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French Pages 66 Year 2008
AVANT-PROPOS La menace de disparition qui pèse sur les œuvres de l’oralité est plus que jamais réelle dans un monde envahi par l’écriture. Il est donc urgent de prendre des mesures pour sauver ce qui peut l’être encore du patrimoine oral africain. C’est pourquoi, en écho à l’alerte lancée il y a plusieurs décennies par le sage Amadou Hampâté Ba, nous nous sommes employés, en collaboration avec nos étudiants, à collecter et traduire en français des contes et récits du Mali. Nous connaissons les limites d’une telle entreprise qui ne rend qu’imparfaitement l’esprit et la lettre de ces récits parce qu’il leur manque la chaleur de la parole et l’ornement du geste.
SÉBOUROUSSÉ Celui qui lève son bras droit pour dire qu’il n’a besoin de personne, doit lever l’autre bras gauche pour dire que personne n’a besoin de lui. Il était une fois un roi et sa fille nommée Sébouroussé. Sébouroussé était choyée par son père qui ne lui refusait rien, lui donnait tout ce qu’elle réclamait, tout ce dont elle avait besoin. Au moindre petit cri, à la moindre petite lamentation, le roi s’affairait autour de sa fille, prêt à satisfaire ses moindres petits désirs, ses moindres petits caprices. Jamais enfance n’avait été aussi gaie, aussi rassurée que celle de Sébouroussé. Pour elle le roi avait fait construire une très belle maison à étage. Elle y vivait avec la vieille Baya que son père avait engagée uniquement pour lui tenir compagnie et la servir. Pour les travaux ménagers, la vieille Baya était sur pied tous les jours, matin et soir. Naturellement, Sébouroussé ne touchait à rien. Elle ne rendait visite à personne et ne recevait aucune visite. La vieille veillait à ce que rien ne lui manquât. Sébouroussé ne semblait pas souffrir de son isolement. Elle n’avait jamais vu personne. 9
Les animaux, qu’ils fussent domestiques ou sauvages, lui étaient inconnus. Sébouroussé grandit ainsi dans l’aisance, dans l’insouciance et dans l’isolement total jusqu’à sa majorité. Un jour, Baya demanda audience au roi et lui dit : - Majesté, votre fille a grandi. Elle a atteint la majorité et est en âge de se marier. Du reste, des prétendants commencent à se manifester. Il est temps que vous leur prêtiez attention. Parmi les nombreux candidats, le roi accorda sa préférence à un notable du village le plus proche. Ce choix obéissait au désir de ne pas voir sa fille s’éloigner de lui. Le jour du mariage arriva et il fallut conduire la mariée chez son époux. Ce fut un mariage mémorable. Les délégations vinrent des quatre coins du royaume, chargées de cadeaux. On dansa et on chanta. Tout le monde était à la fête, excepté Sébouroussé dont le visage reflétait l’inquiétude. Jamais de sa vie elle n’avait vu autant de monde et l’idée de quitter son palais pour aller vers l’inconnu ne la rassurait guère. De quoi serait faite sa vie de femme mariée ? Au prix de quels sacrifices faudra-t-il s’insérer dans ce monde différent de celui où elle avait jusqu’à présent vécu ? Autant de questions qui hantaient
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la nouvelle mariée et auxquelles elle n’avait pas un début de réponse. Lorsque la foule s’approcha d’elle, Sébouroussé se mit à pleurer et s’agrippa à Baya en chantant : - Il va me mordre, Baya. A quoi la vieille répondit : - Il ne te mordra pas Sébouroussé Il ne te mordra pas Sébouroussé Le cortège nuptial ne mord personne Sébouroussé, tais-toi ! - Alors Baya prends-moi sur tes genoux. Baya la prit sur ses genoux, la consola et Sébouroussé se tut. On fit venir le cheval qui devait lui servir de monture pour faire le chemin. Sébouroussé eut peur de l’animal. Elle s’agrippa à Baya en pleurant : - Il va me mordre, Baya. - Il ne te mordra pas Sébouroussé Il ne te mordra pas Sébouroussé Le cheval nuptial ne mord personne Sébouroussé tais-toi ! - Alors Baya prends-moi sur tes genoux. Baya la prit sur ses genoux, la consola et elle se tut. Après plusieurs heures de marche ponctuée de scènes du même genre, le cortège arriva enfin à destination. Sébouroussé fut installée dans sa nouvelle demeure. Trois jours après, les parents 11
et amis de la famille royale se retirèrent et rejoignirent leurs villages respectifs, laissant derrière eux Sébouroussé. Seule Baya avait décidé de rester auprès d'elle afin de la rassurer. Plusieurs mois plus tard, Sébouroussé changea d’aspect. Son teint devint plus clair. Elle grossit. Son ventre augmentait de volume, elle était enceinte. Ayant pris conscience de son état, elle tâtait son ventre et chantonnait : - Elle va me mordre Baya. A quoi Baya répondait : - Elle ne te mordra pas Sébouroussé Elle ne te mordra pas Sébouroussé La grossesse ne mord personne Sébouroussé tais-toi ! - Alors Baya prends-moi sur tes genoux. Baya la prenait sur ses genoux, la consolait et elle se taisait. Des mois s’écoulèrent. Un beau jour, Sébouroussé accoucha d’un joli petit garçon tout rose. On nettoya le bébé proprement, on l’enveloppa soigneusement dans de belles couvertures et on le présenta à sa mère. Pour toute réaction, Sébouroussé eut peur et se mit à pleurer : - Il va me mordre Baya
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Baya la rassura : - Il ne te mordra pas Sébouroussé Il ne te mordra pas Sébouroussé L’enfant ne mord personne Sébouroussé tais-toi ! - Alors Baya prends-moi sur tes genoux. Baya la prit sur ses genoux, la consola et elle se tut. Baya continua à s’occuper de la nouvelle maman et de son bébé. Un jour, la vieille Baya ramassa le linge sale pour aller le laver au marigot. La coépouse de Sébouroussé fabriquait du savon dans une grande marmite posée sur le feu. Avant de partir, Baya s’adressa à Sébouroussé : - Je vais laver le linge sale au marigot. Quand le bébé se réveillera, tu le prendras. Surtout n’aie pas peur de lui. Quelques instants après le départ de Baya, le bébé se réveilla et se mit à pleurer. Sébouroussé eut peur de l’enfant et courut se réfugier auprès de sa coépouse : - Il va me mordre. - Je ne suis pas Baya, lui répondit la coépouse. Si tu as peur de ton propre enfant, mets-le dans ce liquide bouillant. Ainsi il ne te mordra plus. Aussitôt dit, aussitôt fait. L’enfant mourut.
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De retour du marigot, la vieille Baya, Baya la dévouée, apprit la tragique nouvelle. Elle en fut bouleversée. - Je suis restée auprès de toi, dit-elle à Sébouroussé, pour t’assister et te mettre en confiance à cause de cet enfant. Puisque tu l’as tué, ma présence ici n’a plus de sens. Elle ramassa ses affaires et retourna chez elle, laissant Sébouroussé à son sort. Qui est responsable des malheurs de Sébouroussé ? Voilà ce qu’il en coûte d’élever un enfant en marge de la société.
LES ANCIENS Au pays de Fangadougou régnait un roi très puissant du nom de Ntoumouba. Il exerçait sur les villages de son royaume une autorité sans partage. Il avait pour habitude de faire le tour du pays pour rencontrer ses sujets. Un jour, au cours d’une de ses sorties, il arriva au village de Dabada, demanda à voir le chef. Il lui fut répondu que depuis quelque temps le village n’avait pas de chef. - Et pourquoi ? demanda-t-il. - Parce que la coutume veut que le fils aîné du roi lui succède ; or celui qui est mort n’a pas laissé d’héritier, répondit un vieillard. Nous avons bien tenté de nommer un chef, mais le choix n’a pas été possible, chaque candidat se croyant le mieux placé pour occuper le poste. Faute de critères objectifs, nous n’avons pas pu départager les candidats, tous des jeunes. - Qu’à cela ne tienne, répliqua Ntoumouba, cette situation ne peut durer. Je vais rencontrer tous les candidats et je trouverai bien le moyen de désigner celui qui a les qualités requises pour être un bon chef.
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Ntoumouba convoqua les jeunes du village. A la question de savoir qui voulait succéder au chef défunt, chacun se désigna. Alors Ntoumouba les soumit à une épreuve : seules seraient retenues les candidatures de ceux qui accepteraient de faire disparaître toutes les personnes âgées du village. Les candidats retournèrent dans leurs familles et mirent à mort tous les vieux. Il ne restait plus dans le village que des jeunes sans expérience. Le choix fut encore plus difficile puisque tout le monde avait satisfait à la condition posée. Après mûre réflexion, le roi imagina une deuxième épreuve : il s’agissait de refaire la bride de son cheval avec du sable. Celui qui réussirait cette épreuve serait à coup sûr nommé chef. Les candidats étaient désemparés. Comment confectionner une corde avec du sable ? Si seulement les vieux étaient là, ils prodigueraient des conseils, eux qui savent tant de choses ! A Dabala vivaient, dans l’indifférence générale, le jeune Samou et son père. Abandonnés de tous, à peine si on les comptait parmi les habitants du village. Quand Samou eut connaissance des conditions posées pour être candidat à la chefferie, il alla cacher son vieux père dans un puits et veilla sur lui. 16
Samou désemparé vint informer son père des dernières conditions pour être chef. Le vieil homme sourit et dit à son fils : - C’est très simple. Retourne voir Ntoumouba et dis-lui de te donner l’ancienne bride de son cheval afin que tu puisses en prendre les mesures et confectionner la nouvelle. Le lendemain, Samou fut au rendez-vous du roi. Il y avait là tous les jeunes du village. Le roi s’adressa à la foule : - Qui a trouvé la solution de l’énigme ? Personne ne se manifesta. La déception se lisait sur tous les visages. Samou s’avança vers le roi. On entendit des rires moqueurs. A l’évidence, pour les autres concurrents, Samou n’avait pas sa place ici. Il eut cependant le courage de s’adresser au roi : - Maître, je vous prie humblement de me donner l’ancienne bride de votre cheval afin que je puisse en fabriquer une nouvelle qui lui soit identique. Le roi fut tout étonné : - Tu n’as pas tué ton père toi ? demanda-t-il. - Non, dit Samou. Je l’ai caché dans un puits. - Tu es un homme réfléchi, contrairement à tous ces jeunes insensés.
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En effet comment peut-on concevoir une société sans les vieux ? Par ordre du roi, Samou fut proclamé chef du village de Dabada. Tout le monde loua sa sagesse, lui qui avait su que « la jeunesse est un arbre qui pousse sur le terreau que constituent les vieux. »
LA PETITE FILLE DÉSOBÉISSANTE Il était une fois, dans le village de Fangatigui le méchant, une fille du nom de Karitio. Cette fille n’acceptait jamais les conseils qu'on lui donnait. Karitio avait perdu sa mère et vivait avec son père Zankè. Zankè travaillait pour le roi depuis son jeune âge et n’avait pour salaire que la nourriture qu’on lui donnait pour survivre. Bien d’autres habitants étaient dans la même situation car Fangatigui le roi était très avare. Alors que Karitio n’avait que six ans, il exigea qu'elle allât travailler au champ avec les autres. Malgré les durs travaux champêtres, le vieillard et sa fille gardaient leur bonne humeur. Le seul problème de Zankè, c’était que sa fille ne l’écoutait jamais et ne partageait point ses avis. Cette conduite lui causait beaucoup d’inquiétude, lui qui n’avait d’affection que pour elle. Un jour, à l’approche de l’hivernage, alors que tout le monde était occupé à préparer le champ de Fangatigui pour les prochaines semailles, la houe de Karitio heurta quelque chose de métallique qui fit un bruit impressionnant. L’attention de son père qui travaillait à côté d’elle fut attirée. Tous deux se mirent à fouiller 19
et, au bout de quelques minutes, ils mirent à nu le bout d’un métal jaune dont le reste était enfoui dans le sol. Ils continuèrent à creuser et, au grand étonnement des autres travailleurs qui les regardaient, ils dégagèrent un mortier tout en or. Karitio était contente, tout comme son père. A la surprise générale, la fille décida d’emmener le mortier au roi, persuadée qu’elle aurait en échange une forte récompense. Malgré les supplications de son père et de tous ceux qui étaient là, Karitio s’entêta et ne changea pas d’avis. On lui fit comprendre qu’au lieu d’une récompense, le roi risquait de lui réclamer le pilon qui allait avec le mortier. La décision était prise et il n’était pas question pour elle de reculer, d’autant plus qu'elle espérait que cette récompense assurerait son bonheur et celui de son père. Karitio se rendit au palais et présenta sa trouvaille au roi. Celui-ci fut au comble de la joie à tel point que Karitio ne doutait plus un seul instant qu’elle aurait une forte récompense. Hélas ! La joie du souverain fut de très courte durée. Voyant le mortier, il se dit qu’il manquait quelque chose, qu’on ne lui avait ni tout dit, ni tout montré, encore moins tout donné. Karitio sentit le changement d’humeur du roi dont le regard était devenu subitement sévère. 20
Elle se rappela les craintes et les mises en garde de son père. Mais c’était trop tard. - Où est le pilon ? demanda Fangatigui le méchant. - Il n’y avait pas de pilon avec le mortier, répondit Karitio, tremblante de peur. - Tu me prends pour un imbécile ? A-t-on déjà vu un mortier sans pilon ? Donne-moi le pilon ou il va t’arriver la pire des choses. - Il n’y avait pas de pilon. C’est la vérité que je vous dis là. - La vérité… Gardes ! Enfermez-la jusqu’à ce qu’elle dise la vérité. Quand Zankè apprit que sa fille avait été arrêtée, il comprit qu’elle ne sortirait pas vivante des geôles de Fangatigui tant il savait à quel point le roi était méchant et cupide. Il était persuadé que le sort de sa fille était lié à un pilon qui n’existait pas. Pour Zankè la vie sans sa fille n’avait plus de sens. De fait, trois jours après l’arrestation de Karitio, Zankè tomba très malade et on le trouva agonisant dans sa cabane. Quand la nouvelle parvint à la prisonnière, elle fut inconsolable et se sentit responsable de l'état de son père. Si seulement elle avait écouté les conseils avisés, ce malheur ne serait pas arrivé. Elle regretta sa conduite et s’abstint de manger. La nouvelle de la maladie de Zankè n’émut guère Fangatigui. Il regretta seulement que 21
Zankè ne fût plus là pour aider à retrouver le pilon. Il mobilisa un grand nombre d’hommes robustes qui allèrent retourner la terre dans tous les sens, sans succès. Bientôt le champ ne fut plus qu’une succession de trous béants. Estimant que ces hommes n’employaient pas toute leur volonté à trouver le précieux objet, Fangatigui se joignit à eux et bientôt il n’y eut plus un centimètre carré de terre non retournée. Un soir que Fangatigui et ses hommes étaient à leur besogne, le temps se gâta. Le ciel s’assombrit. Il faisait si noir qu’on ne voyait pas la paume de sa main. Un vent violent se mit à souffler et renversa tout sur son passage. Fangatigui et ses compagnons furent projetés dans les trous et entièrement ensevelis. Quand la tempête se calma, la surface du champ était plane. La mort du méchant roi ne fut guère regrettée par son peuple. Son fils fut désigné pour lui succéder. La première mesure qu'il prit fut de libérer Karitio. Bien qu'elle fût affaiblie par plusieurs jours de jeûne, elle se précipita auprès de son père et lui prodigua tous ses soins et Zankè retrouva sa bonne santé. Karitio fit des excuses à son père et promit que désormais elle suivrait ses conseils, car, "La mère poule ne donne rien à son poussin qui lui soit nuisible".
LA RUSE DE JELIBA Autrefois, dans le lointain royaume de Ségou, régnait un souverain puissant du nom de Sétigui. Il avait une fille parée de toutes les beautés physiques et morales. Partout où Marama se rendait, on n’avait d’yeux que pour l’unique fille du roi. Un jour, Sétigui convoqua tous ses sujets et leur tint ce discours : - A compter de ce jour, il est interdit à quiconque, homme ou femme, de parler avec ma fille bien-aimée, Marama. Les contrevenants s’exposeront à une mort certaine. Cet ordre créa le vide autour de Marama qui n’eut plus aucun contact avec les personnes extérieures à la cour royale. Cette situation lui déplaisait. Mais que faire contre la volonté d’un père puissant ? Un matin, deux garçons prirent le risque d’inviter Marama. A leur grand étonnement, la princesse accepta avec d’autant plus de plaisir que son père était en déplacement et ne saurait jamais rien. Les deux jeunes gens ignoraient que Marama souffrait d’une maladie de naissance qui se manifestait par des crises comateuses. Marama se rendit chez les garçons.
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Leur joie était à son comble quand, soudain, les membres de la jeune fille se raidirent, elle se mit à trembler puis s’écroula pour ne plus se relever : elle était morte. Que faire de ce cadavre pour le moins encombrant ? Comment échapper à la colère du roi et à une mort certaine ? Désemparés, les jeunes se précipitèrent chez Jéliba : - Grand griot, il est arrivé un malheur. La fille du roi vient de mourir dans notre case et nous ne savons pas de quoi. Mais ce dont nous sommes sûrs, après la mise en garde du roi, c’est qu’il y aura bientôt trois morts. Nous ne voyons pas en effet comment nous pourrions échapper à la mort. - Jeunes gens, calmez-vous. Cette fois-ci vous ne mourrez pas. Je peux vous sauver, à la condition que vous juriez de ne plus faire la cour à une fille en âge de se marier sans vous faire connaître de ses parents. - Si ce n’est que cela, grand griot, nous jurons mille fois de ne plus faire la cour à une fille en âge de se marier. - Alors, écoutez-moi bien. Rentrez chez vous et mettez le corps dans un grand sac à moitié rempli d’arachide. La nuit venue, posez le sac au milieu de votre cour et couchez-vous tranquillement. 24
Les jeunes exécutèrent à la lettre les instructions de Jéliba. Le matin au réveil, ils constatèrent que le sac n’était plus là. Le grand voleur du village l’avait enlevé. Sûr d’avoir fait une bonne affaire, celui-ci s’était précipité chez lui et avait vidé le sac. Surprise et horreur ! Un cadavre dans un sac d’arachide, cela devait être un coup du diable. Que faire ? Il n’était pas question de ramener le sac là où on l’avait trouvé. Après avoir arpenté la maison de long en large, il eut l’idée d’aller se confier à Jéliba : - Grand griot, il m’arrive une chose extraordinaire : alors que je croyais avoir trouvé un sac d’arachide au cours de ma promenade nocturne, voilà que je me retrouve avec un cadavre. Et quel cadavre ? Le corps de Marama, la fille du roi ! Il ne fait aucun doute que je serai bientôt le deuxième cadavre. J’aurai beau dire la vérité, on ne me croira jamais, surtout que dans ce village, ma mauvaise réputation a précédé la bonne. Il ne me reste plus qu’à commencer à rédiger mon testament - Nous n’en sommes pas encore là. Quel serait notre rôle à nous autres griots si chacun devait être abandonné à son sort ? C’est dans les situations les plus désespérées que nous devons montrer notre utilité. Notre talent, nous 25
l’utilisons pour l’entente et la paix sociales. Aussi nous ne pouvons encourager le vice. C’est pourquoi, avant de t'aider, je te demande de jurer que tu ne voleras plus le bien d’autrui. - Je le jure autant de fois que tu veux. - Une fois suffit, pourvu que ce soit sincère. Écoute-moi bien : ce soir, tu prendras le corps en question et tu iras l’adosser à la porte du petit Peul que tout le monde connaît. Après, tu appelleras le petit Peul de loin : « Petit Peul, j’ai faim. Peux-tu me donner un peu de lait ? » Tu devines sa réaction que tu exploiteras. Le voleur fit exactement comme le lui avait recommandé Jéliba. A l’appel de son nom et à la demande du voleur, le petit Peul répondit avec la morgue qu’on lui connaît : - Fils de pauvre, comment oses-tu venir me réveiller en pleine nuit pour me demander du lait ! Attends-moi. Il prit une arme et ouvrit sa porte. Le corps de Marama s’écroula à ses pieds. Il fut pris de panique. « Ce fils de pauvre Bambara m’a tendu un piège et je suis tombé dedans. A présent, c’en est fait de moi. Que deviendront mes bœufs sans moi ? Ils tomberont entre les mains de ces Bambara qui ne connaissent pas la valeur des animaux et qui ne songent qu’à les tuer pour les manger. Quelle catastrophe ! Rien que d’y 26
penser, je… Non mieux vaut plutôt mourir deux fois… Ah ! Et si j’allais voir Jéliba ? Ce coquin a plus d’un tour dans son sac. Il est malin comme un vrai Peul ». Il prit soin de cacher le cadavre et alla trouver Jéliba : - Grand griot, le cadavre de la fille du roi gît dans ma cabane. Je serai accusé d’être le meurtrier et nul doute que je serai le deuxième cadavre. - Petit Peul, comme je suis surpris de te voir chez moi, toi qui n’as de considération que pour tes troupeaux. Ne sais-tu pas que la vie en société exige qu’on s’entraide ? L’homme est le plus précieux des biens et il est des problèmes que la fortune ne peut résoudre. - Jéliba, je suis venu pour que tu m’aides et non pour que tu me fasses la morale. - La société ne peut aller sans morale et sans entraide. Aussi je vais te tirer d’affaire, à la condition toutefois que tu jures d’être moins hautain et moins avare. - Je jure tout ce que tu veux. - Alors écoute-moi bien. Le roi se lave chaque jour avant que l’obscurité ne disparaisse. Demain matin, pendant que le roi sera en train de prendre son bain, tu prendras le corps de la jeune fille que tu tiendras droit. Tu te cacheras 27
derrière le mur et, d’un mouvement de va-etvient, tu feras remonter et redescendre le corps. Le roi croyant que quelqu’un vient l’épier assènera un grand coup au corps que tu feras tomber sur lui. Le petit Peul suivit les instructions de Jéliba à la lettre. Pris de peur, le roi appela au secours. Puis se saisit du couteau qu’il gardait toujours dans les toilettes et donna un grand coup au cadavre qui tomba à ses pieds. Il s’accusa de la mort de sa fille dont il ne put se consoler. Grâce à son intelligence, Jéliba venait de sauver quatre vies humaines.
LE VOLEUR DEMASQUE Il était une fois un Peul qui avait deux esclaves. Grâce à leur bonne conduite, les deux esclaves avaient si bien mérité l’estime de leur maître qu’il en avait fait ses hommes de confiance. Moussa et Tidiani étaient tenus au courant de toutes les affaires de leur maître Aly qui ne leur cachait rien, pas même la cachette où il enterrait son or. Si Moussa était parfois têtu et paresseux, il n’en était pas moins franc et honnête. Quant à Tidiani, il était laborieux et flatteur. Un beau jour, Aly constata que tout son or avait disparu. Ses soupçons se portèrent immédiatement sur ses deux esclaves, puisqu’ils étaient les seuls à savoir où était caché le trésor. Il appela discrètement Moussa, l'informa de la disparition du trésor et lui demanda s'il en savait quelque chose. Il lui donna l'assurance qu'au cas où ce serait lui le coupable, il pouvait remettre l'or en place sans aucune conséquence pour lui. Personne ne saurait rien de ce qui c'était passé. Moussa jura qu'il n'avait pas vu la couleur de l'or et qu'il mettait la confiance que son maître avait pour lui au-dessus de tout l'or du monde.
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Aly fit venir Tidiani à son tour. Malgré les questions qu'il lui posa et les garanties de discrétion qui entoureraient l'affaire, Tidiani cria son innocence et se dit même vexé qu'on ait pu penser un seul instant qu'il pouvait être un voleur. En désespoir de cause et désireux de savoir qui avait pris son or, Aly porta le cas devant le tribunal du village. On fit venir les deux accusés dans le vestibule où étaient rassemblés pour la circonstance tous les dignitaires. A l'interrogatoire, chacun des esclaves reconnut qu'il savait où était caché l'or, mais qu'en raison des rapports de confiance qu'il entretenait avec son maître, il ne lui serait jamais venu l'idée de le voler. Le chef était embarrassé. Il ne doutait pas que l'un des deux hommes fût coupable mais faute de preuve, il reculait devant le risque d'une erreur judiciaire. Il ne pouvait ni relaxer, ni condamner les deux hommes qui criaient chacun son innocence. Aly ne pouvait pas être non plus frustré de son bien. L'impasse semblait totale. Dans l'assistance se trouvait le vieux Thierno reconnu pour sa ruse. Il demanda à s'occuper du cas et eut l'accord du chef qui fit renvoyer
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l'audience au lendemain. Entre-temps, Thierno fit construire deux cases dans la cour du chef. Le lendemain, il fit placer chacun des accusés dans une case en laissant pendre son bras par une petite ouverture. Elevant la voix de manière à être entendu à la fois de l'assistance et des prévenus, Thierno cria: - Coupez le bras à ce voleur ! Aussitôt, l'un des accusés ramena son bras dans la case. On le fit sortir et l'assistance reconnut Tidiani. On l'envoya chercher l'or qu'il rapporta aussitôt. Le chef demanda à Aly quelle sanction il voulait qu'on infligeât à son voleur. Aly fut magnanime : - Ne lui faites rien. Humilié, reconnu à la fois voleur et menteur, Tidiani jura, mais un peu tardivement, qu'on ne l'y reprendrait plus. Désormais il perdit tout crédit et fut mis au ban de la société.
LES COÉPOUSES Il y a longtemps, très longtemps, vivait un roi marié à deux femmes. Le ménage vivait heureux et les épouses du roi ne pouvaient s’imaginer qu’un jour leur mari prendrait une troisième épouse. C’était mal connaître la nature humaine. Ne dit-on pas que l’appétit vient en mangeant ! Et comme il ne faut jurer de rien, le roi décida donc de choisir une troisième épouse. L’avis fut lancé dans tout le pays et dans les contrées lointaines. Les propositions ne manquèrent pas. Quelle chance en effet que d’être l’épouse ou le beau-père ou la belle-mère du roi ! Le choix du souverain se porta sur la belle Niélé, princesse de son état, fille d’un roi qui habitait à trois lunes de marche. Assurément, Niélé était belle. De taille moyenne, potelée, son teint était couleur de lune. Elle plaisait à tous ceux qui la voyaient. Le mariage fut célébré avec faste. Un vrai mariage royal où rien ne manquait. Les parents de la nouvelle mariée recommandèrent expressément à leur gendre de ne laisser sous aucun prétexte son épouse s’approcher du feu. Pourquoi une telle précaution ? La vérité est que la mariée était faite de beurre et tout le monde sait que le beurre n’aime pas la chaleur. 33
Le roi accepta la condition posée. Que n’accepterait pas un homme amoureux le soir de ses noces ? Après les festivités, Niélé et son mari regagnèrent le domicile conjugal. Le roi convoqua ses deux premières épouses et les menaça de les répudier si jamais elles contraignaient la nouvelle mariée à faire la cuisine. La cause fut entendue : elles promirent de dispenser « leur petite sœur » de tous les travaux ménagers. Mais que vaut la promesse de femmes jalouses ? Des jours passèrent, des mois passèrent et les ressentiments s’accumulaient entre les coépouses. Les deux premières supportaient mal d’être les bonnes à tout faire de Niélé. Etant donné que le mariage comporte des avantages et des inconvénients, il n’était que normal que chacune en ait sa part. Elles se liguèrent contre la nouvelle venue qui non seulement leur avait volé leur mari, mais aussi vivait à leurs dépens. Elles prirent alors la résolution de mettre fin à cette situation. Un jour que le roi faisait, comme à son habitude, sa promenade à cheval, les coépouses de Niélé la harcelèrent : elle ne pouvait pas continuer à respirer l’air pur pendant qu’elles avaient les yeux rougis par la fumée de la 34
cuisine ; elle devrait avoir honte de manger tous les jours le repas préparé par ses aînées. Pourquoi avait- elle accepté de se marier si elle n’était pas une femme accomplie ? Niélé eut beau protester et rappeler les ordres de leur mari et les recommandations de ses parents, rien ne put ramener les deux femmes à la raison. De guerre lasse, Niélé entra dans la cuisine où le feu était allumé. Dans cette atmosphère surchauffée, la nouvelle mariée fondit et devint de l’huile blanche qui coula sur le sol. Les deux coépouses restèrent bouche bée. Elles se souvinrent des consignes de leur mari et mesurèrent la gravité de leur situation. Après un moment d’hésitation, l’une d’elles appela Kumabel, le chien préféré du roi et lui proposa de lécher le corps fondu de Niélé. Le chien refusa net et entonna ce chant : Quand vous cuisez vos petits plats de viande, Vous n’appelez pas Kumabel. Quand vous cuisez vos petits plats de poisson, Vous n’appelez pas Kumabel. Maintenant que le beurre royal a fondu, Vous appelez Kumabel. Non, non, Kumabel ne veut pas de cela. Le roi tuera Kumabel. Non, non, Kumabel ne veut pas de cela. 35
Puis, il s’en alla. D’habitude, Kumabel restait à la maison, attendant le retour de son maître. Ce jour-là, il n’eut pas la patience d’attendre et courut à la rencontre du roi. Celui-ci se douta qu’il y avait quelque chose d’anormal à la maison et hâta le pas. Le chien entraîna son maître vers la cuisine en entonnant le chant : Quand vous cuisez vos petits plats de viande, Vous n’appelez pas Kumabel. Quand vous cuisez vos petits plats de poisson, Vous n’appelez pas Kumabel. Maintenant que le beurre royal a fondu, Vous appelez Kumabel. Non, non, Kumabel ne veut pas de cela. Le roi tuera Kumabel. Non, non, Kumabel ne veut pas de cela. Le roi comprit ce qui s’était passé. Il fit venir ses deux épouses et les questionna. Elles répondirent en chœur : - Nous lui avons dit de ne pas faire la cuisine. Elle nous a répondu qu’elle ne pouvait pas passer sa vie à manger le repas préparé par ses coépouses. Le roi savait qu’elles disaient le contraire de ce qui s’était passé.
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Il entra dans une grande colère. - La vie se paie par la vie, dit-il. Comme vous avez tué ma belle Niélé, je vais vous tuer pour le repos de son âme. Les épouses eurent si peur qu’elles se transformèrent en deux arbres immenses devant la porte du palais royal.
L’HÉRITAGE Il était une fois un vieux paysan qui vivait avec ses trois enfants. Lorsque le père vint à mourir, Diaman l’aîné des enfants hérita du champ et des bœufs. Bourama le second hérita du cheval et Chaka le plus jeune eut le chien. A l’approche de l’hivernage, Diaman débroussailla une grande partie du champ. Bourama partit en ville avec son cheval pour gagner sa vie en faisant du transport. Chaka se désolait : - Je n’ai pas bénéficié d’une part convenable de l’héritage. Comment survivre et nourrir mon chien aussi ? - Ne sois pas triste mon maître, lui répondit le chien. J’ai une idée qui pourrait nous rendre heureux tous les deux. - Tu n’es qu’un chien et les chiens n’ont que deux fonctions : garder la maison et faire la chasse. Je n’ai rien à garder et tu n’as jamais fait la preuve de tes talents de chasseur. - Je te dis de ne pas t’inquiéter, maître. Fais ce que je te demande. Va me chercher un sac un filet, un fusil et un chapeau et laisse-moi m’occuper du reste.
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Lorsque le chien eut ce qu’il avait demandé, il se dirigea vers le fleuve, se cacha dans l’herbe et jeta son filet dans l’eau. Au bout de quelques instants, il attrapa plusieurs gros poissons qu’il mit dans son sac. Il se rendit chez le roi : - Grand roi, mon maître m’a chargé de vous apporter ce cadeau. Le roi, la reine et la princesse apprécièrent ce geste qui se répéta plusieurs fois. Un jour, la reine dit au généreux donateur : - Qui peut être ton maître ? Se peut-il qu’il soit un grand chasseur ? Le lendemain, le chien offrit à la reine un lièvre et deux grosses pintades. - Assurément, ton maître est un grand chasseur. J’aimerais bien faire sa connaissance pour le remercier de sa gentillesse. - La chasse n’est qu’un de ses talents, dit le chien. Il en a bien d’autres. Le soir, le chien informa Chaka qu’il allait le présenter à la famille royale. Chaka s’inquiéta. - Tous mes habits sont sales ; de plus ils sont déchirés. Le lendemain, le chien conduisit Chaka au bord de l’eau. Il lui fit enlever ses habits déchirés et lui demanda d’avancer plus loin dans l’eau. - Je ne sais pas nager. Je vais me noyer. 40
A ce moment précis, le roi vint à passer. Le chien se mit à crier : - Au secours ! Au secours ! Le grand pêcheur va se noyer. Le roi ordonna à ses hommes de tirer l’infortuné de l’eau. Il envoya chercher de beaux habits. La reine se dit que cela pourrait être un parti pour la princesse. - Tu dois être épuisé, dit le roi. Nous allons te ramener chez toi. Où se trouve ta maison ? Chaka ne savait que répondre. Aussi, le chien s’empressa de dire : - Vous voyez la colline qui est là-bas ? C’est là qu’il habite. Evidemment, le chien avait menti et Chaka était fort embarrassé. Tout le monde prit la direction indiquée mais, au bout de quelques instants, le chien demanda au roi l’autorisation de devancer le convoi car, disait-il, il avait beaucoup à faire. De part et d’autre du chemin, il y avait de vastes champs bien entretenus. Le chien dit aux paysans en passant : - Si le roi vous demande à qui sont ces champs, dites que c’est pour le grand pêcheur. Il se rendit alors sur la colline où se trouvait une grande bâtisse. Il y pénétra mais fut bientôt
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rappelé à l’ordre par le propriétaire des lieux, un grand génie : - Que fais-tu là ? - On m’a dit que vous pouviez vous transformer en lion, en phacochère… - En douteriez-vous ? - Non, mais je voudrais en être convaincu. Le génie se transforma en un gros lion qui rugit au point de faire trembler le chien. - Je suis tout à fait convaincu… Mais pouvezvous vous transformer en un animal plus petit que le lion, une souris par exemple ? - Cela m’est plus facile encore, dit le génie qui se transforma en un petit rat que le chien croqua aussitôt. Le chien s’installa dans la maison et, quand le roi et ses compagnons arrivèrent, il les accueillit avec beaucoup de civilité : - Bienvenue dans la maison du grand pêcheur ! La reine fut émerveillée par ce qu’elle voyait. Le roi trouva Chaka charmant et lui proposa sa fille en mariage. Les noces furent célébrées quelques jours plus tard avec faste. Chaka, son épouse et son chien vécurent heureux dans leur nouvelle demeure.
LE REMORDS Il était une fois dans un pays lointain, une jeune fille du nom de Tata qui vivait avec son jeune frère Diata. Leurs parents étant morts alors qu’ils étaient très jeunes, Tata dut s’occuper de son cadet infirme qui nécessitait beaucoup de soins. Au début, Tata s’acquitta de cette tâche avec dévouement. Quand elle atteignit l’âge du mariage, elle renvoya tous les prétendants qui refusaient de prendre son frère avec elle. Un jour, un jeune homme vint demander la main de Tata. Elle lui posa la même condition qu’aux autres candidats. Le jeune accepta. Le mariage fut célébré et Tata, son mari et son frère prirent le chemin qui menait au lointain pays de l’heureux élu. En raison de son infirmité, Diata ne pouvait marcher ni vite, ni longtemps. Il faisait perdre beaucoup de temps au couple. Tata s’impatienta et demanda à son mari de ne plus s’encombrer de Diata. Le mari hésita mais finit par céder. Le désespoir gagna Diata qui supplia sa sœur de ne pas l’abandonner. Il versa toutes les larmes de son corps, mais Tata fut inflexible. Le couple s’éloigna et disparut sans se retourner.
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Esseulé, Diata continua à supplier : Tata, attends-moi Je ferai un effort. Je dis, grande sœur Tata attends-moi Je ferai un effort pour vous suivre. Epuisé, Diata trouva dans la forêt un arbre sous lequel il se réfugia. Cet arbre était habité par les génies. Diata sombra dans un profond sommeil et, à son réveil, il trouva autour de lui des génies auxquels il raconta son histoire. Émus, les génies décidèrent de lui venir en aide. Ils lui remirent trois cailloux qu’il devait jeter à trois endroits qui lui furent indiqués. A peine remis de ses émotions, Diata poursuivit péniblement son chemin. Arrivé au premier endroit indiqué, il jeta le premier caillou. Il retrouva aussitôt l'usage de ses jambes. Allant toujours de l'avant, il jeta le deuxième caillou, il reçut une fortune immense. Quand plus loin il jeta le dernier caillou, un grand village surgit dont il devint le chef. Tata qui avait rejoint le domicile de son époux n'y trouva pas le bonheur. Déçue par l'homme pour lequel elle avait tout quitté, elle ne se consolait pas d'avoir abandonné son frère. Le remords lui fit perdre la raison et elle se mit à errer dans la brousse, persuadée que Diata 44
avait été la proie de quelque bête sauvage. Un jour, les pas de Tata la conduisirent à un village dont elle n'avait jamais soupçonné l'existence. Poussée par la curiosité et la soif, elle entra dans le village et se dirigea vers des servantes occupées à piler du mil. Elle leur demanda à boire. Devant son état de malpropreté, personne ne voulut lui donner de l'eau dans un récipient propre. La fille de Diata qui assistait à la scène proposa à l'étrangère de boire dans sa petite calebasse de jeu. Tata accepta l'offre. Après avoir bu, elle chanta pour l'enfant le chant que son frère avait chanté au moment où elle l'abandonnait. Tata prit ainsi l'habitude de venir dans le village pour se désaltérer et même chercher à manger. Chaque fois, la petite fille l'accueillait et elle lui chantait le même refrain. Un jour que Diata était en compagnie de sa fille, celle-ci se mit à entonner le chant. Surpris, il questionna l'enfant: - Où as-tu appris ce chant ? - Je le tiens d'une femme qui vient souvent demander à boire et à manger - Une femme? Et comment est-elle ? - Elle porte de vieux habits et elle n'est pas très propre. Alors que les autres la fuient, moi je lui donne à boire. Elle ne me fait pas peur. 45
Elle est gentille avec moi et chante chaque fois cet air que j'aime bien. - Tu diras aux femmes de lui donner tout ce dont elle aura besoin. Le comportement des gens du village envers l'étrangère changea. Tata ne se doutait toujours pas qu'elle était chez son frère. Un jour, Diata fit battre le tam-tam par son griot et tous les habitants se retrouvèrent sur la place publique dans un grand vacarme. Dès l'apparition du chef, tout le monde se tut. Tata se trouvait dans la foule et Diata le savait. Il s'adressa à son griot : - Griot, d'habitude, c'est toi qui parles et chantes pour moi. Aujourd'hui, je ferai une entorse à la tradition. A circonstance exceptionnelle, comportement exceptionnel. Vois-tu griot, la vie est faite de jours qui ne se ressemblent pas. C'est pourquoi nous devons mesurer la portée de nos actes. Diata n'eut pas le temps de terminer son discours que Tata, traversant la foule, se dirigea vers lui. Mais prise de honte et de remords, elle ne put continuer à avancer. Elle s'arrêta et se transforma en une grosse mouche noire qui disparut dans l'immense foule.
LA PROMESSE Il était un roi riche, intelligent et, de surcroît, sage. La nature lui avait fait cadeau d'une fille extraordinairement belle, prénommée Tènèko. Tout homme qui la voyait en tombait amoureux. A l'âge du mariage, Tènèko était devenue une jeune fille splendide. Les jeunes gens du royaume ne cessaient d'évoquer ses qualités physiques entre eux. Des visites de prétendants, le roi en recevait sans cesse. Un jour, il appela sa fille et lui demanda de penser au mariage et de faire son choix parmi tout ces prétendants. La belle accepta à la condition que l'élu puisse faire parler son pantalon. Le roi ordonna à son griot de battre le tamtam et d'annoncer que tous ceux qui prétendaient à la main de Tènèko se retrouvent dans la cour du palais. A peine la nouvelle futelle répandue que la cour du palais fut envahie dès l'aube. Au milieu de la journée, la foule continuait encore à affluer. Non loin du village, une vieille femme cultivait son champ. Usée par l'âge, elle n'aurait demandé que le secours de quelques bras valides mais tous ces jeunes gens passaient à côté d'elle sans la voir, obsédés par le désir d'avoir comme épouse la belle Tènèko. Ne dit-on pas que celui qui 47
cherche un éléphant ne peut faire attention à un lièvre ? Parmi les derniers passants, il y avait un homme au visage déformé et aux membres rabougris par la maladie. Arrivé à hauteur de la vieille femme, il s'arrêta, la salua poliment et prêta main forte à l'infortunée qui apprécia fort ce geste. - Où allez-vous de ce pas, mon fils ? Depuis ce matin je vois passer une file ininterrompue de jeunes gens qui se dirigent vers le palais royal. Y a-t-il fête là-bas ? s’enquit la vieille. - Il y aura fête pour un seul d'entre nous. En effet, la fille du roi doit faire son choix parmi nous. L'heureux élu sera celui qui pourra faire parler son pantalon. C'est du moins ce qu'exige la princesse, répondit le lépreux. La vieille femme sourit : - Pour une épreuve difficile, c'en est une. Cependant, pour être difficile, elle n'est pas impossible. De tout ce monde, tu as été le seul à m'avoir prêté attention. C'est la preuve que tu es un garçon poli et serviable. La bonne éducation est une clef qui ouvre toutes les portes. Je vais te donner le secret qui te permettra de sortir vainqueur de l'épreuve et de devenir le mari de la princesse. A l'entrée du village, il y a un grand fromager au sommet duquel des oiseaux sont dans leur nid. Tu grimperas à l'arbre. Tu 48
enlèveras les oiseaux et tu les mettras dans le fond de ton pantalon. Quand tous les concurrents auront échoué et que viendra ton tour, tu taperas sur le fond de ton pantalon. Les oiseaux te répondront par un chant agréable qui émerveillera et le roi et sa fille. Tu seras alors l'heureux élu. L'arrivée du lépreux chez le roi provoqua les rires moqueurs des autres concurrents. Après le déjeuner, l'épreuve commença. Les prétendants passèrent à tour de rôle mais sans succès. Puis vint le tour du lépreux. Il exécuta à la lettre les consignes de la vieille femme : s'arrêtant au milieu de la place, d'un coup sec, il tapa sur le fond de son pantalon. Les oiseaux se mirent à chanter en chœur : Nous sommes venus, nous les oiseaux porteurs de message. Nous sommes venus prendre part à la causerie du roi, Nous les oiseaux porteurs de message. Chaque oiseau a son nom Chaque jour a son nom Chaque nuit a son nom Chaque famille a son nom Chaque roi a son nom. Nous sommes venus prendre part à la causerie du roi. Seul aura la femme le prétendant capable de faire parler son pantalon. Nous les oiseaux porteurs de message, nous sommes venus.
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Cette chanson combla de joie le roi et sa fille au désespoir des autres concurrents. La princesse demanda au lépreux de s'exécuter une deuxième fois. Celui-ci tapa de nouveau sur le fond de son pantalon et les oiseaux reprirent la chanson. - J'ai promis que je donnerais ma fille à celui qui ferait parler son pantalon, dit le roi. Tu as réussi l'épreuve et par la même occasion, gagné la main de ma fille. Malgré ton état, je ne me dédis pas car la promesse est une dette dont tout homme honnête doit s'acquitter. Quand votre pied vous engage, vous pouvez le retirer, mais quand votre langue vous engage, pas de détour possible. Aussitôt, le mariage fut célébré au milieu des murmures désapprobateurs des concurrents déçus. Le roi fit venir les meilleurs guérisseurs du pays qui usèrent de toute leur science pour soigner son gendre. Celui-ci fut ainsi débarrassé de son mal et retrouva sa beauté et son charme d'antan. Le roi offrit beaucoup de cadeaux aux nouveaux mariés. Sur ses ordres, on construisit dans la cour du palais une belle maison où habita le couple. Soyons serviables avec les vieilles personnes, surtout les plus démunies. Nous ne pouvons qu'y gagner.
MORIBA YASSA LE PARESSEUX (A la mémoire du Doyen Mamby Sidibé)
Il était une fois, en pays malinké, un petit village paisible dont le temps a effacé le nom dans la mémoire des plus âgés. Ce village était réputé pour la bravoure de ses habitants, leur honnêteté et surtout leur ardeur au travail. Dès les premières lueurs du soleil, hommes et femmes prenaient le chemin des champs où ils allaient travailler sans relâche, dans la joie, jusqu'à la tombée de la nuit. Pour eux, la vie ne semblait avoir d'autre but que le travail. Dans ce petit coin de brousse, le sens très poussé de l'honneur faisait qu'on ne mentait jamais. On pouvait à la rigueur se tromper, dire la chose qui n'est pas, mais pas pour se tirer d'une mauvaise passe ou compromettre un semblable qu'on n’estimait plus. Le bonheur de chacun semblait faire le bonheur de tous et, quand l'un souffrait, tous semblaient accablés. Un jour, le ciel dans sa clémence envoya à une femme du village un enfant de sexe masculin. Quelle ne fut pas la joie de tous à l'annonce de l'heureux événement! Cela ferait un homme de
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plus qui ne manquerait pas de suivre l'exemple de ses semblables. Le septième jour de sa venue au monde, on décida de donner un nom à l'enfant. Tous les vieux du village, dont les visages pour une fois souriaient, se réunirent chez le chef. Tout le monde louait la beauté de l'enfant qui était potelé et bien joufflu. Les doyens du clan avaient donc la responsabilité de trouver pour ce petit être, un nom qui lui convienne parfaitement. Après de longs conciliabules, il fut porté à la connaissance de tous que l'enfant se prénommerait Moriba. De façon unanime, on se réjouit de ce choix et l'on souhaita que ce fût un vrai Moriba, digne fils de son père et de sa mère. A dire vrai, notre petit bonhomme fut un exemple de bébé sage, et même trop sage. Il passait le plus clair de son temps à dormir, ne se réveillant que pour téter et se rendormait aussitôt. On eût dit qu'il voulait épargner à sa mère les petites tracasseries qui sont le lot des jeunes mamans. Il ne la dérangeait jamais dans son sommeil puisque lui-même dormait profondément. A la rigueur Moriba se signalait-il à sa mère en mouillant, de temps en temps, le pagne qui servait à l'attacher dans le dos. Cette femme était enviée des autres mères dont les enfants 52
braillaient tout le temps et se réveillaient quand il fallait dormir. Il y eut même des mauvaises langues qui affirmaient que ce Moriba-là devait être un volcan endormi, dont le réveil serait terrible. Moriba grandit vite. Il atteignit l'âge où l'enfant cherche la compagnie de ses semblables, s'éloigne de sa mère pour apprendre à être un homme. C'est l'âge auquel il s'intègre à un groupe de bilakoros, pour se livrer à la chasse aux petits oiseaux, aux margouillats et autres écureuils. C'est aussi l'âge des compétitions sportives. Si Moriba prenait une part active aux parties de chasse, se signalant par son adresse au lancepierre, il disparaissait dès l'instant où, à l'unanimité moins une voix, les gamins décidaient de se rendre sur l'aire réservée aux activités sportives. Sous un prétexte ou un autre, il quittait ses camarades en promettant de revenir dès que possible car, se rappelait-il à ce momentlà, il avait quelque commission à faire pour sa maman ou son papa. Naturellement, cette commission lui prenait tout le reste de la journée et ses camarades l'attendaient en vain. On l'accusait d'être un lâche, un lâcheur...
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Mais on lui aurait craché toutes les injures à la figure qu'il n'aurait pas protesté. C'était décidément un partisan irréductible de la nonviolence. Moriba trouvait inutiles les ébats de ses camarades dans la poussière. Les séances de lutte, avec leur corollaire de coups parfois accompagnés de blessures, étaient à ses yeux la manifestation d'une forme de masochisme. En effet, comme la vie est, par essence, un combat, pourquoi s'imposer d'autres combats inutiles ? Le ciel nous ayant tendu le piège de la vie, la sagesse consistait, pensait-il, à laisser faire les choses et non à les contrarier. En vrai philosophe optimiste, notre bonhomme préférait se reposer à l'ombre des arbres, laisser son esprit vagabonder, gonfler ses poumons d'air pur, l'une des rares choses que la nature nous offre gratuitement. Non pas qu'il fût hostile à tout effort, mais l'action pour lui n'avait de sens que si le résultat était immédiatement profitable. Voilà pourquoi les activités sportives, dont ses camarades faisaient leurs délices, lui répugnaient. Moriba grandit ainsi, libre de corps et d'esprit, mais singulier de comportement dans une société à laquelle il se sentait étranger. Lorsqu’il atteignit l'âge où les enfants accompagnent leurs parents 54
au champ, son père l'appela et lui dit que désormais, il avait sa daba, ce qui signifiait qu'il devrait dire adieu à l'insouciance de l’enfance pour se consacrer à un travail productif. Moriba n'accueillit pas du tout la nouvelle avec l'enthousiasme qu'on était en droit d'attendre de lui. Il baissa les yeux, fronça les sourcils, se pinça les lèvres. Visiblement, il ne se sentait pas à l'aise. Quand son père finit son discours, Moriba se leva et sortit sans mot dire, apparemment perdu dans de profondes pensées. La même nuit, il dormit d'un sommeil imperturbable, au point que son père eut du mal à le tirer de ses rêves. Il se prit la tête et se plaignit d’une forte migraine et de vertiges, il ne pouvait donc pas aller au champ ce jour, pour la simple raison qu'il avait du mal à se tenir sur ses jambes. Cette maladie, qui n'empêchait pas notre bonhomme d'avoir un excellent appétit, dura environ une semaine. Devant l'insistance de son père, Moriba se résolut un jour à aller au champ. Le résultat ne fut pas concluant. Non seulement notre apprenti paysan avait horreur de se courber au-dessus du sol, mais il estimait que rester sous ce soleil de feu était pour lui une punition dont il ne voyait pas la nécessité.
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Alors, l'envie lui venait souvent d'aller satisfaire quelque besoin naturel, ce qui prenait beaucoup de temps, temps perdu pour le travail dont Moriba ne se souciait guère. Le père de Moriba était au désespoir. Il ne doutait pas un seul instant que son fils était un être original. Mais l'originalité due à la paresse ne lui semblait pas être un exemple à encourager. Ses inquiétudes s’accentuaient au fur et à mesure que les années passaient, d'autant que le cas de Moriba alimentait toutes les conversations. Partout où l'on voyait deux ou trois personnes rassemblées, on pouvait être sûr qu'elles parlaient de Moriba, dont le père était l'homme le plus malheureux du village. Incapable de trouver une solution à son problème, il soumit le cas au conseil des Anciens. Les doyens se réunirent encore une fois, pour décider ce qu'il fallait faire de ce jeune homme apparemment bien sous tous rapports et intelligent, mais malheureusement paresseux. Chacun exprima son indignation, à haute voix. Eux, les Anciens, avaient hérité du travail de leurs ancêtres, qui l'avaient hérité des leurs, et cela jusqu'à l'origine des temps.
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Si le village faisait l'admiration de tous les étrangers, c'était parce que le principe « produire pour consommer » avait été la règle d'or. On ne pouvait admettre une entorse à cette règle. Passait encore que les malades fussent dispensés des travaux pénibles, mais à des gens bien portants comme Moriba, il ne pouvait être question d’accorder des dérogations. Il fallait donc prendre une décision, infliger à ce mauvais citoyen une sanction qui découragerait tous ceux qui seraient tentés de l'imiter. La cause fut entendue et à l'unanimité, il fut décidé que Moriba serait chassé du village avant que sa maladie ne devienne contagieuse. Informé du résultat du conseil des Anciens, Moriba ne fut guère ému. Il se félicita qu'on ne lui ait pas interdit la brousse avoisinante. Son déménagement ne lui prit pas beaucoup de temps, d'autant plus que pour tout bagage à emporter, il n'avait que sa paresse. La décision des Anciens fut longuement commentée. Certains la trouvèrent trop sévère ; d'autres, au contraire, jugèrent que les vieux avaient été trop sages, que Moriba devait être chassé très loin de tout lieu habité par les hommes, de peur qu'il ne déclenchât une épidémie de paresse, dont le virus risquait d'être 57
apporté par le vent en direction des hommes sains. Plus d'un habitant ne donna cependant pas son point de vue, incapable qu'il était d'exprimer publiquement sa sympathie pour Moriba, par crainte des représailles des esclaves du travail. Ayant rompu avec la gent travailleuse, Moriba prit possession de l'immense royaume de la brousse, dont il ne vit jamais les frontières. Du reste, ce monde lui était connu depuis sa plus tendre enfance. Lui non plus n'était pas un inconnu pour les habitants des bois. Aussi les oiseaux l'avaient-ils accueilli à "ailes ouvertes", espérant que la cohabitation mettrait fin à une hostilité vieille de plusieurs années. Pour ne point se montrer partial avec ses sujets, Moriba se refusa à choisir un domicile fixe. Il estimait que la vraie liberté était incompatible avec le sédentarisme, qui crée des obligations et attache l'homme à un lieu qui n'est pas forcément celui qui lui convient le mieux. Tantôt il dormait sous un arbre, tantôt sous un autre. Les arbres lui offraient généreusement leurs fruits. Il n'était pas jusqu'aux petits oiseaux et autres écureuils qui ne se laissaient tuer par Moriba, étant entendu que ce n'était point par mé58
chanceté mais par nécessité. Les fauves et les serpents, pour ne pas entrer en conflit avec cet homme qui avait plus d'un tour dans son sac, décidèrent de s'expatrier et d'aller chercher fortune ailleurs. Moriba exerçait sur ses sujets une autorité sans partage, chacun acceptant sans contester ses décisions. Il put goûter ainsi au vrai bonheur, loin des servitudes de la société faite d'hypocrisie. Il n'était point esclave de ces promesses que l'on est obligé de faire, quand bien même on est certain de ne pas pouvoir les tenir. Il ne lui était point imposé d'emploi du temps, de programme. Il vivait dans le présent et ne se torturait pas l'esprit avec des projets et des prévisions, dont la réalisation est très souvent contrariée par quelque imprévu. Il savait maintenant que la vie valait la peine d'être vécue, et que l'homme se la compliquait inutilement. Le contact avec la nature avait permis à Moriba de découvrir certains de ses secrets et d'acquérir science et sagesse. Au village, des sympathisants de Moriba se demandaient ce qu'il devenait, puisqu'on ne le voyait pas traîner aux abords des habitations. Il n'y avait nullement lieu de s'inquiéter. 59
Moriba était bien portant mais, avec le temps, ses habits s'étaient usés et, en homme pratique, il s'était confectionné avec des feuilles d'arbre une blouse et un bonnet. Ces feuilles séchées faisaient un bruit caractéristique lorsque Moriba marchait. Lors de ses déplacements si, par hasard, il rencontrait des villageois, ceux-ci lui demandaient de ses nouvelles : - Moriba, comment vas-tu ? Tu n'as vraiment pas pu te comporter comme tout le monde. Te voilà en train de traîner parmi tes semblables yosso yassa, yosso yassa. Cette onomatopée imitait le bruit des feuilles sèches. Moriba, à qui la vie solitaire avait ôté la petite dose d'orgueil que possède tout homme, ne se fâchait pas. Il prenait le temps de parler avec ceux qui s'intéressaient à lui. On le trouvait de plus en plus sympathique, d'autant plus qu'il ne demandait rien à personne. Si bien que, lorsqu'on traversait la brousse, on souhaitait, mieux encore, on cherchait à le voir, Certains lui demandaient conseil et, fort de son expérience, Moriba proposait ce qui lui semblait être des solutions aux problèmes posés. Il n'était pas rare que ceux qu'il avait conseillés revinssent le voir pour le remercier.
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Le succès était tel qu'on lui demandait de faire des prédictions. Moriba se hasardait et tout ce qu'il prédisait se réalisait. Il eut ainsi une réputation de devin infaillible. Sa réputation passa les frontières du pays. Sa clientèle, formée surtout de femmes, s'agrandit et partout les commères répétaient : - Vous savez, ce Moriba Yassa voit plus loin que tout le monde et ce qu'il dit se réalise. Comme il ne réclamait rien à ses clientes, en échange des services rendus, celles-ci promettaient de venir danser devant lui pour le divertir. Elles tenaient leur promesse et s'accoutraient avec de vieux habits d'homme rapiécés, afin d'imiter le plus possible leur bienfaiteur. Elles dansaient en chantant : Yassa yassa, Moriba yassa Ne le ya fo, Moriba yassa Ni ndeni kelen nana, Moriba yassa Ne na yassa don, Moriba yassa Yosso yassa, Moriba yassa Yassa yosso, Moriba yassa Moi j'avais promis Que si mon unique fils revenait, Je danserais le yassa 61
Aujourd'hui encore, partout où se trouvent des communautés malinké, on chante et on danse le yassa. Sacré Moriba qui a prouvé que même paresseux, on peut laisser à la postérité un héritage de joie.
TABLE DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS
7
SÉBOUROUSSÉ
9
LES ANCIENS
15
LA PETITE FILLE DÉSOBÉISSANTE
19
LA RUSE DE JÉLIBA
23
LE VOLEUR DÉMASQUÉ
29
LES COÉPOUSES
33
L’HÉRITAGE
39
LE REMORDS
43
LA PROMESSE
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MORIBA YASSA LE PARESSEUX
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Achevé d’imprimer par Corlet Numérique - 14110 Condé-sur-Noireau N° d’Imprimeur : 50573 - Dépôt légal : juin 2008 - Imprimé en France