion and analgesia. In : Ghosh S (Ed.). Pain in perspective. InTech ; 2012. [5] Kulich R, Loeser JD. The business of pain medicine : the present mirrors antiquity. Pain Med 2011 ; 12(7) : 1063-75. [6] Sabatowski R, Schafer D, Kasper S, et al. Pain treatment : a historical overview. Curr Pharm Des 2004 ; 10(7) : 701-16. [7] Perl ER. Ideas about pain, a historical view. Nat Rev Neurosci 2007 ; 8(1) : 71-80. [8] Chen J. History of pain theories. Neurosci Bull 2011 ; 27(5) :

343-50. [9] Morley S, Vlaeyen JWS. 50 years on, Henry Beecherʼs “measurement of subjective responses” : Pain 2010 ; 150(2) : 211-2. [10] Cohen M, Quintner J, van Rysewyk S. Reconsidering the International Association for the Study of Pain definition of pain. Pain Reports 2018 ; 3(2) : e634.

PA R T I E I I

Les différentes dimensions de la douleur PLAN DE LA PARTIE 4. La dimension sociétale de la douleur 23 5. La dimension perceptive de la douleur 27 6. Les dimensions psychologique, cognitive et comportementale de la douleur 34 7. La dimension physiologique systémique de la douleur 48 8. La dimension sensorielle de la douleur – Introduction 61 9. La dimension sensorielle de la douleur – la transduction 66 10. La dimension sensorielle de la douleur – la conduction 75 11. La dimension sensorielle de la douleur : transmission et perception 86 12. La dimension sensorielle de la douleur – modulation et sensibilisation 93

CHAPITRE 4

La dimension sociétale de la douleur T. Osinski, A. Pallot

« La société n’est qu’un éternel effort pour s’entendre. » Henri-Frédéric Amiel

PLAN DU CHAPITRE Qu’est-ce que la dimension sociétale ? 24 Pourquoi l’aborder en premier dans cet ouvrage ? 24 Douleur et société 24 Application clinique 25 Références 26

Qu’est-ce que la dimension sociétale ? Comme tout objet que nous regardons, la douleur peut être abordée par plusieurs prismes catégorisant de grandes composantes spécifiques d’éléments de la pensée s’y rattachant : les dimensions. Tel un objet que nous pourrions examiner à travers ses différentes faces, la douleur peut être étudiée via différentes dimensions. Dans ce chapitre, c’est l’aspect sociétal qui sera présenté. Cet abord comprend les aspects structuraux, organisationnels et fonctionnels de la société

(aspect social, géographie, politique, économie, cultures, etc.). Un être humain n’est presque jamais seul au cours de sa vie ; il vit avec autrui, et donc interagit avec. Même si la douleur est une expérience personnelle subjective, elle est quasi universelle. Quid du premier de nos ancêtres à comprendre qu’autrui a mal ? Quid du premier de nos ancêtres à (essayer de) calmer le mal d’autrui ? Deux questions qui montrent l’influence de la douleur sur un « ressentir » et un « agir » interpersonnels, et non pas qu’intrapersonnels. Deux personnes qui interagissent, c’est le minimum pour une interaction sociale.

Pourquoi l’aborder en premier dans cet ouvrage ? La partie II de cet ouvrage présente les différentes dimensions permettant de comprendre la douleur. Souvent, la douleur est introduite par la nociception, pouvant laisser penser que c’est un élément nécessaire. Or, les chapitres suivants ne soutiennent pas cette idée. De plus, dans le monde médical, le focus est souvent mis sur la biologie, ce qui est discordant avec une temporalité de pensée biopsychosociale. Ce sont deux premières raisons qui nous ont amené à organiser la partie II du général au particulier, de l’homme social à l’homme cellulaire. Il s’agit de donner au lecteur une chronologie moins répandue de la description de la douleur. Néanmoins, il existe une dernière raison : celle de notre place en tant que soignants. Même si elle mobilise intrapersonnellement nos représentations de la douleur, être soignant a une vocation interpersonnelle intrinsèque. C’est aussi en termes d’hommage à cet altruisme que la dimension sociétale a été placée en premier.

Douleur et société La douleur est ancrée chez l’homme ; elle dépasse les frontières biomédicales induites par l’approche de la médecine « occidentale moderne ». L’art, d’hier et d’aujourd’hui, regorge d’œuvres musicales, littéraires, cinématographiques, picturales, etc. montrant la variété

d’abords de ce sujet. Nous allons présenter de manière non exhaustive certains de ses aspects.

Genre et sexe Les données suggèrent que les femmes rapportent plus fréquemment un état douloureux que les hommes [1, 2]. Cependant, comme c’est le rapport à la douleur qui est étudié, il est possible qu’il n’y ait pas de différence de vécu douloureux entre les deux genres. Pour la sévérité de la douleur, les données naviguent entre pas de différence et une différence en défaveur des femmes (elles auraient plus de douleurs) [1, 2]. Il est également difficile de statuer car des différences entre hommes et femmes peuvent exister : • les pathologies pouvant entraîner une douleur ne sont pas toutes prévalentes de la même manière ; • le fonctionnement biologique ; • la prise en charge par les soignants. Pour s’affranchir de l’effet des pathologies, il existe de nombreuses études utilisant une douleur induite expérimentalement via diverses modalités (mécanique, électrique, thermale, chimique, etc.) [1, 2]. Les résultats varient entre une absence de différence entre hommes et femmes, ou une différence en défaveur des femmes. Les explications mécaniques de cela sont encore discutées. Les études concernant la réponse à la douleur après un traitement montrent [1, 2] : • une consommation d’antalgiques moins importante chez les femmes ; cependant : – les antalgiques pourraient être plus efficaces chez la femme ; – il pourrait y avoir plus d’effets secondaires chez la femme ; – il y aurait plus de sédatifs prescrits chez la femme ; – il se pourrait qu’il y ait moins de prescriptions pour la

femme ; – ces éléments concernent le critère de jugement « prise d’antalgiques » et non « douleur ». • les réponses à des traitements non pharmacologiques ne sont pas plus efficaces chez l’homme ou la femme. Les éléments biopsychosociaux pouvant influencer cela seraient [1, 2] : • les effets différents des hormones liées au sexe sur la sensibilité à la douleur ; • la différence dans certains allèles ; • les stratégies de coping qui différeraient (Bartley et Fillingim évoquent « que les hommes ont tendance à utiliser la distraction comportementale et des tactiques axées sur les problèmes pour gérer la douleur, [alors que] les femmes ont tendance à utiliser une gamme de techniques d’adaptation, notamment le soutien social, les déclarations de soi positives, les techniques axées sur les émotions, la réinterprétation cognitive et la concentration attentionnelle » [1]) ; • une plus grande acceptation sociale de l’expression de la douleur en faveur de la femme (actuellement et dans certaines cultures). Bien évidemment, il est difficile de statuer sur ce sujet du fait de la différence entre le sexe (d’un point de vue biologique) et le genre (qui est un système désignant une identité sexuelle). Il est d’ailleurs moins complexe d’analyser les effets biologiques liés au sexe (comme les hormones) que les effets dus au genre (qui sont dépendants de la culture, de la temporalité, des classements de genre, des possibilités de changement de genre, etc.). Cependant, en tant que thérapeutes, il nous faut être conscients de la présence de biais de genre en santé, avec une « masculinité hégémonique et une andronormativité dominante » [3] dans le cadre des relations soignant-soigné (évaluations, raisonnement, décisions thérapeutiques, etc.). C’est un point éthique d’importance à

considérer.

Âge Les différentes études sont divergentes entre le fait qu’il n’y ait pas de différence de perception de la douleur entre sujets jeunes et âgés [4] et le fait que ces derniers aient une « perte de sensibilité à la douleur dans les intensités faibles » par rapport aux jeunes [5]. Il est cependant impossible de faire la distinction entre les éventuels effets de l’aspect biologique de la condition âgée et ceux de son aspect sociétal (dont historique, avec les années de vécu de douleur en plus pouvant influer sur la perception douloureuse elle-même).

Ethnoculture Une ethnie est un ensemble d’êtres humains partageant une ascendance, une histoire, une culture (dont les modes de vie), une langue, etc. [6]. Les ethnies ont une construction sociale (qui la définit finalement), mais aussi biologique, car vivre ensemble sur plusieurs générations brasse moins les allèles. De fait, les phénotypes peuvent se ressembler au sein d’une ethnie. La biologie ayant un rôle dans le processus douloureux, cela peut engendrer des phénotypes plus ou moins à même de « réagir » différemment à la douleur. Cependant, les ethnies apportent également leurs us, coutumes et mœurs (dont la religion). Ces éléments de mode de vie et de représentations (dont spirituelles) pourraient avoir un lien avec l’expérience douloureuse d’une personne. Cependant, il n’est pas possible actuellement de discerner un hypothétique effet de l’ethnoculture sur la douleur. Cette variable pourrait être plutôt intermédiaire et/ou confusionnelle au sein d’une « multicausalité » [7]. En effet, actuellement, un biais de confusion sûrement important existe : l’aspect socio-économique. Si une ethnie, dans un certain contexte, est à statut socio-économique faible, il est très probable que son accès aux soins soit altéré/médiocre, engendrant une moins bonne prise en charge [7].

Cependant, la représentation de la douleur (expression, sensibilité, endurance, etc.) peut différer selon les ethnocultures, sans qu’il y ait de différence sur le seuil de douleur [8].

Statut socio-économique Le statut socio-économique pourrait avoir des conséquences sur la perception douloureuse d’une personne, ainsi que sa prise en charge du fait de plusieurs éléments (liste non exhaustive) [9] : • diminution de l’accès aux soins ; • insalubrité du lieu de vie ; • insécurité du voisinage (hypothétiques conséquences psychosociales) ; • isolement social ; • altération de l’hygiène de vie (alimentation, sommeil, toilette, loisirs, etc.) ; • moindre suivi des conseils de santé publique ; • etc.

Application clinique Ce chapitre permet d’éclairer le clinicien dans deux applications cliniques importantes : • connaître le patient ; • éviter les biais implicites lors de la prise en charge. Connaître le patient qui vient nous voir est primordial pour essayer de lui proposer les soins les plus adaptés. Son évaluation biopsychosociale doit comporter les éléments sociétaux exposés ici afin de comprendre qui il est. Pour gérer au mieux les éléments de la dimension sociétale d’une personne, le mieux est de la considérer comme un « tout » unique composé de sa propre mosaïque. Éviter les implicites (de genre, d’ethnies, etc.) lors de la prise en

charge est nécessaire, pour deux raisons [10, 11] : • l’éthique : en tant que soignants, nous avons un devoir de soigner quiconque de manière équitable ; • la qualité du raisonnement clinique : ces biais, même inconscients, peuvent être la source d’une prise en charge moins avantageuse, voire délétère, du fait de jugements fallacieux/erronés.

Points à retenir ■ La dimension sociétale d’une personne est importante à prendre en considération. ■ Plusieurs éléments sociétaux interagissent entre eux et avec l’objet « douleur » ; cependant, plusieurs questions restent à éclaircir concernant la causalité. ■ Pour gérer au mieux les éléments de la dimension sociétale d’une personne, le mieux est de la considérer comme un « tout » unique composé de sa propre mosaïque. ■ Pour des raisons éthiques et de raisonnement clinique (entre autres), il est nécessaire de prendre en considération nos éventuels biais implicites.

Références [1] Bartley EJ, Fillingim RB. Sex differences in pain : a brief review of clinical and experimental findings. Br J Anaesth 2013 ; 111(1) : 52-8. [2] Pieretti S, Di Giannuario A, Di Giovannandrea R, et al. Gender differences in pain and its relief. Ann Ist Super Sanita 2016 ; 52(2) : 184-9. [3] Samulowitz A, Gremyr I, Eriksson E, Hensing G. “Brave men” and “emotional women” : a theory-guided literature review on gender bias in health care and gendered norms

towards patients with chronic pain. Pain Res Manag 2018 ; 2018 : 6358624. [4] El Tumi H, Johnson MI, Dantas PBF, et al. Age-related changes in pain sensitivity in healthy humans : a systematic review with meta-analysis. Eur J Pain 2017 ; 21(6) : 955-64. [5] Lautenbacher S, Peters JH, Heesen M, et al. Age changes in pain perception : A systematic-review and meta-analysis of age effects on pain and tolerance thresholds. Neurosci Biobehav Rev 2017 ; 75 : 104-13. [6] CNRTL. Ethnie. https://www.cnrtl.fr/definition/ethnie. [7] Fillingim RB. Individual differences in pain : understanding the mosaic that makes pain personal. Pain 2017 ; 158 Suppl 1 (Suppl 1) : S11-8. [8] Defrin R, Shramm L, Eli I. Gender role expectations of pain is associated with pain tolerance limit but not with pain threshold. Pain 2009 ; 145(1-2) : 230-6. [9] Maly A, Vallerand AH. Neighborhood, socioeconomic, and racial influence on chronic pain. Pain Manag Nurs 2018 ; 19(1) : 14-22. [10] Hall WJ, Chapman MV, Lee KM, et al. Implicit racial/ethnic bias among health care professionals and its influence on health care outcomes : a systematic review. Am J Public Health 2015 ; 105(12) : e60-76. [11] Champagne-Langabeer T, Hedges AL. Physician gender as a source of implicit bias affecting clinical decision-making processes : a scoping review. BMC Med Educ 2021 ; 21 : 171.

CHAPITRE 5

La dimension perceptive de la douleur C. Lagaert, T. Osinski, A. Pallot

« La douleur est un aussi puissant modificateur de la réalité que l’ivresse. » Marcel Proust

PLAN DU CHAPITRE Introduction 28 Pour comprendre une perception douloureuse, il faut parler de la conscience 28 La composante attentionnelle d’une perception douloureuse 31 Références 33

Introduction La douleur est définie comme une expérience ; cela implique que la personne qui fait l’expérience de la douleur est consciente de cette expérience. Il convient donc de prendre du temps pour mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans notre organisme lorsque nous percevons quelque chose. Ainsi, dans ce chapitre, seront abordées des bases de neurosciences de la perception et de la

conscience qui peuvent éclairer la pratique du soin avec des patients souffrant de douleur. Actuellement, il devient évident que, pour l’amélioration des pratiques, les professionnels de santé doivent se doter de compétences multiples [1] : • d’ordre technique comme l’anatomie, la biomécanique, la santé des tissus, la neurobiologie, la neurophysiologie, l’evidence-based practice, etc. ; • en lien avec la communication, l’éthique, ou encore la philosophie, etc.

Pour comprendre Pour comprendre ce qui explique l’expérience douloureuse d’une personne, un thérapeute doit s’appuyer sur la description brute de ce qu’elle ressent, mais aussi sur la connaissance approfondie des neurosciences, l’expérience dans la reconnaissance de schéma standardisé et l’utilisation de stratégies de communication adaptées à la situation. Un problème de douleur est donc comme un iceberg, la partie émergée étant ce que nous rapporte la personne douloureuse et les phénomènes neuroscientifiques non explicites en étant la partie immergée.

Pour comprendre une perception douloureuse, il faut parler de la conscience La perception comme point de départ Ontologiquement la douleur n’est pas une sensation ; elle ne se résume pas à de la nociception (voir les chapitres 8 à 12). Elle est une expérience qui implique une perception consciente. La perception peut être définie comme une opération psychologique complexe par laquelle l’esprit, en organisant les données sensorielles, se forme une représentation des objets extérieurs et prend conscience du réel [2].

Par le sens des mots, la perception d’une douleur représente bien plus qu’une sensation ; elle représente la finalité de l’interprétation d’une (ou de plusieurs) sensation(s), c’est-à-dire le résultat du processus intellectuel qui traite la (ou les) sensation(s). Percevoir le monde s’apprend ; il en est de même du concept de douleur qui est appris dans l’enfance et dont le sens va évoluer au cours de la vie. Nos plus anciennes représentations de la douleur se construisent au cours de l’enfance au travers du message éducatif des parents/tuteurs et des différentes expériences vécues. On retrouve souvent des situations qui génèrent une peur importante en fonction du degré d’une lésion visible à l’œil nu ou objectivable par une imagerie. L’interprétation qui sera faite des expériences vécues à travers ce cadre fourni par l’éducation reçue (et, au cours de la vie, par les messages d’autres personnes d’influence) va potentiellement renforcer cette idée trompeuse que la douleur est un phénomène lié aux lésions du corps sans que des facteurs autres (comme notre psyché) n’interviennent dans cette expérience perceptive. Cette dichotomie, souvent dite dichotomie corps-esprit, a longtemps défini (et peut définir encore pour certaines personnes) la notion de douleur (voir chapitre 3). En effet, le dualisme cartésien est une conception philosophique qui a séparé le corps de l’esprit (ou l’âme) et qui a largement inspiré les modèles occidentaux dans l’évolution personnelle des individus ainsi que dans le développement des sociétés autour du sujet de la douleur [3].

Focus Dans une vision cartésienne de la douleur, celle-ci est considérée comme une sensation périphérique provenant du corps que le cerveau va traiter. Ainsi, l’âme responsable de la psychologie (pensées, émotions et perceptions) serait logée dans la glande pinéale (épiphyse), lieu dans lequel elle aurait reçu du corps la douleur. Bien que la vision cartésienne de la douleur ait été séduisante à un moment donné, comme toute théorie, elle était la résultante

d’hypothèses qui ont depuis été largement réfutées. Même si celles-ci ont amené à élaborer une meilleure compréhension des patients et de leur prise en charge, le moment est venu de continuer de développer les pratiques vers de meilleures prises de décision dans les soins des patients en abandonnant ce modèle de pensée. Il est maintenant évident que la perception n’est pas un phénomène linéaire, comme cela avait été pensé par Descartes, avec un esprit qui recevrait sans filtre les sensations du corps. Au-delà de la nociception qui peut être une base à la perception douloureuse, sans en être ni nécessaire ni suffisante (voir les chapitres 8 à 12), les caractéristiques bayésiennes de la perception humaine gagnent en crédibilité (voir chapitre 7). Rapidement, il a été démontré que notre perception d’un événement était affectée par nos représentations initiales de cet événement et par la précision ou confiance que nous avons dans les nouvelles informations reçues lors du vécu de l’événement. Ce phénomène est appréhendable par l’expérience de la main en caoutchouc (rubber hand experience) qui offre un point de vue impressionnant sur la perception de la douleur. Dans cette expérience, une personne est installée face à une table, avec les deux avant-bras qui reposent sur la table. Un de ses membres supérieurs est recouvert par un drap (qui masque la vue que le patient a de son propre bras) ; au niveau de ce drap est installée une fausse main en caoutchouc qui ressort du drap. Une fois le sujet installé, l’expérimentateur caresse simultanément de façon synchrone les mêmes zones de la main factice visible et de la main réelle du sujet qui reste cachée à sa vue. Avec la répétition, la personne stimulée va percevoir que les caresses sur le membre factice sont faites sur son propre membre et va considérer le membre factice comme son propre membre. Cela peut s’objectiver par des questionnaires ou un test dit de décalage proprioceptif. Lors de ce test, il est demandé au sujet avec sa main non stimulée de venir indiquer où se situe son membre. Il est alors possible de constater que le sujet pointe une position qui est décalée vers le membre factice. Les informations visuelles et tactiles cohérentes du toucher sur le membre factice viennent modifier la représentation de la position des membres. Cela illustre la théorie

d’une perception bayésienne ; au début de l’expérience, la personne voit et sent la position de son membre dans l’espace. Ce membre lui est caché et une nouvelle information cohérente visuotactile (je vois le membre factice caressé et je le sens sur ma main, il est donc logique que ce membre que je vois soit le mien) arrive, ce qui fait naître une nouvelle perception de la position du membre sans que celle-ci ait été modifiée [4, 5]. Certains auteurs ont cherché à étudier la douleur lors du vécu de cette illusion du membre factice. Ils ont réalisé une hyperextension de l’index de la fausse main de telle manière que cet événement déclenche une douleur de manière quasi systématique sur une main réelle. Dans cette situation, il a été possible, chez un très faible nombre de sujets, de déclencher de la douleur au niveau de l’index [6]. Il existe sur internet des vidéos encore plus impressionnantes de personnes à qui, après l’induction de l’illusion que le membre factice est le leur, l’expérimentateur vient mettre un coup de marteau ou plante quelque chose dans le membre factice (par exemple https://www.youtube.com/watch?v=sxwn1w7MJvk). On voit alors des sujets avoir une réaction de retrait et émotionnelle forte. Cette réaction s’accompagne de changement de la conductance cutanée reflétant des modifications de l’activité du système nerveux autonome au niveau du membre [6].

Pour conclure La douleur est une expérience complexe lors de laquelle une personne vit une perception complexe qui fait appel à la représentation que se fait notre cerveau d’une situation donnée comprise comme dangereuse ou désagréable et qui peut nécessiter de s’y soustraire. La conscience est alors engagée dans le processus de genèse d’une perception douloureuse.

La conscience La douleur ne peut pas être réduite à la simple expression d’un

stimulus externe ou interne d’un certain seuil ; il s’agit bien d’une perception, quelque chose qui a lieu dans notre conscience [7-10]. Cette perception permet, quand cela peut sembler pertinent ou a été appris, de déclencher un comportement de soustraction à la situation présente.

Remarque Husserl, Sartre, Merleau-Ponty et Heidegger ont proposé des analyses phénoménologiques de la perception douloureuse [11]. Bien qu’ils ne soient pas tous d’accord sur la nature de ce phénomène de douleur, il est intéressant d’observer qu’au travers d’autres domaines, certains avaient pu identifier le caractère multidimensionnel de la douleur. Pour ces auteurs, l’étude de la douleur d’un patient devrait faire appel à la compréhension de ses expériences passées et de la représentation qu’il a pu s’en faire dans son environnement. Cela revient à s’attacher à décrire les expériences subjectives.

Synthèse La douleur ne peut pas être pensée sur un modèle dualiste du corps et de l’esprit. Cette expérience que nous faisons émerge de phénomènes perceptifs complexes qui reposent sur une activité cérébrale diffuse. Les interactions synchrones entre différentes aires cérébrales semblent pouvoir expliquer les différentes dimensions de la douleur qui ont été classifiées comme des dimensions biologiques, psychologiques et sociologiques. Un mode de pensée orienté sur le modèle biopsychosocial prend alors tout son sens, la compréhension de la douleur du patient se fait bien à la réunion des différentes composantes biopsychosociales et non uniquement à leur sommation mathématique.

Développement du modèle de pensée de la

dimension perceptive : la notion de souffrance Faire l’expérience d’une douleur va influencer nos représentations de l’avenir et les représentations déjà existantes. L’effet que produit la perception douloureuse de l’expérience est issu de l’influence qu’a la douleur sur la narration que se fait tout à chacun de sa propre vie. Dans le domaine de la phénoménologie, les auteurs s’accordent pour dire que, tout au long de la vie, le corps et l’esprit se construisent au travers de nos expériences. Les priorités, les valeurs de vie, la façon d’être, etc. conditionnent l’individu dans l’environnement et dans son interaction avec le monde, et se construisent au travers de ces expériences [12]. Dans le contexte d’une perception douloureuse, la douleur (au même titre que la joie, le plaisir ou la peur) se construit au travers des représentations élaborées de moments vécus [13, 14]. Dans une situation où l’individu est dans l’impossibilité de se soustraire à sa perception douloureuse (ou de la comprendre), par son caractère irrépressible, la perception douloureuse va conditionner les représentations futures et influencer l’avenir douloureux par anticipation. La souffrance va découler du ressenti que va donner (ou non) un individu à sa douleur [15]. La souffrance est élaborée personnellement en fonction des composantes de la douleur (intensité, lieu, etc.) et des éléments de contexte intrinsèques et extrinsèques de l’individu. Ce dernier interprète sa douleur dans une situation, débouchant (ou non) sur une souffrance. Cela marque le niveau de pénibilité de l’intensité et de la tonalité de la douleur d’un individu [15]. Le Breton évoque d’ailleurs que « la souffrance est intense quand la douleur est subie (maladie, torture, accident, etc.) mais tolérable quand elle est choisie car elle accompagne une activité désirée (activités physiques et sportives, body art, etc.) » [15]. Lors d’un traitement, il existe un nombre important de paramètres du patient à comprendre comme les émotions, les cognitions, la perception de soi, les obligations personnelles, etc. en lien avec sa perception douloureuse.

Le caractère narratif du patient, de son point de vue subjectif, peut être considéré comme le meilleur moyen de guider le clinicien dans sa compréhension du patient. Les mots, les peurs, les craintes, les valeurs, le mode de vie du patient sont les ingrédients de sa perception douloureuse et le mélange est unique pour chacun d’entre eux.

La souffrance du patient sous un prisme clinique La médecine s’est développée sur un mode de pensée fondé sur la recherche du diagnostic. Ce mode de pensée a permis de trouver une échappatoire à l’inconnu du point de vue des soignants, de répondre au « je ne sais pas ». Les patients ont également été éduqués de cette manière ; ils partagent le besoin d’avoir une étiquette, de mettre un nom sur ce qu’ils ressentent, de se ranger dans une case. D’un point de vue psychologique, c’est un moyen de se protéger ; le patient espère ainsi que l’équation de ses symptômes sera simple. À un calcul connu, il y a une solution donnée : le patient utilise ce moyen de défense dans l’espoir de récupérer une part de contrôle de son corps et de son esprit pour agir sur sa souffrance. Depuis, la santé a pris en compte un certain nombre de changements, notamment la pensée actualisée de la perception de la douleur, en y intégrant la notion de souffrance et la manière dont le soignant interagit avec le patient. Il est établi que la compréhension de la souffrance du patient est nécessaire pour le guider dans sa résolution personnelle. En clinique, questionner, écouter les patients, les laisser libres de partager leurs expériences douloureuses constitue une partie des outils nécessaires à la réalisation d’une prise en charge biopsychosociale et EBP. Écouter permet au patient de donner le maximum d’informations provenant de lui-même et d’éviter que le clinicien ne se construise sa propre représentation de la souffrance du

patient à partir de ses propres conceptions [16]. Au travers de cette nouvelle compréhension de la douleur, il ne s’agit pas de faire de la psychologie (en tant que science fondamentale) avec le patient, mais de conscientiser l’utilisation des moyens de communication à notre portée pour écouter le patient et le guider (questions ouvertes, reflets, valorisations, etc.). La compréhension psychologique et philosophique de la douleur est une aide à comprendre pleinement le récit d’un patient. Une meilleure compréhension amène à une meilleure prise de décision pour le patient.

Remarque Sous un autre angle et d’une manière plus schématique, Tamar Pincus métaphorise très bien cette conception. Une pâte à modeler d’une couleur représente la personne et l’autre pâte représente la douleur. En mélangeant les deux pâtes, la couleur globale change ; il n’est plus possible de séparer les deux pâtes initiales. Pour la douleur, Pincus considère que c’est un phénomène similaire : il n’est pas possible d’isoler la perception de la sensation. Il y a une continuité entre le corps et l’esprit concernant la douleur ; celle-ci fait partie de la personne et se construit autour de nos expériences et de nos compréhensions (figure 5.1) [17].

FIGURE 5.1 La métaphore de la douleur. Source : d’après T. Pincus. [17].

Nous changeons, nous apprenons de notre vécu, nous nous adaptons (figure 5.2).

FIGURE 5.2 Représentation schématique de l’organisation de la souffrance d’un patient.

La composante attentionnelle d’une perception douloureuse Plusieurs parties de la dimension perceptive participent à la construction d’une douleur, mais qu’en est-il de l’attention ? A-t-elle un rôle dans le vécu de l’expérience douloureuse ? L’exemple le plus commun pour mettre en avant l’idée que l’attention peut influer sur la perception d’une douleur est celui des soldats partis à la guerre. Ils ont subi d’importantes lésions sur le champ de bataille et ont ressenti peu de douleur, alors qu’une fois rentrés au pays, de légères blessures ont pu engendrer de fortes

douleurs [18, 19]. On pourrait encore citer le cas de sportifs qui se blessent pendant une épreuve et qui arrivent à la terminer avant de ressentir les premières douleurs. Aujourd’hui, de nombreuses études ont été menées pour chercher à identifier le substrat de la relation entre l’attention et la douleur. La recherche a permis d’identifier que cette relation entre la perception d’une douleur et l’attention se fonde également sur un modèle de boucles de neurones qui interagissent, formant ainsi une neurosignature propre à ces deux éléments en fonction d’une situation donnée.

Pour comprendre Plus concrètement, Eccleston et al. ont montré dans leur étude qu’en détournant l’attention des patients de leur douleur, on pouvait observer une modulation (descendante) de leur perception douloureuse. Des stratégies fondées sur la stimulation visuelle, auditive ou tactile ont été développées [20, 21]. Il a également été mis en évidence par l’IRMf que l’activation dans la substance péri-aqueducale grise (SGPA) était significativement augmentée dans un cadre où les patients étaient distraits de leur douleur. Des études ont aussi montré que le niveau d’activité de la SGPA était prédictif de la modulation de la douleur en fonction de la distraction [22, 23]. Pour intégrer le lien entre l’attention et la douleur dans la prise en charge d’un patient qui présente une perception douloureuse, Peterson et Posner ont décrit différents modes d’action de l’attention sur la douleur pour améliorer notre compréhension de cette relation. On retrouve essentiellement [24-26] : • une activation du réseau thalamique pour le type d’attention d’alerte ; il s’agit de notre état de vigilance face à l’environnement ; • une activation du réseau pariétal, frontal et ventral pour l’attention d’orientation ; cette partie de l’attention a pour rôle

de hiérarchiser les entrées sensorielles en sélectionnant une modalité ou un emplacement ; • une activation du réseau des cortex cingulaire antérieur et médian pour le réseau d’attention exécutif qui, lui, a pour but de monopoliser la conscience d’une manière très spécifique à un moment donné. L’attention a donc un rôle à deux niveaux distincts dans la globalité de la prise en charge d’un patient qui présente une douleur chronique : • pendant l’exercice, il est important d’utiliser les mécanismes d’attention pour moduler la douleur et permettre au patient de vivre des expériences sans douleurs en modulant les différentes composantes attentionnelles de l’exercice. Le côté ludique, challengeant et/ou interactif d’un exercice est un des moyens de moduler la douleur pendant l’exercice et de participer à la genèse d’une nouvelle perception du patient ; • dans la vie courante, l’arrêt d’une occupation (par exemple un arrêt de travail suite à des douleurs) ou la focalisation de l’entourage sur l’incapacité (par bienveillance, en voulant aider pour tout) peut amener le souffrant à focaliser sa vigilance sur la douleur. Dans le cas d’un patient qui présente une douleur chronique, celuici doit être guidé vers un objectif plus large que celui de seulement supporter sa propre douleur au quotidien. Il doit être intégré dans la reprise du contrôle de son quotidien, encouragé à avoir des participations sociales, une activité physique, etc. Ce travail de guidage doit prendre en compte le patient dans le sens profond de sa globalité.

Remarque Plusieurs auteurs concluent qu’une des difficultés supplémentaires pour un patient qui présente des douleurs aiguës ou persistantes est

[27, 28] : ■ que ses facultés cognitives (dont l’attention) sont ellesmêmes perturbées par la douleur ; ■ que la capacité de l’attention à moduler la douleur est également liée à des différences intra-individuelles.

Aujourd’hui, une partie de la médecine a compris l’importance de la conscience dans la douleur et on voit apparaître de nouvelles thérapies d’anesthésie opératoire fondées sur l’hypnose par exemple. Pour la prise en charge de syndrome de douleur chronique, de nouvelles méthodes sont utilisées telles que les thérapies cognitivocomportementales, la relaxation, la sophrologie, la méditation, etc. Ces méthodes sont pertinentes pour agir à la fois sur la douleur chronique et sur la douleur aiguë [29-31]. Ces thérapies sont composées de composantes cognitives et attentionnelles.

Points à retenir ■ La douleur est une expérience qui implique une perception consciente. ■ La douleur est une expérience complexe lors de laquelle une personne vit une perception complexe qui fait appel à la représentation que se fait notre cerveau d’une situation donnée comprise comme dangereuse ou désagréable et qui peut nécessiter de s’y soustraire. ■ La douleur (au même titre que la joie, le plaisir ou la peur) se construit au travers des représentations élaborées de moments vécus. ■ La souffrance est élaborée personnellement en fonction des composantes de la douleur (intensité, lieu, etc.) et des éléments de contexte intrinsèques et extrinsèques de l’individu.

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CHAPITRE 6

Les dimensions psychologique, cognitive et comportementale de la douleur V. Pitron, T. Osinski

« Si tu ne veux pas tomber en proie à la douleur, marche à sa rencontre. » Lanza del Vasto

PLAN DU CHAPITRE Introduction 35 La douleur dans les pathologies psychiatriques 35 Physiopathologie cognitive de la douleur 37 Déterminants cognitifs de la prise en charge de la douleur 42 Conclusion 47 Références 47

Introduction Chacun est en droit d’attendre une prise en compte et des soins ad hoc pour sa douleur. Cela est considéré comme un droit fondamental, garanti par la loi (article du Code de la santé publique L. 1110-5).

Pourtant, il peut s’avérer difficile de comprendre les racines de la douleur et ainsi de pouvoir en traiter la cause. En particulier, les maladies psychiatriques et plus largement les désordres cognitifs peuvent expliquer l’émergence de douleurs parfois intenses et souvent difficiles à prendre en charge si leur origine n’est pas bien décelée. Dans ce chapitre, nous tenterons de mieux comprendre les interactions entre douleur et fonctionnement cognitif. Notre objectif est que le lecteur se représente mieux comment ce niveau de facteur peut permettre de donner du sens à la demande de soin et au comportement lors d’un processus de soin. Nous évoquerons tout d’abord les différentes pathologies psychiatriques qui peuvent se traduire par de la douleur physique. Nous aborderons ensuite les notions utiles en sciences cognitives pour mieux comprendre l’émergence et la chronicisation de la douleur, en particulier la notion de conditionnement comportemental, ce qui fera écho au chapitre précédent. Des outils d’évaluation et de prise en charge thérapeutique illustreront les idées de ce chapitre.

La douleur dans les pathologies psychiatriques Comme déjà souligné à plusieurs reprises dans cet ouvrage, la douleur n’est pas la simple traduction d’un signal nerveux périphérique témoignant d’une lésion du corps. Prenons l’exemple d’un enfant qui tombe de son tabouret en tentant d’attraper le chocolat sur l’étagère trop haute pour lui. La lésion organique consécutive au choc du genou sur le sol explique le cri de douleur. Cependant, des aspects moins directement liés à la lésion du corps peuvent aussi entrer en jeu. Les stéréotypes de genre influencent par exemple le ressenti douloureux. Si l’enfant est un garçon et qu’il a intégré par la fréquentation de son milieu socio-culturel qu’« un garçon ne doit pas pleurer », peut-être son cri de douleur sera-t-il plus feutré. Est-ce parce que l’enfant s’autorise moins à exprimer sa douleur ou parce qu’il la ressent réellement moins intense ? Des études ont suggéré que la sensation même de douleur peut être

modulée par les stéréotypes de genre [1]. En d’autres termes, un jeune garçon convaincu qu’« un garçon n’a pas d’émotions » aura en effet moins mal. L’expérience douloureuse est ainsi façonnée par les croyances sociales concernant notre capacité à ressentir la douleur. Cet exemple souligne à quel point la douleur est sujette à d’autres influences que la seule lésion du corps. Dans ce contexte, des maladies qui affectent les cognitions, en particulier les maladies du cerveau, peuvent contribuer à générer de la douleur. Schématiquement, ces affections peuvent être de deux types, soit lésionnelles, soit fonctionnelles. Dans le premier cas, l’anatomie du cerveau est atteinte. Historiquement, ce sont les autopsies pratiquées sur des personnes atteintes de troubles neurologiques de leur vivant qui ont permis de mettre en évidence ces maladies. Aujourd’hui, les techniques d’imagerie cérébrale permettent parfois de mettre en lumière des lésions du cerveau qui peuvent donner de la douleur (infarctus thalamique par exemple). Ces maladies cérébrales lésionnelles sont classiquement l’affaire des neurologues. À l’inverse, les psychiatres connaissent mieux les désordres fonctionnels du cerveau, c’est-à-dire les anomalies du fonctionnement cérébral sans qu’une lésion anatomique puisse être observée. Toutefois, la dichotomie entre pathologies lésionnelles et fonctionnelles et la séparation qui en découle entre neurologues et psychiatres ont été établies dans un contexte dualiste de séparation étanche entre corps et esprit. Aujourd’hui, les frontières entre maladies de la structure et du fonctionnement du cerveau deviennent davantage poreuses. De plus en plus, nous considérons la structure du cerveau comme dynamique. Le nombre et les connexions entre les neurones évoluent au gré de l’usage que l’on fait de son cerveau. À titre d’exemple, il a été montré qu’après une amputation d’un membre le cerveau se réorganise de telle manière que les aires corticales spécifiquement dédiées à la perception et au contrôle moteur du membre amputé disparaissent. Ainsi, une pathologie qui affecte le fonctionnement cérébral a toutes les chances de mener à des changements organiques du cerveau et vice versa. Pour rester dans le cadre de notre sujet d’intérêt dans ce chapitre,

nous n’aborderons ici que les maladies prises en charge par les psychiatres et qui peuvent occasionner de la douleur physique. Les maladies psychiatriques dans lesquelles la conscience du corps est altérée sont nombreuses. Notre objectif ici ne sera pas d’en faire un détail exhaustif, mais plutôt d’en évoquer les exemples les plus fréquents.

La schizophrénie La schizophrénie concerne environ 1 % de la population. La maladie donne une désorganisation des pensées, du langage et du comportement ainsi que des symptômes délirants et des hallucinations. Même si les hallucinations les plus fréquentes sont acoustico-verbales, les hallucinations cénesthésiques sont également souvent présentes (c’est-à-dire des hallucinations qui affectent la conscience du corps). Les troubles de l’enveloppe corporelle sont particulièrement frappants. Les patients perdent la sensation de continuité et d’unité de leur corps. Un patient peut par exemple avoir la sensation que son crâne part dans les airs comme s’il s’évaporait. Il arrive que les patients mettent des casquettes ou des capuches pour se protéger de cette sensation et tenter de reproduire une enveloppe corporelle contenante. Malgré tout, le sentiment de déstructuration de l’unité du corps peut être très importante. Henri Ey rapporte le cas d’une patiente atteinte de schizophrénie dans le Traité des hallucinations : « On dirait que mes jambes sont en longueur et que ça m’arrache en dehors de moi comme s’il y avait des fils qui tiraient dehors. J’ai l’impression que ma fesse droite se décolle de mon corps. Hier, les fesses remontaient très haut dans le dos, jusqu’aux omoplates, jusqu’au cou. Aujourd’hui, c’est encore pire qu’hier, les fesses sont jusqu’au-dessus de la tête. Je me fais l’effet d’avoir une tête comme si la bouche était dans le ventre et mes dents dans les fesses » [2]. De telles anomalies de la conscience corporelle peuvent également affecter la forme d’un membre en particulier. Un patient peut par exemple avoir le sentiment que sa main ou ses pieds ont changé de

taille. Dans Les aventures d’Alice au pays des merveilles (1865), Lewis Carroll décrit qu’après avoir mangé un champignon magique Alice devient si grande qu’elle peut toucher le ciel. Les sensations de changement de la taille des membres au cours de maladies neurologiques ou psychiatriques ont depuis pris le nom de syndrome d’Alice au pays des merveilles. Des patients qui souffrent d’épilepsie partielle, d’auras migraineuses ou de schizophrénie peuvent rapporter par exemple avoir le sentiment suivant : « Assise, la patiente sentait ses quatre membres s’allonger de façon bilatérale et symétrique et son tronc s’agrandir pour la rendre plus droite et comme “parée d’une grande traîne”. Debout, elle percevait le contact du sol comme lointain et feutré et avait la sensation d’une démarche “aérienne”, pleine d’aisance, ou “comme sur des échasses” » [3]. Ces exemples révèlent à quel point la conscience corporelle peut s’éloigner de la réalité organique du corps. De la même manière, il a été montré que des dysfonctionnements qui affectent les aires corticales responsables de la conscience du corps peuvent provoquer des douleurs. Cela affecte fréquemment les patients qui souffrent d’une psychose hallucinatoire chronique, un trouble apparenté à la schizophrénie. Ici, les hallucinations cénesthésiques peuvent être ressenties comme des arcs électriques, des sensations de frottement ou de caresse, fréquemment au niveau des parties génitales. Des techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle montrent l’anomalie corticale fonctionnelle et peuvent dans certains cas guider un traitement spécifique. Par exemple, un patient présentant la sensation de chocs électriques à travers le corps a pu être efficacement traité par de la stimulation magnétique transcrânienne orientée spécifiquement sur les aires corticales somatosensorielles grâce à un guidage par IRM cérébrale fonctionnelle [4].

La dépression La dépression, dont on estime qu’une personne sur cinq souffrira d’au moins un épisode au cours de sa vie, associe un cortège de symptômes tant psychiques (perte de plaisir, tristesse, ralentissement des idées,

troubles de la concentration et de la mémoire, etc.) que physiques (ralentissement moteur, perte de sommeil, d’appétit, de libido, etc.) sur une durée d’au moins 2 semaines [5]. Elle peut s’accompagner de symptômes douloureux diffus et aspécifiques comme des céphalées, des douleurs abdominales ou des douleurs articulaires. En outre, certains cas rares de dépression intense s’accompagnent d’hallucinations corporelles qui affectent généralement la sensation du bon fonctionnement des organes internes. Les patients rapportent par exemple ressentir leurs intestins bouchés, leur cœur arrêté ou leurs dents pourries. Ces hallucinations corporelles s’inscrivent dans le syndrome dit de Cotard, lors duquel les patients ont la croyance délirante d’être déjà morts ou condamnés à une damnation éternelle. La douleur peut être secondaire à la dépression qui doit donc être détectée et traitée en premier lieu. Cependant, il est aussi possible que la douleur, lorsqu’elle se chronicise et même si elle est expliquée par une autre étiologie que la dépression, contribue à créer des affects dépressifs, cette fois-ci secondaires à la douleur. Ainsi, les patients atteints d’une affection somatique chronique ont entre 2 et 4 fois plus de risque de souffrir de dépression [6]. Dans ce cas-ci, la dépression survient après l’apparition de la douleur chronique, dont le traitement doit faire l’objet d’une attention particulière puisqu’il pourra aussi servir de traitement étiologique de la dépression.

Le trouble à symptomatologie somatique Les syndromes somatiques fonctionnels sont un autre exemple particulièrement fréquent de dysfonctionnements cognitifs qui altèrent la conscience corporelle. Il s’agit par exemple de la fibromyalgie, qui se caractérise par une fatigue et des douleurs diffuses chroniques. D’autres syndromes somatiques fonctionnels peuvent toucher à peu près toutes les parties du corps. Nous pouvons citer par exemple les algies de l’articulation temporomandibulaire, les douleurs thoraciques chroniques atypiques, le syndrome d’hyperventilation, le syndrome de fatigue chronique, le syndrome de l’intestin irritable, etc. Dans la classification américaine des maladies

psychiatriques (DSM-5), tous ces syndromes somatiques fonctionnels sont réunis sous l’appellation de « troubles à symptomatologie somatique » dont la définition est la suivante [5] : un ou plusieurs symptôme(s) corporel(s) chronique(s) (> 6 mois) associé(s) à un retentissement excessif sur les émotions, les comportements ou les cognitions. Cette définition psychiatrique met l’accent sur le processus cognitif à l’œuvre dans les différents troubles somatiques fonctionnels plutôt que sur l’organe désigné par les symptômes. L’idée sousjacente est que le mécanisme cognitif dysfonctionnel est comparable dans les différentes affections. Il faut bien souligner que, lors des syndromes somatiques fonctionnels, les symptômes douloureux sont réellement ressentis par les patients, et ce indépendamment de leur volonté. Les syndromes fonctionnels se distinguent donc d’autres affections psychiatriques lors desquelles les patients rapportent volontairement des symptômes non ressentis, que ce soit pour obtenir une compensation financière (simulation) ou simplement dans le but de solliciter une attention médicale (trouble factice). Il est également important de comprendre que ces syndromes fonctionnels ne sont pas exclusifs d’une maladie somatique. Un patient peut très bien avoir par exemple une polyarthrite rhumatoïde peu sévère qui occasionne une fatigue et des douleurs diffuses peu intenses, et une fibromyalgie surajoutée qui aggrave l’intensité de ces symptômes. En France, ces syndromes somatiques fonctionnels sont le plus souvent pris en charge par les médecins traitants, par les équipes dédiées à la prise en charge de la douleur ou par des services somatiques spécialisés. À l’inverse, dans d’autres pays d’Europe, la prise en charge des différents syndromes fonctionnels est centralisée dans des services spécifiquement orientés vers les troubles psychosomatiques. C’est le cas en Allemagne par exemple, où la psychosomatique est une spécialité médicale à part entière. Cette prise en charge intégrative a l’avantage de contribuer à déstigmatiser les troubles fonctionnels et promouvoir une approche thérapeutique globale fondée à la fois sur des techniques de psychothérapie cognitive et comportementale et des thérapies corporelles.

En conclusion, la douleur est un symptôme récurrent de plusieurs troubles psychiatriques. Si nous avons évoqué les diagnostics psychiatriques les plus fréquents au cours desquels peuvent émerger des symptômes douloureux, la liste des affections psychiatriques ou neurologiques qui peuvent se traduire par des anomalies de la conscience du corps est encore longue. Citons par exemple les troubles des conduites alimentaires, le trouble de conversion, la dépersonnalisation, etc. Comme préalablement souligné, il est très important de parvenir à identifier l’étiologie de la douleur car cela peut changer complètement son traitement. Dans le cas d’un doute sur une étiologie psychiatrique ou neurologique, il ne faut pas hésiter à en parler au médecin référent qui adressera le patient si nécessaire à un médecin spécialiste. La consultation spécialisée peut aussi être utile pour faire le diagnostic et proposer le traitement d’une comorbidité ou secondaire aux douleurs, par exemple une dépression.

Physiopathologie cognitive de la douleur La douleur est un objet polysémique et polymorphe. Il apparaît en effet que l’expérience d’une douleur est bien plus riche et complexe que le seul ressenti douloureux. L’expérience douloureuse inclut, outre le ressenti corporel, la conscience de l’altération des compétences et du retentissement fonctionnel au sens de la Classification internationale du fonctionnement de l’Organisation mondiale de la santé [7]. Ainsi, comprendre le phénomène douloureux implique de s’intéresser non seulement à la physiologie perceptive, mais aussi plus globalement aux mécanismes cognitifs en jeu dans les comportements, les cognitions et les émotions associés. Appréhender la douleur suppose donc de développer une vision globale des interactions entre le cerveau et le reste du corps dans tous les aspects de la vie du sujet. Dans cette partie, nous nous intéresserons aux mécanismes cognitifs qui rendent compte de l’émergence de l’expérience douloureuse. Nous circulerons parmi plusieurs modèles cognitifs explicatifs de la douleur. Notre idée ici est que chacun de ces modèles apporte un éclairage spécifique, et que la multiplication des angles de vue donne une image la plus complète

possible des mécanismes qui sous-tendent la perception douloureuse. Nous finirons par exposer les principes du modèle dérivé du théorème des probabilités de Thomas Bayes (1763), modèle le plus récent développé dans le champ des sciences cognitives.

Modèle de l’apprentissage par renforcement Intuitivement, prendre la décision de réaliser une action nous apparaît souvent comme un choix réfléchi fruit de notre libre arbitre. Même si elle nous semble naturelle, cette impression est sujette à caution. Il a été clairement établi que le comportement humain peut être conditionné. Cela signifie que le comportement découle d’influences extérieures qui déterminent notre volonté. Deux types de conditionnement sont décrits dans la littérature : le conditionnement répondant ou pavlovien d’une part et le conditionnement opérant ou skinnérien de l’autre. Le premier a été décrit par Ivan Pavlov, qui remarqua que des chiens habitués à entendre une sonnette avant de se voir présenter de la nourriture salivaient dès qu’ils entendaient le bruit de la sonnette avant même que de la nourriture leur soit présentée [8]. Le second a été proposé par Burrhus Frederic Skinner qui travailla sur des pigeons qui, eux, avaient la possibilité d’appuyer sur une pédale libérant de la nourriture. Il montra que les pigeons continuaient d’appuyer sur la pédale même quand la délivrance de nourriture n’était plus corrélée à l’action sur la pédale mais était devenue aléatoire, suggérant ainsi que l’action peut être conditionnée par la mémoire d’un renforcement positif [9]. Ces expérimentations trouvent un écho particulier dans l’abord des patients souffrant de douleur chronique. En effet, il a été montré que, chez des patients lombalgiques habitués à avoir mal pendant certaines activités telles que balayer ou se pencher pour ramasser quelque chose, le simple fait de voir ces mouvements peut activer plusieurs aires cérébrales impliquées dans l’encodage des émotions négatives et de la douleur [10, 11]. Cela suggère que le ressenti douloureux peut être favorisé par le simple fait de voir un mouvement potentiellement pourvoyeur de douleur. En d’autres termes, par un mécanisme

similaire que la salivation des chiens lorsque la nourriture approche, certains patients ont tellement appris à avoir mal dans des situations données que sa seule évocation peut contribuer à provoquer la douleur. Des mécanismes comparables peuvent être évoqués pour expliquer la fréquence de douleurs chez les patients souffrant de dépression. La dépression est associée à des biais cognitifs négatifs, c’est-à-dire une tendance systématique à envisager la solution la plus sombre parmi plusieurs possibles. Dans cette optique, le cerveau d’un patient atteint de dépression aura tendance à favoriser l’émergence de sensations douloureuses au détriment des sensations agréables simplement parce que c’est l’option la plus négative. Ces exemples soulignent l’importance des mécanismes de conditionnement répondant chez les patients souffrant de douleur chronique. En outre, le conditionnement opérant peut expliquer le comportement parfois inapproprié de certains patients lorsqu’ils tentent de s’adapter à la répétition d’épisodes douloureux. Par exemple, il a été observé que les patients souffrant de lombalgie se mettent plus souvent dans les positions qu’ils décrivent pourtant comme douloureuses [12, 13]. Une interprétation de ces résultats est que le comportement est maintenu car il a été préalablement acquis et stocké dans la mémoire par un mécanisme de conditionnement. Autrement dit, dans d’autres circonstances ce comportement a été bénéfique et il est reproduit à présent sans cesse sans pouvoir être adapté aux circonstances actuelles. Il arrive aussi que des personnes continuent des traitements pour lesquels elles décrivent ne plus ressentir d’effets. Nous prendrons pour exemple un patient que nous avons rencontré en consultation. Cette personne est habituée à prendre un médicament à 18 heures heure. Il lui est déjà arrivé de parcourir plusieurs centaines de kilomètres dans une journée car elle n’avait pas ce médicament et ne pouvait pas envisager de faire sans alors que, de son propre aveu, toutes les fois où 18 heures étaient passées sans qu’elle ne s’en rende compte, elle n’avait ressenti aucune crise douloureuse. Chez ce patient donc, la prise du traitement semble procéder d’un comportement conditionné qui n’est aujourd’hui plus adapté. Enfin, il est aussi fréquent qu’une action soit déterminée par

des biais cognitifs plus généraux. Un exemple simple et amusant dont chacun d’entre nous pourra se souvenir rétrospectivement est le fait que, pour obtenir un 6 sur un lancer de dés, nous avons tous tendance à lancer plus fort que lorsque nous espérons un 1 comme si plus de force allait être associée à un chiffre plus haut. Ce comportement irrationnel s’apparente à une illusion de contrôle [14]. Il est intéressant car il peut expliquer pourquoi les comportements adaptatifs mis en place spontanément par les patients sont parfois contre-productifs. Un patient souffrant de douleur se raidit souvent. Une des raisons possibles pour expliquer cette raideur est le sentiment de contrôle qu’elle apporte. Néanmoins, en l’absence de lésion franche osseuse ou des tissus mous, prendre l’habitude de s’enraidir pour éviter un mouvement maintient une forte contrainte toujours sur les mêmes zones qui ont en réalité besoin d’une alternance de compression et décompression pour avoir un fonctionnement physiologique correct. Le modèle de l’apprentissage par renforcement ajoute des facteurs cognitifs aux seuls apprentissages par conditionnement répondant et opérant (figure 6.1) [15]. Il est fondé sur une représentation des modèles internes du contexte, des sensations, des actions du corps et de leurs effets. Un tel modèle hiérarchisé permet de considérer l’apparition de comportements involontaires et leur maintien dans le temps sans qu’ils aient besoin d’être consciemment entrepris. De plus, il permet de considérer des situations où le renforcement n’est pas forcément directement lié à la seule préservation du corps. Dès lors que les cognitions conscientes entrent en jeu, des facteurs émotionnels et également le contrôle cognitif de la douleur influencent les mécanismes d’apprentissage. En effet, un point clé du modèle d’apprentissage par renforcement est que l’expérience douloureuse n’est pas toujours aversive. Cela a été testé chez l’animal qui peut, après habituation, ne plus montrer de réaction d’aversion après un stimulus nuisible qui auparavant était couplé à de la douleur [15]. Cela fait écho à des situations que chacun rencontre au quotidien. Au moment d’enfiler une chaussure serrée en nous servant de nos doigts comme chausse-pied, malgré la douleur et la pression, nous ne retirons pas nos doigts, car la sensation sur les doigts était attendue. Il

semble donc que l’effet de surprise ou, à l’inverse, l’anticipation affecte l’expérience de la douleur voire le ressenti douloureux luimême. De la même manière, pendant un entraînement sportif, il peut nous arriver de pousser l’exercice au-delà de la douleur. Chez les sportifs, la douleur est même parfois considérée comme un objectif à atteindre, comme s’il fallait avoir mal pour forcer son corps à dépasser ses limites et améliorer ses performances. La dimension aversive de la douleur peut donc s’effacer devant le contrôle cognitif forgé par la volonté puissante de dépassement de soi. Plus encore, la douleur contrôlée peut être une source de plaisir. Prenons l’exemple des scarifications volontaires. Des personnes s’infligent des blessures superficielles volontaires, souvent avec des lames fines sur les bras. Ces personnes expliquent bien que les blessures sont le plus souvent provoquées dans le but volontaire de générer de la douleur physique. Cette douleur physique est pour elles le moyen de canaliser une angoisse souvent très intense, comme si la douleur autogénérée fournissait un sentiment de contrôle sur son corps qui apporte un soulagement. Ces comportements sont répétés dans chaque situation d’angoisse intense. Ils sont souvent des habitudes ancrées profondément dans le fonctionnement psychique des sujets.

FIGURE 6.1 Modèle d’apprentissage par renforcement pour l’adaptation du comportement face à la douleur. Le comportement de l’organisme suite à une afférence sensitive peut être modélisé comme dépendant de plusieurs systèmes d’apprentissage enchâssés : un niveau réflexe avec des réponses innées englobé dans un niveau d’apprentissage par conditionnement pavlovien lui-même compris dans un modèle d’apprentissage skinnérien qui n’ont pas besoin de modèle de référence puis d’un niveau s’appuyant sur un modèle permis par l’apprentissage cognitif et des représentations internes hautement élaborées de l’environnement interne et externe. Interactions FM-SM : interactions fondées sur un modèle-sans modèle ; Interactions P-I : pavloviennes-instrumentales. Source : Seymour B. Pain : a precision signal for reinforcement learning and control. Neuron 2019 ; 101(6) : 1029-41. Reproduction autorisée.

Au total, le modèle de l’apprentissage par renforcement permet de mieux comprendre la pluralité des chemins qui conduisent à la construction de l’expérience douloureuse. Au niveau le plus automatique, les conditionnements répondant et opérant rendent compte de l’émergence rapide et profondément ancrée de réactions déterminantes pour la protection de l’organisme. À un niveau plus conscient, le renforcement devient plus imprégné du contexte

émotionnel et cognitif de chacun. Cela peut offrir des pistes pour expliquer pourquoi l’expérience de la douleur est vécue de manière si inhomogène par des personnes différentes.

Modèle peur-évitement Le modèle peur-évitement permet de mieux se représenter comment le fonctionnement cognitif peut mener à un comportement inapproprié et finalement favoriser la pérennisation de douleurs [16, 17]. Après avoir vécu une expérience douloureuse, une première réaction possible (figure 6.2, en bleu à droite) favorise la disparition rapide des douleurs. Une autre, à l’inverse (figure 6.2, en rouge à gauche), favorise la chronicisation des douleurs et un retentissement majeur sur la qualité de vie. Afin d’illustrer les différentes réactions face à une douleur aiguë, imaginons les réactions possibles après par exemple avoir couru un semi-marathon sans être réellement entraîné. Après cet effort intense auquel notre corps n’est pas habitué, nous allons boiter et avoir mal aux muscles et articulations. Une première réaction possible est de se convaincre que ce n’est rien de grave et que nous allons pouvoir reprendre nos activités. Nous rions de nos courbatures avec nos collègues de travail et progressivement nous rendons compte que cela va mieux et nous pouvons de nouveau courir après le bus. À l’opposé de cette réaction optimiste au stress physique, il est décrit une voie cognitivo-comportementale empreinte d’anxiété et de cognitions catastrophistes (tendance à imaginer une catastrophe à partir d’un événement mineur) qui favorise l’apparition de douleurs chroniques. Persuadé qu’il n’était vraiment pas raisonnable de faire ce semi-marathon, le coureur du dimanche s’inquiète de savoir si ses tendons n’auraient tout de même pas été abîmés, surtout qu’il a en tête que courir sur l’asphalte n’est pas bon pour les genoux. Apparaît alors un cortège de ruminations : les chaussures étaient-elles trop usées pour amortir les chocs ? Pourquoi cette douleur qui dure depuis une semaine alors que d’habitude elle passe rapidement ? Ne faudrait-il pas cesser ces épreuves physiques intenses passé un certain âge ? On peut se douter que cette réaction

anxieuse à la douleur qui suit un exercice physique inhabituel va nous mener à consulter un professionnel. Le professionnel pourra alors conseiller de ne plus exercer de contraintes sur la zone douloureuse jusqu’à ce que la douleur passe. Même prodigué en toute bonne foi, ce conseil risque de favoriser la chronicisation des douleurs. Le risque est la déshabituation à l’effort et la perte progressive des capacités d’adaptation motrice. Il est alors possible qu’après 3 voire 6 mois sans activité physique régulière, notre corps devienne douloureux pour des actes que nous pouvions faire facilement auparavant.

FIGURE 6.2 Modèle peur-évitement. Source : d’après Vlaeyen et al. [17].

Même si elles sont décrites ici de manière peut-être un peu manichéenne, ces deux façons de réagir à une même expérience illustrent bien les différentes réactions possibles face à une douleur aiguë. Pour certaines personnes, la douleur sera passagère et sans retentissement important. D’autres à l’inverse se retrouveront enfermées dans un engrenage d’angoisse et de comportement d’évitement de l’effort. Dans ce dernier cas, un véritable cercle vicieux

peut s’installer et mener au développement d’une douleur chronique réfractaire. Ce parcours est très souvent celui décrit par les patients atteints de troubles somatiques fonctionnels. Le plus souvent, la pathologie commence par un événement organique intercurrent dont les symptômes se chronicisent par la suite anormalement. Un trouble de l’intestin irritable suit une gastro-entérite aiguë par exemple, et une fibromyalgie se développe après une contusion bénigne. Du point de vue des mécanismes cognitifs, tout se passe comme si le cerveau ne parvenait pas à se départir du conditionnement aversif généré suite à la lésion organique originelle. Schématiquement, les symptômes douloureux continuent à émerger parce que le cerveau continue à provoquer leur survenue malgré la guérison de la lésion organique. Les facteurs psychologiques favorisant l’apparition d’un trouble somatique fonctionnel incluent le catastrophisme, le névrosisme (tendance à voir le verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein), ou encore l’alexithymie (difficulté à identifier ses émotions). Le modèle peur-évitement souligne à quel point il est utile de favoriser une attitude positive et rassurante face à une douleur aiguë. Les recommandations actuelles sont de rester actif au maximum et le plus tôt possible après l’apparition d’une douleur [18]. De même, il est déconseillé de proposer systématiquement une imagerie médicale. Pour des lésions comparables, les patients bénéficiant d’une imagerie par résonance magnétique (IRM) précoce ont une évolution de leur incapacité environ 70 % moins bonne que ceux qui n’ont pas passé d’IRM [19]. Cela s’explique par des mécanismes cognitifs de rumination anxieuse et d’évitement similaires à ceux décrits plus haut. Lorsque sont mis en évidence par exemple un peu d’arthrose au genou et des signes de dégénérescence du tendon sur l’imagerie articulaire, cela peut favoriser la crainte d’une maladie grave qui fait entrer le patient dans la spirale de l’immobilisation et de l’anticipation anxieuse. Pourtant, il est fréquent que des anomalies minimes soient préalables à l’événement aigu et en réalité parfaitement asymptomatiques. Leur découverte fortuite aggrave cependant le pronostic fonctionnel.

Modèle bayésien Le modèle de l’apprentissage par renforcement et le modèle peurévitement ont trouvé une actualisation récente dans la description d’un modèle cognitif dit bayésien de la douleur chronique. Pour une brève introduction à la théorie de la perception bayésienne, nous pouvons dire qu’elle fait le postulat que la conscience corporelle est le résultat d’un calcul probabiliste effectué dans le cerveau. La perception est influencée par des prédictions calculées par le cerveau concernant l’hypothèse perceptive la plus probable au vu du contexte [20]. Schématiquement, deux types d’information sont pris en compte : d’une part les afférences sensorielles du système nerveux périphérique émanant de différentes modalités (vision, toucher, proprioception, etc.) ; d’autre part les prédictions (priors), c’est-à-dire les cognitions, les émotions, la mémoire d’expériences perceptives passées susceptibles de jouer un rôle pour la conscience corporelle. Ces différentes informations sont intégrées de manière probabiliste pour déterminer l’hypothèse de perception la plus probable qui deviendra ensuite la perception consciente. Le modèle bayésien est actuellement très étudié dans divers domaines de la perception, mais aussi pour expliquer d’autres fonctions cognitives comme la faculté de prendre une décision dans un environnement incertain. Il offre une grille de compréhension des mécanismes cognitifs qui sous-tendent la douleur chronique. En particulier, le modèle intègre aisément les éléments de physiologie cognitive que nous avons discutés plus haut. Les conditionnements répondant et opérant sont pris en compte comme des expériences perceptives antérieures qui comptent parmi les priors et influencent la construction actuelle de la conscience corporelle. De même, les biais cognitifs correspondant à la tendance à l’anxiété anticipatoire et les conduites d’évitement secondaires sont eux aussi pris en compte comme des priors qui altèrent le processus de génération de la perception. Plus encore, le modèle bayésien offre une meilleure compréhension de l’importance des enjeux attentionnels dans l’émergence et la chronicisation de la douleur. Dans l’optique

bayésienne, focaliser son attention sur un signal sensoriel augmente la probabilité calculée par le cerveau que ce signal corresponde à la réalité. Ainsi, plus on porte attention à un signal du corps, plus on a de chance de le percevoir. Il a été démontré que les patients souffrant de troubles somatiques fonctionnels ont l’attention davantage tournée vers leur corps : ils passent plus de temps que les autres à scruter leurs perceptions corporelles à la recherche de symptômes [21]. Dans la perspective bayésienne, ce biais attentionnel peut contribuer à expliquer comment se pérennisent les symptômes douloureux. Un exemple intéressant pour illustrer l’utilité du modèle bayésien pour comprendre les mécanismes de la perception est l’effet placebo, c’est-à-dire l’efficacité d’un traitement antalgique malgré l’absence d’action au niveau pharmacologique. Dans une étude par exemple, les patients sont conditionnés à recevoir des stimulations corporelles d’intensités différentes de façon concomitante avec des stimuli visuels (lumière rouge associée à des stimuli plus intenses et bleue avec des stimuli moins intenses). Après cette période de conditionnement, les sujets reçoivent de nouveaux stimuli douloureux, cette fois-ci d’intensité constante, et on observe comment les stimuli visuels influencent leurs perceptions. On observe que les sujets décrivent plus de douleur quand la stimulation est associée à une lumière rouge plutôt que bleue. Le même phénomène se retrouve quand l’on conditionne les sujets avec une crème faussement antalgique [22, 23]. La formule de Bayes utilisée pour rendre compte des mécanismes en jeu dans l’effet placebo est la suivante :

Ainsi, on considère que la probabilité de percevoir de la douleur selon la stimulation nociceptive dans un contexte particulier (la condition de la formule qui pourra correspondre à celui de placebo ou non) est proportionnelle à la probabilité de percevoir de la douleur

dans les mêmes conditions multipliée par la probabilité d’avoir subi une stimulation donnée sachant qu’on a perçu de la douleur [24]. Cela permet de voir comment une même stimulation peut donner lieu à une perception différente après que le système a été conditionné. Le modèle bayésien propose une formalisation mathématique des mécanismes computationnels qui sous-tendent la conscience corporelle construite dans le cerveau. De manière intéressante, plusieurs travaux ont suggéré que le fonctionnement synaptique permet le calcul d’inférences bayésiennes [25-28]. L’avantage du modèle est qu’il ouvre la voie à des algorithmes mathématiques prédictifs qui permettent d’une part de mieux comprendre les mécanismes cognitifs en jeu et de l’autre de tester virtuellement l’efficacité de thérapeutiques. Enfin, l’approche bayésienne présente aussi un avantage clinique pour améliorer la relation thérapeutique et la prise en charge des patients qui souffrent de douleurs chroniques. Le modèle offre une grille de compréhension de la physiopathologie des troubles somatiques fonctionnels. Le praticien pourra expliquer au patient en des termes simples comment émerge et se pérennise la douleur, en soulignant l’influence de facteurs cognitifs capables de biaiser la construction cérébrale de la conscience corporelle [29, 30]. Mieux expliquer comment les symptômes surgissent et se pérennisent malgré l’absence de lésion organique objective est souvent une étape fondamentale de la prise en charge qui permet aux patients de mieux appréhender leur trouble et de comprendre l’intérêt des traitements disponibles.

Déterminants cognitifs de la prise en charge de la douleur La prise en charge de la douleur chronique est une gageure pour tout professionnel de santé. Elle fait intervenir plusieurs professionnels complémentaires sur le temps long, met à l’épreuve la patience des praticiens et les confronte souvent à leur impuissance et aux limites de leur savoir. Comme nous l’avons souligné, la douleur chronique s’inscrit dans un fonctionnement cognitif spécifique. Ainsi, une étape

souvent décisive de la prise en charge est l’identification avec le patient des mécanismes cognitifs qui lui sont propres et peuvent participer à favoriser la douleur chronique. Un grand nombre de facteurs psychologiques ayant une influence sur la douleur ont été rapportés dans la littérature [31]. Il semble que ces différents facteurs tels que la dépression, l’anxiété ou le catastrophisme peuvent représenter des facettes de construits englobant plusieurs de ces dimensions ; on parle d’un chevauchement entre ces différents construits [32, 33]. Le tableau 6.1 reprend les facteurs psychologiques fréquemment décrits et leurs potentiels effets sur l’expérience douloureuse. Il est à noter que les différents facteurs peuvent interagir entre eux. Tableau 6.1 Récapitulatif des principaux facteurs psychocognitifs influençant l’expérience douloureuse.

Effets rapportés dans la littératu

Facteur

Définition

Évaluation

Acceptation

Volonté d’arrêter, d’éviter ou de tenter de contrôler la douleur [47] L’acceptation active et consciente de ses émotions sans tenter d’en changer la fréquence ou la forme [48]

– Chronic Pain Corrélée à Acceptance Questionnaire[49] – Psychological Inflexibility in Pain Scale[50] Pour une revue sur les outils d’évaluation, voir [51]

Anxiété

Symptômes physiques et psychiques associés à la crainte d’un danger

– Beck Anxiety Inventory[54] – Sate Trait Anxiety Inventory[55] – Fear of Pain

Conduit à une

Questionnaire3[56] – Hospital Anxiety and Depression Scale[57] Pour une revue sur les outils d’évaluation, voir [58] Catastrophisme

Tendance à développer des pensées négatives suite à une expérience douloureuse vécue ou anticipée [61] La tendance à « développer des pensées extrêmement négatives au sujet de votre situation, de sorte que même des problèmes mineurs sont interprétés comme des catastrophes majeures » [59]

Corrélée à

Pain Catastrophizing Associé à Scale[61]

Associé à une p

Risque de

Lié à l’anxiété e

Médie l’effet de

Corrélé au man

Confiance/attentes dans le traitement

Ce qu’attend le patient lors d’un traitement

Coping style

L’effort (non automatique) Chronic Pain Coping Prédiction de pour s’adapter à la Inventory [70, douleur, ou pour gérer 71] sa réponse négative à la douleur [59]

Dépression

Trouble psychiatrique caractérisé par une perte de la capacité à prendre du plaisir et une tristesse, ainsi que d’autres symptômes comme des troubles du sommeil/appétit/libido, des troubles de la concentration et de la mémoire, des idées de culpabilité, un manque de projection dans l’avenir et des idées suicidaires

– Hospital Anxiety and Depression Scale[57] – Depression Anxiety Stress Scales[74] – Beck Depression Inventory-II[75] – Patient Health Questionnaire-9 [76, 77]

Trouble le plus

La capacité d’entrer pleinement en contact avec le moment

Psychological Inflexibility in Pain Scale[82]

La flexibilité de

Flexibilité

Pour une revue sur les outils d’évaluation, voir [66]

Influence l’effet

Médiation de

Médiation de

présent en tant qu’être humain conscient, et de changer ou de persister dans son comportement lorsque cela sert des fins valables [81]

Corrélée à la

Peur-évitement

La peur de la douleur, et les conduites d’évitement qui en découlent [85]

– Fear Avoidance Modérateur des Beliefs Questionnaire[86] – Fear-Avoidance Components Scale[87] Pour une revue sur les outils d’évaluation, voir [88]

Sentiment d’autoefficacité

Un concept qui décrit un ensemble de croyances sur soi-même, spécifiquement sur la capacité d’une personne à adopter certains comportements dans un environnement particulier [90]

– Pain Self-Efficacy Questionnaire2[91] – Chronic Pain SelfEfficacy Scale[92] Pour une revue sur les outils d’évaluation, voir [93]

Médiation des

État de tension physique, mental ou émotionnel excessif par rapport aux événements extérieurs ou physiologiques

Perceived Stress Scale[95]

Prédit l’intensit

Stress

Inversement

Semble particip

Somatisation

En termes généraux, la somatisation renvoie à la condition dans laquelle les états mentaux et les expériences sont exprimés sous forme de symptômes corporels [98]

– Symptom Checklist Semble un facte Questionnaire90[99] – 4 Dimensional Symptoms Médiation du li Questionnaire[100] – Patient Health Questionnaire-9 [76, 77] Pour une revue sur les outils d’évaluation, voir [101, 102]

L’identification de facteurs psychologiques en jeu fait partie intégrante de la prise en charge de la douleur chronique. Dans cette optique, les psychologues et psychothérapeutes ont toute leur place dans le traitement des patients aux côtés des thérapeutes du corps comme les kinésithérapeutes, surtout lorsque des biais cognitifs spécifiques sont clairement mis en évidence. Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) ont fait la preuve de leur efficacité. L’objectif des TCC est d’aider les patients à changer de comportement d’une part en prenant conscience des biais cognitifs qui favorisent la pérennisation des douleurs et d’autre part en luttant contre les conduites d’évitement. L’efficacité des TCC est globalement admise, même si elle varie selon la situation de chacun [34-37]. Outre le traitement psychothérapeutique, il s’avère parfois nécessaire de recourir à un avis médical spécialisé lorsqu’une pathologie psychiatrique est suspectée. Une dépression, une

schizophrénie ou d’autres pathologies psychiatriques nécessitent des traitements spécialisés et l’accompagnement par des équipes idoines. Dans le cas des troubles somatiques fonctionnels, la prise en charge est le plus souvent orchestrée par le médecin traitant. Une consultation psychiatrique spécialisée peut également être indiquée en cas de comorbidités par exemple anxieuse ou dépressive ou pour éliminer des diagnostics différentiels. Il convient d’informer le patient du diagnostic suspecté, de la nécessité de limiter les examens complémentaires et la répétition de consultations médicales. Un courrier à l’ensemble des intervenants est souvent utile. Au mieux, il faudra ensuite adresser le patient dans un centre de soins spécialisé qui pourra proposer une prise en charge intégrée associant accompagnement médical, psychothérapeutique et thérapie corporelle [29, 30]. La prise en charge pluridisciplinaire et intégrative de la douleur va dans le sens de l’approche biopsychosociale de l’expérience de la maladie. Ce modèle a été développé par Engel dans les années 1970 devant le constat que l’approche biologisante ne permet pas à elle seule de rendre compte de l’expérience vécue par les personnes malades. Par exemple, tous les patients avec une fracture du bras ou une polyarthrite rhumatoïde n’ont pas exactement les mêmes symptômes, dysfonctions et handicaps, même si les caractéristiques biologiques de leurs lésions sont comparables [38]. L’approche biopsychosociale propose de prendre en compte également l’environnement social ainsi que le profil cognitif du patient. Dans le cas de la douleur chronique, les facteurs biomédicaux (nociception, inflammation, lésion tissulaire, etc.) interagissent avec les facteurs cognitifs (attention, catastrophisme, anxiété, etc.) et sociaux (relations familiales, socio-professionnelles, avec les professionnels de santé, etc.). De manière intéressante, l’approche biopsychosociale est compatible avec les modèles cognitifs évoqués plus haut, à savoir le modèle d’apprentissage par renforcement, le modèle peur-évitement et le modèle bayésien. Par exemple, le catastrophisme et la peur de la douleur sont des facteurs cognitifs qui, dans une perspective bayésienne, sont susceptibles d’abaisser les seuils de douleur et donc

d’affecter la dimension biologique de l’expérience douloureuse [3942]. De la même manière, des facteurs sociaux peuvent aussi influencer le ressenti douloureux, comme la qualité de la relation conjugale [43]. Nous l’avons souligné, la prise en charge de la douleur est plurifocale. Pourtant, même si diverses spécialités soignantes peuvent avoir un rôle spécifique à jouer, il nous semble important de rappeler que chaque professionnel peut aussi aborder des outils de prise en charge d’autres dimensions de l’expérience douloureuse que celle qui correspond spécifiquement à son expertise. En pratique, c’est souvent ce qui est fait dans l’intimité du cabinet. Prenons l’exemple d’une patiente que nous avons rencontrée il y a peu en consultation dans le cabinet de kinésithérapie. Cette patiente décrivait des douleurs fulgurantes à type de décharges dans les deux membres inférieurs avec des notions de crampes dans les orteils. L’ensemble des examens médicaux ne montrait pas d’anomalies organiques. Pourtant, ces symptômes duraient depuis une vingtaine d’années. De multiples professionnels lui avaient proposé diverses catégorisations diagnostiques (lombosciatalgie, troubles somatique fonctionnel, fibromyalgie, dépression). Lorsque nous l’avons rencontrée, la situation semblait empirer depuis quelques mois sans raison apparente. Les douleurs ainsi que la crainte envahissante que les examens paracliniques nécessaires n’aient pas été faits ou suffisamment bien faits semblaient envahir l’ensemble du champ psychique. La patiente rapportait avoir peur qu’une maladie grave soit passée inaperçue et évoquait la possibilité par exemple d’une borréliose de Lyme. Ainsi, la question diagnostique semblait la plus prégnante, davantage encore que les préoccupations concernant l’absence de traitement efficace. Outre ces questionnements au premier plan, cette patiente faisait la demande d’une attestation de son handicap pour pouvoir placer un écusson sur sa voiture et obtenir des facilités de stationnement. L’exemple de cette patiente souligne l’importance d’écouter les personnes pour identifier leurs attentes singulières. Ce qui était rapporté comme le plus important par cette patiente était de rendre

cohérent son vécu douloureux qui devenait de plus en plus prégnant. Elle s’adressait pour cela au kinésithérapeute. Dans l’esprit de cette patiente, le traitement de la douleur chronique devrait être corporel en premier lieu. Le kinésithérapeute est donc un interlocuteur privilégié qui doit jouer un rôle clé dans la prise en charge. Néanmoins, il est manifeste que plusieurs facteurs cognitifs peuvent faciliter la pérennisation des douleurs de cette patiente. Le nomadisme médical, la multiplication des examens, la crainte d’une maladie grave sont des marqueurs de risque identifiés (voir tableau 6.1). De plus, la demande d’un écusson pour sa voiture procède d’une conduite d’évitement de l’exposition à l’effort qui peut à terme mener à une diminution de l’activité physique et à une majoration consécutive des douleurs. Comment le kinésithérapeute qui n’est pas spécialiste des biais cognitifs peut-il se positionner dans la prise en charge de cette patiente ? La formation des différents professionnels leur permet d’avoir une expertise qui facilite la gestion des cas plus complexes dans leur domaine. Le podologue est spécialiste des problèmes d’appui à la marche, le médecin algologue de la médication d’une douleur neuropathique, etc. Pourtant, les professionnels ont également des notions qui leur donnent certaines compétences même en dehors de leur champ d’expertise. Le modèle pyramidal de Foster et Delitto [44] (figure 6.3) est pertinent à cet égard. Même si la formation première du kinésithérapeute n’est pas spécifiquement orientée sur les aspects psychologiques, celui-ci est souvent capable d’identifier les biais cognitifs chez ses patients. Ces aptitudes dépendent aussi de son expérience et ses appétences personnelles. Certains kinésithérapeutes sont davantage spécialisés dans des actes plus techniques, d’autres développent des habiletés psychologiques et relationnelles grâce à l’expérience clinique et aux formations continues. Bien entendu, il ne s’agit pas de suggérer que le kinésithérapeute peut faire le travail du psychologue ou vice versa. Simplement, il nous semble que des zones de chevauchement existent et qu’il est important pour le kinésithérapeute d’être aussi sensible à tous les mécanismes qui peuvent influencer le symptôme, en particulier ici les aspects cognitifs

en jeu.

FIGURE 6.3 Pyramide de maîtrise de la gestion des facteurs psychosociaux. Source : d’après Foster et al. [44].

Il a été rapporté que les patients avec des douleurs chroniques bénéficient d’explications sur des notions de neurophysiologie de la douleur pour améliorer leur fonction et leur qualité de vie [45, 46]. C’est donc ce que nous avons proposé à cette patiente que nous avons reçue au cabinet et dont la demande première était de mieux comprendre l’origine de ses symptômes. Pour cela, nous nous sommes fondés sur les modèles cognitifs rapportés plus haut dans ce chapitre et sur des exemples concrets. Il est par exemple possible de sensibiliser au fait que la conscience corporelle peut être erronée, c’està-dire que la perception que l’on a de son corps peut ne pas refléter la réalité organique. Un exemple dont beaucoup de patients ont déjà entendu parler est celui du membre fantôme. Après une amputation, des personnes continuent à percevoir leur membre absent. C’est bien là l’exemple d’une erreur de la conscience corporelle qui ne correspond plus à la réalité du corps. Plusieurs autres illustrations sont possibles sur la base des mécanismes cognitifs que nous avons décrits. Il est aussi possible de faire appel à des modèles explicatifs d’autres obédiences (gestaltiste, psychanalytique, etc.) que les patients

s’approprient parfois aussi bien. Au-delà de la seule explicitation des mécanismes des troubles, il est aussi fréquent pour le kinésithérapeute d’user plus ou moins consciemment d’outils de thérapie cognitive dans la prise en charge des patients souffrant de douleurs chroniques. Nous en montrons un exemple dans l’encadré qui suit, qui illustre le positionnement que le praticien peut avoir face à la demande d’une attestation de handicap par la patiente douloureuse dont nous avons exposé le cas plus haut. L’idée est de rester au plus près de la demande de la patiente tout en soulignant, par un raisonnement dialectique mené conjointement avec elle, l’intérêt de s’exposer à l’activité physique plutôt que de demander cette carte de reconnaissance du handicap. Enfin, les éléments de physiologie cognitive permettent de mieux comprendre le sens des actions thérapeutiques disponibles. Le traitement a deux axes principaux : la thérapie cognitive et comportementale lutte contre les biais cognitifs et favorise l’exposition progressive ; l’approche corporelle, quant à elle (kinésithérapie, mais aussi biofeedback par exemple), aide le patient à retrouver une conscience corporelle plus proche de la réalité physique du corps.

Pour comprendre Exemple d’utilisation de thérapie cognitive ■ « Je souhaite que vous me fassiez une lettre pour être reconnue handicapée. ■ Pourquoi souhaitez-vous être reconnue handicapée ? ■ Comme ça je pourrai avoir une carte de stationnement handicapé. ■ En quoi est-ce que cela vous serait utile ? ■ Certains jours j’ai trop mal pour marcher et faire mes courses. J’ai besoin de pouvoir me déplacer en voiture et de me garer tout près des commerces. ■ Donc si je comprends bien, ce qui vous empêche là de ressortir en ville malgré votre désir de ne plus rester chez vous ce sont les douleurs intenses à la marche. C’est bien

ça ? »

Conclusion Dans ce chapitre, nous avons approfondi les aspects cognitifs de l’étiologie, la physiologie et du traitement de la douleur. Nous avons particulièrement souligné les mécanismes qui sous-tendent la douleur chronique référencée dans les classifications psychiatriques comme le trouble à symptomatologie somatique. Pour ces patients, il nous semble important de penser les interventions de traitement dans le cadre d’une approche biopsychosociale. Dans cette optique, la prise en charge est globale et le rôle du kinésithérapeute ne se limite pas à son seul domaine d’expertise de traitement corporel. Nous rencontrons trop souvent des rééducateurs (kinésithérapeutes, ergothérapeutes, podologues, etc.) qui oublient de s’attarder sur la dimension cognitive de la symptomatologie douloureuse. De la même manière, les psychologues et les psychiatres proposent très rarement une prise en charge corporelle aux patients qui souffrent de douleurs chroniques. Néanmoins, il nous semble qu’un abord global et transdisciplinaire est ce que l’on peut offrir de mieux aux personnes qui nous demandent de l’aide. Le kinésithérapeute a ici un rôle central à jouer car il est souvent sollicité préférentiellement par les patients atteints de douleurs chroniques. La consultation de kinésithérapie peut donc être la porte d’entrée vers une prise en charge intégrative optimale.

Points à retenir ■ Les kinésithérapeutes/physiothérapeutes peuvent concevoir leurs interventions comme ayant une composante psychocognitive. ■ Une expérience douloureuse engage les pensées de la personne qui la vit ; son thérapeute doit par conséquent se donner les moyens de comprendre les pensées du patient dans cette expérience.

■ La douleur est un concept qui s’apprend et l’expérience de la douleur entraîne un apprentissage de comportements dans la douleur. ■ Un comportement adapté à un instant donné peut se révéler inadapté à un autre moment, par exemple la peur et l’évitement d’un geste douloureux.

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CHAPITRE 7

La dimension physiologique systémique de la douleur S. Acapo, T. Osinski

« Les humains sont le résultat d’un chemin évolutif d’une exquise complexité, plein de faux départs, d’impasses et d’accidents statistiques. » Carl Sagan

PLAN DU CHAPITRE Introduction 49 Douleur et inflammation 49 Le système nerveux autonome, les « stress » et la douleur 56 Respiration et système nerveux autonome 57 Douleur et motricité 58 Synthèse 59 Références 60

Introduction La douleur ne peut plus être considérée comme une sensation isolée avec ses voies et centres d’intégration. Il faut penser cette perception dans le contexte physiologique global du corps humain. Le corps

humain peut être découpé et décrit en une dizaine de systèmes dont l’étude isolée a donné naissance à des spécialités dans le monde de la santé (pneumologie, dermatologie, neurologie, urologie, etc.). L’inconvénient d’une telle pensée est sa relative pauvreté et l’impossibilité d’entrevoir et de prendre en compte les interactions entre systèmes qui permettent la genèse de l’expérience de la vie humaine. Nous proposons ici de prendre le temps d’explorer plus en détail comment la douleur peut émerger dans un contexte d’interactions entre la nociception, l’activité motrice, le système immunitaire et le système autonome. L’étude de ces interactions peut permettre de rendre compte de certains signes et symptômes des patients douloureux. L’idée de ce chapitre est d’aborder le fait que le système nociceptif est en interaction avec le système immunitaire. En effet, l’immunité par l’inflammation sensibilise les nocicepteurs (voir chapitres 8 à 12) et les nocicepteurs peuvent activer les cellules immunitaires. À cela, il faut ajouter que le système immunitaire semble être influencé par notre microbiote, principalement intestinal, qui peut lui-même être influencé par notre diététique. Ces données laissent à penser qu’une inflammation à bas bruit peut participer à des syndromes douloureux et que des interventions diététiques (régime cétogène, crétois, jeûne) pourraient avoir une influence au moins sur certains syndromes douloureux comme celui du côlon irritable, même si les études interventionnelles dans le domaine sont encore peu nombreuses à l’échelle clinique. Le système nerveux autonome (SNA) est lui aussi lié au système nociceptif par ses possibles interactions avec les peptides de certains nocicepteurs, et l’activité immunitaire pour faire varier l’apport sanguin aux tissus. De plus, comme il régule l’apport vasculaire, le SNA peut créer des situations nuisibles (noxious), donc indirectement induire une nociception et, dans de rares cas, il semble possible d’avoir une activation directe. L’activité du SNA dans son aspect moteur est influencée par les pensées et le comportement de chacun. Ainsi, un stress, de la fatigue, de l’anxiété vont influencer l’activité du SNA. La respiration va pouvoir aussi affecter le SNA,

l’hyperventilation provoquant une hyperactivité. L’hyperventilation peut également altérer l’équilibre acidobasique du sang, ce qui va affecter la vasoconstriction et donc la perfusion des différents tissus de l’organisme.

Douleur et inflammation L’inflammation est une réaction physiologique dont la douleur (dolor) a toujours été un signe cardinal [1], avec la chaleur (calor), la rougeur (rubor), le gonflement (tumor) et la perte de fonction (functio laesa). Les signes et symptômes de l’inflammation comprennent la migration cellulaire, l’œdème, la fièvre, l’érythème, la douleur et l’hyperalgésie. La douleur inflammatoire est caractérisée par une hyperalgésie thermique et mécanique [1]. À la suite d’un dommage tissulaire, une inflammation locale aiguë implique des cellules présentes dans les tissus et issues de la circulation sanguine (immunocompétentes comme les leucocytes), des protéines, des adaptations de la circulation sanguine (vasodilatation) [2], la libération de radicaux libres et de médiateurs de l’inflammation. Leur fonction est d’éliminer la cause de la blessure cellulaire, les cellules et tissus nécrosés, afin de démarrer le processus de réparation/guérison. Nous parlerons ici d’inflammation tissulaire et non liée à l’atteinte nerveuse périphérique, où différents mécanismes sont en jeu (voir chapitres 8 à 12) [3]. Les réactions vasculaires et cellulaires durant l’inflammation sont provoquées par des facteurs solubles activés ou produits par des cellules immunitaires en réponse à un stimulus inflammatoire (infection, nécrose tissulaire, réaction auto-immunitaire, corps étranger, hypoxie, irritants chimiques) [1]. Différents types de cellules, à différents degrés, vont être impliqués selon le stimulus inflammatoire [4]. Les mastocytes sont présents dans les tissus périphériques et contiennent des facteurs inflammatoires sous forme de granules attachés à leur surface ou bien sous forme de précurseurs (pour les cytokines par exemple). Les mastocytes dans la peau sont notamment responsables d’érythème, de démangeaison profonde et d’hyperalgésie à la chaleur [4]. Les macrophages peuvent relâcher beaucoup de médiateurs inflammatoires comme des cytokines pro-

inflammatoires ou NGF (nerve growth factor). Ils jouent également un rôle notable dans le recrutement et l’activation d’autres cellules sur le site comme les neutrophiles [4]. Les neutrophiles sont les premières cellules inflammatoires arrivant de la circulation sanguine et qui produisent différents facteurs inflammatoires, dont des cytokines ou oxyde nitrique, dont le rôle de médiateur d’hyperalgésie dans le système nerveux central (SNC) est reconnu [4]. Les molécules relâchées par les tissus endommagés et les différentes cellules pro-inflammatoires attirées sur le site lésionnel vont induire une sensibilisation des fibres nociceptives locales. Cette sensibilisation consiste en un abaissement du seuil d’activation des nocicepteurs (ils vont plus facilement générer des potentiels d’action) et une augmentation de leur réactivité (augmentation du nombre de potentiels d’action générés après stimulation). En plus de cela, des nocicepteurs initialement non sensibles aux stimuli mécaniques vont le devenir suite à une cascade de réactions intracellulaires [1]. Il s’agit de la sensibilisation périphérique [5]. La sensibilisation des nocicepteurs périphériques va pouvoir induire un changement phénotypique de certaines fibres dites peptidergiques. Ces fibres ont la capacité de sécréter des molécules pro-inflammatoires et participent par conséquent à la diffusion de l’inflammation et à l’activation du système immunitaire. La forte interaction entre système sensoriel nociceptif et système immunitaire est ici mise en lumière. Cette interaction fait suspecter qu’une inflammation à bas bruit pourrait participer à la chronicisation de certaines douleurs. En effet, comme nous venons de le voir, les molécules pro-inflammatoires circulantes dans les tissus peuvent activer et sensibiliser les nocicepteurs, induisant de ce fait un excès de nociception qui peut être cause de douleur. Des données préliminaires allant dans ce sens montrent une élévation des marqueurs d’inflammation chez certains patients douloureux sans pour autant laisser supposer une inflammation signant une infection ou lésion tissulaire. L’origine de cette inflammation à bas bruit n’est pas encore identifiée même si le microbiote et l’alimentation semblent des hypothèses explicatives.

Les médiateurs inflammatoires La première réponse immunologique après une blessure est la libération de nombreux « produits chimiques » ou médiateurs inflammatoires. L’utilisation étendue de médicaments antiinflammatoires et leur efficacité pour traiter la douleur montrent l’importance des médiateurs pro-inflammatoires [4]. Certains vont directement activer les nocicepteurs, ces derniers exprimant des récepteurs pour TNF-α (tumor necrosis factor alpha) IL-1 (interleukine 1), NGF, IL-6, histamine et bradykinine entre autres [4]. D’autres vont amener le changement de réactivité de manière indirecte [6], par exemple par le biais de l’expression de récepteurs à la surface de nombreuses cellules. Parmi ces médiateurs inflammatoires, les plus célèbres sont sûrement les cytokines. Les cytokines sont fabriquées par de nombreuses populations cellulaires, dont les cellules T et les macrophages. Elles peuvent être classées en quatre catégories : les facteurs de croissance (growth factor), les interleukines, les interférons et les TNF [7]. Les interleukines sont des cytokines produites par et agissant sur des leucocytes (cellules immunitaires) [8]. Les premières cytokines relâchées sont les TNF-α et les IL-1. Elles ne sont pas présentes longtemps dans les tissus : la demi-vie des TNF-α est de 20 minutes et celle des IL-1 est de 6 minutes [5]. Elles déclenchent d’autres réactions en cascade : la libération d’autres cytokines pro-inflammatoires (IL-6 et IL-8 entre autres) ainsi que la libération de cytokines anti-inflammatoires (par exemple IL-4 et IL-10) qui vont réguler la réponse inflammatoire dans les heures suivantes. Elles ont une action excitatrice directe des nocicepteurs ou indirecte par la libération d’autres médiateurs comme les prostaglandines ou la substance P [8]. Les cytokines sont impliquées dans l’installation et la persistance de la douleur. IL-1 (bêta) et TNF-α sont également responsables du comportement caractéristique du malade (sickness behavior), à savoir le manque d’intérêt pour l’environnement, l’irritabilité, la dépression, les légers troubles cognitifs ou la fatigue avec une action centrale. Bien qu’elle puisse induire de la fièvre, IL-6 n’a pas d’effet comportemental [9].

Les cytokines peuvent être transportées de façon rétrograde dans l’axone du nerf vers la racine de la corne dorsale de la moelle épinière. Dans la racine de la corne dorsale, une inflammation localisée augmente les cytokines pro-inflammatoires et diminue les cytokines anti-inflammatoires. Les cytokines régulent l’ampleur et la durée de la réponse immunitaire [7]. Certaines cytokines pro-inflammatoires sont impliquées dans la sensibilisation centrale et dans le développement d’hyperalgésie/allodynie controlatérale (ou douleur en miroir) [7, 10]. Les cytokines peuvent également être synthétisées et relâchées à partir du noyau d’un disque intervertébral dans la moelle épinière, la peau [8], les cellules de Schwann ou les cellules des muscles lisses [3]. Le NGF est un facteur neurotrophique ayant un rôle de support pour le développement neuronal du système nerveux périphérique, y compris celui des nocicepteurs [4]. Transporté rétrogradement vers la racine de la corne dorsale, le NGF est un puissant régulateur de l’expression génique [3]. Au niveau des nocicepteurs, il régule l’expression de récepteurs, comme TRPV1 auquel la capsaïcine vient se fixer [5]. La production de NGF est augmentée notamment par les cytokines. Le NGF stimule la production d’histamine et de sérotonine et peut participer à l’hyperalgésie à la chaleur en agissant directement sur les fibres afférentes primaires [7]. D’autres médiateurs inflammatoires agissent également : adénosine triphosphate (ATP) et protons, bradykinine, prostaglandines, sérotonine, histamine, substance P, etc. La bradykinine est libérée dans les tissus endommagés et est présente dans l’exsudat inflammatoire. Les prostaglandines réduisent le seuil d’activation des canaux ioniques, augmentent la concentration intracellulaire d’adénosine monophosphate (AMP) et augmentent l’excitabilité des neurones sensoriels. Elles ont un rôle dans la potentialisation à long terme (PLT) [5]. L’ATP peut, quant à elle, notamment activer les cellules gliales (microglie et astrocytes) au niveau de la racine de la corne dorsale [2]. Ces cellules immunocompétentes vont à leur tour relâcher des cytokines pro-inflammatoires comme le TNF-α, l’IL-1 et l’IL-6. Chaque cellule du corps contient de l’ATP qui est relâchée en cas de lyse cellulaire lors d’une blessure [4]. Le glutamate et la substance P sont

considérés comme des médiateurs centraux, et sont relâchés par les terminaisons des nocicepteurs centraux [3]. La substance P est fortement régulée par le NGF, et avec le neuropeptide CGRP (calcitonin gene-related peptide), la substance P est un médiateur neuronal majeur [2]. Beaucoup de facteurs ont une influence à la fois périphérique et centrale, par exemple IL-1 bêta et TNF-α. Ce domaine de recherche, bien qu’étendu, est encore incomplet et évolue constamment [11]. Lorsque l’inflammation aiguë réussit à éliminer l’agresseur, la réaction se calme. S’il y a échec, l’inflammation peut progresser vers une phase chronique qui peut suivre une inflammation aiguë ou bien un début à bas bruit (low grade) [1]. La dysfonction des processus endogènes anti-inflammatoires pourrait participer à l’installation d’inflammation à bas bruit et de douleurs persistantes [4]. Le système immunitaire participe à la protection de l’organisme par sa défense contre les infections et les maladies. À l’instar du système nociceptif dans son rôle de protection, le système immunitaire reconnaît la menace et réagit face à elle avec un délai de réponse allant de quelques minutes à quelques heures [11]. Les deux systèmes ont également des capacités d’adaptation sur le long terme et coopèrent de manière coordonnée afin de maintenir l’homéostasie [11]. En effet, pour illustrer cette interaction, on peut noter que, dans l’ensemble des médicaments anti-inflammatoires efficaces pour réduire la douleur, les corticoïdes ont un effet immunosuppresseur large. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ont également pour cible différents types cellulaires dont des cellules immunitaires [11]. Le rôle des auto-anticorps dans le développement de certaines pathologies entraînant des douleurs persistantes est également étudié. Il existe des preuves concernant leur potentiel rôle par exemple dans l’arthrite rhumatoïde ou le syndrome douloureux régional complexe [11]. De nouveaux traitements et tests diagnostiques sont en développement en suivant ces pistes. Le terme de « douleur autoimmune » émerge [2], bien que ce phénomène semble être rare.

Cellules gliales et système immunitaire

Les cellules gliales (microglie, astrocytes et oligodendrocytes) constituent plus de 70 % de la population totale de cellules dans le cerveau et la moelle épinière. Il est maintenant admis que les cellules gliales (qui ne sont donc pas des neurones) ont un rôle clé direct et indirect dans le développement et la persistance de la douleur non seulement dans les tissus inflammés, mais aussi dans les nerfs périphériques endommagés et dans le système nerveux central [4]. Ces cellules semblent agir comme un « bouton de volume » réglant l’amplification de la douleur [10]. Les oligodendrocytes, appelés cellules de Schwann dans le système nerveux périphérique, fabriquent la myéline qui isole les axones neuronaux et facilite ainsi la propagation des potentiels d’action (PA) le long de ceux-ci. Les microglies et macrophages ont des rôles équivalents (phagocytose, nettoyage des pathogènes et débris tissulaires [7]), dans le SNC pour les microglies et dans la périphérie pour les macrophages. Leur fonction, souvent décrite comme celle d’« entretien ménager » (housekeeping) pour les populations neuronales, est également étendue à des fonctions neuroprotectrices en agissant comme des cellules immunitaires [12]. Elles sont capables de modifier les communications neuronales en agissant directement sur les synapses, produisent des cytokines [10], des facteurs neurotrophiques et des protéases [2]. Elles expriment aussi différents récepteurs de neurotransmetteurs comme les récepteurs NMDA sensibles aux glutamates ou des récepteurs sensibles à la substance P. L’activation des récepteurs NMDA microgliaux permet une facilitation de l’activité synaptique au niveau médullaire [13]. Il existe des preuves importantes suggérant que l’activation des astrocytes et de la microglie entraîne une réponse pro-inflammatoire mais également anti-inflammatoire [12]. Dans l’inflammation périphérique, l’action de la microglie se fait par l’intermédiaire de la libération de l’enzyme cyclo-oxygénase 2 (COX-2) et de prostanoïdes, agents sensibilisateurs [4]. Elle serait également responsable du maintien de la concentration de glutamate. Dans la douleur persistante, on observe une prolifération de la microglie au niveau du cortex, du thalamus, de l’amygdale et de

l’hypothalamus [2]. L’activation au niveau spinal des cellules gliales dès les premières heures après des lésions d’un nerf périphérique [2] a été liée à l’installation de douleurs neuropathiques [8]. Le système immunitaire est donc reconnu comme acteur essentiel dans la régulation de la douleur par l’intermédiaire des cytokines proinflammatoires régulant notamment les fibres nociceptives. Leur action au niveau central a aussi été identifiée [2]. Une inflammation étendue serait responsable d’une élévation de la sensibilité du système immunitaire, ouvrant la voie à une auto-immunité délétère [14]. Comme rappelé plus haut, la production de cytokines par les cellules gliales de la moelle épinière est une hypothèse expliquant les douleurs en miroir [10].

Microbiote et système immunitaire L’activité du système immunitaire dépend de l’intégrité des tissus de l’organisme, mais aussi des différents microbiotes de ses interfaces avec le monde extérieur (peau, muqueuse respiratoire ou génitale et tube digestif). Un microbiote est l’ensemble des espèces microbiennes peuplant un environnement, que ces éléments soient pathogènes ou commensaux. Le microbiote intestinal est le plus important du corps humain ; il comprend plus de cellules microbiennes que ne possède de cellules l’organisme. L’activité de cette flore microbienne amène à la production de différents métabolites : toxines, neurotransmetteurs, neuromodulateurs et acides gras à chaîne courte (AGCC) [15]. Ces métabolites peuvent avoir des effets locaux (régulation du microbiote, inflammation locale, stimulation des nocicepteurs du tube digestif) ou à distance (inflammation, stimulation neuronales). D’autres molécules liées au microbiote peuvent aussi interagir avec le système immunitaire et neuronal ; ce sont les molécules de la surface des différents organismes ou de leur flagelle [15]. Du fait de leur nombre important, ces organismes produisent un grand nombre de substances chimiques avec des effets variés. Les interactions possibles entre le système nerveux et l’intestin constituent l’axe cerveau-intestin, que ces interactions soient directes

via le nerf vague, ou indirectes via la circulation sanguine et l’activation de l’axe hypathalamo-diaphysaire ou du système immunitaire [16]. La colonisation du tube digestif par son futur microbiote a lieu dès les premiers instants de vie voire in utero. Ce microbiote va ensuite fortement fluctuer jusque dans la petite enfance aux alentours de 3-4 ans. Ces fluctuations dépendent de plusieurs facteurs comme l’alimentation de l’enfant et de la mère, le mode d’alimentation, l’exposition à différentes substances comme les antibiotiques. Par la suite, le microbiote semble devenir stable et perdurer à la l’âge adulte [17] (figure 7.1).

FIGURE 7.1 Évolution du microbiote aux différents âges de la vie. Source : Dessin réalisé par Cyrille Martinet d'après Nagpal et al. [17].

Malgré cette relative stabilité, il semble que l’alimentation et l’utilisation d’antibiotiques puissent affecter l’équilibre du microbiote et conduire à un état dit de dysbiose [18-20]. Un tel état de dysbiose ou d’altération du microbiote a été documenté dans différentes pathologies neurodégénératives, rhumatismales ou de douleurs chroniques [16, 18, 21, 22]. Pour autant, ce champ reste en développement et la notion de dysbiose n’est pas un concept clairement défini – il reçoit quelques critiques [23]. Les mécanismes physiopathologiques qui lient la dysbiose intestinale et ces pathologies font intervenir plusieurs cascades d’interactions encore incomplètement comprises. Nous pouvons d’un point de vue introductif indiquer que les microbes intestinaux (bactéries, virus, archées, etc.) peuvent libérer des cytokines pro- ou anti-inflammatoires ou des précurseurs de ces cytokines, de la sérotonine ou de l’acide gamma-aminobutyrique (GABA), de la noradrénaline, de l’histamine ou de l’acétylcholine. Ces molécules, nous l’avons évoqué, peuvent affecter l’activité des neurones nociceptifs [24-27]. Par conséquent, les nocicepteurs présents dans les intestins peuvent se voir sensibilisés par les produits de l’activité du microbiote [15, 28]. Ces produits peuvent passer la paroi intestinale, et cela d’autant plus facilement que cette paroi subit un stress ou qu’elle est inflammée [18], pour ensuite se retrouver dans la circulation veineuse et pouvoir être transportés très à distance comme dans le cerveau [29-31] (figure 7.2).

FIGURE 7.2 Interaction entre le microbiote intestinal et le système nerveux central. AG : acide gras ; AGCC : acide gras à chaîne courte ; Ahr : récepteur d’aryl hydrocarbone ; CA : acide cholique ; CDCA : acide chénodésoxycholique ; CE : cellule entérochromaffine ; DCA : acide désoxycholique ; FXR : récepteur à farnésoïde X ; 5-HT : sérotonine/hydroxytryptamine 5 ; LCA : acide lithocholique ; NMDAR : récepteur N-méthyl-D-aspartate ; TGR 5 : Takeda G-protein-coupled receptor 5 (récepteur Takeda 5 couplé à la protéine G). Source : Dessin réalisé par Cyrille Martinet d'après Li et al. [18].

Il existe de nombreuses preuves d’altération du microbiote intestinal dans plusieurs syndromes douloureux. Ces altérations affectent l’immunité et le fonctionnement du système nerveux. L’alimentation est l’un des facteurs modifiables influençant le

microbiote intestinal. Les données sont encore émergentes, mais des recommandations de consensus apparaissent dans le champ de la douleur pour promouvoir une alimentation favorisant l’absorption d’acides gras poly-insaturés (AGPI) (oméga 3 et 6), de glucosamine, d’huiles vierges d’avocat et de soja ou de vitamine D. Le gingembre et le curcuma semblent potentiellement intéressants dans l’alimentation, mais le bénéfice attendu ne justifie pas l’utilisation de complément alimentaire spécifique [32]. Il est à noter que ces recommandations générales s’appuient sur des effets attendus généralement modérés avec une confiance modérée à faible dans ces effets [32]. L’utilisation spécifique de prébiotiques (fibres alimentaires) ou probiotiques (micro-organismes) reste controversée actuellement [33]. Les effets de ces interventions sont influencés par des facteurs personnels dont le génome et le microbiome des patients [34]. Chez les patients souffrant de syndrome de l’intestin irritable, une métaanalyse de 2020 sur 35 études incluant plus de 3400 patients montre que l’utilisation de probiotiques a un faible effet positif sur les douleurs abdominales et les maux intestinaux (ballonnements et flatulences) [35]. D’autres interventions diététiques ont été étudiées comme la supplémentation spécifique de l’alimentation en AGPI. Ces acides gras participent à la construction de la paroi cellulaire, mais aussi à la fabrication de médiateurs de l’inflammation comme les prostaglandines. Le pouvoir inflammatoire de ces molécules dépend de leur processus de fabrication. Les AGPI-oméga 3 permettent la fabrication de substances moins inflammatoires voire antiinflammatoires comparativement aux AGPI-oméga 6. L’alimentation occidentale moderne semble intrinsèquement déséquilibrée en faveur des AGPI-oméga 6. Les interventions diététiques centrées sur ces nutriments visent donc à tenter de rééquilibrer les apports entre oméga-3 et oméga-6 dans l’idée de normaliser l’inflammation. Peu d’études de bonne qualité sont encore disponibles, mais il apparaît pour les douleurs chroniques que la supplémentation en AGPI, principalement en oméga-3, a des effets positifs faibles à modérés. Un effet plus important est retrouvé lors de cures inférieures à 3 mois et pour des doses inférieures à 1,35 g d’oméga-3 par jour [36]. Dans les

douleurs d’arthrite rhumatoïde, un même effet positif est rapporté, mais avec des effets plus importants pour des doses de 3 à 6 g par jour [37]. Il est possible également d’affecter le microbiote par un changement de régime diététique. Trois régimes sont plus souvent évoqués comme ayant un effet sur le système nerveux et le système immunitaire. Il s’agit du régime méditerranéen, du régime cétogénique ou du jeûne. Le régime méditerranéen représente une alimentation principalement fondée sur une alimentation riche en végétaux avec de faibles apports en hydrate de carbone (ou glucide), viande et alcool [38]. Un régime cétogène consiste en une alimentation qui vise à réduire drastiquement les apports en glucide et fortement augmenter les apports en gras qui vont représenter entre 60 et 90 % des apports caloriques par jour. Ce régime a principalement été développé dans le cas de l’épilepsie infantile ; plusieurs variations existent autour de ce principe sans que l’une ait montré une supériorité [39]. L’idée de base de ce régime est de forcer l’organisme à brûler ses réserves de corps gras plutôt que de glucides pour fabriquer l’ATP qui lui est nécessaire pour fonctionner, ce qui mime le mécanisme naturel retrouvé en période de famine. Le jeûne est une autre approche plus drastique qui va aussi décaler le métabolisme vers l’utilisation du gras plutôt que du sucre. Ce changement en faveur de l’utilisation des cétones pour le métabolisme s’accompagne d’une moindre production de métabolites pro-inflammatoires, ce qui pourrait expliquer l’intérêt de ces approches dans les maladies neurologiques et dans la douleur. Il semble aussi que ces effets puissent passer par une influence sur la transmission synaptique en diminuant l’excitabilité membranaire et l’activité glutamatergique tout en favorisant l’activité GABAergique [40]. Comme toute intervention thérapeutique, le jeûne et le régime cétogène présentent des risques (troubles intestinaux principalement) qu’il faut prendre en compte dans l’évaluation du rapport bénéfice/risque. La limitation des apports en oligo-, di- ou monosaccharide est une autre voie thérapeutique dans le champ des interventions visant le microbiote. On parle alors de FODMAP pour fermentescibles (qui

seront fermentés), oligosaccharides (principalement présents dans les végétaux comme blé, orge, seigle, choux ou autres), disaccharides (composés de deux sucres comme le lactose composé de glucose et de galactose présent dans les produits laitiers), monosaccharides (les sucres simples comme le fructose présent dans les fruits), polyols (édulcorants de synthèse comme le sorbitol, le mannitol ou autres) [41]. Le substrat de ce type de diète est que les FODMAP sont des chaînes d’hydrates de carbone qui sont faiblement absorbées par l’intestin mais fermentées par le microbiote intestinal, ce qui peut être une des sources de symptômes des patients avec des troubles intestinaux [42, 43]. Les essais qui se sont intéressés à cette intervention montrent globalement un effet positif, mais qui a besoin d’être confirmé sur le long terme. La définition d’une alimentation pauvre en FODMAP est encore floue, avec des apports dans les études variant de moins de 5 g par jour à près de 20 g [42-44]. Les aliments contenant des FODMAP sont nombreux et ne sont pas à éliminer. Ce qui semble intéressant est de varier l’alimentation pour en équilibrer les apports car tous les aliments ne contiennent pas les mêmes doses de FODMAP. L’activité physique est une autre intervention thérapeutique fréquemment utilisée qui peut impacter le microbiote. L’activité physique semble influencer le microbiote par la restriction d’apport sanguin, la contrainte mécanique et la sécrétion de molécules antiinflammatoires [45-47]. Peu de données existent pour comprendre l’effet médiateur potentiel des changements du microbiote suite à l’activité physique dans l’amélioration des patients douloureux [48, 49]. Il y a fort à parier que le lien possible entre activité physique et microbiote soit plus circulaire (vicieux ou vertueux) que linéaire. L’alimentation semble favoriser la survenue de douleur qui limite l’activité physique, ce qui favorise l’inflammation, donc des douleurs et des changements de fonction du système nerveux central. Ces changements peuvent favoriser la survenue de douleurs et de troubles pyschocognitifs qui participent à la limitation d’activité physique. Mais un cercle vertueux peut probablement être enclenché en modifiant un des paramètres et en s’aidant des autres comme

supports. Ainsi, faire retourner une personne à l’activité physique pourrait améliorer son microbiote qui diminuera l’inflammation à bas bruit en plus de l’effet anti-inflammatoire de l’activité physique, et cela pourrait être renforcé par une intervention psychocognitive ciblant les facteurs limitant l’activité physique et favorisant la douleur [48] (figure 7.3).

FIGURE 7.3 Le rôle de l’exercice dans l’activité du microbiote. AGCC : acide gras à chaîne courte ; BDNF : brain-derived neurotrophic factor ; SCI : syndrome de côlon irritable ; ZO-1 : zonula occludens 1. Source : d'après Dalton et al. [48].

Il semble émerger des données favorisant une vision holistique des troubles douloureux des patients qui tend à légitimer la multiplicité des interventions dans une vision de complémentarité de leurs effets. Les effets thérapeutiques des interventions qu’accepte de suivre un patient étant multiples, le thérapeute doit se résoudre à avoir une pensée complexe (voir chapitre 22) pour ne plus envisager les problèmes cliniques comme linéaires. Malgré cela, ces réflexions ne peuvent pas être figées tant beaucoup de choses sont encore incomplètement comprises, cela d’autant plus que les données sont encore parcellaires et souvent précliniques, même si elles sont prometteuses sur le lien entre microbiote et douleur. En effet, les différences de microbiote entre personnes saines et patients atteints de pathologies douloureuses ou neuro-inflammatoires proviennent majoritairement d’études avec de faibles échantillons. La composition du microbiote est influencée par l’alimentation sur du court terme, les traitements médicamenteux, l’âge et l’activité physique [23]. Ainsi, il

est difficile encore de savoir si la diversité des organismes présents dans les intestins est la cause ou la conséquence de la pathologie.

Le système nerveux autonome, les « stress » et la douleur Le système nerveux autonome (SNA) contrôle le fonctionnement de divers organes et systèmes. Son fonctionnement « autonome », l’intensité et la rapidité de son déclenchement sont ses caractéristiques. Il est activé par des centres localisés dans la moelle épinière, le tronc cérébral et l’hypothalamus qui reçoivent à leur tour des informations de centres supérieurs comme le circuit limbique [50]. Les deux branches du SNA, sympathique (SNS) et parasympathique (SNP), ont des actions antagonistes et l’homéostasie requiert un équilibre entre leurs actions. Le SNA a des influences sur le système endocrinien, en particulier sur l’axe hypothalamus-hypophysosurrénalien. Au sein du SNA, le SNS, responsable de la réponse célèbre « fight or flight » (combattre ou fuir), joue un rôle majeur dans le système de réponse au stress. Le stress est défini comme une exigence physique ou psychologique dépassant les ressources disponibles, ou bien comme une incohérence entre les attentes et les résultats [14], et va donc déclencher une réponse physiologique impliquant le SNS. La douleur, par son caractère menaçant, est considérée comme un stresseur, et peut déclencher ce type de réaction et activer le SNS. La relation entre le stress et la douleur est largement acceptée, mais leur profonde interaction est encore mal comprise. La production hormonale en découlant fait augmenter les taux de (nor)adrénaline et de cortisol dans le cerveau et la moelle épinière, neurotransmetteurs inhibiteurs. Dans la phase aiguë du stress, l’amygdale activée lors d’une expérience de peur ou de danger induit une réponse du SNS (noradrénaline et adrénaline, des catécholamines adrénergiques). Cette première phase est suivie d’une régulation neuroendocrine plus lente via l’axe hypothalamo-hypophysosurrénalien avec la sécrétion de corticoréline (CRH) [51] visant à

retourner à l’homéostasie [14] via la production de cortisol dans les 15 minutes après l’événement stressant. La libération de CRH a été liée à l’activation de mastocytes, à la libération de noradrénaline et à la stimulation de glutamate et de NMDA dans l’amygdale. Le cortisol permet de préparer le corps à une réponse adaptative de « fight or flight » en mobilisant les réserves de glucose, en inhibant la douleur et les organes non vitaux. La réponse physiologique au stress aigu est donc l’antalgie. Le cortisol a une action anti-inflammatoire, et diminue les lésions tissulaires et nerveuses associées à l’inflammation [14]. L’ensemble du processus dans l’amygdale est considéré comme responsable des réponses au stress par la peur (fear-based stress response) et va donner lieu à un phénomène mémoriel [14, 52]. Cette mémoire conditionnée permet de favoriser une réaction protectrice plus efficace [53]. Il a été également rapporté que l’activation des récepteurs à la CRH dans l’amygdale par un événement stressant non lié à la douleur pouvait déclencher de la douleur en l’absence de lésion tissulaire [14]. L’action du cortisol peut avoir deux facettes. Lors d’un événement stressant (hors douleur), le cortisol peut inhiber une perception de douleur alors que, lors d’un événement douloureux, le cortisol peut intensifier la douleur et conditionner la création d’une mémoire liée à la peur de la douleur. En résumé, le cortisol intensifie l’expérience stressante vécue, qu’elle soit douloureuse ou autre [14]. Sa sécrétion peut également être déclenchée par l’anticipation d’un événement stressant, un nocebo verbal, l’attention focalisée sur un événement, le catastrophisme, l’inquiétude, les comportements passifs, les pensées récurrentes, la rumination, le sentiment d’impuissance ou le pessimisme. Toutes ces pensées ou émotions, liées ou non à la douleur, conditionnent la consolidation d’une mémoire de la peur [53]. Que le stresseur soit de la douleur ou non, la réactivation chronique des réponses aux stress et les pics répétés de cortisol résultent en une dysfonction de sa sécrétion sur le long terme. Plusieurs mécanismes semblent entrer en jeu : épuisement, taux de cortisol libre insuffisant, sécrétion diminuée, résistance, variations entre hypo- et

hypercortisolémie. Les relations entre la douleur et le taux de cortisol ne sont pas encore totalement élucidées. La dysfonction de la production de cortisol entraîne des troubles de type fragilité musculaire et osseuse, fatigue, dépression, douleur, troubles de la mémoire, hypotension orthostatique entre autres [14]. Le stress chronique a également des effets négatifs sur la production de GABA [54-56]. Il existe un lien entre stress chronique, inflammation et dépression par l’épuisement des capacités de sécrétion de sérotonine [14]. Il existe également un lien entre les personnes ayant des troubles du sommeil habituels et une réactivité accrue au stress, avec une activité sympathique accrue en réponse au stress. De plus, il est décrit une relation entre le cortisol, l’intensité douloureuse et la qualité du sommeil [57]. L’inflammation induite par un état de stress chronique semble impliquée dans plusieurs pathologies comme l’arthrose, la polyarthrite rhumatoïde, la fibromyalgie ou bien la lombalgie chronique [51]. Cela peut expliquer les exacerbations et symptômes augmentés par le stress. L’activation chronique du SNS va avoir pour conséquence un abaissement des seuils de perception de la douleur, avec des effets au niveau musculaire (microcirculation, propriétés contractiles, etc.). De plus, on retrouve chez certaines personnes un SNP moins actif associé à des intensités douloureuses plus élevées, suggérant l’influence de la douleur sur l’équilibre para/sympathique. Pour rappel, le SNP favorise la cicatrisation, l’immunité et les processus anaboliques impliqués dans la confection des réserves énergétiques [14]. Le stress peut donc avoir un effet négatif sur l’immunité [58]. L’implication du SNA a été retrouvée dans différents syndromes douloureux comme la fibromyalgie [50, 59], le syndrome de fatigue chronique [60] ou le SDRC, mais pas chez toutes les populations ayant des douleurs persistantes [61].

Respiration et système nerveux autonome L’activité du SNA participe au maintien de l’homéostasie de l’organisme grâce à son action sur la perfusion des tissus. Cette

activité est influencée par le métabolisme de l’organisme, ce qui permet de distribuer l’apport en oxygène selon les besoins des différents organismes. Ainsi, l’activité métabolique provoque une augmentation de la concentration sanguine en dioxyde de carbone (CO2), la capnie, qui va avoir comme effet d’induire une vasodilatation et qui, localement, facilite la dissociation du dioxygène (O2) de l’hémoglobine, ce qui accroît sa disponibilité pour le tissu actif [62, 63]. La capnie est aussi fortement influencée par la respiration qui va permettre d’évacuer de l’organisme le CO2 produit par son métabolisme. Quand une personne a une respiration rapide à grand volume, l’évacuation de CO2 sera importante, ce qui va induire une hypocapnie et par la suite une alcalose respiratoire (augmentation du pH sanguin). Une telle hausse du pH va induire un réflexe de vasoconstriction diminuant l’apport sanguin des tissus. C’est ce mécanisme qui explique les syncopes d’hyperventilation en situation de stress aigu. Lors d’un événement stressant, une personne qui n’arrive pas à juguler ses émotions aura une montée d’activité du SNS pour mettre l’organisme en « fight or flight », ce qui s’accompagne d’une augmentation de l’activité cardiorespiratoire favorisant l’évacuation du CO2. Dans une situation de danger réel avec le besoin de combattre ou s’enfuir, l’activité métabolique augmentée de l’organisme fabriquerait un excès de CO2 et éviterait l’hypocapnie ventilatoire, mais dans une situation où la personne panique, son métabolisme ne change pas. Le déséquilibre qui s’ensuit provoque une fuite du CO2 dans l’air expiré qui est non compensée, d’où l’alcalose sanguine qui entraîne une vasoconstriction des vaisseaux alimentant le cerveau. Celui-ci se retrouve alors en souffrance métabolique, ce qui provoque la syncope car le cerveau ne peut plus fonctionner normalement [64]. Ainsi, nous voyons que la respiration peut avoir un impact important sur la vascularisation des tissus, ce qui laisse à penser que des personnes peuvent décrire des symptômes à type de paresthésies ou douleurs en lien avec des troubles de la vascularisation induits par leurs habitudes respiratoires [65-68]. Il reste à développer des outils valides de dépistage des troubles de la ventilation [69] et à identifier

dans quelles situations ces troubles pourraient être causes ou conséquences [66, 70]. En effet, les facteurs psychologiques d’anxiété ou catastrophisme qui influencent le SNA et la respiration influencent aussi la perception douloureuse (voir chapitres 6 et 12). Il se peut ainsi que ce qui est observé soit la conséquence d’une douleur qui inquiète le patient et l’amène à hyperventiler. La place des interventions utilisant la respiration (méditation, cohérence cardiaque ou autres) pour traiter des symptômes de patients douloureux chroniques va probablement s’affiner dans les prochaines décennies. Actuellement, il semble prudent de se dire qu’une altération de la respiration peut avoir des effets reconnus sur du court terme, et donc que cela peut être plus facilement envisagé comme hypothèse participative de crises symptomatiques des patients. Sur des douleurs continues de longue durée, l’organisme est normalement pourvu de mécanismes de régulation du pH sanguin et de son homéostasie, ce qui rend difficile le ciblage de patients. Pour autant, au vu de l’intrication entre le rythme ventilatoire et les facteurs psychocognitifs ayant un potentiel impact sur la perception douloureuse, les exercices respiratoires doivent pouvoir s’envisager en termes d’adjuvants autogérés par les patients avec un objectif diffus de modifier la capnie et les habitudes psychocognitives des patients.

Douleur et motricité Dans l’idée que l’évolution a permis l’émergence d’organismes sensibles ayant la capacité de détecter un risque en eux-mêmes, on peut comprendre que coupler ce système de détection de danger à un système de motricité de l’organisme permet d’induire une réponse de mise à distance du danger détecté. Chez l’homme, on retrouve ce mécanisme de base avec le principe du réflexe de retrait que nous avons tous déjà vécu lorsque, de bon matin, nous nous sommes cogné le pied contre un meuble. Ce choc entraîne de façon réflexe un mouvement de retrait du membre qui se met en triple flexion, alors que le membre controlatéral se met en extension (figure 7.4), et ce sans avoir besoin de traitement conscient, ni même de douleur [71, 72].

FIGURE 7.4 Illustration des mécanismes neurophysiologiques du réflexe de retrait. Source : Dessin réalisé par Cyrille Martinet d'après Clarke et al. [72].

L’étude expérimentale de l’interaction entre nociception et motricité montre qu’une douleur nociceptive aiguë s’accompagne communément d’une inhibition des muscles stimulés ou des agonistes de l’articulation, avec au contraire une facilitation de l’activité des muscles antagonistes [73]. Ces données montrent l’interaction au niveau médullaire entre nociception et motricité. Il est ainsi possible d’évaluer de façon indirecte l’intégration nociceptive au niveau médullaire via l’étude de ce réflexe de retrait et le signal R III sur un tracé d’électromyographie. Pour ce test, une stimulation électrique nociceptive est induite sur le nerf sural ou le nerf tibial, et on enregistre l’activité myoélectrique du biceps fémoral [74]. De façon générale, on observe une augmentation de la réponse motrice avec l’augmentation de la stimulation nociceptive et de la perception douloureuse. Malgré tout, cette réponse n’est pas un marqueur objectif de la perception douloureuse. En effet, il est possible, suite à

une lésion ou une distraction, d’observer une dissociation entre l’intensité de douleur et la réponse musculaire [75-77]. Nous savons que l’intégration nociceptive et la perception douloureuse qui peut la suivre, selon le modèle du gate control, sont sous l’influence des centres supra-segmentaires, ce qui peut expliquer comment le réflexe de retrait est modulé par l’activité des centres supra-segmentaires. Au-delà des interactions médullaires, on retrouve des interactions à double sens entre motricité et douleur au niveau cortical. En effet, la provocation d’une douleur par injection d’une solution hypersaline dans un groupe musculaire induit une hypo-excitabilité corticale et une diminution de l’inhibition intracorticale et interhémisphérique [73], alors que normalement, quand un neurone cortical s’active, il va inhiber les neurones avoisinants, ce qui présente l’intérêt d’obtenir une activité précise et la moins bruitée possible. Ainsi, une altération de ce mécanisme d’inhibition pourrait expliquer la diminution de la variabilité motrice retrouvée chez les personnes douloureuses et la présence de co-contractions lors de mouvements simples, comme un patient lombalgique qui présente une hyperactivité des muscles abdominaux et spinaux lorsqu’il vient à se pencher en avant. L’interaction entre motricité, nociception et douleur n’est pas à sens unique, comme toujours chez l’être humain ; les mécanismes interagissent entre eux de façon multiple. Il faut noter que les changements réflexes que va induire la nociception, la douleur avec ses composantes émotionnelles et cognitives, vont avoir un impact important sur la motricité globale d’une personne, qui pourra par exemple développer un comportement de peur-évitement (voir chapitre 6). Ainsi, pour comprendre au mieux un patient, il faut tenter de déterminer ce qui, dans ce qu’il nous montre de sa fonction, peut être en lien avec des réflexes moteurs, des stratégies motrices conscientes ou encore de l’apprentissage moteur par simple conditionnement inconscient. La motricité ne fait pas que subir la nociception et la douleur. Il y a deux situations dans lesquelles la motricité peut influencer la douleur et la nociception. La première, que tout un chacun a déjà pu expérimenter, est ce qu’on appelle l’exercise induced analgesia (EIA,

pour analgésie induite par l’exercice). Même s’il est encore incomplètement compris, ce mécanisme a largement été décrit dans la littérature. Quand une personne fait de l’activité physique modérée à intense, que cela soit du renforcement musculaire ou une activité aérobique, celle-ci déclare moins de douleur après l’exercice lors d’une stimulation préalablement douloureuse. Il semble que ce mécanisme fasse intervenir les centres inhibiteurs descendants avec possiblement un rôle des voies cannabinergiques [78]. Ce mécanisme puissant peut expliquer l’intérêt qu’il y a à faire la promotion de l’activité physique pour les personnes douloureuses, même si ce mécanisme est rapporté comme possiblement défaillant chez certains patients douloureux chroniques. Ces derniers peuvent même démontrer un effet inverse, hyperalgésiant post-exercice [79-81]. La deuxième situation où la motricité peut avoir un effet positif sur la douleur est lors d’une stimulation artificielle de l’activité du cortex moteur. Il existe maintenant un corpus de données mettant en évidence que la stimulation du cortex moteur primaire, que ce soit par stimulation magnétique transcrânienne ou par courant électrique, a un effet antalgique [82-84]. Ce phénomène semble passer, entre autres, par une stimulation des centres inhibiteurs descendants dont la substance périaqueducale grise [82, 85].

Synthèse La nociception est un mécanisme permettant à l’organisme de détecter des stimulations intenses. Ce mécanisme voit son fonctionnement influencé par l’état de l’organisme. Le système immunitaire, par sa capacité de sécréter des molécules inflammatoires, interagit avec le système nociceptif. Cette interaction permet une adaptation du système nociceptif après une lésion tissulaire qui le rend plus sensible, ce qui favorise la perception d’un potentiel danger dans l’organisme, facilitant ainsi la protection et la restauration de la partie lésée. Malgré l’efficience apparente de ce couplage, un dérèglement de l’activité du système immunitaire, par exemple consécutif à une modification de l’activité du microbiote intestinal ou du SNA, peut faciliter de façon inappropriée l’activité du système nociceptif, pouvant expliquer

certains phénotypes douloureux. Des thérapies fondées sur la modification des interactions entre ces systèmes se développent, même si beaucoup de paramètres restent incertains. Ce domaine est un champ de découvertes probablement prospère pour le futur.

Points à retenir ■ La nociception interagit avec le système immunitaire, moteur et autonome. ■ L’existence d’une inflammation à bas bruit, possiblement en lien avec l’alimentation, est une piste explicative de certains tableaux de douleurs persistantes. ■ Des altérations du fonctionnement du système nerveux autonome peuvent être induites par un état d’anxiété. ■ Le système nerveux autonome peut, dans certaines situations, avoir un impact sur la nociception par voie directe ou indirecte. ■ La motricité peut avoir un effet antinociceptif et antalgique puissant.

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CHAPITRE 8

La dimension sensorielle de la douleur – Introduction N. Risch

« La douleur est une fenêtre ouverte sur toutes les activités du cerveau. » Luis Garcia-Larrea

PLAN DU CHAPITRE Présentation de la nociception 62 Transduction 62 Conduction 62 Transmission 63 Perception 64 Modulation 65 Références 65

Présentation de la nociception La nociception provient du latin « noci » et « cere », ce qui signifie littéralement « capter ce qui peut nuire ». Ce système sensoriel est capable de détecter les potentiels stimuli nocifs (c’est-à-dire ce qui peut nuire), ce qui l’inscrit, entre autres, dans les systèmes de

protection de l’organisme. Il réagit à la fois à des stimuli externes (comme une température trop élevée) et à des stimuli internes (une molécule inflammatoire par exemple). Ce système, pour assurer son rôle d’alarme et favoriser une réponse comportementale adaptée, fait appel à de multiples structures. Il existe des récepteurs nociceptifs, des voies nociceptives, des molécules et un ensemble de zones cérébrales, plus ou moins spécifiques, qui vont être impliqués dans l’intégration des informations nociceptives. Plus précisément, les stimuli nocifs sont détectés et encodés via différents récepteurs. L’activation de ces récepteurs, si elle est suffisamment intense, va entraîner la production de potentiels d’action. Ainsi, le stimulus est transformé, grâce à des récepteurs, en une série de potentiels d’action (c’est-à-dire un message nerveux). Le message est ensuite acheminé, par de nombreuses voies de signalisation, de la périphérie jusqu’au cortex cérébral. Le cerveau va alors intégrer simultanément cette information nociceptive à toutes celles provenant des autres sens et des facultés cognitives : mémoire, attention, raisonnement, langage, représentation affective et visuospatiale du corps, etc. Longtemps décrite comme un système spécifique, assez simple de représentation, la nociception est en fait d’une complexité inouïe. En plus de la multiplicité des récepteurs, des neuromédiateurs, des voies de conduction et de zones cérébrales impliquées, il existe des interactions complexes entre toutes ces structures. Elles s’influencent mutuellement, et l’activité simultanée de deux ou plusieurs structures modifie complètement le fonctionnement du système. Par exemple, la sensation nociceptive est modulée au niveau de la moelle épinière, du tronc cérébral et du cortex ; tandis que la perception, elle, peut être totalement différente en fonction du contexte dans lequel on se situe. Cette pluralité de structures et d’interactions rend complexes la nociception et la compréhension de son fonctionnement. Malgré cela, elle peut être résumée en cinq grands processus.

Transduction La transduction est définie comme la transformation d’un stimulus

thermique, chimique ou mécanique potentiellement nocif en un message nerveux. Cette transformation est assurée par des récepteurs appelés nocicepteurs. Il existe une grande diversité de récepteurs. Un même récepteur peut répondre à différents types de stimuli (polymodalité) et des récepteurs différents peuvent encoder le même stimulus (redondance). Par exemple, le récepteur TRPV1 (transient receptor potential vanilloid 1) est à la fois polymodal et redondant. La température mais aussi la pression sont capables de l’activer (polymodalité). TRPV1 et TRPV2 sont activés pour des températures similaires (redondance). L’activité combinée de ces récepteurs joue un rôle dans la perception douloureuse. Enfin, la présence d’un stimulus nociceptif peut influencer la réponse d’un récepteur donné à un autre stimulus nociceptif. Lorsque TRPV1 est activé par une température nociceptive, il se met à répondre différemment à la pression mécanique. C’est là un des nombreux exemples de la plasticité du système nociceptif : il s’adapte en fonction des événements passés. La modulation et les processus de sensibilisation, périphériques et centraux, illustrent parfaitement cette capacité de se modifier en fonction de l’histoire passée.

Conduction La conduction désigne le transfert de l’information nerveuse via des voies plus ou moins spécialisées dans la nociception. Celles-ci peuvent être subdivisées en trois entités anatomiques. Les neurones de premier ordre vont de la périphérie (peau ou viscère par exemple) jusqu’à la corne dorsale de la moelle épinière. Ces neurones sont appelés fibres C et Aδ. Ils sont différenciés des autres neurones périphériques via leur niveau de myélinisation et donc par leur vitesse de conduction (tableau 8.1) [1]. Les neurones de deuxième ordre vont de la corne dorsale jusqu’au tronc cérébral et au thalamus. On distingue là aussi deux types de neurones ; certains sont appelés nociceptifs spécifiques et d’autres nociceptifs non spécifiques. Ces derniers reçoivent à la fois des afférences de neurones nociceptifs (fibres C et Aδ) et non nociceptifs (fibres Aβ, transmettant des informations tactiles non nociceptives). Enfin, les neurones de troisième ordre vont du

thalamus jusqu’au cortex cérébral. On peut différencier ces neurones grâce à leur projection finale. Les neurones se terminant sur le cortex somatosensoriel ne possèdent pas la même fonction que ceux se terminant sur le cortex préfrontal. Le cortex somatosensoriel offre une information sensoridiscriminative alors que le cortex préfrontal participe à la régulation émotionnelle et à l’évaluation du stimulus, entre autres. Chacun de ces neurones de premier, deuxième et troisième ordre est connecté au neurone suivant via des synapses (figure 8.1) [2]. Le passage de l’information d’un neurone à un autre est réalisé grâce à des messagers spécifiques qui sont relâchés dans la fente synaptique : les neurotransmetteurs.

FIGURE 8.1 Neurone de 1er, 2e et 3e ordre. Source : Flaherty D, Understanding the mechanisms behind acute pain in dogs and cats. The Veterinary Nurse. Friday, March 1, 2013. https://www.theveterinarynurse.com/Review/article/understanding-themechanisms-behind-acute-pain-in-dogs-and-cats. Reproduction autorisée.

Tableau 8.1 Caractéristiques des fibres nociceptives Aδ

C

Taille

2–14 µm

0,2–3 µm

Myélinisation

Faible

Aucune

Vitesse

5–30 m/s

0,3–1,2 m/s

Transmission La transmission est le passage du message nerveux d’un neurone à un autre via la fente synaptique. Cette transmission est réalisée grâce à des neurotransmetteurs, comme la substance P ou le glutamate, qui vont activer les récepteurs correspondants du neurone suivant. Le type de molécule relâché et leur nombre vont influencer l’information nociceptive, tout comme le nombre de récepteurs présents à la surface du neurone suivant (voir figure 9.6A) [3]. Si le neurone présynaptique libère un neurotransmetteur excitateur dans la fente synaptique, alors celui-ci va augmenter le voltage du neurone postsynaptique. On parle de potentiel postsynaptique excitateur (PPSE). Si le PPSE est suffisamment intense ou si plusieurs PPSE se somment, cela entraîne une dépolarisation du neurone et ainsi la formation d’un potentiel d’action. À l’inverse, si le neurotransmetteur libéré est inhibiteur, on parle de potentiel postsynaptique inhibiteur (PPSI). Ce PPSI a pour effet d’hyperpolariser le neurone postsynaptique, ce qui le rend plus difficilement excitable. Dans le premier cas, les PPSE favorisent la transmission d’information des messages nerveux alors que les PPSI freinent cette transmission.

Perception Une fois le message transmis au neurone de troisième ordre, les informations nociceptives sont acheminées jusqu’au cortex dans plusieurs aires cérébrales distinctes (figure 8.2) [4]. On distingue la perception de la sensation. La sensation renvoie spécifiquement à l’information nociceptive périphérique. Elle pourrait se résumer aux processus de transduction, de conduction et de transmission

précédemment décrits. La perception, elle, est plus que la simple sensation. Elle résulte de l’analyse des informations sensorielles et de leur combinaison avec les informations en provenance des différentes aires cérébrales pour construire une représentation cohérente de notre monde [5]. Chaque aire est supposée effectuer un traitement différent de l’information. Certaines sont plutôt dédiées à l’expérience sensorielle, c’est-à-dire la localisation, l’intensité et la qualité du stimulus (piqûre ou brûlure par exemple). D’autres sont plutôt dédiées à l’expérience affectivo-motivationnelle. Elles permettent d’encoder l’aspect déplaisant du stimulus, de contextualiser l’événement et de prendre une décision comme celle de se protéger. Enfin, d’autres aires cérébrales vont être dédiées à la régulation émotionnelle et à la mise en mémoire de l’événement passé. Les aires, à qui l’on attribue ces fonctions, ne semblent pas spécifiquement dédiées à une fonction précise. Par exemple, la partie dorsale du cortex cingulaire antérieur est décrite comme participant à la perception douloureuse, mais elle participe également à diverses fonctions cognitives : mémoire, langage, émotions, etc. (figure 8.3) [6].

FIGURE 8.2 Distribution des informations nociceptives au niveau cortical. CCA : cortex cingulaire antérieur ; Corne post. : corne postérieure de la moelle épinière ; CPFDL : cortex préfrontal dorsolatéral ; CPFVL : cortex préfrontal ventrolatéral ; SGPA : substance grise périaqueducale ; SI : cortex somatosensoriel primaire ; SII : cortex somatosensoriel secondaire. Source : Wiech K, Ploner M, Tracey I. Neurocognitive aspects of pain perception. Trends Cogn Sci 2008 ; 12(8) : 306‑13. Reproduction autorisée.

FIGURE 8.3 Exemple de la pluralité des fonctions d’une aire cérébrale : le cortex cingulaire antérieur. Source : d'après Marchand [3].

Modulation La modulation joue un rôle à tous les niveaux. Elle peut avoir lieu dès la transduction en influençant les facteurs de transcription, mais aussi lors de la transmission et de la perception. Moduler signifie à la fois faciliter et inhiber. En effet, il existe plusieurs processus qui peuvent moduler le passage de l’information d’un point à un autre. Les plus connus sont le gate control, les cellules on/off et les voies descendantes appelées « inhibiteurs diffus ». Chacun de ces mécanismes permet d’atténuer ou de faciliter la transmission du message nerveux lors de son parcours dans les voies nociceptives. Ils possèdent un véritable intérêt clinique, et peuvent être potentialisés pendant le soin. La modulation s’exerce aussi au niveau du cortex. La perception douloureuse peut être exacerbée ou diminuée en fonction de l’évaluation du stimulus et du contexte, de notre mémoire, mais aussi de nos émotions. Un contexte menaçant pourra augmenter l’intensité de la douleur perçue, tout comme la présence d’émotions

négatives. Là aussi, ces différents facteurs (menace du stimulus, état émotionnel, etc.) peuvent être abordés en clinique pour maximiser notre effet antalgique. L’objectif des chapitres 8 à 12 est de donner une idée, non exhaustive, du fonctionnement de ces cinq processus tout en soulignant la complexité existant à chacun de ces niveaux. Dans chaque chapitre, le lecteur trouvera plusieurs encadrés qui complètent les informations générales. Ces encadrés peuvent développer ou préciser un point, proposer une réflexion ouverte au lecteur, ou faire un lien avec la clinique.

Points à retenir ■ La nociception signifie littéralement » capter ce qui peut nuire ». ■ La nociception est d’une complexité inouïe. ■ La nociception peut être découpée en cinq processus : transduction, conduction, transmission, perception et modulation.

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CHAPITRE 9

La dimension sensorielle de la douleur – la transduction N. Risch

« Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut pas y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. » Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, 1938

PLAN DU CHAPITRE Le potentiel d’action 67 Canaux ioniques et récepteurs 67 Conclusion 73 Références 74

Le potentiel d’action La transduction permet la transformation d’un message thermique, chimique ou mécanique sous forme de potentiel d’action (PA). Les PA sont des phénomènes électriques ; cela signifie qu’il y a un déplacement de charges électriques sous l’effet d’une différence de potentiels. Pour qu’un PA puisse se former, une suite d’étapes doit

avoir lieu dans le neurone. Au repos, il existe une différence de potentiel entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule (c’est-à-dire le neurone) appelée potentiel de repos. Elle est permise par la présence d’ions dans le milieu intra- et extracellulaire. Chacun de ces ions est soit chargé positivement (Na+, K+, Ca2+), soit négativement (Cl–). La différence de concentration des ions entre ces deux milieux va créer cette différence de potentiel (figure 9.1) [1]. Le milieu intracellulaire est chargé moins positivement par rapport au milieu extérieur. Cette différence de potentiel au repos est de l’ordre de –70 mV [2].

FIGURE 9.1 Différence de concentration des ions entre le milieu intra- et extracellulaire.

On parle de dépolarisation lorsqu’il y a une inversion brutale de la différence de potentiel, c’est-à-dire lorsque le milieu intracellulaire devient chargé plus positivement que le milieu extracellulaire. Pour ce faire, des ions positifs doivent pénétrer en très grand nombre dans le milieu intraneuronal via des canaux ioniques. Plus précisément, une stimulation mécanique, chimique ou thermique va entraîner l’ouverture de canaux spécifiques (TRPV par

exemple). Quelques ions positifs commencent alors à rentrer à l’intérieur de la cellule. Cette entrée d’ions positifs va augmenter la différence de potentiel. Lorsque cette différence atteint une valeur seuil (–40 mv), alors des canaux sodiques voltage-dépendants vont s’ouvrir. C’est à ce moment-là qu’une entrée massive d’ions va entraîner une brutale inversion de la différence de potentiel. C’est cette brutale inversion qui est définie comme le PA. C’est un phénomène de « tout ou rien », car si le seuil n’est pas atteint, il n’y a pas de PA. Le PA va ensuite se déplacer de proche en proche (voir l’encadré suivant). Dit autrement, le milieu intérieur va être chargé positivement de proche en proche. Cette dépolarisation est toujours permise par le déplacement des ions à travers la membrane.

Focus Dépolarisation le long de l’axone Le terme « déplacer » renvoie à une commodité de langage. Il ne faut pas s’imaginer une particule qui voyage le long d’un axone. Lorsqu’une zone est dépolarisée, elle va entraîner la dépolarisation de la zone adjacente et ainsi de suite. Cette succession de dépolarisations va permettre la transmission du PA. Suite à la dépolarisation, une période dite d’hyperpolarisation a lieu ; elle permet d’empêcher que la zone polarisée suivante réactive la précédente. Une fois la dépolarisation terminée, plusieurs processus prennent place pour repolariser le neurone. Les canaux sodiques vont se fermer et les canaux potassiques vont s’ouvrir, laissant ainsi sortir les ions K+ présents dans la cellule. Cette sortie est si importante qu’elle va provoquer une diminution de potentiel en-deçà de celle du potentiel de repos (par exemple –90 mV versus –70 mV). Enfin, la membrane va revenir à son potentiel de repos grâce au travail des pompes Na+/K+. Toutes ces étapes sont décrites dans la figure 9.2 [2, 3].

FIGURE 9.2 Les différentes étapes d’un potentiel d’action. D’après : Laurence Conty, https://edunum.apolearn.com/file/download/30196/pb/Chapitre4_Le_potentiel_d_action.pdf

Canaux ioniques et récepteurs La dépolarisation se fait grâce à des canaux ioniques voltagedépendants, des canaux ioniques chimiodépendants et/ou des canaux sensibles aux agents physiques [4]. Les canaux voltage-dépendants s’ouvrent lorsque le seuil est atteint. Ils laissent passer, le plus souvent, un seul type d’ion. A contrario, les autres canaux (chimiodépendants et sensibles aux agents physiques) laissent passer différents types d’ions. Les canaux chimiodépendants sont activés par des ligands alors que les canaux sensibles aux agents physiques sont activés par la température ou un stimulus mécanique (c’est-à-dire la pression ou l’étirement). Certains canaux peuvent être uniquement activés par un ligand ou un agent physique, mais la plupart des nocicepteurs sont polymodaux. Ils répondent à différents stimuli, et ne peuvent donc pas être regroupés sous une seule de ces catégories mais sous plusieurs. C’est le cas du récepteur TRPV1 qui peut être activé à la fois par des agents physiques et des ligands. De plus, au

contraire des canaux voltage-dépendants, les récepteurs TRPV1 laissent passer différents types d’ions lorsqu’ils sont ouverts.

Canaux sensibles aux agents physiques – TRPV1 comme exemple de réponse à des stimuli physiques Le récepteur TRPV1 appartient à la famille des récepteurs TRP (transient receptor potential). Leur nom « transient » signifie qu’ils produisent une réponse au moment de la stimulation, et que cette réponse diminue pour revenir au niveau de base, même si la stimulation se prolonge. Ce mode de réponse est en opposition avec les réponses dites soutenues (sustained responses). Il existe toute une gamme de récepteur TRP dont les TRP-vallinoid. Ces récepteurs sont impliqués dans de nombreux processus physiologiques dont la nociception. Le récepteur TRPV1 possède deux parties (figure 9.3) [5] : l’une faisant office de canal ionique, l’autre répondant soit à des neurotransmetteurs, soit à des agents mécaniques ou thermiques. Le récepteur TRPV1 est donc polymodal et ne répond pas uniquement à des agents physiques. Il est sensible à la capsaïcine, aux protons pour un pH inférieur à 6,5 et à une température supérieure à 43 °C [6, 7]. Son ligand endogène est l’endovanilloïde. Ces récepteurs sont présents sur les fibres C et Aδ et sont principalement exprimés dans la lamina I (voir l’encadré suivant) [6, 8]. À l’état ouvert, ils laissent passer des ions sodiques et/ou calciques [6].

FIGURE 9.3 Nocicepteurs activés par un ligand. Source : Dessin réalisé par Cyrille Martinet.

Focus Laminæ La matière grise de la moelle épinière est séparée de façon schématique en dix couches (lamina). Cette séparation est effectuée selon les caractéristiques histologiques de chaque couche. Les couches dorsales sont numérotées de I à VI et comportent principalement des neurones sensitifs. La corne ventrale comporte majoritairement des neurones moteurs dans les couches de VII à IX. La couche X entoure le canal épendymaire. La couche II est subdivisée en deux parties, la partie ventrale (inner) et dorsale (outer) [9, 10] (figure 9.4) [9].

FIGURE 9.4 Présentation des couches de Rexed. Source : Dessin réalisé par Cyrille Martinet.

Il y a donc différents stimuli capables d’activer les récepteurs TRPV1. Qui plus est, ces modalités s’influencent mutuellement. Par exemple, le seuil thermique de 43 °C de TRPV1 diminue à 34 °C si le milieu devient acide via la présence de protons [7, 11]. Ou encore, la présence d’une dose élevée de capsaïcine entraîne une désensibilisation à la chaleur, aux stimuli mécaniques, et un blocage de l’hyperalgésie et de l’inflammation neurogène [7, 12, 13]. Au vu de ces propriétés, ce récepteur pourrait être une cible pharmacologique intéressante. Cependant, il est souvent complexe de cibler uniquement les récepteurs exprimés par des neurones nociceptifs. En effet, les récepteurs TRPV1 ne sont pas forcément spécifiques aux neurones nociceptifs. Certains sont retrouvés dans des organes comme le pancréas ou dans certaines aires cérébrales [4]. Vouloir inhiber ces récepteurs de manière non spécifique pourrait avoir des conséquences délétères. Malgré ces difficultés, certains antagonistes pharmaceutiques commencent à être suffisamment spécifiques pour cibler les neurones nociceptifs, mais leurs effets secondaires posent encore problème (hyperthermie et déficit de détection des températures chaudes nociceptives [14]).

Focus Capsaïcine C’est une molécule contenue dans le piment qui donne une impression de chaleur puis de brûlure lorsqu’il est ingéré et rentre en contact avec TRPV1. Si l’application immédiate de capsaïcine peut produire une augmentation de la douleur, son application prolongée permet une désensibilisation. Des médicaments (Qutenza®) l’utilisent donc pour cette faculté à désensibiliser le système nociceptif, même si son application immédiate peut être douloureuse [15, 16]. Tout comme pour de nombreuses structures appartenant à la nociception, il est difficile d’attribuer une fonction spécifique à une structure donnée. On note tout de même que les souris ne perçoivent plus les températures au-delà de 50 °C lorsque TRPV1 est inactivé [7]. Ce résultat expérimental signifie qu’il y a une redondance dans le codage des températures allant de 43 °C à 50 °C. En effet, son seuil étant à 43 °C, la privation de TRPV1 devrait entraîner une absence de réaction à partir de 43 °C et non pas seulement à partir de 50 °C. D’autres types de récepteurs doivent donc également coder cette plage de température, probablement TRPV2. Par ailleurs, on note que le récepteur TRPV1 est le seul à répondre à la capsaïcine. En effet, on observe une perte de réponse à cette molécule lorsque ce type de récepteur est détruit chez la souris ou altéré chez l’humain [17, 18]. Enfin, il serait indispensable à la régulation de la température en signalant la présence d’une température interne trop élevée. On constate une hyperthermie chez les souris privées de ces récepteurs [7].

Canaux chimiodépendants Les canaux chimiodépendants sont activés par des ligands. Classiquement, on distingue deux types de canaux chimiodépendants [5] : les récepteurs ionotropiques et métabotropiques (figures 9.3 et

9.5) [5]. On parle de récepteur ionotropique car celui-ci possède à la fois le rôle de récepteur et de canal ionique. Ces récepteurs répondent soit à des neurotransmetteurs, soit à un nucléotide cyclique, soit encore à certains types d’ions comme le calcium. Il en existe donc plusieurs types. Les récepteurs métabotropiques, eux, ne sont pas liés directement au canal ionique. Ils ont uniquement le rôle de récepteur. La présence d’un neurotransmetteur active le récepteur métabotropique, ce qui va déclencher une cascade de réaction pour initier l’ouverture du canal ionique [5].

FIGURE 9.5 Récepteurs ionotropiques et métabotropiques. Source : Dessin réalisé par Cyrille Martinet.

Récepteurs AMPA et NMDA comme exemple des récepteurs ionotropiques Ces deux récepteurs se trouvent sur les neurones de deuxième ordre

au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière (voir chapitre 10). Ils sont sensibles au glutamate, l’un des neurotransmetteurs excitateurs les plus communs. Ensemble, AMPA (acide α-amino-3hydroxy-5-méthylisoazol-4-propionate) et NMDA (N-méthyl-Daspartate) vont favoriser la connexion entre deux neurones et augmenter l’excitabilité du neurone. Dans une condition de base, le canal du récepteur NMDA est bloqué par un ion magnésium. Il est « silencieux ». Même si du glutamate vient se fixer sur lui, rien ne se passe. AMPA, lui, laisse entrer des ions sodiques lorsqu’il est activé par du glutamate. Cette entrée d’ions sodiques va favoriser l’augmentation du potentiel de repos du neurone (de –70 mV à –30 mV par exemple). C’est ce début de dépolarisation qui va permettre d’éjecter l’ion magnésium du récepteur NMDA. En l’absence de l’ion Mg2+ et en présence de glutamate, NMDA va alors permettre une entrée massive de calcium. Ce Ca2+ va directement favoriser l’excitabilité du neurone en abaissant le seuil de déclenchement du PA, et indirectement via son activité de second messager [19, 20] (figure 9.6) [21].

FIGURE 9.6 A, B. Fonctionnement des récepteurs AMPA et NMDA. NK-1 : neurokinine 1. Source : Dessin réalisé par Cyrille Martinet.

Ce processus permet d’expliquer le phénomène dit de wind-up. Celui-ci correspond à l’augmentation de l’excitabilité des neurones de deuxième ordre de la corne dorsale de la moelle épinière [22]. Dit autrement, les neurones de deuxième ordre ont besoin d’une moindre stimulation pour être activés, et lorsqu’ils sont activés, ils ont tendance à émettre plus de PA et des PA qui durent plus longtemps. Cliniquement, lors d’une stimulation répétée, l’intensité de la douleur va continuer d’augmenter même si l’intensité de la stimulation reste constante [23]. Ce processus est impliqué dans les mécanismes de sensibilisation (voir chapitre 12), et joue un rôle dans l’hyperalgésie primaire et secondaire [19, 20]. Plus généralement, ce couplage AMPA-NMDA peut être associé à la potentialisation à long terme (PLT), ce qui permet d’accroître la force de connexion entre deux

neurones. La PLT joue un rôle décisif dans la mémoire à long terme par exemple.

Focus Hyperalgésie En état hyperalgésique, un stimulus douloureux est perçu comme encore plus douloureux. Dit autrement, il y a une augmentation de l’intensité perçue pour un même stimulus douloureux. On parle d’hyperalgésie primaire lorsque cette plus grande sensibilité est située sur la zone lésée et d’hyperalgésie secondaire lorsque cette plus grande sensibilité est située sur une zone adjacente à la zone lésée [19, 24].

Récepteurs P2Y comme exemple des récepteurs métabotropiques Les récepteurs métabotropiques sont fréquemment impliqués dans l’inflammation et les processus de sensibilisation. Ils ne sont pas liés directement aux canaux ioniques, mais ils les influencent via un second messager. Une fois le récepteur activé, la protéine G intracytoplasmique va permettre l’activation d’un second messager comme un nucléotide cyclique (l’AMPc ou le GMPc), une protéine kinase A ou C (PKA ou PKC) ou encore le Ca2+. Ces molécules vont pouvoir soit directement activer un canal ionique, soit déclencher une cascade moléculaire favorisant la perméabilité membranaire (figure 9.7) [25].

FIGURE 9.7 Cascade moléculaire favorisant la perméabilité membranaire. Source : Dessin réalisé par Cyrille Martinet.

P2Y est couplé à une protéine G. Ce récepteur est sensible à l’adénosine triphosphate (ATP) et plus largement aux purines et aux nucléotides [26]. Une fois activé, il y a une augmentation de l’excitabilité du neurone. Il favorise l’entrée de calcium et entraîne donc une augmentation de son potentiel de repos (c’est-à-dire moins négatif). Lorsque P2Y est activé, cela produit une hyperalgésie thermique et une hypersensibilité à la capsaïcine. P2Y sensibiliserait TRPV1 soit en provoquant sa phosphorylation via l’activation de PKC, soit via l’hydrolyse de PIP21 qui inhibe en temps normal TRPV1 [16, 27]. Cette voie de signalisation permet des modifications rapides et à court terme. A contrario, P2Y, via l’activation de l’AMPc, provoque des changements à long terme en modifiant l’expression de certains gènes via un facteur de transcription (CREB). Par exemple, il y aurait une augmentation de la production de P2Y1 après une lésion du nerf sciatique, ce qui favoriserait l’hypersensibilité thermique [26].

Focus

P2Y et sous-types Il existe plusieurs sous-types de P2Y (P2Y1,2,4,6,12,13,14), P2Y1 et P2Y2 étant les plus étudiés dans le cadre de la nociception. Ces deux récepteurs auraient un rôle thermo-algésique via la sensibilisation de TRPV1. D’autres récepteurs, comme P2Y12,13, auraient un rôle inverse : ils seraient analgésiques. En plus d’être exprimés sur des neurones nociceptifs, ils sont aussi exprimés sur des cellules gliales qui viendraient moduler la nociception [26]. Bien évidemment, comme pour la famille des TRP, P2Y n’est pas seulement exprimé sur des cellules en lien avec la nociception. Les récepteurs métabotropiques et leurs voies d’action ne sont que partiellement compris. Il est complexe de les étudier sélectivement car il existe peu de ligands spécifiques activant uniquement un récepteur métabotropique sans activer son voisin ionotropique. Dans ces circonstances, il est difficile de distinguer les effets causés par les récepteurs métabotropiques des effets causés par les récepteurs ionotropiques [28]. Pour P2Y, ce n’est que récemment qu’un ligand spécifique a été développé [26]. De plus, la mise en jeu d’un second messager par ces récepteurs les rend encore plus complexe à étudier. Ce second messager active de nombreuses voies de signalisation et entraîne de nombreux effets. Cela est d’autant plus complexe que le même messager peut activer des voies ayant des effets contraires, inhibiteurs et excitateurs [28]. Enfin, les résultats obtenus in vitro se généralisent mal aux situations in vivo. In vivo, ces récepteurs sont en interaction avec de nombreux autres, et peuvent produire des effets différents de ceux attendus.

Canaux voltage-dépendants Ces canaux sont sélectifs ; ils ne laissent passer qu’un seul type d’ion. Il existe donc autant de famille de canaux (sodiques, potassiques, calciques) que de types d’ions impliqués dans la genèse des PA (figure 9.8) [4]. Pour rappel, ces canaux s’ouvrent lorsque le potentiel de membrane a atteint le seuil et ils vont permettre la dépolarisation du

neurone. Ces canaux font l’objet d’un intérêt particulier pour la recherche pharmacologique. Empêcher l’ouverture de canaux sodiques, par exemple, permettrait d’inhiber la formation des PA et donc de diminuer, voire d’abolir, la nociception.

FIGURE 9.8 Canaux voltage-dépendants. Source : Dessin réalisé par Cyrille Martinet.

L’exemple du canal sodique Nav1.7 Il existe différents sous-types de canaux sodiques (Nav1.1 à Nav1.9). Ces canaux permettent de former le PA, mais aussi d’assurer sa conduction le long du neurone. Nav1.7 possède la propriété de s’ouvrir dès qu’il y a une faible modification du potentiel de repos, facilitant ainsi l’ouverture des autres canaux sodiques [29]. Plusieurs syndromes douloureux, en lien avec des mutations codant pour le gène de Nav1.7, ont été repérés. Comme le présentent Carroll et al., ces mutations sont à l’origine d’une érythermalgie, d’un syndrome de douleur paroxystique, ou encore d’une insensibilité congénitale à la douleur [29]. Les personnes atteintes d’insensibilité congénitale à la douleur ne perçoivent pas la douleur (voir l’encadré suivant). Cependant, tous

leurs autres sens, notamment la somesthésie, semblent être préservés. Ces patients ont une espérance de vie diminuée car cette incapacité de percevoir la douleur favorise le développement d’infections ou de complications médicales graves. Imaginez qu’une écharde infectée se soit plantée dans votre pied. Sans un comportement adapté, la retirer et désinfecter la plaie, vous risquez l’infection et ses complications associées (nécrose, septicémie, etc.).

Pour aller plus loin La nociception non nécessaire ? Ces cas d’insensibilité congénitale à la douleur laissent à penser qu’il serait impossible de percevoir de la douleur sans nociception. À partir de ce constat, on pourrait en conclure que, sans nociception, la perception douloureuse est impossible. Inversement, des études menées chez des personnes saines laissent à croire que la nociception est non nécessaire au ressenti douloureux. Un contexte angoissant [30], une suggestion hypnotique [31], ou des visualisations de personnes en souffrance [32] suffiraient à déclencher de la douleur sans pour autant qu’il y ait nociception. Cette question entre la nécessité et la non-nécessité de la nociception reste largement débattue. Elle ne peut pas être tranchée en raison de données insuffisantes ou de mauvaise qualité. Peut-être que la réponse à cette question se trouve à la croisée de ces deux théories : peut-être faut-il avoir reçu, au moins une fois au cours de sa vie, un influx nociceptif pour être capable de percevoir la douleur. Une fois le réseau cérébral mis en place, alors il serait possible de le réactiver sans pour autant qu’il y ait nociception. Cette vision reste fortement hypothétique. Que ce soit pour le syndrome de douleur paroxystique ou l’érythermalgie, les patients sont hypersensibles à la douleur. En effet, les différentes mutations du canal entraînent une diminution de son seuil d’activation et/ou une plus longue ouverture de son pore. Les neurones nociceptifs sont donc hyperexcitables et sont plus efficients

(c’est-à-dire qu’ils déchargent plus). Les patients atteints du syndrome de douleur paroxystique vivent des épisodes douloureux extrêmes accompagnés par une rougeur de la peau. Ces épisodes peuvent être déclenchés par l’ingestion de boissons froides ou épicées, par un vent fort ou le soleil. L’érythermalgie est caractérisée par des épisodes de douleurs symétriques des pieds et des mains à types de brûlures accompagnés par une rougeur aux extrémités. La durée des épisodes douloureux s’allonge avec l’âge. Ces derniers peuvent être provoqués par l’exercice physique, la station debout prolongée, le chaud et le froid [29].

Conclusion La naissance des potentiels d’action (PA) fait intervenir de nombreuses familles de récepteurs qui répondent à des stimuli divers (polymodalité). Ces récepteurs agissent soit directement en augmentant le potentiel de repos du neurone, ce qui facilite ainsi le déclenchement du PA (TRPV1 par exemple), soit indirectement, en agissant à court terme en modifiant l’excitabilité des récepteurs déjà présents, et à long terme via l’activation de facteurs de transcription (P2Y par exemple). De plus, ces récepteurs interagissent les uns avec les autres et entraînent parfois des modifications complexes à saisir (P2Y sur TRPV1 par exemple). D’un point de vue pharmacologique, l’invention de molécules analgésiques reste difficile pour plusieurs raisons. Premièrement, les récepteurs sont exprimés dans différents tissus, et inhiber spécifiquement les récepteurs nociceptifs est complexe (TRP, P2Y) [7]. Deuxièmement, les modèles in vitro se généralisent mal in vivo. L’une des principales explications est l’existence d’une interaction complexe entre les divers récepteurs in vivo, interaction difficilement modélisable in vitro [26]. Malgré cette difficulté pour appréhender la complexité de ces interactions, la recherche en pharmacologie essaie de synthétiser des molécules interagissant en même temps sur divers récepteurs. Cela pourrait permettre d’augmenter l’effet des molécules antalgiques déjà existantes [26].

Points à retenir ■ La transduction permet la transformation d’un message thermique, chimique ou mécanique sous la forme d’un message électrique (c’est-à-dire un potentiel d’action). ■ Les nocicepteurs possèdent deux parties : l’une faisant office de canal ionique, l’autre répondant soit à des neurotransmetteurs, soit à des agents mécaniques ou thermiques. ■ La majorité des nocicepteurs sont polymodaux, c’est-à-dire qu’ils sont à la fois activés par des stimuli physiques et des ligands. ■ La dépolarisation se fait soit grâce à des canaux ioniques voltage-dépendants, des canaux ioniques chimiodépendants et/ou des canaux sensibles aux agents physiques. ■ Les nocicepteurs interagissent les uns avec les autres et entraînent parfois des modifications complexes à saisir.

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CHAPITRE 10

La dimension sensorielle de la douleur – la conduction N. Risch

« La science ne dit pas la vérité, elle hiérarchise les modèles intellectuels qui permettent de comprendre le réel. » Gérald Bronner

PLAN DU CHAPITRE Introduction 76 Les neurones de premier ordre : fibres C, Aδ et Aβ 76 Les neurones de deuxième ordre 79 Les neurones de troisième ordre 83 Une réflexion sur les voies nociceptives 84 Références 85

Introduction La conduction permet de transporter le message nerveux d’un point à un autre. Il y a une dépolarisation de proche en proche de la membrane cellulaire (voir chapitre 9). Le système nociceptif est composé de trois fibres1 afférentes lui permettant de conduire le message de la périphérie jusqu’au cortex cérébral. Tout d’abord, les

neurones de premier ordre vont de la périphérie (le derme) jusqu’à la corne dorsale de la moelle épinière. Ensuite, les neurones de deuxième ordre vont de la corne dorsale de la moelle épinière jusqu’au tronc cérébral et au thalamus. Enfin, les neurones de troisième ordre vont du thalamus jusqu’au cortex cérébral (figure 10.1) [1]. Chacun de ces types de neurones peut être encore subdivisé en fonction de diverses propriétés structurales ou électrochimiques qui les caractérisent. Pour les neurones de premier ordre, on distingue les fibres C des fibres Aδ grâce à leur niveau de myélinisation et donc leur vitesse de conduction du message nerveux. Pour les neurones de deuxième ordre, on distingue les neurones nociceptifs spécifiques (NS) de ceux appelés à « large gamme de réponse » (wide dynamic range [WDR]). Les NS ne répondent qu’à des stimuli nocifs alors que les WDR répondent à tous types de stimuli, nocifs ou non [2]. Les neurones de troisième ordre, quant à eux, sont souvent classés en fonction de la localisation de leur terminaison corticale.

FIGURE 10.1 Trajet nociceptif de la périphérie jusqu’au cortex. CCA : cortex cingulaire antérieur ; NRM : noyau raphé magnus ;

SGPA : Substance grise périaqueducale ; SI : cortex somatosensoriel primaire. Source : Dessin réalisé par Cyrille Martinet.

Les neurones de premier ordre : fibres C, Aδ et Aβ Ces neurones de premier ordre sont en forme de « T ». La barre verticale du « T » représente le soma2 situé dans le ganglion rachidien. La barre horizontale représente les deux axones qui partent du soma (figure 10.2). L’un se dirige vers la périphérie pour aller innerver la peau, les muscles ou les viscères. L’autre se dirige vers la moelle épinière pour rejoindre, au niveau d’une synapse, les neurones de deuxième ordre et/ou les interneurones dans des laminæ différentes.

FIGURE 10.2 Neurone de premier ordre en forme de « T ». Source : Pixabay, Nicky Hayes. Reproduction autorisée. (https://pixabay.com/fr/vectors/neurone-sensoriel-motoneurone-axone2045566/).

La classification des neurones de premier ordre Parmi ces neurones de premier ordre, on retrouve les fibres C et Aδ, mais aussi les fibres Aβ. Les fibres C et Aδ possèdent toutes les deux des récepteurs libres (c’est-à-dire non encapsulés) comparativement aux autres fibres du système somatosensoriel. Les fibres Aβ, par exemple, possèdent des récepteurs spécialisés comme les récepteurs

de Pacini ou de Ruffini qui sont tous deux encapsulés (figure 10.3) [3]. Chacune de ces fibres peut être encore subdivisée en deux catégories : nociceptive ou non.

FIGURE 10.3 Les différents mécanorécepteurs du système somesthésique. Source : Dessin réalisé par Cyrille Martinet.

Pour les fibres non nociceptives, on trouve des neurones Aβ, mais aussi des fibres C et Aδ. Toutes ces fibres répondent à des stimuli de basse intensité contrairement aux neurones nociceptifs qui répondent à des stimuli de haute intensité. Les neurones Aβ sont associés à la sensibilité tactile : étirement, pression, vibration [3]. Certaines fibres C à bas seuil répondent à un toucher léger. Elles sont impliquées dans le toucher dit affectif ou social et seraient utiles, voire nécessaires, au développement social [4]. Certaines fibres Aδ à bas seuil servent à coder une gamme de températures froides non nociceptives (figure

10.4) [2, 5].

FIGURE 10.4 Classification des fibres nociceptives et non nociceptives.

Pour les neurones nociceptifs, on trouve des fibres C et Aδ à haut seuil. Les fibres C nociceptives répondent à des stimuli mécaniques, thermiques et chimiques alors que les fibres Aδ nociceptives répondent à des stimuli thermiques et mécaniques de haute intensité. De plus, les fibres Aδ sont faiblement myélinisées alors que les fibres C ne le sont pas. Le potentiel d’action (PA) se déplace plus rapidement pour les fibres myélinisées. Enfin, ces neurones ne se terminent pas sur les mêmes laminæ de la corne dorsale de la moelle épinière. Les fibres C se terminent majoritairement sur les couches I et II. Les fibres Aδ se terminent majoritairement sur les lames I et V alors que les fibres Aβ se terminent sur les couches III, IV et V [6]. À noter qu’il existe quelques fibres Aβ qui répondent à des stimuli de haute intensité (voir figure 10.4) [7].

Focus De la clinique ! La différence de vitesse de conduction des fibres nociceptives provoque chez l’individu une sensation de première et seconde

douleur. La première douleur est associée aux fibres Aδ (myélinisées), la seconde douleur aux fibres C (non myélinisées). Cette propriété physiologique est utilisée dans certains protocoles de recherche pour essayer de distinguer le seuil des fibres C du seuil des fibres Aδ [8]. De plus, les fibres Aδ sont associées à une information spatiale et temporelle précise alors que les fibres C beaucoup moins. Le langage utilisé par les patients pour décrire leur douleur pourrait être utile pour différencier les fibres en jeu. Les douleurs de type « piqûre » seraient plutôt associées aux fibres Aδ alors que les douleurs lancinantes seraient plutôt associées aux fibres C [9].

La sous-classification des neurones nociceptifs Aδ et C Il existe deux classes de fibres Aδ nociceptives. Le type Aδ1 répond aux stimuli mécaniques de haute intensité et aux températures de très haute intensité (> 53 °C) [6, 10]. Le type Aδ2 possède un seuil encore plus élevé pour les stimuli mécaniques, mais se déclenche plus tôt pour les stimuli thermiques (> 46 °C). On distingue également deux classes de fibres C : peptidergique et non peptidergique. Les premières synthétisent des neuropeptides tels que la substance P et le CGRP (calcitonin gene-related peptide). Elles expriment les récepteurs TrKa (tropomyosin receptor kinase A) qui est sensible au ligand NGF (nerve growth factor). Les secondes ne synthétisent pas de peptides, et elles expriment le récepteur C-Ret qui est sensible au ligand GDNF (glial cell line-derived neurotrophic factor) [2, 6, 11]. Au niveau de ces fibres, on retrouve une certaine spécificité. D’une part, les fibres peptidergiques sont aussi celles qui expriment TRPV1 et elles se terminent dans la lamina I. D’autre part, les fibres non peptidergiques expriment les récepteurs MrgprD (Mas-related Gprotein coupled receptor member D) et se terminent sur la lamina II extérieure [2] (figures 10.5 et 10.6) [12, 13]. Les fibres peptidergiques transmettraient les stimuli thermiques de haute intensité alors que les

fibres non peptidergiques seraient essentielles dans la transmission des stimuli mécaniques de haute intensité [2]. Enfin, une dernière classe pourrait être définie, celle des fibres C silencieuses. Elles sont activées par des médiateurs chimiques, et deviennent sensibles à la température et aux stimuli mécaniques une fois activées [6].

FIGURE 10.5 Distribution des récepteurs MrgprD et TRPV1 sur les couches de Rexed. Source : Fein A. Nociceptors and the perception of pain. Farmington : University of Connecticut Health Center ; 2012. https://health.uconn.edu/cell-biology/faculty-and-staff/alan-fein/. Reproduction autorisée.

FIGURE 10.6 Représentation schématique des terminaisons des neurones Aδ, C au niveau des couches de Rexed. Source : Dessin réalisé par Cyrille Martinet.

Pour aller plus loin Message orthodromique et message antidromique Contrairement à une idée reçue, le message ne circule pas uniquement de la périphérie vers la moelle épinière (orthodromique). Le trajet inverse (antidromique) est aussi possible et peut avoir une influence sur la périphérie [6]. Certaines fibres C, par exemple, sont capables de relâcher des médiateurs inflammatoires au niveau de la périphérie, entraînant une

vasodilatation [6].

Les neurones de deuxième ordre Une fois le message nerveux arrivé au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière (terminaison du premier neurone), il y a libération de neurotransmetteurs (voir chapitre 11). Si la libération de neurotransmetteurs excitateurs est suffisamment grande ou que le neurone postsynaptique est suffisamment sensible, cela va entraîner la dépolarisation du deuxième neurone, permettant de conduire le message nerveux jusqu’au thalamus en passant par le tronc cérébral (région bulbaire rostroventromédiale et noyau raphé magnus) et le noyau parabrachial (figure 10.7) [6]. Ces neurones sont aussi appelés neurones de projection. Ils sont essentiels pour transmettre l’information jusqu’aux centres supérieurs. Cependant, ils ne représentent qu’une infime portion (5 %) des neurones présents au niveau de la moelle épinière. La majorité des neurones sont des interneurones. On en distingue quatre types différents en fonction de leur morphologie (voir ci-dessous). Certains sont excitateurs, d’autres inhibiteurs. Ils jouent un rôle de modulation important.

FIGURE 10.7 Terminaisons principales des neurones de deuxième et de troisième ordre. Source : Basbaum AI, Bautista DM, Scherrer G, Julius D. Cellular and molecular mechanisms of pain. Cell 2009 ; 139(2) : 267‑84. Reproduction autorisée.

Pour aller plus loin Interneurones Les interneurones sont classés en fonction de leur morphologie. On

en distingue quatre types : îlot, central, radial et vertical. Les cellules radiales et verticales seraient principalement excitatrices étant donné qu’elles relâchent du glutamate. Les cellules îlots seraient inhibitrices car elles relâchent du GABA. Enfin, les cellules centrales seraient à la fois excitatrices et inhibitrices. Ces interneurones créent des boucles de feedback amplifiant ou diminuant le message nociceptif [2]. Les neurones de deuxième ordre peuvent être classés de différentes manières selon la propriété sélectionnée. En fonction de la classification choisie, ces neurones se répartissent différemment (voir l’encadré suivant). Chacune de ces classifications nous fournit un élément de réponse quant à leur rôle spécifique, la finalité étant de croiser toutes ces classifications pour inférer des sous-groupes spécifiques ayant un rôle bien défini. Nous présenterons trois3 manières de les classifier : • en fonction de leurs propriétés électrophysiologiques et du stimulus auquel ils sont sensibles ; • en fonction de la position anatomique de leur soma ; • en fonction de la localisation de la terminaison de leurs axones.

Focus Former des sous-groupes de neurones Identifier la fonction d’un sous-groupe de neurones est l’objectif recherché, mais pour cela il faut déjà avoir sélectionné le « bon » sous-groupe de neurones. Toute la difficulté réside dans ce point, trouver la « bonne » manière de regrouper les neurones. Une façon possible de faire est de regrouper les neurones possédant les mêmes propriétés : forme, physiologie, récepteurs exprimés, point d’origine et terminaison. Par exemple, certains neurones en provenance de la lamina I expriment un récepteur particulier (NK1). À ce sous-groupe de neurones, une fonction

particulière est associée : coder l’intensité du stimulus [2]. Si la démarche paraît simpliste, cela est difficile à réaliser en pratique. ■ Soit on choisit de les regrouper en fonction d’une ou de deux propriétés mais de manière arbitraire. Dans ce cas, il faut choisir les « bonnes » propriétés pour les regrouper. Doit-on les regrouper selon la lamina et le type de récepteur exprimé, ou selon leur forme et leur électrophysiologie ? À la vue du grand nombre de combinaisons possibles, cette méthode nécessite d’avoir un a priori crédible sur les propriétés à sélectionner pour le regroupement, ce qui est rarement le cas en pratique. ■ Soit on choisit une approche plus systématique en se demandant quelles sont toutes les combinaisons possibles entre ces diverses propriétés. Dans ce cas, le nombre de combinaisons possibles pour former des sous-groupes de neurones dépasse largement les dizaines de milliers. Tester toutes ces combinaisons en pratique prendrait un temps inimaginable.

En fonction des propriétés électrophysiologiques On en distingue quatre classes : nociceptifs spécifiques, nociceptifs HPC (heat, pinch and cold), thermosensibles non nociceptifs et les neurones WDR. Neurones nociceptifs spécifiques (NS) Les NS font principalement synapse dans la première lamina (c’est-àdire que la synapse se fait au niveau de leur soma), et sont principalement activés par des fibres C et Aδ nociceptives (prédominance de Aδ) [10]. Ces fibres sont associées à la sensation de première douleur décrite précédemment. Ils possèdent une organisation somatotopique, des champs récepteurs restreints et une réponse tonique (sustained) [5, 6]. Ce sont d’excellents candidats pour

fournir des informations sensoridiscriminatives précises : localisation, durée, intensité et qualité de la douleur. Neurones nociceptifs HPC Ces neurones répondent à des stimuli mécaniques ou chauds de haute intensité et froids de basse intensité. Ils sont principalement activés par les fibres C nociceptives. Ces fibres sont associées à la sensation de seconde douleur [10]. Leurs propriétés électrophysiologiques pourraient expliquer l’illusion de la douleur provoquée par la grille (thermal grill illusion) (encadré 10.1). Encadré 10.1

L’illusion de la grille thermale Cette illusion est due à la présence de deux stimuli concomitants sur la peau, un chaud et un froid. La présence de ces deux stimuli va créer une sensation de chaud paradoxal, ou une sensation douloureuse si l’écart de température entre les deux stimuli est élevé. Les expérimentateurs peuvent, via une grille où la température de chaque barreau peut être manipulée, produire des écarts plus ou moins grands entre les deux stimuli appliqués. Par exemple, ils peuvent appliquer un stimulus chaud de 40 °C et un stimulus froid de 20 °C. Plus l’écart entre ces deux stimuli est grand, plus cela provoque une sensation douloureuse intense. Lorsque l’écart se réduit, cela provoque une sensation de chaud [17]. Cette illusion est un phénomène encore mal compris et plusieurs théories tentent de rendre compte des résultats expérimentaux obtenus. Pour l’une, elle serait due à l’interaction entre les voies spécialisées thermiques non nociceptives et les neurones HPC [14]. Pour l’autre, elle serait due à la sommation des influx thermiques non nociceptifs au niveau des neurones WDR. Cette addition, lorsqu’elle est suffisamment importante, serait à l’origine de la perception douloureuse [18]. Pour la dernière, elle serait due à l’activité combinée de tous ces neurones. Chaque groupe de

neurones (chaud, froid, WDR) participe au codage de cette perception car ils sont tous activés en même temps (sommation temporelle et spatiale). Ce sont donc à la fois le type de neurone (c’est-à-dire sa qualité : chaud, froid, WDR) et leur activité de décharge (fréquence de PA) qui provoquent cette perception. Plus un groupe décharge, plus il joue un rôle important [19]. Neurones thermosensibles non nociceptifs Ces neurones sont sensibles aux températures non nociceptives chaudes et froides. Il existe des neurones cool spécifiques au froid. Ils sont actifs lors d’une stimulation en-deçà de la température de la peau (≈34 °C). Leur activité est proportionnelle à la température de la stimulation ; plus elle est froide, plus ils sont actifs. Leur activité n’augmente plus en-deçà de 15 °C environ, là où les neurones HPC commencent à devenir très actifs. Les neurones warm sont spécifiques au chaud. Leur activité s’étend de la température neutre de la peau (≈34 °C) jusqu’à ≈45 °C [14]. Neurones à large gamme de réponse (WDR) Ces neurones reçoivent des fibres C, Aδ et Aβ. Ils possèdent des champs récepteurs larges et émettent des réponses proportionnelles à l’intensité de la stimulation. L’activité de ces fibres ne permet pas de distinguer une modalité spécifique. Elles possèdent une particularité qui est celle du phénomène du wind-up, c’est-à-dire l’augmentation de leur excitabilité lors de stimuli répétés. Le wind-up est médié par les fibres C [15]. Ces neurones sont sensibles aux stimuli mécaniques à bas seuil, mais aussi à la position des membres (proprioception). Ces neurones reçoivent également de nombreuses afférences en provenance des viscères, et sont donc responsables des douleurs référées. Les neurones Aδ et C des viscères se projettent sur les neurones WDR, tout comme les neurones Aδ et C des téguments. Cette convergence serait à l’origine des douleurs projetées. Le cerveau interprète les afférences provenant des neurones WDR comme provenant des téguments, même si initialement ce sont les neurones des viscères qui sont activés. L’exemple clinique le plus connu est

l’angine de poitrine qui provoque une douleur dans le bras gauche. Une stimulation appliquée au dermatome L1 active les mêmes neurones WDR que lorsque la stimulation est appliquée au niveau de la capsule rénale ou lorsque l’uretère est comprimé [16].

En fonction de la localisation de leur soma Lamina I Les neurones de la lamina I sont principalement les neurones NS et HPC. On distingue différentes voies à partir de cette lamina. • Approximativement 50 % des neurones de la lamina I vont en direction du noyau parabrachial [5]. Puis cette voie se subdivise pour aller soit vers l’amygdale, soit vers l’hypothalamus (voir figure 10.7) [6]. Ces neurones sont principalement NS et 80 % d’entre eux expriment NK1, ce qui les rend un peu plus spécifiques. Leur fonction est de coder l’intensité via leur fréquence de décharge [5]. Ces neurones ont pu être inhibés, mais les résultats cliniques sont décevants. Leur inhibition provoque une très légère diminution de la douleur, ce qui a poussé les auteurs à conclure que les autres voies étaient tout aussi importantes [2]. Cependant, cette inhibition permet de réduire l’hyperalgésie thermique et mécanique, provoquée par la capsaïcine ou une lésion nerveuse. • Environ 25 % des neurones vont vers la substance grise périaqueducale (SGPA) et permettent de déclencher une réaction d’évitement et des boucles de modulation [5] (voir figure 10.7) [6]. La SGPA est fortement impliquée dans la modulation de l’intégration nociceptive médullaire. Elle active la région bulbaire rostroventrale, d’où partent des faisceaux sérotoninergiques descendants pour moduler l’activité des neurones nociceptifs au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière [20].

• À peu près 15 % de ces neurones vont vers les noyaux du thalamus ventro-postéro-latéral (VPL), ventro-postéro-médial (VPM), ventral postérieur (VP) et ventro-médial postérieur (VMPo). Ces régions sont liées au codage sensoridiscriminatif via leurs différentes projections corticales. Le VMPo reçoit principalement des afférences de neurones HPC et NS, comme le montre son activité aux stimuli thermiques et nociceptifs. Lorsque ce noyau est stimulé, cela provoque des douleurs localisées, des perceptions de froid et/ou des perceptions viscérales [10]. À partir du VMPo, les neurones de troisième ordre se dirigent jusqu’à l’insula (voir figures 10.1 et 10.7) [1, 6]. Ce circuit posséderait un rôle dans le caractère désagréable et aversif de la perception, mais aussi dans l’aspect sensoridiscriminatif. D’une part, les patients présentant une lésion du cortex insulaire rapportent ressentir de la douleur mais sans être gênés par cette douleur. Ils ne perçoivent plus l’aspect déplaisant de la douleur (asymbolie à la douleur) [21]. D’autre part, la stimulation électrique de la partie dorsopostérieure de l’insula produit des douleurs localisées [5]. Lamina V On distingue plusieurs réseaux de neurones à partir des projections de la lamina V. Ces réseaux prennent naissance dans la lamina V, et se projettent vers le bulbe rachidien, puis vers le thalamus et le cortex. Ces réseaux peuvent aussi former des boucles de rétroaction en envoyant des informations en retour vers la corne dorsale : • un réseau impliquant le subnucleus reticularis dorsalis (SRD), la partie latérale des noyaux ventromédiaux du thalamus (VM) et le cortex préfrontal (CPF). Ce réseau lamina V-SRDVM-CPF faciliterait l’excitation corticale et la synchronisation des zones impliquées dans le traitement de l’information nociceptive. Il aurait donc un rôle dans l’amplification des composantes nociceptives. Les neurones NS sont les

principaux impliqués dans la projection lamina V-SRD [5] ; • un réseau impliquant le noyau parabrachial interne latéral (PBIL), le noyau paracentral du thalamus (PC) et le CPF. Ce réseau lamina V-PBIL-PC-CPF permet la mise en alerte lorsqu’un signal nociceptif est détecté. Ce réseau est déprimé par la morphine [5]. Il existe d’autres projections vers différents noyaux du bulbe (réticulaire latéral et gigantocellulaire). Ces projections sont principalement impliquées dans la motricité, la réaction végétative, et dans l’état d’éveil et d’alerte. Toutes ces projections servent à mettre le métabolisme en route, à préparer notre corps et activer nos facultés cognitives pour faire face à ce stimulus [5].

En fonction de leur terminaison Les neurones de deuxième ordre peuvent également être classés en fonction de leur terminaison. La majorité des neurones de projection décussent avant d’aller se projeter vers le tronc cérébral ou vers le thalamus. Leurs projections se regroupent dans un faisceau antérieur, plus ou moins latéralisé, situé dans le quadrant ventrolatéral. Faisceau spinothalamique (ST) Le faisceau ST représente uniquement 5 % des neurones de deuxième ordre. Il joue un rôle majeur dans la discrimination de la qualité, de l’intensité, de la localisation, et de la temporalité des stimuli nociceptifs [6]. D’un point de vue phylogénétique, ce faisceau est le plus récent. Il est parfois dénommé néospinothalamique en comparaison avec le paléospinothalamique qui, lui, est plus ancien [22]. Ce dernier renvoie aux faisceaux spino-hypothalamique et spinobulbaire, c’est-à-dire ceux se dirigeant vers la formation réticulée, le noyau parabrachial, ou la SGPA [22, 23]. Le faisceau ST prend son origine dans les laminæ I, IV-V et VII-VIII. La majorité (plus de 50 %) proviennent de la lamina I, et presque 90 % des fibres décussent alors que les 10 % restants sont du côté ipsilatéral. On retrouve tous les types de neurones : HPC, NS, WDR et

thermiques non nociceptifs [24, 25]. Au sein de ce quadrant ventrolatéral, pour la voie spinothalamique, on distingue un faisceau latéral et un faisceau antérieur. Le latéral est organisé de manière somotatopique et se projette vers la partie latérale du thalamus. Il provient principalement de la lamina I. Le faisceau antérieur se projette vers la partie postéromédiale et intralaminaire du thalamus et provient principalement de la lamina V [24]. Faisceau spino-hypothalamique Ce faisceau contient des neurones NS, WDR et thermiques non nociceptifs. L’hypothalamus permet de déclencher une réponse neuroendocrine. Ce faisceau est également lié au système nerveux autonome, ce qui permet de déclencher toute une cascade de réactions propice à la réponse de défense. Faisceau spinobulbaire Il existe plusieurs faisceaux spinobulbaires. Ils se projettent à divers endroits comme sur le noyau parabrachial, sur la SGPA ou sur la formation réticulée. Tous ces faisceaux correspondent à ceux présentés plus haut dans le paragraphe « En fonction de la localisation de leur soma ».

Les neurones de troisième ordre Le thalamus est un noyau cérébral sous-cortical. C’est un lieu important d’intégration des informations provenant de la moelle épinière. Il peut être symbolisé comme l’ultime relais entre les informations périphériques et le cortex pour l’accès à la conscience d’une représentation de notre organisme. La distribution des informations thalamiques vers le cortex a été décrite comme reposant sur un système médial et latéral, chacun codant des aspects distincts de la perception douloureuse. La voie médiale (noyaux thalamiques de la région médiane et noyaux intralaminaires) projette vers le cortex cingulaire antérieur, le cortex frontal et le striatum. Ce réseau participe à l’orientation de l’attention

et à la composante affectivo-motivationnelle de la douleur [26, 27]. La voie latérale (noyaux VPL/VPM, VP et VMpo) projette vers les cortex insulaires et somesthésiques [10, 26]. Cette voie participe à l’aspect sensoridiscriminatif de la perception douloureuse [27, 28].

Pour aller plus loin Le thalamus, un organe complexe ! Le fonctionnement de cet organe semble clairement suggérer que le thalamus n’est pas un simple relais entre la moelle et le cerveau. Il permet un véritable tri des informations sensorielles, et agit comme un contrôleur laissant passer ou non les informations médullaires vers le cortex. L’étude du fonctionnement de thalamus chez l’humain est compliquée, mais une étude récente chez des patients épileptiques a permis de confirmer des résultats obtenus chez l’animal. L’enregistrement de l’activité thalamique, chez les patients éveillés, a mis en évidence une activité synchrone des noyaux VPL, VP (pulvinar principalement) et les noyaux centraux intralaminaires lorsque les fibres Aδ sont activées [28]. Ces résultats confirment un traitement distribué de l’information nociceptive dans le thalamus. Les noyaux centraux intralaminaires assurent une connexion cortico-thalamo-corticale [28].

Une réflexion sur les voies nociceptives Pourquoi essayer d’associer une structure à une fonction ? La recherche fondamentale a pour objectif la compréhension des phénomènes naturels. Elle cherche à mettre en évidence des lois et/ou des mécanismes qui peuvent rendre compte de ce que l’on observe. Depuis plusieurs siècles, la biologie s’est fondée sur le désir de mettre au jour le lien qui existe entre une structure et une fonction. Tel

organe, tel récepteur, ou telle voie effectue telle fonction. Et cette manière de procéder reflète toujours actuellement le processus scientifique. On cherche à mettre en évidence ce lien entre structure et fonction. Cependant, pour certaines structures, ce lien reste difficile à découvrir. Plusieurs cas de figure peuvent être évoqués en fonction de la spécificité de la structure : • la structure possède une fonction spécifique (voir l’encadré suivant), mais il est parfois difficile, voire impossible, de l’étudier de manière isolée. Lorsqu’elle n’est pas isolée, la structure étudiée peut subir de nombreuses influences externes et il est alors plus difficile d’identifier sa fonction propre. De même, si elle n’est pas isolée, le risque de lui attribuer une fonction qu’elle ne réalise pas est également plus élevé (c’est-à-dire qu’on est en train d’attribuer la fonction à la mauvaise structure) ; • la structure possède une fonction peu spécifique. Sa fonction dépend plutôt des interactions avec les autres structures. Il s’agit donc de mettre en évidence non plus une structure qui est à l’origine d’une fonction, mais un ensemble de structures travaillant de concert pour expliquer la fonction. La fonction observée dépend littéralement d’un réseau de structure et non d’une structure isolée. Il s’agit là d’un processus non linéaire, dans le sens où la fonction évolue de manière complètement différente en fonction du réseau de structure impliqué. Si un seul des éléments du réseau est absent, alors la fonction peut changer du tout au tout.

Focus Spécificité d’une structure La spécificité d’une structure à sa fonction peut être définie comme une probabilité conditionnelle entre la structure et la fonction ≡ P(A∣B). Lire : « probabilité de A sachant B ». Tout d’abord, il faut que l’on ait une implication entre la structure

et la fonction. À chaque fois que la fonction est activée, alors la structure est active ≡ P(S∣F) = 1. Lire : « La probabilité que la structure soit active sachant que la fonction est réalisée est égale à 1 ». Cependanty, cela n’est pas suffisant pour qu’une structure ait une bonne spécificité. Il faut aussi que cette structure ne s’active pas lorsque d’autres fonctions entrent en jeu ≡ P(S∣ ) = 0. Plus cette probabilité augmente, moins la structure est spécifique. Cela signifie que la structure entre en jeu lorsqu’il y a d’autres fonctions actives. Lire : « La probabilité que la structure soit active sachant que toute autre fonction, autre que F, est réalisée est égale à 0 ».

Les différentes théories sur les voies nociceptives Théorie de la spécificité : labbeled line Cette théorie suppose qu’il existe un type de récepteur, une voie et une zone cérébrale spécialisée pour chaque modalité perçue. Par exemple, il existe un récepteur (voie et zone) spécifique pour détecter le chaud, un autre pour le froid, un autre encore pour l’étirement de la peau, etc. Cette vision a été supportée par plusieurs grandes découvertes : tout d’abord celle de récepteurs tactiles spécialisés au cours du XIXe siècle (Pacini, Merkel, Meissner, Ruffini) ; puis celle de voies de conduction spécialisées (les voies somesthésiques d’une part, et les voies motrices d’autre part) ; enfin, par la mise en évidence du nocicepteur par Burgess et Perl en 1967. Malgré ces découvertes, cette théorie a toujours été reléguée au second plan derrière les théories non spécifiques [29]. De nos jours, il existe un consensus, parmi les plus grands chercheurs du domaine, pour affirmer qu’il existe des fibres spécifiques au niveau des neurones de premier ordre [29]. Même si les récepteurs sont polymodaux et qu’il existe une redondance entre les récepteurs, les récepteurs et les fibres nociceptives sont suffisamment

spécialisés pour être labellisés selon le nom de leur modalité : fibre du chaud nocif (TRPV1) ou du froid nocif (TRPA1), fibre des purines, fibre du toucher léger (C-bas seuil ; c’est-à-dire la caresse), etc. [30]. Théories de la non-spécificité : intensité et pattern d’activité Pour la théorie de l’intensité, les fibres peuvent produire ou non de la douleur en fonction de l’intensité du stimulus. Ce n’est donc pas le stimulus qui provoque ou non de la douleur, mais son intensité et sa répétition. En effet, un stimulus répété de nombreuses fois rapidement, même peu intense, est postulé comme pouvant provoquer de la douleur via la sommation temporelle [29]. Les neurones WDR découverts en 1965 illustrent parfaitement cette propriété et l’existence de voies non spécifiques [30]. Pour la seconde théorie, il s’agit plutôt de concevoir la douleur comme résultant d’un pattern d’activités spécifiques. Ce n’est donc pas une fibre spécialisée qui va porter un message spécifique, mais bien l’activité d’un ensemble de fibres (c’est-à-dire un réseau) qui va faire émerger la perception douloureuse. Et chacune de ces fibres peut répondre à une diversité de stimuli [30]. Toujours selon les mêmes spécialistes, ce fonctionnement pourrait tout à fait être celui des neurones de deuxième et troisième ordre, et même plus largement du cortex cérébral. C’est d’ailleurs ce qu’essaient de modéliser les neurosciences computationnelles, quel que soit le domaine en science cognitive (vision, douleur, etc.). Cette discipline cherche à mettre au point des modèles mathématiques qui pourraient prédire le résultat final d’un réseau spécifique. Théorie intégrative : les visions contemporaines Les données expérimentales ont à la fois donné raison à la théorie de la spécificité et à celle de la non-spécificité. Comme expliqué précédemment, il y a un consensus sur le fait qu’il existe une bonne spécificité au niveau du neurone de premier ordre. Dès le neurone de deuxième ordre, la spécificité serait remplacée par des interactions complexes. Toutefois, ces interactions sont mal comprises et restent hypothétiques.

Dans cette optique, Craig a proposé une nouvelle théorie encore plus intégrative [31]. Pour comprendre la perception de la douleur, il ne faut pas seulement s’intéresser à la nociception, mais à l’ensemble des sens dit « intéroceptifs ». Les sens intéroceptifs sont ceux qui nous renseignent sur l’état physiologique de notre corps : la température, la soif, la faim, le toucher léger, les sensations musculaires ou viscérales et l’activité vasomotrice. La plupart de ces sens sont médiés par des fibres C spécialisées (neurones de premier ordre) qui font synapse sur la lamina I. Selon Craig, les neurones de projection de la lamina I et à destination de la partie dorsale de l’insula sont une voie spécialisée dans l’intéroception. Cette partie de l’insula serait chargée de représenter l’état de notre corps à tout instant. De même, certains neurones de projection de la lamina I se terminent sur le cortex cingulaire antérieur, ce qui permettrait d’enclencher un processus motivationnel pour réguler de manière volontaire notre homéostasie. Il y aurait donc à la fois une voie intéroceptive et une voie motivationnelle. C’est pourquoi Craig désigne la douleur comme une émotion homéostatique. Celle-ci nous renseigne sur l’état de notre corps (c’est-à-dire l’intéroception) et elle possède une composante motivationnelle forte qui nous pousse à agir pour maintenir notre homéostasie (c’est-à-dire l’émotion) [31].

Points à retenir ■ Le système nociceptif est composé de trois fibres afférentes lui permettant de conduire le message de la périphérie jusqu’au cortex cérébral : neurone de premier, deuxième et troisième ordre. ■ Il existe différentes manières pour classer les neurones nociceptifs. ■ Parmi les neurones de premier ordre, on distingue les fibres C des fibres Aδ grâce à leur niveau de myélinisation. ■ Parmi les neurones de deuxième ordre, on distingue les neurones nociceptifs spécifiques de ceux appelés à « large gamme de réponse » (WDR).

■ Les neurones de troisième ordre sont souvent classés en fonction de la localisation de leur terminaison corticale. ■ Le fonctionnement des voies nociceptives n’est pas parfaitement compris et plusieurs théories sont encore débattues.

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(multipolaire/fusiforme/pyramidale) ou en fonction du type de récepteur qu’ils expriment.

C H A P I T R E 11

La dimension sensorielle de la douleur – transmission et perception A. Pallot, T. Osinski

« La perception n’est jamais passive. Nous ne faisons pas que recevoir le monde ; nous en sommes aussi les créateurs actifs. » Siri Hustvedt

PLAN DU CHAPITRE La transmission 87 La perception 88 Références 92

La transmission Qu’est-ce que la transmission ? La transmission est le passage du message nerveux d’un neurone à un autre. La synapse est le lieu où elle se déroule. Nous considérerons la transmission dans les voies de la nociception entre le neurone de premier ordre et celui de deuxième ordre (dans la corne dorsale de la

moelle épinière). Le message nerveux électrique (sous forme de fréquence de potentiel d’action [PA]) du neurone présynaptique va se transformer en message chimique (neurotransmetteur) qui va être délivré dans la fente synaptique (espace entre les deux neurones, entre autres). En effet, la dépolarisation de la membrane présynaptique va entraîner une entrée de NA+, engendrant une entrée de Ca2+. Le calcium va activer des éléments qui vont favoriser la fusion des vésicules synaptiques (où sont contenus des neurotransmetteurs) avec la membrane de la terminaison axonale présynaptique. Cela crée une exocytose du contenu des vésicules (les neurotransmetteurs) dans la fente synaptique. Ce message chimique va pouvoir être capté par le neurone postsynaptique via différents récepteurs sensibles à différents neurotransmetteurs, ce qui déclenchera (ou non) un message nerveux électrique. Comme dit dans le chapitre 8, si le neurone présynaptique libère un neurotransmetteur excitateur dans la fente synaptique, alors celui-ci va augmenter le voltage du neurone postsynaptique. On parle de potentiel postsynaptique excitateur (PPSE). Si le PPSE est suffisamment intense ou si plusieurs PPSE se somment, cela entraîne une dépolarisation du neurone et ainsi la formation d’un potentiel d’action. À l’inverse, si le neurotransmetteur libéré est inhibiteur, on parle de potentiel postsynaptique inhibiteur (PPSI). Ce PPSI a pour effet d’hyperpolariser le neurone postsynaptique, ce qui le rend plus difficilement excitable. Dans le premier cas, les PPSE favorisent la transmission d’information des messages nerveux alors que les PPSI freinent cette transmission. Les neurotransmetteurs libérés dans la fente synaptique ont quatre destins possibles après s’être fixés (ou non) sur le récepteur de la membrane postsynaptique du neurone suivant [1] : • être éliminés par les astroglies ; • être dégradés enzymatiquement ; • dériver loin de la fente synaptique ; • être recapturés par la terminaison axonale qui les libère.

Les neurotransmetteurs

Glutamate C’est la forme ionisée de l’acide glutamique. Largement présent dans le système nerveux, et en particulier dans les voies de la nociception (de la périphérie au central), il est excitateur [2]. Le glutamate active : • des récepteurs ionotropes (si un ligand s’y fixe, il ouvre un canal ionique (souvent sélectif) : – NMDA (N-méthyl-D-aspartate) : – leur stimulation génère des PPSE ; – impliqué dans le phénomène de potentialisation à long terme (= renforcement persistant des synapses fondé sur les derniers patrons/schémas d’activité – voir la fin du paragraphe), et donc de la plasticité synaptique. – AMPA (α-amino-3-hydroxy-5-méthylisoxazol-4propionate) : – leur stimulation génère des PPSE ; – souvent présents avec des NMDA ; – la régulation du nombre de récepteurs dans une synapse participe à la plasticité synaptique. – KAR (kainate receptor, récepteur kaïnate) : – leurs récepteurs postsynaptiques génèrent des PPSE ; – leurs récepteurs présynaptiques sont inhibiteurs en diminuant l’exocytose. • des récepteurs métabotropes (si un ligand s’y fixe, il active une cascade d’événements intracellulaires). Les récepteurs NMDA laissent entrer du Ca2+ et causent donc une dépolarisation. Cependant, leur site est occupé par du Mg2+ qui bloque la fixation du glutamate sur eux. Le blocage est voltagedépendant ; cela signifie que les récepteurs NMDA du neurone postsynaptique s’activeront quand le neurone sera déjà suffisamment excité (pour que le Mg2+ « saute » du site, il faut que le récepteur subisse des dépolarisations). En effet, si des dépolarisations du

dendrite postsynaptique sont assez nombreuses et fréquentes, alors le Mg2+ présent sur le site du NMDA va « sauter », laissant la place libre pour qu’un glutamate vienne (et engendre de laisser passer du Ca2+). Le récepteur est donc à la fois chimiodépendant (avec la fixation du glutamate) et voltage-dépendant (avec le fait que cela permette de libérer son site du Mg2+). Cela est important car la stimulation prolongée du récepteur NMDA va : • laisser plus de Ca2+ entrer ; • engendrer des réactions qui provoquent une libération accrue de neurotransmetteurs par le neurone présynaptique dans la synapse. Substance P C’est un neuropeptide de la classe des tachykinines se fixant sur les récepteurs NK1 (neurokinine 1). La substance P a un rôle dans la régulation des émotions (anxiété, dépression, stress, etc.). La stimulation du NK1 par la substance P génère des PPSE. Le récepteur NK1 possède plusieurs caractéristiques [3] : • la forme longue est sujette à désensibilisation ; • la forme courte ne subit pas de désensibilisation rapide (produisant ainsi une réponse prolongée) ; • internalisation rapide possible après fixation de la substance P (mais abolie en présence de son antagoniste, comme l’aprépitant) ; • resensibilisation possible. Les antagonistes de ce récepteur n’ont apparemment pas d’effet analgésique [4]. Peptide relié au gène calcitonine (calcitonin gene-related peptide[CGRP]) Le CGRP est présent au niveau périphérique et central. Son récepteur est le récepteur CGRP ; il génère des PPSE. Les antagonistes de ce

récepteur induisent une analgésie [5].

Situation locale des synapses Il est important de comprendre que, localement, il n’y a pas que le neurone présynaptique (de premier ordre) qui se joint au neurone postsynaptique (de deuxième ordre). Il y a aussi des interneurones et des neurones des voies descendantes1 (figure 11.1). Il y a donc des sommations spatio-temporelles qui vont s’exercer à ces endroits via de multiples afférences (périphérique, médullaire et corticale).

FIGURE 11.1 La modulation nociceptive. Source : Dessin réalisé par Cyrille Martinet.

La perception La perception peut être définie comme une « opération psychologique complexe par laquelle l’esprit, en organisant les données sensorielles, se forme une représentation des objets extérieurs et prend conscience

du réel » [6]. Cette définition est assez intéressante car elle : • induit une différence entre les informations somatosensorielles et leur « conscience » ; • évoque l’aspect « organisationnel », c’est-à-dire l’intégration ; • pourrait sous-entendre que cette intégration se fait avec des « données sensorielles » variées. Comme nous l’avons présenté dans le chapitre 3, plusieurs théories se sont succédées (et croisées) pour comprendre et expliquer la transmission d’un message nociceptif à la conscience (spécificité, intensité, schéma, gate control, etc.). Cependant, nous allons vous présenter ici la théorie de la neuromatrice car c’est celle qui apparaît être la plus consistante et complète actuellement du fait de l’intégration multidimensionnelle qu’elle induit/soutient. Néanmoins, la dernière partie de ce chapitre viendra discuter cette théorie.

Neuromatrice et neurosignature Selon Melzack [7, 8], la neuromatrice est « un vaste réseau étendu de neurones qui se compose de boucles entre le thalamus et le cortex, ainsi qu’entre le cortex et le système limbique ». Il ajoute que cette organisation spatiale (neurones, synapses, etc.) a un caractère inné (car déterminé génétiquement) et un caractère acquis (car son organisation se « sculpte par les entrées sensorielles » durant le vécu) [7, 8]. La fonction de ce réseau est de traiter l’ensemble des afférences du corps [9]. Cependant, la neuromatrice est organisée en réseau, chaque sousunité s’occupant de familles d’afférences différentes [7-9]. Pour la douleur, il existe donc une sous-neuromatrice (une partie d’elle) de la douleur. Sa « localisation » connue est actuellement le cortex somesthésique primaire (S1), secondaire (S2), le cortex cingulaire antérieur (CCA), le cortex insulaire (INS), l’aire motrice supplémentaire (AMS), le cervelet, le striatum, les cortex pariétal postérieur (CPP) et préfrontal dorsal (CPF) [9, 10]. Le résultat du traitement permanent de l’ensemble des afférences s’appelle la neurosignature (neurotag) [7-9]. Comme il y a des sous-

neuromatrices, il y a des sous-neurosignatures. La douleur a donc une neurosignature propre. Cette dernière fonctionne par ensembles qui vont « capter » les différents aspects de la douleur. Comme le nombre de cellules et de synapses varie avec l’expérience du vécu, la neuromatrice et la neurosignature vont évoluer. La neuromatrice d’un même individu sera différente de celle d’un autre (interpersonnes) ou d’elle-même en fonction du temps (intrapersonne).

Traitement des données vers la conscience Garcia-Larrea et Peyron [10] distinguent trois niveaux d’intégration des informations de la nociception corticale à l’expérience consciente qu’est la douleur : • processus de premier ordre – la matrice nociceptive corticale [ 9, 10] : – appelée aussi matrice nociceptive ; – porte d’entrée/projection des stimuli nociceptifs par la voie spinothalamique [9] ; – nécessaire pour générer des expériences de douleur (spécificité sensorielle de l’expérience douloureuse) ; – ne peut pas produire les différentes « teintes » de la douleur ; – son activation ne suffit pas pour permettre une expérience consciente de douleur (processus présent durant le sommeil, le coma, l’état végétatif, etc.). • processus de deuxième ordre – la matrice perceptive [ 9, 10]: – appelée aussi matrice perceptive-attentionnelle ; – son activité (couplée avec la matrice de premier ordre) va assurer l’accès des informations nociceptives à la conscience ; – elle englobe l’activité de nombreuses zones distinctes de la matrice de premier ordre ; – ces zones/aires de deuxième ordre partagent un certain nombre de caractéristiques [10] : – aucune d’entre elles n’est une cible directe du système

spinothalamique ; – la stimulation directe n’évoque pas la douleur ; – la destruction sélective n’induit pas d’analgésie ; – elles sont également activées dans des contextes n’impliquant pas la douleur ; – leur contribution à la matrice de la douleur, de nulle à prédominante, dépend du contexte dans lequel les stimuli nocifs sont appliqués. – ces zones permettent de solliciter les réactions végétatives, l’attention, l’anticipation, le contrôle cognitif, les sentiments internes, etc. • processus de troisième ordre – de la perception immédiate aux souvenirs/mémoire de la douleur [ 9, 10] : – appelée aussi matrice émotionnelle de ré-appréciation ; – c’est une matrice de ré-appréciation/évaluation des informations provenant des deux autres processus ; – elle modifie la valeur subjective du stimulus nociceptif ; – son activité est retrouvée dans les aires temporales, préfrontales antérolatérales et orbitofrontales ; – entraîne des changements de l’expérience de la douleur sans que l’activité des deux autres processus (premier et deuxième ordre) ne soit modifiée, par exemple : – augmentation de la douleur subjective pendant l’observation de la souffrance d’autres personnes ; – soulagement de la douleur lié à un placebo ; – soulagement de la douleur à l’aide du contrôle de soi du stimulus. – matrice dont son réseau est interconnecté avec des régions impliquées dans le contrôle descendant de la douleur engendrant une notion importante : cette matrice peut donc moduler l’activité nociceptive ascendante, ce qui limitera l’accès de ces informations ascendantes aux aires corticales. Ainsi, il n’y a pas de centre cérébral pour la douleur. C’est plutôt

l’activité de différentes zones du cerveau coordonnées entre elles qui aboutit (ou non) à l’expérience douloureuse. Cette activité se développe dans une complexité progressive via trois réseaux interconnectés traitant des données cérébrales multidimensionnelles.

Discussion sur la neuromatrice Le réseau cortical activé lors d’une perception douloureuse semble relativement standard dans les aires impliquées [11, 12]. Il a été proposé de parler d’une neuromatrice de la douleur pour rendre compte de l’absence d’une zone cérébrale spécifique génératrice de la douleur [7, 8]. Ce réseau implique différentes aires qui montrent, à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), une augmentation de leur activité lors d’une perception douloureuse ; elles ont été surnommées « matrice de la douleur » (painmatrice en anglais). Leurs différentes activités ont été corrélées avec certaines composantes de l’expérience douloureuse comme les aires S1 et S2 pour la sensoridiscrimination, les aires AMS et cérébelleuse pour la réponse motrice, etc. (figure 11.2) [12].

FIGURE 11.2 La neuromatrice de la douleur est fonction de ses composantes. Source : Peyron R. Physiologie de la douleur. EMC – Neurologie 2007 ; 4(1) : 1‑14. Reproduction autorisée.

Malgré une certaine redondance des activités cérébrales enregistrées en IRMf dans différentes études sur le sujet, la notion de neuromatrice a été bousculée et remise en question depuis les années 2010. En effet, il a été mis en avant que ce réseau diffus pouvait en grande partie être activé par des stimuli non douloureux mais soudains [13], et également chez des personnes incapables de décrire l’expérience d’une douleur suite à une stimulation habituellement douloureuse chez d’autres sujets lambdas [14]. Malgré cela, différentes études utilisant l’apprentissage machine (machine learning) ont mis en évidence qu’il était possible chez le sujet sain d’identifier si la personne avait exprimé de la douleur suite à une stimulation thermique avec une sensibilité et une spécificité de plus de 90 % [15]. Des résultats similaires ont été retrouvés dans d’autres populations [16-18], suggérant la possibilité d’identifier une neurosignature de la douleur [15]. Pour autant, ces résultats encourageants ne permettent

pas de dire qu’il existe un biomarqueur de la douleur, avec la possibilité de déterminer si une personne vit une expérience douleur. En effet, ces signatures peuvent être peu généralisables au-delà de l’échantillon et de la situation de développement. De plus, de tels biomarqueurs peuvent manquer de sens clinique car ils sont développés pour corréler une activité cérébrale à un événement précis – que ce soit la présence ou l’absence de douleur, l’intensité d’une expérience douloureuse, ou d’autres paramètres –, mais jamais l’ensemble des paramètres du vécu d’une expérience douloureuse, qui est pourtant le motif de consultation d’un patient [19]. En dépit de ces limites, un effort important est prévu dans cette branche car le développement de tels biomarqueurs pourrait faciliter l’évaluation des effets thérapeutiques, l’évaluation des patients non communicants et la compréhension des mécanismes de la perception douloureuse [15]. L’existence d’un tel réseau diffus d’activité dans le cerveau lors d’une expérience douloureuse fait consensus, même si son sens non. Depuis les années 2010, de nouvelles données issues de stimulations ou d’enregistrements intracérébraux sont venues réaffirmer l’importance de certaines aires dans la genèse de l’expérience douloureuse. En effet, il a été mis en évidence chez les patients épileptiques (décrivant ressentir de la douleur lors de leurs crises) que le foyer épileptogène se situe au niveau operculo-insulaire [20]. Cette zone est d’ailleurs la seule aire cérébrale réputée capable de faire ressentir de la douleur chez une personne éveillée lorsqu’on la stimule artificiellement [21]. De plus, la destruction de cette aire cérébrale provoque une analgésie [20]. Cela ne signifie pas que la douleur émerge de l’activité de cette aire cérébrale, mais qu’elle est un carrefour (hub) essentiel à la perception douloureuse. En effet, il y a actuellement consensus qu’une expérience consciente repose sur une activité cérébrale diffuse et synchrone [22, 23]. Ainsi, l’étude des connectomes (les réseaux cérébraux ayant une activité corrélée dans le temps) laisse à penser que la perception douloureuse repose sur l’équilibre entre un réseau dit par défaut (qui représente l’activité spontanée du cerveau), un réseau de saillance (mis en jeu dans la

détection d’événements d’intérêt) et un réseau antinociceptif (impliqué dans la régulation de la remontée des afférences nociceptives vers le cerveau) (figure 11.3) [24].

FIGURE 11.3 Connectome dynamique de la douleur. BRM : bulbe rostromédial ; CCP : cortex cingulaire postérieur ; CIA : cortex insulaire antérieur ; CPDL : cortex préfrontal dorsolatéral ; CPFam : cortex préfrontal antéromédial ; CPFdm : cortex préfrontal dorsomédial ; CPFm : cortex préfrontal médial ; JTP : jonction temporopariétale ; LTM : lobe temporal médial ; RMD : réseau du mode par défaut ; RS : réseau de saillance ; SA : système antinociceptif ; SGPA : substance grise périacqueducale Source : Kucyi A, Davis KD. The dynamic pain connectome. Trends Neurosci 2015 ; 38(2) : 86‑95. Reproduction autorisée.

Points à retenir ■ La transmission est le passage du message nerveux d’un neurone à un autre.

■ La nature et le nombre de plusieurs récepteurs et neurotransmetteurs sont impliqués dans la transmission et la réponse postsynaptique. ■ Lors de la transmission, il y a une sommation spatio-temporelle de multiples afférences (périphériques, médullaires et corticales) qui se produit. ■ La théorie de la neuromatrice est remarquable par le fait qu’elle soutient une approche multidimensionnelle de l’expérience de la douleur. ■ L’afférence nociceptive est grandement différente de l’expérience douloureuse. ■ C’est une organisation de différentes zones du cerveau coordonnées en trois ordres traitant des données cérébrales multidimensionnelles, dans une complexité progressive, qui aboutit (ou non) à l’expérience douloureuse. ■ Conceptuellement intéressant, le principe de neuromatrice ne permet pas pour autant d’élaborer de biomarqueur objectivant une perception douloureuse.

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CHAPITRE 12

La dimension sensorielle de la douleur – modulation et sensibilisation A. Pallot, T. Osinski

« Les douleurs disparaissaient dans l’apparence du bonheur nouveau. » Grégoire Delacourt

PLAN DU CHAPITRE La modulation 94 La sensibilisation 97 Références 102

La modulation La modulation est un processus dynamique adaptant/modifiant l’intensité des afférences par des mécanismes excitateurs et inhibiteurs. Elle a lieu au niveau spinal, supraspinal et cortical.

Au niveau spinal Il y a deux éléments qui existent : le gate control et le wind-up.

Le gate control La théorie initiale repose sur les éléments suivants [1, 2] (figure 12.1) : • lorsqu’une fibre C est excitée, elle excite le neurone de deuxième ordre type non spécifique (neurone WDR ou wide dynamic range) ; • cette même fibre C inhibe un interneurone inhibiteur d’ellemême, ce qui évite que l’interneurone inhibe cette fibre C ; • les fibres Aα et Aβ (proprioceptives et tactiles) excitent l’interneurone inhibiteur et ce dernier inhibera l’action de ces fibres sur le neurone WDR ; • cependant, les fibres Aδ et C sont de plus petit diamètre que les Aα et Aβ ; la vitesse de conduction du message nerveux est donc plus rapide chez ces dernières.

FIGURE 12.1 Représentation schématique du gate control selon Melzack et Wall. Source : Melzack et al. [1].

S’il y a stimulations de ces quatre types de fibres, alors il y aura [1,

2] : • un message plus rapidement conduit dans les fibres Aα et Aβ ; • une sommation des informations nociceptives (Aδ et C) et mécaniques (Aα et Aβ) au niveau de l’interneurone inhibiteur ; • une sommation des informations nociceptives (Aδ et C) et non nociceptives (Aα et Aβ) au niveau du neurone WDR. L’excitation des fibres Aδ et C rend plus difficile le fait d’atteindre un seuil d’excitabilité du neurone WDR, même si les fibres Aδ et C sont excitées. Cette théorie a évolué en 1978 en apportant les changements suivants [2, 3] : • l’information sur la présence d’un stimulus est transmise au système nerveux central ; • d’autres fibres nerveuses périphériques non nociceptives activent ou inhibent les cellules activées par les messages nociceptifs ; • les systèmes de contrôle descendants provenant du cerveau modulent l’excitabilité des cellules. La stimulation tactile et/ou proprioceptive sur des territoires sensitifs similaires à ceux nociceptifs de cette même zone permet d’inhiber le passage du message nociceptif (comme lorsqu’on se frotte à un endroit où on a mal pour faire diminuer la douleur). Cette modulation spinale est influencée par les autres types d’afférences sensorielles et un contrôle descendant. En pratique, l’utilisation de la stimulation nerveuse électrique transcutanée (TENS) est à considérer pour se servir de cet effet. Le wind-up C’est l’augmentation de l’intensité de la douleur au cours du temps lorsqu’un stimulus est répété [4]. Cela est causé par le fonctionnement du récepteur NMDA (voir chapitre 11) présent sur le neurone de

deuxième ordre. En effet, ce récepteur est à la fois chimio-dépendant et voltage-dépendant. Son site est habituellement occupé par un ion magnésium, empêchant l’entrée de calcium dans la membrane du neurone postsynaptique. Cependant, lorsque cette membrane est dépolarisée, l’ion magnésium part du site du récepteur NMDA. Cela permet aux ions calcium de rentrer et au glutamate de s’y loger (faisant ensuite rentrer du calcium). De fait, plus une membrane postsynaptique d’un neurone de deuxième ordre est dépolarisée (ce qui est souvent le cas lors d’une grande arrivée de messages nociceptifs provenant du neurone de premier ordre), plus elle sera indirectement excitable (car plus de récepteurs NMDA feront rentrer des ions dépolarisants).

Au niveau supraspinal Contrôles inhibiteurs diffus induits par stimulation nociceptive En 1979, Le Bars et al. [5] ont développé le concept de contrôles inhibiteurs diffus induits par stimulation nociceptive (diffuse noxious inhibitory controls [DNIC]) expliquant l’expérience qu’une douleur peut être diminuée par une stimulation douloureuse plus forte appliquée n’importe où sur le corps (même à distance de l’endroit de perception de la première douleur) [6]. Cela est permis par une boucle spino-bulbo-spinale. En effet, lors d’un message nociceptif, des informations ascendantes parviennent au tronc cérébral. Cela a comme conséquence une activation des noyaux réticulés dorsaux qui inhibent les neurones WDR de la corne dorsale de la moelle épinière (figure 12.2) [6]. Cette inhibition n’est pas spécifique à la zone d’où provient la stimulation nociceptive ; elle est globale au corps. D’autres structures seraient très probablement impliquées dans ce phénomène. Deux hypothèses non mutuellement exclusives viennent expliquer son intérêt biologique [6] : • inhiber les informations ascendantes provenant des neurones WDR car ils traitent des informations sensorielles diverses (et non uniquement nociceptives), rendant difficile de faire la

différence entre « bruit de fond » et message nociceptif ; • en cas d’agressions multiples, le DNIC va permettre de « mettre sous silence » les stimuli nociceptifs les plus faibles (afin de permettre une meilleure adaptation fonctionnelle face à la survie).

FIGURE 12.2 Représentation schématique de la boucle des CIDN (contrôles inhibiteurs diffus induits par stimulation nociceptive). Représentation schématique de la boucle des CIDN. Les neurones WDR se trouvent dans la corne dorsale de la moelle épinière surtout

dans les couches V et I (non représentées) selon Rexed. Contrairement aux neurones spécifiquement nociceptifs de la couche I, les neurones WDR sont activés non seulement par des afférences de fibres Aδ et C, mais ils reçoivent en outre des informations de fibres Aβ. Si l’organisme reçoit à un endroit donné une stimulation douloureuse intense, il se produit, partant du DRT (nucleus reticularis dorsalis), comme un réflexe aboutissant à une inhibition de tous les autres neurones WDR du corps. Source : Dessin réalisé par Cyrille Martinet d’après Sprenger et al. [6].

Ces éléments indiquent un rôle de « contrastant » du DNIC. Contrôles inhibiteurs descendants Lors d’un message nociceptif, la stimulation ascendante du tronc cérébral va engendrer le fait que le mésencéphale (via la substance grise périaqueducale [SGPA]) et le bulbe (via sa région bulbaire rostroventrale [RBRV]) vont avoir une activité inhibitrice descendante au niveau spinal sur les neurones WDR (diminution du message nociceptif) (figure 12.3) [7].

FIGURE 12.3 Boucle de rétrocontrôles inhibiteurs descendants. Source : d’après Calvino et al. [7].

Cette réaction inhibitrice descendante a lieu lors de stimulations nociceptives d’intensité élevée, engendrant donc un effet analgésique [7]. Elle est donc un rétrocontrôle négatif (si captation d’une forte nociception, inhibition de ce message). Contrôles facilitateurs descendants (cellules on et cellules off) Lors de stimulations nociceptives d’intensité faible, l’action de la RBRV a une autre conséquence (figure 12.4) [7, 8] : • exciter ses cellules dites on qui ont un effet excitateur sur les neurones WDR de la corne dorsale de la moelle (facilitateur) ; • inhiber ses cellules dites off qui ont un effet inhibiteur sur les neurones WDR de la corne dorsale de la moelle

(désinhibition).

FIGURE 12.4 Boucle de rétrocontrôles facilitateurs descendants. BRV : bulbe rostroventral ; FDL : faisceau dorsolatéral ; SGPA : substance grise périaqueducale ; T : transmission Source : Dessin réalisé par Cyrille Martinet d’après El Bitar et al. [8].

Ces deux effets sont proalgiques (ils favorisent le message nociceptif). Cependant, la nature du « chemin » de la cellule on est facilitatrice (puisqu’elle est excitée et qu’elle excite), alors que la nature du « chemin » de la cellule off est désinhibitrice (puisqu’elle est inhibée et qu’elle inhibe). La réaction descendante globale étant facilitatrice suite à un stimuli nociceptif, c’est donc un rétrocontrôle positif.

Au niveau cortical Cognition La distraction attentionnelle a un effet sur l’expérience de la douleur. Lors de ce genre de changement de l’attention, le cortex pariétal supérieur s’active. Celui-ci a des projections vers l’insula et le cortex S1 et S2 [9], formant donc des boucles corticocorticales. Pour que cela fonctionne au mieux, il faut que la tâche de diversion de l’attention soit importante [10]. Cela permettrait à l’individu de rester focus sur une tâche importante sans être distrait par une douleur non intense. Émotion Le cortex cingulaire antérieur (CCA) a un rôle dans la composante affective de la douleur [11]. Il peut y avoir une augmentation de la douleur perçue lors d’états émotionnels négatifs et d’anxiété et, a contrario, une diminution lors d’émotions positives et d’utilisation de placebo [11]. Cela permettrait au « corps » de s’alerter d’une situation émotionnelle difficile.

La sensibilisation Toutes les informations physiopathologiques fournies dans les chapitres 8 à 11 laissent entrevoir que tout changement dans les stimulations atteignant une fibre peut modifier son activité, ce qui est aussi vrai pour tout ce qui pourrait changer son état de polarisation basal, et cela peut donc amener à un changement dans la nociception. La nociception étant considérée ici comme la sensation de ce qui est

potentiellement nuisible avec l’idée qu’une sensation relève de l’activité d’un organe sensoriel mais n’est pas synonyme d’une perception. Des changements dans les capacités de conduction de l’information nociceptive par ces fibres peuvent aussi bien être imaginés comme sources d’altération de la nociception.

La sensibilisation périphérique Pour ramener cela à un aspect clinique, nous pouvons prendre l’exemple de l’escarre et de la douleur nociceptive qu’elle peut induire. Une escarre se forme lors de la destruction du tissu cutané et sous-cutané qui subit une ischémie causée par plusieurs phénomènes. Cette destruction tissulaire induit une acidification locale qui va pouvoir être détectée par les fibres nociceptives qui innervent le tissu. Si le nombre de protons généré est suffisamment grand, alors un potentiel d’action pourra être généré ; il sera la base d’une douleur nociceptive. À cela, il faut ajouter que l’inflammation locale va induire un phénomène dit de sensibilisation périphérique (augmentation de la réactivité des neurones nociceptifs et diminution de leur seuil d’excitabilité en réponse à une stimulation dans leur champ récepteur). Cela correspond au fait que l’état de polarisation basal de la fibre nociceptive va être altéré par la substance inflammatoire rendant ainsi le neurone périphérique plus sensible, et donc à même de générer des potentiels d’action (figure 12.5) [12]. Cela explique pourquoi nous sommes plus facilement douloureux lorsque nous stimulons une zone lésée ou inflammée. Cette sensibilité accrue se manifeste à l’examen clinique par une hyperalgésie (douleur plus intense pour un stimulus initialement douloureux) thermique et mécanique (figure 12.6) [12]. À noter que certaines fibres (dites peptidergiques), après avoir été sensibilisées, vont pouvoir sécréter des substances inflammatoires, ce qui va augmenter l’inflammation locale et faire diffuser le phénomène de sensibilisation périphérique ; nous parlons alors d’inflammation neurogène.

FIGURE 12.5 Résumé des différents mécanismes de la sensibilisation périphérique. Source : Osinski T, Lallemant A, Russo T. Modulation et dérèglements neurophysiologiques des voies de la douleur. Kinesither Rev 2017 ; 17(186) : 16‑32. Reproduction autorisée.

Autre phénomène périphérique qui peut affecter la nociception : les lésions des axones dans le nerf. Si une telle lésion apparaît et devient douloureuse, nous parlerons alors de douleur neuropathique, car elle semblerait émerger d’une atteinte du système somatosensoriel. Lorsqu’une fibre nerveuse est comprimée ou sectionnée, par exemple dans le cadre d’un syndrome du canal carpien ou d’une avulsion du plexus brachial, toute une série de phénomènes physiopathologiques vont se déclencher. En premier lieu, une inflammation va se produire avec les conséquences abordées plus haut. On pourra aussi observer qu’au niveau du site lésionnel, il y a aura une perturbation voire une interruption du flux axonal. Cela aura pour conséquence une accumulation locale de récepteurs et autres produits qui étaient destinés à la terminaison axonale. En plus de cela, plusieurs changements cellulaires vont se produire, ayant pour conséquence que le neurone va devenir anormalement sensible et réactif.

L’ensemble des bouleversements que vont connaître les fibres pathologiques va tendre à déclencher ou augmenter leur activité basale, ce qui signifie qu’elles vont pouvoir déclencher des potentiels d’action (PA) sans stimulations (activité pacemaker) ; on parle alors de décharges ectopiques [13]. De plus, les possibles fibres saines du nerf vont aussi se trouver perturbées par les changements électrochimiques locaux, ce qui va conduire à l’apparition de décharges dites éphaptiques. Ces décharges se produisent quand une fibre saine se retrouve activée non pas par une stimulation, mais par l’activité intense de fibres voisines. Ces deux phénomènes ont pour conséquence que plus d’informations nociceptives vont être envoyées vers le système nerveux central sans qu’il y ait plus de stimulations. Ainsi, les décharges ectopiques peuvent expliquer pourquoi certains patients peuvent avoir des douleurs spontanées erratiques dans leur bras ayant subi une avulsion du plexus brachial ou une amputation. Les décharges éphaptiques participent, elles, comme la sensibilisation périphérique, à l’étalement des douleurs par une activité nociceptive étendue (par son recrutement de fibres nociceptives adjacentes au site lésionnel). Ces phénomènes périphériques vont avoir des répercussions au niveau médullaire. En effet, l’afflux massif d’informations nociceptives va perturber le fonctionnement normal de la corne dorsale. Pour rappel, les fibres nociceptives périphériques (Aδ et C) sont dites de premier ordre, ont leur corps cellulaire dans les ganglions dorsaux et font synapse au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière (principalement les lames I-II et V selon Rexed). Les neurones de la corne dorsale sont dits de deuxième ordre. Ils peuvent être des interneurones ou des neurones de projection car ce sont eux qui vont faire remonter/projeter l’information vers les centres suprasegmentaires (dont le cortex). La corne dorsale est un grand lieu d’intégration d’information. Il faut avoir en tête que les neurones des couches superficielles (I et II) sont plutôt monosynaptiques et nociceptifs spécifiques ; cela signifie qu’ils ne répondent qu’à un neurone périphérique nociceptif et qu’ils projettent principalement vers des centres de gestion de l’homéostasie et de l’intéroception. Leur

activité coderait principalement l’intensité de l’information nociceptive. Les neurones de la lame V sont grossièrement décrits comme polysynaptiques et non nociceptifs spécifiques, ce qui signifie qu’ils réagissent à des informations nociceptives (ou non) qui peuvent provenir des différents neurones ; ils ont ainsi également un plus grand champ récepteur. Un champ récepteur plus large signifie que le neurone reçoit des informations d’une plus grande zone du corps (tout le bras au lieu d’une seule phalange par exemple). L’activité de la lame V coderait principalement la localisation des stimulations. Ces données nous éclairent sur le phénomène des douleurs projetées. En effet, le fait que les neurones qui participent à la perception consciente de la localisation d’un stimulus soient sensibles à des informations venant des différents endroits du corps (et différents types d’organes) explique comment un infarctus du myocarde peut donner par exemple des douleurs diffuses jusque dans le bras. La source de nociception est l’ischémie cardiaque (et ses dérivés chimiques) qui va solliciter des neurones sensibles aux informations du cœur, mais aussi à celles du bras. Sauf que l’information qu’il renvoie n’est qu’une suite de PA qui ne contient pas l’information précise de la zone mais bien d’une région potentielle de survenue du problème. D’autres phénomènes qui participeraient à la perception de douleur dans une région distante seront exposés un peu après.

La sensibilisation centrale L’activité périphérique intense va pouvoir conduire à un phénomène de sensibilisation centrale qui correspond à un changement d’état de fonctionnement des neurones du système nerveux central (augmentation de la réponse des neurones du système nerveux central à des stimuli d’intensité normale ou sous-liminaire) (figure 12.7) [12]. En premier lieu, les neurones médullaires vont se sensibiliser (comme vu plus haut pour les neurones périphériques) ; cela va conduire à un abaissement de leur seuil d’excitabilité (plus facile à faire générer un PA) et un élargissement de leur champ récepteur (plus sensible à des informations de régions distantes). Plusieurs mécanismes vont soustendre ce changement, parmi lesquels l’activation des récepteurs

NMDA du deuxième neurone. Lorsque plusieurs PA périphériques atteignent la corne dorsale, le neurone receveur va voir son potentiel de membrane progressivement s’élever. Quand ce potentiel devient suffisamment important, les récepteurs NMDA initialement inertes, car bloqués par un ion magnésium, vont devenir fonctionnels. Or, lorsqu’ils sont activés par le glutamate libéré dans la fente synaptique par le premier neurone, ils vont entraîner une cascade intracellulaire qui va conduire à la fabrication de plus de récepteurs au glutamate non voltage-dépendant, les récepteurs AMPA, qui vont se localiser au niveau de la fente synaptique. Par conséquent, après une première stimulation suffisamment intense, le deuxième neurone se retrouve pourvu de plus de récepteurs au glutamate excitateur du premier neurone. Il devient de ce fait plus sensible aux informations du premier neurone. À cela s’ajoute que les neurones peptidergiques, introduits plus haut, vont libérer aussi au niveau médullaire des substances pro-inflammatoires qui vont avoir deux grandes conséquences : • l’abaissement des seuils d’excitabilité des neurones (préexcitation) ; • l’activation des cellules gliales locales.

FIGURE 12.7 Développement de la sensibilisation centrale. Source : Osinski T, Lallemant A, Russo T. Modulation et dérèglements neurophysiologiques des voies de la douleur. Kinesither Rev 2017 ; 17(186) : 16‑32. Reproduction autorisée.

Quand la substance gliale est dite activée, elle va (comme les neurones) changer de phénotypes et donc de fonction. Dans les lésions nerveuses, ainsi que dans le phénomène de sensibilisation centrale, il a été bien documenté que ces changements vont conduire en général à un gain de fonction du système et donc à l’installation de cet état de sensibilité anormalement élevé [14, 15]. La conséquence de ce phénomène de sensibilisation centrale au niveau médullaire est que le système change de mode de fonctionnement en devenant plus excitable et actif, à l’instar logiquement de ce qui se produit en périphérie [16, 17]. Cela engendre que le message nociceptif périphérique se trouve être amplifié (en intensité et en zone de douleur), ce qui participe à l’explication de l’étalement des douleurs et du caractère particulièrement intense. On notera une hyperalgésie bien plus diffuse que dans le phénomène de

sensibilisation périphérique, hyperalgésie qui sera mécanique et non thermique (augmentation de la douleur ressentie à la piqûre à distance de la lésion mais pas à la chaleur) [12]. De plus, il est retrouvé également un phénomène d’allodynie (douleur provoquée par un stimulus habituellement non douloureux) (voir figure 12.6) [12]. Le plus souvent, cela se repère par une allodynie mécanique dynamique (le frottement des vêtements, des draps ou le fait de passer un coton sur la peau lors de l’examen clinique, etc.) [12].

FIGURE 12.6 Illustration de l’hyperalgésie et de l’allodynie. Source : Osinski T, Lallemant A, Russo T. Modulation et dérèglements neurophysiologiques des voies de la douleur. Kinesither Rev 2017 ; 17(186) : 16‑32. Reproduction autorisée.

Au-delà des phénomènes physiologiques périphériques et médullaires qui participent à la perception douloureuse, il existe différents événements suprasegmentaires qui ont aussi un rôle non négligeable dans l’expérience douloureuse. En résumé, nous pouvons dire qu’une fois l’intégration médullaire réalisée, les neurones de projection vont envoyer une information vers différentes zones du tronc cérébral et du thalamus. En ces lieux, cette information « médullaire » sera intégrée avec d’autres informations. Par la suite, dans le tronc cérébral, l’information nociceptive va pouvoir influencer

l’activité sympathique et homéostatique via la substance réticulée [18]. Mais en plus, cela pourra activer un système de rétrocontrôle via plusieurs systèmes complexes parallèles (substance grise périaqueducale grise et moelle rostroventrale, substance réticulée dorsale et locus cœruleus). Ces systèmes vont avoir une rétroaction facilitatrice (hyperalgésiante) en désinhibant encore davantage la moelle et donc en facilitant la remontée d’informations nociceptives, ou au contraire un effet inhibiteur (hypoalgésiant) [19]. Il est possible d’évaluer partiellement en clinique le fonctionnement de ces centres inhibiteurs de deux manières simples. La première méthode, dite de modulation conditionnée de la douleur, consiste à évaluer si provoquer une douleur par stimulation nociceptive à distance de la zone de douleur initiale inhibe cette première douleur ou non [20, 21]. La réponse attendue, si ces centres fonctionnent correctement, est une diminution de la douleur initiale lors de la provocation de la seconde douleur [22, 23]. La seconde méthode est d’évaluer l’analgésie induite par l’exercice. En effet, lors d’un exercice relativement intense, qu’il soit aérobique ou de contraction musculaire plus analytique, on observe normalement une diminution des douleurs [24, 25]. Il est entendu que l’exercice ne sollicitera pas la zone douloureuse si l’on ne souhaite pas déclencher la génération de messages nociceptifs. Dans le cas de douleurs chroniques, qu’elles soient neuropathiques, nociceptives ou mixtes, l’on retrouve une déficience de ces mécanismes. Ces mécanismes, quand ils sont déficients, peuvent expliquer pourquoi la douleur persiste car l’organisme a changé de mode de fonctionnement pour être dans un état pronociceptif [26]. Un tel état fait que le cerveau recevra de façon anormale plus d’informations nociceptives, ce qui facilitera la perception douloureuse au-delà des temps de cicatrisation tissulaire, ou de retour à la normal en périphérie. Quand cet état se met en place sans événement primaire précis, ou si cette défaillance des mécanismes de modulation de la nociception est le principal marqueur clinique de la plainte du patient, alors l’on parlera de douleurs nociplastiques, de syndrome de sensibilisation centrale ou encore de douleur centralisée [27]. Au-delà des projections au tronc

cérébral, les neurones de projection diffusent l’information nociceptive au thalamus qui va ensuite la diffuser dans un réseau de différentes aires corticales. On parle d’une neuromatrice pour désigner ce réseau neuronal diffus [28-30]. Il fait relativement consensus actuellement que la perception douloureuse, comme toute perception consciente, émerge de l’activité synchrone de différentes aires cérébrales. Il y a une certaine consistance dans les aires actives lors d’une perception douloureuse ; on parle d’une neurosignature [31, 32], même si des différences existent entre les différentes plaintes douloureuses [33]. Des modifications dans l’activité de ces aires cérébrales pourraient impacter la perception douloureuse ; par exemple l’hyperactivité thalamique ou celle du cortex insulaire sont associées à plus de douleur [34-37]. Dans nombre de pathologies douloureuses chroniques, il a été rapporté des modifications affectant ces zones avec une perte de substance grise et des modifications métaboliques suggérant une perte de neurones, probablement inhibiteurs [38, 39]. Cela pourrait expliquer la présence de plus de douleurs si les neurones du réseau qui sous-tendent la perception douloureuse sont hyperactifs et que cette activité est le substrat de la perception douloureuse. Les connexions entre les aires cérébrales [40] changent aussi lors du vécu d’une douleur chronique, comme leur activité intrinsèque [41], ce qui fait penser que la douleur reflète un état de fonctionnement particulier du système nerveux. Par conséquent, il nous faudrait trouver à régulariser ce fonctionnement, ou faire que le système soit amené à compenser des mécanismes l’ayant amené à cet état de fonctionnement. D’autres modifications corticales ont aussi été mises en avant, dans plusieurs cas de douleurs chroniques, laissant penser que des modifications dans les représentations corticales puissent être des éléments participant à la chronicisation de la douleur [42, 43]. Pour autant, les données sont encore contradictoires et globalement de qualité méthodologique trop faible pour être certain qu’une altération dans la représentation corticale du corps, ou d’autres parties, est un mécanisme explicatif [44-46].

Points à retenir ■ La modulation est un processus dynamique adaptant/modifiant l’intensité des afférences par des mécanismes excitateurs et inhibiteurs. ■ Plusieurs mécanismes de modulation existent aux différents niveaux spinal, supraspinal et cortical. ■ La modulation permet au corps plusieurs choses : éviter de percevoir des stimuli de faible intensité, contraster les stimuli d’« intérêt », permettre de se fixer sur une tâche, etc. ■ Les phénomènes de sensibilisation périphérique et centrale peuvent pour partie expliquer la présentation clinique douloureuse d’une personne. ■ Il faut prendre en considération les mécanismes de modulation dans l’évaluation d’une expérience douloureuse. ■ Il existe plusieurs moyens thérapeutiques permettant l’activation des mécanismes inhibiteurs descendants.

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PA R T I E I I I

Les approches thérapeutiques modulatrices PLAN DE LA PARTIE 13. Les différents moyens pour moduler la douleur 105 14. Hypnose 110 15. Pourquoi les thérapies cognitives et comportementales 122 16. Repenser l’abord du patient autour de ses objectifs et de ses attentes 132 17. Les outils des thérapies cognitives et comportementales 140 18. Thérapie d’acceptation et d’engagement 163 19. Éducation aux neurosciences de la douleur (pain neuroscience education) 176 20. Thérapie cognitive fonctionnelle (cognitive functional therapy [CFT]) 192 21. L’entretien motivationnel 203

CHAPITRE 13

Les différents moyens pour moduler la douleur A. Pallot, T. Osinski

« In the course of your education you have always been taught to look for the right answer – but you must also know that in life, sometimes the right answer is that there isn’t one. » William Daniels

PLAN DU CHAPITRE Introduction à la partie III de l’ouvrage 106 Taxonomie des familles de mécanisme 106 Outils thérapeutiques modulateurs 106

Introduction à la partie III de l’ouvrage L’objectif de la partie III de cet ouvrage est d’exposer différentes approches thérapeutiques modulatrices de la douleur. Certaines seront rapportées exhaustivement dans un (ou plusieurs) chapitre(s) propre(s) ; d’autres ne seront évoquées que partiellement dans ce chapitre. Le choix a été fait de présenter ces outils de prise en soin de la personne souffrant de douleur comme des éléments modulant cette

dernière, c’est-à-dire comme des « faisant varier » le symptôme. Cela est en adéquation avec une approche de raisonnement clinique bayésien (voir chapitre 22). Le principe important est de s’inscrire dans une démarche de soin invitant à trouver le meilleur mélange de moyens thérapeutiques approprié pour chaque patient. L’équation pour l’un sera sûrement différente pour un autre. Ce chapitre permet de comprendre l’« effet » de ces divers moyens ; c’est pourquoi les outils thérapeutiques ont été classés dans plusieurs familles de mécanismes putatifs via lesquels ils agissent. Certains n’ont pas qu’un seul type de fonctionnement et peuvent se retrouver dans plusieurs familles. Néanmoins, nous les avons présentés dans leur famille de mécanisme principale. La compréhension des mécanismes d’action permettra au clinicien de pouvoir choisir au mieux le ou les moyens thérapeutiques les plus adéquats dans une situation donnée. Les outils thérapeutiques développés dans un (ou plusieurs) chapitre de la partie III sont les suivants : • hypnose (chapitre 14) ; • thérapie cognitive et comportementale (chapitres 15 à 18) ; • thérapie d’acceptation et d’engagement (chapitre 18) ; • éducation aux neurosciences de la douleur (chapitre 19) ; • thérapie fonctionnelle cognitive (chapitre 20) ; • entretien motivationnel (chapitre 21). Ce chapitre va servir à : • présenter la taxonomie utilisée pour classer ces outils thérapeutiques selon les familles de mécanisme qu’ils « utilisent » ; • décrire succinctement certains outils.

Taxonomie des familles de mécanisme Le tableau 13.1 présente la taxonomie de cinq familles de mécanisme de modulation de la perception douloureuse ou du vécu d’une expérience douloureuse. Cette classification arbitraire est proposée

afin d’envisager l’« action » des outils thérapeutiques dont nous disposons. Tableau 13.1 Taxonomie des familles de mécanismes des différents outils thérapeutiques Famille de mécanisme Modulation du risque de génération des afférences

Définition

Mécanismes

Thérapeutique dont l’objectif est de diminuer les probabilités de génération de nociception (ou autres afférences associées à une perception douloureuse), que ce soit en modifiant la contrainte sur un tissu innervé ou en perturbant le fonctionnement des fibres nociceptives périphériques, l’objectif étant d’éviter l’activité nerveuse

Diminution de la génération de potentiel d’action en : – minorant la contrainte sur le tissu innervé – inhibant le fonctionnement des canaux ioniques des fibres nociceptives – minorant le risque de sensibilisation périphérique – diminuant l’activité métabolique des fibres afférentes

Outils thérapeutiqu agissant via ce mécanismes

– Médication (toxine bot anesthésiques locaux – Renforcement du tissu innervé – Décharge – Hygiène de vie « antiinflammatoire » (som adéquat, alimentatio équilibrée, activité physique, etc.)

périphérique Modulation « inconsciente » involontaire de l’intégration

Thérapeutique qui ne vise pas directement à modifier l’état de conscience de la personne et dont l’effet antalgique n’implique pas d’action volontaire de celle-ci, l’objectif étant une inhibition du neurone de deuxième ordre

Les mécanismes putatifs d’action sont : – concurrence des afférences sensorielles – activation des voies inhibitrices descendantes – inhibition des mécanismes de plasticité synaptique – diminution du risque de sensibilisation centrale

– Médication (kétamine, inhibiteur de la recap de sérotonine noradrénaline, etc.) – Mobilisation/manipula tissulaire – Activité physique – Perturbations sensorie – Hygiène de vie – Stimulation cérébrale

Modulation consciente volontaire de l’intégration

Thérapeutique qui vise à faire modifier consciemment l’état de perception douloureuse de la personne par son action ; l’objectif est de ne pas laisser de ressources disponibles pour la perception douloureuse

Les mécanismes putatifs d’action sont : – modification de l’activité cérébrale – modification des représentations mentales – activation des centres inhibiteurs descendants

– Hypnose – Méditation – Distraction attentionne – Imagerie mentale – Thérapie cognitive et comportementale – Techniques psychocorporelles

Modulation de la perception du corps

Thérapeutique qui vise à modifier la représentation qu’a l’organisme de lui-même (consciemment ou non) ; l’objectif est que le corps apparaisse comme sain, apte et fiable

L’effet thérapeutique pourrait s’expliquer par la modification de la représentation des caractéristiques de la partie douloureuse de l’organisme

– Thérapie miroir – Imagerie motrice – Réalité virtuelle – Techniques psychocorporelles

Modulation Thérapeutique qui comportementale vise à modifier le comportement de la personne douloureuse, que cela se concentre sur le vécu ou le symptôme de celle-ci ; l’objectif est de permettre à la personne de s’engager dans des actions qui minoreront la place de la douleur dans la vie de celle-ci

Les mécanismes possibles d’effet sont : – diminution de la valence émotionnelle de la perception douloureuse – modification des priorités de vie de la personne – orientation attentionnelle à distance des expériences douloureuses

Orientées symptôme : – thérapie cognitive et comportementale – éducation aux neurosc de la douleur – thérapie fonctionnelle cognitive Orientée vécu : – thérapie d’acceptation d’engagement

Outils thérapeutiques modulateurs Le tableau 13.2 présente succinctement les outils thérapeutiques modulateurs les plus courants en pratique. Tableau 13.2 Description des outils thérapeutiques modulateurs les plus courants. Outil thérapeutique Médication

Description

Famille de mécanisme

Utilisation de Modulation du substances de la risque de pharmacopée, génération des prescrites, visant afférences à modifier le Modulation fonctionnement « inconsciente » physiologique de involontaire de l’organisme dans l’intégration le but d’améliorer la symptomatologie

– Diminution d

– Blocage de

– Blocage de

Renforcement structure

Sollicitation Modulation du biomécanique risque de adéquate des génération des différents tissus afférences du corps (os, ligament, muscle,

– Diminution d

– Diminution d

etc.) afin d’en augmenter la résistance Décharge

Hygiène de vie

Diminution de la sollicitation biomécanique d’une structure du corps

Modulation du risque de génération des afférences

Ensemble des Modulation du mesures risque de destinées à génération des préserver ou afférences développer la Modulation santé physique et « inconsciente » morale d’une involontaire de personne l’intégration Modulation consciente volontaire de l’intégration

– Diminution d

– Limitation de

– Limiter le risq

– Maintenir une

– Favoriser un

– Réguler l’activ

– Amélioration

Mobilisation/manipulation Mise en contrainte (étirement, compression, traction, etc.) d’un tissu innervé (articulaire, musculaire,

Modulation du risque de génération des afférences Modulation « inconsciente » involontaire de l’intégration

– Changement

– Stimulation d

– Augmentatio

cutané, etc.)

– Concurrence Perturbations sensorielles

Stimulation cérébrale

Techniques psychocorporelles

Stimulus induit intrinsèquement et/ou extrinsèquement ayant pour but d’affecter les afférences normales d’un ou de plusieurs sens (vision, audition, proprioception, etc.)

Modulation « inconsciente » involontaire de l’intégration

– Diminuer les

– Diminuer les

Technique visant à Modulation perturber « inconsciente » artificiellement involontaire de l’activité l’intégration cérébrale dans le but de diminuer la probabilité que le cerveau soit dans un état de perception douloureuse

– Diminuer les

Approches partant du corps, ou se servant du corps

– Distraction

Modulation consciente volontaire de

– Stimulation d

– Reconception

comme médiation, pour un changement des états psychiques

l’intégration Modulation de la perception du corps

– Diminution d

– Modification

Thérapie cognitive et comportementale

Voir chapitres 15 à 17

Modulation Voir comportementale

Points à retenir ■ Il existe différents outils thérapeutiques proposables aux personnes souffrant de douleur. ■ Ces outils agissent selon des mécanismes différents, de manière singulière ou plurielle. ■ Ils ont comme objectifs de moduler, à des degrés divers, le fonctionnement des constituants du système de perception douloureuse. ■ Comprendre les mécanismes sous-jacents de ces outils aide le

clinicien à mieux les choisir en fonction des différentes relations de soin.

CHAPITRE 14

Hypnose M. Colas

« Suddenly, life has new meaning Suddenly, feeling is being » Anathema (Dreaming light)

PLAN DU CHAPITRE Introduction 111 Histoire brève de l’hypnose 111 Termes et techniques de l’hypnose 111 État des connaissances scientifiques à l’heure actuelle 116 Applications de l’hypnose dans la douleur 117 Conclusion 120 Références 121

Introduction L’hypnose entre dans une nouvelle période de plébiscite à l’aide des technologies récentes, notamment l’imagerie cérébrale. Plutôt qu’un domaine de compétences, l’hypnothérapie doit être considérée comme un outil. Elle peut être utile à bien des égards au kinésithérapeute prenant en charge un patient ayant une douleur aiguë ou chronique. Comme un outil, il n’est pas adéquat à chaque situation, mais il est préférable de l’avoir dans sa boîte à outils ou de savoir quand adresser

à quelqu’un sachant l’employer. Méconnue, l’hypnose médicale traîne le poids des connotations véhiculées par les œuvres de fiction et l’art du spectacle. Les a priori sont nombreux autour de cette technique : sommeil, manipulation, perte du libre arbitre et soumission à l’autorité de l’hypnotiseur. C’est pourtant tout le contraire. Ce chapitre n’est qu’une entrée en matière à propos de cet outil. Il a pour objectifs de permettre au lecteur de mieux comprendre l’hypnose et de l’inviter, s’il le souhaite, à suivre une des nombreuses formations continues ou de nombreux diplômes universitaires. Pour pouvoir prendre en main efficacement cet outil, il est nécessaire de l’avoir expérimenté et d’être guidé par des professionnels aguerris, dans un cadre favorable. La lecture d’un livre, quel qu’il soit et peu importe les promesses qu’il fait, ne permet pas de proposer une expérience hypnotique adéquate à un patient.

Histoire brève de l’hypnose L’histoire de l’hypnose [1] commence avec la théorie du magnétisme animal que Franz Anton Mesmer (1734-1815) développa à la fin du XVIIIe siècle. Ce médecin allemand pensait qu’un fluide magnétique répandu dans l’univers influençait le corps animal et le corps céleste par des flux et reflux, pouvant provoquer des désorganisations dans le corps animal. Le soignant, par son corps plein du même magnétisme, pouvait alors réorienter le fluide magnétique sans nul besoin des aimants « minéraux » utilisés alors à l’époque. Le mesmérisme fut discrédité peu de temps après, le pouvoir thérapeutique étant accordé seulement à la relation médecin-malade et à l’imagination du patient, provoquant le déclin de cette théorie. Initié au mesmérisme, James Braid (1795-1860) y voyait plutôt un état de sommeil nerveux provoqué par la fixation prolongée des yeux sur un objet brillant. Ce médecin et chirurgien écossais donna à ce phénomène le nom d’hypnotisme, en référence à Hupnos, personnification du sommeil dans la mythologie grecque. L’hypnotisme est utilisé dans la première moitié du XIXe siècle comme

méthode anesthésique en chirurgie. L’approbation des écrits de Braid par le neurologue français JeanMartin Charcot (1825-1893) à la fin du XIXe siècle fournit un regain d’intérêt pour l’hypnose en l’employant en psychiatrie dans le traitement de l’hystérie. Sigmund Freud (1856-1939) se méfia de l’hypnose, par suite du constat de sa propre pratique de cette technique. Ses disciples en firent de même, jetant l’hypnose clinique dans l’oubli, sans que pour autant les recherches expérimentales soient abandonnées. L’histoire contemporaine de l’hypnose démarre dans les années 1930 aux États-Unis. D’un côté, Clark L. Hull (1884-1952) lança le premier programme de recherches à grande échelle sur l’hypnose. De l’autre côté, Milton H. Erickson (1901-1980), inspiré par l’école de Palo Alto1, posa les fondations d’une nouvelle approche de l’hypnose thérapeutique. Pour reprendre les mots de Salem et Bonvin [1], l’hypnothérapeute ericksonien « se définit avant tout comme un catalyseur, un “compagnon” de la partie inconsciente du patient […] guidant celui-ci vers ses ressources intérieures, ressources stockées dans ses aptitudes latentes, sa mémoire consciente et inconsciente, ses facultés inexploitées d’apprentissage ».

Termes et techniques de l’hypnose L’hypnose est définie comme « un état de conscience impliquant une attention focalisée et une moindre sensibilité à l’environnement, caractérisé par une capacité accrue de réponse à la suggestion » par l’Association américaine de psychologie (APA) [2]. Bien que « l’état de conscience » soit remis en question par des théories explicatives de l’hypnose (voir plus loin), c’est la définition actualisée et admise par la plupart des thérapeutes utilisant l’hypnose. Cette définition tord le cou aux a priori énoncés plus haut. Il n’y a ni sommeil, ni perte de conscience ou de contrôle d’un individu soumis au pouvoir d’un autre, mais un individu conscient qui, par une concentration particulière, accepte ou non la suggestion que lui fait un autre individu.

D’autres auteurs définissent l’hypnose comme « une interaction sociale dans laquelle une personne, désignée comme le sujet, répond aux suggestions offertes par une autre personne, désignée comme l’hypnotiseur » [3]. Cette définition est très différente de la première, en mettant comme clé de voûte de l’hypnose la relation intersubjective, totalement absente de la définition proposée par l’APA. C’est un phénomène qui se produit au quotidien, sans qu’on s’en rende compte [1]. Voici quelques exemples qui ont pu vous arriver : • conduire sur un trajet bien connu et se perdre dans ses pensées ; • être plongé dans une plaisante lecture au point de visualiser l’histoire, et ressentir les émotions ; • échanger passionnément avec un ami proche et avoir une compréhension accrue de ce qu’il vous dit. Si vous avez déjà vécu un événement de ce genre, vous avez déjà expérimenté un phénomène d’hypnose. Ces exemples relèvent quelques aspects que peuvent revêtir l’hypnose : la relation de sympathie et de confiance qu’il faut avec son interlocuteur (ici un ami, le thérapeute dans le cas du soin), être à deux endroits en même temps (dans son fauteuil et dans l’histoire), garder un état de vigilance suffisant (ici, pour conduire).

Hypnotisabilité Comme toute expérience subjective, chaque individu est plus ou moins doué pour l’expérimenter. Pour grossir le trait, certaines personnes seront en transe à l’évocation de l’hypnose tandis que d’autres n’iront pas plus loin qu’une transe légère après une longue période d’induction hypnotique (voir plus loin). L’hypnotisabilité résume cela comme « la capacité d’un individu à expérimenter des altérations suggérées sur le plan physiologique, des sensations, des émotions, des pensées, ou comportemental durant l’hypnose » [2]. Certains auteurs, comme Erickson, contestent l’utilité de

l’hypersuggestibilité (synonyme de l’hypnotisabilité). Selon ce dernier, cette capacité n’est pas nécessaire à la transe hypnotique, car même « les sujets entraînés à entrer en transe profonde immédiatement […] résistent avec succès lorsqu’ils ne désirent pas faire quelque chose » [4]. Ce point déconstruit un des préjugés attenant à l’hypnose : elle n’est pas une manipulation allant à l’encontre de la volonté de l’individu, mais bien une collaboration où le sujet dispose selon son bon vouloir à partir de ce que propose le thérapeute. Cette notion d’hypnotisabilité est un point de clivage entre différentes théories explicatives de l’hypnose. D’un côté, les partisans des théories néodissociatives défendent l’idée de subdivisions de la conscience ; certaines subdivisions sont inaccessibles à la conscience et sont bien intégrées en temps normal [5]. Lors de l’hypnose, une partie de l’esprit atteint un état altéré de conscience et il en résulte une séparation de ces subdivisions, la dissociation. Il y a alors simultanément une activité mentale consciente, distincte d’une autre inconsciente. Selon les théories néodissociatives, il existe donc un état modifié de conscience. L’hypnotisabilité est, selon eux, une caractéristique stable du sujet. Elle est mesurable et est répartie dans la population entre faiblement (les low) pour 15 %, moyennement (les medium) pour 70 % et hautement (les high) suggestibles pour 15 % [6]. De l’autre côté, les partisans des théories sociocognitivistes minimisent la théorie de l’état modifié de conscience, expliquant, entre autres, que c’est un argument circulaire (la réponse à l’hypnose indique l’existence de l’état hypnotique et est en même temps expliquée par cet état). Ces théories défendent une expérience hypnotique dépendante des suggestions proposées et de l’attitude du sujet hypnotisé comme « une action sociale orientée-solution associée intimement à ce que pense le sujet de ce que l’hypnotiseur veut qu’il fasse » [5]. À ce jour, le débat est encore actif. Des arguments infirment le caractère stable de l’hypnotisabilité. Il a été démontré qu’il est possible de s’entraîner pour maximiser la réponse à l’hypnose. Il est donc possible de passer de low à high et cette amélioration persiste environ

2 ans et demi [7].

Transe hypnotique L’état de conscience définissant l’hypnose, qui est dit modifié, est appelé également « transe hypnotique ». Salem et Bonvin le résument avec cette explication qui semble paradoxale : « la conscience est bizarrement “rétrécie” (par focalisation de l’attention, soit une concentration extrême) et en même temps “élargie” (par une sorte de disponibilité à soi et à l’environnement) » [1]. C’est ce paradoxe qui permet de comprendre pourquoi, lors d’une transe hypnotique, la personne peut ne plus percevoir certaines sensations (par exemple les sons voisins, la nociception, etc.) et en ressentir d’autres de manière accrue (par exemple les mouvements idéomoteurs, des paresthésies, etc.). Cette transe peut être plus ou moins profonde, et peut passer d’un degré à un autre au cours d’une même séance. Le tableau 14.1, non exhaustif, reprend différents signes observables selon le degré de profondeur de la transe. Comme la transe hypnotique est une expérience subjective, ces signes observables sont utiles à l’hypnothérapeute pour savoir comment réagit le patient durant la séance. L’individu en transe hypnotique peut avoir l’expression des émotions facilitée, et ressentir des sensations inhabituelles comme la lourdeur et/ou la légèreté ou des modifications du schéma corporel. Il peut aussi expérimenter une distorsion du temps ou une perte de l’agentivité2 durant la séance [9]. Tableau 14.1 Degrés de profondeur de la transe hypnotique et signes associés (d’après [1], modifié d’après Rager, 1973). Transe légère

Légers mouvements, sujet relaxé, battant des paupières Augmentation de la salivation Diminution de la fréquence respiratoire

Approfondissement des mouvements respiratoires Relaxation de la tête avec affaissement du menton Relaxation des muscles du visage et congestion des lèvres Transe Augmentation de la relaxation moyenne Changement du rythme respiratoire et du tonus musculaire selon le thème abordé Augmentation de la sensation de calme intérieur Poursuite des réajustements corporels adaptatifs Mouvements oculaires rapides et réponses concrètes aux suggestions Transe État somnambulique profonde Lévitation possible des bras Activité physique ralentie Réponses ralenties aux suggestions Difficulté de parler sans stimulation extérieure

Induction Pour provoquer cet état de conscience modifié, l’hypnothérapeute a recours à une « procédure conçue pour induire l’hypnose » : l’induction [2]. Les études portant spécifiquement sur l’induction hypnotique sont peu nombreuses. Cette dernière semble avoir trois fonctions [10] : • permettre au thérapeute d’avoir des indices sur la qualité de la relation durant l’hypnose, et sur les moyens de faire des suggestions ; • proposer une période de transition claire, permettant des réactions durant la transe considérée comme anormale dans la

vie de tous les jours ; • fournir des méta-suggestions, améliorant les réponses aux suggestions qui suivront durant la transe hypnotique. Les techniques de cette « voie d’accès à la transe » [1] sont nombreuses et reposent sur quelques principes : les canaux sensoriels, l’attention focalisée, la monotonie du rythme ou la confusion. Le processus d’induction consiste en général en un exercice de concentration sur un des sens, accompagné de suggestions faites en même temps par le praticien. Fixer un objet ou un point avec les yeux ou ressentir les différents contacts de la peau sont des exemples courants. En flattant le canal sensoriel privilégié du patient, le praticien parle d’une voix posée, souvent ralentie, avec un rythme sans variation. La répétition et la monotonie sont des éléments aidant l’induction. Pour déterminer le canal sensoriel privilégié du patient, l’hypnothérapeute va observer celui-ci, et relever les informations utiles dans ses dires (par exemple : « je vois » ou « je suis amer »), ses activités (en lien avec la musique, les arts visuels par exemple), etc. Le praticien peut également avoir recours à des techniques de confusion pour induire une transe hypnotique. Nécessitant de l’expérience et de l’éloquence pour le praticien, ces techniques visent à brouiller le système logique du patient. Elles s’avèrent utiles pour des patients dont les certitudes conscientes peuvent entretenir la souffrance, ou des patients qui ont tendance à rationaliser leurs troubles [1]. Ces techniques se fondent sur l’interruption du raisonnement habituel (geste inhabituel, plaisanterie, etc.), sur la saturation (nombreuses répétitions et surcharge volontaire des canaux sensoriels) ou sur un questionnement métaphysique troublant (par exemple : « Pourquoi “séparé” s’écrit tout ensemble et “tout ensemble” s’écrit séparé ? » ; « Pourquoi les kamikazes portaient-ils des casques ? » ; « De quoi souhaitez-vous ne pas me parler ? »). Selon Barabasz et Barabasz, l’induction hypnotique suit trois phases, durant lesquelles le phrasé du praticien est différent [11]. La première, la phase préparatoire, consiste à inclure dans l’induction la

description de la réponse hypnotique (par exemple : « Vos paupières vont devenir de plus en plus lourdes et vous aurez envie de fermer les yeux… »). La deuxième phase est la phase de transition, où le praticien décrit les réponses hypnotiques qu’il observe pour ratifier la transe (par exemple : « J’observe que vos épaules se relâchent, c’est très bien » ; « Vos paupières dansent, c’est que votre inconscient3 est en train de travailler »). Enfin, la phase de rapport démarre quand les réponses aux suggestions hypnotiques semblent automatiques et sans effort. Dans cette phase, la transe peut être approfondie (par exemple : « Pendant que votre respiration est de plus en plus ample, votre esprit voyage de plus en plus profondément dans votre corps » ; « Le poids de vos mains sur vos cuisses est de plus en plus léger, vos mains sont maintenant aussi légères qu’une plume, le contact de la main avec la cuisse n’est qu’un mince effleurement, et je ne sais pas si la main gauche ou la main droite va décoller en premier »).

Suggestion Omniprésente dans les relations humaines, la suggestion est le moteur de la relation intersubjective qu’est l’hypnose. L’outil hypnotique exploite au mieux cette forme de communication que l’on rencontre quotidiennement, et par là qui fait déjà partie de tout type de soins [1]. Contrairement à un ordre (par exemple : « Ferme cette fenêtre ! ») qui demande une réponse volontaire et consciente du sujet, la suggestion (par exemple, dans le contexte du précédent : frissonner, se frotter les bras de froid) fait apparaître, inconsciemment la plupart du temps, chez ce dernier des réactions ou comportements involontaires. Cela diffère une nouvelle fois de la manipulation dont on accuse l’hypnose. La manipulation s’appuie notamment sur des biais cognitifs de l’interlocuteur pour chercher un comportement particulier, alors que la suggestion hypnotique a comme effet celui que l’interlocuteur accepte de lui donner. En outre, l’hypnotiseur ne fournit qu’un stimulus et ce sont les processus mentaux autonomes du sujet qui, dans une action automatique, font leurs propres associations et créent l’expérience

d’hypnose [12]. Les suggestions sont très diverses, du fait de l’imagination et des préférences de chaque thérapeute. Néanmoins, nous pouvons distinguer deux grandes catégories de suggestions : les directes et les indirectes. Suggestion directe Apanage de l’hypnose dite « classique » (c’est-à-dire non ericksonienne), la suggestion directe ne prend pas de détour et indique les intentions du thérapeute. C’est le fameux : « Au bout de dix, vos yeux seront fermés ». L’hypnose ericksonienne peut y avoir recours également, notamment pour les suggestions post-hypnotiques. Ces dernières sont utilisées régulièrement pour mettre en place durant la transe un comportement qui se produira par la suite, en dehors de la phase de transe. Les ratifications sont considérées par certains auteurs comme des suggestions directes [1]. Le thérapeute encourage le sujet en indiquant qu’il perçoit les signes de la transe (voir tableau 14.1), ce qui peut renforcer le processus hypnotique. Suggestion indirecte Le nom de Milton H. Erickson est indissociable de la suggestion indirecte. En effet, l’hypnose ericksonienne se fonde sur ce type de suggestions, dans l’objectif de « contourner les limites néfastes de leur [les patients] système de croyance » [4]. Ces suggestions sont permissives, le patient pouvant refuser d’aller dans le sens d’une suggestion. La rhétorique hypnotique regorge de suggestions indirectes, dont voici quelques types [1] : • l’allusion va suggérer une action en évoquant des éléments associés ; • l’alternative illusoire propose au sujet de faire un choix qui ne porte pas sur la suggestion elle-même (par exemple : « Je ne

sais pas si c’est la main gauche ou la main droite qui se lèvera… ») ; • la séquence d’approbation (yes set) consiste à énoncer plusieurs vérités que le sujet ne peut qu’accepter dans une suite semblant logique et amenant à la suggestion que le sujet acceptera plus facilement ; • l’enchaînement de suggestions (pacing and leading) articule ce que le patient est en train de faire avec la suggestion afin qu’elle paraisse découler naturellement de ce qui vient de se passer (par exemple : « Tout en remarquant que la respiration est de plus en plus ample, vos muscles peuvent se relâcher de plus en plus ») ; • la suggestion métaphorique utilise la métaphore, le conte, les proverbes, les gestes et mimiques etc. pour employer différents niveaux de communication. Il est conseillé de reprendre l’expression du patient (par exemple : « en avoir plein le dos »), mais l’utilisation d’histoire a son utilité également. Par exemple, on peut énoncer à un patient ayant tendance à trop intellectualiser la fable du mille-pattes [13] : « Un mille-pattes vivait tranquille, insouciant et heureux, lorsqu’un jour, un crapaud, qui habitait dans les parages, lui posa une question bien embarrassante : “Lorsque tu marches, lui demande-t-il, dans quel ordre bouges-tu tes pattes ?” Le mille-pattes fut si troublé par la question du crapaud qu’il rentra aussitôt dans son trou pour y réfléchir. Mais il avait beau se creuser la cervelle, il ne parvenait pas à trouver de réponse. À force de questionnements, il finit par ne plus être capable de mettre ses pattes en mouvement. Il resta bloqué dans son trou, où il mourut de faim ».

Communication hypnothérapeutique Vous l’aurez compris, un hypnothérapeute est un professionnel qui sait manier les mots pour optimiser la réponse aux suggestions qu’il propose. Un langage hypnotique s’est développé, avec sa grammaire et son vocabulaire. Ce langage répond à certains principes conçus

pour améliorer l’alliance thérapeutique et peut être applicable dans tout type de soins. Salem et Bonvin [1] en listent quelques-uns : • laisser le patient définir son monde : du fait de son expérience et de son vécu, les mots n’ont pas les mêmes connotations pour chacun. Ainsi, un mot ne renvoie pas aux mêmes affects et ne signifie pas forcément la même chose pour le professionnel ou le patient. Il vaut mieux alors demander « À quoi ça ressemble de… ? », ou « Que veut-il dire par… ? » : – exemple 1 : le patient peut dire « Ce n’est pas une douleur, c’est plutôt un mal », alors que pour le professionnel ce sont des synonymes ; – exemple 2 : une « douleur constante » peut être présente chaque minute de chaque journée, ou de manière constante à chaque jour à un certain moment, ou elle peut arriver constamment lorsque le patient fait un geste bien précis. • utiliser le langage du patient : sans le railler, réutiliser ses expressions, adopter le niveau de vocabulaire au sien, employer des métaphores issues de son milieu socioprofessionnel ou de ses hobbies sont autant de piliers sur lesquels bâtir un pont plutôt que de regarder le patient depuis la berge du langage médical ; • laisser le temps de répondre : la transe hypnotique peut provoquer une distorsion du temps [9], ce qui peut agir sur la rapidité des réponses du sujet. En dehors de la transe, adopter une écoute active et laisser le patient s’exprimer a également son intérêt ; • indiquer ses intentions au patient : notamment avant de toucher physiquement le patient. Le patient peut se sentir davantage en confiance et en sécurité s’il sait qu’il ne sera pas surpris ou pris au dépourvu, d’autant plus que le contact peut être vécu comme une intrusion. Idem à propos des déplacements, de répondre au téléphone, etc. ; • adapter sa voix : la communication paraverbale est une partie

non négligeable des données perçues par l’interlocuteur. Le ton, l’intonation et le rythme sont à adapter selon la situation du moment et celle que le professionnel souhaite amener ; • faire des suggestions simples : plus la suggestion sera complexe, plus le sujet aura besoin de la fonction analytique du « cerveau gauche4 », pouvant le faire sortir de la transe hypnotique ; • par exemple, à la suggestion « on va essayer de lever la main de 10 cm », on préférera la suggestion « la main se lève légèrement » ; • construire les suggestions autour du « corps-sujet » : placer les parties du corps en sujet des actions a pour but d’agir sur l’agentivité du sujet. Cela dote implicitement le corps d’une autonomie et de compétences propres, suggérant l’aptitude d’auto-guérison : – exemple 1 : « vos paupières vont peut-être se fermer » et non « vous allez fermer vos yeux » ; – exemple 2 : « votre épaule va pouvoir faire des mouvements de plus en plus amples » plutôt que « vous serez moins limité dans vos mouvements d’épaule ». • formuler par l’affirmative5 : la négation est une notion abstraite qui est filtrée par le cerveau, retenant uniquement en suggestion le terme dont on ne voulait pas. C’est la fameuse suggestion paradoxale de « ne pas penser à un éléphant rose » : – exemple 1 : « Dès que votre pied sera plus supportable, vous pouvez… » à la place de « Dès que vous avez moins de douleurs au pied, vous pouvez… » ; – exemple 2 : « Tout en lisant ces lignes, vous pouvez sentir votre connaissance sur l’hypnose s’accroître » plutôt que « Tout en lisant ces lignes, vous pouvez vous sentir moins ignorant en hypnose ». • encourager et valoriser : le patient parcourant des chemins jusqu’alors inconnus, tout comportement de sa part est à valoriser pour qu’il retrouve confiance dans ses capacités.

Même s’il montre une résistance au changement, le recadrage positif proposé par le thérapeute lui permet de se sentir valorisé, non jugé, et de trouver des alternatives mieux adaptées. Par exemple, à la phrase : « J’y ai pensé dans la semaine, mais je n’ai pas fait les exercices », on peut répondre : « C’est très bien que vous ayez pensé aux exercices, peut-être que l’on peut voir ensemble comment mieux les articuler avec votre agenda » ; • ne pas expliquer ce qui se passe : vouloir expliquer de manière rationnelle des expériences subjectives comme la transe hypnotique risque de provoquer une dissonance chez le sujet. De plus, la motivation du patient réagit plus aux éléments narratifs du « cerveau droit » qu’aux arguments logiques du « cerveau gauche ».

Autohypnose A contrario de l’hétérohypnose où un praticien et un sujet interagissent, on parle d’autohypnose lorsque le sujet expérimente l’hypnose seul. C’est « une auto-induction dans le processus hypnotique produit par des suggestions proposées par soi-même » [15]. L’autohypnose s’apprend en général avec un thérapeute. Le sujet expérimente la transe hypnotique via l’hétérohypnose, et s’exerce à reproduire cet état sans aide extérieure [1]. Un des objectifs principaux de l’autohypnose est de bénéficier de la relaxation provoquée par la transe hypnotique, et ce pour calmer les moments de crises de la vie du sujet (stress, angoisse, douleurs, etc.). Pour cela, le sujet peut se créer un lieu sécure (safe place en anglais), un havre de paix qu’il va ancrer pour le retrouver rapidement par la suite. Une fois l’autohypnose acquise, le patient gagne en autonomie. Dans leur revue systématique de 2019, Eason et Parris indiquent que l’autohypnose est efficace [15]. Ils suggèrent qu’elle peut réussir là où l’hétérohypnose échoue. Bien qu’il y ait un manque d’études pour étayer l’efficacité de la pratique, l’autohypnose semble efficace pour réduire la douleur, ainsi que dans le traitement du stress, de l’anxiété

et de l’hypertension.

État des connaissances scientifiques à l’heure actuelle L’engouement pour l’hypnose se traduit également par un nombre d’études chaque année plus important sur le sujet. Il est toutefois difficile de savoir quoi mesurer ; la relation intersubjective qu’est l’hypnose « échappe nécessairement aux mesures objectivantes des sciences “dures”, trop de paramètres étant activés en même temps » [1].

Neuro-imagerie Les études portant sur la neuro-imagerie de l’hypnose obtiennent des résultats intéressants pour la compréhension du phénomène hypnotique. Certains auteurs soutiennent qu’il y a un lien entre la réponse hypnotique et les cortex préfrontal et cingulaire antérieur [16]. Cependant, les résultats de ces études n’ont pas de cohérence entre eux, probablement du fait de la multiplicité de différences de pratique de l’hypnose [17]. Pour le moment, il n’y a pas de signature cérébrale nette de la réponse hypnotique, les zones et leur activité semblant dépendre des suggestions proposées [18].

Facteurs psychosociaux Plusieurs facteurs psychosociaux ont été dits associés à la réponse hypnotique. Dans ces facteurs, certains sont soutenus par un faisceau de preuves suffisant pour admettre cette association [18]. Parmi ceux-ci, les attentes envers l’hypnose jouent un rôle dans la réponse hypnotique. Cette association semble moins importante dans le cas de traitement de la douleur chronique. Les attentes correspondent à ce que le sujet pense expérimenter spécifiquement sous hypnose (analgésie, mouvement de la main, etc.), et cette croyance dépend de ses expériences précédentes, du contexte du

moment et de l’interaction qu’il a avec le praticien. La capacité d’être absorbé, c’est-à-dire de se laisser porter par son imagination et captiver, est modérément associée à l’hypnose. La motivation, que l’on peut définir comme le degré de volonté du sujet à expérimenter l’hypnose, serait également associée à la pratique de l’hypnose. Enfin, le contexte semble influencer la réponse hypnotique : d’un côté par l’alliance thérapeutique avec l’hypnothérapeute (une attitude non collaborative semble inhiber la réponse hypnotique), et de l’autre côté la relation avec la technique (par exemple la réduction de la douleur est plus importante avec la méthode étiquetée « hypnose », plutôt que la méthode identique, mais nommée « relaxation » [19]).

Efficacité de l’hypnose Le rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de 2015 portant sur l’efficacité de l’hypnose conclut qu’« il existe suffisamment d’éléments pour pouvoir affirmer que l’hypnose a un intérêt thérapeutique, en particulier en anesthésie peropératoire ou dans la colopathie fonctionnelle (côlon irritable). Les données actuelles sont insuffisantes voire décevantes dans d’autres indications » [20]. La même conclusion est faite à propos de l’apport de l’hypnose dans la réduction du stress [21], dans la gestion de la douleur durant l’accouchement [22] et dans le sevrage tabagique [23]. Certaines revues de littérature ont intégré l’hypnose dans un ensemble d’interventions psychosociales (avec la méditation, les thérapies cognitivo-comportementales, etc.). Même si cela permet d’augmenter le nombre d’études incluses, l’hétérogénéité des études et leur manque de qualité ne permettent pas de conclure sur l’impact que ces interventions peuvent avoir sur le système immunitaire [24], le bien-être des adultes avec troubles neuromusculaires [25], ou encore l’impact d’interventions préopératoires sur les résultats de chirurgie orthopédique [26]. Dans leur méta-analyse étudiant l’intérêt de l’hypnose dans le traitement des problèmes de douleurs chroniques chez l’adulte, Adachi et al. concluent que cette méthode a une efficacité modérée

comparativement aux soins standard et aux interventions psychologiques [27]. Ils constatent également une large hétérogénéité des études. Pour combler ce manque d’étude, ou améliorer la qualité des études existantes, le rapport de l’Inserm propose de d’abord se concentrer sur les études qualitatives : « Des études qualitatives conduisent cependant à relativiser la portée de ces conclusions : les bénéfices de l’hypnose tels que formulés par les patients ont du mal à être traduits en termes numériques à l’aide des instruments cliniques ​habituellement utilisés dans les études. Par exemple, dans le traitement de la douleur, c’est l’impact émotionnel de la douleur qui serait réduit par l’hypnose plus que l’intensité de la douleur ellemême » [20]. Les études qualitatives ont pour objectif de recueillir et d’analyser le vécu subjectif des sujets. D’un côté, elles permettent d’observer un effet non mesurable (par exemple l’implication émotionnelle dans une expérience douloureuse), et d’un autre côté elles permettent de définir des variables à observer en adéquation avec ce qu’expérimentent les sujets. Si on veut étudier, par exemple, le rôle de l’hypnose dans la douleur chronique, les échelles d’intensité douloureuses risque d’être une variable inadéquate, mais les échelles d’impact de la douleur au quotidien peuvent être plus pertinentes.

Applications de l’hypnose dans la douleur L’hypnose est un de ces outils multifonctions dont l’étendue des possibilités d’application est assez grande. L’hypnose peut tout d’abord être utile lorsqu’une intervention psychologique est nécessaire (dépendance, obsession, traumatisme, troubles anxieux, etc.) [28]. Elle peut également être utilisée pour aider à la maîtrise des fonctions autonomes du corps. Ainsi, les allergies, les troubles fonctionnels (sudations excessives, troubles urinaires sans cause identifiée, troubles du rythme cardiaque, boulimie, etc.) et les troubles psychosomatiques peuvent trouver une amélioration grâce à l’hypnose [1].

L’analgésie provoquée par l’hypnose est également recherchée pour les traitements invasifs comme en chirurgie, en odontologie, ou pour changer un pansement. Cette méthode permet aussi de gérer l’anxiété liée à certaines situations, lors de ces mêmes applications, mais également dans les services d’urgence.

Focus Déroulement d’une séance d’hypnose médicale [29] Une séance d’hypnose formelle (avec transe) dure en général entre 20 et 50 minutes et suit différentes phases : ■ échanges sur les objectifs du patients, l’indication de traitement, explications et exploration des croyances du patient sur la technique ; ■ induction puis consolidation de la transe hypnotique ; ■ suggestions thérapeutiques ; ■ suggestions post-hypnotiques et sortie de transe ; ■ échanges sur l’expérience vécue ; ■ intégration dans le quotidien : enregistrement audio, exercices comportementaux, ou autohypnose.

On peut avoir recours à l’autohypnose dès lors que l’on souhaite du patient qu’il puisse avoir une prise sur sa santé, ou pour lui « apprendre à se relaxer en se sentant en pleine possession de ses moyens physiques » [1]. Ces objectifs se retrouvent dans le traitement de la douleur chronique, ou dans celui des dépendances. Mais cet outil est bénéfique aussi pour des sujets sains qui souhaitent se préparer pour un examen, un concours, ou une compétition sportive. La liste des possibilités est longue et non exhaustive. Dans le traitement de la douleur, ces différentes applications peuvent se retrouver, selon l’origine de la douleur et les facteurs biopsychosociaux influençant la douleur du patient.

Contre-indications et sécurité du patient En considérant l’hypnose comme un outil s’appuyant sur les suggestions et la relation établie entre deux individus, on peut supposer que les contre-indications sont aussi nombreuses que lorsque l’on discute avec quelqu’un. Cependant, il est possible de relever deux contre-indications principales à l’hypnose : la relation de confiance entre le patient et le professionnel de santé, et l’incompétence de ce dernier [1]. Psychose en phase aiguë, paranoïa, retard de développement des facultés intellectuelles ou encore un âge inférieur à 3 ans sont des contre-indications traditionnelles. Bien que cette demande soit absente dans la pratique de la kinésithérapie, la curiosité passionnée envers un passé traumatique doit éveiller une vigilance accrue chez le professionnel ne souhaitant pas créer de faux souvenir chez ce patient. Toutefois, les kinésithérapeutes peuvent rencontrer régulièrement des patients ayant un trouble de la personnalité borderline ou souffrant de dépression en phase aiguë. Pour ces patients, que les modifications de perceptions peuvent déstabiliser, il est préconisé de remettre à plus tard l’utilisation de l’hypnose. À propos de la sécurité du patient, les revues de littérature ne retrouvent pas d’effets indésirables attribuables à l’hypnose [20, 29]. Sur le plan éthique, l’utilisation de l’hypnose n’entrave pas l’accès aux soins conventionnels tant qu’elle est employée comme outil complémentaire par des professionnels de santé dans leur champ de compétence.

Focus L’éthique professionnelle Le caractère éthique de l’utilisation de l’hypnose, malgré les craintes et incertitudes des patients, est garanti par différents éléments : ■ l’hypnose peut être employée sur des symptômes seulement après avoir éliminé les éventuels diagnostics différentiels ;

■ le patient reste éveillé et volontaire ; ainsi, il résistera ou sortira de transe si le thérapeute dépasse une limite ; ■ le thérapeute emploie l’hypnose uniquement dans son champ de compétence et avec l’intention d’aider le patient, non à des fins personnelles ; ■ les aspects légaux et réglementaires fixent un cadre professionnel sécuritaire pour le patient.

Hypnose et douleur aiguë Que peut apporter l’hypnose à un kinésithérapeute face à des personnes ayant des douleurs aiguës alors qu’il a déjà tout un panel de méthodes antalgiques ? Selon la raison de la douleur nociceptive, l’apport de l’hypnose sera différent. Dans le cas de douleurs survenant à la suite d’un traumatisme, une opération ou autre, la communication hypnothérapeutique (voir plus haut) est utile pour élaborer des suggestions allant dans le sens de la moindre douleur et d’une diminution de l’anxiété. Ces suggestions éveillées (en dehors de la transe hypnotique) peuvent également aider à expliquer le diagnostic et le traitement au patient [29]. Le tableau 14.2 donne quelques exemples de cette communication hypnothérapeutique appliquée à la douleur aiguë. Tableau 14.2 Exemple de phrases dites en rééducation et de leur équivalentes, suggestions de communication hypnothérapeutique. Exemples de phrases dites en rééducation

Exemples de phrases équivalentes, suggestions de communication hypnothérapeutique

« Ne vous inquiétez pas »

« Tout va bien se passer » ou « Je suis là avec vous. »

« Il ne faut surtout pas faire

« Il est préférable de rester tranquille pour

« Il ne faut surtout pas faire “ceci” ! » (se pencher en avant, poser le pied par terre, lever le bras, etc.)

« Il est préférable de rester tranquille pour le moment et/ou de faire “ceci” plus tard quand vos capacités le permettront. »

« Et là, vous avez encore la douleur ? »

« Est-ce plus confortable pour vous ? »

« Il n’y a rien à faire de plus qu’à attendre. »

« Votre corps a les capacités et est en train de se rétablir. Le temps joue pour nous. »

« La dernière fois que j’ai vu ce cas-là, la personne a beaucoup souffert et a maintenant des séquelles. »

« Nous mettons tous les moyens que nous avons à notre disposition pour que vous puissiez récupérer le plus possible de vos aptitudes. »

(En commençant un soin) « Attention, ça va faire un peu mal. »

« Je vais faire ce soin. Dites-moi si vous avez une sensation particulière que je puisse m’adapter. »

La kinésithérapie peut également provoquer des douleurs iatrogènes. Ce deuxième cas d’apparition de nociception est notable notamment pour les patients suivis à la suite de brûlures, mais on retrouve également des douleurs provoquées par des mobilisations, techniques utilisées dans différentes pathologies (postopératoire, syndrome douloureux régional complexe [SDRC], etc.). Pour ces patients, les techniques d’hypnoanalgésie et de lieu sécure peuvent diminuer l’intensité de la douleur et le caractère désagréable de celleci [30, 31], et réduire l’utilisation de médicaments [32]. Lors de soins des brûlures, l’hypnose semble aider à la réduction de l’intensité douloureuse et de l’anxiété [33]. Un exercice d’hypnoanalgésie est, par exemple, l’application du gant magique. Le praticien suggère une insensibilisation d’une des mains du patient (comme s’il l’avait placée dans un gant), puis propose au patient d’apaiser lui-même les régions du corps à l’aide du gant. L’hypnoanalgésie semble activer, entre autres, les mécanismes descendants d’inhibition, et semble plus marquée chez les personnes

plus hypnotisables [31]. Le lieu sécure est une technique permettant au patient de se créer un havre de paix à partir d’un élément particulier (personnage, lieu, souvenir, objet, etc.) qui renforce le sentiment de sécurité du patient [1]. Ce lieu sécure permet une distraction en focalisant l’attention sur cette représentation plutôt que sur la douleur provoquée. Deux anecdotes de séances sont rapportées ci-dessous. Je me suis retrouvé ainsi à suggérer à une patiente (ayant eu une entorse grave du genou) de se replonger dans le souvenir d’une session de parapente particulièrement agréable lors de mobilisations particulièrement douloureuses du genou. Pour une autre patiente venant pour une capsulite rétractile, elle revivait le souvenir d’un de ces vendredis après-midi festifs de Nouvelle-Calédonie durant les séances. Pour ces patients, ces expériences hypnotiques peuvent être prolongées par l’apprentissage de l’autohypnose, leur permettant de retrouver leur lieu sécure lors d’autres moments provoquant des douleurs [1]. L’autohypnose peut contribuer à un mieux-être pour les patients ayant des pathologies chroniques provoquant des crises de douleurs nociceptives (drépanocytose, polyarthrite rhumatoïde, spondylarthrite, etc.). Pour cette troisième catégorie de douleurs aiguës, l’utilité de l’autohypnose est l’autonomie du patient, qui peut l’utiliser dès qu’il en ressent le besoin. En réduisant l’intensité douloureuse et l’anxiété liée à un pic de douleurs [15], l’autohypnose leur permet de mieux gérer les crises de la pathologie. Une étude de 2017 s’intéressant à l’utilisation de l’hypnose chez les patients souffrant de drépanocytose a montré l’effet de cette méthode sur le débit sanguin périphérique [34]. Après une séance d’hypnose de 30 minutes, ce dernier a augmenté dans le groupe de patients drépanocytaires, alors que comparativement il n’a pas évolué dans le groupe contrôle constitué de personnes saines.

Hypnose et douleur chronique L’hypnose semble pertinente dans la prise en charge de la douleur aiguë en tant que « thérapie relationnelle » [1], mais qu’en est-il à propos de la douleur chronique ? La part de la nociception étant moindre comparativement à une douleur aiguë, voire absente, l’hypnoanalgésie ne semble pas opportune, comme tout autre traitement antalgique. La difficulté du syndrome de douleur chronique résulte de la complexité des influences sociales, culturelles, psychologiques et biologiques, combinées avec une méfiance envers le monde médical. Dans leur revue de littérature à propos de l’utilisation de l’hypnose dans les douleurs chroniques, Adachi et al. concluent qu’en dehors des maux de tête, l’hypnose est plus efficace que les interventions classiques et psychologiques [27]. L’hypnose en tant que thérapie relationnelle se fondant sur les suggestions peut être pour les praticiens un catalyseur permettant l’alliance thérapeutique, un détecteur des influences contextuelles agissant sur le patient, et un levier pour suggérer des changements, parfois minimes, chez le patient [1]. Quelles suggestions faire dans le cas d’un patient présentant des douleurs chroniques ? Le praticien peut faire des suggestions de confort (« Vous êtes en train de remarquer que quelque part dans le corps vous sentez un grand confort, et vous autorisez cette sensation à s’étendre… »), de bénéfices de traitement (comme la relaxation, l’accommodation aux sensations inconfortables), ou avoir recours à des métaphores [35]. En tant qu’outil complémentaire, l’hypnose permet d’optimiser la prise en charge du syndrome de douleur chronique déjà existant. Une étude randomisée et contrôlée de 2018 conclut sur l’amélioration des bénéfices de l’éducation à la douleur à court et à moyen termes si elle est couplée à de l’hypnose [36]. Dans le cas de la fibromyalgie, l’hypnose semble amplifier les effets des thérapies cognitivocomportementales (TCC) [37]. L’hypnose peut être proposée aux patients pour améliorer également les facteurs psychosociaux favorisant les douleurs

chroniques. Elle semble prometteuse comme intervention pour les troubles du sommeil [38], ou en traitement de l’anxiété [39]. Là encore, la combinaison avec les TCC semble plus efficace. L’entraînement à l’autohypnose pourrait être considéré comme un traitement de base viable pour les douleurs chroniques [35]. Les séances d’hétérohypnose (c’est-à-dire avec un hypnothérapeute) mènent en général à son apprentissage et le patient peut avoir recours à des enregistrements audios. Une fois cette technique apprise, les patients peuvent l’employer à loisir et faire perdurer les bénéfices du traitement sur du long terme. À l’aide de l’hypnose, les explications du praticien peuvent avoir une meilleure portée. À l’aide de l’hypnose, le patient ayant des douleurs chroniques peut réduire son anxiété et son catastrophisme. Il peut mieux dormir, gérer son stress et ses sensations douloureuses grâce à la relaxation induite par l’autohypnose. Et à l’aide de l’autohypnose, il peut maintenir les bénéfices des traitements reçus sur du long terme.

Conclusion L’hypnothérapie est un outil transversal aux professionnels de santé. Chacun peut s’en servir dans son champ de compétences si la situation semble s’y prêter. Étant une relation intersubjective, elle s’appuie sur ses deux piliers pour aider à avancer : la collaboration entre le patient et le soignant, et la motivation du patient. Comme le reste de la médecine, elle repose sur le désintéressement du praticien et sa recherche constante du mieux-être du patient. L’apprentissage de l’hypnose permet d’améliorer les capacités de communication du professionnel de santé qui peut user du langage hypnotique quotidiennement sans pour autant faire de l’hypnose formelle. Malgré quelques aspects de l’hypnose démontrés, la pratique manque de preuves et d’études rigoureuses. Cela s’explique à la fois par la complexité d’étudier un soin fondé sur la relation et l’imagination de deux individus, et par un manque d’études qualitatives sur le sujet.

Un des intérêts de l’hypnose est de mobiliser les processus mentaux du patient et de le connecter avec ses ressources intérieures. L’hypnothérapeute est alors un guide, laissant les processus mentaux du patient réagir à ses suggestions. Il peut aider à rendre le patient plus autonome en le menant de la découverte de l’expérience hypnotique à la pratique de l’autohypnose. Cette autonomisation du patient est un des objectifs dans le traitement des douleurs chroniques. L’hypnose peut, dans le cas de ces traitements, revêtir plusieurs rôles : • amélioration de l’alliance thérapeutique ; • aide à la gestion des pics de douleurs ; • facilitateur dans l’éducation aux neurosciences de la douleur ; • gestion des facteurs psychosociaux. L’hypnoanalgésie n’est pas indiquée dans le traitement de la douleur chronique, à l’instar d’autres méthodes antalgiques ciblant le message nociceptif. Elle est toutefois indiquée dans la prise en charge de patients présentant des douleurs aiguës, ou en complément d’interventions invasives. La question du champ de compétence intervient toujours, notamment lors du traitement de syndrome de douleur chronique. Par exemple, est-ce au kinésithérapeute formé en hypnose d’agir sur les facteurs psychosociaux ? Probablement pas. En revanche, il pourrait être un relais efficace dans le cadre de la prise en charge pluridisciplinaire de ce syndrome. Outil non médicamenteux et peu cher, l’hypnose peut être un adjuvant intéressant à la prise en charge dans le cadre des douleurs ; du moment que le patient possède un des éléments principaux dans toute prise en charge : la motivation.

Points à retenir ■ L’hypnose est une situation courante durant laquelle un individu focalise son attention et est plus réceptif aux

suggestions. ■ Est-elle un état de conscience modifié ou une action sociale en lien avec l’attente du praticien ? Le sujet reste débattu. ■ C’est un outil de communication transversal aux professionnels de la santé, une thérapie relationnelle avec un certain langage. ■ L’hypnose a prouvé son efficacité dans certains domaines ; dans les autres, les études manquent pour l’heure de rigueur et les études qualitatives sont une piste à explorer. ■ C’est une méthode permettant d’autonomiser les patients, notamment avec l’autohypnose.

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ou non initié par l’individu lui-même [8]. 3 Ou tout autre élément que vous voulez intégrer : le corps, l’esprit, etc. 4 D’après la théorie des deux cerveaux, le « cerveau gauche » serait analytique, logique, tandis que le « cerveau droit » serait synthétique, créatif [14]. 5 Voir le paragraphe « La formulation positive » dans le chapitre 23.

CHAPITRE 15

Pourquoi les thérapies cognitives et comportementales R. Bouchenoire

« Il faut porter encore en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile qui danse. » Friedrich Nietzsche

PLAN DU CHAPITRE Présentation des TCC et fondementsthéoriques 123 Les TCC, une thérapie brève centrée sur le patient et son fonctionnement 129 Références 131

Ce chapitre aborde l’histoire et l’évolution des thérapies cognitives et comportementales (TCC) de leur commencement à aujourd’hui. Il introduit aux travaux princeps des TCC, et aux différents principes inhérents à ce type de prise en charge. L’idée première est de comprendre les théories sur lesquelles s’appuient les TCC et en quoi elles peuvent servir dans la compréhension des personnes souffrant de douleur chronique.

Présentation des TCC et fondements théoriques Les TCC: une thérapie factuelle, expérimentale et intégrative Les TCC sont des thérapies brèves validées scientifiquement qui se concentrent sur les problèmes qu’une personne rencontre actuellement. Elles s’intéressent aux interactions entre les pensées, les émotions et les comportements. En l’occurrence, une TCC s’appuie sur différents outils susceptibles d’aider le patient à : • identifier les pensées et les émotions qui conduisent à certains comportements et contribuent ainsi au maintien de la situation-problème ; • essayer de nouveaux comportements, potentiellement plus efficaces ; • sortir des cercles vicieux qui aggravent les difficultés de la personne face à une situation [1]. Dans le cadre de la douleur chronique, cela peut se traduire dans un premier temps par l’identification des facteurs de maintien de la douleur, à savoir les facteurs cognitifs, émotionnels, comportementaux ainsi que tous les facteurs biologiques, sociaux et environnementaux. Dans un second temps, il est envisageable de proposer, ou de renforcer des comportements susceptibles d’enrayer les cercles vicieux perpétuant les situations-problèmes, en suggérant par exemple une reprise de l’activité, une initiation à la méditation, une distraction ou une réinterprétation des sensations. L’objectif est de consolider les comportements qui aideront le plus efficacement la personne à gérer sa douleur au quotidien, en fonction de chaque situation [1-3]. Outre le renforcement de ces comportements adaptés, la thérapie vise à, progressivement, réduire les comportements favorisant le maintien des douleurs à long terme, tels que les rituels, les prises de

médicaments anarchiques ou encore les évitements ; apprendre à gérer les réactions agressives, le stress ou la détresse émotionnelle ; ainsi que remettre en question les pensées dysfonctionnelles. Les TCC évoluent en permanence du fait de leur approche expérimentale [1-3].

Histoire des TCC L’apprentissage au cœur du problème : le comportementalisme Apprentissage répondant Au cours des années 1890, Ivan Pavlov réalise une série d’expériences sur la fonction gastrique et salivaire des chiens. Il observe que le chien a tendance à saliver avant d’être en contact avec la nourriture et décide d’étudier cette salivation anticipée. Son expérience la plus connue implique son chien. Le chien salive lorsqu’il voit de la nourriture. Si on fait sonner une cloche à chaque fois qu’on amène de la nourriture au chien, il finira par saliver au simple son de la cloche [4] (figure 15.1).

FIGURE 15.1 L’expérience du chien de Pavlov.

Le terme « conditionnel » renvoie à la nécessité d’un « conditionnement », tandis que l’« inconditionnel » ne le nécessite pas. Le stimulus neutre n’amène pas de réponse. C’est la répétition de ce dernier qui, associé au stimulus inconditionnel, va transformer le stimulus neutre en stimulus conditionnel. Le stimulus inconditionnel n’est alors plus nécessaire pour engendrer la réponse qui devient apprise (voir figure 15.1). Ces travaux introduisent la notion de conditionnement, bien qu’aujourd’hui le terme d’apprentissage lui soit préféré. Les travaux de Pavlov correspondent à l’apprentissage répondant [1]. Qu’est-ce que cela nous apprend ? Parfois, la reproduction du seul

contexte d’apparition des douleurs peut suffire à déclencher ou augmenter la douleur. Par exemple, un patient peut ressentir une douleur à chaque fois qu’il arrive sur son lieu de travail ou lorsqu’il s’imagine se pencher en avant. La recherche expérimentale a mis en évidence que si le stimulus conditionnel n’est plus suivi du stimulus inconditionnel, de manière répétée, la relation qui les unit disparaît et il finit par perdre sa capacité à produire la réponse réflexe de l’organisme : il redevient un stimulus neutre [1, 5]. Une première solution serait alors de présenter les stimuli conditionnels en l’absence de stimulus inconditionnel, afin de neutraliser le stimulus conditionnel et supprimer la réponse associée. Il s’agirait de présenter le contexte d’apparition des douleurs au patient en s’assurant que celles-ci n’apparaissent pas. Par exemple, il est tout à fait possible de demander au patient de visualiser le contexte d’apparition (imagerie mentale) [6] ou encore d’exposer le patient graduellement à la situation [7]. Une personne ayant systématiquement mal au dos lorsqu’elle passe l’aspirateur peut s’imaginer passer l’aspirateur, ou s’exposer petit à petit à cette tâche (sur une durée, une vitesse ou une charge qui augmente progressivement). Une autre solution pourrait être de présenter un stimulus conditionnel en présence d’un stimulus engendrant une réponse opposée. Il s’agirait de présenter le contexte d’apparition des douleurs en même temps qu’un comportement générant un état de relaxation ou de bien-être. Ainsi, la personne se retrouverait avec un contexte favorisant les douleurs concomitant avec un état de relaxation. Il s’agit de la désensibilisation systématique de Wolpe [1]. Par exemple, une personne pour qui la flexion antérieure du rachis serait douloureuse pourrait bénéficier d’une approche pour laquelle le contexte d’apparition des douleurs est reproduit (flexion antérieure du rachis effectuée ou imaginée) associé à un état de relaxation produit par une technique de relaxation. Apprentissage opérant

Par ses travaux, Skinner introduit plus tard la notion d’apprentissage opérant. Il s’agit là d’analyser des comportements en fonction des conséquences : on parle de mécanismes de renforcement et d’affaiblissement [1, 5]. À cette époque, Skinner estime que Pavlov oublie une étape importante dans l’interprétation de ses résultats : la conséquence. Pour Skinner, ce qui rend la salivation possible au son de la cloche est la récompense que le chien obtient après le son de la cloche, à savoir la présence du stimulus inconditionnel. Si le chien n’obtient pas de récompense, s’il n’y a pas de conséquence agréable, le son de cloche ne déclenchera pas de salivation [8]. Il propose alors que l’apparition d’une conséquence agréable, ou la disparition d’une conséquence désagréable a tendance à augmenter la probabilité future d’apparition du comportement qui les précède. À l’inverse, la disparition d’une conséquence agréable ou l’apparition d’une conséquence désagréable a tendance à diminuer cette probabilité. Aussi, l’absence de conséquence amène à la disparition d’un comportement : c’est l’extinction, qui est très utile dans la prise en charge des personnes souffrant de douleurs chroniques [8]. L’expérience de Skinner la plus connue est la boîte de Skinner. Un rat se trouve dans une cage. Il est confronté à quatre situations. Dans la première de ces situations, le rat est enfermé dans la cage. S’il appuie sur le levier, il obtient de la nourriture. Il s’agit d’un renforcement positif. L’action amène une conséquence agréable : il aura tendance à la renouveler pour obtenir cette récompense [8]. En termes de douleur chronique, « les bonnes choses arrivent quand j’ai mal et n’arriveraient pas autrement » [9], comme la sollicitude, le soutien, les aides, les contacts, qui peuvent devenir des renforçateurs positifs du comportement douloureux. Dans la deuxième de ces situations, le rat est enfermé dans la cage. S’il appuie sur le levier, il reçoit une décharge électrique. Il s’agit d’un affaiblissement positif. L’action amène une conséquence désagréable : il aura tendance à éviter ce comportement pour obtenir cette récompense [8]. Typiquement, si la douleur augmente à l’activité, il y a des chances que la personne évite ce comportement.

Dans la troisième situation, le rat est enfermé dans la cage et reçoit de la nourriture. S’il appuie sur le levier, la nourriture disparaît. Il s’agit d’un affaiblissement négatif. L’action amène la disparition d’une conséquence agréable : il aura tendance à éviter le comportement pour obtenir la conséquence agréable, la récompense [8]. Par exemple, si la reprise de l’activité diminue le soutien familial ou financier, l’amélioration entraîne alors des conséquences délétères au regard du patient ; il pourrait avoir tendance à éprouver des difficultés à s’engager dans ce comportement. Dans la dernière situation, le rat est enfermé dans la cage et reçoit des décharges électriques. S’il appuie sur le levier, il fait cesser les décharges électriques. Il s’agit d’un renforcement négatif. L’action amène la disparition d’une conséquence désagréable : il aura tendance à renouveler ce comportement pour éviter la conséquence désagréable [8]. « Quand j’ai mal, les mauvaises choses n’arrivent pas alors qu’elles arriveraient autrement » [9]. L’arrêt d’un travail pénible ou mal aimé, d’une situation professionnelle conflictuelle, des activités ménagères, des obligations sociales peuvent être des renforçateurs négatifs du comportement douloureux. Aussi, la prise de médicaments ou le repos peuvent conduire à une diminution de la douleur à court terme. La kinésiophobie s’appuie sur ce mécanisme : la peur de réaliser un mouvement et de se blesser peut amener la personne à limiter ses activités [1]. Les actions des patients douloureux peuvent ainsi être renforcées ou atténuées selon leurs conséquences avec des effets croisés entre l’obtention d’une récompense et l’évitement d’une punition, et inversement. Le comportement des patients face à leur douleur doit donc être envisagé à un niveau de complexité plus grand où plusieurs paramètres vont interagir. Apprentissage social Bandura établit la théorie de l’apprentissage social, puis la théorie sociale cognitive. Il s’agit d’apprendre des comportements de notre environnement [1, 10]. L’apprentissage se fait sans expérience directe, mais par

l’observation des comportements des autres et de leurs conséquences. L’individu décidera d’expérimenter ces comportements selon le niveau d’efficacité personnelle qu’il aura estimé [11]. Bandura introduit la notion d’efficacité personnelle, qui établit que les croyances d’un individu envers ses capacités, quelles que soient ses capacités réelles, sont à la base de la motivation et de la capacité à gérer les situations [12]. En désignant les croyances qu’un individu a dans ses propres capacités, quelles que soient ses aptitudes, la théorie de Bandura décrit le sentiment d’efficacité personnelle comme vecteur de motivation, de persévérance et de réussite [1, 10]. Aussi, pour Bandura, les conséquences des comportements ont moins d’importance que l’interprétation et les attentes de l’individu vis-à-vis de ces conséquences, au travers de l’observation [11]. On appelle parfois l’apprentissage social, l’apprentissage vicariant, qui se réalise par identification, par imitation. On parle parfois de modelage (modeling) pour décrire ces mécanismes d’apprentissage par observation d’autrui [1].

L’impact des cognitions sur le comportement : le cognitivisme Plusieurs hypothèses sont proposées afin de comprendre en quoi les conséquences d’un comportement vont influencer celui-ci. On s’intéresse alors davantage aux interprétations d’un individu à propos de ce qu’il vit, afin de comprendre en quoi cela peut modifier ses comportements. Pour les cognitivistes, comme Albert Ellis, l’individu possède son propre système de pensées et de croyances qui lui permet d’interpréter les conséquences de ses actions. Il peut ainsi réaliser des prédictions sur les conséquences à venir en fonction de ses comportements [1]. Une citation d’Épictète illustre ces notions : « Ce ne sont plus les choses qui troublent les hommes mais les jugements qu’ils portent sur les choses ». Aaron Beck est considéré comme le père du cognitivisme. Dans ses

travaux sur les personnes souffrant de dépression, il s’intéresse aux conséquences des pensées négatives sur les émotions, et vice versa : les pensées négatives se renforcent réciproquement avec les émotions négatives [1]. Il introduit la notion de distorsion cognitive qu’il décrit comme « le fait de déformer le réel par une interprétation erronée, de voir le monde de manière biaisée, conduisant ainsi le sujet à avoir des pensées négatives qui elles-mêmes sont source d’anxiété et de malêtre. Ces pensées sont d’autant plus difficiles à contrer qu’elles deviennent systématiques et envahissantes pour le sujet qui en souffre, au point qu’elles prennent le pas sur une vision lucide du monde et deviennent automatiques » [13]. Les pensées automatiques sont le produit de ces distorsions cognitives. Le patient peut les observer s’il se concentre sur les moments où il éprouve des difficultés (situation-problème). Ces pensées peuvent induire des émotions négatives et être renforcées par celles-ci [14]. Les personnes souffrant de dépression [15, 16], de douleur chronique [17-19] ou de fatigue chronique [20] semblent être plus sujettes à certains biais cognitifs que les personnes ne souffrant pas de ces atteintes. Beck puis Burns définissent plusieurs types de pensées automatiques [5, 13, 21] : • la catastrophisation : « voyance » (fortune-telling), la personne prédit son avenir négativement ; • le raisonnement dichotomique : faux dilemme, loi du tout ou rien ; • l’inférence arbitraire : conclusion hâtive, sans preuve ; • l’abstraction sélective : sélection d’un détail négatif interprété en dehors de son contexte ; • la disqualification du positif : les expériences positives et les qualités ne comptent pas ; • la surgénéralisation : étendre un fait spécifique à une loi générale ; • la personnalisation : la personne relie des événements à sa

propre personne, prend les choses pour elle ; • l’amplification et la minimalisation : maximalisation du négatif et minimalisation du positif ; • l’étiquetage : catégorisation, stigmatisation, jugements définitifs ; • la lecture des pensées (mind reading) : certitude vis-à-vis de ce que les autres pensent de soi ; • les fausses obligations : « shouldisme », ou se fixer arbitrairement des buts à atteindre – « je dois », « il faut que » ; • le raisonnement émotionnel : considérer son ressenti comme une vérité ; • la vision étroite (tunnel vision) : voir uniquement les aspects négatifs d’une situation.

Focus Le catastrophisme Le catastrophisme se définit comme une tendance à amplifier, ruminer et se sentir impuissant vis-à-vis des conséquences négatives d’une situation. Il s’agit d’un ensemble de pensées automatiques permettant de faire face aux situations stressantes, et il semble avoir pour vocation de chercher du soutien et une motivation à réagir en exprimant la détresse ressentie. L’intégration de la troisième vague : la vague émotionnelle Plus récemment, de nouvelles théories ont fait leur apparition dans les TCC. Le point commun de ces théories est de redéfinir et d’accentuer le rôle des émotions dans l’expérience. Ces théories affirment que les pensées et les émotions ne peuvent pas être changées, comme le cognitivisme peut le laisser penser, mais seulement observées et mises à distance. C’est en ce sens qu’un individu peut changer sa relation à sa douleur. Il s’agit d’un travail s’appuyant sur le focus attentionnel et l’acceptation. Dans cette troisième vague, il est commun de citer les thérapies fondées sur la pleine conscience introduites avec la méditation de

pleine conscience par Kabat-Zinn en 1982. La première thérapie est proposée pour le stress et s’intitule MBSR (mindfulness-based stress reduction, soit la réduction du stress fondée sur la pleine conscience). S’ensuit alors la MBCT (mindfulness-based cognitive therapy, soit la thérapie cognitive fondée sur la pleine conscience) qui propose de changer la relation du patient à sa douleur par un entraînement à maintenir son attention et à considérer avec distance les pensées, les émotions et les sensations [22-24]. Bishop et al. [25] définissent la pleine conscience comme : • une habileté métacognitive impliquant la capacité à maintenir une attention soutenue, à changer de focus attentionnel et à inhiber les processus secondaires ; • une attitude fondée sur l’ouverture d’esprit, la curiosité et l’acceptation. Enfin, la thérapie d’acceptation et d’engagement (acceptance and commitment therapy [ACT]) repose sur la théorie des cadres relationnels, qui implique le langage et la cognition, et amène à comprendre l’apprentissage relationnel qui stipule qu’il est possible d’apprendre et d’ajuster ses comportements sans expérience préalable, simplement au travers du langage. D’après cette théorie, les stimuli verbaux acquièrent les propriétés des stimuli qu’ils représentent. On peut citer pour exemple les fonctions aversives des stimuli douloureux qui se transmettent via le langage aux pensées de l’individu et l’amènent à réagir à certaines pensées de sensations physiques comme s’il s’agissait des stimuli douloureux eux-mêmes. La démarche est alors de modifier les propriétés acquises par les stimuli langagiers en changeant la représentation et la relation qui les unit aux stimuli qu’ils représentent. Pour ce faire, l’ACT propose d’accueillir ses sensations douloureuses plutôt que de lutter contre, en adoptant une attitude curieuse à l’égard de cette douleur. En parallèle, l’individu est amené à concentrer son énergie sur ce qui est important pour lui, en fonction de ses valeurs, afin de s’engager dans des activités et des situations qui n’ont rien à voir avec la douleur [1].

Focus sur le coping Les TCC se sont construites autour de de ces trois vagues, mais d’autres théories sont parvenues à trouver leur place au cœur de ces thérapies. C’est le cas du coping. Cette notion propose que le patient mette en place ses propres stratégies pour gérer. On parle de coping qui vient de l’anglais, to cope, traduit en français par « faire avec, faire face ». Lazarus et Folkman définissent le coping comme « l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux, constamment changeants, [déployés] pour gérer des exigences spécifiques internes et/ou externes qui sont évaluées [par la personne] comme consommant ou excédant ses ressources ». Il s’agit de l’ensemble des stratégies d’adaptation que la personne va mettre en place dans une situation estimée stressante. Les personnes vont alors trouver les ressources nécessaires pour faire face [26]. Le modèle transactionnel de Lazarus et Folkmann (figure 15.2) est le modèle dominant à l’heure actuelle. Il propose qu’en présence de facteurs environnementaux, l’individu évalue d’abord à quel point la situation menace son bien-être : c’est le stress perçu. Puis, il évalue les ressources à sa disposition pour répondre à la situation et y apporter une éventuelle solution : c’est le contrôle perçu. En fonction de cette évaluation, l’individu met alors en place des stratégies pour faire face à la situation : c’est le coping.

FIGURE 15.2 Modèle transactionnel de Lazarus et Folkmann.

Le coping fait l’objet de nombreuses recherches et théories, mais la pluralité de classifications du coping (tableau 15.1) rend la littérature sur le sujet hétérogène, ce qui suppose de faire des recherches plus approfondies. Tableau 15.1 Les classifications du coping. Problème-centré Émotion-centré

Une personne utilisant du coping centré sur le problème utilise toutes ses ressources pour réévaluer et trouver des solutions à sa douleur [26]. Une personne utilisant du coping centré sur l’émotion focalise ses efforts à compenser, réduire, ou éliminer le stress et les émotions négatives [26].

Actif Passif

Le coping actif est principalement défini comme l’ensemble des stratégies qui demandent à la personne de commencer intentionnellement une activité dans le but de soulager la douleur ou de continuer une activité malgré la douleur [27]. Le coping passif correspond à l’abandon, au renoncement à agir contre la douleur, à l’évitement de la douleur et des activités, l’utilisation des aides extérieures [27].

Attentionnel Évitant

Le coping attentionnel correspond à la confrontation et la focalisation d’une personne sur la douleur, sa source et ses modalités d’apparition dans le but de la gérer [28]. Le coping évitant correspond aux stratégies permettant à l’individu d’éviter la douleur, ainsi que d’éviter les pensées, émotions, actions et sensations relatives à la douleur [28].

Assimilatif Accommodatif

Une personne utilisant du coping d’assimilation tente activement de transformer une situation de manière à la rendre conforme à ses objectifs et à ses aspirations. Les exemples de coping d’assimilation comprennent le fait de demander l’aide d’une autre personne ou d’acquérir de nouvelles compétences en résolution de problèmes [29, 30]. Une personne utilisant du coping d’accommodation adapte ses préférences et ses orientations aux forces et aux contraintes de la situation. Impliquant une dévaluation ou un désengagement d’objectifs bloqués et un abaissement des normes de performance et des aspirations personnelles, l’adaptation accommodative représente donc une neutralisation plutôt qu’une solution active d’un problème particulier [29, 30].

Cognitif Comportemental

Le coping cognitif correspond à l’ensemble des stratégies mentales (comme compter, se distraire, visualiser par imagerie mentale ou réinterpréter les sensations) permettant au patient de gérer une situation [31]. Le coping comportemental renvoie aux actions mises en place pour gérer cette douleur (comme prendre des médicaments, la recherche de soutien social, se reposer, pratiquer une activité physique pour se soulager, etc.) [31].

Adaptatif Maladaptatif

Consiste à utiliser des stratégies corrélées à de meilleurs résultats fonctionnels pour le patient [32]. Consiste à utiliser des stratégies corrélées à des résultats délétères pour le patient [32].

Une efficacité en constante vérification Les TCC bénéficient d’une recommandation de la Haute autorité de

santé en France pour de nombreux troubles. Elles font notamment l’objet d’une recommandation en France concernant la prise en charge des douleurs lombaires chroniques [33]. Les TCC ont l’avantage d’être largement représentées au sein de la littérature scientifique. Jusqu’alors, et pour de nombreuses pathologies, elles semblent utiles pour réduire l’intensité de la douleur d’un individu, améliorer ses capacités fonctionnelles, diminuer sa détresse émotionnelle, réduire son anxiété ou encore augmenter son sentiment d’efficacité personnelle. En 2012, une méga-analyse a recensé plus de 269 méta-analyses sur l’efficacité des TCC. Parmi ces méta-analyses, certaines ont testé l’efficacité des traitements « psychosociaux » sur la douleur chronique. Parmi les traitements étudiés, on retrouvait notamment les techniques de relaxation, les thérapies fondées sur la pleine conscience (MBSR, MBCT), les techniques fondées sur l’acceptation (ACT), la psychoéducation et les TCC. Les résultats ont révélé que les TCC, pour la douleur chronique, montraient une taille d’effet moyenne là où les autres traitements psychologiques montraient une taille d’effet faible [34]. D’autres méta-analyses [35, 36] semblent confirmer les conclusions selon lesquelles les TCC seraient supérieures aux autres traitements psychologiques pour réduire l’intensité de la douleur des individus bénéficiant de ce traitement. La combinaison d’exercices physiques avec des approches cognitivo-comportementales reste, quant à elle, plus questionnable. Combiner ces deux approches semble apporter un bénéfice, mais ce dernier est faible et non durable par rapport à une approche isolée. Selon les auteurs, les mécanismes impliqués dans l’une ou l’autre de ces approches pourraient être les mêmes, ce qui expliquerait l’absence de plus-value à combiner les exercices avec les TCC [37-39]. Cependant, il existe certaines limites à ces conclusions. La conception méthodologique des études est parfois douteuse, et les groupes témoins très variables. Les techniques incluses dans les TCC manquent de clarté, et se retrouvent souvent regroupées avec d’autres psychothérapies comme l’hypnothérapie, la pleine conscience, la relaxation, ou encore le soutien psychologique [34, 37]. Ce voile

méthodologique oblige à nuancer la portée de ces études et incite à approfondir les recherches.

Les TCC, une thérapie brève centrée sur le patient et son fonctionnement Recontextualiser La recontextualisation permet de passer d’un ressenti général à une évaluation détaillée de ce que vit le patient à un instant t, en mettant en lien le contexte de déclenchement de sa situation-problème, ses pensées, ses émotions et sensations corporelles ainsi que ses comportements et les conséquences qu’ils entraînent. Le thérapeute peut aider le patient à se remémorer la situation, par des questions ouvertes ou des techniques de visualisation. Les colonnes de Beck (thought record), que le patient remplit à la maison, servent d’outil pour analyser chaque situation. Formulées par Beck, ces colonnes ont une vertu métacognitive pour le patient, d’abord en observant de manière synchronique (à un moment donné, pour une situation en particulier) ses propres émotions et pensées, puis en cherchant des réponses rationnelles pouvant remettre en question les pensées automatiques et l’intensité des émotions [13]. La forme classique des colonnes de Beck est de cinq colonnes – une pour la situation, une pour les émotions, une pour les pensées automatiques, une pour les réponses rationnelles et une pour le résultat, à savoir la réévaluation – mais d’autres formes existent. Des colonnes sur les sensations physiques, sur les comportements et les conséquences peuvent être ajoutées.

Abandonner le pouvoir Le kinésithérapeute se trouve généralement dans une position asymétrique avec le patient : il est le soignant, le sachant, l’opérateur. Le thérapeute a le pouvoir et prend les décisions pour le patient. Le patient, quant à lui, est dans une position inférieure : il est le soigné,

l’ignorant. Il abandonne le pouvoir au thérapeute et les décisions reviennent au thérapeute. Le défi d’une TCC est de changer cette relation. Le seul véritable moteur de la thérapie est le patient. Lui seul doit pouvoir prendre ses décisions. Toutes les initiatives importantes sont prises par le patient et pour le patient. Ainsi, le thérapeute n’est là que pour guider le patient ; il met en scène le scénario. Le thérapeute s’efface en tant qu’opérateur et prend le rôle d’interacteur [40, 41]. D’abord, le patient formule par lui-même. Le thérapeute laisse le patient exprimer ses pensées, ses préoccupations, ce qu’il ressent ou ce qui suscite chez lui certaines difficultés. Cette écoute active est retrouvée dans l’alliance thérapeutique, dans l’entretien motivationnel et dans plusieurs thérapies à base d’éducation [40-42]. La formulation du patient va renseigner le clinicien sur l’importance du problème aux yeux du patient, les contextes d’apparition, la fréquence, l’intensité et la durée du problème rencontré. Ces éléments permettent de suivre l’évolution de la personne à différents moments de la prise en charge [40-42]. Ensuite, le patient s’auto-analyse. En effet, le patient a tout intérêt à savoir s’analyser s’il veut pouvoir mettre en application les outils au quotidien. Pour le patient, l’auto-observation permet de faire le lien entre le contexte d’apparition du problème, ses pensées, ses émotions, ses sensations corporelles, ses comportements et les conséquences qu’ils entraînent. Cela lui permet également de reconnaître les stratégies efficaces ou non, dans une situation précise [1, 40]. Il existe donc de très nombreux outils pour faciliter l’autoobservation du patient. Les colonnes de Beck [13], un recueil des activités ou un agenda à tenir sont des stratégies intéressantes pour aider le patient à analyser les situations-problèmes. L’auto-observation permet à la personne d’appréhender les éléments favorisant l’apparition de son problème et des cercles vicieux qui les maintiennent. Cela va donner des pistes pour gérer au mieux sa situation.

Reconnaître les facteurs cognitifs, comportementaux et émotionnels susceptibles de maintenir le problème De nombreux facteurs participent au maintien de la douleur (figure 15.3). Des facteurs socio-environnementaux comme l’insatisfaction au travail, le manque de soutien relationnel et l’isolement social, ou des facteurs biologiques comme le manque de sommeil et la nociception, semblent avoir un impact sur le maintien des douleurs.

FIGURE 15.3 Carte mentale des facteurs de maintien.

Outre ces facteurs, les TCC s’intéressent aux facteurs cognitifs, émotionnels et comportementaux.

Les facteurs cognitifs Les pensées ont une influence sur la douleur. Elles interagissent avec les émotions et influencent les comportements [5, 13]. Une personne douloureuse chronique peut ainsi être plus sujette aux distorsions cognitives et aux pensées automatiques [16-20]. Les paralogismes et les pensées négatives ont tendance à compliquer la recherche de solutions et la capacité d’un individu à interpréter ses sensations [4345]. Certaines croyances et attentes peuvent également jouer un rôle, par le biais d’une interprétation particulière à propos de l’origine, la gravité ou la persistance des sensations [1], ce qui peut conduire à du catastrophisme, de la détresse émotionnelle ou une perception accrue de sa douleur [3, 16, 18, 43, 46]. Les facteurs émotionnels Les émotions participent à l’expérience douloureuse, la douleur étant définie par l’International Association for the Study of Pain (IASP) comme une « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable » [47]. Parmi ces facteurs émotionnels, il a été démontré une forte association entre le stress, qui augmente la perception de menace, et la douleur [48]. La régulation des émotions semble jouer un rôle important. La gestion des émotions négatives telles que la colère, la peur, la tristesse ou la frustration est corrélée à l’intensité des douleurs. Par exemple, exprimer sa colère (claquer les portes, crier) ou l’inhiber (la cacher, la garder pour soi) semble associé à un niveau plus élevé de douleur ressentie, tandis que supprimer ses pensées et émotions négatives (penser à des choses plaisantes) ou les réinterpréter semble montrer l’inverse [49]. L’anxiété et la dépression sont retrouvées de manière plus importante chez les personnes souffrant de douleur chronique [49]. Aussi, lorsqu’une personne a très peur de la douleur, elle semble devenir plus vigilante vis-à-vis des menaces de son environnement [50, 51].

Les facteurs comportementaux Cette vigilance, en présence de menace continue ou croissante, semble suivre un évitement expérientiel [50-52]. Une personne hypervigilante est sur le « qui-vive » pour anticiper la moindre situation susceptible de provoquer de la douleur. Elle scanne constamment son corps à la recherche de douleur et peut interpréter les sensations somatiques normales comme pathologiques. L’hypervigilance semble être corrélée à un niveau d’anxiété élevé, à des affects négatifs et à du catastrophisme [53]. L’évitement est un comportement. La manière dont l’individu agit au quotidien influence son expérience de douleur. La notion de coping, introduite par Lazarus et Folkmann [22], entend que la personne trouve des stratégies pour faire face à la douleur. Le modèle de peur-évitement décrit le cercle vicieux que l’individu emprunte lorsqu’il répète des comportements d’évitement des activités. Ce modèle théorise qu’en présence d’informations inquiétantes, l’individu peut être amené à développer du catastrophisme (comprenant la rumination, la dramatisation et l’impuissance), qui l’emmène dans une boucle de peur, d’hypervigilance, d’évitement et de déconditionnement entretenant l’expérience de la douleur. La notion d’évitement des activités peut également impliquer des stratégies comme le désengagement comportemental (ne plus rien faire), le repos [54]. À l’inverse, Fordyce décrit des cas de suractivité, ou d’ergomanie [9]. Il s’agit d’un comportement quasi constamment actif qui, s’il peut sembler a priori bénéfique par la relation entre les stratégies actives et la douleur, peut constituer une autre forme de cercle vicieux au sein duquel le patient subit une évolution en dents de scie : le patient est actif, mais plusieurs heures plus tard, une poussée de douleur intervient. Ainsi, le niveau d’activité a son importance et il a été démontré qu’une activité physique régulière était un coping permettant une diminution des niveaux de douleur et de handicap fonctionnel sur le long terme [55-59], pour peu que l’individu ne se trouve pas dans un de ces cercles vicieux.

La prise de médicaments antalgiques pour soulager la douleur, l’expression de ses émotions à ses proches ou la distraction de l’attention sont des exemples de comportements que l’individu met en place pour faire face [60].

Points à retenir ■ Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) sont une thérapie efficace et recommandée dans la prise en charge des douleurs persistantes. ■ Elles proviennent de la confluence de diverses théories constituant les trois vagues des TCC. ■ Le thérapeute identifie des facteurs contribuant à la douleur du patient. ■ Le thérapeute est en position basse et le patient est l’acteur principal.

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CHAPITRE 16

Repenser l’abord du patient autour de ses objectifs et de ses attentes L. Rousseau

« Un problème sans solution est un problème mal posé. » Albert Einstein

PLAN DU CHAPITRE Introduction 133 Le contexte médical et les liens de causalité 133 La réalité de la douleur et la nécessaire « négociation » sur les attentes du traitement 134 Objectifs, attentes du patient et TCC 137 Références 139

Introduction Ce chapitre est consacré aux évolutions nécessaires à mettre en place pour le patient et le thérapeute, afin de proposer une prise en charge en thérapie cognitive et comportementale (TCC). Ces évolutions sont en lien avec le changement de paradigme qui conduit du modèle

biomédical au modèle biopsychosocial (BPS). Les TCC abordent le patient dans sa complexité BPS en tentant d’analyser la manière dont les cognitions, les comportements et les émotions, ressentis vécus ou supportés par le patient, peuvent influencer le ressenti douloureux du patient. Après une rapide description des croyances et des attentes du patient, analysées au travers du modèle biomédical, nous verrons en quoi cette évolution est pertinente pour proposer une prise en charge tournée vers les TCC.

Le contexte médical et les liens de causalité La prescription médicale et le parcours de soins En France, la prise en charge des patients se fait en grande majorité de deux façons : soit le patient consulte un médecin installé en cabinet libéral, soit il est admis à l’hôpital via les urgences. Bien souvent, la douleur est l’élément déterminant qui fait consulter le patient et elle sert de référence pour apprécier la guérison. La prise en charge se fait tout naturellement à partir de cette douleur pour en trouver l’origine. Nous sommes ici dans un contexte aigu, la consultation portant sur un interrogatoire et un examen visant à déterminer si cette douleur est le signe d’un problème grave nécessitant des soins urgents, ou si le caractère de gravité peut être écarté (notion de drapeaux rouges). Ainsi, de façon tout à fait logique et protocolaire, un lien de causalité est recherché entre la douleur et ses caractéristiques propres (intensité, rythme, localisation, etc.) et son origine lésionnelle présumée. Ce premier contact peut à la fois être rassurant, si une cause est identifiée de manière certaine, ou être générateur d’inquiétude, si le diagnostic n’est pas posé et qu’une investigation supplémentaire est nécessaire. Il s’ensuit la prescription d’un traitement avec une explication sur le

problème identifié, ou bien une prescription d’examens complémentaires pour affiner ou confirmer le diagnostic. Dans le meilleur des cas, le traitement répond parfaitement aux attentes d’antalgie du patient, ce qui conduit à une amélioration de la situation menant à la guérison. En revanche, il peut arriver que le diagnostic soit erroné ou incomplet, ou que le traitement ne soit pas adapté ou mal suivi, pour diverses raisons. Cette situation entraîne une seconde visite pour adapter le traitement, ou approfondir les recherches afin de préciser le diagnostic. La personne consultée peut être la même, ou bien un autre professionnel de santé. Nous voyons ici que le parcours du patient peut être long et parfois compliqué. En dehors de l’incertitude du diagnostic, il peut y avoir un facteur temps important, et il n’est pas rare de voir des patients attendre de longs mois pour une consultation ou un examen. Ces paramètres sont loin d’être négligeables car cette incertitude et cette attente sont des facteurs importants dans l’évolution de la douleur. L’attente d’une imagerie par résonance magnétique (IRM), par exemple, peut avoir des conséquences sur la perception de la douleur ressentie et accroître le risque de chronicité [1]. Autre facteur important, l’attente et l’incertitude peuvent cristalliser les attentes du patient autour d’une hypothétique lésion génératrice de douleur, et induire des comportements d’évitement [1]. Dernier aspect délétère à signaler, le nomadisme médical génère de nombreuses explications, chaque professionnel consulté ayant, par sa formation et ses croyances, sa propre façon de présenter les choses. Il peut même être donné aux patients des diagnostics différents, voire contradictoires, en fonction des professionnels consultés.

Les attentes du patient par rapport à sa pathologie Tout naturellement, le patient perçoit sa pathologie comme quelque chose que l’on peut traiter, ou enlever. Un kyste ou une calcification tendineuse sont assimilés à des éléments externes qu’il est facile d’ôter avec une simple chirurgie. La réalité est souvent tout autre et la

complexité de certaines prises en charge étonne parfois les patients qui ont une image assez simpliste de leur corps. Ils assimilent facilement le cerveau à un ordinateur, le cœur à une pompe, les reins à de simples filtres, etc. Cette vision du corps machine, largement entretenue dans beaucoup de nos propos, contribue à rendre le patient assez passif, et confère au professionnel de santé un rôle majeur et presque divin. Cette double vision est accentuée par les remarquables exploits de la chirurgie qui redouble d’ingéniosité pour renforcer cette illusion. Nous en arrivons à penser que tout problème a une solution technique tant « la science est grande ». Les attentes des patients sont donc souvent passives, en ce sens qu’ils remettent leur sort dans les mains des professionnels de santé, sans percevoir que la pathologie dont ils sont porteurs n’est pas un élément externe, mais bel et bien quelque chose qui leur est intimement attaché.

La douleur perçue comme la seule conséquence d’une lésion En ce qui concerne la douleur, les croyances restent majoritairement liées à une vision qui associe une douleur à une lésion. Cette croyance empreinte de bon sens est largement confortée par la prise en charge du patient, dans la mesure où la recherche d’une origine lésionnelle est la première chose perçue par le patient. Cette croyance, douleur = lésion, a certains avantages. • Elle permet d’espérer une issue rapide ou du moins limitée dans le temps, dans la mesure où la lésion a été diagnostiquée. Une tendinite à une épaule nécessitera un certain temps de guérison avec des médicaments, de la kinésithérapie voire une chirurgie. Il s’ensuivra une disparition des douleurs puisque la tendinite sera guérie. Ce raisonnement linéaire et de causalité avérée peut rassurer le patient et lui permettre d’envisager à terme un retour à une vie normale, puisque la

cause de la douleur ayant été traitée, la douleur et le handicap disparaîtront. • Cette croyance renforce le rôle du thérapeute qui devient alors le seul maître à bord. Le patient prend son rôle d’exécutant, répondant aux sollicitations du professionnel. Son engagement est limité à l’observance des traitements (médicaments et exercices). Le patient pense être acteur de son traitement, mais en réalité il ne fait que suivre les consignes qui lui ont été données. Soyons tout de même optimiste : cette façon de voir les choses fonctionne bien quand le patient est observant et que le diagnostic est juste, ce qui est souvent le cas. Le problème survient quand la douleur vient en opposition avec certaines valeurs du patient et qu’elle gêne son épanouissement.

L’attente de la réparation (les croyances du patient par rapport à son problème) Dans des circonstances de problèmes musculosquelettiques, entre le patient et son thérapeute, on constate souvent ces attentes partagées : • trouver et confirmer la cause lésionnelle (diagnostic, examens complémentaires, diagnostic différentiel, etc.) ; • faire disparaître la cause grâce au traitement ; • retourner à sa vie antérieure sans séquelle. C’est la plupart du temps cette vision qui sera privilégiée, et le kinésithérapeute se retrouvera dans un rôle de « kiné garagiste » pour réparer son patient, dans le cadre d’une vision « biomédicale » de la santé, centrée sur la pathologie et la sémiologie. L’inconvénient possible d’un tel comportement dans le soin est de dériver vers une éducation/formation du patient dans le sens de choses qui pourraient lui être néfastes, les prétendus « mauvais gestes ». Le piège de cette idée est de potentiellement brider la vie du

patient dans un champ d’actions et de comportements qui seraient bons pour lui, et plus il s’en éloignerait, plus il se rendrait coupable de détériorer sa santé et par conséquent sa qualité de vie. Suivre ces principes revient à appliquer sur son « corps machine » les recommandations du constructeur au travers des conseils avisés du kiné expert. Dans cette conception binaire des choses, le patient se retrouve à obéir à une règle et perd la capacité à décider seul de ce qu’il a à faire. Cela peut aboutir à une déresponsabilisation du patient qui, en se référant aux soi-disant « bonnes pratiques », se trouve être informé voir formé, mais nous sommes plus en présence d’un formatage. Le patient ne se fait pas son avis sur la base d’une expérimentation, mais sur celle d’une règle extérieure. Dans un contexte de douleur persistante, cette approche risque de ne pas être efficace pour une amélioration des conditions douloureuses.

La réalité de la douleur et la nécessaire « négociation » sur les attentes du traitement La douleur est biopsychosociale (BPS) La nature BPS de la douleur fait maintenant consensus et implique pour le thérapeute de ne plus rechercher qu’un lien causal linéaire de la plainte d’un patient. Il sera important voire indispensable de discuter avec lui, même si cela doit être parfois compliqué, de l’ensemble des facteurs qui peuvent, dans son vécu, expliquer sa plainte. Gageons qu’il sera plus efficace que le patient fasse lui-même le chemin, accompagné par un thérapeute attentif et bienveillant. L’engagement du patient est ici essentiel, comme l’alliance thérapeutique, pierre angulaire d’une coopération patient-thérapeute réussie et fertile.

Le raisonnement clinique étendu au BPS

La douleur est l’élément le plus saillant des préoccupations du patient. Elle correspond à l’émergence consciente d’un processus complexe que le thérapeute a pour mission d’analyser finement. Cette analyse servira de base au raisonnement clinique qui mènera à une proposition de traitement argumentée, construite par le patient et son thérapeute, chacun apportant son expertise, pour faire du traitement l’aboutissement d’une réflexion commune. C’est dans ce cadre que le raisonnement clinique prend nécessairement une teinte BPS. En effet, les interactions entre les domaines biomédicaux, psychologiques et sociaux seront mises au jour afin de bien mettre en lumière les mécanismes de survenue de la douleur. Prenons l’exemple d’une prise en charge d’un patient lombalgique. Le raisonnement clinique pourrait se porter exclusivement sur une analyse biomécanique du patient, un traitement adapté (thérapie manuelle, exercices ciblés) et une invitation à pratiquer une activité physique en lien avec sa lombalgie. Si l’on en reste là, cela peut tout à fait convenir s’il n’y a pas de raisons psychosociales de maintien de la douleur. Imaginons que ces douleurs lombaires soient consécutives à un accident de travail. En se pressant, le patient se fait mal en soulevant un colis. Sous la pression de son employeur, le patient estime avoir fait un « mauvais geste » et il s’est « abîmé un disque » (image radiographique montrant une dégénérescence discale). Depuis, il est très prudent en ne bougeant plus de peur de se refaire mal, en « aggravant l’état de son disque déjà atteint ». Ces informations peuvent être capitales dans la prévention des risques de chronicisation. En effet, les drapeaux jaunes (signes psychosociaux) sont une source potentiel de chronicisation des douleurs, et les appréhender représente une piste incontournable dans la prise en charge des patients. On voit bien dans cet exemple que le risque est grand de ne pas étendre le raisonnement clinique au BPS. La douleur peut devenir persistante, rendant la vie du patient potentiellement compliquée (arrêts à répétition, voire perte d’emploi, déconditionnement, etc.).

L’intégration du patient aux décisions issues du raisonnement BPS Le raisonnement clinique BPS prend nécessairement de la hauteur par rapport à la pathologie, en ne la considérant pas comme l’élément principal. Le patient est pris dans la globalité de sa réalité BPS, et c’est bien lui la vedette du raisonnement clinique. Tout est centré sur le patient et la pathologie devient l’un des éléments du problème. Dans ce cadre, la participation du patient devient fondamentale, et son rôle d’acteur prend tout son sens. L’entretien initial mènera le patient à bien percevoir l’impérieuse nécessité de son engagement. Des outils comme l’entretien motivationnel ou l’analyse fonctionnelle permettront d’impliquer en profondeur le patient dans son évaluation, et surtout de lui faire prendre conscience de son rôle central. C’est ainsi que chaque décision sera prise en commun, afin de renforcer le sentiment d’efficacité personnelle et de responsabilité.

Le changement de paradigme La pathologie devient un élément du problème Comme précisé précédemment, dans une approche BPS de la plainte douloureuse d’un patient, la pathologie n’est plus le centre des préoccupations, mais est un des éléments du problème. Quelle qu’elle soit, elle survient chez un individu qui a déjà une réalité (le présent), un passé (son histoire, ses origines, sa culture, etc.) et un avenir (ses attentes, ses espoirs, ses projets, etc.). Ne prendre en compte que les stricts paramètres de la pathologie en faisant abstraction du reste revient à laisser de côté la plus grande partie de ce qui fait une personne. Pour bon nombre de pathologies, notre influence est limitée, l’histoire naturelle faisant son travail de façon très appropriée. En rééducation, notre action se porte sur l’impact que la pathologie peut avoir, d’un point de vue BPS, en limitant autant que faire se peut ses conséquences, et en accompagnant de façon active notre patient dans les différentes phases de la maladie.

Reprenons l’exemple du patient lombalgique. L’histoire de la maladie est ici très favorable et ne rien faire peut constituer une attitude légitime face à ce problème. Cependant, nous constatons que la façon de vivre un tel événement, avec son lot d’inquiétude, d’angoisse, d’incertitude (l’avenir), peut tout à fait contribuer à rendre la douleur et le handicap (le présent) persistants ou récurrents, si notre patient, par ses croyances, son vécu, son comportement face à la douleur (le passé), est « prédisposé » à cela. Le patient dans sa réalité BPS devient le seul objet de la rééducation Partir du patient et de sa réalité BPS en intégrant la pathologie permet de donner un rôle prépondérant et actif au patient. On voit ici l’importance de ne pas focaliser l’attention sur la pathologie au risque de restreindre son autonomie en le rendant spectateur de sa rééducation. Il faut cependant être prudent car il ne faut pas culpabiliser le patient en le rendant responsable de ce qui lui arrive. Si effectivement une surcharge de travail temporaire (comme tailler une haie alors que ces mouvements ne sont pas habituels) peut entraîner un problème tendineux dans une épaule, il serait maladroit et inopportun de rendre le patient coupable de cette situation douloureuse. Si l’on reprend l’image du corps machine, cela reviendrait à lui faire comprendre qu’il a mal lu le mode d’emploi et mal utilisé la machine, d’où la panne. Focaliser l’attention du patient sur la pathologie incite à ignorer le contexte et les circonstances de survenue. Il est possible que le patient ait été fatigué le jour de la taille à cause de sollicitations importantes au travail, et que les jours qui ont suivi se soient mal passés à cause de contrariétés familiales. Il est important par conséquent de bien prendre en compte ces données pour ne pas attribuer exclusivement les douleurs ressenties aux simples faits mécaniques. Bien analyser tous ces facteurs implique nécessairement plus le patient, lui permet de mieux comprendre ce qui lui arrive et donc de mieux s’investir pour favoriser la guérison, modifier des comportements potentiellement dangereux (comme tailler une haie

sans faire de pause) et devenir le plus autonome possible face à sa santé. En matière de prévention, identifier des facteurs comme la fatigue, un sommeil perturbé ou un niveau de stress élevé fait que le patient adapte son comportement (vitesse, intensité, temps de travail) afin de limiter le risque de voir survenir des problèmes. L’expérience du patient devient l’objet de référence du traitement Afin de poursuivre notre changement de paradigme, voyons maintenant comment privilégier la participation de notre patient dans la recherche de solutions aux problèmes qu’il nous soumet. L’abord classique du patient douloureux nous amène à collecter un maximum d’informations sur la douleur de notre patient, au travers de questionnements visant à la préciser (intensité, localisation, rythme, etc.). Si l’objectif est de centrer notre attention sur le patient, il est plus pertinent de le laisser nous montrer ce qu’il est en mesure de réaliser avec son corps. Nous parlerons ici d’approche expérientielle, comme le propose la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT), modèle intégratif de la troisième vague des TCC. En demandant cela au patient, nous entrons pleinement dans le cœur du problème, et ce que le patient nous proposera sera une base indiscutable pour aborder tous les aspects BPS de la douleur, le mouvement étant lui aussi BPS, car il est l’incarnation de la vie. • Le mouvement revêt un caractère physiologique dans sa réalisation (préparation corticale, commande des effecteurs musculaires, réalisation par le travail des muscles et du squelette, retour proprioceptif et ajustement permanent). • Il sollicite des paramètres psychologiques comme l’estime de soi, l’assurance, la peur et l’évitement, les injonctions de notre « intelligence » qui nous incite à réussir parce qu’il le faut (notion de performance), etc. • Il s’intègre dans la dimension sociale, en étant un outil d’intégration sociale en sport, au travail, pendant les loisirs, en famille, etc.

Faire vivre une expérience fonctionnelle au patient peut servir à analyser tous ces aspects et engage le patient. Vivre une expérience reste toujours plus pertinent que des mots ou des évaluations chiffrées. Il reste néanmoins important de fixer un état temporaire au moyen de bilans validés, pour pouvoir objectiver la progression et valider notre travail (celui du patient et du thérapeute). Le patient endosse et assume pleinement le rôle d’acteur de sa santé « Acteur de sa santé », voilà une expression qui mérite bien quelques précisions. Être acteur ne se résume pas à être observant ; il s’agit de bien autre chose et, au final, le terme n’est pas très heureux. Il peut y être préféré celui de scénariste, car il incarne mieux le rôle proactif qu’il faut laisser au patient, notamment dans ses choix de vie. Demander cela à un patient, c’est lui demander de prendre ses responsabilités de manière éclairée. Pour cela, il doit avoir en main toutes les cartes nécessaires pour faire un choix éclairé et en assumer pleinement les conséquences. Nous sommes très loin du patient qui donne tout pouvoir à son thérapeute pour le guérir ou le soulager. Le patient devient scénariste de sa vie si le thérapeute prend un rôle d’accompagnateur et accepte les choix de son patient. Le thérapeute se doit d’être au service des projets du patient, pour peu que ces derniers soient à la fois réalisables et compatibles avec l’état du patient. C’est là que l’expertise du thérapeute doit pouvoir intervenir pour aider le patient dans ses choix. Une très bonne connaissance du patient, de sa vie, de son vécu de ses croyances, s’avère ici indispensable pour bien réussir tout cela. Pour résumer, ce changement de paradigme demande certainement autant de travail au thérapeute qu’au patient. Entre autres raisons, notre culture professionnelle biomédicale reste une barrière difficile à franchir pour accéder à ce nouveau modèle, mais ce travail est véritablement indispensable pour réussir à accompagner les patients dans leur démarche de soin.

Une prise en charge pluriprofessionnelle

possible Bien entendu, cette prise en charge peut nécessiter l’intervention d’une équipe pluriprofessionnelle, surtout en cas de comorbidités avérées et documentées. Les patients douloureux complexes traînent souvent derrière eux un lourd passé qu’il est parfois encombrant d’accueillir tout seul. De plus, bien souvent, la pratique d’une activité physique adaptée est un très bon relais pour poursuivre l’action entamée au cabinet et démédicaliser la prise en charge.

Objectifs, attentes du patient et TCC Rediscuter des attentes du traitement sous un angle neuf, BPS Nous avons vu précédemment les attentes des patients, orientées vers la réparation et un retour à l’état initial. En matière de douleur, les attentes sont souvent une disparition totale et un retour à l’état précédent, sans séquelle de préférence. Au travers du modèle BPS, les attentes vis-à-vis de la douleur seront revisitées et renégociées à la lumière de ce que la douleur représente, à savoir une expérience désagréable visant à induire un comportement de protection. L’idée n’est donc plus de faire disparaître la douleur, mais de faire en sorte que le système nerveux en produise moins en travaillant entre autres sur le comportement. La douleur ne représentant pas une jauge du niveau lésionnel, on ne peut pas se contenter de penser que la diminution de la douleur correspond à une guérison de la lésion, même si effectivement cela est perçu comme tel dans de nombreuses situations. Bien souvent, en clinique, on constate que la pose d’une prothèse de genou ou de hanche suite à une arthrose importante ne fait que partiellement disparaître la douleur, malgré le « remplacement » de l’articulation supposée en être à l’origine. Il en va de même pour les chirurgies rachidiennes. On voit donc bien que le niveau de douleur ressenti ne

peut pas à lui seul être pris comme une donnée fiable pour la guérison, et qu’il ne représente que la production du cerveau à un instant T, dans un contexte donné. Afin de délimiter des objectifs thérapeutiques centrés sur le vécu du patient, il est possible d’utiliser ce qu’on appelle l’échelle fonctionnelle spécifique du patient (Patient Spectific Functional Scale [PSFS]). Cet outil consiste à demander au patient de décrire de 3 à 5 activités perturbées par sa douleur. Il est attendu que le patient décrive ses activités spécifiques comme, dans l’exemple du patient lombalgique, un problème pour sortir son enfant du lit le matin. Une fois l’activité définie de façon spécifique, le patient cote sa capacité de faire de 0, totalement incapable, à 10, parfaitement capable [2]. Les objectifs du patient peuvent aussi être de l’ordre de la réassurance et celui-ci peut bénéficier d’une éducation à la douleur, qui partira de son expérience et de ses connaissances et sera ainsi la plus personnalisée et adaptée possible. Il est bien évident que, compte tenu de ces améliorations espérées, le niveau de douleur ressenti peut diminuer, mais au-delà de cette amélioration en termes d’intensité, c’est véritablement l’impact que la douleur a sur le patient qui s’améliorera. Il n’est pas rare d’entendre nos patients dire qu’ils vont mieux, même si la douleur est toujours présente. L’amélioration de la qualité de vie (qui peut être évaluée par exemple avec l’outil SF-36 [3]) est souvent plus pertinente en matière de résultat obtenu ou d’attente du patient qu’une diminution de l’intensité de la douleur.

Accepter que tout évolue et que rien ne sera pareil (mais pas forcément pire) Une très belle vidéo proposée par Tamar Pincus1 nous montre à quel point la douleur impacte la vie des patients, et combien il est important de prendre en compte le fait que la vie continue, mais différemment quand on est confronté à la douleur persistante. Accepter une perspective où il n’y a pas de retour à un état antérieur, mais une évolution inexorable, peut parfois être

déstabilisant et anxiogène. Nous pensons ici aux attentes irréalistes des patients qui pensent que tout rentrera dans l’ordre, une fois la lésion « réparée et guérie ». Rappelons que les événements de la vie (pour être simple) se produisent toujours chez quelqu’un qui a un vécu, une histoire, une éducation, des croyances, etc. Ces événements interfèrent avec cette histoire pour former une nouvelle histoire, différente. Cette addition ne produit pas nécessairement quelque chose de pire ; tout dépend de la personne et du contexte. On peut tout à fait imaginer qu’un séjour à l’hôpital à la suite d’un accident qui laissera de lourdes séquelles physiques puisse avoir été l’occasion de rencontres ou d’une prise de conscience qui rendront la vie ultérieure plus épanouissante et de meilleure qualité, malgré un lourd handicap physique. Cette acceptation nécessite de la part du patient une certaine capacité d’adaptation au changement lui permettant d’envisager quelque chose de nouveau, sans nécessairement savoir quoi. De plus, le patient est amené à prendre conscience qu’il sera en grande partie le scénariste de sa vie future. Tout cela renforce le nécessaire engagement du patient dans son histoire, et la mise en place d’un coping actif qui amènera le patient à faire ses choix de vie. En résumé, cette acceptation est une phase complexe qui nécessite un accompagnement à la fois discret et très pertinent. La difficulté réside dans le fait qu’il faut que le patient prenne conscience que l’acceptation n’est pas synonyme de résignation, mais plus d’un accueil d’une situation pesante et bien sûr non désirée, qui sera le point de départ d’autre chose qui ne ressemblera pas au passé. L’inconnu fait toujours peur, même si en l’occurrence la situation présente est difficile.

Travailler l’ambivalence Comme nous l’avons vu précédemment, le patient est amené à faire des choix et à s’engager. Comme à chaque fois qu’un choix est à faire, une période d’ambivalence peut se présenter. L’ambivalence peut être définie de la façon suivante : « caractère de ce qui présente

conjointement deux valeurs opposées d’un même paramètre ». Elle est nécessaire pour bien peser les éléments pour et contre. On parlera ici de « balance décisionnelle ». Même s’il paraît évident que l’on ne choisit pas volontairement de subir la douleur, il n’en demeure pas moins que beaucoup de stratégies utilisées ne sont pas aidantes à long terme. La prise anarchique de médicaments ou l’évitement expérientiel font partie de ces comportements efficaces à court terme, mais délétères à long terme. En plus, d’une période d’ambivalence, le patient doit passer par d’autres étapes de changement. Ces étapes marquent une progression nécessaire pour évoluer dans ses croyances et ses comportements, afin de favoriser et stimuler l’engagement dans le changement. Nous reverrons ces points en détail plus loin.

Revoir les objectifs en lien avec ses valeurs La troisième vague des TCC nous amène à modifier notre vision sur la douleur. La thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT), dont nous parlerons en détail au chapitre 18, nous invite à nous engager dans nos valeurs afin de sortir de la lutte (contre la douleur en l’occurrence). Ces valeurs qui nous caractérisent et nous construisent peuvent intégrer pleinement nos objectifs. À l’instar des attentes du patient envers le traitement, qui changent nécessairement comme nous l’avons vu, la détermination des objectifs à atteindre, au travers de la rééducation, sera en accord avec les valeurs du patient qui auront été préalablement renseignées. Ainsi, nous favoriserons l’engagement dans ces valeurs en ayant des objectifs à la fois raisonnables et consentis. Les objectifs pourront être déclinés en objectifs à court, à moyen et à long terme. Ainsi, dans un souci de progression, les perspectives du patient seront plus faciles à mettre en place et seront perçues comme plus atteignables, renforçant l’engagement. Quelques précisions sémantiques sont nécessaires pour bien comprendre ces notions. Les valeurs ne sont pas atteignables ; seuls les objectifs le sont. Elles sont plus à concevoir comme une direction

que l’on pourra librement et avec bonheur poursuivre toute sa vie. Si l’on reprend l’exemple du patient lombalgique, on peut déterminer une valeur comme étant « avoir des activités pour le plaisir » et un objectif comme étant « la reprise du vélo » ; ou alors la valeur recherchée serait de « faire partie d’un groupe » et l’objectif de « faire du théâtre » ou d’« entrer dans un club sportif ». Voilà deux valeurs, l’une en relation avec les soins personnels et la santé, l’autre en lien avec les relations sociales.

Valoriser et encourager l’engagement dans ses valeurs Dans le cadre de la prise en charge d’un patient douloureux chronique, toutes les actions réalisées au cours de la rééducation seront dirigées vers ses valeurs. Cette notion est essentielle et fait suite à tout un travail d’acceptation, d’éducation à la douleur et de défusion (notions que nous reprendrons plus loin). Ce travail complexe a deux objectifs majeurs : la flexibilité psychologique – que K. Polk et al. [4] assimilent à une désobéissance face à notre intelligence, à nos pensées automatiques – et l’arrêt de la lutte, qui reste vaine et épuisante. Le rôle du thérapeute est d’accompagner et d’encourager le patient dans cette voie, en lui faisant découvrir les ressources internes ou externes dont le patient dispose, sans nécessairement qu’il en ait conscience. Continuons avec l’exemple du patient lombalgique, et faisons-lui réaliser une tâche comme déplacer un poids dans l’espace. Le préalable à cet exercice peut être de lui avoir fait une éducation personnalisée sur sa douleur. En l’interrogeant, on peut avoir des renseignements sur son ressenti, ses craintes ou sa surprise. Cette expérience vécue par le patient est un très bon point de départ pour lui trouver une ressource interne visant à le rendre autonome, et surtout lui faire prendre conscience de ses capacités, en soulignant et en discutant, si nécessaire, des freins qu’il s’impose.

Travailler en pleine conscience autour et vers des objectifs pleinement consentis et assumés Toute cette démarche et toutes ces mises en situation expérientielles bénéficieront d’une pratique en pleine conscience. La pleine conscience est intimement liée à l’acceptation et à la non-résistance. L’acceptation ne signifie pas être résigné, mais bien accueillir les émotions, les sensations, les pensées sur la douleur sans réagir pour s’en éloigner. Avoir choisi de travailler en direction de ses valeurs favorise ce travail en pleine conscience et vice versa. Nous entrons ici dans une boucle vertueuse en opposition à la lutte qui nous enferme dans un cercle vicieux.

Points à retenir ■ Quel que soit le problème rencontré par votre patient, son abord reste le même, à savoir recueillir les informations contextuelles (connaître l’environnement), apprendre qui est le patient et enfin évaluer les interactions qui l’ont mené à cette situation. ■ La pathologie (pour peu qu’elle ait été identifiée) n’est qu’une partie du problème. Il peut arriver que sa disparition soit concomitante avec la disparition des douleurs, mais les deux événements ne sont pas nécessairement liés ou, du moins, la disparition de la première n’entraîne pas systématiquement la diminution de la deuxième. ■ On peut dire que la douleur est plurielle, tant les facteurs qui contribuent à ce qu’elle soit produite et perçue sont nombreux et très difficilement identifiables isolément. À ce titre, les traitements proposés peuvent cibler les plus évidents de ces facteurs ou s’attacher au phénomène douloureux lui-même sans prétendre chercher à en éliminer une cause présumée. ■ Connaissances, croyances, attentes, objectif, engagement sont

des paramètres à rechercher auprès du patient afin de les intégrer pour adapter au mieux le traitement qui sera conjointement construit, évalué et ajusté autant que nécessaire.

Références [1] Flynn TW, Smith B, Chou R. Appropriate use of diagnostic imaging in low back pain : a reminder that unnecessary imaging may do as much harm as good. J Orthop Sports Phys Ther 2011; 41(11) : 838-46. [2] Stratford P, Gill C, Westaway M, Binkley J. Assessing disability and change on individual patients : a report of a patient specific measure. Physiotherapy Canada 1995; 47(4) : 258-63. [3] Lins L, Carvalho FM. SF-36 total score as a single measure of health-related quality of life : Scoping review. SAGE Open Med 2016 ; 4 : 2050312116671725. [4] Polk K, Schoendorff B, Webster M, Olaz F. Guide la matrice ACT. Louvin-la-Neuve : De Boeck Supérieur ; 2017. 1 Voir https://www.youtube.com/watch?v=YJNl056gFoI.

CHAPITRE 17

Les outils des thérapies cognitives et comportementales R. Bouchenoire

« Il est vain, si l’on plante un chêne, d’espérer s’abriter bientôt sous son feuillage. » Antoine de Saint-Exupéry

PLAN DU CHAPITRE L’évaluation en première intention 141 La mise en place des TCC en kinésithérapie 146 Références 162

Ce chapitre aborde l’évaluation, les axes de traitement et l’intégration des outils de thérapie cognitive et comportementale (TCC) dans la prise en charge des patients souffrant de douleurs persistantes, en kinésithérapie. Le but de ce chapitre est de projeter le lecteur dans l’intégration de ces outils dans la pratique quotidienne.

L’évaluation en première intention La question du champ de compétences

La douleur est une expérience plurifactorielle. La prise en charge d’un patient souffrant de douleur chronique doit pouvoir intégrer un maximum de ces facteurs et les TCC sont un moyen d’y parvenir. Le champ de compétences semble être une question entière, parce que les TCC sont transdisciplinaires, et qu’il est primordial de savoir se limiter aux seules indications liées à la profession de kinésithérapeute. Un patient consultant pour un problème majeur de dépression ou d’anxiété chronique non traité doit pouvoir être redirigé vers un professionnel compétent, à savoir un psychiatre ou un psychologue. Par ailleurs, une pathologie psychiatrique non traitée constitue une contre-indication à une prise en charge en TCC par un kinésithérapeute. Aujourd’hui, plusieurs auteurs recommandent d’intégrer l’évaluation et la prise en charge des facteurs psychologiques et sociaux en séance de kinésithérapie, sous le terme de pratique éclairée par la psychologie (traduction de psychologically-informed practice). Il s’agit d’adopter une perspective et une philosophie différentes, en portant une attention particulière aux obstacles potentiels à la récupération du patient, par une approche cognitivocomportementale (figure 17.1) [1-4]. L’identification de tels obstacles peut se faire à l’aide du système des drapeaux (figure 17.2) [1, 2].

FIGURE 17.1 Cadre conceptuel pour la pratique éclairée par la psychologie. Source : d’après Main CJ, George SZ [2].

FIGURE 17.2 Le système des drapeaux.

L’analyse fonctionnelle comme support de raisonnement clinique La première étape de l’évaluation est l’identification des problèmes rencontrés par le patient. Sa plainte est relative à des situations interprétées par le biais de l’analyse fonctionnelle. L’analyse fonctionnelle permet d’analyser les situations pouvant poser problème. Une seule situation est analysée par analyse fonctionnelle. Il s’agit d’une grille de lecture que le thérapeute utilise afin de comprendre au mieux les interactions présentes lors d’une situation-problème. Il s’agit donc d’une approche qualitative [5]. Une analyse fonctionnelle cherche généralement à identifier une situation déclenchante, ce que ressent le patient, ce qu’il pense, ainsi que l’histoire du problème. La grille SORC Le conditionnement stimulus → réponse.

répondant

obéit

à

la

loi

suivante

:

Le stimulus visuel (nourriture) amène une réponse physiologique de l’organisme (salivation). La grille SORC correspond au conditionnement opérant et fonctionne de la manière suivante : stimulus → organisme → réponse → conséquences. Le chien voit de la nourriture (stimulus) ; il est excité, il a faim, il est joyeux (organisme) ; il salive et donne la patte (réponse), et son maître lui donne sa nourriture (conséquence). Jerry se penche en avant (stimulus, situation déclenchante) ; il sent une tension dans le dos, il appréhende et pense qu’il va avoir mal (organisme) ; il éprouve de la douleur (réponse) ; et il arrête de se pencher et va se reposer (conséquence). Le comportement et la réponse de l’organisme seront renforcés [5]. La grille BASIC IDEA Cette grille a été développée par Lazarus en 1973, puis complétée par Cottraux en 1979 [5]. • Behavior : il s’agit du comportement-problème pour lequel la personne consulte. Par exemple, le patient ne peut plus se pencher en avant à cause de sa douleur. L’idée est d’analyser les facteurs déclencheurs et de maintien de ce comportement. • Affect : il s’agit des émotions qui peuvent participer au comportement-problème ; par exemple la peur. • Sensations : il s’agit des sensations qui accompagnent les émotions lors de cette situation ; par exemple la boule au ventre. • Imagery : il s’agit ici des images que visualise le patient à propos de son propre avenir, de sa propre situation. Par exemple, une personne peut s’imaginer finir en fauteuil roulant lorsqu’elle a une douleur dans le bas du dos. • Cognitions : ce sont les pensées et les croyances du patient. Les pensées automatiques arrivent spontanément lors d’une situation qui pose problème (on ne peut pas les supprimer ou les chasser) ; par exemple : « Je suis nul, je n’arrive même pas

à ramasser un stylo ». Les croyances sont en rapport avec la pathologie, la douleur, la thérapie ou encore les croyances religieuses ; par exemple : « Il n’est pas bon pour le dos de se pencher en avant ! ». • Interpersonal : il s’agit d’explorer les relations du patient avec son entourage, s’il se sent soutenu au quotidien. • Drugs : ce sont les traitements médicamenteux que le patient suit actuellement. Il est possible d’explorer plus largement l’ensemble des substances toxiques (drogues). • Expectations : il s’agit là des attentes du patient par rapport à la thérapie. • Attentes : il s’agit des attentes du thérapeute. L’analyse fonctionnelle BASIC IDEA est complète et cherche à identifier des facteurs principalement synchroniques (relatifs à une situation donnée), mais peut être complétée par une analyse des facteurs historiques de maintien. La grille SECCA La grille SECCA a été développée par Cottraux en 1985 [5]. Elle se compose d’une partie diachronique qui s’intéresse à l’histoire de la personne et l’évolution de son problème. Cette partie questionne : • les données structurales : relatives à la génétique, à la personnalité ; • les facteurs historiques de maintien : les éléments participant au maintien du problème ; • les facteurs initiaux évoqués : les éléments invoqués comme étant à l’origine du problème ; • les événements précipitants le trouble : ce qui a précipité l’apparition du problème ; • les autres problèmes : les traitements antérieurs, autres troubles ou comorbidités. Elle se compose également d’une partie synchronique (figure 17.3)

qui s’intéresse à un moment précis, une situation particulière qui reflète le problème de la personne.

FIGURE 17.3 Grille SECCA synchronique. Source : d’après Cottraux. J [5].

Au sein de cette grille synchronique, l’« anticipation » correspond aux attentes que la personne peut avoir vis-à-vis de la situation et l’« imagerie » aux projections et prédictions sur l’avenir. Ce que la situation signifie pour la personne, en termes de causalité ou de compréhension du problème, correspond à la « signification personnelle », à différencier des « cognitions » qui correspondent au monologue intérieur de la personne. L’analyse fonctionnelle d’un patient nommé Jerry est la suivante

(figure 17.4) : • les données structurales : personne qui se dit stressée ; • facteurs historiques de maintien : manque de sommeil, stress au travail, peur de bouger, pensées catastrophistes, anxiété, attention focalisée sur la douleur ; • les facteurs initiaux évoqués : douleur depuis un soulèvement de charge ; • les événements précipitants le trouble : changement de poste au travail, diminution de l’activité physique ; • les autres problèmes : échec thérapeutique avec plusieurs professionnels de santé.

FIGURE 17.4 Grille SECCA synchronique de Jerry – la course à pied.

L’analyse fonctionnelle aide à comprendre et contextualiser le problème du patient pour établir un plan de traitement adéquat.

Utiliser les questionnaires à bon escient Dans l’évaluation, le thérapeute peut être amené à investiguer les différents facteurs de maintien de la douleur. Le thérapeute cherche à identifier les facteurs cognitifs, émotionnels, comportementaux et sociaux qui participent au maintien de la douleur [6]. Il peut utiliser des questions ouvertes comme les exemples suivants. • « Que savez-vous à propos de votre douleur ? » ; « Selon vous, quelle en est la cause ? ». • « Que ressentez-vous dans les situations difficiles ? ». • « Comment gérez-vous les situations difficiles ? » ; « Que faites-vous pour vous soulager ? ». • « Comment envisagez-vous l’avenir ? » ; « Où est-ce que vous vous voyez dans 5 ans ? » ; « Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus ? ». • « Quels sont les moments auxquels vous faites attention parce qu’ils pourraient provoquer la douleur ? » ; « Quelles activités avez-vous arrêté ou diminué ? » ; « Quelles sont les activités qui vous semblent imprudentes ou dangereuses ? ». • « Comment votre entourage réagit-il ? » ; « Comment les gens comprennent-ils votre situation ? » ; « Quelles sont les conséquences de votre douleur sur votre vie professionnelle et sociale ? ».

Cas clinique Thérapeute : Selon vous, Jerry, quelle est la cause de votre douleur ? Jerry : Eh bien, je pense que c’est à cause de ma hernie en L5-S1 qu’on a trouvé à l’imagerie. Thérapeute : Qu’est-ce qu’on vous a dit à propos de cette imagerie ? Jerry : On ne m’a pas vraiment expliqué ce que c’était, mais je sais

que c’est assez grave et que ça peut me paralyser. Catastrophisme suspecté Thérapeute : Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus à propos de votre douleur ? Jerry : De finir dans un fauteuil roulant, de ne plus pouvoir rien faire. Thérapeute : Et comment est-ce que vous vous imaginez dans les années à venir, disons dans 5 ans ? Jerry : Difficile à dire, mais je dois admettre que je m’imagine au fond du trou, à ne plus bouger de chez moi. Anxiété suspectée Thérapeute : Vous pensez ne plus bouger de chez vous. Est-ce qu’il y a des activités que vous avez arrêtées ? Jerry : Oui, il y en a plusieurs. Thérapeute : De quelles activités s’agit-il ? Jerry : La course à pied, la marche, le vélo, etc. Je ne fais plus aucun sport. Thérapeute : Pourquoi avez-vous cessé ces activités ? Jerry : La course, ça me faisait mal, mais de toute façon je pense que ça n’est pas prudent, ça tasse les disques ! Et je ne suis pas sûr que ce soit bon pour ce que j’ai. Thérapeute : Selon vous, l’activité physique pourrait-elle empirer votre état ? Jerry : Oui, je pense que ça pourrait abîmer mon dos et augmenter ma douleur. Kinésiophobie suspectée Thérapeute : Et lorsque vous êtes obligé de faire certaines activités douloureuses ou qui vous semblent imprudentes, comment faites-vous ? Par exemple, je crois me souvenir que vous continuez de travailler et que ça n’est pas facile, c’est bien ça ?

Jerry : Oui, c’est un euphémisme. C’est un vrai calvaire de rester assis derrière un bureau toute la journée. Alors je fais attention à ce que je fais, à ma position sur ma chaise, pas de mouvement brusque, etc. Je fais gaffe, quoi. Hypervigilance suspectée Thérapeute : Je vois, et comment votre entourage comprend-il votre situation ? Comment réagit-il ? Jerry : Ils me soutiennent, ils sont là pour moi. Thérapeute : Et au travail ? Jerry : C’est un peu plus difficile, parce qu’il y a des contraintes, mais je fais avec. Le thérapeute utilise également des questionnaires explorant : • les facteurs cognitifs comme le catastrophisme (Pain Catastrophizing Scale [7]), la perception de la douleur (Brief Illness Perception Questionnaire [8], Pain Beliefs and Perceptions Inventory [9]), le sentiment d’efficacité personnelle (Pain Self Efficacy Questionnaire [10, 11]), ou la disposition au changement (Pain Stages of Change Questionnaire [12]) ; • les facteurs émotionnels comme la kinésiophobie (Tampa Scale of Kinesiophobia [13]), l’anxiété (State-Trait Anxiety Inventory [14]), la dépression (Hospital Anxiety and Depression [15], Beck Depression Inventory [16]), ou le sentiment d’injustice (Injustice Experience Questionnaire [17]) ; • les facteurs comportementaux comme les stratégies de coping (Coping Strategies Questionnaire [18], Brief COPE Inventory [19]), ou l’évitement comportemental (Fear-Avoidance Beliefs Questionnaire [20]) ; • le fonctionnement physique (Multidimensional Pain Inventory Scale [21], Pain Disability Index [22], Dallas Pain Questionnaire [23], score EIFEL [24]) ; • la qualité de vie (SF-36 [25]).

L’intérêt des questionnaires est de déterminer des axes de travail à partir des items, et de constater l’évolution du patient.

Déterminer les objectifs Une fois les problèmes identifiés, il est temps d’établir des objectifs afin de prendre la bonne direction de traitement avec le patient.

Cas clinique – Suite Thérapeute : Alors qu’est-ce qui vous pose le plus de problème ? Jerry : Comme je vous ai dit, cette douleur m’obsède. J’aimerais qu’elle disparaisse. Thérapeute : Vous aimeriez qu’elle disparaisse… Et qu’est-ce que cela signifierait si elle n’était plus là ? Jerry : Que j’aurai retrouvé une vie normale. Thérapeute : Qu’est-ce que vous feriez alors ? Jerry : Je recommencerais à courir, à faire du vélo, des balades avec ma femme et mes chiens. Et puis, c’est peut-être bête, mais ne serait-ce que m’habiller sans y passer je ne sais combien de temps, descendre les poubelles ou porter les courses. Thérapeute : OK, Jerry, j’ai l’impression que vous vous sentez bien handicapé par cette douleur… Jerry : Oui, totalement. Thérapeute : D’accord, et que diriez-vous de faire de ces problèmes des objectifs ? Jerry : D’accord ! Thérapeute : Super. Si je résume, vous voudriez pouvoir courir, faire du vélo et des balades, pouvoir vous habiller sans perdre trop de temps, descendre les poubelles et porter les courses, c’est bien ça ? Est-ce que vous diriez que ça correspond à vos objectifs ? Jerry : Oui. Enfin, descendre les poubelles et porter les courses ça m’arrive de le faire, mais c’est dur. Donc ce ne sont pas vraiment des objectifs. Le thérapeute écrit les objectifs fixés.

Thérapeute : OK. Est-ce que vous voyez d’autres choses à rajouter sur la liste ? Jerry : Non, comme ça je n’en vois pas d’autres. Thérapeute : Super, nous avons donc cette liste d’objectifs : ■ course à pied ; ■ vélo ; ■ balades ; ■ s’habiller plus rapidement. Si vous en voyez d’autres, n’hésitez pas à les rajouter. Si les objectifs sont trop vagues, ou que le patient n’a pas d’idée, le thérapeute va questionner le patient pour préciser ses objectifs [26] et peut, pour ce faire, s’aider de l’outil SMART : • Spécifique : une action, une activité ; • Mesurable : quantifiable (vitesse, durée, fréquence, etc.) ; • Atteignable : les étapes à franchir pour y arriver ; • Réaliste : les contraintes organisationnelles, matérielles, personnelles ; • Temporel : une date fixe [27].

La mise en place des TCC en kinésithérapie De l’alliance thérapeutique à la décision partagée : l’attitude du praticien TCC Pour Bioy : « L’alliance thérapeutique se définit comme la collaboration mutuelle, un partenariat, entre le patient et le thérapeute dans le but d’accomplir les objectifs fixés » [28]. Le lien qui noue le thérapeute TCC et le patient s’appelle le « rapport collaboratif ». Le thérapeute et le patient forment une équipe et travaillent ensemble pour résoudre les problèmes. Le patient est

acteur et le thérapeute joue le rôle de guide. Cette alliance de travail correspond au lien qui unit patient et thérapeute, à l’accord sur les buts, et à l’accord sur les tâches à effectuer durant la thérapie pour atteindre les buts fixés [29]. Le lien qui unit le patient et le thérapeute repose sur une attitude du praticien qui doit être : • empathique : percevoir et restituer au patient ce qu’il comprend de sa réalité en tenant compte des retours qu’il fait lors de l’entretien ; • authentique : se sentir à l’aise avec le patient et les réalités qu’il vit, avec ses propres pensées et émotions ; • chaleureux : être amical, bienveillant, accueillant. Il repose également sur le statut et les compétences du thérapeute. Les résistances et les réactances peuvent empêcher, affaiblir ou rompre le rapport collaboratif. Les résistances correspondent aux facteurs psychosociaux et comportementaux de la personne (patient ou thérapeute). La réactance est un mécanisme de défense psychologique qui se manifeste par une opposition marquée de la personne (patient ou thérapeute), qui tente de maintenir sa liberté d’action lorsqu’elle la croit menacée. Si le thérapeute veut convaincre le patient, ou s’oppose à ses choix et ses croyances, celui-ci peut devenir réactant à l’égard de la thérapie [29]. Les 4R Le thérapeute peut, lors de l’entretien, utiliser différents outils de communication dans le but d’établir le rapport collaboratif et de guider le patient dans l’explication de son problème afin d’identifier ensemble des cibles thérapeutiques envisageables. Ces outils comprennent quatre actions de communication, les 4R [29] : • recontextualiser : se remettre dans le contexte du problème pour préciser et spécifier la situation-problème, pour comprendre les conditions de survenue (le contexte) ; • reformuler : c’est la méthode du perroquet. Il s’agit de répéter

les dires du patient, de les préciser ; • résumer : il s’agit de montrer au patient qu’on a saisi son problème en synthétisant ce qu’il vient de raconter ou le contenu de la séance précédente ; • renforcer : il s’agit d’approuver et de valoriser les comportements qui vont dans le sens de la thérapie (abandon des comportements et facteurs de maintien, mise en place de comportements qui engagent du changement). Le petit vélo Le patient et le thérapeute ont une relation thérapeutique qui se fonde sur le rapport collaboratif. Il est possible de modéliser la relation thérapeutique selon le modèle du petit vélo (figure 17.5). Le thérapeute joue deux rôles dans cette relation : • il doit entretenir la relation ; • il doit savoir [29] : – analyser le patient (langage non verbal, croyances, attitudes, attentes, résistances, etc.) ; – s’analyser lui-même (ses propres émotions, ses propres résistances, ses propres attentes et croyances, etc.) ; – analyser également la relation qui les lie (symétrique et complémentaire).

FIGURE 17.5 Le petit vélo.

Le questionnement socratique Le questionnement socratique est une technique d’entretien qui tend à semer le doute dans les croyances d’un patient. Par des questions principalement ouvertes, l’interlocuteur examine un problème et ses conséquences. Le dialogue socratique permet de focaliser l’attention du patient et du thérapeute sur le problème à traiter et d’en questionner le fonctionnement et les conséquences. Ce type d’entretien peut être utilisé pour préciser les termes, évaluer le niveau de croyance, évaluer les conséquences, discuter l’évidence ou chercher des alternatives. Le dialogue socratique cherche à faire émerger une conscience réflexive chez la personne [29]. L’alliance thérapeutique constitue une plus-value au traitement non négligeable lorsqu’on s’intéresse à l’intensité de la douleur du patient, à ses limitations d’activités [30-32] ou à son adhésion au traitement [33]. Cela dit, le nombre d’études et la qualité méthodologique impliquent la nécessité de réaliser de futures recherches [34].

La motivation à l’origine du comportement (entretien motivationnel) La motivation fait référence à la probabilité qu’un individu s’engage dans un changement de stratégie et y adhère. Elle est dynamique et implique une disposition (se sentir prêt), une confiance (se sentir capable), une envie (avoir envie) de changer. Prochaska et al. introduisent les stades du changement [35] adaptés par Kerns et al. [36] qui sont les suivants : • la précontemplation : la personne n’a pas conscience de l’intérêt à changer ; • la contemplation : la personne sait qu’il serait intéressant de changer mais n’est pas motivée ; • la préparation à l’action : la personne prépare son plan d’action pour changer ; • l’action : la personne est en train de changer ; • le maintien : la personne maintient son changement ; • la rechute : la personne retourne à son ancien comportement. L’entretien motivationnel est défini par Miller et Rollnick comme une « méthode de communication, directive et centrée sur la personne à aider, utilisée pour augmenter la motivation intrinsèque au changement, par l’exploration et la résolution de l’ambivalence » [37], et plus récemment comme « une forme de guidage collaboratif, centré sur la personne, visant à susciter et à renforcer la motivation pour le changement » [38]. Afin d’amener le patient à progresser graduellement vers un changement durable d’attitude envers la douleur, il est préférable que le praticien respecte les résistances du patient, son cheminement et cible les interventions thérapeutiques à mettre en place, en interrogeant, en informant et en écoutant le patient [37]. La motivation doit être intrinsèque et c’est au patient de résoudre les possibles ambivalences entre désir de changement et confort des habitudes. Le thérapeute accompagne le patient dans le processus de changement et doit résister au réflexe correcteur [37, 39].

L’objectif de l’entretien motivationnel est d’« accroître leur disposition [des patients] au changement pour les amener à gérer de façon plus responsable et efficacement leurs douleurs » [36]. En phase de précontemplation, l’idée est de faire percevoir son fonctionnement au patient et faire apparaître un doute quant aux conséquences que le comportement peut générer. Le thérapeute n’est pas l’expert du problème ; il établit le dialogue, cultive l’alliance thérapeutique et aide le patient à percevoir la situation de manière positive. Il facilite la reconnaissance du problème et tente de responsabiliser le patient de sorte qu’il se considère comme acteur de sa prise en charge. Les questions sont ouvertes. Il peut être intéressant de noter ce que le patient sait du comportement ou de lui demander d’entrevoir les conséquences et les coûts d’un changement. Il est déconseillé d’essayer de le convaincre de changer (sa motivation doit être intrinsèque) [37, 39]. En phase de contemplation, l’idée est d’explorer l’ambivalence, à savoir la dissonance cognitive. Il s’agit de faire émerger la motivation en faisant percevoir l’écart entre la situation actuelle du patient et son idéal. Pour ce faire, le thérapeute et le patient collaborent pour lister les avantages et les inconvénients du changement et du statu quo (balance décisionnelle) [37, 39]. En phase de préparation à l’action, le thérapeute et le patient explorent plusieurs alternatives et établissent un plan d’action. Le patient choisit librement les stratégies qu’il souhaite mettre en place, en vue du passage à l’action. Le thérapeute aide son patient à synthétiser sa démarche en listant ses buts, les moyens nécessaires pour y arriver et les marqueurs de réussite ou d’échec, afin d’aboutir à un plan précis. L’action est la phase dans laquelle le thérapeute accompagne, soutient et renforce les actions positives et les progrès du patient [37, 39]. L’utilité des techniques d’entretien motivationnel ne semble plus être à prouver. Les données récentes montrent qu’il s’agit d’un outil efficace pour améliorer l’observance au traitement, le sentiment d’efficacité personnelle ainsi que pour diminuer les limitations d’activité [40, 41].

Apprendre à faire face : le coping au cœur de la thérapie Lazarus et Folkman définissent le coping comme « l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux, constamment changeants, [déployés] pour gérer des exigences spécifiques internes et/ou externes qui sont évaluées [par la personne] comme consommant ou excédant ses ressources » [42]. Le coping correspond à l’ensemble des stratégies que la personne met en place pour faire face à une situation estimée comme étant stressante [42]. Discuter et expérimenter des stratégies de coping peut amener la personne à utiliser des stratégies efficaces en termes d’intensité de la douleur, de handicap physique et d’ajustement psychosocial, et à abandonner celles qui participent au maintien de la problématique. Pour cela, il est nécessaire d’évaluer quelles stratégies la personne utilise, et leur efficacité sur le court et long terme, en fonction du contexte [42]. De nombreux questionnaires existent. Le Brief COPE Inventory et le Coping Strategies Questionnaire sont parmi les questionnaires les plus utilisés. Le Coping Strategies Questionnaire définit plusieurs types de coping [18] : • six sous-échelles font référence à des stratégies cognitives : – la diversion de l’attention : penser à des choses qui permettent de détourner l’attention de la douleur ; – la réinterprétation des sensations : essayer de percevoir les sensations autrement que comme douloureuses ; – l’auto-encouragement : se dire que l’on peut faire face à la douleur quelle que soit son intensité ; – l’ignorance de la douleur : nier que la douleur nous fait souffrir et nous affecte ; – la prière et l’espoir : se dire qu’il faut espérer et prier pour que la douleur s’atténue un jour ; – la dramatisation : s’inquiéter et ne s’attacher qu’aux aspects négatifs de la douleur.

• les deux dernières sous-échelles correspondent à des stratégies comportementales : – l’augmentation du niveau d’activités : essayer d’oublier la douleur en accomplissant diverses activités ; – l’augmentation des comportements douloureux : adopter des comportements douloureux permettant de diminuer les sensations douloureuses. Le Brief COPE Inventory, quant à lui, définit les catégories suivantes [19] : • l’expression, l’évacuation, le déchargement de ses frustrations ; • le support émotionnel ; • le support instrumental ; • la religion ; • le coping actif (activité physique, méditation, etc.) ; • la planification ; • le désengagement comportemental (ne plus tenter de faire face) ; • la distraction ; • l’utilisation de substances ; • le déni (évitement des pensées, de la réalité) ; • les auto-accusations, les reproches ; • l’humour ; • la réinterprétation positive ; • l’acceptation. L’efficacité d’une stratégie dépendant de facteurs dispositionnels et situationnels, le patient utilise une stratégie en fonction de l’intensité de la douleur, du contexte et de l’efficacité des moyens mis en place par le passé [43]. Le patient décidera de réutiliser une stratégie en fonction de son impact à court terme et à long terme sur la douleur. L’implication de l’efficacité passée permet ainsi d’envisager de moduler les stratégies de coping par une modulation de la représentation que l’individu a de sa condition actuelle [43]. Ainsi, l’estime de soi ou la satisfaction que la personne peut

ressentir après avoir accompli une tâche difficile, au détriment d’une douleur plus intense, peut amener des effets bénéfiques sur le moyen et le long terme. A contrario, l’évitement d’une activité ou le repos, bien qu’ils ne soient pas profitables sur le long terme, peuvent amener du soulagement à la personne sur une courte durée. D’ailleurs, certains auteurs émettent des critiques à l’égard de la dichotomie existante au sein des classifications du coping. En effet, pour ces auteurs, il est difficile de définir un « bon » coping et un « mauvais » coping. Ils estiment que les stratégies et leur efficacité dépendent de la personne, de sa personnalité, de sa disposition et de la situation à laquelle elle est confrontée. Aussi, l’évaluation du coping étant rétrospective, elle est sujette à de nombreux biais [44]. Ainsi, ces auteurs proposent une évaluation du coping au quotidien afin d’analyser l’utilisation et l’efficacité des stratégies et de comprendre les caractéristiques prédictives ou protectrices de ces dernières. Les travaux de ces auteurs relatent que l’utilisation de TCC semble modifier les stratégies de coping quotidiennes des patients souffrant de douleurs temporomandibulaires et améliore significativement la douleur relatée au quotidien [45]. Cependant, si l’efficacité d’une stratégie de coping est dépendante de nombreux facteurs, on retrouve dans la littérature des stratégies corrélées à l’amélioration de la fonction et à l’intensité de la douleur [45-49], tandis que d’autres sont associées à un niveau plus élevé de douleur, d’incapacité, de dépression ou d’anxiété [50-54]. Le débat concernant l’efficacité des différentes stratégies d’adaptation reste encore ouvert, bien que les conclusions de la majeure partie des études convergent vers une utilisation accrue des stratégies actives, d’assimilation, centrées sur le problème et adaptatives, et l’abandon des stratégies passives, centrées sur l’émotion, d’accommodation et maladaptatives (tableau 17.1). Tableau 17.1 L’efficacité des stratégies de coping. Problème-

L’utilisation du coping problème-centré est associée à de

centré Émotioncentré

meilleurs résultats en termes de douleur, de fonctionnement physique et psychologique à l’inverse du coping émotion-centré [58].

Actif Passif

Si l’utilisation du coping passif est corrélée à une douleur, une incapacité, une anxiété et une dépression plus élevées, les résultats concernant le coping actif sont plus mitigés. Certains travaux montrent une corrélation entre l’utilisation du coping actif et une douleur, une incapacité, une anxiété et une dépression moins élevées ; tandis que d’autres échouent à obtenir des conclusions similaires [61-64].

Attentionnel Évitant

L’utilisation du coping évitant est généralement associée à des niveaux plus élevés de douleur, d’incapacité, d’anxiété et de dépression [68, 69]. Cependant, certaines stratégies impliquant un focus externe sont associées à de bons résultats, comme la distraction de l’attention [55, 70], le biofeedback [71] ou encore l’imagerie mentale [57]. Il manque encore des preuves pour affirmer que l’utilisation du coping confrontant (ou attentionnel) est associée à de meilleurs fonctionnements physiques et psychologiques. À l’heure actuelle, les thérapies à base de mindfulness (pleine conscience) ou d’acceptation ne sont pas meilleures que celles impliquant un focus externe [56, 65, 72-74].

Assimilatif Accommodatif

Le coping d’accommodation est associé à un niveau plus élevé de douleur, tandis que le coping d’assimilation est associé à des niveaux moindres de douleur et d’incapacité fonctionnelle [58].

Adaptatif Maladaptatif

Affirmer qu’une stratégie est fonctionnelle ou non dépend de facteurs personnels, dispositionnels (en fonction des conditions propres à la personne à un instant t, par exemple la fatigue, les émotions, etc.) et situationnels.

Cependant, si l’efficacité d’une stratégie n’est pas la même pour chaque personne, les études montrent que certaines stratégies sont corrélées à de meilleurs résultats. Cet ensemble de stratégies (activité physique, pacing, c’est-à-dire dosage de l’activité, distraction, mindfulness, etc.) est appelé « coping adaptatif » tandis que les stratégies corrélées à des résultats délétères (catastrophisme, désengagement comportemental, venting, c’est-à-dire évacuation de ses frustrations) sont regroupées sous le terme de « coping maladaptatif » [67, 75-77].

Pour comprendre Pour Jerry, existe-t-il un risque à faire face d’une manière plutôt qu’une autre ? Il est probable que l’évitement des activités puisse soulager momentanément Jerry de sa douleur, mais sur le long terme, cela risque d’engager Jerry dans un cercle vicieux qui augmentera sa perception douloureuse et réduira son champ d’action. A contrario, la pratique d’une activité physique adaptée à Jerry peut être un bon moyen de se distraire, de soulager la douleur et de regagner confiance en ses capacités. L’encadré 17.1 propose de repérer la stratégie utilisée par le thérapeute. Encadré 17.1

Saurez-vous retrouver la stratégie utilisée ? Thérapeute : Jerry, quelle est la dernière situation qui vous a posé problème ? Jerry : Je dirais que c’était le week-end dernier. Je voulais réparer ma tondeuse, c’était horrible. Thérapeute : Quelles sensations avez-vous ressenti ? Jerry : Beaucoup de douleur !

Thérapeute : D’accord, et quelles émotions ? Jerry : Je dirais de la frustration et de la colère. Thérapeute : D’accord, et qu’avez-vous fait alors ? Jerry : J’ai essayé de changer de position jusqu’à en trouver une plus confortable. 1. Quel coping Jerry utilise-t-il ? Thérapeute : Super, et qu’est-ce que ça a donné ? Jerry : J’ai pu finir le travail commencé mais j’avais super mal après. Thérapeute : OK, et qu’avez-vous fait pour gérer cette douleur ? Jerry : Je suis allé bouquiner un peu pour me changer les idées. 2. Quel coping Jerry utilise-t-il ? Thérapeute : Est-ce que ça a fonctionné ? Jerry : Un temps, mais le soir ça a empiré et là c’était vraiment compliqué à gérer. Thérapeute : Comment avez-vous fait face ? Jerry : Je ne sais pas si on peut dire que j’ai fait face… J’ai essayé d’en parler à ma femme, mais on a fini par se disputer parce qu’apparemment, je ne fais que de me plaindre… Thérapeute : D’accord, seriez-vous d’accord pour me dire ce que vous aviez dit à votre femme ? Jerry : Oui, je lui ai dit que ça devenait vraiment dur pour moi, que j’avais peur pour la suite et que si ça continuait j’allais finir dans un fauteuil roulant. Thérapeute : Et qu’a-t-elle répondu ? Jerry : Elle a essayé de me trouver des solutions mais ça ne me convenait pas, alors on a fini par se disputer. 3. Quel coping Jerry utilise-t-il ? Réponses 1. Coping centré sur la résolution du problème. 2. Coping d’évitement, stratégie de distraction. 3. Coping centré sur l’émotion à exprimer, dramatisation de la situation.

Les stratégies corrélées à l’amélioration de la douleur et de la fonction sont les suivantes : • l’activité physique et la gestion des activités [45-47, 55, 56] ; • la résolution des problèmes [57-59] et la réinterprétation des sensations [59-61] ; • les stratégies attentionnelles (distraction, exposition intéroceptive, méditation, acceptation) [62-69]. La manière dont l’individu perçoit l’efficacité des stratégies qu’il utilise pour faire face semble aussi avoir son importance. La notion d’efficacité personnelle a été introduite par Bandura. Elle correspond « aux jugements que les personnes font à propos de leur capacité à organiser et réaliser des ensembles d’actions requises pour atteindre des types de performances attendus » [70]. Des travaux de recherche montrent que les patients souffrant de douleur chronique se sentent moins capables de gérer leur douleur, de la contrôler et de la diminuer que les sujets sains. D’ailleurs, l’efficacité personnelle semble corrélée à la qualité de vie [71]. Certains travaux semblent montrer que l’efficacité d’une stratégie dépendrait beaucoup du sentiment d’efficacité personnelle. Par exemple, une personne confiante dans sa capacité à gérer sa douleur, même en utilisant des stratégies passives ou maladaptatives, aurait tendance à expérimenter moins d’anxiété vis-à-vis de sa douleur [50]. Les stratégies sont-elles maintenues dans le temps ? Pas sûr. Une étude de 2009 montre que les patients ne semblent pas maintenir ces comportements sur le long terme. Paradoxalement, la douleur, l’incapacité et la détresse émotionnelle ne changent pas [72]. Une citation de Mark Twain illustre ces notions : « Le courage est la résistance à la peur, la maîtrise de la peur, pas l’absence de peur ». Le coping semble être une cible thérapeutique de choix, en ceci qu’il focalise la prise en charge sur une autonomisation et une gestion de la douleur au quotidien. Mais alors, concrètement, que peut-on faire lorsqu’une personne a des difficultés à gérer sa douleur ?

À retenir ■ Le coping possède de nombreuses classifications. ■ Certains questionnaires évaluent les stratégies utilisées. ■ Le coping actif, les stratégies attentionnelles ou la résolution des problèmes sont corrélés à de meilleurs résultats. ■ Les coping passif et accommodatif sont corrélés à de mauvais résultats.

Comprendre pour donner du sens, douter pour ne pas ruminer (psychoéducation, restructuration cognitive) La manière dont un individu se représente sa douleur joue un rôle important dans l’élaboration et le choix des stratégies qu’il utilisera pour y faire face. Cette représentation est façonnée par les informations disponibles en tant que connaissance collective, les informations données par son environnement social (proches, équipe médicale) et par son expérience actuelle et passée de la douleur, incluant l’efficacité des moyens précédemment utilisés pour gérer les symptômes. Ces informations permettent à la personne d’élaborer des théories qui donnent un sens propre à la douleur [73]. Certaines de ces informations peuvent être rassurantes ; d’autres peuvent favoriser les inquiétudes, les questionnements, les ruminations et revêtir un fort impact affectif aux conséquences néfastes [74]. Des pensées catastrophisantes, ou certaines croyances concernant la douleur peuvent par exemple entretenir la souffrance d’un individu et le limiter dans ses activités [75, 76].

Cas clinique – Suite Jerry pense qu’il est très mauvais de se pencher en avant, car cela abîme les disques. Un médecin le lui avait dit il y a quelques années. Du coup, Jerry évite de se pencher en avant lorsque cela est

possible (comportement d’évitement). Jerry pense aussi que courir tasse les disques et les vertèbres, car son collègue de travail, marathonien, a beaucoup d’arthrose et des lésions discales de la colonne vertébrale. Désormais, Jerry évite de courir. En revanche, Jerry croit que boire du jus de raisin est très bon pour les disques ; il l’a vu sur un blog. Depuis, il boit son jus tous les matins. Ainsi, discuter des connaissances que la personne pense avoir de sa condition et l’amener à remettre en question ses cognitions peut s’avérer utile. En prenant le temps d’évaluer et de questionner ses cognitions, la personne peut mettre en perspective ses propres biais et réinterpréter le sens ou les composantes affectives de l’expérience afin d’en moduler les réponses [26, 77].

Cas clinique – Suite Jerry a peur de se pencher en avant, il pense qu’il va abîmer son dos. Thérapeute : Pourquoi pensez-vous que cela va vous abîmer le dos ? Jerry : Parce qu’un médecin me l’a dit il y a quelques années, lorsque je me suis fait mal au dos. Thérapeute : Comment savez-vous que ce qu’il vous a dit est vrai ? Jerry : Je ne le sais pas, mais il a fait des études. Thérapeute : Que vous a-t-il prescrit à l’époque ? Jerry : Il m’a donné des antalgiques pendant des mois. Thérapeute : D’accord, et que vous a-t-il conseillé à l’époque ? Jerry : D’attendre une ou deux semaines, sans travailler, en me disant que ça passerait avec un peu de repos. Thérapeute : Et qu’est-ce que cela a donné ? Jerry : Rien, ça ne s’est jamais calmé depuis. Thérapeute : Comment expliquez-vous cela ?

Jerry : Hum… Il a pu se tromper, peut-être qu’il a pris mon cas à la légère. Thérapeute : S’il a pu se tromper sur ce point, pourquoi pensezvous qu’il n’aurait pas pu se tromper sur d’autres choses, comme se pencher en avant, par exemple ? Jerry a peur de se pencher en avant, il pense qu’il va ressentir de la douleur. Thérapeute : Pourquoi pensez-vous que ce mouvement va vous faire mal ? Jerry : Parce qu’un médecin m’a dit qu’on risquait de se faire mal en se penchant en avant. Thérapeute : Vous êtes-vous déjà fait mal en vous penchant en avant ? Jerry : Non, car je ne me penche plus en avant depuis que j’ai mal au dos. Thérapeute : Et avant cela ? Jerry : Non, je n’avais pas mal. Thérapeute : Si vous n’avez jamais eu mal au dos en vous penchant en avant, consentiriez-vous à essayer de nouveau ? Jerry : Oui, je pourrais réessayer. Les programmes d’éducation du patient (psychoéducation, éducation aux neurosciences de la douleur, éducation thérapeutique du patient) permettent de questionner les connaissances a priori, d’apporter des informations nouvelles aux patients et de moduler leur représentation du problème auquel ils sont confrontés [78, 79]. Des travaux montrent l’intérêt d’un programme d’éducation des patients dans un contexte de douleur aiguë ou subaiguë et des faisceaux de preuves indiquent l’intérêt de tels programmes dans un contexte de douleur persistante [80]. Ils montrent en effet une tendance à utiliser plus de stratégies de coping actif et à abandonner les stratégies de coping passif, ainsi que des effets sur la douleur. Aussi, l’éducation seule ne semble pas suffire pour diminuer la douleur [81-83].

Le travail de restructuration cognitive consiste à travailler autour des pensées automatiques et des croyances de la personne afin d’en limiter les conséquences négatives sur les symptômes et les comportements [26]. La première étape est d’identifier une pensée dysfonctionnelle sur laquelle le thérapeute et le patient vont pouvoir travailler de concert [26, 77], ce qui peut se faire à l’aide de la flèche descendante. La flèche descendante est un outil que le thérapeute met en place. Il questionne la pensée du patient et ses effets. Le patient évoque alors une nouvelle pensée qui sera elle-même questionnée, et ainsi de suite [26].

Pour comprendre Reconnaître les pensées automatiques par la flèche descendante Jerry : La dernière fois, ma femme m’a demandé de descendre les poubelles, et j’ai eu tellement mal que j’ai dû les laisser dans l’escalier. C’était horrible. Thérapeute : Qu’avez-vous ressenti comme émotions ? Jerry : J’étais terriblement frustré, en colère, triste aussi… Thérapeute : Et qu’est-ce que vous vous êtes dit à ce moment-là ? Jerry : Je me suis dit « Je ne suis même pas capable de descendre les poubelles » Surgénéralisation : le fait d’avoir échoué une fois ne veut pas dire que je n’en suis pas capable. Thérapeute : Croyez-vous que cela soit vrai ? Jerry : Bien sûr, c’est un fait ! Thérapeute : D’accord, et pourquoi cela vous ennuie ? Jerry : Parce que je suis nul, un bon à rien… Étiquetage, surgénéralisation : ne pas réussir à descendre les poubelles ne fait pas de moi un bon à rien, j’ai d’autres qualités. Thérapeute : Si cela est vrai, qu’est-ce que cela a pour

conséquences ? Jerry : Je me suis disputé avec ma femme à cause de ça. Elle va me quitter et je vais finir tout seul. Lecture des pensées, dramatisation : une dispute pour les poubelles ne signifie pas qu’elle pense à me quitter et encore moins que je finirai seul. D’ailleurs, cela se passe très bien le reste du temps avec ma femme. Thérapeute : Et qu’est-ce que cela signifierait pour vous ? Jerry : Je serais bon pour me foutre en l’air. Personnalisation, dramatisation : même si ma femme me quittait, cela ne ferait pas de moi quelqu’un dénué de valeur.

Le thérapeute peut estimer utile, à cette étape, de remettre en perspective le point de départ (pensée première) et le point d’arrivée (pensée finale) pour savoir si cela correspond à ce que pense le patient.

Cas clinique – Suite Thérapeute : Donc, si je résume, le fait de ne pas réussir à descendre les poubelles pourrait avoir pour conséquence que votre femme vous quitte, vous laissant ainsi seul ? Jerry : Oui, tout à fait. Si le patient approuve, le thérapeute peut entamer un travail de restructuration cognitive.

Cas clinique – Suite Jerry : Ah, non, quand même pas ! S’il est en désaccord, cela engendre une distanciation par rapport à la pensée initiale, et permet à l’individu de comprendre les

ruminations auxquelles il peut être sujet [77, 84]. Les pensées peuvent être perçues comme des faits et peuvent amener une personne à abandonner l’action entreprise, ou à adopter un comportement qui occasionnera probablement plus de douleur [26, 85]. Le thérapeute commence alors par évaluer les pensées.

Cas clinique – Suite Thérapeute : Donc vous me dites que, lorsque vous avez dû descendre les poubelles, et que ça vous a fait mal, vous vous êtes dit que vous n’en étiez pas capable, c’est bien ça ? Jerry : C’est bien ça. Thérapeute : À quel point étiez-vous convaincu de cela ? Si on devait l’établir avec un pourcentage, quel serait-il ? Jerry : Oh, beaucoup ! Au moins 80 %. Thérapeute : Et à quel point le croyez-vous maintenant ? Jerry : Je dirais la même chose. Thérapeute : Et vous me parliez de frustration, de colère, de tristesse. À quel point ressentiez-vous cela ? Jerry : Oh, je dirais que j’étais à 90 % frustré, peut-être, 70 % en colère et 40 % triste. Thérapeute : Et comment vous sentez-vous maintenant ? Jerry : Un peu mieux. Je suis toujours frustré, je dirais à 50 %, et un peu en colère, autour des 20 %. Thérapeute : OK. Comment expliquez-vous que vos émotions aient diminué ? Jerry : Je suis passé à autre chose. Je me suis occupé à faire d’autres choses, même si ça revient de temps en temps. Au sein de la restructuration cognitive, on retrouve l’utilisation du questionnement socratique pour aider le thérapeute et le patient à : • examiner la validité de la pensée ; • explorer la possibilité d’autres interprétations et points de vue ; • dédramatiser la situation problématique ;

• reconnaître l’impact de la croyance en cette pensée ; • mettre de la distance avec la pensée ; • avancer dans la résolution du problème [26]. Le thérapeute peut poser des questions concernant les points suivants. 1. Les « pour » et les « contre » (preuves et avantages/inconvénients) [26, 77] • Qu’est-ce qui vous fait croire que cela est vrai ? • Quelles sont les éléments qui appuient cette idée ? • Quels sont les éléments qui s’y opposent ? • Quels sont les avantages à penser cela ? • Quels sont les inconvénients à penser cela ?

Cas clinique – Suite Jerry : Je ne suis même pas capable de descendre les poubelles… Thérapeute : Qu’est-ce qui vous fait penser que vous n’êtes pas capable de les descendre ? Jerry : Quand j’ai eu à les descendre la dernière fois, j’ai eu tellement mal que je les ai laissées dans l’escalier. Thérapeute : D’accord. Et quels éléments pourraient vous faire penser le contraire, que vous êtes capable de les descendre ? Jerry : Euh… Je ne sais pas. J’ai toujours réussi à les descendre auparavant. Thérapeute : Y a-t-il d’autres éléments qui pourraient vous montrer que vous en êtes capable ? Jerry : J’arrive à porter des choses et j’arrive à descendre les escaliers. Thérapeute : D’accord. Donc, d’un côté, la dernière fois vous n’y êtes pas parvenu, mais d’un autre côté, vous y arriviez avant et vous êtes capable de porter des choses et de descendre les escaliers, c’est ça ? Jerry : C’est ça.

2. Les alternatives [26, 77] • Quelles autres manières y a-t-il d’envisager la situation ? • Y a-t-il une autre explication possible, ou un autre point de vue ?

Cas clinique – Suite Thérapeute : Reprenons la situation. Pourrait-il y avoir une autre explication au fait que vous n’ayez pas réussi à descendre vos poubelles ? Jerry : Je ne sais pas… Peut-être que j’avais un peu forcé avant, ou que je n’avais pas bien dormi. 3. La dédramatisation [26] • Quelle est la pire chose qui pourrait arriver ? Et si cela arrivait, comment feriez-vous face ? • Quelle est la meilleure chose qui pourrait arriver ? • Quelle est la conséquence la plus réaliste ? Que se passerait-il alors ?

Cas clinique – Suite Thérapeute : Et dans cette situation, qu’est-ce qui pourrait arriver de pire ? Jerry : Le pire serait que je n’arrive plus jamais à faire aucune des tâches ménagères de la maison. Thérapeute : Comment feriez-vous face si c’était le cas ? Jerry : Je serais anéanti, mais ma femme pourrait le faire à ma place. Thérapeute : OK, donc vous pourriez compter sur votre femme ? Jerry : Oui, bien sûr. Thérapeute : Maintenant que nous avons imaginé le pire, qu’estce qui pourrait être le meilleur ? Jerry : Que cette situation soit une exception due à une mauvaise nuit. Thérapeute : Et qu’est-ce qui est, selon vous, le plus probable ? Jerry : Il est probable que ma capacité à descendre les poubelles

dépende de mes activités, de mon sommeil ou encore d’autres choses que je contrôle plus ou moins. 4. L’impact de la pensée automatique [26] • Que pourrait-il arriver si vous continuez d’avoir cette même pensée ? • Que pourrait-il arriver si vous changiez votre pensée ?

Cas clinique – Suite Thérapeute : Très bien. Qu’est-ce que cette pensée, de ne plus être capable de descendre les poubelles, occasionne chez vous ? Jerry : Alors, ça me frustre beaucoup, ça me met en colère et ça me rend triste aussi. Thérapeute : Et qu’est-ce qui se passerait si vous aviez une pensée différente, comme celles que nous venons d’évoquer ? Jerry : Je me sentirais mieux, assurément. 5. La décentration [26, 77] • Qu’est-ce que vous diriez à un ami ou un membre de votre famille s’il était dans la même situation ?

Cas clinique – Suite Thérapeute : Maintenant, imaginons que votre femme soit confrontée à cette situation, et qu’elle vous dise « Je ne suis même pas capable de descendre les poubelles ». Que lui diriez-vous ? Jerry : Je lui dirais que ça n’est pas grave, que c’est sûrement exceptionnel et dû à une mauvaise journée, et aussi qu’elle peut compter sur moi si elle en ressent le besoin. Thérapeute : Est-ce que cela s’applique à vous également ? Jerry : Hum… Oui, je pense. 6. La résolution du problème [26, 77] • Que devriez-vous faire ?

Cas clinique – Suite Thérapeute : Et à votre avis, que pensez-vous devoir faire à propos à cette situation ? Jerry : Hum… Je pense que je devrais réessayer. En fin de séance, le thérapeute évalue le résultat de la restructuration cognitive [26].

Cas clinique – Suite Thérapeute : Très bien ! Et maintenant, à quel point pensez-vous que vous n’êtes pas capable de descendre les poubelles, si nous devions à nouveau utiliser un pourcentage ? Jerry : Ah, je dirais bien 20 % désormais. Thérapeute : Et à quel point vous sentez-vous frustré et en colère ? Jerry : Je ne le suis plus. Thérapeute : Super, et qu’aimeriez-vous faire si cette situation arrive à nouveau ? Jerry : J’aimerais me dire que ça n’est qu’une pensée qui ne représente pas forcément la réalité. Les jeux de rôles sont régulièrement utilisés en restructuration cognitive afin d’identifier les positions négatives usuellement prises par le patient [26, 77].

Cas clinique – Suite Les jeux de rôles Jerry travaille assis toute la journée et il souffre beaucoup. Il ne peut pas prendre autant de pauses qu’il souhaiterait car, selon lui, son patron ne l’autoriserait pas. Thérapeute : Que diriez-vous d’essayer un jeu de rôles ? Je serais votre patron et vous seriez vous.

Jerry : C’est d’accord. Thérapeute : OK. Pour recontextualiser, vous allez voir votre patron et vous lui demandez d’aménager vos horaires pour avoir des pauses plus régulières. Je vous propose de prêter une attention particulière à ce qui se passe dans votre tête. Jerry : OK. Bonjour monsieur. Avez-vous une minute ? J’aimerais vous parler d’un problème. Thérapeute : Bien sûr, dites-moi ? Jerry : Alors voilà, vous savez que j’ai vraiment mal au dos en ce moment. Le problème, c’est que rester assis toute la journée me détruit le dos. Serait-il possible d’aménager mes horaires pour avoir des pauses un peu plus fréquentes ? Thérapeute : Qu’entendez-vous par des pauses plus régulières ? Jerry : Je ne sais pas, peut-être qu’au lieu d’avoir une pause de 20 minutes par demi-journée et une pause d’une heure entre midi et deux, je pourrais en avoir deux de 10 minutes par demi-journée ? Thérapeute : Super, fin du jeu de rôles. Comment vous êtes-vous senti ? Jerry : Assez angoissé à l’idée de demander ! Et en demandant, je me suis dit qu’il n’accepterait jamais un tel arrangement. Thérapeute : Seriez-vous d’accord pour qu’on inverse les rôles ? Jerry : OK, donc je joue mon patron et vous jouez mon rôle. Thérapeute : Je reprends. Je ne sais pas, peut-être qu’au lieu d’avoir une pause de 20 minutes par demi-journée et une pause d’une heure entre midi et deux, je pourrais en avoir deux de 10 minutes par demi-journée ? Jerry : Ouh, ça risque d’être compliqué niveau logistique ! Thérapeute : Est-ce qu’il y a quelque chose qu’on pourrait faire pour que je sois plus à l’aise ? Jerry : Hum. Je pense que oui. Que diriez-vous de prendre une pause de 5 minutes et une autre de 15 minutes par demi-journée ? Thérapeute : Ça m’irait parfaitement ! Merci beaucoup ! OK, fin du jeu de rôles. Comment vous êtes-vous senti et qu’avez-vous pensé ? Jerry : Honnêtement, j’ai pu me mettre à la place de mon patron

et je me sens confiant pour aller lui demander à présent. Exposer le patient à une expérience peut aussi être une bonne stratégie pour tester la validité de sa pensée. L’avantage réside dans le fait que le patient est directement impliqué et peut lui-même réévaluer sa pensée [26, 77].

Cas clinique – Suite Jerry pensait que son patron n’autoriserait pas de pauses. Désormais, il pense qu’il pourrait négocier avec lui des pauses plus courtes mais plus régulières. Thérapeute : Quand pensez-vous pouvoir demander cela à votre patron ? Jerry : Je pense que je pourrais le faire cette semaine. Thérapeute : Comment vous y prendrez-vous ? Jerry : J’irai le voir dans son bureau et lui exposerai mon problème. Et je verrai alors s’il accepte ou non. En séance de kinésithérapie, les expériences peuvent être nombreuses et amener le patient à chercher une explication alternative de ce qu’il est en train de vivre. Par exemple, proposer au patient des situations pouvant l’amener à expérimenter l’hypoalgésie induite par l’exercice, ou par la distraction de l’attention peut être un moyen de remettre en question une pensée à laquelle il croit fermement.

Cas clinique – Suite Thérapeute : Alors, selon vous, une douleur signifie qu’il y a forcément quelque chose de grave qui se passe dans votre corps, c’est bien ça ? Jerry : Oui, c’est ça. Thérapeute : Et cela vous amène à penser que si vous bougez avec votre douleur, vous pouvez aggraver le problème ? Jerry ; C’est ça.

Thérapeute : Qu’est-ce qui vous fait penser que cela est vrai ? Jerry : Je ne sais pas, c’est ce que je crois. Thérapeute : Avez-vous des exemples qui contrediraient votre conviction ? Jerry : Euh… Je ne vois pas. Thérapeute : Accepteriez-vous de faire une petite expérience ? Jerry : Bien sûr. Le thérapeute pince Jerry. Jerry : Aïe, ça fait mal ! Thérapeute : Oui, ça fait mal. Est-ce qu’il se passe quelque chose de grave dans votre corps ? Jerry : Je suppose que non. Comme quand on a mal de tête finalement ! L’acquisition de compétences est un objectif de la restructuration cognitive. C’est pourquoi le patient peut repartir avec des outils à mettre en application au quotidien, comme les colonnes de Beck. Les colonnes de Beck (thought record) sont un outil permettant au patient d’analyser les situations qui lui posent problème, au regard des pensées et des émotions qui les accompagnent. Cet outil amène une remise en question et une distanciation par rapport aux pensées, en sorte de comprendre que les pensées ne sont pas des faits [26]. L’exercice du patient ne consiste pas à supprimer sa pensée, mais à en évaluer sa pertinence – en se questionnant sur le niveau de croyance qu’il lui accorde (en pourcentage) – et à envisager des pensées alternatives qui aboutiraient à un comportement différent [26]. La forme classique des colonnes de Beck est de cinq colonnes (tableau 17.2), mais d’autres formes existent, avec des colonnes sur les sensations physiques, sur les comportements et les conséquences (tableau 17.3). Tableau 17.2

Les colonnes de Beck (avec l’exemple du cas clinique de Jerry). Situation

Émotions

Pensées automatiques

Réponses rationnelles

Résultat

Description du Quelles Quelles pensées Quelles Réévaluez problème émotions ou automatiques pensées l’intensité des associé à la quels ont rationnelles émotions douleur ou sentiments accompagné pouvezressenties et à l’émotion avez-vous ces vous le degré de ressenti ? émotions ? envisager à croyances Évaluez Évaluez le la place ? dans les l’intensité degré de Évaluez le pensées en croyance en degré de automatiques pourcentage cette pensée croyance en en cette pensée pourcentage en pourcentage Descendre les poubelles occasionne de grosses douleurs

Colère 50 %, frustration 80 %

« Je ne suis « Je peux faire Pensée même pas des pauses automatique : capable de et des gestes 1) 10 % 2) 0 % descendre les qui me Colère 0 % poubelles » soulagent, Frustration 80 % ; « si pour y 20 % cela continue arriver. je vais finir en Finir dans fauteuil un fauteuil roulant » et descendre 40 % les poubelles n’ont aucun lien » 90 %

Tableau 17.3 Deux colonnes optionnelles pour les colonnes de Beck (avec l’exemple

Deux colonnes optionnelles pour les colonnes de Beck (avec l’exemple du cas clinique de Jerry). Sensations physiques

Comportements ou conséquences

Qu’avez-vous senti dans votre corps ?

Comment avez-vous réagi, quel comportement avez-vous adopté ? Quelles ont été les conséquences sur vous, votre entourage, votre environnement ?

Douleur Tension, crispation

Arrêt de l’activité, poubelles jetées et laissées dans l’escalier Dispute avec le conjoint, isolement

De la même manière qu’avec les émotions et les pensées, il est possible d’évaluer l’intensité des émotions et le degré de confiance dans l’efficacité des comportements adoptés. La restructuration cognitive a été montrée efficace pour diminuer l’intensité de la douleur, la tolérance à la douleur ainsi que pour la détresse émotionnelle et l’anxiété du patient [86, 87].

À retenir ■ Les cognitions (croyances, pensées) influencent la perception et l’expérience de la douleur. ■ Les programmes d’éducation sont une option thérapeutique efficace. ■ La restructuration cognitive est une option thérapeutique efficace.

Entrevoir les solutions, résoudre les préoccupations (résolution des problèmes) À chaque problème sa solution ou, plutôt, ses solutions. Lorsqu’une personne est confrontée à un problème, il est possible qu’elle ne parvienne pas à entrevoir de solution. Or, des aptitudes moins

efficaces quant à la capacité à résoudre des problèmes sont associées à un niveau plus élevé d’anxiété et de détresse émotionnelle [57]. La résolution d’un problème est le processus par lequel un individu tente d’identifier ou de découvrir des moyens adaptatifs pour faire face à la grande variété et à la gamme de problèmes stressants, aigus et chroniques, rencontrés au cours de la vie quotidienne. Plus précisément, elle reflète le processus par lequel la personne dirige ses efforts d’adaptation pour modifier la nature problématique d’une situation donnée, et ses réactions à ce problème [77]. Il a été montré qu’un entraînement à la résolution des problèmes amenait de meilleurs résultats sur la douleur, l’incapacité, le catastrophisme, la détresse émotionnelle et l’anxiété comparativement à un traitement contrôle [57-59].

Cas clinique – Suite Jerry doit descendre les poubelles. Mais lorsqu’il descend plus de trois marches d’escalier en portant le sac, il est pris d’une violente douleur dans le bas du dos qui le pousse à lâcher le sac. Jerry est énervé par la situation, il rumine, il s’agace avant de laisser les poubelles en plan et de demander à sa femme de le faire pour lui. Quelles solutions Jerry a-t-il entrevu pour réussir à descendre les poubelles ? Aucune. Quelles solutions aurait-il pu trouver ? Traîner le sac sur le sol, demander de l’aide pour le faire à deux, y aller marche par marche, essayer de se détendre, etc. La résolution des problèmes se fait en plusieurs étapes [26, 57] : • identifier le problème ; • envisager les différentes solutions ; • évaluer les alternatives et prendre une décision (choisir) ; • agir ; • vérifier si la solution fonctionne. La résolution des problèmes permet l’émergence de solutions alternatives et le passage d’un focus émotion-centré à problème-

centré. Cela peut avoir pour conséquence de changer l’interprétation de la situation et les émotions qui en découlent. La résolution des problèmes vise à transformer une menace en défi [57, 77].

Avancer pas à pas, sans brûler les étapes (exposition graduelle, pacing, gestion d’agenda) L’un des objectifs initiaux les plus importants pour les patients qui souffrent de douleur persistante est la planification des activités. Les patients peuvent éprouver des difficultés à réaliser certaines activités qui leur procuraient pourtant un sentiment d’accomplissement, ou des émotions agréables auparavant. En parallèle, ils peuvent s’engager dans des comportements qui entretiennent la douleur. Les aider à devenir plus actifs est une part essentielle du traitement non seulement pour améliorer leur humeur, mais aussi pour renforcer leur sentiment d’auto-efficacité [26].

Cas clinique – Suite Thérapeute : Quelles sont les choses que vous faisiez auparavant qui ont changé depuis que vous avez mal ? Jerry : Ah, pour ma part, j’adorais courir, c’était une vraie passion. Thérapeute : Qu’est-ce qui vous empêche de courir ? Jerry : J’ai vraiment trop mal au dos quand je le fais. Thérapeute : Je vois, et comment vous y prendriez-vous pour refaire cette activité ? Jerry : Hum… J’ai du mal à imaginer cela possible, mais j’imagine qu’il faudrait que je n’aie plus de douleur pour ça. Thérapeute : Comment vous sentiriez-vous si vous pouviez courir à nouveau ? Jerry : Assurément mieux, j’y prendrais beaucoup de plaisir ! Thérapeute : Et comment vous sentez-vous à l’idée de recourir ? Jerry : Nerveux, je dois admettre. J’ai peur d’avoir mal. Thérapeute : Et si vous aviez toujours mal lorsque vous courez,

comment feriez-vous ? Jerry : Je pense qu’il faudrait que je trouve un moyen de rendre la course supportable, par exemple en commençant doucement, sur des courtes distances. Thérapeute : Super, est-ce que ça vous dirait d’essayer ? Jerry : Oui, je veux bien. Le thérapeute invite Jerry à courir sur un tapis de course jusqu’à ce que la douleur ou la fatigue ne l’oblige plus à s’arrêter. Thérapeute : Comment vous êtes-vous senti ? Jerry : Honnêtement, plutôt bien ! Je suis content d’avoir senti à nouveau ces sensations. Thérapeute : Super ! Quelle est la probabilité que vous testiez à nouveau la course plusieurs fois par semaine à l’avenir ? Jerry : Oh, je vais tester cette semaine, en gardant la vitesse et la distance d’aujourd’hui. Je pense pouvoir y aller deux fois. Pour amener le patient à planifier ses activités, l’utilisation d’un agenda (activity chart) peut être nécessaire pour suivre les activités quotidiennes du patient. Le thérapeute et le patient peuvent prévoir ensemble des activités, et le patient peut remplir l’agenda avec les activités qu’il a effectuées durant la semaine [26] (tableau 17.4). Tableau 17.4 Exemple d’agenda. Lundi 6 à 7 heures

Réveil Douche Habillage

7 à 8 heures

Petitdéjeuner Boulangerie

Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi



Course à 10 heures pied

Cas clinique – Suite Thérapeute : Souhaiteriez-vous qu’on planifie ces sorties sur votre agenda ? Jerry : Oui, pourquoi pas. Thérapeute : Alors, je vois que vous vous levez à 8 heures, puis vous prenez votre petit-déjeuner. Quand estimez-vous pouvoir courir ? Jerry observe l’agenda. Jerry : Je pense que je pourrais y aller lundi et jeudi, à 9 heures 30. Comment le patient peut-il gérer ses activités ? Le pacing de l’activité (ou activité graduelle) est une stratégie mise en œuvre pour modifier le niveau d’activité des patients afin d’atteindre un ou plusieurs buts. Il s’appuie sur deux courants qui rendent la littérature en matière de pacing assez inconstante. D’un côté, l’approche de « conservation d’énergie » théorise qu’il est préférable d’alterner l’activité et le repos pour diminuer le niveau de douleur et de fatigue et ainsi réaliser des activités qui importent à la personne. Dans cette approche, les activités sont subordonnées aux symptômes. De l’autre, l’approche « opérante » théorise que tout comportement est maintenu par « renforcement », comme une douleur moindre ou une productivité plus importante. Dans cette approche, les activités sont subordonnées aux objectifs plutôt qu’aux symptômes [88, 89]. L’existence de ces deux conceptions et des différentes définitions du pacing contribue au manque de clarté dans sa nature et son impact [88]. Cependant, à l’heure actuelle, l’approche de « conservation d’énergie » n’a pas fait preuve de son efficacité et est parfois associée à une douleur et une incapacité plus importantes, tandis que l’approche opérante montre des résultats prometteurs [90-92].

Alors que l’évitement des activités et la persistance excessive des activités sont associés à de mauvais résultats en termes de douleur et d’incapacité, l’approche fondée sur la persistance de l’activité subordonnée à la tâche et non aux symptômes semble corrélée à de meilleurs résultats [63]. Le pacing s’adresse aux personnes sujettes à la sous-activité, qui se reposent lorsque la douleur est plus vive. Ce repos est renforcé du fait qu’il peut entraîner une diminution immédiate de la douleur, mais peut contribuer à l’apparition plus rapide de la douleur à l’activité. Le pacing s’adresse également aux personnes sujettes à la suractivité, qui restent constamment actives et semblent incapables d’arrêter leurs activités. Ce niveau d’activité est renforcé du fait qu’il peut entraîner une diminution immédiate de la douleur ressentie (par exemple par la distraction ou l’hypoalgésie induite par l’exercice), mais peut contribuer à des augmentations marquées de la douleur en différé (par exemple par une contrainte physique excessive). Selon Fordyce, les deux types de réponses peuvent entraîner des problèmes importants, notamment une fréquence accrue de poussées de douleur [88]. L’approche opérante propose de définir un niveau de base dans l’activité et d’augmenter progressivement. Ce niveau de base correspond à une sollicitation sans irritation. Les personnes qui souffrent à l’activité (par exemple en sous-activité) sont invitées à pratiquer l’activité jusqu’à ce que la douleur, la faiblesse ou la fatigue les arrête, tandis que celles qui souffrent de douleurs différées (par exemple en suractivité) sont invitées à identifier quels niveaux d’activité sont, ou ne sont pas, suivis de poussées douloureuses [88, 89] (figure 17.6).

FIGURE 17.6 Représentation du dosage de l’activité.

Une fois qu’un niveau d’activité de base est identifié, des quotas sont définis pour atteindre l’objectif final. Les quotas suivants sont progressivement augmentés jusqu’à l’objectif final, à mesure que la réponse occasionnée par l’activité est proche de celle souhaitée. Les patients sont priés de respecter leurs quotas, quel que soit le niveau de douleur. Les quotas peuvent être fondés sur le temps (repos en fonction du temps) ou sur les objectifs (repos selon les buts). Chaque fois qu’un quota est atteint, un renforcement positif est fourni. Enfin, la portée des activités est élargie pour maintenir les gains de traitement à la fois dans le temps et dans d’autres contextes environnementaux [88, 89].

Cas clinique – Suite Jerry reste toujours actif car cela le soulage. Le soir, il est très douloureux et ne peut plus rien faire. Jerry est en suractivité. Avec des conseils, il identifie le niveau d’activité qui n’est pas suivi de poussées douloureuses et augmente progressivement. Ainsi, le soir, il est moins épuisé et moins douloureux.

Que fait-on si le patient a peur d’avoir mal pendant l’activité ? Il peut arriver que proposer au patient un dosage de l’activité ne suffise pas, parce qu’il a peur de bouger. On retrouve cette notion dans l’exposition graduelle. Vlaeyen et al. ont théorisé le modèle de peur-évitement (figure 17.7) en conseillant l’exposition in vivo comme traitement. Ce modèle est largement répandu dans la littérature et fait prévaloir l’importance de l’évitement comportemental dans la douleur. Ainsi, la présence de pensées catastrophistes (dues à des informations menaçantes véhiculées par des professionnels de santé, l’entourage, la société en général, etc.) conduit la personne à éviter certaines activités par le biais de la peur et de l’hypervigilance [93].

FIGURE 17.7 Modèle de peur-évitement. Source : D’après Vlaeyen JWS, Linton SJ. Fear-avoidance and its consequences in chronic musculoskeletal pain : a state of the art. Pain 2000 ; 85(3) : 317_32.

L’exposition s’effectue en général graduellement. Elle consiste à confronter la personne à une activité évitée. Le but de l’exposition est de rassurer la personne quant à sa capacité à réaliser l’activité sans douleur, en modifiant certains paramètres (vitesse, amplitude, charge, dose, fréquence, durée, posture, etc.) ou en introduisant des sensations contraires à la douleur (relaxation) [2]. Le patient est encouragé à formuler des objectifs spécifiques en termes d’activités fréquemment

évitées, telles que la reprise des tâches ménagères, les loisirs ou le travail. Une hiérarchie des mouvements et des activités suscitant la peur est réalisée, par exemple à l’aide de la série de photographies d’activités quotidiennes (Photograph Series of Daily Activities [PHODA]). Cette hiérarchie est ensuite utilisée pour exposer le patient aux situations suscitant la peur. L’exposition challenge les croyances et attentes du patient. Le thérapeute peut mettre les peurs du patient à l’épreuve, notamment par des questions comme : « Comment évalueriez-vous la probabilité que vous subissiez une crise de douleur intense après cette activité ? », répétées à chaque exposition. Si la note a diminué de manière significative, le thérapeute passe à l’activité suivante [94]. Il s’agit d’un désapprentissage en s’exposant pas à pas à l’activité évitée. L’exposition graduelle a montré de bons résultats en termes de douleur, d’incapacité, de peur liée à la douleur, et semble supporter l’hypothèse selon laquelle le sens qu’une personne attache à un stimulus menaçant influence son expérience douloureuse [95]. Cependant, les études qui comparent l’activité graduelle (pacing opérant) à l’exposition graduelle ne montrent pas de supériorité de l’une ou l’autre [95, 96]. Cela peut s’expliquer par la proximité de ces deux approches et leurs similitudes, toutes deux s’adressant pour partie aux personnes sujettes au manque ou à l’évitement des activités : l’exposition graduelle peut être vue comme une forme de pacing, impliquant néanmoins des notions de crainte et d’évitement, que le pacing en général n’implique pas nécessairement. En conclusion, la planification et un dosage progressif dans les activités semblent montrer des résultats prometteurs sur la gestion de la douleur et des activités.

Cas clinique – Suite Il y a quelque temps, le chien de Jerry s’est fait mal à la patte. Dans un premier temps, il a recroquevillé sa patte et évité d’appuyer dessus. Progressivement, il a remis en charge son membre jusqu’à pouvoir recourir un peu plus tard. Cela a fait réfléchir Jerry. Il ne se penche plus en avant, car ce

mouvement lui fait peur depuis qu’il s’est fait mal en le réalisant. Il évite systématiquement ce mouvement. Avec des conseils, il réussit à se pencher et amener ses mains jusqu’aux genoux. Petit à petit et à force de le faire chaque jour, il parvient en quelques semaines à toucher le sol avec ses doigts.

À retenir ■ Aider le patient à planifier ses activités peut l’aider à devenir plus actif. ■ Le pacing correspond à une régulation du niveau d’activité. ■ Le pacing de l’activité peut s’avérer efficace, mais les définitions rendent les résultats nébuleux. ■ L’exposition graduelle est une option efficace pour remettre le patient aux activités évitées.

Prendre du temps pour soi (distraction, relaxation et mindfulness) Les outils développés dans la troisième vague des TCC attachent plus d’importance aux émotions ; c’est pourquoi on l’appelle parfois la vague émotionnelle. Ces outils développent des notions comme l’acceptation, l’engagement, la défusion, et travaillent l’attention. L’attention semble être un modulateur de douleur important [97]. La distraction La distraction est un travail de l’attention. Il s’agit d’une stratégie active d’évitement de la douleur. Les résultats relatifs à la distraction sont encourageants : des travaux montrent que la distraction est corrélée à une douleur moins intense et à moins d’incapacité liée à la douleur. Pratiquer des activités qui focalisent l’attention sur une modalité externe à la douleur (un mouvement, un effort cognitif, du plaisir ressenti lors de l’activité, une musique, etc.) semble être une

stratégie efficace [48, 49]. La relaxation ou l’imagerie mentale peuvent être envisagées comme des distractions du fait de leur focalisation sur des modalités externes à la douleur. Aussi, l’attention peut être un vecteur d’acceptation de ses sensations physiques. La méditation de pleine conscience invite le méditant à accueillir ses sensations en s’efforçant de les observer sans jugement, avec curiosité et bienveillance. Focaliser sur ses sensations semble aussi être une stratégie efficace [64, 65, 67-69]. À l’heure actuelle, aucune de ces deux approches n’a montré de supériorité par rapport à l’autre [48, 62, 65]. La relaxation La relaxation est un terme vague, désignant à la fois l’état de relaxation et la méthode de relaxation. Les techniques de relaxation sont multiples et d’inspirations diverses. Elles visent globalement à une réduction du stress et ont pour objectif de générer une diminution du niveau d’alerte, de la fréquence cardiaque et respiratoire, et de la tension artérielle [98]. Les techniques peuvent utiliser [98] : • la respiration ; • la détente musculaire : – le training autogène de J.H. Schultz ; – la relaxation progressive d’E. Jacobson ; – la relaxation différentielle. • la concentration sur les perceptions sensorielles (Vittoz) ; • la focalisation sur la pensée, l’imagerie, la visualisation (méditation, etc.) ; • l’hypnose ; • le biofeedback (cohérence cardiaque). La réponse de relaxation a été décrite par Herbert Benson en 1974 et correspond à un état marqué par une diminution du niveau d’alerte, de la fréquence cardiaque et respiratoire, de la tension artérielle. Il en résulte une sensation de détente et de bien-être. C’est un phénomène physiologique normal et nécessaire qui ramène le corps à son

métabolisme normal après un gros effort ou un événement stressant. Cet état s’oppose aux réponses physiologiques et psychosomatiques constatées dans des états de tension et d’anxiété et lors de réponses négatives au stress [98]. Il est généralement conseillé de pratiquer la relaxation dans un lieu calme, aéré, pas trop grand, ni trop clair et chauffé, de ne pas porter de vêtements serrés, de la pratiquer dans différentes positions (assis, à genoux, allongé) afin d’être à l’aise. Le thérapeute parle d’une voix douce et monocorde. Les mots sont choisis (ni trop insignifiants, ni trop parlants), les phrases courtes. Il doit proposer et non imposer. L’intervenant reste statique [98]. La mindfulness Historiquement, la pleine conscience est un enseignement bouddhiste, le « Sati », qui correspond à la conscience, l’attention et au souvenir, et peut se comprendre par la phrase : « Souvenez-vous, soyez conscients ». La mindfulness apparaît dans les années 1980 avec Jon Kabat-Zinn qui l’introduit aux États-Unis sous la forme d’un programme de réduction du stress, la mindfulness-based stress reduction (MBSR). Ce programme se compose de 8 séances hebdomadaires d’environ 2 heures 30 en groupe et d’une pratique autonome de 45 min/j, 6 j/semaine. La pratique est formelle (body scan, méditation assise, mouvements en pleine conscience) et informelle (activités quotidiennes) [97, 99, 100]. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, Zindel Segal, John Teasdale et Mark Williams développent la mindfulness-based cognitive therapy (MBCT) sur les bases de la MBSR en y intégrant des éléments de TCC pour prévenir les rechutes dépressives. Le programme est sensiblement similaire à la MBSR, mais axe le travail sur les pensées et la décentration (« les pensées ne sont pas des faits ») [97, 99, 100]. Kabat-Zinn définit la pleine conscience comme « la conscience qui émerge en accordant une attention délibérée au moment présent, et sans porter de jugement au déroulement de l’expérience d’un moment à l’autre » [97].

Bishop et al. [97, 101] ont essayé de donner une définition plus précise de la pleine conscience. Pour eux, il s’agit de « l’autorégulation de l’attention afin qu’elle soit maintenue sur l’expérience immédiate, permettant ainsi une reconnaissance accrue des événements mentaux dans le moment présent » et « adoptant une orientation particulière vers l’expérience qui est caractérisée par la curiosité, l’ouverture et l’acceptation ». Pour les auteurs, la pleine conscience est une habileté métacognitive, correspondant à l’autorégulation de l’attention qui implique : • l’attention soutenue ; • la flexibilité ; • l’inhibition des processus secondaires. La pleine conscience est également une attitude, l’orientation vers l’expérience, caractérisée par : • l’ouverture d’esprit ; • la curiosité ; • l’acceptation. Il n’existe pas de consensus, mais les auteurs [97, 99, 100] sont généralement d’accord sur le fait que la pleine conscience : • implique une attention soutenue sur le moment présent ; • requiert un effort délibéré (du moins lorsque le pratiquant n’est pas encore expérimenté) ; • est facilitée par le recours à des exercices de méditation et l’utilisation d’un point d’ancrage (par exemple observation de la respiration) ; • peut être cultivée par d’autres voies que la méditation (par exemple pratique intégrée dans la vie quotidienne) ; • concerne l’observation des processus sensoriels, affectifs et cognitifs et/ou des stimuli externes ; • ne constitue pas une modification de l’expérience, mais une observation de l’expérience telle qu’elle se déroule ;

• intègre une dimension d’acceptation ou de non-jugement de cette expérience. La pratique de la mindfulness semble corrélée à une augmentation des activités cérébrales dans des régions préposées à la régulation émotionnelle et au contrôle attentionnel [102-104], à une diminution des symptômes dépressifs et anxieux, à une diminution de la douleur et des facteurs de maintien, à une amélioration des capacités fonctionnelles et de la qualité de vie. Cependant, les études sont de faible qualité et nécessitent une méthodologie plus rigoureuse [65, 6769].

À retenir ■ Distraction, relaxation et mindfulness sont des stratégies relatives à l’attention. ■ Les stratégies attentionnelles sont des options efficaces.

Points à retenir ■ Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) nécessitent un raisonnement clinique rigoureux. ■ Le thérapeute œuvre pour optimiser le rapport collaboratif et la motivation du patient. ■ L’échange autour des croyances et des pensées automatiques peut amener l’individu à comprendre autrement son problème. ■ L’utilisation de stratégies d’adaptation efficaces permet au patient de mieux faire face. ■ Le dosage d’une activité physique et les techniques fondées sur l’utilisation de l’attention sont des stratégies efficaces que l’individu peut utiliser pour gérer sa douleur.

Référence Les références peuvent être consultées en ligne à l’adresse suivante : http://www.em-consulte.com/ecomplement/477053.

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CHAPITRE 18

Thérapie d’acceptation et d’engagement L. Rousseau

« La folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent. » Albert Einstein

PLAN DU CHAPITRE Présentation de la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) 164 Les six processus thérapeutiques de l’Hexaflex 166 L’ACT, un modèle intégratif et transdiagnostique 172 Utiliser l’ACT en thérapie 172 Références 175

Présentation de la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) ACT est l’acronyme d’acceptance and commitment therapy qui correspond en français à la thérapie d’acceptation et d’engagement. ACT se prononce « acte », favorisant ainsi dès son évocation la notion d’action et d’engagement.

C’est une approche transdiagnostique appartenant à la famille des TCC de troisième génération qui présente une théorie unificatrice de la santé mentale. L’ACT appartient aux thérapies contextuelles qui ont pris corps dans les années 1990. Le contextualisme fonctionnel prend en compte les comportements dans leur dimensions historique et contextuelle. L’important n’est pas de savoir si un comportement ou une pensée est vrai, mais s’il est efficace pour rapprocher la personne de ses valeurs. Une action qui l’en éloigne est considérée comme inefficace. C’est la fonction du comportement qui sera prise en compte, dans un contexte donné. Le contexte peut faire varier les objectifs d’un comportement : faire du sport peut tout autant participer à se rapprocher d’une valeur d’amitié et de relation sociale qu’à s’éloigner d’une valeur familiale, s’il s’agit d’une échappatoire. À l’inverse, on peut trouver des comportements totalement différents qui auront le même objectif. Pour ne plus avoir mal, on peut tout autant prendre un médicament ou aller courir. L’ACT s’est développée sur les bases de recherches expérimentales sur le langage et les émotions. L’un des problèmes révélés par ces recherches est l’évitement des expériences psychologiques ou émotionnelles désagréables. Certes, l’évitement est efficace à court terme, mais il devient rapidement plus problématique que les souffrances qu’il aurait bien voulu faire disparaître. L’ACT propose aux patients une prise de conscience de cet évitement grâce à l’observation, et invite à ne plus lutter contre les expériences désagréables (comme la douleur). Au contraire, elle incite à les accueillir, dans un procédé appelé « acceptation ». Le modèle thérapeutique de l’ACT peut faire appel à des techniques de méditation, pour favoriser la prise de conscience de ces événements désagréables, sans pour autant se voir submergé par ces derniers. La théorie des cadres relationnels permet d’expliquer et de repérer les liens parfois imperceptibles du langage et des états émotionnels qui peuvent y être associés. Les mots peuvent se confondre avec des événements concrets (fusion), au point qu’on cherchera à éviter le mot

lui-même pour éviter de percevoir dans son corps ce qu’il représente. Par exemple, on en vient à éviter autant le mot « accident » que l’accident lui-même. Un autre fondement de l’ACT est la flexibilité psychologique, qui est définie par Hayes et al. comme étant « la capacité d’être conscient de ses pensées et sentiments du moment présent (pleine conscience), sans défense inutile, et, sans que cela empêche de poursuivre ses actions dans la poursuite de ses objectifs et de ses valeurs » [1, 2]. La recherche de la flexibilité psychologique est un axe central de l’ACT. Elle permet d’entrer en contact avec ses émotions, sans chercher à les éviter, ni à s’installer dans la lutte. La douleur ne fait pas exception à cela, et la flexibilité psychologique permet non pas de l’accepter dans une résignation passive comme une fatalité, mais bien de l’accueillir comme une vieille copine, qu’il vaut mieux avoir invitée plutôt que de la voir gâcher la soirée en s’incrustant… En osant une comparaison audacieuse, on pourrait faire un parallèle entre la flexibilité psychologique et la capacité du corps à être souple et réactif. La capacité d’un corps entraîné à réagir et à s’adapter à toutes les situations rend les déplacements fluides et assurés, à l’instar d’un « esprit » flexible qui s’adapte aux situations et sollicitations parfois compliquées, comme dans la douleur chronique, les phobies, les troubles du comportement alimentaires, etc. Le dernier axe de l’ACT est la détermination des valeurs du patient, et l’engagement vers ces dernières. Après avoir œuvré à ne plus s’abîmer dans la lutte, et s’être affranchi des pièges du langage, l’engagement dans ses valeurs retrouvées permet de redonner un sens et une direction à une vie devenue peu lisible, où tout n’est que confusion et souffrance.

L’intégration de l’ACT dans les TCC de troisième vague, une suite logique Selon Hayes [2], « la troisième vague reformule et synthétise les générations précédentes de thérapies comportementales et cognitives et les intègre ». C’est une sorte d’aboutissement logique à un

cheminement étayé par la science, préoccupation permanente des TCC. D’un point de vue clinique, la technique de la restructuration cognitive (deuxième vague) nécessite une observation précise des mécanismes cognitifs afin de les retravailler. L’ACT propose également cette observation, mais n’incite pas à leur modification. Grâce à l’acceptation (prise de conscience et accueil), l’ACT dirigera les actions en dehors d’une lutte potentielle contre ces pensées dysfonctionnelles. Cet exemple montre bien la continuité de l’ACT qui, s’appuyant sur des principes des deux premières vagues des TCC, poursuit sa voie dans l’observation et l’expérience.

La mise en avant de l’expérientiel Vivre l’expérience en pleine conscience La philosophie de l’ACT, couplée aux principes actifs de la rééducation, amène le thérapeute à concevoir la participation du patient autrement. Étant bien entendu que le traitement est centré intégralement sur le patient, l’observation faite par le patient de la qualité de son mouvement se portera tout autant sur les caractères physiques visibles (coordination, vitesse, endurance, etc.) que sur des caractères plus en lien avec son ressenti émotionnel et sensoriel. L’expérience que représente un mouvement est une expérience de vie ; elle comporte à la fois des sensations physiques, des perceptions psychologiques et une dimension sociale. Vivre l’expérience d’une tâche fonctionnelle en pleine conscience, pouvoir l’observer et l’analyser constitue une base précieuse pour un travail global avec un patient dans le cadre de l’ACT. L’apport de la pleine conscience est important dans la qualité de l’analyse réalisée par le patient, dans le sens d’une observation sans jugement qui permettra au couple praticien-patient d’orienter le traitement. La pleine conscience se définit comme une présence pleine et entière vers ce que nous vivons sans jugement de valeurs sur l’expérience. Vivre une expérience en en étant pleinement conscient va avec le fait de ne pas se plonger dans le souvenir d’actions similaires anciennes (qui auraient pu être

négatives – par exemple quand un patient lombalgique se penche en avant et qu’il se remémore le fait d’avoir été bloqué), ni vers le futur de ce qui pourrait se passer (lorsque le patient se penchera en avant). Percevoir ses émotions et ses sensations La troisième vague des TCC est celle des émotions et, dans le cadre de la kinésithérapie, l’observation des liens parfois très forts entre sensations et émotions peut devenir l’une des étapes de la thérapie elle-même. Une douleur ressentie peut à la fois être une entrave évidente à la réalisation d’un mouvement, engendrer une frustration par l’incapacité d’accomplir une fonction jugée importante, et provoquer une émotion négative (colère, peur). Reconnaître ce cycle et avoir la capacité de juste observer et d’accueillir sensations et émotions sans chercher à lutter constitue une étape importante de l’ACT.

Les modèles théoriques de l’ACT : la matrice ACT et l’Hexaflex Différents modèles viennent illustrer et soutenir l’ACT. Nous en présentons deux : la matrice ACT et l’Hexaflex. Nous développerons plus particulièrement celui de l’Hexaflex. La matrice ACT Dans le modèle de la matrice ACT, différents espaces (figure 18.1) permettent au patient de se repérer afin de faciliter l’observation : • un axe horizontal symbolise à gauche les actions pour s’éloigner de…, et à droite les actions pour s’approcher de… Cet axe détermine également deux espaces ; • au-dessus de l’axe, se trouve ce qui peut être observé avec les cinq sens, ce que l’on pourrait vous voir faire ; • au-dessous de l’axe, se trouve le monde intérieur : les pensées, les émotions, la douleur ressentie, etc. ; • le centre est symbolisé par un cercle à l’intérieur duquel il y a

le Moi (le patient) qui observe.

FIGURE 18.1 La matrice ACT. Source : D’après Schoendorff et al. [3].

Schoendorff et al. proposent un enchaînement illustrant la démarche de l’ACT avec la matrice, agrémenté d’exemples tirés de leur pratique personnelle [3]. Nous y retrouvons : • l’observation faite par le patient de sa situation personnelle (voir figure 18.1) ; • la constatation par le patient qu’il est coincé dans une lutte sans issue ; • la découverte des valeurs du patient et leur mise en perspective ; • la notion de contrôle : solution ou problème ? ; • consentir et accepter ; • identifier et déjouer les pièges tendus par notre « intelligence » ; • approfondir et comprendre la finesse de notre fonctionnement ; • reprendre le contrôle de sa vie ;

• faire le choix de la vie et garder le cap. Tout au long de ce cheminement, la matrice (voir figure 18.1) est utile pour bien se situer, et permet de visualiser les progrès. Comme souvent, des exercices sont proposés pour rendre le patient le plus autonome possible et l’inviter à écrire lui-même le scénario de sa vie. L’expérience sera l’outil le plus utilisé pour sensibiliser le patient et lui faire percevoir à la fois les situations problèmes et les solutions qu’il trouvera par lui-même. L’Hexaflex L’Hexaflex présente le modèle de flexibilité psychologique avec ses six processus thérapeutiques (figure 18.2) qualifiés par Harris comme les « six facettes d’un diamant » [4]. La perte de la flexibilité psychologique serait un processus commun à tous les troubles psychiques.

FIGURE 18.2 L’Hexaflex – les six processus favorisant la flexibilité psychologique. Source : D’après Luoma JB, Hayes SC, Walser RD, et al. Learning ACT. An acceptance & commitment therapy skills-training manual for therapists. Oakland : New Harbinger Publications ; 2008.

Ce modèle présente six processus thérapeutiques interdépendant, et regroupés selon trois axes : • ouverture ; • centration ; • engagement. La suggestion de l’Hexaflex est de travailler autour de ces six processus isolément ou en les associant, afin de tendre vers la flexibilité.

Les six processus thérapeutiques de l’Hexaflex Acceptation et évitement expérientiel L’acceptation et l’évitement expérientiel (figure 18.2 à 18.4) sont les deux extrémités d’un même chemin.

FIGURE 18.3 L’Hexaflex – les six processus qui éloignent de la flexibilité psychologique. Source : D’après Luoma JB, Hayes SC, Walser RD, et al. Learning ACT. An acceptance & commitment therapy skills-training manual for therapists. Oakland : New Harbinger Publications ; 2008.

FIGURE 18.4 Les trois axes, adaptés à la douleur. Source : D’après Luoma JB, Hayes SC, Walser RD, et al. Learning ACT. An acceptance & commitment therapy skills-training manual for therapists. Oakland : New Harbinger Publications ; 2008.

L’acceptation est une démarche active qui consiste à accueillir avec bienveillance tout ce que notre « intelligence » nous envoie. Le terme « intelligence » est ici emprunté à Schoendorff [3] ; il comprend tout ce qui concerne ce sur quoi nous ne pouvons pas intervenir consciemment, les automatismes du cerveau en quelque sorte. L’« intelligence » nous fait percevoir des pensées, des émotions, des douleurs, des sensations, etc. Certes, percevoir dans son corps les douces ondes du bonheur est une expérience on ne peut plus agréable, mais quand il s’agit de cette vieille douleur infernale qui apparaît

toujours au pire moment, la vie devient un calvaire, avec son lot d’incertitudes, de colère, de peurs et d’angoisse. Face à ces conditions pour le moins désagréables, le réflexe est de repousser ces pensées et autres émotions, ou de faire en sorte de ne pas se retrouver dans des conditions où elles s’expriment. C’est l’évitement expérientiel. L’acceptation propose d’accueillir toutes ces productions de notre intelligence, sans chercher à les repousser. Chercher à les repousser serait s’inscrire dans une lutte vaine qui induit une diminution drastique de notre répertoire comportemental. Le corollaire de cet évitement et de cette lutte incessante est la difficulté à s’orienter vers ce qui compte vraiment pour la personne, à savoir ses valeurs. À terme, c’est la qualité de vie qui en pâtit ; une vie exclusivement tournée vers la lutte et l’évitement sera à coup sûr terne et morose. Cet évitement représente malgré tout une solution à court terme, mais cette solution trop souvent privilégiée renforce l’évitement luimême. Ne pas réaliser un mouvement (évitement expérientiel) peut permettre de ne pas ressentir de douleur à court terme, ce qui représente un renforcement de ce comportement (modèle peurévitement). Cette attitude sera génératrice d’un potentiel déconditionnement physique et psychologique, qui à long terme deviendra délétère. Le rôle du thérapeute en présence d’un évitement est de faire prendre conscience à son patient du faible gain (observation) et du risque encouru par son maintien. Cette prise de conscience peut être perçue avec difficulté voire engendrer une augmentation temporaire du comportement avant sa progressive extinction. Nous parlons ici de ce qui est appelé le « désespoir créatif ». Cette phase progressive d’extinction ne peut se faire qu’au profit d’une phase d’exploration de nouveaux comportements qui seront plus en rapport avec les valeurs du patient. Le chemin entre évitement expérientiel et acceptation ne va pas de soi et est parfois contreintuitif ; c’est une phase difficile qui mérite toute l’attention du thérapeute.

La fusion et la défusion cognitives

Faisons une petite expérience [5]. Fermez les yeux et imaginez un ours blanc (voir figures 18.2 à 18.4). Vous le visualisez bien, vous le regardez bouger, glisser sur la banquise. Une fois que vous l’avez bien en tête, vous allez essayer de l’oublier ! Que se passe-t-il ? Est-il parti, vous a-t-il abandonné ou reste-t-il bien accroché à votre perception consciente ? En réalité, plus vous essaierez de « chasser » l’ours de votre conscience, plus il sera présent. C’est ce que nous explique la théorie des cadres relationnels. Cette théorie considère que, par l’intermédiaire du langage, les hommes créent des réseaux relationnels complexes qui relient entre eux des pensées, des souvenirs, des émotions, etc. Le simple fait d’essayer d’éviter ces pensées suffit à les renforcer. La douleur répond à ce phénomène, et la lutte contre la douleur a tendance à la maintenir et la renforcer, plutôt qu’à l’atténuer. Malgré cela, les patients sont tentés d’utiliser cet évitement que représente la lutte, qui reste efficace à court terme et plus intuitif pour un soulagement rapide, mais pas à long terme. Comment se fait-il alors que cette stratégie d’évitement soit utilisée ? Cet évitement est inhérent au langage et est inévitable en raison de l’adhésion aux règles verbales et à la fusion avec son expérience interne. Pour Hayes et al., « La fusion cognitive correspond à prendre ses pensées «au mot», de façon littérale » [1], et à y réagir automatiquement, comme si elles étaient vraies. Dans l’expérience douloureuse, la fusion avec des pensées comme : « Ma douleur existe à cause de ma hernie discale, et chaque fois que je me penche en avant ma hernie part en arrière et vient appuyer sur mon nerf », peut suffire à produire une douleur au moment même où l’on s’apprête à se pencher en avant. Il y a fusion entre la pensée et ce qu’elle représente. On considère, à cause de la magie du langage, et sans contestation possible, la pensée comme argent comptant sans pouvoir s’y opposer. La fusion cognitive peut malgré tout s’avérer utile. Si vous entendez quelqu’un crier : « Attention au camion ! » ou « Ne mange pas ce champignon ! », vous serez certainement bien inspiré de ne pas tenter l’expérience de vous mesurer au camion ou de goûter le champignon. Toutes les expériences ne sont pas bonnes à tenter…

La défusion cognitive permet de dissocier la pensée de son contenu. S’il n’est pas possible de ne pas avoir cette pensée (hernie = douleur) en lien avec le fait de se pencher en avant, il est possible d’axer le travail sur le fait que cette pensée ne représente pas nécessairement la réalité. Cette pensée n’est au final qu’une suite de mots ou une suite de lettres. Si vous voyez écrit cela : « Pont », vous penserez automatiquement à un ouvrage permettant d’enjamber une rivière. Maintenant, si vous voyez écrit cela : « Jembatan », à moins d’être originaire d’Indonésie, vous ne verrez qu’une suite de lettres ; pourtant, un Indonésien pensera immédiatement à un pont. On ne cherchera pas à modifier ce à quoi la pensée se rapporte, comme dans la restructuration cognitive qui vise à envisager des alternatives à la pensée, mais à réduire le niveau de conviction (à quel point croyez-vous à cette pensée ?), et à revenir sur la symbolique des mots. Ce travail de défusion cognitive peut permettre, grâce à des exercices appropriés, de diminuer l’impact de ces pensées automatiques et peut faire envisager une meilleure tolérance à la douleur.

Vivre le moment présent avec la flexibilité attentionnelle ou se réfugier dans des pensées futures ou passées avec perte de la flexibilité attentionnelle La fusion cognitive fait perdre le contact avec le moment présent (voir figures 18.2 à 18.4). Les inquiétudes associées à l’anxiété et axées sur le futur, ainsi que les ruminations concernant le passé nous éloignent de ce qui se passe dans l’ici et maintenant. Une plus grande flexibilité attentionnelle permet de prendre du recul et d’observer ses pensées afin de se libérer de leur emprise et d’être en mesure d’agir selon ses valeurs. Les méthodes de pleine conscience permettent de développer une attention flexible, volontaire et ouverte sur le moment présent. Dans la pratique, on peut demander à la personne de se centrer sur ses pensées dérangeantes, ses émotions désagréables ou encore ses

sensations physiques inconfortables ou douloureuses pendant quelques instants, et de les explorer avec curiosité et bienveillance. Les pratiques de la pleine conscience proposent des méthodes utiles pour pratiquer la connexion à l’instant présent.

Du soi comme concept au soi comme contexte Le soi conceptualisé correspond à une fusion entre le soi et ce qu’il représente : « Je suis kiné », « Je suis anxieux », « Je suis douloureux chronique », etc. (voir figures 18.2 à 18.4). S’il y a trop d’identification, cela entraînera une perte de la flexibilité psychologique et la tendance sera de se comporter exclusivement en fonction de ces caractères. Le soi comme contexte ou le soi observateur correspond à se voir comme le contexte d’apparition d’événements internes et pouvoir s’en détacher, et non à voir les événements eux-mêmes et fusionner avec eux. Il y a un « Je » à partir duquel on observe de manière métacognitive pour favoriser l’acceptation des émotions désagréables. Dans la métaphore du ciel (soi comme contexte), la météo (expériences internes) est variable et peut donc être décrite différemment selon la présence de nuages, de pluie ou de soleil. Dans la métaphore de la gare (le soi comme contexte), qui se voit traversée par des trains (événements internes), le patient prendra conscience qu’il peut laisser passer les trains en se positionnant en observateur, ou alors monter à bord en observant ces phénomènes, leurs contenus et leur utilité. Enfin, le sens du soi comme processus permet également d’accéder au soi comme contexte. Il consiste à prendre conscience des expériences du moment présent (par exemple : « Je perçois une douleur en ce moment »), une habileté que l’on développe classiquement dans les psychothérapies par la pleine conscience. En somme, le soi comme contexte est une forme de défusion qui offre une prise de perspective supplémentaire par rapport aux événements internes, davantage centrée sur le soi. Dans le cadre de la douleur chronique, cela implique de prendre de la distance avec le ressenti douloureux ainsi qu’avec les émotions qui s’y rapportent. Les exercices de pleine conscience sont des exercices

particulièrement adaptés pour observer et prendre de la distance par rapport notamment à la souffrance induite, en ne retenant de l’expérience douloureuse que l’aspect désagréable sans en éprouver la souffrance qui trop souvent s’invite.

Les valeurs Monestès et Villatte décrivent les valeurs comme « ce qui donne du sens à l’existence, ce qui l’organise » [6]. Il est important de ne pas confondre un but et une valeur. Chez un patient lombalgique, on peut concevoir la reprise d’une activité physique pour se muscler (but) ou pour prendre soin de sa santé (valeur). L’activité physique est le moyen, la musculation l’un des objectifs et la bonne santé la valeur. La métaphore de la boussole nous rappelle que se diriger dans une direction ne veut pas dire que nous l’atteindrons, comme pour une valeur. Les valeurs orientent nos choix de vie, donnent du sens à la vie ; elles agissent comme un phare dans la nuit. Elles sont des sources inépuisables d’initiatives, rendent les actions entreprises dans leur direction plus réalisables et plus sensées, malgré les désagréments possibles (figure 18.5). S’engager vers ses valeurs permet plus facilement de dépasser les obstacles qui s’interposent, comme les sensations désagréables (peur, douleur, etc.). Contrôler la douleur peut s’avérer difficile et contre-productif ; mener une vie avec la valeur d’être quelqu’un d’actif ne demande pas nécessairement de ne pas ressentir la douleur. La recherche des valeurs nécessite d’avoir eu un entretien orienté sur ce thème avec son patient, et d’avoir développé les objectifs inhérents à cette recherche.

FIGURE 18.5 La thérapie ACT travaille vers les valeurs et ne cherche pas à éviter les émotions désagréables.

Les valeurs ont un effet catalyseur sur la personne qui les possède. Le langage a cette capacité de transformer la valeur d’un objet selon l’existence de chacun. Savoir qu’un simple objet comme un crayon a permis de rédiger un livre qui nous passionne donne une valeur à ce crayon que d’autres personnes ne lui donneraient pas. L’ACT oriente les actions du patient en direction de ses valeurs, notamment au travers d’exercices expérientiels.

L’engagement, l’action engagée L’engagement correspond à l’ensemble des actions mises en place pour s’orienter vers ses valeurs. Ces actions ont pour objectif la qualité de vie et ne visent pas de changements cognitifs, comme dans la restructuration cognitive. On ne recherche pas à modifier ses émotions, ses pensées ou ses sensations, mais bien à agir en cohérence avec ses valeurs. Agir, avec en toile de fond la douleur, demande du courage et une bonne compréhension du phénomène douloureux afin d’accepter ces sensations désagréables. Il est important de rappeler que la fonction d’alerte de la douleur n’est plus d’actualité dans la douleur persistante, et que la lutte contre la douleur conduit plus à son renforcement qu’à sa diminution. Pour structurer cet engagement, le thérapeute et son patient peuvent s’entendre sur la mise en place d’actions spécifiques à court,

moyen et long terme. Ces actions jalonnent un parcours de soins qui balise et éclaire des perspectives, souvent assombries par la douleur (figure 18.6). L’utilisation d’un vocabulaire apaisé et optimiste prévient des effets d’un langage guerrier, trop souvent privilégié dans la prise en charge des patients douloureux. « Lutte contre », « antidouleur » (pain killer en anglais), « combat », « chronique », « anti ceci », « anti cela », etc. : tous ces termes ramènent à une lutte perdue d’avance, et enferment les patients dans la persistance par un phénomène de renforcement négatif. Le patient et son thérapeute auront à cœur d’identifier les obstacles et les pièges qui peuvent se mettre en travers de la route de l’amélioration de la qualité de vie du patient. Des stratégies seront mises en place pour rassurer et prévenir les accès douloureux. Nous sommes ici dans des stratégies d’exposition qui favorisent l’engagement. L’objectif ici n’est pas la diminution des symptômes, mais bien l’amélioration de la flexibilité psychologique, de la qualité de vie et, sans doute, comme une ultime prime, la diminution de la douleur perçue.

FIGURE 18.6 L’ACT augmente la visibilité vers ses valeurs.

L’ACT, un modèle intégratif et transdiagnostique Prise en charge globale

La notion de globalité du patient s’entend ici dans le contexte d’une prise en charge biopsychosociale. La douleur étant par essence multifactorielle, la multitude des facteurs qui initient ou modulent la douleur sont à explorer. Les particularités des douleurs musculosquelettiques amènent à prioriser de manière intuitive un lien de causalité entre la douleur et une origine tissulaire, identifiée grâce à un examen orthopédique précis. La douleur chronique répond mal à ce modèle et nécessite à la fois de s’intéresser au corps en mouvement, aux comportements qui régissent notre vie, aux croyances concernant la santé et aux émotions associées, la fonction restant la préoccupation première de la prise en charge rééducative. En privilégiant un abord global biopsychosocial, la fonction et l’expérience du patient, le diagnostic spécifique de la douleur devient moins important, à l’exception des drapeaux rouges. Il est alors primordial de mettre l’accent sur les liens parfois invisibles et peu évidents entre ces différents aspects, afin d’en extraire des hypothèses que les traitements mis en place valideront, ou pas.

Trouver la porte d’entrée L’analyse fonctionnelle, support du raisonnement clinique biopsychosocial L’analyse fonctionnelle, véritable base de travail des TCC, a, dans un premier temps, pour mission de déterminer en quoi les faits relatés par le patient correspondent aux différents processus thérapeutiques évoqués dans l’Hexaflex. Ce travail précis et complexe, axé sur une écoute attentive et altruiste, permet d’émettre des hypothèses de travail fondées entre autres sur les liens entre les différents aspects développés dans l’ACT. Mettre en lumière des croyances de santé dysfonctionnelles et un évitement expérientiel permet d’orienter notre traitement à la fois sur une éducation ciblée sur ces croyances et sur une expérience fonctionnelle en lien avec cet évitement, pour rassurer le patient et lui permettre d’expérimenter différemment ces mouvements. L’objectif

est de faire percevoir des liens entre la douleur, les croyances et l’évitement, pour donner des bases solides au travail du patient. Cet exemple illustre le travail de l’ACT appliqué au domaine du mouvement et de la fonction motrice. Les liens de causalité avec la douleur ne sont plus essentiels Dans le cadre spécifique de l’ACT, les liens de causalité avec la douleur ne sont plus essentiels au traitement comme dans le modèle biomédical. Notre attention se porte plus sur les processus dysfonctionnels qui amènent notre corps à signaler par une douleur une menace réelle ou perçue. Ces troubles psychologiques maintiennent le patient coincé dans des cercles vicieux qu’il est nécessaire d’identifier et de rompre pour retrouver un corps fonctionnel et une flexibilité psychologique – « un corps efficace et un esprit flexible ». En route vers la flexibilité psychologique La flexibilité psychologique est l’objectif principal de l’ACT, particulièrement dans le modèle de l’Hexaflex. L’ACT fait le pari que la capacité d’adaptation à la douleur, sans chercher à lutter contre, est le fondement d’une diminution progressive des effets négatifs de la douleur sur l’humeur et sur l’incapacité fonctionnelle. Grâce à la flexibilité psychologique, le patient ne conservera de la douleur que l’aspect désagréable inhérent à l’algosité1, et se détachera de la souffrance.

Utiliser l’ACT en thérapie L’exercice de la rééducation-réadaptation est tout à fait adapté à la mise en place des principes et du raisonnement de l’ACT. Son organisation, la récurrence des séances, l’accès au corps permis et sollicité par le patient sont autant de facteurs privilégiant une alliance thérapeutique élevée, la mise en place de séquences expérientielles adaptées et une évaluation régulière, l’ensemble favorisant une observance améliorée et une adaptation fine et optimisée. Tout au

long d’un programme, où le kinésithérapeute maîtrise la durée et la fréquence des séances, le couple thérapeute-patient peut suivre les différentes étapes identifiées dans la pratique de l’ACT.

Faire observer les pièges de la lutte Très rapidement au cours de l’anamnèse et de l’entretien, le thérapeute peut mettre l’accent sur les stratégies de lutte mises en place par le patient. Le parcours du patient est parfois symptomatique de cette lutte au travers du nomadisme médical, qui atteste de la recherche de stratégies externes (focus externe), où le patient compte sur une prise en charge extérieure pour « venir à bout » de sa douleur. Il est intéressant de faire percevoir au patient que cette stratégie ne lui a pas apporté la satisfaction escomptée, même si souvent un effet à court terme ponctue la mise en place de divers traitements. Cet effet à court terme incite le patient à espérer qu’une stratégie différente ou un autre praticien apportera la guérison tant espérée, ce qui favorise le nomadisme. Cette phase d’observation est essentielle, et il convient de prendre le temps nécessaire pour qu’elle débouche sur une prise de conscience de la possibilité d’agir différemment pour espérer un autre résultat.

Faire ressentir les sensations, les émotions Après une phase d’observation, se recentrer sur le patient permet de faire percevoir les sensations et les émotions. Au cours d’exercices fonctionnels, il est important de questionner le patient sur ce qu’il perçoit, sur les émotions qu’il ressent, sur la façon qu’il a de vivre ces expériences. L’important ici est de faire percevoir au patient la notion d’unité. Les perceptions douloureuses et les émotions comme la peur vont souvent ensemble. La nécessité de bien faire ou d’aller au bout de l’exercice voire plus est souvent en rapport avec une perception désagréable, mais un sentiment d’avoir été performant. Cet exemple montre au patient que tout est potentiellement relié, et des influences croisées peuvent être à l’origine du maintien de la douleur.

La douleur perçue n’est pas le fait d’un phénomène linéaire de causalité directe, mais bien une construction complexe et évolutive. Ces ressentis et cette prise de conscience contribuent à ce que le patient se détache de cette causalité qui a souvent influencé son parcours.

Faire percevoir les pièges de notre intelligence, les impasses de nos pensées et de nos comportements Dans la continuité de l’observation et de l’expérience, il est naturel d’apporter quelques explications pour asseoir notre raisonnement. Le langage et la théorie des cadres relationnels permettent de proposer des pistes de réflexion sur les pièges tendus par notre intelligence. L’amélioration à court terme que propose la lutte contre la douleur est un leurre qu’il est intéressant ici de mettre en lumière. Faire du renforcement musculaire peut à court terme être bénéfique, mais on constate souvent que cette stratégie n’apporte pas de solution à long terme et est souvent abandonnée. Les croyances comme « la hernie discale qui est à l’origine des maux de dos et le fragilise » induisent une immobilité et des stratégies de prudence et d’évitement, efficaces à court terme et délétères à long terme. Il est assez troublant pour le patient de constater que notre propre cerveau ne nous aide pas dans cette gestion, mais il est rassurant de savoir qu’il fait au mieux avec les informations dont il dispose. C’est également le moment de parler du contexte social, de l’environnement culturel, des médias, etc. Tous ces paramètres sont identifiables, mais leur impact est difficilement modifiable. Ne pas pouvoir agir sur ces paramètres rend les stratégies mises en place jusqu’alors caduques, et s’en rendre compte correspond au début du désespoir créatif.

Le désespoir créatif au service de nouvelles pistes de traitement

Le constat de l’échec des stratégies mises en place peut être un moment délicat qu’il est important de bien accompagner. Le constat ainsi fait pourrait faire penser que la suite consisterait immédiatement en un changement radical orienté vers une stratégie plus adaptée. C’est le cas, mais pas immédiatement. Il se produit un sursaut, comme si, malgré ce constat, le patient voulait une dernière fois tenter sa chance, au cas où… Passé ce cap, le temps d’un nouvel apprentissage pour une stratégie fondamentalement différente arrive. Le patient est invité à explorer différemment ses comportements passés et à venir. Grâce à l’analyse fonctionnelle et à l’exploration des valeurs, le couple patientthérapeute est invité à repérer les fusions, travailler l’acceptation, explorer le soi comme contexte et s’engager dans les valeurs identifiées.

Revoir les attentes et objectifs en accord avec ses valeurs À la lumière de ce nouveau décor, les attentes seront revues. L’attente la plus emblématique est sans doute l’abandon de l’attente de la disparition de la douleur au profit de l’engagement dans les valeurs. Les objectifs deviennent plus fonctionnels et inspirés des valeurs, avec des jalons à court, moyen et long terme qui rendent le chemin plus lisible et plus réaliste. Avoir comme attente de ne plus avoir mal est certainement louable tant la douleur est une amie encombrante, mais malheureusement cette attente risque d’être compliquée à atteindre. Recommencer une activité physique en faisant un programme réaliste et validé par les partenaires (patient-thérapeute), en accord avec une valeur de bonne santé, sera à la fois une source de satisfaction (atteinte des objectifs) et une potentielle source d’antalgie. Ici, la diminution de la douleur n’est plus un objectif, mais la conséquence envisageable de la mise en place d’une action engagée dans ses valeurs.

S’engager en pleine connaissance et en pleine

conscience Le cheminement proposé peut nécessiter quelques apprentissages bien utiles, au premier rang desquels se trouve la méditation de pleine conscience. Cet outil permet de se positionner au présent, dans l’instant, ici et en pleine conscience. S’inscrire au présent limite la rumination liée au passé et l’angoisse de l’avenir. La méditation n’est pas la seule pratique liée à la pleine conscience ; la réalisation d’exercices en pleine conscience permet d’avoir un regard bien différent sur le ressenti lié à l’activité. Observer, à l’occasion de la réalisation d’une tâche, son ressenti, ses sentiments, ses émotions, ses sensations est un exercice qui nécessite une approche de pleine conscience qui fera découvrir un tout autre aspect de l’exercice. On apprécie ici l’expérience, mais pas le résultat. Peu importe la manière, ce sont le ressenti et la façon de vivre l’exercice qui priment. Celui-ci n’est plus réalisé avec pour but d’atteindre un objectif chiffré par exemple, mais bien pour servir de prétexte à l’analyse de ses sensations ou comportements. Il sert de support à l’analyse fine du comportement ou des pensées automatiques en lien avec la réalisation de la tâche. Un exemple est de demander à votre patient de déplacer un objet dans l’espace sans plus de consigne. Vous le laissez faire et vous revenez au bout de 5 minutes. Vous l’invitez à votre retour à exprimer ce qu’il a perçu, ressenti ou pensé. Certains vous diront qu’ils ont réalisé la tâche même au-delà de l’apparition de la douleur. Vous pouvez alors leur demander pourquoi ils sont allés aussi loin. Vous pourrez avoir une réponse de ce genre : « Je pensais qu’il fallait en faire le plus possible, jusqu’à ce que vous reveniez ». Cette réponse recèle des informations sur le comportement de votre patient qui s’impose de faire des choses qui ne lui sont pas demandées. On pourra extrapoler et s’apercevoir qu’au quotidien ce comportement peut lui être délétère. Que peut-on en déduire ?

Envisager une issue

Faut-il changer le comportement face à ce constat ? Ce n’est pas l’idée. Observer l’impact de ce comportement sur la vie quotidienne de votre patient afin qu’il adapte et modifie lui-même certaines choses sera sans doute plus adapté. Ce comportement qui correspond au fait d’être efficace et de devoir toujours réussir est une injonction de son intelligence. On peut l’apparenter au « shouldisme » (que nous pourrions traduire par un « devrait-faire »). La fusion rend ce comportement important au point qu’il régit tous les fonctionnements du patient. C’est une chose à travailler dans le cadre de la défusion. L’observation d’un comportement qui nous coince dans une situation inextricable est la première étape vers l’amélioration. L’abandon de la lutte comme unique stratégie permet d’envisager une issue favorable, au terme d’un long comportement processus.

Prendre le contrôle et prendre le pouvoir On perçoit bien que le patient, au-delà d’être acteur, devient le scénariste de sa vie. Il n’agit plus en réaction mais devient proactif en choisissant les options et actions de sa vie, selon ses valeurs. Cette prise de pouvoir sur fond d’éducation afin de bien comprendre, pour être rassuré et confiant, atténue le caractère angoissant d’une douleur mal comprise et subie. Sans que nécessairement la douleur diminue en intensité, elle devient plus supportable et son retentissement diminue.

L’ACT au quotidien Désobéir aux injonctions de son cerveau Désobéir aux injonctions de son cerveau n’est pas chose facile, mais il est intéressant de faire l’effort de travailler sur ces injonctions afin d’en évaluer à la fois la portée et la réalité. Quand une injonction de votre cerveau vous invite à réaliser une tâche très rapidement, bien souvent il n’est pas vraiment indispensable de se presser. Il peut être utile dans ce cas précis d’évaluer la pertinence de se presser, surtout si cela risque de nous

faire ressentir une douleur en surchargeant une articulation par exemple. On retrouve dans le monde de l’entreprise certains ouvriers qui s’obligent à donner plus qu’ils ne peuvent par « esprit d’entreprise ». Malheureusement, cette surcharge de travail peut entraîner des troubles musculosquelettiques. Être en capacité de choisir de désobéir à ces injonctions peut faire partie d’un processus qui facilitera des comportements de bonne santé, mais il est clair que le contexte social (travail, famille, sport, etc.) n’est pas toujours aidant. Les valeurs du patient seront bien sûr au premier plan et un conflit peut être mis au jour entre des valeurs portées par une société qui impose ses règles et des valeurs personnelles parfois diamétralement opposées. De ce conflit de valeur peut naître un malaise qui peut même évoluer défavorablement pour la santé. Prendre la mesure des soumissions culturelles, éducatives, etc. L’observation de ces phénomènes est à rapprocher d’une vision globale contextuelle, dans laquelle culture et éducation prennent une part prépondérante. L’efficacité, le rendement, la performance, la culture de l’effort, la valorisation du surpassement de soi sont autant de paramètres (et la liste n’est pas exhaustive) qui peuvent impacter les comportements de bonne santé. Au demeurant, tant que tout va bien, rien ne nécessite un quelconque changement, et vivre en fusion avec ces critères peut s’avérer une source de satisfaction importante, voire un moteur pour son estime personnelle. En revanche, si une douleur chronique s’installe, il est urgent de voir si effectivement il n’y a pas, dans ces principes de vie, une source de maintien des douleurs. Malheureusement, si tel est le cas, le patient ne se tournera pas spontanément vers un changement d’attitude envers ces valeurs, du moins dans un premier temps. Renoncer à quelque chose avec lequel nous sommes en fusion est compliqué, et la tentation est grande de chercher ailleurs une cause plus facile à gérer. Vivre en pleine conscience

La pleine conscience en pratique quotidienne permet de se recentrer sur soi, ses sensations, ses émotions et de prendre le contrôle du flux de ses pensées dans l’instant présent. Au-delà des effets bénéfiques sur la santé d’une pratique régulière de la méditation de pleine conscience [8], on peut espérer avoir en particulier une action favorable sur la défusion. Prendre le temps d’observer, d’accepter, de défusionner avant de s’engager dans l’action en rapport avec ses valeurs constituent les étapes de l’ACT, la pleine conscience facilitant ces approches parfois contre-intuitives, et souvent contradictoires avec les injonctions de notre intelligence et les stratégies à court terme qui nous séduisent bien trop souvent.

Points à retenir ■ L’ACT s’affranchit de la recherche et du traitement de la pathologie potentielle et ne considère pas la disparition de la douleur comme le seul objectif. ■ Il n’en demeure pas moins qu’il reste fondamental de ne pas passer à côté d’un drapeau rouge qui serait la priorité absolue. ■ L’ACT est un processus qui demande un engagement de la part du patient tout autant que de celle du thérapeute. L’alliance thérapeutique est ici, comme toujours, très importante pour obtenir l’adhésion du patient à un programme inédit en matière de douleur. ■ L’ACT est à intégrer dans nos pratiques comme les différents aspects des TCC. Il est important de prendre connaissance, au préalable de toute intervention auprès du patient, de son niveau de connaissance par rapport à la douleur. L’objectif est de se donner toutes les chances de réussite, en évitant une trop grande distorsion cognitive qui ferait perdre l’alliance thérapeutique. L’accompagnement du patient est un chemin long et progressif, qui se fait par étapes, qu’il est important d’identifier pour ne pas risquer de les brûler. ■ Le désespoir créatif est un passage important et très délicat car

il remet en question une stratégie passée inefficace et permet de se tourner vers de nouvelles perspectives. Il correspond à une phase d’ambivalence où le patient se retrouve à devoir prendre des décisions importantes pour lui. Ces décisions ne peuvent être prises que par lui, ce qui ne correspond pas toujours à ses schémas. Le rôle du thérapeute est celui d’un guide, afin de répondre aux interrogations du patient pour le rassurer et lui redonner la capacité de choisir et d’assumer ses choix.

Références [1] Hayes SC, Levin ME, Plumb-Vilardaga J, et al. Acceptance and commitment therapy and contextual behavioral science : examining the progress of a distinctive model of behavioral and cognitive therapy. Behav Ther 2013 ; 44(2) : 180-98. [2] Hayes SC. Acceptance and commitment therapy : towards a unified model of behavior change. World Psychiatry Off J World Psychiatr Assoc WPA 2019 ; 18(2) : 226-7. [3] Schoendorff B, Grand J, Bolduc MF. La thérapie d'acceptation et d'engagement. Guide clinique. Bruxelles : De Bœck ; 2011. [4] Harris R. Passez à l'ACT. Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur ; 2017. [5] Wegner DM, Schneider DJ, Carter SR, White TL. Paradoxical effects of thought suppression. J Pers Soc Psychol 1987 ; 53(1) : 5-13. [6] Monestès JL, Villatte JM. La thérapie d'acceptation et d'engagement. ACT. Paris : Elsevier Masson ; 2011. [7] Fields HL. Pain : an unpleasant topic. Pain 1999 ; Suppl 6 : S61-9. [8] Trousselard M, Steiler D, Claverie D, Canini F. L'histoire de la Mindfulness à l’épreuve des données actuelles de la littérature : questions en suspens. L'Encéphale 2014 ; 40(6) : 474-80. 1 Propriété psychophysique d’une expérience somesthésique lui

permettant d’être identifiée précisément comme une douleur [7].

CHAPITRE 19

Éducation aux neurosciences de la douleur(pain neuroscience education) G. Raynal, F. Happillon

« La véritable éducation consiste à tirer le meilleur de soi-même. » Gandhi

PLAN DU CHAPITRE Introduction 177 Définitions 177 Contexte 178 Contenu 183 Données de la littérature 189 Perspectives 190 Références 191

Introduction Ces dernières années, la compréhension scientifique des douleurs « inexpliquées » a largement progressé, en particulier dans le champ musculosquelettique. C’est dans ce domaine que l’éducation aux

neurosciences de la douleur a été proposée initialement. Cependant, ce concept pourrait être intéressant pour des patients douloureux dans d’autres champs. La teinte musculosquelettique de ce chapitre est liée au domaine de départ de cette thérapeutique qu’il pourrait être bénéfique d’utiliser (par extrapolation) dans d’autres situations. Il est admis que le système nerveux central tient un rôle important dans la persistance des douleurs. Il est décrit dans diverses pathologies douloureuses chroniques (par exemple rachialgie chronique, céphalées, trouble de l’articulation temporomandibulaire) une réactivité augmentée des neurones centraux aux afférences provenant de récepteurs uni- et polymodaux [1]. Cela résulte en un état physiopathologique pouvant correspondre à un syndrome de sensibilisation centrale, entre autres, par une hypersensibilité diffuse. Le lecteur aura retenu des chapitres précédents que l’activité des voies descendantes n’est pas constante mais peut être modulée [2]. Il existe des moyens, inscrits dans le champ des thérapies cognitivocomportementales (TCC) à la portée du kinésithérapeute/physiothérapeute, pour moduler le niveau de vigilance, d’attention et de stress [2]. Il convient de préciser qu’il ne s’agira pas ici de se substituer à des professionnels de la santé mentale. L’intervention proposée se veut éducative. Il s’agira plus de délivrer des informations pouvant s’avérer utiles pour le patient et sa compréhension du phénomène douloureux pouvant potentiellement permettre de lever des barrières psychocognitives fondées sur des croyances erronées. C’est dans cette optique que la pain neuroscience education (PNE), ou éducation aux neurosciences de la douleur, propose aux patients certaines informations et certains concepts. En effet, présenter des idées erronées, des fausses croyances peut interférer avec le pronostic. Débuter dans ce cas un traitement centré sur le symptôme et proposer des interventions ayant uniquement pour intention de moduler des facteurs anatomiques ou biomécaniques pourrait s’avérer sousoptimal. L’interprétation que le patient douloureux peut avoir des réponses symptomatiques amène parfois à plus de peur et d’évitement (par exemple, un patient lombalgique avec des croyances

négatives pourrait mal comprendre les sensations de courbature, ou delayed onset muscle soreness [DOMS]), potentielles après une série d’exercice). Il pourrait être pertinent de chercher à : • changer les perceptions inadéquates de la maladie ; • changer les connaissances inadaptées sur la douleur ; • faire reconceptualiser le phénomène « douleur » par le patient. Les patients avec des douleurs chroniques/persistantes « inexpliquées » qui n’ont pas été et/ou ont été mal informés sur la douleur tendent à percevoir leur douleur comme étant plus menaçante, démontrent moins de tolérance à la douleur, plus de catastrophisme et des stratégies de coping moins adaptées sur le long terme [3]. Ces patients démontreront également moins d’adhérence aux traitements actifs. Ainsi, après une évaluation biopsychosociale de la situation du patient, l’informer sur certains aspects du fonctionnement neurophysiologique en lien avec la douleur peut être recommandé.

Définitions L’éducation aux neurosciences de la douleur, également appelée explication de la douleur, éducation aux neurosciences thérapeutiques ou éducation à la biologie de la douleur, a été décrite pour la première fois par Louis Gifford en 1998, puis démocratisée par Lorimer Moseley en 2002 [4-6]. L’éducation aux neurosciences de la douleur (pain neuroscience education [PNE]) ou therapeutic neuroscience education en anglais) est alors utilisée comme outil thérapeutique dans la prise en charge des douleurs chroniques. L’enseignement au patient des sciences de la douleur, soit la description des structures (du système nerveux ou non) en lien avec la nociception et la perception douloureuse et de leurs interactions entre elles, permet la compréhension des processus qui sous-tendent et entretiennent leur douleur [7, 8]. L’éducation aux neurosciences de la douleur correspond à un ensemble d’interventions psycho-éducatives expliquant plus ou moins

en détail la neurophysiologie de la douleur au patient, par l’utilisation d’images simples et de métaphores, dans le but de modifier chez le patient la perception qu’il a de sa douleur. Le patient peut ainsi reconceptualiser sa vision de la douleur et la définir comme étant la perception d’un signal de danger (un signal d’alarme se déclenchant lorsque l’intégrité du corps est évaluée comme menacée) et que celleci peut être modifiée par de nombreux facteurs internes et externes. L’éducation à la neurophysiologie de la douleur a pour but d’augmenter et d’améliorer les connaissances du patient afin d’entraîner un changement dans son comportement et de prévenir les récidives d’épisodes douloureux [9, 10]. La PNE a émergé avec le développement du champ de la recherche qui concerne la prise en charge biopsychosociale de la douleur [11, 12]. Cette reconceptualisation de la douleur a pour principal objectif d’augmenter les connaissances sur la douleur et d’en déconstruire les fausses croyances. L’acquisition de ce savoir permettrait : • une diminution des facteurs psychosociaux favorisant la persistance de la douleur : stress, peur, anxiété, kinésiophobie, sentiment faible d’auto-efficacité, etc. ; • une augmentation des activités physiques et une amélioration des activités fonctionnelles ; • une diminution de la douleur ; • une réduction des coûts de santé [13]. La PNE diffère de l’éducation traditionnelle de la douleur en se concentrant sur la neurophysiologie, la neurobiologie, la représentation et le sens de la douleur plutôt que sur les modèles de fonctionnement anatomiques qui, eux, appartiennent à une vision biomédicale de la douleur [14-17]. L’éducation centrée sur les facteurs biomédicaux peut avoir sa place pour expliquer la douleur et certaines notions clés lors de phases aiguës d’une blessure, ou en postchirurgie par exemple (expliquer les phénomènes de lésion tissulaire et d’inflammation qui permettent la cicatrisation et la réparation de l’organisme). Elle l’est également quand il faut diminuer la mise en contrainte de l’organisme afin de

favoriser sa cicatrisation ou sa préservation. Cependant, elle ne saurait expliquer les phénomènes complexes mis en jeu lorsque la douleur devient persistante. La figure 19.1 résume les notions communes et les différences entre les deux modèles.

FIGURE 19.1 Notions de différences clés entre l’éducation « traditionnelle » et la PNE (pain neuroscience education ou éducation aux neurosciences de la douleur).

Contexte

Comme toute stratégie d’éducation, l’effet recherché est un changement dans le comportement du patient. Dans le cas de la PNE, le changement ne peut se réaliser qu’en passant par des étapes de « dé-conceptualisation » et de « re-conceptualisation » de la douleur.

Pour quoi ? Nous l’avons déjà dit, la personne en souffrance peut posséder (ou développer au fil du temps) des croyances variées en lien avec sa douleur. Celles-ci peuvent être de différentes natures et certaines d’entre elles peuvent interférer avec le pronostic. Dans ce cas, ces croyances représentent un « drapeau jaune », c’est-à-dire un facteur pronostique négatif concernant la douleur du patient. Cette catégorisation en « drapeaux » afin de mieux cerner les facteurs en lien avec le développement d’une douleur persistante est développée dans le tableau 19.1 [18]. Tableau 19.1 Catégorisation des facteurs de risque de douleurs persistantes par drapeaux (d’après Nicholas et al. [18]). Drapeaux Description Rouges

– Signes et/ou symptômes de pathologies sérieuses Fracture, tumeurs, syndrome de la queue de cheval, pathologies systémiques

Jaunes

– Croyances, estimation et jugement Ex. : la douleur représente la gravité d’atteinte des tissus, la douleur signe une blessure, faibles attentes envers les résultats du traitement – Réponse émotionnelle Inquiétudes, peur, anxiété, catastrophisation, détresse (sans critères diagnostiques pour un trouble d’ordre mental) – Comportement face à la douleur Stratégie de coping

Bleus

– Perception du lien entre la santé et le travail Croyances envers le risque de développer de futures blessures à cause du travail, que le travail en est actuellement la cause

Noirs

– Obstacles contextuels ou liés au système Délais de retour au travail imposés par la législation, conflit juridique avec l’équipe de travail, environnement familial très sollicitant, charge de travail élevée, manque d’accès à des professionnels de santé qualifiés

Orange

– Symptômes psychiatriques Dépression clinique, trouble de la personnalité, schizophrénie

Il pourra s’agir de variables psychologiques (drapeau jaune, bleu et orange) et/ou sociales (drapeau noir) qui sont généralement associées à un faible pronostic de récupération [18]. Le tableau 19.2 présente des exemples de croyances ainsi qu’un exemple de conséquence sur le traitement. Tableau 19.2 Exemples d’idées du patient pouvant interférer avec le pronostic. Exemple de verbalisation

Conséquence pour le traitement

Douleurs = lésions structurelles

« Je n’ai plus de cartilage dans mon genou ; c’est pour cela que j’ai mal quand je l’utilise. Si je continue de l’utiliser, je vais abîmer mon genou. »

Le patient pourrait ne pas adhérer à un traitement conservateur suivant les recommandations pour l’arthrose de genou

Les imageries

« Les médecins m’ont

Le patient pourrait entrer en

Idées

Les imageries « Les médecins m’ont dit que je n’avais médicales rien, qu’il n’y donnent avait rien sur mes l’étiologie de la examens. douleur Pourtant, je sais systématiquement que j’ai mal, que ce n’est pas dans ma tête ! »

Le patient pourrait entrer en errance thérapeutique, une multiplication d’examens onéreux pouvant lui être proposée, sans pour autant aboutir à un diagnostic changeant le pronostic

Une critique possible du système de catégorisation par drapeaux est qu’il se concentre sur les aspects « négatifs » et ignore les aspects « positifs » déjà présents chez le patient et sur lesquels nous pourrions nous appuyer durant la rééducation. De plus, en clinique, nous remarquons que ce système ne décrit pas de façon exhaustive les nuances des situations. Un patient peut tout à fait penser que les charges qu’il soulève au travail sont mauvaises pour son dos et développer des stratégies lui permettant de supporter cette situation (plaisir qu’il tire du travail, de la rémunération, etc.). Il existe alors un équilibre entre les facteurs défavorisants et favorisants dans une situation (figure 19.2). La PNE pourrait avoir un rôle à jouer quand le déséquilibre a pour origine une composante relative aux croyances/représentations.

FIGURE 19.2 Équilibre entre les facteurs favorisants et défavorisants. A. Situation asymptomatique ; une personne présente des éléments de vie s’équilibrant entre les dimensions biologiques, psychologiques et sociales. B. Situation symptomatique ; l’équilibre est perturbé par le changement d’un facteur, pouvant résulter en la genèse de symptômes.

Pour qui ? L’identification de situations avec des facteurs de risque de

développer des douleurs persistantes n’est que la première étape. La seconde consiste à se demander si la personne en question pourrait bénéficier de la PNE. En effet, tous les patients ne sont pas des candidats à la PNE. Comment les identifier ? Moseley et Butler [19] proposent de se poser huit questions clés afin d’établir l’utilité de la PNE et d’optimiser sa réalisation ; nous tenterons de les synthétiser ci-après. De plus, certaines questions peuvent permettre d’en savoir un peu plus sur les connaissances du patient. Les auteurs proposent également les caractéristiques d’un message persuasif.

Le patient souhaite-t-il vraiment en savoir plus sur les sciences de la douleur ? Tous les patients ne seront pas à l’aise avec l’idée d’échanger du savoir scientifique. Tous n’auront pas forcément été initiés à la méthodologie scientifique et la simple mention du terme « science » peut en rebuter certains. Il faudra s’assurer de communiquer avec beaucoup de bienveillance et aucune condescendance. Il existe aussi des patients ne souhaitant pas en apprendre plus et souhaitant des méthodes à résultats immédiats. Peut-être que chez ces patients le praticien se posera la question de la pertinence de la PNE, tout du moins en absence d’échec de traitement. S’il s’avère que la condition est persistante, peut-être pourra-t-il être pertinent d’articuler la communication avec le patient autour du fait qu’en apprendre plus sur la douleur peut permettre d’améliorer leur condition de vie. Des outils de communication sont à la portée du praticien, comme l’entretien motivationnel, mais ne seront pas décrits dans ce chapitre (voir chapitre 21). De manière simplifiée, le but est d’amener le patient à générer un questionnement par lui-même et de baliser, guider son raisonnement pour qu’il puisse trouver une réponse satisfaisante.

Comment le patient aime-t-il apprendre ? Afin de faciliter la construction d’une alliance thérapeutique et

d’améliorer la confiance que le patient peut avoir envers le praticien, ce dernier peut se poser la question de la méthode d’apprentissage du patient. Il existe une multitude de médias d’apprentissages (vidéos, images, infographies, etc.), tous pouvant correspondre aux besoins d’un patient.

Le patient présente-t-il un trouble pouvant altérer l’apprentissage ? Certaines atteintes peuvent rendre difficile l’accès aux ressources d’apprentissage, qu’elles soient cognitives (trouble de la concentration, dyslexie, etc.) ou sensorielles (malentendants, déficients visuels, etc.). Le choix de la méthode d’échange doit tenir compte de ces éléments.

Le patient a-t-il accès à des ressources digitales ? En fonction du pays dans lequel le praticien exerce, les patients qu’il rencontre pourraient avoir des facilités ou des difficultés d’accès à internet et à des ordinateurs, tablettes ou smartphones. Si le patient y a accès, cela permet une ouverture à une grande variété de médias (sites internet, vidéos, etc.). Certaines populations, comme les personnes âgées, peuvent également éprouver des difficultés à aborder ces technologies. Le praticien doit tenir compte de cela afin d’adapter sa méthode.

Où le patient cherche-t-il actuellement ses informations sur la santé ? Lorsqu’une personne souffre, son réflexe est de vouloir savoir ce qui lui arrive. En dehors d’internet qui peut être une source très variable d’information, les amis, la famille, les voisins peuvent être pourvoyeurs d’informations. Le ​praticien est invité à remettre en perspective la fiabilité et la validité des sources utilisées par le patient,

pouvant aboutir à des situations d’idées fausses sur la santé.

Quelles sont les connaissances actuelles du patient sur la douleur ? C’est une étape cruciale, mais difficile à évaluer. Cela correspond à l’ensemble des capacités du patient à obtenir, intégrer et comprendre des informations en lien avec la santé. En dehors des professionnels de santé et de certaines situations particulières, une personne n’aurait que peu de raisons de chercher des informations sur la douleur par exemple, ou encore moins sur la façon de prendre en charge des douleurs d’épaule. Certaines questions peuvent être formulées de façon à identifier ses connaissances sur différents thèmes [20]. Nous verrons plus loin des exemples de questions à la portée du praticien.

De quel type d’idées fausses le patient est-il porteur ? Il n’existe actuellement ni test ni questionnaire permettant de répondre à ce type de question de façon exhaustive. Il s’agit, lors de l’entretien avec le patient, de cerner le type d’idées dont ce dernier est porteur (voir tableau 19.2 pour des exemples) et leurs impacts potentiels sur le pronostic du patient.

Quel(s) concept(s) clé(s) serai(en)t pertinent(s) pour le patient ? Le tableau 19.3 résume les concepts clés proposés par Moseley et Butler [19]. Il revient au praticien d’identifier, suite à l’entretien avec le patient, les concepts clés pertinents. Tableau 19.3 Concepts clés en PNE.

Concepts clés

Explications

1. La douleur est normale, réelle et toujours réelle

Toutes les expériences de douleurs sont normales et sont une excellente, quoique désagréable, réponse à ce que votre cerveau juge être une situation menaçante

2. Il y a des capteurs de dangers, pas des capteurs de douleurs

Le système d’alarme au danger est ce qu’il est : il n’existe pas de récepteur à la douleur, de voies de la douleur ou de terminaisons de la douleur

3. La douleur et les dommages tissulaires sont rarement liés

La douleur est un indicateur peu fiable de la présence et/ou de l’aggravation de dommages tissulaires ; l’un peut exister sans l’autre

4. La douleur dépend Vous aurez de la douleur lorsque votre cerveau de la balance conclut qu’il y a plus de preuves probables de « danger/sécurité » danger que de sécurité pour votre corps, et qu’il a besoin de protection 5. La douleur Il n’existe pas de « centre de la douleur » ; il s’agit implique des d’une expérience consciente qui fait interagir de activités cérébrales nombreuses aires du cerveau multiples 6. La douleur dépend du contexte

La douleur peut être influencée par ce que vous voyez, entendez, sentez, goûtez et touchez, ce que vous dites, ce que vous pensez et croyez, ce que vous faites, là où vous allez, votre entourage et ce qui se passe autour de vous

7. La douleur est une des nombreuses efférences protectrices

Lorsqu’il est menacé, le corps est capable d’activer de multiples systèmes d’alarmes (immunitaire, endocrine, motrice, autonome, respiratoire, cognitive, émotionnelle, douloureuse). Chacune de ces alarmes peut se dérégler et devenir surprotectrice

8. Nous sommes

La notion de bioplasticité suggère que ces alarmes

8. Nous sommes bioplastiques

La notion de bioplasticité suggère que ces alarmes peuvent se recalibrer au cours de la vie

9. En apprendre sur la Quand vous comprenez pourquoi cela fait mal, cela douleur peut aider peut aider à percevoir moins de menace, et donc à avoir moins mal 10. Les stratégies actives promeuvent la récupération

Une fois la douleur comprise, vous pouvez commencer à faire des projets, améliorer votre forme, mieux manger, mieux dormir, réformer les croyances négatives et trouver des solutions personnelles, puis progressivement en faire plus

Pour quoi ? L’effet de la reconceptualisation de l’expérience « douleur » permet d’en réduire la menace. C’est bien de cela qu’il s’agit : réduire la menace perçue d’une situation, d’une action, d’une amplitude, etc. Il existe plusieurs types de menaces : • menaces nociceptives : il s’agit ici de l’ensemble des afférences nociceptives véhiculées par le système nerveux aux centres intégrateurs. Il peut s’agir d’afférences issues des stimuli mécaniques, thermiques et/ou chimiques. Certaines de nos techniques s’adressent directement à ces menaces : thérapies manuelles, exercices, etc. Pour une personne ne présentant « que » des menaces nociceptives, notre éventail de techniques de prise en charge traditionnelle sera le plus efficace ; • menaces non nociceptives : il s’agit ici des représentations de danger qu’une personne se fait d’une situation, de mots, etc. Il peut s’agir autant de croyances négatives (« se pencher en avant est dangereux pour mon dos ») que de pensées catastrophiques (« je ne pourrai plus jamais porter mes petitsenfants à cause de mon dos ») ou de comportements d’évitement.

La réduction de la menace perçue par la PNE est préalable avant d’entamer ces thérapies [13, 21-23]. La réduction de la menace doit être suivie de la promotion d’un comportement de « gestion de la douleur » par rapport à l’« évitement de la douleur ». Il semblerait que la réduction de la menace en soi permette à terme de diminuer l’hyperexcitabilité du système nerveux central [24]. Cette dernière affirmation provient cependant d’une étude pilote avec 32 patients fibromyalgiques suivis sur 12 semaines ; les données doivent donc être interprétées avec précaution.

Comment ? Les professionnels de l’éducation s’attardent à déterminer la force, la cohérence et l’engagement d’un concept [25] : • la force d’un concept renvoie à sa richesse, sur quoi il se repose et la facilité avec laquelle il est retenu. Plus fort est un concept, plus difficile il sera de le faire changer. Un patient ayant construit ses représentations de la douleur fondées sur ses expériences pourrait être plus résistant au changement qu’une personne ayant moins d’expérience de la douleur ; • la cohérence fait référence à la capacité d’un concept à ne laisser aucune zone inexplicable. Plus la cohérence du concept est élevée, plus elle couvre de situations et offre d’explications ; • L’engagement reflète le degré d’« accroche » que le patient possède envers un concept. Plus il est élevé, plus il sera difficile de s’en défaire. L’engagement peut varier en fonction des représentations sociales, culturelles, religieuses, etc. Compte tenu de ces trois éléments dans la représentation du concept de la douleur chez le patient, le praticien doit ensuite choisir de transmettre l’information pertinente dans la situation du patient, de façon persuasive. Moseley et Butler [19] indiquent les caractéristiques qu’un message devrait posséder pour être persuasif (tableau 19.4).

Tableau 19.4 Caractéristiques d’un message persuasif. Un message persuasif devrait être

Définition

Implication pratique

Compréhensible Doit être à un La plupart des apprenants n’auront niveau pas les prérequis pour approprié de comprendre les détails techniques compréhension des nocicepteurs, mais il est (lexicale, etc.) possible de le vulgariser pour les et viser le type rendre compréhensibles via des d’idées fausses images et des métaphores Plausible

À aucun moment l’apprenant doit se dire « c’est n’importe quoi »

L’information devient plausible si plusieurs interlocuteurs délivrent le même discours, les mêmes exemples, supportés par des preuves et peuvent fournir des sources alternatives d’informations

Cohérent

L’ensemble du message ne doit pas comporter de conflit interne

Le programme délivré doit être en harmonie avec l’ensemble des variables : l’apprenant, l’informateur, le message et le contexte

Engageant

Les histoires Faites en sorte que votre message soit utilisées comme une histoire, avec un peu doivent être d’émotion, insolite au bon efficaces et moment et légèrement pertinentes, conflictuelle avec le savoir personnelles et existant souvent en lien avec des

émotions

Il a été démontré que la PNE était plus efficace en individuel qu’en collectif. Toutefois, pour des raisons de coûts financiers, de temps à notre disposition et du nombre de patients à éduquer, la mise en place de groupe de PNE peut sembler pertinente [5]. Les principaux freins à la mise en place de groupe est la facturation de ces séances selon la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) pour les kinésithérapeutes libéraux et les patients ayant des besoins spécifiques. La durée et la fréquence des sessions de PNE varient entre chaque étude, allant d’une à deux sessions, pour une durée totale de 2 heures à 4 heures pour les études réalisées en prise en charge par groupe [5, 26-28]. Dans les études en prise en charge individuelle, la durée des séances varie d’autant plus [4]. La taille du groupe de patients ne devrait pas excéder 12 personnes afin de préserver l’efficacité de l’intervention [13]. De même qu’en éducation thérapeutique du patient (ETP), il convient de déterminer si le patient peut bénéficier d’un travail de groupe et lui laisser le choix afin de répondre au mieux à ses besoins [29]. Afin d’améliorer la communication du groupe et la simplification des exemples, une population de patients homogène (pathologies ou croyances similaires) est à préférer [29].

Contenu Il n’existe pas à proprement parler de procédure ou de technique correspondant à la PNE. Il n’est donc pas aisé d’en décrire le contenu. Cependant, plusieurs auteurs s’accordent à décrire ce que peut contenir et ce que ne contient pas une session de PNE. Le contenu peut être délivré à l’aide de support adapté à la situation, au patient ainsi qu’au concept clé à transmettre. Le tableau 19.3 résume différents concepts clés proposés par Moseley et Butler [19]. Le praticien essaie d’avoir un échange constructif avec le patient autour d’une situation faisant sens pour ce dernier. Cela peut nécessiter l’utilisation d’images, de métaphores, afin d’expliquer :

• la neurophysiologie et la neurobiologie de la douleur ; • les systèmes de facilitations (ascendants/descendants) ; • les voies nociceptives ; • le fonctionnement des synapses ; • les sensibilisations (périphérique/centrale) ; • la plasticité du système nerveux ; • la contribution des facteurs psychosociaux. Une session de PNE ne fera pas, ou très peu, référence à des modèles anatomiques et patho-anatomiques. Le message principal dans cette méthode est que la douleur correspond à un « système de protection », estimant en permanence l’intégrité corporelle. L’accent est mis dans la communication sur le caractère « protecteur » et bienveillant de ce système. Moseley et Butler [19] parlent de « protectomètre » (traduction de « protectometer ») afin de décrire en partie ce système au patient. Comme tout système, il peut être altéré. Ici, cette altération sera évoquée comme de la « surprotection » afin de conserver le caractère positif du rôle de la douleur auprès du patient. Des éléments clés de la réussite de la mise en place d’un programme de PNE ont pu être identifiés dans la littérature [13] : • correspondre à la complexité de l’expérience individuelle de la douleur de chaque patient [23, 30, 31] ; • développer une connexion avec le patient à travers la confiance et des échéanciers [32, 33] ; • réaliser un examen clinique avancé ; • rythmer l’éducation selon le patient (processus actif d’apprentissage) [8, 34] ; • mettre en place d’un programme d’exercices à la maison (mouvements, exposition graduelle, établissement d’objectif, auto-efficacité) [5]. L’effet recherché dans la PNE est la « reconceptualisation » du phénomène douloureux. Il convient de préciser que tous les patients n’ont pas les mêmes besoins. Lors d’une session de PNE, il est

conseillé d’éviter certains mots. Dans le modèle anatomique et pathoanatomique de description de la douleur, des mots comme « déchirure », « hernies », « dégénérescence » sont communément associés à une augmentation de la peur et de l’anxiété [35, 36]. Certains auteurs proposent et préconisent des alternatives potentiellement moins anxiogènes pour les patients [37, 38]. Pour être efficace lors d’un travail en équipe, l’ensemble de la verbalisation doit faire l’objet d’une uniformisation, afin que le message délivré au patient soit cohérent. La PNE est généralement en format conversationnel afin d’encourager la prise de parole des participants en utilisant un support numérique (tel qu’un PowerPoint), des exemples, des histoires, des images, des métaphores, des dessins, etc. Plusieurs outils doivent être utilisés pour sensibiliser les méthodes d’apprentissage de chacun et doivent être appropriés à la structure du groupe (âge, pathologie, connaissances préalables, croyances, etc.). Un support papier (livret, brochure, workbook) ou numérique (vidéo, module d’e-learning) peut être délivré aux participants afin de poursuivre leur apprentissage à domicile. Des exercices peuvent également leur être proposés entre les sessions [39, 40]. Différents outils sont mis à disposition sur les sites suivants: http://www.greglehman.ca/, https://www.knowpain.co.uk/, https://www.noigroup.com/, http://www.paininmotion.be/, https://www.retrainpain.org/, pour ne citer qu’eux. À la fin des séances, la dernière phase consiste en l’évaluation des patients : les objectifs fixés, le déroulement des sessions, leur état de santé et les compétences acquises [41].

Les images, exemples et métaphores Les recherches actuelles démontrent que la PNE fonctionne de façon optimale avec l’utilisation d’images, d’exemples et de métaphores [42, 43]. Le tableau 19.5 reprend les métaphores qui ont été utilisées dans plusieurs études [42, 44] ainsi que des exemples uniques.

Tableau 19.5 Exemples de métaphores pouvant être utilisées pour reconceptualiser la douleur en PNE (d’après [42, 44]). Métaphore

Description brève

Concept visé

« Se faire un bleu » « Imaginez-vous assis sur votre Il y a des canapé. En vous relevant, vous capteurs de vous cognez contre le bord de la dangers, pas table, ce qui vous provoque une des capteurs vive douleur. Imaginez qu’un de douleurs bleu se développe autour de la zone de choc. Ce bleu pourra tout aussi bien participer à rendre la moindre pression sensible et douloureuse. » « La bonne nouvelle »

« Maintenant imaginez que vous La douleur vous releviez du canapé pour dépend du célébrer la victoire de votre contexte équipe préférée. Il se peut que vous ne ressentiez pas le choc, ou très peu, mais vous pourriez le ressentir une fois la joie passée ! »

« Êtes-vous « De la même façon qu’une personne Nous sommes chatouilleux ? » chatouilleuse deviendra de plus bioplastiques en plus sensible au fur et à mesure que vous la chatouillez, le système d’alarme réagit de façon similaire. Plus vous le stimulez, plus il risque de se déclencher facilement. » « Êtes-vous « Prenez encore une personne chatouilleux ? » chatouilleuse. Après quelques N° 2 stimulations, elle aura pour

La douleur est une des nombreuses

réflexe de se défendre et protéger ses zones sensibles. De la même façon, après avoir ressenti de la douleur, vous pourriez développer des stratégies pour éviter cette sensation (réflexes, spasmes, etc.). »

efférences protectrices

« Les souvenirs »

« Avez-vous déjà ressenti une émotion en écoutant une musique de votre enfance ou salivé à l’idée de manger votre plat préféré ? Votre cerveau connecte des événements vécus à des sensations. S’il y a eu blessure, votre cerveau peut relier des éléments de la blessure à des sensations, de façon à ce qu’une douleur puisse être déclenchée en présence de cet élément. »

La douleur implique des activités cérébrales multiples

« L’excès d’empathie »

« Avez-vous déjà ressenti un inconfort, voire un peu de douleur, en regardant quelqu’un tomber/se faire mal, que ce soit en vrai ou à la télévision ? Vous pouvez expérimenter de la douleur sans même avoir à bouger physiquement ! »

La douleur et les dommages tissulaires sont rarement liés

Il convient d’utiliser en priorité des images propres à la situation du patient, afin que le message délivré fasse sens pour lui. Le cas échéant, le praticien peut puiser dans les ressources à sa disposition, sachant qu’il ne semble pas y avoir de différence d’efficacité en fonction du type de métaphore utilisé [44] (figure 19.3).

FIGURE 19.3 Estimation de l’utilité de différentes métaphores pour se souvenirs des concepts (0 = ne s’en souvient pas, 4 = très utile). Source : d’après Louw et al. [44].

L’encadré suivant donne un exemple d’adaptation possible de métaphore pour transmettre une information au patient.

Focus

Exemple d’adaptation d’utilisation de métaphore dans le contexte précis d’un patient M. R, 36 ans, présente des douleurs lombaires sans irradiations depuis 15 ans. À l’entretien, il verbalise sa compréhension du problème par des « vertèbres qui frottent », et utilise un champ lexical mécanique. Il travaille dans l’aéronautique et le design de pièces d’avions. Ses loisirs incluent de la course à pied, qu’il redoute car cela aurait la capacité de « tasser ses disques ». Pour lui, la sensation de douleur qu’il ressent est forcément synonyme d’une lésion. Ce sont donc les concepts clés n° 2 et 3 (voir

tableau 19.3) qui semblent pertinents dans ce cas. La métaphore ayant eu le plus d’impact pédagogique fut la suivante : « Imaginez que votre corps se compose d’un hardware (vos structures anatomiques) et d’un software (votre cerveau et votre système nerveux). Votre software utilise le hardware. Parfois, quand le hardware dysfonctionne, le software ne pourra pas s’exécuter correctement. De la même façon, le software peut parfois bugger et faire planter le système, sans qu’il n’y ait de défaillance de hardware. Votre douleur peut résulter d’un bug entre le software et le hardware, sans que le hardware ne dysfonctionne. » Les métaphores sont donc des outils, mais ne constituent pas la PNE à proprement parler. En effet, nous avons vu précédemment que celle-ci inclut également le fait de développer une connexion avec le patient à travers la confiance et des échéanciers, de réaliser un examen clinique avancé, de s’adapter au rythme d’apprentissage du patient ainsi que de mettre en place un programme d’exercices à la maison. Le caractère unique de chaque histoire proposée au patient lui permet de se reconstituer une histoire globale, augmentant ainsi le niveau de compréhension de sa douleur et de son expérience comme un tout.

L’importance de la communication lors de l’examen clinique La plupart des praticiens sont ou seront formés à des stratégies d’entretien comprenant au moins cinq thèmes indiqués ci-dessous. • « Qu’est-ce qui vous amène ? », ou similaire (« Racontez-moi la raison de votre venue », etc.) : cette question permet de connaître les raisons/motifs de consultation des patients. Une question pouvant permettre au patient d’exposer sereinement sa vision du problème. Le spectre est large et peut aller d’un traumatisme récent (chute, chirurgie) au conseil d’un proche de consulter. • « Où sont vos symptômes ? » : cette question permet de

connaître la topographie et peut renseigner sur certains mécanismes de la douleur. Par exemple, Nijs et al. [45] proposent plusieurs critères pouvant signer la présence de sensibilisation centrale. Un symptôme ayant des caractéristiques diffuses, bilatérales, symétriques, sans lien apparent avec des éléments nociceptifs et illogique anatomiquement serait vraisemblablement plus en lien avec un mécanisme de douleur nociplastique. L’utilisation d’une cartographie corporelle (bodychart) peut se révéler pertinente. • « Quels sont vos comportements ? » : par cette question, le praticien cherche les éléments majorant/minorant les symptômes, pouvant alimenter le raisonnement clinique et renseigner sur les mécanismes de la douleur mis en jeu. • « Comment cela évolue-t-il ? » : il s’agit ici de dresser une chronologie de la raison de consultation du patient. Il semble que les troubles du système nerveux central soient facilités par l’ancienneté des symptômes [46]. • Questions plus spécifiques aux pathologies : dans le cadre de certaines pathologies pouvant être masquées par certains symptômes, des questions plus spécifiques à certaines pathologies sont posées, avec généralement des diagnostics d’exclusions nécessitant d’adresser les patients à des spécialistes [47-50]. Il peut aussi s’agir d’un aspect plus médico-légal. Dans le cas où les tests cliniques disponibles ne montrent que peu de pouvoir discriminant, il est questionnable d’un point de vue clinique de continuer à les faire, mais légalement cela peut avoir de l’importance en fonction du pays d’exercice du praticien. Ce sont de très bonnes questions permettant d’avoir beaucoup d’informations. Cependant, le praticien souhaitant savoir si la PNE est une intervention pertinente pour le patient peut développer un éventail de questions plus poussées, permettant de cibler certains champs de compréhension du patient. Le tableau 19.6 propose des exemples de questions.

Tableau 19.6 Exemples de questions permettant d’avoir une idée des connaissances actuelles du patient. Champ évalué

Propositions de question

Identification

Avez-vous un diagnostic pour votre douleur ? Pouvezvous m’expliquer ce que cela signifie ? Avez-vous eu des examens ? Pouvez-vous m’expliquer avec vos termes ce que vous avez compris ?

Cause

Savez-vous ce qui provoque vos douleurs ? Pouvez-vous prédire quand vous aurez mal ?

Conséquence

Que pensez-vous qu’il va se passer si vous effectuez un mouvement/une activité qui vous effraie ? Êtes-vous inquiet(ète) que pratiquer une activité douloureuse puisse endommager votre corps ? Êtes-vous inquiet(ète) de l’impact que cela a sur les choses que vous avez à faire ?

Contrôle/curabilité Comment évaluez-vous le contrôle que vous avez sur votre douleur ? Pouvez-vous empêcher votre douleur d’augmenter ? Pouvez-vous contrôler vos douleurs une fois augmentées ? Temporalité

Combien de temps pensez-vous que votre douleur va durer ? Comment voyez-vous la suite ?

Action

Que faites-vous lorsque vous rencontrez une activité douloureuse/qui vous effraie ? Que pensez-vous qu’il faille faire pour aller mieux ?

Cohérence

À quel point votre douleur fait sens pour vous ?

Le but de l’entretien est de développer une compréhension de la situation unique de souffrance du patient, ainsi que de découvrir

quels seraient les facteurs pouvant motiver le patient à réaliser ce qui lui permettra d’atteindre ses objectifs [51]. De plus, un entretien bien mené permet l’établissement d’une bonne alliance thérapeutique et d’instaurer une relation de confiance qui est cruciale pour la PNE. Il ne s’agit pas du sujet ici, mais le lecteur curieux est invité à approfondir ses connaissances sur les stratégies de communication permettant de développer une alliance thérapeutique forte [32, 33, 52] (questions ouvertes, écoute active, reformulation, adapter le ton et le lexique, reconceptualisation). Enfin, l’utilisation du mot « douleur » de façon répétée et anodine irait à l’encontre du message transmis. Cependant, l’entretien s’articule souvent autour de la reproduction de cette « douleur » pour guider l’examen clinique. Une façon de se défaire de cet obstacle serait de remplacer ce mot par d’autres termes : « symptômes », « sensations », « déficits », etc. [53]. L’utilisation de mots perçus comme moins menaçants renforcerait l’uniformité du message et limiterait la confusion chez le patient.

Recommandations Nijs et al. [21] proposent une méthodologie pratique en plusieurs sessions d’apprentissage. La PNE peut être réalisée en séance individuelle ou en groupe, mais les points visés et les méthodes à mettre en place diffèrent en fonction du patient. Un patient se présentant avec des barrières psychologiques au traitement pourrait ne pas bénéficier de manière optimale du traitement. En effet, comme vu dans les paragraphes « Pour quoi ? » et « Pour qui ? », certaines croyances pourraient altérer le bon déroulement du programme de réhabilitation. Un patient se voyant proposer un programme d’activité d’exposition graduelle potentiellement bénéfique pourrait ne pas adhérer s’il pense que l’exercice va « abîmer son articulation ». De la même façon, un patient ayant reçu pour diagnostic une « maladie de Lyme chronique », persuadé qu’il s’agit d’un virus dans son organisme, pourrait ne pas comprendre l’intérêt de la thérapie. L’ordre de délivrance est déterminant. L’écart existant entre les

perceptions du patient concernant sa santé et la douleur devrait être rétréci avant tout traitement. Les attentes des patients dans ces cas sont souvent faibles envers les traitements actifs, et chercher à augmenter leur motivation par une forme d’éducation pourrait s’avérer favorable pour le pronostic. Selon Nijs et al. [21], la PNE est indiquée quand : • le tableau clinique du patient est caractérisé et à dominance de sensibilisation centrale ; • le patient présente des processus mal adaptatifs concernant la douleur, des stratégies de gestion déficientes et/ou une mauvaise perception de sa maladie. Ces deux critères ont été abordés précédemment dans le livre et nous invitons le lecteur à s’y reporter (voir chapitres 1, 3, 5, 6, 11, 12 et 22). Quand les conditions sont réunies, nous pouvons établir deux trajectoires : • des sessions de PNE uniquement ; • la PNE durant le traitement.

Des sessions de PNE uniquement Il s’agit de mettre en place deux sessions d’éducation avec le patient, séparées de travail à fournir par le patient entre-temps. La première session a pour objectif d’échanger avec le patient sur la compréhension du rôle de la douleur ainsi que des mécanismes de sensibilisation centrale. L’idée est d’apporter au patient des connaissances afin de modifier sa compréhension de la douleur et de la lui faire reconceptualiser. Une à deux sessions individuelles de l’ordre d’une trentaine de minutes sont communément appliquées, en fonction du changement de cognition. L’utilisation de supports (livrets, etc.) est recommandée. Les sessions doivent contenir des informations concernant (figure 19.4) [21] :

FIGURE 19.4 Illustration des éléments clés dans un programme de PNE Source : d’après Nijs et al. [21].

• la douleur « aiguë » versus « chronique » ; • le rôle de la douleur aiguë ; • la façon dont la douleur aiguë est générée dans le système nerveux (nocicepteurs, canaux ioniques, potentiel d’action, nociception, sensibilisation périphérique, synapses, inhibition/excitabilité chimique, voies ascendantes/descendantes, rôle du cerveau, mémoire et perception de la douleur) ; • la façon dont la « douleur devient chronique » (plasticité du système nerveux, modulation, sensibilisation centrale) ; • les facteurs potentiellement impactants (stress, émotions, perception de la maladie, statut cognitivo-émotionnel). Typiquement, les mécanismes de la douleur aiguë sont expliqués en premier, puis distingués avec les processus de sensibilisation centrale, dans le cas de la douleur chronique. Entre les deux sessions, un livret d’information peut être donné. Celui-ci ne délivre pas de nouvelles informations, mais vient renforcer celles déjà existantes. Des ressources en français existent sur le site

https://www.retrainpain.org/francais par exemple. Un questionnaire de compréhension de la douleur peut être proposé au patient (le Neurophysiology of Pain Questionnaire) [54]. Dans le cas où le questionnaire a été proposé, celui-ci peut guider les points à revoir avec le patient lors de la deuxième session. En fonction des réponses au questionnaire, le praticien peut mettre l’accent sur les éléments mal compris. L’objectif de la deuxième session est également de permettre au patient la transposition de ces nouvelles connaissances dans la vie quotidienne. Il est encouragé à trouver des éléments du quotidien dans lequel ce nouveau savoir peut faire sens et se réinvestir. La figure 19.5 reprend la démarche [21].

FIGURE 19.5 Guide pratique d’application de la PNE Source : d’après Nijs et al. [21]. NPQ : Neurophysiology Pain Questionnaire.

La PNE durant le traitement Différentes études sur la PNE proposent des traitements actifs associés. Dans les différentes études réalisées en travail de groupe, des exercices en milieu aquatique et des exercices de contrôle moteur ont été proposés [26, 55]. Lorsqu’un traitement est associé à la PNE, nous retrouvons des résultats plus significatifs sur la diminution de la douleur à moyen terme. Ainsi, la PNE n’est pas une thérapie qui se

suffit à elle-même et doit être combinée avec des thérapies actives. La PNE est un processus continu qui peut démarrer en session dédiée ou s’intégrer à un début de traitement « conventionnel ». La procédure, ici, est moins protocolisée et plus de liberté est laissée à l’appréciation du thérapeute quant à la fréquence de l’intégration de ces éléments durant la prise en charge. Les informations fournies peuvent parfois rentrer en conflit cognitif avec les savoirs existants et générer de la dissonance cognitive. Il appartient au praticien de déterminer la juste dose d’information à délivrer afin de générer une reconceptualisation sans pour autant brusquer et risquer un « effet boomerang » [56]. Le patient pourrait rejeter l’information reçue pendant l’échange car cette dernière nécessiterait une reconceptualisation trop « coûteuse » (voir les travaux de Kiesler, Joules et Beauvois pour plus d’informations). Il s’agit plus de « distiller » les informations au gré des séances, afin de « planter une graine » dans la tête du patient, avec bienveillance. Celle-ci doit germer en l’absence du praticien pour être optimale. En effet, il est rare d’observer quelqu’un changer d’avis et s’approprier un concept durant un échange verbal. Il est plus probable que la reconceptualisation puisse avoir lieu lorsque le patient s’accorde du temps de réflexion à son rythme, dans son environnement.

Données de la littérature Nous abordons ici les études concernant la PNE. Il n’est pas question de faire une revue de littérature exhaustive, mais de faire un point sur les preuves existantes en faveur ou non des effets de la PNE dans diverses situations. La PNE a été testée sur plusieurs types de populations et de pathologies : les lombalgies chroniques [5, 23, 5760], la fibromyalgie [61-63], les désordres liés aux fléaux cervicaux [64]. Avant de commencer par les données de la littérature concernant la PNE, il est pertinent de noter que les modèles d’éducation biomédicaux ont montré des effets limités sur la douleur et l’incapacité [15, 16, 65], et peuvent parfois augmenter les craintes du patient et générer des comportements de peur-évitement [16, 66, 67].

Il semble que la PNE ait un effet sur la douleur, les connaissances sur la douleur, l’invalidité, les fonctions psychologiques ainsi que les comportements liés à la douleur. Cependant, différents auteurs insistent sur le fait que les interventions de PNE délivrées seules n’ont que peu d’impact sur les scores de douleurs [7, 43].

Chez les patients lombalgiques « chroniques »/persistants Deux revues systématiques [68, 69] se complètent pour obtenir une revue de littérature couvrant les essais contrôlés randomisés (ECR) sur le sujet de 1996 à 2017. Clarke et al. [68] inclurent 2 ECR de qualité méthodologique modérée [59], dont un qu’il ne fut pas possible de retrouver1, étalant leur recherche de 1996 à 2010. Ils purent effectuer une méta-analyse, démontrant une taille d’effet statistiquement significative, mais cliniquement non significative sur la douleur à court terme (diminution de 5 mm [0,10 mm] à l’échelle visuelle analogique [EVA]). Leurs critères d’inclusions étaient restrictifs, pouvant expliquer le peu d’études, ainsi que le fait que la PNE en tant que telle n’était pas encore démocratisée. Les deux études étaient également produites par le même groupe de chercheurs. Wood et Hendrick [69] reprirent la même démarche en étalant la recherche de 2011 à 2017. Ils inclurent, suite à leurs critères d’inclusions, 8 études. Nous invitons le lecteur à se reporter à l’étude pour les détails de chaque étude. Les données étant homogènes (6 études, n = 428), les auteurs purent effectuer une méta-analyse sur l’effet de la PNE sur la douleur à court terme. La taille d’effet (différence standard à la moyenne [SMD]) sur la douleur mesurée avec une échelle numérique est de 0,73 (intervalle de confiance [IC] 95 % –0,14 ; 1,61). Il existe de faibles preuves en faveur de la PNE pour diminuer la douleur à court terme. À long terme, 2 études incluses (n = 254) rapportent qu’à 12 semaines la taille de l’effet est de 0,44 (IC 95 % –1,03 ; 1,91), ce qui n’est encore pas significatif. Le faible nombre d’études ainsi que

l’hétérogénéité entre celles-ci ne permettent pas de conclure quant à l’effet de la PNE sur la douleur à long terme. Concernant l’invalidité, une méta-analyse fut possible avec comme critère de jugement le score de Roland-Morris. La taille d’effet est estimée à 2,28 (IC 95 % 0,20 ; 4,25 ; p = 0,02), ce qui est statistiquement et cliniquement significatif, à 32 jours en moyenne. À long terme, comparée à d’autres interventions, la PNE ne semble pas être statistiquement et cliniquement significative ; aucune conclusion ne peut être tirée en raison des faibles quantité et qualité des preuves à disposition. Cependant, combinée avec un traitement « conventionnel », la PNE démontre une taille d’effet de 3,94 (IC 95 % 3,37 ; 4,52) sur l’invalidité, mesurée avec le score de Roland-Morris.

Effets sur les composantes psychocognitives Watson et al. [4], dans une revue systématique de bonne qualité méthodologique, se sont intéressés à l’aspect qualitatif autant que quantitatif de l’effet de la PNE dans le cas de douleurs persistantes chez l’adulte. Les résultats obtenus sur la douleur et l’invalidité sont consistants avec ceux démontrés précédemment ; ils ne seront pas plus détaillés. Nous attirons l’attention du lecteur sur le fait que les résultats discutés ci-après proviennent de critères de jugements secondaires d’ECR, leur interprétation devant être faite avec précaution.

Catastrophisme Les patients ayant reçu un traitement de PNE démontrent à court, moyen et long terme moins de catastrophisme. Il semble cependant que l’effet soit maximal lors du suivi de patient en séance ; la significativité à long terme est inconnue.

Kinésiophobie Les études s’intéressant à la kinésiophobie rapportent une diminution de celle-ci, mais à court terme et rarement plus que dans les groupes

contrôles. Le tableau 19.7 résume les points clés à retenir de la recherche sur la PNE. Tableau 19.7 Synthèse à retenir de la recherche en PNE. Aspect

Synthèse

Aspect qualitatif

– Une évaluation compréhensive permettant au patient de raconter son histoire, se sentant écouté – Permet l’identification de ses croyances concernant la douleur – La PNE peut aider le patient à reconceptualiser le phénomène douloureux, améliorant ses stratégies de coping

Aspect – Sur la douleur : preuves faibles à moyennes en faveur de la quantitatif PNE pour réduire la douleur à court et moyen terme, isolément mais recommandée de façon combinée – Sur l’invalidité : preuves faibles à moyennes en faveur de la PNE pour améliorer l’invalidité à court terme – Sur la catastrophisation : la PNE semble permettre de réduire la catastrophisation de la douleur chez les patients douloureux chroniques à court et moyen terme – Sur la kinésiophobie : la PNE semble efficace pour réduire la kinésiophobie à court terme ; les données actuelles ne permettent pas de conclure sur l’effet à long terme

Perspectives Nous arrivons dans la médecine physique à un point où les preuves concernant l’éducation et la communication avec le patient deviennent de plus en plus prépondérantes. Il est de la responsabilité du thérapeute d’intégrer ces données à sa pratique. De plus, le domaine de la recherche en neurosciences apporte de nouvelles dimensions

explicatives à offrir au patient, de nouveaux modèles à adopter. En effet, n’oublions pas que le patient souffrant de lombalgie souhaite un message plus clair en ce qui concerne le diagnostic et le pronostic [70]. La kinésithérapie possède un héritage pluri-facettes ; l’une d’elles est à chercher dans l’histoire des thérapies manuelles. Ces dernières, lors de leur conception, avaient pour modèle explicatif un modèle biomécanique. Nous en connaissons actuellement certaines limites, et les praticiens de santé sont invités à évoluer vers un modèle biopsychosocial. Le modèle biomécanique peut avoir pour adage la recherche d’une « structure fautive », soit répondant à des tests manuels, soit pouvant reproduire la douleur du patient (et si possible la diminuer) [71]. Or, ce modèle de « trouver et réparer » peut renforcer les notions de « structures responsables » et alimenter les croyances biomédicales [11]. Ce paradigme est en inadéquation avec le message de la PNE, qui veut établir une distance entre les sensations de douleurs ressenties et l’implication uniquement tissulaire. Il semble exister un courant dichotomique (surtout en musculosquelettique) séparant les techniques manuelles des techniques dites non manuelles, respectivement les techniques dites « hands-on » et « hands-off ». La PNE semble correspondre à une technique « hands-off ». Cette séparation n’a pas de fondement, si ce n’est la volonté hégémonique d’autonomiser les patients. Bien qu’elle soit louable, cette volonté peut amener à des dérives. En effet, c’est bien en combinaison que les traitements semblent avoir le plus d’effet, les recherches sur la PNE semblant aller en ce sens. Peut-être qu’il serait plus pertinent de changer le message accompagnant les techniques manuelles plutôt que les techniques elles-mêmes. Il s’agirait d’expliquer aux patients qu’en effectuant cette technique de thérapie manuelle, nous stimulons son système nerveux pour diminuer ses douleurs et améliorer ses fonctions. Il est important de véhiculer le message que ces effets sont transitoires, et si l’objectif du patient est une réduction perceptible de ses symptômes à long terme, d’autre moyens devront être déployés. Cela ouvre des portes à des explications relatives à la PNE, à des programmes d’expositions

graduelles, etc. La PNE est née dans le champ musculosquelettique, où son application est majoritairement étudiée. Cependant, les principes de base, à savoir la recherche de concepts clés déficitaires et une façon d’y répondre avec le mode de communication adapté, pourraient s’épanouir dans l’ensemble des autres champs : oncologique, neurologique, pelvi-périnéologique, etc. Enfin, les preuves disponibles et récentes sur la PNE démontrent qu’isolément elle ne saurait constituer un traitement, mais qu’en combinaison avec un traitement multimodal elle possède un intérêt pour la kinésiophobie et le catastrophisme. Ces faibles effets mesurés sont peut-être à relativiser. L’utilité de la PNE ne réside peut-être pas dans une délivrance aux patients pour être optimale, mais peut-être au praticien. Un praticien plus à l’aise avec la compréhension du phénomène douloureux se sentira moins désemparé lorsqu’il rencontrera une situation inhabituelle et gardera ses esprits pour analyser la situation du patient avec son raisonnement clinique. Au final, il est probable que la PNE ait d’autant d’intérêt à être délivrée aux praticiens qu’aux patients.

Points à retenir ■ Il s’agit de faire reconceptualiser la douleur d’un marqueur de dommage tissulaire à la représentation d’une menace à l’intégrité corporelle. ■ Chaque patient et chaque situation nécessitent des ajustements individuels. ■ L’utilisation de la PNE semble optimale lorsqu’elle est délivrée dans une prise en charge multimodale. ■ La PNE aurait peut-être plus d’intérêt à être orientée vers le praticien, afin de guider le reste de sa pratique en ayant une meilleure compréhension du phénomène « douleur ».

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Moseley, Explaining pain to patients – recent developments, dans Proceedings of the New Zealand Pain Society Annual Scientific Meeting. Rotorua, NZ, 2009.

CHAPITRE 20

Thérapie cognitive fonctionnelle (cognitive functional therapy [CFT]) C. Lagaert, F. Perrin

« Pendant des années j’ai attendu que ma vie change, mais maintenant je sais que c’était elle qui attendait que moi je change. » Fabio Volo

PLAN DU CHAPITRE Généralités 193 La place de la CFT dans la prise en charge d’un patient douloureux 193 Les principes d’utilisation du concept de CFT 195 Les processus d’une évaluation et d’un traitement CFT 197 Conclusion 201 Références 202

Généralités Initialement développée pour la prise en charge des patients souffrant de lombalgie persistante, la cognitive functional therapy (CFT, pour

thérapie cognitive fonctionnelle) propose un cadre de raisonnement spécifique, ainsi qu’une structure d’interventions à but thérapeutique. Dans ce chapitre, nous allons à plusieurs reprises prendre l’exemple de la lombalgie ; il conviendra que ces mécanismes soient extrapolables à toute situation clinique où le symptôme clé est la douleur. La CFT a démontré sa capacité à modifier les comportements des patients douloureux en changeant leurs stratégies comportementales face à la douleur [1, 2]. La CFT montre une supériorité dans le traitement de la lombalgie commune (comparativement à des interventions « thérapies manuelles + exercices » et « exercices + éducation à la douleur ») [3, 4]. La CFT a été conceptualisé par le groupe Pain-ED et est définie comme une « nouvelle intervention comportementale patient-centrée qui s’adresse à plusieurs dimensions de la lombalgie chronique non spécifique (LCNS). La CFT combine une approche comportementale et fonctionnelle pour normaliser les postures et les mouvements provocatifs qui découragent le comportement du patient à faire, avec une reconceptualisation cognitive du problème de LCNS » [4].

Remarque La fiabilité interexaminateur du système d’évaluation de patient de la CFT a été évaluée et est de bonne qualité [5].

Focus Bien que la CFT ait initialement été décrite pour la LCNS, notre but ici est de comprendre le cheminement du concept pour pouvoir l’appliquer au traitement d’un patient douloureux, indépendamment du contexte pathologique.

La place de la CFT dans la prise en charge d’un patient douloureux Sur quelle base a été développé ce concept de traitement ? Quels constats ont amené à le développer ?

Le cadre biopsychosocial comme base de la CFT Dans le monde médical, les paradigmes évoluent et, depuis plus de 20 ans, le modèle biomédical est abandonné au profit d’une approche biopsychosociale, plus complexe. La CFT s’appuie sur ce triptyque qui énonce la participation conjointe des données biologiques, du contexte psychique et de la situation sociale des patients aux phénomènes douloureux et plus largement à la maladie [6, 7]. En effet, les prises en charge en kinésithérapie ont longtemps été conditionnées par, et modulées sur le seul critère de temporalité d’une lésion tissulaire. Ainsi, les stratégies thérapeutiques étaient guidées principalement selon des protocoles fondés sur la proximité relative de la chirurgie ou du traumatisme initial. La CFT fait partie de ces approches plus récentes qui pondèrent l’influence des données médicales au regard de la singularité de chaque patient. Auparavant, la douleur était caractérisée comme aiguë/subaiguë/chronique selon sa durée de présence – la barrière de plus de 3 mois (temps maximal théorique de consolidation d’une fracture) déterminant la notion de chronique. Aujourd’hui, le terme de douleur persistante (comprendre « au-delà du temps que l’on serait en droit de considérer normal ») est utilisé pour ces patients. Ce changement de vocabulaire s’appuie sur l’effet nocebo de la terminologie « chronique » et sur la présence de modification de l’organisation cérébrale participant au phénomène douloureux après ce délai de 3 mois. Il existe aussi des histoires de patient douloureux depuis de nombreuses années sans présence de ces modifications corticales. Travailler dans un cadre biopsychosocial nous ouvre vers une meilleure compréhension du problème du patient et de notre effet thérapeutique. Cela nous guide d’une façon plus entière pour le choix de nos outils. Comment intégrer ce modèle dans la pratique quotidienne pour les cliniciens ? Concrètement, que signifie travailler dans un cadre biopsychosocial ?

Pourquoi nos patients ont-ils mal ? C’est principalement à cette question que la CFT va chercher une réponse. Le phénomène douloureux est un mécanisme complexe qui fait interagir plusieurs composantes illustrées par le modèle biopsychosocial. En milieu clinique, il existe différentes méthodes de constitution de « sous-groupes » qui vont influencer le ressenti douloureux. Le modèle de la CFT s’appuie sur huit catégories pouvant se modéliser en pentagone. Cette schématisation métacognitive représente un « radar de la douleur » (figure 20.1) [8, 9].

FIGURE 20.1 Représentation subjective et schématique des différentes composantes de la douleur d’un patient selon le modèle de la cognitive functionnal therapy (CFT).

• Composante « patho-anatomique ». Cette catégorie regroupe les caractéristiques anatomiques et structurelles qui influencent le phénomène douloureux du patient. Tout mécanisme susceptible d’activer la voie nociceptive, qu’il soit

traumatique ou dégénératif, y sera intégré. D’une manière caricaturale, cela correspond aux patients qui présentent un mécanisme douloureux « on/off » lors de la stimulation mécanique d’un tissu fraîchement lésé. • Composante « mode de vie ». Activité physique, sommeil, addiction… : ces constituants de nos modes de vie ont une interaction singulière avec les mécanismes douloureux. Un patient qui fume, travaille de nuit et est sans activité physique régulière est un exemple de patient dont le mode de vie participe à la persistance de phénomènes douloureux [10, 13]. • Composante « physique ». Cette catégorie représente le « niveau » d’exposition à la contrainte mécanique que le patient supporte et qu’il s’impose au quotidien. Cela est composé par la charge physique que représente ses activités de la vie quotidiennes (AVQ), son travail et son sport. Ainsi, un tissu pourra être plus ou moins sensible à une stimulation donnée en fonction de chaque patient et du moment présent. • Composante « santé générale ». Cet axe recense les pathologies associées pouvant influencer les symptômes du patient. Diabète, hypertension artérielle, hypo-/hyperthyroïdie sont autant d’affections systémiques qui influent sur les phénomènes douloureux. • Composante « cognitive ». Nos interactions avec l’environnement sont guidées par notre représentation du monde et nos savoirs. Cette composante évalue la participation qu’auraient des croyances erronées à la persistance de douleurs (par exemple après un épisode de lombalgie, penser que le dos doit se reposer en s’allongeant pour arriver à un état sans douleurs ; cette stratégie peut au contraire faire persister les douleurs) [14, 15]. • Composante « émotionnelle ». L’anxiété, la peur, le stress, la dépression sont des mécanismes individuels pouvant refléter la compréhension du problème par le patient. Ces phénomènes cognitifs influencent la sensation douloureuse [16].

• Composante « sociale ». Les phénomènes sociaux, culturels, historiques influencent notre perception du monde et, par conséquent, participent aux mécanismes douloureux des patients. • Composante « sensorielle ». La douleur étant une expérience sensorielle multifactorielle, la présence d’une allodynie, d’un tissu hypersensible fait partie de la compréhension du problème. Au même titre, d’autres stimuli (auditifs, visuels, etc.) ont la capacité à produire des phénomènes douloureux. La CFT ne rejette pas la présence du tissu dans la perception d’une douleur ; c’est simplement qu’elle l’associe à une dominante cognitive et émotionnelle. La modélisation métacognitive réalisée par le thérapeute peut revêtir une infinité de formats, que ce soit le « radar de douleur », des cartes conceptuelles ou bien un tableau à simple ou multiples entrées, toutes ces possibilités sont valables ; c’est même le cas de la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF). La CFT propose simplement d’y intégrer les nouvelles connaissances sur les neurosciences de la douleur.

Remarque Maitland avait décrit ce mode de pensée par un cercle composé de plusieurs parts, comme pour un gâteau. Le cercle est partagé entre l’output, l’input et le processing. La taille des parts représente la proportion subjective des unes par rapport aux autres que le clinicien se fait des origines de la douleur du patient.

Le façonnement de la CFT Le développement de la CFT s’est organisé à partir du constat : la lombalgie non spécifique (LNS) représente la première cause d’invalidité au monde alors qu’elle est majoritairement non traumatique et sans gravité [17, 18]. Durant les trois dernières décennies, les innovations diagnostiques (imagerie) et thérapeutiques

(infiltration, chirurgie) ont augmenté les coûts de manière exponentielle, sans aucun effet significatif ni sur la prévalence dans la population, ni sur le niveau de handicap [19]. Avec une compréhension actualisée des mécanismes de douleur et de l’essor clinique du modèle biopsychosocial, la CFT propose alors de changer notre regard sur les douleurs musculosquelettiques. Au cœur du cadre de raisonnement proposé par la CFT, on retrouve la notion de coping, qui désigne toute stratégie qu’un individu développe pour s’adapter face à une situation difficile. Le coping a été développé initialement en psychologie par Lazarus et Launier en 1978. Face à un problème, tout être vivant met en place une stratégie pour adapter son comportement et produire un changement de la menace initiale. Les stratégies mise en place par les patients douloureux peuvent être adaptées, et le problème du patient se résout ; ou non adaptées, et le problème du patient persiste [20]. Dans le cadre d’une douleur persistante, la CFT s’intéresse au comportement du patient et plus métacognitivement à l’élaboration interne du patient qui a abouti au comportement. Si une lésion tissulaire ne peut pas expliquer pourquoi le patient ressent une douleur, sa stratégie peut possiblement participer à la persistance de son symptôme. Le patient a des raisons de développer son comportement actuel en fonction de ce qu’il a compris de son vécu douloureux. Cette compréhension interne influe sur les futures stratégies de coping. Le concept de CFT met en avant l’idée qu’une partie de l’éducation générale fournie aux patients est incomplète. Cette éducation engendre de fausses croyances chez beaucoup d’entre eux. Au sein du grand public, on retrouve souvent des informations et des croyances qui décrivent : • qu’il est néfaste pour le dos de se pencher ; • que l’activité physique même adaptée abîme et use le corps ; • ou encore que l’imagerie permet d’établir un diagnostic fiable pour la compréhension d’une douleur musculosquelettique. C’est dans cette démarche, dans le contexte de prise en charge de

patients « étiquetés » LNS, que la CFT identifie six croyances. Le clinicien guide le patient vers un changement de croyances afin de l’aider à reprendre le contrôle de sa douleur (tableau 20.1). Tableau 20.1 Concept CFT : les six croyances à évaluer chez les patients avec une lombalgie non spécifique (LNS). 1

Penser que la LNS est causée par un traumatisme, alors que des études montrent que l’apparition d’un épisode aigu de lombalgie est considérablement augmentée par l’exposition de déclencheurs psychosociaux et mécaniques [18, 21]

2

Penser que la douleur lombaire est systématiquement causée par le dommage d’un tissu [22]

3

Penser que la LNS est causée par une mauvaise posture et un corps faible (musculature), alors qu’en fait il y a peu de preuves en faveur de comment s’asseoir, ou comment porter, ou qui identifient le côté asymétrique de la scoliose comme facteur responsable, ou encore qu’une hypermobilité articulaire ou un manque de force peut en être responsable [23-25]

4

Penser que le dos s’use en le chargeant (par exemple, une étude montre en fait que la course renforce le disque, en respectant une réexposition graduelle [26]

5

Penser que l’état du dos empire avec l’âge [22]

6

Penser que faire de l’exercice dans la douleur est dangereux ; des études montrent que cette croyance provient en partie des mots que le patient a pu entendre concernant son problème [27]

Toutes ces croyances participent à amener certains patients à développer des comportements de peur face au mouvement, d’adaptation et de limitation dans leurs activités quotidiennes. Ce constat aide à mieux comprendre la situation de santé actuelle de nos patients lombalgiques et la raison pour laquelle autant de patients

développent des douleurs persistantes dans ce domaine. Pour résumer, travailler selon les principes de la CFT consiste, d’une part, à comprendre le fonctionnement de notre patient autour de sa douleur, aussi bien sur un plan mécanique qu’émotionnel et cognitif ; d’autre part, à éduquer le patient par rapport aux fausses croyances qui le conditionnent dans son problème.

Les principes d’utilisation du concept de CFT En CFT, le ressenti de la douleur du patient présente un grand intérêt au cours du traitement. Le comportement de la douleur du patient au quotidien et en réponse aux stratégies testées permet une compréhension sans égale du problème du patient. L’analyse de ces informations est, par exemple, autant issue des croyances du patient que des informations nécessaires au dosage d’un programme d’exposition graduelle individualisé [22, 28, 29].

L’écoute active Un des éléments indispensables est l’écoute active du patient. La communication verbale du clinicien pousse le patient à décrire son problème. Le clinicien écoute l’histoire du patient, montre son empathie, fait des reflets, évite la confrontation, renforce les comportements positifs, valide, apporte de la connaissance et résume. Les mots du patient déterminent les ingrédients de base du raisonnement clinique du thérapeute.

L’individualisation de la prise en charge En CFT, chaque traitement est individualisé : N = 1 ! Le clinicien adopte une communication et un raisonnement patient-centrés. L’évaluation du patient est adaptée en fonction des principes cités. Le clinicien n’est pas uniquement focalisé sur les paramètres standardisés qui composent la connaissance physiopathologique générale des patients. Il prend conscience des répercussions et des influences des émotions et des croyances du patient.

Les symptômes des patients sont d’origines multiples. Les hypothèses du clinicien sur la compréhension du problème du patient doivent être issues des perceptions et représentations diverses du patient. Rappelons que les informations qui composent le patient sont les ingrédients du raisonnement clinique. Par exemple, pour une origine de douleur liée à une lésion tissulaire récente, les consensus recommandent que l’action du clinicien soit principalement ciblée sur la guérison et la récupération du tissu. Dans ce cas précis, il y a une forte composante patho-anatomique dans la production des mécanismes qui produisent la douleur. En même temps, une partie de l’évolution du comportement de la douleur du patient dépend de la dimension cognitive que le patient a de son problème sur le moment présent. En fonction de son comportement face à la phase de guérison du tissu (stratégies de peur-évitement, surexposition, ou exposition graduelle), le devenir du patient peut s’avérer totalement différent. Dans une autre situation, un patient (Monsieur X) présente une douleur persistante depuis plus d’un an. Les contrôles médicaux nécessaires ont été faits et le patient ne présente pas de lésion du tissu qui explique la symptomatologie. Cependant, ce patient montre un comportement de surprotection et d’hypervigilance vis-à-vis de sa douleur. Dans ce contexte, la dimension psychologique qui définit comment le patient perçoit son problème est un élément fondamental à élaborer avec lui (figure 20.2).

FIGURE 20.2 Représentation subjective et schématique des différentes composantes de la douleur de Monsieur X.

L’auto-efficacité Dans un but d’autonomisation, mais aussi de modification comportementale, le sentiment d’auto-efficacité est un principe central au sein de la CFT. Si l’on veut modifier la représentation qu’a le patient de son problème, il convient de lui faire vivre une expérience où il pourra lui-même, sans forme de dépendance vis-à-vis du thérapeute, avoir un impact positif sur son symptôme douloureux. Cela poursuit l’objectif de redonner au patient le contrôle de sa situation.

La verbalisation

D’après Engel [6], l’interaction avec le patient commence au travers du choix des mots utilisés et de la posture choisie par le clinicien. Même au travers de l’orientation des prises de décisions cliniques du clinicien, il s’établit une interaction non verbale qui produit un effet sur le patient. Cette interaction influence déjà en amont la potentielle évolution de la douleur du patient. En CFT, dès qu’une prise en charge commence, une relation s’établit avec le patient. Parler et raisonner sur la prise de décision des soins est une intervention (figure 20.3) [30, 31].

FIGURE 20.3 Un patient vu au travers d’une lentille biopsychosociale. Le patient change avec le temps, en fonction de notre interaction et de la relation qui s’établit et aussi en fonction de son environnement.

L’approche patient-centrée de la CFT demande aux cliniciens la capacité à faire verbaliser les émotions, les représentations, les objectifs et buts des patients. C’est le rôle du clinicien de faire émerger les informations du patient. Ce travail de verbalisation est un moyen de faire « produire » le patient sur ses motivations à changer. Comme l’a dit Blaise Pascal : « On se convainc mieux par les raisons qu’on a soi-même trouvées que par celles des autres ».

Le discours motivationnel

Tout changement de comportement, qu’il poursuive un but thérapeutique ou non, fait face à une situation d’ambivalence plus ou moins présente. Le discours motivationnel, tel que décrit dans le chapitre 21, est une condition sine qua non à l’utilisation de la CFT pour les patients les plus résistants.

L’exposition graduelle Le vécu de faire un mouvement ou une activité avec un « contrôle » de la douleur est également un des outils de la CFT. La notion de contrôle, ici, rejoint aussi bien l’acceptation d’une nociception pendant le mouvement qu’un travail de modulation de la douleur par une stratégie spécifique. En CFT, le patient s’expose au mouvement, le patient doit faire [32, 33].

Synthèse En CFT, tout est étroitement imbriqué. L’interaction avec le patient (par la parole) est un outil de traitement ; elle permet de guider le patient à changer ses représentations pour s’adapter à son problème. Cette interaction articule les stratégies de soins avec les valeurs du patient. Dans ce contexte, l’intervention thérapeutique d’un mouvement ne limite pas uniquement son effet à la biologie du tissu. Si le patient devient capable de refaire un mouvement qu’il n’était plus capable de réaliser, ses représentations se mettent à changer par le biais du mouvement lui-même.

Les processus d’une évaluation et d’un traitement CFT Évaluation du patient Pour l’évaluation initiale du patient, le clinicien se place dans un cadre biopsychosocial et encourage le patient à s’exprimer sur les différentes

dimensions de sa douleur. Le rôle du clinicien se rapproche de celui d’un détective qui mène son enquête. Le premier entretien se réalise de façon patient-centrée et se compose de questions ouvertes et de reflets. Le but recherché par le clinicien est de comprendre la représentation que s’est fait le patient de sa propre douleur. L’entretien vise à comprendre à la fois comment la douleur s’est construite pour le patient et comment celle-ci continue de se façonner dans le temps. Le clinicien récolte ces informations selon un prisme à plusieurs dimensions : physique, émotionnelle, cognitive, etc. Dans cette première phase, le clinicien joue essentiellement un rôle d’écoute active. Cette étape développe fondamentalement l’alliance thérapeutique avec le patient (voir chapitre 21). Voici des exemples de questions pour débuter l’évaluation initiale : • « Racontez-moi votre histoire. » • « Pour quelles raisons venez-vous me voir ? » • « De votre point de vue, quel est le problème principal qui vous amène ici ? » Et voici un exemple de formulation pour poursuivre la verbalisation du patient : • « Comment vos douleurs vous limitent-elles dans votre quotidien ? » Pendant cet échange avec le patient, le clinicien doit comprendre : • la conception que le patient a de sa douleur ; • ce qu’il a compris de son problème ; • les craintes ou les peurs qui animent le patient (composantes émotionnelles) ; • les limitations fonctionnelles qui en découlent ; • ce qu’il pense de son devenir (comment il se projette dans 6 mois, 1 an, etc.) s’il n’avait pas de problème, quelles seraient les choses qu’il souhaiterait réaliser ;

• le contexte familial, professionnel et social du patient.

Focus Par crainte d’oublier une information, les cliniciens ont tendance à imposer le rythme de l’entretien avec un formulaire d’évaluation stéréotypé qui détermine la chronologie des questions. Alors que l’entretien est une discussion et un partage d’échanges entre deux individus égaux, soyez à l’écoute du patient, ne le dirigez pas mais laissez-lui la liberté de vous guider, au moins pendant la description de ce qu’il ressent.

Remarque Manifester des signes d’empathie par des reflets (voir chapitre 21) et des signes d’acquiescements de tête non verbaux est un moyen d’améliorer l’alliance thérapeutique et d’aider le patient à élaborer une réflexion sur sa perception douloureuse. Ne succombez pas au « réflexe correcteur » : si vous identifiez rapidement une croyance dans le discours de votre patient, donnezvous le temps de prendre conscience de la place de cette vision erronée de son problème, au risque sinon d’affaiblir votre alliance thérapeutique. Pour rester au plus proche des spécificités du patient, le clinicien utilise la Patient Specific Functional Scale. Cette échelle permet au patient d’énoncer trois activités de son quotidien qui sont impactées par sa douleur et de quantifier la faisabilité de ces activités. Voici un exemple de ce que le clinicien peut demander au patient durant l’entretien : « Pourriez-vous me donner trois activités durant lesquelles votre douleur vous gêne, et noter leur faisabilité entre 0 (qui correspond à une impossibilité totale de réaliser votre tâche) et 10 (qui serait sa réalisation sans difficulté, comme avant votre problème) ? » [34]. L’objectif final de l’évaluation est de savoir comment fonctionne l’expression symptomatique de la douleur du patient. Le clinicien doit

comprendre en fonction de quelles dimensions la douleur du patient s’exprime et peut être modulée, selon les huit axes du radar (vus plus haut). Pour guider l’identification de la part de chacune de ces dimensions, vous devez être capable de répondre aux 15 questions indiquées dans le tableau 20.2. Tableau 20.2 Les questions aidantes pour le raisonnement clinique du clinicien en CFT. 1

Depuis combien de temps avez-vous mal ? (douleur aiguë, subaiguë, récurrente, constante)

2

Est-ce que l’apparition des symptômes est concomitante à un traumatisme ?

3

Quelle est l’évolution de la symptomatologie dans le temps ? (stationnaire, qui s’améliore, ou empire)

4

Y a-t-il des indicateurs de drapeaux rouges ?

5

Pensez-vous que le problème du patient soit spécifique ou non spécifique ? (maladie ou syndrome)

6

Où la douleur est-elle localisée ? (locale ou diffuse)

7

Reconnaissez-vous un pattern en réponse à l’exposition mécanique à la douleur du patient ?

8

Le problème est-il associé à une hypersensibilité (hyperalgésie, allodynie, toucher léger) ?

9

Les facteurs cognitifs contribuent-ils à la douleur du patient ? (croyances sur l’imagerie, lésion versus douleur, sentiment d’autoefficacité, hypervigilance, castatrophisme, etc.)

10

Les facteurs émotionnels ont-ils un rôle ?

(peur, anxiété, dépression, colère, etc. [35]) 11

Les facteurs sociaux ont-ils un rôle ? (événements de vie stressant, facteurs sociaux-économiques, culture, etc.)

12

Les facteurs de style de vie contribuent-ils au ressenti de la douleur ? (déficit de sommeil, sédentarité, fumeur, etc.)

13

Le problème du patient s’accompagne-t-il de comportements fonctionnels ou de façon de bouger différente ? (posture, mode d’emploi d’un mouvement dit protecteur, représentation corporelle altérée, etc.)

14

Quels sont vos objectifs de traitement communs ?

15

Quelle est votre perception du degré d’alliance thérapeutique avec le patient à la fin de l’évaluation ?

Ces questions établissent une représentation schématique des différentes dimensions de la douleur du patient (voir figure 20.1).

Élaboration d’un traitement CFT Une fois que la représentation pluridimensionnelle de la douleur du patient est établie, l’objectif est d’inviter le patient à choisir un chemin personnalisé autour de trois grands axes. Donner un sens au ressenti du patient Le premier axe consiste à donner un sens multidimensionnel et spécifique à la douleur du patient en fonction de son vécu. À travers l’échange, le patient devient capable de comprendre comment sa douleur agit dans son propre corps. Il comprend quelles sont les différentes dimensions de sa douleur. En pratique, on propose au patient un résumé de notre compréhension de son histoire, en modélisant le cercle vicieux qui explique la persistance ou non de ses symptômes. L’objectif de donner du sens se combine avec le besoin de faire comprendre au patient l’interprétation du clinicien de son problème. Le patient peut au

besoin corriger notre représentation. Cette étape permet de transformer un problème abstrait en une histoire concrète. Le patient doit prendre conscience de ce fonctionnement. Par exemple, questionner le patient sur les facteurs qui influent sur sa douleur dans son quotidien permet d’appréhender si la fatigue a une influence sur sa douleur et/ou plutôt le stress ; ou encore comment la représentation qu’a le patient de sa douleur et de son devenir est un frein à une amélioration. Le clinicien fait élaborer le patient autour de ses expériences passées (sans douleurs) et de ses expériences actuelles pour que cela prenne sens pour lui. On demandera alors : « Est-ce que ça a du sens pour vous ce que vous venez d’évoquer concernant votre douleur ou votre comportement ? ». Le patient est au centre de l’interaction.

Remarque À ce stade, il faut être capable de répondre à la question suivante : pourquoi pensez-vous que le patient pense avoir mal ? Dans ces situations globales, le clinicien identifie aussi les croyances qui freinent la réalisation des objectifs du patient. Les exemples le plus souvent rencontrés sont les suivants : • « C’est mauvais pour le dos de se pencher. » • « Je ne devrais pas trop bouger, je vais abîmer ma colonne, j’ai une hernie. » • « J’ai de l’arthrose, je suis usé, j’aurais tout le temps mal, on sait bien que ça ne se soigne pas. » Il ne s’agit pas de modifier toutes les croyances du patient, mais bien celles qui participent à son problème. Pour conclure, au travers de la nouvelle conception que le patient se fait de sa douleur, le clinicien guide le patient vers le fait qu’il peut bouger sans danger (dans le cas d’une douleur persistante ou récurrente non spécifique). À ce moment, le patient est devenu capable de prendre confiance dans le mouvement et prend conscience

qu’il n’y a rien de dangereux à bouger, en fonction de ses propres valeurs [36]. Le sentiment d’auto-efficacité Le deuxième axe consiste à développer des stratégies de modulation de la douleur en questionnant les réactions cognitives négatives et les réactions émotionnelles que ressent le patient face à la douleur. L’objectif est de modifier la façon dont les patients effectuent physiquement leurs tâches douloureuses (via la relaxation corporelle et l’extinction de comportements de protection). C’est un processus qui passe par l’expérience ; le patient doit faire. L’apprentissage du patient ne passe pas uniquement par un apprentissage ou une éducation verbale. Le patient doit sentir et ressentir pour changer. Le clinicien place le patient dans l’activité du quotidien qui reproduit le symptôme principal. Il fait réaliser l’activité au patient et il le guide pour changer sa perception au décours de l’activité. Pour l’exemple d’une douleur chronique lombaire persistante ou récurrente non spécifique : • si le patient souffre en position assise, le rôle du clinicien est d’évaluer le schéma de posture du patient : – Est-il en hypercorrection ou en sursollicitation ? – A-t-il une position de repos tonique en anticipation à la douleur ? – Pour faire comprendre l’effet néfaste de ce comportement, l’expérience suivante peut être proposée au patient. Il lui est demandé de serrer son poing toute une journée (on modifie sa stratégie de mouvement de repos) ; puis on l’interroge sur la perception qu’il aura de sa main en fin de journée. Le parallèle doit être fait avec la position contrôlée et permanente qu’il a de son dos. • si l’objectif du patient est de pouvoir se pencher sans douleur, le raisonnement clinique est identique. Dans la pratique clinique, la flexion représente le plus souvent la plus grande

peur des patients. Nombreux de ces patients ressentent une douleur ou refusent de le faire par crainte. Ici, le clinicien amène le patient à prendre conscience de la dimension de ces freins (émotionnelle, cognitive, etc.) et à bouger sans douleurs persistantes. C’est par la réalisation du mouvement et la compréhension des mécanismes de sa douleur que le patient change sa perception. Il n’est pas suffisant que le patient pense que sa douleur n’est pas mécanique pour ne plus ressentir de douleur. Au travers de l’interaction que produit le clinicien par la parole, le patient change la conception de sa douleur et prend conscience des répercussions dans l’expression de son mouvement. Avec une nouvelle compréhension adaptée de sa douleur, le patient réalise des séries de mouvements répétés pour changer sa perception.

Remarque Un autre moyen utilisé pour permettre au patient de bouger en déconditionnant son schéma douloureux est de focaliser l’attention du patient sur la nouvelle idée de sécurité du mouvement (représentation mentale sécurisante) ou sur la perception corporelle de relâchement agréable (utilisation du soupir). Voici un exemple schématique de résolution de cas en CFT dans la LNS. On observe des patients se pencher assis et ne ressentir aucune douleur alors que debout, genoux fléchis, la douleur est bien présente dès le début du mouvement. Les patients y associent souvent une sensation de blocage « mécanique » parfois très précoce. C’est un paradoxe d’un point de vue mécanique, mais pas du point de vue de la perception. En effet, pour beaucoup de patients, se pencher en position allongée (ramener les membres inférieurs sur la poitrine) ou assis sur une chaise ne renvoie pas à la même peur et à la même douleur que de se pencher debout. Pourtant, le mouvement de la colonne est le même. Le clinicien a alors pour rôle d’explorer ce qui amène le patient à avoir ce comportement en le faisant élaborer par

lui-même sur ces conceptions. Dans ce cas précis, c’est le point de départ pour permettre au patient de commencer à bouger sans douleur. Le clinicien aide le patient à reprendre le contrôle de son corps afin qu’il bouge sans douleur. Le clinicien adopte une posture de guide, notamment en soutenant l’autonomie du patient pendant cette phase. Cela peut se faire par les formulations de phrases suivantes. • « Vous pouvez essayer de vous relâcher, vous avez évoqué que vous n’aviez plus de raisons d’avoir peur. » • « Que pensez-vous d’essayer de vous relâcher assis sur une chaise pour commencer ? » • « Soufflez pour sentir vos sensations et les accepter comme une information du moment présent. » • « Essayez ! Penchez-vous comme vous le sentez ! » • « Que pensez-vous des freins à vous pencher si vous êtes conscient que votre colonne est en bonne santé ? » Pour permettre au patient de récupérer le contrôle dans son quotidien, le clinicien construit avec le patient le lien entre les stratégies trouvées lors des mouvements spécifiques et les activités fonctionnelles. Le clinicien demande au patient de faire le mouvement en l’associant à une de ses tâches du quotidien. Cette action renforce le sentiment d’efficacité personnelle du patient à réaliser de nouveau ses activités quotidiennes. À ce stade, le patient se retrouve dans un cercle vertueux de reconditionnement global.

Remarque Un autre cas, hors de la CFT, est celui d’un patient qui aurait une lésion sans peurs, ni fausses croyances. Le patient devra trouver une position et des activités quotidiennes qui ne contraignent pas la cicatrisation du tissu. Il faudra favoriser un programme de retour à la fonction en exposant le patient à des contraintes graduelles, avec des limites progressives dans le temps en fonction du ressenti du patient [37].

Pour résumer, le clinicien analyse le schéma du mouvement douloureux du patient pour discuter des freins à bouger, qu’il s’agisse des mécanismes de protection dus aux peurs d’avoir de la douleur pendant le mouvement, de la tension globale du corps pendant le mouvement, ou encore des limitations d’ordre mécanique ou tissulaire. Il s’agit d’une exposition multidimensionnelle avec contrôle. Faire adopter un mode de vie sain au patient Le troisième grand axe d’un traitement CFT a pour objectif de faire adopter un mode de vie sain au patient. Le clinicien fait prendre conscience au patient, au travers de l’expression de sa douleur et de la description qu’il en fait, comment d’autres paramètres peuvent influencer négativement ou positivement son devenir (figure 20.4) [38].

FIGURE 20.4 Représentation schématique de l’évolution d’un traitement CFT.

Conclusion L’utilisation du modèle de la CFT nécessite pour les cliniciens d’avoir de multiples compétences. Ils doivent être dotés d’une compréhension

de la psychologie contextuelle du patient ainsi que d’une compréhension actualisée des neurosciences. À cela doivent s’ajouter des compétences de reconnaissance de pattern clinique pour différencier les éventuelles contre-indications, qu’il s’agisse d’un problème musculosquelettique spécifique, ou d’un problème non spécifique. Il est également nécessaire que les cliniciens aient des qualités en communication, notamment une écoute active empathique et des moyens pour faire émerger la motivation du patient au travers de sa propre confiance à reprendre le contrôle. Le raisonnement clinique est un élément indispensable qui synthétise et trie les composantes multidimensionnelles de la douleur du patient. Les compétences d’observation permettent de déceler les schémas de mouvements anormaux, et l’expérience en rééducation permet d’amener un programme d’exposition avec contrôle adapté au patient. Trop souvent catégorisée comme compliquée, l’approche multidimensionnelle de la douleur est au contraire un système de pensée complexe qui facilite la relation thérapeutique avec les patients dont la symptomatologie ne trouve pas de réponse dans une vision structurelle dominante. Les cliniciens sensibilisés à cette approche se retrouvent dans la position idéale pour écouter les patients et les accompagner dans la résolution de leur problématique [39]. La parole reste le meilleur des « pain killers » dont les cliniciens disposent.

Points à retenir ■ La CFT s’inscrit pleinement dans le modèle biopsychosocial ; c’est un concept multidimensionnel. ■ La CFT combine une approche comportementale et fonctionnelle pour normaliser les postures et les mouvements provocatifs de douleurs qui découragent le comportement du patient à faire, avec une reconceptualisation cognitive du problème.

■ Le radar de la douleur (pentagone) guide l’évaluation en CFT. ■ En CFT, le traitement cherche à donner un sens à la douleur du patient au patient lui-même et en fonction de ses propres valeurs. ■ En CFT, chaque traitement est unique : N =1 ! ■ L’outil principal de traitement de la CFT est la parole, mais l’action du patient est nécessaire pour qu’un changement est lieu.

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CHAPITRE 21

L’entretien motivationnel C. Lagaert, F. Perrin

« On se persuade mieux, pour l’ordinaire, par des raisons qu’on a soimême trouvées, que par celles qui sont venues dans l’esprit des autres. » Blaise Pascal

PLAN DU CHAPITRE Définir un cadre de référence à l’utilisation de l’entretien motivationnel 204 Généralités sur l’entretien motivationnel 205 L’esprit de l’entretien motivationnel 209 Les processus de l’entretien motivationnel 212 Les outils de l’entretien motivationnel 218 Conclusion 221 Références 221

Définir un cadre de référence à l’utilisation de l’entretien motivationnel Généralités

Depuis sa naissance, le langage est un formidable outil de communication. Celui-ci permet, entre autres, d’échanger des informations, d’apprendre, d’alerter, de diriger, de guider, etc. À l’échelle du clinicien, la discussion et le langage revêtent une importance capitale. En effet, combien de temps passons-nous à discuter avec notre patient ? Combien de conseil lui donnons-nous ? Combien de questions lui posons-nous ? En revanche, combien de temps avons-nous passé en formation initiale ou continue à apprendre à communiquer avec nos patients ? Comment et quand poser les questions ? Ou tout simplement, quels sont les différents types de question que nous pouvons poser ? Bien que moins palpable, l’entretien est tout aussi technique que des mobilisations spécifiques ou un programme de renforcement pour du gain de force sur les érecteurs du rachis. Et bien entendu les pièges sont multiples… À titre d’exemple, nous proposons ici un échange entre un patient et un clinicien : « Clinicien (C) : Comment vont vos douleurs ? Patient (P) : Oh, vous savez, c’est un peu pareil que la dernière fois. C : Et avez-vous pu faire les exercices que je vous avais prescrits ? P : J’ai essayé une fois ou deux. C : Ah, et pourquoi pas plus ? Il semble que je vous avais dit d’en faire 5 à 6 séries par jour. P : Oui je sais bien, mais la petite a été malade et je n’ai pas eu le temps. C : Ces exercices ne prennent pas beaucoup de temps à faire, 2 minutes au maximum. P : C’est vrai, mais c’est difficile de l’intégrer au quotidien. Le matin c’est la course, la journée, je ne vais pas les faire dans l’open-space, et en rentrant je m’occupe de ma fille. C : Pourtant, nous avions vu ensemble que ces exercices pouvaient diminuer votre douleur. P : Oui c’est vrai, mais je ne peux pas faire des exercices tout le

temps comme ça, ce n’est pas une solution non plus. » Reconnaissez-vous ce genre d’échange ? Si oui, ce chapitre est fait pour vous.

Choisir la thématique de changement La médecine moderne a fait d’énormes progrès dans la gestion des situations de crise. Nous mourons bien moins d’infarctus maintenant que dans les années 1950, la mortalité liée au cancer diminue, les maladies infectieuses sont relativement bien maîtrisées, etc. Néanmoins, des affections connues de longue date continuent de gangrener nos systèmes de santé : diabète, douleur chronique, tabagisme, etc. Une comparaison rapide met en opposition ces deux types d’affections : pour les premières, il y a une notion d’urgence et de technicité médicale. La réussite du traitement dépend essentiellement du professionnel de santé (en se fondant sur ses connaissances, l’application des protocoles établis, sa dextérité chirurgicale, etc.). En revanche, la réussite du traitement des secondes dépend essentiellement du patient et de sa capacité à adopter des comportements de santé adéquats (faire de l’activité physique, manger moins sucré/gras, arrêter de fumer/boire, mieux dormir, etc.). En poussant la réflexion plus loin, nous constatons que la prévention des situations de crise (cancer, cardiologie, etc.) repose bien souvent aussi sur des changements de comportements. Et sur ces points-là, la médecine moderne est beaucoup moins efficace. Plus spécifiquement concernant la kinésithérapie, la revue The Lancet a publié une série de trois articles [1-4] (avec également la revue Pain) définissant et détaillant la lombalgie non spécifique (lombalgie commune en français [5]). Leurs conclusions sont claires : le mode de vie et les comportements de santé inadéquats du patient sont un des principaux freins à l’évolution favorable de la situation. Cette idée est reprise par la majorité des recommandations de bonnes pratiques modernes. Ces dernières préconisent d’éduquer le patient pour induire des changements de comportement en santé [5-9]. Au-delà de la lombalgie, ce constat se retrouve dans d’autre champs de la douleur

(par exemple avec la fibromyalgie [10]) ou dans d’autre champs de la santé comme la pneumologie (par exemple avec la mucoviscidose [11]), entre autres.

L’entretien motivationnel, un concept multimodal et global pour favoriser les changements de comportements L’entretien motivationnel (EM) est né dans les années 1980 [12] et s’est développé lors des décennies suivantes [12] (voir aussi plus loin). Il s’agit d’une méthode de communication spécifique et globale orientée vers le patient favorisant l’émergence du changement. La spécificité de l’EM est la réunion de trois dimensions (respect de l’esprit, de la méthodologie et utilisation des outils de l’EM) et non leur seule sommation.

Ce que l’entretien motivationnel n’est pas L’EM n’est pas une technique ni un outil ; c’est une façon d’interagir avec le patient (c’est la boîte à outils plutôt qu’un outil différent). L’EM utilise les outils de langage pour guider le patient vers le changement de comportement de santé. L’EM n’est pas un traitement direct de la douleur du patient, comme peut l’être la thérapie manuelle par exemple. Il s’agit d’une méthode transdisciplinaire utile dès qu’un changement de comportement de santé d’un patient est nécessaire. Ce n’est pas non plus uniquement une approche centrée sur la personne, car l’EM se définit par un raisonnement dirigé pour atteindre un objectif spécifique. Par exemple, l’utilisation du concept de prise de décision partagée ne définit pas un objectif de changement cible et ne guide pas vers celui-ci ; il définit une thématique de changement mais pas un choix dans l’ambivalence du changement de comportement. En psychologie, on différencie être centré sur la personne et guider vers un objectif de changement cible. Par exemple, des psychologues ne sont parfois que dans le style de communication

« suivre » (voir plus loin le paragraphe « Les différents styles de communication »). L’EM n’est pas une école de psychologie à laquelle tous les cliniciens devraient adhérer. L’utilisation de l’EM n’a un sens que si le patient a un objectif de changement. S’il faut situer l’EM dans les stades transthéoriques du changement (voir plus loin), il serait dans la phase de contemplation ; là où le patient est conscient de la nécessité du changement, mais n’arrive pas à le mettre en place. L’EM n’est pas de la manipulation. Le respect de l’autonomie du patient est primordial ; c’est même un des piliers de l’esprit de l’EM. Le thérapeute ne fera jamais faire à un patient ce qu’il ne veut pas faire. Le clinicien agit comme un catalyseur, favorisant le processus du changement chez le patient. Comme nous l’avons dit plus haut, si le patient n’a pas conscience qu’il doit changer ou s’il ne veut pas changer (il n’en voit pas l’intérêt), l’EM ne pourra pas s’appliquer.

Généralités sur l’entretien motivationnel Définition Miller et Rollnick ont défini l’EM comme un style de conversation collaboratif pour renforcer la motivation propre d’une personne et son engagement vers le changement [12].

Focus Dans la pratique clinique, l’EM se définit comme un outil altruiste qui vise à augmenter la motivation du patient pour le changement.

L’entretien motivationnel dans l’histoire de la psychologie des changements de comportement L’EM est issu d’un développement de la psychologie sur le comportement des patients réalisé par Miller et Rollnick [12].

Historiquement, C. Rogers a développé la thérapie humaniste dans les années 1940. Dans cette théorie, l’être humain est fondamentalement bon. Il a, en lui-même, la volonté et les capacités de se développer. De ce fait, cette approche s’inscrit dans une logique de soins centrés sur le patient [13]. Elle complète ainsi les deux grands courants représentés à cette époque, soit la psychanalyse [14] et le behaviorisme [15]. Puis, d’autres modèles de pensée ont vu le jour. Dans les années 1960, J. Brehm a défini la notion de réactance psychologique [16]. La réactance est la résistance que peut développer un individu lorsque sa liberté d’action est limitée par rapport aux différentes possibilités qui se présentent à lui. Dans les années 1970, Prochaska et DiClemente ont développé le modèle transthéorique du changement [17]. Ces auteurs décrivent les différents stades psychologiques qui mènent un individu d’une situation donnée à un changement de comportement : • la phase de précontemplation ; • la phase de la contemplation ; • la phase de la détermination ; • la phase d’action ; • et pour finir par la phase du maintien, tout en intégrant la phase de rechute. Dans les années 1980, Bandura développe la théorie du sentiment d’efficacité personnelle. Un individu ne sera pas enclin à provoquer un changement de comportement si, au préalable, il ne se croit pas capable de produire le changement visé [18]. Miller et Rollnick se sont fondés sur les différents modèles psychologiques de changement de comportement pour développer l’EM. En effet, ces différentes théories sont plus ou moins reprises et liées dans le concept de l’EM. Initialement, l’EM a été développé dans le traitement des addictologies en alcoologie dans les années 1980 par Miller et Rollnick. Ce modèle a ensuite été formalisé en 1991 [19] par les deux auteurs et révisé à deux reprises en 2002 [20] et en 2013 [21].

L’état de la recherche actuelle sur l’entretien motivationnel Focus L’EM a fait l’objet de plus de 1200 publications, dont au moins 200 essais cliniques randomisés (ECR) sur différents champs d’application et dans différents pays. La diffusion de l’EM est aujourd’hui bien présente au-delà de l’addictologie, notamment : • dans le champ médical pour l’éducation thérapeutique des patients, le traitement de pathologies chroniques ; • dans le champ social pour la prévention et l’adoption de comportements de modes de vie sains ; • dans le champ de l’éducation, pour le décrochage scolaire ou la prévention des conduites à risque ; • et dans le champ judiciaire pour l’accompagnement dans la réinsertion sociale. Une revue des revues systématiques publiées sur le sujet [22] identifie 39 méta-analyses sur le sujet. Ces revues révèlent un effet significatif pour la réduction du binge drinking (consommation aiguë et importante d’alcool chez les jeunes adultes), de la fréquence et de la quantité d’alcool consommé, la réduction de l’usage de drogue et l’augmentation de l’activité physique. Une autre revue systématique avec méta-analyse montre une augmentation de l’adhésion au traitement (quel que soit le traitement) chez les patients souffrant de douleur chronique [23]. Enfin, une dernière revue systématique avec méta-analyse indique que l’EM est efficace pour augmenter l’activité physique chez des patients souffrant d’affection de santé chronique [24]. Toutefois, les effets sont modestes à modérés et bien souvent à court terme uniquement. Enfin, ces travaux révèlent aussi une forte variabilité de résultats en

fonction des sites d’études et des cliniciens. L’effet de l’EM semble dépendant du niveau de formation de la personne la pratiquant [2528]. Cela a deux implications : • pour la recherche, il serait judicieux dans les futures revues systématiques de hiérarchiser les études incluses en fonction du niveau de formation des cliniciens pratiquant l’EM ; • pour la pratique clinique, l’efficacité de cette approche ne peut être optimale que si les praticiens sont correctement formés. Pour terminer, sur un plan strictement académique, l’utilisation d’ECR pour tester l’efficacité de l’EM est délicate. Tout comme les interventions en kinésithérapie ou en psychologie, l’EM est une approche complexe. Celle-ci met en jeu de multiples paramètres (comme l’alliance thérapeutique, la communication, l’écoute, etc.) [29]. Dans un ECR classique, les chercheurs isolent un paramètre unique à tester, par exemple l’efficacité d’un médicament. Tous les autres paramètres (la taille de la pilule, sa forme, le nombre de pilules, l’interaction avec le soignant, etc.) sont standardisés de manière que seule soit testée l’efficacité de l’intervention. Ce type d’étude est le gold standard pour ce qui est de tester l’efficacité d’un traitement. Toutefois, on se rend bien compte qu’un ECR est surtout fait pour tester les traitements pharmacologiques, où il est facile d’isoler et de standardiser les différents paramètres constituant le soin. Dans le cadre de l’EM (tout comme la psychologie, la kinésithérapie, l’addictologie, etc.), il est impossible d’isoler les différentes composantes du soin (le facteur humain est trop prégnant). De ce fait, plusieurs auteurs ont discuté de la pertinence de l’utilisation de schéma d’étude prévu pour de la pharmacologie (ECR) pour tester des interventions complexes [30-35]. De nouveaux schémas d’étude, plus adaptés, sont proposés. Nous verrons dans le futur quels seront les résultats pour l’EM.

Focus Des interventions directives, même mêlées à des interventions

motivationnelles, ont pour résultat de placer le patient dans un processus de réflexion interne qui est défavorable au changement de comportement visé [36, 37]. Cela implique qu’en EM il est tout aussi important de guider son intervention de manière motivationnelle que de veiller à ne pas mélanger notre intervention avec un style directif ou que de proposer des solutions au patient.

Les ingrédients du changement Les valeurs du patient Un des paramètres fondamentaux à comprendre dans le processus du changement vient des valeurs du patient. Ces valeurs intègrent les préférences du patient quant à son mode de vie, sa famille, sa représentation de lui-même ou du monde, etc. C’est lorsque le comportement actuel du patient se heurte à ses valeurs que la nécessité de changer émerge. Le thérapeute, par son discours, peut mettre en avant la situation paradoxale dans laquelle se trouve le patient. Reprenons l’exemple proposé en introduction : « Clinicien (C) : Comment vont vos douleurs ? Patient (P) : Oh, vous savez, c’est un peu pareil que la dernière fois. C : Et avez-vous pu faire les exercices que je vous avais prescrits ? P : J’ai essayé une fois ou deux. C : Ah, et pourquoi pas plus ? Il semble que je vous avais dit d’en faire 5 à 6 séries par jour. P : Oui je sais bien, mais la petite a été malade et je n’ai pas eu le temps. C’est ici que nous avons une verbalisation de certaines valeurs de ce patient : il s’agit d’un père de famille s’occupant de ses enfants. Nous pouvons commencer par le reconnaître et le mettre en avant.

C : Vous occuper de votre famille reste la priorité pour vous. P : Oui bien sûr. Je serais un bien mauvais père si je ne faisais pas ça. En même temps, là en ce moment, je ne peux pas trop

jouer avec elle. Elle a 8 ans et à cet âge ça court partout et là, moi, avec mon dos c’est compliqué. Le fait d’avoir reconnu cette valeur fait émerger une raison de changer pour ce patient : il n’arrive plus à s’occuper de sa fille comme il le voudrait. Maintenant, nous avons le levier qui va motiver ce patient à faire ses exercices.

C : Votre rôle de père vous tient à cœur et votre mal de dos vous empêche de l’assumer totalement. P : Il y a de ça en effet. Les croyances du patient Le deuxième paramètre vient des croyances du patient quant à son problème. En psychologie, les émotions (peur, anxiété, etc.) émergent des croyances. Les comportements (évitement, confrontation, etc.) émergent quant à eux des émotions. Ainsi, si un patient a un comportement kinésiophobique, ce comportement est présent pour une bonne raison : le patient a peur de bouger et il a peur de bouger parce que… Et ce sont ces points de suspension qui nous intéressent. Dans une approche biopsychosociale, le clinicien ne change pas toute la psychologie ou tout le mode de vie du patient. Son rôle essentiel est de guider le patient vers une compréhension adaptée de son état de santé et des changements de comportements lui permettant de s’améliorer (figure 21.1).

FIGURE 21.1 L’environnement du thérapeute pour la prise de décision clinique. EBP : evidence-based practice.

Les croyances, les habitudes et les expériences passées conditionnent l’individu dans un mode de vie qui lui semble acceptable. C’est en confrontant ces croyances, ces habitudes et autres expériences à une alternative que le patient prend conscience du besoin de changer. La motivation et l’ambivalence du patient La motivation est le processus par lequel des activités dirigées vers un objectif sont initiées et maintenues [38]. La motivation est une composante intrinsèque présente chez tous les patients. Le clinicien peut l’encourager et aider le patient à la développer. Toutefois, le clinicien peut aussi la brider très facilement, comme nous le verrons plus loin. Le « jumeau maléfique » de la motivation est l’ambivalence. Cette dernière se définit par la disposition psychique d’une personne qui éprouve ou qui manifeste simultanément deux sentiments, deux attitudes opposé(e)s à l’endroit d’un même comportement, d’une même situation. Dans le cadre du changement de comportement, on a

d’un côté le statu quo et de l’autre le changement. Par exemple, un fumeur sait qu’il ne doit pas fumer, pourtant il continue. Par transposition, un patient sait qu’il devrait faire ses exercices, pourtant il ne les fait pas. De manière simplifiée, la motivation est la résultante du calcul : • entre les coûts : temps, effort, inconfort, douleur, etc. ; • et les bénéfices : rencontre entre les besoins psychologiques et physiologiques, diminution de la souffrance, diminution des opportunités actuelles, etc., perçus par le patient en fonction de son état psychologique, de son environnement, de ses histoires passées et de ses conceptions (figure 21.2) [39].

FIGURE 21.2 Représentation schématique de la motivation en fonction du calcul des coûts et des bénéfices en lien avec un changement de comportement.

La plupart des patients sont motivés pour aller mieux. Toutefois, ils sont bien souvent moins motivés à mettre en place les changements nécessaires à cette amélioration.

L’esprit de l’entretien motivationnel La notion d’ambivalence et de réactance du

patient face au discours du clinicien Les cliniciens sont quotidiennement confrontés à la résistance du patient. Il s’agit de la non-application des conseils/consignes du thérapeute dans un contexte de soin (par exemple faire du sport, faire les exercices prescrits par le kiné, arrêter de fumer, etc.). Ces conseils sont adaptés à la situation clinique du patient, mais celui-ci ne les applique tout simplement pas, et ce malgré toute la motivation, la bienveillance, la sincérité, etc., du clinicien. C’est une situation on ne peut plus frustrante et connue par tous les professionnels de santé dans le monde entier. L’un des exemples les plus frappants vient de la tabacologie. De nos jours, avec toutes les campagnes de santé publique menées [40], tout le monde sait que le tabac est mauvais pour la santé. Sur un versant scientifique, il existe assez de preuves fondamentales et cliniques pour être catégorique. Alors pourquoi les fumeurs continuent-ils de fumer ? Les résultats issus d’études dans le champ de la psychologie cognitive semblent plutôt unanimes : les conseils prodigués aux patients tabagiques n’ont quasi aucun impact sur leur changement de comportement. Pire, ils ont tendances à les agacer, voire à augmenter leur réactance [41], du fait de l’ambivalence inhérente à tout changement de comportement. Cette notion est fondamentale. Face à un changement à faire, toute personne aura des bénéfices à changer, par exemple une meilleure santé du fait de l’arrêt du tabac. Mais elle a aussi des bonnes raisons de ne pas changer, par exemple la prise de poids après l’arrêt du tabac ou l’effet anti-stress de la pause cigarette. Nous, les cliniciens, faisons très souvent l’erreur de ne considérer que les bonnes raisons qu’a le patient de changer. Nous oublions souvent les bonnes raisons qu’a le patient de ne pas changer. Ces dernières, étant propres au patient, s’intègrent dans le système des valeurs du patient. Ce qui peut être désuet pour un clinicien peut revêtir une importance capitale pour un patient. Tant que les raisons de ne pas changer restent supérieures aux raisons de changer dans le système de valeurs du patient, le changement ne peut pas avoir lieu (figure 21.3).

FIGURE 21.3 État d’équilibre – notion d’ambivalence.

Remarque Imaginez un petit diable qui chuchote : « Non, ne change pas, regarde comme tu es bien comme ça », et un petit ange qui murmure : « C’est possible, vas-y change, tu seras bien mieux ». Ces deux voies intérieures s’opposent et s’équilibrent ; il s’agit de l’ambivalence. La plupart du temps, le clinicien prend parti pour le changement. Il

argumente, essaie de convaincre, éduque le patient, etc., pour qu’émerge ce changement. Bien souvent, le patient en face de lui argumente à l’opposé, expliquant au clinicien les bonnes raisons qu’il a de ne pas changer (pas le temps, trop de travail, etc.). Ces consultations prennent l’aspect d’une partie de ping-pong où chacun des protagonistes débute sa phrase par un « oui mais » lourd de sens. Nous sommes ici dans l’expression du concept de réactance décrit par Brehm. Ce dernier a montré que, lorsqu’un individu perçoit sa sensation de liberté d’action limitée, il développe un comportement de défense psychologique. Cette dernière le mène à développer une résistance aux informations directives reçues [42]. Plus le thérapeute argumente pour le changement, plus le patient se « défend » et résiste à ce changement. Au final, nous aboutissons la plupart du temps au statu quo. Reprenons l’exemple proposé en introduction : « Clinicien (C) : Comment vont vos douleurs ? Patient (P) : Oh, vous savez, c’est un peu pareil que la dernière fois. C : Et avez-vous pu faire les exercices que je vous avais prescrits ? P : J’ai essayé une fois ou deux. C : Ah, et pourquoi pas plus ? Il semble que je vous avais dit d’en faire 5 à 6 séries par jour. P : Oui je sais bien, mais la petite a été malade et je n’ai pas eu le temps. C : Ces exercices ne prennent pas beaucoup de temps à faire, 2 minutes au maximum. P : C’est vrai, mais c’est difficile de l’intégrer au quotidien. Le matin c’est la course, la journée, je ne vais pas les faire dans l’open-space, et en rentrant je m’occupe de ma fille. P : Pourtant, nous avions vu ensemble que ces exercices pouvaient diminuer votre douleur. P : Oui c’est vrai, mais je ne peux pas faire des exercices tout le temps comme ça, ce n’est pas une solution non plus. »

Notons comment clinicien et patient s’opposent leurs (bons) arguments. Le thérapeute argumente pour le changement, le patient pour le statu quo. Nous avons une « fausse écoute » illustrée par l’utilisation du « oui, mais » (conjonction marquant l’opposition). De l’extérieur, nous assistons plus à un combat qu’une consultation.

Les différents styles de communication L’EM définit un continuum dans les styles de communication qu’adopte le clinicien [12]. D’une extrémité à une autre, on retrouve : • le style « diriger », où le clinicien conseille le patient, donne des solutions, etc. ; • le style « suivre », où le clinicien écoute le patient et le suit sans intervenir dans l’élaboration de ses choix ; • avec au centre le style « guider », où le clinicien guide le patient pour faire les bons choix pour amener à un changement de comportement favorable à sa santé. Par vocation à aider autrui, le clinicien prend souvent une posture d’autorité avec le patient. Le clinicien est celui qui sait ; de ce fait, il donne des conseils et dirige les soins. Si on exclut le facteur humain de la consultation, cette posture est tout à fait adéquate. Néanmoins, lorsque l’ambivalence et la réactance entrent en jeu, cette attitude aboutit bien souvent à un statu quo de la part du patient. Prenons l’exemple d’une consultation en tabacologie dans un style directif. Demandez-vous quelle réaction aurait un patient à qui l’on tient ce discours : « Vous connaissez bien les effets défavorables de fumer, alors vous avez toutes les bonnes raisons d’arrêter ». Si on transpose ce discours à une consultation de kinésithérapie, nous aurions : « Vous savez bien que ça n’ira pas mieux si vous ne réalisez pas vos exercices ». Les cliniciens sont bienveillants dans leur exercice professionnel ; ils veulent ce qu’il y a de mieux pour leur patient. Par conséquent, involontairement (par excès de bonne volonté ?), les cliniciens essaient de convaincre le patient de prendre la direction cliniquement adaptée,

plutôt que d’intégrer les valeurs du patient. En EM, ce comportement s’appelle le réflexe correcteur [12]. Dans l’exemple précédent au sujet de la consommation de tabac, on retrouve : • pour le style suivre : « Vous n’avez pas encore arrêter de fumer, mais j’ai toute confiance d’en votre capacité à y arriver un jour » ; • pour le style guider : « Vous avez évoqué d’importantes raisons d’arrêter de fumer, comme de montrer le bon exemple à vos enfants, de prendre soin de votre santé et de faire plaisir à votre femme. Vous avez également diminué votre consommation depuis notre dernier rendez-vous. Qu’est-ce qui pourrait vous aider à diminuer davantage cette consommation ? ».

Pour comprendre Prenons la métaphore de la promenade entre un patient et un clinicien pour représenter le traitement du patient. Si le clinicien se situe devant le patient, il ouvre la voie et indique le chemin. Il dirige donc la consultation et le patient suit ou « obéit » aux injonctions du thérapeute. Les attentes et valeurs du patient ne sont pas prises en compte. Si le clinicien suit le patient, ce dernier dirige la promenade. Ses valeurs et attentes sont au premier plan. Enfin, si le clinicien marche aux côtés du patient, la décision est partagée. Les valeurs et attentes du patients sont prises en compte, mais ce ne sont pas elles qui décident de tout. Le clinicien partage avec le patient les informations et les prises de décision concernant la route à choisir. Chacun de ces styles est utile dans différents contextes de soins. Par exemple, dans le cadre d’un infarctus aigu, le clinicien doit diriger. Dans le cadre d’une consultation à la suite d’un traumatisme psychologique ou sexuel, le clinicien suit. Enfin, dans le cadre de consultations avec des patients douloureux chroniques chez qui des changements d’habitude de vie sont nécessaires (sport, sommeil,

etc.), le clinicien guide (figure 21.4).

FIGURE 21.4 « La métaphore de la promenade » – guider le patient.

Les composantes de l’esprit de l’entretien motivationnel L’esprit de l’EM s’exprime pleinement avec la posture de guidage du clinicien. Cette notion d’esprit est décrite en EM par quatre composantes conjointes à adopter par le clinicien : • une relation de collaboration entre le clinicien et le patient. Celle-ci est définie par une relation entre deux partenaires qui se situent sur un même niveau. La relation s’apparente à un travail collaboratif de deux personnes, qui marchent main dans la main. Le clinicien est l’expert du domaine scientifique et le patient est l’expert de ses sensations, de ses valeurs et de son histoire. L’EM ne se fait pas sur la personne mais avec la personne. Cette relation collaborative semble essentielle pour initier les changements de comportements [43] ;

• une attitude de non-jugement. C. Rogers a défini l’attitude de non-jugement au travers de quatre composantes [44] : – le patient est profondément et inconditionnellement bon. Chaque patient est honnête dans sa démarche de changement de comportement et chaque patient a la volonté de se développer favorablement ; – le clinicien manifeste une empathie approfondie. Le clinicien comprend sincèrement le point de vue du patient sans y porter de jugement ; il joue un rôle dans lequel il se met dans la peau du patient. Le clinicien ne revient pas sur ses propres valeurs, mais il accepte la différence du patient le temps de la consultation ; – le clinicien soutient l’autonomie du patient. Tous les patients ont la capacité de pouvoir faire leur propre choix et de suivre leur propre décision, et ce quel que soient la situation de départ ou les conséquences de ces choix [45] ; – dans son intention, le clinicien doit chercher à valoriser les efforts et les capacités du patient, plutôt que d’évaluer ce que le patient n’a pas encore réussi. • une valeur d’altruisme. C’est une valeur essentielle de l’EM, sans laquelle ce dernier pourrait s’apparenter à de la manipulation. En EM, on guide le patient pour lui-même et en fonction de ses valeurs, et non pas pour arriver aux objectifs de nos consultations que nous nous sommes nous-mêmes fixés ; • la faveur accordée à l’évocation. C’est la vigilance du clinicien pour faire élaborer le patient sur ses propres désirs, raisons, besoins et capacités. On ne propose pas de solutions pour augmenter la motivation du patient sans avoir écouté ses valeurs, son ressenti et son histoire. Le patient connaît son problème, au moins en partie (il vit avec). L’un des rôles du clinicien pratiquant l’EM est d’aider le patient à se servir de ces leviers pour induire le changement de comportement en santé.

En filant la métaphore de la promenade, nous pouvons ajouter ceci : • la relation de collaboration se définit comme le fait de marcher avec le patient ; • l’attitude de non-jugement renvoie à l’acceptation psychologique totale du choix des différentes étapes qu’a fait le patient sur le chemin de son voyage et à la valorisation de celles-ci ; • l’altruisme consiste à marcher pour le patient ; • l’évocation fait référence aux raisons, aux désirs et aux besoins du patient pour choisir un itinéraire plutôt qu’un autre. Si nous reprenons l’exemple de dialogue proposé en introduction, en EM, la posture du clinicien peut être la suivante : « Clinicien (C) : Comment votre état a-t-il évolué depuis notre dernier rendez-vous ? (collaboration-altruisme) Patient (P) : Oh, vous savez, c’est un peu pareil que la dernière fois. C : Qu’avez-vous réussi à mettre en place pour changer vos symptômes ? (collaboration-évocation) P : J’ai essayé une fois ou deux les exercices. C : Vous avez commencé à prendre le temps pour gérer votre problème. (non-jugement) P : Oui, j’ai essayé d’y penser mais la petite a été malade et je n’ai pas eu trop de temps. C : C’est important pour vous d’être présent pour votre fille et en même temps vous souhaitez que votre dos aille mieux. Que pourriez-vous faire de plus pour améliorer votre état ? (collaboration-évocation) P : Les exercices me font du bien lorsque je les réalise. Je pense que si j’en faisais plus, j’irai mieux. »

Les processus de l’entretien motivationnel L’EM suit un raisonnement détaillé et étudié pour mettre en place des

stratégies permettant de guider le patient [46]. Quatre processus sont définis en EM : • le premier est l’engagement relationnel ; • le deuxième la focalisation ; • puis vient l’évocation ; • et enfin la planification. Ces quatre étapes sont définies dans l’ordre chronologique décrit précédemment. Pour que le clinicien avance avec le patient, il est nécessaire que le processus soit acquis avant de passer au suivant. Toutefois, il arrive que le patient revienne sur un des processus.

Premier processus : l’alliance thérapeutique C’est au travers du discours emprunté par le clinicien, du choix des mots et de son écoute que la relation thérapeutique évolue. Les outils et une posture en accord avec l’esprit de l’EM facilitent la mise en place d’une relation de qualité [47-50]. Le patient doit se sentir dans un climat de confiance, prêt à s’engager. Pour y parvenir, le thérapeute questionne le patient sur ses propres objectifs, sur la façon dont il se représente son problème, ou encore sur les attentes du traitement. Si le patient ressent que la situation et l’environnement lui permettent de s’exprimer librement et d’être écouté, il s’approprie plus volontiers son traitement. De ce fait, il en devient l’acteur principal. Le clinicien, quant à lui, crée les conditions permettant l’émergence de cette situation ; il agit comme un catalyseur. Dans la pratique de l’EM, ce sont l’utilisation guidée des outils avec une posture définie par l’esprit de l’EM qui permettent de créer l’alliance thérapeutique avec le patient. Pour la réussite de cette première étape fondamentale, le clinicien utilise une écoute réflective et manifeste son empathie. L’écoute réflective est la capacité du clinicien à réaliser une écoute active et spécifique. L’écoute active ne se limite pas à écouter passivement ce que dit le patient. Il s’agit de reprendre le vocabulaire utilisé par le

patient, de montrer que l’on a saisi ce qui a été dit (par des reflets par exemple). La spécificité de l’écoute réside dans l’attention que va porter le clinicien à comprendre les propos du patient et à manifester sa compréhension. La pratique de l’EM n’est pas isolée d’une prise en charge en kinésithérapie « classique ». Ces outils et cette approche viennent se greffer sur le raisonnement clinique du kinésithérapeute. Ainsi, en parallèle de cette première phase du raisonnement de l’EM, le clinicien peut réunir les informations relatives au problème du patient (localisation des symptômes, historique, comportement quotidien de la douleur, impact sur les activités fonctionnelles du quotidien, etc.). Certains auteurs parlent de raisonnement diagnostique et de raisonnement narratif [51]. Ils se construisent en parallèle l’un de l’autre et sont d’égale importance.

Focus En EM, l’engagement dans la relation thérapeutique se définit par une relation de confiance et d’aide respectueuse. Des études ont montré que l’alliance thérapeutique est prédictive de la satisfaction du patient, de l’adhésion au traitement et des résultats attendus. C’est donc un élément essentiel pour aboutir à un changement efficace dans le soin [52-58]. Dans certaines situations, il est nécessaire de cultiver davantage l’alliance thérapeutique. Pour y parvenir, le clinicien peut interroger le patient sur les éléments suivants : • la manière dont le patient pense pouvoir agir sur son problème ; • ce qu’a identifié le patient comme éléments qui modulent sa souffrance ; • ce que le patient a compris de sa situation. Ces questions permettent au clinicien d’obtenir davantage d’informations sur la dimension cognitive et émotionnelle du patient.

Remarque Dans la métaphore de la promenade, l’engagement dans la relation constitue l’énergie pour marcher.

Focus Dans la communication, il y a écouter et parler. En EM, la pratique d’une écoute réflective par le clinicien est une base fondamentale. Comme le dit Confucius : « Si l’homme a deux oreilles et une bouche, c’est pour écouter deux fois plus qu’il ne parle ».

Remarque L’évaluation standardisée comporte des pièges limitant l’engagement du patient dans la relation thérapeutique. Lors de la première séance, si les cliniciens se focalisent trop sur le problème du patient et ne laissent pas la liberté au patient de s’exprimer, alors la relation perd en partenariat et l’alliance thérapeutique sera moins robuste. Il est important de trouver un juste milieu entre le « problème du patient » (raisonnement diagnostique) et le « patient qui vit avec ce problème » (raisonnement narratif). Trop de l’un ou trop de l’autre limitera l’efficience du bilan. Le clinicien doit laisser de la place au patient pour qu’il puisse développer sa vision de ses symptômes. Si nous reprenons l’exemple de dialogue proposé en introduction, en EM, la posture du clinicien dans le processus d’alliance thérapeutique peut être la suivante : « Clinicien (C) : Comment votre état a-t-il évolué depuis notre dernier rendez-vous ? Patient (P) : Oh, vous savez, c’est un peu pareil que la dernière fois. C : Vous ne sentez pas que les choses bougent. Pouvez-vous me dire comment s’est déroulée votre semaine ? P : La petite a été malade. J’ai dû davantage m’en occuper et au

travail, c’est le rush, comme toujours. C : C’est important pour vous d’être présent pour votre fille et vous êtes investi dans votre travail. P : Oui, c’est comme ça que je suis. C : Votre rôle de père vous occupe et en même temps vous prenez le temps de venir en consultation. Pouvez-vous me dire ce que vous attendez de nos séances ? P : Je veux vraiment que mon dos change. J’ai envie de pouvoir revivre comme avant, mais je ne vois pas comment ça peut évoluer après si longtemps. C : Vous souffrez depuis longtemps et vous doutez que votre état puisse s’améliorer. P : C’est vrai que je ne sais pas trop. Le médecin m’a dit que c’était possible et autour de moi j’ai des amis qui ont réussi à se débarrasser d’une douleur comme la mienne, mais j’ai aussi un ami qui souffre depuis des années pour le même problème. C : Vous êtes conscient que différentes situations existent. Qu’est-ce qui vous fait penser que vous ne pouvez pas faire partie des personnes qui s’améliorent avec un traitement approprié ? P : Hum… rien en fait. Et vous en pensez quoi ? C : Mon bilan initial a montré qu’il n’y avait pas de frein catégorique à ce que vous puissiez vous améliorer. P : C’est vrai que nous avions discuté de mon pronostic. J’ai confiance dans nos séances. »

Deuxième processus : la focalisation Le processus suivant l’engagement dans la relation est la focalisation. C’est un processus continu de recherche du cap à suivre et à maintenir. Dans la pratique clinique, la focalisation peut venir du patient, comme dans l’exemple suivant : « Je ressens encore des douleurs à la marche prolongée. Pouvez-vous me donner un exercice pour renforcer ma cheville. Je sens qu’elle en a besoin » ; ou bien de l’expertise du clinicien : « Un patient vient en consultation pour une

douleur récurrente de cheville à la suite d’une marche prolongée depuis un ancien épisode d’entorse bénigne. Il souhaite des massages pour le soulager sur la période de crise douloureuse. Le clinicien souhaiterait faire participer le patient à une activité physique adaptée et graduelle pour soulager la cheville et limiter l’apparition de récidives ». Dans l’étape de focalisation, le clinicien prend en compte les limites inhérentes au contexte du patient : les limites organisationnelles, le cadre professionnel, la situation sociale, ou les obligations familiales, etc. Certains patients ont parfois du mal à focaliser sur un objectif cible de changement. Dans ce contexte, le clinicien peut aider le patient à hiérarchiser ses objectifs, par exemple : • « Vous nous avez fait part des différentes possibilités pour soulager votre douleur. Quelle est celle qui a le plus de sens pour vous ? » • « Vous avez formulé l’envie de faire les exercices que nous avons vus ensemble, de modifier votre position de travail et d’être moins sédentaire pour limiter l’apparition de votre douleur. J’aimerais aussi discuter avec vous de la possibilité de faire une activité physique régulière. Qu’aimeriez-vous aborder en premier ? » Il peut même arriver de rencontrer des patients qui n’ont pas d’objectif réellement défini. Le clinicien est alors en pleine construction d’un puzzle entre son expertise clinique et la connaissance qu’a le patient de lui-même. Le clinicien émet des hypothèses orientées en fonction des valeurs du patient pour faire émerger chez le patient un objectif de changement cible. Si nous reprenons la suite de l’exemple de dialogue proposé en introduction après le premier processus (construire l’alliance thérapeutique), en EM, la posture du clinicien dans le processus de focalisation peut être la suivante : « P : C’est vrai que nous avions discuté de mon pronostic. J’ai

confiance dans nos séances. C : Pouvez-vous me dire comment vous pensez que notre travail puisse changer l’état de votre dos ? P : Bah, je ne sais pas trop. Les exercices que vous m’avez proposés me soulagent sur le moment, mais ma douleur finit toujours par revenir. Tous les matins, c’est pareil. C : Vous ne sentez pas que les exercices changent en profondeur votre douleur, même si vous vous sentez mieux lorsque vous venez de les réaliser. P : Oui, j’ai l’impression que je m’assouplis lorsque je les fais. C : Et qu’est-ce qui pourrait vous permettre d’assouplir davantage votre dos avec ces exercices ? P : Je suis convaincu que si je pouvais faire davantage les exercices, je m’assouplirais définitivement. C : Votre difficulté actuelle, c’est d’arriver à organiser votre quotidien pour faire davantage les exercices. P : C’est exactement ça. En fait, je sens que je dois bouger davantage et les exercices sont vraiment bien pour ça. Je dois me motiver à les faire. »

Troisième processus : l’évocation Le clinicien a permis au patient de s’engager pleinement dans la relation thérapeutique ; un objectif de changement cible a été défini avec le patient. Il s’agit maintenant de faire émerger la motivation du patient à mener son objectif de changement : c’est le processus d’évocation. En EM, le clinicien crée un échange avec le patient qui a pour finalité de faire émerger les désirs, les capacités, les raisons et les besoins du patient. Ces quatre éléments entrent dans le « discours changement ». Il s’agit de la verbalisation par le patient de tous les éléments de langage favorables au changement. L’idée ici est de se fonder sur les motivations propres du patient plutôt que d’introduire des motivations externes. Par exemple : un patient fibromyalgique vous parle de la difficulté qu’il a pour marcher jusqu’à la boulangerie pour acheter son pain à 300 mètres de chez lui. Ce patient évoque un

besoin : pouvoir marcher 300 mètres pour aller cherche son pain. Nous avons là un très bon levier de motivation. Il est inutile de lui parler des effets de l’activité physique sur l’analgésie de la douleur (qui serait plutôt une raison de faire de l’activité).

Focus Le processus d’évocation passe par l’identification des éléments du discours changement du patient. Il s’agit de l’évocation par le patient de ses désirs, ses capacités, ses raisons ou ses besoins de changer (ou DCRB). ■ Le désir signale ce qu’on veut. Le désir est une valeur profonde intrinsèque à chaque individu. On observe ces éléments de langage du patient sous la forme : « je veux, j’aimerais, j’ai envie de », etc. ■ Les capacités désignent la confiance que s’accorde le patient à mener son changement. On retrouve les formulations suivantes : « je me sens capable de, je pourrais », etc. ■ Les raisons mettent en avant les avantages qu’a le patient à changer. On les identifie avec : « j’aurais moins mal, je reprendrai le sport », etc. ■ Les besoins renvoient à la nécessité de changer. Le patient les formule avec : « il faut que ça cesse, je n’en peux plus, cette situation doit changer », etc.

Dans une consultation, le clinicien va utiliser les outils de l’EM pour explorer le discours changement du patient. Par exemple : « Patient (P) : Je n’en peux plus d’avoir mal à mon dos. (Besoins) Thérapeute (T) : En ce moment, votre dos vous tape sur le système. (Reflet) P : Oui, cette douleur m’empêche de sortir au théâtre, d’aller au restaurant, de faire du sport, ou encore de jouer avec mes enfants. (Raisons)

T : Votre dos est un vrai handicap en ce moment. (Reflet) P : Je veux que ma douleur change. (Désir) T : Et comment pensez-vous pouvoir agir sur votre problème ? (Question ouverte) P : Si j’étais plus actif en marchant davantage, je pense que j’irais mieux. Quand je marchais un peu tous les jours en vacances, j’avais beaucoup moins mal. » (Capacités)

Focus Si, spontanément, un patient n’évoque aucun élément du DCRB, le clinicien peut les faire émerger avec des questions ouvertes orientées : ■ sur les désirs : que souhaitez-vous obtenir de nos séances ensemble ? Si vous aviez moins mal, qu’est-ce que vous aimeriez pouvoir refaire en premier ? ■ sur les capacités : quelle confiance vous accordez-vous à changer ? De quoi vous sentez-vous capable ? ■ sur les raisons : qu’est-ce que ce changement pourrait vous apporter ? Quels seraient les avantages pour vous d’avoir moins de douleur ? ■ sur les besoins : qu’avez-vous besoin de changer ? Qu’est-ce qui fait que la situation est devenue urgente pour vous à changer ?

En EM, les éléments du DCRB sont divisés en deux catégories : • les désirs, raisons et besoins du patient reflètent le degré d’importance que le patient porte à vouloir mener son plan de changement ; • alors que les capacités du patient reflètent le degré de confiance que le patient porte dans sa capacité à mener son plan de changement.

Focus Dans l’évocation, les capacités du patient font appel au sentiment d’efficacité personnelle. C’est une notion qui est souvent détaillée dans les études qui portent sur le domaine musculosquelettique [59, 60]. En effet, le sentiment d’efficacité personnelle est représenté par la confiance qu’a un patient dans sa faculté à arriver au résultat recherché. Si nous reprenons la suite du dialogue proposé en fil rouge : « C : Votre difficulté actuelle, c’est d’arriver à organiser votre quotidien pour faire davantage les exercices. P : Exactement. En fait, je sens que je dois bouger davantage et les exercices sont vraiment bien pour ça. Je dois me motiver à les faire. (Besoins) C : Quels bénéfices avez-vous à ce que votre douleur change ? P : Je pourrais de nouveau faire des balades en vélo avec ma fille, aider davantage ma femme dans les tâches de la maison, retourner au théâtre, reprendre le sport pour moi. (Raisons) C : Vous m’avez déjà parlé de l’importance qu’a votre fille pour vous. Pouvez-vous m’en dire davantage sur votre envie de reprendre le sport ? P : J’étais un grand sportif quand j’étais jeune. Je faisais beaucoup de compétition. Ça fait longtemps que j’ai arrêté, mais j’ai toujours conservé un bon niveau. Le sport c’est presque vital pour moi. J’ai besoin de me sentir fort et ça m’aide à déstresser. (Besoins) C : Le sport représente beaucoup d’éléments de votre passé que vous avez envie de retrouver. P : C’est tellement important pour moi que ça change. (Désirs) C : Vous avez évoqué que faire davantage d’exercices pourrait vous permettre d’arriver à vos objectifs. Quelle confiance vous accordez-vous dans votre capacité à mener ce changement ? P : Je ne sais pas trop. Je veux vraiment que ça change mais je doute aussi beaucoup dans le fait d’arriver à m’y tenir. (Désirs

et capacités) C : Cet objectif est une réelle difficulté pour vous et en même temps vous avez déjà réussi à réaliser les exercices quelquefois. Qu’est-ce qui pourrait vous aider à en réaliser davantage dans votre quotidien ? (Valorisation sur les exercices qu’a déjà fait le patient et non une parole sur ceux qu’il n’a pas faits) P : Je pourrais me mettre des alarmes. Je pense que ça m’aiderait vraiment à m’en souvenir. (Capacités) C : Les alarmes de votre téléphone sont un moyen pour vous permettre de retrouver votre capacité à jouer avec votre fille, à reprendre le sport, à être davantage présent pour votre femme et à ne plus être gêné dans votre quotidien au travail. »

Quatrième processus : la planification En EM, la planification constitue le dernier processus de la démarche de changement de comportement d’un patient. Il s’agit ici d’établir un plan concret construit en pleine collaboration avec le patient. D’ailleurs, une étude a montré qu’associer un plan de changement à une intervention guidée améliore le résultat attendu comparativement à ces deux éléments isolés [61]. La planification s’inscrit dans le discours changement de mobilisation. En psychologie, dans les stades transthéoriques du changement, on distingue : • l’envie et l’intention de changer qui appartiennent à la phase de précontemplation, où le patient utilise un discours appelé « discours changement préparatoire » ; • la réalisation concrète du changement qui se situe dans la phase d’action, où le patient utilise un « discours changement de mobilisation ». Les éléments du DCRB définissent le discours changement préparatoire au changement, alors que l’engagement du patient, le mouvement de mise en action et ses premiers pas définissent le

discours changement de mobilisation. Au sein de la métaphore de la promenade, il s’agit du plan de route détaillant chaque étape et chaque mode de transport. La planification prend en compte toute la complexité de la situation et toute la diversité des patients. En EM, ce processus est souvent comparé à la descente d’une colline plutôt qu’à la montée ; le chemin est plus facile à arpenter. Un des pièges que le clinicien pourrait commettre serait de tomber dans le réflexe correcteur et de redevenir directif, pensant que l’expertise clinique prime sur les valeurs du patient. À la fin de l’entretien, quoi qu’il arrive, c’est le patient qui applique le plan de changement. Au préalable, il faut savoir si le patient est prêt à entamer le processus de planification. Miller et Rollnick décrivent deux étapes : • d’abord établir un résumé de tous les éléments du discours changement du patient ; • puis le clinicien peut utiliser une question clé du type : – Que pensez-vous faire maintenant ? – Où cela vous conduit-il ? – Comment pouvez-vous agir concrètement ? Si nous reprenons la suite du dialogue proposé en fil rouge : « P : Je pourrais me mettre des alarmes. Je pense que ça m’aiderait vraiment à m’en souvenir. C : Les alarmes de votre téléphone sont un moyen pour vous permettre de planifier vos exercices dans la journée pour arriver à récupérer toute votre capacité d’avant. D’un point de vue concret, comment allez-vous vous organiser ? P : Je pense que je pourrais me mettre un rappel le matin avant de partir au travail, et quand ma fille est déjà à l’école et que je repasse à la maison. Je pourrais aussi me mettre un rappel au déjeuner du midi ; là c’est facile à faire pour moi. Et le soir devant la télé quand la petite est couchée, c’est faisable aussi.

C : Vous avez déjà trouvé trois moments de la journée pendant lesquels vous pouvez effectuer les exercices. Qu’en pensezvous ? P : Je pense que je devrais le faire au moins cinq fois par jour si je veux ressentir un effet. C : Vous sentez le besoin d’en faire plus. À quels autres moments pourriez-vous ajouter les deux fois manquantes ? P : C’est rapide à faire comme exercice, et j’attends toujours plusieurs minutes sur le quai du RER. Je ne pense pas que ça me dérangerait de le faire à ce moment. Et pour la dernière, avant ou après le repas du soir me semble jouable pour le faire ; c’est là que c’est le moins gênant. C : Vous avez établi un programme pour fixer vos rappels et ainsi réaliser vos exercices cinq fois par jour. »

Pour comprendre À chaque instant, les processus de l’EM sont continus et interdépendants (figure 21.5).

FIGURE 21.5 Les processus de l’entretien motivationnel sont continus et interdépendants.

Les différents processus de l’EM sont une des bases fondamentales de son utilisation, au même titre que le raisonnement clinique l’est pour le choix des techniques manuelles/exercices utilisé(e)es.

Les outils de l’entretien motivationnel Les outils de l’EM sont des outils de paroles simples et utilisées dans le sens commun. Cependant, ce sont leur organisation dans le dialogue et leur utilisation orientée vers un but précis et planifié qui permettent de les définir comme des outils spécifiques à l’EM. Et c’est,

ici, une réelle complexité. G.B. Shaw a dit : « Le problème avec la communication, c’est l’illusion qu’elle a été accomplie » [62]. Il existe cinq principaux outils dans l’EM [12].

Les questions ouvertes Une question ouverte (QO) est une question invitant l’interlocuteur à développer sa réponse. Elle n’a pas un nombre de réponses limité : • « Comment évolue vos symptômes ces derniers jours ? » → Question ouverte • « Vos symptômes sont-ils stationnaires, se détériorent-ils ou s’améliorent-ils ? » → Question fermée Les QO : • permettent au patient de réfléchir et d’élaborer sur leur problème. Les QO ne permettant pas uniquement de recueillir des informations ; elles permettent aussi de comprendre les valeurs et le vécu du patient et de renforcer la relation collaborative ; • s’intègrent également dans l’esprit de non-jugement en interrogeant le patient sur ses valeurs ; • dans leur choix, offrent une présence au patient qui renforce l’alliance thérapeutique ; • favorisent le principe d’évocation. Voici d’autres exemples de QO : • Quel est votre problème principal aujourd’hui ? • De quelle manière vos symptômes ont-ils changé par rapport à notre dernière séance ? • Comment vos symptômes influent-ils sur votre quotidien ?

Remarque

Une QO n’est pas synonyme d’un long monologue du patient sur un thème flou. Lorsque l’on demande à un patient d’exposer son problème par une QO, il y répond en 92 secondes en moyenne [63]. De plus, elle ne s’oppose pas à la question fermée. Elle permet de laisser la possibilité au patient de s’exprimer sur ce qu’il souhaite partager avec le clinicien. Le clinicien peut utiliser une QO pour obtenir une information spécifique, par exemple : ■ Qu’en est-il de votre douleur pendant la nuit ? ■ Qu’en est-il de vos rapports sexuels en lien avec votre épisode douloureux (spécifique à la suspicion d’un syndrome de la queue de cheval) ?

Au sein du dialogue proposé en fil rouge, voici les QO proposées : • Comment votre état a-t-il évolué depuis notre dernier rendezvous ? • Qu’avez-vous réussi à mettre en place pour changer vos symptômes ? • Que pourriez-vous faire de plus pour améliorer votre état ? • Pouvez-vous me dire ce que vous attendez de nos séances ? • Qu’est-ce qui vous fait penser que vous ne pouvez pas faire partie des personnes qui s’améliorent avec un traitement approprié ? • Pouvez-vous me dire comment vous pensez que notre travail puisse changer l’état de votre dos ? • Qu’est-ce qui pourrait vous permettre d’assouplir davantage votre dos avec ces exercices ? • Quels bénéfices avez-vous à ce que votre douleur change ? • Pouvez m’en dire davantage sur votre envie de reprendre le sport ? • Quelle confiance vous accordez-vous dans votre capacité à mener ce changement ?

• Qu’est-ce qui pourrait vous aider à en réaliser davantage dans votre quotidien ? • Comment allez-vous les organiser dans une journée type ?

La valorisation La valorisation met en avant les efforts du patient et non les résultats. Elle montre au patient qu’il est capable et qu’il a déjà réussi à avancer. La valorisation a plusieurs rôles. Elle : • améliore l’alliance thérapeutique ; • témoigne de l’empathie ; • augmente le sentiment d’efficacité personnelle et la confiance ; • soutient l’autonomie ; • diminue la résistance et fait émerger le discours changement. Des études ont également montré que la valorisation facilite le maintien dans le programme de soins et augmente la capacité à entendre des informations menaçantes [64, 65]. Voici quelques exemples de valorisation : • « vous avez amélioré votre état au travers des exercices que vous avez réalisés » ; • « vous avez réussi à comprendre les mécanismes qui influencent votre douleur au travers de votre analyse » ; • « même si une partie de vos douleurs persistent, vous avez eu de bonnes intentions en adaptant votre quotidien ». En EM, la valorisation évite de se positionner comme un juge bienveillant en se tournant vers le patient en utilisant plutôt la forme du « vous » plutôt que du « je ». Exemple : « Vous avez réalisé les exercices que nous avions fixés ensemble » ; plutôt que : « Je pense que vous avez bien fait de faire vos exercices ». La valorisation est axée sur les efforts, les forces, les capacités, les actions et les intentions du patient. La « force » d’une valorisation dépend de ce sur quoi elle est axée :

• en première place, on valorise les résultats ; • en seconde place, la démarche pour y parvenir ; • et si aucun des deux premiers éléments n’est présent, on peut valoriser les valeurs et les capacités du patient pour l’aider à arriver au résultat. La valorisation doit être authentique et contextualisée. Au sein du dialogue proposé en fil rouge, voici les valorisations proposées : • Vous avez commencé à prendre le temps de gérer votre problème. • Vous êtes investi dans votre travail. • Votre rôle de père vous occupe et en même temps vous prenez le temps de venir en consultation. • Vous avez déjà trouvé trois moments de la journée pendant lesquels vous pouvez effectuer les exercices. • Vous avez établi un programme pour fixer vos rappels.

L’écoute réflective L’écoute réflective consiste à utiliser des reflets [66, 67]. Un reflet est une paraphrase de ce que vient de dire le patient, sur un ton affirmatif (et non interrogatif). Le thérapeute agit comme un miroir en reflétant ce que vient de dire le patient. Cet outil a plusieurs objectifs : • faire élaborer davantage le patient sur ses motivations au changement ou sur sa pensée ; • renforcer ce que le patient vient de dire (il l’entend pour une deuxième fois) ; • s’assurer que le thérapeute a bien compris ce que vient de dire le patient ; • émettre une hypothèse sur ce que vient de dire le patient.

Pour comprendre T. Gordon a décrit la pensée qui se projette derrière la conception

d’un reflet. Ce raisonnement se divise en trois étapes : ■ comment le patient code avec ses propres mots sa pensée ; ■ comment le clinicien entend les mots du patient ; ■ comment le clinicien code les mots du patient.

C’est au niveau de l’utilisation des reflets que s’exprime pleinement l’esprit de l’EM dans sa composante de collaboration, de nonjugement et d’évocation. Voici un exemple de dialogue entre un thérapeute et un patient : « P : Ma douleur m’a beaucoup gêné cette semaine. T : Votre douleur vous handicape continuellement. P : Non, j’ai ressenti plus de douleur que d’habitude lorsque je restais plus de 30 minutes assis. T : C’est difficile pour vous de rester longtemps assis ces derniers temps et ça vous limite. P : Oui et pas seulement. Lorsque je suis debout immobile dans les transports, je ressens aussi davantage de douleur. T : Rester statique n’est pas favorable pour votre douleur. P : Oui, c’est bien ça. Je me sens mieux en mouvement. » L’utilisation des reflets a également un rôle majeur dans la capacité qu’a le clinicien à manifester son empathie au patient et lui permettre d’élaborer plus sur sa situation. Voici un exemple : « P : J’ai encore subi ma douleur cette semaine. T : Vous n’avez pas réussi à contrôler votre douleur. P : Oui, c’est vrai que je savais que j’allais avoir mal après ce que j’avais fait. T : Vous êtes conscient des activités qui peuvent produire votre douleur. P : Je le sais mais j’ai voulu quand même faire ce que j’avais à

faire. T : Vous êtes quelqu’un d’actif et en même temps vous voulez vraiment ne plus avoir mal. P : Je comprends que je dois rester vigilant si je veux guérir. » Au sein du dialogue proposé en fil rouge, voici les reflets proposés : • C’est important pour vous d’être présent pour votre fille et en même temps vous souhaitez que votre dos aille mieux. • C’est important pour vous d’être présent pour votre fille et vous êtes investi dans votre travail. • Vous souffrez depuis longtemps et vous doutez que votre état puisse s’améliorer. • Vous ne sentez pas que les exercices changent en profondeur votre douleur, même si vous vous sentez mieux lorsque vous venez de les réaliser. • Votre difficulté actuelle, c’est d’arriver à organiser votre quotidien pour faire davantage les exercices. • Le sport représente beaucoup d’éléments de votre passé que vous avez envie de retrouver. • Cet objectif est une réelle difficulté pour vous et en même temps vous avez déjà réussi à réaliser les exercices quelquefois.

Le résumé Le résumé se compose d’un ensemble de reflets. Il s’axe sur le discours changement du patient ; si possible, il valorise le patient ; et enfin, il se conclut par du discours changement. Voici un exemple : « T : Vous avez pris conscience que vous étiez mieux en bougeant, que par le passé cette douleur est déjà partie et que vous aviez réussi à l’enrayer pendant plusieurs années en faisant plus d’activité physique. P : Oui c’est bien ça. Avec vos conseils, je souhaiterais reprendre

un programme plus actif pour m’améliorer de nouveau ». En EM, il existe deux types de résumé : • le résumé dit simple qui témoigne de l’écoute attentive, de la compréhension empathique du clinicien, marque un temps d’arrêt, permet de relancer l’échange et de favoriser l’évocation ; • le résumé dit motivationnel qui rassemble les idées, fait le lien entre les différents éléments apportés et les facettes de l’ambivalence pour guider le patient en faveur du discours changement. Au sein du dialogue proposé en fil rouge, voici une proposition de résumé pour conclure la séance : « C : Vous attachez beaucoup d’importance à retrouver votre capacité à jouer avec votre fille, à reprendre le sport, à être davantage présent pour votre femme et à ne plus être gêné dans votre quotidien au travail. Vous avez réalisé des exercices qui vous soulagent sur le moment et vous souhaitez en faire davantage pour avoir un effet durable sur vos douleurs. Vous avez fini par mettre en place un plan concret d’action à réaliser vos exercices. »

Le demander-demander-partager-demander (DDPD) Le DDPD est l’outil phare de l’EM pour la prise en charge des patients douloureux. En effet, le clinicien peut utiliser cet outil pour partager de l’information avec le patient, ou même encore pour modifier une croyance inadaptée du patient. Il permet aussi d’éviter l’utilisation du réflexe correcteur par le thérapeute. Il se décompose de la sorte : • D – Demander. Le clinicien demande au patient ce qu’il connaît

de la situation et de son problème. L’objectif du clinicien est de connaître le point de vue du patient au sujet de l’information spécifique à partager. Il monopolise l’attention du patient à recevoir une information. • D – Demander. Le clinicien demande au patient l’autorisation de compléter ses propos ou de partager ses connaissances. Le clinicien se positionne pleinement dans une relation collaborative par cette demande et le patient s’engage à considérer l’information s’il l’accepte. • P – Partager. Si et uniquement si le patient accepte, le clinicien partage l’information adaptée au patient. C’est l’expertise du clinicien qui s’exprime à ce moment. • D – Demander. Le clinicien demande au patient ce qu’il a compris de l’information partagée, s’il se reconnaît dans l’explication du clinicien et en quoi ce partage d’information peut lui être utile pour mener son plan de changement. Le clinicien cherche, ici, à garder le cap de l’objectif et à intégrer pleinement le patient dans la relation collaborative. Voici un exemple : « P : J’ai fait une radiographie et j’ai une discopathie. T : D’accord et qu’en avez-vous compris ? (premier Demander) P : Je pense que c’est responsable des symptômes qui m’empêchent de marcher. T : Vous pensez que tous les gens qui ont une discopathie ont des douleurs invalidantes comme les vôtres. (Reflet pour vérifier que le clinicien a bien compris l’information) P : Je ne sais pas trop en fait. T : Est-ce que vous souhaitez savoir ce que nous dit la science sur l’observation des patients qui ont une discopathie ? (deuxième Demander – permission) P : Oui, je veux bien que vous m’en disiez plus. T : Il est très fréquent d’observer de tels diagnostics radiographiques chez des gens de 60 ans qui n’ont pas mal au dos. D’ailleurs, voici une infographie montrant les

pourcentages de discopathies trouvées chez des gens valides et non douloureux. Vous voyez, à 60 ans, pratiquement tout le monde à une discopathie mais tout le monde n’a pas mal au dos. (Partager l’information) P : Vous pensez que ma discopathie n’est pas responsable de mes douleurs et que j’ai la possibilité d’améliorer mon état. T : À la vue de votre évaluation initiale, il semble que vos douleurs ne soient pas forcément liées à votre discopathie et il y a un intérêt à d’abord tester un traitement à base de mouvement pour soulager vos douleurs. Qu’en pensez-vous ? (troisième Demander) P : OK, je veux bien essayer. »

Conclusion L’entretien motivationnel (EM) est un moyen de guider les patients vers le changement de comportement. Il ne s’agit pas d’un traitement direct de la douleur du patient, mais d’un adjuvant très utile dans certains cas. Il permet de définir un cadre narratif pour les séances avec le patient en définissant des étapes, des processus et des outils. L’empathie, l’écoute, l’alliance thérapeutique et le respect de l’autonomie du patient sont des éléments clés de l’EM.

Points à retenir ■ L’entretien motivationnel (EM) est un style de conversation collaboratif pour renforcer la motivation propre d’une personne et son engagement vers le changement. ■ L’entretien motivationnel n’est pas un traitement direct de la douleur du patient comme peut l’être la thérapie manuelle par exemple. Il s’agit d’une méthode transdisciplinaire utile dès qu’un changement de comportement de santé d’un patient est nécessaire. ■ L’EM est un concept multidimensionnel qui s’exprime à la réunion d’un esprit, de processus et d’outils.

■ L’esprit de l’EM regroupe la collaboration, le non-jugement, l’altruisme et l’évocation. ■ Les quatre processus de l’EM sont de créer l’alliance, focaliser vers un objectif précis, travailler l’évocation (favoriser la motivation) et planifier (action). ■ Les outils de l’EM sont des outils de langage tels que les questions ouvertes, les reflets, la valorisation, le résumé, ou encore le « demander-demander-partager-demander ».

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PA R T I E I V

Raisonner et appliquer PLAN DE LA PARTIE 22. Raisonnement clinique dans l’accompagnement d’une personne douloureuse 225 23. Communication 251 24. Résolution de cas cliniques 290

CHAPITRE 22

Raisonnement clinique dans l’accompagnement d’une personne douloureuse T. Osinski, A. Pallot

« L’observation recueille les faits ; la réflexion les combine ; l’expérience vérifie le résultat de la combinaison. » Denis Diderot

PLAN DU CHAPITRE Introduction 226 Classification des douleurs par mécanismes 226 Les caractéristiques du symptôme 227 Démarche d’évaluation 240 Décider des soins 244 Proposition de soins 245 Apport du raisonnement bayésien 248 Péroraison 249 Références 250

Introduction

La douleur est un symptôme fréquemment rapporté comme plainte principale lors de soins en rééducation, soins qui, paradoxalement, peuvent aussi être source de douleur pour le patient. Il est attendu du professionnel une prise en compte de cette douleur. Se pose alors la question de comment répondre à cette plainte douloureuse. Le choix de la réponse thérapeutique fera toujours suite à un raisonnement clinique, même si celui-ci peut être très variable entre un clinicien peu expérimenté ou un clinicien à l’aise avec certaines plaintes douloureuses. Il est évidemment impossible d’aborder toutes les situations cliniques en lien avec de la douleur. En effet, la douleur peut être : • une raison de consultation ; • être induite par des soins nécessaires (donc à prévenir ou du moins modérer) ; • à risque de non-dépistage chez les personnes non communicantes ; • ou même séquellaire de certains gestes. Dans ce chapitre, nous souhaitons aborder le raisonnement clinique avec un patient douloureux sans rentrer dans les détails des différentes théories existantes dans le domaine. En effet, l’objectif de ce chapitre est de proposer un outil d’aide au raisonnement pour le clinicien face à un patient douloureux (autrement dit, un cadre conceptuel pouvant faciliter la prise de décision). Nous définissons le raisonnement clinique comme : « un processus cognitif entrepris par un thérapeute lui permettant d’obtenir une lecture compréhensible d’une situation clinique en vue de pouvoir agir face à cette situation ». Un processus cognitif est une suite d’opérations élémentaires permettant de traiter de l’information, que cela soit conscient ou non. Il faut avoir à l’esprit que les prises de décision ne sont pas forcément volontaires malgré notre impression [1, 2]. En effet, il se peut que nous agissions par habitude sans que nous ayons volontairement réfléchi à comment faire, par exemple lorsque nous laçons nos chaussures. Chaque thérapeute, par son parcours expérientiel, ses connaissances, ses valeurs et habitudes

cognitives, va avoir son propre processus de réflexion qui pourra l’amener à une conclusion différente d’une autre personne. La solution de son processus de raisonnement lui sera donc personnelle, même s’il est évident que la plupart des thérapeutes peuvent arriver à des consensus sur des sujets précis. L’intérêt du raisonnement est d’obtenir une représentation intellectuelle cohérente de la situation analysée afin de trouver une réponse. Obtenir une représentation cohérente d’une situation est essentiel pour agir sans que le choix de nos actions soit aléatoire, même si cela n’assure pas la justesse des choix. La situation clinique qui sera abordée ici est celle d’une demande volontaire de soin, créée par un patient quand il décide de consulter. Évidemment, il existe de nombreuses autres situations, même si, selon nous, elles peuvent toutes être lues de la même façon en s’intéressant toujours à la demande de soin. En effet, que le soin soit pour soi ou pour un tiers, une demande directe ou indirecte, qu’en est-il attendu ? C’est la vraie question. Il est primordial que les thérapeutes aient à l’esprit qu’une personne qui consulte n’est pas « normale ». En effet, la majorité des personnes ne consultent pas quand elles ont mal ou souffrent d’autres soucis [3, 4], ce qui laisse penser que le choix de consulter résulte du choix particulier d’une personne qui, pour une raison singulière, est convaincue de la plusvalue de l’intervention du thérapeute qu’elle sollicite pour résoudre son problème. Les actions à mener pour aider cette personne vont être choisies grâce à la compréhension que nous avons de la situation, mais aussi en confrontant ce que nous pensons de la situation à ce que nous savons efficace pour aider une personne avec des caractéristiques similaires. Nous pouvons conseiller la lecture complémentaire du chapitre raisonnement clinique du livre sur l’evidence-based practice en rééducation (voir la référence [41]) afin d’être à l’aise avec la notion de script clinique et de raisonnement hypothético-déductif, bayésien ou narratif.

Classification des douleurs par mécanismes Dans une approche fondée sur les mécanismes neurophysiologiques de la douleur, il est possible de distinguer trois types de douleurs. Ces

types de douleurs sont [5] : • neuropathiques, lorsque l’on suspecte une affection (maladie ou lésion) du système somatosensoriel (du nerf périphérique au cortex somesthésique) ; • nociceptives, c’est-à-dire en lien avec un excès de nociception ; • nociplastiques, quand le système nociceptif montre un dysfonctionnement, souvent dans le sens d’un défaut d’inhibition, qui n’est pas en lien avec une lésion du système somatosensoriel, ni avec une source de nociception périphérique. L’approche par mécanisme neurophysiologique est intéressante en rééducation pour estimer la nécessité de : • viser à une augmentation de l’activité des centres inhibiteurs descendants (dans le cadre de douleurs nociplastiques) ; • mettre en décharge une structure (dans le cadre de douleurs nociceptives ou certains cas de douleurs neuropathiques) ; • moduler l’activité du système inflammatoire (dans le cadre de certaines douleurs nociceptives ou neuropathiques) ; • moduler l’activité du système nerveux (dans le cadre de douleurs neuropathiques ou nociplastiques). Malgré des définitions qui semblent cohérentes, il est accepté qu’elles ne s’excluent pas et peuvent coexister (avoir une névralgie par compression d’une racine par une hernie ne signifie pas que la douleur du patient n’est qu’en lien avec l’atteinte du nerf – donc neuropathique –, mais peut aussi être en lien avec une nociception provenant du disque) ; voire que plusieurs mécanismes peuvent se chevaucher. En effet, comme cela a été vu dans les chapitres sur la neurophysiologie de la nociception (voir chapitres 8 à 12), un excès de nociception peut se retrouver après une lésion du système somatosensoriel qui va conduire à une sensibilisation centrale. L’excès de contraintes mécaniques sur un nerf périphérique est un exemple de ce genre de phénomène. Quand le nerf est irrité, le nervi nervorum

(qui est son innervation nociceptive) va être sensibilisé par l’inflammation et la stimulation répétée [6]. Devenu ainsi hyperactif, il va bombarder la moelle et la rendre à son tour plus sensible (sensibilisation centrale) [7]. Dans cette situation, nous serions face à des douleurs neuropathiques (car il y a une atteinte du système somatosensoriel – le nerf), mais nous allons avoir une réflexion semblable à un cas de douleur nociceptive : c’est-à-dire savoir comment gérer la contrainte. Il est à noter que cet exemple fait référence au modèle théorique des affections de type neurodynamique, type d’affections qui semble très spécifique à la kinésithérapie, même s’il existe des preuves de potentiels intérêts cliniques [8, 9]. Ce genre d’atteinte est emblématique des cas compliqués en prise en charge. L’exemple pris ici est très spécifique et il est fréquent qu’une irritation d’un nerf périphérique s’accompagne d’une destruction de certaines fibres nerveuses. Cette destruction de fibres nerveuses peut avoir cliniquement des conséquences intéressantes. En effet, si les fibres C sont atteintes, le système nerveux perdra la capacité de détecter les excès de contrainte sur le nerf (ce qui peut expliquer les tests neurodynamiques négatifs dans certaines affections neuropathiques [10-12]). Si les fibres non nociceptives sont détruites, apparaîtront alors les signes caractéristiques de neuropathie, à savoir une altération de la sensibilité et de la motricité. Ce sont d’ailleurs ces signes de « neuropathie négative » qui sont centraux dans le dépistage des douleurs neuropathiques [13, 14].

Les caractéristiques du symptôme De la neurophysiologie, nous pouvons déduire des éléments cliniques pouvant nous orienter sur le type de mécanisme de douleur en action chez le patient. Les éléments auxquels il faut prêter attention pour catégoriser une douleur selon un mécanisme peuvent se retenir grâce à l’anagramme SOCRATES (tableau 22.1). Les éléments présentés sont indicatifs et ne peuvent pas suffire pour un diagnostic formel.

Tableau 22.1 Outil SOCRATES et sémiologie indicative pour les différents types de douleur selon classification par mécanisme. Mécanisme douloureux Neuropathique Site

Où est le symptôme ?

Nociceptif

Douleur localisée Non dermatomale dans un ou tronculaire, dermatome ou souvent un territoire localisée tronculaire (d’autant plus si (plus en aigu et la douleur est prendre en aiguë et peu considération sensibilisée) ; un peut suivre un chevauchement schéma des territoires) stéréotypé

Onset Comment est-ce (opportunité que le d’apparition) symptôme est apparu ?

Fréquemment progressif, ou traumatisme majeur, ou accident sévère

Caractéristique

Le plus Pas de type emblématique : neuropathique, fréquemment plutôt une sensation de sensation de brûlure, tiraillement, fourmillements, pression, démangeaisons, tension, aiguë picotements, ou coup vif

Comment est-ce qu’il est possible de décrire le symptôme ?

Fréquemment d’apparition soudaine et lié à une stimulation (d’autant plus vrai que l’inflammation est faible)

chocs électriques, brûlure paradoxale au froid ou élancements Radiation (irradiation)

Est-ce que le symptôme irradie ?

Irradiations dans le Peut diffuser, territoire d’autant plus innervé plutôt que le patient stéréotypées est sensibilisé ; (voir tableau généralement 22.2) peu circonscrit (figures 22.1 et 22.2 d’après [22])

Associations

Est-ce qu’il y a Accompagné soit d’autres de signes dits choses qui « négatifs » accompagnent (perte de ce fonction symptôme ? sensorielle ou motrice), soit de signes « positifs » (exacerbation des fonctions sensitives ou motrices)

Possibles signes d’inflammation (rougeur, chaleur, gonflement)

Temporalité

Comment évolue Souvent le symptôme ? d’évolution lente négative

Fréquemment d’évolution positive en lien avec la baisse d’inflammation et la

cicatrisation tissulaire Exacerbations

Qu’est-ce qui Souvent une peut modifier aggravation le symptôme retardée après (augmentation l’irritation du ou système, diminution) présence de pics douloureux spontanés sans lien avec une contrainte sur le système

Le symptôme augmente avec la contrainte sur le tissu innervé et diminue avec la mise au repos (d’autant plus vrai qu’il y a peu d’inflammation)

Sévérité

Quelle est l’intensité du symptôme ?

Très variable selon la contrainte et l’état tissulaire

Réputé intense

FIGURE 22.1 A. Diagramme de douleur référée composite issu de cinq sujets pour l’articulation atlanto-axiale. B. Diagramme de douleur référée pour l’articulation atlanto-axoïdienne latérale du premier sujet. C. Diagramme de douleur référée pour l’articulation atlanto-axoïdienne latérale du deuxième sujet. D. Diagramme de douleur référée pour l’articulation atlanto-axoïdienne latérale du troisième sujet. E. Diagramme de douleur référée pour l’articulation atlanto-axoïdienne latérale du quatrième sujet. F. Diagramme de douleur référée pour l’articulation atlanto-axoïdienne latérale du cinquième sujet. Source : dessins réalisés par Cyrille Martinet d’après Dreyfus et al. [22].

FIGURE 22.2 A. Diagramme de douleur référée composite issu de cinq sujets pour l’articulation atlanto-occipitale. B. Diagramme de douleur référée pour l’articulation atlanto-occipitale du premier sujet. C. Diagramme de douleur référée pour l’articulation atlanto-occipitale du deuxième sujet. D. Diagramme de douleur référée pour l’articulation atlanto-occipitale du troisième sujet. E. Diagramme de douleur référée pour l’articulation atlanto-occipitale du quatrième sujet. F. Diagramme de douleur référée pour l’articulation atlanto-occipitale du cinquième sujet. Source : dessins réalisés par Cyrille Martinet d’après Dreyfus et al. [22].

Tableau 22.2 Pathologies entraînant une douleur neuropathique et distribution neuroanatomique plausible des symptômes douloureux et des signes sensitifs. Pathologie entraînant une douleur neuropathique

Illustrations Distribution neuroanatomique de la plausible des symptômes douloureux et distribution des signes sensitifs typique

Névralgie du trijumeau

Dans le territoire facial ou intrabuccal du trijumeau

Névralgie postherpétique

Distribution unilatérale dans un ou plusieurs dermatomes spinaux ou dans la branche ophtalmique du trijumeau

Douleur due à une lésion nerveuse périphérique

Dans le territoire d’innervation du nerf lésé, typiquement en distal d’un traumatisme, d’une chirurgie ou d’une compression

Douleur après une amputation

Dans la région corporelle amputée et/ou dans le membre résiduel

Polyneuropathie douloureuse

Dans les pieds ; peut s’étendre aux jambes, aux cuisses et aux mains

Radiculopathie douloureuse

Distribution en lien avec le territoire d’innervation de la racine nerveuse

Douleur neuropathique associée à une lésion de la moelle épinière

Au niveau de la lésion de la moelle épinière et/ou en dessous

Douleur après accident vasculaire cérébral (AVC)

En controlatéral de l’AVC. Dans un infarctus médullaire latéral, la distribution peut aussi impliquer le côté ipsilatéral du visage

Douleur neuropathique centrale associée

Combinaison possible des distributions vues en cas de lésion médullaire et d’AVC

à une sclérose en plaques

Le diagnostic de douleur neuropathique est facilité par l’existence d’outils dédiés. Parmi les outils de dépistage, les plus réputés sont le PainDETECT, le LANSS (Leeds Assessments of Neuropathic Symptoms and Signs) et le DN4 (Douleur Neuropathique 4 items), ce dernier étant celui que nous conseillons pour les non-experts [15, 16]. En complément du DN4, il est possible d’utiliser le NPSI (Neuropathic Pain Symptom Inventory) pour le suivi clinique d’une douleur neuropathique. Actuellement, il n’existe pas d’outil d’aide au diagnostic pour les autres types de douleurs. Il est alors nécessaire de s’appuyer sur une démarche de diagnostic heuristique grâce aux données sémiologiques. Il est parfois conseillé d’utiliser l’outil CSI (Central Sensitization Inventory) [17, 18] pour le diagnostic de douleur nociplastique. Cet outil n’a pas été conçu à cette fin et permet plutôt de mettre en avant que le patient présente un syndrome de sensibilisation centrale [19, 20]. Le dépistage d’un dysfonctionnement des centres modulateurs de la nociception est en soi central lors d’un examen clinique. En effet, dans de nombreux cas, nous essayons de comprendre via des tests cliniques, de provocation ou de modification, ce qui peut générer le symptôme du patient. Or, si le système nociceptif dysfonctionne, l’interprétation de ces tests devient plus hasardeuse. D’ailleurs, cette évaluation du fonctionnement de la modulation de la nociception n’étant pas la norme dans les études sur test diagnostique, cela pourrait expliquer des résultats inconstants quand ces tests se fondent sur la réponse symptomatique du patient.

Les cognitions sur le symptôme L’étude du symptôme de douleur selon une classification mécaniste seule ne peut pas suffire en pratique clinique. En effet, le terme de douleur est en soi un terme polysémique qui peut englober de nombreuses idées différentes selon la personne qui en parle et le contexte dans lequel elle en parle (tableau 22.3). En clinique, l’idée de

la plainte est prépondérante. Qu’est-ce qui a amené le patient à consulter [3, 4] ? Une personne venant en consultation a un objectif qui souvent ne se résume pas à la simple disparition du symptôme, ou du moins un thérapeute ne doit pas être obnubilé par un tel objectif. Tableau 22.3 La polysémie du mot « douleur ». Définition proposée

Explications

Expérience

Un événement L’IASP utilise cette notion qui permet de vécu complexe mettre en avant la complexité de la comme tout douleur et le besoin, en situation moment du clinique, pour le thérapeute, d’avoir vivant car est une réflexion étendue construit de l’état de l’organisme et de son environnement

Perception

Événement qui accède à la conscience grâce à une configuration spécifique de l’activité cérébrale

Ce sont les représentations que nous avons du monde à l’instant où nous les éprouvons

Sensation

Activité d’un sens n’accédant pas forcément à la conscience

L’accès à la conscience différencie sensation et perception en plus du mélange d’informations qui a lieu pour faire émerger une perception

Récompense Une chose qui

La douleur peut être recherchée quand

sera recherchée

elle est synonyme de bienfaits immédiats ou à distance ; tels le sportif qui se dépasse à l’entraînement, le masochiste qui s’accomplit dans la douleur ou la personne qui se mutile et se montre son pouvoir à dominer les choses

Motivation

Ce qui va nous pousser à agir

Le caractère aversif de la douleur comme expérience contient l’idée d’être motivé à éviter les situations douloureuses ou potentiellement douloureuses

Précision

Une information sur l’efficacité d’un choix pour éviter un risque pour l’organisme

Si l’organisme possède un système calculatoire à plusieurs niveaux lui permettant d’adapter son comportement pour éviter les événements indésirables, la nociception et la douleur peuvent être des informations utiles à ce système pour estimer la menace sur l’organisme

Qualité

Une caractéristique d’une personne

Se définir comme une personne douloureuse peut être quelque chose d’identitaire et profond pour des personnes qui ont acquis une place ou un rôle social. La notion de bénéfice doit être maniée avec précaution. Il faut se demander ce qui se passerait si nous offrions à cette personne un autre rôle social que celui d’être douloureux, patient ou autre

Mème

Une information ou idée qui se propage dans

Issue de la théorie de l’information quand on y applique l’idée de sélection darwinienne des idées. Les

un groupe social

idées sont alors conçues comme des éléments qui, naissent, se répandent et évoluent

Maladie

La douleur chronique s’accompagne d’anomalies structurelles et fonctionnelles

Un groupe de travail de l’IASP a proposé une taxonomie de la douleur chronique pour l’ICD-11 afin de faciliter la reconnaissance de ce problème de santé, son étude et son traitement

Plainte

Ce qu’on rapporte Les thérapeutes sont principalement à un tiers pour confrontés à des plaintes des patients. décrire un Le risque, en restant à ce niveau de événement lecture, est d’adopter un réflexe jugé déplaisant correcteur en voulant enlever quelque chose pour faire disparaître la plainte

Il a été évoqué plus haut dans l’ouvrage combien la douleur, comme tout symptôme, est une perception facilement modulable (voir chapitres 5 et 6). En considérant que la douleur est une perception consciente qui peut avoir l’intérêt d’alerter sur une menace détectée pour la pérennité de l’organisme, il est possible de comprendre que se focaliser sur un symptôme va lui permettre de perdurer. Prenons pour exemple l’arachnophobie. Ce trouble consiste à avoir peur des araignées et, dans les formes extrêmes, à avoir une peur panique d’araignées très petites et non venimeuses. La logique, nous sommes d’accord, n’est pas ce qui est mis en jeu ici. La personne arachnophobe décrit se sentir physiquement mal quand elle voit une araignée. Cela peut l’amener à percevoir sa qualité de vie comme dégradée car, à chaque fois qu’elle voit une araignée, elle a peur et elle surveille son environnement à la recherche d’autres. Ainsi, plus elle rencontre d’araignées, plus cette personne y fait attention, ce qui lui permet d’en voir davantage, créant de fait un cercle vicieux. Maintenir la vigilance sur un symptôme revient à faire la même chose qu’une personne arachnophobe qui vérifie s’il n’y a pas d’araignée là où elle

est. Cela créé une prophétie auto-réalisatrice : en vérifiant si elle a mal, la personne demande à son système d’alerte d’être attentif. Or, détecter une menace pour l’organisme, cela signifie faciliter la nociception et en diminuer l’inhibition, ce qui est retrouvé dans plusieurs cas de douleurs chroniques [23-25]. Nous sommes donc dans une situation ambivalente : le patient consulte avec une plainte de douleur à laquelle il faut porter attention pour la comprendre et tenter de l’aider mais, ipso facto, nous risquons d’entretenir la vigilance sur le symptôme. Là, la kinésithérapie a un précieux atout : elle s’intéresse à la fonction et donc nous pouvons légèrement décentrer le problème du simple symptôme à ses conséquences fonctionnelles pour ainsi tenter de travailler sur des choses plus objectives et tangibles. Une plainte non fonctionnelle donne un symptôme « mou » ; un symptôme sur lequel il est difficile de construire une prise en charge, laquelle sera d’autant plus difficile qu’il sera compliqué d’identifier un marqueur de progression. Le symptôme pouvant exister par sa simple évocation s’il n’est que le seul marqueur de l’efficacité du soin, vérifier sa présence l’entretien et empêche alors une réelle progression. Il faut bien comprendre que cela ne revient pas à appeler un chat un chien, mais la kinésithérapie et la rééducation en général sont un champ du soin qui s’intéresse à l’individu dans sa fonction et ses activités. Ce champ d’expertise n’est pas celui du biologique ou du physiologique. Ainsi, porter son attention sur l’identification de l’origine tissulaire de la douleur est hasardeux. Le kinésithérapeute peut réfléchir à des aspects biomédicaux et physiologiques, mais aussi à ce qui permet la génération d’un symptôme et comment ce symptôme peut devenir un frein à l’épanouissement fonctionnel du patient. C’est en cela qu’il est important de comprendre les bases de la neurophysiologie de la nociception, de la perception douloureuse, du comportement et de ses aspects psychocognitifs.

La douleur comme perception Si la douleur est une perception consciente en lien avec l’estimation d’un risque pour l’intégrité de l’organisme et que la conscience est une

propriété/illusion émergente de l’activité neuronale, alors il est possible de penser qu’une perception douloureuse est un mode particulier de fonctionnement du système nerveux. Cette activité pourra induire différents comportements selon les besoins estimés par l’organisme pour lui-même. Quand l’organisme est dans un « mode de fonctionnement » particulier, nous ne pouvons pas attendre de lui des réponses issues d’un autre mode. Par conséquent, il est nécessaire d’évaluer comment fonctionne le système de perception afin de pouvoir donner du sens à ce que rapporte le patient. Un patient hypervigilant pourra, lors de l’examen clinique, décrire des sensations désagréables facilement car son système perceptif sera mis dans un mode où il facilite la remontée des informations nociceptives pour être sûr de ne pas passer à côté d’un risque pour l’organisme. Cela peut expliquer les plus faibles seuils perceptifs chez les patients avec catastrophisme face à la douleur ou hypervigilants [26-28]. L’hypervigilance, qui est un état global d’attention portée au symptôme, et d’autres comportements cognitifs sont à repérer car ils sont aussi des facteurs qui influencent la perception douloureuse et la plainte du patient. Pour prendre un autre exemple de ces facteurs, nous pouvons penser aux patients inquiets, persuadés que ce qui leur a été diagnostiqué est grave et que tout ce qu’ils ressentent est en lien avec cela. C’est ce que certains appellent les « fausses croyances des patients ». Le plus facile est de parler des patients lombalgiques chez qui une hernie discale a été mise en évidence. Nombreux sont ceux, parmi les patients voire les thérapeutes, qui ont une mauvaise image de ce diagnostic et pensent qu’il explique pourquoi ils ont mal. Ils utiliseraient un mode de pensée qui assimile lésion à douleur et auraient la conviction que les lésions sont anormales, que les imageries peuvent les mettre en évidence et que le diagnostic biomédical de lésion scelle les choses. Or, nous savons que plusieurs cas ont été rapportés de personnes avec des lésions similaires, mais des plaintes douloureuses différentes [29], voire de douleur en l’absence de lésion évidente [30], et que les imageries ne sont pas forcément des outils fiables [31]. Ce constat pousse certains thérapeutes à dire que les patients croient en des choses fausses, que

la lésion n’est pas synonyme de douleur et qu’il faut alors corriger cela en insistant sur la part de cognition qui influence la perception consciente. Nous ne partageons que partiellement ce raisonnement car, même si la lésion n’est pas synonyme de douleur, dire que des lésions anatomiques ne peuvent pas en être la source ne fait pas sens non plus. Les études sur les lésions asymptomatiques ou les cas rapportés de patients dits « insensibles congénitalement à la douleur » sont en faveur d’une dissociation entre douleur et lésion tissulaire. Ces derniers sont porteurs d’une mutation génétique affectant les canaux sodiques et ne décrivent jamais ou peu de douleur, même pour des stimuli très intenses ou en cas de lésions avérées [32-34]. Cependant, la présence de lésion tissulaire est un facteur de risque de développement de douleur. Pour reprendre l’exemple de la lombalgie et des lésions discales, il a été rapporté que la présence d’une lésion discale multiplie par deux le risque de développer une douleur lombaire [35] ; cela semble comparable au risque qu’induit la dépression [36-38]. Il est donc essentiel que notre raisonnement clinique prenne pleinement en compte les différentes dimensions biopsychosociales de la plainte d’une personne pour la comprendre au mieux. Pour le répéter à partir d’une anecdote, ce n’est pas parce que la douleur est considérée comme émergeant de l’activité cérébrale qu’il n’y a pas un anévrisme aortique abdominal qui entraîne une nociception ayant entraîné cette activité cérébrale [39]. Résumons cela en citant Pierre Desproges : « Ce n’est pas parce que je suis paranoïaque qu’ils ne sont pas tous contre moi ».

Quelle est la plainte du patient ? La douleur englobe plusieurs idées différentes (voir tableau 22.3) et cela peut amener à différentes plaintes. Il est donc crucial de prendre du temps pour comprendre ce que peut être la plainte d’un patient pour réfléchir à nos actions possibles. En rationalisant le choix thérapeutique, il est possible de résumer le raisonnement clinique à la construction d’une représentation intelligible de la situation singulière du patient. Le raisonnement clinique se fonde sur des représentations

nosologiques standardisées (des scripts cliniques) afin de choisir quelle action possède le meilleur compromis coût-risque-acceptabilitébénéfice pour répondre à la demande explicite et/ou aux besoins du patient, ainsi que sur des représentations standardisées des thérapeutiques connues (des scripts thérapeutiques). La notion de script renvoie à l’idée que nos pensées sont organisées en des réseaux dynamiques (voir le chapitre « Raisonnement clinique » du livre de la référence [41]). La demande du patient renvoie à ce qu’il va exprimer spontanément ou au cours des soins, ce qu’il choisit de mettre en avant selon nos interrogations et l’évolution de son état lors de l’accompagnement thérapeutique. Les besoins renvoient, eux, à ce qui n’est pas exprimé (ou de manière implicite) par le patient, qu’il soit non communicant ou non, mais qui s’imposent à nous ; par exemple, s’assurer qu’il soit pris en charge si nous suspectons que ses symptômes sont en lien avec une infection, un cancer, une fracture ou autres pathologies nécessitant une prise en charge médicale ; mais aussi s’assurer que notre pratique limite au maximum les douleurs induites par les soins (sauf si cela fait partie de la représentation du soin du patient) et que nous faisons tout ce qui nous est possible pour accompagner le patient, ce qui peut passer par le fait de le réorienter vers un autre professionnel de santé. Toute intervention implique un coût, qu’il soit financier (payer le thérapeute, le traitement, etc.), énergétique, temporel (prendre du temps pour le traitement, la consultation, etc.) ou symbolique (se soumettre au discours d’un tiers, changer sa façon d’être, etc.). Ce coût doit être discuté avec le patient dans ce qui peut s’appeler une approche centrée sur le patient avec une prise de décision partagée sur ce que le patient pense faisable par et pour lui [40]. La pratique fondée sur les preuves (evidence-based practice [EBP]) va aussi dans ce sens. Le modèle de soin par une approche EBP [41] nous incite à soumettre au patient des propositions thérapeutiques ayant un fondement scientifique et à privilégier parmi ces approches celles ayant pu faire montre de leur efficacité. Il nous incite également à prendre en compte les attentes du patient et sa compréhension de son

problème dans ce choix thérapeutique, tout autant que nos caractéristiques de thérapeute. Notre expertise fait que nous pouvons nous référer à notre expérience pour comprendre la situation du patient et appliquer au mieux les approches thérapeutiques dont nous sommes coutumiers. L’approche centrée sur le patient est ce qui fait le plus sens ici. Comment guider un patient vers un nouvel état d’être si ce nouvel état ne correspond pas à ce qu’il veut être ou que les moyens que nous lui proposons pour lui ne font pas sens ? Prenons l’exemple d’un cas rapporté par une consœur. Une patiente consulte pour des douleurs chroniques au niveau du rachis, d’un bras et d’un genou. Cette patiente a bénéficié de consultations en kinésithérapie répétées. Ayant identifié une sensibilisation centrale et face à une conception par la patiente de ses douleurs qui semblait en contradiction avec ce qui est connu par le thérapeute des neurosciences de la douleur, ce dernier décide de mettre en place un programme d’éducation aux neurosciences de la douleur. Dans ce programme, furent utilisés divers supports (vidéos, site internet, dessins, métaphores, etc.). Le thérapeute est satisfait de son intervention car la patiente, qui ne pouvait plus s’accroupir à cause de fortes douleurs du genou et de sa peur, peut maintenant le faire et elle semble avoir bien assimilé les connaissances théoriques abordées. Plusieurs mois plus tard, la patiente consulte cette fois la consœur qui m’a raconté l’histoire et qu’elle avait déjà vue. La patiente décrit en effet pouvoir s’accroupir, mais toujours avec la même douleur ; ce qui a changé, c’est qu’elle ose le faire maintenant, en suivant ce qu’elle a « appris » lors des séances d’éducation aux neurosciences. En revanche, elle ne va plus à la salle de sport et a drastiquement réduit sa pratique de la danse (la danse était sa passion). De plus, la patiente explique qu’elle a bien compris l’éducation, mais que cela ne s’applique pas totalement à son cas. En effet, elle qui a toujours soupçonné avoir un « don » a décidé de le développer ces derniers mois en se formant avec un guérisseur afin elle-même de devenir guérisseur-magnétiseur. Elle sait que, grâce à ses facultés, elle va guérir et que ses douleurs vont disparaître. Dans le cadre de son

apprentissage, elle s’exerce à s’auto-guérir, mais cela lui demande beaucoup d’énergie et de développer davantage son don. Elle revient vers la kinésithérapie comme aide supplémentaire dans son cheminement ; elle ne s’attend pas à être guérie par le thérapeute, mais accompagnée par lui. Comment alors espérer arriver à quoi que ce soit d’autre qu’un échec quand thérapeute et patient ne parlent pas le même langage ? Imaginez discourir de politique avec une personne d’une autre langue. Pensez-vous arriver à un consensus si personne ne comprend ce que dit l’autre ? Nous avons tous vécu cela aussi lors de repas de famille qui finissent mal. Avec un patient, c’est identique. Nous avons tous nos filtres de lecture et de compréhension du monde avec nos valeurs personnelles. Ce n’est pas parce que nous nous fondons sur des données scientifiques que nous détenons un savoir nous permettant de nous imposer aux autres. Le savoir ne légitime rien, surtout quand un patient demande de l’aide et s’attend à certaines choses, dont l’une des premières, probablement implicite, est d’être respecté en tant qu’individu. Est-ce que, pour autant, cela signifie qu’il faut dire à notre patiente que nous arrêtons les soins car nous ne croyons pas au magnétisme ? Probablement que non. C’est là que nous mettons le doigt sur l’importance de demander au patient ce qu’il pense : • d’être venu en soin ; • de souffrir d’une chose qu’il n’a pas encore réglée et qu’il n’est pas encore sûr de pouvoir faire seul ; • d’être utile pour aller vers ce qu’il souhaite. Cela ne signifie pas faire que ce que veut le patient, mais cela signifie ouvrir le dialogue, confronter deux logiques et voir en quoi elles peuvent être compatibles.

Les choix et le cerveau Pour aller plus loin, nous souhaitons insister sur le fait que la volonté et les choix des patients ne doivent pas être entendus comme quelque

chose de linéaire. Ce n’est pas parce que nous aimerions jouer du piano que nous allons trouver les ressources pour le faire, et cela ne peut pas se résumer en disant que nous sommes des fainéants coupables de ne pas atteindre nos objectifs. Premièrement, nous n’avons évidemment pas toutes les mêmes capacités innées à faire les choses et cette lapalissade doit être répétée pour être comprise. Deuxièmement, vouloir faire quelque chose impose de se libérer de la capacité pour le faire. Il est possible de s’améliorer pour réussir une tâche plus efficacement, mais cela coûte de la ressource (du temps et de l’énergie). Or, nous avons des ressources limitées, malgré ce que peuvent en laisser penser les modèles économiques prédominants en Occident. Il nous faut donc décider comment allouer ces ressources. Troisièmement, gardons en tête que choisir, c’est agir, ce qui signifie que, pour faire un choix, il faut aussi y allouer des ressources. Cela nous laisse entrevoir l’intérêt d’un mécanisme de prise de décision facilité ou automatisé. Nous pensons là aux travaux de Tversky et Kahneman qui ont permis de mettre en avant que l’être humain n’est pas intrinsèquement un être rationnel qui ne fait que des choix logiques, contrairement à ce qui a pu être modélisé en économie [42]. Ces travaux ont mis en avant qu’il semble exister deux systèmes de prise de décision en nous. Le premier, dit « système 1 », est décrit comme automatique et nécessitant peu d’effort. Cela serait le système par défaut, le plus vu comme actif. En effet, l’on considère souvent que le système privilégie les choses à faibles coûts, ce à quoi nous pouvons donner un sens logique d’économie pour la survie. De plus, s’il est automatique et rapide, nous avons plus de chance d’observer des occurrences de son activité qu’un système plus lent. Le « système 2 » est, lui, dit plus lent, coûteux et conscient. Cela serait un système mis en jeu dans la résolution de problèmes plus complexes nécessitant une plus grande intégration d’informations. Cela pour dire que les choix d’une personne ne reflètent pas forcément l’ensemble de son être et peuvent être issus de réactions autonomes ou intuitives de prise de décision. Cela peut expliquer pourquoi, alors que nous voudrions savoir jouer du piano, l’ensemble des prises de décision du quotidien ne nous amène pas à libérer des ressources pour le faire.

Ces mêmes rouages sont en jeu quand un patient voudrait changer des choses mais ne trouve pas de ressources. Il peut ne pas savoir faire autrement, car les habitudes prises et le coût pour concevoir d’autres façons de faire sont trop importants. Houdé a proposé l’existence d’un troisième système de régulation des deux premiers pour choisir quand un système ou un autre doit s’exprimer [43, 44]. Il est intéressant de se dire que, sans cela, nous ne verrions que le système 1 et du conditionnement se mettre en place sans jamais pouvoir changer. Ce système de régulation par métacognition (penser sur ses pensées, être au-delà la cognition) contrôlerait l’équilibre entre des réflexions et comportements automatiques ou plus réfléchis. Il est possible d’extrapoler ces réflexions avec les données sur la notion de connectome dans la douleur. Un connectome est un réseau organisé anatomiquement (fibres blanches qui connectent des aires cérébrales entre elles) ou fonctionnellement (aires dont l’activité électrique ou métabolique est synchronisée) entre différentes aires cérébrales qui, par son activité, refléterait certaines fonctions cérébrales [45, 46]. Le plus emblématique de ces réseaux est le réseau en mode par défaut (default mode network [DMN]). Ce réseau est celui « observé » quand on demande à une personne d’être au repos et de laisser vagabonder sa pensée [47]. Il a été montré que les patients souffrant de douleur chronique présentent des DMN différents des sujets non douloureux et différents selon les pathologies douloureuses [47, 48]. La configuration initiale de ce réseau est un facteur prédictif de l’apparition de douleur chronique [49-51]. Les aires impliquées dans ces réseaux et le risque de développer un état de douleur chronique sont des aires réputées être en lien avec les cognitions, les émotions et la modulation de la nociception [52]. Les données issues de l’approche par connectome pourraient ainsi peut-être faire un pont entre les données cliniques (indiquant que les facteurs psychosociaux sont des facteurs de chronicisation de la douleur) et les données fondamentales d’imagerie cérébrale et de recherche de biomarqueurs de la douleur. Cela peut ouvrir vers l’idée que la clinique et l’imagerie regardent la même chose de deux façons différentes. Si ce que nous pouvons

observer cliniquement résulte de l’activité électrochimique du système nerveux, alors il est cohérent de penser que le fonctionnement du système reflète les comportements cliniques. Le système nerveux est en permanente activité, l’arrêt de cette activité étant considéré d’ailleurs comme preuve de la mort d’une personne, et cette activité conditionne sa réponse aux informations qu’elle reçoit. Ainsi, il a été mis en évidence que l’activité basale dans le DMN, et d’autres réseaux impliqués dans la perception douloureuse, prédit la réponse douloureuse d’un sujet [53, 54]. Cette donnée, quoique d’aspect purement fondamental, peut avoir une portée clinique si nous retenons que ce qui se passe dans l’esprit d’une personne va conditionner sa réponse aux variations de son monde. Il peut donc être pertinent pour comprendre ce que vit un patient de s’intéresser à comment il aborde les événements de sa vie car cela va conditionner son vécu.

De quoi parle le patient ? Nous avons pris le parti de décrire la douleur comme une perception qui fonctionnellement peut participer à la gestion de survie de l’organisme. Mais est-ce que cela est une vérité absolue ? Il est instinctif de se dire que non, ou du moins que tout le monde ne pense pas à la douleur dans ce sens. Plus encore, il est probable que la plupart des thérapeutes aient une vision de la douleur reposant principalement sur la neurophysiologie de la nociception et/ou sur des notions de psychologie plus ou moins cognitives, ce qui n’est probablement pas le cas d’un patient. Le cadre conceptuel avec lequel nous abordons les choses va impacter nos comportements thérapeutiques et donc le parcours de soins du patient. Mais au-delà de cela, parlons-nous bien de la même chose avec nos patients ? Deux thérapeutes ou scientifiques peuvent prendre le temps de discuter des concepts qui sous-tendent leur vision de la douleur. Un patient n’aborde jamais cette discussion spontanément avec son thérapeute. Prenons alors le temps de réfléchir à ce que peut être la douleur pour une personne. Probablement de manière non exhaustive, nous proposons de considérer que le terme de douleur peut englober au

moins dix concepts différents (voir tableau 22.3). La douleur ne semble pas exister en soi comme pourraient exister dans un monde physique « objectif » un photon ou une molécule. La douleur est quelque chose qui est de la vie intérieure et est difficilement partagée avec un tiers. Combien de fois avons-nous eu du mal à expliquer cette douleur ressentie comme particulière par rapport à toutes les autres expériences déjà vécues, elles aussi appelées « douleur » ? En cela, la douleur est une idée, un mème, quelque chose d’immatériel présent dans une culture, se répliquant et évoluant par transmission entre les unités d’une culture et entre cultures proches. Même si le système neuronal du nouveau-né comprend dès la naissance les substrats de la nociception, donner du sens à cet état perçu de l’organisme nécessitera de l’apprentissage, comme pour la reconnaissance de différents états physiologiques tels que la fatigue, la faim, le besoin d’uriner (qui, nous le savons, prennent du temps pour être appris). Et ce n’est pas parce qu’il faut un apprentissage pour que l’enfant apprenne ce qu’est ce mème de douleur qu’il ne faut pas prévenir la survenue de cet état de grand stress chez le nouveau-né ou l’enfant – au contraire de ce qui put être fait jusqu’au milieu du XXe siècle (voir chapitre 3). Plusieurs données ont permis de comprendre que les sollicitations potentiellement douloureuses dans les débuts de la vie peuvent avoir des conséquences à long terme, comme des troubles du développement cérébral [55-57]. Il est donc nécessaire de prévenir autant que faire se peut la survenue de ce type de stress et de limiter les gestes à risque. Se pose la question de l’évaluation de cet état chez le nouveau-né chez qui cela n’a pas de sens de projeter notre esprit. Nous n’avons plus grand-chose à voir avec un être nouvellement arrivé au monde, et ce dernier n’a pas encore été modelé par son environnement. Au-delà de la question de l’évaluation de la douleur chez la personne non communicante, qu’il ne nous est pas possible d’aborder ici, se pose celle de savoir ce qu’a appris la personne douloureuse.

Focus

Évaluation par le comportement L’évaluation de la douleur est cruciale et est pourtant souvent résumée à déterminer si une personne a mal et, si oui, à combien elle a mal. Pour les personnes qui ne peuvent pas utiliser la communication verbale, il a été proposé des outils reposant sur les mimiques, les pleurs ou les cris. Ils ne sont probablement pas de bons tests car les comportements peuvent avoir un aspect de purs réflexes, ce qui n’est pas compatible avec une expérience consciente. De plus, ces comportements peuvent être conditionnés et ne refléter qu’une réponse apprise. Un des mèmes fréquemment rencontrés est que la douleur est la sensation d’une blessure. En Occident, on attribue cette idée à une vision dites cartésienne (voir chapitre 3) dans laquelle les sens apportent des informations brutes, précises à l’esprit, sur l’état du monde. Après la lecture des données attenantes à la neurophysiologie de la nociception et de sa modulation, il semble bien que cette vision ne soit pas parfaitement valable, mais pour autant, elle doit pouvoir être écoutée et respectée quand elle correspond à la vision du patient. Si un thérapeute pris d’un réflexe dit correcteur tente d’imposer sa vision de ce qu’est la douleur en reniant ce qui, dans la vie du patient, lui a permis de construire une vision claire et efficiente des choses, il y a fort à parier que l’éducation à la neurophysiologie de la douleur (END) qu’il pourrait proposer ne soit pas efficace. En tenant compte du fait qu’un patient qui consulte n’est pas vierge de toutes connaissances et représentations, on a plus de chance de trouver avec lui comment le guider vers son objectif de réalisation. C’est un paradoxe de l’END en effet : il semble logique que mieux comprendre les choses permet de changer son comportement. Mais c’est une vision simpliste, comme celle de dire aux patients qu’il faut bouger car c’est bon pour leur douleur. Cela va à contre-sens de ce que nous vivons au quotidien : « si je me blesse, j’ai mal » ; « si je bouge, j’ai mal » ; « et puis les gros objets lourds, quand je les lâche, ils tombent quand même plus vite que les petits légers ». Il est évident que ces raccourcis

sont en réalité imparfaits, mais ils sont drôlement fonctionnels car ils rendent compte de la majorité des choses que nous vivons. Se souvenir que, quand nous avons eu mal, c’est que nous avons bougé ou que nous avions une blessure participe à laisser cicatriser l’organisme. Il faut que le thérapeute prenne du recul sur sa pensée pour comprendre combien elle peut être contre-naturelle et heurter ses patients, ce qui ne peut pas induire d’effets positifs. Qui parmi nous aurait pu imaginer cette expérience de pensée qui permit à Galilée de dire que la vitesse de chute des corps est indépendante de leur masse ? C’est naturel pour tout le monde qu’un objet avec un parachute tombe moins vite qu’un objet sans parachute. Pour autant, c’est bien celui avec le parachute qui est plus lourd, alors pourquoi sommes-nous si souvent persuadés que le kilo de plomb est plus lourd que le kilo de plume ?

La douleur comme qualité L’idée que nous sommes là pour aider le patient à s’accomplir amène à aborder l’idée que la douleur peut revêtir les aspects d’une qualité pour certaines personnes. Nous entendons par là qu’une personne pourrait se décrire ou être catégorisée comme douloureuse. Cela est d’ailleurs malheureusement fréquemment fait par les thérapeutes, surtout avec la notion, probablement peu utile, de patients « douloureux chroniques ». La définition de soi n’est pas chose aisée car, comme la douleur, l’idée de soi est un mème mou, mal bordé et qui englobe plusieurs niveaux de réflexion. Rapidement, nous pouvons proposer l’expérience de pensée suivante : si je suis somnambule, qui se lève la nuit ? Si c’est moi, alors je suis « mon » corps et par conséquent je devrais peut-être considérer que c’est moi qui agis lors de mouvements réflexes d’équilibration, que je choisis et contrôle l’ensemble des mes actions et pensées (malgré ce que l’on sait sur le conditionnement et les automatismes ; voir plus haut). Ainsi, je pourrais bien me considérer responsable de ce que je fais en tant que somnambule, ou en tant que personne ivre, ou en tant qu’élément d’une foule en panique qui piétine les autres. Il se peut que, dans ces trois situations (somnambulisme, ivresse et foule), l’on fasse des

choses qui sortent de nos habitudes et que peut-être nous ne referons jamais (figure 22.3). Et si ce n’était pas « moi » dans ces situations, pourquoi est-ce que cela serait moi dans d’autres situations ? À partir de quand sommes-nous prêts à dire que quelque chose est « moi » ? Et si « je » suis la somme de toutes ces choses, pourquoi est-ce que « je » ne suis pas en permanence distingué comme « je » peux l’être dans ma belle-famille et en même temps grossier comme quand « je » peux lancer une volée d’injures à un autre conducteur ? Si j’accepte d’être tout et son contraire, il devient difficile de se définir. Face à ce dilemme, il peut être possible de répondre que ce sont nos valeurs qui nous définissent, comme cela est proposé dans les TCC de troisième génération (voir chapitres 15 à 18). Les valeurs seraient ce vers quoi nous voulons tendre, ce que nous aimerions que les autres puissent dire de nous et qu’ils retiennent de nous, notre « meilleure version de nous-même » [58]. Ainsi, au-delà des actes et du comportement, il serait possible de se définir par des buts à atteindre. Cette approche est intéressante car elle amène de la finesse dans la lecture des situations de nos patients. En effet, ceux-ci peuvent persévérer dans des comportements qui apparaissent comme néfastes ; par exemple, continuer de se forcer à faire des choses douloureuses car cela irait dans le sens de se définir comme quelqu’un qui n’est pas douillet, ou peut-être comme quelqu’un de volontaire, de persévérant, ou encore peut-être vouloir rester cette personne qui a toujours pu tout gérer, qui est hyperactive et non fainéante. Une telle approche permet de donner plusieurs causes à un comportement, ce qui rajoute de la finesse et évite de stéréotyper les personnes trop rapidement. En revanche, est-il possible d’imaginer une contradiction entre des valeurs ? Pensons à une personne se décrivant comme réfléchie, observante et active ; comment va-t-elle gérer la prescription de repos ou de diminution d’activité de son thérapeute ? Il est possible de se dire que toutes les valeurs ne se valent pas et que la personne de l’exemple décide d’être observante car elle a bien compris l’intérêt du repos, ou elle aurait pu n’observer qu’un repos partiel car ne rien faire n’est pas possible pour elle. Si nous acceptons que les valeurs puissent être classées, il faut envisager alors une méta-valeur ou méta-

définition de soi qui puisse rendre compte de la raison de ce classement. Comme nous venons de l’évoquer, la définition de soi est compliquée et souvent multi-facettaire, avec la notion de ce que nous aimerions être, ce que nous pensons être et ce que nous sommes pour les autres.

FIGURE 22.3 Définition multiple du soi. La définition de soi peut être réfléchie avec au moins trois composantes : ce que je pense être, ce que je voudrais être et ce que les autres pensent que je suis. Par simple expérience de pensée, nous nous rendons compte que ces trois personnes sont différentes et qu’en réalité elles sont trois groupes de personnes potentielles. Nous changeons en permanence par effet du temps, de l’environnement et de nos choix. L’écoute des enseignements du Pr A. Prochiantz au collège de France de 2018-2019 est intéressante pour aborder cette réflexion via des données de biologie (https://www.college-defrance.fr/site/alain-prochiantz/course-2018-2019.htm).

Comprendre cela pour soi et comprendre comment nous pouvons nous définir différemment selon les situations peut aider à comprendre pourquoi un patient peut opter pour des comportements qui, à première vue, pourraient sembler inadaptés. Mais si nous donnons une place et un moyen de se définir à travers le fait d’être douloureux, ou un moyen de mettre en œuvre ce qui va dans le sens de ses valeurs, pourquoi devrait-il en être autrement que cela ? C’est en cela peut-être qu’il semble pouvoir être judicieux de vouloir « tuer

le patient » (dans le sens du statut de « patient », pas la personne bien évidemment), que la personne qui consulte n’ait plus à jouer ce rôle de patient, qu’elle puisse s’accomplir en étant autre chose qu’un patient – le patient étant cette étrange personne qui est prête à se soumettre à une autre pour une obscure raison. Dans une vision libertaire, personne ne devrait avoir à construire sa vie autour de soins, encore moins quand ces soins sont pour de la douleur, cette chose mal définie et extrêmement modulable. Le choix de faire de sa vie un instant de souffrance, de privation et d’horizon sombre ne semble pas un concept fondamentalement recevable en tant que tel. Un thérapeute pensant que son patient a pu faire un tel choix et a choisi de persister dans cette voie gagnerait probablement à s’interroger sur comment il veut se définir comme thérapeute, entre jugeant ou aidant. Comme l’enfant qui va se développer selon ses expériences et son environnement, le patient va aussi emprunter des chemins, guidé pour partie par les thérapeutes qu’il rencontre, ce qui peut expliquer l’influence de ces derniers sur leurs patients [59, 60]. Inversement, les patients peuvent avoir un fort impact sur les thérapeutes, par exemple en induisant un sentiment d’épuisement et d’impuissance [61, 62]. Il faut aussi avoir à l’esprit que les patients douloureux n’ont pas la « cote » auprès des professionnels de santé et de la société. Quand l’on demande à des étudiants en médecine de classifier une trentaine de maladies par ordre de prestige, la fibromyalgie arrive bonne dernière depuis une quinzaine d’années, alors que les pathologies musculosquelettiques douloureuses sont les principales causes de perte d’années de vie en bonne santé au niveau mondial, devant des pathologies jugées plus prestigieuses [63-65]. Il est possible que cela puisse en partie s’expliquer par le fait que la physiopathologie de la douleur étant encore imparfaitement expliquée, elle est mal comprise. De plus, des données indiquent que des personnes avec des douleurs sans explications suscitent moins d’empathie [66-68]. On peut aussi ajouter à cela que les traitements, pris isolément, ont le plus souvent des tailles d’effet au mieux modérées. Tout cela met patients et thérapeutes à l’épreuve d’échecs fréquents, ce qui est peu valorisant en tant que soignant.

La douleur comme récompense Si la douleur peut devenir une caractéristique chez une personne qui s’est construite autour de cela, elle peut aussi servir à l’affirmation de soi. Il existe des personnes chez qui la douleur peut être recherchée comme une récompense. Elle jouerait ainsi un rôle prépondérant dans l’épanouissement. Pensons à un sportif de haut niveau qui sait bien que, pour être prêt à une compétition, il doit pousser son corps dans ses limites en lui imposant de fortes contraintes. Les entraînements vont s’accompagner de douleurs, mais celles-ci pourront être des marqueurs de réussite et donc recherchées. D’autres cas peuvent être imaginés, comme la pratique du masochisme ou de l’automutilation. La pratique du masochisme est diverse, mais l’on peut retrouver chez ceux qui la pratiquent, avec le désir de ressentir de la douleur, une corrélation positive forte entre l’intensité du plaisir ressenti et celle de la douleur perçue [69, 70]. Ces situations sont toutes très différentes, mais on peut y retrouver une recherche de la douleur. À l’inverse des situations plus souvent évoquées quand l’on aborde la notion de douleur, dans ces situations, la douleur est recherchée et non fuie. Cette recherche fait probablement référence à une valeur pour la personne, qu’elle soit de la maîtrise de soi, de la capacité de dépassement ou autre.

La douleur comme motivation Il est évident que, le plus souvent, la douleur n’est pas une récompense et agit plus souvent comme agent aversif, comme un signal qui motive à éviter la situation actuelle. Une motivation vient avant un comportement et la récompense à sa suite. Il est souvent décrit que la douleur est un objet multidimensionnel avec une composante sensoridiscriminative, émotionnelle, cognitive et motivationnelle [71, 72]. Face à une douleur non choisie, nous avons tous tendance à vouloir agir pour éviter de rester dans cette situation. Cette motivation à agir est importante car si elle disparaît, comme chez les patients atteints d’asymbolie à la douleur, cela expose à des prises de risque accrues pour l’organisme. Ces patients décrivent

ressentir de la douleur mais n’éprouvent aucun sentiment d’urgence à éviter les situations douloureuses [73, 74]. La motivation précède le comportement ; elle va induire un choix pour répondre à la situation ou son anticipation. Quatre choix caricaturaux existent : • renforcer un comportement qui apporte une récompense ; • renforcer un comportement qui évite une punition ; • affaiblir un comportement qui apporte une punition ; • affaiblir un comportement qui évite une récompense. Cette présentation des choses fait référence aux principes de conditionnement évoqués dans d’autres chapitres (voir chapitre 6). Elle a l’avantage de clarifier le champ des possibles et d’être compatible avec les notions de types de raisonnement et de valeur (voir plus haut). Quand une personne fait l’expérience d’une douleur non désirée, elle peut ainsi, par exemple : • prendre une substance antalgique ; • cesser l’activité qui lui provoque la douleur ; • éviter une activité qui semble provoquer la douleur ; • mettre en place un rituel pour ne pas oublier un antalgique. Tous ces comportements sont possibles et, en général, n’apparaissent pas simultanément. Ils ont tous la capacité d’être entretenus ou diminués mais, pour cela, il faudra faire une recherche avec le patient sur ce qui a fait que tel ou tel comportement a été adopté. Il faudra peut-être aussi envisager d’utiliser un autre critère de jugement que le symptôme pour le choix des comportements (comme celui-ci n’est pas forcément fiable, ni même valide pour rendre compte de ce qui a motivé le choix). Encore une fois, le patient devra faire preuve de flexibilité cognitive s’il veut changer et amoindrir la place de la douleur dans sa vie.

La douleur comme maladie La durée de la douleur a longtemps été conçue comme un facteur

important, avec l’idée que la douleur aiguë avait un caractère protectif qui se perdait lorsque la douleur devenait chronique. Cette vision ne semble pas logique car fondée sur la notion qu’après 3 mois le corps aurait dû avoir cicatrisé. Elle laisse supposer que la douleur sert à protéger l’organisme in extenso et que, si elle ne reflète pas un risque de lésion, alors elle devient inutile. Or, dans une vision biopsychosociale, cette notion ne fait pas sens car il n’y a pas de raison que, parce qu’un symptôme dure, sa fonction change (cependant, la fonction symbolique d’un symptôme peut varier selon les circonstances). Il existe beaucoup de facteurs qui influencent une expérience douloureuse et il ne semble pas que, parmi ceux-ci, certains soient spécifiques à une durée particulière de symptôme. Pour autant, il semble exister des altérations physiologiques plus fréquemment rencontrées chez les patients avec des symptômes de douleur chronique. Parmi ces altérations, on retrouve une diminution des neurones inhibiteurs au niveau médullaire, une diminution de volume de matière grise dans plusieurs aires cérébrales ou souscorticales impliquées dans la perception douloureuse, l’activation de la microglie et des modifications dans la matière blanche et les connexions qu’elle forme à travers le système nerveux [75-77]. Malgré leur présence, ces modifications ne peuvent pas suffire à expliquer le vécu des patients. L’International Association for the Study of Pain (IASP) a proposé de définir la douleur chronique comme une possible maladie à intégrer à la Classification internationale des maladies 11e version, avec la notion de douleur chronique primaire et secondaire. L’objectif de cette codification est de faciliter la reconnaissance de la douleur chronique et sa prise en charge dans une conception multidimensionnelle [78, 79].

Démarche d’évaluation Identification du problème Quand une personne fait la démarche de venir en consultation, le thérapeute doit résoudre plusieurs questions. La première d’entre

elles est de pouvoir identifier si la plainte est un problème de définition de soi par rapport à la douleur ou une difficulté à faire quelque chose. Faire cette distinction permet d’orienter la démarche de raisonnement clinique. Si un patient décrit une douleur qui empêche une action, il est possible d’investiguer comment l’action est faite et vécue. Cela permettra de comprendre s’il faudra changer la façon de faire l’action ou la façon de l’aborder. Si la plainte est plus existentielle, il est possible d’investiguer quelle place a pu prendre la douleur dans la vie de la personne. La distinction entre les deux peut sembler floue, mais elle est cruciale et devient évidente lorsqu’un patient ne sait pas dire en quoi la douleur le gêne et que la seule chose qui compte c’est qu’elle disparaisse. C’est une plainte fondamentalement existentielle : la personne dit pouvoir tout faire mais qu’elle ne supporte plus la douleur. Cette plainte est foncièrement différente de celle d’une personne qui indiquerait être gênée par le fait de ne plus pouvoir faire quelque chose, même si nous nous définissons en partie par ce que nous faisons ou voulons faire (voir plus haut la définition de soi).

Intensité du problème Quand la nature de la plainte est identifiée par le thérapeute et le patient, il faut alors évaluer son intensité. Les échelles numériques ou visuelles sont recommandées pour l’évaluation de l’intensité de la douleur avec la notion d’un changement minimal intéressant d’au moins 30 % ou de 2/10 [80], même si des variations peuvent exister entre les populations de patients douloureux [81]. L’évaluation d’une douleur ne peut pas se restreindre à la quantification de l’intensité du symptôme. Il est essentiel de quantifier combien ce symptôme interfère avec la vie du patient, que ce soit des activités restreintes (comme avec la Patient Specific Functional Scale [PSFS]) ou son humeur, ou encore tout autre paramètre rapporté comme impacté par le patient [82]. Un autre point est utile à évaluer : celui de la distance à l’objectif. Cela est d’autant plus important que le symptôme apparaît comme mou et qu’il n’est présent que comme prétexte pour une plainte non fonctionnelle mais plus existentielle (voir plus haut). Il n’existe, autant

que nous le sachions, pas d’outil standardisé pour cette évaluation à ce jour. Mais, en reprenant l’idée de la PSFS, il est possible de demander à la personne de quantifier où elle pense être dans l’accomplissement de ce qu’elle veut être (que ce soit de 0 à 10 ou en pourcentage), à l’instar de ce qui peut être proposé en thérapie d’acceptation et d’engagement (TCA) [58]. Dans tous les cas, il est crucial de demander à partir de combien de changement la personne pense que ce changement sera utile et marquera une amélioration satisfaisante pour elle. Faire verbaliser, au-delà de la quantification d’un changement, quelle chose concrète pourrait marquer l’atteinte de l’objectif est essentiel. C’est l’idée que nous regrouperons dans la notion d’« identifier des marqueurs ».

Marqueurs du problème La troisième étape à résoudre est celle qui consiste à identifier des marqueurs du problème de santé du patient. Si le symptôme est le problème central, il est possible de quantifier plusieurs aspects de celui-ci, par exemple en reprenant les items de l’outil SOCRATES (voir tableau 22.1). La topographie de la douleur est un marqueur intéressant à évaluer car elle peut refléter la sensibilité du système nociceptif, une possible source de nociception ou un caractère neuropathique de la douleur [21, 83]. De plus, cela pourrait potentiellement aider à prédire la chronicisation de la douleur [84, 85]. L’utilisation de scores spécifiques à la dimension du patient impactée par la douleur (travail, activité physique, humeur, sommeil, etc.) est recommandée. Cela permet une quantification standardisée de l’interférence du symptôme avec la vie du patient. L’usage de ces scores standardisés présente l’avantage, quand ils ont été validés, d’avoir des seuils de changement minimal détectable et possiblement de différence minimale cliniquement intéressant définis qui aident à l’interprétation de l’évolution du patient. Nous conseillons la lecture du chapitre relatif à la notion de clinimétrie du livre de la référence [41] pour ceux qui ne seraient pas à l’aise avec ces notions. À défaut de score adapté, la recherche d’un marqueur individualisé peut passer par la quantification des événements qui permettent l’émergence de la

plainte du patient. Si un patient se plaint d’une douleur après une activité physique précise, il est possible d’essayer de quantifier la dose nécessaire pour induire la douleur et/ou la crise douloureuse. La quantification peut passer par le nombre de mouvements, la durée des mouvements, mais aussi par le temps de repos entre les périodes de contraintes. En plus de cela, le temps de repos nécessaire pour calmer le symptôme ou faire passer la crise est un repère pertinent pour apprécier un gain. La même démarche est utile quand le symptôme, par sa présence, est le problème, sans pour autant être relié à un mouvement. Si le patient décrit des douleurs après une journée de travail sans décrire un geste ayant pu provoquer ces douleurs, il est possible de vérifier si c’est l’intensité de la journée, le stress, le manque de pause, la faim ou autre qui participe majoritairement à faire apparaître ou augmenter la gêne.

Gestion du problème Repérer ces marqueurs permet, en plus d’avoir des points de repère, d’identifier comment le patient se comporte dans les situations qu’il décrit comme problématiques. L’idée à cette étape est de comprendre combien les comportements qu’il adopte peuvent sembler adaptés ou non à l’atteinte de l’objectif de vie qu’a pu formuler le patient. Il est évident, comme abordé dans le chapitre 6, que tous ces comportements ne sont pas du ressort des choix conscients, mais ils sont initialement tous adaptés. Nous entendons par là que, s’ils ont été sélectionnés, c’est qu’avant la nécessité de consulter, ce que le patient avait mis en place répondait au mieux à son problème. Ce qui a été mis en place correspond à ce qui était possible de faire pour le patient, avec sa compréhension et ses ressources disponibles, afin de faire face à ses besoins. Comprendre cette notion est essentiel afin de ne pas considérer d’une façon paternaliste le patient et de ne pas « lui marcher dessus ». Cette image se rapporte à une situation où un praticien viendrait à expliquer au patient que ce qu’il a pu mettre en place était inadapté et une perte de temps. La notion d’adapté ou inadapté provient du fait que la situation de soin est une situation nouvelle qui permet de porter un regard neuf sur le parcours du

patient. Dans les comportements les plus caricaturaux qui peuvent sembler inadaptés sur le long terme, il y a l’évitement, souvent soustendu par de la peur, et/ou du catastrophisme voire de la dépression ou de la persévération. Pourquoi cela semble inadapté ? Pour l’évitement, on comprend assez simplement que si une personne souhaite reprendre une activité (travail, sport, etc.) mais qu’elle évite de faire cette activité, car elle a été associée plusieurs fois à de la douleur, elle ne pourra pas le faire car elle l’évite. Il faut alors comprendre pourquoi elle l’évite, soit parce que le rapport entre l’inconfort de la douleur lors de l’activité et le bénéfice de l’activité est trop faible, soit parce que l’anticipation d’un événement indésirable l’emporte sur l’attente de quelque chose de positif ; d’autres mécanismes pourraient encore être décrits par la personne pour expliquer sa situation. À l’opposé de l’évitement, certains patients peuvent persévérer à forcer contre la douleur. La gestion non optimale de la contrainte et du symptôme en forçant dessus peut être inadaptée si cela empêche un processus de cicatrisation correct (et parce qu’un excès de nociception chronique va pouvoir entretenir les phénomènes neurophysiologiques de sensibilisation – voir les chapitres 8 à 12). Pour essayer de modifier le comportement du patient, il faut tenter de comprendre ce qui le sous-tend, que ce soit une perception altérée, des cognitions, du conditionnement, des contraintes sociales ou culturelles, ou des valeurs. Cette démarche est centrale dans le soin et souvent trop caricaturale, comme quand certains praticiens veulent « éduquer » leur patient en expliquant la neurophysiologie de la nociception, car ce dernier aurait de « fausses croyances », ou prescrire de nouveaux comportements sans en avoir vérifié la faisabilité, ou encore imposer un processus de soin qui ne tienne pas compte de qui est le patient et de ce qu’il pense.

Facteurs médiateurs et modérateurs La complexité de la perception et de la plainte douloureuse force à penser la plainte d’une personne de manière non linéaire. Ce n’est pas une suite stéréotypée d’événements qui mènent une personne à devenir douloureuse et à avoir besoin de l’aide d’une tierce personne.

Plusieurs causes peuvent amener à des douleurs semblables (dans l’idée de classes nosologiques comme les rachialgies ou autres), ou à des gestions de la douleur semblables (dans l’idée des comportements déjà décrits). Nous savons que la nociception et la perception peuvent être modulées par différents facteurs (l’immunité, l’hygiène de vie, la psychologie, etc. – voir les chapitres précédents). Ces facteurs sont appelés « facteurs modérateurs » : ce sont les éléments qui vont modifier la relation qui peut exister entre deux entités [86, 87] (figure 22.4). Par exemple, il existe un lien entre nociception et perception douloureuse, et la force de ce lien peut être modulée par l’attention portée au stimulus nociceptif. Ainsi, l’attention a un effet modérateur sur la relation entre la nociception et la perception douloureuse. La nociception peut entraîner une perception douloureuse et cette perception a d’autant plus de chance d’émerger, et d’émerger de manière intense, qu’on prête attention au stimulus nociceptif [88, 89].

FIGURE 22.4 Exemple de médiation en lien avec la douleur. A. Représentation théorique linéaire expliquant comment une activité peut induire une expérience douloureuse : une activité amène de la contrainte sur l’organisme qui va induire de la nociception, entraînant une activité cérébrale permettant la perception douloureuse qui va induire une gestion du problème. B. Analyse de médiation théorique démontrant que les contraintes sur l’organisme peuvent induire de la nociception et que cela passe pour partie par l’ouverture de canaux sodiques permettant la génération d’un potentiel d’action. De même, la nociception entraînerait une activité cérébrale en partie par un phénomène d’embrassement (une activité synchrone diffuse à travers le cerveau). L’intérêt d’une telle analyse est de mettre en évidence les éléments sous-tendant l’interaction entre deux événements. Ainsi, si nous affectons un événement médiateur (ici l’ouverture des canaux sodiques), nous affectons le lien entre une contrainte et la création d’un

message nociceptif, comme le fait une anesthésie à la lidocaïne.

L’identification des causes de la plainte doit prendre en considération les éléments biomédicaux et neurophysiologiques pouvant expliquer une activité du système nerveux responsable de la perception douloureuse ainsi que les facteurs modérateurs de celle-ci (figure 22.5). Ces facteurs sont trop nombreux pour être énumérés ici ; nous ne pouvons que conseiller la lecture régulière d’articles sur le sujet. Parmi les facteurs modérateurs fréquemment rapportés, le catastrophisme ou la kinésiophobie influencent la perception douloureuse et son risque de chronicisation [90-92]. Même si plusieurs facteurs ont été décrits dans la littérature, tous ne sont pas présents chez tous les patients et ne s’articulent pas toujours de la même façon. Une personne avec un fort catastrophisme, mais avec le sentiment que c’est elle qui doit se prendre en charge (locus of control interne) sera peut-être inquiète de faire des exercices prescrits, par crainte de mal faire ou de trop tirer sur ce qui lui fait mal, mais persuadée qu’il lui faut faire. Elle se comportera différemment d’une personne persuadée que ce sont les actions du thérapeute et non les siennes qui l’aideront à aller mieux (locus of control externe). Les effets de ces facteurs, nous le voyons par cet exemple, ne sont pas fixes mais dépendent des interactions avec les autres éléments qui font la singularité de chaque situation de soin. Il faut aussi garder à l’esprit que les facteurs modérateurs ne sont pas que psychocognitifs. En effet, il est probable que, lorsqu’il est prévu de réexposer un patient à une activité, l’état des tissus qui sont mis en contrainte va jouer sur la possibilité de générer de la nociception et de s’adapter à ces contraintes.

FIGURE 22.5 Exemple du principe de modération dans la douleur. Représentation théorique du principe de modération appliquée à une expérience douloureuse. Le lien entre la nociception et l’activité cérébrale passe en partie par un dépassement de seuil (l’embrassement), mais ce lien entre nociception et activité cérébrale est modéré (influencé) par les mécanismes de modulation (voir chapitres 8 à 12).

L’intérêt d’un point de vue du raisonnement clinique d’identifier les possibles variables médiatrices et modératrices est de pouvoir cibler les facteurs pertinents pour influencer l’état du patient afin de l’accompagner vers là où il aimerait être. Prenons l’exemple d’un patient lombalgique chez qui a été mis en évidence un bombement discal. Ce patient craint de se blesser en se penchant en avant et de finir paralysé. Lors de son blocage, il a eu une douleur fulgurante dans le dos qui est descendue jusqu’en bas des fesses. Depuis lors, il a arrêté les efforts de port de charge comme conseillé par son médecin. Il indique ensuite que le médecin avait expliqué qu’il fallait continuer de bouger sans faire d’effort intense de port de charge avant d’en discuter avec le kinésithérapeute dans les prochains jours et qu’il fallait consulter précocement pour voir comment gérer cette crise probablement bénigne. L’écart entre les deux messages n’est ni étonnant, ni rare. Il a été documenté qu’il existe une inconsistance entre ce qui peut être dit, compris et retenu lors d’un échange entre deux personnes [93, 94]. Le patient décrit qu’il est responsable de vente dans un magasin, un poste essentiellement au bureau, mais il peut être parfois amené à aider ses collègues pour des installations. C’est d’ailleurs lors d’une telle installation qu’il s’est fait mal. Pour lui,

il est important de pouvoir aider : il parle de management type « hands-on », c’est-à-dire de participer aux tâches qu’on délègue et non de simplement parler sans agir. Il souhaiterait aussi avoir vos conseils pour la reprise du sport ; il courait avant, mais pense maintenant que cela risquerait de tasser encore plus ses disques et il a entendu dire que la piscine « c’est bon pour le dos ». Il n’est pas bon nageur mais pourrait accepter de s’y mettre car il a besoin de sport pour l’aider à gérer le stress du travail. L’événement douloureux a eu lieu il y a une semaine. Avec les médicaments, la douleur a diminué mais il continue à être gêné le soir. Il pense que cela s’explique car il en fait encore trop, mais il ne peut pas rester à rien faire. Il a 34 ans et est le père d’un enfant d’un an. Il voudrait pouvoir s’occuper de lui normalement mais, là, il n’ose plus le prendre dans les bras de peur d’avoir de nouveau cette forte douleur, de le lâcher et le blesser. La topographie de la douleur en barre diffuse sur l’ensemble du bas du dos vous évoque un problème de nociception provenant du disque, surtout que le patient décrit une douleur qui se centralise lorsque vous le mettez en décharge ou qu’il fait des mouvements répétés [9597]. Vous notez que le patient décrit l’absence de faiblesse dans les membres inférieurs, l’absence de troubles viscéraux ou vésicosphinctériens, qu’il n’a pas d’antécédents médico-chirurgicaux et que le questionnaire DN4 est négatif. Vous notez également que le fait de se pencher en avant augmente la douleur et que cela l’inquiète. Il refuse a fortiori de le faire avec un poids dans les mains car il ne s’en sent pas capable à cause de la douleur. Il est persuadé que cela pourrait fragiliser son dos et il ne se sent pas capable de faire face à une autre crise douloureuse. Que penser de ce cas ? Probablement que le pronostic est globalement bon à court terme. Les douleurs lombaires sont réputées s’améliorer dans les trois premières semaines [98]. Nous pouvons aussi estimer que le patient souffre de douleurs nociceptives en lien avec une affection discale sans compression radiculaire. La perception douloureuse du patient semble donc médier pour partie par une activité nociceptive ; activité nociceptive que l’on sait pouvoir être modérée, entre autres, par la contrainte sur la structure innervée et le

fonctionnement de centres modulateurs suprasegmentaires (voir chapitres 8 à 12), dont le fonctionnement peut être modulé par les pensées [99, 100]. Or, le patient fait montre de catastrophisme et de kinésiophobie qui sont des facteurs de risque de chronicisation [101103], comme le bombement discal est un risque de douleur lombaire [35]. L’ensemble de ces facteurs fait que le patient n’ose ni porter son enfant, ni pratiquer la course (voir figure 6.2). Ainsi, nous pouvons identifier différentes cibles thérapeutiques pour tenter d’aider le patient à atteindre ses objectifs : l’état du disque qui semble être source de nociception, le catastrophisme et la kinésiophobie qui peuvent accroître la perception douloureuse et conduire le patient à adopter un comportement non adapté sur le long terme. En faisant ce travail d’identification, il est alors possible d’envisager d’utiliser des techniques de thérapie manuelle, d’exercices ou de posture pour influencer l’hydratation du disque [104, 105] ; de l’éducation sur le fait qu’un bombement discal n’est qu’un facteur de risque de douleur [106, 107], que la course peut être « bonne » pour les disques [108] et que le port de charge ne semble pas en soi un facteur de risque de lésion du dos ou de douleur [109-111]. Il serait possible aussi de tester le fonctionnement des systèmes de modulation de la nociception et d’expliquer au patient comment ce qu’il pense peut affecter ces systèmes et comment cela peut créer une prophétie auto-réalisatrice (« plus je crains d’avoir mal, plus je peux avoir mal »). En cas de déficit de ces systèmes de modulation, il faut prévoir d’introduire des exercices ou des techniques psychocorporelles si le stress est un facteur important pour le patient [112, 113].

Décider des soins Il existe de nombreuses propositions thérapeutiques dans la littérature pour soulager une douleur ou son impact sur la vie d’une personne, que ce soit de la chirurgie vasculaire ou orthopédique (ablation, fixation ou remplacement d’une structure) ; de la chirurgie neurologique (stimulation médullaire, destruction médullaire ou radiculaire) ; des interventions médicamenteuses (opioïdes, cannabinoïdes, anti-épileptiques, anti-inflammatoires,

antidépresseurs, etc.) ; des interventions médicales (stimulations électriques locales ou cérébrales, stimulations magnétiques cérébrales) ; des interventions psychologiques (thérapie cognitivocomportementale, psychanalyse, approches psychocorporelles, etc.) ; des interventions paramédicales (ergothérapie, kinésithérapie, exercice physiques, diététique, etc.) ; ou des approches alternatives (acupuncture, homéopathie, ostéopathie, chiropraxie, etc.). C’est un euphémisme de dire que toutes ces interventions n’ont pas un haut niveau de preuve d’efficacité, possiblement car la plupart d’entre elles ont une vision unidimensionnelle de la douleur. De plus, la plupart des données proviennent d’études qui utilisent des critères d’inclusion reposant sur des diagnostics biomédicaux (lombalgie, neuropathie diabétique, syndrome thalamique, etc.). Or, au vu de l’ensemble des facteurs influençant une plainte douloureuse, une population d’étude sélectionnée sur un seul critère biomédical représente un ensemble très hétérogène par rapport à la particularité du patient qui nous consulte. Cette hétérogénéité explique en partie les potentiels écarts entre la clinique et la recherche. Ne pouvant obtenir de la littérature que des réponses moyennes, potentiellement applicables, le choix des propositions thérapeutiques doit s’appuyer sur l’ensemble des facteurs évoqués plus haut, à savoir nos scripts cliniques, notre représentation du problème du patient au moment de la prise de décision, nos scripts thérapeutiques et ce que le patient peut envisager pour lui. Le choix final se fait en accord avec le patient sur la combinaison que nous pensons la plus appropriée pour lui et qu’il pourra mettre en place. Cela ne signifie pas que le patient a forcément le dernier mot. Si, avec un patient, nous pensons que sa dépendance aux opioïdes ou sa kinésiophobie sont des facteurs prépondérants dans son problème de santé, mais que le patient ne le pense pas, alors il y aurait du sens à ce que nous abordions ces problèmes, même si ce n’est pas le souhait primaire du patient. C’est une situation fréquente qui, dans le modèle de Prochescka et DiClemente sur le processus de changement de comportement de santé, peut correspondre à l’état de précontemplation. À ce stade, le patient n’ayant pas conscience qu’une partie de son comportement

créé le problème, il ne pourra pas décider d’agir sur ce comportement, par exemple sa kinésiophobie. Il est alors possible dans l’échange avec le patient de lui faire prendre conscience de cela. Une des façons les plus simples est le raisonnement par l’absurde ou le fait de faire apparaître des contradictions dans le récit du patient. Si le patient lombalgique évoqué plus haut dit vouloir de nouveau porter son fils mais éviter de porter en se penchant, il existe une contradiction entre les deux. En demandant au patient son avis sur cette opposition entre désir et comportement, on suggère au patient qu’il y a un point d’achoppement qui peut nécessiter de prendre du temps. Ainsi, résoudre cette contradiction peut devenir un objectif pour le patient. C’est au final l’accord entre un script clinique et thérapeutique qui permettra le choix. Pour se représenter l’état final amenant à la prise de décision, nous pouvons nous figurer que tout le temps où nous recueillons de l’informations auprès d’un patient permet d’éclater la personne qu’il incarne en venant consulter en un ensemble des caractéristiques. Ces dernières peuvent, une fois séparées, être rangées dans des boîtes que sont nos scripts cliniques. Pour rappel, les scripts cliniques sont ces représentations que nous avons des différentes conditions cliniques que nous connaissons qui ne se résument pas forcément simplement à des diagnostics médicaux (hernie discale, fracture, etc.). Cela peut aussi englober des diagnostics sur des prédictions de réponses ou des schémas (par exemple savoir qu’un patient qui a mal au dos et chez qui les mouvements répétés améliorent son état aura de bonnes chances de continuer de s’améliorer s’il répète régulièrement ce mouvement). Le choix d’une intervention se fera par la suite en mettant face à face la représentation décortiquée que nous avons du patient avec celles des interventions possibles que nous connaissons. Ces dernières sont les scripts thérapeutiques, déjà évoqués plus haut. Ces scripts ne se résument pas à des noms de techniques, ni à leurs gestuelles (tableau 22.4). Tableau 22.4 Présentations des scripts*.

Script clinique (la représentation d’une condition clinique)

Scripts thérapeutiques (la représentation d’une intervention thérapeutique)

Épidémiologie

Technologie de l’intervention

Physiopathologie

Sujets répondeurs

Sémiologie

Variables médiatrices de l’effet

Sous-groupes

Variables modératrices de l’effet

Diagnostics différentiels

Effet-dose

Outils diagnostiques

Effets indésirables

Clinimétrie des outils diagnostiques

Effets secondaires

*Les

scripts sont des ensembles de connaissances organisées en réseaux pour être efficaces en clinique. Ces réseaux intègrent des connaissances relatives au diagnostic, aux investigations et aux aspects thérapeutiques. Nous proposons d’en distinguer deux types avec leurs éléments constitutifs.

Une fois que nous avons pu estimer le poids de différents facteurs pour expliquer la présentation clinique du patient ainsi que la confiance que nous avons dans la probabilité que chacun de ces facteurs soient présents, il est possible de classer les thérapeutiques envisageables en hiérarchisant les pronostics de changements attendus si nous les appliquions. Le patient tranchera en utilisant la variable du coût-bénéfice attendu (figure 22.6).

FIGURE 22.6 Prise de décision clinique selon l’interaction entre scripts cliniques et thérapeutiques. Il y a toujours des hypothèses explicatives ou des thérapeutiques que nous n’envisageons pas, ce qui est une erreur de raisonnement à distinguer d’éléments inconnus que nous ne pouvons pas prendre en considération car ils n’existent pas dans notre monde comme pourraient l’être une maladie rare ou une thérapeutique nouvelle. A. La présentation clinique d’un patient va évoquer plusieurs hypothèses explicatives. Les informations recueillies sur le patient vont, selon nos scripts cliniques (SC), être en faveur d’une hypothèse ou d’une autre. Dans l’exemple, les informations sont en faveur du SC 1. La qualité des informations et la confiance que nous avons en elles font que la probabilité estimée est plus ou moins précise (largeur de la courbe). Dans ce cas théorique, nous sommes confiants dans le fait d’une très faible probabilité que le SC 3 explique la condition du patient ; pour le SC 2, il est estimé une probabilité plus élevée, mais la confiance dans cette probabilité est faible (courbe large). Le SC 1 est le plus probable. La condition clinique inconnue (Cci) et la condition clinique non envisagée (CCne) sont représentées de façon fictive car elles ne peuvent pas être prises en compte. L’aspect multidimensionnel de la plainte douloureuse fait que plusieurs hypothèses peuvent être retenues pour expliquer la clinique d’un patient (une lésion, un facteur psychocognitif, etc.), avec la même notion de probabilité estimée de l’intérêt d’un facteur et la confiance que nous avons dans le rôle de ce facteur. L’illustration peut de ce fait amener à plusieurs lectures. B. Comme pour les conditions cliniques, il existe des thérapeutiques qui ne rentrent pas en considération lors d’un choix thérapeutique, celles non envisagées (T ne) ou inconnues (T i), malgré qu’elles puissent être efficaces sur certains éléments utiles (toute la zone grisée et les interactions en violet). L’illustration présente aussi l’idée qu’une thérapeutique peut avoir du sens pour répondre à plusieurs éléments cliniques. Par exemple, l’exercice physique permet d’améliorer la force et l’endurance, mais aussi le sentiment d’auto-efficacité et la dépression. C. De l’interaction entre nos scripts cliniques et thérapeutiques (SC et ST), il est possible d’estimer un pronostic pour le patient. Le pronostic étant considéré comme l’évolution estimée du patient calculée à partir de l’estimation de sa condition clinique et des effets thérapeutiques. Ici sont symbolisés les pronostics de trois thérapeutiques pour une condition particulière (courbe bleue de droite). Les tailles d’effets sont symbolisées par le déplacement de courbe (flèches horizontales), et la confiance dans cet effet par la largeur de la courbe pronostique sur la gauche (représentée ainsi pour indiquer une baisse dans la probabilité estimée que le patient soit toujours souffrant de la condition pour laquelle il est pris en charge).

Il nous semble que cela représente une façon éclairée de faire un choix thérapeutique adéquat. Cela peut s’appliquer à toutes les situations, même des cas extrêmes, comme aux urgences où le patient n’ayant aucune connaissance a priori n’estimera le coût-bénéfice qu’avec les informations transmises par le thérapeute. Dans le cas où le patient est inconscient, il y a fort à parier qu’il est dans une situation où il ferait confiance aux thérapeutes pour choisir comment l’aider. En France, l’existence des directives anticipées permet de surcroît de prévoir cette situation où, inconscients, nous pouvons informer les potentiels thérapeutes de nos choix ; par exemple, indiquer que nous pensons qu’être réanimé avec des capacités fortement diminuées ne représente par un rapport coût/bénéfice acceptable pour autoriser la réanimation.

Proposition de soins Dans une approche biopsychosociale de modulation de la douleur, de ses facteurs et ses conséquences il est possible d’envisager de classifier les approches thérapeutiques en six catégories (voir chapitre 13) : • la modulation des afférences nociceptives ; • la modulation involontaire de l’intégration ; • la modulation volontaire de l’intégration ; • la modulation de la perception du corps ; • la modulation cognitivo-comportementale ; • la modulation de mèmes ou de contexte. Cette catégorisation arbitraire permet de passer outre un potentiel clivage d’approches considérées centrées sur des aspects biomédicaux ou d’autres centrées sur des aspects plutôt psychocognitifs ou sociaux. La modulation des afférences nociceptives consiste à tenter de diminuer les afférences nociceptives. Limiter la nociception est intéressant pour diminuer le risque de sensibilisation du système nerveux central et l’inflammation neurogène en plus de réduire l’intensité de la douleur nociceptive. L’activité des nocicepteurs étant en partie médiée par la contrainte sur les tissus innervés, la mise en décharge est une option

thérapeutique logique. Elle peut être mise en place par un changement de gestuelle, l’utilisation d’aides techniques, ou même l’immobilisation totale ou partielle. Pour diminuer la probabilité que les fibres nociceptives s’activent, il est aussi envisageable de stimuler l’adaptation de la structure source de nociception : c’est le principe de remise en contrainte progressive et de gestion de la charge. Il est aussi possible de diminuer cette probabilité de décharge en inhibant les mécanismes de génération de potentiel d’action, comme le permettent les anesthésiques locaux. L’inflammation est aussi une cible intéressante pour diminuer l’activité nociceptive en diminuant le risque de sensibilité accrue des fibres nociceptives. Pour agir dessus, les substances anti-inflammatoires, qu’elles soient locales ou systémiques, et plusieurs familles de molécules existent, mais leur spécificité sort du cadre de cet ouvrage. La modulation involontaire de l’intégration, qui peut être un terme jugé comme impropre par certains, regroupe les interventions visant à agir sur les mécanismes de modulation de l’intégration nociceptive sans faire intervenir la volonté du patient. Cela peut inclure entre autres la stimulation nerveuse électrique transdermique (TENS), les mobilisations ou manipulations articulaires et certaines substances pharmacologiques (recapture de sérotonine, opioïde, etc.). Ces approches modulent l’intégration nociceptive au niveau médullaire, ou suprasegmentaire. L’activation des mécanismes inhibiteurs diminue la probabilité d’embrassement cérébral et donc de perception douloureuse. Il est aussi possible d’envisager des interventions qui visent l’activation de ces systèmes de modulation de l’intégration nociceptive et de l’embrassement cérébral via une action volontaire. Ainsi, l’hypnose, l’imagerie mentale, la méditation ou autres sont des approches thérapeutiques qui, grâce à la volonté du patient, permettent d’influencer l’activité du système nerveux central afin de décaler son mode d’activité en dehors de celui de la perception douloureuse. Cela reposera sur l’activation in fine des mêmes mécanismes de modulation par une porte d’entrée différente. En considérant, comme nous l’avons proposé, que la douleur puisse

permettre une fonction de protection de l’organisme, la motivation induite par la perception douleur peut être envisagée comme une peur ayant pour objet le corps à protéger. Ainsi, si la douleur est profondément un phénomène incarné [114-116], perturber la représentation que l’organisme a de lui-même représente une alternative thérapeutique censée. On retrouve ainsi entre autres la thérapie miroir, les stimulations vestibulaires ou même la réalité virtuelle. La plupart de ces approches sont encore pionnières et leur usage en clinique est à cadrer, mais elles représentent des alternatives intéressantes probablement pour certains types de patients, comme ceux atteints de SDRC ou de douleur du membre fantôme [117, 118]. La modulation comportementale va passer par la compréhension qu’a le patient de son problème de douleur et la façon dont il l’aborde. Ces approches ne visent pas forcément à obtenir une modulation directe et immédiate de la perception douloureuse. Cette modification sera une conséquence indirecte qui passe par un changement de positionnement du patient par rapport à ce qu’il vit. On peut penser aux différentes thérapies de pleine conscience, à la TCC ou à la thérapie d’acceptation et d’engagement. Celles-ci sont probablement adaptées pour aider des patients avec des plaintes existentielles, même si chacun peut gagner à reconcevoir son approche de la douleur. Au-delà de ces approches qui se concentrent sur le patient, il est possible d’envisager des interventions qui affectent la façon dont la société conçoit la douleur et sa gestion. Cela pourrait être considéré comme des actions visant à moduler les mèmes, ces idées qui circulent dans un groupe social. C’est par exemple le principe du message de santé diffusé par l’assurance maladie en France sur la lombalgie qui, depuis quelques années, recommande le mouvement avec le slogan : « le bon mouvement c’est le mouvement ». Ces approches de masse ont montré des effets positifs sur la conception de la population générale sur la gestion d’une douleur lombaire [119]. D’autres moyens peuvent être développés à une échelle réduite, comme des interventions au niveau professionnel (par exemple des formations en entreprise) ou au niveau familial, que cela soit de l’éducation et/ou de

la suggestion de nouvelles organisations. La reconversion professionnelle est aussi une alternative envisageable pour modifier un contexte néfaste non gérable. D’autres approches peuvent sûrement être envisagées pour chacune de ces catégories de modulation. La problématique de la taille d’effet et celle de la validité des interventions sont des éléments que chaque thérapeute doit étudier personnellement en acceptant de travailler avec un peu d’incertitude. De même, d’autres organisations des approches thérapeutiques peuvent s’envisager. Il est probable qu’aucune ne soit encore parfaite. La catégorisation proposée ici est à destination des thérapeutes. Sa conception reprend l’idée de cibler certains mécanismes de la plainte d’une personne douloureuse. Pour autant, chacun doit garder à l’esprit que les interventions ne sont jamais unidimensionnelles. Aucun moyen thérapeutique n’a un effet pur en pratique clinique ; il y a toujours un contexte et des attentes qui vont influencer cet effet. Comme proposé plus haut, cet effet doit être conçu comme multidimensionnel. L’exercice physique est un bon exemple souvent proposé pour récupérer de la force, de l’endurance ou pour renforcer une structure ; mais l’exercice permet aussi de stimuler les centres inhibiteurs descendants et d’améliorer le sentiment d’efficacité personnelle [120, 121].

Apport du raisonnement bayésien Nous recommandons à tous les cliniciens d’incorporer le principe des statistiques bayésiennes dans leur raisonnement. Les précédents chapitres de ce livre soutiennent l’intérêt de cette démarche de pensée car la douleur est un élément multidimensionnel. L’équation fondamentale de Bayes est :

Voici la signification des éléments : • les petits p signifient « probabilité de » ; • p(A) : probabilité que l’événement A arrive ; • p(B) : probabilité que le monde suive les règles du jeu B ; • p(A|B) : probabilité que l’événement A arrive sachant B : quelle est la chance/le risque de vivre un événement A si le monde suit les règles du jeu B ? • p(B|A) : probabilité que l’événement B arrive sachant A, aussi appelée la vraisemblance ; correspond à la probabilité que le monde suive les règles du jeu B quand nous sommes en train de vivre l’événement A. Ce théorème va nous être utile dans toutes les étapes de décisions cliniques (étiologiques, diagnostiques, thérapeutiques, etc.). Le tableau 22.5 présente des illustrations cliniques des liens entre A et B selon les étapes cliniques. Ce tableau montre comment nous aider dans notre prise en charge. Lorsqu’un clinicien voit un patient, il a une conception a priori (dans le sens : a priori d’agir sur le patient – faire un examen, une thérapie, etc.) de son état biopsychosocial. Sur le plan étiologique et diagnostique, au fur et à mesure qu’il récoltera des informations subjectives et objectives lors de l’examen d’un patient, le clinicien va modifier (ou non) ses représentations de la présence (ou non) de telle ou telle étiologie/symptôme pouvant expliquer/démontrer son état douloureux (si des informations ne nous font pas changer nos représentations de la situation, c’est qu’elles nous sont sûrement inutiles et qu’il nous faut faire l’effort de construire une démarche d’examen concentrée sur la recherche d’informations qui puissent avoir du sens pour nous). Si, par exemple, un patient arrive avec une lombalgie, le clinicien aura en tête une probabilité initiale que cela soit en lien avec la présence d’une hernie discale. La confiance dans la présence d’une telle hernie discale va varier chez le praticien en fonction des données des résultats de sa démarche d’examen (choix de tests, etc.).

Tableau 22.5 Illustrations cliniques des liens entre A et B selon les étapes cliniques lors d’un raisonnement bayésien. Signification Étape clinique illustrée de p(A)

Signification illustrée de p(B)

Étiologique

Probabilité a priori d’avoir une lombalgie

Diagnostique

Probabilité a Probabilité priori d’avoir d’être une douleur positif au neuropathique test DN4

Signification illustrée de p(B|A)

Probabilité Vraisemblance d’avoir une (= degré de hernie modulation) discale d’avoir une lombaire hernie discale (prévalence quand l’on a des hernies une lombalgie dans la population d’intérêt)

Signification illustrée de p(A|B) Probabilité a posteriori d’avoir une lombalgie quand on a une hernie discale

Vraisemblance (= Probabilité a degré de posteriori modulation) d’avoir une d’être positif douleur au DN4 neuropathiqu quand l’on a lorsqu’on est une douleur positif au tes neuropathique DN4

Thérapeutique Probabilité a Probabilité de Vraisemblance (= Probabilité a priori qu’une recevoir un degré de posteriori épicondylalgie traitement modulation) d’avoir une s’améliore par ondes du fait d’avoir épicondylalg de choc reçu des qui s’amélior ondes de choc lorsqu’on a quand son reçu des épicondylalgie ondes de cho

s’améliore Pronostique

Probabilité a priori de développer une douleur chronique

Probabilité de souffrir de dépression

Vraisemblance (= degré de modulation) de souffrir de dépression sachant qu’on développe une douleur chronique

Probabilité a posteriori de développer une douleur chronique lorsqu’on souffre de dépression

De la même manière, lors du choix du traitement à proposer à son patient, le clinicien va pouvoir, grâce à ses connaissances théoriques (dont les données de la science) et son expérience, hiérarchiser la pertinence des moyens thérapeutiques à sa disposition en fonction de leur puissance de modulation (= vraisemblances). Cette démarche lui permettra de choisir lequel de ces derniers serait le plus adéquat pour diminuer au mieux la symptomatologie initiale – qui serait p(A) dans le tableau 22.5. Le principe est qu’il y a trois entités à prendre en compte : • la représentation a priori de l’état d’un objet (une hypothèse diagnostique, un état du monde, etc.) ; • un élément de modification de cette représentation selon les informations recueillies sur cet objet ; • la représentation a posteriori de ce recueil d’informations de l’état de l’objet. De façon générale, la logique est la suivante : si la probabilité d’apparition d’un événement A ne varie que peu selon la survenue de l’événement B – vraisemblance que A se produise sachant que B a eu lieu, P(A|B) –, alors B n’a que peu d’importance quand l’on s’intéresse à l’avènement de A. Par exemple, si le fait de fumer ne change pas la probabilité d’avoir un cancer des poumons, alors fumer n’a pas de puissance de modulation sur le cancer. Si, en revanche, l’état de l’objet

varie avant et après un élément, alors l’élément sera modulateur. Cela est à utiliser de la même manière lors d’un diagnostic (est-ce que la démarche d’examen utilisée me permet de faire évoluer ma confiance dans la prédominance de tel ou tel autre phénomène dans l’explication de la situation de la personne en soin ?), d’un pronostic (est-ce qu’un élément biopsychosocial peut influencer l’état à venir de la personne en soin ?), d’une thérapie (est-ce que masser le dos du patient lombalgique va réduire sa douleur ?), etc. La puissance modulatrice d’un élément clinique est estimée grâce aux résultats d’études de bonne qualité ; un « simple » avant/après en clinique pourrait être trop biaisé. Cependant, l’expérience d’un thérapeute lui permettra d’ajuster la confiance qu’il a dans la puissance modulatrice d’une thérapie ou d’un élément clinique, selon les caractéristiques propres d’une relation de soin spécifique/précise. Cette forme de raisonnement va pouvoir aider le thérapeute pour choisir les moyen diagnostiques et thérapeutiques à mettre en place en prenant en compte a priori les éléments biopsychosociaux du patient, les données de la science et son expérience professionnelle. Cela permet aussi d’avoir un rétrocontrôle sur le sens à donner aux informations utilisées en vérifiant l’association observée entre les éléments cliniques recueillis et l’évolution du patient.

Péroraison En résumé, nous pouvons proposer d’adopter une démarche de raisonnement clinique en plusieurs étapes : 1. identifier la nature de la plainte du patient ; 2. discuter les attentes possibles de la relation thérapeutique ; 3. s’assurer de travailler dans notre champ de compétences ; 4. identifier une histoire cohérente pouvant expliquer la plainte et le comportement du patient ; 5. discuter sa compréhension de la situation avec le patient ; 6. se mettre d’accord sur les marqueurs pertinents pour assurer la mesure de la progression de la personne vers ses objectifs de soin ;

7. déterminer ensemble les actions envisageables. Les réflexions à mener pour accompagner une personne douloureuse sont multiples et mobilisent des connaissances de domaines variés. La nature complexe voire simplexe de la douleur impose d’avoir une démarche non linéaire dans laquelle le thérapeute laisse une place appropriée au patient. Les personnes avec des difficultés ou incapacités de communications présentent des situations de soins particulières face auxquelles il faut adapter sa pratique dans les aspects communicationnels et dans la réflexion pour comprendre les demandes de soins des représentants légaux. Nombre d’autres visions du soin peuvent exister ; à chacun de trouver, ou de construire, la démarche lui semblant la plus efficace pour gérer les situations qui sont sous sa responsabilité. La proposition faite ici se veut inscrite dans une réflexion pouvant être cohérente dans un grand nombre de situations et qui essaie intrinsèquement de prendre en compte un maximum de dimensions. Pour cela, il faut adopter une démarche non stéréotypée d’usage de techniques quelle qu’en soit la nature ; et veiller à trouver les principaux déterminants utiles pour comprendre et résoudre la majorité des situations auxquelles nous sommes confrontés. Il nous semble aussi essentiel de prendre du temps pour soi en tant que thérapeute. La prise en charge d’un patient douloureux est complexe en soi et, nous l’avons évoqué, peut exposer à des échecs éprouvants. Le rôle de thérapeute n’est pas une sinécure ; un risque d’épuisement et de mal-être est présent. Les données théoriques de cet ouvrage doivent permettre de concevoir la douleur d’une personne comme un événement difficilement appréhendable face auquel une personne extérieure risque de rapidement se sentir démunie. Cela pourrait facilement arriver à un thérapeute obnubilé par ce symptôme volatil. C’est quand nous nous sentons démunis en tant que thérapeutes qu’il peut être judicieux de savoir faire preuve d’autocompassion et de prendre le temps d’échanger avec ses pairs. Il est essentiel de se remettre en question pour progresser, mais afin de ne pas créer un cercle vicieux de doute et de perte de confiance, nous

pouvons conseiller l’usage par exemple de la supervision ou de l’intervision. La première approche est d’autant plus indiquée que la douleur est un champ nouveau pour le thérapeute. Elle consiste à être encadré par un pair plus savant et expérimenté qui va pouvoir, en s’appuyant sur son expérience plus grande et ses connaissances plus étendues, partager sa vision d’un problème et tenter de guider un plus jeune. Cela correspond à une sorte de compagnonnage où l’apprenti est guidé par un maître. Les temps de supervision peuvent alors permettre à l’apprenti de partager ses doutes, de découvrir combien ils sont normaux et de recevoir des conseils éclairés pour gérer les situations difficiles. Évidemment, la qualité d’une supervision dépendra du superviseur. Si nous ne devions considérer qu’un critère pour juger de la qualité d’une supervision, nous pensons que ce critère doit être celui de l’émancipation de l’apprenant permisse par la supervision. L’intervision, au contraire, ne consiste pas en une relation hiérarchisée mais en un temps d’échange entre différentes personnes qui se mettent au même niveau. L’avantage de cette approche est de permettre la construction d’une réflexion plus individuelle et émancipée et de la confronter à des points divers. Pour cela, il est judicieux de construire ces temps avec des personnes d’horizons divers afin de faciliter l’ouverture d’esprit et l’exposition à des savoirs plus étendus. La difficulté sera de devoir s’affranchir d’un travail personnel plus conséquent, car les solutions seront apportées par le groupe, ce qui implique d’apporter aussi des connaissances et réflexions de qualité pour penser les problèmes de chacun avec sagesse et bienveillance.

Points à retenir ■ Il faut discuter avec le patient du sens de la douleur afin de le comprendre et de l’aider au mieux. ■ Le raisonnement clinique doit permettre d’identifier l’intervention qui fait le plus sens dans la situation actuelle. ■ Tenant compte de l’aspect multidimensionnel de la douleur,

le raisonnement bayésien a une place utile pour le clinicien. ■ L’accompagnement de personnes douloureuses peut être éprouvant ; les thérapeutes doivent s’entraîner à prendre du recul et faire preuve d’auto-compassion.

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CHAPITRE 23

Communication M. Colas

« Guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours. » Hippocrate

PLAN DU CHAPITRE Introduction 252 Construction de l’échange 257 L’écoute active 260 La communication verbale 261 S’exprimer sans paroles : les langages paraverbal et non verbal 278 Le lieu des soins : la place des effets contextuels 286 Références 289

Introduction La communication, étroitement liée aux relations interpersonnelles, est inévitable dans le soin. C’est par la communication que ces deux personnes différentes, le patient et le soignant, coopèrent dans l’objectif commun du rétablissement du patient. Ce lien entre les deux acteurs du soin est un des piliers de l’alliance thérapeutique1 [1]. L’alliance thérapeutique est définie comme la relation positive de

travail entre le patient et le soignant [2], et va influencer la satisfaction du patient, l’adhésion au traitement et in fine la réussite de ce dernier [1, 3]. Une chose est certaine : il est impossible de ne pas communiquer [4]. Que ce soit auprès du patient, de sa famille ou des confrères, les paroles du professionnel, son attitude et le moindre élément traduisant une émotion sont autant d’éléments que le professionnel communique auprès de ces personnes. Pourtant, tout professionnel de santé expérimenté a le souvenir d’une situation où il s’est senti en difficulté dans sa communication. La communication n’est pas une compétence innée et dépend de facteurs qui n’incombent pas uniquement au professionnel de santé. Par ailleurs, la douleur d’un individu va avoir une influence sur ses compétences en communication. Les facteurs sociaux2 ont un rôle dans la douleur, et cette dernière a également un rôle dans les interactions sociales avec d’autres individus [5]. Le tableau 23.1 liste ces fonctions de la douleur. Tableau 23.1 Les fonctions intrapersonnelles et interpersonnelles de la douleur. Fonctions Avertir l’individu d’une menace biologique réelle ou intrapersonnelles potentielle sous forme de lésion tissulaire et de la douleur motive la fuite Fonctions Alarmer les membres de la même espèce par des interpersonnelles réactions comportementales, et les avertir d’un de la douleur danger personnel (réponses intéressées) Informer les autres des facteurs situationnels susceptibles de nuire ou de soigner, comment ils peuvent réagir et le bénéfice tiré de ces efforts (apprentissage par l’observation) Stimuler des réactions empathiques et peut-être de la sympathie et des soins (réponses altruistes) ou

sympathie et des soins (réponses altruistes) ou alors une satisfaction sadique chez les observateurs Informer à propos des capacités comportementales de la personne ; les personnes douloureuses sont vulnérables et peut-être moins en mesure de contribuer au tissu social

Le modèle de communication sociale de la douleur proposé par Craig a l’ambition d’illustrer le rôle de la communication dans la mise en place et l’évolution de la douleur [5]. Ce modèle récent est représenté sur la figure 23.1. L’évaluation et la réaction de l’observateur (professionnel de santé, membre de la famille, employeur, etc.), d’une part, sont dépendantes des expressions de la douleur, et d’autre part, elles auront un impact sur la prédisposition de l’individu et donc son expérience d’une future douleur.

FIGURE 23.1 Le modèle de communication sociale de la douleur. Source : D’après Craig [5].

Ce modèle explique, entres autres, l’apparition de croyances limitantes chez un individu et comment un conseil mal adapté peut être nocebo. Prenons un exemple : un individu a un lumbago

(dommage tissulaire) ; il a auparavant déjà eu mal au dos (prédisposition), mais cette fois-ci la douleur est différente et inquiétante (expérience de la douleur). En consultant son professionnel de santé, celui bienveillant (observation) lui donne comme conseil (réaction) le repos et de ne surtout pas se pencher en avant, ce qui aurait pour conséquences d’« aggraver son dos déjà abîmé ». Ce conseil ayant été intégré par l’individu dans son système de croyances, sa prédisposition a évolué, avec ces nouvelles connaissances d’ergonomie et d’anatomie qui favoriseront l’apparition d’une expérience de douleur, l’individu pensant détériorer son dos à la moindre action, comme en mettant ses chaussettes. La communication est également un moyen essentiel pour : • faire l’anamnèse, recueillir les objectifs et le consentement du patient ; • établir l’alliance thérapeutique ; • informer du diagnostic, du pronostic et des options thérapeutiques [6] ; • aider à l’aide de conseils et d’éducation ; • partager la prise de décision du traitement en lien avec la plainte du patient. Henry et Matthias ont conceptualisé la communication autour de la douleur entre un professionnel de santé et son patient (figure 23.2) [7]. Leur modèle illustre la synergie nécessaire entre, d’un côté, la subjectivité du patient et son expérience de la douleur et, de l’autre côté, l’expertise du professionnel et son évaluation de la douleur. La manière de recueillir l’anamnèse, par exemple, le type de questions posées (ouvertes ou fermées) permettent au professionnel de percevoir avec plus ou moins de justesse l’histoire de la maladie et le point de vue du patient sur celle-ci.

FIGURE 23.2 Modèle de la communication patient-soignant à propos de la douleur. Source : D’après Henry et al. [7].

En kinésithérapie, la relation patient-soignant est influencée par différents facteurs qu’O’Keeffe et al. ont regroupé en quatre grands thèmes [8] :

• les compétences en communication et relationnelles ; • les compétences cliniques de kinésithérapeute ; • l’approche individualisée centrée sur le patient ; • l’environnement et l’organisation. Un manque de compétences en communication est un des freins majeurs à une bonne communication entre le professionnel de santé et le patient [9]. Bien que cette affirmation semble tomber sous le sens, l’importance de la communication et de ce qu’elle peut apporter dans les soins (tableau 23.2) reste sous-estimée par les professionnels et le système de santé, qui réduit l’acte de soin au seul geste technique et multiplie les acteurs autour du patient, au détriment du temps accordé par chacun d’entre eux à construire une relation thérapeutique avec ce dernier. Tableau 23.2 État des lieux non exhaustif de ce que peut apporter la communication. Domaine

Intérêts

Explications

Expérience de soin

Satisfaction du patient

En dehors des soins, il y a insatisfaction lorsque la réaction de celui qui écoute diverge de celle désirée par le locuteur [16]. Dans le domaine de la kinésithérapie, la satisfaction du patient dans le traitement est améliorée par : l’approche centrée sur le patient, les interactions patient-soignant positives [17], l’empathie [18], la réassurance (à l’aide de connaissances) [19], l’accessibilité, la disponibilité et la commodité. La communication avec des patients ayant des douleurs chroniques est améliorée avec le respect, la

améliorée avec le respect, la convivialité et le style de conversation détendu [8]. Chez les patients ayant des lombalgies et sciatiques, la satisfaction du patient est influencée par la différence entre les attentes du patient et le contenu du traitement (notamment à l’apprentissage de stratégies de coping). L’information inadéquate peut entraîner l’insatisfaction [20]. La concordance des langages améliore la satisfaction des patients (étude menée sur des non-anglophones aux États-Unis) [21]. Alliance En kinésithérapie, l’alliance thérapeutique thérapeutique est favorisée par la confiance et les traitements individualisés qui favorisent l’observance du patient. La formation en communication (incluant l’empathie et l’adaptation de la communication selon les préférences, les besoins et la personnalité du patient) semble importante, au moins pour les débutants [22]. L’humour, l’intelligence émotionnelle, l’appréciation, l’honnêteté, la clarté des informations et des retours, le soutien et le suivi semblent être des éléments de l’alliance thérapeutique [23]. L’alliance thérapeutique est favorisée par l’empathie, la convivialité et une

par l’empathie, la convivialité et une véritable implication. Elle est renforcée par le langage non verbal, l’écoute active, la réceptivité et la réactivité [24]. La démonstration de colère du patient, et le mélange entre expression de forte colère et la dépression du côté du thérapeute sont inversement associés à l’alliance thérapeutique [22].

Résultats de

Attentes du patient1

L’attente, suggérée par instruction orale, induit un effet placebo qui stimule le système opioïde endogène [25]. L’effet d’interventions fondées sur les attentes du patient (suggestion verbale, conditionnement, imagerie) va de modéré à élevé sur les douleurs aiguës procédurales, et est faible pour les douleurs chroniques [26]. Dans le cas de traitement pour douleurs chroniques, la relation soignant-soigné influence les attentes du patient. Communiquer les attentes de réussite du traitement peut contribuer à diminuer la douleur et améliorer l’aspect fonctionnel. La qualité de la relation, le langage employé et les informations fournies peuvent améliorer le regard du patient sur sa condition et les réponses au traitement [27].

Douleur

Il y a un effet significatif, mais petit, sur

Résultats de traitement

Douleur

Il y a un effet significatif, mais petit, sur la réduction de la douleur aiguë par les suggestions positives, l’empathie du praticien et la réassurance [17, 28]. Les interventions reposant sur les attentes et l’empathie réduiraient de 1 à 2 points l’EVA [17]. Dans le cas des douleurs musculosquelettiques chroniques, l’alliance thérapeutique seule peut être une méthode efficace pour les améliorer, et elle est encore plus efficace couplée avec de la kinésithérapie [22].

En général

Induire des attentes positives et montrer son empathie réduit un peu la douleur et l’anxiété. Les messages positifs semblent améliorer certains éléments physiques comme l’activité bronchique chez les asthmatiques et la fonction en phase postopératoire [17]. Lors d’une consultation avec un professionnel de santé, une alliance thérapeutique positive permet d’un côté d’induire une amélioration des symptômes par placebo, et d’un autre côté de renforcer l’efficacité du traitement [24]. La concordance des langages améliore les résultats du traitement médical, l’autonomie du patient nonanglophone2, et sa compréhension de la pathologie [21].

Autonomie du Volonté de

Une première étude indique que les

Une première étude indique que les Autonomie du Volonté de expériences positives de patient communiquer communication dans le domaine médical améliorent la volonté de communiquer du patient et sa motivation à participer à des expériences similaires [29]. Une autre étude, s’intéressant aux patients ayant des douleurs chroniques, montre que leur manière de communiquer à propos de leur douleur est associée au fait d’être perçu comme digne de confiance par le thérapeute [30]. Connaissances du patient

Le discours des thérapeutes (à la fois le fond – les croyances à propos de la lombalgie – et la forme – avec des termes mal interprétés par le patient comme « chronique », « instabilité », etc.) peut être source de croyances délétères chez des patients ayant une lombalgie. Les qualités de communication et d’écoute permettent l’identification de ces croyances chez le patient. L’information donnée au patient est un élément clé pour rassurer le patient et lui expliquer le comportement adéquat à adopter [31]. Durant les soins primaires, la réassurance cognitive (explications et informations claires) améliore les résultats sur du court et du long terme. La réassurance affective semble seulement améliorer la

semble seulement améliorer la satisfaction et pourrait empirer les résultats de la prise en charge [19]. L’éducation du patient ciblant ses préoccupations semble plus efficace que des messages éducatifs génériques. Les compétences en communication semblent importantes pour améliorer les effets de la réassurance [32]. « Le médecin rassurant doit apparaître fort, ferme dans son but, absolument fiable, incapable d’être bouleversé par tout ce que le patient peut dire ou faire, sans agitation, sans embarras, inattaquable, sans faiblesse » [33]. La recherche d’information sur internet par le patient peut améliorer la relation soignant-soigné en fonction de leur relation antérieure, et s’ils échangent autour de ces informations. La résistance des professionnels de santé sur ce sujet peut rendre le patient anxieux et frustré. Le patient souhaite être engagé activement dans la prise de décision, et il est nécessaire d’adapter les modèles de relation en ce sens [34]. Demander systématiquement de résumer les informations trouvées peut éviter des mécompréhensions à propos de sa plainte [35]. Entretien motivationnel

Les compétences cohérentes de communication du thérapeute mises

motivationnel

1Attentes 2La

communication du thérapeute mises en jeu dans l’entretien motivationnel (ex. : écoute active, questions ouvertes, affirmations) mettent en lumière les aspects positifs et négatifs de l’attitude ambivalente du patient. Elles sont, en moyenne, associées à plus de changement lors du discours-maintien. Les compétences incohérentes de communication (confrontations, mise en garde, conseil non sollicité) sont nocives dans le contexte de l’entretien motivationnel et sont liées au discours-maintien et à de mauvais résultats lors du suivi [36].

du patient : modifications qu’il pense percevoir à la suite d’un soin/acte.

revue de littérature a porté sur les soins effectués aux États-Unis.

L’apport de bénéfices non spécifiques du soin par la communication et l’amélioration des bénéfices spécifiques d’un acte de soin par la même communication sont des atouts majeurs de la relation thérapeutique. Ces deux points sont probablement à l’origine de l’adage que les professionnels de santé répètent régulièrement (du moins, à leurs étudiants) : « on soigne un patient et non une pathologie ». Le tableau 23.2 recense une partie des intérêts qu’un professionnel peut chercher en améliorant sa communication avec un patient. Selon Street et al., la communication patient-soignant emprunte des chemins directs et indirects pour impacter l’état de santé futur du patient (figure 23.3) [10]. Cette influence de la communication dépend de l’intérêt porté, de l’état de santé actuel du patient, de son histoire de vie et de là où il se trouve dans l’évolution de sa pathologie.

FIGURE 23.3 Chemins directs et indirects de la communication vers les résultats sur la santé. Source : D’après Street et al. [10].

À l’instar de l’empathie qui peut être modulée selon la formation initiale du professionnel de santé [11], ce dernier peut apprendre efficacement à utiliser des compétences en communication [12]. Une revue Cochrane s’est intéressée à ce sujet dans le cadre des soins aux personnes ayant un cancer [13]. Elle conclut que les formations aux compétences en communication utilisant des méthodes d’éducation centrées sur l’apprenant, fondées sur l’expérience et conduites par des facilitateurs expérimentés peuvent améliorer certaines compétences comme l’empathie. Ces formations peuvent aider le professionnel de santé à, d’une part, individualiser l’information qu’il donne en fonction de l’émotion du patient, et d’autre part, proposer du soutien. Ces compétences en communication sont variées, et affectent les différentes composantes de la communication [9] : • la communication verbale : le contenu, soit le message, dont le choix des mots employés ; • la communication paraverbale : le ton, le timbre, le rythme et le volume de la voix ; • la communication non verbale : le langage corporel, la gestuelle, la posture, l’expression faciale et la distance

physique. La communication non verbale peut être améliorée par l’entraînement [14, 15]. Les pages suivantes sont dédiées aux manières de faire pour améliorer sa communication, en tant que professionnel de santé, au travers des différentes composantes de la communication et des éléments influençant la relation patient-soignant. Les éléments présentés sont des outils, et comme tout outil, on peut avoir plus ou moins de mal à les manier selon l’aptitude initiale, l’expérience et la matière à travailler (ici, le patient). Chaque professionnel de santé choisit ses outils préférentiels, avec lesquels il peut s’adapter à la fois à la plus large palette de langage et au plus large spectre de réactions de patients.

Construction de l’échange Les rôles des protagonistes Dans la relation thérapeutique, les deux protagonistes ont des rôles inégaux. Bien que l’approche patient-centrée considère le patient à l’égal du soignant [37], l’asymétrie des connaissances fait qu’ils vont alternativement faire avancer l’autre dans l’objectif commun de la santé du patient. L’un ayant la connaissance médicale et l’autre l’expertise de son corps, chacun va apprendre auprès de l’autre. Selon Malarewicz, il existe deux postures distinctes dans la relation patient-soignant [38] : • la position haute : posture qui consiste à connaître ce qui est bon pour l’autre (ou pour l’objectif de l’échange) et le proposer, voire l’imposer à l’autre ; • la position basse : posture qui amène « l’autre à réagir » [38]. Historiquement, l’approche paternaliste appliquait la position haute en permanence, ou presque [39]. Cette posture est très utile en situation aiguë, où la rapidité d’intervention est primordiale. « C’est le

soignant qui sait, qui décide et qui fait en se passant de l’avis du patient » [40]. On peut aussi retrouver cette position haute chez certains patients exigeant un traitement particulier. Lorsque le professionnel de santé adopte la position basse, il cherche à faire évoluer une situation qui n’a pas encore trouvé de réponse [40]. Le patient doit alors apporter lui-même des réponses, les tester dans le cadre proposé par le praticien, et faire ses propres décisions quant au traitement. La position basse est pertinente pour l’autonomisation des patients et la valorisation de leurs actions, mais ne peut pas constamment être tenue. Le professionnel garde la possibilité d’avoir le contrôle de l’évolution des soins. Les patients peuvent être désarçonnés par la position basse du professionnel. N’étant pas habitués, ils peuvent s’attendre à trouver un expert en face d’eux (en position haute). S’ils persistent dans cette attente, ils peuvent alors être non satisfaits, voire remettre en question les compétences techniques du professionnel de santé. Toutefois, la position basse est celle permettant la prise de décision partagée. Le patient et le soignant discutent, entre autres, des préférences du patient, le degré d’aversion au risque, des compromis et de la qualité de vie [39], afin d’assurer au patient le contrôle de la décision finale [41].

Pour aller plus loin La position basse du professionnel de santé lui permet : ■ d’avoir une démarche de collaboration et de co-construction du traitement ; ■ de laisser la possibilité de choisir au patient, et d’expliquer les différentes possibilités ; ■ de guider le patient, le valoriser et parfois de proposer des solutions ; ■ d’adapter le langage à l’univers du patient, de traduire le langage médical ; ■ d’accompagner le patient avec ses croyances et les recadrer.

Structuration de l’échange La structuration de l’échange avec le patient, ou sa famille, a été étudiée dans les situations médicales difficiles comme l’annonce d’une mauvaise nouvelle [42] ou les services de cancérologie pédiatrique [43]. Bien que les kinésithérapeutes ne soient pas confrontés aussi régulièrement à ce genre de situations, comparativement aux infirmières ou aux médecins, ces études restent une source d’inspiration sur lesquelles fonder notre communication avec le patient. Le tableau 23.3 propose une structuration d’une communication kinésithérapeute-patient. Tableau 23.3 Proposition d’une communication structurée kinésithérapeute-patient. Étape

Contenu

Préparation et début – Vérifier des informations sur le patient, et éléments à connaître et/ou à ne pas révéler – Présenter le kinésithérapeute et, le cas échéant, les tierces personnes (stagiaire, etc.), et recueillir le consentement à la présence de ces tierces personnes – Échanger des remarques positives et généralités (le temps, les actualités, la vie personnelle, etc.) pour aider à établir la relation Introduction

– À la 1re consultation : amener le patient à raconter son histoire Suggestions : « Comment puis-je vous être utile aujourd’hui ? » ; « Pouvez-vous me raconter ce qui vous amène à me rencontrer ? » ; « Qu’est-ce qui vous amène aujourd’hui ? »1 – Aux séances suivantes : résumer la dernière rencontre, rappeler les objectifs, faire un état des

rencontre, rappeler les objectifs, faire un état des lieux Suggestions : « Lors de notre dernière rencontre, nous avions fait… Quelles évolutions avez-vous constatées depuis ? » ; « Comment avez-vous pu intégrer les exercices dans votre quotidien ? » ; « Qu’avez-vous préféré faire comme exercice chez vous ? » ; « Quelles réflexions vous sont venues à la suite de notre dernier échange sur… ? » Liste des données et questions

– Laisser le patient compléter à son aise les informations ou réflexions qu’il a à cette étape de la rencontre Suggestions : « Avez-vous des questions à propos de… » ; « Y a-t-il autre chose ? », à répéter jusqu’à ce que le patient réponde par la négative

Négociation de l’objectif de séance

– Surtout s’il y a présence de polypathologies, ou que les douleurs du patient sont multisites Suggestions : « Lequel de ces éléments vous préoccupe le plus ? » ; « Je sais que c’est important pour vous, mais j’aimerais tout d’abord parler de… » ; « Comme nous avons un temps limité, duquel de vos problèmes souhaitez-vous que nous discutions aujourd’hui ? »

Évaluation

– Évaluer ses connaissances sur l’objet de sa préoccupation Suggestions : « Qu’avez-vous compris sur… lors de votre rencontre avec le médecin ? » ; « Que pouvez-vous me dire sur… ? » – Faire l’anamnèse à partir de questions ouvertes, puis questions directes pour le diagnostic. Suggestions de questions ouvertes : « J’aimerais savoir comment cela a commencé » ; « Qu’avez-vous noté d’autres sur ce sujet ? »

Prise de point de

– Demander le point de vue du patient sur l’objet de

vue

sa préoccupation

vue

sa préoccupation Suggestions : « Pouvez-vous me parler de ce qui vous inquiète ? » ; « Comment vous sentez-vous à propos de cela ? » ; « Avez-vous une idée de ce qui a pu causer cela ? » ; « À quelles difficultés faites-vous face du fait de votre maladie ? » – Faire preuve d’empathie Suggestions : technique NURS (voir tableau 23.5) – Résumer l’échange Suggestions : « Vous m’avez donné beaucoup d’éléments intéressants. Je vais les résumer pour être sûr de vous avoir entendu correctement »

Éducation

– Demander le point de vue du patient, ou ses réflexions sur un sujet – Demander la permission avant de lui en dire davantage [41] ; transmettre message important et connaissances Demander comment les nouvelles informations s’accordent avec ses pensées sur sa douleur Suggestions : « Que savez-vous de… ? Les données actuelles de la science donnent un autre éclairage de… Est-ce que cela vous intéresse que je vous en parle davantage ? […] Avec ces nouvelles informations, avez-vous une vision différente de… ? »

Informations – Recueillir les antécédents, les traitements complémentaires médicamenteux en cours, son soutien social, de (lors de la son entourage, ses intérêts et activités de loisirs, et re 1 séance) sa spiritualité Suggestions de transition : « Maintenant, j’aimerais vous poser des questions de routine. Elles peuvent paraître personnelles et sans rapport, mais elles sont importantes que je puisse vous aider » Plan de traitement

– Discuter des objectifs de rééducation et des options

Plan de traitement

– Discuter des objectifs de rééducation et des options de traitement proposées – Aborder les options de traitement non rééducatives, et discuter des coûts/bénéfices

Conclusion

– Résumer, rappeler les objectifs – Informer du court terme : bénéfices attendus du traitement, effets secondaires, date et objectif de la prochaine séance – Informer de la disponibilité entre deux séances si besoin, et du moyen de communication privilégié

1La

première suggestion renvoie à une position haute de la médecine, position d’expert (voir texte) où le patient a tendance à la placer, alors que la dernière « renvoie le patient à ses propres conceptions […], ses propres repères » [40].

Les points communs aux différentes structurations de l’échange proposées sont : • la préparation : vérifier les informations à donner aux patients, celles que le médecin préfère ne pas annoncer le cas échéant, puis s’installer dans un endroit au calme en minimisant les interruptions ; • l’état de connaissances du patient : vérifier les connaissances actuelles du patient et sa compréhension de sa situation ; • la préparation de l’annonce : par le langage verbal et/ou non verbal, préparer de manière empathique le patient à recevoir la mauvaise nouvelle ou le diagnostic ; • la disponibilité : lors de l’échange avec le patient, s’assurer du besoin d’informations complémentaires du patient et répondre à ses questions ; • le résumé des éléments : résumer les éléments importants de l’échange tout en s’assurant de la compréhension du patient ; • la conclusion : rassurer sur la possibilité d’un nouvel échange sur le sujet dans les jours suivants et apporter une solution d’urgence (possibilité de téléphoner, etc.). McGuigan propose aux infirmières une stratégie en dix étapes pour communiquer des mauvaises nouvelles [42]. Celle-ci axe la stratégie

sur l’accueil de la nouvelle par le patient, la reconnaissance de sa détresse et de son ressenti, et sur sa capacité à mobiliser des ressources, à la fois internes, en vérifiant son besoin d’information, et externes, évoquant avec lui le soutien social dont il peut bénéficier (amis, famille, etc.). Blazin et al. proposent une approche structurée pour l’annonce de diagnostic de cancer [43]. Ils proposent d’aborder les différentes informations à propos du traitement, des objectifs thérapeutiques, et de désamorcer l’éventuelle culpabilité du patient et de sa famille. Leur approche structurée laisse la place à des temps de silence, afin que le patient puisse assimiler les informations reçues et poser ses questions. Hashim propose de son côté une séquence recommandée pour intégrer des éléments de l’approche centrée sur le patient lors de la consultation médicale [12]. Celle-ci repose d’une part sur l’écoute active où le praticien encourage le patient à aller jusqu’au bout de la demande, et d’autre part sur la négociation des objectifs de la consultation. Afin d’installer un climat propice à l’entretien, le professionnel peut se préparer et connaître le nom du patient avant qu’il arrive et éviter ainsi de bafouiller ou d’hésiter. Il salue en premier le patient (sinon, certains peuvent interpréter cela comme de l’indifférence) et se présente si nécessaire [9]. Il respecte la confidentialité et évite de parler de la raison de la consultation dans les couloirs ou en présence d’une tierce personne. Enfin, il peut entamer l’entretien en abordant un sujet en dehors du domaine médical afin de briser la glace [9].

Points clés ■ L’échange doit permettre aux interlocuteurs de s’épanouir dans la relation ; sa structuration et sa préparation le permettent en évitant la domination de l’un sur l’autre. ■ Les positions haute et basse sont à alterner pour que chaque individu fasse avancer l’autre en direction de l’objectif commun.

■ Les silences et temps de réponse sont à rechercher pour impliquer le patient dans l’échange. ■ Certaines formulations de questions peuvent devenir un automatisme pour fluidifier l’échange.

L’écoute active L’écoute active est une des compétences en communication importantes en kinésithérapie. Laisser le patient raconter son histoire permet d’installer la relation soignant-patient en même temps que le patient peut se sentir considéré en tant qu’individu [8]. Lors de l’anamnèse, le kinésithérapeute a tout intérêt à favoriser la parole du patient en l’écoutant activement. Cette phase permet de créer l’alliance thérapeutique et de recueillir les informations sur la douleur, mais également sur les croyances et comportements limitants du patient [9, 44]. Il est même recommandé aux professionnels de santé d’éviter d’interrompre le patient précocement durant l’entretien [12, 45]. Selon l’étude de Kawamichi et al., lorsqu’un individu reconnaît l’écoute active de son interlocuteur, cela active le système de récompense [46]. Si l’individu reconnaît un comportement d’écoute active alors qu’il parle de ses épisodes émotionnels, il semble que, d’une part, il modifie l’évaluation émotionnelle qu’il porte à ces épisodes, et d’autre part, qu’il porte une impression positive à l’égard de son interlocuteur. Pour que l’interlocuteur reconnaisse qu’il est en train d’être écouté activement, certains signes verbaux et non verbaux doivent être émis [47, 48].

Les langages non verbal et paraverbal à adopter Montrer que l’on est en train d’écouter activement son interlocuteur, c’est envoyer des messages ostentatoires de cette écoute. Pour cela, le professionnel de santé doit focaliser son attention sur le patient [47] et

ne pas être dans un environnement pouvant le distraire (la sonnerie de téléphone, la télévision allumée, les rires de l’autre côté de la porte, le rhume des foins, etc.) [48]. Il doit mettre de côté l’ordinateur ou le dossier médical pendant un temps, et ne pas le consulter alors que le patient parle [49]. Le professionnel montre son intérêt en adoptant une attitude appropriée à ce que dit le patient : le mouvement du corps (il favorise la synchronie3 en calant sa respiration sur celle du patient, notamment), les expressions du visage (traduisant des émotions en rapport avec les dires : surprise, peine, joie, etc.), le contact visuel. Le professionnel doit être présent sans être trop insistant afin d’éviter de mettre le patient mal à l’aise. Pour montrer son implication dans la discussion, le professionnel de santé adopte des gestes et postures particuliers : adoption de la même position que le patient (assis s’il est assis, debout décontracté si le patient l’est également), hochement de tête, moulinés des mains, etc. Il accompagne ses gestes d’encouragements verbaux monosyllabiques ou d’onomatopées (« oui », « hmm », « d’accord », etc.) [48].

La communication verbale à employer Pour favoriser l’expression du patient, il faut lui donner l’espace suffisant pour qu’il puisse raconter son histoire. Pour cela, le professionnel de santé doit privilégier les questions ouvertes pour ouvrir l’entretien, puis saisir l’occasion opportune pour poser des questions pertinentes [48]. Il peut demander à repréciser certains éléments qui semblent confus si cela aide à la compréhension de l’histoire (la temporalité des événements, le sens qu’il attribue à un terme polysémique, les éléments aggravants ou favorisants les symptômes, etc.) [47]. La technique de la question en écho, qui consiste à répéter un mot ou un bout de phrase que le patient a évoqué, permet au patient de se sentir écouté tout en l’encourageant à approfondir l’élément en lien avec le mot ou le morceau de phrase [51].

Le professionnel de santé reformule selon ce qu’il pense avoir compris des dires du patient. Il peut faire preuve de congruence [52], et formuler les émotions que suscite en lui ce qu’il entend. Il peut avoir recours au silence lorsque le patient a terminé tout ou une partie de son récit [48, 53]. Il n’est pas nécessaire de combler le silence ; d’une part, ce dernier peut indiquer que l’interlocuteur est absorbé par ce qu’il vient d’entendre [47], et d’autre part, il peut encourager le patient à détailler davantage. Enfin, le professionnel de santé recentre l’entretien sur le sujet si le patient digresse et il résume les problèmes majeurs ressortis de l’entretien.

Les écueils à éviter Les habitudes peuvent avoir la vie dure et perturber l’entretien avec le patient. Un des premiers éléments pouvant gêner l’écoute active du professionnel est la diminution de l’attention s’il se fait distraire. L’interlocuteur peut formuler des hypothèses tout en écoutant ; il risque alors d’entendre ce qu’il souhaite entendre et non le message du patient. Il doit éviter tout jugement à propos du patient, ou de son récit, et doit privilégier l’observation du langage corporel pour évaluer l’attitude du patient à propos de son récit. Dans le même sens, il est préférable de ne pas commencer une réponse avant d’avoir entendu tout le message (récit, demande, etc.) [47]. L’écoute active suppose aussi d’éviter des réponses, aussi pertinentes et usuelles soient-elles, qui font office de « barrage routiers » [48] : • le jugement : le fait de critiquer, de nommer ou d’étiqueter quelque chose, de diagnostiquer, d’être élogieux ; • la suggestion de solutions : les injonctions, les menaces, les moralisations, le questionnement excessif ou inapproprié, les conseils ; • l’évitement de la préoccupation du patient : faire une diversion, sortir un argument logique, réassurer.

Ces éléments peuvent être placés plus tardivement si le patient le souhaite, une fois que l’alliance thérapeutique est établie. Lors d’une phase d’écoute active, ces réponses peuvent distraire et empêcher d’énoncer la totalité du récit, des émotions et des pensées à propos du problème, à l’instar d’un barrage routier qui filtrerait la circulation. Le risque de ces écueils pour le thérapeute est de laisser penser au patient qu’il le connaît déjà ou qu’il en sait suffisamment. Un deuxième risque est le désengagement du patient de la relation thérapeutique ; il paraîtrait alors passif et compliant. De plus, le professionnel peut, sans le vouloir, rendre non légitime la plainte du patient et le discréditer [48]. Enfin, le patient peut vouloir éviter, consciemment ou non, un entretien avec un professionnel qui l’écoute activement. Si le problème à aborder est trop récent ou semble insurmontable, il peut être judicieux de reporter à une date ultérieure cette forme d’entretien. D’autres facteurs comme le temps ou l’énergie à employer, ou encore la volonté de garder le contrôle sur la discussion sont des raisons légitimes de ne pas écouter activement dans ces situations où la méthode n’est pas appropriée [48].

Points clés ■ L’écoute active est une compétence importante du kinésithérapeute. ■ Elle est également une période durant laquelle le professionnel stimule le discours du patient avec une communication verbale, paraverbale et non verbale de soutien, et en limitant les potentiels « barrages routiers ». ■ Les bénéfices de l’écoute active sont la consolidation de l’alliance thérapeutique et le recueil riche d’informations. ■ Pour diverses raisons (disponibilité, refus du patient), l’écoute active est facultative.

La communication verbale

Howick et al. concluent leur revue systématique de littérature en affirmant que « les praticiens qui prennent le temps d’améliorer la manière qu’ils ont d’exprimer de l’empathie et de délivrer des messages positifs sont susceptibles d’apporter de petites améliorations à différentes conditions physiques et psychologiques du patient, d’améliorer la satisfaction globale du patient à l’égard des soins, sans induire de préjudices. Les effets semblent être similaires à ceux de différents traitements pharmacologiques communs pour ces mêmes conditions » [17]. Ce genre d’interventions apparaît dans le champ de la relation patient-soignant. Ce truisme sous-entend que l’impact et la forme de l’intervention vont dépendre du contexte du patient, des conditions psychologiques dans lesquelles il se trouve à ce moment-là et des bagages social et culturel qu’il porte avec lui. Cela sous-entend également qu’il ne suffit pas que le professionnel de santé ait un savoir-faire ; il doit également être en mesure d’observer les réactions du patient et de pouvoir répondre avec tact à ses questions.

Le contenu : quels messages transmettre Raison principale de la communication, le contenu est le message que l’interlocuteur souhaite transmettre au récepteur [54]. En plus de l’influence sociale et culturelle du patient et du soignant [55], les différentes sources de bruits environnants peuvent déformer le message une fois décodé. Le message peut se retrouver vecteur d’une dangerosité qu’il n’avait pas initialement, et qui va impacter négativement la perception de douleur et la santé du récepteur (effet nocebo, figure 23.4) [56]. Il peut aussi modifier positivement les attentes du patient à propos d’un soin, et produire par lui-même un effet positif sur la santé de celui-ci (effet placebo) [25].

FIGURE 23.4 Mécanismes d’apprentissage de l’effet nocebo, d’après [57]. Source : Freepick.com.

L’individualisation des soins et du message que le kinésithérapeute transmet au patient, en tenant compte de ses opinions et de ses préférences, permet de renforcer la relation thérapeutique [8]. L’individualisation des soins passe notamment par le fait de répondre spécifiquement aux questions du patient plutôt que de donner une information généraliste.

La Haute autorité de santé (HAS) a émis des recommandations de bonne pratique à propos de la « délivrance de l’information à la personne sur son état de santé » [6]. Ces dernières portent sur la qualité de l’information et les modalités de délivrance : • le contenu de l’information : il doit tenir compte de la situation psycho-socio-culturelle du patient et comprend l’état de santé, les caractéristiques de la pathologie, son impact et son évolution avec et sans traitement ; l’organisation et le déroulement des soins, leurs objectifs, les bénéfices et inconvénients, les suites et complications prévisibles, les conseils et précautions ; le suivi selon les solutions envisagées ; • la qualité de l’information : l’information doit être synthétique, hiérarchisée, compréhensible et personnalisée. Elle doit présenter les alternatives possibles, les bénéfices attendus d’un acte, puis ses inconvénients et risques. Le professionnel indique sa préférence de manière argumentée ; • la modalité de délivrance : elle se fait par un dialogue et donc toujours dans le cadre d’un entretien individuel. Ce moment nécessite du temps, du tact, de la disponibilité et un lieu adéquat. S’il y a un accompagnant, le praticien s’assure du souhait du patient de sa présence et propose au patient de faire une partie de l’entretien en tête à tête. Un support écrit peut être donné, reprenant les informations délivrées. Le patient ne doit en aucun cas signer ce genre de document ; • la compréhension de l’interlocuteur : le praticien s’assure de la compréhension du patient en répondant à ses questions et en lui demandant de reformuler ce qu’il a compris. Un interprète (pour une personne ayant des difficultés avec la langue du praticien) ou un assistant de communication (pour des personnes ayant des troubles de la parole) peut être convié. D’autres supports peuvent être adaptés aux difficultés de chaque individu ; • la décision du patient : l’enjeu est la prise de décision éclairée

du patient quant aux différents choix qui lui sont présentés par le praticien. Il peut être proposé au patient de revenir s’il a d’autres questions, ou de recourir à un second avis. Le patient peut même souhaiter ne pas être informé ; • la traçabilité : le dossier du patient doit contenir les informations importantes délivrées, en même temps que la date, le nom du professionnel qui les a délivrées et les difficultés rencontrées. Il y est indiqué les moyens mis en place lorsqu’il y a une difficulté de compréhension. Ces mentions dans le dossier suffisent en cas de litige. Placebo/nocebo : de la bonne utilisation de la suggestion verbale Les stratégies pour s’appuyer sur l’effet placebo et limiter l’effet nocebo ont été beaucoup étudiées ces dernières années [56-60]. Les conclusions se recoupent sur la manière de faire. Même si les résultats sont axés sur la délivrance médicamenteuse, ils peuvent être transposés dans le champ de la kinésithérapie et, notamment, la prescription d’exercices. Le tableau 23.4 propose une stratégie, adaptée de ces recherches, pour influencer les effets placebo et nocebo dans le champ de la kinésithérapie. Tableau 23.4 Stratégie pour influencer les effets placebo et nocebo en kinésithérapie. Objectifs

Méthodes

Explications/exemples

Augmentation des attentes vis-à-vis du traitement

Information sur le traitement et son effet analgésique

Information la plus claire et la plus simple possible, portant sur le mécanisme et le déroulement du traitement [58]. Pour le massage, par ex. : expliquer la détente musculaire et l’effet gate control sur la douleur, et

control sur la douleur, et expliquer le bénéfice sur le court terme Accent mis sur les effets positifs du traitement

Ne pas surestimer les effets secondaires. Mettre en perspective la probabilité d’effets négatifs et positifs, et laisser le patient se focaliser sur les effets positifs [35, 57, 58] Par ex., dans le cas de l’activité physique : évoquer les courbatures, la fatigue après la séance, en même temps parler plus longuement du regain d’énergie en journée, les endorphines, le sentiment d’accomplissement, etc.

Réactivation des Laisser le patient parler des associations aspects positifs ou positives/relativisation négatifs, présents ou des associations passés, en lien avec le négatives traitement de la douleur. Associer le traitement aux souvenirs positifs et relativiser les souvenirs négatifs [58] Par ex. : associer l’activité physique à une activité sportive pratiquée auparavant ; relativiser la pensée « la kiné, ça ne

la pensée « la kiné, ça ne me faisait rien » Amoindrir l’effet nocebo

Évaluation

Identifier les patients à risque d’effet nocebo (peur des effets secondaires, connaissance insuffisance du traitement, etc.) [57]. Lister les croyances limitantes, attentes et pensées négatives autour de la douleur, l’auto-efficacité et du traitement Valider ces éléments avec le patient, et expliquer qu’ils peuvent amplifier la douleur [60]

Information sur l’effet nocebo lui-même

Informer sur l’effet nocebo peut permettre de le prévenir [57]

Progression du dosage

Commencer le traitement par des dosages insuffisants pour avoir un effet quelconque, puis augmenter progressivement pour que le patient ne sente pas les effets secondaires (et ne les associe pas au traitement par conditionnement) [59]

Promesses irréalistes à

Expliquer les effets réalistes

Réduire l’anxiété et augmenter le coping actif

Promesses irréalistes à éviter

Expliquer les effets réalistes de manière à ce que le patient puisse les expérimenter et valider [58] Par ex. : expliquer que d’éventuels pics de douleurs peuvent revenir durant le traitement, les risques de récidive, etc.

Ajout d’interventions individualisées

Individualiser et proposer un traitement surmesure, fondé sur les besoins du patient (contre-conditionnement d’une expérience de traitement, par ex.), pour réduire l’effet nocebo [57] Par ex. : utiliser la distraction, la méditation pleine conscience, rédiger un programme d’exercices, etc.

Éducation aux neurosciences de la douleur (PNE)

La PNE peut aider le coping du patient face à la douleur. La PNE diminue la kinésiophobie et le catastrophisme [61]

Autonomie de sa prise en

Par la prise de décision

charge

partagée, augmentation

charge

Soutien du professionnel en dehors des séances

partagée, augmentation de l’engagement du patient dans son traitement [59] Favoriser le sentiment de contrôle du patient sur son traitement [60] Par ex. : l’autoriser à ralentir si besoin durant un exercice Se rendre disponible pour le patient, en s’assurant de lui donner le moyen de communiquer en dehors des séances (téléphone, e-mail, etc.). Le sentiment d’impuissance peut être réduit si le patient sait qu’il peut faire appel à une ressource externe, le professionnel de santé. Il se sent rassuré grâce à cette possibilité [8]

L’effet placebo est une part de l’efficacité thérapeutique du traitement. Intervenir sur l’empathie et les attentes du patient serait aussi efficace que les analgésiques les plus communs [17]. Pour que cet effet soit optimal, la relation patient-soignant doit être positive, fondée sur la confiance, l’amabilité et l’empathie [58] ; d’autant plus qu’un contexte de soins peut associer un effet nocebo fort à un traitement s’il fait ressentir au patient de la peur et des incertitudes [57]. Ce contexte de soins n’est pas du seul fait du message à transmettre par le professionnel de santé, mais également de la formulation du message (la forme), du langage non verbal au moment de le dire, de

l’état psychologique du professionnel à ce moment-là et des effets contextuels. Exprimer son empathie L’empathie revient très régulièrement dans les études sur la communication. Un des trois piliers de l’approche patient-centrée [37], celle-ci est un facteur majeur de la relation patient-soignant en kinésithérapie [8]. Pour les patients, il est important que le kinésithérapeute puisse réaliser l’impact qu’a la douleur sur leur vie. Elle repose sur trois dimensions : • empathie cognitive4 : c’est la faculté à « voir par les yeux de l’autre », c’est-à-dire reconnaître et comprendre l’expérience de l’autre [64], comprendre ses intentions, désirs et croyances via un raisonnement sur son état [63], tout en maintenant une distinction entre son état émotionnel et celui de l’autre [65] ; • empathie affective : c’est la « résonance émotionnelle avec l’autre » [63, 64], c’est-à-dire le fait de vivre par procuration les états sensoriels et émotionnels de l’autre [65] ; • comportement empathique : c’est la capacité de transmettre ses compréhensions à l’autre à l’aide de compétences de communication [64].

Focus Effets de l’empathie L’empathie du professionnel de santé est corrélée avec [6] : ■ la satisfaction du patient ; ■ l’adhésion au traitement ; ■ la réduction du stress ; ■ la réduction de l’anxiété ; ■ le système immunitaire du patient [7].

Les deux premières sont des composantes de l’empathie même [65, 66] ; la troisième est la dimension permettant à l’empathie thérapeutique d’aider le patient [67]. En plus de l’empathie cognitive et/ou de l’empathie affective, le professionnel de santé doit avoir un comportement empathique pour exprimer son ressenti face à la douleur du patient [64]. Trois phases ont été décrites par Barrett-Lennard (figure 23.5) [68] :

FIGURE 23.5 Schéma du cycle de l’empathie de Barrett-Lennard. Source : D’après Barrette-Lennard GT. [69].

• phase 1 : à partir d’une expression du patient « B » à propos de son expérience (condition pré-empathique concomitante à l’attente de « B » que « A » soit réceptif), le professionnel de

santé « A » entre dans un processus interne d’écoute empathique, de résonance et de compréhension personnelle ; • phase 2 : « A » exprime sa compréhension empathique de manière verbale ou non verbale. Cette phase ne consiste pas simplement à renvoyer en miroir les termes du patient « B » ; • phase 3 : le patient « B » perçoit l’empathie du professionnel de santé. L’expérience d’avoir été profondément compris a son propre type d’impact, qu’il s’agisse de soulagement, de quelque chose qui a enfin du sens, d’un sentiment de connexion intérieure ou d’être moins seul [69]. Exprimer son empathie se fait par le langage non verbal (froncement de sourcil, toucher la main ou le genou, offrir un mouchoir, etc.) et paraverbal (silence respectueux, timbre de la voix, etc.), et par le langage verbal éventuellement [12]. Le moyen mnémotechnique NURS (en anglais) donne les différentes techniques pour exprimer l’empathie aux patients. Le tableau 23.5 reprend les techniques de NURS avec des suggestions de phrases. Tableau 23.5 Techniques pour exprimer l’empathie aux patients (le moyen mnémotechnique NURS). Techniques

Suggestions de phrases

Naming Nomination

« Il semblerait que vous ressentez… » « Je me demande si vous vous sentez… » « Des personnes pourraient se sentir… dans cette situation » « Je peux voir que cela vous fait vous sentir… »

Understanding Compréhension

« Je peux comprendre à quel point cela vous a bouleversé. » « Je peux comprendre que vous soyez… étant donné ce que vous venez de traverser. » « Je peux imaginer ce qu’on peut ressentir. »

« Je ne peux pas imaginer ce qu’on ressent ! » « Je connais quelqu’un qui a vécu une expérience similaire. Ce n’est pas facile. » « Ça a été un moment difficile pour vous. » « Cela fait sens pour moi. » Respecting Respectueux

« Cela doit être une dose de stress importante de faire avec… » « Je respecte votre courage de garder une attitude positive malgré vos difficultés. » « Vous êtes quelqu’un de brave. » « Je suis impressionné(e) par la manière que vous avez eu de gérer cela. » « Cela semble beaucoup à gérer. » « Vous avez traversé beaucoup de choses. » « Vous avez fait le bon choix en venant. »

Supporting Soutien

« Je voudrais aider par n’importe quel moyen à ma disposition. » « Je vous en prie, dites-moi si je peux faire quelque chose pour aider. » « Je suis ici pour vous aider de toutes les manières possibles. » « Je serai avec vous durant cette période difficile. » « Je serai avec vous tout le temps. »

Une étude récente a cherché la perception de l’empathie face à 18 phrases et 21 actions non verbales dans une relation médecinpatient [70]. À l’aide d’un questionnaire passé auprès de 466 participants, ces dernières ont été hiérarchisées selon les contextes de stress, d’erreur médicale et de mauvaise nouvelle. Les trois phrases perçues globalement comme les plus empathiques sont : « Mon équipe entière est là pour vous » ; « Je suis là pour vous » ; et « Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour être utile ? ». L’expression de son empathie est un message envoyé au patient pour l’informer que le professionnel de santé est disponible pour lui. Cela doit être considéré comme une aide à l’établissement de la

relation thérapeutique, et non comme une finalité en soi. L’apparition de contenus empathiques dans la relation thérapeutique « n’est pas indispensable, simplement aidante » [40]. Rassurer La réassurance est la suppression des peurs et préoccupations à propos de la maladie [32]. Cela renvoie au comportement réalisé par le professionnel de santé. La réassurance s’achève par le changement de comportement, de compréhension ou de pensées du patient [19]. Celle-ci a un rôle sur la détresse émotionnelle, qui est notamment source de surutilisation des services de santé [32]. C’est une part importante de la pratique médicale, et chaque médecin a sa manière de procéder. « Le médecin rassurant doit apparaître fort, ferme dans son but, absolument fiable, incapable d’être bouleversé par tout ce que le patient peut dire ou faire, sans agitation, sans embarras, inattaquable, sans faiblesse » [33]. La réassurance peut être cognitive ou affective. La réassurance affective se fonde sur l’amélioration de la relation thérapeutique, la communication empathique et l’assurance généraliste que « tout va bien se passer ». De son côté, la réassurance cognitive repose sur la délivrance d’informations et d’explications claires pour que le patient ait une meilleure compréhension de sa situation et voie son anxiété se réduire [19, 32]. Une des manières que les médecins ont de rassurer les patients est de donner un diagnostic. Sur des patients ayant une sciatique ou une lombalgie, cela permet aux patients d’exclure une potentielle cause mortelle à l’origine des douleurs [20]. Dans leur revue de littérature, Pincus et al. suggèrent que la réassurance cognitive améliore les résultats des patients juste après la consultation et lors du suivi, avec une réduction de l’utilisation ultérieure des soins de santé. La réassurance affective semble améliorer la satisfaction des patients sur du court terme, mais elle semble paradoxalement réduire leur récupération [19]. La profession a un rôle également dans la réassurance du patient : le médecin semble plus efficace pour rassurer les patients que les infirmiers ou les

kinésithérapeutes [32]. Les études sont pour l’heure encore balbutiantes sur la réassurance, et notamment sur les informations utiles à donner pour que cette dernière soit efficace. Les pistes tendent vers les thérapies cognitivocomportementales pour réduire les symptômes de dépression, et l’éducation à la biologie de la douleur pour réduire le catastrophisme ou la peur [32]. Les professionnels de santé devraient se concentrer sur ce que le patient souhaite réellement savoir, et donc récolter des informations à son sujet, plutôt que de donner des informations généralistes. Sens et croyances : parler du monde du patient Selon Watzlawick, toute personne voit le monde (réalité de premier ordre) à travers une interprétation, une image de ce monde, c’est-àdire l’opinion qu’elle a du monde (réalité de deuxième ordre) [71]. Cette image du monde est une mosaïque d’interprétations muables au gré du moment, des fonctions sensorielles et de l’expérience du sujet, qui lui permet de naviguer dans le monde tout en ne perdant pas son objectif de vie et ce qui le définit en tant qu’individu. Les croyances font partie de cette mosaïque, et certaines croyances d’un patient vont être relatives à son affection [31]. Lorsqu’une douleur arrive, l’individu va chercher à l’interpréter selon son image du monde. Si la douleur manque de sens, selon lui, et semble non contrôlable, l’interprétation qu’il va en faire le mène à la considérer comme dangereuse [72]. Le fait de donner un sens à cette douleur, c’est-à-dire de pouvoir la comprendre d’une certaine manière, rend l’interprétation de cette dernière comme inoffensive, ce qui aide au retour à la normale. Cette quête de sens de la douleur va amener les patients à trouver des explications mécaniques à leur douleurs persistantes [72]. Ces explications proviennent notamment des professionnels de santé ayant une approche trop biomécanicienne et qui vont impacter grandement les croyances du patient [31]. Ces croyances peuvent être considérées comme un moyen de coping d’un individu face à une douleur. Elles ont donc eu un effet bénéfique

pour le patient par le passé. Ces croyances sont dites délétères ou limitantes car, alors qu’une croyance évolue avec l’état de l’individu, ces dernières se sont ancrées et vont dorénavant restreindre les capacités du patient par l’amplification de perception douloureuse, de l’incapacité fonctionnelle et de la kinésiophobie [31]. En psychothérapie, Watzlawick explique la souffrance d’un patient par la contradiction entre le monde tel qu’il apparaît (du moins l’image du monde qu’il en a) et tel qu’il devrait être (notre idéal selon nos valeurs et croyances) [71]. Le changement thérapeutique est l’adaptation de l’image du monde aux faits immuables pour réduire la contradiction. Le tableau 23.6 répertorie les techniques de communication thérapeutique que Watzlawick propose pour provoquer ce changement thérapeutique. Tableau 23.6 Quelques principes de communication thérapeutique illustrés. Techniques

Exemples

Condensation, calembour et jeux de mots

« Popollution » (en anglais) pour imager l’idée de la pollution produite par la surpopulation « Merdias », « journalopes » pour évoquer péjorativement la qualité des médias ou des journalistes « Techficace » pour parler d’une technique qui marche bien « Ethiquable » pour souligner les valeurs éthique et équitable de cette société

Formulation positive

« Vous êtes en sécurité » plutôt que « Ne vous inquiétez pas, vous n’allez pas tomber »

Concrétisation délibérée (déconstruction de considérations

« On ne fait pas de fumée sans feu, mais un tas de fientes bien chaude fait aussi bien l’affaire »

inébranlables)

inébranlables) Aphorisme (phrase courte qui exprime une vérité générale)

« Plus vous êtes tendu, plus vous cherchez à vous contrôler, et plus vous cherchez à vous contrôler, plus vous êtes tendu »

Prescription de symptômes (création d’une double contrainte)

À quelqu’un qui évite de dire « non », demander de dire « non » à tous les gens qui l’entourent (y compris le thérapeute)

Alternative illusoire (proposition d’un faux choix, ou déplacement du choix sur la nuance)

« Pile je gagne, face tu perds » « Vous avez le choix de l’exercice : préférez-vous 30 répétitions ou 3 séries de 10 répétitions ? »

Recadrage (proposition d’une réalité de 2e ordre de même force que celle de l’individu)

À la croyance : « Mes douleurs augmentent les jours de pluie », on peut suggérer qu’il y a diminution des activités physique lorsqu’il pleut (explication du même ordre plaçant le patient comme acteur et non victime d’une force extérieure)

Rhétorique de la préemption

« Évidemment, on pourrait trouver cela ridicule, mais j’ai l’impression que… » « Si je n’étais pas votre thérapeute, je vous dirais que… »

En tant que professionnel de santé, il est primordial de connaître l’influence positive ou négative des suggestions verbales, des techniques employées et du statut de professionnel sur les croyances d’un patient. Certains messages sont donc à proscrire formellement du discours du thérapeute, alors que d’autres sont à privilégier

(tableau 23.7) [31]. La transmission d’informations et l’explication de la douleur par les neurosciences sont deux pistes à emprunter pour guider le patient vers une interprétation de la douleur moins pourvoyeuse de croyances délétères. L’anecdote de consultation rapportée ci-dessous illustre bien ce point. Tableau 23.7 Exemples de messages à proscrire/à utiliser avec les patients souffrant de lombalgie non spécifique. Exemples de messages à proscrire

« Vous avez le dos d’une personne de 70 ans. » « Vous devriez éviter de vous pencher et de porter. » « Arrêtez-vous dès que vous sentez une douleur. » « Cela sera présent jusqu’à la fin de votre vie. »

Exemples de Pour encourager le patient à reprendre ses activités normales et à messages bouger : à utiliser « Le dos est fait pour bouger. » « Le repos au lit est déconseillé et retarde la guérison. » « Maintenir ses activités est un bon moyen de guérir. » « Retourner à son travail dès que c’est possible, même à temps partiel, favorisera la récupération. » Pour rassurer le patient sur le caractère bénin de la lombalgie et intégrer l’approche biopsychosociale : « Une lombalgie ne signifie pas que le dos est abîmé ; cela signifie qu’il est sensibilisé. » « Le cerveau fonctionne comme un amplificateur : plus vous vous inquiétez et vous pensez à vos douleurs, plus la douleur sera importante. » Pour expliquer l’inutilité des examens complémentaires : « La dégénérescence discale constitue une étape normale du vieillissement, avec sa survenue et son évolution qui sont largement déterminées par les facteurs génétiques. » « Les modifications observées sur votre scan sont normales,

comme le sont les cheveux gris. »

Une patiente active me consulte pour lombosciatique chronique. Ayant eu un épisode à bas bruit pendant plusieurs mois, elle a un nouvel épisode très intense et handicapant la forçant au repos alité. Elle présente des facteurs psychologiques de kinésiophobie et catastrophisme. L’IRM a indiqué une exclusion de hernie au niveau lombaire. Nous sommes dans les dernières séances, ses douleurs ont nettement diminué et les activités nettement augmenté. Patiente : Je peux comprendre vos explications sur la douleur, mais il y a quelque chose qui me perturbe… [Elle sort l’IRM.] Ça, là. [Elle me montre l’exclusion de noyau qui est contre le fourreau dural.] Kinésithérapeute : Ah, ça. Eh bien, qu’en pensez-vous ? Patiente : Bah, c’est toujours là ! Kinésithérapeute : Est-ce que vous pensez ? Et qu’est-ce que ça fait s’il est toujours là ? Patiente : Ça ressemble à un pic à glace. Ça va s’enfoncer encore si je recommence. Kinésithérapeute : Qui vous dit qu’il est encore présent ? Patiente : Je le vois là ! [Elle montre l’IRM.] Kinésithérapeute : L’IRM est une photo de votre dos à ce moment-là. L’épisode de fortes douleurs était dû à l’inflammation qui a fait fondre le pic à glace. Si on prenait une photo maintenant, on ne le verrait probablement plus ; il a été désagrégé par le corps. Modifier l’interprétation que le patient a de sa douleur peut se faire aussi en parlant de la douleur elle-même. Outre l’éducation aux neurosciences de la douleur qui transmet un savoir objectif sur le fonctionnement de celle-ci, le professionnel de santé peut aborder l’aspect subjectif des conséquences de la douleur. Selon Bastian et al., lorsque le patient consulte, le sens qu’il donne à la douleur est en général négatif : il la voit uniquement en problème, comme affaiblissante et dangereuse [73]. Cependant, la douleur peut avoir des conséquences positives : définition de la personne, empathie des autres, contrôle cognitivo-émotionnel, recherche de plaisirs, etc.

Durant les séances, le professionnel peut donner des exemples de conséquences positives de la douleur, dans la performance sportive, l’utilisation du piment, ou encore le massage profond pour remettre en perspective le sens de la douleur. De ce fait, ces exemples contribuent à lutter contre la croyance selon laquelle « une bonne vie est une vie libre de douleur » qu’un traitement cherchant à éradiquer la douleur peut inculquer [73]. Changer le sens que le patient a de la douleur permet d’améliorer la tolérance à la douleur, son intensité et son caractère désagréable. Si l’échange sur le sens que le patient donne à sa douleur se fait sans tact de la part du professionnel de santé, cela peut stimuler la réactance psychologique5 du patient, qui renforce alors ses croyances [74]. La discussion ne peut se faire qu’avec une approche centrée sur le patient et un regard positif inconditionnel [52]. Tout en suggérant le message à l’aide de quelques principes de communication thérapeutique [71] (voir tableau 23.6), le thérapeute peut insuffler le doute chez le patient à propos de ses croyances sur la douleur. Si le patient est motivé pour changer et que le thérapeute perçoit un besoin d’en savoir davantage [75], le message que ce dernier souhaite transmettre pourra avoir plus d’impact sur le changement de ces croyances.

Points clés ■ Exprimer son empathie et rassurer le patient sont deux compétences attendues chez tout professionnel de santé. ■ Les messages allant vers la restriction et l’affaiblissement du corps sont à proscrire, car ils sont pourvoyeurs de croyances limitantes. ■ Donner du sens à une douleur la rend plus supportable. Discuter de ce sens avec bienveillance permet de moduler les croyances du patient. ■ La suggestion verbale, grâce à l’effet placebo, est une technique à part entière à employer dans l’accompagnement du patient vers l’atteinte de ses objectifs.

Le contenant : comment mettre les formes Savoir quoi dire au patient est une chose, mais il est tout aussi important de savoir comment le dire au patient. Selon la forme employée, le message aura plus ou moins d’impact et de chance de contribuer aux changements du patient. Gibb définit la situation de communication défensive où, dans un petit groupe, l’émetteur, se mettant sur la défensive, produit une posture défensive chez le récepteur [76]. Cette posture entrave la concentration du récepteur sur le message même de l’émetteur, va jusqu’à déformer ce qu’il reçoit de ce dernier et favorise la réactance du récepteur [74]. L’émetteur, le professionnel de santé, a tout intérêt à limiter ce climat de défiance et à favoriser une communication de soutien. Le tableau 23.8 compare les différents comportements verbaux favorisant soit une communication de soutien, soit une communication défensive. Tableau 23.8 Impacts des comportements verbaux sur la communication. Communication défensive

Effet

Communication de soutien

Évaluation « Marcher 30 minutes par jour est important pour éviter de prendre encore du poids. »

Le jugement, même sousentendu, entraîne une résistance. Mieux vaut décrire les faits pour fournir une explication raisonnable.

Description « Marcher 30 minutes par jour est essentiel pour l’organisme humain. »

Contrôle

Le contrôle est perçu comme

Orienté problème

« Vous n’avez

de la manipulation. Définir

« Dites-moi. Quel

« Vous n’avez pas d’autres choix que de marcher après le repas du midi. »

de la manipulation. Définir ensemble un problème et chercher à y répondre fait que le récepteur tend à collaborer.

« Dites-moi. Quel moment pourriezvous vous accorder pour marcher ? »

Neutralité « Il faut marcher 30 minutes par jour. »

Le manque d’affect dans le discours peut entraîner le rejet. D’un discours empathique résulte de la réassurance.

Empathie « Je comprends que certains jours ce ne soit pas évident de marcher, mais c’est important pour votre corps. »

Supériorité « Ce serait beaucoup trop compliqué de vous expliquer l’intérêt de la marche sur l’organisme. »

Les défenses s’abaissent si la communication se fonde sur le respect et la confiance mutuels.

Égalité « Plusieurs personnes ont du mal à trouver du temps pour marcher. Peut-être que vous avez des idées pour le faire. »

Dogmatisme « Vous devez marcher 30 minutes par jour à un bon rythme. »

Le dogmatisme conduit à moins de tolérance envers le récepteur. Le provisionnalisme, le fait d’enquêter sur les problèmes, permet au récepteur d’avoir du contrôle.

Provisionnalisme « Il existe plusieurs manières de faire l’activité physique quotidienne. Voyons si vous avez une préférence pour l’une d’elles. »

L’art de poser une question

Dans une consultation médicale, le contrôle de la situation est opéré par l’utilisation des questions [45]. Selon la manière de poser la question, le professionnel de santé ne recueillera pas les mêmes informations. Le patient va se conformer à ce qu’il pense être l’attente du praticien et répondre en ce sens. La question induit la réponse, tout du moins le type de réponse, et définit les rôles que chacun aura dans la relation patient-soignant (soit rôle de l’expert dominant, soit d’égal à égal). Par exemple, au moment de l’anamnèse, la question de l’apparition de la douleur est systématique : Professionnel de santé : « Depuis quand avez-vous mal ? Patient : Depuis 2 semaines. » Ou alors, le praticien peut demander à la place : Professionnel de santé : « Pouvez-vous m’expliquer comment est apparue cette douleur ? Patient : Faut dire que je sentais déjà que ça tirait depuis 2, 3 mois, et il y a 2 semaines, en voulant porter un truc, ça m’a fait une grande décharge… » Le fait de poser des questions fermées limite la participation du patient dans l’échange avec le médecin. En plus de définir de manière restreinte ce qui est une réponse appropriée, une question fermée a tendance à interrompre la dynamique du patient de communiquer ses informations [45]. Plusieurs études ont démontré que les médecins6 interrompent précocement leur patient au début de la rencontre, en moyenne au bout de 18 secondes [45]. Pourtant, si le praticien laisse le patient s’exprimer, ce dernier s’arrêtera de lui-même au bout de 92 secondes pour la moitié et 2 minutes pour 78 % des individus [40]. C’est un temps précieux pour glaner des informations sur la pathologie, le contexte psychosocial, les croyances et les émotions du patient. Comme autre bénéfice, ce temps de parole libre permet également au patient de se sentir écouté, ce qui améliore sa satisfaction et l’adhésion

au traitement [45]. Pour toutes ces raisons, il est préférable de poser des questions ouvertes au patient. Les questions fermées ne sont pas à exclure pour autant. Dans un deuxième temps, elles peuvent venir confirmer ou approfondir la recherche d’informations, pour le diagnostic par exemple, ou encore renforcer certains éléments du discours du patient. Les questions à choix multiples [51] sont également intéressantes à utiliser pour clarifier le propos du patient (par exemple : « La douleur est-elle plutôt une piqûre, une brûlure ou un étau ? »), introduire un nouvel élément (« Avez-vous remarqué si vous ressentiez la douleur plutôt le matin, en cours de journée ou le soir ? »), suivre l’évolution des symptômes7 (« Est-ce mieux, moins bien8 ou pareil qu’avant d’avoir fait les exercices ? »), ou encore pour aider le patient qui n’est pas habitué aux questions ouvertes. Les questions suivantes ont pour objectif de relancer le patient sur des aspects de son histoire pouvant être utiles à la réflexion du praticien. Plutôt que des questions fermées sur les circonstances, il est préférable de poser des questions du genre : « Dites-m’en plus à propos de… », ou « J’aimerai en savoir davantage sur… » [77]. Le rôle du professionnel de santé est de veiller à inverser la tendance à monopoliser le temps de questions [45] et favoriser la parole du patient. Pour cela, tout au long de la consultation, il peut mettre un point d’honneur à ne pas laisser un non-dit en proposant au patient un temps pour exposer les éventuelles zones grises. Ainsi, le praticien peut demander : « Y a-t-il autre chose ? » lorsque le patient termine de parler pour lui proposer d’aborder une autre préoccupation. Il peut ensuite demander : « Avez-vous une question ? » ou « Y a-t-il un sujet sur lequel vous vous questionnez ? » pour l’encourager à demander des éclaircissements [77]. Enfin, après s’être assuré de la bonne compréhension du patient à propos du diagnostic et des traitements possibles, le praticien a tout intérêt à limiter les mauvaises interprétations en demandant : « Est-ce en accord avec ce que vous pensiez ? » [77]. En plus du type de questions à privilégier, la formulation de la question a son importance. Il est notamment préférable de commencer

la question par « Comment… » et non « Pourquoi… ». Ce dernier suggère une réponse causale, et le patient aura tendance à aborder des éléments immuables du passé. La première formulation suggère une réponse portant sur quelque chose qui évolue, qui est en cours, et qui peut donc apporter une solution [40]. Par exemple : Praticien : « Pourquoi avez-vous cette douleur au tendon d’Achille ? Patient : J’ai une jambe trop courte, ce qui fait que ça s’use plus vite quand je cours. » À comparer avec : Praticien : « Comment avez-vous eu cette douleur au tendon d’Achille ? Patient : J’ai l’objectif de faire le marathon, et depuis 3 semaines je force plus à l’entraînement. » Par ailleurs, certains mots employés suggèrent une restriction du champ des réponses attendues. Ainsi, nommer spécifiquement le problème principal du patient dans la question focalise la rencontre sur une seule préoccupation du patient (par exemple : « Pouvez-vous m’en dire plus sur votre douleur du tendon d’Achille ? »), en excluant les autres9 [45]. De même, certains symptômes peuvent être masqués par la question elle-même. Par exemple, il arrive aux kinésithérapeutes de demander : « Avez-vous des fourmis dans les mains dans la journée ? », ce qui exclura les autres sensations possibles et les autres moments de la journée. Enfin, répondre à une question prend du temps, et un début de réponse peut amener en second temps d’autres éléments de la réponse. À l’instar de la prise de parole initiale du patient, il est préférable que le praticien n’interrompe pas le patient lors de sa réponse. En plus de l’écoute active (voir plus haut) qu’il doit porter à son patient, le professionnel de santé peut laisser quelques secondes de silence respectueux. Il invite ainsi le patient à réfléchir, ressentir ce qui se passe et poursuivre la conversation [53]. Cette technique peut

permettre au patient, pensant qu’écourter sa réponse conviendrait au praticien, de donner davantage de détails qu’il aurait passé sous silence. La formulation positive Les suggestions verbales peuvent induire un effet nocebo [57]. Un moyen de contourner ces suggestions négatives est de formuler la même idée, mais nettoyée des termes à connotation négative. Par exemple, « la pomme a atteint le sol » a la même signification que « la pomme est tombée », sans contenir la connotation dangereuse attenante à la chute qu’a le terme « tomber ». Le besoin de formulation positive provient de la manière qu’a le langage figuratif de fonctionner [71]. L’exemple bien connu est l’injonction « ne pense pas à un éléphant » qui, généralement, fait jaillir l’imposant animal dans l’esprit. C’est parce que la négation est absente du langage figuratif. Pour donner un autre exemple, il semble impossible de représenter l’interdiction de faire quelque chose (fumer, par exemple) sans représenter l’objet de l’interdiction (la cigarette) barré ou dans une autre mise en scène. De la même manière, la formulation de certaines demandes en soins peut suggérer l’inverse de ce que souhaite le professionnel de santé [40]. Le tableau 23.9 dresse une liste non exhaustive de termes et phrases ayant une connotation négative avec leur correspondance positive. Tableau 23.9 Formulation positive en kinésithérapie. Négatif

Positif

Négatif

Ablation

Retrait, débarras

Vous n’avez pas envie d’aller aux toilettes ?

Attendre

Patienter, somnoler

Je ne peux pas vous répondre

Barrières (de lit)

Protections, sécurités

Essayer de ne pas bouge/ne

bougez pas !

Déambulateur

Tribune1

Détendez-vous/relâchezvous !

Chaud

Tiède, tiédeur (qui peut être agréable)

Donnez-moi votre main

Froid

Frais, fraîcheur (qui peut être agréable)

Je vais vous toucher ici

Vous n’avez pas trop froid ?

Avez-vous assez chaud ?

Mais non, vous n’allez pas tomber ! (en séance)

Chimiothérapie

Traitement (ou les mots du patient)

Vous n’avez pas de questions ?

Chronique

Récurrent [79], persistant

C’est comment la douleur au ventre ?

Couches

Protections

Ne pleurez pas, ce n’est rien !

Déchocage

Surveillance

Si [condition], alors vous

continue, rapprochée

pourrez [action]

Douleur, mal, anxiété

Inconfort, sensation, ressenti

Faites attention à votre bras

Lâcher-prise

Laisser-vivre

Je vous laisse faire les exercices seul(e)

Vous n’avez pas mal ?

Êtes-vous confortable ?

Ça va chauffer/piquer/brûler/etc.

Électrode Patch, pièce, capteur (électrothérapie)

Ça va faire mal

Escarre

Plaie

Ne respirez pas/restez en apnée

IVG

Utiliser les mots de la patiente

Il n’y aura pas de séquelles

Luxation (dans le cadre d’une opération)

Déplacement

Vos fibres musculaires sont déchirées

Obus (oxygène)

Bouteille d’oxygène

Il y a une fragilité

Peur

Appréhension, préoccupation

Tirez un peu sur la cicatrice, mais pas trop pour ne pas la rompre/rouvrir

N’ayez pas peur, ne vous inquiétez pas

Vous pouvez vous rassurer, tout se passe comme prévu (parler au présent)

N’hésitez pas à m’appeler

Pistolet

Urinal

J’ai oublié

Ponction, biopsie

Prélèvement

Pourquoi pensez-vous que c’est un exercice trop dur ?

Potence

Support de perfusion/poignée

C’est difficile à apprendre comme mouvement

Subir une opération

Bénéficier d’une opération

Os contre os (pour parler d’arthrose)

Résultat négatif au test

Tout semble normal

Paresthésies

Changements dégénératifs

Changements normaux liés à

Nerf coincé

chroniques

l’âge

Instable (pour une articulation)

Qui nécessite plus de force et de contrôle

Lordose ou cyphose

Neurologique

Du système nerveux

Vous allez devoir vivre avec

Potence

Support de perfusion/poignée

Hernie

Dommages

Blessures réparables

Maladie

1Nom

donné en Belgique.

Source : adapté de Bioy A, Servillat T. Construire la communication thérapeutique avec l’hypnose. Malakoff : Dunod ; 2017 ; Stewart M, Loftus S. Sticks and stones : the impact of language in musculoskeletal rehabilitation. J Orthop Sports Phys Ther 2018 ; 48 : 519-22.

Certains mots sont également à proscrire [40], pour la pollution du discours ou l’effet qu’ils engendrent : • « on » en parlant du patient (par exemple : « on va s’assoir sur la table ») : dépersonnalise le soin ; il est préférable de nommer le patient ou d’utiliser le vouvoiement ou le tutoiement ; • « essayer » : pollue la phrase, alourdit la consigne d’éléments supplémentaires à traiter et suggère un potentiel échec ; • « petit » : minimise le mot qu’il qualifie (un acte, un exercice, un instrument, etc.), ce qui peut décrédibiliser celui qui pense l’inverse (un patient ayant peur d’un instrument, ayant des difficultés à faire un exercice, etc.) et suggère l’inutilité de cet acte, exercice, etc. ; • « attention » et « surtout » : pour leur effet amplificateur ; • « toujours » et « jamais » : pour le discours généralisateur

qu’ils imposent ; • « oui mais », « mais non ». L’emploi des métaphores L’analogie, c’est-à-dire le fait d’établir par le langage « une ressemblance effective, fondée et raisonnée, entre des termes dissemblables » [80], est monnaie courante dans la communication patient-soignant. Schott parle de l’analogie10 comme d’un « inestimable mais imparfait outil pour communiquer la douleur » [81]. Inestimable car la douleur, en tant qu’expérience subjective, est indescriptible et les patients peinent souvent à trouver les mots adéquats. L’analogie, en comparant la douleur à une expérience partagée avec son interlocuteur, permet à celui-ci de comprendre un peu plus l’expérience douloureuse. Imparfaite car, d’une part, elle ne permet qu’une interprétation de la réalité du patient, et d’autre part, l’acquisition de la compétence analogique dépend des considérations interculturelles, des mots et expressions entendus lors de l’enfance et de l’éducation primaire. Cet outil de communication de la douleur est important dans la relation patient-soignant. Cette dernière, sur le plan du langage, est asymétrique car la langue « (profane) dans laquelle le patient s’exprime est celle de la désignation subjective de son mal, alors que celle (savante) dans laquelle le médecin lui répond est celle de la guérison objective et raisonnée » [82]. Le patient peut envisager que le médecin attende de lui de parler le même langage et va alors chercher à parler la même langue savante. Cette situation peut le rendre mal à l’aise et risque d’induire le médecin en erreur par approximation et omission. Les termes employés par le professionnel de santé n’ont pas le même sens pour le médecin et le patient, amenant ce dernier à une mécompréhension [79]. L’analogie agit alors comme le pont joignant les berges d’un fleuve. Elle permet aux deux individus de se rejoindre dans un espace commun qu’ils créent sur mesure. L’analogie est construite selon la logique : « A » (ici, l’analogie) est pour « B » (ici, la situation patient-soignant) comme « C » (le pont) est

pour « D » (les berges d’un fleuve) [82]. Elle est facilement remarquable quand elle emploie le comparatif « comme si », ou encore « cela me fait penser à… ». La métaphore linguistique diffère de l’analogie car, au lieu d’une comparaison, elle décrit un sujet dans les termes d’un domaine n’ayant pas de lien avec le sujet [83]. La métaphore est d’abord conceptuelle, avec une pléthore d’idées métaphoriques qui influent sur nos actions, puis elle est linguistique, gestuelle et visuelle [84]. La construction de la métaphore impacte le fonctionnement du cerveau lors d’un échange : les circuits neuronaux activés seront en rapport avec le matériau utilisé. Des études utilisant la neuro-imagerie ont montré qu’entendre l’expression « saisir l’idée » active le cortex moteur, et « he is sweet »11 active les aires gustatives[83]. Trois éléments sont nécessaires pour construire une métaphore : • le domaine source : celui avec lequel on fait la métaphore (par exemple, dans ce paragraphe, le domaine source est celui des travaux, du bâtiment) ; • le domaine cible : celui que l’on veut illustrer par la métaphore (ici, la réalisation de la métaphore) ; • la cartographie : entre les deux domaines, ce sont les associations que l’on cherche à mettre en évidence (ici, les qualités du bâtiment dépendent des matériaux utilisés). Plusieurs études ont démontré que la métaphore influençait la pensée de l’individu qui l’entendait/la lisait. Par exemple, une idée semble plus exceptionnelle lorsqu’elle est illustrée avec une ampoule plutôt qu’avec des graines [83]. L’explication apportée est que la métaphore sélectionne certains concepts abstraits dans une multitude de concepts potentiels, et le raisonnement analogique fait des associations entre les différents concepts sélectionnés. Si les concepts sont changés, les associations ne seront pas les mêmes. Dans leur revue de littérature, Thibodeau et al. listent les différents facteurs de cette influence de la métaphore sur la manière de penser [83] :

• une structure bien identifiable d’un domaine source nettement délimité peut organiser la représentation du domaine cible. Si la structure source fait référence à une expérience culturelle partagée, la métaphore résonnera davantage pour l’individu. Si le domaine cible est abstrait ou complexe, il est susceptible d’être plus influencé par la métaphore. Pour cela, l’individu doit avoir quelques connaissances dans le domaine cible pour pouvoir établir la cartographie, mais pas trop pour ne pas se heurter à ses croyances (ou alors, d’abord ébranler ses certitudes) ; • la métaphore propose un cadre de connaissances dans lequel assimiler des informations ultérieures. Si celles-ci renforcent la cartographie de la métaphore, cette dernière influencera davantage le raisonnement. Plus la métaphore est présentée tôt dans le processus, plus elle influencera des informations ultérieures et plus l’interprétation de ces informations via le cadre de la métaphore permettra de renforcer cette dernière ; • les métaphores affectent la façon dont la personne interagit avec son environnement et se souvient des descriptions ; • le raisonnement métaphorique n’est pas simplement le résultat d’un amorçage lexical12 ; • l’individu peut être influencé par des métaphores sans être conscient de la métaphore. L’intérêt de l’utilisation des métaphores est double. Le premier intérêt est de suggérer au patient des associations différentes entre sa plainte et son image du monde, en passant sous le radar de l’intellect et de la résistance au changement. Ces associations vont lui permettre de changer l’image du monde qu’il a [71]. L’éducation des patients est le second intérêt. L’utilisation des métaphores dans les explications permet une meilleure compréhension, et une diminution du catastrophisme (dans le cas de l’éducation aux neurosciences de la douleur) [8, 85]. Réutiliser une métaphore employée par le patient, ou lui demander d’expliquer ce qu’il a compris avec sa propre métaphore peut renforcer le bénéfice de

l’explication et l’alliance thérapeutique. Le tableau 23.10 liste des exemples de métaphores utilisables en rééducation. Tableau 23.10 Exemples de métaphores en kinésithérapie. Domaine cible

Domaine source

Cartographie

Douleur

Un système d’alarme [86]

La douleur avertit des dangers pour le corps.

Sensibilisation centrale

La bougie déclenche l’alarme à incendie

Les cellules nerveuses trop sensibles réagissent trop vite lors d’un usage normal.

Calcification d’un tendon

Un arbre Progressivement, il continue de ayant pousser. Le tissu vivant s’adapte intégré un autour, et l’objet ne gêne pas la vélo posé fonction de l’arbre. contre/une hache plantée

Système respiratoire

Un arbre

Tensions musculaires

Un élastique Que faire pour le relâcher ? On change trop tendu de position.

Système immunitaire

L’armée

L’arbre bronchique a des branches pour acheminer l’air jusqu’aux feuilles qui respirent et captent l’oxygène.

Il existe une hiérarchie, l’entraînement peut être long pour être efficace, il y a besoin de repérer l’ennemi, peut s’essouffler ou attaquer ce

qu’elle défend, etc. Récidive de douleurs

Le cheval/le vélo/la marche

Quantification des Une facteurs de baignoire stress et avec désensibilisation plusieurs robinets [86]

Tout le monde est tombé à l’entraînement, mais l’important est de remettre le pied à l’étrier. La douleur arrive lorsque la baignoire déborde. Que faut-il faire pour éviter qu’elle ne déborde ?

Objectifs intermédiaires de rééducation

La randonnée En randonnée, on a beau avoir comme (sur objectif d’atteindre un endroit plusieurs précis, on a besoin chaque soir de jours) faire une étape pour passer la nuit.

Gestion de la douleur

Un tableau blanc

Une fois utilisé et nettoyé, il reste des traces d’encre. Est-ce qu’il est nécessaire qu’il redevienne aussi blanc qu’au début pour qu’on puisse continuer à l’utiliser ?

La valorisation du patient Dès que le traitement implique un changement dans la vie du patient (habitude, croyance, etc.), il requiert de sa part de la motivation à changer. La motivation peut, surtout en cas de rééducation longue ou d’objectifs ambitieux, fluctuer voire s’estomper. Pour illustrer cela avec une métaphore, si l’on veut un bel arbre dans son jardin, il faut d’abord préparer le terrain, planter la graine qui, avec les conditions météorologiques suffisantes, va pousser au fur et à mesure qu’on l’arrose patiemment. C’est seulement après ces étapes qu’on peut récolter le fruit de son labeur. Le kinésithérapeute a tout intérêt, pour entretenir la motivation de son patient, à le valoriser et l’encourager tout au long du traitement. Les patients constatant l’enthousiasme et les encouragements du

professionnel perçoivent que le praticien est concerné par eux. La relation thérapeutique s’en trouve renforcée [8]. Les encouragements ont pour bénéfice d’améliorer l’adhésion du patient au traitement, ce dernier faisant plus d’effort pour s’améliorer et dépasser les freins qu’il avait à l’activité physique [8, 87]. C’est une manière de promouvoir l’auto-efficacité du patient. Entretenir la motivation du patient, c’est également expliquer les processus de la rééducation, de l’apprentissage, avec les risques de baisse de performance ou de moral, les étapes de traitement et les objectifs intermédiaires [40]. Certains patients, à force de toujours fixer l’objectif à atteindre, oublient de là où ils sont partis. Au premier découragement, constatant que l’objectif désiré est encore loin, le professionnel est là alors pour leur montrer et récapituler avec eux le chemin parcouru. Pour éviter cette situation, il semble important de définir des objectifs précis en amont. L’anecdote suivante est un bel exemple de ce qui a été écrit cidessus. Un patient de 86 ans vient me consulter pour une rééducation à la marche. Ayant des difficultés initialement pour se lever de la position assise et marchant avec un déambulateur, son objectif était de « mieux marcher ». Au bout de quelques séances de rééducation, ce patient se lève sans difficulté d’une chaise et marche sans canne avec aisance. Il m’indique qu’il est alors déçu « car ça ne va pas mieux qu’avant ». Intrigué, alors que j’avais l’impression que l’objectif était atteint, je lui demande ce qui lui fait dire cela et de quel « avant » il parle. Il me répond qu’« avant », il marchait plus vite, lorsqu’il a pris sa retraite vers 60 ans. Les encouragements vont beaucoup dépendre du tempérament du professionnel de santé et de la relation patient-soignant. Ils doivent être soutenus par un langage non verbal concordant pour ne pas être considéré comme de la moquerie par le patient. Le tableau 23.11 liste des manières non exhaustives d’encourager un patient.

Tableau 23.11 Exemples d’encouragement en kinésithérapie. Catégories

Exemples

Verbal

Du timide « Très bien ! » à l’enthousiaste « Vous avez réussi ! Bravo ! » « Vous pouvez y arriver » ; « J’ai confiance en vous pour le faire » Décompter les répétitions avec la personne (lors d’un exercice) Evaluer le résultat clinique et donner un retour sur la séance qui s’achève Débriefer les séances et expériences (écoute active), ratifier les sensations décrites et valoriser les évolutions même minimes (de sensations, de quantité, de qualité, etc.)

Non-verbal

Sourire Toucher empathique sur l’avant-bras ou l’épaule Accompagner le patient dans son effort, souffler de soulagement avec lui à la fin Serrer la main en félicitant, applaudir, crier de joie

Récompense Offrir un verre d’eau après l’effort Offrir une récompense déterminée à l’avance (blague, défi, choix de l’exercice suivant, etc.) Avoir un temps privilégié de partage Métaphore

L’enfant qui apprend à marcher/l’apprentissage du vélo (sur l’apprentissage, la motivation et les échecs) La randonnée (sur les étapes du traitement) Le potager (même quand rien n’est visible hors de terre, il se passe des choses essentielles)

Points clés

■ La réaction du patient à ce que le professionnel de santé énonce dépend de la façon dont le message a été énoncé. ■ Il est préférable de poser d’abord des questions ouvertes, puis des questions fermées ou plus directives, et enfin de chercher à épuiser les divers sujets de préoccupation du patient. ■ Parce que le cerveau fonctionne de cette manière, il est important d’utiliser la formulation positive, les métaphores et la valorisation des efforts du patient tout au long de la rééducation.

Éléments à considérer Considérations sociétales La relation patient-soignant se place dans un environnement social qui influence ladite relation. En être conscient, c’est déjà agir pour amoindrir cette influence et avoir un regard le plus neutre possible sur la situation du patient. Deux points d’achoppement ont été retrouvés dans la littérature : le genre et la culture. Dans leur revue de littérature, Samulowitz et al. se sont intéressés au biais du genre envers les patients ayant des douleurs chroniques [88]. Ils retrouvent, entre autres, l’influence des normes genrées de l’« l’homme stoïque » et de la « femme sensible » dans la perception, l’expression et la gestion des douleurs chroniques. Les femmes semblent avoir plus de douleurs, et celles-ci sont plus fréquemment diagnostiquées comme syndrome de douleur chronique. Cependant, leurs douleurs sont moins prises au sérieux, plus souvent expliquées par la psychologie (voire niées), et le traitement médicamenteux donné est souvent moins adéquat que pour les hommes. Enfin, l’évaluation de la douleur est revue à la baisse lorsque l’évaluateur est du sexe opposé, et le traitement de la douleur dépend à la fois du sexe du praticien et de l’interaction avec le sexe du patient. À propos de la culture, Barchard et al. ont comparé le langage figuratif associé aux émotions dans différents pays [89]. Il apparaît

que les expressions et métaphores ne sont pas dénuées d’ambiguïté : « Même si une phrase est commune, elle n’est pas universellement comprise ». Cela implique que le professionnel doit être prudent lors de tests intégrant du langage figuratif, et doit s’assurer de l’interprétation du test par le patient. Cela implique également qu’il doit d’abord se demander s’il partage la même culture que le patient, du fait du pays ou de l’âge, avant d’interpréter ou d’énoncer une métaphore ou une analogie. Considérations relationnelles Les professionnels peuvent se retrouver confrontés malgré eux à certaines situations, à la suite d’une réponse maladroite à une question du patient, de l’impatience liée à la souffrance du patient, ou de l’état émotionnel particulier de l’un ou l’autre côté de la relation patient-soignant. Il peut en résulter des conflits, qui peuvent être tout aussi bien ouverts, traduits par une discussion fortement houleuse, qu’étouffés par la volonté du patient ou du praticien de ne pas expliquer ses griefs. Du fait de la situation de conflit, la réaction de défense habituelle du praticien est le détachement. Le désengagement émotionnel du professionnel entraîne une diminution de l’empathie envers son patient, une augmentation de l’insatisfaction de ce dernier et un risque de faute professionnelle [90]. La qualité de la relation patient-soignant peut s’altérer rapidement par escalade conflictuelle. Comme chacun souhaite garder la face par rapport à l’autre, et démontrer son agentivité [16], ses réactions verbales et non verbales seront en symétrie de ce que l’autre lui a communiqué, et d’intensité plus importante [4, 40]. Ainsi, d’arguments en contre-arguments, les signes d’énervement s’amplifient. Pour éviter les conflits dus à une frustration qu’il exprime en rapport avec un patient, le professionnel de santé peut faire preuve de congruence13 et analyser ses propres émotions. Est-ce l’attitude ou les dires du patient ou la situation relationnelle qui provoquent ces émotions ? Étaient-elles présentes avant la rencontre (provoquées par

un élément extérieur à la rencontre) ? Cela fait, le praticien peut exprimer ce qu’il ressent, corriger son appréciation négative de la situation et interagir différemment avec le patient[90]. Dans le cas où le conflit est apparent, le professionnel a tout intérêt à ne pas se détacher et ne pas réduire son empathie. Au contraire, accepter les retours négatifs et le blâme et présenter ensuite ses excuses, lorsque appropriées, peut réduire la colère et influencer la satisfaction du patient [90]. Une autre piste pour désamorcer le conflit est la réaction de complémentarité14, qui s’oppose à la réaction symétrique de l’escalade conflictuelle [4, 16]. L’objectif est de pouvoir maintenir le dialogue en renonçant temporairement. Le praticien adopte alors la position basse (voir plus haut), et ratifie le désaccord de l’autre (« Je vois que vous n’êtes pas d’accord avec moi, et je vous respecte dans ce désaccord »). L’avantage est de laisser le temps faire son effet et de percevoir un changement de point de vue plus tard, pouvant mener un accord à ce moment-là [40]. Enfin, pour résoudre un conflit, il peut être pertinent d’adopter une communication non violente. En partant du principe que les individus ont, de leur point de vue, raison15, le praticien peut chercher un entredeux, une position intermédiaire et nuancée entre les deux prises de position ferme. Pour cela, la communication non ​violente propose [91] : • de s’engager dans la formulation de son message. À la place d’une affirmation ne laissant pas de place à la nuance comme « Tu te trompes » ou « C’est débile de penser ça », il est préférable d’exprimer son opinion : « Je pense que tu te trompes en faisant cela » ; « J’ai l’impression que cette pensée n’est pas maligne »16 ; • de s’exprimer et d’écouter activement à partir de quatre composantes : 1) observations de la situation, du comportement ; 2) sentiments générés par le comportement observé ; 3) besoins, désirs ou valeurs qui ont éveillé ces sentiments ; 4) demandes d’action pour améliorer cela ;

• de reformuler les besoins et les attentes de l’autre personne pour éviter les quiproquos et pour qu’elle se sente considérée et écoutée ; • d’adopter les communication non verbale et paraverbale adaptées. L’anecdote suivante en italique illustre la démarche communication non violente dans un conflit naissant.

de

Un patient de 92 ans vient pour une première consultation de rééducation par suite d’une fracture du col du fémur opérée. Ayant un stagiaire à ce moment-là, nous avions reçu l’accord du patient pour que ce dernier soit présent et qu’il puisse filmer pour analyser le déroulement du bilan. Lors d’un test d’appui unipodal, difficile pour le patient, ce dernier se braque et répète fortement : « Ah si j’avais su que c’était ça la kiné, je me serai abstenu ! ». Comprenant la situation de stress que le patient vivait probablement de se sentir moqué, je demande au stagiaire d’arrêter la caméra et de s’éclipser. Proposant au patient, qui répétait toujours la même phrase, de s’asseoir non loin de moi, je commence : « J’ai l’impression que vous êtes en colère contre moi [observations]. Si c’est dû à la caméra, je suis profondément désolé car je pensais que vous étiez d’accord [sentiments]. Mon objectif n’est en aucun cas de vous mettre mal à l’aise ; je voulais seulement expliquer un élément au stagiaire [désirs]. Aussi, je comprends que vous ne voudriez pas revenir, mais j’aimerais que vous me laissiez une deuxième chance. Je vous laisse décider de si on se revoit, ou non [demande d’action]. » Le patient a accepté que l’on refasse une séance. On a finalement fait toute la rééducation, et le patient, charmant au demeurant, a été satisfait du traitement proposé.

Points clés ■ Apporter des soins individualisés à un individu dans le respect de sa personne permet d’éviter des freins à la

récupération. ■ Pour proposer la même qualité de soins à chacun, le professionnel a un travail introspectif à mener sur ce qui le mène à ses décisions lorsque le patient n’est pas du même genre, ni de la même culture. ■ Congruence, comportement complémentaire et communication non violente sont à employer en cas d’escalade conflictuelle.

S’exprimer sans paroles : les langages paraverbal et non verbal Un point essentiel est à comprendre avec la communication, certainement expérimenté par chaque individu, et qui sous-tend la nécessité de perfectionner sa communication : il y a une impossibilité à ne pas communiquer [4]. Cela s’explique simplement par le fait qu’une personne n’a pas la possibilité de ne pas envoyer de message. Tout message ou comportement, même involontaire, sera perçu par l’interlocuteur et interprété de son point de vue. Ainsi, le silence, l’absence de mouvement des mains ou d’expression faciale, voire l’absence de la personne (à une réunion, par exemple) sont autant d’éléments que l’interlocuteur recevra et interprétera. Pour donner un exemple : si le kinésithérapeute traverse la salle d’attente en étant perdu dans ses pensées (sans intention de communiquer avec d’autres personnes), certains patients le trouveront froid, arrogant, voire impoli (d’autres comprendront et différeront leur jugement). Cette première image que les patients auront du praticien se répercutera certainement sur leur langage non verbal et paraverbal, que ce dernier ressentira lors de la consultation. Ainsi, le langage verbal n’est pas le seul élément de la communication. Il est tout d’abord accompagné du langage paraverbal, ou prosodie, qui comprend les différents éléments de la parole n’étant pas des mots : le ton, l’intensité de la voix, etc. Le champ de la communication est complété par le langage non verbal,

qui comprend le reste : l’expression du visage, les gestes et postures [40, 92]. La culture a un rôle prépondérant dans la définition des normes du langage non verbal dans la relation patient-soignant. La communication elle-même est dessinée selon la culture présente. La communication non verbale est un élément interculturel essentiel, avec la démonstration du respect des patients et la facilitation à la fois de l’empathie et de la confiance [93]. Selon Ekman, les signaux non verbaux peuvent être classifiés en différents types [94] : • les emblèmes : mouvements ayant un sens précis, compris par tous ceux qui partagent une même culture ou sous-culture [95]. Ils peuvent aussi être verbaux, comme le fait de répéter un mot, ou le remplacer par un autre ; • les illustrateurs : mouvements illustrant les propos. Ils peuvent mettre l’accent sur ce qui est dit, ou le contredire. Ils peuvent servir à rythmer une intervention, à expliquer ce qui est dit verbalement, mais également à aider le locuteur à dépasser une difficulté. Les signaux illustrateurs sont considérés comme un signe d’amabilité et de sociabilité ; • les manipulateurs : mouvements d’une partie du corps manipulant une autre partie du corps ou de la face (par exemple presser, mordiller, lécher, se gratter, se recoiffer, replacer ses vêtements, etc.). La fréquence de ces mouvements est élevée ; la plupart sont involontaires et non conscients. Leur rôle est indécis ; peut-être servent-ils au nettoyage, au confort, à se rassurer, ou peut-être sont-ils sans utilité précise. Il semble que les personnes se méfient de ceux qui ont beaucoup de gestes manipulateurs, ce qui serait un signe de mensonge (bien qu’il n’y ait factuellement pas de lien entre les deux) ; • les régulateurs : mouvements influençant l’échange en luimême. Ils l’influencent en indiquant à l’émetteur qu’il peut continuer, lui demandant de modifier le rythme de son intervention, indiquant que l’interlocuteur souhaite parler, etc.

Les signes non verbaux et paraverbaux de l’écoute active (voir plus haut) sont de cette catégorie ; • les expressions émotionnelles : mouvements involontaires renseignant sur l’émotion de l’individu. La présence d’autres personnes amplifie ces expressions. Ce point constitue un des arguments étayant l’hypothèse partagée par des auteurs, dont Ekman [94], que les expressions émotionnelles sont universelles et originaires de l’évolution humaine. Certaines règles, culturelles et individuelles, inhibent, substituent ou amplifient l’expression émotionnelle selon la situation et l’individu en présence. Le professionnel de santé a tout intérêt à améliorer sa sensibilité non verbale17 et à optimiser sa communication non verbale. Cette dernière a une influence sur la relation thérapeutique comme nous avons déjà vu précédemment : l’expression de l’empathie, l’écoute active, les effets placebo et nocebo, la valorisation du patient, la réponse à une question et la résolution de conflit. Par ces éléments de la relation qu’elle influence, la communication non verbale a un impact significatif sur la satisfaction du patient, l’adhésion aux conseils et les résultats cliniques [97]. Le professionnel de santé peut agir sur les différents rôles de la communication non verbale (expressif, relationnel, régulateur et symbolique [92]). Il veillera pour cela à suivre trois principes : chercher la synchronie, respecter la distance et enfin vérifier la concordance.

Les principes de communications non verbale et paraverbale La régulation intrapersonnelle : la synchronie La synchronie est la synchronisation spontanée des réponses neurales, affectives, perceptuelles, psychologiques et comportementales lors d’une relation interpersonnelle18 [50, 98]. Selon différentes études,

lorsque deux personnes communiquent, elles synchronisent leur respiration (en phase ou en contre-temps), leur balancement postural et leur utilisation des mots [50]. La synchronie apparaît plus facilement lors d’une relation positive, lorsqu’une personne souhaite développer une relation positive avec une autre, et en compagnie auprès de qui elle s’est dévoilée (c’est-à-dire qu’elle a livré des informations et anecdotes personnelles). Un tel comportement relationnel semble non seulement favoriser les motivations prosociales comme l’altruisme, mais également promouvoir les comportements de coopération et d’aide. La synchronie semble augmenter la volonté de se coordonner et la capacité de le faire [50]. Bien que le phénomène de synchronisation ait été mis en évidence, notamment dans la relation patient-soignant [98], la littérature scientifique à son sujet n’est pas encore suffisamment prolixe pour dépasser les simples explications théoriques [99, 100]. Le modèle explicatif de l’influence de la synchronie en psychothérapie veut que l’alliance thérapeutique émerge de la synchronie. Celle-ci favorise alors la régulation émotionnelle du patient par le partage d’expériences subjectives du patient et du psychothérapeute [50, 99]. Dans la relation patient-soignant, la synchronie se retrouve seulement lors de comportements non verbaux de communion19 (pas lors de comportements de domination), et est associée de manière positive à l’empathie et à la satisfaction du patient [98, 101].

Focus Modèle circomplexe interpersonnel [16] ■ Ce modèle propose de situer les comportements dans un graphique en fonction de leur motivation. ■ En abscisse : la communion allant de « distant, indifférent » à « proche, aimant ». ■ En ordonnée : l’agentivité allant de « soumission, abandon » à « domination, contrôle ».

■ Réagir à un comportement par un comportement « complémentaire » sur le modèle pourrait satisfaire la motivation du premier comportement. ■ L’interaction entre deux individus est affectée par ce que chacun attend des motivations de l’autre individu.

Le professionnel de santé peut observer les signaux non verbaux que lui envoie le patient dès la salle d’attente (position assise ou debout, apprêtement, mouvements des yeux et des mains, respiration, etc.). De même, pendant la séance, plutôt que d’écouter le patient, pendant un temps le praticien portera attention au patient et aux indices non verbaux volontaires et involontaires [8, 40]. En adoptant certains de ces signaux – respiration, position et certains gestes discrets (plutôt des gestes manipulateurs, ayant trait à l’habitude du patient) –, le praticien se cale sur son rythme et se fait le miroir du patient pour favoriser la synchronisation20. Une fois la synchronie présente (langagière et/ou gestuelle), il peut amener le patient à modifier ce rythme et réguler ses émotions. La distance interpersonnelle : la proxémie La proxémie, développée par Hall, est une « dimension cachée » : le territoire d’un être vivant [104]. Cet « espace nécessaire à l’équilibre de tout être vivant » est, dans l’espèce humaine, dépendant de la culture dans laquelle l’individu évolue [104]. La proxémie, qui rend compte de la dynamique émotionnelle et relationnelle [40], prend en compte deux plans dimensionnels (figure 23.6). Le premier est l’espace intrapersonnel, la zone d’interaction, qui est l’espace autour de l’individu dans lequel celui-ci va tolérer la proximité de quelqu’un selon le type de relation qu’il a avec lui. Les distances sont indicatives et vont fluctuer avec le contexte [104] :

FIGURE 23.6 Les zones et territoires de la proxémie de Hall. Source : D’après Hall. ET [104].

• la zone intime : à moins de 60 cm de l’individu, pour les personnes proches, pour chuchoter à l’oreille, embrasser, etc. ; • la zone personnelle : de 60 cm à 1,20 mètre, pour les amis et la famille, pour converser ; • la zone sociale : de 1,20 mètre à 3 mètres, pour toute interaction avec un individu, pour faire un entretien, échanger avec quelqu’un dans la rue ; • la zone publique : au-delà de 3 mètres, pour prendre la parole en public. Le deuxième plan est l’espace interpersonnel, celui qui définit le type de relation avec un individu. Ce territoire dépend de la façon dont on se place l’un par rapport à l’autre (décrit surtout pour des réunions, donc autour d’une table ou d’un bureau). Il est à replacer dans son contexte, certains endroits ou situations entravant le bon déplacement des individus. Hall décrit trois types de territoires [104] : • le territoire de confrontation : en face à face, de chaque côté de la table ; les individus n’empiètent pas sur le territoire de l’autre ;

• le territoire de coopération : les deux individus font un angle (droit) en étant sur les bords contigus de la table ; les individus peuvent échanger des documents ; • le territoire de collaboration : les individus sont côte à côte, du même bord de la table ; ils travaillent sur le même document. Il y a des exceptions à ces règles. Un individu va tolérer d’autres individus à moins de 60 cm de lui, par exemple dans un transport en commun lors d’une heure de grande affluence, sans pour autant se sentir intime avec eux. Cette zone d’interaction fluctue et est dépendante du contexte. La profession de kinésithérapeute est une autre exception à la proxémie. Les patients tolèrent relativement bien le fait que le professionnel soit au contact. Différentes revues de littérature ont retrouvé des éléments assez contradictoires sur la distance nécessaire entre le médecin et le patient, et n’ont pas pu faire d’analyse sur le sujet [105, 106]. La distance semble influencer la satisfaction du patient, mais alors que certaines études parlent d’amélioration de la satisfaction en réduisant la distance, d’autres parlent d’augmentation de l’anxiété du fait d’une trop grande proximité. Dépendante du contexte, du patient et de la relation déjà établie, la distance est pour l’heure laissée à l’appréciation du praticien. Pour la pratique de la kinésithérapie, le professionnel aura probablement besoin de toucher le patient et d’être dans sa zone intime à un moment donné. Plutôt que d’entrer directement dans cette zone et de brusquer certains patients, il semble logique (sans pour autant affirmer un quelconque impact sur les résultats du traitement) de suivre une progression : • lors de l’anamnèse : le praticien reste dans la zone sociale du patient, dans un entre-deux entre les territoires de confrontation et de coopération (légèrement décalé pour ne pas être en face à face) ; • à la suite de l’anamnèse : le praticien peut profiter de faire passer quelques tests ou questionnaires pour se rapprocher (zone personnelle) et se mettre sur le côté, en coopération ;

• lors de l’examen clinique : si besoin, le praticien se rapproche du patient et entre dans la zone intime pour faire des tests, palper, etc. Il se place à côté du patient, en collaboration, pour expliquer les tests et demander l’autorisation de poser sa main avant de se déplacer pour faire le test. En adoptant cette progression, le kinésithérapeute pourra se faire accepter au rythme du patient et ainsi entrer dans la zone intime de ce dernier sans l’inquiéter. Pour savoir si le patient accepte qu’il se rapproche, ou non, le praticien évaluera une éventuelle modification du langage non verbal lors d’une tentative et adaptera sa distance en conséquence. La congruence des langages Lorsqu’un individu communique, il transmet un message (une idée, une émotion, son état psychologique, etc.) [54]. Les différents langages qu’il emploie sont généralement congruents, c’est-à-dire qu’ils participent à la transmission du même message [49]. La sensibilité non verbale, c’est-à-dire « la capacité d’un individu de lire et décoder les indices non verbaux d’autres individus et, surtout, la capacité d’interpréter correctement le sens derrière ces indices » [96], permet à l’interlocuteur de vérifier cette congruence. Par exemple, si une connaissance vous accueille d’un chaleureux (paraverbal) : « Je suis ravi de te voir ! » (verbal) avec un large sourire et les bras ouverts (non verbal), vous serez beaucoup plus en confiance que s’il vous disait la même chose d’un ton sec et le poing serré. La discordance présente dans cet exemple, la non-congruence des langages, entraîne une interprétation différente des intentions énoncées par le langage verbal (amabilité) et par le langage non verbal (agressivité). Le langage non verbal étant la voie privilégiée pour interpréter les émotions [97, 105, 106], la sensibilité non verbale éveille alors la méfiance de l’interlocuteur. La non-congruence a différentes conséquences selon le contexte (la liste est non exhaustive) :

• elle est un ressort humoristique avec une discordance entre le sérieux d’un langage et le comique d’un autre ; • elle fait perdre toute crédibilité à quelqu’un que l’on suppose en train de mentir, à partir d’une non-congruence entre un langage paraverbal assuré (voix forte, ton affirmatif) et un langage non verbal qui ne l’est pas (yeux fuyants, signes de stress) ; • elle amplifie l’émotion que la personne cherche à réguler avec une discordance entre un langage verbal rassurant et les langages paraverbal et non verbal non rassurants. Dans la relation patient-soignant, l’empathie thérapeutique du praticien comprend également le comportement empathique, c’est-àdire la capacité d’exprimer cette empathie [64, 67]. Pour cela, les langages verbal et non verbal sont empreints de l’émotion ressentie par le patient. Que se passe-t-il alors s’il y a non-congruence des langages chez le praticien, ou chez le patient ? Si le patient perçoit une non-congruence chez son professionnel de santé, il peut l’interpréter comme une non-disponibilité du praticien à son égard, de la moquerie ou de l’absence d’empathie. Pour éviter cette discordance des langages, le professionnel de santé peut avoir recours aux éléments suivants : • l’écoute active21 : lorsque que, verbalement, il suggère qu’il attend du patient qu’il prenne la parole (par une question, ou une affirmation du type « je vous écoute »), il est souhaitable que le praticien arrête toute activité et focalise son attention sur le patient, et y engage son langage paraverbal et non verbal ; • structurer la consultation du dossier : le praticien peut reporter délibérément l’utilisation des dossiers jusqu’à ce que le patient ait terminé sa déclaration d’ouverture, puis attendre les moments opportuns avant de regarder les notes. Il sépare le temps de lecture du dossier et le temps d’écoute en prévenant

le patient de son intention, puis lorsqu’il a terminé [49] ; • éviter l’interprétation du patient : si le thérapeute a des préoccupations personnelles (fatigue, stress, difficultés personnelles, etc.), plutôt que de faire « comme si de rien n’était » et sonner faux, il peut expliquer en une phrase de manière plus ou moins évasive (en éludant ou non le sujet) qu’il pourrait sembler moins présent. Cette anticipation permet d’éviter une interprétation du patient, centrée sur sa personne, et de détériorer l’alliance thérapeutique. De même, dévoiler une partie, aussi infime soit-elle, de soi peut favoriser la synchronie et l’alliance thérapeutique [50, 99]. À l’inverse, si le professionnel repère une non-congruence des langages du patient, il peut l’interpréter comme une volonté de ne pas informer le praticien d’une partie de la plainte (par exemple dire « tout va bien » avec le regard lointain et triste), la minimisation ou l’exagération du symptôme (par exemple une grimace lors du mouvement alors qu’il dit ne pas avoir mal), ou encore une préoccupation annexe venant parasiter la relation patient-soignant (par exemple un patient anormalement agité). Il peut s’interroger sur le rôle réel du symptôme, l’intention du patient ou sa motivation à coopérer [40]. Le professionnel de santé peut alors employer la communication non violente (voir plus haut) pour [91] : • exprimer l’observation qu’il a faite de la non-congruence des langages du patient ; • parler du sentiment généré par cette non-congruence (gêne, malaise, colère, curiosité, etc.) ; • rappeler à la fois le besoin d’avoir des informations non tronquées pour avoir un tableau clinique juste et le désir de collaborer avec le patient pour sa santé ; • demander s’il y a d’autres éléments que le patient voudrait lui dire. Si le patient maintient les éléments initiaux discordants, le professionnel respecte la parole du patient, et lui rappelle à la fois sa

disponibilité auprès de lui et le secret médical auquel il est tenu.

Points clés ■ La sensibilité non verbale est la capacité d’observer et d’interpréter les signaux non verbaux d’une autre personne. ■ La synchronie est une régulation inconsciente de l’organisme lors d’une relation interpersonnelle. Elle est favorisée quand cette relation est positive. ■ La proxémie cartographie l’espace relationnel autour d’un individu. Le thérapeute a tout intérêt à orchestrer son déplacement dans cet espace pour mettre le patient le plus à l’aise possible. ■ La congruence des langages est l’analyse des différentes communications simultanées d’un individu et de leur concordance. La non-concordance peut mettre le doigt sur une zone d’ombre qu’il peut être bon d’éclaircir.

Agir sur le non-verbal et le paraverbal Après avoir vu les principes des langages non verbal et paraverbal que le professionnel de santé suit durant une rencontre avec un patient et connaissant les bénéfices à le faire, nous pouvons nous demander comment agir sur ces deux langages. L’objectif pour le professionnel de santé est, d’un côté, d’utiliser ses propres langages comme autant d’outils lui permettant de consolider l’alliance thérapeutique, et d’un autre côté, de décoder ceux du patient pour évaluer la qualité de la relation thérapeutique et s’adapter en conséquence. Du côté du praticien Les langages non verbal et paraverbal affiliés aux comportements de communion (amicaux), selon le modèle circomplexe interpersonnel (voir l’encadré plus haut), sont associés positivement à une meilleure

satisfaction du patient [8, 101]. Les comportements de domination, eux, sont associés négativement à cette même satisfaction. Les comportements de communion, par la relation positive qu’ils entraînent, favorisent la synchronie et par conséquent l’empathie [50, 101]. Le tableau 23.12 liste les signaux non verbaux et paraverbaux des comportements de communion (à rechercher dans la pratique) et de domination (donc, à éviter). Tableau 23.12 Signes non verbaux et paraverbaux des comportements de communion et de domination (d’après Kiesler et Auerbach [101]). Attitude non verbale de communion Distance proche Orientation corporelle directe (vers l’autre) Penché en avant (quand assis) Posture de bras ouverts Regard porté sur le visage de l’interlocuteur Hochement de tête régulier Sourire Expression faciale plaisante Onomatopée régulière (« hmm », « oui », etc.) Ton de voix plus doux Initiation du toucher (pour la réassurance, le réconfort, l’accueil)

Attitude non verbale de domination Domination visuelle (regarde l’interlocuteur lorsqu’il parle, mais pas lorsqu’il l’écoute) Regard non réciproque Toucher non réciproque (initie le toucher, mais rarement touché par l’interlocuteur) Interruptions fréquentes (en parlant bas) Posture asymétrique alors que l’interlocuteur a une posture symétrique Bras croisés ou poings serrés Pauses interrompues pendant qu’il parle Voix forte et rapide

En rééducation, la relation patient-kinésithérapeute est améliorée, entre autres, par le contact physique avec le praticien et par la manière que ce dernier emploie pour mettre à l’aise le patient [8]. Si le praticien prévient le patient au moment du toucher et initie le contact avec un

toucher apaisant (la main apposée sur le membre), plutôt que d’avoir immédiatement un toucher technique (palpation, mobilisation), l’alliance thérapeutique n’en sera que plus renforcée. L’élément non verbal minimal à intégrer semble être le sourire. Selon une revue sur ses bénéfices [107], sourire à son patient déclenche en lui une réponse automatique par le sourire associée à un sentiment heureux, conscient ou non. Lui sourire permettrait d’activer le système de récompense chez lui. Cela semble être un moyen simple pour aider à l’établissement de la relation thérapeutique, à augmenter la confiance que le patient place en son praticien, et pour aider à se souvenir de l’échange. Le sourire est un des signes non verbaux considérés comme interculturels, avec la posture du corps et les expressions faciales d’affection [93]. Les cultures influencent le sens donné à d’autres éléments non verbaux : le regard direct et soutenu, les gestes de main et le toucher. Ces éléments sont à utiliser judicieusement, selon sa propre sensibilité culturelle et celle du patient. Enfin, une étude récente a classé les attitudes non verbales selon l’empathie perçue à travers elles, dans un contexte de rencontre médicale [70]. La partie sur le non verbal est sujette à caution, mais les résultats concordent avec la littérature et semblent indiquer que les comportements non verbaux les plus empathiques sont : passer du temps supplémentaire avec le patient, utiliser un ton chaleureux, écouter calmement, regarder dans les yeux le patient et le prendre dans ses bras. Le langage non verbal remplit quatre rôles dans la communication, décrits ci-après [92]. Le professionnel de santé averti peut moduler son impact dans chacun des rôles spécifiquement selon ses qualités et défauts propres et l’emploi qu’il fait de son langage non verbal. Rôle expressif Le langage non verbal est le canal privilégié pour exprimer ses émotions. Les expressions faciales sont l’élément clé de cette communication émotionnelle [95, 108]. Les expressions d’enthousiasme et d’affection sont primordiales pour l’alliance

thérapeutique en favorisant l’empathie et la motivation du patient [8]. Le praticien doit veiller à rester congruent entre son langage verbal et l’expression de son visage. Si le patient perçoit une discordance, il peut se méfier de son thérapeute, ou encore amplifier son état émotionnel que le thérapeute cherchait à réguler. Par ce biais, la perception par le patient d’une émotion « négative », comme la peur, peut faire une puissante suggestion favorisant un effet nocebo [65, 109]. Lorsqu’un aléa arrive dans la séance (comme une articulation qui craque très fort pendant une mobilisation, une perte d’équilibre, une plaie purulente, etc.), le professionnel peut exprimer immédiatement de l’inquiétude, de la peur, ou il peut être impressionné. En décodant le langage non verbal du thérapeute, le patient peut comprendre que quelque chose de pas normal, pas prévu, voire dangereux vient de se produire. Il semble préférable de transmettre par le langage non verbal le message signifiant que la situation est peu fréquente, mais normale et sous contrôle. Pour cela, le professionnel peut : • transformer cette expression de peur en une expression d’étonnement, plus acceptable par le patient (en passant du froncement à l’élévation de sourcils, en limitant le recul de tête et en arrondissant les lèvres) ; • masquer l’état émotionnel en gardant un faciès le plus inexpressif possible, ou en adoptant une expression faciale apprise (de satisfaction, de surprise, etc.) ; • utiliser le ressort humoristique de la discordance en exagérant la réaction, à l’aide d’onomatopées ou de gestes grandiloquents ; • intervenir par le langage verbal, en évoquant le sujet avec un discours rassurant pour diminuer l’effet nocebo. Certaines de ces propositions nécessitent de la part du professionnel de l’aisance et un certain talent de comédien. Selon ses compétences personnelles, le praticien peut développer différentes manières de gérer ses expressions faciales face à l’imprévisible.

L’anecdote de cabinet ci-dessous est révélatrice de l’effet nocebo qui peut être suggéré. Je suivais une patiente de 68 ans fraîchement opérée d’une prothèse unicompartimentale de genou. Les suites opératoires étaient sans encombre, sans douleurs et rapidement la patiente avait une flexion aisée de genou à 90° en début de séance. Lors d’un soin infirmier où la jeune praticienne devait retirer les agrafes, la cicatrice s’est rouverte au niveau d’un point. Professionnelle, elle n’a rien dit et a seulement conseillé « de ne pas trop plier en kiné ». À la séance suivante, la patiente me rapporte qu’elle a vu au visage de l’infirmière « qu’un truc ne se passait pas comme prévu ». Ne sachant pas quoi, elle a pris peur et voulait surtout préserver son genou. À la suite de cet aléa, et pendant plusieurs semaines, la flexion de genou était devenue douloureuse et avait diminué de 20°. Rôle relationnel Le rôle relationnel du non verbal et du paraverbal est d’établir le type de relation souhaitée avec l’interlocuteur (de communion, indifférente, dominante ou de soumission). Dans la relation patientsoignant, la relation de communion est à préférer [101]. Le rôle du langage non verbal et paraverbal passe par : • l’adoption des signaux non verbaux du comportement de communion (voir tableau 23.12) et une position basse [38, 101] ; • la synchronisation des gestes et postures, par la technique de mirroring, pacing and leading, en se calant sur la respiration du patient et en adoptant certains de ses mouvements ou positions [40, 103] ; • le comportement empathique, en traduisant la compréhension de l’expérience douloureuse du patient par des expressions faciales, et en adoptant une présence rassurante (attitude chaleureuse, calme, regard approprié, toucher de réconfort) ; • l’écoute active, en adoptant des attitudes non verbales et paraverbale adéquates ;

• l’alternance des positions basse et haute (voir plus haut), basse pour permettre au patient de s’autoriser à penser et faire par et pour lui-même, et haute où le soignant propose au patient de partager son savoir [38, 40] ; • l’adaptation du langage paraverbal : par une intonation appropriée (énergique et confiante, ou calme et détendue), une inflexion vers le grave en fin de phrase (cela inspire confiance, autorité et certitude) et une intensité suffisante pour être entendu (même des malentendants) [103]. Rôle régulateur Dans le contexte d’un échange, le langage non verbal sert à orchestrer la prise de parole de chaque interlocuteur, mais également à maintenir l’intérêt et à souligner les messages que l’on souhaite transmettre. Pour cela, le professionnel peut : • montrer les signes d’écoute active, pour encourager le patient à continuer de parler ; • donner la parole, en abaissant le ton en fin de phrase, en tendant la main paume ouverte vers le patient, en hochant la tête, en montrant avoir vu son souhait de parler et en signifiant vouloir garder la parole un instant pour finir son propos (en tendant la paume dressée devant soi), etc. ; • prendre la parole, en signifiant qu’il souhaite prendre la parole (en présence de quelqu’un de bavard) en entrouvrant la bouche et en inspirant (comme pour commencer à parler), en touchant l’avant-bras. Si le patient ne voit pas le professionnel (de dos, absorbé dans son exercice, malvoyant), il peut lui toucher l’épaule ou encore faire un bruit/une onomatopée ; • favoriser la mémorisation du message : en utilisant la pause judicieusement placée avant ou après les mots clés (permet de retenir l’attention), en répétant des mots ou expressions [92], en mettant un point d’honneur à l’articulation (cela évite les incompréhensions), en variant l’intensité et le rythme de la voix [103], et en utilisant des gestes de mains pour illustrer le

propos. Rôle symbolique Le langage non verbal comprend des gestes et postures cérémoniels, rituels de la vie quotidienne. Ils participent à la reconnaissance, la politesse et la proximité entre individus [92]. Comme ces gestes sont automatiques, les individus utilisent moins leur système rationnel [110], rendant les patients plus sensibles aux suggestions, positives comme négatives, à ces moments. Ainsi, la salutation lors de la première rencontre peut être le moment de suggérer, par le langage non verbal, la disponibilité et l’empathie du thérapeute [40]. Le moment de régler la consultation, ou la série de séances, peut aussi être un instant privilégié pour suggérer l’évolution du traitement, la disponibilité du thérapeute, ou tout autre message qui peut aider le patient. Le professionnel de santé peut : • dans la salle d’attente, saluer et sourire à tous les patients (même ceux qui verront ses confrères et consœurs) afin d’instaurer une ambiance conviviale générale ; • lors de la rencontre avec le patient, privilégier la poignée de main, geste qui a un potentiel suggestif et qui est répandu culturellement. Ne pas serrer la main pourrait altérer la relation patient-soignant [95] ; • dans la salle de soins, se retourner ou se retirer de la salle lors du déshabillage/rhabillage du patient, frapper à la porte au moment de rentrer dans la salle ; • durant la séance, articuler chaque phrase (inspire la confiance ; à l’inverse, un défaut d’articulation est associé à la nervosité, une faible éducation et à la paresse [103]), passer du temps supplémentaire avec le patient en cas de difficultés [70], prendre le temps de poser sa main sur la peau du patient ou d’utiliser des prises englobantes et plus confortables avant de faire une prise ou un geste technique [35].

Du côté du patient Le professionnel de santé ne peut pas agir directement sur le langage non verbal du patient, et il est raisonnable de penser que le patient n’aura pas lu cette partie du livre. Cependant, le langage non verbal du patient revêt une importance toute particulière pour une activité du praticien : l’observation. L’observation du patient en tout temps permet de recueillir diverses informations sur son état physique et psychosocial, de vérifier l’adhésion au traitement, les évolutions éventuelles et l’état de la relation thérapeutique. L’attitude en général du patient et son comportement en relation avec le thérapeute sont des indices de l’état de la relation. Le tableau 23.13 dresse la liste des signaux non verbaux dans différentes attitudes, d’après Mills [103]. Les éléments du tableau sont des schémas communs d’attitude, et ne reflètent en rien la réalité du patient. Celle-ci dépend du contexte, et les éléments du tableau 23.13 peuvent induire en erreur si le praticien ne tient pas compte de la situation. Tableau 23.13 Éléments du langage non verbal pour décoder l’attitude. Franchise

Domination

Agressivité

Sourire chaleureux Bras/jambes décroisés Penché en avant Corps relâché Regard direct, pupilles dilatées Paumes ouvertes Tenue décontractée

Paumes vers le bas (pronation) Assis à califourchon, le dossier comme bouclier Pied sur le bureau, ou sur l’accoudoir Élévation physique audessus de l’autre Voice forte/stridente Penché en arrière, les mains croisées derrière la tête

Sourcils froncés/abaissés, yeux plissés Regard soutenu/fixe, pupilles contractées Pointer les lunettes/l’index vers l’autre Poings serrés Mains sur les hanches debout

Poignée de main forte

Bras écartés, les mains saisissant la table Poignée de main forte Pied sur l’accoudoir Se déplace dans l’espace personnel de l’autre

Attitude de défense

Ennui/indifférence

Confiance

Peu de regards Sourcils froncés Commissures de lèvres abaissées Lèvres pincées Tête baissée Corps tendu Poings serrés Paume derrière la nuque Se gratte le lobe ou la nuque Bras/jambes fermement croisés

Regard fixe, sans expression Absence de clignement d’yeux Peu de regards Paupières tombantes Tête dans la paume de main Tapotement répétitif de doigt ou de pied Griffonne Jambes croisées

Regards continus Mains jointes Pied sur le bureau Penché en arrière/les mains croisées derrière la tête Posture érigée, fière, mains jointes dans le dos Tête relevée Menton en avant Jambes droites S’auto-agrandit

Enthousiasme

Frustration

Nervosité/incertitude

Regard franc Assis penché en avant, les mains à mi-cuisses ou sur les genoux, ou sur le bord de la chaise

Regarde dans le vide Mains dans les cheveux Se tord les mains Poings fermement serrés Lèvres pincées Inspirations/expirations courtes ou profondes

Peu de regards Poignée de mains faible/main moite La main recouvre la bouche en parlant Raclement de gorge constant

Expressions faciales animées/alertes Proximité Hoche la tête s’il approuve Debout avec les pans du manteau repoussés par les mains sur les hanches

Se frotte la nuque Frappe le sol/un objet imaginaire Fait les cent pas

Rire nerveux/soupire Tapotement des doigts Bras et jambes croisés Gigote sur la chaise Fait les cent pas Joue avec ses vêtements ou un objet Se ronge les ongles ou se retire les cuticules

Le professionnel de santé peut observer : • dans la salle d’attente les signaux non verbaux : position assise ou debout, apprêtement, mouvement des yeux et des mains, respiration, expression faciale, relation et distance avec les autres, etc. ; • durant l’anamnèse : en plus de ce que dit le patient, porter attention à la manière et l’attitude pour le dire [8], aux modifications paraverbales ou de faciès en abordant certains sujets, certains mots, etc. ; • pendant la consultation : l’évolution des signaux non verbaux et l’apparition d’une éventuelle non-congruence chez le patient. Ces différents moments d’observation permettent de déduire s’il y a des informations qui n’ont pas été données, si le patient a d’autres préoccupations, si le choix du traitement lui convient et s’il est toujours impliqué dans l’alliance thérapeutique. Une évolution dans les signaux non verbaux peut être révélatrice, comme un regard devenant lointain ou fuyant, une diminution de l’expression faciale, notamment si certains signaux ne sont pas habituels chez ce patient. Il ne reste plus qu’à le confirmer verbalement auprès du patient, avec

empathie.

Points clés ■ Donner des informations ou anecdotes personnelles (en lien avec le vécu du patient) semble favoriser la synchronie. ■ Il est préférable d’utiliser des signaux non verbaux amicaux et d’installer une ambiance chaleureuse au sein de sa structure. ■ Face à un événement désagréable en consultation, le professionnel doit être prêt à filtrer les signaux non verbaux pour limiter un éventuel effet nocebo. ■ Observer les signaux envoyés par le patient en tout temps est une aide précieuse pour évaluer l’implication du patient dans la relation.

Le lieu des soins : la place des effets contextuels Le traitement proposé par le professionnel de santé n’est pas le seul responsable des résultats cliniques. Comme déjà vu, les effets placebo et nocebo jouent également un rôle dans l’évolution de la santé du patient. Comme l’explique Balint, c’est « l’atmosphère globale dans laquelle le médicament a été donné et pris » qui va induire ses effets [111]. Les effets contextuels sont les différents éléments qui vont agir dans le traitement, indépendamment de la nature de ce dernier [35]. Chez les patients ayant des douleurs chroniques, ces effets contextuels ont une influence non négligeable sur les résultats du traitement [41]. Au fur et à mesure du traitement, ils vont renseigner le patient sur le fait qu’un processus du soin a été enclenché et seront soumis à son interprétation. Les effets contextuels sont regroupés en cinq catégories [35] : • les caractéristiques du professionnel de santé : réputation,

apparence, croyances, comportements ; • les caractéristiques du patient : attentes, préférences, expérience passée, condition générale, genre et âge ; • la relation patient-soignant – largement abordée dans ce chapitre ; • le traitement : diagnostic clair, approche patient-centrée, thérapie ouverte22, apprentissage par l’observation, processus global de soin, toucher thérapeutique ; • emplacement des soins : environnement, architecture, aménagement intérieur. Le praticien a tout intérêt à chercher à optimiser les résultats de ses traitements en favorisant l’effet placebo et en inhibant l’effet nocebo. Ces effets sont présents quotidiennement dans la pratique clinique, stimulés par les effets contextuels. Voici une liste non exhaustive d’éléments à considérer en tant que kinésithérapeute pour l’aménagement de son établissement et le traitement des patients : • dans la salle d’attente : afin d’aider le patient à se sentir à l’aise, l’environnement doit être plaisant et paisible, et le personnel sympathique et serviable. L’espace peut favoriser les interactions sociales entre patients à propos de l’efficacité de leur traitement. L’utilisation d’un clip vidéo montrant des exemples de patients faisant efficacement face à des conditions douloureuses peut être utile, la mise à disposition de dépliants à messages positifs également [35]. Pour éviter la contagion sociale, les interactions ou observations d’un patient ayant une douleur plus intense (due au traitement) doivent être limitées ; • dans la salle de soins : l’objectif est d’installer un cadre approprié et agréable pour des soins (figure 23.7). L’ameublement, les couleurs, les œuvres d’art, la vue extérieure, la température, le son apaisant et la musique ont un impact sur la douleur du patient [35, 112]. Il est préférable que la salle soit prête avant que le patient ne rentre dedans, c’est-à-dire en ordre, et que le passage du patient précédent

soit non visible. La présence de miroir permet aussi au patient de faire un exercice en visualisant son corps, ce qui diminuerait la douleur [113] ; • durant le traitement : le thérapeute peut utiliser un support papier ou informatique pour rédiger le bilan, et il peut faire passer des tests et questionnaires. Avoir recours à des thérapies « nouvelles » ou très chères améliore mieux la douleur que le recours aux thérapies considérées « usuelles », ou bas de gamme [35]. L’« administration cachée »23, même involontairement, de la thérapie peut limiter les effets placebo [56]. Pour éviter cela, le praticien doit faire porter l’attention du patient sur les éléments sensoriels présents pour amplifier l’effet contextuel (lumière, couleur, décor de la salle ; forme, taille, couleur de l’instrument ; caractéristiques de la technologie, etc.) [35, 58]. L’effet placebo est plus important quand la posologie du traitement (ou de l’exercice) le rend plus fréquent et répété [35] ; • en fin de séance : évaluer le résultat et donner un feedback au patient pour améliorer l’adhésion au traitement et encourager son autonomie [35].

FIGURE 23.7 Illustration de la différence d’effets contextuels dans une salle de soins, d’après [35]. Source : Freepick.com.

Comme les thérapies plus chères ont un meilleur impact sur les résultats [35], il semble préférable de faire régler régulièrement ses soins au patient, même s’il est remboursé ensuite, plutôt que de faire appel à un tiers-payant.

Points clés ■ Tout élément de l’environnement interprétable par le patient comme faisant partie du soin est un effet contextuel. Celui-ci peut induire un effet placebo ou nocebo. ■ Il est préférable d’aménager sa structure pour donner une ambiance agréable et professionnelle favorisant les

interactions sociales. ■ Plus le soin semble complexe avec des rituels thérapeutiques, des pouvoirs mystérieux, ou une haute technologie, plus l’effet placebo sera important [35]. ■ Faire porter l’attention du patient sur le traitement en cours et les éléments dans la salle de soins permet d’amplifier l’effet contextuel.

Pour aller plus loin ■ Les soins reposent sur trois piliers : les compétences techniques et réflexives du professionnel de santé, les compétences en communication de ce dernier et la relation thérapeutique. L’efficience des soins ne peut pas intervenir sans ces trois piliers. ■ La compétence en communication ne se substitue pas à la compétence technique du praticien, mais lui permet d’optimiser les résultats de son traitement tout en réduisant les risques d’échec. ■ La communication est en perpétuelle évolution. Avec Internet, la connaissance médicale n’est plus exclusive aux professionnels de santé [34]. Cela peut être une chance de pouvoir échanger sur la compréhension que le patient a de sa pathologie et d’apporter son expertise sur des informations brutes et parfois mal intégrées. ■ Soyez le professionnel de santé que vous aimeriez avoir en consultation.

Points à retenir ■ Il est impossible de ne pas communiquer. ■ Les professionnels de santé devraient se préparer mentalement et physiquement pour les consultations

cliniques, afin d’agir comme les experts qu’ils sont dans leur domaine. ■ Il est préférable de maximiser l’effet placebo et diminuer l’effet nocebo, en utilisant les effets contextuels, le langage verbal et le langage non verbal. ■ La communication thérapeutique est une manière d’aborder le patient au moment d’effectuer d’autres soins [114]. ■ La communication thérapeutique cherche notamment à amener un changement dans l’image du monde du patient afin de réduire la souffrance. ■ L’alliance thérapeutique, indispensable pour des soins efficients, est améliorée par l’approche centrée sur le patient, l’empathie du professionnel et son écoute active. ■ La considération de l’expérience, des émotions et croyances du patient, la négociation, l’adaptation de langages non verbal et verbal adaptés et le comportement empathique garantissent au patient des soins de qualité grâce auxquels il se sentira compris et respecté. ■ Chaque thérapeute utilise les outils de communication à sa manière, plus ou moins habilement. Chaque relation thérapeutique établie est unique. Chaque erreur, chaque difficulté est un feedback, une chance d’apprendre davantage.

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Les deux autres axes sont l’accord sur les objectifs et le consensus sur les tâches de la thérapie. 2

Les différents facteurs sociaux, aussi bien du niveau macro (culturel, ethnique, système de soins, politique) que du niveau micro (expression faciale, linguistique, neurosciences sociales) ou du niveau intermédiaire (les interactions interpersonnelles). 3

La synchronie est la synchronisation spontanée des réponses neurales, affectives, perceptuelles, psychologiques et comportementales lors d’une relation interpersonnelle [50]. 4

L’empathie cognitive peut être confondue avec la compassion. La compassion est définie comme « la sensibilité déployée pour comprendre la souffrance d’une autre personne, combinée avec une volonté d’aider et de favoriser le bien-être de cette personne, afin de trouver une solution à sa situation » [62, 63]. 5

Réactance psychologique : état émotionnel allant à l’encontre d’une privation de liberté et/ou vers la restauration de la liberté déjà éliminée. La liberté, ici, est celle de s’engager à tout moment dans tous types de comportements (agir, exprimer une opinion, etc.), « pourvu qu’ils soient réellement accessibles à l’individu, qui doit pouvoir choisir […] celui qu’il juge le plus adéquat à la satisfaction de ses «désirs» ou de ses «besoins» » [74]. 6

Cette information est très certainement valable pour d’autres professionnels de santé.

7

Une manière ludique de demander l’évolution de l’intensité est de réciter l’effeuillage de la marguerite : « un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout ». 8

À noter la formulation positive préférant « moins bien » à « pire ».

9

Cette problématique d’inclure les autres préoccupations du patient est d’autant plus pertinente dans les professions de santé n’étant pas sujettes à prescription médicale. 10

La métaphore est une forme particulière d’analogie.

11

Traduction : « il est doux », mais « sweet » veut aussi dire « sucré » en anglais. 12

L’amorçage lexical est la facilitation du traitement d’un mot par l’utilisation d’une amorce sémantiquement liée (par exemple : « brique » peut amorcer le traitement du mot « mur »). 13

Congruence : « s’assurer de l’équilibre de ses dispositions intérieures et de rester au contact avec lui-même, en communication avec luimême, dans la relation professionnelle avec autrui » [52]. 14

Selon le modèle circomplexe interpersonnel ; voir plus loin.

15

Selon Rogers, la capacité de jugement de l’individu n’est pas à remettre en cause, mais ce sont le cadre de références et les valeurs sur lesquels elle s’appuie qui sont à comprendre [52]. 16

Ces formulations mettent en perspective que l’individu exprime une réalité de deuxième ordre, l’image du monde qu’il a, et non une réalité de premier ordre immuable [71]. 17

La sensibilité non verbale correspond à « la capacité d’un individu de lire et décoder les indices non verbaux d’autres individus et, surtout, la capacité d’interpréter correctement le sens derrière ces indices » [96]. 18

La synchronie au sens large s’observe au travers de divers systèmes biologiques (assemblements cellulaires, morphogenèse, réseaux neuronaux), mais ici nous nous concentrerons uniquement sur la synchronie interpersonnelle [50].

19

Du modèle circomplexe interpersonnel (voir l’encadré suivant).

20

Technique de programmation neurolinguistique (PNL) de « mirroring, pacing and leading » [102, 103]. Le professionnel de santé doit être attentif à ne pas imiter le patient, ni donner l’impression de se moquer de lui. 21

Voir supra.

22

C’est-à-dire dont le traitement est bien perceptible par le patient (couleur, forme, taille, odeur, goût, etc.) [56]. 23

L’administration cachée est la suppression de la perception par le patient de l’action thérapeutique du traitement [56].

CHAPITRE 24

Résolution de cas cliniques C. Lagaert

« You must create a formulation that fits the client, rather than squeeze the client into your preferred formulation. » Barbara Lichner Ingram

PLAN DU CHAPITRE Cas clinique 1 – L’importance que la douleur prenne sens pour soi-même 291 Cas clinique 2 – L’imbrication des différentes composantes du modèle biopsychosocial 295 Référence 300

Cas clinique 1 – L’importance que la douleur prenne sens pour soi-même Présentation du cas clinique Éléments subjectifs M. C. est un homme de 58 ans qui travaille dans une banque et est essentiellement assis dans la journée. En dehors du travail, il pratique

plusieurs activités physiques à intensité modérée dont la natation, la course à pied et le vélo. Le patient a des douleurs quotidiennes. Son passé est fait de lombalgies persistantes avec la présence de crises douloureuses récurrentes depuis plusieurs dizaines d’années. Il se sent limité dans son quotidien lors d’activités simples comme rester assis, marcher longtemps ou se pencher. Le patient a peur de déclencher ses symptômes et anticipe la douleur dans de nombreuses situations du quotidien qui se présentent à lui. Depuis un entraînement de course récent un peu plus forcé, M. C. ressent des douleurs lombaires persistantes surajoutées à son ancienne symptomatologie. Ces douleurs périphérisent au niveau lombaire postérieur et ventral. La pratique de son activité physique, même adaptée, lui procure une majoration de douleurs et d’incapacités fonctionnelles pendant plusieurs jours. Le patient se limite significativement pour éviter cette irritabilité, mais il n’arrive pas à progresser dans le temps. M. C. ressent des douleurs qui ont empiré au réveil, en position assise ou lorsqu’il porte. Un traitement par anti-inflammatoire n’a pas montré de changement durable des symptômes. Le patient a réalisé des séances d’ostéopathie qui n’ont pas, non plus, changé durablement ses symptômes. Il évoque continuer ce traitement en pure prévention d’une dégradation de son état actuel. L’IRM de son rachis montre des « discopathies sévères L3-L5 ». Le patient s’inquiète de la persistance de sa nouvelle douleur surajoutée, de la récurrence de ses blocages aigus de plus en plus fréquents et de ses nombreuses limitations dans ses activités. Il a le sentiment profond que son dos est fragile et il s’inquiète pour son avenir. Son inquiétude est renforcée par le fait qu’il a déjà consulté de nombreux professionnels de santé spécialisés dans le domaine (rhumatologues, neurochirurgiens, kinésithérapeutes, ostéopathes, chiropracteurs, acupuncteurs) qui ne lui ont pas permis de changer durablement ses symptômes. Éléments objectifs Voici les éléments objectifs présentés par M. C. :

• diagramme corporel/body chart (figure 24.1) ; • une peur majeure au mouvement de se pencher en avant observable à la réalisation d’une tâche simple comme ramasser un stylo ou nouer son lacet ; • la présence d’un décalage/shift droit non pertinent (sa réduction n’influence pas les symptômes du patient), la lordose debout est réduite ; • une perte minime de la mobilité dans les directions de mouvements latéraux (selon son ressenti) et une perte majeure en extension par la raideur et en flexion par la douleur (objectivable) ; • pas de déficit neurologique à l’évaluation ; • pas de drapeaux rouges non plus ; • l’utilisation de mouvements répétés dans une direction ne permet pas de modifier significativement ni durablement les symptômes du patient.

FIGURE 24.1 Body chart de M. C. Source : Dessins réalisés par Cyrille Martinet.

Proposition de résolution du cas Expérience et compétences du thérapeute Dans la résolution de ce cas, le physiothérapeute est spécialisé depuis plusieurs années dans la prise en charge des patients qui présentent des pathologies musculosquelettiques chroniques et/ou récurrentes. Le thérapeute est certifié des cursus de formation en Mechanical Diagnosis and Therapy (McKenzie) et en thérapie manuelle orthopédique (Maitland), formé à la prise en charge de la douleur aiguë et chronique (clinique et neurophysiologique), à différents concepts cliniques comme la CFT (cognitive functionnal therapy), ainsi qu’à des stratégies de communication comme l’entretien motivationnel. État biopsychosocial et préférences du patient M. C. arrive en consultation avec l’objectif de vouloir limiter la détérioration de son état fonctionnel quotidien et l’aggravation de ses douleurs. Pour lui, ce ressenti est fondé à la fois sur l’ancienneté de ses symptômes, sur son âge qui augmente, ainsi que sur la majoration de ses symptômes depuis plusieurs mois. Le patient a de grandes peurs quant au mouvement de façon générale, et de façon plus marquée concernant les mouvements de se pencher en avant et de porter. Il ressent le profond besoin de verrouiller constamment son dos, en activant les muscles postérieurs et antérieurs de son tronc afin de se sentir en sécurité. Cette croyance du patient est associée à un sentiment accru de fragilité de son dos. C’est, selon lui, cette fragilité qui explique son évitement de l’augmentation de sa charge d’activité. Ces représentations cognitives se sont construites au cours du temps par le décodage que le patient a pu faire de son vécu douloureux, au travers du message perçu des différents professionnels et de son entourage.

Remarque Aujourd’hui, ces croyances conditionnent le patient dans un schéma

de mouvement altéré. En effet, il demande à son corps de bouger tout en cherchant à verrouiller son rachis lors de gestes simples du quotidien. N’est-ce pas paradoxal pour des situations courantes : bouger et être immobile à la fois ? Pour répondre à ce besoin cognitif, le patient vit en hypervigilance constante ; il a peur de faire et il finit par faire de moins en moins, participant ainsi un peu plus au déconditionnement global de son dos de jour en jour. Au cours d’échanges avec le patient, celui-ci décrit ne pas comprendre son problème. Plus précisément, il n’a pas réussi à identifier un schéma récurrent de déclenchement de ses douleurs surajoutées, même s’il évoque des mouvements ou des situations précises qui déclenchent ses douleurs. Il ne comprend pas comment ses symptômes se modulent dans son quotidien. Raisonnement clinique Concrètement, à l’examen des mouvements du dos de M. C., on observe essentiellement des comportements de peur majeurs en flexion et une raideur en extension. Lors de l’utilisation de mouvements répétés, le patient n’hésite pas à forcer en extension ; cette direction de mouvement ne l’inquiète pas. La répétition ne change pas la sensation de fin d’amplitude, même avec une surpression puis une mobilisation du thérapeute. Les autres marqueurs cliniques ne sont pas non plus modifiés à la suite de ces stratégies. À l’inverse, lors d’un mouvement en flexion, le patient a peur et se limite sévèrement dans le mouvement. Il ressent une douleur dès l’amorçage d’une flexion antérieure du tronc ; il évoque ressentir d’avance que la répétition de ce mouvement risque de l’irriter. On conclut de cette situation clinique que le patient ne répondra pas favorablement à une stratégie mécanique pure d’exposition à la flexion et que la dominante psychologique au sens large intervient de manière prédominante dans la perception de sa douleur. Lors de l’évaluation, pour comprendre ce qui bloque le patient et l’empêche de progresser, le thérapeute a une écoute réflective (voir

chapitres 21 et 23) en réponse aux propos du patient, ce qui permet à celui-ci de discourir sur ses représentations symptomatiques. On prend conscience alors à quel point le patient a peur pour son dos, autant en ce qui concerne la position assise, pour porter ses sacs de courses, dans la pratique de son sport que dans une majorité de ses activités quotidiennes. Sa peur occupe une place centrale dans la description qu’il a de son corps et dans la gestion de sa vie. Le patient continue de réaliser une activité physique régulière quantifiée sans s’irriter davantage qu’il ne l’est déjà mais, de ce fait, se sent limité de manière sévère dans les objectifs personnels qu’il se donne. Le thérapeute travaille avec un modèle de raisonnement biopsychosocial. Son objectif premier est de déterminer quelle est la dominante principale sur laquelle il devra agir pour le plus moduler et le plus durablement possible la douleur de M. C. Pour résumer, le patient ne répond pas favorablement aux stratégies purement mécaniques de mouvement et n’a pas confiance dans le fait d’explorer la flexion. Il ne présente pas de drapeaux rouges. Quant à l’imagerie, l’examen clinique met en évidence qu’elle ne représente que les « rides internes » de son dos en lien avec son âge et non l’explication univoque de sa symptomatologie [1]. Il ressort que le problème du patient réside dans la flexion et dans le fait de faire un effort avec le dos. Pour autant, l’exposition à des stratégies de renforcement de son dos par des mouvements répétés ou une exposition graduelle à la contrainte n’a pas permis de changer ses représentations. Les programmes classiques d’éducation à la douleur n’ont également pas permis d’aider le patient. Sur ce point, le patient décrit tout un ensemble d’expériences vécues qu’il ressent comme contradictoires entre ses sensations et le message des différents professionnels ; il n’arrive pas à donner du sens à ce qu’il vit, ni à ce qu’on lui dit. La conclusion du thérapeute est la suivante : pour que le patient puisse améliorer sa fonction et diminuer sa perception douloureuse, il est nécessaire de travailler prioritairement à motiver le patient à changer ses représentations de son problème pour lui permettre, dans

un premier temps, d’acquérir une compréhension favorable de sa perception douloureuse. Il est nécessaire que le patient construise, de lui-même, le lien entre ses représentations, son vécu et sa perception douloureuse. Notre rôle est de le guider dans cette étape. Dans un premier temps, il s’agit de travailler la dominante cognitive du modèle biopsychosocial à travers un prisme evidence-based practice. En effet, il est nécessaire de profondément comprendre que la peur empêche le patient de faire de manière sécurisante ce qu’il souhaite. Il s’ensuit la production de douleur et d’irritabilité qui l’enferme un peu plus, à chaque épisode, dans un cercle vicieux responsable d’une aggravation de la symptomatologie. La première étape consiste donc à sortir un pied de ce cercle vicieux pour rentrer dans un cercle vertueux. Par son expérience clinique et en lien avec le raisonnement des différents concepts suivis, le thérapeute fait le choix d’utiliser comme outil thérapeutique l’interaction par la parole avec le patient pour le guider à changer ses représentations, vaincre ses peurs et reprendre le contrôle de son dos. Données de la recherche Pour mieux aider à comprendre et à répondre à ce genre de situation, voici les informations obtenues grâce à des recherches bibliographiques sur la base de données PubMed®. Formuler une question thérapeutique • Patient : homme de 58 ans, travail de bureau, actif par la pratique d’une activité physique régulière (plurihebdomadaire). • Intervention : différentes interventions – interaction par la parole (croyances, peur du mouvement, etc.), thérapie manuelle, exercices. • Comparateur : imageries combinées avec l’évaluation des mouvements du patient/absence d’intervention ou différentes techniques comparées.

• Outcome (critère de jugement) : gain de fonction, diminution des drapeaux jaunes, compréhension de la douleur. • Schémas d’étude : essai clinique, essai contrôlé randomisé, revue systématique et méta-analyse. Résultats non exhaustifs de la recherche bibliographique Voici les mots de l’équation correspondant à la recherche bibliographique : chronic low back pain AND physical therapy AND exercise AND functional avec le filtre Clinical Trial/Metaanalysis/RCT/Systematic Review et < 5 ans. Sur 101 occurrences, en voici quelques exemples : • Ellingsen DM, Napadow V, Protsenko E, et al. Brain mechanisms of anticipated painful movements and their modulation by manual therapy in chronic low back pain. J Pain 2018 ; 19(11) : 1352-65. • Hajihasani A, Rouhani M, Salavati M, et al. The influence of cognitive behavioral therapy on pain, quality of life, and depression in patients receiving physical therapy for chronic low back pain : a systematic review. PM R 2019 ; 11(2) : 167-76. • Meyer C, Denis CM, Berquin AD. Secondary prevention of chronic musculoskeletal pain : a systematic review of clinical trials. Ann Phys Rehabil Med 2018 ; 61(5) : 323-38. • Nijs J, Clark J, Malfliet A, et al. In the spine or in the brain ? Recent advances in pain neuroscience applied in the intervention for low back pain. Clin Exp Rheumatol 2017 ; 35 Suppl 107(5) : 108-15. • Filiz MB, Firat SC. Effects of physical therapy on pain, functional status, sagittal spinal alignment, and spinal mobility in chronic non-specific low back pain. Eurasian J Med 2019 ; 51(1) : 22-6. • Vibe Fersum K, Smith A, Kvåle A, et al. Cognitive functional therapy in patients with non-specific chronic low back pain-a randomized controlled trial 3-year follow-up. Eur J Pain 2019 ; 23(8) : 1416-24.

• Şahin N, Karahan AY, Albayrak I. Effectiveness of physical therapy and exercice on pain and functionnal status in patients with chronic low back pain : a randomized-controlled trial. Turk J Phys Med Rehabil 2017 ; 64(1) : 52-8. • O’Keeffe M, O’Sullivan P, Purtill H, et al. Cognitive funcitonnal therapy compared with a groupbased exercise and education intervention for chronic low back pain : a multicentre randomised controlled trial (RCT). Br J Sports Med 2020 ; 54(13) : 782-9. • Cowell I, O’Sullivan P, O’Sullivan K, et al. The perspectives of physiotherapists on managing nonspecific low back pain following a training programme in cognitive functional therapy : a qualitative study. Musculoskeletal Care 2019 ; 17(1) : 79-90. Les publications citées ci-dessus ont permis d’identifier plusieurs revues systématiques et essais cliniques randomisés (ECR) qui indiquent que : • la prise en charge de notre patient doit intervenir avec un modèle de raisonnement « centré patient » et doit s’intégrer dans un cadre biopsychosocial ; • l’éducation du patient à la compréhension de sa douleur est un point essentiel pour permettre au patient de reprendre le contrôle de ses peurs et de ses douleurs ; • l’interaction avec le patient et le mouvement sont la solution. Synthèse et évolution du patient La première étape du traitement a consisté à utiliser une écoute réflective lors de l’entretien avec M. C., à la fois pour construire une alliance thérapeutique, base solide qui sera nécessaire lors de discussions autour de ses croyances, ainsi que pour prendre conscience de la façon dont le patient comprend son problème, la conception qu’il se fait de sa douleur. Il s’agit initialement de laisser la place au patient pour qu’il s’exprime sur la représentation de ses

douleurs et toutes ses répercussions d’un point de vue holistique. On prend alors pleinement conscience que le patient ne comprend pas ses symptômes et leurs comportements au quotidien. Il subit ses douleurs sans y avoir trouvé de solution et devient dépossédé un peu plus chaque jour de son corps. La deuxième étape a eu pour but de guider le patient à donner un sens à sa douleur en fonction de son propre vécu et de la littérature scientifique actuelle. Au travers de stratégies de communication centrées sur le patient, le thérapeute a guidé le patient dans l’élaboration de sa compréhension et dans l’identification de ses symptômes en rapport avec son quotidien et ses activités. Petit à petit, le patient a pu relier les différents morceaux de son histoire douloureuse, pour comprendre le cheminement de l’évolution de sa douleur initiale qui l’a conduit jusqu’à la situation présente. Une citation de Blaise Pascal illustre ces notions : « On se persuade mieux, pour l’ordinaire, par des raisons qu’on a soi-même trouvées, que par celles qui sont venues dans l’esprit des autres ». Une fois que le patient a pu comprendre sa situation actuelle, il peut être en mesure d’adapter son comportement global pour gérer sa situation clinique afin de s’améliorer. La troisième étape est complémentaire de la deuxième et se réalise de manière quasi simultanée. En effet, le meilleur moyen de changer ses représentations, notamment concernant la peur, l’anticipation de la douleur, le verrouillage inconscient au mouvement, est de faire le mouvement sans toutes ces variables. Dans notre situation, il s’agit de guider le patient à obtenir un relâchement des cadenas présents qui verrouillent son dos par une conscientisation de ses sensations actuelles, en position assise et aussi au travers du mouvement en prenant confiance à faire, à bouger sans peurs et sans douleurs. Concrètement, le patient est assis. Guidez-le dans l’évocation de ce qu’il ressent, permettez-lui d’accepter cette sensation comme une information et aidez-le à s’interroger au sujet de celle-ci. Avec les dires du patient, guidez-le en reflétant ce qu’il vous dit pour pouvoir partager avec lui de l’information selon une forme

motivationnelle (orientée vers le changement favorable de ses représentations). Vous êtes un des experts du travail commun à fournir pour construire le pont vers la reprise du contrôle. Commencez par une position statique confortable pour le patient avant de réaliser les mêmes étapes dans le mouvement, en l’occurrence pour ce patient dans la flexion. La dernière étape a eu pour but de récupérer la fonction du patient. Les stratégies développées précédemment doivent être liées dans des activités fonctionnelles pour lesquelles le patient ressent une perception douloureuse. Demandez au patient de choisir des tâches fonctionnelles pour lesquelles il attache une importance à refaire et développer les mêmes stratégies, puis exposez-le en augmentant les forces dans ces tâches. Pour les tâches fonctionnelles, lorsque le patient a suffisamment progressé sur sa compréhension et la gestion de ses symptômes, et lorsqu’il est temps d’augmenter les contraintes dans les activités réalisées sans douleurs négatives, il est nécessaire de réaliser le mouvement de manière contraire au début du traitement, sans attention portée au ressenti. Au travers du mouvement, on expose le patient à une contrainte mécanique sur le tissu et aussi à une contrainte cognitive et émotionnelle sur la perception qu’il se fait de son dos. Sur un suivi à long terme, la progression du patient a été très favorable concernant les exercices et la nouvelle compréhension de sa douleur. Ses peurs par rapport au mouvement de se pencher ont disparu ; les récurrences de douleurs sont rarissimes (pour lui par rapport à avant), et lorsqu’elles arrivent, M. C. sait tout de suite les prendre en charge pour ne pas être limité dans son quotidien. Le patient a pu réaliser un marathon sans voir s’exacerber significativement ses douleurs lombaires, et réalise hebdomadairement des flexions avec une charge, un objectif dont il rêvait sans y croire vu son âge et son histoire personnelle.

Cas clinique 2 – L’imbrication des différentes composantes du modèle biopsychosocial

Présentation du cas clinique Éléments subjectifs Mme H. est une femme de 50 ans qui travaille à domicile. C’est une personne active et très sportive : elle pratique plusieurs fois par semaine des sessions de course, de la natation et des étirements. Il y a 2 ans, dans un contexte d’épuisement professionnel, la patiente a ressenti une douleur invalidante au niveau de l’ischion gauche qui est apparue à la suite de randonnées longues et intensives quotidiennes pendant une période de vacances. La patiente arrive en consultation plus d’un an après l’apparition des douleurs. Elle est alors très sévèrement limitée dans son quotidien et elle n’arrive pas à récupérer une part de fonction satisfaisante pour elle. Mme H. décrit une grande peur face à ses douleurs, notamment la crainte de déclencher de nouveau les douleurs « insupportables » de ses débuts ; pour l’éviter, elle se refuse à reprendre des activités qui sortent des tâches basiques du quotidien. Même avec cette stratégie, la patiente ressent toutes les semaines des douleurs majorées qui persistent quelques jours, parfois suite à des activités du quotidien comme se pencher, faire un peu de ménage, s’accroupir, porter ses courses, monter les escaliers. La patiente est consciente de cette chronologie douloureuse, mais elle évoque ne pas comprendre l’organisation des éléments déclencheurs. Parfois, des activités vont produire une irritabilité, et d’autres fois, ces mêmes activités ne vont pas produire de douleurs majorées. Mme H. dit qu’elle ne comprend pas ses symptômes et comment son corps réagit face à cette douleur. La patiente s’inquiète au sujet de sa fonction qui est sévèrement limitée dans les tâches les plus basiques du quotidien et concernant ses restrictions de participation sociale. Elle a peur pour son devenir, parce qu’elle sent que ses douleurs sont stationnaires dans le temps et que sa fonction est limitée, mais aussi parce qu’elle a rencontré de nombreux professionnels pour la résolution de son problème et que cela l’a peu aidé à récupérer de la fonction.

Éléments objectifs Voici les éléments objectifs présentés par Mme H. : • diagramme corporel/body chart (figure 24.2) ; • la flexion lombaire est limitée par la douleur, la flexion de hanche aussi ; les autres amplitudes passives ne sont pas significativement limitées et provoquent une douleur d’intensité minime en fin d’amplitude ; • le test d’élévation de la jambe tendue est négatif ; la majoration de la tension du nerf sciatique par les mouvements de la cheville ou de la tête ne reproduit pas les douleurs produites lors de l’élévation de la jambe. Aucun déficit moteur et sensitif n’est observé (hormis la flexion de genou résisté qui est limitée par la douleur) ; • la position assise n’est pas supportée ; un coussin sous l’assise permet de pouvoir s’asseoir pour un temps limité ; c’est l’appui qui produit la douleur. La marche prolongée et les escaliers majorent les douleurs ; la position allongée n’est pas génératrice de douleur ; • examens complémentaires : l’IRM initiale (hanche, lombaire et pelvienne) montre de légères discopathies et une tendinopathie d’insertion des ischiojambiers ; l’EMG est sans particularité ; • réaction positive à l’injection anesthésique au niveau de l’insertion du tendon des ischiojambiers ; • traitements chimiques effectués : injection de corticoïdes au niveau lombaire (épidurale), sacro-iliaque et du nerf pudendal (sous contrôle) = sans changement durable. Prise de médicaments (Leryca®, Laroxil®, Rivotril®, Tramadol®) = semblent diminuer la douleur à court terme sans avoir d’effets sur la capacité fonctionnelle de la patiente ; • traitements conservateurs effectués : kinésithérapie, balnéothérapie, musicothérapie, consultation avec un médecin de la douleur, consultation avec un psychiatre (pour traiter une origine émotionnelle de la douleur), magnétiseur = légère

diminution durable de la douleur, sans augmentation de la fonction.

FIGURE 24.2 Body chart de Mme H. Source : Dessins réalisés par Cyrille Martinet.

Proposition de résolution du cas Expérience et compétences du thérapeute Dans la résolution de ce cas, le physiothérapeute est spécialisé depuis plusieurs années dans la prise en charge des patients qui présentent des pathologies musculosquelettiques chroniques et/ou récurrentes. Le thérapeute est certifié des cursus de formation en Mechanical Diagnosis and Therapy (McKenzie) et en thérapie manuelle orthopédique (Maitland), formé à la prise en charge de la douleur aiguë et chronique (clinique et neurophysiologique), à différents concepts cliniques comme la CFT, ainsi qu’à des stratégies de communication comme l’entretien motivationnel.

État biopsychosocial et préférences de la patiente Mme H. ne sait plus comment gérer ses symptômes. Elle ne comprend pas comment se comporte sa douleur en fonction de ce qu’elle fait au quotidien. La peur de ses douleurs occupe une place centrale dans sa vie. La patiente se sent incomprise des différents professionnels de santé qui lui recommandent de bouger pour se renforcer ; elle a l’impression qu’ils lui rejettent la responsabilité de son état. Elle souhaite bouger plus. Elle essaie régulièrement chaque semaine de faire quelques mouvements spécifiques et à chaque fois la douleur s’exacerbe. Elle consulte cette fois-ci sur les recommandations d’une amie pour la prise en charge de sa douleur chronique. La patiente décrit attendre des séances de ne plus souffrir dans son quotidien. Elle n’a pas pour objectif pour le moment de reprendre une activité intensive ; elle dit vouloir « juste vivre une vie normale ». Elle souhaite réaliser des activités simples sans souffrances comme aller au théâtre, manger au restaurant, faire ses courses, etc. sans s’imposer par la suite un repos forcé alité. Raisonnement clinique Pour cette patiente, la présentation clinique est complexe. La patiente souffre de manière disproportionnée en intensité et en durée par rapport au traumatisme initial (identifié à l’imagerie). La patiente a un comportement d’hypervigilance, avec toutes les répercussions qui en découlent dans les gestes de la vie quotidienne. Par une écoute empathique et réflective, le thérapeute permet à la patiente de discourir à partir de ses sensations et de ses représentations sur son problème. Il s’agit de comprendre quelles sont les principales dominantes qui ont un rôle dans la modulation de la douleur de la patiente. Nous comprenons alors la vision globale du problème de la patiente. Pour elle, sa douleur est la résultante de plusieurs systèmes (biopsychosocial), à parts égales, qui agissent défavorablement au quotidien. Ce qui ressort fortement en premier lieu est que la patiente doit trouver un sens à sa douleur pour pouvoir la gérer.

Le thérapeute commence alors un entretien avec la patiente sur la thématique « comprendre ma douleur ». Après un échange centré sur la patiente par l’intermédiaire de reflets, de questions ouvertes et de résumé (voir chapitres 21 et 23), la patiente détaille un schéma de production de sa douleur dans son quotidien. Elle le décrit et en prend pleinement conscience. Ce qui n’est pas cohérent pour la patiente concernant le comportement de sa douleur, c’est qu’elle a retenu de ses différentes consultations de soins que l’état de son tendon au fil du temps ne pouvait plus lui faire mal et qu’elle devait bouger sans limite pour aller mieux. Elle évoque aussi avoir compris que sa douleur provient de sa tête plutôt que de son tendon à la suite d’une consultation avec un médecin de la douleur qui lui a indiqué qu’elle présentait des phénomènes de sensibilisation centrale. C’est à ce titre que la patiente a fait de la musicothérapie et de la relaxation, mais sa fonction n’a pas augmenté pour autant.

Remarque La patiente raconte d’ailleurs, avec des émotions fortes, un épisode particulièrement intense en douleurs et invalidant après avoir essayé de forcer (suite à une consultation médicale avec un médecin du sport). Nous comprenons à ce moment toute la dimension et l’histoire de la peur qu’a développé la patiente au fil du temps. Face à ce schéma de production de douleur, la patiente décrit avoir conscience de développer une peur qui l’amène à utiliser d’importantes stratégies de protection : elle évite tout simplement tous les mouvements ou toutes les sensations provenant de ses ischiojambiers. Mme H. a développé une hypersensibilisation sévère. À ce jour, Mme H. ne sait pas comment progresser. Elle a comme seule stratégie d’anticiper sa douleur. Le reste du temps, elle subit cette douleur. Elle se sent dépossédée de son corps et elle n’arrive pas à influencer sa douleur ou à ne pas la produire au quotidien. Au fil des échanges, le thérapeute comprend que la patiente est

dans une situation complexe et simple à la fois ; c’est un vrai paradoxe. La patiente a de bonnes informations concernant la stratégie à mener pour son tendon et comprend bien les phénomènes de sensibilisation, mais elle n’a pas réussi à s’approprier cette connaissance, en fonction de sa propre douleur. La situation est aussi complexe parce que la douleur de la patiente semble ne pouvoir changer qu’à condition d’agir spécifiquement sur deux composantes de modulation de sa douleur de manière simultanée (bio- et psychologique, bien que toutes les dominantes soient présentes et imbriquées dans les présentations cliniques de nos patients). En même temps, cette situation est simple, car la patiente possède déjà toutes les réponses et les capacités pour comprendre sa douleur et la gérer. Voici ces mots : « Je ne suis pas dépressive, je veux juste ne plus souffrir » ; « Revivre ce que j’ai vécu me fait peur, alors oui, avoir mal me déprime » ; « Je n’ai pas peur de bouger, j’ai peur de cette douleur ». Par son expérience clinique, pour Mme H., le thérapeute fait le choix d’utiliser comme outil antalgique l’interaction par la parole au travers d’une discussion. Nous devons guider la patiente pour qu’elle centre sur la dominante bio- et cognitive (psycho) de ses symptômes, les deux paramètres nécessitant une progression simultanée dans le cas présent ; et surtout nous devons guider la patiente pour qu’elle comprenne son état et son comportement clinique en rapport avec, et en fonction de ses propres sensations, de son propre ressenti et de son vécu. La patiente a fini par comprendre que sa douleur n’est pas toujours le résultat d’une seule et même équation, qu’elle est multifactorielle et que ses composantes sont variables. Les recommandations au sujet d’une tendinopathie réactionnelle sont un repos relatif suivi d’une remise en charge graduelle pour répondre aux différentes contraintes du quotidien et sportives. Alors que la patiente a tenté de s’exposer, elle n’avait pas conscience de devoir quantifier sa reprise des contraintes. La douleur ayant été terriblement intense, la patiente n’a pas compris ce qui lui arrivait et a pris peur de faire. Avec le temps, la moindre sensation ressentie est

devenue, pour elle, le signe qu’elle aggravait son problème et l’annonce d’une grande souffrance, alors que celle-ci n’est en fait, majoritairement, que le signe de son hypervigilance et de sa peur. Pour résumer, le thérapeute fait le choix de guider la patiente vers une exposition graduelle à la contrainte de son tendon en l’éduquant à doser son quotidien (dominante bio), tout en la guidant vers une compréhension de sa douleur, de son comportement et de ses répercussions (dominante cognitive : croyances et peurs). La pièce maîtresse de cette stratégie consiste à fournir à la patiente les éléments nécessaires à ce qu’elle puisse reprendre le contrôle de sa douleur et de son corps. Données de la recherche Pour mieux aider à comprendre et à répondre à ce genre de situation, voici les informations obtenues grâce à des recherches bibliographiques sur la base de données PubMed®. Formuler une question thérapeutique • Patient : femme de 50 ans, travail de bureau, active et qui pratique une activité physique régulière avant son épisode douloureux d’il y a 2 ans (pluri-hebdomadaire). • Intervention : différentes interventions – interaction par la parole (croyances, peur du mouvement, etc.) –, prescription d’exercices quantifiés. • Comparateur : imageries combinées avec l’évaluation du mouvement de la patiente (passif, actif résisté et en réponse au quotidien)/absence d’intervention ou différentes techniques comparées. • Outcome (critère de jugement) : gain de fonction, diminution des drapeaux jaunes, compréhension de la douleur. • Schémas d’étude : essai clinique, ECR, revue systématique et méta-analyse. Résultats non exhaustifs de la recherche bibliographique

Voici les mots de l’équation correspondant à la recherche bibliographique : Hamstring tendinopathy AND therapy avec le filtre Clinical Trial/Meta-analysis/RCT/Systematic Review et < 5 ans. Sur 36 occurrences, en voici quelques exemples : • Startzman AN, Fowler O, Carreira D. Proximal hamstring tendinosis and partial ruptures. Orthopedics 2017 ; 40(4) : e574-82. • Goom TS, Malliaras P, Reiman MP, Purdam CR. Proximal hamstring tendinopathy : clinical aspects of assessment and management. J Orthop Sports Phys Ther 2016 ; 46(6) : 483-93. • Beatty NR, Félix I, Hettler J, et al. Rehabilitation and prevention of proximal hamstring tendinopathy. Curr Sports Med Rep 2017 ; 16(3) : 162-71. • Rio EK, Mc Auliffe S, Kuipers I, et al. ICON PART-T 2019International Scientific Tendinopathy Symposium Consensus : recommended standards for reporting participant characteristics in tendinopathy research (PART-T). Br J Sports Med 2019. pii : bjsports-2019-100957. • Degen RM. Proximal hamstring injuries : management of tendinopathy and avulsion injuries. Curr Rev Musculoskelet Med 2019 ; 12(2) : 138-46. • Bowden DJ, Byrne CA, Alkhayat A, et al. Differing MRI appearances of symptomatic proximal hamstring tendinopathy with ageing : a comparison of appearances in patients below and above 45 years. Clin Radiol 2018 ; 73(11) : 922-7. • Pietrzak JR, Kayani B, Tahmassebi J, Haddad FS. Proximal, hamstring tendinopathy : pathophysiology, diagnosis and treatment. Br J Hosp Med (Lond) 2018 ; 79(7) : 389-94. Ces recherches évoquent, comme clé de réussite dans le traitement d’une tendinopathie, la remise en charge progressive, en performant sans douleurs et avec comme guide un modèle qui cherche à réduire la douleur et à récupérer de la fonction. La littérature s’accorde pour définir l’éducation comme traitement de choix pour cette pathologie.

Synthèse et évolution de la patiente La première étape du traitement a consisté à utiliser une écoute réflective avec la patiente. L’objectif est multiple : comprendre ce qui bloque la patiente dans un schéma de douleur ; construire une alliance thérapeutique forte avec la patiente, pour établir une relation de partenariat afin de la guider pour changer certaines de ces représentations ou la compréhension qu’elle s’est faite des différents messages perçus. La deuxième étape a donc eu pour but de guider la patiente à donner un sens à sa douleur en fonction de la littérature scientifique actuelle, de ses sensations et de son vécu, en vue de diminuer ses douleurs. Mme H. ne comprenait pas si sa lésion avait cicatrisé comme on le lui avait dit, pourquoi et comment une activité basique, à faible contrainte, pouvait déclencher de telles douleurs et comment alors gérer son quotidien. En effet, un des pièges pour cette patiente serait de tomber dans la généralité et de penser que, parce que le traumatisme est ancien, la dominante mécanique d’un mouvement du tissu cible ne produirait plus de douleur. Lors de la discussion avec la patiente, les reflets utilisés par le thérapeute ont permis à cette dernière de prendre conscience que le dosage de ses activités quotidiennes participe de manière spécifique et partielle à ses douleurs.

Remarque La patiente avait programmé une nouvelle imagerie avant notre première séance, qu’elle a réalisée 3 semaines après notre premier rendez-vous. Même si, cliniquement, notre patiente avait commencé à s’améliorer, on a pu voir à l’imagerie que son tendon des ischiojambiers avait une désinsertion partielle avec la présence d’un œdème intraosseux au niveau de l’insertion. Cet élément était en concordance avec la description de la souffrance ressentie par la patiente et confirmait que la patiente avait continué d’adapter un comportement défavorable à la résolution de son problème en fonction des croyances transmises par son vécu.

Une écoute empathique permet de prendre pleinement conscience que l’évolution défavorable des douleurs de la patiente ne pouvait qu’amener cette dernière à développer de la peur, de la souffrance, des comportements d’évitement et des états transitoires dépressifs. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont à l’origine initialement de la modulation défavorable de la douleur de la patiente et qu’ils ne sont pas étroitement imbriqués à ce jour à la dominante bio de la douleur de la patiente (du tissu), et c’est en fait pleinement ce dont il s’agit pour cette patiente. Au travers de ces entretiens, la patiente a compris le comportement de sa douleur, les différents paramètres qui peuvent la moduler et comment il est possible pour elle de mettre en place un comportement de santé favorable à une amélioration de son état. La troisième étape a consisté à faire évoquer la patiente, au sens profond de l’entretien motivationnel (EM). Il s’agit de guider la patiente pour qu’elle puisse, d’elle-même, définir et planifier un programme d’exposition graduelle à la contrainte en tenant compte de sa sensibilisation. Nous avons longuement échangé sur ses croyances et l’interprétation de ses sensations qui l’ont amenée à avoir la prise en charge qu’elle a. Au travers d’une écoute réflective et empathique, de l’utilisation de questions ouvertes et d’autres outils de l’EM comme le demander-demander-partager-demander (voir chapitres 21 et 23), la patiente a peu à peu repris le contrôle de son corps et de ses émotions en rapport avec sa perception douloureuse. Nous avons commencé par mettre en place un exercice pour produire une sensation dans le tendon, même douloureuse au départ (à faible intensité), mais sans irritabilité persistante après pour permettre à la patiente de choisir quand sa douleur se produit et d’accepter de sentir sans souffrir pour une évolution favorable dans le temps. Concrètement, nous avons choisi d’utiliser des contractions statiques dans un premier temps pour arriver quelques séances plus tard à un exercice contre résistance du tendon. La dernière étape a eu pour but de reprendre les activités du quotidien initialement identifiées comme à ne plus jamais faire, sans déclencher de phénomène d’irritabilité (douleurs persistantes après

l’effort). La patiente a évolué favorablement avec le temps au travers des exercices et de sa nouvelle compréhension de la douleur. Mme H. a pu reprendre les activités quotidiennes sans déclencher de douleurs persistantes et incapacitantes. Elle a pu repartir en voyage (un désir qu’elle ne pensait plus pouvoir atteindre) et a pu participer à quelques marches longues sans souffrir et en prenant du plaisir.

Pour conclure Il est primordial de comprendre l’intérêt d’évaluer chaque patient comme unique (N = 1) et de ne pas les classer dans une case avant de les avoir laissé s’exprimer sur leurs représentations symptomatiques. Ce sont les éléments subjectifs d’un bilan qui montrent la réalité du patient ; les éléments objectifs sont une aide à confronter au reste du tableau clinique.

À retenir Notre bienveillance à l’égard de nos patients nous pousse à vouloir prendre la meilleure décision possible pour le changement de leur comportement de santé, et nous tombons souvent dans le piège d’être directif dans cette étape par nos émotions. Or, un changement de comportement ne peut avoir lieu que par le patient et non par nous-même. Pour le cas évoqué, la compréhension profonde du modèle biopsychosocial nous guide pour comprendre qu’une douleur dépend essentiellement de la représentation que nous nous faisons du problème. Ce sont alors nos stratégies de communication qui permettront d’arriver à développer la motivation de la patiente à changer son comportement.

Référence [1] Brinjikji W, Comstock LB, Bresnahan BW, et al. Systematic literature review of imaging features of spinal degeneration in asymptomatic populations. Am J Neuroradiol 2015; 36(4): 8116.

Index A Acceptation, 166 Acide(s) gras à chaîne courte, 52 gras poly-insaturés, 52 ACT Voir Thérapie d’acceptation et d’engagement Activité(s) gestion des, 158 peur du patient et, 159 physique, 55 planification des, 157 Adénosine monophosphate (AMP), 50–51 triphosphate (ATP), 50–51 Adhésion au traitement, 270–271, 275, 285 Adrénaline, 56 Âge, douleur et, 25 Agentivité, hypnose et, 112–113 Algosité, 172

Alliance thérapeutique, 212, 252 thérapie cognitive et comportementale et, 146 Altruisme, 212 Ambivalence du patient, 138, 207, 209 AMPA, récepteurs, 70, 87 Amygdale, 56 Analgésie, 91 hypnose et, 117 induite par l’exercice, 59, 101 Analogie, 274 Antalgie, histoire de l’, 17 Anti-inflammatoire(s), 51 non stéroïdiens, 51 Apprentissage opérant, 124 par renforcement, modèle de l’, 38 répondant, 123 social, 125 Astrocytes, 51 Attention, douleur et, 31 Auto-efficacité, sentiment d’, 196, 200 Autohypnose, 116 B Bayésien

modèle, 41 raisonnement, 248 Beck, colonnes de, 129, 156 Biopsychosocial(e), modèle (approche), 45, 133, 134 Boîte de Skinner, 125 Bradykinine, 50–51 Brief COPE Inventory, 148–149 C Canal(ux) chimiodépendants, 69 ioniques, 67 sensibles aux agents physiques, 68 sodique(s) Nav1.7, 72 voltage-dépendants, 67 voltage-dépendants, 72 Capnie, 57 Capsaïcine, 69 Cas cliniques, résolution de, 290 Catastrophisme, 126, 190 Cellules de Schwann, 51 gliales, 51 off, 96

on, 96 Cerveau, choix et, 235 CFT (cognitive functional therapy) Voir Thérapie cognitive fonctionnelle CGRP (calcitonin gene-related peptide), 50–51, 88 Changement ingrédients du, 207 modèle transthéorique du, 205 Choix, cerveau et, 235 Cognitifs, dysfonctionnements, 36–37 Cognition(s), 35, 97 symptôme et, 228 Cognitivisme, 126 Communication, 251 différents styles de, 210 écueils à éviter, 260 examen clinique et, 185 hypnothérapeutique, 115 non verbale, 279 non violente, 277–278, 282 paraverbale, 279 structurée kinésithérapeute-patient, 259 verbale, 260, 261 messages à transmettre, 261 Compassion, 263

Comportement(s), 38 changement de, entretien motivationnel et, 204 empathique, 265 évaluation par le, 237 impact des cognitions sur le, 126 motivation à l’origine du, 147 Comportementalisme, 123 Conditionnement, 123 opérant ou skinnérien, 38 répondant ou pavlovien, 38 Conduction, 62, 75 Conflit, 277 Congruence, 277, 281 Conscience, 28, 29 état de, modifié, hypnose et, 112 pleine Voir Pleine conscience Contrôles facilitateurs descendants, 96 inhibiteurs descendants, 96 diffus induits par stimulation nociceptive, 95 Coping, 127, 148 classifications, 128 genre et, questionnaires, 148

stratégies de, efficacité des, 149 Strategies Questionnaire, 148 Corps-esprit, dichotomie, 28 Cortisol, 56 Croyances du patient, 266 entretien motivationnel et, 207 lombalgie non spécifique et, 195 CSI (Central Sensitization Inventory), 227 Cytokines, 50, 52 D DCRB (désir, capacités, raisons, besoins), 215 Définition de la douleur, 18 Défusion cognitive, 168 Demander-demander-partager-demander (DDPD), entretien motivationnel et, 220 Dépolarisation, 67 le long de l’axone, 67 Dépression, 36 Désespoir créatif, 173 Dimension(s) de la douleur perceptive, 27 physiologique systémique, 48 psychologique, cognitive et comportementale, 34 sensorielle, 61 conduction, 75

modulation et sensibilisation, 93 transduction, 66 transmission et perception, 86 sociétale, 23 Discours motivationnel, 197 changement de mobilisation, 216 changement préparatoire, 216 Distance interpersonnelle, 280 Distraction, 160 DN4 (Douleur Neuropathique 4 items), 227 Douleur(s) âge et, 25 biopsychosociale, 134 caractéristiques du symptôme, 227 classification des, par mécanismes, 226 comme maladie, 240 comme motivation, 239 comme perception, 233 comme qualité, 237 comme récompense, 239 comme un mème, 236 concepts de la, 236 définition, 18 démarche d’évaluation, 240 déterminants cognitifs de la prise en charge de la, 42

différents moyens pour moduler la, 105 dimension(s) de la perceptive, 27 physiologique systémique, 48 psychologique, cognitive et comportementale, 34 sensorielle, 61 conduction, 75 modulation et sensibilisation, 93 transduction, 66 transmission et perception, 86 sociétale, 23 ethnoculture et, 25 évaluation de la, 237 fonctions intrapersonnelles et interpersonnelles, 252 genre et, 24, 276–277 historique, 13 insensibilité congénitale à la, 72, 73 lien de causalité et, 132, 133 motricité et, 58 neuropathiques, 18, 226 nociceptives, 18, 226 nociplastiques, 18, 226 pathologies psychiatriques et, 35 perçue comme la seule conséquence d’une lésion, 134 persistantes, facteurs de risque de, drapeaux et, 179

physiopathologie cognitive de la, 37 polysémie du mot, 232 radar de la, 193–194 reconceptualisation de la, 181 représentations culturelles et religieuses de la, 13 sexe et, 24 société et, 24 statut socio-économique et, 25 totale, 15 Dualisme cartésien, 28 E Écoute active, 196, 260, 282 réflective, 219 Éducation aux neurosciences de la douleur, 176 contenu, 183 contexte, 178 définitions, 177 durant le traitement, 189 effets sur les composantes psychocognitives de l’, 190 groupe d’, 182 métaphore et, 185 patients lombalgiques et, 189 sessions d’, 187

Effet nocebo, 261, 263, 264 placebo, 42, 261, 263, 264 Émotion(s), 97 thérapie d’acceptation et d’engagement et, 165 Empathie, 263 affective, 265 cognitive, 263 effets de l’, 265 moyen mnémotechnique NURS, 267 Encouragement, exemples d’, en kinésithérapie, 276 Engagement, 171 Entretien motivationnel, 147, 203 cadre de référence, 204 changements de comportements et, 204 composantes de l’esprit de l’, 211 définition, 205 historique, 205 outils de l’, 218 phases de l’, 148, 205 processus de l’, 212 thématique de changement et, 204 Ethnoculture, douleur et, 25 Évaluation, démarche d’, 240 Evidence-based practice (EBP), 9

champ de la douleur et, 8 démarche, 9 étapes de l’, 10 Évitement expérientiel, 166 Évocation, entretien motivationnel et, 212, 214 DCRB (désir, capacités, raisons, besoins), 215 Expérience de la main en caoutchouc, 29 Exposition graduelle, 197 F Facteurs cognitifs, thérapie cognitive et comportementale et, 130 comportementaux, thérapie cognitive et comportementale et, 131 émotionnels, thérapie cognitive et comportementale et, 131 médiateurs et modérateurs, 242 psychocognitifs influençant l’expérience douloureuse, 43 psychologiques, douleur et, 42–43 Faisceau spinobulbaire, 83 spino-hypothalamique, 83 spinothalamique, 83 Fibres Aδ, 76–77 classes, 78 C, 76–77

classes, 78 Flèche descendante, 152 Flexibilité psychologique, thérapie d’acceptation et d’engagement et, 172 Focalisation, 214 FODMAP, 55 Formulation positive, 271 Fusion cognitive, 168 G Gate control, 94 Genre, douleur et, 24 Glutamate, 63, 87 Grille BASIC IDEA, 142 SECCA, 142 SORC, 142 thermale, illusion de la, 81 H Hexaflex, 166 processus thérapeutiques de l’, 166 Historique de la douleur, 13 Homéostasie, 57 Hyperalgésie, 71 Hypnoanalgésie, 119

Hypnose, 110 contre-indications, 118 déroulement d’une séance d’, 117 douleur et, 117 aiguë, 118 chronique, 119 efficacité de l’, 117 facteurs psychosociaux et réponse à l’, 116 histoire de l’, 111 neuro-imagerie et, 116 sécurité du patient, 118 techniques de l’, 111 Hypnothérapie, 111 Hypnotisabilité, 112 I Imagerie, 17 par résonance magnétique fonctionnelle, 17, 31 Induction hypnotique, 113 Inflammation, 49 International Association for the Study of Pain (IASP), 18 Interneurones, 79 K KAR, récepteur, 87

Kinésiophobie, 125, 190 L Lamina de la moelle épinière, 68 Langage non verbal, 260, 278, 282 paraverbal, 260, 278, 282 LANSS (Leeds Assessments of Neuropathic Symptoms and Signs), 227 Lieu des soins, 286 Lombalgie chronique non spécifique, 193 non spécifique, 194–195, 200, 204 croyances du patient, 195 M Macrophages, 51 Matrice ACT, 165 MBCT (mindfulness-based cognitive therapy), 126–127, 161 MBSR (mindfulness-based stress reduction), 161 Médiateurs inflammatoires, 50 Menaces nociceptives, 181 non nociceptives, 181 Message(s) à transmettre au patient, 261

antidromique, 79 orthodromique, 79 persuasif, 183 Métaphore(s) emploi des, 272 exemples en kinésithérapie, 275 Microbiote, 52 Microglie, 51 Mindfulness, 161 based cognitive therapy (MBCT), 126–127 based stress reduction (MBSR), 126–127 Modèle bayésien, 41 biopsychosocial, 30 circomplexe interpersonnel, 280 dualiste, 30 Modulateurs, outils thérapeutiques description des, 107 taxonomie des, 106 Modulation, 65, 94 comportementale, 247 de l’intégration nociceptive, 247 des afférences nociceptives, 247 des mèmes, 247 involontaire de l’intégration, 247

Motivation du patient, 207 Motricité, douleur et, 58 N Neuromatrice, 89, 90 Neurones à large gamme de réponse (WDR), 81 de deuxième ordre, 62–63, 79 localisation du soma et, 82 propriétés électrophysiologiques, 81 terminaison et, 83 de premier ordre, 62–63, 76 classification, 76 de troisième ordre, 62–63, 83 former des sous-groupes de, 80 nociceptifs HPC, 81 spécifiques, 81 thermosensibles non nociceptifs, 81 Neurosignature, 89, 101 Neurotransmetteurs, 87 NGF (nerve growth factor), 50–51 NMDA, récepteurs, 51, 70, 87 Nociception, 5–6, 59, 62 nécessité de la, 73

Non-congruence, 281 Non-jugement, 211–212 NPSI (Neuropathic Pain Symptom Inventory), 227 O Observation du patient, 285 Oligodendrocytes, 51 P Pacing, 157, 158 PainDETECT, 227 Patient acteur de sa santé, 136 ambivalence du, 138, 207, 209 attentes du par rapport à sa pathologie, 133 réparation, 134 traitement, 132, 134, 137 croyances du, 266 entretien motivationnel et, 207 lombalgie non spécifique et, 195 expérience du, 136 motivation du, 207 objectifs et valeurs du, 138 plainte du, 234

réalité biopsychosociale du, 136 sens du ressenti du, 198 valeurs du Voir Valeurs du patient Pensées automatiques, flèche descendante et, 152 Perception, 28, 64, 88 douloureuse, 28 composante attentionnelle d’une, 31 traitement des données vers la conscience, 89 Petit vélo, modèle du, 146 Peur-évitement comportement de, 58 modèle, 40 Physiopathologie cognitive de la douleur, 37 Plainte du patient, 234 Planification, entretien motivationnel et, 216 Pleine conscience, 126–127, 139, 161 PNE (pain neuroscience education) Voir Éducation aux neurosciences de la douleur Potentialisation à long terme, 50–51, 70–71 Potentiel d’action, 67 de repos, 67 postsynaptique excitateur, 63–64, 87 postsynaptique inhibiteur, 63–64, 87 Programmation neurolinguistique (PNL), 280

Proxémie, 280 Psychiatriques, pathologies, douleur et, 35 Psychoéducation, 151 Psychosomatique, 37 Psychothérapie, 43–45 Q Questionnaires coping, 148 thérapie cognitive et comportementale, 145 Questions à choix multiples, 271 fermées, 271 ouvertes, 143, 270–271 entretien motivationnel et, 218 thérapie cognitive fonctionnelle et, 199 R Radar de la douleur, 193–194 Raisonnement bayésien, 248 clinique accompagnement d’une personne douloureuse et, 225 définition, 226 modèle biopsychosocial et, 135

Réactance, 146, 205, 209, 269 Réassurance, 265 affective, 265 cognitive, 265 Récepteur(s) AMPA, 70 ionotropiques, 69–70 métabotropiques, 69–70, 71 NMDA, 70 P2Y, 71 sous-types, 72 Reflet, entretien motivationnel et, 219 Réflexe correcteur du thérapeute, 198, 210, 237 Relation patient-soignant, 257 de collaboration, 211 position basse, 257 position haute, 257 Relaxation, 161 Renforcement, 38 Représentations culturelles et religieuses de la douleur, 13 Résolution des problèmes, 156 Respiration, système nerveux autonome et, 57 Restructuration cognitive, 151 Résumé, entretien motivationnel et, 220

S Schizophrénie, 35 Script clinique, 245 thérapeutique, 245 Sensation(s), 28 perception et, 64–65 thérapie d’acceptation et d’engagement et, 165 Sensibilisation, 97 centrale, 100 périphérique, 97 Sensibilité non verbale, 279, 281 Sexe, douleur et, 24 SMART, outil, 146 Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), 19 Société, douleur et, 24 SOCRATES, outil, 227, 228 Souffrance, 30 Statut socio-économique, douleur et, 25 Stress, 56 Substance P, 50–51, 63, 87 Suggestion hypnose et, 114 directe, 114 indirecte, 114

verbale, 263 Synchronie, 279 Système immunitaire, 51, 52 Système nerveux autonome, 49 respiration et, 57 stress, douleur et, 56 central, 49 parasympathique, 56 sympathique, 56 T TCC Voir Thérapie cognitive et comportementale TENS (transcutaneous electrical nerve stimulation), 17 Thalamus, 83 Théorie de l’intensité, 15 de la non-spécificité, 84 de la spécificité, 15, 84 des deux cerveaux, 115 du gate control, 17 du schéma (pattern theory), 15 intégrative, 85 Thérapie cognitive et comportementale (TCC), 46–47

alliance thérapeutique, 146 analyse fonctionnelle, 141 détermination des objectifs, 145 efficacité, 128 évaluation, 141 facteurs cognitifs et, 130 facteurs comportementaux et, 131 facteurs émotionnels et, 131 fondements théoriques, 123 historique, 123 mise en place en kinésithérapie, 146 objectifs et attentes du patient et, 132 outils, 140 questions ouvertes, 143 recontextualisation et, 129 troisième vague (vague émotionnelle), 126 cognitive fonctionnelle (CFT), 192 cadre biopsychosocial de la, 193 catégories de la, 193–194 élaboration d’un traitement, 198 évaluation du patient, 197 principes d’utilisation de la, 195 questions aidantes pour le raisonnement clinique, 199 d’acceptation et d’engagement (ACT), 127, 138, 163 analyse fonctionnelle et, 172

expérience et, 165 matrice, 165 perception de ses émotions et sensations, 165 prise en charge globale, 172 raisonnement clinique biopsychosocial et, 172 TNF-α, 50 Transduction, 62, 66 Transe hypnotique, 112 degrés de profondeur de la, 113 Transmission, 63, 87 Trouble(s) à symptomatologie somatique, 36 psychosomatiques, 37 TRPV1, 50–51, 62, 68 TRPV2, 62 V Valeurs du patient, 138 entretien motivationnel et, 207 thérapie d’acceptation et d’engagement et, 170, 174 valorisation de l’engagement dans ses, 139 Valorisation du patient, 275 entretien motivationnel et, 218 Verbalisation, 196 Voies nociceptives, 84

théories sur les, 84 W Wind-up, phénomène de, 70–71, 81–82, 95

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