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French Pages [171]
Ariane Bilheran
L Psychopathologie de l'autorité
2e édition
Conception de couverture: Le Petit Atelier Maquette intérieure: www.atelier-du-livre.fr (Caroline Joubert) le pictogramme qui figure ci-contre mérite une explication. Son objet est d'alerter le lecteur sur la menace que représente pour l'avenir de l'écrit particulièrement dans le domaine de l'édition technique et universitaire, le développement massif du photocopillage. le Code de la propriété intellectuelle du juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit Or, cette p otique s'est généralisée dons les établissements
d'enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livrés et de revues, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des oeuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd'hui menacée. Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente publication est interdite sans autorisation de l'auteur, de son éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).
0 Armand Colin, 2016 0 Dunod, 2020 pour cette nouvelle édition 11 rue Paul Bert 92240 Malakoff ISBN: 978-2-10-079746-2 Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux ter mes de l'article I.. 122-5, 20 et 3' a), d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite si (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
«Il est deux découvertes humaines que l'on est en droit de considérer comme les plus difficiles : l'art de gouverner les hommes et celui de les éduquer ; et cependant on en est encore à disputer de leurs Idées.» Kant, Réflexions sur l'éducation.
«Mais bercer n'est pas instruire.» Alain, Propos sur l'éducation.
«L'immense danger, et l'urgence, toujours aussi pressante, de tirer l'humanité de la barbarie proche, commandent d'aller droit au but humain. Il faut que l'enfant connaisse le pouvoir qu'il a de se gouverner, et d'abord de ne point se croire; il faut qu'il ait aussi le sentiment que ce travail sur lui-même est difficile et beau. Je ne dirai pas seulement que tout ce qui est facile est mauvais; je dirai même que ce qu'on croit facile est mauvais. [...1 [Lies vrais problèmes sont d'abord amers à goûter ; le plaisir viendra à ceux qui auront vaincu l'amertume. Je ne promettrai donc pas le plaisir, mais je donnerai comme fin la difficulté vaincue; tel est l'appât qui convient à l'homme; c'est par là seulement qu'il arrivera à penser au lieu de goûter. Tout l'art est à graduer les épreuves et à mesurer les efforts; car la grande affaire est de donner à l'enfant une haute idée de sa puissance, et de la soutenir par des victoires; mais il n'est pas moins important que ces victoires soient pénibles, et remportées sans aucun secours étranger.» Main, ibid.
«Ainsi le plus beau, le plus juste des régimes, ne dura même pas un peu de temps, faute d'avoir pour ciment l'éducation des enfants.» Plutarque, Parallèle entre Lycurgue et Numa.
Table des matières Avant-propos
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Introduction
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CHAPITRE 1 - HISTOIRE ET ÉTYMOLOGIE DE L'AUTORITÉ
1.À l'origine de la notion d'autorité 2. Les définitions de l'autorité 3. Un concept politique 4. Questionnement psychologique
CHAPITRE 2 - L'AUTORITÉ INFANTILE, PARENTALE, ÉDUCATIVE
1. L'autorité parentale 2. L'autorité infantile 3. Autorité et Institution
1. Autorité et interdits 2. La rébellion à l'autorité : devoir et désir 3. La délinquance et l'appel à l'autorité 4. La horde
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CHAPITRE 4- LES DÉCLINAISONS PSYCHIQUES DE L'AUTORITÉ
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CHAPITRE 3 - LE REJET DE L'AUTORITÉ
1. La tyrannie psychique 2. Les pathologies de l'autorité 3. Psychologie du chef
CHAPITRE 5 — PRÉLUDES THÉRAPEUTIQUES
1. Fonctions et finalités de la parole 2. La fonction cadre 3. Le thérapeute : une autorité ?
19 21 30 35 44 55 57 65 81 97 99 103 109 112 119 121 131 136 143 145 153 159
Conclusion
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Bibliographie
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Dunod
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Par cet avant-propos, je voudrais remercier la vie, pour toutes les expériences, souvent douloureuses et initiatiques qu'elle m'a donné de faire, et qui étaient indispensables pour construire une pensée profonde de la civilisation. Lorsqu'en 2003, je travaillais, en DEA de philosophie morale et politique, sur la maladie de civilisation telle qu'elle avait été conceptualisée par Nietzsche, je n'aurais pas imaginé que nous serions de nouveau confrontés à elle, sous des formes bien plus graves, car hautement banalisées. Le pathologique se croit toujours sain, et édicte des règles de santé mentale pour autrui. Le danger réside toujours dans la simplification, la réduction, puis l'éradication de la pensée. Une pensée normative ne saurait être une pensée, car l'essence de la pensée réside dans sa création dialectique qui l'invite à la confrontation, d'où résulte l'ceuvre, comme produit de l'enfantement. Rédiger cet ouvrage sur l'autorité m'a paru essentiel pour la compréhension des affres dans lesquels notre civilisation actuelle se perd. Et ce n'est que le commencement du chaos. L'autorité est liée à la liberté, et parce qu'elle est liée à la liberté, elle est investie de l'esprit : «De même que la substance de la matière est la pesanteur, il nous faut dire que la substance, l'essence de l'esprit est la liberté'. » Dans une civilisation qui désormais ne jure que par la matière, par le consommable, le plaisir immédiat, la technique, la norme administrative et la marchandisation de l'humain depuis sa naissance, que vaut désormais l'esprit et, partant, la liberté ? L'autorité nous rassemble autour de la question de la valeur des paroles et des actes. Les paroles ne valent que par leur fidélité aux actes, et s'inscrivent dans un rapport au temps. «L'homme n'est rien d'autre que la série de ses actes' », et c'est par l'autorité qu'il s'en porte le garant. «L'on reconnaît un arbre à ses fruits», dit le proverbe.
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g 1. Hegel, G.W.F., Leçons sur la philosophie de l'Histoire. 2. Hegel, G.W.F., Encyclopédie des sciences philosophiques.
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Psychopathologie de l'autorité
Lorsque je pense aux fruits de notre société occidentale moderne, ils me paraissent gâtés et fort peu savoureux. Étudier l'autorité offre la chance, teintée de nostalgie, de rappeler des valeurs morales et ancestrales qui ont prouvé leur justesse de toute éternité. C'est ainsi que je désire remercier ici — et ils se reconnaîtront — tous les maîtres de raison et de sagesse, anonymes ou non, qui m'ont enseignée, non pas en me déversant des connaissances artificiellement plaquées, mais en donnant de leur personne, et en m'investissant, à travers la leur, de ma propre humanité.
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Introduction
La parution de cet ouvrage entre en résonance douloureuse avec la résurgence de politiques et dérives autoritaires en Europe. Elle le rend d'autant plus indispensable à qui désire comprendre les processus en jeu dans l'exercice du pouvoir. L'autorité ne cesse de questionner, tant son champ sémantique est large. De l'art de gouverner à celui d'éduquer, de l'argument d'autorité à l'autorité morale, la notion reste floue et à circonscrire. Il est en revanche certain qu'il s'agit avant toute chose d'un concept qui relève du champ politique. Les professionnels aux prises avec les problématiques de l'autorité ne peuvent faire l'économie de penser, sur un mode systémique et en miroir, comment les souffrances et les pathologies individuelles s'articulent avec l'exercice politique du pouvoir à l'échelle du groupe, des institutions, de l'État. Une société fondée sur l'autorité ne verra surgir que peu de pathologies de l'autorité. Une société fondée sur l'arbitraire sera, a contrario, le terreau fertile de pathologies de l'autorité, dont on mesurera la gravité à l'ampleur de l'aliénation des citoyens, à leur persécution par le pouvoir politique, à la démesure du contrôle exercé sur eux, à la recrudescence de harcèlements et instrumentalisations perverses de toutes sortes. Très peu d'ouvrages s'interrogent sur les racines psychologiques, philosophiques et anthropologiques de l'autorité. Souvent, les auteurs relèvent plutôt les conséquences du manque d'autorité dans notre société pour en faire un constat tragique. Je souhaite ici prendre le temps d'expliquer ce que peut être l'autorité (sur soi, sur un groupe...) et sa fonction dans la civilisation, afin de tenter de proposer une analyse solide de ce que l'autorité traduit sur un plan psychopathologique, et de ses effets. Le concept d'autorité relève de la philosophie politique, qui régit tous les aspects socialisants de la vie politique (en cité), c'est-à-dire du vivreensemble. Il donne les conditions anthropologiques nécessaires à la communauté des humains. C'est la raison pour laquelle la psychologie de l'autorité ne saurait se réduire à une psychologie individuelle ou interindividuelle, mais implique nécessairement une psychologie sociale, systémique et institutionnelle du phénomène. En préambule, il est plus facile de savoir ce que l'autorité n'est pas (le pouvoir, la domination...) que de définir ce qu'elle est. C'est pourquoi, toute la première partie de cet ouvrage sera consacrée à établir des jalons de
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Psychopathologie de l'autorité
définition. Qu'est-ce que l'autorité, quels sont ses fondements psychologiques, et quels sont ses effets ? Le cours de cette étude pourra affiner cette définition et l'exemplifier. Pourquoi la crise de l'autorité actuelle est-elle fondée, et à quoi le remarque-t-on ? Quels symptômes manifeste-elle ? Le fil conducteur de cette analyse consistera à démontrer en quoi la dimension psychologique de l'autorité est dévoyée par la configuration idéologique et politique actuelle. L'autorité est, par essence, asymétrique. Ce point est fondamental. Car c'est dans l'asymétrie que se construit, pour le Disciple du Maître, la possibilité de grandir en conscience. Le Maître a pour seule aspiration la croissance et l'autonomisation progressive de son Disciple. Sinon, il abuse de son autorité, et devient un gourou. Cette asymétrie se retrouve dans le rapport aux Anciens, aux Ancêtres et à notre filiation, qui nous rend débiteurs de transmettre le monde tel que nous l'avons reçu sans le détruire, et de l'améliorer. Cette asymétrie, de nos jours, dérange de nombreuses idéologies soidisant progressistes qui prônent l'égalité. Faut-il rappeler que le harcèlement provient étymologiquement de cette égalisation de tous ? Ainsi, le tyran Denys de Syracuse décrivait sa politique : utiliser une herse pour égaliser un champ et couper tout ce qui dépasse ; terme que l'on retrouvera dans la «Gleichschaltung», la mise au pas opérée par les Nazis de 1933 à 1934 sur le peuple allemand. « Gleich » rappelle cette notion d'égalité, d'égaliser le champ en éliminant toute opposition dérangeante, par séduction, corruption, intimidation ou terreur. L'égalisation (« tous égaux») est une idéologie de type perverse et intolérante qui fait du dissemblable le même et abrase le champ de la différence. Chacun veut être virtuose sans se donner les moyens de l'être; le Disciple moderne non seulement refuse la discipline, mais se laisse souvent sombrer dans un orgueil selon lequel il croit égaler le Maître. Ceci est bien le fruit d'une démagogie ambiante, au nom de bons sentiments et de voeux pieux. Cette démagogie, au prix de la vérité, au prix des interdits fondateurs de civilisation, engendre ainsi une confusion psychique qui est de mauvais augure, car elle renvoie aux périodes régressives de l'Histoire, à celles où le peuple politisé se transforme en foule confuse et fanatisée, qui se cherche un père castrateur tout-puissant où le meurtre agi, effectué et consommé, devient en soi la limite, alors qu'il était censé demeurer un tabou d'ordre
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Introduction
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symbolique. C'est ce que l'on voit d'ailleurs aujourd'hui : une sorte de banalisation progressive, et encouragée par divers lobbies, de l'inceste, du cannibalisme', de la pédophilie2, du meurtre (cf. l'euthanasie3), en somme s'effritent et s'effondrent peu à peu les tabous structurants de la civilisation, laissant la place à un désordre chaotique, à des États ayant délaissé ses fonctions de tiers protecteur, s'en prenant par la violence à leur propre peuple. Ainsi en est-il de l'égalité et de la liberté mises «à toutes les sauces », et où libre veut désormais dire «faire ce que l'on veut » sans considération du respect d'autrui ni des lois morales universelles (lesquelles sont méprisées et jugées « ringardes», dans une promotion d'une société où il est « moderne» d'être immoral), et où l'égalité devient un déni de réalité, en signifiant une égalité arithmétique parfaite («je veux les mêmes droits même si je n'ai pas les mêmes devoirs»), et non une égalité géométrique de droit (« mes droits sont proportionnels à mes devoirs»). Dès lors, les repères de bon sens étant abolis, le contrat social fondé sur l'autorité ne peut plus fonctionner. Et l'on en voit de plus en plus, par exemple, défendre l'idée de la liberté et de l'égalité pour justifier des relations sexuelles avec un enfant. Ces assertions s'intensifient dans les médias, et sont le signe d'une période régressive fondamentale. Un enfant n'est pas
1.Dans une interview à TV4, le professeur Magnus Süderlund évoque sa présentation controversée au Salon de l'alimentation Gastrosummit à Stockholm, sur le thème : « manger de la chair humaine comme moyen de lutter contre le changement climatique » : https://www.tv4.se/nyheterna/klipp/ professorns-kontroversiella-fràga-âr-mânniskokeitt-mat-ffir-framtiden-12496916 2. Mirjam Heine, étudiante en médecine allemande, a clairement affirmé en 2018 lors d'une conférence TED donnée à l'université de Würtzberg en Allemagne que « La pédophilie est une orientation sexuelle inchangeable, au même titre que... l'hétérosexualité». TEDx a dû retirer la vidéo de la conférence mise en ligne, à la suite de protestations morales et scientifiques quant à l'assertion idéologique des déclarations de l'intervenante : https://pedopolis.com/2018/07/19/ on-nait-pedophile-cest-une-orientation-sexuelle-comme-une-autre-affirme-mirjam-heineconferenciere-ted/ Ou encore : « Des internautes tentent de normaliser la pédophilie avec le hashtag #MAP («Minor Attracted People») https://www.20minutes.fr/high-tech/2685955-20200105-totalement-illegalinternautes-tentent-normaliser-pedophilie-hashtag-map 3. « Face à la revendication pressée et affichée de certains députés d'un « droit à mourir», Damien Le Guay, membre du conseil scientifique de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (cf. La SFAP s'insurge : « Donner la mort n'est pas un soin»), estime qu'il ne faut pas confondre « une lassitude des Français, due, entre autres, à une saturation des médias par les partisans de l'euthanasie, avec un large assentiment». Ils dénoncent la « liberté» et le «progrès » que veulent imposer les partisans de l'euthanasie et qui cachent «des dommages anthropologiques collatéraux», « la rupture du pacte de confiance avec les médecins», une «angoisse accrue des patients». Source : http://www.genethique.org/fr/damien-le-guay-ceux-qui-font-la-promotionde-leuthanasie-luttent-contre-les-malades-eux-memes-69317#.XhCNTyl7Q1I
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Psychopathologie de l'autorité
un adulte : il n'est donc pas son égal. Il n'est pas libre et doit être protégé par l'adulte de toute transgression. Ainsi, le complexe d'Œdipe, marqueur inconscient et incontournable de la civilisation, par l'introduction des générations, du «chacun sa place» (l'enfant à la place de l'enfant, l'adulte à la place de l'adulte) et de l'accès à l'altérité fondamentale qu'est la différence des sexes et des générations, n'opère plus comme référent, et on lui préfère le chaos et la confusion qui lui précèdent. L'autorité respecte la place de chacun, elle pose chacun à sa juste place. Elle place au sommet du pouvoir des individus conscients et élaborés, responsables, incorruptibles, ayant le sens de l'intérêt général. Le pouvoir déviant fera tout le contraire. La liberté ne se fonde qu'en considération du pacte social et de la liberté d'autrui. Voilà l'un des exemples de la folie qui traverse actuellement le corps social français, et dont le risque imminent est un retour à la barbarie, comme en témoigne aussi l'éradication pure et simple des savoirs anciens, de ce que l'on appelait, et pour cause, «les humanités », ainsi que la destruction intentionnelle depuis des décennies des apprentissages scolaires logiques (écriture, lecture, mathématiques, grammaire, rhétorique), permettant à l'enfant d'acquérir les outils pour se défendre intellectuellement face aux manipulations de tout ordre. L'autorité politise, et transforme une foule en peuple conscient et éduqué à la dimension politique. L'autorité civilise, en se portant garante des interdits fondateurs de l'inceste et du meurtre. Autrement, la démocratie, «le pouvoir du peuple», est une notion creuse et vide de sens. L'autorité, en somme, humanise. De fait, si l'autorité est un concept philosophique majeur, c'est bien parce qu'elle est au coeur de l'acte humanisant (civilisateur). Comme tout acte humanisant, elle peut donner lieu à des dérives, à des déviances, incarnées alors dans ce qu'elle n'est certainement pas: l'autoritarisme (la tyrannie, sur un versant politique), ou le laxisme (distorsion des liens sociaux, ou loi du plus fort, en politique). Le versant clinique de l'autorité permet de mesurer ses implications et impacts sur les plans psychopathologiques, socio-éducatifs, sociaux, juridiques et politiques. L'analyse psychologique s'articulera en trois axes différents :
16
Introduction
—définir des critères sémiologiques (phénomènes, mais non processus) discriminants et déterminants pour distinguer l'autorité, les carences d'autorité et l'autoritarisme ; penser la conceptualisation sur le plan psychopathologique du phénomène, par-delà la diversité de ses champs d'intervention (autorité en éducation, autorité de hiérarchie au travail, autorité en politique...) ; —penser l'autorité dans ses liens avec la psychologie de groupe, dans sa fonction d'étayage au niveau social et au niveau institutionnel. Il s'agit ici de comprendre l'universalité de la notion d'autorité, au travers de tous les costumes qu'elle peut revêtir, que ce soit dans l'éducation (« enfants-rois », professorat, etc.), l'entreprise (management, leadership, recherche de «performance », etc.), la politique... Il est déjà visible que l'autorité s'inscrit souvent dans les domaines où se manifeste avec prédilection le pouvoir. Or, dans le champ humain, le pouvoir se manifeste partout, car il s'agit bien de savoir au service de quoi chacun se met. Et il est alors question de valeurs et d'idéaux. Si l'on se met au service d'idéaux collectifs et transcendants de justice, de liberté, de vérité, et si l'on tente de mener une vie en accord avec ces idéaux, alors oui, l'on rencontrera certainement un pouvoir juste, une autorité, un Maître aidant. Si l'on se met au service de l'ambition personnelle, de l'immanence de ses désirs, alors l'on rencontrera un pouvoir injuste et dominateur, un gourou sans scrupule. Les individus, comme les peuples, sont récompensés ou sanctionnés pour leur élévation vers une transcendance ou leur stagnation dans une passivité complaisante et confortable. C'est précisément dans cette transcendance que se niche l'autorité. Tandis que le pouvoir conquiert l'espace de façon horizontale, l'autorité sert de médiateur d'une transcendance et investit le monde dans la verticalité et ses attributs (hiérarchie des valeurs, mérite, durée, etc.). Si l'on parle d'autorité pour couvrir différents champs extrêmement hétérogènes (éducation, gouvernement, management...), c'est-à-dire si l'on utilise une même notion pour penser des actions humaines disparates, c'est que ce concept a une essence unitaire. La finalité de cet ouvrage est de donner des ouvertures et des pistes de réflexion, alliées à des connaissances théoriques sur le sujet, afin d'aider le lecteur à penser par lui-même la crise de la modernité, et, plus généralement, l'inscription et/ou la nécessité de l'autorité comme fonction 17
Psychopathologie de l'autorité
anthropologique. Il s'agit donc davantage de soumettre des réflexions vouées à augmenter le discernement sur ce qu'est l'autorité, plutôt que de donner des réponses définitives ou des recettes. Car il est entendu ici que savoir bien poser les problèmes permet de travailler à mieux trouver des réponses qui puissent, sans être dogmatiques, faire oeuvre de pertinence. Il est donc déjà acquis, dès cette introduction, que ce livre vise à mettre en lien des logiques profondes derrière des disparités apparentes.
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Chapitre 1 Histoire et étymologie de l'autorité
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Sommaire 1. À l'origine de la notion d'autorité
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2. Les définitions de l'autorité
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3. Un concept politique
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4. Questionnement psychologique
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1.
À l'origine de la notion d'autorité
1.1 Étymologie « Autorité » est un terme provenant du nom latin auctoritas. L'auctoritas romaine était l'apanage du Sénat, qui n'avait pas de pouvoir décisionnaire ni de pouvoir exécutif, contrairement à la potestas (pouvoir), qui imposait la force au peuple. «Potestas in populo, auctoritas in senatu »1, dit d'ailleurs l'adage populaire depuis Cicéron. L'auctoritas était donc la qualité et la légitimité des Anciens, qui l'avaient eux-mêmes obtenue, par héritage et transmission, de la part de ceux qui avaient posé les fondations pour toutes les choses à venir. Les détenteurs de l'auctoritas étaient ainsi les garants de la fondation sacrée. Il est déjà intéressant de constater que l'autorité n'est pas synonyme de pouvoir. Elle peut même exister sans la force du pouvoir et, bien plus, incarner un contre-pouvoir d'ordre symbolique (cf. infra, 1.3). Le verbe augeo, dont provient l'auctoritas, signifie faire naître, augmenter, produire à l'existence. D'après Benveniste (1969, p. 148 sq.), augere consiste avant tout à poser un acte créateur, fondateur, voire mythique, qui fait apparaître une chose pour la première fois. Bien évidemment, dans la même racine étymologique, l'auteur (auctor) est celui qui fonde une parole et s'en porte le garant. Ce terme était particulièrement employé pour les historiens, l'auteur étant celui qui crédibilise une parole concernant l'héritage et le passé. Ainsi, la personne faisant autorité serait non seulement détentrice d'une puissance d'ordre symbolique, constituée notamment par l'héritage et la filiation, mais pourrait être aussi une personne elle-même fondatrice de quelque chose d'inouï et d'inédit. La parole est au coeur de l'autorité : soit qu'elle se porte garante du passé, soit qu'elle fonde elle-même une racine nouvelle. L'autorité traduit donc la qualité de la fondation, qu'elle soit passée ou présente, avec l'enracinement d'un projet révolu ou à venir. D'ailleurs, l'historien Tite-Live intitule son œuvre Ab urbe condita, qui signifie littéralement «à partir de la fondation de la Ville» (de Rome).
1. Le pouvoir appartient au peuple, l'autorité, au Sénat.
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Psychopathologie de l'autorité
L'histoire humaine et civilisatrice débute par une fondation, et l'autorité s'en institue la garante. À partir de là, tout fondateur de projet porte en soi une autorité symbolique, qu'il soit créateur d'une entreprise, d'une oeuvre artistique, etc. Il perd a contrario sa crédibilité dès qu'il s'éloigne un tant soit peu de son rôle de garant des origines de la fondation. C'est ainsi qu'un auteur reconnu se verra décrié s'il change trop de style, un chef d'entreprise, délégitimé s'il change la nature de ses ambitions. En somme, trois notions préalables distinguent l'autorité : la fondation, les origines, le garant.
1.2 L'autorité, l'histoire, le savoir La dimension temporelle et historique de l'autorité est prégnante. Il ne suffit pas d'être l'auteur d'un projet pour faire autorité. L'inscription dans l'autorité nécessite un ancrage temporel. Demeurer garant est en effet une oeuvre temporelle : ne dit-on pas d'une personne qu'elle est un « monument » de la littérature, de l'histoire... ? Or, pour devenir monument, il est besoin de durer. Avec l'autorité, les liens entre le passé et le présent, ainsi que la transmission, sont particulièrement solides. Ceux qui ont davantage vécu sont censés incarner plus d'autorité que ceux qui ont moins vécu. C'est ainsi que l'on conférera l'attribut d'autorité plutôt aux Anciens et à la vieillesse qu'à la jeunesse. Être garant de la fondation, c'est, en effet, la promouvoir dans la transmission. À cet égard, la spécificité de l'auteur antique est d'être un historien, celui dont la parole garantit la mémoire et la transmission, à travers l'écriture, et qui permet d'assurer la conservation avec précision, sans la falsification inhérente à toute transmission orale. L'autorité est essentiellement hiérarchique : il y a d'une part, celui qui sait, connaît les fondations (soit qu'il les ait lui-même fondées, soit qu'elles lui aient été transmises), s'en porte garant, et est reconnu pour ce savoir et cette légitimité, d'autre part, celui qui ignore, et doit apprendre de celui qui sait. Le rapport est asymétrique, donc inégalitaire, puisqu'il est un rapport de transmission sur la connaissance des fondations, et la conservation de leur mémoire. 22
Histoire et étymologie de l'autorité • Chapitre 1
Il y a le Maître, et il y a le Disciple. L'autorité est donc une forme d'ascendance sur autrui, contractée par ce champ du savoir qui concerne le lien du passé au présent et la connaissance des origines. Ce savoir est d'essence anthropologique, il est concerné par ce qui demeure, c'est-à-dire ce qui est universel entre les humains par-delà les âges. C'est ce savoir qui peut consolider le pouvoir, le renforcer, ou au contraire lui faire de l'ombre. Car le pouvoir, pour se légitimer, a besoin du savoir afin de produire des normes et des valeurs qui lui permettent ensuite d'assurer sa fonction de contrôle (Foucault, 1969, 1975). Ainsi, l'autorité se caractérise également par cinq autres notions : la transmission, le savoir, la mémoire, la hiérarchie et l'inégalité.
1.3 Autorité, pouvoir, violence L'autorité est souvent confondue avec le pouvoir. Or, le pouvoir est application de la force, qui décide, ordonne, surveille et punit. D'après la philosophe Revault d'Allonnes (2006, p. 48), le pouvoir ressortit à l'espace, quand l'autorité est assurée par le temps.
Espace du pouvoir et temps de l'autorité
-e
Dans la tradition, l'autorité est un attribut possible du pouvoir. La politique est pensée comme un espace dont le Prince occupe le centre. Le pouvoir induit une conception du présent : oublions ceux qui nous ont précédés et ceux qui nous succéderont. Il est lié à l'action présente, dans la spatialité : Revault d'Allonnes rappelle bien que l'on parle des «lieux du pouvoir », de «l'espace public». Le pouvoir partage le monde entre les contemporains. En revanche, l'autorité permet à la politique d'être transmission, et de s'inscrire dans la durée, en demeurant la garante des hauts faits et monuments du passé. L'autorité est plutôt de l'ordre du savoir contemplatif, si l'on reprend la distinction que fait la philosophe Hannah Arendt entre contemplation et action (1961). C'est que l'autorité est liée à la tradition, en ce qu'elle appelle aussi au projet (tout projet réinvestit la tradition, surtout de façon symbolique). Arendt analyse de fait, dans le monde moderne, « l'inversion 23
Psychopathologie de l'autorité
des rangs de la vita contemplativa [vie contemplative et spirituelle, celle des sages et des philosophes, vie de la pensée] et de la vita activa [vie active, issue du désir pragmatique d'améliorer les conditions de vie matérielles sur terre, vie de l'action] dans l'ordre hiérarchique» (op. cit., p. 362), car « ce n'est pas que la vérité et la connaissance perdissent leur importance, c'est que l'on ne pouvait les atteindre que par l'action" et non plus la contemplation» (ibid.). Cette inversion des valeurs peut expliquer en partie la dissolution moderne de l'autorité (cf. infra), dans la mesure où la vita activa commande l'action présente, régit la matière, tandis que la vita contemplativa s'inscrit davantage dans un temps de la durée et préside à l'Esprit. D'après Revault d'Allonnes, la crise de l'autorité moderne est, avant toute chose, une crise de la temporalité. Pouvoir, savoir, violence D Autorité, pouvoir et savoir
D'après Russ (1994), «[1'] autorité désigne en son sens profond une relation excluant la vraie contrainte, une sorte de pouvoir d'influence étranger à l'exercice de la force directe ». L'autorité ne serait pas le pouvoir dans sa dimension de contrainte, mais serait malgré tout une sorte de puissance devant laquelle on s'incline spontanément par crainte ou respect. Les représentants de la loi sont typiquement des personnages investis d'une autorité par la société. Ce pouvoir est lié au savoir supposé que l'on prête à ces représentants. Comme le pouvoir, l'autorité relève du rapport hiérarchique : son exercice exclut d'avoir à convaincre celui qui se soumet. Les réponses spécifiques à l'autorité sont l'acquiescement, la déférence et le respect. En cela, elle légitime une hiérarchie, jusqu'à, parfois, sacraliser le pouvoir. L'autorité confère d'ailleurs du crédit au pouvoir, en rendant son exercice supportable. C'est ainsi que César enracinait son autorité dans sa mythique descendance de Vénus, Louis XIV dans une filiation de droit divin... Ou, plus proche de nous, il est plus fréquent que nous acceptions de recevoir des leçons d'un médecin ou d'un professeur dont émane un savoir supérieur à nos yeux, plutôt que d'un ami. Mais l'autorité au sein du pouvoir ne se réduit pas à la transmission. Nous avons vu qu'elle peut être invoquée au sujet de la création, de l'engendrement d'actions exemplaires destinées à durer. C'est ainsi que sans filiation, Napoléon fit oeuvre d'autorité dans la fondation personnelle de son mythe 24
Histoire et étymologie de l'autorité • Chapitre 1
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et ses créations politiques destinées à s'enraciner dans la durée (ex.: le Code civil); l'autorité de pure filiation ayant été dévolue par la suite à Napoléon III (lequel se réclamait de Napoléon Ier). L'une des vertus de l'autorité consiste à augmenter le pouvoir. D'une personne qui a de l'autorité, on dit que son opinion pèse lourd ou qu'elle a du poids. Le verbe latin augere, d'où provient le mot auctoritas, signifie, dans sa plus commune acception, augmenter. La qualité qui, augmentant une personne, constitue son autorité, provient toujours d'un savoir qu'elle est supposée détenir (savoir qui peut avoir été légué par ses ancêtres ou par l'expérience, été remarqué par des succès, à la guerre ou aux élections...). L'augmentation peut être ajoutée de l'extérieur par un poste dans une hiérarchie, elle peut aussi être organique. Dans ce cas, elle est parfois telle que la personne augmentée n'a qu'à paraître pour inspirer le respect et l'obéissance. «Le monde en le voyant eût reconnu son maître », nous dit Racine à propos de Louis XIV. L'autorité augmente la personne dont elle émane, mais elle augmente aussi celle qui la reconnaît. Le Maître a une autorité qui, si elle est reconnue par le Disciple, l'incite à croître vers un perfectionnement. L'augmentation du pouvoir par l'autorité lui confère une action civilisatrice, et non destructrice. Le «Grand Homme », d'après le philosophe Hegel, est un homme de pouvoir qui pose les jalons de la civilisation, en mettant en oeuvre ce à quoi aspire une civilisation, à un moment donné de son histoire. S'il est un homme de l'action, c'est celui d'une action correspondant à la pensée rationnelle de l'histoire d'un peuple, où le Grand Homme joue son destin en même temps que celui du peuple en question, ce qui explique aussi que «rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion ». L'économiste et sociologue Max Weber (1919, p. 126) distingue trois grands modes de légitimation du pouvoir : 1) L'autorité de l'« éternel hier», c'est-à-dire «celle des coutumes sanctifiées par leur validité immémoriale et par l'habitude enracinée en l'homme de les respecter». Cette autorité-là légitime le pouvoir traditionnel du patriarche ou du seigneur terrien d'autrefois. Il s'agit ici d'un savoir que j'appellerai « savoir ancestral». 2) L'autorité fondée sur le charisme (« grâce personnelle et extraordinaire d'un individu»), qui «se caractérise par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d'un homme et par leur confiance en sa seule personne en 25
Psychopathologie de l'autorité
tant qu'elle se singularise par des qualités prodigieuses, par l'héroïsme ou d'autres particularités exemplaires qui font le chef». Ce second type d'autorité légitime le pouvoir charismatique, celui du prophète, du chef de guerre ou du démagogue par exemple. Weber superpose le démagogue et le chef de guerre, sans voir que ce qui distingue la manipulation de l'autorité authentique provient là encore d'un savoir, que j'appellerai ici « savoir pragmatique» (fondé sur l'action, l'expérience que l'on a pu retirer de l'action, la capacité d'élaborer une stratégie et de choisir le bon moment pour agir). 3) L'autorité qui s'impose par la compétence fondée sur des règles, le respect de la légalité. Cette autorité-là requiert une obéissance aux obligations conformes au statut établi. Weber (op. cit., p. 127) y voit l'autorité du pouvoir des états démocratiques modernes. Ici, il s'agit de ce que j'appellerai « savoir normatif», c'est-à-dire d'un savoir confortant les normes et valeurs du pouvoir en place, ses règles d'exercice et de contrôle. Dès lors, bien que l'autorité consiste à fonder la légitimité du pouvoir sur un savoir (savoir ancestral, savoir pragmatique, savoir normatif) et à enraciner les places de dominants et de dominés, ses figures semblent hétérogènes. Son ancrage relève de l'ordre plutôt symbolique que fonctionnel. En somme, l'autorité se distingue du pouvoir, et se caractérise par la notion suivante : légitimation symbolique d'un pouvoir par un savoir. I:I Pouvoir, autorité, violence De plus, ni le pouvoir ni l'autorité ne sauraient se confondre avec la violence, qui est instrumentale (rapport des moyens et des fins). La violence n'est en effet qu'un outil mis à disposition du pouvoir, mais qui n'est jamais celui utilisé par l'autorité, dans la mesure où la violence tente d'user de la contrainte sur autrui, alors que, nous l'avons dit, l'autorité exclut la contrainte. Là où la violence existe, l'autorité n'est plus. La violence est antinomique avec l'autorité, dans la mesure où elle ne reconnaît pas l'altérité. La violence peut s'inscrire également dans le dire, auquel cas la parole n'est plus une parole d'autorité mais une parole aliénante. La parole d'autorité est une parole de séparation (inter-dits) rendant possibles le partage et la transmission, mais aussi un moment de symbolisation, où peuvent alors advenir les valeurs morales, le juste et l'universel.
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Autorité et responsabilité
En résumé, l'autorité est politique, au sens noble de l'action civilisatrice de la politique (œuvrer à la vie en commun). Si le pouvoir lie et délie les hommes dans l'espace (il disparaît quand les humains se dispersent et cessent d'agir ensemble), l'autorité légitime le pouvoir car elle les relie dans le temps : « Le temps est la matrice de l'autorité comme l'espace est la matrice du pouvoir» (Revault d'Allonnes, 2006, p. 13). L'autorité n'est pas un attribut du pouvoir, elle est sa garantie de légitimité, en assurant tout à la fois la continuité des générations et un partage du monde entre prédécesseurs et successeurs dans une durée publique (lien social), par-delà les discontinuités et les ruptures historiques. En vérité, l'autorité commence là où s'arrête le pouvoir (ainsi en est-il du conseil délibératif des sénateurs), elle conseille là où le pouvoir ordonne, et ce conseil n'est pas contraignant, il peut n'être pas suivi, mais dans ce cas, les conséquences risquent d'être néfastes. La vertu du pouvoir est la force, celle de l'autorité, la sagesse fondée sur un savoir. Enfin, l'autorité ne se détient pas comme une possession, à l'inverse du pouvoir. Elle a été confiée, et de façon temporaire, puisqu'elle s'inscrit dans la transmission et l'autorisation (agir). Le Maître transmet au Disciple, afin qu'il devienne Maître à son tour, en acquérant la maîtrise, qui est tout à la fois un savoir et une responsabilité, notamment celle de la transmission, donc de la parole juste. De fait, l'autorité est liée à la responsabilité, qui signifie savoir répondre, tant de soi que du monde. C'est aussi en cela qu'elle est liée à la force de la parole (cf. infra).
1.4 Autorité et Loi La Révolution française fut l'occasion d'une première introduction de l'État au sein de la famille, afin d'y sanctionner un nouveau délit : l'abus d'autorité. Dès lors, le père n'eut plus le pouvoir de transmettre autoritairement le patrimoine rural. L'Empire napoléonien affirma, quant à lui, la nécessité d'une transmission morale assignée au père de famille, qui prévalut jusqu'à la révolte anti-autoritaire de mai 1968. De fait, jusqu'en 1970, était reconnue la puissance paternelle, héritage du pater familias romain : seule était légitimée l'autorité du père sur toute la famille, y compris 27
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sur sa femme. Le Code civil napoléonien assimilait en effet l'épouse à une mineure dont l'indépendance financière était sujette au « chef de famille». Ensuite, l'autorité parentale s'est caractérisée par l'égalité des droits et des devoirs du père comme de la mère dans l'éducation des enfants (hébergement, éducation, résidence et surveillance de l'enfant ; santé, orientation scolaire, organisation de vie). Il était toutefois stipulé que l'autorité parentale n'est ni excessive ni illimitée. Elle se bornait à la reconnaissance des droits de l'enfant dans son statut d'enfant (droits et devoirs limités, par exemple l'enfant n'a pas accès à tous les « privilèges » de la vie de l'adulte, mais il n'en a pas non plus tous les devoirs). L'action éducative devait prévaloir dans «l'intérêt supérieur de l'enfant ». À la majorité de l'enfant, l'autorité parentale s'évanouissait. Aujourd'hui l'enfant a le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, ce qui présente un effet pervers de déni d'enfance, faisant glisser le paradigme d'un enfant « rien » à un enfant « tout », de la tyrannie au laxisme le plus radical. Ainsi, la puissance paternelle a été destituée légalement depuis la révolution des mœurs promue par mai 1968 en France. Parallèlement, la considération des droits de l'enfant s'est peu à peu accrue, ainsi que la libéralisation de la parole de l'enfant et la démocratisation des compétences. L'enfant est devenu auteur et acteur, à son niveau de développement psychobiologique, et ne se définit plus tant par ses origines sociales ou sa lignée que par sa compétence personnelle, ce qui présente de lourds effets pervers, surtout lorsqu'il s'agit finalement de nier le besoin d'éducation au nom des « droits » de l'enfant à exprimer son point de vue sur tout, y compris désormais sur la sexualité et la reproduction' ! Une question se pose alors : si les modalités traditionnelles (patriarcales) de l'autorité disparaissent, l'autorité réapparaît-elle sous d'autres figures ? Ou bien est-elle tout simplement peu à peu bannie de l'espace politique et sociale, engendrant une régression vers une forme de chaos et de barbarie ? Au vu des rapides évolutions ces dernières années, l'on peut malheureusement répondre positivement quant à l'hypothèse d'une régression vers le chaos, supprimant progressivement tous les tabous moraux et civilisateurs de nos sociétés occidentales, avec un affaissement de toute structure et
1. Cf. Bilheran, A. (2017b). L'imposture des droits sexuels, KDP Amazon.
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autorité vers des modes de séduction, de manipulation et d'intimidation relevant du registre pervers. Pédagogie moderne et «libérale» La pédagogie traditionnelle estimait que l'enfant avait besoin d'autorité pour commencer à apprendre. Le philosophe Kant en faisait son premier principe: sans discipline, point d'apprentissage! «Le défaut de discipline est un mal bien plus grand que le défaut de culture», dit-il, et aussi «Il est extrêmement mauvais d'habituer l'enfant à tout regarder comme un jeu. Il doit avoir du temps pour ses récréations, mais il doit aussi y avoir pour lui un temps où il travaille. Et si l'enfant ne voit pas d'abord à quoi sert cette contrainte, il s'avisera plus tard de sa grande utilité L'éducation doit comprendre la contrainte, mais elle ne doit pas pour autant devenir un esclavage'.» De nos jours, dans la mesure où l'enfant est de plus en plus dénié dans son enfance et considéré à l'égal de l'adulte, les stratégies pédagogiques évoluent de façon regrettablement démagogique. Dans certains établissements dits innovants, les enfants ont jusqu'au droit de choisir ce qu'ils mangent, à quelle heure, etc., par exemple. C'est également la posture d'une enseignante qui estime que les enfants apprennent à lire eux-mêmes par imitation. Il n'est donc plus besoin de leur enseigner à lire par la méthode syllabique, la lecture viendra toute seule sans plus aucune contrainte d'apprentissage, de répétition, de mémorisation et d'écriture!!!! Il faut voir dans l'abandon des contraintes posées à l'enfant dans l'apprentissage l'une des raisons principales de la chute libre du niveau scolaire en France.
L'autorité se traduit par la loi morale, quand le pouvoir se traduit par la loi légale. Les deux ne vont parfois pas de pair, et les régimes totalitaires en sont la manifestation. Loi morale et loi légale Le mythe d'Antigone est représentatif de la distorsion possible entre le pouvoir légal et l'autorité. La tragédie grecque de Sophocle, qui date de 441 av. J.-C., illustre le conflit entre Antigone et Créon, au sujet de l'exécution des rites funéraires de Polynice, le frère de la première. Le Roi Créon défend le pouvoir légal, et refuse que des funérailles aient lieu, tandis qu'Antigone accomplit son devoir religieux. Antigone affirme l'absence d'autorité de l'édit royal interdisant les funérailles, et se réclame des lois divines, non écrites et éternelles, tandis que Créon soutient que les lois humaines ne peuvent être enfreintes pour des opinions personnelles, et que Polynice doit subir le sort des traîtres à la Patrie.
1. Kant, E. (1776-1787). Réflexions sur l'éducation, Paris, Vrin, 1996.
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Le pouvoir patriarcal l'emporte, sur un critère sexiste, disqualifiant la femme pour l'exercice du pouvoir. Toutefois, les dieux soutiennent bien l'autorité de la femme, et Créon s'entend dire par le devin Tirésias que sa cité subira un fort châtiment pour son action non pieuse. Antigone se pend au fond de la grotte où elle avait été enterrée vivante. Sophocle (-441),
Antigone.
Ainsi, l'autorité n'est pas nécessairement la loi légale et se fonde sur l'idée d'une justice transcendante, divine, supérieure.
2. Les définitions de l'autorité «La violence fait les tyrans, la douce autorité les rois », écrivait Buffon. L'autorité, si elle a à voir avec le pouvoir, est une construction culturelle, qui inscrit son appartenance à un ordre symbolique, ainsi que le caractérise une autorité religieuse par exemple. «La douce autorité» indique à la fois un attribut du pouvoir, qui n'est pas la violence (instrument pragmatique du pouvoir) mais qui relève davantage d'une forme de bienveillance, qu'elle soit réelle ou supposée.
2.1 Réflexions philosophiques C'est la philosophie morale et politique qui a pensé la notion d'autorité. Pour autant, cette notion n'a jamais occupé le centre du débat philosophique, alors qu'elle préside de façon sous-jacente à de nombreuses thèses philosophiques, que ce soit celle des gouvernants chez Platon, ou celle du monarque leibnizien, ou encore celle de la pédagogie et du Contrat social chez Rousseau... D'après l'article de Diderot, dans l'Encyclopédie (1751) consacré à l'autorité, « aucun homme n'a reçu de la nature le droit de commander aux autres», et la liberté est un droit universel. La seule autorité qui pourrait sembler naturelle est celle de la puissance paternelle, laquelle a ses bornes aussitôt que les enfants ont acquis l'autonomie. Toute autre autorité serait culturelle, bien que nous puissions ajouter que, du point de vue religieux, l'autorité acquise par le père est une émanation spirituelle provenant d'une autorité de droit divin (le père doit traiter ses enfants comme Dieu traite les
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humains). La puissance s'acquiert par force ou violence (loi du plus fort), ou bien consentement de ceux qui y sont soumis par un contrat, au travers duquel ils défèrent à l'autorité (loi consentie). C'est aussi ce qui distingue, d'après Diderot, le tyran du prince. La véritable autorité serait différente de l'idolâtrie, car «la vraie et légitime puissance a donc nécessairement des bornes » ; «le prince tient de ses sujets mêmes l'autorité qu'il a sur eux; et cette autorité est bornée par les lois de la nature et de l'État». L'autorité est un concept politique. Car la politique est aussi ce moment qui permet l'instauration d'une vie en commun, le passage de la nature à la culture. C'est ainsi que les réflexions contemporaines sur l'autorité portent sur ses liens avec la démocratie (et non la République, censée reconnaître quant à elle des élites). D'après Tocqueville, l'un des problèmes majeurs de la démocratie serait le suivant : «Non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains ; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre coeur » (1840, p. 10). La « crise » actuelle de l'autorité pourrait donc être pensée en lien avec le développement de la démocratie individualiste. Ce n'est véritablement qu'au siècle dernier que Kojève et Arendt ont tous deux conceptualisé ce que pouvait recouvrir une telle notion. Or, le xixe siècle et le début du xxe siècle ont connu des crises d'autorité importantes en Europe, avec des moments politiques pour le moins autoritaires sinon totalitaires. Il est à noter que Kojève non seulement réhabilita les études hégéliennes en France, essentielles pour la compréhension de la philosophie du pouvoir et celle du Droit, mais fut aussi conseiller en titre de De Gaulle, personnage qui incarna une figure d'autorité dans l'Histoire de France, tandis qu'Hannah Arendt observa scrupuleusement de son côté l'épouvantable expérience totalitaire.
Pour Arendt Pour Arendt, l'autorité est la capacité d'obtenir l'obéissance «sans recourir à la contrainte par la force ou à la persuasion par arguments ». L'autorité est centrée sur l'augmentation apportée par le passé : «Les actions du peuple sont, comme celles des enfants, exposées à l'erreur et demandent donc une augmentation et une confirmation de la part du conseil des Anciens 31
Psychopathologie de l'autorité
(Montesquieu). Le caractère autoritaire de l'augmentation des Anciens se trouve dans le fait qu'elle n'est qu'un simple avis, qui n'a besoin pour se faire entendre ni de prendre la forme d'un ordre, ni de recourir à la contrainte extérieure. Aussi, les précédents, les actions des ancêtres et les coutumes qu'elles engendraient, étaient toujours liants» (Arendt, 1958). L'autorité ne recourt pas à la contrainte, c'est en cela qu'elle se distingue de la violence, ou des formes psychologiques d'emprise. Elle est ce qui enracine dans le passé, ce qui fait d'elle l'apanage des parents face aux enfants, les Anciens ayant la fonction symbolique de parents au sein de la société. Elle est facteur de lien entre le passé et le présent, mais aussi entre les générations et les membres de la communauté. Arendt rappelle ensuite qu'en abandonnant à César ce qui était à César, l'Église romaine a consacré la distinction entre l'autorité (qu'elle se réserve) et le pouvoir (réservé à César). Lorsque ni les Anciens, ni la religion n'ont suffisamment d'autorité, demeure un ensemble d'idées et de règles qui encadrent la vie en société. Ainsi, l'autorité n'est pas seulement incarnée par une personne ou un groupe de personnes, elle peut être rendue abstraite, faisant alors office de cadre, au travers de la forte fonction symbolique des lois. L'autorité devient alors ce qui fonde la légitimité d'une dimension contractuelle (voir le Contrat social de Rousseau). Dans l'autorité enfin, l'un est implicitement assujetti à l'autre, comme dans le cas du spécialiste qui inspire l'autorité, et du non-spécialiste qui la reconnaît. Il y a bien le Maître, qui fait autorité, et le Disciple, qui la reconnaît. Le Disciple ne se soumet à l'autorité du Maître que pour grandir, c'est une relation temporaire dans laquelle chacun est gagnant. Le fameux «argument d'autorité» consiste en ce que la citation d'une autorité fasse loi et se substitue à toute nécessité d'argumentation. L'expression « Aristote a dit que...» prend valeur d'argument, par l'idée que la parole du sage prévaut sur celle de celui qui ne l'est pas, et l'on retrouve encore la sagesse comme vertu de l'autorité. Pour Kojève
La Notion de l'autorité est un ouvrage écrit en 1942 par le philosophe Alexandre Kojève, promoteur de la philosophie hégélienne en France, par son enseignement dans les années 1930 des ouvrages de Hegel à l'École Pratique des Hautes Études à Paris. 32
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Il n'est évidemment pas anodin que cet ouvrage ait été écrit durant la seconde guerre mondiale, dont la barbarie éradiqua toute forme d'autorité pour laisser place à un pouvoir totalitaire s'imposant par la contrainte. Pour Kojève, l'autorité se caractériserait par le changement qu'elle induit sur l'autre. Le support de l'autorité serait nécessairement un agent, c'està-dire un être libre et conscient (1942, p. 57), et l'acte autoritaire serait un acte conscient et libre, tout en ne rencontrant pas d'opposition de la part de celui sur qui il est dirigé. C'est en ce sens que l'autorité est relationnelle et sociale : elle suppose d'être au moins deux (sinon trois, pour la psychologie: soi, l'autre, et l'axe symbolique qui fait tiers). Ainsi, « [1] autorité est la possibilité qu'a un agent d'agir sur les autres (ou sur un autre) sans que ces autres réagissent sur lui, tout en étant capables de le faire » (ibid., p. 58). Si une opposition s'actualise, l'autorité est détruite. Kojève distingue quatre types d'autorité humaine : le Père sur l'enfant (ex.: autorité des vieillards, autorité de la tradition, autorité d'un auteur...), le Maître sur l'esclave (ex.: autorité du noble sur le serf, autorité du militaire sur le civil, du vainqueur sur le vaincu, etc.), le Chef sur la bande (ex.: autorité du maître sur l'élève, autorité du savant, du prophète, etc.), le Juge sur l'accusé (ex.: autorité de l'arbitre, du contrôleur, du confesseur, etc.). Les formes concrètes de l'autorité représentent des combinaisons de ces types purs. L'autorité est exempte de la force, tandis que le Droit l'implique et la présuppose, tout en étant autre chose qu'elle. Dès lors, toute autorité humaine trouve une justification à son existence, une raison d'être ; elle est reconnue et acceptée. D'après Kojève, l'autorité absolue n'est jamais réalisée, seul Dieu est censé la posséder. L'autorité du Juge suppose justice et équité (théorie platonicienne), sinon il s'agit de la force. L'autorité du Chef suppose la sagesse, la possibilité de prévoir et de transcender le présent immédiat (théorie aristotélicienne). L'autorité du Maître présente un caractère transcendant, puisque la prise de risque mortel est préférée à la soumission. D'après Kojève, l'autorité est un phénomène humain, social et historique, qui ne se manifeste que dans un monde à structure temporelle. Le passé est incarné dans l'autorité traditionnelle (vénération, transmission quasiment héréditaire de l'autorité) et l'avenir dans l'autorité du chef révolutionnaire. L'autorité du passé est la 33
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présence du passé dans le présent, c'est-à-dire dans toute réalité appartenant au monde temporel. De même, l'autorité de l'avenir est historique. Toute autorité est menée à disparaître lorsqu'elle renie le passé ou se détache de l'avenir. Bien entendu, l'autorité divine serait éternelle, mais il est à noter, pour prolonger la réflexion de Kojève, qu'elle s'inscrit également dans un processus de type historique (le jugement dernier, l'eschatologie, les figures mythiques originaires, etc.).
2.2 Qualités et attributs de l'autorité Si l'on analyse les points abordés, il apparaît qu'il n'existe pas d'autorité naturelle. L'état de nature se caractérise par la force, la violence et la puissance (Hobbes, 1651). Ce sont les seules modalités du pouvoir qui le constituent. En revanche, l'autorité est une construction anthropologique, qui permet de légitimer un pouvoir aux yeux des autres êtres humains. Ce pouvoir peut être réel, mais il est toujours également symbolique. Dans tous les cas, l'autorité assoit l'inégalité et l'asymétrie des relations. En cela, elle est aussi un phénomène à la fois psychologique, historique et social, qui consacre l'origine, l'identité et le projet.
Une fonction d'engendrement: l'origine L'autorité se distingue par la création, la constitution des fondements originels. Souvent, cette fonction d'engendrement caractérise indirectement l'autorité (dans les monarchies de Droit divin, c'était la filiation des monarques à Dieu, le créateur de l'univers). La fonction est éminemment parentale, en inscrivant la distinction entre ascendants et descendants. «Avoir l'ascendant sur» est une expression qui indique bien l'asymétrie inhérente à la relation d'autorité.
Une fonction de conservation: l'identité L'autorité, non seulement engendre mais aussi conserve les origines : elle est garante de l'ordre du monde, entendu comme harmonie (« cosmos », chez les Grecs anciens). En politique, il s'agit de conserver le monde selon la sagesse des Anciens. C'est donc d'une identité de société qu'il est question. Les Anciens se posent en exemplarité et modèle identificatoire. Cette fonction de conservation identitaire recouvre la filiation, la transmission, 34
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l'héritage, la mémoire et la garantie du lien entre passé et présent. En cela, l'autorité est une fonction sécurisante et protectrice, celle-là même qui légitime la justesse et la justice d'un pouvoir. Une fonction de différenciation: le projet Enfin, l'autorité opère une fonction de différenciation, qui permet, pardelà la conservation de l'identité, d'inscrire un projet et donc un futur. La différenciation opère dans le système d'inégalité et d'asymétrie inhérent à l'autorité, qui donne un cadre et des repères. Ainsi en est-il de la Loi. Par ailleurs, ce cadre est destiné à survivre à celui qui est, pour un temps, détenteur de l'autorité. Car l'autorité n'est qu'une qualité passagère, vouée à la transmission. Par exemple, l'autorité parentale fait office d'un cadre (notamment dans l'éducation et l'inscription de repères), destiné à être intériorisé dans la finalité d'une autonomie psychique acquise chez le futur adulte. Dès lors, l'autorité n'est autorité que par le fait qu'elle n'est pas un attribut inconditionnel d'une personne. Une personne n'est détentrice que temporairement d'une autorité (un parent, un père symbolique...), dont la dialectique est d'exercer un ascendant temporaire sur un descendant qui, à son tour, bénéficiera en temps voulu de l'ascendance. Ainsi, l'autorité est limitée et limitative, et n'est véritablement autorité que par le fait qu'elle devra, dans son exercice personnel, se transmettre.
3. Un concept politique 3.1 L'exercice du pouvoir
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L'autorité est donc un concept politique, parce qu'elle est l'essence de l'exercice juste du pouvoir au sein d'une organisation de citoyens. La citoyenneté commence dans la famille, pour se prolonger dans la sphère sociale. Elle est garante, comme le disait Hegel, de «la vie éthique» de l'État. L'autorité confère de la justesse et de la justice au pouvoir. Elle atténue l'usage de la force en l'investissant de valeurs de justice, d'harmonie, de vérité. Elle empêche le pouvoir de basculer dans la tyrannie et l'arbitraire.
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Si un quelconque pouvoir se réclame de l'autorité, tout en n'appliquant pas scrupuleusement les valeurs de justice, de vérité, et de reconnaissance aux Anciens, ce ne sont là que des belles paroles, et le peuple devra se demander où est la concordance entre les paroles et les actes. L'action civilisatrice de l'autorité démarre dans l'éducation primo-infantile, puis, au fur et à mesure de la croissance, s'élargit au champ civique et social.
3.2 Une crise politique La crise de l'autorité est donc avant tout politique. J'ai déjà cité Alexis de Tocqueville, au sujet des risques inhérents à l'individualisme démocratique. Ce qui s'est substitué à l'autorité, actuellement en Europe, est le nombre. Or, le nombre n'est ni fondateur ni garant de rien. Une fictive autorité de masse a remplacé l'autorité individuelle, ce que l'on retrouve dans des arguments tels que: «mais si tout le monde le pense, c'est que ça doit être bien ». C'est ainsi que l'argument d'autorité est détourné de sa substance : il ne s'agit plus d'une autorité personnelle, fondée sur le savoir, l'expérience et la sagesse, mais d'une pseudo-autorité du nombre, fondée sur la quantité des opinions majoritaires plus que sur leur qualité. De plus, l'idéologie égalitaire inhérente à la démocratie mal comprise vient entraver la nécessité asymétrique de la fonction d'autorité. Dès lors, le quidam exprime son opinion personnelle, comme si elle valait tout autant que l'opinion d'Einstein, ce qui a des effets très délétères, engendre le mépris des véritables intellectuels, qui peuvent pourtant, et l'Histoire l'a prouvé, faire alliance avec le peuple pour le bien commun. Ne nous étonnons donc pas des pseudo-intellectuels de bazar médiatisés que la société se prend pour référence, et qui ne l'entraînent précisément pas vers le bien commun. Aristote avait mis en garde contre les dégénérescences faciles de la démocratie en « ochlocratie », gouvernement, non plus du peuple conscient de sa citoyenneté, mais de la masse informe et non éduquée. L'individu étant soumis à la masse, et les personnes n'étant plus détentrices d'une autorité personnelle, surgissent alors des appels plus ou moins explicites à un leader fort, qui rétablirait l'autorité, ainsi qu'à des parfums autoritaires. L'indistinction dans la masse relègue l'autorité à un Autre, auquel on s'abandonne totalement. L'on peut à l'heure actuelle souvent constater cette / 36
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confusion dans les entreprises ou institutions, par exemple dans l'Éducation nationale : il arrive que le professeur attende que le proviseur intervienne, lequel attend que le recteur intervienne... Dès lors, la carence en autorité provoque des résurgences autoritaires, des appels vindicatifs à restaurer la tradition et des symboles anciens d'autorité. C'est toujours ainsi que la démocratie est en risque de glisser vers une ochlocratie, laquelle en appelle à la tyrannie. Seule la conscience politique engendre une différence de nature, par la conscience de la responsabilité individuelle, et là, précisément à l'endroit de cette conscience, s'inscrit l'autorité. La démocratie porte en elle ses limites, comme tout régime politique. L'égalitarisme mal compris produit en outre des confusions générationnelles, un primat accordé à l'horizontalité plutôt qu'à la verticalité (l'enfant, l'adolescent et l'adulte sont ainsi posés sur le même plan, dans les représentations). La césure avec la transmission est forte (l'illusion régnante serait que chacun est seul maître de son destin, et que la démocratie lui en donne les possibilités), ce qui s'illustre notamment dans un refus de plus en plus consacré des sciences humaines (jugées inutiles dans un destin personnel) et de leur lien au passé comme de leur valeur civilisatrice. Or, les sciences humaines, comme leur nom l'indique, humanisent, et une société qui les méprise se met en demeure de régresser dans le chaos car, précisément, elle fait fi de l'autorité qui opère comme loi morale et civilisatrice. C'est pourquoi la question peut se poser en ces termes : « Qu'est-ce qui, dans ces conditions, fait autorité dans une société qui s'est donnée à elle-même le principe constitutif de son ordre ? » (Revault d'Allonnes, 2006, p. 12). En somme, une société qui se croit auto-engendrée, qui méprise et oublie la sagesse des Anciens, voire en ricane, si elle la connaît un tant soit peu, ne peut accueillir l'autorité. Mais la désincarnation de l'autorité est encore bien plus forte. À l'heure actuelle, un salarié n'est plus tant une personnalité qu'une fonction devenue abstraite (dès lors, la personne peut être remplacée du jour au lendemain, sans que l'on estime que cela prête vraiment à conséquence, elle est devenue interchangeable). Rappelons-le : l'autorité humanise. Une société qui perd le sens de l'autorité risque donc bien de perdre son humanité. D'après Revault d'Allonnes, les rappels litaniques à l'autorité perdue révèlent un contresens sur la notion elle-même, en ce qu'ils évoquent 37
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davantage des souhaits de rétablir coercition, ordre, obéissance. Ces recours manifestent plutôt un échec de l'autorité, une manifestation de l'autoritarisme, tant dans la sphère politique, la famille, l'école que le pouvoir judiciaire, et toute autre institution. En somme, la crise de l'autorité est liée à une société qui méprise le savoir et la sagesse, ou pire, qui l'ignore et lui préfère «le règne de l'opinion », tel que Platon l'avait déjà théorisé, dans un esprit davantage démagogique que démocratique. La rupture des liens généalogiques et historiques, ainsi que l'affaiblissement de la transmission, et la suppression intentionnelle des sagesses comme des savoirs antiques ont pour corollaire un auto-engendrement de chacun comme « sachant » (on s'autoproclame thérapeute, coach, expert...), et de tous comme ignorants malléables et aliénables à la merci du corps politique. Cette crise de la transmission, donc du savoir, se constate de façon criante et manifeste dans les institutions, qui n'ont plus de repères identificatoires, et ne parviennent plus à s'inscrire dans leur propre filiation. Le règne de l'opinion chez Platon Platon, dans La République, distingue les « philodoxes» et les «philosophes». Les premiers aiment leurs opinions, préjugés, nécessairement imparfaits voire erronés, tandis que les seconds aiment la sagesse et la connaissance. Les uns idolâtrent leurs opinions au détriment de la vérité, les autres ne transigent pas avec la recherche du vrai, et savent s'élever jusqu'au beau dans son essence. Le pouvoir ne doit être confié qu'à des philosophes, des humains aimant la sagesse, le Vrai, le Bon, le Beau, le Bien, le Juste, car les autres sont trop soumis à leurs passions changeantes et pervertissent la noblesse du pouvoir civilisateur.
3.3 Autorité et pédagogie Il est de bon ton d'arguer une « crise » de l'autorité, qui serait présente à tous les niveaux : famille, éducation, politique, entreprise... En guise de remède, l'autoritarisme est invoqué, et l'utilisation de la force, souvent préconisée (« remettre dans le rang», «rentrer dans l'ordre »), jusqu'à des appels au rétablissement de la peine de mort et à des coercitions sadiques. Or, nous l'avons vu, l'autorité instaure une obéissance sans besoin d'utiliser la force. L'illusion égalitaire de la démocratie actuelle rejaillit très nettement sur la pédagogie, et le domaine éducatif. L'éducation consiste en effet à conduire
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hors de l'état d'infans (celui qui n'a pas accès à la parole comme fonction raisonnante) vers une autonomisation. L'enfant est dépendant, biologiquement, physiquement, psychologiquement, émotionnellement, intellectuellement de l'adulte. Dans la matière comme dans l'esprit, il n'a pas atteint sa maturité, et nécessite la protection de l'adulte, qui détient la force pour lui. L'autorité vise à transmettre des règles pour apprendre à diriger sa vie, tout en respectant des principes de vie en commun. Toute éducation se fonde sur une inégalité primordiale. C'est ainsi qu'à Rome, le terme auctoritas désignait notamment la garantie solennelle donnée par le tuteur aux actes de son pupille. Ce n'est que parce que l'enfant se sait en croissance, et qu'il a des modèles identificatoires (adultes auxquels il souhaiterait ressembler) qu'il consent à l'autorité, c'est-à-dire qu'il reconnaît l'inégalité inhérente entre le monde des enfants et le monde des adultes, mais aussi l'exemplarité morale de l'adulte à l'autorité duquel il se soumet (sans contrainte donc). Bien entendu, l'inégalité n'implique pas l'absence de droits ou de devoirs, mais elle consacre un état de fait. L'adulte n'a aucun droit sur l'enfant, il n'a que des devoirs envers lui (notamment, de protection et d'éducation). Et l'enfant n'aura de droits que ce qu'il en aura conquis au fil des ans dans son autonomisation progressive, c'est-à-dire, au sens kantien du terme, sa capacité acquise de se poser à lui-même ses propres limites et sa loi morale. Nier cette inégalité relève du déni de réalité, voire de l'idée délirante, de même que ceux qui prétendent qu'être homme ou femme est la même chose (jusqu'à nier une réalité biologique), et l'on en voit de plus en plus. Après l'éducation psychoaffective dans l'intrafamilial, l'école poursuit une oeuvre pédagogique de socialisation, dans laquelle intervient l'autorité enseignante, rapport inégalitaire entre celui qui possède un savoir, s'en porte le garant, transmet les racines socialisantes du passé de la civilisation vers son présent et son futur, et celui qui est en apprentissage : «Faut-il le rappeler : le rapport enseignant-élève est inégalitaire et implique l'autorité comme reconnaissance tacite de cette inégalité» (Le Goff, 1999, p. 72). C'est en cela aussi qu'Arendt récuse l'autorité par argumentation ou persuasion. Il ne s'agit pas de convaincre que l'on possède une autorité ; elle est inscrite de fait, dans l'asymétrie des relations et des positions. L'autorité enseignante est, de plus, fondée en théorie sur le rapport de celui qui sait à celui qui apprend un savoir. Ici, l'autorité est clairement fondée sur une transmission, qui suppose un cadre, des repères et des limites. Or, pour cela, faut-il encore accorder de la valeur à la connaissance et à l'expérience... 39
Psychopathologie de l'autorité
Car ce n'est que dans la discipline que peuvent être intégrés des matières et un savoir. C'est ainsi que l'école et le champ politique sont des hauts lieux où devrait s'exercer l'autorité dans sa dimension civilisatrice, puisque la transmission permet l'élévation de celui à qui l'on transmet, dans une co-(n)naissance entre le passé et l'avenir. L'autorité élève celui qui la reçoit à la dimension du projet (autonomisation de soi). L'autorité suppose une asymétrie mais pas une aliénation, à l'inverse des phénomènes autoritaires (autoritarisme) des États totalitaires, ou des aliénations sectaires (gourous...) fondés sur l'emprise et la séduction (et non sur la raison). L'autorité disparaît des lieux où s'actualisent des conflits de pouvoir. C'est ainsi que, par exemple, là où il y a harcèlement, il y a abus de pouvoir, et non autorité. La fameuse « crise » de l'autorité signifie que notre société fait fi de la tradition, du poids et des symboles du passé, comme socle indispensable à toute croissance. L'éradication des racines culturelles crée de l'insécurité identitaire, et fait resurgir des terreurs archaïques. De même, lorsqu'une société ne s'enracine plus guère dans son passé, elle présente alors des difficultés à engendrer du progrès (c'est-à-dire du projet), et ne serait-ce même qu'une croyance au progrès. D'un point de vue psychologique, une carence en autorité induit plusieurs effets dans le développement de l'enfant. Tout d'abord, un enfant laissé sans autorité est voué à ressentir une profonde angoisse d'abandon et une réelle détresse. De plus, une lacune en autorité est aussi une lacune en limites, lesquelles pourtant sécurisent et permettent le développement psychique (cf. infra). En leur absence, l'enfant est soumis à une illusion de toute-puissance, à une tyrannie psychique sous l'emprise de pulsions de destruction qui doivent être transformées en des œuvres de construction. C'est notamment en cela que certains spécialistes (par exemple le psychanalyste Winnicott) expliquent la survenue de la délinquance à l'adolescence, comme un appel au cadre, aux repères, à une structure, en cas de fonction paternelle défaillante à un niveau familial et sociétal (le père — pas nécessairement biologique —, mais aussi toutes les personnes qui devraient recouvrir cette fonction d'autorité, tels que les enseignants). Il y a en effet un besoin d'autorité chez l'enfant, un «besoin d'être éduqué» qui «existe chez les enfants sous la forme d'un sentiment qui leur est propre, 40
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celui de l'insatisfaction d'être tels qu'ils sont», «le penchant qui les incite à appartenir au monde des adultes, qu'ils pressentent comme quelque chose de supérieur au leur, ou encore le désir de devenir grands» (Hegel, 1820, r§ 175). L'erreur d'une certaine pédagogie s'applique «à représenter les enfants comme parvenus à maturité et satisfaits de l'état où ils se trouvent, alors qu'en réalité, cet état, ils le sentent eux-mêmes comme un état de non-maturité» (ibid.). La pédagogie trouve son sens dans l'autorité, et non dans le jeu, car elle fait valoir la fonction paternelle de séparation, de cadre, de limite, de négativité. Tandis que le jeu permet d'éveiller les différentes facultés de l'enfant (éveil sensori-moteur, travail de l'imaginaire et de la relation à l'autre, travail mnésique, travail logique, etc.), la pédagogie contient la dimension pulsionnelle présente dans l'enfant, et elle le sécurise par là même. Là où le jeu permet, la pédagogie contient.
Tout ce qui vise à remplacer l'autorité par le jeu, tout ce qui consiste à faire croire à l'enfant qu'il peut avoir des prétentions d'adultes et à le traiter en adulte relève de la séduction perverse. Malheureusement, tout un chacun peut observer des exemples de telles dérives, y compris au niveau des politiques menées dans les domaines de l'éducation. Le pédagogisme ou la mort de l'autorité dans l'enseignement Liliane Lurçat, docteur en psychologie, docteur ès Lettres et Sciences humaines, élève d'Henri Wallon et ancienne directrice de recherche honoraire au CNRS (psychologie de l'enfant), a dénoncé la dérive de l'autorité dans la pédagogie, vers toujours des méthodes de plus en plus laxistes, dont elle vilipende le caractère pervers, et même totalitaire, ainsi que la fabrication de l'illettrisme de masse. Dans son livre Vers une école totalitaire? L'enfance massifiée à l'école et dans la société, elle dénonce ce qu'elle appelle le « pédagogisme '>. et dont il est clair qu'il s'agit de l'instauration d'une démagogie au sein de la pédagogie lui supprimant tout attribut d'autorité, en ôtant la relation intime de la pédagogie au savoir qu'elle est supposée transmettre, mais aussi de la pédagogie et du savoir à l'auteur (l'enseignant) qui les incarne: «Quand la pédagogie prétend s'opposer à la transmission des connaissances et des valeurs, quand elle s'émancipe de tout lien avec le passé, et qu'elle prétend transformer la société, elle devient pédagogisme. A-t-on besoin de spécialistes de la pédagogie qui viennent dire aux enseignants ce qu'ils doivent faire? Voilà la question à laquelle on est tenté de répondre par la négative, car la pédagogie n'est pas séparable des connaissances à transmettre, d'une part, et de la qualité de la personne qui les transmet d'autre part'.'>
1. Lurçat L. (2001). Vers une école totalitaire? L'enfance massifiée à l'école et dans la société, Paris, François-Xavier de Guibert, p. 147.
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Dans ma patientèle, viennent beaucoup d'enseignants de primaire en souffrance, du fait de ne pouvoir faire régner une discipline et une méthode nécessaires à l'apprentissage raisonné de la lecture. Ils dénoncent systématiquement un laxisme institutionnel envers la violence au sein des établissements scolaires, se retrouvant parfois à devoir gérer seuls des enfants dont les pulsions violentes ne sont pas contenues, et qui perturbent l'ensemble de la classe, et sont pris en étau entre une hiérarchie vécue comme laxiste, et des parents dans la toute-puissance vis-à-vis de l'enseignant.
3.4 De nouvelles « pathologies » d'autorité La psychologie constate l'avènement de pathologies de l'autorité, au point où des notions nouvelles ont été créées : « l'enfant-roi », « l'enfant-tyran » par exemple. Dans les lieux où l'autorité devrait exister, prédomine souvent la force (cas des harcèlements à l'école, puis au travail, par exemple, ou des maltraitances infantiles). Le contexte politique se focalise quant à lui sur la délinquance, qui n'est pas une notion psychopathologique (mais une notion juridique), sinon en termes de rupture de liens à l'autre. Les catégories nosographiques d'« états-limites », «sujets borderline» fleurissent, illustrant ainsi ces problématiques d'attaque des fonctions et des lieux où devrait régner une certaine autorité. D'un point de vue psychologique, l'accroissement des passages à l'acte suscite le questionnement, autant que les réponses trouvées par la société et le politique, qui opèrent de plus en plus en miroir (au passage à l'acte répond un autre passage à l'acte), et non dans la distance requise par l'asymétrie et l'absence de violence nécessaires à l'autorité. Toute société qui voit croître la délinquance en son sein doit s'interroger sur l'origine de la violence qu'elle engendre, son irrévérence envers les Anciens, son irrespect de la connaissance, sa déshumanisation et son manque de bienveillance. Car, qui est contenu, sécurisé, rassuré, éveillé, respecté et aimé n'a nul besoin de détruire. Dans le même ordre d'idées, la notion d'hyperactivité, dont il faut tout de même rappeler qu'elle est exclusivement et extrêmement récente dans la nosographie, interroge. Sont souvent, pour ne pas dire majoritairement, diagnostiqués « hyperactifs » des enfants pleins de vie, mais extrêmement angoissés par l'absence de cadre, de contenance et de réassurance à l'école, et qui viennent interroger l'autorité de l'adulte. Bon nombre de cas peuvent ainsi être observés où le diagnostic sert à se débarrasser de l'enfant devenu « gênant », car s'agitant, posant des questions légitimes, questionnant les
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apprentissages, et mettant en cause les adultes qui n'incarnent pas suffisamment à ses yeux l'autorité. Si la réponse adulte, jugée « thérapeutique », consiste à sédater les enfants sous des traitements médicamenteux extrêmement lourds, elle n'est ni plus ni moins qu'un échec dans la fonction d'autorité. Comment se fait-il qu'autant d'enfants soient de nos jours particulièrement agités en Occident, et que les seules réponses apportées soient la médicalisation de signes qui devraient bien plutôt nous interroger sur notre capacité d'adultes à répondre à leurs besoins d'enfants ? J'ai même pu dernièrement entendre l'évocation d'un cas de pseudo « hyperactivité » (traitée par médicaments, et tout l'arsenal médical associé) pour un garçon qui osait courir dans la cour de récréation et n'obéissait pas immédiatement aux ordres des maîtresses sans les discuter !
3.5 Aimé(e) et craint(e) La personne incarnant l'autorité aux yeux de l'enfant est admirée, et fait office de modèle identificatoire. L'enfant sera conduit à vouloir lui ressembler, et c'est ce qui l'aidera à se dépasser et à grandir. Cette personne est ainsi support de fantasme. L'autorité est ce qui introduit au symbolique (les interdits, le langage, l'éthique, la loi, la pensée, la capacité de différer), c'est-à-dire à ce qui fait séparation et permet d'intégrer d'une part, la notion d'altérité (l'autre est radicalement autre que moi), de l'autre, l'idée de la mort (il existe un avant et un après, donc une fin). C'est en cela aussi que l'autorité a partie liée avec le temps. Intégrer l'idée de la mort, c'est intégrer la notion de temps linéaire (un début, un milieu, une fin), celui des ruptures qui sont en même temps des liaisons, et des paliers d'élévation pour l'esprit. Celui qui incarne l'autorité est tout à la fois aimé et craint. Si l'on n'est qu'aimé, l'autorité ne peut s'exercer. Si l'on est seulement craint, elle ne peut s'exercer non plus, comme dans le cas du tyran, à qui tout le monde obéit, sans que personne ne l'aime. César, figure romaine de l'autorité, était connu tant pour son tempérament impartial, et ses tours de force, que pour sa clementia (sa clémence) : «César n'a jamais cherché une popularité facile. Le même homme qui savait se montrer généreux avec ses hommes et leur faire une réputation honorable de courage et d'intrépidité, devenait impitoyable lorsque la discipline militaire était enjeu» (Yavetz, 1990, p. 186). Il 43
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est à noter que ses prises de décisions a priori impopulaires étaient toujours légitimées aux yeux du peuple par un souci de justice, et non d'arbitraire. L'autorité est liée à la justice divine, éternelle, transcendante. C'est en cela qu'elle n'est que bienveillance et ne saurait se confondre avec son antinomie, l'emprise perverse (cf. infra).
4. Questionnement psychologique 4.1 Autorité, laxisme, autoritarisme Souvent, il est tenu pour acquis que l'autorité n'est pas tout à fait compatible avec la liberté. Au contraire, l'autorité augmente l'autonomie, donc la liberté. La première erreur consiste à croire que la liberté est de faire tout ce que l'on désire. Il ne s'agit pas là d'une liberté, mais d'une aliénation à la satisfaction immédiate, qui ne peut être différée (cf. infra, au sujet du principe de réalité). Cette erreur entraîne un rejet d'autorité et se conforte dans le laxisme. Ici, l'autorité est niée au nom d'une prétendue liberté. La seconde erreur consiste à nier la liberté au nom de l'autorité. En somme, ainsi que l'indique Hegel (1820, p. 53), l'autorité s'évertue à «trouver la voie moyenne entre une trop grande liberté permise aux enfants, et une trop grande limitation de cette liberté». La voie moyenne n'est pas simplement un «ni trop ni trop peu », mais la voie d'une juste mesure qui, en changeant de degré (ni trop — autoritarisme —, ni trop peu — laxisme —), change radicalement de nature. Cette définition semble valable non seulement pour l'autorité parentale, mais également pour l'autorité étatique à l'égard des sujets citoyens, pour l'autorité enseignante ou même managériale... Le laxisme comme l'autoritarisme ont des incidences psychologiques, qui peuvent d'ailleurs engendrer des symptômes identiques de souffrance intime. La philosophie et la psychologie se rejoignent pour dire que la liberté est l'intériorisation de lois morales, dont les irréductibles interdits civilisateurs du meurtre et de l'inceste, qui n'entrent pas nécessairement en contradiction avec le désir, et permettent au contraire de lui donner vie, de le conduire à l'existence, en un plaisir différé mais dont la réalisation est possible dans le respect d'autrui. 44
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L'autonomie est ainsi la capacité de se donner des lois morales à soimême, sans être l'esclave d'une satisfaction immédiate, qui laisserait ensuite place à l'angoisse (Schopenhauer, 1819). Elle permet à l'autre de développer un équilibre dynamique et mesuré entre principe de plaisir et principe de réalité (cf. infra). La discipline, fondement nécessaire de l'autorité «La plupart des animaux ont besoin d'être nourris certes; ils n'ont pas besoin de soins. On entend par soins les précautions que prennent les parents pour éviter que les enfants ne fassent un usage nuisible de leurs forces. [...] La discipline transforme l'animalité en humanité. [...] l'homme doit user de sa propre raison [...] et doit se fixer lui-même le plan de sa conduite. Or puisqu'il n'est pas immédiatement capable de le faire, mais au contraire vient au monde pour ainsi dire à l'état brut, il faut que d'autres le fassent pour lui. L'espèce humaine doit, peu à peu, par son propre effort, tirer d'ellemême toutes les qualités naturelles de l'humanité. Une génération éduque l'autre. [...] La discipline empêche que l'homme soit détourné de sa destination, celle de l'humanité, par ses penchants animaux. Elle doit, par exemple, lui imposer des bornes, de telle sorte qu'il ne se précipite pas dans les dangers sauvagement et sans réflexion. La discipline est ainsi simplement négative; c'est l'acte par lequel on dépouille l'homme de son animalité; en revanche, l'instruction est la partie positive de l'éducation. [...] La discipline soumet l'homme aux lois de l'humanité et commence à lui faire sentir la contrainte des lois. Mais cela doit avoir lieu de bonne heure. C'est ainsi par exemple que l'on envoie tout d'abord les enfants à l'école non dans l'intention qu'ils y apprennent quelque chose, mais afin qu'ils s'habituent à demeurer tranquillement assis et à observer ponctuellement ce qu'on leur ordonne, en sorte que par la suite ils puissent ne pas mettre réellement et sur le champ leurs idées à exécution. [...] Aussi bien l'homme doit-il de bonne heure être habitué à se soumettre aux prescriptions de la raison. Si en sa jeunesse on laisse l'homme n'en faire qu'à sa volonté et que rien ne lui est opposé, il conserve durant sa vie entière une certaine sauvagerie. Et il ne sert en rien à certains d'être en leur jeunesse protégés par une excessive tendresse maternelle, car plus tard ils n'en rencontreront que des échecs, dès qu'ils s'engageront dans les affaires du monde. [...] L'homme ne peut devenir homme que par l'éducation. [...] L'éducation est un art, dont la pratique doit être perfectionnée par beaucoup de générations.» Kant, Réflexions sur l'éducation, 1776-1787, p. 69-77.
L'autorité suppose ainsi tout à la fois discipline et instruction. Sans discipline, aucune oeuvre humaine ne saurait s'accomplir. Cette réflexion de bon sens est importante à rappeler, à l'ère où chacun s'investit d'un génie issu de nulle part, qui ne trouve ni fondement ni épanouissement dans les réalisations. Il est pourtant évident que l'on reconnaît un arbre à ses fruits, aussi celui qui se proclame génie devra-t-il encore le prouver. 45
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«Rome ne s'est pas faite en un jour », et sans discipline, nulle autorité ne saurait s'inscrire pour permettre au Disciple de se transcender et de procéder à son élévation pour devenir à son tour un Maître.
4.2 Autorité et emprise Dans la mesure où la personne incarnant une autorité manifeste un certain charisme qui emporte l'adhésion (le sujet est «supposé savoir»), elle est souvent confondue avec des modes d'emprise. Attention, l'inverse n'est pas vrai : tout être charismatique n'est pas nécessairement un être d'autorité, mais il peut incarner au contraire l'abus de pouvoir (tyran, pervers, harceleur, etc.). Il est essentiel d'apprendre à distinguer influence, séduction et manipulation car, si l'autorité influence, elle ne manipule pas. Elle n'exerce aucune emprise, en incitant, au contraire, le Disciple à s'appuyer sur le Maître pour augmenter son autonomisation. Mais, encore est-il nécessaire de le rappeler, sans le Maître, il est impossible au Disciple de progresser. De tout temps, il a fallu des références, des Maîtres de Science et de Sagesse, des consciences plus éveillées pour guider autrui et l'aider à s'élever. C'est ainsi que les gourous de toutes sortes n'incarnent pas l'autorité, mais un pouvoir tyrannique sur autrui. L'emprise est en effet une forme de contrainte, d'affiliation à un pouvoir, d'aliénation en paroles et/ou en actes, or l'autorité n'utilise ni la force ni la contrainte. Dans le néo-management, la politique, et tout autre exercice actuel du pouvoir, l'emprise s'exerce souvent, en lieu et place de l'autorité, sous forme de propagande, de manipulations diverses avec des promesses alléchantes, dont on sait qu'elles ne seront pas tenues. Cette forme d'emprise perverse requiert par exemple de l'individu qu'il se donne corps et âme à l'entreprise, jusqu'à lui abandonner des ressources et du temps jusque-là réservés et nécessaires à la vie privée. Cette logique managériale n'est donc clairement plus une logique d'autorité, mais une logique aliénante de l'humain au travail, à un travail qui perd tout sens et toute historicité, pour n'être plus que matière productive. Souvent, elle agit à l'insu de l'individu, qui croit adhérer librement à un système dans lequel il n'a même plus le temps de penser sa place, la cohérence de son parcours ni même sa motivation. L'emprise fonctionne alors par valorisation narcissique et reconnaissance 46
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en seules paroles, activation artificielle d'un sentiment abandonnique et de la peur du chômage..., et parfois, harcèlement pour ramener la «brebis égarée» dans le troupeau. «Nul n'est irremplaçable », entend-on souvent dire, voici le premier principe capitaliste. Réduire l'humain à une fonction, et estimer que divers humains sont capables d'assurer la même fonction. En réalité, chaque individu sur terre répondant à une singularité génétique, physique, psychique, historique..., il serait plus juste de dire que personne n'est remplaçable, si l'individu est considéré précisément dans ce qui l'investit comme sujet, à savoir un ensemble autonome, avec une destinée (passé, présent, futur), et non pas une simple fonction ou instrument dans l'immédiateté. Somme toute, l'emprise vise à détruire la liberté d'autrui, alors que l'autorité cherche à la consolider. Bien sûr, la posture psychique de celui qui se met en position d'aliénation à l'emprise interroge l'existence de traumatismes antérieurs (sentiment de soumission pour ne pas déplaire au bourreau), ainsi qu'un éventuel versant masochiste. L'em(tre)prise moderne Au nom de la «performance», certaines entreprises actuelles n'hésitent plus à exiger de leurs salariés d'abraser leur esprit critique, de devenir des exécutants, disponibles à toute heure du jour et de la nuit. Les espaces privés et publics ne sont plus séparés, et les salariés peuvent être joints le week-end, pendant leurs vacances... Leur soumission sera le signe de leur motivation, sans qu'elle soit particulièrement récompensée d'ailleurs. Le système de communication sur la performance devient un système de propagande. C'est ainsi qu'un directeur des ressources humaines dans une grande entreprise avait coutume de dire publiquement: «Qui n'adhère pas au programme de changement prend la porte.» Bien évidemment, ce n'est pas la croissance de l'entreprise qui est visée avec de telles méthodes, mais la satisfaction d'un actionnariat à court terme, ou d'une logique perverse de destructivité. L'autorité est ici caduque, puisque les dirigeants ne donnent plus de direction, mais sont pris, eux aussi, dans un monde vidé de sens, qui voue un idéal à l'argent gagné sans effort, quels qu'en soient les renoncements moraux. La brutalité actuelle des relations au travail provient bien d'une lacune en autorité: personne ne répond plus de rien, le manager n'est plus qu'une fonction aux personnes interchangeables et non pas un humain capable de dignité, d'engagement et de responsabilité; le temps n'est investi que pour le court terme et «après soi le déluge». Se multiplient alors les « chefaillons», c'est-à-dire ceux à qui l'on confie du pouvoir sans qu'ils aient l'autorité nécessaire pour ne pas se laisser dicter leur conduite par le sentiment de frustration. La menace latente de licenciement équivaut, dans le fantasme, à une mort sociale, c'est-à-dire à un abandon infantile massif. Dès lors, s'instaure une infantilisation massive des cadres sans contre-pouvoir efficient (par exemple de type syndical): fréquence des évaluations instituant la continuation
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Psychopathologie de l'autorité
de l'école dans l'entreprise, sentiment d'une surveillance étroite... Tout ceci augmente le surgissement de conduites autodestructrices (addictions, idées suicidaires, etc.), de passages à l'acte hétéro-agressifs (harcèlement, coups et blessures, etc.) et d'une intériorisation psychosomatique des souffrances rencontrées (dorsalgies, eczéma, infarctus, jusqu'aux accidents vasculaires cérébraux, dont les liens avec le climat psychosocial au travail sont observés depuis plusieurs années maintenant). Le discours pervers (injonctions paradoxales) se généralise, jusqu'à prôner la performance en instaurant sciemment la contre-performance. C'est ce que Le Goff (1999) a nommé la «barbarie douce», dans son analyse de la composante mortifère inhérente au néo-management. Cette violence n'est, ni plus ni moins, que le reflet actuel de la violence politique et sociétale exercée à l'encontre des sujets.
4.3 Transformations du modèle patriarcal Aujourd'hui, la forme paternelle-patriarcale de la société est affaiblie, sous l'influence des nouvelles mœurs. Cette transformation culturelle a introduit des modifications très profondes dans les rapports sociaux, notamment dans la famille et les relations hommes-femmes, surtout depuis l'entrée massive des femmes dans le monde du travail. Au matriarcat ancestral et originel, avait succédé, dans le rapt, le viol et la violence (ex.: l'enlèvement des Sabines), l'instauration du patriarcat brutal, qui préside à notre civilisation depuis plusieurs millénaires. Le matriarcat ancestral, où la Reine Mère était vécue comme toute-puissante et vorace, est de nature psychotique. Le patriarcat brutal, qui se pose en opposition au matriarcat, est totalement pervers, et impose une violence inouïe au féminin dans l'espace social. Toute la question de l'autorité est la question du tiers, dans la figure symbolique du Père, qui, loin d'écraser, d'humilier ou de nier la figure symbolique de la Mère, lui assure protection, respect et soutien, et lui dégage suffisamment d'espace pour pouvoir précisément, et de nouveau, exister en tant qu'être féminin, et non seulement fonction maternelle. Ce faisant, l'enfant acquiert son propre espace psychique et peut, grâce à cette triangulation, sortir symboliquement du ventre maternel, et advenir hors de l'enclave psychique dans la mère. Nier ces figures symboliques et anthropologiques, au nom de la lutte contre les discriminations, et l'accès à la parentalité «pour tous », relève clairement du déni de réalité, voire du déni d'humanité. Encore une fois, être parent n'est pas un droit: c'est uniquement un devoir et une responsabilité à assumer. Inverser cette hypothèse relève typiquement de sophistique (fausse argumentation) perverse. 48
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Dans le patriarcat, la figure du père incarne l'autorité naturelle, fondée sur une supériorité et une affection. À la «Terre-Mère », le patriarcat a substitué «Dieu le Père». Le père est ce grand Autre, à la fois craint et aimé, car il détient bienveillance, puissance, et connaissance (cf. infra). Il suffit de songer, dans l'autorité religieuse, à l'ordalie, ce jugement de Dieu qui seul était capable de décider si l'homme était coupable du crime commis, en le faisant mourir ou non sous la torture. Cette autorité de type paternel a donc été un référent symbolique majeur pendant des siècles, tant pour la menace de la castration (Yahvé demande à Abraham de tuer son fils Isaac) que pour l'instauration de la Loi (les Tables de la Loi dictées par Dieu à Moïse) ou la dimension protectrice et médiatrice (Yahvé refuse finalement qu'Abraham tue son fils, par souci de justice, in Kierkegaard, 1843). Toutefois, à y regarder de plus près du côté de l'enseignement des mythes originels', il semble que, si l'autorité terrestre relève du Père, l'autorité divine et supérieure serait en réalité détenue par la Mère, dont l'essence est d'ceuvrer comme une protection absolue contre toute destruction, pour le respect de la vie. Cette préservation de la vie est d'ailleurs parfaitement logique avec la mise au monde, réelle ou symbolique, de l'enfant.
4.4 Autorité, société et modernité Les interdits universels La fonction de l'autorité dans une société est tout d'abord d'instaurer les interdits fondateurs d'une civilisation. Les deux interdits premiers sont bien entendu l'interdit du meurtre et l'interdit de l'inceste. Mais l'interdit de l'inceste semble d'autant plus essentiel qu'il est posé de façon implicite dans l'universel des civilisations, alors que l'interdit du meurtre est explicitement proclamé. À ce sujet, les récents débats sur l'inscription de l'inceste dans le Code pénal en France en disent long sur la nécessité de rappeler un interdit fondamental, dans un contexte de société où, pour la première 1. Les mythes grecs semblent d'ailleurs porter la trace de ce matriarcat originel, à travers, notamment, les figures de Gaïa, de Cybèle, de Déméter, d'Artémis, et du culte d'Aphrodite dans tout le bassin méditerranéen. La femme était garante des générations et des origines, et même du Verbe (cf. les prêtresses antiques, le culte d'Isis...). En ce sens, dans l'Antiquité lointaine, dans le bassin méditerranéen élargi (comme c'est encore le cas dans certaines sociétés de type chamanique), il est absolument certain que la femme était aussi investie de l'autorité civilisatrice, issue du divin, dans son rapport à la Terre Mère divinisée.
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fois depuis le début de l'humanité, le tabou n'est donc plus opératoire ! (Si le tabou remplit son rôle de tabou, il s'inscrit psychiquement en deçà de toute inscription dans la loi, c'est une évidence pour l'humanité, comme respirer ou dormir.) L'interdit de l'inceste permet également de fonder la séparation des générations, donc d'inscrire l'idée qu'il existe une génération d'avant, et une génération d'après. Cette inscription de l'avant et de l'après garantit la représentation du temps et de la durée, sans laquelle la notion d'expérience, celle des monuments (oeuvres) et la transmission du savoir n'ont aucun sens. L'autorité ne peut s'établir que sur ces interdits fondamentaux. Si ces interdits sont négligés, toute société humaine sombre dans le chaos. L'interdit de l'inceste «La prohibition de l'inceste n'est, ni purement d'origine culturelle, ni purement d'origine naturelle Elle constitue la démarche fondamentale grâce à laquelle, par laquelle, mais surtout en laquelle, s'accomplit le passage de la nature à la culture. En un sens, elle appartient à la nature, car elle est une condition générale de la culture, et par conséquent, il ne faut pas s'étonner de la voir tenir de la nature son caractère formel, c'est-à-dire l'universalité. [...] En effet, c'est moins une union qu'une transformation ou un passage: avant elle, la culture n'est pas donnée; avec elle, la nature cesse d'exister, chez l'homme, comme un règne souverain. La prohibition de l'inceste est le processus par lequel la nature se dépasse elle-même; elle allume l'étincelle sous l'action de laquelle une structure d'un nouveau type, et plus complexe, se forme, et se superpose, en les intégrant aux structures plus simples de la vie psychique, comme ces dernières se superposent, en les intégrant, aux structures, plus simples qu'elles-mêmes, de la vie animale. Elle opère, et par elle-même constitue, l'avènement d'un ordre nouveau.» Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté, p. 28-29.
Il est essentiel de préciser, dans un monde où la pensée se simplifie à outrance, que la sexualité infantile diffère en nature, et non simplement en degré, de la sexualité adulte. L'enfant, dans le premier âge, découvre son corps dans sa dimension érogène (comme source de plaisir sensoriel), et n'a envers l'adulte qu'une demande de tendresse (hormis dans certains cas où, et précisément la transgression sexuelle peut se reconnaître à ce type de symptômes, l'enfant a déjà été agressé sexuellement). Puis, à partir de l'âge de 7 ans environ, dénommé «âge de raison », l'enfant vit une période de latence, durant laquelle tout 50
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ce qui relève de la dimension érogène reste caché, avant que la puberté ne la fasse ressurgir, notamment autour de la question de l'identité sexuée'. Dès lors, l'interdit de l'inceste est aussi l'interdit que pose l'adulte dans l'intrusion qu'il pourrait faire dans la découverte, par l'enfant, de la dimension érogène de son corps, et de son intimité. L'intimité est le propre de «l'espace à soi», et elle débute aussi par l'intimité sexuée, l'apprentissage de la pudeur, l'autonomisation dans le rapport à son corps comme étant érogène. La pudeur, le fait de cacher l'intimité, est une notion fondamentale de la civilisation, ce que le philosophe Hegel avait bien étudié dans ses recherches. L'interdit de l'inceste permet de créer une intimité précieuse, qu'il convient précisément de cacher, car elle est sacrée. Tous les États totalitaires (qui sont donc, dans l'exercice du pouvoir, aux antipodes de l'autorité) s'empressent d'ailleurs de transgresser l'intime, par la surveillance généralisée. Et ceux qui y consentent sous le motif qu'ils «n'ont rien à cacher» sont bien des contributeurs du chaos destructeur de civilisation. L'interdit de l'inceste permet aussi, au niveau symbolique, de ne pas confondre égalité et différence (l'enfant n'est pas l'égal de l'adulte, et c'est précisément dans cette inégalité que s'inscrira le désir de grandir), de poser les limites entre soi et autrui, entre son désir et le désir d'autrui. Il est absolument l'ceuvre d'un travail d'autorité, dans la mesure où il instaure une hiérarchie structurante, consacre l'existence de la temporalité, de l'identité sexuée (qui est fondamentale pour l'accès à son identité et à l'altérité), et du tiers structurant, créateur de civilisation.
La modernité Or, notre modernité connaît un rétrécissement flagrant de l'espace et du temps (on communique malgré l'espace, via Internet, avec des gens à l'autre bout de la planète, le trajet Paris-Marseille se fait désormais en trois heures...), ce qui, d'un point de vue psychologique, présente le paradoxe 1. C'est la raison pour laquelle une société qui prend au pied de la lettre le fantasme adolescent de la question du sexe comme fondement identitaire, en permettant notamment que des enfants changent réellement de sexe, par des opérations chirurgicales, est absolument mortifère et perverse. Le déni des sexes relève de la perversion qui, précisément, n'est pas parvenue à traverser les étapes iniatiques et psychiquement structurantes de l'interdit de l'inceste et le complexe d'Œdipe. Et l'abolition du fantasme, lorsque le fantasme est confondu avec la réalité, est de nature perverse, sinon psychopathe. D'ailleurs les pervers confondent systématiquement le complexe d'Œdipe et l'incestuel, alors qu'il s'agit... du contraire (cf. infra).
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de tout à la fois ouvrir les espaces dans le réel et de les rétrécir, ce dernier phénomène aggravant les angoisses de type paranoïde (sentiment de persécution, de surveillance, d'enfermement...). À l'heure de la surveillance de ses propres citoyens par l'État, l'on peut effectivement arguer que la crise de l'autorité, présente depuis plusieurs décennies, trouve son avènement avec le retour de processus totalitaires, dans l'indifférence quasi généralisée d'une population endormie et abêtie par le divertissement. L'autorité nécessite de s'inscrire dans le temps long, celui de la durée, et dans l'ouverture relationnelle. Les différents écrans pour esquiver le véritable contact humain, derrière les multiples gadgets techniques qui nous sont donnés à consommer, ne peuvent en aucun cas faciliter l'intégration de l'autorité. Les relations humaines sont également devenues de l'ordre du consommable (« on prend, on jette», on achète même désormais des bébés sur le marché mondial en posant des réclamations au service aprèsvente, s'ils n'ont pas les yeux comme ceci, telle couleur de peau...), de ce qui importe pour son bien-être du seul court terme (contredisant ainsi l'économie des plaisirs sériée par Épicure), ce qui rend évidemment fragiles les liens d'autorité. Pire, ces liens sont conspués comme étant des vieilleries « fascisantes » de l'ancien règne, tandis que c'est bien lorsque l'on rejette toute autorité que l'on fait le lit de la tyrannie. En somme, l'on pourrait dire que, plus l'espace de l'opinion progresse, plus l'espace de l'autorité se fragilise. L'ordre du monde n'est plus différencié, et l'autorité est mise à mal en ce qu'elle procède toujours d'une transcendance, d'un principe extérieur et supérieur à la sphère où elle se manifeste. Désormais, le règne de l'opinion et de la matière prévaut ; il est plus immanent que transcendant. L'idéologie dominante est que seule la matière existe, que le sens de la vie humaine réside dans une consommation effrénée, et l'assouvissement systématique du moindre de ses désirs, surtout sexuels, dans une sexualité bas de gamme qui nous est vendue comme sommet de l'orgasme. En somme, il ne suffit plus qu'un individu charismatique identifie sa personne à une cause d'intérêt général (donc transcendant) pour qu'il acquière de l'autorité, dans la mesure où cette cause ne fait plus sens à un niveau supérieur, puisque la modernité sacralise l'opinion personnelle, au mépris de l'idéal de vérité. Voilà pourquoi, selon Arendt, «l'autorité a disparu du monde moderne», car «les ancêtres» ne représentent plus «l'exemple de la grandeur pour
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chaque génération successive », ni «les majores, les plus grands ». À Rome, l'autorité exerçait sa puissance sur les individus depuis l'extérieur (institutions, idéologies...). Le déclin de l'autorité traditionnelle s'inscrit notamment, selon moi, dans la déresponsabilisation massive de chacun et de tous, inscrite dès la fin de la deuxième guerre mondiale par le fameux «responsables, mais pas coupables». La responsabilité, signifie tout d'abord de savoir répondre de ses actes, y compris lorsqu'ils sont porteurs de culpabilité. C'est ainsi que le philosophe Slôterdijk avait analysé, lors d'une interview à la presse, l'impasse française actuelle : elle serait fondée sur une mystification, d'après laquelle les Français auraient gagné la deuxième guerre mondiale, alors que, massivement, par peur, passivité ou complicité active, ils auraient plutôt davantage collaboré avec l'occupant. Les Français, ayant donc omis de regarder en face leur passé, ne l'ont pas apuré, qu'il s'agisse de cette guerre-là, mais aussi de la colonisation et de la décolonisation. Ne pouvant ainsi pas franchir une étape supérieure de civilisation, la politique française dans le monde ne cesse de régresser, entraînant son peuple avec elle. Il ne suffit pas de porter un uniforme pour être investi d'une autorité. L'uniforme doit correspondre à des valeurs transcendantes et des idéaux humanisants (par exemple, l'idéal de justice pour les magistrats), et être incarné par une personne qui manifeste responsabilité ainsi que cohérence entre ses actes et les idéaux portés. De Gaulle ou l'appel à une transcendance D'après les analyses du psychanalyste et sociologue Mendel, le charisme personnel de De Gaulle devient autorité politique en 1940, en vertu de son appel du 18 juin. qui est l'appel à une transcendance. Dans le cadre d'une détresse nationale, le chef orateur use du pouvoir du langage pour fédérer les Français et refuser l'idée d'un armistice. «Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement. Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s'est mis en rapport avec l'ennemi pour cesser le combat. H Mais le dernier mot est-il dit? L'espérance doit-elle disparaître? La défaite est-elle définitive? Non!» Dès l'entrée de ce discours, De Gaulle pose la question de la légitimité du pouvoir de Vichy, et la conteste («alléguant», «ennemi»). Il introduit la dynamique temporelle de l'autorité sous la forme du projet, inscrit dans une notion symbolique, «l'espérance». «Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n'est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.»
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L'autorité s'incarne encore par la notion de «victoire». Rappelons-nous, l'autorité vise à l'autonomie de celui auquel elle parle, à son augmentation. Il s'agit ici de libérer un peuple soumis. «Car la France n'est pas seule ! Elle n'est pas seule! Elle n'est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l'Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l'Angleterre, utiliser sans limites l'immense industrie des États-Unis.» La transmission et l'origine sont également avancées dans le discours. Or, l'autorité se veut garante des origines et du poids du passé, dans une visée de transmission. De Gaulle rappelle la constitution passée de l'empire français, et ses alliances historiques, notamment dans la première guerre mondiale. De plus, la fonction de l'idéal est activée, par l'introduction d'abstractions symboliques (la France). Sur un plan psychologique, l'autorité est ici incarnée dans une fonction paternelle, qui aide à lutter contre la détresse et délivre du sentiment d'abandon (« n'est pas seule»). «Cette guerre n'est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n'empêchent pas qu'il y a, dans l'univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd'hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.» Nous l'avons dit, d'après Hegel, le Grand Homme, dont nous supposons qu'il fait oeuvre d'autorité, porte en lui la logique de l'universel, et confond son destin avec celui de l'universel. La dimension d'universalité est rappelée («guerre mondiale»). L'appel au destin évoque le destin du monde. «Moi, Général de Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à sy trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j'invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec moi.» Enfin, la personne propre est mise au premier plan du discours («Moi»), ce qui implique la notion de responsabilité dans l'autorité (savoir répondre en nom propre d'une situation). Ici, De Gaulle parle à la fois en son nom propre, mais aussi au nom d'une institution militaire, qui incarne des valeurs et des idéaux (cf. notre analyse sur les liens entre autorité et idéaux, infra), à commencer par un idéal de patriotisme. «Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas.» L'usage de la métaphore (« la flamme de la résistance») s'inscrit dans un ordre symbolique (de même que «la France», ou «l'espérance»), dont nous verrons ultérieurement à quel point il est lié à la notion d'autorité. «Demain, comme aujourd'hui, je parlerai à la Radio de Londres.» Cette dernière phrase comporte, elle aussi, des prémices d'autorité, en instaurant une continuité dans l'action. De Gaulle, Mémoires.
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Chapitre 2 L'autorité infantile, parentale, éducative
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Sommaire 1. L'autorité parentale 2. L'autorité infantile 3. Autorité et Institution
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1. L'autorité parentale Le rôle d'une société à l'égard de ses enfants est de les élever à la civilisation, et à l'humanité. Pour ce faire, l'enfant, dans son développement, rencontre tout d'abord l'institution familiale, puis l'institution scolaire. La vocation de la première est d'éduquer l'enfant dans le but de lui donner des règles nécessaires à la vie en collectivité ; celle de la seconde est d'élever l'enfant vers la vie politique (au sens étymologique: s'inscrire dans une cité, un État, et dans une action du vivre-ensemble) et philosophique (développer un esprit critique et éthique, mesurer la portée de ses réflexions et de ses actes), c'est-à-dire vers une autonomie agissante et pensante (équilibre dynamique des droits et devoirs). Educare signifie «conduire hors de» l'état d'infans (celui qui ne parle pas, donc n'est pas encore en maturité de comprendre les inter-dits), et cela requiert de celui qui éduque une autorité. «Un des plus grands problèmes de l'éducation est le suivant : comment unir la soumission sous une contrainte légale avec la faculté de se servir de sa liberté ? » (Kant, 1776-1787, p. 87). Nous dirons ici que c'est le problème essentiel de l'autorité parentale.
1.1 Discipline et dressage
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Le dressage s'oriente davantage du côté de la domination que de l'autorité. C'est ainsi que le dressage animalier illustre la domination de l'humain sur l'animal. En cela, le dressage s'oppose à la discipline (Kant, op. cit.), dont nous avons déjà donné une définition (cf. supra). La discipline vient mettre un terme à la brutalité, un obstacle à la violence. Elle tient un rôle préventif, et sort l'enfant de la mollesse pour apprendre à développer sa puissance, et à l'exercer, dans la recherche d'une autonomie. La contrainte se doit d'être extérieure, avant de pouvoir être intériorisée. « Sans
chefs, on ne peut rien faire de grand; la discipline, voilà le salut...» Xénophon, Anabase, Livre III.
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Le dressage vise à obtenir un comportement soumis. Le dressage familial substitue à la parole bienveillante et structurante la violence verbale et/ou physique, que ce soit par des coups et blessures par des actes de torture sur les
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enfants (brûlures, maltraitances sexuelles...), ou par des enfermements (dans la cave, dans un placard...). Ici, le sujet infantile est confondu avec son acte, dans l'objectif de le terroriser (voir Israds, 1980: les instruments de contention qu'utilisait le Père Schreber à l'égard de son fils). C'est ainsi que mes patients peuvent parfois me raconter que, lorsqu'ils avaient fait une erreur du temps de leur enfance, c'était toute leur personne qui était pointée du doigt, stigmatisée, condamnée (« tu es nul, bon à rien, tu finiras éboueur... »). Certains évoquent même des maltraitances du quotidien, comme des appareils d'électrocution pour empêcher de faire pipi au lit, ou des brûlures sur le clitoris de certaines petites filles afin d'éradiquer le pipi au lit — je l'ai entendu à plusieurs reprises, cela semble faire partie de « coutumes » dans certains villages d'Afrique du Nord. Dès lors, il était impossible de penser se racheter, ou réparer la faute que l'on n'a pas fait exprès de faire, sur laquelle on n'a pas de prise, ce qui inscrit d'office le sujet dans une culpabilité irréversible, une condamnation sans appel de toute sa personne. L'éducation, a contrario, entend conduire l'enfant à devenir auteur de ses actes à l'âge adulte, en termes de droits et devoirs, de capacité à répondre de ses actes et de leurs conséquences sur la durée, mais aussi à «tenir sa parole» (cas de la promesse, analysé infra). Il doit exister un équilibre structurant des droits et devoirs : lorsque l'on a moins de droits, l'on a moins de devoirs, et vice versa. Quant à elle, la discipline est pédagogique, en ce qu'elle conduit vers un état d'autonomisation. Elle est respectueuse d'une individualité, et c'est en cela qu'elle donne l'exemple. Car l'enfant apprend avant tout par imitation des adultes qui l'entourent, et qui se soumettent également à la loi qu'ils prescrivent. Ainsi, la logique n'est pas répressive (punition), elle est celle de la sanction, qui consiste (même étymologiquement) à séparer le sujet de son acte (« tu as mal agi, mais tu n'es pas réduit à ton acte, tu peux le réparer»), et à lui donner les moyens, en tant que sujet, de réparer son acte et de progresser. L'autorité est pédagogique (conduire l'enfant hors de l'état d'enfant), alors que le dressage conditionne l'enfant dans une position infantile, sinon animale. Car, pour provoquer un changement (modification d'état), il faut avoir posé des règles et illustré le bien-fondé de ce changement (ne serait-ce que par l'exemplarité issue de l'identification). La constance, c'est-à-dire la cohérence sur la durée des actes et des paroles, est une garantie d'autorité, et permet d'obtenir chez l'enfant une sécurisation affective intérieure, des repères pour s'enraciner dans l'humanité. I
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La «pédagogie noire» La psychanalyste Alice Miller a analysé dans ses ouvrages les effets de la «pédagogie noire» sur l'enfant, dont la règle est de ne considérer les actes éducatifs que comme des actes d'amour et de bienfait, alors qu'ils peuvent avoir des conséquences très graves. L'ordinaire «je fais ça pour ton bien» montre à quel point l'adulte croit savoir le bien de l'enfant et le charge d'une dette qui n'a pas lieu d'être ( de l'adulte à l'enfant qui ont fleuri à l'issue des années 1960 et continuent de s'étendre gravement dans la société, en pervertissant même la notion de sexuel infantile en psychanalyse'. Ce concept ne signifie en aucun cas que le sexuel infantile (du registre de la vie psychique), passant par une érotisation pulsionnelle, est identique à la sexualité génitale adulte, ni que l'adulte doit être intrusif dans la découverte par l'enfant de son intimité. Il est évident que ceux qui pervertissent à ce point les théories psychanalytiques pour y trouver matière à justifier une intrusion pédocriminelle ne sont ni dans l'amour ni dans le respect de l'enfant. Cette confusion est fort regrettable. L'adulte ne doit pas se mêler de la découverte par l'enfant de son propre corps, hormis en le mettant en garde, précisément, contre les dangers de transgression existant de la part du monde des adultes. Bien évidemment, la transgression des tabous universels contrevient totalement à la notion d'autorité (cf. supra). Le tabou de l'inceste est aussi à comprendre dans son extension, comme tabou de la transgression des enfants lorsque les adultes se mêlent de leur sexualité. Les «cours d'éducation sexuelle» que l'on voit fleurir auprès de la jeunesse sont à cet égard très questionnants.
1.3. Fonction contenante et sécurisante: les limites La sécurisation de l'enfant commence par l'apprentissage des lois du monde, qui doivent être imposées mais cohérentes, justes, expliquées, et sanctionnées de façon constante lorsqu'elles ne sont pas respectées. L'autorité en ce sens doit être exemplaire. Comment apprendre à un enfant le respect si soi-même on ne le respecte pas, ou si l'on ne respecte pas autrui ? Le respect n'induit pas une équivalence des places entre l'enfant et l'adulte (comme chez les pathologies pédophiles, qui souvent disent que l'enfant a le droit à une sexualité d'adulte).
1. Cf. ma lettre au Professeur Judith Reisman, du 18 juillet 2018, insérée dans mon livre L'imposture des droits sexuels, 3' édition, KDP Amazon.
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Les lois du monde sont, de façon intangible, structurées autour des tabous de l'inceste et du meurtre. L'autorité parentale consiste à opérer au préalable une fonction de pareexcitation à l'égard du pulsionnel. À l'adolescence, le pulsionnel revient, avec une charge bien plus forte, car le biologique déborde la personne. Cette fonction de pare-excitation est peu à peu intériorisée psychiquement par l'enfant, sous la forme du Préconscient-Conscient, et du Surmoi. En cas de fragilité ou d'absence de ces instances, la moindre décharge pulsionnelle peut conduire à des passages à l'acte. Le psychanalyste Didier Anzieu prenait la métaphore de la peau à cet égard, pour parler d'enveloppe psychique contenante, c'est-à-dire d'une sensation d'être rassemblé(e), contenu(e) à l'intérieur de la peau, la peau revêtant alors plusieurs fonctions, dont «la fonction sac», qui contient et retient le bon des soins maternels, la fonction de marquage de la limite entre dedans et dehors, la fonction de protection des agressions de l'autre (Anzieu, 1985, 1987, 1993). Les personnes d'ailleurs dont on dit qu'elles sont «écorchées vives» sont des personnes souvent soumises à des décharges pulsionnelles difficiles à contenir, en raison de la faiblesse psychique du contenant. Tout l'enjeu de l'autorité, mais aussi de la thérapie, est de permettre à ces personnes de renforcer ce contenant, et de ne plus subir leur destructivité et leur violence, dont l'origine est une angoisse massive, souvent persécutoire (ex.: «il m'a mal regardé»), l'autre étant vécu comme un potentiel agresseur. Ce travail psychothérapeutique vise une sécurisation affective interne importante (affection, cohérence, régularité, limites expliquées et comprises, sur lesquelles on ne cède pas). Castrations nécessaires pour le développement psychique de l'enfant, ruptures d'avoir des états infantiles. Il s'agit à chaque étape pour l'enfant de se séparer d'un monde pour en découvrir un nouveau, c'est-à-dire d'épreuves successives dont l'enfant, lorsqu'il les traverse, sort grandi et humanisé. La responsabilité des parents est de l'aider à les franchir avec succès et à transformer ses impulsions agressives en désirs socialisés. Le symptôme Tanguy Un couple vient en consultation et se retrouve dans une situation difficile à l'égard du fils cadet, âgé de 26 ans, qui ne cherche pas de travail, passe les journées devant l'ordinateur ou avec ses copains. Ce fils aurait été diagnostiqué «surdoué», ce qui semble avoir justifié, aux yeux des parents du moins, un traitement à part, car il aurait été souvent rejeté de l'institution scolaire (l'ennui ne le faisant pas tenir en place). Lorsque
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j'interroge la fonction des limites chez eux, et la dimension d'autorité, il apparaît que le père a plutôt tendance à se tenir en retrait et à ne pas supporter le moindre conflit avec son enfant, et que la mère, ayant été battue dans son enfance, ne supporte pas l'idée que son mari puisse prendre une posture d'autorité et de contenance auprès de leur fils. Ici, les névroses s'arrangent entre elles, permettant un statu quo de la situation De plus, le couple focalise son regard sur l'enfant, qui devient symptôme. L'enfant sent d'ailleurs que son départ serait très mal vécu, et s'arrange pour satisfaire, sans doute à son insu, les exigences parentales inconscientes. Par exemple, lorsque les vacances sont évoquées, le père traduit son ennui de se retrouver face à sa belle-famille et dit préférer céder la place à son fils, car il aura de belles vacances et évitera à la mère de se retrouver seule. Ici, comme bien souvent, les limites générationnelles ne sont pas clairement posées, puisqu'il est question de faire jouer au fils le rôle du père, présent au côté de la mère, et non pas de l'encourager vers une autonomie, même si les parents souffrent consciemment de la situation, et semblent très désireux qu'elle s'améliore (ce que traduit d'ailleurs la démarche, peu facile, d'engager une thérapie). Chacun d'eux évoque d'ailleurs le sentiment de culpabilité présent lorsqu'il s'agit de mettre des limites «à un enfant qui a déjà beaucoup trop souffert», et qui, de fait, est donc « privilégié » dans son statut par rapport à son frère aîné. L'absence de limites engendre toujours une réelle angoisse chez l'enfant ou l'adolescent. Ce jeune homme de 26 ans reste sur un mode adolescent, en pansement des angoisses parentales, ce qui, chez lui, engendre également une forte angoisse, qui s'illustre dans l'usage quotidien et solitaire du cannabis et de l'ordinateur à outrance.
1.4 La fonction paternelle La fonction paternelle est la figure de l'autorité. Elle est une fonction, en ce qu'elle vient séparer la mère de l'enfant, aux yeux duquel cette dernière est souvent investie des pleins pouvoirs. Car le rôle du père permet à l'enfant de comprendre qu'il n'est pas tout pour sa mère, ce qui entraîne une frustration salutaire. Pour canaliser le pouvoir de la fonction maternelle, la fonction paternelle sert de référent tiers dans la relation duelle. En faisant œuvre de transition et de triangulation, elle permet l'accès à l'ordre symbolique, c'est-à-dire au langage, aux interdits, à la pensée. La fonction paternelle est aussi celle qui inscrit la filiation symbolique, c'est-à-dire une identification mythique à des ancêtres, à une famille, à une civilisation. La filiation consacre une antériorité, donc une autorité symbolique. À cet égard, les textes mythiques et religieux, qui ont fait autorité jusqu'à leur mise en question sur un plan social, évoquent toujours une filiation, et les étapes de cette filiation. Sur le plan familial, la construction d'un sujet donné et la relève des générations ont pour dénominateur commun la mise en oeuvre des interdits (du
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meurtre et de l'inceste). En même temps que nous sommes les enfants de nos parents, nous sommes les enfants d'une société, d'un monde historique qui s'exprime dans un ordre légal. C'est ainsi que la fonction paternelle a pour oeuvre de faire «triangle », c'est-à-dire de consacrer l'autonomisation de l'enfant à l'égard de sa mère mais aussi du couple parental, et d'introduire à la dimension du collectif et du sociétal. La fonction paternelle permet, en séparant les places, de consacrer une identité propre (identifier les places interdites et conduire à leur renoncement), mais aussi de représenter la dimension du principe institutionnel séparateur, c'est-à-dire de la Loi en tant que symbole, et de la valeur. C'est une fonction interprétative, comme tout discours d'autorité (voir l'interprétation que font les magistrats de la loi, l'interprétation psychanalytique, l'interprétation professorale des textes, etc.). L'auteur de l'autorité est avant tout un être de parole (qui fait oeuvre du langage, et de sa dimension interprétative, mais aussi un être qui inscrit la parole dans la durée, qui «tient sa parole »). D'après le psychanalyste Lacan, la fonction paternelle comprend trois enjeux qui permettent la structuration psychologique du sujet : 1. La séparation: dans son article «Les complexes familiaux», Lacan évoque cette fonction paternelle où l'enfant apprend qu'il n'est pas tout seul dans un lien omnipotent avec sa mère. 2. L'interdiction: la fonction paternelle est celle qui interdit la mère à l'enfant, et réciproquement. La fonction maternelle doit savoir quant à elle faire cas de cette parole. 3. La permission : la fonction paternelle est celle qui autorise l'accès à la socialisation et au savoir. Ces trois enjeux constituent ce que Lacan a appelé le «Nom-du-Père ». L'autorité est constitutive de cette fonction paternelle, car l'autorité comporte à la fois la dimension de la sanction (séparation et interdiction) et celle de la permission. Autoriser signifie d'ailleurs permettre. Sans Pintégration de la sanction, le désir ne peut advenir. Elle procure tout à la fois une sécurisation, l'idée qu'existent des interdits protégeant de la transgression, mais aussi un idéal. La fonction paternelle doit devenir, dans le psychisme infantile, un objet d'identification et non pas un objet de satisfaction immédiate. Jacques Lacan précise qu'il ne s'agit pas d'une présence physique quotidienne, mais d'une place occupée dans le discours porté à 63
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l'enfant, y compris de la part de la fonction maternelle. C'est par l'autorité de la fonction paternelle que l'enfant acquiert la constitution de la réalité et de l'altérité (intégration d'une relation ternaire, fondement de l'altérité: considérer l'autre comme radicalement différent de soi, et non comme un objet qui serait un prolongement de soi). Point de vue d'un fils sur son père «Tu m'as demandé récemment pourquoi je prétends avoir peur de toi. [...] De mes premières années, je ne me rappelle qu'un incident. Peut-être t'en souvient-il aussi. Une nuit, je ne cessai de pleurnicher en réclamant de l'eau, non pas assurément parce que j'avais soif, mais en partie pour vous irriter, en partie pour me distraire. De violentes menaces répétées plusieurs fois étant restées sans effet, tu me sortis du lit, me portas sur la pawlatsche [sorte de balcon] et m'y laissas un moment seul en chemise, debout devant la porte fermée. [...] je veux simplement, en le rappelant, caractériser tes méthodes d'éducation et leur effet sur moi. Conformément à ma nature, je n'ai jamais pu établir de relation exacte entre le fait, tout naturel pour moi, de demander de l'eau sans raison et celui, particulièrement terrible, d'être porté dehors. Bien des années après, je souffrais encore à la pensée douloureuse que cet homme gigantesque, mon père, l'ultime instance, pouvait presque sans motif me sortir du lit la nuit pour me porter sur la pawlatsche, prouvant par-là à quel point j'étais nul à ses yeux. À cette époque, ce n'était qu'un modeste début, mais ce sentiment de nullité qui s'empare si souvent de moi [...] tient pour beaucoup à ton influence. Il m'aurait fallu un peu d'encouragement, un peu de gentillesse, j'aurais eu besoin qu'on dégageât un peu mon chemin [...]. Autrefois, j'aurais eu besoin d'encouragement en toutes circonstances. Car j'étais déjà écrasé par la simple existence de ton corps. Il me souvient, par exemple, que nous nous déshabillions souvent ensemble dans une cabine. Moi, maigre, chétif, étroit; toi, fort, grand, large. Déjà dans la cabine je me trouvais lamentable, et non seulement en face de toi, mais en face du monde entier, car tu étais pour moi la mesure de toute chose. [...] Cela s'appliquait aussi bien aux idées qu'aux personnes. Il te suffisait que quelqu'un m'inspirât un peu d'intérêt [...] pour intervenir brutalement par l'injure, la calomnie, les propos avilissants, sans le moindre égard pour mon affection et sans respect pour mon jugement. Étant enfant, je te voyais surtout aux repas et la plus grande partie de ton enseignement consistait à m'instruire dans la manière de se conduire convenablement à table. [...] On n'avait pas le droit de ronger les os, toi, tu l'avais. On n'avait pas le droit de laper le vinaigre, toi, tu l'avais. [...] À table, on ne devait s'occuper que de manger, mais toi, tu te curais les ongles, tu te les coupais, tu taillais des crayons, tu te nettoyais les oreilles avec un cure-dent. Je t'en prie, père. comprends-moi bien, toutes ces choses étaient des détails sans importance, elles ne devenaient accablantes pour moi que dans la mesure où toi, qui faisais si prodigieusement autorité à mes yeux, tu ne respectais pas les ordres que tu m'imposais. Il s'ensuivit que le monde se trouva partagé en trois parties: l'une, celle où je vivais en esclave, soumis à des lois qui n'avaient été inventées que pour moi et auxquelles, par-dessus le marché je ne pouvais jamais satisfaire entièrement, sans savoir pourquoi; une autre, qui m'était infiniment lointaine, dans laquelle tu vivais, occupé à
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gouverner, à donner des ordres, et à t'irriter parce qu'ils n'étaient pas suivis; une troisième, enfin, où le reste des gens vivait heureux, exempt d'ordres et d'obéissances.» Dans sa Lettre au père, et notamment dans cet extrait, Kafka évoque la faillite de la fonction paternelle, à travers l'exemple de son propre père. D'après son témoignage, son père n'a pas opéré une véritable séparation ni une interdiction (Kafka évoque une absence du père, et une mère qui le gâte beaucoup - trop -), entretenant presque un climat incestuel (comme cet épisode du déshabillement dans une cabine commune). Le père est décrit ici comme écrasant, autoritaire. Kafka évoque également la difficulté qu'il avait, enfant, à accorder de l'autorité (qui aurait été un sentiment naturel de la part de l'enfant vers son parent), à une personne qui ne montre pas l'exemple et n'indique pas des règles de vie universelles (valant pour tous, et non pour quelques-uns). Le côté répressif de cette éducation autoritaire ne traduit pas non plus l'accès à la fonction de permission, c'est-à-dire au père qui autorise l'enfant à s'autonomiser en le protégeant (ce qui, dans le texte, s'illustre par le sentiment de terreur face à l'arbitraire et à la violence).
Une pseudo-triangulation Dans une famille confiée à l'enquête sociale, les parents sont en instance de divorce. Ils ont deux enfants, l'un de 6 ans, l'autre de 14 ans. Manifestement, ces enfants ont assisté à des pratiques échangistes de leurs parents. Un jour, Albertas, l'aîné, appelle son père et lui dit: «Maman, qu'elle aille se faire tirer ailleurs, j'en ai marre de l'entendre se faire troncher tous les jours, je ne peux pas travailler.» Albertas appelle ici son père à une fonction paternelle, c'est-à-dire de séparateur entre la sexualité de sa mère et sa sexualité d'adolescent, puisqu'il est mis ici en position voyeuriste malgré lui. Or, en réaction, et par jalousie pathologique, le père ne s'en prend à sa femme que pour lui dire qu'il ne supporte pas que cela puisse lui revenir aux oreilles. Ici, la triangulation de la fonction paternelle est faussée, car l'enfant sert de monnaie d'échange dans le conflit passionnel du couple. La mère sait que son fils le répétera au père, et qu'il fera une crise de jalousie, ce qui est une forme de revanche narcissique sur la séparation, initiée par le père. La fonction paternelle est mise en échec, car la séparation ne vise pas à restaurer la Loi (l'interdit de l'inceste, la différence des générations) mais à utiliser l'enfant comme instrument de la perversion parentale.
2. L'autorité infantile L'autorité exercée sur l'enfant est une contrainte à l'encontre de ses pulsions, pulsions de meurtre (prédation, destruction des objets, mise en danger inconsciente — doigts dans la prise, etc. —...), et pulsions d'immédiateté (tyrannie du «tout, tout de suite»). Cette contrainte doit être appliquée de manière cohérente, bienveillante, et dans le but d'aider l'enfant à grandir, à s'autonomiser, c'est-à-dire à intérioriser les lois universelles et humanisantes. 65
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En soi, elle est sécurisante, et la démagogie actuelle consistant à ne plus limiter les enfants, sous prétexte de ne pas les faire souffrir, est extrêmement maltraitante et irrespectueuse envers l'enfant. L'autorité doit lui apprendre notamment à différer, le considérer comme un être en devenir, qui doit être nourri (matériellement, intellectuellement, émotionnellement, spirituellement) pour désirer grandir, et s'y efforcer. Leo, l'enfant provocateur Certains enfants, souvent d'ailleurs caractérisés comme précoces, ont un tempérament très provocateur à l'égard de l'autorité des adultes, pour s'y confronter, et sonder la bienveillance qui y préside ou non. Leo, ne supportant pas que sa nounou s'occupe davantage de sa petite sœur que de lui, et se sentant rejeté, commence sa rébellion envers elle. À 4 ans, il se met à renverser les chaises de la cuisine, à lui prendre son téléphone pour le jeter par terre, à maltraiter le chien, à courir dans tous les sens, à être en un mot infernal: casser les verres, hurler, lui jeter des pierres du jardin lorsque la nounou porte sa petite sœur dans les bras, etc. La première réponse, de type punitif, ne fonctionne pas. Elle empire même le comportement de Leo qui, de petit garçon très éveillé, devient insupportable, paraît «mal éduqué» et tyrannique. La nounou, poussée à bout et sentant qu'elle en devient elle-même maltraitante, démissionne, et une autre lui succède. Avec cette autre nounou. Leo se comporte comme un ange. De fait, elle lui consacre des moments à lui, pendant que sa petite sœur dort, et s'intéresse à lui. L'autorité c'est donc d'abord savoir répondre aux besoins de l'enfant, et analyser ce que signifie un comportement provocateur. Leo ne peut intégrer des limites éducatives que s'il se sent reconnu dans ses besoins et valorisé comme sujet à part entière, et que s'il ressent la bienveillance de l'adulte en face.
Conseils d'éducation par le philosophe Emmanuel Kant «La règle qu'il faut par conséquent observer avec des enfants dès la prime jeunesse est la suivante: lorsqu'ils crient et que l'on croit qu'il leur arrive quelque mal, courir à leur secours, mais lorsqu'ils crient simplement par colère les laisser comme ils sont. Et c'est une conduite du même genre qu'il faudra adopter sans relâche plus tard. La résistance que l'enfant rencontre en ce cas est tout à fait naturelle et n'est proprement que négative, puisqu'on ne fait que ne pas lui céder. Bien des enfants obtiennent au contraire tout ce qu'ils ne font que désirer de leurs parents, lorsqu'ils usent de prières. Si on laisse les enfants tout obtenir par leurs cris, ils deviennent méchants, s'ils obtiennent tout par des prières, ils deviennent mous. Si l'on ne trouve aucune raison qui s'y oppose, on doit accéder à la prière de l'enfant. Trouve-t-on une raison de ne pas la satisfaire? On ne doit pas alors se laisser émouvoir par beaucoup de prières. Toute réponse qui est un refus doit être comme telle irrévocable. Son premier effet est que l'on n'a plus besoin de refuser souvent.»
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Kant explique ici que l'adulte doit résister aux assauts tyranniques et manipulateurs auxquels le psychisme de l'enfant est soumis (de par son immaturité psychique), et que c'est l'essence de l'éducation (« educare» en latin: conduire hors de l'état de pulsions
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infantiles). Depuis, l'on réinvente le fil à couper de beurre, on complexifie ce qui est simple, on demande même à l'enfant d'être déjà autonome, d'avoir des avis sur tout, et de s'autogérer, et on s'évite ainsi des conflits psychiques coûteux pour soi-même, tout en laissant les enfants dans un immense désarroi, abandonnés à eux-mêmes sans pouvoir s'arrimer solidement à un monde adulte solide et protecteur pour grandir. Sont de plus en plus visibles les résultats catastrophiques du manque d'éducation aujourd'hui dans l'enlisement de notre société vers toujours plus de perversion et de complaisance à l'égard de l'immoral, du sadisme et de la destruction. Sans éducation, point d'instruction, et rien ne pourra s'enraciner correctement par la suite.
2.1 L'angoisse d'abandon L'angoisse d'abandon est traversée par tout enfant, dans la mesure où chacun apprend à exister dans un monde étranger et menaçant, en étant séparé progressivement du corps, a priori rassurant, de la mère. La menace d'abandon est une menace de retrait d'amour et la qualification d'une réelle détresse. D'après Mendel, la recherche d'une domination chez l'être humain est liée à ce sentiment abandonnique extrêmement puissant : «Ce sentiment abandonnique serait consubstantiel à l'espèce humaine. L'autorité représente comme le symptôme — c'est-à-dire à la fois la souffrance et la réponse à la souffrance — sous lequel il se manifeste universellement, un symptôme inévitable» (p. 74). «Qu'est-ce que la crise passionnelle amoureuse, sinon la reviviscence aiguë de l'angoisse d'abandon ? » (p. 71). L'autorité consisterait à prendre en charge ce sentiment abandonnique de base, ce à quoi souscrit également Sigmund Freud, au sujet de la protection paternelle : «La mère, qui satisfait la faim, devient le premier objet d'amour et de plus la première protection contre tous les dangers indéterminés qui menacent l'enfant dans le monde extérieur ; elle devient [...] la première protection contre l'angoisse. La mère est bientôt remplacée dans ce rôle par le père plus fort [...]. Et quand l'enfant en grandissant voit [...] qu'il ne pourra jamais se passer de protection contre des puissances souveraines et inconnues, alors il prête à celles-ci les traits de la figure paternelle, il se crée des dieux.» Il convient de souligner que ce rôle de «père plus fort» est aussi bien le produit du patriarcat dominant, et concerne des sociétés régies par la violence sourde de la «loi du plus fort», quand bien même elles s'afficheraient comme «démocratiques ». D'après Mendel, lorsque les « variations historiques des formes de l'autorité [...] sont dues à des changements sociaux importants», elles «peuvent déstabiliser la prise en charge par la société du sentiment abandonnique de 67
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base. Une telle crise de l'autorité, qui est aussi une crise d'identité collective, favorise l'action de prophètes inspirés, religieux ou laïcs, proposant un nouveau type de contrat avec l'autorité ». Si l'analyse sociétale de Mendel semble pertinente, elle ne s'interroge pourtant pas sur les raisons pour lesquelles certaines personnes, même lorsqu'une société laisse l'individu à l'abandon (cas de nos SDF), résistent mieux que d'autres à cette déstabilisation. Car c'est peut-être du côté de l'institution familiale qu'il faut chercher. En raison des défaillances dans son histoire, la personne sera plus ou moins en proie à ce sentiment d'impuissance et de détresse fondamentale : «Je ne saurais trouver un autre besoin d'origine infantile aussi fort que celui de protection par le père», dit Freud à ce sujet (1929) (et là encore, ce point de vue est valable dans une société où les femmes demeurent brimées par un patriarcat dominant qui les destitue aussi de leur puissance protectrice). Ainsi, il semble que, selon la réponse parentale à ce sentiment d'abandon, la personne se tournera ultérieurement soit vers une autorité (qui ne la menacera pas d'un retrait d'amour si elle désobéit et visera son autonomisation), soit vers une domination d'emprise, c'est-à-dire de dépendance psychologique forte aux gourous, aux prophètes, aux tyrans, aux démagogues... Il est à se demander donc si l'on se crée des dieux masculins pour remplacer la figure paternelle, comme le suggère Freud, ou si l'on se les crée car l'autorité paternelle a été vacillante, soit manquante, soit autoritaire, donc non sécurisante eu égard à ce sentiment d'abandon. Lorsque l'on étudie le parcours familial des fanatiques, il est très fréquent de constater une fragilité massive du côté de la fonction paternelle, avec toujours ce préjugé du masculin « viril » et dominant comme fond idéologique. Ainsi que le dit Herfray, cette fonction paternelle est «cet "Auctor-Auteur", auquel nous devons l'éveil de notre connaissance et de notre conscience et vers lequel nous sommes poussés à nous adresser dès lors que la tempête se lève et que notre barque est en détresse» (2005, p. 14). Ce qu'il est important de retenir est que la fonction paternelle dans toutes ces dimensions structure un éveil à l'ordre symbolique, et non une aliénation de type sectaire. Il convient de souligner qu'en tant que fonction, elle peut être aussi, dans des familles monoparentales, portée par la mère, qui pourra se discipliner en secondarisant la primarité de la pulsion maternante, pour porter son enfant vers la symbolisation et la socialisation. Dans le réel, certains enfants sont d'ailleurs plus structurés psychologiquement dans des familles monoparentales avec I
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une mère qui a conscience de l'importance de trouver des fonctions paternelles tierces structurantes et identificatoires pour son enfant, que dans des familles avec les deux parents présents, mais où les fonctions sont dévoyées de leur contenu et de leur objectif. C'est pour cette raison qu'il est préférable de parler de «fonction paternelle », plutôt que de père.
2.2 Le complexe d'Œdipe Nous avons un peu évoqué le complexe d'CEdipe avec la fonction paternelle. Il s'agit d'un moment de construction psychique fondamental, assez éloigné de ce qui peut être parfois véhiculé par les vulgarisations médiatiques. Loin de se réduire à «tu ne coucheras point avec ta mère, et tu ne tueras pas ton père », ce complexe est le moment où se révèlent pour le psychisme de l'enfant la différence des générations et l'interdit de l'inceste. La différence générationnelle et la différence sexuelle sont garantes de l'identité et de la civilisation. Avec la différence des générations, l'enfant apprend qu'il existe un ordre du monde, un « avant » et un «après », et que l'ordre antérieur doit être respecté pour les oeuvres déjà créées, sur lesquelles il devra s'appuyer pour contribuer à la logique du progrès de l'humanité. D'ailleurs, c'est là que l'enfant découvre que ses propres parents ont aussi été des enfants qui ont eu des parents, et comprend la hiérarchie temporelle préexistante avec les grands-parents. C'est ici que s'enracine le respect des Anciens, des oeuvres et des savoirs antérieurs. De plus, l'enfant sort de l'impasse de l'auto-engendrement, car avec le complexe d'Œdipe, il intègre qu'il a été engendré par autrui. Il n'est donc pas né de lui-même, et un « avant » lui précède, une génération antérieure à laquelle il doit le respect et une forme de révérence, et avec laquelle il ne saurait se confondre, surtout pas en subissant des liens incestueux avec elle. De plus, dans le complexe d'Œdipe, l'enfant éprouve la pulsion d'évincer son rival du même sexe, le père pour le petit garçon, la mère pour la petite fille. C'est là que se construit l'identité sexuée, c'est-à-dire le rapport intime à soi-même, qui est primordial pour ne pas sombrer dans un état d'indifférenciation sans foi ni loi. En outre, la pulsion de meurtre, rencontrant l'interdit, ne peut s'assouvir et l'enfant est donc obligé de la symboliser, de ne pas la satisfaire, ce qui l'élève à la civilisation. 69
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Enfin, la différence des sexes entraîne l'accès psychique à l'altérité : l'autre est autre, et je dois emprunter un chemin pour le rencontrer. Cet accès à l'altérité est primordial pour ne pas se sentir tout-puissant et sortir d'un égocentrisme nombriliste. Le complexe d'CEdipe est donc un moment de structuration identitaire essentiel. Il se rejoue d'ailleurs à l'adolescence, où il doit pouvoir rencontrer les mêmes réponses structurantes de la part des adultes, en termes d'interdits du meurtre et de l'inceste. Or, de nos jours, comme cela se voit dans ce monde occidental, lorsque l'on essaie de répondre aux questionnements identitaires des adolescents (qui relèvent du fantasme et doivent rencontrer la limite structurante du réel) en facilitant dans le réel le fantasme de changement de sexe, le monde adulte se révèle extrêmement maltraitant, entraînant le psychisme de l'adolescent dans une régression inouïe, porteuse de pulsions suicidaires, et plusieurs cas de suicide ont déjà eu lieu sur le sujet. Il est temps que le monde adulte revienne à la raison, et se restructure clairement autour des interdits fondamentaux, par une résistance de civilisation, à ce qui est tout simplement une confusion et un chaos idéologiques qui n'auront pour conséquence que la guerre de tous contre tous, dans une régression vers la jungle et la loi du plus fort. À l'heure actuelle, au nom de la lutte contre la discrimination, l'on essaie de nous faire adhérer, à force de propagande, à l'idée que l'homme peut être une femme, et vice versa. L'humain est à la croisée du biologique et du culturel donc, bien sûr qu'être une femme ou être un homme se construit aussi dans la culture, mais si cette construction se fait au mépris de la nature, ce n'est ni plus ni moins qu'un déni de réalité. Car, et c'est un débat tranché par la philosophie de longue date, lorsque l'humain construit sa culture en écrasant, violant, exploitant et niant la nature, il court à sa perte. La culture doit se construire sur la nature en la transcendant, et non en s'y opposant. C'est par le complexe d'CEdipe que se développe également le Surmoi (cette instance régulatrice des interdits sociaux mais aussi moraux, féconde de valeurs et d'idéaux, cf. infra), mais aussi l'idée de la mort, avec l'accès à la temporalité : il existe une génération d'avant et une génération d'après, laquelle deviendra un jour une génération d'avant. Cette temporalité est de type linéaire, comprenant les dimensions du passé et de l'avenir, donc du projet, du désir, et de la réalisation personnelle. Sans temporalité linéaire, sans axe du temps, l'être humain tourne en rond dans une temporalité mythique, dont j'ai pu étudier, dans ma thèse de doctorat en I
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psychopathologie, qu'elle était pleinement à l'ceuvre dans le délire psychotique'. Enfin, c'est généralement durant le complexe d'Œdipe ou, en tout cas, juste après, que l'enfant se posera l'existence d'un au-delà de l'humain, de Dieu, de ce qu'il y a après la mort, et élaborera ce que le psychanalyste Jung appelait «l'idée de Dieu ». Ce complexe d'Œdipe est donc une étape essentielle de la structuration du psychisme, de sortie de l'archaïque (caractérisé par le chaos, la confusion et la primarité des pulsions), et il est préférable que l'enfant puisse y parvenir grâce à l'équilibre parental, et à l'apposition de limites infranchissables (entre les générations), donnant accès à la différence des sexes, à la pensée de l'origine, de la transmission et à la responsabilité de créer un futur meilleur. C'est une étape d'autorité, qui permet l'ouverture à la temporalité (filiation), à la moralité et à l'éthique.
Réflexions sur l'Œdipe Dans le mythe d'Œdipe, tel qu'il nous a été transmis par la Grèce Antique (Sophocle), (Edipe est dans l'ignorance infantile. Lorsqu'il tue son père, au détour d'un chemin, il ignore qu'il s'agit de son père. Lorsqu'il couche avec sa mère, il ignore qu'il s'agit de sa mère. Cette ignorance nous indique bien à quel point c'est l'adulte (le parent) qui doit porter le savoir et inscrire les interdits fondamentaux. De même, Œdipe, pour entrer dans Thèbes, doit répondre à la Sphinge, dont on ne sait pas bien s'il s'agit d'un être masculin ou féminin, sans doute un lion à tête de femme (certains textes parlent de la Sphinge, d'autres, du Sphinx). La différence des sexes et la différence des générations ne sont pas encore acquises. L'énigme posée par la Sphinge a valeur d'initiation, puisque la réponse (quel est l'animal qui, le matin, marche sur quatre pattes, le midi, sur deux, et le soir, sur trois?) est l'homme. C'est alors qu'Œdipe accomplit son destin incestueux. De la culpabilité liée à l'horreur du crime incestueux et parricide (Œdipe se crève les yeux pour se punir) naît ensuite la loi: la loi de la cité (portée par Créon) et la loi morale (portée par Antigone, fille de l'inceste). Ainsi, le complexe d'Œdipe est le garant de la vie politique (l'inceste et le meurtre ne sauraient être tolérés en cité, non plus que l'autoengendrement familial) mais aussi de la loi morale et divine (on doit enterrer les morts).
«Seuls papa et moi on peut avoir un bébé dans le ventre» Les gens confondent souvent le complexe d'Œdipe et l'inceste. Or c'est tout le contraire. L'Œdipe est le moment structurant où les limites concernant le tabou de l'inceste et celui du meurtre sont enseignées à l'enfant, ainsi que la différence des générations,
1. Cf. Bilheran, A. (2010). Le temps vécu dans la psychose. Approche phénoménologique et psychanalytique du temps dans le délire psychotique, Sarrebruck, Éditions universitaires européennes.
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tandis que l'enfant jusque-là nage dans une sorte d'indifférenciation et de confusion. Lucie a 5 ans. Elle dit à sa mère «toi tu ne peux pas faire de bébé. Seuls papa et moi on peut avoir un bébé dans le ventre», illustrant le fantasme incestuel sur le plan psychique, avec désir d'invalider la mère (moment de la rivalité, qui est aussi le moment de l'identification sexuée, vers 4-5 ans). La réponse structurante nécessaire à fournir est de formuler les interdits de civilisation (et dans l'idéal, que ce soit le papa qui le fasse, c'est-à-dire remette l'enfant à sa place d'enfant): «Seule maman peut avoir un bébé dans le ventre car c'est une femme adulte, et elle t'a porté dans son ventre. Toi tu es une petite fille, et donc tu ne peux pour l'instant pas avoir de bébé dans ton ventre, ce sera plus tard quand tu seras grande. Et moi je suis ton papa, donc je ne peux pas avoir de bébé avec toi, car non seulement tu es une petite fille, mais en plus tu es ma fille, donc mon bébé, et on ne peut pas avoir de bébé avec son bébé.» Dans cette phrase de Lucie, existe aussi ce fantasme d'auto-engendrement qui relève de la psychose, et doit être limité par l'éducation et les interdits transmis.
2.3 L'enfant-roi À l'inverse du complexe d'CEdipe, ce que l'on appelle actuellement un « enfant-roi » (Olivier, 2002; Eliacheff, 1997), ou un « enfant-tyran » est un enfant en mal d'autorité. Des professionnels ont étudié ces «enfants qui poussent à bout» et qui développent un lien à l'objet de nature tyrannique. D'après Albert Ciccone, ces enfants présentent des potentialités de futurs états-limites. Une consultation agitée Lors d'une consultation avec une mère et son enfant, la mère expose ses difficultés avec lui: il est infernal, il pousse à bout, provoque, n'écoute rien, parle mal... Elle dit aussi que cet enfant n'a envie de rien, se fait du mal parfois. Il était comme ça tout petit, mais depuis un an, «ça s'était calmé», jusqu'à ce qu'il reparte un mois en vacances chez son père. Depuis il «n'en fait qu'à sa tête, est très agressif», Pendant la consultation, le petit garçon se tient «à carreaux », particulièrement sage, muet, et très observateur de son entourage. Je l'encourage alors à aller regarder les jouets, ce qu'il s'autorisera à mon second encouragement. Le contraste entre l'enfant que la mère décrit et l'enfant que je vois est saisissant. Lorsque je lui parle, le petit garçon peut parfois me répondre d'un hochement de tête, sans me regarder pourtant. Je demande à la mère si Mathieu ne connaît pas des choses de son histoire, ou plutôt, puisqu'il les connaît inconsciemment, si elles ne lui ont pas été dites. Elle évoque un enfant non désiré, qu'elle a gardé pourtant, contre le gré du père. Elle raconte aussi que le père de cet enfant l'a frappée à maintes reprises, et que ça, « Mathieu ne le sait pas ». Mathieu s'agite beaucoup désormais. Je lui dis alors que ça doit être difficile pour lui toute cette histoire, qu'il a dû avoir très peur pour sa maman et que, peut-être il a encore peur. Mathieu lève alors le regard sur moi et me refait un grand sourire. La mère raconte qu'elle dort dans le même lit que son fils, «faute de place» (en réalité, le fils sert de « doudou » rassurant à
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la mère, sans qu'elle ne s'en rende compte). Elle semble très angoissée et évoque des manipulations de la part du père. Par sentiment de culpabilité, la mère «lui passe tout» et ne sait pas tenir des limites qui imposent un sentiment de frustration.
«On peut dire, en fait, que l'enfant qui pousse à bout cherche à savoir ce qu'il y a au bout, car il n'est pas sûr de ce qu'il y a au bout. [...] Tout semble se passer comme si l'enfant n'était pas convaincu qu'au bout du compte l'adulte tient vraiment à lui, l'investit vraiment. L'adulte est peut-être luimême convaincu de son intérêt, de son attachement, de son investissement, de son amour pour l'enfant ; mais l'enfant, lui, n'est pas convaincu. Et tout le problème posé sera celui des conditions à partir desquelles l'enfant pourra acquérir une conviction suffisante pour pouvoir renoncer à son comportement perturbateur et tyrannique» (Ciccone, 2003, p. 14-15). La sécurisation affective intérieure ne s'obtient que dans la sécurisation du lien relationnel. «On peut donc dire que l'enfant qui pousse à bout cherche, par son comportement tyrannique et omnipotent, à retrouver l'objet aimé, la mère aimante qu'il a perdue. Si l'environnement ne résiste pas à la destructivité de l'enfant, il confirme la perte et conduit l'enfant à répéter des comportements de destructivité, pour échapper à l'éprouvé de désespoir agonistique, pour échapper à l'éprouvé d'annihilation» (ibid., p. 18). La logique est dès lors masochiste, car l'enfant cherche à soulager une culpabilité, celle d'avoir lui-même détruit l'objet, donc il recherche une punition : l'enfant se fait punir, pour apaiser sa culpabilité, ce que Freud avait déjà appelé le «criminel par sentiment de culpabilité» (1916). «Donc, on peut dire que l'enfant, par son comportement de provocation, d'opposition, par le fait de pousser à bout, cherche paradoxalement à ranimer son objet pour retrouver la mère aimante qu'il a perdue, et cherche en même temps à apaiser sa culpabilité d'avoir par ses attaques, réelles et fantasmatiques, détruit cet objet» (ibid.). La transgression répétée manifeste de l'angoisse et de la détresse. Mais c'est là également qu'intervient la fonction paternelle, pour empêcher l'enfant dans ses velléités de détruire l'objet maternel, ainsi que dans son potentiel destructeur. Le problème est particulièrement accru lorsque la fonction paternelle est défaillante.
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L'irremplaçable père Lors d'un atelier clinique consistant à promouvoir le développement psychomoteur chez l'enfant, a lieu une scène tout à fait classique. Giorgi°, âgé d'un an et demi, attaque le sein de sa mère, et tente de mordre à cet endroit, ainsi qu'à d'autres parties du corps. Lorsque sa mère lui dit d'arrêter, il n'obéit pas. La psychologue en présence et moi-même suggérons au père (donc à la fonction tierce qu'il incarne entre la mère et l'enfant) de poser à Giorgio l'interdit d'agresser le corps de la mère. Il suffit que le père le dise une fois à son fils pour que ce dernier arrête définitivement, pour la suite de la séance de deux heures, de mordre sa mère. La fonction paternelle, dans son rôle de tiers, est incontournable et irremplaçable, mais souvent sous-estimée, à une époque où pourtant, dit-on, les pères cherchent davantage leur place.
L'enfant qui pousse à bout est celui qui a manqué crucialement d'une autorité, souvent parce que les parents ont inconsciemment mis leur enfant dans le rôle de les réparer de leurs propres blessures et traumatismes, ou de servir de médiateur dans les conflits du couple parental. L'autorité ne consiste pas à utiliser l'autre comme un objet de réparation, un pansement, mais comme un sujet en évolution, qui aspire à une libération interne, une culture, un destin personnel et autonome. La façon dont le parent présente la réalité, énonce les interdits, pose les limites, est tributaire de sa propre demande de réparation de ses expériences infantiles. «Plus le parent agira en réponse à l'enfant qu'il a été et non en réponse aux besoins de l'enfant réel, et plus il sera en difficulté devant l'enfant réel. On verra alors, par exemple, un parent qui ne peut pas mettre de limites, ou qui ne met des limites que d'une façon cruelle en sortant lui-même de ses limites, tellement il en veut à l'enfant de le mettre en difficulté, d'attaquer son sentiment d'être un bon parent, de ne pas lui faire vivre qu'il est un bon parent, de ne pas réparer son expérience infantile d'échec» (ibid., p. 24). D'ailleurs, la plupart du temps, le parent qui se plaint d'un comportement de l'enfant, l'induit à son insu pour satisfaire une partie d'exigences fantasmatiques. La société moderne met à mal l'éducation parentale qui voudrait pouvoir élever l'enfant à sa condition humaine. De fait, la logique sociétale est désormais structurée autour du consommable et du périssable, de la régression vers des pulsions de satisfaction orale (satisfaire son besoin tout de suite). L'enfant est lui-même pris au piège dans diverses manipulations, par exemple, la publicité en fait un prescripteur d'achat parental, en s'adressant à sa sensorialité et à son désir de satisfaction immédiate (sensorialité I
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visuelle — publicité télévisée —, olfactive, auditive...)'. L'interdit de l'inceste (la non-confusion de la sexualité infantile, régie par la tendresse, et de la sexualité génitale adulte) n'est lui-même plus respecté, puisque l'enfant subit quotidiennement des images de la sexualité adulte (ex.: revues pornographiques dans les kiosques à journaux) mais aussi des images violentes qu'il n'est psychiquement pas prêt à réceptionner autrement que sous l'angle du traumatisme (ex.: le journal télévisé). L'adulte lui-même est pris dans cette logique du consommable et de la régression sensorielle (la sollicitation sensorielle outrancière est en effet un procédé manié par les sectes, ou par l'armée, et repris par les publicitaires, dans des logiques de conditionnement: désensibilisation par l'image, ruptures de l'enveloppe psychique par attaque permanente des sens, etc.)2. De plus, la consommation liée au produit, et à son caractère éphémère (les marques ne durent pas...) conduit à une absence profonde de repères stables et durables, mais aussi à une carence en aspirations métaphysiques et spirituelles. L'idéologie du primat de la matière sur l'Esprit est très anxiogène pour tout individu, mais peu mesurent à quel point. Ainsi, l'autorité parentale, pour peu qu'elle existe, est très souvent discréditée et disqualifiée par la société moderne.
2.4 Principe de plaisir/principe de réalité
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La psychologie distingue deux principes fondamentaux dans le développement psychique de l'enfant : le principe de plaisir et le principe de réalité. Le principe de plaisir correspond à l'exigence d'éviter le déplaisir et de satisfaire son plaisir, de façon immédiate, sans l'ajourner, le différer ou envisager le moindre obstacle à cette satisfaction. Au tout début de la vie, c'est le principe de plaisir qui règne. S'il est tout le temps satisfait, alors l'enfant ne peut pas se construire une autonomie (exemple des parents qui répondent à tous les besoins de l'enfant sans différer et en les anticipant systématiquement, sans même que l'enfant ait à réclamer quoi que ce soit). Le complexe d'CEdipe est une étape majeure dans l'intériorisation du principe de réalité, c'est-à-dire ici de la capacité de prendre en compte des 1.Cf. Bilheran, A. (2010). Tous des harcelés?, Paris, Armand Colin. 2. Cf. Bilheran, A. (2013). Manipulation. La repérer, s'en protéger, Paris, Armand Colin.
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exigences d'autrui, et de répondre des conséquences de ses actes. Il permet la distinction entre l'hallucination et la réalité, entre le fantasme et l'acte. Le principe de réalité vient désarmer la toute-puissance du principe de plaisir, et apprendre la frustration et la déception. Il est créateur de manque, donc de désir, et d'inscription dans une temporalité linéaire. Or, le manque est aussi ce qui permet le développement de la pensée, de la mémoire, de la raison, de la conscience et de l'attention (la représentation de ce qui est absent). Il faut donc aller « au-delà » du principe de plaisir pour connaître la satisfaction différée. Par exemple, une personne qui ne serait que dans le principe de plaisir ne trouve pas la ressource de fournir les efforts nécessaires pour obtenir un examen. La capacité de différer l'obtention d'un plaisir est aussi une faculté de construire une pensée, et de s'impliquer dans sa réalisation. Il y a là la condition d'une indépendance future pour le sujet. Le principe de réalité ou le principe de plaisir différé « Et c'est pourquoi nous disons que le plaisir est le principe et la fin de la vie bienheureuse. [...] Et parce que c'est là le bien premier et connaturel, pour cette raison aussi nous ne choisissons pas tout plaisir, mais il y a des cas où nous passons par-dessus de nombreux plaisirs, lorsqu'il en découle pour nous un désagrément plus grand; et nous regardons beaucoup de douleurs comme valant mieux que des plaisirs quand, pour nous, un plaisir plus grand suit, pour avoir souffert longtemps. H Quand donc nous disons que le plaisir est la fin, nous ne parlons pas des plaisirs des gens dissolus et de ceux qui résident dans la jouissance, comme le croient certains qui ignorent la doctrine, ou ne lui donnent pas leur accord ou l'interprètent mal, mais du fait, pour le corps, de ne pas souffrir, pour l'âme, de n'être pas troublée. Car ni les beuveries et les festins continuels, ni la jouissance des garçons et des femmes, ni celle des poissons et de tous les autres mets que porte une table somptueuse, n'engendrent la vie heureuse, mais le raisonnement sobre cherchant les causes de tout choix et de tout refus, et chassant les opinions par lesquelles le trouble le plus grand s'empare des âmes. Le principe de tout cela et le plus grand bien est la prudence.» Épicure, Lettre à Ménécée,
p.
129-133.
L'autorité: garante du principe de réalité «En ce qui concerne les tendances sexuelles, il est évident que du commencement à la fin de leur développement, elles sont un moyen d'acquisition de plaisir et elles remplissent cette fonction sans faiblir. Tel est également, au début, l'objectif des tendances du Moi. Mais sous la pression de la grande éducation qu'est la nécessité, les tendances du Moi ne tardent pas à remplacer le principe de plaisir par une modification. La tâche d'écarter la peine s'impose à elles avec la même urgence que celle d'acquérir du plaisir; le Moi apprend qu'il est indispensable de renoncer à la satisfaction immédiate,
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de différer l'acquisition de plaisir, de supporter certaines peines et de renoncer en général à certaines sources de plaisir. Le Moi ainsi éduqué est devenu "raisonnable", il ne se laisse plus dominer par le principe de plaisir, mais se conforme au principe de réalité qui, au fond, a également pour but le plaisir, mais un plaisir qui, s'il est différé et atténué, a l'avantage d'offrir la certitude que procurent le contact avec la réalité et la conformité à ses exigences. Le passage du principe de plaisir au principe de réalité constitue un des progrès les plus importants dans le développement du Moi.» Freud, Introduction à la psychanalyse, p. 336.
La prime enfance ou le primat de l'immédiateté L'enfant de la première enfance (0-5 ans) est d'abord soumis à un désir d'immédiateté, il vit dans l'instant présent, sans mesurer les conséquences de ses actes ni se soucier de l'avenir. Il est aux prises avec l'intensité de ses émotions et de ses pulsions, qu'il ne sait d'abord pas identifier ni nommer sans l'aide de l'adulte. Tony est un enfant de 4 ans classé « hyperactif », avec un tempérament extrêmement provocateur. Lorsqu'il est aux prises avec ses colères, toujours liées à un sentiment de frustration, il les exprime avec forte puissance: il hurle, se débat, frappe, mord, etc. Aux tests psychologiques, est révélée une très grande précocité intellectuelle. De fait Tony questionne tout, et n'accepte d'obéir que si la contrainte revêt du sens pour lui, et que s'il ressent la bienveillance de l'adulte envers lui. Autrement, les crises d'opposition sont extrêmement fortes. Ses parents ont bien essayé des méthodes coercitives traditionnelles comme l'enfermer dans sa chambre, l'enfant tente de passer par la fenêtre en riant! «Une main de fer dans un gant de velours» est donc tout à fait nécessaire pour enseigner à l'enfant les limites de la réalité, qui sont autant de limites à l'expression de sa colère ou de sa frustration. Ce type d'enfants étant tout particulièrement sensible à la cohérence éducative de l'entourage, et à la nécessité de règles auxquelles tous doivent obéir, les parents travaillent avec moi-même à la mise en place d'un cadre ritualisé quotidien pour l'aider à transformer ses pulsions, à les symboliser (petites histoires, jeu, etc.) et à les sublimer (sport, etc.). Nous travaillons également à entendre la provocation comme un appel de détresse pour rencontrer de l'attention et de la bienveillance, et à ne surtout pas y répondre de manière émotionnelle, l'enfant étant particulièrement doué pour «pousser ses parents à bout». Un groupe de parents aux prises avec des enfants de type précoce vient également étayer la démarche parentale, de ne pas flancher soit du côté de réactions autoritaires, soit du côté d'un trop fort laxisme, les deux démarches aggravant le comportement de l'enfant, aux prises alors avec davantage d'insécurité. Des livres pour enfants expliquant la nature des émotions, leur intensité et la possibilité d'y répondre d'une autre façon sont également utilisés avec succès. tels que la collection Bastien et les Blipoux d'Adèle Faber. Ce que les parents de Tony finissent par comprendre c'est que, en dépit de sa précocité intellectuelle et même de sa stature physique développée (l'enfant paraît 3 ans de plus), l'immaturité affective est plutôt celle d'un enfant de 2 ans, et qu'il est important de le prendre en considération. Des progrès importants sont constatés dans les réponses apportées au «tout tout de suite», aux colères, hurlements, etc. Le maniement de l'humour est également mis en place, avec beaucoup de succès, car cela permet d'empêcher la survenue des « crises »
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entre l'enfant et ses parents. Des techniques de réponse là où l'enfant ne les attend pas sont également mises au travail, par exemple, lui faire un câlin lorsqu'il hurle de colère, jusqu'à ce qu'il se calme.
2.5 La symbolisation Face à l'enfant-roi, à l'adolescent délinquant, ou à l'adulte souvent état-limite, la réponse d'autorité la plus adaptée est une attitude ferme mais compréhensive, sans hostilité ni cruauté, tout en bienveillance. La destruction qui a été contenue peut en effet être transformée. C'est ce qui, en psychologie, est appelé «symbolisation ». La symbolisation consiste à opérer une liaison entre un éprouvé et une représentation qui devient support d'investissement. Elle est le cœur de la pensée, et le moyen de dépasser des traumatismes (d'où le fait qu'en thérapie, le travail consiste en une mise en lien des souffrances avec des représentations d'événements vécus). L'absence de liaison psychique est toujours le signe d'un déficit de symbolisation. En psychologie, on distingue au moins deux niveaux de symbolisation, primaire et secondaire. Le premier niveau opère avant le complexe d'CEdipe, chez l'enfant qui n'a pas encore acquis le langage. Ce processus transforme l'événement sensoriel (sollicitation, éprouvé de plaisir ou déplaisir) en représentation de chose (dont on a la trace dans le langage ensuite par des images très parlantes : «j'ai les nerfs à vif», «j'ai un noeud à l'estomac », «ma tête va exploser»). La symbolisation primaire permet de lier en une représentation le corps, la perception et l'inconscient (Barthélémy, Bilheran, 2007, p. 76-78). De plus, l'accès à la symbolisation primaire nécessite au préalable une régularité et une cohérence des attitudes dans l'entourage, qui permettent à la pensée d'émerger. Les rythmes réguliers auxquels s'ajoutent de brèves variations sont les supports du développement de la pensée. La symbolisation est un début d'histoire de soi, d'inscription dans une temporalité linéaire. Elle est permise et encouragée par une autorité supérieure. Alors que la symbolisation primaire est surtout initiée par la fonction maternelle, qui va nommer les parties du corps qui sont en déplaisir ou en plaisir chez l'enfant, la symbolisation secondaire est essentiellement le rôle de la fonction paternelle. Il s'agit cette fois d'un travail de transformation de la représentation de chose dans le langage et les représentations de mots. C'est par cette symbolisation secondaire d'ailleurs que la dimension
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métaphorique, abstraite et conceptuelle se développe. Elle est le moment de la distinction entre le sens propre (la lettre, l'événement) et le sens figuré (l'esprit, l'interprétation), savoir éminent que l'on retrouvera ensuite dans toute la culture (l'art, la justice, la philosophie, la littérature, l'histoire, etc.). La symbolisation est un travail d'autorité, et l'on y retrouve toutes les composantes de l'autorité d'ailleurs : inscription temporelle, filiation, garantie sur le savoir transmis, augmentation, origines... L'autorité sur soi-même reconquise par la posture d'auteur (symbolisation) Le livre de Mathilde Brasiller, Le jour, la nuit, l'inceste, est un exemple de symbolisation réussie. Transgressant le déni familial, Mathilde Brasilier récupère une parole sur son histoire propre, et l'inscrit dans sa chronologie personnelle. Cette symbolisation remet toute l'histoire traumatique avec son père dans le champ de la compréhension de ce qui a pu se passer au sein du climat incestuel dans le système familial. Il convient de souligner que la reconnaissance des faits par le père lui-même avant son décès a dû énormément aider Mme Brasilier dans l'acceptation de ses remontées mnésiques dans le cadre du syndrome post-traumatique, puis dans leur mise en mots. Le travail de symbolisation est vital et essentiel pour toute victime de traumatismes, car avec le traumatisme, c'est l'ordre du monde, donc sa structure et son autorité relationnelle et temporelle qui se sont brisés. La mise en historicisation et en sens dans la parole fait partie d'un travail d'auteur, donc d'autorisation à décrire les événements tels qu'ils se sont produits, avec leurs effets sur soi-même, par-delà les pressions. menaces ou encore mensonges qui ont pu être assénés. L'histoire autobiographique est la suivante: Maud Steiner, fille d'un père architecte prix de Rome et d'une mère sculpteur, a grandi à Saint-Germain-des-Prés dans les années 1960. Après le suicide de son frère Fabien, elle cherche durant quinze ans une explication. Au cours d'un travail thérapeutique, des flashs de sa petite-enfance réémergent... L'amnésie s'efface. «Je suis chaque matin l'enfant qui arrive à l'école sans ses chaussures, en pleurant, mais quelle chance... son père est venu jusqu'à l'école, en courant le long du boulevard Saint-Germain, pour que sa petite fille ait ses chaussures aux pieds et s'arrête de pleurer. Et que la honte d'avoir les pieds nus, elle est dérisoire face à une blessure en sept lettres, qui commencerait par la lettre '1" et ne se terminerait jamais. J'avais cinq ans. Je me sentais désavouée dans l'indifférence du monde.» «Écrire, c'est ne pas pouvoir éviter de le faire, c'est ne pas pouvoir y échapper. Les écrits les plus achevés ne sont que des aspects très éloignés de ce qui a été entrevu. La totalité inaccessible qui échappe à tout entendement ne cède en rien à la folie et à ce qui la détruit...» Écrire, c'est récupérer une parole d'auteur, c'est pouvoir, au travers de la symbolisation, faire revenir l'autorité au sein de l'humanité, donc retrouver l'humanisation de son propre rapport au monde. C'est la raison pour laquelle l'écriture opère un rôle fondamental dans la reconstruction psychique des victimes de traumatisme ayant perdu pour un temps la mémoire, la parole, et ayant été murées dans le silence par le traumatisme.
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2.6 La sublimation Une autre étape du développement psychique, liée à l'autorité dans sa fonction d'interdiction mais aussi de permission (symbolisation), est la sublimation. Il s'agit de la capacité de détourner des pulsions (agressives et/ou sexuelles) vers un autre but que celui assigné au départ, car ce dernier a été empêché par une fonction d'autorité. C'est aussi en cela que l'interdit permet non seulement l'intériorisation de la loi, mais aussi le développement d'autres potentialités. Le principe de réalité peut certes empêcher le principe de plaisir, mais ce dernier peut trouver des voies qui harmonisent à la fois sa satisfaction et les exigences de la réalité. Ainsi la recherche de satisfaction n'est pas occultée, comme dans le refoulement, mais elle est obtenue par d'autres voies. La sublimation concerne souvent des activités considérées comme nobles (activités artistiques, philosophiques...). Dans la sublimation également, l'activité pulsionnelle se met au service de la civilisation, et permet d'obtenir une plus grande satisfaction des pulsions : «On obtient le maximum si l'on s'entend à élever suffisamment de plaisir provenant des sources du travail psychique et intellectuel. Les satisfactions de cette sorte, telles que la joie de l'artiste à créer, à donner corps aux formations de sa fantaisie, celles du chercheur à résoudre des problèmes [...] ont une qualité particulière [...]. Pour l'heure, nous pouvons seulement dire de manière imagée qu'elles nous apparaissent "plus délicates et plus élevées", mais leur intensité est amortie, comparée à celle provenant de l'assouvissement de motions pulsionnelles et primaires ; elles n'ébranlent pas notre corporéité » (Freud, 1929, p. 22). La sublimation est ainsi ce qui permet la création d'ceuvres, et nous verrons ultérieurement en quoi l'oeuvre est le produit manifeste de l'autorité. Aldo, ses chiens et ses poules La sublimation s'apprend durant l'enfance. Face à l'interdiction de satisfaire ses pulsions de manière immédiate ou dans le but choisi, l'enfant est obligé de trouver des stratégies de transformation de la pulsion. Aldo est un petit garçon de 5 ans passionné des animaux, tellement passionné qu'il adopte des comportements identiques à celui de ses deux chiens, il se roule par terre, il aboie comme eux, mais également, il leur tire la queue, tente de leur mettre des crayons dans les oreilles, dans les yeux, et dans l'anus! L'arrivée d'une chienne dans la maison entraîne des comportements de saillie de la part du chien mâle aîné, jusqu'à ce que la chienne se fasse stériliser. Aldo les imite, et bien sûr il est réprimandé par ses parents. Il en est
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de même avec les poules, Aldo les martyrise régulièrement! Peu à peu, ses pulsions agressives se transforment en pulsions de soin, il demande à soigner les blessures des chiens, à leur donner des médicaments, se passionne pour leur anatomie et déclare qu'il voudra être vétérinaire plus tard. Son esprit s'élargit à d'autres animaux, et il déclare qu'il veut pouvoir apprivoiser les ours, les tigres, les lions, et rencontrer les girafes en Australie. Il surveille chaque jour les chiens, et vient annoncer à ses parents la moindre anomalie, en désirant toujours être présent pour les soins, et aider sur le versant médical. Quant aux poules, il signale de suite, après une observation minutieuse, leur comportement agressif envers le dernier petit poussin introduit (les poules s'en prennent à lui et lui arrachent ses plumes, etc.) afin que le petit poussin puisse être protégé. Il annonce au vétérinaire qu'il veut devenir vétérinaire et qu'il lui enseigne à «opérer» les animaux. L'on voit bien que la pulsion agressive, sinon sadique envers les animaux se sublime progressivement en désir d'opération pour aider. En somme, la pulsion agressive trouve une voie acceptable, canalisée et contenue pour s'exprimer, ainsi qu'autorisée et reconnue socialement.
3. Autorité et Institution
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À l'heure actuelle, il est coutumier de nommer «institutions » les institutions publiques, et de confondre institution et établissement. Or, l'institution se définit par la mise en oeuvre de représentations sociales qui s'imposent et contraignent les modes de vie, de relations, de construction sociale, de production mais aussi de répartition des richesses et des pouvoirs. L'institution est au fondement de toute société: l'institution judiciaire, l'institution policière, l'institution à mission sociale, l'institution entrepreneuriale, l'institution familiale, l'institution scolaire et l'institution étatique... Toute institution est portée par un idéal, un projet, un espace et un temps donnés, des symboles, dans le souci de maintenir et de reproduire des formes sociales existantes. Elle conforte sa légitimation en dehors d'elle-même. L'institution étatique en France se caractérise par un projet démocratique, un idéal républicain, divers symboles (dont le drapeau français), et est légitimée par une reconnaissance internationale de son statut. Toute institution comporte des logiques de pouvoir (cf. Foucault, Castoriadis), et elle demeure fidèle à elle-même pourvu qu'elle soit en adéquation en actes et discours avec ses « missions ». Ainsi, la mission de l'institution scolaire est d'élever les enfants à la citoyenneté et à l'autonomie, et non pas de briser leur esprit critique et leur autonomie psychique (cf. Cendrey). C'est donc en ce sens que les personnes qui font autorité 81
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dans l'institution sont celles qui portent le projet institutionnel dans son essence (dans une entreprise, il s'agit souvent du middle management, porteur de la culture de l'entreprise, de son mythe fondateur et de son projet). Mais pour cela, encore faut-il que l'institution n'annihile pas ses mythes fondateurs, son histoire et ses valeurs. Le rôle de l'institution est de médiatiser les échanges au niveau spatial (les différentes sphères du social) mais aussi temporel (l'institution est garante de la transmission, dans une continuité générative). C'est ainsi que les Romains pérennisaient le caractère transitoire des actions au travers des institutions humaines, afin d'assurer une permanence dans le temps. Le génie politique de Rome a consisté dans le souci de la durée de la chose publique (res-publica), c'est-à-dire dans des réalisations durables, dont les conséquences pouvaient survivre à l'acte de création ainsi qu'à l'auteur, et montrer l'exemplarité (travail de l'historien romain d'ailleurs : que les hauts faits — res gestae — survivent à leur auteur pour servir d'exemple). La réappropriation du passé prestigieux permet de prendre modèle, dans l'idée de le surpasser. C'est la génération ultérieure qui opérera un renouvellement et donnera le sentiment du progrès. La vocation de l'institution est donc de garantir l'être ensemble dans le temps, le lien social et la civilisation. Toute inscription dans une institution est une inscription historique : il ne s'agit pas d'imiter les prédécesseurs, mais de leur être fidèle «en esprit». La force liante de l'autorité est rattachée à ce souci de durée à travers l'institution, laquelle ne fait que prolonger la division anthropologique entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent, organisation hiérarchique nécessaire à la cohésion de toute société (comme l'écrivit Rousseau dans une note du Contrat Social, seul un peuple de Dieux serait capable de démocratie...) et à l'action collective des humains. L'autorité implique toutefois le partage et l'universalité. La nécessaire place de l'autorité est une place de tiers, donc externe au sujet. Lorsqu'une personne a manqué d'autorité dans son enfance, peuvent survenir des illusions d'auto-engendrement et de toute-puissance (comme les personnes qui disent qu'elles se sont «faites toutes seules », alors qu'inévitablement, elles ont bénéficié de rencontres aidantes dans leur parcours). Cette place externe est une place encadrante : « L'auctoritas se déploie toujours dans le temps : se situant à la fois en amont — comme force de proposition — et en aval — comme élément de ratification ou de validation. I
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Est qualifié d'auctor celui qui propose (qui anticipe, qui précède la décision) et celui qui garantit (postérieurement). L'auctor intervient en amont (avant) et en aval (après). Aussi l'inscription dans la durée que marque la notion d'auctoritas est-elle décisive» (Revault d'Allonnes, 2006, p. 23). L'autorisation permet de se réclamer d'une force symbolique (comme dans le fameux argument d'autorité : « Aristote a dit que... ») qui incarne une figure du passé faisant autorité. Or, c'est l'enracinement dans cette figure d'autorité qui autorise à agir dans le projet : «l'autorité ne s'exerce que lorsqu'elle inscrit l'action dans un devenir.» (op. cit., p. 15). L'institution, dans sa mission, est donc garante de cet héritage symbolique (et de ses invariants) transmis par les ancêtres au travers de la culture au sens anthropologique (usages et langages d'une civilisation), grâce auquel un progrès humain pourra être espéré (cf. par exemple la mission assignée par Condorcet à l'école publique), dans une oeuvre de civilisation. Dès lors, nous constatons que l'autorité n'est pas seulement une permanence inscrite dans le temps : elle est la garante de l'universel humain (de même que la fonction paternelle édicte des lois éthiques valables pour tous les humains dans la communauté du vivre-ensemble). Ce n'est que de cela que l'institution tire sa légitimité (par exemple, l'institution universitaire). Lorsqu'elle s'enlise dans l'illusion de l'auto-engendrement du savoir, et dans l'illusion de toute-puissance, alors ont souvent lieu des dérives de type pervers (« père-version » : détournement et inversion de la fonction paternelle), en miroir d'une société qui méconnaît ses propres fondements. L'autorité de l'institution prison L'institution prison a, dans ses prérogatives, la mission de viser la réinsertion. L'institution en ce sens doit être garante d'une mise à l'écart temporaire en vue de l'acquisition d'un surcroît de liberté humaine, ici, d'autonomisation affective intérieure permettant de prévenir la récidive, et même, si le sujet a bien compris l'essence de son acte, d'occuper des fonctions de réparation par rapport à des actes similaires. Or, dans les prisons françaises actuelles, si l'on en croit les témoignages et les divers rapports, l'autorité institutionnelle qui aurait permis une réinsertion est souvent dévoyée. Au contraire, les passages à l'acte transgresseurs sont légions (viols, coups et blessures, etc.) sans que l'institution ne parvienne à les empêcher. L'on rejoint ici les dérives présentes dans certains lieux de l'institution scolaire (telles que décrites par l'écrivain Jean-Yves Cendrey, quand par exemple l'École couvre des transgressions d'ordre pédocriminel).
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J'ai pu écrire par ailleurs qu'une société mesure son degré de civilisation en fonction de l'attention portée à ses sujets délirants (Barthélémy, Bilheran, 2007).11 en est de même pour les criminels et les personnes auteures de délit. [autorité institutionnelle, en ce qu'elle porte l'universel, doit promouvoir une conception de l'universel. Ainsi, une personne est condamnée pour un acte, et non pour une intention ni pour sa qualité de personne humaine. Dans le cas contraire, l'autorité n'existe pas, et s'y substitue un autoritarisme (il y aurait des sujets humains supérieurs aux autres, des inégalités de «races»). Le rôle institutionnel en tant que promoteur de civilisation est aussi celui de ne pas céder à une vengeance primaire, et de s'en prémunir. De plus, nous avons souligné la nécessité de l'exemplarité dans l'autorité. Il est incohérent de condamner l'acte d'un autre, et d'y voir ensuite l'occasion de commettre un acte similaire, tout autant condamnable. C'est ainsi que ceux qui appellent à violer les pédocriminels en appellent simplement à se dévoyer autant qu'eux. Si la société sanctionnait correctement ces transgressions, et se prémunissait mieux de la récidive, les citoyens n'en appelleraient d'ailleurs pas à la vengeance qui est d'ailleurs un appel à la justice quand cette dernière ne remplit plus sa fonction institutionnelle dans le champ politique et social. L'autorité institutionnelle doit garantir cette exemplarité. Car l'universalité est aussi le fondement de l'éthique. Elle doit préserver le vivant.
L'autorité de l'institution judiciaire C'est le rôle universel de l'institution judiciaire, que d'incarner une autorité qui fasse tiers, œuvre de justice, mais aussi d'autonomisation (la sanction bien comprise mène à une libération intérieure). Reprenons les analyses d'Hegel sur la sphère du droit: «Dans cette sphère de l'immédiateté du droit, la suppression du crime est, sous sa forme primitive, vengeance. Selon son contenu, la vengeance est juste, dans la mesure où elle est la loi du talion. Mais, selon sa forme, elle est l'action d'une volonté subjective, qui peut placer son infinité dans toute violation de son droit et qui, par suite, n'est juste que d'une manière contingente, de même que, pour autrui, elle n'est qu'une volonté particulière. Du fait même qu'elle est l'action positive d'une volonté particulière, la vengeance devient une nouvelle violation du Droit: par cette contradiction, elle s'engage dans un processus qui se poursuit indéfiniment et se transmet de génération en génération, et cela, sans limite» (1820, § 102). «Le châtiment prend toujours la forme de la vengeance dans un état de la société où n'existent encore ni juges ni lois. La vengeance reste insuffisante, car elle est l'action d'une volonté subjective et, de ce fait, n'est pas conforme à son contenu. Les personnes qui composent un tribunal sont certes encore des personnes, mais leur volonté est la volonté universelle de la Loi, et elles ne veulent rien introduire dans la peine, qui ne soit pas dans la nature de la chose. Pour celui qui a été victime d'un crime ou d'un délit, par contre, la violation du droit n'apparaît pas dans ses limites quantitatives et qualitatives, mais elle apparaît comme une violation du droit en général. C'est pourquoi celui qui a été ainsi lésé peut être sans mesure quand il use de représailles, ce qui peut conduire à une nouvelle violation du droit. La vengeance est perpétuelle et sans fin chez les peuples non civilisés» (op. cit.. § 102, add.)
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Une civilisation, non seulement ne doit pas céder à la vengeance primaire, mais suppose en outre de faire tiers dans cette vendetta pour garantir la protection de l'universel, et permettre une amélioration des individualités. La plupart du temps, les véritables moyens (dont un travail durable d'humanisation) ne sont pas mis en oeuvre pour faire valoir une autorité qui soit au service de l'universel. Dans l'autorité étatique elle-même, faut-il rappeler que les ministres sont, étymologiquement, les serviteurs du peuple, et qu'ils doivent donc se mettre au service de l'intérêt général et de l'universel, en promouvant une haute idée de la citoyenneté? « La classe universelle ou, plus précisément, la classe qui se consacre au service du gouvernement a immédiatement pour destination d'avoir l'universel comme but de son activité essentielle» (op. cit.. § 303). Bien sûr, avoir pour destination l'universel implique de renoncer à son intérêt particulier, ce qui est devenu chose rare dans la classe politique! L'étiolement de l'autorité a pour conséquence, dans notre société, cette illusion de toutepuissance et de contrôle sur l'autre, la perte du sens moral et de l'intérêt universel, mais aussi l'illusion de l'auto-engendrement, où nombreux sont ceux qui ont la tentation de s'autoproclamer «autorité» alors qu'ils n'en ont ni la compétence ni la légitimité (par exemple, son auto-proclamation en tant qu'« expert »), alors qu'on est un imposteur.
3.1 L'autorité professorale Dans l'intégration par l'enfant des lois universelles, la première institution est la famille, la deuxième, l'école. C'est pourquoi l'autorité au sein de l'école joue un rôle majeur, notamment dans la possibilité de créer des identifications autres que parentales et intrafamiliales, vers des figures incarnant l'universel. L'autorité professorale se fonde sur l'inégalité des rapports professeur/ élève. Bien sûr, tous deux ont le droit au respect, mais le professeur est supposé détenir un savoir hérité de la transmission, dont l'élève ne dispose pas, et qu'il est voué à acquérir. Ceci crée une inégalité de facto, qui implique, pour donner des fruits (à savoir la transmission), une obéissance consentie par l'élève. Là encore, l'autorité vise à transmettre, garantir les origines, consolider l'acquis des lois universelles, et renforcer l'accès à la symbolisation (pensée, abstraction, esprit critique). L'autorité est toujours en lien avec les lumières de la raison. La finalité de l'école est bien, dans son essence, une finalité d'autorité : transmettre le savoir acquis par les générations antérieures, pour augmenter (augere) le savoir des générations ultérieures. L'école de la République a été pensée par le philosophe Condorcet pour rendre possible une adhésion des 85
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citoyens à l'universalité des droits humains. Il s'agit d'une véritable mission politique, qui permette de relier le savoir, le droit et la liberté. Condorcet pose ainsi une question épistémologique (quels savoirs enseigner ?), didactique (comment les enseigner, afin qu'ils puissent être compris et assimilés?) et politique (comment ces savoirs peuvent-ils contribuer au bien public ?). C'est ainsi que la mission de l'école est une mission éducative (avec une haute idée de l'éducation), et que le professeur doit incarner une figure d'autorité. Du moins, ceci relève du passé de l'École républicaine, puisque J.-C. Michéa décrit, dans L'enseignement de l'ignorance: «Cette École républicaine se souciait réellement — et sans doute, avec beaucoup de sincérité — de transmettre un certain nombre de savoirs, de vertus et d'attitudes qui étaient en eux-mêmes parfaitement indépendants de l'ordre capitaliste. On aurait le plus grand mal, par exemple, à déduire la décision d'enseigner le latin, le grec, la littérature ou la philosophie, des contraintes particulières de l'accumulation du Capital. En réalité, chacun voit bien qu'une culture classique réellement maîtrisée, nourrie, par exemple, des modèles du courage antique ou des chefs-d'œuvre de l'intelligence critique universelle, avait au moins autant de chance de former des Marc Bloch et des Jean Cavaillès, que des spectateurs sans curiosité intellectuelle ou des consommateurs disposés à collaborer sur tous les modes au règne séduisant de la marchandise. C'est ce fragile compromis historique, sur lequel reposaient, tant bien que mal, les différentes sociétés modernes, qui s'est trouvé progressivement brisé, au cours des inoubliables années soixante.» Il ajoute : «Il suffisait, en revanche, de réduire ces humanités à un simple capital symbolique, signe nécessaire de la distinction bourgeoise (travail qui, dans les années soixante, fut confié au naïf Bourdieu) pour offrir au Capital le prétexte idéologique de leur abolition, dès que les exigences conjointes de la rentabilité et du calcul politique la rendraient indispensable'.» D'après Condorcet, l'inégalité d'instruction est l'une des principales sources de la tyrannie : «Plus les hommes sont disposés par éducation à raisonner juste, à saisir les vérités qu'on leur présente, à rejeter les erreurs dont on veut les rendre victimes, plus aussi une nation qui verrait ainsi les lumières s'accroître de plus en plus, et se répandre sur un plus grand nombre d'individus, doit espérer d'obtenir et de conserver de bonnes lois,
1. Michéa, J.C. (1999), L'enseignement de l'ignorance, Castelnau-le-Lez, Climats, p. 35-37.
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une administration sage et une constitution vraiment libre» (1792, P. 64). C'est aussi la raison pour laquelle «il est bien plus important que la puissance publique ne dicte pas la doctrine commune du moment comme des vérités éternelles, de peur qu'elle ne fasse de l'instruction un moyen de consacrer les préjugés qui lui sont utiles, et un instrument de pouvoir de ce qui doit être la barrière la plus sûre contre tout pouvoir injuste» (op. cit., p. 91). Aujourd'hui, nous pouvons nous poser la question d'une égalité d'instruction certes, mais qui est aussi source de tyrannie, tant elle penche vers la médiocrité, en supprimant et méprisant, précisément, les savoirs humanisants d'autorité (cf. la récente suppression du latin et du grec, alors que ce sont des disciplines qui tendent à l'universel et ont toute leur place dans le savoir d'autorité. La sophistique gouvernementale visant à minimiser les enjeux ne saurait occulter la suppression pure et simple du CAPES de Lettres classiques, donc des professeurs de ces disciplines). De plus, il est bien clair que l'instruction publique est devenue le vecteur d'idéologies transhumanistes qui n'ont plus rien d'humanistes, et s'apparentent à ce que Condorcet appelait «la doctrine commune du moment». La théorie du genre à l'école relève de cette «doctrine commune du moment» qui répond à la pression de certains lobbies, et n'a rien à voir avec la transmission de valeurs d'égalité, de liberté et de fraternité. Si l'école ne joue plus son rôle d'autonomisation des citoyens en leur conférant de l'esprit critique, en les éduquant à une citoyenneté qui défend les principes fondamentaux du vivreensemble, elle perd toute autorité. Ne nous étonnons donc pas du chaos informe dans lequel l'École de la République ne peut que décliner, et qui est désormais dénoncé, depuis plusieurs années, par les véritables experts du sujet, et qui ne sont certainement pas ceux que l'on nous présente comme tels à la télévision. Or, l'École qui ne forme plus de citoyens forme des générations d'abrutis qui seront corvéables et manipulables à merci, et c'est bien ce que tout pouvoir au monde soucieux de dominer et d'asservir a toujours souhaité sans nécessairement l'invoquer. Et c'est précisément à cet endroit que l'École est le maillon indispensable à la transmission de l'autorité, ou l'instrument de son contraire, la violence tyrannique. Compte tenu des cas de développement majeur du harcèlement à l'École, il est clair que cette institution est actuellement en grande souffrance et carence d'autorité.
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«Ôtez-moi la violence et la force» Montaigne dénonçait déjà les dérives autoritaires de l'instruction. Le maître autoritaire ne fait en effet pas figure d'autorité et l'enfant ne peut alors conduire la finalité d'autonomie inhérente à celui qui reçoit l'autorité. «Au demeurant cette institution se doit conduire par une sévère douceur, non comme il se fait. Au lieu de convier les enfants aux lettres, on ne leur présente, à la vérité, qu'horreur et cruauté. Ôtez-moi la violence et la force; il n'est rien à mon avis qui abâtardisse et étourdisse si fort une nature bien née. Si vous avez envie qu'il craigne la honte et le châtiment, ne l'y endurcissez pas. Endurcissez-le à la sueur et au froid, au vent, au soleil et aux hasards qu'il lui faut mépriser ; ôtez-lui toute mollesse et délicatesse au vêtir et coucher, au manger et au boire; accoutumez-le à tout. Que ce ne soit pas un beau garçon et dameret, mais un garçon vert et vigoureux. Enfant, homme, vieil, j'ai toujours cru et jugé de même. Mais, entre autres choses, cette police de la plupart de nos collèges m'a toujours déplu. On eût failli à l'aventure moins dommageablement. s'inclinant vers l'indulgence. C'est une vraie geôle de jeunesse captive. On la rend débauchée, l'en punissant avant qu'elle le soit. Arrivez-y sur le point de leur office: vous n'oyez que cris et d'enfants suppliciés, et de maîtres enivrés en leur colère. Quelle manière pour éveiller l'appétit envers leur leçon, à ces tendres âmes et craintives, de les y guider d'une trogne effroyable, les mains armées de fouets? Inique et pernicieuse forme.» Montaigne, Essais, livre I, chap. XXVI.
Perte d'autorité et sentiment d'injustice Jean est un petit garçon infernal à l'école. Il a 6 ans, il distrait ses camarades, est toujours le premier à inciter à faire des bêtises, par exemple il est parvenu à décrocher un extincteur dans la cour de récréation, régulièrement il se lève et ouvre la porte pour inciter les autres enfants à sortir, etc. Jusque-là la réponse de l'école a été de convoquer les parents en leur reprochant leurs carences éducatives, mais le point gênant est que l'enfant, hors de l'école, n'a aucun problème de comportement. L'institutrice a pris en grippe l'enfant qui conteste son autorité devant tout le monde, et adopte des attitudes répressives qui ne font qu'aggraver le problème. Un travail est entrepris avec une psychologue, et l'enfant finit par exprimer qu'il a été blessé par une remarque de l'institutrice qui aurait dit qu'il avait une tête de bébé, et qui l'aurait grondé devant les autres pour un chahut qu'il n'avait pas commis. Depuis, Jean veut donc démontrer qu'il n'est pas un bébé, et puisqu'il a été grondé alors qu'il ne faisait rien, donne désormais de bonnes raisons de se faire gronder. La mise en lumière de cet incident rappelle alors aux parents qu'initialement l'enfant se comportait très bien à l'école en début d'année. Un dialogue avec l'enfant puis l'institutrice permet de remettre la situation en ordre, et l'institutrice finit également par entendre le besoin de Jean d'être valorisé pour donner le meilleur de lui-même. L'année se termine sans heurt particulier. L'on voit bien dans cet exemple comme le respect de l'autorité est lié au sentiment de justice. La personne investie de l'autorité peut perdre toute légitimité si elle n'agit pas de façon juste, et c'est ce qu'exprime Jean par son attitude.
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Scotch sur la bouche Eva est désormais adulte. Elle se souvient d'un moment désagréable à l'école maternelle, alors qu'elle avait 4 ou 5 ans. L'institutrice voulait pouvoir discuter tranquillement avec l'institutrice de la classe d'à côté. Elles asseyaient chacune les enfants sur des bancs et ils avaient pour consigne de rester silencieux. De leur côté, elles prenaient leur chaise, et s'installaient entre les deux portes. Eva ne parvenait pas à rester silencieuse autant de temps que duraient leurs caquetages, et Mme Béatrice, l'institutrice, la convoquait alors à l'entrebâillement de la porte pour lui mettre du scotch sur la bouche. La scène se répétait quotidiennement. La mère d'Eva, interpellée par les petits boutons autour de la bouche de sa fille, mena son enquête avant de découvrir le pot aux roses. De plus, Eva devait rester le samedi matin à l'école maternelle, alors que toutes les institutrices buvaient leur café et ne s'occupaient pas des rares enfants qu'il y avait. Elle restait assise sur un banc avec un autre petit garçon, un peu plus grand, qui la martyrisait (cheveux tirés, etc.). Lorsqu'elle entreprit de se plaindre à l'institutrice, celle-ci lui tourna le dos et ne s'occupa pas du problème. L'on voit ici à bien des égards l'abus de pouvoir exercé par l'institutrice qui non seulement ne réalise pas son travail d'éveil, d'autonomisation, de protection et de sécurisation de ses élèves, montre un exemple d'adulte inconscient et égocentré, mais encore promeut des attitudes d'obéissance servile avec des actes confinant à la maltraitance.
3.2 Le conflit des institutions L'autorité a des places bien définies, en fonction des rôles qu'elle se donne et qui lui ont été assignés. Or, bien souvent, l'on assiste à des conflits d'autorité entre institutions ou, plus exactement, à des velléités autoritaristes, ou laxistes, et des abus de pouvoir. Ces conflits d'autorité sont en réalité des conflits de pouvoir, car par essence, l'autorité est et s'impose, elle ne se perd pas dans des conflits. Ces conflits de pouvoir, précisément, délégitiment les institutions qui s'y emploient. Ils peuvent intervenir entre l'institution familiale et l'école, entre l'institution familiale et l'État, entre l'école et l'État, entre l'institution judiciaire et le pouvoir exécutif, entre l'institution universitaire et le pouvoir politique... C'est ainsi que tout pouvoir qui ne reste pas circonscrit en son lieu et temps, à sa place légitime, et prend de l'expansion, perd de fait toute l'autorité dont il pouvait être le dépositaire. Cette question est aussi celle de la passation d'une autorité à une autre (des parents aux professeurs, des professeurs aux magistrats, experts, élus, etc.). Toute société détermine également, sur un plan idéologique, ce qui fait autorité ou non. Si ce qui est édicté comme autorité ne correspond pas aux attributs universels que l'autorité doit recouvrir, s'ensuit une perte de sens 89
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et de valeurs fondamentales, et c'est l'autorité elle-même qui est décrédibilisée. Il en est ainsi du discours pervers qui vise à vous présenter comme autorité des personnes n'ayant aucune légitimité, ce qui sert uniquement ses intérêts propres, et non l'intérêt universel, comme par exemple lorsque n'importe qui s'auto-décrète expert, ou bien lorsqu'étaient présentés comme des « scientifiques » des assassins et des médecins officiels durant la période nazie (cf. Mengele, le médecin d'Auschwitz, décrété dans une autorité de médecin, qui était en réalité un bourreau d'allure psychopathe), légitimés par le pouvoir en face, mais ne recouvrant, en réalité, aucune autorité, car n'agissant pas dans l'intérêt de l'universel (lequel inclut le respect du vivant) et de l'idéal moral. Rappelons bien que l'universel n'est pas l'intérêt de quelques-uns, mais l'intérêt de tous, et l'intérêt de tous n'est pas de se détruire ni de détruire la terre sur laquelle nous ne sommes que de passage. L'un des conflits institutionnels classiques a lieu entre l'institution familiale et l'institution scolaire. Educare consiste à conduire hors de l'état infantile, donc également, hors de l'état affectif (monde du sentiment) qui est celui de la famille. C'est en cela que le rôle majeur de l'école est un rôle socialisant, permettant de conduire un peuple à une vie éthique. D'après Hegel (1820), la famille, la société civile et l'État collaborent à l'ceuvre générale de l'éducation, comme moments de l'universel concret de la vie éthique (en ce sens, l'éducation reçue doit se prévaloir de cette éthique de l'universel). Lorsqu'on laisse à la télévision (à une machine) le soin d'éduquer, lorsque les enseignements sont de plus en plus divulgués par l'intermédiaire des ordinateurs, lorsque le contenu même des enseignements relève davantage du dogme et de la propagande que d'une élévation au débat et à l'esprit critique, l'autorité ne peut plus faire oeuvre d'éducation, car elle réclame une transmission d'être humain à être humain (modèle identificatoire de la vie éthique). L'institution scolaire consiste à conduire l'enfant hors de la famille vers la société civile, dans un accès progressif au droit et à la vocation de citoyen éclairé, doté d'un esprit critique. Ainsi, l'école «fait passer l'individu du milieu éthique naturel, où règne le rapport personnel du sentiment, de l'amour, de la confiance, dans lequel "l'enfant a une valeur parce qu'il est enfant", reçoit l'amour sans mérite et subit la colère parentale sans droit à lui opposer, à un milieu éthique où, dans la prédominance de la Chose, l'homme vaut seulement par ce qu'il fait, c'est-à-dire I
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selon son universalité objective» (introduction de Bernard Bourgeois aux Textes pédagogiques de Hegel, 1990, p. 30). Dans l'institution scolaire doit prévaloir le Droit, une notion universelle, qui ne vaut pas que pour quelques-uns mais pour tous. Bien sûr, dans l'idéal, un partage des autorités familiales et scolaires impliquerait un agir commun entre parents et professeurs. Or, souvent, ce partage laisse place à un affrontement des pouvoirs, au détriment de l'intérêt de l'enfant, que ce soit de la part des parents, qui estiment alors qu'ils ont tout pouvoir sur l'éducation de leurs enfants, ou de l'institution scolaire, lorsqu'elle dévie de sa vocation citoyenne, pour devenir une école totalitaire qui nivelle ses citoyens vers le bas et diffuse insidieusement d'autres formes de propagande, c'est-à-dire de développement de l'esprit critique, du savoir et de la rationalité en tant que ferments de liberté. Si l'autorité de l'institution familiale consiste à donner les règles permettant ensuite une socialisation, l'autorité de l'institution scolaire réside dans l'apprentissage de l'abstrait (consolidation de la symbolisation et de la sublimation) ; c'est en cela qu'Hegel rappelle la nécessité pour l'esprit d'intégrer l'étrangeté. Le philosophe souligne par exemple le caractère fondamental de l'étude de la grammaire comme substrat de la culture logique au sein de la langue maternelle (que l'on a l'habitude de manier), dans des processus rationnels de compréhension du discours, mais aussi l'importance de l'étude des langues anciennes. Car la symbolisation et la sublimation œuvrent principalement dans le langage, et les créations de type scientifique et/ou artistique qui supposent cet accès au langage. De ce point de vue, la mise à mort intentionnelle des langues anciennes dans les apprentissages scolaires contribue de façon certaine à l'ignorance du peuple et, ce faisant, à la possibilité de mieux le manipuler. « Et le va-et-vient réfléchi — alors nécessaire — des règles universelles de la grammaire aux énoncés singuliers du langage confirme constamment la raison en sa forme même d'activité identifiant l'universel, l'identité, et le singulier, la différence. Voilà pourquoi [d'après Hegel], dans le cadre d'une langue ancienne, "l'étude grammaticale stricte se donne [...] comme l'un des plus universels et plus nobles moyens de la culture"» (op. cit., p. 55).
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Qui frappe où? Lors d'une intervention dans un lieu d'accueil pour les enfants, à la demande de l'équipe pédagogique qui souhaitait que je puisse les aider à améliorer leur pratique, nous retravaillons ensuite en séance avec l'équipe quelques moments de cette vie infantile. Voici l'une des scènes: Martine a 2 ans et demi. C'est une petite fille que l'on entend peu, qui préfère les jeux solitaires aux jeux sociaux. Elle est sage, et, dans ses jeux, construit toujours des histoires. De réputation auprès de l'équipe, c'est «une petite fille qui ne se laisse pas faire par les autres enfants», c'est la raison pour laquelle elle est peu observée (sage et résistante). Cette après-midi-là, elle construit son jeu de cuisine dans son coin : elle prépare les assiettes, le thé, sert le thé, se raconte des histoires. À ce moment, et à plusieurs reprises, deux garçons particulièrement dépourvus de limites et régis par le principe de plaisir (tout, tout de suite), viennent casser brutalement son jeu. Martine cherche alors du regard l'autorité, c'est-à-dire ici l'adulte qui fera tiers séparateur, déclarera le juste et l'injuste, fera respecter une réhabilitation du préjudice subi, élèvera les trois enfants à la différenciation, au respect de l'altérité. Après avoir observé que les adultes n'ont pas vu la scène, qu'ils sont occupés ailleurs qu'à leur autorité, Martine abandonne la partie. À la troisième lésion, Martine réagit cette fois par la violence, et frappe les garçons. C'est à cet instant-là que l'adulte intervient pour isoler Martine et lui faire des remontrances sur son comportement. Ces scènes sont extrêmement courantes dans la vie quotidienne, familiale et enseignante. Lorsqu'elles ne sont pas travaillées (ce qui était le cas pour cette équipe), elles ne contribuent pas à véhiculer l'autorité nécessaire au développement, que ce soit celui des deux garçons (intégrer la limite, donc la séparation et le principe de réalité, qui permettent de dépasser l'aliénation au caprice), ou celui de Martine (intégrer la dimension de la justice, de l'éthique et de la loi comme tiers séparateur et protecteur). Au contraire, loin de faire oeuvre humanisante, cette absence de vigilance laisse toute sa place aux pulsions destructrices et violentes en soi et en l'autre. Bien souvent, les professionnels n'interviennent pas, par peur de ce que vont dire les familles. Il y a là conflit d'autorité. Qu'un enfant ait l'habitude intrafamiliale de frapper sa mère ne doit pas justifier que, dans la sphère sociale, son comportement ne soit pas sanctionné, de peur que les parents viennent interpeller l'institution.
3.3 Le produit et l'ceuvre Nous l'avons vu,
la durée est une dimension constitutive de l'autorité. Alors que le produit est un consommable (le téléphone portable, les différents gadgets électroniques et informatiques, les constructions immobilières actuelles...), destiné à périr rapidement sous l'effet de la consommation, l'oeuvre en revanche pérennise une durabilité des objets du monde. Elle inscrit «une relative indépendance par rapport aux hommes qui les ont produits et qui s'en servent, une "objectivité" qui les fait "s'opposer", résister, au moins quelque temps, à la voracité de leurs auteurs et usagers vivants. De ce point de vue, les objets ont pour fonction de stabiliser la vie humaine» (Arendt, 1958, p. 188). 92
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Dans la mesure où l'oeuvre est moins périssable que le produit, et non destinée à une consommation, elle consolide le principe de réalité (l'objet se dit en allemand Gegenstand, il est ce qui est «jeté contre», et la réalité se définit par ce contre quoi l'on se cogne, res signifiant la chose). De plus, «[lia productivité spécifique de l'oeuvre réside moins dans son utilité que dans sa capacité de produire de la durabilité» (ibid., p. 228-229). C'est pourquoi l'auteur (celui qui détient l'autorité) n'est pas l'artifex (celui qui fabrique, l'artisan). Une œuvre échappe nécessairement à son auteur dans le temps, elle « augmente ». Car l'oeuvre est avant tout transmission (d'une histoire familiale, d'un patrimoine culturel, d'un patrimoine politique), et non objet de destruction (logique du consommable). Les États qui prétendent fonder leurs racines sur une table rase, négligeant ou méprisant les oeuvres de leurs ancêtres, et refusant de les transmettre, ne font pas preuve d'autorité, mais de totalitarisme, quels que soient le discours politique officiel et le nom « marketing » accolé au régime. L'ceuvre est ainsi une figure majeure de l'autorité et constitue le patrimoine de l'universel. C'est aussi en cela que l'autorité a partie liée avec l'instruction (« instruere » signifie construire, édifier), et qu'une société qui privilégie le produit à l'oeuvre régresse gravement en niveau de civilisation, jusqu'à plonger dans le chaos et le meurtre de masse. L'autorité, qualité du créateur d'ceuvre « La vie au sens non biologique, le laps de temps dont chaque humain dispose entre la naissance et la mort, se manifeste dans l'action et dans la parole qui l'une et l'autre partagent l'essentielle futilité de la vie. "Accomplir de grandes actions et dire de grandes paroles" ne laisse point de trace, nul produit qui puisse durer après que le moment aura passé de l'acte et du verbe. Si l'animal laborans a besoin de l'homo faber pour faciliter son travail et soulager sa peine, si les mortels ont besoin de lui pour édifier une patrie sur terre, les hommes de parole et d'action ont besoin aussi de l'homo faber en sa capacité la plus élevée: ils ont besoin de l'artiste, du poète et de l'historiographe, du bâtisseur de monuments ou de l'écrivain, car sans eux, le seul produit de leur activité, l'histoire qu'ils jouent et qu'ils racontent, ne survivrait pas un instant. [...] Nous n'avons pas ici à choisir entre Platon et Protagoras, ni à décider qui de l'homme ou d'un dieu doit être la mesure de toutes choses. Ce qui est sûr, c'est que la mesure ne peut être ni la nécessité contraignante de la vie biologique et du travail, ni l'instrumentalisme utilitaire de l'usage et de la fabrication.» Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 230.
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3.4 La promesse La promesse est aussi garante d'autorité dans sa dimension de pérennité et de parole. « La promesse [...] engage formellement parce qu'elle place le locuteur sous l'obligation de faire ; une dimension éthique est ainsi conférée à la considération du présent» (Ricœur, 1985, p. 421). Nous avons évoqué (cf. supra) trois fonctions caractérisant l'autorité, et auxquelles la promesse correspond. La promesse engendre une action future, dans un lien qui oblige mais n'est pas contraignant (nul n'est tenu de respecter sa promesse, ainsi que certains hommes politiques veulent bien nous le rappeler régulièrement par leur attitude) ; elle perdure dans le temps et assure une continuité dans l'identité de son auteur s'il tient sa promesse ; enfin, elle est tournée vers le futur et comporte une dimension de projet. L'auteur d'une promesse instaure une origine et une fondation à l'action future, s'en porte le garant dans la durée, doit la conserver en mémoire et la transmettre si besoin. Enfin, l'auteur d'une promesse est dans un rapport inégalitaire à celui auquel cette promesse est faite. C'est en cela que tenir sa parole sur les promesses dont on a été l'auteur est un acte d'autorité, qui comporte une dimension civilisatrice, parole assurant une continuité entre le passé, le présent et le futur, et dont il faudra répondre en nom propre. Lorsqu'une promesse n'est pas tenue, s'ensuivent d'ailleurs une déception et une crise de confiance, qui impliquent une méfiance plus large dans la cohérence et la fiabilité du monde, que l'autorité se doit par ailleurs de garantir. La promesse: un acte d'autorité « Le pouvoir de stabilisation propre à la faculté de faire des promesses a été reconnu dans toute notre tradition. [...] L'imprévisibilité que l'acte de promettre dissipe au moins partiellement est d'une nature double: elle vient simultanément [...] de la faiblesse fondamentale des hommes qui ne peuvent jamais garantir aujourd'hui qui ils seront demain, et de l'impossibilité de prédire les conséquences d'un acte dans une communauté d'égaux où tous ont la même faculté d'agir. Si l'homme est incapable de compter sur soi ou d'avoir foi en lui-même c'est pour les humains le prix de la liberté, et l'impossibilité de rester les seuls maîtres de ce qu'ils font, d'en connaître les conséquences, et de compter sur l'avenir, c'est le prix qu'ils paient pour la pluralité et pour le réel, pour la joie d'habiter ensemble un monde dont la réalité est garantie à chacun par la présence de tous. La fonction de la promesse est de dominer cette double obscurité des affaires humaines et comme telle elle s'oppose à une sécurité qui repose sur la domination de soi et le
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gouvernement d'autrui; elle correspond exactement à l'existence d'une liberté donnée dans la condition de non-souveraineté. [...] Nous avons parlé plus haut de la puissance qui est engendrée lorsque des hommes se rassemblent et "agissent de concert", et qui disparaît dès qu'ils se séparent. La force qui assure leur cohésion, distincte de l'espace des apparences où ils s'assemblent et de la puissance qui conserve cet espace public, c'est la force de la promesse mutuelle, du contrat.» Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 310-311.
«Tu m'avais promis!!!» Parmi les attitudes qui blessent profondément les enfants, existe le non-respect de la promesse par les adultes. Si bien sûr souvent les enfants s'exonèrent eux-mêmes des promesses qu'ils désirent un jour tenir, et l'autre non, ils supportent en général très mal que l'adulte n'incarne pas cette autorité de garantir sa parole dans le temps. Raphaël se met à casser ses jouets. Il est très en colère, s'en veut et en veut au monde entier. Surtout à sa maman. Elle lui avait promis qu'ils iraient faire du vélo ensemble. Mais sa maman est occupée au téléphone. Raphaël continue de créer le désordre jusqu'à ce que sa maman coupe la communication et vienne le gronder. Raphaël sent une double punition: non seulement ils ne vont pas au vélo mais en outre elle le gronde, le comble! Alors il continue de casser ses jouets. Après tout, ce sont SES jouets, il fait bien ce qu'il veut avec. Le papa rentre, et finit par tenter de discuter avec Raphaël. L'histoire termine bien, finalement maman a eu des soucis dans son travail et doit continuer de travailler, alors Raphaël sortira faire du vélo avec papa. Mais tout de même, une promesse c'est une promesse...
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Sommaire 1. Autorité et interdits 2. La rébellion à l'autorité: devoir et désir 3. La délinquance et l'appel à l'autorité 4. La horde
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Il arrive fréquemment que l'autorité soit rejetée, dans ses incarnations et sa dimension symbolique, par exemple à l'adolescence, période qui cherche à s'émanciper de toute autorité (« ni Dieu ni maître», «Nique la Police», «Interdit d'interdire»). C'est ici l'autorité, dans sa fonction d'interdit, qui est exclue, et le bébé (la fonction d'augmentation, de création, de garantie, d'autonomisation) est jeté en même temps que l'eau du bain. L'irrespect de l'autorité (et non de l'autoritarisme) laisse souvent place à de la barbarie : totalitarisme (ex.: autodafés des ouvrages, destruction des monuments, etc.), razzias (anarchisme, hordes, etc.)... Que reproche-t-on à l'autorité ? Quelles significations peuvent revêtir ces différents rejets ?
1. Autorité et interdits L'autorité vient pour chacun, au moment où il la croise, inscrire qu'il n'est pas tout-puissant, qu'il existe des règles qui devront être respectées pour participer à la communauté des humains, et que chacun porte en lui la forme de l'universelle condition de l'humanité. L'autorité ne s'impose pas, elle se parle. Elle peut se lier au pouvoir, mais non à la violence. C'est aussi en cela qu'une police où la violence et la loi du plus fort priment ne saurait être une véritable instance d'autorité. De même, la parole de l'autorité doit être suivie des actes, car une parole non suivie ne peut être respectée ni faire oeuvre de durée, et je renvoie ici à mon étude de la promesse. Ainsi, une institution judiciaire où seule la parole prévaudrait, sans être suivie d'effet, aurait perdu toute autorité. De plus, il est fréquent que l'autorité affichée comme telle, mais qui ne fait pas oeuvre d'autorité, dans ses principes et sa garantie d'un monde juste, soit contestée. Le rejet de l'autorité concerne enfin surtout l'interdit et la Loi (c'està-dire les attributs liés au principe de réalité, à la limite, laquelle ensuite peut permettre une augmentation). Dès lors, c'est la fonction symbolique même du langage qui est récusée, et il est parfois nécessaire, précisément, d'agir, pour que la parole soit enfin entendue (cas de la sanction dans le réel, qui est absolument nécessaire là
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où la personne n'entendait que de vaines paroles qu'elle se contentait de ne pas écouter ou de mépriser). Ainsi, si la Loi n'est pas respectée dans sa dimension symbolique, il est nécessaire de l'appliquer pour qu'elle puisse être enfin entendue. Rappelons simplement qu'il y a Loi et Loi, et que je parle bien ici des lois justes, qui revêtent intégralement cette dimension de la vie éthique dont parlait Hegel, et non de vulgaires lois injustes, qui ne serviraient que les intérêts personnels d'une oligarchie ou d'une tyrannie au pouvoir. Frédéric 7 ans en autogestion L'interdit est nécessaire à l'éducation de l'enfant, elle en est son principe premier, ne serait-ce que pour la protection de l'enfant. « Ne mets pas tes doigts dans la prise, tu vas t'électrocuter», «ne cours pas autour de la piscine, tu risques de tomber», «ne sors pas sans être couvert, tu vas attraper froid'>, «ne mords pas ton copain qui refuse de te prêter ses jouets», «ne mange pas des bonbons avant le repas», etc. L'interdit est fait de contraintes désagréables et restrictives pour l'enfant qui ne peut les intérioriser que si elles sont constantes, réitérées, ritualisées, et dans le même temps accompagnées par ailleurs de compréhension progressive et de bénéfices, destinés à motiver l'enfant dans le respect de ces interdits dont il ne saisit pas forcément la raison, faute de maturité. «Si tu as été sage, alors tu auras une image», «si tu t'es bien comporté, nous irons jouer au parc», etc. Frédéric est un patient adulte qui décrit une enfance extrêmement angoissante car dénuée d'interdits. Les deux parents étaient absorbés par leur travail et laissaient leur enfant en autogestion, qui devait donc lui-même se poser des interdits pour sa propre protection, tout en étant incapable de le faire de par son statut d'enfant. Il devait se préparer seul à manger à l'âge de 7 ans, partir à l'école à pied (une heure de marche), se défendre seul de l'agressivité de certains camarades à l'école, mais également s'occuper de sa petite soeur de 2 ans de moins. Toute cette enfance a laissé des traces importantes, notamment dans le rapport angoissé au corps, car Frédéric au départ consulte pour une addiction au travail. Il est épuisé, en burn out, mais ne parvient pas à se fixer de limites, puisqu'au fond personne ne lui en a jamais fixé. Nous travaillons beaucoup sur le statut de l'interdit qui protège et dont il a manqué, en reprenant des scènes de petite enfance où par ailleurs son père pouvait se mettre en colère pour un rien, rarement, et le frapper de façon complètement incohérente (ce qui était psychiquement moins douloureux à vivre selon Frédéric, car «au moins il se préoccupait de moi»). La mise en place d'interdits permet également leur transgression, et c'est dans la transgression précisément que l'enfant puis l'adolescent vont expérimenter le bien-fondé de la limite, avec la réassurance qu'ils pourront revenir s'accrocher au pilier des interdits parentaux. Si l'interdit n'est pas posé, il est très compliqué de se construire sans angoisse, et dans le respect de ses propres limites et celles des autres.
Le rejet de l'autorité • Chapitre 3
1.1 L'interdit et la Loi L'autorité pose et garantit des interdits, dont j'ai dit qu'ils constituent le départ de l'altérité : il existe un Autre qui désire aussi. L'interdit, qui est inter-dit, est une parole posée entre des êtres humains pour les sortir de l'animalité, et indiquer qu'il y a des choses qu'un être humain n'a pas le droit de faire sans renier son humanité. L'autorité revêt une fonction, non pas contraignante, mais plutôt moralisatrice, faisant jouer la culpabilité du Surmoi, ce qui peut être rejeté massivement, du fait d'un lien de dépendance à la personne détentrice de l'autorité. Elle peut être méprisée de façon plus grave dans le déni de l'interdit, la toute-puissance, le passage à l'acte omniprésent et omnipotent. La Loi est la figure symbolique de l'interdit. On la retrouve d'ailleurs souvent édictée dans les religions, car elle initie le départ d'une culture, associée à des règles intangibles, qui se ressemblent fréquemment, d'une religion à l'autre, pour des raisons anthropologiques : le «tu ne tueras point» est un principe premier des différentes religions respectueuses de la dimension du sacré dans la vie humaine. La Loi a pour fonction de poser l'interdit de façon universelle, conceptuelle et symbolique, dans la mesure où elle requiert l'usage de l'interprétation. Que justice soit faite Ce qui rend l'interdit acceptable pour l'enfant est l'exemplarité: que les autres se soumettent à la même Loi.« Mets ta ceinture» en voiture est rendu acceptable et légitime par le fait que les autres le fassent aussi. Leila est une patiente qui déroule une enfance paradoxale, faite à la fois de moments bienveillants et d'autres avec des scènes de torture. Un jour, à l'âge de 9 ans, elle découvre que son frère aîné pratique des jeux sexuels sur leur frère cadet, et va s'en plaindre à sa mère, pour que celle-ci remette la loi du tabou de l'inceste au centre. Sa mère ne fera rien et ne s'en préoccupera pas davantage, créant en Leila un fort sentiment de carence d'interdit, et donc d'injustice qui orientera la suite de sa vie, car elle fera des études pour devenir avocat. Ainsi, la carence d'interdit peut être parfois identifiée par l'enfant, qui développera par la suite un attachement fort envers la justice et les lois dont la fonction est de protéger.
1.2 Le langage L'autorité est un acte de langage, de cet univers qui fait de l'humain un «animal politique », d'après le philosophe grec Aristote. Le langage inscrit
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le sujet dans l'ordre symbolique, et il est également le lieu de la métaphore, c'est-à-dire de l'interprétation, telle la parole du juge. Selon Herfray, «Ce sont les effets des paroles d'autorité qui permettent à l'être de domestiquer sa violence pulsionnelle, de s'enrichir symboliquement en renonçant à jouir de l'ignorance afin d'accéder à une parole libérée de l'aliénation» (2005, p. 10). L'autorité implique des «liens spécifiques qui s'établissent avec des êtres à la parole desquels nous faisons confiance» (ibid.). L'autorité du langage s'inscrit dans une figure marquante de notre histoire infantile : «C'est dans la préhistoire de [notre] histoire [singulière] que s'est inscrite en nous la place d'une "figure" des origines, "figure" qui n'est pas sans rapport avec le signifiant de "père". Plus qu'un être réel, cette "figure" est une représentation. Et c'est de là qu'émanent des paroles qui auront sur nous un pouvoir d'influence. De telles paroles comptent ; elles sont précieuses car elles véhiculent la nourriture symbolique indispensable à la construction de notre humanité.» Ce langage, c'est d'abord celui d'un Autre, premier repère, qui signe l'origine et l'appartenance, celui auquel on s'adresse, et qui permet la construction des idéaux. Ces figures d'Autres sont importantes dans le processus de notre institution humaine et culturelle. Puis, avec le complexe d'Œdipe, l'Autre se rencontre dans son altérité profonde : il n'est pas seulement séparé de soi, mais il est radicalement différent, dans son identité sexuée. Pour le rencontrer, il faudra pouvoir intérioriser son existence en tant qu'Autre «à la racine », irréductible à soi. Et il faudra apprendre à concevoir un autre langage pour rencontrer cette altérité. Le langage est constitutif de l'autorité, en tant que parole engageante, parole de justesse, de justice et de vérité. Toute tentative de contraindre la parole illustre un rejet de l'autorité, et manifeste une violence. D'ailleurs, comme l'a étudié la psychanalyste Françoise Sironi (1999), la torture, c'est-à-dire un contexte autoritaire, ne vise en réalité pas à faire parler mais à faire taire. L'autorité en revanche s'ancre dans la parole et aspire à l'émergence de la parole d'un sujet. Elle est aussi bien liée à la parole orale qu'à la parole écrite.
Le rejet de l'autorité • Chapitre 3
L'autorité, un rapport à la vérité Le langage c'est aussi un rapport aux mots, à la vérité et au mensonge. Louis est un petit garçon de 4 ans. Il vient interroger sa maman car il s'est rendu compte que des grands mentent. Par exemple, son oncle lui a dit pour plaisanter qu'il était vétérinaire et pouvait soigner les animaux. Louis sait que ce n'est pas vrai. Mais quand il le dit à son oncle, ce dernier s'en amuse. De plus, Louis est intolérant au gluten. Souvent, sa tante se moque de lui et lui dit qu'il ne peut pas boire d'eau car il y a du gluten dans l'eau. Louis sait bien qu'il n'y a pas de gluten dans l'eau! Louis vient donc en quelque sorte déposer une triple plainte envers sa mère: la première, que des adultes mentent, la deuxième, qu'ils s'en amusent à son détriment, la troisième, qu'ils se moquent de lui car il s'en offusque. Ce que Louis est en train d'intérioriser, c'est la valeur de la parole, celle qui dit ou non la vérité. De plus, de son point de vue d'enfant, il existe un manque de respect à se moquer de lui à ses dépens. À partir de là, Louis commence à expérimenter lui-même le mensonge. Sa mère le reprend avec lui: « Il y a des adultes qui mentent, et d'autres qui ne mentent pas. Moi je te dirai toujours la vérité, à toi d'apprendre à discerner entre les adultes qui mentent et ceux qui ne mentent pas. Ensuite, pour faire des blagues, des fois on peut dire des choses pour de faux, mais tout le monde sait que c'est pour de faux. Si la blague ne te plaît pas, tu n'es pas obligé de l'accepter.» En attendant, Louis teste pour voir si les adultes découvrent ses mensonges: et son oncle a perdu beaucoup d'autorité à ses yeux.
Le Papa Noël existe-t-il? Solène, 6 ans, vit une tragédie à son échelle. Elle vient de découvrir que tous les adultes autour d'elle lui ont menti jusqu'alors sur l'existence du Père Noël. Ils lui ont tous menti alors qu'ils savaient bien que le Père Noël n'existe pas! Elle se sent trahie, humiliée. Ce sont ses petits copains à l'école qui se sont moqués de sa naïveté et lui ont dit la vérité. Elle leur en est reconnaissante. Elle est furieuse, surtout contre son parrain qui se déguisait en Père Noël et faisait croire qu'il était le vrai Papa Noel. Son parrain a perdu toute autorité à ses yeux. Solène est extrêmement déçue et a l'impression que tout le monde s'est bien moqué d'elle.
2. La rébellion à l'autorité: devoir et désir 2.1 Des types de rébellion L'autorité instituée n'est souvent plus reconnue comme autorité, à l'heure actuelle. De fait, l'autorité, lorsqu'elle s'institue, perd souvent ses attributs, dans la mesure où l'institution tend de facto, sur sa pente glissante, à se déshumaniser pour se fonctionnaliser : l'institution n'appartient plus en propre aux personnes de l'institution (responsabilité individuelle) mais à l'institution en 103
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soi (abstraction, qui noie le principe de responsabilité), sans son incarnation dans les personnes propres. Ici, il s'agit plutôt d'un dévoiement de l'autorité en emprise institutionnelle, régie par les logiques de pouvoir. Faire preuve d'autorité, c'est, de façon nécessaire, savoir répondre de ses actes. Or, quand chacun, dans l'institution, se déresponsabilise, personne ne s'estime plus auteur de ses actes, jusqu'à l'anonymat de la foule (« ce n'est pas moi, c'est tout le monde »). Tel est, par exemple, le fameux «responsable, mais pas coupable », ce qui est tout simplement un non-sens, car être responsable suppose d'assumer la culpabilité de ses fautes et erreurs. Dans les révoltes contre l'autorité, il est intéressant de se demander si elles ont lieu contre une pseudo-autorité (un masque d'autorité de type institutionnel, mais non incarné par une personne propre, en mesure de répondre et de promettre, par exemple), ou contre une autorité incarnée. La rébellion adolescente en ce sens répond souvent à une carence en autorité, qui se manifeste par un désespoir contre les pseudo-autorités institutionnalisées, qui sont davantage des formes d'emprise. L'adolescent se rebelle parce qu'il désire rencontrer l'expression d'une autorité humanisante, de quelqu'un qui soit l'auteur de ses paroles. À défaut d'une autorité qui autonomise, il s'autonomise dans le conflit à des pseudo-autorités (père autoritaire, police...), jusqu'à trouver une autorité qui humanise (un professeur, un éducateur, un substitut paternel...). La rébellion peut être mue soit par la pulsion de vie (s'autonomiser, se « réaliser ») soit par la pulsion de mort (mise en danger...). Dans les deux cas, l'autorité est nécessaire : dans le premier cas, pour rappeler que l'autonomie (et la liberté qui s'ensuit) ne s'acquiert que par l'intériorisation des interdits (contrairement à l'adolescent qui dit «je fais ce que je veux»), dans le second, pour rappeler que le désir est constitutif de la vie (contrairement à l'adolescent qui se saborde tout le temps, et multiplie les mises en échec), qu'une autorité est bienveillante et revêt une fonction protectrice, et que l'on ne peut pas vivre que d'interdits, mais qu'il faut aussi vivre de désir, lequel aura toute sa place dans une juste mesure des interdits. Manipulation adolescente 1 La subjectivation adolescente (le devenir sujet) passe souvent par l'expérimentation de la transgression des interdits. C'est un moment délicat pour les parents, car de nos
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jours, ils ne sont pas du tout sûrs que l'environnement «adulte» extérieur permettra de maintenir les interdits. Les dangers sont nombreux: drogue, prostitution, etc. Amélie me consulte pour sa fille Sophie âgée de 15 ans. Celle-ci, en rébellion contre sa mère (qui est séparée du père, lequel ne s'est jamais intéressé à sa fille), est séduite par son professeur de français qui lui parle de «l'identité de genre». et de la possibilité que Sophie puisse changer de sexe. Cette idée séduit beaucoup Sophie qui, dans sa rébellion adolescente, refuse de s'identifier à sa mère et cherche à s'en dégager. Le professeur de français conduit Sophie, à l'insu de sa mère, vers un pédiatre et une clinique qui lui prescrivent des hormones de réassignation sexuelle. Sophie formule le voeu de faire une opération pour supprimer sa poitrine à ses 18 ans. Amélie est effondrée, voyant sa fille littéralement muer sous les hormones. Il est bien clair que le désir de changement de sexe de Sophie est bien plutôt le fruit d'une manipulation de l'enseignant, un activiste proclamé, rejoignant son désir d'émancipation et de rébellion envers sa mère. Aujourd'hui, Sophie a réalisé sa première opération, et sombre d'états dépressifs en états dépressifs. L'adolescence, âge de la rébellion à l'autorité, a besoin de rencontrer des limites auprès d'autres adultes (y compris des limites permettant de bien faire la différence entre le fantasme et l'acte), ce qui ne fut pas le cas de Sophie dont c'était le besoin premier. Il n'est pas rare que les adolescents soient manipulés dans leur désir de «liberté», et d'émancipation de l'autorité parentale.
Manipulation adolescente 2 Vanessa Springora, dans son livre Le Consentement, décrit un autre phénomène de manipulation par un adulte largement supérieur en âge. Elle parle d'une adolescence seule avec une mère, sans père pour faire tiers et poser des interdits protecteurs dans la nécessaire rivalité et le besoin d'émancipation naissant dans le psychisme de la jeune fille. La rencontre avec Matzneff lui apparaît alors comme une façon de se croire adulte face à sa mère, qui la met en garde pourtant concernant les affinités sexuelles revendiquées publiquement par le personnage: «Ma mère avait employé le mot "pédophile" à son égard dès la première fois. Je ne l'ai pas prise au sérieux, parce que j'étais une adolescente un peu rebelle et que ce mot me paraissait ne pas correspondre à ce que j'étais en train de vivre. J'étais dans cette période de l'adolescence où on a tendance à se croire déjà adulte. Je ne me reconnaissais pas dans ce statut d'enfant et le terme pédophile était associé à l'enfance. Ce serait faux de dire qu'il n'y a eu aucune alerte. En revanche, il n'y a eu aucune tentative pour mettre fin à cette histoire. Ma mère est vraiment dans le regret de ne pas être allée plus loin. Elle était dans un état d'esprit qui ressemblait à celui de la fin des années 70, qui était: "Il est interdit d'interdire"'.» L'auteur manifeste bien qu'à l'époque de son adolescence, elle aurait eu besoin de rencontrer un interdit plus ferme de la part de sa mère face à la transgression. Elle évoque ensuite que ce qui lui a permis de prendre conscience de ce besoin structurant de limite est «d'être devenue moi-même mère, d'avoir autour de moi des adolescents et de comprendre enfin ce qui avait été très difficile pour moi, ce qu'était cet âge très
1. https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/affaire-gabriel-matzneff/ma-mere-avait-employele-mot-pedophile-a-son-egard-des-la-premiere-fois-vanessa-springora-revient-sur-sa-relationavec-gabriel-matzneff 3769431.html
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particulier, de grande vulnérabilité, de transition entre l'enfance et l'âge adulte. C'est un moment où on est une proie idéale pour ce type de structure psychique auquel on a affaire avec cet homme.»
Ainsi, il est du devoir des adultes protecteurs de veiller tout particulièrement sur les adolescents en mal d'émancipation, et qui ont besoin d'éprouver leur vie psychique dans la transgression, car ils peuvent vite devenir des proies pour des profils pervers les manipulant sur leur désir de « liberté » (ce qu'au passage ont fait tous les totalitarismes du xxe siècle en embrigadant la jeunesse et en l'incitant à se défaire de l'autorité parentale).
2.2 Devoir, désir et désobéissance La dialectique entre le devoir et le désir La rébellion à toute autorité entraîne un enfermement dans ses conflits pulsionnels, notamment entre ses désirs, ou entre son devoir et son désir, sans accepter de fonction tierce en face qui puisse permettre d'élaborer ses conflits, de poser une limite à la satisfaction pulsionnelle, ou d'alléger la culpabilité liée au devoir (permission). La dialectique entre le devoir et le désir permet d'être transcendée au plus juste par l'autorité, et cette notion de justice est proprement qualité de prudence. L'égalité promue par l'autorité est équité davantage qu'égalité arithmétique. Il ne s'agit pas d'une justice qui dirait que «tout le monde a la même égalité stricte», mais d'une justice qui confère une égalité proportionnelle de droits et de devoirs. Cette dialectique entre le devoir et le désir peut se comprendre ainsi : trop d'interdit inhibe la créativité inhérente au désir, trop de désir empêche la réalisation de la satisfaction, car les contraintes (les moyens vers la fin) ne sont alors pas envisagées comme des obstacles nécessaires devant être parcourus. L'autorité transcende la dialectique entre le devoir et le désir Le Premier Livre des Rois (3,16-28) raconte ainsi le différend qui opposa deux prostituées ayant chacune mis au monde un enfant, mais dont l'un était mort étouffé. Elles se disputèrent alors l'enfant survivant. Pour régler le litige. Salomon réclama une épée et ordonna: «Partagez l'enfant vivant en deux et donnez une des moitiés à la première et l'autre moitié à la seconde.» L'une des femmes accepta, l'autre déclara qu'elle préférait .k.
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renoncer à l'enfant plutôt que de le voir sacrifié. En elle, Salomon reconnut la vraie mère, et il lui fit remettre le nourrisson. Alors «tout Israël apprit le jugement qu'avait rendu le roi, et ils révérèrent le roi car ils virent qu'il y avait en lui une sagesse divine pour rendre la justice». Le jugement de Salomon consiste ici à identifier, en toute justice, qui aura les aptitudes à occuper la fonction de mère, laquelle est un devoir et ne doit pas se réduire au simple désir d'être mère. Être mère implique une responsabilité à l'égard de son enfant, c'est pourquoi ici, l'autorité ne saurait cautionner un désir immédiat, impulsif et égocentré de possession d'enfant. La figure de Salomon est une figure d'autorité en ce qu'elle distribue le devoir et le désir (interdit et permission), et refuse de laisser l'un prendre le pas sur l'autre.
La désobéissance: quelle fonction? Si la rébellion à toute autorité est plutôt l'ceuvre d'une pulsion de mort, et d'une mise en danger de soi (cas de certaines conduites à risque à l'adolescence par exemple), la rébellion à l'autoritarisme manifeste en revanche un acte d'autorité. C'est ainsi que la désobéissance civile n'est pas une rébellion contre toute autorité, mais contre une autorité qui n'en est pas une (un autoritarisme, une tyrannie, ou un laxisme qui masque une tyrannie). L'enjeu de l'autorité est de proposer le troisième tiers qui résout l'opposition dialectique entre le désir et le devoir. Or, au niveau politique, si le devoir l'emporte sur le désir, l'autoritarisme prévaut, si le désir l'emporte sur le devoir, c'est le déchaînement pulsionnel qui s'ensuit (comme lors de certains conflits armés, où les soldats sont fortement encouragés, y compris par des substances de type hallucinogène, à faire sauter tous leurs interdits moraux). Dans le premier cas, la désobéissance vise à redonner une valeur au désir, dans le second, aux interdits. La désobéissance civile Dans Du mensonge à la violence, la philosophe Hannah Arendt examine deux célèbres cas de désobéissance civile: Socrate et Thoreau. Socrate ne contesta en effet jamais l'existence des lois et les a toujours respectées. Mais il contesta l'interprétation qui en fut faite par les juges athéniens. Thoreau quant à lui contesta l'iniquité présente dans les lois elles-mêmes. Toutefois, pour Arendt, la désobéissance civile ne peut être une affaire individuelle (de morale individuelle) mais universelle, c'est pourquoi elle doit émaner d'un groupe, qui estime qu'une société est mise en péril par une politique donnée (exemple de la politique du gouvernement américain à l'égard du Vietnam, ou de la violation des libertés fondamentales), et que des changements désirés par l'ensemble de la société sont nécessaires. Arendt distingue désobéissance civile (reconnaissance du bienfait de la loi en général, mais pas de cette loi en particulier) et criminalité (déni
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de la loi), car dans le premier cas, la désobéissance est explicite et non violente, alors que, dans le second cas, la transgression est clandestine. En ce que la désobéissance civile récuse toute violence, promeut la nécessité d'une loi, et fait valoir la dimension de justice, elle se distingue de la révolution, et devient un «fait social» d'autorité, qui intervient, d'après Arendt, lorsque le système juridique en place ne permet plus d'assurer convenablement la stabilité nécessaire au changement progressif lié à l'évolution de la société (augmentation inhérente à l'autorité), mais aussi lorsqu'il n'a pas tenu ses engagements (or, concernant Thoreau, le système américain n'avait pas tenu ses engagements vis-à-vis du «contrat social» impliquant l'intégration de la population noire). Nous avons vu en quoi l'autorité devait promouvoir la durée, par la responsabilité et la promesse. La désobéissance civile est donc une rébellion collective visant à dénier la légitimité d'une institution qui n'a pas su incarner sur la durée l'autorité dont elle devait être garante.
Dans quelle mesure la désobéissance et la rébellion sont-elles justes? «Tout dépend de ce que l'on appelle juste: est-ce le légal, ou le moral? Je suis "grecque ancienne", et je crois, comme Plutarque, à une forme de "justice divine", à une justice transcendante, qui existe toujours, même lorsque les lois commencent à se dérégler. Je crois à la justice d'Antigone face à celle de Créon. Face au pouvoir arbitraire, dévié, face à l'abus de pouvoir, la désobéissance et la rébellion sont le devoir des citoyens. Il faut rétablir l'ordre du monde, l'ordre cosmique, sans lequel l'harmonie, le respect, les œuvres ne peuvent advenir. Lorsque la Loi et son application ne représentent plus l'intérêt de l'universel humain, mais se mettent au service de l'intérêt d'une classe, et de l'oppression des citoyens, alors oui il faut résister. Si la rébellion à toute autorité est plutôt l'oeuvre d'une pulsion de mort, et d'une mise en danger de soi (cas de certaines conduites à risque à l'adolescence par exemple), la rébellion à l'autoritarisme manifeste en revanche un acte d'autorité. C'est ainsi que la désobéissance civile n'est pas une rébellion contre toute autorité, mais contre une autorité qui n'en est pas une (un autoritarisme, une tyrannie, ou un laxisme qui masque une tyrannie.»
Ainsi, l'on peut citer la désobéissance civile de Gandhi, celle de Martin Luther King, entre autres.
1. Inédits d'interview par Édouard Ballot, 2016, publiés dans Bilheran, A. (2017), Miscellanea KDP Amazon.
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3. La délinquance et l'appel à l'autorité
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3.1 La délinquance Qu'est-ce que la délinquance, et quels sont les rapports qui existent entre délinquance et appel à l'autorité ? Delinquere signifie, en latin, délier. Il s'agit d'une mise en rupture du lien social. D'après le psychanalyste Winnicott, l'adolescent qui devient délinquant en appelle à l'autorité paternelle, qu'elle soit symbolique ou réelle. Il cherche l'autorité en tant que reconsolidation du lien entre générations, transmission bienveillante entre la génération de ses parents et lui-même, inscription dans une filiation. Le psychanalyste Winnicott (1956) a analysé «la tendance antisociale» dans la conduite délinquante et la criminalité. La logique est la suivante : le sujet répète la destruction, non pas pour simplement détruire (conduites psychopathiques, pulsion de mort), mais dans l'espoir d'enfin trouver un objet qui résiste à la destructivité et soit instaurateur de limite, donc d'interdit. C'est en cela que la délinquance est avant tout un appel à l'aide, à une fonction contenante et cadrante qui empêche le sujet de basculer dans la destructivité, en l'aidant à devenir auteur d'un désir construit et non victime de ses pulsions. Face à la délinquance, les postures d'autorité sont requises, puisqu'il ne s'agit ni de laisser faire, ni de laisser tomber, ni de se laisser détruire, ni d'être dans la rétorsion. En revanche, si l'environnement résiste suffisamment à la destructivité du comportement antisocial, alors le sujet accède à son désespoir interne : «Par le maintien et l'entretien d'une relation d'objet tyrannique, le sujet se défend d'une expérience de désespoir, car c'est un désespoir traumatique, agonistique » (Ciccone, 2003, p. 15-16) et les figures d'autorité doivent pouvoir lui permettre d'élaborer ce désespoir en désir autonome, dont il soit l'auteur, en ayant intégré les dimensions d'interdit et de différé (mérite, effort..., pour réaliser la satisfaction attendue). Dans l'histoire des profils délinquants, l'on retrouve souvent une fonction paternelle défaillante (soit le père est absent, soit il pose la limite en tout autoritarisme, n'acceptant pas lui-même d'être limité), liée à une mère assez protectrice, qui se répare de ses blessures également avec son enfant au travers d'une relation fusionnelle dont l'enfant n'arrive pas à se défaire au cours de son développement (cf. dans les groupes d'adolescents délinquants, les discours idéalisant la mère, ou la haïssant). Le chemin de vie a également été traversé par la rupture 109
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brutale d'une relation positive, dont l'enfant a été privé, tout en s'imaginant coupable de cette rupture. De plus, la faillite des autorités dans une société est proportionnelle à l'accroissement de la délinquance sur fond de système pervers. Dans les banlieues françaises, l'autorité n'existe guère plus, notamment chez les pères des enfants délinquants, qui, lors des arrivées massives d'immigration dans les années 1960, ont subi de plein fouet la déception des idéaux qu'incarnait l'autorité de la France sur la scène internationale (voir le film de Yamina Benguigui, Mémoires d'immigrés). Toute la société occidentale actuelle est en pleine dérive dans sa complaisance envers l'exercice pervers du pouvoir, qui confine au harcèlement, et son absence crasse de désir d'une autorité qui pousse à la verticalité, au mérite, à l'effort, à la transcendance. L'éradication progressive de la fonction paternelle, jusqu'à la revendication outrancière d'une égalité arithmétique entre les sexes, qui voue un culte au règne de l'indifférencié, contribue largement à l'augmentation de la perversion, qui se dessine tout à la fois dans le laxisme des moeurs et des opinions, que dans l'appel à un retour d'une politique autoritaire au sein du corps social. Or, une fonction paternelle qui ne croit plus en l'autorité ne peut plus l'incarner. La réponse politique fréquemment alléguée est une réponse sur le mode de l'autoritarisme, et non pas de l'autorité (c'est-à-dire de figures identificatoires bienveillantes, qui permettraient d'augmenter la personne par l'instauration des interdits et la permission donnée au désir, de l'inscrire dans une transmission de valeurs et un héritage symbolique, et de l'aider à se construire un projet identitaire pour l'avenir, en lui permettant d'accéder à la dimension verticale de l'axe du temps). La faillite des autorités dans une société donnée engendre un surcroît de délinquance, notamment chez les adolescents. L'agir délinquant est avant tout l'expression de cette souffrance et de cette difficulté à s'extraire seul, sans « père derrière soi », de la violence du pulsionnel, mais aussi la recherche d'une réponse face à l'agir qui interroge le bien-fondé et la légitimité de ceux qui exercent le pouvoir.
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L'échec de l'autorité dans la violence et la victimisation: exemple de la banlieue Le film Banlieusards de Kery James et Leila Sy montre le cocktail fatal qui pousse à la délinquance, notamment la double faillite du père dans la famille et de l'État dans sa substitution à la protection paternelle lorsque celle-ci échoue, et au contraire dans sa double réponse signant la faillite de l'autorité: assistanat infantilisant vs violences policières impunies. Trois frères ont un destin singulier face au jeu de cartes qui leur est proposé, et l'un des frères, Souleyman, se destine à la profession d'avocat. Il doit débattre du sujet suivant: «L'État est-il seul responsable de la situation des banlieues en France?» Ce faisant, au-delà du constat nécessaire de l'autoritarisme étatique et des violences systématisées sur la jeunesse des banlieues, renforcées par un abandon certain, Kery James interroge le statut des adultes présents en banlieue face à la jeunesse qui, par leur renoncement et leur sentiment d'impuissance, ont laissé tout pouvoir à l'État qui aujourd'hui est tout à la fois démissionnaire et tortionnaire. Kery James rappelle ainsi que l'autorité est celle de tout un chacun en tant qu'adulte dans son quotidien et ses choix de vie, mais aussi dans l'adulte en devenir par les choix qu'il fera : «Lorsque deux banlieusards plongés dans le trafic de drogue entrent dans une guerre pour des raisons strictement pécuniaires et que cette guerre aboutit à la mort de l'un d'entre eux, est-ce l'État qui fournit l'arme à l'assassin? Lui ordonne ou presse son doigt malgré lui sur la détente?» La victimisation de principe fait en réalité le lit de la délinquance, en privant les individus de leur capacité à l'autodétermination. Or, rappelons-nous, l'autorité est ce qui conduit à l'autonomie, par l'encouragement à l'autodétermination.
3.2 Violence et symboles C'est ainsi que les appels à la coercition répondent à la violence par la violence, qui est tout sauf la dimension d'exemplarité dont nous verrons ultérieurement à quel point elle peut légitimer une autorité. De surcroît, la violence est un mode d'expression, qui tient l'agir en lieu et place de la parole, en la destituant de son ancrage symbolique, donc de sa dimension civilisatrice. Là où l'autorité fait défaut, surgit la violence. Elle émerge également dans des contextes de perte massive de repères et de sens. Or l'autorité permet de transmettre une expérience garantissant le sens de l'humanité et de la civilisation. Giorgio Agamben avait déjà noté, dès 1978, à quel point la société actuelle n'avait plus d'expérience à transmettre, chacun subissant des micro-événements au quotidien, sans aucune expérience (transformation de l'événement pour se l'approprier et poursuivre une construction identitaire) : «L'homme contemporain [...] s'est trouvé dépossédé de son expérience : peut-être même l'incapacité d'effectuer et de transmettre des expériences est-elle l'une des rares données sûres dont il dispose sur sa propre condition. [...] Dans une journée d'homme
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contemporain, il n'est presque plus rien en effet qui puisse se traduire en expérience : ni la lecture d'un journal, si riche en nouvelles irrémédiablement étrangères au lecteur même qu'elles concernent ; ni le temps passé dans les embouteillages [...] ; ni la traversée des enfers où s'engouffrent les rames de métro ; [...] pas davantage les rafales d'armes automatiques qui éclatent on ne sait où; ni la file d'attente. [...] L'homme moderne rentre chez lui le soir épuisé par un fatras d'événements — divertissants ou ennuyeux, insolites ou ordinaires, agréables ou atroces — sans qu'aucun d'eux ne se soit mué en expérience.» À la nécessité de la transmission générationnelle de l'expérience s'est substituée une soumission consentie à l'ère capitaliste de la consommation, ce qui entraîne à la fois une violence agie et une violence subie. Il y a là indéniablement la conjonction d'une histoire personnelle et d'une histoire sociétale. La violence subie et le déracinement Leila travaille dans une grande entreprise, où l'autorité ne semble pas être particulièrement incarnée: les films pornographiques circulent sur le serveur informatique de la société, chacun y va de ses fantasmes personnels, jusqu'à déposer des vidéos comportant des scènes sexuelles de son couple, à donner à voir aux collègues. L'environnement y est essentiellement masculin. L'emprise s'y substitue clairement à toute autorité incarnée. Dans cet environnement clairement misogyne. Leila se fait souvent agresser, et est victime d'un harcèlement sexuel de la part de son chef. En séance, nous travaillons sa capacité à mettre des limites, largement entravée de par son histoire personnelle, puisqu'elle ignore si elle est ou non la fille de son père. La violence subie vient ici s'inscrire, entre autres, sur la faille d'un déracinement, donc d'un manque de repère. À la suite de son chemin personnel, elle décide de ne plus subir la toute-puissance maternelle (qui ne sait pas lui dire « lequel des deux>' est son père, entre son amant de l'époque et son mari), et de faire un test de paternité, pour savoir si celui qui l'a élevée est ou non son père. Une fois la réponse acquise, Leila change presque radicalement de comportement au travail. Réenracinée dans un repère, la semaine suivant les résultats de paternité, elle se positionne en refusant la violence subie et en mettant enfin des limites claires à son chef ainsi qu'à cet environnement brutalisant.
4. La horde
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Freud a analysé la psychologie de la foule. D'une part, l'individu en foule est plus enclin à désirer le commandement d'un chef et, d'autre part, il acquiert un sentiment de puissance invincible via le groupe.
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«Or, des observations attentives paraissent prouver que l'individu plongé depuis quelque temps au sein d'une foule agissante, tombe bientôt [...] dans un état particulier, se rapprochant beaucoup de l'état de fascination de l'hypnotisé entre les mains de son hypnotiseur... [...] La personnalité consciente est évanouie, la volonté et le discernement abolis. [...] Tel est à peu près l'état de l'individu faisant partie d'une foule. Il n'est plus conscient de ses actes. Chez lui, comme chez l'hypnotisé, tandis que certaines facultés sont détruites, d'autres peuvent être amenées à un état d'exaltation extrême. L'influence d'une suggestion le lancera avec une irrésistible impétuosité vers l'accomplissement de certains actes» (Freud, citant Le Bon, 1921, p. 46). Car la foule est conduite par l'inconscient et la partie pulsionnelle : «Elle ne supporte aucun délai entre son désir et la réalisation de ce qu'elle désire» (op. cit., p. 149). En cela, elle traduit une carence en autorité, puisqu'elle n'a pas intériorisé l'importance du différé (cf. supra). L'individu en foule est donc en état de régression pulsionnelle : «Pour juger équitablement de la moralité des foules, on doit prendre en considération le fait que, dans un rassemblement d'individus en foule, toutes les inhibitions individuelles [Surmoi, Idéal du Moi] tombent et que tous les instincts cruels, brutaux, destructeurs, résidus des âges primitifs dormant en chacun d'eux, sont réveillés, rendant possible la libre satisfaction des pulsions» (op. cit., p. 150). À cet égard, le spectacle d'une foule se promenant en brandissant des trophées de têtes pendues à des pics n'est rien de moins que l'accomplissement pulsionnel de l'interdit du meurtre et de la mutilation. Régression collective: un exemple banal Les scènes de régression psychique dans les collectifs sont légion. On s'aperçoit que les individus perdent tout moyen et peuvent revenir à un état très immature. Marion raconte une scène vécue dans un ascenseur de parking à Marseille. Il est 20 h le soir, l'ascenseur est bondé, elle est la plus petite, et la plus menue. Il y a avec elle des hommes de 20, 30 et 40 ans, ainsi que des femmes. Devant la raréfaction de l'oxygène, certaines femmes commencent à paniquer et propulsent Marion au milieu de l'ascenseur en la conjurant d'appeler les pompiers. Marion, visiblement la seule à garder un peu de lucidité, appelle l'alarme sur l'ascenseur. Les secours vont venir mais ils sont très occupés, il va falloir patienter. Il faut donc que tout le monde reste calme car l'oxygène manque. À ce moment-là, trois des hommes sortent leur téléphone pour se filmer et poster la vidéo sur Facebook en ricanant tandis qu'une femme à côté d'eux fait un malaise, qui ne les préoccupe pas. C'est Marion qui s'occupe d'aider la dame en question. L'amie de la femme appelle les pompiers mais dit n'être pas capable de parler et passe le téléphone à Marion. Cette dernière doit rappeler fermement des règles de
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base au groupe comme d'arrêter bouger, de s'écraser, de ricaner bêtement, et de filmer sans autorisation. Lorsque la situation se débloque deux heures plus tard, personne ne remercie Marion pour sa gestion, et au contraire, les trois hommes vont se permettre des blagues graveleuses devant son petit copain qui l'attendait à la sortie. L'on voit bien que la situation de panique fait que le groupe régresse et finalement se tourne vers la personne calme de la situation, et qui, par son calme et son apparente maîtrise, fait spontanément autorité. Car si chaque individu s'était retrouvé seul dans la même situation, nul doute qu'il aurait trouvé les moyens de la gérer autrement.
4.1 La horde sauvage Précisément, la Révolution française nous indique un stade de l'Histoire où les figures incarnant le commandement ont été destituées par la violence, au profit tout d'abord d'une anarchie de la foule, qui se mua ensuite en dictature (concentration des pouvoirs avec Robespierre). Le meurtre du père symbolique correspond au débordement pulsionnel inévitable de la foule lorsque le symbole des interdits a été destitué. Et, pour contenir ce débordement pulsionnel, une dictature est l'étape dialectique suivante, celle de l'antithèse. On peut constater que ces étapes ont été également traversées par le peuple russe, à l'issue de la révolution anti-tsariste. Le tsar ayant été destitué, Lénine jugea utile d'instaurer une dictature transitoire, de façon à canaliser le débordement pulsionnel de la foule. Si Lénine envisageait cette période sous la forme d'une dictature (c'est-à-dire un moment temporaire de négativité nécessaire à l'avènement du Droit ensuite, de même que Napoléon succéda à Robespierre), en revanche Staline entreprit de la faire perdurer sous la forme d'une véritable tyrannie. La horde sauvage est la foule inorganisée qui a perdu tout chef. «Elle se comporte plutôt comme un enfant mal élevé ou comme un sauvage livré sans contrôle à ses passions dans une situation qui lui est étrangère; dans les cas les plus graves, sa conduite est celle d'une bande, plutôt de bêtes sauvages que d'êtres humains» (Freud, 1921, p. 160). Cet état où «l'homme est un loup pour l'homme» (Hobbes, 1651) ne saurait perdurer pour des raisons de survie de la civilisation. Bien souvent, lui succède ainsi une tyrannie (le Léviathan, selon Hobbes), prélude nécessaire pour mettre ensuite en place un régime où l'autorité ne se confond plus avec l'autoritarisme. Quoi qu'il en soit, dans l'analyse des cycles politiques des civilisations, il semblerait que cet état de libertarisme pulsionnel ne perdure jamais, et que la foule réclame alors un meneur-tyran qui permettra de canaliser toutes ses pulsions.
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4.2 La horde et le chef autoritaire Car c'est bien là la fonction du chef, celle de canaliser les pulsions individuelles et collectives, de façon à les symboliser vers des idéaux (symbolisation) et des créations nobles et socialisantes (sublimation). Nous étudierions ultérieurement ce rôle d'autorité du leader (cf. infra). Pour l'heure, je souhaiterais plutôt mettre en exergue le pseudo-chef, qui, loin de remplir sa fonction de canalisateur des pulsions, encourage leur expression dans le passage à l'acte. Dans Totem et Tabou, Freud évoque une fonction mythique du père en figure autoritaire. Il s'agit du père de la horde primitive, qui jouit de tous, notamment de toutes les femmes. Il oblige et contraint ses fils à ne pouvoir lui succéder, à moins de le tuer, ce qui finit par avoir lieu (de la même façon que Cronos avait émasculé son père Ouranos, dans le mythe grec, et le fruit de cette castration fut d'ailleurs Aphrodite, la déesse de l'amour...). Ce père archaïque est mû par l'emprise et l'attrait du pouvoir. Son désir individuel (passion du pouvoir, passion de l'intérêt personnel) l'emporte sur l'intérêt collectif. Il s'agit là d'une emprise psychologique sur autrui, qui peut avoir des effets extrêmement dangereux. Freud voit, dans le chef de la horde qui reste primitive, un tyran sanguinaire possédant un pouvoir absolu et arbitraire et faisant régner la terreur. Ce chef n'est pas celui qui entend poser des interdits structurants et créateurs de désir. C'est ainsi que, d'après Hegel, Robespierre put commanditer des noyades et décapitations en masse, moment où la vie humaine n'avait pas plus de valeur qu'une «tête de chou». Ce chef autoritaire n'incarne en aucun cas l'autorité rationnelle et dépassionnée, maniant la juste mesure de la dialectique entre le devoir et le désir, dans un souci créateur d'autonomie. Mendel distingue deux moments psychologiques, correspondant à deux types de chef, l'un incarnant la tyrannie, l'autre, l'autorité. Le premier est celui de la structure pré-oedipienne, duelle (avec Rosolato, 1978, p. 9, nous pourrions parler d'une situation où est camouflée une relation immuable avec la mère seule, une mère «phallique, toute-puissante, archaïque ») ; le second, la structure oedipienne, tierce. D'après son analyse, Hitler présentait davantage la première structure : conflit aigu et irrésolu avec son père alcoolique, caractériel et brutal, mort lorsque Hitler avait 13 ans, ce qui ne lui a pas laissé la possibilité de rejouer autrement les conflits psychiques infantiles à l'adolescence que dans l'univers psychologique de l'illimité, du passionnel sans mesure, de l'arbitraire, du fusionnel avec la mère archaïque, 115
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et des angoisses paranoïdes afférentes (Hitler craignait que son père ne soit juif, et a toujours été convaincu d'avoir été la victime des juifs, ce qui légitima à ses yeux la persécution massive du peuple juif...). En revanche, toujours d'après Mendel, De Gaulle aurait eu une structure oedipienne, ayant intériorisé la différence des sexes et des générations : «Dans le monde intérieur de De Gaulle, la réalité extérieure pèse son poids, les arguments rationnels l'emportent sur la passion, des considérations éthiques portées par la tradition familiale et l'histoire nationale imposent des limites à ses actes. S'il n'est certainement pas un démocrate de cœur, son pouvoir autoritaire ne sera jamais celui d'un dictateur au-dessus des lois» (Mendel, 2002, p. 57). Ce qu'il ressort de l'étude de Mendel, c'est que le chef de la horde qui ne fait pas preuve d'autorité, laisse la horde à son statut de horde, et ne transforme pas une foule en peuple, par exemple. Cette oeuvre de civilisation est une entreprise d'autorité, confiée à ceux qui en sont les dépositaires temporaires (cf. infra, sur le bon leader). Dans les cas de fausse autorité (meneur de horde), peut se mettre en place un phénomène psychique que le psychanalyste René Kaës a nommé «la tyrannie de l'idole» (2002, p. 69). L'idéologie consiste en effet à accorder une toute-puissance sacralisée au langage, qui n'est plus, dès lors, espace possible de partage et d'esprit critique, mais espace du dogme, de l'interdit de penser. Kaës voit dans l'idéologie une lutte contre la dépression chez le sujet : «la défense contre les angoisses liées à la position dépressive est aussi une des fonctions majeures de l'idéologie. L'idéologie [...] organise des rapports de soumission à l'objet tyrannique et des liens d'emprise sur le sujet ou sur le groupe soumis à cet objet, afin de lutter contre ces angoisses. Mais, dans le même mouvement, elle dévoile d'autres angoisses, de nature persécutoire, dont elle se débarrasse en se donnant des objets à attaquer : "mauvaises" pensées, ennemis externes» (op. cit., p. 70). De plus, d'après Kaës, l'idéologie peut parfois valoir en tant que construction défensive contre le fantasme de castration et la perception de la différence des sexes (op. cit., p. 80), signifiant, là encore, un rejet (une faille ou une absence) de la fonction paternelle et du complexe d'CEdipe: «les relations entre l'idéologie et le destin de la violence pulsionnelle anale et orale contre une mère qui soutient, dans le déni partagé et dans la maîtrise sur l'infans, la relation d'impossible. La mère de Michaël [le patient cité par Kaés] entretient une dépendance extrême chez son enfant, elle exerce sur
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lui un contrôle strict car elle redoute comme une perte trop grave pour elle qu'il devienne autonome. S'en trouve marqué le rapport au langage» (op. cit., p. 96). «L'idéologie lui est nécessaire pour qu'apparaisse un ordre du monde, pour qu'il tienne ensemble par cet ordre, contre le chaos, le nonsens, contre la persécution et contre la dépression» (op. cit., p. 94). Avec l'idéologie, l'ordre du monde n'a pas été garanti par des autorités, à la fois bienveillantes, protectrices mais aussi séparatrices et garantes d'interdits fondamentaux. Nous avons évoqué le rapport de l'autorité à la parole, c'est-à-dire au langage vivant et incarné. Dans l'idéologie, le langage n'a pas le même statut : «Ces patients, si prompts au désinvestissement, n'aiment pas le langage courant, vivant, incertain. J'ai remarqué qu'ils avaient une prédilection particulière pour le discours idéologique où les mots sont démonétisés et portent des majuscules. Ils tiennent souvent le langage des Institutions [...] auxquelles ils s'accrochent et dans lesquelles ils cherchent identification et reconnaissance» (Enriquez, 2001, p. 258). Ici, le langage institutionnel est un langage fonctionnel, sans personne auteur d'une parole qui fasse sens. Le meneur de la horde soumise à l'idéologie est souvent un personnage assez malveillant, porteur des pulsions destructrices de la horde qu'il mène. D'après Kaês, ce pseudo-père symbolique incarne en réalité une mère toutepuissante, qui parle et pense à la place de son enfant (op. cit., p. 94). Il n'incarne donc pas la position tierce nécessaire au détenteur de l'autorité, mais l'arbitraire et la dimension liberticide qui conduit à la mort du sujet, symbolique ou réelle.
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Chapitre 4 Les déclinaisons psychiques de l'autorité
Sommaire 1. La tyrannie psychique
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2. Les pathologies de l'autorité
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3. Psychologie du chef
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Le pendant inverse de l'autorité est l'autoritarisme, qui correspond, d'un point de vue psychologique, à ce que l'on peut appeler la tyrannie psychique.
1. La tyrannie psychique La tyrannie psychique est un autoritarisme interne, envers soi d'abord. Ensuite, cet autoritarisme s'exporte dans la relation à autrui. C'est ainsi que l'emprise psychologique émane toujours d'une tyrannie psychique interne, comme c'est le cas, par exemple, des meneurs de secte, qui conduisent autrui à perdre toute autonomie dans une aliénation à leur propre tyrannie psychique.
1.1 Fonctions de la tyrannie interne La tyrannie psychique interne, qui se traduit en processus violents, destructeurs, et sadiques, est un mode de défense face aux angoisses dépressives et aux éprouvés de terreur agonistique. D'après Albert Ciccone (2003, p. 20), la tyrannie interne est toujours associée à la jouissance anale, c'està-dire au stade infantile du contrôle, de la rétention, de la persécution attribuée à l'autre. Elle suppose des éprouvés de terreur inconsciente, des angoisses dépressives, qu'il s'agit de conjurer en omnipotence et sadisme, donnant l'illusion d'un contrôle sur ses éprouvés et sur la menace que peut représenter autrui. Tyrannie interne et analité Madeleine est une petite fille de 8 ans, placée dans les services sociaux, en famille d'accueil. Elle a subi de nombreuses maltraitances maternelles, sur le plan physique et sexuel (actes de torture, brûlures, fractures...). Sa mère a elle-même été incarcérée pour avoir été complice d'actes de torture sur une autre femme, qui avait été menacée d'excision avec des ciseaux. Le père de Madeleine a toujours été absent, elle ignore son origine, ne l'a jamais vu. Ainsi, depuis le plus jeune âge. Madeleine est livrée à cette mère aux pulsions sadiques et destructrices, dans une terreur et une impuissance massives. Pour lutter contre cette terreur et cette angoisse dépressive, Madeleine tyrannise à son tour son entourage, et illustre sa jouissance anale tant par une encoprésie persistante que par un vocabulaire indiquant ce stade (« cacabouillis», «cacaprout ») et des attitudes (jeux consistant à remplir/vider, dessins d'intestins...). Elle ne supporte pas de
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Psychopathologie de l'autorité
ne pas diriger, et ne supporte tout particulièrement pas de perdre à un quelconque jeu. La dimension de la perte, qui est une dimension oedipienne (accepter au renoncement pour une satisfaction plus grande mais différée), n'est pas intégrée.
Il convient de souligner qu'à un stade de développement précoce, il est tout à fait naturel que l'enfant éprouve son premier pouvoir sur son environnement au travers de cette tyrannie. C'est la raison pour laquelle il est important que dans la première enfance, les parents surveillent toujours les relations au sein de la fratrie, car le cadet peut vite devenir le souffre-douleur de ses aînés, qui expérimentent leur petit contrôle sur ce qui les entoure. Et ceci peut n'avoir rien à voir avec une éducation parentale incorrecte, sinon le manque de vigilance sur l'enfant lui-même dans ses interactions avec sa fratrie ou avec les animaux qui l'entourent. C'est une phase de développement, qui correspond à la phase freudienne «sadique-anale ». Lorsque l'enfant prend confiance en lui et n'a plus besoin de faire exercer sa tyrannie sur le monde émanant de son angoisse de ne pas exister, le comportement peut évoluer et l'empathie se mettre progressivement en place dans la considération de l'altérité. Évidemment, si l'enfant en question subit de la tyrannie parentale, il est fort probable que cela rejaillisse ensuite sur la fratrie, avec des comportements d'imitation.
1.2 Masochisme et sadisme L'obéissance à l'autoritarisme peut révéler une posture psychique de type masochiste. Dans le masochisme, le plaisir s'obtient dans la douleur et la destruction, ce qui est paradoxal avec le développement de la vie psychique, mais illustre que la pulsion de vie s'est renversée en son contraire, par introjection du sadisme environnemental (maltraitances infantiles). Dans «Le problème économique du masochisme» (1924), Freud indique que le masochisme est une menace réelle pour le sujet, car il agit telle une drogue sur la vie psychique. Dans le masochisme, les fins sont celles de la maîtrise : l'ascète se flagelle toujours à des fins de maîtrise de son propre corps, de même que le philosophe Plotin décrit son « plaisir » à ignorer l'existence de son propre corps dans ses Ennéades, à lui infliger maintes privations et souffrances, au profit de l'élévation de l'âme. C'est en cela que le sadisme est lié au masochisme, dans une parenté de structure et la pulsion de mort.
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Dans le sadisme comme le masochisme, existe une pulsion d'emprise sur le monde extérieur. Les fantasmes sont de nature précedipienne (intrusions dans le corps, souffrance fusionnelle avec l'autre...) ; et la culpabilité afférente au masochisme est une culpabilité de type mélancolique (douleurs, fautes à expier...), dans l'absence de référence au tiers. C'est cette absence de référence au tiers qui fait du personnage sadique un tyran, et du masochiste quelqu'un de soumis à l'autoritarisme. Parfois, certaines personnes mêlent sadisme et masochisme : sadisme pour une partie de leur vie, masochisme pour une autre partie. Autoritarisme et perversion Il s'agit d'un patient qui est venu consulter car il souffre de ne plus voir son fils, qui l'accuse de maltraitances sexuelles et a coupé les ponts à l'âge adulte. Ce même patient a été condamné pour des scènes de torture sur femmes, ainsi qu'un meurtre. Durant une semaine, il a par exemple torturé une femme accrochée à un arbre sous les yeux de son fils, qui était alors petit garçon. Ce patient se présente sous des dehors très soumis, il ne sait pas poser des limites à l'autoritarisme féminin, a été harcelé dans son travail à plusieurs reprises par des femmes autoritaires, n'a jamais su s'opposer en quoi que ce soit à sa femme. D'ailleurs il nie ce pourquoi il a été condamné. Le tiers n'existe pas dans la perversion : soit ce patient soumet, soit il est soumis. La tyrannie psychique est la règle, et il éprouve d'énormes difficultés à considérer le travail thérapeutique autrement que sur le mode de l'emprise du psychologue sur lui (il répète souvent: «vous pénétrez dans mes pensées>', «vous êtes manipulatrice>'), qu'il essaie d'ailleurs de mettre en situation d'impuissance, par la désaffectivation du propos, et le déni. Dans le rejet de l'autorité, voire ses attaques, le sujet peut se sentir coupable et accomplir des actes délinquants pour apaiser une culpabilité inconsciente (besoin de punition). Il convient de rappeler qu'en psychologie, ce n'est pas parce que l'on se sent coupable que l'on est coupable, et c'est même souvent l'inverse qui prévaut.
Une scène terrorisante en entreprise Il s'agit d'une réunion de cadres supérieurs dans une grande entreprise en présence du PDG. L'un des cadres supérieurs a oublié d'étendre son téléphone portable. Le PDG exige que le téléphone lui soit donné. Il appelle son assistant et demande un verre d'eau. Et devant tous les cadres réunis, environ une vingtaine, il prend le téléphone mobile puis le plonge lentement dans le verre d'eau. Personne ne dit rien, tout le monde est terrorisé par le passage à l'acte. Nous sommes pourtant en présence d'adultes exerçant de hautes responsabilités et tous âgés environ de 40 ans. C'est ainsi que le nouveau PDG entend exercer son pouvoir: avec sadisme. Et il le fait savoir. Et tous lui font savoir qu'ils obéiront sans rien dire.
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1.3 Le Surmoi Le rapport à l'autorité dépend du Surmoi œdipien. Mais il existe un Surmoi antérieur au Surmoi œdipien, qui est le Surmoi archaïque et préœdipien, lequel se retrouve dans les postures aliénées à un leader tyran ou autoritaire. Le Surmoi archaïque et préoedipien Ce Surmoi préœdipien, archaïque, a été conceptualisé par Melanie Klein (1929, 1932). Il s'agit d'une instance extrêmement menaçante, à lire du côté de la mère toute-puissante, terrorisante, cannibalique. Ce Surmoi, présent dès les premiers mois de la vie de l'enfant, provoque une culpabilité primitive, des défenses maniaques, des attaques externes et internes sadiques et cruelles. Précoce, il se forme durant le stade oral par l'introjection à la fois de la mère nourricière (le sein), et du clivage en bon et mauvais objet. Il représente un objet dangereux, persécuteur et extérieur dont le bébé doit se protéger. Le Surmoi archaïque, résultant de la pulsion de mort, est rendu responsable par le nourrisson de tout ce qu'il vit de désagréable. Il est lié à un désir d'introjection et d'incorporation de l'objet libidinal. Cette phase précoce est caractérisée par une angoisse paranoïde de persécution et de morcellement, où la relation d'objet est partielle. Les expériences désagréables ou vécues comme dangereuses pour le bébé sont projetées à l'extérieur. Si aucun mécanisme ne suffit à maîtriser l'angoisse, le Moi se désintègre complètement, se fractionne, et adopte pour défense d'exister le moins possible. Ce Surmoi archaïque s'inscrit dans la relation symbiotique à la mère. Il est un Surmoi tyrannique qui vient hanter le sujet avec des angoisses de persécution, de morcellement, d'abandon... Le Surmoi œdipien Dans la seconde topique (rappelons que les topiques freudiennes ne sont pas des lieux du cerveau, mais des métaphores permettant de comprendre le fonctionnement de l'appareil psychique), Freud fait l'hypothèse de trois instances, le « Ça », le « Moi» et le «Surmoi ». Le « Ça » serait la partie pulsionnelle de la vie psychique. En allemand, le « Es » signifie également le « On ». Le « Ça » serait le « On » en nous, c'est-à-dire la partie que nous ne saurions définir de nous-même, qui nous échappe, cette partie pulsionnelle, inconsciente, où seul règne le principe de plaisir. Il est aussi le réservoir de la libido, de l'énergie psychique.
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Le Moi est notre personnalité sociale, c'est-à-dire notre positionnement narcissique et notre rationalité. Le Surmoi est l'instance faisant oeuvre d'agent critique, de figure des interdits moraux, souvent issus des exigences parentales et éducatives. Cette instance se constitue au moment du complexe d'CEdipe, sous l'influence notamment de la fonction paternelle, qui est une fonction séparatrice. L'CEdipe oppose le Ça et le Surmoi, et consacre le refoulement des pulsions au profit du principe de réalité, donc donne un accès au Moi, en tant que personnalité entière et socialisée. Le Surmoi oedipien permet d'assumer les interdits civilisateurs du parricide et de l'inceste, d'intégrer le principe temporel des générations, et de s'identifier au parent du même sexe que soi. Il est aussi le moyen d'intérioriser les interdits fondateurs illustrés par les exigences parentales et sociales.
Surmoi et culpabilité Ce qui caractérise essentiellement le Surmoi est d'être à l'origine du sentiment de culpabilité. L'autorité parentale impose des renoncements multiples au plaisir de l'enfant, qui peut se sentir menacé d'un retrait d'amour s'il n'obéit pas. Cette dépendance entière à la puissance parentale se constitue en Surmoi, donc en culpabilité et en besoin d'autopunition. C'est ainsi que le Surmoi revêt la fonction d'une instance morale. Mais la culpabilité du Surmoi archaïque n'est pas identique à celle du Surmoi oedipien. Il s'agit d'une culpabilité insupportable, dévastatrice, au point de plonger le sujet dans un état profondément mélancolique, dans des idées suicidaires et même des passages à l'acte. Présence ou non du Surmoi œdipien dans le rapport à la transgression Il est de ce fait différent de transgresser l'interdit selon que l'on a conscience ou non de la transgression. Martin, 6 ans, a volé une gomme à son petit camarade de classe. Attrapé, il n'en éprouve aucune gêne, il avait envie de cette gomme, elle était là, il n'en a pas, il l'a prise. Isidore, 6 ans, dit «ta gueule» à sa mère. Lorsqu'elle le reprend, il se sent honteux, et baisse les yeux avant de demander pardon. Le sentiment de honte et de culpabilité permet à Isidore d'enclencher un acte réparateur envers sa mère puisqu'ensuite, après les excuses, il ira lui cueillir une fleur dans le jardin. L'on voit bien que dans le premier cas, le Surmoi n'est pas du tout acquis, ce qui est très préoccupant sur le plan psychique. Ainsi, ce n'est pas tant la transgression qui doit interroger que le rapport psychique de l'individu à la transgression. Ce qui caractérise la psychopathie en tant que telle est précisément de n'avoir accès à aucun Surmoi, donc ni honte, ni sentiment de culpabilité.
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La culpabilité dévastatrice du Surmoi archaïque La culpabilité du Surmoi archaïque est extrêmement dévastatrice car elle ne laisse plus aucun répit psychique à la personne. C'est le sentiment de culpabilité «qui ronge», que ce sentiment soit d'ailleurs légitime ou non. Idriss est un patient d'un certain âge, qui est coutumier de crises mélancoliques aiguës depuis qu'il a malencontreusement tué une petite fille lors d'un accident de la route dont il était tout à la fois responsable car il était au volant, et innocent, du fait des circonstances mêmes de l'accident où lui aussi a d'ailleurs failli mourir. La famille de la petite fille ne lui a jamais reproché l'accident, mais Idriss en a nourri un remords dévastateur, au point d'entretenir à vie par un solde mensuel ladite famille (Idriss est chef d'entreprise) mais surtout de déclencher des troubles somatiques aigus, en guise de « punition ». Un travail d'apaisement et de pardon à soi-même est entrepris, pour atténuer la souffrance psychique liée à ce passé.
1.4 Idéal du Moi et identification L'Idéal du Moi Nous avons vu à quel point le complexe d'Œdipe était important pour l'autorité, non seulement comme moment où l'autorité s'affirme, mais aussi moment où, une fois qu'elle est affirmée, l'enfant accède à la symbolisation, aux idéaux, aux valeurs, en somme, à une conscience morale. La personne figurant alors l'autorité devient un modèle identificatoire : l'enfant aimerait lui ressembler, ce qui entraîne tout à la fois de la fascination et de l'agressivité (souhait de prendre sa place, de le tuer symboliquement, modalités qui se réinstalleront à l'adolescence, sous la forme de la fameuse «crise d'adolescence» et des conflits adolescents/parents qui la traversent). L'Idéal du Moi est une instance psychique décrite par Freud, qui en fait l'héritier du complexe d'Œdipe. Il s'agit d'un modèle de référence très investi narcissiquement, que la personne espère égaler. L'Idéal du Moi se distingue du Surmoi en ce que le Surmoi est une instance purement critique, avec retournement de la violence contre soi-même, par peur de perdre l'amour des parents. Là où le Surmoi juge pour condamner, l'Idéal du Moi présente un modèle d'identification : cette instance indique la satisfaction éprouvée lorsque l'on travaille à égaler la représentation conforme aux représentations investies comme positives et bonnes. Idéal du Moi selon les modèles de société Le problème d'une société essentiellement régie par des processus pervers, et non plus par des postures d'autorité, est que les figures investies narcissiquement peuvent être pathologiques. C'est le cas de personnes représentant un Idéal du Moi qui peuvent être
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en réalité des figures perverses, paranoïaques ou encore psychopathes présentées en modèles. La recrudescence toujours plus grande de personnes en apparence isolées commettant des attentats sur un même mode (au couteau par exemple, dans des lieux publics, au cri d'Allah Akbar, de manière quasi ritualisée) laisse à penser d'une part à l'existence de la création de ces « bombes humaines» identiques dans des laboratoires de manipulation mentale, d'autre part, et l'un n'exclut pas l'autre, à des imitations spontanées par des individus psychiquement fragiles qui projettent alors comme Idéal du Moi la figure d'un terroriste supposé martyr vue et revue dans les médias. C'est tout le sens de rceuvre littéraire de Yasmina Khadra que de s'interroger sur ces processus psychiques complexes (voir par exemple le roman L'attentat).
1.5 Des sujets formatés à l'obéissance Dans une célèbre expérience, le psychologue Milgram (1974) a testé la capacité de l'individu à résister à un commandement, lorsque celui-ci n'est pourtant soutenu par aucune coercition extérieure. Dans un cadre prétextant une expérience scientifique, des volontaires ont été chargés par ce qui leur avait présenté comme une «autorité scientifique », d'infliger une série de chocs électriques (simulés, mais à l'insu des participants) d'intensité croissante à une victime, laquelle réagissait par une voix, entendue par les participants (voix variant selon l'intensité croissante : plainte, cris de douleur, appels à l'aide, silence). Dans l'expérience standard, les deux tiers des sujets furent obéissants, au point d'infliger la douleur extrême. Dans les variantes de l'expérience, si la réaction de la victime n'était ni vue ni entendue du participant, son obéissance était bien plus grande. Mais s'ils voyaient et entendaient la victime, encore 40% du total des participants infligeaient la douleur extrême. Si le participant devait toucher la victime pour la forcer à poser sa main sur la plaque électrique censée envoyer les chocs, le taux d'obéissance avoisinait les 30%. En revanche, si un personnage non investi de l'autorité scientifique donnait les ordres, l'obéissance était nulle. Si l'autorité scientifique demandait une tâche accessoire, qui n'impliquait pas les chocs électriques, l'obéissance était presque totale. À l'inverse, si le sujet faisait partie d'un groupe d'acteurs qui mettait en scène un plan de rébellion contre l'autorité scientifique, la vaste majorité des sujets (90%) se joignait à leur groupe et cessait d'obéir. Lorsque les sujets ne se trouvaient pas sous la surveillance directe du scientifique, beaucoup tentaient d'envoyer des chocs de moindre intensité, tout en étant incapables par ailleurs d'affronter l'autorité ou d'abandonner l'expérience. 127
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D'après Milgram, la société renforce, dans toutes ses sphères institutionnelles, la tendance à l'obéissance, et voue le sujet à un sentiment d'obligation. L'impératif d'obligation prime sur l'intériorisation des règles morales universelles, au point que les sujets deviennent les instruments d'une emprise de type sadique, sans se sentir concernés par la responsabilité individuelle de leurs actes, dont ils s'exonèrent au profit de ce qui est présenté comme l'autorité. Ici, l'autorité n'est pas reconnue par les participants, elle est décrétée d'office. Plus près de nous, le réalisateur Christophe Nick a réalisé un documentaire, en 2010, intitulé Jeu de la mort. Cette fois, il s'agit d'une simulation de jeu télévisé, intitulé «Zone Xtrême », au cours duquel un candidat doit envoyer des décharges électriques de plus en plus fortes à un autre candidat, jusqu'à provoquer la mort. L'autorité scientifique est ici représentée par une animatrice qui donne les ordres, et l'on observe une obéissance de l'ordre de 72 à 79%, soit largement au-delà de ce qu'observait Milgram. «Plusieurs variantes de l'expérience ont été effectuées. Dans un cas, les participants pensaient participer à un test qui ne passerait pas à la télévision, dans un autre on leur a dit qu'ils passeraient vraiment à la télévision. Dans une troisième variante, une (fausse) assistante du producteur se présentait (quand les décharges administrées atteignaient 200 volts) et contestait le principe du jeu, demandant que l'on arrête le "dérapage", puis se retirait après avoir été remise à sa place par l'animatrice. Enfin, dans une dernière situation, l'animatrice se retirait après l'administration d'un choc de 80 volts en précisant que le participant était "maître du jeu". Les résultats ont montré qu'à l'exception de cette dernière situation (où seulement 28% des participants ont administré 460 volts), plus de 70% des participants ont accepté de continuer à administrer des chocs jusqu'au terme de l'expérience. Ce taux de soumission suggère que dans une situation de fortes pressions, plus des deux tiers des participants administrent des décharges électriques (supposées) mortelles, poursuivant le jeu, malgré les hurlements de la victime qui implore que l'on arrête, voire finit par ne plus réagir'.»
1. Cf. Bègue, L., Beauvois, J.L. et al. « La soumission à l'autorité», article de Laurent Bègue, in Cerveau & Psycho, mars-avril 2010.
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Le cas Eichmann Ce cas, rendu célèbre par Hannah Arendt, comme modèle de la « banalité du mal», décrit un haut fonctionnaire du Troisième Reich, officier SS Obersturmbannfuhrer et membre du parti nazi. Adolf Eichmann fut responsable de la logistique de la solution finale. Il organisa l'identification des victimes du programme d'extermination raciale, et leur déportation vers les camps de concentration et d'extermination. Il fut capturé par des agents du Mossad en mai 1960 à Buenos Aires en Argentine, où il vivait sous une fausse identité. Condamné à mort, il fut exécuté à l'issue d'un procès retentissant en avril 1961 à Jérusalem. Hannah Arendt couvrit le procès Eichmann pour le magazine The New Yorker. Dans son oeuvre, elle décrit un homme carriériste, qui ne sembla éprouver ni culpabilité ni haine, et revendiquait même avoir fait son devoir. Eichmann fut tout simplement, « banal», un personnage ordinaire, sans envergure, qui adhère au système normatif qui lui est présenté, et ne fait pas l'effort de penser. Cette absence de pensée relève de la responsabilité personnelle, et l'on pourrait dire, en somme, que penser, c'est apprendre à désobéir (à la propagande, au totalitarisme, à l'idéologie...).
1.6 Autorité et harcèlement
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Toutes mes recherches ont démontré que l'autorité et le harcèlement sont des antinomies dans l'exercice du pouvoir. Le harcèlement est l'apanage d'un pouvoir exercé de façon abusive par le leader (qui, encore une fois, est le leader effectif, lequel ne rejoint pas systématiquement celui qui est nommé officiellement leader), et s'oppose à un exercice du pouvoir juste, fondé sur l'autorité (qui, là encore, n'est pas nécessairement l'autorité officielle). «Car le harcèlement implique des logiques de pouvoir et de groupe qui relèvent du totalitarisme : totalitarisme de la pensée où le sujet est éradiqué dans sa conscience morale et sa liberté, totalitarisme de l'action instrumentalisée, totalitarisme de l'interchangeabilité humaine, de la délation, du contrôle absolu'.» Le harcèlement est l'instrument du pouvoir qui n'est pas légitime2, et doit donc, pour conduire à l'obéissance, s'imposer par la force et la violence, la suppression du lien social. 1. Bilheran, A. (2011). «De la soumission psychologique au travail. Comment un harceleur parvient à soumettre tout un groupe d'adultes bien constitués, et ce qui s'ensuit», in Les Cahiers des Facteurs Psychosociaux. 2. Bilheran, A. (2009). L'autorité, Paris, Armand Colin, et (2009). Harcèlement. Famille, Institution, Entreprise, Paris, Armand Colin.
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Les processus psychologiques qui le constituent entraînent la soumission, pour obtenir l'aliénation ou la destruction. Pour le dire brièvement, le harcèlement est un processus appelant à la haine de l'autre et à la brisure du lien social. Le groupe s'en remet au harceleur pour qualifier ce qui est bien et ce qui est mal, et c'est bien évidemment tout l'inverse du vrai bien (qui produit augmentation de la vie) et du vrai mal (qui entraîne destruction et mort). Car le groupe, puisqu'il tolère l'existence du harcèlement, s'inscrit dans une logique de soumission et d'asservissement. Le phénomène harceleur est bien totalitaire. Dans le harcèlement, tout le monde surveille tout le monde, et l'arbitraire sévit massivement. Tous convergent néanmoins vers le renforcement d'une situation psychiquement intenable, où le pouvoir est exercé de façon pathologique, omnipotente, dans une loi inversée du monde, où les personnes intègres sont persécutées tandis que celles qui se soumettent sont valorisées. La Loi, au lieu d'occuper une fonction civilisatrice de tiers bienveillant, est détournée de façon arbitraire, et il n'existe plus de contre-pouvoir régulateur, grâce auquel un harcèlement n'aurait pu s'installer durablement. Ainsi, le harcèlement est absolument aux antipodes de l'autorité, laquelle confère légitimité au pouvoir, qu'elle fonde sur la vérité, les valeurs morales, la tradition et la transcendance. Management féminin Il n'est en effet pas rare de voir des managers harceler, donc abuser de leur pouvoir mais pas non plus rare de voir des managers faussement accusés de harcèlement, tout simplement parce que l'exercice de leur autorité est contesté. C'est le cas pour Jenny, qui est un manager femme dans un département comptabilité de la fonction publique. L'un des managés ne supporte pas, par présupposé machiste, être sous l'autorité d'une femme. Il entreprend alors toute une cabale d'accusation de harcèlement à l'encontre de Jenny, fabriquant de fausses preuves et tentant de soudoyer des témoins. Cette campagne accusant Jenny de harcèlement pour méconnaître toute légitimité à son autorité de femme est en soi un harcèlement à son encontre. Les syndicats se divisent le cas, l'un prend le parti du calomniateur, l'autre de Jenny, à la fin ce n'est que lorsque Jenny finit par indiquer qu'elle va porter plainte au pénal pour diffamation au sein de sa structure professionnelle que les accusations cessent. Ici, le rappel à la Loi permet de remettre chacun à sa place, et fait œuvre d'autorité. Mais cela démontre encore une fois que pour que l'autorité fonctionne, encore faut-il qu'elle soit reconnue comme telle, ou qu'une autre la validant s'y substitue.
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2. Les pathologies de l'autorité Certaines catégories nosographiques sont davantage en lien avec la question de l'autorité et de l'autoritarisme. Comme je l'ai décrit supra, il s'agit d'une part, du lien au Surmoi archaïque, ainsi qu'à la dimension anale de la tyrannie, d'autre part, de la déclinaison du complexe d'CEdipe. Ces différentes dimensions affichent un rapport à l'emprise, à la manipulation et à la séduction. Tout ceci évoque une relation particulière à la contrainte. Bien évidemment, je n'aborderai ici que des catégories nosographiques qui n'ont que rarement de correspondant strict dans la clinique des sujets. La pathologie de l'autorité consiste en un lien pathogène à la contrainte. Dans un premier cas (les pathologies tyranniques), le sujet contraint l'autre tout en refusant pour lui-même la contrainte, dans un deuxième cas (les pathologies obéissantes), le sujet s'aliène à la contrainte, dans un troisième cas, le sujet se rebelle contre toute forme de contrainte. La santé psychique dans le rapport à l'autorité est extrêmement rare, et elle constitue à elle seule une oeuvre majeure de civilisation. Dès lors, chacun doit se questionner sur son propre rapport au pouvoir, et sur son idéal d'autorité, afin de progresser sur la question.
2.1 Les pathologies tyranniques Les pathologies tyranniques sont, dans la nosographie, à rechercher plutôt du côté de la psychose paranoïaque et de la perversion. La psychose paranoïaque Dans la psychose paranoïaque (Barthélémy, Bilheran, 2007), le monde est vécu sur le mode de la persécution et de la « légitime» défense. Le sujet paranoïaque contrôle les autres par peur d'être lui-même contrôlé. Il les persécute, par crainte d'être persécuté. Il craint que le monde ne lui échappe. Souvent, la paranoïa renverse les discours et prône être seule détentrice du discours sur le bien en lutte contre le mal, dans un monde dont les valeurs morales sont édictées de façon inversée : ce qui est nommé « mal » est en réalité le bien, et vice versa. Par l'hypertrophie du Moi qui la caractérise, la psychose paranoïaque s'illustre par un autoritarisme forcené, parfois sous le mode du chantage, 131
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souvent sous celui de la manipulation. D'ailleurs, des processus de type pervers sont à l'oeuvre dans la paranoïa : «la perversion, qui est un outil de la psychose paranoïaque pour instrumentaliser autrui au service d'un pouvoir abusif, est utilisée pour renverser les valeurs, manier l'injonction paradoxale, désigner comme victime le coupable, et coupable la victime'.» Le sujet est lui-même assujetti à un totalitarisme de la persécution, qu'il fait alors subir aux autres, cherchant à les neutraliser d'emblée, de peur d'être un jour menacé par leur présence, leurs pensées, leurs actes... La perversion La perversion est aussi une pathologie du contrôle, qui se caractérise est l'emprise, c'est-à-dire le contrôle de l'autre, pour l'utiliser comme instrument à ses propres fins. L'organisation psychique perverse demeure pour partie dans l'indifférenciation sexuelle, c'est-à-dire dans l'absence d'intégration du complexe d'CEdipe. Or, pour respecter l'autre, accéder à l'altérité, s'inscrire dans une filiation et dans le respect des Anciens, l'on doit pouvoir être au préalable séparé de lui. De plus, dans la perversion, la figure maternelle est vécue comme phallique, et la figure paternelle en tant que figure d'autorité n'a guère de place. Le contrôle autoritaire diligenté par la perversion se décline sur le mode de la séduction, de la corruption, de la perte de sens. La perversion estime que la jouissance lui est due, qu'elle est impérative, immédiate, et que cet impératif justifie d'aliéner l'autre, au moyen d'une savante manipulation. Ici, «la fin justifie les moyens», en somme, d'utiliser comme un moyen ce qui est une fin en soi (un humain), au profit de sa seule jouissance non partagée. Cette aliénation consiste à confisquer à la victime sa capacité de parole, de désir et de consentement. Pour le pervers, l'autorité n'existe pas, puisque luimême «sait tout», et c'est à partir de ce supposé savoir qu'il s'auto-attribue,
1. Cf. Bilheran, A. (2015). «Des mécanismes de défense à l'ceuvre au sein d'un collectif de travail en situation de harcèlement », in Psychologues & Psychologies.
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qu'il ne cesse de provoquer l'angoisse et la division de l'autre, dans une équivalence entre dominer et jouir'. Perversion vs autorité La perversion est une manière subtile de feindre l'autorité tout en la contournant, et l'évinçant. Conduire n'est en effet pas séduire. L'on retrouve les dégâts de la perversion dans l'éducation des enfants notamment. Par exemple, le parent ou éducateur pervers ne dira pas «mange de tout, car tu dois manger équilibré pour bien grandir», mais «mange de tout, cela me fera plaisir». Ou encore «ne tape pas ton camarade car c'est interdit, on ne frappe pas» sera remplacé par «si tu arrêtes de taper, je te donne un chocolat». Ou encore, la perversion usera toujours d'injonctions paradoxales au sein desquelles l'enfant ne saura plus se retrouver, par exemple «ne mange pas de bonbons c'est plein de sucre et de colorants» et dans le même temps «si tu es sage je t'achèterai des bonbons». Ou enfin, elle peut surgir via les grands-parents contredisant l'éducation parentale derrière le dos des parents. Par exemple, les parents de Lucile ont toujours refusé de lui acheter un téléphone mobile. Lucile a 11 ans. Les grands-parents paternels le lui achètent dans le dos des parents, lesquels sont divorcés. La mère est mise devant le fait accompli, et devant le prix du téléphone en question, cède. Il est donc question de ne pas le dire au père, qui le découvre ensuite. L'enfant a été incitée à mentir à son père. L'on voit bien, là encore, qu'avec la perversion, il s'agit toujours de nuire à l'autorité, en incitant au mensonge, à la dissimulation, à transgresser l'autorité parentale et/ou légale par une alliance perverse (contre du plaisir... ici, celui de détenir le téléphone mobile interdit), et à satisfaire tous les désirs de l'enfant sans leur poser des limites. Force est de constater que la perversion est souvent omniprésente au quotidien, de par la diabolisation de l'autorité traditionnelle et les facilités qu'elle octroie en s'économisant le conflit avec l'enfant. Il est beaucoup plus facile de manipuler un enfant que de l'éduquer.
2.2 Les profils obéissants La névrose obsessionnelle est souvent considérée comme une catégorie nosographique «obéissante », qui se soumet au chef. Dans la névrose obsessionnelle s'inscrit souvent de la pensée magique, pensée que le sujet substitue à l'action, ce qui le rassure et le persuade ainsi, au lieu de prendre ses responsabilités dans l'action, qu'il n'a plus besoin d'agir, puisqu'il pense. La pensée magique est une croyance de l'enfant (vers l'âge de 2-3 ans) en la toute-puissance des idées.
1. Pour approfondir, voir Bilheran, A. (2016). « Éléments de repérage des personnalités perverses et paranoïaques», in Romano H., Izard E. (dir.), Danger en protection de l'enfance, Paris, Dunod.
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Actuellement, l'on peut en voir des stigmates très clairs dans la «pensée positive», où il suffirait de «penser positif» pour que le monde change. Ainsi, si vous pensez très fort à la paix dans le monde, alors il y aura la paix ! De la sorte, la personne s'exonère de toute action, de tout danger de l'action, de toute responsabilité de l'action, et s'en dessaisit au profit de divers gourous, outils ou instances, auxquels elle conférera tous les pouvoirs surnaturels. Il s'agit là d'une autorité de type archaïque, que nous avons plutôt décrite sous l'angle d'un autoritarisme ou d'une aliénation tyrannique, y compris à une idéologie. De plus, par la pensée positive, elle feint de se déculpabiliser, car elle aura « agi », en «pensant très fort ». Dans la névrose obsessionnelle, outre la pensée primitive, l'on peut aussi évoquer le statut de la culpabilité, qui vient aliéner le sujet à l'endroit de son désir, et l'empêche également d'agir en nom propre. La névrose obsessionnelle ne se pose pas la question de la légitimité de l'autorité. Elle vient obéir, parfois aveuglément, aux fonctions sociales d'autorité : dans tous les cas, seule l'obéissance compte et rassure. Les Erinyes: Bienveillantes Malveillantes Dans son roman Les Bienveillantes, Littell présente un personnage, Max Aue, qui n'approuve pas, à titre personnel, l'Holocauste, ni le génocide, mais se retrouve dans une fonction d'exécutant, par loyauté et obéissance à l'égard du régime nazi. Le sentiment d'accomplir un devoir moral à l'égard des autorités politiques, sans distinction de l'autorité légitime et de l'autoritarisme, implique pour lui d'écarter sa morale personnelle et toute compassion. Ce n'est pas ici par plaisir ni adhésion au régime que le personnage en vient à commettre des actes criminels, mais par pure obéissance et loyauté aux chefs politiques. Le cas d'Eichmann, cité supra, se rapproche sensiblement de ce personnage romanesque, Eichmann qui disait n'avoir fait que son devoir.
2.3 Les profils rebelles Les profils psychopathologiques rebelles à l'autorité sont essentiellement les sujets de type états-limites et hystériques, qui ont d'ailleurs bien des traits en commun. De mon point de vue, ces profils rebelles ne sont pas pathologiques lorsqu'ils s'inscrivent dans une désobéissance à l'autoritarisme, et interrogent la justesse comme la justice de l'exercice du pouvoir. Ils peuvent le
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devenir, lorsque la contestation au pouvoir ne fait pas l'objet d'un discernement, dans une rébellion systématique à un pouvoir exercé avec une juste autorité. L'hystérie Dans l'hystérie, l'autorité reconnue est celle des idéaux œdipiens. C'est donc au nom de ces idéaux que le sujet hystérique attaque les dysfonctionnements de l'autorité, et se met souvent en difficulté lui-même à contester seul les manquements institutionnels. Dans l'hystérie, le fantasme est un fantasme oedipien qui lie à la fonction paternelle. La fonction d'autorité y est interpellée ; elle doit faire preuve, aux yeux de l'hystérique, de la légitimité de son savoir et de son pouvoir. L'hystérique est celui par qui le scandale arrive, celui qui voit puis qui dénonce. Cette catégorie nosographique concerne essentiellement les femmes, et bien sûr, l'on peut aussi y lire la valeur initiatrice et morale du féminin, qui avait déjà été célébrée par les Égyptiens puis les Grecs anciens. Souvenonsnous d'Antigone, qui défend la loi morale universelle des dieux, contre Créon, qui défend l'intérêt particulier de la cité. Les états-limites Dans les états-limites, la contestation des déficiences en autorité revêt un caractère parfois plus violent, que l'on retrouve par exemple dans certains passages à l'acte dirigés contre une institution (sabordages, etc.). Souvent, l'autorité de la fonction paternelle n'est pas seulement interpellée dans sa légitimité, comme dans l'hystérie, mais radicalement contestée. Le sujet confond fréquemment autorité et autoritarisme, et rejette les limites en bloc, tout en connaissant leur existence. La rébellion à la pseudo-autorité Les profils rebelles peuvent l'être en parfaite légitimité, si l'autorité alléguée est en réalité une imposture. Dans ce cas, la pathologie de l'autorité se trouve bien plutôt du côté de l'escroquerie, de celui qui emprunte la fonction d'autorité sans en avoir ni la légitimité ni la compétence. Dans l'expérience de Christophe Nick, évoquée supra, seul un quart des sujets n'a pas consenti à obéir aveuglément. Selon une étude menée 135
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ultérieurement par des psychosociologues de l'Université de Grenoble, plusieurs variables individuelles ont été analysées en lien avec l'obéissance. Plus les participants se caractérisaient par un niveau élevé d'esprit consciencieux, plus le niveau moyen des chocs administrés était élevé, de même pour ceux ayant un niveau élevé d'amabilité. «Ainsi, ceux qui sont habitués à être aimables et organisés, et dont l'intégration sociale est irréprochable (on sait que ces deux traits sont liés à moins d'agressivité, d'usage de substances, de délinquance, de prise de risque sexuelle, à des compétences parentales plus élevées, plus d'ambition et un niveau d'étude plus élevé), ont davantage de difficultés à désobéir.» De plus, et fait très intéressant, l'étude indique qu'il existe un lien entre l'activisme politique et la rébellion : les personnes ayant déjà réalisé (ou été disposées à réaliser) divers actes de contestation sociale refusaient plus rapidement de continuer que les autres. Ainsi, dans des situations incitatives, hors normes, les auteurs d'actes barbares sont, en grande partie, des «honnêtes gens», aux profils obéissants, tandis que les profils plus « antisociaux », plus délinquants dans des temps « normaux » ont intégré une capacité de résistance et ont une plus grande propension à respecter ce qu'ils se sont érigé en valeur humaine et morale.
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3. Psychologie du chef
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Les fonctions de pouvoir attirent souvent ceux qui aiment commander. Mais aimer commander n'implique pas de savoir commander, bien au contraire. Le bien commander est lié à l'autorité, à ses vertus morales, et non à un désir de jouissance et d'emprise. Qu'est-ce qu'un chef? Quelle est sa psychologie ? Quels sont ses attributs ?
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3.1 Le commandement et ses vertus Un commandement bien mené est composé de pouvoir et d'autorité. Souvent, dans la rébellion, sous le prétexte de l'autorité, c'est le pouvoir, dans sa forme contraignante, qui est rejeté. Mais l'autorité peut être également rejetée du simple fait qu'elle est jugée asymétrique, dans le refus d'une dette symbolique (par exemple, la dette
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symbolique à l'héritage du passé), qui place le sujet dans une dépendance qu'il refuse. Pour ceux qui souhaitent en revanche exercer le commandement par ambition carriériste, l'autorité est alors confondue avec le pouvoir : c'est souvent le pouvoir que l'on veut, sans la difficulté de l'autorité, qui seule légitime ce pouvoir. La prudence La vertu du bon commandement réside selon Aristote dans la prudence, c'est-à-dire la faculté de délibération (recherche des moyens en vue d'une fin: prévoir l'efficacité respective des moyens donnés en vue d'une fin déjà connue, Aubenque, 1963, p. 110) : «La délibération est donc la condition sans laquelle l'action humaine ne peut être une action bonne, c'est-à-dire vertueuse» (ibid., p. 116). La personne d'autorité sait délibérer, c'est-à-dire mesurer de la façon la plus rationnelle possible une situation donnée, afin de saisir la meilleure possibilité, ce qui, en raison de la contingence, comporte toujours une part de risque. Cela suppose de se mettre en situation d'assumer les risques inhérents à ses choix (cf. infra). Ainsi, ce qui caractérise le bon chef, d'après Aristote, est la prudence, qui est une sagesse pratique au service de l'action, manifestant capacité de délibération et de décision. Il serait dommage d'oublier qu'Aristote fut d'ailleurs le précepteur d'Alexandre le Grand... Prudence et autorité «De l'avis général, le propre d'un homme prudent c'est d'être capable de délibérer correctement sur ce qui est bon et avantageux pour lui-même mais d'une façon générale, quelles sortes de choses par exemple conduisent à la vie heureuse. [...] il en résulte que, en un sens général aussi, sera un homme prudent celui qui est capable de délibération E...] Peste donc que la prudence est une disposition accompagnée de règle vraie, capable d'agir dans la sphère de ce qui est bon ou mauvais pour un être humain. [...] C'est pourquoi nous estimons que Périclès et les gens comme lui sont des hommes prudents en ce qu'ils possèdent la faculté d'apercevoir ce qui est bon pour eux-mêmes et ce qui est bon pour l'homme en général, et tels sont aussi, pensonsnous, les personnes qui s'entendent à l'administration d'une maison ou d'une cité. [...] En effet, les principes de nos actions consistent dans la fin à laquelle tendent nos actes; mais à l'homme corrompu par l'attrait du plaisir ou la crainte de la douleur, le principe n'apparaît pas immédiatement, et il est incapable de voir en vue de quelle fin et pour quel motif il doit choisir et accomplir tout ce qu'il fait, car le vice est destructif
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du principe. Par conséquent, la prudence est nécessairement une disposition, accompagnée d'une règle exacte, capable d'agir, dans la sphère des biens humains» (Aristote,
Éthique à Nicomaque). Aristote ajoute que la prudence est souvent la vertu des personnes d'expérience.
L'audace et le risque D'après Delsol (1994), le bon chef est celui qui prend des risques. Dans la mesure où son destin individuel est la manifestation du destin collectif, il est celui qui prend le plus de risque pour l'idéal collectif qu'il se propose de défendre. C'est aussi ce que Yavetz dit de César : «Les grands chefs de guerre de l'Histoire sont soit des hommes méticuleux et rigides, attachés au respect maniaque des règlements au camp et sur le champ de bataille, soit des esprits imaginatifs, imprévisibles et originaux. [...] Jules César était de la race de ces derniers, et il est permis de penser que ces qualités étaient chez lui innées et ne devaient rien aux manuels d'arts militaires» (Yavetz, 1990, p. 184). L'exemplarité De la même façon, le chef qui incarne l'autorité se doit d'être exemplaire, c'est ainsi qu'il acquiert de la légitimité (cf. l'exemple supra de la Lettre au père de Kafka, où les règles que le père fixait n'étaient au final valables que pour les autres). «Plus important encore, César a su d'emblée commander par l'exemple. Avant chaque bataille il instruisait lui-même ses soldats, qu'il impressionnait, en les traitant, comme un maître d'armes ses jeunes gladiateurs. Aux moments difficiles, il stimulait leur ardeur au combat, par son assurance, son énergie et son sens de l'humour, et, lors du premier assaut, il n'hésitait pas à prendre la tête de ses troupes. Les hommes l'aimaient et le respectaient, sans qu'il n'ait jamais toléré la moindre entorse aux règles d'une discipline impitoyable. Tout au long de la guerre des Gaules, il n'y eut pas une seule mutinerie sérieuse parmi ses troupes» (op. cit., p. 185).
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La reconnaissance et le respect de tous Enfin, l'autorité impulse la reconnaissance d'autrui et des actions louables d'autrui, dans le concert de valeurs universelles partagées. L'autorité ne divise pas, elle rassemble et reconnaît le mérite là où il se trouve, indépendamment
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des titres et honneurs. C'est ainsi que César se moquait des « spécialistes » de la guerre qu'étaient les membres de l'état-major, et récompensait toute action servant l'intérêt collectif. Mais, bien plus, il traitait à part égale le bas et le haut de l'armée : «Les spécialistes de la chose militaire font l'éloge de ses qualités exceptionnelles de chef : il savait stimuler ses hommes, se moquait volontiers des réunions d'état-major, où dominaient généralement les esprits trop prudents, louait l'esprit d'initiative des officiers les plus audacieux, capables de résoudre un problème de manière peu conventionnelle, encourageait les contacts directs entre les soldats et leurs supérieurs, entre les officiers et le général en chef. Le legatus legionis jouissait dans son armée d'un rang plus élevé que le tri bunus militum, mais c'étaient les centurions qui en constituaient l'épine dorsale. C'étaient eux qui, avant la guerre civile, expliquaient aux soldats qu'il valait mieux être un miles Caesaris qu'un miles Pompeii » (op. cit., p. 184-185). Sans les centurions, en effet, l'armée n'aurait su exister, et les quelques dirigeants de l'entreprise moderne qui ont de l'autorité savent que la culture d'entreprise est portée par la base et le middle management, et que ce sont eux qui sont détenteurs de l'activité productive et créatrice de l'entreprise, de sa survie.
3.2 Le mauvais chef Le mauvais chef est celui qui entraînera ses équipes ou une foule vers la destruction. Il est soit tyran, soit manipulé par un tyran, servant ainsi de marionnette de fortune pour les circonstances. Au Livre XI de La République, Platon examine le caractère de l'homme tyrannique, et dit qu'il est d'abord soumis à la «tyrannie d'Éros ». Il n'est pas libre, mais est l'esclave de ses passions, soumis à la partie inférieure, ETÉLTUIIUX, qui ne recherche que la jouissance, sans se soumettre aux deux parties supérieures de l'âme, la partie rationnelle, et la partie morale, qui recherchent le courage et les honneurs. Le tyran, n'obéissant qu'à la partie animale de lui-même, requiert de la foule qu'il en soit de même, et annihilera de ce fait les humains qui se sont élevés aux parties supérieures de l'intelligence et de la vertu de l'âme.
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3.3 Le bon leader Freud notait dans son analyse des foules : «les foules sont également capables, sous l'influence de la suggestion, de grands accès de renoncement, de désintéressement, de dévouement à un idéal. Alors que chez l'individu isolé l'intérêt personnel est le mobile à peu près exclusif, c'est très rarement celui qui prédomine chez les foules» (1921, p. 150-151). Ce renoncement et cet idéal sont alors portés par le leader de la foule, qui incarne plutôt une dynamique œdipienne, que précedipienne. C'est ainsi que le comportement éthique des foules peut s'élever au-dessus de la morale individuelle, lorsque le meneur est traversé lui aussi par un idéal qui éveille la vie fantasmatique de la foule. Ici, le pouvoir n'est qu'un instrument et non une fin, et sans doute, l'autorité, en venant légitimer le pouvoir, le réduit toujours à sa place d'instrument et non de fin. À la régression de la horde sauvage peut répondre la sublimation d'une foule menée par un leader ayant de l'autorité. «Le meneur de la foule demeure toujours le père originaire redouté, la foule veut toujours être dominée par une puissance illimitée, [...] elle a [...] soif de soumission. Le père originaire est l'idéal de la foule qui domine le moi à la place de l'idéal du moi» (ibid., p. 219). Dans tous les cas, «l'individu abandonne son idéal du moi et l'échange contre l'idéal de la foule, incarné dans le meneur» (ibid., p. 222). C'est ainsi qu'un Alexandre, systématiquement conseillé par Aristote, respectueux des usages et cultures locales, n'est pas un Attila. Dans le premier cas, le meneur tend à une oeuvre de civilisation plus importante, à des constructions, à des arts, à la promotion de la pensée; dans le second cas, le meneur ne vise qu'à la destruction. L'autorité est porteuse de la pulsion de vie, pas de la pulsion de mort, qui ne se manifeste que sous l'emprise. Le père de la horde primitive (cf. supra) est un tyran omnipotent, qui ne laisse aucune issue à la castration. Sa toute-puissance incarne un danger psychologique extrême : «Les effets ravageurs de la figure paternelle s'observent avec une particulière fréquence dans les cas où le père a réellement fonction de législateur ou s'en prévaut, qu'il soit de ceux qui font les lois ou qu'il se pose en pilier de la foi, en parangon de l'intégrité ou de la dévotion, en vertueux ou en virtuose, en servant d'une oeuvre de salut de quelque objet ou manque d'objet qu'il y aille, de nation ou de natalité, de sauvegarde ou de salubrité, de legs ou de légalité, du pur, du pire ou de l'empire, tous
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idéaux qui ne lui offrent que trop d'occasions d'être en position de démérite d'insuffisance, voire de fraude et pour tout dire d'exclure le nom-du-père de sa position de signifiant» (Lacan, 1966, p. 579). À l'inverse, le bon leader est une figure paternelle qui incarne l'autorité en ce que lui aussi est soumis à la loi qu'il se donne et donne aux autres : «S'il représente la loi qui existe en dehors de lui, c'est donc que lui-même y est soumis. Contrairement à la figure du père idéal, le père est marqué par le manque, la castration et la finitude. Et c'est dans la mesure où il ne se prend pas pour le Maître, pour le père idéal (que comme tout un chacun il porte en lui) qu'un tel père relativisera l'emprise sur l'enfant de la figure surmoïque du père idéal» (Hurstel, 1997, P. 67). En somme, le bon leader sait faire preuve de prudence et d'audace, faire valoir la reconnaissance de chacun et faire montre d'exemplarité. Il se soumet à la loi qu'il donne aux autres, et fait de l'égalité un concept dérivé de la liberté. Il ne s'agit pas de réclamer l'égalité de fait, d'égaliser les situations, car toute inégalité n'est pas nécessairement une atteinte aux droits de l'homme. Elle ne l'est qu'à partir de l'instant où elle entraîne un asservissement. Le bon leader permet plutôt d'établir autant que possible les conditions de l'autonomie de chacun (donc de développement de potentialités), au sein d'un fonctionnement collectif dévoué à un idéal commun. Enfin, l'on pourrait également ajouter que le bon leader connaît les vertus de la parole, et se manifeste en orateur plus qu'en sophiste (il ne manie pas le langage pour manipuler, mais pour élever la pensée). Le philosophe et le commandement Pour reprendre La République de Platon, seul le philosophe a les aptitudes au commandement, car il aime la sagesse et a un idéal de cité idéale. Peu importe que cette cité idéale soit réalisable ici-bas, d'ailleurs: «Il en existe peut-être un modèle dans le ciel pour celui qui souhaite le contempler et, suivant cette contemplation, se donner à lui-même des fondations. Que cette cité existe quelque part, ou qu'elle soit encore à venir, cela ne fait d'ailleurs aucune différence, car cet homme ne réaliserait que ce qui appartient à cette cité, et à nulle autre.» (La République. Livre IX, 592b). Néanmoins, et parce qu'il est philosophe, il ne briguera pas le pouvoir terrestre, le trouvant bien fade en comparaison au monde céleste des Idées.
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Chapitre 5 Préludes thérapeutiques
Sommaire 1. Fonctions et finalités de la parole
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2. La fonction cadre
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3. Le thérapeute: une autorité'
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Dans ces préludes thérapeutiques, l'autorité sera considérée sous l'angle de la thérapie analytique, parce qu'elle véhicule un projet d'autonomisation psychique, et afin d'éviter de disperser le propos dans une présentation descriptive de multiples thérapies. D'ailleurs, la thérapie analytique en soi est un travail d'autorité, car d'autonomisation psychique et affective. C'est ainsi que l'analyste se retrouve en position d'autorité, tant dans la fonction qui lui est dévolue que dans le symbole de sa position. Tout d'abord, la thérapie analytique transforme l'agir et l'éprouvé en parole, et il a beaucoup été question, dans cet ouvrage, des liens entre autorité et parole. De plus, elle travaille sur le cadre, comme modalité à la fois séparatrice et sécurisante, dans des correspondances assez troublantes à la fonction paternelle, détaillée par ailleurs (interdit de l'inceste, distinction plaisir/réalité, importance de la temporalité, etc.). Enfin, le thérapeute est souvent investi d'un «supposé savoir », qui l'érige en modèle pour le patient, modèle en corrélation avec le transfert.
1. Fonctions et finalités de la parole Nous avons évoqué la parole qui fait autorité, ainsi que le statut majeur de la parole dans la relation d'autorité. La thérapie analytique considère que la parole est thérapeutique en soi, du moins la parole juste. Il s'agit d'un travail de symbolisation, c'est-à-dire de transformation de la violence des éprouvés et de l'agir en parole. C'est ainsi que tout peut se parler. La libération des entraves intérieures passe par le dire, qui est une levée des tabous, c'est-à-dire des interdits de penser. Une fois l'interdit parlé à l'Autre, il devient inter-dit, et libère des éprouvés assimilés. Par exemple, un patient portait, bien des années après, la honte et la culpabilité liées à des avances sexuelles que lui avait faites son enseignant, lorsqu'il était en école primaire. La narration en séance de ce qu'il n'avait jamais révélé auparavant, croyant être l'auteur d'une faute inavouable, provoqua une libération instantanée de l'éprouvé de honte et de culpabilité. C'est ce que nous nommons «décharge affective », ou catharsis (purgation des passions, cf. La Poétique d'Aristote), qui est rendue possible par la parole, et sans laquelle la libération des éprouvés enkystés ne peut se
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Psychopathologie de l'autorité
produire. Le thérapeute est celui qui, en quelque sorte, « garantit » la parole du patient, s'en porte le garant, et lui « autorise » une crédibilité concernant l'héritage et le passé. La thérapie met ainsi des mots sur les maux, et permet l'élaboration de la pensée dans la parole et l'échange symbolique au travers du langage. User de la parole, de sa parole, c'est aussi apprendre à répondre de soi, de ses actes et des conséquences de ses actes, donc, la responsabilité. La parole prononcée engage le sujet qui la prononce, et la thérapie consiste à apprendre à prononcer une parole de vérité, une parole juste pour soi, et à considérer, grâce au travail de mise en sens, les épreuves, les situations et son histoire sous l'angle le plus juste qui soit.
1.1 Le savoir sur soi La thérapie tisse, au fur et à mesure du travail, un lien entre le passé et le présent, un lien sur soi, sur son héritage familial, une « auto-historicisation ». La finalité thérapeutique est la constitution d'un savoir (y compris biographique) sur soi, qui permette une autonomisation psychique et affective. Ce savoir sur soi advient dans le passage de l'inconscient au conscient : «[la] traduction de cet inconscient en conscient dans le psychisme du patient doit avoir pour résultat de ramener ce dernier à la normale et de supprimer la contrainte à laquelle est soumise sa vie psychique. En effet la volonté consciente s'étend partout où des processus psychiques conscients se produisent et toute contrainte a sa source dans l'inconscient. [...] Ce n'est qu'en faisant usage de nos énergies psychiques les plus élevées, toujours liées à l'état de conscience, que nous pouvons maîtriser nos pulsions» (Freud, 1918, p. 20). Le terme «à la normale» devrait plutôt être remplacé par «à l'équilibre », car il s'agit non pas tant de trouver une normalité, qu'un équilibre intérieur. Il n'est par exemple pas équilibré de garder une rancune, comme il ne l'est pas non plus de s'en décharger sur autrui. La voie du « juste milieu » implique en revanche d'apprendre à exprimer sa rancune pour gagner en communication et compréhension, pour s'en défaire tout en ne créant pas de situations bloquantes dans son rapport à autrui. Dans les séances thérapeutiques, pour comprendre un patient, que reconstitue d'ailleurs le thérapeute, avant toute chose, avec lui? Une biographie... Cette histoire de soi constitue un enracinement du passé au présent, au travers de la filiation, de l'histoire familiale et de la
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permanence de son identité propre (identité narrative). Or, la dimension temporelle de l'autorité, ainsi que sa traçabilité dans la durée ont été soulignées précédemment. Car l'autobiographie ne consiste pas tant en une recherche de cause, que dans une interprétation de motifs exposée par le patient lui-même. Par elle, le patient se vit comme un être non seulement historique mais surtout un être temporel, un individu qui, parce qu'il a une histoire et un passé, est capable de projeter un avenir. Quoi qu'il en soit, toutes les approches incitant le sujet à « oublier » me paraissent fallacieuses. Elles incitent au refoulement, à l'endroit où il s'agit plutôt d'apprendre à transformer et symboliser. Elles contreviennent au bon sens le plus élémentaire de la nature, d'après lequel un arbre ne saurait se couper de ses racines, et se reconnaît à ses fruits. Loin de favoriser l'oubli, le travail sur l'autorité mène à accepter l'ancien, à le transformer pour y puiser matière à évolution personnelle. Toute incitation à l'oubli n'est en réalité qu'une incitation à la barbarie, car c'est bien la barbarie qui fait fi du passé, des Anciens, de la transmission et des œuvres de l'humanité. Le rôle du clinicien avec le patient est d'abord de l'aider à effectuer un travail d'élaboration autobiographique sur les événements de sa vie. Il doit conduire le patient à auto-historiciser son histoire par une mise en récit, qui permette un développement de subjectivation et d'intersubjectivité. Ce faisant, il autorise le patient à élaborer sur sa souffrance, pour s'en libérer et s'autonomiser davantage sur le plan psychique. Le thérapeute tient lieu «d'appareil à penser les pensées» (Sion, 1962), au sein duquel pourront s'exprimer les figures de l'horreur et de la violence. Il est un dépôt de l'angoisse existentielle du patient. Il permet ainsi d'ouvrir des espaces psychiques privés. « Privatiser » la pensée, lui conférer un espace pour son expression libre dans une intimité préservée, permet de renouer avec une temporalité propre, non assujettie à l'autre, et cela ne peut passer que par un travail subjectif de reconstruction autobiographique. C'est d'ailleurs ce que souligne Pierre Delion. Raconter son histoire à un alter ego permet d'ériger le passé en monument: «L'émergence de son histoire en fait aussitôt une histoire partagée entre ces deux personnes, si bien que l'historicité peut être entendue comme la qualité de ce qui émerge là et va toucher l'autre à qui l'histoire est contée. Cela vaut aussi bien pour une histoire singulière que pour celle d'un groupe, d'une institution» (2004, p. 14). Il s'agit alors d'une «constellation transférentielle» (ibid., p. 15), où quelqu'un raconte son histoire à un autre,
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dans une communauté partagée de la narration : «c'est dans le cadre de ces constellations qu'il me semble possible de tenir la gageure de retenir la chronicité du côté de l'historicité transférentielle et de l'empêcher de sombrer dans la sédimentation anhistorique » (ibid.). Ainsi, la psychothérapie est le lieu où s'établit l'ordre de succession. Elle est ainsi le lieu de reformulation de l'historicité du Moi permettant enfin l'appropriation des «objets temporels» et, partant, d'une temporalité existentielle. La reconstitution biographique est donc la possibilité d'instaurer une continuité, qui donne progressivement au patient l'opportunité de conceptualiser un « avant » et un « après » dans une identité narrative, un temps de la succession et un temps de la simultanéité du récit, contribuant ainsi à la formation d'une subjectivité singulière. Le récit autobiographique est centré sur des événements, donc des actions ponctuelles et achevées, closes sur elles-mêmes (temps de l'aoriste grec). Mais le propre du récit est de créer des liens entre ces événements, donc de créer de la durée. Le thérapeute occupe ici le rôle de passeur, au travers de son vécu temporel, de médiateur temporel, et c'est en cela notamment que la thérapie est un travail d'autorité. L'autorité étant liée au temps, les pathologies de l'autorité doivent apprendre à s'inscrire dans le temps, dans la durée et le respect de la tradition. Pour cela, toutes les thérapies « minute » ou «recettes de cuisine» ne peuvent absolument pas suffire ni être satisfaisantes dans le traitement des problèmes d'autorité, c'est-à-dire, d'autorisation à devenir sujet de ses actes et auteur de sa parole.
1.2 La symbolisation thérapeutique De plus, la thérapie engage un travail sur la sécurisation affective et la déprise d'attitudes défensives contre l'angoisse, telles que le contrôle et la maîtrise. Le patient travaille sur ses éprouvés, la mise en lien de ses éprouvés, et de leur correspondance avec ses actes, mais aussi sur son Surmoi (préœdipien et œdipien), afin de se libérer de ses exigences excessives. Dès lors, le rôle du clinicien est de permettre l'accès à la symbolisation chez le patient. La symbolisation est un processus psychique qui transpose une représentation en symboles. De même que le symbole est mis à la place d'une idée ou d'un affect (et sur ce point, référons-nous à l'étymologie grecque du mot
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symbole : le «symbolon » était un morceau de tesson qui signifiait l'hospitalité amicale entre deux familles), de même la représentation symbolique est mise à la place de la représentation directe d'une scène. Il s'agit, comme le symbole, d'un intermédiaire entre l'idée ou l'affect (ou, plus précisément et plus rigoureusement, l'idée et l'affect qui lui est associé) et sa représentation brute. Le symbole remplace l'acte quand il fait défaut (le « symbolon » dit l'hospitalité quand elle n'est plus là, à distance, comme un gage de foi) ; la représentation symbolique remplace la représentation « brute » lorsqu'elle fait défaut. En somme, la représentation symbolique naît du refoulement. Mais le symbole n'est pas un signe comme un autre. Ou plutôt, à l'instar d'Hegel', il convient de distinguer signe et symbole. Les symboles mathématiques et logiques ne sont en effet que des signes, dans la mesure où le rapport entre le signifiant et le signifié est à l'origine purement arbitraire, de même que dans le langage. Par contre, la spécificité du symbole est de s'inscrire à partir d'un lien de signification commun entre représentant et représenté, qui motivera le rapprochement, et même le remplacement. Le propre du symbole est donc d'opérer par correspondances analogiques. Le symbole qui, analogiquement, correspondra le mieux à la représentation, ainsi qu'à l'idée et l'affect qui lui sont associés, sera privilégié à tout autre. Dès lors, la symbolisation est une oeuvre de transformation des éprouvés problématiques. Le caractère indispensable, pour le thérapeute, de cette fonction de médiateur de la symbolisation, est de faire figure d'immortalité et de repère (indestructibilité) mais aussi de souplesse. Il s'agit pour le thérapeute de conduire le patient à expérimenter une aire transitionnelle, qui articule la réalité interne et la réalité externe dans une séparation laissant place à un espace de pensée. Ainsi que le rappelle 'Winnicott, le rôle du thérapeute est fondamental, car il doit accompagner le patient dans cette symbolisation : «La psychothérapie se situe en ce lieu où deux aires de jeu se chevauchent, celle du patient et celle du thérapeute. [...] Le corollaire sera donc que là où le jeu n'est pas possible, le travail du thérapeute vise à amener le patient d'un état où il n'est pas capable de jouer à un état où il est capable de le faire» (1951-1953, p. 55). L'aire transitionnelle (qu'elle s'exprime dans le jeu pour les enfants ou dans les expériences artistiques et culturelles pour les
1. Dans le Cours d'esthétique.
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adultes, et pour tous, dans l'accès à l'humour) est l'aire du «faire semblant» et de la dotation de sens. Il convient de souligner par ailleurs l'importance du langage dans la thérapie. Le rapport au langage évoque un processus de symbolisation très élaboré. La façon dont la personne se raconte dans le langage traduit les processus psychiques qui la traversent. Segal évoque de fait que la symbolisation trouve un vecteur privilégié dans le langage : «La capacité de communiquer avec soi-même en utilisant des symboles est, je pense, la base de la pensée verbale. C'est la capacité de communiquer avec soi-même au moyen de mots. Les communications internes ne sont pas toutes de la pensée verbale, mais toute pensée verbale est une communication interne au moyen de symboles — de mots» (1986, p. 108). L'écrit peut occuper une place de choix dans la thérapie, pour les patients qui y sont sensibles. Le thérapeute est en situation de les inciter à écrire au plus près de leurs éprouvés au moment où ils les éprouvent, qu'il s'agisse de sentiments, d'idées fugitives, de pulsions, d'angoisse, de souvenirs, de rêves... Cet accès au plus intime de soi et sa symbolisation dans l'écrit me paraissent être extrêmement importants dans les thérapies sur l'autorité. Bien sûr, toute autre symbolisation est de nature à transformer les éprouvés, qu'il s'agisse de peinture, sculpture, chant, etc., mais ce qui se passe dans le langage, qu'il soit parole ou écrit, est d'une toute autre efficacité pour accéder à l'humanité de l'autorité. Travaux d'écriture Avec le temps, j'ai élaboré dans ma clinique un protocole d'écriture dont je me suis rendu compte qu'il donnait des fruits très satisfaisants. Ma méthode est la suivante: inciter le patient à écrire de différentes façons, rien n'est obligatoire bien sûr, c'est selon le désir et le temps que le patient a à consacrer à l'écriture comme aide à la symbolisation. Le premier exercice d'écriture que je donne entre les séances, je l'ai appelé « météo émotionnelle». La personne est invitée à tout arrêter à plusieurs moments de la journée, durant quelques instants, pour fermer les yeux, et prendre la « météo» de ses émotions. Comment se sent-elle? De là, il s'agit d'en rédiger quelques lignes, toujours de la façon la plus automatique possible, comme s'il s'agissait d'un « scanner » des émotions, sans jugement, et sans rajout de contraintes. Par exemple: «Triste. Je me sens triste car il pleut. Je pense à ces longs moments que je passais à regarder dehors par la fenêtre quand j'étais petite. J'espérais qu'ailleurs c'était mieux.» C'est une habitude à prendre, qui permet de creuser de nouveaux sillons dans l'introspection. Le deuxième exercice d'écriture est de type «écriture automatique» des surréalistes. La personne est invitée à écrire, sans se préoccuper cette fois-ci de ses émotions, tout ce qui lui passe par la tête, même si cela n'a ni queue ni tête, et même la censure qui pourrait poindre, par exemple
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«c'est nul ce que j'écris, ça n'a pas de sens», etc. Le troisième exercice d'écriture est ce que j'appelle «histoire traumatique». La personne est invitée, à son rythme bien sûr et quand elle le souhaitera, à écrire son histoire sous l'angle des traumatismes vécus. Il s'agit de rouvrir les fenêtres de chambres closes sur des épisodes que l'on sait avoir été douloureux, pour en récupérer le maximum de détails, qu'ils soient événementiels (que s'est-il passé, que s'est-il dit, etc.). décoratifs (comment était la pièce, comment étaient vêtus les gens, etc.), sensoriels (y avait-il des odeurs, des sensations désagréables, etc.). Il s'agit presque d'une reconstruction historique volontaire, destinée à lutter contre l'amnésie traumatique partielle, et contre la confusion dans la mémoire qui surgit souvent sur des événements douloureux que l'on préférerait effacer. Retrouver son histoire, c'est retrouver de la maîtrise, pouvoir identifier les émotions associées pour faire un travail spécifiquement dessus afin de les remettre à leur juste place, et que le passé, parce qu'il aura été pris en compte dans toute sa dimension traumatique, entendu et reconnu, cesse de polluer le présent. Certains patients, à partir de ce travail d'écriture, entreprennent d'écrire un livre, de mettre en forme tout ce matériel de sens, pour pouvoir témoigner. Le témoignage est parfois essentiel, surtout lorsque seule telle ou telle personne de la famille est en capacité de parler, de raconter, pour les autres (qui peuvent être fous, décédés, etc.). Écrire permet également une mise à distance, une conceptualisation, une mise en mots qui sort du silence des victimes. C'est de mon point de vue une activité hautement thérapeutique au regard de son degré de symbolisation, et j'encourage tout travail d'écriture entrepris par mes patients. Parfois, il existe une impossibilité d'écrire, comme un syndrome de la page blanche. Dans ce cas, puisqu'il s'agit bien de résidus traumatiques, l'on commencera par toute forme d'expression: couleur, crayon, juste quelques mots sans phrase, jusqu'à ce que le circuit de symbolisation se mette en route. D'autres fois, il existe comme un interdit d'écrire, une sorte de loyauté familiale d'omerta par exemple. Dans ce cas, cette loyauté est mise au travail, notamment en débusquant les tentatives d'évitement systématiques pour se faire naître à nouveau dans l'écriture. Car écrire c'est aussi figer le monde selon notre perspective, qui peut bien sûr évoluer. Mais figer implique de renoncer à d'autres versions de la même histoire, et cela confronte à la nécessité de choisir, donc de faire un deuil. Dans les systèmes familiaux hautement pathologiques, il est impossible de renoncer psychiquement, précisément c'est ce que l'on nomme le deuil pathologique. Il faut donc aussi mettre cela au travail. La publication du livre pour certains est une autre étape: faut-il publier leur histoire? Sous pseudo? Ou nom réel ? Le nom réel peut exposer au regard d'autrui, pour la reconnaissance de certains patients c'est très important, pour d'autres, c'est quelque chose de dangereux. Enfin, certains préfèrent garder leurs écrits dans l'intimité, n'éprouvant pas, du fait de leur histoire singulière, le besoin de faire exister une parole de témoignage dans l'espace public.
1.3 La dialectique Tout au
long de cette étude, j'ai montré en quoi l'autorité correspondait à l'élément tiers, à la Loi symbolique, qui permet de transcender les impasses et les oppositions stériles. L'autorité exerce une oeuvre civilisatrice en appelant le troisième terme de la dialectique. 151
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«Que la dialectique soit une loi constitutive de la pensée, et que, comme entendement, la pensée se nie et se contredise elle-même, c'est là un des points essentiels de la logique'.» L'autorité est liée à la liberté. Sans autorité, il n'est pas possible d'accéder à la liberté, laquelle est à entendre ni comme anarchie (absence de pouvoir) ni comme autoritarisme (pouvoir concentré et confisqué). Il y a une différence de nature, et non de degré, entre anarchie, liberté et autoritarisme. La liberté suppose de dépasser la contradiction de la thèse et de l'antithèse du «tout libre» et du «pas du tout libre », dans le dépassement du troisième terme. Avec la dialectique du Maître et de l'Esclave, dans la Phénoménologie de l'Esprit, le philosophe Hegel démontre que le rapport à la liberté n'est pas immédiat (thèse), mais qu'il doit se conquérir par le travail du négatif, par sa négation d'abord (antithèse) puis son dépassement (synthèse), qui implique aussi de surmonter la peur de la mort et d'accéder à la dimension éthique, à l'expression universelle de la liberté. Hegel affine sa pensée dans les Principes de la philosophie du Droit. Au commencement, la liberté est vécue sur le mode de l'arbitraire, qui consiste à ne faire que ce qui nous plaît. C'est ce qui pourrait s'apparenter à une tyrannie des pulsions. Mais l'accès au libre-arbitre est tout autre; il suppose l'accès à la conscience de soi, laquelle ne se rencontre que dans la rencontre à l'autre et la sortie de sa négation, mais aussi par la confrontation à sa propre mort, et le courage de surmonter l'idée de sa propre finitude. «Puisqu'il est nécessaire que chacune des deux consciences de soi, qui s'oppose l'une à l'autre, s'efforce de se manifester et de s'affirmer, devant l'autre et pour l'autre, comme un être-pour-soi absolu, par là même celle qui a préféré la vie à la liberté et qui se révèle impuissante à faire, par ellemême et pour assurer son indépendance, abstraction de sa réalité sensible présente, entre ainsi dans le rapport de servitude2. » La liberté est consacrée par l'avènement d'une moralité subjective, grâce à laquelle se déploient tout à la fois responsabilité, intention (suivre la loi morale, volonté bonne), bien et devoir (agir par et pour le devoir). Puis la moralité subjective se réalise au sein d'une moralité objective, dans les trois sphères morales que sont la famille, la société civile (monde
1.Hegel, G.W.F. Encyclopédie des Sciences philosophiques. 2. Hegel, G.W.F. Phénoménologie de l'Esprit.
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du travail notamment), et l'État, lequel a pour mission de réaliser la liberté, en incarnant la morale, la raison et la liberté (toute autre mission étant un dévoiement du concept d'État). Tout ce travail d'accès à la Loi symbolique est bien le travail de l'autorité, c'est-à-dire de ce qui autorise, en introduisant le travail du négatif sur les pulsions et passions primaires, à transcender ce dernier dans une synthèse pour accéder au libre-arbitre. Rappelons que, dans la dialectique hégélienne, la synthèse n'est pas un mélange informe de la thèse et de l'antithèse, mais un dépassement (« A ufhebung »), une transformation de l'opposition en un autre terme qui lui est supérieur, non en degré, mais par nature. Cette dimension, Hegel l'évoque en parlant de Dieu, de l'Idée, de l'Esprit absolu, dont il reconnaît les plus grandes réalisations dans la Philosophie, l'Art et la Religion, c'est-à-dire dans les trois disciplines qui introduisent l'humain à l'Idée et à l'éprouvé d'une transcendance.
2. La fonction cadre Le clinicien occupe une fonction d'autorité dans la mesure où il est garant du cadre, c'est-à-dire de ce qui à la fois contient mais aussi sépare. C'est en cela qu'il symbolise aussi cette fonction paternelle qui a été décrite supra.
2.1 Le cadre temporel et spatial Le cadre temporel de la thérapie obéit à deux fonctions : la contenance et la séparation. La contenance temporelle 13 La régularité Le cadre temporel instauré par le clinicien doit être un cadre contenant, c'est-à-dire un cadre qui offre une illusion de permanence, de régularité et de continuité. Il s'agit pour le thérapeute de respecter les variations de rythme et les progressions du patient, en accueillant la lenteur des modifications psychiques profondes. Seule la continuité durable dans le temps donne sens au cadre thérapeutique. Ce cadre doit prendre modèle sur les premiers accordages affectifs du nourrisson, fondés sur la rythmicité entre 153
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la présence et l'absence. Dans la mesure où il s'agit d'une rythmicité, il ne s'agit pas d'une cadence, c'est-à-dire d'un cadre rigide qui ne tolère aucune variation. La psychothérapie analytique concrétise le temps comme une succession d'événements : lieu, rendez-vous réguliers, absences et retours. Le cadre apparaît comme le contenant de tout contenu psychique, et fonde ainsi un a priori temporel structurant. Les limites temporelles apposées sont la condition de l'avènement de la cure. Le temps de la séance est presque « ritualisé » en fonction de la régularité des horaires, de la durée fixe des séances, des positions respectives des meubles (fauteuil...), de la limitation de la communication à la verbalisation, des associations libres, des modalités de fin des séances, des interruptions régulières. Ce rituel encadre la temporalité nécessairement lente du travail analytique. Le cadre n'est pas rigide. Il peut évoluer, changer, du moment que tout est fait pour sécuriser suffisamment le patient et maintenir la relation de confiance. Il vaut mieux un cadre existant, souple et évolutif, qui se construise dans la bienveillance de la relation thérapeutique, qu'un cadre rigide, qui ne prend son sens que dans la rigidité et ne sait pas s'adapter à la situation et aux contraintes des patients. Tout l'art du thérapeute est de créer un espace d'autorité, qui ne soit ni laxiste ni autoritaire. Outre le cadre externe, la thérapie instaure des rythmes propres. Ces rythmes sont essentiellement ceux vécus par le clinicien, ainsi que le précise Geneviève Haag lorsqu'elle parle de l'« expérimentation dans un cadre thérapeutique de la ferme élasticité des thérapeutes possédant de bons rythmes internes et inter-personnels» (Haag, 1993, p. 50). La qualité des rituels thérapeutiques exprime la qualité des liens organisant les relations d'objet. Il s'agit donc de modifier l'économie psychique du sujet par l'instauration de la rythmicité, des rituels et du facteur temps. La régularité évite au sujet de répéter systématiquement l'existence pour tenter de se l'approprier, et de se délivrer d'une répétition traumatique d'un cadre externe qui échoue. Ainsi, le cadre se fonde sur l'utilisation d'objets temporels, tels que les séances et leurs rythmes internes, l'heure et les jours de rendez-vous, les intervalles, les absences. Il s'agit en quelque sorte de rituels de thérapie. Ces objets temporels structurent un accès au temps externe et communément partagé, celui du temps social (ainsi en est-il par exemple de la régularité des horaires dans la thérapie). Cette structuration temporelle évite une source d'angoisse, celle de la perte d'intégrité du Moi. Le cadre temporel
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de la thérapie doit donc ressembler à une enveloppe temporelle, qui opère comme enveloppe psychique (le signifiant formel d'Anzieu, 1987, ou signifiant de démarcation, Rosolato, 1985). Toute attaque du cadre pourra être lue comme une attaque sur l'autorité, et faire alors l'objet d'une évocation du vécu temporel du patient et des motivations inconscientes qui l'ont poussé à cet irrespect du cadre. D La séparation temporelle Au départ, la relation s'installe sous la forme d'une symbiose, dans laquelle le thérapeute doit progressivement introduire de la séparation, avec l'idée que le patient apprenne l'articulation entre l'instant présent et la succession des instants. C'est cette séparation (le temps de la séance doit rester le temps de la séance) qui permet l'apprentissage de la régularité mais aussi de la frustration, de l'absence, et du différé, dont il a été vu qu'il est essentiel dans l'autorité. Les attaques du cadre Il n'est pas rare de voir des cas d'intolérance à la frustration attaquer sérieusement le cadre psychothérapeutique. Ainsi, les patients souffrant de carences en autorité interne vont «attaquer le cadre», pour voir s'il résiste. Ces attaques peuvent être: un oubli de séance, un envoi de SMS le week-end, une arrivée inopinée sollicitant un «rendez-vous d'urgence» pour gérer une situation émotionnelle trop forte, etc. Dans tous les cas, le clinicien doit assurer un repère cohérent et constant dans le discours et les actes. Les règles du cadre sont posées, et elles doivent être respectées. Le clinicien doit revêtir à la fois la dimension protectrice de la fonction paternelle (écoute des angoisses, prise en compte des urgences. etc.) sans céder à un excès d'empathie (qui serait plutôt du côté de la fonction maternelle). Il doit apprendre au patient le différé. Il doit le rassurer par la continuité du cadre. Dans une situation où un patient réclame des séances d'urgence du fait d'un éprouvé émotionnel trop intense (il s'agit ici d'une réclamation du patient, et non d'une situation véritablement d'urgence, comme peuvent l'être des phénomènes délirants sévères, qui nécessitent alors une réponse institutionnelle, par le biais de l'hospitalisation), le clinicien doit répondre, mais répondre dans le différé (ne serait-ce qu'un tout petit peu), et non dans l'urgence. Car si le clinicien «colmate» toujours dans l'urgence l'éprouvé émotionnel, le patient ne trouvera jamais les ressources internes suffisantes pour apprendre à gérer l'absence du clinicien, donc à s'autonomiser. De même, il doit répondre et éviter, autant que faire se peut, que le patient puisse «dégringoler» dans un éprouvé de type agonistique, qui le laisse seul dans sa détresse la plus profonde, y compris entre les séances.
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La contenance spatiale La thérapie implique également la protection qui incombe à la fonction paternelle. C'est ainsi qu'elle doit garantir l'espace géographique et symbolique nécessaire à la constitution d'une autorité interne. Cet espace est compris comme un lieu dans un temps donné qui appartient en propre au patient. Le contenu de la séance ne saurait être divulgué sans l'accord du patient à aucun tiers (hormis les cas exceptionnels de levée du secret professionnel, inscrits dans le Code pénal, et qui régissent les obligations de signalement). De plus, l'espace propre du patient suppose également que personne ne peut y rentrer sans son accord (proches, membres de la famille qui appellent pour savoir «où ça en est»), accord qui ne peut être un accord rapide de principe, mais qui est lui-même longuement travaillé en séances. C'est ainsi que, lors des thérapies d'enfants, et fréquemment lorsque lesdits enfants ne respectent pas l'autorité parentale, il est essentiel que l'enfant sente qu'un espace-temps lui est garanti en propre, et qu'il n'en sera rien divulgué à l'extérieur sans son accord explicite et travaillé. Lorsque le parent tente malgré tout de pénétrer de façon intrusive dans cet espace, mentionnant son « inquiétude » (alors qu'il lui est spécifié qu'en cas d'événements graves qui auraient pu être mentionnés dans la séance, il en sera averti, et souvent par l'enfant lui-même), l'enfant peut s'en sentir d'autant plus insécurisé. Car les pathologies d'autorité sont souvent l'indice de confusions de places dans les rôles parents/enfants, où l'enfant n'a pas sa place. Le clinicien doit être garant de ce cadre-là. Le thérapeute a pour rôle de préserver l'intimité psychique du patient. C'est ainsi que serait très problématique la légalisation de lois sur le fantasme, qui consisteraient à obliger le thérapeute à signaler des fantasmes de mort sur soi et autrui, dans la mesure où la thérapie distingue le fantasme du passage à l'acte réel, et est précisément l'un des rares lieux où le fantasme peut se travailler comme tel, sans implications dans le réel. Quant à ceux qui croient que, parce que le fantasme s'exprime, il autorise le passage à l'acte, ils n'ont sans doute aucune connaissance des lois du psychisme, pour lequel c'est exactement tout le contraire, et nous savons bien que les psychopathes, par exemple, et les profils pervers, n'ont pas de fantasmes à proprement dits, mais seulement l'agir pour les premiers, et des scenarii pervers très codifiés pour les seconds.
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2.2 Les interdits Ainsi, le cadre thérapeutique présente des règles, qui agissent comme autant d'interdits. Ces interdits séparateurs qui permettent l'avènement de l'inter-dit, du dire à l'autre, visent à sortir de la fusion régressive ou de la symbiose, mais aussi de l'agir en lieu et place de la parole. C'est dans la juste distance que se situe la sécurité : ni trop près (menace d'absorption) ni trop loin (menace de désintégration) de l'autre. L'interdit séparateur crée un espace bienfaisant dans la relation à autrui. Pour ce faire, le cadre thérapeutique distingue le plaisir de la réalité, la parole de l'acte, et assure également des tabous fondamentaux. Les interdits du meurtre et de l'inceste sont en effet compris dans la substitution de la parole à l'acte, et c'est l'une des raisons majeures pour lesquelles le clinicien ne saurait en aucune manière «passer à l'acte» avec un patient (que ce soit pour une relation amoureuse, amicale, etc.) dans le cadre de la thérapie. Le paiement des séances permet au patient de ne pas se vivre «en dette» par rapport au clinicien, donc de se séparer, sans le confondre avec un sauveur qui serait certes aidant mais surtout extrêmement menaçant, car détenteur de confidences intimes sur soi. Toutes les limites qui configurent le cadre supposent d'être posées avec bienveillance, dans cette conscience humanisante qui permet au patient d'accéder à l'autorité. Confusion des langues Il n'est malheureusement pas excessivement rare d'entendre des déconvenues de patientes avec des thérapeutes hommes, qui ont confondu l'expression d'un fantasme de nature sexuelle, avec des avances et la réalité d'une relation sexuelle avec le thérapeute. Cette confusion a pu se faire au niveau du langage, lorsque le thérapeute a sexualisé un discours de fantasme qui devait se lire sous l'angle d'un fantasme érotique infantile, ou des actes, lorsque le thérapeute a joué d'une séduction dans le réel avec la patiente, ou lorsqu'il lui a fait des avances. Dans tous les cas, le «père» représenté par le thérapeute, ou plutôt, cette fonction paternelle de séparationlindividuation, devient alors transgressive, de nature incestueuse. D'une certaine manière, la thérapie pourrait se lire sous l'angle de la différenciation entre soi et autrui, et du «chacun sa place». C'est d'ailleurs ce qui est clairement en jeu dans la thérapie des enfants dont les parents ne parviennent pas à se faire respecter. Dans les troubles majeurs d'autorité, l'enfant et les parents ne sont pas à une place bien différenciée. Ici, le rôle de la thérapie consiste à séparer les confusions et les fusions, afin de permettre une différenciation nette de la place de l'enfant et de l'adulte. C'est aussi cela, l'interdit de l'inceste.
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2.3 Le scrupule moral et religieux L'autorité s'inscrivant dans la verticalité, dans la temporalité et la transcendance, suppose aussi une fonction supérieure qui consacre et élève la dimension morale des interdits fondateurs. De nos jours, il est devenu de bon ton de railler systématiquement la notion de morale, alors que, sans morale précisément, peut-on envisager la moindre civilisation humaine ? La thérapie sur les pathologies de l'autorité doit pouvoir aussi être le lieu où se posent des questions métaphysiques, où l'idée de loi morale, le scrupule moral et religieux doivent pouvoir se penser. Car la transcendance doit se penser aussi dans son rapport à l'ultime transcendance, à l'idée d'une autorité suprême, d'une justice divine face à laquelle l'humain est amené à répondre de ses actes. Cette justice divine peut aussi être conçue selon la loi de la nature, d'après laquelle «l'on récolte ce que l'on sème». L'idée de Dieu, fondatrice de l'âme humaine « L'idée de loi morale, l'idée de Dieu font partie de la substance première et inexpugnable de l'âme humaine. C'est pourquoi toute psychologie sincère, qui n'est pas aveuglée par je ne sais quelle superbe d'esprit fort, se doit d'en accepter la discussion. Ni l'ironie mordante, ni les vaines explications ne parviendront à les dissiper. En physique nous pouvons nous passer d'un concept de Dieu; en psychologie, par contre, la notion de la divinité est une grandeur immuable avec laquelle il faut compter, tout comme avec des "affects", des "instincts", le "concept de Mère", etc. La conception originelle de l'imago et de son objet étouffe toute différenciation entre "Dieu" et l'"imago de Dieu"; c'est pourquoi l'on vous incrimine de théologie et l'on comprend Dieu chaque fois que vous parlez du "concept de Dieu". La psychologie comme science n'a pas à entreprendre l'hypostase de l'imago divine; elle doit simplement, conformément aux faits, compter avec la fonction religieuse, avec l'image de Dieu. La psychologie, de façon analogue, opère avec la notion d'instincts, sans, pour cela, s'attribuer la compétence de rechercher ce que l'instinct est en soi, ou si même c'est une chose en soi.» Cari Gustav Jung, L'homme à la découverte de son âme'
Il convient de souligner que l'idée de Dieu est au fondement même du scrupule moral, et n'a rien à voir avec une quelconque croyance ou un quelconque fanatisme religieux.
1. Jung, C. G. (1928-1944). L'homme à la découverte de son âme, Paris, Albin Michel, 1987, p. 244.
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3. Le thérapeute: une autorité? Le thérapeute emprunte souvent une figure d'autorité, par exemple dans l'univers médiatique. La parole du « psy » en est même parfois sacralisée à l'extrême, dans une logique dangereuse du « tout psy » et de «l'apprenti psy ». Faut-il le rappeler: l'argument d'autorité ne vaut qu'avec une véritable figure d'autorité, sinon il ne s'agit ni plus ni moins que d'une imposture. Quels sont les impacts positifs mais aussi les dangers potentiels d'une telle figure ?
3.1 Le sujet « supposé savoir » Une autorité adjuvante Lacan (1964) indique que l'analyste, par le jeu du transfert, représente pour l'analysant le «sujet supposé savoir ». L'analyste est en effet considéré comme «quelqu'un qui sait », dont on pense du moins qu'il sait mieux que soi ce que l'on a en soi (ce que l'on retrouvera dans des craintes, fréquentes chez certaines personnes, d'être «manipulées par le psy »). Ce «supposé savoir» est un adjuvant de la cure, puisqu'il va garantir la confiance dans une autorité destinée à nous aider, mais il est en même temps son entrave, dans la mesure où il peut être une forme d'aliénation à son thérapeute, surtout si ce dernier adopte des postures inadéquates. Une entrave à la thérapie Cette aliénation peut provenir de la disposition psychique du patient comme d'un risque d'emprise de la part du thérapeute. De fait, si certains patients se laissent aller à l'idéalisation du thérapeute, dont la parole pourra être considérée comme « infaillible », le thérapeute lui-même doit veiller à travailler la problématique de l'emprise sur le patient. Il lui incombe en effet de ne pas abuser ni se laisser flatter par cette idéalisation du patient, et de conserver sa posture bienveillante, à sa juste place. Lorsque l'on s'engage dans des études visant à devenir psychologue, il est en effet essentiel de travailler la dimension voyeuriste de la position clinique (entendre l'intimité psychique de l'autre sans donner accès à la sienne), ainsi que celle de l'emprise (se croire détenteur d'un savoir, se croire 159
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en maîtrise du psychisme de l'autre, en somme, «s'y croire », et ceci est un risque inhérent à toutes les positions sociales d'autorité...). Être thérapeute suppose, en effet, un travail d'introspection et de remise en question. Nul ne peut stipuler le travail « fini », comme si le psychisme finissait d'évoluer. En la matière, moins l'on se remet en question, plus l'on se rigidifie, il est donc essentiel de toujours poursuivre ce travail d'introspection. La position d'autorité du thérapeute peut en effet parfois (ce qui est, heureusement, rare) glisser du côté de l'emprise, pour peu qu'elle n'ait pas été suffisamment travaillée dans sa dimension inconsciente.
Emprise et autorité dans la thérapie L'emprise est la tentation perverse du thérapeute qui n'aura pas travaillé suffisamment sur lui-même. La thérapie est en effet fondée sur une relation asymétrique : le thérapeute et le patient, le premier étant supposé détenir une autorité. Le risque de la posture du thérapeute est celle d'une posture d'emprise, et ne pas avoir travaillé en soi ses propres blessures narcissiques représente un danger. Par exemple, si vous croyez détenir un savoir, et pensez savoir mieux pour le patient ce qui est bon pour lui, alors il y a danger ! L'emprise vise le contrôle sur autrui, tandis que l'autorité vise son autonomie progressive. Si votre rôle est de faire respecter un cadre nécessaire au déroulement de la thérapie, il n'est en aucun cas de contraindre autrui, ni de lui faire violence, fût-ce par des voies détournées. Par exemple, tenter de séduire, même intellectuellement, le patient, est une contrainte exercée à son insu. C'est la raison pour laquelle en tant que thérapeute il est impératif d'engager et de poursuivre un sérieux travail sur soi-même. Le travail sur le pouvoir est indissociable de la profession de thérapeute, et suppose de travailler sur soi-même tout autant que ses propres tentations de «prendre le pouvoir». Je rappelle que l'autorité qualifie le pouvoir juste, celui qui vise à autonomiser la personne, tandis que le pouvoir injuste s'illustre dans l'emprise et la manipulation.
«Le porte-parole» Le thérapeute est aussi le « porte-parole » du patient, c'est-à-dire celui qui aide à nommer réprouvé, donc à séparer l'éprouvé de la chose, ce qui
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confère peu à peu une autonomisation psychique. Cette fonction de « porteparole » est une fonction essentiellement parentale, puisque c'est le parent, et en particulier la mère, qui nomme d'abord les éprouvés de l'enfant, afin de lui en permettre l'appropriation. Une telle fonction vise à faire grandir l'autre, donc est une fonction d'autorité, en ce qu'elle initie Fautonomisation psychique. La psychanalyste Piera Aulagnier a ainsi étudié le pouvoir identifiant du langage, de ces mots qui, lorsqu'ils nomment les affects, les transforment en sentiments. Elle a notamment analysé le rôle de la mère, comme porte-parole initial du nourrisson. Ce « porte-parole » est aussi un « portepensée », dans la mesure où la mère surimpose son propre espace psychique dans une violence aussi inévitable que nécessaire. Un même dispositif est potentiellement porteur de développement (fonction porte-parole-pensée) et d'aliénation (redoublement de la violence primaire). Lorsque la fonction porte-parole vise à l'acquisition de l'autonomie chez le sujet, nous dirons qu'elle fait office d'autorité (parentale, thérapeutique...). Mais lorsqu'elle vise à empêcher le développement de la pensée (par exemple, dire quelque chose et faire le contraire, ou manifester une trop grande assurance dans ses propres interprétations sur l'éprouvé de l'autre, dans le «je sais mieux que toi ce qui est bon pour toi »), elle emprunte la pente déviante de l'aliénation de l'autre, par l'intrusion psychique, et l'autoritarisme. Toute velléité d'autonomisation du « Je » passe par un besoin vital de vérité sur soi et sur son histoire, auquel répond l'analyse, dont la fonction est de mettre des mots là où ils manquent et où ils ont manqué, de transformer un affect vécu comme une expérience innommable, dont la réminiscence est devenue un danger permanent, en une histoire dicible, racontable à autrui. Les mots permettent aux vécus d'être liés au lieu d'être simplement subis (Aulagnier, 1975, p. 130-134). Le rôle du clinicien est donc de se faire le porte-parole du patient, dans l'accompagnement par la parole de son expérience psychique, ainsi que dans la présentation des interdits, afin d'accueillir l'altérité, pour la penser dans une intersubjectivité. Ainsi, il doit accompagner et aider à dire, dans une vocation maïeutique, et non imposer des interprétations sauvages dont la toute-puissance ne serait pas remise en question.
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3.2 Transfert/Contre-transfert Le transfert Le transfert est une notion centrale de la psychanalyse. De fait, toute personne qui arrive en thérapie vient y exprimer bien souvent des souffrances infantiles non dépassées. Le thérapeute fait alors figure d'un « sauveur » grâce auquel on croit résoudre ses conflits psychiques, et par cette figure même, il incarne une fonction parentale. Plus la détresse du patient est grande, plus le transfert est massif. Ainsi, le thérapeute est, sans que le patient en ait nécessairement conscience, mis à la place des «idoles parentales », et occupe en cela une position d'autorité. Bien sûr, le transfert est un adjuvant de la cure, car il permet de comprendre quels sont les conflits psychiques et les impasses affectives auxquels le patient est confronté dans sa dynamique inconsciente. Toutefois, il est du ressort professionnel du clinicien de ne pas se laisser « embarquer » par un transfert massif qui le sortirait de son rôle, c'est-à-dire de ne pas négliger d'analyser le transfert et le contre-transfert, notamment en supervision. Car, dans le cas contraire, la relation thérapeutique peut se muer en relation d'emprise de part et d'autre (du patient vers le clinicien, ou du clinicien vers le patient), et la fonction d'autonomisation dévolue à l'autorité thérapeutique est alors dangereusement mise en échec. Le clinicien peut d'ailleurs travailler parfois sur le transfert directement avec le patient, et ce qu'il peut représenter pour ce dernier, ce qui ouvre la voie à des axes thérapeutiques intéressants. La détresse infantile et le transfert Marc a eu une enfance difficile, teintée par l'ignorance de ses parents, leur désintérêt pour leur fils et des humiliations quotidiennes. Il dit à plusieurs reprises avoir souffert de l'absence de compassion de sa mère, de ses remarques systématiquement dévalorisantes, de son manque de protection. Il se sent comme un enfant abandonné qui cherche dans toute relation nouvelle un regard maternel qui serait enfin aimant. Dans sa vie courante, Marc ne supporte pas la moindre autorité, et enchaîne des relations amoureuses extrêmement fusionnelles qui sont dès lors vouées à l'échec. Au cours des séances, il flatte considérablement sa thérapeute, et tente systématiquement d'utiliser son empathie pour que la thérapeute sorte du cadre, souvent au prétexte de l'urgence d'une situation psychoaffective qu'il n'arriverait pas à gérer. Au retour des vacances de la thérapeute, il lui évoque son étonnement de s'être senti à ce point «abandonné»
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par elle et d'avoir eu autant le besoin qu'elle l'assure de son affection. Ces paroles ont été alors l'occasion de travailler sur le transfert, c'est-à-dire sur ce que la thérapeute représentait affectivement pour le patient, ce qui, sans grande surprise, fut une autre forme du travail sur la relation à sa mère.
Le contre-transfert Le contre-transfert illustre quant à lui les mouvements émotionnels du clinicien vers le patient, «l'influence qu'exerce le patient sur les sentiments inconscients de son analyste» (Freud, 1912c). Cela suppose que le clinicien soit en perfectionnement constant dans la connaissance de son propre fonctionnement psychique, afin d'utiliser le contre-transfert comme moyen d'accès à l'inconscient du patient, tout en séparant bien ce contre-transfert de sa problématique psychique personnelle (Heimann, 1950). Cela signifie, en première instance, de mener de front le travail sur soi et l'analyse du contre-transfert. Car, si un patient suscite un contre-transfert agressif, est-ce le fait de l'histoire du thérapeute, à qui le patient renvoie telle ou telle figure parentale, ou est-ce uniquement le fait du patient, qui comporte en lui cette agressivité ? Parfois, les problématiques se rencontrent, et il est d'autant plus fondamental de bien analyser ce qui se joue. Cas clinique Par exemple, une patiente de type borderline ne cesse de poser des questions intrusives à son thérapeute. Elle révèle ainsi son désir de fusionner avec le thérapeute, de ne faire plus qu'un, comme dans une symbiose du nourrisson à la mère, qui comporte par ailleurs quelque chose de très anxiogène et angoissant. Le problème est que ces intrusions systématiques, comme la demande du lieu où le thérapeute a passé ses vacances, comme celle de savoir s'il est marié et a des enfants, etc., renvoie le thérapeute directement à sa propre mère, laquelle était extrêmement intrusive. Il lui est donc difficile de contenir sa réponse, celle qu'il aurait faite à sa mère, sur un mode agressif «mais lâche-moi les baskets». pour entendre derrière l'attitude de la patiente, celle de la petite fille en telle carence affective qu'elle aspire à se saisir du moindre aspect de la vie idéalisée de son thérapeute, comme de nourritures émotionnelles. En un sens, il y a là un exemple de «quiproquo» thérapeutique, dont c'est précisément la fonction du thérapeute de le lever, la patiente n'ayant pas à faire les frais de la relation du thérapeute à sa propre mère.
Le contre-transfert est un outil central de l'analyse, dans la mesure où il facilite la compréhension des conflits psychiques vécus par le patient, 163
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pourvu qu'il soit analysé par le clinicien. Il en faut un minimum pour que naisse le désir que le patient «s'en sorte», donc l'investissement du thérapeute pour l'aider à dépasser sa trop grande souffrance. Toutefois, il est important que, du contre-transfert, il ne soit ni trop, ni trop peu. Ni trop peu pour susciter suffisamment d'investissement du thérapeute (et non un désintérêt), ni trop pour éviter des risques de dépendance et d'assujettissement du patient. Car, lorsque le contre-transfert est trop massif, par exemple lors d'un excès d'empathie, la bonne distance d'autorité n'est plus respectée, et le thérapeute risque de prendre un rôle trop maternant, qui ne permet plus de penser le travail thérapeutique comme un travail vers une autonomisation psychique et affective, qui pourrait se traduire dans le quotidien du patient. Cette vue est valable pour l'ensemble de la thérapie, qui comporte néanmoins des sous-phases, au sein desquelles on peut osciller vers davantage d'empathie, lorsque le moment le nécessite. En somme, l'entreprise thérapeutique du point de vue analytique n'est pas une mince affaire. À mon sens, il s'agit d'un travail essentiel de civilisation, qui incite à une meilleure connaissance de soi, d'autrui, et du monde, mais invite également et surtout à inscrire sa libération personnelle dans une histoire individuelle et universelle, tant sur le plan des mythes que du patrimoine de l'humanité. C'est enfin un travail qui doit inciter le thérapeute à une très grande humilité, ainsi qu'à une recherche de perfectionnement dotée d'indulgence, car il est difficile d'être clinicien si l'on est rongé par un «idéal professionnel» tyrannisant, qui empêche d'être son propre auteur. Par le travail analytique, l'on peut atteindre la voie de l'individuation prônée par le psychanalyste Jung, et c'est bien ce processus d'individuation qui s'inscrit aux antipodes des instincts grégaires et de ses dangers. La voie de l'individuation «La voie de l'individuation signifie: tendre à devenir un être réellement individuel et, dans la mesure où nous entendons par individualité la forme de notre unicité la plus intime, notre unicité dernière et irrévocable, il s'agit de la réalisation de son Soi, dans ce qu'il a de plus personnel et de plus rebelle à toute comparaison. On pourrait donc traduire le mot d'"individuation", par "réalisation de soi-même", "réalisation de son Soi".» Car Gustav Jung, Dialectique du Moi et de l'inconscient'
1. Jung, C. G. (1933). Dialectique du Moi et de l'inconscient, Paris, Folio Essais, 2001, p. 115.
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Conclusion
Ce voyage que nous avons parcouru au travers des différentes notions et conceptions de l'autorité nous invite à concevoir l'autorité comme une faculté d'humanisation face à la dimension pulsionnelle qui nous caractérise en tant qu'êtres humains. Car l'autorité est le mode essentiel de donation du sens à l'existence ; elle s'exerce dans un monde dont la structure est temporelle, enracinée dans la transmission du patrimoine humain et la conservation de la civilisation, dans une perspective de progrès. En cela, l'autorité donne cohérence au monde. Elle est terriblement fragilisée dans cette modernité où prévalent la désappartenance, le désencadrement, la désaffiliation, et où l'individu prime sur le collectif universel et peut s'illusionner sur son auto-engendrement (y compris, désormais, jusqu'à « choisir » son sexe). Sans autorité, le risque grave et imminent de notre société est alors de faire le lit du totalitarisme, de terreurs archaïques, d'angoisses de type psychotique, et d'agirs psychopathes, qui balaient d'un revers notre civilisation conquise de haute lutte. L'autorité est une sortie de l'infantile, de l'immédiat, du consommable, de l'irresponsabilité, de l'absence d'effort et de l'indécision. Elle voue chacun à s'inscrire dans une histoire, la sienne propre, et l'histoire universelle. Ce faisant, elle vise l'autonomie, la liberté intérieure et la possibilité de vivre ensemble dans une collectivité pensante, soucieuse du respect des cultures et des identités, et garantissant à chacun des droits et des devoirs, dans le scrupule de l'antériorité et de la postérité, dans un lien social qui n'est pas seulement spatial mais temporel. En deux mots, l'autorité sépare et libère.
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