Mieux voir les étoiles: Ier siècle de l'interférométrie optique 9782759824069

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Mieux voir les étoiles: Ier siècle de l'interférométrie optique
 9782759824069

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Mieux voir les étoiles 1er siècle de l’interférométrie optique Daniel Bonneau Astronome honoraire à l’observatoire de la Côte d’Azur

17, avenue du Hoggar Parc d’Activité de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

« Sciences & Histoire » La collection Sciences & Histoire s’adresse à un public curieux de sciences. Sous la forme d’un récit ou d’une biographie, chaque volume propose un bilan des progrès d’un champ scientifique, durant une période donnée. Les sciences sont mises en perspective, à travers l’histoire des avancées théoriques et techniques et l’histoire des personnages qui en sont les initiateurs.

Imprimé en France ISBN (papier) : 978-2-7598-2362-8 – ISBN (ebook) : 978-2-7598-2406-9 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences 2019

Table des matières

Préface

iii

Introduction

v

Chapitre 1. L’expérience des « fentes de Young », naissance de l’interférométrie

1

Chapitre 2. Une idée : utiliser l’interférométrie pour mesurer le diamètre des étoiles

5

Chapitre 3. Les pionniers de l’interférométrie en astronomie 9 3.1. 1873 : première tentative selon Fizeau 9 3.2. 1891 : premières mesures interférométriques 12 3.3. 1895 : premières mesures d’étoiles doubles, 1895 17 3.4. 1898 : première mesure du diamètre d’un astéroïde 22 Chapitre 4. Premières mesures des diamètres stellaires par la méthode interférométrique 4.1. L’interféromètre de 20 pieds et les premières mesures de diamètres stellaires 4.2. L’interféromètre de 50 pieds et l’arrêt des observations interférométriques Chapitre 5. Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles 5.1. Invention de l’interféromètre à rotation par John August Anderson 5.2. 1922-1926 : Mentore Maggini, un interférométriste italien 5.3. 1925 : le micromètre interférentiel à réseau de Ronchi 5.4. 1928 : Albert F. Brown et Harold J. Hoxie, premiers interférométristes amateurs 5.5. 1933-1939 : le micromètre interférentiel d’André Danjon 5.6. 1933-1969 : William Finsen, le premier interférométriste de l’hémisphère Sud

27 29 37 43 45 51 56 63 66 75

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5.7. 1933-1952 : Willem H. van den Bos, un observateur critique 5.8. 1934-1971 : Raymond Hiram Wilson Jr. 5.9. 1939-1945 : Hamilton Moore Jeffers 5.10. 1951 : l’interféromètre achromatique de William Merz Sinton

84 86 95 99

Chapitre 6. Renaissance de l’interférométrie stellaire 107 6.1. 1963 : une autre voie pour l’interférométrie optique, l’interféromètre d’intensité de Narrabri 108 6.2. 1969 : l’interféromètre à superposition de rayons de l’observatoire de Poulkovo 115 6.3. 1970 : l’interféromètre quantitatif d’Elliot et Glass 118 6.4. 1970 : l’interférométrie des tavelures ou comment vaincre la turbulence atmosphérique 126 6.5. 1971 : l’interféromètre d’amplitude de Currie 135 6.6. 1971 : l’interféromètre automatique de William Castles Wickes 142 6.7. 1974 : le premier interféromètre optique à deux télescopes 151 Chapitre 7. De l’interféromètre de Labeyrie à la synthèse d’ouverture optique 7.1. La renaissance de l’interférométrie optique à longue base à l’observatoire de Calern 7.2. Les développements de l’interférométrie à longue base à travers le monde 7.3. Vers la synthèse d’ouverture aux longueurs d’onde optiques

157 158 163 170

En guise de conclusion

195

Remerciements

199

Préface

L’ouvrage que publie Daniel Bonneau et dont il me fait l’honneur d’une préface est unique en son genre. Nul n’a encore présenté de façon aussi complète, avec une telle rigueur et autant de précision, le déroulement du récit historique et scientifique qui est l’objet de ce livre. Lorsqu’en 1802, le jeune Thomas Young entre dans l’histoire de la physique par l’expérience célèbre qui porte désormais son nom et qui révolutionne la conception de la lumière, il ne se doute pas de l’impact qu’aura son coup de génie sur le développement de l’astronomie. Galilée avait pu observer les taches à la surface de notre étoile le Soleil, mais faire de même pour les étoiles du ciel, ces minuscules « points géométriques », semblait à tout jamais demeurer un rêve. Ce rêve n’a pris corps qu’à la fin du xxe siècle, il s’épanouit aujourd’hui dans les plus grands observatoires du monde, tel le Very Large Telescope européen dans le désert d’Atacama au Chili ou sur les pentes du mont Wilson au-dessus de Los Angeles. Des découvertes majeures résultent de cette conquête, un trou noir massif au centre de la Galaxie se laisse approcher jusqu’à son horizon, des exoplanètes se révèlent avec une précision extrême, les étoiles ont des taches, à l’instar du Soleil. Daniel Bonneau, astronome à l’observatoire de Paris puis de la Côte d’Azur pendant la plus grande partie de sa carrière, rejoignait en 1972 Antoine Labeyrie le visionnaire, dont il demeura l’un des plus fidèles collaborateurs sur le plateau de Calern, près de Grasse. Là naquit l’aventure interférométrique moderne, aux longueurs d’onde qui sont celles de la lumière perçue par l’œil humain. L’auteur parle ici en physicien, rompu aux techniques qu’il a mises au point et utilisées, allant du bricolage le plus intelligent aux technologies les plus avancées. Il s’exprime également en astronome qui, lors de longues nuits sous le ciel provençal, fut parmi les premiers, tout jeune chercheur encore travaillant sur le premier interféromètre à deux télescopes, à « mieux voir les étoiles », un titre trop modeste pour l’histoire d’une percée scientifique considérable. Attentif aux développements nouveaux, présent à tous les grands colloques qui ont vu les astronomes s’affronter sur la pertinence de ces nouveaux concepts et sur les instruments à décider, auteur de nombreuses publications, Daniel fut pendant ce demi-siècle l’un des piliers d’une communauté française qui n’a cessé de se développer et d’interagir avec les astronomes du monde entier. La science ne connaît pas de frontières et cela en fait l’universalité si précieuse. Pourtant, chaque culture, chaque tradition y apporte sa marque propre. Ainsi, depuis deux siècles au moins, la compréhension de ce phénomène subtil qu’est la lumière et la maîtrise de l’optique qui la manipule ont fondé en France une tradition durable et féconde, dont ce récit témoigne. Après l’entrée en scène de Thomas Young, Hippolyte Fizeau est, cinquante ans plus tard, le père fondateur de tout ce qui va suivre. Un siècle encore et Antoine Labeyrie, avec Daniel Bonneau et ses collègues, porte au plus haut cette tradition, provoquant en 1975 la renaissance de l’interférométrie optique, puis sa féconde maturation. Pour paraphraser Paul Valéry et Hubert Reeves, s’il a fallu

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beaucoup de patience dans l’azur pendant ces deux siècles, ce qui en découle aujourd’hui est la chance d’un fruit mûr. Les noms de Young, de Fizeau et de Michelson sont familiers à tout jeune étudiant du domaine. Mais ici, l’auteur, avec une rigueur historique exceptionnelle, publie pour la première fois ce que beaucoup ignorent : tous les efforts, le plus souvent obscurs, qui ont marqué la longue période séparant les travaux d’Albert Michelson (jusque 1820) de la renaissance de 1975 avec Antoine Labeyrie. Il s’agit là d’une contribution de grande qualité à l’histoire des techniques astronomiques, qui aidera à méditer sur la façon laborieuse et souterraine dont progressent les idées et leur mise en œuvre concrète. Avant que les décennies à venir ne voient de nouveaux déploiements, il était temps d’écrire cette histoire du « 1er siècle », illustrée par des documents originaux ou difficilement accessibles. Le programme fascinant de demain n’est plus tant de « mieux voir les étoiles » en révélant les détails de leur surface, il est aussi de « mieux voir les exoplanètes » en cartographiant leurs continents et leurs atmosphères. Immense tâche qui reposera à coup sûr sur l’interférométrie optique, au sol puis un jour dans l’espace. Cette tâche s’appuiera sur une tradition et une expertise, si présente en France, qu’illustre à merveille le récit offert par Daniel Bonneau. Pierre Léna, membre de l’Académie des sciences

Introduction

L’étude des propriétés physiques des étoiles repose essentiellement sur la confrontation entre les valeurs des paramètres physiques (température, composition chimique, masse, rayon), déterminées à partir des observations, et celles prédites par les théories astrophysiques décrivant la formation, la structure et l’évolution des étoiles. Les deux premiers paramètres sont produits par la spectroscopie et la photométrie, des techniques connues depuis la fin du xixe siècle. Les deux derniers paramètres peuvent être déduits, en principe, de mesures obtenues par des observations astrométriques à haute résolution angulaire, mais celles-ci sont très sévèrement limitées par les effets de la turbulence atmosphérique qui agite et étale l’image formée au foyer du télescope. Ainsi, alors qu’en théorie, des détails aussi fins qu’une fraction de seconde de degré devaient être visibles dans les images fournies par les grands télescopes optiques, la résolution angulaire de ces télescopes est longtemps restée limitée à des valeurs de l’ordre de 1″. Cette difficulté a finalement été surmontée par l’emploi d’instruments appelés interféromètres. Au début du xixe siècle, les premiers concepts de l’interférométrie optique sont mis en place par le physicien anglais Thomas Young. Cinquante ans plus tard, le physicien français Fizeau propose les premières idées pour l’emploi de l’interférométrie à la mesure des étoiles, suivi des premières expériences réalisées par Édouard Stephan à l’observatoire de Marseille. Les premières mesures interférométriques seront faites durant la dernière décennie d’abord par les physiciens Albert Michelson à l’observatoire de Lick, puis Karl Schwarzschild à l’observatoire de Munich et Maurice Hamy à l’observatoire de Paris. La mesure du diamètre des étoiles est l’objectif des mesures interférométriques, énoncé par Fizeau puis poursuivi par Michelson. Ce but est atteint en 1920 avec la première mesure du diamètre angulaire de Bételgeuse effectuée par Francis Pease au moyen de l’interféromètre stellaire conçu par Albert Michelson et installé sur le télescope de 2,5 m de diamètre de l’observatoire du mont Wilson. Ce premier succès sera suivi des mesures de quelques étoiles géantes rouges effectuées par Francis Pease jusqu’en 1937 au moyen de son interféromètre de 15 m, installé également au mont Wilson. L’arrêt de l’exploitation de cet instrument marquera la fin de cette période des pionniers de l’interférométrie stellaire. Nous verrons qu’entre les années 1920 et 1970, à la suite de l’invention de l’interféromètre oculaire par John Augustus Anderson, la méthode interférométrique continuera toutefois à être utilisée par quelques astronomes pour la mesure des étoiles doubles. Il s’agit notamment de Mentore Maggini en Italie, William Finsen en Afrique du Sud et Raymond Wilson Jr et Hamilton Jeffers aux États-Unis. Ces observateurs utiliseront des instruments désignés sous l’appellation d’interféromètre oculaire, à la suite des travaux menés par John Anderson au télescope de 2,5 m du mont Wilson en 1920. Il a fallu attendre la fin des années 1950 pour que renaisse l’intérêt des astronomes pour l’interférométrie optique à grande base. Mais ce fut, à partir de 1956, au moyen d’une technique dérivée de la radioastronomie, avec l’invention par Robert Hanbury Brown

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et Richard Twiss de l’interférométrie d’intensité et la construction de l’interféromètre de Narrabri en Australie. Dans les années 1960, les progrès réalisés dans les domaines de l’électronique et des détecteurs photoélectriques ont rendu envisageable la conception de nouveaux interféromètres stellaires, dans lesquels la détection des franges ne se fait plus visuellement, et qui contribuent à la renaissance de l’interférométrie stellaire selon Fizeau et Michelson. Il s’agit de l’interféromètre de type Michelson à superposition de rayons de l’observatoire de Poulkovo d’Eugène Kulagin et Vladimir Linnik (1969) et des interféromètres de type Fizeau utilisant la détection photométrique des franges d’interférence, comme ceux construits et utilisés par James Elliot et Ian Glass (1970), Douglas Currie (1971) et Williams Wickes (1971). Une nouvelle ère s’ouvre à partir de l’année 1970 avec l’invention par A. Labeyrie de l’interférométrie des tavelures. Celle-ci permet d’atteindre le pouvoir de résolution théorique des télescopes aux longueurs d’onde du visible et l’infrarouge, malgré la dégradation des images par la turbulence atmosphérique. En 1974, le succès de la première expérience d’interférométrie stellaire à deux télescopes indépendants réalisée en juillet 1974 à Nice par Antoine Labeyrie peut être considéré comme l’élément déclencheur des développements modernes de l’interférométrie optique à longue base durant les dernières décennies du xxe siècle. Des résolutions angulaires 10 à 20  fois plus importantes ont été atteintes grâce à l’utilisation des interféromètres stellaires à grande base (I2T, GI2T, Mark III, PTI, SUSI, ISI) conçus durant le dernier quart du xxe siècle. C’est durant la dernière décennie de ce siècle qu’ont été produites les premières images d’étoiles à haute résolution angulaire obtenues par synthèse d’ouverture au moyen de réseaux de télescopes optiques (COAST, NPOI, IOTA) observant en lumière visible et infrarouge. Ces instruments ont ouvert la voie aux grands interféromètres comme le VLTI ou le réseau CHARA, conçu comme des réseaux de télescopes travaillant en synthèse d’ouverture. Ainsi, à l’aube du xxie siècle, on peut considérer que l’interférométrie stellaire est devenue un outil incontournable de l’astrophysique aux côtés de la photométrie et de la spectroscopie1,2,3,4. Dans les pages qui suivent, je n’ai pas voulu écrire un manuel sur l’interférométrie optique, mais plutôt évoquer les 175 années durant lesquelles ont été tentées les premières applications aux observations astronomiques de la méthode interférométrique, à travers les hommes impliqués, les instruments qu’ils ont mis en œuvre et les résultats qu’ils ont obtenus.

1 Principles of Long Baseline Stellar Interferometry, Peter R. Lawson, 2000, NASA – JPL Publications 00-009 07/00. 2 « Optical Interferometry in Astronomy », John D. Monnier, 2003, Reports on Progress in Physics, vol. 66, p. 789. 3

An Introduction to Optical Stellar Interferometry, Antoine Labeyrie, Stephen G. Lipson et Peter Nisenson, 2006, Cambridge University Press. 4

What the Highest Angular Resolution Can Bring to Stellar Astrophysics?, The 2013 VLTI School, Florentin Millour, Andrea Chiavassa, Lionel Bigot, Olivier Chesneau, Anthony Meilland et Philippe Stee, 2015, EAS Publication Series, volumes 69-70.

Chapitre 1 L’expérience des « fentes de Young », naissance de l’interférométrie

C’est au physicien anglais Thomas Young (Figure 1.1) que l’on doit le concept de base de l’interférométrie optique. Celui-ci est né le 13 juin 1773 dans le Somerset (Angleterre). En 1799, il s’installe à Londres et exercera le métier de médecin jusqu’à sa mort à Londres le 10 mai 1829. Thomas Young fera également œuvre de chercheur scientifique dans des domaines touchant à la physique (vision, optique ondulatoire, physique des matériaux), à la médecine et à la linguistique (introduction du terme de langues indo-européennes, travaux sur le déchiffrage des hiéroglyphes)5. Thomas Young apparaît comme le fondateur de l’interférométrie optique, car il en pose le principe dans son mémoire « Sur la théorie de la lumière et des couleurs » du 12 novembre 18016 : « Lorsque deux ondulations issues de sources différentes coïncident en direction parfaitement ou de manière très rapprochée, leur effet commun est une combinaison des mouvements de chacune. »

5

« Thomas Young et la théorie ondulatoire de la lumière », Riad Haidar, dans Regards sur les textes fondateurs de la science, 2012, Éditions Cassini, http://www.bibnum.education.fr/sites/ default/files/Young-analyse.pdf

6

« Sur la théorie de la lumière et des couleurs », Thomas Young, 1802, Philosophical Transactions of the Royal Society of London, vol. 92, p. 12.

Figure 1.1 Thomas Young (1773-1829). Crédit : Domaine public.

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Figure 1.2 À gauche : représentation schématique de l’expérience des fentes de Young. Une source de lumière est placée derrière un écran percé d’une fente étroite. La lumière passant par la fente éclaire un écran éloigné percé de deux fentes étroites séparées par la distance D. L’éclairement de l’écran d’observation n’est pas uniforme, mais présente une alternance de bandes claires et sombres, les franges d’interférences qui résultent de la nature ondulatoire de la lumière. La distance entre deux franges, nommée interfrange (i), est proportionnelle au rapport λ/D. À droite : illustration du phénomène d’interférence. Si, en un point de l’écran d’observation, deux ondes de longueur d’onde λ arrivent en phase, leur interférence est constructive et il en résulte une frange brillante (dessin du haut). Si les deux ondes arrivent déphasées de λ/2, leur interférence est destructive, ce qui se traduit par la formation d’une frange sombre (dessin du bas). Crédit : Images D. Bonneau.

Ce principe est affiné dans son mémoire « Rapport sur certains cas de production de couleurs » du 1er juillet 18027 : « La lumière émise par une source qui atteint l’œil par deux chemins différents présente un maximum d’intensité si les longueurs des chemins sont séparées d’une distance égale à un multiple quelconque d’une certaine longueur ; et un minimum s’il s’agit d’un multiple impair de la moitié de cette longueur ; enfin, cette longueur dépend de la couleur de la lumière. » C’est dans le mémoire « Expériences et calculs relatifs à l’optique physique » présenté à la Royal Society le 24 novembre 18038 qu’il propose le terme d’interférences 7

« Rapport sur certains cas de production de couleurs », Thomas Young, 1802, Philosophical Transactions of the Royal Society of London, vol. 92, p. 387.

8

« Expériences et calculs relatifs à l’optique physique », Thomas Young, 1804, Philosophical Transactions of the Royal Society of London, vol. 94, p. 16.

L’expérience des « fentes de Young », naissance de l’interférométrie

pour traiter l’interaction des ondulations lumineuses et décrit l’expérience maintenant connue comme celle « des fentes de Young » schématisée par la figure 1.2. À partir de ses expériences basées sur l’hypothèse de la nature ondulatoire de la lumière, Thomas Young a pu évaluer la longueur d’onde de la lumière pour différentes couleurs comme le rouge (0,7 micron) et le violet (0,42 micron). La figure 1.2 montre le principe d’une expérience des trous de Young9. À gauche de la figure, la lumière émise par une source constituée par une fente étroite éclaire un écran dans lequel sont percées deux fentes étroites. Chacune de ces fentes se comporte comme une source, si bien que les ondes émises par chacune d’elles se combinent pour produire sur l’écran d’observation un éclairement non uniforme présentant des franges alternativement claires et sombres. Comme on peut le voir sur la partie droite de la figure, si deux ondes arrivent en coïncidence (en phase) sur l’écran, leurs amplitudes s’ajoutent, donnant la formation d’une frange claire, alors que si elles arrivent décalées d’une demi-longueur d’onde, alors leurs amplitudes s’annulent, produisant une frange sombre. Ce phénomène est à l’origine de la méthode interférométrique.

9

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fentes_de_Young

3

Chapitre 2 Une idée : utiliser l’interférométrie pour mesurer le diamètre des étoiles

L’idée fondatrice de l’interférométrie stellaire revient à Armand Hippolyte Louis Fizeau (Figure 2.1), physicien français qui se consacra à l’étude des propriétés de la lumière et de leurs applications10. Il est né à Paris (Seine) le 23 septembre 1819 et mort à Jouarre (Seine-et-Marne) le 18 septembre 1896. À la fin de ses études au collège Stanislas de Paris, il n’aurait pas été étonnant que Fizeau suive la tradition familiale et devienne médecin comme son père, médecin à Paris, ami de Laennec, et son arrière-grand-père chirurgien. Cependant, comme son condisciple Léon Foucault (1819-1868), il se tourne finalement vers une carrière de physicien, consacrée essentiellement à l’étude de la lumière et de l’optique. Il laissera son nom associé notamment à l’obtention de la première image photographique exploitable du Soleil (1845), à la découverte du décalage de la fréquence de l’onde lumineuse émise par une source en mouvement par rapport au récepteur (effet DopplerFizeau, 1848) ainsi qu’à des expériences remarquables permettant la mesure de la vitesse de la lumière (1849). En 1868, Fizeau fait devant l’Académie des sciences un rapport pour le prix Bordin de l’année 1887, portant sur la proposition d’une expérience visant à déterminer la direction des vibrations de l’éther dans les rayons polarisés11.

10

Hippolyte Fizeau, physicien de la lumière, James Lequeux, 2014, EDP Sciences : ISBN 978-2-7598-1196-0.

11

« Prix Bordin : rapport sur le concours pour l’année 1867 », Hippolyte Fizeau, 1868, C. R. A. S., vol. 66, p. 932.

Figure 2.1 Hippolyte Fizeau (1819-1896). Crédit : Domaine public.

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On peut y lire un paragraphe dans lequel Fizeau jette les fondements de l’interférométrie stellaire : « Il existe en effet pour la plupart des phénomènes d’interférence, tels que les franges de Young, celles des miroirs de Fresnel et celles qui donnent lieu à la scintillation des étoiles d’après Arago, une relation remarquable et nécessaire entre la dimension des franges et celle de la source lumineuse, en sorte que les franges d’une ténuité extrême ne peuvent prendre naissance que lorsque la source de lumière n’a plus que des dimensions angulaires presque insensibles ; d’où, pour le dire en passant, il est peut-être permis d’espérer qu’en s’appuyant sur ce principe et en formant par exemple, au moyen de deux larges fentes très écartées [sic], des franges d’interférence au foyer des grands instruments destinés à observer les étoiles, il deviendra possible d’obtenir quelques données nouvelles sur les diamètres angulaires de ces astres. » En une phrase, Fizeau résume ses idées décrites dès 1851 dans un dossier intitulé « Sur un moyen de déduire les diamètres des étoiles de certains phénomènes d’interférence », dont le manuscrit est conservé aux archives de l’Académie des sciences12. Vers 1850, on ne savait rien sur les dimensions des étoiles et on ne connaissait leur distance que pour une vingtaine d’étoiles13. À la même époque, les premiers travaux dans le domaine de l’analyse spectroscopique de la lumière préparaient le terrain pour la naissance de l’étude physique des étoiles que l’on supposait alors toutes semblables au Soleil. La proposition de Fizeau de pouvoir mesurer leur diamètre angulaire apparaît alors essentielle. Dans un manuscrit en date du 22 juin 1851, Application des phénomènes d’interférence à la mesure des angles très petits tels que les angles soutendus [sic] par les rayons partis des deux bords opposés des étoiles – (diamètre des étoiles), il développe ses idées concernant le fait que le diamètre angulaire des étoiles est certainement imperceptible par rapport au diamètre apparent de l’image observée au foyer des lunettes

12

Les Archives manuscrites de Fizeau, Académie des sciencesInstitut de France, Fonds 64 J, Hippolyte Fizeau, dossier 9.01.

13

« Recherches sur la parallaxe des étoiles fixes », Christian August Friedrich Peters, 1848, Saint-Pétersbourg, Mém. Acad. Sc., Ve série ; Sc. Math., phys. et nat., VII, pp. 1-180.

Une idée : utiliser l’interférométrie pour mesurer le diamètre des étoiles

et télescopes, mais il écrit  : « Il me semble que les phénomènes d’interférence peuvent conduire à quelque chose de nouveau sur ce sujet en permettant d’apprécier des angles beaucoup plus petits que ceux que l’on observe au foyer des lunettes. » Il précise que dans une expérience comme celle des fentes de Young, « la source de lumière doit avoir des dimensions très petites pour que les franges se produisent. La dimension de la source de lumière est en rapport avec la largeur des franges que l’on produit et pour chaque largeur particulière il y a une grandeur limite de la source que l’on ne peut pas dépasser sans troubler et détruire les franges… » Fizeau calcule que pour un écartement des fentes d, la distance angulaire entre les franges est λ/d ; si le diamètre angulaire de la source est de cet ordre, les franges produites par les bords opposés de la source sont décalées et leur superposition se traduit par des franges de très faible contraste, au point que l’on ne peut plus les voir. Il s’attend à ce que la mise en pratique de cette idée ne soit pas facile dans le cas des étoiles, mais il encourage à tenter l’expérience : « Pour des points lumineux placés à la surface de la Terre ou à une faible distance, le succès de cette méthode n’est pas douteux ; pour les étoiles il est bien à craindre que les changements de densité, de température, d’humidité que la scintillation révèle dans les couches d’air même les voisines ne s’opposent à la production de franges assez nettes et invariables pour ce genre d’observations, cependant il faut faire des essais, la chose en vaut la peine. » Dans ce manuscrit, Fizeau propose une première expérience en plaçant un écran percé de deux ouvertures devant l’objectif d’une lunette (Figure 2.2) ; une vingtaine d’années plus tard, Édouard Stephan réalisera cette expérience à l’observatoire de Marseille. Fizeau propose une deuxième expérience, dans laquelle un dispositif périscopique permet d’écarter les ouvertures de façon à augmenter la sensibilité pour la mesure de très petits diamètres angulaires (Figure 2.3) ; soixante-dix ans plus tard, un dispositif analogue sera utilisé par Michelson pour réaliser la mesure d’un diamètre stellaire au mont Wilson.

7

Figure 2.2 Proposition pour une 1e expérience d’interférométrie stellaire. Crédit : Académie des sciences-Institut de France, Fonds 64 J, Hippolyte Fizeau, dossier 9.01.

Figure 2.3 Proposition pour une 2e expérience d’interférométrie stellaire. Crédit : Académie des sciences-Institut de France, Fonds 64 J, Hippolyte Fizeau, dossier 9.01.

Chapitre 3 Les pionniers de l’interférométrie en astronomie

Durant la première moitié du xixe siècle, nous avons vu que la description par Thomas Young du phénomène des interférences lumineuses a permis à Hippolyte Fizeau de proposer de l’utiliser en réalisant des expériences pour tenter de mesurer le diamètre des étoiles. C’est durant le dernier quart de ce siècle que cette idée sera mise en pratique. D’abord par Édouard Stephan qui en 1873-74 observe pour la première fois des franges d’interférences produites au foyer d’un télescope dans les images stellaires. Puis en 1891 par Albert Michelson, qui réalise les premières mesures de petits diamètres angulaires (ceux des satellites galiléens de Jupiter), jetant ainsi les bases de la méthode interférométrique en astronomie. Ces travaux seront repris en 1895 par Karl Schwarzschild qui s’en inspire pour inventer une méthode de mesure des étoiles doubles, puis en 1898 par Maurice Hamy qui obtiendra la première mesure interférométrique du diamètre angulaire de l’astéroïde Vesta.

3.1. 1873 : première tentative selon Fizeau Édouard Jean-Marie Stephan (Figure 3.1.1), né le 31 août 1837 à Sainte-Pezenne, un ancien bourg devenu un quartier de la ville de Niort (Deux-Sèvres), est mort à Marseille (Bouches-du-Rhône) le 30 décembre 192314. 14

« Édouard Stephan, directeur honoraire de l’observatoire de Marseille », 1837-1923, La Rédaction, 1924, Le Journal des Observateurs, 7 9S, pp. 9-10.

Figure 3.1.1 Édouard Stephan (1837-1923). Crédit : Domaine public.

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Après de brillantes études à l’École normale supérieure, il sort en 1862 major de sa promotion et agrégé en mathématiques. Devenu astronome adjoint à l’observatoire de Paris, Urbain Le Verrier le nomme en 1866 directeur-adjoint chargé de la « succursale de Marseille », dont il organisera la nouvelle implantation sur le plateau Longchamp. Comprenant l’intérêt des méthodes physiques en astronomie, il formera les personnels astronomes aux méthodes d’observations permettant le meilleur usage des moyens techniques disponibles, notamment le grand télescope de Foucault de 80 cm de diamètre installé en 1864 et préfigurant avec ses miroirs en verre et sa monture équatoriale ce que seront les télescopes du xxe siècle. Promu astronome titulaire en 1872, il devient directeur de l’observatoire de Marseille, jusqu’à son départ à la retraite en 1907. Durant sa carrière d’astronome, il participera à de nombreuses missions d’observations d’éclipses totales de Soleil, ce qui l’amena en collaboration avec Georges Rayet (1839-1906) à la découverte en 1866 de la présence dans l’atmosphère solaire d’un nouvel élément, l’hélium, identifié plus tard sur Terre comme un gaz rare. Il encouragera également la poursuite d’observations systématiques qui ont abouti à la découverte à Marseille de nombreux astéroïdes et comètes. Entre 1869 et 1885, il a découvert environ 800 nébuleuses de faible éclat, remarquant leur tendance à former de petits groupes, dont le plus célèbre, « le Quintette de Stephan » garde son nom. En 1924, un an après la mort de Stephan, Edwin Hubble (1889-1953) montrera que la plupart de ces nébuleuses sont en fait des galaxies, mais cela est une autre histoire… Un autre domaine auquel le nom de Stephan est associé est celui de l’interférométrie stellaire. En effet, Stephan est le premier à réaliser l’expérience proposée par Hippolyte Fizeau pour tenter de mesurer le diamètre angulaire des étoiles par interférométrie. Pour la séance du 14 avril 1873, on trouve dans les comptes rendus hebdomadaires de l’Académie des sciences, sous le titre « Sur les franges d’interférence observées avec de grands instruments dirigés sur Sirius et sur plusieurs autres étoiles ; conséquences qui peuvent en résulter, relativement au diamètre angulaire de ces astres », la publication des extraits d’une lettre adressée par Stephan à Fizeau pour l’informer des premiers

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résultats qu’il avait obtenus15. Dans celle-ci, Stephan fait tout d’abord référence au texte de Fizeau de 1868, puis il indique qu’il a réalisé, au foyer du télescope de 80 cm de l’observatoire de Marseille (Figure 3.1.2), l’observation des franges de Young formées dans l’image stellaire au moyen « … d’un écran percé de deux lunules, placées aux extrémités d’un même diamètre, et dont les bords intérieurs étaient distants environ de 50  centimètres » placé sur le miroir primaire du télescope (Figure 3.1.3). Il observe Sirius et d’autres étoiles de la constellation d’Orion, notant que l’observation des franges nécessite l’emploi d’un fort grossissement pouvant atteindre 1 000 fois. Lors de cette première tentative, les conditions atmosphériques ne sont pas favorables et Stephan considère ses résultats comme loin d’être définitifs. Stephan donne des détails sur les conditions dans lesquelles il a mené ses observations ainsi que les résultats obtenus dans une nouvelle lettre adressée à Fizeau le 1er février 187416. Lors de la séance du 15 avril 1874, lecture est faite de la note « Sur l’extrême petitesse du diamètre apparent des toiles fixes17 », dans laquelle Stephan donne le résultat définitif de sa tentative de mesure du diamètre angulaire des étoiles au moyen de l’expérience des fentes de Young. Il rappelle que selon la théorie, pour un écartement l des fentes (exprimé en mm), la distance angulaire x (exprimée en secondes de degré) des deux franges noires encadrant la frange brillante centrale est x = 103,1/l, la longueur d’onde d’observation étant supposée de 0,5 µm. Il établit formellement que cette expression est toujours valable dans le cas d’un écran percé de deux ouvertures en forme de lunules d’assez grandes dimensions. Dans son expérience sur le télescope de Foucault, il précise que la distance entre les centres de deux lunules était de 65 cm, ce qui correspondait à une distance angulaire des franges de 0,158″. Avec ce dispositif, il note avoir toujours vu de 15 « Sur les franges d’interférence observées avec de grands instruments dirigés sur Sirius et sur plusieurs autres étoiles ; conséquences qui peuvent en résulter, relativement au diamètre angulaire de ces astres », Édouard Stephan, 1873, C. R. A. S., vol. 76, p. 1008. 16

Les Archives manuscrites de Fizeau, Académie des sciences-Institut de France, Fonds 64 J, Hippolyte Fizeau, dossier 9.01.

17

« Sur l’extrême petitesse du diamètre apparent des étoiles fixes », Édouard Stephan, 1874, C. R. A. S., vol. 78, p. 1008.

11

Figure 3.1.2 Le grand télescope de Foucault. Crédit : Domaine public.

Figure 3.1.3 Croquis de l’écran lunulaire ; d’après 1874, C. R. A. S., 78, 1008. Crédit : Académie des sciences-Institut de France.

12

Mieux voir les étoiles

belles franges pour toutes les étoiles observées jusqu’à la magnitude 4 en utilisant un grossissement au moins égal à 600 fois. De cette expérience il conclut  : « En d’autres termes, les expériences citées ne prouvent pas seulement que le diamètre apparent des étoiles examinées est inférieur à 0″158, elles montrent encore que ce diamètre est une très faible fraction du nombre précédent. »

3.2. 1891 : premières mesures interférométriques

Figure 3.2.1 Albert A. Michelson (1852-1931). Crédit : Domaine public.

Albert Abraham Michelson (Figure 3.2.1) est né le 19 décembre 1852 à Strelno en Prusse dans une famille qui immigra aux États-Unis en 185518. Devenu officier de marine diplômé de l’École navale des États-Unis en 1873, il a été instructeur en physique-chimie jusqu’en 1879, pour prendre un poste au Bureau de l’almanach nautique de l’observatoire naval des États-Unis à Washington. L’obtention de l’autorisation de poursuivre ses études en Europe lui permettra de visiter de 1881 à 1882 les universités de Berlin et Heidelberg en Allemagne ainsi que le Collège de France et l’École polytechnique à Paris. À son retour en 1883, il quitte la marine et devient professeur de physique dans différentes universités. Durant sa carrière de physicien, il laissera son nom attaché aux expériences qu’il réalisa entre 1879 et 1927 pour déterminer la vitesse de la lumière ainsi qu’à l’invention en 1881 de l’interféromètre de Michelson, instrument dédié à des mesures métrologiques de haute précision et qui lui permettront avec l’expérience de Michelson-Morley (1887) de prouver l’impossibilité de mettre en évidence le mouvement de la Terre par rapport à l’éther. Le prix Nobel de physique de 1907 lui a été attribué « pour ses instruments optiques de précision et les études spectroscopiques et métrologiques qu’il a menées grâce à ces appareils ». Michelson est décédé le 9 mai 1931 à Pasadena en Californie.

18

Biographical Memoir of Albert Abraham Michelson, Robert A. Millikan, 1938, National Academy of Sciences of the United States of America.

Les pionniers de l’interférométrie en astronomie

13

Figure 3.2.2 Fonction de visibilité des franges pour un disque uniforme (D’après Albert A. Michelson, 1890, Philosophical Magazine, 5th series 30, p. 6). Crédit : Image de la Biodiversity Heritage Library avec contribution des Smithsonian Libraries.

Dans le domaine de l’interférométrie stellaire, Michelson a eu un rôle fondateur, comme cela est évoqué en détail dans l’article de David H.  Devorkin, « Michelson and the problem of stellar diameters19 ». En 1890, il publie un premier article20 dans lequel il explique que l’on peut convertir un télescope en interféromètre en observant à son foyer les franges d’interférences obtenues en plaçant devant l’objectif un écran percé de deux fentes étroites de distance ajustable. Dans cet article, il donne les courbes de visibilité montrant l’évolution du contraste des franges en fonction de l’écartement des fentes. Il note que la première disparition des franges est obtenue pour un écartement des fentes b tel que le diamètre angulaire de la source vaut α = 1,22 λ/b pour un disque uniforme (Figure 3.2.2) et α = 1,33 λ/b pour un disque assombri ou une séparation angulaire α = λ/2b pour une source double. Dans le cas où la taille angulaire de la source est plus petite que la limite de résolution permise par le diamètre de l’objectif du télescope, il propose de remplacer les deux fentes par un système optique de type réfractomètre dont il donne le schéma et explique le fonctionnement.

19

« Michelson and the problem of stellar diameters », David H. Devorkin, 1975, Journal for the History of Astronomy, vol. 6, p. 1. 20

« On the Application of Interference Methods to Astronomical Measurements », Albert Abraham Michelson, 1890, Philosophical Magazine, 5th series 30, pp. 1-20.

14

Mieux voir les étoiles

En juin 1891, dans un second article21, il reprend ses calculs de la courbe de visibilité des franges d’interférences. Il montre sa confiance dans les applications de la méthode interférométrique à l’étude des astres (planétoïdes, satellites, disques stellaires, étoiles doubles, nébuleuses gazeuses) en concluant par ces mots : « Quand la source est si petite qu’elle est indiscernable d’une étoile, il apparaît que cette méthode est la seule capable de donner des informations fiables ; mais même dans le cas d’objets de plus grande taille apparente elle est également applicable, et peut donner des résultats au moins aussi précis que ce qui pourrait être obtenu par des mesures photométriques et est beaucoup plus facilement applicable. » Encouragé par des tests effectués en laboratoire, Michelson effectue au début de 1891 quelques tentatives d’observation des franges d’interférences au moyen d’un masque interférométrique construit pour l’objectif du réfracteur de 15 pouces (38 cm) de l’observatoire de Cambridge (Massachusetts), mais il les considère comme un échec en raison des mauvaises conditions atmosphériques. En avril 1891, il prend contact avec Edward Singleton Holden (1846-1914), le directeur de l’observatoire de Lick (Californie) qui l’invite à poursuivre ses essais sur le réfracteur de 12 pouces (30,5 cm) (Figure 3.2.3). Il fait alors construire un dispositif à deux fentes d’écartement variable adapté à cet instrument (Figure 3.2.4). La variation de l’écartement est commandée par l’observateur au moyen de la rotation de baguettes placées le long du tube de la lunette et agissant sur les leviers qui commandent l’écartement des fentes. Pour effectuer la première tentative de mesure du diamètre angulaire d’un astre par la méthode interférométrique, les cibles choisies ont été les satellites galiléens de Jupiter, d’une part parce que leur diamètre angulaire est suffisamment connu pour valider la nouvelle technique et que d’autre part la mesure précise de ces diamètres est importante pour déterminer leur taille réelle. Michelson publie fin 1891 l’article22 dans lequel il décrit l’expérience et les résultats obtenus lors des observations réalisées les 2, 3, 6 et 7 août 1891. 21 « Visibility of Interference-Fringes in the Focus of a Telescope », Albert Abraham Michelson, 1891, Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. 3, p 217. 22

« Measurement of Jupiter Satellites by Interference », Albert Abraham Michelson, 1891, Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. 3, p. 274.

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15

Figure 3.2.3 Le réfracteur de 30,5 cm de l’observatoire de Lick. Crédit : Courtoisie du Lick Observatory Historical Collections Project.

Figure 3.2.4 Masque à deux fentes d’écartement variable monté devant l’objectif du réfracteur de 30,5 cm. Crédit : Courtoisie du Lick Observatory Historical Collections Project.

Si la source est un disque d’intensité uniforme, la courbe de la visibilité des franges en fonction de l’écartement des fentes du masque montre que si leur disparition est obtenue pour un écartement b (mesuré en mm), le diamètre angulaire α (en seconde de degré) de la source observée à une longueur d’onde de 0,55 µm est donné par la relation α = 138/b. Michelson obtint ainsi pour la première fois la mesure interférométrique du diamètre angulaire des satellites galiléens de Jupiter avec une erreur relative qu’il estime expérimentalement inférieure à 2 %, soit 0,03″. Les valeurs moyennes mesurées sont réduites aux valeurs αred pour la distance moyenne de Jupiter (5 ua) et peuvent ainsi être comparées aux mesures

16

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micrométriques obtenues par Engelmann (ENG), Struve (STR), Hough (Ho) et Burnham (BU) (Tableau 3.2.1). Tableau 3.2.1 : Mesures interférométriques et micrométriques du diamètre des satellites de Jupiter Satellite b (mm) I

107

αred

[ENG]

[STR]

[Ho]

[BU]

1,29

1,02

1,08

1,02

1,11

1,11

II

116

1,19

0,94

0,91

0,91

0,98

1,00

III

80

1,73

1,37

1,54

1,49

1,78

1,78

IV

83

1,66

1,31

1,28

1,27

1,46

1,61

Les résultats obtenus prouvaient la faisabilité des mesures interférométriques et Michelson conclut son article par la phrase : « Il est espéré que dans quelques mois l’équatorial de 36 pouces (91 cm) de l’observatoire de Lick sera équipé d’un appareil similaire et que des observations commenceront pour la mesure définitive des satellites de Jupiter et de Saturne ainsi que ceux des astéroïdes qui seront accessibles à l’instrument. » Le masque interférométrique sera livré en décembre 1891, mais aucune observation ne sera finalement réalisée durant l’été 1892, notamment en raison du séjour que Michelson a fait à Paris pour y poursuivre ses travaux sur la mesure du mètre standard et malgré ses tentatives pour encourager d’autres observateurs à poursuivre les observations interférométriques. Pour Michelson, le but ultime de la méthode interférométrique est la mesure du diamètre des étoiles et cela lui paraît encore trop difficile. Il avait estimé que le diamètre apparent de quelques étoiles pouvait atteindre une valeur de l’ordre de 0,01″ et en avait déduit que pour mesurer leur diamètre il lui faudrait disposer d’une séparation entre les deux ouvertures d’environ 10 m, bien supérieure au diamètre des télescopes existants, ce qui nécessiterait l’utilisation d’un dispositif de type réfractomètre ou périscopique tel qu’il l’avait décrit dans son article de 189020. Mais aucun télescope disponible à l’époque ne pouvait supporter la surcharge imposée par un tel instrument.

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17

On peut s’étonner du fait que Michelson ne fasse aucune mention dans ses publications ni des idées de Fizeau, ni des premières observations interférométriques de Stephan, alors que durant son séjour à Paris il semble qu’il ait acquis une bonne maîtrise du français et pris connaissance des travaux des physiciens français de l’époque dans le domaine de l’optique et plus particulièrement de l’interférométrie19. Au moment de ce séjour de Michelson en France, Fizeau avait 63 ans et Stephan était directeur de l’observatoire de Marseille. Cette question a été discutée par Peter R. Lawson23 et bien que Michelson ait été bien informé des travaux de Fizeau pour la mesure de la vitesse de la lumière, il ne paraît pas y avoir d’indice sur une éventuelle influence de Fizeau sur les travaux de Michelson en interférométrie stellaire.

3.3. 1895 : premières mesures d’étoiles doubles, 1895 Karl Siegmund Schwarzschild (Figure 3.3.1), né le 8 octobre 1873 à Francfort-sur-le-Main en Prusse, est l’aîné des six enfants d’une famille cultivée de confession juive24. Mathématicien, physicien et astronome, l’activité scientifique de Schwarzschild se caractérise par la variété des domaines abordés et l’importance de ses contributions25. Intéressé par l’astronomie dans sa prime jeunesse, il poursuit des études dans les domaines des mathématiques et de la mécanique céleste et publiera en 1890 des travaux relatifs à la théorie des orbites d’étoiles doubles. Après un séjour à l’université de Strasbourg, de 1891 à 1893, il rejoindra l’université de Munich où il obtient son doctorat sur l’application des théories de Poincaré

23

Notes on the History of Stellar Interferometry in Principles of Long Baseline Stellar Interferometry, Peter R. Lawson, 2000, NASA – JPL Publications 00-009 07/00.

24

« Obituary: Karl Schwarzschild », 1916, The Observatory, vol. 39, p. 336.

25 « Karl Schwarzschild », Ejnar Hertzsprung, 1917, The Astrophysical Journal, vol. 45, 285H.

Figure 3.3.1 Karl Schwarzschild (1873-1916). Crédit : Domaine public.

18

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aux déformations de la Lune et l’origine du système solaire selon Laplace préparé sous la direction du professeur Hugo von Seeliger (1849-1924). Schwarzschild a ensuite été nommé assistant à l’observatoire Kuffner, dans la banlieue de Vienne (Autriche) d’octobre 1896 à juin 1899. Durant cette période, il s’est principalement consacré à des travaux pionniers dans les domaines de photométrie photographique et à l’étude des spectres stellaires. Il fut ensuite chargé de cours à l’université de Munich où il soutiendra sa thèse d’habilitation sur le sujet « Contributions à la photométrie photographique des astres ». De 1901 à 1909, Schwarzschild est nommé professeur à l’Institut d’astrophysique de Göttingen dont il dirige l’observatoire. Après son mariage, fin 1909, il devient directeur de l’observatoire d’astrophysique de Postdam. En 1913, il est élu membre de l’Académie des sciences de Prusse. Durant cette période, il travailla notamment sur la structure physique et le rayonnement des étoiles, découvrant l’effet de la pression de radiation, étudiant les interactions entre la lumière et le champ magnétique ainsi que la déviation des rayons lumineux sous l’effet de la gravitation. En 1916, il fut le premier à résoudre les équations gravitationnelles écrites par Einstein dans le cadre de ses travaux sur la relativité générale et les appliqua aux effets de la gravitation sur la structure des étoiles. Schwarzschild est décédé le 11 mai 1916 à Postdam (Allemagne) des suites d’une maladie contractée sur le front russe où il était engagé dans l’armée allemande comme lieutenant d’artillerie. Dans le domaine de l’interférométrie stellaire, la contribution de Schwarzschild est l’invention du micromètre interférométrique à images multiples26. Son directeur de thèse, le professeur Hugo von Seeliger (1849-1924), l’ayant initié à la méthode interférométrique utilisée en 1891 par A. Michelson, il propose de remplacer les deux fentes de l’interféromètre utilisé par Michelson en 1891 par une série de fentes équidistantes et au lieu d’observer la disparition des franges, d’utiliser le dispositif comme un micromètre à images multiples. Si λ est la longueur d’onde et d la séparation entre deux fentes projetées sur l’objectif, l’image de l’étoile devient une série d’images 26

« À propos de la mesure des étoiles doubles par les interférences », Karl Schwarzschild, 1896, Astronomische Nachrichten, vol. 139, p. 3335.

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19

diffractées selon des angles α, tels que sinα = nλ/d avec n = 1, 2, 3… L’image centrale blanche est entourée d’images dispersées, mais dont la coloration ne devient perceptible que pour l’ordre n ≥ 2. Le dispositif proposé permet de modifier la distance et l’orientation des images en faisant varier l’écartement des fentes et par rotation du dispositif autour de l’axe optique. L’instrument montré par la figure 3.3.2 a été monté sur le réfracteur de 28,5 cm de l’observatoire de l’université de Munich (Figure 3.3.3). La procédure de mesure d’une étoile double consiste à obtenir des configurations remarquables des images en fonction de l’orientation du dispositif comme le montre la figure 3.3.4.

Figure 3.3.2 Micromètre interférométrique de Schwarzschild. L’instrument fixé sur le barillet porte-objectif est constitué d’un cadre (longueur 55 cm, largeur 30 cm) dont la rotation autour de l’axe optique permet d’ajuster l’angle de position de la mesure. Cette rotation commandée au moyen d’une courroie depuis l’oculaire s’effectue au moyen d’un pignon et d’une couronne dentée. Sur le cadre sont montées deux petites grilles (longueur L = 25 cm, hauteur 28 cm, distance entre les fentes D, dont l’articulation peut monter ou descendre le long de deux tiges dentées par entraînement de petits pignons dentés commandés par une courroie depuis l’oculaire. Ainsi, la largeur projetée des grilles l mesurée sur des graduations placées le long du cadre donne la valeur de la distance entre les fentes de la grille projetée d = D l/L. Crédit : Image D. Bonneau d’après K. Schwarzschild, 1896, AN, vol. 139, p. 353.

20

Mieux voir les étoiles

Figure 3.3.3 Réfracteur de 28,5 cm de l’observatoire de Munich. Crédit : Image du Munich University Observatory.

Figure 3.3.4 Principe de la mesure d’une étoile double  : (a)  l’étoile double étant pointée, on observe deux rangées d’images de séparation α1, l’une due à la binarité, l’autre à la diffraction ; (b) on tourne le réseau pour obtenir une seule série d’images dans la direction du couple, ce qui permet de déterminer l’angle de position θ ; (c) on modifie l’écartement des fentes pour que les images du compagnon apparaissent à mi-distance entre les images de la primaire. La séparation α1 des images diffractées est alors le double de la séparation ρ du couple. Crédit : image D. Bonneau.

Avec son assistant Augustin Villiger (1872-1938), ils ont ainsi été les premiers astronomes à mesurer treize étoiles doubles brillantes par une méthode interférométrique. Le tableau 3.3.1 donne la liste de ces mesures avec des erreurs estimées à ± 0″05 pour la séparation angulaire ρ et ± 1° pour l’angle de position θ.

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21

L’inconvénient majeur de cette méthode de mesure est son domaine restreint d’application. Pour les distances angulaires supérieures à 5″, l’effet de dispersion chromatique des images devient gênant. D’autre part, l’ouverture effective utilisée ne dépasse pas 1/3 de l’ouverture libre du télescope, ce qui a limité les mesures aux couples dont la secondaire est plus brillante que la magnitude 7. Il est intéressant de noter que si l’invention du micromètre interférométrique est souvent passée inaperçue des biographes de Karl Schwarzschild, l’article fondateur écrit en 189626 a inspiré des astronomes amateurs qui ont remis cette technique au goût du jour durant le xxe siècle (voir Partie 5.4). Un chapitre lui est consacré dans le livre Observing and Measuring Visual double Star, édité par R. W. Argyle (chapitre 14, rédigé par Andreas Maurer)27. Tableau 3.3.1 Étoiles doubles mesurées par Schwarzschild et Villiger Identification

27

Mag

Date

θ

ρ

n

Obs

25,9 25,2

3,69 3,52

11 7

SWZ VIL

γ Leo

Σ 1424

2,0-3,5

1895.430 1895.430

ξ Uma

Σ 1523

4,0-4,9

1895.462 1895.462

175,51 175,5

1,80 1,78

10 10

SWZ VIL

ε Boo

Σ 1877

3,0-6,3

1895.486 1895.486

325,8 327,3

2,91 2,92

25 20

SWZ VIL

Boo

ΟΣ 288

6,8-7,5

1895.568 1895.501

193,5 193,3

1,60 1,53

13 6

SWZ VIL

ξ Sco

Σ 1998

4,9-5,2

1895.412 1895.412

214,4 213,5

0,92 0,91

5 4

SWZ VIL

Com

Σ 1932

5,6-6,1

1895.574 1895.515

322,2 321,7

0,88 0.86

4 2

SWZ VIL

σ CrB

Σ 2032

5,0-6,1

1895.594

209,9

4,25

13

SWZ

λ Oph

Σ 2055

4,0-6,1

1895.534

51,8

1,32

9

SWZ

τ Oph

Σ 2262

5,0-5,7

1895.590

253,4

1,94

20

SWZ

297,0 298,8

2,35 2,43

15 3

SWZ VIL

70 Oph

Σ 2272

4,1-6,1

1895.602 1895.515

ε1 lyr

Σ 2382

4,6-6,3

1895.596 1895.461

12,9 16,7

3,10 2,96

20 5

SWZ VIL

ε2 lyr

Σ 2383

4,9-5,2

1895.580 1895.432

131,6 130,1

2,31 2,22

17 10

SWZ VIL

µ Cyg

Σ 2822

4,7-6,1

1895.654

122,4

2,80

14

SWZ

Observing and Measuring Visual Double Stars, Robert W. Argyle, 2012, Patrick Moore’s Practical Astronomy Series, Springer.

22

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3.4. 1898 : première mesure du diamètre d’un astéroïde

Figure 3.4.1 Maurice Hamy (1861-1936). Crédit : Académie des sciences-Institut de France.

Maurice Théodore Adolphe Hamy (Figure 3.4.1), né le 31 octobre 1861 à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), est mort à Paris (Seine) le 9 avril 1936. Après des études universitaires consacrées aux mathématiques, à la physique et à l’astronomie, il commence sa carrière d’astronome à l’observatoire de Paris en 1884. Il y effectue des recherches en mécanique céleste, physique et astronomie et ses travaux portent aussi bien sur les aspects théoriques qu’expérimentaux. Il contribua notamment au développement de la spectroscopie stellaire et fut amené à diriger les missions d’observations d’éclipses totales de Soleil de 1900 et 190528. En 1893, Félix Tisserand (1845-1896), directeur de l’observatoire de Paris, lui demande de faire un exposé sur les travaux d’Albert Michelson concernant l’utilisation des interférences lumineuses pour la mesure des faibles diamètres angulaires. Il réalise à cette occasion une étude détaillée de la méthode interférométrique initialement proposée par Fizeau en 1868, testée par Stephan en 1874 et appliquée avec succès par Michelson en 1891 pour la mesure du diamètre des satellites de Jupiter. Cela le conduit à formuler la relation qui relie la valeur du diamètre angulaire α (en seconde de degré) d’un astre présentant un disque circulaire à la valeur de l’écartement l (en mm) de deux fentes rectangulaires de largeur a (en mm) pour laquelle on observe la disparition des franges d’interférence observées à la longueur d’onde visible de 0,5 µm29. 2

a lα = 126 ,1 "+ 96 ,5 "   l Hamy étant également instrumentaliste et observateur, il testera la méthode interférométrique au moyen du grand réfracteur coudé (Figure 3.4.2) mis en service en 1891 et dont l’objectif avait un diamètre de 60 cm30. 28 « Mémoire sur la carrière scientifique de Maurice Hamy », Émile Picard, 1936, C. R. A. S., vol. 202, p. 1317. 29 « Sur la mesure des faibles diamètres », Maurice Hamy, 1893, Bulletin astronomique, 10, p. 489. 30

« The Coudés Equatorials », James Lequeux, 2011, Journal of Astronomical History and Heritage, vol. 14, p. 191.

Les pionniers de l’interférométrie en astronomie

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La méthode d’observation consistait à observer les franges d’interférence produites en plaçant successivement devant l’objectif des écrans en carton percés de deux fentes rectangulaires dont l’écartement variait de façon à produire la disparition des franges pour des sources circulaires de diamètre angulaire décroissant de dixième en dixième de seconde de degré (Figure 3.4.3). La largeur des fentes était toujours égale au tiers de leur séparation, de façon à observer toujours le même nombre de franges dans l’image. La valeur adoptée pour le diamètre angulaire de l’astre observé était celle indiquée sur le dernier écran utilisé avec lequel la disparition des franges était constatée.

Figure 3.4.2 Le grand réfracteur équatorial coudé de l’observatoire de Paris de Maurice Loewy (1833-1907). L’objectif placé dans le cube visible à gauche fait 60 cm de diamètre et 18 m de longueur focale. L’observateur est placé au foyer de l’instrument situé au troisième étage du bâtiment. Crédit : Image dans A. Fraissinet, 1891, La Nature, vol. 19, p. 306.

Figure 3.4.3 Aspects supposés des masques interférométriques. Crédit : Image D. Bonneau d’après Maurice Hamy, 1893, Bulletin d’Astrophysique I., vol. 10, p. 489.

En juin 1898, Hamy a ainsi réalisé de nouvelles mesures du diamètre des satellites de Jupiter ainsi que la première

24

Mieux voir les étoiles

mesure interférométrique du diamètre angulaire de l’astéroïde Vesta31. Analysant les causes possibles des écarts parfois supérieurs à 0,1″ entre les valeurs du diamètre obtenues pour des observations isolées, il attribue ceux-ci aux effets de la turbulence atmosphérique qui font disparaître les franges prématurément, produisant une surestimation du diamètre angulaire de l’astre observé. Les valeurs obtenues pour les diamètres moyens des satellites de Jupiter ramenés à la distance de 5 ua sont données dans le tableau 3.4.1. Tableau 3.4.1 Diamètres des satellites de Jupiter mesurés par Hamy en 1898. Comparaison avec ceux obtenus par Michelson en 1891. Satellite

I Io

II Europa

III Ganymède

IV Callisto

Diamètre par Hamy

0,98″

0,89″

1,28″

1,31″

Diamètre par Michelson

1,02″

0,94″

1,37″

1,31″

Constatant que les valeurs moyennes des diamètres qu’il a obtenues pour les satellites I, II et III de Jupiter sont légèrement plus petites que celles trouvées par Michelson, il interprète cette différence comme pouvant être due à la difficulté d’observer des franges de faible contraste avec le dispositif à fentes étroites utilisé par Michelson, ceci produisant une surestimation des diamètres angulaires. Tableau 3.4.2 Diamètre de l’astéroïde Vesta mesuré par Hamy en 1898. Comparaison avec la mesure micrométrique de Barnard en 1894. Astéroïde

Vesta

Diamètre par Hamy

0,54″

Diamètre par Barnard

0,536″

31 « Mesure interférentielle des diamètres des satellites de Jupiter et de Vesta effectuée au grand équatorial coudé de l’observatoire de Paris », Maurice Hamy, 1899, Bulletin astronomique, vol. 16, p. 257.

Les pionniers de l’interférométrie en astronomie

Le diamètre de l’astéroïde Vesta placé à une distance de 1 ua est donné dans le tableau 3.4.2. Ce diamètre angulaire est en parfait accord avec la valeur obtenue par l’astronome américain Edward Emerson Barnard (1857-1923) lors des premières mesures micrométriques des disques d’astéroïdes réalisées au foyer du réfracteur de 91 cm de l’observatoire de Lick en 189432. Les mesures effectuées par Hamy ont fait l’objet d’un compte rendu dans le numéro du Bulletin de la Société astronomique de France de 1900, pp.  543-544 dans la rubrique « Nouvelles de la science – Variétés ». Il convient de noter qu’au tournant du xxe siècle, Maurice Hamy fut un des rares astronomes de l’observatoire de Paris à s’intéresser à l’« astronomie physique » à une époque où l’« astronomie fondamentale » dominait encore les recherches en astronomie33.

32 « Micrometrical Measures of the Diameter of Ceres, Pallas and Vesta, made with the 36-inch Refractor of the Lick Observatory », Edward Emerson Barnard, 1894, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, vol. 54, p. 571. 33 L’Observatoire de Paris. 350 ans de Science, Laurence Bobis et James Lequeux, Éd. Gallimard/Observatoire de Paris, 2012.

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Chapitre 4 Premières mesures des diamètres stellaires par la méthode interférométrique

Entre 1890 et 1920, les progrès réalisés dans l’estimation des propriétés physiques des étoiles ont rendu possible la prédiction de leur diamètre angulaire. Dès 1905, l’astronome danois Ejnar Hertzsprung (1873-1967) utilise la classification des spectres stellaires établie à Harvard par Antonia Maury (1866-1952) et Edward Charles Pickering (1846-1919) pour classer les étoiles d’un même type spectral en fonction de leur luminosité. Son diagramme, amélioré par Henry Norris Russell (1877-1957), devient en 1913 le diagramme de Hertzsprung-Russell, dans lequel apparaissent les notions d’étoiles naines et géantes de tailles très différentes. À cette époque, grâce à la loi de Stefan-Boltzmann il est devenu possible d’estimer la brillance de surface (puissance rayonnée par unité de surface) d’une étoile de luminosité L (puissance rayonnée dans tout l’espace) et de rayon R. En faisant l’hypothèse que la distribution de l’intensité du rayonnement stellaire est approximativement celle d’un corps noir dont la brillance est uniquement fonction de la température T, selon la relation établie en 1900 par Max Planck (1858-1947), cette brillance est donnée par la relation L/4π R2 = σ T 4, dans laquelle σ est la constante de Stefan-Boltzmann. L’éclairement E (puissance reçue par unité de surface) de cette étoile placée à la distance d, est proportionnel au produit de sa brillance de surface par sa surface apparente : E = L/4π d2 = σ T 4 R2/d2. Le diamètre apparent (ou angulaire) de l’étoile, φ = 2R/d, peut être calculé si l’on connaît son éclairement et sa température.

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Mieux voir les étoiles

Ainsi, en 1906, Hertzsprung estime le diamètre angulaire de l’étoile géante rouge Arcturus (α Bouvier) à 0,05″34. C’est aussi à cette époque que le directeur de l’observatoire du mont Wilson George Ellery Hale (1868-1938) équipe son observatoire des plus grands télescopes de l’époque : un télescope de 60 pouces (1,5 m) mis en service fin 1908, puis un télescope de 100 pouces (2,5 m) opérationnel à partir de 1915. En 1916, Russell écrit au sujet de la taille de l’étoile géante rouge Antarès « … qu’elle devrait être aussi grosse que la taille de l’orbite terrestre. Elle devrait montrer un disque presque mesurable avec le 100-inch, mais malheureusement pas tout à fait34 ». Après la mise en service du télescope de 2,5 m fin 1917, Hale invite Michelson à reprendre au mont Wilson ses observations interférométriques dans de meilleures conditions de turbulence atmosphérique que celles rencontrées à l’observatoire de Lick. En 1919, Hale et Michelson n’avaient pas connaissance des premières prédictions réalistes de diamètres stellaires, leur estimation d’une valeur supérieure à 30 m pour l’écartement des ouvertures interférométriques nécessaires pour résoudre le disque des étoiles brillantes, rendant quelque peu illusoire la réussite de la mesure interférométrique du diamètre apparent des étoiles avec les moyens techniques disponibles à l’époque. Malgré cela, Hale reste persuadé que la méthode interférométrique a de l’intérêt pour l’astronomie. Dans un article paru en octobre 1919, George E. Hale relate les tests effectués pour comparer les performances des deux grands télescopes de l’observatoire du mont Wilson35. Il y mentionne que Michelson, après avoir fait des tests préliminaires satisfaisants avec le réfracteur de 40 pouces (1 m) de l’observatoire de Yerkes, a effectué au mont Wilson le 18 septembre 1919 des essais d’observations interférométriques de l’étoile Altaïr (a Aigle) avec les réflecteurs de 1,5 m et 2,5 m. Les franges furent très bien vues avec la 34 « Michelson and the problem of stellar diameters », David H. Devorkin, 1975, Journal for the History of Astronomy, vol. 6, pp. 1-18. 35

« Preliminary Results of a Comparative Test of the 60-inch and 100-inch Telescopes of the Mount Wilson Observatory », George E. Hale, 1919, Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. 31, no 183, p. 257.

Premières mesures des diamètres stellaires par la méthode interférométrique

pleine ouverture de 2,5 m durant une nuit où la qualité des images était mauvaise en raison d’une forte turbulence atmosphérique. Ces observations ont démontré la possibilité d’observer des franges avec de grandes ouvertures, condition nécessaire pour envisager la mesure des diamètres stellaires. En attendant, Hale demande à deux membres du personnel de l’observatoire, John August Anderson (1876-1959) et Francis Gladheim Pease (18811938), d’appliquer la méthode interférométrique à la mesure des étoiles doubles serrées au foyer du télescope de 2,5 m, pour essayer de résoudre comme des couples visuels les étoiles connues comme binaires spectroscopiques. Hale apparaît donc à l’origine du renouveau d’intérêt pour la méthode interférométrique35.

4.1. L’interféromètre de 20 pieds et les premières mesures de diamètres stellaires Fin 1919, persuadé que la valeur du diamètre apparent peut être déduite à partir de l’estimation d’une diminution de la visibilité des franges sans atteindre leur disparition complète, Michelson envisage de construire un interféromètre dans lequel l’écartement des ouvertures atteindrait 25 pieds (7,6 m). Cet instrument devait pouvoir être fixé sur le télescope de 2,5 m du mont Wilson, dont les qualités mécaniques de la monture et du tube garantissaient qu’il pouvait supporter une surcharge importante. Après la résolution de la binaire spectroscopique Capella effectuée au moyen d’un interféromètre à deux fentes par Anderson et Pease en décembre 1919 (voir Chapitre 5), Hale encourage Michelson à poursuivre l’étude de son interféromètre, car il est persuadé que si cet instrument ne peut résoudre les disques stellaires, il mesurera certainement de nombreuses binaires spectroscopiques. En 1920, le nom de Pease est associé à celui de Michelson pour l’expérience historique de la première mesure interférométrique du diamètre angulaire d’une étoile, puis jusqu’en 1927 il continuera à observer seul avec l’interféromètre de 20 pieds (6,1 m) sur le télescope de 2,5 m de l’observatoire du mont Wilson. Enfin, de 1929 jusqu’à sa mort, Pease utilisera l’interféromètre de 50 pieds (15,25 m)

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30

Figure 4.1.1 Francis Gladheim Pease (1881-1938). Crédit : Carnegie Institution for Science.

Mieux voir les étoiles

de sa conception, mais sans jamais atteindre les performances ultimes de cet instrument36. Francis Gladheim Pease, né le 14 janvier 1881 à Cambridge (Massachusetts), est mort à Pasadena (Californie) le 7 février 1938 (Figure 4.1.1). À la fin de ses études à l’Institut technologique d’Armour à Chicago (Illinois), durant lesquelles il s’intéresse particulièrement à la conception et à la fabrication des instruments d’optique, Pease est embauché par George Willis Ritchey (1864-1945) au laboratoire d’optique de l’observatoire de Yerkes en 1901. En 1904, Pease devient un des membres du personnel de l’observatoire solaire du mont Wilson (Californie) créé cette année-là par George Ellery Hale. Pease et Ritchey ont été à l’origine de la conception de la plupart des instruments qui équipèrent le nouvel observatoire et Pease participa à la construction des télescopes, notamment celui de 2,5 m, qui sera le plus grand télescope au monde de 1917 à 1948. À partir de 1926, Pease fut également un des collaborateurs de Michelson dans le cadre de ses expériences sur la mesure de la vitesse de la lumière, qu’il mena à leur terme en 1934. Ayant travaillé dès 1926 sur la conception d’un télescope de 7,6 m de diamètre, de 1930 jusqu’à sa mort, Pease consacra la moitié de son temps aux études pour le projet de télescope de 5 m qui deviendra le télescope Hale du mont Palomar en 1948. Le concept finalement choisi par Michelson et Pease est celui d’un interféromètre de type périscopique. On peut être frappé par la similitude de l’instrument de Michelson avec la deuxième expérience interférométrique proposée par Fizeau en 1850 (voir Chapitre 2), mais il ne semble pas y avoir de preuve que Michelson ait eu connaissance de celle-ci37. L’élément essentiel de l’instrument est une poutre métallique de 6,1 m de long et d’une masse de 363 kg fixée sur l’anneau de tête du tube du télescope. Cette poutre porte quatre miroirs plans, dont deux sont mobiles pour permettre de faire varier leur écartement. L’interféromètre a été construit par l’atelier de l’observatoire en juin et 36

« Francis G. Pease », Walter S. Adams, 1938, Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. 50, p. 119.

37

Notes on the History of Stellar Interferometry in Principles of Long Baseline Stellar Interferometry, Peter R. Lawson, 2000, NASA – JPL Publications 00-009 07/00.

Premières mesures des diamètres stellaires par la méthode interférométrique

31

Figure 4.1.2 À gauche  : Schéma de l’interféromètre de 20  pieds  ; crédit  : Image D.  Bonneau. À droite : Poutre interférométrique sur le télescope de 2,5 m du mont Wilson ; crédit : Domaine public aux États-Unis.

juillet 1920 (Figure 4.1.2). Une description détaillée de l’instrument est donnée par Michelson et Pease dans leur article de 192138. Comme le montre le schéma de la figure 4.1.2, la lumière de l’étoile était captée par les miroirs M1 et M4 dont l’écartement fixait le pouvoir de résolution de l’interféromètre. Chacun des deux miroirs était mobile le long de la poutre au moyen de systèmes « vis-écrous » commandés par un moteur électrique. La lumière était ensuite renvoyée dans le télescope par les miroirs fixes M2 et M3 distants de 1,14 m et les franges résultant du mélange des deux faisceaux étaient observables au foyer Cassegrain (d) du télescope (distance focale 40,84 m). L’extrémité du tube du télescope était couverte par une toile percée de deux paires d’ouvertures. La première paire placée au-dessous des miroirs internes M2 et M3 laissait entrer dans le télescope la lumière de l’étoile transmise par les miroirs de la poutre interférométrique. 38

« Measurement of the diameter of α Orionis with the interferometer », Albert Abraham Michelson et Francis Gladheim Pease, 1921, The Astrophysical Journal, vol. 53, p. 249.

32

Mieux voir les étoiles

L’autre paire près du bord nord du tube, laissant passer la lumière de l’étoile directement dans le télescope, permettait d’observer des franges d’interférence dont la visibilité servait de référence à celle des franges fournies par l’interféromètre. Pour que les franges d’interférences soient observables à l’œil nu (en lumière blanche) dans l’image recombinée, deux conditions sont nécessaires : 1) une superposition parfaite des images formées par les faisceaux provenant de chacun des miroirs extérieurs ; 2) que les trajets optiques entre l’étoile et le foyer soient égaux avec une précision de l’ordre de quelques micromètres. Pour faciliter l’obtention des franges malgré les imperfections inévitables du système mécanique, Michelson et Pease ont installé en avant du foyer un dispositif compensateur constitué de deux lames de verre à faces parallèles dont l’une d’épaisseur variable permettant d’annuler la différence de trajet optique. De plus, l’utilisation d’un prisme à vision directe placé devant l’oculaire a permis d’observer les franges dans le spectre de l’étoile avec une résolution spectrale suffisante pour que les franges soient détectées même si la différence de trajet optique résiduelle était de l’ordre d’une fraction de millimètre. Le 10 juillet, la poutre interférométrique fut installée sur le télescope de 2,5 m et de nombreux essais furent nécessaires pour mettre au point l’ensemble de l’instrument et définir la procédure d’observation décrite en détail par Pease dans son article de 193139. Les premières franges ont été observées par Pease et Anderson sur l’étoile Véga (a Lyre) durant la nuit du 6 août, avec une séparation des miroirs extérieurs de 5,49 m. Le 8 août, Michelson observe à son tour les franges, puis celles-ci sont montrées à Hale le 9 août. Les franges sont à nouveau observées par Pease et Anderson sur les étoiles α Andromède et α Taureau durant la nuit du 17 octobre. C’est également en octobre 1920 que dans sa présentation à la British Astronomical Society, « The Internal Constitution of the Stars », Arthur Stanley Eddington (1882-1944) donne des estimations de diamètres stellaires et indique que « l’étoile avec le plus grand diamètre

39

« Interferometer Methods in Astronomy », Francis Gladheim Pease, 1931, Ergebnisse der Exakten Naturwissenschaften, vol. 10, p. 84.

Premières mesures des diamètres stellaires par la méthode interférométrique

angulaire est presque certainement Bételgeuse avec un diamètre de 0,051″39 ». Hale informe alors Michelson que des mesures interférométriques de Bételgeuse (α Orion) avec le télescope de 2,5 m seront tentées dès que possible par Anderson et qu’il sera tenu informé des résultats34. Les observations, effectuées par Merrill avec l’interféromètre à rotation d’Anderson, montrent que pour l’étoile Bételgeuse, les franges obtenues avec l’écartement maximum des ouvertures (2 m) présentent une baisse sensible de la visibilité, indépendamment de l’angle de position. Cet effet indique que le disque de Bételgeuse est partiellement résolu avec le télescope de 2,5 m. Durant la nuit du 13 décembre 1920, les observations furent réalisées par Pease, Anderson et un assistant de nuit. Des observations préliminaires sur les étoiles Algol (β Persée) et γ Orion ont servi pour le réglage de l’instrument, permettant d’observer de belles franges avec un écartement de 2,06 m puis de 3,07 m. L’interféromètre fut alors pointé vers Bételgeuse, mais aucune frange ne put être observée. Les observations, reprises après la pause de minuit, ont montré que les franges disparaissaient complètement sur Bételgeuse pour une séparation des miroirs externes de 3,05 m alors qu’elles étaient parfaitement visibles sur l’étoile Procyon (α Petit Chien) et que la turbulence atmosphérique était faible. Ce résultat démontra que l’absence de frange sur Bételgeuse n’était probablement pas due à un mauvais réglage de l’interféromètre, mais plutôt à la taille apparente du disque de l’étoile, résolue par l’interféromètre. Michelson, alors à Chicago car ne montant plus à l’observatoire du mont Wilson durant l’hiver34, est informé du résultat de ces observations par une lettre de Pease datée du 21 décembre 1920 commençant par « Des franges sur les étoiles voisines, mais aucune sur α Orionis ! C’est ainsi que votre rêve se réalise40 ». En admettant que les observations avaient été faites à une longueur d’onde effective de 0,575 µm, et que les franges disparaissaient pour une base de 3,05 m, la valeur déduite du diamètre angulaire du disque de Bételgeuse était de 0,047″, valeur voisine de l’estimation faite par

40

Une copie de cette lettre, conservée aux archives de l’observatoire du mont Wilson, m’a été communiquée par Ian Glass.

33

34

Mieux voir les étoiles

Eddington41. Pour la première fois, la mesure interférométrique du diamètre angulaire d’une étoile était réalisée selon la méthode imaginée par Fizeau en 1851. La valeur mesurée du diamètre de Bételgeuse est sensiblement plus grande que la valeur de 0,031″ prédite par Russell dans son article publié en décembre 192042. Russell en conclut qu’un plus grand nombre d’étoiles que prévu pourraient avoir leur diamètre mesuré par la méthode interférométrique. Il suggère de poursuivre les observations interférométriques, notamment des étoiles rouges, afin d’en apprendre davantage sur la variation de la brillance de surface des étoiles, en fonction de leur type spectral et de leur luminosité34. Après ce premier succès, les observations avec l’interféromètre de 20 pieds ont été poursuivies par Pease sur quelques autres étoiles brillantes du type géante rouge de 1921 à 1923. Les résultats de ces observations ainsi que diverses considérations concernant la pratique de la méthode interférométrique et les effets de la turbulence atmosphérique sur la visibilité des franges ont été publiés par Pease39,43,44,45,46,47.

41

« The Internal Constitution of the Stars », Arthur Stanley Eddington, 1920, The Observatory, vol. 43, p. 341.

42

« The Probable Diameter of the Stars », Henry Norris Russell, 1920, Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. 32, p. 307. 43

« The Angular Diameter of α Bootis by the Interferometer », Francis G. Pease, 1921, Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. 33, p. 171. 44

« The Diameter of Alpha Scorpii by the Interferometer Method », Francis G. Pease, 1921, Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. 33, p. 204.

45 « Interferometer Observations of Star Diameters », Francis G. Pease, 1922, Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. 34, p. 183. 46

« Notes on Star Diameters: I.  Possible Variations in the Diameter of α Orionis », Francis G.  Pease, 1922, Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. 34, p. 346.

47

« Stellar Interferometric Works during 1922-1923 », Francis G. Pease, 1927, Publications of the American Astronomical Society, vol. 5, p. 73.

Premières mesures des diamètres stellaires par la méthode interférométrique

Tableau 4.1.1 Mesures de diamètres stellaires faites avec l’interféromètre de 20 pieds du mont Wilson Type spectral

Séparation des miroirs (pieds)

Diamètre angulaire

ο Cet

M6e III

10

0″047

α Tau

K5 III

24

0″020

α Ori

M2 I

10

0″047

14

0″034

α Boo

K1 III

24

0″020

α Sco

M1 Ib

12

0″040

α Her

M5 II

16

0″030

β Pég

M2 I

22

0″021

Le tableau 4.1.1 donne les mesures de diamètres stellaires publiées par Pease dans son article de 193139. On note que pour les étoiles α Bouvier, α Taureau et β Pégase, la séparation des miroirs donnant la disparition des franges est supérieure à la séparation maximale permise par l’instrument. Cela indique que pour ces étoiles, la valeur du diamètre angulaire a été déduite de l’extrapolation de la courbe de visibilité des franges, selon la méthode proposée par Michelson en 1919 et décrite par Pease39. Ce n’est que cinquante ans plus tard que le diamètre de ces étoiles sera à nouveau mesuré par interférométrie des tavelures48. Une autre observation remarquable faite avec l’interféromètre de 20 pieds est celle de l’étoile double Mizar (ζ Grande Ourse), connue comme étoile double visuelle (Mizar AB, séparation 14″) depuis l’invention du télescope. Mizar AB a été la première étoile double mesurée photographiquement en 1887 par George Phillips Bond (1825-1865) alors que sa composante brillante (Mizar A) fut la première binaire spectroscopique découverte par Pickering en 1889. Russell prévoyait que l’écartement

48

« Speckle interferometry: Diffraction-Limited Measurements of Nine Stars with the 200-inch Telescope », Daniel Y.  Gezari, Antoine Labeyrie et R. V. Stachnik, 1972, The Astrophysical Journal, vol. 173, L1.

35

36

Mieux voir les étoiles

angulaire des composantes devait pouvoir être résolu par l’interféromètre de 20 pieds. En 1925 puis 1927, F. G. Pease a utilisé l’interféromètre stellaire de 6,1 m pour observer la binaire spectroscopique Mizar A49,50 (Tableau 4.1.2). L’instrument et la méthode d’observation sont identiques à ceux utilisés pour la mesure des diamètres stellaires. L’angle de position θ et la séparation angulaire ρ des deux composantes sont déduits de la distance b des deux miroirs mobiles donnant la disparition des franges en fonction de l’orientation de la poutre interférométrique. Tableau 4.1.2 Premières observations interférométriques de Mizar Date G.C.T

θ (°)

b (m)

ρ (″)

1925 avril. 16,3

247

4,88

0,013

17,3

260

4,88

0,013

19,3

280

5,49

0,011

20,3

292

5,49

0,011

1927 mai 31,2

191

7,02

0,008

juin 1,2

202

7,02

0,008

3,2

225

6,40

0,009

Ces observations, combinées aux éléments de l’orbite spectroscopique de Hadley, ont permis à Russel de calculer l’orbite visuelle de Mizar A et d’en déduire une première estimation des paramètres physiques du couple. P = 20,53851 j, T = 1927 June 12,38 G.C.T., e = 0,53 a = 0,0115″, i = 60°, W = 282°, ω = 104°

π = 0″045, a1 + a2 = 18 937 089 km, m1 = m2 = 2,55 m

49

« Measurement of the Spectroscopic Binary Star Mizar with the Interferometer », Francis G.  Pease, 1925, Proceedings of the National Academy of Sciences, 11, p. 356.

50

« Interferometer Notes. IV. The Orbit of Mizar », Francis G. Pease, 1927, Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. 39, p. 313.

Premières mesures des diamètres stellaires par la méthode interférométrique

Il a fallu attendre soixante-dix ans pour qu’une nouvelle orbite puisse être calculée à partir des observations réalisées avec l’interféromètre NPOI51,52. De nos jours, la poutre interférométrique de 20 pieds, installée sur un fac-similé de l’anneau de tête du tube du télescope de 2,5 m, est visible à l’observatoire du mont Wilson.

4.2. L’interféromètre de 50 pieds et l’arrêt des observations interférométriques Comme il est apparu que l’interféromètre de 20 pieds (6,1 m) ne pouvait mesurer que le diamètre angulaire de quelques étoiles froides de type spectral K ou M, pour mesurer de plus petits diamètres et notamment ceux des étoiles brillantes plus chaudes des types spectraux A, F et G, Hale décide dès 1922 de s’associer à Pease pour concevoir, avec les conseils avisés de Michelson, un interféromètre de 50 pieds (15,25 m), dont la construction commencée en 1922 se terminera en 1929. Étant donné sa taille et sa grande masse, cet instrument devait être conçu comme un instrument autonome, dont le temps d’observation serait complètement dédié aux mesures interférométriques. Ce qui n’était évidemment pas le cas pour l’interféromètre de 20 pieds, conçu comme un instrument auxiliaire du télescope Hooker de 2,5 m et qui ne pouvait disposer que d’un temps d’observation limité compte tenu des autres programmes d’observations menés sur ce grand télescope (photographie, spectroscopie). Les principales caractéristiques de ce nouvel interféromètre (Figure 4.2.1) seront rappelées ici, le lecteur pouvant trouver une description détaillée dans les publications de Pease39,53. 51

Navy Prototype Optical Interferometer, http://www2.lowell. edu/npoi/index.php

52

« Multichannel Optical Aperture Synthesis Imaging of ζ1Ursa Majoris with the Navy Prototype Optical Interferometer », James A. Benson et al., 1997, The Astronomical Journal, vol. 114, p. 1221. 53 « The New Fifty-foot Stellar Interferometer », Francis G. Pease, 1930, Scientific American, vol. 143, p. 290.

37

38

Mieux voir les étoiles

Figure 4.2.1 L’interféromètre de 50  pieds du mont Wilson. À  gauche, schéma optique de l’instrument ; crédit : Image D. Bonneau. À droite, Francis G. Pease à l’oculaire de l’interféromètre ; crédit : Image reproduite avec la permission des observatoires de la collection Science de la Carnegie Institution pour la bibliothèque Huntington, Saint-Marin, Californie.

L’instrument est constitué d’une poutre en treillis métallique longue de 16,6 m et d’une masse estimée à 3 630 kg. Cette poutre inclinée dans un plan parallèle à celui de l’équateur est fixée à l’extrémité nord d’un court axe polaire monté sur un piédestal reposant sur le sol. L’entraînement de cette monture équatoriale était fait par un secteur denté et une vis tangente pilotée par un moteur d’horlogerie. Le suivi d’une étoile était possible de 2 heures avant à 2 heures après son passage au méridien. La face supérieure de la poutre porte les quatre miroirs plans périscopiques, les deux internes étant fixes à la distance de 76 cm, les deux externes de séparation variable. Le miroir concave qui forme l’image stellaire est installé dans un barillet à la partie inférieure de la poutre. Le faisceau convergent est renvoyé par deux miroirs plans vers le système compensateur des chemins optiques et l’oculaire accessible depuis la plateforme d’observation solidaire du piédestal du côté sud de la poutre. L’interféromètre est installé dans un bâtiment orienté est-ouest dont la partie supérieure constitue une toiture mobile sur des rails. Peu d’informations sont disponibles sur les résultats obtenus avec l’interféromètre de 50 pieds. Dans l’article

Premières mesures des diamètres stellaires par la méthode interférométrique

de 193139, Pease rapporte que les premières observations réalisées permirent de confirmer les valeurs des diamètres stellaires obtenues avec l’interféromètre de 20 pieds et que de belles franges ont été vues sur Altaïr (a Aigle) pour une séparation des miroirs de 12,8 m. Il mentionne également que des mesures faites sur β Andromède indique que son diamètre est proche de la valeur calculée de 0,016″. Après la mort de Michelson en 1931, Pease consacra moins de temps aux observations interférométriques, car il a été obligé de terminer les expériences sur la mesure de la vitesse de la lumière et se trouva engagé dans les travaux de conception du futur télescope de 5 m. Entre 1931 et 1937, on trouve dans la rubrique « Interférométrie stellaire » des « Rapports annuels du directeur de l’observatoire du mont Wilson », des indications permettant de construire un tableau récapitulatif des mesures de diamètres stellaires obtenues avec l’interféromètre de 50 pieds (Tableau 4.2.1). Ces notes révèlent aussi que cet instrument demandait une grande habileté pour être réglé de façon à fournir des franges d’interférences exploitables pour la mesure des diamètres stellaires, notamment en raison des effets de la turbulence atmosphérique et des vibrations mécaniques générées par le vent. Tableau 4.2.1 Mesures de diamètres angulaires faites avec l’interféromètre de 50 pieds du mont Wilson Séparation des miroirs (pieds)

Diamètre Angulaire (″)

Référence

M0 III

44

0,0108

1937

M2 III

40/42

0,0115

1933

51

0,0094

1937

M2 I

12

0,040

1931

14

0,034

1937

Étoile

Type spectral

β And α Cet α Ori α Boo

K1 III

25

0,019

1933

α Sco

M1 Ib

15/17

0,029

1933

11,5

0,041

1935

17

0,028

1937

γ Aql

K3 II

55

0,0084

1935

ε Pég

K2 Ib

55

0,0084

1935

Références : 1931, Mount Wilson Obervatory Annual Report (MWOAR), 3, p. 205 ; 1933, MWOAR, 5, p. 150 ; 1935, MWOAR, 7, p. 176 ; 1937, MOAR, 9, p. 22.

39

40

Mieux voir les étoiles

Pour α Orion et α Bouvier, on constate le bon accord des mesures faites avec les deux interféromètres. Dans le cas de α Scorpion (Antarès), l’écart important provient probablement des difficultés rencontrées pour observer cette étoile toujours basse sur l’horizon sud. Le diamètre angulaire est mesuré pour la première fois pour trois étoiles β Andromède, γ Aigle et ε Pégase. Pour ces deux dernières, la valeur du diamètre est obtenue à partir de l’extrapolation de la baisse de la visibilité observée en augmentant l’écartement des miroirs. Ces résultats sont repris dans l’article de revue « Measurements of Stellar Diameters » écrit par R. Hanbury Brown en 196854 à l’aube de la renaissance de l’interférométrie stellaire. Il a fallu attendre les années 1978-1980 pour que le diamètre de β Andromède soit mesuré à nouveau en lumière visible avec l’interféromètre I2T55, puis 1995 pour la mesure des diamètres de γ Aigle et ε Pégase, dans le proche infrarouge avec l’interféromètre IOTA56. La mort de Pease en février 1938 marqua l’arrêt définitif de l’interféromètre de 50 pieds, d’autant plus que l’utilisation délicate de cet instrument n’encouragea visiblement personne au mont Wilson à poursuivre son exploitation. Un témoignage intéressant est donné par Raymond H. Wilson, interférométriste expérimenté (voir Chapitre 5.8), dans un article de vulgarisation publié en 1950 dans la revue Popular Astronomy [22]57, dans lequel il mentionne l’interféromètre de 50  pieds  : « Ce dernier interféromètre est très difficile à manipuler, comme je peux vous en assurer de par ma connaissance directe, puisque j’ai été invité au mont Wilson pour l’essayer à l’été 1938, juste après la mort du docteur Pease. Après quelques mois de pratique, je commençais 54 « Measurement of Stellar Diameters », R.  Hanbury Brown, 1968, Annual Review of Astronomy and Astrophysics, vol. 6, p. 13. 55 « Stellar Diameter Measurements by Two-telescope Interferometry in Optical Wavelengths », Daniel Bonneau et al., 1981, Astronomy and Astrophysics, vol. 103, p. 28. 56 « Radii and Effective Temperatures for K and M giants and Supergiants », H. M. Dyck et al., 1996, The Astronomical Journal, vol. 111, p. 1705. 57

« Some contributions of the interferometer to double-star research », Raymond H.  Wilson, 1950, Popular Astronomy, vol. 58, p. 334.

Premières mesures des diamètres stellaires par la méthode interférométrique

tout juste à obtenir quelques résultats douteux. Ensuite est venue la découverte d’un nouveau satellite de Jupiter58, dont le calcul de l’orbite offrait l’occasion d’un résultat d’un intérêt plus certain, de sorte que l’interféromètre fut déserté. Les grandes dimensions de cet instrument ont rendu son fonctionnement si lourd et ses réglages si longs qu’il était généralement peu pratique. C’est probablement la raison pour laquelle aucun résultat de cet instrument ne fut publié depuis. » De nos jours, il ne reste rien de cet instrument, mais de nombreuses images d’archives sont visibles sur le site de la Huntington Digital Library59. Cette époque pionnière est évoquée dans L’Astronomie, bulletin de la Société astronomique de France. En 1921, André Danjon (1890-1967), dans la deuxième partie d’un article sur le « diamètre des étoiles60 », donne la description de la méthode interférentielle essayée par Stephan à Marseille puis utilisée pour la mesure des diamètres stellaires par Michelson au mont Wilson. Dans les Notes additionnelles, il mentionne la mesure interférentielle des étoiles doubles initiée par John A. Anderson. Dans sa conclusion, il indique qu’une leçon doit être tirée des expériences menées par Michelson : « … une méthode réellement scientifique peut tirer du domaine de l’astrophysique autre chose que des hypothèses ou conjonctures romanesques ». En le lisant, on a le sentiment qu’à cette époque en France, il était de bon ton de considérer que les seuls travaux sérieux étaient basés sur l’astrométrie, l’étude physique des astres relevant plutôt du domaine de l’astronomie hypothétique. En 1923, dans la rubrique « Nouvelles de la science – Variétés » de L’Astronomie, on trouve une note de Danjon « Le diamètre apparent de Bételgeuse » qui mentionne les variations de ce diamètre notées par Pease avec l’interféromètre de 20 pieds. En 1934, une note de E. de la Meillaie, « Le diamètre d’Antarès », annonce la mesure du diamètre d’Antarès obtenue par Pease avec son interféromètre de 50 pieds. Dès 1921, Danjon a considéré que le sérieux

58

Il s’agit du satellite Jupiter XI nommé Carme découvert le 30 juillet 1938 par Seth Barnes Nicholson (1891-1963).

59

http://hdl.huntington.org/

60

« Le diamètre des étoiles (Deuxième partie) », André Danjon, 1921, L’Astronomie, vol. 35, pp. 441-453.

41

42

Mieux voir les étoiles

de l’astrophysique était enfin prouvé par les résultats de Michelson et il montre sa confiance dans l’avenir en écrivant  : « D’autres consécrations suivront, et rien n’empêche notre pays d’y prendre part. Mais il faut y mettre le prix60. » Il faudra cependant attendre plus de cinquante ans pour que le flambeau de Michelson soit repris, en France, par Antoine Labeyrie.

Chapitre 5 Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

Dans les pages de présentation du 4e Catalogue de mesures interférométriques d’étoiles doubles61 (noté INT4 par la suite), la première figure montre la distribution du nombre des mesures en fonction du temps depuis la fin du xixe siècle à nos jours (Figure 5.1). On remarque tout de suite que ces mesures deviennent importantes à partir de 1975 grâce à l’utilisation de l’interférométrie des tavelures, de l’optique adaptative, de l’imagerie électronique ainsi que les observations réalisées avec les interféromètres optiques à longue base et le télescope spatial Hubble (HST).

61

Fourth Catalog of Interferometric Measurements of Binary Stars : http://ad.usno.navy.mil/wds/int4.html

Figure 5.1 Distribution dans le temps des mesures interférométriques d’étoiles doubles contenues dans le 4e catalogue de mesures interférométriques d’étoiles doubles. Entre 1890 et 1975, on trouve les mesures effectuées par les observateurs au moyen des premiers interféromètres évoqués dans ce livre. Les détails sont donnés dans le texte et le tableau 5.1. Après 1975, on note un accroissement considérable des mesures effectuées au moyen des différentes techniques d’observation à haute résolution angulaires qui ont été développées au sol (occultations lunaires, interférométrie des tavelures, optique adaptative, interférométrie optique) et dans l’espace (HST). Crédit : Figure d’après la Fig. 1 du Fourth Catalog of Interferometric Measurements of Binary Stars https://ad.usno. navy.mil/wds/int4.html.

44

Mieux voir les étoiles

On note également qu’après la contribution de Schwarzschild et Villiger en 1895 (voir Chapitre 3.3) puis la contribution de l’interféromètre de Michelson et Pease au mont Wilson (voir Chapitre 4), d’autres mesures d’étoiles doubles ont été réalisées entre 1920 et 1975. Comme on peut le lire dans le tableau 5.1, derrière l’indication codée des différents observateurs se cache le nom des astronomes qui ont été les auteurs de ces mesures d’étoiles doubles au moyen d’une méthode interférométrique. Tableau 5.1 Les auteurs de mesures interférométriques d’étoiles doubles entre 1920 et 1975 code

nom

Dates

INT4

Instrument

SWZ

Karl Schwarzschild

1895

25

Grille sur objectif

VIL

Walther Augustin Villiger

1895

10

Grille sur objectif

ANJ

John Augustus Anderson

1919-1920

6

Interféromètre oculaire

MRR

Paul Willard Merril

1920-1921

96

Interféromètre oculaire

MAG

Mentore Maggini

1922-1926

223

Interféromètre oculaire

RON

Vasco Ronchi

1925

1

Grille focale

ABT

Giorgio Abetti

1925

1

Grille focale

PEA

Francis Gladheim Pease

1925-1927

7

Interféromètre de Fizeau-Michelson

BHx

Albert F. Brown et Harold J. Hoxie

1928

15

Grille sur objectif

FIN

William S. Finsen

1933-1969

3168

Interféromètre oculaire

B

Willem H. van den Bos

1933-1952

30

Interféromètre oculaire

WRH

Raymond Hiraam Wilson Jr.

1934-1971

394

Interféromètre oculaire

JEF

Hamilton Moore Jeffers

1939-1945

206

Interféromètre oculaire

SNT

William M. Sinton

1951

15

Interféromètre achromatique visuel

KUL

Evgeni Sergei Kulagin

1970

12

Interféromètre de Fizeau-Michelson

WCK

William Castle Wickes

1971-1975

22

Interféromètre photoélectrique

La plupart de ces mesures sont le résultat d’observations visuelles faites au moyen de la technique appelée « interférométrie oculaire » ou eyepiece interferometer inventée par Anderson en 1920. En principe, avec ce type d’instrument, pour des observations visuelles (λ = 0,55 µm) faites au foyer d’un télescope de diamètre D, la limite de résolution attendue est deux fois plus petite que celle des observations micrométriques conventionnellement fixée à 85 % du

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

45

premier anneau noir de la tache d’Airy soit 11,8″/D (avec D exprimé en cm), en accord avec la formule empirique établie par William Rutter Dawes (1799-1868) vers 1860. En contrepartie, les observations interférométriques souffrent d’une perte de luminosité due à l’utilisation de deux fentes étroites et de la multiplicité des franges d’interférence qui diminue le contraste de l’image. Cependant, nous verrons que, pour pallier cet inconvénient, d’autres types d’interféromètres ont été utilisés, comme une grille de diffraction placée devant l’objectif (Brown et Hoxie, 1928) ou au voisinage du foyer (Ronchi et Abetti, 1925) ainsi que des instruments plus sophistiqués comme l’interféromètre à demi-onde d’André Danjon (1930) et l’interféromètre visuel achromatique de Sinton (1951). Dans ce chapitre, on essaiera d’en savoir un peu plus sur ces pionniers de la mesure interférométrique des étoiles doubles. Leur présentation sera faite par « ordre d’entrée en scène », c’est-à-dire de l’année de leur première contribution à la mesure des étoiles doubles par la méthode interférométrique. Au début des années 1970, les deux derniers observateurs, Kulagin et Wickes, ont utilisé des instruments plus perfectionnés qui, de mon point de vue, préfigurent les débuts de l’époque moderne des observations interférométriques. Leurs cas sont donc traités dans le chapitre suivant.

5.1. Invention de l’interféromètre à rotation par John August Anderson John August Anderson (Figure 5.1.1) est né le 7 août 1876 à Rollag dans le comté de Clay (Minnesota, États-Unis), sixième enfant d’une famille d’origine norvégienne émigrée aux États-Unis en 186862. En 1904, Anderson est admis à l’université Johns Hopkins comme étudiant de troisième cycle et y reçoit le grade de docteur en physique en 1907. Sa thèse, effectuée 62

John August Anderson 1876-1959, Ira S. Bowen, 1962, National Academy of Sciences.

Figure 5.1.1 John August Anderson (1876-1959). Crédit : Image reproduite avec la permission de la Carnegie Institution pour les sciences.

46

Mieux voir les étoiles

sous la direction du professeur Joseph Sweetman Ames (1864-1943), avait pour sujet « les spectres d’absorption et d’émission de composés de néodyme et d’erbium ». Il est recruté comme instructeur en astronomie à l’université Johns Hopkins. Nommé Professeur en 1911, il prend en charge la production de réseaux de diffraction gravés avec la machine construite par Henry Augustus Rowland (1848-1901), un des pionniers dans le domaine de la spectrographie optique à haute résolution. De septembre 1912 à septembre 1913, Anderson participa à la construction de la machine à graver les réseaux, nécessaire pour équiper les spectrographes des programmes développés à l’observatoire solaire du mont Wilson créé en 1904 par George Ellery Hale. De 1916 à 1956, Anderson est membre du personnel de l’observatoire du mont Wilson. Il s’y occupe de la construction des réseaux de diffraction, pièces maîtresses des spectrographes, outils de base de l’astrophysique alors en plein développement et à laquelle il participe en devenant membre du laboratoire de physique créé pour réaliser les expériences nécessaires à l’interprétation des spectres des objets astronomiques. En 1920, dans le cadre d’un programme d’étude des séismes se produisant en Californie, initié par la Carnegie Institution et le California Institute of Technology, Anderson a développé en collaboration avec Harry Oscar Wood (1879-1958) un nouveau type de sismographe, connu sous le nom de pendule de torsion Wood-Anderson. De 1928 à 1948, Anderson travaille également à l’Institut technologique de Californie au sein de la structure qui mène le projet de télescope de 5 m lancé par Hale et la fondation Rockefeller. Après s’être occupé d’organiser les campagnes de recherche qui ont abouti à choisir le site du mont Palomar au sud de Los Angeles, Anderson participe à la conception de l’optique du télescope ainsi qu’à celle de son instrumentation. Anderson est décédé brutalement le 2 décembre 1959 à Pasadena (Californie). Dans le domaine de l’interférométrie stellaire, la contribution d’Anderson a été l’invention de l’interféromètre à rotation, résultant de l’adaptation de l’interféromètre utilisé par Michelson en 1891 pour la mesure des étoiles doubles au foyer du télescope de 2,5 m de l’observatoire du mont Wilson (Figure 5.1.2). Dans un premier article paru en janvier 1920, Anderson décrit les résultats des premiers essais effectués avec F. G. Pease durant la

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

47

nuit du 30 décembre 1919 sur les étoiles Algol (a Persée) et Capella (a Cocher), dont la séparation (0,042″) des composantes a été mesurée pour la première fois63.

Figure 5.1.2 Le télescope de 2,5 m Hooker de l’observatoire du mont Wilson en 1919. Crédit : Image reproduite avec la permission des observatoires de la collection Science de la Carnegie Institution pour la bibliothèque Huntington, Saint-Marin, Californie.

La cible d’Anderson pour réaliser les premières observations avec son interféromètre n’a pas été choisie au hasard. Capella, l’étoile la plus brillante de la constellation du Cocher, a été découverte en 1899 comme binaire spectroscopique de période orbitale de 104 j par William Wallace Campbell (1862-1938). En 1901, sur la base des éléments de l’orbite spectroscopique et en faisant l’hypothèse que l’inclinaison du plan orbital, alors inconnue, est voisine de 90°, Campbell estime la distance des composantes à 85 000 000 km, dont il déduit une séparation angulaire maximale d’approximativement 0,045″ pour une distance de Capella alors estimée à 12,5 pc. 63

« The Michelson Interferometer Method for Measuring Close Double Stars », John A. Anderson, 1920, Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. 32, p. 58.

48

Mieux voir les étoiles

Dans un article publié en 192064, Anderson donne le principe de son instrument ainsi que la méthode utilisée pour la mesure d’une étoile double. Un masque percé de deux fentes d’écartement variable est placé en avant du foyer du télescope, contrairement à l’interféromètre de Fizeau-Michelson où le masque est fixé devant l’objectif du télescope. L’ensemble de l’instrument peut subir une rotation autour de l’axe optique du télescope (Figure 5.1.3). Les franges d’interférences sont observées avec un grossissement atteignant environ 2 000 fois.

Figure 5.1.3 Interféromètre à rotation conçu par Anderson. Crédit : Image D. Bonneau.

La mesure consiste à lire sur un disque gradué les quatre valeurs de l’angle de position des fentes Θi pour lesquelles un minimum du contraste des franges est observé, car alors la séparation projetée du couple stellaire est égale à la moitié de l’interfrange λ/b, b étant l’écartement des fentes et λ la longueur d’onde d’observation. Les valeurs de la séparation angulaire et de l’angle de position du couple sont déduites des valeurs mesurées de Θi, d’où l’appellation « interféromètre à rotation ». Le tableau 5.1.1 contient les mesures interférométriques de Capella effectuées par Anderson qui ont permis de dessiner l’orbite visuelle montrée dans la figure 5.1.4.

64

« Application of the Michelson’s Interferometer Method to the Measurement of Close Double Stars », John A.  Anderson, 1920, The Astrophysical Journal, vol. 51, p. 263.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

49

Tableau 5.1.1 Mesures de Capella effectuées par John A. Anderson Date

ρ (″)

θ (°)

1919 Déc 30,6

0,0418

(148)

1920 Fév 13,6

0,0458

5,0

14,6

0,0451

1,0

15,6

0,0443

356,0

Mar 15,6

0,0505

242,0

Avr 23,6

(0,0402)

107,0

Figure 5.1.4 Premières mesures interférométriques de Capella (ronds noirs). À partir des valeurs de la période orbitale (P = 104,022 j) et de l’excentricité (e = 0,016) déterminées à partir des mesures spectroscopiques de vitesse radiale des composantes, les éléments de l’orbite visuelle ont été calculés pour la première fois : demi-grand-axe a = 0,052″, inclinaison i = 140,5° et un passage au périastre le 4 mars 1920. Crédit : Image D. Bonneau d’après J. A. Anderson, 1920, Astrophysical Journal, vol. 51, p. 263

Comme Anderson a été le premier à résoudre visuellement les composantes de Capella, la nouvelle étoile double s’est vu attribuer le nom de son découvreur ANJ 1, comme le veut la tradition. Les éléments de l’orbite spectroscopique calculée par Campbell à l’observatoire de Lick ont alors permis de déterminer pour la première fois la distance du couple (d = 16,7 pc), la séparation réelle des composantes (a1 + a2 = 130 924 000 km = 0,875 ua), ainsi que la masse des étoiles géantes composant le système (M1 = 4,62 M, M2 = 3,65 M). Anderson a également effectué des études approfondies sur les effets de la dispersion atmosphérique et la

50

Figure 5.1.5 Paul W. Merrill (1887-1961). Crédit : Image reproduite avec la permission des observatoires de la collection Science de la Carnegie Institution pour la bibliothèque Huntington, Saint-Marin, Californie.

Mieux voir les étoiles

façon de les corriger ainsi que sur la détermination de la longueur d’onde effective des mesures interférométriques en fonction du type spectral de l’étoile observée. L’interféromètre conçu par Anderson a ensuite été utilisé par Paul Willard Merrill (1887-1961) qui publie ses résultats en 192265 (Figure 5.1.5). D’octobre 1920 à avril 1921, Merrill effectue une nouvelle série de 10 mesures de Capella lui permettant d’améliorer son orbite visuelle. Du 1er mars au 30 avril 1921, il a également mesuré κ UMa (séparation ∼ 0,08″), puis entre avril et juin 1921 des mesures de l’étoile ν2 Boo (séparation ∼ 0,06″), deux binaires visuelles serrées découvertes par George Gothard Aitken (1898-1952). Entre le 1er février et le 17 juin 1921 avec l’aide de Milton Lasell Humason (18911972), Merrill a également mené le premier programme de recherche de nouvelles doubles parmi une liste de 85 étoiles plus brillantes que la magnitude 5,7 comprenant des binaires spectroscopiques, des étoiles à spectre composite, des étoiles variables ou des étoiles brillantes observées au hasard. Seules 6 étoiles ont montré une variation de la visibilité des franges faisant supposer qu’elles pouvaient être doubles : δ Can, 10 LMi, α Leo, ε Uma, f Uma et υ Sgt. Cinquante ans plus tard, quelques-unes des étoiles examinées par Merrill ont été résolues comme doubles visuelles au moyen de l’interférométrie des tavelures (voir Chapitre 6.4). Ainsi, dans le catalogue INT4, on trouve 6 mesures d’étoiles doubles attribuées à Anderson (code observateur ANJ) et 96 attribuées à Merrill (code observateur MRR). À partir de 1922, l’interféromètre à rotation de l’observatoire du mont Wilson n’a plus été utilisé, mais nous verrons par la suite qu’il est à l’origine de la conception des interféromètres oculaires avec lesquels des mesures d’étoiles doubles ont été faites jusque dans les années 1970. L’interféromètre à rotation conçu par Anderson est conservé à l’observatoire du mont Wilson [5]66. 65

« Interferometer observations of double stars », Paul Willard Merrill, 1922, The Astrophysical Journal, vol. 56, p. 40.

66 « L’interféromètre à rotation de John August Anderson (1876-1959) et son application à la tentative de résolution de nouvelles étoiles doubles », Daniel Bonneau, 2011, Observations & Travaux, no 79, p. 2.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

51

5.2. 1922-1926 : Mentore Maggini, un interférométriste italien Dans le catalogue INT4, on trouve 223 mesures, attribuées à Maggini et associées au code observateur MAG. Mentore Maggini67 (Figure 5.2.1) est né à Empoli, près de Florence le 6 février 1890. Sa carrière scientifique commence en 1907 avec son entrée à l’observatoire Ximemiano à Florence comme assistant, tout en continuant ses études à l’Institut technique puis à l’université de Pise. À partir de la fin de 1910, il est recruté comme bibliothécaire et assistant volontaire à l’observatoire d’Arcetri près de Florence, obtenant, à la fin de ses études, sa nomination comme assistant effectif le 1er janvier 1921. En 1922, il entre à l’observatoire astrophysique de Catane, en Sicile, où il obtint son doctorat d’État en astrophysique (1924), puis sa promotion comme astronome de 2e classe (1925). En 1926, il obtient le poste de directeur de l’observatoire astronomique de Collurania à Teramo, dans les Abruzzes. Il y poursuivit sa carrière de chercheur, d’enseignant et de vulgarisateur jusqu’à son décès subit le 8 mai 1941. On lui doit de nombreuses contributions originales à l’étude physique des surfaces planétaires (notamment de Mars) au moyen d’observations visuelles, photographiques, photométriques et polarimétriques, techniques pour lesquelles il développa ses propres instruments. Maggini, qui se déclare avoir été « inspiré par idées de Fizeau, les premiers essais de Stephan en 1873, les travaux de Michelson en 1890, Hamy en 1899 et Anderson en 1920 », s’intéresse à son tour entre 1922 et 1930 à l’utilisation de l’interférométrie pour la mesure du diamètre de petits disques ainsi que l’observation des étoiles doubles. Il fit construire à l’observatoire de Catane un premier interféromètre oculaire à rotation, inspiré du modèle de celui utilisé par Anderson à l’observatoire du mont Wilson (Figure 5.2.2). Cet instrument a été installé au foyer du réfracteur Merz (D = 32,5 cm, F = 5,57 m) installé à l’observatoire Vincenzo Bellini, une station de l’observatoire de Catane68 construite sur les flancs, de l’Etna qui fut en service entre 1880 et 1925 (Figure 5.2.3). 67

« Mentore Maggini », Giovanni Silva, 1942, Memorie della Società Astronomia Italiana, vol. 15, p. 57.

68

http://woac.ct.astro.it/index_en.html

Figure 5.2.1 Mantore Maggini (1890-1941). Crédit : Image reproduite avec l’aimable autorisation de l’observatoire astronomique INAF-Palermo.

52

Mieux voir les étoiles

Figure 5.2.2 À gauche, l’interféromètre de Maggini monté au foyer du réfracteur ; crédit : Image dans Mentore Maggini, Atti della Reale Accademia dei Lincei, Rendiconti, vol. XXXII, 20, 1923. À droite, l’interféromètre de Maggini ; crédit : Image D. Bonneau d’après Mentore Maggini, Pubblicazioni contributi del R. Osservatorio Astrofisico di Catania, no 4 pp. 3-38, 1922.

Figure 5.2.3 La coupole du réfracteur Merz de 32,5 cm de l’observatoire Vincenzo Bellini construit sur les flancs de l’Etna (alt. 2 940 m). Crédit : Domaine public.

Dans un premier article de 192269, Maggini décrit son interféromètre ainsi que de son mode d’utilisation, la méthode de mesure étant celle utilisée par Anderson (décrite au chapitre 5.1). Il expose en détail sa méthode de détermination de la longueur d’onde effective basée sur la mesure du déplacement des franges produit par une lame parallèle inclinée en fonction de la couleur des étoiles et en donne les valeurs en fonction du type spectral déterminées en observant 110 étoiles brillantes (magnitude visuelle ≤ 5, types spectraux entre B0 et M0). 69

« L’interferometre stellare dell’Osservatorio di Catania. Studio e primi saggi », Mentore Maggini, 1922, Pubblicazioni contributi del R. Osservatorio Astrofisico di Catania, no 4, pp. 3-38.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

Il présente ensuite les premiers résultats de la mesure interférométrique du diamètre du disque de la planète Neptune ainsi que les mesures deux étoiles doubles, BDS 8695 = ζ Sagittaire = HDO 150 et BDS 11222 = κ Pégase = BU 989AB. Maggini poursuivra l’observation des étoiles doubles, publiant en 1923 une première série de mesures de trente-huit couples sélectionnés dans le Catalogue de Burnham (BDS)70 observées entre fin septembre 1922 et avril 192371. En 1925, il publie l’ensemble des mesures réalisées entre janvier 1922 et décembre 1923 sur 200 couples du Catalogue général de Burnham (βGC)72. Dans cette publication, la présentation du résultat des mesures est précédée par le rappel de la théorie des mesures interférométriques, une étude de l’équatorial Merz, puis de la présentation détaillée de l’interféromètre, de son utilisation et de ses performances. La figure 5.2.4 montre la distribution des séparations angulaires des couples mesurées par Maggini au foyer du réfracteur de 32,5 cm. On note que les plus petites séparations atteignent 0,16″, soit la moitié de la résolution angulaire attendue pour ce réfracteur (0,38″), ce qui illustre bien le gain apporté par l’utilisation de la méthode interférométrique.

70

A General Catalogue of Double Stars within 121° of the North Pole, Part I, Sherburne Wesley Burnham, 1906, Carnegie Institution of Washington.

71

« Misure interferenziali di stelle doppie », Mentore Maggini, 1923, Atti della Reale Accademia dei Lincei, Rendiconti, vol. XXXII, p. 20.

72

« Misure interferometriche di stella doppie », Mentore Maggini, 1925, Pubblicazioni del R. Osservatorio Astrofisico di Catania.

53

Figure 5.2.4 Distribution des mesures interférométriques de séparations angulaires faites par Maggini. Les plus petites valeurs mesurées sont de 0,16″. Ceci montre que les mesures interférométriques permettent bien d’atteindre une résolution voisine de la moitié du pouvoir de résolution angulaire théorique (0,42″) de l’objectif de 32,5 cm de diamètre utilisé pour ces observations visuelles. Crédit : Image D. Bonneau

54

Mieux voir les étoiles

Même si des calculateurs d’orbites comme Paul Baize (1901-1995)73 et van den Bos74, ont jugé erronées une quarantaine de ses mesures par comparaison avec des mesures faites au micromètre à fils à la même époque, Maggini a été le premier à avoir mené de façon systématique des observations interférométriques d’étoiles doubles après Anderson et Merrill. Installé à l’observatoire de Collurania à partir de 1926, Maggini conçut un nouvel interféromètre, sur le même modèle que celui de Catane, mais plus perfectionné pour en corriger les imperfections (Figure 5.2.5). Une description de l’instrument construit par l’atelier de l’observatoire de Padoue pour le réfracteur Cooke (D = 39,5 cm, F = 5,91 m) de l’observatoire de Collurania est donnée dans l’article « L’interféromètre stellaire de Collurania » publié en 192975. Cet instrument a cependant été peu utilisé, car on ne trouve dans les publications de Maggini que quelques mesures effectuées en 1927 et 1928 sur les étoiles doubles 13 Ceti (BU 490 AB)76, X Ophiuchi (HU 198 AB), une binaire dont la composante primaire est une étoile variable de type Mira77 et le couple STT 535 AB, constituant avec STF 2777 AB, C le système triple δ Equ78. Ainsi, dans le catalogue INT4, on dénombre 213 mesures pour 199 étoiles effectuées par Maggini entre le 18 janvier 1922 et le 30 décembre 1923, plus les 4 mesures de X Oph publiées en 1929.

73 « Valeurs comparées des micromètres filaires et non filaires dans la mesure des distances d’étoiles doubles », Paul Baize, 1949, Le Journal des Observateurs, vol. 32, p. 105. 74

« Notes on some series of interferometer measures of double stars », Willem H. van den Bos, 1951, Le Journal des Observateurs, vol. 34, p. 85.

75

« L’interferometro stellare di Collurania », Mentore Maggini, 1929, Pubblicazioni del R. Osservatorio Astronomico di Collurania, Memore ed Osservazioni, vol. 1, p. 45. 76

« Orbita del sistema βGC 314 = 13 Ceti », Mentore Maggini, 1928, Astronomische Nachrichten, vol. 233, p. 97.

77

« Misure interferometriche della doppia variabile X Ophiuchi », Mentore Maggini, 1929, Astronomische Nachrichten, vol. 235, p. 135. 78

« Nuova orbita del sistema binarie OΣ 535 », Mentore Maggini, 1929, Pubblicazioni del R. Osservatorio Astronomico di Collurania (Teramo).

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

55

Figure 5.2.5 Le deuxième interféromètre conçu par Maggini, version améliorée de celui employé à l’observatoire de Catane selon le modèle de l’interféromètre tournant inventé par J. A. Anderson. À gauche, vue du mécanisme des fentes variables. À droite, vue côté oculaire. Crédit : Images Lucio Primo Pacinelli, INAF-Observatoire astronomique des Abruzzes.

Par la suite, probablement trop occupé par ses nouvelles charges, Maggini ne semble pas avoir poursuivi les mesures interférométriques. Cependant, si l’on en juge par ses publications, il poursuit des études dans ce domaine, notamment pour la détermination de la longueur d’onde effective des observations interférométriques en fonction du type spectral des étoiles79,80 en proposant d’utiliser l’estimation du contraste des franges pour en déduire la différence de magnitude entre les composantes d’une étoile double81 et pour déduire le type spectral des composantes à partir des différences de magnitudes mesurées à deux longueurs d’onde82.

79

« Sulla misure interferometrica della lunghessa d’onda effecttiva di stelle dopplie », Mentore Magini, 1929, Rendioconti dell’ Accademia dei Lincei, VIII ; 1929, Pubblicazioni del R. Osservatorio Astronomico di Collurania (Teramo), 3. 80

« Un metodo diretto per determinare la lunghessa d’onda effettiva interferometrica », Mentore Maggini, 1931, Rendioconti dell’ Accademia dei Lincei, XIII, p. 358. 81

« L’interferometro come fotometro », Mentore Maggini, 1930, Memorie della Società Astronomica Italiana, V, p. 19.

82

« Il tipo spettrale delle componeti une stella doppia determinato con l’interferometro », Mentore Maggini, 1930, Rendiconti dell’ Accademia dei Lincei, XI, p. 888.

56

Mieux voir les étoiles

5.3. 1925 : le micromètre interférentiel à réseau de Ronchi

Figure 5.3.1 Vasco Ronchi (1897-1988). Crédit : Image de la Fondation Giorgo Ronchi, DR.

Dans le catalogue INT4, on trouve deux mesures du couple BU 151AB effectuées en 1925 par Abetti (ABT) et Ronchi (RON) au moyen d’un interféromètre visuel. Vasco Ronchi (Figure 5.3.1) est un physicien italien né à Florence le 19 décembre 1897. Diplômé en physique de l’École normale supérieure de Pise, il poursuit ses études à la faculté de physique de l’université de Pise. En 1920, devenu assistant à l’Institut de physique de l’université de Florence, il y fait des recherches en optique qui l’amènent à proposer en 1923 une nouvelle méthode pour tester la qualité des optiques83,84. Basé sur l’utilisation d’un petit réseau de diffraction placé en avant du foyer et l’interprétation des figures de diffraction qui en résultent, le « test de Ronchi » s’avère plus simple et plus rapide à mettre en œuvre que le test de Hartmann habituellement utilisé. En 1925 est fondé l’Institut national d’optique, dont Ronchi devient le premier directeur. Il y poursuivra une carrière essentiellement consacrée à la recherche et l’enseignement en optique. Parallèlement, Ronchi effectue des recherches dans le domaine de l’histoire de l’optique, ce qui lui vaut d’être nommé président de l’Union internationale d’histoire et de philosophie des sciences de l’UNESCO de 1956 à 1970. Ronchi a également porté un grand intérêt aux questions touchant aux aspects physiologiques et psychologiques de la vision en rapport avec la conception et l’utilisation des instruments d’optique. Ayant quitté la direction de l’Institut national d’optique de Florence en 1975, Ronchi est décédé le 31 octobre 1988. En 1925, Ronchi propose d’utiliser son réseau linéaire pour la mesure des étoiles doubles85. La figure 5.3.2 montre le schéma du dispositif utilisé par Ronchi. Une grille 83

« Le frange di combinazioni nello studio delle superficie e dei sistemi ottici », Vasco Ronchi, 1923, Rivista d’Ottica e Meccanica di precisione, vol. 2, pp 9-35.

84

« Sur la nature interférentielle des franges d’ombre dans l’essai des systèmes optiques », Vasco Ronchi, 1926, Rev. Opt., 5, p. 441. 85

« Un nuovo interferometro stellare », Vasco Ronchi, 1925, Rendiconti dell’ Accademia Nazionale dei Lincei, 1 (11), pp. 659-663.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

57

constituée de bandes de même largeur alternativement opaques et claires est placée un peu en avant du foyer du télescope ; ce réseau de diffraction est caractérisé par sa période a ou sa fréquence m = 1/a. Pour un télescope de diamètre D et de longueur focale F, si la fréquence du réseau satisfait à la condition m ≤ D/Fλ, l’éclairement en arrière du foyer présente des franges se comportant comme l’ombre du réseau.

Figure 5.3.2 Interféromètre de Ronchi à réseau linéaire. Crédit : Image D. Bonneau, d’après Vasco Ronchi, 1925, Atti della R. Accademia Nazionale dei Lincei, Serie Sesta, vol. I, p. 659.

Si on observe une source double formée par deux étoiles de même intensité séparées d’une distance angulaire ρ (exprimée en radian) et supposée être orientées perpendiculairement aux traits du réseau, il se forme à l’arrière du foyer deux systèmes de franges déplacés l’un par rapport à l’autre d’une quantité égale à la séparation linéaire des images stellaires r = ρ F. Pour une séparation égale à un multiple entier de la période du réseau, les deux systèmes de franges se superposent et les franges sont toujours visibles, alors que si la séparation est un multiple demi-entier de la période, les franges obscures d’un système se superposent aux franges brillantes de l’autre et l’éclairage résultant devient uniforme. La plus petite valeur de la séparation angulaire détectable est ρ0 = a/2F ≥ λ/2D. La procédure de mesure d’une étoile double, illustrée par la figure 5.3.3, se déroule en trois étapes : 1) On oriente le réseau pour que ses traits soient parallèles à la direction de la ligne joignant les deux composantes du couple ; les deux systèmes de franges se superposent et les franges ont un maxima de visibilité. On détermine ainsi la position du réseau pour ϕ = 0° (ou 180°). 2) On tourne le réseau et l’on repère les angles ϕ2k-1 pour lesquels la visibilité des franges est minimum, ce qui se produit lorsque les deux systèmes de

58

Mieux voir les étoiles

franges sont décalés d’un nombre impair de demipériode (a/2) du réseau. Si ρ est la séparation angulaire du couple et F la distance focale de l’objectif, on a :

ρ sin ϕ 2 k −1 =

( 2 k − 1)a (k = 1, 2, 3…) 2F

On obtient ainsi la mesure de ρ. 3) L’angle de position est déduit à partir de la valeur de ϕn en connaissant le décalage Φ0 de l’orientation des traits du réseau par rapport à la direction du nord. On en déduit : θ = ϕn + Φ0.

Figure 5.3.3 Principe de la mesure d’une étoile double avec l’interféromètre de Ronchi au foyer du télescope. Crédit : Image D. Bonneau.

Ronchi a vérifié expérimentalement la validité de la méthode de mesure en observant une étoile double artificielle en lumière blanche et monochromatique. Les résultats de ces mesures ont été comparés à ceux obtenus avec un interféromètre à deux ouvertures de type FizeauMichelson. Le bon accord de ces résultats a encouragé Ronchi à effectuer une observation sur le ciel au foyer d’un télescope. Ces observations seront réalisées en août 1925 avec l’aide de Giorgio Abetti, alors directeur de l’observatoire d’Arcetri près de Florence86.

86

« Misure di stelle doppie con un interferometro a reticolo », Vasco Ronchi, 1925, Rendiconti dell’ Accademia Nazionale dei Lincei, 2 (7-8), pp. 257-261.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

L’interféromètre était constitué par un réseau linéaire carré (5 × 5 mm) de fréquence m = 50 traits/mm monté à la place de l’oculaire du micromètre du réfracteur d’Amici (D = 28 cm et F = 529,56 cm), dont le cercle de rotation permettait de repérer l’angle de position du réseau. Le réseau est placé à quelques millimètres du foyer de façon à ce que 5 ou 6 franges soient visibles dans le champ. Ronchi indique que le but de ces observations étant de tester la précision de la mesure de séparation angulaire, la détermination de l’écart de l’angle de position du réseau par rapport au zéro du micromètre n’a pas été faite et l’angle de position de l’étoile double n’est donc connu qu’à une constante près. Dans cette publication, les résultats obtenus sur les couples ζ Sagittaire et β Dauphin sont donnés. Dans le cas de ζ Sagittaire (HDO 150 AB ; WDS 190262953 AB ; Spectre A2, mA = 3,3 mB = 3,5), les observations du 28 août ont été rendues difficiles du fait que l’étoile culminait à seulement 16° au-dessus de l’horizon et des effets de la turbulence atmosphérique qui brouillait la vision des franges. La duplicité du couple, dont la séparation devait être de 0,2″ d’après l’orbite d’Aitken, semble cependant avoir été révélée par les observations interférométriques, Ronchi écrivant : « Mais il est toujours remarquable que pour étoile, qui apparaît simple avec oculaire commun, on puisse dire sans aucun doute quelle est double, qu’on puisse donner une limite supérieure à la distance des composantes (< 0,39″), et qu’on puisse donner l’orientation à moins de quelques degrés près (148° ou 328°) ; et ceci pour une étoile qui est au maximum à 16° au-dessus de l’horizon, et avec une distance des composantes inférieure à 1/4 du pouvoir de résolution pratique de l’objectif, et environ la moitié de celui de l’interféromètre utilisé. » Les résultats sont meilleurs pour les observations de β Dauphin (BU 151 ; WDS 20375+1436 AB ; Spectres F5IV + F2V ; mA = 4,1 mB = 5,0). Le tableau 5.3.1 donne le résultat des observations réalisées par Abetti (A) et Ronchi (R) fin août 1925. Les valeurs de la séparation angulaire ont été déduites des deux groupes de 5 mesures dont la réduction a été faite, compte tenu des paramètres instrumentaux, avec la relation ρ (arcsec) sin ϕ1 = 0,3894, ϕ1 étant l’angle de position du réseau lors de l’observation du premier minimum de visibilité des franges.

59

60

Mieux voir les étoiles

Tableau 5.3.1 Mesures de β Del (BU 151 AB) faites par Ronchi (R) et Abetti (A) avec l’interféromètre à réseau linéaire Données

Observateur

ϕ1

γ (″)

18 août 1925

A

44°30’

0,555

28 août 1925

R

58°

0,459

--

A

46°36’

0,536

--

R

51°

0,501

--

A

49°54’

0,509

--

R

53°

0,488

29 août 1925

A

46°30’

0,537

--

R

47°

0,533

--

A

48°

0,524

--

R

49°

0,516

Moyenne A et R

49°20’

0,516 ± 0,028

Moyenne A

47°20’

0,530

Moyenne R

51°20’

0,502

Les valeurs moyennes de ρ et ϕ1 sont reprises dans le catalogue INT4 pour 1925,65 (ABT) et 1925,66 (RON), mais la valeur attribuée à l’angle de position θ du couple est biaisée, puisque le décalage du zéro des angles de position du réseau par rapport à la direction du nord n’a pas été déterminé par les observateurs. Cette anomalie apparaît nettement sur la figure 5.3.4, les mesures de Ronchi et Abetti se trouvant anormalement éloignées des positions calculées à partir des éléments de l’orbite donnée dans le 6e Catalogue d’orbites d’étoiles doubles visuelles87. La position calculée des composantes est pour T = 1925,65, θc = 1,5° ; ρc = 0,568″, donnant un résidu (O-C)θ = 47,7°, trahissant un écart systématique alors que le résidu (O-C)ρ = -0,052″ est compatible avec une erreur de mesure aléatoire.

87

Matthew W. Muterspaugh et al., 2010, The Astronomical Journal, vol. 140, p. 1657.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

61

Figure 5.3.4 Orbite de β Del (BU 151 AB) et les mesures de Ronchi et Abetti en août 1925. Crédit : Image D. Bonneau d’après une image du Sixth Catalog of Orbits of Visual Binary Stars, Stephen J. Williams, William I. Hartkopf et B. D. Mason, U.S. Naval Observatory, Washington, DC.

Après le succès de ces observations, Ronchi pense que l’utilisation d’un réseau à traits circulaires serait plus adaptée à la mesure des étoiles doubles. Notamment du fait que la mesure de l’étoile double ne nécessiterait plus la rotation de l’instrument. Il développe ces idées dans deux publications88,89, en décrivant le principe de ce nouvel interféromètre oculaire ainsi que le formalisme permettant d’effectuer la mesure d’une étoile double. Le schéma de l’instrument est analogue à celui de l’interféromètre montré par la figure 5.3.2, mais dans lequel le réseau linéaire est remplacé par un réseau circulaire. Celui-ci est constitué de bandes circulaires de même largeur, alternativement opaques et claires et caractérisé par sa période a ou sa fréquence m = 1/a. Pour un télescope de diamètre D et de longueur focale F, pour une fréquence satisfaisant

88

« L’interferometro oculare », Vasco Ronchi, 1925, Rendiconti dell’ Accademia Nazionale dei Lincei, 2, pp. 319-323. 89

« Das Okularinterferometer und das Objektivinterferometer bei der Auflösung der Doppelsterne », Vasco Ronchi, 1926, Zeitschrift für Physik, 37 (10, 11), pp. 732-757.

62

Mieux voir les étoiles

à la condition m ≤ D/Fλ, l’éclairement en arrière du foyer présente des franges circulaires se comportant comme l’ombre du réseau. Si on observe une source double, dont la séparation est un peu supérieure à la limite de résolution de l’objectif, on obtient deux figures d’interférences circulaires décalées de la séparation d des deux composantes de la source. De la superposition de ces deux figures, il résulte la formation de franges de combinaison de forme hyperbolique, mais paraissant quasiment linéaires et confondues avec leurs asymptotes en raison de la très petite valeur de la distance focale des hyperboles (Figure 5.3.5).

Figure 5.3.5 Aspect des franges de combinaisons dans l’interféromètre à réseau circulaire. Crédit : Image D. Bonneau d’après V. Ronchi, 1925, Rendiconti dell’ Accademia Nazionale dei Lincei, vol. 2, pp. 319-323.

Si l’on considère l’angle θ fait par une frange radiale par rapport à la ligne joignant les composantes, pour un réseau de fréquence m, la distance angulaire en radian ρ = d/F des deux composantes peut être déterminée au moyen des relations :

ρ=

( 2 k − 2) 2 mF cos θ 2 k − 2

ρ=

(2 k − 1) 2 mF cos θ 2 k −1

, pour les franges brillantes ; , pour les franges sombres.

Le nombre entier k est le numéro d’ordre de la frange considérée (claire ou sombre), à partir de la direction normale à celle de deux composantes.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

Des tests en laboratoire effectués avec un réseau circulaire ont permis à Ronchi de valider l’aspect attendu pour les franges de combinaisons ainsi que des relations permettant la mesure d’une étoile double. Il est noté que cet instrument, tout en offrant une résolution angulaire analogue à celle d’un interféromètre de type FizeauMichelson (soit λ/2D au lieu de 1,22 λ/D pour la résolution théorique à pleine ouverture), n’engendre qu’une perte de lumière d’environ 50 %, nettement plus faible que celle d’un interféromètre à deux fentes étroites. Malheureusement, Ronchi n’a pas réalisé de test sur le ciel avec cet interféromètre à réseau circulaire. Compte tenu des matériels utilisés de nos jours par les astronomes amateurs, il est permis de penser que l’idée proposée par Ronchi pourrait être testée sur le ciel au foyer d’un télescope.

5.4. 1928 : Albert F. Brown et Harold J. Hoxie, premiers interférométristes amateurs Dans le catalogue INT4, on trouve 15 mesures de 14 étoiles brillantes faites en 1928 dont le code observateur est BHX. Ces observations ont fait l’objet d’une publication dans la revue américaine Popular Astronomy90. Sa lecture fait découvrir que ces mesures ont été faites par deux astronomes amateurs, Albert F. Brown et Harold J. Hoxie, étudiants au Washington Missionary College (Takoma Park, Washington, D. C.)91, qui ont réalisé une expérience de mesure interférométrique de quelques étoiles doubles brillantes au foyer d’un petit réfracteur. Il s’agit donc probablement de la première contribution d’astronomes amateurs à l’utilisation des techniques interférométriques pour la mesure des étoiles doubles. L’instrument utilisé a

90

« Double Stars Measured by Interference Method », Albert F. Brown, Harold J. Hoxie, 1928, Popular Astronomy, vol. 36, p. 385.

91

Devenu en 2009 Washington Adventist University https:// en.wikipedia.org/wiki/Washington_Adventist_University

63

64

Mieux voir les étoiles

été construit suivant la description d’un instrument décrit par Lawrence Richardson (1869-1953) dans le Journal of the British Astronomical Association de février 192592. Cet instrument, selon le principe utilisé par Schwarzschild en 1896 (voir Chapitre 3.3), utilise une grille de diffraction à fentes multiples placée devant l’objectif d’un réfracteur. Il est constitué par un support, fixé au-dessus de l’objectif du télescope, portant un cadre sur lequel est placée la grille de diffraction. L’ensemble du support peut être tourné autour de l’axe optique pour orienter la grille selon l’angle de position de l’étoile double dont la valeur est lue sur un cercle divisé solidaire du tube du télescope. Le cadre peut être incliné autour d’un axe perpendiculaire pour faire varier la séparation des fentes projetée dans le plan de l’objectif au moyen de cordes attachées aux côtés du cadre et accessibles à l’extrémité du tube porte oculaire (Figure 5.4.1).

Figure 5.4.1 Schéma de l’interféromètre à grille de diffraction de Lawrence Richardson. Crédit : Image D. Bonneau, d’après « A home-made interferometer », 1925, British Astronomical Association, vol. 35, p. 155.

L’instrument construit par les auteurs est installé devant l’objectif d’un réfracteur de 3 pouces (7,62 cm) de diamètre. Pour l’observation d’une étoile double, la grille est orientée de telle façon que les fentes soient perpendiculaires à l’orientation du couple de façon à ce que les figures d’interférence produites par les deux composantes soient alignées. Ensuite, le plan de la grille est incliné pour ajuster la séparation projetée des fentes dp de telle façon que les images des deux composantes soient intercalées. Dans ces conditions, la séparation angulaire du couple

92

« A home-made interferometer », Lawrence Richardson, 1925, British Astronomical Association, vol. 35, p. 155.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

exprimé en seconde de degré vaut ρ = 206,265 λeff /2dp. Avec dp = d cosβ où β est l’angle formé par le plan de la grille avec la normale à l’axe optique. Les auteurs déterminent la longueur d’onde effective de l’observation λeff pour les différentes étoiles en fonction de leur type spectral selon la méthode décrite par J. A. Anderson93 et mentionnent que la correction apportée en fonction de la distance zénithale pour tenir compte de l’effet chromatique de la réfraction atmosphérique est toujours très petite. Cet instrument a permis aux auteurs de réaliser les observations de quatorze étoiles doubles visuelles brillantes et très écartées (Tableau 5.4.1) donnant les mesures de l’angle de position et de la séparation angulaire à la date de 1928,2. Les auteurs ne commentent pas leurs mesures et ne disent notamment pas pourquoi l’angle de position n’a pu être déterminé dans certains cas. Ils se bornent à écrire que leurs mesures sont en assez bon accord avec les dernières mesures micrométriques faites par van Biesbroek et d’autres observateurs. Brown et Hoxie concluent leur article par un appel aux astronomes amateurs en précisant que la méthode utilisée, si elle n’est pas très originale, « n’a pas reçu toute l’attention qu’elle mérite parmi les observateurs amateurs, dans la mesure où elle permet d’accéder au domaine de l’observation précise des étoiles doubles pour l’utilisateur d’un petit télescope ». Dans le livre Observing and measuring Visual double Star de Robert W. Argyle, le chapitre 14 consacré au micromètre à réseau de diffraction (rédigé par Andreas Maurer) décrit bien le micromètre à diffraction « fabrication maison » de Richardson, mais ne mentionne pas les observations faites par Brown et Hoxie94.

93 « The Wave-Length in Astronomical Interferometer Measurements », John A. Anderson, 1922, The Astrophysical Journal, vol. 55, p. 48. 94

Observing and Measuring Visual Double Stars, Robert W. Argyle, 2012, Patrick Moore’s Practical Astronomy Series. ISBN 978-1-4614-3944-8, New York, Springer Science+Business Media.

65

66

Mieux voir les étoiles

Tableau 5.4.1 Mesures d’étoiles doubles réalisées par Brown et Hoxie à la date de 1928,2 Star

nom

WDS

mA

mB

θ (°)

ρ (″)

γ Ari

STF 180AB

01535 + 1918AB

4,52

4,58

0

8,4

γ And

STF 205A,BC

02039 + 4220AB

2,31

5,02

64 :

10,00

ζ Ori

STF 774AB

05407 - 0157AB

1,88

3,70



2,95

α Gem

STF1110AB

07346 + 3153AB

1,93

2,97



4,34

212

4,36

γ Leo

STF1424AB

10200 + 1950A

4,48

6,30

116

3,96

54 Leo

STF1487AB

10556 + 2445A



5,83

ξ UMa

STF1523AB

11182 + 3132A

4,33

4,80

85

2,12

γ Vir

STF1670AB

12417 - 0127A

3,48

3,53

317

5,68

ζ UMa

STF1744AB

13239 + 5456A

2,23

3,88

144

14,76

π Boo

STF1864AB

14407 + 1625AB

4,88

5,79

104,5

5,69

δ Ser

STF1954AB

15348 + 1032B

4,17

5,16

183

4,13 4,13

α Her

STF2140AB

17146 + 1423AB

3,48

5,40

107

70 Oph

STF2272AB

18055 + 0230AB

4,22

6,17

125

6,22

β Cyg

STFA 43AB

19307 + 2758

3,19

4,68



34,9

5.5. 1933-1939 : le micromètre interférentiel d’André Danjon

Figure 5.5.1 André Danjon (1890-1967), d’après Charles Fehrenbach, 1967, L’Astronomie, vol. 81, p. 323. Crédit : Image L’Astronomie/ Studio Harcourt.

On ne trouve dans le catalogue INT4 aucune mesure associée au code DAN. Cependant, nous allons voir qu’André Danjon peut être considéré comme ayant contribué à l’application de la méthode interférométrique à la mesure des étoiles doubles. André Danjon (1890-1967) est un astronome français95,96,97. Physicien de formation (promotion 1914 de l’ENS), il fut pris, comme tant d’autres, dans la tourmente de la Grande Guerre, participant activement aux combats, durant lesquels il perdit son œil droit (Figure 5.5.1). 95

« André Danjon  : un grand astronome », James Lequeux, 2017, L’Astronomie, vol. 131, pp. 40-47.

96 « Un grand astronome : André Danjon », Charles Fehrenbach, 1967, L’Astronomie, vol. 81, pp. 323 -331. 97 « André Danjon, son œuvre scientifique », Fehrenbach, 1967, L’Astronomie, vol. 81, pp. 365-379.

Charles

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

À partir de 1920, sa carrière s’est déroulée à l’observatoire de Strasbourg (dont il fut directeur de 1930 à 1939), puis à l’observatoire de Paris-Meudon dont il fut le directeur de 1945 à 1963, tout en assurant les fonctions de professeur d’astronomie à la faculté des sciences de Paris et la direction de l’Institut d’astrophysique de Paris (1954). Dès l’entre-deux-guerres, Danjon a joué un rôle majeur dans la modernisation et la réorganisation de l’astronomie française, concrétisée par la création de l’observatoire de Haute-Provence à Saint-Michel (non loin de Forcalquier) et de la station de radioastronomie de Nançay. Il a su mener une importante activité scientifique dans différents domaines de l’astronomie malgré l’importance accrue des tâches administratives qu’il devra assumer à partir de 1945. Auteur de deux ouvrages majeurs : Lunettes et télescopes. Conditions d’emploi, description, réglage, histoire en 1935 (avec André Couderc), et Astronomie générale. Astronomie sphérique et éléments de mécanique céleste en 1952 (réédition corrigée en 1959), Danjon est notamment connu comme inventeur de l’astrolabe impersonnel, instrument qui sera utilisé jusque dans les années 1990 pour la détermination du temps sidéral ainsi que des mesures d’astrométrie stellaire et solaire. Probablement inspiré par la conférence faite par Albert Michelson lors de l’assemblée générale de la Société astronomique de France (SAF) le 1er juin 1921, Danjon marque son intérêt pour la technique d’observation interférométrique mise en œuvre pour la mesure des diamètres stellaires en publiant deux articles sur le sujet dans L’Astronomie, le bulletin de la SAF98,99. À partir de 1922, pour remédier au manque de sensibilité de la méthode interférométrique de Fizeau-Michelson, Danjon propose d’utiliser un interféromètre de Mach. Dans cet instrument, les franges sont visibles dans le plan pupille et se traduisent, dans le plan focal, par une modulation de l’éclat de l’étoile traversant le champ. Danjon a effectué des tests en laboratoire montrant que la mesure du contraste des franges était possible avec ce type d’interféromètre100. 98 « Le diamètre des étoiles (Première partie) », André Danjon, 1921, L’Astronomie, vol. 35, pp. 416-428. 99

« Le diamètre des étoiles (Deuxième partie) », André Danjon, 1921, L’Astronomie, vol. 35, pp. 441-453. 100

« Sur une nouvelle méthode interférentielle pour la mesure du diamètre apparent des étoiles », André Danjon, 1922, C. R. A. S., vol. 174, pp. 1408-1410.

67

68

Mieux voir les étoiles

En 1926, Danjon effectue une étude de la scintillation stellaire et propose une échelle d’évaluation de la qualité des images télescopiques (échelle de Danjon) basée sur des mesures de dégradation des franges en rapport avec l’évolution de la dégradation apparente de la figure de diffraction101. Il appliquera cet instrument à l’étude quantitative de la turbulence atmosphérique et contribuera ainsi au choix du site de l’observatoire de Haute-Provence. Pour accroître la sensibilité des observations par la méthode interférométrique de Fizeau-Michelson, Danjon conçoit en 1933 un micromètre interférentiel à demi-onde102. Les pièces maîtresses de cet instrument sont un compensateur de Jamin dont l’inclinaison relative des deux lames est réglée pour obtenir un déphasage de demi-longueur d’onde entre les deux moitiés de l’objectif ainsi qu’un diaphragme d’ouverture variable circulaire (iris) ou rectangulaire (œil de chat) placé devant l’objectif d’une petite lunette permettant d’observer la figure de diffraction, qui pour une source ponctuelle apparaît traversée par une frange noire (Figure 5.5.2).

Figure 5.5.2 Schéma du micromètre interférentiel à demi-onde. Crédit : Image D. Bonneau d’après André Danjon, 1937, Annales de l’observatoire de Strasbourg, vol. 3, pp. 181-255.

101

« Étude interférentielle de la scintillation et des conditions de stabilité des images télescopiques », André Danjon, 1926, C. R. A. S., vol. 183, pp. 1032-1034. 102

« Sur une nouvelle méthode micrométrique interférentielle applicable aux satellites de Jupiter et aux étoiles doubles », André Danjon, 1933, C. R. A. S., vol. 196, pp. 1720-1722.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

69

Danjon a utilisé cet instrument monté au foyer du grand réfracteur Merz-Repsold de l’observatoire de Strasbourg (Diamètre 49 cm, Focale 692 cm) pour obtenir des mesures des diamètres angulaires des satellites galiléens de Jupiter ainsi que de trois étoiles doubles (Figure 5.5.3).

Figure 5.5.3 Le micromètre interférentiel à demi-onde de Danjon au foyer du grand réfracteur de l’observatoire de Strasbourg. Crédit : Images d’après André Danjon, 1937, Annales de l’observatoire de Strasbourg, vol. 3, pp. 181-255.

En 1937, Danjon publie la description et la théorie de son instrument103. Dans cet article, il commence par préciser son objectif d’affranchir la méthode interférométrique des inconvénients majeurs de la méthode de Fizeau-Michelson, notamment son manque de luminosité. Après avoir décrit l’instrument, Danjon détaille la façon de l’utiliser en jouant sur la rotation de l’instrument autour de l’axe optique et sur l’ouverture du diaphragme et il donne la description des images de diffraction produites par chaque configuration. Il établit les relations reliant la séparation angulaire ρ ou le diamètre angulaire α avec l’ouverture D du diaphragme et la longueur 103

« Description et théorie d’un micromètre interférentiel à demi-onde », André Danjon, 1937, Annales de l’observatoire de Strasbourg, vol. 3, pp. 181-255.

70

Mieux voir les étoiles

d’onde effective de l’observation λeff qui lui permettent de réduire ses mesures. Pour les étoiles doubles serrées, la mesure interférométrique est basée sur la disparition de la frange noire produite par l’ouverture du diaphragme carré (Figure 5.5.4). Pour les étoiles doubles écartées, l’image de chaque composante étant dédoublée par la frange noire, la mesure est obtenue, comme avec un micromètre à double image, en observant différentes configurations obtenues par rotation de l’instrument et variation du diaphragme (Figure 5.5.5).

Figure 5.5.4 Utilisation du micromètre interférentiel de Danjon comme un interféromètre. Première méthode pour la mesure d’une étoile double serrée. La valeur de la séparation angulaire ρ est obtenue à partir de la valeur de l’ouverture du diaphragme D pour laquelle on constate la disparition de la frange noire au centre de l’image. Crédit : Image D. Bonneau, d’après André Danjon, 1937, Annales de l’observatoire de Strasbourg, vol. 3, pp. 181-255.

Figure 5.5.5 Utilisation du micromètre interférentiel de Danjon comme un micromètre à double image. Pour la mesure d’une étoile double écartée, l’image de chaque composante étant dédoublée par la frange noire, la valeur de la séparation angulaire ρ est déduite de l’observation d’une configuration en carré (deuxième méthode) ou linéaire (troisième méthode) obtenue par la rotation de l’instrument autour de l’axe optique et d’une variation du diamètre du diaphragme D. Crédit : Image D. Bonneau, d’après André Danjon, 1937, Annales de l’observatoire de Strasbourg, vol. 3, pp. 181-255.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

71

Figure 5.5.6 Distribution des 32 mesures de séparation angulaire d’étoiles doubles au moyen du micromètre interférentiel de Danjon publiées en 1937. La première méthode, dite de la frange noire, a permis des mesures de séparation jusqu’à une valeur de 0,15″ soit la moitié du pouvoir de résolution théorique de l’objectif de 49 cm utilisé. L’instrument a été utilisé comme un micromètre à double image selon la deuxième méthode (images en carré puis avec la troisième méthode [images en ligne] pour les couples les plus écartés. Crédit : Image D. Bonneau, d’après André Danjon, 1937, Annales de l’observatoire de Strasbourg, vol. 3, pp. 181-255.

Les mesures de 26 étoiles doubles visuelles, effectuées entre mai 1935 et juin 1936, sont publiées. Ces couples sont brillants (magnitudes entre 3,0 et 7,5) et la différence de magnitudes des composantes inférieure à 1 magnitude. On dénombre (Figure 5.5.6) 11 couples mesurés par la méthode interférométrique (séparation de 0,25″ à 0,86″) et 11 mesures par la méthode à double image (séparations de 0,6″ à 3,87″) alors que 4 couples ont été mesurés par les deux méthodes (séparations de 0,6″ à 1″). L’étude de la cohérence interne de ces observations amène Danjon à conclure que les écarts entre les mesures obtenues avec le micromètre interférentiel à demi-onde sont bien inférieurs aux équations personnelles de bissection des pointés effectués au micromètre à fils. Dans ce même article, Danjon rappelle les résultats obtenus en 1933 pour les mesures des diamètres des satellites de Jupiter qu’il compare à celles effectuées par Michelson à l’observatoire de Lick en 1891 et par Maurice Hamy à Paris en 1898 (Tableau 5.5.1).

72

Mieux voir les étoiles

Tableau 5.5.1 Mesures interférométriques du diamètre des satellites de Jupiter. Comparaison avec les mesures de Michelson et Hamy pour une distance de Jupiter de 5 ua. Satellite

I

II

III

IV

date

Michelson

1,05

0,98

1,43

1,37

2-7 août 1891

Hamy

0,98

0,87

1,28

1,31

3-21 juin 1898

Danjon

0,90

0,78

1,22

1,08

25-29 mars 1933

Il reprend cette étude dans deux articles publiés en 1944104,105. Constatant que ses mesures donnaient des valeurs des diamètres systématiquement plus faibles que celles de ses prédécesseurs, Danjon conclut, comme l’avait suggéré Hamy, que cet effet est une conséquence de l’accroissement de la taille des ouvertures utilisées (fentes fines pour Michelson, fentes larges pour Hamy, demi-ouverture pour Danjon) qui conduit à une plus grande sensibilité dans l’appréciation de la disparition des franges. Cette interprétation paraît confirmée par la corrélation notée entre le diamètre mesuré et la magnitude du satellite. En 1952, Danjon publie les mesures de 80 couples réalisées de 1935 à 1939 avec le micromètre interférentiel à demi-onde106. Constatant que ses valeurs mesurées sont systématiquement légèrement inférieures à celles obtenues par Paul Müller avec un micromètre à double image, il avance l’hypothèse que cet écart puisse être dû à une sous-estimation de la longueur d’onde effective de ses observations ou à un problème dans la détermination du grandissement du système optique. Malheureusement, la déclaration de la Seconde Guerre mondiale ne lui a pas permis de conclure. Danjon confie à Paul Baize la présentation de la publication des 112 observations des 80 couples faites au grand réfracteur de Strasbourg

104

« Mesures interférentielles des petits diamètres apparents  ; application aux satellites de Jupiter », André Danjon, 1944, Annales d’Astrophysique, vol. 7, pp. 135-142. 105

« Les satellites de Jupiter », André Danjon, 1944, L’Astronomie, vol. 58, pp. 33-36.

106

« Observations d’étoiles doubles avec un micromètre interférentiel à demi-onde », André Danjon, 1952, Le Journal des Observateurs, vol. 35, pp. 85-94.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

73

Figure 5.5.7 Distribution des 112 mesures de séparation angulaire de 80 étoiles doubles au moyen du micromètre interférentiel de Danjon publiées en 1952. La méthode utilisée pour effectuer les mesures n’est pas précisée, mais on peut estimer qu’une soixantaine de mesures (pour des séparations < 0,5″) pourraient avoir été faites par la méthode interférométrique de la frange noire. Crédit : Image D. Bonneau, André Danjon, 1952, Le Journal des observateurs, vol. 35, pp. 85-94.

avec une limite de résolution visuelle théorique de 0,29″ (Figure 5.5.7). On dénombre 79 mesures (séparations entre 0,23″ et 2,87″), 22 estimations (séparations entre 0,17″ et 0,27″), 6 limites supérieures (séparation < 0,27″) et 5 couples paraissant simples. On peut regretter que la méthode utilisée (interférométrique ou double image) pour effectuer les mesures ne soit pas précisée, comme cela est fait dans la publication de 1936, la méthode interférométrique de la frange noire ayant probablement été utilisée pour les séparations inférieures à 0,5″, mais cela reste à confirmer. Ainsi, si les mesures effectuées par Danjon sont bien présentes dans la base de données du WDS, celles-ci sont associées à un code technique Mc pour Comparison image micrometer qui ne convient que pour une partie des observations. De ce fait, si le couple nouveau BD + 27° 2367 = DAN 1 = WDS 14205+2634 est bien présent dans le catalogue INT4, la mesure faite lors de la découverte par Danjon en 1938 n’y figure pas, ni aucune des mesures faites par Danjon entre 1935 et 1939.

74

Mieux voir les étoiles

Malgré une magnitude de 7,5 et une différence de magnitude quasi nulle, le couple DAN 1 reste un couple difficile avec une séparation angulaire maximale de l’ordre de 0,2″. Il en résulte que seulement une dizaine d’observations en ont été réalisées depuis les années 1980. La période troublée vécue par l’observatoire de Strasbourg durant la Seconde Guerre mondiale puis les nouvelles fonctions auxquelles Danjon est appelé à partir de 1945 ont mis fin à ses activités dans le domaine de l’observation des étoiles doubles. Le micromètre interférentiel à demi-onde semble avoir disparu puisqu’il ne figure pas à l’inventaire du patrimoine instrumental des observatoires de Strasbourg et de Paris (cf. Bernard Traut et James Lequeux). Cependant, un dernier article paru dans la revue Vistas in Astronomy en 1955107 montre qu’André Danjon a continué néanmoins à s’intéresser à la méthode interférométrique. Dans cet article, après un rappel de la méthode interférométrique selon Fizeau et de ses applications et limitations, il poursuit par une critique de la théorie interférentielle de la scintillation d’Arago (1852) qui le conduit à évoquer son étude sur le micromètre interférentiel à demi-onde et la conclusion à laquelle il est arrivé : pour les observations astronomiques nécessitant une mesure du contraste des franges d’interférence, l’utilisation des franges de Young (dans le plan image) n’était pas la meilleure méthode et il vaudrait mieux utiliser des franges non localisées (interféromètre de Michelson ou de Mach). C’est ce qui est fait dans la plupart des interféromètres stellaires modernes. Danjon termine en évoquant l’utilisation de l’interféromètre de Mach pour la mesure des effets de la turbulence atmosphérique et la qualification des sites astronomiques en concluant qu’un tel instrument pourrait servir à la mesure des diamètres stellaires de façon plus aisée que ne peut le faire un interféromètre stellaire du type Fizeau-Michelson. Ainsi, au terme de cette brève étude de ses publications dans le domaine, Danjon semble bien devoir être considéré comme un « interférométriste méconnu ».

107

« On the Interferometric Measurement of Small Angular Distances », André Danjon, 1955, Vistas in Astronomy, vol. 1, pp. 377-385.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

75

5.6. 1933-1969 : William Finsen, le premier interférométriste de l’hémisphère Sud Astronome sud-africain, William Stephen Finsen (Figure 5.6.1) est né le 28 juillet 1905 et décédé le 16 mai 1979 à Johannesburg. C’est à la fin de ses études secondaires à l’école King Edward à Johannesburg que Finsen décide de faire de l’astronomie. Le directeur de son école lui ayant obtenu une entrevue avec le directeur de l’observatoire de l’Union Robert Thorburn Ayton Innes (1861-1933), Finsen entre à l’observatoire en janvier 1924 en tant qu’assistant bénévole non rémunéré, puis à partir du 23 avril 1925 il est embauché comme commis de 2e classe. C’était l’époque de la construction du grand réfracteur de 67 cm (26,5 pouces). Finsen décide alors, en parallèle de son travail à l’observatoire, de s’inscrire à l’université d’Afrique du Sud à Johannesburg où il obtient un baccalauréat universitaire en sciences (BSc). Vers 1935, Finsen suit des cours à l’université de Witwatersrand à Johannesburg en mécanique ondulatoire et sur la constitution des étoiles. Le diplôme obtenu et ses travaux personnels sur l’étude statistique des étoiles doubles lui permettent d’obtenir une maîtrise en sciences. En 1951, sur la base de l’ensemble de ses publications, Finsen obtient son doctorat à l’université de Cape Town, le président du comité d’examinateurs le Dr Harold Spencer Jones (1890-1960) estimant que « la plupart des travaux récents sur les étoiles doubles en Afrique du Sud ont été faits par Finsen ». Il convient de noter que les étoiles doubles n’étaient pas le seul sujet d’intérêt de Finsen. Durant sa longue carrière, il s’intéressera notamment aux astéroïdes et à la planète Mars. Durant la Seconde Guerre mondiale, il réalisera des films d’astronomie élémentaire pour la formation des navigateurs et inventera un compas solaire pour permettre aux conducteurs de véhicule dans le désert de s’orienter. Succédant à Willem H. van den Bos, Finsen devient directeur de l’observatoire de l’Union devenu observatoire de la République en 1961 et le sera jusqu’en 1965, année de son départ à la retraite108,109. 108

« Finsen, William Stephen », Keith Snedegar, 2016, Biographical Encyclopedia of Astronomers, Springer Nature, pp. 718-719. 109

« Recollections of William S. Finsen, Former Director of the Republic Observatory », Jan Hers, 2005, Monthly Notes of the Astronomical Society of South Africa, vol. 64, p. 45.

Figure 5.6.1 William Stephen Finsen (1905-1979). Crédit : Image de Dirk Vermeulen.

76

Mieux voir les étoiles

Nous allons voir que Finsen apparaît comme le plus important utilisateur de la méthode interférométrique appliquée à l’observation des étoiles doubles, tant par l’utilisation d’un instrument innovant que par le nombre et la durée des mesures effectuées que par le nombre de couples découverts. Au début des années 1930, Finsen effectue quelques essais d’observation d’étoiles doubles brillantes avec un interféromètre de type Anderson fixé sur le réfracteur de 67 cm de l’Union Observatory à Johannesburg110 et il publie en 1935 une seconde série de mesures interférométriques d’étoiles doubles réalisées avec van den Bos111. Mais ce n’est qu’en 1948 qu’il décide de se lancer dans l’exploitation intensive de cette technique. Dans ce but, il fait réaliser un nouveau type d’interféromètre oculaire dans lequel sont corrigés les principaux inconvénients de l’interféromètre de type Anderson utilisé en 1933 et 1934. La figure 5.6.2 montre les schémas des interféromètres d’Anderson et de Finsen. Notamment pour rendre l’aspect des franges insensible aux déplacements transverses de l’image dans le plan focal, il propose de placer l’écran portant les fentes de Young dans le plan d’une image de la pupille. Il donne une première description de son interféromètre dans une note présentée à la Société astronomique d’Afrique du Sud112, puis une description détaillée et illustrée dans les publications de 1951113 et 1964114. La figure 5.6.3 montre une photographie de l’interféromètre de Finsen et de ses accessoires et l’on peut voir sur la figure 5.6.4 Finsen l’œil à l’oculaire de son instrument attaché au foyer du réfracteur de 67 cm.

110

« Double star measures made with a simple interferometer », William S.  Finsen, 1933, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 90, p. 379. 111

« Interferometer measure of double stars », Willem H. van den Bos et William S. Finsen, 1935, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 93, p. 134.

112 « An eyepiece interferometer », William S.  Finsen, 1950, Monthly Notes of the Astronomical Society of South Africa, vol. 9, p. 88. 113 « An eyepiece interferometer », William S.  Finsen, 1951, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, vol. 111, p. 387. 114 « Interferometer observation of binary stars », William S. Finsen, 1964, The Astronomical Journal, vol. 69, p. 319.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

77

Figure 5.6.2 Schéma des interféromètres d’Anderson et Finsen. Crédit : Image D. Bonneau.

Figure 5.6.3 L’interféromètre oculaire de Finsen et ses accessoires. Au centre, l’interféromètre, avec le système de fentes variables et tournantes placé au-dessous du télescope utilisé pour observer les franges. On distingue la loupe qui sert à la lecture du disque gradué donnant la mesure de l’angle de position des fentes. À gauche, le module de collimation servant à régler l’alignement optique des composantes de l’interféromètre. À droite, le module du prisme à dispersion variable utilisé pour corriger la dispersion atmosphérique. Crédit : Image Dirk Vermeulen, CSIR Archives.

Figure 5.6.4 William S. Finsen à l’oculaire de son interféromètre au foyer du réfracteur de 67 cm de l’observatoire de Johannesburg. Crédit : Image prise par un membre de la famille, reproduite avec l’autorisation de Richard Finsen.

78

Mieux voir les étoiles

Durant cette période, Finsen étudie les effets de la dispersion atmosphérique sur les observations interférométriques d’étoiles doubles ainsi que les moyens de les corriger115,116. Il approfondit la théorie et les méthodes de l’observation interférométrique des étoiles doubles, réalisant des observations sur étoile artificielle pour valider ses conclusions117, s’intéressant à la définition de la longueur d’onde effective des observations, aux effets de la forme des ouvertures (rectangulaire, lunule, circulaire)118, ainsi qu’à la définition du pouvoir de résolution pratique des observations interférométriques119. Dans le numéro d’octobre 1951 de la revue de vulgarisation scientifique Popular Astronomy, Finsen publie un article120 dans lequel, après avoir défini la notion de pouvoir de résolution angulaire d’un télescope, il explique comment l’on peut diviser par un facteur 2,44 cette résolution au moyen d’un dispositif interférométrique à deux fentes. Il mentionne l’importance de la notion de longueur d’onde effective des observations interférométriques, aborde des aspects pratiques concernant la mise en œuvre de cette technique (fentes virtuelles, largeur des fentes, forme des fentes) et explique la méthode d’observation des étoiles doubles avec un interféromètre à rotation. Il évoque l’histoire de l’interférométrie stellaire et son application à la mesure des étoiles doubles depuis les propositions de Fizeau, les premiers résultats de ses

115 « Compensation for atmospheric dispersion in double star interferometry », William S.  Finsen, 1951, Monthly Notes of the Astronomical Society of South Africa, vol. 10, p. 7. 116 « The significance of atmospheric dispersion in astronomical interferometry », William S.  Finsen, 1951, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 112, p. 82. 117 « Interferometer observations of artificial stars », William S. Finsen, 1951, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 112, p. 86. 118

« Interferometer measures of double stars », William S. Finsen, 1951, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 112, p. 94. 119

« Fringe visibility and limiting resolving power in double star interferometry », William S.  Finsen, 1951, The Observatory, vol. 71, p. 126. 120 « Double star interferometry », William S.  Finsen, 1951, Popular Astronomy, vol. 59, p. 399.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

prédécesseurs, Stephan, Michelson, Hamy, Anderson, Pease, Maggini, Wilson et Jeffers. Il décrit le programme d’observation mené à l’Union Observatory depuis 1933 pour en arriver à la conception, à partir de 1948, de son nouvel interféromètre, et l’usage de l’observation d’étoiles artificielles pour bien appréhender la méthode interférométrique. Sa conclusion est un appel pour que ses lecteurs tentent eux-mêmes d’effectuer des observations interférométriques d’étoiles doubles. De 1951 à 1953, Finsen poursuit son programme d’observation121, mais il note que l’étendue d’un tel programme est limitée : les observations interférométriques imposent une fatigue visuelle qui limite la durée des séances d’observation à seulement 2 ou 3 heures et la réalisation d’une simple mesure nécessitant une quarantaine ou plus de manipulations prend jusqu’à 1 heure. Il considère que la prospection des étoiles brillantes est terminée. Elle a conduit à la découverte de 18 nouvelles étoiles doubles (FIN312 à FIN327 plus FIN 329 et FIN 330), soit environ 1 % du nombre des étoiles examinées. En 1954, l’instrument construit en 1951 subit des modifications significatives122. Contrairement à l’ancien instrument, dans le nouvel interféromètre, le dispositif portant les fentes et le télescope secondaire constituent deux ensembles séparés. Seul le mécanisme des fentes peut être tourné autour de l’axe optique, le reste des composants optiques restant immobiles. Un accessoire de collimation peut être fixé au télescope secondaire et un prisme à dispersion variable peut être attaché pour permettre de neutraliser l’effet de la dispersion atmosphérique. L’instrument est presque complètement construit en aluminium anodisé, de sorte que l’interféromètre luimême ne pèse que 700 g. Jusqu’à 1969, Finsen poursuivra son programme d’observation interférométrique d’étoiles doubles, produisant dix publications de mesures dans les

121 « Interferometer measures of double stars », William S. Finsen, 1953, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 113, p. 170. 122

« Interferometer measures of double stars », William S. Finsen, 1954, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 114, p. 240.

79

80

Mieux voir les étoiles

Circulaires de l’Union Observatory jusqu’en 1961, puis du Republic Observatory (références123,124,125,126,127,128,129,130,131,132). Le programme d’observation mené pendant trente-six ans avec la lunette de 67 cm comprenait d’une part une recherche systématique de couples nouveaux et d’autre part la mesure de tous les couples observables avec l’instrument, généralement trop serrés pour être mesurables au micromètre à fils. Il a conduit à plus de 13 000 observations de 8 117 étoiles entre les déclinaisons + 20° et – 75° plus brillantes que la magnitude 6,5 et même 7,5 pour les étoiles de mouvement propre > 0″05/an. Ces mesures ont contribué au calcul d’orbites de meilleure qualité. Il en a résulté la découverte de 73 étoiles doubles nouvelles (code découvreur FIN) dont certaines présentent un mouvement orbital très rapide. Pour 11 d’entre elles, le calcul 123

« Observation of double stars », William S.  Finsen, 1956, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 115, p. 259. 124 « Interferometer measures of double stars », William S. Finsen, 1958, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 117, p. 302. 125 « Interferometer measures of double stars », William S. Finsen, 1959, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 118, p. 315. 126 « Interferometer measures of double stars », William S. Finsen, 1960, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 119, p. 333. 127

« Interferometer measures of double stars », William S. Finsen, 1961, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 120, p. 367. 128

« Interferometer measures of double stars », William S. Finsen, 1962, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 121, p. 10. 129 « Interferometer measures of double stars », William S. Finsen, 1965, Circular of the Republic Observatory Johannesburg, vol. 124, p. 79. 130 « Interferometer measures of double stars », William S. Finsen, 1966, Circular of the Republic Observatory Johannesburg, vol. 125, p. 108. 131 « Interferometer measures of double stars », William S. Finsen, 1967, Circular of the Republic Observatory Johannesburg, vol. 126, p. 138. 132

« Interferometer measures of double stars », William S. Finsen, 1969, Circular of the Republic Observatory Johannesburg, vol. 128, p. 187.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

d’une orbite a été possible moins de vingt ans après leur découverte, ce qui était exceptionnel dans le domaine des étoiles doubles visuelles (Tableau 5.6.1). Tableau 5.6.1 Liste des étoiles doubles à mouvement rapide découvertes par Finsen dont les orbites ont pu être calculées mag1 – mag2 Spectre P (an)

FIN

Nom

IDS

347

81 Cnc

09068N1524

7,2-7,2

312

ε Cet

02347S1218

5,6-5,6

G9 V

a (″)

2,65

0,1258

F5 IV-V 2,672

0,114

363 AB

-

09159S6816

6,1-6,1

dF5

3,2

0,1235

316

G Vel

08505S4708

6,1-6,1

Am

7,27

0,1044

331 Aa 75 Ori

06116N0959

6,1-6,1

A1 V

8,35

0,1299

327

χ2 Sgr

19192S2442

5,8-5,8

dA5

10,8

0,1230

335

-

08305S3215

7,2-7,2

G5

12,5

0,1253

357

-

18528S6854

6,6-6,6

dF9

13,58

0,1306

342

70 Tau

04199N1543

7,2-7,2

dF5

15,5

0,1316

326

θ Ant

09397S2719

5,4-5,6

F7 V

18,83

0,1275

329

-

21086S5341

6,5-6,5

A7 V

21,0

0,1449

Durant cette période, Finsen s’est évertué à améliorer l’application de la méthode interférométrique à l’observation des étoiles doubles en termes d’efficacité et de précision des mesures. Il suggère notamment que l’enregistrement automatique de la rotation de l’instrument devrait accroître la précision de la détermination de l’angle de position du couple133. L’effet de la dispersion atmosphérique étant un facteur limitatif de l’observation des franges d’interférences, sa correction est indispensable lors d’observations faites à une forte distance zénithale. Pour remédier à la perte importante en transmission optique et au poids du prisme à dispersion variable habituellement utilisé pour cette correction, Finsen finit par adopter une solution élégante qui consiste à utiliser le pouvoir dispersif de la lentille d’œil d’un oculaire de

133

« A suggestion for increasing the accuracy of position angle measurements of double stars », William S. Finsen, 1956, Monthly Notes of the Astronomical Society of South Africa, vol. 15, p. 60.

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Mieux voir les étoiles

Ramsden rendu inclinable selon une proposition de Sir George Airy faite en 1870134. Faisant le point sur l’apport de la technique interférométrique à l’étude des étoiles doubles135, Finsen garde, un œil critique sur les performances espérées et réelles de ces mesures en menant une étude comparative des résultats obtenus par les autres observateurs et en se référant aux études critiques publiées par Baize136 et van den Bos137,138. Pour Finsen, sur la base de trente années d’utilisation intensive d’un interféromètre, les défauts attribués aux mesures interférométriques n’ont pas pour origine la méthode elle-même, mais plutôt l’imparfaite compréhension de ses capacités et limitations ainsi que des précautions fondamentales qu’il ne faut pas oublier de prendre pour son utilisation. Il lui semble qu’en fait la méthode a plus souffert de l’enthousiasme de ses partisans que du scepticisme de ses opposants139. Finsen cherchera toujours à faire profiter de son expérience d’autres observateurs tentés par l’utilisation de la méthode interférométrique en donnant des descriptions détaillées de son micromètre interférentiel ainsi que de la façon de mener une observation [32]. Conscient des difficultés et des limitations de la méthode interférométrique, dans son dernier article sur le sujet140, il n’hésite pas à avertir l’utilisateur potentiel. D’après lui, « Le plus 134 « The Airy-Simms eyepiece for neutralizing atmospheric dispersion », William S. Finsen, 1967, The Observatory, vol. 87, p. 41. 135 « Interferometer observation of binary stars », William S. Finsen, 1964, The Astronomical Journal, vol. 69, p. 319. 136

« Valeur comparée des micromètres filaires et non filaires dans la mesure des distances d’étoiles doubles », Paul Baize, 1949, Le Journal des Obervateurs, vol. 32, p. 97. 137

« Notes on some series of interferometer measures of double stars », Willem H. van den Bos, 1951, Le Journal des Observateurs, vol. 34, p. 85. 138 « A study of Finsen interferometer measures of double stars », Willem H. van den Bos, 1953, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 113, p. 183. 139

« The role of the interferometer in double-star astronomy », William S. Finsen, 1961, Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. 73, p. 283. 140

« Twenty years of double-star interferometry and its lessons », William S. Finsen, 1971, International Astronomical Union Colloquium, vol. 11, p. 13.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

grand inconvénient de l’interféromètre est certainement le fait que la duplicité n’est pas vue directement, mais qu’elle doit être déduite de la manifestation délicate et insaisissable des franges. On doit continuellement être en garde contre une mauvaise interprétation des franges et une observation interférométrique est alors à la fois longue et fatigante. » Son usage lui paraît très risqué sans en avoir une bonne expérience  : « On sera bien avisé de renoncer à l’interféromètre sauf si l’on est préparé à devenir un spécialiste de son utilisation. » Finsen pense que l’interféromètre est un instrument personnel non dédié à un usage général. Il ajoute  : « Il n’est clairement pas besoin d’insister sur le fait que les inconvénients de l’interféromètre pourraient bien l’emporter sur ses avantages. Cela est certainement vrai si l’on essaie de l’utiliser pour faire des observations pour lesquelles il n’est pas indispensable, car il ne peut pas rivaliser en termes de sensibilité, fiabilité et productivité avec un plus grand télescope offrant le même pouvoir de résolution » et « le programme mené avec le réfracteur de 26,5 pouces du Republic Observatory était justifié seulement parce qu’il n’y avait pas de télescope plus grand disponible pour l’observation des étoiles doubles dans l’hémisphère Sud ou susceptible de l’être dans un futur proche. » Faisant référence à des observations de couples serrés faites par van den Bos au foyer du télescope de 82 pouces (208 cm) de l’observatoire de McDonald en Arizona, Finsen conclut cependant son article par une note prospective : « Mais le projet le plus gratifiant de tous serait un programme d’observations interférométriques réalisé avec le 82 pouces lui-même, qui est le plus grand télescope disponible pour des travaux sur les étoiles doubles. Son utilisation de cette manière comme un instrument de dernier recours est, je crois, son seul rôle et sûrement ce que les pionniers du mont Wilson avaient à l’esprit il y a un demi-siècle. » Comme l’écrit Paul couteau dans son livre Ces Astronomes fous du ciel, « Aucun astronome, même muni d’interféromètre, n’a fait mieux141. »

141

Ces astronomes fous du ciel, ou l’histoire de l’observation des étoiles doubles, Paul Couteau, 1988, Édisud, ISBN 2.85744-358-7.

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5.7. 1933-1952 : Willem H. van den Bos, un observateur critique

Figure 5.7.1 Willem Hendrik van den Bos (1896-1974). Crédit : Special Collections Research Center, University of Chicago Library.

Willem Hendrik van den Bos (Figure 5.7.1) est un astronome sud-africain né à Rotterdam (Pays-Bas) le 25 septembre 1896 et décédé le 30 mars 1974 à Johannesburg (Afrique du Sud). Sa vocation d’observateur d’étoiles doubles débute en 1920 à Leyden (Pays-Bas), où il effectué ses études à l’université sous la direction de maîtres prestigieux, Albert Einstein, Hendrik Lorentz, Willem de Sitter et Ejnar Hertzsprung et soutien sa thèse « Mesures micrométriques des étoiles binaires » en 1925. La même année, à la demande de son directeur Robert Thorburn Ayton Innes, van den Bos entre comme stagiaire à l’observatoire de l’Union à Johannesburg (Afrique du Sud), où il effectuera sa carrière durant quarante et un ans, comme assistant astronome puis à partir de 1941 comme directeur142,143. Selon Paul Couteau144, van den Bos est probablement le plus grand observateur d’étoiles doubles de tous les temps, à la fois par le nombre de couples découverts (2 895) et le total extraordinaire de 73 940 mesures faites entre 1925 et 1961. En ce qui concerne l’utilisation de la méthode interférométrique, van den Bos est un observateur occasionnel dont le catalogue INT4 contient 30 mesures moyennes sur 22 couples faites avec le micromètre interférentiel de Finsen monté au foyer du réfracteur de 26,5 pouces de l’observatoire de l’Union à Johannesburg entre 1933,4 et 1952,7145,146,147. Si van den Bos est resté essentiellement un utilisateur du 142

« W.  H. van den Bos (1896-1974) », Paul Baize, 1974, L’Astronomie, vol. 88, p. 305.

143

« Obituary: Willem Hendrik van den Bos », William S. Finsen, 1974, The Monthly Notes of the Astronomical Society of Southern Africa, vol. 33, p. 60. 144

Ces astronomes fous du ciel, ou l’histoire de l’observation des étoiles doubles, Paul Couteau, 1988, Édisud, ISBN 2.85744-358-7. 145

« Double star measures made with a simple interferometer », William S.  Finsen, 1933, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 90, p. 379. 146

« Interferometer measure of double stars », Willem H. van den Bos et William S. Finsen, 1935, The Astrophysical Journal, vol. 93, p. 134. 147 « Measure of double stars – 30th Series », Willem H. van den Bos, 1951, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 111, p. 13.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

micromètre à fils traditionnel, il était ouvert aux techniques nouvelles d’observations des étoiles doubles. Ainsi, dès 1927, il s’interroge sur la confiance qu’il faut accorder aux mesures photographiques et interférométriques des étoiles doubles situées aux frontières opposées du domaine des séparations angulaires bien accessible aux mesures micrométriques148. Il met particulièrement en garde contre les calculateurs d’orbites qui peuvent utiliser des mesures interférométriques erronées, comme le sont certaines mesures de Maggini. Plus tard, ayant lui-même effectué des mesures interférométriques avec W. S. Finsen, il attire à nouveau l’attention des calculateurs d’orbites en publiant une série de notes sur des mesures jugées douteuses publiées par des observateurs contemporains (M. Maggini, H. M. Jeffers, R. H. Wilson Junior)149. Dans le même esprit, il considère que les séries de mesures obtenues par Finsen en utilisant son interféromètre oculaire sur le réfracteur de 26,5 pouces de l’Union Observatory sont suffisantes pour faire une première étude de la précision interne et externe des observations interférométriques150. La précision interne des mesures interférométriques est estimée à partir de la dispersion des valeurs mesurées pour l’angle de position et la séparation angulaire. Pour 148 résultats moyens basés sur 2 à 8 nuits, chacun pour des couples dont la séparation observée va de 0,10″ à 0,36″, van den Bos trouve une dispersion de 3,6° en angle et de 0,017″ en séparation. La précision externe des mesures interférométriques a été estimée par comparaison avec les positions prédites par les orbites et par comparaison avec les mesures micrométriques faites à une époque voisine. De ces comparaisons, van den Bos conclut que les résidus moyens des mesures interférométriques sont négligeables en angle de position et d’environ 0,03″ en séparation, ces mesures étant en meilleur accord avec les mesures micrométriques qu’avec les orbites dont la détermination 148 « On the reliability of interferometer and photographic measures of double stars », Willem H. van den Bos, 1927, Bulletin of the Astronomical Institutes of the Netherlands, vol. 4, p. 103. 149

« Notes on some series of interferometer measures of double stars », Willem H. van den Bos, 1951, Le Journal des Observateurs, vol. 34, p. 85. 150

« A study of Finsen’s interferometer measures of double stars », Willem H. van den Bos, 1953, Circular of the Union Observatory Johannesburg, vol. 113, p. 183.

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est encore incertaine, car dépendant souvent de mesures micrométriques difficiles de couples plus serrés que 0,3″.

5.8. 1934-1971 : Raymond Hiram Wilson Jr. Raymond Hiram Wilson est un astronome américain, né à Gap (comté de Lancaster, Pennsylvanie,) le 14 février 1911151,152,153,154. Astronome amateur, membre de l’American Astronomical Society, il adhère en 1930 à l’American Meteor Society155 ; jusqu’en 1933, il participe à 21 campagnes d’observations de météorites. Étudiant au collège Swarthmore (Swarthmore, Pennsylvanie), il obtint une licence (Bachelor of Arts, 1931) puis une maîtrise (Master of Arts, 1933) en mathématiques. Dans son mémoire de maîtrise, il montre son intérêt pour le calcul rigoureux des orbites d’étoiles doubles et met en évidence le rôle important de la mesure de la vitesse radiale relative des composantes pour la validation de l’orbite relative visuelle156. Diplômé en astronomie, il entre à l’université de Pennsylvanie (Pennsylvania University, Philadelphie, Pennsylvanie) et obtient un poste d’assistant d’observation à l’observatoire Flower (Flower Observatory, Upper Darby Township, Pennsylvanie). Il suit également des cours à Harvard et à l’université de Californie. En 1935, Raymond H. Wilson obtient le grade de docteur en sciences astronomie, mathématiques et physique, après la soutenance de sa thèse « Measurements of double Stars with an interferometer on the 18-inch refractor of the Flower Observatory157 ». Son directeur de thèse, 151

Site web: http://www.locateancestors.com/raymond-h-wilson/

152

Observational Astronomy at the University of Pennsylvania 17512007, Robert H. Koch, 2008. 153

History of the Rittenhouse Astronomical Society 1888-1960, Cecil M. Billings, 1960, p. 59. 154

Charles Olivier and the rise of meteor science, Richard Taibi, 2017, Éd. Springer. 155

http://www.amsmeteors.org/

156

« The orbit of STF 2294 », Raymond H. Wilson Jr., 1933, The Astronomical Journal, vol. 43, p. 41. 157

« Interferometer researches at the Flower Observatory », Raymond H. Wilson, 1936, Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. 48, p. 195.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

le Dr Charles Pollard Olivier (1884-1975), est alors directeur de l’observatoire Flower, notamment connu comme fondateur de l’American Meteor Society, mais également comme observateur d’étoiles doubles visuelles (code observateur OL au WDS). À partir de cette époque, Wilson se consacrera essentiellement à l’étude des étoiles doubles visuelles, en réalisant leur mesure au moyen d’un micromètre à fils traditionnel ou d’un interféromètre oculaire et en calculant des orbites. Si l’on en croit son témoignage paru en 1950 dans la revue Popular Astronomy158, durant l’été 1938, Wilson semble avoir été le dernier astronome à essayer d’utiliser l’interféromètre de 50 pieds du mont Wilson. En 1940, Wilson partage ses activités entre l’observatoire Flower et l’observatoire Sproul dépendant du collège Swarthmore. Durant la Seconde Guerre mondiale, Wilson sera incorporé en 1942 dans la Marine américaine (US Navy) et affecté au Bureau de recherche navale (Office of Naval Research, Arlington, Virginie) où il a travaillé jusqu’à sa démobilisation en 1946. Par la suite, Wilson a enseigné comme instructeur à l’Académie navale américaine (United States Naval Academy, Annapolis, Maryland) ainsi que dans les universités de Temple (Temple University, Philadelphie, Pennsylvanie) et de Louisville (Louisville University, Louisville, Kentucky). À partir de 1963, Wilson occupe également le poste de chef des mathématiques appliquées à la NASA (Chief of Applied Mathematics, NASA), ce qui lui vaut de participer à la controverse concernant la nature, éventuellement artificielle, du satellite de Mars Phobos. Durant les années scolaires 1971-1972 et 1972-1973, Wilson est enseignant sous contrat à l’université Ege (Izmir, Turquie). Au moment de son départ à la retraite, vers 1975, Raymond H. Wilson avait le grade de commandant de la Marine américaine. Il poursuit cependant l’observation des étoiles doubles, de 1975 à 1977 comme astronome invité puis intégré au personnel de l’observatoire d’Armagh (Armagh, Irlande du Nord) ainsi qu’à l’occasion de séjours à l’observatoire national de la République d’Afrique du Sud à Johannesburg en 1977 et 1981. De 1977 à 1980, il a occupé le poste de directeur de l’observatoire de l’université 158

« Some contributions of the interferometer to double-star research », Raymond H.  Wilson, 1950, Popular Astronomy, vol. 58, p. 334.

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d’Ege (Ege University Observatory, Izmir, Turquie)159. Il est décédé le 21 décembre 1989 à Fairfax City (Virginie). Dans le catalogue des mesures interférométriques INT4, pour le code observateur « WRH », on trouve 394 observations pour 140 couples. Ainsi Wilson figure-t-il à la deuxième place après Finsen des observateurs d’étoiles doubles au moyen de la méthode interférométrique. Alors qu’il participait au programme de mesure des étoiles doubles visuelles au foyer du réfracteur de 45,7 cm de l’observatoire Flower mené avec C. P. Olivier et S. G. Barton, il a constaté que les paires les plus intéressantes à observer étaient à la limite de résolution du télescope en raison de leur faible séparation angulaire. Les succès obtenus dans l’application de la méthode interférométrique à la mesure des étoiles doubles, à l’observatoire du mont Wilson par Anderson, Merrill et Pease ainsi que par Maggini à l’observatoire de Catane, lui font penser que l’utilisation d’un interféromètre devrait améliorer l’efficacité de leur programme en doublant le pouvoir de résolution tout en étant moins sensible à la dégradation des images par un mauvais seeing. C’est à partir de 1933, dans le cadre de son travail de thèse, qu’il étudie et construit un interféromètre de type Anderson ; la publication détaillée de ce travail n’a été faite qu’en 1941160. Dans la première partie de cette publication, il s’appuie sur son étude théorique pour en définir les caractéristiques ainsi que les performances attendues de son instrument installé au foyer du réfracteur. Comme le montre la figure 5.8.1, l’interféromètre est constitué d’un tube emmanché dans le corps du micromètre à fils dont l’extrémité en avant du plan focal porte un masque interchangeable percé de deux fentes fixes. Ce montage simple permet d’utiliser la platine tournante du micromètre pour la mesure précise de l’angle de position des fentes. Les fentes étaient placées à la distance f = 57,4 cm du foyer, l’objectif ayant une distance focale F = 801,4 cm 159

https://gozlemevi.ege.edu.tr/eng-0/Homepage.html, voir la page Observatory. 160

« Construction and use of an interferometer for measurement of close double stars with the eighteen-inch refractor. Continuation of the use of the interferometer for close double star measurements at Flower Observatory », Raymond H. Wilson, 1941, Publications of the University of Pennsylvania, Astronomical series 6, part IV, 3.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

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Figure 5.8.1 Schémas de principe des deux interféromètres utilisés par Wilson. Haut – interféromètre de type Anderson utilisé entre 1933 et 1953 sur le réfracteur de 46 cm ; crédit : Image D. Bonneau, d’après Raymond H. Wilson, 1941, Pub. Univ. Penn. Sect. Astron., vol. 6, p. 1. Bas – interféromètre de type Finsen construit en 1953 et utilisé sur différents télescopes ; crédit : Image D. Bonneau, d’après Raymond H. Wilson Jr. et Walter Lee Moore, 1954, The Astronomical Journal, vol. 59, p. 195.

et un diamètre D = 45,7 cm. Ainsi, un masque portant des fentes de distance permettra des observations équivalentes à celles réalisées avec des fentes placées devant l’objectif séparées de l = l’ F/f = 13,96 l’. Il discute de façon détaillée l’effet de la forme géométrique des fentes sur la magnitude limite et le pouvoir de résolution des observations. Plusieurs modèles de fentes ont été testés, mais finalement Wilson en a retenu deux pour effectuer ses mesures d’étoiles doubles. Ces fentes ont en commun d’avoir un bord extérieur formé par un arc de cercle de rayon légèrement inférieur au rayon de la section du cône de lumière convergeant vers le foyer. Les fentes de type I, le plus souvent utilisées, avec un bord intérieur en forme d’arc de cercle, sont un bon compromis entre la résolution angulaire atteinte tout en assurant une bonne sensibilité. Il faut noter que ce type de fentes lunulaires est celui préconisé par Fizeau en 1850 et utilisé par Stephan en 1873. Les fentes de type II ont un bord interne linéaire, ce qui permet d’atteindre une résolution angulaire voisine de la limite théorique au prix d’une perte en magnitude limite. Le tableau résume les caractéristiques de ces fentes, avec r’ le rayon des bords circulaires, a’ la

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Mieux voir les étoiles

largeur, l’ la séparation réelle, l la séparation projetée sur l’objectif, k la constante des franges (en pratique résolution angulaire limite) et maglim la magnitude limite observée. Wilson décrit sa procédure d’observation, identique à celle employée par Anderson, basée sur la rotation de l’instrument autour de l’axe optique L’angle de position est déduit (à 180° près) de l’orientation du maximum de visibilité des franges. La séparation angulaire du couple ρ est calculée après avoir déduit l’angle ξ du couple par rapport à la direction des fentes à partir de la mesure précise des angles de positions pour lesquels un minimum de la visibilité des franges est noté au moyen de la relation :

ρ cos ξ = k avec k = λ0/2l Le paramètre k ne dépendant que des paramètres instrumentaux, séparation des fentes et longueur d’onde d’observation, est nommé « constante des franges ». Cette valeur est la limite de résolution de l’interféromètre. La figure 5.8.2 montre la forme géométrique des fentes alors que le tableau 5.8.1 donne les caractéristiques et les performances attendues en résolution angulaire (k) pour les deux types de fentes utilisés pour les mesures d’étoiles doubles.

Figure 5.8.2 Géométrie des fentes utilisées pour la mesure des étoiles doubles avec l’interféromètre de Wilson. Crédit : Image D. Bonneau, d’après Raymond H. Wilson, 1941, Pub. Univ. Penn. Sect. Astron., vol. 6, p. 1.

Tableau 5.8.1 Caractéristiques et performances attendues en résolution angulaire (k) pour les deux types de fentes utilisées dans l’interféromètre de Wilson. Fentes

r’ (mm) a’ (mm) l’ (mm)

l (cm)

k (″)

I

14,7

8,0

21,4

31,5

0,189

II

15,4

4,3

26,0

36,9

0,155

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

Dans son analyse, Wilson arrive à la conclusion que l’observation des franges d’interférences devient plus difficile lorsque les composantes du couple sont trop écartées et qu’en pratique, son instrument est limité pour les couples plus faibles que la 4e magnitude à une séparation maximale d’environ 0,5″, alors qu’il estime pouvoir mesurer des couples jusqu’à 0,10″ jusqu’à la 6e magnitude et atteindre la 8e magnitude pour des séparations supérieures à 0,10″. L’interfrange étant de seulement 0,32″ ou 0,38″, pour bien voir aisément les franges, Wilson a surtout utilisé un grossissement de 1 262 fois, soit presque 3 fois le grossissement résolvant du réfracteur de 46 cm. Wilson réalise ses premières observations durant 40 nuits entre le 2 juillet 1934 et le 10 mai 1935, aboutissant à la mesure de 40 étoiles du catalogue d’Aitken, à raison d’environ 2 étoiles observées par heure. Par comparaison avec des mesures récentes faites au micromètre à fils ou avec des positons calculées d’après une orbite, il estime que les erreurs internes typiques des mesures sont ∆θ = ± 1,0° et ∆ρ = ± 0,010″. Dans cette période, Wilson a également effectué avec son interféromètre l’examen de 42 étoiles brillantes qui se sont révélées simples. Jusqu’en 1954, Wilson a poursuivi les observations avec cet interféromètre et le réfracteur de 46 cm (Figure 5.8.3), mais il convient de noter qu’il a toujours continué à utiliser également le micromètre à fils, comme l’on peut le constater dans ses publications161,162,163,164,165. La figure 5.8.4 montre la distribution des 301 mesures moyennes qui se trouvent dans le catalogue INT4 ainsi que l’indication de la résolution angulaire limite de l’interféromètre. On remarque que des 161

« Continued measurements of very close double stars with the Flower Observatory interferometer », Raymond H. Wilson Jr., 1946, Publications of the University of Pennsylvania, 10R, 151. 162 « Observations of double stars », Raymond H.  Wilson  Jr., 1950, The Astronomical Journal, vol. 55, p. 153. 163

« Estimating doubles closer than the resolving power of an interferometer », Raymond H. Wilson Jr., 1951, The Astronomical Journal, vol. 56, p. 52. 164 « Double star observations in 1951 », Raymond H. Wilson Jr., 1952, The Astronomical Journal, vol. 57, p. 248. 165

« Observations of double stars in 1952 », Raymond H. Wilson Jr., 1954, The Astronomical Journal, vol. 59, p. 132.

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Figure 5.8.3 Wilson installant son interféromètre au foyer du réfracteur de 46 cm. Crédit : Image reproduite avec l’autorisation de Popular Astronomy, Raymond H. Wilson, 1950, Popular Astronomy, vol. 58, p. 334.

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séparations sont données comme mesurées ou estimées autour de 0,08″ – 0,12″ en dessous de 0,16″, la limite de résolution angulaire de l’interféromètre. Wilson évoque de telles mesures dans sa publication de 1941160, écrivant que pour « une séparation < k, la séparation est estimée à partir de la baisse de visibilité des franges », en ajoutant « qu’une telle observation n’est pas digne de confiance quand la distance zénithale approche les 45° » en raison des effets de la dispersion atmosphérique. Il détaille la méthode employée pour ces mesures dans sa publication de 1951163, dans laquelle il calcule analytiquement la baisse de la visibilité attendue pour des séparations angulaires inférieures à 0,155″ en concluant qu’une dizaine de franges étant visibles dans l’image, « il paraît raisonnable d’attendre que leur baisse simultanée à moins de 80 % de visibilité devrait être détectable dans des conditions favorables. Ainsi, on a de bonnes chances que des doubles aussi serrées que 0,05″ pourraient être détectées et leurs coordonnées estimées avec l’interféromètre sur le réfracteur de 45,7 cm ».

Figure 5.8.4 Distribution des mesures interférométriques WRH moyennes obtenues de 1934 à 1954 sur le réfracteur de 46 cm de l’observatoire Flower. Crédit : Image D. Bonneau.

Dans sa publication de 1952155, Wilson mentionne avoir invité Sinton à essayer son interféromètre achromatique prototype sur le réfracteur de l’observatoire Flower. Il précise  : « M. Sinton a bien voulu laisser son instrument durant un mois et durant ce temps, des mesures expérimentales ont été faites occasionnellement avec cet instrument et sont incluses dans les tables. Excepté pour de petites difficultés pratiques, comme le centrage qui n’était pas complètement

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

rectifiable durant le temps disponible, les résultats obtenus se sont avérés satisfaisants et la plus grande luminosité des images apparaît comme une amélioration sensible par rapport à l’interféromètre à fentes ». On trouve 6 étoiles mesurées avec l’interféromètre de Sinton (voir Chapitre 5.10). En juillet 1953, Wilson publie une nouvelle série de mesures micrométriques et interférométriques effectuées en 1952165 ; se sont ses dernières mesures faites uniquement au moyen de l’interféromètre de type Anderson construit en 1934. Dans cet article, il évoque la conception et la construction d’un nouvel interféromètre sur le modèle de celui conçu et utilisé par W. S. Finsen de l’observatoire de l’Union à Johannesburg avec lequel il était entré en contact (voir Chapitre 5.6). En 1953, Wilson fait réaliser un interféromètre oculaire suivant le plan général suggéré par Finsen, dont il donne une description dans une publication à laquelle est associé Walter Lee Moore (1898-1989), professeur de mathématiques à l’université de Louisville, qui a conçu le mécanisme des fentes et permis la fabrication mécanique de l’interféromètre166. Le schéma de cet instrument est montré dans la figure 5.8.1. Le faisceau de lumière stellaire formé par l’objectif est rendu parallèle par une lentille collimatrice de 16 mm de diamètre et 38 mm de focale. Les fentes sont placées dans le disque de Ramsden (image de l’objectif) du collimateur. Le mécanisme des fentes conçu par W. L. Moore est constitué par trois plaques de laiton. Une plaque fixe est percée en son centre du trou circulaire de diamètre 1,9 mm qui définit les bords externes des fentes, ainsi entièrement à l’intérieur du disque de Ramsden pour tout objectif de rapport F/D < 20. Les bords internes des fentes sont formés par les bords de deux plaques mobiles permettant de faire varier l’écartement des fentes. La plaque portant les fentes peut tourner autour de l’axe optique et leur orientation est mesurée au moyen d’un cercle gradué. L’observation des interférences s’effectue au moyen d’un petit télescope placé derrière les fentes constitué d’un objectif de 21 mm de diamètre et de 50,8 mm de distance focale et équipé d’un oculaire de 11,7 mm de distance focale. L’instrument, dont toutes les surfaces optiques sont traitées antireflet, est contenu dans un tube 166

« An eyepiece interferometer for double star measurement », Raymond H. Wilson Jr. et Walter Lee Moore, 1954, The Astronomical Journal, vol. 59, p. 195.

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de 31,75 mm de diamètre et d’une longueur d’environ 152 mm pour être introduit à la place de l’oculaire standard du télescope. Cet interféromètre oculaire a été testé en comparaison avec l’interféromètre de type Anderson et le micromètre à fils sur la lunette de 46 cm de l’observatoire Flower167. En 1954, Wilson participe à une conférence pour les enseignants d’astronomie qui se tient à Berkeley (Californie) du 12 août au 11 septembre, avec le soutien de la National Sciences Foundation (NSF). À cette occasion et dans le cadre d’une collaboration avec Otto Struve (1897-1963), Charles Donald Shane (1895-1983) et Hamilton Moore Jeffers (voir Chapitre 5.9), il bénéficie de quelques nuits d’observation avec le réfracteur de 91 cm de l’observatoire de Lick. Il a utilisé son interféromètre oculaire pour mesurer des couples serrés (ρ < 0,20″) en complément des mesures faites avec l’interféromètre de type Anderson utilisé par Jeffers ainsi que le micromètre à fils168. Alors que Wilson travaillait à la NASA, il a utilisé son interféromètre oculaire pour la mesure de couples serrés au foyer du télescope réflecteur de 50,8 cm des moyens optiques de la NASA au Goddard Space Flight Center à Greenbelt (Maryland) entre mai 1970 et mai 1971. Ces mesures ne seront publiées qu’en 1979, en même temps que des mesures micrométriques qu’il avait faites au réfracteur de 67,3 cm de l’observatoire astronomique sudafricain à Johannesburg (République d’Afrique du Sud) entre le 1er avril et le 14 juillet 1977, ainsi qu’au réfracteur de 25,4 cm de l’observatoire d’Armagh en Irlande du Nord (Grande-Bretagne) entre août 1975 et mars 1977169. Dans cet article, au sujet de ses observations interférométriques, Wilson note  : « Cela a été ma première expérience en astrométrie avec un télescope réflecteur, avec la perte des images fines produites par les réfracteurs, particulièrement lorsqu’il existe des différences de températures considérables. Cependant, l’image du réflecteur, bien que très étalée vue avec 167 « Double star observations in 1953 », Raymond H. Wilson Jr., 1954, The Astronomical Journal, vol. 59, p. 256. 168

« Double star observations in 1954 », Raymond H. Wilson Jr., 1955, The Astronomical Journal, vol. 60, p. 446. 169

« Visual measures of 193 double and multiple stars », Raymond H. Wilson Jr., 1979, Astronomy & Astrophysics Supplement Series 35, p. 193.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

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un fort grossissement, était vue composée de dizaines d’images indépendantes variant continuellement, chacune d’elles montrant de fines franges dont la mesure d’une étoile double pouvait être déduite de la manière habituelle. Cet effet paraît être relié à celui de la technique d’interférométrie des tavelures développée récemment par Labeyrie et d’autres. » Cette publication marquera la fin de la contribution de Wilson à la mesure des étoiles doubles au moyen d’un interféromètre oculaire. Il effectuera encore des mesures micrométriques en 1978 puis 1981 lors de séjours au réfracteur de 67,3 cm de l’observatoire astronomique sudafricain à Johannesburg.

5.9. 1939-1945 : Hamilton Moore Jeffers Hamilton Moore Jeffers (Figure 5.9.1) est un astronome américain, né à Sewickley (Pennsylvanie) le 13 octobre 1893 et décédé à Carmel Highlands (Californie,) le 28 mai 1978170. Diplômé de l’université de Californie à Berkeley en 1917, il y obtient son doctorat au début de 1921 et passera trois ans comme instructeur en astronomie à l’université d’État de l’Iowa. Remarqué pour la qualité de ses observations alors qu’il était étudiant diplômé à l’observatoire de Lick, un poste d’assistant astronome lui est offert en 1924. Devenu astronome associé en 1933 puis astronome en 1938, il restera 37 années à l’observatoire de Lick, jusqu’à son départ à la retraite en 1961. De 1941 à 1945, Jeffers s’engage pour participer à l’effort de guerre américain. Durant sa carrière, Jeffers se consacra essentiellement à l’astrométrie des petits corps du système solaire et des étoiles, reconnu comme un observateur très habile et une autorité dans le domaine de l’astronomie de position. Il a aussi beaucoup travaillé dans le domaine des étoiles doubles faisant notamment de nombreuses mesures micrométriques et photographiques avec le réfracteur de 36 pouces. À la demande de R. G. Aitken (1864-1951), il a continué à tenir à jour le fichier des étoiles doubles de l’observatoire, qui constitua la base de l’Index Catalogue of Visual Double Stars, 1961,0, contenant plus de 64 000 étoiles et 170 « Obituary – Jeffers, Hamilton-Moore », C.  Donald Shane, 1980, Royal Astronomical Society Quarterly Journal, vol. 21, p. 69.

Figure 5.9.1 Hamilton Moore Jeffers (1893-1978). Crédit : Smithsonian Institution Archives. Image # SIA2008-4374.

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Mieux voir les étoiles

publié par l’observatoire de Lick en 1963. Ce fut le premier catalogue d’étoiles doubles couvrant l’ensemble du ciel grâce à la collaboration de Jeffers et de van den Bos. À l’observatoire de Lick, un programme d’observations interférométriques de couples visuels a été lancé en 1939 à l’initiative d’Aitken, mais sa réalisation a été l’œuvre de Jeffers entre 1939 et 1941 puis durant l’été 1945 au foyer du réfracteur de 36 pouces (91 cm). Les détails sur l’instrument, son mode d’utilisation et les observations réalisées sont donnés dans l’unique publication de Jeffers en 1947171. L’interféromètre oculaire (Figure 5.9.2) du type de celui utilisé par J. A. Anderson a été conçu par Aitken au début des années 1920, mais seulement utilisé pour des observations expérimentales. Son originalité réside dans le disque interchangeable qui porte trois paires de fentes et une ouverture libre. Le schéma de principe de l’instrument est donné dans la figure 5.9.3.

Figure 5.9.2 Interféromètre oculaire utilisé par Jeffers au foyer du réfracteur de 91 cm de l’observatoire de Lick. Crédit : avec l’aimable autorisation du Lick Observatory Historical Collections Project.

Figure 5.9.3 Schéma de l’interféromètre oculaire de Jeffers. Crédit : Image D. Bonneau, d’après Hamilton M. Jeffers, 1947, Lick Observatory Bulletin, vol. 19, p. 175.

171

« Measures of double stars », Hamilton M.  Jeffers, 1947, LicOB, vol. 19, p. 175.

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

Le tableau 5.9.1 donne pour les deux disques utilisés par Jeffers les dimensions d × h et les écartements D correspondant aux dimensions réelles reportées au niveau de l’objectif de la lunette. La séparation angulaire minimale mesurable ρmin est calculée pour un couple d’étoiles de même magnitude et une longueur d’onde effective λ0 = 5 742 Å, correspondant à un type spectral voisin de F0. Tableau 5.9.1 Caractéristiques des disques de l’interféromètre oculaire de Jeffers Fentes d × h (cm) D (cm)

Disque A

Disque B

ρmin (″)

12,5 × 24,5 36,6 54,2 71,1

18 × 24,5 36,3 54,9 68,3

0,16 0,11 0,08

Il apparaît que la limite de résolution de cet interféromètre n’est pas très différente de celle des observations visuelles directes. Cependant, pour des séparations < 0,3″, il permet d’effectuer une mesure alors que l’observation au micromètre ne permet qu’une estimation. Les mesures interférométriques ne sont possibles que pour des couples plus brillants que la magnitude 7 et dont les composantes présentent une différence de magnitude inférieure à 1,5 mag. Par ailleurs, la réfraction et la dispersion atmosphérique produisent un allongement chromatique des images limitant les observations à des distances zénithales < 30° ; pour limiter cet effet, certaines observations sont réalisées en utilisant un filtre coloré. Pour une application rigoureuse et précise de la méthode interférométrique, Jeffers réduit ses observations en utilisant une longueur d’onde effective qu’il avait déterminé en fonction de la couleur des étoiles, c’est-à-dire de leur type spectral, comme indiqué dans le tableau 5.9.2. Tableau 5.9.2 Longueurs d’onde effectives utilisées par Jeffers pour réduire ses observations interférométriques. Type spectral

Sans filtre

A0 FO G0 K0 M0

5740 5742 5762 5798 5845

λeff (Å) Filtre jaune Filtre jaune + vert Wratten 16 Wratten 16 + 40 5855 5861 5880 5912 5968

5638 5661 5690 5712 5718

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L’observation interférométrique d’une étoile double consiste à répéter 4 fois la lecture des quatre angles de positions des fentes pour lesquels on note un minimum de visibilité des franges. Dans le catalogue INT4, on trouve 206 mesures, 171 mesures donnant la séparation et l’angle de position et 35 mesures révélant un allongement de l’image (séparation estimée inférieure à 0,1″) dont 13 avec estimation de l’angle de position. La majorité de ces mesures (168) se trouvent dans la publication de Jeffers de 1947, les autres provenant de manuscrits non publiés. La distribution des séparations des 171 mesures complètes est donnée dans la figure 5.9.4. Parmi ces mesures, 25 séparations sont inférieures à la limite de résolution conventionnelle du réfracteur de 91 cm. Il faut noter que van den Bos, dans ses avertissements aux calculateurs d’orbites172, n’a pas trouvé de mesures erronées dans la publication de Jeffers.

Figure 5.9.4 Distribution des séparations pour les 171 mesures interférométriques complètes de Jeffers faites au foyer du réfracteur de 91 cm de l’observatoire de Lick. Sont indiquées la limite de résolution visuelle du réfracteur de 91 cm ainsi que les limites de résolution des trois écartements des fentes disponibles. Crédit : Image D. Bonneau.

L’interféromètre de Jeffers fait partie des objets scientifiques conservés dans les collections historiques de l’observatoire de Lick173. Dans le catalogue INT4, on note l’existence d’une étoile double nouvelle attribuée à Jeffers, désignée par le nom JEF 1. Cette étoile binaire spectroscopique (βCr B, HD 137909, WDS 15278+2906) a été observée suite à la 172

« Note on some series of interferometer measures of double stars », Willem H. van den Bos, 1951, Le Journal des Observateurs, vol. 34, p. 85. 173

http://ucolick.org/main/explore/history.html

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

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publication de F. J. Neubauer174 dans laquelle il calcule l’orbite spectroscopique du couple et prédit que les composantes pourraient être séparées visuellement lors du passage à l’apoastre en 1944-46. Lors de ses observations de 1945,482 et 1945,491, Jeffers a noté la présente de deux minima de visibilité des franges sans que celles-ci ne disparaissent jamais complètement et il estime que le couple présente une séparation < 0,08″ avec un angle de position θ ∼ 79°. Ces observations semblent pour le moins douteuses, car l’orbite de JEF 1 dans le 6 COVBS175 donne pour cette date θ = 133° ρ = 0,212″. La première résolution du couple sans ambiguïté a eu lieu en 1973. β Cr B faisait partie des binaires spectroscopiques dont je voulais déterminer les masses dans le cadre de ma thèse de 3e cycle préparée sous la direction d’Antoine Labeyrie. Nous l’avons résolue en mars 1973 lors d’une mission d’observation par interférométrie des tavelures faite au télescope de 5 m de l’observatoire du mont Palomar176. En juin 1973, Paul Couteau a également mesuré β Cr B comme binaire visuelle au foyer des réfracteurs de 50 cm et 74 cm de l’observatoire de Nice177.

5.10. 1951 : l’interféromètre achromatique de William Merz Sinton William Merz Sinton (Figure 5.10.1) est un astronome américain né le 11 avril 1925 à Baltimore (Maryland,) et décédé le 16 mars 2004 à Flagstaff (Arizona). Dès son plus  jeune  âge,  il  développe  un  grand  intérêt  pour  les  communications radio, construisant son propre équipement et obtenant une licence de radio amateur dès l’âge  de 15 ans. Durant toute sa carrière professionnelle, il tire profit de son intérêt pour les appareils électroniques 174   « The system of β Coronae Borealis », F. J. Neubauer, 1944,  The Astrophysical Journal, vol. 99, p. 134. 175

Matthew W. Muterspaugh et al., 2010, Astronomical Journal, vol. 140, p. 1623. 176

Antoine Labeyrie et al., 1974, The Astrophysical Journal, vol. 194, L147.

177

  « β Coronae Borealis », Paul Couteau, UAI, Commission des  étoiles doubles, Circulaire d’information no 61, novembre 1973, IAU Circ n° 2547.

Figure 5.10.1 William Merz  Sinton (1925-2004). Crédit : Image reproduite avec l’aimable autorisation de Mme M. Sinton

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Mieux voir les étoiles

et mécaniques. Durant la Seconde Guerre mondiale, interrompant ses études, il s’engage dans l’infanterie. Débarqué à Cherbourg avec la 26e division d’infanterie de l’armée américaine en octobre 1944, il est blessé durant les combats de libération de la Moselle. Démobilisé en 1946, il obtient en 1949 un baccalauréat en physique au lycée de l’université Johns Hopkins à Baltimore (Maryland). Il y prépare un doctorat dédié aux observations astronomiques aux longueurs d’onde infrarouges. En 1953, il soutient sa thèse sur le spectre infrarouge et la détermination de la température de Vénus puis consacre son année de post-doctorat à l’étude des surfaces de la Lune et de Mars dans l’infrarouge moyen autour de 10 μm. En 1954, il devient associé de recherche et conférencier à l’observatoire de l’université de Harvard (Massachusetts). Il s’intéresse alors à la question de la vie sur Mars, notamment à la possibilité que les zones sombres visibles à sa surface soient l’indice de la présence d’une végétation à laquelle il associe la bande d’absorption détectée vers 3,4 μm dans le spectre de Mars en 1954, au moyen d’un monochromateur de sa conception. Vingt ans plus tard, les atterrisseurs des sondes Viking feront renoncer à la présence de molécules organiques abondantes sur la surface martienne et la structure spectrale des « bandes de Sinton » se révéla être due en partie à des molécules de l’atmosphère terrestre ainsi qu’à des structures intrinsèques au spectre de Mars. À partir de 1957, Sinton s’installe à l’observatoire Lowell à Flagstaff (Arizona) où durant neuf années il poursuivra l’étude de l’émission thermique des surfaces de la Lune et de Mars au moyen d’un spectromètre infrarouge à interféromètre de Michelson de sa construction. En 1965, Sinton rejoindra, comme professeur d’astronomie et de physique, l’Institut d’astrophysique de l’université de Hawaï (Honolulu, île d’Oahu, Hawaï), sur l’invitation de son directeur John Jefferies. Il participera au développement de l’observatoire du Mauna Kea sur l’île d’Hawaï, notamment par la conception du système de contrôle du télescope de 2,24 m qui sera l’un des premiers à être piloté par un ordinateur. Il y poursuivra l’étude de Mars ainsi que des spectres infrarouges des planètes Uranus et Neptune. En 1979, il réalisera depuis la Terre les premières observations de l’émission thermique des volcans du satellite Io de Jupiter découverts par la sonde Voyager. Il poursuivra l’étude de ces volcans durant les dix dernières années de sa carrière, devenant

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

en 1987 membre fondateur de l’International Jupiter Watch, dont il sera la premier responsable de la Division Satellites. En 1990, ayant pris sa retraite de l’université d’Hawaï, Sinton se retire à Flagstaff où il devient astronome adjoint à l’observatoire Lowell178. Atteint de sclérose latérale amyotrophique (maladie de Lou Gehrig) en 1993, Sinton consacre le reste de sa vie à motiver d’autres personnes gravement handicapées, publiant en 2002 une autobiographie, I Choose To Live, A Journey through Life with ALS179. Aucune mention n’est faite sur la contribution de Sinton à la méthode interférométrique dans la nécrologie de John Spencer178. Cependant, dans le catalogue INT4, on trouve 15 mesures de 9 étoiles doubles associées au code d’observateur SNT. Ces observations ont été réalisées entre mars et octobre 1951, mais n’ont été publiées qu’en 1954. À  cette époque, Sinton, âgé de 26  ans, était étudiant doctorant à l’université Johns Hopkins. C’est en 1951 que paraît dans l’Astronomical Journal une note180 dans laquelle est succinctement décrit le principe d’un nouveau type d’interféromètre oculaire dédié à la mesure des étoiles doubles, dans lequel les franges sont formées au moyen d’un dispositif appelé miroir de Lloyd, initialement proposé par le physicien britannique Humphrey Lloyd (1800-1881)181. L’auteur annonce que son but était d’éliminer le chromatisme des franges d’interférence produites dans un interféromètre à deux fentes de type Michelson-Anderson en couplant le miroir de Lloyd avec un prisme disperseur. Un interféromètre prototype est construit. La description détaillée du principe et de la construction de cet instrument est donnée dans l’article de 1954182. Le schéma optique de l’interféromètre prototype de Sinton est illustré par la figure 5.10.2 alors que

178

« William Merz Sinton, 1925-2004 », John Spencer, 2004, Bulletin of the American Astronomical Society, vol. 36, p. 1685. 179

I Choose to Live. A Journey through Life with ALS, William Sinton, 2002, Banbury Publishing Inc. 180 « On an achromatic stellar interferometer », William M. Sinton, 1951, Astronomical Journal, vol. 56, p. 140. 181

Humphrey Lloyd (1800-1881), physicien britannique : https://en.wikipedia.org/wiki/Humphrey_Lloyd_(physicist)

182 « An achromatic stellar interferometer », William M. Sinton, 1954, Astronomical Journal, vol. 59, p. 369.

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l’interféromètre construit est montré dans la figure 5.10.3. Cet instrument original sera utilisé sur le réfracteur de 24 cm de diamètre de l’observatoire de l’université John Hopkins (Figure 5.10.4).

Figure 5.10.2 Schéma optique de l’interféromètre de Sinton. Crédit : Image D. Bonneau d’après William M. Sinton, 1954, Astronomical Journal, vol. 5, p. 369.

Figure 5.10.3 Le prototype de l’interféromètre achromatique de Sinton. Crédit : Image D. Bonneau d’après William M. Sinton, 1954, Astronomical Journal, vol. 59, p. 369.

Figure 5.10.4 Réfracteur de 24 cm (F/12) conservé à l’université John Hopkins de Baltimore. Optique de Charles Sheldon Hastings (1848-1932), mécanique réalisée par l’entreprise Warner et Swasey en 1887. Crédit : Photo Joe Curtin, DR.

Dans cet instrument, l’achromatisation des franges est produite en croisant la dispersion des franges avec la dispersion des images stellaires au moyen d’un prisme de petit angle (verre borosilicate BK7, A = 3°) placé entre une lentille divergente collimatrice et une lentille convergente qui reformait l’image focale dispersée à proximité de la surface du miroir de plan. Pour augmenter l’intensité de

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

la figure d’interférence, la face arrière de la lentille convergente était de forme cylindrique de façon à rendre l’image focale astigmate, celle-ci étant anamorphosée dans la direction perpendiculaire au miroir. Les franges étaient observées au voisinage du bord arrière du miroir au moyen d’un oculaire muni d’un micromètre à fils. La distance de l’image stellaire au miroir était fixée à d = 0,256 mm, distance jugée assez grande pour qu’elle puisse être maintenue avec une bonne précision par le guidage du télescope durant l’observation. L’on pouvait observer 45 franges dans l’image anamorphosée. La lentille divergente est montée dans un tube court fixé à la platine focale du télescope. Le prisme, la lentille divergente, le miroir plan, le micromètre et l’oculaire sont installés sur un tube long. Ce tube, dont l’orientation est fixée par l’angle de déviation du prisme, est lié au tube court au moyen d’un palier pour assurer sa rotation autour de l’axe optique en fonction de l’angle de position de l’étoile double observée. D’après Sinton lui-même, le réglage de cet instrument s’est révélé délicat et fastidieux. Il s’agissait d’abord de régler l’angle d’orientation du tube long par rapport à l’axe optique du télescope pour que le prisme travaille au minimum de déviation, puis de régler l’inclinaison du miroir plan de façon à ce que les franges apparaissent avec une visibilité maximale quel que soit l’angle de position de l’instrument. Ensuite, il fallait déterminer la correction de zéro de la lecture de l’angle de position sur la graduation du cercle divisé monté sur le palier. Ces réglages s’effectuaient par l’observation d’une étoile simple brillante puis d’un couple brillant étalon de grande séparation angulaire (de 5″ à 20″) et dont l’angle de position est bien connu. La mesure d’une étoile double s’effectuait en deux étapes. D’abord par rotation de l’instrument pour obtenir des franges à visibilité maximale au voisinage du bord du miroir ; cela donnait la valeur de l’angle de position θ du couple. Ensuite en mesurant avec le micromètre la position du minimum de visibilité des franges par rapport au bord du miroir ainsi que l’étendue de la figure d’interférence ; cela permettait de déterminer la séparation angulaire ρ du couple. Les valeurs adoptées pour θ et ρ sont la moyenne des résultats obtenus pour quatre pointés. La limite de résolution angulaire attendue des observations avec l’interféromètre et le télescope de 24 cm était de 0,246″ alors que la limite de résolution de l’objectif imposé par la diffraction était de 0,587″.

103

104

Mieux voir les étoiles

Le tableau 5.10.1 donne les résultats pour les 19 étoiles doubles observées par Sinton entre mars et octobre 1951, dont les mesures sont publiées dans le tableau II de son article de 1954. Il s’agit de couples brillants de séparations comprises entre 0,25″ et 1,2″. Deux des couples (ADS 5586 et 7780) ont une forte différence de magnitude. Table 5.10.1 Les mesures d’étoiles doubles par W. M. Sinton. WDS

nom

ADS

mA

mB

t

06573 + 5825

STT 159AB

5586

5,1

6,2

1951,22

θ (°)

ρ (″)

n

Inst.

26,4±2,8

0,76 ± 0,04

3

A

Pas mesurée 08468 + 0625

SP 1AB

6993

4,0

5,5

1951,25

166,1±2,2

I :0,25

2

A

Mesure impossible 09036 + 4709

09521 + 5404

10279 + 3642

A 1585

STT 208

HU 879

7158

7545

7780

4,0

5,0

4,0

4,2

5,6

6,5

1951,20

94,2±0,1

0,30 ± 0,01

3

A

1951,18

99,0±3,9

:0,27

4

I

1951,25

8,8±1,0

0,52 ± 0,01

3

A

1951,29

4,5±3,0

0,49 ± 0,05

2

I

249,6

:0,25

1

A

1951,32

Mesure impossible 14411 + 1344

15232 + 3017

15416 + 1940

20375 + 1436

STF1865AB

STF1937AB

HU 580AB

BU 151AB

9343

9617

9744

14 073

3,5

5,2

5,0

4,0

3,9

5,7

5,0

5,0

I

1951,37

315,1±1,9

1,04 ± 0,02

4

A

1951,38

314,6±0,3

1,07 ± 0,05

2

I

1951,41

311,1±0,2

1,18 ± 0,03

2

M

1951,51

35,3±0,9

1,06 ± 0,07

2

A

1951,51

34,8±1,3

1,09 ± 0,04

2

I

1951,60

36,6±0,4

1,15 ± 0,03

5

M

1951,51

70,2±2,0

:0,23

2

A

1951,51

66,3±1,8

:0,20

2

I

1951,75

2,4±0,5

0,64 ± 0,04

2

A

1951,75

0,5±0,4

0,54 ± 0,03

2

I

1951,70

1,9±2,6

0,62 ± 0,01

2

M

Des interféromètres dédiés à la mesure des étoiles doubles

Pour chaque étoile, l’observation avec l’interféromètre achromatique (A) est comparée avec une observation avec un interféromètre à deux fentes (I) et pour les étoiles les plus écartées avec une mesure au micromètre à fils (M). Neuf mesures ont été faites avec l’interféromètre achromatique, mais dans le catalogue INT4, toutes les mesures interférométriques de Sinton sont associées au code instrument J pour interféromètre visuel sans distinction. Dans sa conclusion, Sinton compare les performances de son instrument prototype avec celles de l’interféromètre classique à deux fentes : −− la résolution angulaire est la même ; −− le chromatisme des franges, bien qu’insuffisamment corrigé, est inférieur ; −− la magnitude limite, d’environ 5,5, est peu différente ; −− la différence de magnitude observable est plus grande ; −− l’effet de la dispersion atmosphérique doit également être corrigé. Sinton indique que l’utilisation de l’interféromètre achromatique est rendue plus difficile en raison de la variabilité résiduelle de l’interfrange persistante, même pour des observations au voisinage du zénith. Durant l’été 1951, Sinton a été invité par R. H. Wilson pour essayer son instrument sur le réfracteur de 45 cm de l’observatoire Flower. Dans sa publication de mesures d’étoiles doubles de 1952183, Wilson écrit  : « des mesures ont occasionnellement été faites avec cet instrument et sont incluses dans les tables. Excepté pour de petites difficultés pratiques, comme le centrage qui n’était pas complètement rectifiable durant le temps disponible, les résultats obtenus se sont avérés satisfaisants et la plus grande luminosité des images apparaît comme une amélioration sensible par rapport à l’interféromètre à fentes. » Dans le tableau donnant le résultat des mesures interférométriques et micrométriques de Wilson, on trouve 6 étoiles mesurées avec le prototype d’interféromètre achromatique de Sinton. Cet épisode se termine en 1955, avec la publication de Finsen184 dans laquelle il donne les arguments sur lesquels il se base 183

« Double star observations in 1951 », Raymond H. Wilson Jr., 1952, Astronomical Journal, vol. 57, p. 248. 184

« A critical evaluation of Sinton’s achromatic interferometer », William S. Finsen, 1955, Le Journal des Observateurs, vol. 38, p. 217.

105

106

Mieux voir les étoiles

pour mettre en doute les avantages supposés de l’interféromètre achromatique par rapport à l’interféromètre classique à deux fentes dont il est un grand expert (voir le Chapitre 5.6). À sa lecture, il ressort que Finsen trouve finalement le concept d’interféromètre achromatique proposé par Sinton bien plus compliqué et délicat à utiliser que l’interféromètre oculaire à deux fentes, sans apporter d’amélioration significative des performances dans la mesure interférométrique des étoiles doubles. L’intérêt de William Sinton pour l’observation des étoiles doubles n’a été que de très courte durée, car en 1954, il se consacre déjà essentiellement à l’étude des surfaces planétaires dans le domaine spectral de l’infrarouge moyen, domaine dans lequel il s’illustrera jusqu’à la fin de sa carrière. On note également que ses travaux sur l’interféromètre achromatique ne sont pas mentionnés quand il évoque sa carrière d’astronome dans son autobiographie.

Chapitre 6 Renaissance de l’interférométrie stellaire

Après la période 1920-1930, pendant laquelle Michelson et Pease ont donné naissance à ce que l’on appellera plus tard l’interférométrie optique à grande base, celle-ci disparaît des moyens mis à la disposition des astronomes pour étudier les étoiles, essentiellement en raison de la complexité optique et mécanique de cette technique. À partir des années 1940, seule l’observation photométrique des occultations par la Lune donnera accès à une résolution angulaire permettant la mesure de diamètres stellaires. Mais cela est encore une autre histoire… Il a fallu attendre les années 1960 et l’invention de l’interférométrie d’intensité par Hanbury Brown et Twiss pour que renaisse l’interférométrie optique à grande base et que de nouveaux diamètres stellaires soient mesurés avec l’interféromètre de Narrabri. En ce qui concerne l’étude des étoiles doubles, nous avons vu qu’entre 1920 et 1970, les observations étaient faites au moyen d’interféromètres visuels. À la fin de cette période, les progrès réalisés dans les domaines de l’électronique et des détecteurs photoélectriques ont rendu envisageable la conception de nouveaux interféromètres stellaires, comme l’interféromètre à superposition de rayons de l’observatoire de Poulkovo de Kulagin et Linnik (1969) et les interféromètres de type Fizeau utilisant la détection photométrique des franges d’interférence, comme ceux construits et utilisés par Elliot et Glass (1970), Currie (1971) et Wickes (1971). Le début des années 1970 est aussi marqué par l’invention de l’interférométrie des tavelures par Labeyrie. Cette technique a permis aux astronomes de bénéficier de la résolution angulaire théorique des grands télescopes malgré la dégradation des images par les effets de la turbulence atmosphérique. Elle a donc rendu obsolète la mesure des étoiles doubles au moyen des interféromètres à deux ouvertures.

108

Mieux voir les étoiles

Enfin, l’année 1974 marquera l’entrée de l’interférométrie stellaire dans une nouvelle ère. En effet, l’obtention par Labeyrie de franges d’interférences au moyen du premier interféromètre de type Fizeau-Michelson couplant deux télescopes indépendants permettra à l’interférométrie optique à grande base de retrouver sa place parmi les outils de la recherche en astrophysique.

6.1. 1963 : une autre voie pour l’interférométrie optique, l’interféromètre d’intensité de Narrabri

Figure 6.1.1 Robert Hanbury Brown (1916-2002). Crédit : Image reproduite avec l’aimable autorisation de CISRO Publishing, d’après Historical Records of Australian Science, vol. 14, no 4, 2003.

La renaissance de l’interférométrie stellaire est une conséquence d’une découverte faite par un radioastronome britannique, Robert Hanbury Brown (1916-2002) (Figure 6.1.1) et un ingénieur physicien, Richard Quintin Twiss (1920-2005). Ils ont montré expérimentalement qu’il existait une corrélation entre les fluctuations de l’intensité de deux faisceaux lumineux cohérentes provenant d’une même source et faisant le parallèle avec la technique d’interférométrie d’intensité utilisée en radioastronomie, ils proposent d’utiliser ce phénomène pour mesurer le diamètre des étoiles aux longueurs d’onde optiques185. Ce phénomène physique, connu sous le nom d’effet Hanbury Brown et Twiss, sera expliqué plus tard comme un phénomène d’optique quantique par la corrélation Bose-Einstein des photons186. La mise en œuvre de cette technique est relativement simple, car il s’agit d’enregistrer la lumière reçue d’une étoile captée par deux télescopes au moyen de récepteurs photoélectriques et de corréler les signaux électriques fournis. Il est établi que la variation du facteur de corrélation en fonction de la distance entre les deux détecteurs est proportionnelle à la visibilité des franges dans un interféromètre du type Fizeau-Michelson. Pour fonctionner, un 185

« Correlation between photons in two coherent beams of light », Robert Hanbury Brown et Richard Q.  Twiss, 1956, Nature, vol. 177, p. 27. 186

Pour plus de détails, voir par exemple http://en.wikipedia. org/wiki/Hanbury_Brown_and_Twiss_effect

Renaissance de l’interférométrie stellaire

109

interféromètre d’intensité ne nécessite pas de télescopes de grande qualité optique (il s’agit de simples collecteurs de photons) et sa métrologie n’est pas soumise aux lourdes contraintes auxquelles doit satisfaire un interféromètre du type Fizeau-Michelson. Par contre, la sensibilité d’un interféromètre d’intensité est faible, car, pour fonctionner, il nécessite que la lumière captée soit quasi monochromatique, ce qui nécessite de filtrer la lumière incidente au moyen d’un filtre interférentiel à bande spectrale étroite et d’utiliser des collecteurs de lumière de grand diamètre. Étant donné la sensibilité chromatique des récepteurs photoélectriques de l’époque, la longueur d’onde d’observation devait se trouver dans la partie violette du spectre, de telle sorte que l’interférométrie d’intensité semblait bien adaptée à l’étude des étoiles chaudes qui rayonnent beaucoup dans le bleu et le violet.

Figure 6.1.2 Schéma de principe d’un interféromètre stellaire d’intensité. Crédit : Image D. Bonneau, d’après Robert Hanbury Brown, 1967, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, vol. 137, p. 375.

Très rapidement, Hanbury Brown et Twiss ont construit un prototype d’interféromètre à l’observatoire radioastronomique de Jodrell Bank où travaillait alors Hanbury Brown. Le schéma de cet instrument est donné dans la figure 6.1.2. Les premières observations réalisées de janvier à mars 1956 avec deux collecteurs de lumière de 1,56 m de diamètre séparés de 2,5 à 9,2 m, leur permettent de réaliser la première mesure du diamètre angulaire de l’étoile Sirius (α CMa A, type spectral A1, mV = -1,43) : 0,0068″ ± 0,0005″187. 187

« A test of a New Type of Stellar Interferometer on Sirius », Robert Hanbury Brown et Richard Q.  Twiss, 1956, Nature, vol. 178, p. 1046.

110

Mieux voir les étoiles

Le succès de cette expérience est à l’origine de la construction d’un interféromètre d’intensité plus important conçu pour l’étude des étoiles chaudes (types spectraux F, A, B et O) plus brillantes que la magnitude photographique + 2,5 et observables depuis l’hémisphère Sud. Hanbury Brown s’associe à deux autres radioastronomes, John Davis (1932-2010) et Roy L. Allen pour construire ce nouvel interféromètre à l’observatoire de Narrabri (Nouvelles-Galles du Sud, Australie). Cet instrument est constitué de deux collecteurs de lumière de 6,5 m de diamètre (Figure 6.1.3) portés par des chariots mobiles sur une voie ferrée circulaire de 188 m de diamètre. Une vue aérienne de l’interféromètre d’intensité est montrée dans la figure 6.1.4. Figure 6.1.3 L’interféromètre d’intensité de Narrabri ; vue des deux collecteurs de lumière de 6,5 m de diamètre et 11 m de distance focale, constitués d’une mosaïque de 252 petits miroirs hexagonaux. Crédit : Photo reproduite avec l’aimable autorisation de the School of Physics, University of Sydney, Australie. Figure 6.1.4 L’interféromètre d’intensité de Narrabri ; vue du site. On distingue, en haut, les deux collecteurs de lumière mobiles sur la voie ferrée circulaire de 180 m de diamètre, et au centre, le pylône portant les câbles de liaison et le bâtiment où sont recombinés les signaux. Le hangar de garage des collecteurs est visible au premier plan. Référence : Robert Hanbury Brown, John Davis et Roy L. Allen, 1967, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, vol. 137, p. 375. Crédit : Image reproduite avec l’autorisation de Oxford University Press.

C’est durant la phase finale de mise au point de l’instrument qu’est obtenue la première mesure du diamètre angulaire de l’étoile Véga (α Lyr, type spectral

Renaissance de l’interférométrie stellaire

A0, mV = + 0,03) lors d’observations réalisées en juillet et août 1963 avec des longueurs de base entre 9 m et 23 m. La valeur obtenue est de 0,0037″ ± 0,0002″ à la longueur d’onde de 4385 ± 40 Å188. Les descriptions détaillées de l’interféromètre stellaire de Narrabri et de la procédure d’observation ainsi qu’une première analyse des performances de l’instrument se trouvent dans un article de 1967189. Il apparaît que si la résolution angulaire (∼ 0,0005″) et la précision de la mesure du diamètre angulaire (entre 3 et 10 %) sont inégalées, les performances dans le domaine de la sensibilité sont plutôt médiocres, une dizaine d’heures d’observation étant typiquement nécessaires pour obtenir des données de qualité suffisante, mais cette durée pouvant atteindre presque 90 heures pour une étoile de magnitude 2,5. Entre 1964 et 1971, cet instrument unique donnera la mesure très précise du diamètre angulaire de 32 étoiles190. Une dizaine d’années plus tard, ces mesures de diamètres et les flux photométriques absolus, obtenus en combinant les mesures photométriques obtenues au sol et dans l’espace (par le satellite Orbiting Astronomical Observatory, OAO-2), permettront pour la première fois d’établir empiriquement l’échelle des températures effectives pour les étoiles chaudes191. Des étoiles binaires serrées ont également été observées avec l’interféromètre de Narrabri. Des systèmes connus comme γ2 Vel (binaire spectroscopique de 78,5 j constituée par une étoile de type Wolf-Rayet et une étoile supergéante bleue) et α Vir (binaire à éclipse de 4 j de période), mais aussi de nouveaux compagnons sont 188

« A preliminary measurement of the Angular Diameter of α Lyrae », Robert Hanbury Brown, 1964, Nature, vol. 201, p. 1111.

189

« The Stellar Interferometer at Narrabri Observatory-I. Description of the Instrument and the Observational Procedure », Robert Hanbury Brown, John Davis et Roy L. Allen, 1967, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, vol. 137, p. 375. 190 « The Angular Diameters of 32 Stars », Robert Hanbury Brown, John Davis et Roy L. Allen, 1974, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, vol. 167, p. 121. 191 « Empirical Effective Temperatures and Bolometric Corrections for Early-Type Stars », A.  D.  Code, John Davis, Robert C. Bless et Robert Hanbury Brown, 1976, The Astrophysical Journal, vol. 203, p. 417.

111

112

Mieux voir les étoiles

découverts. L’étoile variable pulsante β Cru pour laquelle un compagnon a été détecté s’est finalement révélé être une binaire spectroscopique de 5 ans de période192. Des compagnons suspectés par interférométrie d’intensité en 1971 ont été confirmés : par interférométrie des tavelures, en 1974 pour δ Sco193, en 1979 pour δ Vel194, puis en 1994 pour σ Sgr195 ainsi que par interférométrie optique à longue base, en 1998 pour ζ Orionis, avec l’interféromètre NPOI196, en 2005 pour β Cen197, puis en 2006 pour λ Sco198 avec l’interféromètre SUSI199. L’interféromètre de Narrabri a également permis d’observer pour la première fois, sur l’étoile Sirius, un signal interférométrique dans le deuxième lobe de la fonction de visibilité200 et de faire des observations en lumière polarisée de l’étoile supergéante bleue β Ori pour tenter de

192

« Evidence for binarity and multiperiodicity in the β Cephei star β Crucis », Conny Aerts et al., 1998, Astronomy & Astrophysics, vol. 329, p. 137.

193

« Speckle Interferometry. III. High-Resolution Measurements of Twelve close Binary Systems », Antoine Labeyrie et al., 1974, The Astrophysical Journal, vol. 194, L147. 194 « A “Narrabri” Binary Star Resolved by Speckle Interferometry », William J. Tango et al., 1979, Astronomical Society of Australia, Proceedings, vol. 3, p. 323. 195 « An optical interferometer with wavelength dispersion », Tim R. Bedding et al., 1994, Astronomy & Astrophysics, vol. 29, p. 340. 196 « ζ Orionis A is a Double Star », Christian A. Hummel et al., 2000, The Astrophysical Journal, vol. 540, L91. 197

« Orbital elements, masses and distance to β Centauri determined with the Sidney University Stellar Interferometer and high-resolution spectroscopy », John Davis et al., 2005, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, vol. 356, p. 1362. 198

« Orbital elements, masses and distance of λ Sco A and B determined with the Sidney University Stellar Interferometer and high-resolution spectroscopy », William J. Tango et al., 2006, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, vol. 370, p. 884. 199

Sydney University Stellar Interferometer, http://www. physics.usyd.edu.au/sifa/Main/SUSI 200 « The effects of limb darkening on measurements of angular size with an intensity interferometer », Robert Hanbury Brown et al., 1974, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, vol. 167, p. 475.

Renaissance de l’interférométrie stellaire

113

mettre en évidence les effets de polarisation prévus par la théorie dans une atmosphère stellaire étendue201. Après 1971, l’interféromètre de Narrabri n’a plus jamais été utilisé puisque pratiquement toutes les étoiles accessibles à l’instrument avaient été observées. En raison de son manque de sensibilité, malgré les pistes évoquées par Hanbury Brown pour en améliorer les performances dans son article de revue sur les techniques d’observation à haute résolution angulaire permettant de mesurer les diamètres stellaires202, la technique de l’interférométrie d’intensité aux longueurs d’onde optiques ne paraissait pas avoir d’avenir. La figure 6.1.5 montre la répartition dans un diagramme Température – Luminosité des étoiles dont le diamètre angulaire avait été mesuré interférométriquement au début des années 1970. On remarque que ces étoiles forment deux groupes distincts. Sur la droite du diagramme, on trouve les 11 étoiles géantes ou super géantes rouges qui ont été observées avec les interféromètres du type Fizeau-Michelson du mont Wilson entre 1920 et 1937. Sur la gauche se trouvent les 32 étoiles chaudes, naines ou supergéantes bleues, observées avec l’interféromètre d’intensité de Narrabri entre 1963 et 1971.

Figure 6.1.5 Diagramme Température – Luminosité des étoiles dont le diamètre a été mesuré avec l’interféromètre de Narrabri (×) et les interféromètres du Mont Wilson (D). Crédit : Image D. Bonneau.

201 « An attempt to detect a corona around Orionis with an intensity interferometer using linearly polarized light », Robert Hanbury Brow et al., 1974, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, vol. 168, p. 93. 202 « Measurement of Stellar Diameters », Robert Hanbury Brown, 1968, Annual Review of Astronomy and Astrophysics, vol. 6, p. 13.

114

Mieux voir les étoiles

À partir de 1974, avec l’achèvement du programme d’observation, le département d’astronomie de l’université de Sydney à Chatterton a envisagé la conception d’un nouvel interféromètre d’intensité plus sensible. Cependant, notamment en raison des techniques disponibles à l’époque, il est apparu qu’une forme moderne d’interféromètre d’amplitude de type Fizeau-Michelson permettrait d’observer des étoiles plus faibles avec des ouvertures de diamètre plus modeste. C’est ainsi que, quelques années plus tard, deux anciens membres de l’équipe d’Hanbury Brown, John Davis (1932-2010) et William J. Tango construiront un petit interféromètre prototype203 puis l’interféromètre optique à grande base SUSI (Sydney University Stellar Interferometer). Cependant, contrairement à ce que pensait Hanbury Brown au début des années 1970, on assiste en ce début de xxie siècle à un renouveau de l’interférométrie d’intensité. Des projets existent, comme l’utilisation d’un réseau de télescopes Tcherenkov comme collecteur de lumière pour un interféromètre d’intensité travaillant en mode synthèse d’ouverture204 et de nouvelles observations stellaires commencent à être réalisées par interférométrie d’intensité205. Assisterait-on à la renaissance de l’interférométrie d’intensité ?

203

« The Sydney University 11.4  m Prototype Stellar Interferometer », John Davis et William J.  Tango, 1985, Astronomical Society of Australia, Proceedings, vol. 6, p. 34.

204 « Stellar Intensity Interferometry: Prospects for sub-milliarcsecond optical imaging », Dainis Dravins et al., 2012, Astrophysics, vol. 13, p. 331. 205

« Spatial intensity interferometry on three bright stars », William Guerin et al., 2018, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, vol. 480, p. 245.

Renaissance de l’interférométrie stellaire

6.2. 1969 : l’interféromètre à superposition de rayons de l’observatoire de Poulkovo Dans le catalogue INT4, on trouve 12 mesures de l’étoile double Capella attribuées à E. S. Kulagin (code observateur KUL) faites en 1970 au moyen d’un interféromètre de type Fizeau-Michelson. Il apparaît ainsi que c’est l’astronome Evgeni Stepanovich Kulagin et à l’opticien Vladimir Pavlovich Linnik (1889-1984) que l’on doit la conception et la réalisation d’une première version « moderne » de l’interféromètre stellaire de Michelson, sous le nom d’interféromètre à superposition de rayons206. L’histoire de cet instrument m’a été racontée par Kulagin207. C’est en 1962, alors qu’il était étudiant à l’université de Kazan, qu’il invente une nouvelle version de l’interféromètre stellaire de Michelson où la distance entre les rayons de sortie est nulle. Cette distance n’a pas d’influence sur le pouvoir de résolution de l’interféromètre, mais le phénomène d’interférence apparaîtra comme une modulation de la toute la lumière de l’étoile, ce qu’il juge pratique pour un enregistrement photoélectrique. En 1963, il est étudiant de troisième cycle à l’observatoire de Poulkovo et effectue une formation postuniversitaire sous la direction de Linnik. Il effectue alors des essais en laboratoire pour valider le concept de ce nouvel interféromètre auquel Linnik donne le nom d’interféromètre à superposition de rayons. Kulagin a déposé un brevet pour son invention (No 160863), publié dans le Bulletin des inventions de l’URSS, no 5, du 26 février 1964. Cet interféromètre est analogue à un interféromètre stellaire de Michelson dans lequel on aurait remplacé le dispositif de recombinaison de type interféromètre de Fizeau par un dispositif de type interféromètre de Michelson208. L’intérêt de cette conception est de permettre l’enregistrement de la modulation de l’intensité lumineuse du 206

« A superposed-Ray Interferometer », Evgeni S.  Kulagin, 1970, Soviet Astronomy, vol. 13, p. 1023.

207

Informations communiquées dans un courriel d’Evgeni S. Kulagin, les 12 et 27 mars 2014. 208

https://en.wikipedia.org/wiki/Michelson_interferometer

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faisceau interférométrique au moyen d’un récepteur photoélectrique, mais elle présente l’inconvénient d’une perte en sensibilité d’environ 50 % en raison de l’existence du deuxième faisceau interférométrique en sortie du cube recombinateur. Le schéma optique de l’instrument est montré par la figure 6.2.1. La base de l’interféromètre est constituée par deux miroirs plans renvoyant la lumière de l’étoile par un dispositif optique périscopique vers un cube recombinateur assurant le mélange cohérent des rayons lumineux provenant des deux bras de l’interféromètre. La mesure s’effectue à partir de l’enregistrement de la variation d’intensité du faisceau transmis par le prisme dont le taux de modulation est proportionnel à la visibilité des franges d’interférences formées par l’instrument.

Figure 6.2.1 Schéma optique de l’interféromètre à superposition de rayons. Crédit : Image D. Bonneau, d’après Evgeni S. Kulagin, 1970, Soviet Astronomy, vol. 13, p. 1023.

Suite aux résultats concluants des tests effectués en laboratoire et sur le ciel, un interféromètre à superposition de rayons, dédié à l’observation des étoiles doubles, est construit à l’observatoire de Poulkovo par Vladimir Pavlovich Linnik (figure 6.2.2). Il est constitué d’un système périscopique formant une base interférométrique fixe de b = 6 m, horizontale, installé sur une monture azimutale. La variation de la séparation de l’étoile double projetée sur la base était produite par la rotation terrestre. Les observations sont réalisées au moment de la culmination de l’étoile (passage au méridien supérieur) ainsi qu’aux angles horaires de H = – 3 h et H = + 3 h.

Renaissance de l’interférométrie stellaire

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Figure 6.2.2 Vladimir Pavlovich Linnik à l’oculaire de l’interféromètre à superposition de rayons de Poulkovo. Crédit : Image reproduite avec l’autorisation du Dr Evgeni S. Kulagin, observatoire de Poulkovo.

L’interféromètre à superposition de rayons a été conçu pour permettre la mesure précise de la séparation angulaire des étoiles doubles écartées à partir de la mesure de la différence de marche optique qu’il faut introduire pour permettre l’observation simultanée des franges d’interférences dans les images de chacune des composantes. Il s’agit là de la préfiguration des observations astrométriques par la méthode des paquets de franges que l’on pratique maintenant sur les interféromètres modernes209. Malgré de nombreuses tentatives, des observations avec enregistrement photoélectrique des franges n’ont jamais pu être réalisées en raison de la turbulence atmosphérique très forte sur le site de Poulkovo ainsi que de l’insuffisance des moyens d’enregistrement disponibles à l’époque. Seules des observations visuelles ont pu être effectuées par Kulagin. Entre les nuits des 3 et 4 décembre 1968 puis des 19 et 20 février 1969, cet instrument a permis de réaliser 12 mesures de l’étoile double Capella à la longueur d’onde de λ = 0,55 µm. Ces mesures se sont révélées en bon accord avec les prévisions de l’orbite calculée par Merrill en 1921210. 209

What the Highest Angular Resolution Can Bring to Stellar Astrophysics?, The 2013 VLTI School, Florentin Millour, Andrea Chiavassa, Lionel Bigot, Olivier Chesneau, Anthony Meilland et Philippe Stee, 2014, EAS Publications Series, volumes 69-70. 210

« Measurements of Capella with the Pulkovo Stellar Interferometer », Evgeni S.  Kulagin, 1970, Soviet Astronomy, vol. 14, p. 445.

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Par la suite, après l’invention d’un spectrographe interférentiel en 1974, Kulagin s’est consacré à la spectroscopie. L’interféromètre à superposition de rayons de l’observatoire de Poulkovo a été démantelé en 1986.

6.3. 1970 : l’interféromètre quantitatif d’Elliot et Glass Vers la fin des années 1960, James Ludlow Elliot (19432011) et Ian Stewart Glass se sont associés pour réaliser un interféromètre dans lequel la détection des franges et la mesure de leur contraste étaient réalisées par un dispositif photoélectrique. Né en 1943 à Columbus (Ohio), James Ludlow Elliot effectue de 1963 à 1965 un premier cycle universitaire scientifique au Massachusetts Institute of Technology (MIT ; Cambridge, Massachusetts). Suite à un travail de thèse mené à l’université de Harvard (Cambridge, Massachusetts) sous la direction de G. G. Fazio, sur la lumière Tcherenkov et la détection des rayons X cosmiques, il obtient un doctorat en physique en 1972. Après un poste postdoctoral au laboratoire d’études planétaires à l’université Cornell (Ithaca, New York), il devient professeur au département d’astronomie en 1977. Retourné au MIT en 1978, il y a occupé les postes de professeur de physique et professeur de sciences de la terre, de l’atmosphère et des planètes ainsi que la fonction de directeur de l’observatoire d’astrophysique George R. Wallace, jusqu’à sa mort en 2011 à Wellesley (Massachusetts). Astronome observateur, Elliot a mis à profit la technique des occultations stellaires pour étudier les planètes et petits corps du système solaire. Il est notamment connu pour ses contributions à la découverte des anneaux autour d’Uranus (1977), de l’atmosphère de Pluton (1988) et du réchauffement climatique sur Triton, le plus gros satellite de Neptune (1998). Durant sa carrière, il a contribué à la formation de scientifiques spécialisés dans les études planétaires et dont certains font partie de l’équipe de la mission New Horizons qui a survolé Pluton en 2015211.

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https://en.wikipedia.org/wiki/James_L._Elliot

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Ian Stewart Glass est né en 1939 à Dublin (Irlande). En 1961, il obtint le diplôme de licence (Bachelor of Arts) au Trinity College de Dublin. En 1968, il devient docteur en physique au Massachusetts Institute of Technology (MIT ; Cambridge, Massachusetts) après un travail de thèse en astronomie des rayons X dirigé par George W. Clark sous le titre « The energy spectrum of the Crab nebula in the range 15  keV to 60  keV », utilisant des observations en ballon de la nébuleuse du Crabe. De 1969 à 1970, il fait un séjour postdoctoral au California Institut of Technology (Caltech ; Pasadena, Californie), où il travaille avec Gerry Neugebauer dans le domaine de l’astronomie infrarouge. À partir de 1970, Ian Glass devient un expert dans le domaine de l’astronomie infrarouge et l’instrumentation associée. Jusqu’en 1975, il travaille à l’observatoire royal de Greenwich où il participe au développement d’un photomètre infrarouge (1-4 µm, bandes J, H, K, L) utilisé sur les télescopes de l’observatoire astrophysique d’Afrique du Sud (S.A.A.O) à Cape Town, Radcliffe Observatory à Pretoria et Sutherland Observatory. En 1975, il a rejoint l’observatoire astrophysique d’Afrique du Sud (S.A.A.O) où il est resté jusqu’à la fin de sa carrière en 2005. Les travaux d’Ian Glass concernent alors essentiellement les observations stellaires et galactiques dans le domaine de l’infrarouge. On peut notamment retenir la découverte avec Tom Lloyd Evans en 1981 de la relation période-luminosité pour les variables de type Mira ainsi qu’en 1989 avec J. Clavel and W. Wamsteker, de la première détection, dans la galaxie de Seyfert Fairall 9, de l’émission infrarouge des poussières chaudes entourant le noyau actif de la galaxie induite par le flux ultraviolet émis par ce noyau. Membre de la Société astronomique d’Afrique du Sud, Ian Glass est également connu pour ses travaux et ses livres publiés dans le domaine de l’histoire des sciences212. C’est durant la période 1965-1972 que James Elliot et Ian Glass se sont intéressés à la technique interférométrique. Il en a résulté la réalisation d’un interféromètre quantitatif avec Ian S. Glass (1970) et la publication en 1970 sous le titre A Quantitative Fringe Detector for Stellar Interferometry.

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https://en.wikipedia.org/wiki/Ian_Glass

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En 1963, James Elliot et Ian Glass sont devenus amis alors qu’ils étaient étudiants au laboratoire des rayons cosmiques du MIT (Figure 6.3.1). À cette époque, des discussions les avaient amenés à envisager l’utilisation de la méthode interférométrique pour aborder certaines questions astrophysiques, telles que la taille des quasars. En 1965, Franck Scherb, de l’université du Wisconsin (Madison, Wisconsin), propose à James Elliot de travailler sur le projet de détection électronique des franges dans le cadre d’un travail de licence publié en 1967213. Quelques détails du contexte de ce travail m’ont été donnés par Ian Glass, dont Franck Scherb avait été le superviseur en master scientifique (MSc) au MIT : « Il avait eu un étudiant (Joseph Davidson) intéressé par ce problème et il lui restait de l’argent pour acheter du matériel simple. Elliot était assez expert en traitement du signal et nous avons utilisé un certain nombre de modules analogiques dans l’expérience. Le travail était essentiellement officieux et réalisé à l’époque presque comme un projet amateur. Une grande partie de l’équipement a été récupéré dans les magasins de surplus de guerre et les stocks de matériels usagers. Nous avons eu la chance d’avoir les services du mécanicien d’Agassiz qui pouvait fabriquer du matériel pour nous. À Agassiz, nous utilisions un vieux réfracteur dont les propriétés optiques étaient plutôt médiocres, mai de temps en temps, on avait accès à des réflecteurs de qualité raisonnable. Les conditions de seeing étaient mauvaises et le ciel était rarement complètement dégagé. »

Figure 6.3.1 Ian Glass (à gauche) et James Elliot dans la cuisine de leur appartement à Cambridge (Massachusetts). Crédit : Image reproduite avec l’aimable autorisation du Dr Ian Glass.

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« Photoelectric Technique for Detecting Fringes Formed by a Michelson Stellar Interferometer », James L Elliot, Frank Scherb, 1967, Astronomical Journal, vol. 72, p. 794.

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    Figure 6.3.2 Le détecteur photométrique de franges d’Elliot et Glass. Crédit : Images D. Bonneau, d’après une image reproduite avec l’aimable autorisation du Dr Ian Glass.

L’interféromètre quantitatif est basé sur la détection photoélectrique des franges formé par un interféromètre à deux ouvertures de type Fizeau-Michelson dont le principe est donné dans la première publication d’Elliot et Scherb en 1967, la seconde publication d’Elliot et Glass en 1970214, fournissant la description détaillée de l’instrument et de son mode opératoire. La figure 6.3.2 montre le détecteur photométrique de franges. Les franges d’interférences sont obtenues en plaçant un masque à deux fentes en avant du foyer primaire du télescope. Les franges sont projetées dans le plan d’une grille (bandes espacées de 0,025 mm) tracée sur un morceau de film photographique monté sur un support dont l’oscillation à la fréquence de 300 Hz est combinée avec un mouvement linéaire lent pour obtenir un échantillonnage régulier de la phase relative de la grille et du motif d’interférence. Un miroir plan amovible permet d’observer la figure d’interférence et la grille de modulation au moyen d’une lentille relais et d’un oculaire. La photocathode 214

« A Quantitative Fringe Detector for Stellar Interferometry », James L. Elliot, Ian S. Glass, 1970, Astronomical Journal vol. 75, p. 1123.

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(type S-11) du photomultiplicateur (EMI non refroidi, type 9502B), reçoit la lumière à travers un filtre optique (vert, Wratten No 57). La longueur d’onde effective d’observation est λeff = 5 200 Å. L’instrument est fixé au télescope par une platine permettant de le faire tourner autour de l’axe optique du télescope et ainsi de faire varier l’orientation sur le ciel des deux fentes de l’ouverture. La figure 6.3.3 montre le diagramme de l’électronique d’acquisition et de traitement du signal de l’interféromètre quantitatif. Le mouvement de la grille est commandé par un amplificateur connecté à un oscillateur de fréquence f0 = 300 Hz et un générateur de fonction en triangle (pour le mouvement linéaire lent). Le signal sortant du photomultiplicateur est amplifié. Un signal lissé est enregistré après filtrage des fréquences inférieures à 10 Hz. La composante modulée du signal est obtenue par division du signal total par la composante lissée puis par filtrage autour de la fréquence de modulation ( f0 = 300 Hz, ∆ f = 17 Hz). Le signal final enregistré est obtenu par une intégration de 1 min du signal modulé élevé au carré.

Figure 6.3.3 Le diagramme de l’électronique de détection et traitement du signal produit par l’interféromètre d’Elliot et Glass. Crédit : Image D. Bonneau d’après James L. Elliot et Ian S. Glass, 1970, Astronomical Journal, vol. 75, p. 1123.

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Le traitement du signal décrit dans l’article consiste essentiellement à calculer une estimation de la visibilité des franges à partir de la partie modulée extraite du signal détecté par le photomultiplicateur. Pour cette visibilité observée, les auteurs donnent l’expression : Vobs =

2 ,44( β /α ) sin π a /π a

Dans laquelle β est l’amplitude du signal modulé, α la valeur moyenne du signal détecté et a la largeur des bandes transparentes de la grille de modulation. Les auteurs insistent sur le fait que la valeur de Vobs est toujours inférieure à la valeur de la visibilité intrinsèque V de franges obtenues en lumière monochromatique au moyen d’un interféromètre installé au foyer d’un télescope parfait placé en dehors de l’atmosphère terrestre. Cependant, ils indiquent que pour l’étude des étoiles doubles, l’obtention de la valeur de V n’est pas nécessaire, à condition que la turbulence atmosphérique reste suffisamment stable pour que le rapport Vobs/V puisse être considéré comme constant durant les observations. Les essais du détecteur photométrique de franges furent effectués au foyer du télescope réfracteur photographique Metcalf de 12 pouces (D = 30 cm, F = 2,10 m) de la station Agassiz de l’observatoire du collège d’Harvard (Harvard, Massachusetts). Des franges furent d’abord enregistrées en plaçant un masque à deux ouvertures (fentes de 1,5 × 30 cm séparées de 3 cm) devant l’objectif et en visant une étoile artificielle distante de 24 m. Des franges furent ensuite observées sur l’étoile Véga au moyen d’un masque placé à 21 cm devant le plan focal du télescope et équivalent à deux fentes de 1,25 cm de large séparées de 2,5 cm. La visibilité des franges enregistrée sur Véga en fonction de l’angle de position des ouvertures, bien que perturbée par les aberrations du télescope et les fluctuations du seeing, s’est révélée assez stable, mais son utilisation pour calibrer les mesures effectuées sur des étoiles doubles s’est avérée peu fiable en raison du manque de précision de montage du disque interférométrique dans l’instrument. Pour évaluer les performances de l’instrument, des observations d’étoiles doubles furent réalisées suivant la méthode préconisée par Anderson (voir Chapitre 6.1). Les couples ε2 Lyr (ρ = 2,2″, θ = 97°, magnitudes = 5,3 – 5,5), et ε1 Lyr (ρ = 2,8″, θ = 358°, magnitudes = 5,4 – 6,5) ont

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été résolus en utilisant les ouvertures séparées de 2,5 cm. Pour accroître la résolution angulaire, des ouvertures écartées de 4 et 6 cm ont été utilisées pour observer l’étoile ε Ari (ρ = 1,5″, θ = 208°, magnitudes = 5,3 – 5,6) puis de 8 cm pour l’étoile λ Cas (ρ = 0,6″, θ = 178°, magnitudes = 5,5 – 5,8). Pour évaluer l’effet du seeing sur la mesure de la visibilité des franges, Elliot et Glass ont complété leurs données obtenues au télescope réfracteur de 12 pouces par des observations au foyer des télescopes réflecteurs Cooke de 16 pouces (D = 40 cm) et Wyeth de 61 pouces (D = 155 cm) également sur le site de la station Agassiz de l’observatoire du collège d’Harvard. Entre août et décembre 1969, 40 nuits d’observation ont été consacrées à cette étude dont 5 sur le 16 pouces et 4 sur le 6 pouces. Les séries de mesures faites sur des étoiles simples de visibilité intrinsèque V = 1 montrent que la visibilité Vobs décroît linéairement en fonction de la séparation des ouvertures, mais en raison du grand nombre de paramètres qui affectent la valeur de Vobs, les auteurs se refusent à donner une interprétation physique à cet effet. Les données analysées leur permettent cependant d’estimer les performances du détecteur de franges en termes de magnitude limite et résolution angulaire dans les conditions de turbulence atmosphérique sur le site de la station Agassiz (Figure 6.3.3). Dans leur conclusion, Elliot et Glass restent prudents. Si la détection quantitative des franges a bien été démontrée, les performances de leur instrument pour la mesure des étoiles doubles restent modestes avec des incertitudes estimées à 0,1″ en séparation, 3° en angle de position et 0,2 mag pour la différence de magnitude. Ils identifient les améliorations techniques à apporter, sur la combinaison filtre/photomultiplicateur, la modulation, le comptage d’impulsion et refroidissement du photomultiplicateur. Le seeing apparaissant comme un paramètre limitant les performances, les observations devront être faites sur un meilleur site, mais ils craignent que des observations interférométriques à longue base soient difficiles à réaliser. En juin 1970, le détecteur de franges est installé au foyer du télescope réflecteur de 24 pouces (D = 61 cm) de l’observatoire du mont Wilson pour tester le seeing de ce site215. Les mesures de visibilité effectuées sur l’étoile 215 « An Interferometric Seeing Test on Mt. Wilson », Ian S. Glass, James L. Elliot, 1972, Astronomical Journal, vol. 77, p. 523.

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Véga avec deux séparations des ouvertures (10 cm et 46,5 cm) montrent que les conditions d’observation des franges sont nettement meilleures que sur le site de la station Agassiz, avec une décroissance plus faible de Vobs en fonction de la séparation des ouvertures (Figure 6.3.4).

Figure 6.3.4 Comparaison des effets de la turbulence atmosphérique sur la visibilité des franges d’interférences obtenues avec l’interféromètre quantitatif d’Elliot et Glass entre les observations effectuées à la station d’Algassiz (Harvard, Massachusetts) et à l’observatoire du Mont Wilson (Los Angeles, Californie). Dans ce diagramme, la visibilité observée des franges, moyennée en sélectionnant des périodes de bon seeing, est tracée en fonction de la séparation des ouvertures. En haut, la séparation angulaire d’une étoile double dont la fonction de visibilité aurait son premier minimum (disparition des franges) pour un écartement des ouvertures indiqué sur l’échelle du bas. Une visibilité des franges de 1,0 serait observée en l’absence de toute turbulence atmosphérique et si les optiques du télescope et de l’interféromètre étaient parfaitement alignées. La visibilité mesurée au Mont Wilson diminue plus lentement en fonction de la séparation des ouvertures que celle mesurée avec les télescopes de la station d’Algassiz. Ceci indique la meilleure qualité du seeing sur le site du Mont Wilson. Crédit : image D. Bonneau d’après I. S. Glass et J.L. Elliot, 1972, Astron. J., vol. 77, p. 523.

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La fin de cet épisode m’a été également racontée par Ian Glass : « Gerry Neugebauer a entendu parler de notre travail par Eric Becklin, son ancien étudiant, que nous avons rencontré à Agassiz. Cela m’a amené à obtenir un poste de post-doc à Caltech où Neugebauer espérait que la technique pourrait être appliquée à la mesure du diamètre infrarouge. Cela ne s’est pas produit, en grande partie parce que la technique des tavelures de Labeyrie, qui était alors en train d’émerger, était manifestement supérieure à tout ce que nous pouvions faire. » Même si l’interféromètre quantitatif d’Elliot et Glass n’a pas donné de résultats astrophysiques, il a marqué une avancée dans cette période des années 19601970 durant laquelle les moyens techniques ont permis d’envisager une renaissance de l’emploi de la méthode interférométrique de Fizeau pour l’étude des étoiles. Cela n’a d’ailleurs pas échappé aux successeurs Douglas G. Currie (voir Chapitre 6.5) puis William C. Wickes (voir Chapitre 6.6) qui citent le travail d’Elliot et Glass.

6.4. 1970 : l’interférométrie des tavelures ou comment vaincre la turbulence atmosphérique Depuis la fin du xviie siècle, les astronomes ont constaté que la résolution angulaire effectivement atteinte par leurs lunettes était souvent moins bonne que celle fixée par la qualité optique de l’objectif et qu’elle variait avec le temps en fonction de l’agitation et de l’étalement des images au gré des conditions atmosphériques. La situation s’est aggravée avec la construction des grands télescopes réfracteurs de la fin du xixe puis des télescopes réflecteurs utilisés au xxe siècle. L’image d’une étoile observée au foyer d’un grand télescope est très différente de la tache d’Airy produite par la diffraction de la lumière traversant l’objectif ; elle présente le plus souvent une structure en « grappe de raisins216 ». L’image, constituée de petites taches brillantes qui s’agitent rapidement, montre un étalement d’autant plus grand que la turbulence atmosphérique est forte. 216

Appellation due à l’astronome français Jean Rösch (1915-1999) (1958, CRASB, vol. 147, p. 422).

Renaissance de l’interférométrie stellaire

Le nombre des petites taches décroît quand la longueur d’onde d’observation augmente et la dégradation de l’image par la turbulence est toujours plus faible dans le rouge que dans le bleu. Ce phénomène n’est pas visible dans une image stellaire photographique dont le long temps de pose brouille la structure tachetée et n’enregistre que l’enveloppe de l’image étalée. Seules les observations visuelles attentives faites au moyen d’un oculaire puissant permettaient de voir la structure en « grappe de raisins » de l’image, dont la première description correcte a été faite par l’opticien français Jean Texereau (1919-2014) qui l’interprète comme un effet de la turbulence atmosphérique217. Les astronomes désignent par seeing le diamètre angulaire moyen de cette image fluctuante qui semble imposer une valeur limite de l’ordre d’une seconde d’arc aux observations réalisées avec les plus grands télescopes disponibles à l’époque. C’est à l’opticien et astrophysicien français Antoine Labeyrie (né en 1943) que l’on doit l’idée d’assimiler la structure tachetée des images stellaires à la structure granulaire observée quand un faisceau de lumière laser est réfléchi par une surface optique diffusante et auquel est associé le terme speckle (« tavelure » en français). Ingénieur de l’Institut d’optique de Paris et licencié ès physique de l’université de Paris Sorbonne, Labeyrie a passé neuf mois (sept 1965-juin1966) au laboratoire des sciences électro-optiques (Electro-Optical Sciences Lab) de George Wilhelm Stroke (né en 1924) à l’université du Michigan comme chercheur invité où il s’est familiarisé avec l’optique cohérente, les lasers et l’holographie. De retour en France, il a soutenu en 1970 sa thèse de doctorat, « Recherches sur les applications astronomiques et spectroscopiques de l’holographie ». C’est dans l’article principal de cette thèse218 que Labeyrie interprète la structure des images observées au foyer d’un télescope

217

« Limitations de la qualité des images d’un grand télescope », Jean Texereau, 1963, Applied Optics, vol. 2, p. 23. 218

« Attainment of Diffraction Limited Resolution in Large Telescopes by Fourier Analysing Speckle Patterns in Star Images », Antoine Labeyrie, 1970, Astronomy & Astrophysics, vol. 6, p. 85.

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Figure 6.4.1 Dégradation des images par la turbulence atmosphérique. L’onde plane arrivant de l’espace est perturbée par la traversée de l’atmosphère. L’onde interceptée par l’ouverture du télescope présente une forme bosselée rapidement variable dans le temps. La taille moyenne r0 (paramètre de Fried) des éléments sur lesquels la surface de l’onde est considérée comme plane. Dans un télescope de diamètre D  =  r0, l’image est une tache d’Airy, affectée seulement par l’agitation atmosphérique. L’étalement de l’image (désigné par le terme de « seeing ») correspond à la tache d’Airy de rayon ~λ/r0 d’un télescope de diamètre r0. Aux longueurs d’onde visibles, r0 vaut ~10 cm ce qui correspond à un étalement de l’image de ~1″. La taille des tavelures est fixée par la distance maximum de deux éléments de l’onde qui interfèrent, égale au diamètre D du télescope. La taille des tavelures ~λ/D est donc celle de la tache d’Airy du télescope en l’absence de turbulence atmosphérique et d’aberration optique. Crédit : Image D. Bonneau.

comme le résultat des effets d’interférences dans le faisceau de lumière stellaire diffractée par l’objectif du télescope en raison des fluctuations de phase spatiale aléatoires produites dans l’onde lumineuse par la traversée du milieu optique inhomogène constitué par l’atmosphère terrestre (Figure 6.4.1). De cette interprétation de la nature des images télescopiques, Labeyrie déduit que les images brouillées par la turbulence atmosphérique contiennent des informations jusqu’à la résolution angulaire du télescope limité par la diffraction. En effet, en première approximation, chaque tavelure peut être considérée comme une image de l’astre observé avec la résolution limitée par la diffraction du télescope. L’étalement de l’image en un grand nombre de tavelures constitue un bruit masquant le signal utile. Pour extraire ces informations, Labeyrie invente une technique qu’il appelle speckle interferometry (renommée en français interférométrie des tavelures par Pierre Léna quelques années plus tard). Le lecteur intéressé trouvera des détails sur la théorie de la formation des images

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télescopiques dans le livre Observation en astrophysique219 et la description de l’instrumentation et de la méthode d’observation dans les publications de Labeyrie220,221. On se limitera ici à rappeler qu’en interférométrie des tavelures, l’acquisition des données consiste à filmer l’image stellaire, en lumière filtrée dans un domaine spectral étroit afin de conserver le contraste de la figure d’interférence des tavelures et avec un court temps de pose pour figer l’aspect instantané du phénomène. Pour bien résoudre les tavelures, un fort grossissement de l’image est nécessaire, mais le champ peut être réduit à quelques secondes de degré. La figure 6.4.2 schématise le principe du traitement des images en interférométrie des tavelures dans le cas d’un objet non résolu, d’un objet double et d’un disque résolus par le télescope. La structure à haute résolution angulaire de la source observée se traduit par des effets caractéristiques dans le spectre de puissance et la fonction d’autocorrélation des images instantanées permettant la mesure de paramètres liés à la morphologie de la source observée : séparation angulaire et orientation pour une étoile double ou diamètre angulaire pour un disque résolu. L’addition des spectres de puissance ou des fonctions d’autocorrélation d’un grand nombre d’images instantanées améliore le rapport signal sur bruit du résultat de cette analyse. C’est en 1971 que Labeyrie mit en œuvre pour la première fois la technique d’interférométrie des tavelures au foyer du télescope de 5 m de l’observatoire du mont Palomar, en collaboration avec deux collègues américains Daniel Gezari (dit Dan) et Robert V. Stachnik (1947-2014), alors doctorants au département des sciences de la terre et de l’espace de l’université de New York à Stony Brook (Figure 6.4.3).

219

L’Observation en astrophysique, Pierre Léna et al., 2008, EDP Sciences, Collection Savoirs actuels. 220 « Speckle Interferometry: Diffraction-Limited Measurements of Nine stars with the 200-inch Telescope », Daniel Y.  Gezari, Antoine Labeyrie et Robert V. Stachnik, 1972, The Astrophysical Journal, vol. 173, L1. 221

« Observations interférométriques au mont Palomar », Antoine Labeyrie, 1974, La Nouvelle Revue d’Optique, vol. 5, p. 141.

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Figure 6.4.2 Principe du traitement des données en interférométrie des tavelures. L’image instantanée I(α,β) résulte de la convolution de la distribution d’intensité sur l’objet O(α,β) avec celle de l’image tavelée d’une source ponctuelle T(α,β), égale à la transformée de Fourier de l’éclairement P(x, y) de la pupille d’entrée du télescope perturbé par la turbulence atmosphérique : I(α,β) = O(α,β) ⊗ |TF[P(x,y)]|². Transformée de Fourier de l’intensité enregistrée (AC = fonction d’autocorrélation) : i(x,y) = o(x,y). AC[P(x,y)]. Spectre de puissance de l’intensité enregistrée : |i(x,y)|² = |o(x,y)|².|AC[P(x,y)]|². La fonction d’autocorrélation de l’image instantanée : AC[I(α,β)] = AC[O(α,β)] ⊗ AC[T(α,β)].

Figure 6.4.3 De droite à gauche, Antoine Labeyrie, Daniel Gezari et Robert V. Stachnik en 1971, avec le premier tavélographe monté au foyer coudé dans le bras est de la monture du télescope de 5 m du mont Palomar. Crédit : Image reproduite avec l’aimable autorisation du Professeur Antoine Labeyrie.

Renaissance de l’interférométrie stellaire

Le concept de l’instrument était basé sur l’utilisation d’un réseau de diffraction placé dans un plan image, ce qui permettait à la fois de sélectionner la bande spectrale d’observation et de corriger la dispersion atmosphérique. Lors de ces premières observations, l’instrument était installé au foyer Cassegrain coudé situé dans le bras est de la monture du télescope de 5 m. L’enregistrement des images était effectué sur film 35 mm placé derrière un amplificateur de lumière. Une analyse des images au moyen d’un dispositif optique de transformée de Fourier permettait d’enregistrer sur un film polaroïd l’image du spectre de puissance de l’objet étudié. La figure 6.4.4 donne des exemples d’images stellaires enregistrées par interférométrie des tavelures. Ces premières observations ont permis de résoudre les disques d’étoiles géantes rouges (α Ori, α Sco, α Boo, α Tau, α Her et ο Cet) initialement mesurés par Michelson et Pease ainsi que l’étoile double Capella (α aur) précédemment mesurée par Anderson, Merrill et Kulagin. Dans cet article, les auteurs annoncent également la découverte d’un compagnon proche et de faible éclat (séparation angulaire 0,25″, ∆m = 5 mag à 5 000 Å) pour β Cep, étoile prototype d’une classe de variables pulsantes à très courte période. À partir de l’été 1972, Antoine Labeyrie, Alain Blazit, Laurent Koechlin et moi-même avons poursuivi les observations au foyer primaire du télescope qui fournissait des images de meilleure qualité optique (Figure 6.4.4). À la sortie du tavélographe, les images étaient enregistrées (à la cadence de 50 images/s) par une caméra de télévision standard dont la sensibilité était augmentée au moyen d’un tube amplificateur de lumière, visualisées sur un moniteur vidéo puis stockées sur bande magnétique au moyen d’un magnétoscope (Figure 6.4.5). À cette époque, le traitement de ces images par transformée de Fourier ou autocorrélation ne pouvait être fait qu’au moyen de dispositifs optoélectroniques (tube convertisseur TITUS de Philips) ou d’autocorrélateurs électroniques rapides développés en collaboration avec le Laboratoire d’électronique et de technologie de l’information (LETI) à Grenoble222, avant qu’Alain Blazit ne construise en 1975 222 « Speckle Interferometry: Color-dependent Limb Darkening Evidenced on Alpha Orionis and Omicron Ceti », Daniel Bonneau et Antoine Labeyrie, 1973, The Astrophysical Journal, vol. 181, L1.

131

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Mieux voir les étoiles

Figure 6.4.4 Images stellaires extraites d’un film enregistré par interférométrie des tavelures au foyer du télescope du mont Palomar (D  = 5 m) en juin 1971. Distance focale instrumentale de 889 m donnant une échelle des images de 2,5″/cm. Bande spectrale λ = 5000 Å, Dλ = 250 Å. Temps de pose 1/100 s. À gauche : Véga, étoile non résolue ; au centre : Capella, binaire séparation angulaire 0,057″ ; à droite : Bételgeuse, super géante dont le disque est résolu, diamètre angulaire ~0,05″. Crédit : Image reproduite avec l’aimable autorisation du Professeur Antoine Labeyrie.

Figure 6.4.5 Le deuxième tavélographe d’Antoine Labeyrie monté au foyer primaire du télescope de 5 m du mont Palomar en juillet 1972. On aperçoit la caméra de télévision placée au-dessus du tavélographe ainsi que le magnétoscope et l’écran de contrôle fixés à la paroi de la cage d’observation. Crédit : Image D. Bonneau.

un premier autocorrélateur électronique capable d’analyser ces images à deux dimensions et en temps réel223. La possibilité de réaliser des observations à haute résolution angulaire dans une bande spectrale étroite s’est révélée un outil puissant pour l’étude des atmosphères stellaires étendues. Pour la première fois, les disques des géantes rouges Bételgeuse (α Ori) et Mira (ο Cet) sont ainsi apparus fortement assombris au bord, avec un diamètre 223

« The digital speckle interferometer: preliminary results on 59 stars and 3C 273 », Alain Blazit, Daniel Bonneau, Laurent Koechlin et Antoine Labeyrie, 1977, The Astrophysical Journal, vol. 214, L79.

Renaissance de l’interférométrie stellaire

sensiblement croissant du rouge au bleu228, indice de la diffusion de la lumière émise par la photosphère dans l’enveloppe gazeuse entourant l’étoile. L’interférométrie des tavelures s’est aussi révélée une technique bien adaptée à l’étude des étoiles doubles224. Le gain en résolution angulaire obtenu permettant d’une part d’accroître la précision des mesures de couples visuels et, d’autre part, d’envisager de résoudre les compagnons de binaires spectroscopiques. Ceci a conduit à la publication des premières mesures par interférométrie des tavelures de douze couples connus comme binaires visuelles serrées ou binaires spectroscopiques. L’apport des mesures par interférométrie des tavelures en termes de précision par rapport aux techniques utilisées antérieurement est illustré par l’exemple de l’étoile iota Serpentis dont l’orbite est montrée sur la figure 6.4.6. Pour six d’entre elles, le compagnon a été résolu pour la première fois et elles sont maintenant désignées dans les catalogues par le code LAB (pour Labeyrie) de leur découvreur.

224

« Speckle Interferometry. III. High-Resolution Measurements of Twelve Close Binary Systems », Antoine Labeyrie, Daniel Bonneau, Robert V. Stachnick et Daniel Y. Gezari, 1974, The Astrophysical Journal, vol. 194, L147.

133

Figure 6.4.6 Apport de l’interférométrie des tavelures en termes de précision de mesure illustré avec l’orbite de l’étoile iota Ser (HU 580 AB = WDS 15416+1940 ; spectre A1 IV, P = 21,94 a et a = 0,210″) donnée dans le 6e Catalogue d’orbite d’étoiles doubles visuelles (http://www.usno.navy. mil/USNO/astrometry/ optical-IR-prod/wds/orb6). + : mesures micrométriques visuelles ;  : mesures par interférométrie oculaire ;  : mesures par interférométrie des tavelures. Crédit : Image D. Bonneau, d’après une image du Sixth Catalog of Orbits of Visual Binary Stars, Stephen J. Williams, William I. Hartkopf et B. D. Mason, U.S. Naval Observatory, Washington, DC.

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Mieux voir les étoiles

Tableau 6.4.1 Les six couples résolus pour la première fois par interférométrie des tavelures en 1971-72. À l’exception de sigma Her, toutes les étoiles étaient connues pour être des binaires spectroscopiques. Leurs orbites visuelles ont été calculées à partir des mesures par interférométrie des tavelures. Leur qualité est indiquée par le Grade (Gr) : 1 pour orbite définitive ; 2 et 3 orbite respectivement bonne ou fiable, mais dont les éléments peuvent encore être améliorés. Étoile

Nom

WDS

Type spectral

Bin. Spectro

P (a)

a (″)

Gr

τ Per

LAB 1Aa, Ab

02543 + 5246

G4III + A4V

SB2

4,149

0,055

3

β Per AB, C

LAB 2Aa, Ab

03082 + 4057

B8 V

SB2

1,862

0,0934

1

δ Sco

LAB 3

16003 - 3227

B0.3 IV

SB1

12,664

0,0989

2

σ Her

LAB 4

16341 + 4226

B9 V

-

7,409

0,0762

2

χ Dra

LAB 5Aa, Ab

18211 + 7244

F7 V ; SB2

SB2

0,768

0,1244

1

β Cep

LAB 6Aa, Ab

21287 + 7034

B8.5 III

SB1

83

0,195

3

Pour quatre de ces couples, la détermination des paramètres physiques des composantes au moyen de la combinaison des mesures interférométriques avec les données tirées de l’orbite spectroscopiques a été le sujet de ma thèse de troisième cycle préparée sous la direction d’Antoine Labeyrie sous le titre « Exploitation d’observations par speckle interferometry pour calculer les masses d’étoiles doubles spectroscopiques » et dont les résultats sont présentés dans la publication. À partir de 1974, plusieurs groupes ont utilisé l’interférométrie des tavelures sur tous les grands télescopes. Les progrès réalisés dans les récepteurs d’images électroniques ainsi que le traitement des données d’observations au moyen d’ordinateurs de plus en plus performants ont largement contribué à l’expansion de cette technique. Le gain en résolution angulaire, en précision de mesure et en magnitude limite apporté par l’interférométrie des tavelures a rendu obsolète l’emploi des interféromètres à deux ouvertures utilisés jusqu’alors. Ces dernières années, des astronomes amateurs ont même adopté cette technique pour améliorer l’efficacité et la qualité de leurs mesures d’étoiles doubles avec des télescopes atteignant 1 m de diamètre225. 225

Observing and Measuring Visual Double Stars, Robert W. Argyle, 2012, Patrick Moore’s Practical Astronomy, Springer, ISBN 978-1-4614-3944-8.

Renaissance de l’interférométrie stellaire

Appliquée aux longueurs d’onde du visible et du proche infrarouge, l’interférométrie des tavelures a permis d’aborder d’autres domaines de l’astrophysique stellaire, comme l’étude du disque, de l’atmosphère étendue et des enveloppes circumstellaires d’étoiles géantes et supergéantes rouges, la détermination de la taille et de la forme de petits corps du système solaire et même d’aborder l’étude de la morphologie de certains objets extragalactiques. À partir de la fin des années 1990, l’interférométrie des tavelures a vu son importance décliner dans le domaine des observations à haute résolution angulaire, notamment aux longueurs d’onde infrarouge, avec l’invention de l’optique adaptative qui permettait de corriger les effets de la turbulence atmosphérique en temps réel et ainsi d’enregistrer directement des images quasiment limitées par la diffraction218. Mais cela est une autre histoire226…

6.5. 1971 : l’interféromètre d’amplitude de Currie Avec une formation en génie physique puis un doctorat en physique théorique, Douglas George Currie a effectué, de 1963 à 1998, une carrière de professeur de physique à l’université du Maryland au College Park (État du Maryland). Par ses activités de chercheur, il s’est fortement impliqué dans les développements de nouveaux instruments optiques et à leur application, notamment pour les observations astrophysiques au sol et dans l’espace. Ainsi, Currie se trouve-t-il impliqué dans des domaines aussi variés que la télémétrie laser du système Terre-Lune, des programmes menés avec la Wide Field Planetary Camera du télescope spatial Hubble, ou bien l’imagerie par optique adaptative227. La contribution de Currie dans le domaine de l’interférométrie optique remonte à 1967, avec sa participation à l’étude d’été organisée à Woodshole (Massachusetts) 226

Racontée dans Une histoire de flou. Miroirs, trous noirs et autres mondes, Pierre Léna, 2019, Éd. Le Pommier. 227

https://umdphysics.umd.edu/people/faculty/emeritus.html

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Mieux voir les étoiles

par l’Académie nationale des sciences, le Conseil national pour la recherche et le Comité consultatif du commandement des systèmes de la force aérienne. Sur le thème de la contrepartie optique du radar à synthèse d’ouverture, cette étude, stimulée par le grand succès du radar à synthèse d’ouverture (RSO)228, avait pour objectif d’étudier la faisabilité de la synthèse d’ouverture en optique (SOO). Presque toutes les présentations et discussions étaient théoriques, mais Currie pensait que la discussion vers des considérations plus pratiques serait favorisée par la présentation d’une procédure expérimentalement réalisable. Il propose un concept d’interféromètre d’amplitude à grande base229 dont le schéma est montré par la figure 6.5.1.

Figure 6.5.1 Schéma de principe de l’interféromètre d’amplitude de Currie. Crédit : Image D. Bonneau, d’après Douglas G. Currie, 1967, Woods Hole Summer Study on Synthetic Aperture Optics, vol. 2, p. 35.

L’interférométrie d’amplitude diffère de l’interférométrie stellaire classique de Michelson par le fait que les deux faisceaux collimatés se combinent, pour interférer de manière parallèle, de sorte qu’ils produisent un champ d’illumination uniforme. Ce type de recombinaison est analogue à celui adopté par E. V. Kulagin au début des années 1960 (voir Chapitre  6.2) pour son « interféromètre à superposition de rayons », mais Currie n’en a pas eu connaissance. Dans l’interféromètre de Currie, la base, dont la longueur serait de l’ordre du kilomètre, est formée par deux petits miroirs plans (diamètre de quelques centimètres) inclinés visant l’étoile et renvoyant la lumière vers un système recombinateur de type Mach-Zehnder

228

http://ethw.org/Synthetic_Aperture_Radar

229

« On a detection scheme for an amplitude interferometer », Douglas G.  Currie, 1967, National Academy of SciencesNational Research Council Woods Hole Summer Study on Synthetic Aperture Optics, vol. 2, p. 35.

Renaissance de l’interférométrie stellaire

dans lequel les miroirs de renvoi et la séparatrice réalisant le mélange des faisceaux lumineux qui interfèrent sont constitués par les faces d’un prisme de Köster. Les détecteurs enregistrent l’intensité lumineuse reçue sur chacun des faisceaux sous la forme d’un comptage de photoélectrons. Deux photoélectrons arrivant dans un intervalle de temps court (pour figer les variations de la turbulence atmosphérique) sont dits autocorrélées s’ils arrivent sur le même détecteur et cross-corrélées s’ils arrivent chacun sur un détecteur. Ces comptages sont accumulés sur une longue durée pour améliorer le rapport signal sur bruit de la mesure en fonction de la magnitude de l’étoile. En notant AC et CC les nombres d’événements d’autocorrélation et de cross-corrélation enregistrés durant le temps d’observation, on peut mesurer le module du degré de cohérence mutuel des deux faisceaux, communément appelé visibilité de frange :

γ = 2  AC − CC   AC + CC 

1/ 2

Dans un deuxième exposé230, Currie étudie les effets de la turbulence atmosphérique sur les observations réalisées avec un interféromètre d’amplitude. Il arrive à la conclusion que les effets les plus gênants sont les variations de l’épaisseur optique globale de l’atmosphère, qui se traduisent par des translations rapides de phases aléatoires entre les deux faisceaux (effet piston atmosphérique), puis les variations de l’inclinaison moyenne des fronts d’onde arrivant sur chacune des ouvertures (agitation des images) qui perturbent la superposition des faisceaux recombinés, et enfin la scintillation qui fait fluctuer l’éclairement d’autant plus que les ouvertures sont petites. Pour pallier le manque de mesures des effets atmosphériques, Currie propose de tester le concept d’interféromètre d’amplitude en collectant la lumière stellaire par deux ouvertures placées sur le miroir d’un télescope. De retour à l’université du Maryland, Currie, constatant que personne n’avait semblé tenté de réaliser un instrument à partir des suggestions faites à Woodshole, fait, en 1971, une présentation à la Société américaine 230

« On the atmospheric properties affecting an amplitude interferometer », Douglas G.  Currie, 1967, National Academy of Sciences-National Research Council Woods Hole Summer Study on Synthetic Aperture Optics, vol. 2, p. 79.

137

138

Mieux voir les étoiles

d’astronomie (AAS) et décide de construire un instrument opérationnel231. L’interféromètre d’amplitude a été réalisé en collaboration avec Kurt M. Liewer et S. L. Knapp dans le cadre d’un travail de thèse232. La figure 6.5.2 montre le schéma optique de l’interféromètre conçu pour être utilisé au foyer Cassegrain d’un télescope. L’interféromètre était éclairé par un optique collimatrice qui permettait son utilisation au foyer Cassegrain de différents télescopes. Figure 6.5.2 Interféromètre d’amplitude de Currie : à gauche, l’instrument lors de tests au foyer du télescope de 91 cm du centre de vol spatial Goddard ; crédit : Image de S. Knapp, reproduite avec l’aimable autorisation du Dr Douglas G. Currie, University of Maryland. À droite, le schéma optique ; crédit : Image D. Bonneau, Douglas G. Currie, S. L. Knapp et Kurt M. Liewer, 1974, Astrophysical Journal, vol. 187, p. 131.

La lumière sortant du collimateur traverse le masque qui sélectionne deux faisceaux divisés et superposés par un prisme de Köster. Chacun des deux faisceaux de sortie, qui sont la combinaison interférométrique des faisceaux d’entrée, est reçu par un détecteur photoélectrique à travers un filtre sélectionnant la bande spectrale d’observation. Un corrélateur électronique analyse les deux trains d’impulsions produits par les détecteurs en mode de comptage de photons.

231

« A new interferometric technique for very high spatial resolution », Douglas G. Currie, 1971, Bulletin of the American Astronomical Society, vol. 3, p. 244.

232

Thèse de Kurt M. Liewer (1974) : The amplitude interferometer: Design, testing and astrometric result. Thèse de S. L. Knapp (1974) : A description of the Cassegrain amplitude and disk diameters for five late-type giant stars.

Renaissance de l’interférométrie stellaire

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Les fluctuations des intensités détectées sur les deux faisceaux sortant contiennent essentiellement deux composantes. L’une, anticorrélée, est fonction de la visibilité des franges et sa mesure est perturbée essentiellement par les effets de la turbulence atmosphérique du seeing et l’agitation des images. L’autre, corrélée, est une mesure de la scintillation. Le diamètre des ouvertures projetées (∼ 4 cm) et la largeur de la bande spectrale (≤ 100 Å) ont été choisis de façon à minimiser les effets d’une turbulence atmosphérique assez bonne (seeing ≤ 3″), tout en permettant une mesure avec une durée d’observation raisonnable. Afin d’estimer l’importance des effets atmosphériques et instrumentaux sur les mesures, des étoiles non résolues sont observées en alternance avec les étoiles étudiées. Durant la mise au point de l’interféromètre, les premiers tests ont été réalisés sur le télescope de 91 cm du centre de vol spatial Goddard (Astronomy Branch of the Goddard Space Flight Center, Greenbelt, Maryland), puis sur le télescope de 1,5 m du mont Wilson (Figure 6.5.3 ; à gauche) grâce au soutien du directeur Horace W. Babcock (1912-2003) des observatoires Hale et à l’appui technique d’un astronome instrumentaliste, Arthur H. Vaughan (1934-2015).

Figure 6.5.3 L’interféromètre d’amplitude lors des essais sur le télescope de 1,5 m du mont Wilson (avec Kurt M. Liewer et Douglas G. Currie) et monté au foyer Cassegrain du 5 m du mont Palomar par Kurt M. Liewer. Crédit : Images de S. Knapp, reproduites avec l’aimable autorisation du Dr Douglas G. Currie, University of Maryland.

Un seeing de qualité moyenne s’est révélé suffisant pour que les observations donnent des résultats reproductibles d’une nuit sur l’autre. La précision était estimée au moyen de l’écart-type de la dispersion des mesures.

140

Mieux voir les étoiles

Pour l’obtention d’une précision interne de 10 % sur une mesure de visibilité, une durée de 3 min d’observation était requise sur une étoile de magnitude mv = 2,6. Pour déterminer la valeur d’un diamètre angulaire en échantillonnant la fonction de visibilité des franges stellaires, quatre séparations des ouvertures ont été utilisées, égales à 75 %, 60 %, 30 % et 15 % du diamètre de l’ouverture du télescope. En 1972, l’interféromètre d’amplitude a été utilisé pour effectuer la mesure du diamètre angulaire de quatre étoiles géantes rouges233 : en juin et juillet, α Boo (Arcturus, K1.5 III) au foyer Cassegrain coudé du télescope de 100 pouces du mont Wilson ; en décembre, α Ori (Bételgeuse, M2, Iab), α Tau (Aldébaran, K5 III) et β Pég (Scheat, M2.5 II-III) au foyer Cassegrain du télescope de 5 m du mont Palomar. La figure 6.5.3 (à droite) montre l’instrument monté au foyer Cassegrain du télescope de 5 m du mont Palomar. Les valeurs obtenues pour les diamètres angulaires ont été comparées avec celles publiées à l’époque, faites par Pease avec l’interféromètre stellaire de Michelson (voir le Chapitre 5.1) et les mesures réalisées par interférométrie des tavelures au télescope de 5 m du mont Palomar (voir Chapitre 6.4). La figure 6.5.4 illustre cette comparaison. Pour α Boo, α Tau et β Pég, l’accord est bon entre les différentes mesures. Dans le cas d’α Ori, la variation du diamètre en fonction de la longueur d’onde mesurée par l’interféromètre d’amplitude n’est pas en accord avec la décroissance régulière visible dans les mesures par interférométrie des tavelures. Cependant, cette comparaison n’est pas facile, en raison des barres d’erreurs peut-être sous-estimées des premières mesures par interférométrie des tavelures (comme le notent les auteurs), mais aussi, peut-être, en raison des largeurs très différentes de bandes spectrales utilisées, compte tenu de la complexité de la structure de l’atmosphère étendue de Bételgeuse, pour laquelle les modèles prévoient une forte variation du rayon en fonction de la longueur d’onde qui sera mise en évidence quelques années plus tard.234 233

« Four stellar diameter measurements by a new technique: amplitude interferometry », Douglas G. Currie, S. L. Knapp et Kurt M. Liewer, 1974, The Astrophysical Journal, vol. 187, p. 131.

234 « The angular diameter of Betelgeuse », Yuri Balega et al., 1982, Astronomy & Astrophysics, vol. 115, p. 253.

Renaissance de l’interférométrie stellaire

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Figure 6.5.4 Comparaison des diamètres mesurés par l’interféromètre d’amplitude (marques noires) avec les autres mesures publiées à l’époque, obtenues par Michelson et Pease (marques claires) et l’interférométrie des tavelures (marques grises). Crédit : Image D. Bonneau.

De fait, on peut s’étonner que l’interféromètre d’amplitude de Currie n’ait donné lieu qu’à une deuxième publication, en juin 1975, concernant la détermination de la température effective de l’étoile géante rouge α Her A sur la base de la mesure de son diamètre angulaire235. La valeur obtenue avec l’interféromètre d’amplitude, 58 ± 9 mas, s’est révélée être deux fois plus grande que toutes les valeurs (∼30 mas) obtenues par les autres techniques, notamment par les nouvelles mesures par interférométrie des tavelures faites au télescope 4 m de l’observatoire de Kitt Peak et publiées en octobre la même année236. Dans un article de revue sur les méthodes d’interférométrie stellaire237, Antoine Labeyrie évoque l’interféromètre d’amplitude et au sujet du résultat discordant de l’observation d’α Her, conclut « Une cause possible d’erreurs systématiques est le processus statistique par lequel les comptages des photodétecteurs sont convertis en visibilité des franges, en la présence de fluctuations de phase et d’amplitude », mettant ainsi en cause les effets perturbateurs de la turbulence atmosphérique.

235

« On the effective temperature of alpha Herculis A », S. L. Knapp, Douglas G. Currie et Kurt M. Liewer, 1975, The Astrophysical Journal, vol. 198, p. 561. 236 « The angular diameter of alpha herculis A », Simon P. Worden, 1975, The Astrophysical Journal, vol. 201, L70. 237 « Stellar interferometry methods », Antoine Labeyrie, 1978, Annual Review of Astronomy and Astrophysics, vol. 16, p. 77.

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Dans les années suivantes, les annonces faites lors de réunions de la Société astronomique américaines (AAS)238,239 montrent que l’interféromètre d’amplitude a continué à être utilisé sur le télescope de 5 m du mont Palomar pour obtenir de nouvelles mesures de diamètres stellaires. Cependant, ces résultats, obtenus dans le cadre du travail de thèse de Robert H. Braunstein240, n’ont pas été publiés. Des tentatives ont été faites pour développer l’interféromètre d’amplitude, en accroissant sa sensibilité avec un système à plusieurs paires d’ouvertures ou en augmentant la résolution angulaire en proposant un interféromètre à grande base au sol ou dans l’espace241. Les raisons principales de l’abandon de l’exploitation et du développement de l’interféromètre d’amplique à la fin des années 1970 m’ont été données par Currie luimême242  : « La plupart des étoiles pouvant être efficacement observées avec le système à unique paire d’ouvertures avaient été étudiées. Aucun financement n’a été obtenu pour de nouveaux développements, qu’il s’agisse du système à longue base ou du système à plusieurs ouvertures. »

6.6. 1971 : l’interféromètre automatique de William Castles Wickes Dans le catalogue INT4, on trouve 22 mesures interférométriques d’étoiles doubles effectuées entre 1971 et 1975, attribuées à l’observateur dont le code WCK désigne William Castles Wickes. 238

« New techniques in high resolution astrophysics using amplitude interferometry », Douglas G.  Currie, Robert Braunstein, Kurt M. Liewer, 1977, Bulletin of the American Astrophysical Society, vol. 9, p. 625. 239

« Stellar disk diameter measurements by amplitude interferometry », Kurt M.  Liewer, Robert H.  Braunstein, Douglas G. Currie, S. L. Knapp, 1977, Bulletin of the American Astrophysical Society, vol. 9, p. 598. 240

Thèse de Robert H. Braunstein (1978) : The analysis of amplitude interferometry data and the testing of the intensified charge coupled device. 241

« Binary star observations with the multi-aperture amplitude interferometer », Douglas G.  Currie, 1983, Lowel Observatory Bulletin, vol. 9, p. 202. 242

Informations communiquées par Douglas G. Currie dans un courriel du 10 mars 2018.

Renaissance de l’interférométrie stellaire

Celui-ci est né le 25 novembre 1946 à Lynwood (Californie)243. Après l’obtention d’une licence (Bachelor of Sciences in Physics) à l’université de Californie à Los Angeles (1963-1967), puis d’une maîtrise (Master of Arts in Physics), il prépare un doctorat à l’université de Princeton (1967-1972) sous la direction de Robert H. Dicke (19161997). Entre 1976 et 1979, il cosigne 6 articles sur des thèmes astronomiques, puis en 1980, 2 articles sur l’utilisation astronomique d’une caméra à transfert de charge (CCD). Il poursuivra durant 9 ans une carrière universitaire, comme Assistant Professor of Physics, à l’université de Princeton (juillet 1972-septembre 1977), puis à l’université du Maryland (janvier 1978-juillet 1981). Bill Wickes est alors un des pionniers en programmation synthétique244. En 1980, il est l’auteur du livre Synthetic Programming on the HP41C245,246, une calculatrice qui a beaucoup contribué à familiariser le grand public avec les produits de la « révolution alphanumérique ». À partir de 1981, Wickes est embauché chez Hewlett-Packard, où il apporte une contribution reconnue au développement des calculatrices scientifiques (R&D Project Manager, 1981-1991) ainsi qu’à celui des ordinateurs portables (R&D Section Manager, 1992-1999). Dans la période 2000-2004, en qualité de HP Laboratories Manager, Wickes dirigera les programmes de recherches associant les laboratoires HP et les universités. Il sera ensuite R&D Director, de janvier 2005 à son départ en retraite en novembre 2015. Wickes s’intéresse à la méthode interférométrique et à son application pour la mesure des étoiles doubles durant sa thèse « Primordial Helium Abundance and Population-II Binary Stars: a New Measurement Technique », préparée sous la direction de Robert H. Dicke (1916-1997) et soutenue en 1972, puis durant sa période post-doctorale au laboratoire Joseph Henry du département de physique de l’université de Princeton. En 1973, il publie avec Robert H. Dicke un premier article247 dans l’introduction duquel est exprimé le désir 243

http://prabook.com/web/person-view.html?profileId=831616

244

http://www.noel.hp41.eu/page_hp41museum.html

245

http://www.hp41.net/archives/livres.php

246

Synthetic Programming on the HP-41C

247

« An automatic interferometer for double star observations », William C. Wickes et Robert H. Dicke, 1973, Astronomical Journal, vol. 78, p. 757.

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de contribuer à résoudre deux problèmes astrophysiques : (1) la valeur de l’abondance primordiale de l’hélium, à partir de la détermination des masses d’étoiles binaires de population II248 ; (2) la détermination du module de distance et de la relation Masse-Luminosité pour l’amas des Hyades, le calcul des orbites de binaires des Hyades. Pour obtenir des mesures d’étoiles doubles plus précises que celles obtenues à l’époque, notamment par l’interférométrie des tavelures, Wickes conçoit un interféromètre automatique impersonnel (Figure 6.6.1). Cet instrument utilise une détection photoélectrique à haute fréquence des franges formées par un interféromètre de type FizeauMichelson. Pour figer les variations rapides de l’image interférométrique, l’image stellaire est focalisée sur un obturateur tournant constitué par un disque dentelé dont l’écartement des dents est égal à l’interfrange et dont la fréquence d’obturation est plus grande que la fréquence du mouvement des franges. L’écran interférométrique est placé sur une image de l’objectif et la direction des ouvertures interférométriques projetée sur le plan du ciel est tournée au moyen d’un prisme rotateur de Dove249. Pour figer les variations lentes de l’image des franges, la mesure de la visibilité est moyennée temporellement sur chaque pas angulaire de la rotation du prisme.

Figure 6.6.1 Schéma optique de l’interféromètre automatique de W. Wickes. Crédit : Image D. Bonneau d’après William C. Wickes et Robert H. Dicke, 1973, Astronomical Journal, vol. 78, p. 757. 248

https://fr.wikipedia.org/wiki/Étoile_de_population_II

249

https://fr.wikipedia.org/wiki/Prisme_de_Dove

Renaissance de l’interférométrie stellaire

Les trains d’impulsions électriques produites par le photomultiplicateur sont filtrés par un filtre centré sur la fréquence d’obturation ; le signal produit est élevé au carré par un multiplicateur analogique et le signal quadratique est moyenné dans un calculateur multicanaux de façon synchrone avec la rotation du prisme rotateur. Les données enregistrées dans chaque canal correspondent donc à la mesure de la visibilité moyenne des franges en fonction de l’angle de position des ouvertures interférométriques. La comparaison des visibilités des franges mesurées en alternance sur l’étoile double et une étoile simple voisine permettait d’éliminer les effets systématiques causés par les défauts instrumentaux. Les valeurs de la séparation angulaire et de l’angle de position de l’étoile double étaient obtenues à partir de l’ajustement d’une fonction représentant la visibilité théorique des franges pour la binaire sur les valeurs mesurées de la visibilité. Les premiers essais ont été effectués au foyer du réfracteur de 66 cm de diamètre de l’observatoire naval de Washington, en novembre 1971 puis en mars 1972. Ont suivi en novembre 1972 des observations au télescope de 91 cm de l’observatoire de Kitt Peak puis au foyer du télescope de 1,5 m du mont Wilson. Avec ce télescope, les tentatives d’observer deux binaires de Population II, µ Cas (STT 551AB, magnitudes 5,23-11,31 séparation 0,3″) et 104 Tau (A 3010, magnitudes 5,8-5,8 séparation 0,1″) ont échoué. Ces observations ont validé les procédures d’observation ainsi que le traitement des données et montré que le site du mont Wilson présentait les meilleures conditions d’observation. Cependant, des améliorations de l’instrument se sont avérées nécessaires, notamment pour diminuer les effets de la turbulence atmosphérique et permettre l’observation d’étoiles plus faibles. Pour garantir que l’onde qui traverse chaque ouverture est assimilable à une onde plane et limiter ainsi les effets de la turbulence atmosphérique, leur diamètre effectif d doit être de l’ordre de 2 à 10 cm, ce qui limite fortement le flux lumineux capté, d’autant plus que la bande spectrale utilisable pour la détection de franges contrastées doit être limitée par un filtre optique. Dans le but d’accroître la sensibilité de l’instrument en élargissant la bande spectrale utilisable, Wickes250 transforme celui-ci en interféromètre achromatique 250

« Achromatic Interferometry of Double Stars », William C. Wickes et Robert H. Dicke, 1974, Astronomical Journal, vol. 79, p. 1433.

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Figure 6.6.2 Schéma optique de l’interféromètre achromatique de W.  Wickes. Crédit  : Image D. Bonneau d’après William C. Wickes et Robert H. Dicke, 1974, Astronomical Journal, vol. 79, p. 1433.

en déplaçant le masque interférométrique sur une seconde image de l’ouverture du télescope formée après l’obturateur tournant (Figure 6.6.2). Placé dans un plan focal, l’obturateur se comporte comme un réseau de diffraction et l’ouverture d’entrée projetée sur l’objectif du télescope est alors constituée par deux ouvertures virtuelles dont la séparation est D = λ feff /P, où P est le pas du réseau et feff la focale effective de l’instrument, combinaison des focales du télescope et des lentilles de l’interféromètre. Le pouvoir de résolution de l’interféromètre exprimé par l’angle λ/D = P/feff devient formellement indépendant de la longueur d’onde. De ce fait, la modulation de la lumière transmise résultant du découpage à haute fréquence du système de franges dans l’image stellaire est également indépendante de la longueur d’onde et une large bande spectrale peut être utilisée sans perte de détection de la visibilité des franges. Le photomultiplicateur, sur lequel est formée l’image du masque interférométrique, convertit l’intensité lumineuse en courant électrique dont le traitement en mode comptage de photons est effectué par un système électronique analogique, dont le schéma est montré dans la figure 6.6.3. L’expression théorique du signal pour une étoile double formulée par Wickes est : Dn = min² [1 + Bfn(ρ,θ)] + C

Renaissance de l’interférométrie stellaire

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Figure 6.6.3 Schéma de l’électronique de traitement du signal dans l’interféromètre automatique de W. Dickes. Crédit : Image D. Bonneau d’après William C. Wickes et Robert H. Dicke, 1973, Astronomical Journal, vol. 78, p. 757.

Le paramètre C est une constante, min est la visibilité des franges pour une étoile simple et les termes entre crochets représentent la visibilité théorique pour une binaire avec B le paramètre lié à la différence de magnitudes des composantes et fn(ρ,θ) la modulation du signal interférométrique pour une binaire : 2π D f n ( ρ ,θ ) = cos  ρ sin (Ω n − θ )  λ  Avec D, la séparation des ouvertures, λ la longueur d’onde effective, ρ et θ la séparation et l’angle de position de la binaire et Wn l’angle de position des ouvertures interférométriques. Les valeurs des paramètres ρ et θ et B de la binaire sont obtenues par un ajustement au moyen de la méthode des moindres carrés de la fonction Dn sur les mesures dn. Le nouvel instrument (Figure 6.6.4) est essayé en août et octobre 1973 en effectuant des mesures de quatre étoiles doubles visuelles sur le télescope de 61 cm de l’observatoire du mont Wilson. Les ouvertures ont un diamètre d = 12,7 cm et une séparation D = 35,56 cm.

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Figure 6.6.4 W. Wickes et son interféromètre achromatique au foyer monté au télescope de 1,5 m du mont Wilson (à gauche) et le système de traitement et d’enregistrement des données (à droite). Crédit : Images reproduites avec l’aimable autorisation de William C. Wickes.

Figure 6.6.5 Exemple d’observation avec l’interféromètre achromatique de W. Wickes. Bas : tracé de la visibilité des franges V² mesurée en fonction de l’angle de position des ouvertures (Wn, degré) pour l’étoile double β Del (points) et l’étoile simple α Del (ligne continue). Haut : fonction V²(α Del) [1 + B fn(ρ,θ)] ajustée, par la méthode les moindres carrés, sur la visibilité des mesures V²(β Del). Les paramètres stellaires déduits : ρ = 0,554 ± 0,005″, θ = 342,5 ± 0,5° et Dm = 0,92 ± 0,07 mag. Crédit : Image D. Bonneau, d’après William C. Wickes et Robert H. Dicke, 1974, Astronomical Journal, vol. 79, p. 1433.

Le principe du traitement des données d’observation est illustré dans la figure 6.6.5. Les valeurs de la séparation angulaire et de l’angle de position et de la différence de magnitudes des composantes de l’étoile double sont déduites de l’ajustement, au moyen de la méthode des moindres carrés, la fonction théorique Dn sur les valeurs mesurées de la visibilité.

Renaissance de l’interférométrie stellaire

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L’observation de l’étoile de Population II µ Cas révèle pour la première fois la présence du compagnon « invisible » de cette binaire astrométrique ; en référence à son découvreur, ce couple porte maintenant le nom WCK 1Aa,Ab (Figure 6.6.6).

Figure 6.6.6 Orbites des étoiles doubles découvertes par Wickes dans le 6e catalogue d’orbites d’étoiles doubles (ORB6). Les mesures de Wickes sont entourées par un cercle noir. Les points noirs sont les mesures interférométriques ultérieures. À gauche, WCK 1 : première observation du compagnon (mA = 5,3 mB = 10,7) de m Cas, binaire astrométrique de période 23 ans découverte par Lippincott et Wyckoff (1964). L’orbite a été calculée par Jack Drummond et al. (1995, Astrophysical Journal, vol. 450, 380D). À droite, WCK 2 : découverte du compagnon (mA = 3,86 mB = 6,43) de α Del l’étoile la plus brillante du système optique multiple BU 298. L’orbite de période 17 ans a été calculée par S. Soderhjelm en combinant les mesures interférométriques et l’observation d’Hipparcos (1999, Astronomy & Astrophysics, vol. 341, 121S). D’après les images du Sixth Catalog of Orbits of Visual Binary Stars, Stephen J. Williams, William I. Hartkopf et B. D. Mason, U.S. Naval Observatory, Washington, DC.

En 1975, Wickes publie les mesures de 10 étoiles doubles visuelles serrées effectuées au foyer Cassegrain du télescope de 1,5 m de l’observatoire du mont Wilson251. Les observations sont réalisées en août et novembre 1974 avec des ouvertures de 13, 15 et 25 cm séparées de 100 cm 251 « Interferometric measurements of binary stars », William C. Wickes, 1975, Astronomical Journal, vol. 80, p. 655.

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et une bande spectrale [7 000-8 000 Å] dans laquelle les effets de la turbulence atmosphérique sont moins sensibles que dans le visible [5 500 Å]. Le compagnon de l’étoile µ Cas découvert par Wickes est mesuré pour la seconde fois. Un compagnon faible a été détecté pour la première fois à l’étoile α Del, le nouveau couple étant connu maintenant sous le nom WCK 2Aa, Ab (Figure 6.6.6). En conclusion de cet article, Wickes note que « les résultats des observations indiquent que les limites de cette technique n’ont pas été atteintes. La forte visibilité des franges suggère que le système pourrait être utilisé sur des télescopes plus grands pour augmenter la résolution angulaire sans réduction sensible du rapport signal sur bruit. Le taux de comptage des photons obtenu pour l’objet le plus faible (magnitude visuelle 8,8) implique que des objets de 10e magnitude puissent être résolus en utilisant des ouvertures de 30 cm de diamètre. Ces hypothèses seront testées dans les observations à venir ». La dernière publication de Wickes252 concerne l’application de la méthode interférométrique à la mesure des étoiles doubles de l’amas des Hyades253. Utilisant des mesures effectuées en novembre 1974, il améliore significativement le calcul des orbites de trois binaires visuelles de l’amas, STT 79, BU 1185 et B 883 AB. Cependant, les valeurs des masses stellaires déduites à partir de la distance moyenne de l’amas restent entachées d’une erreur trop importante pour permettre de définir une relation Masse-Luminosité d’une précision suffisante pour les études de physique stellaire. Cela ne deviendra réellement possible qu’une vingtaine d’années plus tard, grâce notamment à la combinaison des observations interférométriques et spectroscopiques avec les distances déterminées par la mission Hipparcos254. Ainsi, à l’époque où naissait l’interférométrie des tavelures, les observations avec l’interféromètre achromatique de Wickes constituent-elles « le chant du cygne » d’une technique d’observation interférométrique des étoiles doubles inventée par Anderson une cinquantaine d’années plus tôt.

252

« Orbits and masses of Hyades visual binaries », William C. Wickes, 1975, Astronomical Journal, vol. 80, p. 1059.

253

https://en.wikipedia.org/wiki/Hyades_(star_cluster)

254

https://en.wikipedia.org/wiki/Hipparcos

Renaissance de l’interférométrie stellaire

6.7. 1974 : le premier interféromètre optique à deux télescopes Pour le dernier épisode de cette histoire, on retrouve Antoine Labeyrie, qui, après avoir inventé l’interférométrie des tavelures et permis d’exploiter au maximum la résolution angulaire des télescopes, entreprend à partir de 1971 des expériences en interférométrie optique à grande base dans le but de trouver des solutions aux problèmes qui avaient conduit à son abandon à la fin des années 1930. En juillet 1964, durant un voyage en URSS de sa promotion de l’École supérieure d’optique, la visite de l’observatoire de Poulkovo avait donné l’occasion à Labeyrie de rencontrer Evgeni Kulagin et Vladimir Linnik et de voir leur interféromètre construit sur le principe d’une poutre portant un système optique périscopique analogue à celui utilisé par Michelson et Pease. Il est alors probablement convaincu que la structure en poutre de ces instruments limitait la longueur de la base interférométrique réalisable pour augmenter la résolution angulaire et était à l’origine de difficultés pour l’obtention des franges d’interférences. Il propose de collecter la lumière au moyen de deux télescopes indépendants, chacun d’eux renvoyant la lumière vers un laboratoire fixe abritant une table portant l’optique de recombinaison des faisceaux que l’on faisait interférer. Entre 1971 et 1973, Antoine Labeyrie entreprend à l’observatoire de Meudon des expériences préliminaires visant à valider le nouveau concept. La première expérience, à laquelle j’ai participé dans le cadre de mon stage de DEA d’astrophysique à l’université de Paris VII, a consisté à faire des franges au moyen de deux tubes optiques simulant les télescopes en visant une étoile artificielle placée dans notre laboratoire et vue par réflexion sur des miroirs fixés au mur d’un bâtiment éloigné. Cette expérience a notamment permis de mettre au point le principe optique de la recombinaison. La deuxième expérience, menée avec Alain Blazit et Laurent Koechlin, voulait tenter d’obtenir des franges sur une étoile observée au moyen de deux télescopes placés de part et d’autre du bâtiment abritant le laboratoire dans lequel les faisceaux étaient recombinés. Mais la conception de l’instrument, utilisant des montures équatoriales à

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berceau (Figure 6.7.1), s’est révélée trop complexe et trop légère pour limiter les vibrations qui nuisent à l’obtention des franges d’interférences alors même que le seeing sur le site de Meudon n’était guère favorable aux observations astronomiques à haute résolution angulaire.

Figure 6.7.1 Essais d’interférométrie à deux télescopes sur le site de l’observatoire de Meudon. Crédit : Image Alain Blazit.

Ainsi, pour bénéficier de meilleures conditions d’observations, Antoine Labeyrie et son équipe (Alain Blazit, Laurent Koechlin et Jean-Louis Oneto) installent, début 1974, un nouvel interféromètre prototype sur le site de l’observatoire de Nice, au sud du bâtiment de l’ancienne Grande Lunette méridienne qui abrite alors une annexe du laboratoire d’astrophysique de l’université de Nice dirigé par le Professeur François Roddier. Une vue de l’instrument installé à l’observatoire de Nice est montrée par la figure 6.7.2255. Le schéma optique de l’instrument est représenté dans la figure 6.7.3. Les télescopes, dont le miroir primaire (M1) a un diamètre de 25 cm, sont du type Cassegrain coudé à trois miroirs avec un miroir secondaire concave (M2, focale F = 7,5 mm) et un miroir tertiaire (M3) plan.

255

« Interference fringes obtained on Vega with two optical telescopes », Antoine Labeyrie, 1975, The Astrophysical Journal, vol. 196, L71.

Renaissance de l’interférométrie stellaire

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Figure 6.7.2 Le premier interféromètre à deux télescopes installé sur le site de l’observatoire de Nice en 1974 : à gauche, les deux télescopes séparés par le laboratoire focal (en arrière-plan, le bâtiment du Grand Méridien) ; crédit : Image D. Bonneau. À droite, image des franges sur l’étoile Véga (λ ≈ 550 ± 25 nm). Les points blancs visibles dans cette image sont des photons individuels, détectés par la caméra à haute sensibilité, dite « à comptage de photons ; crédit : Image reproduite avec l’aimable autorisation du Professeur Antoine Labeyrie.

Figure 6.7.3 Schéma optique de l’interféromètre à deux télescopes. Crédit  : Image D.  Bonneau d’après Antoine Labeyrie, 1975, Astrophysical Journal, vol. 196, p. L71.

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Leurs montures, du type Alt-Alt (à berceau horizontal), sont compactes et rigides et reposent sur le sol. Le faisceau coudé envoyé vers le laboratoire focal a un diamètre de quelques millimètres qui le rend peu sensible aux effets de la turbulence atmosphérique le long de son trajet horizontal. Le guidage de chaque télescope est assuré par la commande motorisée des axes nord-sud et est-ouest de sa monture pilotée par un dispositif photoélectrique qui analyse les images de deux champs stellaires formés sur une caméra de télévision (TV1) au moyen de l’optique de guidage (OG). La recombinaison des deux faisceaux est effectuée au moyen d’un miroir en toit (MT) sur lequel les lentilles de champ (L1) forment l’image de la pupille de chaque télescope. Une optique de reprise (L2) forme l’image composite, résultant de la superposition des images fournies par les télescopes, dans laquelle les franges de Young observées visuellement au moyen d’un dispositif comprenant une fente (F) et prisme à vision directe (PVD) ou enregistrées par une caméra de télévision à comptage de photons (TV2). La base interférométrique étant horizontale fait un angle (égal à la latitude du lieu) avec l’axe de rotation de la Terre. Le suivi du déplacement de l’étoile dans le ciel se traduit par une variation continue de la longueur des trajets optiques dans les deux bras de l’interféromètre dont l’égalisation est réalisée en déplaçant la table sur laquelle se forment les franges. Comme le faisait déjà Pease, la recherche des franges est effectuée visuellement dans le spectre de l’étoile formé au moyen du prisme à vision directe. Les franges devenant perceptibles dans le spectre avec une différence de marche optique d’environ 50 μm, quelques minutes sont nécessaires pour les trouver, étant donné que leur position n’est prédictible qu’avec une incertitude de l’ordre du millimètre. Les franges sont alors observées et enregistrées en lumière blanche. Les premières franges avec l’interféromètre à deux télescopes (I2T) ont été obtenues sur l’étoile Véga (α Lyre) dans la nuit du 28 juillet 1974. Une image de ces franges enregistrée avec la caméra de télévision à comptage de photons est montrée dans la figure 6.7.2.

Renaissance de l’interférométrie stellaire

Le succès de cette expérience peut être considéré comme le début d’une nouvelle ère de développement pour l’interférométrie stellaire à longue base imaginée par Fizeau et dont Michelson et Pease furent les initiateurs. Nous verrons dans les pages qui suivent que des interféromètres de plus en plus perfectionnés, conçus durant les vingt-cinq dernières années du xxe siècle, ont permis aux astrophysiciens de disposer d’outils adaptés à la mesure des diamètres stellaires ainsi qu’à l’étude de l’environnement stellaire et des étoiles doubles dans un large domaine de longueurs d’onde allant du visible à l’infrarouge. Durant la première décennie du xxie siècle, ce sont de grands réseaux de télescopes optiques travaillant en synthèse d’ouverture qui commencent à produire de véritables images de l’environnement et de la surface des étoiles.

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Chapitre 7 De l’interféromètre de Labeyrie à la synthèse d’ouverture optique

Le succès de la première expérience d’interférométrie stellaire à deux télescopes indépendants réalisée à Nice par Antoine Labeyrie en 1974 peut être considérée comme un élément déclenchant des développements modernes de l’interférométrie optique à longue base durant les dernières décennies du xxe siècle. On a vu dans le chapitre précédent que depuis le début des années 1960, la course à la haute résolution angulaire avait repris son essor, motivée par des objectifs astrophysiques liés aux questions de la formation et de l’évolution stellaire et galactique pour lesquels l’apport des observations à haute résolution angulaire pour l’étude de la morphologie et de la caractérisation des objets apparaissait essentiel. Il ne faut pas oublier cependant que pour atteindre les plus hautes résolutions angulaires promises par leurs télescopes (de l’ordre de 1/10″) et leurs interféromètres (de l’ordre de 1/1000″) terrestres, les astronomes doivent mener une lutte acharnée contre les effets de la turbulence atmosphérique qui impose aux images astronomiques une résolution angulaire voisine de 1″256. Heureusement, cette lutte est sur le point d’être gagnée. Cela, grâce aux progrès réalisés dans la compréhension de la turbulence atmosphérique, notamment grâce aux travaux de David L. Fried aux États-Unis dans les années 1960, dont les résultats, bien compris en particulier en France par le Professeur François Rodier, ont permis d’exploiter beaucoup mieux la structure tavelée des images dégradées par la turbulence, de corriger les effets de la turbulence au moyen de l’optique adaptative et de formuler les 256

Cette lutte est évoquée dans le livre : Une histoire de flou. Miroirs, trous noirs et autres mondes, Pierre Léna, 2019, Éd. Le Pommier.

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Mieux voir les étoiles

problématiques liées au développement de l’interférométrie optique notamment en termes de diamètre des ouvertures et de longueur de base. Cet essor a également bénéficié des progrès techniques réalisés notamment dans les domaines des détecteurs électroniques sensibles aux longueurs d’ondes du visible et l’infrarouge ainsi que le développement des outils informatiques utilisés pour le contrôle des instruments, le traitement des données d’observation et la modélisation physique des objets étudiés. En 2020, un siècle après la première mesure du diamètre angulaire d’une étoile autre que le Soleil, les astronomes, au moyen de l’interférométrie optique, obtiennent des images de la surface d’autres étoiles et commencent à détecter des exoplanètes et à s’approcher du trou noir qui siège au cœur de la Galaxie. Dans les pages qui suivent, l’évolution des observations interférométriques pendant les quarante-cinq dernières années sera donc brossée à grands traits.

7.1. La renaissance de l’interférométrie optique à longue base à l’observatoire de Calern I2T, le petit interféromètre à 2 télescopes Après l’obtention à l’observatoire de Nice des premières franges au moyen d’un interféromètre à deux télescopes (I2T) (voir chapitre précédent), Antoine Labeyrie et son équipe, décident de poursuivre, l’expérience pour effectuer des observations d’interférométrie stellaires. L’I2T est déménagé sur le site de Calern, un vaste plateau karstique à 1 250 m d’altitude situé dans les Préalpes de Grasse, où se trouve l’observatoire du Centre d’études géophysiques et astronomiques (CERGA). À partir de 1976, l’I2T, équipé d’une base nord-sud de longueur variable entre 4 m et 67 m (Figure 7.1.1), fournit des mesures de diamètres stellaires avec une résolution angulaire de 20 mas à 2 mas dans les longueurs d’onde du spectre visible [0,45 µm-0,70 µm], les premières depuis celles de Michelson et Pease dans les années 1920-1930. Une originalité de cet interféromètre est l’observation des franges en lumière dispersée qui a permis la mise en œuvre de la technique d’imagerie spectrale différentielle pour l’étude de la morphologie de couples

De l’interféromètre de Labeyrie à la synthèse d’ouverture optique

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stellaires serrés (Capella [Figure 7.1.2]) ; Mizar ; β Aurigae) et de disque circumstellaire d’une étoile Be (γ Cas).

   Figure 7.1.1 À gauche  : le petit interféromètre à deux télescopes (I2T) installé à l’observatoire du CERGA sur le plateau de Calern vers 1979. Les télescopes sont maintenant mobiles sur des rails. En arrière-plan, on aperçoit à droite les deux coupoles de l’expérience SOIRDETE et à gauche les stations de télémétrie Laser-Satellite et Laser-Lune. À droite : franges d’interférence enregistrées dans l’image dispersée du spectre de l’étoile Véga (α Lyrae). Noter la présence des raies en absorption de l’hydrogène présent dans l’atmosphère stellaire. L’analyse de franges dispersées par la technique d’imagerie spectrale différentielle permet de combiner la résolution angulaire avec l’information spectrale pour l’étude de la morphologie de l’étoile ou du milieu circumstellaire. Crédit : Images D. Bonneau.

Figure 7.1.2 Observations de l’étoile double Capella (α Aurigea) effectuées entre le 21 septembre1978 et le 31 janvier 1979 dans le visible avec l’interféromètre à deux télescopes (I2T) de l’observatoire de Calern. Les positions mesurées sont comparées à l’orbite visuelle calculée par W. Finsen ; l’aspect allongé des erreurs associées à ces mesures est une conséquence d’une résolution angulaire excellente dans la direction nord-sud de la base de l’interféromètre, mais mauvaise dans la direction perpendiculaire. Les disques des deux composantes dont les diamètres ont pu être déterminés pour la première fois sont représentés à l’échelle. Pour comparaison, la distance Terre-Soleil (1 ua) vue à la distance de Capella est également représentée. Crédit : Image D. Bonneau d’après Laurent Koechlin, Daniel Bonneau, Farrokh Vakili, 1979, Astronomy & Astrophysics, vol. 80, p. L14.

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Entre 1983 et 1993, dans le cadre d’une collaboration avec Giuseppe Paolo di Benedetto de l’Institut de physique cosmique de Milan, l’I2T devient le premier interféromètre stellaire à longue base observant dans le proche infrarouge avec une résolution angulaire atteignant 6 mas à la longueur d’onde de 2,2 µm. Dans le domaine infrarouge, les effets de la turbulence atmosphérique sont moins sévères que dans le visible et les observations interférométriques permettent des mesures plus précises des diamètres stellaires257.

SOIRDETE, l’interféromètre infrarouge par détection hétérodyne de l’observatoire de Calern Au début des années 1970, Jean Gay et son assistant Alain Journet (1941-2007), astronomes à l’observatoire de Paris, mènent à l’observatoire de Meudon puis à l’observatoire de Haute-Provence, des expériences permettant de maîtriser la détection du signal dans le domaine de l’infrarouge moyen (autour de 10 μm de longueur d’onde). Ils utilisent pour cela la méthode de détection hétérodyne, une technique habituellement utilisée en radioastronomie, qui consiste à transposer l’énergie du spectre de la source à plus basse fréquence avant de la détecter, en mélangeant le rayonnement de la source avec le rayonnement monochromatique d’un oscillateur local, ici constitué par un laser CO2 émettant une raie à 10,6 μm. En 1972, l’équipe de Jean Gay s’installe au CERGA pour entreprendre la construction de l’expérience de Synthèse d’ouverture en infrarouge par détection hétérodyne (SOIRDETE) implantée à partir de 1974 sur le site de l’observatoire de Calern. L’interféromètre, constitué de deux télescopes de 1 m de diamètre sur une base fixe est-ouest de 15 m de long, est prévu pour réaliser des observations dans le domaine spectral de l’infrarouge moyen en bande N [8-12 µm]. Ce projet a pour objectif d’effectuer des mesures astrométriques de position des sources ainsi que l’étude des enveloppes de poussières circumstellaires. L’expérience SOIRDETE a permis d’enregistrer les 257

« Stellar diameter measurements by two-aperture interferometry in the infrared », Giuseppe Paolo di Benedetto et G. Conti, 1983, The Astrophysical Journal, vol. 268, p 309.

De l’interféromètre de Labeyrie à la synthèse d’ouverture optique

franges d’interférence sur l’étoile Bételgeuse (α Orionis) durant l’été 1978258. Par la suite, bénéficiant des progrès réalisés dans les détecteurs infrarouges, l’interféromètre a été équipé d’un système de détection directe des franges d’interférence en infrarouge moyen. Des franges ont été obtenues durant l’hiver 1987-88 sur Bételgeuse et l’étoile géante orange Arcturus259. À l’échelle mondiale, il convient de noter que, dans les années 1970, les méthodes modernes de gestion de projet appliquées aux opérations spatiales n’étaient ni populaires ni connues tout au moins pour les opérations instrumentales « au sol ». En outre, la nature pionnière et exploratoire de SOIRDETE ne les rend pas vraiment applicables dans le contexte, et cela a probablement été regrettable. De par sa nature expérimentale, l’exploitation de l’interféromètre SOIRDETE s’est avérée difficile, notamment en raison des miroirs primaires allégés (une innovation à l’époque…) des télescopes ne donnant pas d’assez bonnes images dans le proche infrarouge et le visible, mais c’est la destruction accidentelle du laser qui a entraîné l’arrêt prématuré de l’expérience260. Les premiers travaux de Jean Gay, à Meudon puis au CERGA, ont été menés en ignorant ceux réalisés à la même époque par l’équipe de Charles Townes aux États-Unis, en préparation de l’interféromètre ISI qui sera évoqué plus loin. Plus tard, Jean Gay a rencontré Townes et dans les années 1995, après l’arrêt de l’expérience SOIRDETE, il a effectué un séjour dans son équipe de l’université de Berkeley.

GI2T, le grand interféromètre à 2 télescopes Compte tenu de la limitation en sensibilité de l’I2T en raison du petit diamètre de ses télescopes, Antoine Labeyrie a entrepris la construction d’un instrument équipé de télescopes de plus grand diamètre, dénommé 258 « The CERGA infrared interferometer », P. Assus et al., 1979, Journal of Optics, vol. 10, p. 345. 259

Infrared interferometry at CERGA, Jean Gay et Djamel Mekarnia, 1988, ESO Conference Workshop Proceedings, vol. 29, p 811. 260

« Heterodyne Interferometry in UnfraRed at OCA-Calern Observatory in the seventies », Jean Gay et Yves Rabbia, 2014, ipco.conf 181.

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grand interféromètre à deux télescopes (GI2T). Dans l’esprit imaginatif d’Antoine, ce nouvel instrument devait préfigurer un « Optical Very Large Array » (OVLA) permettant de réaliser dans le visible des observations par synthèse d’ouverture optique analogue aux observations que les radioastronomes pouvaient faire en ondes centimétriques avec leur Very Large Array installé au Nouveau-Mexique. Le GI2T reprend le schéma général de l’I2T avec deux télescopes de 1,5 m de diamètre, mobiles sur une base nord-sud de 65 m de long, équipés d’une monture boule inventée pour l’occasion par Antoine Labeyrie. La grande différence avec I2T réside dans le diamètre des miroirs six fois plus grand, les franges apparaissant alors dans chacune des nombreuses tavelures des images combinées étalées par la turbulence atmosphérique. Ces images sont projetées sur la fente d’entrée d’un spectrographe, les franges étant enregistrées dans le spectre de l’étoile, pour associer la résolution angulaire de l’interféromètre avec la résolution spectrale. Après l’obtention des premières franges multi-tavelures en août 1985261 et durant une dizaine d’années, le GI2T a été essentiellement consacré à l’étude de la morphologie et de la cinématique de l’environnement des étoiles chaudes et massives (P Cygni, étoiles Be γ Cassiopea et ζ Tauri, β Lyrae) pour laquelle les techniques d’imagerie spectrale différentielle, développées avec l’I2T, se sont révélées particulièrement efficaces. Il a également permis la première mesure du diamètre angulaire de l’étoile δ Cephei, prototype de la classe des variables pulsantes de type céphéides262. À partir de 1995, le GI2T subit une opération de modernisation qui conduit à l’équiper d’une nouvelle table de recombinaison fixe (REGAIN) associée, pour l’égalisation des trajets optiques dans les bras de l’interféromètre, à la ligne à retard prototype (LAROCA) développée par les ingénieurs de l’observatoire de la Côte d’Azur à Nice avec l’Observatoire européen austral (ESO) dans le cadre de la préparation du mode interférométrique

261

« Fringes obtained with the large ″boules″ interferometer at CERGA », Antoine Labeyrie et al., 1986, Astronomy & Astrophysics, vol. 62, p 359. 262 « The GI2T interferometer on Plateau de Calern », Denis Mourard et al., 1994, Astronomy & Astrophysics, vol. 283, p 705.

De l’interféromètre de Labeyrie à la synthèse d’ouverture optique

du Very Large Telescope (VLTI)263. Un spectrographe permet d’enregistrer les franges simultanément dans deux domaines spectraux du visible centrés sur les longueurs d’onde de 0,57 µm et 0,70 µm. L’acquisition initiale et le suivi des franges sont effectués par des processus automatiques. L’exploitation scientifique du GI2T/REGAIN constitue la prolongation de programmes commencés avec le GI2T, consacrés à l’étude des étoiles chaudes et massives et de leur environnement dans le visible par la technique d’imagerie spectrale différentielle264. En 1999, l’équipe de Gerd Weigelt du Max Planck Institut pour la radioastronomie à Bonn (RFA) a obtenu sur le GI2T/REGAIN, le premier enregistrement de franges dispersées dans le proche infrarouge (entre 2,00 et 2,18 µm) sur l’étoile géante rouge R Cassiopée, une préfiguration de l’instrument focal AMBER du VLTI265. En raison du vieillissement des télescopes et de l’évolution du contexte, avec notamment le début de l’exploitation du VLTI sur lequel sont engagés des membres de l’équipe, l’exploitation du GI2T/REGAIN est arrêtée en 2005.

7.2. Les développements de l’interférométrie à longue base à travers le monde À partir du début des années 1980 apparaissent de nouveaux projets d’interféromètre stellaire qui tirent profit des expériences pionnières de Labeyrie, mais visent à répondre au besoin d’accroître la précision des observations interférométriques limitée, essentiellement jusqu’alors par les effets de la turbulence atmosphérique. Cet objectif est atteint par trois interféromètres, dans le visible (Mark III, SUSI et PTI) en limitant le diamètre des ouvertures interférométriques et en améliorant le contrôle et la correction 263

« The GI2T/REGAIN interferometer », Denis Mourard et al., 1998, SPIE, 3350, p. 517. 264 « Spectrally Resolved Interferometry with the GI2T/REGAIN Interferometer », Denis Mourard, 1999, ASPC, 194, p 95. 265 « GI2T/REGAIN spectro-interferometry with a new infrared beam combiner », Gerd Weigelt et al., SPIE, 4006, p. 617.

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des effets atmosphériques résiduels, mais aussi en privilégiant les observations aux longueurs d’onde infrarouges pour lesquelles la dégradation des images par la turbulence atmosphérique est réduite (PTI).

L’interféromètre Mark III du mont Wilson L’interféromètre Mark III est construit en 1985, à l’observatoire du mont Wilson, par Michael Shao et Mark Colavita dans le cadre d’une collaboration entre l’Observatoire naval des États-Unis (USNO, à Washington D. C.), le Laboratoire de recherche navale (à Washington D. C.), de l’observatoire d’astrophysique Smithsonian (Cambridge, Massachusetts) et l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) de Cambridge (Massachusetts)266. Il constitue l’aboutissement des études menées depuis 1977 par Shao et David H. Stealin (1938-2011) pour démontrer qu’il est techniquement possible de construire un interféromètre stellaire de Michelson à grande base capable de réaliser des mesures astrométriques de grande précision en minimisant les effets de la turbulence atmosphérique dans le visible. En 1979, la maîtrise du suivi de franges en lumière blanche, malgré leur agitation produite par la turbulence atmosphérique, est démontrée avec l’interféromètre Mark I. En 1984, l’interféromètre Mark II, équipé d’un contrôle précis de la métrologie de la base interférométrique et permettant l’enregistrement simultané des franges dans deux domaines spectraux, s’avère capable d’assurer le suivi de la position (phase) et de mesurer le contraste (visibilité) des franges pendant plusieurs heures, ce qui permet de déterminer la position relative d’étoiles brillantes séparées par de grands angles (jusqu’à 20°) avec une précision voisine de 0,01 seconde d’arc. Bénéficiant de l’expérience acquise, l’interféromètre Mark III devient opérationnel en septembre 1986. Il est équipé de deux sidérostats (faisceaux de diamètre 5 cm) pouvant occuper 12 positions fournissant des longueurs de base entre 3 m et 31,5 m dans la direction nord-sud. Les franges sont enregistrées à travers un filtre optique à bande étroite pour des longueurs d’onde entre 0,45 µm et 0,8 µm.

266 « The Mark  III stellar interferometer », Michael Shao et al., 1988, Astronomy & Astrophysics, vol. 193, p 357.

De l’interféromètre de Labeyrie à la synthèse d’ouverture optique

L’interféromètre Mark III a fourni les diamètres angulaires d’une centaine d’étoiles géantes jaunes à rouges mesurés avec une précision atteignant 1 %267. Les mesures astrométriques à petit champ ont permis le calcul des orbites visuelles des masses et des distances pour une trentaine d’étoiles binaires spectroscopiques présentant des rayons orbitaux souvent inférieurs à 10 mas et des périodes orbitales de l’ordre du mois à quelques jours. L’interféromètre Mark III a également été utilisé pour effectuer des mesures astrométriques à grand-champ, avec une précision sur la position des étoiles atteignant 10 mas, soit un gain d’un facteur 10 par rapport aux catalogues astrométriques de l’époque (avant le satellite Hipparcos)268. Exploité jusqu’à la fin de 1992, l’interféromètre Mark III a beaucoup contribué à conforter l’idée que l’interférométrie à grande base pouvait devenir un outil efficace notamment pour la détermination des paramètres fondamentaux des étoiles (température, masse, luminosité), clés de nombreuses études en astrophysique stellaire.

SUSI, l’interféromètre stellaire de l’université de Sydney Après l’arrêt des observations avec l’interféromètre d’intensité de Narrabri dû à son manque intrinsèque de sensibilité, John Davis (1932-2010) et William J. Tango construisent un interféromètre prototype pour tester la capacité d’un interféromètre de type Fizeau-Michelson à fournir des mesures de qualité comparables à celles obtenues avec l’interféromètre d’intensité. En février 1986, cet instrument fournit en moins de 1 heure d’observation une nouvelle détermination du diamètre angulaire de l’étoile Sirius (α CMa) en accord à mieux de 2 % avec celle obtenue à Narrabri après une quarantaine d’heures d’observation.

267 « Angular diameter of stars from the Mark III optical interferometer », David Mozurkewich et al., 2003, Astronomical Journal, vol. 126, p. 2502. 268

« Narrow-angle and wide-angle astrometry via long baseline optical/infrared interferometers », Xiaopei Pan, Michael Shao et Mark Colavita, 1995, IAUS, vol. 166, p. 13.

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Encouragés par ce résultat, Davis et Tango construisent le Sydney University Stellar Interferometer (SUSI) sur le site de l’observatoire Paul Wild à Culgoora (NouvellesGalles du Sud)269,270. L’interféromètre est constitué par 7 sidérostats placés sur des stations constituant des bases interférométriques de 5 m à 160 m de long dans une direction nord-sud. Pour une observation interférométrique, SUSI utilise une paire d’ouvertures de diamètre utile 14 cm, de telle façon que la correction de l’agitation latérale des images suffit pour éliminer l’essentiel des effets de la turbulence atmosphérique. Les franges sont initialement formées par des recombinateurs dans la partie bleue [450-520 nm] et rouge [620-780 nm] du spectre visible. En 2008, SUSI est équipé d’un nouveau recombinateur multi-longueurs d’onde PAVO (Precision Astronomical Visible Observations) qui permet d’enregistrer les franges simultanément dans une vingtaine de canaux spectraux dans la bande [520-780 nm]. La résolution angulaire varie de 20 mas à 0,5 mas. En 2011, MUSCA (Micro-arcsecond University of Sydney Companion Astrometry), un deuxième recombinateur dédié aux mesures astrométriques par référence de phase dans le rouge (autour de 833 nm) est installé et testé. À partir de 1993, les observations effectuées avec SUSI, le premier interféromètre situé dans l’hémisphère Sud, ont eu pour objectif l’amélioration de la compréhension de l’astrophysique stellaire au moyen de la détermination précise des paramètres stellaires fondamentaux : rayons, températures effectives et luminosités, pour les étoiles simples, ainsi que les masses et distances pour les étoiles binaires. Les mesures effectuées avec SUSI se caractérisent par leur grande précision, mais le petit diamètre des ouvertures a limité la sensibilité des observations aux étoiles très brillantes. Le financement de l’instrument n’étant plus assuré, l’exploitation de SUSI s’est arrêtée fin

269

« The Sydney University Stellar Interferometer – I. The instrument », John Davis et al., 1999, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, vol. 303, p. 773.

270 « The Sydney University Stellar Interferometer – II. Commissioning observations and results », John Davis et al., 1999, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, vol. 303, p. 783.

De l’interféromètre de Labeyrie à la synthèse d’ouverture optique

2013271. Il est intéressant de noter qu’un exemplaire de l’instrument PAVO est installé sur le réseau interférométrique CHARA, le groupe SUSI dirigé par Peter Tuthill de l’Institut d’astronomie de l’université de Sydney étant devenu membre du consortium constitué pour exploiter et développer cet instrument.

PTI, l’interféromètre prototype du mont Palomar Les études du Palomar Testbed Interferometer (PTI) commencent en 1992 dans le cadre du programme « Towards Other Planetary Systems » de la NASA. PTI, construit dans le cadre d’une collaboration entre le Jet Propulsion Laboratory (JPL) et la NASA pour préparer le mode interférométrique du télescope Keck (KI) ainsi que de la mission spatiale Space Interferometric Mission (SIM), apparaît comme le successeur de l’interféromètre Mark III du mont Wilson272. Opérationnel à partir de 1996, cet interféromètre est constitué de trois télescopes d’ouvertures 40 cm ; deux séparés de 110 m dans la direction nord-sud et un troisième placé 67 m à l’ouest. Combinés par paires, ces télescopes forment des bases de longueur 110 m (N-S), 87 m (S-O) et 86 m (N-O), soit une résolution angulaire minimale de 3 mas en bande H [1,65 µm] et 4 mas en bande K [2,2 µm]. Équipé d’un suivi actif des franges infrarouges et d’un contrôle du pointage en lumière rouge, l’instrument, hautement automatisé, permet une cadence d’observation élevée. PTI a permis d’obtenir des valeurs précises du diamètre d’étoiles naines, géantes et supergéantes ainsi que de l’extension des régions circumstellaires des étoiles jeunes. PTI est le premier interféromètre à avoir mesuré directement les changements de diamètre d’étoiles variables de type céphéide (η Aql et ζ Gem) ainsi que l’aplatissement d’un disque stellaire en rotation rapide (Altair). Équipé d’un double système de recombinaison, PTI permet d’observer simultanément les franges sur deux étoiles écartées jusqu’à 60″. 271

Au sujet de l’interféromètre SUSI, voir : http://www.physics. usyd.edu.au/sifa/Main/SUSI 272 « The Palomar Testbed Interferometer », Mark Colavita et al., 1999, The Astrophysical Journal, vol. 510, p 505.

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Cette  technique  appelée  « interférométrie de paquets de franges séparés » permet de mesurer la distance angulaire de ces étoiles avec une précision voisine de 100 µas. À partir de 2004, des observations sont possibles en mode de référencement de phase, une méthode basée sur l’observation simultanée des franges sur l’étoile étudiée et une étoile de référence brillante séparées d’au plus 1″, une distance angulaire telle que les effets de la turbulence atmosphérique peuvent être considérés comme identiques pour les deux étoiles. La séparation angulaire des composantes d’étoiles doubles a pu être ainsi mesurée avec une précision astrométrique voisine de 10 µas dans le cadre du programme Palomar High-precision Astrometric Search for Exoplanet Systems (PHASES), visant à la détection de grosses planètes orbitant autour d’une composante d’étoile double. Jusqu’en 2008, l’utilisation de ces techniques a permis le calcul des orbites ainsi que des paramètres stellaires fondamentaux des composantes d’une quarantaine de binaires et la possible détection de six compagnons substellaires. PTI a notamment été le premier interféromètre à mesurer directement les variations de diamètre d’étoiles pulsantes de type Céphéides (h Aql et z Gem) ainsi que l’aplatissement du disque d’une étoile sous l’effet de sa rotation (Altair, a Aql) 273. Nous venons de voir que durant les années 1980-1990, l’objectif des promoteurs des nouveaux interféromètres a été d’augmenter la résolution angulaire et la précision des mesures interférométriques dans le but d’obtenir la détermination précise des paramètres stellaires fondamentaux (rayon, température et masses) et l’étude de l’environnement des étoiles (disque et enveloppe circumstellaires). Pour ces interféromètres à deux ouvertures, la résolution angulaire est définie comme le rapport λ/B de la longueur d’onde λ d’observation et la distance B entre les deux télescopes (la base de l’interféromètre n’est atteinte que dans la direction de la base projetée sur le ciel alors que dans les autres directions elle reste celle d’un télescope collecteur de lumière (soit 1,22 λ/D pour un télescope de diamètre D). Les données interférométriques sont alors constituées par les mesures du contraste ou visibilité des franges d’interférence en fonction de 273

Au sujet de l’interféromètre PTI, voir : http://nexsci.caltech. edu/missions/Palomar/

De l’interféromètre de Labeyrie à la synthèse d’ouverture optique

la longueur d’onde et de la longueur de la base durant l’observation. Au-delà de l’intérêt scientifique des observations permises par cette première génération d’interféromètres, le but ultime des astronomes est l’obtention de véritables images des étoiles. Depuis les années 1950-1960, les radioastronomes savent réaliser des images par synthèse d’ouverture, un procédé interférométrique qui consiste à combiner de façon cohérente les signaux fournis par un réseau d’au moins trois télescopes pour produire une image ayant la résolution angulaire d’un télescope faisant la taille du réseau274. Malheureusement, la mise en œuvre de la synthèse d’ouverture aux longueurs d’onde optiques est plus complexe que dans le domaine des ondes radio. Il s’agit notamment de concevoir des systèmes optiques permettant de recombiner les faisceaux lumineux fournis par trois télescopes ou plus, ce qui évidemment se traduit par une complexité accrue des systèmes optiques et du contrôle de la métrologie de l’interféromètre, mais aussi de la nécessité de s’affranchir des effets de la turbulence atmosphérique qui perturbent la combinaison cohérente des faisceaux lumineux nécessaire à la formation des franges d’interférences. Pour des observations interférométriques par synthèse d’ouverture, les observables sont les mesures de la visibilité des franges pour chacune des lignes de base utilisées et les mesures de la phase de clôture pour chaque triangle de télescopes utilisés, une quantité qui est reliée à la morphologie de la source observée. En conséquence, la qualité de l’image restituée sera d’autant meilleure que le nombre des télescopes du réseau sera plus grand275. Ce thème est souvent au cœur des débats lors de colloques organisés notamment par la NASA, l’ESO et SPIE (Society of Photo-Optical Instrumentation Engineers) dès la fin des années 1960, mais il faut attendre les années 1990 pour que les développements techniques rendent possible la synthèse d’ouverture aux longueurs d’onde optiques.

274

L’Observation en astrophysique, Pierre Léna et al. 2008, Éd. EDP Sciences/CNRS Éditions. 275

An Introduction to Optical Stellar Interferometry, Antoine Labeyrie, Stephen G. Lipson et Peter Nisenson, 2006, Cambridge University Press.

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7.3. Vers la synthèse d’ouverture aux longueurs d’onde optiques Dès le début des années 1980, l’astronome allemand Gerd Weigelt réalise la restauration des premières images à haute résolution angulaire au moyen de la technique de triple corrélation appliquée aux images enregistrées par interférométrie des tavelures dans le visible276,277. Un peu plus tard, l’astronome britannique Chris Haniff reconstruit des images à haute résolution angulaire en appliquant la technique de phase de clôture, initialement développée en radioastronomie, à des observations effectuées en lumière visible, au moyen d’un interféromètre de Fizeau (masque à plusieurs ouvertures placé devant un télescope)278,279. Ces travaux pionniers ont encouragé des astronomes et des ingénieurs à concevoir vers la fin des années 1980 les premiers interféromètres à longue base constitués par plus de deux télescopes et pouvant donc fonctionner en mode synthèse d’ouverture aux longueurs d’onde du visible et de l’infrarouge. Les premières images d’étoiles par synthèse d’ouverture aux longueurs d’onde optiques ont été obtenues au moyen des interféromètres COAST, NPOI et IOTA.

COAST, le télescope à synthèse d’ouverture optique de Cambridge Au début des années 1980, l’astronome anglais John Evan Baldwin (1931-2010), décide de transposer les idées développées en interférométrie et synthèse d’ouverture en radioastronomie aux longueurs d’onde visibles et infrarouges. En 1988, il s’associe avec Chris A. Haniff, 276

« Speckle Interferometry and Speckle Holography; techniques and limitations », Gerd Weigelt, 1983, Lowell Observatory Bulletin, vol. 9, p. 144. 277 « Speckle masking in astronomy: triple correlation theory and applications », Adolf W. Lohmann, Gerd Weigelt et Bernhard Wirnitzer, 1983, Applied Optics, vol. 22, p. 4028. 278

« Closure phase in high-resolution optical imaging », John E. Baldwin et al., 1986, Nature, vol. 320, p. 595.

279 « The first images from optical aperture synthesis », Chris A. Haniff et al., 1987, Nature, vol. 328, p. 694.

De l’interféromètre de Labeyrie à la synthèse d’ouverture optique

Cray D. Mackay et Peter J. Warner, pour construire (Figure 7.3.1) un prototype d’interféromètre optique connu sous le nom de Cambridge Optical Aperture Synthesis Telescope (COAST), installé sur le site du Mullard Radio Astronomy Observatory (MRAO) à Lord’s Bridge (Grande-Bretagne) et financé par le Conseil de recherche en physique des particules et en astronomie (PPARC), avec l’appui de l’université de Cambridge280.

Dans sa version finale, l’instrument COAST comprend cinq télescopes disposés en « Y », avec des bases entre 2 m et 67 m. Jusqu’à quatre des télescopes sont utilisés simultanément. L’acquisition et le guidage sur l’étoile sont assurés en lumière visible. Le diamètre des ouvertures est limité à 10-20 cm pour qu’une correction de l’agitation des images à court temps de pose soit suffisante pour compenser les effets de la turbulence atmosphérique. L’égalisation des trajets optiques de chacun des faisceaux est effectuée par des lignes à retard optiques. Les franges sont formées aux longueurs d’onde rouges (0,65-0,95 µm) ou du proche infrarouge (1-2,5 µm) par recombinaison des paires de faisceaux dans le plan pupille au moyen de lames séparatrices puis enregistrées dans quatre longueurs d’onde sélectionnées par des filtres optiques ou au moyen d’un spectromètre à faible dispersion. Les premières images stellaires produites par synthèse d’ouverture optique ont été obtenues avec COAST.

280

« The COAST Interferometer Project », Cray D. Mackay et John E. Baldwin, 1988, ESOC, vol. 29, p 935.

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Figure 7.3.1 COAST, le télescope à synthèse d’ouverture optique de Cambridge en cours de construction. À gauche, vue des trois premiers télescopes installés sur le site du Mullard Radio Astronomy Observatory (MRAO). À droite, vue du laboratoire focal semi-enterré. Crédit : Cavendish Astrophysics Group, Cavendish Laboratory, University of Cambridge.

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En 1995, des images de la binaire Capella (Figure 7.3.2) puis du disque de l’étoile supergéante rouge Bételgeuse obtenues à la longueur d’onde de 0,83 µm sont d’une qualité comparable à celle des images obtenues en radioastronomie avec le Very Long Baseline Interferometer (VLBI)281. Figure 7.3.2 Première image stellaire obtenue par synthèse d’ouverture optique avec l’interféromètre COAST. Image obtenue à partir des observations de l’étoile double Capella (α Aurigea) effectuée le 13 septembre1995 dans le rouge (0,83 µm). Noter que si les deux composantes du couple sont bien séparées, les images des composantes ont une taille apparente fixée par la résolution angulaire de l’interféromètre (λ/B ~28 mas) pour la base maximale utilisée (~ 6,1 m). Crédit : Cavendish Astrophysics Group, Cavendish Laboratory, University of Cambridge.

En octobre 1997, la première image de Capella dans le proche infrarouge est reconstruite avec COAST et le recombinateur infrarouge à une longueur d’onde de 1,3 µm. COAST a permis de réaliser des images, aux longueurs d’onde de 0,700 µm, 0,905 µm et 1,29 µm, du disque de l’étoile supergéante rouge Bételgeuse ainsi que de la première détection directe de la pulsation stellaire des étoiles variables à longue période R Leonis et χ Cygni. À partir de 2002, l’objectif du groupe a été d’utiliser COAST comme banc d’essai pour la mise au point de techniques critiques pour préparer les réseaux interférométriques imageurs alors en développement comme l’interféromètre de l’observatoire Magdalena Ridge (Nouveau-Mexique)282.

281

« The first images from an optical aperture synthesis array: mapping of Capella with COAST at two epochs », John E. Baldwin et al., 1996, Astronomy & Astrophysics, vol. 306, p. 13. 282

Au sujet de l’interféromètre COAST, voir : http://archive. wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fwww.mrao.cam. ac.uk%2Ftelescopes%2Fcoast%2F

De l’interféromètre de Labeyrie à la synthèse d’ouverture optique

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NPOI, l’interféromètre optique de précision de la Marine des États-Unis L’interféromètre optique prototype de la marine (Navy Prototype Optical Interferometer, NPOI) a été conçu en 1990 en fusionnant les projets d’un interféromètre imageur financé par l’Office de la recherche navale (ONR) et d’un interféromètre astrométrique financé par l’Office océanographique de la Marine, dans le cadre d’une collaboration entre le Laboratoire de recherche de la Marine (NRL), de l’Observatoire naval des États-Unis (USNO) et de l’observatoire Lowell. NPOI a été construit en 1994, sur le site d’Anderson Mesa, non loin de Flagstaff dans l’Arizona (Figure 7.3.3)283.

La base du NPOI est constituée de trois bras de 250 m de long à 120° formant un Y portant deux types de stations sur lesquelles sont placés les sidérostats de 12 cm de diamètre effectif. Quatre sidérostats fixes constituent le réseau astrométrique dédié à la mesure précise de la position des étoiles. Le réseau imageur est constitué de 30 stations sur lesquelles peuvent être placés les sidérostats mobiles. Pour une observation par synthèse d’ouverture, 283

« The Navy Prototype Optical Interferometer », John T. Armstrong et al., 1998, The Astrophysical Journal, vol. 496, p. 550.

Figure 7.3.3 Vue de l’interféromètre Naval Prototype Optical Interferometer (NPOI) sur le site de l’observatoire Lowell en Arizona. On distingue les trois bras de 250 m de long à 120° formant un Y qui portent les stations sur lesquelles peuvent être placés les six sidérostats constituant le réseau interférométrique. L’interféromètre NPOI permet des observations par synthèse d’ouverture avec des longueurs de base variables entre 17 m et 437 m atteignant une résolution angulaire inférieure à 1 mas aux longueurs d’onde visibles. Crédit : (NPOI Group, USNO, NRL), Andrew J. Benson et al., 1997, Astronomical Journal, vol. 114, p. 1221.

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six sidérostats peuvent être utilisés en même temps. La longueur des bases potentiellement disponibles varie entre 17 m et 437 m, permettant d’atteindre une résolution angulaire λ/B ≥ 0,23 mas aux longueurs d’onde visibles. Les franges sont enregistrées dans 32 canaux spectraux du domaine de longueurs d’onde visibles [0,45-0,85 µm]. Les données d’observations interférométriques sont constituées par 15 mesures de la visibilité des franges et 10 mesures de la phase de clôture. Le premier résultat remarquable du NPOI a été l’obtention d’images par synthèse d’ouverture des composantes de la binaire spectroscopique Mizar A (ζ1 UMa, période orbitale 20,5 j et rayon orbital 9,6 mas) montrées dans la figure 7.3.4. Des observations interférométriques effectuées en 1996 en utilisant trois sidérostats ont permis à partir des mesures de la visibilité et de la phase de clôture des franges de construire des cartes d’intensité lumineuse qui montrent le mouvement orbital du couple avec une résolution angulaire de 3 mas284. Figure 7.3.4 À droite, image montrant le mouvement orbital de l’étoile double Mizar (x1Ursae Majoris) reconstitué à partir d’images du couple stellaire obtenues par synthèse d’ouverture optique. Les observations faites en 1996 ont utilisé trois sidérostats avec une base maximale de 37,5 m et la résolution de ces images est de 3 mas. Crédit : (NPOI Group, USNO, NRL), Andrew J. Benson et al., 1997, Astronomical Journal, vol. 114, p. 1221.

Des images du système triple η Virginis ont été obtenues à partir des observations faites au printemps 2002 avec six sidérostats. Les cartes d’intensité produites

284 « Multichannel optical aperture synthesis imaging of ζ1Ursae Majoris with the Navy Prototype Optical Interferometer », James A. Benson et al., 1997, The Astronomical Journal, vol. 114, p. 1221.

De l’interféromètre de Labeyrie à la synthèse d’ouverture optique

montrent les composantes de la binaire spectroscopique (période orbitale de 72 j) séparées de 5,5 mas et de la binaire interférométrique (période orbitale de 13 ans) séparées de 0,117″. La capacité du NPOI de fournir des franges dans plusieurs canaux spectraux entre 0,56 µm et 0,86 µm a été mise à profit sur des observations de la binaire à éclipses β Lyrae (période orbitale de 12 j) faites en mai 2005. L’utilisation de la technique de phase différentielle sur les franges a permis de construire des cartes d’intensité montrant le mouvement de la région émettant dans la raie Hα de l’hydrogène associé au mouvement orbital du système. Comme les autres interféromètres, le NPOI a également été utilisé pour obtenir des mesures interférométriques précises dans le but de caractériser les étoiles observées. Ainsi, l’analyse des observations interférométriques de l’étoile Altaïr faites en mai 2001 au moyen de trois sidérostats de NPOI a permis de détecter la forte asymétrie de la distribution d’intensité induite par la rotation sur la surface du disque stellaire (diamètre angulaire 3,5 mas). Des observations d’étoiles binaires spectroscopiques ont été faites pour calculer les orbites et déterminer les paramètres fondamentaux (masses, rayon, température) des étoiles composantes et la distance du système. Des mesures des diamètres angulaires et d’assombrissements centre-bord des disques stellaires ont aussi fourni la détermination des paramètres fondamentaux (température et rayon) d’étoiles géantes et supergéantes ainsi que d’étoiles naines autour desquelles orbitent des exoplanètes. Par ailleurs, le NPOI est, à ma connaissance, le seul interféromètre avec lequel ont été faites des observations de satellites géostationnaires. Des améliorations sont apportées au NPOI, parmi lesquelles on peut citer les plus récentes. En 2015 a été testé avec succès un nouveau système de recombinaison en lumière visible, le système d’imagerie visible pour les observations interférométriques au NPOI (VISION) qui utilise des fibres optiques monomodes pour combiner de manière cohérente la lumière de six télescopes et produire des franges dans le plan pupille. Plus récemment, l’installation d’un recombinateur pour former des franges dans le domaine du proche infrarouge permettra d’améliorer l’acquisition et le suivi des franges dans le visible.

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Enfin, trois télescopes mobiles de 1 m de diamètre équipés d’optiques adaptatives sont en cours d’installation pour compléter le réseau actuel. Ainsi, le NPOI reste l’un des grands réseaux interférométriques imageurs de la première décennie du xxie siècle285.

IOTA, le premier réseau de télescopes imageur dans le proche infrarouge Le réseau de télescopes IOTA (Infrared and Optical Telescope Array) a été conçu et réalisé au début des années 1990 dans le cadre d’un consortium constitué par le Smithsonian Astrophysical Observatory, du Laboratoire Lincoln du Massachusetts Institute of Technology et les universités de Harvard, du Wyoming et du Massachusetts-Amherst. Il a été installé à l’observatoire Fred Lawrence Whipple, sur le mont Hopkins près de Tucson en Arizona286. Dans sa version finale, il a consisté en trois collecteurs de lumière (sidérostats et télescopes) de 45 cm de diamètre qui peuvent être positionnés sur 3 des 17 stations formant une structure en forme de L dont le grand bras fait un angle de 35° vers l’est avec la direction du nord. Les bases disponibles ont une longueur de 5 m à 38 m. Ce réseau a été utilisé comme un interféromètre stellaire de Michelson aux longueurs d’onde du proche infrarouge avec des résolutions angulaires ≥ 7 mas à 1,25 µm (Bande J), ≥ 9 mas à 1,65 µm (Bande H) et ≥ 12 mas à 2,2 µm (Bande K). Après l’obtention des premières franges à deux télescopes en bande K en décembre 1993, IOTA a fourni des mesures précises de diamètres angulaires d’étoiles géantes rouges ainsi que d’étoiles carbonées et de variables de type Mira. Dans les années qui ont suivi, IOTA a bénéficié de l’évolution des détecteurs infrarouges, le détecteur photovoltaïque mono-pixel initial étant remplacé par une caméra équipée d’une matrice de photodiodes. Il en résulte une augmentation de la sensibilité des observations interférométriques. Le réseau IOTA a également permis de valider de nouvelles techniques de recombinaison des faisceaux 285

Au sujet du NPOI, voir : http://www2.lowell.edu/npoi/ index.php 286 « The IOTA Project », Nathaniel P. Carleton, 1988, ESOC, vol. 29, p. 939.

De l’interféromètre de Labeyrie à la synthèse d’ouverture optique

visant à produire des données interférométriques plus stables et plus précises. Dans le cadre d’une collaboration entre l’observatoire de Paris et le Smithsonian Astrophysical Observatory, IOTA a été équipé en 1997 d’un recombinateur nommé FLUOR (Fibre Linked Unit pour Recombination Optique) couplant deux faisceaux optiques au moyen de fibres optiques287. Il est intéressant de noter que la démonstration du gain de précision obtenue par un recombinateur en optique fibrée a été faite au début des années 1990 dans le cadre du travail de thèse de Vincent Coudé du Foresto au moyen d’observations interférométriques conduites sur une base de 5,5 m fournies par les deux héliostats du télescope solaire McMath de l’observatoire de Kitt Peak. Sur l’interféromètre IOTA, il en a résulté des mesures du contraste des franges (visibilité) avec une précision meilleure que 1 %. En 1998, les premières observations interférométriques à longue base en infrarouge moyen avec un recombinateur de faisceau constitué par un coupleur à fibres optiques ont été faites avec IOTA équipé du recombinateur TISIS (Thermal Infrared Stellar Interferometric Setup), une version simplifiée de FLUOR. Les franges obtenues sur les étoiles alpha Bootis (Arcturus) et alpha Herculis ouvrent la perspective d’observations interférométriques en bande L (3,75 µm) avec une résolution angulaire ≥ 20 mas. C’est également avec IOTA qu’une expérience menée en collaboration avec une équipe du Laboratoire d’astrophysique de l’observatoire de Grenoble a permis d’obtenir les premières mesures de visibilité des franges d’interférence en bande H (1,65 µm) formées par un module d’optique intégré (IO), une technologie développée par le secteur des télécommunications. Fin 2001, les premières mesures de la visibilité et de la phase de clôture ont été faites sur l’étoile α Per au moyen du recombinateur 3 télescopes en optique intégrée IONIC (Integrated Optics Near Infrared Interferometric Camera). À partir de février 2002, IOTA fonctionne avec trois télescopes et les observations sont réalisées en synthèse d’ouverture optique.

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« FLUOR: A stellar interferometer using single-mode infrared fibers », Vincent Coudé du Foresto et Stephen Ridgway, 1992, ESOC, vol. 39, p 731.

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Durant son exploitation, les performances du réseau IOTA se sont révélées bien adaptées à la poursuite de programmes scientifiques visant à la caractérisation des étoiles froides évoluées, géantes rouges, variables de type Mira ou étoiles post AGB ainsi que d’étoiles jeunes préséquence principale peu massives de type T Tauri ou massives comme les objets de Herbig Ae/Be à une échelle de résolution de l’ordre de 1 ua. À partir de 2003, la capacité d’imagerie par synthèse d’ouverture de IOTA a été utilisée pour la détermination d’orbites d’étoiles doubles, notamment la binaire jeune MWC 361A et la binaire massive θ1 Orionis C ainsi que la recherche d’anisotropie sur les disques d’étoiles évoluées (avec notamment la mise en évidence des pulsations de l’étoile de type Mira χ Cygni et l’image de taches sur le disque de l’étoile supergéante rouge Bételgeuse288. Malgré les perspectives d’exploitation scientifique encore intéressantes de IOTA, la décision est prise par le directeur du Smithsonian Astrophysical Observatory d’arrêter l’exploitation de l’interféromètre en juillet 2006. La déconstruction de l’instrument réalisée en février et mars 2007 a rendu au site son aspect initial289. Les interféromètres que nous avons visités jusqu’à présent observent aux longueurs d’onde du visible ou du proche infrarouge, domaines du spectre lumineux permettant d’étudier essentiellement les milieux chauds de la surface des étoiles et de leur environnement proche avec des températures typiquement supérieures à 1 000 K. Les régions plus froides des étoiles et du milieu circumstellaire rayonnent surtout aux longueurs d’onde plus longues du domaine de l’infrarouge moyen autour de 10 µm, lumière dont la détection et l’enregistrement s’avère techniquement plus complexe. Dans la période 1980-2000, des études dans ce domaine ont été réalisées par l’interféromètre optique à longue base ISI installé à l’observatoire du mont Wilson.

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« Imaging the spotty surface of Betelgeuse in the H band », Xavier Haubois et al., 2009, Astronomy & Astrophysics, vol. 508, p. 923. 289 Au sujet de l’interféromètre IOTA : http://tdc-www.harvard. edu/IOTA/

De l’interféromètre de Labeyrie à la synthèse d’ouverture optique

L’interféromètre ISI du mont Wilson Au début des années 1970, Charles Hard Townes (19152015) s’intéresse particulièrement à l’étude des molécules du milieu interstellaire observables dans le domaine spectral des micro-ondes ainsi que des poussières circumstellaires qui rayonnent dans le domaine spectral de l’infrarouge moyen (8-12 µm). Pour détecter et analyser ce rayonnement, il propose d’utiliser une détection hétérodyne qui consiste à transposer l’énergie du spectre de la source à plus basse fréquence avant de la détecter. Ce signal est obtenu en mélangeant le rayonnement de la source avec le rayonnement monochromatique d’un oscillateur local (ici un laser290 CO2 émettant à la longueur d’onde 10 µm) dont la fréquence est choisie proche de celle du signal, de sorte que leur différence soit dans la bande des radiofréquences. La construction de l’interféromètre spatial infrarouge (ISI) de l’observatoire du mont Wilson a été entreprise en 1983 par Townes, William C. Danchi et Mandred Bester avec le soutien de l’université de Californie à Berkeley suite au succès de l’expérience de démonstration d’interféromètre stellaire par détection hétérodyne des franges dans l’infrarouge moyen (8-12 µm) réalisées de 1974 à 1978 à l’observatoire de Kitt Peak (Arizona)291. L’interféromètre ISI est initialement constitué par deux télescopes de diamètre 1,65 m mobiles, dont la séparation peut varier entre 4 m et 30 m. La détection hétérodyne des franges utilise des lasers CO2. Les retards géométriques des trajets optiques sont annulés dans le signal enregistré au moyen de lignes à retard en fréquences radio. Les premières franges sont obtenues fin juin 1988 sur l’étoile

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Au début des années 1950, Townes a inventé un dispositif pour créer un faisceau de rayonnement intense et cohérent nommé maser (microwave amplification by stimulated emission of radiation), aux longueurs d’onde micro-ondes (entre 1 mm et 30 cm) et laser (light amplification by stimulated emission of radiation) aux longueurs d’onde optiques du visible et de l’infrarouge, lui valant le prix Nobel de physique en1964 avec les physiciens soviétiques Nikolaï Basov et Alexandre Prokhorov. 291 « Spatial Heterodyne Interferometry of VY Canis Majoris, Alpha Orioni, Alpha Scorpii and R Leonis at 11  microns », Edmund C. Sutton et al., 1977, The Astrophysical Journal, p. 217, L97.

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carbonée IRC + 10216 (CW Leo). Les programmes scientifiques entrepris avec ISI abordent l’étude des enveloppes de poussières présentes autour des étoiles géantes et supergéantes rouges à partir de la mesure de leur extension et la mise en évidence de variations temporelles. Les cibles particulièrement étudiées sont des supergéantes rouges, des géantes rouges pulsantes de type Mira et des étoiles carbonées292. En 2003, l’interféromètre ISI a été équipé d’un troisième télescope, identique aux précédents, pour permettre les observations en synthèse d’ouverture dans le domaine de l’infrarouge moyen. Les trois télescopes peuvent être déplacés de façon à former un triangle dont les côtés forment les bases interférométriques de longueurs variables entre 4 m et 85 m. La détection hétérodyne des franges utilise comme oscillateurs locaux trois lasers à CO2 synchronisés, ce qui permet la mesure de la phase de clôture et des visibilités des franges sur chacune des bases. Les premières franges avec phase de clôture ont été mesurées en 2004. Les programmes scientifiques menés avec le réseau imageur ISI concernent l’étude de la distribution spatiale de la poussière autour des étoiles évoluées avec mise en évidence d’anisotropies ainsi que d’évolution dans le temps (notamment Bételgeuse, Mira, IRC + 10216). Dans le cas de Bételgeuse, des résultats remarquables ont été obtenus, à savoir la diminution de 15 % de son diamètre mesuré à la longueur d’onde de 11,15 µm avec ISI ; celui-ci est passé de 56 ± 1 mas en 1993 à 48 ± 2 mas en 2009293 ainsi que la mise en évidence d’inhomogénéités de la haute photosphère de Bételgeuse observée dans l’IR moyen294. Il faut noter que l’interféromètre ISI est limité actuellement à l’observation d’étoiles brillantes essentiellement en raison de la bande spectrale très étroite imposée par la méthode de détection hétérodyne des franges. On peut 292

« The Berkeley Infrared Spatial Interferometer: a heterodyne stellar interferometer for mid-infrared », David D. S. Hale et al., 2000, The Astrophysical Journal, vol. 537, p 998.

293 « A systematic change with time in the size of Betelgeuse », Charles H. Townes et al., 2009, The Astrophysical Journal, vol. 697, L127. 294

« The non-uniform, dynamic atmosphere of Betelgeuse observed at mid-infrared wavelengths », Vikram Ravi et al., 2011, The Astrophysical Journal, vol. 740, p. 24.

De l’interféromètre de Labeyrie à la synthèse d’ouverture optique

penser que dans l’avenir, l’emploi de nouvelles techniques de détection et d’amplification permettra d’élargir considérablement la bande passante et donc la sensibilité des observations interférométriques par technique hétérodyne295.

Les grands interféromètres du xxie siècle Ainsi, c’est durant les années 1990-2000 qu’ont été produites les premières images d’étoiles à haute résolution angulaire obtenues par synthèse d’ouverture optique. Ces images commencent à fournir des données nouvelles sur la morphologie des étoiles et de leur environnement proche qui encouragent les astrophysiciens à faire évoluer leurs modèles stellaires de façon à ce qu’ils produisent des prédictions d’observables interférométriques (cartes de flux lumineux) qui peuvent aider à l’interprétation des mesures interférométriques ou être comparées aux images produites par les interféromètres. Durant cette période, les progrès techniques ont été considérables. Ils ont notamment rendu possible la mise au point de l’optique adaptative (OA) qui, corrigeant la dégradation des images par la turbulence atmosphérique, permet d’atteindre, au foyer des télescopes des observatoires terrestres, la résolution angulaire permise par la diffraction jusque alors offerte uniquement depuis l’espace par le télescope Hubble296. L’optique adaptative est rapidement devenue une technique incontournable pour les observations astronomiques à haute résolution angulaire au foyer des grands télescopes297. Ainsi, à la fin des années 1990, la voie est ouverte pour la conception de grands interféromètres, beaucoup plus ambitieux en termes de surface collectrice, de pouvoir de résolution et de capacité d’imagerie par synthèse d’ouverture. Cet objectif sera réalisé avec le couplage 295

Au sujet de l’interféromètre ISI, voir : http://isi.ssl.berkeley. edu/ 296

Débuts de l’optique adaptative en astronomie, lire Astronomy with adaptative optics, Pierre Léna, 1996, ESO Conf., vol. 54, p. 317. 297

Ces développements sont notamment présentés dans « Adaptative optics for Astronomy », Richard Davies et Markus Kasper, 2012, Annual Review of Astronomy and Astrophysics, vol. 50, p. 305.

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interférométrique des télescopes Keck (KI) ainsi que la construction de véritables réseaux de télescopes imageurs travaillant en synthèse d’ouverture, comme le VLTI et le réseau CHARA.

KI, l’interféromètre Keck L’interféromètre Keck (KI) a été conçu de façon à utiliser les deux télescopes Keck comme un interféromètre stellaire observant aux longueurs d’onde de l’infrarouge, proche et moyen. Comme l’interféromètre PTI, il était une composante terrestre du programme d’exploration des exoplanètes de la NASA. Depuis 1996, la paire des télescopes Keck, de 10 m de diamètre et séparés de 85 m, est installée sur le site de l’observatoire de Mauna Kea, sommet de l’île d’Hawaï (altitude 4 150 m). Initialement financés par la Fondation William Myron Keck, les télescopes sont administrés conjointement par l’université de Californie, l’Institut technologique de Californie et la NASA. Dans le projet initial accepté par la NASA en 1998, quatre télescopes auxiliaires (nommés outriggers) de 1,8 m de diamètre devaient être associés aux deux grands télescopes pour constituer un réseau interférométrique avec des longueurs de base comprises entre 30 m et 140 m. Ces outriggers ont été construits mais jamais installés sur le Mauna Kea, en raison des tensions sociopolitiques sur l’île d’Hawaï et des changements de priorité de la NASA. À partir de 2003, le KI a combiné les deux télescopes de 10 m pour bénéficier de la sensibilité permise par la grande surface collectrice. La conception de l’interféromètre suit celle du prototype PTI avec un double système de recombinaison permettant d’observer simultanément les franges sur deux étoiles afin de permettre aussi bien des observations d’astrométrie interférométrique que de garantir une bonne précision des mesures interférométriques dans les domaines spectraux du proche infrarouge (résolution angulaire de 5 mas à 2,2 µm) et de l’infrarouge moyen (résolution angulaire de 24 mas à 10 µm). Les programmes scientifiques menés avec l’interféromètre Keck ont essentiellement concerné deux domaines. L’étude de la formation stellaire et planétaire par l’observation des disques de poussière et de gaz autour d’étoiles jeunes pré-séquence principale de type T Tauri ou des objets d’Herbig Ae/Be plus chauds et massifs. L’étude

De l’interféromètre de Labeyrie à la synthèse d’ouverture optique

de la morphologie des régions environnantes de noyaux actifs de galaxies (AGN) dans le proche infrarouge, rendue possible pour la première fois avec l’interféromètre Keck en raison de sa grande sensibilité. La grande originalité du KI a été de permettre des observations en interférométrie annulante en infrarouge moyen298. Cette technique d’observation a été proposée en 1978 par l’astronome australien Ronald Newbold Bracewell (1921-2007) ; elle consiste à provoquer l’interférence destructive de la lumière de l’étoile visée, ce qui a pour effet d’annuler dans l’image focale la contribution de l’étoile, ne laissant que la faible lumière venant de l’environnement circumstellaire. Cet équipement a permis la caractérisation de disques exozodiacaux (composantes de poussière des disques de débris) autour d’étoiles proches analogues au Soleil dans le cadre d’un programme scientifique de la NASA visant à la préparation de futures missions spatiales pour l’étude des exoplanètes299. L’exploitation du KI a été arrêtée en mars 2012 ; officiellement parce que la NASA, estimant les objectifs scientifiques atteints, a interrompu son financement. Cette décision a eu un goût amer pour l’équipe de Gerard van Belle, qui a fait fonctionner pendant une dizaine d’années l’interféromètre Keck, sachant qu’il n’a jamais pu atteindre son plein potentiel en raison du manque des quatre outtriggers et avec la difficulté d’obtenir le temps nécessaire aux observations interférométriques, étant en concurrence avec les astronomes qui utilisaient les deux grands télescopes indépendamment pour des observations plus classiques300.

298 « Long Baseline Nulling Interferometry with the Keck Telescopes: a Progress Report », Bertrand Mennesson et al., 2006, Direct Imaging of Exoplanets: Science & Techniques conf., p. 227. 299 « Constraining the exozodiacal luminosity function of mainsequence stars: complete results from the Keck nuller mid-infrared surveys », Bertrand Mennesson et al., 2014, The Astrophysical Journal, vol. 797, p. 119. 300

Au sujet de Keck Interféromètre voir : https://science.nasa. gov/missions/keck

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Le VLTI, mode interférométrique du Very Large Telescope européen C’est à l’occasion de la conférence Optical telescopes of the future organisée à Genève par l’ESO en décembre 1977 que naît le projet d’un très grand télescope (Very Large Telescope) optique de surface collectrice équivalente à un télescope de 16 m de diamètre301. Compte tenu des difficultés attendues pour construire un tel télescope, il est envisagé de le réaliser sous la forme d’un réseau de télescopes. La conférence The Scientific Importance of high angular resolution at optical and infrared wavelengths, qui se tient en mars 1981 à l’ESO, confirme l’intérêt scientifique des observations à haute résolution angulaire et l’ESO envisage la possibilité de faire de l’interférométrie avec le VLT dont la construction est décidée en 1987 sous la forme de quatre grands télescopes de 8,2 m de diamètre. Le concept du mode interférométrique du VLT (VLTI) est fixé par un groupe d’experts placé sous la responsabilité de Pierre Léna et auquel contribuent notamment Antoine Labeyrie, François Roddier, Gerd Weigelt ainsi qu’un radioastronome, Dennis Downes. Il est proposé que le VLTI soit constitué d’une part des quatre grands télescopes (UT pour unit telescope) utilisables une partie du temps en mode interférométrique et d’autre part de télescopes auxiliaires (AT pour auxiliary telescope) de 1,8 m de diamètre dédiés au mode interférométrique. Fixé initialement à deux, le nombre d’AT passera finalement à quatre à la fin des années 1990, avec deux télescopes supplémentaires financés l’un par la France et l’Allemagne et l’autre par la Suisse et la Belgique. La conception du VLTI met à profit l’expérience acquise à l’époque avec les interféromètres existants. Ainsi, les observations interférométriques seront réalisées dans l’infrarouge, domaine spectral dans lequel l’optique adaptative (AO) s’avère capable de corriger les effets de la turbulence atmosphérique (élimination des tavelures présentes dans les images), rendant possible le couplage interférométrique des télescopes de 8 m. À la même époque, les premiers résultats obtenus avec recombinateur FLUOR montrent que l’utilisation d’une recombinaison des faisceaux par des fibres optiques est le meilleur 301

Histoire de la genèse du VLT et du VLTI : lire Une histoire de flou. Miroirs, trous noirs et autres mondes, Pierre Léna, 2019, Éd. Le Pommier.

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moyen d’obtenir une mesure précise de la visibilité des franges nécessaire pour atteindre les objectifs scientifiques des observations interférométriques. À partir de 1988, dans le but de fixer les détails techniques et le plan de la mise en œuvre du VLTI, l’ESO confie à Jacques M. Beckers, un astronome américain d’origine néerlandaise, la constitution d’un groupe interférométrie aux travaux duquel ont notamment contribué des ingénieurs de l’ESO comme Daniel Enard (1939-2008) et Bertrand Koehler ainsi que des astronomes de divers horizons comme les astrophysiciens allemands Reinhard Genzel et Oskar von der Lühe ainsi que le Français Jean-Marie Mariotti (19551998) qui se verra confier le pilotage du groupe. La construction du VLT commence en 1990 sur le site chilien de Cerro Paranal (altitude 2 635 m) où les quatre UT sont opérationnels à partir de 2001. En parallèle sont construits les installations spécifiques au mode interférométrique, le laboratoire focal de l’interféromètre, les lignes à retards optiques, les tunnels de passage des faisceaux coudés et l’infrastructure du réseau des télescopes auxiliaires. Le VLTI se présente sous la forme d’un réseau de télescopes distribués de façon non redondante (les distances entre deux télescopes sont toutes différentes) : les quatre UT dont les positions sont fixes avec des distances entre 30 m et 130 m (6 bases interférométriques sont possibles) ; les quatre AT mobiles sur trente stations dont les distances s’échelonnent de 8 m à 200 m (392 bases différentes sont possibles). Ces télescopes ont été mis en place en 2004 (AT1), 2005 (AT2) puis 2006 (AT3, AT4). Une vue aérienne du VLTI sur le site de Paranal est montrée par la figure 7.3.5. La validation technique du VLTI est effectuée avec l’instrument de test VINCI (un recombinateur fibré pour deux faisceaux optiques analogue à l’instrument FLUOR) qui a permis d’enregistrer, le 17 mars 2001, les premières franges à la longueur d’onde de 2,2 µm sur l’étoile Sirius (α Canis Majoris) observée au moyen de deux sidérostats de 40 cm de diamètre positionnés sur deux stations du réseau des télescopes AT formant une base de 16 m de long. Le 30 octobre 2001, l’instrument VINCI permet de recombiner les faisceaux des télescopes UT1 et UT2 du VLT distants de 103 m et d’enregistrer les premières franges à la longueur d’onde de 2,2 µm sur l’étoile Achernar (α Eridani). De fin 2001 à 2003, un certain nombre d’objets astronomiques de différents types ont été observées dans ces deux modes. En février 2005, l’instrument VINCI a

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également permis d’enregistrer les premières franges en combinant la lumière des deux premiers télescopes AT. Le VLTI est dès le départ conçu comme un télescope à pupille diluée au foyer duquel sont placés des instruments focaux dédiés à l’enregistrement des franges dans un domaine spectral particulier en fonction des programmes scientifiques menés. Une première génération d’instruments interférométriques est installée au foyer du VLTI à partir de 2003. L’instrument MIDI est un recombinateur pour deux télescopes équipé également d’un spectrographe pour enregistrer les franges dans l’infrarouge moyen (bande N, de 8 à 13 µm). L’instrument MIDI est dédié notamment à l’étude de la forme et de la dynamique des enveloppes et des disques de poussières circumstellaires. En bande N, la résolution angulaire atteint 10 mas avec les télescopes AT et 15 mas avec les télescopes UT avec des magnitudes limites respectivement de 0,75 mag et 4 mag. L’instrument MIDI a été opérationnel entre 2003 et 2015.

Figure 7.3.5 À gauche : l’interféromètre du Very Large Telescope de l’ESO (VLTI) construit sur le site de Cerro Paranal (altitude 2 635 m) au Chili. Cette vue montre les quatre télescopes de 8 m ainsi que les quatre télescopes auxiliaires de 1,8 m déplaçables le long des pistes qui couvrent la plateforme de l’observatoire (zones linéaires claires). La combinaison de ces télescopes constitue un réseau interférométrique dont la taille atteignant 200 m peut produire, par synthèse d’ouverture dans l’infrarouge, des images d’une résolution angulaire de l’ordre de 1/1000e de seconde de degré. Crédit : G. Hüdepohl (atacamaphoto.com)/ESO. À droite, premières franges en lumière dispersée obtenues dans l’infrarouge moyen (bande N, 8-12 µm) en recombinant les faisceaux optiques de quatre télescopes auxiliaires du VLTI avec l’instrument MATISSE. On remarque la superposition des systèmes de franges fournies par chacune des bases. Les effets de l’absorption atmosphérique se traduisent par les raies sombres fines visibles dans la partie gauche du spectre de l’étoile Bételgeuse (α Orionis). Crédit : ESO/MATISSE consortium.

De l’interféromètre de Labeyrie à la synthèse d’ouverture optique

L’instrument AMBER est un recombinateur fibré à trois télescopes, équipé d’un spectrographe permettant d’enregistrer les franges dans une bande spectrale du proche infrarouge (bandes H et K, centrées sur 1,6 et 2,4 μm). L’instrument AMBER est dédié notamment à l’étude de la taille, de la structure des atmosphères stellaires ainsi que des enveloppes et disques gazeux circumstellaires. En bande K, la résolution angulaire atteint 2 mas avec les télescopes AT et 3,5 mas avec les télescopes UT. L’instrument AMBER a fonctionné de 2004 à 2017. Les nombreux résultats scientifiques obtenus avec le VLTI durant cette première période avec les instruments MIDI et AMBER ont conforté la demande exprimée par la communauté astronomique de poursuivre l’exploitation du VLTI avec de nouveaux instruments focaux répondant aux besoins de l’évolution des programmes scientifiques afin d’exploiter au mieux la capacité du VLTI à réaliser des images par synthèse d’ouverture optique. Ces nouveaux instruments pouvant bénéficier des progrès techniques réalisés, notamment dans le domaine de l’optique adaptative, les quatre faisceaux Coudé des télescopes UT étant équipés depuis 2004 d’une optique adaptative multi-application à courbure (MACAO) dédiée au couplage interférométrique de ces grandes ouvertures. Le premier de ces instruments a été PIONIER (Precision Integrated-Optics Near-infrared Imaging ExpeRiment), conçu et réalisé par l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (IPAG) et que l’ESO a accepté de recevoir comme un instrument visiteur sur le VLTI. Il s’agit d’un recombineur fibré à quatre télescopes en bande H (entre 1,45 µm et 1,8 µm) formant les franges d’interférences en lumière dispersée à basse résolution spectrale (six canaux spectraux) ou en lumière intégrée. PIONIER fournit simultanément des mesures de la visibilité des franges sur six lignes de base et quatre mesures de la phase de clôture, ce qui permet d’utiliser au mieux les capacités d’imagerie interférométrique du VLTI. En bande H, la résolution angulaire atteint 1,7 mas avec les télescopes AT et 2,6 mas avec les télescopes UT. Parmi les motivations scientifiques de l’instrument PIONIER, on peut citer notamment : l’étude de la structure des régions les plus internes des disques d’accrétion autour des objets stellaires jeunes, la détermination des propriétés des disques de débris (disques exozodiacaux) autour d’étoiles de la séquence principale d’âges variés,

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Figure 7.3.6 La surface de l’étoile géante rouge p1 Gruis révélée par les observations en synthèse d’ouverture faites avec l’instrument PIONIER de l’interféromètre du Very Large Telescope (VLTI) de l’ESO. Cette image dans le proche infrarouge (1,7 µm) montre la présence de cellules convectives dont la taille est d’environ 120 millions de km. Combinées avec les données spectroscopiques, ces images permettent de faire progresser la compréhension et la modélisation des atmosphères stellaires (Claudia Paladini et al., 2018, Messenger, vol. 172, p. 24). Pour comparaison, la distance Terre-Soleil (1 ua) vue à la distance de p1 Gruis est également représentée. Crédit : ESO.

Mieux voir les étoiles

l’imagerie des surfaces stellaires (Figure 7.3.6) ainsi que l’observation d’étoiles binaires avec la recherche de compagnons faibles ou d’exoplanètes de type « Jupiter chaud ».

PIONIER a été mis à la disposition de la communauté des astronomes de l’ESO en 2011. En service depuis mars 2016, l’instrument GRAVITY, en quelque sorte le successeur de l’instrument AMBER, est un recombinateur à quatre télescopes équipé d’un spectrographe, les franges d’interférences en lumière dispersée étant enregistrées dans la bande K entre 2,0 et 2,4 µm. GRAVITY est équipé de sous-systèmes visant à optimiser l’acquisition des franges d’interférences : une correction des effets de la turbulence atmosphérique par une optique adaptative en proche infrarouge sur les faisceaux des télescopes UT et un contrôle actif des trajets optiques au moyen d’une métrologie laser. Une caractéristique remarquable de GRAVITY est sa capacité à faire interférer la lumière provenant d’une source astronomique unique (mode mono-champ) ou de deux sources voisines simultanément (mode double champ). Les images interférométriques obtenues par synthèse d’ouverture avec GRAVITY atteignent en bande K une résolution angulaire de 3,5 mas avec les télescopes UT et 2 mas avec les télescopes AT. En mode double champ, les effets de la turbulence atmosphérique sur les franges d’interférence enregistrées sur l’objet étudié sont calibrés par la mesure de la phase des franges de l’étoile de référence voisine avec une séparation angulairement limité à 2″. Ce mode est donc dédié aux observations astrométriques par référence de phase, car il permet des mesures de la séparation angulaire des deux objets avec une précision pouvant atteindre 10 µas. Le mode double

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champ permet également d’augmenter considérablement le temps d’intégration (jusqu’à quelques heures) par suivi des franges sur une étoile voisine. Il est aussi utilisé en imagerie interférométrique par synthèse d’ouverture sur des sources faibles en utilisant une étoile voisine plus brillante comme étoile de référence. L’instrument GRAVITY a été conçu pour permettre d’observer des objets de faible éclat hors de portée des instruments antérieurs. Il ouvre au VLTI de nouveaux champs d’investigation concernant la structure des étoiles et de l’environnement circumstellaire à différents stades d’évolution, la caractérisation des planètes extrasolaires ainsi que l’étude des phénomènes se déroulant dans les régions centrales des galaxies. Parmi les résultats remarquables obtenus avec l’instrument GRAVITY, on peut citer l’étude des mouvements des étoiles autour de l’objet Sgr A* associé au trou noir super massif qui se trouve au centre de la Galaxie, avec la mise en évidence directe d’effets de relativité générale. Le dernier de ces instruments est MATISSE (MultiAperTure mid-Infrared SpectroScopic Experiment) qui combine les faisceaux de quatre télescopes dans les bandes L (entre 3,2 et 3,9 µm), M (entre 4,5 et 5,0 µm) et N (entre 8,0 et 13,0 µm) de l’infrarouge moyen. Les franges sont enregistrées en lumière dispersée pour associer la résolution spectrale à la résolution angulaire qui atteint 3,5 mas en bande L et 5,5 mas en bande N avec les télescopes AT pour respectivement 10 mas et 15 mas avec les télescopes UT (Figure 7.3.5 à droite). L’instrument MATISSE est dédié à l’étude de la structure des enveloppes et des disques de poussières circumstellaires en mettant à profit la capacité d’imagerie offerte par le VLTI. Installé sur le VLTI début 2018, l’instrument MATISSE est utilisable par la communauté astronomique depuis avril 2019. À l’origine, pour limiter les effets de la turbulence atmosphérique, les télescopes AT ont été munis d’un correcteur de l’agitation atmosphérique. Depuis décembre 2018, ils sont équipés d’une optique adaptative (NAOMI ; New Adaptive Optics Module for Interferometry) qui rend les observations interférométriques très peu sensibles au seeing et permettant ainsi d’atteindre les performances ultimes du VLTI. Le VLTI est ainsi devenu un réseau interférométrique imageur unique par sa sensibilité et sa résolution

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angulaire en lumière infrarouge, que l’Observatoire européen austral (ESO) met à la disposition d’une large communauté d’astronomes. Le lecteur pourra trouver des détails sur le VLTI et ses instruments en consultant les pages qui leur sont consacrées sur le site Web de l’ESO302. Les données obtenues combinant résolutions angulaire et spectrale sont exploitées pour mener des programmes scientifiques dans les domaines de l’astrophysique stellaire, galactique et extragalactique, comme le montrent les nombreux résultats originaux produits par le VLTI et ses instruments PIONIER, GRAVITY et MATISSE, dont les communiqués de presse de l’ESO se font l’écho303.

Le réseau CHARA du mont Wilson C’est en 1984 qu’est créé au sein de l’université d’État de Géorgie à Atlanta le Centre pour la haute résolution angulaire en astronomie (CHARA) qui, sous la direction du Professeur Harold A. McAlister, se fixe l’objectif de développer un grand interféromètre dédié à l’étude des étoiles simples ou composantes des systèmes binaires serrés. Il convient de noter que le groupe de McAlister s’est illustré depuis 1977 par la qualité des observations d’étoiles doubles effectuées à haute résolution angulaire par interférométrie des tavelures au foyer du télescope de 4 m de l’observatoire de Kitt Peak (Arizona). Entre 1985 et 1996, les études et la conception d’un réseau interférométrique de cinq télescopes sont financées par la National Science Fundation (NSF) et l’université d’État de Géorgie. Mais finalement, c’est un réseau de six télescopes qui sera construit sur le site de l’observatoire du mont Wilson en Californie, grâce au soutien financier des fondations privées William Myron Keck et David et Lucile Packard obtenu en 1998. Le réseau interférométrique est équipé de six télescopes de 1 m de diamètre disposés par paire sur les bras d’un Y couvrant l’ensemble du site. La lumière de chaque télescope est transportée dans des tubes à vide d’air jusqu’à un bâtiment central où des lignes à retard optique 302

Au sujet du VLTI, voir : https://www.eso.org/sci/facilities/ paranal/telescopes/vlti.html 303

Au sujet des résultats scientifiques du VLTI, voir : https:// www.eso.org/public/france/news/?search=vlti

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égalisent les longueurs des trajets des faisceaux lumineux qui sont envoyés dans le laboratoire focal dans un des recombinateurs pour la formation et l’enregistrement des franges d’interférence. Les six télescopes du réseau fournissent 15 lignes de base d’une longueur allant de 34 à 331 m et jusqu’à 10 valeurs de la phase de clôture. La résolution angulaire peut atteindre 0,3 mas dans le visible et 1,4 mas dans le proche infrarouge. Le réseau CHARA (Figure 7.3.7) a été inauguré officiellement en octobre 2000, après l’obtention des premières franges avec les deux premiers télescopes sur la plus petite base du réseau en novembre 1999. En septembre 2001, l’obtention des franges avec le base maximale de 331 m, la plus longue jamais utilisée en interférométrie optique, annonce le début de l’exploitation scientifique du réseau en 2002.

Figure 7.3.7 Vue du réseau CHARA sur le site de l’observatoire du mont Wilson en Californie. Les six télescopes de 1 m du réseau sont disposés par paire sur les bras d’un Y. Ils peuvent former 15 lignes de base entre 34 à 331 m de longueur. La lumière de chaque télescope est transportée par des tubes à vide vers le bâtiment où se trouvent les lignes à retard qui permettent d’égaliser les longueurs des trajets optiques parcourues par la lumière de chaque télescope. Les faisceaux lumineux sont ensuite envoyés dans le laboratoire abritant les différents combinateurs de faisceaux qui permettent l’enregistrement des franges d’interférence. Crédit : Georgia State University.

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Le groupe de l’université d’État de Géorgie est propriétaire du réseau interférométrique dont il assure le fonctionnement et pour lequel il a construit les premiers recombinateurs de faisceaux dans le proche infrarouge, CLASSIC pour deux télescopes puis CLIMB pour trois télescopes. Dans le but d’améliorer les performances et les capacités scientifiques du réseau, le CHARA est devenu un consortium international en établissant des collaborations officielles avec des groupes ayant une bonne expertise dans le domaine de l’interférométrie et proposant de nouveaux instruments en complément de ceux existant sur le réseau. C’est ainsi que le réseau CHARA s’est équipé de nouveaux recombinateurs : −− l’instrument FLUOR, un combinateur à deux télescopes fournissant des données de grande précision dans le proche infrarouge a été installé en 2002 par le groupe FLUOR, dirigé par Vincent Coudé du Foresto du Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (LESIA) de l’observatoire de Paris. Actuellement, c’est une version améliorée de ce recombinateur (jouFLU) qui est utilisée ; −− l’instrument MIRC, un recombinateur pour six télescopes dans huit canaux spectraux du proche infrarouge construit par John Monnier et son groupe de l’université du Michigan, donne des images de disques stellaires et d’étoiles doubles serrées depuis 2005 (Figure 7.3.8). La version améliorée MIRC-X est actuellement en fonction ; −− l’instrument VEGA, installé sur CHARA en 2007 par l’équipe de l’observatoire de la Côte d’Azur à Nice (France) dirigée par Denis Mourard, fournit des données interférométriques à deux, trois ou quatre télescopes en franges dispersées associant à des mesures spectroscopiques et polarimétriques à basse et moyenne résolution spectrale dans deux domaines spectraux du visible ; −− l’instrument PAVO, un recombinateur à deux et trois télescopes, a été installé sur le réseau en 2008 par Peter Tuthill de l’Institut d’astronomie de l’université de Sydney et Michael Ireland de l’université Macquarie à Sydney en collaboration avec Theo ten Brummelaar du CHARA. PAVO fournit des données interférométriques de grande précision en lumière dispersées à basse résolution spectrale en lumière rouge.

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Figure 7.3.8 Les astronomes ont utilisé le réseau CHARA et l’instrument MIRC pour observer l’éclipse de l’étoile Epsilon Aurigae par son compagnon obscur qui se reproduit tous les 27 ans. Entre novembre 2009 et avril 2011, les images d’Epsilon Aurigae montrent le passage d’une structure sombre allongée devant le disque de l’étoile visible. L’analyse de ces images obtenues durant le déroulement de l’éclipse a permis de caractériser les composantes du système. L’étoile visible (une super géante jaune dont le diamètre est environ 150 fois celui du Soleil) se révèle être moins massive que l’étoile cachée au centre du disque qui l’éclipse. Références : Brian K. Kloppenborg et al., 2010, Nature, vol. 464, p. 870 et Brian K. Kloppenborg et al., 2015, Astrophysical Journal S. S., vol. 220, p. 14. Crédit : John Monnier, University of Michigan.

Une caractéristique originale du réseau CHARA est que des observations interférométriques réalisées au mont Wilson avec les différents recombinateurs de faisceaux peuvent être pilotées à distance depuis des centres de contrôle situés sur d’autres continents, comme celui de l’instrument VEGA à l’observatoire de Calern en France. Il faut également noter que les performances du réseau CHARA en termes de sensibilité et précision seront accrues avec l’utilisation des optiques adaptatives qui sont en cours d’installation sur les six télescopes. Le réseau CHARA, conçu pour des observations interférométriques de grande précision et l’obtention d’images par synthèse d’ouverture optique, s’est avéré particulièrement bien adapté pour mener des programmes d’études en astrophysique stellaire. Pour caractériser les étoiles, notamment celles autour desquelles orbitent des exoplanètes, en mesurant leurs diamètres et en imageant leurs disques pour détecter des structures telles que taches ou éruptions ainsi que pour le tracé d’orbites de compagnons de binaires serrées. Pour la détection de systèmes planétaires extrasolaires autour de composantes de systèmes binaires par des mesures d’astrométrie interférométrique. Pour l’étude de la formation et de l’évolution stellaire, à partir des images d’étoiles en cours de formation,

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jeunes ou évoluées ainsi que des phénomènes produits par l’explosion d’étoiles en fin de vie comme les novæ. Des détails sur les développements du réseau CHARA et l’actualité des résultats scientifiques se trouvent sur le site Web qui lui est dédié304.

304

Au sujet du CHARA, voir : http://www.chara.gsu.edu/

En guise de conclusion

Ainsi, un siècle après la première mesure interférométrique du diamètre angulaire d’une étoile, les techniques d’observations à haute résolution angulaire par interférométrie à grande base se révèlent applicables pour l’étude d’un grand nombre d’astres qui peuplent la Galaxie (la Voie lactée) et même certains objets extragalactiques305. En ce qui concerne l’astrophysique stellaire, presque toutes les régions du diagramme Hertzsprung-Russell (c’est-à-dire toutes les phases d’évolution des étoiles) sont accessibles aux observations à haute résolution angulaire. Il me paraît également important d’insister ici sur trois points : −− la puissance d’investigation accrue des observations alliant haute résolution spatiale et spectrale ; −− l’importance des travaux théoriques pour le développement de modèles astrophysiques incluant des prédictions d’observables interférométriques en complément des observables traditionnelles spectrales et photométriques ; −− le besoin d’outils pour aider les astronomes à préparer et exploiter leurs observations interférométriques, besoin satisfait notamment par les productions du Centre Jean-Marie Mariotti (JMMC) installé à l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble306. Il reste que la sensibilité d’un interféromètre, du fait de sa surface collectrice morcelée, reste inférieure à celle du télescope fictif ayant les mêmes dimensions dont il atteint la résolution angulaire. Nous avons vu que l’utilisation d’optique adaptative performante apparaît une 305

Au sujet des apports de l’interférométrie optique à l’astrophysique stellaire, voir : What the Highest Angular Resolution Can Bring to Stellar Astrophysics? The 2013 VLTI School, Florentin Millour, Andrea Chiavassa, Lionel Bigot, Olivier Chesneau, Anthony Meilland et Philippe Stee, 2014, EAS Publications Series, volumes 69-70. 306

Au sujet du JMMC : http://www.jmmc.fr/

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nécessité incontournable pour atteindre les performances ultimes offertes par les réseaux interférométriques de grands télescopes. Cependant, un problème majeur reste non résolu ; celui du suivi des franges sur un objet faible en l’absence d’une étoile brillante voisine. Dans le cas de l’imagerie classique par optique adaptative, il y a également la nécessité d’observer une étoile brillante pour effectuer la mesure puis la correction de la turbulence atmosphérique sur l’objet étudié, mais cette étoile n’existe pas dans le champ étudié, on peut la remplacer par une étoile artificielle laser307. Il reste à inventer le moyen de faire la même chose au foyer d’un interféromètre… Dans les années à venir, les grands réseaux interférométriques imageurs comme le VLTI et CHARA vont devoir évoluer308 dans un nouveau contexte, notamment avec la mise en service de l’interféromètre du Magdanela Ridge Observatory (MROI ; 10 télescopes de 1,4 m, bases entre 8 et 340 m, observations dans le visible et le proche infrarouge) en cours de construction au Nouveau-Mexique309. Il faudra aussi compter avec les télescopes géants comme l’Extremely Large Telescope (ELT ; 39 m de diamètre) de l’ESO dont la construction commence au Chili310, le Giant Magellan Telescope (GMT ; 24,5 m de diamètre équivalent), développé par un consortium d’instituts nord-américain311, australien et coréen et dont la mise en service est prévue également au Chili et le Thirty Meter Telescope (TMT ; 30 m de diamètre), projet mené par une association d’universités canadiennes, l’Institut universitaire de technologie de Californie (CALTECH) et l’université de Californie312, qui devrait observer depuis Hawaï. Ils devraient rentrer en service dans les années 2025-2030. 307

L’idée originale d’étoile laser  : « Feasibility of adaptive telescope with laser probe », Renaud Foy et Antoine Labeyrie, Astronomy & Astrophysics, vol. 152, L29.

308

Comme cela est évoqué dans « A recent history of science cases for optical interferometry », Denis Defrère et al., 2018, Experimental Astronomy, vol. 46, p. 389. 309

Au sujet du MROI : http://www.mro.nmt.edu/about-mro/ interferometer-mroi/ 310

Au sujet de l’ELT : https://www.eso.org/public/france/telesinstr/elt/ 311

Au sujet du GMT : https://www.tmt.org/

312

Au sujet du TMT : https://www.tmt.org/

En guise de conclusion

Ces télescopes géants auront des images étalées par la turbulence atmosphérique dont le flou sera corrigé au moyen d’optiques adaptatives performantes313 et atteindront ainsi des résolutions angulaires de quelques millisecondes de degré qui compléteront les informations à très haute résolution angulaire produites par les grands réseaux interférométriques. Cela, en attendant que la relève soit prise un jour, au sol ou dans l’espace, par un hypertélescope, un télescope dont on doit le concept futuriste à l’esprit imaginatif et fécond d’Antoine Labeyrie, dont l’équipe a entrepris l’étude technique et la construction d’un prototype. D’après ses promoteurs, avec un diamètre équivalent à celui d’un télescope de quelques centaines de mètres au sol ou plusieurs dizaines de kilomètres dans l’espace, un tel instrument devrait permettre des observations actuellement impossibles, comme l’imagerie de la surface de quelques exoplanètes314. L’avenir de l’interférométrie optique se trouve peutêtre aussi dans l’espace, où n’existent pas les limitations imposées à la qualité des images par la turbulence atmosphérique ou à la résolution angulaire par les longueurs d’onde transmises par l’atmosphère ou la taille de l’interféromètre. Depuis les années 1980, des projets d’interféromètres spatiaux ont été proposés. On peut citer notamment le projet DARWIN, proposé en 1993 à l’Agence spatiale européenne (ESA), qui devait permettre d’étudier des exoplanètes analogues à la Terre et d’y découvrir d’éventuelles traces de vie primitive315, dont l’étude a été arrêtée en 2007. Ou bien les projets SIM (Space Interferometric Mission) en 1998 puis TPF (Terrestrial Planet Finder) en 2002, de l’Agence spatiale américaine (NASA), dont l’objectif était la détection d’exoplanètes de taille terrestre,

313

« Multiconjugate Adaptive Optics for Astronomy », François Rigaut et Benoît Neichel, 2018, Annual Review of Astronomy and Astrophysics, vol. 56, p. 277. 314

Au sujet de l’hypertélescope : http://hypertelescope.org/ ; https://lise.oca.eu/

315

« How to evidence primitive life on an exoplanet? – The DARWIN project », Alain Léger et al., 1995, Space Science Revues, vol. 74, p. 163.

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tous deux abandonnés en 2010-2011316. Cependant, dans le cadre de la préparation de la mission LISA (Laser Interferometer Space Antenna) dédiée à la détection d’ondes gravitationnelles et menée conjointement par l’ESA et la NASA317, les avancées réalisées notamment dans la maîtrise du vol de satellites en formation ouvrent des perspectives intéressantes pour l’avenir de l’interférométrie optique à longue base dans l’espace. Comme Antoine Labeyrie l’a dit en conclusion d’un de ses cours au Collège de France, il y a quelques années, « l’interférométrie est compliquée, mais devrait finalement s’épanouir et améliorer considérablement la compréhension de l’univers par l’homme ». J’espère que la lecture de ces pages permet de mesurer le chemin parcouru depuis l’idée Fizeau, les premiers résultats de Michelson et Pease puis l’interféromètre à deux télescopes de Labeyrie, mais de toute évidence, l’histoire de l’interférométrie optique à grande base et des observations astronomiques à haute résolution angulaire n’est pas terminée.

316

« The Space Interferometric Mission (SIM) and Terrestrial Planet Finder (TPF) », Andreas Quirrenbach, 2001, Liège International Astrophysics Colloquium, vol. 36, p. 51. 317

Au sujet de la mission LISA : voir les sites web http://sci.esa. int/lisa/ et https://lisa.nasa.gov/

Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier ma femme Nelly, pour ses encouragements et sa compréhension durant la période où j’ai consacré une grande partie de mon temps à ce livre. Je tiens également à remercier James Lequeux, pour m’avoir communiqué les informations originales trouvées dans les manuscrits de Fizeau conservés aux Archives de l’Académie des sciences, ainsi que pour sa lecture attentive et critique du manuscrit et ses avis qui ont rendu possible sa publication. J’exprime toute ma gratitude à Pierre Léna, qui m’a fait l’honneur de rédiger une préface et dont les commentaires et suggestions m’ont aidé dans la rédaction de ce livre. La préparation de cet ouvrage a également été enrichie par les échanges que j’ai pu avoir avec Douglas Currie, Ian Glass, Evgeni Kulagin, Antoine Labeyrie et Bill Wickes. Acteurs de cette histoire, leurs commentaires et les images inédites qu’ils m’ont confiés m’ont beaucoup aidé. Je leur en suis très reconnaissant. Les recherches de documents et d’iconographie menées pour préparer ce livre ont été facilitées par l’aide de nombreuses personnes. Je tiens notamment à remercier Jean Dommanget (1924-2014) et Marco Scardia qui m’ont donné accès aux publications originales de Mentore Maggini ; Mme Sabine Clabecq du Service des Archives de l’Académie des sciences-Institut de France qui m’a fourni le portrait de Maurice Hamy ; Mme Delphine Issenmann et M. Bernard Traut de l’université et de l’observatoire de Strasbourg qui m’ont fourni des informations et les images du micromètre interférentiel de Danjon ; M. Tony Misch, directeur des collections historiques de l’observatoire de Lick pour les images inédites de l’interféromètre de Jeffers ainsi que Mme Sabina Ciprietti de l’observatoire des Abruzzes pour les images du deuxième interféromètre de Mentore Maggini.