Pédagogie et éducation. Évolution des idées et des pratiques contemparaines: Récueil de textes, présentés et commentés 9783111416540, 9783111052298


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Table of contents :
Avant-propos
PRÉAMBULE: L'institution scolaire et la pédagogie dans les instructions et les textes officiels
Introduction
Instructions pour l’enseignement primaire : arrêté organique du 18 janvier 1887, annexe F
Instructions du 20 juin 1923 relatives au nouveau plan d'études des écoles primaires élémentaires
Instructions pour l’enseignement primaire, relatives à l'application des arrêtés du 23 mars 1938 et du 11 juillet 1938
Instructions du 30 septembre 1938 pour l’enseignement du second degré
La réforme de l’enseignement : décret du 6 janvier 1959
Aménagement de la semaine scolaire et répartition de l’horaire hebdomadaire dans les écoles élémentaires et maternelles
PREMIÈRE PARTIE. Société, groupes sociaux et éducation
CHAPITRE I. Sociologie de l’éducation et de l’institution scolaire
Introduction
Pédagogie et éducation
Sociologie de l’éducation
Les étudiants et la culture
Les mécanismes de la reproduction culturelle
CHAPITRE II. Etudes des petits groupes et pédagogie
Introduction
La sociométrie
La psychologie des groupes
Dynamique des groupes et pédagogie
DEUXIÈME PARTIE. La connaissance du sujet
CHAPITRE III. Psychologie et pédagogie
Introduction
Maturation et apprentissages fonctionnels
La psychologie génétique
Apprentissage et activités psychologiques
Doctrine de la spontanéité-créativité
Théorie de la créativité
Pygmalion à l’école
CHAPITRE IV. Psychanalyse et éducation
Introduction
Théorie psychanalytique et connaissance de l’enfant Les stades libidinaux
Psychanalyse et école
TROISIÈME PARTIE. La pédagogie du XXe siècle par les pédagogues
CHAPITRE V. Ecole et pédagogie
Introduction
Propos sur l’éducation
La méthode Decroly
L’éducation nouvelle
Pour une méthode naturelle
Qu’est-ce que l’Ecole active?
Le travail par groupe
La pédagogie non directive
CHAPITRE VI. Vers une technologie pédagogique?
Introduction
Les moyens audio-visuels
Pour une pédagogie de l’image Prolégomènes à une pédagogie des messages visuels
L’enseignement programmé: Science de l’apprentissage et art de l’enseignement
Bibliographie sommaire
Table des matières
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Pédagogie et éducation. Évolution des idées et des pratiques contemparaines: Récueil de textes, présentés et commentés
 9783111416540, 9783111052298

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Le savoir historique 3

Pédagogie

et

éducation

ÉCOLE VI"

PRATIQUE

SECTION

:

DES

HAUTES

SCIENCES

ÉTUDES

ÉCONOMIQUES

Le savoir historique 3

MOUTON ÉDITEUR • PARIS • LA HAYE

— ET

SORBONNE SOCIALES

MICHEL SALINES

Pédagogie et éducation Évolution des idées et des pratiques contemporaines Recueil de textes présentés et commentés

MOUTON

ÉDITEUR

• PARIS • LA HAYE

© 1972 École Pratique des Hautes Études and Mouton and Co. Library of Congress Catalog Card Number : 70-187764 Couverture de Jurriaan Schrofer Printed in France

Aux Instituteurs et aux Enseignants de la Circonscription d'Inspection Départementale de Béarnais (Oise), en gage d'amitié.

Avant-propos

Dans une société rurale aux structures immobiles, la famille suffit à transmettre les modèles culturels et technologiques nécessaires à sa survie et à l'insertion socioprofessionnelle de l'individu. Pour nos sociétés occidentales ce temps est révolu : leur mutation rapide exige des individus une instruction toujours plus complète et un développement continu des qualités intellectuelles et morales, privilèges qui étaient dans le passé l'apanage des seules élites aristocratiques ou bourgeoises. De là naît la nécessité d'une démocratisation de la culture par un enseignement de masse efficace, rationnel et de haut niveau, ce qui ne va pas sans problèmes. Comme l'indiquait L. Cros dans un ouvrage paru il y a dix ans, « les structures d'une civilisation nouvelle appellent des structures scolaires d'un type nouveau {...} de là découlent pour les hommes d'Etat comme pour les hommes d'Ecole, des problèmes d'une dimension jusqu'ici inconnue » \ Une première prise de conscience s'effectua en France lorsque la HT République, par les lois de 1881 à 1887, créa un Enseignement Primaire obligatoire, public et gratuit. D'autres pays moins centralisateurs adoptèrent des formes d'action plus souples, en laissant une part beaucoup plus importante à l'initiative privée (Grande-Bretagne, États-Unis, etc.), mais aucun ne s'est désintéressé de ce problème. Depuis la fin du siècle dernier, les conditions ayant beaucoup changé en France, une lente évolution s'est amorcée, marquée de crises nombreuses, de projets de réforme innombrables et souvent avortés. Toutes les tentatives de ces dix dernières années — réforme de 1959, lois E. Faure (Loi d'Orientation pour l'Enseigne1. L'explosion

scolaire, Paris, CUIP, 1961.

10

Avant-propos

ment Supérieur, Conseils d'Administration des Établissements, etc.) issues de la crise de mai 1968, textes récents sur l'Enseignement Technologique1 pour ne citer que les plus importantes — en révèlent bien l'ampleur. D'autre part, le débat, constant depuis une cinquantaine d'années, se généralise et s'élargit hors des cénacles des pédagogues professionnels et des administrateurs de l'institution car ce problème « touche » de plus en plus de personnes : la foule d'études, d'articles, d'émissions, consacrés aux problèmes d'éducation, les congrès des différentes associations de parents d'élèves, le montrent clairement. Pour le grand public la fonction première de l'institution scolaire ou universitaire est moins l'accès à la culture, l'éducation globale des jeunes, que leur insertion socio-professionnelle. C'est à travers le schéma Scolarisation —> Diplôme —» Fonction ouverte —> Statut social obtenu par ce diplôme qu'elle est jugée et évaluée souvent avec anxiété, même si ce schéma peut paraître aujourd'hui dépassé à ceux qui considèrent que l'homme changera à l'avenir régulièrement de fonction ou de poste. La discussion s'établit en particulier au sein des établissements d'enseignement entre le « technicien » enseignant et les utilisateurs — parents d'élèves, élèves ou étudiants. L'homme de l'art, jaloux de ses prérogatives, le regrette souvent, refuse quelquefois à ces « néophytes irresponsables » le droit au débat pédagogique ; nous pensons qu'il a tort et qu'il n'échappera pas à cette remise en question collective — tonique et de bon augure — des buts et des moyens de son enseignement. Parallèlement la pédagogie évolue et s'essaie à conquérir le statut scientifique qui lui a trop longtemps fait défaut. Longtemps le pédagogue fut soit un philosophe qui dissertait à propos de l'éducation en général, de son histoire ou des finalités de l'action éducative, ne s'engageant que très rarement dans le débat proprement pédagogique touchant aux contenus ou à la forme : méthodes, techniques ou procédés, critères de l'efficacité, etc., soit le praticien — artisan solitaire, lié à ces pauvres armes que sont le tâtonnement intuitif, les « essais et erreurs » : le « pédago... », terme encore attesté aujourd'hui, dont l'énoncé évoquait l'autocritique gênée ou l'aveu d'impuissance a contrôler scientifiquement son action, à en prévoir les résultats, à les reproduire... Aujourd'hui encore il n'est pas rare que la pédagogie soit envisagée 2 . Mai 1971.

Avant-propos

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comme un don, un art mystérieux dont il serait bien difficile d'analyser les résultats — fruits d'un hasard maléfique ou merveilleux. Les buts de l'acte pédagogique sont d'ailleurs rarement fixés scientifiquement, les résultats rarement scientifiquement expliqués malgré l'essor évident de la recherche pédagogique qui a peu à peu bénéficié des progrès des autres sciences humaines et intégré leurs apports successifs3. Souhaitons que la pédagogie apparaisse de plus en plus comme une synthèse pluridisciplinaire et que, dans la pratique quotidienne des classes, elle s'éloigne définitivement du « tâtonnement » de l'artisanat individuel. C'est une des conditions nécessaires à la réalisation de cette « rénovation pédagogique » dont on parle tant aujourd'hui!... Ce recueil de textes voudrait — modestement — dresser un bilan des tentatives engagées pour résoudre sur le plan idéologique et pédagogique les problèmes d'éducation nés des transformations de notre société, tout en marquant aussi nettement que possible les étapes de presque cent années d'évolution des idées et des pratiques. Le lecteur excusera son caractère souvent superficiel et incomplet : dans les limites qui nous étaient fixées, il était bien difficile de présenter une étude exhaustive. Les auteurs nous pardonneront sans doute plus difficilement des découpages et des choix qui leur paraîtront parfois arbitraires. Néanmoins, ce recueil devrait rendre service aux étudiants qui se destinent aux carrières de l'Enseignement, aux enseignants, aux parents et d'une manière générale à tous ceux que les problèmes d'éducation et de pédagogie intéressent. Nous avons groupé les textes en trois catégories : 1. Des textes qui rendent compte des recherches sociologiques, appliquées à la sociologie de l'éducation — domaine un peu délaissé et où les travaux n'abondent pas — d'une part, et à l'étude des petits groupes ou micro-sociologie, d'autre part. 2. Des textes touchant à diverses études de psychologie : psychologie génétique, psychologie de l'apprentissage, etc., études qui se trouvent souvent à l'origine de l'évolution des théories pédagogiques et de la psychopédagogie moderne. 3. Seuls quelques rares privilégiés peuvent juger des résultats de leur enseignement : l'institutrice qui apprend à lire à l'enfant de Cours Préparatoire, le professeur de Langue à la fin de l'année de 6*... et encore, peuvent-ils seuls expliquer leurs échecs avec certains élèves ou leurs succès inattendu« ?

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Avant-propos

3. Des textes représentatifs des différentes doctrines et analyses pédagogiques et qui en illustrent l'évolution depuis le début du siècle. Enfin pour chaque chapitre une bibliographie sommaire est exposée en fin d'ouvrage, qui peut permettre au lecteur une documentation plus poussée.

PRÉAMBULE

L'institution scolaire

et la pédagogie

dans les instructions et les textes officiels

Introduction Il a semblé opportun de réunir, en préambule à cet ouvrage, un certain nombre d'extraits des textes officiels et des instructions qui, depuis 1881, régissent l'Institution scolaire française et tentent d'en orienter l'action. Nous avons limité notre choix aux fragments les plus significatifs de la philosophie générale de l'enseignement et des buts officiellements poursuivis (si certains textes sont cités qui touchent aux disciplines : Éducation Physique, Manuelle, Esthétique ; Morale ; Histoire, c'est parce qu'ils nous ont semblé, à cet égard, très révélateurs). Les textes officiels déterminent les structures et l'organisation de l'enseignement, les horaires, les programmes et l'esprit de chaque discipline. De ce fait, ils traitent souvent plus volontiers des contenus de l'enseignement que de la forme pédagogique. Nombreux et détaillés pour l'Enseignement Élémentaire, ils sont beaucoup plus rares pour l'Enseignement Secondaire (ils ne portent guère que sur les quatre premières années : l'actuel premier cycle), et totalement absents pour l'Enseignement Supérieur. La volonté de centralisation, la prise en main de la pédagogie par l'administration centrale ne s'appliquent donc en réalité qu'aux classes qui dispensent l'instruction obligatoire. Les professeurs des Enseignements Secondaire et Supérieur, héritiers d'une longue tradition de libéralisme universitaire, se sentent beaucoup plus autonomes et se plieraient sans doute plus difficilement à des directives strictes. La conception et la diffusion systématique par l'administration centrale de directives purement pédagogiques est une des originalités du système français. Cependant, une question se pose : ces directives sont-elles scrupuleusement appliquées dans les classes ? En un mot, cet usage est-il efficace ? Il est certain que celles

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L'institution

scolaire

et la

pédagogie

relatives à l'organisation et à la structure de l'enseignement (horaires, disciplines enseignées, etc.) sont immédiatement suivies d'effet. La réforme de 1959 a abouti très rapidement à un accroissement considérable du nombre des enfants admis dans le Premier Cycle1. L'arrêté et la circulaire de 1969 qui instaurent le « Tiers Temps pédagogique » entrèrent immédiatement en vigueur malgré l'opposition de plusieurs organisations corporatives qui affirmaient alors — à juste titre dans bien des cas — que cette mesure était inapplicable à cause de l'insuffisance des infrastructures sportives. Par contre, dans le domaine pédagogique, l'effet des circulaires ne nous semble pas aussi immédiat. L'esprit du « Tiers Temps pédagogique » — ouverture de l'école au milieu naturel et humain, au monde, accent mis sur l'initiation à des méthodes de travail plus que sur l'acquisition de connaissances, autonomie importante laissée aux maîtres à l'égard des programmes — s'impose-t-il dans les classes ? Les méthodes actives sont régulièrement prônées depuis 1923 : le seul fait que ce thème soit à chaque fois repris avec autant d'insistance incline à penser que ces méthodes ne sont pas encore passées dans la pratique quotidienne2. Certains enseignants, il faut le reconnaître, ignorent les instructions ; d'autres les contestent ou les brocardent3. Pourtant, malgré la traditionnelle prudence de tous les textes officiels, il serait très injuste de considérer que ceux-ci sont systématiquement inadéquats et en retrait par rapport aux idées du moment et à la recherche pédagogique. A cet égard l'évolution des instructions pour l'Enseignement Élémentaire nous paraît significative. Si les textes de 1887 nous semblent aujourd'hui anachroniques, voire dangereux (il s'agit, par un enseignement « rudimentaire », de « préparer et de prédisposer les garçons aux futurs travaux 1. Dans de nombreux départements, le pourcentage d'entrées en 6 e I et II atteint aujourd'hui 75 à 80 % des élèves du Cours Moyen Deuxième Année : il a donc plus que doublé en une dizaine d'années et c'est un gros progrès. 2. Quiconque pénètre régulièrement dans les classes peut d'ailleurs le constater. 3. Dans une enquête menée récemment auprès de 153 professeurs de lettres (S. ROUMETTE et M. SALINES, ENS Saint-Cloud, 1970, inédit), les réponses à une question portant sur les instructions ont donné les résultats suivants : 7,91 % — Les instructions sont excellentes 51,79 % — Les instructions sont inadaptées — Les instructions sont inutiles 6,47 % Parmi les professeurs interrogés, 33,81 % indiquaient qu'ils n'avaient pas d'opinion à ce sujet.

Introduction

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de l'ouvrier et du soldat, les filles aux soins du ménage et aux ouvrages de femme », « d'assurer à l'enfant tout le savoir pratique dont il aura besoin dans la vie », « d'apprendre ce qu'il n'est pas permis d'ignorer »), reconnaissons que dès 1923 les instructions abandonnent le caractère étroitement utilitariste de leurs devancières. De plus en plus la notion d'une pédagogie fondée sur les besoins de l'enfant, l'idée d'une école active, attrayante et ouverte, s'imposent. Dès 1938, l'école primaire est conçue comme un cycle d'études préparatoires à cet Enseignement Secondaire dont la vocation depuis trente-cinq ans est de former l'esprit des enfants par la culture générale et la conquête de l'autonomie intellectuelle. Dans les textes de J. Zay se trouve inscrite la réforme de 1959 dont nous avons déjà souligné l'intérêt et le caractère progressiste (malgré des défauts que nous n'ignorons pas et qui disparaîtront sans doute à l'usage). Curieusement, par un retour ironique, ces instructions abandonnent à l'égard des maîtres une bonne part de leur autoritarisme. Elles se font de moins en moins contraignantes, leur assurent une autonomie de plus en plus importante par rapport aux méthodes pédagogiques dont plus aucune n'est aujourd'hui particulièrement conseillée et même par rapport aux programmes au sujet desquels elles recommandent « de dépasser la notion contraignante » (Circulaire du 2 septembre 1969). Déjà en 1923 le maître était invité à varier ses méthodes selon les besoins de ses élèves et à s'adapter aux conditions locales. Les instructions qui manifestent régulièrement le point de vue officiel sur les problèmes pédagogiques sont le reflet d'une société et d'une époque. Loin de mériter un rejet dédaigneux et rapide, elles justifient une étude sérieuse et critique. Le lecteur trouvera donc, pour l'Enseignement Primaire, des extraits des importantes instructions de 1887, 1923, 1938, 1969 et, pour l'Enseignement Secondaire, des extraits de celles de 1938 et 1959.

Instructions pour l'enseignement primaire : arrêté organique du 18 janvier 1887, annexe F

A. Education physique

1. Objet de l'éducation

physique

L'éducation physique a un double but : D'une part, fortifier le corps, affermir le tempérament de l'enfant, le placer dans les conditions hygiéniques les plus favorables à son développement physique en général ; D'autre part, lui donner de bonne heure ces qualités d'adresse et d'agilité, cette dextérité de la main, cette promptitude et cette sûreté de mouvements qui, précieuses pour tous, sont plus particulièrement nécessaires aux élèves des écoles primaires, destinés pour la plupart à des professions manuelles. Sans perdre son caractère essentiel d'établissement d'éducation, et sans se changer en atelier, l'école primaire peut et doit faire aux exercices du corps une part suffisante pour préparer et prédisposer en quelques sorte, les garçons aux futurs travaux de l'ouvrier et du soldat, les filles aux soins du ménage et aux ouvrages de femmes.

2.

Méthode

Les exercices du corps faisant diversion à l'ensemble des travaux scolaires et des leçons proprement dites, il sera généralement facile d'obtenir que les élèves y apportent de la bonne volonté et de l'entrain, qu'ils les considèrent comme une véritable récréation. La marche de l'enseignement est réglée avec le plus grand détail, pour la gymnastique et les exercices militaires, par les manuels publiés sous les auspices du Ministère ainsi que par les directions que donnent les professeurs et instructeurs spéciaux. Pour le travail manuel des garçons, les exercices se répartissent en deux groupes : l'un comprend les divers exercices destinés d'une façon générale à délier les doigts et à faire acquérir la dextérité, la souplesse, la rapidité et la justesse des mouvements ; l'autre groupe comprend les exercices gradués de modelage qui servent de complé-

Arrêté organique du 18 janvier 1887

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ment à l'étude correspondante du dessin, et particulièrement du dessin industriel. Le travail manuel des filles, outre les ouvrages de couture et de coupe, comporte un certain nombre de leçons, de conseils, d'exercices au moyen desquels la maîtresse se proposera, non pas de faire un cours régulier d'économie domestique, mais d'inspirer aux jeunes filles, par un grand nombre d'exemples pratiques, l'amour de l'ordre, de leur faire acquérir les qualités sérieuses de la femme de ménage et de les mettre en garde contre les goûts frivoles ou dangereux. L'enseignement du travail manuel n'a pas pour but, à l'école élémentaire, de faire exécuter le plus grand nombre possible d'exercices ni de faire confectionner des chefs-d'œuvre. Il est essentiellement éducatif : il associe, dans la plus large mesure, l'intelligence à l'action des doigts ; il développe le goût, l'habileté, la dextérité des enfants ; il leur fait comprendre l'importance du travail manuel, leur en donne l'habitude et le leur fait aimer.

B. Education intellectuelle 1. Objet de l'éducation intellectuelle L'éducation intellectuelle, telle que peut la faire l'école primaire publique, est facile à caractériser. Elle ne donne qu'un nombre limité de connaissances. Mais ces connaissances sont choisies de telle sorte que non seulement elles assurent à l'enfant tout le savoir pratique dont il aura besoin dans la vie, mais encore elles agissent sur ses facultés, forment son esprit, le cultivent, l'étendent et constituent vraiment une éducation. L'idéal de l'école primaire n'est pas d'enseigner beaucoup, mais de bien enseigner. L'enfant qui en sort sait peu mais sait bien ; l'instruction qu'il a reçue est restreinte, mais elle n'est pas superficielle. Ce n'est pas une demi-instruction, et celui qui la possède ne sera pas un demi-savant : car ce qui fait qu'une instruction est dans son genre complète ou incomplète, ce n'est pas l'étendue plus ou moins vaste du domaine qu'elle cultive, c'est la manière dont elle l'a cultivé. L'instruction primaire, en raison de l'âge des élèves et des carrières auxquelles ils se destinent, n'a ni le temps ni les moyens de leur faire parcourir un cycle d'études égal à celui de l'enseignement

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Instructions

pour l'enseignement

primaire

secondaire ; ce qu'elle peut faire pour eux, c'est que leurs études leur profitent autant et leur rendent, dans une sphère plus humble, les mêmes services que les études secondaires aux élèves des lycées ; c'est que les uns comme les autres emportent de l'enseignement public, d'abord une somme de connaissances appropriée à leurs futurs besoins, ensuite et surtout de bonnes habitudes d'esprit, une intelligence ouverte et éveillée, des idées claires, du jugement, de la réflexion, de l'ordre et de la justesse dans la pensée et dans le langage. « L'objet de l'enseignement primaire, — comme on l'a très justement dit 1 — n'est pas d'embrasser sur les diverses matières auxquelles il touche tout ce qu'il est possible de savoir, mais de bien apprendre dans chacune d'elles ce qu'il n'est pas permis d'ignorer. » 2. Méthode L'objet de l'enseignement étant ainsi défini, la méthode à suivre s'impose d'elle-même : elle ne peut consister ni dans une suite de procédés mécaniques, ni dans le seul apprentissage de ces premiers instruments de communication : la lecture, l'écriture, le calcul, ni dans une froide succession de leçons exposant aux élèves les différents chapitres d'un cours. La seule méthode qui convienne à l'enseignement primaire est celle qui fait intervenir tfmr à tour le maître et les élèves, qui entretient pour ainsi dire entre eux et lui un continuel échange d'idées sous des formes variées, souples et ingénieusement graduées. Le maître part toujours de ce que les enrants savent, et, procédant du connu à l'inconnu, du facile au difficile, il les conduit par l'enchaînement des questions orales ou des devoirs écrits à découvrir les conséquences d'un principe, les applications d'une règle, ou inversement les principes et les règles qu'ils ont déjà inconsciemment appliqués. En tout enseignement, le maître, pour commencer, se sert d'objets sensibles, fait voir et toucher les choses, met les enfants en présence de réalités concrètes, puis peu à peu les exerce à en dégager l'idée abstraite, à comparer, à généraliser, à raisonner sans le secours d'exemples matériels.

1. GRÉARD, Rapport sur la situation de l'enseignement primaire de la Seine en 1875.

Arrêté organique du 18 janvier 1887

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C'est donc par un appel incessant à l'attention, au jugement, à la spontanéité intellectuelle de l'élève que l'enseignement primaire peut se soutenir. Il est essentiellement intuitif et pratique : intuitif, c'est-à-dire qu'il compte avant tout sur le bon sens naturel, sur la force de l'évidence, sur cette puissance innée qu'a l'esprit humain de saisir du premier regard et sans démonstration non pas toutes les vérités, mais les vérités les plus simples et les plus fondamentales ; pratique, c'est-à-dire qu'il ne perd jamais de vue que les élèves de l'école primaire n'ont pas de temps à perdre en discussions oiseuses, en théories savantes, en curiosités scolastiques, et que ce n'est pas trop de cinq à six années de séjour à l'école pour les munir du petit trésor d'idées dont ils ont strictement besoin et surtout pour les mettre en état de le conserver et de le grossir dans la suite. C'est à cette double condition que l'enseignement primaire peut entreprendre l'éducation et la culture de l'esprit ; c'est, pour ainsi dire, la nature seule qui le guide : il développe parallèlement les diverses facultés de l'intelligence par le seul moyen dont il dispose, c'est-à-dire en les exerçant d'une manière simple, spontanée, presque instinctive ; il forme le jugement en amenant l'enfant à juger, l'esprit d'observation en faisant beaucoup observer, le raisonnement en aidant l'enfant à raisonner lui-même et sans règles de logique. Cette confiance dans les forces naturelles de l'esprit qui ne demandent qu'à se développer et cette absence de toute prétention à la science proprement dite conviennent à tout enseignement rudimentaire, mais s'imposent surtout à l'école primaire publique, qui doit agir non sur quelques enfants pris à part, mais sur la masse de la population enfantine. L'enseignement y est nécessairement collectif et simultané ; le maître ne peut se donner à quelques-uns, il se doit à tous ; c'est par les résultats obtenus sur l'ensemble de sa classe et non pas sur une élite seulement que son œuvre pédagogique doit être appréciée. Quelles que soient les inégalités d'intelligence que présentent ses élèves, il est un minimum de connaissances et d'aptitudes que l'enseignement primaire doit communiquer, sauf des exceptions très rares, à tous les élèves : ce niveau sera très facilement dépassé par quelques-uns ; mais, le fût-il, s'il n'est pas atteint par tout le reste de la classe, le maître n'a pas bien compris sa tâche ou ne l'a pas entièrement remplie.

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Instruçtions pour l'enseignement primaire

C. Éducation morale 1. Objet de l'enseignement moral L'éducation morale se distingue profondément par son but et par ses caractères essentiels des deux autres parties du programme. But et caractères essentiels de cet enseignement L'enseignement moral est destiné à compléter et à relier, à relever et à ennoblir tous les enseignements de l'école. Tandis que les autres études développent chacune un ordre spécial d'aptitudes et de connaissances utiles, celle-ci tend à développer dans l'homme l'homme lui-même, c'est-à-dire un cœur, une intelligence, une conscience. Par là même l'enseignement moral se meut dans une tout autre sphère que le reste de l'enseignement. La force de l'éducation morale dépend bien moins de la précision et de la liaison logique des vérités enseignées que de l'intensité du sentiment, de la vivacité des impressions et de la chaleur communicative de la conviction. Cette éducation n'a pas pour but de faire savoir, mais de faire vouloir ; elle émeut plus qu'elle ne démontre ; devant agir sur l'être sensible, elle procède plus du cœur que du raisonnement ; elle n'entreprend pas d'analyser toutes les raisons de l'acte moral, elle cherche avant tout à le produire, à le répéter, à en faire une habitude qui gouverne la vie. A l'école primaire surtout, ce n'est pas une science, c'est un art, l'art d'incliner la volonté libre vers le bien. Rôle de l'instituteur dans cet enseignement L'instituteur est chargé de cette partie de l'éducation, en même temps que des autres, comme représentant de la société : la société laïque et démocratique a en effet l'intérêt le plus direct à ce que tous ses membres soient initiés de bonne heure et par des leçons ineffaçables au sentiment de leur dignité et à un sentiment non moins profond de leur devoir et de leur responsabilité personnelle. Pour atteindre ce but, l'instituteur n'a pas à enseigner de toutes pièces une morale théorique suivie d'une morale pratique, comme s'il s'adressait à des enfants dépourvus de toute notion préalable du bien et du mal : l'immense majorité lui arrive au contraire ayant déjà reçu ou recevant un enseignement religieux qui les familiarise avec l'idée d'un Dieu auteur de l'univers et père des hommes, avec

Arrêté organique

du 18 janvier

1887

21

les traditions, les croyances, les pratiques d'un culte chrétien ou israélite ; au moyen de ce culte et sous les formes qui lui sont particulières, ils ont déjà reçu les notions fondamentales de la morale éternelle et universelle ; mais ces notions sont encore chez eux à l'état de germe naissant et fragile : elles n'ont pas pénétré profondément en eux-mêmes ; elles sont fugitives et confuses, plutôt entrevues que possédées, confiées à la mémoire bien plus qu'à la conscience, à peine exercée encore. Elles attendent d'être mûries et développées par une culture convenable. C'est cette culture que l'instituteur public va leur donner. Sa mission est donc bien délimitée ; elle consiste à fortifier, à enraciner dans l'âme de ses élèves, pour toute leur vie, en les faisant passer dans la pratique quotidienne, ces notions essentielles de moralité humaine, communes à toutes les doctrines et nécessaires à tous les hommes civilisés. Il peut remplir cette mission sans avoir à faire personnellement ni adhésion, ni opposition à aucune des diverses croyances confessionnelles auxquelles ses élèves associent et mêlent les principes généraux de la morale. Il prend ces enfants tels qu'ils lui viennent, avec leurs idées et leur langage, avec les croyances qu'ils tiennent de la famille, et il n'a d'autre souci que de leur apprendre à en tirer ce qu'elles contiennent de plus précieux au point de vue social, c'est-à-dire les préceptes d'une haute moralité. Objet propre

et limites

de cet

enseignement

L'enseignement moral laïque se distingue donc de l'enseignement religieux sans le contredire. L'instituteur ne se substitue ni au prêtre, ni au père de famille ; il joint ses efforts aux leurs pour faire de chaque enfant un honnête homme. Il doit insister sur les devoirs qui rapprochent les hommes et non sur les dogmes qui les divisent. Toute discussion théologique et philosophique lui est manifestement interdite par le caractère même de ses fonctions, par l'âge de ses élèves, par la confiance des familles et de l'Etat : il concentre tous ses efforts sur un problème d'une autre nature, mais non moins ardu, par cela même qu'il est exclusivement pratique : c'est de faire faire à tous ces enfants l'apprentissage effectif de la vie morale. Plus tard, devenus citoyens, ils seront peut-être séparés par des opinions dogmatiques, mais du moins ils seront d'accord dans la pratique pour placer le but de la vie aussi haut que possible, pour avoir la même horreur de tout ce qui est bas et vil, la même admi-

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Instructions pour l'enseignement primaire

ration de ce qui est noble et généreux, la même délicatesse dans l'appréciation du devoir ; pour aspirer au perfectionnement moral, quelques efforts qu'il coûte, pour se sentir unis, dans ce culte général du bien, du beau et du vrai qui est aussi une forme, et non la moins pure, du sentiment religieux. 2. Méthode Que par son caractère, par sa conduite, par son langage, le maître soit lui-même le plus persuasif des exemples. Dans cet ordre d'enseignement, ce qui ne vient pas du cœur ne va pas au cœur. Un maître qui récite des préceptes, qui parle du devoir sans conviction, sans chaleur, fait bien pis que de perdre sa peine, il est en faute : un cours de morale régulier, mais froid, banal et sec, n'enseigne pas la morale, parce qu'il ne la fait pas aimer. Le plus simple récit où l'enfant pourra surprendre un accent de gravité, un seul mot sincère vaut mieux qu'une longue suite de leçons machinales. D'autre part — et il est à peine besoin de formuler cette prescription — le maître devra éviter comme une mauvaise action tout ce qui dans son langage ou dans son attitude blesserait les croyances religieuses des enfants confiés à ses soins, tout ce qui porterait le trouble dans leur esprit, tout ce qui trahirait de sa part envers une opinion quelconque un manque de respect ou de réserve. La seule obligation à laquelle il soit tenu, — et elle est compatible avec le respect de toutes les croyances —, c'est de surveiller d'une façon pratique et paternelle le développement moral de ses élèves avec la même sollicitude qu'il met à suivre leurs progrès scolaires : il ne doit pas se croire quitte envers aucun d'eux s'il n'a fait autant pour l'éducation du caractère que pour celle de l'intelligence. A ce prix seulement, l'instituteur aura mérité le titre d'éducateur, et l'instruction primaire le nom d'éducation libérale.

Instructions du 20 juin 1923 relatives au nouveau plan d'études des écoles primaires élémentaires Introduction Deux arrêtés du 23 février 1923 viennent de modifier l'horaire et les programmes des écoles primaires élémentaires. A quel besoin répond cette réforme ? Quelles en sont, dans l'ensemble, les idées directrices ? Quelle en est, dans le détail, la signification ? Il importe que ces questions soient traitées sans retard devant le corps enseignant afin que, dès la rentrée prochaine, instituteurs et institutrices puissent appliquer selon son esprit le nouveau plan d'études. A quel besoin répond la réforme ? Le plan dressé par les auteurs de nos lois scolaires s'est-il révélé défectueux ? En aucune façon. Chaque fois qu'on en relit l'exposé dans les instructions de 1887 on est rempli d'admiration. Et ce n'est pas sans appréhension que nous nous sommes décidés à apporter à ce monument les retouches que le temps rendait nécessaires. Aussi bien nous nous sommes gardés d'en détruire les grandes lignes, et, si importants que puissent paraître certains aménagements nouveaux, ils n'en changent pas le style. En réformant l'institution, nous entendons rester fidèles aux principes des fondateurs. [...] Les auteurs du plan de 1887 ont voulu faire simple. [...] Nous avons pensé qu'il fallait faire plus simple encore que nos devanciers. [...] De cette simplification résultera pour le maître une plus grande liberté. Nous ne guidons point chacun de ses pas. Nous lui faisons confiance. Suivant le niveau de sa classe, il pourra aborder ou écarter telle ou telle question, exposer ou ajourner tel ou tel détail. Il pourra, d'autre part — et même il devra — varier son enseignement selon les besoins de ses élèves, l'adapter aux conditions de la vie locale. Jouiront d'une liberté analogue tous ceux qui auront à guider nos instituteurs : auteurs de manuels scolaires, inspecteurs de tout degré. Mais ils se mettraient en contradiction flagrante avec l'esprit des nouveaux programmes s'ils chargeaient leurs instructions et leurs livres de détails trop nombreux : en rédigeant des programmes courts, nous avons tenu à marquer que l'enseignement primaire doit avoir pour qualité principale la sobriété. Nous reprenons, en y insistant avec énergie, le mot de Gréard que citaient déjà les

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instructions de 1887 : « L'objet de l'enseignement primaire n'est pas d'embrasser sur les diverses matières auxquelles il touche tout ce qu'il est possible de savoir, mais de bien apprendre, dans chacune d'elles, ce qu'il n'est pas permis d'ignorer. » Pour bien enseigner aux enfants « ce qu'il n'est pas permis d'ignorer », il faut savoir choisir et doser, suivant leur âge, les connaissances qu'ils auront à assimiler. L'enseignement doit être gradué. C'est perdre le temps et gaspiller l'énergie des maîtres et des élèves que d'offrir à ceux-ci une nourriture pour laquelle ils n'ont pas de goût et que leur esprit ne saurait digérer. Mieux vaut laisser l'enfant dans l'ignorance que de lui imposer un enseignement prématuré. [...} La méthode à suivre dans l'enseignement primaire a été définie par les instructions de 1887, en termes qui n'ont rien perdu de leur valeur. Méthode intuitive et inductive, partant des faits sensibles pour aller aux idées ; méthode active, faisant un appel constant à l'effort de l'élève et l'associant au maître dans la recherche de la vérité. Méthode inspirée par la grande tradition des penseurs français qui se sont occupés de l'éducation, depuis Montaigne jusqu'à Rousseau. Elle est devenue pour nous si classique, elle est tellement entrée dans nos mœurs, que nous n'en sentons plus toujours la valeur, de même que n'apprécient pas toujours la valeur de la santé ceux qui ont l'habitude de faire jouer leurs organes sans douleur. Elle nous est si naturelle que nous l'appliquons parfois sans le savoir : si bien que nous ne la reconnaissons plus lorsque des auteurs étrangers — ou même des auteurs français — viennent nous en exposer les principes comme s'il s'agissait de sensationnelles nouveautés. La tâche qui s'impose à nous n'est pas de chercher une nouvelle méthode. Notre effort doit consister surtout à éviter qu'à l'usage notre méthode ne s'altère. Qui dit usage dit usure. Tel croit très sincèrement suivre toujours une méthode concrète qui peu à peu se laisse aller à des procédés et à des mots de plus en plus abstraits ; tel croit toujours faire appel à la réflexion de ses élèves qui peu à peu en vient à leur imposer d'autorité ses opinions. Le grand ennemi de l'éducateur, c'est l'habitude. Elle tend à transformer en routines mécaniques les pratiques mêmes, qui étaient destinées à lutter contre la routine et le mécanisme. Aussi, pour obtenir le résultat visé par les auteurs du plan de 1887, sommes-nous obligés, sur ce point, comme sur d'autres, de faire un pas de plus qu'eux. C'est pour ce motif que nous avons éliminé des programmes certaines « théories » abstraites qu'ils y avaient laissées (théories arithmé-

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tiques, par exemple, ou théories musicales). C'est pour ce motif q u a l'observation, qui laisse encore l'écolier passif, nous préférons, dans la mesure où elle peut être pratiquée à l'école primaire, l'expérimentation, qui lui assigne un rôle actif. Dans certaines écoles, les enfants du cours préparatoire eux-mêmes pèsent des liquides et se rendent compte de la différence des densités. Et il faut voir avec quelle joie ils enregistrent les résultats. Nous souhaitons que de telles pratiques se généralisent, que partout les élèves collaborent à la préparation des leçons, à la récolte des matériaux et des documents (qu'il s'agisse de cartes postales illustrées, de plantes ou d'insectes) ; que partout ils fabriquent de leurs mains des objets de démonstration ; que partout ils travaillent effectivement pendant que le maître parle ; que partout on s'ingénie à rendre la classe plus animée et plus vivante. A l'enseignement par l'aspect, forme intéressante de la méthode concrète qui n'a pas dit son dernier mot et que le cinématographe va renouveler, il faut superposer une autre forme de la même méthode, qui n'en est encore qu'à ses balbutiements mais qui décuplera l'efficacité de l'art pédagogique, l'enseignement par l'action. D'après le plan d'études de 1887, l'enseignement primaire vise un double but. Il doit donner à ses élèves « d'abord une somme de connaissances appropriées à leurs futurs besoins, ensuite et surtout de bonnes habitudes d'esprit, une intelligence ouverte et éveillée, des idées claires, du jugement, de la réflexion, de l'ordre et de la justesse dans la pensée et dans le langage ». L'école primaire, dit encore le même document, « ne donne qu'un nombre limité de connaissances. Mais ces connaissances sont choisies de telle sorte que non seulement elles assurent à l'enfant tout le savoir pratique dont il aura besoin dans la vie, mais encore elles agissent sur ses facultés, forment son esprit, le cultivent, l'étendent et constituent vraiment une éducation ». L'enseignement primaire a donc l'ambition d'être à la fois utilitaire et éducatif, de préparer l'enfant à la vie et de cultiver son esprit. Combien de critiques n'ont aperçu que l'une de ces deux fins ? Combien lui ont reproché d'être exclusivement utilitaire ? d'être exclusivement préoccupé du sort qui attend, dès leur sortie de l'école, la majorité de ses élèves ? A vrai dire, le reproche inverse, qui ne lui a pas été épargné, serait peut-être plus justifié : peut-être trouverait-on encore dans nos classes trop d'exercices formels, qui n'ont d'autre but que de soumettre l'esprit ou les doigts à une gymnastique dont les bienfaits ne se feront sentir qu'à longue échéance et qui

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pourraient être avantageusement remplacés par d'autres d'une plus immédiate utilité. Nous n'avons l'intention d'abandonner aucune des deux fins qui ont été assignées à l'enseignement primaire. Nous n'oublions pas que la plupart de nos élèves devront, dès qu'ils nous auront quittés, gagner leur vie par leur travail, et nous voulons les munir des connaissances pratiques qui, dès demain, leur serviront dans leur métier. Mais nous n'oublions pas davantage que nous devons former en eux l'homme et le citoyen qu'ils seront demain. Le souci des réalités urgentes ne nous fera pas négliger le culte de l'idéal. Bien plus, il nous semble que ces deux fins de l'enseignement primaire doivent être considérées comme les deux aspects d'une fin unique. Le travailleur, le citoyen, l'homme ne sont pas trois êtres différents, mais trois aspects d'un même être. Il n'y a pas de véritable éducation, pensons-nous, si l'on ne s'efforce à la fois de cultiver l'être humain et de le préparer à la vie. Une éducation purement utilitaire, qui exclurait de son programme tout ce qui fait la dignité de la conscience et de la pensée, serait non pas un apprentissage, mais un dressage auquel nul père ne voudrait condamner son enfant. Une éducation purement formelle, qui bannirait de son horizon le milieu même où vivra l'enfant, produirait de malheureux déséquilibrés, de véritables déments (s'il est vrai que la folie puisse résulter d'un défaut d'adaptation). Cherchons donc à donner aux enfants du peuple une éducation qui, si l'on ose dire, soit à la fois utilitaire et désintéressée, réaliste et idéaliste, et qui tienne un compte égal de leurs besoins les plus effectifs et de leurs plus nobles aspirations. Dans l'océan immense des notions qui peuvent être offertes à des enfants, puisons celles qui sont susceptibles de former leur jugement tout en servant à leur vie pratique et réciproquement. Ne choisissons que celles qui présentent ce double caractère et elles sont assez nombreuses pour constituer un programme scolaire. Renonçons aux exercices, dits éducatifs, dont l'utilité n'apparaît pas : comme ces mouvements vains qu'on imposait jadis aux prisonniers de certains pays, condamnés à tourner des manivelles qui ne commandaient aucun treuil ni aucun engrenage, ces exercices constituent pour les enfants le pire des supplices. Renonçons, d'autre part, aux leçons qui ne contiendraient qu'un indigeste plat de notions utiles sans doute, mais sans valeur éducative, de notions qui peuvent bien s'emmagasiner dans la mémoire mais ne déclenchent dans l'esprit aucune réflexion. En procédant ainsi, nous donnerons satisfaction aux deux catégories d'élèves qui se rencontrent dans nos classes : à ceux qui doivent

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abandonner leurs études dès la sortie de l'école et à ceux qui pour ront les continuer soit à l'école primaire supérieure ou professionnelle, soit dans un établissement secondaire. Si l'on a cru nécessaire de séparer ces deux catégories d'élèves et de réserver à la seconde des classes spéciales douées de programmes particuliers, c'est que l'on jugeait trop exclusivement utilitaire l'enseignement donné à l'école primaire proprement dite. Nous avons l'intention de supprimer cette dualité et d'assigner aux classes élémentaires et primaires des lycées et collèges les mêmes programmes qu'aux écoles ordinaires. C'est que nous considérons comme indissolublement unies, dans le nouveau plan d'études, les deux fins de l'éducation populaire. En toute discipline, l'instituteur doit s'en tenir aux notions et aux procédés qui, provoquant la réflexion, servent à la pratique ou, servant à la pratique, provoquent la réflexion. Par chacun de ses actes, par chacune de ses paroles, il doit viser à la fois le but utilitaire et le but désintéressé de l'éducation.

Instruction morale et civique Les instructions de 1887 contiennent sur l'objet et la méthode de l'enseignement moral à l'école primaire des pages qui sont devenues classiques. [...] C'est cette primauté de la morale que le nouveau plan d'études a voulu souligner en supprimant la distinction, assez artificielle, qu'établissait l'ancien entre l'éducation physique (où l'on faisait entrer, de gré ou de force, les travaux manuels), l'éducation intellectuelle et l'éducation morale. A l'école primaire, celle-ci déborde sur celle-là. L'instruction n'aurait pas de valeur si elle ne servait à former le jugement, et la culture du jugement, comme le pensait Descartes, est le meilleur moyen de cultiver la volonté. Quant à l'éducation physique, elle prend soin de l'âme autant que du corps ; l'hygiène est une vertu, et ce sont des qualités de la volonté, la décision, l'énergie, l'endurance que donne la gymnastique bien comprise. Sans nier le rôle propre de l'esprit et du corps, sans vouloir tout subordonner, dans l'éducation intellectuelle et dans l'éducation physique, à la culture morale, insistons sur les liens qui unissent celle-là à celle-ci, et sur la place éminente que doit prendre dans les préoccupations de l'instituteur, la formation des consciences et des caractères. [...]

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Histoire et géographie On s'est parfois demandé quel devait être, à l'école primaire, le caractère de l'enseignement historique et géographique : on a voulu opposer le point de vue scientifique et le point de vue civique, les uns soutenant que l'historien, même à l'école primaire, ne doit avoir d'autre souci que de dire toute la vérité, les autres estimant que l'instituteur doit surtout s'attacher à cultiver, par le récit des gloires et par la description des beautés de notre pays, le sentiment patriotique. Nous nous refusons à poser le problème en ces termes. Nous nous refusons à opposer les droits de la science et les droits de la France. Le patriotisme français n'a rien à craindre de la vérité. Ce ne sont pas seulement les gloires communes, ce sont aussi, ce sont surtout les souffrances communes qui scellent l'unité nationale. L'instituteur n'a pas à les dissimuler. Certes, l'enfant de l'école primaire est trop jeune pour qu'on étale devant lui et qu'on livre à sa libre discussion tous les documents sur lesquels pâlissent les historiens. Mais l'instituteur peut, sans hésiter, lui raconter l'histoire de notre pays telle qu'elle résulte des recherches impartiales des savants. La place de la France dans le monde est assez grande, son rôle assez noble pour qu'un enseignement sincère, soucieux de vérité jusqu'à l'intransigeance, favorise l'éclosion et l'épanouissement du sentiment patriotique. Et tel doit être le but de l'enseignement historique et géographique à l'école primaire. [...]

Conclusion Lorsque le nouveau plan d'études entrera en vigueur, lorsque les instructions qui le commentent seront appliquées selon leur esprit, qu'y aura-t-il de changé dans notre école nationale ? Certes, les anciennes pratiques n'auront pas été du jour au lendemain remplacées par des pratiques contraires ; aucune révolution brutale n'aura bouleversé nos institutions scolaires. Nombreux sont les maîtres qui, dès maintenant, s'inspirent de principes analogues à ceux qui ont dicté les nouveaux programmes. Mais, en devenant plus générale, l'application de ces principes permettra de réaliser de sérieux progrès. L'école, telle que nous la rêvons, sera, du dehors, avenante et accueillante, entre un jardin fleuri et des cours ensoleillées. A l'inté-

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rieur, elle sera inondée d'air et de lumière. Et cette gaieté que lui donneront les dispositions matérielles prises par l'architecte, nous voudrions qu'elle fût entretenue grâce aux dispositions pédagogiques prises par l'instituteur. On ne travaille bien que dans la joie. Bien démodées sont les bâtisses scolaires — encore trop fréquentes cependant — qui ressemblent à de sombres prisons. Mais un magister au ton rude ne serait pas moins archaïque. Ce n'est pas à dire que tout règlement disciplinaire doive être aboli : la volonté et la raison de l'enfant sont trop peu formées pour qu'on puisse tout espérer de la persuasion. Mais on peut faire en sorte que l'emploi de la punition devienne exceptionnel et que l'atmosphère de la classe soit à peu près constamment d'une parfaite sérénité. Ce n'est pas par la crainte, c'est par l'affection que le maître obtient le travail le plus régulier et le plus productif. Le travail sera d'autant plus régulier, d'autant plus productif que l'enseignement sera plus vivant. A chaque page de ces instructions, qu'il s'agisse de l'enseignement de la morale ou de celui du travail manuel, de celui de la grammaire ou de celui de la musique, de celui de l'histoire ou de celui des sciences, nous avons préconisé les méthodes susceptibles d'intéresser l'enfant, bien plus, de lui inspirer pour son travail une sorte d'enthousiasme. On aurait tort de confondre la théorie contenue dans ces pages avec la théorie de l'éducation attrayante. Notre but n'est pas d'amuser les écoliers. Mais nous voulons que les écoliers travaillent avec plaisir, parce que le plaisir est un moyen efficace de stimuler leur activité. Le plaisir dont il s'agit n'est pas une jouissance passive, c'est la joie qui accompagne toute activité libre, consciente de travailler à la réalisation d'un bel idéal. C'est la joie qu'éprouve le touriste au cours d'une ascension qui exige pourtant de lui beaucoup d'efforts et beaucoup de fatigue, mais, où il sait que chaque pas le rapproche d'un spectacle magnifique. Ce que nous souhaitons, ce n'est pas qu'on réduise au minimum les efforts intellectuels de l'écolier : c'est au contraire qu'on l'amène à les multiplier en les lui faisant accomplir dans la joie. Tous les procédés qui rendent l'enseignement concret, qui font appel à l'activité de l'enfant, qui permettent de passer par d'habiles transitions du jeu à la leçon, sont de nature à créer dans la classe les dispositions intellectuelles et morales sans lesquelles il n'est pas de bon travail : la curiosité est éveillée, l'intérêt excité, et chacun fait avec entrain une tâche dont il tirera bon profit. Nous ne demandons pas qu'on laisse chacun agir au gré de son caprice : l'école n'est pas plus une salle de jeu qu'elle n'est une prison.

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L'école est l'école : une réunion d'enfants qui travaillent de bon cœur à leur éducation commune, sous la direction de leur maître. Plus d'air, plus d'aisance, plus de liberté, plus de joie et partant plus de travail. Des efforts plus nombreux parce qu'ils seront plus volontairement consentis, des efforts mieux équilibrés et mieux coordonnés parce que chaque discipline occupera sa juste place ; des efforts plus fructueux parce qu'ils seront mieux adaptés aux besoins présents de notre patrie ; des enfants mieux instruits par un dosage plus exact des connaissances qu'ils doivent progressivement acquérir, par une culture plus méthodique de leurs facultés ; des caractères mieux formés par une éducation morale moins abstraite mais non moins haute : voilà ce que nous attendons de cette réforme de l'enseignement primaire. Puisse-t-elle donner au pays des travailleurs, des citoyens, des hommes qui, imbus de son idéal, contribuent à accroître sa prospérité et sa grandeur. Le ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts, Léon BÉRARD.

Instructions pour l'enseignement primaire, relatives à l'application des arrêtés du 23 mars 1938 et du 11 juillet 1938

Paris, le 20 septembre 1938 La prolongation de la scolarité obligatoire et la réorganisation de l'enseignement du second degré procèdent des mêmes intentions et tendent à la même fin que le projet de loi portant réforme de l'enseignement. La mise en œuvre de ces mesures nous a, dès maintenant, conduit, par une incidence nécessaire, à retoucher programmes et horaires dans les trois dernières années d'enseignement primaire, et à modifier l'aspect sinon le caractère du certificat d'études primaires élémentaires. Il fallait, en effet, assurer les transitions utiles entre le premier et le second degré d'enseignement, relier plus intimement l'école à la vie, et lui donner ainsi le moyen d'évoluer au même rythme et de se renouveler comme elle. Tel est l'objet des arrêtés en date du 23 mars et du 11 juillet 1938 qui, sans porter atteinte à l'œuvre de 1923, pratiquent dans son architecture les ouvertures nécessaires.

Horaires Les deux arrêtés de mars et de juillet 1938 étendent à l'ensemble de la scolarité primaire les pratiques qui sont appliquées depuis deux ans dans un certain nombre de départements. La scolarité hebdomadaire continue à comporter trente heures. Mais l'enseignement proprement dit se trouve allégé de six heures, dont trois sont consacrées à des exercices de sport et de plein air et trois réservées à des modes d'éducation plus libres, moins asservis aux méthodes qui s'imposent à l'intérieur de la classe. a. Education physique, sport, plein air Nous voulons inspirer aux enfants le goût de la culture corporelle et de la vie en plein air. En prévision de mesures d'ensemble relatives à l'éducation physique dans l'enseignement primaire élémentaire, nous avons réservé le temps nécessaire pour la pratique de cette éducation. Dans l'état présent de l'équipement de nos écoles pour l'éducation physique, les sports et les jeux, nous devons donner quelques précisions sur son emploi.

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primaire

En principe, toutes les fois que la possibilité en apparaîtra, il devra consacrer une demi-journée complète à la pratique réglée de ces exercices. C'est là un idéal auquel nous devons tendre. Cependant toutes les communes ne possèdent pas encore de terrains propices aux exercices de plein air. Et toutes les écoles ne disposent pas d'espaces couverts pour les jours de mauvais temps. Nous devons compter avec cette absence d'équipement et en même temps avec les obstacles qu'apportent les saisons. Même dans les pays les mieux partagés, il y a bien des cas où pendant certaines périodes on se trouvera empêché d'utiliser la demi-journée de plein air. Nous laissons donc la possibilité d'étaler ces trois heures sur plusieurs jours. Mais en étudiant les combinaisons d'horaires, on n'oubliera pas qu'il y a un minimum de durée au-dessous duquel on ne saurait descendre sans contrevenir à l'esprit même de nos directives. [...} b. Activités

dirigées

Les expériences faites depuis deux ans ont suscité un grand mouvement d'intérêt. Le but poursuivi a été clairement mis en relief par les exécutants. Il s'agit de mettre à profit les leçons qui se dégagent de toutes les expériences pédagogiques faites en France et à l'étranger au cours de ces dernières décades. De toutes ces tentatives que l'on groupe sous le nom général d'école nouvelle et qui visent à faire un appel direct à l'activité spontanée de l'enfant, nous avons beaucoup à tirer. Nous souhaitons que la curiosité de nos maîtres soit orientée dans ce sens. Classes-promenades Si les trois heures d'activités dirigées sont utilisées par un maître diligent, elles doivent fournir les acquisitions les plus solides qui serviront de fondement à un enseignement moins formel et plus proche de la vie. L'ingéniosité des maîtres est appelée à se donner libre cours et l'on peut concevoir une infinité de modalités dans l'organisation de ces heures et dans l'utilisation des ressources du milieu local. C'est la promenade au cours de laquelle la conversation est orientée vers l'analyse du paysage. Leçon de géographie, de botanique, d'agriculture ? Non, certes ; mais un appel à l'observation directe où la formule, trouvée parfois, d'autres fois suggérée, vient à son heure et comme d'elle-même — la formule qui sera

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reprise plus tard en classe, sous une forme plus méthodique. C'est la visite d'un monument historique devant lequel s'éveille le sens du passé. L'éloquente leçon des vieilles pierres ne suscitera peut-être pas beaucoup de vocations historiques comme celle de Michelet, mais son langage peut trouver un écho dans toutes les âmes enfantines. Ce sont des visites de chantiers ou d'usines moins orientées vers la connaissance d'une technique changeante que destinées à donner à l'enfant le sens de la grandeur et de la noblesse de l'effort humain. Initiatives A l'école même et dans ses environs immédiats, c'est une longue séance au jardin où le développement de l'habileté manuelle, l'observation minutieuse du sol, de la plante, des animaux, de leur croissance et de leurs transformations deviennent possibles. C'est peut-être aussi une séance de projections ou de cinéma avec commentaires, commentaires spontanés de la classe mais disciplinés et adroitement orientés par le maître. Ce sont enfin et surtout les initiatives de l'élève isolé ou du groupe d'élèves que l'on recueille, que l'on stimule, dont on favorise 1 eclosion et le développement dans une atmosphère de liberté réglée. L'enfant devient l'artisan de sa propre éducation en même temps que son sens social se développe. éducation esthétique Deux ordres d'activité ont naturellement leur place dans ces trois heures. D'abord celles qui ont trait à la formation esthétique de l'enfant et particulièrement le chant choral. Malgré de sensibles progrès, la place de ce dernier est encore trop limitée dans nos écoles. On ne pourra plus désormais tirer argument de l'influence ou de la fragmentation de l'horaire. Dans les villes, les visites de musée apparaîtront comme un puissant moyen d'éducation esthétique. En second lieu, les activités manuelles. On a déjà mentionné les travaux horticoles mais il y a d'autres possibilités encore, même avec un outillage réduit au minimum, aussi bien dans les écoles de garçons que dans les écoles de filles. Nous ne disons rien de plus parce que des suggestions trop minutieuses conduiraient peut-être à ce mécanisme que nous prétendons combattre. Aussi bien trouvera-t-on plus loin (classe de fin d'études), des directions générales pour les travaux manuels. On voit qu'il y a une ample matière pour l'emploi de six heures 2

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hebdomadaires. Et les vingt-quatre heures d'enseignement qui restent se trouvent dégagées et vivifiées. L'objection est que nous allons imposer un programme à ces exercices et que nous serons assez loin des formules qui font tout reposer sur le libre choix de l'enfant. Elle n'est pas nouvelle et les premiers critiques de l'Emile l'ont déjà faite. Mais toute éducation est suggestion et liberté ordonnée. Fêtes

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Toute éducation doit aussi être joie. Pour cette raison, nous attachons un grand prix aux fêtes scolaires. Dans les conditions actuelles, la préparation de ces dernières ou bien impose un surcroît de travail aux maîtres, une charge dont ils s'acquittent avec dévouement, mais non sans fatigue, ou bien se concilie mal avec la pratique des horaires en vigueur. Désormais, elle pourra se répartir sur le cours de l'année et s'insérer sans difficulté dans l'utilisation des six heures hebdomadaires. On ne saurait dissimuler que la mise en pratique d'un tel dessein ne se heurte pas aux mêmes obstacles dans les centres urbains et dans les écoles rurales. Dans les villes, les écoles publiques comptent en général plusieurs classes, chaque maître a la responsabilité d'un groupe relativement homogène au point de vue du développement intellectuel, l'on dispose assez souvent d'espaces couverts et parfois de terrains de jeux avec un matériel suffisant. Adaptation aux écoles rurales Dans les écoles rurales à une seule classe, le problème est autrement complexe puisqu'un même maître doit diriger en même temps les occupations de plusieurs groupes d'enfants d'âges très différents. On ne croit pas cependant qu'il passe en difficulté celui qui se pose dans ces mêmes écoles à toutes les heures de la vie scolaire. Aux exercices qui se déroulent en dehors de l'enceinte scolaire, toute l'école peut participer : les mêmes images se gravent dans la mémoire de tous, chaque enfant retire du commentaire le bénéfice que comporte son âge. Pour ceux qui se déroulent dans la classe aux abords immédiats de l'école, la préoccupation naturelle du maître est d'exercer une surveillance constante sur tous les groupes à la fois. Une répartition judicieuse des occupations, l'emploi raisonné des chefs de groupe rendront possible le contrôle d'exercices simultanés. Nous demandons à nos maîtres de tirer profit de tout ce qui se fait autour

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d'eux. Il n'y a vraiment aucune raison pour que la bonne volonté et l'expérience de nos instituteurs et institutrices ne triomphent pas de ces réelles difficultés. Nous demandons à tous un effort dont nous ne dissimulons pas l'étendue. Mais l'école publique se défend par la souplesse de ses adaptations. Responsabilités Les maîtres et maîtresses pourraient être arrêtés par la crainte légitime des responsabilités légales en cas d'accident. On répétera ici que la loi du 5 avril 1937 substitue la responsabilité de l'Etat à celle des membres de l'enseignement public. Elle prescrit que ceux-ci ne pourront jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants. Il en sera ainsi toutes les fois que pendant la scolarité, ou en dehors de la scolarité, dans un but d'éducation morale ou physique non interdit par les règlements, les enfants ou jeunes gens confiés aux membres de l'enseignement public se trouveront sous la surveillance de ces derniers. [...]

Conclusion Les présentes instructions éclairent assez nos intentions. Notre conclusion maintenant sera brève. Nous voulons que l'enseignement primaire se conjugue plus étroitement avec les autres ordres d'enseignement et puisse aisément s'adapter à leur évolution nécessaire. Nous voulons qtfil demeure cependant, pour le plus grand nombre, un enseignement complet, c'est-à-dire une préparation directe aux tâches, aux devoirs, aux combats et aux joies aussi de la vie tout entière. Chacune des pages qui précèdent reflète notre désir de former les enfants au goût de l'observation précise et efficace, de susciter et d'encourager la 'spontanéité de leurs réflexions et de leurs initiatives, de leur inspirer le goût de l'action et l'exaltante admiration des belles œuvres, de développer en eux les dons de corps, de cœur et d'esprit qui font les travailleurs, les citoyens, les hommes véritables. Notre méthode est simple en vue de cette fin. Elle fait appel aux qualités mêmes qu'on entend affirmer, et limite les programmes aux questions et aux exercices dont la pratique de la vie offre des exemples ou prouve l'utilité. Elle se fonde à la fois sur la doctrine des grands éducateurs, qui sont aussi de grands penseurs, et sur une

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expérience pédagogique aussi ancienne que l'école laïque elle-même et aussi jeune quelle. C'est assez, avec le dévouement et l'ingéniosité dont les maîtres donnent chaque jour tant de preuves, pour que ce nouvel aménagement de notre enseignement réponde pleinement à toutes nos espérances. Le ministre de l'Education nationale, Jean ZAY. (Journal Officiel, 24 septembre 1938.)

Instructions du 30 septembre 1938 pour l'enseignement du second degré

L'enseignement du second degré : son objet, son esprit, sa méthode L'enseignement du second degré se développe en deux périodes dont la première comprend les quatre premières années d'études : la seconde, les trois suivantes. Dans cette seconde période, l'enseignement n'a pas le caractère d'une revision de programmes déjà parcourus ni d'une répétition de choses déjà faites. Chaque période a sa fonction pédagogique qui lui est propre. Au premier stade, l'enseignement a pour rôle d'ouvrir l'esprit des enfants aux notions fondamentales qu'on doit acquérir et posséder solidement pour s'élever à la culture humaniste qui sera complétée au second stade des études. Les programmes de 1938 et les présentes instructions ne se rapportent qu'à la première période du second degré ; mais l'objet de cet enseignement, l'esprit qui l'anime tout entier, du commencement à la fin des études, et la méthode générale que tous ses maîtres appliquent dans toutes les disciplines et dans toutes les classes, peuvent être définis dès maintenant. Son objet Ce qui donne à l'enseignement du second degré son caractère original, ce qui constitue sa fonction propre, ce qui lui confère enfin, dans la diversité de ses disciplines et le fractionnement de ses sections, une unité profonde et organique, que marque la coordination des programmes, c'est qu'il vise à former l'esprit des enfants et à leur donner une culture générale. Son rôle est moins de les pourvoir d'un bagage de connaissances utiles que de favoriser le libre et complet développement de leurs facultés et d'en faire des hommes, en cultivant chez eux tout ce qui fait l'excellence de l'homme : l'intelligence, le cœur, le caractère, le sens moral, le goût du beau. C'est par cet objet et non pas uniquement par son contenu que doit se définir un enseignement humaniste. Ce qui distingue donc l'enseignement du second degré, ce sont

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moins les matières qu'on y enseigne que l'esprit dans lequel on les enseigne et les fins qu'on poursuit en les enseignant. Dans les différentes carrières qu'ils choisiront plus tard, ses élèves n'auront peut-être pas souvent l'occasion d'utiliser directement les notions positives d'histoire, de littérature, de sciences, acquises par eux au cours de leurs études. Mais ils auront besoin, en maintes circonstances, de savoir démêler le vrai du faux, à travers les contradictions des hommes ; ils devront être à même de reconstituer, à l'aide de quelques indices fragiles et fragmentaires, un état psychologique ou un état de fait, selon la plus haute vraisemblance ; ils devront être capables de faire face à des situations inopinées, de résoudre des problèmes imprévus, d'imaginer des moyens nouveaux exactement adaptés à des fins nouvelles, de faire ce qu'ils n'auront encore jamais fait ; ils devront être capables d'examiner toutes choses en les rapportant à leurs principes et de raisonner sur elles en ne faisant état que des faits bien et dûment constatés ; ils devront être exercés à observer, à mesurer, à critiquer leurs propres observations, en procédant à des vérifications rigoureuses, à des dénombrements complets, à des expériences décisives ; ils devront être capables d'embrasser une question complexe dans son ensemble et de l'analyser dans ses détails, en mettant chaque chose à sa place et sur son plan, d'exposer clairement, méthodiquement, objectivement une affaire, de lire une pièce (lettre, document, rapport) et de la lire entre les lignes, en en saisissant exactement la signification, la portée, la valeur, le ton, en perçant jusqu'à l'esprit et à l'âme du rédacteur et jusqu'aux choses, à travers les mots ; ils devront être capables d'exprimer, de leur côté, par la parole et par la plume, tout ce qu'ils auront à dire, sans rester en deçà et sans aller au-delà de leur pensée ; ils devront posséder l'art de persuader les hommes, c'est-à-dire de convaincre leur raison et de gagner leur cœur ; ils auront besoin de connaître et de comprendre le monde où ils seront appelés à vivre, et pour cela de savoir ce qu'il a été, ce qu'il est devenu et comme il va ; ils devront surtout connaître les hommes et les peuples, dans leur diversité individuelle et nationale et dans leur unité humaine, pour être capables de comprendre leurs besoins et d'entrer dans leurs idées, dans leurs sentiments, dans leurs passions, parce que, dans le maniement des affaires publiques et privées et même dans la vie courante, les erreurs de psychologie sont plus fréquentes, plus désastreuses et plus difficilement réparables que les fautes de technique ; ils devront se garder de mépriser ou de méconnaître les valeurs qui n'entrent pas dans les calculs et qu'on ne peut pas mettre en équation, les valeurs

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spirituelles : l'art, la pensée, le désintéressement, l'enthousiasme, la foi, en se disant que ces impalpables leviers transportent les montagnes et ébranlent le monde. Enfin, il est bon, il est nécessaire qu'ils aient acquis de bonne heure et qu'ils conservent, jusque dans l'exercice de leurs professions, le respect de l'esprit, le goût des choses de l'esprit et l'habitude de ménager à l'esprit des loisirs : un homme vraiment homme ne se laisse pas envahir par son métier ; il le fait en conscience et l'aime, mais le dépasse et le domine. C'est à former des hommes doués de ces aptitudes et possédant ces dispositions que concourent les études littéraires, historiques, scientifiques, artistiques dans l'enseignement du second degré. Sans doute tous les enfants qui sont appelés à faire ces études n'atteindront pas à ce niveau de formation intellectuelle et de culture ; mais c'est là l'idéal auquel tous doivent tendre et dont chacun se rapprochera suivant ses capacités. L'objet de cet enseignement en détermine l'esprit et la méthode. Son esprit Primauté de l'intelligence Enseignement de culture en même temps que de formation, il ne saurait faire fi du savoir : « Laissez dire les sots : le savoir a son prix » ; mais il attache peut-être plus de prix encore au bénéfice intellectuel que l'enfant doit retirer des études. Les maîtres de cet enseignement ne s'intéressent pas moins à la chasse qu'à la prise, comme disait Pascal ; ils sont indulgents à l'ignorance, qui est parfois excusable et qui est toujours réparable, mais ils tiennent la sottise pour rédhibitoire. Ils ne se proposent pas de former des esprits sans lacunes — il n'est pas d'esprit sans lacunes, et on a pour en combler quelques-unes toute l'existence et tous les livres — mais des esprits sans fêlures. Ils permettent donc à leurs élèves d'ignorer beaucoup de choses, à condition qu'ils en sachent assez pour comprendre et pour juger. Pas de méthode d'autorité La méthode d'autorité est absolument étrangère à l'esprit de cet enseignement. Les maîtres habituent les élèves à voir par leurs yeux et à penser de leur chef, puis à dire librement, sincèrement ce qu'ils auront vu et pensé ; à ne s'incliner devant l'autorité d'aucun maître, pas même le leur, et à ne rendre les armes qu'à l'évidence, mais à

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les lui rendre honnêtement, toujours. Aussi n'éprouvent-ils jamais de plus vive satisfaction ni de plus juste fierté que lorsqu'ils lisent dans leurs yeux, au cours d'une explication ou d'une discussion, une opposition, une résistance : « Enfin, se disent-ils, ils doutent, donc ils pensent ; donc nous avons fait notre métier. » « La faiblesse de juger toujours sur la foi d'autrui, la manie de parler de ce qu'on ignore, voilà, disait un des maîtres qui ont honoré l'enseignement secondaire, la mauvaise herbe qu'il faut inlassablement, impitoyablement extirper. » Esprit libéral Un pareil enseignement ne peut qu'être foncièrement libéral. Les maîtres ne cherchent pas plus à plaquer des idées dans l'esprit qu'à y entasser un fatras de connaissances. Ils sont trop persuadés que les idées ne se plaquent pas, parce qu'une « idée » qui n'est pas le résumé et la synthèse d'un grand nombre d'observations et d'expériences personnelles n'est qu'une formule vide de sens et ne peut pousser dans l'esprit des racines profondes et vivaces. Ils apprennent à leurs élèves — c'est du moins leur plus haute ambition — à se former eux-mêmes leurs idées. Ils admettent qu'une question ne comporte pas forcément une réponse unique, qu'un problème littéraire ou moral est susceptible de recevoir plusieurs solutions, que la meilleure solution se discute, qu'un sujet de composition n'impose pas un plan nécessaire et préétabli. Ils laissent donc à leurs élèves la plus grande liberté dans la manière de concevoir, d'organiser, de traiter les sujets ; il leur suffit qu'ils écrivent raisonnablement des choses raisonnables. Mais ils veillent à ce que les élèves ne perdent jamais de vue que dans toute discussion, il faut conclure, qu'après avoir pesé le pour et le contre, il faut se décider à choisir, s'engager, accepter le risque. Ils forment ainsi, non des sceptiques ni des dilettantes, mais des esprits ayant le sens du divers et du relatif, ouverts à toutes les idées, tolérants, mais ne séparant pas l'exercice de la pensée de la nécessité d'agir. Sa

méthode

Méthode active Un enseignement de formation intellectuelle ne peut procéder que par une méthode active. Pour former l'esprit, Montaigne l'avait

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bien vu, il est indispensable de l'exercer : « J e voudrais (je voudrais bien voir) dit-il, que Le Paluel et Pompée, ces beaux danseurs de mon temps, nous apprissent des cabrioles à les voir seulement faire, sans nous bouger de nos places, comme ceux-ci (c'est-à-dire les pédagogues de son temps) veulent instruire notre entendement sans l'ébranler ; ou qu'on nous apprît à manier un cheval, ou une pique, ou un luth, ou la voix, sans nous y exercer, comme ceux-ci nous veulent apprendre à bien juger et à bien parler, sans nous exercer ni à parler, ni à juger. » Poser des problèmes Les professeurs exercent l'esprit de l'enfant d'abord en le tenant en éveil et en haleine par des questions incessantes, en lui posant de petits problèmes, en l'habituant à s'en poser lui-même, à s'interroger et à interroger ses camarades, à sentir les difficultés réelles, et ils entretiennent en lui cette précieuse faculté de s'étonner et d'admirer, dont Descartes faisait la passion fondamentale et qui est, en effet, le principe et le signe de l'activité spirituelle. Dans l'enseignement du second degré, le talent du professeur se réduit, ou peu s'en faut, au grand art socratique d'interroger. En cette matière, où les dons personnels du maître ont tant de part, il faut se garder de restreindre son initiative en spécifiant le genre de questions qu'il peut poser. Qu'il se dise seulement que les questions auxquelles les enfants ne trouvent pas de réponse ne sont pas toujours des questions trop difficiles, mais parfois seulement des questions mal posées. Il y a des questions trop générales, des questions vagues, des questions factices ; il y en a surtout que les élèves ne sont pas en état de résoudre par eux-mêmes, faute d'avoir en main tous les éléments de solution. Celles-là ne valent rien, ne donnent rien, ne prouvent rien. [...] Partir de l'expérience accessible à l'enfant C'est même de cette expérience qu'il part toujours. Son enseignement n'est pas dogmatique ; il procède suivant une méthode inductive. Il ne fait ni cours, ni leçon ex cathedra. S'agit-il d'enseigner à l'enfant l'orthographe, la grammaire ou la langue, l'enseignement se fonde sur des faits réels. S'agit-il de lui proposer un sujet de rédaction, c'est à ses observations, à ses lectures, à ses souvenirs, à ses impressions personnelles qu'on l'empruntera de préférence. S'agit-il de le faire entrer dans les idées des hommes d'autrefois, dans des

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sentiments qui ne sont plus les nôtres, de lui faire remarquer et comprendre des traits de mœurs qui ne seraient plus vrais de nos jours, c'est en les rapportant aux idées et aux sentiments de l'enfant, aux usages de notre temps que le professeur s'y efforce. S'agit-il de lui faire aborder les classifications des sciences naturelles, les problèmes de la biologie et de la géologie, c'est en mettant sous ses yeux, c'est en lui faisant observer les objets de ces sciences qu'on l'initiera à leur étude. On lui montrera des animaux, des plantes, des minéraux, dont il aura à remarquer et à énoncer les ressemblances et les différences ; on lui fera observer au microscope la constitution d'une cellule ou une agitation microbienne ; une projection animée, soit ralentie, soit accélérée, lui rendra sensible, tantôt la décomposition d'un mouvement, tantôt la synthèse d'une croissance ou d'une évolution ; au cours d'une excursion bien préparée et bien conduite, il observera, dans les couches étagées d'une carrière ou dans les stratifications d'une colline ouverte par une tranchée, les traces des mouvements de l'écorce terrestre qui ont formé les accidents du sol ; en physique et en chimie, une expérience ou une manipulation permettra de contrôler une hypothèse et de vérifier, sommairement ou avec précision, un principe énoncé ; les mathématiques elles-mêmes s'appuient sur le réel : l'enfant aura vu dans la réalité les figures dont on lui nommera les éléments ; on partira des petits problèmes concrets qu'il aura dû se poser dans la vie pour le conduire aux notions abstraites qui lui en fourniront la solution et pour lui faire comprendre l'intérêt des mécanismes algébriques ; en le faisant dessiner, on attirera son attention sur les points et les lignes essentiels des modèles, sur les jeux de lumière et d'ombre, sur les oppositions de couleurs. Élargir l'expérience Le professeur ne va pas seulement du connu à l'inconnu ; c'est en associant étroitement celui-ci à celui-là ; c'est en faisant entrer les acquisitions nouvelles dans des systèmes de connaissances, d'idées, de souvenirs qu'il les installe fermement dans l'esprit et qu'il prépare l'esprit à accueillir, à assimiler, à intégrer dans la somme de ses expériences passées les apports incessants de son expérience à venir. C'est là le principe même de tout enseignement de culture. Cultiver la mémoire Mais il y a des mécanismes qu'il faut savoir employer au profit

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de l'intelligence et de la culture. On a dit trop de mal de la mémoire et notre pédagogie l'a peut-être parfois trop négligée ou mal employée. Elle est nécessaire à l'exercice de l'intelligence qui ne peut fonctionner à vide. Il importe de lui faire jouer le rôle qui lui revient. Pendant que la mémoire de l'enfant est encore fraîche et perméable, il faut l'imprégner de souvenirs, de perceptions et d'images qui s'organiseront d'eux-mêmes dans l'inconscient et en surgiront à l'appel des sensations et des perceptions nouvelles. Un esprit cultivé est un esprit riche, capable d'un grand nombre d'associations et de combinaisons mentales variées dont il est bon de déposer de bonne heure en lui les éléments. Mettre en œuvre le savoir acquis Il est vrai pourtant que : « savoir par cœur n'est pas savoir », en ce sens qu'on ne possède effectivement que ce qu'on met en œuvre. De là l'importance des exercices dans une pédagogie active comme celle de l'enseignement du second degré. Les notions précédemment acquises ne doivent pas rester inertes et stériles dans l'esprit. Il faut les employer activement dans des exercices faits en classe qui provoquent une perpétuelle mobilisation du savoir acquis : exercices d'application des règles et des tours de la langue française, exercices d'élocution, exercices de rédaction, problèmes de mathématiques ou de physique, manipulations, comptes rendus graphiques d'expériences. La classe doit être non seulement l'école où l'on apprend, mais l'atelier où l'on travaille et où l'on met en œuvre ce qu'on a appris. Cette méthode permet de réduire le travail exigé de l'élève hors de la classe et de l'organiser plus facilement. Nécessité du travail Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que l'objet de toute éducation est de donner à l'enfant le sens de l'énergie et l'habitude de faire porter son effort sur les lignes de plus grande résistance. C'est ainsi que l'enseignement peut contribuer à l'éducation de la volonté, avoir, sans que le professeur se mêle de moraliser, une efficacité morale, et atteindre, par-delà l'intelligence, les racines mêmes de l'être. Mesurons donc le travail de l'enfant, montrons-lui comment on doit travailler pour éviter le gaspillage des forces, dirigeons son effort afin que cet effort ne reste jamais vain ; accordons à la culture de son corps sa juste part ; ménageons à son esprit des loisirs où il pourra satisfaire ses goûts et déployer librement son activité,

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mais, après tout cela, qu'il soit et demeure convaincu de la nécessité indispensable du travail, non seulement du travail attrayant et aisé, mais du travail austère et pénible. Si le maître doit, comme dit Montaigne, « condescendre aux allures puériles » de l'enfant, c'est pour l'élever à l'allure virile. [...]

La réforme de l'enseignement : décret du 6 janvier 1959

TITRE I ER

De l'enseignement obligatoire public Article premier. — L'enseignement obligatoire public assure à tous les enfants des conditions égales devant l'instruction. Art. 2. — L'enseignement obligatoire public comporte trois phases : 1° un cycle élémentaire, ouvert à partir de la 6 e année, en principe pendant une durée de cinq ans ; 2° un cycle d'observation, ouvert après l'enseignement élémentaire, d'une durée de deux ans, et comportant, avec la progression normale des études, l'observation des aptitudes des élèves définie au titre II. 3° jusqu'au terme de l'obligation scolaire, un cycle terminal, défini à l'article 5, ou l'un des enseignements définis aux titres III et IV du présent décret. Art. 3. — Le cycle élémentaire est le même pour tous, il assure l'acquisition des connaissances et des mécanismes de base. Art. 4. — Le cycle d'observation est défini et organisé conformément aux dispositions du titre II du présent décret. Art. 5 — Le cycle terminal fait suite au cycle d'observation ou à l'enseignement de deux ans qui complète le cycle élémentaire pour les élèves n'entrant pas au cycle d'observation. Sa durée est de deux ans. « Son programme assure une formation générale de caractère concret. « Le cycle terminal est sanctionné par un diplôme de fin d'études obligatoires. « L'enseignement professionnel peut achever la scolarité obligatoire pour des élèves qui, à l'issue des quatre années d'études faisant suite au cycle élémentaire, n'ont pas atteint l'âge de seize ans. »

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La réforme de l'enseignement

Le Premier Cycle et les Collèges (Décret du 9 juillet 1968.) Art. 28 bis (ajouté par le décret du 3 août 1963 puis modifié par le décret du 9 juillet 1968). — Les enseignements du premier cycle, d'une durée de quatre ans, comprennent : Les quatre premières années de l'enseignement général long, classique et moderne. Les quatre années de l'enseignement général court. Les deux années qui complètent le cycle élémentaire pour les élèves n'entrant pas au cycle d'observation (cycle de transition) et les deux années du cycle terminal. Les classes des divers enseignements du premier cycle peuvent être groupées dans des « collèges d'enseignement secondaire » dont le statut sera fixé par décret. Indépendamment de celles qui sont ouvertes dans tous les collèges d'enseignement secondaire, les classes de transition et les classes du cycle terminal fonctionnent dans les collèges d'enseignement général. Circulaire du 9 août i960 Dans la nouvelle terminologie, les classes de 6 e et 5 e constituent le cycle d'observation d'un établissement. Par ailleurs, les unités dispersées limitées aux classes de 6e et 5 e s'appellent désormais des groupes d'observation dispersés qui, comme antérieurement, sont rattachés administrativement et financièrement à un établissement. Enfin, les groupements de classes de 6* ou de classes de 5 e appartenant à divers établissements et dotés d'un conseil d'orientation commun portent le nom de groupes d'orientation. Sont dénommés : 1° Collèges d'enseignement général les établissements donnant l'enseignement général court (anciens cours complémentaires). 2° Collèges d'enseignement technique les établissements chargés d'assurer la formation des professionnels qualifiés (anciens centres d'apprentissage). La circulaire du 17 octobre 1963 — ci-après — précise les conditions d'ouverture et de fonctionnement des collèges d'enseignement secondaire.

Décret du 6 janvier

1959

Circulaire du 17 octobre

1963

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(extraits)

Les collèges d'enseignement secondaire assument la mission de réaliser pour la première fois dans l'évolution de notre système éducatif, la coopération sous le même toit et pour tous les enfants de chaque génération, des maîtres qualifiés appartenant aux divers ordres d'enseignement. Cette coopération dont l'intérêt est d'adapter les caractéristiques pédagogiques propres aux diverses catégories de maîtres à la diversité des aptitudes des élèves tout au long du premier cycle, doit justifier les espoirs qui ont été mis en elle.

Fonctionnement pédagogique 1. Organisation

générale

Au niveau du cycle d'observation, l'enseignement se différencie entre sections de transition (T) d'une part, sections d'enseignement général d'autre part. Ces dernières, après le premier trimestre de 6 e , comporteront une section classique ( A ) 1 assurée par des professeurs certifiés et deux sections modernes (Ml et M2) assurées respectivement par des professeurs certifiés et par des professeurs polyvalents de CEG. L'enseignement dans les classes de transition a fait l'objet de la circulaire du 15 juillet 1963. En ce qui concerne les sections générales, les programmes communs sont fixés par l'arrêté du 7 mai 1963. [...} L'éventail de ces différentes sections permet d'accueillir dans le collège d'enseignement secondaire tous les élèves d'un secteur déterminé qui ont quitté l'école élémentaire ; en particulier, les classes de transition se substituent aux classes de fin d'études ; elles offrent un enseignement mieux adapté aux possibilités réelles des élèves qui n'ont pu être admis dans les sections d'enseignement général. Après le cycle d'observation, le collège d'enseignement secondaire comporte : D'une part les classes de 4 e et 3e dites « pratiques » (P), du cycle terminal. D'autre part les classes de 4 e , 3 e , d'enseignement général. 1. Article modifié depuis 1968, puisque la section classique (A) n'existe plus qu'à l'entrée en classe de 4 e (N.d.l'A.).

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La réforme de l'enseignement

Les premières sont réservées aux élèves plus doués pour les activités concrètes que pour les programmes de l'enseignement classique ou moderne. Les classes d'enseignement général comportent les mêmes sections que ci-dessus. Le programme B (deux langues vivantes) et le programme A (grec et une langue vivante) sont éventuellement donnés tous deux dans la section classique. Les sections modernes ( M l et M2) peuvent suivre le programme défini par l'arrêté du 23 juin 1962 modifié par l'arrêté du 22 mai 1963 (deux langues vivantes ; technologie-physique). Des élèves de la section M2 peuvent cependant être dispensés de la deuxième langue s'il s'avère que leurs possibilités immédiates ou leur orientation ultérieure — dans la mesure où on peut la prévoir •— les amènent à préférer tirer parti plutôt d'un renforcement de l'étude de la première langue vivante ; le programme est alors celui dit « formule réduite » de l'arrêté du 25 juin 1962 modifié. [...] Enfin les collèges d'enseignement secondaire peuvent prévoir au niveau des classes de 5 e et de 4 e les enseignements d'adaptation en latin et en langues vivantes prévus par les textes en vigueur, en vue de faciliter le passage des élèves d'une section à l'autre (arrêté du 2 juin i960, article 18 ; arrêté du 25 avril 1961 ; arrêté du 8 mai 1962). Lorsque le nombre des élèves suivant l'un ou l'autre de ces enseignements, qui ne doit pas être inférieur à cinq, n'atteint pas dix, les horaires prévus par les textes précédents sont réduits à quatre heures pour le latin et limités à un semestre pour les langues vivantes étrangères. 2. L'orientation à l'intérieur du CES Un des buts essentiels des collèges d'enseignement secondaire est de faciliter d'une part l'information des familles, d'autre part l'observation et l'orientation efficace des élèves, cette dernière étant notamment assurée par des facilités de communication entre les différentes sections. Le premier trimestre de la classe de 6 e est le point de départ de l'orientation. Une répartition provisoire des élèves dans les classes a été effectuée dès la rentrée en tenant compte des vœux des familles et de ce que l'on connaissait des aptitudes des élèves d'après le dossier scolaire. Au cours du premier trimestre, les conseils de classe, sous l'impulsion des professeurs principaux, se réunissent, conformément aux dispo-

Décret du 6 janvier 1959

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sitions en vigueur, afin de dresser un premier « portrait » de chaque élève, en s'intéressant aux résultats et aptitudes proprement scolaires ainsi qu'aux aspects du caractère et de la personnalité utiles à connaître pour les orientations ultérieures. En décembre, le conseil d'orientation émet un avis sur la section conseillée à chaque élève pour la rentrée de janvier. Ce conseil est placé sous la présidence du chef d'établissement, assisté du sous-directeur ; il groupe les professeurs principaux, leurs adjoints et les autres membres désignés par l'arrêté du 2 juin i960 compte tenu des précisions apportées par la circulaire du 15 décembre i960. Par la suite, au cours des études de premier cycle, les conseils d'orientation se tiendront ainsi à chaque fin de trimestre ; ils ne devront pas hésiter à conseiller, même en cours d'année scolaire si le besoin s'en fait vraiment sentir, les changements des sections utiles à certains élèves. 3. Accès aux enseignements de second cycle En ce qui concerne les élèves à qui des études longues ne conviendraient pas, le conseil d'orientation donnera également toutes les indications nécessaires concernant les voies conseillées (y compris éventuellement celle d'une formation professionnelle à temps partiel). Lorsque les vœux des familles seront confirmés par les décisions et avis du conseil d'orientation, un certain nombre d'élèves se trouveront directement admis dans les classes des établissements d'accueil, du fait même de la présence de représentants de ces derniers au conseil. Les examens traditionnels d'entrée seront maintenus pour les élèves qui insisteraient pour accéder à un enseignement public de second cycle long contre l'avis du conseil d'orientation.

Aménagement de la semaine scolaire et répartition de l'horaire hebdomadaire dans les écoles élémentaires et maternelles Arrêté du 7 août 1969

Article premier. — La durée hebdomadaire de la scolarité dans les écoles élémentaires et maternelles est fixée à vingt-sept heures, la journée du jeudi et l'après-midi du samedi étant laissés libres de cours. Art. 2. — Les vingt-sept heures de classe par semaine sont réparties conformément aux dispositions du tableau annexé au présent arrêté. Art. 3• — La nouvelle durée hebdomadaire de la scolarité dans les écoles maternelles et élémentaires permet aux maîtres de consacrer à leur perfectionnement pédagogique un temps équivalent à trois heures par semaine. Annexe DISCIPLINES

Français * Calcul * Disciplines d'éveil Éducation physique et sportive TOTAL

10 heures 5 — 6 — 6 •— 27

heures

* Les horaires de ces deux disciplines seront groupés de préférence pendant les matinées, et une récréation de dix minutes prélevée sur l'horaire devra séparer chaque séance d'enseignement de la suivante.

Circulaire du 2 septembre 1969

L'arrêté du 7 août 1969 qui aménage la semaine scolaire et fixe une nouvelle répartition de l'horaire hebdomadaire dans les écoles élémentaires et maternelles est une mesure importante qui vise à généraliser progressivement la rénovation pédagogique et à favoriser la formation permanente des instituteurs. Il y a lieu toutefois de distinguer parmi ses dispositions celles qui sont d'application immédiate (libération du samedi après-midi et

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possibilité correspondante de perfectionnement pédagogique des maîtres) et celles qui, en définissant de nouveaux horaires, ouvrent la voie à une transformation graduelle de l'enseignement préscolaire et élémentaire. L'arrêté définit de grandes masses temporelles pour l'enseignement des disciplines et il accroît la part qui revient à l'éducation physique et sportive. Il insiste également sur l'importance des disciplines fondamentales (français et calcul) qu'il conseille d'enseigner le matin de préférence. Il tend à placer l'après-midi les disciplines d'éveil de même que les activités physiques et sportives. Ce faisant, il présente un nouvel horizon conforme aux vœux de la commission ministérielle de rénovation pédagogique ; il n'impose pas une transformation subite et générale qui ne tiendrait compte ni des possibilités diverses d'attention des élèves suivant leur âge, ni de la structure des classes, ni des contingences du milieu de la vie des enfants. Les expériences de tiers-temps pédagogique qui ont eu lieu depuis 1964 apparaissaient jusqu'alors comme des tentatives sporadiques soumises à autorisation. Désormais, cette autorisation ne sera plus indispensable pour la pratique des horaires définis par l'arrêté du 7 août 1969. Mais il est évident que des aménagements seront, dans la plupart des cas, nécessaires avant de parvenir à une application stricte d'un texte qui vaut surtout par l'ouverture qu'il offre à l'imagination créatrice des maîtres et à la recherche pédagogique. D'autres expériences sont actuellement en cours pour rénover l'enseignement de la langue maternelle et une commission sera prochainement réunie pour en tirer les conclusions qui s'imposent, de la même manière que la commission Lichnerovicz a pu faire des recommandations précises quant aux obligations nouvelles et aux modalités de l'enseignement préscolaire et élémentaire dans le domaine du calcul et de l'initiation mathématique. D'autre part, depuis 1968, les conférences pédagogiques ont étudié comment les disciplines fondamentales pouvaient être abordées par l'étude du milieu naturel et humain dans le cadre des disciplines d'éveil. Insister sur l'importance des langages fondamentaux que sont le français et les mathématiques, montrer que la communication, la réflexion et l'expression sont toujours possibles par le biais d'une meilleure connaissance du milieu, intégrer une éducation physique et sportive qui ne soit ni une simple détente, ni un luxe, ni seulement une hygiène, à l'œuvre globale d'éducation de l'enfant, faire tomber les cloisons étanches qui avaient pu être établies entre les diverses disciplines, dépasser la notion contraignante de programme, voilà

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Aménagement

de la semaine

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ce qui semble actuellement possible et souhaitable dans une école que la réforme de 1959 a rendue préparatoire, mais qui demeure essentielle parce qu'elle atteint l'élève à un moment crucial de sa vie. C'est donc à un mouvement novateur d'expérimentation et de recherche que l'arrêté du 7 août 1969 souhaite donner l'élan. Les corps d'inspection animeront et coordonneront toutes les tentatives auxquelles il donnera lieu afin que des instructions plus précises puissent être données aux maîtres ; ils suivront toutes les activités de concertation auxquelles les maîtres sont plus que jamais conviés et participeront aux formations d'appoint qui seront données soit dans le cadre des écoles normales, soit dans celui des CRDP, soit par l'intermédiaire de la RTS ; en somme, ils faciliteront, en tenant compte des circonstances, toute modulation des dispositions réglementaires qui visera à atteindre l'objectif ci-dessus défini. En d'autres termes, l'arrêté du 7 août 1969 n'est pas une mesure rigide sacrifiant à un modernisme incontrôlé ; c'est, dans son laconisme, un texte propre à engendrer le mouvement et à permettre le progrès pédagogique grâce à des adaptations successives pour le plus grand bien des élèves dont l'enseignement préscolaire et élémentaire a la responsabilité.

PREMIÈRE

PARTIE

Société, groupes sociaux et éducation

CHAPITRE I

Sociologie de l'éducation et de l'institution scolaire

Introduction

Bien que l'éducateur soit avant tout préoccupé par l'individu, bien qu'il recherche à travers son action l'épanouissement individuel et le bonheur futur de l'être, nous avons déjà souligné combien le destin de la collectivité tout entière est lié à l'éducation et à l'instruction des jeunes générations. C'est cette raison qui nous a poussé à consacrer le premier chapitre de cet ouvrage à la sociologie de l'éducation. Cette réflexion critique sur le système d'enseignement nous paraît très importante et nous ne comprenons pas que ce domaine soit — répétons-le — quelque peu délaissé dans notre pays. Nous tentons d'en illustrer l'évolution depuis le début du siècle par des textes d'Émile Durkheim, tirés des articles « Pédagogie » et « Éducation » du Dictionnaire pédagogique de Ferdinand Buisson (1911), et des extraits des deux récents ouvrages de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les héritiers (1964) et La reproduction (1970). Par les Lois Organiques promulguées entre 1881 et 1887 qui instituent en France un enseignement public, laïque et obligatoire pour tous les enfants de 6 à 12 ans, l'État s'emparait d'une part importante de l'instruction des jeunes, entreprise qui, jusqu'alors, avait été abandonnée aux familles et aux initiatives privées (le rôle primordial de l'Église catholique et des prêtres, par exemple les Frères des Écoles Chrétiennes, est bien connu). Derrière le noble idéal de la IIIe République d'éduquer le peuple se manifestent en outre les nécessités de la société industrielle naissante, dont les besoins humains sont fort différents de ceux de la société rurale qu'elle remplace progressivement. Les études de Durkheim apparaissent au moment où cette entreprise, après quelques années d'expérience, enregistre des résultats

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Sociologie

de l'éducation

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qui, même modestes, ne sont pas du tout négligeables. Durkheim applique à l'éducation et à son histoire les modèles de l'analyse sociologique, car il est bien évident que le système d'enseignement d'une société la représente de la même façon que ses autres institutions. Pour lui, l'éducation ne vise pas essentiellement à la réalisation de l'individu. « L'homme n'est un homme que parce qu'il vit en société » et c'est l'éducation qui le crée car « elle crée dans l'homme un être nouveau. » Il réserve des paroles extrêmement dures aux pédagogues, qui, tels Pestalozzi et Rousseau, voient dans l'éducation le moyen d'un épanouissement individuel. Il distingue nettement l'éducation qui est action globale de toute la société sur l'individu — famille, structures sociales, institution scolaire —, et la pédagogie qui est la réflexion théorique sur l'éducation et qu'il appelle la science de l'éducation (appellation reprise d'ailleurs très récemment dans les universités françaises qui viennent de découvrir que l'éducation et la pédagogie pouvaient être matières à études sérieuses...). Cette distinction peut surprendre aujourd'hui où la pédagogie est surtout envisagée comme l'action consciente et quotidienne exercée au sein de l'école sur l'enfant et l'adolescent (on parle ainsi volontiers de pédagogie de la langue, des mathématiques... c'est-à-dire des techniques les plus adaptées à la communication efficace de connaissances, de méthodes ou d'un esprit). Durkheim est à la base de toutes les recherches actuelles. Il définit clairement ce que doit être une science de l'éducation et sur quels points particuliers elle devra s'exercer : — Étude diachronique et synchronique des systèmes d'éducation. — Étude des doctrines pédagogiques. — Analyse des apports de la psychologie de l'enfant. — Contribution des études de psychologie collective et du fonctionnement des groupes humains à la conception pédagogique. Il introduit dans son analyse la relativité en montrant que l'éducation est directement liée à l'état de la société : l'éducation ne doit donc pas se référer à un modèle unique d'homme éternel que l'on doit chercher à reconstruire. Abordant le problème de l'égalité dans l'éducation, il ne l'élude pas mais il justifie dans des termes que beaucoup refuseraient aujourd'hui une inégalité qui tient, indique-t-il, au caractère très différencié de la société industrielle : une éducation homogène et égalitaire ne peut, pour lui, exister que dans les sociétés primitives très peu différenciées.

Introduction

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Les recherches de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron s'orientent, pensons-nous, dans le droit fil des perspectives ouvertes par Durkheim. Se fondant sur de nombreuses enquêtes menées dans l'Enseignement Supérieur, ils analysent notre système d'enseignement. Selon eux l'Ecole pourrait être « la voie royale de la démocratisation de la culture ». Elle ne l'est pas actuellement parce que l'institution, loin d'être simplement, comme le pensait Durkheim, le reflet de la société globale, n'est que le reflet de sa structure hiérarchisée et de la lutte des classes : elle vise objectivement à la conservation du pouvoir culturel par une seule et même catégorie d'individus — les héritiers — et reproduit indéfiniment (comme le pélican du poème de R. Desnos placé en exergue à La reproduction) les mêmes élites, issues des mêmes milieux favorisés. Ainsi, l'idée — selon eux aujourd'hui reçue — de démocratisation de l'enseignement sert d'alibi à un système antidémocratique car notre école, dans son fonctionnement et la pédagogie mise en œuvre, « ne prêche jamais que des convertis ». Bourdieu et Passeron entreprennent donc la mise en évidence et l'étude de cette contradiction entre l'idéal de démocratisation dont se targuent les textes officiels (réforme de 1959, instructions diverses, circulaires, etc), les responsables de l'Éducation Nationale et le caractère antidémocratique d'une entreprise qui élimine systématiquement certains jeunes — toujours les mêmes — de l'accès au pouvoir culturel. Outre la mise en évidence des différents processus de l'élimination, le grand intérêt de ces travaux est, à notre avis, de poser le problème de la démocratisation de l'enseignement — problème central de notre époque — en termes de pédagogie : ils revendiquent en effet la mise en oeuvre d'une pédagogie rationnelle visant à l'acculturation des élèves issus des classes les plus défavorisées, une pédagogie « de l'exercice comme activité orientée vers l'acquisition aussi complète et aussi rapide que possible des techniques matérielles et intellectuelles du travail intellectuel » (Les héritiers, p. 112). Ceci les rapproche curieusement des conclusions de Durkheim : ils prônent une pédagogie de l'apprentissage systématique, une pédagogie de l'effort et de la discipline intellectuelle et condamnent donc certaines méthodes à la mode qui risquent de favoriser systématiquement les plus favorisés, ceux qui peuvent trouver ailleurs qu'à l'école la culture et les éléments de sa conquête. Ils nous convient, d'autre part, à distinguer la démocratisation numérique, qui, en l'absence d'une pédagogie rationnelle, n'est que de

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façade 1 , de la démocratisation réelle. Nous avons retenu de ces deux ouvrages, parfois difficiles et toujours très denses, les passages qui, dans cette optique, nous ont semblé les plus frappants : — Le rôle de l'idéologie du don en tant qu'instrument de conservation du pouvoir culturel. — Le processus de l'élimination et l'analyse des conditions et des résultats de la sélection. — Le rôle du langage et du rapport au langage dans le succès scolaire et universitaire. — La critique des examens. En tout état de cause le lecteur se reportera avec grand profit à ces deux ouvrages et en particulier à la « Théorie du système d'enseignement » sur lequel s'ouvre le second.

1. Notons le caractère ambigu de l'accroissement massif et brutal du nombre des élèves dans le Secondaire et dans le Supérieur, qui, autant que par le passé et en l'état actuel de la pédagogie, enferme certains enfants dans l'échec scolaire.

ÉMILE DURKHEIM Pédagogie et éducation*

On a souvent confondu les deux mots d'éducation et de pédagogie qui demandent pourtant à être soigneusement distingués. L'éducation, c'est l'action exercée sur les enfants par les parents et les maîtres. Cette action est de tous les instants, et elle est générale. Il n'y a pas de période dans la vie sociale, il n'y a même, pour ainsi dire, pas de moment dans la journée où les jeunes générations ne soient pas en contact avec leurs aînés, et où, par suite, elles ne reçoivent de ces derniers l'influence éducatrice. Car cette influence ne se fait pas seulement sentir aux instants très courts où parents ou maîtres communiquent consciemment, et par la voie d'un enseignement proprement dit, les résultats de leur expérience à ceux qui viennent après eux. Il y a une éducation inconsciente qui ne cesse jamais. Par notre exemple, par les paroles que nous prononçons, par les actes que nous accomplissons, nous façonnons d'une manière continue lame de nos enfants. Il en est tout autrement de la pédagogie. Celle-ci consiste, non en actions, mais en théories. Ces théories sont des manières de concevoir l'éducation, non des manières de la pratiquer. Parfois elles se distinguent des pratiques en usage au point de s'y opposer. La pédagogie de Rabelais, celle de Rousseau ou de Pestalozzi, sont en opposition avec l'éducation de leur temps. L'éducation n'est donc que la matière de la pédagogie. Celle-ci consiste dans une certaine manière de réfléchir aux choses de l'éducation. C'est ce qui fait que la pédagogie, au moins dans le passé, est intermittente, tandis que l'éducation est continue. Il y a des peuples qui n'ont pas eu de pédagogie proprement dite ; elle n'apparaît même qu'à une époque relativement avancée de l'histoire. On ne la rencontre en Grèce qu'après l'époque de Périclès, avec Platon, Xénophon, Aristote. C'est à peine si elle a existé à Rome. Dans les sociétés chrétiennes, ce n'est guère qu'au XVIe siècle qu'elle produit des œuvres importantes ; et l'essor qu'elle prit alors se ralentit au siècle suivant, pour ne reprendre toute sa vigueur qu'au cours du XVIII e siècle. C'est que l'homme ne réfléchit pas toujours, mais seulement quand * Textes extraits de F. BUISSON, Dictionnaire gogie »), Paris, Hachette, 1911.

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il est nécessité à réfléchir, et que les conditions de la réflexion ne sont pas toujours et partout données. Ceci posé, il nous faut rechercher quels sont les caractères de la réflexion pédagogique et de ses produits. Faut-il y voir des doctrines proprement scientifiques et doit-on dire de la pédagogie qu'elle est une science, la science de l'éducation ? Ou convient-il de lui donner un autre nom, et lequel ? La nature de la méthode pédagogique sera entendue très différemment, suivant la réponse qu'on donnera à cette question. Que les choses de l'éducation, considérées d'un certain point de vue, puissent être l'objet d'une discipline qui présente tous les caractères des autres disciplines scientifiques, c'est, tout d'abord, ce qu'il est facile de démontrer. En effet, pour qu'on puisse appeler science un ensemble d'études, il faut et il suffit qu'elles présentent les caractères suivants : 1. Il faut qu'elles portent sur des faits acquis, réalisés, donnés à l'observation. Une science, en effet, se définit par son objet ; elle suppose par conséquent que cet objet existe, qu'on peut le désigner du doigt, en quelque sorte, marquer la place qu'il occupe dans l'ensemble de la réalité. 2. Il faut que ces faits présentent entre eux une homogénéité suffisante pour pouvoir être classés dans une même catégorie. S'ils étaient irréductibles les uns aux autres, il y aurait, non pas une science, mais autant de sciences différentes que d'espèces distinctes de choses à étudier. Il arrive bien souvent aux sciences en train de naître et de se constituer d'embrasser assez confusément une pluralité d'objets différents ; c'est le cas, par exemple, de la géographie, de l'anthropologie, etc. Mais ce n'est jamais là qu'une phase transitoire dans le développement des sciences. 3. Enfin, ces faits, la science les étudie pour les connaître, et seulement pour les connaître, d'une manière absolument désintéressée. [...] Ceci posé, il n'y a pas de raison pour que l'éducation ne devienne pas l'objet d'une recherche qui satisfasse à toutes ces conditions et qui, par conséquent, présente tous les caractères d'une science. [...] Mais, pour que la réflexion pédagogique puisse produire les effets utiles qu'on est en droit d'attendre d'elle, il faut qu'elle soit soumise à une culture appropriée. 1. Nous avons vu que la pédagogie n'est pas l'éducation et ne saurait en tenir lieu. Son rôle n'est pas de se substituer à la pratique,

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mais de la guider, de l'éclairer, de l'aider, au besoin, à combler les lacunes qui viennent à s'y produire, à remédier aux insuffisances qui y sont constatées. Le pédagogue n'a donc pas à construire de toutes pièces un système d'enseignement, comme s'il n'en existait pas avant lui ; mais il faut, au contraire, qu'il s'applique, avant tout, à connaître et à comprendre le système de son temps ; c'est à cette condition qu'il sera en mesure de s'en servir avec discernement et de juger ce qu'il peut s'y trouver de défectueux. Mais, pour pouvoir le comprendre, il ne suffit pas de le considérer tel qu'il est aujourd'hui, car ce système d'éducation est un produit de l'histoire que l'histoire seule peut expliquer. C'est une véritable institution sociale. Même il n'en est guère où toute l'histoire du pays vienne aussi intégralement retentir. Les écoles françaises traduisent, expriment l'esprit français. On ne peut donc rien entendre à ce qu'elles sont, au but qu'elles poursuivent, si l'on ne sait pas ce qui constitue notre esprit national, quels en sont les divers éléments, quels sont ceux qui dépendent de causes permanentes et profondes, ceux, au contraire, qui sont dus à l'action de facteurs plus ou moins accidentels et passagers : toutes questions que, seule, l'analyse historique peut résoudre. On discute souvent pour savoir quelle place doit revenir à l'école primaire dans l'ensemble de notre organisation scolaire et dans la vie générale de la société. Mais le problème est insoluble si l'on ignore comment s'est formée notre organisation scolaire, d'où viennent ses caractères distinctifs, ce qui a déterminé, dans le passé, la place qui y a été faite à l'école élémentaire, quelles sont les causes qui en ont favorisé ou entravé le développement, etc. [...] 2. Mais ce système scolaire n'est pas fait uniquement de pratiques établies, de méthodes consacrées par l'usage, héritage du passé. II s'y trouve, de plus, des tendances vers l'avenir, des aspirations vers un idéal nouveau, plus ou moins clairement entrevu. Ces aspirations, il importe de les bien connaître pour pouvoir apprécier quelle place il convient de leur faire dans la réalité scolaire. Or, elles viennent s'exprimer dans les doctrines pédagogiques ; l'histoire de ces doctrines doit donc compléter celle de l'enseignement. On pourrait croire, il est vrai, que, pour remplir sa fin utile, cette histoire n'a pas besoin de remonter très loin dans le passé et peut, sans inconvénient, être très courte. Ne suffit-il pas de connaître les théories entre lesquelles se partagent les esprits des contemporains ? Toutes les autres, celles des siècles antérieurs, sont aujourd'hui périmées et n'ont plus, semble-t-il, qu'un intérêt d'érudition.

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Mais ce modernisme ne peut, croyons-nous, que raréfier une des principales sources auxquelles doit s'alimenter la réflexion pédagogique. [...] La culture pédagogique doit donc avoir une base largement historique. C'est à cette condition que la pédagogie pourra échapper à un reproche qu'on lui a souvent adressé et qui a fortement nui à son crédit. Trop de pédagogues, et parmi les plus illustres, ont entrepris d'édifier leurs systèmes en faisant abstraction de ce qui avait existé avant eux. Le traitement auquel Ponocrates soumet Gargantua avant de l'initier aux méthodes nouvelles est, sur ce point, significatif : il lui purge le cerveau « avec élébore d'Anticyre » de manière à lui faire oublier « tout ce qu'il auoit apprins soubz ses anticques précepteurs ». C'était dire, sous une forme allégorique, que la pédagogie nouvelle ne devait rien avoir de commun avec celle qui avait précédé. Mais c'était du même coup se placer en dehors des conditions du réel. L'avenir ne peut être évoqué du néant : nous ne pouvons le construire qu'avec les matériaux que nous a légués le passé. Un idéal que l'on construit en prenant le contrepied de l'état de choses existant n'est pas réalisable puisqu'il n'a pas de racines dans la réalité. D'ailleurs, il est clair que le passé avait ses raisons d'être ; il n'aurait pu durer s'il n'avait répondu à des besoins légitimes qui ne sauraient disparaître totalement du jour au lendemain ; on ne peut donc en faire aussi radicalement table rase sans méconnaître des nécessités vitales. Voilà comment il se fait que la pédagogie n'a trop souvent été qu'une forme de littérature utopique. Nous plaindrions des enfants auxquels on appliquerait rigoureusement la méthode de Rousseau ou celle de Pestalozzi. Sans doute, ces utopies ont pu jouer un rôle utile dans l'histoire. Leur simplisme même leur a permis de frapper plus vivement les esprits et de les stimuler à l'action. Mais, d'abord, ces avantages ne sont pas sans inconvénients ; de plus, pour cette pédagogie de tous les jours, dont chaque maître a besoin en vue d'éclairer et de guider sa pratique quotidienne, il faut moins d'entraînement passionnel et unilatéral, et, au contraire, plus de méthode, un sentiment plus présent de la réalité et des difficultés multiples auxquelles il est nécessaire de faire face. C'est ce sentiment que donnera une culture historique bien entendue. 3. Seule, l'histoire de l'enseignement et de la pédagogie permet de déterminer les fins que doit poursuivre l'éducation à chaque moment du temps. Mais, pour ce qui regarde les moyens néces-

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saires à la réalisation de ces fins, c'est à la psychologie qu'il faut les demander. En effet, l'idéal pédagogique d'une époque exprime avant tout l'état de la société à l'époque considérée. Mais, pour que cet idéal devienne une réalité, encore faut-il y confirmer la conscience de l'enfant. Or, la conscience a ses lois propres qu'il faut connaître pour pouvoir les modifier, si, du moins, on veut s'épargner, autant que possible, les tâtonnements empiriques que la pédagogie a précisément pour objet de réduire au minimum. Pour pouvoir exciter l'activité à se développer dans une certaine direction, encore faut-il savoir quels sont les ressorts qui la meuvent et quelle est leur nature ; car c'est à cette condition qu'il sera possible d'y appliquer, en connaissance de cause, l'action qui convient. S'agit-il, par exemple, d'éveiller ou l'amour de la patrie ou le sens de l'humanité ? Nous saurons d'autant mieux tourner la sensibilité morale des élèves dans l'un ou l'autre sens, que nous aurons des notions plus complètes et plus précises sur l'ensemble des phénomènes que l'on appelle tendances, habitudes, désirs, émotions, etc., sur les conditions diverse? dont ils dépendent, sur la forme qu'ils présentent chez l'enfant. Suivant qu'on voit dans les tendances un produit des expériences agréables ou désagréables qu'a pu faire l'espèce, ou bien, au contraire, un fait primitif antérieur aux états affectifs qui en accompagnent le fonctionnement, on devra s'y prendre de manières très différentes pour en régler le fonctionnement. Or, c'est à la psychologie et, plus spécialement, à la psychologie infantile qu'il appartient de résoudre ces questions. Si donc elle est incompétence pour fixer la fin — puisque la fin varie suivant les états sociaux — il n'est pas douteux qu'elle n'ait un rôle utile à jouer dans la constitution des méthodes. Même, comme aucune méthode ne peut s'appliquer de la même manière aux différents enfants, c'est encore la psychologie qui devrait nous aider à nous reconnaître au milieu de la diversité des intelligences et des caractères. On sait malheureusement que nous sommes encore loin du moment où elle sera vraiment en état de satisfaire à ce desideratum. Il y a une forme spéciale de la psychologie qui a pour le pédagogue une importance toute particulière : c'est la psychologie collective. Une classe, en effet, est une petite société, et il ne faut pas la conduire comme si elle n'était qu'une simple agglomération de sujets indépendants les uns des autres. Les enfants en classe pensent, sentent et agissent autrement que quand ils sont isolés. Il se produit dans une classe des phénomènes de contagion, de démoralisation

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collective, de surexcitation mutuelle, d'effervescence salutaire, qu'il faut savoir discerner afin de prévenir ou de combattre les uns, d'utiliser les autres. Assurément, cette science est encore tout à fait dans l'enfance. Cependant, il y a, dès à présent, un certain nombre de propositions qu'il importe de ne pas ignorer.

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Chaque société, considérée à un moment déterminé de son développement, a un système d'éducation qui s'impose aux individus avec une force généralement irrésistible. Il est vain de croire que nous pouvons élever nos enfants comme nous voulons. Il y a des coutumes auxquelles nous sommes tenus de nous conformer ; si nous y dérogeons trop gravement, elles se vengent sur nos enfants. Ceux-ci, une fois adultes, ne se trouvent pas en état de vivre au milieu de leurs contemporains, avec lesquels ils ne sont pas en harmonie. Qu'ils aient été élevés d'après des idées ou trop archaïques ou trop prématurées, il n'importe ; dans un cas comme dans l'autre, ils ne sont pas de leur temps et, par conséquent, ils ne sont pas dans des conditions de vie normale. Il y a donc, à chaque moment du temps, un type régulateur d'éducation dont nous ne pouvons pas nous écarter sans nous heurter à de vives résistances qui contiennent les velléités de dissidences. Or, les coutumes et les idées qui déterminent ce type, ce n'est pas nous, individuellement, qui les avons faites. Elles sont le produit de la vie en commun et elles en expriment les nécessités. Elles sont même, en majeure partie, l'œuvre des générations antérieures. Tout le passé de l'humanité a contribué à faire cet ensemble de maximes qui dirigent l'éducation d'aujourd'hui ; toute notre histoire y a laissé des traces et même l'histoire des peuples qui nous ont précédés. C'est ainsi que les organismes supérieurs portent en eux comme l'écho de toute l'évolution biologique dont ils sont l'aboutissement. Lorsqu'on étudie historiquement la manière dont se sont formés et développés les systèmes d'éducation, on s'aperçoit qu'ils dépendent de la religion, de l'organisation politique, du degré de développement des sciences, de l'état de l'industrie, etc. Si on les détache de toutes ces causes historiques, ils deviennent incompréhensibles. Comment, dès lors, l'individu peut-il prétendre à reconstruire, par le seul effort de sa réflexion privée, ce qui n'est pas une œuvre de la pensée individuelle ? Il n'est pas en face d'une table rase sur laquelle il peut édifier ce qu'il veut, mais de réalités existantes qu'il ne peut ni * Textes extraies de F. BUISSON, Dictionnaire tion »), Paris, Hachette, 1911. 3

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créer, ni détruire, ni transformer à volonté. Il ne peut agir sur elles que dans la mesure où il a appris à les connaître, où il sait quelle est leur nature et les conditions dont elles dépendent ; et il ne peut arriver à le savoir que s'il se met à leur école, que s'il commence par les observer, comme le physicien observe la matière brute et le biologiste les corps vivants. Comment, d'ailleurs, procéder autrement ? Quand on veut déterminer par la seule dialectique ce que doit être l'éducation, il faut commencer par poser quelles fins elle doit avoir. Mais qu'est-ce qui nous permet de dire que l'éducation a telles fins plutôt que telles autres ? Nous ne savons pas a priori quelle est la fonction de la respiration ou de la circulation chez l'être vivant. Par quel privilège serions-nous mieux renseignés en ce qui concerne la fonction éducative ? On répondra que, de toute évidence, elle a pour objet d'élever les enfants. Mais c'est poser le problème dans des termes à peine différents ; ce n'est pas le résoudre. Il faudrait dire en quoi consiste cet élevage, à quoi il tend, à quelles nécessités humaines il répond. Or, on ne peut répondre à ces questions qu'en commençant par observer en quoi il a consisté, à quelles nécessités il a répondu dans le passé. Ainsi, ne serait-ce que pour constituer la notion préliminaire de l'éducation, pour déterminer la chose que l'on dénomme ainsi, l'observation historique apparaît comme indispensable.

Définition de l'éducation Pour définir l'éducation, il nous faut donc considérer les systèmes éducatifs qui existent ou qui ont existé, les rapprocher, dégager les caractères qui leur sont communs. La réunion de ces caractères constituera la définition que nous cherchons. Nous avons déjà déterminé, chemin faisant, deux éléments. Pour qu'il y ait éducation, il faut qu'il y ait en présence une génération d'adultes et une génération de jeunes, et une action exercée par les premiers sur les seconds. Il nous reste à définir la nature de cette action. Il n'est, pour ainsi dire, pas de société où le système d'éducation ne présente un double aspect : il est, à la fois, un et multiple. Il est multiple. En effet, en un sens, on peut dire qu'il y a autant de sortes différentes d'éducation qu'il y a de milieux différents dans cette société. Celle-ci est-elle formée de castes ? L'éducation varie d'une caste à l'autre ; celle des patriciens n'était pas celle des

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plébéiens ; celle du Brahmane n'était pas celle du Çudra. De même, au Moyen Age, quel écart entre la culture que recevait le jeune page, instruit dans tous les arts de la chevalerie, et celle du vilain qui s'en allait apprendre à l'école de sa paroisse quelques maigres éléments de comput, de chant et de grammaire ! Aujourd'hui encore, ne voyons-nous pas l'éducation varier avec les classes sociales, ou même avec les habitats ? Celle de la ville n'est pas celle de la campagne, celle du bourgeois n'est pas celle de l'ouvrier. On dira que cette organisation n'est pas moralement justifiable, qu'on ne peut y voir qu'une survivance destinée à disparaître ? La thèse est aisée à défendre. Il est évident que l'éducation de nos enfants ne devrait pas dépendre du hasard qui les fait naître ici ou là, de tels parents plutôt que de tels autres. Mais alors même que la conscience morale de notre temps aurait reçu sur ce point la satisfaction qu'elle attend, l'éducation ne deviendrait pas pour cela plus uniforme. Alors même que la carrière de chaque enfant ne serait plus, en grande partie, prédéterminée par une aveugle hérédité, la diversité morale des professions ne laisserait pas d'entraîner à sa suite une grande diversité pédagogique. Chaque profession, en effet, constitue un milieu sui generis qui réclame des aptitudes particulières et des connaissances spéciales, où régnent certaines idées, certains usages, de certaines manières de voir les choses ; et comme l'enfant doit être préparé en vue de la fonction qu'il sera appelé à remplir, l'éducation, à partir d'un certain âge, ne peut plus rester la même pour tous les sujets auxquels elle s'applique. C'est pourquoi nous la voyons, dans tous les pays civilisés, qui tend de plus en plus à se diversifier et à se spécialiser ; et cette spécialisation devient tous les jours plus précoce. L'hétérogénéité qui se produit ainsi ne repose pas, comme celle dont nous constations tout à l'heure l'existence, sur d'injustes inégalités ; mais elle n'est pas moindre. Pour trouver une éducation absolument homogène et égalitaire, il faudrait remonter jusqu'aux sociétés préhistoriques au sein desquelles il n'existe aucune différenciation ; et encore ces sortes de sociétés ne représentent-elles guère qu'un moment logique dans l'histoire de l'humanité. Mais, quelle que soit l'importance de ces éducations spéciales, elles ne sont pas toute l'éducation. On peut même dire qu'elles ne se suffisent pas à elles-mêmes ; partout où on les observe, elles ne divergent les unes des autres qu'à partir d'un certain point en deçà duquel elles se confondent. Elles reposent toutes sur une base commune. Il n'y a pas de peuple où il n'existe un certain nombre d'idées, de sentiments et de pratiques que l'éducation doit inculquer

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à tous les enfants indistinctement, à quelque catégorie sociale qu'ils appartiennent. Là même où la société est divisée en castes fermées les unes aux autres, il y a toujours une religion commune à tous, et, par suite, les principes de la culture religieuse, qui est alors fondamentale, sont les mêmes dans toute l'étendue de la population. Si chaque caste, chaque famille a ses dieux spéciaux, il y a des divinités générales qui sont reconnues de tout le monde et que tous les enfants apprennent à adorer. Et comme ces divinités incarnent et personnifient certains sentiments, certaines manières de concevoir le monde et la vie, on ne peut être initié à leur culte sans contracter, du même coup, toutes sortes d'habitudes mentales qui dépassent la sphère de la vie purement religieuse. De même, au Moyen Age, serfs, vilains, bourgeois et nobles recevaient également une même éducation chrétienne. S'il en est ainsi de sociétés où la diversité intellectuelle et morale atteint ce degré de contraste, à combien plus forte raison en est-il de même des peuples plus avancés où les classes, tout en restant distinctes, sont pourtant séparées par un abîme moins profond ! Là où ces éléments communs de toute éducation ne s'expriment pas sous forme de symboles religieux, ils ne laissent pas cependant d'exister. Au cours de notre histoire, il s'est constitué tout un ensemble d'idées sur la nature humaine, sur l'importance respective de nos différentes facultés, sur le droit et sur le devoir, sur la société, sur l'individu, sur le progrès, sur la science, sur l'art, etc., qui sont à la base même de notre esprit national ; toute éducation, celle du riche comme celle du pauvre, celle qui conduit aux carrières libérales comme celle qui prépare aux fonctions industrielles, a pour objet de les fixer dans les consciences. Il résulte de ces faits que chaque société se fait un certain idéal de l'homme, de ce qu'il doit être tant au point de vue intellectuel que physique et moral ; que cet idéal est, dans une certaine mesure, le même pour tous les citoyens ; qu'à partir d'un certain point il se différencie suivant les milieux particuliers que toute société comprend dans son sein. C'est cet idéal, à la fois un et divers, qui est le pôle de l'éducation. Elle a donc pour fonction de susciter chez l'enfant : 1. un certain nombre d'états physiques et mentaux que la société à laquelle il appartient considère comme ne devant être absents d'aucun de ses membres, 2. certains états physiques et mentaux que le groupe social particulier (caste, classe, famille, profession) considère également comme devant se retrouver chez tous ceux qui le forment. Ainsi, c'est la société, dans son ensemble, et chaque milieu social particulier, qui déterminent cet idéal que l'édu-

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cation réalise. La société ne peut vivre que s'il existe entre ses membres une suffisante homogénéité : l'éducation perpétue et renforce cette homogénéité en fixant d'avance dans l'âme de l'enfant les similitudes essentielles que réclame la vie collective. Mais, d'un autre côté, sans une certaine diversité, toute coopération serait impossible : l'éducation assure la persistance de cette diversité nécessaire en se diversifiant elle-même et en se spécialisant. Si la société est arrivée à ce degré de développement où les anciennes divisions en castes et en classes ne peuvent plus se maintenir, elle prescrira une éducation plus une à sa base. Si, au même moment, le travail est plus divisé, elle provoquera chez les enfants, sur un premier fonds d'idées et de sentiments communs, une plus riche diversité d'aptitudes professionnelles. Si elle vit en état de guerre avec les sociétés ambiantes, elle s'efforce de former les esprits sur un modèle fortement national ; si la concurrence internationale prend une forme plus pacifique, le type qu'elle cherche à réaliser est plus général et plus humain. L'éducation n'est donc pour elle que le moyen par lequel elle prépare dans le cœur des enfants les conditions essentielles de sa propre existence. Nous verrons plus loin comment l'individu lui-même a intérêt à se soumettre à ces exigences. Nous arrivons donc à la formule suivante : L'éducation est l'action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l'enfant un certain nombre d'étas physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné. Conséquence de la définition précédente : caractère social de l'éducation Il résulte de la définition qui précède que l'éducation consiste en une socialisation méthodique de la jeune génération. En chacun de nous, peut-on dire, il existe deux êtres qui, pour être inséparables autrement que par abstraction, ne laissent pas d'être distincts. L'un est fait de tous les états mentaux qui ne se rapportent qu'à nousmêmes et aux événements de notre vie personnelle : c'est ce qu'on pourrait appeler l'être individuel. L'autre est un système d'idées, de sentiments et d'habitudes qui expriment en nous, non pas notre personnalité, mais le groupe ou les groupes différents dont nous faisons partie ; telles sont les croyances religieuses, les croyances et

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les pratiques morales, les traditions nationales ou professionnelles, les opinions collectives de toute sorte. Leur ensemble forme letre social. Constituer cet être en chacun de nous, telle est la fin de leducation. C'est par là, d'ailleurs, que se montre le mieux l'importance de son rôle et la fécondité de son action. En effet, non seulement cet être social n'est pas donné tout fait dans la constitution primitive de l'homme ; mais il n'en est pas résulté par un développement spontané. Spontanément, l'homme n'était pas enclin à se soumettre à une autorité politique, à respecter une discipline morale, à se dévouer et à se sacrifier. Il n'y avait rien dans notre nature congénitale qui nous prédisposât nécessairement à devenir les serviteurs de divinités, emblèmes symboliques de la société, à leur rendre un culte, à nous priver pour leur faire honneur. C'est la société elle-même qui, à mesure qu'elle s'est formée et consolidée, a tiré de son propre sein ces grandes forces morales devant lesquelles l'homme a senti son infériorité. Or, si l'on fait abstraction des vagues et incertaines tendances qui peuvent être dues à l'hérédité, l'enfant, en entrant dans la vie, n'y apporte que sa nature d'individu. La société se trouve donc, à chaque génération nouvelle, en présence d'une table presque rase sur laquelle il lui faut construire à nouveaux frais. Il faut que, par les voies les plus rapides, à l'être égoïste et asocial qui vient de naître, elle en surajoute un autre, capable de mener une vie morale et sociale. Voilà quelle est l'œuvre de l'éducation, et l'on en aperçoit toute la grandeur. Elle ne se borne pas à développer l'organisme individuel dans le sens marqué par sa nature, à rendre apparentes des puissances cachées qui ne demandaient qu'à se révéler. Elle crée dans l'homme un être nouveau. Cette vertu créatrice est, d'ailleurs, un privilège spécial de l'éducation humaine. Tout autre est celle que reçoivent les animaux, si l'on peut appeler de ce nom l'entraînement progressif auquel ils sont soumis de la part de leurs parents. Elle peut bien presser le développement de certains instincts qui sommeillent dans l'animal, mais elle ne l'initie pas à une vie nouvelle. Elle facilite le jeu des fonctions naturelles, mais elle ne crée rien. Instruit par sa mère, le petit sait plus vite voler ou faire son nid ; mais il n'apprend presque rien qu'il n'eût pu découvrir par son expérience personnelle. C'est que les animaux ou vivent en dehors de tout état social ou forment des sociétés assez simples, qui fonctionnent grâce à des mécanismes instinctifs que chaque individu porte en soi, tout constitués, dès sa naissance. L'éducation ne peut donc rien ajouter d'essentiel à

li. Durkheim

: Sociologie de l'éducation

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la nature, puisque celle-ci suffit à tout, à la vie du groupe comme à celle de l'individu. Au contraire, chez l'homme, les aptitudes de toute sorte que suppose la vie sociale sont beaucoup trop complexes pour pouvoir s'incarner, en quelque sorte, dans nos tissus et se matérialiser sous la forme de prédispositions organiques. Il s'ensuit qu'elles ne peuvent se transmettre d'une génération à l'autre par la voie de l'hérédité. C'est par l'éducation que se fait la transmission. Cependant, dira-t-on, si l'on peut concevoir, en effet, que les qualités proprement morales, parce qu'elles imposent à l'individu des privations, parce qu'elles gênent ses mouvements naturels, ne peuvent être suscitées en nous que sous une action venue du dehors, n'y en a-t-il pas d'autres que tout homme est intéressé à acquérir et recherche spontanément ? Telles sont les qualités diverses de l'intelligence qui lui permettent de mieux approprier sa conduite à la nature des choses. Telles sont aussi les qualités physiques, et tout ce qui contribue à la vigueur et à la santé de l'organisme. Pour celles-là, tout au moins, il semble que l'éducation, en les développant, ne fasse qu'aller au-devant du développement même de la nature, que mener l'individu à un état de perfection relative vers laquelle il tend de lui-même, bien qu'il puisse y atteindre plus rapidement grâce au concours de la société. Mais ce qui montre bien, malgré les apparences, qu'ici comme ailleurs l'éducation répond avant tout à des nécessités sociales, c'est qu'il est des sociétés où ces qualités n'ont pas été cultivées du tout, et qu'en tout cas elles ont été entendues très différemment selon les sociétés. Il s'en faut que les avantages d'une solide culture intellectuelle aient été reconnus par tous les peuples. La science, l'esprit critique, que nous mettons aujourd'hui si haut, ont été pendant longtemps tenus en suspicion. N e connaissons-nous pas une grande doctrine qui proclame heureux les pauvres d'esprit ? Il faut se garder de croire que cette indifférence pour le savoir ait été artificiellement imposée aux hommes en violation de leur nature. Ils n'ont pas par eux-mêmes l'appétit instinctif de science qu'on leur a souvent et arbitrairement prêté. Ils ne désirent la science que dans la mesure où l'expérience leur a appris qu'ils ne peuvent pas s'en passer. Or, pour ce qui concerne l'aménagement de leur vie individuelle, ils n'en avaient que faire. Comme le disait déjà Rousseau, pour satisfaire les nécessités vitales, la sensation, l'expérience et l'instinct pouvaient suffire comme ils suffisent à l'animal. Si l'homme n'avait connu d'autres besoins que ceux, très simples, qui ont leurs racines dans sa constitution individuelle, il ne se serait pas mis en quête

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Sociologie

de ïéducation

et de l'institution

scolaire

de la science, d'autant plus qu'elle n'a pas été acquise sans laborieux et douloureux efforts. Il n'a connu la soif du savoir que quand la société l'a éveillée en lui, et la société ne l'a éveillée que quand ellemême en a senti le besoin. Ce moment arriva quand la vie sociale, sous toutes ses formes, fut devenue trop complexe pour pouvoir fonctionner autrement que grâce au concours de la pensée réfléchie, c'est-à-dire de la pensée éclairée par la science. Alors la culture scientifique devint indispensable, et c'est pourquoi la société la réclame de ses membres et la leur impose comme un devoir. Mais, à l'origine, tant que l'organisation sociale est très simple, très peu variée, toujours égale à elle-même, l'aveugle tradition suffit, comme l'instinct à l'animal. Dès lors, la pensée et le libre examen sont inutiles et même dangereux, puisqu'ils ne peuvent que menacer la tradition. C'est pourquoi ils sont proscrits. Il n'en est pas autrement des qualités physiques. Que l'état du milieu social incline la conscience publique vers l'ascétisme, et l'éducation physique sera rejetée au second plan. C'est un peu ce qui s'est produit dans les écoles du Moyen Age ; et cet ascétisme était nécessaire, car la seule manière de s'adapter à la rudesse de ces temps difficiles était de l'aimer. De même, suivant le courant de l'opinion, cette même éducation sera entendue dans les sens les plus différents. A Sparte, elle avait surtout pour objet d'endurcir les membres à la fatigue ; à Athènes, elle était un moyen de faire des corps beaux à la vue ; au temps de la chevalerie, on lui demandait de former des guerriers agiles et souples ; de nos jours, elle n'a plus qu'un but hygiénique, et se préoccupe surtout de contenir les dangereux effets d'une culture intellectuelle trop intense. Ainsi, même les qualités qui paraissent, au premier abord, si spontanément désirables, l'individu ne les recherche que quand la société l'y invite, et il les recherche de la façon qu'elle lui prescrit. Nous sommes ainsi en mesure de répondre à une question que soulevait tout ce qui précède. Tandis que nous montrions la société façonnant, suivant ses besoins, les individus, il pouvait sembler que ceux-ci subissaient de ce fait une insupportable tyrannie. Mais, en réalité, ils sont eux-mêmes intéressés à cette soumission ; car l'être nouveau que l'action collective, par la voie de l'éducation, édifie ainsi en chacun de nous, représente ce qu'il y a de meilleur en nous, ce qu'il y a en nous de proprement humain. L'homme, en effet, n'est un homme que parce qu'il vit en société. Il est difficile, au cours d'un article, de démontrer avec rigueur une proposition aussi générale et aussi importante, et qui résume les travaux de la sociolo-

H. Durkheim

: Sociologie

de

l'éducation

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gie contemporaine. Mais, d'abord, on peut dire qu'elle est de moins en moins contestée. De plus, il n'est pas impossible de rappeler sommairement les faits les plus essentiels qui la justifient. Tout d'abord, s'il est aujourd'hui un fait historiquement établi, c'est que la morale est étroitement en rapports avec la nature des sociétés, puisque, comme nous l'avons montré chemin faisant, elle change quand les sociétés changent. C'est donc qu'elle résulte de la vie en commun. C'est la société, en effet, qui nous tire hors de nous-mêmes, qui nous oblige à compter avec d'autres intérêts que les nôtres, c'est elle qui nous a appris à dominer nos passions, nos instincts, à leur faire la loi, à nous gêner, à nous priver, à nous sacrifier, à subordonner nos fins personnelles à des fins plus hautes. Tout le système de représentation qui entretient en nous l'idée et le sentiment de la règle, de la discipline, tant interne qu'externe, c'est la société qui l'a institué dans nos consciences. C'est ainsi que nous avons acquis cette puissance de nous résister à nous-même, cette maîtrise sur nos penchants qui est un des traits distinctifs de la physionomie humaine et qui est d'autant plus développée que nous sommes plus pleinement des hommes. Nous ne devons pas moins à la société au point de vue intellectuel. C'est la science qui élabore les notions cardinales qui dominent notre pensée : notions de cause, de lois, d'espace, de nombre, notions des corps, de la vie, de la conscience, de la société, etc. Toutes ces idées fondamentales sont perpétuellement en évolution : c'est qu'elles sont le résumé, la résultante de tout le travail scientifique, loin qu'elles en soient le point de départ comme le croyait Pestalozzi. Nous ne nous représentons pas l'homme, la nature, les causes, l'espace même, comme on se les représentait au Moyen Age ; c'est que nos connaissances et nos méthodes scientifiques ne sont plus les mêmes. Or la science est une œuvre collective, puisqu'elle suppose une vaste coopération de tous les savants non seulement d'un même temps, mais de toutes les époques successives de l'histoire. — Avant que les sciences ne fussent constituées, la religion remplissait le même office ; car toute mythologie consiste en une représentation, déjà très élaborée, de l'homme et de l'univers. La science, d'ailleurs, a été l'héritière de la religion. Or une religion est une institution sociale. — En apprenant une langue, nous apprenons tout un système d'idées, distinguées et classées, et nous héritons de tout le travail d'où sont sorties ces classifications qui résument des siècles d'expériences. Il y a plus : sans le langage, nous n'aurions pour ainsi dire pas d'idées générales ; car c'est le mot qui, en les fixant, donne

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Sociologie

de l'éducation et de l'institution

scolaire

aux concepts une consistance suffisante pour qu'ils puissent être maniés commodément par l'esprit. C'est donc le langage qui nous a permis de nous élever au-dessus de la pure sensation ; et il n'est pas nécessaire de démontrer que le langage est, au premier chef, une chose sociale. On voit par ces quelques exemples à quoi se réduirait l'homme, si l'on en retirait tout ce qu'il tient de la société : il tomberait au rang de l'animal. S'il a pu dépasser le stade auquel les animaux se sont arrêtés, c'est d'abord qu'il n'est pas réduit au seul fruit de ses efforts personnels, mais coopère régulièrement avec ses semblables ; ce qui renforce le rendement de l'activité de chacun. C'est ensuite et surtout que les produits du travail d'une génération ne sont pas perdus pour celle qui suit. De ce qu'un animal a pu apprendre au cours de son existence individuelle, presque rien ne peut lui survivre. Au contraire, les résultats de l'expérience humaine se conservent presque intégralement et jusque dans le détail, grâce aux livres, aux monuments figurés, aux outils, aux instruments de toute sorte qui se transmettent de génération en génération, à la tradition orale, etc. Le sol de la nature se recouvre ainsi d'une riche alluvion qui va sans cesse en croissant. Au lieu de se dissiper toutes les fois qu'une génération s'éteint et est remplacée par une autre, la sagesse humaine s'accumule sans terme, et c'est cette accumulation indéfinie qui élève l'homme au-dessus de la bête et au-dessus de lui-même. Mais, tout comme la coopération dont il était d'abord question, cette accumulation n'est possible que dans et par la société. Car, pour que le legs de chaque génération puisse être conservé et ajouté aux autres, il faut qu'il y ait une personnalité morale qui dure par-dessus les générations qui passent, qui les relie les unes aux autres : c'est la société. Ainsi, l'antagonisme que l'on a trop souvent admis entre la société et l'individu ne correspond à rien dans les faits. Bien loin que ces deux termes s'opposent et ne puissent se développer qu'en sens inverse l'un de l'autre, ils s'impliquent. L'individu, en voulant la société, se veut lui-même. L'action qu'elle exerce sur lui, par la voie de l'éducation notamment, n'a nullement pour objet et pour effet de le comprimer, de le diminuer, de le dénaturer, mais, au contraire, de le grandir et d'en faire un être vraiment humain. Sans doute il ne peut se grandir ainsi qu'en faisant effort. Mais c'est que précisément le pouvoir de faire volontairement effort est une des caractéristiques les plus essentielles de l'homme.

PIERRE BOURDIEU/JEAN-CLAUDE PASSERON Les étudiants et la culture*

On lit dans les chances d'accéder à l'enseignement supérieur le résultat d'une sélection qui, tout au long du parcours scolaire, s'exerce avec une rigueur très inégale selon l'origine sociale des sujets ; en fait, pour les classes les plus défavorisées, il s'agit purement et simplement d'élimination (cf. tableau ci-après). Un fils de cadre supérieur a quatre-vingts fois plus de chance d'entrer à l'université qu'un fils de salarié agricole et quarante fois plus qu'un fils d'ouvrier ; ses chances sont encore le double de celles d'un fils de cadre moyen. Ces statistiques permettent de distinguer quatre niveaux d'utilisation de l'enseignement supérieur : les catégories les plus défavorisées n'ont guère aujourd'hui que des chances symboliques d'envoyer leurs enfants en faculté (moins de cinq chances sur cent) ; certaines catégories moyennes (employés, artisans, commerçants) dont la part s'est accrue dans les dernières années, ont entre dix et quinze chances sur cent ; on observe ensuite un doublement des chances avec les cadres moyens (près de trente chances sur cent) et un autre doublement avec les cadres supérieurs et les professions libérales, dont les chances approchent de soixante sur cent. Même si elles ne sont pas estimées consciemment par les intéressés, des variations aussi fortes dans les chances scolaires objectives s'expriment de mille manières dans le champ des perceptions quotidiennes et déterminent, selon les milieux sociaux, une image des études supérieures comme avenir « impossible », « possible » ou « normal » qui devient à son tour un déterminant des vocations scolaires. L'expérience de l'avenir scolaire ne peut être la même pour un fils de cadre supérieur qui, ayant plus d'une chance sur deux d'aller en faculté, rencontre nécessairement autour de lui, et même dans sa famille, les études supérieures comme un destin banal et quotidien, et pour le fils d'ouvrier qui, ayant moins de deux chances sur cent d'y accéder, ne connaît les études et les étudiants que par personnes ou par milieux interposés. [...] Les obstacles économiques ne suffisent pas à expliquer que les taux de « mortalité scolaire » puissent différer autant selon les classes sociales. N'en aurait-on aucun autre indice et ignorerait-on les voies multiples et souvent détournées par lesquelles l'Ecole éli* Textes extraits de P. BOURDIEU et J.-C. PASSERON, Les héritiers : Us étudiants et la culture, Paris, Éd. de Minuit, 1964.

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Sociologie

de l'éducation

et de l'institution

Les chances scolaires selon l'origine sociale

scolaire

(1961-1962)

Probabilités conditionnelles Catégorie socio-professionnelle des parents

Salariés agricoles

H F Ens. Agriculteurs * H F Ens. Personnel de service . . . H F Ens. Ouvriers H F Ens. Employés H F Ens. Patrons de l'industrie et H du commerce * F Ens. Cadres moyens H F Ens. Professions libérales et H cadres supérieurs F Ens.

-g S ~ts

.t:

J a

O

0,8 0,6 0,7 4,0 3,1 3,6

15,5 7,8 12,5 18,8 12,9 16,2 18,6 10,5 15,3 14,4 10,4 12,3 24,6 16,0 21,1 20,5 11,7 16,4 21,0 9,1 15,2 21,8 11,6 16,9

2,7 1,9 2,4 1,6 1,2 1,4 10,9 8,1 9,5 17,3 15,4 16,4 29,1 29,9 29,6 58,8 57,9 58,5

! "0 t/3

S S .-i

ü

44,0 26,6 34,7 44,6 27,5 37,0 48,0 31,1 41,3 52,5 29,3 42,8 46,0 30,4 39,4

36,9 65,6 50,0 27,2 51,8 38,1

3,6 0 2,8

40,3 21,8 31,8

24,9 55,7 39,1 30,2 61,9 45,6

38,3 22,2 30,5 40,0 25,7 33,3

25,3 52,6 37,0 27,5 56,0 39,9 17,6 44,0 28,6

19,3 48,6 33,2

S i S A . S

7,4 2,9 5,6 7,4 4,7 5,5 5,0 2,6 3,6 10,1 6,1 8,6 11,0 4,8 8,1 8,5 3,4 6,0 14,7 6,5 10,8

0 0 0 2,0 4,9 3,1 0,7 1,1 0,9 0,6 1,7 1,4 1,7 3,5 2,3 3,3 6,0 4,6 2,0 3,4 2,7 4,2 7,6 5,8

* Il s'agit, dans les deux cas, de pures catégories statistiques, comprenant des groupes sociaux fort divers : la catégorie des agriculteurs regroupe tous les exploitants agricoles quelle que soit la taille de leur exploitation et la catégorie des patrons de l'industrie et du commerce comprend, outre les artisans et les commerçants, les industriels qu'il n'a pas été possible d'isoler dans ces calculs mais dont on peut établir autrement qu'ils comptent parmi les plus forts utilisateurs de l'enseignement supérieur. Une lecture prudente du tableau veut donc qu'on s'attache de préférence aux catégories les plus homogènes.

P. Bourdieu/J.-C. Passeron : Les étudiants et la culture

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mine continûment les enfants originaires des milieux les plus défavorisés, on trouverait une preuve de l'importance des obstacles culturels que doivent surmonter ces sujets dans le fait que l'on constate encore au niveau de l'enseignement supérieur des différences d'attitudes et d'aptitudes significativement liées à l'origine sociale, bien que les étudiants qu'elles séparent aient tous subi pendant quinze à vingt années l'action homogénéisante de l'Ecole et que les plus défavorisés d'entre eux n'aient dû qu'à une plus grande adaptabilité ou à un milieu familial plus favorable d'échapper à l'élimination. De tous les facteurs de différenciation, l'origine sociale est sans doute celui dont l'influence s'exerce le plus fortement sur le milieu étudiant. [...] Définissant des chances, des conditions de vie ou de travail tout à fait différentes, l'origine sociale est, de tous les déterminants, le seul qui étende son influence à tous les domaines et à tous les niveaux de l'expérience des étudiants. [...] L'action du privilège n'est aperçue, la plupart du temps, que sous ses formes les plus brutales, recommandations ou relations, aide dans le travail scolaire ou enseignement supplémentaire, information sur l'enseignement et les débouchés. En fait, l'essentiel de l'héritage culturel se transmet de façon plus discrète et plus indirecte et même en l'absence de tout effort méthodique et de toute action manifeste. C'est peut-être dans les milieux les plus « cultivés » qu'il est le moins besoin de prêcher la dévotion à la culture ou de prendre en main, délibérément, l'initiation à la pratique culturelle. Par opposition au milieu petit-bourgeois où les parents ne peuvent transmettre autre chose, la plupart du temps, que la bonne volonté culturelle, les classes cultivées ménagent des incitations diffuses beaucoup mieux faites pour susciter, par une sorte de persuasion clandestine, l'adhésion à la culture. C'est ainsi que des lycéens de la bourgeoisie parisienne peuvent manifester une vaste culture, acquise sans intention ni effort et comme par osmose, au moment même où ils se défendent de subir la moindre pression de la part de leurs parents : « Allez-vous dans les musées ? » — « Pas tellement souvent. On n'allait pas tellement dans les musées de peinture avec le lycée, plutôt dans les musées d'histoire. Mes parents m'emmènent plutôt au théâtre. On ne va pas tellement au musée. » — « Quels sont vos peintres préférés ? » — « Van Gogh, Braque, Picasso, Monet, Gauguin, Cézanne. J e ne les ai pas vus êû original. J e

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Sociologie de l'éducation et de l'institution scolaire

les connais par des livres, chez moi, que je regarde. Je fais un peu de piano. C'est tout. J'aime surtout écouter la musique, pas tellement en faire. On a beaucoup de Bach, Mozart, Schubert, Schumann. » — « Vos parents vous conseillent-ils des lectures ? » — « J e lis ce que je veux. On a beaucoup de livres. J e prends ce dont j'ai envie. » (Fille de professeur, 13 ans, 4* classique, lycée de Sèvres.) Mais si les différences qui séparent les étudiants dans le domaine de la culture libre renvoient toujours à des privilèges ou à des désavantages sociaux, elles ne sont pas toujours de même sens lorsqu'on les réfère aux attentes professorales : en effet, les étudiants les plus défavorisés peuvent, faute d'autre recours, trouver dans des conduites plus scolaires, comme la lecture des oeuvres de théâtre, un moyen de compenser leur désavantage. De même, si l'érudition cinématographique est répartie conformément à la logique du privilège qui donne aux étudiants issus de milieux aisés le goût et le loisir de transférer dans des domaines extra-scolaires les habitudes cultivées, la fréquentation des ciné-clubs, pratique à la fois économique, compensatoire et quasi scolaire, semble être surtout le fait des étudiants des classes moyennes. Pour les individus originaires des couches les plus défavorisées, l'Ecole reste la seule et unique voie d'accès à la culture, et cela à tous les niveaux de l'enseignement ; partant, elle serait la voie royale de la démocratsiation de la culture, si elle ne consacrait, en les ignorant, les inégalités initiales devant la culture et si elle n'allait souvent — en reprochant par exemple à un travail scolaire d'être trop « scolaire » — jusqu'à dévaloriser la culture qu'elle transmet au profit de la culture héritée qui ne porte pas la marque roturière de l'effort et a, de ce fait, toutes les apparences de la facilité et de la grâce. [...] Tout enseignement, et plus particulièrement l'enseignement de culture (même scientifique), présuppose implicitement un corps de savoirs, de savoir-faire et surtout de savoir-dire qui constitue le patrimoine des classes cultivées. Education ad usum delphini, l'enseignement secondaire classique véhicule des significations au second degré, se donnant pour acquis tout un trésor d'expériences au premier degré, lectures suscitées autant qu'autorisées par la bibliothèque paternelle, spectacles de choix que l'on n'a pas à choisir, voyages en forme de pèlerinage culturel, conversations allusives qui n'éclairent que les gens déjà éclairés. N'en résulte-t-il pas une inégalité fondamentale devant ce jeu de privilégiés où tous doivent entrer puis-

P. Bourdieu/J.-C.

Passcron

: Les étudiants

et la culture

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qu'il se présente à eux paré des valeurs de l'universalité ? Si les enfants des classes défavorisées perçoivent souvent l'initiative scolaire comme apprentissage de l'artifice et du discours-à-l'usage-des-professeurs, n'est-ce pas précisément parce que la réflexion savante doit précéder pour eux l'expérience directe ? Il leur faut apprendre en détail le plan du Parthénon sans être jamais sortis de leur province et disserter tout au long de leurs études, avec la même insincérité obligée, sur les je-ne-sais-quoi et les litotes de la passion classique ou sur les nuances infinies et infinitésimales du bon goût. Répéter que le contenu de l'enseignement traditionnel ôte la réalité à tout ce qu'il transmet, c'est taire que le sentiment de l'irréalité est très inégalement ressenti par les étudiants des différents milieux. Croire que l'on donne à tous des chances égales d'accéder à l'enseignement le plus élevé et à la culture la plus haute lorsqu'on assure les mêmes moyens économiques à tous ceux qui ont les « dons » indispensables, c'est rester à mi-chemin dans l'analyse des obstacles et ignorer que les aptitudes mesurées au critère scolaire tiennent, plus qu'à des « dons » naturels (qui restent hypothétiques tant qu'on peut imputer à d'autres causes les inégalités scolaires), à la plus ou moins grande affinité entre les habitudes culturelles d'une classe et les exigences du système d'enseignement ou les critères qui y définissent la réussite. Lorsqu'ils s'orientent vers les enseignements dits de culture qui contribuent pour une part toujours très importante à déterminer les chances de faire des études « nobles » (l'ENA ou Polytechnique tout autant que l'agrégation de lettres), les élèves doivent assimiler tout un ensemble de connaissances et de techniques qui ne sont jamais complètement dissociables de valeurs sociales, souvent opposées à celles de leur classe d'origine. Pour les fils de paysans, d'ouvriers, d'employés ou de petits commerçants, l'acquisition de la culture scolaire est acculturation [...] Sans doute, le modèle pur d'un système qui subordonnerait le choix de ses moyens pédagogiques à une seule fin, à savoir la formation de spécialistes (s'agirait-il de spécialiste du général), n'est jamais qu'une utopie : chargé de produire des valeurs par référence à des valeurs qui ne sont autres que celles de la société pour laquelle il les produit, un système d'éducation réel est toujours investi de fonctions multiples et incommensurables, en sorte qu'on ne peut accorder la prépondérance à telle ou telle sans engager les valeurs ultimes qu'une société, ou mieux, les groupes qui la composent, engagent dans leur représentation de la culture. Il n'est pas indifférent néanmoins que la prééminence soit conférée réellement à l'une

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de l'éducation et de l'institution scolaire

ou l'autre des fins, par exemple à la perpétuation d'une élite d'hommes cultivés ou à la préparation diversifiée du plus grand nombre aux tâches professionnelles. Fiction abstraite, résultat de la décision méthodique d'accentuer unilatéralement et au prix d'un passage à la limite irréalisable les traits d'un système qui expliciterait et réaliserait complètement les conditions techniques de l'apprentissage intellectuel, le type idéal de l'enseignement « rationnel » fait voir, par comparaison, que les fins diverses que peut servir un système d'éducation sont inégalement éloignées des fins que les différents groupes assignent, explicitement ou non, à l'éducation et, par là, inégalement conformes à leurs intérêts. La distinction entre les fonctions que remplit un système d'éducation et les moyens par lesquels il s'en acquitte est ici particulièrement nécessaire : en effet, le lien qui s'est établi dans les faits entre les valeurs les plus traditionnelles et la tradition pédagogique de la maîtrise fait oublier que des moyens rationnels pourraient être mis au service des fins les plus éloignées de celles qu'engage l'apprentissage de tâches professionnelles strictement définies. La rationalisation de l'art de transmettre l'adhésion aux valeurs de culture, par exemple dans l'enseignement des lettres ou des disciplines artistiques, n'est pas plus inconcevable, après tout, que la rationalisation de la vie religieuse, au sens où l'entendait Max Weber. En tout cas, si l'on peut débattre des fins de l'éducation la mieux faite pour servir l'intérêt des classes défavorisées, il reste que, en l'état actuel du système et des fins qui l'orientent, la rationalisation des moyens et des institutions pédagogiques est toujours immédiatement conforme à l'intérêt des étudiants les plus défavorisés. [...] La cécité aux inégalités sociales condamne et autorise à expliquer toutes les inégalités, particulièrement en matière de réussite scolaire, comme inégalités naturelles, inégalités de dons1. Pareille attitude est 1. Il n'est pas dans notre intention, en soulignant la fonction idéologique que remplit dans certaines conditions le recours à l'idée de l'inégalité des dons, de constater l'inégalité naturelle des aptitudes humaines, étant entendu qu'on ne voit pas de raison pour que les hasards de la génétique ne distribuent pas également ces dons inégaux entre les différentes classes sociales. Mais cette évidence est abstraite et la recherche sociologique se doit de suspecter et de déceler méthodiquement l'inégalité culturelle socialement conditionnée sous les inégalités naturelles apparentes puisqu'elle ne doit conclure à la « nature » qu'en désespoir de cause. Il n'y a donc jamais lieu d'être certain du caractère naturel des inégalités que l'on constate entre les hommes dans une situation sociale donnée et, en la matière, tant qu'on n'a pas exploré toutes les voies par où agissent les facteurs sociaux d'inégalité et qu'on n'a pas épuisé tous les moyens pédagogiques d'en surmonter l'efficacité, il vaut mieux douter trop que trop peu.

P. Bourdieu/J.-C.

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dans la logique d'un système qui, reposant sur le postulat de l'égalité formelle de tous les enseignés, condition de son fonctionnement, ne peut reconnaître d'autres inégalités que celles qui tiennent aux dons individuels. Qu'il s'agisse de l'enseignement proprement dit ou de la sélection, le professeur ne connaît que des enseignés égaux en droits et en devoirs : si, au cours de l'année scolaire, il lui arrive d'adapter son enseignement à certains, c'est aux « moins doués » qu'il s'adresse et non aux plus défavorisés par leur origine sociale ; de même si, le jour de l'examen, il prend en compte la situation sociale de tel candidat, ce n'est pas qu'il le perçoive comme membre d'une catégorie sociale défavorisée, c'est au contraire qu'il lui accorde l'intérêt d'exception que mérite un cas social. L'exorcisme verbal permet de conjurer l'idée même d'une liaison entre la culture des étudiants et leur origine sociale lorsqu'elle s'impose sous la forme de lacunes grossières. Dire sur le ton de la déploration résignée que « les étudiants ne lisent plus » ou que « le niveau baisse d'année en année », c'est en effet éviter de se demander pourquoi il en est ainsi et d'en tirer les conséquences pédagogiques. On comprend que ce système trouve son accomplissement dans le concours, qui assure parfaitement l'égalité formelle des candidats mais qui exclut par l'anonymat la prise en considération des inégalités réelles devant la culture. Les défenseurs de l'agrégation peuvent légitimement arguer que, par opposition à un système de sélection fondé sur la qualité statutaire et la naissance, le concours donne à tous des chances égales. C'est oublier que l'égalité formelle qu'assure le concours ne fait que transformer le privilège en mérite puisqu'il permet à l'action de l'origine sociale de continuer à s'exercer, mais par des voies plus secrètes. Mais pourrait-il en être autrement ? Le système d'éducation doit, entre autres fonctions, produire des sujets sélectionnés et hiérarchisés une fois pour toutes et pour toute la vie. Vouloir, dans cette logique, prendre en compte les privilèges ou les désavantages sociaux et prétendre hiérarchiser les sujets selon leur mérite réel, c'est-à-dire selon les obstacles surmontés, ce serait se condamner, si l'on allait jusqu'au bout de la logique, c'est-à-dire jusqu'à l'absurde, soit à la compétition par catégories (comme en boxe), soit, comme pour l'estimation des mérites dans l'éthique kantienne, à l'évaluation des différences algébriques entre le point de départ, c'est-à-dire les aptitudes socialement conditionnées, et l'aboutissement, c'est-à-dire la réussite scolairement mesurée, bref, au classement par handicap. De même que Kant attribue des mérites inégaux à deux actions équivalentes en elles-

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mêmes selon qu'elles sont le fait de « tempéraments » plus ou moins inclinés à ces actions, de même, il faudrait ici, substituant la considération de l'aptitude socialement conditionnée à celle de l'inclination naturelle, examiner non pas le degré de réussite ponctuellement appréhendé, mais son rapport au point de départ, plus ou moins haut situé, non le point mais la pente de la courbe®. Dans cette logique, l'estimation du désavantage des sujets originaires des classes défavorisées et l'évaluation de degrés de mérite proportionnés à l'importance du handicap surmonté conduiraient — si tant est qu'elles soient possibles — à tenir pour égaux les auteurs de performances inégales et pour inégaux les auteurs de performances identiques, relativisant la hiérarchie établie selon le critère scolaire et réduisant à rien l'avantage que les sujets défavorisés, ainsi artificiellement favorisés, tireraient de cette relativisation démagogique de la hiérarchie. Pareille hypothèse n'est pas complètement utopique. La politique scolaire des démocraties populaires a pu tendre à favoriser systématiquement l'entrée dans l'enseignement supérieur et la réussite aux examens des fils d'ouvreirs et de paysans. Mais l'effort d'égalisation reste formel tant que les inégalités ne sont pas effectivement abolies par une action pédagogique : ainsi, en Pologne, après avoir augmenté jusqu'en 1957, le taux d'étudiants originaires des milieux ruraux et ouvriers a commencé à diminuer dès que la pression administrative s'est relâchée. Si la considération des handicaps sociaux n'est pas moins étrangère à ceux qui ont pour tâche de sélectionner qu'à ceux qui sont sélectionnés, c'est peut-être que, pour produire des sujets sélectionnés et sélectionnables, l'Université doit obtenir, donc produire, l'adhésion indiscutée à un principe de sélection que l'introduction de principes concurrents relativiserait. Elle exige de ceux qui entrent dans le jeu qu'ils admettent les règles d'une compétition où ne sauraient intervenir d'autres critères que scolaires. Et elle semble y réussir, en France tout particulièrement, puisque c'est l'aspiration à se situer aussi haut que possible dans la hiérarchie universitaire, tenue pour absolue, qui suscite les efforts scolaires les plus soutenus et les plus efficaces. L'adhésion aux valeurs engagées dans la hiérarchie scolaire des performances est si forte que l'on peut voir les sujets se porter, indépendamment des aspirations ou des aptitudes individuelles, 2. Ce n'est pas un hasard si lorsque l'on entreprend de constater l'idéologie des dons naturels on rencontre la logique par laquelle l'éthique kantienne du mérite s'opposait à la morale antique des vertus innées, apanage des hommes bien nés.

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vers les carrières ou les épreuves les plus hautement valorisées par l'Ecole ; c'est là un des facteurs de l'attraction, souvent inexplicable autrement, qu'exercent l'agrégation et les grandes écoles et, plus généralement, les études abstraites auxquelles s'attache un plus grand prestige. C'est peut-être le même principe qui incline les universitaires et, plus généralement, les intellectuels français à accorder le plus haut prix aux œuvres où l'ambition théorique est la plus manifeste. Ainsi se trouve exclue (au moins aux yeux des universitaires) l'idée d'une hiérarchie parallèle qui relativiserait la hiérarchie des réussites scolaires, en permettant à ceux qui sont au plus bas de se trouver des excuses ou de dévaloriser le succès des autres. Bref, bien qu'il contredise la justice réelle en soumettant aux mêmes épreuves et aux mêmes critères des sujets fondamentalement inégaux, le procédé de sélection qui ne prend en compte que les performances mesurées au critère scolaire, toutes choses égales d'ailleurs, est le seul qui convienne à un système dont la fonction est de produire des sujets sélectionnés et comparables. Mais rien dans la logique du système ne s'oppose à ce que l'on introduise la considération des inégalités réelles dans l'enseignement proprement dit. Les classes privilégiées trouvent dans l'idéologie que l'on pourrait appeler charismatique (puisqu'elle valorise la « grâce » ou le « don ») une légitimation de leurs privilèges culturels qui sont ainsi transmués d'héritage social en grâce individuelle ou en mérite personnel. Ainsi masqué, le « racisme de classe » peut s'afficher sans jamais s'apparaître. Cette alchimie réussit d'autant mieux que, loin de lui opposer une autre image de la réussite scolaire, les classes populaires reprennent à leur compte l'essentialisme des hautes classes et vivent leur désavantage comme destin personnel. Ne s'accorde-t-on pas pour reconnaître dans la précocité un redoublement du don ? C'est un fait banal, mais chargé d'implications éthiques, que l'étonnement admiratif dont on gratifie le bachelier de quinze ans, « le plus jeune agrégé » ou « le plus jeune polytechnicien de France ». Les innombrables étapes du cursus honorum permettent d'ailleurs à certains le prodige d'une éternelle précocité, puisqu'on peut être encore le plus jeune académicien. C'est même dans les classes les plus défavorisées où, traditionnellement, l'hérédité sociale des aptitudes est fortement perçue — qu'il s'agisse des tours de main artisanaux ou de l'habileté en affaires — que l'on trouve parfois l'expression la plus paradoxale de l'idéologie charismatique : on voit souvent invoquer l'interruption des études pour sauver, en l'absence de toute réussite,

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la virtualité du don individuel, selon la logique même par laquelle les hautes classes peuvent s'attester le don actualisé dans la réussite. Les étudiants sont d'autant plus vulnérables à l'essentialisme que, adolescents et apprentis, ils sont toujours à la recherche de ce qu'ils sont, et par là, profondément concernés dans leur être par ce qu'ils font. Quant aux professeurs qui incarnent la réussite scolaire et qui sont tenus au jugement continu sur les aptitudes des autres, il y va de leur morale et de leur moral professionnels qu'ils tiennent pour dons personnels les aptitudes qu'ils ont plus ou moins laborieusement acquises et qu'ils imputent à l'être des autres les aptitudes acquises et l'aptitude à acquérir des aptitudes ; et cela d'autant plus qu'ils trouvent dans le système scolaire tous les moyens de s'épargner le retour réflexif sur eux-mêmes qui les conduirait à se mettre en question aussi bien comme personnes que comme membres de la classe cultivée. Souvent originaires de la classe moyenne ou issus de familles d'enseignants, ils sont d'autant plus attachés à l'idéologie charismatique, bien faite pour justifier l'arbitraire du privilège culturel, que c'est seulement en tant que membres de la classe intellectuelle qu'ils participent, partiellement, des privilèges de la bourgeoisie. Si l'agrégation suscite des défenseurs aussi pugnaces, c'est peut-être qu'elle est un de ces privilèges qui peuvent apparaître comme liés exclusivement au mérite personnel et garantis par une procédure aussi démocratique que possible (formellement). Rien ne vient donc contredire l'idéologie implicite de l'Université et de la réussite universitaire, envers pur d'une éthique kantienne du mérite : toute la valeur s'incarne dans l'enfant prodige, la brièveté du parcours scolaire témoignant de l'étendue du don. Et lorsqu'il apparaît, le projet de relativiser la hiérarchie scolaire des réussites s'arme paradoxalement de la dévalorisation de l'effort : les surnoms péjoratifs, « polar », « pohu », « chiadeur », se réfèrent à une idéologie charismatique qui n'oppose les œuvres à la grâce que pour les dévaloriser au nom de la grâce. On comprend mieux pourquoi la simple description des différences sociales et des inégalités scolaires qu'elles fondent n'est pas de simple routine et constitue par soi une mise en question du principe sur lequel repose le système actuel. Le dévoilement du privilège culturel anéantit l'idéologie apologétique qui permet aux classes privilégiées, principales utilisatrices du système d'enseignement, de voir dans leur réussite la confirmation de dons naturels et personnels : l'idéologie du don reposant avant tout sur la cécité aux inégalités

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sociales devant l'Ecole et la culture, la simple description de la relation entre le succès universitaire et l'origine sociale a une vertu critique. Parce que tout les incline à juger leurs propres résultats par référence à l'idéologie charismatique, les étudiants des basses classes tiennent ce qu'ils font pour un simple produit de ce qu'ils sont et le pressentiment obscur de leur destin social ne fait que renforcer les chances de l'échec, selon la logique de la prophétie qui contribue à son propre accomplissement. L'essentialisme implicitement enfermé dans l'idéologie charismatique vient donc redoubler l'action des déterminismes sociaux : du fait qu'il n'est pas perçu comme lié à une certaine situation sociale, par exemple à l'atmosphère intellectuelle du milieu familial, à la structure de la langue que l'on y parle, ou à l'attitude à l'égard de l'Ecole et de la culture qu'il encourage, l'échec scolaire est naturellement imputé au défaut de dons. Ce sont en effet les enfants originaires des basses classes qui sont les victimes désignées et consentantes de ces définitions d'essence dans lesquelles les enseignants maladroits (et peu enclins, on l'a vu, à la relativisation sociologique de leurs jugements) enferment les individus. Quand une mère d'élève dit de son fils, et souvent devant lui, qu' « il n'est pas bon en français », elle se fait complice de trois ordres d'influences défavorables : en premier lieu, ignorant que les résultats de son fils sont directement fonction de l'atmosphère culturelle de la famille, elle transforme en destin individuel ce qui n'est que le produit d'une éducation et qui peut encore être corrigé, au moins partiellement, par une action éducative ; en second lieu, faute d'information sur les choses de l'Ecole, faute parfois d'avoir rien à opposer à l'autorité des maîtres, elle tire d'un simple résultat scolaire des conclusions prématurées et définitives ; enfin, en donnant sa sanction à ce type de jugement, elle renforce l'enfant dans le sentiment d'être tel ou tel par nature. Ainsi, l'autorité légitimatrice de l'Ecole peut redoubler les inégalités sociales parce que les classes les plus défavorisées, trop conscientes de leur destin et trop inconscientes des voies par lesquelles il se réalise, contribuent par là à sa réalisation. Parce qu'elle reste toujours partielle et lacunaire, la perception des inégalités devant l'Ecole conduit parfois les étudiants à des revendications diffuses qui ne sont que le reflet inversé de la casuistique de l'examen, la situation de maître d'internat de l'un, de pupille de la nation d'un autre ou de poliomyélitique d'un troisième. L'entorse au système sert ici la logique du système, le misérabilisme répondant au paternalisme. Ayant ignoré les handicaps sociaux en cours d'apprentissage (c'est-à-dire lorsqu'on pouvait encore quelque

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chose), on ne répugne pas à les découvrir le jour de l'examen (mais seulement sous forme de « cas ») parce qu'on ne s'oblige à rien d'autre qu'à la générosité. Bref, chez les étudiants comme chez les professeurs, la tentation première pourrait être d'utiliser l'invocation du handicap social comme alibi ou excuse, c'est-à-dire comme raison suffisante d'abdiquer les exigences formelles du système d'enseignement. Autre forme de la même abdication, mais plus dangereuse parce qu'elle peut s'armer d'une apparence de logique et se parer des apparences du relativisme sociologique, l'illusion populiste pourrait conduire à revendiquer la promotion à l'ordre de la culture enseignée par l'Ecole des cultures parallèles portées par les classes les plus défavorisées. Mais ce n'est pas assez de constater que la culture scolaire est une culture de classe, c'est tout faire pour qu'elle reste telle que d'agir comme si elle n'était que cela. Il est indiscutable que certaines des aptitudes qu'exige l'Ecole, comme l'habileté à parler ou à écrire et la multiplicité même des aptitudes, définissent et définiront toujours la culture savante. Mais le professeur de Lettres n'est en droit d'attendre la virtuosité verbale et rhétorique qui lui apparaît, non sans raison, comme associée au contenu même de la culture qu'il transmet, qu'à la condition qu'il tienne cette vertu pour ce qu'elle est, c'est-à-dire une aptitude susceptible d'être acquise par l'exercice et qu'il s'impose de fournir à tous les moyens de l'acquérir. En l'état actuel de la société et des traditions pédagogiques, la transmission des techniques et des habitudes de pensée exigées par l'Ecole revient primordialement au milieu familial. Toute démocratisation réelle suppose donc qu'on les enseigne là où les plus défavorisés peuvent les acquérir, c'est-à-dire à l'Ecole ; que l'on élargisse le domaine de ce qui peut être rationnellement et techniquement acquis par un apprentissage méthodique aux dépens de ce qui est abandonné irréductiblement au hasard des talents individuels, c'està-dire en fait, à la logique des privilèges sociaux ; que l'on monnaye sous forme d'apprentissages méthodiques les dons totaux et infrangibles de l'idéologie charismatique. L'intérêt pédagogique des étudiants originaires des classes les plus défavorisées, qui ne s'exprime aujourd'hui que dans le langage des conduites semi-conscientes, inconscientes ou honteuses, serait d'exiger des maîtres qu'ils « vendent la mèche » au lieu de mettre en scène une prouesse exemplaire et inimitable, propre à faire oublier (en l'oubliant) que la grâce n'est qu'une acquisition laborieuse ou un héritage social, au lieu de se tenir quitte une fois pour toutes et pour toute l'année

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envers la pédagogie en livrant des recettes dévalorisées par leurs fins étroitement utilitaires (les fameuses recettes pour la dissertation) ou dévaluées par l'ironie qu'il y a à les transmettre en les accompagnant d'illustrations magistrales irréductibles à leur efficacité. Il serait trop facile d'apporter d'autres exemples de cette mauvaise foi qui transforme la transmission des techniques en rituel à la gloire du charisme professoral, qu'il s'agisse des bibliographies terrifiantes et fascinantes, des exhortations à la lecture, à l'écriture ou à la recherche qui sont autant de dérisions, ou enfin, du cours magistral qui risque de rassembler, parce qu'il ne peut s'adresser qu'à des étudiants formellement et fictivement égaux, tous les faux-semblants pédagogiques. Mais la pédagogie rationnelle est à inventer et ne saurait en rien être confondue avec les pédagogies actuellement connues qui, n'ayant d'autres fondements que psychologiques, servent en fait un système qui ignore et veut ignorer les différences sociales. Rien n'est donc plus éloigné de notre pensée que d'en appeler à la pédagogie dite scientifique qui, accroissant en apparence la rationalité (formelle) de l'enseignement, permettrait aux inégalités réelles de peser aussi fortement que jamais, avec plus de justifications que jamais. Une pédagogie réellement rationnelle devrait se fonder sur l'analyse des coûts relatifs des différentes formes d'enseignement (cours, travaux pratiques, séminaires, groupes de travail) et des divers types d'action pédagogique du professeur (depuis le simple conseil technique jusqu'à la direction effective des travaux d'étudiants) ; elle devrait prendre en compte le contenu de l'enseignement ou les fins professionnelles de la formation, et, envisageant les divers types de rapports pédagogiques, elle ne devrait pas oublier leur rendement différentiel selon l'origine sociale des étudiants. En toute hypothèse, elle est subordonnée à la connaissance que l'on se donnera de l'inégalité culturelle socialement conditionnée et à la décision de la réduire. Par exemple, de toutes les fonctions professorales, la plus régulièrement oubliée, tant de certains professeurs qui ne se soucient guère de ce surcroît de labeur sans charme et sans prestige que de certains étudiants qui y verraient sans doute un renforcement de l'asservissement où ils se sentent tenus, est sans doute l'organisation continue de l'exercice comme activité orientée vers l'acquisition aussi complète et aussi rapide que possible des techniques matérielles et intellectuelles du travail intellectuel. Tacitement complices, professeurs et étudiants s'accordent souvent pour définir au moindre coût les tâches que l'on est en droit d'attendre des enseignants et des enseignés. Reconnaître la liberté de l'étudiant et feindre de voir en lui,

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tout au long de l'année, un travailleur libre, ou mieux, autonome, c'est-à-dire capable de s'imposer à lui-même une discipline, d'organiser son travail et de s'obliger à un effort suivi et méthodique, c'est le prix que doit payer le professeur pour se voir renvoyer par l'étudiant ainsi défini l'image qu'il entend donner et avoir de lui-même comme maître à penser et non comme pédagogue ou pédant de collège, comme enseignant de qualité pour enseignés de qualité. Exiger la présence au cours ou la remise ponctuelle des devoirs, ce serait anéantir à la fois le professeur et l'étudiant tels qu'ils se voient et se veulent, tels qu'ils se voient et se veulent l'un l'autre. Parce que l'étudiant ne peut pas ne pas ressentir les exigences de tout apprentissage (à savoir le travail régulier ou la discipline des exercices), il fait alterner l'aspiration à un encadrement plus étroit et à une « re-scolarisation » de la vie étudiante avec l'image idéale et prestigieuse du travail noble et libre, affranchi de tout contrôle et de toute discipline. Et l'on trouverait dans les attentes des professeurs les mêmes alternances et la même ambivalence. Ainsi, il n'est pas rare que le professeur qui propose tout au long de l'année l'image de la prouesse et de la virtuosité juge les travaux de ses étudiants au nom de critères tout à fait différents de ceux qu'il semblait suggérer dans son enseignement, témoignant par là qu'il ne saurait mesurer au même étalon ses propres œuvres et celles de ses étudiants. Plus généralement, en l'absence d'une explication méthodique des principes et de toute préoccupation docimologique, les jugements professoraux s'inspirent de critères particuliers, variables selon les professeurs et, comme dans la « justice de cadi », restent directement liés au cas particulier. On comprend que les étudiants soient communément condamnés à déchiffrer les augures et à percer les secrets des dieux, avec toutes les chances de se tromper. On voit qu'il n'est pas besoin de prendre expressément en compte le handicap social des candidats pour rationaliser l'examen et travailler par là à la rationalisation de l'attitude à l'égard de l'examen, asile privilégié de l'irrationalité. En effet, les étudiants des classes cultivées sont les mieux (ou les moins mal) préparés à s'adapter à un système d'exigences diffuses et implicites puisqu'ils détiennent, implicitement, le moyen d'y satisfaire. Par exemple, en raison de l'affinité évidente entre la culture scolaire et la culture de la classe cultivée, les étudiants originaires de cette classe peuvent manifester, dans cette rencontre personnelle qu'est l'oral, ces qualités impondérables qui n'ont pas besoin d'être perçues par le professeur pour entrer dans le jugement professoral. Les « petites perceptions » de classe sont d'autant plus insidieuses que

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la perception consciente et explicite des origines sociales aurait quelque chose de scandaleux. Ainsi, chaque progrès dans le sens de la rationalité réelle, qu'il s'agisse de l'explication des exigences réciproques des enseignants et des enseignés, ou encore de l'organisation des études la mieux faite pour permettre aux étudiants des classes défavorisées de surmonter leurs désavantages, serait un progrès dans le sens de l'équité : les étudiants originaires des basses classes, qui sont les premiers à pâtir de tous les vestiges charismatiques et traditionnels et qui sont plus que les autres enclins à tout attendre et à tout exiger de l'enseignement, bénéficieraient les premiers d'un effort pour livrer à tous cet ensemble de « dons » sociaux qui constituent la réalité du privilège culturel. Si l'on accorde que l'enseignement réellement démocratique est celui qui se donne pour fin inconditionnelle de permettre au plus grand nombre possible d'individus de s'emparer dans le moins de temps possible, le plus complètement et le plus parfaitement possible, du plus grand nombre possible des aptitudes qui font la culture scolaire à un moment donné, on voit qu'il s'oppose aussi bien à l'enseignement traditionnel orienté vers la formation et la sélection d'une élite de gens bien nés qu'à l'enseignement technocratique tourné vers la production en série de spécialistes sur mesure. Mais il ne suffit pas de se donner pour fin la démocratisation réelle de l'enseignement. En l'absence d'une pédagogie rationnelle mettant tout en œuvre pour neutraliser méthodiquement et continûment, de l'école maternelle à l'Université, l'action des facteurs sociaux d'inégalité culturelle, la volonté politique de donner à tous des chances égales devant l'enseignement ne peut venir à bout des inégalités réelles, lors même qu'elle s'arme de tous les moyens institutionnels et économiques ; et, réciproquement, une pédagogie réellement rationnelle, c'est-à-dire fondée sur une sociologie des inégalités culturelles, contribuerait sans doute à réduire les inégalités devant l'Ecole et la culture, mais elle ne pourrait entrer réellement dans les faits que si se trouvaient données toutes les conditions d'une démocratisation réelle du recrutement des maîtres et des élèves, à commencer par l'instauration d'une pédagogie rationnelle.

PIERRE

BOURDIEU/JEAN-CLAUDE

L e s m é c a n i s m e s d e la r e p r o d u c t i o n

PASSERON culturelle*

I n é g a l i t é s d e v a n t la s é l e c t i o n e t i n é g a l i t é s de s é l e c t i o n Ignorer, c o m m e o n le fait souvent, q u e les catégories découpées dans u n e population d'étudiants par des critères c o m m e l'origine sociale, le sexe ou telle caractéristique du passé scolaire ont été inégalement sélectionnées au cours de la scolarité antérieure, ce serait s'interdire de rendre raison complètement de toutes les variations q u e font apparaître ces critères \ Ainsi par exemple les résultats obtenus à u n e épreuve de langage ne sont pas seulement le fait d'étudiants caractérisés par leur formation antérieure, leur origine sociale, leur sexe, ou m ê m e tous ces critères considérés simultanément, mais de la catégorie qui, par cela m ê m e qu'elle est dotée de l'ensemble de ces caractéristiques, n'a pas subi l'élimination au m ê m e degré q u ' u n e catégorie définie par d'autres caractéristiques. A u t r e m e n t dit, c'est commettre u n paralogisme de la f o r m e pars pro toto q u e de croire saisir directement et exclusivement l'influence, m ê m e croisée, de facteurs c o m m e l'origine sociale ou le sexe dans des relations synchroniques qui, s'agissant d'une population définie par un certain passé, * Textes extraits de P. BOURDIEU et J.-C. PASSERON, La reproduction : éléments pour une théorie du système d'enseignement, Paris, Éd. de Minuit, 1970. 1. Le paralogisme consistant à ignorer les propriétés qu'une population produite par une série de sélections doit à ce processus ne serait pas aussi fréquent s'il n'exprimait une des tendances les plus profondes de l'épistémologie spontanée, à savoir l'inclination à une représentation réaliste et statique des catégories de l'analyse et sil ne trouvait de surcroît un encouragement et une caution dans l'usage machinal de l'analyse multivariée qui immobilise un état donné d'un système de relations. Pour en finir avec certaines des objections suscitées par celles de nos analyses qui se fondent sur la prise en compte systématique de l'effet de sélection relative, il faudrait peut-être prendre la peine de démonter, selon les exigences analytiques du canon méthodologique, les ressorts logiques de cette illusion qui mériterait de figurer au catalogue des erreurs méthodologiques sous le nom typiquement méthodologique de multivariate fallacy. Si nous renonçons aux délectations moroses de cet exercice d'école, c'est qu'une réfutation qui adopterait, fût-ce sur le mode du pastiche, les signes extérieurs de l'apparat méthodologique contribuerait encore à cautionner la dissociation entre la pratique et la réflexion sur la pratique qui définit la tentation méthodologique ; c'est surtout que la sociologie propose des tâches moins stériles que la dénonciation en règle d'erreurs qui résisteraient moins à la réfutation logique si elles étaient moins nécessaires sociologiquement.

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lui-même défini par l'action continue dans le temps de ces facteurs, ne prennent tout leur sens que replacées dans le processus de la carrière. Si l'on a choisi d'adopter ici une méthode d'exposition déductive, c'est que seul un modèle théorique comme celui qui met en relation les deux systèmes de relations subsumés sous les deux concepts de capital linguistique et de degré de sélection est capable de mettre au jour le système des faits qu'il construit comme tels en instaurant entre eux une relation systématique : tout à l'opposé de la vérification pointilliste qui soumet à des expérimentations partielles une série discontinue d'hypothèses parcellaires, la vérification systématique qui est proposée ci-dessous entend donner à l'expérimentation son plein pouvoir de démenti en confrontant les résultats du calcul théorique aux constats de la mesure empirique. Ayant dû réussir une entreprise d'acculturation pour satisfaire au minimum incompressible d'exigences scolaires en matière de langage, les étudiants des classes populaires et moyennes qui accèdent à l'enseignement supérieur ont nécessairement subi une plus forte sélection, et selon le critère même de la compétence linguistique, les correcteurs étant le plus souvent contraints, à l'agrégation comme au baccalauréat, de rabattre de leurs exigences en matière de savoirs et de savoir-faire pour s'en tenir aux exigences de forme 2 . Particulièrement manifeste dans les premières années de la scolarité où la compréhension et la maniement de la langue constituent le point d'application principal du jugement des maîtres, l'influence du capital linguistique ne cesse jamais de s'exercer : le style reste toujours pris en compte, implicitement ou explicitement, à tous les niveaux du cursus et, bien qu'à des degrés divers, dans toutes les carrières universitaires, même scientifiques. Plus, la langue n'est pas seulement un instrument de communication, mais elle fournit, outre un vocabulaire plus ou moins riche, un système de catégories plus ou moins complexe, en sorte que l'aptitude au déchiffrement et à la manipulation de structures complexes, qu'elles soient logiques ou esthétiques, dépend pour une part de la complexité de la langue transmise 2. Comme aiment à le dire les correcteurs, « l'essentiel c'est que ce soit bien écrit ». Parlant du concours d'entrée à l'Ecole normale, Célestin Bouglé écrivait : « Il est formellement entendu que, même pour la dissertation d'histoire, qui suppose un certain nombre de connaissances de fait, les correcteurs doivent apprécier surtout les qualités de composition et d'exposition. » (Humanisme, sociologie, philosophie, Remarques sur la conception française de la culture générale, Paris, Hermann, coll. « Travaux de l'Ecole Normale Supérieure », 1938, p. 21.) Les rapports d'agrégation et de CAPES sont remplis d'affirmation du même type.

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par la famille. Il s'ensuit logiquement que la mortalité scolaire ne peut que croître à mesure que l'on va vers les classes les plus éloignées de la langue scolaire, mais aussi que, dans une population qui est le produit de la sélection, l'inégalité de la sélection tend à réduire progressivement et parfois à annuler les effets de l'inégalité devant la sélection : de fait, seule la sélection différentielle selon l'origine sociale, et en particulier la sur-sélection des étudiants d'origine populaire, permettent d'expliquer systématiquement toutes les variations de la compétence linguistique en fonction de la classe sociale d'origine et, en particulier, l'annulation ou l'inversion de la relation directe (observable à des niveaux moins élevés du cursus) entre la possession d'un capital culturel (repéré à la profession du père) et le degré de réussite. [...] Connaissant d'une part les relations qui unissent les caractéristiques sociales ou scolaires des différentes catégories de récepteurs aux différents degrés de la compétence linguistique et d'autre part l'évolution du poids relatif des catégories caractérisées par des niveaux de réception différents, on peut construire un modèle permettant d'expliquer et, dans une certaine mesure, de prévoir les transformations du rapport pédagogique. On voit immédiatement que les transformations du système des relations qui unissent le système scolaire et la structure des rapports de classe, transformations qui s'expriment par exemple dans l'évolution du taux de scolarisation des différentes classes sociales, entraînent une transformation (conforme aux principes mêmes qui le commandent) du système des relations entre les niveaux de réception et les catégories de récepteurs, c'est-à-dire du système d'enseignement considéré comme système de communication : en effet, l'aptitude à la réception caractéristique des récepteurs d'une catégorie donnée est fonction à la fois du capital linguistique dont dispose cette catégorie (et que l'on peut supposer constant pour la période considérée) et du degré de sélection des survivants de cette catégorie, tel que le mesure objectivement le taux d'élimination scolaire de la catégorie. L'analyse des variations dans le temps du poids relatif des catégories de récepteurs permet donc de déceler et d'expliquer sociologiquement une tendance à la baisse continue du mode de la distribution des compétences linguistiques des récepteurs en même temps qu'à l'accroissement de la dispersion de cette distribution. En effet, en raison de l'accroissement du taux de scolarisation de toutes les classes sociales, l'effet correcteur de la sur-sélection s'exerce de moins en moins sur le niveau de réception des catégories dotées du plus faible héritage linguistique (comme on le voit déjà dans

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le cas des étudiants issus des classes moyennes), tandis que les catégories les plus favorisées sous le rapport considéré atteignent à un taux d'élimination si faible que le mode de ces catégories tend à baisser continûment en même temps que croît la dispersion des niveaux de réception. Concrètement, on ne peut comprendre l'aspect proprement pédagogique de la crise que connaît aujourd'hui le système d'enseignement, c'est-à-dire les dérèglements et les discordances qui l'affectent en tant que système de communication, qu'à condition de prendre en compte d'une part le système des relations unissant les compétences ou les attitudes des différentes catégories d'étudiants à leurs caractéristiques sociales et scolaires, d'autre part, l'évolution du système des relations entre l'Ecole et les classes sociales telle que la saisit objectivement la statistique des probabilités d'accès à l'université et des probabilités conditionnelles d'entrer dans les différentes facultés : entre 1961-1962 et 1965-1966, période au cours de laquelle l'enseignement supérieur a connu un accroissement très rapide, souvent imputé à une démocratisation du recrutement, la structure de la distribution des chances scolaires selon les classes sociales s'est effectivement déplacée vers le haut, mais à peu près sans se déformer. Autrement dit, l'accroissement du taux de scolarisation de la classe d'âge comprise entre 18 et 20 ans s'est distribué entre les différentes classes sociales dans des proportions sensiblement égales à celles qui définissaient la distribution ancienne des chances. Pour expliquer et comprendre les modifications de la distribution des compétences et des attitudes qui sont corrélatives d'une telle translation de la structure, il suffit de remarquer, par exemple, que les fils d'industriels qui, en 1961-1962, avaient 52,8 % de chances d'accéder en faculté en ont 74 % en 1965-1966 en sorte que, pour cette catégorie, proportionnellement plus représentée encore dans les classes préparatoires et les grandes écoles que dans les facultés, les chances de faire des études supérieures se situent aux environs de 80 %. Si l'on applique à ce processus les principes dégagés de l'analyse des relations synchroniques, on voit qu'à mesure qu'elle progresse vers la scolarisation quasi totale cette catégorie tend à acquérir toutes les caractéristiques et en particulier les compétences et les attitudes qui sont attachées à la sous-sélection scolaire d'une catégorie. Plus généralement, la mise en relation, pour une catégorie donnée, du capital linguistique et culturel (ou du capital scolaire qui en est la forme transformée à un moment donné du cursus) avec le degré de sélection relative qui est attaché pour elle au fait d'être repré-

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sentée dans une proportion donnée à un niveau donné du cursus et dans un type donné d'études permettrait de rendre raison des différences qui apparaissent, en chaque moment de l'histoire du système, d'une faculté à l'autre et, à l'intérieur d'une même faculté, d'une discipline à l'autre, entre les degrés et les types de malentendu linguistique ou culturel. C'est seulement par référence au système de relations circulaires entre la représentation dominante de la hiérarchie des disciplines et les caractéristiques sociales et scolaires de leur public (elles-mêmes définies par la relation entre la valeur de position des différentes disciplines et la probabilité des différentes trajectoires pour les différentes catégories) que l'on peut donner son véritable sens sociologique à la valeur diminuée de disciplines qui, comme la chimie ou les sciences naturelles dans les facultés des sciences ou la géographie dans les facultés des lettres, accueillent la plus forte proportion d'étudiants issus des classes populaires et la plus forte proportion d'étudiants ayant fait leurs études secondaires dans les sections modernes ou dans des établissements de second ordre, filières qui sont en tout cas les plus probables pour les étudiants issus des classes populaires. Ce modèle permet encore de rendre compte de la situation, en apparence paradoxale, d'une discipline qui, comme la sociologie, se distingue par les caractéristiques sociales de son public des disciplines les plus dévalorisées des facultés des lettres, bien qu'elle s'en rapproche par ses caractéristiques scolaires. Si, à Paris, la sociologie accueille la plus forte proportion d'étudiants issus des classes supérieures (68 % contre 55 % pour l'ensemble des études de lettres), alors que des disciplines comme les lettres modernes ou la géographie, qui en sont pourtant très proches sous le rapport des exigences scolaires mesurées à la réussite antérieure, comptent les taux les plus élevés d'étudiants issus des classes populaires ou moyennes (soit respectivement 48 % et 65 % contre 45 % pour l'ensemble), c'est que les étudiants sous-sélectionnés des classes supérieures peuvent trouver un substitut à leurs ambitions de classe dans une discipline qui leur offre à la fois les facilités du refuge et les prestiges de la mode et qui, à la différence des licences d'enseignement, n'oppose pas au projet intellectuel l'image triviale d'une profession 3 . 3. Si l'épreuve de langage (où les « sociologues » obtiennent des résultats systématiquement inférieurs à ceux des « philosophes ») ne suffisait pas à persuader que la sociologie fournit son terrain d'élection, au moins à Paris, à la forme la plus facile du dilettantisme des étudiants issus des classes supérieures, la lecture des indices statistiques convaincrait de la position paradoxale de cette discipline dans les facultés des lettres : ainsi, alors que sous le rapport scolaire exigé, la sociologie s'oppose à la philosophie comme

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Mais on ne saurait rendre compte complètement des variations du degré d'accord linguistique entre émetteurs et récepteurs sans intégrer en outre au modèle des transformations du rapport pédagogique les variations du niveau d'émission liées aux caractéristiques sociales et scolaires des émetteurs, c'est-à-dire à la fois les effets de l'accroissement rapide du corps enseignant et les transformations que subit le message pédagogique lorsque, avec l'apparition de disciplines comme la psychologie ou la sociologie, il trahit le divorce ou le mariage forcé entre les exigences du discours scientifique et les canons régissant le rapport traditionnel au langage. La nécessité de recruter précipitamment, dans des classes d'âge à la fois moins nombreuses et moins scolarisées, les enseignants indispensables pour encadrer, tant bien que mal, un public dont l'accroissement brutal résulte de la conjonction, après 1965, de la croissance générale des taux de scolarisation et de l'élévation du taux de fécondité dans les années de l'après-guerre, ne pouvait que favoriser un glissement systématique vers le haut d'enseignants formés à une autre tâche dans la phase antérieure de l'histoire du système. Dans ces conditions, on pourrait croire, à première vue, que l'abaissement du niveau de réception a trouvé un correctif automatique dans l'abaissement du niveau d'émission, puisque la probabilité d'atteindre des positions plus élevées dans la hiérarchie des grades n'a cessé de croître à degré égal de consécration universitaire. En réalité, outre que tout inclinait les enseignants recrutés selon les normes traditionnelles à trouver dans le double jeu avec le malentendu linguistique le moyen d'éluder les problèmes pédagogiques posés par la transformation quantitative et qualitative de leur public, les enseignants nouvellement recrutés, soucieux et anxieux de se montrer dignes d'une « promotion accélérée », se trouvaient sans doute plus inclinés à adopter les signes extérieurs de la maîtrise traditionnelle qu'à consentir l'effort nécessaire pour régler leur enseignement sur les compétences réelles de leur public. Dans une institution où le groupe de référence reste celui des enseignants les plus autorisés à parler « magistralement » et où la hiérarchie hyperboliquement raffinée des appellations, des signes subtils du statut et des degrés du pouvoir est rappelée en mille occales lettres modernes aux lettres classiques, elle a un recrutement social plus élevé que celui de la philosophie (68 % d'étudiants issus des classes supérieures contre 55 % ) , tandis que les lettres classiques ont un recrutement social plus élevé que les lettres modernes qui constituent avec la géographie les débouchés les plus probables pour les étudiants des classes populaires issus des sections modernes de l'enseignement secondaire (67 % contre 52 % ) .

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sions, les assistants ou maîtres-assistants, qui sont pourtant les plus directement et le plus continûment affrontés à la demande des étudiants, ont à prendre plus de risques pour satisfaire techniquement à cette demande ; en effet, leurs tentatives pour abandonner le rapport traditionnel au langage sont particulièrement exposées à apparaître comme « primaires » parce que toute la logique du système tend à les faire apparaître comme autant de signes de leur incapacité à se conformer à la définition légitime du rôle. Ainsi, l'analyse des transformations du rapport pédagogique confirme que toute transformation du système scolaire s'opère selon une logique où s'exprime encore la structure et la fonction propres de ce système. Le foisonnement déconcertant des conduites et des propos qui marque la phase aiguë de la crise de l'Université ne doit pas incliner à l'illusion du surgissement ex nihilo d'acteurs ou d'actes créateurs : dans les prises de position les plus libres en apparence s'exprime encore l'efficacité structurale du système des facteurs qui spécifie les déterminismes de classe pour une catégorie d'agents, étudiants ou professeurs, définie par sa position dans le système d'enseignement. Invoquer à l'inverse l'efficacité directe et mécanique de facteurs immédiatement visibles, comme l'accroissement brutal du nombre d'étudiants, ce serait oublier que les événements économiques, démographiques ou politiques qui posent au système scolaire des questions étrangères à sa logique ne peuvent l'affecter que conformément à sa logique 4 : en même temps qu'il se déstructure ou se restructure sous leur influence, il leur fait subir une conversion conférant à leur efficacité une forme et un poids spécifiques. La situation de crise naissante est l'occasion de discerner les présupposés cachés d'un système traditionnel et les mécanismes capables de la perpétuer lorsque les préalables de son fonctionnement ne sont plus complètement remplis. C'est au moment où commence à se rompre l'accord parfait entre le système scolaire et son public d'élection que se dévoile en effet 1' « harmonie préétablie » qui soutenait si parfaitement ce système qu'elle excluait toute interrogation sur son fondement. Le malentendu qui hante la communication pédagogique ne reste tolérable qu'aussi longtemps que l'Ecole est capable d'éliminer ceux qui ne remplissent pas ses exigences implicites et qu'elle parvient à obtenir 4. L'explication de la crise par les effets mécaniques des déterminismes morphologiques ne doit sans doute d'être si fréquente qu'au fait qu'elle réactive les schèmes métaphoriques de la sociologie spontanée, tel celui qui consiste à penser le rapport entre une institution et son public comme rapport entre un contenant et un contenu, la « pression de la masse » faisant « craquer les structures », tout spécialement lorsqu'elles sont « vermoulues ».

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des autres la complicité nécessaire à son fonctionnement. S'agissant d'une institution qui ne peut remplir sa fonction propre d'inculcation qu'aussi longtemps qu'est maintenu un minimum d'adéquation entre le message pédagogique et l'aptitude des récepteurs à le déchiffrer, il faut appréhender dans ses effets proprement pédagogiques l'accroissement du public et de la taille de l'organisation, pour découvrir, à l'occasion de la crise née de la rupture de cet équilibre, que les contenus transmis et les modes institutionnalisés de la transmission étaient objectivement adaptés à un public défini au moins autant par son recrutement social que par son faible volume : un système d'enseignement qui se fonde sur une pédagogie de type traditionnel ne peut remplir sa fonction d'inculcation qu'aussi longtemps qu'il s'adresse à des étudiants dotés du capital linguistique et culturel — et de l'aptitude à le faire fructifier — qu'il présuppose et consacre sans jamais l'exiger expressément et sans le transmettre méthodiquement. Il s'ensuit que, pour un tel système, l'épreuve véritable est moins celle du nombre que celle de la qualité sociale de son public. [...}

Langage et rapport au langage [...] On a souvent remarqué, de Renan à Durkheim, ce qu'un enseignement aussi attaché à transmettre un style, c'est-à-dire un type de rapport à la langue et à la culture, doit à la tradition humaniste héritée des collèges jésuites, cette réinterprétation scolaire et chrétienne des demandes mondaines d'une aristocratie qui porte à faire du détachement distingué à l'égard de la tâche professionnelle la forme accomplie de l'accomplissement de toute profession distinguée : mais on ne comprendrait pas la valeur éminente que le système français accorde à l'aptitude littéraire et, plus précisément, à l'aptitude à transformer en discours littéraire toute expérience, à commencer par l'expérience littéraire, bref ce qui définit la manière française de vivre la vie littéraire — et parfois même scientifique — comme une vie parisienne, si l'on ne voyait que cette tradition intellectuelle remplit aujourd'hui encore une fonction sociale dans le fonctionnement du système d'enseignement et dans l'équilibre de ses rapports au champ intellectuel et aux différentes classes sociales. Sans jamais être pour personne, même pour les enfants des classes privilégiées, une langue maternelle, la langue universitaire, amalgame achronique d'états antérieurs de l'histoire de la langue, est très 4

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inégalement éloignée des langues effectivement parlées par les différentes classes sociales. Sans doute y aurait-il quelque arbitraire, comme on l'a observé, à « distinguer un nombre déterminé de parlures françaises, car les divers étages de la société interfèrent. Néanmoins, il existe aux deux extrémités de l'échelle deux parlures bien définies : la parlure bourgeoise et la parlure vulgaire5 ». Comportant une part importante d'emprunts lexicologiques et même syntaxiques au latin qui, importés, utilisés et imposés par les seuls groupes lettrés, ont échappé de ce fait aux restructurations et aux réinterprétations assimilatrices, constamment contrôlée et freinée dans son évolution par l'intervention normalisatrice et stabilisatrice d'instances de légitimité savantes ou mondaines, la langue bourgeoise ne peut être adéquatement maniée que par ceux qui, grâce à l'Ecole, ont pu convertir la maîtrise pratique, acquise par familiarisation dans le groupe familial, en une aptitude du second degré au maniement quasi savant de la langue. Etant donné que le rendement informatif de la communication pédagogique est toujours fonction de la compétence linguistique des récepteurs (définie comme maîtrise plus ou moins complète et plus ou moins savante du code de la langue universitaire), l'inégale distribution entre les différentes classes sociales du capital linguistique scolairement rentable constitue une des médiations les mieux cachées par lesquelles s'instaure la relation (que saisit l'enquête) entre l'origine sociale et la réussite scolaire, même si ce facteur n'a pas le même poids selon la constellation des facteurs dans laquelle il s'insère et, par conséquent, selon les différents types d'enseignement et les différentes étapes du cursus. La valeur sociale des différents codes linguistiques disponibles dans une société donnée à un moment donné du temps (c'est-à-dire leur rentabilité économique et symbolique), dépend toujours de la distance qui les sépare de la norme linguistique que l'Ecole parvient à imposer dans la définition des critères socialement reconnus de la « correction » linguistique. Plus précisément, la valeur sur le marché scolaire du capital linguistique dont dispose chaque individu est fonction de la distance entre le type de maîtrise symbolique exigé par l'Ecole et la maîtrise pratique du langage qu'il doit à sa prime éducation de classe6. 5. J. DAMOURETTE et E. PlCHON, Des mots à la pensée : essai de grammaire de la langue française, Paris, Ed. d'Artey (« Collection des linguistes contemporains »), 1 9 3 1 , t. 1, p. 50. 6. On voit par exemple que la complexité syntaxique de la langue n'est pas prise en compte seulement dans l'évaluation explicite des qualités de forme que les exercices de langage, rédaction ou dissertation, sont censés mesurer, mais aussi dans toute évaluation d'opérations intellectuelles (dé-

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Mais on ne saurait acquérir un langage sans acquérir du même coup un rapport au langage : en matière de culture, la manière d'acquérir se perpétue dans ce qui est acquis sous la forme d'une certaine manière d'user de cet acquis, le mode d'acquisition exprimant lui-même les relations objectives entre les caractéristiques sociales de celui qui acquiert et la qualité sociale de ce qui est acquis. Aussi est-ce dans le rapport au langage que l'on trouve le principe des différences les plus visibles entre la langue bourgeoise et la langue populaire : dans ce que l'on a souvent décrit comme la tendance de la langue bourgeoise à l'abstraction et au formalisme, à l'intellectualisme et à la modération euphémistique, il faut voir avant tout l'expression d'une disposition socialement constituée à l'égard de la langue, c'est-à-dire à l'égard des interlocuteurs et de l'objet même de la conversation ; la distance distinguée, l'aisance retenue et le naturel apprêté qui sont au principe de tout code des manières mondaines s'opposent à l'expressivité ou à l'expressionnisme de la langue populaire qui se manifeste dans la tendance à aller directement du cas particulier au cas particulier, de l'illustration à la parabole, ou à fuir l'emphase des grands discours ou l'enflure des grands sentiments, par la gouaillerie, la gaillardise et la paillardise, autant de manières d'être et de dire caractéristiques de classes auxquelles ne sont jamais complètement données les conditions sociales de la dissociation entre la dénotation objective et la connotation subjective, entre les choses vues et tout ce qu'elles doivent au point de vue à partir duquel elles sont vues 7. monstration mathématique aussi bien que déchiffrement d'une oeuvre d'art) supposant le maniement de schèmes complexes auquel sont inégalement disposés des individus dotés d'une maîtrise pratique de la langue prédisposant inégalement à la maîtrise symbolique en sa forme la plus accomplie. 7. On pourrait, pour préciser la description de l'opposition entre la langue bourgeoise et la langue populaire, s'aider des analyses remarquables que Basil Bernstein et son école ont consacrées aux différences entre le formai language des « middle classes » et le public language de la classe ouvrière. Toutefois, en omettant de dégager les présupposés implicites de la tradition théorique dans laquelle s'inscrivent ses analyses (qu'il s'agisst de la tradition anthropologique de Sapir et Whorf ou de la tradition philosophique qui va de Kant à Cassirer en passant par Humboldt), Berns tein tend à réduire à des caractéristiques intrinsèques de la langue, telles que le degré de complexité syntaxique, des différences dont le principe unificateur et générateur réside dans des types différents de rapport au langage, eux-mêmes insérés dans des systèmes différents d'attitudes à l'égard du monde et des autres. Si le modus operandi ne se laisse jamais saisir aussi objectivement que dans l'opus operatum, il faut se garder de réduire l'habitus producteur (c'est-à-dire en ce cas, le rapport au langage) à son produit (ici une certaine structure du langage) sous peine de se condamner à trouver

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C'est donc à la fois dans la distance de la maîtrise pratique du langage transmise par la prime éducation à la maîtrise symbolique exigée par l'Ecole et dans les conditions sociales de l'acquisition plus ou moins complète de cette maîtrise verbale que réside le principe des variations du rapport au langage scolaire, rapport révérentiel ou affranchi, tendu ou détaché, emprunté ou familier, emphatique ou bien tempéré, ostentatoire ou mesuré, qui est un des signes distinctifs les plus sûrs de la position sociale du locuteur. La disposition à exprimer verbalement les sentiments et les jugements, qui s'accroît lorsqu'on s'élève dans la hiérarchie sociale, n'est qu'une dimension de la disposition, de plus en plus exigée à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie scolaire et dans la hiérarchie des professions, à manifester, dans la pratique même, l'aptitude à prendre ses distances à l'égard de sa propre pratique et de la règle régissant cette pratique : en dépit des apparences, rien ne s'oppose plus à l'ellipse ou à la métaphore littéraire qui suppose presque toujours le contexte d'une tradition lettrée que les métaphores pratiques et les « ellipses par deixis », pour parler comme Bally, qui permettent au parler populaire de suppléer tout ou partie de l'information verbale par la référence implicite (ou gestuelle) à la situation et aux « circonstances » (au sens de Prieto). Loin que les procédés rhétoriques, les effets expressifs, les nuances de la prononciation, la mélodie de l'intonation, les registres du lexique ou les formes de la phraséologie expriment seulement — comme le suggère une interprétation sommaire de l'opposition entre la langue et la parole en dans la langue le principe déterminant des attitudes, bref de prendre le produit linguistique pour le producteur des attitudes qui le produisent. Le réalisme de la structure qui est inhérent à une telle sociologie du langage tend à exclure du champ de la recherche la question des conditions sociales de production du système des attitudes qui commande, entre autres choses, la structuration de la langue. Pour ne prendre qu'un exemple, des traits distinctifs de la langue des classes moyennes, telles que l'hypercorrection fautive et la prolifération des signes du contrôle grammatical, sont des indices parmi d'autres d'un rapport à la langue caractérisé par la référence anxieuse à la norme légitime de la correction académique : l'inquiétude de la bonne manière, manières de table ou manières de langue, que trahit le langage des petits-bourgeois s'exprime encore plus clairement dans la recherche avide des moyens d'acquérir les techniques de sociabilité de la classe d'aspiration, manuels de savoir-vivre ou guides du bon usage. On voit que ce rapport au langage est partie intégrante d'un système des attitudes à l'égard de la culture qui repose sur la volonté pure de respecter une règle culturelle reconnue plutôt que connue et sur le rigorisme de l'attention à la règle, cette bonne volonté culturelle exprimant en dernière analyse les caractéristiques objectives de la condition et de la position des couches moyennes dans la structure des rapports de classe.

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tant qu'exécution — , les choix conscients d'un locuteur préoccupé de l'originalité de son expression, tous ces traits stylistiques trahissent toujours, dans le langage même, un rapport au langage qui est commun à toute une catégorie de locuteurs parce qu'il est le produit des conditions sociales d'acquisition et d'utilisation du langage. Ainsi l'évitement de l'expression usuelle et la recherche du tour rare, caractéristique du rapport au langage que les professionnels de l'écriture et de la différence par l'écriture entretiennent avec le langage, ne sont que la forme limite de la disposition littéraire à l'égard du langage qui est propre aux classes privilégiées, portées à faire du langage utilisé et de la manière de l'utiliser l'instrument d'une exclusion du vulgaire où s'affirme leur distinction. {...}

L'examen dans la structure et l'histoire du système d'enseignement [...] Il est trop évident que l'examen domine, au moins aujourd'hui et en France, la vie universitaire, c'est-à-dire dire non seulement les représentations et les pratiques des agents, mais aussi l'organisation et le fonctionnement de l'institution. On a assez décrit l'anxiété devant les verdicts totaux, brutaux et partiellement imprévisibles des épreuves traditionnelles, ou la disrythmie inhérente à un système d'organisation du travail scolaire qui, dans ses formes les plus anomiques, tend à ne connaître d'autre incitation que l'imminence d'une échéance absolue. En fait, l'examen n'est pas seulement l'expression la plus lisible des valeurs scolaires et des choix implicites du système d'enseignement : dans la mesure où il impose comme digne de la sanction universitaire une définition sociale du savoir et de la manière de la manifester, il offre un de ses instruments les plus efficaces à l'entreprise d'inculcation de la culture dominante et de la valeur de cette culture. Autant et sinon plus que par la contrainte des programmes, l'acquisition de la culture légitime et du rapport légitime à la culture est réglée par le droit coutumier qui se constitue dans la jurisprudence des examens et qui doit l'essentiel de ses caractéristiques à la situation dans laquelle il se formule 8 . [...] 8. Aussi les rapports des jurys des concours d'agrégation ou de grandes écoles constituent-ils des documents exemplaires pour qui veut saisir les critères selon lesquels le corps professoral forme et sélectionne ceux qu'il estime dignes de le perpétuer : ces sermons pour grand séminaire, rassemblent les attendus de verdicts trahissant, dans leur obscure clarté, le» valeurs qui orientent les choix des jurys et sur lesquelles doit se régler l'apprentissage des candidats.

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S'agissant de décrire les effets les plus marqués de la prépondérance de l'examen dans les pratiques intellectuelles et dans l'organisation de l'institution, le système français propose les exemples les plus accomplis et, au titre de cas limite, pose avec une force particulière la question des facteurs (internes et externes) qui peuvent rendre raison des variations historiques ou nationales du poids fonctionnel de l'examen dans le système d'enseignement. Par suite, il n'est d'autre recours que la méthode comparative lorsqu'on entend séparer ce qui tient aux demandes externes et ce qui tient à la manière d'y répondre ou ce qui, dans le cas d'un système déterminé, revient aux tendances génériques que tout système d'enseignement doit à sa fonction propre d'inculcation, aux traditions singulières d'une histoire universitaire et aux fonctions sociales, jamais complètement réductibles à la fonction technique de communication et de production des qualifications. S'il est vrai, comme l'observait Durkheim, que l'apparition de l'examen, ignoré de l'Antiquité qui ne connaissait que des écoles et des enseignants indépendants ou même concurrents, suppose l'existence d'une institution universitaire, c'est-à-dire d'un corps organisé d'enseignants professionnels pourvoyant lui-même à sa propre perpétuation 9 ; s'il est vrai aussi, selon l'analyse de Max Weber, qu'un système d'examens hiérarchisés consacrant une qualification spécifique et donnant accès à des carrières spécialisées n'est apparu, dans l'Europe moderne, qu'en liaison avec le développement de la demande des organisations bureaucratiques qui entendent faire correspondre des individus hiérarchisés et interchangeables à la hiérarchie des postes offerts 10 , s'il est vrai enfin qu'un système d'examens assurant à tous l'égalité formelle devant des épreuves identiques (dont le concours national représente la forme pure) et garantissant aux sujets dotés de titres identiques l'égalité des chances d'accès à la profession satisfait à l'idéal petit-bourgeois de l'équité formelle, on semble fondé à n'apercevoir qu'une manifestation particulière d'une tendance générale des sociétés modernes dans la multiplication des examens, dans l'extension de leur portée sociale et dans l'accroissement de leur poids fonctionnel au sein du système d'enseignement. Mais cette analyse ne rend compte que des aspects les plus généraux de l'histoire scolaire (expliquant par exemple que l'ascension sociale 9. É. DURKHEIM, L'évolution pédagogique en France, t. I : Des origines à la Renaissance, Paris, Alcan, 1938, p. 161. 10. M. WEBER, Wirtschaft nnd Gesellschaft, nouv. éd., Cologne/Berlin, K'^penheuer & Witsch, 1956, t. II, p. 735 sq.

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indépendante du niveau d'instruction tende à s'amenuiser au fur et à mesure que la société s'industrialise et se bureaucratise 11 et laisse échapper ce que le fonctionnement et la fonction des examens doivent, dans leur forme spécifique, à la logique propre du système d'enseignement : en raison de l'inertie particulière qui la caractérise surtout lorsqu'elle est investie de la fonction traditionnelle de conserver et de transmettre une culture héritée du passé et qu'elle dispose de moyens spécifiques d'autoperpétuation, l'Ecole est en mesure de faire subir aux demandes externes une retraduction systématique parce que conforme aux principes qui la définissent en tant que système. C'est là que le préréquisit énoncé par Durkheim prend tout son sens : Weber qui, dans sa sociologie religieuse, faisait leur place aux tendances propres du corps sacerdotal omet de prendre en compte (sans doute parce qu'il interroge le système d'enseignement d'un point de vue extérieur, c'est-à-dire du point de vue des exigences d'une organisation bureaucratique) ce qu'un système d'enseignement doit aux caractéristiques transhistoriques et historiques d'un corps de professionnels de l'enseignement. Tout conduit en effet à supposer que le poids de la tradition pèse avec une force particulière dans une institution qui, du fait de la forme particulière de son autonomie 11. Aux Etats-Unis par exemple, la statistique atteste l'augmentation continue de la proportion des membres des catégories dirigeantes sortis des universités, et des universités les meilleures, tendance qui n'a pas cessé de s'accentuer depuis plusieurs années : W . L. Warner et J. C. Abegglen ont montré que 57 % des dirigeants de l'industrie étaient diplômés de Collèges en 1952 contre 37 % en 1928 (W. L. Warner, J. C. Abegglen, Big Business Leaders in America, New York, Harper, pp. 62-67). En France, une enquête portant sur un échantillon représentatif de personnalités ayant atteint la notoriété dans les activités les plus diverses montre que 85 % d'entre elles ont accompli des études supérieures, 10 % des autres ayant terminé leurs études secondaires (A. Girard, La réussite sociale en France, ses caractéristiques, ses lois, ses effets, Paris, Institut National d'études démographiques, Presses Universitaires de France, 1961, pp. 233-259). Une enquête récente sur les dirigeants des grandes organisations industrielles établit que 89 % des PDG français sont passés par l'enseignement supérieur, contre 85 % pour les Belges, 78 % pour les Allemands et les Italiens, 55 % pour les Hollandais et 40 % pour les Anglais (« Portrait-robot du PDG européen », L'expansion, novembre 1969, pp. 133-143). Il faudrait rechercher si, dans la plupart des carrières françaises et en particulier dans les carrières administratives, l'accroissement et la codification des avantages attachés aux titres et aux diplômes n'ont pas entraîné une diminution de la promotion interne, c'est-à-dire une raréfaction des cadres supérieurs sortis du rang et « formés sur le tas » ; l'opposition entre la « petite porte > et la « grande porte », qui recouvre à peu près, dans une organisation administrative, l'opposition entre la petite-bourgeoisie et la bourgeoisie, pourrait s'en être trouvée renforcé?.

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relative, est plus directement tributaire comme le remarquait Durkheim, de son passé propre. [...] Ainsi une analyse des fonctions de l'examen qui entend rompre avec la sociologie spontanée, c'est-à-dire avec les images en trompeI'oeil que le système d'enseignement tend à proposer de son fonctionnement et de ses fonctions, conduit à substituer à l'examen purement docimologique de l'examen, qui sert encore les fonctions cachées de l'examen, une étude systématique des mécanismes d'élimination, comme lieu privilégié de l'appréhension des relations entre le fonctionnement du système d'enseignement et la perpétuation de la structure des rapports de classe. Rien n'est mieux fait que l'examen pour inspirer à tous la reconnaissance de la légitimité des verdicts scolaires et des hiérarchies sociales qu'ils légitiment, puisqu'il conduit ceux qui s'éliminent à s'assimiler à ceux qui échouent, tout en permettant à ceux qui sont élus parmi un petit nombre d'éligibles de voir dans leur élection l'attestation d'un mérite ou d'un « don » qui les aurait fait préférer en toute hypothèse à tous les autres.

CHAPITRE

II

Etudes des petits groupes et pédagogie

Introduction

Les recherches touchant à la sociologie des petits groupes ou microsociologie, qui se sont développées aux Etats-Unis depuis le début du siècle, mettent en évidence le caractère original et spécifique de la vie des groupes par une méthode d'analyse structurale aboutissant à définir la vie des groupes en termes de dynamique. Si le monde adulte, et, en particulier, le monde du travail est fractionné en groupes de vie, nombreux et divers, où l'individu se trouve plongé, l'école qui répartit généralement des élèves en classes d'âges et de niveau a, semble-t-il, beaucoup à gagner au contact de ces recherches \ L'idée s'est d'ailleurs récemment imposée qu'il n'y a que peu de différences entre « le groupe-classe » et n'importe quel autre groupe de travail. Ce chapitre présente des textes de deux ordres : 1. Des textes illustrant les recherches fondamentales de microsociologie extraits des ouvrages de J. L. Moreno et K. Lewin. 2. Des textes de l'ouvrage récent de M. A. Bany et L. V. Johnson, Dynamique des groupes et Pédagogie — ouvrage qui, tout en faisant le point sur les travaux actuels aux Etats-Unis, établit le lien entre eux et leur application au groupe-classe et à la pédagogie. C'est à J. L. Moreno que l'on doit l'idée qu'un groupe social a une organisation originale, une dynamique interne influençant très directement les comportements individuels. Dans les Fondements de la Sociométrie, il définit le test sociométrique — instrument 1. Dans tous les systèmes d'enseignement le cursus scolaire et universitaire est divisé en classes qui correspondent à la fois à l'âge des élèves et à une fraction des connaissances à acquérir. Le passage dans la classe supérieure est déterminé par l'assimilation du programme de connaissances prévu. En France, par exemple, l'enfant quitte le Cours préparatoire à 7 ans, s'il possède la lecture de façon satisfaisante. II quitte le Cycle élémentaire entre 10 et 12 ans si ses connaissances élémentaires sont jugées suffisantes.

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Études des petits groupes et

pédagogie

d'analyse de ces phénomènes — et le sociogramme — transcription graphique de cette analyse. Ses expériences sur des groupes de bébés et d'élèves lui permettent de mettre à jour un certain nombre de lois de structuration de ces groupes touchant à la position et au groupement des individus : leaders, isolés, paires, triangles, chaînes. Il analyse, d'autre part, l'évolution des groupes selon une loi socio-génétique. K. Lewin poursuit et précise les travaux de J . L. Moreno. Les textes présentés concernent des expériences menées par Lewin, Lippitt et White auprès de groupes d'enfants et d'adolescents. Ils étudient l'influence du mode de direction sur la vie, l'évolution et l'efficacité du groupe, en particulier le développement de l'agressivité en fonction de différents modes de direction : autoritaire, démocratique, laisser-faire. K. Lewin se préoccupe de la création des changements permanents d'attitude. Selon lui ces changements sont obtenus plus aisément si les individus sont « traités » en groupe. Ceci nous semble d'un grand intérêt pour le pédagogue car l'éducation n'est-elle pas la recherche de ce changement ? Les travaux de K. Lewin, loin d'annuler, comme on a pu le dire, l'importance de l'éducateur montrent bien son importance en tant qu'animateur du groupe-classe. Pour M. A. Bany et L. V. Johnson le groupe-classe se définit comme : — Une organisation et une structure, — Une fonction : c'est un groupe de travail. Après une étude précise de ses caractéristiques et de sa spécificité ces auteurs posent le problème du groupement des élèves. Ils constatent que les procédés de groupement en vigueur actuellement ne tiennent compte ni des analyses sociométriques possibles ni de la dynamique. Les élèves sont répartis selon les impératifs de structure scolaire : âge, niveau, etc. Selon eux une telle procédure n'est pas compatible avec l'efficacité souhaitable d'un groupe de travail. Ils notent en outre que la hiérarchisation des groupes au sein d'une classe ou des classes au sein d'une école imposent aux élèves des différences de statut d'où naissent des antipathies, des sentiments hostiles entre les individus, peu conciliables avec l'harmonie nécessaire à un travail efficace, à l'épanouissement et au progrès de chacun 2 . 2. A cet égard, l'aspect ségrégatif de certaines classes en France — classes de perfectionnement, classes de transition, classes pratiques — , quelles qu'en soient les raisons, nous a amené à des constatations semblables.

Introduction

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Dans une autre étude Bany et Johnson indiquent que le rapport de communication pédagogique nécessaire à l'efficacité de l'action éducative ne s'établit que si un « feed-back » s'exerce des élèves vers le maître. Le problème pédagogique est ici posé en terme de relation humaine. Cette relation ne peut être harmonieuse, selon eux, que si un « leadership » non autoritaire s'instaure dans la classe. Les individus sont particulièrement influencés par le groupe si, ayant pris une part très active à l'élaboration des décisions du groupe, ils se sentent liés par elles'. C'est une pédagogie de la liberté individuelle, de la formation morale de l'être par la démocratie que Bany et Johnson définissent à la lumière des travaux récents sur la vie du groupe-classe. Cette initiation à la liberté amène l'enfant à l'autonomie, but ultime de toute éducation. Néanmoins il serait extrêmement néfaste de sacrifier à son profit le contenu de l'enseignement. Pour réagir contre son aspect, souvent gratuitement instructif, il est de bon ton aujourd'hui de prôner une pédagogie qui s'appuie essentiellement sur la relation, une pédagogie centrée sur l'élève. On ne rend pas toujours compte qu'un tel puéro-centrisme risque d'aboutir au renoncement, à la démission, c'est-à-dire à une pédagogie objectivement antidémocratique. Car l'égalisation des chances passe par l'acculturation de la grande masse des enfants démunis sur le plan culturel, acculturation qui ne peut aboutir sans l'effort et les acquisitions techniques nécessaires au progrès intellectuel. On oublie qu'il y a la liberté de celui qui sait ; l'accès à la culture n'est-il pas en luimême une libération ? La possession des techniques n'assure-t-elle pas à l'homme la vraie liberté ? A cet égard la réflexion systématique engagée depuis quelques années sur les contenus de l'enseignement de la langue maternelle et de la mathématique nous semble un événement capital qui devrait dans peu de temps assurer la rénovation d'un enseignement démodé et inefficace, non par excès de rigueur ou de rigidité dans les relations au sein du groupe-classe, mais à cause d'une trop lente mise à jour des contenus et d'une formation des maîtres parfois inexistante et souvent insuffisante.

3. Soulignons à cet égard l'importance que peut revêtir une véritable pédagogie de la coopération à l'école : au sein de la coopérative le groupe est amené à statuer sur les décisions de la vie quotidienne.

J.L. MORENO La sociométrie*

Le test sociométrique La sociométrie nous a appris à reconnaître que la société humaine n'est pas une fiction mais une puissance réelle réglée par des lois et par un ordre qui lui sont propres et qui diffèrent radicalement des lois et de l'ordre qui gouvernent les autres aspects de l'univers. C'est pourquoi il a fallu inventer des méthodes, dites sociométriques, qui permettent d'explorer et de décrire le domaine social. Dans ce livre, nous décrivons quelques-unes des technique: sociométriques originales : le test sociométrique, le test d'expansivité affective, le test de première rencontre (acquaintance test), le test du rôle, et d'autres techniques qui se rapportent aux recherches sur l'interaction des petits groupes. La méthodologie sociométrique s'est montrée jusqu'ici si féconde, si générale, qu'on peut supposer, qu'avec le temps, d'autres techniques sociométriques seront mises en œuvre. Le test sociométrique a une place de premier plan dans ce livre et sa description nous retiendra plus que celle des autres techniques. On ne doit pas en conclure qu'il peut résoudre n'importe quel problème et qu'il est le plus important en sociométrie. Il n'est, effectivement, qu'une première démarche stratégique, démarche particulièrement utile pour pénétrer plus avant dans la structure profonde des groupes. Le test sociométrique est un instrument qui sert à mesurer l'importance de l'organisation qui apparaît dans les groupes sociaux. Il consiste expressément à demander au sujet de choisir, dans le groupe auquel il appartient ou pourrait appartenir, les individus qu'il voudrait avoir pour compagnons. On lui demande d'exprimer ses choix sans réticence, que les individus choisis fassent ou non partie du groupe actuel. Le test sociométrique est un instrument qui étudie les structures sociales à la lumière des attractions et des répulsions qui se sont manifestées au sein d'un groupe. Dans le domaine des relations interpersonnelles, nous nous servons de termes, comme « choix » ou « rejet » dont le sens est plus restreint. Les termes plus • Textes extraits de J. L. MORBNO, Fondements de la sociométrie, trad. par H. Lesage et P.-H. Maucorps, Paris, Presses Universitaires de France, 1954.

J. L. Moreno : La

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larges d'attraction et de répulsion ne s'appliquent pas seulement aux groupes humains et indiquent ainsi qu'il en existe, en dehors des groupes proprement humains, des configurations sociales analogues. Ce test a été construit pour l'étude des groupes familiaux, des groupes de travail et des groupes scolaires. Il a permis de déterminer la position de chaque individu dans un des groupes où il exerce un rôle, par exemple dans ceux où il vit ou travaille. Il a révélé que la structure psychologique sous-jacente d'un groupe diffère profondément de ses manifestations sociales ; que la structure des groupes varie en raison directe de l'âge de ses membres ; que les différents critères de choix sont susceptibles de produire des groupements différents ou semblables des mêmes personnes ; que des groupes exerçant des fonctions différentes, comme par exemple des travaux domestiques et des travaux professionnels, tendent vers des structures distinctes ; que, dans la mesure où ils en ont le loisir, les individus ont tendance à briser les cadres sociaux préétablis ; que ces groupements spontanés et les fonctions que les individus y exercent ou ont l'intention d'y exercer ont une influence décisive sur les comportements individuels et collectifs ; et que l'existence simultanée de groupements spontanés et de groupes officiels imposés par une autorité quelconque, constitue une source de conflits latents. Il a été démontré que les relations résultant d'un choix et celles qui sont imposées diffèrent souvent et que la position d'un individu ne peut être complètement déterminée qu'à la condition d'envisager tous les individus et tous les groupes auxquels il est émotionnellement lié. Il s'ensuit que l'organisation d'un groupe ne peut être complètement étudiée que si l'on prend en considération les groupes et les individus qui sont en liaison avec lui et que les rapports des individus et des groupes sont si entrelacés que la collectivité à laquelle ils appartiennent finit par s'imposer, dans son ensemble, à l'enquête sociométrique. [...] Le socio gramme Les réponses qu'on obtient de chaque sujet au cours d'une recherche sociométrique, si spontanées et si essentielles qu'elles puissent paraître, ne constituent encore qu'un matériel brut, et non pas les faits sociométriques en eux-mêmes. Il faut, tout d'abord, être capable de bien réaliser le genre de cohésion que peut présenter l'ensemble de ces réponses. C'est à cette fin qu'a été imaginée une forme de figuration, le sociogramme, qui, d'ailleurs, n'est pas simplement une

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pédagogie

méthode de présentation des faits. Le sociogramme est, avant tout, une méthode d'exploration : il permet l'exploration des faits sociométriques. On peut voir sur un sociogramme la position qu'occupe chaque individu dans le groupe comme toutes les interrelations qui se sont établies entre les divers individus. Il n'existe, jusqu'à présent, aucune autre figuration valable, susceptible de mettre en lumière l'analyse structurale d'une collectivité. Comme nous ne pouvons embrasser du regard le modèle de l'univers social, c'est sa représentation portée sur le sociogramme qui nous le rend visible. C'est pourquoi une carte sociométrique est d'autant plus utile que les relations découvertes y auront été portées avec plus d'exactitude et d'objectivité. Comme chaque détail a ici son importance, plus cette carte est minutieusement établie et mieux elle répond à l'usage qu'on en attend. Il ne suffit pas d'exposer ce que l'on sait dans la forme la plus simple et la plus courte mais surtout de représenter les relations interindividuelles d'une façon qui en permette l'analyse. La matrice d'un sociogramme peut se composer, dans sa forme la plus simple, de structures d'attraction, de répulsion ou d'indifférence. Elle peut présenter un aspect plus complexe quand elle apparaît comme divisée par des courants affectifs ou idéologiques qui s'entrecroisent avec les patterns d'attraction et de rejet. De nombreux types de sociogrammes ont été élaborés : ils ont tous ce caractère commun qu'ils représentent le pattern d'une structure sociale, prise dans son ensemble et qu'ils marquent la position que chaque individu occupe dans ce pattern. Tel type de sociogramme peut représenter la formation de configurations sociales au cours du temps et leur expansion dans l'espace. D'autres types figurent l'image momentanée, transitoire d'un groupe. Comme la technique du sociogramme est effectivement une méthode d'exploration, les sociogrammes sont combinés de telle sorte qu'on peut prélever sur la première carte d'une collectivité de petites parties puis les dessiner à une plus grande échelle et les étudier, pour ainsi dire, comme sous le microscope. On a encore un autre type de sociogramme, secondaire ou dérivé quand nous relevons, sur la carte d'une collectivité, de larges structures en raison de leur importance fonctionnelle, comme, par exemple, des réseaux psychologiques. Le relevé des réseaux montre que, d'après ce que nous ont appris les sociogrammes « primaires », nous pouvons agencer des formes de cartes qui nous permettent d'explorer de vastes domaines géographiques.

}. L. Moreno : La sociométrie

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Les critères sociométriques Les critères sociométriques sont, en microsocioiogie, ce que sont les normes et les modèles sociaux en macrosociologie. Ce sont les normes sociométriques. La population humaine atteint à peu près 2,5 milliards d'individus mais le nombre des associations interindividuelles qui existent sur terre, en ce moment même, est infiniment plus grand parce que, au sens sociométrique, chaque personne appartient à beaucoup plus de petits groupes que ce que nous pouvons en voir à l'œil nu. A tout instant se font et se défont des millions de petits groupes. Ce qui donne à chaque groupe défini sociométriquement, sa force propre, c'est son « critère », c'est-à-dire le motif ou le mobile commun qui entraîne les individus, dans le même élan spontané, vers une certaine fin. Ce critère peut être un intérêt vital : la recherche d'un toit ou d'un abri ; le besoin de manger ou de dormir ; l'amour ou le besoin d'un compagnon ; il peut être aussi quelque chose d'aussi passager et insignifiant que le désir de faire une partie de cartes. Il y a ainsi des millions et des millions de critères qui opèrent ainsi sans trêve et contribuent à constituer des groupements. Et ce sont ces groupements qui donnent à la société, sous sa forme officielle, saisissable par les sens, une « infra »structure profondément inconsciente et complexe. Cette structure secrète, il est difficile de la découvrir parce qu'elle n'affleure pas dans l'expérience vécue immédiate et aussi parce qu'elle interfère avec l'autre structure. Par moments, on peut voir émerger d'authentiques structures interpersonnelles ; à d'autres moments, on ne peut les découvrir à la suite d'une longue étude sociomicroscopique. [...} Au cours de l'agencement des tests sociométriques, il fut bientôt reconnu que chaque groupe social possède en propre certaines valeurs, certaines fins, certains modèles ou certaines normes en fonction desquels il semble que se constituent les groupes, ou qui émergent, peu à peu, à mesure que se forme le groupe. Il est aisé de déceler ces valeurs dans le cas d'organisations officielles, institutionnelles, mais plus les groupements sont secrets, occasionnels et clandestins, plus elles sont difficiles à définir. C'est pourquoi, au lieu de fixer notre attention sur les valeurs et les modèles sociaux tels qu'ils sont donnés dans l'ordre social officiel, nous avons essayé de pousser nos recherches sur un plan aussi universel et aussi libre que possible de toute influence culturelle. Prenons, par exemple, le sociogramme de la structure officielle d'une institution, famille, école, hiérarchie religieuse ou politique, et remplaçons-le par les sociogrammes des

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pédagogie

structures non officielles qui apparaissent dans telle ou telle famille, telle ou telle école, etc., nous serons en présence d'une variété toujours diverse de profils sociaux, d'une profusion de structures sociales spontanées et expansives, infiniment petites et infiniment changeantes, invisibles à l'œil nu et qui ont, pourtant, une extrême importance pour la structure sociale macroscopique qui les enveloppe toutes. Dans nos recherches sociométriques, nous avons fait d'abord usage de ces systèmes très simples de valeurs sociales que nous avons appelés « critères sociométriques », normes en miniature. Voici, par exemple, un des critères dont nous nous sommes souvent servis : le critère de « la vie en commun » (living in proximity) dans la même chambre, la même cabane, la même maison. « Avec qui vivezvous en commun ? » et « Avec qui aimeriez-vous vivre en commun ? » Telles ont été les premières questions sociométriques dont nous avons fait usage. Ces critères sont d'une portée si universelle qu'on peut les appliquer aux groupes les plus différents par la culture, le sexe, l'âge ou la race : on peut les poser aux membres d'une famille chrétienne, d'un harem, d'une famille d'Indiens Jabaros, au couple vivant en union libre ou à un certain nombre d'individus qui ont décidé de vivre ensemble, de partager les activités quotidiennes de l'existence pendant une période suffisante de temps. Nous avons utilisé d'autres critères comme celui du travail en « commun » ou encore celui des « visites qu'on se fait les uns aux autres ». Dans toutes les collectivités sur lesquelles ont porté nos enquêtes, nous avons retrouvé ces trois sortes de critères. Il en est d'autres qui n'ont pas cette portée universelle : par exemple la chasse, la pêche, la promenade en bateau, le jeu de cartes, le jeu de baseball qui existent dans certains groupes et non dans d'autres. Le nombre des critères s'accroît avec la complexité de la société dans laquelle il apparaît Les critères doivent être distingués des «motivations » et de l'utilité qu'ils présentent pour les membres du groupe. Dans tel milieu culturel, les membres du groupe peuvent vivre en commun parce qu'ils éprouvent de l'affection les uns pour les autres ; dans tel autre milieu, parce que la vie commune comprend des individus des deux sexes ; dans tel autre, enfin, parce que cette vie commune ne comprend que des gens du même sexe. [...] L'usage du test sociométrique implique nécessairement certaines conditions théoriques : il faut a) que les sujets qui participent à la situation soient attirés les uns vers les autres par un ou plusieurs critères, b) qu'on ait fait choix d'un critère auquel les sujets se sen-

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tent obligés de répondre, au moment du test, avec une grande spontanéité, c) que les sujets soient suffisamment disposés à répondre sincèrement, d) que le critère choisi pour l'épreuve soit puissant, durable, précis et non pas faible, passager et vague. [...] L'orientation sociométrique a. Observation et interprétation Nous avons entrepris l'étude de la formation des groupes en suivant trois voies d'approche. La première fait appel à l'observation et à l'interprétation. Nous avons observé des enfants quand, libres de toute contrainte, ils sortaient de l'école et couraient à leurs terrains de jeux et nous avons noté les divers groupes qu'ils formaient spontanément. Nous avons constaté une certaine régularité dans ces rassemblements spontanés : telle petite fille était toujours suivie par toute une bande de petites camarades ; certaines fillettes se groupaient par deux ou trois et chaque petit groupe allait de son côté. Des patterns d'association analogues se présentaient à l'occasion des jeux collectifs. Une classification rudimentaire de la position des individus dans leurs groupes est alors possible : on distingue les isolés, les couples ou paires, et les satellites qui gravitent autour d'un leader. Mais une telle classification reste superficielle et ne saurait suffire à rendre compte de l'organisation des groupes. b. Le sociométricien comme observateur participant C'est alors que nous avons abordé le problème sous un angle différent. Au lieu d'observer, du dehors, la formation des groupes, nous avons pénétré à l'intérieur de ces groupes, nous en sommes devenus partie intégrante et nous avons enregistré, du dedans, leur développement intime. Nous avons, par nous-même, vécu les relations polarisées qui se nouent entre leurs membres, nous avons assisté à la genèse des coteries au sein du groupe, compris la pression qu'y subit tel ou tel individu. Toutefois, à mesure que le groupe prenait plus de volume, nous avons été, nous-même, de plus en plus victime de cette pression, nous nous sommes senti de plus en plus intégré à certaines coteries, exclu des autres. Cette méthode de « participation » directe nous a permis d'élaborer une classification un peu plus nuancée des positions individuelles que celles à laquelle nous avait conduit la seule observation. Un autre procédé consiste à choisir

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Études des petits groupes et pédagogie

un membre du groupe qui, par sa position, était en mesure de bien connaître les relations interpersonnelles sous-jacentes au groupe : la mère, par exemple, quand il s'agissait d'un groupe familial, le maître quand il s'agissait des écoliers d'une classe, la directrice d'un internat, le contremaître d'une équipe de travailleurs, etc. Mais l'informateur ainsi choisi avait souvent une vision inexacte des activités du groupe, du fait qu'il se trouvait lui-même sous l'emprise du mécanisme de participation. c. Méthodes sociomêtriques

directes

Nous ne pouvons comprendre exactement la tendance centrale que suit un individu au cours de son développement ni par l'observation seule (par exemple en notant les diverses expressions d'un enfant en train de jouer), ni par une participation directe (en partageant ses activités ludiques). Il nous faut faire de chaque sujet un expérimentateur : si nous étudions la formation des groupes, nous devons faire en sorte que les membres des futurs groupes prennent une part active à leur création. Pour parvenir à une connaissance plus précise de l'organisation des groupes, nous faisons alors appel au test sociométrique : il s'agit, pour chaque sujet, de choisir librement ses compagnons dans le groupe auquel il appartient effectivement ou dans celui dont il pourrait faire éventuellement partie. Comme ce sont les sujets eux-mêmes qui prennent l'initiative de ces choix et que le test s'applique à toutes les personnes qui sont en relations les unes avec les autres, nous obtenons ainsi une vue d'ensemble des structures du groupe telles qu'elles apparaissent aux yeux de ses membres et nous pouvons la comparer aux structures « officielles » qui sont imposées au groupe du dehors. Cette méthode est expérimentale et synthétique.

Le niveau de développement des groupes C'est un fait bien connu qu'au cours de son développement, l'organisme individuel, considéré dans son unité, passe par une série de niveaux caractérisés par des degrés de plus en plus élevés de différenciation. Mais qu'en est-il exactement du développement d'une société d'individus ? Le problème n'est pas résolu : une société changet-elle purement et simplement ou suit-elle une loi de développement ? Les deux points de vue ont trouvé des défenseurs. Certains affir-

J.L. Moreno ; La soçioméfrie

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ment comme Spengler que les civilisations croissent puis déclinent, d'autres, avec Marx, qu'elles sont en perpétuel changement et que leur forme est conditionnée par les forces économiques. La question qui se pose est de savoir si ces processus suivent un cours inéluctable ou s'ils ne sont pas susceptibles d'être dirigés et contrôlés. Seule l'expérience peut en décider : une forme d'expérimentation sociogénétique qui s'attaque d'abord aux groupes les plus simples puis progressivement, s'adresse à des formations plus complexes. Il doit être bien entendu que lorsque nous parlons de degrés inférieurs ou supérieurs de différenciation, nous ne prétendons porter aucun jugement de valeur : pour nous, un groupe plus différencié ne signifie pas un groupe qui se perfectionne, pas plus qu'un groupe moins différencié ne représente à nos yeux un groupe en train de s'affaiblir. Nous nous contentons d'exprimer divers niveaux de différenciation qui apparaissent dans la structure des groupes et qui sont en relation avec divers critères. Le test sociométrique appliqué à des groupes de bébés Il est bien connu que le petit enfant naît avec un équipement pauvre et faible de quelques réactions innées mais, qu'en revanche, il est doué d'une grande capacité d'apprentissage et qu'il possède un haut degré de spontanéité. Notre étude sur l'organisation des groupes a montré que les enfants restent longtemps après leurs premières années incapables de former des sociétés permanentes, qu'à cet égard l'espèce humaine se montre défavorisée quand on sait quelles sociétés complexes forment certaines espèces animales ; elle a montré que les tendances à l'organisation sociale doivent se frayer leur route à travers le réseau complexe des affinités individuelles. Plus une société d'hommes est ancienne, plus sa structure sociale est différenciée mais la spontanéité initiale est refoulée et canalisée. Nous sommes arrivés aux résultats exposés ci-dessous en étudiant, à différentes étapes de leur développement, des bébés ou des enfants en relation avec d'autres bébés ou d'autres enfants. L'étude des bébés, avant qu'intervienne la sociométrie, se bornait à enregistrer des observations sur chacun d'eux. Les travaux sur le développement affectif et social des jeunes enfants n'avaient jamais encore abordé l'évolution de l'organisation sociale chez des bébés du même âge, peut-être parce que les bébés ne se groupent pas spontanément et qu'il faut agencer une situation expérimentale artificielle pour faire apparaître les tendances latentes d'organisation aux différents paliers du développement de l'en-

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Études des petits groupes et

pédagogie

fant. Pour aborder ce problème inédit, nous avons placé un groupe de neuf bébés à proximité les uns des autres, dans la même chambre, dès le jour même de leur naissance. Ces bébés ont été suivis pendant une période de dix-huit mois. Il s'agissait essentiellement de chercher quel niveau de développement les enfants atteignaient, en tant que société, et non de savoir à quel niveau parvenait tel ou tel bébé. Tout d'abord le test fut adapté à l'étude de groupes de bébés dont les membres furent répartis selon leurs niveaux d'âge. Les nouveaunés étaient placés côte à côte, dans la pièce même où ils avaient vécu depuis leur naissance. On se proposait de déterminer les types de structure qui apparaissent les premiers dans l'évolution des groupes au cours des trois premières années d'existence. On put ainsi observer les relations entre les bébés depuis leur naissance. Il ne s'agissait pas de savoir si les réactions de chaque sujet constituaient (ou non) de véritables réponses sociales, mais de rechercher, avant tout, si l'organisation des groupes résultait de l'accumulation des interactions individuelles et de découvrir les formes que prenait cette organisation. Les étapes principales de ce développement peuvent être résumées comme suit : 1° stade d'isolement organique à partir de la naissance : un ensemble d'individus isolés dont chacun est complètement absorbé par lui-même ; 2° un stade de différenciation horizontale à partir de 20-28 semaines : les bébés commencent à réagir les uns vis-à-vis des autres, les facteurs de proximité et de distance physiques agissant respectivement sur le rapprochement et l'éloignement psychologiques ; chaque bébé commence par faire connaissance avec des voisins immédiats ; 3° un stade de différenciation verticale à partir de 40-42 semaines — un enfant quelconque attire spécialement l'attention des autres, déplace la répartition des émotions à l'intérieur du groupe dont la structure, horizontalement différenciée, devient verticale ; le groupe qui, jusqu'alors, présentait un niveau uniforme, possède désormais des sujets plus ou moins remarquables ; ainsi se constituent, dans le groupe, un sommet et une base. Aucun de ces stades de différenciation ne fonctionne isolément à chacun des niveaux : chaque stade survit à l'apparition du suivant. Ce phénomène semble expliquer, dans une large mesure, la complexité croissante de l'organisation que l'on rencontre à des niveaux d'âge plus élevés. Le développement des associations d'enfants apparaît comme « retardé » quand on le compare au développement des enfants considérés isolément. Bien des contacts momentanés se perdent sans contribuer à la formation d'une organisation sociale. Les interactions réciproques doivent apparaître avec une certaine fré-

J. L. Moreno : La sociométrie

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quence et une certaine constance avant qu'on puisse les considérer comme formant une structure sociale. Les bébés étaient du même âge chronologique ; ils étaient nés le même jour ou avec un ou deux jours d'écart. Quand un bébé quittait l'hôpital, il était remplacé par un bébé du même âge. Les observations étaient faites quotidiennement par deux observateurs et immédiatement consignées. Les catégories de contacts entre bébés étaient établies de la façon suivante, a) Combien de fois un bébé en a-t-il regardé un autre ? Etait-il le premier à le regarder ou répondait-il au regard de l'autre ? b) Combien de fois un bébé criait-il avec un autre : prenait-il l'initiative des cris ou répondait-il aux cris de l'autre ? c) Combien de fois un bébé a-t-il souri à un autre : était-il le premier à sourire ou son sourire était-il une réponse au sourire de l'autre ? d) Combien de fois un bébé a-t-il essayé d'en attraper un autre ; prenait-il l'initiative du geste ou répondait-il au geste de l'autre ? e) Combien de fois un bébé a-t-il touché un autre ; prenait-il l'initiative ou répondait-il au geste de l'autre ? On organisa une épreuve de contrôle, en remplaçant les bébés par des poupées pour les cinq catégories de contacts ci-dessus énumérées. Dans les sociogrammes de poupées, un seul participant était un vrai bébé, les huit autres participants étaient des poupées. Le but de cette expérience était l'étude des différences entre les sociogrammes de vrais bébés et les sociogrammes de poupées. L'expérience des poupées fut répétée une seule fois en trente jours. A mesure que les enfants grandissaient, les différences s'accentuaient entre les sociogrammes de bébés et les sociogrammes de poupées, tandis que le facteur hasard perdait de son importance. Le test sociométrique

appliqué aux élèves d'une école

primaire

Le test sociométrique fut ensuite donné aux garçons et aux filles de toutes les classes d'une école primaire, depuis le jardin d'enfants jusqu'à la 8e classe \ On demandait à chaque enfant de choisir, parmi ses camarades, ceux qu'il voudrait voir dans la même classe que lui et qu'il voudrait voir s'asseoir près de lui. Une analyse quantitative de ces choix a montré que les attractions entre les deux sexes (garçons choisissant des filles et filles choisissant des garçons) étaient plus nom1. Aux États-Unis, le numérotage des classes est inverse de celui que nous connaissons en France. La 8 e classe correspond, à peu près, à notre 3' et les élèves y sont âgés, en moyenne, de 14 à 15 ans (N.d.T.).

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Études des petits groupes

et

pédagogie

breuses au jardin d'enfants et dans la l r ° classe (respectivement 35,5 % et 32,9 % de l'ensemble des choix) ; le pourcentage d'attraction tombait, dans la 2 e classe, à 8,5 % ; dans la 3 e classe, à 4,7 % ; il atteignait son niveau le plus bas dans la 4 e classe, 1,6 % ; augmentait ensuite légèrement dans la 5* classe pour tomber à 0 dans la 6 e classe ; il remontait à 3,2 % en 7 e et prenait en 8 un accroissement considérable, selevant à 10,53 %. Cette analyse montrait ainsi que le nombre des garçons choisissant des filles était le même que celui des filles choisissant des garçons au jardin d'enfants, 17,75 % ; dans la 1 " et la 2 e classes primaires, les garçons prennent l'initiative : 27 % contre 5,9 % et 6,8 % contre 1,7 % respectivement ; dans la 3 e classe, le nombre de filles l'emporte sur celui des garçons, 3,1 % contre 1,6 % ; en 4 e , 5 e , 6 e et 7 e , les uns et les autres sont à peu près à égalité mais les filles reprennent l'initiative en 8 e , 6,58 % contre 3,95 %. A la faveur du test administré à ces enfants, il fut possible de mettre en évidence une structure complexe de l'organisation de la classe, très différente de celle qu'on supposait généralement. Certains élèves n'étaient choisis par personne et restaient des « isolés » ; certains autres se choisissaient réciproquement et constituaient ainsi des « paires », des « triangles » ou des « chaînes » ; d'autres attiraient sur eux tant de choix qu'ils semblaient accaparer le centre de la scène, à l'instar des « étoiles ». Le pourcentage des sujets isolés, c'est-à-dire de ceux qui n'ont été choisis par aucun de leurs camarades, oscillait entre 15,4 % et 45,7 % pour l'ensemble des classes. Au jardin d'enfants, il était de 27 % ; il montait à 45,7 % , son plus haut point, dans la l r e classe ; descendait à 30,5 % en 2 e ; à 21,2 % en 3' ; à 18,2 % en 4 e ; s'élevait tout à coup à 28,6 % en 5 e ; retombait en 6 e et en 7 e respectivement à 15,4 % et 15,6 % ; il s'élevait de nouveau, très sensiblement, en 8 e , à 29,5 % . Le nombre des paires mutuelles est le plus bas au jardin d'enfants, 3 ; il s'élève lentement à 6 en l r e ; 12 en 2 e , 14 en 3 e et 17 en 4 e ; retombe à 13 en 5 e , remonte à 23 en 6 e , retombe encore à 15 en 7 e et descend enfin plus bas, à 12 en 8 e . La formation en structures plus compliquées, triangles, chaînes, etc., est totalement absente au jardin d'enfants et en 1™ classe ; ces structures n'apparaissent qu'en 2 e et deviennent plus manifestes par la suite. Les résultats obtenus avec des groupes de bébés et des groupes d'enfants de 4 à 15 ans sont présentés en tables, en histogrammes de fréquence et ils sont plus particulièrement disposés en sociogrammes :

j. L. Moreno

le de de de

: La

sociométrie

119

sociogramme est un procédé qui permet de figurer la position chaque individu dans son groupe aussi bien que les interrelations tous les autres individus, en tant qu'ils sont objets d'attractions et répulsions. [...}

Interprétation Les trois directions ou tendances de structure que nous avons décrites pour les groupes de bébés, isolement organique, différenciation horizontale et différenciation verticale, constituent des caractéristiques fondamentales de l'évolution des groupes. Nous constatons qu'elles apparaissent sans cesse, quel que soit le degré d'extension ou de complexité auquel parviennent les groupes, mais il est nécessaire de rechercher la trace des premières influences exercées sur l'organisation des groupes par les sexes, les nationalités ou tout autre facteur spécifique. [...] L'évolution des groupes sociaux ouvre la voie à une classification des individus d'après leur position au sein de ces groupes et facilite, par suite, la construction des groupes sociaux. Nous avons démontré que l'âge chronologique ou l'âge mental n'indique pas à quel groupe social un individu appartient ou devrait appartenir. Un test sociométrique est nécessaire pour déterminer cette position. Les classes des écoles primaires américaines sont actuellement constituées en fonction de l'âge chronologique, de l'âge mental, des progrès scolaires, ou quelquefois en fonction d'une combinaison de ces éléments. La position sociométrique de l'élève dans son école et dans les groupes auxquels il participe est négligée. Un rassemblement d'individus peut ne pas être souhaitable, même si ces individus ont étudié, travaillé ou vécu ensemble pendant un certain temps et même s'ils semblent être d'un même niveau intellectuel, s'ils appartiennent à la même religion ou à la même nationalité, etc. Les sujets eux-mêmes (dans ce cas particulier, les élèves) ont des attitudes les uns vis-à-vis des autres, qui sont très importantes pour eux et pour leur constitution en groupes. Leurs sentiments personnels doivent être pris en considération lorsqu'on constitue les groupes sociaux auxquels ils devront appartenir. Ces considérations conduisent inévitablement à l'utilisation du test sociométrique. Si le test sociométrique est appliqué sur une large échelle et si les résultats trouvés sont confrontés avec les comportements, notre connaissance d'une meilleure organisation des groupes d'enfants, aux différents âges, deviendra plus précise. A la fin d'un trimestre

120

Études des petits groupes et

pédagogie

scolaire, le test sociométrique peut révéler la nature de l'organisation sociale qui est née des rapports entre les élèves de chaque classe. Certains patterns d'organisation, découverts à la faveur d'un testing sociométrique continu, peuvent être l'indice d'un pronostic défavorable pour le futur développement d'un groupe ou celui de certains de ses membres, quels que puissent être, par ailleurs, les progrès scolaires et la bonne conduite des élèves. On peut avancer que cette étude ouvre la voie à la détection de la délinquance à son stade initial ; elle permet de diagnostiquer, scientifiquement, les causes qui prédisposent à cette délinquance et, par suite, de prendre des mesures préventives. [...}

Stades de l'évolution des groupes sociaux Les conséquences de la maturation de la sociabilité individuelle sur la structure et la différenciation des groupes et les influences que cette organisation sociale, une fois établie, exerce en retour sur les individus, nous ont conduit à distinguer les stades suivants : De 7 à 9 ans 7-9 à 13-14 ans A partir de 13-14 ans

Stade antérieur à la socialisation — de première socialisation — de deuxième socialisation

1. Stade antérieur à la socialisation Les groupes formés par les enfants durant les différentes phases de ce stade sont moins constants et moins différenciés qu'ils ne le seront plus tard. Dans les groupes « les plus jeunes » apparaissent un grand nombre de non-choisis et d'isolés et un très petit nombre de choix réciproques. Comme il semble bien que soit peu développée l'aptitude à choisir spontanément un partenaire, qui en retour réponde à ce choix, les groupes d'individus formés à ce stade présentent une structure diffuse qui ne les prédispose pas à des actions de coopération indépendante. Les associations et les « bandes » qui se forment au cours de cette période de présocialisation ne durent qu'un instant : elles sont trop inconstantes et indifférenciées pour imaginer un but commun et entreprendre une action commune. Lorsque, par hasard, ces bandes semblent se décider à poursuivre un même objectif, on s'aperçoit qu'un ou deux enfants plus âgés mènent le jeu et s'imposent comme leaders.

J. L. Moreno : La

2. Stadi de première

sociométrie

121

socialisation

A partir de 7 à 8 ans, les enfants deviennent capables de former entre eux des groupes, indépendamment des adultes, et de collaborer à la poursuite d'un but commun. A partir de cet âge et durant toute l'adolescence, le désir d'assurer une fonction en association avec des individus qui ont atteint le même niveau de différenciation peut être détecté et si ce désir ne peut être ouvertement satisfait, l'individu a le loisir de rallier secrètement tel groupe susceptible de l'accueillir. Au cours du stade de première socialisation, les enfants constituent entre eux des groupes sociaux indépendants. Des sujets plus âgés peuvent appartenir à ces groupes, sans que leur présence y soit nécessaire. L'organisation des groupes enfantins à ce stade indique que les interrelations de leurs membres sont suffisamment différenciées pour faire place à certaines conventions et comporter la poursuite d'un but commun. L'attitude sexuelle caractéristique de ce niveau d'âge se reflète dans l'organisation interne des groupes ; la tendance homosexuelle commence à être nettement marquée aux alentours de 8 ans pour décroître vers l'âge de 13 ans. Cette tendance persiste, quoiqu'à un degré moindre, pendant toute l'adolescence. En dehors de ces rassemblements homosexuels ou unisexuels, on trouve des groupes mixtes de garçons et de filles qui manifestent clairement des préoccupations sexuelles. En général, c'est à partir de 12 ans qu'on constate chez les enfants cette tendance à former des groupes mixtes : cette tendance correspond à l'apparition de structures sociales qui montrent l'accroissement progressif des choix intersexuels à partir de l'âge de 13 ans. On peut parfois trouver dans ces groupes des enfants plus jeunes de plusieurs années : c'est que des garçons ou des filles de 13 ans les ont initiés. En d'autres termes, les enfants entre 6 et 12 ans ne forment pas entre eux spontanément des groupes à objectifs sexuels. A partir d'environ 7 à 8 ans, ils sont susceptibles de former des bandes non sexuelles ; à partir de 12-13 ans, l'intérêt sexuel peut intervenir et constituer ultérieurement un facteur de différenciation. Il peut se faire que des enfants appartenant au stade de présocialisation soient incités par des leaders plus âgés à appartenir à un groupe ; il ne s'agit pas encore d'une participation originale et spontanée, qui ne se fera jour qu'à partir du stade normal de première socialisation (7 à 8 ans) ou à partir du stade de socialisation sexuelle (13 ans). Les effets de la maturation sexuelle individuelle

Études des petits groupes et

122

pédagogie

sur la structure des groupes nous ont donc conduit à distinguer les stades suivants : Jusqu'à 6-8 ans De 8 à 13 ans A partir de 13-15 ans . . — de 13-17 ans . .

Premier stade hétérosexuel homosexuel — Second stade hétérosexuel — homosexuel

Notre expérience des sociétés enfantines portant sur plusieurs centaines de sujets est susceptible d'éclairer davantage ce problème. Nous avons constaté que les enfants, garçons ou filles, qui ont atteint approximativement l'âge de 8 ans, étaient capables de constituer eux-mêmes une société, sans l'aide d'individus plus âgés. D'habitude ils se groupaient sous la direction d'un leader. A supposer que la croissance de ces enfants ait pu être arrêtée à cet âge et qu'il n'existe pas de sociétés d'un degré plus élevé de différenciation, ces groupes enfantins persisteraient, et développeraient un système d'organisation stable, car il se trouve qu'ils atteignent le minimum d'équilibre et de différenciation nécessaire à la réalisation d'objectifs communs. Ces expériences n'ont pu être poursuivies au-delà d'une certaine limite, car, en fait, les groupes d'adolescents et d'adultes exercent leurs pressions sur les groupes enfantins au cours de leur formation spontanée ; et ceux-ci n'ont aucune chance de se libérer de ces pressions ni de dépasser le niveau de bandes constituées par les enfants d'un même quartier ou de groupes purement locaux. 3. Fractionnement

des

groupes

A partir de la 1 " classe d'école primaire le groupe développe progressivement une organisation plus différenciée ; le nombre des isolés décroît, celui des choix réciproques augmente ; à partir de la 3 e classe, les chaînes et les triangles apparaissent. La structure du groupe devient de plus en plus susceptible de jouer un rôle positif. L'action coopérative du groupe commence à se manifester à partir de la 3e et de la 4 e classe ; elle est virtuellement impliquée dans les organisations propres à cet âge, avant même que cette activité collective apparaisse aux observateurs du dehors. La différenciation progressive des groupes d'enfants à partir de la 2 e classe et l'incapacité croissante des adultes à comprendre le rôle et la position qu'occupe tel enfant dans le groupe marquent le début d'un clivage social, un clivage entre les groupes d'adultes et les groupes enfantins. A partir de la 4 e classe, le pourcentage des attractions hétéro-

]. L. Moreno : La sociométrie

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sexuelles décroît brusquement. Cela indique le début d'un clivage sexuel qui caractérise l'organisation à partir de ce niveau et qui persiste jusqu'à la 8 e classe. Parallèlement à ce phénomène, le nombre des choix réciproques et des autres configurations sociales croît rapidement. Tout se passe comme si le clivage sexuel accélérait le processus de socialisation, renforçait les liens émotionnels entre les membres de chacun des deux groupes de garçons ou de filles qui se sont constitués séparément au sein de la classe. A partir de la 5° classe, les sociogrammes mettent en relief un autre phénomène. Un nombre plus élevé d'enfants italiens commence à choisir des camarades italiens ; un nombre plus élevé d'enfants Israélites commence à choisir des camarades israélites ; un plus grand nombre d'enfants allemands commence à choisir des camarades allemands, etc. ; un nombre plus élevé d'enfants italiens rejette des enfants israélites et réciproquement ; un nombre plus élevé d'enfants blancs rejette des enfants de couleur : autant de manifestations qui n'apparaissaient pas auparavant, que ce soit au niveau des groupes préscolaires ou à celui de la l r e , de la 2 e et de la 3 e classe et quoique le pourcentage des individus ressortissant à ces différentes nationalités soit sensiblement le même. Cela marque le début d'un clivage racial. Les groupes, qui étaient déjà scindés en deux sous-groupes homosexuels, en deux fractions distinctes, ont tendance à se fractionner en un plus grand nombre d'unités plus ou moins distinctes, constituées par des garçons ou des filles de même nationalité. [...] Les quatre phénomènes que nous venons d'indiquer sont liés à plusieurs facteurs. L'un d'entre eux concerne l'écart physique et mental qui existe entre les adultes et les enfants. Les enfants prennent conscience des différences qui les séparent des adultes et des similitudes qu'ils présentent entre eux. La distance psychologique entre adultes et enfants s'accroît, le rapprochement psychologique entre enfants augmente. Ce phénomène constitue une des bases des associations enfantines, indépendantes des associations d'adultes. A mesure que les intrications associatives des enfants deviennent plus fines et plus solides, leurs activités de coopération, qui jusqu'alors étaient relativement observables, deviennent beaucoup plus difficiles à détecter pour les adultes. Cependant, ces associations d'enfants ne dépassent jamais, en fait, le stade embryonnaire, car jusqu'à un certain âge ceux-ci se montrent relativement incapables de constituer des groupes. Mais à partir de la 2 e et de la 3 e classe, cette carence est essentiellement due à la pression exercée par les groupes d'adultes qui entravent le libre épanouissement des sociétés d'enfants.

124

Études des petits groupes et

pédagogie

Dès qu'a commencé à s'exercer sur l'organisation du groupe l'influence de l'opposition entre adultes et enfants, les différences de sexe interviennent à leur tour. Bien avant cette époque, la distinction entre le garçon et la fille occupe l'esprit des enfants, mais, à partir de cet âge, leur curiosité à l'égard du sexe opposé devient plus vive et tend à rapprocher les sexes plutôt qu'à les séparer. Cependant une fois que l'époque du libre mélange des sexes est révolue, la distance entre les deux sexes augmente et aboutit à une nouvelle séparation. Le groupe se scinde en associations homosexuelles masculines et en associations homosexuelles féminines. On peut dire que ce clivage sexuel reflète certaines traditions des sociétés primitives. D'après une légende africaine rapportée par Frobenius, les hommes et les femmes vivaient séparément dans des villages différents. Chaque village était gouverné par les représentants du même sexe que celui de ses habitants, et Frobenius décrit les hostilités qui éclataient périodiquement entre ces deux collectivités. Ce que ce trait de mœurs traduit, d'une façon symbolique, c'est, sans doute, la forme collective que prenait, à l'origine, l'hostilité entre les deux sexes. Même si cette tendance des sexes à s'opposer n'aboutit pas à une coupure radicale, elle ne disparaît jamais complètement. La force croissante de l'attraction hétérosexuelle ne peut, elle-même, venir à bout de cette opposition primitive, qui contient, en puissance, les futures tendances à constituer des groupes homosexuels. Quand, au cours de la formation des groupes, la tendance homosexuelle devient impérieuse, elle contribue à unir les individus dans un groupe qui est plus finement intégré qu'auparavant et qui, grâce aux liens affectifs qui unissent ses membres, suscite en eux une commune impulsion à se traduire en acte. Il peut apparaître aux individus plus avantageux et plus sûr de chercher à ressembler à leurs compagnons, à s'identifier à eux : à ce stade de tâtonnement où en sont encore les sentiments collectifs, les individus croient ainsi courir de moindres risques. Les buts sont plus aisément atteints, si les résistances à l'intérieur des groupes sont abolies. Les légères différences que présentent, entre les sexes, la couleur de la peau, la taille, la tournure, l'expression du visage ou les traits mentaux, prennent de l'importance dans la mesure où elles s'opposent à l'échange des sentiments. Les suggestions des parents ou des autres individus plus âgés dont l'opinion est respectée par l'enfant ont aussi des effets considérables. Mais on peut expliquer pourquoi ces suggestions ne laissent pas d'impressions durables sur l'enfant avant cet âge ; il se peut que les liens affectifs qui se nouent à l'intérieur des groupes

J, L. Moreno

: La

sociométrie

125

d'enfants durant la période de clivage sexuel préparent le terrain de telle manière que ces suggestions puissent être comprises, appréciées comme utiles et qu'elles puissent ainsi prendre racine plus aisément. Mais ces facteurs ne suffiraient pas, à eux seuls, à enraciner profondément ces sentiments et à permettre le passage de leur expression individuelle à l'expression collective. Un facteur de stabilisation et de conservation est encore nécessaire. Il est fourni par les réseaux dont nous étudions par ailleurs l'importance et qui commencent à se développer à cet âge. C'est en suivant les lignes de ces réseaux que peut cheminer l'opinion, qu'elle s'exprime par la parole ou par tout autre moyen. Il apparaît clairement qu'il y a là un parallélisme entre l'attraction hétérosexuelle et l'attraction interraciale. La curiosité à l'égard de l'autre sexe et la curiosité à l'égard de l'autre race supposent toutes les deux une humeur expansive. De même que l'attraction hétérosexuelle cède le pas à l'attraction homosexuelle lorsque la curiosité pour l'autre sexe s'éteint pour faire place à l'indifférence ou à l'antagonisme, de même, la curiosité envers les individus d'une autre race se lasse au profit de l'indifférence ou de l'hostilité. Quand les enfants sont assez intelligents pour se constituer des associations finement intégrées, ils découvrent, pour la première fois, les deux obstacles majeurs qui s'opposent à leur action collective, concertée et agressive : l'autre sexe et l'autre race. Dans leurs premiers plans de conquête, les garçons trouvent beaucoup plus facile et plus sûr de se passer des filles et de laisser de côté les individus de nationalité différente de la leur. Le phénomène de clivage sexuel a été observé chez les enfants de toutes les nationalités représentées dans les groupes étudiés ; si certains groupes nationaux présentent ce phénomène pendant plus longtemps que les autres, c'est à l'apparition plus tardive de la puberté ou à certaines traditions morales qu'il faut attribuer cette particularité. Il peut se faire aussi que dans ces groupes nationaux où les groupements homosexuels sont plus marqués et plus durables, le terrain soit mieux préparé par la formation ultérieure de groupes étroitement unis, doués d'attitudes hostiles et agressives à l'égard du reste de la société dont ils diffèrent à un degré plus ou moins prononcé. Par ailleurs, la très longue durée du clivage sexuel dans les groupes de filles et l'asservissement affectif qui en est l'effet peuvent faciliter et accroître leur besoin d'indépendance. Le phénomène de clivage sexuel montre une tendance à la récapitulation. L'histoire nous révélerait, sans doute, qu'à l'accession au pouvoir de groupes masculins

Études des petits groupes et

126

pédagogie

agressifs correspond la disparition des groupes féminins étroitement unis, avec leurs revendications d'indépendance et d'égalité. La notion

d'âge

Le point crucial du processus de socialisation paraît être atteint aux environs de 7 à 9 ans. Cela ne signifie pas qu'à cet âge ce processus soit achevé mais que les enfants atteignent alors le moment à partir duquel ils peuvent constituer et diriger une société. L'étape suivante du processus de socialisation se situe à l'âge de 13-15 ans, quand commence à s'y refléter la maturation de la sexualité. La troisième étape a lieu à 16-17 ans, quand l'adolescent atteint les limites de son développement mental. Chaque individu semble atteindre les différentes étapes de son développement général à des époques différentes. U n individu dont le développement mental paraît être normal peut être retardé sur le plan social, avancé sur le plan affectif. Ces différences de développement mental, affectif et social indiquent que la notion d'âge doit être écartée ou reconsidérée. Au lieu d'utiliser différents tests pour chacun des aspects du développement de la personnalité — tests d'intelligence pour le niveau d'intelligence abstraite, tests de performance pour le niveau d'intelligence pratique, enquêtes psychanalytiques pour l'affectivité — il est nécessaire d'employer un test capable d'évaluer tous ces facteurs individuels en tenant compte de leurs relations et de leurs combinaisons, telles qu'elles apparaissent dans l'action. Le Test de Spontanéité a été créé pour réaliser cet objectif et il montre que l'unité organique de la personnalité doit être envisagée au premier chef. Il apparaît en effet que cette unité fonctionne comme un principe actif dans l'évolution de la personnalité. Nous ne pouvons commodément isoler une partie de ce tout, le développement intellectuel par exemple et dire qu'il est « retardé », ni envisager une autre partie de ce tout, le développement affectif, et dire qu'il est « accéléré ». Il nous faut considérer l'organisation de la personnalité, par-delà ses aspects variés, en tant qu'unité fonctionnelle, au même titre que l'organisme physique. C'est aussi dans son unité globale que la personnalité évolue d'année en année. Il est intéressant de remarquer ici que le test sociométrique appliqué à des groupes a révélé qu'un principe analogue gouvernait l'évolution du groupe. Au sein des groupes d'enfants et d'adolescents — quelles que soient les positions individuelles de leurs membres — l'orga-

]. L. Moreno : La sociométrie

127

nisation de chaque groupe se transforme d'année en année, dans sa totalité.

La loi socîogénétique On pouvait s'attendre à ce que la maturation sociale corresponde à la maturation intellectuelle et à la maturation affective. Mais il est plus surprenant de découvrir qu'un groupe d'individus « croît », que la structure de leurs relations réciproques se cristallise, que les conflits d'intelligence, de sentiments et de sociabilité des différents individus composant le groupe ne détruisent pas ce processus de maturation et ne gênent pas l'existence et la réapparition de tendances régulières internes. Les courants entrecroisés au sein d'un groupe opèrent une synthèse, font naître des organisations qui ont un « sens » et qui doivent être interprétées. Notre analyse chronologie du développement des organisations sociales spontanées, chez les enfants et les adolescents, semble indiquer la présence d'une loi fondamentale « sociogénétique », qu'on peut considérer comme le complément de la loi biogénétique. De même que les animaux supérieurs ont évolué à partir des formes de vie les plus rudimentaires, de même, semble-t-il, les formes les plus élaborées d'organisation sociale dérivent des plus simples. Si les enfants étaient libres d'utiliser leurs groupements spontanés comme associations permanentes et de constituer des sociétés d'enfants, on y découvrirait des similitudes de structure et de conduite avec les sociétés humaines primitives. Il est bien établi que la famille primitive assumait plus de fonctions que la famille moderne. Son organisation englobait l'éducation, le travail ainsi que de nombreuses autres activités. Les sociétés d'enfants seraient susceptibles de nous fournir maintes indications sur la façon dont les sociétés primitives se sont développées si nous voulion en reconstituer l'histoire. Ainsi les filles de l'école d'Hudson, invitées à choisir des compagnes de cohabitation, de travail, etc., choisissaient fréquemment, et d'autant plus qu'elles étaient plus jeunes, les mêmes camarades pour assumer les différentes fonctions : c'était avec les mêmes fillettes qu'elles désiraient cohabiter, travailler, jouer, etc. Chaque fois que ces désirs pouvaient se réaliser, il en résultait, au sein du même groupe d'individus, un chevauchement de fonctions. Ceci correspondait à une manifestation sociale semblable à celle que présentent les associations familiales primitives. Mais le

128

Études des petits groupes et

pédagogie

fait que d'autres filles effectuaient des choix distincts pour différents groupes fonctionnels suggère qu'au sein de la même collectivité, différents patterns d'organisation sociale sont désirés par différents individus. Bien que ces filles aient été élevées dans un même milieu industriel, elles montrèrent des tendances à constituer des organisations sociales distinctes : ce qui prouve que la machine n'est pas le seul facteur de spécialisation fonctionnelle et de différenciation sociale. Nos résultats montrent que l'organisation sociale, envisagée dans son développement ontogénétique, est dans une large mesure une récapitulation abrégée des modifications morphologiques accomplies progressivement par les sociétés ancestrales au cours de leur évolution historique. Ce point de vue est étayé par les considérations suivantes : a) L'organisation spontanée des groupes d'enfants et d'adolescents se développe d'année en année en passant successivement par des stades d'intégration qui procèdent des plus simples aux plus complexes. b) Ces groupes conservent toujours des traces du stade d'organisation immédiatement inférieur et laissent apercevoir des ébauches de signes relatifs au stade d'organisation immédiatement supérieur. c) On a pu noter des similitudes entre les organisations sociales spontanées des enfants appartenant aux premières classes et celles des adolescents mentalement retardés. d) L'organisation sociale des sociétés d'enfants et celle des sociétés primitives paraissent présenter des similitudes de tendances.

KURT La psychologie des

LEWIN

groupes'

Problèmes et méthodes Le présent exposé est un résumé préliminaire d'une des phases de toute une série d'études expérimentales sur la vie de groupe qui a pour but l'étude scientifique de questions telles que les suivantes : — Qu'y a-t-il sous les différents modes de comportement de groupe tels que la rébellion contre l'autorité, la persécution d'un bouc émissaire, la soumission apathique à une domination autoritaire ou l'attaque d'un out group ? — Dans quelle mesure les différences dans la structure en sousgroupes, dans la stratification de groupe, et dans la puissance de buts centrés sur l'individu et centrés sur le groupe peuvent-elles être utilisées comme critères pour prédire les résultantes sociales des différentes atmosphères de groupe ? — La vie de groupe démocratique ne serait-elle pas plus agréable mais l'autoritarisme plus efficace ? Voilà les sortes de questions à propos desquelles il y a aujourd'hui des « opinions » nombreuses et variées, et auxquelles, pour cette raison, des réponses scientifiques sont les plus nécessaires. Une étude expérimentale des phénomènes de la vie de groupe soulève évidemment beaucoup de difficultés de création et de contrôle scientifique, mais la fécondité de la méthode paraît compenser les problèmes expérimentaux qu'elle soulève. Dans la première expérience, Lippitt organisa des clubs d'enfants âgés de dix ans, qui se lancèrent dans la fabrication de masques de théâtre, pour une période de trois mois. Le même leader adulte, changeant sa philosophie du leadership, dirigea un club d'une manière autoritaire et l'autre club selon des techniques démocratiques, pendant que quatre observateurs faisaient des observations détaillées. Cette étude suggéra plus d'hypothèses que de réponses et conduisit à une seconde série, plus étendue, d'expérimentations par White et Lippitt. * Textes extraits de K . LEWIN, Psychologie dynamique : les relations humaines, trad. par M. et C. Faucheux, Paris, Presses Universitaires de France, 1964. Ce texte est la traduction de l'article de K. Lewin, R. L i p p i t t et R. K. WHITE, « Patterns of Agressive Behavior in Experimentally Created Social Climates », Journal of social Psychology 10, 1939, p. 271-299. 5

130

Études

des petits

groupes

et

pédagogie

Quatre nouveaux clubs de garçons de dix ans furent organisés, sur la base du volontariat comme avant, la variété des activités de club fut élargie, pendant que quatre leaders adultes différents y participaient. Aux deux variables des procédés démocratiques et autoritaires, on ajouta une troisième : « laissez-faire » ou vie de groupe sans participation adulte. D e plus, on étudia le comportement de chaque club dans différents « climats sociaux ». Toutes les six semaines, chaque groupe avait un nouveau leader avec une technique de leadership différente, chaque club ayant trois leaders différents au cours des cinq mois des séries expérimentales. Les données sur le comportement agressif résumées dans cet article sont tirées des deux séries d'expériences. Quelques-unes des techniques utilisées pour l'appareillage des groupes ont été décrites antérieurement 1 , mais elles seront résumées ici avec les améliorations apportées, dans la méthode au cours de la seconde expérience. Avant que soient organisés les clubs, on étudia le groupe de la salle de classe comme un tout. Par la technique sociométrique développée par Moreno 2 , on détermina les relations interpersonnelles des enfants en termes de rejets, amitiés et leadership. On obtint l'évaluation du comportement social (par exemple, taquinerie, parade, obéissance, énergie physique), par le professeur selon des items adéquats, et des observations furent faites par les investigateurs sur le terrain de jeux et dans la salle de classe. Les dossiers de l'école apportèrent des informations sur le statut intellectuel, physique et sur le substrat socio-économique. A partir du grand nombre de volontaires ardents de chaque classe, il fut alors possible de sélectionner dans chaque classe deux clubs de cinq membres qui furent soigneusement égalisés quant aux modes des relations interpersonnelles aux statuts intellectuel, physique et socio-économique, en plus des caractéristiques de personnalité. On n'essaya pas d'égaliser les garçons à l'intérieur d'un club particulier, mais de réaliser la même figure dans chaque groupe considéré comme un tout. En dépit des méthodes décrites ci-dessus pour contrôler par la sélection quelques variables sociales parmi les plus fuyantes, il était essentiel d'utiliser un certain nombre de contrôles expérimentaux qui aideraient à rendre les résultats plus nettement tranchés. 1. R. LlPPITT, « An Expérimental Approach to the Study of Autocracy and Democracy : A preliminary Note », Sociometry 1, 1939, pp. 292-300. 2. J. L. MORENO, « Who Shall Survive ? A New Approach to the Problem of Human Interrelations », Nervous and Mental Disease, monogr. ser. 58, Washington DC, Nervous and Mental Disease Publishing Co., 1934. vol. XVI, p. 437.

K. Lewin : La psychologie des groupes

131

En premier lieu, pour vérifier « l'individualité » du club comme un tout, on étudia chaque groupe dans différentes atmosphères sociales afin qu'il puisse être comparé à lui-même. Une seconde question soulevée par la première expérience était celle concernant la personnalité du leader comme l'un des facteurs dans la création de l'atmosphère sociale. La seconde expérience, avec quatre leaders, rendit possible la comparaison de l'autoritarisme et du démocratisme de quatre différents leaders et de la méthode « laissez-faire » de deux leaders différents. Dans deux cas, on a pu également comparer la même atmosphère créée par deux leaders différents dans le même club. Un autre type de contrôle paraissait très important : la nature de l'activité du club et de l'entourage physique ; utiliser les mêmes salles de clubs (2 clubs se réunissaient au même moment dans des régions adjacentes mais distinctes de la même large pièce) parut résoudre le dernier problème mais la question de l'activité était plus complexe. La technique suivante fut développée : une liste d'activités qui intéressaient tous les enfants fut dressée (par exemple, fabrication de masques, peintures murales, sculpture sur savon, construction de modèles réduits d'avions, etc).. Se réunissant d'abord (chronologiquement), les groupes démocratiques usaient de ces possibilités comme base de la discussion et votaient sur leur activité de club. Les leaders autoritaires étaient alors prêts, quand leur club se réunissait, à lancer la même activité sans choix par les membres. On présenta aux groupes de « laissezfaire » la variété des matériels utilisables, mais ils ne furent pas influencés d'une autre manière dans le choix de leur activité. Dans leurs cas, par conséquent, le facteur activité ne put pas être entièrement contrôlé. Les méthodes contrastées des leaders dans la création des trois types d'atmosphère de groupe peuvent être résumées brièvement comme dans le tableau ci-dessous. Structure du comportement Conduite autoritaire

agressif

Conduite démocratique

Laissez-faire

1. Toute détermination 1. Toute question de po- 1. Toute liberté pour déde politique par le litique est matière de cision du groupe ou moniteur. discussion et de décides individus sans parsion pour le groupe, ticipation du moniteur, encouragé et aidé par le moniteur.

Études

132

Conduite autoritaire

des

petits

Conduite démocratique

groupes

et

pédagogie

Laissez-iaire

2. Techniques et étapes 2. Perspective d'activité 2. Le moniteur fournit de l'activité dictées par établie pendant la pédes matériaux variés ; le moniteur ; un seul riode de discussion si on le lui demande, point est réglé chaque initiale. Les étapes géil fournira des inforfois, les étapes futures nérales vers le but du mations supplémentaidemeurent toujours vagroupe sont esquisres. Il ne prend pas gues pour une large sées ; en cas de besoin, autrement part à la part. le moniteur suggère discussion. deux ou trois techniques parmi lesquelles le groupe peut choisir. 3. Le moniteur, habituel- 3. Les membres sont li- 3. Absence complète de lement, assigne à chabres de travailler avec participation du monique membre son traun camarade de leur teur. vail et ses camarades choix ; la décision des d'équipe. tâches est laissée au groupe. 4. Le « dominateur » est 4. Le moniteur est « ob- 4. Rares commentaires personnel dans ses élojectif » ou « réaliste » sur les activités du ges et ses critiques du dans ses éloges et ses groupe, sauf sur detravail de chaque critiques et essaie d'êmande ; aucune tenmembre, mais reste tre, en esprit, un memtative pour participer, en dehors de la parbre régulier du grouou pour interférer avec ticipation active au pe, sans pour cela acle cours des événegroupe, excepté dans complir une trop granments. la démonstration. Il est de part du travail, amical ou impersonnel plutôt qu'ouvertement hostile. Il

semble clair que,

vu la nature volontaire

de la

participation

au groupe et la coopération des parents et du système scolaire, aucune méthode

radicalement

autocratique

ne fut utilisée

(par

exemple,

menaces, terreur). D e bonnes relations de sympathie en dehors du club furent maintenues par le leader avec chaque membre. Les sortes de données recueillies pendant le cours des expériences peuvent être classées grossièrement ainsi : a) Données avant le club : décrites plus haut en relation avec le problème de l'appareillage des groupes ; b) Observations du comportement dans la situation expérimentale ; c) Informations recueillies en dehors du club. Les observations du comportement de club consistaient en : a) U n compte rendu continu des interactions sociales des cinq enfants et du leader en termes de symboles pour les approches et réponses directives, accommodantes

et objectives, comprenant

une

catégorie de refus intentionnel de répondre à une approche sociale ;

K. Leivin : La psychologie

des groupes

133

b) Une analyse minute par minute de la structure du groupe donnant un enregistrement des activités de sous-groupement, le but de l'activité de chaque sous-groupe était indiqué par le leader ou spontanément formé par les enfants ; et des évaluations du degré d'unité de chaque sous-groupe ; c) Un compte rendu continu et interprétatif des actions significatives des membres et des changements dans la dynamique du groupe considéré comme un tout ; d) Un compte rendu sténographique continu de toute conversation ; e) Un compte rendu continu et interprétatif des relations interclubs ; f) Une esquisse « impressionniste » du leader sur ce qu'il a vu et senti de l'intérieur de l'atmosphère de groupe pendant chaque réunion ; g) Les commentaires d'observateurs invités ; h) Des enregistrements cinématographiques de plusieurs séquences de la vie de club. Toutes ces observations (excepté f , g, et h) furent synchronisées par intervalles d'une minute de façon que côte à côte elles fournissent une image transversale plus complète du déroulement de la vie du groupe. Le principal but de cette expérience dans la méthodologie d'observation était d'enregistrer aussi pleinement et avec autant d'« insight » que possible le comportement total du groupe, s'écartant nettement des procédés usuels d'enregistrement exclusifs de certains symptômes prédéterminés de comportement. Le second but était de vérifier si les données obtenues par cette méthode pouvaient être analysées avec fécondité à la fois d'un point de vue psychologique et sociologique. Les informations extra-club sont du type suivant : a) Entretiens avec chaque enfant par une personne amie « non club », pendant chaque période transitoire (d'une espèce d'atmosphère de groupe et de leader à l'autre) et à la fin de l'expérience, concernant des sujets tels que : la comparaison du leader actuel avec les précédents, avec le professeur et avec les parents ; des opinions sur les activités de club ; comment cela pourrait-il aller mieux ; quels étaient les membres du club les meilleurs et les moins bons ; à quoi ressemblerait un leader idéal, etc. ; b) Entretiens avec les parents par les investigateurs portant sur les sortes de discipline utilisées à la maison, le statut de l'enfant dans

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Études des petits groupes et pédagogie

le groupe familial (relations avec frères et sœurs, etc.) ; évaluation de la personnalité sur la même échelle utilisée par les professeurs, discussion de l'attitude de l'enfant à l'égard du club, de l'école et d'autres activités de groupe ; c) Conversations avec les professeurs concernant le transfert dans la salle de classe des modes de comportement acquis dans le club ; d) Administration d'un Rorschach à chaque membre du club ; e) Conversations avec les enfants pendant deux promenades d'été organisées après la fin de l'expérience. Ces données furent rassemblées en vue de corréler les modes de comportement individuel dans la situation de club avec les types d'appartenance à un groupe qui existaient en dehors de l'expérience et avec la structure plus ou moins stable de la personnalité. Les différences individuelles dans la « plasticité sociale » semblent être plus frappantes. Deux autres points de technique expérimentale paraissent être intéressants. Le premier concerne l'introduction d'observateurs dans la situation du club. Dans la première expérience de Lippitt, on avait trouvé que quatre observateurs groupés autour d'une table dans une partie physiquement séparée de la salle de club, n'attiraient virtuellement aucune attention s'il était expliqué à la première réunion que « voilà quelques personnes désireuses d'apprendre comment marche un club de fabrication de masques ; ils ont beaucoup à faire aussi ils nous laisseront tranquilles et nous les laisserons tranquilles ». Dans la seconde expérience, la disposition était même plus avantageuse et paraissait favoriser un comportement également non conscient de soi de la part des clubs. Dans ce dispositif, l'éclairage était arrangé de telle sorte que les observateurs étaient groupés derrière un mur de toile bas dans une région obscure et paraissaient « ne pas exister du tout » pour autant qu'il s'agissait des garçons et des leaders. Le second point d'intérêt est le développement d'un nombre de situations « tests de groupe », qui aidèrent considérablement à obtenir la dynamique sociale actuelle d'une atmosphère de groupe donnée. Un test utilisé systématiquement était pour le leader de quitter la pièce au travail pendant le cours d'une réunion de club, afin que le facteur « pression sociale » puisse être analysé d'une façon plus réaliste. Une autre pratique fut pour le leader d'arriver quelques minutes en retard afin que les observateurs puissent noter les différences individuelles et « atmosphériques » dans la mise au travail spontanée et la perspective de travail.

K. Lewin : La psychologie

des

groupes

135

Une troisième technique fructueuse était de faire entrer un étranger (un étudiant diplômé qui jouait le rôle d'un portier ou d'un électricien) dans la situation de club, qui critiquait les efforts du groupe de travail. On peut avoir une image plus dramatique des résultats de ce type de situation dans les figures 5 et 6. Des variations plus poussées de telles manipulations expérimentales sont utilisées dans une recherche actuellement en cours. Résultats L'analyse des résultats de la seconde expérience est maintenant en cours dans diverses directions, suivant deux tendances principales : a) Interprétation des données sociologiques ou centrées sur le groupe. b) Interprétation des données psychologiques ou centrées sur l'individu. L'approche sociologique comprend des analyses telles que les différences dans le volume des interactions reliées selon l'atmosphère sociale, selon la nature de l'activité du club, selon les relations hors du groupe, les différences dans les modes d'interaction, selon l'orientation « in group » ou « out group », les différences d'atmosphère dans les relations leader-groupe, l'effet sur la structuration du groupe de l'atmosphère sociale et des types d'activité, les différences de groupe dans le comportement de langage, etc. L'approche psychologique comprend des analyses telles que la relation du substrat domestique avec le mode de comportement de club, l'étendue de variation du comportement des membres dans différents types d'atmosphère sociale, les modes de réaction individuelle aux transitions d'atmosphère, en relation avec les données géographiques, la corrélation entre la position dans la stratification de groupe et les modes d'action sociale, etc. Dans cet article seront présentées seulement certaines données de l'analyse générale partiellement complétée, qui sont applicables à la dynamique de l'agression individuelle et de groupe. Nous devons d'abord rappeler un ou deux des résultats les plus frappants de la première expérience 3 . Lorsque les réunions des clubs avançaient, les membres du club autoritaire développèrent un mode de domination agressive les uns 3. R. LIPPITT, « An experimental Study of Authoritarian and Democratic Group Atmospheres », Studies in Topological and Vector Psychology : University of Iowa Studies in Child Welfare, 16, 1940, pp. 45-195.

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Études

des petits

groupes

et

pédagogie

envers les autres, et leur relation avec le leader était de soumission ou de demandes persistantes d'attention. Les interactions dans le club démocratique étaient plus spontanées, bienveillantes et amicales, les relations avec le leader étaient libres et sur une base d'égalité. Comparant les deux groupes sur le seul sujet de l'hostilité ouverte le groupe autoritaire était étonnamment plus agressif, la proportion étant de 4 0 pour 1. En comparant une constellation de types « engagés » 4 de comportement de langage (par exemple : hostiles, expression de compétition) avec un groupe de comportements objectifs ou « non émotifs », on trouva que, dans le groupe autoritaire, 73 % du comportement de langage analysé étaient du type « engagé » en regard des 31 % dans le club démocratique. Dans la catégorie objective : 69 % du comportement du groupe démocratique en regard des 37 % des activités de langage du groupe autoritaire. Un second type de données en relation avec la dynamique de l'agression telle qu'elle se présente dans la première expérience se voit sur la figure 1. 40

/

a

30

40

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30

f

20

20

h»«] 1

2

4

5

G 7

8

9 10 11

Groupe A Groupe B Récipiendaires de comportement dominateur

FlG. 1. Apparition des boucs émissaires dans une atmosphère autocratique (LlPPITT, 1937)

Les courbes qui indiquent la quantité d'agression dirigée contre chaque individu manifestent un niveau général beaucoup plus bas de comportement dominateur dans le groupe démocratique D que dans le groupe autocratique A. Deux fois pendant les réunions du club autoritaire, l'agression de quatre membres fut localisée sur le cinquième (a et b). Dans les deux cas, les boucs émissaires sortirent du groupe immédiatement ou peu après.

Deux fois pendant le cours des réunions du club autoritaire, la situation changea, d'une agression mutuelle entre tous les membres vers une agression des quatre autres concentrée sur un seul membre. 4. Trad, de ego involved

(N.d.l.j.

K. Lewin

: La psychologie

des

137

groupes

Dans les deux cas, le statut abaissé de la position de bouc émissaire était si vivement désagréable que le membre quitta le groupe, rationalisant son abandon du club par des remarques telles que : « Le docteur m'a dit que mes yeux étaient si mauvais que je dois jouer dehors au soleil au lieu de venir aux réunions du club. » Il est assez intéressant de noter que les deux autres membres qui furent choisis pour la persécution avaient été évalués par les professeurs comme les deux leaders du groupe, l'un d'eux se classant second en popularité par la technique sociométrique, tout en étant aussi physiquement le plus fort. Après l'émergence des deux boucs émissaires, il y eut une pointe assez brève de comportement amicalement coopératif entre les autres membres du groupe. Dans la deuxième expérience (voir la discussion 40 précédente), il y eut cinq « atmosphère démocratilaissez-faire. Moyenne 1338 que », cinq « atmosphère autocratique » et deux 30 « laissez-faire ». Le fait que les leaders réussisent à modifier leur comportement Démocratie 20 pour correspondre à ces 1338 trois philosophies du leadership se dégage de plusieurs indices quantitatifs. io Pour le moment, le rapport entre le comportement Démocratie 1937 ~ « directif » et le comportement « accommodant », jCCT. de la part des leaders autocratiques était 63 pour 1 ; Leaders o /V : i de la part des leaders déA mocratiques, le rapport était 1937 1938 1 - 1 pour 1. La somme toFlG. 2. Agression en autocratie tale de participations du La quantité d'agression est soit très grande, leader dans le « laissezsoit très petite, comparée avec l'agression faire » était moitié moins en démocratie. grande qu'en démocratie ou en autocratie. Les données sur les moyennes d'agression dans ces trois atmosphères sont résumées dans les figure 2, 3 et 4.

1

I

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Études des petits groupes et

pédagogie

Toutes indiquent la quantité moyenne d'agression par des réunions des clubs de cinq. Elles représentent les enregistrements de comportement pris par l'observateur, et comprennent toutes les actions sociales, à la fois verbales et physiques, qu'il désignait comme « hostile » ou « plaisanterie hostile ». La figure 2 manifeste spécialement le caractère bimodal des moyennes d'agression dans l'autocratie. Quatre des cinq autocraties ont un niveau extrêmement bas d'agression et le cinquième un extrêmement haut. Pour la comparaison, une sixième colonne a été ajoutée qui représente l'agression dans l'expérience de Lippitt ( 1 9 3 7 ) , et elle est calculée sur la même base. Elle est évidemment comparable avec le cas unique de comportement exceptionnellement agressif dans l'expérience de 1938. Pour comparer également, quatre lignes ont été ajoutées qui indiquent le niveau d'agression dans les deux groupes « laissez-faire », dans les quatre démocraties de 1938 et dans la démocratie de Lippitt de 1937. On peut voir que deux des six autocraties sont au-dessus de l'éventail de toutes ces démocraties et sont à ce titre comparables avec les deux groupes « laissez-faire ». Les quatre autres autocraties sont à l'extrême opposé au-dessus de l'éventail de toutes les démocraties. Les figures 3 et 4 montrent spécialement le caractère des contrôles expérimentaux. Toutes les deux, elles montrent comment chacun des quatre groupes traversa trois périodes différentes avec trois leaders adultes différents. L'importance relative des atmosphères sociales, délibérément créées, comparée avec, soit la personnalité artificielle du groupe, soit la personnalité du leader adulte, peut être estimée à partir du caractère de ces courbes. Il est clair que le même groupe change habituellement de façon marquée, et quelquefois à un degré extrême quand il est versé dans une atmosphère nouvelle avec un leader différent. Dans de telles transitions, le facteur « personnel du groupe » est tenu relativement constant, tandis que les facteurs de personnalité du leader et l'atmosphère sociale sont variés. En plus, le facteur de personnalité du leader était systématiquement varié, comme on peut le voir en comparant les quatre courbes entre elles. Chacun des quatre leaders joua le rôle de leader démocratique au moins une fois ; également chacun joua le rôle d'un autocrate au moins une fois. Deux d'entre eux (Adler et White) jouèrent en plus le rôle de spectateurs, dans un groupe de « laissez-faire ». Un leader (Lippitt) fut démocratique avec deux groupes différents, et

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AGRESSIONS DANS LES Première

Moyenne

Jour

GROUPES Seconde

Moyenne

139

I El

II Jour

Troisième

Moyenne

FlG. 3. Le même groupe dans différentes atmosphères Dans chaque groupe l'agression était à un niveau moyen en démocratie, et à un très bas niveau en autocratie. Notez que les « leaders », dans la troisième période étaient les mêmes que dans la première mais inversés. Notez aussi le vif éveil d'expression dans un groupe le jour de transition vers la démocratie. Le groupe I montre une « libération de tension » le premier jour de liberté (14) après l'autocratie apathique. Le nom du leader est indiqué en dessous de celui de l'atmosphère. Groupe I : « agents secrets » ; Groupe II : « club Dick Tracy » — . — . Laissez-faire ; — — — Démocratie ; Autocratie

un autre (Candless) fut autocratique avec deux groupes différents. A travers cette variation systématique et combinée du personnel du club et de la personnalité du leader, les effets des climats sociaux délibérément créés (autocratique, démocratique et « laissez-faire ») ressortent plus clairement et plus fidèlement qu'il n'eût été possible autrement. Dans la figure 3, pour l'instant, les deux courbes réunies racontent la même histoire ; une quantité modérée d'agression en démocratie et une quantité anormalement petite en autocratie, indépendamment de la personnalité du leader (notez que les rôles de Lippitt et Candless furent interchangés, chacun jouant une fois le rôle d'autocrate et une fois le rôle de leader démocratique), et indépendamment de la composition du groupe lui-même (les courbes se croisent d'abord

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Études des petits

groupes

et

pédagogie

ADRESSIONS DANS LES GROUPES III ET IV

fìèun/ons2.-6.

Moyenne

7.-13. Moyenne

Fig. 4. Le même groupe dans différentes

14.

14.-19.

Moyenne

atmosphères

Le groupe IV manifeste des changements de niveaux typiques, pour chaque atmosphère. Il manifeste aussi la « libération de tension », le premier jour de liberté (7) après l'autocratie apathique. Le groupe III paraissait résistant au changement ; il était relativement agressif, même en démocratie. Groupe I : « agents secrets » ; II : « club Dick Tracy » —. —. Laissez-faire ; — — — Démocratie ; Autocratie

une fois quand les atmosphères sont changées et se recroisent quand les atmosphères reviennent à ce qu'elles étaient au début). Dans la figure 4, les deux atmosphères « laissez-faire » donnent de très hauts niveaux d'agression, quoique différents groupes et différents leaders y soient impliqués. Le changement de comportement le plus extrême qui fut enregistré dans aucun groupe se produisit quand le groupe IV passa de l'autocratie (dans lequel il avait montré une réaction apathique) au « laissez-faire ». Un des groupes autocratiques (fig. 4) réagit d'une façon apathique, les autres très agressivement. L'agressivité du groupe III peut être due à la personnalité des garçons ou au fait qu'ils avaient eu « la bride relâchée », dans le « laissezfaire ».

K, Lewin ; La psychologie des groupes

141

Le nombre moyen d'actions agressives par réunion dans les différentes atmosphères était : « « « «

Laissez-faire » Autocratie » (réaction agressive) Démocratie » Autocratie » (réaction apathique)

38 30 20 2

La signification de ces comparaisons n'a pas encore été calculée. Les données sont comparables cependant avec celles de Lippitt en 1937, dans lesquelles les rapports de signification pour les plus importants indices se trouvaient entre 4,5 et 7,5. Dans l'interprétation de ces données, est-il naturel de demander : pourquoi les résultats pour l'autocratie sont-ils paradoxaux ? Pourquoi la réaction à l'autocratie est-elle tantôt très agressive, avec beaucoup de rébellion ou de persécution des boucs émissaires et tantôt non agressive ? La dynamique sous-jacente à ces deux cas est-elle aussi différente que le comportement superficiel ? Le haut niveau d'agression dans quelques autocraties a souvent été interprété principalement en termes de tension, qui sans doute résulte de la frustration des buts individuels. Est-ce alors une indication de non-frustration quand le niveau d'agression dans quelques autres autocraties se trouve être très bas ? Quatre lignes d'évidence dans nos expériences indiquent que ce n'est pas le cas, et que le bas niveau d'agression dans les autocraties apathiques n'est pas dû au manque de frustration. En premier lieu, il y a les explosions brusques d'agression qui se produisent les jours de transition d'une atmosphère autocratique répressive vers l'atmosphère plus libre de démocratie ou de laissezfaire. Deux d'entre elles sont bien illustrées dans la figure 4. Les garçons se comportent exactement comme s'ils avaient été auparavant dans un état de stockage, de tension qui ne pouvait se manifester elle-même ouvertement, aussi longtemps que l'influence répressive de l'autocrate était ressentie, mais qui explosait immanquablement quand cette pression était supprimée. On peut obtenir un second type très similaire d'évidence à partir des enregistrements des jours où le leader quitta la pièce pour dix ou quinze minutes. Dans les trois autres atmosphères (laissezfaire, autocratie agressive, démocratie), le niveau d'agression ne s'élevait pas quand le leader quittait la pièce. Cependant, dans l'autocratie apathique, le niveau d'agression croissait très rapidement jusqu'à

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Études des petits groupes et

pédagogie

dix fois son niveau antérieur. Ces données ne doivent pas être exagérées parce que l'agression même ici ne s'élève pas à un niveau significativement au-dessus de celui des autres atmosphères. Il est si bas dans l'atmosphère apathique que même la multiplication par 10 ne donnerait pas ce qu'on pourrait appeler un haut niveau d'agression. (L'effet de l'absence du leader se voit plus significativement dans une détérioration du travail que dans une explosion d'agression.) Néanmoins, la rapide disparition de l'apathie quand le leader sort montre clairement qu'elle était due à l'influence répressive du leader plutôt qu'à une absence de frustration. A ce propos, on doit ajouter que le leader autocratique n'a jamais interdit l'agression. Son « influence répressive » n'était pas une prohibition créée par des ordres explicites, mais une sorte d'inhibition généralisée ou de force restrictive. En troisième lieu, il y a les jugements des observateurs qui se trouvèrent employer des termes tels que « triste », « sans vie ». « soumis », « réprimé », « apathique » en décrivant la réaction non agressive à l'autocratie. Il y avait peu de sourire, de plaisanteries, de liberté de mouvement, de liberté d'amorcer de nouveaux projets, etc, la conversation était largement confinée dans l'activité immédiate en cours, et une tension corporelle se manifestait souvent. Les films racontent la même histoire. L'impression créée n'était aucunement celle d'un mécontentement aigri, et les activités ellesmêmes étaient apparemment assez réjouissantes pour que le résultat net pour la plupart des garçons fût plus agréable que désagréable. Néanmoins, ils ne pouvaient pas être décrits comme étant réellement contents. La quatrième et peut-être la plus convaincante indication de l'existence de la frustration dans ces atmosphères est le témoignage des garçons eux-mêmes. Ils furent interrogés individuellement, juste avant chaque jour de transition vers une nouvelle atmosphère et de nouveau à la fin de l'expérience entière. L'entretien fut mené par un adulte n'ayant pas servi comme leader dans le propre groupe du garçon. En somme, un bon rapport fut réalisé et les garçons parlèrent assez librement, comparant les trois leaders qui avaient conduit leur club (pour eux 11 était question de comparer les leaders qu'ils aimaient ou n'aimaient pas, puisqu'ils n'étaient pas avertis du changement délibéré de comportement du même leader d'une atmosphère à l'autre ou de la nature de l'expérience). Avec une unanimité surprenante les garçons

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des groupes

143

manifestèrent une antipathie relative pour leur leader autocratique sans égard pour sa personnalité individuelle ; 12 sur 20 garçons préféraient leur leader en démocratie à leur leader en autocratie. Le vingtième garçon, par hasard, était le fils d'un officier d'armée (le seul dans le groupe), et conférait consciemment une haute valeur à une discipline stricte. Comme il l'exprima, le leader autocratique était plus strict, et j'aime assez cela. Les 2 autres leaders nous laissaient nous battre et ce n'est pas bien. Pour les 19 autres, la rigueur n'était pas nécessairement une vertu, leur description de l'autocrate étant qu'il était trop strict. Les commentaires typiques, à propos de l'autocrate, furent : « il ne nous laissait pas faire ce dont on avait envie », « il ne nous laissait pas aller derrière la tenture », « nous avions juste à faire des choses, il voulait que nous les ayons faites en vitesse », « il nous faisait faire des masques, et les garçons n'aimaient pas cela », « les deux autres types suggéraient quelque chose, et nous pouvions le faire ou pas, mais pas avec lui », « nous n'avons pas eu d'amusement avec lui, nous ne nous sommes jamais battus ». Les commentaires typiques à propos du leader démocratique furent : « C'était un bon type, qui travaillait avec nous et pensait comme nous », « il n'a jamais essayé d'être le patron, mais nous avions toujours beaucoup à faire », « justement l'association correcte », « rien que je n'aurai pas aimé chez lui », « nous l'aimions tous, il nous laissait arracher la tenture, et n'importe quoi ». Ces réflexions furent toujours dépendantes du rôle joué par le leader et furent exactement interchangées quand il jouait un rôle différent. De même, entre les leaders en autocratie et en laissez-faire, la préférence fut pour le « laissez-faire » dans 7 cas sur 10. Le« 3 garçons qui préféraient l'autocratie firent des réflexions à propos du leader « laissez-faire », telles que : « il était trop peu exigeant », « il avait trop peu de choses à nous faire faire », « il nous laissait trop calculer les choses », au contraire, l'autocrate « nous disait quoi faire, et nous avions toujours quelque chose à faire ». Pour les 7 autres, même le désordre était préférable à la rigidité. « Avec lui, nous pouvions faire ce qui nous plaisait », « il n'était pas sévère du tout ». Une autre forme d'agression était l'hostilité « out group », comme elle se manifesta spécialement dans deux guerres entre clubs se réunissant dans la même grande pièce et au même moment. Les deux guerres paraissaient avoir lieu surtout dans un esprit de jeu. Cela ressemblait beaucoup plus à des batailles de boules de neige qu'à des conflits sérieux (ceci est une raison de plus pour que, dans ce cas, on soit

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Études des petits groupes et pédagogie

FlG. 5. Conflit entre groupes après l'intrusion d'un étranger hostile Après le départ de l'étranger une forte hostilité se développe entre les 2 groupes. Avant le conflit moyen, des hostilités mineures s'étaient déjà produites avec un ou deux membres du groupe « laissez-faire » jouant le rôle d'agresseurs. 1. Laissez-faire, White ; 2. Démocratie, Adler

prudent en comparant les phénomènes politiques adultes directement avec nos données sur de petits groupes d'enfants). Nos deux « petites guerres » sont cependant intéressantes en elles-mêmes, spécialement parce que la même constellation générale de facteurs semble être opérante dans les deux cas. Les courbes d'hostilité croissante, calculées par intervalles de cinq minutes, se voient dans les figures 5 et 6. On peut voir à partir de ces courbes que la première guerre partit graduellement, avec une longue période de petites disputes et d'injures, suivie par un gradient plus raide d'hostilité croissante. Les hostilités ouvertes consistaient en jets d'eau, de petits morceaux d'argile qui presque toujours manquaient leur but), et parfois d'eau de peinture, lancée du bout d'un long pinceau. Aucune ne fut brutale. Le second conflit (fig. 6) commença beaucoup plus soudainement. Les injures commencèrent

K. Lewin : La psychologie

des

F l G . 6. Conflit entre groupes

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groupes

après l'intrusion

d'un étranger

hostile

L'intrusion d'un étranger hostile fut suivie par un conflit intergroupe (comme dans la fig. 5). Dans ce cas-ci, les hostilités commencèrent soudainement, montant en 4 minutes jusqu'à leur niveau le plus élevé. 1. Démocratie, Lippitt; 2. Démocratie,

McCandless

dans la première minute qui suivit le départ de « l'étranger hostile », et presque immédiatement les garçons parurent se rappeler leurs conflits antérieurs et souhaiter leur répétition. Commençant avec des agressions verbales telles que : « Pourquoi n'apprenez-vous pas à parler... » ; ils passèrent environ 3 mn à jeter de petits morceaux de savon (des petits morceaux de statuettes en savon qu'ils avaient sculptées traînaient par terre) et, en 5 mn environ, presque tous les garçons, des deux côtés, participaient de tout cœur. Cette différence de raideur du gradient d'hostilité fut peut-être due en partie à un plus haut niveau de tension ou à de plus faibles forces restrictives dans le dernier cas, mais elle paraît être due aussi à une différence cognitive. Dans le dernier cas, le mode de conflits intergroupe avait été établi ; c'était, depuis une partie de la « structure cognitive » des garçons, une région clairement définie où ils

146

Études des petits groupes

et

pédagogie

pouvaient pénétrer ou non comme ils le choisissaient ; et, puisqu'ils avaient trouvé la première guerre « très agréablement excitante », ils rentrèrent volontiers et rapidement dans la même région lorsque la situation psychologique générale fut favorable au conflit. Sous cet angle, nous devons noter que le second conflit fut étiqueté verbalement presque immédiatement, tandis que le premier ne l'a pas été jusqu'à ce qu'il fût bien en train. La première fois, le cri : « faisons la guerre » vint longtemps après que les hostilités mineures eurent commencé. La deuxième fois, un garçon s'écria : « battons-nous » seulement deux minutes après que les injures avaient commencé et un autre légalisa cela deux minutes après avec les mots : « C'est une guerre, très bien ! » Certaines similitudes entre les deux jours de conflits suggèrent quelques hypothèses timides sur les facteurs psychologiques favorables à cette sorte de conflit. En premier lieu, les deux se produisirent les jours où, le leader adulte étant absent, un étranger hostile était venu dans la pièce et avait critiqué le travail que les garçons étaient en train de faire : ceci avait été délibérément établi comme un test de situation ; un étudiant diplômé, jouant le rôle d'un portier ou d'un électricien, était l'étranger hostile. Il peut être douteux que le terme « objet substitut de haine » soit ou non approprié ici ; mais il n'était pas douteux dans l'esprit des observateurs que, dans les deux cas, l'intrusion de l'étranger tendait à désorganiser les activités régulières de jeu des clubs et à constituer une condition psychologique tendue, agitée, inquiète, qui était favorable à un conflit intergroupe. En second lieu, les deux conflits se déclenchèrent quand aucun adulte respecté n'était présent. Dans le premier, les principaux agresseurs étaient indubitablement ceux du groupe « laissez-faire ». Leur leader était physiquement présent à ce moment, mais il était psychologiquement peu important. Le second conflit commença quand les leaders des deux côtés furent hors de la pièce et, avant qu'ils ne reviennent, il s'était écoulé beaucoup de temps. En troisième lieu, les deux conflits se produisirent à un moment où il n'y avait à choisir aucune activité de groupe absorbante. Le premier commença à un moment où les membres du groupe « laissez-faire » paraissaient inhabituellement ennuyés et mécontents de leur propre carence de réalisation. Le second commença après que les garçons furent quelque peu ennuyés de leur sculpture de savon et après que cette activité individuelle eut été en outre interrompue par les critiques de l'étranger. La libre expression directe de l'agression par les guerres suivant une frustration dans les situations démocratiques et « laissez-faire » offre

K. Lewin : La psychologie

des groupes

147

un contraste avec plusieurs autres modes d'expression qui furent observés dans quelques situations autoritaires. Ces types de comportement peuvent être brièvement étiquetés : a) Une grève ; b) Des actes de rébellion ; c) Agression réciproque parmi tous les membres ; d) Attaque des boucs émissaires ; e) Libération de comportement après une diminution de la pression du leader ; f) Agression contre des « objets de haine » substituts impersonnels. A la fois la « grève » et les symptômes d'actes de rébellion se produisirent dans le type d'autocratie agressive. Vers le milieu de la série des six réunions, les membres du club vinrent vers leur professeur avec une lettre de démission signée par quatre d'entre eux. Ils demandèrent à leur professeur de la donner au leader quand il viendrait les chercher après la classe. Le professeur refusa d'agir comme un intermédiaire, suggérant que les garçons aillent directement vers le leader, mais, quand il apparut après la classe, leur courage parut s'évanouir et ils allèrent tous à la réunion comme d'habitude. Les actes ouverts de rébellion étaient de la nature suivante : enfreindre une règle en sculptant les montants de bois dans la salle de club (tout en regardant du coin de l'œil le leader), marcher délibérément derrière les tentures de la salle de club, sans permission (mentionnée à un interviewer), quitter la réunion de club de bonne heure et prétendre ne pas avoir entendu quand le leader leur avait parlé. La troisième et la quatrième sorte de comportement étaient aussi typiques de l'autoritarisme agressif et ont été mentionnés en décrivant la première expérience pendant laquelle deux boucs émissaires émergèrent. Comme on l'a dit, les changements dans la quantité d'agression, lorsque le leader était sorti et pendant les jours de transition vers une atmosphère plus libre, étaient spécialement de bons indices de l'existence d'une tension inexprimée dans les autocraties apathiques. [...] Commentaires

interprétatifs

Nous ne discuterons qu'un seul des nombreux problèmes théoriques impliqués : le problème de l'agression et de l'apathie. Même là, nous souhaitons montrer la complexité du problème et son approche possi-

148

Études des petits groupes et pédagogie

ble à partir du point de vue de la théorie du champ plutôt que d'avancer une théorie définie. Il n'est pas facile de dire ce qu'est l'agression si l'on n'est pas satisfait d'une simple définition verbale. U n aspect important est évidemment qu'un groupe ou un individu à l'intérieur d'un groupe se tourne contre un autre groupe (ou individu). Dans le cas où ces groupes sont des sous-groupes d'un seul groupe originel, on peut parler d'agression à l'intérieur d'un groupe, autrement d'agression contre un out group. Les deux sortes d'agression se produisirent dans nos expériences. Elles furent toutes de caractère spontané. En d'autres termes, ce n'était pas une situation où un groupe de personnes avaient l'ordre d'un pouvoir politiquement dominant (comme l'Etat) de se livrer à un certain type d'activité dirigée, appelée guerre. En somme, l'agression était la conséquence de la situation émotionnelle du moment, et cependant dans deux cas, les agressions avaient le caractère défini d'un combat d'un groupe contre un autre et manifestaient une certaine quantité d'organisation à l'intérieur de chaque groupe. Il est nécessaire de mentionner quatre points qui paraissent jouer un rôle dominant dans l'agression spontanée : la tension, l'espace de libre mouvement, la rigidité de structure du groupe et le style de vie (culture). [...]

La création des changements permanents a. Changement des champs de force Quand on discute des moyens d'amener un état de choses désiré, on ne doit pas penser en termes de « but à atteindre », mais plutôt en termes de « changement à partir du niveau présent vers le niveau désiré ». Ainsi la discussion sous-entend qu'un changement planifié consiste à remplacer le champ de force correspondant à un équilibre au niveau initial V par un champ de force ayant son équilibre au niveau désiré V. Il faut souligner que l'on doit changer le champ de force dans sa totalité au moins dans la région entre V et V. Les techniques de modification d'un champ de force ne peuvent pas être entièrement déduites de sa représentation en espace de phase. Pour modifier le niveau de rapidité d'une rivière, il faudra rétrécir ou élargir son lit, le rectifier, lui faire éviter les rochers, etc. Pour décider quelle est la meilleure façon d'opérer tel changement, il ne suffit pas

K. Le tv in : La psychologie des groupes

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d'envisager une seule propriété. Il faut examiner les circonstances dans leur totalité. De même pour modifier un équilibre social, on doit considérer le champ social total : les groupes et sous-groupes intéressés, leurs relations, leurs systèmes de valeurs, etc. La constellation du champ social comme totalité doit être étudiée et réorganisée de façon que les événements sociaux s'écoulent différemment. L'analyse au moyen de l'espace de phase indique quel est le type d'effet à accomplir plutôt que la façon dont on doit le réaliser. b. Les processus quasi stationnaires et les habitudes sociales Influencer une population pour provoquer un changement tel que la substitution de la consommation du pain noir à celle du pain blanc signifie que l'on essaie de briser une « coutume » ou une « habitude sociale » bien établie. Les habitudes sociales sont considérées d'ordinaire comme des obstacles au changement. Quelle est la signification d'une habitude sociale dans le langage des champs de force et que signifie « briser » une habitude ? Si l'on considère un processus quasi stationnaire comme étant déterminé par un équilibre quasi stationnaire, on s'attendra à ce que toute force ajoutée change le niveau. Nous savons que la force résultante à un niveau présent L est zéro (/* l,x — 0). Ajouter la force | f* l, n | > 0 devrait déplacer le niveau dans la direction de « à un niveau différent (L + A). La quantité de changement A est déterminée par l'équation : | / * (L + Ah L | = | / * L, n | L'idée d' « habitude sociale » semble impliquer qu'en dépit de l'application de la force f l, n le niveau du processus social changera moins que A, à cause d'une sorte de « résistance interne » au changement. Pour surmonter cette résistance interne, une force additionnelle semble être requise, force suffisante pour « briser l'habitude », pour « décristalliser » la coutume. On pourrait essayer de nier l'existence d'une telle « résistance interne au changement » en dehors des habitudes sociales. Peut-être les habitudes sociales renvoient-elles simplement aux cas de gradients tellement raides que l'addition de la force f l, n n amène pas de changement notable. Une telle interprétation suffit à peine. Au mieux, elle transforme le problème de l'habitude en la question suivante : pourquoi le champ de force résultant a-t-il un gradient aussi raide au voisinage immédiat de L" ? La théorie des habitudes sociales répond que la constance historique crée un « champ de force additionnel » qui tend à maintenir le

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Études des petits groupes et pédagogie

niveau présent, en plus des forces quelconques qui maintiennent le processus social à ce niveau. Deux propositions sont impliquées dans une telle théorie : l'une, affirmant l'existence d'un « champ de force additionnel », l'autre, concernant son origine historique. Nous sommes ici surtout intéressés par la nature du champ de force additionnel. La vie sociale se déroulant à un certain niveau amène fréquemment l'établissement d'institutions organisationnelles. Elles deviennent équivalentes aux « intérêts acquis » à un certain niveau social. Une seconde source possible des habitudes sociales est liée au système de valeurs, à Xethos d'un groupe. Nous devons discuter ceci plus en détail. c. Conduite individuelle et normes de groupe En discutant des champs de forces, nous avons envisagé soit un individu, soit un groupe dans sa totalité, comme étant le « point d'application » de la force. Considérons maintenant la relation entre les individus et le niveau des processus sociaux. Un individu P peut diverger dans son niveau de conduite personnel (L p ) d'avec le niveau qui représente les normes de groupe (LGr) par une certaine quantité n (| LGr — L p | = n). Une telle divergence est permise ou encouragée dans différentes cultures à différents degrés. Si l'individu essayait de diverger par trop d'avec les normes de groupe, il se trouverait lui-même dans des difficultés croissantes. Il serait ridiculisé, traité sévèrement, et finalement exclu du groupe. La plupart des individus par conséquent se conforment assez étroitement aux normes des groupes auxquels ils appartiennent ou désirent appartenir. En d'autres termes : le niveau de groupe n'est pas seulement un niveau d'équilibre résultant des forces quelconques fT,,g et /M, que les circonstances fournissent. Le niveau acquiert fréquemment une valeur par lui-même. Il devient une valence positive correspondant à un champ de force central, avec la force fpj, maintenant l'individu en accord avec les normes du groupe. d. Niveaux de groupe avec et sans valeur sociale et résistance au changement Quoique le caractère de valeur d'un niveau de groupe soit assez commun, il n'est pas valable pour tous les types de processus. Par exemple, peu d'individus savaient que le niveau de remboursement des bons de guerre entre avril 1943 et août 1944 était d'environ 1 %. Les valeurs qui entraient dans la décision de se faire rembourser n'impliquaient pas la valeur de maintenir le taux de rembourse-

K. Lewin

: La psychologie

des

151

groupes

ment, ni au-dessus, ni en dessous de ce niveau. A cet égard, cette situation est entièrement différente, par exemple, de la situation d'un individu qui essaie de se maintenir au niveau d'une équipe de travail. Quelle que soit la raison pour laquelle un certain niveau acquiert ou non une valeur, la différence est importante pour un problème de changement. Supposons que, pour deux groupes Gr et Gr1, le champ de force résultant corresponde à la figure 7 b, si nous ne tenons pas compte de la valeur sociale de L. Dans le cas de Gr1, mais pas dans le cas de Gr, nous supposons que le niveau L a une valeur sociale pour ses membres. Cette valeur correspondrait au champ de force représenté dans la figure 7 a. Supposons qu'une force f soit appliquée sur l'individu pour changer sa conduite vers g. Dans Gr1, la quantité de changement sera déterminée par le gradient de la force, opposée f (L + njj s' dans Gr par les forces opposées combinées j tt + n>, g + j P,L (fig. 7 c). Ce qui signifie • Grand

fp(L4m

'"-

j i 1 JW,.s

I i I !fPl.

f

,g*fp"--"',L

î f(L-m),g

b) Forces exercées sur les normes du groupe et tendant à l'abaissement ou à l'élévation du niveau.

c) Champ de forces résultant de la sommation de c et b.

FIG. 7. Champs de force lorsque les normes de groupes de valeur sociale

ont et n'ont

pas

Plus grande est la valeur sociale d'une norme de groupe, plus grande est la résistance d'un individu membre du groupe à s'écarter de ce niveau. De nombreux cas d ' « habitudes sociales » semblent renvoyer à des

152

Études des petits groupes et

pédagogie

normes de groupe avec une valeur sociale et la résistance au changement peut fréquemment être expliquée par le théorème. Si cette théorie est correcte, on peut faire certaines dérivations sur la rupture des habitudes sociales. e. Procédés individuels conduite sociale

et procédés

de groupe

pour changer la

Si la résistance au changement dépend en partie de la valeur des normes de groupe pour l'individu, la résistance au changement devrait diminuer si l'on utilise un procédé qui diminue la puissance de la valeur de la norme de groupe ou qui change le niveau qui est perçu par l'individu, comme ayant une valeur sociale. Ce second point est l'une des raisons de l'efficacité des changements « véhiculés » par des groupess qui intéressent les individus dans les groupes restreints. On s'attendrait peut-être à ce que des individus isolés soient plus souples que des groupes d'individus d'esprit semblable. Cependant, les expériences sur l'entraînement des leaders, sur le changement des habitudes alimentaires, sur la production des ateliers, sur la criminalité, l'alcoolisme, les préjugés, paraissent toutes indiquer qu'il est plus facile de changer des individus formés en groupe que de changer aucun d'eux séparément Aussi longtemps que les valeurs de groupe sont inchangées, l'individu résistera aux changements d'autant plus vigoureusement qu'il s'écarte davantage des normes de groupe. Si la norme de groupe ellemême est changée, la résistance qui est due à la relation entre l'individu et la norme de groupe est éliminée. f. Changement en trois étapes : décristallisation, déplacement, cristallisation des normes de groupe Un changement vers un niveau plus élevé de performance de groupe est souvent éphémère. Après une « flambée », la vie du groupe retourne bientôt au niveau précédent. Ceci indique qu'il ne suffit pas de définir l'objectif d'un changement planifié de la performance du groupe comme le fait d'atteindre un niveau différent. La permanence du nouveau niveau, ou sa permanence pendant une période désirée, doit être incluse dans l'objectif. Un changement réuss; 5. F. REDL, « Clinical Group Work with Children », in : Group Work and the Social Science Today, New York, Association Press, 1939.

6. K. LEWIN, Resolving Social Conflicts, New York, Harpers, 1948.

K. Lewin : La psychologie des groupes

153

comprend donc trois aspects ; la décristallisation (si elle est nécessaire), du niveau présent V, le déplacement au nouveau niveau V, et la cristallisation de la vie de groupe à ce second niveau. Puisque tout changement est déterminé par un champ de force, la permanence implique que le nouveau champ de force est préservé du changement. La « décristallisation » du niveau présent peut renvoyer à des problèmes très différents selon les cas. Allport 7 a décrit la « catharsis » qui semble être nécessaire pour que les préjugés puissent être supprimés. Pour briser la coquille de suffisance et de pharisaïsme, il est parfois nécessaire de réaliser délibérément une provocation émotionnelle. Il en est de même pour le problème de la cristallisation au second niveau. Il est parfois possible d'établir un dispositif organisationnel qui soit l'équivalent d'un processus causal circulaire stable. g. La décision de groupe comme procédure de changement L'exemple suivant d'un processus de décision de groupe concerne des ménagères d'une ville du Midwest. Certaines d'entre elles assistèrent à une bonne conférence sur la valeur d'une consommation accrue de lait frais, d'autres participèrent à une discussion conduite graduellement jusqu'à la décision d'augmenter la consommation de lait Aucune pression commerciale ne fut utilisée ; en fait les pressions étaient soigneusement évitées. La quantité de temps utilisé était égale pour les deux groupes. Le changement dans la consommation du lait fut vérifié après deux et quatre semaines. La figure 8 indique la supériorité de la décision de groupe. Des résultats semblables furent obtenus à propos de la consommation de lait concentré. L'effet du traitement individuel fut comparé avec celui de la décision de groupe de fermières qui étaient venues à la consultation de maternité de l'hôpital de l'Etat d'Iowa. Avant d'être libérées, elles avaient été soumises à une instruction individuelle sur la meilleure formule d'alimentation des bébés et l'opportunité de leur donner du jus d'orange et de l'huile de foie de morue. Ce procédé fut comparé avec un procédé de discussion et de décision réalisé par des groupes de six mères. Dans le premier cas, le spécialiste d'hygiène alimentaire accordait trente-cinq

7. « Catharsis and the Réduction of P'rejudice », Journal of Social Issues 1 (3), 1945, pp. 3-10. 8. M . RADKE et S. Klisurich, « Experiments in Changing Food Habits », Journal of American Diet. Association 23, 1947, p. 403-409.

154

Études des petits groupes et pédagogie

A l ' H K S 2 S E M A I N KS

Al'HKS

I SEMAINES

Décision du groupe

Décision du groupe

5U 40 30 20 10

0 Conférence

Conférence

FlG. 8. Pourcentage des mères ayant augmenté leur consommation de frais après une décision de groupe et après une conférence

lait

minutes à une seule mère, dans le second cas le même temps était accordé à un groupe de six mères. La figure 9 montre la supériorité du procédé de discussion de groupe. Après quatre semaines, chacune des mères du groupe de décision donnait au bébé la quantité opportune d'huile de foie de morue. APRÈS 4 SEMAINES

FlG. 9. Pourcentage des mères se conformant à une décision de groupe ou à des instructions individuelles pour donner du jus d'orange

K. Leivin : Lei psychologie

des

155

groupes

Chose curieuse, après les deux procédés, il y a une amélioration entre les seconde et quatrième semaines. La figure 10 présente un exemple de l'effet de trois décisions de groupe d'une équipe dans une usine d'après Bavelas qui illustre un cas inaccoutumé de la permanence d'un changement mesuré sur neuf mois.

FlG. 10. L'effet

de la décision

de groupe à coudre

sur des opérateurs

de

machines

Les expériences rapportées ici ne couvrent qu'une petite partie des variations nécessaires. Quoique dans certains cas, le procédé soit relativement simple à exécuter, dans d'autres cas il requiert de l'habileté et suppose certaines conditions générales. Des organisateurs bondissant dans une usine pour augmenter la production par des décisions de groupe, rencontreraient probablement un échec. Dans l'organisa9. Psychology

in Industry,

Boston, Mass., Houghton Mifflin,

1946.

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Études des petits groupes

et

pédagogie

tion sociale, comme en médecine, il n'y a pas de remèdes universels et chaque cas requiert un diagnostic soigneux. Les expériences de décision de groupe sont néanmoins suffisamment avancées pour éclaircir certains problèmes de changement social Nous avons vu qu'on peut envisager un plan de changement social comme étant composé d'une décristallisation, d'un changement de niveau et d'une cristallisation au second niveau. Dans ces trois cas, la décision de groupe a l'avantage général d'une procédure de groupe. Si l'on utilise les procédures individuelles, le champ de force qui correspond à la dépendance d'un individu par rapport à une norme valorisée agit comme une résistance au changement. Si cependant on réussit à changer les normes de groupe, le même champ de force tendra à faciliter le changement de l'individu, et tendra à stabiliser la conduite individuelle au niveau de groupe nouveau. Parfois, le système de valeur de ce groupe restreint entre en conflit avec les valeurs d'une assise culturelle plus large et il est nécessaire de détacher le groupe de cette assise plus large. Par exemple, pendant la reconversion des leaders de jeux des modes autocratiques aux modes démocratiques, Bavelas10 eut grand soin de les préserver de toute influence contraire pouvant venir de l'administration du centre de loisir. L'efficacité des camps ou des ateliers dans le changement de l'idéologie ou de la conduite dépend en partie de la possibilité de créer de tels « îlots culturels » pendant le changement. Plus forte est la subculture acceptée de l'atelier et plus elle est isolée, plus elle diminuera la résistance au changement qui a pour base la relation entre l'individu et les normes du groupe englobant. Une raison pour laquelle la décision de groupe facilite le changement est illustrée par Willerman La figure 11 représente le degré du désir d'un changement de groupe : consommer moins de pain blanc et consommer plus de pain entier. Quand le changement était simplement demandé, le degré du désir variait beaucoup selon le degré de préférence personnelle pour le pain entier. Dans le cas de la décision de groupe, le désir semble être relativement indépendant des préférences personnelles, l'individu semble agir principalement en tant que « membre d'un groupe ». Un deuxième facteur favorisant la décision de groupe a trait à la 10. A. BAVELAS, « Morale and the Training of Leaders », in : G. Watson (éd.), Ctvilian Morale, Boston, Mass., Houghton Mifflin, 1942. 11. K. LEWIN, « Forces behind Food Habits and Methods of Change », Nuli. National Rei. Council 108, pp. 35-65 ; réimprimé dans K. Lewin, Vield Theory of Social Science, 1951, pp. 170-187.

K. Lewin : La psychologie

P R É F È R E L E PAIN ENTIER Beaucoup

Assez

157

des groupes

Pas de préférence

P R É F È R E LE PAIN BLANC Assez

Beaucoup

i g

g

1 8

i

i

FlG. 1 1 . Relation entre les propres préférences alimentaires et le désir d'un changement dans le groupe après une requête et une décision de groupe

relation entre la motivation et l'action. Une conférence et particulièrement une discussion peuvent être très efficaces et susciter des motivations dans la direction désirée. Cependant, la motivation seule ne suffit pas à opérer un changement. Il faut qu'il existe un lien entre la motivation et l'action. Ce lien est fourni par la décision, mais n'est ordinairement pas fourni par des conférences ou même par des dis-

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Études des petits groupes

et

pédagogie

eussions. Voilà, semble-t-il, l'explication, au moins partielle, de ce fait autrement paradoxal qu'un processus comme la décision qui ne prend que cinq minutes soit capable d'affecter la conduite pendant de nombreux mois à venir. La décision relie la motivation et l'action et, en même temps, semble avoir un effet cristallisateur qui est dû en partie à la tendance de l'individu à se fixer dans sa décision et en partie à « l'engagement dans un groupe ». L'importance du second facteur serait différente pour une coopérative d'étudiants où les individus restent ensemble, pour des ménagères d'un même immeuble qui se rencontrent de temps à autre, pour des fermières qui ne sont pas en contact les unes avec les autres. Les expériences montrent cependant que même des décisions concernant des réalisations individuelles peuvent être efficaces, quand elles sont prises dans un groupe de personnes qui ne se reverront pas.

M. A. BANY/L. V. JOHNSON Dynamique des groupes et pédagogie *

Les petits groupes Tous les petits groupes ont certaines propriétés et caractéristiques communes qui sont interdépendantes à bien des points de vue. On ne peut donc les étudier avec profit que si les paramètres ou propriétés applicables à tous les groupes sont établis, décrits et compris. Tous les petits groupes, y compris naturellement le groupe-classe, ont des propriétés communes qui peuvent aider à les décrire. La classe a, cependant, certains traits qui lui sont plus ou moins particuliers. On peut donc décrire ce type de groupe en tenant compte de certaines propriétés groupales communes et aussi de ses caractéristiques spécifiques. Ces deux types de propriétés fournissent ensemble un cadre à l'intérieur duquel on peut analyser le fonctionnement de la classe. Nous devons, tout d'abord, définir et clarifier le terme de « groupe ». Ensuite, il nous faudra étudier les propriétés des groupes en général et les traits et caractéristiques spécifiques au groupeclasse. Enfin, nous comparerons les classes et les groupes de travail. 1. Le concept de groupe

Un petit groupe possède certaines propriétés et caractéristiques, et des types de comportement qui peuvent être observés, étudiés et décrits. Lorsque le terme de « comportement de groupe » est prononcé, on pose parfois certaines questions : le groupe est-il une entité ? Existe-t-il quelque chose qui s'appelle comportement de groupe ? Pour certains qui ont concentré toute leur attention sur l'étude du comportement individuel, un groupe n'est rien de plus que l'ensemble des traits et des actions qui existent chez les individus pris séparément. Les enseignants considèrent souvent leurs classes de cette façon-là, c'est-à-dire comme une quantité d'éléments individuels, et non comme des ensembles organisés. Ils ignorent ainsi que le groupe lui-même a un comportement et des caractéristiques qui lui sont pro* Textes extraits de M. A. BANY et L. V. JOHNSON, Dynamique des groupes et éducation : le groupe-classe, trad. par C. Tournadre, Paris, Dunod, 1969.

Études des petits groupes et

160

pédagogie

près, et que, lorsque des individus forment un groupe, il apparaît de nouvelles caractéristiques, de nouvelles actions et de nouvelles façons de se conduire que l'on n'observe pas chez les individus seuls. Ceci peut être illustré par une équipe de base-bail dont on ne peut expliquer les interactions en observant les joueurs séparément, car les membres sont liés par une structure de relations et c'est de cette structure que naît le travail d'équipe. Lorsqu'on regarde un match de baseball, on peut porter son attention sur un membre de l'équipe ou sur plusieurs ou encore sur l'ensemble de l'équipe, et quoique le facteur groupai de travail d'équipe varie avec la qualité des joueurs individuels l'équipe continue à fonctionner lorsqu'on remplace des joueurs. Comme beaucoup de groupes organisés, une équipe a donc une durée et une continuité qui dépassent celles d'un quelconque de ses membres, et on ne peut la considérer comme une simple somme des comportements des membres individuels. Pour répondre à ces questions : pourquoi les classes sont-elles parfois difficiles à contrôler et diriger ? Pourquoi se comportent-elles de certaines façons ? Ou que peut-on faire pour empêcher la naissance de certains comportements ? Il faut étudier l'action de tout le groupe. Le problème est le même lorsqu'il s'agit de clubs, de classes, de groupes de travail ou de jeux. Le comportement de groupe comprend le système d'interaction, la structure qui apparaît, la cohésion ou l'atmosphère amicale qui règne dans le groupe, les normes ou les règles de comportement qui gouvernent chaque membre et enfin les motifs ou buts de groupe. Une étude attentive de ces différents facteurs permet de mieux comprendre et de prédire le comportement de groupe. Définition

du groupe

On peut décrire un groupe de bien des façons, mais il n'existe pas de définition unique et précise qui délimite en quelques mots adéquats le concept de petit groupe. En bref, on peut dire qu'un groupe existe lorsque deux personnes ou plus sont interdépendantes dans leurs relations et possèdent quelque unité reconnaissable. Les membres sont en situation « face à face » et se forment des opinions définies les uns des autres. Il y a alors interaction, c'est-à-dire chaque membre réagit au comportement de chaque autre membre. Les individus qui constituent le groupe non seulement interagissent mais encore se conduisent souvent « comme un seul homme » envers leur milieu. On a parfois défini le groupe comme une unité sociale constituée

M. A. Bany/L. V. Johnson : Dynamique des groupes

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d'individus qui diffèrent dans leurs relations de statut et de rôle, et qui possèdent un ensemble de valeurs ou de normes qui déterminent leur comportement \ Il existe aussi des définitions très simples. Par exemple, Bonner* déclare qu'un groupe existe lorsque deux personnes ou plus sont conscientes les unes des autres, et lorsque leurs interrelations sont importantes. Etant donné que la présence de personnes ensemble ne signifie pas en soi l'existence d'un groupe, Stodgill 8 considère le groupe comme un système interactif ouvert. Il pense que le système (ou groupe) est déterminé uniquement par les actions des membres, et que l'identité du groupe dépend des interactions qui se produisent plutôt que de la présence d'un membre particulier. On insiste souvent sur le fait qu'un groupe doit avoir un intérêt ou but commun ou quelque raison d'être. Ainsi, on se demande parfois si une classe peut constituer un groupe dans ce sens-là, puisque les enfants d'une classe mal conduite peuvent ne pas avoir de but ou d'intérêt commun, si ce n'est le désir de sortir de la salle le plus vite possible 4. Certains éducateurs se posent aussi la même question, car il est difficile de démontrer que les enfants ont un but commun, ou bien que le fait d'être ensemble produit toujours quelque fruit ou quelque réalisation. Comme nous le montrerons de façon plus détaillée par la suite, l'envie d'un certain nombre d'enfants d'être un groupe, c'est-à-dire le désir des membres de former un groupe (groupness) peut constituer le but d'une classe. La définition citée précédemment ne refuse plus alors la qualité de groupe à une classe ainsi conçue. On peut exprimer ceci d'une autre façon, en disant qu'une classe permet de satisfaire les besoins conscients ou inconscients d'appartenance ressentis par chaque enfant. Le désir de satisfaire ces besoins en formant un groupe interactif devient, en fait, le désir non déclaré ou caché des enfants réunis en classe. Dans ce livre, un groupe-classe sera défini comme plusieurs personnes en état d'interaction sociale. Il ne s'agit pas d'un nombre d'indi1. M. SHERIF et C. SHERIF, An Outline of Social Psychology, New York, Harper, 1956, p. 144. 2. H. BONNER, Group Dynamics : Principles and Applications, New York, Ronald Press, 1959. 3. R. M. STODGILL, Individual Behavior and Group Achievement, New York, Oxford University Press, 1959, p. 18. 4. D.S. ARBUCKLE, Guidance and Counseling in the Classroom, Boston, Mass., Allyn & Bacon, 1959, p. 326. 6

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Études des petits groupes

et

pédagogie

vidus comparables à ceux qui sont énumérés sur un registre scolaire mais, bien au contraire, d'une association de personnes plus ou moins interactives. Cette interaction peut se manifester par des activités physiques, par exemple lorsqu'un certain nombre de gens s'unissent pour faire claquer un fouet ou pour empiler des magazines ou des tas de papier. Elle peut aussi impliquer quelque communication par la parole ou le geste. Enfin, elle peut comporter ces deux aspects à la fois 5 . L'interaction est véritablement ce qui nous permet de qualifier le comportement humain de comportement groupai, car c'est une propriété que tous les petits groupes ont en commun et qui se trouve sous-entendue ou explicitement exprimée dans toutes les définitions. S'il n'existe pas d'influence mutuelle, la simple proximité physique ne suffit pas pour qu'on parle de groupe. Même si l'interaction est restreinte dans certaines classes, il n'en reste pas moins que pendant la journée les enfants se rencontrent et interagissent sur le terrain de jeux et ailleurs, et que les effets se répercutent en classe. On peut donc définir les classes comme des groupes, même si certaines ont peu l'occasion d'interagir, partagent peu d'objectifs, créent peu de normes et manquent d'unité. Tous ces aspects constituent, en fait, l'ensemble et le type de propriétés groupales de cette classe. Les caractéristiques

des

groupes

Tous les groupes ont certaines propriétés générales en commun. Par exemple, ils ont tous des participants qui sont réunis pour quelque raison. Comme chacun d'entre eux établit certains rapports avec les autres, il se forme des relations de statut et de rôle. On peut dire également que les participants éprouvent habituellement des sentiments variables à l'égard du groupe et de certains membres du groupe. De plus, les groupes acquièrent ou développent un ensemble plus ou moins important de normes et de valeurs qui leur sont propres, et celles-ci influencent et déterminent le comportement des membres, tout particulièrement lorsqu'il s'agit de questions qui ont une importance capitale pour le groupe. Il y a donc interaction des membres, formation d'une structure et élaboration de normes et de buts. Cependant, la taille des groupes varie ainsi que leur degré de stabilité, les raisons de leur existence, leur organisation, leurs pratiques de leadership, etc.

5. Voir diverses définitions du « groupe » dans C. A. Gibb, « Leadership », in : G. LlNDZEY (éd.), Handbook of Social Psychology, Reading, Mass., Addison-Wesley, 1954, chap. 24.

M. A. Bany/L. V. Johnson

: Dynamique

des

groupes

163

En plus des propriétés générales, chaque groupe possède donc certaines caractéristiques qui lui sont propres et qui le distinguent de tous les autres. Ces différences confèrent à chaque groupe particulier son caractère unique. Par exemple, tous les groupes-classes sont, à bien des égards, semblables aux autres groupes mais ils diffèrent quant à leurs participants, leurs buts, leur organisation, etc. A tout ceci s'ajoute le fait qu'il existe entre les propriétés de groupe des relations qui varient suivant les groupes, et que chacun d'eux élabore sa propre culture. 2. Propriétés des

groupes

Il s'agit là des éléments communs à tous les groupes, des qualités qui définissent leur nature essentielle et qui comprennent, par exemple : la communication, la structure, la cohésion, les normes et les buts. Ces propriétés ont certaines dimensions — c'est-à-dire que leur importance, leur intensité et bien d'autres facteurs encore varient. C'est pourquoi beaucoup de recherches portent sur la mesure des différentes propriétés groupales de façon à essayer de déterminer quelles sont les différentes dimensions de groupe. Etant donné les interrelations de ces propriétés, l'intensité ou l'importance de l'une d'entre elles influence toutes les autres. Bien qu'on puisse distinguer certaines propriétés élémentaires afin d'élaborer un concept général des groupes, il n'en reste pas moins que chaque groupe diffère des autres d'une façon ou d'une autre. Pour parvenir à une description adéquate d'un groupe quelconque, il faut donc s'attacher aux propriétés communes à tous les petits groupes et aussi prendre en considération les relations qui existent entre ces propriétés, car ce ne sont pas des quantités statiques et fixes. Au contraire, elles varient quant à leur intensité, leur direction et leur dimension. L'interaction Un certain nombre de personnes constitue un groupe lorsqu'il existe une situation dans laquelle chaque individu est affecté par chaque autre individu du groupe. Ce processus qui met en jeu les réactions des personnes les unes par rapport aux autres est appelé interaction. Mais, bien que l'individu A réagisse face à l'individu B et que, à son tour, B réagisse face à A, ces réactions ne sont pas nécessairement semblables. Il y a ainsi une « réponse » de Susan à John et une autre de

164

Études des petits groupes

et

pédagogie

John à Susan, mais elles peuvent être différentes : Susan peut courir après John pour attirer son attention et John de son côté, peut s'éloigner de Susan et s'efforcer de l'éviter. Le concept d'interaction ne se borne cependant pas à cette seule définition. Il désigne toute une gamme de relations sociales qui recouvrent les stimulations et les réponses qui apparaissent entre êtres humains. L'interaction, c'est aussi les différentes façons dont les individus établissent des relations entre eux, et dont ils mènent à bien les tâches essentielles au développement, au maintien et à la croissance du groupe ou du système social. L'interaction se produit entre un groupe et un autre, entre un groupe et le professeur, ou bien encore entre les sous-groupes qui existent à l'intérieur du groupe. Une étude de l'interaction attirera l'attention non seulement sur les relations membre à membre, mais encore sur les influences positives, neutres et négatives que les groupes, les sous-groupes, et les enseignants exercent les uns sur les autres. Dans le diagramme de la figure 1, l'interaction apparaît au centre du fonctionnement du groupe. L'interaction désigne, donc, la modification du comportement qui se produit lorsque deux personnes ou plus entrent en contact pendant un certain laps de temps. Les individus s'influencent par l'usage du langage, des symboles, des gestes et d'autres formes de communication. Les « processus d'interaction » désignent les modèles récurrents d'interstimulation et de réponse entre les individus et entre les groupes, qui aboutissent au développement de la cohésion, de la structure, des normes et des buts collectifs, ou qui inversement peuvent conduire au conflit et à la désorganisation. Il y a tellement de situations dans lesquelles les personnes et les groupes interagissent qu'il serait impossible de toutes les cataloguer. [...]

La structure Pour comprendre le comportement de groupe, il est nécessaire de connaître les caractéristiques structurales du groupe. La structure est en effet une propriété complexe qui implique un système de stratification sociale ou une hiérarchie dans laquelle les différents individus occupent une position élevée ou basse. De plus, la taille du groupe influence sa structure car, s'il est important, le groupe peut avoir tendance à se scinder en sous-groupes. Ces derniers peuvent se former sans modifier l'identité du groupe et peuvent s'associer de bien des façons différentes. Ainsi l'interaction se produit-elle à l'intérieur des sousgroupes et entre eux, aussi bien qu'à l'intérieur du groupe impor-

M. A. Bany/L. V. Johnson : Dynamique

des groupes

165

tant lui-même. Les membres peuvent, de temps en temps, changer de position dans le groupe, même s'il existe une hiérarchie fortement établie. Ceci fait un peu penser à des enfants qui « prennent leur tour, » certains « tours » étant plus appréciés que d'autres. La cohésion Lorsque plusieurs personnes interagissent pendant un certain temps, il se crée une certaine cohésion. Ce sentiment d'appartenance, cet « esprit de corps » renforce les liens de camaraderie, et sépare les membres des non-membres. Même si la composition du groupe change avec le temps, chaque groupe est exclusif et manifeste des degrés variables

FIG.

1. Diagramme où l'interaction apparaît au centre de du groupe, avec tous les facteurs et caractéristiques du qui lui sont liés

fonctionnement groupe

166

Études des petits groupes et

pédagogie

de cohésion. Les membres d'un groupe cherchent à établir une différenciation entre eux-mêmes et les gens du dehors, les « étrangers » ; celle-ci comprend souvent l'emploi de noms particuliers ou de certains modes de comportement abstrus ou rituels. Ainsi peut-on dire que chaque groupe, parce qu'il est exclusif, élabore ses propres coutumes et sa propre culture et devient un petit système social opérant à l'intérieur d'un système social plus vaste. Motivations de bats communs Le partage de motivations et de buts communs est une autre propriété de groupe essentielle à la poursuite de son existence. On peut concevoir les motivations comme des prédispositions à certains genres de comportement en vue de satisfaire des besoins. Elles dirigent le comportement vers un but. C'est ainsi qu'un groupe continue à exister parce que, grâce à l'interaction, les individus peuvent mieux satisfaire leurs propres besoins, désirs, intérêts et aspirations. Bien sûr, les besoins des membres individuels diffèrent et le groupe ne satisfait pas des besoins identiques, pas plus qu'il ne les satisfait de la même manière chez tous. Beaucoup de gens désirent appartenir à un groupe à cause de la satisfaction qu'ils retirent de cette seule « appartenance » (belongingness). Pour les tout jeunes, mais aussi pour les plus âgés, l'appartenance satisfait le besoin qu'ils ont d'être en sécurité, d'être approuvés et aussi de trouver leur nature propre. Certains individus éprouvent non seulement ce besoin d'appartenir mais aussi celui de diriger et d'influencer les autres. D'autres souhaitent l'appartenance à un groupe, parce qu'ils retirent de la satisfaction des activités du groupe. D'autres encore trouvent que le groupe offre une occasion d'être reconnus par les autres et d'obtenir un certain statut. Qu'il s'agisse du besoin de pouvoir, de sécurité, d'amitié ou d'autres semblables, les groupes fonctionnent parce que ces motivations communes peuvent être satisfaites grâce à l'interaction. En plus des motivations qui dirigent le comportement vers des buts, le groupe en tant qu'entité possède des objectifs qui orientent son activité dans certaines directions. Il arrive parfois que les buts d'un groupe soient clairement formulés et que les membres tombent ouvertement d'accord dessus. Mais parfois aussi, ils sont extrêmement vagues et « cachés ». Les motivations de chaque membre particulier influencent le choix d'un but de groupe, car celui-ci doit apporter quelque satisfaction à chacun des membres sous peine de ne pas

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être accepté. Le but de groupe est donc influencé par la nature des motivations des membres mais, à son tour, il influence le comportement individuel de chacun. La standardisation du comportement

et les normes

Les études du comportement de groupe ont établi que les individus se conduisent différemment en groupe qu'ils le font lorsqu'ils sont seuls. Les groupes ont donc une influence psychologique qui affecte le comportement individuel, et possèdent des propriétés différentes de celles manifestées par les individus particuliers. Le contact avec d'autres personnes engendre chez les individus une conduite différente de celle qui serait la leur s'ils étaient seuls. Tous les groupes ont le pouvoir d'influencer les attitudes et de standardiser le comportement des membres jusqu'à un certain point. Ce pouvoir est variable mais tous les groupes tendent à ce que leurs membres se conforment aux objectifs et valeurs approuvés par le groupe. Des pressions à la fois explicites et implicites s'exercent de façon à influencer le comportement individuel. U n individu peut en arriver à se conduire de manière conforme parce qu'il désire être approuvé et accepté par les autres. Ce type de pression est si subtil que la plupart des individus n'en sont pas conscients et qu'ils ne s'aperçoivent pas des changements effectués dans leur conduite. D'autres pressions peuvent être plus évidentes et s'exercer de façon plus directe. Elles peuvent aller de la taquinerie gentille jusqu'à la raillerie violente et même l'ostracisme, si le membre du groupe ne se conforme pas. Que la façon d'exercer une pression soit explicite ou implicite, le résultat est toujours une certaine conformité aux normes et valeurs du groupe. Les membres en arrivent à modifier dans une certaine mesure leur propre système de valeurs. Ils tendent à approuver ce que le groupe sanctionne et à rejeter ce qu'il condamne. {...} La personnalité groupale ou « syntalité » Lorsque toutes les propriétés et caractéristiques d'un groupe sont considérées dans leur ensemble, elles distinguent le groupe à peu près comme la personnalité d'un individu le distingue de tout autre individu. Les groupes, de même que les individus, peuvent donc être décrits par l'ensemble de leurs propriétés. C'est cette différence dans l'ensemble des propriétés et leurs combinaisons qui rend chaque groupe unique. La personnalité d'un groupe représente ce qu'est le groupe en tant que tout et comment il agit en tant que tout. Ainsi,

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tous les groupes ont une certaine structure, mais chaque groupe est identifiable par la nature particulière de son organisation interne. Celle-ci comprend le type de direction, le système de statut, le nombre de sous-groupes, etc. Ce que Cattell appelle « syntalité » 6 est le produit final ou la performance totale du groupe qui apparaît du fait de l'ensemble particulier de propriétés et de caractéristiques propres au groupe, et qui lui confère son identité. Les valeurs adoptées par le groupe varient à l'extrême, depuis l'altruisme jusqu'à l'immoralité. Les normes et la personnalité du groupe reflètent les valeurs auxquelles tient ce groupe. Un groupe peut faire preuve d'intolérance envers d'autres groupes ou individus pour des motifs de race, position sociale, religion, nationalité, arrière-plan familial, opinions politiques, etc. Les préjugés peuvent ainsi constituer un aspect de la personnalité d'un groupe. Un autre trait de la personnalité groupale est certainement le degré d'esprit fraternel. Un groupe peut engendrer une atmosphère dans laquelle les membres se sentent libres à cause de la bienveillante gentillesse qui y règne. L'inverse peut être vrai dans un autre groupe où il existe une atmosphère de suspicion, de jalousie ou de grande compétition. On peut alors dire que la personnalité de ce dernier groupe est caractérisée par une faible cohésion et une liberté d'interaction minime au sein du groupe. Une description générale d'un groupe ne dépend pas des raisons pour lesquelles le groupe est né, ni du caractère volontaire ou involontaire de l'association de ses membres. Elle ne tient pas davantage compte du fait que les membres peuvent être retirés du groupe ou au contraire placés dans le groupe par un agent extérieur. Un groupe peut se scinder en un certain nombre de sous-parties, mais aussi longtemps que ces parties interagissent, il peut être décrit à l'aide des mêmes propriétés communes. Bref, il existe divers types de groupes qui varient beaucoup quant à leur taille, leur composition et leurs raisons d'exister, mais ces différences ne modifient pas leur nature ni leurs propriétés générales. 3. Le groupe-classe Un des groupes les plus importants dans la vie d'un enfant est bien la classe, car si elle remplit les besoins naissants de l'enfant, celui-ci 6. R. B. CATTEL, « Concepts and Methods in the Measurement of Group Syntality », Psychological Review 55, 1948, pp. 48-63.

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devient un élève actif, satisfait, qui participe. Si au contraire ses besoins ne sont pas satisfaits dans une large mesure par la classe et ses activités, alors il apprend bien peu de choses. La nature des groupes-classes Une classe est une organisation de type social et aussi, par nature, de type psychologique. C'est un groupe social du fait qu'elle est organisée de façon formelle. On y trouve une différenciation des rôles et des responsabilités quant aux buts, tâches et objectifs du groupe. Le groupe a donc des formes d'action distinctives de par la nature de son organisation formelle, et parce que cette organisation implique des modes d'action prédéterminés pour les membres du groupe. Bien que les buts, les tâches et les relations des membres soient établis dans la structuration formelle du groupe, il se crée des types d'attentes supplémentaires dans et par les interrelations qui s'établissent entre les individus. C'est là l'aspect psychologique du groupe-classe. A l'intérieur de l'organisation formelle, des groupements informels apparaissent dans lesquels les membres sont en interaction dynamique. Cette association informelle de membres procure à beaucoup d'entre eux des satisfactions et des insatisfactions. Les relations pychologiques des membres affectent le moral du groupe, ses activités et la participation de chacun. De la même façon que l'organisation formelle établit certaines limites en fournissant un cadre à l'intérieur duquel les membres travaillent, de même le groupement informel établit des normes et des attentes qui s'appliquent au comportement des membres. A cause de ses caractéristiques sociales et psychologiques, on a défini une classe comme une structure socio-psychologique7. Le groupe primaire Une classe, dans une école élémentaire ou secondaire, est un groupe primaire du fait que ses membres sont ensemble pendant de longues périodes de temps, avec des relations face à face intimes (face-toface relationships). Même s'il ne règne pas un chaud climat émotionnel dans le groupe pris comme tout, un certain nombre de sousgroupes sont habituellement caractérisés par la sympathie et la bienveillance qu'on y trouve. Parce qu'ils se retrouvent ensemble, certains enfants découvrent qu'ils sont liés par des intérêts communs et l'affec7. G. JENSEN, « The Socio-Psychological Structure of the Instructional Group », in : B. H. NELSON (éd.), The Dynamics of Instructional Groups, Chicago, III., University of Chicago Press (NSEE Almanach), i960.

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tion qu'ils se portent, et ils prennent plaisir à faire des choses de conserve. L'influence de la famille est bien sûr capitale sur le développement émotionnel et social de l'enfant, mais ces groupes scolaires laissent aussi leur empreinte sur lui. Ces relations affectent la motivation car les enfants sont sensibles aux jugements favorables de leurs amis intimes et aux opinions et « réponses » de leurs camarades. Ainsi, si certains membres du groupe s'enthousiasment pour l'orthographe, d'autres seront influencés par cet enthousiasme, et la même chose est vraie pour d'autres comportements sociaux. La classe est donc un groupe primaire parce qu'un tel groupe a la possibilité d'effectuer un contrôle social véritable. Un groupe primaire est d'abord fondé sur l'affection mutuelle qui engendre surtout des actes amicaux spontanés, mais il peut ridiculiser ou ostraciser un membre qui ne se conduit pas selon les normes du groupe. Considéré de façon positive, le groupe primaire devient une valeur en soi et pas seulement le moyen de parvenir à un autre but. C'est une amitié personnelle et sentimentale plutôt que dirigée vers un bénéfice quelconque. La société humaine s'appuie beaucoup sur de telles relations, et lorsque les attentes du groupe sont positives, ces relations contribuent à créer une atmosphère scolaire favorable. Le groupe de travail Les groupes se distinguent non seulement par leurs organisations et leurs structures, mais aussi par les fonctions qu'ils remplissent. C'est ainsi qu'on peut considérer la classe comme un groupe de travail. De même que les autres groupes de travail, elle apparaît comme un groupe organisé afin de réaliser certains objectifs. Les buts et les caractéristiques des groupes de travail diffèrent, mais les problèmes qui naissent concernant la production et la réalisation des buts sont tous semblables. Par exemple, la proportion dans laquelle un groupe de travail atteint les objectifs fixés dépend de l'efficacité de ce groupe. Un problème commun à tous les groupes de travail est celui qui consiste à déterminer la structure qui sera la plus favorable à une activité efficace et à la réalisation des buts. Quels types d'interrelations permettront aux participants d'un groupe d'atteindre des objectifs de façon à la fois agréable, et efficace ? Cette question intéresse également les groupes scolaires et industriels. Il existe un autre problème commun à tous les groupes de travail. Le groupe formel est en effet chargé de tâches et d'objectifs précis, et ceux qui le dirigent peuvent prendre des décisions concernant l'accomplissement de ces tâches. Ces décisions affectent, naturellement,

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le comportement des membres, mais les structures informelles peuvent aussi exercer une grande influence sur lui car certaines normes de comportement se créent au sein de ces structures informelles. Un groupe informel uni peut ainsi causer des difficultés aux leaders qui veulent imposer leur loi au groupe. Des leaders peuvent surgir dans le groupe informel et exprimer la volonté et les sentiments de leurs camarades. Les groupements informels au sein d'un groupe organisé de manière formelle peuvent ainsi créer des attentes ou « buts » qui s'opposent aux buts et tâches prescrits au groupe. Il est donc délicat de déterminer les domaines où peut s'exercer la décision de groupe, lorsqu'il s'agit d'accomplir certaines tâches définies et si l'on veut que les groupes atteignent l'objectif qu'ils avaient en vue. Tous les groupes de travail ont un problème commun concernant les relations meneur-suiveur. Un grand nombre des relations importantes qui s'établissent dans ces groupes sont en effet du type supérieur-subordonné. On peut mieux comprendre la nature de ces rapports en les comparant aux relations que peuvent avoir l'enseignant et les enfants en classe, bien que les mêmes types de relation existent entre le « patron » et l'ouvrier ou la direction de la maind'œuvre. On peut ainsi comparer l'enseignant sévère qui maintient la discipline en ayant largement recours aux punitions et le directeur d'entreprise qui utilise les menaces pour forcer les employés à se plier à ses ordres. Dans les deux cas, qu'il s'agisse d'un enfant ou d'un employé, il y a des chances que la réaction de l'individu soit de s'irriter de sa position et d'opposer une certaine résistance. Celle-ci peut prendre la forme de la paresse dans le travail, du sabotage, etc. On peut établir une deuxième comparaison avec l'enseignant qui croit qu'il remplit ses fonctions en fixant le travail, en expliquant les leçons et en faisant en sorte que chaque enfant accomplisse le travail fixé. Il ressemble alors beaucoup au leader d'un groupe de travail qui croit qu'il suffit de veiller à ce que le travail soit fait. Quel que soit le type de groupe auquel ils appartiennent, les membres perdent alors leur goût pour le travail parce que le leader ne s'intéresse pas personnellement à chacun des travailleurs et n'accorde aucune attention à leurs sentiments. L'état psychologique qui règne dans le groupe est un autre problème commun à tous les groupes de travail. Une saine atmosphère est nécessaire au maintien de conditions favorables au travail, qu'il s'agisse d'un groupe scolaire ou industriel. Les directeurs d'entreprise comme les enseignants ont tendance à prendre leurs désirs pour des réalités en ce qui concerne l'atmosphère ou le climat psychologique qui règne

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dans leurs organisations groupales. Ils sont enclins à croire que s'ils sont agréables et amicaux et s'ils gardent présents à l'esprit les intérêts des travailleurs, tout ira bien. Dans bien des cas, supérieurs et travailleurs ont également besoin d'aide pour améliorer les relations de groupe. Le problème du moral du groupe est donc commun à tous les groupes de travail et les socio-psychologues ont fait de nombreuses expériences pour découvrir des techniques positives appropriées et pour montrer par des résultats effectifs que certaines sortes de techniques « rapportent » en terme de production et entraînent une plus grande satisfaction des membres par rapport au travail et au groupe lui-même. Qu'il s'agisse d'une classe ou d'une autre sorte de groupe de travail, les personnes qui le dirigent doivent comprendre, du moins en partie, la signification du comportement d'un membre. Autrement dit, tous les groupes de travail quels qu'ils soient, ont des problèmes de comportement individuel et ont à faire face à certains problèmes typiques. Par exemple, le membre est-il vraiment mécontent de son salaire (ou de ses notes) ou bien est-ce que son vrai problème est lié aux pressions exercées à la maison ou à quelque chose d'autre qui l'irrite ? Jusqu'à quel point les administrateurs et les supérieurs doivent-ils s'inquiéter des conditions extérieures à l'organisation qui modifient l'efficacité d'un membre de façon défavorable ? Cela fait longtemps que les enseignants s'intéressent aux facteurs extérieurs qui influencent les enfants en classe. Leur principal problème est de trouver la meilleure façon de provoquer des changements dans le milieu susceptibles d'améliorer le travail scolaire d'un enfant. Comment le leader d'un groupe de travail doit-il traiter les problèmes de comportement individuel ? Quelles qualités ou techniques doit-il posséder de façon à résoudre les problèmes des relations sociales ? Un groupe de travail, qu'il soit de type scolaire ou industriel, est un système social. Le terme de « système » désigne un tout dans lequel chaque partie est en relation d'interdépendance avec chaque autre partie. Il est utile de considérer le groupe scolaire comme un « système social » pour interpréter les activités des individus qui sont membres de groupes de travail. Depuis des années, les éducateurs ont conscience que l'efficacité d'un enfant en classe est influencée par ses relations avec ses camarades, par la reconnaissance de ses efforts et l'atmosphère psychologique qui règne dans son groupe. Cependant, les pédagogues se sont davantage intéressés à l'amélioration de méthodes concernant « la rentabilité de la production » (méthodes pédagogiques) qu'à l'élaboration de techniques permettant d'obtenir la coopé-

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ration de tous et un bon climat de travail. Ils se sont trop souvent contentés de discuter de l'importance de « bonnes » relations de groupe sans élaborer de techniques qui puissent avoir une application pratique. Ce n'est que récemment qu'ils se sont tournés vers la psychologie pour chercher des réponses aux problèmes complexes créés par l'interaction groupale. Caractéristiques générales du

groupe-classe

Il n'est pas rare que la classe soit considérée comme unique et différente de tous les autres types de groupes de travail. La namre spécifique du groupe-classe est définie d'un certain nombre de façons. Voici les traits que l'on peut considérer comme spécifiques : 1. l'apprentissage est le but ou l'objet en vue duquel le groupe est réuni ; 2. la participation au groupe est impérative et il en va de même pour les buts ; 3. les membres n'ont aucun pouvoir sur le choix de celui qui les dirige et aucun recours pour échapper à son autorité ; 4. d'autres individus et groupes exercent des pressions et des influences qui sont ressenties par les élèves. Autrement dit, les classes diffèrent de tous les autres groupes de travail par le caractère spécifique des buts scolaires, des participants, du style de leadership et enfin des relations qu'elles ont avec les autres groupes 8 . Cependant, il semble bien que les principes généraux valables pour les groupes de travail puissent s'appliquer aux classes, même si les premiers paraissent, à priori, différents des seconds. Si l'on considère que la nature du groupe-classe est tout à fait distincte de celle des autres groupes de travail, il devient très difficile d'expliquer le comportement scolaire à la lumière des connaissances socio-psychologiques acquises. Il semble donc plus utile de considérer la classe comme très semblable aux autres groupes de travail formels. Il n'en reste pas moins que les caractéristiques spécifiques de chaque groupe, qu'il soit de type scolaire ou non, forment un ensemble qui lui est particulier. Etant donné le caractère formel de la classe, les attentes concernant les fonctions des membres sont définies et déterminées par des personnes extérieures au groupe plutôt que par les membres eux-mêmes. De plus, les rôles et les responsabilités ne sont pas établis par le groupe lui-même mais font partie de la structuration formelle du groupe. Cependant, d'autres types d'attentes se créent grâce à l'interaction des membres eux-mêmes, c'est-à-dire que la structuration formelle d'un 8. J. W. GETZELS et H. A. THELEN, « The Classroom Group as a Unique Social System », in : Nelson (éd.), op. cit., pp. 53-82.

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groupe ne détermine pas entièrement et à l'avance les nombreuses relations interpersonnelles qui se produisent. Beaucoup de groupements informels surgissent et remplissent également des fonctions en contribuant à l'efficacité ou l'inefficacité du travail, et aussi en modifiant le moral du groupe. Par exemple, une fonction des groupes informels est de protéger la classe en travaillant avec le professeur lorsque ses méthodes semblent favorables à leur bien-être, ou contre lui lorsqu'elles sont interprétées comme une menace. Il peut ainsi se produire que les groupes informels au sein d'une classe soient plus puissants que l'organisation formelle. En tant que groupe de travail organisé de façon formelle, la classe ressemble beaucoup aux autres groupes du même genre. Comme eux, elle fait partie d'une organisation plus vaste : l'école. Ce n'est qu'un groupe parmi bien d'autres semblables car il existe d'autres classes à l'intérieur de l'école. La classe est également fondée par la communauté pour accomplir certaines choses, et il en va de même pour d'autres sortes de groupes de travail formels. Dans bien des cas, un tel groupe est créé pour produire quelque objet matériel (réfrigérateur, voiture, etc.), mais il existe aussi de nombreux cas où l'objectif final est quelque chose de moins tangible qu'un produit matériel. Autrement dit, la classe est organisée en vue d'un objectif, et un grand nombre de ses buts et activités fondamentales sont déterminés par des forces extérieures. Ceci est également vrai de beaucoup de groupes de travail. Prenons un exemple simple : on peut fonder une compagnie pour fabriquer des crayonsmines. Le groupe qui est formé expressément pour donner la forme voulue au bois et introduire la mine, n'est qu'un groupe dans une organisation plus complexe, puisque d'autres groupes peuvent être organisés pour mettre les crayons en boîte, les vendre, et ainsi de suite. Les individus appartenant au groupe de production ne déterminent pas quel article va être manufacturé, ou quelle en sera la forme ou la fabrication. L'objet du groupe est défini avant que le groupe ne soit organisé. C'est la même chose en ce qui concerne les classes : elles sont créées pour arriver à certaines fins qui sont déterminées avant leur organisation, et les élèves ont peu de choses à dire sur les buts ou sur les tâches particulières qu'ils doivent accomplir pour atteindre l'objectif en vue duquel le groupe a été organisé. Le groupe-classe ressemble aux autres groupes de travail formels sur d'autres points encore. Une force extérieure attribue un meneur au groupe et confère à celui-ci la responsabilité et le pouvoir de veiller à ce que lç groupe réalise les buts qui lui sont assignés. Qu'il

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s'agisse d'un professeur ou d'un contremaître, son statut impose une structure au groupe et définit certaines des relations de rôle. Les membres s'attendent alors à ce que le comportement de celui qui dirige corresponde à leur conception de ce qu'un tel homme doit faire et de ce qu'il doit être. Nature spécifique du groupe-classe Pour déterminer la nature spécifique de n'importe quel groupe de travail, il faut examiner ses buts, son organisation, ses tâches, son type de leadership et les caractéristiques des membres. Une classe ne diffère d'autres groupes de travail que sur trois points capitaux : son but, ses tâches et sa composition. Les groupes de travail sont organisés en vue d'objectifs divers, mais toujours pour créer quelque changement qu'un individu isolé n'aurait pu accomplir par ses seuls efforts. Pour certains groupes, l'objet sera un résultat non matériel, alors que pour d'autres le résultat sera matériel. On peut ainsi organiser un groupe de travail pour aider un candidat à obtenir un emploi électif, et un autre pour fabriquer un produit. Les activités de ces deux groupes incluraient des séries d'opérations destinées à utiliser les énergies des membres du groupe, afin d'atteindre leur objectif. La différence en ce qui concerne le résultat de l'effort du groupe serait que, dans le deuxième exemple, il s'agirait d'un produit matériel, alors que ce ne serait pas le cas dans le premier (bien que le résultat puisse être considéré comme tangible s'il y a victoire du candidat). Si un groupe était organisé dans le but de maintenir un niveau élevé dans la formation professionnelle des enseignants, il serait bien plus difficile de rattacher les activités des membres à un quelconque objectif du groupe. Etant donné que le but est éloigné et dans un certain sens continu, les activités des membres se centreraient sur des objectifs secondaires qui pourraient se rattacher ou non au but final. Il serait difficile à un groupe de déterminer les activités qui maintiendraient ce niveau élevé, et encore plus difficile de déterminer, par la suite, si ces activités ont véritablement abouti au maintien de ce niveau. L'objectif d'une classe est particulier du fait que celle-ci est organisée pour produire des changements chez les élèves eux-mêmes. Le produit final ou la raison d'être d'une classe est de former des citoyens qui peuvent agir efficacement dans une société libre. Comme dans le cas du groupe que nous venons d'examiner plus haut, il est difficile de déterminer les activités et tâches qui permettront d'at-

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teindre le but poursuivi, et aussi de déterminer la qualité du résultat produit, puisqu'il n'y a pas de point final au processus. Le fait que les buts de la classe soient prescrits par des personnes extérieures au groupe lui-même, n'est pas une caractéristique qui lui est particulière. La plupart des groupes organisés de façon formelle sont dans le même cas. La différence est que les membres non seulement produisent le résultat mais sont eux-mêmes le résultat. La classe est aussi quelque peu différente des autres groupes de travail de par sa composition. D'abord, ses membres sont plus homogènes à bien des égards que les travailleurs dans la plupart des autres groupes, puisqu'ils se ressemblent habituellement par leur âge et leurs intérêts et partagent les mêmes besoins et les mêmes désirs. Au contraire, la composition des autres groupes de travail est souvent livrée au hasard, et leurs membres peuvent n'avoir en commun que quelques connaissances et techniques tout en étant très différents par ailleurs. Autre différence en ce qui concerne la classe : la participation est impérative. Il existe peu d'autres groupes auxquels les membres soient obligés de participer. Bien sûr, les membres de groupes de travail industriels peuvent ne pas avoir entière liberté de quitter le groupe quand ils le désirent, ceci à cause de facteurs économiques ou autres qui peuvent les obliger à rester même s'ils n'aiment pas le groupe ou celui qui le dirige ou encore la tâche qui leur est assignée. Il n'en reste pas moins que dans la plupart des groupes de travail, les membres ne sont pas forcés par la loi de rester dans le groupe, et que, dans la majorité des cas, les travailleurs ont la liberté de choix. En revanche, les membres d'une classe ne peuvent en aucun cas la quitter, puisque l'assistance est obligatoire. Cette participation non volontaire est une caractéristique spécifique du groupe-classe. Il faut maintenant ajouter que la direction ou leadership d'une classe n'est pas bien différente de celle d'autres groupes. En effet, la plupart des groupes de travail n'ont aucun pouvoir sur le choix d'un dirigeant ou leader et ne peuvent pas davantage échapper aux méthodes de leadership que ne le peuvent les élèves d'une classe. Alors que les tâches des leaders sont très différentes dans une classe et dans d'autres groupes, les problèmes de contrôle et d'usage du pouvoir sont tout à fait semblables. Enfin, une classe existe à l'intérieur d'une institution, comme beaucoup de petits groupes de travail à l'intérieur d'organisations plus vastes. Sur ce point aussi, ils se ressemblent. Les traits de la classe qui la distinguent des autres groupes de travail

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ne résident donc pas tant dans son organisation et sa direction que dans ses buts, ses tâches et le fait que la participation est obligatoire. 4. Le développement de la structure Le terme de structure définit le phénomène suivant : les membres d'un groupe occupent certaines positions les uns par rapport aux autres. En général, ce terme désigne les diverses interrelations des membres et les réseaux qui sont ainsi formés. Cependant il peut aussi désigner des types prescrits de relations, c'est-à-dire une structure organisée à l'avance. Parfois aussi, on emploie ce terme de structure pour distinguer les différentes parties des groupes, c'est-à-dire les sous-groupes et cliques. 11 nous faudra d'abord savoir ce qu'on entend par structure et comment elle naît, pour pouvoir ensuite étudier la structuration formelle des classes et ses conséquences sur le comportement de l'individu et du groupe. Qu'est-ce que la structure ? On conçoit parfois la structure d'un groupe comme un réseau de divers rôles, statuts et attentes réciproques. Les rôles que les individus assument, sont définis par les fonctions qu'ils remplissent et la nature de leurs contributions au groupe. Le statut implique une hiérarchie des positions. Qu'ils soient acquis ou attribués, ces statuts sont liés aux attentes du groupe, c'est-à-dire à la reconnaissance de chaque position par tous les membres. [...] On décrit parfois la structure comme un réseau de positions. Chacune d'entre elles fait alors partie d'un système inclusif de positions et implique des règles définies de comportement. Les comportements auxquels on s'attend de la part des personnes qui occupent certaines positions constituent les rôles associés à ces dernières Stogdill10 définit à la fois le statut et la fonction en considérant une position particulière plutôt que la personne qui peut occuper cette position. Selon lui, le rôle dépend du type de comportement que manifeste un individu. Il suggère que trois facteurs au moins semblent contribuer à structurer les attentes d'un groupe concernant le rôle d'un membre. Le premier est lié au statut et à la fonction de la

9. T. M. NEWCOMIÌ, Social l'sychology, New York, Dryden Press, 1950, pp. 270-276.

10. Ibid.

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position occupée par le membre ; le deuxième provient des exigences manifestées par le groupe envers le membre, parce que les besoins du groupe se modifient ; et le troisième provient de la personnalité du membre en question, telle qu'elle est perçue par les autres. Selon Sherif u , une structure existe lorsque apparaissent « pour tous les membres des rôles interdépendants et hiérarchisés, situés à une distance variable du leader ». Lorsqu'on parle de structure, on utilise un certain nombre de termes comme statut, rang, position et rôle, pour indiquer où se situe chaque membre par rapport aux autres. On définit parfois la place d'un individu dans un groupe en disant qu'il appartient à un sousgroupe ou à une clique, ou bien qu'il est un personnage central ou un membre marginal. Parce qu'ils connaissent les techniques sociométriques, les enseignants utilisent des mots comme « meneurs », « vedettes », « isolés » et « rejetés » pour indiquer les diverses positions des enfants dans la structure de leur classe ;ils peuvent aussi dire qu'un enfant est populaire ou non. Les enfants créent également leurs propres termes pour désigner la même chose. McGuire et Clark 12 ont trouvé que les noms ci-dessous étaient attribués aux élèves pour indiquer leur acceptation et leur position dans la structure du groupe : « les cracs » (le gratin ou ceux qui dirigent tout) ; « les grosses-têtes » (ceux qui ne s'intéressent guère qu'aux études) ; « les souris » (les élèves calmes qui sont inoffensifs et inefficaces) ; « les casse-pieds » (ceux qui voudraient être cracs et qui mettent les autres mal à l'aise) ; et les « nullards » (ceux qui voudraient être des grosses têtes et qui éveillent l'antagonisme de la classe). De façon générale, on envisage habituellement la structure des groupes comme une hiérarchie de statuts plus ou moins élevés, accordés par le groupe. Les mêmes critères qui déterminent la sympathie ou l'antipathie, sont des facteurs déterminants du statut. Celui-ci peut aussi être influencé par le sexe, l'âge, les biens matériels, l'aspect physique, la classe sociale et les aptitudes, car tous ces éléments contribuent à déterminer certains aspects du but que se fixe le groupe. Dans certains groupes d'enfants et d'adolescents, le statut peut être déterminé par la taille du groupe ou la possession du seul ballon de football dont le groupe puisse disposer, ou encore par la voix plus ou moins forte de certains individus 11. SHERIF et SHERIF, op. cit., p. 101. 12. C. McGlJIRE et R. A. CLARK, « Age Mate Acceptance and Indices of Peer Status », Child Development 23, 1952, pp. 141-154. 13. D . CARTWRIGHT et A. ZANDER, Group Dynamics : Research and Theory, Evanston, III., Row, Petersen, i 9 6 0 , p. 648.

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On considère également que la structure est constituée des différentes parties du groupe que l'on peut distinguer, c'est-à-dire des sousgroupes ou cliques. [...] Structures formelles et informelles Tous les groupes formels possèdent des structures organisées. Une caractéristique de tous les groupes de travail formels est la différenciation des rôles et des responsabilités concernant le but, la tâche ou l'objectif du groupe. En effet, on organise et structure un groupe de travail pour que celui-ci puisse parvenir à ses buts. Dans bien des groupes, la fonction de leadership est un élément important de la structure, de même que le groupement des individus de façon à favoriser la réalisation des buts, la coopération de tous et le travail efficace du leader. Cependant, la structuration formelle n'est pas seule à déterminer les attentes des membres concernant les rôles. Les membres eux-mêmes attendent certaines choses les uns des autres comme de la part de l'organisation considérée dans son ensemble. Ceci est vrai quel que soit le type de groupe concerné ou quelles que soient les caractéristiques des membres du groupe. La structure formelle peut avoir une grande influence sur le genre de relations interpersonnelles qui se créent mais elle ne décide pas à l'avance de tous les types d'attentes supplémentaires qui surgissent. Au sein de la structure formelle, il se développe un groupe informel. Quand ce groupe est cohésif et que les relations des membres sont cordiales, cette structure informelle procure beaucoup de satisfactions aux membres du groupe. De plus, elle influence fréquemment la productivité du groupe ou peut agir pour protéger les membres contre des pratiques autoritaires qu'ils conçoivent comme une menace pour leur bien-être. Organisation du groupe-classe On doit reconnaître que les classes représentent fréquemment des structures très organisées. Leur organisation est souvent prédéterminée et complètement indépendante des préférences et des désirs individuels. Un des facteurs qui créent et nécessitent une différenciation des positions dans l'organisation formelle est que des membres différents ont des aptitudes différentes. Il faut également permettre aux leaders de travailler efficacement, c'est-à-dire d'aider les membres du groupe à accomplir leurs tâches et de faire en sorte que le but du groupe soit

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atteint. Il semble parfois que l'intention qui a présidé à la structuration des classes, ait été davantage de permettre aux enseignants et aux responsables d'établissement de remplir leurs tâches le plus aisément possible que de permettre aux élèves d'accomplir les leurs au mieux. Naturellement, on pourrait répliquer que, si la structure établie facilite le travail de l'enseignant, les enfants seront davantage suivis et apprendront plus. Cet argument est pourtant contestable. En tout cas, quel que soit le fondement de cette structuration, on la justifie habituellement en disant qu'il s'agit de tenir davantage compte des divergences individuelles et d'aider chacun à atteindre son plein développement. Havighurst et Neugarten " pensent que cette structuration ou ce classement établis par les écoles sont fondés sur deux facteurs : les aptitudes de l'enfant et son origine sociale. Ils prétendent que le système d'éducation tend, involontairement il est vrai, à traiter les enfants qui ont un statut social supérieur différemment des autres. Ceci semble en effet largement prouvé. Un examen de quelques-unes des techniques de groupement communément employées dans diverses régions révèle que ces structures scolaires formelles favorisent une sorte de système de caste. Au niveau le plus élevé de ce système se trouvent les enfants dont les aptitudes mentales sont les mieux adaptées au travail académique de l'école. Au niveau le plus bas sont ceux dont les aptitudes ne sont pas ainsi adaptées ou bien à qui il manque les motivations nécessaires pour réaliser ce qu'ils sont capables de réaliser. Beaucoup d'enfants de ces « groupes inférieurs » ont des origines qu'on peut qualifier de « modestes » car elles n'offrent pas d'expériences qui préparent l'enfant aux tâches exigées par les programmes scolaires. Les groupements d'élèves [...} Les méthodes utilisées pour grouper les élèves dans les classes secondaires accordent une importance variable à certains éléments tels que : I o le programme ; 2° les aptitudes révélées par des tests divers ; 3° le sexe ; 4° un enseignement des matières organisé de façon logique. Dans les classes secondaires, l'interaction est souvent restreinte et il se produit une structuration supplémentaire du fait de méthodes qui consistent : I o à assigner arbitrairement des places aux élèves selon un ordre alphabétique ; 2° à séparer les élèves qui sont « trop amis », en les mettant dans des classes différentes ou à et B. L. NEUGARTEN, Society and Education, Boston, Mass., Allyn & Bacon, 1957, p. 230.

1 4 . R . J. HAVIGHURST

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des places éloignées ; 3° à empêcher les élèves de parler sans en avoir préalablement obtenu la permission ; 4° à organiser des discussions en classe de façon à ce que la communication se fasse d'élève à enseignant ou d'enseignant à élève. A l'école élémentaire, il n'est pas rare que les élèves soient groupés selon leurs quotients intellectuels en trois sections de proportions à peu près égales. Le quotient d'un groupe peut aller de 70 à 92, celui du groupe moyen de 93 à 110 et celui du groupe supérieur de 110 à 140 ou plus. Les programmes et les méthodes pédagogiques sont habituellement différenciés dans ces trois sections qui sont rendues plus homogènes par leur Q I . Le programme du groupe intermédiaire correspond à peu près à ce que l'on attend d'un niveau moyen. Celui du groupe supérieur est habituellement enrichi et les buts fixés sont plus ambitieux. Quant au groupe inférieur, son programme peut être constitué des bases essentielles et ses buts sont plus limités. Ce « groupement homogène » peut être pratiqué en répartissant les enfants dans des classes différentes. Il est aussi courant de diviser chaque classe en groupes selon les aptitudes (ou la valeur) des élèves et d'adapter le programme à ces différents niveaux. On forme habituellement trois groupes de valeur à l'intérieur d'une classe : un supérieur (ou fort), un moyen et un inférieur (ou faible), et bien que de nombreux facteurs entrent en jeu dans cette répartition, les tests d'intelligence sont habituellement les facteurs déterminants. Cette façon de structurer la classe complique beaucoup l'organisation de celle-ci, car l'enseignant a souvent trois ou quatre groupes différents dans une même salle. Il se peut même que la classe soit divisée en groupes qui diffèrent suivant la matière enseignée. On peut ainsi avoir des groupes de lecture, des groupes d'orthographe et d'autres encore pour l'arithmétique. Même si le groupement par valeur n'est pas employé pour toutes les matières au programme, il est courant à l'école élémentaire de grouper les élèves selon leurs résultats en lecture. La division de la classe en trois groupes de lecture est très répandue bien que d'autres organisations possibles soient proposées de temps en temps. Cette répartition des enfants crée ainsi des groupes faibles, moyens, forts. En principe ce groupement est souple, c'est-à-dire qu'on fait passer dans le groupe supérieur un enfant qui fait des progrès. Cependant, cette souplesse est plus théorique que pratique. En effet, les textes de lecture sont prévus et conçus pour présenter les connaissances et le vocabulaire de façon graduelle. On ne présente pas de nouvelles

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connaissances avant qu'un enfant ne se soit rendu maître de celles qui précédaient et qui servent ainsi de base. Par exemple, on ne demande pas à un enfant de prononcer les mots en détachant les syllabes avant qu'il ait suffisamment assimilé les règles concernant les voyelles. Lorsqu'on fait passer un enfant d'un groupe faible dans un groupe moyen, il lui faut changer de textes. Or tous les groupes ne finissent pas leurs textes au même moment. Si un enfant est mis dans un groupe moyen, il est obligé de sauter ce que le groupe a déjà étudié. Dans bien des cas, il lui manquera alors les bases nécessaires pour acquérir de nouvelles connaissances que le groupe auquel il appartient maintenant a déjà acquises. On peut donc dire qu'un groupement souple n'est pas aussi souvent pratiqué que les enseignants le conseillent. En fait, il n'est pas rare dans certaines régions de trouver une classe où les enfants occupent en permanence certaines tables selon leur répartition en forts, moyens ou faibles. Même si les « faibles » peuvent être moyens ou forts en arithmétique ou dans d'autres matières, ou bien si les « forts » peuvent être faibles par ailleurs, on détermine une structure hiérarchique d'après les résultats obtenus en lecture et ceci est souligné par les positions occupées par les élèves. Conséquences des méthodes de groupement La recherche prouve que les structures de statuts qui ne permettent guère de progression vers le haut créent des sentiments hostiles entre les individus et de l'antipathie envers le groupe. Nous avons déjà parlé de l'expérience de Kelley 15 qui hiérarchisa des groupes expérimentaux en attribuant à certains membres des positions centrales fixes et à d'autres des positions périphériques mobiles. Chacune de ces positions correspondait à un statut supérieur ou inférieur. Il ressortait de l'étude que, dans le cas d'un statut inférieur et fixe et dans celui d'un statut supérieur et mobile, l'attractivité du groupe était nettement moindre que dans les conditions expérimentales opposées : statut supérieur fixe et statut inférieur mobile. Autrement dit, deux catégories d'individus n'étaient pas tellement attirées par le groupe : ceux qui, placés dans les groupes inférieurs, s'apercevaient qu'il ne leur était pas possible d'arriver à une position plus élevée et ceux qui, dans les groupes supérieurs, étaient toujours menacés de déplacement. La sympathie des membres pour le groupe était affectée

15. H. H. KELLEY, « Communication in Experimentally Created Hiérarchies >,

Human Relations 4, 1951, pp. 39-56.

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par ce genre de structuration. Kelley en conclut qu'un statut supérieur accompagné d'une position sûre et un statut inférieur permettant une progression vers le haut, agissaient également pour créer une atmosphère amicale entre les différents niveaux. Bien qu'il soit difficile de déterminer quels sont les effets précis de cette organisation en groupes de lecture sur le comportement individuel ou groupai, il semble bien qu'une telle structuration ait une influence négative sur la cohésion de tout le groupe et aussi qu'elle accentue les sentiments de défaite, de colère et de perplexité chez les enfants. Il ne viendrait à l'idée de personne de nier que les enfants qui ont des difficultés à apprendre à lire ont besoin d'une instruction spéciale ; cependant il semble bien que le fait de leur attribuer au sein du groupe une position inférieure clairement perçue comme telle, ne fasse qu'augmenter leur frustration. On a aussi trouvé que les enfants qui se montrent incapables de lire manifestent en lisant des réactions de dépendance, d'agressivité ou de retrait nettement plus prononcées que les enfants qui n'éprouvent pas de semblables difficultés 16. Il est également prouvé qu'il existe une relation entre le statut de prestige parmi les pairs et le statut fondé sur les résultats en lecture. Ceci semble vrai quel que soit le niveau socio-économique de la communauté scolaire Aucun enfant ne désire qu'on lui rappelle constamment qu'il ne sait pas lire, et il peut en arriver à se sentir inadapté et peut-être rejeté et alors devenir un facteur de perturbation dans la classe. Il n'y a pas d'enfants qui souhaitent occuper une position inférieure. Ainsi les enfants de cours préparatoire qui appartiennent à des groupes de lecture faibles et moyens aspirent-ils à se faire des amis dans le groupe fort. En revanche, les membres du groupe fort choisissent leurs amis parmi ceux qui appartiennent à ce même groupe. Cette constatation a été confirmée par des enseignants qui ont fait des études sociométriques dans leurs propres classes. Il faut naturellement reconnaître que d'autres facteurs entrent en ligne de compte et que de telles études n'indiquent pas jusqu'à quel point l'organisation en groupes forts, moyens et faibles est un facteur déterminant. La différence d'attractivité que présentent les positions au sein d'un groupe pousse les membres à en changer. Lorsqu'il ne semble 16. G. NATCHEZ, « Oral Reading Used as Indicator of Reactions tration », Journal of Educational Research 54, avril 1961, pp. 17. O . V . PORTERFIELD et H. F. SCHLICHTING, « Peer Status and Achievement », Journal of Educational Research 54, avril, 1961, 297.

to Frus308-311. Reading pp. 291-

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pas y avoir de moyens d'atteindre des positions attractives, le moral du groupe en souffre. Il est cependant possible que la structure scolaire formelle comprenne des possibilités d'avancement tout à fait explicites d'un groupe à un autre, qu'il s'agisse de lecture, d'arithmétique ou d'autres matières. Cette méthode est bien plus souhaitable que celles qui créent des groupes où le changement ne semble guère probable. [...] Thibaut et Riecken 1 8 étudièrent les réactions de membres de groupes envers des agresseurs dont le statut différait. Il s'avéra que les membres ayant un statut inférieur rejetaient moins violemment ceux dont le statut était supérieur. En revanche, ces membres de statut supérieur rejetaient plus violemment les membres dont le statut était inférieur. C'est ainsi que les enfants appartenant au groupe faible en arithmétique parlaient tout haut en classe et gênaient les plus forts sans toutefois communiquer directement leurs sentiments agressifs aux membres de cet autre groupe. Au contraire ceux-ci exprimaient nettement leur colère envers les agresseurs de statut inférieur. Les membres considérés comme « inférieurs » de par leur statut sont rejetés de bien d'autres façons. On a ainsi tendance à juger ce qu'ils accomplissent d'après leur statut. Sherif 18 s'aperçut par exemple que les garçons surestimaient ce qu'accomplissaient les membres de leur groupe dont le statut était élevé alors qu'ils sous-estimaient les résultats de ceux dont le statut était bas. (Ces garçons étaient dans un camp d'été. C'étaient des enfants de onze et douze ans normaux et bien adaptés et dont les origines étaient homogènes.) On a remarqué que les membres d'un groupe qui prévoient qu'ils ne seront guère appréciés tendent à surestimer le statut sociométrique des autres ; en revanche, ceux qui s'attendent à bien réussir sousestiment le statut des autres. Ajoutons que les individus qui sousestiment leur propre statut ont aussi tendance à croire qu'ils n'accomplissent jamais que quelque chose de médiocre 20 . Harvey 21 s'est aperçu que plus le statut d'un membre était bas, 18. J. THIBAUT et H . RIECKEN, « Authoritarianism, Status and the Communication of Aggression », Human Relations 8, 1 9 5 5 , pp. 9 5 - 1 2 0 . 19. M. SHERIF, « Experiments in Group Conflict », Scientific American 195, novembre 1 9 5 6 , pp. 5 4 - 5 8 . 2 0 . H . SCHIFF, « Judgmental Response Sets in the Perception of Sociometric Status », Sociometry 17, 1 9 5 4 , pp. 2 0 7 - 2 2 7 . 2 1 . O. J. HARVEY, « An Expérimental Approach to the Study of Status Relations in Informai Groups », American Sociological Review 18, 1 9 5 3 , pp. 3 5 7 - 3 6 7 .

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plus les autres sous-estimaient ce qu'il faisait. Plus son statut était élevé, plus ses actions étaient surestimées, et plus on attendait de lui. Les sujets de son étude étaient des adolescents, membres de cliques bien définies. Le problème de la répartition des élèves en groupes est discuté du point de vue philosophique depuis bien des années et beaucoup d'expériences ont été tentées et continuent de l'être. Il semble s'avérer que, quel que soit le projet d'organisation formelle qui place les enfants dans des groupes faibles, moyens et fort nettement délimités, celui-ci retardera gravement l'apprentissage dans un domaine ou un autre. Parfois, des enfants qui ont des quotients intellectuels élevés sont mis dans des classes « pilotes » et eux aussi répartis en groupes de valeurs différentes pour faciliter l'enseignement. Il s'est alors présenté des cas où les enfants appartenant au groupe inférieur ont demandé à être remis dans une classe normale où ils ne seraient pas qualifiés de « faibles » au sein de leur classe. Cette même demande a été faite par des parents parce que l'expérience vécue par leurs enfants semblait les rendre anxieux et malheureux et qu'ils préféraient être « forts » dans une classe normale. Nous manquons cependant de preuves objectives pour déterminer si un grand nombre d'enfants réagissent de cette manière. Pour établir si le groupement d'élèves peut vraiment constituer une menace pour l'estime de soi de chacun, A. et E. Luchins " demandèrent à 190 élèves de la neuvième à la septième, groupés de façon homogène, quelles sections ils préféreraient s'ils pouvaient choisir. Lors de cette interview, il s'avéra que chaque enfant avait conscience de la qualité brillante, moyenne ou médiocre attribuée à sa classe. Dans chaque section, 75 % au moins des élèves dirent préférer la section supérieure. Il n'y eut que 4 % des enfants brillants et 25 % des médiocres qui choisirent la section inférieure. D'après les preuves réunies, il semble qu'on puisse dire qu'une méthode rigide de structuration des classes selon les aptitudes affecte gravement l'attitude des enfants envers eux-mêmes et envers les autres comme envers l'apprentissage et l'école. Etant donné que certains des problèmes les plus urgents de notre société concernent les relations humaines, la délinquance et la santé mentale des gens, il viendra sans doute un jour où il nous faudra décider si le prix que nous payons pour notre éducation académique n'est pas trop 22. A. S. LUCHINS et E. H. LUCHINS, « Children's Attitudes Toward Homogeneous Groupings », Journal of Genetic Psychology 72, 1948, pp. 3-9.

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élevé. Ce ne sont pas des délinquants, des névrosés ni des individus dépendants, fussent-ils cultivés, qui pourront longtemps perpétuer une société libre. Quelle solution apporter alors au problème du groupement ? Il est très vrai que lorsque des enfants progressent de classe en classe avec des camarades de même âge sans qu'il soit tenu compte de leurs résultats, il surgit bien des difficultés en ce qui concerne le programme et la pédagogie. En effet, les enfants diffèrent beaucoup quant à leur niveau et à la vitesse avec laquelle ils assimilent les nouvelles connaissances. Plus la classe est élevée et plus la gamme des âges mentaux et des niveaux scolaires est étendue. Washburn " propose de laisser ensemble l'année suivante les enfants qui ont le même âge et s'entendent suffisamment bien, quelles que puissent être les différences d'âge mental. Cette proposition ne met en relief aucun type de résultats. Chaque enfant pourrait acquérir un ensemble commun de connaissances — lecture, arithmétique, langues, orthographe, etc. — mais le ferait à son propre rythme. Il travaillerait seul à certains moments de la journée mais, la plupart du temps, prendrait part au travail du groupe en discutant, écoutant, faisant des recherches et aidant à élaborer des projets et à les réaliser. Bien que nous insistions dans ce livre sur les groupes et leur comportement, nous ne prétendons pas que l'apprentissage en groupe soit supérieur à l'apprentissage individuel ou que les individus isolés ne soient pas mieux à même de résoudre certains problèmes. Certaines connaissances académiques (qu'on distingue alors des connaissances sociales) doivent être acquises individuellement et enseignées de même. Les enfants travaillent alors à leur propre rythme. En lecture, par exemple, une partie du travail peut être individualisée. Les enfants peuvent travailler de temps en temps en équipes de deux ou trois, celles-ci n'étant pas toujours constituées d'après les résultats en lecture mais pouvant être formées d'amis qui aiment à travailler ensemble. Les petits groupes peuvent travailler avec l'enseignant ou avec des élèves qui jouent le rôle d'enseignants". Il faut ici souligner qu'il est habituellement nécessaire de répartir les élèves en petits groupes de travail. En effet, il ne faut pas oublier que les besoins et les aptitudes diffèrent et que les enseignants doivent travailler avec des individus. Le problème est donc d'orga23. C . W . WASHBURN, « Adjusting the Program to the Child », Educational Leadership 11, décembre 1953, pp. 138-147. 24. D. D. DURRELL, Improving Reading Instruction, New York, World Book Company, 1956, pp. 125-134.

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niser ces groupes. Il faut naturellement prendre en considération la nature de la tâche ou de l'activité mais si les classes ont une taille raisonnable, il semble possible de grouper les élèves qui ont besoin d'aide dans certains domaines, de façon différente chaque jour. Dans bien des cas, les élèves eux-mêmes peuvent participer à la formation de ces groupes, c'est-à-dire qu'ils peuvent choisir de travailler avec l'enseignant dans un groupe qui a pour but d'améliorer certaines connaissances ou qu'ils peuvent préférer travailler seuls certains jours. Les enfants peuvent parfois s'entraider en travaillant par groupes de deux ou trois. Ils peuvent ainsi apprendre à donner et à recevoir de l'aide sans pour cela devenir dépendants ou se sentir menacés. En fait, l'aide la plus précieuse qu'un enfant puisse recevoir provient parfois de ses camarades de classe qui l'acceptent et le soutiennent lorsqu'il apprend mal et n'a pas fait autant de progrès que les autres. Les méthodes de groupement doivent faire l'objet d'autres recherches. Il est cependant possible de limiter la tension et la frustration que crée chez les enfants la répartition en groupes faibles, moyens ou forts, en diversifiant les types de groupes de même que les bases sur lesquelles ils sont constitués. 5. Interaction et communication Les modes de communication, ou encore le réseau de communications, sont un facteur clef dans le processus d'interaction, car c'est à travers des communications que se produisent les interactions. Newcomb 25 suggère que l'interaction est une forme de communication et pense que bien des traits du comportement social que l'on a qualifiés d'interactifs pourraient être plus justement étudiés en tant que phénomènes de communication. Il est prouvé que la communication exerce une influence prépondérante sur le type de comportement dont une classe fait preuve. Ainsi, certains problèmes de comportement sur lesquels les enseignants reviennent souvent, semblent être le résultat de tensions et de frustrations qui peuvent être dues à une mauvaise communication dans le groupe. De la même façon, une communication médiocre peut expliquer que certains groupes soient incapables d'arriver à l'harmonie, ou bien peut être responsable des difficultés qu'éprouvent d'autres groupes à établir des normes de comportement souhaitables. Elle peut aussi expliquer pourquoi certains enseignants ne peuvent 2 5 . T . NEWCOMB, « An Approach to the Study of Communicative Acts s>, Psychological Revteiv 6 0 , septembre 1 9 5 3 , pp. 3 9 3 - 4 0 4 .

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ni atteindre leurs élèves ni les aider à réaliser pleinement toutes leurs possibilités. La structure de communication non seulement détermine la fréquence, la durée et la direction des communications entre les membres, mais encore peut, dans bien des cas, en restreindre le contenu. Ce qui est dit, comment et à qui dépend ainsi de cette structure. Beaucoup d'études ont recherché les effets des diverses structures de communication sur les réalisations et le moral du groupe de même que sur la satisfaction des individus et sur d'autres aspects du comportement groupai et individuel, mais la plupart d'entre elles ont été menées avec de petits groupes de laboratoire. Certaines expériences ont étudié les canaux de communication et la résolution des problèmes relatifs aux communications qui naissent dans de grandes organisations. Mais ces découvertes semblent ne pas avoir de grande utilité pour les classes parce que les organisations et les problèmes étudiés sont tout à fait différents de ceux qui se présentent en situation scolaire. Cependant, certaines d'entre elles ayant trait à la position des membres dans la structure de communication et aux communications unilatérales et restreintes semblent pouvoir être adaptées à la pédagogie. L'information

en retour (feedback)

et la

communication

La recherche semble indiquer que l'exactitude des communications se trouve réduite lorsque celles-ci sont surtout unilatérales, c'est-à-dire, de l'enseignant vers la classe et fort peu en retour de la classe vers l'enseignant. Si les élèves ne peuvent pas exprimer librement leurs réponses, s'ils ne communiquent pas avec l'enseignant par apathie, manque d'occasion, crainte ou pour toute autre raison ; s'ils ne posent pas de questions ; s'ils n'expriment pas leurs réactions négatives, alors l'enseignant et la classe sont moins sûrs d'eux et le groupe a tendance à être hostile envers le professeur. Les études entreprises montrent qu'une période initiale d'information en retour améliore l'exactitude des communications car les élèves apprennent alors à comprendre les techniques de communication employées par l'enseignant et à interpréter ses actions. Une fois cette période initiale passée, l'information en retour peut être moins indispensable. Cette expérience de la communication avec un groupe particulier permet aux enseignants de mieux transmettre leurs connaissances (à condition d'encourager le « feedback ») et aux membres d'être mieux à même de les recevoir. [...]

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Les styles de leadership Qu'est-ce que diriger effectivement une classe ? Peut-on discerner des comportements en ce domaine ? Quels sont les effets de certaines méthodes de leadership sur les interactions dans la classe ? Ces questions se posent continuellement en pédagogie, car les réponses influent sur la formation des enseignants et sur les méthodes permettant de les sélectionner. Malheureusement, les conceptions diffèrent beaucoup à ce sujet. Cela n'a rien d'étonnant puisque la notion même de leadership est sujette à controverse. La plupart des éducateurs ne considèrent pas l'acte d'enseigner comme un phénomène de direction. Pour eux, les enseignants ne sont pas des gens qui dirigent, pas plus que le métier d'enseignant n'est une fonction de direction. Ils voient plutôt l'enseignement comme un ensemble de compétences qui sont le fait de l'enseignant et comme des connaissances et des techniques à transmettre. [...} 1. Concepts relatifs au leadership Il est tout d'abord nécessaire de distinguer divers types de leaders. Il existe en fait trois sortes de meneurs : 1. celui qui se distingue par quelque aptitude exceptionnelle dans un domaine particulier ; 2. celui qui se situe dans un groupe informel ; 3. celui à qui on attribue une position d'autorité. C'est à ce dernier groupe qu'appartiennent les enseignants. Les travaux ayant trait aux deux premiers groupes ne s'appliquent donc pas directement à eux mais beaucoup d'aspects se recoupent et il conviendra de les envisager jusqu'à un certain point. Définitions Le terme de « leadership » indique un type de comportement par rapport à un groupe. On parle parfois du leadership en termes de dominance, comme d'un acte ou d'une réaction qui affecte l'attitude ou les actes d'autres personnes 26. On l'a défini plus précisément comme un processus « par lequel un individu dirige, guide, influence ou contrôle les pensées, les sentiments ou le comportement des autres 26. K. YOUNG, Social Psychology, p. 2 5 1 .

New York, Appleton-Century-Crofts, 1956,

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êtres humains » Cependant, pour certains, le fait de diriger est l'apanage d'un seul, alors que pour d'autres c'est une propriété du groupe, une fonction du groupe dans son ensemble. D'aucuns prétendent que le terme de leadership ne devrait être utilisé que si l'influence d'un meneur est acceptée volontairement ou s'il s'agit d'une « direction partagée » 2a. Mais on définit aussi le leadership comme « le produit de l'interaction entre la personnalité du meneur et la situation sociale dynamique dans laquelle il se trouve » 29. Il existe bien d'autres définitions encore, mais celles qu'on vient de mentionner suffisent à montrer que le leadership est quelque chose de plus que le simple contrôle d'une situation. Différents modes d'approche Une façon d'envisager ce qu'est le leadership consiste à étudier ses rapports avec certains traits physiques, intellectuels ou relatifs à la personnalité de ceux qui dirigent un groupe. Les sociologues qui défendent ce point de vue essaient d'isoler certaines tendances spécifiques de la personnalité et certains attributs positifs des gens qui sont ou deviennent des leaders. Cet aspect du problème est, en effet, important mais très insuffisant si on s'en tient là. Lorsqu'on résume les découvertes faites dans ce domaine, on s'aperçoit en particulier que les chercheurs ne sont pas d'accord dans la plupart des cas. Et lorsqu'ils sont d'accord, les différences entre leaders et suiveurs sont minimes. Stogdill 30 se livra à une enquête qui recouvrit une centaine d'études concernant les « facteurs personnels liés à la fonction de direction ». Il s'aperçut que l'intelligence, l'érudition, la participation sociale et le statut socio-économique des leaders étaient au-dessus de la moyenne et qu'on pouvait davantage avoir confiance en eux. Cependant, d'autres études citent parmi les caractéristiques des leaders : l'initiative, le sens de l'humour, l'esprit de coopération, etc. Une des raisons de cette disparité provient de l'emploi de termes différents ; une autre, du fait que les types de leadership varient selon les groupes. On peut aussi envisager le leadership en étudiant les fonctions 27. F. S. HAIMAN, Group Leadership and Democratic Action, Boston, Mass., Houghton Mifflin, 1951, p. 4. 28. C. A. GlBB, « leadershop », in : Lindzey, op. cit., p. 879. 29. H. BONNER, Social Psychology : An Interdisciplinary Approach, New York, American Book Company, 1953, p. 399. 30. R. M. STODGILL, « Personal Factors Associated with leadership : A Survey of the Liteiature », Journal

of Psychology

2 5 , 1 9 4 8 , pp. 3 5 - 7 1 .

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ou le travail du leader. Certaines études essaient de déterminer ces fonctions sans s'attacher au type du groupe ou à la situation, mais en considérant uniquement les buts liés aux tâches et au maintien du groupe. Le leader aide en effet le groupe à établir des buts et à les poursuivre, de même qu'il l'aide à résoudre ses difficultés interpersonnelles et à maintenir le respect entre les membres. Hemphill 31 a identifié cinq fonctions communes à tous les leaders : 1. poursuivre l'objectif du groupe, 2. administrer, 3. pousser le groupe à l'action, 4. renforcer le sentiment de sécurité du groupe, 5. agir sans considérer son propre intérêt. Selon ce point de vue, la fonction du leader est une forme d'interaction sociale s'exerçant entre l'individu qui occupe cette position et les membres du groupe. Un certain nombre d'études ont permis d'établir les principes suivants applicables à tous les leaders et en particulier aux enseignants : 1. Un leader formule des projets en accord avec les objectifs du groupe ; 2. Il analyse, organise et aide le groupe à mener à bien ses décisions et ses projets ; 3. Il crée et maintient le moral et la solidarité du groupe ; 4. Il apporte des informations et facilite les communications à l'intérieur du groupe ; 5. Il veille à ce que les objectifs et activités des individus restent en accord avec ceux du groupe ; 6. Il se réfère à un ensemble logique de principes, lorsqu'il exprime son approbation ou sa désapprobation. Cette approche behavioriste ou fonctionnelle considère que la position du leader et le type de situation dans laquelle il se trouve décideront de la façon dont il remplira certaines fonctions. Il est donc évident que la liste ci-dessus, tout en s'appliquant aux enseignants en général, n'indique pas jusqu'à quel point un professeur particulier se consacrera à des fonctions particulières, ni dans quelle mesure il partagera ces fonctions avec ses élèves. Une troisième approche consiste à étudier les effets de certaines méthodes de direction sur le travail et le comportement des groupes. Les premières études effectuées dans ce domaine s'intéressaient surtout aux effets que pouvait avoir un type de leadership autoritaire, démocratique, ou de « laissez-faire » sur l'atmosphère ou le climat du 31. J . K. HEMPHILL, Situational Factors in Leadership, Ohio State University Educational Research Monograph n" 32, 1949.

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groupe. Ce type de leadership indique que celui qui dirige le groupe travaille avec lui et que les responsabilités d'autorité sont partagées. On peut alors définir le leadership comme l'influence qu'exerce un individu sur le comportement du groupe, et l'évaluer d'après le travail du groupe considéré dans sa totalité. Cattell 32 a étudié ce leadership de participation ou de résolution de problème, et son étude est en accord avec certaines des recherches les plus récentes dans ce domaine. Selon lui, la personnalité consiste en des caractéristiques de comportement mesurables. On peut donc décrire un leader à l'aide de ces caractéristiques. Les recherches ont également montré que le leadership de participation a une meilleure action sur les groupes : ceux-ci sont alors plus productifs, amicaux et cohésifs et sont davantage satisfaits de leurs conditions de travail. [...} 2. Le leadership dans la classe Des nombreuses définitions du leadership que nous avons citées, il ressort que l'enseignant peut être considéré comme quelqu'un qui dirige, conduit une classe. Si on ne l'a pas souvent étudié de ce point de vue, c'est peut-être parce que les termes « leadership » et « pratiques de leadership » impliquent souvent la prédominance ou la force. On croit aussi couramment qu'un enseignement démocratique consiste à guider (leading) plutôt qu'à diriger (directing). Le fait est pourtant qu'un enseignant doit diriger et influencer psychologiquement sa classe, même si on évite souvent de reconnaître cette vérité en ayant recours à des expressions telles que « procédures pédagogiques » ou « méthodes d'enseignement ». L'enseignant en tant que leader Un enseignant occupe une position qui lui confère la responsabilité de coordonner et organiser les activités des élèves en vue de certains buts éducatifs. Ses fonctions sont complexes mais, lorsqu'on les considère dans l'optique du leadership, il est plus facile d'étudier leurs nombreux aspects. On peut ainsi examiner les réactions des élèves et du groupe à certaines méthodes de leadership et quel effet ces méthodes produisent sur le moral et l'intégration du groupe. Ceci nous permet alors d'abandonner des termes aussi vagues qu' « atmo32. R . B . CATTELL, « N e w Concepts for Measuring Leadership in Terms of G r o u p Syntality », Human Relations 4, 1951, pp. 161-184.

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groupes

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sphère > ec « climat » qui ne correspondent pas à un comportement précis de l'enseignant. Il est aussi plus facile d'évaluer comment un enseignant influence ses élèves. Bien que la recherche n'ait pas encore été capable de rattacher le phénomène général du leadership à certains traits spécifiques de la personnalité, on peut cependant déterminer les qualités et caractéristiques de celui qui conduit une classe dans un contexte précis. Ceci permet de prédire avec plus de chances de succès, comment les enseignants réussiront dans des situations scolaires déterminées. Il est généralement admis qu'un futur enseignant doit acquérir certaines connaissances et techniques concernant l'interaction enseignant-élèves. Il ne faut pas oublier cependant que cette relation dyadique doit s'établir dans le cadre d'une classe de trente élèves ou plus. Bien que la formation des enseignants insiste sur ces relations enseignant-élèves, il est bon de signaler que, dans la pratique, l'efficacité de l'enseignant se traduit par la réussite qu'il obtient dans la conduite du groupe entier. Son aptitude à diriger des enfants individuellement aura peu de valeur si elle ne s'accompagne d'une égale aptitude à diriger toute la classe. La thèse que nous défendons dans ce livre est qu'un professeur qui réussit doit faire preuve de souplesse. S'il n'arrive pas à diriger sa classe, il est très douteux que les enfants réussissent à maîtriser les techniques et connaissances fondamentales ou à atteindre les autres buts éducatifs en vue desquels le groupe a été organisé. Puisque l'enseignant est placé dans la position de leader formel d'un groupe et qu'on lui confère le pouvoir et l'autorité nécessaires pour conduire et guider le groupe, les théories et recherches relatives aux leaders non scolaires peuvent lui être appliquées. Certains enseignants et « profanes » croient qu'on obtient un « bon » comportement par la force ; ils approuvent et récompensent les enfants qui sont sages, dociles et soumis, et qui acceptent les règlements sans difficultés. Ceux qui n'obéissent pas ou mettent les règlements en question sont désapprouvés et punis. Une autre catégorie d'enseignants et de « profanes » ne croient pas à la discipline et à la force, mais souhaitent favoriser chez les enfants certaines attitudes et opinions de façon à ce qu'ils tendent de leur plein gré à adopter des comportements socialement approuvés. Ces enseignants savent qu'imposer des principes et des règlements ne modifie

3 3 . H E M P H I L L , op.

1

cit.

194

f i t u d e s des p e t i t s g r o u p e s et p é d a g o g i e

pas les comportements « médiocres >, pas plus que cette méthode ne favorise une « bonne conduite », le respect de la loi, de l'ordre ou des droits d'autrui. Il semble que beaucoup d'enseignants soient portés par leurs convictions profondes à appartenir à la seconde catégorie, bien qu'ils utilisent les méthodes prônées par les adeptes du premier groupe. Il y a plusieurs raisons à cette apparente contradiction entre les convictions et le comportement réel. D'abord, beaucoup d'enseignants ne savent pas comment favoriser chez leurs élèves les attitudes et les valeurs qui contribuent à une conduite socialement désirée et approuvée. Ensuite, les enseignants confrontés à des classes qui se conduisent mal ne connaissent pas les méthodes qui permettraient de modifier cet état de fait. Enfin, les responsables de l'école et la communauté s'attendent à ce que la conduite d'une classe soit « bonne » dès le premier jour. On n'accorde pas toujours aux enseignants le temps et la possibilité de développer des types de comportement satisfaisants. Ces pressions constantes auxquelles ils sont soumis se reflètent alors dans les méthodes pédagogiques. Il faut encore tenir compte d'un dernier facteur : l'influence que peuvent avoir les problèmes et les besoins personnels de l'enseignant sur son propre comportement. Ce facteur de motivation personnelle ne doit pas être ignoré. Le succès d'un enseignant peut dépendre des exigences de son moi, d'un désir de domination ou de prestige ou encore de ses besoins créateurs. Par exemple, si l'enseignant aime le pouvoir et le convoite, cela influera énormément sur les méthodes qu'il emploiera dans ses classes. Ce dernier facteur explique aussi pourquoi, lorsque les classes créent des problèmes, certains enseignants considèrent ceux-ci de façon calme et objective, alors que d'autres se sentent frustrés du fait de leurs besoins et problèmes personnels. Les fonctions de leader dans une classe sont complexes, car l'enseignant doit agir sur plusieurs fronts. On peut, cependant, essayer de déterminer un certain nombre de dimensions particulières au leadership scolaire. A l'intérieur du système complexe que constitue la classe, l'enseignant doit entretenir des relations sociales positives avec le groupe entier et aussi comprendre les aptitudes et les faiblesses de chaque membre. Ceci nécessite de sa part une grande considération et un fort degré de compréhension sociale. Il lui faut aussi maintenir certaines normes de comportement afin que chaque enfant puisse travailler en fonction de son potentiel personnel. Il s'agit là de ce qu'on peut appeler son rôle d'intégration. L'organisation est une autre qualité très importante, aussi bien en ce qui

Ai. A. Baity/L. V. Johnson

: Dynamique

des

groupes

195

concerne le propre travail de l'enseignant que celui du groupe et de chaque membre en particulier. La motivation des tâches

et la

réalisation

constituent deux autres dimensions. Enfin, la dernière

peut être appelée la conscience

sociale

les processus d'interaction du groupe. [...]

ou l'aptitude à reconnaître

DEUXIÈME

PARTIE

La connaissance du sujet

CHAPITRE

III

Psychologie et pédagogie

Introduction

Pour le pédagogue praticien, la psychologie, trop souvent nimbée d'un halo de mystère, reste une science redoutée dont, instinctivement, il se sent parfois porté à se méfier. De ce fait ses rapports avec le psychologue sont terriblement ambigus : refusant avec raison de laisser annexer sa pratique par la psychologie, il n'accepte d'avoir recours à ce personnage qu'à propos — exclusivement — des enfants difficiles, inadaptés à l'école, qui ne semblent pas relever d'un enseignement « normal » car ils constituent souvent un obstacle au fonctionnement harmonieux de la machine scolaire1. A notre avis la psychologie à l'école souffre encore d'une maladie de jeunesse héritée du temps où les riches travaux d'A. Binet2, promoteur de la méthode des tests, furent motivés par l'inadaption d'un certain nombre d'enfants au contenu de l'enseignement obligatoire récent. De ces travaux — entre autres — est née une psychologie des aptitudes que nous nous gardons bien de critiquer systématiquement, mais qui aboutit dans certains cas à une définition un peu étroite de l'intelligence et à une vue figée des possibilités individuelles de réussite scolaire. Aujourd'hui encore la notion de Quotient Intellectuel — étiquette posée une fois 1. Notons à ce sujet le caractère « impur » de la revendication des enseignants, qui exigent — à juste titre par ailleurs — la présence de psychologues scolaires dans les établissements. Revendication « impure » parce que leur concours est envisagé parfois dans le cadre étroit du dépistage des inadaptés alors que leur mission devrait être de contribuer par une collaboration psycho-pédagogique à la mise en place d'une pédagogie de l'adaptation de tous les enfants. (On se reportera à ce sujet, avec profit, à la circulaire de février 1969 qui définit une politique de l'adaptation.) 2. L'étude expérimentale de l'intelligence, Paris, Schleicher, 1903. Les classes de perfectionnement n'ont pu être créées en 1909 que parce que les travaux d'A. Binet avaient vu le jour.

200

Psychologie et pédagogie

pour toutes sur l'enfant, dont on pense qu'elle permet de prévoir à coup sûr le succès futur de tel ou tel — empoisonne et fausse la démarche pédagogique, car l'effort du maître est mis entre parenthèses à partir de l'instant où le psychologue lui affirme : « celui-ci est doué, il doit réussir », « celui-là n'apprendra pas à lire cette année, son QI est trop faible » 3 . Curieuse collaboration que celle qui s'amorce à propos de l'éviction d'un enfant du circuit scolaire normal — même si cette mesure est justifiée — car il ne s'agit pas ici du dialogue constructif de deux techniciens s'appuyant sur deux techniques complémentaires : une hiérarchie de fait s'établit entre le psychologue et le pédagogue qui entrave toutes les richesses d'un travail d'équipe dont l'élève serait l'objet et le principal bénéficiaire, à quelque niveau du cursus scolaire qu'il se situe !... Cette collaboration qui ne s'était guère instaurée qu'en dehors des structures scolaires, dans ces centres psycho-pédagogiques dont la mission est de remédier à certains troubles (troubles de la relation, du développement psychomoteur ; dyslexie, etc.), s'établit peu à peu à l'école avec, par exemple, les Conseils de classe de Premier Cycle ou la nomination dans les établissements d'un nombre un peu plus important de psychologues scolaires. Nous assistons à la naissance de ce travail d'équipe psychopédagogique qui doit assurer une meilleure intégration des élèves dans le milieu scolaire, leur réussite et donc un meilleur « rendement » de l'institution. Quittons le domaine de la pratique quotidienne pour rappeler que l'apport de la psychologie à la pédagogie fut très important depuis plus de cinquante ans et que cet effort de synthèse de deux disciplines autonomes aboutit à l'élaboration de la psychopédagogie. Même s'il est nécessaire — comme nous l'avons marqué précédemment — que le pédagogue porte son attention sur les contenus et les résultats de son enseignement, il ne doit pas pour autant oublier l'être qu'il instruit et éduque. C'est au niveau de cette connaissance du sujet (l'élève) que la contribution de la psychologie revêt une importance capitale, et c'est ici que se noue le concept de psychopédagogie. Les tenants de l'École Nouvelle ont eu raison de souligner combien notre pédagogie avait oublié le sujet et son développement spécifique : les programmes ont parfois été conçus in abstracto et le pédagogue ne pouvait, pour honorer 3. L'extrait de l'étude de R . ROSENTHAL et L . JACOBSON, Pygmalion Class-Room, voudrait éclairer ce problème d'un jour nouveau.

in the

Introduction

201

son contrat, que se réfugier dans l'utilisation de techniques systématiques d'apprentissage qui masquaient souvent l'incapacité de l'enfant à assimiler et à intérioriser certaines notions". Ces procédés entravaient dans bien des cas les possibilités d'assimilaton ultérieure des connaissances et des démarches intellectuelles*. La psychopédagogie s'efforce d'intégrer les résultats de la recherche psychologique, en particulier pour l'établissement des contenus 6 et la mise au point de nouvelles méthodes : rappelons que l'introduction des méthodes actives est liée aux principes d'intérêt et d'activité mis en lumière par la psychologie génétique. Pour ce qui nous concerne nous redoutons l'utilisation parfois abusive de la notion d'intérêt car, si chaque âge est caractérisé par certains intérêts — le jeu, le recours au concret, l'attirance éprouvée pour les idées abstraites, etc. — , une pédagogie qui se limiterait trop exclusivement aux « intérêts naturels » risquerait d'aboutir au pire des laisser-faire : si l'enfant ne manifeste aucun intérêt pour la lecture, ne lui apprendra-t-on pas à lire ? Ces intérêts naturels, dont certains font grand cas, nous semblent tellement liés au milieu social d'origine de l'enfant que l'utilisation de cette notion nous paraît très contestable, voire dangereuse ! Nous avons plus de foi dans le principe d'activité largement démontré par la psychologie moderne selon lequel l'assimilation ne s'effectue que par l'action, principe qui est à la base de l'enseignement par l'action et des méthodes actives. Soulignons enfin que la psychopédagogie moderne, tout en gardant son autonomie, utilise pour ses propres recherches un certain nombre de démarches expérimentales de la psychologie.

4. La technique des problèmes types, certaines recettes utilisées pour obtenir la reconnaissance des fonctions grammaticales, certaines formules de calcul (Prix de Vente = : Prix d'Achat + Bénéfice), en sont de bons exemples. 5. La notion de proportionnalité n'est acquise qu'entre douze et quatorze ans. Cela n'a pas empêché des générations d'enfants de « faire » mécaniquement des séries de règle de trois bien avant, en « repassant par l'unité », ce qui stérilise dans bien des cas la compréhension ultérieure de la proportionnalité. La notion d'attribut présentée trop tôt nécessite le recours à la connaissance dogmatique des verbes d'état : cette pratique dénature totalement l'étude de ce processus grammatical. 6. C'est tellement vrai qu'aucune équipe de recherche pédagogique n'omettrait de s'adjoindre un certain nombre de psychologues : par exemple les équipes de l ' I N R D P : commission Lichnerovitz pour les mathématiques, commission Emmanuel Rouchette pour le français.

202

Psychologie

et

pédagogie

Les textes que nous présentons dans ce chapitre se répartissent de la façon suivante : 1. Des textes de H. Wallon et de J . Piaget ayant trait aux recherches de psychologie génétique ; 2. Des textes de J.-F. Le Ny portant sur des éléments de psychologie de l'apprentissage — domaine très important parce qu'il est en particulier à l'origine de tous les travaux récents sur l'enseignement programmé ; 3. Des textes sans doute trop brefs touchant à la théorie de la créativité : théorie de toute première importance pour le pédagogue actuel parce que le monde moderne exige des individus adaptables, inventifs, et donc créateurs ; 4. Enfin la conclusion de l'ouvrage de Rosenthal et Jacobson, Pygmalion in the Class-Room, qui nous semble apporter un correctif original à l'utilisation, un peu trop systématique à l'école, des conclusions et des résultats de la psychologie des aptitudes.

HENRI

WALLON

Maturation et apprentissages fonctionnels*

Bien que le développement psychique de l'enfant suppose une sorte d'implication mutuelle entre facteurs internes et externes, il n'est pas impossible de distinguer leur part respective. C'est aux premiers qu'est imputable l'ordre rigoureux de ses phases, dont la croissance des organes est la condition fondamentale. Dans la différenciation qui fait sortir de l'œuf, où elles sont en puissance, mais invisibles, les structures du futur organisme, des corps de constitution chimique relativement simple semblent jouer un rôle décisif de stimulant et de régulateur. Ce sont les hormones, sécrétion des glandes endocrines. Douées chacune d'une spécificité rigoureuse, bien que souvent en rapport de dépendance réciproque, elles tiennent sous leur contrôle l'apparition et le développement de chaque sorte de tissus. L'enchaînement de leurs interventions répond avec la plus exacte précision aux besoins de la croissance, et, comme il s'ajoute à leur rôle morphogène une action également élective sur les fonctions physiologiques et psychiques. Von Monakow y voyait comme un substrat matériel des instincts. De fait, elles paraissent exercer une influence considérable sur les corrélations somato-psychiques. C'est, par exemple, la sécrétion des glandes interstitielles incluses dans les organes génitaux qui est à l'origine des changements physiques et psychiques connus sous le nom de puberté. A la prépondérance des unes ou des autres on impute volontiers ces différences de conformation physique et de tempérament psychophysiologique, que beaucoup s'appliquent aujourd'hui à classer en types, afin de fonder sur eux l'étude du caractère et celle de diverses affections mentales. De telles recherches pourraient avoir un double intérêt chez l'enfant : identifier d'abord au cours de son développement les signes avant-coureurs, les particularités naissantes et peut-être en partie les causes du type qu'il réalisera plus tard ; et aussi se demander si les étapes de sa croissance, qui entraînent des variations considérables dans les proportions relatives de la tête, du tronc, des membres, de leurs parties et de leurs segments, n'apparenteraient pas successivement l'enfant à différents * Textes extraits de H. WALLON, L'évolution Paris, A. Colin, 1941.

psychologique

de

l'enfant,

204

Psychologie

et

pédagogie

biotypes, auxquels répondrai: la diversité de ses comportements successifs. Entre la croissance des membres et leur activité propre, il existe en tout cas une relation. Mais elle peut être de sens opposé. Tantôt elle est positive, c'est-à-dire qu'augmentent simultanément les dimensions et l'habileté d'une région, par exemple de la racine ou de l'extrémité d'un membre. Et cela doit s'expliquer par une solidarité trophique entre les organes périphériques et centraux d'une même fonction : appareil articulaire et muscles d'une part, centres nerveux de l'autre. Tantôt au contraire une maladresse plus ou moins durable accompagne une augmentation rapide des dimensions. Un exemple bien connu est la mue de la voix au moment de la puberté : les sons deviennent bitonaux et discordants, parce que les automatismes acquis sont momentanément déroutés par les changements de l'organe. Dans le premier cas, il s'agissait d'une aptitude brute, élémentaire et comme en puissance ; dans celui-ci, d'opérations complexes, déjà constituées en système, que met en défaut une transformation de leur instrument. L'opposition de ces deux effets s'explique par la différence de leur niveau fonctionnel. Lorsqu'il s'agit d'activités plus spécifiquement psychiques et sans concomitants organiques visibles, le rapport des facteurs internes et externes a donné lieu à plus de discussions. L'explication spontanée consiste à ordonner entre eux les faits immédiatement saisissables, et l'ordre de leur succession devient causalité. Ce sont les réactions dont le nourrisson déjà est capable qui sont censées constituer le matériel d'où sortiront, par combinaisons et adaptations successives, les élaborations ultérieures de la vie mentale. Souvent d'ailleurs il arrive que ce matériel est plutôt calqué sur les besoins de l'explication que sur une exacte observation des faits. C'est ainsi qu'au temps où l'édifice psychique semblait de proche en proche réductible à des sensations, la question ne se posait même pas de leur différence, pourtant certaine, chez l'enfant et chez l'adulte. Maintenant qu'une représentation plus activiste de la vie mentale est devenue courante, des schèmes moteurs ont été substitués aux sensations, mais sont toujours utilisés comme des unités qui resteraient équivalentes à toutes les étapes de l'évolution psychique, alors qu'en réalité de progressives intégrations changent non seulement l'apparence externe et le mécanisme neurologique des manifestations motrices, mais aussi leurs connexions fonctionnelles et leur signification pragmatique. Cette intégration est la condition, mais ne peut pas être la conséquence de l'évolution psychomotrice. Ici se pose le problème des

H. Wallon : Maturation et apprentissages

fonctionnels

205

rapports entre la maturation et l'apprentissage fonctionnels. Sans doute, imputer systématiquement à la maturation d'organes correspondants chaque progrès constaté ne serait qu'une forme modifiée des vieilles explications qui se contentaient de ramener chaque effet à une entité calquée sur lui. Mais contester a priori, comme a fait récemment Piaget dans son livre La naissance de l'intelligence chez l'enfant, le surgissement dans l'évolution psychique d'activités nouvelles, dont la source nécessaire est l'éveil fonctionnel de structures organiques parvenues à maturité, l'amène à confondre une simple description, d'ailleurs riche, pénétrante et ingénieuse, avec les conditions profondes de la vie mentale. Qui parle de maturation fonctionnelle doit incontestablement en démontrer l'existence. C'est à quoi se sont attachés déjà plusieurs auteurs. Les expériences ont été faites soit sur de jeunes animaux soit sur des enfants. Les résultats sont semblables. Entre deux lots de sujets, dont les uns sont mis en état de s'exercer et les autres privés de cette possibilité, la différence de performance s'efface très rapidement dès que l'âge de la fonction est atteint et que cesse la différence des conditions externes. Le niveau fonctionnel atteint par les premiers au bout de plusieurs semaines l'est en quelques jours par les seconds, preuve que l'âge fait plus que l'exercice. A la place de groupes assez nombreux pour que la diversité des aptitudes individuelles ait des chances d'être compensée, Gesell a pu comparer deux jumeaux homozygotes, c'est-à-dire deux êtres dont la ressemblance est aussi complète qu'il est possible : l'un est exercé à monter un escalier dès l'âge de 46 semaines et l'autre seulement à 53 ; en deux semaines le second a rattrapé son frère. Les actes étudiés ont toujours été, bien entendu, des actes naturels, tels que picorer, marcher, saisir, parler, dont l'acquisition est constante pour tout individu normal vivant dans un milieu normal. Des stimulants, des circonstances appropriés sont assurément nécessaires pour qu'ils se produisent, mais leur utilisation ne devient véritablement efficace qu'au moment où les conditions biologiques de la fonction arrivent à maturation. Quand l'acquisition porte sur des activités plus artificielles, c'est-àdire qui n'apparaissent pas au cours du développement à moins de circonstances particulières, des conditions fonctionnelles adéquates ne sont pas moins nécessaires, mais l'importance de l'apprentissage devient essentielle. C'est d'ailleurs une loi générale que les effets dont ni la forme, ni le degré, ni la chronologie ne peuvent être sensiblement modifiés par l'exercice sont des réactions primitives, des réactions qui appartiennent à l'équipement psychobiologique de l'espèce et

206

Psychologie et pédagogie

dont la maturation fonctionnelle est la condition dominante. Au contraire, ce que l'exercice peut développer ou diversifier relève d'activités combinées où se traduisent les dons individuels d'adaptation, d'initiative et d'invention. [...]

L'alternance : adaptation, assimilation Sur le plan intellectuel [...] c'est un jeu [...] d'alternance qui mènera sa pensée du syncrétisme où elle agglutine, sans les articuler entre elles, les circonstances rencontrées ou imaginées, jusqu'à l'exact discernement des rapports qui peuvent expliquer les êtres et les événements. A chacune des étapes intermédiaires, c'est toujours la même alternance en action. A celle, par exemple, où, les relations des choses ne pouvant encore être formulées ou imaginées pour ellesmêmes, l'enfant ne sait entre deux objets ou deux situations saisir que des analogies, il reste souvent partagé entre le principe d'assimilation, qui est au fond de toute analogie, et un sentiment de différence qui naît du rapprochement et parfois même qui l'a suscité. D'où les contradictions flagrantes qu'il lui arrive d'énoncer, soit à l'égard de la réalité, soit en opposition avec ses propres affirmations \ Plus tard, quand il s'essaie à classer ses impressions des choses ou les choses elles-mêmes sous des rubriques permanentes et impersonnelles, il sera tour à tour mené et rendu perplexe par le besoin, tantôt d'unir sous la même des réalités pourtant quelque peu différentes, tantôt de marquer, de définir les différences. C'est, dans l'établissement du concept, le conflit entre sa « compréhension » et son « extension ». Au-dessus de ces actions, qui intéressent chaque fonction et comme chaque moment de la vie psychique, émergent enfin de plus vastes ensembles qui répondent à des âges, dont la succession peut se définir, elle aussi, par une alternance entre les phases d'absorption et d'édification intime, d'où l'être sort doué de nouvelles exigences, de nouveaux pouvoirs, et des phases où il fait l'essai et la découverte sur un plan nouveau de ses rapports avec les réalités extérieures. Ces âges seront étudiés plus loin. Qu'il suffise ici d'indiquer par deux exemples la signification des changements qui leur répondent. L'édification de l'organisme, à laquelle la période de gestation est exclu1. Ce fait, dont j'ai donné différents exemples dans mon cours au Collège de France sur la pensée par couples, a été repris dans Les origines de la pensé? (hez l'enfant.

II. Wallon

: Maturation

et apprentissages

fonctionnels

207

sivement consacrée, mais sans y suffire, loin de là, n'est qu'un premier soubassement pour l'évolution de l'être psychique. En même temps qu'elle se poursuit après la naissance, elle entraîne des faits de maturation qui rendent possibles comme des révolutions dans le comportement. Telles sont la crise de trois ans et celle de la puberté, où l'enfant prend possession en sa propre personne d'une substance et d'aspirations nouvelles, qui vont l'obliger à reviser ses relations avec son entourage et son univers. Elles ont été précédées, l'une, de ces acquisitions : la marche, la parole, qui lui ont permis tant d'investigations dans le monde des choses et des notions qui s'y rapportent ; l'autre, de cet âge scolaire au cours duquel il s'est familiarisé, par ses jeux et l'enseignement reçu, avec l'usage et la structure des objets, des institutions qui l'environnent. Elles opèrent dans ses points de vue une sorte de conversion. L'évolution physiologique en est évidemment la cause, mais elle a pour effet, sur le plan psychique, une intégration subjective des rapports qui, dans la phase antérieure, s'étaient déployés à l'égard du monde extérieur. Matériellement échappé à l'incessante assistance d'autrui, l'enfant de trois ans découvre l'autonomie de son moi, qu'il passe alors une période à dresser contre celui d'autrui. D'où résulte, à la fois, une sorte de révérence pour son propre personnage et d'attention souvent ambivalente pour les personnalités de son entourage, qui inaugurent tout un renouvellement dans les principes et les modes de son comportement. Quant à la puberté, elle consiste, elle aussi, dans un remaniement des valeurs qui semblaient le mieux établies, que ce soit à l'égard des personnes ou à l'égard des réalités physiques, sociales, morales où l'adolescent s'avise alors de reconnaître que s'encadre sa vie. Ainsi s'échelonnent, depuis les fonctions les plus physiologiques ou élémentaires, aux fonctions les plus multiples dans leurs conditions, les plus complexes dans leurs conséquences, ces alternances qui entraînent tour à tour la croissance propre, intime de l'individu et l'extension dans le monde extérieur de ses moyens et de ses buts. Au bas de l'échelle, l'alternance semble se répéter identique à ellemême et ses résultats quotidiens tourner dans le même cercle. C'est seulement à longue échéance que le changement devient sensible. Son évidence éclate, au contraire, d'emblée quand il répond à une de ces étapes, comme la puberté, qui sont uniques dans l'existence. Cependant, prise à l'état moléculaire ou intégrée dans un plus vaste ensemble, l'alternance suscite toujours un nouvel état qui devient le

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Psychologie

et

pédagogie

point de départ d'un cycle nouveau. Ainsi se poursuit le développement de l'enfant sous des formes qui se modifient d'âge en âge. [...]

Le syncrétisme La pensée de l'enfant a été qualifiée de syncrétique. Les mêmes qualificatifs ne peuvent, en effet, convenir à ses opérations et à celles de la pensée adulte. Celle-ci dénomme, dénombre et décompose l'objet, l'événement, la situation dans leurs parties ou dans leurs circonstances. Elle doit user de termes à signification définie et stable, en contrôler l'exacte appropriation à la réalité présente, puis retrouver le tout en parlant des éléments, cette réversibilité des résultats étant la seule garantie de leur justesse. Elle procède donc par analyse et par synthèse. Avant d'en être capable, celle de l'enfant doit résoudre de difficiles oppositions. Entre le langage et l'objet, l'appropriation est loin d'être immédiate. Les premières phases sont optatives ou impératives, faites d'un seul mot et, le plus souvent, de la même syllabe répétée. Leur sens peut varier suivant les situations. Elles sont donc essentiellement elliptiques et polyvalentes. C'est aux circonstances de les définir, et non l'inverse. Leur structure peut bien commencer à se développer, l'intention en reste d'abord volontariste et expressive. Elles traduisent davantage l'élan ou l'état affectif du sujet que la nature ou l'aspect de l'objet. Quand vient l'âge où le « savoir verbal » (Goldstein) se développe rapidement, c'est encore, au début, sous forme d'ensembles mnémoniques plus ou moins retenus pour eux-mêmes, ou du moins n'ayant avec le réel que des rapports incertains et globaux. Il faut souvent de lents tâtonnements pour que l'enfant en pénètre le sens, en reconnaisse les parties et les ajuste chacune à sa signification propre. Entre elles, comme entre les ensembles dont elles sont détachées, les liens restent longtemps plus forts que leur référence exacte aux objets. La traduction verbale de sa pensée trompe souvent l'enfant, en se substituant elle-même à son expérience directe des choses. Quand surgissent plus tard les connaissances scolaires, le conflit des mots et des choses n'est pas encore terminé. Et, pour comprendre certaines des contradictions où les questions de l'adulte peuvent l'induire, il faut savoir constater quels prodigieux efforts de réduction lui sont nécessaires entre ces trois sources de connaissance : l'expérience immédiate, le vocabulaire et la tradition magistrale. Mais la représentation, qui se glisse inévitablement entre le mot

11. Wallon

: Maturation

et apprentissages

fonctionnels

209

et la chose comme leur vestige et leur évocateur communs, commence, elle aussi, par opposer ses exigences propres à celles de l'expérience brute. Elle est délimitation et stabilisation. En s'installant dans l'esprit de l'enfant, elle tend à lui rendre inconcevable son intuition dynamique des situations. Alors que tout y était fusion du désir et de l'objet, des automatismes et de l'instrument, de l'espace et des gestes, elle distingue, morcelle, immobilise. Encore étroitement soudée à ses origines concrètes et verbales, elle manque de jeu et ne sait pas varier avec la diversité des rapports. Elle rend inintelligible à l'enfant ce qu'il subit le plus continûment : le changement. En présence de ce qui devient, il serait volontiers comme les Eléates, auxquels l'image de chaque position successivement occupée masque le mouvement, ou comme les obsédés que la représentation d'un objet ou d'une circonstance redoutés rend insensibles aux rapports de distance, de vitesse et même de simple extériorité (le convoi funèbre d'un inconnu leur paraît toucher à leur propre personne), mais qui croient corrélativement que le risque peut être écarté par une représentation sous forme de simulacre ou de conjuration. Le syncrétisme produit des effets assez semblables. Il est une sorte de compromis, à des niveaux divers, entre la représentation qui se cherche et la complexité mouvante de l'expérience. Pour le définir, le mieux est de le comparer aux distinctions essentielles sur lesquelles repose la pensée de l'adulte. En regard de l'analyse-synthèse, il exprime les rapports que l'enfant est capable d'établir entre les parties et le tout. La confusion est encore à peu près complète. La perception des choses ou des situations reste globale, c'est-à-dire que le détail en reste indistinct. Cependant l'attention de l'enfant nous paraît souvent se porter sur le détail des choses. Il en relève même de si particuliers, si ténus ou si fortuits qu'ils nous avaient échappé. Cependant ce n'est pas comme détails d'un ensemble qu'il les saisit, et c'est même pour cela qu'il y est sensible. Subordonnés à l'ensemble, l'intérêt s'en serait détourné, soit comme ayant leur sens ailleurs qu'en eux-mêmes, soit comme trop accessoires. La perception de l'enfant est donc plutôt singulière que globale ; elle porte sur des unités successives et mutuellement indépendantes, ou plutôt n'ayant entre elles d'autre lien que leur énumération même. L'ordre dans lequel l'enfant les a remarqués peut d'ailleurs laisser plus qu'une trace brute dans son aperception ou dans sa mémoire. Il peut se constituer en une structure plus ou moins amorphe, qui se substitue à celle des choses. Entre les unités perceptives de l'enfant, il y a pourtant cette

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Psychologie

et

pedagogie

différence que les unes sont réellement pour nous des ensembles, les autres, au contraire, nous paraissent de simples détails indécomposables. Des expériences différemment combinées ont amené des psychologues à soutenir, les uns, qu'effectivement sa vision porte sur des touts, mais indécomposés, et les autres, qu'elle isole du tout, en lui-même inaccessible à l'enfant, un trait élémentaire. Bourjade a fort ingénieusement démontré que, dans le premier cas, les formes présentées avaient déjà une cohésion marquée et que, dans le second, c'est la discontinuité ou l'hétérogénéité qui l'emportaient. Le pouvoir constellant de la perception enfantine a en effet ses degrés. Il peut varier en extension et en résistance, toutes deux diminuant à mesure que la forme saisissable se fonde sur une structure moins cohérente ou plus compliquée entre les données extérieures de la perception. L'extension à de plus nombreux détails est ce qui se développe le plus vite avec l'âge. La non-résistance du groupement est ce qui contribue longtemps à empêcher l'analyse, car la cohésion de l'ensemble est indispensable pendant tout le temps qu'elle opère. Mais ce qui peut compliquer les effets du syncrétisme, c'est qu'il n'est pas simple insuffisance ; il est, à sa façon, une activité complète en présence des choses. Il utilise les procédés les plus généraux de l'expérience usuelle comme l'anticipation. Déjà, chez les animaux, on a pu constater que, dressés à reconnaître des figures entre elles, ils peuvent ensuite ne réagir qu'à l'une de leurs parties, comme s'ils étaient capables de les compléter chacune. Ce n'est là que la vérification d'un fait constant dans des conduites même élémentaires, et qui se retrouve dans la perception. Mais la partie entraînant la même réaction ou la même réponse que ferait le tout n'implique pas nécessairement qu'elle implique et qu'elle évoque la structure du tout. Un détail accidentel aurait le même résultat qu'un trait essentiel s'il avait la même constance. C'est bien là ce qui se produit avec des motifs moins simples et moins dépouillés que n'est une figure géométrique. La chose est évidente lorsque, au lieu d'une image ou d'un objet, le motif est une situation complète et concrète. Alors le fortuit, non seulement s'y introduit plus facilement, mais il n'a pas besoin de se répéter pour être fixé, pourvu que l'intérêt suscité soit suffisant. Ainsi le voit-on souvent se mêler ou se substituer à l'essentiel dans la conduite, les récits, les explications de l'enfant Les impressions que des circonstances, soit externes, soit intimes, ont unies se fondent en une sorte d'équivalence mutuelle, de telle sorte que l'une quelconque d'entre elles peut signifier ou évoquer tout l'ensemble. Cer-

H, Wallon ; Maturation et apprentissages

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tains souvenirs font persister quelque chose de cela chez l'adulte : ceux qui gardent la coloration unique d'un moment ou d'un événement, et qui d'ailleurs remontent habituellement à son enfance. Ils la doivent souvent à des traits purement accessoires, mais qui se sont trouvés être comme les condensateurs d'un état ou d'une étape affectifs. Cette mémoire-là s'oppose à la mémoire classificatrice et rationnelle. Chez l'enfant, les cadres classificateurs n'existent pas encore. D'où la particularité marquée et comme irréductible de ses impressions et de ses souvenirs. A de tels effets contribue l'absence d'une distinction qui est peutêtre plus fondamentale que celle des parties et du tout : le subjectif et l'objectif se mêlent encore, donnant lieu à ce que Lévy-Bruhl a dénommé participation. L'enfant commence par ne pas savoir s'isoler du spectacle qui le captive ou de l'objet qu'il désire. Ainsi sa vie va-t-elle se fragmentant avec les situations diverses dans lesquelles il se confond tour à tour, mais inversement elles sont tellement imbibées de sa substance affective qu'elles lui sont plus semblables souvent qu'aux événements. En présence de circonstances définies, il est de constatation banale que l'enfant leur fait subir, dans ses récits et dans sa sensibilité, des altérations qui peuvent les opposer, comme un mensonge, à la vérité. Si la chose est en elle-même sans importance, elle est simplement regardée comme ayant servi de jouet à sa fantaisie. Dans les deux cas, c'est la même intromission, à des degrés divers, du sujet dans l'objet. La confusion du subjectif et de l'objectif se transfère tout naturellement à ce qui traduit leurs rapports : à la représentation et aux mots qui l'expriment. Celle-ci est le reflet de leurs actions réciproques, sur le plan qui est le sien. Par elle, l'objet redouté devient maléfique, même sans contact physique ; et le désir se veut efficace, même sans intervention matérielle. Le simulacre peut lui donner une apparence de réalité allégorique ; mais une simple formule verbale suffit, ou même la simple intention : l'enfant croit volontiers aux suites vengeresses de ses invectives ; mais il se borne aussi à vouloir intensément le châtiment de l'adversaire, avec l'illusion qu'il en résultera bien quelque chose. C'est ce qu'on a appelé « croyance magique ». Elle n'a rien de magique chez l'enfant, en ce sens qu'elle n'a rien d'un rite et qu'elle est toute spontanée. Elle est le simple effet de l'indifférenciation qui persiste entre les plans mentaux et moteurs de l'action, entre le moi et le monde extérieur. Aussi ne peut-il pas être plus question d'égo- que d'exocentrisme, mais d'un stade antécédent.

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Cette indistinction initiale entre le moi et l'autre entraîne aussi une distinction insuffisante entre les autres. Lorsque le petit enfant poursuit tout homme qu'il voit du nom de « papa », il serait également prématuré de dire qu'il les identifie avec son père ou qu'il les range dans une catégorie désignée du nom d'un seul, faute d'en savoir le nom collectif. Il subit la réaction d'ensemble, que par certains de ses traits suscite un motif, dont les parties se confondent avec le tout et sont par suite susceptibles d'entraîner la confusion mutuelle d'ensembles, par ailleurs différents. C'est seulement quand il deviendra capable de distinguer ses propres réactions de leurs motifs extérieurs que les motifs, s'individualisant, lui permettront de distinguer entre eux, c'est-à-dire de distinguer leur structure propre sur le fond de leur nature commune. L'individuel et le général, dont les philosophes se sont plu à discuter la priorité relative, sont en réalité simultanés, parce que solidaires, et le syncrétisme les fait précéder d'un autre terme qui ne peut être ni l'un ni l'autre, parce que le sujet qui agit, perçoit ou pense ne sait pas ne pas mêler sa présence aux motifs de la réalité, leur interdisant ainsi d'apposer leurs identités entre elles et en même temps de se classer chacun dans des cadres définis, stables et impersonnels.

Les âges successifs de l'enfance L'âge de l'enfant, c'est le nombre de jours, de mois, d'années qui le séparent de sa naissance. Les « âges de l'enfance » ont-ils une signification différente ? Selon plusieurs auteurs, il y a continuité dans le développement psychique à partir de certaines données élémentaires : sensations ou schèmes moteurs par exemple. Les circonstances et l'expérience aidant, elles s'ordonnent et se combinent en systèmes qui ouvrent à l'activité du sujet un champ de plus en plus vaste. La complication des systèmes fixe leur ordre de succession. Leur rythme de développement est pratiquement le même chez tous les individus, car dans la même espèce ils se ressemblent plus qu'ils ne diffèrent, et les conditions fondamentales du milieu sont identiques. Il y a donc coïncidence exacte entre le niveau d'évolution et l'âge de l'enfant. La succession des âges, c'est la succession des progrès. Chaque moment de l'enfance est un moment de l'addition qui se poursuit de jour en jour. Les âges de l'enfant et ceux de l'enfance ne sont qu'une seule et même chose. Pour d'autres auteurs, les systèmes de la vie psychique ne sont pas

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des assises se superposant simplement entre elles par la combinaison d'éléments graduellement plus organisés, mais pourtant communs à toutes. Il y a des moments de l'évolution psychique où les conditions sont telles qu'un ordre nouveau de faits devient possible. Il n'abolit pas les formes précédentes de vie ou d'activité, puisqu'il en procède, mais avec lui apparaît un mode différent de détermination qui règle et dirige les déterminations plus élémentaires des systèmes antérieurs : les intégrations progressives qui s'observent entre fonctions nerveuses en sont un exemple. Ces mutations exigent, pour se produire, des périodes de latence ; elles rendent la croissance discontinue, la divisent en étapes ou en âges qui ne répondent plus, instant par instant, à l'addition des jours, des mois et des années. Une succession plus ou moins longue d'âges chronologiques peut s'encadrer dans la durée d'un même âge fonctionnel. Il n'y a plus similitude entre les âges de l'enfant et ceux de l'enfance. Ces révolutions d'âge en âge ne sont pas improvisées par chaque individu. Elles sont la raison même de l'enfance, qui tend à la réalisation de l'adulte comme exemplaire de l'espèce. Elles sont inscrites à leur moment dans le développement qui doit y mener. Sans doute, les incitations du milieu sont indispensables pour qu'elles se manifestent, et plus s'élève le niveau de la fonction, plus elle en subit les déterminations : que d'activités techniques ou intellectuelles sont à l'image du langage, qui est pour chacun celui de son entourage. Mais la variabilité du contenu selon l'ambiance n'en atteste que mieux l'identité de la fonction, qui n'existerait pas sans un ensemble de conditions dont l'organisme est le support. C'est lui qui doit l'amener à maturation pour que le milieu l'éveille. Ainsi le moment des grandes mutations psychiques est-il marqué chez l'enfant par le développement des étapes biologiques. Cependant le chevauchement des progrès suivant les niveaux de la fonction paraît à certains effacer la distinction des périodes. Il est bien vrai, en effet, qu'une difficulté n'est pas simultanément résolue pour tous les plans de l'activité mentale ; la solution trouvée ne les gagne que tour à tour et, lorsqu'elle atteint les activités plus abstraites ou plus complexes, il arrive qu'une autre plus évoluée l'ait remplacée au niveau des simples ou des concrètes. Identifier âge et progrès ne serait-ce pas se mettre dans la nécessité de faire converger sur le même instant plusieurs âges différents ? Les périodes simultanément atteintes étant diverses, il n'y aurait donc plus de seuil répondant à des âges successifs. Pourtant les plans d'activité subsistent et, quel que soit l'enchevêtrement des progrès et des formes suivant

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les niveaux fonctionnels, il subsiste des ensembles qui ont bien chacun sa marque, son orientation spécifiques et qui sont une étape originale dans le développement de l'enfant. Les premières semaines de la vie sont totalement accaparées par l'alternance du besoin alimentaire et du sommeil. La turgescence des organes génitaux a été pourtant observée dans les jours qui suivent la naissance ; elle peut aller chez la petite fille jusqu'à des pertes sanguines : due évidemment à l'influence d'hormones, elle est de mécanisme et de signification encore mal connus. C'est l'acte de nutrition qui assemble et oriente les premiers mouvements ordonnés de l'enfant. Mais ce champ encore très étroit est largement débordé par les gesticulations auxquelles il se livre quand il est démailloté ou dans son bain. Leur notation minutieuse permet d'y relever un double courant : d'une part, disparition de certaines réactions spontanées ou provoquées, qui sont comme résorbées ou inhibées par des activités moins automatiques ; d'autre part, émergence de gestes nouveaux qui répondent souvent à une dissociation d'actions musculaires globales et qui ont tendance à se raccorder entre eux, par fragments susceptibles d'une certaine continuité. A partir du troisième mois, ces progrès du mouvement deviennent la grande occupation du nourrisson. Ses manifestations affectives étaient d'abord limitées au vagissement de la faim ou de la colique et à la détente de la digestion ou du sommeil. Leur différenciation est d'abord très lente. Mais, à six mois, l'appareil dont l'enfant dispose pour traduire ses émotions est assez varié pour en faire une vaste surface d'osmose avec le milieu humain. C'est là une étape capitale de son psychisme. A ses gestes s'attache une certaine efficacité par le moyen d'autrui ; à ceux d'autrui des prévisions. Mais cette réciprocité est d'abord complet amalgame ; c'est une participation totale, où il aura plus tard à délimiter sa personne, profondément fécondée par cette première absorption en autrui. Synchronisme à noter : c'est à six mois aussi que l'intérêt de l'enfant pour les couleurs semble débuter. Dans le dernier tiers de la première année commencent à se systématiser les exercices sensori-moteurs. Par eux les mouvements se lient aux effets perceptifs qui peuvent en résulter. Impressions proprioceptives et sensorielles apprennent à se correspondre dans toutes leurs nuances. Enchaînant leurs variations en séries prolongées, elles procèdent à leur exploration mutuelle. La voix affine l'oreille et l'oreille assouplit la voix ; les sons que leur concours a permis de dis-

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cerner et d'identifier sont ensuite reconnus quand ils sont d'origine extérieure. La main que l'enfant déplace pour la suivre du regard dans toute la fantaisie de ses arabesques distribue les premiers jalons du champ visuel. Ainsi repérés grâce à la sensibilité proprioceptive, les champs perceptifs peuvent alors fusionner et, du même coup, ils éliminent ou plutôt relèguent dans l'anonymat leur initiatrice, qui avait elle-même pris le pas sur la sensibilité intéroceptive ou viscérale. De l'un à l'autre, le même objet devient identifiable, et leur ensemble prend assez de réalité pour que l'enfant puisse y chercher l'objet disparu ou simplement révélé par un indice unisensoriel. Mais la marche, puis le langage, qui se développent au cours de la deuxième année, viennent encore renverser l'équilibre du comportement. Les objets que l'enfant peut aller chercher et transporter, dont il sait qu'ils ont un nom, se détachent du fond, sont manipulés pour eux-mêmes. Il les prend, les pousse, les traîne, les déplace, soit à la main, soit dans une voiture, il les entasse, soit indistinctement, soit par catégories, il emplit ou vide boîtes et sacs. Mais, sur un autre plan, l'indépendance que donne à l'enfant son pouvoir d'aller et venir par lui-même, la plus grande diversité de relations avec l'entourage que lui assure déjà la parole rendent possible une affirmation plus tranchée de sa personne. A trois ans débute la crise d'opposition, puis d'imitation, qui durera jusqu'à cinq. Dans le temps qu'il veut se manifester distinct d'autrui, il se montre graduellement plus capable de distinguer entre les objets et de les trier selon leur couleur, leur forme, leurs dimensions, leurs qualités tactiles, leur odeur Puis vient l'âge de quatre ans, où ses attitudes et ses façons le montrent attentif à ce qu'elles peuvent être et paraître. Alors aussi il commence à rougir d'une incongruité ou d'une maladresse, et inversement il en tire des moyens de moquerie ou d'amusement. Les grimaces, les facéties grotesques le divertissent. Il aime rire et se voir rire. Son nom, son prénom, son âge, son domicile lui deviennent une image de son petit personnage, dont il se fait d'ailleurs comme un témoin de ses propres pensées. Apte déjà à s'observer, il s'éparpille moins et poursuit l'occupation commencée avec plus de tranquillité et de persévérance. Il se contemple dans ses œuvres et s'attache à ce qu'il a fait. Il le compare et se compare. L'émulation naît et avec elle un premier besoin de ca-

2. Voir à ce sujet les articles de E. PlQUEMAL, de M. FONTBNBAU et L. TRUILLBT, dans Organisation et fonctionnement des écoles maternelles, Paris, Bourrelier, 1948, pp. 37-51.

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maraderie. Cependant les groupes qui se forment sont encore du type grégaire, chacun y prend spontanément sa place de suiveur ou de chef. Mais déjà l'enfant ne se borne pas à mettre plus de nuances dans son discernement des objets et de leurs qualités, sa perception devient plus abstraite, il commence à distinguer entre les dessins, les lignes, les directions, les positions, les signes graphiques. Pourtant l'observation proprement dite des choses, où le détail exige un perpétuel retour à l'ensemble, le multiple et le divers à l'un et au permanent, dépasse encore ses capacités. Après cinq ans s'annonce l'âge scolaire, où l'intérêt va se renverser du moi vers les choses. Cependant le passage sera lent et difficile. Jusqu'à six ans et au-delà, l'enfant reste engagé dans son attitude et ses occupations présentes, son activité a quelque chose d'exclusif, il est incapable d'évolution rapide entre les objets ou les tâches. Pour arracher ses petits élèves à ce qu'ils font et leur proposer un nouveau thème d'attention, une maîtresse a imaginé de les entraîner à l'exécution automatique d'un geste interrupteur, qu'ils doivent exécuter quand elle-même en donne le signal. L'enfant qui apprend à lire perd soudain les habitudes antérieurement acquises de manipulations pratiques et d'investigations concrètes : une orientation nouvelle peut donc complètement suspendre l'ancienne. L'école exige au contraire une mobilisation sur commande des activités intellectuelles vers des matières successivement et arbitrairement diverses : elle a même souvent abusé de la permission*. Les tâches imposées doivent plus ou moins détacher l'enfant de ses intérêts spontanés ; et trop fréquemment, elles n'obtiennent de lui qu'un effort contraint, une attention artificielle ou même une vraie somnolence intellectuelle. Elles sont, en bien des cas, des exercices dont l'utilité ne peut être qu'à échéance lointaine et n'apparaît pas à l'exécutant. Aussi a-t-il semblé nécessaire de soutenir son activité par des stimulants accessoires ; c'est le but des récompenses et des punitions, dont la formule essentielle est encore, pour beaucoup, « le morceau de sucre ou la trique », c'est-à-dire un simple procédé de dressage. A l'autre extrême, ceux qui prétendent faire reposer les activités obligatoires de l'enfant sur son sentiment de responsabilité. Les uns retardent, les autres anticipent. L'animal dressé rend geste pour signe, suivant les associations qui lui ont été inculquées ; il n'exécute pas une tâche, où il y a poursuite d'un but, ajustement de moyens, règles à observer et portée soutenue de l'effort. Mais, successivement absorbé 3. C'est à quoi veut remédier la méthode du « centre d'intérêt » (Decroly).

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dans chacune de ses tâches, l'enfant ne paraît pas non plus capable d'en faire supporter le poids par l'image qu'il se donnerait de ce qu'il se doit à lui-même : y faire prématurément appel, c'est lui en dicter les traits, c'est lui imposer une dépendance factice, mal comprise, loin de favoriser l'évolution de son autonomie. La période de sept à douze ou quatorze ans est celle où l'objectivité se substitue au syncrétisme. Les choses et la personne cessent peu à peu d'être les fragments d'absolu qui s'imposaient successivement à l'intuition. Le réseau des catégories fait rayonner sur elles les classements et les rapports les plus divers. Mais l'animateur en est l'activité propre de l'enfant. Elle-même, elle entre dans sa phase catégorielle : il s'agit alors pour elle de s'assigner les tâches entre lesquelles elle devient capable de se distribuer, afin d'en tirer les effets dont chacune est susceptible. L'intérêt pour la tâche est indispensable et laisse loin derrière lui le simple dressage. Il peut suffire et il devance de loin le souci de toujours engager son propre personnage dans sa conduite. Le goût que l'enfant prend aux choses peut se mesurer au désir et au pouvoir qu'il a de les manier, de les modifier, de les transformer. Détruire ou construire sont les tâches qu'il ne cesse de s'assigner à leur égard. Ainsi il en explore les détails, les rapports, les ressources diverses. C'est aussi en vue de tâches déterminées qu'il fait choix de ses camarades. Suivant les jeux ou les travaux, ses préférences changeront. Assurément, il a des compagnons habituels, mais c'est à leurs entreprises communes que se ramènent tous leurs entretiens. Ils sont unis comme les collaborateurs ou les complices des mêmes besognes, des mêmes projets. L'émulation dans l'accomplissement d'un travail est leur moyen de se mesurer entre eux. Le champ de leurs rivalités, c'est celui de leurs occupations. Il en résulte une diversité de rapports de chacun avec chacun, d'où chacun tire la notion de sa propre diversité selon les circonstances et en même temps de son unité à travers la diversité des situations. Lorsque l'amitié et les rivalités cessent de se fonder sur la communauté ou l'antagonisme des tâches entreprises ou à entreprendre ; lorsqu'elles cherchent à se justifier par des affinités ou des répulsions morales ; lorsqu'elles semblent plus intéresser l'intimité de l'être que des collaborations ou des conflits effectifs, c'est l'annonce que l'enfance est déjà minée par la puberté. Ici encore l'âge nouveau va rayonner simultanément dans tous les domaines de la vie psychique. Un même sentiment de désaccord et d'inquiétude se fait jour dans ceux de l'action, de la personne, de la connaissance ; dans chacun ce sont des mystères à pénétrer, et c'est un même besoin de possession en quelque

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sorte essentielle, que la possession actuelle ne suffit pas à satisfaire et qui se cherche des perspectives indéfinies. Detape en étape la psychogénèse de l'enfant montre, à travers la complexité des facteurs et des fonctions, à travers la diversité et l'opposition des crises qui la ponctuent, une sorte d'unité solidaire, tant à l'intérieur de chacune qu'entre elles toutes. Il est contre nature de traiter l'enfant fragmentairement. A chaque âge, il constitue un ensemble indissociable et original. Dans la succession de ses âges, il est un seul et même être en cours de métamorphoses. Faite de contrastes et de conflits, son unité n'en sera que plus susceptible d'élargissements et de nouveauté.

JEAN PIAGET La psychologie génétique*

Le développement mental de l'enfant Le développement psychique qui débute dès la naissance et prend fin à lage adulte est comparable à la croissance organique : comme cette dernière, il consiste essentiellement en une marche vers l'équilibre. De même, en effet, que le corps est en évolution jusqu'à un niveau relativement stable, caractérisé par l'achèvement de la croissance et par la maturité des organes, de même la vie mentale peut être conçue comme évoluant dans la direction d'une forme d'équilibre finale représentée par l'esprit adulte. Le développement est donc en un sens une équilibration progressive, un passage perpétuel d'un état de moindre équilibre à un état d'équilibre supérieur. Du point de vue de l'intelligence, il est facile d'opposer ainsi l'instabilité et l'incohérence relatives des idées enfantines à la systématisation de la raison adulte. Dans le domaine de la vie affective, on a souvent noté combien l'équilibre des sentiments augmente avec l'âge. Les rapports sociaux, enfin, obéissent à la même loi de stabilisation graduelle. Une différence essentielle entre la vie du corps et celle de l'esprit est cependant à souligner dès le principe, si l'on veut respecter le dynamisme inhérent à la réalité spirituelle. La forme finale d'équilibre atteinte par la croissance organique est plus statique que celle vers laquelle tend le développement mental, et surtout plus instable, de telle sorte que, sitôt terminée l'évolution ascendante, une évolution régressive débute automatiquement, qui conduit à la vieillesse. Or, certaines fonctions psychiques, qui dépendent étroitement de l'état des organes, suivent une courbe analogue : l'acuité visuelle, par exemple, passe par un maximum vers la fin de l'enfance pour diminuer ensuite, et plusieurs comparaisons perceptives sont régies par cette même loi. Au contraire, les fonctions supérieures de l'intelligence et de l'affectivité tendent vers un « équilibre mobile », et d'autant plus stable qu'il est plus mobile, de telle sorte que, pour les âmes saines, la fin de la croissance ne marque nullement le commencement de la

* Textes extraits de J. PlAGET, Six Gonthier, 1 9 6 4 .

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décadence, mais autorise un progrès spirituel qui n'a rien de contradictoire avec l'équilibre intérieur. C'est donc en termes d'équilibre que nous allons chercher à décrire l'évolution de l'enfant et de l'adolescent. De ce point de vue, le développement mental est une construction continue, comparable à l'édification d'un vaste bâtiment qui, lors de chaque adjonction, serait plus solide, ou plutôt au montage d'un mécanisme subtil dont les phases graduelles d'ajustement aboutiraient à une souplesse et une mobilité d'autant plus grandes des pièces que leur équilibre deviendrait plus stable. Mais alors, il faut introduire une distinction importante entre deux aspects complémentaires de ce processus d'équilibration : il convient d'opposer dès l'abord les structures variables, définissant les formes ou états successifs d'équilibre, et un certain fonctionnement constant assurant le passage de n'importe quel état au niveau suivant. Lorsque l'on compare, en effet, l'enfant à l'adulte, tantôt on est frappé par l'identité des réactions — on parle alors d'une « petite personnalité » pour dire que l'enfant sait bien ce qu'il désire et agit comme nous en fonction d'intérêts précis, — tantôt on découvre un monde de différences — dans le jeu, par exemple, ou dans la manière de raisonner, et l'on dit alors que « l'enfant n'est pas un petit adulte ». Or, les deux impressions sont vraies, tour à tour. Du point de vue fonctionnel, c'est-à-dire en considérant les mobiles généraux de la conduite et de la pensée, il existe des fonctionnements constants communs à tous les âges : à tous les niveaux, l'action suppose toujours un intérêt qui la déclenche, qu'il s'agisse d'un besoin physiologique, affectif, ou intellectuel (le besoin se présente en ce dernier cas sous la forme d'une question ou d'un problème) ; à tous les niveaux, l'intelligence cherche à comprendre ou à expliquer, etc. Seulement, si les fonctions de l'intérêt, de l'explication, etc., sont ainsi communes à tous les stades, c'est-à-dire « invariantes » à titre de fonctions, il n'en est pas moins vrai que « les intérêts » (par opposition à « l'intérêt ») varient considérablement d'un niveau mental à un autre, et que les explications particulières (par opposition à la fonction d'expliquer) sont de formes très différentes selon le degré de développement intellectuel. A côté des fonctions constantes, il faut donc distinguer les structures variables et c'est précisément l'analyse de ces structures progressives, ou formes successives d'équilibre, qui marque les différences ou oppositions d'un niveau à l'autre de la conduite, depuis les comportements élémentaires du nourrisson jusqu'à l'adolescence. Les structures variables, ce seront donc les formes d'organisation de l'activité mentale, sous son double aspect moteur ou intellectuel, d'une

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part, et affectif, d'autre part, ainsi que selon ses deux dimensions individuelle et sociale (interindividuelle). Nous distinguerons, pour plus de clarté, six stades ou périodes de développement, qui marquent l'apparition de ces structures successivement construites : 1. le stade des réflexes, ou montages héréditaires, ainsi que des premières tendances instinctives (nutritions) et des premières émotions ; 2. le stade des premières habitudes motrices et des premières perceptions organisées, ainsi que des premiers sentiments différenciés ; 3. le stade de l'intelligence sensori-motrice ou pratique (antérieure au langage), des régulations affectives élémentaires et des premières fixations extérieures de l'affectivité, ces premiers stades constituent à eux trois la période du nourrisson (jusque vers 1 1 / 2 à 2 ans, c'est-à-dire antérieurement aux développements du langage et de la pensée proprement dite ; 4. le stade de l'intelligence intuitive, des sentiments interindividuels spontanés et des rapports sociaux de soumission à l'adulte (de 2 à 7 ans, ou seconde partie de la « petite enfance ») ; 5. le stade des opérations intellectuelles concrètes (début de la logique), et des sentiments moraux et sociaux de coopération (de 7 à 11-12 ans) ; 6. le stade des opérations intellectuelles abstraites, de la formation de la personnalité et de l'insertion affective et intellectuelle dans la société des adultes (adolescence). Chacun de ces stades est donc caractérisé par l'apparition de structures originales, dont la construction le distingue des stades antérieurs. L'essentiel de ces constructions successives subsiste au cours des stades ultérieurs, à titre de substructures, sur lesquelles viennent s'édifier les caractères nouveaux. Il s'ensuit que chez l'adulte, chacun des stades passés correspond à un niveau plus ou moins élémentaire ou élevé de la hiérarchie des conduites. Mais à chaque stade correspondent aussi des caractères momentanés et secondaires, qui sont modifiés par le développement ultérieur, en fonction des besoins d'une organisation meilleure. Chaque stade constitue donc, par les structures qui le définissent, une forme particulière d'équilibre, et l'évolution mentale s'effectue dans le sens d'une équilibration toujours plus poussée. Nous pouvons alors comprendre ce que sont les mécanismes fonctionnels communs à tous les stades. On peut dire, d'une manière absolument générale (non seulement en comparant chaque stade au suivant, mais chaque conduite, à l'intérieur de n'importe quel stade, à la conduite suivante) que toute action — c'est-à-dire tout mouvement, toute pensée ou tout sentiment — répond à un besoin. L'enfant, pas plus que l'adulte, n'exécute aucun acte, extérieur ou même entièrement intérieur, que mû par un mobile, et ce mobile se traduit toujours

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sous la forme d'un besoin (un besoin élémentaire ou un intérêt, une question, etc.). Or, comme l'a bien montré Claparède, un besoin est toujours la manifestation d'un déséquilibre : il y a besoin lorsque quelque chose, en dehors de nous ou en nous (dans notre organisme physique ou mental), s'est modifié, et qu'il s'agit de réajuster la conduite en fonction de ce changement. Par exemple, la faim ou la fatigue provoqueront la recherche de la nourriture ou du repos ; la rencontre d'objet extérieur déclenchera le besoin de jouer, son utilisation à des fins pratiques, ou suscitera une question, un problème théorique ; une parole d'autrui excitera le besoin d'imiter, de sympathiser ou engendrera la réserve et l'opposition parce que entrant en conflit avec telle de nos tendances. Inversement l'action se termine dès qu'il y a satisfaction des besoins, c'est-à-dire lorsque l'équilibre est rétabli entre le fait nouveau, qui a déclenché le besoin, et notre organisation mentale telle qu'elle se présentait antérieurement à lui. Manger ou dormir, jouer ou parvenir à ses fins, répondre à la question ou résoudre le problème, réussir son imitation, établir un lien affectif, maintenir son point de vue, sont autant de satisfactions qui, dans les exemples précédents mettront un terme à la conduite particulière suscitée par le besoin. A chaque instant, pourrait-on dire ainsi, l'action est déséquilibrée par les transformations qui surgissent dans le monde, extérieur ou intérieur, et chaque conduite nouvelle consiste non seulement à rétablir l'équilibre, mais encore à tendre vers un équilibre plus stable que celui de l'état antérieur à cette perturbation. C'est en ce mécanisme continu et perpétuel de réajustement ou d'équilibration que consiste l'action humaine, et c'est pourquoi, en ses phases de construction initiale, on peut considérer les structures mentales successives qu'engendre le développement comme autant de formes d'équilibre dont chacune est en progrès sur les précédentes. Mais il faut bien comprendre aussi que ce mécanisme fonctionnel, si général soit-il, n'explique pas le contenu ou la structure des différents besoins, puisque chacun d'entre eux est relatif à l'organisation du niveau considéré. Par exemple, la vue d'un même objet déclenchera des questions fort différentes chez un petit enfant, qui est encore incapable de classification, et chez un grand dont les idées sont plus étendues et plus systématiques. Les intérêts d'un enfant dépendent donc à chaque instant de l'ensemble de ses notions acquises et de ses dispositions affectives, puisqu'ils tendent à les compléter dans le sens d'un équilibre meilleur. Avant d'examiner le détail du développement, il faut donc nous borner à dégager la forme générale des besoins et intérêts communs

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à tous les âges. On peut dire, à cet égard, que tout besoin tend 1. à incorporer les choses et les personnes à l'activité propre du sujet, donc « assimiler » le monde extérieur aux structures déjà construites, et 2. à réajuster celles-ci en fonction des transformations subies, donc à les « accommoder » aux objets externes. De ce point de vue, toute la vie mentale, comme d'ailleurs la vie organique elle-même, tend à assimiler progressivement le milieu ambiant, et elle réalise cette incorporation grâce à des structures, ou organes psychiques, dont le rayon d'action est de plus en plus étendu : la perception et les mouvements élémentaires (préhension, etc.) donnent d'abord prise sur les objets proches et dans leur état momentané, puis la mémoire et l'intelligence pratiques permettent à la fois de reconstituer leur état immédiatement antérieur et d'anticiper leurs transformations prochaines. La pensée intuitive renforce ensuite ces deux pouvoirs. L'intelligence logique, sous sa forme d'opérations concrètes et enfin de déduction abstraite termine cette évolution en rendant le sujet maître des événements les plus lointains, dans l'espace et dans le temps. A chacun de ces niveaux, l'esprit remplit donc la même fonction, qui est d'incorporer l'univers à lui, mais la structure de l'assimilation varie, c'est-à-dire les formes d'incorporation successives de la perception et du mouvement jusqu'aux opérations supérieures. Or, en assimilant ainsi les objets, l'action et la pensée sont contraintes de s'accommoder à eux, c'est-à-dire de se réajuster lors de chaque variation extérieure. On peut appeler « adaptation » l'équilibre de ces assimilations et accommodations : telle est la forme générale de l'équilibre psychique et le développement mental apparaît donc sans plus, en son organisation progressive, comme une adaptation toujours plus précise à la réalité. Ce sont les étapes de cette adaptation que nous allons maintenant étudier concrètement.

La pensée du jeune enfant Cette étude montre d'abord (cf. ci-dessous, § 1) en quoi l'enfant diffère de l'adulte, c'est-à-dire ce qui manque au jeune enfant pour raisonner comme un adulte normal de culture moyenne : on peut vérifier, par exemple, que certaines structures logico-mathématiques ne sont pas à l'œuvre à tout âge et ne sont donc pas innées. Cette étude montre ensuite (cf. ci-dessous, § 2) comment se construisent les structures cognitives. A cet égard la psychologie de l'enfant peut servir de méthode explicative générale en psychologie, car la

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formation progressive d'une structure fournit à certains égards son explication. L'étude du mode de construction de certaines structures permet enfin (cf. ci-dessous, § 3) de donner une réponse à certaines questions que se pose la philosophie des sciences : à cet égard la psychologie de l'enfant peut se prolonger en « épistémologie génétique ». 1. L'enfant

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l'adulte

Commençons par les différences entre l'enfant et l'adulte. J'ai soutenu dans mes premiers livres que l'enfant commençait par être « prélogique », non pas dans le sens d'une hétérogénéité fondamentale entre l'enfant et l'adulte, mais dans celui de la nécessité d'une construction progressive des structures logiques. On a beaucoup critiqué cette hypothèse, en particulier en Grande-Bretagne, et surtout parce que mes arguments étaient tirés de la pensée verbale. On a par exemple répondu (et sur ce point avec raison) que l'enfant était plus logique en actions qu'en paroles, comme y ont insisté entre autres N . et S. Isaacs. J e suis en général peu sensible aux critiques, car il arrive que les contradicteurs ne comprennent pas exactement un auteur quand ses affirmations s'éloignent des habitudes reçues \ mais le service que rendent les critiques est de rendre plus prudent et de forcer à poursuivre l'analyse. Lorsque j'ai eu moi-même des enfants j'ai donc mieux compris, en les étudiant, le rôle de l'action, et j'ai en particulier compris que les 1. Par exemple, dans un intéressant ouvrage qui paraîtra prochainement en anglais et en français sur Y Étude génétique et expérimentale de la pensée causale, deux psychologues canadiens, M. Laurendeau et A. Pinard, ont repris sur 500 enfants de 4 à 12 ans une étude (minutieuse au point de vue statistique) de la plupart des épreuves dont je m'étais servi jadis pour analyser la « précausalité » enfantine, et ils ont retrouvé l'essentiel de mes résultats. D'autre part, ils se sont livrés à une critique serrée de l'ensemble des travaux antérieurs au leur, portant sur le même sujet, et dont un grand nombre contredisaient mes hypothèses, tandis qu'un certain nombre les vérifiaient au contraire. Ils ont alors pu établir que ces divergences entre les auteurs tenaient à deux raisons essentielles. L'une est que certains auteurs adoptent des critères très différents des miens (par exemple Deutscher fait entrer dans les explications « matérialistes » par opposition à précausales, un nombre important d'explications phénoménistes, que je classe comme précausales). L'autre (et ceci est bien plus significatif encore) est que les auteurs ont employé deux méthodes opposées de dépouillement, l'une fondée sur les diverses réponses d'un même enfant, l'autre fondée sur les objets (indépendamment de la cohérence propre à chaque enfant). Il va alors de soi que les auteurs ayant adopté la seconde méthode sont en désaccord avec moi, tandis que ceux qui ont adopté la première méthode d'analyse (qui était la mienne) retrouvent les mêmes résultats !

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actions constituaient le point de départ des futures opérations de l'intelligence, l'opération étant une action intériorisée qui devient réversible et qui se coordonne avec d'autres en structures opératoires d'ensemble. Mais comme les opérations ainsi définies ne s'achèvent que vers 7 ou 8 ans il y a donc bien toute une période « préopératoire » du développement, correspondant à ce que j'appelais autrefois la période « prélogique » (les opérations elles-mêmes se constituant en deux étapes successives, l'une « concrète » entre 7 et 11 ans et plus proche de l'action, l'autre « formelle » ou propositionnelle, après 11-12 ans seulement). Mais surtout, en reprenant sur le plan de l'action les analyses que j'avais d'abord conduites sur le plan du langage seulement, j'ai pu retrouver, sous une forme bien plus primitive et plus essentielle, certains des résultats que j'avais obtenus en paroles. Par exemple, j'avais soutenu que la pensée du jeune enfant est égocentrique, non pas dans le sens d'une hypertrophie du moi, mais dans celui d'une centration sur le point de vue propre : il s'agissait donc d'une indifférencaition initiale des points de vue, rendant nécessaire une différenciation par décentration pour aboutir à l'objectivité. Or l'étude du développement sensori-moteur de l'espace, aux niveaux antérieurs à l'acquisition du langage, conduit exactement aux mêmes résultats : le développement débute par la construction d'une multiplicité d'espaces hétérogènes (buccal, tactile, visuel, etc.,) dont chacun est centré sur le corps ou la perspective propres ; puis, à la suite d'une sorte de révolution copernicienne en petit, l'espace finit par constituer un contenant général, qui contient tous les objets y compris le corps propre et se trouve ainsi entièrement décentré. Il n'y a donc pas de différence de nature entre la logique verbale et la logique inhérente à la coordination des actions, mais la logique des actions est plus profonde et plus primitive, elle se développe plus rapidement et surmonte plus vite les difficultés qu'elle rencontre, mais qui sont les mêmes difficultés de décentration que celles qui se présentent plus tard sur le plan du langage. Si l'on cherche ainsi à dégager le caractère le plus général par lequel la logique initiale de l'enfant diffère de la nôtre (mais avec donc un décalage entre ses manifestations dans l'action puis sur le plan du langage), ce caractère est sans doute l'irréversibilité due à l'absence initiale de décentration, et conduisant aux non-conservations. En effet, les opérations logico-mathématiques sont, comme nous l'avons vu, des actions intériorisées, réversibles (en ce sens que chaque opération comporte une opération inverse, comme la soustraction par rapport 8

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à l'addition) et coordonnées en structures d'ensemble. Or, l'enfant procède d'abord par actions simples, à sens unique, avec centration sur les états (et surtout sur les états finaux), sans cette décentration qui seule permet d'atteindre les « transformations » comme telles. Il en résulte alors cette conséquence fondamentale qu'il n'y a pas d'emblée conservation des objets, ensembles, quantités, etc., avant la décentralisation opératoire : par exemple la permanence d'un objet individuel sortant du champ perceptif (caché sous un écran) ne s'acquiert que progressivement au niveau sensori-moteur ( — à 12 mois) et la conservation d'une collection d'objets dont on modifie la forme ne s'achève que vers 7-8 ans en moyenne. L'étude des diverses formes de non-conservation, que nous poursuivons encore, montre qu'elles ne sont pas dues à une tendance spontanée au changement (car l'enfant est au contraire surtout conservateur) mais bien à un défaut initial d'opérations réversibles. Nous avons, par exemple, repris récemment nos anciennes expériences sur la nonconservation de la quantité d'un liquide (en cas de transvasement d'un récipient A en un récipient B plus étroit et plus élevé), mais en introduisant la modification expérimentale suivante : au lieu d'effectuer d'emblée le transvasement, nous le faisons d'abord anticiper en pensée en demandant de prévoir a) s'il y aura, ou non, conservation du liquide ; et b) jusqu'où montera l'eau dans le bocal B. Or les sujets de 4 à 6 ans prévoient en général a) que la quantité se conservera et b) que le niveau lui-même se conservera aussi. Lorsque l'on passe ensuite au transvasement effectif, ils sont alors surpris de constater que le niveau est plus élevé dans le bocal B qu'il ne l'était en A et ils concluent par conséquent à la non-conservation de la quantité ellemême. Il est vrai que certains petits (peu nombreux) prévoient correctement l'élévation du niveau en B (sans doute à cause d'expériences spontanées antérieures) et prévoient alors la non-conservation. Pour comprendre ces dernières réactions (comme d'ailleurs celles du premier type), il suffit de faire l'expérience suivante : on donne à l'enfant un verre A vide et un verre B (plus mince) également vide et l'on demande à l'enfant de verser lui-même le liquide en A et en B pour qu'il y ait « la même quantité à boire dans les deux » : on s'aperçoit alors qu'il met exactement le même niveau en A et en B, sans s'occuper de la largeur du verre. Les enfants de 6 1/2 a. 1 ans en moyenne, ou plus, croient au contraire à la conservation tout en sachant prévoir la différence des niveaux, compte tenu des différences de largeur des verres. Cette reprise d'anciennes expériences montre donc bien que la rai-

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son profonde des non-conservations tient à ce que le jeune enfant raisonne seulement sur les états ou configurations statiques et néglige les transformations comme telles : pour atteindre celles-ci, il faut au contraire raisonner au moyen d ' « opérations » réversibles et celles-ci ne se construisent que peu à peu, par un réglage progressif des compensations en jeu. 2. Les structures cognitives Ceci nous conduit à notre seconde partie : comment se construisent les structures opératoires logico-mathématiques ? L'étude de cette construction confère, nous semble-t-il, à la psychologie de l'enfant une valeur explicative intéressant la psychologie en général, en ce sens que la genèse (en tant que portant sur la succession des stades et pas seulement sur les premiers, car il n'y a jamais de commencement absolu) rejoint la causalité même des mécanismes formateurs. C'est pourquoi il est regrettable qu'en certains milieux les « Child psychologists » n'aient pas de contact avec les expérimentalistes et que les psychologues expérimentaux ignorent l'enfant, car la dimension génétique est nécessaire à l'explication en général. Les opérations logico-mathématiques dérivent des actions ellesmêmes, car elles sont le produit d'une abstraction qui procède à partir de la coordination des actions et non pas à partir des objets. Par exemple, les opérations d ' « ordre » sont tirées de la coordination des actions, car, pour découvrir un certain ordre dans une série d'objets ou une suite d'événements il faut être capable d'enregistrer cet ordre au moyen d'actions (depuis les mouvements oculaires jusqu'à la reconstitution manuelle) qui doivent être elles-mêmes ordonnées : l'ordre objectif n'est donc connu qu'au moyen d'un ordre inhérent aux actions elles-mêmes. Un théoricien de l'apprentissage comme D. Berlyne, qui a travaillé chez nous une année (entre autres à des expériences sur l'apprentissage de l'ordre), exprime ce résultat en disant 2 que pour « apprendre » un ordre, il faut disposer d'un « compteur », ce qui équivaut à ce que j'appelle pour ma part une activité ordinatrice. Mais les opérations ne sont pas seulement des actions intériorisées : pour qu'il y ait opérations, il faut en outre que ces actions deviennent réversibles et se coordonnent en structures d'ensemble, ces struc2. D. BERLYNE et J. PIAGET, Théorie du comportement et opérations, Paris, Presses Universitaires de France (« Études d'épistémologie génétique », 12), I960.

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tures étant alors exprimables en termes d'algèbre générale : « groupements », « groupes », « lattices », etc. Or, cette construction des structures s'effectue souvent d'une manière complexe et imprévue, comme le montre par exemple la construction de la série des nombres entiers, que nous avions étudiée jadis et dont nous avons repris l'étude récemment. On sait qu'il existe à cet égard, chez les mathématiciens eux-mêmes, deux grands types d'hypothèses. D'après les uns, qu'on appelle « intuitionnistes » (Poincaré, Brouwer. etc.), le nombre se construit indépendamment des structures logiques, et résulte d' « intuitions » opératoires assez primitives, comme l'intuition du « n + Pour les autres, au contraire, les structures numériques dérivent des structures logiques : dans les Principia mathematica, Russell et Whitehead cherchent, par exemple, à réduire le nombre cardinal à la notion de classe et le nombre ordinal à celle de relation asymétrique transitive. Or, les faits psychologiques ne s'accordent ni avec l'une ni avec l'autre de ces hypothèses. Ils montrent, en premier lieu, que tous les éléments du nombre sont de nature logique : il n'y a pas d'intuition du n -(- 1 avant que se constitue une conservation des ensembles, fondée sur les inclusions (classification) ou les sériations opératoires. Mais, en second lieu, ces composantes logiques donnent lieu à une synthèse nouvelle, dans le cas du nombre entier, et à une synthèse qui ne correspond ni à une seule composition de classes ni à une seule composition sériale, mais aux deux à la fois. Il ne s'agit pas d'une simple composition de classes, parce que, si l'on fait abstraction des qualités (ce qui est nécessaire pour obtenir un nombre), il est nécessaire de faire intervenir un facteur d'ordre (sériation) pour distinguer les unités, sinon toutes identiques. En outre, si l'on fait abstraction des qualités, la correspondance un à un (one-one) que fait intervenir Russell (pour construire les classes de classes équivalentes) n'est plus une correspondance qualifiée (un élément qualifié correspondant à un autre élément de même qualité), mais une correspondance unité à unité, qui est alors déjà numérique (d'où une pétition de principe). Bref, le nombre entier n'est ni un simple système d'inclusions de classes, ni une simple sériation, mais une synthèse indissociable de l'inclusion et de la sériation, provenant de ce que l'on fait abstraction des qualités et de ce que ces deux systèmes (classification et sériation), qui sont distincts, lorsque l'on conserve les qualités, fusionnent en un seul dès que l'on en fait abstraction. Cette construction du nombre semble un peu hétérodoxe au point de vue logique et le mathématicien qui a traduit en anglais mon

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ouvrage (avec A. Szeminska) sur La genèse du nombre chez l'enfant m'avait demandé de supprimer, dans l'édition anglaise, les formules que j'avais données à la fin du volume, dans l'édition française, parce qu'elles lui paraissaient choquantes, pour lui et pour les logiciens anglais. Mais récemment, un excellent logicien, J.-B. Grize, a fourni une formalisation de cette construction psychologique du nombre, que j'avais formulée par simple observation de l'enfant, et l'a présentée à nos Symposia d epistémologie génétique 3 , sans que des logiciens comme E. W . Beth ou V. Quine, qui assistaient à ces Symposia, y aient vu de difficultés, sinon en ce qui concerne quelques améliorations possibles de détail. Nous sommes ainsi en présence d'une nouvelle explication de l'élaboration du nombre et c'est la psychologie de l'enfant qui nous l'a fournie : on voit donc que la psychologie génétique ne nous apprend pas seulement en quoi l'enfant commence par différer de l'adulte, mais également comment se construisent certaines des structures logico-mathématiques qui font finalement partie de toutes les formes évoluées de la pensée adulte. 3. Psychologie et epistémologie

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Ceci nous conduit aux dernières remarques qu'il nous reste à faire : en certains cas, l'étude génétique de la construction des notions et des opérations permet de répondre à des questions posées par les sciences en ce qui concerne leurs procédés de connaissance, et, en ces caslà, la psychologie de l'enfant se prolonge de façon naturelle en « épistémologie génétique ». J'en donnerai simplement un exemple : celui du temps et de la vitesse. En 1928, Einstein, lors d'un petit congrès de philosophie des sciences, m'avait posé la question de savoir si, psychologiquement, la notion de vitesse se développe en fonction de celle du temps ou si elle peut se constituer indépendamment de toute durée et même éventuellement de façon plus primitive que celle de la durée. On sait, en effet, que dans la mécanique classique, la notion de vitesse dépend de celle de durée, tandis que du point de vue relativiste c'est au contraire la durée qui dépend de la vitesse. Nous nous sommes donc mis au travail, et comme nous allons le voir, les résultats obtenus en ce qui concerne la formation de la notion de vitesse ont pu être utilisés, en 3. J.-B. GRIZE, « Du groupement au nombre », in : Problèmes de la construction du nombre, Paris, Presses Universitaires de France (« Études d'épistémologie génétique », 12), i960.

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retour, par deux relativistes français en un essai de nouvelle conceptualisation de ces notions de départ. A commencer par la notion de temps, elle se présente sous deux aspects distincts : l'ordre de succession des événements, et la durée ou intervalle entre événements ordonnés. Or, il est facile de constater que, chez le jeune enfant, l'estimation des relations d'ordre (succession ou simultanéité) dépend des vitesses en jeu. Par exemple, si l'on fait avancer deux bonshommes à la même vitesse sur deux chemins parallèles partant de la même ligne de départ, l'enfant n'aura aucune difficulté à reconnaître que leurs départs et leurs arrêts sont respectivement simultanés. Mais si l'un des bonshommes va plus vite et arrive donc plus loin en cas de mouvements synchrones, l'enfant dira que les départs sont simultanés, mais que les bonshommes ne s'arrêtent « pas en même temps ». Ce n'est pas une erreur perceptive, parce que l'enfant reconnaît que, quand l'un des bonshommes s'arrête, l'autre ne marche plus ; mais la notion de simultanéité n'a plus de sens poui le sujet parce qu'il n'y a pas encore de « même temps » pour deux mouvements d'inégale vitesse. Vers 6 ans en moyenne, l'enfant acceptera par contre la simultanéité des arrêts comme des départs, mais il n'en conclura pas que les durées des trajets ont été égales, car un plus long chemin lui semble exiger plus de temps (faute de coordination entre les simultanéités et les intervalles temporels). On peut faire des observations analogues sur les temps psychologiques (durée d'un travail lent ou rapide), etc. Au total, le temps apparaît* comme une coordination des mouvements y compris leurs vitesses (t = e : v), de même que l'espace repose sur une coordination des déplacements ( = des mouvements indépendamment des vitesses). Quant à la notion de vitesse, la formule classique v = e : t semble en faire un rapport, tandis que la durée t et l'espace parcouru e correspondent à des intuitions simples, antérieures à cette relation de vitesse. Or, nous venons de voir que, au contraire, l'estimation des durées e commence par dépendre des vitesses. Existe-t-il donc une intuition de la vitesse, qui serait antérieure à la durée ou du moins indépendante d'elle ? On la trouve effectivement chez l'enfant sous la forme d'une intuition ordinale fondée sur le dépassement : un mobile est jugé plus rapide qu'un autre lorsque, en un moment antérieur, il se trouvait derrière lui et qu'en un moment ultérieur il se trouve devant lui. Fondée aussi sur l'ordre temporel (avant et après)

4. J . PlAGET, Le développement de la notion de temps chez l'enfant, Presses Universitaires de France, 1946.

Paris,

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et sur l'ordre spatial (derrière et devant), l'intuition du dépassement ne fait appel ni à la durée ni à l'espace parcouru et cependant elle fournit un critère exact de vitesse. Sans doute l'enfant commence-t-il par ne considérer que les points d'arrivée et commet-il ainsi longtemps des erreurs en ce qui concerne les simples rattrapements et surtout les semi-rattrapements. Mais lorsqu'il devient apte à anticiper la suite des mouvements perçus et à généraliser la notion de dépassement, il atteint une notion ordinale originale de la vitesse5. Il est en outre intéressant de constater que la perception de la vitesse part des mêmes relations ordinales et ne nécessite aucune référence à la durée Cela dit, il est intéressant de constater que le résultat de ces recherches, qui nous avaient été inspirées par un conseil d'Einstein, est en quelque sorte retourné au domaine de la relativité, de la manière suivante. On sait qu'il existe en physique, même relativiste, une difficulté à définir la durée et la vitesse sans cercle vicieux : on définit la vitesse (v = e : t) en se référant à la durée, mais on ne parvient à mesurer les durées qu'au moyen de vitesses (astronomiques, mécaniques, etc.). Or deux physiciens français, essayant de repenser le point de départ de la théorie de la relativité en évitant ce cercle vicieux, ont cherché si nos connaissances sur la formation psychologique de la notion de vitesse pourraient leur fournir une solution. Utilisant alors nos travaux sur la genèse de cette notion chez l'enfant, ils ont fait la théorie de la vitesse ordinale ou dépassement : à l'aide d'une loi logarithmique et d'un groupe abélien, ils ont construit un théorème d'addition des vitesses et, de là, ont retrouvé le « groupe de Lorenz » et les principes de départ de la théorie de la relativité7. On voit ainsi combien la pensée du jeune enfant, qui témoigne d'activités considérables, souvent originales et imprévues, est riche en aspects remarquables, non pas seulement par ses différences avec la pensée adulte, mais encore et tout autant par ses résultats positifs qui nous renseignent sur le mode de construction des structures rationnelles et permettent même parfois d'éclairer certains aspects obscurs de la pensée scientifique.

5. J. PIAGET, Les notions de mouvement et de vitesse chez l'enfant, Paris, Presses Universitaires de France, 1950. 6. J. PIAGET, G. FELLER et E. MCNEAR, « Essai sur la perception des vitesses chez l'enfant et l'adulte », Archives de Psychologie, 1959. 7. J. ABELE et MALVAUX, Vitesse et univers relativiste, Paris, Sedes, 19.

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Problèmes de psychologie génétique L'intention de cette étude est, non seulement de communiquer quelques résultats récents de nos recherches, mais encore d'indiquer dans quel esprit elles sont poursuivies, autrement dit dans quels buts nous étudions depuis plus de trente ans l'intelligence de l'enfant et depuis plus de dix ans le développement des perceptions en fonction de l'âge. On peut naturellement s'adonner aux études de psychologie de l'enfant pour mieux connaître l'enfant lui-même ou dans le but de perfectionner les méthodes pédagogiques. Mais ces buts, qui sont communs à tous les travaux en psychologie génétique, vont de soi et nous n'y insisterons pas. Notre préoccupation, qui s'ajoute aux précédentes sans les contredire, est plus ambitieuse encore : nous croyons que toute recherche, en psychologie scientifique, doit partir du développement et que c'est la formation des mécanismes mentaux chez l'enfant qui explique le mieux leur nature et leur fonctionnement chez l'adulte lui-même. Le but essentiel de la psychologie de l'enfant nous paraît donc de constituer une méthode explicative pour la psychologie scientifique en général, autrement dit de fournir la dimension génétique indispensable à la solution de tous les problèmes mentaux. C'est ainsi que, dans le domaine de l'intelligence, il est impossible de fournir une interprétation psychologique exacte des opérations logiques, des notions de nombre, d'espace, de temps, etc., sans étudier au préalable le développement de ces opérations et de ces notions : développement social, bien entendu, dans l'histoire des sociétés et des diverses formes collectives de pensée (histoire de la pensée scientifique en particulier), mais aussi développement individuel (ce qui n'a rien de contradictoire puisque le développement de l'enfant constitue entre autres une socialisation progressive de l'individu). Dans le domaine des perceptions, d'autre part, on ne saurait construire une théorie exacte des « constances » perceptives, des illusions géométriques, des structurations de l'espace perceptif selon les coordonnées horizontales et verticales, etc., sans étudier au préalable le développement de ces phénomènes, ne serait-ce que pour se mettre en garde contre les hypothèses trop faciles de l'innéité.

1. Innéité et acquisition Pour commencer par cette grande question, seul l'examen de la formation psychologique des conduites permet de faire la part de l'innéité

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éventuelle de certains de leurs éléments et la part de l'acquisition, par expérience ou par influence sociale. On a souvent prétendu, par exemple, qu'il existait chez l'enfant un « instinct d'imitation ». Or l'étude de la formation de l'imitation entre 4 et 6 et 18 à 24 mois permet au contraire de suivre pas à pas l'apprentissage véritable que comporte cette fonction et les liaisons entre cet apprentissage et l'intelligence sensori-motrice en développement. On observe notamment des « erreurs » d'imitation très significatives à cet égard : un de mes enfants, en présence du modèle consistant à ouvrir et fermer les yeux a commencé par répondre en ouvrant et fermant la bouche * ! D'ailleurs, le recours à l'innéité ne résout jamais les problèmes mais les renvoie simplement à la biologie et, tant que la question fondamentale de l'hérédité de l'acquis n'est pas définitivement résolue, on peut toujours supposer qu'à l'origine d'un mécanisme inné on trouvera des facteurs d'acquisition en fonction du milieu. Nous avons toujours pensé personnellement qu'il est impossible d'expliquer les conduites sensori-motrices innées sans cette hypothèse de l'hérédité de l'acquis. Cela est vraisemblable en particulier des réflexes (absolus) qui sont au point de départ des réactions sensori-motrices les plus importantes de la première année y compris l'intelligence sensorimotrice elle-même 9 . Pour nous faire une opinion sur cette question essentielle, nous avons il y a quelques années (après avoir étudié jadis la zoologie des mollusques, avant de faire de la psychologie de l'enfant) analysé un beau cas d'adaptation sensori-motrice chez la Lbnnaea Stagnalis (et un cas qui malgré les apparences touche de près à la psychologie du développement !). La Limnaea Stagnalis est un mollusque d'eau douce qui présente une forme allongée dans les marais, mais qui dans les grands lacs aux rives plates et caillouteuses, prend au contraire une forme contractée et globuleuse à cause des mouvements que fait l'animal pendant sa croissance pour résister à l'agitation de l'eau (contraction du muscle columellaire qui est fixé à la spire et agrandissement de l'ouverture par application réflexe de la sole pédieuse sur les cailloux). Or, en étudiant en aquarium l'hérédité de ces Limnées contractées des lacs (avec élevages en lignée pure, croisements avec d'autres races, etc.), nous avons pu constater que cette forme n'est pas un simple phénotype mais est parfaitement héréditaire,

8. J. PIAGET, La formation du symbole chez l'enfant (imitation et jeu), Paris/Neuchâtel, Delachaux & Niesdé, 1945. 9. J. PIAGET, La naissance de l'intelligence chez l'enfant, Paris/Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1936.

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avec stabilité contrôlée durant 6 à 7 générations 10. Les mutationnistes m'ont naturellement répondu que c'était là une mutation fortuite, qui survit dans les lacs mais est éliminée pour une raison quelconque dans les eaux du marais. Seulement, l'intérêt de ce cas est que, si la forme allongée ne peut pas vivre dans les lacs aux endroits caillouteux exposés aux vagues, la forme contractée peut vivre n'importe où et nous l'avons transplantée il y a 27 ans dans un marais où ses descendants prospèrent encore en conservant la forme du lac. Il est donc bien difficile d'expliquer par le hasard la formation de cette race adaptée aux mouvements de l'eau et qui ne s'observe que sur les rivages les plus exposés des grands lacs ! Nous ne voyons pas d'autre explication possible en cet exemple que l'intervention d'une action du milieu sur le mécanisme réflexe et la morphogénèse. Pour revenir à l'enfant, si l'on était conduit à admettre quelques éléments innés, par exemple dans la perception de l'espace (cela n'est pas exclu, quoique non prouvé, en ce qui concerne les trois dimensions, puisque nous n'arrivons pas à imaginer mais seulement à concevoir un espace à 4 ou » dimensions) il resterait à savoir s'il s'agit alors d'une hérédité d'origine endogène ou d'une hérédité à partir d'acquisitions ancestrales en fonction du milieu et de l'expérience. Cette double possibilité s'applique en particulier à un facteur dont on a certainement exagéré la portée en psychologie de l'enfant, bien qu'il joue un rôle indéniable : c'est la maturation du système nerveux, sur laquelle A. Gesell a fondé tous ses travaux et H. Wallon une partie des siens. Deux remarques s'imposent à cet égard, en plus de ce que nous venons de rappeler de l'hérédité de l'acquis. La première est que la maturation n'est sans doute jamais indépendante d'un certain exercice fonctionnel, où l'expérience joue donc son rôle. On admet, par exemple, en général, depuis les recherches de Tournay, que la coordination entre la vision et la préhension s'effectue vers 4 mois 1/2 (myélinisation du faisceau pyramidal). Or, chez mes trois enfants (nés à terme) les trois signes concomitants de cette coordination (saisir un objet dans le champ visuel, apporter devant les yeux un objet saisi en dehors du champ visuel) se sont produits chez l'un à 6 mois, chez le second à 4 mois 1/2 et chez le troisième à 3 mois sans qu'il existe de différence notable de niveau intellectuel 10. J. PlAGET, « L'adaptation de la Limnaea stagnalis aux milieux lacustres de la Suisse romande », Revue suisse de Zoologie 36, 1929, p. 263-531, et « Les races lacustres de la Limnaea stagnalis : recherches sur les rapports de l'adaptation héréditaire avec le milieu », Bulletin biologique de France et de Belgique 63, 1929, pp. 429-455.

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entre eux C'est que le premier a été objet de peu d'expériences, tandis que j'avais fait avec le troisième dès 2 mois une série d'essais sur l'imitation des mouvements de la main. L'exercice semble donc jouer un rôle dans l'accélération ou le retard de certaines formes de maturation. La seconde remarque est que la maturation du système nerveux ouvre simplement une série de possibilités (et la non-maturation entraîne une série d'impossibilités), mais sans que ces possibilités donnent lieu à une actualisation immédiate tant que les conditions d'expérience matérielle ou d'interaction sociale n'entraînent pas cette actualisation. O n peut, par exemple, se demander si les opérations logiques sont innées chez l'enfant (ce que plus de trente années d'études sur ce sujet nous ont conduit à considérer comme fort peu probable), et un des arguments que l'on pourrait invoquer en faveur de cette innéité serait que les connexions nerveuses elles-mêmes présentent une certaine structure isomorphe à celle de la logique : la loi neurologique du tout ou rien peut en effet se traduire par une arithmétique binaire (1 et/0) isomorphe à l'algèbre de Boole, et W . McCulloch avec la collaboration de Pitts ont montré que les connexions névrotiques prennent la forme des diverses opérations de la logique des fonctions propositionnelles (disjonction, conjonction, exclusion, etc.). Mais, tout en admettant volontiers que ces faits constituent une condition nécessaire de la formation de la logique, nous ne pensons pas qu'ils en soient la condition suffisante, car les structures logiques ne se constituent que peu à peu au cours du développement de l'enfant, en connexion avec le langage et surtout avec les échanges sociaux : le système nerveux et sa maturation tardive (myélogénèse et surtout cytodendrogénèse) se bornent ainsi à ouvrir un certain champ de possibilités à l'intérieur duquel s'actualiseront un certain nombre de conduites (et sans doute assez peu par rapport au nombre des possibilités encore ouvertes) ; mais cette actualisation suppose certaines conditions d'expérience physique (manipulation des objets, etc., ce qui est essentiel également pour la logique) et certaines conditions sociales (échange réglé des informations, contrôle mutuel, etc.) et ce sont ces diverses conditions qui détermineront l'achèvement de ce que la maturation rend simplement possible. 2. Le problème de la nécessité propre aux structures

logiques

Si la logique n'est pas innée chez l'enfant il reste alors à résoudre un 11. PlAGET, La naissance..., op. cit., chap. 3.

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difficile problème de psychologie générale : comment expliquer que les structures logiques deviennent nécessaires à un niveau donné ? Par exemple, si A = B et si B = C, le petit enfant n'est nullement certain que A = C (nous en donnerons des exemples tout à l'heure), tandis qu'après 7 à 8 et surtout 11 ou 12 ans, il lui est impossible de ne pas conclure A = C. La logique, chez l'enfant (comme partout croyons-nous), se présente essentiellement sous la forme de structures opératoires, c'est-àdire que l'acte logique consiste essentiellement à opérer, donc à agir sur les choses ou sur les autres. Une opération est, en effet, une action, effective ou intériorisée, mais devenue réversible et coordonnée à d'autres opérations en une structure d'ensemble comportant des lois de totalité. Une opération est réversible signifie que toute opération correspond à une opération inverse : exemple l'addition et la soustraction logiques ou arithmétiques. D'autre part, une opération n'est jamais isolée : elle est solidaire d'une structure opératoire, telle que les « groupes » en mathématiques (opération directe -f- 1 ; inverse — 1 ; identique 1 — 1 = 0 et associativité [1 + 1] — 1 = 1 + [ 1 — 1], ou les réseaux (étudiés par le grand mathématicien russe Glivenko sous le nom de « structures »), ou les structures plus élémentaires que les groupes et les réseaux que nous avons appelées « groupement » Chacune de ces structures comporte des lois de totalités qui définissent le système opératoire en tant que système, et une forme particulière de réversibilité (inversion dans le groupe, réciprocité dans le réseau, etc.). Or, le critère psychologique de la constitution des structures opératoires et par conséquent de l'achèvement de la réversibilité (celle-ci constituant un processus qui progresse graduellement au cours du développement) est l'élaboration d'invariants ou de notions de conservation. Par exemple, au niveau que nous appellerons de la représentation pré-opératoire, les enfants de 4 à 6 ans, après avoir rempli euxmêmes deux petits verres de quantités égales de perles (en mettant d'une main une perle bleue dans le verre de gauche pendant qu'ils mettent de l'autre main une perle rouge dans le verre de droite) pensent que les quantités ne sont plus égales s'ils versent l'un de ces verres dans un petit bocal plus mince et plus élevé : la quantité des perles ne se conserve donc pas au cours des transvasements. Par contre, lors de la formation des premières structures opératoires concrètes (vers 7-8 ans) l'enfant admettra que la quantité se conserve nécessairement 12. J. PIAGET, La psychologie

de l'intelligence,

Paris, A. Colin, 1947.

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(de nouveau le sentiment de nécessité) parce qu'on a seulement déplacé les perles et qu'on peut les remettre comme elles étaient auparavant (réversibilité) 13 : la constitution de cette notion de conservation est donc typique d'un certain niveau opératoire. En partant de ces critères (que nous n'avons pas inventés a priori mais découverts empiriquement), on peut alors distinguer quatre grands stades dans le développement de la logique de l'enfant. 1. De la naissance à 1 1 /2-2 ans, on peut parler d'une période sensorimotrice, antérieure au langage, où il n'y a encore ni opérations proprement dites ni logique, mais où les actions s'organisent déjà selon certaines structures qui annoncent ou préparent la réversibilité et la constitution des invariants. Par exemple, vers 5-6 mois le bébé ne présente aucune conduite de recherche de l'objet qui disparaît de son champ visuel (il ne soulève pas un mouchoir que l'on pose sur un jouet qu'il allait saisir, etc.), tandis que vers 12 ou 18 mois l'objet est devenu permanent et donne lieu à des conduites de recherche systématique (en fonction de ses positions successives) : or, la constitution de ce premier invariant qu'est l'objet permanent dans l'espace proche est liée à une organisation des mouvements propres et des déplacements de l'objet conforme à ce que les géomètres appellent le « groupe des déplacements » : il y a donc là un début remarquable de réversibilité pratique 2. De 2 à 7-8 ans, débute la pensée avec le langage, le jeu symbolique, l'imitation différée, l'image mentale et les autres formes de la fonction symbolique. Cette représentation croissante consiste pour une bonne part en une intériorisation progressive des actions, jusque-là exécutées de façon purement matérielle (ou sensori-motrice). Mais les actions intériorisées n'atteignent point encore le niveau des opérations réversibles car, sur le plan de la représentation, il est beaucoup plus difficile qu'il ne semble d'inverser les actions : par exemple, se représenter l'ordre des points de repère sur le chemin du retour alors qu'ils viennent d'être énumérés dans l'ordre exact sur le chemin de l'aller. Faute d'opérations réversibles et des structures d'ensemble auxquelles elles aboutissent, l'enfant de ce niveau ne parvient donc pas à comprendre la conservation des ensembles (quantités disconti13. J. PIAGET et A. SZEMINSKA, La genèse du nombre chez l'enfant, Paris/

Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1940. 14. J. PIAGET, La construction du réel chez l'enfant, nouv. éd., Paris/Neuchâtel, 1955, chap. 1 et 2.

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Psychologie

et

pédagogie

nues) ni des quantités continues en cas de modification des configurations spatiales. Nous venons d'en donner un exemple pour les quantités discontinues (les perles dans les récipients de verre). En voici un autre pour les quantités continues : on donne à l'enfant deux boulettes de pâte à modeler de mêmes dimensions et de même poids, puis on en transforme une en galette, ou en saucisse, etc., et l'on demande a) si elle contient toujours autant de pâte, b) si elle présente le même poids et c) si son volume est resté le même (pour le volume l'expérience se fait en immergeant dans un verre d'eau la boulette témoin et en demandant si la saucisse ou la galette, etc., « prendront autant de place » dans l'eau d'un autre verre). Or, la conservation de la quantité de matière n'est acquise que vers 7-8 ans en moyenne, celle du poids vers 9-10 ans et celle du volume que vers 11-12 ans (chez les enfants de Genève) 15 . On peut faire des expériences semblables sur la conservation des longueurs, des distances (toutes deux vers 7-8 ans), des surfaces, etc. l e . Or, dans les domaines non encore structurés par des notions de conservation, on n'observe pas encore non plus, ces autres liaisons logiques élémentaires qui dérivent également de l'usage des opérations et qui sont la transitivité, la commutativité, etc. En ce qui concerne la transitivité, on peut par exemple donner à l'enfant deux barres de laiton exactement pareilles et il constate l'égalité de leurs poids, soit A = B ; après quoi on fait comparer le poids de B à celui d'une boule de plomb C ; l'enfant s'attend à ce que C soit plus lourd, mais il constate à la balance l'égalité B = C ; enfin on demande si A = B et B = : C. Or, au niveau pré-opératoire (qui dure jusque vers 89 ans dans le cas du poids), l'enfant est persuadé que le plomb C sera plus lourd que A malgré les égalités constatées antérieurement. Certains sujets nous ont même dit : « C'est bon pour une fois, que ce soit égal (A = C) mais cette fois le plomb sera plus lourd (C > A), parce qu'il est plus lourd ! » 3. Vers 7-8 ans, en moyenne (mais répétons-le, ces âges moyens dépendent des milieux sociaux et scolaires), l'enfant parvient, après d'intéressantes phases de transition dans le détail desquelles nous ne saurions entrer ici, à la constitution d'une logique et de structures 15. J . PlAGET et B. INHELDER, Le développement des quantités chez l'enfant, Paris/Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1 9 4 1 . 16. J. PlAGET, B. INHELDER et A. SZEMINSKA, La représentation de l'espace chez l'enfant, Paris, Presses Universitaires de France, 1 9 4 8 . 17. PlAGET et INHELDER, op. cit.

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opératoires que nous appellerons « concrètes ». Ce caractère « concret » par opposition à formel, est particulièrement instructif pour la psychologie des opérations logiques en général : il signifie q u a ce niveau, qui est donc celui des débuts d'une logique proprement dite, les opérations ne portent pas encore sur des propositions ou énoncés verbaux, mais sur les objets eux-mêmes, qu'elles se bornent à classer, à sérier, à mettre en correspondance, etc. En d'autres termes, l'opération naissante est encore liée à l'action sur les objets et à la manipulation effective ou à peine mentalisée. Néanmoins, si proches restent-elles de l'action, ces « opérations concrètes s'organisent déjà en structures réversibles présentant leurs lois de totalité. Ce sont, par exemple, les classifications : en effet, une classe logique n'existe pas à l'état isolé, mais seulement en tant que reliée par des inclusions diverses à ce système général d'emboîtements hiérarchiques qu'est une classification, dont l'opération directe est l'addition des classes (A -(- A' r= B) et l'opération inverse la soustraction reposant sur la réversibilité par inversion ou négation (B — A' — A — A — O). Une autre structure concrète essentielle est la sériation qui consiste à ordonner des objets selon une qualité croissante ou décroissante ( A < B < C inscrites au programme. L'association dans le temps et l'espace correspond à l'histoire et à la géographie. L'expression comprend tous les exercices de langue maternelle y compris l'orthographe, la mémorisation ainsi que tous les travaux manuels. Quant au calcul, il se rattache directement à l'observation. En ce qui concerne la lecture et l'orthographe, le docteur Decroly n'en fait pas ces branches séparées du reste auxquelles on attribue la plus grande importance au début de l'école primaire, mais grâce à l'emploi de la méthode globale, la lecture et l'orthographe peuvent être rattachées au centre d'intérêt traité. [...} Les exercices demandés sont de trois espèces : Observation, Association, Expression. 1. Un groupe d'exercices a pour but de développer l'esprit d'observation des élèves ; ce sont par exemple des promenades, des excursions, des leçons de sens et de mesure appliquée, et aussi le collationnement de documents relatifs au « centre » traité. C'est ce que le

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docteur Decroly appelle Observation ; c'est le centre d'idées autour duquel viendront se grouper toutes les autres branches à enseigner. 2. a) Des exercices ont pour but de former les jugements et la logique, de préparer à l'élaboration d'idées générales ; ils comprennent l'étude expérimentale des procédés industriels élémentaires, ainsi que la visite d'ateliers et d'usines ; b) des exercices pratiques, collections et autres, ont pour but de donner des notions de vie dans le temps et dans l'espace ; c'est ce que le docteur Decroly appelle Association et qui correspond à l'histoire et à la géographie ; 3. Des exercices ont pour but de favoriser l'expression concrète et abstraite ; l'expression concrète comprend le modelage, le dessin, le découpage, la couture, etc. ; l'expression abstraite comprend la lecture, l'orthographe ; les travaux spontanés, les causeries.

Observation Les leçons d'observation ont pour but : 1. D'habituer l'enfant à prendre conscience des phénomènes en lui faisant rechercher les causes des faits, en lui en faisant constater les conséquences ; 2. De lui donner d'une manière aussi concrète que possible les notions complexes relatives à la vie, comme cela a été défini plus haut ; 3. D'étudier les manifestations de la vie chez les êtres types et d'en tirer peu à peu des notions d'évolution générale, quant aux plantes, aux animaux et à lui-même. Ces leçons d'observation se divisent en deux groupes bien distincts. 1. Les leçons d'observation occasionnelles, qui tirent parti des événements accidentels surgissant au cours de l'année, consistent notamment : a) A observer chaque matin ce qui s'est passé en classe depuis la veille : l'accroissement d'une plante, la naissance ou la mort d'un animal, la naissance d'un germe, le développement de bourgeons ; b) A étudier les modifications survenues dans l'état météorologique, changements de temps, de saisons, pluie, vent, ouragan, température, etc. ; c) A classer les objets que les enfants apportent de chez eux ou qu'ils ont recueillis en promenade et en excursion ; d) A se rendre compte de la manière de vivre des animaux

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élevés à l'école : têtards, vers à soie, chenilles, vers de farine, lapins, cobayes, souris, poules, pinsons, etc. 2. Les leçons d'observation proprement dites, rattachées au centre d'intérêt mis à l'étude. Comment procède-t-on pour celles-ci ? Au moyen de questions habilement posées, on s'efforce d'abord de se rendre compte de ce que l'élève sait concernant le sujet en question. L'enfant émet spontanément ses idées et le maître peut compléter et corriger les idées fausses que l'enfant se fait sur les phénomènes ou les objets en question. Dans cette préparation à la leçon, le maître essaie de relier le sujet nouveau à d'autres sujets déjà traités ou que l'enfant connaît par son expérience personnelle. Quand ce travail de préparation est achevé, c'est au maître à coordonner, à grouper les idées découvertes et à combler les lacunes. On part donc des sensations, puis on procède par comparaisons en observant les différences entre les objets, pour parvenir à l'élaboration d'une vue générale. C'est grâce à cette élaboration que le raisonnement entre en jeu ; n'est-ce pas en effet apprendre à l'enfant à penser que de lui apprendre à s'élever jusqu'au concept général ? L'enfant qui aura trouvé lui-même ces notions comprendra et il saura les appliquer à un cas particulier. Le résultat de ce travail d'élaboration, qui consiste à former un tout dans l'esprit de l'enfant, est fixé dans la mémoire soit par un dessin, soit par une phrase écrite. Vient ensuite l'application des connaissances acquises, qui permet de voir si elles ont été comprises et appliquées à des séries d'exercices appropriés : résumés, travaux spontanés, application à la vie quotidienne et à la vie sociale. Ces leçons d'observation sont autant que possible données dans un ordre déterminé, de manière à permettre à l'enfant de procéder avec suite dans l'examen de tel phénomène ou de tel objet se rapportant à la matière du programme. Généralement on commence par faire voir le phénomène, puis on s'efforce de le faire connaître par l'intermédiaire des autres sens (toucher, goût, odorat, sensations motrices). On procède ensuite à des expériences qui donneront à l'enfant des renseignements plus précis encore. Nous avons vu que les exercices d'observation ont pour but de mettre directement l'enfant en contact avec les objets, les êtres, les faits, les événements, les phénomènes. Ils l'obligent à manier, sentir, goûter tous les objets, à faire sur ceux-ci de multiples essais.

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Le seul travail d'acquisition productif, le seul travail d'assimilation qui soit en harmonie avec ses moyens de penser, c'est celui qu'il réalise au contact étroit avec les réalités. En ce qui concerne les petites classes, celles où l'observation a le plus d'importance et doit être le plus fouillée, le maître a la possibilité de se laisser guider dans le choix des centres d'intérêt par la nature elle-même, par le milieu où vit l'enfant, où se trouve l'école, par les événements fortuits qui surgissent. Il doit se rendre compte des matériaux dont il aura besoin, de ceux qu'il peut se procurer à toute occasion avec facilité, de ceux dont il ne peut disposer qu'à certains moments et pendant une courte durée. Il devra préparer à l'avance, pour le posséder au moment voulu, tout le matériel nécessaire. Ce matériel devra être utilisé pour certains exercices d'association et même d'expression concrète et abstraite. Il doit également, dans la classe, cultiver des plantes et élever des animaux : les enfants pourront en suivre le développement II fera germer des graines dans de la mousse, de l'ouate ou des tubes. Des escargots, des mouches, des moustiques, des bousiers, des lézards, des grenouilles, des poissons, des oiseaux, des souris, des cobayes représenteront le règne animal. Ce matériel vivant donnera tous les jours lieu à de petits exercices d'observation. En outre le maître devra se procurer les matériaux morts ou inertes, représentés par des objets divers récoltés au fur et à mesure des circonstances. Ces collections donneront lieu à des exercices intéressants qui permettront de répondre aux questions relatives à l'origine et au but qui préoccupent tous les enfants et favorisent le travail d'abstraction et de généralisation aboutissant finalement au travail de classification et de définition. Le matériel sera encore utilisé dans les exercices d'observation-mesure qui aident aux rapprochements entre les objets présentés et nouveaux, avec des objets familiers et connus et enfin aux exercices d'expression concrète. A la comparaison se lient étroitement, comme partie intégrante, les exercices sur les quantités discontinues et continues susceptibles d'être estimées en nombre et de donner lieu au calcul au moyen de signes conventionnels appelés chiffres. Il faut remarquer que le calcul, dans la vie, a pour but de préciser des comparaisons en se basant sur des unités au sujet desquelles un accord préalable a été fixé. Le maître se servira des mesures naturelles et amènera l'enfant à se servir du système métrique au moment opportun. Il est indubitable qu'il y a avantage à passer par certaines des

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étapes traversées au cours des progrès de l'humanité et auxquelles se sont arrêtés quelques peuples, pour établir mieux la transition entre le chaos des premières comparaisons et la précision plus parfaite. Le calcul peut faire partie aisément des exercices de comparaison : il faut, à chaque instant, faire intervenir la conclusion de l'identité du plus ou du moins à propos des résultats des diverses comparaisons, et si, dans certains cas, le nombre n'est pas applicable, notamment lorsqu'il s'agit de couleur, de fluidité, de transparence, de dureté, de vapeurs, de goût, il peut être utilisé quand il s'agit de comparaisons spatiales ou temporelles. Ce procédé peut également être étendu aux volumes, aux capacités, aux surfaces. En résumé, l'observation consiste à faire travailler l'intelligence sur des matériaux recueillis de première main, c'est-à-dire par les sens de l'enfant, en tenant compte des intérêts latents de celui-ci et en associant à ce travail le développement du vocabulaire et d'éléments qui serviront de base aux exercices de lecture, d'écriture, de comparaison, de calcul et de jugement. Observation, mesure Observer, c'est plus que percevoir. C'est aussi établir des relations entre des degrés, rechercher des rapports entre des intensités différentes, constater des successions, des relations spatiales et temporelles. C'est aussi faire des comparaisons, c'est donc établir un pont entre la matière et la pensée. Or, puisque le phénomène précède la pensée, il faut que les objets soient toujours présents. Le travail mécanique des sens et l'élaboration impliquent donc la présence des objets et l'actualité des actes. Comment réaliser ce désideratum ? Rappelons-nous et les enseignements de la psychologie de l'enfant et le fait que nous n'assimilons bien que ce qui nous intéresse. Eveiller l'intérêt chez l'enfant ? Il faut nous en préoccuper car, nous dit le docteur Decroly, « l'intérêt est la vanne qui ouvre le réservoir de l'attention et l'oriente. C'est le stimulant qui déclenche l'énergie nerveuse. » A cet égard, il ne faut pas perdre de vue que l'intérêt de l'enfant n'est pas l'intérêt de l'adulte. Et comment contribuer à édifier un esprit si on ne le connaît pas suffisamment ?

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Il faut donc, pour éveiller l'intérêt de l'enfant : établir le bilan de ses acquis antérieurs, c'est-à-dire savoir ce que renferme son cerveau ; songer aux matériaux nécessaires ; présenter ces matériaux en tenant compte de notre tendance à différencier les choses, et à les identifier. En effet, c'est grâce à ce procédé que le cerveau établit des relations et forme des synthèses. Nous présentons donc toujours à l'enfant au moins deux objets, objets différents ou semblables en des points plus ou moins subtils, à découvrir selon l'âge des enfants. Ces points de comparaison familiers, nous les chercherons dans des objets courants que nous appellerons ensuite unités naturelles. Plus tard seulement nous passerons aux unités conventionnelles. Nous appelons unités naturelles des unités telles que la nature nous en offre. Exemples pour le volume : la pincée, la bouchée, la gorgée ; employées couramment encore pour les couleurs : rouge cerise, jaune citron, etc. ; pour le temps : l'éclair, le clin d'oeil, etc. ; pour les longueurs : le pied, le pouce, la main, etc. [...}

L'éducation sociale et la formation de l'homme Comment l'école arrive-t-elle à élever l'enfant au rang d'homme, à développer son initiative, son courage ? En se constituant en une petite communauté. Toutes les fonctions sociales qui sont en rapport avec le caractère et les capacités de l'enfant lui sont confiées. Toute l'activité de l'enfant est basée sur la liberté. C'est en apprenant à se mouvoir et non à se tenir tranquille que les petits se préparent non à l'école, mais à la vie. Pour cela nous n'arrêtons pas leurs mouvements spontanés et nous ne leur imposons pas des actes de notre volonté. Nous disciplinons l'enfant en vue de l'activité, du travail, du bien, et non pas de l'immobilité, de la passivité et de l'obéissance. Les enfants organisent eux-mêmes la discipline de la classe. Ils pénètrent seuls, sans surveillance, dans le bâtiment d'école ; ils se déshabillent rapidement, entrent en classe et se mettent au travail sans bruit. L'un d'eux se met-il à parler, aussitôt les autres interviennent pour lui imposer silence et le bavard obéit. Notre présence se fait-elle attendre, l'un d'eux se charge aussitôt de nous remplacer. Quelquefois plusieurs d'entre eux manifestent le désir d'être professeur ; un court colloque désigne le chef et la leçon commence.

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La jeune institutrice donne la leçon d'une façon charmante ; toute la petite communauté l'écoute avec plaisir et intérêt. Des charges différentes sont réparties parmi les élèves de la classe. Le choix est fait par les enfants. L'un est chargé de la propreté de la classe, l'autre de l'ordre du vestiaire, du nettoyage des tableaux, de l'aérage de la classe, du calendrier, de l'heure à indiquer à l'horloge, de l'arrangement de l'armoire, des tables à collections, de la nourriture des animaux, de l'arrosage des plantes, du maintien du silence. Chaque élève conserve sa charge aussi longtemps qu'il en manifeste le désir et qu'il la remplit consciencieusement. Comme la personnalité de l'enfant apparaît dans la façon dont il s'acquitte de sa tâche ! On discerne immédiatement les débrouillards, les actifs, les consciencieux, les persévérants ! Il y en a qui remplissent leur devoir avec conscience ; d'autres l'oublient ou le passent à leurs camarades. Mais en général, ils s'acquittent bien de leurs tâches et ils sont fiers des responsabilités qui leur sont confiées. Nous nous efforçons de faire l'éducation de la conscience de l'enfant, en attirant son attention sur ce qui est bien ou mal dans le déroulement des actes journaliers, en l'initiant à la vie, par les faits observés, des récits bien choisis. Nous finissons notre journée par la lecture d'une histoire. L'enfant, en l'écoutant, éprouve de l'admiration, de la joie, de la désapprobation, de la pitié et souvent manifeste bruyamment ses sentiments ; l'impression est produite ; dans son cœur et dans son cerveau germeront les précieuses semences des grandes qualités humaines. L'enfant doit progresser dans la compréhension de la vie du groupe ou de la communauté. Chaque semaine, les enfants se réunissent dans la grande salle de l'école. Après la présentation des nouveaux compagnons et des visiteurs, on lit et commente les messages des amis lointains. On discute les événements survenus à l'école pendant la semaine écoulée. Le secrétaire lit le résumé de la séance précédente. Puis vient le rapport du président. Enfin c'est la nomination du capitaine qui sera responsable pendant une semaine de la bonne tenue de sa classe. A 4 heures, après le départ des élèves, le président va vérifier si tout est en ordre dans les classes. A la réunion suivante, il signalera dans son rapport les charges mal remplies. Chaque enfant assume à son tour cette responsabilité. Dans la classe les charges sont partagées entre les enfants. Impor-

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tante manifestation de l'éducation sociale, cette réunion apprend aux enfants à se juger, à accepter les critiques. Les bons et mauvais points, les compétitions, les classements sont supprimés, mais les enfants décident eux-mêmes des règles aussi bien que des sanctions auxquelles ils devront se soumettre. Une discipline individuelle librement consentie, dans l'intérêt de tous, c'est l'enseignement qui se dégage de ces vivantes assemblées d'enfants.

MARIA

MONTESSORI

L'éducation nouvelle *

Les voies nouvelles Il nous faut nous rendre compte que les premières manifestations de la vie psychique de l'enfant sont si délicates qu'elles passent inaperçues et que l'adulte peut, en en brisant inconsciemment les élans, les rendre prisonnières des obstacles créés par lui. L'ambiance de l'adulte n'est pas faite pour l'enfant ; elle est composée d'obstacles au travers desquels celui-ci développe des défenses, des déformations, et dans laquelle il est victime de suggestions. Comme c'est sur l'apparence extérieure de l'enfant que sa psychologie a été étudiée et qu'ont été jugés ses caractères, cette science est à reviser radicalement. Nous avons constaté que, sous chacune des réponses qui nous surprennent chez lui se trouve une énigme à déchiffrer ; chacun de ses caprices est dû à une cause profonde ; on ne peut plus les interpréter comme un heurt superficiel ; c'est l'explosion d'un caractère supérieur, essentiel, qui cherche à se manifester. Il est évident que tous ces camouflages masquent 1''âme véritable de l'enfant, cachée derrière les efforts qu'il soutient pour réaliser sa vie ; ses caprices, ses luttes, ses déformations ne peuvent donner l'idée d'une personnalité. Ils ne représentent qu'une somme de caractères. Il doit pourtant exister une personnalité ; cet embryon spirituel qu'est l'enfant se développe suivant un plan. Un homme est caché, un enfant inconnu, un être vivant séquestré, qu'il faut libérer. C'est le devoir le plus urgent de l'éducation ; et, dans ce sens, libérer, c'est connaître ; il s'agit donc de découvrir l'inconnu. La différence essentielle entre les recherches psychanalytiques et cette psychologie de l'enfant ignoré consiste tout d'abord en ceci que le secret, dans le subconscient de l'adulte, reste emprisonné dans l'individu même. Il faut s'adresser à celui-ci pour l'aider à débrouiller un écheveau que des adaptations complexes, organisées au cours d'une longue existence, ont emmêlé. Le secret de l'enfant est, au contraire, à peine caché. C'est sur l'ambiance qu'il faut agir * Textes extraits de M. MONTESSORI, L'enfant, Brouwer, 1936. 12

Bruxelles/Paris, Desclée de

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pour libérer ses manifestations ; l'enfant se trouve dans une période de création ; il suffit d'ouvrir la porte. Puisqu'il s'agit d'une énergie expansive, il n'y a aucune difficulté pour elle à s'extérioriser. En préparant un milieu adapté au développement vital, la manifestation psychique naturelle doit se produire spontanément, amenant la révélation du secret de l'enfant. Si elle ne tient pas compte de ce principe, l'éducation ne peut que s'engager dans un labyrinthe sans issue. La véritable éducation nouvelle consiste à aller tout d'abord à la découverte de l'enfant et à réaliser sa libération. C'est le problème de l'existence : il faut exister d'abord. Vient ensuite le problème de l'aide à apporter à l'enfant, et qui doit durer aussi longtemps que l'évolution de celle-ci. Ces deux problèmes ont une base commune : l'ambiance, qui doit réduire les obstacles au minimum. C'est elle qui offre les moyens nécessaires au développement des activités. L'adulte en fait partie, lui aussi ; il faut donc qu'il s'adapte : il faut, d'une part, qu'il ne soit pas un obstacle pour l'enfant ; d'autre part, qu'il ne se substitue pas à lui dans les différentes activités que celui-ci aura à satisfaire avant d'atteindre à la maturité. Notre méthode d'éducation est caractérisée précisément par l'importance qu'elle attribue à l'ambiance. La figure du maître a été une des innovations qui ont suscité le plus d'intérêt et le plus de discussions : de ce maître passif, qui fait tomber devant l'enfant l'obstacle de sa propre activité, de sa propre autorité, qui se satisfait de le voir agir et progresser tout seul, sans s'en attribuer le mérite. Une autre caractéristique essentielle de notre méthode est le respect de la personnalité de l'enfant, à un degré encore jamais atteint. Des institutions particulières, qui s'appelèrent « Maisons des Enfants », se sont créées sur ces trois principes essentiels. Ceux qui ont suivi ce mouvement d'éducation savent combien il a été, combien il est encore discuté. Ce qui a le plus surpris, c'est ce renversement entre l'adulte et l'enfant : le maître sans chaire, sans autorité, presque sans enseignement ; et l'enfant devenu le centre de l'activité, qui apprend tout seul, libre dans le choix de ses occupations et de ses mouvements. Quand on n'a pas parlé d'utopie, on a parlé d'exagération. Par contre, l'autre concept, celui de l'ambiance matérielle adaptée aux proportions du corps enfantin, fut accueilli avec bienveillance.

Ai. Montessori : L'éducation

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Ces pièces claires, lumineuses, aux croisées basses et fleuries, aux meubles petits, de toutes les formes, comme dans l'ameublement d'une maison moderne ; ces petits fauteuils et ces petites tables, ces tentures jolies, ces commodes basses à portée de la main de l'enfant qui y dépose les objets et prend dessus ce qu'il désire, tout cela a semblé une amélioration pratiquement importante dans la vie de l'enfant. Et je crois bien que beaucoup de « Maisons des Enfants conservent ce critère extérieur comme élément principal. Aujourd'hui, après de longues recherches et de nombreuses expériences, nous avons le sentiment qu'il est nécessaire de parler de cette méthode et, surtout, d'en faire connaître les origines. Ce serait une erreur de croire que l'idée d'admettre chez l'enfant une nature occulte ait donné naissance à une méthode d'éducation spéciale, puis à des écoles adaptées à cette méthode. Il n'est possible d'observer que ce que l'on connaît. Il est impossible d'attribuer, sur une simple intuition, deux natures à l'enfant, et d'essayer ensuite de les démontrer par expérience. L'inconnu doit surgir par sa propre énergie : il n'y a pas plus incrédule que celui devant lequel il se présente. Et il faut que cet inconnu se présente avec ténacité, avant qu'il soit enfin reconnu et accueilli. Mais avec quel enthousiasme l'individu que vient de frapper la lumière nouvelle la retient, en est ravi, y consacre sa vie ! C'est cet enthousiasme qui fait croire que celui qui en a été frappé l'a créée lui-même. Le plus difficile pour nous est de nous apercevoir, puis de nous persuader de la réalité d'une découverte. C'est précisément devant ce qui est nouveau que se ferment les portes de notre perception. Le champ de l'esprit est comme un salon distingué, interdit aux nouveaux venus ; pour y pénétrer, il faut être présenté par un habitué. Il faut que l'inconnu enfonce la porte fermée ou entre en sourdine. Alors, cet inconnu produit une surprise, un bouleversement dans le cénacle. Quand Volta s'est aperçu que la fameuse araignée morte s'agitait, ce n'est pas sans émotion, ni du premier coup, qu'il fut persuadé de l'authenticité du phénomène. Il le retint pourtant, et l'électricité en naquit. Il suffit quelquefois d'un fait insignifiant pour ouvrir des horizons illimités, l'homme est, par nature, un chercheur ; mais si ces faits insignifiants ne sont pas découverts, l'avance n'est pas possible. En physique et en médecine, il faut acquérir de sérieuses certitudes sur un phénomène nouveau. Un phénomène nouveau, c'est la découverte initiale de faits inconnus, donc comme inexistants. Un fait en

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soi est toujours objectif ; il ne dépend pas d'une intuition. Pour démontrer l'existence d'un fait nouveau, il faut tout d'abord prouver que celui-ci existe en soi ; il faut donc l'isoler. Vient ensuite un second temps, celui dans lequel on étudie les conditions dans lesquelles se manifeste le phénomène, afin de chercher à le reproduire et à l'entretenir. Alors seulement, on peut l'étudier. La recherche doit être comme une antichambre ; c'est le moment de l'apparition. Ensuite, une autre forme d'étude est destinée à reproduire le phénomène, à le posséder, afin qu'il ne s'évapore pas comme une vision, mais se transforme en une réalité, en une propriété maniable, par conséquent, en une valeur réelle. La première « Maison des Enfants » offre l'exemple d'une découverte amenée par des faits insignifiants, ayant ouvert des voies illimitées.

L'application de la méthode et ses conséquences C'est par hasard que, chez nous, les conditions se réalisèrent. L'une des plus caractéristiques a été cette ambiance plaisante offerte aux enfants. Ceux-ci, grandis en des lieux misérables, étaient particulièrement sensibles à cette maison propre et blanche, où ils trouvaient des tables neuves, de petits sièges construits pour eux et les pelouses de la cour ensoleillée. Une autre condition essentielle était le caractère négatif de l'adulte : les parents illettrés, la maîtresse-ouvrière, sans ambitions ni préjugés. Cette situation réalisait un état de « calme intellectuel ». On a toujours reconnu qu'un éducateur devait être calme. Mais on n'envisageait ce calme qu'au point de vue de son caractère, de ses impulsions nerveuses. Il s'agit ici d'un calme plus profond : d'un état de vide ou, plutôt, d'un manque d'encombrement mental d'où découlait une limpidité intérieure, un détachement de toute attache intellectuelle. C'est « l'humilité spirituelle » qui prépare à comprendre l'enfant, et qui devrait être la préparation essentielle de la maîtresse. Une autre circonstance favorable fut l'offre aux enfants d'un matériel scientifique attrayant, déjà perfectionné pour l'éducation sensorielle. Tout cela était capable de concentrer l'attention. Et rien n'aurait pu réussir si, en enseignant à haute voix, les énergies avaient été appelées de l'extérieur.

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Donc, l'ambiance adaptée, le maître humble, et le matériel scientifique. Voilà les trois points extérieurs. Cherchons à relever maintenant quelques manifestations des enfants La plus saillante, celle qui semble presque due à une baguette magique faisant surgir les caractères normaux, c'est l'activité concentrée sur un travail, et s'exerçant sur un objet extérieur avec des mouvements de la main, guidés par l'intelligence. Alors, surgissent certains phénomènes ayant un mobile intérieur, tels que « la répétition de l'exercice » et « le libre choix ». Et l'enfant apparaît : illuminé par la joie, infatigable ; l'activité est comme un métabolisme psychique, source de vie et condition de développement. C'est son choix qui, désormais, guidera tout ; c'est lui qui répond avec transport à certaines expériences, telles que le silence ; il s'enthousiasme pour l'enseignement qui lui ouvre la voie de la justice et de la dignité. Il absorbe intensément les moyens qui lui permettent de développer son esprit. Par contre, il est des catégories de choses qu'il refuse : les récompenses, les bonbons, les jouets. Il nous démontre, en outre, que l'ordre et la discipline sont pour lui des manifestations et des besoins vitaux. Et pourtant, c'est bien un enfant : frais, sincère, joyeux, sautillant, qui crie quand il s'enthousiasme, qui applaudit, court, remercie avec effusion, appelle, sait démontrer sa gratitude ; il s'approche de tout le monde, admire tout, s'adapte à tout. Dressons donc la liste de ce qu'il a choisi lui-même et tenons compte de ses manifestations spontanées. Notons ensuite ce qu'il a refusé en l'accompagnant du mot abolition : 1. Travail individuel Répétition de l'exercice Libre choix Contrôle du travail Analyse des mouvements Exercices de silence Bonnes manières dans les contacts sociaux Ordre dans l'ambiance Propreté et soin de sa personne Education des sens Ecriture indépendante de la lecture Ecriture précédant la lecture

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Lecture sans livres Discipline dans la libre activité. 2. Abolition Abolition Abolition Abolition Abolition Abolition

des récompenses et des punitions des syllabaires des leçons collectives des programmes et des examens des jouets et de la gourmandise de la chaire du maître enseignant.

Le plan d'une méthode d'éducation apparaît dans cette liste. En somme, c'est de l'enfant que sont venues les directives pratiques, positives et même expérimentales, pour construire une méthode d'éducation où son choix soit le guide, et où sa vivacité vitale serve de contrôle à l'erreur. Il est à remarquer que, dans l'établissement qui s'ensuivit d'une véritable méthode d'éducation, longuement élaborée sur l'expérience, les directives premières, venues de zéro, se sont conservées intactes. Et l'on pense à l'embryon d'un vertébré, où apparaît une ligne qui s'appelle la ligne primitive : c'est un véritable dessin sans substance, qui deviendra par la suite la colonne vertébrale. On pourrait distinguer trois parties : la tête, la section thoracique, la section abdominale ; et puis, beaucoup de points de détail, qui vont s'ordonner, se déterminer peu à peu, et qui finiront par se solidifier : les vertèbres. Ainsi, dans ce premier dessin d'une méthode d'éducation existe un tout : une ligne fondamentale d'où surgissent en relief trois grands facteurs : l'ambiance, le maître et le matériel ; et puis un grand nombre de détails qui se détermineront, précisément comme les vertèbres. Il serait intéressant de suivre pas à pas cette élaboration qui semble être, dans la société humaine, la première œuvre qui ait été commandée par l'enfant, et d'avoir une idée de l'évolution de ces principes qui se présentèrent tout d'abord comme des révélations insoupçonnées. Les développements successifs de cette singulière méthode constituent bien une évolution, parce que les phénomènes nouveaux proviennent d'une vie se développant en relation avec l'ambiance. Or, cette ambiance est toute particulière, étant, du fait de l'adulte, une réponse active et vitale aux plans nouveaux que la vie enfantine manifeste en se développant.

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L a discipline Commençons par la première objection qui se présente à l'esprit des défenseurs des anciennes méthodes. En remuant, les enfants vont renverser chaises et tables, semant le bruit et le désordre : préjugé. Aussi bien, les foules ont cru nécessaire d'emmailloter les nouveau-nés et d'enfermer les enfants dans les espèces de casiers pour leur faire faire leurs premiers pas, tout comme nous croyions nécessaire de laisser exister à l'école le banc fixé par terre. Tout cela repose sur la conception que l'enfant doit grandir dans l'immobilité, et sur l'étrange idée qu'il lui faut se tenir dans une position spéciale pour profiter de l'éducation. Les tables, les chaises, les petits fauteuils légers et transportables lui permettront de choisir la position la meilleure : il pourra, pai conséquent, s'installer commodément, s'asseoir à sa place : et cela constituera à la fois un signe de liberté et un moyen d'éducation. Si l'enfant fait tomber bruyamment une chaise il aura la preuve évidente de sa propre maladresse : le même mouvement, sur les bancs, passerait inaperçu. L'enfant aura ainsi l'occasion de se corriger, et la preuve tangible de son progrès : les chaises et les tables resteront silencieuses à leur place ; cela signifiera que l'enfant ama appris à se mouvoir, alors que, dans l'ancienne méthode, la discipline tendait à obtenir tout au contraire l'immobilité et le silence de l'enfant ; immobilité et silence qui l'empêchaient d'apprendre à se mouvoir avec grâce et discernement ; aussi, lorsqu'il se trouvait dans des pièces où les sièges étaient mobiles, les renversait-il. L'enfant apprend ici une contenance et une habileté de mouvement, qui lui serviront même hors de l'école : tout en restant un enfant, ses manières deviendront libres, mais correctes. La maîtresse de la Maison des Enfants de Milan fit construire une longue console contre la fenêtre où elle disposa des pupitres pour étaler les encastrements de fer nécessaires aux premiers dessins. Mais la console était trop étroite, et les enfants, en choisissant les encastrements faisaient souvent tomber un pupitre, renversant à grand bruit les autres encastrements de fer. On voulut faire aménager la console, mais comme l'ouvrier tardait à venir, il advint que les enfants réussirent à exécuter leur manœuvre si habilement que les pupitres ne se renversèrent plus, malgré leur équilibre incertain. L'habileté des enfants avait paré au défaut du meuble. La simplicité ou l'imperfection des objets extérieurs servent donc à développer l'activité et l'adresse des enfants. Tout cela est logique et simple.

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Discipline et liberté Voici une autre objection facile pour les partisans de lecole commune : comment obtenir la discipline dans une classe d'enfants libres de se mouvoir ? Certes, nous avons une conception différente de la discipline ; la discipline doit, elle aussi, être active. N'est pas discipliné un individu rendu artificiellement silencieux et immobile comme un paralytique. C'est un individu anéanti, non discipliné. Nous appelons discipliné un individu qui est maître de lui et qui peut, par conséquent, disposer de lui-même, ou suivre une règle de vie. Cette discipline active n'est pas facile à obtenir ; mais elle contient en elle un principe élevé d'éducation ; c'est bien autre chose que la condamnation à l'immobilité. Il est nécessaire que la maîtresse ait une technique spéciale pour conduire l'enfant à une telle discipline ; mais il marchera ensuite toute sa vie dans cette voie, avançant toujours vers un but de perfection. De même que l'enfant qui apprend à se mouvoir habilement et à se contenir ne se prépare pas seulement à l'école, mais à la vie, et devient un individu correct par habitude et par pratique dans ses manifestations sociales les plus usuelles, de même l'enfant se plie maintenant à une discipline qui n'est pas limitée au milieu scolaire, mais qui s'étend au milieu social. Sa liberté doit avoir comme limite l'intérêt collectif, et comme forme ce que nous appelons l'éducation des manières et des gestes. Nous devons donc interdire à l'enfant tout ce qui peut offenser autrui ou lui nuire, tout ce qui prend l'allure d'un geste laid ou grossier. Mais toute manifestation ayant un but utile, quelle qu'elle soit, et sous quelque forme qu'elle se présente, doit lui être permise ; et le maître doit l'observer : voilà le point essentiel. Le maître devra acquérir non seulement les capacités d'un préparateur de laboratoire, mais aussi l'intérêt d'un observateur devant les phénomènes naturels. Il devra, pour nous suivre, être plus « patient » qu' « actif » , et sa patience devra être faite de curiosité scientifique et de respect pour les phénomènes qu'il veut observer. Il doit être pénétré de son rôle d'observateur. Ces dispositions doivent être prises à l'égard des tout-petits, qui déploient déjà les premières manifestations psychiques de leur vie. Nous ne pouvons pas savoir les conséquences de l'étouffement d'un acte spontané, alors que l'enfant commence à peine à agir : sans doute

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est-ce la vie même que nous étouffons. L'humanité qui se manifeste à lage de l'enfance, comme le soleil se manifeste à l'aube, devrait être religieusement respectée ; et si un acte éducatif peut être efficace, ce n'est que celui qui tente d'aider au complet déploiement de la vie. Il faut, pour cela, éviter rigoureusement d'arrêter les mouvements spontanés, et d'imposer des actes de par la volonté d'autrui ; à moins qu'il ne s'agisse d'actions inutiles ou néfastes, précisément parce qrielies doivent être étouffées, détruites. [...] La première notion que doivent acquérir les enfants pour que la discipline soit active, c'est la notion du bien et du mal : et le devoir de l'éducatrice d'empêcher l'enfant de confondre le bien avec l'immobilité, et le mal avec l'activité ; ainsi que cela se passait dans la forme de l'ancienne discipline. Notre but est de discipliner l'activité, non pas d'immobiliser l'enfant et de le rendre passif. Une classe où tous les enfants auraient une activité utile, intelligente et consciente, sans manifester aucune impolitesse, me paraîtrait une classe bien disciplinée. Aligner les enfants, assigner à chacun sa place et prétendre qu'ils y restent tranquilles, en observant l'ordre convenu, cela peut être atteint par la suite ; mais comme une manifestation d'éducation collective. [...]

L'éducation des mouvements Dans les écoles communes, on appelle « gymnastique » une discipline musculaire collective qui tend à faire exécuter les mouvements commandés à l'ensemble de la classe. Il existe également la gymnastique à la palestre, qui est un premier pas vers l'acrobatie. Les écoliers étant obligés d'avoir une vie sédentaire pour leurs études, maintenus dans une position déterminée par la discipline de la classe, assis, rigides, sur des bancs de bois, ces différentes espèces de mouvements se sont trouvées être utiles pour contrebalancer l'inertie musculaire. La gymnastique a, dans ces conditions, représenté un remède commandé à un mal imposé : rien de plus symbolique du vieux régime que ces actions et contre-actions imposées par le maître, qui élargit à volonté maux et remèdes à l'enfant passif : « discipliné T>. Les courants modernes qui préconisent, par exemple, les jeux en plein air, comme en Angleterre, ou la gymnastique rythmique initiée par Dalcroze, considèrent déjà l'enfant avec plus d'humanité ; ils lui

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donnent la possibilité de « s'extirper » de la position forcée avec plus de bonne volonté au regard de sa personnalité. Toutes innovations sont pourtant des réactions à une vie comprimée par l'erreur, et ne modifient pas la vie même. Ce sont, en quelque sorte, des divertissements en dehors de l'existence ordinaire. Une des principales tâches pratiques de notre méthode a été de faire pénétrer l'éducation musculaire dans la vie même des enfants, en la reliant à la vie quotidienne ; nous avons ainsi introduit pleinement l'éducation des mouvements dans l'ensemble unique et inséparable de l'éducation de la personne enfantine. Comme chacun le constate, l'enfant est en proie à une mobilité continuelle : le besoin de remuer, irrésistible chez lui, va apparemment s'atténuant ; c'est que les pouvoirs inhibiteurs, en se développant, s'harmonisent avec les impulsions motrices, et construisent les ressorts destinés à obéir à la volonté. L'enfant le plus développé est celui dont les ressorts moteurs sont les plus obéissants ; quand une volonté extérieure agit sur la sienne, il peut dominer son impulsion. Ce principe reste à la base même de la vie de relation ; c'est précisément la caractéristique qui distingue non seulement l'homme, mais tout le règne animal, du monde végétal. Le mouvement est le sine qua non de la vie ; et l'on ne peut concevoir l'éducation comme une modératrice ni, pis encore, comme une inhibitrice du mouvement, mais comme une aide à répartir convenablement les énergies et à les laisser se développer normalement. [...] L'âge sensible Les enfants sont donc à un âge auquel les mouvements prennent un intérêt fondamental : ils paraissent avides d'équilibrer leurs connaissances avec leur besoin de se mouvoir. Ils traversent l'époque de la vie à laquelle il est nécessaire de devenir maître de ses actes. Sans que nous en percevions les raisons physiologiques intimes, les ressorts musculaires et nerveux se trouvent à cette période à laquelle s'établit la coordination des mouvements. C'est l'époque précieuse et passagère de la construction définitive. Initiés à la perfection dès cette époque de la vie, les enfants profitent immensément du travail éducatif : la maîtresse y voit la plus grande récolte avec la plus petite fatigue d'ensemencement. Elle enseigne à des êtres avides. Plus que d'enseigner, elle a l'impression de donner, de faire acte de charité. Plus tard, ces mêmes enfants obtiendront plus difficilement l'exactitude des mouvements ; l'époque constructive des coordinations muscu-

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laires commencera à décliner ; ils n'éprouveront plus ce même amour. Leur âme doit parcourir un chemin déterminé, indépendant de leur propre volonté, comme de l'habileté de la maîtresse. C'est le sens du devoir qui leur fera obtenir, plus tard, grâce à leur volonté, ce qu'ils créaient abondamment à l'âge de l'amour. Il existe donc la possibilité d'initier les tout petits enfants à l'analyse des mouvements.

L'analyse des mouvements Chaque acte accompli se décompose en des temps successifs bien distincts ; un temps suit l'autre. Essayer de reconnaître et d'exécuter exactement et séparément ces gestes successifs, c'est analyser les mouvements. Quand on s'habille ou se déshabille, par exemple, on exécute des actes complexes, que nous, adultes, nous accomplissons assez imparfaitement. L'imperfection consiste à confondre dans l'exécution divers mouvements successifs de l'action. Il se passe quelque chose de comparable à la mauvaise prononciation de mots où plusieurs syllabes se chevauchent en un son incertain et quelquefois incompréhensible. C'est que la personne parle mal : elle ne fait pas l'analyse des sons qui composent le mot. L'élimination ou la confusion des sons n'a rien à faire avec la lenteur ou la rapidité du langage. On peut parler clairement et rapidement. Celui qui prononce mal ses mots peut être lent dans son élocution. Il n'est donc pas question de rapidité, mais d'exactitude. Ainsi nous, nous faisons certains mouvements avec une inexactitude qui provient d'un manque d'éducation ; bien que nous en soyons inconscients, ce manque est resté en nous et nous a marqués comme un véritable stigmate. Supposons par exemple que nous voulions boutonner notre manteau : après l'avoir plus ou moins complètement enfilé, nous commençons à passer le pouce dans la boutonnière et à gratter le pan d'en face à la recherche du bouton ; et nous ne prenons pas conscience de la façon dont ce bouton a été arraché quand nous l'avons déboutonné. Alors que le geste précis doit mettre d'abord l'un en face de l'autre les deux bords du manteau ; et puis placer le bouton dans le sens de la boutonnière et le faire passer dedans pour, enfin, le redresser. C'est ainsi que font les couturières quand elles habillent leurs clients. Les vêtements se conservent alors intacts, tandis que trois ou quatre boutonnages risquent de les gâcher. Nous abîmons les serrures à cause de la même imprécision, y mettant les clefs en aveugles, et mêlant les deux temps successifs où l'on doit tourner la

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clef d'abord et tirer ensuite la porte. N o u s tirons souvent la porte au moyen de la clef, même quand cette dernière n'est pas destinée à cet usage, comme le dénoncent les anneaux plus ou moins tordus. N o u s abîmons pareillement nos meilleurs livres en les feuilletant, parce que nous le faisons avec des gestes inadaptés à leur but. Il en résulte que le mauvais usage que nous faisons des objets retombe sur nous, parce que nos mouvements conservent une brutalité, une grossièreté qui gâchent l'harmonie de la personne, alors qu'une personne raffinée n'a que des mouvements complets dans leurs phases successives.

Économie des mouvements L'analyse des mouvements va de pair avec l'économie des mouvements : n'exécuter aucun mouvement superflu, c'est atteindre le degré de perfection qui permet au mouvement d'être harmonieux. L'attitude des statues grecques et de ceux qui s'en inspirent dans certains ballets constitue une sélection des moments indispensables dans la succession analytique des gestes. Mais cela n'a pas trait seulement à l'art : c'est un principe général pour tous les gestes de la vie. U n mouvement disgracieux, vulgaire, est en général gonflé de gestes inutiles. Celui qui, en descendant de voiture, ouvre la portière un peu avant l'arrêt de la voiture, ou qui tend le pied vers le marchepied, fait inconsciemment des mouvements inutiles puisqu'il ne peut encore descendre. Tous ces gestes ne sont pas seulement inutiles : ils révèlent la vulgarité. Cette simplicité dans les mouvements semble difficile à enseigner : mais il est un âge auquel ces exercices sont passionnants, auquel les instruments musculaires et nerveux sont malléables ; l'exécution en reste gravée pour l'avenir : c'est l'âge de l'enfance ; l'adulte en gardera la distinction. [...]

Généralités sur l'éducation sensorielle La méthode que j'expose ici pour l'éducation des sens ouvre, sans doute, une voie nouvelle aux recherches psychologiques, n'existait pas de méthodes actives pour la préparation individus

aux

puisqu'il

rationnelle

des

sensations.

En dehors de l'intérêt purement scientifique, l'éducation o f f r e un puissant intérêt

pédagogique.

des

sens

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L'éducation générale se propose, en effet, un but biologique et un but social : il s'agit d'aider le développement naturel de l'individu et de le préparer à son milieu. L'éducation professionnelle enseigne à l'individu à utiliser ce milieu. Le développement des sens précède celui des activités supérieures intellectuelles, et l'enfant de 3 à 6 ans est dans la période de la formation. Nous pouvons donc aider le développement des sens, précisément à cet âge, en graduant et en adaptant les stimulants ; de même qu'il faut aider la formation du langage avant qu'il soit complètement développé. Toute l'éducation de la première enfance doit être pénétrée de ce principe : aider le développement naturel de l'enfant. L'autre partie de l'éducation, celle dont le but est l'adaptation de l'individu à son milieu, prendra le pas quand la période intense du développement sera dépassée. Ces deux parties de l'éducation sont toujours entremêlées ; mais leur prédominance dépend de l'âge de l'enfant. La période de la vie qui va de 3 à 6 ans est une période de croissance physique rapide, en même temps que de formation des activités psychiques et sensorielles. A cet âge, l'enfant développpe ses sens : son attention est donc portée vers l'observation du milieu. Ce sont les stimulants, et pas encore les causes qui attirent son attention ; aussi, est-ce l'époque où l'on doit doser méthodiquement les stimulants sensoriels, afin que les sensations se développent rationnellement ; on prépare ainsi la base sur laquelle se construira une mentalité positive. En outre, l'éducation des sens permet de découvrir et de corriger éventuellement des défauts qui passent encore aujourd'hui insoupçonnés dans les écoles, du moins jusqu'à la période à laquelle ces défauts se manifestent avec évidence, alors qu'ils sont devenus impossibles à corriger ; il en résulte une inadaptabilité au milieu (surdité, myopie, etc.). C'est donc bien Y éducation physiologique qui prépare directement l'éducation psychique en perfectionnant les organes des sens et les voies nerveuses de projection et d'association. Mais la partie de l'éducation concernant l'adaptation de l'individu au milieu est aussi atteinte indirectement. Et nous préparons l'enfance de l'humanité de notre temps. Les hommes de notre civilisation sont éminemment des observateurs du milieu, parce qu'il leur faut utiliser au maximum toutes ses richesses. L'art se base, lui aussi, comme au temps de la Grèce, sur l'observa-

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tion de la réalité. La science positive progresse précisément sur l'observation ; et toutes les découvertes et leurs applications qui ont transformé le monde civilisé au siècle dernier se sont développées en suivant cette voie. Il nous faut donc préparer les nouvelles générations à cette attitude. Grâce aux observations, nous voyons naître la découverte des rayons, des ondes, des vibrations du radium ; et nous en attendons des applications magnifiques, analogues à celle de Marconi. A aucune époque, la pensée ne fut aussi prometteuse dans les spéculations philosophiques et dans les voies spirituelles, grâce aux expériences positives. Les théories sur la matière elle-même ont amené à des conceptions métaphysiques, à la suite de la découverte du radium. On pourrait donc dire qu'en préparant l'observation, nous avons préparé la voie aux découvertes spirituelles. L'éducation des sens, en formant des observateurs, n'accomplit pas seulement une tâche d'adaptation à notre époque ; mais c'est aussi une préparation dkecte à la vie pratique. Nous nous sommes fait jusqu'ici une idée très imparfaite de ce qui était nécessaire dans la vie. Nous avons toujours eu pour principe qu'il faut partir des idées pour descendre aux voies motrices. Ainsi, l'éducation a consisté à enseigner intellectuellement, pour n'arriver qu'ensuite à l'exécution. Nous avons parlé de l'objet qui nous intéresse, et nous avons essayé, après seulement, d'amener l'écolier, quand il avait compris, à exécuter un travail en rapport avec cet objet. Mais bien souvent, l'écolier qui avait compris l'idée trouvait pourtant d'énormes difficultés à exécuter le travail, parce qu'il avait manqué à l'éducation un facteur de première importance : le perfectionnement des sensations. Si nous disons à une cuisinière d'acheter du poisson frais, elle comprend l'idée et s'active pour exécuter l'ordre. Mais si la cuisinière n'a pas la vue et l'odorat exercés, elle ne pourra pas exécuter l'ordre reçu. Ce manque sera plus manifeste encore dans l'opération culinaire. La cuisinière pourra être cultivée et connaître à merveille les doses et les temps décrits dans son livre de cuisine, elle saura exécuter les manipulations nécessaires à donner leur forme aux pâtes, mais alors qu'il s'agira d'en apprécier l'odorat, le temps exact de cuisson ou, avec le goût, le moment d'introduire les condiments, elle sera en défaut, si ces sens ne sont pas suffisamment exercés. Il lui faudra acquérir cette habileté par une longue pratique, et cette pratique n'est autre chose qu'une éducation tardive des sens qui, souvent, n'est plus

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efficace chez l'adulte. De même pour les médecins. Les étudiants travaillent théoriquement les caractères du pouls ; mais, s'approchant des patients avec toute leur bonne volonté, si leurs doigts ne savent pas en sentir les battements, c'est en vain qu'ils auront travaillé. Pour devenir médecins, il leur manque la capacité discriminative des stimulants sensoriels. Pareillement pour les battements du cœur, que l'étudiant apprend en théorie, mais que l'oreille ne sait pas ensuite distinguer dans la pratique. On sait bien qu'un médecin peut être docte et intelligent sans être un bon praticien ; pour former un bon praticien, il lui faut une longue pratique. En réalité, cette longue pratique n'est autre qu'un exercice tardif et souvent inefficace des sens. Après avoir assimilé les brillantes théories, le médecin doit déceler les symptômes. Voici donc le débutant qui procède méthodiquement aux palpations, aux percussions, à l'auscultation, afin de reconnaître les bruissements, les résonances, les tons, souffles et rumeurs qui, seuls, pourront lui permettre de formuler le diagnostic. D'où le douloureux découragement, la désillusion des jeunes années, sans parler de l'immoralité d'exercer une telle profession, sans la capacité de déceler les symptômes ! Tout l'art médical est fondé sur l'exercice des sens, alors que les écoles préparent les médecins par l'étude des classiques ! Le magnifique développement intellectuel du médecin reste impuissant devant l'insuffisance de ses sens. [...] Mais l'éducation sensorielle est difficile chez {'adulte, comme le devient l'éducation de la main pour le pianiste. Il est donc indispensable de commencer l'éducation des sens dans la période de formation, si nous voulons, par la suite, perfectionner ces sens et les faire servir par l'éducation à toutes les formes de la culture. L'éducation sensorielle doit donc être commencée avec méthode dès le jeune âge, et continuée pendant la période de l'instruction, qui préparera l'individu à se mouvoir dans son milieu. Autrement, nous isolons l'homme de ce milieu : quand nous croyons compléter l'éducation par la culture intellectuelle, nous faisons des penseurs qui vivent hors du monde. Et quand nous voulons pourvoir par l'éducation au côté pratique de la vie, nous négligeons la partie fondamentale de l'éducation pratique : celle qui met l'homme en rapport direct avec le monde extérieur. Le travail professionnel prépare presque toujours l'homme à se servir de son milieu ; il lui faudra donc, par la suite, suppléer à ce manque, et exercer ses sens alors que son éducation est accomplie. L'éducation sensorielle est également nécessaire, comme base de

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l'éducation esthétique et de l'éducation morale. En multipliant les sensations, et en développant la capacité à apprécier les plus infimes différences entre les stimulants, on affine la sensibilité. La beauté réside dans l'harmonie, non dans les contrastes, et l'harmonie est affinité ; il faut donc une finesse sensorielle pour la percevoir. Les harmonies esthétiques de la nature et de l'art échappent à ceux dont les sens sont grossiers. Le monde en est réduit et âpre. Il existe dans notre milieu quantité de sources de joies esthétiques, devant lesquelles les hommes passent comme des insensés ou comme des bêtes, cherchant la jouissance dans les sensations fortes, parce que ce sont les seules qui leur soient accessibles. L'habitude du vice naît souvent dans les jouissances grossières ; en effet, les forts stimulants n'aiguisent pas la sensibilité, mais atténuent le sens qui en a besoin de toujours plus violents. Les sens sont des organes de « préhension » des images du monde extérieur, nécessaires à l'intelligence, comme la main est l'organe de préhension des choses matérielles nécessaires au corps. Mais les sens et la main peuvent s'affiner au-delà de leur simple rôle, en devenant les serviteurs toujours plus dignes du grand moteur intérieur qui les tient à son service. L'éducation qui élève l'intelligence doit élever toujours davantage ces deux moyens, capables de se perfectionner indéfiniment. [...}

L'observation Nous serons bien souvent stupéfaits de voir des enfants, non seulement observer spontanément le milieu en apercevant ce qu'ils n'y distinguaient pas auparavant, mais faire des comparaisons avec ce qu'ils se rappellent ; certains de leurs jugements révèlent une accumulation d'observations, une espèce de « pierre de touche » que nous ne possédions pas. Ils confrontent les choses extérieures avec les images qui se sont fixées dans leur esprit, et ils expriment des jugements surprenants d'exactitude. A Barcelone, un ouvrier entra un jour dans une classe en apportant une vitre qu'il devait remettre à une fenêtre. Un enfant de 5 ans déclara : « Ça n'ira pas : elle est trop petite. » C'est seulement en l'appliquant que l'ouvrier s'aperçut qu'elle était en effet trop courte d'un centimètre. Deux enfants de cinq et six ans discutaient ainsi dans une Maison des Enfants de Berlin : Crois-tu que le plafond soit haut de 3 m ? —

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Non, il doit avoir 3,25 m. La hauteur était en effet un peu supérieure à 3,25 m. Une petite fille de 5 ans, voyant entrer une dame, lui dit : « La couleur de votre robe est exactement celle de la fleur qui est là-bas. > La dame alla dans la pièce voisine et y trouva une fleur qui n'était pas visible de la pièce dans laquelle elle était entrée ; confrontant la fleur avec sa robe, elle trouva l'identité surprenante. Evidemment la faculté maximum de la dame consistait à reconnaître l'identité de couleurs entre deux objets, mais la petite fille avait quelque chose de plus : une acquisition intérieure à laquelle elle pouvait recourir, ici, pour la fleur, là pour la robe, tout comme nous avons fixé une unité de mesure qui nous permet de juger des rapports entre les choses mesurables, ou une pierre de touche. On peut considérer cette pierre de touche qui permet des manifestations si étonnantes chez les enfants et qui les pousse sur un plan qui nous est souvent inaccessible, comme un phénomène inconnu jusqu'ici. Il semble que certaines acquisitions psychiques ne sont possibles qu'à certains âges, et ne le sont plus par la suite. La possibilité des petits enfants de se rappeler et de reproduire les sons du langage et d'en apprendre les mots, en est une preuve suffisante. L'âge auquel s'imprime le langage de façon indélébile, c'est « la période » en laquelle la nature a déposé une « sensibilité extraordinaire », destinée à fixer les accents et les mots. On ne peut revenir en arrière dans la vie ; et ce que l'esprit a acquis durant une période sensible, c'est l'acquisition définitive qui ne pourra plus jamais se retrouver à aucune autre époque. Ainsi, l'acquisition primitive des images sensorielles et la fixation des mouvements se trouvent dans des périodes de l'enfance qui, une fois passées sans fruits, ne peuvent être remplacées. Quand notre attention est éveillée sur ces faits, nous percevons des variations plus petites qui les confirment toujours plus fortement. L'enfant de 3 ans est capable de répéter quarante fois de suite un exercice (par exemple, celui des emboîtements solides), que l'enfant de six ans ne peut répéter plus de cinq ou six fois de suite. Par contre, l'enfant de 6 ans est capable d'exercices supérieurs à ceux dont est capable un enfant de trois ans, que de plus petits enfants, non seulement seraient incapables de faire, mais auxquels ils resteraient tout à fait étrangers. L'observation se répète sur le plan moral. La période de formation vivace de la première enfance est aussi celle où peut s'établir une forme d'obéissance parfaite ; c'est cette forme d'obéissance que l'on considérait comme de 1' « imitation ». Quand on approfondit ce

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phénomène, et quand les circonstances ambiantes sont favorables au développement de l'enfant et, par conséquent, à ses expressions les plus profondes, on voit chez lui la possibilité d'une étonnante adaptation aux êtres qui l'entourent ; c'est cette adaptation que nous devons essayer d'établir sur une base d ' « amour ». Plus tard, à moins d'une très haute perfection morale — exceptionnelle — due à des forces surnaturelles, on ne retrouvera plus cette forme d'obéissance ; mais seulement une « adhésion raisonnable » ou une « soumission forcée ». On remarque le même phénomène avec une extraordinaire évidence dans le développement du sentiment religieux. Le petit enfant a une tendance qui ne peut mieux se qualifier que de « période sensible » de l'âme ; il a durant cette période des intuitions et des élans religieux. Celui qui n'a pas eu l'occasion d'observer l'enfant libre d'exprimer le besoin de sa vie intérieure en reste surpris. Il semblait au début que ces petits enfants fussent exceptionnellement doués d'intuitions surnaturelles, alors qu'il est impossible de donner rationnellement cette « éducation religieuse » ; à l'âge dit de raison, l'enfant pourra saisir et approfondir avec l'intelligence illuminée de la foi. La « période sensible » est une base d'acquisitions merveilleuses. L'homme ne pourra plus l'acquérir plus tard.

L'ordre mental L'esprit du petit enfant n'est certainement pas vide de connaissances ni d'idées quand débute l'éducation des sens ; mais les images restent confuses, « sur le bord de l'abîme ». Le chaos de son âme n'a pas besoin de choses nouvelles, mais seulement de mettre de l'ordre dans celles qui existent. Il commence à distinguer les caractères des objets, la quantité de la qualité ; il sépare ce qui est forme de ce qui est couleur ; il distingue les dimensions, selon leur prédominance, en objets longs et courts, gros et minces, grands et petits. Il les sépare en groupes, les appelant par leur nom : blanc, vert, rouge, bleu, jaune, violet, noir, orange, marron, rose. Il distingue la couleur dans son intensité, appelant clair et foncé les deux extrêmes. Le goût est séparé des odeurs, la beauté de la laideur, les sons des bruits. Comme l'enfant avait appris à mettre « chaque chose à sa place » dans le milieu extérieur, il est arrivé, grâce à l'éducation des sens, à trouver un classement basé sur ces images mentales. C'est la première

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manifestation d'ordre de l'esprit qui se forme : c'est le point de départ pour que la vie psychique se développe en évitant les obstacles. La « conquête du monde extérieur », avec ses images sensibles, sera désormais facile et ordonnée. La mise en ordre qui vient de commencer a préparé les conditions de vie. C'est ainsi que ceux dont on a dit qu'ils étaient des « illuminés » procédèrent pour l'observation du monde ; ils commencèrent par distinguer les choses, les regrouper, puis les classer ; et puis ils inventèrent des noms pour les distinguer, et ils constatèrent que cela était bien. Ils unirent alors la connaissance exacte au langage scientifique. Et ce fut le début de toutes les sciences qui étudient les choses existantes. [...}

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Méthodes naturelles et méthodes traditionnelles * Il y a entre les méthodes traditionnelles et nos méthodes naturelles une différence fondamentale de principe, sans la compréhension de laquelle toutes appréciations seront toujours injustes et erronées : les méthodes traditionnelles sont spécifiquement scolaires, créées, expérimentées et plus ou moins mises au point pour un milieu scolaire qui a ses buts, ses modes de vie et de travail, sa morale et ses lois, différents des buts, des modes de vie et de travail du milieu non scolaire et que nous appellerons milieu vivant. Nous ne critiquons pas de parti pris ces méthodes ni ceux qui les pratiquent dans le cadre particulier de ce milieu scolaire et nous n'assurons pas que nos méthodes naturelles s'accommoderaient mieux de ce cadre, et avec beaucoup plus de succès. C'est l'existence même de ce milieu scolaire tel qu'il est que nous jugeons irrationnel, retardataire, dangereusement décalé par rapport au milieu social et vivant contemporain et impuissant, de ce fait, à faciliter et à préparer l'éducation bien comprise qui formera en l'enfant l'homme de demain, conscient de ses droits, mais capable aussi de remplir ses devoirs dans le monde qu'il doit construire et dominer. Nous disons, et la preuve en serait facile : — Que l'Ecole traditionnelle enseigne une morale verbale sans influence aucune sur le comportement des enfants et qui ne vise qu'à consolider et à justifier les pratiques scolastiques d'obéissance passive et d'instruction dogmatique. Il nous faut, débordant ce cadre scolaire, aller hardiment vers une forme pratique et constructive de l'enseignement moral par la coopération sous toutes ses formes, par l'organisation normale du travail et l'établissement de rapports plus humains entre maîtres et élèves dans un milieu pédagogiquement favorable. C'est la forme même — sociale et humaine — de l'Ecole qu'il nous faut reconsidérer. — Que l'Ecole traditionnelle emploie des techniques de rédaction, • Textes extraits de C. FREINET, Les méthodes naturelles, Neuchâtel/Paris, Delachaux & Niestlé, 1968.

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de calcul, de dessin ou de musique, qui apparaissent comme des mécanismes minutieusement montés pour tourner en milieu scolaire, mais qui sont sans liaison avec le comportement des individus et les exigences sociales en milieu non scolaire. Il en résulte une fausse culture qui n'est jamais intégrée à la vie des hommes et qui constitue de ce fait une erreur sociale et une fausse manœuvre humaine. C'est cette intégration des techniques à la vie, c'est la suppression de ce hiatus entre l'Ecole et le milieu, que nous prétendons réaliser. — Que l'Ecole traditionnelle enseigne une forme d'histoire qui constitue la plus grosse erreur pédagogique de notre siècle, et à laquelle nous voulons substituer une histoire vivante à la mesure des enfants, une histoire humaine et utile. — Que l'Ecole traditionnelle essentiellement autocratique ne prépare pas l'enfant à jouer son rôle de citoyen actif d'une société démocratique. Voilà, pensons-nous, objectivement et irréfutablement posé, le problème pédagogique, social et culturel pour lequel nous apportons des solutions qui ont désormais fait leurs preuves. Si vous croyez que les critiques ci-dessus sont fausses ou exagérées, si vous pensez que l'Ecole remplit normalement son rôle dans notre société de 1956, que les enfants sont non seulement instruits mais éduqués comme vous le souhaitez ; si vous êtes persuadés — contre toute évidence — que les méthodes que vous employez préparent l'enfant à aborder la vie avec un maximum d'efficicence, alors, restez dans la tradition. Nos méthodes naturelles bouleverseraient bien inutilement vos habitudes et vos quiétudes. Mais si vous vous rendez compte que l'Ecole fonctionne encore en 1956 selon les principes et dans l'atmosphère de l'Ecole du début du siècle, si vous comprenez que, moins encore que les organismes industriels ou commerciaux, elle ne saurait être anachronique et que donc les réformes indispensables doivent être opérées, alors vous tirerez profit des résultats de notre large expérience collective et vous aborderez avec un esprit critique et dialectique le grave problème de notre pédagogie populaire, laïque et démocratique. [...] Qi¿ est-ce qu'une méthode naturelle ? Si vous demandiez à une maman, serait-elle agrégée ou femme de lettres ou même professeur de grammaire ou de phonétique, selon quelle méthode elle a appris à parler à son enfant, elle vous regarderait étonnée. Comme s'il pouvait y avoir deux façons d'enseigner le lan-

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gage à un enfant ! Comme s'il pouvait même exister une façon d'enseigner le langage ! Il y a seulement une façon pour l'enfant d'apprendre à parler selon le seul processus naturel et général de tâtonnement expérimental que nous avons défini dans notre livre Essai de psychologie sensible appliquée à l'éducation. L'enfant jette un cri plus ou moins accidentel, plus ou moins différencié. Il se rend compte, d'une façon plus intuitive que formelle, que ce cri a un certain pouvoir sur le milieu. C'est ce cri, lentement modulé à l'expérience, puis articulé, qui deviendra langage. Sous quels mobiles, selon quelles normes se fera cette évolution, se parfera cette conquête ? Nous résumons ici ce processus, qui n'est d'ailleurs pas particulier à l'acquisition du langage. a) L'être humain est, dans tous les domaines, animé par un principe de vie qui le pousse à monter sans cesse, à croître, à se perfectionner, à se saisir des mécanismes et des outils, afin d'acquérir un maximum de puissance sur le milieu qui l'entoure. Si ce besoin n'existait pas, toutes nos sollicitations, toutes nos inventions pédagogiques seraient foncièrement inopérantes comme elles le sont dans les tentatives, pourtant patientes et méthodiques, d'éducation des singes. b) L'individu éprouve une sorte de besoin non seulement psychologique mais fonctionnel d'accorder ses actes, ses gestes, ses cris avec ceux des individus qui l'entourent. Tout désaccord, toute dysharmonie sont ressentis comme une désintégration, cause de souffrance. Il serait insuffisant de parler seulement, en l'occurrence, d'imitation. C'est plus profond, plus organique et plus impératif : c'est un geste qui suscite un geste semblable, comme une vibration qui se transmet avec une égale longueur d'onde, c'est un rythme qui secoue les muscles d'une façon similaire, un cri qui appelle un cri identique. En vertu de cette loi de résonance, il est naturel que l'enfant qui veut croître en puissance s'efforce de mettre ses gestes et ses cris à l'unisson du comportement et des paroles de son entourage. c) Comment se réalisera cette conquête ? Il n'existe pas d'autre processus que le tâtonnement expérimental, et la science elle-même n'en est que l'aboutissement. [...]

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d) Le processus de tâtonnement expérimental n'est pas forcément plus long que les constructions prétendues logiques. Ce processus peut d'ailleurs être perfectionné et accéléré. Un milieu « aidant » qui présente des modèles aussi parfaits que possible, qui facilite et motive une permanente expérience personnelle, qui oriente la répétition et la systématisation des réussites en diminuant les fausses manœuvres et les risques d'erreur est, sans aucun doute, décisif dans cette accélération. L'éducateur commettrait une erreur fatale s'il croyait devoir négliger la généralité de ce processus pour lui substituer une méthode artificielle, apparemment logique et scientifique, qui prétendrait éviter et supprimer ce tâtonnement jugé superflu. Pourquoi, dirait-il, laisser l'enfant s'attarder à une infinité de gestes mal coordonnés, à une marche rampante ou à quatre pattes, à de longues manœuvres mal dirigées le long des meubles ou d'une chaise à l'autre pour parvenir enfin à cette maîtrise qui seule importe : la marche régulière, la course ou le saut ? Ne suffirait-il pas de décomposer scientifiquement les gestes, les mouvements, les contractions ou la détente des muscles, pour réaliser une éducation rationnelle de la marche qui ferait aux apprentis l'économie de leurs laborieux tâtonnements ? Et pourtant, ce raisonnement en apparence simple, logique et inéluctable, n'a point encore été appliqué ni à l'apprentissage de la marche ni à celui du langage, ou, s'il l'a été, il faut croire que l'échec a été trop patent pour que reprenne l'expérience. Qu'il soit scientifique ou non, il est un fait certain et général, nous allions dire universel : tous les enfants du monde, y compris les enfants d'instituteurs et de professeurs, apprennent à marcher et à parler selon une méthode naturelle qui ne connaît jamais d'échec, même dans les milieux les plus défavorables à l'éducation.

L'expérience tâtonnée * L'expérience tâtonnée est absolument indispensable à la vie et à la lutte de l'individu pour l'élémentaire puissance. Il est impossible de l'escamoter sans susciter un décalage, une inadaptation, une * Textes extraits de C. FREINET, Essai de psychologie de l'École, 1950.

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insatisfaction qui sont à l'origine de l'opposition enfantine — consciente ou sourde — aux procédés scolastiques. En aucun cas, l'explication verbale ne doit remplacer l'expérimentation. D'autant plus qu'il y a là deux phénomènes intimement liés : l'acquisition de la puissance et le processus exaltant qui y conduit. C'est comme si on découvrait un procédé pour alimenter l'individu sans faire intervenir la gustation ni la satisfaction correspondant à l'ingestion d'aliments savoureux. Il y a là un processus naturel, un moyen pour notre organisme de surveiller ce qui lui convient, sinon, nous serions comme un moteur qui peut fort bien accepter dans ses rouages l'essence qui le vivifie ou la goutte d'eau qui le tue. Notre corps est prémuni contre le danger : la gustation est le portier indispensable qui surveille la qualité des aliments ingérés et écarte les indésirables. L'expérience joue toujours, malgré nous, ce rôle de portier. Vous venez de faire une démonstration que vous jugez éclatante, mais l'enfant n'en doute pas moins. Vous le verrez alors paradoxalement, instruit par vos explications scientifiques, se livrer, par besoin intime, à des expériences tâtonnées depuis longtemps dépassées par votre raisonnement. Chemin naturel qu'emprunte aussi l'homme de science rompu à la conception raisonnable de la vie, et retourne, dans les cas graves, à un tâtonnement empirique qui vous déconcerte. Vous avez voulu aller trop vite. Vous avez cru bon de transporter votre enfant en auto, à pied d'oeuvre, pour lui éviter les pertes de temps de la route. Mais lui, dont l'esprit s'est assoupi au rythme monotone de la machine, ou s'est grisé du déroulement accéléré des images, est maintenant ahuri et courbaturé. Il a besoin de se reprendre d'abord, de courir à travers champs à la recherche des biens dont vous l'aviez frustré. Et vous êtes tout marri de voir ainsi obstinément déjoués vos ingénieux projets. [...] Comme le chauffeur qui lance son auto à la descente pour voir si finalement l'élan extérieur ainsi donné ne parviendrait pas à imprimer le branle à un mécanisme faussé ! Fol espoir, n'est-ce pas ? Et pourtant, ce fol espoir, les éducateurs le caressent sans cesse, dans leur hâte à inculquer la science qui est leur richesse et leur symbole. Mais si les mécanismes intermédiaires n'ont pas été normalement et consciencieusement forgés, vous n'aboutirez jamais au puissant mouvement autonome, à base de vie, qui seul importe. Il faudra vous exténuer toujours à traîner à l'envers le mécanisme tout entier, à l'impulser sans cesse, par un élan extérieur artificiel qui peut parfois faire illusion. Mais le mécanisme lui-même, faussé, fera frein et vos efforts entêtés seront sans définitive efficience.

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Ce mécanisme intermédiaire dont nous devons reconsidérer et retrouver la perfection, la solidité et le fonctionnement normal, c'est l'expérience tâtonnée. Elle est indispensable. Mais nous devons en accélérer le processus. L'Ecole était jusqu'à ce jour abusivement accaparante, dans ce sens qu'elle obligeait l'enfant à suivre la trace glissante parmi la blancheur vierge et qu'elle brimait tout désir de s'écarter du chemin pour voir, pour éprouver, pour juger autrement que par l'intellect et par les mots, par l'épreuve de l'action et de l'effort. Ou bien, dans d'autres domaines, hors de son temple, elle était froidement rejetante, et, méconnaissant les besoins essentiels de l'enfant, elle laissait celui-ci s'attarder, en dehors d'elle, à des expériences tâtonnées totalement empiriques, dont elle ne savait d'ailleurs pas s'intégrer les enseignements. L'enfant était alors seul dans la plaine nue, sans trace de pas pour l'orienter, condamné à refaire péniblement la lente expérience des générations, n'ayant pour le soutenir que les essais maladroits de ceux qui, comme lui, peinent à dresser leur échafaudage. Dans les deux cas, le résultat était notoirement insuffisant. Mais il y a une troisième solution, la seule : partir de ce principe que l'expérience tâtonnée doit se faire, que l'enfant doit tout éprouver par lui-même, qu'il doit être le portier qui filtre les acquisitions souhaitables ; mais l'aider à faire ces expériences pour en accélérer le processus. Nous concluons donc de notre argumentation qu'il faut : 1. Donner aux enfants la possibilité technique de cette riche expérience tâtonnée : milieu, champs, prés, travaux efficaces, animaux, outils primitifs, puis perfectionnés. 2. Prévoir le matériel et la technique qui rendront cette expérience tâtonnée plus rapide, plus complète, plus profonde, plus sûre dans ses conclusions. 3. Confronter sans cesse cette expérience tâtonnée avec l'expérience et la technique ambiante : enfants, adultes, machines, etc. Cette préoccupation suppose la nécessité de placer l'enfant dans le milieu vivant du travail, où il confrontera sans cesse sa propre activité à l'activité efficiente des paysans, des ouvriers, des machines. A défaut de confrontation directe, il y aura avantage à offrir les images de cette activité des paysans, des artisans, des ouvriers et des machines par : — Récits, conversations, explications verbales au besoin, diffusés par phono et radio, de ceux qui ont fait certaines expériences hors de notre possibilité ;

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— Images graphiques dont la lecture nous apporte ces éléments d'expérience éloignés dans le temps ou dans l'espace ; — Images photographiques qui nous donnent la notion muette de gestes et expressions. — Images animées par le cinéma qui nous permettent la vision à distance (dans le temps et dans l'espace) du déroulement de ces expériences, en nous apportant un maximum de ressemblance avec la réalité qui est à la base du succès et de l'importance pédagogique de cette technique moderne. Seulement, attention : la portée formative, et pour ainsi dire active de ces procédés sera différente selon que ceux-ci seront une confrontation d'expériences autonomes séparées de la propre et intime expérience tâtonnée des individus. Si l'enfant s'essaie à tisser un panier en osier, vous pouvez le laisser tâtonner comme ont tâtonné tant de générations avant lui. Il aura tout à découvrir et ne parviendra, de ce fait, qu'à de bien médiocres résultats parmi de graves risques d'erreurs qui sont susceptibles de le décourager en lui donnant ce sentiment d'impuissance et d'infériorité dont nous avons vu les conséquences. C'est là l'attitude purement rejetante des recours-barrières. Ou bien vous pouvez, méconnaissant ce besoin d'expérimentation constructive, interdire ce tâtonnement, ridiculiser même l'enfant en lui présentant un panier terminé, parfait, dont vous êtes fier, mais dont la perfection suscite le sentiment d'impuissance : je ne parviendrai jamais à faire aussi bien... c'est que je suis un incapable. C'est l'attitude accaparante. L'enfant serait autrement fier de partir aux champs avec un panier, même difforme, réalisé par lui.... La prochaine fois, l'hiver prochain je ferai mieux. J e vois ce qui ne va pas et quels sont les défauts à corriger... Il y a la troisième attitude, essentiellement et techniquement aidante, qui laisse l'enfant tâtonner, mais lui offre des exemples de réussite, qu'il peut ou non imiter. Nous insistons sur cette subtilité technique qui est susceptible d'influer sur notre comportement pédagogique : si vous imposez d'emblée à l'enfant une façon, si rationnelle soit-elle, de faire son panier, de racler les osiers, de les tordre et de les entrecroiser, de les lier, avec interdiction de procéder autrement, vous faites violence à son besoin d'expérience tâtonnée. L'homme est ainsi fait que — à moins d'une extrême faiblesse asservie par l'autorité ambiante, — il n'est jamais persuadé, par l'extérieur, de ce qu'on lui dit et de ce qu'on lui montre. Tout se passe comme s'il se demandait, même devant la plus claire

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évidence : Mais est-on sûr qu'il en soit ainsi ? Et si moi je pouvais faire autrement, si je veux faire autrement ! Il faut voir dans cette tendance, moins un flagrant délit de contradiction que d'affirmation originale d'une personnalité qui prétend se construire et se modeler elle-même, selon ses lignes de vie, et qui résiste d'avance à la main qui se tend non pour l'aider mais pour l'arracher prématurément à une formation qui lui est essentielle. L'enfant n'aurait-il pas l'intuition que, plus ou moins, tous les recours-barrières auxquels il s'adresse, interviennent de leur point de vue particulier, que l'aide et l'objectivité la plus généreuse ne sont jamais totalement dépouillées d egocentrisme, qu'il n'y a jamais de solution parfaite sans une affirmation audacieuse et permanente de la personnalité à la recherche de son potentiel de vie ? A l'épreuve, l'enfant se persuade d'une chose que les pédagogues méconnaissent : c'est qu'un fait, une pensée, un processus actif ne s'intègrent vraiment à lui que lorsqu'il a conclu, après expérience, à la nécessité de cette intégration. [...] A défaut d'artisan travaillant effectivement, l'enfant peut avoir recours avec profit au cinéma qui est la reproduction fidèle des gestes animés. Il regarde, s'essaie à bâtir un panier, puis regarde à nouveau, compare, expérimente, corrige, jusqu'à parvenir à une maîtrise qui le satisfasse. Mais cette influence aidante du cinéma suppose que celui qui y a recours expérimente d'abord et qu'il ne se contente pas de regarder le déroulement des images qui seraient alors un vain défilé dont il ne resterait rien qu'un peu plus de présomption et de vanité. A défaut de l'image animée, l'enfant pourra avoir recours à l'image fixe. Seulement il faut tenir compte du fait que l'image fixe suppose une compréhension, alors que le geste effectif, ou l'image fidèle de ce geste, suscitent automatiquement l'imitation. C'est pourquoi l'image fixe se double d'une légende, ou d'une explication verbale, qui sont d'ailleurs bien souvent impuissantes, tandis que le geste se suffit. C'est en considération de ces mêmes réserves que la pure explication verbale se place tout en bas de l'échelle. Pratiquement, elle ne peut se comprendre sans le geste qui en est si communément le complément et l'Ecole, qui a usé pendant si longtemps presque exclusivement de cette explication ferait bien de réviser sans tarder ses pratiques à ce sujet. Nous touchons là à la nature même, intime et profonde, d'une conception nouvelle de la méthode pédagogique : on est parti jusqu'à présent de ce point de vue que l'enfant ne « sait » pas ; qu'il faut l'instruire, c'est-à-dire lui présenter le résultat formel de l'expérience d'au-

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trui pour qu'il s'en serve dans son comportement sans refaire lui-même toutes les expériences qui y ont conduit. Et surtout, on ne veut pas qu'il s'attarde à ces expériences : nous possédons tout un lot de connaissances que nous estimons sûres et définitives ; nous voulons, d'autorité, porter l'enfant à ce niveau, à partir duquel il pourra plus rapidement s'aventurer dans la vie pour y creuser sa trace, toujours plus avant. Et c'est là la grande erreur de la scolastique, dont découlent tous les travers qu'il est commun de dénoncer. L'exemple de l'enseignement classique de la musique à l'école va nous faire mieux comprendre la portée profonde et décisive de notre observation. L'ancienne école supprimait en cette matière toutes sortes de tâtonnements. Elle procédait comme le violoniste qui ne peut jouer qu'avec un instrument bien accordé mais qui n'admettrait pas même les pincements de corde ou les coups d'archet, ces tâtonnements qui permettront le son parfait. L'Ecole s'obstinait dans la théorie musicale, la vocalise et le solfège, mais n'exerçait pas l'enfant, par l'exercice vivant, à ajuster ses cordes et sa voix. Alors, de deux choses l'une : ou bien, hors de la présence du scoliâtre, l'enfant poursuivait son expérience tâtonnée, exerçait son oreille, ses cordes vocales et ses lèvres, à une imitation de plus en plus parfaite, et naturelle, des bruits et mélodies entendus, et ses progrès étaient atteints alors, non pas grâce à la méthode de l'éducateur, mais malgré elle, ses enseignements étant plus ou moins inutiles ou nuisibles à l'expérience poursuivie et à l'interdiction de poursuivre son expérience tâtonnée ; il suivait servilement un chemin étroit et revêche, qui le menait peut-être à l'exactitude musicale théorique, mais qui le dégoûtait à tout jamais de la musique et du chant. Malgré les professeurs et les théoriciens, nous avons fait avec succès l'expérience contraire par notre initiative de l'apprentissage du chant par le disque. L'enfant chante naturellement. On pourrait le laisser à sa riche expérience et il y aurait, dans ce domaine, bien des modèles dont on a sous-estimé la valeur : les bruits de la nature, le sifflement des oiseaux, les appels sonores qui se répondent de vallée en vallée, et, la nuit, cette gamme infinie des bruits qui montent de la terre, sans oublier le long et nostalgique glapissement du renard à l'orée du bois. C'est de ces modèles naturels que devrait partir une éducation vraiment rationnelle, basée sur l'expérience tâtonnée. L'enfant écou-

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terait ces bruits naturels, ou reproduits par le disque ; il en imiterait les multiples variations, tâtonnant sans arrêt pour approcher et atteindre cette perfection qui se présente à son organisme sensible comme une nécessité harmonique. Ce tâtonnement se continuerait dans l'imitation des chants simples, puis de chants de plus en plus difficiles. Seulement, au lieu de partir du parfait, du définitif, qu'on impose comme une nécessité, on se livre loyalement à l'expérience tâtonnée qui inclut l'erreur initiale, qu'on corrige sous l'impulsion permanente de ce besoin de puissance et de vie qui tend vers la perfection et l'harmonie. Là est la démarche vraie de la nature humaine, celle qui permet la montée incessante par une suite tenace de successives victoires qui entretiennent et exaltent le potentiel de vie. Et l'expérience nous a prouvé en effet qu'un tel procédé était en tous points éminemment supérieur au procédé classique scolastique, qui prétendait, au nom de la méthode et de la science, supprimer tout tâtonnement. Par le disque, nos enfants parviennent bien plus vite au chant correct que par la méthode scolastique ; ils y parviennent chacun à leur rythme, car il en est ainsi pour toute expérience tâtonnée : selon les dispositions particulières, selon aussi la richesse des expériences tâtonnées antérieures, les uns montent plus vite, tandis que les autres s'attardent aux gestes organiques qui continuent le tâtonnement. Comme il est des enfants qui, plus solides sur leurs jambes, plus favorisés au point de vue de la coordination de leurs gestes, et par leur sens de l'équilibre, parviennent plus rapidement que d'autres à marcher normalement. Leur expérience a été plus vite efficace tandis que les retardataires devront répéter cent fois le même geste avant de parvenir à l'automatisme qui sera leur définitive conquête. Qu'on se garde bien cependant d'imputer à charge de cette conception pédagogique le fait que certains enfants s'attardent ainsi dans leur expérience tâtonnée. Ils s'y livrent d'ailleurs avec le même enthousiasme que leurs camarades plus favorisés ; ils y avancent par une série de successives conquêtes qui ne laissent pas place à l'échec ni au sentiment d'impuissance qui rebute, parfois définitivement, tant de bonnes volontés. Et la théorie, et les lois de la musique ? Les tiendrons-nous pour inutiles et superflues ? Point du tout. Mais elles sont l'aboutissement de l'expérience, la systématisation de ses conquêtes. C'est par l'expérience exclusivement qu'on les devine, qu'on les sent, qu'on les éprouve et qu'on acquiert vraiment le sentiment de leur portée et de leur utilité pratique. [...]

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Même observation pour l'étude de la langue. Le principe traditionnel est le même qu'en musique : éviter que l'enfant rédige avant d'y avoir acquis une suffisante maîtrise par l'étude rationnelle des règles grammaticales et syntaxiques. On redoute que les mauvaises habitudes des premiers tâtonnements s'inscrivent définitivement en règles de vie et que l'enfant ne sache pas aller plus avant. Il ne doit donc commencer à écrire des mots que lorsqu'il aura suffisamment appris à tracer ses barres d'abord, puis à former ses lettres ; il ne doit pas employer les mots pour exprimer sa propre pensée avant qu'il n'en connaisse le sens formel et l'orthographe. Il ne doit pas se risquer au paragraphe, et encore moins au texte entier avant d'être bien pénétré des essentielles règles syntaxiques. Telles sont les prescriptions officielles, reflet des conceptions dominantes encore en pédagogie. C'est une conception. C'est la conception ridicule de l'entrepreneur qui exigerait de son maçon qu'il pose avec une souveraine sûreté la pierre sur l'assise de mortier, alors que tout reste tâtonnement dans la technique la plus parfaite du meilleur des ouvriers. Seulement, ce tâtonnement est de plus en plus rapide et de plus en plus sûr. [...) C'est ce processus même d'expérience tâtonnée accélérée que nous appliquons hardiment à toute notre formation littéraire. Et notre parti pris découle, toujours et totalement, de notre conception dynamique de la vie. L'Ecole était persuadée que l'enfant se contenterait de marcher à quatre pattes parmi les adultes agiles sur leurs pieds, si cette technique lui permettait de se déplacer et qu'il n'irait pas plus avant si on ne l'y obligeait ou l'y entraînait ; qu'il se tiendrait à son langage petit nègre si on ne le contraignait pas méthodiquement et intelligemment à un langage correct ; qu'il écrirait toujours mal si on ne l'avait point, dès les premières heures d'école, plié à la discipline des mouvements de la main ; qu'il s'en tiendrait à des formes orthographiques et syntaxiques déplorables si on n'évitait pas les mauvais exemples au profit des règles indispensables. L'Ecole est l'ennemie du tâtonnement. Elle est trop orgueilleuse de posséder la science, la connaissance, et des techniques qu'elle croit éprouvées. C'est en partant de cette perfection supposée qu'elle prétend construire. Elle se tient à un premier étage où sont étalées toutes les richesses et dispensées les plus prometteuses des possibilités, d'où l'on voit le monde de haut transformé et faussement idéalisé, où l'on acquiert la dangereuse impression de s'être élevé, par cette ascension matérielle dans l'échelle laborieuse du processus humain. Mais l'enfant ne sait pas monter seul l'escalier qui y conduit ; il n'en retrouve

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point l'accès ; il ne peut en descendre par ses propres forces sans risque d'accident. Il est pris là-haut d'un vertige excitant certes, mais qui le désaxe par rapport aux perspectives qu'il pouvait entrevoir, ou deviner, de son rez-de-chaussée. En méconnaissant ce besoin de l'être de monter sans cesse et de croître, l'Ecole s'est privée arbitrairement du plus puissant des moteurs humains. Nous devons rétablir le processus normal, celui de l'expérience tâtonnée à tous les degrés. L'enfant arrive à l'école. Au rez-de-chaussée, bien sûr, au niveau de la vie, au rythme de la vie, au milieu de la vie. Et là, avec notre aide, il s'essaiera à monter l'escalier de la connaissance et de la puissance. Ah, bien sûr, tout n'ira pas tout seul, et, nous le répétons, ce sera apparemment plus simple de saisir notre élève, comme on est souvent tenté de le faire, et de le transporter au premier étage. Il faut que nous ayons conscience de l'arbitraire de ce geste, que nous comprenions aussi pourquoi l'enfant se démène pour échapper à notre emprise autoritaire, et pourquoi aussi, lorsqu'il est là-haut, dans cette accablante richesse, il contemple avec quelque nostalgie cet escalier qu'il n'a pas gravi et qu'il sera peut-être tenté de redescendre, pour voir, expérimenter, à nouveau. Laissez l'enfant entreprendre l'ascension de ce premier étage, en s'accrochant à la rampe d'abord, en mesurant minutieusement la puissance de ses jambes, la souplesse de ses genoux, redescendant prudemment les marches péniblement gravies, comme s'il craignait d'aller trop haut aujourd'hui et de ne pouvoir retourner seul. Demain il ira plus haut ! Et admirez cette fierté du vainqueur lorsqu'il vous contemple de sa dixième marche ! Et vous vouliez lui ôter cette royale satisfaction, lui épargner cette victoire ! Notre formation littéraire sera cette ascension progressive et authentique, tout imprégnée du dynamisme supérieur que donne la satisfaction permanente du besoin de puissance, l'explosion invincible de la vie. L'enfant verra écrire ses camarades. A l'âge où débordant son égocentrisme il prend conscience de ses réactions sur le monde ambiant, il s'initiera intimement au sens profond, et à l'utilité pour ainsi dire sociale de l'écriture ; il acquerra, non pas intellectuellement, mais par tout son être, la notion des conquêtes que cette technique lui permet, et il écrira. Sa main malhabile dessinera d'abord des ronds et des lignes brisées qui, par hasard, prendront la forme plus ou moins lointaine d'une tête ou d'une maison. Première réussite qui l'enthousiasme et l'enivre. Il ira alors perfectionnant son graphisme et son tâtonnement

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comporte une grande part de réussite. L'enfant voulait dessiner un cheval, et voilà que son graphisme ressemble à une maison. Va pour la maison. Agrémentons-la de la porte et des fenêtres et de la traditionnelle volute de fumée. Nous dessinerons le cheval une autre fois. L'enfant est moins limité que nous dans le finalisme de son tâtonnement. L'essentiel c'est que son effort soit une conquête et une victoire, même si ce n'est pas celle qu'il attendait. Le plus grand capitaine ne procède pas autrement. Il s'était aventuré pour opérer un mouvement à droite qui devait lui faire rencontrer l'ennemi. Et ce pouvait être la défaite. Les circonstances ont fait qu'il a poussé son mouvement à gauche. C'est une grande victoire dont il s'enorgueillit et qu'on fête comme un effet de sa science et de sa décision. [...] Dessin, première étape de l'écriture. Vous prétendiez imposer à l'enfant ces barres froides et mortes qu'il faut tracer droit en suivant le pointillé, ou ces O qui doivent être réguliers et bien fermés. Et vous avez la naïveté de croire que vous ne demandez là que les gestes les plus simples. Marcher droit sur ses jambes, c'est apparemment plus simple aussi que de se traîner à quatre pattes ou de tituber entre deux chaises. Mais il faut avoir tâtonné à quatre pattes et titubé entre deux chaises avant de marcher droit. L'enfant ne peut tracer avec succès sa barre droite ou réussir un ovale régulier qu'après avoir longuement griffonné des lignes courbes, brisées, irrégulières. Et c'est ce tâtonnement qui lui donnera la maîtrise élémentaire qui est le fruit de ses efforts. L'élève sait bien maintenant dessiner quelques lettres simples ; mais il s'agit d'aboutir au mot. Nouveau tâtonnement, long et laborieux, car ils sont obstinément rebelles à se joindre, ces signes qui tantôt s'éloignent comme à plaisir, à tel point que vous ne parvenez plus à leur faire se donner la main, ou qui s'inscrivent malencontreusement l'un dans l'autre comme deux joueurs qui se tamponnent. Tâtonnement encore. Et malgré votre rigueur méthodique, il y a bien, partout et toujours, cet essentiel et laborieux tâtonnement, et rien ne ressemble plus à un barbouillage tâtonné que la page maladroite de votre débutant devant ses modèles et ses pointillés. L'enfant ne se contente pas de dessiner une maison et d'arrêter là l'histoire qu'il avait eu la prétention d'extérioriser sur le papier ; il dessine à côté d'autres maisons, des arbres, des enfants qui rentrent, et le chien qui aboie. Il ne lui viendra pas à l'idée, pour écrire, de faire une morne page de i, puis une page de o. Il reproduira à sa façon les graphismes dont il a vu les modèles. Il esquissera d'abord les gestes rapides de votre stylo qui va, vient, tourne comme une fourmi en

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peine et s'arrête de temps en temps, pour saccader des points. Ah ! ça, les points et les petits traits, ce sera la première conquête de son graphisme et il en parsèmera sa page. Puis, de ce gribouillage, par imitation, toujours, quelques réussites émergeront : voilà un t parfait avec sa barre en croix, un i au point si appuyé qu'il en a troué le papier, un o rond à souhait. Premières réussites auxquelles l'enfant sera jalousement attaché, premières marches d'où il repartira avec assurance et dynamisme pour continuer l'ascension. Peu à peu, tous les signes sortiront ainsi de l'ombre ; le hasard se transformera en réussite, et la réussite reproduite et systématisée aboutira à la technique. L'enfant écrira déjà toute une ligne, ou toute une page. Puis les mots eux-mêmes se différencieront. Ils seront alors comme des outils vivants, dont on a pénétré le mécanisme et dont on sait maintenant se servir pour raconter soi-même ses histoires. A ce stade, l'enfant ne copie plus ses modèles ; il crée. Il a appris, tout à la fois, par son tâtonnement, l'écriture et la rédaction. Les pédagogues, outrés de nous voir reprendre ainsi ce vrai chemin des écoliers, nous conseillent avec véhémence : ne laissez jamais les enfants écrire des mots dont ils ne connaissent pas l'orthographe car ils s'habitueraient à des graphismes erronés que vous ne parviendriez plus à corriger. Ne leur laissez employer aucun mot que vous n'ayez au préalable expliqué afin d'éviter les erreurs d'interprétation. En conséquence, bannissez toute rédaction prématurée ; contentezvous de la copie prudente et surveillée. Ce n'est que lorsqu'il saura écrire correctement un nombre suffisant de mots que l'élève pourra se lancer dans la rédaction d'une courte phrase d'abord, puis d'un paragraphe et enfin d'un récit complet. Exactement comme si vous préveniez : ne laissez pas l'enfant monter seul cet escalier du premier étage, car il risque de buter, de mal poser son pied, de tomber et il buterait ensuite toujours, il tomberait et au même endroit, il poserait son pied sans cesse de travers. Attendez qu'il sache monter correctement une marche ; il pourra alors poursuivre son ascension avec un succès assuré. Mais comme ce n'est que par l'exercice qu'il peut apprendre à monter marche et escalier, il n'apprendra jamais à monter si vous ne le lâchez dans l'aventure. Et vous voyez alors dans quel cercle vicieux vous vous trouvez, si ridicule qu'on ne saurait concevoir que des esprits sérieux s'attardent encore à voir le problème sous l'angle seul du raisonnement sans considérer la conclusion pratique inéluctable. Nous nous préoccupons, nous, d'élargir et d'enrichir toujours l'expérience tâtonnée de l'enfant ; pas seulement à ras de terre, mais vers ce 13

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premier étage aussi qui l'intrigue et où il voudrait bien accéder. Nous nous contenterons seulement de faciliter et d'accélérer les phases de ce tâtonnement par des exemples vivants et dynamiques que l'enfant imite spontanément par l'usage d'outils et de techniques qui rendent plus efficientes la réussite et la conquête. Selon ces principes, notre enfant montera naturellement du barbouillage au dessin, puis à l'imitation des signes graphiques, de mots et de lettres, à l'utilisation de ces mots et de ces signes pour développer, sur des plans toujours plus complexes, l'expérience tâtonnée qui perfectionnera son expression, rendra plus subtiles les relations avec le milieu, jusqu'à atteindre à la perfection dernière qui est la maîtrise exaltante de la langue écrite aux fins de la puissance qui est sa raison d'être. Et n'ayez aucune appréhension en vous engageant dans cette démarche naturelle de la vie. Vous n'y aurez que des avantages qui feront définitivement reculer l'erreur tenace de la scolastique. Si un enfant s'arrête malencontreusement au cours de cette logique ascension, c'est que lui manque le potentiel de puissance et l'élan pour aller plus loin et plus haut, que ses forces le trahissent à la première ou à la deuxième marche et qu'il ne peut aller plus loin sans des appuis permanents, dont il peut s'accommoder comme le paralytique s'accommode de ses béquilles mais qui n'en limitent pas moins son aventure à la conquête de la vie. Ou bien alors, s'il s'arrête en route alors qu'il manifeste par ailleurs encore un potentiel de vie intact, c'est que vous avez tellement découragé son dynamisme, que vous avez à tel point découronné l'effort, que vous avez arbitrairement abstrait de la réussite et de la conquête, que votre élève n'éprouvera plus nul besoin d'aller plus avant dans la direction que vous lui imposez. Il se repliera sur soi, s'accommodant au mieux de votre autorité, faisant semblant de marcher et de monter peut-être, pour s'échapper en cachette vers un autre escalier qu'il gravira de ses propres forces, selon les principes d'expérience tâtonnée aiguillonnée par votre incompréhension. Et à votre grand étonnement, vous verrez l'enfant reparaître un jour hardiment à votre premier étage, et vous vous demanderez comment il a bien pu y parvenir sans vous... A moins qu'il se soit égaré dans l'édifice et qu'il continue sa vie dans une direction regrettable. Dans les deux cas, votre éducation a failli à sa mission. Nous vous montrons la voie sûre et efficace. [...] Les sciences sont le domaine par excellence de l'expérience tâtonnée — et l'école elle-même l'admet aujourd'hui implicitement. Mais,

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dans la pratique les éducateurs s'émeuvent du lent processus de ce tâtonnement que les conditions matérielles rendent d'ailleurs ridiculement restreint et superficiel. Les programmes sont là qui poussent par leur accumulation de connaissances exigibles à l'acquisition verbale susceptible de faire l'économie de l'expérience. C'est apparemment simple : toutes ces expériences dont on reconnaît la primauté, on va les expliquer, mettre en valeur le point de départ et le point d'arrivée, en détailler le cheminement, en énoncer soigneusement les conclusions, avec les règles et les lois qu'elles autorisent. C'est rapide et simple : plus besoin de matériel. Le livre y suffit universellement. [...] L'homme contemporain s'habitue à être ainsi conduit par la main en des chemins qui ne lui sont pas essentiels, qui ne sont point liés à sa chaîne de vie, vers des buts fallacieux sans liaison avec son potentiel de puissance. L'enfant s'y résout plus difficilement. [...] Tout ceci pour bien faire comprendre le sens profond de notre méthode d'expérience tâtonnée à la base de la formation scientifique scolaire, et qui suppose, redisons-le encore : a) La richesse maximum du milieu où se meut, où vit l'enfant pour que celui-ci puisse se livrer à son indispensable expérience tâtonnée : nature d'abord, dans toute sa complexité, milieu social ensuite, avec ses réactions humaines — et aussi tout le processus du progrès matériel et technique, à condition de ne pas rompre, en l'abordant, notre propre chaîne de la connaissance. b) Dans ce milieu, Education aidante qui permet d'accélérer l'expérience tâtonnée, de parcourir à une vitesse accrue les divers maillons de la chaîne, d'accrocher aux anneaux essentiels d'autres maillons secondaires solidement et logiquement accrochés. Mais dans ce processus — qui est tout un programme — ne prenez pas pour l'essentiel ce qui reste secondaire. On n'aide que celui qui cherche et qui agit ; on n'aide pas qui s'est arrêté, immobile, sans aucune raison personnelle d'avancer et de monter. Votre exemple, vos explications, vos leçons, vos images, seront sans véritable influence éducative s'ils ne sont l'aliment désiré de la dynamique expérience tâtonnée ; ils seront d'autant plus efficaces que l'expérience tâtonnée primaire sera active et vivante. Et si, au comble de l'erreur, vous présentez à l'enfant votre propre chaîne de la connaissance, même s'il l'utilise plus ou moins bien à l'école, vous n'en avez pas moins manqué votre but parce que l'enfant retournera dès qu'il le pourra, à sa propre chaîne, qu'il assemblera et forgera et enrichira avec les moyens de son bord, empiriquement peut-être, mais il aura

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sa chaîne. Il sera alors partagé entre deux chaînes de connaissances : l'une qui lui sert exclusivement à l'école et constituée à grand renfort de mots, de définitions, de lois et de théorèmes, avec lesquels il jongle de son mieux jusqu'à y devenir parfois virtuose — et sa propre chaîne, apparemment moins riche peut-être, moins impressionnante, mais personnelle, solide et familière, et qui sera son outil essentiel dans la vie. C'est l'existence de ces deux chaînes, de la connaissance et de la science, qui explique la fragilité pratique de la formation scientifique de l'école primaire, en face de la permanente solidité de l'expérience tâtonnée poursuivie hors de l'école ; le peu d'usage qui est fait hors de l'école des connaissances tirées de cette chaîne scolaire et le peu d'influence donc que l'enseignement scientifique a sur le travail et la vie des individus. L'école promène bien ses élèves dans son premier étage si apparemment logique et ordonné. Mais c'est un monde à part, dont l'enseignement n'est pas directement utilisable. Lorsqu'il voudra agir selon ses tendances et ses vrais besoins l'écolier devra s'échapper de ce premier étage, et, à même la vie, forger sa chaîne, retrouver les voies efficientes qui le mèneront, sans perdre ses assises, plus haut et plus loin. Dans l'aventure, l'école n'aura été qu'illusion, fausse manœuvre, erreur. C'est dans la mesure où nous aurons corrigé cette erreur, où nous aurons permis à l'enfant, par nos techniques aidantes, de développer, de prolonger, de consolider sa propre chaîne, que nous aurons fait besogne vraiment utile et efficace. [...}

ADOLPHE

FERRIÈRE

Qu'est-ce que l'Ecole active ? *

« L'Ecole active. » Un terme inconnu en 1918. Dès 1920, il était courant. Il en est peu qui aient eu une fortune pareille. Il sert de drapeau. Il a ses partisans enthousiastes. Ses détracteurs aussi ? C'est à prévoir. Mais ils n'en mènent pas large. Va-t-on se dresser contre ce qui se réclame de la science, du progrès, de l'avenir ? On objecte : « L'Ecole active, n'est-ce pas la vieille Ecole du travail du temps de Pestalozzi ? » Non. Le terme d'Ecole du travail dit trop et trop peu. Trop, car il pourrait s'appliquer à toutes les écoles où l'on travaille, surtout aux écoles professionnelles. Trop peu, car il y a, nous le verrons, travail et travail : travail machinal et travail productif. C'est dans le second sens qu'il faut l'entendre ici. Une activité mécanique, imposée du dehors, ne mérite pas le nom de travail. Le vrai travail est une activité spontanée et intelligente qui s'exerce du dedans au dehors. Même si l'occupation à laquelle nous nous livrons n'a pas été l'objet de notre choix libre, même si une force extérieure ou les circonstances nous en font une nécessité, cette occupation ne sera un travail digne de ce nom que dans la mesure où nous y mettrons de nous-mêmes, de notre clairvoyance, de notre effort, de notre cœur. Celui qui, dès sa plus tendre enfance, aura appris à travailler, dans le sens restreint mais supérieur que je propose de donner à ce mot ; celui, en d'autres termes, pour qui l'école de la vie aura été l'école pleinement active, celui-ci saura marcher loin, droit devant lui, que ce soit dans le domaine des spéculations désintéressées de l'esprit ou dans celui, moins intéressant et plus intéressé, des spéculations économiques. Il aura appris à se garder de ce verbalisme creux, fils d'un intellectualisme exagéré, qui est la plaie de l'écolier d'hier et d'aujourd'hui. Il s'agit donc d'un mouvement de réaction contre ce qui subsiste de médiéval dans l'école actuelle, contre son formalisme, contre son habitude de se faire une place en marge de la vie, contre son incompréhension radicale de ce qui fait le fond et l'essence de la nature de l'enfant. L'Ecole active n'est point anti-intellectuelle, mais elle est anti-intellec* Textes extraits de A. FERRIÈRE, L'École active, Neuchâtel/Paris, Delachaux & Niestlé, 1953.

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tualiste, s'il est permis de désigner ainsi l'opposition à cette tendance d'accorder à l'intellect une place prépondérante, aux dépens du sentiment et de l'activité. Car ces éléments font partie intégrante de ce qu'on nomme le caractère. On pourrait dire que le caractère est un faisceau d'habitudes nées des actions et réactions de l'enfant sur son entourage et déterminant en lui toutes ces notions de valeur qui sont, pour chacun, le capital essentiel dans la « conduite de la vie », pour parler avec Emerson. L'orientation de l'esprit, en face des grands problèmes religieux, philosophiques, sociaux et moraux de l'existence, le choix des buts auxquels on tendra et des moyens que l'on emploiera pour y tendre, dépendent bien moins des notions apprises que des habitudes acquises. Il ne faut pas seulement réfléchir, il faut vivre. Si la vie sans la réflexion est peu de chose, la réflexion sans la vie n'est rien. Est-ce à dire que l'Ecole active soit pragmatiste ? On a usé et abusé de ce terme. Oui elle l'est, si par là on entend qu'elle s'attache à subordonner les moyens aux fins, qu'elle ne fait pas de l'art pour l'art, et de la culture pour la culture, du sport pour le sport, du latin par snobisme ou du classicisme par nationalisme. Elle l'est, si c'est être pragmatiste que d'accroître et d'étendre la puissance de son esprit et de soumettre à cette fin toutes les valeurs de la vie. Mais elle ne l'est pas au sens étroit du terme. Pour elle, l'activité économique ne primera jamais l'activité de l'esprit, ni celle des mains celle de l'intelligence. Elle ne condamnera pas la raison à être la servante de la volonté, ancilla voluntatis, et si elle met l'action disciplinée et consciente audessus de tout, elle n'oublie pas que la forme la plus haute de l'action est le travail de la pensée. La raison ne doit consentir à servir la volonté qu'à une condition : c'est que la volonté se mette, elle, tout entière au service de l'esprit. L'activité spontanée, personnelle et productive, tel est l'idéal de l'Ecole active. Cet idéal n'est point nouveau. C'est celui de Montaigne, de Locke, de J.-J. Rousseau. — Pestalozzi, Fichte, Frcebel en firent le centre de leur système éducatif. C'est, en somme, celui de tous les pédagogues intuitifs et géniaux du passé, celui des grands précurseurs. Mais ce qui fit précisément la force de ces précurseurs : leur intuition fut leur faiblesse, si l'on envisage la diffusion de leur œuvre et le progrès de la science. Ils ont deviné l'enfance, ils ne l'ont pas connue, au sens que notre siècle de science donne à ce mot. Avant l'avènement de la psychologie expérimentale, on n'avait que le moyen de pressentir ; aujourd'hui l'on sait, demain on saura mieux encore. Et que

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sait-on? Précisément que l'enfant croît comme une petite plante, selon des lois qui lui sont propres ; qu'il ne possède vraiment que ce qu'il a assimilé par un travail personnel de digestion. Le meilleur des engrais chimiques mis en pâtée et étalé à coups de pinceau sur le tronc d'un arbre ne lui ferait aucun bien. Si lecorce ne faisait craquer ce vernis, l'arbre étoufferait. Ainsi fait trop souvent l'école traditionnelle. Qu'elle apprenne à mettre l'engrais au pied de la plante, afin que la pluie l'entraîne vers les racines, alors on verra se faire lentement mais sûrement ce travail d'assimilation qui fera porter à l'arbre les plus belles fleurs et les plus beaux fruits. L'intuition des grands pédagogues du passé se prolonge et s'enrichit par la connaissance psychologique de l'esprit de l'enfant et des lois de sa croissance. Ce qui était subconscient devient conscient. Ce processus historique se retrouve chez l'individu. Or, n'est-ce pas l'antithèse de la formule de l'éducation que nous proposait M. Gustave Le Bon : faire passer le conscient dans l'inconscient ? Ceci me conduit à une caractéristique nouvelle de l'Ecole active. Faire passer le conscient dans l'inconscient est parfait tant qu'il s'agit de l'acquisition d'un savoir mécanique. Mais, somme toute, c'est la formule du dressage, plutôt que l'éducation. Certes, l'initiation et l'acquisition d'une technique quelconque sont nécessaires dans tous les métiers, ceux de l'intelligence compris. Refaire à son propre dam l'expérience de toute l'humanité passée serait une absurdité. D'autre part, pour tendre à un but, quel qu'il soit, il faut en avoir les moyens, et ces moyens, quand il s'agit d'un organisme vivant, corps ou esprit, ne peuvent être acquis que par la répétition, l'habitude, l'automatisme, conditions premières de tout progrès. L'esprit conscient n'est libéré, il n'est apte à embrasser des tâches plus élevées, il n'est capable d'aborder une activité plus complexe, que s'il n'a plus à s'occuper de processus antérieurs, fixés une fois pour toutes dans l'organisme. Voilà le rôle de l'habitude, de l'automatisme, du pouvoir mécanique. Voilà où il est bon, je dirai même essentiel, de faire passer le conscient dans l'inconscient. Toutefois agira-t-on ainsi afin d'annihiler le conscient, de faire passer l'être de l'état de force vive à celui de mécanique ? Il saute aux yeux que non. Cette mécanique aurait tous les moyens d'agir, mais elle n'aurait pas de fin. Le pouvoir mécanique n'a de sens que comme outil d'un pouvoir créateur, et ce pouvoir créateur, je voudrais le montrer ici, ne peut se développer que si l'éducation est conçue comme une éclosion, un épanouissement, un processus où, sans cesse, et de plus en plus profondément, le conscient prend pos-

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session de l'inconscient. L'éducation devient ainsi l'art de faire passer l'inconscient dans le conscient. C'est tout juste l'inverse de la formule de G. Le Bon. [...] Mais enfin, demandera-t-on peut-être, qu'est-ce que cette Ecole active dont vous nous indiquez l'orientation sans en préciser les contours ? — Ce qu'elle est, je ne le dirai point, pour une bonne raison : comme elle cherche à réaliser avant tout l'épanouissement de ce qu'il y a de meilleur dans la nature propre de l'enfant — de chaque enfant — elle ne saurait adopter de définition a priori, de programme a priori, de méthode a priori. Elle n'est pas, elle devient. Ce qu'elle était hier, elle ne le sera plus demain. Elle se transforme. Elle est comme on dit en mathématiques, « fonction » des individualités enfantines qui la créent. Tenter de l'enserrer dans un cadre rigide serait méconnaître ce qui, en elle, est essentiel. C'est que les principes qui la dirigent sont, diraient les électriciens, d'ordre « dynamique » et non pas d'ordre « statique » : des « courants » et non des « masses ». Elle n'est donc pas le chaos inorganisé ; elle n'est pas davantage un mécanisme rigide ; elle est un organisme, avec tout ce que cette conception comporte d'ordre et d'imprévu, de précision dans l'universel et d'indéfinissable dans l'individuel. Pour tout dire en un mot, l'Ecole active, pour la première fois dans l'histoire, rend justice à l'enfant. Mais voici qu'une nouvelle question surgit : Qu'est-ce que l'enfant ? L'enfant, c'est, par définition, un être dont la pensée ne s'exprime pas encore, chez qui la différenciation des sens et de l'esprit, non moins que leur concentration, est peu avancée. Les rares notions que le petit enfant a acquises par sa courte expérience sont floues, indistinctes ; sa faculté de réagir manque encore de la coordination qu'elle acquerra plus tard. Mais l'enfant, on l'a dit souvent, n'est pas un adulte incomplet : il est, à chaque âge, un être sut generis, et les méthodes bonnes pour l'adulte sont mauvaises pour lui. A bien des égards, il est un primitif, un inévolué, un équivalent du sauvage avec, en plus, tout un monde de virtualités encore enfouies au fond de son organisme physique et psychique, et qui, leur moment venu, surgiront à la surface. Leur incubation, si l'on peut employer ici ce terme, sera d'autant plus sûre et leur éclosion d'autant plus normale que l'équilibre nerveux, le calme physique et moral du jeune être auront été plus grands. Or, cet équilibre et ce calme sont d'autant mieux sauvegardés que, à côté d'une vie physique saine : pleine nature, soleil, hygiène, l'enfant aura pu mieux vivre sa vie, suivre ses intérêts, s'initier à la vie réelle avec les mille actions et réactions que celle-ci

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entraîne avec soi. Le principe des sanctions naturelles, préconisé par Spencer, est juste, dans son essence. Mais il ne doit pas être appliqué artificiellement ; il doit découler de l'existence qui est faite à l'enfant dans un milieu riche en activités variées. [...] Faire réfléchir l'enfant est bien, mais à une condition : que cette réflexion soit immédiatement née du concret et réagisse immédiatement sur le concret. Le divorce entre les choses et l'idée des choses ne peut amener que le naufrage du bon sens. Il est la conséquence de l'intellectualisme, plaie de l'école traditionnelle. Priver le jeune être du contact avec les choses est un crime de lèse-enfance. Conclusion : que les enfants vivent au sein de la réalité visible et palpable, que leur action porte sur cette réalité et que leur expérience s'en nourrisse. Il sera temps qu'ils s'élèvent aux abstractions le jour où leur esprit sera mûr pour cela. Pour les uns, ce sera plus tôt ; pour les autres, ce sera plus tard. Peu importe, pourvu que cette émancipation de l'idée, ce passage de la pensée empirique à la pensée rationnelle, se fasse spontanément. La démarche est trop grave pour que la responsabilité en soit confiée à un magister quelconque. Il y a lieu, d'ailleurs, de s'étonner du non-sens des méthodes actuelles : il est avéré que l'enfant a en général une mémoire remarquable des faits concrets, sans qu'il soit cependant capable de s'élever aux idées abstraites. L'adolescent, de son côté, surtout aux alentours de la treizième année, voit s'épanouir sa raison, sa faculté de réfléchir sur les choses et les gens, de coordonner, d'abstraire, de généraliser. Or, l'école actuelle s'acharne encore trop souvent à bourrer les jeunes cervelles de raisonnements et d'abstractions verbales, loin au-dessus de leur portée, tandis que l'adolescent a son essor intellectuel coupé net par l'obligation de mémoriser sans cesse et à haute dose ce qui fait l'objet des programmes et fera celui des examens. C'est le monde renversé. Il est donc nécessaire de faire vivre l'enfant au sein du concret, de réveiller lentement sa raison par un contact de tous les instants avec les choses, de le faire réagir sans cesse sur des objets visibles et palpables. Son besoin d'activité trouvera à s'y satisfaire. Et cette activité entraînera les actions et réactions d'où naissent les sanctions naturelles, seules formatrices de l'esprit, seules génératrices de progrès. La conclusion évidente à tirer de ce qui précède est donc celle-ci : il faut fournir aux enfants l'occasion de travailler de leur corps et de leurs mains. Ce fut l'idée première des créateurs de l'Ecole active. Ce fut l'idée exclusive de quelques-uns d'entre eux. Et ce fut l'origine du malentendu qui se perpétue encore aujourd'hui selon lequel l'Ecole

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active serait une école où l'on utilise les « méthodes actives », une école de travail exclusivement manuel, ou pis : une école où l'on s'élèverait de parti pris contre la culture de l'esprit. Il n'en reste pas moins que le travail manuel doit demeurer, surtout chez les enfants de sept à douze ans, la pierre d'angle de l'éducation. S'il est conforme aux besoins ancestraux de l'enfant, il répond également au desideratum de la psychologie : faire passer l'esprit du concret à l'abstrait par un processus de longue haleine et sans intervention intempestive et prématurée de la pensée réfléchie de l'adulte. Ai-je réussi à montrer l'importance considérable de la réforme qui se concentre autour du terme « Ecole active » ? C'est plus qu'une réforme, c'est une transformation. Un esprit nouveau souffle sur le monde. La vieille école traditionaliste, avec son fondement de routine, ses parois de préjugés et son toit de conformisme social, ne lui résistera pas. Une science avertie viendra reconstruire à la place un édifice plus vaste, une « école au soleil » à sa façon, et peut-être verra-t-on un jour des hommes qui ne haïront plus l'école de leur enfance, parce qu'ils y auront connu la santé du corps, l'harmonie de l'âme et l'épanouissement de leur esprit. L'Ecole active est l'école de demain. Elle l'est, bien entendu, à l'état embryonnaire. Immense est le travail qui consiste à la dégager des erreurs du passé : programmes, méthodes didactiques, horaires, examens en ce qu'ils ont de périmé, parce que irrespectueux des lois de la croissance individuelle. Immense est et sera longtemps encore le travail d'adaptation aux méthodes nouvelles des principes que découvre jour après jour la psychologie génétique, celle des Dewey, des Kilpatrick, des Edouard Claparède, des Pierre Bovet, des Jean Piaget, des Henri Wallon et de tant d'autres explorateurs de l'âme enfantine. Mais enfin l'école nouvelle est en route. [...]

ROGER

COUSINET

Le travail par g r o u p e *

La méthode nouvelle Il ne s'agit plus d'enseigner, mais de préparer un milieu vivant, comme un savant prépare dans un laboratoire la solution où pourra vivre et croître un organisme. Etant entendu que l'activité de l'enfant, être vivant, est telle qu'il enrichira lui-même ce milieu. De pédagogique le problème devient psychologique, ou, mieux, biologique. C'est ainsi que l'ont posé, et résolu, chacun à sa manière, les réformateurs de l'éducation. Chacun, selon l'état de la psychologie au moment où il travaillait, a choisi les éléments dont il allait former le milieu nouveau, chacun aussi a pensé qu'il n'était pas possible d'y plonger l'enfant sans le munir d'un instrument de travail qui lui permette de mieux traiter la matière neuve qui s'offre à son activité. Cet instrument de travail, c'est la méthode. Et on voit (après ce long détour) quel sens nouveau, bien différent de celui qu'il avait autrefois, prend le mot. La méthode passe du maître à l'élève. Elle n'est plus du tout le procédé ingénieux que découvre ou utilise le maître pour enseigner. Elle est l'outil dont l'enfant apprend à se servir pour travailler. Et il redevient très vrai de dire que tant vaut l'ouvrier, tant vaut la méthode. Mais c'est l'enfant qui est désormais l'ouvrier, et le maître n'a d'autre tâche que de lui expliquer comment on se sert de l'outil et de le laisser travailler à sa guise. Mais s'il en est ainsi, il ne paraît plus guère possible de parler d'éducation de l'enfance par les adultes, et de tous les reproches qui ont été adressés à l'éducation nouvelle, le seul qui paraisse au premier abord justifié, c'est de n'être pas une éducation. L'éducation, au point de vue de l'éducateur, est en effet une activité formatrice ; or voici que celui qui est chargé des fonctions d'éducateur s'interdit cette activité. Peut-on encore ici parler d'éducation ? Non, sans doute, et il semble bien que les réformateurs de l'éducation l'aient implicitement admis. Depuis près d'un demi-siècle, le mot n'apparaît plus dans les ouvrages de pédagogie théorique. La méthode Montes* Textes extraits de R . COUSINET, Une méthode Paris, Éd. du Cerf, 1945.

de travail libre par

groupes,

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sori est une pédagogie scientifique, la méthode de Miss Parkhurst s'appelle le plan Dalton, étant bien entendu que ce plan n'est pas un programme à l'usage des maîtres, mais une forme d'organisation du travail des écoliers, la méthode de C. Washburne s'appelle le système de Winetka, et là aussi on a en vue le travail des élèves. Moi-même j'ai présenté pour la première fois en 1920 ma méthode sous le nom que je lui laisse en titre du présent ouvrage, de méthode de travail libre par groupes, ce qui était assez dire que la méthode était un instrument de travail à l'usage non du maître, mais des élèves. Le maître n'est plus un enseigneur, il n'est plus même un éducateur, il doit se borner, comme nous le disions, Mme Guéritte et moi-même, en fondant en 1921 la Nouvelle Education, « à procurer à l'enfant le milieu où il puisse se développer dans les conditions les plus favorables », c'est-à-dire à organiser l'école. [...]

Le travail par groupes Il s'agit donc d'organiser l'école comme un milieu dans lequel les enfants puissent vivre. A ce problème il semble que le travail par groupes apporte une solution satisfaisante, pour des raisons à la fois psychologiques et pédagogiques. Rappelons d'abord que jusqu'à son entrée à l'école l'enfant a été un être exclusivement actif, et actif physiquement. L'activité physique est chez lui antérieure à toute autre manifestation de l'être. Il ne perçoit pas des choses sur lesquelles il agira ensuite, il agit d'abord sur les choses que cette action l'aide à percevoir. Il connaît les choses après que et dans la mesure où elles ont été l'objet de son activité. Si on dispose devant un bébé de huit mois une série de cubes ouverts sur une face, de volumes décroissants, il ne les regarde pas d'abord. Il les saisit, puis il les entrechoque, puis il s'exerce à les réintégrer l'un dans l'autre (H. Hetzer). Si on lui donne de la plastiline, il la prend aussitôt dans ses mains, et, sentant qu'elle est malléable, la triture et essaie de la façonner. Il en est de même pour des jouets constructifs, comme le matador ou le meccano. C'est avec ses mains que l'enfant prend connaissance du monde extérieur. L'action précède. Prête dès la naissance, comme un mécanisme grossièrement monté et qui se perfectionnera, mais qui est déjà en gros tout ce qu'elle sera, son activité cherche une matière sur laquelle elle s'exercera. Et elle s'exerce, ainsi que nous l'avons dit, sur toutes les choses inertes que l'enfant découvre au fur et à mesure des explorations

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que lui permet après la première année l'acquisition de la marche. Et ce sont ces choses qui constituent le premier milieu de l'enfant, le milieu où son activité s'exerce, se développe, et dont, aidée par la mémoire, elle se nourrit. Vers l'âge de 9 ans apparaissent dans ce milieu deux nouveaux éléments : les choses agissantes et les autres enfants. Ils y existaient auparavant, mais l'enfant ne les percevait pas, puisqu'ils ne pouvaient être l'objet de son activité, et que percevoir et agir étaient pour lui une seule et même opératioa Cette fois ils s'imposent à son esprit, à la fois par leur nature et parce que la maturation de cet esprit lui permet désormais de dissocier la perception de l'action. Il commence à être capable de percevoir sans agir, précisément dans le même temps que se présentent à son esprit des choses sur lesquelles il ne peut agir. Car ces choses sont des actes avant d'être des choses. {...] C'est quand il atteint l'âge auquel nous nous plaçons (cet âge de 9 ans, qui se trouve être aussi le début du stade de la maturation sociale, que l'enfant commence à prendre conscience de ces choses en mouvement qui tiennent une place si grande dans notre existence d'aujourd'hui : une bicyclette, une automobile, une locomotive, un avion. Ces choses, qui lui sont d'abord connues en tant que se mouvant, et qui sont donc des actes, ne peuvent redevenir des choses, puisqu'elles sont pour la plupart hors de sa portée, que lorsqu'elles s'immobilisent. Et comme, une fois immobiles, elles ne sont pas telles qu'il puisse en supprimer l'activité propre pour leur substituer la sienne, et comme il sent bien d'ailleurs que cette substitution serait impossible (quand ce ne serait qu'à cause de la disproportion entre ses forces et la grandeur, ou le poids, ou la dureté de la machine), la chose devient un stimulant non à l'action, devenue impossible, mais à la connaissance. C'est ainsi que peu à peu à l'action se substitue la pensée, la connaissance des choses se présentant d'abord comme une action, non réelle, mais hypothétique, sur les choses. Tout se passe à peu près comme si l'enfant se disait, en présence d'un objet perçu globalement (automobile, machine) : « Si cet ensemble de mouvements était arrêté, et que je veuille le mettre en marche, quels mouvements ferais-je moi-même ? ». C'est pourquoi les premières explications enfantines des mécanismes sont, sur le plan de la prise de conscience, anthropomorphiques, comme ses premières tentatives d'action sur les choses ont été organiques. « Au stade le plus primitif, nous voyons l'enfant se mêler organiquement à sa construction, sa main faisant

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en quelque sorte partie de l'édifice : peu à peu, ce rôle par trop actif de l'individu s'efface devant la découverte de dispositifs nouveaux auxquels incombe le rôle de contrepoids ou de soutien » (Rey), ou d'instrument. L'enfant qui commence à expliquer, à lui-même ou à d'autres, un mouvement qu'il regarde, l'explique autant avec les gestes de ses mains qu'avec ses paroles. Il explique moins l'activité du mécanisme qu'il a sous les yeux que ce que serait son activité propre si elle pouvait se substituer à celle du mécanisme. [...] On le voit, organiser pour les enfants, à partir de la neuvième ou de la dixième année, le travail par groupes, c'est précisément introduire dans le milieu un élément qu'ils désirent et dont ils ont besoin, c'est conformer l'éducation à leur nature, c'est ajuster, comme d'autres l'ont fait avant moi ou en même temps que moi, la pédagogie et la psychologie. Ne pas le faire, c'est en outre plus que de les priver de la présence de cet élément indispensable, c'est leur imposer un mode de vie équivoque. En effet, toute l'histoire de la vie antérieure de l'enfant montre que, s'il est privé, à tel ou tel stade, de l'aliment correspondant à ce stade, ou il dépérit, ou il compense (d'une façon souvent dangereuse) cette activité refoulée, ou il s'efforce d'agir en se dérobant à la surveillance de l'adulte. Il en va de même pour l'activité nouvelle, que nous venons d'analyser. Le besoin d'agir socialement est assez fort pour qu'il faille y satisfaire coûte que coûte. Malgré la discipline scolaire, de plus en plus rigide au fur et à mesure que l'enfant grandit, et qui lui impose une vie rigoureusement et strictement individuelle, l'enfant s'obstine dans le développement de sa vie sociale. Il le fait d'abord par le jeu. Le jeu, qu'on peut envisager sous différents aspects, est, au même titre que le langage, un moyen de communication entre les individus. De même que chacun commence à parler pour comprendre et se faire comprendre, pour composer à l'aide de phrases prononcées par les différents individus un tout harmonieux, qui permettra d'arriver à la fin désirée (l'explication du phénomène considéré en commun), de même chacun prend conscience de son activité ludique et de celles d'autrui pour que de ces activités se compose une activité générale (barres, balle au camp, etc.) qui a sa fin en soi. Les mouvements physiques prennent, comme le langage, un sens, ils servent dans la mesure où ils s'accordent. L'individu court, non plus pour arriver à saisir un autre individu (ce qui est une forme primitive du jeu), mais pour insérer cette

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action dans une activité plus complexe qui lui donne un sens et en fait un plaisir total. Or on sait que cette activité socio-ludique est à éclipses. Elle n'est autorisée que pendant le temps consacré aux récréations. Dès le retour dans la classe, dès que les enfants se retrouvent en présence du maître et sous sa direction, l'activité redevient individuelle. Autrui est comme s'il n'existait pas. Il est interdit d'en prendre conscience. Chaque enfant doit agir seul, sans connaître le voisin, sans l'aider, sans être aidé de lui, sans lui parler, sans l'écouter. La discipline scolaire l'isole dans une cellule imperméable. Il y a là déjà une première contradiction gênante pour l'enfant, qui est obligé d'avoir alternativement deux attitudes, d'être de telle heure à telle heure un être exclusivement individuel, puis pendant une courte période un être social, puis de redevenir individuel, et ainsi de suite. Mais la contradiction et la gêne sont plus grands encore du fait que l'enfant est incapable d'avoir ces attitudes alternées. Devenu social, imprégné de socialisation, il ne peut pas redevenir un être individuel. Il essaie par tous les moyens de résister à cette autorité magistrale qui l'empêche de mener sa vie socialisée : il « souffle », il « copie », et surtout il parle, à telle enseigne qu'on pourrait dire, sans excès, que le maître passe presque moins de temps à parler lui-même qu'à empêcher ses élèves de parler. Et surtout, même quand il mène le plus nettement en apparence la vie individuelle de la classe, même quand la discipline et l'autorité du maître sont si fortes qu'il ne peut ni souffler, ni copier, ni parler, il continue à avoir conscience d'être devenu un être social, de vivre et de penser socialement. Ainsi se constitue pour lui une vie double, non plus alternée, mais simultanée, au sein de laquelle il se meut sans doute apparemment avec aisance, en raison de l'extrême plasticité de la vie enfantine, mais qui n'en est pas moins un mode de vie équivoque, une gêne pour le développement normal. Et l'équivoque est d'autant plus grave qu'elle est inaperçue de l'éducateur. Parce qu'il domine sa classe, parce qu'il est (ou paraît être écouté), parce qu'on lui obéit, le maître se convainc aisément qu'il a brisé cette socialisation à laquelle il s'oppose \ et qu'il n'a plus devant lui que des individualités distinctes, isolées les unes des autres, dont chacune prend de son enseignement ce que lui permettent ses aptitudes et son application particulières. Il ne se doute pas, ou il feint d'ignorer, que ces individualités sont reliées par des courants souter1. Si maladroitement, puisque pour la majorité des enfants, le fait d'être simplement dans une classe et de travailler en compagnie d'autres enfants est une condition d'un meilleur travail.

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rains qui les unissent, et en forment des groupes qui ne cessent de lutter contre l'influence dissolvante du maître. Cette lutte est sournoise et secrète, elle conduit les enfants, pendant la classe, à la dissimulation et la fraude, défauts qui sont donc l'œuvre du maître, puisqu'il suffirait pour les faire disparaître d'autoriser la vie sociale et la coopération. En dehors de la classe, où cette vie sociale est libre, et parce que là seulement elle est libre, elle donne naissance à un autre phénomène, contre lequel les éducateurs ont également à lutter, et qui est également leur œuvre, phénomène que Stanley Hall et ses élèves ont particulièrement étudié, et auquel, faute d'un nom français, je garde le nom américain : le leadership (l'existence de meneurs2 dans les groupes d'enfants). Le leadership présente en effet cet inconvénient que pour mener contre le maître cette lutte sournoise et secrète, des meneurs s'improvisent et groupent autour d'eux des camarades, simplement parce qu'ils possèdent ces caractéristiques d'hypocrisie, de dissimulation, de mauvaise et sotte ingéniosité qui sont nécessaires pour conduire le combat et remporter, parfois, des victoires3. Tous les moyens sont bons pour lutter contre le maître, qui interdit un mode d'activité nécessaire à la vie, et les individus se groupent naturellement autour de celui qui découvre les plus ingénieux, même si par ailleurs c'est un individu médiocre de caractère et d'esprit. Outre cette disposition si fâcheuse entre la vie de la classe et la vie de la cour, le travail libre par groupes fait disparaître d'autres graves inconvénients qui tiennent au principe même de l'enseignement. « En premier lieu il y a l'observation banale de la difficulté pour le maître à se faire comprendre des élèves » (Piaget). Je n'insiste pas sur l'observation, qui est en effet banale, et dont les preuves abondent, quand ce ne seraient que l'obligation où est le maître de revenir sans cesse sur ce qu'il a dit une et même plusieurs fois, et le nombre de sottises qui se rencontrent dans les devoirs, compositions ou copies d'examen même de bons élèves, indiquant qu'ils n'ont rien compris, ou, comme on dit, compris de travers. En second lieu, même en se plaçant à un point de vue idéal et en supposant la parole du maître parfaitement intelligible, ses 2. Et, en contrepartie, d'outcasts (souffre-douleur). 3. Les groupes qui se forment uniquement pour la guerre se donnent spontanément un chef, l'unité de commandement étant nécessaire dans ce cas. Cela a été constaté chez les peuples primitifs (Davy) et dans les associations de jeu des délinquants (Rouma).

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leçons peuvent ne pas être des excitants suffisants pour l'esprit des enfants si elles ne les intéressent pas (Dewey). [...] Le travail libre par groupes réduit davantage encore le rôle traditionnel du maître (pour lui en demander un nouveau) en faisant disparaître une pratique qui demande une analyse un peu plus longue. Le maître enseigne, il ne conçoit pas sa tâche sous une autre forme. Il n'y aurait que demi-mal s'il se contentait encore, comme il l'a fait pendant longtemps, d'informer l'enfant de choses que l'enfant ne connaît pas (c'est-à-dire de jouer auprès de l'enfant le rôle que tiennent pour l'adulte le livre ou l'article de revue) ou de faire voir à l'enfant, quand celui-ci ne le sait pas, comment il pourra résoudre telle difficulté (c'est-à-dire de jouer auprès de l'enfant le rôle que tient pour l'apprenti le contremaître de l'atelier ou de l'usine). Mais, par suite des exigences administratives, à cause de l'importance prise par les examens, devenus, comme on l'a souvent dit, les régulateurs de l'enseignement, la seconde partie de l'activité enseignante a déjà été subordonnée à la première. La liste de ce que l'enfant ne connaissait pas, et qu'on jugeait utile ou nécessaire qu'il connût, ne cessant de s'allonger, à la longue le temps a manqué pour lui donner les explications dont il avait besoin, et dont il aurait formulé le désir si on lui avait permis, et si on lui avait laissé le temps de le faire. L'explication a cédé le pas à l'instruction. Le maître a instruit sans plus pouvoir prendre le temps d'expliquer les problèmes que posait son instruction, ni même de s'assurer que ces problèmes étaient compris. Sans doute il a répété, mais le vieil adage que « la répétition est l'âme de l'enseignement » n'est qu'une affirmation gratuite. Une information, même si elle répond à une demande (et ce n'était que rarement le cas), si elle n'est pas comprise d'abord, ne l'est pas mieux parce qu'elle est répétée. Elle peut être retenue, c'est-à-dire qu'à la longue elle peut être répétée par l'élève au lieu de l'être par le maître, elle n'en est pas pour autant fixée et intégrée. Mais encore, même si les nécessités imposaient au maître d'instruire plus que d'expliquer, du moins conservait-il les enfants, tous les enfants, au premier plan de ses préoccupations. Ce sont les élèves qu'il avait devant lui qu'il s'efforçait d'instruire, et d'instruire en suivant leur développement, en « comblant les lacunes ». Les enfants y trouvaient encore leur compte, et ils ne s'éduquaient (intellectuellement) guère, au moins, tant bien que mal, s'instruisaient-ils. Mais les exigences administratives ont contraint le maître à faire un pas de plus. L'organisation scolaire, qui ne cessait de limiter la

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liberté de ses élèves, a aussi de plus en plus limité la sienne. Il n'a plus eu le temps de suivre ses élèves, en les guidant (en les poussant plus ou moins selon l'allure de chacun) dans la voie droite, il n'a même plus eu le temps de combler des lacunes, ni de revenir en arrière. Dès le commencement de chaque année scolaire, ce ne sont plus les élèves qui se sont placés au premier rang de ses préoccupations, c'est le programme. On lui a demandé de « faire la classe », d'édifier au long de l'année cet édifice idéal qui se couronne à la veille des vacances du toit des examens, des compositions annuelles, ou de la simple distribution des prix. On l'a estimé dans la mesure où il faisait la classe. De tout ce travail, qui incombait aux élèves, on a voulu (chose singulière, à laquelle il faut qu'on soit bien habitué pour n'en pas voir ce qu'elle a d'absurde) qu'il soit, sinon l'unique, au moins le principal artisan. Mais comme la pédagogie traditionnelle est restée, ou plutôt est devenue sensible, depuis soixante-dix ans, grâce aux efforts des réformateurs de l'éducation, à ce qu'avait de singulier le fait de réserver, dans un enseignement fait d'information et d'explication, toute l'activité à celui qui était censé n'avoir plus besoin de l'une ni de l'autre, on a recommandé au maître de se faire aider dans sa tâche, et au lieu de tirer de lui-même, ou de ses livres, des sources d'information et d'explication, par le procédé de l'interrogation, de les tirer de ses élèves. L'histoire de la méthode dite interrogative ou socratique est un chapitre comique de la pédagogie traditionnelle. Le maître continuait à faire la classe, à élever cet édifice dont l'administrateur était l'architecte et lui l'entrepreneur, mais il n'a plus travaillé seul, il a pris des collaborateurs, il s'est fait aider par des manoeuvres. Il a interrogé, c'est-à-dire qu'il a demandé à l'un de lui apporter une pierre qui manquait à sa leçon d'orographie, à l'autre un peu de ciment pour lier l'un à l'autre deux cours d'histoire. L'interrogation est un procédé pédagogique contestable, elle le devenait bien plus encore par la manière dont on s'en servait. Le maître était toujours pressé. On a déjà remarqué combien le contremaître est calme dans l'atelier, combien le maître est agité dans la classe (Petersen). Il fallait donc qu'il choisisse ses collaborateurs et qu'il n'accepte que ceux qui pouvaient lui être utiles. Sans doute on lui a recommandé de ne point choisir et de se faire aider par tous ses élèves, il a bien souvent senti luimême que, puisqu'il était chargé d'instruire exactement et d'expliquer complètement, les mauvaises réponses devaient attirer son attention beaucoup plus que les bonnes. Il n'avait pas le temps, il fallait faire la classe, édifier le programme. Il a pris rapidement l'habitude d'écarter

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d'un geste bref les mauvais matériaux qu'on lui présentait : « Non, ce n'est pas cela... ce n'est pas cela non plus... ah ! voici la bonne réponse. » Voici justement la pierre dont j'avais besoin et qui s'insère juste entre les deux autres. Et l'on se trouve, dans la plupart des classes, devant ce spectacle si singulier de l'éducateur se faisant aider par ses disciples dans la construction, non point de l'éducation de ces disciples, ce qui serait déjà paradoxal, mais d'un édifice idéal qu'aucun des enfants ne prend même plaisir à contempler, parce que aucun ne reconnaît, dans l'ensemble de l'édifice, les matériaux qu'il a apportés, ni ne prend conscience de la part qu'il y a prise. Ce procédé de l'interrogation est en outre d'autant moins efficace que même les bonnes réponses sont, dans un très grand nombre de cas, dues au hasard. Quand la question comporte plusieurs réponses, l'élève qui a fourni la réponse exacte parle souvent « au petit bonheur ». Quand la question ne comporte que deux réponses antithétiques l'une à l'autre, si une première réponse a été rejetée par le maître, l'élève interrogé ensuite se contente de dire le contraire de ce qu'a répondu son camarade, sans qu'il lui soit nécessaire de comprendre ni pourquoi son camarade a mal répondu ni pourquoi lui-même a bien répondu. Enfin comme le maître toujours pressé (par les exigences du programme) a besoin de recevoir le plus promptement possible de bonnes réponses, il pose ses questions de telle manière que la réponse y soit implicitement contenue, et que les élèves n'ont le plus souvent qu'à y faire écho. Et ainsi la classe offre ce spectacle singulier du maître bâtissant son édifice pédagogique et faisant un constant appel à une main-d'œuvre qu'il a de moins en moins de temps de préparer et d'améliorer. Enfin la prépondérance du maître dans la classe a un dernier inconvénient, c'est que, de moins en moins informateur et explicateur, il est devenu de plus en plus un juge. Comme il désire, ainsi que je viens d'essayer de le montrer, obtenir de ses élèves une collaboration de plus en plus utile à son enseignement, il est obligé d'imaginer des moyens disciplinaires pour favoriser et accroître cette collaboration. De ces moyens, le plus efficace est le jugement et les sanctions dont le jugement s'accompagne. Il complimente ceux qui l'aident à « faire la classe », il blâme ceux qui ne l'aident pas, ou qui l'aident imparfaitement, ou irrégulièrement 4 . Ce n'est pas assez, 4. De là naît la malhonnêteté si répandue dans les classes. Quand le maître interroge, demande une aide, il faut la lui donner, ou tout au moins feindre le désir de la lui donner, de lui être utile. A une question, l'élève interrogé n'a pas le droit de répondre : « J e ne sais pas », ce qui est la

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son autorité morale n'est pas toujours suffisante pour qu'à son estime ou à son mécontentement on attache du prix. Il juge avec plus de précision, publiquement, il note ses jugements par écrit pour qu'ils soient connus des parents de ses élèves. Ce n'est pas assez encore, il donne une suite à ses jugements. L'éloge s'accompagne de marques visibles (faveurs particulières, bons points, diplômes, prix), le blâme également (privations, peines positives). Et quand tout ce système est assez fortement organisé et dure sans interruptions, il finit par avoir une influence. Les enfants s'efforcent, non de devenir meilleurs ou plus savants, mais d'être mieux jugés. C'est ce qu'on appelle l'émulation. Leurs efforts se font d'ailleurs au hasard (outre tous les procédés hypocrites à l'aide desquels on réussit à se faire juger meilleur sans être réellement meilleur), et par suite les surmènent souvent, parce qu'ils ne savent jamais que vaguement ce qu'il faut faire pour être mieux jugés et qu'ils se voient souvent estimés ou blâmés sans raison apparente à leurs yeux. Le travail par groupes évite tous ces inconvénients puisqu'il permet une vie normale. La contradiction cesse entre l'activité de la cour et celle de la classe. L'enfant n'a pas à passer plusieurs fois par jour d'un mode de vie social à un mode individuel. Son activité est, comme il est naturel à cet âge, sociale d'une façon permanente. Le groupe n'a plus à lutter contre le maître, qui désormais l'accepte et le reconnaît, le maître n'a plus à lutter contre le groupe. En classe, comme dans la cour, les membres de chaque groupe peuvent entretenir des conversations et accorder en un tout les activités de chacun. Finie cette lutte où bien souvent le courage et les forces du maître s'épuisent, il n'a pas davantage à lutter contre l'influence secrète des meneurs. Il n'y a plus de meneurs. On n'a plus besoin d'eux, ils disparaissent5. L'élève n'a besoin d'avoir recours ni à ces accès de révolte qu'on seule réponse honnête quand réellement il ne sait pas ; il aurait l'air de se désintéresser de la question, il ferait preuve d'indifférence, il ne collaborerait pas à la construction de l'édifice. Il faut qu'il réponde n'importe quoi (et il répond trop souvent n'importe quoi), même s'il soupçonne, ou sait nettement, que sa réponse est impertinente ou absurde. 5. Ils disparaissent en effet. Lors du premier essai que j'ai fait de ma méthode, en 1920, dans une classe de filles, un groupe de filles obéissait aveuglément à une de leurs camarades, délurée et malicieuse, habile à jouer des tours à l'autorité, mais paresseuse et peu intelligente. Elle prit naturellement la tête de son groupe quand ce groupe entreprit un travail. Elle en fut chassée en moins d'une heure, et chassée définitivement. En une heure, le travail par groupe obtenait ce que le maître n'avait pu faire en cinq mois.

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voit quelquefois éclater dans une classe et qui troublent si profondément les rapports entre maître et élèves, ni à cette dissimulation à laquelle si fâcheusement il s'accoutume, mais qui d'abord l'humilie et dont il a honte. Il n'est pas obligé de s'agiter sur son banc, tout en paraissant rester immobile, parce qu'il a envie de se lever et de marcher et que cela lui est interdit. Cela ne lui est plus interdit. Il n'est pas obligé de feindre de ne pas parler alors qu'il parle, ni de feindre qu'il était silencieux au moment qu'il était en train de parler et que le maître le regarde. Et le maître n'est plus obligé de consacrer tant de temps et d'user tant de forces (lui qui voulait consacrer tout son temps et toutes ses forces à enseigner), pour interdire une activité qu'il n'interdisait que parce qu'il ne l'acceptait pas. Il n'a plus à l'interdire maintenant, parce qu'il l'accepte, et les enfants, sous son complaisant regard, recommencent à mener une vie naturelle. La « discipline » disparaît à peu près tout entière de la classe 6 . Comme, sous les apparences d'un prétendu règlement, elle n'autorisait presque rien et interdisait presque tout, elle est à peu près désormais sans objet et elle n'a plus à s'exercer que dans les cas litigieux. Le maître n'a plus à « établir sa discipline », à « imposer son autorité ». De toute cette partie de sa tâche, la plus pénible, la moins utile, il est déchargé. Il regarde vivre les enfants et n'intervient, au point de vue du maintien de l'ordre, que rarement. Le maître n'éprouve plus à se faire comprendre des enfants cette difficulté qui l'oblige à se répéter sans cesse, à présenter ses leçons en cent visages, qui lui cause l'ennui de découvrir dans les travaux écrits tant de sottises l'obligeant à expliquer à nouveau ce qu'il croit avoir expliqué clairement. Toujours chargé d'informer ses élèves, mais de les informer seulement quand et dans la mesure où ils lui indiquent par leurs questions qu'ils désirent être informés, il se contente de leur répondre précisément et brièvement. Il ne leur fait plus de leçons, il les renseigne au besoin. Il perd l'habitude d'instruire, il informe et il s'habitue même à parler le langage des enfants qui ont recours à lui (B. Otto). Il est également délivré des soucis d'un programme qui l'oblige à fournir aux enfants des informations dont ils n'ont cure, à les leur présenter dans un ordre arbitraire, à les priver d'informations qu'ils désirent, mais dont il se dispense parce qu'elles ne figurent

6. La « discipline » est remplacée par la loi, à l'élaboration et au maintien de laquelle travaillent d'accord le maître et les enfants (Cousinet).

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pas dans « le programme » 7. Il n'y a plus de programme. Les groupes choisissent non seulement leur travail, mais l'ordre dans lequel ils l'exécuteront, ou, plus exactement, cet ordre s'établit naturellement au fur et à mesure que le travail se développe. Là encore le maître n'a qu'à suivre le travail des enfants, à être témoin de leur activité, à les aider quand ils le lui demandent, à être pour eux un bon collaborateur. Il renonce également au procédé absurde de l'interrogation. Si, comme il est naturel, il veut se rendre compte du travail de ses élèves, de leur niveau, comme on disait autrefois (comme on dit encore), ce n'est pas à ce procédé sommaire et grossier qu'il a recours. Il voit leurs travaux écrits, leurs réalisations manuelles, l'ardeur qu'ils apportent à leur tâche, l'honnêteté avec laquelle ils collaborent entre eux, le souci de mener une œuvre jusqu'à un point complet de perfection, tout ce qui le renseigne beaucoup mieux que des réponses où la chance et l'astuce ont beaucoup plus de part que la science et le travail. Enfin le maître n'a plus à juger ses élèves. Il ne les compare plus les uns aux autres, à la fois parce que cette comparaison est impossible et fausse, qu'il n'a plus besoin de stimuler les enfants par cette prétendue émulation, et qu'il se refuse à donner cet aliment à la vanité des familles. Car il y a une différence considérable entre satisfaire la curiosité bien légitime des parents en les renseignant sur la vie scolaire de leurs enfants et en les informant, quand le moment est venu, de la distance à laquelle ceux-ci se trouvent de tel concours, et leur procurer un plaisir bas en leur disant que leur fils ou que leur fille a eu une meilleure place que le fils ou la fille du voisin. Et pour le maître, les élèves cessent d'être représentés par un numéro sur une échelle graduée. Chaque enfant redevient une personnalité, intéressante en soi, sans qu'il soit nécessaire ni utile de le comparer avec aucune autre. Au lieu de la situation pédagogique, se rétablit une vie de rapports normaux entre les enfants et l'éducateur. L'anomalie cesse qui faisait du maître le constructeur de cet édifice idéal qui s'appelle la classe et des enfants ses collaborateurs. Ce sont les enfants qui construisent leur personnalité et l'édifice de leur éducation, et dont le maître devient, comme il est naturel, le collaborateur. L'école est le lieu où les enfants vivent et où un maître les aide, quand il faut, à vivre. 7. Qu'on songe aux cas fréquents où un élève s'enhardissant à poser en classe une question, reçoit cette réponse du maître : « Nous verrons cela l'an prochain. »

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La vie du groupe [...] Les choses se passent généralement ainsi : quand un travail est terminé et que le groupe passe à un autre travail (de la science à l'histoire ou à la géographie), ou bien tous les membres du groupe s'accordent, en vertu d'une sorte d'harmonie préétablie, pour choisir cet autre travail, ou bien l'initiative vient d'un enfant qui fait une proposition acceptée par les autres. Mais, une fois le travail commencé, il ne se poursuit plus du tout comme on pourrait le croire, et comme il arriverait chez des adultes. Celui qui a proposé le travail a exprimé une idée qui lui était venue par inspiration ou par suggestion, il n'a pas de plan qu'il soumette à l'approbation des autres membres du groupe en sollicitant leur collaboration, il ne dirige pas le travail en demandant à chacun son apport. Il propose le sujet, quelquefois il propose aussi le début du travail, quelquefois il passe aussitôt à l'arrière-plan, et chacun apporte sa contribution, sans hiérarchie, même sans ordre apparent, selon qu'une idée se présente spontanément à l'esprit ou est suggérée par celle qui vient d'être émise. Tout se passe comme si l'être collectif des sociologues travaillait avec des éléments qu'il prend à son gré et organisait ces éléments pris en apparence au hasard, mais qui s'accordent, sans que les membres du groupe paraissent prendre conscience de cet accord et de cette organisation. Ce n'est d'ailleurs qu'une apparence, car cette prise de conscience se fait au fur et à mesure que le travail prend corps. C'est en le voyant se faire que les travailleurs en saisissent l'unité et apprécient la valeur de chaque élément pour concourir à la fin cherchée (analyse d'une plante ou d'un animal). A ce moment, c'est-à-dire quelques minutes après que le travail est commencé, les discussions commencent, les ratures, le déplacement de certaines phrases, les corrections qui vont jusqu'à ce que le travail soit repris dès le début, et l'effort commun pour qu'il corresponde à ce qui est communément souhaité et à ce qu'on s'est communément proposé. C'est ce travail d'autocorrection par le groupe, ce sont ces critiques mutuelles qui sont proprement éducatives et qui rendent inutile, dans la plupart des cas, l'action du maître. Pas plus que dans la constitution des groupes, le maître ne doit intervenir dans le choix du travail. D'abord, il est évident, étant donné (si la classe est bien organisée) le nombre des activités qui sont proposées aux enfants, que tous les groupes ne peuvent participer, au cours d'une année scolaire, à toutes ces activités. Il faut bien qu'ils choisissent. « Chaque enfant ne peut faire tous les sujets à la fois,

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mais il peut vivre dans un milieu qui contient toutes ces choses, et ce qu'il ne fait pas réellement lui-même, il le voit faire aux autres, et reçoit de cette manière une certaine influence » (E. F. O'Neill). J'ajoute que les différents travaux étant liés par la méthode, le profit intellectuel est le même, nous le verrons plus en détail, que les enfants s'exercent à la science, à l'histoire ou à la géographie. Il s'agit toujours en fin de compte d'une opération d'analyse et de classement appliquée à un insecte ou à un document figuré. Enfin les enfants sont guidés dans leurs choix par des raisons que le maître ne connaît pas, mais qui n'en ont pas moins de valeur et que seule une analyse psychologique minutieuse pourrait, dans certains cas, révéler. Dans d'autres cas, le motif est plus clair. Une institutrice, qui commençait une première expérience de ma méthode, vint m'informer, très inquiète, au bout d'une dizaine de jours, que, dans tous les groupes, les élèves ne faisaient, du matin au soir, que dessiner. Je lui fis d'abord remarquer qu'une telle persévérance n'était pas mauvais signe, et elle ne fit pas de difficulté de m'avouer que dans sa classe on ne faisait jamais de dessin, encore moins d'aquarelle. Les enfants donnaient satisfaction à un besoin longtemps comprimé. Au bout d'une quinzaine de jours, les murs étant couverts de leurs œuvres, les enfants procédèrent à d'autres choix. [...]

Le maître Quel est, dans cette organisation, le rôle du maître ? On l'a déjà entrevu par les indications qui précèdent et qu'il suffit de compléter. Le maître est à la disposition des élèves. Ce ne sont plus les enfants qui collaborent avec lui pour l'aider à faire sa classe, c'est lui qui est le collaborateur des enfants, et qui les aide à vivre. Il ne domine plus sa classe du haut d'une chaire, il est assis à une table dans un coin. Il n'est pas inoccupé, il ne donne pas à des enfants qui travaillent ce spectacle fâcheux d'un adulte qui ne fait rien. Il travaille, lui aussi, il observe ses élèves, il prend des notes, il fait des recherches, il s'instruit lui-même. « Dans l'école de l'activité personnelle, il y a place pour le développement aussi bien de l'élève que du maître » (E. F. O'Neill). Il corrige au besoin les travaux qui lui sont présentés, mais surtout il répond aux questions qui lui sont posées. Il informe ceux qui ont besoin d'être informés. Si on me permet ce jeu de mots, il n'enseigne plus, il renseigne. Il n'a plus à établir une discipline qui n'a plus de raison d'être.

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Il n'a plus à interdire puisque les enfants sont libres, il n'a plus à contraindre puisque les enfants sont actifs. Il attend paisiblement qu'on ait besoin de lui. Non que les enfants « attendent toujours quelque chose de lui » (E. Köhler). Au fur et à mesure, au contraire, que leur vie sociale se développe et que le travail de groupe s'intensifie, ils ont de moins en moins souvent recours à lui. Mais ils savent qu'il est là, et il représente pour eux un appui, une certitude, une aide qui ne leur fait jamais défaut. Non dans la science, car il est maintes fois arrivé que l'instituteur ou l'institutrice ne puisse répondre immédiatement à une question posée par tel groupe. Les enfants qui travaillent librement dépassent sur bien des points, et surtout dans le domaine scientifique, le niveau établi par les programmes officiels. Habitués à ne plus voir dans le maître l'enseigneur omniscient, ou qui malhonnêtement feint de l'être, habitués à le voir travailler à côté d'eux, les enfants n'ont jamais été surpris de le voir ignorer la réponse à une de leurs questions, l'avouer et chercher avec eux. Son autorité n'en a nullement été diminuée. Car ce qu'ils lui demandaient, ce n'était pas l'omniscience, mais la bonne volonté à leur apporter son aide. C'est pourquoi il lui faut d'autres qualités que celles qu'on réclamait de lui autrefois. Il n'a plus besoin d'avoir de l'autorité, puisqu'il n'a plus d'autorité à exercer. Il n'a plus besoin d'être habile dans l'art de faire une leçon, puisqu'il n'a plus de leçon à faire. Les qualités qui lui sont nécessaires sont celles que l'enfant demande à l'adulte à qui il accorde sa confiance : le calme et la patience, la modestie de qui sait avouer qu'il ne sait pas, l'honnêteté de qui ne se croit pas conscient, la loyauté de qui sait reconnaître ses torts. [...] Tous les travaux que ma méthode lui [l'enfant] propose sont donc liés d'abord par l'appui qu'ils se prêtent mutuellement. Le travail manuel a besoin du dessin géométrique, du dessin d'art et de l'arithmétique. L'improvisation dramatique (enrichie du décor, du costume et même du masque) a besoin du dessin, de l'arithmétique, de la couture, du travail littéraire. Un travail géographique est toujours en partie historique. Les travaux sont en outre liés par le dedans. Comme il s'agit de connaître et de comprendre les choses par une opération d'analyse, l'opération est sensiblement la même quel que soit l'objet auquel elle s'applique. Analyser une fleur, un insecte, une machine, en voir l'agencement et l'interaction des diverses parties est une opération de l'esprit analogue à celle qui consiste à analyser un phénomène géographique, ou, pour les comparer et les classer, divers documents

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historiques. Le travail de l'esprit étant le même, le profit que l'esprit en retire est aussi le même. Et c'est de cette manière seulement, semble-t-il, que peut être abordé et résolu le vieux problème de la gymnastique intellectuelle (Heck), qui n'a jamais reçu une solution satisfaisante parce qu'on comparait entre elles des disciplines auxquelles les écoliers s'attaquaient avec des procédés d'esprit qui n'avaient rien de commun. On a pu ainsi discuter à perte de vue, et inutilement, sur l'utilité, comme exercice de l'esprit, de l'apprentissage du latin, tant qu'on ne munissait pas les écoliers, pour qu'ils fassent cet apprentissage, d'un instrument (d'une méthode) utilisable aussi pour d'autres activités. Procéder ainsi, c'est sans doute dire une vérité de La Palice et supposer le problème résolu, mais procéder autrement, c'est poser un problème insoluble. On apprend à se servir d'un rabot, quelle que soit la nature du bois que l'on traite. Pas davantage la vie naturelle de l'enfant ne comporte ces espaces de temps attribués à chacune des leçons ou à chacun des exercices et qui composent l'emploi du temps ou horaire, pratique singulière, dont le principal effet est de développer dans l'esprit de l'écolier l'inattention et l'instabilité. Normalement un travail dure tant que l'intérêt n'en est pas épuisé, et doit durer tant que le travail n'est pas achevé. Or cette succession continuelle de disciplines différentes n'est qu'une continuelle interruption de l'activité laborieuse. Parce qu'il est l'heure du calcul, il faut terminer brusquement la leçon de morale au moment même où peut-être elle commençait d'être efficace. Parce qu'il est bientôt l'heure de la grammaire il faut interrompre le calcul et corriger des problèmes auxquels la moitié des élèves est encore occupée. Si bien que, même en supposant une classe idéale, dans laquelle tous les écoliers s'intéressent à toutes les parties de l'enseignement, les journées se passent en élans successifs, en poursuites vers une compréhension complète, sans cesse arrêtés par l'inexorable emploi du temps, qui ainsi conduit les élèves au découragement, et, ce qui est plus grave (car on n'est pas longtemps découragé à cet âge), à l'indifférence. Il suit, en outre, que les écoliers qui s'intéressent le moins à l'enseignement, ou qui ont le moins d'aptitudes, sachant par expérience qu'ils n'ont jamais fini un exercice à l'heure où il faut « poser les porte-plume », ne s'en soucient plus, ne font plus aucun effort pour aller un peu plus vite, et prennent ainsi l'habitude de ne jamais mener un travail jusqu'au bout. Ici, rien de tel. Tant que l'intérêt dure, le travail continue. Dans certaines classes, des enfants ont poursuivi un travail historique pendant un trimestre entier, sans faire autre chose. Maintes fois j'en ai

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vu demander à rester en classe après la sortie parce qu'ils n'avaient pas achevé un travail. La « récréation », au lieu d'intervenir à une heure déterminée bien avant ou bien après que les enfants en sentent le besoin, est prise quand un travail est terminé et qu'on a alors le désir de jouer. Les activités suivent le rythme de la vie, bien loin que la vie soit contrainte, vainement d'ailleurs, à se plier au rythme d'activités artificielles. Comme ils ont pu choisir librement leur travail, les enfants sont donc libres d'y persévérer aussi longtemps qu'ils le veulent. Et non seulement ils en sont libres, mais l'organisation de groupes les y aide. Car cette persévérance est aussi une des vertus de la méthode, parce qu'elle est une vertu sociale, tant au point de vue intellectuel qu'au point de vue moral. Sans doute, en effet, un enfant travaillant seul est capable de poursuivre longtemps une même activité, si c'est une activité qu'il a choisie et qui l'intéresse, et de la poursuivre courageusement même s'il doit s'y efforcer et s'il y rencontre des obstacles 8. Mais ces obstacles peuvent être de telle nature qu'il ne puisse aller outre, si son développement intellectuel ne le lui permet pas. Il s'arrête parce qu'il ne voit pas comment il pourrait aller plus loin. Le travail par groupes a précisément pour avantage de permettre de franchir cet obstacle, et de découvrir les moyens d'aller plus avant. C'est de même le travail par groupes qui permet l'organisation du travail, qui fait voir le lien qui s'établit entre deux travaux différents, les rapprochements, les rapports, tout ce qui amène à l'ordre et aux classements. C'est que ma méthode permet d'abord la fixation du travail à laquelle ne pense pas ou répugne l'enfant isolé. J'ai eu l'occasion d'observer plusieurs enfants uniques, dont l'un avait eu l'idée vers l'âge de dix ans de commencer une collection de minéraux, un autre avait obtenu de ses parents l'installation d'un petit laboratoire de physique, un autre s'était passionné pour l'étude des insectes, recherchait des informations dans des livres de plus en plus savants et avait acquis en cette matière une compétence très supérieure à son âge. Non seulement aucun n'avait eu l'idée de fixer, de conserver ce travail par un catalogue ou des rapports écrits, mais aucun des trois n'avait consenti à une proposition faite par un adulte à cet effet. Sans doute il y a les collections de timbres que font bien des 8. En dépit de ceux qui répètent encore que les enfants ne choisissent jamais que des activités faciles, se décourageant au premier obstacle, et sont incapables d'une attention prolongée. Pour le croire, il faut n'avoii jamais regardé agir même un tout jeune enfant.

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enfants isolés, mais la fixation et la conservation y sont assurés par les albums tout faits que les enfants utilisent et qui représentent l'apport social, et le collectionnement des timbres ne prend toute sa valeur et son intérêt que quand il est complété par l'activité sociale de l'échange, qui l'entretient et le prolonge. Enfin des observations, peu nombreuses mais qui concordent, permettent de penser que, pour chaque enfant, la conservation par la mémoire, cette fonction en grande partie sociale (Halbwachs), aidée évidemment par le travail écrit de fixation, est plus grande quand les enfants travaillent en groupe que quand ils travaillent isolément (Mayer). Ce rôle du groupe qui maintient la persévérance du travail est précieux aussi en ce qu'il en élimine la paresse, ou plutôt en ce qu'il ne la permet pas. Les éléments de la paresse scolaire : manque d'intérêt au travail, lenteur de la compréhension, et surtout découragement produit par la trop grande hétérogénéité de la classe, disparaissent ici puisque le travail est librement choisi, et que chaque enfant n'est agrégé qu'au groupe où il ne rencontre que des pairs. Sans doute arrive-t-il que le travail choisi par le groupe n'intéresse pas également tous les membres du groupe, mais il intervient ici des phénomènes d'ordre social qui jouent un rôle prépondérant. « Le fait de voir travailler les autres, de se trouver dans une atmosphère d'activité, agit directement par induction psycho-motrice, suivant l'expression de Féré, pour entraîner au travail. L'idée formée par la vue du travail d'autrui tend à se muer en acte, et, dans le cas du travail en commun, vient renforcer la décision au travail, déjà existante 9 » (Rouma). « La contrainte sociale imposée par le groupe est à la fois subie et aimée par chaque membre du groupe » (Durkheim). Il n'est donc pas étonnant qu'au cours de ces vingt années d'expérience je n'aie jamais rencontré de cas nets de paresse. Il y a eu des arrêts du travail, dus à de la fatigue, à des influences saisonnières, des lenteurs. Il y a eu des groupes dont les travaux ont été de valeur médiocre, parce que les individus qui les composaient étaient eux-mêmes médiocres. Il n'y a jamais eu de ces cas de paresse scolaire qui, dans les écoles, font le désespoir des éducateurs. Il n'y a pas eu davantage de laisser-aller et de complaisance en soi. Ce fut aussi une de ces craintes à priori, dont on cherche à paralyser toutes les initiatives. Dès les premières semaines de l'expérience de ma méthode, des pessimistes à qui j'en parlai ne manquèrent 9. Contrairement d'ailleurs à ce qu'on aurait pu croire, la suggestibilité diminue à l'intérieur des groupes, précisément parce que les groupes sont homogènes (Rouma).

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pas de m'objecter : a) que les enfants choisiraient toujours l'activité qui leur serait la plus aisée ; b) qu'ayant choisi ainsi le travail le plus facile, ils s'y tiendraient et le répéteraient sans faire aucun progrès. a) L'expérience a montré le contraire. Tous les genres de travaux furent choisis par les groupes, et ceux qui ne l'avaient pas été une année par tel ou tel l'ont été l'année suivante. Si je relis mes observations ou celles de mes collaborateurs, je ne vois pas qu'une seule fois un groupe ait déclaré ouvertement ou ait laissé deviner qu'il choisissait un travail parce qu'il le jugeait plus facile. Les enfants ne savent pas d'abord si un travail est facile ou difficile. Et à vrai dire cette expression n'a pas de sens pour eux. Quand il s'agit d'un acte physique, ils évaluent à l'avance non si cet acte est facile ou difficile, mais s'il est possible ou impossible. Pour un enfant de dix ans, franchir un fossé large de deux mètres est une action impossible. Il ne l'entreprend donc pas et il juge ridicule de l'entreprendre. Quand il s'agit d'un travail intellectuel, les mots « facile » et « difficile » n'ont pas davantage de sens pour eux puisqu'il s'agit d'un travail non seulement qu'ils ont choisi, mais qu'ils exécutent, à mesure qu'il avance, selon leurs forces. Le travail n'est ni facile pour eux, ni difficile, il leur est exactement proportionné, puisqu'ils le perfectionnent eux-mêmes en l'exécutant. C'est nous, adultes, qui sans cesse préoccupés non de l'état actuel des enfants, mais du but où nous voulons les conduire, mesurant en quelque sorte la distance qui s'étend entre cet état et ce but et celle qui s'étend entre ce but et la tâche que nous leur proposons, estimons que cette tâche est ou plus près d'eux ou plus près du but, et la qualifions ainsi de facile ou difficile. Mais rien n'est facile ni difficile à un enfant qui choisit librement son travail, parce qu'il ne choisit qu'un travail qui l'intéresse. Si au cours de ce travail il se rencontre des difficultés, comme il s'en rencontre toujours, il en triomphe parce que l'intérêt le soutient, parce que ces nouveaux problèmes ont été précédés par d'autres problèmes qu'il a résolus, et parce qu'il appartient à un groupe et que le groupe est persévérant, comme je le montrais plus haut ">.

10. Ajoutons que le travail libre permet à chaque individu d'arriver rapidement à se connaître et à savoir ce dont il est capable, alors que dans l'école traditionnelle les écoliers non seulement l'ignorent, mais ne savent aucu nement la valeur d'un travail qu'ils ont achevé avant que ce travail ait été jugé par le maître.

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Or les travaux auxquels les groupes peuvent se livrer étant analogues par leur nature et par la méthode à l'aide de laquelle on les traite, les enfants se sont toujours abandonnés avec intérêt à tous les genres, parce qu'ils trouvaient le même intérêt à comprendre l'intérieur d'une fleur, l'organisation d'un être vivant, le fonctionnement d'une machine, la nature d'un phénomène géographique, la composition d'un fait historique. b) Sans doute, dira-t-on, mais alors ils ne se donnaient qu'à ce qui leur faisait plaisir, et ils ne faisaient pas de progrès. Malheureusement cette notion de plaisir et cette notion de progrès sont toutes les deux amphibologiques. Le travail que choisissent les enfants n'est pas le travail qui leur plaît, mais le travail qui les intéresse, et la distinction est très nette, même pour eux. Ce qui plaît, c'est ce qui procure un plaisir immédiat par l'exercice même de l'activité mise en jeu (Ch. Biihler) ; ce qui intéresse, c'est la fin d'une activité qui rassemblera tous les éléments nécessaires à cette fin. On choisit un jeu parce qu'il plaît, sans autre considération que le jeu luimême ; on choisit un travail parce qu'il intéresse, c'est-à-dire parce qu'on a la représentation du but de ce travail, qu'on désire atteindre ce but et qu'on mettra tout en œuvre pour y arriver. On peut ne s'intéresser que médiocrement à ce qui fait plaisir, on peut au cours d'une activité à laquelle on s'intéresse rencontrer des formes qui ne causent aucun plaisir, mais dont on sent la nécessité en vue de la fin qu'on se propose. [...]

CARL R. ROGERS La pédagogie non directive*

« Enseigner et apprendre » : réflexions personnelles [...] Il ne s'agit pas ici d'avancer des conclusions pour d'autres que moi ni de proposer un modèle sur ce qu'il faut ou ce qu'il ne faut pas faire. Ce sont tout simplement des essais d'explication actuels, en avril 1952, de mon expérience, accompagnés de quelques questions troublantes soulevées par leur absurdité. Je formulerai chacune de mes idées ou de mes explications dans un paragraphe séparé, non pas parce qu'elles suivent un ordre logique, mais parce que, pour moi, chaque explication a une importance à elle propre. a) Etant donné l'objectif de ce séminaire, je commence par celleci : mon expérience m'a conduit à penser que je ne puis enseigner à quelqu'un d'autre à enseigner. C'est une tentative qui, pour finir, est futile. b) II me semble que tout ce qui peut être enseigné à une autre personne est relativement sans utilité et n'a que peu ou point d'influence sur son comportement. Cela me paraît si ridicule que je ne peux m'empêcher d'en douter au moment même où je l'exprime. c) ]e m'aperçois de plus en plus clairement que je ne m'intéresse qriaux connaissances qui peuvent avoir une influence significative sur le comportement d'un individu. Peut-être s'agit-il là d'une tendance qui m'est purement personnelle. d) J'en suis arrivé à croire que les seules connaissances qui puissent influencer le comportement d'un individu sont celles qu'il découvre lui-même et qu'il s'approprie. e) Ces connaissances découvertes par l'indwidu, ces vérités personnellement appropriées et assimilées au cours d'une expérience, ne peuvent pas être directement communiquées à d'autres. Dès qu'un individu tente de communiquer directement ce genre d'expérience, souvent avec un enthousiasme sincère, cela devient un enseignement, et les résultats en sont futiles. J'ai été soulagé récemment en voyant que le philosophe danois Sceren Kierkegaard en est arrivé à la même conclusion, conclusion qu'il a clairement exprimée il y a environ un siècle. Elle me paraît ainsi moins absurde. * Textes extraits de C. R. ROGERS, Le développement pat E. L. Herbert, Paris, Dunod, 1966.

de la personne, trad.

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f) La conséquence de ce qui précède, c'est que mon métier d'enseignant n'a plus pour moi aucun intérêt. g) Lorsque j'essaie d'enseigner, comme il m'arrive de le faire, je suis consterné par les résultats — lesquels sont à peine plus qu'insignifiants — parce que, parfois, l'enseignement semble atteindre son but. Quand c'est le cas, je m'aperçois que le résultat est préjudiciable : en effet, l'individu perd confiance en sa propre expérience de sorte que toute possibilité de connaissance authentique est écartée. J'en conclus que les résultats de l'enseignement sont ou insignifiants ou nuisibles. h) Quand je fais un retour en arrière pour examiner les résultats de mon enseignement, ma conclusion est identique : ou bien il a fait du mal, ou il n'a rien apporté. Cela me paraît inquiétant. i) En conséquence, je m'aperçois que je ne m'intéresse qu'à apprendre et de préférence des choses importantes qui ont une influence sur mon comportement. j) Je trouve satisfaisant d'apprendre, que ce soit en groupe, en relations individuelles comme en thérapie, ou tout seul. k) J'ai découvert que la meilleure façon d'apprendre — bien que la plus difficile — est pour moi d'abandonner mon attitude défensive — au moins provisoirement — pour essayer de comprendre comment une autre personne conçoit et éprouve sa propre expérience. 1) Une autre façon d'apprendre est, pour moi, d'exprimer mes incertitudes, d'essayer de clarifier mes problèmes, afin de mieux comprendre la signification réelle de mon expérience. m) Toute cette suite d'expériences et les significations que j'y ai découvertes jusqu'à présent m'ont lancé dans un processus qui est passionnant mais parfois un peu effrayant. Elle m'a conduit à laisser mon expérience me guider dans une direction qui me paraît positive, vers des buts que je n'aperçois qu!obscurément, tandis que j'essaie de comprendre ce quelle signifie. J'éprouve la sensation de voguer sur un fleuve sans cesse grossissant, entraîné par l'espoir de comprendre la complexité de ses constants changements.

Je crains un peu de m'être éloigné non seulement du problème de l'enseignant, mais aussi de celui de l'élève. Pour en revenir à des notions plus pratiques, j'ajouterai que ces interprétations de mon expérience, si elles peuvent paraître étranges, voire aberrantes, n'ont rien en soi de particulièrement choquant. Ce n'est que lorsque je considère leurs conséquences que je suis effrayé de voir combien

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je me suis éloigné des notions de bon sens que tout le monde accepte comme correctes. Pour illustrer ce que je viens d'exprimer, je dirai que si d'autres avaient eu la même expérience et y avaient découvert la même signification, il en découlerait un. certain nombre de conséquences : 1. Cette expérience impliquerait qu'il faudrait renoncer à tout enseignement. Ceux qui désireraient apprendre quelque chose se réuniraient pour le faire. 2. On abolirait les examens, puisqu'ils ne sauraient mesurer que des connaissances sans valeur. 3. Pour la même raison, il faudrait abolir tous diplômes et mentions. 4. On abolirait les diplômes en tant que titres de compétence pour la même raison. De plus, un diplôme indique la fin ou la conclusion de quelque chose : or, celui qui veut apprendre ne s'intéresse qu'à un processus continu d'apprentissage. 5. Une autre implication serait qu'il faudrait renoncer à tirer des conclusions, car il est évident que personne n'acquiert de connaissances valables au moyen de conclusions. J e n'irai pas plus loin de peur de me lancer dans un univers trop fantastique. Ce que je voudrais savoir avant tout, c'est si quelque partie de mes pensées personnelles correspond à votre expérience d'enseignement en classe telle que vous l'avez vécue, et, s'il en est ainsi, quelle est la signification valable pour vous de votre propre expérience. [...}

L'apprentissage authentique en thérapie et en pédagogie Ce qui est présenté ici est une thèse, un point de vue, se rapportant aux applications de la psychothérapie à l'enseignement. C'est une position que je prends à titre d'essai et avec quelque hésitation. Je laisse beaucoup de questions sans réponses à propos de cette thèse. Mais elle contient, je pense, quelque clarté, et elle peut fournir un point de départ à partir duquel des différences nettes pourront être dégagées.

L'apprentissage authentique en psychothérapie Disons pour commencer que ma longue expérience de thérapeute m'a convaincu que l'apprentissage authentique est facilité en psycho14

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thérapie, et qu'il se produit réellement dans ce genre de relation. Par « apprentissage authentique », j'entends un apprentissage qui est plus que la simple accumulation de connaissances. C'est un apprentissage qui provoque un changement dans la conduite de l'individu, dans la série des actions qu'il choisit pour le futur, dans ses attitudes et dans sa personnalité, par une connaissance pénétrante ne se limitant pas à une simple accumulation de savoirs mais qui s'infiltre dans chaque part de son existence. Maintenant, il ne s'agit pas seulement de mon sentiment personnel sur l'existence d'un tel apprentissage. Ce sentiment se trouve confirmé par des recherches. Dans le cadre qui m'est le plus familier, celui de la thérapie centrée sur le client, qui a donné lieu au plus grand nombre de recherches, nous savons qu'un contact thérapeutique de cette nature produit des connaissances ou des changements tels que : — La personne en vient à se voir elle-même de façon différente ; — Elle s'accepte et accepte ses sentiments plus totalement ; — Elle devient plus confiante en elle-même et plus autonome ; — Elle devient davantage la personne qu'elle aimerait être ; — Elle devient plus souple, moins rigide, dans ses perceptions ; — Elle adopte des buts plus réalistes pour elle-même ; — Elle se conduit de façon plus mûre ; — Elle change ses conduites mal ajustées, même une conduite établie de longue date, telle que l'alcoolisme chronique ; — Elle devient plus acceptante des autres ; — Elle devient plus ouverte à l'évidence, à la fois pour ce qui se passe à l'extérieur d'elle-même et en elle-même ; — Elle change dans ses caractéristiques personnelles profondes, selon des voies constructives. Je pense qu'en voilà peut-être assez pour indiquer ce qu'est un apprentissage authentique qui provoque un changement. L'apprentissage

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Je crois être juste en disant que les éducateurs aussi sont intéressés par les façons d'étudier qui provoquent un changement. La simple connaissance des faits a sa valeur. Savoir qui a gagné la bataille de Poltava, ou quand telle œuvre de Mozart a été jouée pour la première fois, peut valoir 64 000 dollars 1 ou toute autre somme au possesseur de cette information, mais je crois que les éducateurs en général seraient un peu gênés à l'idée que l'éducation se réduise 1. Allusion à un jeu télévisé (N.d.T.).

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à l'acquisition de pareilles connaissances. Ceci me rappelle une énergique déclaration d'un professeur d'agronomie, lors de mes jeunes années de collège. Quoique le savoir que j'acquis dans son cours ait été complètement oublié, je me souviens cependant comment, la première guerre mondiale en arrière-plan, il comparait les connaissances à des munitions. Il terminait son petit discours par l'exhortation : « Ne soyez pas un maudit wagon de munitions, soyez un fusil ! » Je pense que la plupart des éducateurs partageront ce sentiment que le savoir existe essentiellement pour être utilisé. Dans la mesure donc où des éducateurs s'intéressent à des connaissances opératoires, qui provoquent un changement, qui pénètrent totalement la personnalité et ses actes, ils peuvent rechercher alors dans le domaine de la psychothérapie des exemples et des idées. L'utilisation appropriée pour l'enseignement des processus d'acquisition qui interviennent en psychothérapie semble avoir des possibilités prometteuses. Les conditions de l'apprentissage en psychothérapie Examinons donc ce qui est nécessaire pour rendre possible l'apprentissage en thérapie. J'aimerais énumérer, aussi clairement que je le puis, les conditions qui semblent être réunies quand ce phénomène apparaît. Face à un problème Le client, tout d'abord, est placé dans une situation qu'il perçoit comme un problème sérieux et lourd de sens. Il découvre, par exemple, qu'il se conduit de telle manière qu'il ne peut se contrôler, ou bien qu'il est dominé par des confusions ou des conflits ou encore que sa vie conjugale est en danger, ou qu'il se trouve malheureux dans son travail professionnel. Il est, en bref, en face d'un problème dont il a essayé de venir à bout sans succès. Il est donc avide d'apprendre à le résoudre, quoique en même temps il redoute d'être perturbé par ce qu'il aurait à découvrir en lui-même. Ainsi, une des conditions presque toujours présentes dans la situation thérapeutique est, chez le client, un désir inquiet et ambivalent de se connaître ou de se transformer, provenant d'une difficulté ressentie dans l'affrontement de l'existence. Quelles sont les conditions qu'un tel individu rencontre alors auprès d'un thérapeute ? J'ai formulé récemment un schéma théorique des conditions nécessaires et suffisantes que le thérapeute doit remplir

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pour qu'un changement constructif ou qu'une connaissance authentique apparaissent. Quoique cette théorie soit couramment vérifiée dans plusieurs de ses aspects par des recherches empiriques, on peut considérer qu'elle est fondée sur l'expérience clinique plutôt que sur des faits prouvés. Décrivons brièvement les conditions qu'il paraît essentiel que le thérapeute remplisse. Congruence Pour que la thérapie aboutisse, il semble nécessaire que le thérapeute soit, dans ces rapports, une personne unifiée, intégrée ou congruente. J e veux dire ainsi que, dans la relation thérapeutique, il doit être exactement ce qu'il est et non pas une façade, un rôle ou une prétention. J'ai utilisé le terme de « congruence », pour désigner l'affrontement précis de l'expérience vécue en pleine lucidité. C'est quand le thérapeute est pleinement et correctement conscient de ce dont il vit immédiatement l'expérience dans la relation avec autrui, qu'il est pleinement congruent. Si cette congruence n'est pas présente à un degré important, il est peu probable qu'une connaissance authentique puisse apparaître. Malgré la complexité effective de ce concept, je crois que nous en mesurons communément et de façon intuitive le degré dans les individus auxquels nous avons affaire. Chez tel individu, nous devinons que non seulement il pense ce qu'il dit, mais que ce qu'il dit exprime ses sentiments les plus profonds. Ainsi quand il est en colère ou affectueux, honteux ou enthousiaste, nous sentons qu'il l'est pareillement à tous les niveaux, dans ce qu'il éprouve profondément au niveau « organismique » aussi bien que dans sa conscience au niveau lucide ou que dans ses mots et ses communications. Bien plus, nous reconnaissons qu'il accepte ses sentiments immédiats. Nous disons d'une pareille personnalité que nous savons exactement « où elle se situe ». Nous avons tendance à nous sentir en confort et en sécurité dans nos relations avec elle. Avec une autre personne par contre, nous devinons que ce qu'elle dit est presque certainement une défense ou une façade. Nous nous demandons ce qu'elle ressent réellement, ce qu'elle éprouve exactement, derrière cette façade. Nous pouvons nous demander aussi si elle a connaissance de ce qu'elle éprouve réellement, devinant qu'elle peut être totalement inconsciente des sentiments qu'elle éprouve effectivement. Avec une telle personne, nous avons tendance à être circonspect et

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prudent ; ce n'est pas le genre de relation au cours de laquelle les défenses seraient abandonnées et où une connaissance authentique et un changement apparaîtraient. Une seconde condition pour la thérapie est par conséquent chez le thérapeute un degré notable de congruence dans sa relation avec autrui. Il est lui-même, librement, profondément et de façon consentante, éprouvant effectivement ses sentiments et ses réactions et en possédant une conscience aiguë dans le temps même où ils apparaissent et se modifient. Considération positive inconditionnelle Une troisième condition est que le thérapeute porte une attention chaleureuse au client. Une attention qui ne soit pas possession, qui ne demande aucune gratification personnelle. C'est une manière d'être qui manifeste simplement « je vous porte attention » et non pas « je vous porte attention à condition que vous vous comportiez de telle ou telle manière ». Standal a donné à cette attitude le nom de « considération positive inconditionnelle » puisqu'elle ne comporte aucune évaluation. J'ai souvent utilisé le terme d ' « acceptation » pour décrire cet aspect du climat thérapeutique. Il implique qu'il faut accepter tout autant les sentiments négatifs, « mauvais », de douleur, d'effroi, ou anormaux exprimés par le client, que les sentiments « bons », positifs, mûrs, confiants et sociaux. Il implique que l'on accepte le client et qu'on lui porte attention, comme à une personne indépendante ayant le droit d'avoir ses propres sentiments et expériences, et de leur trouver leurs propres significations. C'est dans la mesure où le thérapeute peut assurer le climat sécurisant de l'attention positive inconditionnelle qu'un apprentissage authentique a des chances de survenir chez le client. Une compréhension « empathique » La quatrième condition nécessaire à la thérapie est que le thérapeute éprouve une compréhension exacte, « empathique », du monde de son client, comme s'il le percevait de l'intérieur. Sentir le monde privé du client comme s'il était le vôtre, mais sans jamais oublier la qualité de « comme si » — telle est l'empathie, et elle apparaît essentielle à la thérapie. Sentir les colères, les peurs et les confusions du client comme si elles étaient vôtres, et cependant sans que votre propre colère, peur ou confusion ne retentissent sur elles ; telle est la condition que nous essayons de décrire. Quand le monde intérieur du client est ainsi clair pour le thérapeute, et qu'il s'y meut aisément,

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alors il peut aussi bien communiquer sa compréhension de ce qui est clairement connu par le client, que proposer des significations de ce que celui-ci éprouve de façon à peine consciente. Qu'une « empathie » aussi pénétrante soit importante pour la thérapie ressort clairement d'une recherche de Fiedler. Dans celle-ci on voit apparaître, en effet, au premier rang, pour la description de la relation établie par des thérapeutes exercés, des propositions telles que : — Le thérapeute est capable de bien comprendre les sentiments du patient ; — Le thérapeute n'a jamais de doute sur ce que le patient entend dire ; — Les remarques du thérapeute s'accordent exactement aux dispositions et attitudes du patient ; — Le son de la voix du thérapeute montre sa parfaite capacité à partager les sentiments du patient. La cinquième condition Une cinquième condition nécessaire à une connaissance authentique en thérapie est que le client éprouve ou perçoive quelque chose de la « congruence » de 1' « acceptation » ou de 1' « empathie » manifestées par le thérapeute. Il n'est pas suffisant que ces conditions existent chez le thérapeute. Elles doivent, à quelque degré, avoir été communiquées avec succès au client. Le processus de l'apprentissage en thérapie Notre expérience nous enseigne que lorsque ces cinq conditions sont remplies, il se produit immanquablement un processus du changement. Les perceptions rigides que le client se faisait de lui-même et des autres se détendent et commencent à s'ouvrir à la réalité. La façon rigide dont il interprétait les significations de son expérience est analysée, et il se trouve remettre en question beaucoup des « faits » de sa vie, découvrant qu'ils ne sont des « faits » que parce qu'il les a considérés comme tels. Il se découvre des sentiments dont il n'était pas conscient, et il les éprouve, souvent de manière vive, au cours de la relation thérapeutique. Il apprend ainsi à être plus ouvert à la totalité de son expérience — en ce qui le concerne directement comme en ce qui concerne son entourage. Il apprend à être davantage ce qu'il éprouve, à être les sentiments dont il s'est effrayé aussi bien que ceux qu'il a considérés comme plus acceptables. Il devient une personnalité plus « fluide », en évolution, apprenant davantage.

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Le mobile essentiel du changement Au cours de ce processus, il n'est pas nécessaire pour le thérapeute de « motiver » le client ou de fournir l'énergie qui se manifeste dans le changement. Il n'est pas nécessaire non plus que la motivation soit apportée, au moins d'une manière consciente, par le client. Disons plutôt que la motivation pour connaître et changer jaillit de la tendance à vivre qui s'affirme par elle-même, de la tendance de l'organisme à se jeter dans les différents canaux essentiels de développement, autant qu'ils puissent être éprouvés comme facilitant un accroissement. Je pourrais m'étendre longtemps sur ces considérations, mais mon intention n'est pas de m'attacher au processus de la thérapie ni aux connaissances qui en résultent et à leurs motivations ; il est d'attirer l'attention sur les conditions qui les rendent possibles. Aussi je conclurai simplement cette description de la thérapie en disant qu'elle est le type d'un apprentissage efficace, et que celui-ci se produit quand sont réunies les conditions suivantes : — Le client se sent placé en face d'un problème sérieux et lourd de signification ; — Le thérapeute est une personne congruente dans la relation avec autrui, capable à'être la personne qu'il « est » ; — Le thérapeute ressent une considération positive inconditionnelle à l'égard du client ; — Le thérapeute éprouve une compréhension empathique et exacte du monde privé du client et la lui communique ; — Le client éprouve à un certain degré la congruence, l'acceptation et l'empathie du thérapeute. Conséquences pour la pédagogie Quel sens prennent ces conditions si on les applique à la pédagogie ? Les enseignants seront assurément plus aptes que moi à répondre à cette question. Je suggérerai cependant quelques applications possibles.

Le contact avec les problèmes En premier lieu, on peut dire qu'une connaissance authentique est plus facilement acquise, quand elle est liée à des situations qui sont perçues comme des problèmes. Je crois avoir trouvé des preuves pour

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École et pédagogie

étayer cette affirmation. Dans mes essais variés pour conduire des enseignements et des groupes selon des voies conséquentes avec mon expérience thérapeutique, j'ai trouvé plus efficaces en ce sens les travaux en séminaire que les cours réguliers, les cours libres que les cours ex cathedra. Les individus qui viennent dans des séminaires ou dans des cours libres sont ceux qui sont en contact avec des problèmes qu'ils reconnaissent pour leurs. Par contre, l'étudiant qui suit les cours réguliers de l'Université, particulièrement les cours obligatoires, est disposé à les subir comme une expérience au cours de laquelle il s'attend à rester passif ou plein de ressentiment, ou les deux à la fois. Il assiste à une expérience dont il ne voit pas les rapports avec ses problèmes personnels. Cependant, j'ai constaté aussi, quand les étudiants d'une classe régulière peuvent considérer le cours comme une épreuve qu'ils peuvent utiliser pour résoudre des problèmes importants pour eux, combien sont surprenantes l'impression de soulagement et la progression. Et ceci est vrai pour des matières aussi diverses que les mathématiques ou la psychologie de la personnalité. J e pense que la situation présente de l'éducation en Russie confirme ce point de vue. Dès qu'une nation tout entière s'aperçoit de façon critique de son retard dans le domaine de l'agriculture, de la production industrielle, du développement scientifique, du progrès des armements, une étonnante masse de connaissances efficaces est acquise, dont les spoutniks ne sont que l'un des exemples observables. Aussi, la première application à l'éducation pourrait être de permettre à celui qui étudie d'être à chaque niveau en contact réel avec les problèmes qui concernent son existence de telle sorte qu'il distingue ceux qu'il désire résoudre. J'ai conscience que cette application, comme celles que je mentionnerai ultérieurement, va à contrecourant de nos tendances culturelles : j'y reviendrai plus tard. Mais je pense que de notre description de la thérapie résulte clairement une importante conséquence pour la pédagogie : c'est, pour l'enseignant, le devoir de créer dans les classes un climat qui facilite l'acquisition d'une connaissance authentique. Cette conséquence générale peut être analysée en plusieurs paragraphes. L'authenticité de l'enseignant L'apprentissage authentique peut, semble-t-il, être facilité si l'enseignant est « congruent ». Ceci implique qu'il soit véritablement lui-

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même, et qu'il soit pleinement conscient des attitudes qu'il adopte — ce qui signifie qu'il se sente en état d'acceptation à l'égard de ses sentiments réels. Il devient ainsi une personne authentique dans sa relation spécifique avec les étudiants. Il peut être enthousiaste à propos des sujets qu'il aime, et ennuyé par ceux qu'il n'aime pas. Il peut être agressif, mais il peut aussi être sensible ou compréhensif. Parce qu'il accepte ses sentiments comme étant vraiment les siens, il n'a pas besoin de les imposer aux étudiants ou d'insister pour qu'ils réagissent de la même façon que lui. Il est une personne et non pas l'incarnation abstraite d'une exigence scolaire ou bien un conduit stérile au travers duquel le savoir est transmis d'une génération à l'autre. Je ne puis apporter qu'une preuve partielle à l'appui de ce point de vue. Quand je repense aux professeurs qui ont facilité mes progrès dans la connaissance, il me semble que chacun a eu cette propriété d'être une personne effectivement présente. Je me demande si votre expérience a été la même. Si oui, convenons qu'il est peut-être moins important pour un enseignant de traiter l'ensemble du programme imposé, ou d'utiliser les méthodes audio-visuelles les mieux reçues, plutôt que d'être « congruent », présent dans la relation avec ses élèves. Acceptation et compréhension Une autre conséquence pour l'enseignant est que l'apprentissage authentique se produit dans la mesure où lui, enseignant, accepte l'étudiant tel qu'il est, et comprend les sentiments que celui-ci éprouve. Si nous prenons les troisième et quatrième conditions nécessaires à la thérapie telles qu'elles ont été précisées ci-dessus, l'enseignant qui peut accueillir avec chaleur, qui peut accorder une considération positive inconditionnelle, qui peut avoir de « l'empathie » pour les sentiments de crainte, d'attente et de découragement inclus dans la rencontre d'une nouvelle matière d'étude, aura fait beaucoup pour établir les conditions d'une véritable connaissance. Clark Moustakas, dans son livre L'enseignant et l'enfant, a donné beaucoup d'exemples excellents de situations individuelles et de groupe (se rapportant aussi bien au jardin d'enfants qu'à l'enseignement universitaire), dans lesquelles nous voyons l'enseignant s'efforcer d'atteindre un but de ce genre. Certains auront peut-être du mal à admettre que, lorsque l'enseignant adopte de telles attitudes, en acceptant les sentiments des étudiants, ce ne sont pas seulement les attitudes à l'égard du travail scolaire qui trouvent alors leurs expressions, mais encore des sentiments relatifs aux parents, des sentiments de haine à

École et

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pédagogie

l'égard des frères et sœurs, ou à l'égard de soi — la gamme totale des attitudes profondes. A-t-on le droit de laisser se manifester pareils sentiments dans le cadre de l'école ? Selon ma thèse, certainement. Ils sont liés à l'évolution de la personne, à l'efficacité de sa connaissance et de son équilibre pratique ; et le fait de traiter de tels sentiments avec compréhension et acceptation a un lien certain avec celui d'apprendre la géographie du Pakistan ou de savoir faire une longue division. Les ressources

disponibles

Ceci m'amène à envisager une autre application de l'expérience thérapeutique à la pédagogie. En thérapie, les ressources dont le moi dispose pour acquérir une connaissance authentique sont en lui. L'aide extérieure que le thérapeute peut apporter est minime, puisque le problème n'existe qu'à l'intérieur de la personne. Ce n'est pas vrai en ce qui concerne la pédagogie. De nombreuses sources de connaissances, de techniques, de théories, constituent des matériaux bruts à utiliser. Il me semble que l'on peut penser à partir de ce que j'ai dit de la thérapie que ces matériaux, ces ressources, doivent être mis à la disposition des étudiants et non pas imposés. Pour ce faire, une grande sincérité et une grande sensibilité sont chose précieuse. Je n'ai pas besoin d enumérer les moyens habituels qui me viennent à l'esprit — livres, cartes, manuels, matériaux, enregistrements, ateliers, outils, etc. Concentrons-nous un instant sur la façon dont l'enseignant s'utilise lui-même, utilise ses connaissances et son expérience au service de son enseignement. Si le professeur adopte le point de vue que j'ai déjà exprimé, il se mettra à la disposition de sa classe au moins dans les différentes formes que voici : Il voudra informer ses élèves de l'expérience et des connaissances spécifiques qu'il possède dans une matière donnée, et leur faire connaître qu'ils peuvent faire appel à ces connaissances. Cependant il ne voudra pas qu'ils se sentent obligés de l'utiliser ainsi. Il voudra leur faire connaître que sa propre façon de penser les choses en cette matière et de les organiser est à leur disposition, même sous forme d'exposé s'ils le désirent. Cependant encore, il voudra que ceci soit perçu comme une offre qui pourra être aussi bien refusée qu'acceptée. Il voudra qu'on le considère comme une source de références. Quelque information que puisse demander un individu ou un groupe

C. R. Rogers : La pédagogie non

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tout entier pour consolider ses connaissances, l'enseignant se montrera disposé à en rechercher les possibilités d'obtention. Il voudra que ses rapports avec le groupe soient tels que ses sentiments personnels puissent être à la libre disposition de tous, sans qu'ils leur soient imposés ou qu'ils exercent sur eux une influence restrictive. Il pourra ainsi faire partager les enthousiasmes de ses propres acquisitions, sans insister pour que les étudiants suivent ses traces. Il pourra exprimer les sentiments d'indifférence, de satisfaction, d'étonnement ou de plaisir qu'il ressent à l'égard des activités des individus ou du groupe, sans que cela se transforme en carotte ou en bâton pour les étudiants. Il souhaitera pouvoir dire, pour son compte personnel : « cela ne me plaît pas », et que l'étudiant puisse dire avec la même liberté : « et moi cela me plaît ». Ainsi quels que soient les moyens qu'il propose : livre, lieu de travail, nouvel outil, occasion d'observer un procédé industriel, exposé fondé sur ses propres travaux, image, graphique ou carte, voire ses propres réactions émotives — il aura le sentiment qu'ils sont offerts à la libre disposition de l'étudiant si celui-ci le juge utile, et il souhaitera qu'ils soient perçus comme tels. Il ne voudra pas en faire des guides ou des choses attendues, ordonnées, imposées ou exigées. Il se mettra en personne, avec tous les moyens qu'il peut fournir, à leur disposition. Le mobile fondamental Il doit être clair après ceci que l'enseignant placera sa confiance fondamentale dans la tendance de ses étudiants à s'affirmer eux-mêmes. L'hypothèse sur laquelle il veut construire est que les étudiants qui sont en contact effectif avec la vie désirent apprendre, veulent mûrir, cherchent à trouver, espèrent maîtriser, désirent créer. Il jugera que sa fonction consiste à développer une relation personnelle avec ses étudiants et un climat dans sa classe tels que ces tendances naturelles arrivent à leur pleine maturité. [...]

CHAPITRE

VI

Vers une technologie pédagogique ?

Introduction A la fin de l'article précédent, C. Rogers, distinguant le savoir passif (les mécanismes) du savoir authentique, fait allusion aux « machines à enseigner », ce moyen moderne d'apprentissage qui est dû notamment aux études des psychologues Pressey, Skinner, Crowder, etc. A u cours des quin2e dernières années, dans tous les pays mais en particulier aux Etats-Unis, une branche nouvelle de la pédagogie s'est développée : la technologie de l'éducation ou machinisme pédagogique. C e domaine nouveau couvre à la fois l'utilisation déjà ancienne des moyens audio-visuels (liée au développement des moyens de diffusion de masse dans la société industrielle) et toutes les recherches et les applications touchant à l'enseignement programmé. L'importance prise par ces nouvelles techniques pédagogiques inquiète quelquefois vivement les enseignants qui voient en elles des concurrentes dangereuses susceptibles de les évincer ou de les transformer en simples moniteurs à formation rapide et polyvalente 1 . Les moyens audio-visuels constituent, on le sait, le vecteur de diffusion d'un message informatif dont la signification peut s'appuyer sur l'image (diapositives, films muets), sur le son (disque, magnétophone), sur le son et l'image (film sonore, télévision en circuit ouvert ou fermé) ; grâce à ce truchement le message fabriqué par des équipes de spécialistes (techniciens, pédagogues, etc.) peut être transporté à l'autre

1. Permettant des recherches de pédagogie expérimentale, l'Enseignement Programmé nous force à reposer un certain nombre de problèmes que nous considérons peut-être un peu trop rapidement comme résolus : ainsi cette confiance aveugle dans les aptitudes qui caractérise, croyons-nous, l'enseignement et le pédagogue français.

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Vers une technologie pédagogique ?

extrémité du pays ou même aux antipodes ! ; au contraire, le maître peut le concevoir lui-même à l'aide de documents choisis dans un but et pour un moment précis de sa classe, l'intégrer donc, totalement, à son enseignement, et rester l'unique maître d'oeuvre et le seul responsable de la pédagogie : dans ce cas l'audio-visuel est un simple auxiliaire. L'enseignant conservera-t-il la maîtrise de ces techniques nouvelles ? Est-il souhaitable qu'il la conserve 3 ? Deux questions cruciales auxquelles seul l'avenir permettra de répondre car, simples auxiliaires d'une pédagogie de type frontal (le maître face aux élèves) — auxiliaires certes remarquables puisque, grâce à eux, l'élève échappe au cadre étroit de la classe, n'est plus prisonnier ni du temps ni de l'espace — rien n'est changé dans ce cas-là : l'artisanat se modernise par le recours à des machines plus modernes ; dans l'autre cas, au contraire, c'est à un bouleversement complet de la structure scolaire et des rapports pédagogiques auquel nous assistons : c'est ce qui se passe avec les expériences passionnantes de télé-enseignement qui existent aujourd'hui dans un certain nombre d'universités françaises dans le cadre de la formation permanente. Deux remarques s'imposent en conclusion : — Les moyens audio-visuels utilisés comme auxiliaires ne modifient automatiquement ni la forme, ni la relation pédagogique. Une formation poussée et sérieuse des enseignants serait en ce domaine nécessaire, et devrait porter à la fois sur les problèmes de contenu des messages et sur ceux de leur compféhension par les élèves. Constatons que cette formation n'existe pas. — Si l'utilisation de ces techniques n'aboutit fréquemment qu'à des résultats décevants, c'est qu'aucune étude, aucune recherche n'existe concernant leur psychopédagogie. Tout se passe comme si, accédant au stade industriel, les différents organismes officiels qui s'en occupent étaient plus attirés par la production et la vente de documents ou de matériels que par la recherche pédagogique de fond. Quelle est la portée pédagogique de ces techniques, quelle en est la limite ? La réponse à ces questions conditionne dans une large mesure leur utilisation à grande échelle et donc leur avenir... Avec l'enseignement programmé le problème se pose diffé2. C'est ce qui se produit dans les services de la Radio-Télévision Scolaire à Montrouge. 3. Nous disons l'enseignant par opposition au pédagogue, car celui-ci a sa placç ¿ans les équipes .de conception et de diffusion de messages centralisés,

Introduction

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remment : si la pédagogie de l'audio-visuel est née et se perpétue par une sorte de bricolage et de tâtonnement, l'enseignement programmé est, lui, l'application directe des théories behavioristes de l'apprentissage selon lesquelles « apprendre, c'est être capable de faire comprendre, c'est être capable d'expliquer », c'est-à-dire que l'apprentissage vise alors à la mise en place d'un comportement. L'enseignement programmé est en même temps le fruit d'une expérimentation tellement importante qu'elle est en train de devenir le fondement d'une authentique pédagogie expérimentale : car, si ce type de technique pédagogique est un moyen efficace d'enseignement, il est aussi un moyen fructueux de recherche : c'est ce double aspect qui en fait la richesse, l'intérêt et vraisemblablement l'avenir. L'auteur du programme ou le pédagogue fixe le comportement terminal à obtenir du sujet ou de l'élève ; le chemin à parcourir est divisé en étapes intermédiaires selon le processus mis en lumière par Descartes : « diviser chacune des difficultés... en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour mieux les résoudre » (2 e règle), « conduire par ordre mes pensées en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusqu'à la connaisance des plus composés » (3 e règle). Construire un programme c'est donc diviser un savoir global en une infinité de parcelles qui, chacune, pourront être assimilées sans difficulté. A chaque étape du programme le succès joue pour l'élève le rôle de « renforçateur » et constitue une motivation puissante pour aborder l'étape suivante ; ainsi devraient se trouver résolus deux problèmes de la pédagogie : le problème de la motivation et celui de l'attention. De plus, pour Skinner comme pour d'autres chercheurs, la connaissance étant assimilée à un comportement, l'apprentissage à un conditionnement, l'enseignement programmé offrirait l'avantage de réussir avec tous les élèves, quel que soit leur niveau intellectuel. Il n'est pas certain que ce soit toujours le cas et rien pour le moment ne prouve que par cette méthode on puisse « apprendre n'importe quoi à n'importe qui » comme l'indique Skinner dans un de ses articles 4 . Ce qui paraît en tout 4. La crise générale de l'enseignement qui sévit aujourd'hui dans tous les pays « développés », ne provient-elle pas du déséquilibre entre une « demande » excessive et le nombre d'enseignants de qualité qu'il est possible de réunir pour encadrer une telle masse d'élèves ? Certains voient donc dans le machinisme pédagogique la solution à ce problème de nombre, l'enseignement accédant lui-aussi au stade industriel... Pourtant l'expérience du Canada prouve que l'utilisation systématique des moyens moder-

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pédagogique

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cas certain, c'est que l'enseignement programmé règle partiellement peut-être mais mieux que l'enseignement traditionnel le problème de l'individualisation. Dans une classe le maître, quelles que soient ses qualités pédagogiques, a beaucoup de mal à donner à chacun des trente ou trente-cinq élèves exactement ce qui lui est nécessaire et son action est liée à une sorte d'évaluation intuitive de la moyenne de sa classe ; ce sont donc les élèves situés dans cette moyenne qui en bénéficient réellement : au-dessus comme au-dessous de cette limite les élèves ne sont pas enseignés de façon adéquate. L'enseignement programmé, par les différents détours qui sont prévus au cours de l'élaboration de la connaissance, assure une individualisation limitée peut-être à quelques possibilités mais dont chaque élève peut bénéficier. Ceci nous paraît très important. Quel sera l'avenir de l'enseignement programmé et des machines à enseigner ? Nul ne peut le dire actuellement, bien que ces techniques soient très largement utilisées pour la formation permanente et le recyclage, par de nombreuses entreprises. Dans un cadre scolaire il est possible que peu à peu on ait recours à elles pour la communication de ce que Rogers appelle le savoir passif. Sur un plan expérimental nous avons par contre beaucoup à en attendre. Dans ce chapitre nous présentons des textes de deux ordres : 1. Pour les techniques de la pédagogie audio-visuelle nous avons choisi un texte de G. Mialaret qui pose les problèmes de leur psychopédagogie. En outre nous avons cru utile de présenter au lecteur des extraits de l'ouvrage de M. Tardy sur l'image car cette pédagogie est essentiellement une pédagogie de l'image. 2. Pour l'enseignement programmé nous pensons que les textes de B. F. Skinner, bien qu'ils soient maintenant un peu anciens, éclaireront le lecteur non averti par leur simplicité et leur clarté.

nés d'enseignement ne réduit pas le nombre de maîtres nécessaires ; au contraire, depuis le lancement de cette expérience dans ce pays il y a quelques années, le nombre de maîtres de tous niveaux et de toutes qualifications n'a cessé de croître.

GASTON

MIALARET

Les moyens audio-visuels*

Maîtrise, par l'éducateur, des nouvelles techniques pédagogiques Nous sommes tous d'accord sur le fait que les nouvelles techniques audio-visuelles sont et resteront des moyens au service de l'éducateur. Pour que leur utilisation aboutisse à une véritable éducation, il est indispensable qu'elles soient réellement au service du maître et ceci suppose deux conditions : qu'elles soient très maniables d'une part, que le professeur les domine largement d'autre part. Nous laisserons de côté toutes les considérations relatives aux conditions matérielles nécessaires à une utilisation facile des techniques audio-visuelles, car ceci est strictement d'ordre méthodologique. Par contre, nous devons analyser ce qu'il faut entendre par « dominer » ces techniques. Il en est des techniques audio-visuelles comme de tout autre instrument pédagogique : savoir les utiliser, c'est d'abord connaître toutes leurs possibilités et être capable d'en tirer parti ; c'est aussi être capable d'inventer de nouveaux modes d'utilisation et de les appliquer d'une façon originale et féconde dans des domaines qui leur semblaient inaccessibles ; c'est peut-être, enfin, être capable de les perfectionner ou d'indiquer aux constructeurs les améliorations à leur apporter. Tout cela suppose une information ample et précise, répartie sur les plans technique, pédagogique et psychologique. Nous laisserons de côté provisoirement l'aspect directement lié à l'utilisation pratique des techniques audio-visuelles dans la classe, mais nous nous arrêterons aux exigences psychologiques. Toute technique humaine, pour être bien utilisée, doit être mise en relation avec les phénomènes psychologiques qu'elle provoque ; bien utiliser une technique pédagogique, c'est provoquer le plus grand nombre possible de réactions positives chez l'élève, éliminer les réactions négatives ou traumatisantes ; on ne peut correctement se servir d'une technique pédagogique sans analyser les difficultés provoquées chez les élèves auxquels elle s'adresse et il n'est possible de l'améliorer qu'en prenant en considération tous ces aspects. C'est en ce sens que les parties précédentes de ce travail * Textes extraits de G. MIALARET, Psychopédagogique des moyens audiovisuels dans l'Enseignement du Premier Degré, Paris, Presses Universitaires

de France, 1964.

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Vers une technologie pédagogique ?

seront, nous l'espérons, utiles à l'éducateur qui apprendra à mieux comprendre les processus psychiques provoqués par l'emploi des moyens audio-visuels et, par là, à mieux les dominer. Nous devons répéter ici que toutes les analyses précédentes ne sont valables que par rapport à certaines situations pédagogiques, et une fine dialectique transforme à la fois les méthodes et les réactions psychologiques des élèves. L'éducateur doit donc constamment être attentif à cette évolution et adapter ses règles d'emploi aux situations sans cesse en changement.

Modification de l'action de l'éducateur Nous pouvons dès lors dépasser le problème pratique de l'utilisation des techniques audio-visuelles par le maître et nous situer sur un plan pédagogique plus général. Le rôle du maître, en effet, s'est transformé profondément depuis quelques décennies et les techniques audio-visuelles ont considérablement accéléré cette évolution. On a pu, pendant longtemps, considérer le maître comme la source principale, sinon unique, du savoir. Avant la diffusion du livre, la vulgarisation des disques, la fréquentation plus ou moins régulière du cinéma, l'apparition des postes de télévision dans le milieu familial, c'était principalement à l'école que l'enfant apprenait quelque chose, augmentait ses connaissances. Pour être plus exact, disons que ce rapport entre tout ce que l'enfant apprenait en classe et tout ce qu'il apprenait hors de la classe était grand, très grand même dans certains milieux ; depuis quelque trente ans, ce rapport, au moins à un certain niveau et dans quelques domaines, tend à diminuer. Tout cela serait à analyser et à préciser car les lois pédagogiques ne sont pas simples. Si, dans certains domaines privilégiés, l'action de l'école reste prépondérante (disciplines intellectuelles par exemple : apprentissage de la lecture, calcul), dans d'autres domaines cependant l'action du milieu l'emporte assez nettement (formation artistique, documentation sur les voyages et sur la vie en général). On ne peut nier que certaines émissions de télévision passionnent les enfants et leur apportent un complément culturel non négligeable (en France, par exemple, les émissions suivantes : La vie des animaux, La camera explore le temps, Le magazine des explorateurs, etc.). Donc, si jadis le maître pouvait être considéré pratiquement comme la principale source d'émission des messages culturels, si tout ce qu'il disait pouvait être considéré comme ayant une valeur absolue, il n'en est plus de

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même de nos jours. Quelles que soient ses opinions en ce qui concerne les techniques audio-visuelles, l'éducateur est amené à composer avec elles et ceci pour deux raisons principales. Si l'on veut éveiller et maintenir l'intérêt des enfants et les amener à faire de réels efforts, il est bon de rapprocher, sur certains points, l'école de la vie et utiliser en classe les moyens susceptibles de fixer l'attention des enfants ; l'appel de l'image n'est pas une formule de rhétorique et il n'y a qu'à observer les enfants qui sortent de l'école et passent devant un hall de cinéma où sont présentés les films de la semaine. L'utilisation du cinéma dans une classe crée de nouvelles conditions scolaires et favorise l'attachement des élèves à leur école. Dans cette première perspective, donc, l'appel aux techniques audio-visuelles répond à un désir de motiver les activités scolaires et de profiter du dynamisme psychique ainsi créé chez l'enfant. [...]

Éducation et préparation à la vie de demain Si nous reprenons ce fil directeur des rapports de l'école et de la vie, une autre question est immédiatement soulevée. Si le rôle de l'éducation est de préparer les élèves d'aujourd'hui à être les hommes de demain, si cette préparation se présente sous le double aspect d'une adaptation et d'un dépassement, qu'en est-il des rapports de l'école et des techniques audio-visuelles ? Nous avons examiné [...] les difficultés rencontrées par les enfants pour comprendre un document audio-visuel et les processus complexes mis en jeu par cette situation particulière. Si nous acceptons — et c'est là une attitude actuellement raisonnable — que les techniques audio-visuelles fassent partie des aspects caractéristiques de notre époque, nous devons, à l'école même, apprendre à l'enfant à les utiliser et à en profiter au mieux. La lecture expliquée amène l'enfant à bien comprendre ce qu'il lit et à ressentir, en présence d'un texte, une émotion plus riche et plus profonde. La vision commentée, expliquée, d'un document photographique ou cinématographique, l'audition commentée d'un document sonore ou d'un disque de musique classique doivent donner lieu à des exercices analogues en vue d'apprendre à l'enfant à être en contact avec ces nouvelles sources d'information. Les habitudes d'analyse, d'explication, de critique, amènent les enfants à dépasser la première impression reçue d'une façon plus ou moins passive et à adopter, vis-à-vis des messages audio-visuels, une attitude d'homme cultivé. Nos élèves doivent s'habituer à réagir devant une

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image erronée comme on réagit devant un mensonge, à protester devant un film trop libre avec la vérité comme on s'insurge devant une falsification des faits. Et pour les amener à cette attitude qui n'est, en fait, qu'un aspect de la domination de la technique par l'homme, nous devons leur donner non seulement les moyens de découvrir l'erreur, de connaître les possibilités de truquage d'un document mais nous devons également leur donner les moyens d'apprécier les techniques qui permettent de construire une œuvre d'art et, sans tuer en eux l'émotion esthétique, les amener à savoir quelles sont les formes utilisées par le créateur. Trop souvent nous nous plaignons de l'emprise néfaste des techniques modernes sur nos contemporains sans mettre en œuvre toutes les ressources de l'éducation dans le but de hisser les utilisateurs à un niveau supérieur à celui du spectateur passif et suggestible.

L'activité de l'élève Nous arrivons alors au problème de l'activité de l'élève. Dans une situation scolaire classique, le point de départ concret était toujours nécessaire et des textes officiels insistent sur la nécessité pour l'action de précéder la réflexion et la pensée. On trouverait facilement, dans tous les pays du monde, des citations qui illustreraient cette affirmation. L'utilisation des techniques audio-visuelles rend plus nécessaire encore cette activité de l'enfant et il ne s'agit pas d'une vue de l'esprit ou d'une prise de position paradoxale. Nous devons nous expliquer très clairement sur ce point en nous référant à ce qui a été dit précédemment. Nous avons montré, au cours de notre étude sur la perception, comment le message devait être interprété pour donner lieu à une perception et nous avons expliqué que la richesse du processus psychique était fonction de celle du sujet. Un sujet qui n'a pas une expérience concrète étendue et variée ne pourra pas recevoir le message audio-visuel d'une façon complète et une grande partie de l'information sera négligée. Si nous voulons permettre à nos élèves de comprendre au maximum et de tirer le meilleur parti des documents audiovisuels, ils ne doivent pas vivre uniquement dans un monde artificiel de sons et d'images ; pour que ceux-ci prennent leur véritable signification, il faut que l'enfant puisse les rattacher à des situations réelles vécues et que son activité soit une activité riche et réelle qui lui permette de comprendre correctement ce qui lui est présenté.

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Au cours de la projection, l'enfant est entraîné par le rythme du film et l'organisation temporelle de ses perceptions lui est imposée par le document lui-même. Quel entraînement à la passivité et quel danger représenterait une éducation qui ne serait qu'audio-visuelle ! L'enfant qui n'aurait pas, grâce à une intense activité réelle, un contrepoison, deviendrait vite un individu en proie à tous les entraînements, à toutes les propagandes, un individu dont le psychisme s'appauvrirait progressivement, un homme qui perdrait toute initiative. Il ne s'agit pas pour nous ici de noircir à plaisir un tableau de l'éducation audio-visuelle, puisque nous avons montré dans tout ce travail combien nous lui étions fidèles. Mais fidélité ne veut pas dire esclavage et enthousiasme n'est pas synonyme d'aveuglement. Plus le maître utilisera de techniques audio-visuelles, plus il sera nécessaire qu'il organise parallèlement des activités réelles destinées à amener l'enfant à travailler seul, à prendre des initiatives, à être son propre moteur. Imaginons ce que serait la notion de continuité temporelle d'un enfant qui ne connaîtrait le monde qu'à travers la discontinuité cinématographique où chaque scène est remplacée brutalement par une autre, où un personnage apparaît ou disparaît brutalement, où des lieux ou des temps très séparés sont réunis et se succèdent sans solution de continuité. L'éducateur n'oubliera jamais que les techniques audio-visuelles ne représentent pas une perfection absolue ; à côté de l'apport extraordinaire qu'elles représentent pour l'éducation actuelle, elles introduisent en même temps quelques dangers que nous devons nettement mettre en évidence. Une autre raison justifie un supplément d'activité de la part des enfants quand les techniques audio-visuelles sont couramment employées dans la classe. L'analyse précédente des phénomènes d'empathie, la prégnance de certaines images, l'habileté du monteur et du réalisateur nous amènent à penser que le film donne facilement à l'enfant l'impression de comprendre en sautant sur les difficultés propres à l'exercice réel de l'intelligence. Lorsque l'éducation se déroule entre le maître et l'élève, le premier tient compte des réactions du second et son action s'adapte aux résistances qu'il rencontre ou exploite les facilités offertes par la personnalité enfantine. A la fin d'un tel processus pédagogique, si celui-ci est bien conduit, l'enfant atteint l'objectif proposé et le cycle a trouvé son unité. Le film, le document sonore ne peuvent pas, par leur construction même, s'adapter à l'élève : même le magnétophone, que l'on peut arrêter à volonté et faire revenir en arrière, ne transforme pas pour autant la ligne mélodique et la vitesse de la phrase enregistrée. Une activité complémentaire est donc indis-

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pensable pour que l'enfant s'assure une compréhension complète et dépasse le niveau d'une compréhension approximative ou globale et atteigne celui d'une compréhension aussi parfaite que possible. L'activité intellectuelle de l'homme débouche sur le plan du concept et de la pensée ; la représentation mentale ne découle pas automatiquement de la perception ou de l'intelligence pratique particulière acquise en assistant à des projections cinématographiques. Toutes les techniques modernes sont d'excellents adjuvants pour le développement de l'intelligence et de la pensée ; ce ne sont pas des panacées ; elles ont leur rôle à jouer à un moment précis de l'activité psychique, elles ne la remplacent jamais. L'éducateur conscient de tous ces problèmes est donc amené à repenser certains problèmes pédagogiques étant donné l'importance actuelle des messages reçus par les sens. L'établissement des relations triangulaires entre l'activité rationnelle d'assimilation et de compréhension, l'information reçue et le développement de toutes les possibilités créatrices est certainement un des problèmes majeurs de notre pédagogie contemporaine ; c'est un des mérites des moyens audio-visuels de nous amener à prendre conscience de ce problème.

Education et création Nous devons aller plus loin et placer l'activité de l'enfant sur un autre terrain afin de retrouver l'esprit même de la véritable éducation nouvelle. On a dit et répété souvent que bien savoir c'était être capable de recréer et que la pédagogie de l'expression était la forme la meilleure de l'éducation véritable. Vouloir retrouver le sens même des vraies méthodes actives, c'est utiliser l'expression comme un moyen d'éducation, c'est amener l'enfant à créer pour s'assurer qu'il a bien compris et bien assimilé. On connaît le pouvoir dynamogénique du dessin, de l'expression corporelle, du modelage ; on sait que la rédaction tient une place importante dans l'acquisition de la langue maternelle ; on peut affirmer que pour bien pénétrer une pièce de théâtre, il faut la jouer, que pour bien sentir une œuvre musicale, il faut l'interpréter. Les exemples seraient nombreux à donner et ajoutons avec le philosophe, cette formule qui contient tout un programme : « en faisant, se faire ». On peut donc se demander si l'une des préparations à une civilisation où l'audio-visuel joue un rôle important, n'exige pas une initiation de l'enfant aux techniques d'expression, sous forme de travaux pratiques et de préparation soit de documents imagés, soit de photogra-

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phies, soit de cinéma. Nous demandons à nos élèves de disserter sur telle ou telle situation, de décrire une scène observée au cours d'une promenade ou de raconter un événement de leur vie. L'habitude des illustrations graphiques s'est heureusement répandue et l'on ne comprend pas pourquoi une belle description par photographies ou par film ne serait pas aussi profitable que le devoir écrit par l'élève. Les objections sont faciles à faire et le prix des appareils de prise de vues ne permet pas à de telles méthodes de se développer ; mais pourquoi ne pas réfléchir dès maintenant à toutes ces possibilités et ne pas utiliser, dès que cela est possible, les productions graphiques enfantines ? Grâce à un travail d'équipe, on pourrait avoir un cameraman amateur qui prendrait les vues proposées par les élèves et les exercices de montage répondraient à la construction d'un plan. D'autre part, certains films construits actuellement avec les images préparées par des adultes pourraient être utilement remplacés par des séquences réalisées à partir de productions enfantines. Nul doute que les enfants recevraient mieux le message et en tireraient un plus grand parti ; sur ce point nous retrouvons des idées exprimées depuis fort longtemps par Piaget qui a parfaitement observé qu'un enfant comprenait souvent mieux les explications données par un de ses camarades que celles données par un adulte. Tout cela ne signifie pas que l'ère du stylo à bille est à jamais dépassée, mais nous devons reconnaître que l'ère de la caméra ou du magnétophone, comme moyen d'expression et de traduction de l'état d'esprit ou des sentiments, n'est pas loin. L'enrichissement extraordinaire que de telles pratiques pédagogiques donneraient à l'éducation et l'effet de choc qui serait ressenti dans les autres disciplines se devinent aisément. L'observation d'une plante ou d'un animal, le choix d'une vue géographique typique, le document historique rencontré et fixé sur une image, l'analyse d'une situation psychologique par le choix adéquat des angles de prise de vues et un montage bien fait nous font pressentir ce que pourrait être demain, dans une nouvelle perspective pédagogique, une partie de l'activité scolaire. Mais cette nouvelle orientation n'a rien de révolutionnaire ; elle s'inscrit normalement dans un courant pédagogique qui veut une école « pour la vie et par la vie » suivant la célèbre formule decrolyenne. Si nous voulons que les enfants d'aujourd'hui deviennent des hommes capables demain de maîtriser la vague audio-visuelle, il faut que les techniques perdent leur caractère mystérieux et ésotérique. Une des plus sûres façons d'aboutir à ce résultat est d'habituer l'enfant à manier luimême ces techniques. L'enfant se sentira grandi ; il appréciera à sa

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juste valeur le pouvoir exceptionnel de ces nouvelles machines et, y étant devenu familier, il les comprendra mieux et ne sera plus abusé par leurs sortilèges. Ayons donc le courage de penser le problème complètement et de ne pas nous arrêter à une pédagogie étriquée de l'utilisation des techniques audio-visuelles.

Éducation « close » ou « ouverte » ? Nous avons très volontairement, tout au long de ce travail, parlé des techniques ou des moyens audio-visuels, afin de bien laisser à leur place ces excellents auxiliaires de l'éducateur. Comme la célèbre langue d'Esope, les techniques audio-visuelles peuvent être la meilleure ou la pire des choses et être utilisées au service d'une éducation très dogmatique et autoritaire ou au service d'une éducation libérale et progressive. Examinons ces deux possibilités. Nous savons quelle est l'efficacité du cinéma et nos analyses précédentes ont mis en évidence le pouvoir de suggestion des images à l'écran. Les techniques audio-visuelles peuvent donc devenir l'instrument d'un mauvais conditionnement intellectuel et moral d'autant plus dangereux qu'il est plus puissant et laisse les individus désarmés pour l'avenir. Précédemment nous avons insisté sur le danger d'une formation purement passive qui risque de développer chez l'enfant des conduites d'obéissance, de soumission et d'étouffer les initiations nécessaires au développement de l'esprit. C'est bien de cela qu'il s'agit : les techniques audio-visuelles ne sont-elles qu'au service de l'enseignement ou, au contraire, peuvent-elles s'intégrer harmonieusement à une œuvre éducative valable ? L'expérience a prouvé que la facilitation introduite par les techniques modernes (magnétophone, disque, film) dans les acquisitions fondamentales, dans l'apprentissage au sens le plus précis, était importante ; les machines à enseigner confirment cette idée et les travaux d'un Skinner sont éloquents à cet égard. On peut même accepter l'idée qu'il sera possible de confier à des machines, dans un avenir plus ou moins proche, tout ce qui relève des acquisitions mécaniques ou de la construction des automatismes. Mais il est impensable que l'éducation, au sens le plus large et le meilleur, ne soit le fait que de machines. Cette affirmation ne détruit pas la précédente mais en marque les limites. Nous estimons donc qu'il est possible de faire une utilisation dangereuse des techniques audio-visuelles si celles-ci servent à atteindre un objectif pédagogique humainement pauvre, et les

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affabulations d'un Aldous Huxley nous font pressentir ce que serait un tel monde de robots. Cette affirmation ne saurait supposer exclue l'utilisation des moyens audio-visuels dans une perspective éducative plus ouverte et libératrice de l'individu. Il peut être fait appel à la machine à enseigner dans la mesure où elle permet au pédagogue de consacrer plus de temps à son véritable rôle d'éducateur. Et le magnétophone est un instrument d'autocorrection particulièrement efficace ; son utilité est également grande par le fait même des possibilités de présentation qu'il offre aux méthodes actives : discussions de groupe de recherche ou consécutives à une étude déterminée. Ainsi compris, les moyens audio-visuels s'inscrivent au rang des grandes techniques pédagogiques modernes ; ils sont le trait d'union entre l'école et la vie. [...}

MICHEL TARDY Pour une pédagogie de l'image Prolégomènes à une pédagogie des messages visuels* C'est dans une des Scènes de la vie parisienne que Balzac parle de ces bourgeois de Paris qui « conçoivent périodiquement l'idée burlesque de perpétuer leur figure, déjà bien encombrante par elle-même » \ L'un d'eux, se présentant chez le peintre Pierre Grassou, l'interpelle en ces termes : « Et c'est vous, Monsieur, qui allez faire nos ressemblances ? » 2 Phrase admirable qui contient tout ce à quoi se résume ordinairement la philosophie commune de l'image. Dans cette théorie vulgaire de la similitude, l'image ne fait qu'opérer un dédoublement du monde ; les images ne constituent qu'un univers strictement parallère, à la fois transparent et innocent. L'image fidèle du miroir devient l'archétype de toute iconographie possible. Cette duplication du réel admet bien quelques écarts anodins, car à défaut d'identité parfaite, il y a au moins homothétie entre la reproduction et son modèle. Dans ce passage de la réalité à son image, il n'y a pas changement de nature ; les modifications, négligeables, ne portent que sur les dimensions. La mise en image n'est qu'une sorte de pantographe optique qui n'aboutit qu'à une réduction ou à une amplification du modèle. La multiplication par deux, voilà à quoi se réduit le contenu des représentations mentales de l'image. L'image courante de l'image assure le triomphe de l'hypothèse analogique. L'image n'est plus qu'un énoncé tautologique du monde : « La photographie est total effacement devant le réel avec lequel elle coïncide. C'est le monde tel qu'il est, en sa vérité immédiate qu'elle reproduit sur le papier ou sur l'écran. Elle lui confère comme une présence seconde, s'effaçant en tant qu'image, pour n'être plus qu'un champ ouvert à cette présence, à chaque fois répétée. » 3 L'image dès lors n'a pas de nature qui lui soit propre ; il n'y a plus qu'à affirmer la résorption de l'image dans son modèle et à lui retirer sa carte d'identité ontologique : « L'image coïncide à ce point avec le donné qu'elle se détruit en quelque façon comme image. » 4 Telle est la traduction philosophique un peu * Textes extraits de M. TARDY, Le professeur et les images, Paris, Presses Universitaires de France, 1966. 1. H. DE BALZAC, « Pierre Grassou » (1839), in : La comédie humaine, Paris, Gallimard (« Bibliothèque de la Pléiade »), 1950, t. VI, p 114. 2. Ibid., p. 124. 3. R. MUNIER, Contre l'image, Paris, Gallimard, 1963, p. 27. 4. Ibid., p. 25.

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courte des idées de ressemblance et d'analogie. Et tel est aussi le passage à la limite : l'identité. Il est vrai que les pièces ne manquent pas à verser au dossier de l'analogie. L'épanchement sentimental devant la photographie d'un être cher transforme l'image en fétiche puisque la réaction est produite par un objet et non par une personne. Mais ce fétichisme ne peut fonctionner que parce que l'image est prise pour la réalité et dans ce « prendre pour » se manifeste toute la force de la conception analogique. L'image photographique est même un substitut privilégié de la réalité, car son pouvoir déclenchant l'emporte de loin sur celui des substituts métonymiques, verbaux ou picturaux. Il n'y a pas de carte d'identité sans photographie et cet écrivain indélicat fut arrêté pour avoir été reconnu par l'une de ses victimes lors de son passage à Lectures pour tous. Lorsqu'un circuit fermé de télévision permet d'assurer le départ des rames de métro et la vérification des comptes bancaires et des signatures-témoins, l'absence d'accident et l'absence d'escroquerie montrent que l'image constitue un système de remplacement fort convenable et que les caméras sont autant d'auxiliaires parfaits de la vision directe. Toute la pédagogie par l'image, d'ailleurs, est fondée sur l'hypothèse analogique : il faut bien que l'on soit convaincu de la fidélité de l'image pour entreprendre la réalisation de films didactiques sur la faune abyssale et sur les mœurs des Pygmées et pour les présenter à des enfants qui ne sont jamais allés ni dans la forêt africaine ni dans les profondeurs sous-marines. Encore faut-il dire que l'entreprise est légèrement suspecte si l'on songe que, devant les admirables photographies de la lune, les géologues n'arrivent pas à se prononcer définitivement sur la nature du sol lunaire, faute précisément d'y être allés voir. Loin de se substituer à la réalité, l'image, pour être didactiquement efficace, semble impliquer une connaissance directe et préalable de celle-ci. [...] La pédagogie des messages visuels ne peut se dispenser d'être d'abord une réflexion sur la véritable nature de l'image et sur ses coordonnées ontologiques. On discute à perte de vue sur ses contenus et sur sa beauté éventuelle ; on oublie l'essentiel qui est d'examiner son être même. Or, l'image ne coïncide pas avec la réalité qu'elle représente. Sa transparence n'est qu'une opacité camouflée : elle a l'innocence des saintes nitouches. Entre l'élément inducteur, la réalité, et l'élément induit, l'image, s'interposent toute une série de médiations qui font que l'image n'est pas restitution, mais reconstruction de la réalité. Il y a bien un rapport entre la réalité et l'image de la réalité, mais, dans l'image, il s'agit de la même réalité et d'une

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réalité autre ; ce sont les processus qui conduisent de ce « même » à cet « autre » qu'il faut élucider. L'image ne constitue pas un monde parallèle, mais un monde second ayant ses caractéristiques propres et ses lois spécifiques. L'image est toujours altération, volontaire ou involontaire, de la réalité. L'altération volontaire n'est d'ailleurs pas la plus significative, car elle aboutit à une falsification et renvoie à la supposition implicite qu'il ne s'agit que d'une question d'honnêteté ; celle-ci restaurée, le problème s'évanouirait. Or, quoi qu'on fasse, l'image met toujours en jeu des processus de dérivation ; elle est, par nature et non de façon contingente, déformante. La pédagogie par l'image peut se contenter du modèle analogique ; la pédagogie de l'image, par contre, commence avec la prise en considération des processus de dérivation. [...} L'image est un produit. La connaissance des modes de production de l'image est une condition de l'intelligibilité de celle-ci. La pédagogie des messages visuels, à un moment quelconque du cycle d'initiation, doit passer derrière les décors 5 ; les coulisses du cinéma et de la télévision doivent être annexées à l'espace scolaire et devenir des lieux de démonstration pédagogique. J e ne connais rien de plus éclairant que le fait de passer quelques heures dans le rectangle encombré d'une régie de télévision, à côté du réalisateur qui travaille au pupitre de commande, les yeux fixés sur les récepteurs de contrôle et donnant des ordres par le moyen d'un interphone ; en contrebas, par une baie vitrée, on aperçoit le studio. Le va-et-vient du regard montre comment l'espace diégétique est construit et organisé à partir de l'espace hétérogène du plateau. Il n'est sans doute pas absolument nécessaire que des autocars déversent des cortèges d'écoliers dans les studios des Buttes-Chaumont ou des stations régionales de l'ORTF ; il n'est pas certain d'ailleurs que les administrateurs se prêteraient de bon cœur à cette invasion pacifique des plateaux par des délégations pédagogiquement mandatées et chaperonnées. La pédagogie peut user de produits de remplacement : Jean-Emile Jeannesson a réalisé deux films d'initiation ' qui montrent le cinéma en train de se faire. Dans ce cinéma au

5. G. SADOUL a composé un ouvrage d'initiation dont le titre est significatif : De l'autre côté des caméras, Paris, Éd. de la Farandole, 1962. 6. Champ contre-champ, Métamorphoses. Films en 16 mm, noir et blanc, sonores, 15 et 10 mm. Réalisation : Jean-Emile JEANNESSON. Production : Institut pédagogique national, Centre audio-visuel de Saint-Cloud, 1962. Cf. également Etne Filmszene ensteht. Réalisation : Ernst NIEDERREITHER. Production : Institut für Film und Bild in Wissenschaft und Unterricht, Munich.

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second degré, on voit un réalisateur aux prises avec les difficultés d'un tournage modeste et les résolvant au fur et à mesure qu'elles se présentent. La caméra, les projecteurs, les micros et ceux qui les desservent deviennent les personnages essentiels du film. Ce cinéma du cinéma ne manque pas de vertu pédagogique. Il est d'autres instruments encore plus modestes : les documents de tournage et, parmi ceux-ci, les découpages techniques. J'ai eu le bonheur d'avoir entre les mains la photocopie d'un fragment du découpage original de La pointe courte d'Agnès Varda, découpage portant des annotations de la main de l'auteur. Ce document est d'une grande richesse pédagogique : outre le découpage initial, on y trouve des dessins à l'encore rouge qui sont le prolongement graphique des indications verbales, des dates permettant de reconstituer l'ordre du tournage, des ratures diverses apportées aux dialogues et en montrant les modifications successives. En faisant l'exégèse de ces annotations et en comparant le document au film, il est possible de retrouver en partie l'itinéraire mental suivi par l'auteur et de percer, modestement, quelques secrets, sinon de la création, du moins de la fabrication. Les appareils photographiques et les caméras de cinéma en huit millimètres commencent à faire leur apparition dans quelques salles de classe à côté des compas, des crayons de couleur, des collections d'animaux empaillés et du compendium de système métrique. Quelques professeurs se sont engagés, avec leurs élèves, dans l'aventure du reportage photographique et de la réalisation cinématographique. Il n'est sans doute pas de meilleure façon de passer, au sens propre du terme, de « l'autre côté des caméras » et de fonder une pédagogie sur « la pratique de l'instrument et la connaissance de son efficacité7 ». Je n'insisterai pas sur les modalités pratiques de la réalisation de films par les élèves : d'autres s'y sont employés avec bonheur8. Je préfère indiquer les services que pourrait rendre un circuit fermé de télévision ; ce sera sans doute l'instrument de l'avenir pour initier les élèves à l'expression audio-visuelle. L'on sait que, dans un circuit fermé, plusieurs caméras fonctionnent simultanément et qu'il est possible de voir les images sur des récepteurs de contrôle avant de

7. E. FUZELLIER, « Enseignement et culture de masse », Communications (2), 1963, p. 174. 8. Cf. notamment A. DELVAUX, « Nous étions treize », Cinéma 56 (12), p. 17 sq. et « Le film d'élèves, ses possibilités, ses limites », Cahiers pédagogiques (26), mars 1961, pp. 117-120. Cf. également J.M. L. PETERS, L'éducation cinématographique, Paris, Unesco, 1961, pp. 70-75.

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choisir l'une d'entre elles. L'intérêt pédagogique de cette technique provient du fait que l'élève peut voir immédiatement le résultat de la prise de vues, qu'il n'a pas besoin d'attendre pour juger son travail que les travaux de laboratoires soient achevés et qu'il peut corriger instantanément l'expression visuelle de la réalité. En outre, l'existence de plusieurs caméras permet d'essayer divers points de vue sur une même réalité et conduit à une activité immédiate d'appréciation et d'ajustement. Je ne veux pas dire qu'il faille bannir les caméras de cinéma au profit des caméras électroniques ; je veux simplement suggérer que les élèves auraient intérêt à faire des gammes visuelles dans un studio de circuit fermé avant de s'aventurer dans la réalisation cinématographique. Je me demande enfin si une initiation aux messages visuels ne devrait pas, renversant l'ordre chronologique d'apparition des techniques, commencer par faire analyser les émissions de télévision. Décortiquer Intervilles avant de faire l'exégèse de Citizen Kane. L'image télévisuelle s'affirme comme produit et très visiblement porte en ellemême les marques des opérations qui la font exister. Le cadre de l'image cinématographique est une frontière rigoureuse : au-delà de ce périmètre enchanté grouille une vie abondante qui vient buter contre lui comme les papillons contre le verre de la lampe. A la télévision, rien de tel. L'image accepte la profanation de son espace : cette vie grouillante n'a pas fait de la marginalité sa règle stricte ; elle accède assez souvent à l'existence télévisuelle. L'apparition fréquente à l'image des techniciens et des appareils montre que la télévision refuse de créer ou d'entretenir l'illusion d'une génération spontanée des images. Le cadre sacré qui, habituellement, sépare le contenu diégétique du film des conditions extradiégétiques de sa réalisation, est rompu. L'image télévisuelle est ce produit étrange qui présente presque avec ostentation ses propres conditions d'existence. Je crois que l'on peut fonder une pédagogie de l'image sur ce simple fait. La télévision ou la laïcisation des muses. Certains feront la grimace devant ces activités prosaïques et rechigneront à la perspective d'abandonner, même provisoirement, le domaine des émotions ineffables pour celui de la trop grossière technologie. Ils opposeront au projet d'étudier les processus de dérivation une mentalité d'anges déchus. Mais refuser d'étudier les conditions de possibilité de l'image, n'est-ce pas se condamner à une narcose même légère ? Le monde des images est un monde fabriqué et vouloir l'ignorer, c'est se livrer pieds et poings liés à ceux que Georges Gusdorf appelle les « directeurs inconscients de la conscience univer-

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selle » 9 et Francesco Alberoni, « 1' " élite " irresponsable »

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Les notions de « langage » cinématographique et d' « écriture > télévisuelle doivent plonger les linguistes dans une légitime perplexité. Pourtant ces expressions sont couramment admises : on n'en finirait pas de recenser les textes où l'on parle tout naturellement, je veux dire sans avoir recours aux guillemets ou aux caractères italiques, de « grammaire », de « syntaxe » et de « discours » filmiques. Il suffit parfois de quelque analogie superficielle pour assurer le succès de ces dénominations imagées. Le triomphe de celles-ci est, à proprement parler, étonnant. Les lointaines provinces de la pédagogie en ont perçu l'écho et même l'ont répercuté et amplifié. Amplifié et, en même temps, simplifié, car, loin de faire de ces expressions un usage métaphorique, les pédagogues les prennent à la lettre et fondent leur activité sur ce qui est, en partie, un contresens ontologique. L'initiation aux messages visuels prend désormais la forme familière d'un apprentissage de la lecture et de l'écriture : le pédagogue retrouve ainsi avec soulagement sa vocation élémentaire mais fondamentale, qui est précisément d'apprendre à lire ; l'acrobate, un instant désemparé, a enfin retrouvé son filet. Dès lors, on détaillera consciencieusement 1' « alphabet » visuel et, portant la comparaison jusqu'à ses limites extrêmes, on considérera les plans comme autant de mots et les séquences comme autant de phrases ou de paragraphes ; on se gardera bien, évidemment, d'oublier la ponctuation. Les pédagogues les plus avisés distribueront quelques feuillets ronéotypés et feront apprendre à leurs élèves ces glossaires abrégés du cinéma. Dans cette perspective, tout semble dit lorsqu'on a réussi à faire identifier et nommer correctement une centaine d'éléments audio-visuels. L'initiation consiste à transmettre une sorte de savoir basique, alphabétiquement présenté, depuis l'accéléré jusqu'au zoom en passant par l'inévitable échelle des plans et le flash back, que l'on ne se résout pas, malgré les colères d'Etiemble, à appeler retour en arrière. La pusillanimité pédagogique se contente aisément de cet apprentissage élémentaire qui représente, à ses yeux, l'alpha et l'oméga de l'initiation aux images. Les cours préparatoires de l'éducation visuelle en sont aussi les classes terminales. Le plus étonnant est de constater l'illusion des pédagogues qui pensent, 9. G. GUSDORF, « Réflexions sur la civilisation de l'image », Recherches et débats (33), décembre i960, p. 30. 10. F. ALBERONI, « L' " élite " irresponsable : théorie et recherche sociologique sur le divismo », Revue internationale de Filmologie (40-41), pp. 45-67.

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à travers cette modeste activité terminologique, réaliser un projet esthétique. Ils parlent de langage, mais en réalité ils pensent en termes d'esthétique. [...] Je pose la question de savoir si l'initiation aux messages visuels ne pourrait pas utilement s'engager dans ces activités de déchiffrement et tenter de faire reconstituer par les élèves cette « langue » visuelle dont les films divers sont autant de « paroles » n . Il est vrai que la sémantique des images n'est pas encore une science véritablement constituée et que son projet demeure en grande partie hypothétique. Faut-il cependant que la pédagogie reste à la traîne et, vérifiant une fois de plus cette loi du retard pédagogique, attende que des découvertes aient été faites pour se borner ensuite à les transmettre ? Je demande si la pédagogie ne devrait pas participer à ces travaux d'élaboration et si les pédagogues et leurs élèves ne devraient pas, pour une fois, s'engager sur le chemin des découvertes. Car il existe des travaux d'analyse qui n'excèdent pas les forces pédagogiques. Roland Barthes signale, par exemple, l'intérêt qu'il y aurait à faire analyser les débuts de film, qui se caractérisent par une « forte densité sémantique » : présentation des personnages et de leurs attributs, distribution de ceux-ci dans des catégories distinctes, mise en place des structures dramatiques. Ailleurs, il indique que les « films d'acteur » peuvent constituer un corpus convenable : « On pourrait prendre par exemple les films où apparaît Belmondo : le recours à Belmondo, depuis trois ou quatre ans, implique une certaine homogénéité de public, de lecteurs de codes. En partant de l'unité de lecture, on pourrait raisonnablement inférer une unité de code. De même pour Gabin "... » On pourrait, bien sûr, chercher d'autres points d'attaque et s'interroger notamment sur les personnages secondaires dont le rôle est si souvent négligé ; ils révèlent pourtant les stéréotypes sociaux qu'assument les réalisateurs et valent surtout par leur technique de présentation : la brièveté de leur apparition est compensée par un accroissement de leur charge sémantique. Les émissions de télévision elles-mêmes peuvent relever de ce traitement, malgré des obstacles provenant du fait que les messages y sont partiellement composés et que le sens éprouve des difficultés à s'accrocher ; mais l'existence de sens parasites compense l'indulgence des sens voulus. Je ne crois pas 11. « Langue, parole » : ces deux termes sont pris ici dans l'acceptation que leur a donnée F . DE SAUSSURB, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1962, pp. 30-31. 12. « Entretien avec Roland Barthes », Image et Son (175), juillet 1964, p. 44.

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que ces travaux dépassent la compétence habituelle des maîtres ni les capacités intellectuelles de leurs élèves : il suffirait d'entraîner convenablement les premiers comme les seconds à ce type d'analyse et de les mettre en garde contre quelques simplifications méthodologiques dont le moindre n'est pas celle qui consisterait, dans l'établissement des lexiques visuels, à mettre en correspondance terme à terme un signifiant et un signifié. On a vu à quelle impasse conduisait l'application de ce schéma fautif aux procédés de réalisation. Le sens, dans les messages visuels, exige pour apparaître et se fixer, la multiplication des signifiants plus ou moins synonymes. Car les signifiants visuels ont faibles et sont toujours à reconquérir sur leur vocation analogique. La surdétermination sémantique est de règle dans les messages visuels. Au cinéma et à la télévision, les signes ne sont pas simples, ils sont toujours composés et c'est la composition des éléments qui signifie [...] La participation affective du spectateur au spectacle cinématographique ou télévisuel a généralement mauvaise presse ; c'est elle qui est visée lorsque l'on parle de passivité du spectateur, de fascination exercée par l'écran, d'aliénation. Toutes ces expressions sont péjoratives et le pédagogue proclame bien haut sa volonté de rompre le cycle magique de la participation afin de permettre à l'esprit critique de reprendre ses droits. L'argumentation ne manque pas généralement d'ébranler les cinéphiles les plus convaincus. Il faut cependant y regarder de plus près et, abandonnant provisoirement tout jugement de valeur, se demander si, après tout, le phénomène de participation cinématographique ne serait pas le mode fondamental de relation existant entre le spectateur et le spectacle et si la suppression de ce phénomène, à supposer qu'elle fût possible, n'entraînerait pas automatiquement la suppression du spectacle lui-même. Autrement dit, renversons les termes : au lieu de condamner la participation et, après l'avoir évacuée, de bâtir notre pédagogie sur son prétendu anéantissement, demandons-nous si la participation n'est pas essentielle au cinéma et, si oui, construisons sur elle notre pédagogie du cinéma. La première attitude, il est vrai, est plus économique : elle permet 13. Sur ce problème des lexiques visuels, dont on n'a fait qu'esquisser très modestement l'énoncé, on ne pourra se dispenser de consulter les texte.» de R. BARTHES : Cahiers du Cinéma (147), 1963, pp. 20-30, Communications (4), 1964, pp. 40-51 et 91-135, Image et Son (175), 1964, pp. 42-45, et ceux de C. METZ : Communications (4), 1964, pp. 52-90, Critique (214), 1965, pp. 227-248, Communications (5), 1965, pp. 142145. 15

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d'exorciser le cinéma et de le ramener à des schémas pédagogiques connus, mais elle risque de méconnaître l'originalité de l'objet à enseigner. La seconde attitude, au contraire, est pédagogiquement difficile, car si le cinéma introduit dans la pratique scolaire une situation inédite, il faudra inventer un style pédagogique nouveau et reconsidérer les relations existant entre l'objet à enseigner, le professeur et les élèves. [...] La participation est en quelque sorte l'attitude naturelle et spontanée à l'égard du film : qu'elle vienne à disparaître momentanément, elle n'aura de cesse qu'elle ait repris ses droits. On peut bien supprimer la participation par un effort prolongé et insistant de la volonté, mais alors on se trouve en présence d'une plage lumineuse et sans vie, aux variations monotones ; on a détruit mentalement le film. La participation est si essentielle au spectacle cinématographique qu'elle provoque des activités nouvelles de compréhension. Alors que l'information verbale ne concerne que la partie intellectuelle de notre être, l'information visuelle nous mobilise entièrement : corporellement, affectivement, intellectuellement. Les mécanismes d'appropriation des messages deviennent autres. Le cinéma nous apprend qu'il n'y a pas seulement une compréhension générale, fonctionnant identiquement dans toutes les situations, mais des types de compréhension, des comportements divers de compréhension. Il faut donc rejeter le modèle faussement universel d'une compréhension de type intellectualiste, qui consiste en un enchaînement de concepts et qui passe par le filtre du langage, et introduire l'idée d'une compréhension corporelle et affective, fondée sur des analogies personnellement ressenties. Comprendre avec son corps autant qu'avec son esprit, voilà une situation originale qui pose des problèmes nouveaux à la pédagogie. Le cinéma, pour être introduit valablement dans l'enseignement, ne demande rien d'autre qu'une conversion pédagogique. Eviter l'apprivoisement culturel, le baptême pédagogique, ne pas succomber aux tentations habituelles de la pédagogie, c'est à quoi nous invite un examen attentif de la notion de participation. Il faut trouver des modalités pédagogiques qui soient appropriées à l'objet à enseigner. Bien loin d'évacuer la participation et d'en désamorcer les sortilèges, il faut, au contraire, bâtir la pédagogie du cinéma sur cette réalité première. Comment ? Il est sans doute trop tôt pour le dire, car nous manquons d'expériences. On ne peut qu'indiquer la direction dans laquelle il faudra travailler. L'éducation cinématographique doit aboutir à un mariage délicat de la participation et de la critique, de la jouissance et de la réflexion. Mélange instable, sans cesse remis en question et

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qu'il faut sans cesse sauvegarder ou reconstituer. L'attitude idéale du spectateur n'est pas monolithique : elle consiste en un processus incessant d'engagement-dégagement à l'égard du film. Ni hypercritique ni hyper-naïf, le spectateur éduqué est celui qui est capable de pratiquer cette activité mixte que, faute de mieux, nous appellerons critique participante ou participation critique. J e sais bien que l'on m'objectera de faire la part trop belle à la participation et que les contestations les plus sérieuses, je ne dis pas les plus violentes, viendront moins du côté des pédagogues que de celui des filmologues. Le phénomène de participation ne serait-il pas lié à une forme dépassée de cinéma et ne subirait-il pas un déclin parallèle à celui, tout relatif d'ailleurs, du montage cinématographique ? Dans ces conditions, se référer de façon trop insistante à la participation, ce serait se rendre suspect d'archaïsme. Méditez les belles pages qu'André Bazin a consacrées au cinéma « synthétique » Le plan-séquence, la fixité du cadrage, la profondeur de champ permettent au réalisateur de présenter des situations ambivalentes et invitent le spectateur à apporter une contribution positive à la mise en scène. Considérez cette forme de récit cinématographique qui supprime les temps « forts » 15 et demandez-vous ce qu'il advient du spectateur. On conviendra qu'il est plus facile de reconstruire mentalement les temps faibles que les temps forts et que les premiers sont moins favorables que les seconds à la naissance et au développement de la participation. Examinez les conséquences psychologiques de l'intégration par le cinéma des procédés de « distanciation » : dénonciation du rôle par l'acteur, fragmentation de l'œuvre, recours à l'annonce Cinéma synthétique, cinéma allusif, cinéma brechtien : dans les trois cas, les réalisateurs usent de techniques narratives qui semblent apporter un démenti flagrant à l'universalité de la participation. Le cinéma moderne, sous ces trois formes qu'il est souvent difficile de distinguer, semble sonner le glas de la participation et renvoyer paradoxalement à une pédagogie plus traditionnelle. S'il est vrai que le spectateur n'est pas voué à la participation aliénante, s'il est vrai que le cinéma peut être une invitation à l'activité critique pendant la projection même, alors la pédagogie est, par la même occasion, débar14. A. BAZIN, Orson Welles, Paris, Éd. Chavane, i960, pp. 40-62. 15. « Je n'aime pas raconter une histoire, dit volontiers Agnès Varda, mais ce qui se déroule entre les moments importants d'une histoire ; ce que fait Antonioni en montrant les temps faibles » (cités par M. C. WUILLERMIER, Esprit, juin i960, p. 961). 16. Cf. J. CARTA, « L'humanisme commence au langage », Esprit, juin I960, pp. 1113-1132.

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rassée d'un souci obsédant : le film n'est plus un objet étrange et quelque peu inquiétant, mais il se laisse enserrer dans des normes pédagogiques qui ont fait leurs preuves. Le cinéma n'offre plus de résistance à cette récupération intellectuelle des choses et des œuvres qui semble être le but le plus explicitement avoué de notre culture. L'activité pédagogique aura pour fonction exclusive de développer l'attitude critique à l'égard des films et, par contrecoup, contribuera dans une certaine mesure à faire naître des œuvres cinématographiques à dominante intellectuelle. Tout rentrera dans l'ordre ; il y aura eu plus de peur que de mal... La situation, heureusement, n'est pas aussi simple, mais elle est malheureusement critique. Le procès pédagogique et moralisateur de la participation, c'est aussi le procès de l'imaginaire, dont la pédagogie ne sait que faire. L'intellectualisme militant inspire, si l'on peut dire, une pédagogie sans inspiration. On admettra bien une pédagogie du goût et de la sensibilité, qui rendra possible une récupération esthétique du cinéma et de la télévision. C'est sur ce terrain d'ailleurs que se sont engagés la plupart des combats destinés à promouvoir une éducation cinématographique. Mais ce que le pédagogue admettra le plus difficilement, c'est une pédagogie de l'imaginaire ou du moins une pédagogie qui, si elle ne favorise pas explicitement l'imaginaire, n'en gêne pas le déploiement. L'imaginaire se situe « aux antipodes de la pédagogie du savoir telle qu'elle est instituée depuis dix siècles en Occident » Or, comme le dit très fortement Edgar Morin, voir, c'est percevoir, mais c'est aussi avoir des visions et ces deux acceptions du terme définissent les deux voies complémentaires d'une pédagogie des images. Non seulement augmenter la qualité du regard, mais aussi celle de l'imagination. Rien ne prépare l'enseignement à cette pédagogie de l'imaginaire, alors que tout le prédispose à favoriser une pédagogie de l'observation. La pédagogie, telle que nous la connaissons, résulte de plusieurs choix historiques qui aboutissent en définitive à une mutilation anthropologique. Le refus actuel de l'imaginaire provient du fait que celui-ci n'offre pas de prise aux habitudes pédagogiques ; c'est une réaction de défense à rencontre de ce qui nie une certaine forme d'activité pédagogique. Mais ce refus dénonce aussi les insuffisances des pédagogies positivistes et le caractère départemental de leur projet. L'établissement d'une pédagogie des images ne peut faire l'économie d'une réflexion anthropologique. J'emprunterai volon17. G. DURAND, L'imagination France, 1964, p. 18. 18. E. MORIN, p. 156.

symbolique, Paris, Presses Universitaires de

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tiers à Edgar Morin deux titres de chapitres, qui constituent à eux seuls tout un programme : le cinéma est un « complexe de rêve et de réalité » 19 et révèle la « réalité semi-imaginaire de l'homme » so. [...] « Jusqu'ici, écrit Henri Dieuzeide, l'information visuelle n'a figuré à l'école que sous la forme dévitalisée de techniques d'apprentissage et de facilitation. » Et il ajoute : « Comment définir une action régulatrice sur l'imaginaire, conduisant à un épanouissement progressif et total de la personnalité ? » 21 A cette question, Gilbert Durand semble apporter les premiers éléments d'une réponse : « De même que la psychiatrie applique une thérapeutique de rééquilibration symbolique, l'on pourrait alors concevoir que la pédagogie — délibérément axée sur la dynamique des symboles — devienne une véritable sociatrie, dosant très précisément pour une société donnée les collections et les structures d'images qu'elle exige pour son dynamisme évolutif. En un siècle d'accélération technique, une pédagogie tactique de l'imaginaire apparaît comme plus urgente que dans le lent déroulement de la société néolithique où les rééquilibrations se faisaient d'ellesmêmes, au rythme lent des générations » 2!. Action régulatrice de l'imaginaire, pédagogie tactique de l'imaginaire : le cinéma et la télévision trouvent leur place dans une « politique » des images qui les dépasse, mais dont ils sont un secteur privilégié et l'occasion d'un approfondissement. Qu'on ne vienne pas me dire maintenant que la pédagogie fondée sur la participation du spectateur au spectacle s'accompagnerait d'une perte de l'homme et que la pédagogie de l'imaginaire accréditerait le mythe de la passivité du spectateur. Car il faudrait en finir une fois pour toutes avec cette conception superficielle qui fait du spectateur un être dont la conscience serait investie mécaniquement par les images. Selon cette représentation du spectateur, qui ressemble à s'y méprendre à un alibi pseudo-moralisateur, celui-ci serait une sorte de pâte molle recevant sans réagir toute inscription ; il serait victime d'une paralysie intellectuelle et subirait l'esclavage scandaleux de l'objet iconique. Rien de plus faux, en réalité, que cette mécanique communément reçue. Le spectateur est toujours actif ; la psychologie du spectateur et du téléspectateur montre que leur regard est émi19. Ibid., chap. 6, pp. 155-174. 20. Ibid., chap. 8, pp. 205-221. 21. H. DIEUZEIDE, « Problèmes d'une télévision raisonnée », La Nef (8), octobre-décembre 1961, p. 106. 22. DURAND, op. cit., pp. 118-119. Cf. également Les structures anthropologiques de l'imaginaire : introduction à l'archétypologie générale, Pari«, Presses Universitaires de France, 1963.

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nemment sélectif. Ils majorent ce qui leur plaît et déprécient ce qui leur déplaît ; ils éliminent les éléments qui leur paraissent incompréhensibles et en intègrent d'autres apparemment aberrants ; ils établissent entre les images des rapports logiques ou pseudo-logiques et reconstruisent l'histoire en fonction de leurs obsessions personnelles et de leur statut socio-culturel. La réception des images donne lieu à une véritable autorégulation mentale : il ne s'agit pas d'une simple migration des éléments iconiques du film au spectateur, mais d'une élaboration et d'une intégration personnelle de ceux-ci. Si l'on peut néanmoins admettre l'existence d'une certaine fascination sur le plan intellectuel, encore qu'il ne faille pas confondre activité d'une autre nature et absence d'activité — le spectateur redouble d'activité sur le plan imaginaire. Le spectacle réveille en lui des facultés qui, jusquelà, n'avaient guère l'occasion de s'exercer. L'affectivité est déclenchée de façon volcanique et les images sont associées éperdument selon les lignes de force des subjectivités particulières. C'est la revanche de l'imagination sur le quotidien. Avec le cinéma s'épanouit la grande fête nocturne de l'inconscient.

B. F. SKINNER L'enseignement programmé* Science de l'apprentissage et art de l'enseignement** Des progrès décisifs ont été réalisés au cours des dernières années dans le domaine de l'apprentissage. Des techniques particulières ont été mises au point qui visent à l'arrangement systématique de ce que l'on a appelé les contingences de renforcement — ou, en d'autres termes, les relations entre le comportement et ses conséquences. Nous disposons ainsi de moyens de contrôle du comportement d'une efficacité inégalée jusqu'ici. [...] Les progrès récents dans notre connaissance des conditions qui contrôlent le comportement en cours d'apprentissage sont de deux ordres. En premier lieu, la loi de l'Effet a été prise au sérieux ; on s'est assuré que des effets surviennent effectivement, et qu'ils surviennent dans des conditions optimum pour provoquer les changements qui caractérisent l'apprentissage. Dès que nous avons établi le type particulier de conséquence que nous appelons un renforcement, nous sommes en mesure de modeler le comportement d'un organisme pour ainsi dire à notre gré. C'est devenu un exercice de routine que de démontrer cela dans les cours de psychologie élémentaire en conditionnant, par exemple, un pigeon. Si nous prenons soin de présenter de la nourriture à un pigeon affamé à certains moments précis, nous parvenons sans peine à dresser l'animal à trois ou quatre réponses bien définies au cours d'une seule démonstration. Nous pouvons lui apprendre à tourner en rond, à décrire des huit sur le sol de sa cage, à se tenir immobile dans un coin, à tendre le cou ou à frapper du pied. Nous pouvons obtenir des performances très complexes à travers les étapes successives du dressage, pour autant que nous changions très progressivement les contingences de renforcement dans la direction du comportement souhaité. Les résultats sont souvent spectaculaires. On voit littéralement l'apprentissage s'installer. Il suffit parfois d'un seul renforcement pour observer un changement évident dans le comportement. Un second progrès important dans nos techniques nous permet * Textes extraits de B. F. SKINNER, La révolution scientifique de l'Enseignement, trad. par A. Richelle, Bruxelles, C. Dessart, 1969. ** « The Science of Leatning and the Art of Teaching », in : Current Trends in Psychology and the Behavioral Sciences, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 1954.

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de maintenir le comportement en vigueur pendant des périodes prolongées. Les renforcements continuent naturellement de jouer un rôle primordial au-delà du moment où l'organisme a appris à faire quelque chose, où il a acquis un comportement nouveau. C'est ici qu'interviennent les divers programmes de renforcement intermittent. La plupart des programmes de base ont fait l'objet d'études approfondies dont se dégagent quelques principes fondamentaux. D'un point de vue théorique, nous avons à présent une idée assez claire des raisons pour lesquelles un programme de renforcement donné produit tel comportement particulier. Sur le plan pratique, nous savons comment nous y prendre pour maintenir un degré défini d'activité pendant des périodes prolongées, que seule vient limiter l'endurance de l'organisme, et jour après jour sans changement appréciable pendant toute son existence. Le fait remarquable ici, c'est que beaucoup des effets obtenus relèveraient, dans une perspective traditionnelle, de la motivation, alors qu'ils résultent simplement de la manipulation des contingences de renforcement. [...] Ces techniques nous permettent d'explorer l'organisme individuel dans sa complexité, et d'analyser les comportements finement enchaînés ou coordonnés qu'impliquent l'attention, la solution des problèmes nouveaux, certaines formes de contrôle volontaire, et les systèmes organisés de réponses qui constituent la 'personnalité. Les programmes de renforcement dits multiples illustrent certaines de ces possibilités. En général, un programme de renforcement donné influe sur le débit de réponses de l'organisme, c'est-à-dire sur le rythme auquel les réponses sont fournies et sur leur distribution dans le temps. Les modifications du débit à différents moments de l'expérience caractérisent le programme en vigueur. Selon les cas, on aura affaire à un débit constant, ou à un débit qui s'accélère progressivement entre deux extrêmes ou encore à une transition brusque d'une absence totale de réponses à un débit élevé et soutenu. La performance caractéristique d'un programme donné peut être placée sous contrôle d'un stimulus particulier, et des performances variées peuvent, chez le même sujet, être placées sous contrôle de différents stimuli. Dans une expérience sur l'animal, les performances typiques de neuf programmes de renforcement différent ont été placées sous contrôle de neuf stimuli ; chacun de ceux-ci, présentés au hasard, déclenchait aussitôt le comportement auquel il était associé. Lorsque le stimulus n° 1 était présenté, le pigeon exécutait le comportement adapté au premier programme. Lorsque le stimulus n° 2 était présenté, il exécutait le comportement adapté au second programme et ainsi de suite. Ces résultats

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sont importants, car ils rendent plus plausibles les extrapolations du laboratoire à la vie quotidienne. Dans la vie courante, nous passons aussi constamment d'un programme de renforcement à l'autre, au gré des changements qui surviennent dans notre environnement immédiat. {...] Dans toutes ces expériences, l'espèce étudiée semble de peu d'importance. Les organismes sur lesquels elles ont porté appartiennent généralement aux vertébrés, mais recouvrent un éventail assez large d'espèces diverses. Des résultats comparables ont été obtenus chez le pigeon, le rat, le chien, le singe, l'enfant humain, des sujets psychotiques. En dépit des grandes différences qui les distinguent phylogénétiquement, tous ces organismes témoignent de propriétés étonnamment similaires dans les processus d'apprentissage. Il importe de souligner que ces résultats ont été obtenus grâce à une analyse des effets du renforcement et grâce à la mise au point de techniques permettant de manipuler le renforcement avec une très grande précision. Ce n'est que de cette manière que nous pouvons exercer un contrôle aussi net sur l'organisme individuel. Remarquons encore qu'en s'attaquant avec la même rigueur à des interrelations complexes entre réponses, il est possible d'analyser des aspects du comportement généralement réservés à la psychologie de la perception, à la psychologie de l'intelligence ou à la psychologie dynamique.

Défauts de la classe traditionnelle Si, de l'étude scientifique de l'apprentissage, nous passons à l'application la plus directement concernée par les mécanismes d'acquisition, à savoir l'éducation, nous ne pouvons manquer d'éprouver un profond étonnement. Envisageons, par exemple, l'enseignement de l'arithmétique au début de l'école primaire 1 . La tâche de l'école est de doter l'enfant d'une multitude de « réponses », de comportements bien définis. Pratiquement, toutes ces réponses sont verbales. Elles consistent à prononcer ou à écrire certains mots, certains chiffres, certains signes qui font référence à des nombres et à des opérations arithmétiques. Une première démarche visera donc à modeler ces réponses, à amener l'enfant à prononcer ou à écrire les mots, chiffres ou signes appropriés, mais la démarche principale consistera à placer 1. Les remarques qui suivent ne portent pas sur les méthodes nouvelles d'enseignement des mathématiques, mais la même analyse et les mêmes critiques pourraient être faites à leur sujet.

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ces comportements sous contrôle d'une vaste gamme de stimuli. C'est bien ce qui se passe lorsque l'enfant apprend à compter, à réciter sa table de multiplication, à dénombrer des objets dans un ensemble, à réagir à des nombres énoncés ou écrits en les identifiant comme nombres « pairs », « impairs » ou « premiers ». Au-delà de ce répertoire déjà très élaboré de comportements numériques, souvent considéré comme le résultat d'un simple apprentissage par cœur, l'enseignement de l'arithmétique tend à installer chez l'élève les enchaînements complexes de réponses qui constituent le raisonnement mathématique. L'enfant doit apprendre à convertir et à simplifier les fractions, etc..., c'est-à-dire à modifier l'ordre ou l'organisation d'un matériel donné de façon à fournir ce que nous appelons la solution du problème. Demandons-nous à présent comment est installé ce répertoire verbal extrêmement complexe. En premier lieu, à quels renforcements fait-on appel ? Il y a cinquante ou cent ans, la réponse eût été assez simple. Les modes de contrôle éducatifs étaient encore, à l'époque, essentiellement aversifs. L'enfant lisait les nombres, copiait les chiffres, mémorisait les tables, exécutait des opérations pour échapper à la menace de la férule du maître. Il pouvait arriver, sans doute, que le sentiment de maîtriser efficacement l'arithmétique fournisse à l'enfant des renforcements positifs, et dans des cas d'exception, l'élève pouvait trouver un renforcement intrinsèque dans la manipulation des nombres, dans la découverte de leurs propriétés, dans le jeu de leurs combinaisons. Mais d'une manière générale, l'enfant apprenait pour échapper à la punition. Les mouvements d'éducation progressive ont cherché, entre autres, à réformer cet état de choses et à utiliser les renforcements positifs. Mais il suffit de visiter les petites classes d'une école primaire de type habituel aujourd'hui pour constater qu'au lieu de remplacer le contrôle aversif par le contrôle positif, on a simplement remplacé un type de stimulation aversive par un autre. L'enfant assis à son banc à remplir ses cahiers, travaille, visiblement, pour échapper à la menace d'une série d'événements punitifs mineurs, le mécontentement de l'institutrice, les critiques ou les moqueries des condisciples, un classement inavouable dans un concours, des notes médiocres, une promenade au bureau du directeur pour s'y faire sermonner ou un avertissement aux parents qui restent toujours libres de recourir aux coups de trique. Au milieu de cet amas de conséquences désastreuses, la découverte de la réponse correcte ne représente qu'un événement insignifiant, noyé dans l'anxiété, l'ennui et l'agressivité qui accompagnent inévitablement le contrôle du comportement par des procédés aversifs.

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Nous 'pouvons en second lieu nous demander comment sont organisées les contingences de renforcement. A quelles occasions précises une opération sur les nombres est-elle renforcée comme étant « correcte » ? Il peut arriver, naturellement, que l'élève soit en mesure de juger ses propres réponses, et de s'octroyer ainsi à lui-même ses renforcements. Mais ceci est rare dans les premiers stades de l'apprentissage, au cours desquels seul l'instituteur est à même de sanctionner les réponses. Or, les conditions dans lesquelles ses appréciations parviennent à l'enfant sont loin d'être idéales. Il a été démontré expérimentalement qu'un délai de quelques secondes seulement entre la réponse et le renforcement annule pratiquement l'effet de ce dernier, à moins qu'un comportement intermédiaire n'ait été explicitement installé. Néanmoins, dans une classe habituelle, ce délai est généralement très long. Le maître, par exemple, arpentera sa classe pendant un exercice écrit, se penchant çà et là sur les cahiers des élèves, en dispensant de temps à autre ses appréciations. Il peut s'écouler plusieurs minutes entre l'instant où l'enfant a écrit une réponse et le moment où le maître l'approuve ou la critique. Le plus souvent, le maître emmènera les cahiers à domicile pour les corriger, et vingtquatre heures se passeront avant que l'enfant ait connaissance de son résultat. Le plus surprenant, à vrai dire, est qu'un tel système puisse malgré tout avoir quelque rendement. Un troisième défaut majeur est l'absence de tout programme qui achemine très progressivement l'élève, par approximations successives, jusqu'au comportement complexe que l'on souhaite finalement installer. Une longue série de contingences de renforcement est nécessaire pour amener l'élève à posséder vraiment les mathématiques. Mais le maître n'est pas en mesure de prodiguer les renforcements à chaque pas, car il ne peut prêter attention aux réponses de tous ses élèves à la fois. Il doit se contenter de renforcer le comportement par blocs de réponses — c'est ce qu'il fait lorsqu'il corrige une interrogation, un devoir ou un exercice. Les réponses dans un tel bloc peuvent très bien être sans rapport les unes avec les autres. La solution d'un problème peut ne dépendre aucunement de la solution des problèmes précédents. Le nombre d'étapes à travers lesquelles l'élève s'achemine progressivement vers l'acquisition d'un comportement complexe est ainsi extrêmement réduit, et la tâche en est rendue d'autant plus difficile. Même les manuels les plus modernes d'introduction à l'arithmétique sont loin de remplir les conditions d'un programme vraiment efficace pour modeler le comportement mathématique. Mais la critique la plus sérieuse que l'on puisse adresser à la classe

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traditionnelle porte sur la rareté relative des renforcements. Les renforcements que reçoit l'élève ne lui viennent pratiquement que du maître, et comme beaucoup d'élèves dépendent du même maître, le nombre total de renforcements que chacun peut raisonnablement attendre au cours, par exemple, des quatre premières années, ne dépasse pas les quelques milliers. [...} Les résultats de tout cela ne sont, hélas, que trop bien connus. Même nos meilleures écoles font l'objet de violentes critiques, et se voient reprocher leur incapacité à enseigner des matières aussi fondamentales que l'arithmétique. Quant à la situation dans la moyenne des écoles, elle est source d'une inquiétude générale. Les enfants d'aujourd'hui n'apprennent l'arithmétique ni facilement, ni rapidement, ni bien. L'incompétence n'est pas l'unique sous-produit de cet enseignement. En effet, les enfants pour lesquels les méthodes employées sont les moins adaptées sont aussi ceux que l'échec marque le plus, et parallèlement à leur incompétence croissante se développent leurs sentiments d'anxiété, d'insécurité et d'agressivité, qui posent à leur tour de nouveaux problèmes à l'école. La plupart des élèves en viennent rapidement à chercher refuge dans l'idée qu'ils ne sont pas « prêts » pour aborder les mathématiques à un certain niveau, voire qu'ils n'ont pas l'esprit mathématique. Maîtres et parents en quête d'excuses se saisissent promptement de telles explications. Très peu d'élèves atteignent le stade où leurs « comportements mathématiques » trouvent en eux-mêmes, de façon autonome, leurs propres renforcements ; où l'activité et la réussite sont leurs propres récompenses. Au contraire, chiffres et symboles sont devenus de véritables stimuli émotionnels. Un coup d'oeil sur une colonne de chiffres, pour ne rien dire d'une équation ou d'une intégrale, suffit à déclencher, non pas les activités mathématiques que l'on attendrait, mais une réaction émotionnelle d'anxiété, de culpabilité ou de terreur Le maître n'est généralement pas plus heureux de cette situation que ses élèves. Se voyant interdire le recours à la férule, généralement mal informé sur les processus psychologiques à l'œuvre dans les quelques méthodes qu'il utilise, il passe le moins de temps possible à enseigner les matières de base, qui exigent beaucoup de patience et d'effort, et adhère avec enthousiasme aux philosophies de l'éducation qui donnent une place privilégiée à des matières d'un intérêt immédiat plus apparent pour l'enfant. Son incertitude se trahit dans sa crainte étonnante d'enseigner des choses inutiles. Les comportements à créer chez l'élève se trouvent ainsi réduits au strict minimum, à ce que l'on tient pour essentiel. Dans le domaine de l'orthographe, par

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exemple, on a consacré un temps énorme et une énergie considérable à découvrir exactement les mots que le jeune enfant emploie, comme si c'était un crime d'appliquer son activité de maître à enseigner un mot qui ne serait pas absolument nécessaire. Il arrive aussi que la faiblesse foncière des méthodes se travestisse dans les reformulations des buts de l'éducation. On y réduit l'importance des savoirs précis, en faveur de vagues idéaux — éduquer pour la démocratie, éduquer la personne dans sa totalité, l'éducation pour la vie, etc. Puis on en reste là ; car, malheureusement, ces philosophies toutes verbales sont muettes sur le point des méthodes. Elles n'offrent aucun secours pour mieux mener, dans la pratique, la vie de la classe.

Améliorer l'enseignement Les objections à l'enseignement habituel qui viennent d'être discutées seraient dénuées de tout intérêt si les améliorations étaient impossibles à imaginer. Mais les progrès réalisés depuis quelques années dans le contrôle des mécanismes d'apprentissage suggèrent une réforme profonde des méthodes en usage et nous indiquent comment entreprendre cette réforme. Ce n'est naturellement pas la première fois que les résultats d'une science expérimentale trouvent une application dans les problèmes pratiques de l'éducation. La classe moderne pourtant, il faut l'avouer, ne reflète pas grand-chose des recherches sur l'apprentissage. Cet état de choses est sans doute, en partie, dû aux limitations des premières recherches. Mais il a été encouragé par l'affirmation hâtive que l'étude de l'apprentissage en laboratoire est par définition inutile parce qu'elle ne peut tenir compte des réalités de la classe. Or, bien au contraire, ce que nous savons, à la lumière des travaux de laboratoire, des mécanismes de l'apprentissage, devrait nous pousser à nous attaquer précisément aux réalités de la classe et à les changer radicalement. L'éducation scolaire est sans doute la branche la plus importante de la technologie scientifique. Elle influence profondément la vie de chacun. Nous ne pouvons plus tolérer que les conditions défavorables d'une situation de fait fassent obstacle aux progrès extraordinaires aujourd'hui réalisables. Il faut changer la situation de fait. Une série de questions se posent, et exigent une réponse, lorsqu'on aborde l'étude d'un nouvel organisme en vue d'en contrôler le comportement. Quel comportement veut-on installer ? De quels renforcements dispose-t-on ? Quelles conduites déjà existantes sont utilisables pour amorcer un programme d'apprentissage progressif qui ache-

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mine, par approximations successives, à la forme finale de comportement souhaitée ? Comment faut-il programmer les renforcements pour entretenir le plus efficacement possible le comportement ? Toutes ces questions doivent être posées lorsqu'on envisage le problème de l'enfant abordant l'école primaire. [...] L'étude expérimentale de l'apprentissage a montré que les contingences de renforcement les plus efficaces dans le contrôle d'un organisme ne peuvent être arrangées directement par la personne de l'expérimentateur. Le sujet est en effet influencé par des détails très subtils qui échappent au contrôle volontaire de l'organisme humain. L'expérimentateur doit donc se remplacer, pour ainsi dire, par des dispositifs mécaniques ou électriques. Cette nécessité s'impose si l'on songe simplement au nombre d'événements à programmer ou à enregistrer au cours d'une seule séance d'expérience. Nous avons enregistré des millions de réponses émises par le même sujet au cours de plusieurs milliers d'heures d'expérience. Un contrôle des opérations expérimentales par l'expérimentateur lui-même et une observation directe continue du comportement du sujet sont inimaginables. Or, s'il est quelques différences entre les animaux que nous avons étudiés et l'organisme humain, c'est sans doute dans le sens d'une sensibilité plus grande encore de ce dernier à des variations très nuancées du milieu, à des signaux très précis et subtils, à des rapports très fins entre événements. Nous avons toutes les raisons de croire, dès lors, qu'un contrôle efficace des apprentissages chez l'homme exigera, lui aussi, le recours à des dipositifs. Le fait est là : en tant que simple mécanisme de renforcement, le maître est dépassé. Ceci serait vrai même si l'instituteur pouvait consacrer tout son temps à un seul élève. Ce l'est, à plus forte raison, s'il doit servir de distributeur de renforcements à toute une classe. Si les instituteurs veulent tirer parti des progrès récents réalisés par la psychologie de l'apprentissage, il leur faut accepter l'aide de dispositifs automatiques.

Une machine à enseigner Le problème technique de la réalisation d'un instrument adéquat n'est pas particulièrement difficile. Il existe quantité de procédés, mécaniques ou électriques, permettant d'arranger les contingences de renforcement comme il convient. Il y a longtemps déjà, nous avions construit un dispositif peu coûteux, mais qui répondait à la plupart des exigences principales. Bien que des appareils infiniment

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plus compliqués aient été mis au point depuis lors, il suffit à faire comprendre les caractéristiques que doit présenter ce genre d'instrument. Il se compose d'une boîte, dont les dimensions correspondent à peu près à celles d'un petit tourne-disque. Dans la face supérieure est découpée une fenêtre qui laisse apparaître une question d'arithmétique ou un problème imprimé sur une longue bande de papier. L'enfant produit sa réponse en actionnant une ou plusieurs glissières portant les chiffres de 0 à 9. La réponse apparaît sous forme de perforations dans le papier sur lequel la question est imprimée. Ceci fait, l'enfant tourne un bouton, une opération aussi simple que de régler une télévision. Si la réponse est correcte, le bouton tourne librement et déclenche une brève sonnerie ou tout autre stimulus adopté comme renforcement. Si la réponse est fausse, le bouton reste bloqué (on peut ajouter un compteur qui enregistre les erreurs). L'enfant doit alors tenter une nouvelle solution. Lorsque sa réponse est enfin correcte, le bouton dégagé permet d'entraîner la bande de papier d'un cran, de manière à ce qu'apparaisse la question suivante. Cette opération n'est toutefois possible que si les glissières ont été remises à zéro. Les caractères importants d'un tel dispositif sont les suivants : le renforcement de la réponse correcte est immédiat. La simple manipulation de l'appareil sera probablement assez renforçante pour tenir tout élève normal au travail chaque jour pendant une période raisonnable, pour peu que toute trace des contrôles aversifs antérieurement en honneur ait été éliminée. Le maître peut surveiller le travail d'une classe entière simultanément, tout en laissant chaque élève progresser au rythme qui lui convient et résoudre autant de problèmes qu'il peut au cours de la classe. Si l'élève est forcé de manquer l'école, il pourra, à son retour, reprendre son travail là où il l'avait laissé. L'enfant doué progressera rapidement, mais il sera facile de limiter, si on le juge utile, l'avance prise sur les autres en le dispensant d'une partie des travaux d'arithmétique ou en lui donnant des séries de problèmes spéciaux qui l'initieront à l'une ou l'autre ramification ou application des mathématiques rarement enseignée mais passionnante. Le dispositif permet de présenter la matière sous une forme soigneusement organisée, de telle sorte que chaque problème dépende de la solution du précédent, procédé le plus efficace pour construire un répertoire complexe. Au stade expérimental, on prévoit un enregistrement des erreurs les plus fréquentes de manière à modifier les questions à la lumière de l'expérience. Là où les élèves éprouvent assez généralement des difficultés, des échelons supplémentaires seront

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intercalés, et finalement le matériel atteindra un point où l'élève moyen ne fournira plus que des réponses correctes. Au cas où la matière à enseigner ne paraît pas suffisamment renforçante par elle-même, d'autres renforcements seront utilisés pour sanctionner le travail au dispositif ou les progrès par la solution d'une tranche de problèmes. On veillera cependant, si l'on recourt à des renforcements d'appoint, à ne pas sacrifier les avantages du renforcement immédiat et à ne pas en prendre prétexte pour négliger de construire une séquence optimale d'échelons qui se rapproche étroitement des comportements mathématiques complexes auxquels on vise. [...} On devine aisément les objections qui seront faites à l'usage de tels dispositifs à l'école. D'aucuns protesteront contre cette façon de traiter l'enfant comme un animal et d'aborder une acquisition intellectuelle proprement humaine en termes mécanistes intolérables. Le comportement mathématique est généralement considéré, non pas comme un ensemble de comportements impliquant les nombres et les opérations sur les nombres, mais comme l'expression d'une aptitude aux mathématiques ou du pouvoir de la raison. Il est clair que les techniques inspirées de l'étude expérimentale de l'apprentissage ne visent pas à « développer l'esprit » ni à susciter je ne sais quel vague pouvoir de pénétration des relations mathématiques. Elles visent, au contraire, à installer ces comportements bien précis dans lesquels on ne veut voir que les reflets de ces états ou de ces processus mentaux mystérieux. Il n'y a là, en fait, qu'un cas particulier d'un changement général dans la manière d'interpréter les problèmes humains. Une science en progrès continue d'accumuler les arguments en faveur de conceptions qui substituent aux formulations traditionnelles une perspective nouvelle. La pensée humaine doit se définir en termes de comportements réels, qui méritent d'être traités pour eux-mêmes comme les objectifs concrets de l'éducation. Il va de soi que le rôle du maître ne se limite pas à dire bien et mal. Les changements proposés, précisément, le libèrent et le rendent disponible pour exercer sa véritable fonction. Corriger un exercice d'arithmétique, écrire en marge « Bien, 9 et 6 font 15 ; non, 9 et 7 ne font pas 18 » est en dessous de la dignité de toute personne intelligente. Il y a des choses plus importantes à faire, et pour lesquelles aucune machine ne peut se substituer à la relation entre le maître et l'élève. Le recours à des machines ne peut qu'améliorer et enrichir cette relation. On pourrait résumer ainsi le problème central de l'instruction primaire aujourd'hui : l'enfant n'apprend pas convenablement ce qu'on veut lui enseigner, et il le sait, et le maître de son côté est

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incapable d'y porter remède, et il le sait aussi. Si les progrès récents de la science auxquels nous nous sommes référés peuvent donner à l'enfant une compétence solide en lecture, en écriture, en orthographe, en arithmétique, l'instituteur et l'institutrice pourront enfin exercer leur fonction, non à la manière de vulgaires machines, mais à travers les contacts intellectuels, culturels et affectifs qui témoignent vraiment de leur qualité d'êtres humains. On objectera encore que l'adoption de méthodes d'enseignement automatisées entraînera le chômage des enseignants. Il est inutile de nous soucier de cela jusqu'au moment, encore fort éloigné, où nous disposerons de bons maîtres en nombre suffisant et où le temps de travail et l'énergie que l'on exige d'eux seront comparables aux normes admises pour les autres travailleurs. Des dispositifs mécaniques soulageront les enseignants des besognes les plus fastidieuses, mais ils ne réduiront pas nécessairement le temps qu'ils passeront en présence des élèves. On émettra aussi une objection plus pratique : pouvons-nous nous payer la mécanisation de nos écoles ? La réponse est assurément affirmative. Le dispositif que nous venons de décrire à titre d'exemple ne coûterait guère plus à fabriquer qu'un petit poste de radio ou un petit pick-up. On pourrait d'ailleurs se contenter d'un nombre de dispositifs bien inférieur à celui des élèves car ils pourraient être employés selon un système de rotation par groupes. Mais même si nous supposons que le dispositif jugé le plus efficace reviendrait à plusieurs milliers de francs et qu'il en faudrait une grande quantité, notre économie est certainement en mesure de faire face. Dès que sera reconnue la possibilité, et la nécessité d'introduire ces aides mécaniques dans la classe, le problème économique trouvera de lui-même sa solution. Il n'y a aucune raison pour que l'école soit moins mécanisée que la cuisine, par exemple. Des pays qui produisent chaque année des millions de réfrigérateurs, de lavevaisselle, des lessiveuses, séchoirs, broyeurs d'ordures et autres appareils essentiels peuvent certainement se payer le luxe de doter leurs écoles de l'équipement nécessaire pour éduquer leurs citoyens et leur enseigner des connaissances solides de la manière la plus efficace. Le problème, en fait, est assez simple. Les objectifs à atteindre peuvent être clairement définis en termes très concrets. Les techniques nécessaires sont bien connues. L'équipement indispensable peut être fabriqué aisément. Le seul obstacle, c'est l'inertie culturelle. Mais n'est-ce pas le propre de notre époque moderne que le refus de tenir le traditionnel pour inévitable ? Nous sommes à l'aube d'une

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Vers une technologie pédagogique ?

ère enthousiasmante et révolutionnaire, dans laquelle letude scientifique de l'homme pourrait enfin servir les meilleurs intérêts de l'humanité. L'éducation doit jouer son rôle. Elle doit accepter le fait que nos vieilles pratiques pédagogiques doivent subir une profonde mutation. Lorsque ce sera fait, nous pourrons avec confiance entreprendre de mettre sur pied un système scolaire conscient de la nature de ses buts, sûr de ses méthodes, et généreusement soutenu par les citoyens dynamiques et bien informés que le système lui-même aura engendrés.

Bibliographie sommaire

Préambule. L'institution scolaire et la pédagogie dans les instructions et les textes officiels Enseignement

primaire

Textes organiques : — Lois du 16 juin 1881, 28 mars 1882, 30 octobre 1886. — Décret du 18 janvier 1887. — Arrêté du 18 janvier 1887. Programmes, horaires, instructions : — 20 juin 1923. — 20 septembre 1938. — 11 octobre 1945. — 7 décembre 1945. Ordonnance et décret du 6 janvier 1959 (Réforme de l'enseignement). Arrêté du 7 août 1969Enseignement

secondaire

Arrêtés fixant les programmes et horaires du Second Degré : — — — — —

18 30 30 11 30

avril 1920. avril 1931. août 1937. avril 1938. mai 1938.

Instructions du 30 septembre 1938. Ordonnance du 6 janvier 1959 sur l'organisation du Premier Cycle et des Collèges d'Enseignement secondaire. Circulaires publiées entre 1959 et 1971 : Le Premier Cycle : recueil des lois et règlements, Paris, SEVPEN.

Bibliographie

468

sommaire

Chapitre I. Sociologie de l'éducation et de l'institution scolaire ARIÈS P. L'enfant et la vie familiale

Paris, Pion,

sous l'Ancien Régime.

1963. BOURDIEU P. et PASSERON J.-C. Les héritiers études. Paris, Éd. de Minuit, 1 9 6 4 .

— La reproduction gnement.

: les

étudiants

et

leurs

: éléments pour une théorie du système d'ensei-

Paris, Éd. de Minuit, 1 9 7 0 .

CROS L. L'explosion

Paris, C U I P ,

scolaire.

DURKHEIM É. Éducation JACCARD P. Sociologie

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et sociologie.

Paris, Alcan, 1 9 2 2 .

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Paris, Payot, 1 9 6 2 .

JANNE H . « Le système social : essai de théorie générale » in : Sociologie des mutations, Bruxelles, Institut de Sociologie de l'Université Libre, 1 9 6 8 . MICHAUD G . « Analyse institutionnelle septembre 1 9 6 9 .

et pédagogie »,

MOLLO S. L'école dans la société : psychologie des modèles Paris, Dunod,

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1970.

ROUMA G. Pédagogie cation.

Recherches,

sociologique

: les influences

des milieux

Paris, Fischbacher, 1 9 1 4 .

« Sociologie de l'éducation », Revue

française

de sociologie,

en édunuméros

spéciaux, 1 9 6 7 , 1 9 6 8 .

Chapitre II. Etude des petits groupes et pédagogie ANZIEU D . et MARTIN J . - Y . La dynamique des groupes Presses Universitaires de France, 1 9 6 8 .

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restreints.

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des groupes. Paris, Éd. de l'Épi, 1965.

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de France, 1 9 6 5 . BROWNE C. G . et COHN T . S. Chefs et meneurs : psychologie sociale de l'autorité et de la direction. Trad, française. Paris, Presses Universitaires de France, 1 9 6 3 . CORNATON M. Groupes

et société.

COUSINET R . La vie sociale DAVAL R . Traité 1964.

de

FLAMENT C. Réseaux

Toulouse/Paris, Privât, 1 9 6 9 .

des enfants.

psychologie

Paris, Éd. du Scarabée, 1 9 5 0 .

sociale.

de communication

Paris, Presses

Universitaires,

et structure de groupe.

Paris,

Dunod, 1 9 6 5 . LAPASSADE G . Groupes, Villars, 1 9 6 7 .

organisations

et institutions.

Paris, Gauthier-

Bibliographie sommaire

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470

Bibliographie

sommaire

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Bibliographie

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ZAZZO R . Intelligence et quotient d'âge. Paris, Presses Universitaires de France, 1 9 4 6 . et conscience. Paris/Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, — Conduite 1968. — Les débilités mentales. Paris, A. Colin, 1 9 6 9 .

Chapitre IV. Psychanalyse et éducation AJURIAGUERRA J . DE. Manuel 1970.

de psychiatrie

ANZIEU D . Le psychodrame analytique Universitaires de France, 1 9 5 6 . AUBRY J . La carence des soins maternels. BASTIDE R. Sociologie

des maladies

BERGE A . L'éducation taires de France,

sexuelle 1952.

de l'enfant.

chez

Paris,

Presses

Paris, N B U , 1 9 6 5 .

mentales.

chez

l'enfant.

Paris, Masson,

l'enfant.

Paris, Flammarion,

1965.

Paris, Presses Universi-

DIATKINE R . et FAVREAU J . A. « Le psychiatre et les parents », psychiatrie de l'enfant 3, 1 9 6 1 . DOLTO F. Psychanalyse

et pédiatrie.

FREUD A. Le traitement psychanalytique versitaires de France, 1 9 5 1 .

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La

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Paris, Presses Uni-

FREUD S. Œuvres traduites en langue française : — Ma vie et la psychanalyse. Paris, Gallimard, 1 9 6 1 . — Trois essais sur la théorie de la sexualité. Paris, Gallimard, — Essais de psychanalyse. Paris, Payot, 1 9 6 5 . — Cinq leçons sur la psychanalyse. Paris, Payot, 1 9 6 6 . — La science des rêves. Paris, Presses Universitaires de France,

1962.

1967.

Bibliographie

sommaire

473

HEUYER G. Introduction à la psychiatrie infantile. Paris, Presses Universitaires de France, 1952. JUNG C. Psychologie et éducation. Paris, Buchet-Chastel, 1963. KLEIN M. Narrative of a Child Analysis. Londres, Hoggart Press, 1961. — « Psychoanalytic Principles of Child Analysis », in : Contributions to Psychoanalysis. Londres, Hoggart Press, 1950. LACAN J. « La famille », in : Encyclopédie française de la vie Mars 1938.

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LEBOVICI

MANNONI M. L'enfant arriéré et sa mère. Paris, Éd. du Seuil, 1964. MAUCO G. L'inadaptation sociale et scolaire et ses remèdes. Paris, Bourrelier, 1959. —• L'éducation affective et caractérielle de l'enfant. Paris, Bourrelier, 1963.

— Psychanalyse et éducation. Paris, Aubier-Montaigne, 1967. — L'inconscient et la psychologie de l'enfant. Paris, Presses Universitaires de France, 1970. MICHAUX L. Psychiatrie infantile. Paris, Presses Universitaires de France, 1953. W . J. Initiation à la pédagogie psychanalytique. Casterman, 1970.

SCHRAML

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V. La psychanalyse de l'enfant. Paris, Presses Universitaires de France, 1966.

SMIRNOFF

et COURTECUISSE-MIRAL J. « De l'anthropologie culturelle à l'observation directe », Psychiatrie de l'Enfant 4 (2), I960, pp. 509-555.

SMIRNOFF V .

SPITZ R. A. La première année de la vie de l'enfant. Paris, Presses Universitaires de France, 1958. — Le non et le oui. Paris, Presses Universitaires de France, 1963. WIDLOCHER D. Le psychodrame taires de France, 1962.

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WINNICOT D. W. Processus de maturation 1970.

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Paris, Payot,

Bibliographie

474

sommaire

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de

pédagogie

de France, 1946-1949-

générale.

Paris, Presses

Universitaires

Bibliographie

sommaire

475

INIZAN A. Le temps d'apprendre à lire. Paris, A. Colin, 1963. LANDSHEERE G. DE. Introduction à la recherche pédagogique. Liège, G. Thomes, 1964. LEBOULCH J. L'éducation par le mouvement. Paris, Éd. sociales, 1966. LOBROT M. La pédagogie institutionnelle. Paris, Gauthier-Villars, 1966. LUQUET G. H. Le dessin enfantin. Neuchâtel/Paris, Delachaux & Niestlé, 1967. MAKARENKO A. Poème pédagogique. Moscou, Éd. du Progrès, 1967. MALSON L. Les enfants sauvages. Paris, Union générale d'Éditions, 1964. MiALARET G. Introduction à la pédagogie. Paris, Presses Universitaires de France, 1964. MONTESSORI M. L'enfant. Bruxelles/Paris, Desclée de Brouwer, 1936. — Pédagogie scientifique. Bruxelles/Paris Desclée de Brouwer, 1958. PERETTI A. DE. Liberté et relations humaines. Paris, Éd. de l'Épi, 1966. — Les contradictions de la culture et de la pédagogie. Paris, Éd. de l'Épi, 1969. PLANCHARD E. La pédagogie scolaire contemporaine. Paris, Casterman, 1948. SUCHODOLSKI B. La pédagogie et les grands courants philosophiques. Paris, Éd. du Scarabée, I960. VASQUEZ A., OURY F. Vers une pédagogie institutionnelle. Paris, Maspéro, 1967. Chapitre VI. Vers une technologie pédagogique Techniques audio-visuelles : Cahiers de pédagogie moderne. Paris, Bourrelier, 1967. COHEN-SEAT G. Essai sur les principes d'une philosophie du cinéma. Paris, Presses Universitaires de France, 1948. DIEUZEIDE H. Les techniques audio-visuelles dans l'enseignement. Paris, Presses Universitaires de France, 1965. FERENCZI V. La perception de l'espace projectif. Paris, Didier, 1966. LEBOUTET H., LEBOUTET L., LEFRANC R . et N O Z E T H . Trois

expériences

sur l'utilisation des techniques audio-visuelles : Saint-Cloud, École normale supérieure, Centre audio-visuel. METZ C. Essai sur la signification du cinéma. Paris, Klincksieck, 1968. MiALARET G. Psychopédagogie des moyens audio-visuels dans l'enseignement du premier degré. Paris, Presses Universitaires de France, 1964. MITRY J. Esthétique et psychologique du cinéma. Paris, Presses Universitaires de France, 1965. MOLES A. Socio-dynamique de la culture. Paris/La Haye, Mouton, 1967.

Bibliographie

476

sommaire

SLECY A. La grammaire élémentaire de l'image. Paris, Éd. de l'école Estienne, 1962. STRASFOGEL S. Initiation à l'emploi des moyens audio-visuels. Paris, Bourrelier, 1962. TARDY M. Le professeur et les images. Paris, Presses Universitaires de France, 1966. Enseignement programmé : COUFFIGNAL L. La pédagogie cybernétique, Bulletin de l'Association de pédagogique. Paris, Gauthier-Villars, 1964. CRAM D. Présentation des machines à enseigner et de la programmation pédagogique. Paris, Gauthier-Villars, 1964. DECOTE R. Vers l'enseignement programmé. Paris, Gauthier-Villars, 1963.

ESTES W. K. Modern Learning Theory. New York, 1954. FRANCK C. et CATTEGNO G. Pédagogie et cybernétique. Paris, GauthierVillars, 1966. METAIS C. Machines à enseigner et pédagogie cybernétique. Paris, Gauthier-Villars, 1965. MONTMOLLIN M. DE. L'enseignement programmé. Paris (Coll. « Que saisie ? », 1 1 7 1 ) .

Revue Europe, l'enseignement programmé, mai-juin 1965. SKINNER B. F. La révolution scientifique de l'enseignement. Trad, française, Bruxelles, C. Dessart, 1968.

Table des matières

AVANT-PROPOS

9

PRÉAMBULE : L'INSTITUTION SCOLAIRE E T PÉDAGOGIE DANS LES INSTRUCTIONS ET T E X T E S OFFICIELS

LA LES

Introduction

13

Instructions pour l'enseignement primaire : arrêté organique du 18 janvier 1887, annexe F

16

Instructions du 20 juin 1923 relatives au nouveau plan d'études des écoles primaires élémentaires

23

Instructions pour l'enseignement primaire, relatives à l'application des arrêtés du 23 mars 1938 et du 11 juillet 1938 . . . . Instructions du 30 septembre 1938 pour l'enseignement du second degré

31 37

La réforme de l'enseignement : décret du 6 janvier 1959

45

Aménagement de la semaine scolaire et répartition de l'horaire hebdomadaire dans les écoles élémentaires et maternelles . . . .

50

PREMIÈRE ET

PARTIE

: SOCIÉTÉ,

GROUPES

SOCIAUX

ÉDUCATION

I. Sociologie de l'éducation et de l'institution scolaire Introduction

55

É. Durkheim, Pédagogie et éducation

59

478

Table des matières

É. Durkheim, Sociologie de l'éducation P. Bourdieu et J.-C. Passeron, Les étudiants et la culture . . . . P. Bourdieu et J.-C. Passeron, Les mécanismes de la reproduction culturelle

65 75 90

II. Études des petits groupes et pédagogie Introduction J. L. Moreno, La sociométrie K. Lewin, La psychologie des groupes M. A. Bany et L. V. Johnson, Dynamique des groupes et pédagogie

105 108 129 159

DEUXIÈME PARTIE : LA CONNAISSANCE DU SUJET III. Psychologie et pédagogie Introduction H. Wallon, Maturation et apprentissages fonctionnels J. Piaget, La psychologie génétique J.-F. Le Ny, Apprentissage et activités psychologiques J. L. Moreno, Doctrine de la spontanéité-créativité C. R. Rogers, Théorie de la créativité R. Rosenthal et L. Jacobson, Pygmalion à l'école

199 203 219 241 264 269 274

IV. Psychanalyse et éducation Introduction V. Smirnoff, Théorie psychanalytique l'enfant : les stades libidinaux G. Mauco, Psychanalyse et école

283 et connaissance de 286 310

TROISIÈME PARTIE : LA PÉDAGOGIE DU XX e SIÈCLE PAR LES PÉDAGOGUES V. École et pédagogie Introduction Alain, Propos sur l'éducation

329 333

Table des matières

479

A. Hamaïde, La méthode Decroly

342

M. Montessori, L'éducation nouvelle

353

C. Freiner, Pour une méthode naturelle A Ferrière, Qu'est-ce que l'École active ?

372 389

R. Cousinet, Le travail par groupes C. R. Rogers, La pédagogie non directive

395 415

VI. Vers une technologie pédagogique ? Introduction G. Mialaret, Les moyens audio-visuels M. Tardy, Pour une pédagogie de l'image : prolégomènes à une pédagogie des messages visuels B. F. Skinner, L'enseignement programmé : science de l'apprentissage et art de l'enseignement BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

429 433 442 455 467

SUR LES PRESSES DE D'IMPRIMER 8 6 LIGUGÉ / VIENNE L'IMPRIMERIE AUBIN L E 1 5 SEPTEMBRE 1 9 7 2

ACHEVÉ

D é p ô t légal, 3« trimestre 1972. — I m p r i m e u r , n ° 6 6 9 9 . Imprimé en France