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French Pages 624 [608] Year 2013
Sous la direction de Markus Hattstein et Peter Delius
Arts et Civilisations
Sous le toit de l'Islam, les cultures et les formes artistiques les plus variées se rassemblent et demeurent, malgré leur diversité, unies par une même foi. Cet ouvrage suit le développement historique des dynasties et régions islamiques et montre la multitude de leurs formes d'expression artistique, des origines jusqu'à nos jours. Des Omeyyades en Syrie jusqu'aux formes artistiques contemporaines, en passant par les Moghols en Inde et l'empire ottoman, la richesse et la créativité de l'art et de l'architecture islamiques sont manifestes.
La Kaaba de la grande mosquée de La Mecque est le li eu saint de l' Islam et le lieu de pèlerinage obligatoire pour tout musulman.
' ARTS ET CIVILISATIONS
Sous la direction de Markus Hattstein et Peter Delius
Sommaire
164
Syrie, Palestine et Égypte (xue-xvr' siècle) : Ayyubides, Mamelouks, croisés
Markus Ha ttstein
166
Histoire
172
La Méditerranée, entre l'Orient et l'Occident
Art et culture dans le monde islamique
174
Architecture
6
Carte
8
L'Islam - religion universelle et puissance culturelle
34
Oleg Grabar
44
La mosquée
Oleg Grabar
54
Les sciences
Markus Hattstein
58
Syrie et Palestine ( vne-vnr siècle) : le califat des Omeyyades
Alm ut vo n Gladi/3
194
Arts décoratifs
202
L'art islamique du métal
206
Espagne et Maroc (vnr-xve siècle)
Almut von Gladi/3 Almut von Gladi/3
Omeyyades espagnols et royaumes de taïfas
Volkmar Enderlein
208 218
Histoire Markus Hattstein Architecture Natascha Kubisch
60
Histoire
238
Arts décoratifs
64
Architecture
80
L'ornementation des édifices
88
Histoire
94
Architecture
118
Arts décoratifs
124
L'art ornemental islamique
128
Tunisie et Égypte (vnr-xne siècle) : Aghlabides et Fatimides Sibylle Mazot
Histoire
Markus Hattstein
254
Architecture
268
Arts décoratifs
Natascha Kubisch Almut von Gladi/3
Les Nasrides de Grenade
Sheila Blair,Jonathan Bloom
90
Almut von Gladi/3
Almoravides et Almohades 244
Iraq, Iran et Égypte (vn1e-xnr siècle) : les Abbassides et leurs successeurs
Almut von Gladi/3
Julia Ganne/la, Viktoria Meinecke-Berg
272
Histoire
278
L'Alhambra
298
Le Maghreb (XIV"-XX" siècle) : du Maroc à la Tunisie
300
Histoire
310
Architecture
322
Arts décoratifs
324
Commerce et routes commerciales
328
Les anciens empires de l'est (Ixc-xw siècle) : Ghaznavides et Ghurides
Markus Hattstein Jesùs Bermùdez L6pez
Markus Hattstein Natascha Kubisch Natascha Kubisch Peter
w Schienerl
Les Aghlabides 130
Histoire
132
Architecture
Sheila Blair, Jonathan Bloom
Les Fatimides 140 144
Histoire Architecture
330
154
Arts décoratifs
334
Architecture
342
Arts décoratifs
Le rayonnement de l'art fatimide en Sicile et en Italie 158
Histoire
160
Architecture et art
Histoire
346
348 354
Asie centrale et Mineure, Iran (x1°-x1v siècle) Grands Seljoukides, Seljoukides d'Anatolie et Khwarazm-Chahs
494
Iran (xvr-xxc siècle) : Safavides et Qadjars
496
Histoi re
Markus Hattstein
Grands Seljoukides et Khwarazm-Chahs
504
Arch itecture
Histoire
520
Arts décoratifs
530
L'art du tapis dans l'Islam
534
L'Empire ottoman (x1v"-XX" siècle)
536
Histo ire
Markus Hattstein
Architecture des Grands Seljoukides
Sheila Blair,Jona than Bloom Eike Niewo hner Sheila Blair,Jonathan Bloom
Sergueï Chmelnitski, Sheila Blair, Jona than Bloom
Seljoukides d' Anatolie 370
Histoire et architecture
Joachim Gierlichs
382
Arts décoratifs des Grands Seljou kides
384
Arts décoratifs des Se ljou kides d' Anatolie
386
Sheila Blair,Jonathan Bloom Joachim Gierlichs
Les Mongols islamiques (xrn"-XIV" siècle) du déferlement mongol aux Il-Khans
Markus Hattstein
544
Arch itecture
566
Arts décoratifs
574
Calligraphie islamique
578
L'Islam à l'époque moderne (xrx"-XXL siècle)
580
Hi sto ire
586
Arch itecture et arts
594
Annexes
596
Auteu rs
Almut von GladiR Almut von GladiR Eike Niewohner
Sheila Blair, Jonathan i3loom
388
Histoi re
392
Arch itecture
400
Arts décoratifs
406
Asie centrale (XIV"-XX" siècle) : Timurides, Chaybanides et Khanats
Markus Hattstein Annette Hagedorn
Les Timurides
598
Bibliographie
408
Histoire
603
Calendrie r islam ique - Transcription
416
Arch itecture
SergueïChmelnitski
604
Glossa ire
426
L'art du livre
Mukkadima Achrafi
614
Index
623
Crédits photographiques
624
Reme rciements
Markus Hat tstein
Chaybanides et Khanats 430
Histoire
436
Architecture
448
Les carreaux décoratifs dans l'architecture
452
Sous-continent indien (xn"-XIX" siècle) : des sultanats à l'Empire moghol
Wolfgang Holzwarth SergueïChmelnitski
Philippa Vaughan
454
Histoire
464
Architecture
484
Arts décoratifs
490
Le jardin, reflet du Paradis
Marianne Barrucand
Sheila Blair, Jonathan Bloom
Pôle
Nord
CORDOUE
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MEDINA AL-ZAHRA
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Tropique
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L'Islam - religion universelle et puissance culturelle Markus Hattstein
Le monde arabe L'Arabie ancienne et son évolution culturelle
Islam signifie littéralement « so umission à Dieu », le Dieu unique : Allah. Les adeptes d e cette reli gion , so umis à la volonté d 'Allah, so nt les musulmans.
La p éninsule arabe est un fo yer d e
La foi en ce Dieu unique er en so n
peu plement très an cien, qui n'a toute-
proph è te Muhammad (Ma homet ),
fois pas encore été beaucoup étudi é
en voyé
d 'All ah
pour révéler
aux
parce que peu de sires archéo logiques ont été mis au jour. La partie la mieux
hommes son message - comme il esr dir dans le Cora n , le livre sa int de l'islam-, unir les musulmans du monde
co nnue est la culture arabe ancienne d ' Hadramaour et des régions du
entier. Le respect des cinq obligations
Yémen , avec le sud de la péninsule où
principales ou « piliers » de l'islam er
de puissants édifices, des ruines er des
l'emploi d e l'arabe classique en matière
restes d e fortifications témoignent de
religieuse sont les éléments fo ndamen-
l'ancienne splendeur des royaumes
taux du cuir e d e la comm un a ut é musulman e. L'islam repos e s ur la conscience de l'o mniprésence de Dieu
arabes, royaume minéen (Iv'·-1" siècle av. J .-C. ), avec le centre de Qarnawu ,
entre les mains de qui l'homme s'aban-
av. J.- C. ) e t le royaume sa béen
donn e, co n fian t en sa miséricorde,
(X' siècle av.J .-C.-ll!' siècle de notre
le roya ume de Qaraban (V'-1" siècle
parce qu' il sa it que Dieu es t juste er
ère). On y trouve aussi les ves tiges des
bon. Aussi l' homme ne peur-il d écider de ses arnons qu e conformément à la
grandes civilisa rions anciennes dont le rayonnement s' étendit du Croissant fertile
volonté er à la permission de Dieu. L'islam est la plus récente des grandes religions du monde (bien que l' islam se considère lui-même comm e la résurgence de la religi o n monothéiste originelle
jusq ue d an s la p éninsule arabique. Celle-ci a un e superficie de trois millions de kilomètres carrés, m ais une population clairsemée en raiso n de l'immense étendue des zo nes dés ertiques. Elle attei-
existant depuis les temps les plus anciens) . So n succès er sa diffusion rapide
gnait au nord la Mésopotamie (territoire de !'Iraq actuel), au sud l'océan Indien .
m ême en dehors des pays ara bes, jusre après la mort d e Muhammad, ont cons ti-
Les chaîn es montagne uses du Sud reço ivent les pluies de mousson qui viennent
tué un ph éno m è ne unique dans l'histoire des religions.
de la mer, de so rte que les régions du Yémen et d e [' Oman sont fertiles et ont
Au sei n de la religion com munautaire se développèrent très rôr des particula-
depuis longtemps un e population sédentaire stable : les ve rsants ont été aména-
rismes locaux, culturels et ethniques, car l'Islam adoptait toujours des éléments de
gés en terrasses et pourvus de systèmes d'irrigation très sophistiqu és qui ont per-
la civilisation des pays quïl avait conquis ou gagnés à sa ca use . Il connut aussi to ute une série de schi smes, le principal et le plus détermin ant aya nt été celui qui sépara sunnites et chiites. On peur ai n si à juste cirre parler à propos de l'Islam d ' une
mis le d éveloppement d ' une agriculture florissante. Dans le d ése rt, a u co ntraire, seules quelques oas is enrourées de p almiers dattiers offrent de rares terrains de pâture aux troupeaux d es nomades ; m ême les crêtes des montagnes m é ridionales
unité plurielle. Encre le Maghreb à l'ouest, certaines régions de la Chine et du Sud-
ne reçoivent que des précipitations très irréguliè res avec de longues périodes de
Es t asiatique à l'est, l'ensemble des p ays arabes du Moyen-Ori ent et du nord de
sécheresse.
l'Afrique au sud e t un e présen ce de plus en plus marquée en Europe, la culture
Il y a donc eu depuis des temps très reculés un gouffre entre les Arabes séden-
islamique forme un conglomérat d ' unités er de différen ces qui entretiennent sa
taires du Sud, prospères, et les semi-nomades du d ésert, pauvres, mais qui
vitalité et lui m énagent w1e place importante parmi les religions et les civilisations de notre monde.
riraient quelques subsid es du passage d es caravanes. Les riches po pul ations du Sud ar m è re nt des nav ires de commerce et, profitant des vents de la mousson,
Page ci-contre: la Kaaba à La Mecque, Arabie Saoudite La Kaaba est un édifice cubique de pierre grise de 11 m d'arête, principal sanctuaire de l'Islam, dont l'entrée est réservée aux musulmans. Kaaba - « cube » en arabe - qual ifie la forme de la construction. Elle est tendue d'un tissu de
soie et de coton noir, remplacé au moment du pèlerinage annu el, par une étoffe blanche. La Kaaba renferme la pierre noire sacrée, dont la trad iti on veut que ce soit une météorite apportée par l'ange Gabriel. La Kaaba éta it déjà un sanctuaire important à l'époque préisla mique.
Tarim dans !'Hadramaout, Yémen Dès !'Antiquité, le Yéme n (depu is le x• siècle av. J.-C.), bénéficiant de conditions climatiques favorables avait développé une grande civilisation et jouait un rôle important dans le commerce de la « route de l'encens ». Les oasis de !'Hadramaout, au cœur de l'ancien Yémen
L' ISLAM - RELI GIO N UN IVE RSELLE ET PU ISSANCE CULTURELLE
du Sud, furent propices au peuplement et à l'érection de splendides cités dans cette vallée encaissée. Aujourd'hui encore, Tarim, l'une des villes les plus importantes de la rég ion, émervei lle par ses immeubles d'habitation d'architectu re arabe ancienne, de cinq à neuf étages, étroits et tout en hauteur.
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Les to mbeaux de Pétra tail lés dans le roc, Jordanie Pétra était la capitale de l'un des royaumes les plus import3nts de la civilisation arabe ancienne et devint à partir du IV' siècle av.J.- C. le centre de l'Empire arabique ancien des Nabatéens, qui firent de la ville une place de commerce florissante, contrôlant une bonne part de la « route de l'encen s,,. Ils tiraient profit du commerce entre Grecs, Mèdes, Perses et Ég ypti ens et créèrent de nombreu x dépôt s pour abriter leurs marchandi ses. Au 11' siècle av. J.- C., il s étendirent leur domination à la Syrie et à la Palestine, mai s furent battus en 106 par l'empereu r Trajan qui fit de leur territoire une provi nce romaine. Les temples et tombeau x taillés dan s les parois rocheuses, avec leurs in scriptions en aram éen , consti tuent l'un des éléments caractéristiques de la culture nabatèenne. Longtemps Pétra resta dans l'oubli, et il fallut attendre le début du XIX' siècle pour que les arch éologues la redécouvrent.
entretinrent un commerce lointain très actif, surtout avec l'Inde (côte de Malabar) , mais aussi avec les empires m ésopotamiens du Nord-Est, et l'Égypte
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blir des « États tampons » gouvernés par des vassaux de la péninsule arabique qui avaient des obligations militaires vis-à-vis de chacun de leurs protecteurs respec-
au nord-ouest (les premiers documents gui l'attestent datent de 2100 av. J.-C.) . Ils transportaient surtout des épices et de l'encens. Avec les caravanes de chameaux de la « route de l'encens » et leurs marchés disséminés tout au long de la péninsule, les marchands semi-nomades, quelques villes ou oasis du désert et les régions du Nord accédèrent aussi à une relative prospérité. L'Arabie devint donc très tôt la plaque tournante du commerce entre l'Orient et l'Occident et joua un rôle capital dans le développement de l'espace méditerranéen. Au VI' siècle av. J.-C., l'Arabie était considérée comme faisant partie du grand Empire perse des Achéménides qui fondèrent en 539 av. J.-C. la province d'Arabiya. Le sud de l'Arabie vit alors l'essor de toute une série de petits empires, essentiellement le long de la côte ouest. À la frontière de la Palestine, se trouvait l'empire des Nabatéens de Pétra, gui tirait sa richesse du commerce et connut une
tifs et qui surent se ménager à l'ombre de ces empires une certaine indépendance culcurelle. Du côté des Perses, ce fut le cas des Lakhmides avec leur résidence d'alHira près de Kufa et, du côté byzantin , les Ghassanides, chrétiens , avec leur capitale Bas ra ; les tribus arabes des deux camps apprirent beaucoup des techniques de guerre et de fortifications des grandes puissances, ce qui allait être d' une impo rtance décisive pour les victoires militaires de Muhammad et les débuts de l'islam .
longue période d'épanouissement artistique du IV' siècle av. J.-C. au I" siècle ap r. J.-C. À partir de l'an 106, toute la région, annexée par les Romains, dont la dom ina tion resta modérée, accéda à une grande prospérité. Le meilleur exemple en est l'empire de Palmyre semi-indépendant, qui surestima toutefois sa puissance et, sous la reine Zénobie, au III' siècle, défia l'Empire romain ; sur quoi, l'empereur Aurélien détruisit entièrement la ville en 272-273. Après avoir bénéficié en un prem ier temps du développement et de l'amélioration des routes de commerce par l'adm inistratio n ro m ai ne, l'Arabie se trouva prise entre les fronts dans la lutte des
Les « États pratiquant l'irrigation » - les premières grandes civilisations d'Égypte et de Mésopotamie - avaient en commun un régime que K.A. Wittfogel a appelé le « despotisme oriental » et qui fur la première forme de système politique structuré. Nombre d'institutions des premiers emp ires islamiques peuvent être considérées comme les héritières des systèmes de gouvernement et des organisations administratives de l'ancien Orient. Cela va ut surto ut pour le régime du califat centralisé, et plus particulièrement encore po ur celui des Abbassides. Tous ces États pratiquaient une exploitatio n intensive de l'eau, profitant des
grandes puissances , Ro me, puis Byzance, contre les nouveaux grands empires perses des Parthes et des Sassanides . À partir des !\''et,~ siècles, la sicuation militaire fur en quelque sorte bloquée. Les deux grands empires - Byzance et les Sassanides de Perse - s'efforcèrent d' éta-
inondations périodiques et de la fertilité des co uches de limon de la vallée du Nil, de !'Euphrate et du Tigre. Le réseau de canaux artificiels et le système de barrages gérés par une administration centrale ass uraient la prospérité de l'agriculcure. Le fond ement de l'économie de ces États était l'autarcie avec une division sociale du
Le « despotisme oriental » Les rég imes politiques de la région
L' ISLAM - R ELI G I ON UN I V ERS ELL E ET PUISSANCE CU LT U RELL E
Stèle d'une divi nité ara be ancienne, Tunis, musée du Bardo L'islam désigne comme « le temps de l'ignorance » l'époque où la population de l'Arabie pratiquait le polythéisme. L'univers mythologique de l'Arabie ancienne comportait une foule de dieux et ce déesses, en même temps qu'était rendu depuis les origines un culte au soleil, à la lune et à Vénus, qui occupait une place importante. À La Mecque, le dieu de la lune, Hubal, était le patron de la ville et dieu de la tribu,« maître de la maison », à sa voir la Kaaba. À cela venait s'ajouter le culte des trois di vinités féminines - al-Uzza (Vénus), al-Lat (déesse du soleil) et al-Manat (déesse du destin) - , qui étaient aussi « filles d'Allah », Dieu suprême. La lutte de Muhammad contre le polythéisme de l'Arabie ancienne passa par plusieurs étapes.
Palmyre, Syrie, grande colonnade et tétrapyle Grâce à sa localisation sur la route des caravanes entre le cours moyen de l'Euphrate et Damas, Palmyre accéda à une grande richesse. Le royaume fut un État tampon entre les Parthes iraniens et l'Empire romain , annexé au 11• siècle à l' Empire romain. Il reprit son
travail et la pranque de la corvée, conjuguées à un progrès des techniques de fabrication des instruments de travail qui, très rapide dans les premiers temps, se ralentit par la suite. Ces empires virent l'établissement de villes centrales, militairement fortifiées, avec une administration municipale bien structurée et de grands marchés où s'échangeaient des produits commerciaux - poteries et objets artisanaux-, une police sévère assurant la paix publique et la sécurité des transactions. Les petites familles patriarcales et la différenciation des corps de métiers donnèrent des sociétés de classes , avec le développement d' une bourgeoisie urbaine et d' une classe supérieure. Ladminiscracion étatique était assurée par des fonctionnaires de métier, suivant un ordre hiérarchique rigoureux et avec des secteurs de compétences bien définis, comme dans un véritable régime bureaucratique. Ladministracion et la justice étaient centralisées et un système de taxes échelonnées assurait la répartition des richesses. Le choix et les utilisations diverses des plantes cultivées ne cessèrent de s'accroître, tandis que l'élevage se pratiquait peu et restait l'apanage de la classe des seigneurs. Le pouvoir politique s'appuyait sur un fondement théocratique: le souverain étaie saine et sacré, puisqu'on lui attribuait la fonction de médiateur avec les puissances divines : on lui rendait hommage lors des fêtes de la récolte ; dans le cadre de la célébration des cultes de la ville et de la cérémonie qui présidait à l'établissement du calendrier, on lui offrai c des sacrifices ec on lui confiai c le commandement des armées . Il étaie considéré le plus souvent comme descenindépendance au 111• si èc le, sou s la rei ne Zénobie et défia alor s Ro me, si bi en que Palm yre fut rasée par l'empereu r Aurélien en 273 apr.J.-C.Tous ses éd ifices, porte s, t emp les, tours funéraires, places et colonnad es témoignent de l'ancienne richesse et du bref ra yon nement de Palmyre .
dant de la hiérarchie des dieux et son gouvernement étaie la loi cosmique (absolutisme religieux) ; les Égyptiens et les Sumériens étaient gouvernés par des rois-dieux ou des rois-prêtres. Abritant les temples (lieux du culte) et les palais, les villes de résidences royales prirent une position centrale et devinrent des métropoles. Les temples servaienc aussi de greniers , et l'administration du temple était souvent chargée de la répartition des réserves, ce qui augmencait son
L' ISLAM - RELI GION UNIVE RSELLE ET PU ISSANC E C ULTURELLE
11
pouvoir. Les souverains s'entouraient de luxe, d'édifices de prestige et, à la cour, d'un cérémonial de plus en plus complexe qui les isolait progressivement du peuple et conférait, tant à leur garde rapprochée qu'à leur cercle de conseillers, un rôle prépondérant et une influence politique grandissante. Une armée très rigoureusement organisée et vivant dans des casernes, divisée en fantassins, cavaliers ou conducteurs de chars, garantissait au souverain une force militaire mobilisable à tout instant pour imposer son autorité. Les inventions et les amorces de recherches scientifiques éraient surrour axées sur les techniques pragmatiques : hydraulique, armes de guerre, mathématique, géométrie, astrono mie, médecine et magie constituaient les principaux, voire les seuls centres d'intérêt. La plupart des États du « despotisme oriental » partageaient une prospérité économique croissante mais aussi une stagnation politico-sociale de plus en plus marquée.
Le prophète Muhammad dans son univers En raison de conditions climatiques et naturelles extrêmes , l'Arabie ne fur jamais avant Muhammad qu'à la périphérie des grands centres culturels qui la considéraient comme la patrie barbare des bédouins, dont ils essayaient d'exploiter à leur propre profit les maigres ressources. Toutefois , avec la diffusion des cultures de !'Iraq, de la Palestine et de la Syrie, le rayonnement de la vie intellectuelle - surtout du judaïsme et du christian isme - gagna aussi le territoire arabique. Un grand nombre de familles judaïques s'étaient enfuies en Arabie après la prise
Carreau de céramique représentant la Kaaba de La Mecque, Turquie, XVI' siècle, Musée islamique du Caire Ce carreau est orné d'une représentation stylisée de la Kaaba contenue dans la grande mosquée de La Mecque. La colonnade qui l'entoure forme ici le cadre du dessin. Dans ce genre de représentation, que l'o n retrouve
dans l'art du livre, le problème était moins l'exactitude topographique que la reproduction des différents éléments importants du sanctuaire. Ainsi peut-on voir ici les six minarets de la mosquée, le minbar, la source Zamzam que Dieu fit jaillir du désert pour sauver la seconde épouse d'Abraham, Hagar et son fils Ismaël.
de Jérusalem par les Romains (70 apr. J.-C.) puis après la révolte de Bar Kocheva (135 apr. J.-C.); elles y constituaient un groupe culturel indépendant très fortement représenté dans certaines villes - ainsi par exemple à Médine (qui s'appelait encore Yathrib), avant l'arrivée de Muhammad, la moitié des habitants étaient juifs. Ils adoptaient le mode de vie arabe, mais conservaient leur propre religion dans un environnement polythéiste, s'en tenant inébranlablement à la foi dans le monothéisme et à la conviction d'être le peuple élu. Ces deux éléments impressionnèrent beaucoup Muhammad et déterminèrent son attitude ultérieure à l'égard des juifs. Linfluence chrétienne était encore plus sensible dans la région, du fair de la domination de Byzance sur la Syrie, la Palestine et l'Égypte ; l'Abyssinie et les tribus commerçantes nomades de l'intérieur de l'Arabie, elles aussi, éraient chrétiennes. Ce christianisme oriental sous l'autorité de l'Église de Syrie se différenciait par quelques traits caractéristiques du christianisme d'Occident. De nombreuses déclarations ultérieures de Muhammad peuvent témoigner qu'il avait connu le christianisme par l'intermédiaire des coptes égyptiens et autres monophysites (adeptes de la doctrine de la nature unique du Christ). Une foule de textes apocryphes circulaient alors dans ces régions, et l'on connaissait en Arabie des exemples de moines retirés dans le désert (anachorètes) sur le modèle syrien. En Arabie, dans les années de jeunesse de Muhammad, les croyances traditionnelles avaient déjà perdu de leur vigueur. Le pays était sur le point de se convertir au christianisme.
Le polythéisme arabe ancien et le pèlerinage à La Mecque Clef de la Kaaba, art ottoman, 0 aris, m usée du Louvre S ,a surveillance de la Kaaba et des pèlerins ,è dis qu'ils accomplissen t leurs obligations • :.1e es est le privilège héréditaire des Banu oan, la do mination de La Mecque fut pour ::==~coup de dynasties, comme les Fatimides, ;;s 5;; ,ou ~ides ou les Ayyubides, une aug-;;-,c: ;:;- de prest ige religieux. Les Ottomans
::-a
exercèrent leur pouvoir sur La Mecque à partir de 1517 et ils étaient donc symboliquement « détenteurs des clefs » de la ville. Depuis 1924, c'est la maison royale d'Arabie Saoudite qui assure le contrôle de La Mecque et des pèlerinages. Le roi Fahd a renoncé en 1986 à son titre royal pour s'appeler désormais « Protecteur des deux lieux saints.» (La Mecque et Médine).
Lère du polythéisme arabe ancien est pour l'islam l'« ère de l'ignorance » (jahiliya). Il semble qu'il y air eu à l'origine, en Arabie, un culte de la nature et des astres autour du soleil, de la lune et de Vénus, dont la « pierre noire », le météorite enfermé encore aujourd'hui dans la Kaaba, à La Mecque, peut être considérée comme un vestige. À La Mecque, centre de cette religion ancienne, on pratiquait le culte du dieu masculin Hubal, auquel venaient s'adjoindre trois divinités féminines - al-Uzza, alLat et al-Manat - considérées par la suite comme les « filles d'Allah ».
L' ISLAM - RELIGION UNIVERSELLE ET PUISSANCE CULTURELLE
Le nom générique désignanc la diviniré érair « ilah » ; « le Dieu » unique érair donc appelé al-ilah, ce qui déjà du remps de Muhammad avair éré condensé en al-lah (Allah) : Dieu par excellence , le Dieu (en soi) . En ranc que Dieu unique, il érair souvenc incerpellé comme le « maître de la maison », c'esr-à-dire de la Kaaba à La Mecque. Tourefois à l'origine, Allah , le Dieu , étaie surtour le ritre du Dieu domesrique du clan. Même si on ne peur pas dire que la tendance au monothéisme ait été très marquée, elle s'esquissait par endroits , et il semble que, dans les premiers temps, ainsi qu'en témoignent certains passages du Coran , Muhammad ait beaucoup hésité sur la notion de Dieu. L'Arabie ancienne comptait aussi de prestigieux ,, chercheurs de Dieu » (hanifi) qui - le plus so uvent sous l'influence du judaïsme ou du christianisme - voulaient renoncer au polyc héisme et se déclaraient monothéistes. Il est donc bien certain , qu'avant mêm e l'avènement de Muhammad , ~es anciennes croyances de l'Arabie avaient largement perdu de leur audience . En revanche, à La Mecque surcout, s'étaient maintenus les usages du culte , que le Prophète emprunca pour une bonne part et qu'il islamisa, avec par exemple le pèlerinage à La Mecque. Les détails du « grand pèlerinage » trahissent une forte influence arabique ancienne, de m ême que l'idée de la « trêve de Dieu » régnant à proximité du sancrnaire - sorte de droit d'asile et de garantie d'immunité.
La Kaaba de la grande mosquée de La Mecque, vue nocturne Au cours du pèlerinage à La Mecque, obligatoire pour tout musulman, les croyants font sept fois le tour de la Kaaba (tawaf). Une tradition rapporte que les ennemis de Muhammad, à son arrivée à La Mecque, auraient répandu le bruit que les musulmans seraient atteints d 'une fièvre qui les affaiblirait. Le Prophète aurait alors ordonné à ses fidèles de faire les
trois premières circumambulations de la Kaaba en courant pour bien montrer qu'ils étaient en pleine forme. Cet usage fait toujours partie du pèlerinage. Et pour le clôturer, le pèlerin fait encore sept circumambulat ions d'adieu autour de la Kaaba. Le Coran dit que l'homme est tenu vis-à-vis de Dieu de faire le pèlerinage à La Mecque, s'il en a les moyens (sourate 3, 97).
En l'an 630 , Muhammad purifia la Kaaba, en faisant disparaître toutes les idoles qui y étaient exposées. Dans l'ancienne ville de La Mecque, on adorait une foule d'objets de culte et on célébrait une multirnde de pratiques rirnelles magiques ; de même, les verse ts du Coran sur le monde des esprits, les anges et les djinns sont inspirés de la tradition ancienne. Les effons que fait, de toute évidence, Muhammad dans le Coran pour établir la distinction entre les prophètes et les simp les voya nts, diseurs de bonne aventure ou magiciens qui invoquent les esprits, laissent deviner la vitalité qu'avaient conservée aux débuts de l'islam les pratiques de l'Arabie ancienne.
L' ISLAM - RELI G ION UN IVER SELLE ET PUI SSANCE CU LTURELLE
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La vie de Muhammad Muhammad naquit vers l'année 570 à La Mecque. Son père éraie more avant sa naissance, et il perdit sa mère à l'âge de six ans. Il vécut d'abord dans la maison de son grand-père puis, à partir de 578, dans celle de son oncle Abu Talib qui veilla sur lui jusqu'à la fin de ses jours. Muhammad devint conducteur de caravanes, puis il épousa la riche veuve Khadija et lui voua toute sa vie amour et fidélité. Le couple eut crois fils qui moururent en bas âge et quatre filles. La même année (619), Muhammad perdit Abu-Talib et Khadija.
C'est en 6 10, à l'âge de quarante ans, que Muhammad eue la première révélation de sa vocation, au cours d'une scène assez théâtrale relatée dans la sourate 96, la plus ancienne du Coran : l'ange du Seigneur l\.pproche et lui ordonne: « Lis! », c'est-à-dire « Récite! » (iqra). Au terme d'une période d'examen intérieur, de doute et de profond abattement, Muhammad accepte d'être !'Envoyé de Dieu (rasul allah) . Il transmet aux Mecquois ses visions, met en garde contre l'indifférence à l'égard des plus démunis et la seule recherche du profit, lutte contre le polythéisme des anciennes croyances religieuses arabes, et surcout contre l'idée de l'« association dans l'adoration » (chirk) de divinités secondaires ou d'enfants de dieux, pour prôner la vénération du Dieu unique, Allah. À La Mecque, à partir de 620, la situation de Muhammad devenait de plus en plus difficile dans la mesure où il manifestait avec de plus en plus d'impatience son hostilité au polythéisme. Ses ennemis l'humiliaient et se moquaient de lui. En 622, il se décida alors avec ses adeptes à l' « expatriation » (hijra, hégire) pour Médine, qui marque le début du calendrier islamique. À partir de cette date, Muhammad, de prêcheur et annonciateur de la parole de Dieu, se transforma en chef de gouvernement et arbitre politique. En 623 , il dota d'une règle la toute jeune communauté des croyants musulmans et prit contact avec les principales communautés juives de Médine, concluant pour commencer un accord de coexistence qui devait toutefois aboutir à leur expulsion. Comme ses entreprises prosélytes échouaient, Muhammad se montra de plus en plus amer et intolérant à l'égard des juifs, même s'il avait repris à son compte une bonne part de leurs conceptions religieuses - surtout en déclarant Abraham premier musulman, prototype du prophète monothéiste en quête du vrai Dieu (hanif), qui avait fait de la Kaaba à La Mecque le lieu de culte du Dieu unique, Allah. Toutefois, en l'an 624, Muhammad changea l'orientation de la prière qui, rournée jusqu'alors vers Jérusalem, se ferait désormais en direction de La Mecque. De 62 5 à 630, les affrontements avec les Mecquois et les attaques de caravanes de l'un et l'autre camp se succédèrent. Muhammad se révéla habile chef d'armée, surcout au cours de la « guerre du fossé ». Les sourate, du Coran de la période de Médine témoignent de l'assurance des musulmans qui considéraient leurs vicroires guerrières comme directement guidées par la main de Dieu. Muhammad renforça surtout la cohésion de sa communauté en apaisant les tensions entre les « Émigrés » de La Mecque, ses premiers adeptes et les « Partisans » de Médine et des environs. En janvier 630 , il entra triomphalement dans sa ville natale ; il se montra relativement clément à l'égard de ses anciens adversaires, élimina de la Kaaba le culte des idoles et fic du pèlerinage à La Mecque une institution de la religion musulmane. Peu après son « pèlerinage d'adieu » à La Mecque en mars 632, Muhammad s'éteignit, après une brève maladie, le 8 juin 632 alors qu'il forgeait des plans de conquête contre Byzance et la Perse.
L'empreinte du prophète, page d'un livre de dévotion avec description de la vie du prophète, en forme d'empreinte de pied stylisée, Afrique du Nord, Fès, bibliothèque Qarawiyin. Peu après la mort du prophète, on commença à rassembler et à mettre par écrit les traditions relatives aux déclarations et aux actes de Mahomet, les hadiths. Aujourd 'hui encore, ils offrent aux musulmans croyants une orientation dans la conduite de leur vie et expliquent des passages obscurs du Coran . Après qu'au v111' siècle, beaucoup de nouveaux hadiths furent mis en circulation - dont l'authenticité
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parut douteuse - , six volumes de hadiths virent le jour au siècle sui vant; ceux-ci furent qualifiés d'« authentiques » (sahih). Acôté, il existe toutefois beaucoup d'autres traditions et biographies. Du xv11' au x1x• siècles, il était d'usage d 'écrire ce type de textes dans la forme de l'empreinte de pied stylisée du prophète. Une prétendue empreinte de pied de Mahomet compte aujourd 'hui parmi les reliques les plus importantes du monde islamique. Elle est conservée au palais de Topkapi à Istanbul.
à droite: La mosquée du prop hète à Médine, miniature extraite de Futuh '.11-haramayn de Muhyi ad-Din al-Lari, début du xv1' siècle. Par is, bibliothèque Nationale en bas : À Médine, où la jeune communauté musulmane avait émigré en 622, le prophète, en tant que chef de la communauté, se chargea aussi de plus en plus de missions politiq ues. C'est ainsi qu'il exerca , entre autres, une acti vi t é de médiateur et de négocia teur avec la communauté juive. Sa maison à Médine devint le prototype de la mosquée
islamique. Da ns la cour, il dirigea it les prières rituelles et prêcha it devant sa communauté. En 629-629, Mahomet fit construire pour la première fois une chaire à trois degrés (en haut, à droite de l'image) car la communau té s'était te llem ent accrue que tous les croyants ne pouvaien t plus l'entendre ou le voir. A l'intérieur de la mosquée qui, depu is l'époque de Mahomet, a été const amment agrandie et modernisée, se t rou vent aussi la tombe du prophète, caractérisée par une coupole, ainsi que celles des califes Abu Bakr et Omar.
Muhammad par lui-même Le « dernier des prophètes » Malgré une brève période de douce à la suite de sa première révélation, il est évident que Muhammad fur roujours inébranlablement persuadé de l'aurhentici ré de ses révélations er qu'il en rira une conscience de sa mission qui se manifesta avec une intensité particuli ère à partir de l'hégire à Médine. Chef de la communauté des croyants, le Prophète s'appuyait sur l'auroriré des révélatio ns divines et sur sa propre perso nnalité. Dès le départ, il conçue la fo i musulmane non pas essentiellement comme une forme de piété intérieure, mais comme une miss ion sociale et politiq·..1e (et par la suite « étatique ») ; ce qui, dans les premiers temps de l' islam, conférait à la religion et à la politique, un caractère indissociable en bas: Caravane en route pour la mer Rouge, pe inture d'Alberto Pasini, 1864. Florence, Galleria d' Arte Mahomet était issu d'une famille pauvre, ma is très estimée, de La Meccue, appartenant à la tribu des Quraish. À cette époque, quelques routes de caravanes se croisaient à La Mecque, et la ville fut donc très tôt un important centre de commerce. Les Quraish pratiquaient activement le :ommerce bien
au-delà de la péninsule Arabique. Mahomet lui-même prit part, dès son jeune âge, à des caravanes marchandes. Bientôt, il fut connu pour ses succès en tant que commerçant et pou r sa droiture. Il entra au service de la ric he veuve Khadidja et devint son associé. Elle lui proposa le mariage alor s qu'il avait 25 ans et était beaucoup plus jeune qu'el le. Cette union lui offrit la sécurité financière et sociale.
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encore sensible aujourd'hui . Muhammad concluait des traités, ne reculait pas devant les guerres saintes, se posait en arbitre, punissait ses ennemis et les hérétiques (« les Hypocrites ») ; il revendiquait le pouvoir politique po ur lui et au nom de sa communauté. Pour comprendre la position de l'islam et le sentiment de supériorité des musulmans, surtout au cours du Moyen Âge, il faut garder présent en mémoire que Muhammad ne se considérait pas comme le fondateur d'une religion nouvelle, mais comme le restaurateur de la religion monothéiste révélée depuis les origines les plus anciennes, lui-même n'étant que le dernier d' une longue succession de prophètes qui avaient tous prôné cette même religion du Dieu u111que. Dans la pensée de l'islam, Dieu a fa it alliance avec les descendants d'Adam, en particulier Noé; Abraham est le premier prophète à qui aient été révélées l' unité et l' unicité de Dieu ; Moïse est le législateur qui a transmis la Thora, Jésus le prédicateur admiré de cous, l'annonciateur de l'Évangile et le prophète le plus illustre, prédécesseur direct de Muhammad. Avec Muhammad, le « dernier des prophètes », l'extrémité de la chaîne est atteinte et la révélation de Dieu par les prophètes est accomplie. Dans l'esprit de Muhammad, cette même vérité unique a aussi été révélée aux juifs et aux chrétiens, mais ils n' one pas su la comprendre ou l' one méprisée ; c'est à lui de la faire accéder à un nouveau rayonnement. Se fondant sur cette pensée, il semble que Muhammad ait, dans un premier temps, été véri tablement persuadé cout d'abord que ni les juifs ni les chrétiens ne feraient de difficulté pour se rallier à l'islam.
Les piliers de la vie islamique Le Coran : structure et message Le Coran (al -Quran) est le recueil des révélations faites (« descendues ») à Muhammad, devenu le livre saine de l'islam ; le mot arabe Quran signifie «
récitation »,
«
exposé ». Selon la conception musulmane, la version origi-
nelle du Coran (umm al-kitab, « la mère du livre ») est inscrite dans le ciel depuis le commencement de cous les temps, et le Coran révélé en est la copie conforme. C'es t pourquoi la question de savoir si le Coran devrait être traduit de sa langue d'origine, langue de la révélation, dans une autre langue, fut longtemps controversée . Dans sa forme actuelle, le Coran comporte 114 chapitres (sourates) en prose rimée, de longueur variable ; la plus longue, la deuxième sourate, comptant 286 versets, alors que les plus courtes n'en com?tent que 3. Les sourates ne suivent pas la chronologie de leur rédaction ; elles ne constituent pas chacune une unité en soi, mais se composent de fragments de texte. Dans l'ensemble, elles so nt plutôt rangées en fonction de leur longueur, par ordre décroissant, et intitulées en fonction de leur thème central ou du thème du début ; en outre (mis à part la neuvième sourate) , elles commencent toutes par la basmala, formule d'invocation, « Au nom du Dieu miséricordieux et bon ... » La courte sourate numéro un « liminaire >- (al-Fatiha) occupe une Pèlerins escaladant le mont de la Miséricorde L'escalade du mont de la Miséricorde (djebel arrahma) dans la plaine d'Arafat près de La Mecque est une partie obl igatoire du Hadj, le pèlerinage à La Mecque. Dès l'époque pré-islamique, le mont était considéré comme un lieu saint. Il a acquis une valeur particulière avec le dernier discours que le prophète Mahomet tint ici devant ses compagnons au cours de son « pèlerinage d'adieu ». Il y certifia la fin de sa révélation: « Aujourd 'hui,j'ai parfait votre foi et
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vo us ai accordé ma miséricorde, et c'est ma volonté que l'islam soit votre foi » (Sourate 3, 5). Les pèlerins escaladent le mont le matin du deuxième jour du pèlerinage et ils y passent la journée en prières. Ce n'est qu'a près le coucher du soleil qu'ils descendent vers Muzdalifa où ils passent la nuit.
position particulière, c'est une prière d'introduction au Coran. Immédiatement après la mort de Muhammad, le premier calife Abu Bakr fit réunir et consigner par écrit encre les compagnons du Prophète les versets jusqu'alors conservés par transmission orale. La version actuelle du Coran il y en eue plusieurs dans les premiers temps - remonte au troisième calife Othman, qui fic diffuser la version rédigée par un conseil d'érudits et évinça toutes les autres, de celle sorte que cette version devine le texte « canonique » fixant l'ordre définitif des sourates. Comme elles retranscrivent généralement le discours direct de Dieu à Muhammad, l'islam accorde une
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La bataille de Siffin en l'an 657, miniature persane du Safar Name, xv11• siècle. Paris, bibliothèque Nationale Dès le début, le califat d'Ali Ibn Abi Talib fut controversé. À la tête de ses adversaires se trou vait la puissante famille des Omeyyades. C'est lors de la bataille du Chameau à Basra, en 656, qu'eut lieu un premier conflit militaire intra-islamique, d'où les partisans d' Ali sortirent vainqueurs. Un an plus tard , au cours de la batai lle de Siffin, dans laqJel le s'affrontèrent les troupes d'Ali et de Muawiya, le gouverneur syrien, les adversai res d'Ali furent également menacés d'une défaite. Ils fixèrent sur leurs lances des pages du Coran pour montrer qu'eux aussi étaient musulmans. Ali fit aussitôt interrompre le combat. Des négociations n'aboutirent à aucLn résultat véritable. Il s'ensuivit une période de double règne d'Ali et de Muawiya, jusqu'à ce qu'Ali soit assassiné en 661.
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Sourate 1 « AI-Fatiha » (Pro logue) Manuscrit du Coran, 1389. Munich, Bayerische Staatsbibliothek La première sourate du Coran s'appelle « AI-Fati ha ». Elle est récitée lors de chacune des cinq prières quotidiennes obligatoires des musulmans et sa significatio n centrale fait qu'el le est souven t comparée au Notre Père chrétien. La traduction en est : « Louange à Dieu, le Souverain de l'univers, le Clément, le Miséricordieux, le Maître du jour de la rétribution I C'est Toi que nous adorons et c'est Toi dont nous imp lorons le secours. Guide -nous dans le droit chemin , dans le chemin de ceux que Tu as comblés de Tes bienfaits, non pas de ceux qui ont encouru Ta colère, ni des égarés. » « AI-Fatiha » n'est
place privilégiée à la déclamation orale. L'art de la récitation du Coran est un exercice linguistique et formel très difficile, qui obéit à des règles très strictes et demande un entraînement approfondi. En fonction du contenu et de la dace d 'o rigine, on distingue approximativement dans le texte trois périodes mecquoises et une médinoise . La toute première révélation, dire de la « première période de La Mecque », traire de la naissance de la voca tion du Prophète (s urtout dans les sourates 74 et 96) et fait ressortir le rapport aux religions del' écriture, les « peuples du Livre » (avant cout juifs et chrétiens). Les sourates de la période mecquoise (so urates 77 , 79, 86 , 91 et 100) relatent la révélation initiale et traduisent par la vivacité et l'émotion du langage l'ébranlement profond qu'elle suscite. Ce sont des sourates courtes , avec des vers coures, le plus souvent au style direct (Muhammad reçoit des ordres : « Récite ! ») ; le contenu est confirmé par des formules de serments. Elles disent que Dieu est le Créateur de l' homme, qu'il l'observe tout au long de sa vie et lui demande de rendre compte après sa more, d'o ù la nécessité de mener une existence conforme à la volonté de Dieu. Un certain nombre de sourates (69, 8 1, 82, 84 et 101, par exemple) sont consacrées à la catastrophe de la fin de cous les temps, le Jugement dernier. De cette même période datent également les so urates (21 ou 37, par exemple) où Muhammad répond aux reproches de ses ennem is et se défend d'être un voyant, voire d 'être possédé par les démons. Les so u ra ces de l'époque plus tardive de La Mecque sont plus longues et argumente nt davantage ; elles démontrent par des exemples la coute puissance de Dieu. Un ce rtain nombre de sourates reprennent des événements et des personnages de l'Ancien Testament (par exemple, Abraham et Noé, Moïse dans les sourates
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pas la première sourate révélée du Coran (ce serait la sourate 96). Toutes les autres sourates ne sont pas non plus chronologiques, mais classées selon leur longueur, de la plus longue à la plus courte. Sous le deuxième calife Omar, elles furent toutefois assorties des additifs « mecquoise » (révélée avant !'Hégire) ou « médinoise » (révélée après !'Hégire).
18 et 28 , Joseph en Égypte dans la so urate 12 ou les châtiments divins de l'Anci en Testament) interprétés comme des éléments précurseurs de l'islam . Les sourates médinoises adoptent un con plus didactique pour traiter les problèmes quotidiens de la jeune communauté, par exemple, l'octroi de dons et d'aumônes, la conclusion de co ntrats ou le comportement pendant et après la bataille (sourates 8 et 48) . On y découvre la lutte des musulmans, en particulier contre les juifs de Médine et contre les hésitants dans leurs propres rangs, pour faire valoir leur foi. La volonté d'établir le dogme passe au premier plan.
La visi on de Dieu et de l'homme dan s le Coran Le Coran souligne d'abord - à la façon de la Bible judaïque et de l'Évangile chrétien - que Dieu est le libre Créateur et Garant del' existence du monde et de l'homme. Le Coran ne comporte pas d'histoire de la création du monde comparable à la Genèse, mais on peur noter des parallèles importants . La création du monde apparaît comme une séparation encre le ciel et la terre issus d' une même masse, candis que l'homme est fait de terre ou d'argile ; les processus de création sont souvent le simple fait d' un ordre divin : Sois », et cela fut. Le texte souligne perpétuellement la bonté et la grâce de Dieu qui a si bien disposé les choses. La création semble organisée en fonction de l'homme, qui se distingue entre toutes les créatures ; Dieu lui
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Musu lman lors des ablutions rituelles, aquatinta de Vittorio Raineri, x1x• siècle Comme beaucoup de religions, l'islam connaît des ablutions rituelles comme conditions aux actes sacrés. Une ablution est ordonnée aux musulmans avant chaque prière, l'entrée dans une mosquée ou la lecture du Coran. Le plus souvent, il s'agit de ce qui s'appelle « petites ablutions » (wudu). Comme dans la prière, chaque partie est déterminée avec précision: d'abord on se lave les mains, puis on se
Sou rate 27, « La fo urm i», versets 36-39, manuscrit du Coran, Afrique du Nord, x11• siècle, Londres, Spink College La sourate 27 AI-Naml (« La fourmi ») relate la rencontre de Salomon et de la reine de Saba qui, après avoir vu la richesse prodigieuse à laquelle Dieu avait fait accéder Salomon, se soumet à Allah parce qu'il est le « maître du
monde ». Cette sourate est un exemple de la reprise fréquente de thèmes de l'Ancien Testament dans le Coran, l'islam s'inscri vant dans la ligne des religions monothéistes. Des personnages comme Noé, Abraham, Moïse et le roi Salomon jouent un rôle important dans la tradition musu lmane et font apparaître Muhammad comme le « dern ier de s prophètes ».
pardonnera ses péchés s'il manifeste un repenrir sincère, et il le récompensera s'il mène une vie exemplaire. Instance suprême, Dieu juge l' homme en fonction de ses acres et il sépare après la mort les justes des méchanrs (sourates 78, versets 140 ou 80 , 17-42). Le Jugemenr dernier sera la « grande catastrophe » (sourates 79, 34), à laquelle nul ne saurait échapper. Le texte décrit de façon concrète et sensuelle les tourmenrs des damnés ainsi que les délices du paradis (par exemple, dans la sourate 39, 60-75 ). L'incroyance est considérée comme une form e d' ingratitude à l'égard de Dieu et de ses bienfaits , et l' inrercession du Prophète n'est possible que si Dieu même le permet. 1..'accenr mis sur l'unité et l'unicité absolues de Dieu est le fondemenr de la religion islamique. Le Coran illustre un monothéisme radical et une vision du monde radicalemenr théocenrrique ; Dieu n'est qu' un, il n'a pas d'enfant (sourate 21 , 2536), il n'a pas fondé de famille. 1..'« association » (chirk) à ce Dieu d'autres personnes divines est considérée comme le pire des péchés contre le Dieu Un et Unique ; c'est ce qu'affirma l'islam non seulement tout d'abord face au polythéisme arabe ancien,
rince la bouche et le nez, on se lave ensuite le visage et les aisselles, on se passe les mains mouillées sur les cheveux, on s'essuie les oreilles et on se lave les pieds en dernier.
mais de plus en plus aussi face à la conception chrétienne de Jésus. Ce dernier (Issa) a été élu comme prophète (voir« Marie » - sourate 19, 16-40 ou 35, 45-55); il est considéré comme le précurseur direct de Muhammad. Il reviendra à la fin des temps et régnera en juste musulman, mais l'affirmation de sa descendance de Dieu est aux yeux de l'islam un abus et une falsification des chrétiens. L'islam souligne la transcendance de Dieu, hors de portée de l'esprit humain. Le monde n'est que prêté à l' usage de l' homme, il n'est pas sa propriété. L'homme est le commis de Dieu sur la terre, il doit l'assister dans la mise en œuvre de l'ordre divin. Le Coran part du principe que l'homme est bien constitué, qu'il est en mesure de mener une existence conforme à la volonté de Dieu : il est, par exemple, capable de s'occuper de ses semblables, de se montrer miséricordieux et de donner aux nécessiteux (sourates 2, 21-39 ou 57, 1-29) . Lidée de péché originel est totalement étrangère à l'islam. Toutefois, l'homm e est souvent vacillant, craintif ou négligent, il se laisse emporter par la colère, la fie rté ou la cupidité et succombe dans les périodes fastes à la tentation de l'insouciance et de l'ingratitude. Depuis Adam, c'est-à-dire depuis la première révélation de la religion monothéiste originelle, l'homme s'est souvent vu indiquer la voie à suivre, mais presque aussi souvent il s'en est écarté. On a vu presque constamment des prophètes et annonciateurs d u message divin appeler à rejoindre le droit chemin ; le Coran puise de nombreux exemples dans l'Ancien Testament (2, 40-61) ou dans les Évangiles pour démontrer où risquent de mener l'oubli ou la falsification du message divin originel. La conséquence de l'oubli de Dieu est le péché que l'homme peut le plus souvent racheter en faisant pénitence ; ce sonr, somme route, les polythéistes et adorateurs des idoles que frapperont les plus lourdes punitions.
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Carreau décoratif ottoman portant l'inscription « Ma cha'a Allah », Turqu ie, x1x• siècle La formule « Ma cha'a Allah »,littéralement: « Ce que Dieu veu t », signifie que tout ce que Dieu fa it est bien. Utilisée dans plusieurs sou rates du Coran, elle est employée dans la
langue populaire musulmane sous forme d'étonnement ou d'expression de la reconnaissance.« Ma cha'a Allah » exprime une confiance illimitée en Dieu car tout ce qui arrive est dicté par sa volonté. Dans quelques régions, cette formule sert éga lement à protéger du malheur et des calamités.
L' homme est lib re et enuerement responsable de ses actes sur la terre (sourate 9, 15-30). Cenes le Coran énumère également toute une série de tentations en ce monde qui risque nt toujours d'écarter l'homme de la religion (surtout lbli s, le diable , qui e t un ange déchu) ; mais l'homme reste libre de choisir entre le bien et le mal , et il est capable de faire la différence entre les deux, il est donc individuellement responsable de so n salut. Celui qui se voue véritablement à Dieu, le « musulman ,, au sen plein et originel du terme, peut mener son existence sans jamais faire le mal ; le musulman authentique s'inscrit dans la tradition du hanif et sait que Dieu et ses commandements le mettent dans le droit chemin. Il a le devoir de défendre sa foi par ses paroles et par ses actes, et aussi de se battre pour elle.
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L'intelligence est le don suprême de l'homme; c'est elle qui lui permet de bien co mp re ndre l'ordre de la création. La foi et la ra:son ne sont pas contradictoires aux ye ux de l'islam, puisque le monde a été ordonné en fonction de lois rationnelles divines, celles de la nature, et que la raison peut donc « reconnaître» ce monde ; la compréhension qu'a l'intelligence de l'ordre du monde conduit presque nécessairement à la foi. D 'où l'accent mis très nettement sur la rationalité dans la théologie et la jurisprudence islamiques. L'intelligence ou la raison guident l'homme vers Dieu et le culte de Dieu obéit - tout au moins dans l'islam classique - aux normes de la raison. L'islam est l'ordre rationnel du monde, que Dieu a voulu et prédestiné : il conduit l'homme vers son salue.
Les cinq piliers de l'islam La pratique religieuse musulmane repose sur ce qu'on a appelé les cinq piliers (arkan) qui assurent essentiellement la cohésion de la communauté islamique (umma) et règlent l'ensemble des devoirs de chacun envers Dieu et envers ses semblables.
L' ISLAM - RELIGION UN I VE R SELLE ET PUISSANCE CU LTURELL E
Le premier des cinq piliers est la profession de foi publique (chahada, « confir-
agenouillé, coucher par deux fois le sol ou le tapis de prière avec le front en signe
mation ») , qui est le plus simple et le principal acte de foi et se résume par la for-
d ' hommage et de soumission à la volonté d'Allah. Chacune des cinq prières de
mule : « J'atteste qu' il n'y a pas d ' autre Dieu que !'Unique (très exactement qu' il
la journée se termine par une louange à Dieu : Allahu akbar (Dieu est le plus
n'est pas d 'autre Dieu que Dieu) et que Muhammad est l'envoyé d 'Allah. » Cette
grand) ; et par la récitation de la première sourate du Coran suivie du salut de la
confirmation de l' unité et de l' unicité de Dieu ainsi que de la légitimité de la mission de Muhammad est considérée comme la condition préalable à la vie dan s la
VOIS!n.
paix, sa/am alaikum (« la paix soit avec toi »), que chacun des fidèles adresse à son
foi musulmane et elle est censée reprendre l'entrée en matière de l'archange
La prière la plus importante est celle du vendredi midi, précédée d ' un sermon
Gabriel s'adressant au Prophète; ces paroles accompagnent la vie de cous les musul-
(khutba) que le prédicateur prononce depuis la chaire (minbar) ou debout devant
mans et sont même le motif préféré de l'art calligraphique arabe.
la communauté des fidèles. Le vendredi n'est pas un jour férié pour les musul-
La chahada ne peut être prononcée que dans une intention certaine et a près
mans , à la différence du sabbat juif et du dimanche pour les chrétiens, toutefois,
un examen intérieur approfondi, car sa proclamation devant témoin scelle l' en-
dans beaucoup de pays islamiques, c'est un jour de repos. L'essentiel est le carac-
trée dans la communauté musulmane. Étant donné que cette admission a u sein de la communauté est irréversible, et que l'abandon de la religion est puni de mort, les docteurs de l' islam soulignent toujours l' importance déterminante de
tère communautaire et obligatoire de la prière, qu' il faut distinguer de la prière individuelle ou de la prière de remerciement qu' un fidèle récite en certaines occasions (du'a) .
cette démarche qui ne peut s'effectuer que par le libre arbitre et sans au cune
Le troisième pilier, l'aumône (zakat), était à l' origine un exercice de cuire
contrainte. La conception du rapport entre la profession de foi et les actes pres-
librement consenti, qui toutefois conduisit très rôt à l'établissement d' un sys-
crits par la foi (les œuvres) diffère entre les écoles islamiques, dont certaines jugent que c'est la profession de foi, d ' autres les œuvres qui font un véritable musulman.
à cout musulman de partager sa richesse avec ses coreligionnaires moins pour-
Le deuxième pilier, le plus ritualisé, est la prière liturgique obligatoire (salat ), qui doit être récitée cinq fois par jour à heures fi xes. Avant de réciter sa pri ère -
vus que lui ou nécessiteux. La zakat est donc une obligation religieuse et se différencie de l'aumône spontanée qui peut s'y ajourer (sadaqa), qui est méritoire
comme avant tout autre acte liturgique - , le fidèle doit procéder à un certain nombre d ' ablutions bien déterminées, de la tête aux pieds; elles sont supposées
mais non obligatoire. Le Coran lui-même ne dit rien du montant ni de la fréquence de ces dons ; il traite de la valeur du geste et de l' attitude intérieure de
permettre l' accession à la pureté, garantir le renoncement au péché et la disposi-
celui qui donne; le don le plus hautement estimé est le plus discret, qui ne s'ex-
tion intérieure à se rapprocher de Dieu. C'est le muezzin (plus exactement
pose pas au soupçon de manifester une forme de suffisance et ne fait pas honte
muadhdhin) qui , du haut du minaret de la mosquée, lance l'appel à la prière; l' importance de celle-ci s'explique tout simplement par le fait que le Coran définit les croyants comme des « prieurs ».
à celui qui le reçoit.
On peut réciter la prière à l' endroit où l'on se trouve, mais il faut au moins
tème de prélèvement légal(« dîme des pauvres »), découlant de l'obligation faite
L'islam établir un système de contributions sociales qui portait sur les biens les plus divers , produits agrico les, bétail, métaux précieux, de même que produits commerciaux, intérêts financiers , auxquels étaient attribuées différentes vale urs ;
qu' un petit groupe de fidèles se réunissent à la mosquée. L'obligation pour cous ceux qui récitent la prière de se tourner en direction de La Mecque (indiqu ée à la mosquée par le mur de la qibla) , est la matérialisation de la communauté de cous les musulmans à travers le monde, dont le centre religieux est la Kaaba à La Mecque. Hommes et femmes en rangs séparés se tiennent derrière l' imam (directeur de la prière) qui se place devant la niche qui renverra l'écho de la prière (mihrab). La position et le déroulement de la prière sont très exactement prescrits par avance : le fidèle doit d ' abord s' incliner plusieurs fois en position debout, puis ,
La profession de foi (chahada) La profession de foi is lamique est ainsi formulée: « J'atteste qu'il n'est pas d'autre dieu qu'Allah (ou qu'il n'est pas d'autre Dieu que Dieu ) et que Muhammad est l'envoyé d'Allah .» En prononçant cette profession de fo i devant témoins, on devient musulman - à condition que cet acte ne soit pas accompli
L' ISLA M - RELI GI ON UN IVE RSELLE ET PU ISSAN CE C U LTURELLE
sous la contrainte. La conception de l'orthodoxie sunnite est que la « profession de foi avec la langue » n'est qu'une condition préalable à la religion, l'essentiel étant la conviction intérieure, la croyance du fond du cœur à la révélation divine.
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Le muezzin appelant à la prière du minaret de Chah-i-Mardan, Afghani stan Le muezzin appelle le s fi dèles à la p ri ère rit uell e cin q fo is par jour. Un hadi t h rapporte les paro les du Proph ète :« Lorsque ret entit l'appel à la prière, le diable prend la fuite pour ne pas enten dre les paroles de cet appel. » Le muezzin, appela nt ponctu ellement les fidè les à la prière prononce la fo rmu le « Al lahu akba r » (Dieu est grand) et la profession de fo i mu sulmane. Le Coran di t: « ô croyants, lorsque vous serez appel és à la prière du vendred i, empressez-vou s d'al ler rendre vos hommages au Tou t -Pui ssan t. Que rien ne vous arrête ; vot re zèle aura sa récompense. Si vous sa viez! » (sou rate 62,9).
Le muezzin, miniature indi enne,
1502, Delhi, Na t ional Museum D'aprè s la tradi t ion, la jeu ne communau t é aurait réfléchi à Médine au moyen de rassembler les fidè les. Aux usages ju ifs et chréti ens d'uti liser pour ce faire des instrumen t s à vent ou à percussion, le calife Omar au ra it objecté : « Pourquoi ne désignons-nous pas un homme pour appeler à la pri ère? » Cette proposition fut acceptée pa r le Prophèt e qu i nomma aussitôt Bilai, l'escl ave éthiopien, à cette fonction, car il posséd ait une voix for te et portant au loin.
Musulmans en pri ère La prière (salat) récitée cinq foi s par jour fait pa rtie des obligations quotidiennes de l'islam. Aussi bien la prière individuelle (en haut, miniature moghole, Inde, x1x• siècle) que la prière commu nautaire rituelle (à droite, mu sulman s à la prière du vendredi dans la grande mosquée de Balkh) se co mposent de plusieurs éléments auxquel s co rres pond un chang ement de la posit ion du corps. À la mosqu ée, la récitation de la prière collective est dirigée par un imam.
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L' ISLAM - RELIG I ON UNIVE RSELLE ET PU ISSANCE CULTU RELLE
il désignait comme bénéficiaires de ces secours différents groupes parmi lesquels figuraient en premier lieu les pauvres et les nécessiteux, mais aussi les orphelins, les malades , les pèlerins ec les voyage urs, les débiteurs ec ceux qui s'engageaient volontairement dans la lune religieuse. À l'origine, une partie de ces fonds érai e urilisée pour racheter la liberté d'esclaves ou de prisonniers. La zakac esc aujourd' hui un mélange de principe religieux ec de législacion sociale. Les musulmans politiquement engagés vo ient dans cecce disposition une inscitutionnalisacion réussie de la responsabi lité sociale qui anticipe sur l'organisation de l'Écac soc ial moderne. Le quatrième pilier de l'islam , jeûne rituel (sawn) du mois du ramadan (neuviè m e mois du calendrier islamique), est aussi une privation initialement consentie en coure liberté (conformément à ce que die le cexte de la sourate 2, 185) qui devint plus ca!d une obligation religieuse. Le croyant doic s'abstenir de manger et de boire, de fumer ec de se livrer à des rapports sexuels du lever au coucher du soleil ; cerce obligation est valable pour cous les musulmans majeurs, exception faite
Mi nba r de la mosquée Qaitbai au Ca ire, 1472-1473, gravure d'après un dessin de 1877 La chaire de la mosquée du vendredi (minb ar) est le plus souvent une const ruction de bois en escalier, qui servait initialement non seulement à la prière mais était aussi le trône du calife, le siège d'où il rendait la justice, et assurait le gou vernement religieux et politique de la communauté. Le nombre de fidèles augmentant et les mosquées devenant de plus en plus vastes, il fallut construire des chaires plus hautes qui furent de plus en plus ornées et artistiquement décorées. Aujourd 'hui, le minbar sert exclusivement au sermon (khutba) pour la prière du vendredi.
de certains groupes comme les malades , les voyageurs, les femmes enceintes ou celles qui allaitent et les travailleurs de force; ils accomplissent un sacrifice de remplacement ou doivent rattraper ultérieurement les jours de ramadan perdus. Le principe est en fait relative ment souple: l'o bli gation du jeûne s'applique uniquement dans la mesure où elle ne nuit pas à la santé de celui qui le pratique. L'autodiscipline physique sen à la purification intérieure; pendant le mois du ramadan, le croyant se plonge dans la méditation intérieure; il fait la paix avec cous ses coreligionnaires, remercie Dieu en renonçant aux sacisfaccions de la vie quotidi enne, et fair des aumônes spéciales aux nécessiceux. Durant ce mois , de nombreux musulmans passe nt de longs moments à la mosquée, ce qui entraîne dans tous les pays islamiq·_1es un ral entissement de la vie publique, alors que, dans certaines régions , les nuits s'écoulent en festivités collectives. Selon les propres paroles de Muhammad, le jeûne esc la forme de prière la plus chère à Dieu parce que lui seul la voir. Le ramadan est une phase de retour sur soi -même et de repentir, c'est le mois de la patience qui permet de gagner le paradis. Le moment le plus important esc la 27' nuit du ramadan , « nuit de la détermination » (Layfat al-qadr) où Muhammad reçut la première révélation et où la
descente » du texte du Coran du ciel sur le Prophète esc célébrée par une grande fête et un festin offert aux pauvres. Le cinquième pilier de l'islam est le pèlerinage à La Mecque ec dans ses envi«
rons (hajj) auquel cout musulman majeur esc obligé (d 'après la sourate 3, 97) au moins une fois dans sa vie - dans coute la mesure où le lui permettent sa santé, ses ressources pécuniaires et la sécurité des routes. Ce pèlerinage mène aux sanctuaires de l'islam , avec au centre la Kaaba, cube rendu de noir, renfermant la pierre noire » sacrée, dans la grande mosquée de La Mecque ; cette visite est souvent couplée avec celle de la maison de Muhammad à Médine. D 'après le Coran, la Kaaba a été édifiée par Abraham et son fils Ismaël en signe d' hommage à Allah. Le « grand pèlerinage » à La Mecque se fair généralement entre le 8 et «
le 12 du mois de pèlerinage dhu al-Hijja (douzième mois du calendrier isla-
la dernière étape de la partie individuelle du pèlerinage. Vient ensuite la phase
mique), où des centaines de milliers de musulmans du monde entier affluent vers La Mecque . Avant le pèlerinage, le croyant doit se mettre en état de « consécration » (ihram) et formuler en lui-même le but de son voyage. Enveloppé d' un hab it blanc, le pèlerin esc identifiable et bénéficie du respect ec de la protection de cous. Tour au long de son voyage, il ne se rase pas, ne se coupe pas les cheveux, s'abstient de rapporcs sexuels. ne chasse pas ec n' utilise pas de parfum . Arrivé à La
collective qui doit être effectuée entre le 8 ec le 12 dhu al-Hijja. Le moment le plus important du pèlerinage esc le 9' jour du mois sur le mont Arafat (à environ 25 kilomètres de La Mecque) où les pèlerins méditent debout, s'abandonnant entièrement à la toute-puissance de Dieu en priant du lever au coucher du soleil. Après le coucher du soleil, commence la marche jusqu'à Mina, les fidèles s'arrêtant la nuit à Muzdalifa où ils ramassent sept petits cailloux qu'ils lanceront au mati n du 10' jour à Mina sur des cas de pierres en
Mecque, il fair sept circur.iambulations autour de la Kaaba (tawa/) ec sep t fois l'aller ec retour entre le mont Safa - qui a écé aplani - ec le mont Mzrwa, en commémoration des souffrances d'Hagar, deuxième femme d'Abraham, et de so n fils Ismaël dans le désert. À la source Zamzam, que Dieu fit jaillir du sable du désert pour les sauver, les fidèles boivent un peu d'eau que l'on prétend miraculeuse: c'est
forme de colonnes ; cec usage de la lapidation des colonnes esc censé commémorer la tentation q ue le diable fic subir à Abraham et la résistance que celui-ci lui opposa. Pour finir, est donnée en mémoire de cec événement une fête du sacrifice qui dure plusieurs jours (jours du tachriq), au cours desquels on égorge des mourons dont la viande est en majeure partie distribuée aux pauvres. Cette fête
L' ISLAM - RELIGIO N UNIVERSELLE ET PUISSANCE CULTURELLE
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Le droit islamique, ses sources et les écoles coraniques L'islam est une religion« laïque », qui n'a pas de caste de prêtres, et juridique. C'est pourquoi le croyant est assisté dans sa vie quotidienne er prend conseil non auprès d'un prêtre, mais auprès d' un docteur de la loi (fàqih, pl. : fuqaha), et le droit islamique (charia) constitue, avec les cinq piliers de la religion, l'élément principal de la vie de la communauté musulmane. Les docteurs de l'islam (uléma) connaissent donc toujours aussi bien la religion que la loi. À partir de la période de Médine, la recherche du salut de l'individu s'est inscrire dans le cadre de l'organisation d' une communauté, et l'islam est devenu le « droit de Dieu sur la terre». Muhammad prit position également sur un certain nombre de points de la jurisprudence de l'Arabie ancienne, et les sourates du Coran traitent à partir de la fin de la période de La Mecque de questions de droit communautaire comme le règlement des contributions et des aumônes (sourates 6 et 58), les dispositions du contrat de mariage (sourates 60, 10-13 et 33, 50-52), le divorce (sourate 65) ou la tutelle des orphelins (so urate 4). Le Coran aborde aussi les problèmes d'héritage et de droit familial, de même que les actes du culte, mais il traire aussi des punitions corporelles (hadd), de la lapidation ou de la mutilation des membres (so urate 5, 33-40). Les prescriptions du droit sont présentées comm e des commandements de Dieu, de sorte que l'infraction à ces lois est une offense à l'ordre divin de la création. L'homme étant par lui-même trop faible ou trop irréfléchi pour trouver la bonne voie, il a besoin que Dieu le guide sur le chemin du droit. D ' une façon générale, il est clair que Dieu dans sa bonté ne veut pas rendre la vie difficile à l'homme, mais au contraire la lui faciliter ; c'est pourquoi presque rous les commandements de l'islam prévoient des formes d'amendements , des exceptions ou des acres de substitution (pénitences). La loi est dans l'esprit du Coran une lumière qui éclaire l'homme et lui permet de porter le bon jugement. La charia islamique - même si elle connaît des raffinements extrêmement sophistiqués - a revêtu dès le départ un caractère extrêmement pragmatique,
Un musulman faisant l'aumône, miniature perse, Bustan (jardin) de Sadi, Bihzad, xv' siècle, Le Caire, Bibliothèque nationale L'aumône qui devait initialement être spontanée, donna naissance très vite à l'instauration d'une contribution obligatoi re (zakat) qui fait partie des impératifs religieux, et qui est appelée aussi« impôt des pauvres». La zakat est une exercice pragmatique de solidarité
entre musulmans et peut être considérée comme une forme de « législation sociale» avant la lettre. Le croyant fait d'autres aumônes, en particulier pendant le mois du ramadan et les jours de grandes fêtes reli gieuses. L'a ide au x nécessiteux est un princi pe de base. Les non-musulmans n'étant pas soumis à la zakat, ils sont soumis à un impôt individuel spécial qui fait d'eux des dhimmi « citoyens protégés ».
esr célébrée par les musulmans du monde entier. À partir du 12' jour du mois, les pèlerins reviennent à La Mecque où il font encore sept circumambularions d'adie u autour de la Kaaba. Il y a tout lieu de penser que le pèlerinage lui-même et une partie des cérééllO nies dont il s'accompagne datent de l'époque préislamique et que ces usages "nt été repris par Muhammad. L'organisation annuelle du grand pèlerinage et ? ~
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Extension de l' islam jusqu 'en 750 Conquêtes des Omeyyades Co nquêtes des quatre premiers ca lifes ~
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slam à la mort de Muhammad
SY RIE ET PAL ESTINE: LE CALIFAT DES OMEYYA DE S
creuserai pas de canal. Je n'accumulerai pas de trésor... » Cerre proclamation témoigne que même les travaux d'utilité publique, comme le creusement d'un canal, éraient ressentis comme une terrible charge. Avant même la fin de la dynastie des Omeyyades , en 746 , un grand nombre de leurs édifices furent détruits par un tremblement de terre qui ravagea de vastes régions de l'Asie Mineure. Dans un palais comme Mchatta, on trouva les clef de voûte exactement dans la position où elles éraient rombées lors de la catastrophe. Les hosrilirés entre les tribus arabes de Syrie ne furent pas le seul facteur qui affaiblir le pouvoir omeyyade ; les luttes de rivalité pour la succession du califat y contribuèrent aussi beaucoup. I.:appareil de l'État était dirigé comme une entreprise familiale , à laquelle rnus les membres de la famille voulaient participer. Bien sûr, il y eut de multiples tentatives de régler par avance la success ion. Ainsi Hicham employa-r-il tous ses efforts à évincer le fils de son frère , qui devait lui succéder, pour le remplacer par son propre fils. Al-Walid II érair à peine au pouvoir depuis trois mois lorsqu'il fit prêter serment à ses deux fil s al-Hakim er Othman pour leur assurer la succession. Il fur rourefois assassiné er supplanté ensuite par son cousin Yazid al-Walid (744), qui prit la tête de la révo lte contre Walid II. Mais il faut certaine:nent chercher les raisons déterminantes de la chute de la dynastie des Omeyyades dans les tensions internes qui démantelèrent les
rouages du gigantesque appareil de l'État. Il y eut des révoltes et des mouvements d'agitation tour au long de leurs règnes. Dès l'an 680 éclatait un soulèvement des partisans d'Ali, qui fur toutefois écrasé sous son fils Hussayn à Kerbela . La mort d' Hussayn sur le champ de bataille donna au mouvement chiite un martyr dont la mort violente est, de nos jours encore, commémorée tous les ans. Ce fut en définitive le mouvement des Abbassides qui l'emporta sur les Omeyyades. Se réclamant d' un oncle du prophète Muhammad, les Abbassides partirent en guerre contre le régime « impie » des Omeyyades et recrutèrent leurs adeptes essentiellement parmi les nouveaux convertis d'Iran et d'Asie centrale. En 750, après leur vicroire sur le dernier calife omeyyade Marwan, à la bataille du grand Zab, affluent du Tigre, Abu Muslim, chef d 'armée des Abbassides, combattit avec l'archarnement le plus extrême les survivants de la dynastie. Quarre-vingts princes omeyyades furent assassinés à Gaffa au cours d' un festin ; leurs femmes et enfants les suivirent dans la mort. Un seul de ces princes en réchappa, s'enfuit au Maghreb et fonda par la suite un califat en Andalousie. En Syrie, les bédouins arabes se soulevèrent à plusieurs reprises en faveur des Omeyyades, en 810 pour la dernière fois. L'hisroriographie abbassides n'accorda pas aux Omeyyades la place qu'ils auraient méritée; leur souvenir fut donc essentiellement perpétué par la littérature arabe.
661
717-718
Après le meurtre du quatrième
685-687
calife Ali et le renoncement de son fils Hassan au titre de calife,
694
le gouverneur de Syrie Muawiya
674-678
Abd al-Mal ik nomme Hajjaj ibn
le pouvoi r des Omeyyades,
ouest de l'Afrique et fonde
réforme l'adm inistration et
Kairouan
l'économie
Premier siège de Constantinople
720-724 724-743
gouverneur de !'Iraq ; il stabilise
Uqba ibn Nafi conquiert le nord-
698
Nouveau siège de
Gouvernement de Yazid Il Califat d'Hicham ; révoltes constantes; révolte copte contre l'impôt en Égypte (725); lutte pour la juste imposition des nouveaux musulmans non
L'arabe devi ent la nouvelle
arabes {mawali ) sous Harith ibn
langue adm inist rative ; on frappe
Suraij au Khorassan (734-746),
680-683
Gouvernement de Yazid
des monnaies avec des
rébellion sous Zayd Ibn Ali à
680
Révolte de la noblesse ; bataille
inscriptions en écrit ure arabe ;
Kufa, révolte berbère menée par
de Kerbela, où Hussayn, petit-fils
prise de Carthage 701
683-692
Califat de Muawiya Il Guerre civile: à La Mecque
Troubles dans le sud de la Perse 743-744
et en Iraq
749-750
Avec l'extermination de la famille se termine le règne des Omeyyades au Proche-Orient. Abd al-Rahman réussit à s'enfuir en Espagne, où il fonde, en 756, l'émirat de Cordoue
Les luttes pour la succession dominent le califat d 'al-Walid Il,
705-715
Califat d'al-Wal id
711-712
Le gouverneur omeyyade Musa
début du déclin de la dynastie ibn Nussayr mène la conquête
684-685
Califat de Marwan
de l'Espagne ; à l'est conquête
684
Bataille de Marg Rahit entre
du Sind et de la Transoxiane
685-705
révolte contre les Omeyyades
(740)
Abdallah ibn al ZLbayr brigue le titre de calife
Abdallah ibn Muawiya mène une
les Kharijites en Afrique du Nord
du Prophète, trouve la mort. 683-684
744-747
Constantinople
Yussuf (694-7 14)
ibn Sufyan devient calife 670
Révolte de la noblesse dirigée pa r Muktar en Iraq
744
Califat de Yazid Il, suivi de son frère Ibrahim (744); Abu Muslim lance sa propagande pour les Abbassides au Khorassan
les tribus Qays et Kalbides
715-717
Califat de Sulayman
Règne d'Abd al-Malik
717-720
Cal ifat d'Omar Il
744-750
Règne du dernier calife omeyyade Marwan Il
HI STOIR E
63
D 'après la tradition historique, ce furent des motifs de politique intérieure qui entraînèrent l'extension du sanctuaire sur le mont du Temple. Le calife Abd al-Malik cherchait à contrebalancer par son arrachement au mont du Temple de
Architecture Volkmar Enderlein
Jérusalem le sanccuaire de La Mecque et réfréner ainsi l'influence des cercles do-
Jérusalem : le dôme du Rocher Il est dit, dans la vie de Muhammad, que le Prophète s'est retourné au cours du service divin pour ne plus prier en direction de Jérusalem, mais en direction de la Mecque. Ainsi était fixée l'orientation de la prière, la qibla, qui détermine celle de tous les sanctuaires, systématiquement tournés vers le sanctuaire de l'Arabie ancienne, la Kaaba. En fair, ce changement d 'o rientation avait été entraîné par des tensions internes avec les tribus juives de Médine, mais Jérusalem n'en resta pas moins un des principaux centre de la religion musulmane , même après la prise de la ville en 638. La Kaaba de La Mecque et le Temple de Jérusalem sont étroitement liés par le voyage nocturne de Muhammad à travers le ciel. D 'après le texte du Coran (sourate 17,1) , Muhammad fur transporté de la « mosquée sacrée », la Kaaba, à la « mosquée la plus lointaine », le temple de Jérusalem. Les commentateurs musulmans voient là une allusion à un mystérieux voyage nocturne du Prophète de La Mecque à Jérusalem à travers le ciel sur sa fantastique monture, Buraq. De Jérusalem, pour prendre son départ vers le trône de Dieu, il aurait posé le pied sur le rocher qui fait l'objet depuis d' un cuire particulier. Il existe toute une série de liens entre les deux sanctuaires qui jouent un rôle important dans l'histoire d'Abraham, à la fois père des Arabes et des Juifs. La Kaaba de La Mecque, c'est-à-dire, l'image originelle, aurait été construire par Abraham lui-même, et le dôme du Rocher de Jérusalem, sur l'emplacement du temple d'Hérode détruit, fut édifié sur le mont Moriah où Abraham se serait apprêté à sacrifier son fils Isaac (son fils Ismaël selon la conception islamique) . Aussi bien à La Mecque qu'à Jérusalem, la circumambularion des sanctuaires fur toujours un élément essentiel de la religion.
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Le dôme du Rocher à Jérusalem, 691 -692 Le plan de base du dôme du Rocher a un contour strictement octogonal qui, sur ses deux axes principaux, donne par quatre grands portails sur la place du Temple. La puissante coupole est soutenue par quatre piliers avec dans chaque intervalle quatre arcades supportées par trois colonnes. La coupe transversale de l'édifice montre la hauteur impressionnante de la coupole qui s'élève d'environ 30 mètres au-dessus du rocher. La lumière du jour filtre à l'intérieur à travers les nombreuses fenêtres.
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construire sur une grande cour quadrangulaire clôturée par un mur de briques d'argile. Les appartements des épouses se trouvaient côté est de la cour; ils atteignirent le nombre de neuf car on en construisait un à l'arrivée de chaque nouvelle épouse. La cour deYint au fil du temps le lieu très particulier où les fidèles de Muhammad se réunissaient pour la prière. Côté sud, devant le mur de la qibla, on aménagea un espace couvert fair de deux rangées de troncs de palmiers avec une couverture de feui lles de palme. Ainsi le plan de base de la mosquée,
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La grande mosqu ée de Damas, 706-714/ 715 Après que chrétiens et musulmans eurent, durant 70 ans, utilisé en commun la basilique Saint-Jean-Baptiste située au centre de Damas, les nouveaux maîtres la détruisirent entièrement en l'an 706 pour construire sur son emplacement la grande mosquée. On y conserve
néanmoins, aujourd 'h ui encore, une relique chrétienne: la tête de saint Jean-Baptiste, enfermée dans un tabernacle intégré au monument. Une coupole élevée au-dessus de la croisée met en valeur l'emplacement de la niche de prière. Des galeries à deux étages bordent la grande cour sur trois côtés.
Vue sur la salle de prière et le transept, grande mosquée de Damas, 706-714/715 La sa lle de prière donnait à l'origine sur la cour, dont elle était séparée par une alternance d'arcades. li faut se représenter, à la place de l'actuel alignement de piliers, une série de piliers
séparés par des colonnes, comme c'est encore le cas sur les côtés est et ouest de la galerie. La façade de la salle de prière sur la cour est dominée par celle du transept qui s'élève audessus.
de la salle de prière était en m ême temps le mur de la qibla qui indiquait la direction de la prière. Les mosquées des villes-camps devaient être assez grandes pour accueillir toute la communauté islamique de la ville. C'est ainsi que la mosquée construite immédiatement après la conquête, en 638, à Kufa, fur remplacée à peine trente ans plus tard, par une nouvelle construction, plus riche, édifiée par des artisans autochtones non-musulmans. Si le palais du gouverneur de Kufa a été mis au jour par des fouilles, la description de la mosquée qui se trouvait juste à côté s'appuie exclusivement sur des so urces littéraires. Celles-ci semblent indiquer que la mosquée s'élevait sur un terrain carré de 104 mètres de côté. Le toit de la salle de prière était supporté par une véritable forêt de colonnes composée de cinq rangées de colonnes parallèles au mur de la qibla, sur une largeur de 17 travées. C'étaient des colonnes de pierre de 15 mètres de hauteur, qui arrivaient presque jusqu'au toit, sur lesquelles reposait une charpente en teck. Tous les intervalles entre les colonnes étaient égaux, aucune section de la salle de prière n'était donc particulièrement mise en valeur; et la mosquée de Kufa n'avait pas de mihrab. Les galeries bordaient sur une largeur de deux nefs les trois autres côtés de la cour. Les fouilles effectuées en 1942 à Wasit confirmèrent les informations qu'avaient fournies les textes sur la mosquée à cour intérieure des débuts de l'islam. Le gouverneur du calife Abd al-Malik en Iraq, al-Hajjaj ibn Yussuf avait
Vue sur la cour de la grande mosquée en direction du côté est de la galerie L'alternance initiale de piliers et de colonnes a été conservée du côté est. Le rythme d'alternance d'un pilier pour deux colonnes est le
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SYRIE ET PALESTI N E : LE CALIFAT DE S OMEYYA DE S
même que celui de la galerie du dôme du Rocher à Jérusa lem. À l'étage supérieur, le nombre d'arcades de la galerie donnant sur la cour est double.
Mosaïque de la galerie, côté cour, grande mosquée de Damas, 706-714/715 Alors qu'à l'i ntérieur des galeries se sont conservées de grandes surfaces de mosaïques, les mosaïques du côté de la cour ont été plus endommagées. Des 4 000 mètres car-
rés de mosaïques initiaux, il n'en reste qu'une petite partie. Sur le s écoinçons au-dessus des colonnes étaient représentés des arbres ou des motifs végétau x, dont la variété de tonalités rendait même le chatoiement des branches.
commencé la construction de ce nouveau centre administratif en l'an 83 de l' hégire (702) . Comme bien souvent dans le monde islamique, la fo ndation de la nouvelle ville était le résultat de difficultés politiques internes . En l'occurrence, le vice-roi espérait surmonter par une réorgani sation les tensions entre les différents groupes arabes . La mosquée de Wasit fut élevée sur une surface carrée de 104 mètres de côté ; elle semble donc bien avoir copié elle aussi celle de Kufa . La salle de prière fut divisée à son tour par cinq rangées de colonnes parallèles au mur de la qibla formant (à la différence de Kufa) 19 travées. L'emplacement de la maqsura, c'est-à-dire la loge pour le vice-roi, dans l'axe central de la salle, était mis en valeur par des colonnes profilées, ornées de reliefs de palmettes, de feuilles et de grappes de raisins. L'aménagement du mihrab, niche de prière en forme d'abside, dans la mosquée de Médine, fut une innovation apportée à l'architecture de la mosquée à cour intérieure. En l'an 707, le calife al-Walid l" avait fait démolir l'ancienne mosquée de Médine pour la remplacer par un somptueux édifice dont la disposition se rapprochait de celle des mosquées de camp militaire de l'Iraq. La niche aménagée dans le mur de la qibla était une nouvea uté . Elle ne se trouvait toutefois pas dans l'axe central de la salle , et elle n'était pas particulièrement mise en valeur par la disposition des colonnes. Les musulmans traditionnels es timèrent que cette niche rappelait les absides des églises chrétiennes ; ils rejetè rent donc l'innovation ; et il est vrai que le forme de la niche avait été le choix d'artisans coptes qu'al-Walid avait fait venir d'Égypte et de Syrie. La date d'aménagement de la première niche de prière est l'an 709 - un élément déterminant po ur la datation des mosquées dans les châteaux des Omeyyades. Les grandes mosquées d'Iraq furent édifiées dans les villes nouvelles. Lorsque les Arabes prenaient possession de villes anciennes, ils utilisaient en règle générale les bâtiments existants pour faire leur prière commune. Ainsi à Damas, capitale des Omeyyades, c'est se ul ement sous le calife al-Walid l" (705 -
Côté ouest de la cour avec le trésor, grande mosquée de Damas, 706-714/715 Dans l'angle nord-ouest de la cour se trou ve le trésor (Bayt al-Mal) qui a été conservé. Sur huit colonnes antiques, qui n'ont pas de fondations et semblent donc enfouies dans le
sol, se dresse la petite construction à coupole octogonale. Le revêtement de mosaïques à fond d'or est une œuvre de la dernière décennie du xx• siècle.
715) que fut entamée la construction d ' une mosquée centrale. On choisit l' emplacem ent de la basilique Saint-Jean-Baptiste, qui se trouvait dans le périmètre du temple antique de Jupiter au centre de la ville. La démolition de l'église ne pouvait pas manquer de se heurter à la résistance de la population majoritairement chrétienne ; ce fur donc le calife en personne qui commença la démolition. Entièrement vêtu de jaune, il donna le premier coup avec un e hache en or. La responsab ilité du chantier fut confiée à son frère , Sulayman ibn Abd al-Malik, qui lui succéda au pouvoir. L'inscription indiquant le début des travaux n'a pas été conservée, mais les docum ents rapportent que les travaux furent entamés l'an 87 de l' hégire (706) et qu'ils se terminèrent l'année de la mort du calife. Il furent effectués selon le système de la corvée: des papyrus de Haute-Égypte indiquent qu'en 709 des artisans furent appelés pour la construction de la grande mosquée de Damas. Et al -Walid l" aurait écrit à l'empereur de Byzance : « Envoie-moi 200 ouvriers grecs, car je ve ux construire une mosquée, comme mes prédécesseurs n'en ont jamais construit de pareille et que mes successeurs n'en construiront jamais de pareille. »
La grande mosquée de Damas La grande mosquée de Damas, construite en l'espace de dix ans à peine, dépassait par sa magnificence tout ce qui avait pu être édifié jusqu'à ce jour, et les Arabes la comptèrent comme une des merveilles du monde. Le mur de clôture du temenos du templ e de Jupiter, enceinte initiale du périmètre du temple, devint le mur extérieur de la mosquée, qui eut donc d'emblée des dimensions de 100 m x 157,5 m. Sa surface de base était égale à une fois et demie celle des grandes mosquées militaires de !'Iraq. Les tours de garde, placées aux quatre angles, servaient
ARC HITECTURE
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SYRIE ET PALESTINE: LE CALIFAT DES OMEYYA DE S
Vue de la sa lle de priè re de la grand e mosquée de Damas, 706-714/ 715 Avec leurs puissantes colonnes et leurs arcades, les trois nefs de la salle de prière rappellent l'architecture des églises chrétiennes. Seulement l'orientation de la mosquée et celle de l'église sont radicalement opposées. Alors que la basilique est organisée en fonction de l'orientation longitudinale de ses nefs pour déboucher sur une abside, les rangées des colonnes de la mosquée sont devant le mur de la qibla . Les croyan:s se mettent donc en prière parallèlement à elles. La construction de grands arcs permet d'espacer les colonnes de telle sorte que le croyant voit aisément celui qui dirige la prière. Quelques-unes des colonnes antiques ont été détruites lors de l'incendie de 1893 et remplacées par des colonnes modernes.
Mihrab et Minbar de la grande mos qu ée de Damas, 706-714/715 Le puissant transept qui domine la salle de prière de la grande mosquée conduit directement à la niche de prière (mihrab) dont l'emplacement est encore souligné par la grande coupole qui s'élève devant. La niche de prière de l'époque du calife al-Walid l" devait se trouver à l'emplacement où fut construite, vers la fin du x111' siècle, à l'initiative des mamelouks une nouvelle niche de prière avec de précieuses in:rustations de nacre. Cette dernière niche 'ut également détruite lors de l'incendie de 1893. La niche actuelle et la chaire qui la jouxte (minbar) datent de la reconstruction qui débuta en 1894.
aussi de minarets d'où étaie lancé l'appel à la prière ; elles étaient au nombre de
Jérusalem , la lumière pénètre dans l'édifice par une rangée de fenêtres autour du
quatre, sur le modèle de la mosquée édifiée au même moment à Médine. On a mis à nu il y a quelques dizaines d'années le mur extérieur de la mosquée qui se trouve dans le quartier du bazar, et le rapport à l'Anciquicé classique, avec la disposition des accès , est apparu alors encore plus clairement. À l'intérieur de l'enceinte antique du temenos fuc conscruice, côté sud , sur presque coure la longueur, une salle de prière à trois nefs, avec deux rangées de colonnes monumentales à chapiteaux corinthiens , parallèles au mur de la qibla. Le
tambour et dans les murs latéraux. La cour est entourée sur les crois côtés restants d' une galerie qui , étant donné la disposition des arcs , débouche sur la salle de prière à deux étages, avec au rezde-chaussée une alternance régulière d 'un pilier et de deux colonnes et, à l'étage, au-dessus de chaque arcade, une double arcade soutenue par une mince colonne. L'aménagement intérieur de la grande mosquée étaie proche de celle du dôme du Rocher. Le bas des murs était revêtu, suivant la cradicion antique, de splen-
bâti surmontant les colonnes était à l'origine percé de doubles arcatures séparées par des piliers. Avec sa disposition en crois nefs , la grande mosquée ressemblait beaucoup aux églises de la fin de !'Antiquité. Le plafond de la salle de prière était supporté par des arcades qui , grâce à la largeur de l'intervalle encre les colonnes, permeccait aux croyants de s'orienter aisément dans la salle et de voir la niche de prière. Les trois nefs longitudinales sont coupées d' une nef transversale, un transept qui dépasse largement les toits des trois nefs. La croisée, qui se trouve devant la niche de prière, est surmontée d' une coupole. C'est là que !' iman - sous les
dides pierres de revêtement. Au-dessus, sur une hauteur de sept mètres, s'étendait une mosaïque sur fond d'or. Avec 4 000 mètres carrés, la grande mosquée de Damas possédait la plus grande surface de mosaïque sur fond d'or qui ait jamais orné aucun édifice. Ces mosaïques n' one été que très partiellement conservées jusqu'à nos jours dans leur état d'origine, car de grandes parties one été détruites lors de l'incendie de 1893 et elles one dû être remplacées ou complétées. Le trésor polygonal porté par des colonnes qui se trouve dans la cour de la mosquée est revêtu lui aussi de ce type de mosaïque.
Omeyyades, c'était souvent le calife lui-même - se plaçait pour réciter la prière. Le fait que l'emplacement de celui qui dirigeait la prière ait été marqué par une coupole en augmentait la valeur symbolique. La coupole était manifestement un attribut du souverain puisque, dans les châteaux des Omeyyades, la salle du trô ne était, elle aussi, surmontée d' une coupole. Comme au dôme du Rocher à
dans la cour, car les murs extérieurs de la mosquée sont relativement peu décorés. Comme dans la maison orientale ou d'autres constructions islamiques, dans la mosquée, les éléments essentiels donnent sur la cour intérieure, la façade du transept assumant toutefois un rôle spécifique.
L'édifice n'apparaît au visiteur dans coute sa splendeur qu'après qu' il est encré
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I..:architecture de la grande mosquée de Damas a pris valeur de modèle : pour la première fois, l'importance de la niche de prière du mur de la qibla, dans la salle de prière, était so ulignée par un transept et une coupole. Cette disposition fut reprise par la suite, avec des variantes , dans de nombreuses mosquées à cour intérieure.
Les châteaux du désert des Omeyyades Les palais construits par les Omeyyades posent au visiteur d'autres problèmes que le dôme du Rocher à Jérusalem et la grande mosquée de Damas , dont on arrive assez facilement , en dépit de toutes les transformations ultérieures , à se représenter l'état initial. Grâce au système de fondations pieuses institué par l'islam, le waqf, ces monuments ont été constamment entretenus. En revanche, il faut faire appel aux données archéologiques pour parvenir à reconstituer ce qu'ont pu être les palais des Omeyyades dans les villes, et on peur Qasr al-Tuba, Jordanie, milieu du v111' siècle Ce château fait de constructions jumelles était certainement destiné aux deux fils du calife alWa lid Il qu'il fit reconnaître comme ses successeurs en 743, peu après sa montée sur le trône. En ce qui concernait les détails concrets, comme
la technique de la brique et des voûtes,c'est avec le palais de Mchatta qu'on observe les plus nombreux parallèles. L'utilisation de cette technique de la brique, inhabituelle en Syrie, s'explique par le fait que le calife fit venir des briquetiers et des maçons d'lraq pour la construction de l'éd ifice.
presque dire la même chose de leurs châteaux du désert qui ne se présentent à nous que comme des champs de ruines. À une exception près cependant, le château balnéaire de Qussayr Amra, qui nous est resté presque intact, même si ses peintures ont un peu souffert au cours des treize siècles de son existence. Après la fin de la dynastie, les châteaux n'ont plus été occupés que par les bédouins , avec leurs troupeaux, ou ils ont servi d'abri aux oiseaux de nuit. S'ils ne s'étaient pas effondrés lors du tremblement de terre de 746, ils sont tombés en ruine au cours des siècles suivants . Mais leur mauvais érar s'explique parfois aussi par le fair qu'ils n'ont jamais été terminés . Lorsque les califes séjournaient à Damas, ils occupaient le palais situé au sud de la grande mosquée. Dans les villes islamiques, la mosquée principale et le palais éraient toujours très proches, de manière à réduire au maximum la distance qu'auraient à parco urir le calife et le gouverneur pour se rendre à la mosquée. Du palais de Damas, nous savons seulement qu'il éraie surmonté d' une coupole verte et se trouvait à l'intérieur d' un immense bassin.
À Kufa, des fouilles ont été effectuées sur l'emplacement du palais de la ville. Le gouverneur résidait dans une sorte de citadelle élevée sur un plan de base carré d'environ 70 mètres de côté. Ainsi les dimensions de la construction édifiée à la fin du Vll' siècle correspondaient-elles aux normes des châteaux du désert. Le mur extérieur étaie renforcé par des tours , la porte particulièrement mise en valeur. En face de la portes' ouvrait sur la cour une salle à trois nefs débouchant sur une salle à coupole. Cette disposi tion se retrouve aussi dans le plus imposant de ces châteaux qui est cel ui de Mchatta. À Kufa, la première salle et la salle à coupole servaient certainement aux séances du conseil et aux audiences, tandis que la destination des pièces er appartements qui se trouvent sur les autres côtés de la cour n'est pas certaine. Les châteaux du désert nous donnent une idée plus précise de l'architecture des palais des Omeyyades que les ves tiges de Kufa. La désignation est en elle-même un peu trompeuse, dans la mesure où ces édifices ne se trouvaient pas véritablement dans le désert mais sur la steppe, parfois même sur des terres fertiles. Ils forment une chaîne allant des châteaux de Qasr al-Mcharra, Qasr al-Tuba et Qussayr Amra en Jordanie, en passant par Khirbac al-Mafjar près de Jéricho en Palestine et Khirbat Minya au bord du lac de Genezareth, en Israël, jusqu'aux châteaux
Enfilade d 'ouvertures, Qasr al-Tuba, Jordanie, milieu du v111' siècle Ce château est construit en brique sur un soubassement de pierre.On observe encore aujourd'hui la tech nique de voûte à deux strates. Les
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LE CALIFAT DES OMEYYADES
cavités ménagéE s dans les murs supportaient sans doute à l'origine les linteaux des portes que les bédouins ont certainement utilisées pour faire du feu.
d'Usays, Qasr al-Hayr al-Gharbi et Qasr al-Hayr al-Charqi en Syrie. À l'exception du château balnéaire de Qussayr Amra, tous ces édifices étaient constitués d' un bastion carré flanqué de tours, auquel furent ajoutés parfois ultérieurement, comme à Khirbat al-Mafjar, d'autres bâtiments. Ils avaient généralement environ 70 mètres de côté. À Qasr al-Tuba, deux constructions jumelles, deux châteaux de ce type furent édifiés l'un à côté de l'autre. Mchatta et Qasr al-Hayr ont une longueur de côté double, ce qui quadruple la surface au sol. Dans tous ces châteaux, les appartements étaient disposés autour d' une grande cour qui était entourée, dans les édifices de plus petites dimensions, d' une galerie couverte.
La conception architecturale du château du désert, fausse forteresse Un coup d' œil sur le plan de base des châteaux omeyyades permet de constater qu'ils s'organisaient autour de deux diagonales, sur lesquelles étaient reportées les mesures. Lorsque les diagonales ne se coupaient pas exactement à angle droit, le plan de base étaie modifié en conséquence. M chacca offre un exemple particulièrement éclairant de la conception de ce plan de base. On notait dès 1932 cette disposi tion suivant des diagonales. Elles
Qa sr Kharana, Jordanie, début du v111• siècle À l'image des palais omeyyades, Qasr Kharana est conçu comme une fausse citadelle. Les murs sont flanqués :le tours semicirculaires ou de tours d 'angle de trois quarts de cercle, et la porte est dans une tour « ouverte ». L'édifice n'a pourtant qu'un quart des di mensions des plus petits des châteaux. Et même la technique des murs de pierre crépis indique une économie des moyens de construction. L'édifice à deux étages fut sans doute constru it dans les premières années du v1 11• siècle, car une inscription de 710 indique le nom d'un visiteur. Il semble que ce lieu ait été une auberge de pèlerins, avec des écuries au rez-de-chaussée e: des appartements au premier étage.
Vue intérieu re de Qasr Kharana , Jordanie, début du v111• siècle Même l'aménagement intérieLr de cet édifice a été exécuté avec un souci d'économie. Les murs sont revêtus d'un crépi lis,e, les éléments architecturaux sans ornementa:ion, comme les demi-colonnes que nous voycns ici, surmon tées d'arcs en plein cintre. La seule ornementa tion est constituée de ro5aces à motifs végétaux qu i forment une frise en bordure de pl afond dans quelques-unes des salles.
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rejoignent les angles de la grande cour et coupent la voie centrale de telle sorte que les dimensions du corps de bâtiments de l'entrée, avec la mosquée, correspondent à celles des bâtiments de résidence avec la salle du trône. Les recherches récentes à Mchatta ont permis de nouvelles découvertes sur le plan de ces palais. On a réussi à établir les proportions entre la structuration de la façade principale et les dimensions du plan de base. On a pu constater que l'unité de mesure de 57,66 cm déterminée pour la structuration de la façade, que nous appellerons l'aune, était aussi la mesure de différents intervalles à l'intérieur du
Pa lais de Mchatta,Jordanie, 743-744 Parmi les châteaux des Omeyyades, Mchatta est le plus richement aménagé. Il était composé d'une grande cour autour de laquelle étaient ou furent progressivement groupés
Les vastes portes revêtaient une importance particulière. Elles étaient encadrées de deux tours ou s'inscrivaient elles-mêmes dans une tour semi-circulaire ou-
château. Les diagonales de la cour mesurent 140 aunes (168 m), ce qui donnait une dimension de côté de 99 aunes (118,8 m). Une observation de la division tripartite de cet ensemble fait apparaître cette dimension particulièrement judicieuse. La salle à trois nefs conduisant à la salle du trône a été construite sur une surface de 30 sur 40 aunes (36 m à 48 m). Les diagonales de la salle du trône mesurent très exactement 24 aunes (28,8 m). Er toutes les distances que nous venons d'énumérer correspondent au millimètre près à l'aune en vigueur à
verte, comme à Khirbar Minya et Usays. Un coup d'œil a la porte qui a été conservée à Qasr al-Hayr al-Charqi, dont les tours semi-circulaires ne sont pas décorées , suffit à constater la hauteur vertigineuse que pouvaient atteindre les tours d'encadrement. La seule ornementation de cette façade est une porte romaine disposée là comme trophée. À Qasr al-Hayr al-Gharbi, les tours de la porte éraient ornées de décors en stuc sur les deux tiers supérieurs. Les tours de la porte de Mcharra ont été édifiées sur un plan de base polygonal et la partie basse de leur mur extérieur est revêtue de reliefs couvrants. Le délabrement de Mchatta fair pa-
Mchatta.
raître douteuses toutes les tentatives de reconstitution d~ la façade jusqu'à la hau-
L'effet de forteresse que font ces châteaux est renforcé par les hauts murs flanqués de tours. Ce n'éraient pourtant pas de véritables forteresses, parce qu'ils ne présentent aucun des aménagements nécessaires pour se défendre d'un long siège . Les tours éraient remplies de déblais, ou servaient de latrines, comme à Mchatta.
teur présumée. Les portes éraient toujours agrémentées de bancs, où les visiteurs attendaient avant d'être reçus en audience. Comme nous l'apprend la Bible (Amos, V, 15 ; Zacharie, VIII , 16), les portes des palais éraient souvent, depuis très longtemps en Orient, l'endroit où éraie rendue la justice. Les porches des palais des Omeyyades remplissaient peur-être aussi cette fonction.
Façade de la porte de Mchatta, Berlin, Museum für lslamische Kunst L'entrée principale du château se trouvait sur le côté sud du mur d'enceinte. Elle était mise en valeur par des tours polygonales et une riche ornementation en relief qui s'étendait d'un côté et de l'autre jusqu'aux tours suivantes. Une ligne brisée divisait le mur en triangles, chacun orné d'une grande rosace. Le fond du mur était revêtu de fines sculptures en relief représentant sur un fond de rinceaux de vigne des groupes d'animaux et de créatures fabu leuses. Sur la moitié droite de la façade, qui correspondait à l'emplacement de la mosquée, à l'intérieur, l'ornementation se limitait aux rinceaux de vigne, sans représentation d'êtres animées. Sur la partie gauche, on retrouve au contraire fréquemment la représentation de paires d'animaux ou de créatures fabuleuses autour d'un bassin.
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les bâtiments. Même l'appartement résidentiel donnait sur la cour par trois arcades. De part et d'autre de l'entrée se trouvaient des appartements dont les murs de brique lisses étaient percés d'arcades.
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Les différents corps de bâtiments Le centre des châteaux était, comme nous l'avons dit, la vaste cour intérieure. Ils reprenaient ains i un trait caractéristique de la maison orientale ou de la mosquée à cour intérieure. Comme dans la grande mosquée de Damas , où la cour était dominée par la façade du transept de la salle de prière, à Mchatta, la cour était dominée par les arcades qui s'ouvraient sur la salle du trône . C ette salle à trois nefs débouchait sur une deuxième salle augmentée à son tour de crois hémicycles . La forme de cette salle se terminant par une rriconque avait été empruntée aux constructions des origines du christianisme, la seule nouvea uté était son o rientation nord-sud. Lorsque le calife prenait place sur son trô ne dans la salle a ux trois hémicycles, il regardai r à travers la salle vers la cour et se trouvai r exactement dans la direction de la qibla, la direction de la prière, en fon ction de laquelle s' organisait to ute l'archirecrure du château. Sur la droite, à cô té de la porte principale, se trouvait la mosquée. Le m ih rab, niche semi-circulaire, érair logé dans le mur d ' enceinte. Mchana partageait avec les châteaux d e Kh irb ar Min ya et de Qasr al-Hayr al-Charqi la particularité de la présence d ' une m osquée à l' inté rieur de son périmètre. Les salles de prière avaient parfois, comme à Khirbar
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Minya, un deuxième accès, de sorte que les croyants pouvai ent y p énétrer de l'extérieur pour participer à la prière san s devoir obligatoirement emprunter l'entrée noble du châtea u. Lorsqu' il n'y avait pas de mosquée à l' intéri e ur du ch â-
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20 m
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teau, une petite mosquée était aménagée à proximité immédiate, co mme à Usays et à Khirbat al-Mafjar. Ce d ernier éraie aussi orienté en fonction d e la qibla ; du reste le château avait un mur extérieur commun avec la mosquée. Les mosquées des châteaux étaient de simples salles rectangulaires avec deu x o u cro is rangées de piliers devant le mur de la qibla. Elle avaient toutes un mihrab en form e de niche, pareil à celui qui avait été aménagé pour la première foi s à la grande mosquée de Méd ine en 709. Il faut donc croire que les châ teaux en questi o n o nt été édifiés plus tardivement. La normalisation des formes archirecrurales so us la
Plan de base et accès à la salle du trône de Mchatta, Jordanie, 743-744 Sur un plan de base carré, avec une longueur de côté de 144 mètres, Mchatta est un des plus grands château x des Omeyyades. Seule la partie centrale qui se trouvait derrière la fa çade princ ipale a été en partie construite. Par la grande porte,avec sur sa droite la mosquée,
et un espace où était projeté l'aménagement de bains sur la gauche, le visiteur parvenait dans la cour. li se trouvait alors devant la salle à trois nefs (qui s'effondra lors du tremblement de terre de 746) qui menait à la salle du trône. La véritable salle du trône, sur laquelle débouchait cette salle, était une salle à triconque dont on ne voit ici qu'un côté.
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Qasr al-Hayr al-Charqi, Syrie, deuxième quart du VIII' siècle Cet éd ifice est lui aussi une fausse citadelle avec un puissant mur d'enceinte flanqu é de tours de fortification. La porte se trouve entre deux tours semi-circulaires. La structuration de
la construction se limite à de simp les profils. La brique est crépie suivant la tradition iraqienne. D'a près une inscription, l'édifice date de 728729, sous le calife Hicham.
Vue intérieure du mur d'enceinte de Qasr al-Hayr al-Charqi, Syrie, seconde moitié du v111' siècle À l'ouest du petit édifice de Qasr al-Hayr alCharqi se trouve la grande enceinte qui, avec
une double longueur de côté, circonscri t une quadruple surface. Elle entourait une véritable vi lle où se trouvaient la mosquée, des habita tions et des échoppes.
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Ci-dessous : la mosquée de Qasr al -Hayr al-Charqi, Syrie, deuxième quart du v111' siècle On a découvert à l'angle sud-est de la grande enceinte, dont les dimensions laissent suppo-
se r l'existence d'une vi ll e, les vestiges d'une mosquée qui est dans ses détai ls architectoniques la reproduction de la grande mosquée de Damas en petit format.
d~' nasrie des Omeyyades s'étendit même aux niches de prière. Les mihrabs de .\!chatta et de Khirbar Minya one exactement la même largeur de 1,62 mètre, alo rs que par ailleurs les châteaux et leur aménagement se distinguent rrès netteme nt les uns des autres . En règle générale, les châteaux des Omeyyades abritaient des équipements de bains. Étant donné leur localisation , juste en bordure de la steppe, le probl ème de l'approvisionnement en eau était particulièrement délicat. Les textes nous donne nt la mesure des complications que cela pouvait entraîner avec la construction de la « ville d'al-Walid >·. Leau était acheminée par un aqueduc ou par des onduites souterraines. C'est sans doute ce qui explique le choix de l'emplaceme nt d' une construction byza ntine pour un château comme Qasr al-Hayr alG harbi, car les insrallarions d'adduction d'eau existantes pouvaient être remises en service ou continuer d'être utilisées. Il était possible aussi, comme à Qussayr Am ra, que l'eau provînt d' un puits d'où elle était tirée par un manège. Toute installation de bains suppose un chauffage, qui était assuré par un hypocauste, systè me de fourneau alimemanr des conduites en air chaud. La succession des salles, avec air chaud, eau chaude et eau froide était calquée sur le modèle de l'Anriquiré, Q ussayr Amra est un petit pavillon de bains, un établissement de bains isolé, avec une salle d'audience. D éjà la vue extérieure laisse à penser que des salles de for me et de dimensions différences n'avaient été adjointes qu'en raison de leur fonction. Si une importrnte foule de visiteurs devait être réuni e là, il fallait les abriter comme à l'o rdinaire sous les rentes de bédouins. Toutes les salles éraient décorées de peintures murales , les sols ornés de mosaïques. À Khirbar al-Mafjar, un seul vaste édifice servait à la fois d'érablissemenr de bains er de salle de réceptio n. Les installations sanitaires adjacentes aux bains , avec 23 latrines, donnent une idée de la capacité d'accueil des établissements, La salle d'audience où le maître des lieux recevait ses hôtes éraie une salle édifiée sur 16 piliers en faisceau , avec des sols couverts de mosaïques précieuses et variées . Selon les archéologues, cette salle aurait éré conçue pour des prestations musicales. Son commanditaire semble avoir été al-Walid ibn Yazid, donc nous avons vu qu'il s'était largement adonné à sa passion de la poésie et de la musique avant d'accéder au pouvoir. Ces salles d'audience, antichambres des bains, issues des salles de déshab ill age et de repos des bains antiques, assuraient avant tout une fonction de prestige, ainsi qu'en témoignent leur raille et les rhèmes de leur décoration. À Mcharra, la succession de petites salles à !'encrée prouve que l'aménagement de bains ava it été prévu, mais la construction ne dépassa pas le stade des fondations. Les véritables appartements au sein des châteaux sont souvent des ensembles de cinq pièces , qu'on a pris coutume d'appeler bayt (maison). Il y a quarre ensembles de ce rype à Mchatta des deux côtés de la salle du trône. Ce sont de hautes salles, couvertes par des YOÛtes en berceau, qui one été relativement bien conservées. Elle sont rafraîchies par d'étroits canaux d'aération . Le nombre de quarre groupes de cinq pièces à Mchatta s'explique sans doute par une prescription du Coran autorisant le musulman à avoir quarre épouses légitimes (sourate 4,3) qu' il devait traiter sur un même pied d'égalité,
Datation et fonction des châteaux du désert La datation des châteaux en Jordanie, Palestine et Syrie fit très longtemps l'objet de violentes controverses, Encre-temps, un grand nombre de châteaux ont été l'objet de fouilles beaucoup plus approfondies et on a trouvé des inscriptions indiquant les noms des commanditaires, Les fouilles de Khirbat Minya dans les an nées trente du XX' siècle one mis au jour l'inscription indiquam le nom du commanditaire, alWalid, et du maître d' œuvre, Abdallah . On a découvert à proximité du château d'Usays des inscriptions où figuraient les noms des fils d'al-Walid (705-715), ce qui semble prouver qu'Usays a aussi été construit sous son règne. On a tiré la même
Tour de garde romaine, Qasr al-Hayr al-Gharbi, Syrie, 111' siècle Il n'était pas rare que des éléments d'édifices de !'Antiquité soient in tégrés aux nouvelles constructions islamiques. Cela vaut aussi pour
les tours de garde des fortifications byzantines ou romaines sur la frontière orientale de l'empire. Au château de Qasr al-Hayr alGharbi, l'encadrement de la porte et la tour nord-est étaient des trophées antiques.
conclusion d' une peinture de Qussayr Amra représemanr le calife sur son trône . Tous les rois du monde, désignés par des inscriptions arabes ou grecques, lui rendem hommage, avec parmi eux Roderich , roi des Wisigoths, comemporain du calife al-Walid l". Nous avons mentionné d'emblée l'inscription de Qasr al-Hayr al-Charqi de 728-729, désignam comme commanditaire le calife Hicham (724743); er des graffiris de l'époque d' Hicham ont été découverrs aussi à Khirbar alMafjar. Même à Mchatta, dont la datation était la plus problématique, on a découve rt en 1964 au co urs de travaux de nettoyage une brique porram une inscription de cinq lignes en écriture coufique. Il s'agir d ' un projet de lettre, dom l'expéditeur est un certain Sulayman ibn Kaysan. Ce personnage occupa sous les
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Les différentes techniques de construction utilisées, en raison de l'application du système de contributions en travail fournies par des artisans de différentes traditions, semble aussi montrer que ces châteaux datent des Omeyyades. Les briques et la technique de maçonnerie du corps de bâtiments résidentiels de Mchatta sont issues de !'Iraq, tandis que les parties d'habitation du corps de bâtiments de l'entrée rappellent les techniques des tailleurs de pierre de Syrie ou d'Égyp te. Les Omeyyades s'étaient donné la possibilité de faire venir sur un chantier des ouvriers du bâtiment des provinces les plus lointaines de leur empire ; ils les faisaient travailler, mais ils employaient tous des techniques différentes. La fonction de ces châteaux, très éloignés des grandes villes de Syrie et de Palestine, est aujourd'hui encore contestée. On a suggéré récemment qu'il pourrait s'agir de demeures seigneuriales au centre de vastes latifundia, édifiées pour des membres de l'aristocratie arabe afin qu'ils puissent administrer leurs domaines. Actuellement, la pénurie d'eau fait qu'il ne peut pas y avoir de production agricole à proximité de la plupart d'entre eux, mais il se peut qu'en plus d'un millénaire les conditions climatiques se soient quelque peu modifiées. On a tenté aussi d'expliquer l'existence des châteaux par l'habitude qu'avaient les
Vue de la salle d'audience de Khirbat al-Mafjar, Palestine, seconde moitié du v111' siècle La salle de réception des bâtiments de bains était supportée par une forêt de piliers en
faisceau. lis ont été conservés jusqu'à une impressionnante hauteur. On a également mis au jour entre les piliers de riches pavements de mosaïque, dont la composition était conçue en fonction de la forme des voûtes.
califes Hicham, al-Walid II et Yazid III (744), différents postes importants, et l'on sait que lui et ses frères furent assassinés en 750 lors de la prise de Damas par les armées abbassides. Il faut croire que l'inscription a été composée à la fin de la dynastie des Omeyyades, sans doute sous al-Walid II, qui est aussi consi déré, pour d'autres raisons , comme le constructeur de Mchatta. Qasr al-Tuba
Omeyyades de fuir les grandes villes pour poursuivre dans la steppe syrienne le mode de vie de leurs ancêtres du sud de l'Arabie fondé sur la chasse, le plaisir du vin et de la compagnie. Il y aurait toutefois une explication politique : à partir de ces châteaux situés en bordure des terres agricoles, les Omeyyades pouvaient entretenir leurs relations privilégiées avec les bédouins arabes dont les terrains de pâture se trouvaient à proximité tout à fait immédiate. U n si grand nombre d'objets d'arts liés à l'architecture nous ont été conservés dans ces mosquées et palais des Omeyyades qu'ils permettent en tout cas de se faire une idée précise de l'art plastique et de la peinture de cette époque. Les sculptures et les grandes peintures figuratives découvertes dans les châteaux ont marqué de façon définitive la représentation de l'art islamique des origines et rectifié les préjugés dominants.
aurait aussi été édifié sous son règne. Cet édifice est très proche de celui de Mchatta par un certain nombre de particularités techniques comme la brique et la structure des voûtes. La construction de deux édifices jumeaux pourrait s'expliquer par le fait qu'al-Walid II avait décidé de construire une résidence à chacun de ses deux fils, al-Hakim et Othman qu'il avait fair reconnaître comme ses successeurs.
Salle de l'entrée du château de Khirbat al-Mafjar, Palestine, deuxième quart du VIII' siècle Avec une série de bancs, cette sal le offrait aux visiteurs la possibilité de se reposer. À travers la porte, on avait directement vue sur la cour
La salle d'aud ience de Khirbat al-Mafjar, Palestine, deuxième quart du v111' siècle La sa lle d'audience jouxtant les bains ét ait une construction très structurée. El le avait sa propre porte. Dans la sa lle de réception qui servait aussi à des concerts, les espaces à coupoles et à voûtes en berceau se disposaient autour d'une coupole centrale. Une salle latérale était réservée aux réceptions du calife.
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et ses colonnes. L'ouverture en rosace qui se trouvait en face de l'e ntrée est ornée d'un trei llis achevé. C'est pour des effets de décoration qu'elle se trouve à cet emplacement.
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Ornementation des édifices Volkmar Enderlein
plusieurs grands rois sassanides se caractérisaient par un ornement de paires d 'ailes ou de palmettes ailées et elles se retrouvent avec ces motifs sur les mosaïques du dôme du Rocher. On a parfois voulu interpréter cette figuration de couronnes comme celle d'éléments votifs. Représentés par leur couronne, les
Le s mosaïques
souverains vaincus auraient ainsi rend u hommage au Rocher sacré. La décoration du dôme du Rocher prit ainsi un aspect que l'on évoque aussi à propos de la Kaaba à La Mecque. Au fil de leurs conquêtes, les Arabes avaient rapporté de toutes les régions du monde qu'ils avaient soumises de précieux objets, trônes et couronnes qu'ils avaient envoyés à La Mecque où ces objets étaient exposés dans
Les murs du dôme du Rocher à Jérusalem comme ceux de la grande mosquée de Damas sont revêtus d'immenses mosaïques d'une époustouflante somptuosité, mais les différentes propositions d'interprétation qui ont été faites à leur sujet
la Kaaba. Peut-être les représentations d'objets comparables voulaient-elles rehausser le statut et réaffirmer la valeur du dôme d u Rocher par rapport à la
n'ont pas permis de résoudre l'énigme de leur signification. Les mosaïques murales du dôme du Rocher représentent sur fond d'or un jardin fantastique, où les arbres réels, palmiers ou oliviers sont toutefois relativement rares . Ce sont le plus souvent d'opulentes guirlandes de feuillage en spirale, des acanthes, qui remplis-
Kaaba. Les arbres ornés de pierres précieuses du dôme du Rocher ont aussi été interprétés comme une vision du paradis, puisque dans son commentaire du Coran en trente volumes, al-Tabari, esprit universel de l'époque abbasside, décrit l'arbre lo-
sent des espaces rectangulaires ou triangulaires. Le feuillage se dégage d' un faisceau de feuilles ou de vases précieux. Que les palmiers portent des dattes ne semble avoir rien d'étonnant. Mais lorsque s'accrochent à ces rinceaux, entre les feuilles des grenades et des grappes de raisin, on est convaincu de se trouver dans un jardin fantastique.
tus richement chargé de pierres précieuses.
Les couronnes royales sont des « fruits » d ' une catégorie particulière, insérés entre autres précieux ornements dans les guirlandes. Sous leurs formes diverses, elles rappellent les modèles iraniens sassanides. Les couronnes de
Le style des mosaïques du dôme du Rocher rappelle par bien des détails les mosaïques des églises chrétiennes. On retrouve des arbres identiques, aux feuilles d'acanthe charnues, dans les revêtements de mosaïque de l'église de la Nativité à Bethléem. Certains de ces arbres évoquent aussi toutefois par la stylisation de la représentation de fleurs de palmettes et de palmettes ailées l'influence de l'art sassanide de l'Iran, que nous retrouverons encore à maintes reprises dans les châteaux des Omeyyades. Le revêtement de mosaïque de la grande mosquée de Damas est unique en son genre. Sur tous les murs des galeries, comme à l'origine sur ceux de la salle de prière, s'étend un large bandeau avec une représentation de paysage. La partie inférieure est occupée par un tumultueux cours d'eau, sur les berges duquel s'élèvent, sur fond d'or, des arbres pouvant atteindre jusqu'à sept mètres de haut, chargés de fruits. Les formes des troncs, des branches et des feuilles sont si nuancées, que la lumière semble jouer sur elles. Lalignement d'arbres est entrecoupé de groupes de constructions . Ces édifices sont extraordinairement variés : des maisons cubiques se superposent pour former de véritables montagnes ; des salles hypostyles s'ouvrant en demi-cercle ménagent de vastes places ; des pavillons sont réunis en pittoresques ensembles. On dirait que les éléments architecturaux les plus contrastés ont été combinés pour donner une composition fantastique . Une observation plus attentive révèle un univers où il n'y a pas d'oiseau dans les branches, pas de poissons dans le cours d'eau. Sachant que ces mosaïques ont été conçues pour l'ornementation d' une mosquée, il est clair que nous sommes en présence d' un des premiers exemples d'application de l'interdit islamique de lareprésentation de créatures animées. Cet interdit ne découle pas directement d'une prescription coranique de Muhammad ; tous les hadiths (communications orales du Prophète) qui se rapportent à cette sentence ont été réunis bien longtemps après sa mort, aux VIII' et IX' siècles. Sa position se traduit toutefois clairement par l'élimination des idoles païennes de la Kaaba, en 630, après la conquête de La Mecque. Linterdiction des images est illustrée aussi par la réforme de la monnaie qu'entreprend le calife Abd al-Malik en 696-697, remplaçant sur les pièces les portraits par des textes religieux. Dans le domaine artistique, sous la dynastie des Omeyyades, l'interdiction des images se limite à l'ornementation intérieure des mosquées .
Détail de la galerie sur le côté o uest de la cour, grande mosquée de Damas,
706-714/715 Alors que les écoinçons au-dessus des colonnes de la galerie sont ornés d'arbres, les espaces un peu plus grands, au-dessus des piliers, sont
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SYRIE ET PALESTINE: LE CALIFAT DES OMEYYADES
ornés d'é léments architecturaux. Nous avons ici une juxtaposition d'éléments caractéristiques: colonnes corinth iennes, arcades, plafond à caissons, balustrade et différentes formes de toits. Les mosaïques de l'intérieur des arcatures suivent la même configuration.
Façade du transept sur la cour, grande mosquée de Damas, 706-714/ 715 Le transept donne par trois hautes arcades sur la cour. Après le grand incendie de 1893, seuls de petits fragments de la mosaïque origina le ont été conservés. Ils ont été entre-temps somptueusement restaurés et complétés; ils donnent une idée assez exacte du faste de l'édifice pour la construction duquel le calife al-Walid I" avait prié l'empereur de Byzance de lu i envoyer des artisans.
Élément de la mosaïque de la galerie occidentale, grande mosquée de Damas, 706-714/7 15
Les éléments d'architecture qui alternent avec les arbres sur la mosaïque du Barada semblent (un peu à la manière des égl ises syriennes et jordaniennes des débuts du christianisme) des références condensées à des édifices ou à des localités précises. C'est pourquoi on a supposé qu 'étaient représentées là les plus grandes vi lles du monde.
Les mosaïques de Damas one donn é li eu, elles aussi , à différentes tenta-
des mosaïques de la grande mosquée de Damas, cerrams groupes d 'édifi ces
tives d'inter pré tation. L'idée que le cours d 'eau pourrait être le Batada qui tra-
étaient s i fam iliers et caractérisaient si parfaitement les villes qu' il était inutile
verse la ville, et les constructions celles de Damas semble extrêmement réaliste.
d e les nommer.
Une autre interprétation pan du principe que, sur le modèle de !'Antiquité tardive, on a représenté ici, par ces groupes de const ru ctions différences, les vill es du monde islamique, donc on aurait vou lu réunir le panorama dans la mos-
L'ornementation figurative
quée centrale des Omeyyades. Cette conception pourrait être inspirée des re-
Si, pour l'ornementation intérieure du dôme du Rocher et de la grande mosquée
présentations successives de vi lles sur les so ls en mosaïques des églises de la fin
de Damas, on observa manifestement l' interdiction des images, les restrictions de
de !'Antiquité en Syrie. Ces villes se différencient éga lement par la forme de
cet ordre n'intervi nrent pas dans l'aménagement des châteaux. La statue de la fa-
leurs constructions, m ais e lles sont généralement explicitement désignées par
çade d e Mchan a et les sculptures découvertes dans les bâtiments résidentiels du
une inscription en g rec. Il est possible qu'aux ye ux d es premiers observate urs
châ tea u étaient si pe u co nciliables avec la représentation que l'on se faisait au dé-
ORNEMENTATION DE S ÉDIFICES
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Lion de Mchatta, Jordanie, 743-744, Berlin, Museum für lslamische Kunst On a décou vert dans les bâtiments d'habitation de Mchatta des fragments de sculptures, en particulier ce lion sculpté couché. De nombreux détails du corps de l'animal sont dessinés, notamment les boucles spiralées de la crinière. Des visiteurs iconocla stes ont mutilé la tête de l'animal; celui-ci était certainement destiné à être placé à proximité du trône pour symboliser le pouvoir royal. Le command itaire de Mchatta, al-Walid Il, était connu en outre pour sa passion de la chasse au lion.
bue du XX' siècle de l'arc islamique qu'on douta même que l'édifice datât vé ritablement des Omeyyades. Les foui lles de Qasr al-Hayr al-Gharbi en Syrie et de Khirbac al-Mafjar en Palestine dans les années trente et quarante firent toutefois découvrir un si grand nombre de représentations figuratives du même ordre, dont l'origine islamique étaie indiscutable, qu'il fallut rectifier entièrement la conception que l'on avait de l'arc islamique des origines. Les crois châteaux étaient ornés de sculptures. Si l'histo ire die que Qasr al-Hayr al-Gharbi a été construit par le ca-
life Hicham (723-743), Khirba t al-Mafjar et Mchatta sont attribués au cali fe alWalid II ibn Yazid (743 -744). Les deux califes, l'oncle et le neve u, étaient manifestement deux personnalités très différences ; Hicham passait pour pieux, mais al-Walid II avait une réputation d'impiété. Or leur rapport à l'arc et à l'interdiction des images semble avoir été similaire. Tous les vêtements précieux que le calife al-Walid II offrit à des chanteurs qu'il appréciait étaient ornés de personnages. Les étoffes à décor figuratif éraient co nfectionnées dans les anciennes provinces
Fragment de la porte de Qasr al-Hayr alGharbi, Syrie, deuxième quart du v111' siècle, Damas, Musée national L'intérieur ainsi que la façade de la porte du château de Qasr al-Hayr al-Gha rbi sont décorés de stuc. Le motif de ce fragment figure un arbre fruitier duquel s'élève un cep de vigne. Les formes végétales animées se détachent sur un fond sombre. Les Omeyyades utilisèrent également dans la décoration de leurs château x, en Syrie, la technique du stuc rapportée d'lraq où elle s'éta it développée durant des siècles, sous le règne des Sassanides perses.
Décor de la coupole de Khirbat al-Mafdjar, Palestine, deu xième quart du v111' siècle, Cette grande rosace ornait le centre de la coupole de la salle de réception à l'entrée des bains. De son centre à six lobes se dégagent des têtes de j eunes filles et de jeunes garçons entourées de rinceaux. Le caractère fruste du dessin des visages correspond au style de la représentati on figurative dans l'ensemble de l'édifice. Cette ro sace a aussi été interprétée comme une représentation du paradis.
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SYRIE ET PALE STINE
LE C ALI FAT D ES OM EYYA DE S
b~-zantines et en Iran. Il y a tout lieu de penser, étant donn é la prédilection du cali rè pour les produits de l'Iran sassanide, que les vê tements qu'il portait lui-même ~raient faits de précieuses étoffes de soie iranienne à décor figuratif. Des étoffes du même genre enveloppaient les reliques chrétiennes et nous ont été conservées de sorte que nous pouvons nous en faire une idée. Tout cela montre bien que dans m us les secteurs de leur existence, les Omeyyades étaient environn és de représenta tio ns d'êtres vivants.
Le s sculptures Le décor sculpté de Qasr al-Hayr al-Gharbi est fait d e scuc caillé et peine. La technique du scuc étaie inconnue de l'art hellénistique syrien , mais elle étaie coura mment employée en Iran so us les Sassanides . De nombreux élémenes scylisciques et iconographiques prouve ne que, non seulemene la technique, mais aussi un grand nombre de motifs one écé empruneés à l'empire sassanide po ur l'aménagement du château. Dès l'entrée, au-dessus de la porte, le calife esc représenté u r une coupe d 'argent à l'image du grand roi sassanide. Il porte une couronne de la même forme que celle des Sassanides - un diadème ailé - et il esc vêcu d ' un la rge pantalon ec d ' une runique qui lui descend jusqu'aux genoux. Il esc représenté rigoureusement de face, les genoux légèrement fl échis ve rs l'ex térieur - acci cude caractéristique du souve rain assis sur son trône. À l'intérieur du château, le calife est représenté une deuxième foi s, assis sur un siège surélevé, les pieds reposant sur un marchepied. Non seulemene le trône est imité d es modèl es byzantins, mais même les parties de vê tement qui nous one été conservées rappelle nc la tenue des empereurs romains. À trave rs ces deux représencacions du souverain sur son trône, le calife proclamait sa double ambition d 'être l'héritier à la fois d e l'empire romain ec de l'empire sassanide. Il étaie toue simplemenc le maître du monde. La ressemblance de l'ornemencacion de Qasr al-Hayr al-Gharbi avec les modèles iraniens sassanides esc particulièremenc frappante pour le relief représentant un archer à cheval. Le modelé du corps du cheval , le rendu des décails du l,arnachement, de la crinière et de la queue ressemblent tellement à une représentation de cavalier qui vient de l' Iran et qui se trouve au musée d e Berlin q u'on pourrait quasiment les incerve rcir. D ' un aucre cô té, on a trouvé dans ce même château des représencations de personnages ec d e groupes de personnages q ui, par leur attitude et le rendu des vê tements, s' inscrivent dans la tradition hellénistique.
À Khirbac al-Mafjar, le visiteur déco uvrait égalemenc au-dessus de l'accès à la grande salle de réunion, dans les bâtiments de bains, une représencacion du calife. Il se dressait sur un socle formé de deux lions . Même si ces lions ressemblent plutôt à de petits chiens, ils one été choisis pour symboliser le pouvoir. Le calife est vécu d'une longue robe ceinturée, il pose la main gauche sur la poignée de son épée ; de ses ye ux grand ouve rts, il regarde fixement droit devant lui. Ce type de représencacion du calife, cêce nue, la main sur l'épée, ava it été inauguré déjà par le calife Abd al -Malik (685-7 05 ) quelques décennies auparavant sur une monnaie, ava nt qu' il imposât à l' ensemble du monde islamique la monnaie sans représentation figurati ve, porcanc exclusive ment une inscription . La coupole, au-dessus de l' encrée, étaie supportée par d es a clan tes, personnages masculins uniquement vêcus d ' un pagne, les bras levés et les mains soutenant la base. Les bâcimencs du palais et les bains étaient ornés de statues d e femmes opulences, les yeux grand ouverts , le regard fi xe rivé sur le speccaceu r. Le modelé de ces statues est relativement grossier, mais leur effet est rehaussé par la peinture vive des riches coiffures et des visages. Les reliefs de chevaux ailés, d e béliers et de perdrix de la salle du trône sonc égalemenc empruncés à l' univers pictural sassanide. Les chevaux ailés qui supportent le trône du grand roi et les
Statue de fem me à la corbe il le de fru its, Khirbat al-Mafjar, Palestine, deuxième quart du VIII' siècle, Jérusalem, Musée archéologique Rockefeller On a décou ve rt, dans le palais et dans la salle de réception des bains, des statues de femmes.
ORNEMENTATI ON DES ÉDIFICES
Elles ont des formes opulentes, ne sont vêtues que d 'une jupe, et leur buste est dessiné par des détails ciselés dans le stuc. Les coiffures et les détails du visage (en particulier les yeux) sont mis en valeur par la couleur.
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sculptures sont de type sumérien, comme à Khirbat al-Mafjar. Les détails, en particulier la crinière du lion , éraient dessinés.
Les reliefs Toutefois, si Mchatta revêt une telle importance pour la connaissance de l'art des Omeyyades, c'est à cause des reliefs de la façade de la porte qui ont été co nservés jusqu'à aujourd'hui. On a so uvent souligné l'analogie avec l'art du textile de cette décoration murale. Sur un e longueur de 57 mètres environ, une ligne brisée en relief rejoint le bas des murs et la cimaise . Dans les triang:es ainsi formés , de splendides rosaces se détachent du mur. La partie du mur qui se trouve entre la ligne brisée est le véri table support du relief qui représente un vignoble géant. Dans les différents triangles de la façade, les ceps poussent de la ligne inférieure jusqu'au somm er. À lui seul, le traitement des rinceaux qui se dégagent de pieds d'acanthe, de cercles de perles, de récipiems de différentes formes ou de manchons de feuilles pareils à ceux du dôme du Rocher, déploie une extraordinaire richesse. Dans la partie gauche de la façade, le jardin est peuplé d'animaux, de créatures fabuleuses et même de personnages, avec une multitude d'oiseaux picorant des
Élément de fresque au sol, Qasr al-Hayr al-Gharbi, Syrie, deuxième quart du v111' siècle, Damas, Musée national Les deux fresques monumentales découvertes au sol, à Qasr al-Hayr al-Gharbi, sont uniques en leur genre. En principe, la technique de la
fresque est trop fragi le pour convenir à l'ornementation des sols. On devine au centre du cercle un personnage jeune qui tient entre ses mains des fruits dans une étoffe.On y a vu une représentation de la déesse de la fécondité qui serait issue de la tradition hellénistique.
grappes de raisin. Griffons et paons , lions et taureaux, cemaures et griffons , toujo urs avec des lions , so nt groupés des deux côtés du bassin. À proximité de l'entrée, un petit enfant, un Éros, porte une corbeille ou une coupe de raisins. Cette alternance momre que l' ornem emarion de la façade de Mchatta a obéi au plan d' un architecte directe ur. La décoration subir une rupture à partir de la porte. À partir de la tour
béliers qui sym bolisent le rayonnement du pouvo ir royal sont des motifs volon-
droite, de la porte jusqu'au mur suivant, il n'y a plus aucune représentation d'animaux ni de créatu res fabuleuses. Les rameaux de la vigne so rtem de petits récipients ou s' élèvent directement du sol pour monter uniformément en spirale, couverts de petites feui lles et grappes . Cette différence dans l'ornem entation de la façade de Mchatta a suscité diverses interprétations. On a pensé par exemple que les artisans et artistes qui exécutaient les travaux s'étaient peur-être convertis à l'islam au cours de la construction et qu'à partir de ce momem-là, ils
tairement repris par al-Walid II pour souligner sa volonté de domination .
n'auraient plus représenté de créatures vivames. Il semble qu'il y air une explica-
En 1903, un groupe d 'archéologues allemands découvrit à Mchatta toute une série de fragm ents de sculptures, prove nant pour une bonne part de sta tues d'hommes et de femmes grandeur nature. En 1962, à l'occasion d'une nouvelle expédition organisée par le gouvernement jordanien, fut m is au jour un autre fragment qui provenait d ' une statue de femme portant une corbeille de fleurs . Une deuxième statue, depuis 1903 au musée de Berlin, représente une femme portant un petit enfant sur le bras. l.:inscription de son nom est gravée sur sa
tion plus logique, en liai son avec la disposition de la mosquée qui se trouve derri ère cette partie de la façade. C'est dans cette partie du mur qu'a été am énagée à l'intérieur du palais la niche de prière. Ne serait-ce pas l' existence de cet espace q ui aurait donné quelque scrupule au constructeur et l'aurait fa it renoncer à la
cuisse. Ces deux figurations de femmes sont dénudées jusqu'aux hanches. Les danseuses aux voiles sur les travaux de métal sassanides sont du m ême type. Il y avai t auss i des statues de personnages masculins, mais trop endommagées pour être identifiables . La sculpture d ' un lion couché, destin é lui aussi à être di sposé à proximité du trô ne, est mieux conservée. Il faut certainement l'interpréter comme un symbole de pouvoir, mais il faut noter que le bâtisse ur du château, al-Walid II , avait la passion de la chasse au lion . Il y avait encore des lions dans les steppes de Syrie au Vlll' siècle ; les bédouins ont fini par les exterminer pour défend re leurs troupeaux. Une patte de lion retrouvée isolément témoigne qu'il y avait à Mchatta un deuxième lion , qui devait avoir la patte avant levée . Ces
Peinture de plafond de la sa ll e de réception de Qussayr Amra, Jordanie, début du v111' siècle Le plafond de la voûte de la salle de réception du château est découpé par un quadri ll age;
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dans chacun des carrés est représentée une activité artisanale. Les grandes surfa ces murales, au-dessous, sont ornées de scènes de chasse ou de bain, une référence manifeste à la fonction de l'édifice.
SYRIE ET PALE STI N E : LE CA LIFAT DE S O MEYYA DE S
représe ntation de créatures vivantes ? Mais même la partie ornée de représentarions de créatures vivantes ou fabuleuses pose quelques problèmes. À l' univers des animaux fabu leux se mêlent des éléments empruntés aux traditions hellénisrique er iranienne sassanide. Le griffon er le centaure noramment appaniennent à l'univers pictural hellénistique, alors que le dragon-paon, Senmurv, provient de l'art sassanide. De nombreux espaces décorés de Mcharra représentent des animaux ou des êtres fabuleux qui se font face aucour d'un récipient. Le bassin où boivent ensemble un lion et un bœuf face à face évoque un passage du prophète Isaïe (LXV,2 5) qui dit que, au temps de la paix éternelle, le lion mangera de la paille comme le bœuf. Les mosaïques des débuts du christianisme dans la ville de Madaba, à l'est de la mer Morte, à proximité de Mchatta, présentent so uvent le lion et le bœuf se faisant face autour de !'Arbre de Vie. Ce rhème de l'Ancien Testament, repris dans l' univers pictural chrétien, se retrouve ensui te sur la façade de Mchatta. Sans doute était-ce là aussi une allusion à l'ère de la paix qui ava it commencé avec l'islam sous le règne du calife. Les nombreux bassins et les couples d'animaux qui s' y abreuvent sont le pendant des représentarions de !'Arbre de Vie et des fontaines dans l'art chrérien primitif. Peut-être y a-t-il , là aussi , une évocation du paradis.
Peint ure mu ral e des bât iments de ba ins de Qu ssayr Amra, Jordanie, début du v111• siècle Même dans les bains de ce petit château, les murs et la coupole sont ornés de peintures. On trouve par exemple dans l'une des coupoles l'une des premières représentations de
la voûte céleste . L'élément représenté ci-dessus montre dans une grille en losange la représentation d'un joueur de flûte et d'une danseuse. On distingue, à côté, des gazelles et des oiseaux. Le style ludique et vif s'inscrit nettement dans la t ra dition antique.
Les fresques Les châteaux des Omeyyades sont aussi décorés de grandes peintures murales . Lornementation picturale la pl us importante se trouve au pavillon de bains de Qussayr Amra, que nous avons déjà mentionné à plusieurs reprises. Tant la salle de réception que les locaux des bâtiments de bains sont entièrement couverts de fresques. En entrant dans la salle de réception , le visiteur découvre face à lui le portrait du calife. Il siège selon la coutume byzantine, sur un trône surélevé ; à ses pieds une barque flotte sur l'eau et autour de sa tête volent tous les oiseaux du ciel. Six rois et empereurs sont représentés dans la même salle, rendant hommage au calife. Leurs noms sont indiqués par des inscriptions, de sorte que l'on identifie
ORNEMENTATION DES ÉDIFICES
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En règle générale, les sols des châteaux étaient pavés de mosaïques. Celles-ci ne nous ont été largement conservées que dans les châteaux de Khirbat Minya et de
représentations de différents animaux : l'âne, le chameau, la gazelle, un singe qui danse, un ours jouant du luth, et de personnages : un musicien et une danseuse. À l'intérieur de la coupole du caldarium est représenté le nord de la voûte céleste avec ses constellations. Cette œuvre passe d'ailleurs pour la plus ancienne représentation sphérique de la partie nord de la voûte céleste qui nous ait été conservée . Toutes les peintures de Qussayr Amra sont remarquables par la sûreté du dessin des contours et la délicate gradation des couleurs. On peur les considérer comme
Khirbat al-Mafjar ; quelques fragments aussi à Qussayr Amra. Les mosaïques de Khirbat Minya présentent un décor conçu à la manière de ceux des tapis, avec un motif central et une bordure. Alors que la partie centrale est occupée par un motif de treillis de différents degrés de complication, la grille - rectangulaire ou en diagonale - est souvent exécutée en méandre. La bordure du champ central est composée d'un alignement de rosaces ou, à nouveau, d'un méandre. Les seuils sont signalés par un espace occupé par des nœuds artistiquement entremêlés. Pendant
les derniers produits de la peinture hellénistique. Les fresques de Qasr al-Hayr al-Gharbi, au sud-ouest de Palmyre, illustrent particulièrement bien la rencontre encre les traditions occidentales et orientales. Deux salles de ce château étaient ornées de fresques au sol, ce qui se faisait très rarement, car elles n'auraient pas résisté à un passage trop fréquent. Peut-être ces peintures ont-elles été réalisées rapidement en guise de substituts de mosaïques ; l'idée n'est pas aberrante, si l'on songe que la bordure de l'une des fresques présente des ressemblances très précises avec celle des pavements de mosaïque de Khirbat al-Mafjar. On a supposé du reste que dans l'une et l'aurre salle devait avoir été aménagée une montée au premier étage, d'où l'on pouvait admirer les fresques. Le sol d'une des deux salles est divisé en trois champs horizontaux. Dans la partie supérieure, deux musiciens - l'un joue du luth à manche coudé, l'autre de la
des siècles, on attribua à la forme des nœuds la vertu de protéger du malheur. Encore dans le Faust de Gœthe, le diable ne peut plus sortir de la pièce parce que le pentacle, le pentagramme qui figure sur la porte, l'en empêche. Comme les pavements de mosaïque de Khirbat Minya qui nous ont été conservés rappellent des tapis, on peut imaginer le tapis du calife Hicham avec, dans le champ central, un motif compliqué de treillis et une bordure s'en détachant nettement, le tout dans des couleurs très vives.
flûte - se font face sous une double arcade. La partie centrale représente un jeune cavalier chassant la gazelle. Si les musiciens ressemblent déjà beaucoup à leurs pendants del' époque sassanide, la représentation du cavalier serait strictement incompréhensible sans les modèles sassanides. Tant le costume du cavalier, avec les rubans au diadème et à la ceinture flottant au vent, que la façon donc sont disposés la bride et le harnachement du cheval sont sassanides. La queue est élégamment nouée et colorée au henné. L'usage d'étriers et l'arc composite s'inspirent de modèles d'Iran et d'Asie centrale. Et comme dans les modèles sassanides, le gibier
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Les pavements de mosaïque
encore aujourd'hui l'empereur de Byzance, le Grand roi Khusraw d'Iran, le Négus d'Abyssinie et le roi des Wisigoths Roderich. Sur les autres murs de la salle de réception, sont représentées des scènes de chasse et de bain ainsi que diverses activités artisanales, tandis que les murs des véritables salles de bains sont ornés de
Les mosaïques de la salle de fêtes des bains à Khirbat al-Mafjar sont plus artistiquement élaborées que celles de Khirbat Minya. Les méandres donnent l'illusion de la perspective dans l'espace, comme les mosaïques du monde hellénistique . Par ailleurs, la composition de la mosaïque est toujours calquée sur la forme du plafond. Ainsi les mosaïques placées sous les coupoles ou semicoupoles ont-elles un motif en écailles avec un mouvement circulaire, alors que sous les salles surmontées de voûtes en berceau, la composition est quadrangulaire. On trouve dans l'ornementation des mosaïques de Khirbat alMafjar, la représentation d ' un couteau et d'un fruit, motif que l'archéologue responsable des fouilles du château a interprété comme un rébus qui donnerait le nom du bâtisseur. Nous n'avons trouvé aucune représentation de personnage dans les mosaïques décrites jusqu'à présent. La seule mosaïque comportant des personnages a été découverte autour du trône, dans la salle d'apparat des bâtiments de bains de Khirbat al-Mafjar, qu'al-Walid II utilisait certainement comme salle d'audience. Il y avait là aussi, suspendue à une chaîne de pierre, comme pour la couronne du roi sassanide Khusraw au palais de Ctésiphon, capitale de l'empire, la copie du couvre-chef du calife suspendue au plafond. Les motifs du pavement illustrent la mission particulière qui est celle du calife. Ces motifs montrent un arbre au feuillage dense, aux branches duquel sont suspendus quinze fruits . Les différentes tonalités de couleur de ses feuilles, du
est montré une première fois poursuivi, une deuxième fois tué. La partie inférieure n'a été qu'en partie conservée; il semble toutefois qu'elle représentait la suite des scènes de chasse. Dans la deuxième salle, au centre de la fresque peinte au sol, dans un cercle de perles, est représenté le buste d'une déesse de la fécondité, un serpent enroulé autour du cou. Elle tient entre ses mains un morceau d'étoffe rempli de fruits. Les angles supérieurs de la fresque reprennent des motifs antiques : créatures fabuleuses, centaures marins, hybrides d'homme, de cheval et de poisson. On ne sait pas très bien ce que le maître des lieux pouvait associer à ce type de représentation. Dans un environnement chrétien aussi, ils auraient eu des relents de pagamsme. Nous n'avons pas d'autre information que littéraire sur l'aménagement intérieur mobile de ces palais omeyyades. Mais on peut penser que la plupart des pièces étaient couvertes de tapis. Un écrivain, rendant visite au futur calife al-Walid ibn Yazid, le trouva assis dans une pièce, au milieu de tapis et de tentures arméniennes. Un siècle après la fin de la dynastie des Omeyyades, alors que l'on cherchait un tapis d'apparat à Samarra, on ne trouva de tapis convenable que dans le butin provenant des Omeyyades. Le tapis choisi mesurait 100 aunes de long sur 20 aunes de large, soit 54 x 11 mètres et était évalué à 10 000 dinars. À l'origine, il avait appartenu au calife Hicham (724-743). On
tronc et des branches rappelle les arbres de la grande mosquée de Damas. Sous l'arbre sont représentés, à droite et à gauche, deux groupes d'animaux. À gauche, un couple de gazelles broute les feuilles des buissons ; à droite un lion bondissant terrasse une gazelle. La représentation des gazelles a donné lieu à une interprétation très romantique, liée à une histoire d'amour du souverain. Le calife al-Walid II était tombé amoureux d' une jeune fille du nom de Salma, dont la beauté était pareille à celle d' une gazelle. Mais leur bonheur fut de courte durée, car elle mourut à peine quelques mois après un mariage heureux. La représentation des gazelles sous l'arbre illustrerait cette histoire. Mais si l'on recherche une interprétation plus sérieuse, il faut se représenter que le calife trônait au-dessus de la couronne de l'arbre fruitier. De même que devant le Juge suprême, au jour du Jugement dernier, les moutons et les boucs seront séparés entre main droite et main gauche, sous sa main droite le calife avait donc l'image de la paix, sous sa
rapporte de diverses parts que ce dernier avait une prédilection particulière pour les tapis, les vêtements précieux et les parfums . L'entretien de sa maison était si onéreux que lorsqu'il entreprit son pèlerinage à La Mecque, il lui fallut 600 chameaux pour le transport des objets ménagers.
main gauche celle de la guerre. Selon la pensée islamique, la paix régnait dans le monde de l'islam (dar al-islam ) et la guerre dans le monde des incroyants (dar al-harb). Le règne du calife garantissait la paix. C'était là un message que l'art avait aussi la charge de propager.
SYRIE ET PALESTINE : LE CALIFAT DES OMEYYADES
Pavement de mosaïque de Kirbat al-Mafjar, Palest ine, deuxième quart du v1 11' siècle Dans une salle en hémicycle, adjacente aux ba ins du château, a été découverte une ma-
saïque inhabituelle. Elle représente un arbre fruitier, dont deux gazelles grignotent les feuilles d'un côté, tandis que de l'autre une gazelle est terrassée par un lion. On peut l'inter-
préter en se représentant le calife assis sur son trône au-dessus de l'arbre: il aurait ainsi sous sa main droite les gazelles vivante et sous sa main gauche la gazelle terrassée. On peut dès
OR N EME N TATION DES ÉDIFICES
lors interpréter ces deux scènes comme l'opposition entre le monde de la paix et le monde de la guerre.
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Iraq, Iran, Egypte : les Abbassides et leurs successeurs
Histoire ................... ......... ....... . . . . . .. 90
L'unité culturelle et architecturale du grand Empire abbasside . . ............... . ... . .. 94 Le développement des capitales: la ville ronde de Bagdad, Samarra et la grande mosquée de al-Mutawakkil L'architecture abbasside dans les provinces: grandes mosquées d'lspahan, Damghan, Siraf, Nayin, Le Caire
Le textile . . . .... . ... . . .. . . . ........ . ...... ..... . .118 La céramique L'art du métal
L'art ornemental islamique ....................... 124
Vue de la grande mosquée d'al-Mutawakkil à Samarra, 848-852 La grande mosquée construite par le calife al-Mutawakkil à Samarra fut pendant des siècles la plus grande mosquée du monde. L'impressionnant minaret de 50 mètres de hauteur, qui se dresse à l'extérieur de l'enceinte, est notamment remarquable par sa forme en spirale. La sobriété de la construction en brique est caractéristique de l'architecture des Abbassides.
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Histoire
souverams mamelouks d'Égypte (1250-1275), jusqu'à la conquête turque de l'empire mamelouk, en 1517. Le long règne des Abbassides coïncida avec l'époque classique de la civilisation islamique, où la culture islamique se répandir de l'Atlantique jusqu'à l'océan Indien et de l'Asie centrale jusqu'au Sahara. Le monde musulman tout entier se tournait vers Bagdad et se référait à la culture de !'Iraq, quand il s'agissait de trouver de nouvelles inspirations arnsnques. Sous al-Mansur, son fil s al-Mahdi (77 5-78 5) et son petit-fils Harun alRachid (786-809), le calife des Mille et une nuits, la rhéologie, le droit, la poésie, l'histoire et l'architecture connurent un immense développement. C'est sous le fils d'Harun , alMamun (813-833), qui monta sur le trône de calife après sa victoire sur son frère Amin (8 09-813) , que l'empire abbasside atteignit l'apogée de son épanouissemenr culturel. Le cali'fe alMamun était d' une grande culture ; il fonda en 833 la « Maison des sciences » (bayt al-hikma), qui érair à la fois une bibliothèque et le centre de l'érudition à Bagdad.
Sheila Blair, Jonathan 8/oom
Larchirecture er !'arr de l'époque des Abbassides présenrenr une extrême variété de sryles et de formes réparrie sur un immense territoire. De leurs cap itales situées en Iraq (la Mésopotamie de !'Antiquité) , Bagdad et Samarra, les Abbassides régnèrent sur un empire qui allait de l'Afrique du Nord jusqu'à l'ouest de l'As ie centrale. Outre la construcrion d'édifices de brique, ornés de bois sculpté, de pierre, de stuc et de peintures , ils favorisèrent le développemenr de l'art du textile, du travail du métal, de la fabrication de verreries et de poreries. La capitale del' empire exerça toujours un puissant attrait sur les artistes porteurs d'idées nouvelles et fut également le point de départ de la diffusion des styles à travers les provinces. La majeure partie des réalisations artistiques des Abbassides en Iraq n'ayanr pas été conservées , il faut se tourner vers l'art des provinces qui refléta jusqu'à la fin du X' siècle le goût et les techniques artistiques de la capitale. On vit par la suite des particularités locales et régionales s' imposer.
Fra ct ion de l'i nscri ption du pont sur le Ti gre à Harba, 1232 Harba, située dans la vallée du Tigre, à 30 kilomètres au sud de Samarra, prit de l'importance à la fin de la dynastie abbasside, lorsque le calife al-Mustansir mit en œuvre un vaste projet d'ad duction d'eau. li fit construire un canal parallèle au Tigre qui approv isionnait en eau le nord de Bagdad. Ce même cal ife fit construire un immense pont à arches qui porte une inscription de 90 mètres de long fournissant des informations sur le s travaux et les constructeurs.
Histoire des Abbassides et de leurs successeurs Le règne de la dynastie des califes abbassides débuta en 749, après qu'ils eurent pris le pouvoir aux Omeyyades, et il se termina avec la prise et la destruction de leur capitale, Bagdad, par les Mongols, en 1258. Successeur d'Abu al-Abbas alSaffah (749-754), le premier calife abbasside à avoir joué un rôle important fut son frère , al-Mansur (754-775), qui renforça le pouvoir de la dynastie face à ses ennemis de l'inrérieur et de l'extérieur. L'époque des Abbassides d 'Iraq peut se diviser en deux périodes. La première commence avec la fondation de la dynastie et s'étend jusque vers 945, quand les Bouyides du nord de l'Iran , en particulier sous Adul al-Dawla (949 -983), augmentant leur pouvoir, occupèrent Bagdad er établirenr finalement leur domination sur l'ensemble du califat. Au cours de la deuxième période, le pouvoir fut détenu d'abord par les Bouyides (945-105 5) puis par les Seljoukides, dynasties militaires, l'une iranienne et l'autre turque. Déjà à cette époque, un certain nombre de provinces , comme l'Égypte ou la Syrie, avaient repris leur indépendance avec leurs propres souverains. Le califat abbasside se termina à la suite de l'invasion mongole; mais la dénomination subsista néanmoins so us les
90
Le climat spirituel
Une violente querelle rhéologique, qui remontait aux débuts de l'Islam , atteignit un point culminant au cours de cette période. Philosophes et théologiens s'affrontèrent sur des questions telles que le libre arbitre de l'homme, la prédestination divine, Dieu et ses attributs. L'une des controverses majeures concernait les attributs de Dieu , notamment sa parole révélée dans le Coran : ces attributs étaient-ils créés ou bien éternels comme Dieu lui-même ? Certains théologiens, les mutazilites (« ceux qui s'écartent ») suivaienr une approche rationnelle ; ils vénéraient l'unicité et la transcendance de Dieu, mais ne croyaient pas que le Coran étaie intrinsèque à l'Éternel. Selon eux, le Coran était un message créé que Dieu avait inspiré à Muhammad. Par contre, d'autres courants dont celui de Ahmad ibn Hanbal (78 0-855 ), sunnite traditionaliste, défendait l'idée qu'on ne pouvait comprendre Dieu en usant de la raison, et que le Coran était sa Parole, de nature divine et éternelle. Le calife al-Mamum prie pa,rti pour les mutazilites rationali stes et essaya d'imposer ses vues aux traditionalistes. Les docteurs des lois furent ainsi contraints de jurer leur foi dans le Coran créé, mais cerce inquisition fut de courte durée et dès 848 , la valeur de la sunna du Prophète et le caractère divin du Coran étaient rétablis . Le groupe des ulémas qui rassemblait des théologiens et juristes, devine une importante institution à l'époque abbasside er développa diverses méthodes d'interpréter les deux sources fondamentales de l' islam: le Coran et les hadiths,
IRAQ, !RA N, .ÉGYPTE : LES ABBASSIDES ET LEURS SUC CESSEURS
les pensées et les acres attribués au prophète Muhammad. Les ulémas s' es rimaient les seuls aptes à fixer les dogmes juridiques et rhéologiques que les califes avaient ensuite la responsabilité de faire appliquer. C'est ainsi que les califes ne furent plus onsidérés comme les héritiers spiriruels de Muhammad, mais seulement comme ses successeurs politiques, responsables du maintien de la communauré islamique. _-\u milieu du IX' siècle, les doctrines des ulémas se répartirent en de nombreuses , écoles juridiques " dont il ne resta plus que quarre au début du XY siècle: les hanafites qui prirent une place prépondérante sous les Abbassides , les malikites, les chafiires et les hanbalites .
Les Abbassides : grandeur et déclin Les Abbassides faisaient remonter la légitimation de leur pouvoir à al-Abbas ibn Abd al-Murralib ibn Hachim (mort en 653), oncle de Muhammad. Ils pouvaient donc faire état d' une parenté avec le Prophète plus proche que celle des Omeyyades. Le mécontentement s'était largement répandu au VIII' siècle sous les Omeyyades; il était particulièrement sensible dans les populations islamiques du nord de l'Iran. On reprochait au calife les privilèges qu' il accordait aux colons arabes de la région. Les Abbassides surent uriliser à leur profit ce mécontentement général et, avec le saurien de différents groupes, réussirent à s'emparer du pouvoir. Cette prise de pouvoir se fit routefois dans un bain de sang. Au départ, les Abbassides recherchèrent et obtinrent le soutien des chiites, le parti défendant la thèse selon laquelle le pouvoir du Prophète aurait été transmis
Julian Kochert, Harun al-Ra ch id reçoit l'ambassade de Charlemagne en 786, 1864, huile sur toile, Munich, Fondation Maximilianeum À partir de 797, il y eut plusieurs échanges d'ambassades entre Harun al-Rachid et Charlemagne qui se considéraient réciproquement comme les plus importants personnages de leur univers culturel respectif. Les relations diplomatiques entre leurs deux empires facilitèrent également l'intensification des relations commerciales.
HISTOIRE
Bab al-Wastani, Bagdad, 1221 En 1221, le calife al-Nassir fit rénover les fortifications autour du quartier est, sur la rive est du Tigre. Les nouveaux remparts étaient flanqués de bastions. Situé au nord-est, le plus célèbre est Bab al-Wastani, anciennement appelé Bab al-Zarariya. La puissante tour ronde d'angle est toujours en place ainsi que la muraille qui fait suite; la porte elle-même a été détruite en 1918.
91
par l'intermédiaire de son gendre Ali à ses petits-fils Hassan et Hussayn. Mais dès qu'ils accédèrent au pouvoir, ils se séparèrent de leurs anciens alliés. Au cours des cinquante premières années de la dynastie abbasside, de nombreux mouvements
était située à proximité des ruines de Ctésiphon, la capitale sassanide sur le Tigre ; elle devint non seulement le centre politique de l'empire, mais s'assura aussi une place primordiale dans les domaines de la recherche scientifique, de la littérature
révolutionnaires se formèrent au nom de membres de la famille d'Ali. Al-Mamun se vit contraint de réagir, politiquement et idéologiquement contre ces groupements pour asseoir son pouvoir; en 817, il nomma pour lui succéder Ali al-Rida (mort en 818), huitième imam chiite. Afin de se démarquer de leurs prédécesseurs et de résider parmi leurs propres partisans, les califes abbassides transportèrent leur siège de Syrie en Iraq. Comme les premiers Abbassides avaient reçu une grande partie de leur soutien de l'est -
et des ans, place qu'elle conserva même longtemps après avoir perdu son pouvoir politique. Les Abbassides constituèrent une nouvelle élite, recrutée en partie au sein d'anciennes familles dirigeantes iraniennes qui s'étaient converties à l' islam. C'est ainsi que les Barmakides, lignée d'aristocrates d 'Asie centrale, anciennement bouddhistes, devinrent vizirs et hauts fonctionnaires , et jouèrent à ce titre un rôle important dans la mise en place d'une nouvelle organisation ad-
d'Iran, et surtout de la province du Khorassan, au nord-est-, ces régions prirent
ministrative pour tout l'empire. D'autres hauts fonctionnaires étaient issus de
de l'importance à leur rour. Des villes comme Nichapur ou Merv s'épanouirent avec le soutien abbasside et elle entretinrent des relations commerciales avec l'Asie centrale et !'Extrême-Orient. La résidence des Abbassides se trouvait au départ dans la région de Kufa, ville de garnison très disputée, qui avait été fondée en Iraq par les premières armées musulmanes au moment de la conquête de !'Iraq. Mais, en 762 , le calife al-Mansur
d'Afrique ou d'Asie centrale qui avaient été formés dans les services du palais ou dans les armées du calife. Le pouvoir était donc concentré entre les mains d'un petit groupe réuni autour du calife, qui chargeait souvent certains de ses parents ou des gens de sa suite (clients) d'administrer les provinces en son
décida la construction d' une nouvelle capitale qu'il appela« Medina al-Salam
»
(la
ville de la paix). Cerre nouvelle ville, qui serait connue sous le nom de Bagdad,
l'entourage du souverain ; il s' agissait, pour une partie, d'esclaves émancipés
nom. Au cours du IX' siècle, les Abbassides prirent modèle de plus en plus sur l'administration perse et le cérémonial de la cour perse. Le pouvoir s'éloigna de
Lac. /-::=
Baïkal( j
Océan Atlantique
• Samarcarufe
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Samanides
• Mèrv • Tunis • Kairouan
Rustamides
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• Damghan
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• Hérat
Mer Méditerranée
Toulounides Aghlabides
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Golfe Pe rsique
1
Me r .f!::,uge
• La Mecque
Hirakla e• AI-Rafiqa Raqq
Golfe d 'Arabie Dj f; riya Samarra • al-Oadisiya Zones régies par différentes dynasties locales
• 92
IRAQ, IRAN , ÉGYPTE
LES ABBASSIDE S ET LEU RS SUCCESSEURS
Royaumes indépendants dans la zone d' influence des califes abbassides Empire central des Abbassides à partir de 850
::-'.us en plus de ses sujets, les souverains se retirant dans d'immenses palais qu'ils :·aisaienc surveiller par des gardes turcs recrutés dans les steppes d'Asie centrale. La :~ans formation de ces unités en une caste militaire dominance suscita des troubles
m ême si ces deux familles continuaient de reconnaître théoriquement l'autorité du calife. Au X' siècle, en revanche, les Fatimides chiites (909-11 7 1) provoquèrent
.:ans la population. C'est alors que le calife al-Mutasim (833-842) transporta sa .:.ap icale (et sa garde) dans la nouvelle ville de Samarra qui resta, pendant cin~ua nce-six années, la ville de résidence du calife, avant le retour du calife et de sa ..:o ur à Bagdad. Si l'empire islamique avait connu une immense extension sous les O m eyyades , les premiers Abbassides éraient trop occupés à conso lider leur ;,ro pre pouvoir à l'intérieur pour songer à de nouvelles conquêtes. Seule la ;·ro ncière entre la Syrie et !'Anatolie fut un foyer de combats où les califes mene re nt en vain , pendant des siècles , une guerre contre l'Empire byzantin . Ils perdirent en outre une grande partie des nou veaux territoires conquis à l'ouest : en 756, le seul Omeyyade réchappé du massacre de sa famille entière par les :\.bbassides fonda un émirat indépendant en Espagne ; les territoires d 'Afrique u N ord, où la suprématie du calife abbasside était pourtant nominalement re-
ouvertement le califat abbasside en fondant un contre-califat, dont le centre fut établi d 'abord en Afrique du Nord puis en Égypte. Les Omeyyades d'Espagne, qui portaient jusqu'alors le titre d'émirs (princes) , réagirent en proclamant leur propre califat (929) et, à l'est, les Samanides (819-1005) et Saffarides (861-1003) fondèrent des principautés pratiquement indépendantes. Vers le milieu du X' siècle, les Abbassides ne dominaient donc plus qu' un empire très restreint. Leur prestige diminua davantage encore, lorsqu' ils passèrent eux-mêmes sous le protectorat des Bouyides chiites, confédération de tribus de chefs militaires des montagnes du Daylam au nord de l'Iran, qui, après avoir été enrôlés par les Abbassides comme mercenaires, établirent leur domination sur de vastes parties de l'Iran et de !'Iraq.
co n nue, étaient trop éloignés pour que son pouvoir effectif p ût s'exercer. Au :X' siècle, l'Afrique du Nord et l'Égypte se rendirent pratiquement indépendantes sous les gouverneurs aghlabides (800-909) et roulounides (868-905 ),
749/ 750
Abu al-Abbas al-Chaffah élevé au
les pa rtisans d 'Am in et ceux d'al-Mamun
rang de calife à KLfa 750
Bataille du grand Zag : triomphe définitif des Abbassides sur les Omeyyades
754-775
Califat d'al-Mansur
755
Le calife fait exécuter Abu Muslim, l'un des o rganisateurs de la révolution abbasside, trop
Fondation de Bagdad
775- 785
Gouvernement d 'al-Mahdi ; il impose que le calife désigne lui-même son successeur
780
Luttes avec Byzance
783
Le prince Harun impose le cessez-le-feu avec l'impératrice
785-786
Gouvernement d 'al-Hadi Califat d'Harun al-Rachid
786-803
Les Barmakhides exercent les fonctions de vizirs et le pouvoir
817
AI-Mamun désigne pour lui succéder l'imam chiite Ali al-Rida qui meurt l'année su ivante
869-883
Révolte d 'esclaves en Iraq
1242-1258 AI-Mustasim, dernier calife abbasside à Bagdad
873
1258
817-819
Contre-califat d'lbrah im ibn al-Mahd i à Bagdad
Yaqub al-Saffar prend Nichapur et met fin au règne des Tahirides
875
819
AI-Mamun revient du Khorassan à Bagdad, soumet Ibrah im ibn alMahdi et nomme le chef d 'armée Tahir ibn al-Hussayn gouverneur du Khorassan
Le Samanide Nasr 1~ ibn Ahmad (864-892) se voit confier la
Harun al-Rachid nomme ses fils, en premier lieu, Amin, et en second lieu al-Mamun, pour lui succéder ; il confie à al-Mamun le gouvernement à vie sur l'est de l'empire
809-813
Gouvernement d 'Amin
811-813
Lorque Amin désigne son fils pour lui succéder sur le trône, une guerre civi le éclate entre
Transoxiane par le calife 877-899
Révolte des Qarmates chiites en Iraq
877
Ahmad Ibn Tulun, gouverneur d'Égypte, occupe la Syrie
821-873
Les Tah irides établissent un empire de fait indépendant 909
833
AI-Mamun com mence, en pratiquant une sorte d'inquisition, à imposer les dogmes de al-Mutazil dont il fait la religion d 'État
Contre-califat des Fatimides en Afrique du Nord
929
Les Omeyyades d'Espagne proclament à leur tour leur califat
833-842
Gouvernement d'al-Mutasim
945
836
Fondation de Samarra
Les Bouyides envahissent Bagdad
977
Adu l al-Oawla de la famille des
837
Complot contre le cal ife au Khorassan
politique effectif 802
1180-1225 Califat d 'al-Nassir
Cal ifat d'al-Mamu n
Irène
786-809
deviennent les nouveaux suzerains du califat de Bagdad
813-833
avide de pouvoir 762-763
naissent les dynasties locales des Saffarides (867-911 ), Toulounides (868-905), et Bouyides (945-1055)
L'invasion mongole sous HulaguKhan met fin à la dynastie des Abbassides avec l'assassinat du dernier calife
1260-1517 Califat abbasside fantôme sous la domination des Mamelouks au Caire
Bouyides (949-983) devient émir de Bagdad
842-847
Califat d'al-Wath iq
847-861
Fin de l'inquisition so us le cal ife al-Mutawakkil ; dês lors la doctrine du ahl al-had ith est l'orthodoxie
861
Assassinat d'al-Mutawakkil
861 -945
Période de désagrégation du pouvoir du califat, où les gouverneurs des provinces se rendent indépendants et où
991 -1031
Califat d 'al-Qadir
999
Mahmud de Gahzna (998-1030) conquiert le Khorassan
1031-1075 Califat d'al-Qaim 1036- 1037 Les Seljoukides commandés par Tughril Beg et Chaghri Beg s'emparent du Khorassan 1055
HI STOIRE
Tughril Beg écarte les Bouyides du pouvoir ; les Seljoukides
93
Architecture Sheila Blair, Jonathan 8/oom
Le« style impérial» et l'unité culturelle du califat À l'époque du Prophète et de ses successeurs immédiats, la mosquée assurait plusieurs fonctions. D'une part, elle était naturellement le lieu de la prière mais, d'autre part, elle était le centre social et politique de la communauté m usulmane naissante. Il fallut attendre la dynastie des Abbassides pour que ces différentes fonctions se réduisent à celle d'institution religieuse. Il n'y avait pas non plus, au début de l'ère islamique, d'architecture uniforme de la mosquée, dans la mesure où des édifices plus anciens étaient urilisés comme mosquées et où les édifices nouveaux étaient construits dans le style de la région où ils se trouvaient. Sous les Omeyyades, les grandes mosquées des principales villes, Damas, Jérusalem ou Médine, empruntaient fièrement les formes architecturales et décoratives de l'art antique tardif; mais comme le pouvoir de cette dynastie ne dépassa guère la région syrienne, le style de la cour resta limité au centre du territoire des Omeyyades. La situation se modifia sous les Abbassides. I.:immense pouvoir des premiers califes abbassides et le rôle de plus en plus important des ulémas entraînèrent une vaste diffusion d' un type de mosquée normalisé, même s'il y avait encore quelques variantes locales dans les matériaux et les techniques de construction utilisés . La mosquée type del' époque abbasside était un bâtiment rectangulaire, dont le centre était occupé par une cour rectangulaire . Celle-ci était entourée d' une galerie supportée par de nombreuses colonnes de pierres ou des piliers de briques de terre cuite, supportant une couverture de bois plaœ. Du côté du mur de la qibla, orienté vers La Mecque, la galerie était plus profonde et au centre du mur était aménagée une niche de prière (mihrab) dont l'emplacement était mis en valeur par une coupole, s'élevant au-dessus de l'arcade qui précédait, ou par un passage plus large donnant sur la cour. À droite du mihrab, était disposée une chaire en escalier (minbar) d'où l'imam, « celui qui est placé devant », prononçait le sermon du ve ndredi (khutba). Alors qu'au temps des Omeyyades, ce sermon était souvent prononcé par le calife en personne, au temps des Abbassides, le calife ne se rendai t presque plus jamais à la mosquée et laissait le soin du sermon à l' un des ulémas. Du côté de la cour opposé au mihrab s'élevait une tour, habituellement appelée minaret (de l'arabe manara, « lieu ou objet de l'illumination »). C'est au-
Mihrab, Bagdad, Musée islamique La plupart des mosquées de l'époque abbasside ont un mihrab, niche de prière, indiquant la direction de La Mecque. Ce mihrab de marbre a été enlevé de la mosquée où il se trouvait à l'origine pour être exposé au musée de Bagdad. D'après la forme de l'arc, il date du x' siècle.
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jourd'hui du haut de cette tour qu'est lancé l'appel à la prière, mais les sources de l'époque ne semblent guère indiquer qu'elle ait eu cet usage à l'époque des Abbassides. La taille monumentale et la situation en surplomb de ces tours laisseraient plutôt penser qu'elles servaient à signaler à distance la mosquée et symbolisaient le rôle attribué à cet édifice dans la société abbasside. Non seulement l'architecture de la mosquée, mais un grand nombre d'autres formes et techniques se répandirent au temps des Abbassides, de la capitale où elles avaient été inventées vers les provinces . Contrairement aux Omeyyades qui avaient édifié en Syrie des constructions en pierre, les architectes abbassides préférèrent la brique d'argile ou de terre cuite . Ils revêtaient ensuite les murs de stuc, souvent décoré de motifs géométriques ou végétaux, peines , gravés ou sculptés. La prédilection pour ces matériaux peur en parties' expliquer par le fait que la pierre était rare dans la partie centrale du territoire ; et l'utilisation d'autres matériaux permettait aux Abbassides d'édifier leurs constructions dans n'importe quel lieu, pourvu que fussent disponibles les matières premières - argile, chaux, plâtre -, c'est-à-dire en fai t partout. Le style décoratif abbasside des reliefs de stuc qui alliait les motifs méditerranéens de la fin de !'Antiquité aux matériaux et techniques
IRAQ, IRAN , ÉGYPTE: LES ABBASSID ES ET LEU RS SU CCESSEURS
rradirionnellement en usage en Iran , permettait en outre de dissimuler des o nsrrucrions sans grand attrait sous un revêtement extrêmement décoratif et néa nmoins assez peu coûteux. Une innovation commandée par des nécessités matérielles engendra une nouvelle esthétique que tous les architectes de l'Empire ab basside adoptèrent. Bagdad, la métropole, exerçait une puissante force d'attraction sur les diverses populations de ce grand empire et était en même temps une sorte de plaque tournante des idées et des expériences nouvelles donc les artistes venaient 'i nspirer avant de regagner leurs provinces. On suppose par exemple que des o uffleurs de verre syriens inventèrent, au Vlll' siècle, le décor de lustre q u'empruntèrent ensuite les potiers abbassides d'Iraq pour décorer leurs céram iques. D 'Iraq, la technique se diffusa jusqu'en Égypte, où elle continua de se développer. C'était donc Bagdad qui fixait les normes culturelles, et ce même pour les puissances rivales. Ainsi les Omeyyades d 'Espagne, s'ils contestaient la légitimité de la dynastie abbasside, n'en appréciaient pas moins sa culture et son arr. En ce IX' siècle, le musicien Ziryab (789-857), émigré de Bagdad, fut élevé à Cordoue au rang d'arbiter eleganterium : il était considéré comme expert en matière de bon go ût, d'habillement, de manières de table, de protocole et d'étiquette, et m ême en matière de coiffure. L'élégance des Abbassides faisait l'admiration de leurs ennemis politiques et religieux byzantins. En 830 , lorsqu' un ambassadeur byzantin vint à Bagdad, il fut tellement impressionné par la somptuosité de l'architecture abbasside qu'il peruada, à son retour à Constantinople, l'empereur Théophile (82 9-842) de onsrruire un palais très exactement à l'image des édifices qu'il avait vus dans la capitale abbasside. Ce palais fut construit à Byras (actuelle Malrepe), faubourg de Constantinople du côté asiatique, au bord de la mer de Marmara. Il n'en res te que les murs de fondation qui permettent toutefois de distinguer très bien une grande cour intérieure rectangulaire rappelant effectivement l'architecture des palais abbassides ec omeyyades. La seule déviacion par rapport au modèle était la préence d'une chapelle à côcé des appartements impériaux et une église en triconque au milieu de la cour. De la ville abbasside de Bagdad, sur laquelle on n'a pas cessé de construire au fi l des siècles, il ne reste pratiquement que des souvenirs , et même les grands palais de Samarra se sont effondrés depuis longtemps. La plupart des édifices architecturaux éraient construits dans des matériaux fragiles comme le stuc et le bois qui n'ont pas résisté à l'épreuve du temps . Les céramiques et les objets de verre se sont brisés, mais leurs fragments donnent encore une idée exacte de la virtuosité technique des artistes de l'époque. Étant donné que le peu d'objets qui nous restent ne fournissent cependant pas un reflet de l'ensemble de la création artistique, il fa ut aussi se référer aux sources littéraires de l'époque et aux bilans de fouilles archéologiques pour mesurer exactement la richesse et la magnificence de l'art abbasside.
La quête d'une capitale L'activité architecturale des Abbassides se concentra surtout sur la fondatio n de villes nouvelles. D ' un point de vue fonctionnel, ces nouvelles implantations poursuivaient le développement des villes de garnison que les Omeyyades avaient établies sur les nouveaux territoires conquis. Par aille urs, elles poursuivaient une longue tradition iranienne et mésopotamienne, qui voulait que les souverains fo ndent de nouvelles cités où ils installaient leur gouvernement. Cerre tradition remontait au souverain assyrien Sargon II (721-705 av. J.- C. ) qui avait fond é au nord-o uest de Mossoul près de Khorsabad la ville de Dur Charrukin; elle s'était poursuivie jusqu'au grand roi Ardachir l" (224-241 ) qui avait fondé près de Ghur
Décoration de stuc de la salle 4 de la maison n°1 à Samarra, Berlin, Museum für lslamische Kunst Les constructions de briques d'argile de Samarra étaient souvent ornées de reliefs de stuc. Les artisans développèrent dans ce domaine trois styles qui se différencient par le degré de stylisation des éléments végétaux. Le décor de ce pan de mur est un modèle du premier style de Sama rra. Des rubans de stuc
A RC HITECT U RE
divisent la surface en champs (hexagonaux en l'occurrence ). sur lesquels sont sculptés des feuilles et des rinceaux de vigne. Les quatre « yeux » et les nervures qui structurent les feuilles sont des traits caractéristiques de ce style.
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(actuelle Firuzabad) dans la province de Fars, au sud-ouest de l'Iran, une ville au plan circulaire. Au cours de la première décennie de la dynastie, les califes abbassides
La vill e ronde de Bagdad,
à partir de 762
fondèrent, à proximité de Kufa au sud de !'Iraq, plusieurs centres de gouvernement connus sous le nom de al-Hachimiya (du nom de la famille dont étaient issus le Prophète et!esAbbassides). Mais il n'en est rien resté, et même les sources écrites fournissent peu d'information sur ces lieux. Les ouvrages de l'historien al-Tabari au IX' siècle permettent de conclure qu'il s'agissait de résidences gouvernementales, puisque dans l'un au moins de ces centres avait été aménagée une salle appelée « khadra », terme utilisé à l'époque des Omeyyades pour désigner la salle du trône. Il semble que cette salle du trône des Abbassides se soit trouvée à l'étage car, d 'après al-Tabari, des rebelles Rawandiya, membres d'une secte extrémiste chiite auraient trouvé la mort en essayant de s'enfuir par la fenêtre alors qu'ils étaient amenés devant le calife al-Mansur dans sa khadra. Le récit laisse à penser que déjà les premières résidences abbassides étaient sans douce des édifices à plusieurs étages.
La construction de Bagdad
En 762, le calife abbasside alMansur entreprit la construction de sa nouvelle capitale: Bagdad. Elle est aujourd 'hui complètement recouverte par la vil le moderne ; mais on a pu néanmoins reconstituer son plan circulaire. L'anneau de constructions d'habitation et de bâtiments administratifs était protégé p3r un double rempart de briques, percé de quatre portes aux quatre points cardinaux. Sur la place centrale s'élevait le pala is du calife et la mosquée attenante.
Comme les résidences proches de Kufa se révélaient incommodes, al-Mansur décida le l " août 762 de transporter sa capitale à Medina al-Salam (Bagdad) à proximité de Ctésiphon. La localisation de la ville sur la rive du Tigre était très favorable, dans la mesure où le fleuve assurait le lien avec la Mésopotamie et le
reliaient en outre la ville aux hauts-plateaux iraniens, au sud de la Syrie et à l'Hijaz . Les travaux pour l'édification de la nouvelle capitale étaient terminés quatre ans plus tard (766-767) . Bien que le sire ancien de la ville ait été entièrement recouvert par la ville actuelle, les longues descriptions que nous fournissent les textes médiévaux ont permis d'en reconstituer le plan de base. La ville ronde, d' un diam ètre de 2 700 mètres, était entourée d' une double enceinte de briques d'argile et
golfe Persique, mais aussi avec le nord de la Syrie. D 'importantes routes terrestres
d' un fossé alim enté par l'eau du Tigre. Les remparts éraient percés de quatre portes
Vue aérienne de Firuzabad, Iran, vers 224-241 Le grand roi sassanide Ardachir I" fonda au sud-est de l'Iran la ville de Ghur, actuel le Firuzabad. Les villes construites sur ce p lan ser virent peut-être de modèle au ca life alMansur, au v111' siècle, lorsqu'il fit construire sur un plan circula.i re sa nou velle capitale, Bagdad.
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!RAQ, IRA N, ÉG YPTE: LE S A BB ASS ID ES ET LEURS SUCCESSEURS
Cour et minaret de la grande mosquée de Raqqa , fin du v111' siècle La grande mosquée de Rafiqa, ville sœur de Raqqa, fut fondée par un des premiers Abbassides; c'était une mosquée de garnison pour les soldats du Khorassan. Elles est entourée de puissants murs de bricues d'argile revêt us de briques de terre cuite et entrecoupés d'une série de tours semi-circulaires. La cour
intérieure centrale était bordée sur trois côtés d'une double arcade. Le quatrième côté était occupé par la salle de prière et une écurie à triple arcade de briques de terre cuite. La mosquée de Raqqa est l'exemple le plus ancien que nous connaissions d 'emplo i de piliers pour supporter le toit; elle servit de modèle à des mosquées analogues à Bagdad, à Samarra et au Caire.
Ci-dessous: Bab al-Amma à Samarra, 836-837 La « Porte du peuple » (Bab al-Amma) construite en briques de terre cuite est le seul élément important qui nous ait été conservé du palais abbasside de Samarra. Construite comme un iwan tripartite, elle s'élevait au sommet d 'une imposante suite de marches qui menait de la rive du Tigre au palais géant,
la « Maison du califat » (Dar al-Khilafa) qui était un ensemble de cours et de jardins enceint d 'une haute muraille et couvrant plus de 175 hectares.
Qasr al-Banut, Raqqa, v111•-x11• siècle Comme la grande mosquée, ce palais - surnommé le « Château des j eunes filles » - se trouve à l'intérieur des murs de la ville de la fin du v111• siècle. La construction de briques de terre cuite a une cour pavée entourée sur quatre côté de salles ouvertes, et se rapprochant par conséquent de la disposition de l'iwan quadripartite. La salle nord est mise en
valeur par une antichambre à trois nefs qui occupe toute la largeur de la cour centrale. L'iwan et la sa ll e à trois nefs peuvent être attribués à l'influence perse, mêlée ici aux traditions de la construction locale. Même si, dans sa forme actuelle, le palais remonte au x11• siècle, il présente des éléments fondamentaux précis caractéristiques du palais abbasside.
A RCH I TECTURE
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se faisant face deux à deux - la porte du Khorassan au nord-est, la porte de Basra au sud-est, la porte de Kufa au sud-ouest, et la porte de Damas au nord-ouest-, avec des routes partant pour toutes les régions de l'empire. Le passage des portes était en chicane, de manière à rendre plus malaisée une entrée en force. Au-dessus de chaque porte était aménagée une salle surélevée, sur-
Palais d'Ukhaydir, Iraq, seconde moitié du v111• siècle Le palais d'Ukhaydir dans le désert, fut sans doute édifié par un riche personnage privé (oncle ou neveu du calife al-Mansur) ; c'était un lieu de retraite, protégé d'un puissant mur
montée d'une coupole, qu'on pouvait atteindre par une rampe ou un escalier. Au sommet de cette construction de 25 mètres de haut se dressait une girouette à forme humaine. Le calife utilisait comme salles d'audience ces espaces d'où il pouvait voir arriver amis ou ennemis et surveiller les environs. En même temps, il apportait ainsi la preuve que son pouvoir souverain s'étendait jusqu'à la bordure de la ville. Quatre rues principales bordées de galeries commerçantes et autres édifices menaient des quatre portes au centre. Tout contre le rempart intérieur était
exactement au centre de la ville et occupait une surface quadruple de celle de la mosquée. Une salle d'entrée voûtée (iwan) de 15 m x 10 m au dos de l'édifice conduisait à la salle d'audience de 10 mètres de côté, surmontée d' une coupole. Au-dessus se trouvait une deuxième salle à coupole que les contemporains appelaient « Qubbat al-Khadra » , ce qui a souvent été traduit par « coupole verte », mais serait mieux rendu par « coupole céleste », la formule renvoyant à la tradi-
construit un cercle de résidences pour la famille du calife, sa suite et ses domestiques. Des palais formant un cercle intérieur abritaient les salles des armes, le trésor et les bâtiments administratifs. Le centre était occupé par le bâtiment de la police, la mosquée et le palais du calife. La mosquée était une salle hypostyle carrée d'une centaine de mètres de côté, avec une cour intérieure à ciel ouvert. Tour à côté se dressait le palais. Il était
Palais d'Ukhaydir Ukhayd ir est le palais le mieux conservé de la période des débuts des Abbassides. li est entouré d'un haut mur de ca lcaire, avec des tours rondes aux quatre co ins et des tours semi-circulaires le long des murs latéraux. À l'intérieur, une grande cour mène à un imposant iwan qui débouche sur une salle carrée bordée d'appartements. Des deux côtés so nt aménagés des appartements et de plus petites cours; des bains construits en brique avaient été installés dans la partie est. 0
10 20m
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extérieur. Le palais fait de pierres et de briques avait à l'origine trois étages; c'est la mieux conservée de toutes les constructions des débuts des Abbassides.
tion antique qui associait la souveraineté au ciel. Lare de cette deuxième coupole s'élevait de dix mètres au-dessus du deuxième niveau et son sommet atteignait une hauteur de 40 mètres ; elle était couronnée par une girouette qui représentait un cavalier. Pour les contemporains, ce cavalier était l'emblème de Bagdad, le symbole de la région et l'un des monuments célébrant le pouvoir des Abbassides. Le cavalier tournant au gré du vent était en même temps une représentation métaphorique du pouvoir et de l'autorité du calife. Lorsque le personnage pointait sa lance dans une certaine direction, le souverain était censé savoir que des rebelles venant de cette direction marchaient sur la ville, avant même qu'il en eût été réellement informé. On pensait aussi que le cavalier annonçait les orages avant qu' ils éclatent. Ceffondrement de la Qubbar al-Khadra avec son cavalier sous l'effet d' un ouragan , en 94 1, prit effectivement valeur prémonitoire puisque dans les quarre années qui suivirent, les Bouyides s'établirent à Bagdad et devinrent les « suzerains » des califes abbassides. À l'origine, la ville ronde avait été construite pour mettre le calife à l'abri de ses sujets. Différentes colonies s'implantèrent en dehors des murs, par exemple, un immense camp militaire dans le faubourg d'Harbiya et des marchés à al-Karkh. Al-Mahdi, fils d'al-Mansur, fit établir un camp supplémentaire pour ses troupes à Rusafa, sur la rive orientale du Tigre. Er très vite l'enceinte circulaire ne joua plus le rôle qui lui avait été imparti, car la population se fit de plus en plus dense tout autour, de sorte que même le centre du gouvernement ne fur bientôt plus qu' un quartier parmi les autres. Capogée de cette évolution fut atteint après le siège de Bagdad en 812-813 au cours de la guerre entre les deux fils du calife Harun al-Rachid. Le calife al-Mamun , vainqueur, transporta son palais sur un domaine de la rive est du Tigre, et Bagdad fur absorbée par la nouvelle capitale
IRAQ, IRA N , ÉGY PT E : LE S ABBA SS ID ES ET LEURS SU C C E SSE U RS
q ui s'étendait sur la rive ouest. Certaines parties des fortifications restèrent encore visibles pendant des siècles, mais de la ville elle-même, il ne reste plus aujourd'hui la moindre trace. La forme circulaire et le plan de base concentrique avec, en son centre, le palais du calife invitent à la réflexion sur la signification symbolique de la cap itale, conçue comme le centre d' un empire universel. On a par exemple émis l'hypothèse selon laquelle al-Mansur aurait imité les vieilles cités royales circulaires comme Firuzabad dans la province de Fars. Pour si cencances que soient ces spéculations intellectuelles, il n'y a pas de témoignages de l'époque qui puissent les confirmer ni les réfuter. En tout cas, en l'espace de quelques décennies après sa fo ndation, le centre de gouvernement s'était transformé de palais géant en centre économique et commercial débordant d'activité.
Autres fondations de villes et résidences des Abbassides Bagdad ne fuc toutefois pas la seule ville que fic construire al-Mansur. Dans le nord de la Syrie, sur la rive esc de !'Euphrate, il explora un territoire qui avait été peuplé dans !'Antiquité classique , ec il y fonda en 772, dans le cadre d' un programme de renforcement des frontières , la ville d'al-Rafiqa, « !'accompagnatrice» (de la cité plus ancienne de Raqqa). D 'après les cexces du Moyen Âge, alRafiqa fut construite sur le modèle du plan circulaire de Bagdad, ce que semblent confirmer les restes de forcificacions. Le plan de la ville étaie cerces en fer à cheval, sur une largeur de 1 300 mètres , mais la disposition pouvait « presque » paraître circulaire aux yeux des contemporains. Elle étaie protégée par un rempart de près de 5 kilomètres, fortifié de 132 cours rondes de défense, une deuxième enceinte concentrique et un fossé. On encrait dans la ville par crois portes. Au centre d'al-Rafiqa, se trouvait une grande mosquée (108 m x 93 m) qui servait de salle de prière aux soldats de garnison originaires du Khorassan. Les puissants murs de briques d'argile étaient revêtus de briques de cerre cuire ec fortifiés de tours semi-circulaires. La cour étaie entourée de galeries so utenues par des piliers de briques de terre cuire, la galerie du mur de la qibla présentant crois arcades, alors que les deux galeries latérales n'en comptaient que deux. Raqqa formait avec al-Rafiqa la plus grande ville de Syrie ec c'écaic, après Bagdad, la plus grande métropole de toute la Mésopotamie. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que Harun al-Rachid, qui n'aimait pas Bagdad, ai r transporté sa résidence à Raqqa en 796 où elle demeura jusqu'en 808. Au cours des douze années où il séjourna dans la ville, il ne se contenta pas de renforcer les enceintes, mais fit construire en outre au nord un imposant quartier de palais qui s'étendait sur près de 10 kilomètres carrés, avec au total vingt grands ensembles architecturaux. Le plus grand de ces palais, édifié au centre, couvrait 350 m x 300 m et il était considéré comme le palais du calife, appelé dans les textes Qasr al-Salam (« palais de la Paix ») . Les constructions voisines abritaient la famille du calife, sa cour ec quelques unités militaires. Les éd ifices de brique d'argile, partiellement renforcés de briques de terre cuire, éraient soigneusement aménagés. Leurs murs recouverts de stuc blanc étaient ornés de reliefs représentant notamment des rinceaux de vigne. Harun al-Rachid entreprit aussi la construction d'autres palais su r un plan de base circulaire ou octogonal. Hirakla, situé encre Raqqa et Balis dans le nord de la Syrie, était un château fortifié circulaire, avec des portes opposées et, au centre, une construction carrée. Al-Qadisiya, à proximité de Samarra, sur le canal Qatul, avait un plan de base octogonal de 1 500 mètres de diamètre, des portes et des rues disposées suivant des axes perpendiculaires qui menaient au centre, occupé par un bâtiment carré. Les murs extérieurs éraient de briques
Vue sur la galerie supérieure du pala is d'Ukhaydir Le palais d 'Ukhaydir a conservé de nombreuses sal les de ses étages, alors que la plupart des palais abbassides ne révèlent plus, lors
des fouilles, que leurs fondations. La galerie ouverte aux arcades soutenues par des piliers massifs - typiques de l'architecture du palais constitue la partie orientale de l'espace d'habitation construit au-dessus de l'iwan d'entrée.
d'argile et les premières pierres furent posées pour la consrrucnon d' une mosquée , d' un palais, d' une place centrale et de trois rues principales, m ais ces projets ne furent toutefois jamais achevés. Ils ne nous sonc connus que par les fouilles archéologiques que les chercheurs ont essayé de mecrre en corrélation avec les allusions brèves et contradictoires qu'ils pouvaient trouver dans les textes médiévaux. Le palais le mieux conservé des débuts de l'époque abbasside est paradoxalement celui dont les sources de l'époque parlent le moins : Ukhaydir se si eue à près de 200 kilomètres au sud de Bagdad dans la steppe du nord-ouest de Kufa. La construction de 175 m x 169 m est entourée d ' un puissant mur
ARC HITECTURE
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Page ci-contre : vue intérieure de l'iwan d'entrée avec vue sur la cour, palais d'Ukhaydir, Iraq, seconde moitié du v111' siècle Situé derrière la porte nord, l'iwa n d'entrée, qui mesure environ 15 mètres de long et 7 mètres de large, est la plus vaste salle du pa lais. Son haut plafond voû té repose sur des arcades soutenues par des piliers massifs dont la face est composée de :rois quarts de colonne. À l'arrière-plan, or découvre l'arc mo numental qui s'ouvre sur a salle du trône.
Ci-contre: vue sur le riwaq sud de la mosquée d'Ukhaydir La mosquée située sur le côté occidental de l'iwan d'entrée comprend une cour fermée au nord par un mur et entourée d'arcades (riwaqs ) sur les trois autres côtés. La galerie sud où se trou ve le mihrab possède un admirable plafond voûté,décoré de stuc aux motifs géométriques.
extérieur de fonifica rion en pierre calcaire gross ièrement raillée revèru de morti er et atteignant une hauteur d 'environ 19 mètres. Aux quatre coins se dressaient des tours rondes séparées à intervalles réguliers par des tours semi-circulaires.
amibuent l' édifi ce à Issa ibn Musa (mort en 784), puissant neve u du calife alMansur, d 'autres le datent de quelques décenn ies plus rôt et pensent que c'était le palai s d ' Issa ibn Al i, oncle d 'al-Mansur. Aucune inscription n'ayant été découverte
Des tours en quart de cercle flanquaient les portes au milieu de chaque côté , sauf
sur les lieux jusqu'à ce jour, on ne saurait trancher la question . En tout cas, le pa-
sur le côté nord où un e tour rectangulaire marquait l' entrée principale. Celle-ci
lais d 'Ukhaydir offre un matériau d 'observation qui permet d e vérifier les des-
donn ai t sur le véritable palais (112 m x 82 m ) qui jouxtait au nord le mur exté-
crip tions et de confirmer les déco uvertes arch éologiques effectuées sur des sires
ri eur. Sur l'axe central du palais , un e salle d 'entrée, avec à sa droite une petite
plus célèbres.
mosqu ée, s'ouvrait sur une vaste co ur sur laquelle donnait un grand iwan vo ûté
Dans des proportions plus modestes, on retrouve qu elques-unes des caracté-
jouxté par un e salle carrée fl anqu ée des appartements . Des deux côtés de l'axe central , deux bâtiments d ' habitation in dépendants éraient disposés autour de cours de plus petites dim ensions. Au sud- est de cet ensemble avaient été
ristiques de l'archi tecture abbasside que nous avo ns énoncées à Uskaf Bani Junayd , appe lé auss i Sumaka, sur les ri ves du canal ahrawan, au sud d e l' Iran. Au début de l'ère islamique, ce lieu était, hormis la capi tale, la plus grande ville
am énagés en outre des bains, co nstruits en brique de terre cuire.
du bassin de la Diyala. Les fouilles effectu ées dans les ann ées 1950 o nt fair d é-
Ukhaydir es t partict.:lièrement remarquable par son état de conservation , surtout en ce qui co ncerne la voûte et les étages supérieurs ; nous ne connaissons en
couvrir un palais rec tangulaire (65 m x 55 m) composé d e crois corps de bâtiments. Au milieu, une cour donnait sur un iwan disposé perpendiculairement,
effet d e la plupart des autres éd ifices abbassides que le plan de base. Un certain nombre de voû tes sont en briques d ont la disposition forme parfois des motifs décoratifs co mpliqués. Dans d 'aurres bâtiments, les voûtes avaient été ornées de stuc, travaillé de celle sorte qu' il imitait la constru ction de brique. Il fa ut surto ut
flanqué de salles et m enant à un e salle de réception , sur laquelle débouchaient des appartements situés d e pan et d 'autre. La m osquée du palais mesurait 50 m x 45 m. Sa cour intérieure éraie bordée d 'a rcades, doubles sur crois côtés, sur cinq rangs pour la sall e d e prière . Le mihrab était un peu d éporté sur la gauche dans
noter l'emploi de voû tes en croix pour la co uve rture des salles rectangulaires. On
le mur d e la qibla. Les murs exté rieurs d e la mosquée éraient faits d e briques de
retrouve un certain nomore de ces ca rac tères d ans l'architecture iranienne tardi ve,
terre cuire, les colonnes de bois de noye r. La mosq uée n'étant pas datée, on ne
ce qui semble indiquer qu' ils devaient aussi être présents dans une multitude de constructions qui n'ont pas été conservées. La raille et la quali té de la construction et du décor laissent à penser que le palais ava it sans doute été édifié pour une haute
peur lui attribuer une datation que par comparaison avec des édifices dont la d atation es t ass urée. O n situe ainsi so n édifi cation vers la fin du VIII ' ou le d éb ut du IX' siècle, sa ns doure à une époque en core anté rieure aux constructions d e
personnalité en relation étroi te avec la cour abbass ide. Certains spécialistes
Samarra.
ARCHITECTURE
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Vue aérienne de Samarra, à partir de 836 En 836, le calife al-Mansur transporta la capitale de Bagdad à Samarra, située à 125 kilomètres en amont. Les califes suivants firent bâtir de nou veaux quartiers, de sorte que Samarra fut pour finir l'une des plus grandes villes du monde de cette époque avec une
superficie de 57 kilomètres carrés . Samarra resta la capitale officielle des Abbassides jusqu'en 892, date à laquelle al-Mutadid ramena sa cour à Bagdad. La plus grande partie de la vi lle resta par conséquent inoccupée. Elle offrit donc des cond it ions de travail idéales aux archéologues qui commencèrent à l'explorer au début du xx' siècle.
Transoxiane, d'Arménie et d'Afrique du Nord, et recrutèrent pour leur armée des mercenaires turcs. Ces mesures raffermirent dans un premier temps le pouvoir du calife, mais furent ensuire cause de troubles nouveaux entraînanr à Bagdad des affrontements sanglants entre les mercenaires turcs, les soldats arabes et la population autochtone. Pour séparer les groupes ennemis, al-Mutasim décida de procéder comme son père, Harun al-Rachid, et d'établir un nouveau cenrre de gouvernement. Après avoir envisagé différents lieux, il s'établit en 836 à Samarra, sur la rive est du Tigre, à 125 kilomètres au nord de Bagdad, où son père avait entrepris quelques décennies auparavant la construction d'un palais. Contrairement à la ville ronde de Bagdad qui ne cessa d'être transformée au fil des siècles, Samarra était déjà pratiquement abandonné au Moyen Âge et le resta jusqu'au XX' siècle. Lorsque des archéologues redécouvrirenr la ville peu après 1900, les vestiges s'étendaient sur près de 50 kilomètres de longueur sur la rive du Tigre et couvrait une surface de plus de 150 kilomètres carrés.
Palais et mosquées Contrairement aux palais d'al-Mansur et d'Harun al-Rachid qui formaient des blocs fermés, le palais d'al-Mutasim à Samarra couvrait plus de 175 hectares et il était entouré de hauts murs sans ouvertures. Ce palais, qu'occupèrent pratiquement cous les califes qui résidèrenr à Samarra, est désigné dans les textes sous le nom de « Dar al-Khilafa » (la maison du califat). Les archéologues le confondirent courefois au départ avec un autre palais, le Jausaq al-Khaqani (« pavillon de l'empereur »). Le Dar al-Khilafa, ensemble de cours et de jardins communiquanrs, s'étendait sur 1 400 mètres de long, depuis la rive du fleuve jusqu'au belvédère offrant à l'est un point de vue sur un gigantesque champ de course de forme trilobée. Une immense volée de larges marches menaient de la rive du Tigre à Bab al-Amma, la grande entrée publique toujours marquée par trois grandes arcades de brique de terre cuire. De l'autre côté de cette porte, se succédaient une série de
frère cader, al-Mamun, que son père avair nommé gouverneur du Khorassan. Comme l'armée abbasside de Bagdad sourenair Amin (809-813), de sa base de l'est de l'Iran, al-Mamun duc rechercher l'appui de souverains locaux. Al-Mamun l' emporra finalemenr, mais Bagdad avair profondément soufferr de la guerre, et
cours et de salles aboutissant à une salle centrale surmontée d'une coupole, qui était sans douce la salle du trône du calife, entourée de quatre iwans voûtés. À proximité étaient aménagés des bâtiments d'habitation plus bas, groupés autour de bassins pour permettre à leurs habitants de se protéger de la chaleur. Même si Dar al-Khilafa était le plus grand palais de Samarra, il en existait beaucoup d'autres. Il y avait aussi une foule de petits palais et de demeures de plus petites dimensions, par exemple le Qasr al-Jis (« châreau de stuc ») d'al-Mutasim, ou les palais de son successeur al-Wathiq (842-847) situés dans la plaine submersible, sur la rive ouest du T igre. Il y avait aussi les quartiers de l'armée avec, dans chacun d'eux, un palais pour le chef d'armée, de plus petits palais résidentiels, une allée de parade et tout un réseau de rues encadrant les bâtiments où étaient logées les troupes.
l'armée abbasside ainsi que la population iraqienne qui avair supporré les plus lourdes souffrances, étaient totalement coupées du nouveau souverain. Pour s'assurer la domination sur cette population rebelle, al-Mamun et son frère et successeur, al-Mutasim (833-842), conçurenr une nouvelle politique militaire. Ils nommèrenr gouverneurs à titre héréditaire plusieurs chefs de tribus de
comme le plus grand constructeur de Samarra. Il doubla la surface de la ville et fit édifier une immense mosquée dès le début de son règne. Avec des dimensions de 239 m x 156 m, cette mosquée respecte la proportion 3/2 qui se retrouve dans beaucoup de mosquées de cette époque. Elle était entourée d' un mur d'enceinte
Samarra - la nouvelle capitale impériale Le longer illusrre règne d'Harun al-Rachid posa bien des problèmes. À sa more, en 809 , une guerre civile éclara encre ses fils, Amin, qui hérira du califar, er son
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Le fils d'al-Mutasim, le calife al-Mutawakkil (847-861) , est considéré
IRAQ, IRAN , ÉGYPTE : LES ABBASSIDES ET LE U RS SUCCESSEURS
de 444 m x 3 76 m , soit une surface de 17 hectares. Aussi la mosquée de Samarra demeura-t-elle pendant des siècles la plus grande du monde. Des tours semicirculaires - qui ont été conservées - fortifient les murs extérieurs de brique de terre cuire terminés dans la partie supérieure par une frise de briques avec une décoration de stuc. Seize portes donnaient accès à l' intérieur de la mosquée qui présentait la disposition habituelle, avec une cour intérieure encadrée de salles
Vue générale de Malwiya, grande mosquée d'al-Mutawakkil à Samarra, 848-852 La grande mosquée construite par le calife alMutawakkil fut pendant des siècles la plus grande du monde musulman . L'enceinte extérieure est en majeure partie détruite,alors que les murs de briques de terre cuite de la
mosquée, flanqués de tours semi-circulaires ont été mieux conservés. Le puissant minaret de 50 mètres de hauteur (Malwiya) fait partie de l'ensemble architectural de la grande mosquée et il est surtout célèbre pour sa forme en spirale.
hypostyles. Des centaines de piliers carrés de b rique et de pierre brute souten aient le toit plat en bois. L'imérieur était orné de mosaïqu es de ve rre et de plaques de marbre, avec un mihrab rectangu laire orné de mosaïques de verre et d 'o r et flanqu é de deux paires de colonnes de marbre rose. Il y avait de chaque
pente de la rampe augmeme a u fur et à mesure que le diamètre de la rour se ré-
côté un e ouverture, l' une par laquelle entrait l' imam , l'autre donnam sur un débarras où était entreposé le m inbar transportable . Dans l'axe du mihrab - à l'in térieur de l' enceinte extérieure, mais à l'extérieur de la mosquée à propremem
duit - solmion esrhériquemem ambitieuse, mais assez peu pratique pour qui veut monter au sommer. On a so uve nt pensé que cette forme inhabituelle pour une tour était inspirée du temple à étages mésopotamien, le ziggourat, mais c' est
parler - s'élève une tour reli ée à la mosquée par un pont: la Malwiya (« spira-
très certainement l' in verse: les ziggourats en spirale, rel qu' on en retrou ve sur les
le ») . C'est une grande rampe en sp irale, s'enroulam dans le sens inverse des ai guilles d ' une montre pour conduire à un pavillon qui se trou ve à plus de
tableaux de Brueghel er de nombreux autres peintres européens pour représenter la Tour de Babel, semblent inspirés des descriptions de la Malwiya dans les
50 mètres au-dessus du so l. Pour que tous les ni vea ux aiem la même hameur, la
récits de voyage.
Murs extérieurs de la grande mosquée d'al-Mutawakkil à Samarra Bien que les murs extérieurs de la grande mosquée d'al-Mutawakkil aient été largement restaurés, ils permettent de se faire une idée assez juste de l'ampleur et des dimensions du projet impérial abbasside. La partie supérieure du mur de briques de ter re cuite fortifié par des tours semi -circu laires était orné d'une frise à découpes carrées.
ARC HITECT U RE
103
Entre 850 et 860, al-Mutawakkil fit construire à Balkuwara, au sud de Samarra, un nouveau palais pour son fils, le futur calife al-Mutazz (866-869). Ce palais rectangulaire se trouve à l'intérieur d'une enceinte carrée de plus d'un kilomètre de côté, le long du fleuve. Comme à Dar al-Khalifa, les salles hypostyles forment un bloc carré autour d' une salle centrale surmontée d'une coupole entourée de quatre iwans disposés en croix. Au cours de la même décennie, al-Mutawakkil entreprit encore la construction d' une nouvelle ville au nord de Samarra qui portait le nom de Jafariya (de Jafar, nom personnel du calife) ou al-Murawakkiliya. Une large avenue bordée de palais et d'habitations plus petites conduisait au palais central, le Jafari, donc les salles de réception se trouvaient au confluent du Tigre et du canal Kisrawi. Le reste de ce gigantesque ensemble s'étendait plus loin vers l'est sur 1,7 kilomètre. La grande mosquée de cette nouvelle ville connue sous le nom de mosquée d'Abu Dawlaf est avec ses 213 m x 135 m une réplique plus petite de la grande mosquée d'al-Mutawakkil à Samarra. Des piliers de brique carrés supportaient les arcades perpendiculaires au mur de la qibla et un toit plat en bois. Le minaret en spirale, avec ses 16 mètres de hauteur, était aussi construit sur le modèle de la Malwiya de Samarra. De même que pour les anciennes constructions abbassides, on utilisa pour les constructions de Samarra des matériaux comme la brique et le stuc disponibles sur place. Toutefois la grande richesse des commanditaires leur permettaient d 'agrémenter ces matériaux modestes de précieux revêtements de bois et de marbre ou de mosaïques de verre. Les édifices de Samarra se distinguent aussi de l'architecture abbasside ancienne à d'autres égards. Les palais anciens s'élevaient plutôt en hauteur et leurs salles du trône, surélevées , étaient surmontées de coupoles qui les faisaient paraître encore plus hauts, alors que les
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IRAQ, IRAN , l: G YPT E
Vue du minaret et de la cour et plan de base de la grande mosquée d'al-Mutawakkil Cette vue de l'ensemble de la grande mosquée de 139 m x 156 m montre la cour initialement bordée de galeries à colonnades. On aperçoit au-delà les vestiges de la salle de prière, où se trouvait un mihrab orné de mosaïques d'or et
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mosquées éraient plutôt des constructions basses. À Samarra au contraire, les palais impressionnaient mrrour par leur étendue et les mosquées par leurs rours co lossales. Contrairement au palais de Bagdad où le souverain étai t effectiveme nt et symbol iquement au centre de l'empire, à Samarra, le calife érair séparé de la population par des murs infranchissables. C'est l'époque où les rou rs et les grands portails jusqu'alors réservés aux palais firent leur entrée dans l'architecture des mosquées. Le minaret devint so us les Abbassides le signe distinctif de la mosquée. Bien que les sources de l'époque ne disent rien des causes de ce changement en architecture, il semble vraisemblable qu'il reflète le passage de la société égalitaire des débuts de l' islam au système plus hiérarchisé de la dynastie abbasside, dans lequel les souverains adoptèrent progressivement une conception de la royauté inspirée de la Perse. Peur-être le fair que l'insrirurion de la mosquée ne soit plus directement liée au calife mais aux ulémas joua-r-il aussi un rôle. Bien que l' islam ne fasse théoriquement aucune distinction entre l'auroriré religieuse et l'auroriré laïque, en pratique sous les Abbassides, il y eut rour de même une séparation entre elles. Tandis que la grande mosquée - bien que ses fastes aient été financés par le calife - devenait le centre d' une classe religieuse auronome, les palais , de plus en plus luxueux, devenaient les centres du pouvoir laïc où le calife et ses ministres menaient les affaires du gouvernement en prenant de plus en plus de distance par rapport à leurs sujets.
Le décor architectural La plupart, sinon rous les édifices de Samarra, éraient faits de briques d'argile, à la fois ornées et protégées par un revêtement de stuc peint ou sculpté. On utilisait aussi des briques de terre cuire, de l'argile séchée et une brique assez inhabituelle faire de plâtre; les éléments particulièrement importants éra ient revêtus de pierre
Minaret de la mosquée d'Abu Dulaf
à Samarra, 860-861 Comme la mosquée d'al-Mut3wakkil, la mosquée d'Abu Dulaf, plus récen:e, a un minaret en spirale face au mihrab, mas sa hauteur de 16 m ne représente que les deux tiers de celle du minaret de la grande mosquée.
Arca des de la mosq uée d'Abu Dulaf à Samarra La mosquée d'Abu Du laf, deuxième grande mosquée qu'al-Mutawakkil fit construire à Samarra, était destinée aux habitants d 'un nouveau quartier de la vil le au nord, le Jafariya. De dimensions lé,~èrement plus réduites que la plus ancienne, elle s'en distinguait aussi par les arcades qui soutenaient le toit (aujourd 'hui détruit).
ARCHITECTURE
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ou de bois. Pour donner à ces grandes surfaces de stuc un aspect plus vivant, les
Décoration des murs d'une habitati on
artisans inventèrent trois styles décoratifs qui se succédèrent avec un degré d'abstraction croissant, et illustrent l'évolution de la technique et de la thématique au fil du temps. Le premier style est une technique de gravure, issue de l'ornementation géométrique ou à motifs végétaux tendant à l'abstraction de la tradition omeyyade. Des bandeaux ornementaux séparent des champs couverts de motifs de rinceaux de vigne qui toutefois, à la différence de ceux des panneaux de Raqqa, ne portent
à Samarra
pas de grappes. Les feuilles de vigne ont cinq lobes , séparés par des « yeux » profondément découpés , et elles se détachent très nettement sur un fond sombre très évidé. Le deuxième style, qui est aussi une technique de gravure, se caractérise par des rainures en croisillons à la surface des détails. Le décor se détache également du fond et se divise en différents champs , mais il est simplifié par rapport au style précédent, ce qui se traduit entre autres par le fait que les feuilles au lieu de prendre attache sur le rinceau ont une forme abstraite, stylisée. Le troisième style, qualifié d '« oblique », applique une technique de moulage et se prêtait donc bien à la décoration de grands panneaux. La coupure oblique permettait de détacher facilement le stuc du moule. Lornementation de ce style se caractérise par l'alignement symétrique et rythmique de lignes courbes se terminant en spirales, formant des motifs abstraits - motifs en forme de bouteille, trèfle, palmettes et spirales -, la distinction traditionnelle entre le motif et le fond n'existant plus. Le style oblique a indéniablement été mis au point pour les travaux de stuc, mais il a ensuite été utilisé aussi dans la gravure sur bois, pour la décoration de portes et autres éléments d 'aménagement intérieur. Ce style est la contribution la plus originale des artisans de Samarra à l'évolution de l'art is-
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Les architectes abbassides développèrent des techniques particulières pour la construction et l'ornementation des palais et autres bâtiments de Samarra . Les constructions étaient généralement en briques d 'a rgile, matériau disponible et bon marché.On recouvrait généra lement les murs nus d'une couche de stuc orné de reliefs ou de peintures. Les historiens de l'a rt distinguent trois styles décoratifs. Les
deux premiers consistaient à travailler le stuc humide en lignes droites verticales. Le troisième, dit « oblique », utilise des moulages. li emploie un relief oblique, relativement plat qui permet de détacher assez facilement le stuc du moule. Cette technique était particulièrement adaptée à l'ornementation rapide de grandes surfaces murales; elle devint la marque distinctive des l'art ornemental abbasside.
lamique, car l'ornementation abstraite inspirée de motifs végétaux et l'alignement de motifs ornementaux à l'infini sont des élémenrs clefs du schéma décoratif que l'on a appelé l'arabesque. Les milliers de fragments de fresques découverts dans les palais de Samarra attestent que, comme au temps des Omeyyades , la représentation figurée était toujours tolérée dans les lieux d'habitation et, en particulier, à l'intérieur des palais. On y vo it par exemple des cornes d'abondance, avec des animaux sauvages et des femmes nues, ou des scènes de chasse. Une peinture murale reconstituée monrre deux jeunes filles qui dansent en se tenant par le bras, chacune versant du vin d' une bouteille à long col dans une coupe que lui tend l'autre. On a retrouvé aussi, dans les dépotoirs des palais, des débris de bouteilles de vin cassées au cours de festins ; elles ont pu être identifiées comme telles d'après les étiquettes peintes et laissent supposer que certa ines des peintures murales illustraienr des scènes effectivement inspirées par la vie dans ces palais.
IRAQ, IRA N, ÉGYPT E: LE S ABBASSIDES ET LEURS SUCC E SS EU RS
Ci -dessus: décor de stuc de la salle 23 de la maison n° 3 à Samarra, Berlin, Museum für lslamische Kunst La décoration de ce revêtement de mur illustre le premier style de Samarra. Des rubans ornés divisent la surface en champs successifs décorés à l'intérieur de rinceaux de vigne. La représen tati on des feuilles est caractérisée par les nervures et les quatre « yeux " ·
Ci-contre: décor de stuc de la salle 16 de la maison n° 3 à Samarra, Berlin, Museum für lslamische Kunst Le décor de ce revêtement de mur illustre le deuxième style de Samarra . Des rubans sans ornementation divisent la surface en champs successifs,décorés intérieurement de motifs de feuilles tirant à l'abstraction. L'ensemble fait un effet plus plat que le premier style.
Ci-dessous: décor de stuc de la salle 1 de la maison n° 1 à Samarra, mur sud, Berlin, Museum für lslamische Kunst Le décor de ce revêtement mural illustre le troisième style de Samarra . Le champ non découpé est couvert de motifs symétriques et rythmiques et de lignes courbes qui se
Ci-dessus: pe inture du « Harem », Jar al-Kha lifa à Samarra, reccnstitution :J Ernst Herzfeld _es salles du palais de Samarra sont richement orn ées de reliefs de stuc et de peintures "'lurales. Beaucoup de ces peintures ont toute'ois pâ li lorsqu 'elles se sont trouvées au :ontact de l'air et de la lumière ; nous ne les
répètent et se terminent en spirale donnant des motifs abstraits qui évoquent la forme de feu illes.Techniquement,ce style se différencie des deux autres par une coupe oblique plate d'où sa qualification de style « oblique ». Cette technique permettait de réa liser rapidement un décor en relief sur de grandes surfaces.
conna issons plus aujourd 'hui qu'à tra ve rs les reconstitutions des archéologues. Cette œuvre montre deux danseuses se tenant par le bras qui échangent du vin dans des coupes. Elle donne une idée des distractions qui se pratiquaient dans les appartements pri vés des palais abbassides.
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Qubbat al -Sulaibiya à Samarra, 862 Le Qubbat al-Sulaibiya est un bâtiment octogonal entouré d'un chemin circumambulatoire; il s'agit sans doute du tombeau que sa mère, grecque, avait fait construire pour le calife al-Mustansir (861 -862). Bien que le prophète Muhammad ait interdit l'édification de sépultures aussi somptueuses, au 1x• siècle, de nombreux musulmans firent construire des
édifices de ce type au-dessus de leur tombe pour s'assurer une forme d'étern ité. Plan de base et élévation : le tombeau situé a proximité du palais abbasside Dar al-Khilafa a un plan de base octogonal avec un diamètre de 19 mètres, il est entouré d'un chemin circumambulatoire. Ses murs extérieurs sont percés de grandes fenêtres. La chambre funéraire est profondément enfouie dans le sol.
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Les monuments funéraires Outre les palais et les mosq uées, on déco uvre à Samarra des co nstructions d'une troisième catégo rie : la Qubbac al-Sulaibiya sur la rive ouest du Tigre, face au Dar al-Khalifa , est un édifice octogonal de 19 mètres de diamètre surmonté d' une coupole, entouré d'une chemin circumambulacoire. Il s'élève sur une place-form e ouverte, mun ie de quatre rampes d'accès. Le bâtiment a été identifié comme le mausolée du calife al-Musransir (861-862), fils d'al-Mutawakkil, dans lequel sont aussi inhumés les califes al-Mutazz et al-Mu thadi (mort en 870). Il fut construit par la mère du calife, qui étaie une esclave grecque. Bien que le prophète Muhammad se soi t clairement pro noncé contre l'édification de tombea ux monumentaux, des textes révèlent que, très vice, o n éleva des ma usolées audessus des tombeaux du Prop hète et de ses descen da nts. Au déb ut, on en terra les califes abbassides dans l'enceinte du palais, mais à partir des Al ides, le culte des monuments funéraires des descendants de Muhammad se développant de plus en plus, les Abbassides essayèrent de détourner l'attention de ces monume nts en donnant à leurs propres tombeaux des dimensions monumentales . Au début du X' siècle, on construisit pour coute la dynastie, sur la rive est du Tigre, près de Bagdad, un somptueux tombeau de famille qui fut ensuite détruit. Il semble que la Qubbar al-Sulaibiya soir le plus ancien monument de ce type qui ait été conservé. Au cours de la déce nnie q ui sui vit l'assassinat d'al-Murawakkil (861), les croupes de mercenai res turcs investirent puis destituèrent successivement quatre califes. Mais le rôle de ces mercenaires perdit de son importance dans les années soixante-dix du IX' siècle, lorsqu'ils furent envoyés pour combattre la révolte des Zanj (esclaves africains) dans le sud de !'Iraq. Tandis que le calife al-Muramid (870-892), fils d'al-Murawakkil, résidait encore à Samarra, son neveu et
IRAQ, IRAN , ÉGYPTE: LES ABBASSIDES ET LEURS SUCC ESSEURS
successeur al-Muradid (892-902) transporta le siège du gouvernement à Bagdad. Samarra perdit de son importance, même si la ville ne fur pas tour de sui te com plè-
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tement abandonnée comme on l'a cru autrefois. Les innovations qui marquèrent l'art de Samarra trouvè~ent un écho dans l'ensemble de l'empire, car to us les gouverneurs, d'Afrique du Nord jusqu'en Asie centrale, voulaient imiter leur suzerain iraqien.
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L'architecture abbasside dans les provinces Les prédécesseurs des Abbassides, les Omeyyades, avaient conquis un immense te rritoire qui allait de l'océa n Adamique à !'O xus, mais leur culture éraie essentiellement concentrée en Syrie et en Palestine, le cceur de leur empi re. Du fai t de son extension géographique et temporelle limitée, l'architecture omeyyade présenta un sryle clair et cohérent; mais, en ce sens, il n'y eut jamais d'architecture omeyyade
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de l'Iran ou d'Afriq ue du No rd. Les Abbassides , au contraire, surent étendre leur culture sur un vaste territoire, de telle sorte qu'on peur tour à fair parler d' une architecture et d' un art abbassides m ême dans des provinces comme la Transoxiane ou l'Égypte . De m êm e, en Ifriqiya, la province correspondant à l'actuelle Tunisie, et en Espagne, où régnaient les descendants de la dynastie omeyyade qu'ava ient éliminée les Abbassides , on imita la culture abbasside.
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Grande mosquée d'lspahan, à part ir de 840 Comme toutes les mosquées du Vendredi édifiées sur les territoires abbassides, la mosquée d'lspahan était in itialement constituée d'une salle à colonnes rectangulaires autour d 'une grande cour bordée d'arcades. Au X' siècle, les Bouyides entourèrent la cour d'une nou vel le rangée de piliers polygonaux; en 10861087, une coupole fut élevée dans la salle de prière, devant le mihrab, et quatre iw ans furent construits autour de la cour au x11' siècle.
20 m
Les exemples du style impérial abbasside dan s les provinces sont si dispersés
pouvait être réalisé dans différentes dimensions et pratiquement dans n'importe
qu'il est extrêmement difficil e d'en tracer un tableau homogène. En outre, peu
quel matériau de construction et que l'édifice pouvait être agrandi sans difficulté
d'édifices de cette époque ont été conservés , et beaucoup d'entre eux ont été de surcroît modifiés ou rénovés par la suite , en fonction de l'évo luti on du goût et de la situation politique. Les mosquées, toujours restées en usage , sont narnrellement dans un meilleur état de conservation que les palais qui ont généralement été abandonnés dès lors que leur constructeur n'était plus au pouvoi r. Les architectes en tenaient compte, utilisant pour la construction des mosquées des matériaux plus durables, comme la brique de terre cuire, alors que les palais éraient so uvent construits en matériaux plus fragi les comme la brique d'argile et le srnc. C'es t pourquoi la connaissance que nous avons de l'architecture des palais abbassides de province repose presque exclusivement sur de rares allusions écrites et des déco uvertes archéologiques. Le rype de la mosquée abbasside à colonnes et à piliers, sur le modèle de celle d'Uskaf Bani Junayd et de Samarra, semble avoir été assez courant, puisqu'il
lorsque la population musulmane d' une ville augmentait.
La gra nde mosquée d'lspaha n La plus grande mosquée qui nous so ir conn ue dans les provinces de l'empire est la gra nde mosquée abbasside d'lspahan , dont les fondations ont été mises au jour dan s les années 197 0 au cours de fouilles effectuées dans l'actuelle mosquée du vend redi. Avec des dimensions de 69 m x 103 m, la mosquée d'lspahan avait des proportions co rrespondant exactement à celles de la grande mosquée de Kairo uan construite en 836 à l'autre bout de l'Empire abbasside ; elle mesurait le quart de la mosquée d'al-Murawakkil à Samarra. L'enceinte extérieure était construite en briques d 'argi le, ornée d'arcades aveugles. Elle enrourait une cour
Mosquée Tariq -Khana de Damghan, IX' siècle La mosquée de Damghan est la seu le mosquée iran ienne de l'époque abbasside qui ait conservé ses caractéristiques originelles . Comme la plupart des mosquées, elles était formée d'une salle à colonnes rectangulaire avec une grande cour centrale bordée de galeries à arcades. Du point de vue de la technique architecturale, la mosquée de Damghan s'inscrit toutefois dans la tradition. Les piliers sont const itué s de couches de briques alternati vement horizontales et verticales - procédé connu depuis l'époque sassanide. Les voû tes en berceau de la salle de prière sont él liptiques; comme ell es ont été reconstru ites ultérieurement, on ne peut guère sa vo ir si elles avaien t d'emblée cette forme précisément en usage depuis les Sassanides.
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centrale bordée d 'arcades de briques de terre cuite qui supportaient sans douce la voûte de brique. Il y avait deux rangées de colonnes sur les côtés longitudinaux, quatre le long du mur de la qibla et six dans la salle de prière. La nef centrale conduisant au mihrab éta ie un peu plus large que les autres, ce qui laisse à penser qu'elle devait aussi être plus haute . I..:absence manifeste de minaret à l'opposé du mihrab est éton nante pour l'époque, dans la mesure où dans les mosquées de Samarra et de Kairouan, le minaret faisait partie intégrante de la construction . D 'après les sources écrites, la mosquée d'Ispahan fut construite en 840-841, sous le gouvernement du calife abbasside al-Mutasim, mais fut transformée peu de temps après. Les archéologues ont découvert qu' une rangée de piliers polygonaux avaient été ajoutée tout autour de la cour, donnant à l'édifice une apparence nouvelle à relativement peu de frais. Les colonnes étaient ornées de petits pavés de brique, formant des motifs circulaires, en pointe de diamant ou en ligne brisée, et d'autres figures géométriques. Cerces on trouve un style de décoration comparable dans l'architecture des Bouyides, il reste néanmoins difficile de déterminer exactement la date de la restauration de l'édifice. La mosquée d'Ispahan offre une bonne illustration de la manière dont pouvait être transformée l'architecture d' une mosquée.
Les mosquées abbassides de Damghan, Sirat et Nayin Il n'existe actuellement en Iran qu'une seule mosquée à avoir conservé jusqu'à un certain degré son apparence du IX' siècle: la mosquée Tariq-Khana de Damghan, petite ville sur la voie de communication est-ouest à travers le nord de l'Iran. I..:édifice mesure 39 m x 46 met a une cour intérieure bordée d'arcades, disposées
Grande mosquée de Nayin, milieu du x• siècle Comme Da mg han, Nayin en Asie centrale était un important centre de commerce. La ville, construite sous les Bouyides, est le modèle
type des mosquées abbassides des villes de province. Elle mérite une attention particulière surtout pour ses décors de stuc.
en une seule rangée sur crois côtés, en crois rangées le long du quatrième côté celui de la salle de prière. La nef centrale qui va de la cour au mur de la qibla est un peu plus large que les autres. Cette mosquée ne portant pas d'inscription et n'étant mentionnée dans aucune source historique, on ne peut se risquer à une datation qu'en fonction du style architectural. Les piliers sont faits d'un appareil de briques de terre cuite horizontales et verticales - technique connue depuis l'époque sassanide et utilisée jusqu'au X' siècle, par exemple pour le pavillon octogonal de Nacanz, daté de 998. Les voûtes elliptiques en berceau de la salle de prière de la mosquée de Damghan ont été maçonnées en briques d'argile. Elles ont crès vraisemblablement été rénovées à plusieurs reprises au fil des siècles, aussi leur profil ne permet pas de tirer de conclusion certaine. Bien que le projet initial n'ait apparemment pas comporté de minaret, un dignitaire local fit ajouter, en 1026, une puissance tour cylindrique ornée de motifs de brique. L ensemble de ces indications permettent de penser que la mosquée de Damghan date du IX' siècle. Une autre mosquée abbasside a été découverte à Siraf, localité située à 240 kilomètres au sud-est de Buchir sur la côté iranienne du golfe Persique. Du IX' au XI' siècle, Siraf fur le port le plus grand et le plus important de l' Iran . La mosquée d'origine mesurait 51 m x 44 m ; la cour était entourée d 'arcades comme à Damghan - une seule rangée sur trois côté, trois rangées dans la salle de prière. Face au mihrab, fut ajouté par la suite un minaret au plan de base carré. Les murs extérieurs étaient faits d' un mélange de pierres et de mortier revêtus de pierre brute ; les sols étaient revêtus de pavés de grès. Des monnaies et autres objets découverts semblent montrer que la construction de la mosquée, commencée en 815, fut terminée environ dix ans plus tard. La prospérité croissante et l'augmentation de la population furent à l'origine de l'agrandissement et de la transformation de l'édifice autour de l'an 850. La mosquée s'étendit sur une plus grande surface et un espace fut aménagé pour les ablutions rituelles dans l'angle est. La grande mosquée de Nayin, petite ville du centre de l'Iran sur la route des caravanes, offre le plus parfait exemple de décoration d'une mosquée abbasside en Iran. I..:édifice se différencie des mosquées abbassides habituelles dans la mesure où il comporte douze travées en largeur, et seulement neuf en longueur. La cour centrale est de dimensions réduites (5 x 4 travées), entourée sur trois côtés de
Grande mosquée de Nayin, milieu du x• siècle La grande mosquée de Nayin offre un bon exemple de mosquée construite dans les provinces sous les Abbass id es. Elle se compose d'une sa lle à colonnes et d'une vast e cour entourée d'une ga lerie à arcades. L'arcade la plus profonde est du côté de la qibla où un vaisseau plus large met en valeur le mihrab.
Page ci-contre : vue intérieure avec le minbar, grande mosquée de Nayin Les murs, les piliers et les arcs, devant le mihrab et des deux côtés, sont richement ornés de reliefs de stuc dans une variante du style de
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IRAQ, !RAN, ÉGYPTE: LES ABBASSIDES ET LEURS SUCC ESSEURS
Samarra. Nous ne connaissons certes pas la date exacte de la construction de l'édifice, mais le style des reliefs permet de la si tuer au début du x• siècle.Ainsi cette mosquée illustrer-elle l'adaptation du style de la capitale dans les provinces.
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profondes salles à colonnes. Le quatrième côté, face au mur de la qibla, n'a au contraire qu'une seule arcade étroite. Des piliers de configurations diverses soutiennent une voûte en berceau. Dans l'angle sud-est, s'élevait un minaret avec un socle carré et un tronc octogonal qui allait en s'affinant. Les irrégularités du plan de base, des colonnes et des voûtes, laissent supposer que la mosquée n'avait à l'origine que neuf travées, ce qui aurait été conforme au plan de base type et aux proportions caractéristiques de la mosquée abbasside. L'élément le plus remarquable est la fine décoration de stuc des six arcades juste devant et des deux côtés du mihrab. Les piliers cylindriques sont décorés dans le premier sryle de Samarra, tandis que les écoinçons des arcs sont ornés de rinceaux, de rosaces et de feuilles d'acanthe dans une variance du deuxième sryle, et couronnés d' une inscription coranique. Le mihrab lui-même est constitué de crois niches imbriquées ornées de reliefs de stuc, dont k plus profonde a été détruite. Le décor de la niche extérieure présence des caractéristiques du premier sryle de Samarra ; la plus belle est coucefois la niche médiane ornée de riches hautsreliefs. Tous ces éléments caractéristiques semblent indiquer que l'édifice date du milieu du X' siècle.
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Mosquée d'lbn Tulun au Cai re, 876-879 La mosquée qu'Ahmad Ibn Tulun (835-884), gouverneur quasi-indépendant nommé par les Abbassides en Égypte, fit construire au Caire est sans doute le plus bel exemple de mosquée d'une capitale de province, et elle a été en grande partie conservée. Le minaret en spirale, sur le modèle de ceux de Samarra,
fut érigé à la fin du x1 11' siècle. Le plan de base de la mosquée ressemble à celui de la mosquée de Samarra; les arcades parallèles à la qibla ne sont toutefois que des adaptations locales de modèles étrangers.
Arcades de la cour de la mosquée d'lbn Tulun au Caire Les architectes égyptiens, qui utilisaient antérieurement pour la construction de leurs mosquées des colonnes de pierres prélevées sur les ruines d'éd ifices plus anciens, ont employé ici le
système mésopotamien des piliers de brique revêtus de stuc. Les faces extérieures et inférieures des arcs sont ornées de reliefs de stuc dans le style de Samarra. L'édifice surmonté d'une coupole à l'arrière-plan de l'illustration fait partie d'une madrasa (éco le théologique) voisine.
Vue intérieure de la mosquée d' lbn Tu lun au Cai re Des alignements de pil iers massifs supportent les arcs sur lesquels repose le toit de bois de la salle de prière. Le mihrab plat fixé au pilier du premier plan a été ajouté par le vi zir fatimide
al-Afdal à la fin du x1" siècle. Sur la plate-forme surélevée entre les arcs centraux - autre aménagement ultérieur de la construction -, pour la prière du vendredi après-midi, un homme répétait à voix haute les appels de celui qui dirigeait la prière.
sont revêrus de petites briques disposées en losange, en ligne brisée ou au tres
nouveau quartier d'al-Qacay (« les parcelles ») au Caire, sur un terrain qui avait été un cimetière. Il lança en outre la construction d' un aqueduc pour acheminer l'eau
motifs . Cecce décoration de briques se retrouve encore dans d 'autres édifices de
du
la région liés aux Bouyides. Comme à Ispahan , la façade de la mosq uée de Nayin sur la cour a sans douce ècé transformée à l'époque des Bouyides.
Des mosquées à salles hypostyles furent aussi construites dans d'autres régions de
miniscracifs et de logements pour ses croupes. Tous ces projets furent sans douce influencés dans leur réalisation par les observations qu'il avait pu faire à Samarra. La mosquée d'lbn Tulun (876-8 79) présence extérieurement de nombreuses ressemblances avec les mosquées de Samarra, même si elle est manifestement le produit du travail d'artisans locaux qui one suivi les inscruccions d' un architecte étranger. L édifice est bordé sur crois côtés d' une ziyada de 162 mètres de longueur. Elle séparait la mosquée de la ville active et semble, à l'origine, avoir abrité les
l'empire. Le plus bel exemple est sans douce la mosquée édifiée au Caire par Ahmad Ibn Tulun (835-884) qui a conservé en grande partie sa forme d'origine. Fils d'un esclave cure de Boukhara, Ibn Tulun reçue dans cecce ville une formation militaire. Il accira sur lui l'accencion du calife qui l'envoya en Égypte et le nomma finalement gouverneur d'Égypte ec de Syrie, en 869. Cannée suivante, Ibn Tulun fic construire le
latrines, des installations pour les ablutions rituelles, encre autres . La mosquée est conscruice autour d' une grande cour de 92 mètres de côté entourée d'arcades de briques de terre cuite suppo rtant une couverture de bois place. Un minaret de calcaire qui dace de la fin du XIII' siècle se dresse sur un socle carré, face au mihrab. Il est assez similaire aux cours rondes de Samarra, mais semble remplacer une
Les piliers qui encourent la cour présentent un autre style de décoration : ils
La mosquée d'lbn Tulun au Caire
il dans la ville, d' un palais, d'un hippodrome, d' une mosquée, de bâtiments ad-
ARCH ITECT URE
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construction plus ancienne de style grec et se rapprochant encore plus clairement du modèle de Samarra. Le pavillon, qui abrite la fontaine au milieu de la cour et date aussi de la fin du XIII' siècle, remplace une construction à deux étages d'où étaie initialement lancé l'appel à la prière. La mosquée est en briques de terre cuite rouges revêtues de stuc blanc. Ces murs sobres sont décorés de bandeaux ornementaux et d 'une frise qui suivent les arcades et bordent les ouvertures. La grande variété de motifs rattache cet ornementation aux premier et deuxième scyles de Samarra. En revanche, les linteaux et les encadrements de bois sont ornés de motifs du scyle oblique. Des frises de bois sculpté, portant des inscriptions en écriture coufique et reproduisant apparemment le texte intégral du Coran, ornent la salle de prière. Il semble que ce nouveau scyle décoratif ait eu valeur de modèle pour l'Égypte de cette époque, car on a découvert des décors de stuc comparables dans le monastère chrétien de Dar al-Suryani (9 14) du Wadi Natrun. La mosquée d'Ibn Tulun est souvent présentée comme une imitation égyptienne du scyle impérial abbasside, rel qu'on le connaît à Samarra. Avec son minaret, elle est généralement considérée comme le symbole du règne d'un pouvoir central sur les provinces qui s'exprime par l'utilisation de formes artistiques très nettement étrangères. Nous avons routefois plusieurs descriptions médiévales de cette mosquée, dont aucune ne s'inscrit à l'appui de cette thèse. Ainsi le géographe al-Yaqubi (mon en 897), qui vécut à Samarra et en Égyp te, explique-r-il la forme de la mosquée comme le produit d'un rêve d' Ibn Tulun. Et l'historien al Quday (mort en 1062) explique l'utilisation inhabituelle de la brique comme une mesure préventive contre l'incendie ou les inondations, alors que le fonctionnaire al-Qalqachandi (vers 1412) affirme qu'o n a construit des piliers au lieu colonnes, les colonnes étant considérées comme impures parce qu'employées également dans les édifices chrétiens. Si l'intention d'Ibn Tulun était d'obtenir que les spectateurs voient dans sa mosquée une imitation de Samarra, il faut dire que ce fut un échec, puisque les contemporains ne comprirent pas cette référence. Le rapport entre la forme architecturale et le message politique était donc plus complexe qu'il ne semblerait au premier abord.
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IRAQ, IR AN, ÉGYPTE
Mosquée à neuf coupoles de Balkh, fin du 1x• siècle Des petites mosquées sur un plan de base carré, à quatre piliers et neuf coupoles, furent édifiées dans toutes les régions de l'Empire abbasside, d'Espagne jusqu'en Asie centrale. li
ne reste aucune coupole de cette mosquée de Balkh qui n'est plus qu'une ruine, mais les puissants piliers ornés de reliefs de stuc qui soutenaient les coupoles ont été conservés.
Petites mosquées et tombeaux Bien que largement répandue, la mosquée à co lonnes n'était pas le seul cype de mosquée de cette époque. Par exemple, à Nayriz, la salle de prière de la mosquée est constituée d'une unique salle voûtée ouverte sur un côté. Ce cype de construction est appelé « iwan », et il était d'usage depuis des siècles dans l'architecture iranienne ; on ne connaît cependant pas de mosquée à iwan d' une date antérieure. D 'après une inscription qui figure sur le mihrab, la mosquée de Nayriz fut construite dès 973-974, puis rénovée en 1067-1068 et en 1164-1165. Certains spécialistes pensent que de petits édifices cubiques à coupole one aussi servi de mosquée en Iran dans les premiers temps de l'islam, mais les témoignages ne sont pas évidents. Les mosquées à coupoles de Yazd-i Khwast et de Qurva, non datées , pourraient aussi être des bâtiments plus anciens, transformés en mosquées par la sui te. Outre les grandes mosquées, destinées à recevoir l'ensemble de la communauté, il y avait des édifices plus petits, pour chacun des quartiers. À Siraf, par exemple, on a découvert dix perires mosquées, d' une surface de 30 à 100 mètres carrés, dans des quartiers d'habitation. Il s'agir le plus so uvent d'édifices rectangulaires simples, divisés par une arcade, auxquels on accédait par une cour. Trois d'entre eux avaient une petite tour en escalier qui servait de minaret, type de construction très ancien, déjà connu à l'époque des Omeyyades. D 'après les découvertes archéologiques, le type de petite mosquée le plus répandu était une construction carrée à quarre colonnes ou piliers intérieurs, supportant le plus souvent neuf coupoles. La diffusion de ce cype de construction
LES ABBASSIDES ET LEURS SUCCESS EU RS
Détail du décor de briques de la cimaise du ausolée samanide à Boukhara _e to mbeau des Samanides est fait de belles oriques crème, et son ornenentation a été exécutée dans le même matériau. L'arcade aveu gle qui forme la corniche extérieure cache en même temps le support carré de la coupole
semi-circulaire. Chaque arc et chaque paire de colonnes porte un décor légèrement différent. Ces imperceptibles variations montrent que les architectes maîtrisa ient admirablement la construction en brique et le s jeux d'ombre et de lumière qu'elle permettait.
Le mausolée samanide à Boukhara, début du x• siècle L'édifice est un cube parfait surmonté d'une coupole, avec quatre petites coupoles supplémentaires aux quatre angles. Jadis au centre d'un grand cimetière, la construction se dresse aujourd 'hui, isolée, au milieu du paysage. Elle avait été édifiée comme mausolée de la dynas-
tie perse qui régna au nom des Abbassides sur la Transoxiane, très certainement sur le modèle du tombeau des califes abbassides (détruit depuis longtemps) à Bagdad. Bien que l'édifice soit le seul de ce genre dans la région, la qualité de son exécution laisse à penser qu'il a eu des antécédents.
Trompe à l'i ntérieur du mausolée samanide à Boukhara L'intérieur du monument est décoré avec le même soin que l'extérieur de motifs de brique. On accordait une attention particulière à la zone de transition entre le plan de base carré du corps de bâtiment et la base ronde de la
coupole. L'architecte a recouru ici à la solution caractéristique de la trompe, arc en porte-àfaux dans l'angle du bâtiment. L'intérieur de l'arc ne supportant aucune charge, il laissait toute liberté d'insérer des fenêtres ou des motifs décoratifs complexes. Cette utilisation des trompes aboutit aux voûtes à muqarnas.
se répandit d'Espagne (Tolède, mosquée de Bab Mardum , 999-1000) jusqu'en
indiquent que les membres des Alides étaient vénérés à Najaf, Kerbela, Qom,
Asie centrale (Hazara, non datée), ce qui laisse supposer qu'à l'instar de son pen-
Machhad et dans beaucoup d'autres endroits, mais leur sanctification interdit que l'on étudie ces grands complexes architecturaux qui, tout au long des siècles, furent constamment agrandis et restaurés. Il semble que les souverains abbassides aient vo ué un cuire à leur ancêtre Qurham ibn Abbas, cousin et compagnon du Prophète, qui était présent lorsque les armées du calife envahirent la Transoxiane en 676. Qurham mourut- sans que l'on puisse exactement savoir si ce fut de mort naturelle ou dans la bataille - à Samarcande, et son tombeau fut ensuite agrandi
dant de plus grandes dimensions, il était calqué sur un modèle de mosquée de la capitale de l'empire. L'un des exemples de mosquée à neuf coupoles qui a été le mieux étudié se trouve à Balkh, ville du nord de l'Afghanistan, qui fur la capitale de la Bactriane et l' une des principales villes du Khorassan sous les Abbassides. L'édifice est presque carré avec une longueur de 20 mètres de côté. Les murs et piliers éraient faits de briques de terre cuire, mais les neuf coupoles qu'ils portaient, à l'origine, se sont effondrées. Les reliefs de stuc qui revêtent les piliers et les arcs sont toutefois très remarquables . Leur style allie des caractères des deux premiers styles de Samarra à d'autres éléments, ce qui laisse supposer que l'édifice fut construit vers la fin du IX' siècle. On construisit aussi à cette époque dans les provinces des tombeaux, que nous connaissons à la fois par leurs ruines et à travers les sources écrites. Les textes
pour devenir un sanctuaire et un lieu de pèlerinage. La plus grande partie du monument conservée jusqu'à nos jours date des XIV' et XV' siècles, et de nombreux membres de l'élire cimuride y furent enterrés; toutefois des fragments de décors de brique ou de bois sculpté permettent de penser que l'édifice avai t été construit dès le X' ou XI' siècle. Les vestiges d'un minaret cylindrique de brique de terre cuire du XI' siècle indiquent en outre que le tombeau appartenait à une mosquée.
ARC HITECTURE
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On construisit également des tombeaux pour des souverains locaux. Le premier exemple qui en soit entièrement conservé est le mausolée des Samanides à Boukhara. Les Samanides (819-1005), qui descendaient d' une très ancienne fami lle de la noblesse persane, furent les gouverne urs de la Transoxiane so us les Abbassides . Ismaël ibn Ahmad (892-907), le p lus ill ustre représentant de la lignée, contrôla une grande partie de cette région centrale gui s'étendait de Bagdad à l'Inde, même s'il reconnut toujours la suzeraineté du calife. La tradition veut que le mausolée de Boukhara ait été le tombeau d'Ismaël ; c'est toutefois plus vraisemblablement un tombeau de famille , édifié après sa mort. Le monument construit et décoré de briques de terre cuite est un petit cube aux murs légèrement obliques surmonté d' une co upole centrale, complétée par quatre petites coupoles aux quatre angles. Si les formes architecturales sont d ' une
extrême sobriété, l'intérieur et l'extérieur du bâtiment som richement décorés de motifs ornememaux de briques couleur crème. La qualité et l' harmonie de l'architecture et du décor pro uvent que cette construction n'était pas la première de son espèce. La tradition , qui provenait peut-être des tombeaux abbassides d'Iraq, se renforça au X' siècle. Par exemp le, les Bouyides construisirent les tombeaux de leur dynastie à Rayy, l'une de leurs capitales, au sud de la ville moderne de Téhéran. D 'après le géographe al-Muqaddasi (98 5), les souverains firent édifi er des mausolées imposants gui s'élevaient en hauteur, candis que les princes avaient des monuments funéraires de plus petite taille. Même des souverains moins puissants espérèrem s'assurer une part d'i mmortalité en se faisant construire des monuments funéraires grandioses. C'est ainsi qu'ont été conservées, au nord de l'Iran, des tours funéraires, dont certaines se trouvent dans la montagne, d 'a u tres da ns la plaine . Ce sont parfois des édifices cubiques à coupoles, parfois des tours cylindriques au toit conique ou également en coupole. L'un des exemples les plus extraordinaires est le Gumbad-i Qabus, tour de brique de terre cuite, que fic construire Qabus Ibn Wuchmgir (978- 1012), souverain de la dynastie locale des Ziyarides . La tour d' une hauteur de 52 mètres se trouve sur un promontoire artificiel qui augmente de dix mètres sa hauteur. Avec sa verticalité et sa forme simple - celle d' un cylindre surmonté d' un toit conique -, cette construction domine la plaine environnante. Les murs extérieurs sans ornemen t ne sont entrecoupés que par deux inscriptions de contenu identique, indiquant que Qabus fit construire l'édifice en 1006-1007. Comme en Iran , on construisir des tombeaux en Égypte. Al-Muqaddasi s'émerveille devant les cimetières égyptiens qui n'auraient été comparables qu'aux m ausolées des souverains du Daylam à Rayy. Des milliers de pierres tombales gravées, découvertes pour la plupart dans les cimet ières musulmans d'Asso uan et du Caire, ont été conservées de l'époque de la conquête de l'Égypte
Cours de la madrasa Mustansiriya à Bagdad, fondée en 1223 La madrasa Mustansiriya , que le calife abbasside al-Mustansir fonda dans sa capitale, fut la première école théologique qui abrita sous son toit les quatre écoles juridiques isla miques reconnues. Ce grand édifice de 106 m x 48 m a une grande cour intérieure centrale avec trois iwans conduisant à des salles de plus ou moins grandes dimensions. La taille de cette madrasa illustre la puissance de l'islam sunnite qui,après des siècles de prédominance étrangère et de scissions religieuses, exhalait une force nouvelle sous le règne d'un calife puissant.
Vo ûte à muqarnas de la madrasa Bichi riya à Bagdad, 1255 Cet édifice que l'on considéra autrefois comme un palais abbasside était sans doute une madrasa fondée vers la fin du règne du calife al-Mustansir. La cour centrale est entourée d'un portique à voûte à muqarnas. Les élémen t s de la voûte sont des tab lettes de terre cuite ornées d'arabesques. Ce bâtiment et la madrasa Mustansiriya font partie des rares traces qui nous aient été conservées de l'apothéose architecturale abbasside qui précéda l'i nvasion mongole et la fin de la dynastie.
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IRAQ, IRA N, ÉGYPTE : LES ABBASSIDES ET LEURS SUCC ESSEUR S
Ci-contre: tombeau de Sitt Zubayda à Bagdad, 11 79- 1225 Le calife abbasside al-Nassir aurait édifié ce mausolée au-dessus du tombeau de sa mère. Son joyau est la coupole conique à muqarnas composée d'une superposition de niches de
par les Fatimides (969). Elles ont été placées dans des musées vers la fin du XIX' siècle car, à cette époque, la recherche s' intéressait moins au cadre dans lequel se trouvaient ces pierres qu'à l'évolution de l'écriture arabe dont elles porra ient témoignage. D 'autres pierres éraient initialement intégrées à des constructions qui ont également été conservées et sont extrêmement diverses. Elles vont de bâtiments très simples , composés d' une seule salle à coupole, à des édifices co mplexes à plusieurs salles , q ui se rapprochent du type de la mosquée à neuf coupoles. Ces édifices ne portant plus d'inscription , on ne peut les dater q u'en fonction de caractéristiques stylistiques ou historiques . La mosquée à neuf travées du chérifTabaraba qui se trouve à l'extérieur du Caire peut, par exemple, être datée du milieu du X' siècle, puisque des sources ultérieures désignent cette mosquée comme le tombeau d ' un descendant du prophète Muhammad mort en 94 3. De la même manière, un certain nombre de mausolées parmi les plus simples du cimetière d'Assouan sont datés du X' siècle en raison du type de tro mpes utilisé pour soutenir les coupoles. Ces co nstructions prouve nt qu'au siècle, l'édification de tombeaux n'était pas réservée aux souverains mais se pratiquait dans une large partie de la société.
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ARC HITECT U RE
dimensions de plus en plus petites. Ce type de coupole était courant dans les régions chaudes et sèches comme le sud de l'lraq ; ailleurs, par exemple en Syrie, des toits coniques protégeaient de la pluie et de la neige les coupoles de ce style.
Ci -dessus: coupole à muqarnas du tombeau de Sitt Zubayda à Bagdad L'intérieur du mausolée est surmonté d'une voûte à muqarnas que l'on a souve nt comparée à un gâteau de miel ou à des stalactites. La voûte à muqarnas est un trait caractérist ique de l'architecture islamique, qui se retrouve dans tous les pays ayant connu l'influence islamique depuis l'Espagne jusqu'à l'Asie centrale.
Gumbad-i Qabus à Jurjan, 1006-1007 Cette tour de briques qui se dresse vers le ciel comme une fusée prête au lancement, est un mausolée érigé par Qabus ibn Whuchmgir, souverain de la dynastie des Ziyarides qui régnaient sur le pourtour de la mer Caspienne. Avec ses 52 mètres de hauteur, c'est la plus impressionnante de toute une série de tours funéraires construites dans le nord de l'Iran au XI' siècle ; elles contrastent beaucoup avec les mausolées cubiques de plus petites dimensions surmontés d'une coupole que se firent construire d'autres souverains, par exemple les Samanides. Le décor est, lui aussi, inhabituel : le mausolée de Qabus ne porte que deux inscriptions en banderoles, indiquant son nom et la date de la construction .
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Arts décoratifs
L'art du textile
Sheila Blair, Jonathan 8/oom
Le textile occupait la première place. La production de teintures, de fibres, de
Souverains du plus grand empire que le monde eût jamais connu jusqu'à cette époque les Abbassides pratiquèrent toute une palette d'arcs décoratifs, donc la principale caractéristique était la richesse des couleurs. Avec des matériaux peu coûteux, comme l'argile et le sable, on fabriquait des objets d'excellente qualité que rehaussait encore l'ornementation. Beaucoup de ces objets portaient des
produits de lessivage et autres matières nécessaires à la fabrication de textiles, ainsi que le transport de tous ces produits fu rent en quelque sorte l'industrie lourde du Moyen Âge et jouèrent un peu le même rôle que la m étallurgie à l'époque moderne. Limportance que revêtirent les textiles dans la société islamique d u Moyen Âge ressort clairement de la mul titude de termes utilisés pour désigner les différences sortes d'étoffes, et qui sont passés ensuite de l'arabe et du persan dans les langues européennes. Certains de ces vocables proviennent du lieu où l'on pensait que s'effectuait la fabrication. Ainsi le tissu damassé rient-il son nom
inscriptions indiquant le nom du commanditaire ou sollicitant pour lui le salut et la bénédiction de Dieu. Même si les musées et les collections privées détiennent quelques-unes des pièces les plus belles et les mieux conservées, il existait, si l'on en croit les sources littéraires et archéologiques, bien d'autres formes d'objets utilitaires décoratifs.
de la capitale syrienne, la mousseline de la ville de Mossoul, sur le cours supérieur du Tigre, et l'organdi de la ville d'Ourghentch en Asie centrale. D'autres dénominations sont des transformations de mo ts arabes ou persans, comme mohair, qui vient de l'arabe mukhayyir, « choisir», et taffetas du verbe persan tajfàn, « filer ».
Femme au rouet, page d'un manuscrit des Maqamat (Livre des séances) d'al-Hariri, Yahya al-Wasiti, 1237, Paris, Bibliothèque nationale On voit sur la droite le héros Abu Sayd et son ami al-Harith, tandis qu'est représentée au centre une femme à son rouet.
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IRAQ, IRAN , ÉGYPTE
LES ABBASSIDES ET LEURS SUCCESSEURS
Dioscoride et un él ève, illustration d'une traduction de De matiera medica, 1229, Istanbul, bibliothèque du musée Top ka pi Saray Le médecin Dioscoride montre à l'un de ses élèves une rac ne de mandragore, considérée alors comme l'un des remèdes les plus efficaces.
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Fragment de tiraz, Iran ou Iraq, 932, soie et coton non teint, Washington, musée des textiles Les plus précieuses étoffes confectionnées sous la dynastie des Abbassides étaient celles qui portaient le nom du calife et qu'il offrait. On les dénomme tiraz (persan:« broderie »). Ce fragment de tiraz porte une inscription invoquant Dieu et l'an 320 de l'hégire (932). La partie centrale manquante était sans doute l'inscription du nom du calife al-Muqtadir. Le texte est brodé en soie bleu marine sur un mulham jaune, étoffe à chaîne de soie et trame de coton. L'étoffe, la technique et le style d'ornementation semblent indiquer une origine des régions islamiques orientales, d'Iran ou d'lraq. L'étoffe était si précieuse qu'elle fut conservée et utilisée sans doute en Égypte comme linceul.
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Les différentes régions du grand empire abbasside produisaient différentes variétés de fibres et d'étoffes. Le lin était, par exemple, la fibre préférée du delta du Nil, alors qu'en Mésopotamie, en Iran , au Yémen et en Inde, on travaillait plutôt le coton. Le matériau le plus cher était la soie. I.:art du tissage de la soie avait déjà été importé de Chine en Iran et en Syrie à l'époque préislamique. La production fit un énorme bond en avant sous les Abbassides, et s'étendit vers l'ouest, à travers la Méditerranée, jusqu'en Espagne. Une étoffe assez inhabituelle, le mulham, combinaison de fine soie et d'épaisse fibre de coton, devint l'une des spécialités de l' Iran et de !'Iraq. Un certain nombre de techniques de tissage se répandirent aussi à cette époque. C'est ainsi qu'au milieu du !X siècle la technique de filature en Z typique de l'Iran et de !'Iraq se diffusa en Égypte et supplanta en l'espace d'un siècle la filature en S, jusqu'alors en usage. Les étoffes connaissaient sous la dynastie abbasside différentes utilisations. On s'en servait, comme partout ai lleurs, pour confectionner des vêtements interprétés comme d' importants symboles de statut social. Les califes et la plupart des membres de la classe supérieure portaient de longues et vastes tuniques, qui enveloppaient le corps entier. On les désigne souvent sous le nom de caftans (du persan kaftan), mais ce terme n'était qu'un parmi bien d'autres noms que l'on
À cette liste vestimentaire viennent s'ajouter 1 000 tapis arméniens, 4 000 tapisseries, 5 000 coussins, 1 500 tapis de soie, 100 couvertures de soie, 1 000 coussins de soie, 300 tapis de Maysan, 1 000 tapis de Dardbjirid, 1 000 coussins de brocart, 1 000 coussins de soie à rayures, 1 000 tentures de soie, 300 tentures de brocart, 500 tapis et 1 000 coussins du Tabaristan, 1 000 petits traversins et 1 000 oreillers. Traditionnellement, le calife habillait de neuf son immense suite à chaque changement de saison, et d'autres membres de la cour se constituaient aussi une réserve de produits textiles. Les étoffes marquées au nom du calife sont appelées « tiraz », du persan tirazidan (broder). Toutefois les artisans tisserands avaient découvert dès l'époque abbasside la technique permettant de tisser directement dans l'étoffe,
do nnait à une foule de vêtements qui différaient par leur longueur, leur coupe, la forme de leurs manches et de leurs revers et quelques autres détails. Presque co us les hommes portaient le turban, surnommé la « couronne des arabes » ; en revanche, les juges et autres fonctionnaires du régime abbasside portaient une co iffure h aute appelée « qalansuwa ». Sous le calife al-Mansur, il semble qu'elle ai e été nouée très haut, de sorte qu'elle ressemblait à une longue flûte de verre. On trouve des personnages portant ce couvre-chef conique sur les illustrations des Maqamats (« Livre des séances ») d' al-Hariri datant du XIII' siècle. Les vêteme nts étaient souvent recouverts d'étoles et de châles drapés de manières très dive rses autour du corps. En résumé, les Abbassides aimaient à s'envelopper de plus ieurs couches d'étoffe, se confectionnant ainsi une tenue qui convenait très bien au climat sec et chaud du désert avec ses basses températures nocturnes. Mais les textiles servaient aussi à l'aménagement intérieur. Dans de vastes régio ns du Moyen-Orient où le mobilier de bois, les tables et les chaises, étaient pratiquement inconnus, on utilisait les étoffes pour recouvrir le sol, confectionner des rideaux, des sacs, des comsins et des couvertures. I.:inventaire de l'héritage du calife Harun al-Rachid permet de se faire une idée de l'importance que revêtaient les textiles. Il laissa à sa more 8 000 manteaux, dont la moitié étaient ornés de zibeline ou autres fourrures, 10 000 chemises et tuniques, 10 000 caftans, 2 000 pantalons , 4 000 turbans, 1 000 capuchons, 1 000 étoles et 5 000 foulards.
Carreau de céramique de Samarra, première moitié du IX' siècle, verre, largeur maximale 22 cm, Berlin, Museum für lslamische Kunst Ce carreau de verre brillant et bariolé a été confectionné suivant la technique antique des millefiori, qui consistait à disposer des bâton -
ARTS DÉCORATIFS
nets de verre coloré en motifs décoratifs pour les fondre ensemble et les découper ensuite et recomposer des carreaux ou des récipients. Ce fragment a été découvert lors des fouilles du palais Dar al-Khalifa à Samarra à côté de débris de lapiz-lazuli et de nacre; il faisait très certainement partie de la décoration murale.
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au cours de sa fabrication, de longues et complexes inscriptions , plutôt que de les broder a posteriori. On fabriquait des tiraz dans toutes les manufactures impériales d'Afrique du Nord, du Yémen, de Syrie, d'Iraq et d'Iran, er de
Les étoffes portant des mscriprions étaient considérées sous les Abbassides comme des marques de prestige , et lorsque les Fatimides conquirent l'Égypte, en 969, ils firent inscrire leur nom sur les tiraz qui y étalent confectionnés.
Transoxiane. Ces étoffes existaient déjà du temps des Omeyyades, mais c'est aux
Outre les milliers de fragments de tiraz, quelques pièces de soie ont été
IX' et X' siècles, sous le règne des Abbassides, que leur fabrication connut son
conservées à la postérité dans les trésors des églises chrétiennes d'Europe. Ces précieuses étoffes furent rapportées par des marchands et des croisés, et on les utilisa en Europe pour envelopper les reliques des saints et martyrs. La plus célèbre de ces étoffes est le suaire de saint Josse, ainsi dénommée parce qu'elle contient les reliques du saint, conservées à l'abbaye de Saint-Josse-sur-Mer, près de Caen. C'est un tissu à fil de chaîne rouge avec sept fils de trame différents :
plus bel essor. Peu de vêtements ont résisté à l'épreuve du temps, la plupart se sont déchirés et les lambeaux de lins ou de coton ont été utilisés pour la fabrication de papier. Il arrivait aussi que l'étoffe fût redécoupée , et qu'o n ne conservât que la partie portant l'inscription , considérée comme un talisman. Des milliers de bouts d 'étoffe portant des inscriptions ont ainsi été conservés, surtout dans les
rouge-brun , jaune, ivoire, bleu ciel, marron clair, cuivre et brun doré. La bor-
monuments funéraires de Fustar (ancienne ville du Caire) et en Asie centrale,
dure représenre une caravane de chameaux d'Asie avec un coq à chaque angle. Dans le champ rectangulaire, sont représentés deux éléphants qui se font face et qui ont entre leurs pattes des dragons. Une inscription à l'envers au-dessous de cette scène sollicite la gloire, la prospérité et une longue vie pour le comman-
les textiles les plus précieux ayant souvent été utilisés comme linceuls. La plupart des tiraz qui nous restent sont en lin ou dans d'autres étoffes légères; on peut donc supposer que ce sont les restes de runiques, de vêtements d'été, de turbans, de châles, de serviettes, de rideaux ou d'autres étoffes de décoration. Certes les fragments que nous pouvons voir ne nous donnent qu' une idée lointaine de tour la variété de matériaux qui ont pu exister, mais d'autres sources
deur Abu Mansur Bakhtikin. Bien que le fragment ne porte mention ni de la date ni du lieu de fabrication, on peut le dater, parce que le commanditaire dont le nom est inscrit a pu être identifié : c'était un chef d'armée turc qui vécut au Khorassan dans le nord-est de l'Iran et fut exécuté, en 961, sur ordre d'un sou-
nous permettent de compléter ce tableau. Dans les nombreux textes littéraires décrivant des habits de cour ou des aménagements intérieurs , la soie est toujours le matériau préféré, et les illustrations des manuscrits du XIII' siècle montrent les souverains et les courtisans vêtus de runiques à rayures ou à dessins, avec des bordures aux manches portant des inscriptions, qui sont très certainement faites de précieuses étoffes comme le brocart ou la soie.
verain samanide ; l'étoffe a donc nécessairement été tissée avant cette date . Plusieurs éléments caractéristiques confirment qu'elle provient d'Iran ou d' une région d 'Asie centrale : les coqs et les étendards flottant au-dessus des chameaux étaient des motifs très répandus dans l'art préislamique sassanide; les dragons sont un motif chinois, et les chameaux à deux bosses sont des animaux d 'Asie
Le fragment de tiraz conservé porte en principe une ligne de texte arabe demandant la bénédiction de Dieu pour le calife ; le texte indique parfois aussi le nom du vizir commanditaire, le lieu et la date de fabrication. Alors que, sur les étoffes du IX' siècle, on ne trouve que de brèves inscriptions en caractères coufiques anguleux, celles du X' siècle présentent des caractères typographiques plus richement ornés et des textes plus longs avec des titres plus complets et des informations supplémentaires, comme le nom du directeur de la manufacture.
centrale. En revanche, on ne peut pas savoir exactement à quoi cette étoffe était initialemenr destinée. Étant donné la complexité du réglage des métiers à tisser, on peut penser que ces étoffes éraient fabriquée en série, et l'on peur donc recourir à d 'autres contextes pour trouver une explication. Le voyageur persan de l'époque Nassir-i Khusraw, qui était originaire de la région , décrit une scène où la suite du calife fatimide arrive au Caire à cheval, avec le nom du souverain inscrit sur les couvertures de selle. Peut-être l'étoffe qui nous occupe a-t-elle
Suaire de saint Josse, Iran ou Asie centrale, avant 961, deux fragments d'étoffe de soie de 52 cm x 94 cm et 24 cm x 62 cm, Paris, musée du Lou vre Les soieries étaient parmi les textiles les plus coûteux et les plus recherchés des pays isla miques. Cette étoffe de soie peut être datée assez précisément, grâce au nom d'un chef d'armée turc qui fut exécuté en 961. Les Européens appréciaient aussi ces étoffes que l'on utilisait sans doute à l'origine comme couverture de selle. Celle-ci a vraisemblablement été rapportée en Europe par des croisés; on l'utilisa pour envelopper les restes de saint Josse, dont le tombeau se trouve à proximité de Cae1.
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IRAQ, IRAN , ÉGYPTE
LES ABBASSIDE S ET LEUR S SUCCESSEURS
cou pe, Iraq, 1x' siècle, Faïence à décor de lustre, diamètre: 26 cm,
spécial. Cette coupe décou ve rte au cours des fouilles ci 'une équipe allemande de 19 11 à 1913 sur le site de Samarra est endu ite d 'un
Berlin, Museum für lslamische Kunst
lustre polychrome. Le motif peut êt re inter-
La technique du lustre était le procédé le plus dispendieux pour l'ornementat ion en couleur des céramiques, dans la mesure où elle demandait une deuxième cuisson dans un four
prété comme une abstract ion o u comme la représentat ion d 'un oisea u. Cette am biguïté est caractéristique de nombreuses œu vres produites sous les Abbass ides.
Ci-dessous: coupe, Iran ou Transoxiane, x• siècle, poterie peinte sous glaçure, da mètre: 22 cm ,
illustration montre un caval ier armé d 'une épée sur un cheval , tandis que sur d 'aut res coupes sont représentés des mammifères ou des
Berlin, Museum für lslamische Kunst En même temps que d 'élég,ntes coupes à
oiseaux.Contrairement aux coupes à d éco r calligraphique, ces cé ramiques décorée s de per-
Ci-dessous:
décor calligraphique, les artisans de l'époque produisaient des poteries ornées de scènes figu ratives à caractère « folklorique ». Notre
sonnages sont chargées d 'orneme nts, pet its oiseaux, fleurs, motifs de bord ure et caractères cal ligraphiques.
Ci-dessus : coupe, Iraq, 1x' siècle, Céram ique à décor bleu sur vernis blanc, diamètre: 23 ,5 cm, Munich, Staatliches Museum für Viilkerkunde Chez les riches habitants des villes, les fines porcelaines de Ch ine étaient très recherchées. Les pot iers locaux ne sachant pas fabriquer la porcela ine, ils créaient des imit ations en céram ique. Il arr ivait qu 'en cours de cu isson le décor bleu ou vert se mêle au vern is blanc, de sorte que les contours restent flous - effet souvent comparé à celui de l'encre sur la neige.
Ci-dessus : co upe, Ira n ou Transoxiane, X' siècle, poterie peinte sous glaçure, diamètre : 44 cm, Téhé ran , Musée national Cette grande coupe est ornée de deux inscriptio ns ci rculaires en engobe brun et rouge sur fond blanc. Ci-contre: coupe, Iran ou Transoxiane, X' siècle, poterie peinte sous glaçure, diamètre: 37,5 cm, Paris, musée du Louvre L'élégante inscription qui orne cette belle coupe à engobe noi r et brun sur fond blanc dit : « Le savoir est amer pour co mmencer, mais il est ensuite plus dou x que le miel. Béni soit-i l (ce lui qui le possède). »
ART S DÉCORATIF S
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connu le même usage, les éléphants se trouvant à l'endroit pour être admirés de tous, tandis que le cavalier samanide pouvait, du haut de son cheval, lire l'inscription dans le bon sens.
potiers locaux ne disposaient ni des matériaux ni des connaissances techniques nécessaires , ils employaient l'argile locale pour fabriquer des imitations. Les poteries à fond crème étaient recouvertes d' une épaisse glaçure opaque qu'ils décoraient de manière à obtenir une ressemblance avec la porcelaine chinoise. La
La céramique Outre les textiles, la fabrication de céramique et le travail du verre connurent une extension considérable. On utilisait à l'époque abbasside une fine vaisselle de couleur. Les archéologues ont trouvé des débris de poteries et de porcelaines chinoises, confirmant, comme il nous est dit dans des textes , que ces objets étaient largement répandus sur l'ensemble du territoire de l'empire. La vaisselle chinoise était particulièrement appréciée pour sa finesse et sa dureté. Elle était faite de sortes d'argiles et de minéraux spéciaux et cuite à haute température. Comme les
Flacon de verre, Iran ou Iraq, IX' ou X' siècle, hauteur: 15 cm , Copenhague, collection David Les souffleurs de verre des pays islamiques utilisaient, pour obtenir leurs colorations, de nombreuses techniques décoratives de mani-
pulation du verre héritées de !'Antiquité . Dans le procédé employé ici, l'artiste enveloppait un flacon incolore d'une couche de verre vert, dans lequel il découpait ensuite le motif. Ce sont des oiseaux stylisés se faisant face autour d'un récipient. Le motif curviligne évoque les décors de stuc du troisième style de Samarra .
forme ouve rte est aussi une copie des modèles chinois, toutefois les inscriptions arabes qui figurent en bleu cobalt sur cette coupe plate en trahissent immédiatement l'origine islamique. En cours de cuisson, le bleu cobalt se fondait un peu avec la glaçure de telle sorte que les concours des lettres et motifs décoratifs restaient un peu flous. Les potiers des provinces mirent au point leurs propres procédés pour imiter la céramique abbasside couverte d'inscriptions. Quelques-unes des plus belles pièces furent produites à la commande des Samanides en Iran et en Transoxiane. Ces coupes et plats sont faits d'argile couleur de cuir, revêtue d' une fine couche de blanc. Les inscriptions étaient apposées sous une glaçure transparente incolore ; elles sont en écriture coufique avec de nombreux caractères entremêlés, très difficiles à décrypter. On appréciait ces objets autant pour leur effet décoratif que pour l'élégance de la typographie. Par comparaison avec les inscriptions relativement négligées des céramiques anciennes du centre de l'Empire abbass ide, l'écriture ornementale de la vaisselle samanide est véritablement calligraphique , ce qui reflète d'autres conditions de fabrication et la naissance d' une nouvelle esthétique. Auparavant, le potier inscrivait le texte directement à la surface de l'objet, de telle sorte qu'il ne réussissait pas toujours à faire entrer le dernier mot ou la dernière syllabe dans l'espace disponible . La calligraphie des poteries samanides obéissait au contraire à un plan préétabli, et l'artisan établissait un projet sur papier. Car, au X' siècle, le papier était largement répandu dans les pays arabes orientaux où il avait été importé d'Asie centrale au moins deux siècles plus tôt. Les potiers de l'époque abbasside inventèrent d'autres processus ingénieux pour colorer leurs céramiques. Le plus célèbre - et plus onéreux - était le décor de lustre, dan s lequel la céramique déjà enduite de glaçure et cuite était peinte avec des oxydes de métaux puis soumise à une deuxième cuisson . L'oxygène se dégageait alors des oxydes , laissant sur la poterie une fine pellicule de métal , qu' un polissage rendait ensuite brillant. La céramique à décor de lustre était extrêmement coûteuse, à cause de la dépense d'énergie et de travail supplémentaire, et parce qu'elle demandait des fours spéciaux, une double cuisson et un savoir technique spécifique. Il semble que cette technique ait été inventée au début de la dynastie abbasside par les souffleurs de verre d'Égypte et de Syrie. Le plus ancien objet à décor de lustre daté que nous ayons est un calice de verre qui porte le nom d' un homme qui, en 773, fut gouverneur abbasside de l'Égypte pendant une durée d' un mois; un autre objet porte une inscription qui nous informe qu'il a été fabriqué au VIII' siècle à Damas. Exception faite de quelques calices et coupes, il ne nous reste que des fragments de la plupart des objets fabriqués suivant cette technique. On produisait des objets à décor de lustre polychromes ou monochromes. Au IX' siècle, les potiers empruntèrent sans doute cette technique aux souffleurs de verre. Ils utilisèrent manifestement pour commencer une riche palette de couleurs pour tracer des motifs complexes qui recouvraient toute la surface du récipient mais, vers la fin du IX' siècle, ils réduisirent cette palette à une ou deux couleurs qu'ils utilisaient souvent pour tracer les contours de silhouettes humaines ou de formes animales. Comme les potiers , les souffleurs de ve rre expérimentèrent toute une série de techniques pour renforcer la couleur et aviver le décor extérieur. La technique consistant à découper des arrondis, qui était déjà connue aux temps préislamiques, se répandit alors, et les souffleurs de ve rre obtinrent des résultats particulièrement spectaculaires par le procédé des couches superposées . Ils découpaient dans le verre des champs sur lesquels ils incrustaient des morceaux ou une couche de verre d' une autre couleur, puis ils découpaient des parties de
122
IRAQ, IRA N, ÉGYPTE: LES AB BASSIDES ET LEURS SUCC ESSEURS
la couche exrérieure de manière à obrenir un morif coloré en relief qui se dérachair du fond de couleur différence.
L'art du métal Il faur également mentionner le rravail du méral. Les artisans er artisres développèrent dans ce domaine différences rechniques pour enrichir les objets de morifs et de couleurs. On produisi t encore, pendant des siècles après la conquête islamique, les coupes d'argent ornées de scènes de chasse en relief qui existaient déjà en Iran à l'époque des Sassanides, mais les motifs devinrent de plus en plus abstraits et les reliefs de plus en plus plats. Cette évolution vers une plus grande stylisation esr par exemple rrès visible sur le plateau d'argent recouvert d'or orné de représentations de Senmurv, une créature fabuleuse à forme de dragon d'o rigine sassanide. Les représentations plus anciennes de chasses ou de festins roya ux one fait place à un décor de croisillons et de médaillons circulaires représentant des fleurs ou des animaux stylisés . La plupart des objets de métal de l'époque abbasside qui one été conservés sont de bronze ou de laiton , car les musulmans les plus stricts refusaient l'utilisation de métaux précieux pour la confection de vaisselle ou de bijoux personnels. Toutefois
Platea u, Iran, 1x• siècle, argent, en partie doré, diamètre: 36 cm, Berlin, Museum für lslamische Kunst Ce plateau est une variante des plateaux d'a rgent, décorés de scènes de chasse, fabriqués aux époques préislamiques pour les souverains
sassanides d'Iran. Toutefois la forme circulaire classique s'est transformée ici en octogone, le relief a été aplani et la scène réaliste remplacée par un motif symétrique de Senmurv stylisé.On trou ve des représentations analogues de Senmurv, créature fabuleuse iranienne, sur les étoffes et les décor du bois.
cette interdiction n eta1t guère plus respectée que celle de porter de la soie. Les sources littéraires décrivent souvent les récipients d'or ou d'argent que le calife et autres hauts personnages utilisaient. La plupart des objets de métal précieux furent refondus dans les périodes de besoin, de sorte qu'il ne nous est resté que ceux qui furent oubliés ou qui avaient été enterrés. L'un des meilleurs exemples en est le trésor d'argent du Musée national de Téhéran . Il se compose de trois coupes, une grande et deux plus petites, une aiguière, deux pots, une boureille er une rasse. Ces sepr pièces portent l'inscription du nom de leur propriétaire, l'émir Walgin ibn Harun , qui faisait partie de la suite du calife abbasside. Les caractères coufiques et les titres permettent de dater ces objets à l'an 1000. C'était manifestement le service à vin personnel de l'émir. Ces luxueux objets, confectionnés pour un émir inconnu d'une localiré quelconque du monde iranien, illustrent la réaction des provinces aux fastes de la vie de la cour à Bagdad ou à Samarra sous la dynastie des Abbassides.
ARTS DÉCORATIFS
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L'art ornemental islamique Sheila Blair, Jonathan 8/oom
L'écriture, les motifs ornementaux et les arabesques revêtirent, dans l'art religieux islamique, d'autant plus d'importance que les représentations figuratives n'y jouaient aucun rôle. Plusieurs
Christ ou des saints. Elles allaient devenir le thème principal de la décoration, même si l'observateur a aujourd'hui quelque difficulté à comprendre la signification de ces motifs ornementau x.
de ces motifs - essentiellement géométriques et
Dans les mosaïques de Jérusalem, on identifie
végétaux - avaient déjà été utilisés accessoirement dans l'art figuratif de l'époque préislamique. Ils prirent désormais la place prépondérante parmi les thèmes de l'interprétation artistique.
encore aisément les rinceaux, les fleurs et les fruits, mais ces représentations réalistes furent assez rapidement remplacées par des motifs abstraits et géométriques, à partir du moment où les
Par exemple dans l'art byzantin, les motifs ornementaux géométriques ou végétaux entou-
musulmans adoptèrent une attitude de plus en
raient les représentations figuratives ou les
plus hostile aux représentations figuratives dans l'art religieux. Alors que, dans le cadre profane, ces
reliaient entre elles. Les mosaïques du dôme du Rocher à Jérusalem, que le calife omeyyade Abd al-Malik fit construire à la fin du v11e siècle s'inspiraient, tant par la technique que par le contenu, des traditions de la fin de !'Antiquité. Dans l'art
représentations continuèrent de se pratiquer couramment, d'autres domaines de l'activité artistique s'orientèrent de plus en plus vers l'ornementation abstraite. Notamment, au 1xe siècle,
classique et byzantin, les rinceaux de vigne jaillissant de couronnes ou de vases ornés de pierres précieuses se combinaient avec les grandes compositions figuratives - représentations du
Samarra, les murs des nouveaux palais furent ornés de grands reliefs de stuc. Les artistes et artisans exécutèrent d'abord,comme au dôme du Rocher, des motifs de feuilles ou de fleurs à
lorsque les Abbassides déplacèrent leur capitale à
Ci-dessus : décor de stuc dans la chambre 4 de la maison 1 à Samarra, 1x• siècle, Berlin, Museum für lslamische Kunst Ci-dessous: arcades de la galerie du dôme du Rocher, Jérusalem, 691
l'intérieur de cadres à décor géométrique, mais ils développèrent ensuite un nouveau style ornemental dans lequel les éléments végétaux, rinceaux ou feuilles, n'obéissaient plus aux lois de la nature, mais à celles de la géométrie. Ces différents éléments se composaient pour former des motifs qui couvraient la surface sans qu'il y eut apparemment de différence entre l'objet représenté et le fond. En outre, l'objet n'était généralement plus limité dans l'espace par un encadrement, comme dans les anciens types de décoration, il s'étendait à l'infini, de sorte que le spectateur a l'impression de ne voir qu'une partie d'un champ encore bien plus vaste. Ce type de décoration, connu en Occident sous le nom d'arabesque, prit sa forme définitivement géométrique au xe siècle, lorsque les motifs végétaux, comme les feuilles d'acanthe ou les rinceaux de vigne, furent entourés d'encadrements qui se transformèrent à leur tour pour prendre des allures de décoration végétale. Les motifs végétaux se rapprochèrent donc des motifs géométriques, les tiges et les feuilles arborant une forme géométrique qui débordait du cadre. Ce style ornemental se développa très certainement autour de Bagdad qui était à cette époque le centre culturel du monde islamique, et grâce au rayonnement de la métropole abbasside, il se diffusa rapidement dans tous les pays
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ART OR NEMENTAL ISLAMIQUE
islamiques. Les splendides plaques de marbre, qui fl anquent le mihrab de la grande mosquée de Cordoue furent apposées en 965 ; ce sont les illustrations les plus anciennes qui nous soient restées de ce style décoratif et elles témoignent de la vitesse à laquelle se répandit la nouveauté artisti que, et du zèle avec lequel les artisans l'appl iquèrent à l'ornementation. Le tronc (décoré) au ce ntre de la représentation en est l'axe de symétri e; il porte des branches en bas et en haut, ce qui est contraire à la nature. On trouve des éléments d'arabesque sur les milliers de petits panneaux de bois sculpté qui ornent le minbar de la mosquée de Kutubiya à Marrakech, dont la confection avait commencé en 1137 à Cordoue. Chacun des panneaux fut exécuté suivant quatre motifs de base, les reliefs furent réalisés avec une multitude de détails par des descendants des sculpteurs sur ivoire qui avaient travaillé un siècle et demi auparavant pour les califes omeyyades. Mais, contrairement au travail effectué sur les coffrets d'ivoire plus anciens, les différents panneaux du minbar furent en suite mis en place suivant une disposition géométrique, avec des incrustations de bois d'ébène et d'ivoire.
Sur ce minbar, c'est la finesse des contrastes entre le travail de gravure sur bois et la marquetterie, entre les surfaces lisses et les reliefs, les motifs géométriques et les motifs ornementaux d'origine végétale, entre la teinte uniforme du bois et les tonalités différentes des incrustations qui présida à la réalisation. De loin, l'effet d'en-
Madrasa Attarin à Fès, 1323-1325
semble est un peu semblable à celui d'un carrelage ; de près, c'est plutôt la finesse de chacun des éléments qu i domine. En même temps, comme bien souvent dans l'art islamique, on ne saurait déterminer exactement ce qu i est l'avant et
vent des rayures - recouvraient le sol et la partie
l'arrière du décor. Dans le cadre d'un répertoire de
Porte principale de la grande mosquée à Divrigi, 1228-1 229
1323 et 1325 et dont l'intérieur est revêtu de motifs décoratifs très compliqués. Des carreaux vernissés à motifs géométriques - le plus souinférieure des murs. Un bandeau d'écriture sépare cette zone de la zone médiane ornée d'arabesques en bas-reliefs de stuc. Au-dessus, des chevrons et poutrelles de bois sculptés sup-
formes et de techn iques relativement restreint,
portent le toit. Chacun des éléments est orné de son propre motif géométrique, végétal ou calli-
tous les éléments se contrebalancent en varia-
graphique, d'exécution complexe à tous les
tions subtiles avec un équilibre permanent entre les aspects statique et dynamique. Ce type d'ornementation géométrique (avec ou sans décor d 'arabesque) devint extrêmement
niveaux. Cette complexité est souvent considérée comme les principales caractéristiques de l'art islamique: ibn Khaldun, grand philosophe et historien du XIV" siècle, laisse à entendre que le
popula ire dans les pays islamiques occidentaux. Il semble qu'i l ait été développé surtout par des graveurs sur boi s qui, avec leur précieux matériau, cherchaient à produire l'effet maximal par la combinaison des éléments de bois et d 'ivoire. lis transposèrent ensuite ces motifs sur d 'autres supports, par exemple les carreaux de céramique
ce du niveau de civilisation qu'une société a atteint, de telle sorte que le degré de complexité des projets et de leur exécution dans la plupart des domaines de l'art islamique de cette époque peuvent être interprétés comme un symbole du raffinement de la vie sociale.
dont était richement ornés la partie inférieure
Bien qu'utilisant les mêmes matériaux - par
des murs, tandis que la partie supérieure étaient décorée de stuc ou de bois sculpté. L'un des plus beau x ensembles de ce type de décoration se trouve à la madrasa Attarin de Fès édifiée entre
exemple les briques moulées, les carreaux vernissés et les reliefs en stuc-, les artisans et artistes de cette époque développèrent dans les pays islamiques orientaux de tout autres formes
ART OR
EMENTAL I SLAM IQ E
degré de « raffinement » d'une œuvre est un indi-
125
Les motifs des reliefs de stuc et des décorations de carreaux de céramique iraniens ont été transposés en pierre sur la riche décoration des portails et du mihrab. Le portai l nord, rectangu laire, surmonté d'un arc en ogive et d 'un arc « ouvert », est couvert d'une foule de motifs végétaux et géométriques plus ou moins fantastiques, qui ont été réalisés en hauts-reliefs ou en relief sur le mur. La décoration géométrique, réalisée en bas-relief, en bordure du cadre rectangulaire et à l'intérieur de l'a rt en ogive, est inspirée des décors de carreaux de céramique. Dans cette mesure, le portail de Divrigi illustre une des principales caractéristiques de l'art islamique qui est la transposition de motifs sur différents supports. Dans le mausolée que le li-Khan Uljaïtu fit édifier entre 1305 et 1315 en Iran, à Sultaniya, les voûtes et les galeries illustrent une nouvelle tentative de transposition des motifs de l'ornementation islamique. Les décorations compliquées de la voûte se composent d'une grande variété de motifs de relief et de stuc, exécu tés en rouge, jaune, vert et blanc. Beaucoup des motifs à rayures se rapprochent des enluminures des manuscrits de l'époq ue, ce qui ne signifie pas pour autant que les artisans qui travaillaient le stuc aient copié sur les frontispices de ces ouvrages, mais qu'une institution centrale fournissait des catalogues de motifs sous forme de manuels ou de rouleaux - sans doute de papier-, que les artistes pouvaient ensuite utiliser, en les grossissant ou ré duisant à leu r gré, aussi bien pour illustrer des manuscrits qu 'en architecture. La nouvelle fonction du motif et des catalogues appropriés illustre l'apparition dans les pays islamiques d'un nouveau type d 'artiste, le concepteur de motifs qui allait prendre de plus en plus d 'importance au cours des siècles suivants . Le goût de l'arabesque se perpétua dans l'art islamique jusqu'a u XIV° siècle, où elle fut progressivemen t remplacée par des motifs de chrysanCoupole de la mosquée du Chah à Ispahan, 1611-1630
thèmes, de pivoines, de fleurs de lotus et des rubans de nuages inspirés de l'art chinois ; toute-
126
ornementales. En Iran, par exemple, à l'époque
les musulmans commencèrent à s'y installer et y
fois même ces motifs nouveaux étaient associés à
des Seljoukides (xr• et x11• siècles), les sculpteurs de
édifièrent des mosquées où les traditions des tra-
des éléments de l'arabesque. Bien qu 'un certain
stuc revêtirent les murs de briques de motifs
vaux de stuc iraniens se mêlaient aux traditions
nombre des motifs d 'in spiration chinoise se
ornementaux tridimensionnels, en particulier sur
autochtones anatoliennes, arméniennes et géor-
soient diffusés par l'observation directe des
les éléments d'aménagement intérieur des mos-
giennes de la pierre taillée. L'un des produits les plus remarquables de cette interpénétration
œuvres d'art, sous les Timu rides, on vit se
quées, par exemple le mihrab. Pour les parties de l'édifice plus exposées aux intempéries, par
artistique est le portail nord de la grande mos-
ration des étoffes, des manuscrits, des objets de
exemple les portails extérieurs, les artisans utili-
quée de Divrigi (1228-1229). Elle fait partie d'un
cuir, des travau x sur méta et des céramiques, ainsi
saient au contraire plutôt des matériaux résistants
complexe architectural qui comporte un hôpital
que pour les peintures murales et les reliefs sur
comme les carreaux de céramique ou la brique.
et un mausolée édifié par le souverain mengucide
pierre. La large diffusion de ces modèles au cours
Après la conquête de I' Anatolie par les Seljoukides,
Ahmad Chah pour sa femme Turan Malik.
du XV° siècle aboutit à l'instauration d'un style
A RT O RNEME
T A L ISLAMIQUE
répandre les modèles sur papier pour la déco-
motif est un filet de lignes courbes jaune d'or, délimitant des champs en ogive de taille décroissante; au-dessus s'étend un deuxième réseau de spirales blanches bordées de bleu. En mêlant le motif doré au motif blanc et bleu, le concepteur obtient un effet plurivoque et qui donne une impression de vie. La décoration se densifie audessus, au fur et à mesure qu'on s'élève vers la pointe de la coupole, et les arabesques blanches s'entre-mêlent avec des motifs décoratifs végétaux, dorés, tandis que les arabesque dorées s'entremêlent avec des éléments bleus et dorés, symétriques, en forme de feuilles. Les artistes ottomans développèrent à partir de l'art décoratif timuride d 'i nfluence chinoise, le style plus naturaliste dit « saz » (roseau), qui associe de longues feuilles dentelées en forme de plume à des motifs floraux complexes et des formes inspirées des dragons chinois pour former des motifs plus libres, moins géométriques. Le style « saz », qui doit peut-être son nom à la
Assiette au décor en spirale, lznik, vers 1540 Koweït, Musée national
Les artistes des pays islamiques n'avaient jusqu'alors pris que très rarement la nature comme source d'inspiration directe. li y eut tou-
plume de roseau avec laquelle étaient tracés les
tefois au xv11• siècle, en dehors de l'art ottoman,
motifs, fut appliqué sur des supports aussi divers
une autre forme de naturalisme qui se développa
:·mu ride « international » qui était apprécié de As ie centrale et de l'Inde jusqu'en Égypte et dans es Balkans.
que les étoffes, les tapis, les carreaux et les céramiques. Ce style en vigueur dans toutes les cours engendra au xv1• siècle, une forme plus populaire qui s'exprima surtout au travers de la peinture de poteries à lznik. Les peintres représentaient des fleurs très exactement identifiables d'un point de
La disposition simultanée des motifs en
vue strictement botanique comme l'œillet nain,
en Inde. Alors que l'art moghol ancien avait recouru pour l'ornementation à un style d'arabesques végétales d'inspiration persane, les artistes qui décorèrent des constructions comme le Taj Mahal d'Agra, édifié au xv11• siècle pour le chah Jahan, développèrent un type d'ornementation végétale tout à fait nouveau. L'intérieur et
~o ntrepoint était l'une des prédilections esthé: iqu es des dessinateurs ornementaux musulmans. =>ar exemple, sur la coupole de la mosquée du Chah a lspahan,deux motifs superposés décorent la surrace de cette construction bulbeuse. Le premier
la jacinthe, l'œillet de jardin et la tulipe, voisinant avec des cyprès et des motifs plus abstraits, le tout en une somptueuse palette réunissant du bleu, du vert, du noir et du rouge sur un fond blanc.
Gal erie au-dessous de la coupole, tombeau du li-Khan _,.jaïtu à Sultanay, 1307-1313
l'extérieur du mausolée sont ornés d'une frise en bas-relief qui suit toute la partie inférieure des murs, avec des motifs de plantes fleuries représentées de façon tout à fait réaliste,au bout d'une tige sortant du sol; le même motif se retrouve sous forme de mosaïque florentine sur les deux cénotaphes du chah Jahan et de son épouse et sur les édifices de grès rose qui entourent le mausolée. Ce mode de représentation naturaliste était tout à fait étranger à la tradition islamique de l'arabesque. li était inspiré des gravures sur cuivre européennes des manuels de plantes importés en Inde au début du xv11• siècle par les missionnaires jésuites. À partir de cette époque, le motif de plantes en fleurs fut omniprésent dans les œuvres d'art exécutées pour les souverains moghols. Cet exemple montre très clairement qu'en matière d'ornementation végétale, l'art islamique demeura toujours réceptif aux nouveaux courants d'inspiration.
Détails d' un panneau, Taj Mahal à Agra, xv11' siècle
ART OR
EMENTAL ISLAMIQUE
127
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Tunisie et Egypte : Aghlabides et Fatilllides Histoire des Aghlabides .......................... 130
Une nouvelle capitale du monde musulman occidental : Kairouan ............. . ....... . ..... . .132 Les grandes mosquées de Tunis, Sousse et Sfax
Histoire des Fatimides
.............. . ... . ........ 141
Al Mahdiya et al-Mansuriya ....................... 144 Architecture des Zirides et des Hammadides Une nouvelle capitale : Le Caire
Arts des Fatimides: .. . ...... . ................ . .... 154 art de la céramique et du verre, sculpture - bois, ivoire et cristal de roche-, tissus Le rayonnement de l'art fatimide en Europe : la Sicile et l'Italie .. .. ........ ............ ......... 159 Le mythe oriental : une cour brillante et pluriculturelle
Grande mosquée de Sousse, fondée en 1850 Les Aghlabides ne dotèrent pas seulement leur capitale, Kairouan , de magnifiques bâti ments: d'autres villes comme Tunis, Sfax, Sousse et Monastir connurent un grand essor culturel, dont témoigne entre autre la grande mosquée fondée par l'émir Muhammad I" .
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Sibylle Mazot
communication fur restauré et les ports réhabilités. Les villes connurent un renouveau, grâce au commerce et à l'artisanat. Ibrahim ibn al-Aghlab choisir Kairouan, la cité de Sidi U qba, pour capitale et mir en place une administration efficace.
À partir de 647, les Arabes entreprirent les premiers raids contre !'Ifriqiya. Cette ancienne province romaine d'Afrique était riche mais désorganisée et affaiblie par les troubles consécutifs à la décadence de l'Empire byzantin. Si l'insuffisance des défenses facilita leurs attaques, les musulmans durent cependant attendre l'expédition de Sidi Uqba ibn N afi, en 670, pour s'implanter durablement. La province passa d'abord sous la tutelle des Omeyyades, avant d'être placée dans l'obédience abbasside. À la
Lifriqiya renoua ainsi, en quelques décennies, avec sa prospérité passée. La population se caractérisait par une très forte hétérogénéité. D ' un côté, il y avait les autochrones, Berbères, Rums et Africains. De l'autre, il y avait les Arabes et les non-Arabes issus des armées de la conquête. De cette mosaïque d'ethnies et de religions rés ultèrent des influences composites qui marquèrent sensiblement la civilisation aghlabide. La classe dirigeante, quant à elle, resta fidèle à ses origines orientales tant dans son mode de vie que de gouvernement. D es troubles intérieurs agiraient de façon endémique l'ensemble du territoire
L'histoire des Aghlabides
fin du Vl [I' siècle, les tribus berbères menacèrent le pouvoir représenté par des gouverneurs envoyés par Bagdad. Le calife Harun al-Rachid décida de confier à Ibrahim ibn al-Aghlab, l' un de ses valeureux chefs de guerre d'origine khorassanienne, la délicate mission de juguler les révoltes er de rétablir l'ordre. Pour le récompenser - et selon un arrangement avantageux pour le califat - Harun al-Rachid lui accorda !'Ifriqiya à titre héréditaire, en échange de quoi Ibrahim s'engagea à verser au trésor de Bagdad un important rribur annuel et continua de reconnaître la suzeraineté abbasside. Ibrahim et ses successeurs - les Aghlabides - bénéficièrent d'une large autonomie puisque jamais aucun calife n'intervint dans le choix d' un nouveau souverain. La dynastie aghlabide fut représentée par onze émirs qui se succédèrent un siècle durant et connurent des fortunes diverses. Tour à la fois raffinés et violents, cultivés et sanguinaires, despotes et habiles politiques , ils entreprirent de nécessaires travaux d' utilité publique concourant à la mise en valeur du territoire. Le réseau de
et les Aghlabides durent faire face à plusieurs révoltes fomentées par les milices arabes (jund) de leurs garnisons. En 802 er 810, le jund établi à Tunis se souleva et la ville échappa pour un temps aux Aghlabides. Sous Ziyadar Allah, les séditions arabes se prolongèrent pendant presque treize ans . En 893 , elles affaiblirent le régime et contribuèrent à sa chute. La répression qui s'ensuivit fur souvent terrible et aviva les rancunes. Les tribus berbères, on l'a dit précédemment, s'opposaient depuis le VII' siècle à l'occupation arabe. Adeptes de la doctrine kharijire, elles trouvaient dans ce mouvemem une expression adaptée à leurs aspirations, le kharijisme prônant le principe de la souveraineté du peuple. Les émirs, en raison de leurs excès, furent confrontés à une forte opposition de la population kairouanaise, la capitale constituant alors le principal centre culturel et spirituel du Maghreb. Ils s'attirèrent l'inimitié des hommes de religion, théologiens ou juristes qui préconisaient une rigoureuse orthodoxie, n'hésitant pas à critiquer
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ES PAG N E ET MAROC
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Cathédrale
La construction de la grande mosquée de Cordoue sous Abd al-Rahman le' L'édifice le plus prestigieux de la ville, la grande mosquée , fur commandé en 785 par l'émir Abd al-Rahman I" après qu' il eut fait de Cordoue la capitale de so n royaume. Elle fut érigée sur l'emplacement de la basilique chrétienne dédiée à saine Vincent, donc les fondations one été mises au jour dans les années 1930 à l'occasion de fouilles réalisées à l'intérieur de la mosquée. Les travaux de construction débutèrent en 785 à proximi té du Guadalq ui vir, face à l'extrémité du pont romain antique, aujourd'hui restauré. Le sire fur choisi pour sa situation stratégique près des vo ies de co mmunication exiscances, mais aussi pour faire la démonstration de l'attachement à l'héritage wisigothique de la vill e. Il es t ainsi rapporté qu'Abd al-Rahma n I" avait installé sa résidence dans un palais wisigorr.ique qui se dressai t près de la mosquée , à proxi mité imm édiace du si re religieux de San Vincence. De cette manière, les centres reli gieux et temporel du nouvel émirat étaient si étroitement reliés qu'il éraie impossible de les dissocier. Les travaux de construction ne devaient durer qu' un e année (7 85 -786), un e prouesse qui renait, d 'une part, à la vo lonté personne ll e et à la hâte d 'Abd al-Rahman !" d 'ériger un sanctuaire à la hauteur du stat ut de capitale de Cordoue et , d'autre pan, au remploi d'éléments architecturaux romains et wisigothiques. La mosquée de Cordoue co mprena it un e salle de prière rectangulaire précédée d'une co ur. Les dimensions de ce rce dernière, presque aussi vaste que la salle de prière, s'expliquent par le fair qu'elle était à l'origine destinée à rassem bler les fidèles qui n'avaient pu trouver de place à l'intérieur pour prier. La salle de prière fur conçue comme une immense halle de 78,02 m x 42,21 m constituée de onze nefs orientées vers le mur de la qibla. La nef centrale, qui conduit
au mihrab, la niche de prière, est orientée dans la direction de La Mecque ; elle a une largeur de 7,85 m, soit un mètre de plus que les autres nefs de parc et d'autre qui mesurent 6,86 m de large. Ainsi mis en valeur, l'axe central est orienté vers le mihrab - on parle de mosquée « orientée ». Plus large que les autres, la nef centrale est aussi légèrement surélevée, comme on peut le constater de l'ex térieur, notamment lorsqu'o n regarde la mosquée du haut de la tour de la cathédrale. La mosquée al-Aqsa de Jérusalem , donc la construction a commencé en 715, c'est-à-dire soixante-dix ans avant celle de l'édifice cordouan, est conçue selon un plan architectural sim ilaire. Il s'agit là encore d' une halle composée de plusieurs nefs, avec une nef centrale nettement plus large, dans l'axe du mihrab . Il est possible qu'Abd al-Rahman l" ait visité al-Aqsa ou une autre mosq uée du m ême type au cours de sa jeunesse, qu'il passa en Orienc. Il était logique qu'il introduisît ce modèle architectural dans la lointaine Cordoue, puisqu' il se recommandait de l' illustre lignée issue de la branche orientale des Omeyyades pour légitimer son pouvoir. La gra nde mosquée de Cordoue se ca rac térise toutefois par so n plan , qui prévoyait une halle avec onze nefs et qui constitue un exemple unique, si l'on étudie les mosquées antérieures encore exiscances. Les dimensions de la salle de prière ne tiennent pas seulement à l'importan ce de la grande mosquée de Cordoue en cane que centre religieux du royaume islamique d 'Occident, mai s aussi à la raille de la ville la plus peuplée d'Europe, qui justifiait la co nstruction d' une vas te salle de prières à plusieurs nefs . L'édifice d 'origin e (785 -786) fut construit sans minaret. Selon des sources arabes , l'appel à la prière se faisait du haut de la tour du palais wisigothique tout proche, qui abritait le gouvernemen c. À l'époque de sa construction, la mosquée possédait quatre entrées, donc la Bab al-Wuzara (« porte des Ministres »), sur la façade ouest, n'a subi presque aucu ne modification jusqu'à aujourd'hui. Une inscription gravée au-dessus du linteau indique qu'elle daceraic de 786. C'es t par
Porte des Ministres de la grande mosquée de Cordoue, 785-988 Sur la façade ouest de la grande mosquée de Cordoue, on peut admirer la plus ancienne porte de l'édifice religieux (786-787), appelée « Bab al-Wuzara » (porte des Ministres).
ARCH ITE CTURE DES OMEYYADES ESPAGNOLS ET DES ROYAUMES DE TAÏFAS
Vue sur la cour des Orangers La cour de la mosquée était inhabituellement vaste afin de permettre aux fidèles de participer à la prière lorsque la salle était comble. Ce n'est que bien plus tard que les orangers ont été plantés.
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cette porte, appelée aujourd'hui porte de Saint-Stéphane, du nom de la chapelle située derrière, que les hauts fonctionnaires sortant du palais gouvernemental situé en face pénétraient dans la mosquée.
pratiquement laissé à l'aba ndon, un sort que la mosquée de Cordoue aurait selon tollte probabilité conn u ap rès que les juifs et les musulmans eurent été chassés d'Espagne en 1492 .
Q uand on entre dans la Mezquita, on découvre avec surprise un e cathédrale élevée au milieu du complexe religieux. La construction, datée de 1523, est l'œuvre du chapitre de Cordoue après qu'il fur encré en possession du terrain de la mosquée, au lendemain de la Reconquista. Pour ménager la place nécessa ire à l'édification de la cathédrale exactement au centre de la mosquée, so ixa ntecrois piliers furent descellés et empo rtés . Les travaux pour l'é recti on et la décoration de la cathédrale, sa ns cesse interrompus, devaient durer trois siècles. D ès l'ouverture du chantier d 'ailleurs, il semble qu'il fallut affronter une rébellion
L'édifice fasci ne par l'atmosphère so mbre, presque mys térieuse, qui règne à l'intérieur et par la transparence des arcades superposées qui confèrent une légèreté exceptionne ll e à la strucrnre. L'historien Manuel G6mez-Moreno a comparé les arcs de la grande mosquée de Cordoue à l'aqueduc romain de Mérida, dont l'étage intermédiaire est également consr irné d 'arcs en briques et q ui, par so n type de cons truction , présente de vag ues similirndes avec la mosquée. Plus vraisemblablement, on peut dire que l'archirecrnre de Cordoue atteste d'emprunts fa its à des mosquées anté rieures, en parci e di sparues aujou r-
des ouvriers qui refusaient d'intervenir de manière aussi radicale dans un monument religieux. Ce précédent - qui n'a jamais été attesté historiquement - est volontiers cité dans la lirréra rnre et prouve combien la population de Co rdoue était enco re attachée à l' h éritage islamique de la ville au débu t du XVI' siècle. On rapporte qu'un accord aurait été trouvé en cre les ouvriers, le conseil de la ville et le chapitre uniquement après arb itrage de l'empereur C harles Quint, auquel on avait fait appel en qualité de juge suprême. Cel ui-ci ap prouva la construction de la cathédrale qu'on pouvait ainsi bâtir en toute conscience, puisqu'on obéissai t à un ordre impérial. Mais lorsque l'empereur vint à Cordo ue et découvri t l' hérésie, il fut constern é et s'exclama: « Si j'avais su ce qu' il y avait ici, je n'aurais jamais osé toucher à l'ancien édifi ce. Vous avez détruit qu elque chose d'unique au monde et avez construit ce que l'on vo it partout ! » La même réflexion à peu de chose près doit traverser l'esprit du visiteur qui pénètre aujour-
d' hui. À titre d 'exemp le, on peut cirer la grande mosquée omeyyade de Damas (dont la construction co mm en ça en 707), qui com porce égalem ent une arcarnre sur deux niveaux. Au contraire d e la mosquée de Cordoue, les arcs n'y sont pas perpendiculaires, mais parallèles au mur de la qibla. L'ordonnance inférieure montre des arcs à plein cintre qui reposent sur de hau ts piliers co uro nnés de chapiteaux, tandis que l' ordonnance sup érieure est rythmée par une sé ri e de cintres plus petits et plus bas, ordon nés de so: te qu'à une arcade inférieure correspondent deux arcades supérieures. Même si l'arcarnre de la grande mosquée omeyyade de Dam as ne correspond pas exactement à celle de Cordoue, on a la preuve que les arcs superposés étaient courants dans l'architecture sacrée des Omeyyades d' Orient. Quant à l'o rdonn anceme nt des arcades , C hristian Ewerr ren vo ie à des mosquées d 'Afrique du Nord construites anté rieurement. D ans les mosquées Amr de Fustat (dans Le Caire
d'hui dans la cathédrale. C'es t oublier un peu vire que si le monument arabe a été conservé, c'est uniquement parce qu'il abrite la cathédrale. Un édifice qui sert régulièrement aux services religieux est entretenu, candis qu' un bâtiment vide est
acrnel et datée de 827) et Jami al-Zaytuna à Tunis (IX' siècle), les piliers couronnés de chap itea ux des arcades so nt ter minés par des élém ents arch itecmraux en forme de pyramide tronquée, avec des blocs supportant les arcs de
Reli ef, grand e mosquée de Cordou e Au-dess us de la« Puerta de Santa Cata lin a », on peut admirer un relief en stuc datant du xv1• siècle qui mon tre une vue du minaret constru it par Abd al-Rahman Ill. On reconnaît le corps du minaret avec sa tour en escalier, les pierres de taille équarries et les ouvertures en fer à cheval, caractéristiques de l'art islamique.
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Chap iteau wi sigothiqu e, v11• siècle Le monument primitif de la grande mosquée (785-786) abrite des chapiteaux romains antiques, ainsi que des chapiteaux wisigoth iques. Le chapiteau reproduit ici se réfère à l'ordre corinthien antique. Il est décoré d'une couronne en relief de feuilles d'acanthe, avec au-dessus une fleur fortement stylisée. L'abaque est orné de décors géométriques.
ESPAGNE ET MAROC
Chapiteau mauresqu e, entre 833 et 848 Les premiers travaux d'a grandissement de la grande mosqu ee (83 3-848) ont vu apparaître pour la première fois un type de chapiteau nou veau, pu rem ent islamique. L'exemple reprod u : ci-dessus est un des chefs-d 'œu vre de la mosquée : on note ,ê finesse des feuil les d 'acanthe ouvragées, réalisées à l'aide d'u trépan , qui donne relief et chair aux feuilles. 0
la mosquée. Ces blocs évoq uent vaguement les piliers de l'ordonnance supérieure visible dans la grande mosquée de Cordoue qui sont également des éléments porteurs , de sorte qu'on peur légitimement supposer dans ce type d 'arcades une filiation et un prolongement des systèmes développés en Afrique du ord. En revanche, la combinaison d 'arcs en fer à cheval et d 'arcs en plein cintre dan s la grande mosquée de Cordoue est inhabituelle. Les arcs outrepassés éraient déjà utilisés da ns des édifices locaux wisigothiques, mais on en trouve aussi des exemples dans des bâtiments islamiques du Proche-Orient. La combinaison d 'arcs en fer à cheval et en plein cintre faisane alterner pierres blanches et briques rouges est une invention cordouane qui, au cours des
Agrandissement d'al-Hakam Il, 962-966 Le visiteur est surtout impressionné par la forêt de colonnes qui peuplent l'extension de la grande mosquée, érigée sous l'imp ul sion du calife al-Hakam Il, un homme cultivé. Les arcades superposées dont les claveaux
alternent les couleurs, combinées aux différentes perspectives qu'elles proposent, confèrent à la salle de prière un rythme sans précédent. La lumière douce crée une atmosphère presque mystique, qui fait tout le charme de cette architecture.
siècles suivants, restera la particularité la plus remarquable de la Mezquica. À l'intérieur, si la mosquée de Cordoue frappe par l'éclairage qui la baigne, elle ne rend pas compte de l'atmosphère du monument primitif. En effet , les arcades de la façade sur cour éraient à l'o rigine ouvertes , de manière que la
plat et une stylisation schématique, allant parfois jusqu'à la géométrisation des formes végé tales. Les plus beaux exemplaires sont installés dans la nef centrale, de sorte que l'axe principal est encore mis en valeur par l'ordonnancement des chapiteaux. En 793, le fils d'Abd al-Rahman I", Hicham I", ordonna la construction d' un minaret. Celui-ci se dressait alors sur la façade nord de la mosquée, mais il ne reste aucun vestige arc héologique de sa présence. Il fallut ensuite attendre le milieu du !X' siècle pour que de nouveaux travaux soient entrepris dans la
lumière qui éclairait la cour pénétrât dans la salle de prière, la plongeant dans un éclat chaleureux qui faisait ressortir les couleurs des tapis qui couvraient le sol à l'époque. Le sol étant ainsi recouvert de tapis, le fait que certaines colonnes - là encore provenant de bâtiments romains et wisigothiques - s'enfonçaient dans le sol en raison de leurs hauteurs différences n'éraie pas dérangeant. Ce que l'o n remarque, c'est la présence de colonnes exclusivement rouges dans la nef principale, soulignée encore par l'axe central conduisant au mihrab , tandis que dans les nefs latérales, des colonnes de marbre rouge alternent avec d'autres en précieux marbre noir. Les chapiteaux méritent que l'on s'y a ttarde. Dans le bâti-
grande mosquée. La place unique de la grande mosquée de Cordoue ne tient pas seulement à son statut de principal monument religieux de la ville, mais aussi à la relation étroite entre le pouvoir temporel et le clergé, qui faisait du sanctuaire le premier centre culturel et re ligieux du royaume. On s'y retrouvait pour prier, mais également pour débattre et décréter les lois religieuses et séculières qui régissaient le monde islamique occidental. Chaque prince qui se plaçait dans la lignée d'Abd al-Rahman I", le fondateur de la dynastie des Omeyyades espagnols, pour légitimer son pouvoir, vouait un immense respect à la mosquée fondée par
ment d'origine, il y avait principalement des chapiteaux romains de type corinthien, mais l'o n en trouve également de type wisigothique et même des éléments provenant de la partie orientale du bassin méditerranéen. Les chap iteaux wisigothiques se distinguent de leurs homologues romains par un relief
le grand homme, respect qui se traduisait par des dons de sommes considérables, la construction d' un minaret ou même l'érection d' un bâtiment supplémentaire. Cela explique également pourquoi les travaux n'ont presque jamais cessé au fü des siècles, du moins jusqu'à la chute du califat.
ARCHITECTURE DES OMEYYADES ESPAGNOLS ET DES ROYAUMES DE TAÏFAS
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Le premier agrand issement de la grande mosquée sous Abd al-Rahman Il À la suite d' un accroissement de la population de Cordoue, Abd al-Rahman II fit agrandir la grande mosquée. Les travaux, qui durèrent de 833 à 848, prévoyaient
principalement de prolonger la salle de prière dans la directio n du sud. À cette occasion, le mihrab fut rasé er le mur de la qibla repoussé, de faço n à ajourer huit nouvelles travées au bâtiment initial formé de onze nefs et de douze travées. Une fois les travaux achevés, la salle de prière avait une forme presque carrée, puisqu'elle mesurait 79,29 m x 69 ,09 m. Les chapiteaux, étudiés par C hristian Ewert er Patrice C ressier, sont là aussi remarquables. Ces chercheurs ont constaté que, pour la premi ère fois, des chapiteaux arabes côroient des chapiteaux romains et wisigothiques . Les chapiteaux ara bes représentaient un nouveau type, baptisé « émiral » . Comme rous les chapiteaux apparus au Moyen Âge, celui de type arabe ou m auresque s' inspire du type corinthien antique et se caractérise par le raffi nement de ses ornements, dont on peur supposer qu' ils ont été travaillés au trépan. On note également une recherche de formes et d 'expressions nou velles, qui s'est traduire par une dive rsité des formes quasi unique pour cette époque. L'ordonnance des chapiteaux n'a elle non plus rien d 'arbitraire. Les plus beaux exemplaires se trouven t dans la nef centrale er dans la derni ère travée, devant le mur de la qibla aujourd'hui dispa ru. Malheureusement, la cathédrale avec ses arcs-boutants, qui fut érigée au XVI' siècle au cœur du complexe musulman , nuit co nsidérablement à la vue d'ensemble. Dans la nef principale du bâtiment agrandi, la zone du m ihrab est particuli èrement mise en valeur. Tandis que la salle de prière est rythmée par des colonnes de marbre rouge et noir cell es qu'on en voie fréquemm ent, deux colonnes de marbre blanc décorées de cannelures se dressent juste devant le mihrab. De la mêm e mani ère, les colonnes de la dernière travée des arcades qui ferment la qibla so nt co uronnées de chapiteaux d' un raffinement extraordinaire. Construit perpendiculairement à l'axe de la mosquée aboutissant au mihrab, le mur de la qibla, qui indique la direction de la prière, occasionne donc ce que l'on a appelé une « disposition en T ».
Les additions d' Abd al-Rahman Ill dans la grande mosquée de Cordoue Lorsque Abd al-Rahman III se proclama calife en 929, il envisageait déj à de construire la ville-palais de Medina al-Zahra (936-101 O), à se ulement 13 kilom ètres au nord de Cordoue, pour y établir le siège de son administration er de son gouvernement. La ville fut fondée en 936. Le calife, très sollicité par le cha ntie r de la ville nouvelle qu'il surveillait personnellement, ne fit procéder qu'à des travaux mineurs dans la grande mosquée de Cordoue. La cour en fut
se terminait par une so rte de coupole , percée sur chaque face d ' un e o uverture. Al-Maqqari , un comp ilateur m aghrébin (mort en 163 1), qui avait eu l'occasion de voir le minaret original, fournir une description saisissante du couronnement du minaret (yam ur), qui avait la forme d' une rige verticale piquée sur deux boules dorées et une boule argentée, surmontée d' une petite grenade. Le minaret er son amortissement ont servi de modèle à d'autres mosquées en al-Andalus.
L'ag randissement de la grande mosquée sou s al-Ha kam Il À peine éraie-il monté sur le trô ne en 96 1 gu'Al-Hakam II , fils et hériti er d'Abd al-Rahman III, entrep rit de modifier la grande mosquée de Cordoue. L'extensio n réalisée pendant son califat (962 -966) est le reflet de l'apogée arc hitectural et artistique de cette époque. Soucieux de rester fidèle à l' esprit des éd ifices antérieurs , il prolongea le sanctuaire vers le sud, faisane ajouter douze nouvelles travées. Il obtint ainsi une longueur de 11 4 ,6 m, mais ne modifia pas sa largeur de 79,29 m. À la fin des trava ux, la salle de prière couvrait une surface de 79,29 m x
ses ambitions ni adapté aux nouveaux besoins de la ville. Le minaret d'Abd al-Rahman III s'élevait sur la façade sud de la cour, mais il a malh eure usement disparu au XVI' siècle pour laisser la place à la tour de la cath édrale gui , au XVII' siècle, fur ornée d' un clocheron baroque . Un relief du XVI ' siècle, visible sur la façade orientale de la mosquée où il décore un écoinçon de l'entrée est de
11 4,60 m ; elle était déso rmais considérablement plus grande que la cour. Il fallut raser la qibla er le mihrab du bâtiment antérieur pour agrandir la mosquée mais, par respect pour l'héritage émiral , le chapiteau et les colonnes du mihrab furent déplacés dans le nouveau mihrab (962-966). La nef centrale fur précédée d' une construction complexe constituée d'arcs polylobés, superposés et entrecroisés, supportant une imposante coupole à nervu res. À l'époque chrétienne, cette partie de la mosq uée fur appelée « Capilla de ViJaviciosa », chapelle de Villaviciosa. L'allée centrale de l'extension construire par al-Hakam II est encore accentuée par l'utilisation de colonnes de marbre réso lument rouge . Dans les ne L latérales, les colon nes de marbre rouge et noir sont disposées en alternance : vues en diagonale, elles donnent l' impression de former des « rayo ns » q ui
la cour, donne un aperçu du minaret érigé par Abd al-Rahman III . Le minaret, de plan carré, se composait de deu x blo cs . La partie inférieure éraie cubique et avait une hauteur de 23 m ètres environ . Le co rps supérieur étaie m o ins élevé et plus étro it ; c'est là que se tenait le muezzin pour l'appel à la prière. L'ensemble
convergent vers le mihrab. Taures les co lonnes sont surmontées de chapiteaux. Si dans les constructio ns antérieures , o n a utilisé des types de chap iteaux différents , ceux érigés dans le nouveau bâtiment so nt tous à bossage. Dans la ne · centrale seulement, on distingue, pour les arcs supérieurs, des pilastres stuq ués
routefois agrandie, ce qui entraîna une extension de la galerie réservée aux femmes. On lui doit également d'avo ir fait raser le minaret d' Hich am I" pour le remplacer par un autre, le premier n'étant probablement plus à la hauteur de
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Coupe de la maqsura avec constructions en coupole, agrandissement d'al-Hakam Il, 962-966 La maqsura précède le mihrab. À l'origine, elle était réservée au seul usage du calife, et son architecture était soulignée par trois grandes coupoles. La coupole centrale,juste devant le mihrab, domine légèrement les coupoles latérales et a un diamètre plus grand. Un tel ensemble de trois coupoles est unique dans le monde islamique.
ESPAGNE ET MA ROC
Nef centra le, mihrab et maqsura, agrandissement d'al-Hakam Il, 962-966 La nef centrale conduit au mihrab, précédé de la maqsura que met en va leur une construction complexe, faite d'arcs polylobés superposés et entrecroisés de façon à diriger le regard vers le mihrab, véritable cœur de la mosquée.
à la place des colonnes lisses. Ils sont terminés par des chapiteaux composites travaillés en stuc de type islamique et servent essentiellement à mettre la nef principale en valeur. La façade du mihrab, impressionnante surtout par l'éclat de ses mosaïques dorées et la construction perpendiculaire formée d'arcs polylobés et entrecro isés, est admirable. Le mihrab éraie précédé de la maqsura , une pi èce de prière réservée à l'usage exclusif du calife. On suppose que les deux dernières travées, situées au sud des cinq nefs centrales, faisaient partie de la maqsura, « séparée » de la salle de prière par une arcade transversale , parallèle au mur de la qibla, de façon à éviter route confusion entre l'espace réservé au calife et celui destiné à la population. I..:arcarure transversale remplaçait la traditionnelle grille qui , à l'origine, séparait le souverain de son peuple roue en constituant un décor, si bien que l'importance de la maqsura et du mihrab se trouvait encore rehaussée. Cette arcature transversale, qui s'étire sur le côté de la maqsura, a été détruite ultérieurement pour permettre l'édification de chapelles er de tombeaux chrétiens . Le mihrab obéi r aux critères de consrrucrion classiques : ouverture dans le mur en forme de fer à cheval , encadrem ent rectangulaire mouluré (alfiz) et couronne d'arcs ave ugles. Louverture en fer à cheval donne sur une niche de prière octogonale, qui, pour des raisons acoustiques, se termine en haur par une grande conque. Sa courbe amplifiait la vo ix de l'imam qui se renait devant le mihrab; aussi les fidèles l'entendaient-ils distinctement dans route la mosquée. Cette ouverture est flanquée des colonnes de marbres et des chapiteaux du bâtiment ém iral antérieur. Le mihrab est ceint à mi-hauteur de revêtements de marbre décorés d'arabesques qui comptent parmi les plus beaux reliefs et les plus précieux réalisés à l'époque du califat de Cordoue. Encre l'arcade aveugle du mihrab et l'alfiz, on peur admirer de magnifiques stucs dorés, tandis que l'alfiz rectangulaire porte un verser du Coran inscrit dans une mosaïque dorée sur fond bleu. Au-dessus de l' inscription, l'arcade feinte est décorée d'arbres de vie exécutés en mosaïque. I..:ensemble est surmonté d' une grande coupole qui s'élève au-dessus de la maqsura et qui - comme le mihrab - est ornementée de mosaïques dorées. Des documents rapportent qu'al-Hakam II aurait prié l'empereur byzantin de lui envoyer des artisans capables de copier la mosaïque dorée de la grande mosquée de Damas. Bien que le maître qui en a dirigé
Mihrab de la grande mosquée de Cordoue, agrandissement d'al-Hakam Il, 962-966 Le mihrab est une des œuvres les plus prestigieuses de l'art califal à Cordoue. Sa fa çade s'ouvre sur la niche de prière par un arc en fer à cheval. Le fronton de l'arc est orné de voussoirs peints, de mosaïques dorées et d'arabesques
de fleurs et de fruits. L'encadrement rectangulaire en mosaïque de l'arc (alfiz) est couvert d'une frise épigraphique dorée sur fond bleu. A mi-hauteur, le mihrab est ceint de panneaux en marbre décorés d'arbres de vie.
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ESPAGNE ET MAROC
Ci-contre: coupole du mihrab, agrandissement d'a l-Hakam Il, 962-966 Partant du plan presque carré du mihrab, les arcs superposés se prolongent dans la coupole à nervures. Les nervures entrecroisées forment
une étoile à huit branches, dont le centre est couronné par une coupole plate. Les mosalques précieuses ornées d 'arabesques de fleurs et d'inscriptions épigraphiques sont l'œuvre d'artisans venus tout spécialement de Constantinople.
conduisaient directement au palais voisin, alors que les niches orientées à l'est abritaient prétendument des trésors. Ces dix niches étaient surmontées d 'un étage comprenant onze pièces, celle du milieu étant située directement au-dessus du mihrab. On ne connaît pas précisément sa fonction, peut-être y archivait-on les innombrables écrits de la mosquée.
Le dernier agrandissement de la grande mosquée sous al-Mansur
Coupole de la Capilla de Villaviciosa, grande mosquée de Cordoue, agrandissement d'al-Hakam, 962-966 La nef centrale est surmonté;, d 'une construction faite d'arcs superposés fermée par l'imposante coupole à nervures de la chapelle de Villaviciosa. On trouve des COJpoles analogues dans la maqsura de la salle de prière, de part et
d'autre de la grande coupole toute en mosa·1que dorée. Il semble que le s coupo les à nervures, splendides et d'une grande complexité, soient caractéristiques de l'époque du calife al-Hakam Il, mécène des arts et des sciences.
l'exécution ait été formé dans la tradition byzantine, la mosaïque de Cordoue s'inspire de l'art hispano-islamique et trahir l'influence des ateliers locaux. Au-dessus de la maqsura, la coupole centrale est flanquée de deux coupoles à nervures, dont la forme reprend celle de la « Capilla de Villaviciosa » . Des exemples antérieurs de ces coupoles sont certainement apparus au ProcheOrient mais, faute d'é tudes approfondies, il reste à considérer les coupoles à nervures de Cordoue comme une création originale. Leur existence est étro itement liée aux arcades de la maqsura de la mosquée, réservée au calife, dont il n'existe, jusqu'à preuve du contraire, aucun autre exemple dans le monde. La spécificité de la grande mosquée de Cordoue résulte aussi du statut particulier du calife puisque le fait de sa présence dans la moquée est à l'origine des solutions architecturales mises en œuvre dans la maqsura. De chaque côté du mihrab, on trouve des niches carrées qui étaient fermées aux visiteurs . Les niches situées à l'ouest servaient d 'entrées secrètes pour le calife (sahn), et
La dernière extension (98 7-988) de la grande mosquée de Cordoue fut entreprise par al-Mansur (en espagnol Almanzor), Premier ministre et régent du calife Hicham II. Ce dernier, mineur, était pratiquement retenu prisonnier dans son palais de Medina al-Zahra, et al-Mansur en avait profité, avec l'accord de la mère de l'enfant, Subh, pour prendre en mains la gestion de l'État. Grâce à ses hautes fonctions, il lui fut possible, en sa qualité de représentant du calife, d 'o rdonner l'agrandissement de la grande mosquée. Pourtant, n'étant pas officiellement le dirigeant du pays, il lui éraie interdit de se placer sur un même plan que les émirs et les califes , ce que la réalisatio n d' une extension du complexe religieux dans la direction du sud - de La Mecque - aurait pu laisser entendre. En outre, pour compliquer encore les choses, le terrain sur lequel se dressait la mosquée descendait côté sud vers le fleu ve. Lors des travaux d'agrandissement initiés par al-Hakam II en 962-966, il avait déjà fallu remblayer et rectifier les fondations de la mosquée, de sorte qu' une extension du complexe ve rs le sud était impossible sans menacer la stabilité de l'ensemble de l'édifice. Une extension à l'ouest éraie exclue, puisque c' éraie là que se dressaient les palais du gouvernement et de l'adminisrrarion; et au nord, il y avait la cour de la mosquée, qu'il fallait conserver pour accuei llir les fidèles . Il restait la solution d'agrandir la grande mosquée en direction de l'est; par aille urs, al-Mansur renait à ce que l'orientation de la mosquée en direction de La Mecque fût respectée, ce qui n'avait pas été le cas lors des travaux antérieurs. Si l'on considère le haut niveau des connaissances à l'époque d'Abd al-Rahman l" dans le domaine des sciences naturelles, et en particulier de l'astronomie, de la géométrie et des mathématiques, on peut légitimement exclure une erreur de calcul et supposer qu'Abd al-Rahman l" avait voulu orienter la mosquée dans la direction de sa ville natale, Damas. Al-Mansur, pour sa part, la dirigea à nouveau vers La Mecque. Cette dernière extension de la mosquée de Cordoue fur également la plus grande dans l'histoire de Cordoue. On raconte qu'ai-Mansur aurait voulu légitimer les dépenses considérables de l'État aux yeux du peuple. Huit nefs latérales furent ajoutées à l'édifice, prolongeant la mosquée d'une cinquantaine de mètres à l'est. Les portes de la façade est de l'agrand issement initié par alHakam II furent murées. Onze grands arcs permettaient d'entrer dans la partie neuve de la mosquée. Comme il était impossible d'agrandir les espaces situés près du mihrab , les nefs furent dotées de deux travées supplémentaires et s' avancèrent ainsi jusqu'au mur d'enceinte au sud. Le principe des arcs transversaux, qui mettaient en valeur la maqsura dans l'extension d 'al-Hakam II, fut abandonné . En revanche, l'arcature qui sépare l'agrandissement d'Abd al-Rahman II de celui d'al-Hakam II fut prolongée. La grande mosquée de Cordoue possédait désormais dix-neuf nefs. La longueur du mur côté sud, comme le mur de la qibla, avait une longueur de 128,41 m. La salle de prière mesurait 114,60 m x 128,41 met la cour 60,42 m x 128,41 m. Le monument religieux avait ainsi, avec la cour, une longueur totale de 175 ,02 m et une largeur de 128,41 m , soit une surface de 23 400 mètres carrés. Grâce aux travaux O,.o:.o ,.o,. e, .cr. -o--o
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semble infinie. L'architecture a su habilement jouer de la lumière qui, provenant de la cour, accentue de manière remarquable la silhouette des arcs.
Les deux Kutubiya de Marrakech
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Arcades de la Kutubiya de Marrakech, 1158 La « deuxième » Kutubiya séduit par sa sobre élégance comme en témoignent les arcades de sa cour intérieure. Ici, le seul élément ouvragé consiste en un arc polylobé, portail précédant une succession d'arcs en fer à cheval qui
N
A
comme mosq uée principale de la ville, on reprit et on développa le modèle de mosquée à neuf nefs adopté dans l'édifice de Tin mal : une nef centrale nettement plus large que les autres, alignée dans l'axe du mihrab, un transept parallèle au mur de la qibla, et des nefs extérieures se poursuivant le long des côtés étroits de la cour attenante. L'édifice, d'une longueur de plus de 90 mètres et d' une profondeur de 58 mètres environ , comprenait dix-sept nefs, dont les quarre extérieurs furent prolongées au-delà de l'arcade nord donnant sur la cour. Pour des raisons restées inexpliquées, les Almohades rasèrent cette « première » Kutubi ya. Sans doute ne purent-ils accepter de concilier une orientarion légèrement incorrecte vers La Mecque avec la rigueur de leur foi, et décidèrent-ils alors de démolir la mosquée. Quoi qu' il en soit, la Kutubiya, le sanctuaire principal de M arrakech , fur représentatif de l' empire almohade. Quelques années plus tard (1158), on érigea une « deuxième » Kutubi ya à côté de l'emplacement
ARC H ITECTURE DES ALMO RAV ID ES ET DES ALMO H ADE S
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de la première. Elle diffère par son orientation vers La Mecque, qui a été légèrement corrigée , et par l'ajout d ' un minaret devenu depuis l' un des emblèmes de la ville.
Les gra nds mi narets almohades Le minaret de la Kutubiya se dresse sur une surface carrée de 12,50 m de côté, et atteint une hauteur de 67 ,50 m. À l'intérieur, une rampe court sur sept niveaux voûtés et conduit jusqu'à la place-forme. L'édifice cubique du minaret est couronné d ' un édicule en forme de lanterne, sur lequel s'élève un dôme couronné d ' un m ât qui comporte crois boules dorées (yamur). Les façades latérales du minaret sont percées sur plusieurs étages de fenêtres jumelées, encadrées d'arcs aveugles. La section supérieure du bâtiment est constituée d'une arcature aveugle, donc les arcs se prolongent au-delà de leur sommet et s' entrecroisent pour former une grille que l'on appelle « motif sebka ». Au-dessus de celui-ci s' étend un large bandeau mural - il étaie autrefois orné de carreaux de faïence vernissés de couleur turquoise, en partie conservés et visibles. Ces carreaux posent une noce de couleur sur ce minaret, par ailleurs très sobre. Deux autres grands minarets almohades présentant une structure comparable méritent d 'être mentionnés cout particulièrement . Il s'agir du minaret de l'an cienne mosquée de Séville (11 7 2-1198 ), connu actuellement sous le nom de « Giralda » , et de la cour Hassan de Rabat (1195-1196) . Si le minaret de la Kutubi ya de Marrakech se distingue avant cout par son élégance et sa sobriété, le décor de la Giralda, haute de plus de 80 mètres, est quant à lui plus chargé: l'ornementation sebka , qui figure sur la Kurubi ya sous la forme d ' un bandea u d écoratif couronnant le haut du minaret, crée ici un motif étendu sur une large surface. À l'intérieur de la Giralda, c'est une rampe, et non des escali ers, qui m ène au sommet, de celle sorte qu' il fut possible, lors de la constru ction, de hisser les pierres, les colonnes et les chapiteaux grâce à des mulets. Par ailleurs , la rampe facilitait également la montée. Sur l'ancien minaret, qui fair aujourd' hui fonction de campanile de la cathédrale de Séville, on ajouta un clocher baroque à la fin du XVI' siècle. C'est de cette époque aussi que datent les balustrades placées devant les baies du minaret. Enfin , la Giralda fur dor ée d ' une statue de bronze de près de 4 mètres de haut , représentant la foi ; symbole de la religion chrétienne, elle regarde aujourd' hui Sév ille avec un sourire confiant. Le troisième minaret almohade remarquable est la grande cour Hassan à Rabat (1 19 5-1196). Il s'agit du minaret inachevé de la mosquée Hassan (jamais terminée elle non plus) érigée sous le règne d 'Abu YussufYaqub al-Mansur à la périphérie d e la ville de Rabat. La cour se dresse sur une surface carrée de 16 m ètres de cô té et, d 'après les estimations, aurait pu atteindre 80 mètres de hauteur. Le bâtiment actuel séduit par la patine de ses pierres taillées ainsi que par sa d élicate ornementation. Si le rez-de-chaussée , qui constitue le socle, est uniforme et présence pour unique décoration un arc outrepassé, la deu xième secti o n du bâtiment est ornée d 'arcades aveugles en retraie. Sur le troisième et derni er ni veau du minaret, conservé aujourd ' hui , on peut voir une arcature aveugle composée de trois arcs polylobés , au-dessus de laquelle s'étend un long
La Kutubiya de Ma rrakech, à partir de 1158
Les Almohades choisirent la Kutubiya comme mosquée principale de la ville et centre spirituel et administratif du royaume, d'où son importance prépondérante pour la dynastie almohade. Son minaret élancé, visible de loin, haut de 67,60 m et large de 12,50 m, est
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devenu l'emblème de Marrakech. Le sommet cubique se termine par un édicule en forme de lanterne. Des fenêtres jumelées se superposent sur plusieurs étages. Les arcs entrecroisés, dits « ornements sebka », situés dans la section supérieure, sont tout particulièrement remarquables.
motif de ruban à tresser donc la structure géométrique rappelle les dessins « sebka » de la Giralda de Séville. Ce m ême motif se retrouve dans la décoration d e n o mbreux minarets ; on peut donc en déduire que l'ornementation de la cour H assan eut une influence non négligeable sur la conception des minarets au M aghreb. Bien que la construction de la mosquée n'ait jamais été achevée et qu'il n'existe plus à l'heure actuelle - à l'exception de l'imposant minaret - que les piliers d e pierres de la salle de prière, il s'en dégage malgré cout une impression spectaculaire d 'infini . La mosquée ne fut-elle jamais terminée uniquement en
ES PAGNE ET MAROC
raison d' un projet de construcnon trop ambitieux ? Constamment agrandie durant crois siècles, la mosquée de Cordoue (fondée en 755-756), le centre spirituel du royaume islamique occidental d'alors, pouvait accueillir des milliers de croyants; après sa dernière et principale extension, sous al-Mansur (987-988), sa superficie atteignit J 75 ,02 m x 128,41 m , salle de prière et cour comprises. Avec ses dimensions de 180 m x 139,40 m , la mosquée Hassan de Rabat, la surclassait donc! On peut se demander si, en construisant ce sanctuaire, les Almohades souhaitaient surpasser la magnificence de la grande mosquée de Cordoue, qui même au XJ I' siècle continuait d'être considérée comme le symbole inébranlable du califat espagnol des Omeyyades , entre-temps disparu. En effet la dynastie des Almohades n'avait-elle pas revendiqué, comme l'avaient fait les Omeyyades espagnols , le titre de calife, signifiant ainsi qu'ils tentaient de parvenir à leur puissance, voire cherchaient à la dépasser? Il est frappant de constater q ue les dimensions impressionnantes de la mosquée Hassan de Rabat n'éraient pas en rapport avec la densité de population de la ville de l'époque. Ainsi, la construction inachevée de l'imposante mosquée peut-elle sans doute être interprétée comme le signe de l'étonnante puissance d' un unique souverain extrêmement ambitieux, Yaqub alMansur (mort en 1199). Vue et dét ail de la tour Hassan de Rabat, 1195-1196 La tour Hassan de Rabat est un minaret inachevé appartenant à la mosquée Hassan, également non terminée, mais impressionnante par ses dimensions imposantes révélées par une succession infinie de p liers de pierres. Le minaret lui-même présente une surface
carrée de 16 mètres de côté, et aura it dû atteindre 80 mètres de hauteur en vi ro n. Les arcades aveugles (ci-dessu s) qu i ornent sa façade constituent un part iculièrement bel exemple d'arcs pol ylobés. Ce déco r architectural en filigrane contraste avec la forme trapue de l'ou vrage.
La colonie almohade de Cieza Outre des mosquées et des palais, les Almohades érigèrent également de nombreuses fortifications , celles que les forteresses de Badajoz et de Caceres situées dans !'Estrémadure, et ['Alcazar de Jerez de la Frontera en Andalousie . Récemment, ces constructions, qui fournissent des renseignements précieux sur ce qu'était la vie quotidienne de leurs habitants, ont pris une importance croissante dans la recherche, comme le prouvent les fouilles entreprises dans les villages andalous de Salcés, Sénes et Cieza. Les Almohades fondèrent la localité de Cieza à la fin du XII' siècle à proximité de Murcie , site qu' ils abandonnèrent au Xlll ' siècle à la suite de la conquête de la ville par les chrétiens (1243). Les murs qui ont été dégagés dans le cadre de fouilles par Julio Navarro Palaz6n , dans les années 1980, révèlent des habitations séparées par des ruelles. Jusqu'à ce jour, dix-huit maisons ont été dégagées ; elles sont toutes de conception analogue . Construites en pisé, puis enduites de chaux, elles présentent une cour intérieure plus ou moins grande, autour de laquelle se regroupent les lieux d ' habitations et d'affaires , comme c' était l'usage depuis ['Antiquité sur l'ensemble du territoire méditerranéen . Ces formes d' habitat traditionnel ont perduré pendant plusieurs siècles dans la culture islamique, comme le prouve Cieza. La cour constituait le coeur de la vie familiale . Chaque maison , ou presque, de cette localité possédait une cuisine et un puits. En outre, on a découvert de nombreuses céramiques démontrant l'ucilisacion privative des constructions mises au jour. Il est frappant de constater que chacune possède un décor en stuc, même s'il ne s'agit parfois que d ' un seul arc. Pour de multiples raisons, on suppose que ces ornementations datent de l'époque almohade. Toutefois, il a été constaté sur le même site, que d 'autres maisons présentent des motifs en stuc et des arcs, dont le style renvoie au début de l' époque des Nasrides, c'està-dire au milieu du XIW siècle, style dont la construction de !'Alhambra de Grenade marque le point d 'orgue.
263
Les mosquées et les palais almohades en Espagne
La Tour de l'or de Sévil le,
siècle À l'origine, la Torre del Oro faisait partie des fortifications almohades de la ville et servait au contrôle de l'entrée des bateaux dans le port. À l'intérieur de cette tour dodécagonale, une cage d'escalier hexagonale sur trois étages XII'
Le mouvement religieux très strict des Almohades s'étendit en quelques années non seulement au Maroc mais aussi en al-Andalus, où Yaqub al-Mansur choisit Séville comme capitale et en fit sa résidence personnelle préférée, ce qui se mani-
conduit à une plate-forme crénelée, sur laquelle se dresse une petite construction en forme de coupole. Le nom populaire de cette tour provient ces étincelants carreaux dorés qui ornaient autrefois la partie supérieure de la tour.
feste entre autres dans les monuments de la ville. Le plus important d 'entre eux fut la mosquée principale, à l'emplacement de laquelle se trouve désormais la cathédrale, dont le minaret a non seulement survécu au temps, en tant que « Giralda », mais est aussi devenu le symbole de Séville. De l'ancienne cour de la mosquée, désignée à présent comme « cour des Orangers » en raison des arbres qui y sont plantés, il reste deux arcades. On peut également cirer les remparts almohades de Séville, qui entouraient la totalité de la ville au XJI' siècle. Aujourd'hui encore, il
Ci-dessous : la « cour des Orangers » de la cath édra le de Séville (fondation de la mosquée en 1172) De l'ancienne mosquée principale de Séville, datant de la période almohade (1172-1198),et à l'emplacement de laquelle se trouve aujourd 'hui la cathédrale de la ville, il ne reste plus que la cour dite « des Orangers » ainsi que le minaret.
Au xv11' siècle, afin de lui conférer une forme architecturale chrétienne, ce minaret fut doté d'un clocher baroque; en raison de sa girouette pivotante, on l'ëppelle désormais la « Giralda». Les façades latérales de cet ancien minaret haut de plus de 80 mètres sont percées de baies cintrées sur plusieurs étages, flanquées de bandeaux ornementaux oblongs.
est possible de reconstituer leur tracé, suivi par une grande rocade. Devant les portes de la ville, sur les rives du Guadalquivir (le « grand fleuve ») , se situe le port, où se trouve encore une tour fortifiée del' époque almohade, autrefois reliée aux remparts de la ville. En raison de son ancienne décoration de car-
autrefois à la Tour de l'or par une chaîne, afin que l'entrée des bateaux dans le
reaux dorés étincelants, on la surnomme la «Tour de l'or » (Torre del Oro en
port puisse être contrôlée.
espagnol). Comme la Giralda, elle est également devenue l'un des emblèmes de
À proximité de la Tour de l'or, vers l'intérieur de la ville, s'étendait le quartier
la ville. Sur la rive opposée du Guadalquivir s'élève une construction comparable
résidentiel avec ses palais. Des résidences almohades, il ne demeure, sur le site des
dans sa structure architecturale, appelée «Tourd' argent » (Torre de la Plata) et reliée
alcdtares chrétiens, que le Patio del Yeso (« cour de plâtre », « cour de stuc »). Sa conservation revient essentiellement au roi Pierre III d 'Aragon, dit « le Cruel
»
(1276-1285 ). Celui-ci fur un grand admirateur de l'architecture islamique; il n'est donc guère surprenant que le souverain ait non seulement épargné le palais almohade, mais se soit aussi entendu à l'intégrer volontairement dans sa nouvelle résidence. Le Patio del Yeso, un ouvrage de forme allongée avec un bassin central, était bordé sur les flancs de bâtiments palatins, dont une aile a été conservée ; elle présente une salle rectangulaire oblongue précédée d'un portique, dont la façade, donnant sur la cour et composée de trois parties, est richement pourvue d 'arcatures. La composition de cette façade charme par la force de sa structure jointe à l'élégance des arcs ajourés à décor végétal. Un autre palais de l'époque almohade, situé à proximité de l'Alcâzar, a été conservé dans l'enceinte d ' un bâtiment municipal. Sa cour intérieure est connue sous l'appellation de Patio de Contraraci6n. Ce noo, qui signifie bourse du commerce, figure dans des documents du début du XV I' siècle, époque où des marchandises y furent entreposées pour le commerce avec le « Nouveau Monde ». Des restes du palais almohade s'y trouvent, datés de la fin du XII ' siècle. Un jardin en croix, avec des allées rehaussées et un bassin central, en
constitue le cœur. Sur ses petits côtés , le jardin est flanqué de bâtiments , dont le palais situé sur le flanc sud est encore assez bien conservé. Ce dernier présente une salle oblongue précédée d ' un portique à la façade richement ornée d ' arca tures. Un portique de forme analogue a été préservé sur la façade opposée de la cour, au nord. La disposition en croix de la cour et du jardin du Patio de Conrrataci6n évoque celle du Haut Jardin (ainsi nommé) de la cité palatine de Medina al-Zahra près de Cordoue, résidence du calife (936-1010) qui influença durablement, sur plusieurs siècles, l'architecture en al-Andalus. En reva11che, les bâtiments situés sur les flancs du jardin renvoient, du poim de vue de leur conception, à l'Aljaferfa de Saragosse (1049/ 1050-1082/ 1083), palais datant de l'époque des taïfas et cité comme étant représentatif de l'architecture hispano-mauresque du
X I'
siècle . La
structure de la façade du Patio de Contrataci6n, quant à elle, ressemble à celle du Patio de Yeso situé à proximité. Il semble que les souverains almohades ne s'inspirèrent pas seulement du modèle de Medina al-Zahra lors de la construction de leurs palais , mais continuèrent également à développer en coure conscience la tradition architecturale hispano-mauresque. Tout comme les Omeyyades de Cordoue, ils s'approprièrent le titre de calife, tentant ainsi de se rattacher à cet
264
ESPAG N E ET MARO C
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héritage du passé; cela explique, encre autres, l'adoption des formes architecturales de l'époque du califat dans l' édification des palais donc le caractère privé
d ' une vas te coupole à ogives élaborée en sruc, qui s inspire ostensiblement de l'architecture des califes. Une relie forme de coupole, très rare, surprend d 'autant
permettait une liberté d 'expression plus grande que dans l'architecture sacrée srric-
plus que l'o n ne rencontre guère que des coupoles à muqarnas dans les ouvrages
cemenr réglemenrée.
almohades. Elle s'explique peut-être par la collaboration entre différences écoles d 'artisans, ayant notamment réalisé les ornemenrarions en stuc des voûres du cloître
L' influence de l'art almohade sur le style espagnol mudéjar
San Fernando , roue proche. On p eur également mettre en évidence l' influence des formes décoratives almorav ides e t almohades dans l' ancienne synagogue de Tolède, devenue à
L'arc des Almohades exerça égalemenr une influence sur celui du nord de
Xlll ' siècl e dans le quartier juif de la ville, puis transformé au XV' siècle en une
l'Espagne chrétien. Le roi castillan Alphonse VIII (1158-1214) avait choisi
église chré tienne qui reçm le nom de « Sanra Maria la Blanca ». Au vu des
présent l' égli se Santa Maria la Blanca. Ce sanctuaire fut construit au début du
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comme mausolée, pour lui-même er sa descendance, le monastère de La Huelgas
sources disponibles , il n'est pas clairement établi s' il s'agit en fait de la « nou-
fondé en 1187 près de Burgos ; de nombreuses transformations furent nécessaires. Si l'église er le cloître correspondent au sryle ciste rcien, la petire chapelle conventuelle, nommée Capilla de las Clausrrillas (auparavant Capilla de la Asuncion),
velle synagogue » édifiée au début du XTTI ' siècle par Yosef ben Salomon ben Susan (more en 1203 ou 1205), « patriarche des juifs de Castille » er contrôleur supérieur des Impôts du roi Alphonse VIII. Il esr également possible que ce bâti-
présente un décor en stuc proche de l'arc almohade. Visiblement, ces ornemenrs
ment soit la« Gra nde Synagogue » de Tolède, édifiée par un certain Abraham
furent exécutés par des artisans formés dans des ateliers almohades, ou mudéjars
ben al-Fah a r, qui occupait une position élevée à la cour d'Alphonse VIII. Aucune
(de l'arabe mudajjan, « aurorisé à rester »), c'est-à-dire des Maures qui vécurenr
de ces deux h ypothèses n' a pu être confirmée avec certitude, les recherches effec-
en Espagne à partir du XIII' siècle sous la domination chrétienne. Cela est d 'au-
tuées se fond ant sur des documents incomplets ; rourefois , ces rexres renvoienr
tant plus surprenant que l' on sait bien que le roi Alphonse VIII fur un adversaire
cous au règ n e d 'Alphonse VIII , donc l'acrion fur décisive dans l'édification de
acharné des Almohades. S'il les combattit lors de nombreux affronremencs, il suc, en revanche, apprécier leurs formes arcisciq ues à leur j usce valeur, er s' entendit même à les intégrer dans l' architecture sacrée chrétienne du monastère royal de
de Burgos. D ' appa rence extérieure discrète, la synagogue de Tolède surprend par
Las Huelgas.
l' impression de clarté et d ' espace qui règne à l' inrérieur. Cinq nefs oblongues er
la Capilla de las Claustrillas, située dans le couvenr royal de Las Huelgas , près
La Capilla de las Clauscrillas située près du cloître présence de nombreux
parallèles évoquenr une disposition basilicale, inspirée de l'archirecrure sacrée
éléments décoratifs almohades. Il s'agit par exemple du grand arc à lambrequins de l' entrée, avec ses petites voûtes à muqarnas erses délicates décorations en stuc
chréti enn e; en effet, on peut mettre en évidence une disposition comparable
situées de parc et d 'autre de l'arc. L'enceinte principale de la chapelle est surmontée
Santiago d el Arrabal qui dace du Xll' siècle. La sobre archirecrure de Sanra Maria
Patio del Yeso, Séville, seconde moitié du x11• siècle Le Patio del Yeso (« cour de plâtre »,« cour de stuc ») désigne un palais almohade situé au cœur de l'ensemble formé par les palais royaux à Séville ; une aile précédée d'un portique a été
L'Alcazar, Séville, x1V' siècle Rés idence roya le, !'Alcazar de Séville fut érigée par Pie rre I" le Cruel (1350-1369) et compte par mi les plus beaux palais mudéjars d'Espa gne. La cou r intérieure remonte au
conservé. La façade sur la cour présente de nombreuses arcades. Au centre, on peut voir un grand arc brisé,dont l'intrados estorné comporte de petits enroulements végétaux ; ce profil d'arcature caractéristique de l'art almohade est appelé « arc à lambrequins ».
dans de no mbreuses églises mudéjares de Tolède, comme c' esr le cas de l'église
ES PAG N E ET MA ROC
x1v• siècle. La forme architecturale des ses arcades se réfère entièrement à la tradition islamique. La galerie du premier étage, telle qu 'on peut l'admirer aujourd 'hui, est une création du xv1• siècle ; en témoigne son style Renaissance.
Voûte à muqarnas du monastère de Las Huelgas, près de Burgos, fondé en 1187 Les voûtes à muqarnas suivent la tradition almohade. Les teintes soulignant les différents éléments sont particulièrement admirables. Si la chapelle se classe dans le style mudéjar (par exemple, en raison des inscriptions latines), l'influence almohade y est indéniable.
Ci-contre: intérieu r d e l'égl ise Santa Maria la Blanca de Tol èd e, première moitié du x111' siècle L'a ncienne synagogue, t ra nsformée au xv' siècle en église, fascine par son impression d 'espace et son délicat décor en stuc, dont les
ornements géométriques et les arabesques révèlent clairement l'empreinte des Almohades. Les chapiteaux, quant à eux, renvoient au style mudéjar, qui atteignit son apogée à Tolède.
la Blanca, avec ses arcs très tend us en forme de fer à cheval, est agrémentée d'un délicat décor en stuc qui s'étend jusque sous le toit er révèle clairement une influence islamique. Les ornements en ,rue commencent au-dessus des chapiteaux, dans les écoinçons des arcades où figurent des médaillons décorés de motifs géométriques, accompagnés d 'arabesques élégamment recourbées. Au-dessus d'eux s'étend une frise comportant des champs rectangulaires et carrés, dans lesquels une conque, placée directement au-dessus de l' écoinçon, apparaît en relief. Dans les deux bas-côtés, au-dessus de la frise, s'élève une galerie d 'arcs aveugles polylobés, tandis que dans la nef centrale, le décor, en accord avec la hauteur de l'enceinte, attire l'attention par sa plus grande richesse ornementale. On peut y voir un large bandeau comportant un décor en réseau , au-dessus duquel s'étire une autre frise plus étroite, elle-même surmontée d ' une galerie d 'arcs aveugles polylobés. Ce large bandeau central de la nef, en particulier, avec son décor géométrique , se range dans la tradition almohade du point de vue styli stiq ue, tandis que les élégantes courbes des arabesques figurant à côté des médaillons révèlent un stade d'évolution plus avancé, qui semble évoquer !'arr nasride de Grenade. Visiblement, au début du XIII ' siècle, il existait à la cour d'Alphonse VIII un atelier d 'a rtistes qui importa les formes artistiques almohades d 'Andalousie et d'Afrique du Nord en Castille , où elles continuèrent d'influencer l'art mudéjar, des siècles durant. De façon surprenante, ces deux chefs-cl' œuvre de décors en sruc del ' arr almohade se trou vent, non pas dans une mosquée, mais dans une chapelle et une synagogue - un fair qui prouve l'ancienneté des échanges culturels et artistiques entre chrétiens, juifs er musulmans dans la péninsule ibérique.
ARCHITECT U RE DE S ALMORAVIDES ET DES ALMOHADES
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privilégiées pour le commerce de l'or vers l'Europe occidentale et centrale. Des sources littéraires, il ressort que les commerçants pouvaient voyager librement entre
Arts décoratifs Almut von Gladi/3
le No rd chrétien et le Sud islamique, de Saint-Jacques-de-Compostelle et du Leon jusqu' à Valence et Séville. Les affaires les plus importante, se trairaient avec la soie andalouse, qui se révéla un élément important de la force économique de la province durant plusieurs siècles, en dépit de la concurrence des produits byzantins. Sous le règne des princes de raïfas, Almerîa, Murcie, Malaga, Valence et Séville devinre nt des centres prospères réputés pour leurs soieries. D 'après une descrip-
L'art sous les Almoravides et les Almohades
tion du géographe al- Idrissi, qui voyageait à travers l'Espagne au milieu du Xll' siècle, Almeria, ville d ' importance prépondérante dans le secteur de la so ie, pos-
Sous les Almoravides et les Almohades, les pays de la Méditerranée occidentale for-
sédait huit cents fabriques de tissu, dont une partie utilisait des métiers à rire per-
maient un espace économique unifié, qui profitait de la valeur élevée del' or. Leurs
fectionnés , avec suffisamment de lices pour permettre un tissage diversifié du fond
dynasties co ntrôlaient les voies commerciales vers les célèbres mines d'or de l'ouest du Soudan, et les villes portuaires d'Andalousie devinrent d es plaques tournantes
et du motif.
Les tissus Al-Idrissi fa ir é tat de motifs compliqués avec médaillons figuratifs , inspirés de modèles datant de l'époque du califat. Ils rivalisa ient avec les étoffes à médaillons de Bagdad, comme le prouve une inscription tissée dans un morceau de soie provenant de San Pedro de Osma : « Ceci a été fait à Bagdad , que Dieu protège la ville. » Visiblement, la falsification d'inscriptions était chose courante afin d 'augmenter la va leur d ' une marchandise , puisque al-Saqari, originaire de Malaga, qui assurai t la surveillance des marchés , signale l' interdiction d ' une relie pratique. Dan s le cas de ce morceau de soie, le mode de tissage et le style des médaillon s à sphinges montrent incontestablement qu'il a été produit en alAndalus , même si le motif principal renvoie à un modèle de symétrie originaire de l' Orient islamique, très répandu au XII ' siècle. D ' autres étoffes avec médaillons représentent des couples d e griffons ou de lions qui - à l' image de la paire de sphinges - so nt placés à côté d ' un arbre de vie, réduit pour l'essentiel à un motif en palmette. Le manteau de San Juan de Ortega (mort en 1163), de l'église paroissiale de Qintanaortuno, constitue le point de référence des datations, puisqu' il présente une inscription arabe comportant le nom de l'Almoravide Ali ibn Yussuf (110611 43). Les artistes éraient coutumiers des symboles de puissance traditionnels : ainsi, a ux couples de lions sont associés de petites proies , probablement des gazelles, posées sous leurs parres antérieures . En al-Andalus, le sultan subir quelques sévères défaites contre le roi Alphonse VII de Casrille; en 11 47, celuici occupa temporairement Almeria et fit don à la cathédrale de Sigüenza de deux étoffes de soie prises à l'ennemi , dorées de médaillons avec des griffons pour l' un et des aigles pour l'autre. La tunique de son fils, Don Garda, mort précocémenr, remonte également à la même époque ; elle présente un grand aigle à deux têtes ainsi que des lignes d 'écriture arabe. Sous les Almohades, l' art commença à s' inspirer des principes spirituels de l' islam er les ensembles ornementaux abstraits supplantèrent de plus en plus souvent les modèles figuratifs et leurs correspondances symboliques. Les motifs géométriques en bandeaux et en compartiments , ainsi que le principe de compositi on de dessins répétés inlassablement, répondent aux normes selon les-
Bannière, première moitié du x111• siècle, 330 cm x 220 cm, Burgos, Monasterio de Santa Maria la Real de Huelgas, Museo de Telas Medievales On associe cette bannière à la bataille décisive de Las Navas de Tolosa, en 1212, au cours de laquelle les troupes musulmanes furent sévèrement
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battues par l'a rmée de Castille, de Navarre et d 'Aragon, sous la conduite d'Alphonse VIII de Castille. Le motif en étoile reprend les exhortations des enluminures figurant sur les exemplaires du Coran de l'époque. Des citations du Coran (sourate 16, 10-12) prêchent la guerre sainte et promettent le paradis aux combattants pour la foi.
quelles on expliq uait l'agencement du monde par Allah. Le sultan Abu Yussuf Yaqub (1184-1199) fic vendre les vêremen rs de soie et d 'or de la garde-robe nationale et interdit aux femmes de porter de la soie ainsi que des habits somptueusement brodés, puisque d ' après l'enseignement du Cor;:.n, ce n' est qu' au paradis que le luxe se rait permis aux fidèles. Si l' on commença à remplacer les fils d ' or par de la soie jaune, on thésaurisa par ailleurs l'or en quantité massive, comme le montrent les innombrables parures du tréso r de Majorque. Les boucles d ' oreilles en or de ce trésor ornées d e la basmala (« au nom de Dieu , bienveillant
ESPAGNE ET MARO C
et mi sé ricordieux ») et les bracelets en argent gravés de la main de Fatima , so nt des symboles de la foi. La bannière de Las Navas de Tolosa, de 3,30 x 2,2 0 m, l'un des trophées les plus connus de la Reconquista, don de Ferdinand III au monastère Santa Marfa la Real de Huelgas, révèle comme ornement central une imposante étoile à huit branches; associée à la clausule al-mulk (« la souveraineté ») répétée incessamment, elle apparaît comme un signe de pouvoir doré d' une force (symbolique) magique. Sur les lisières figurent des versets d'encouragement tirés du Coran, eu égard à la situation désespérée. Sous les Almoravides et les Almohades, qui érigèrent de nombreux édifices sacrés en Andalousie, la religion constitua une source de pouvoir toute particulière pour l'o rdre étatique. Par conséquent, la production de corans revêtit une grande importance. L'un des premiers manuscrits du Coran, réalisé à Mâlaga en 1106 et conservé dans la bibliothèque royale de l'Escurial, constitue le seul témoignage sauvegardé sur la péninsule ibérique.
Les manuscrits Les manuscrits du Coran datant des Xll' et Xlll' siècles sont pratiquement sans exception des parchemins de format presque carré, d'à peine plus de 20 centimètres de côté. On utilisait l'élégante écriture miniature andalusi, ce qui permettait d'économiser le coûteux parchemin, remplacé depuis longtemps par du papier dans les pays de l'Orient islamique. Outre les palmettes dorées qui se répètent régulièrement sur la bordure, les pages somptueusement décorées au début et à la fin du texte soulignent la grande valeur des écritures saintes. Les motifs en étoile, dans un environnement spécifique déterminé par un ensemble de polygones, comptaient parmi les dessins classiques des enlumineurs ; ils étaient également minutieusement exécutés en marqueterie sur les coffrets de bois destinés à conserver les instruments nécessaires à l'écriture. Cordoue, Mâlaga, Valence et Séville furent des lieux de production majeurs, cités dans les colophons et souvent associés à une formule de bénédiction à l'intention du prophète Muhammad et de sa famille. À cette époque, la première traduction latine du Coran fut effectuée pour le co mpte de l'abbé de Cluny, Pierre le Vénérable. On transcrivit également des livres sur la vie du Prophète et sur le premier calife, ainsi qu' une discussion entre un musulman et un chrétien (al-Kindi), de sorte qu'il devint possible pour les « infidèles » de débattre des positions fondamentales du dogme islamique. Grâce à la Reconquista, les chrétiens entrèrent en possession de toutes les bibliothèques. À Tolède, première ville reprise par les chrétiens dès 1085, une célèbre école de traduction fur fondée sur la base de la Convivencia, cohabitation pacifique entre musulmans , juifs et chrétiens. Dans cette école, des savants originaires de nombreux pays européens se rencontraient afin de transcrire les rexres arabes provenant de toures les régions du monde islamique, des ouvrages philosophiques de l'Antiquiré et leurs interprétations, ainsi que la linérature islamique relative à la médecine, aux mathématiques, aux sciences nat urelles et physiques, et à l'ésotérisme ; cette littérature comportait de nombreux travaux scientifiq ues provenant d'al-Andalus, oü s'épanouissaient la médecine, les mathématiques er l'astronomie. Ce sont avant tout les as tronomes iss us de l'école du mathématicien Maslama al-Maghriri de Cordoue qui jouirent d' un grand crédit. Muh ammad ibn al-Saffar er Ibrahim ibn Sayd al-Sahli, constructeurs d'astrolabes, se firent connaître par de nombreux instruments de mesure ; al-Sahli réalisa en outre des globes célestes, tan dis que Ibn al-Zarqallu se fit un nom grâce à ses tables astronomiques de Tolède indispensables pour l'ensemble des traductions latines. Tour comme dans les autres pays islamiques, des manuscrits à miniatures furent également produits en al-Andalus, mais ils furent sans doute tour particulièrement touchés par les autodafés répétés de livres par des fanatiques
Tissu à médaillons, vraisemblablement originaire d'Andalousie, ve rs 1100, Boston, Museum of Fi ne Arts Le lampas provenant de la tombe de l'évêque Pedro de Osma (mort en 1109), dans la cathédrale de Burgo de Osma, présente comme motif principal un couple de sphinges et, sur la bordure
ARTS DÉ C OR ATI FS D ES ALMORAVIDES ET DES ALMOHADES
un personnage entre deux griffons. Dans les cercles chevauchant le motif qu 'il s enserrent, apparaît une inscription coufique, mentionnant Bagdad comme lieu de production de la soierie. La structure du tissage et les fils d'or renvoient pourtant à une manufacture andalouse imitant les tissus importés de Bagdad.
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Pages du Coran, Séville, 1227, Munich, Bayerische Staatsbibliothek En Andalousie et au Maroc, le Coran fut écrit sur du parchemin coûteux jusqu'au XIV' siècle. Le s manuscrits, relativement petits, comportent souvent des pages magnifiquement décorées, avec des étoiles formant un treillis dont les lois géométriques reflètent l'ordre du cosmos. À la fin du manuscrit, des indications concernant la date et le lieu de la copie sont inscri tes dans un octogone. De nombreux exemplaires du Coran ne doi vent leur conservation qu'au fait qu'ils furent collectionnés immédiatement après la chute du dernier royaume musulman de la péninsule ibérique. Deux manuscrits du Coran - dont une cop ie faite à Séville en 1227 - détenus par l'homme d 'État Johann Albrecht Widmanstetter (1507-1557) furent transmis à la Bayerische Staatsbibliothek de Munich.
musulmans, en particulier so us les Almohades . Le Livre de Bayad et de Riyad, probablem ent originaire de Séville et ses quarorze miniatures conservées jusqu'a aujourd'hui, comptent parmi les témoignages les plus anciens del' enluminure islamique. L'histoire d 'amour entre le commerçant Bayad et la se rvante Ri yad comporte de nombreuses scènes figuratives , rappelant la peinture très expressive de la fin de !'Antiquité, dont les célèbres commentaires de !'Apocalypse des artistes mozarabes constituent la suite populaire sur la péninsule ibérique. Dans le manuscrit arabe, les personnages apparaissent dan s un contexte qui reflète, avec un réalisme surprenant, le caractère idyllique de l'Espagne islamique : jardins en fleurs et arb res à feuilles persistantes, clapotis des ruisseaux et cours d'eau qui s'attardent dans les roues de moulins à eau ; enfin petites rours d'observation (miradores) avec leurs fenêtres à claire-voie et leurs arcs en fer à cheval, ouvrant sur un paysage florissant.
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Bayad sur la rive du fleuve, manuscrit andalou de Bayad et Riyad, Séville, vers 1200, Rome, Biblioteca Apostolica Vaticana L'histoire d'a mour de Bayad et Riyad, re latée dans une copie provenan t d'Andalousie, se déroule dans la haute société de la Méditerranée orientale. Le peintre a repris des éléments de composition majeurs de l'enluminure de l'époque en Syrie et en Mésopotamie,
tout en faisant cependant preuve d'un peu de fantaisie en res:ituant pour le lecteur d'al Andalus un environnement qui lui est familier: une miniature de Bayad qui, accablé par so n amour inassou vi pour Riyad, s'est effondré sur la ri ve du fleuve, montre une tour d'observation typique, avec des fenêtres à claires-voies, ainsi que la technique d'i rrigation au moyen des roues à godets en bo is.
Ci-contre: astrolabe, Tolède, 1029-1030, Berlin, Staatsbibliotek L'astrolabe, un instrument transportable pour viser les étoiles fi xes et les planètes, permet de mesurer le temps pour un lieu donné dont les coordonnées géog raphiques sont connues, et de déterminer les horaires et l'orientation de la prière en direction de La Mecque. L'astrolabe fabriqué à Tolède par le savant Muhammad ibn al-Saffar,orig inaire de Cordoue, comporte neuf disques insérés avec seize indications de lieux, de Cordoue, Tolède et Saragosse en passant
par les vil les saintes de La Mecque et de Médine. jusqu'à I'« île aux rubis » de Ceylan et « les frontières du monde habité ». Le réseau figurant sur l'avers de l'astrolabe, avec ses aiguilles recourbées, renvoie à vingt-neuf étoiles. Sur le revers se trou vent - innovation espagnole - des graduations supplémentaires pour le zodia que et l'année solaire. Les constructeu rs d'instruments originaires d'al-Andalus veillaient non seulement à laperfection astronomique sur le plan utilitaire, mais aussi à l'aspect artistique.
ESPAGNE ET MAROC
Les N asrides de Grenade
Histoire Markus Hattstein
Le dernier royaume islamique en Europe de l'Ouest et les débuts des Nasrides Le dernier royaume islamique d'Europe occidentale, le royaume des Nasrides de Grenade, n'a cessé de fasciner les historiens et, depuis l'époque romantique, constitue une véritable source d'inspiration pour les nostalgiques de l'Orient en Europe. Très rapidement acculé à la défensive sur le plan politique, et luttant sans cesse pour sa survie, ce royaume non seulement résista durant plus de 250 ans , en dépit de la confusion interne et des diverses attaques venues de l'extérieur, mais fut également le dernier refuge d' une culture andalomauresque très raffinée. La famille des Nasrides, constituée jusqu'alors de princes de provinces sans importance, bénéficia de la défaite des Almohades en Espagne après 1229, lorsqu'un groupe de princes et dirigeants locaux commencèrent à fonder à nouveau de petits royaumes d'ailleurs très éphémères. Parmi eux figurait Muhammad ibn Yussuf ibn Nasr d'Arjona, dans la province de Jaén, qui , en tant que chef de la tribu Banu al-A11mar, descendait directement d'un compagnon de lutte du prophète Muhammad. Le 18 avri l 1232, à Arjona, il se proclama sultan sous le nom de Muhammad l", étendit rapidement sa dominati on à Jaé n, G uadix et Baza et, en mai 1237, conquit Grenade, dont il fit la capitale de so n roya ume. Par une habile politique d'alliances stratégiques , aussi bien avec le royaume chrétien qu'avec les Mérinides du Maroc, Muhammad l" élargit son royaume, contraignant quelques villes à se soumettre à sa loi et en conquérant d'autres . Évaluant avec justesse les rapports de force , il reconnue le roi Ferdinand III de Castille
Arcades de la cour des Lions de !'Alhambra, Grenade, seconde moitié du " : V' siècle Le palais de la cour des Lion s érigé sous Muhammad V constitue indubitablement la partie la plus connue de l'Alhamb·a. Plus encore que l'harmonieuse symétrie sur laquelle repose la cour, l'exubérante richesse des décorations sur les arcades circulaires et le pavillon attenant est
particulièrement impressionnante. Dans le décor de motifs géométriques et vég étaux extraordinairement fins figurent des bandeaux et des médaillons contenant des dédica ces, des citations du Coran ainsi que des invocation s d'Allah. Une décoration extrêmement fou rnie dan s des édifices sobres en eux-mêmes const itue une des caractéristiques de l'architecture islamiqu e.
comme son souverain et, en tant que son vassal, l'aida même lors de la conq uête de Séville en 1248. De son vivant déjà, en raison des succès de la Reconquista chrétienne, Muhammad l" désigna ses fils comme ses successeurs afin de garantir la pérennité de son royaume. Lorsqu' il mourut en 1273, il avait éliminé ses ennemis et rivaux dans la péninsule et considérablement réfréné le pouvoir de la noblesse récalcitrante. Sous Muhammad II (1273-1302), fils aîné du fondateur du royaume, le pouvoir et l'administration de Grenade se consolidèrent. Le nouveau souverain mit tout d'abord fin à la politique d'alliances avec les chrétiens, puis passa un pacte avec les Mérinides du Maroc qui possédaient des bases également en Andalousie et régnaient conjointement dans plusieurs villes du sud de l'Espagne. Son but initial était d ' unir tous les musulmans d 'Espagne et d'Afrique du Nord dans la lutte contre la Reconquista. Mais cette alliance avec les Mérinides fur rompue lors de la bataille pour Malaga qui, momentanément gouvernée par des vassaux des Mérinides, retomba aux mains des Nasrides à la suite d'un long siège en 1279. Muhammad II dut alors faire face à une grande alliance conclue encre les Mérinides et les rois chrétiens ; toutefois, exploitant habilement les querelles intestines de ses ennemis, il parvint à la neutraliser. Après 1290, il mit au point une union avec les royaumes chrétiens contre les Mérinides. Le roi chrétien Alphonse XI parvint à expulser les Mérinides de la côte sud et les contraignit à renoncer à l'ensemble de leurs bases en Espagne. Muhammad II , qui avait hérité de la perspicacité et de la clairvoyance de son père en matière de politique , renforça le royaume de Grenade par le biai s
Souverain mauresque, détail d'une peinture sur cuir, réalisée sur la voûte de la Sala de la Justicia de !'Alhambra On a longtemps pensé que les portraits des peintures ovales de la voûte représentaient les dix souverains initiaux de Grenade,descendants de la dynastie des Nasrides. Les deux premiers sultans, notamment Muhammad I" et son fils
H I ST OIRE DE S NAS RID ES D E G RE N ADE
Muhammad Il, établirent au x111 • siècle les fon dements du royaume de Grenade, qui subsista plus de 250 ans. La dynastie atteignit son apogée culturel au XIV' siècle, avec Yussuf I" et Muhammad V, deux souverains férus d'art qui furent les maîtres d'œuvre et les créateurs de !'Alhambra .
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d'alliances changeantes. Il avait également étendu son domaine à une partie de la Castille. Sous le règne de son fils Muhammad III (1302-1309), extrêmement intelligent mais incompétent sur le plan politique, les acquis furent presque perdus lorsque le souverain et ses troupes occupèrent le port marocain de Ceuta afin de conquéri r ce qui constituait le tremplin des Mérinides vers l'Espagne. L'entreprise s'acheYa da ns un désastre, le royaume de Grenade se trouvant brusquement encerclé sur trois fronts en raison d' une alliance des Mérinides avec !'Aragon et la Castille. Cerre situation conduisit à la destitution de Muhammad III, remplacé par so n frère cadet Nasr (1309-1314), qui tenta de sauver la situation en faisant d' importantes concessions à ses adversaires, et en particulier aux Mérinides. Son successeur Ismaïl I" (1314-1325), qui mit au point une nouvelle alliance
rigoureuse. L'agriculture andalouse de l'époque suscita les éloges de ses contemporains : la Vega, plaine fructueuse des environs de Grenade, fut irriguée artificiellement durant les mois d'été, rendant ainsi possible la culture de diverses variétés de légumes, d'arbres fruitiers greffés, d'olives, de raisins, d'agrumes et de dattes. On planta des céréales, blé et orge, qui éraient les aliments de base. Sur les côtes, la pêche et le commerce maritime avec le nord de l'Afrique jouèrent un rôle décisif. Les biens domaniaux du sultan , qui s' appropriait également une grande partie des revenus de la Vega, éraient très vas tes, tandis que les domaines privés ou en fermages avaient des dimensions modestes . Les possessions de plus grande envergure éraient administrées par le biais de fermages communautaires ou d'un système
avec les Mérinides, remporta une victoire significative contre la Castille avec l'aide
de propriété collective Les nombreux hameaux et petites localités de la campagne
de contingents berbères marocains, lors de la bataille de Vega en 1319. Ce succès permit d'arrêter momentanément la progression des chrétiens. Toutefois, après le meurtre d'Ismaïl , Grenade, en situation défavorable, dut accepter de grosses pertes
furent de plus en plus structurés sur le modèle des villes, avec un centre constitué d' une mosquée et d' une place de marché. On ne peur parler d' une aisance généralisée, en raison des tributs élevés à payer à la Castille, tributs ressentis par la popu-
territoriales sous le règne de Muhammad IV (1325-1333) , alors mineur.
lation comme une surimposition permanente. Toutefois, les édifices de l'époque prouvent le mode de vie luxueux de la classe dirigeante ; les couches inférieures durent aussi bénéficier de revenus adéquats, car le royaume de Grenade ne connut pas de troubles sociaux.
Le royaume de Grenade à son apogée Sous la domination des émirs Yussuf l" et Muhammad V, connus avant tout comme les constructeurs de !'Alhambra, le royaume de Grenade atteignit son apogée. En raison des contrastes géographiques, entre les côtes d' une part et les hautes montagnes de la Sierra Nevada de l'autre, le royaume exigeait une gestion
Yuss uf I" (1333- 1354) élabora dive rs accords de paix afin de pouvoir se consacrer aux activités culturelles de son royaume et à sa passion pour l'architecture. Au début de son règne, il conclut un traité de paix avec la Castille et le Maroc, et entretint des liens diplomatiques étroits avec !'Aragon à partir de 1336 .
Plan de Grenade
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Domaine de souveraineté des Nasrides
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ESPAGNE ET MAROC
Toutefois, en 1340, la Castille et le Portugal formèrent une alliance et battirent le souverain à Tarifa. En 1342, la forteresse d'Algésiras, à la pointe sud du royaume de Castille, fur assiégée et dur capituler deux ans plus tard. Malgré tour, la même année (1344), Yussuf conclut un traité de paix pour dix ans avec la Castille, et mir à profit cette période pour réaliser ses grands projets de construction : en 1348, il commença de grands travaux d'agrandissement de !'Alhambra et inaugura la madrasa de Grenade, qui devint l'établissement d'enseignement supérieur le plus important du royaume. Après le meurtre de Yussuf par un garde du corps en octobre 1354, son fils Muhammad V monta sur le trône (1354-1359 et 1362-1391 ). Lorsque la flotte chrétienne conquit le port de Malaga en 1359, une révolution de palais destitua Muhammad V qui fur exilé au Maroc. Ce n'est que trois ans plus tard qu'il pur reconquérir le trône de Grenade. Par une politique d'alliances étroites avec le Maroc et l'Espagne chrétienne, il fur à même de garantir une longue période de paix à Grenade à partir de 1370, et établir d'excellents liens diplomatiques avec les Mamelouks du Caire, situation qui bénéficia notamment au commerce. C'est surtout au cours de la deuxième période de son règne que Muhammad V déploya une activité de co nstruction intense et variée et conféra sa forme définitive à l'ensemble de !'Alhambra; partout sur les murs de celui-ci, des versets sculptés dans la pierre proclament les louanges du souverain. Le règne de Muhammad V constitue le point d'orgue de l'art et de la culture des Nasrides : en matière de politique religieuse, Grenade fur un refuge pour l'islam malikite orthodoxe conservateur. Des écoles de rhéologie du royaume sortir un groupe
Vase de !'Alhambra, XIV'- XV' siècle, Grenade, Museo Nacional de Arte Hispanomusulman Non seulement la production d'objets artistiques de valeur enrichissait la cour du souverain, mais elle stimulait également l'intensité des échanges commerciaux de Grenade avec le royaume islamique d 'Orient et l'Afrique du Nord, en particulier les Mérinides du Maroc. Ce vase à anse créé sur le modèle des amphores classiques présente deux fines gazelles en mouvement, dorées sur fond bleu, et se faisant face dans Jn environnement de motifs végétaux et géométriques. Le ruban central circulaire représente la bénédiction musulmane « chance et prospérité ».
1232
Muhammad ibn Yussuf ibn Nasr se proclame sult2n Muhammad 1~ à Arjona
1237
Conquête de Grenade : la ville devient la capitale du royaume des Nasrides
1246
1248
1295
Offensive nasride contre la Castille
1369
1304
Les Nasrides s'emparent de Ceuta
1392-1408 Règne de Muhammad VII
1309
Une révolution de palais provoque la destitution de Muhammad Ill (1302-1309). Son frère Nasr (1309-1314) lui succède. Les Mérinides
1408-1417 Domination de Yussuf Ill
Les Nasrides se soumettent à l'autorité de Fe rdinand Ill de Castille Muhammad I apporte son soutien au roi Ferdinand Ill lors de la conquête de Séville
1278
1279
Appel du pape à la croisade contre les Nasrides
1431
Bataille de la « Higueruela » dans la Vega de Grenade : les Nasrides triomphent des troupes de Jean Il
1469
Le mariage de Ferdinand d'Aragon et d'Isabelle de Castille élabore l'unification de l'Espagne chrétienne
1470
Muhammad al-Zaghal se révolte contre Abu al-Hassan Ali à Malaga
1483
Défaite des Nasrides contre la Castille, et emprisonnement de Muhammad XII (1482, 14861492), appelé Boabdil; après sa libération, il règne à Gua dix en tant que vassal du roi catholique
1485
Les Banu Achqilula de Malaga se soumettent à la domination des Mérinides
1340
Les troupes castillanes et portugaises battent les Nasrides à Tarifa
1344
La Castille soumet Algésiras; les Nasrides passent un accord de paix décennale avec la Castille
1362
Aidé du roi de Castille, Muhammad V parvient à
Muhammad al-Zaghal prend le pouvoir sous le titre de Muhammad XIII; la Castille
reprendre Grenade
s'empare de Ronda, puis d'autres
Les Banu Achqilula cèdent Cadix aux Nasrides et battent en retraite en Afrique du Nord
Retour de Muhammad XII à Grenade
1492
Muhammad XII capitule et cède Grenade aux Rois Catholiques
1483-1485 (Mulay Hassan)
1325-1333 Règne de Muhammad IV
et 1362-1391)
Les Nasrides reconquièrent Malaga
1486
1464-1482 Souveraineté d'Abu al-Hassan Ali
1333-1391 Apogée culturel sous les règnes de Yussuf I" (1333- 1354) et Muhammad V (1354-1359
1280-1281 Alliance des Banu Achqilula, de la Castille et des Mérinides contre Grenade 1288
Sous lsmaïl I" (1314-1325), les Nasrides l'emportent sur la Castille (bataille de la Vega de Grenade)
1273-1302 Sultanat de Muhammad Il 1274-1275 Alliance entre Nasrides et Mérinides, et conquête de Tarifa et Algésiras par les Mérinides
1421
récupèrent Ceuta 1319
conquêtes s'ensuivent: Malaga, (1487),Guadix et Almerfa {1489)
Algésiras est reprise par les Nasrides
HI ST OI RE DES NAS RIDE S DE G RE NA DE
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L'historiographie accorde un rôle majeur à Ibn al-Khatib (1313-1375 ), qui entra comme secrétaire au service de YussufI" en 1340 et connut une rapide ascension. En 1359, il partagea l'exil de Muhammad V au Maroc et occupa, après le retour de celui-ci, la plus haute fonction de l'État en tant que vizir, entre 1362 et 137 1. Il fut en contact avec de grands savants de son époque, reis qu'Ibn Khaldun, et laissa plus de soixante ceuvres. À partir du règne de Muhammad III, qui écrivait des vers tout comme son vizir Ibn al-Hakim al-Rundi, la poésie fut l'objet d ' une attention route particulière. Yussuf I" s'entoura constamment de poètes et, sous Muhammad V, des cercles littéraires permanents se tinrent à la cour. Outre des h ymnes de louanges au souverain , en particulier à Muhammad V, des ceuvres satiriques et des écrits dans le style arabe cradirionnel (ta wriya) virent le jour. Quelques-uns des poètes les plus notables, comme Ibn Zamrak (1333-1393) dont les vers ornent les murs de !'Al hambra, influencèrent le style de la madrasa de Grenade. Plusieurs membres de la dynastie des Nasrides, reis que le sultan Yussuf III, se distinguèrent par certains de leurs poèmes. Une intense activité d 'échanges culturels et spirituels eut lieu avec le Maroc et l'Égypte mamelouke ; plusieurs érudits et poètes visitèrent les différentes cours, renforçant ainsi la symbiose culturelle.
La chute poli t ique Après la mort de Muhammad V, les armées de Castille envahirent à nouveau le royaume des Nas rides en avril 1394 ; elles furent cependant anéanties par le combatif sultan Muhammad VII (1392-1408) , dernier souverain nasride doté d ' une réelle puissance politique. Sous le règne de Yussuf III (1408-1417) la pression exercée par la Castille ne cessa d 'augmenter et, après 1410 , Grenade dur faire face à une alliance relative ment étroite des princes chrétiens. Après 141 7, le royaume se trouva plongé dans une crise de politique intérieure durable, un groupe d 'émirs au règne éphémère se combattant et s'expulsant tour à tour, remontant sans cesse sur le trône grâce à l'aide des chrétiens, au gré d 'alliances changeantes. Muhammad IX, qui régna en tout quatre fois entre 1419 et 1447, fut l' un d'entre eux. Les roya umes chrétiens se firent chèrement rémunérer
Filippo Baratti, La Sultane, 1872, peinture à l'huile sur toile, collection privée L'A lhambra, longtemps tombé dans l'oubli et largement en ruines, fut redécouvert au x1x's iècle à l'é poque du romantisme ; il servit alors de toile de fond à la projection des aspirations européenne à l'exotisme et au plaisir présumé des sens du monde oriental. Aucun ou vrage ne contribua davantage à cette atmo-
sphère que les récits de voyages et les histoires de !'écrivain américain Washington Irving; dans ses Contes de /'Alhambra, en 1832, il associa la tradition historique à des thèmes orientaux légendaires et romantiques, décrivant avec nostalgie le royaume mauresque de Grenade. Ses histoires constituèrent le point de référence de nombreuses pe intures historiques et illustrations de li vres.
d'éminents juristes orthodoxes, et grâce aux ouvrages d ' Ibn Battuta, qui voyageait
à travers le monde et demeura un temps à Grenade, ainsi qu'à ceux du vizir Ibn al-Khatib, la littérature y atteint également son apogée.
temps. Durant les années 1440 , l'anarchie atteignit son comble lors de la lutte de Muhammad IX pour le trô ne. Cette époque vir égaleme:1t des soulèvements de la nobl esse andalo use, ainsi que la fin sanglante de la puissante famille des Abencérages dans les murs de !'Alhambra. Dans les années 1450, plusieurs sultans de force à peu près égale , iss us de la famille régnante entre-temps fortement ramifiée , s'affro ntèrent pour le pouvo ir, et le désordre s'aggrava très rapidement. Grenade ne duc sa survie qu'au chaos intérieur qui régnait également en Castille
Les sciences connurent une impulsion toute particulière après la fondation de la madrasa de Grenade, où furent produits de très nombreux commentaires, ouvrages historiques et anthologies . Par ailleurs, sous la pression de la Reconquista,
au cours de ces années-là. Seul l'avant-dernier émir des Nasrides, Abu al-Hassan Ali, dit Mulay Hassan (1464 -1482 er 1483 -1485 ), fur capable de rétablir un certain ordre dans la confusion interne. Il remania essentiellement les affaires militaires, consolidant ainsi une dernière fois les fronti ères du royaume. Il réprima
d 'importantes écoles traditionnelles de médecine et d 'ascrologie s'établirent à
également la rébellion d e son fr ère Muhammad al-Zaghal quis' était fix é à Malaga
Grenade ; outre les commentaires d ' Hippocrate et de Galien , de nouvea ux
en 1470. Il négocia à nou veau avec les royaumes chrétiens , institua des ]égarions
compendiums sur la chirurgie et la thérapeutique y virent le jour. On renta éga-
permanentes er identifia le danger inhérent à la réunion des deux royaumes chrétiens par le biais du mariage des «Rois Catholiques » Ferdinand d'Aragon et Isabelle d e Castille, en 1469.
lement d'étudier de plus près les causes naturelles de la grande peste qui frappa Grenade à plusieurs reprises.
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pour leur soutien et ne cessèrent d 'arracher par la lutte de nouvelles concessions aux territoires affaiblis. Après une sévère défaire des troupes musulmanes en 1431, les rois chré tiens procéd èrent à d es avancées systématiques sur les terres de Grenade. En juin 1431 , Jean II de Castille parvint même à Elvira devant les murs de Grenade. Dès 1421, de Rome, le pape avait appelé la chrétienté à la croisade contre Grenade. La fin du roya ume des Nasrides n'était plus qu' une question de
ESPAGNE ET MAROC
La fin du royaume ou sultanat de Grenade devint l'un des thèmes privilégiés de la littérature romantique du XIX' siècle, en particulier dans les récits de Washington Irving, et il est difficile de faire la part des faits historiques et celle des embellissements romantiques. Les écrivains ont volontiers attribué le déclin du royaume mauresque de Grenade à l'amour de Mulay Hassan pour une chrétienne de noble lignée. Il y eue effectivement au palais une lutte de pouvoir entre la sultane Fatima et la favorite chrétienne Turaiya. En outre, Mulay Hassan avait l'intention d'écarter du trône son fils aîné au profit del' enfant de T uraiya. Ce fils, Muhammad XII, appelé «Boabdil » par les Espagnols (une déformation de son vrai nom, Abu Abdallah) ou encore el rey chico (le petit roi ), mir à profit la campagne de Mulay Hassan à Loja, en juillet 1482, pour usurper le trône avec l'aide des chrétiens et de quelques fami ll es de la noblesse arabe. Il s' ensuivie une guerre civile encre le père et le fils , qui consuma les dernières forces du royaume. Boabdil, inexpérimenté, fur capturé par les chrétiens lors de la bataille de Lucena, en avril 1483, et Mulay Hassan remonta sur le trône. Lorsqu'il mourut deux ans plus tard , son frère al-Zaghal se proclama Muhammad XIII à Almerfa. C'est alors que sonna l'heure de l'astucieux roi Ferdinand d'Aragon, sous la surveillance duquel se trouvait Boabdil, et qui ne cessait d'avancer sur le territoire de Grenade depuis 1484. En échange de concessions qui firent de lui le vassal des Rois Catholiques, et contre le paiement de sommes élevées, Boabdil fut libéré et se rendit de nouveau à Grenade en mars 1486, où il livra bataille contre son oncle. Dans l'intervalle, les chrétiens firent une avancée dans le territoire de Grenade : en 1485 , Ronda tomba encre leurs mains, puis Malaga en 1487, et Guadix en 1489 ; en décembre 14 89, al-Zaghal, vaillant guerrier, duc céder Almeria en échange de sa liberté. Une grande partie des musulmans d'Andalousie, en particulier les membres des familles nobles, partirent en exil au Maroc et en Égypte. En 1491, la ville de Grenade fut encerclée et assiégée, et Boabdil dut capituler en échange du libre retraie de ses croupes : le 2 janvier 1492, Ferdinand et Isabelle, à la tête de leur armée, pénétrèrent sans livrer bataille dans Grenade. Une ère culturelle et cou ce une époque venaient de s'achever. Le personnage tragique du dernier roi de Grenade, au service du sultan du Maroc à partir de 1527 et qui mourut au combat, inspira largement les historiens et les hommes de lettres du XIX' siècle. Si on lui attribuait autrefois coures sortes de cruautés er d'excès, on le considère à l'heure actuelle plutôt comme un souverain aux agissements maladroits et infortunés qui ne pur se défendre davantage contre ses ennemis. En outre, les Rois Catholiques révoquèrent aussitôt les accords libéraux conclus sous serment, relatifs à la liberté religieuse des musulmans et des juifs restés à Grenade, et lancèrent une vague de baptêmes forcés. Mais cout cela fait déjà partie de l' histoire de l'Espagne chrétienne.
Épée nasride, XV" siècle, Cassel, Staaliche Kunstsammlung Cette épée, fabriquée sans doute pour la cour des Nasrides, et dont la lame richement décorée montre les têtes de deux créatures fantastiques, doit avoir moins servi pour le combat que lors de cérémonies. Dès l'origine, les souverains de Grenade reconnurent la supériorité militaire de la Castille sur la péninsule ibérique et se soumirent au royaume chrétien avec lestatut de vassaux. Au milieu du XV" siècle, des
troubles internes conduisirent à la perte progressive du territoire de Grenade. Le combatif sultan Mulay Hassan et son va illant frère Muhammad al-Zaghal, souverains du royaume de Malaga, remportèrent, il est vrai,de nouvelles victoires militaires contre les chrétiens, mais le dernier sultan Boabdil fut capturé par ceux-ci en 1483 ; il n'obtint sa liberté qu'en l'échange de grandes concessions, qui menèrent quelques années plus tard, en janvier 1492, à la prise de Grenade par les Rois Catholiques.
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L'Alhambra Jesus Bermudez L6pez
Historique de la construction L'Alhambra, ville-palais de la dynastie des Nasrides de Grenade, peut être considérée comme l'un des témoignages les plus célèbres de !'arr islamique, mais surtout comme l'apogée et la dernière phase de la culture islamique du Moyen Âge sur la péninsule ibérique. Noue image de !'Alhambra s'allie à celle des édifices construits durant la prospérité du XIV' siècle, en même ~emps que les cathédrales de York, de Cologne, de Milan et de Strasbourg, l'abbaye de Westminster, le Palais des papes en Avignon, la Signorie de Florence, ainsi que les hô tels de ville de Bruges et de Prague. Pourtant, l'histoi re de l'ensemble des bâtiments de !'Alhambra issus de la période islamique remonte a u IX' siècle. C'=st vers 860 qu'est mentionnée pour la première fois l'existence d'une « (vi lle) rouge » - ou a!-harnra -, qui n'a toutefois pas été conservée jusqu'à nos jours. Les premiers édifices datés de !'Alhambra sont du XI' siècle, époque de la dynastie des Zirides sous laquelle fut construit un bâtiment précurseur de l'Alcazaba. C'est durant le premier tiers du Xlll' siècle, so us le règne des Nasrides, dernier sultanat islamique de la péninsule ibérique (1238 -1492), que la surface actuelle de !'Alhambra commença à se dessiner, avec le tracé du mur et l'emplacement de la première tour. La dynastie avait fait de Grenade, située dans le sud de l' Espagne, la capitale de son royaume L'Alhambra, vues est et nord-ouest L'Alhambra est une forteresse entourée d'un mur, dans laquelle se trouvent des palais, des habitations.des rues et des tours de tailles et de fonctions différentes. Il s'agit d'une véritable ville - unique en son genre du point de vue de sa conception, de sa chronologie et de son état
actuel. Le sultan résidait dans l'ensemble palatin, si bien que !'Alhambra fut le siège du gouvernement durant la souveraineté des Nasrides (1238-1492).
En haut: vue de l'est sur la forteresse En bas: la vi lle-palais de !'Alhambra vue de la colline de l'Albaicfn
auquel appartenait la cité palatine connue so us le nom d' « Alhambra ». Le sultanat put longtemps subsister aux côtés des souverains chrétiens, grâce à une habile politique d 'accords, de traités féodaux et d 'expéditions militaires, et s'entendit également à promouvoir son propre développement culrurel. C'est vraisemblablement lorsque commença le règne des Nasrides que démarra également la construction du Generalife, un palais d 'été à proximité de !'Alhambra qui connut de constantes
Plan de !'Alhambra N
. ·- - ······ •
.....
r. .... . 4 Puerta de la Just 1cia 5 Palais de Charles Quint 6 Palais Part al 7 Torre de la lnfant as 8 Cuarto Dorado 9 Sala del Mexua r 10 Tour d e Comarès 11 Cour des Myrtes 12 Cour des Lions 13 Salle des Deux Sœurs 14 Salle des Rois 15 Salle des Abencérages
modifications sous le règne des derniers sultans. Au début du X I V ' siècle, Muhammad III (1302-1309) contribua à la structure interne du centre-ville, la médina, avec l'édification de la mosquée, des bains adjacents , du Rauda - le cimetière des sultans - ainsi que de la Puerta del Vino (« porte du Vin ») , point de départ de la voie principale, la Calle Real. Sous Ismail I" (1314-1325), le véritable domaine palatin des Nasrides vit le jour ; dissimulé au milieu de châteaux de la seconde moitié du XJV' siècle, d'importants vestiges de ce complexe subsistent encore. Au milieu de ce même siècle, la période la plus féconde du sultanat commença sous Yussuf I" (1333-1354), qui fit ériger le Palacio de Comares (« palais de Comarès »), les portes de la ville - la Puerca de la Justicia (« porte de la Justice ») et la Puerta de los Siete Suelos («porte des Sept Étages ») - ainsi que, entre autres, l'admirable Torre de la Cautiva (« cour de la Captive ») . Lâge d'or des Nasrides fur indubitablement marqué par la seconde période du règne de Muhammad V (1362-1391) : on lui doit le palais de Riyad - également appelé Patio ou Palacio de los Leones, la « cour des Lions » ou « le palais des Lions » qui compte parmi les chefs-d'oeuvre de l'islam du point de vue architectural et ornemental. La décoration ainsi que de nombreux autres bâtiments de la cité datent de l'époque de Muhammad V; c'est donc lui qui conféra à !'Alhambra son
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besoins. Ces changements concernèrent également les palais , comme le montrent le Patio de la Reja et le Patio de Lindaraja. Le palais de Charles Quint, joyau de la Renaissance européenne, constitue la contribution majeure du XVI' siècle à ['Alhambra et contraste avec les constructions mauresques. Prévu en 1526 pour être la résidence del' empereur dans !'Alhambra, il ne fut toutefois jamais achevé. Le Convento de San Francisco (« couvent Saint-François »), la belle fontaine Charles Quint à la Puerta de la Justicia, ou encore la Puerta de las Granadas (« porte de Grenade ») constituent d'autres apports de la Renaissance. En 1576, la mosquée du vendredi fut rasée, et l'on érigea à sa place l'église Santa Maria de la Alhambra, achevée en 1617.
La cité palatine Du haut d' un plateau élevé, à un emplacement géographique favorable, !'Alhambra veillait sur la capitale du royaume située en contrebas. Faisant fonction à la fois de centre administratif et gouvernemental de Grenade, elle correspondait ainsi au
visage actuel. Le XV' siècle, au cours duquel le sultan fut davantage préoccupé par .. les avancées des armées chrétiennes que par les arts , fut une période de déclin, sans prestation notable en matière de construction et caractérisée par la seule répétition de procédés traditionnels dans la décoration architecturale. Tour d'abord, Muhammad VII (1392-1408) ajouta la Torre de las Infantas (« tour des Infantes »), adossée au mur d'enceinte de la ville. Puis Yussuf III (1408-1417) entreprit des modifications dans le Generalife et édifia son propre château, le « Panai », sur le
type même de la cité palatine, dans laquelle se trouvaient la résidence et le siège du pouvoir du sultan. Elle fut érigée conformément aux conceptions d'urbanisme de la culture islamique du Moyen Âge. Indépendamment de Grenade, de sa médina et des faubourgs, !'Alhambra fur conçue comme une ville autonome fortifiée, avec un mur d'enceinte d'environ 1 730 mètres de long, doté de quelque trente tours de tailles et de fonctions différentes. Grenade et ['Alhambra étaient deux cités qui se complétaient cout en restant indépendantes, avec pour seul point de contact direct la Puerca de las Armas (la « porte des Armes »). Cette porte, située
domaine palatin. À la fin du XV' siècle, après la conquête par les chrétiens , ceuxci renforcèrent le mur de la ville ainsi que les grandes tours par des bastions circulaires , afin d'ê tre plus à même de soutenir une attaque d 'artillerie. Les gouverneurs chrétiens procédèrent essentiellement à des remaniements sur les bâtiments d'habitation et sur la structure urbaine, les adaptant à leurs propres
à proximité de l'Albaidn - quartier situé sur la colline faisant face à !'Alhambra et de la ville basse, constitua le lien principal entre les deux. C'est par là que les sujets du roi accédaient à la cité palatine pour obtenir une audience auprès de la cour, régler les questions administratives ou acquitter leurs impôts. Au cours du temps, et en particulier à partir du dernier tiers du XV' siècle, la population de
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Puerta de la Justicia La « porte de la Justice » construite en 1348 par le su ltan Yussuf I" est le plus monumental des quatre portails extérieurs de !'Alhambra. La clef de voûte de l'arc extérieur, en forme de fer à cheval, présente une main gravée qui, tout comme la clef visible sur l'arc interne, appartient au répertoire symbolique des Nasrides en
matière de décoration de façade.Au-dessus de l'entrée, l'immense inscription de la date de sa fondation, à laquelle les Rois Catholiques ajoutèrent au xv1' siècle une sculpture de la Vierge réalisée par Roberto Ale man, a été conservée. L'espace intérieur de la porte, aux grandes différences de hauteur, est orné de voûtes richement peintes.
Grenade augmenta considérablement avec l'apport de réfugiés musulmans venus d'autres villes conquises par les troupes chrétiennes. Ainsi, de nouveaux quartiers urbains avec leurs propres murailles virent le jour et fin irent par enrourer presque entièrement !'Alhambra. Le mur d'enceinte de !'Alhambra possédait quarre grandes portes - deux au nord et deux au sud - situées à peu près à égale distance les unes des autres, et qui servaient à la défense. Parmi les portes septentrionales figure la Puerta de las Armas, sans douce l' un des premiers ouvrages érigés par les Nasrides dans !'Alhambra au X.li!' siècle. Cette porte présente l' une des particularités propres aux constructions fortifiées hispano-islamiques : le passage n'es t pas en ligne droite mais en zigzag, améliorant ainsi l'efficacité de la défense, rendant les sièges difficiles et facilitant le retranchement en cas d'attaque. Outre les proportions parfaites et l'élégance articulation de la Puerta de las Armas, il convient avant roue de souligner son portique, simple mais magnifiq ue : un arc en fer à cheval orné au sommet d' une frise d 'a rcs polylobés entrecroisés, avec des marqueteries de céramiques polychromes brillantes, est enrouré d' un cadre à angle droit (aifi.z) avec treillis. Les coussinets de l'arc sont en pierres , matériau qui , contrairement à la brique et au pisé, ne fur guère utilisé dans !'Alhambra, si ce n'est pour les portes extérieures. Dans le passage, crois baies successives présentent une voûte
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Pu ert a del Vino La « porte du Vin» fait partie des premières portes introduites dans l'enceinte de I' Alhambra. Construite entre 1303 et 1309, elle constituait l'entrée de la médina, espace urbain à l'i ntérieur de la forteresse où résidaient les domestiques de la cour et les employés de l'administration. La Puerta del
Vino remplissait une double fonction de protection, son vantail pouvant être fermé lors d'attaques d'ennemis extérieurs ainsi qu'en cas de révolte des habitants de la médina contre le sultan. En dépit de son rôle défensif, elle fait l'effet d"un pavillon officiel.
centrale symétrique et des coupoles sur les côtés. Une peinture imitant un mur de briques rouges, caractéristique du décor architectural nasride, figure sur l'enduit de cette voû te. Des niches avec des bancs pour l~s gardes sont situées sur les côtés et dans le mur arrière d u passage. Dans la partie orientale de la muraille, se trouve la Puerta del Arrabal (« porte du Faubourg ;>) , au-dessous de la Torre de los Picos (« tour des Pointes ») qui doit son nom aux restes d ' un chemin de ronde. Par la porte en pierres, on accède à une allée que le sultan et son escorte empruntaient lorsqu' ils se rendaient aux jardins d'agrément et au potager du Generalife. Sur le flanc méditerranéen du mur d 'enceinte, à l'est, se trouve la Puerta de los Siete Suelos, vraisemblablement construite au milieu du XIV' siècle. Elle est située à proximité de la médina de ]'Alhambra et, d'après des chroniques, c'est devant elle que les tournois se tenaient et que les troupes étaient passées en revue; cette porte revêtait donc un caractère d'apparat. Lors du retrait de l'armée napoléonienne en 1812, elle fut presque entièrement détruire, mais sa représe ntation su r d'anciennes gravures rendit possible une reconstruction assez fidèle. La dernière porte extérieure de ]'Alhambra est la grandiose Puerta de la Justicia, datée de 1348 selon l'inscription relati ve à so n édification, figurant sur l'arc de !'encrée. La clef ciselée sur la clef de voûte est un symbole iconographique fréquent sur les portes nasrides, roue comme la main sculptée sur le grand et
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majestueux arc extérieur encadra11t l'accès à la forteresse. À l' i11térieur, le chemin escarpé suit un tracé brisé à plusieurs reprises et les baies renferme11t les inévitables bancs de la garde. La peinture des arcs va riés imite, là encore, la régularité d' un mur de briques rouges. À l' i11térieur du mu r d'encei11te, !'Alhambra s'étend sur une superficie de presque 105 000 m ètres carrés. Elle est située à environ 700 mètres au-dessus du niveau de la m er, sur un aff1ue11t de la sierra Nevada du nom de « Sabika » qui coule dans la plaine ferti le de la Vega ; là, l'agriculture et l'élevage constituaient au Moyen Âge, et dans une certaine mesure aujourd' hui encore, d'importa11ts so utiens à l'économie de la ville. L'architecte ne modela pas le terrain au gré de sa volo11té, bien au co11traire : les bâtime11ts de la ville fure11t érigés sans grands travaux de ni velleme11t, s'adapta11t aux différences de hauteur et aux irrégularités du sol, voire les utilisa11t habilement. La ville-palais se com posait de trois secteurs qui, bien que protégés par un mur d'encei11te commun, possédaie11t des fo nctions différe11tes : une zone de casernes, réservée aux troupes d'élite qui avaie11t pour fonction la surveillance consta11te de l'ensemble de la place, prêtes à i11tervenir à tout moment et en to ut lieu, rapideme11t et efficaceme11t; un domaine palatin , résidence du sultan et de sa famille proche , dans laquelle se déroulait la vie quotidienne de la cour ; enfin une m édina, petite ville pour le personnel de la cour et de l'administration , ainsi que pour les artisans deva11t sa tisfaire les besoins immédiats du sultan . Ces troi s quartiers citadins étaiem reli és emre eux par un système complexe de voies et de portes, mais pouvaie11t égalemem être isolés les uns des au tres lorsque la sécuri té du souverain l'exigeait. Ces vo ies et ces portes se voyaie11t donc attribuer une fonction ambivale11te : dans des ci rconstances ordinaires , elles permettaie11t le passage d' un quartier à l'autre ; en cas de siège ou de soulèvements, les ouvertures étaiem fermées et les ru es alors transform ées en secteurs hermétiquement verrouillés et difficilement accessibles. Contrairement aux portes extérieures,
celles-ci prése11te11t un passage en ligne droite et se fermaie11t de l'i11térieur à l'aide de grands battants de bois. Le meilleur exemple de ce type de construction est celui de la Puerta del Vino, par laquelle on pénètre dans la médina en arriva11t del' extérieur. Elle fut édifiée au début du XIV' siècle et ses façades décorées à différentes époques. Celle de l'ouest fut réalisée en grès, et une clef symbolique, caractéristique des portails, orne le sommet de l'arc. Le décor de la porte à l'est - carreaux cuerda seca encadra11t un arc, et dalles de stuc de part et d'autre de la fenêtre à l' étage supérieur - remonte à la seconde moitié du XIV' siècle.
L' Alcazaba Face à la Puerta del Vino, des tours et des murs majestueux encerclent l' un des trois domaines de !'Alhambra: la citadelle ou Alcazaba. Elle ressemble à une véritable petite ville à l'intérieur de la cité palatine, dotée de possibilités de cantonnement pour un petit contingent de so ldats d'élite. La garde permanente du complexe palatin y vivait, et c'est de là que partaient les se11tinelles pour assurer leur service sur les chemins de ronde du mur d'enceinte ainsi qu'aux portes i11térieures . Comme toute installation militaire, l'Alcazaba fut érigée à un emplacement propice sur le plan stratégique, à partir duquel il était possible d'observer
L'Alcazaba La terrasse de la Torre de la Vela offre une belle vue sur l'espace intérieur de l'Alcazaba. Aujourd 'hui encore, les vestiges des soubassements permettent d'imaginer le petit quartier dans lequel se trouvaient le s habitations et les casernes des soldats de garde. En fonc t ion de leur taille, les ma iso ns à deu x étages
disposaient de une à trois pièces à chaque niveau. Pa rmi les édifices publics figuraient un bain de vapeur, une citerne ainsi qu'une cuisine commune. En outre, on trouvait des cachots, obligatoires dans une circonscription militaire - chambres souterraines, dans lesquelles on n'accédait que par de s échelles ou des palans.
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et de contrôler la ville basse et ses environs . Elle se si rue en effet au sommer d' une grande saillie de la colline de !'Alhambra. Une longue rue étroite divise l'intérieur de l'Alcazaba en deux zones . Au nord, des vestiges de murs disposés irrégulièrement et des revêtements de sol en briques permettent d'identifier dix habitations de tailles différentes, mais toutes de conception semblable ; il s'agir ici des quarciers du corps de garde. Ils correspondent au tracé caractéristique des maisons hispano-mauresques qui se distingue par une zone d'accès en ligne plusieurs fois brisée, à la manière d' une fortification, zone protégeant la vie privée des habitants des regards indiscrets, ainsi que par un petit patio au centre duquel se trouve toujours un point d'eau. Il peut s'agir de la petite vasque d ' une fontaine, d' un bassin en pierres ou encore d' un bac de taille réduite creusé dans le sol et nommé « alberca ». En fonction des dimensions de la maison , une à trois pièces s'ouvrent au niveau du sol sur le patio , duquel part un étroit escalier conduisant à l'étage supérieur. Chaque maison dispose de ses propres toilettes avec chasse d'eau , dissimulées dans un angle. L'entrée des maisons est orientée soit directement sur la rue, soit sur des ruelles secondaires ou encore des passages. Au sud de la rue principale, la présence de murs permet de conclure à d'anciennes maisons présentant les m êmes caractéristiques, mais de dimension semblable et disposées plus régulièrement ; l'entrepôt et vraisemblablement les logis des jeunes soldats de la garde devaient s'y trouver. D'autres bâtiments complétaient l'espace urbain de l'Alcazaba: un bain de vapeur, élément immuable des villes hispano-mauresques , une citerne pour garantir l'approvis ionnement en eau et une cuisine communautaire afin de cuire les plats préparés chez soi. Bien entendu, la zone militaire comportait également des cachots, les mazmorras, de triste réputation à l'époque chrétienne. Après avoir travaillé toute la journée dans les ateliers ou aux champs, la nuit, les prisonniers étaient descendus à l'aide
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La gran de salle d'au dience El Mechuar Cette pièce connut plusieurs modifications au cours du temps et fut sans doute la première salle du trône du palais du sultan lsmaïl I" . Après l'agrandissement des palais à partir du deuxième tiers du XIII" siècle, elle devint une
salle de réception et de réunion de la cour des Nasrides. C'est moins la dimension de la salle que son riche décor de stuc et de carrelages qui la prédestina à cette fonction d'apparat. Après la conquête chrétienne, une chapelle y fut érigée.
de cordes dans des salles souterraines voûtées, dont la coupe transve rsale présente une forme de cloche . À l'intérieur, ces salles sont généralement subdivisées par des murs de briques formant de minuscules cellules disposées en rayo ns. Les caves pouvaient aussi être utilisées comme silos, c'est-à-dire comme entrepôts pour les céréales, les épices ou les outils. Au cours des dernières années du règne des Nasrides notamment, les cachots revêtirent une importance primordiale; les prisonniers avaient une valeur d'échange considérable durant la guerre de dix ans avec la Castille, surcout s'ils faisaient partie des chefs de l'armée chrétienne ou même des familles royales. Dans les geôles de l'Alcazaba, pour ainsi dire sous les pieds des troupes d'élire, furent vraisemblablement placés les détenus les plus importants. L'Alhambra est dominée par un grand ouvrage de plan carré visible de loin : la Torre de la Vela (« tour du guet ») . Un silo est creusé sous le rez-dechaussée surmonté de quatre étages ; la montée qui les relie ne date pas de l'époque des Nasrides, mais a été rebâtie ultérieurement. L'impressionnant toit en terrasse de la tour, à l'origine doté de créneaux, offre peut-être la plus belle vue sur la ville de Grenade. C'est là que se trouve, dans un mur, la célèbre cloche dont le tocsin rythma la vie de la ville et de ses environs des siècles durant, après la conquête chrétienne . Elle sonnait à certaines heures précises , de jour comme
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de nuit, ainsi qu'aux dates de commémorations importantes, comme le « jour de la conquête » rappelant la cession de la ville aux troupes chrétiennes le 2 janvier 1492. Mais la principale tour de ['Alhambra est la Torre del Homenaje (« tour du serment de fidélité »), qui compte vraisemblablement parmi les premiers bâtiments édifiés par les a rides au XIII ' siècle. C'est là que se cantonnait le commandement - que l'on appellerait aujourd'hui l'état-major - en charge de régler et de contrôler le système de défense du haut de l'endroit le plus élevé de !'Alhambra. Les cinq étages de la tour présentent des voûtes variées. Elle abrite également un silo dans son sous-sol et est surmontée d ' une terrasse dorée d ' une petite estrade. De là, on pouvait échanger des signaux optiques avec les forts et les tours de garde qui occupaient des positions stratégiques sur les montagnes entourant Grenade.
Les palais des souverains L'Alhambra doit avant tout sa renommée au palais de Camarès et au palais des Lions datant du XIV' siècle, appelés tous deux « Casa Real Vieja » (ancien palais royal) depuis le XVI' siècle, ce nom permettant de les différencier du grand palais Charles-Quint de style Renaissance, la Casa Real ueva (nouveau palais royal), alors en construction. Les souverains chrétiens se réservaient les palais nasrides
Sur le plan architectural, dans l'ensemble des habitations de la culture hispanomauresque - palais compris -, la sobriété de l'aspect extérieur contraste avec le patio , autour duquel les pièces sont disposées : à peine y pénètre+on que tous les sens sont charmés par un floc de lumière, de couleurs , de parfums et de rêveries.
du Moyen Âge comme résidence privée, pour profiter de leur splendide décor et - comme ils l'écrivirent dans leur testament - « pour que ces palais puissent
Un tel foisonnement trouve vraisemblab lement ses origines dans la khaima , tente des nomades du désert, point de départ de la civilisation arabe. C'est là, sur un
rester éternellement dans les mémoires ». Bien que ces édifices aient été partiellement modifiés, négligés, pillés et livrés aux intempéries au cours des siècles, l'essentiel de leur scrucrnre et de leurs décors ont écé conservés jusqu'à ce jour.
espace restreint autour d' un cercle central laissé vide, que se réunissaient les habicancs. Des cences se dressaienc tout autour de la principale, sans ordre particulier, formanc ainsi un camp. Dans une certaine mesure, c'est sur ce même principe que sonc structurés les quartiers ainsi que les palais de ['Alhambra : on ajoutait ou superposait des bâtimencs aussi longtemps que la place à l'intérieur des murs le permettait. Le caractère administratif des palais apparaît dans leur agencemenc, d'abord selon l'articulation des cours qui suivait un ordre hiérarchique. Le cercle des personnes admises diminuait de cour en cour avant d'arriver à la Sala del Mechuar dans laquelle le conseil du vizir prenait les décisions importantes concernant le royaume ; cette pièce fur vraisemblablement la première salle du trône de !'Alhambra au début du XIV' siècle. À la suite de la conquête chrétienne, elle fuc utilisée comme chapelle. Objet de différents programmes de décoration lui conféranc puissance et solennité, elle inspirait sans aucun doute le respect à cous ceux qui y pénétraient. Derrière ce domaine réservé aux fonctionnaires, l'imposante façade du palais de Camarès trace une frontière entre le secteur administratif à demi public et la zone d ' habitat privé, frontière qui fut toutefois le plus souvent mobile. Réalisée en 1370, cette façade rassemble l'ornementation caractéristique des Nasrides de Grenade dans toute sa splendeur : motifs géométriques, lignes d' écri cure et éléments décoratifs (ataurique) - ciselés dans des dalles de sruc la divisent selon des proportions harmonieuses. Elle est couronnée d' un avantmie en saillie, chef-d'œuvre de l'art des charpentiers. Avec cet ouvrage,
Fa çad e principale du palais de Comarès En 1370, Muhammad V ordonna la réa lisation de la façade du palais de Camarès or ientée vers le Cuarto Dorado. La porte de droite permettait d'accéder aux appartements privés du palais, celle de gauche conduisant aux salles officielles du complexe. L'inscription figurant au -dessus (« Ma porte est une bifurcation ») résume cette disposition. L'avant-toit, autrefois
multicolore, véritable morceau de choix de la sculpture islamique, mérite tout particulièrement d'être mentionnée. Les carreaux de céramique de couleur (en haut), décorant également d'autres cours et salles.constituent un motif récurrent. C'est devant cet arrièreplan impressionnant que le sultan du XIV' siècle accordait les audiences à ses sujets.
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La cour des Myrtes du pala is de Camarès De par l'orientation de toutes !es pièces principales vers une cour intérieure somptueuse, le palais de Camarès érigé sous Yussuf I" correspond au plan architectural typique des Nasrides. Les appartements du palais sont situés sur les
grands côtés de la cou r des Myrtes, ta nd is que sur ses deux façades un po rtai l cond uit au x salles publiques destinées aux réception s et à l'administration. Au fond s'élève la Torre de Camares, tour la plus haute de !'Alhambra, dans laquelle se trou ve la salle du t rône.
Détail de l'arc central du portique situé sur le côté septentrional de la cour des Myrtes Derrière l'ogive richement ornée du portique apparaît un bel arc à muqarnas précédant l'accès à la salle du trône.Tous les ornements,à l'ori-
gine polychromes, sont sculptés dans du stuc. Les arcs font uniquement fonction de décoration et non de supports.
• l'évolution du décor architectural atteignit son apogée . Si les couleurs lumineuses
L'encadrement sud de la cour des Myrtes Le portique situé sur le côté sud du patio est surélevé de deux étages,généralement désigné comme étant le harem. L'étage supérieur est doté d'une galerie ouverte donnant sur la cour,
dont la percée centra le présente un arc aplati au lieu du traditionnel arc en plein cintre. Les myrtes, qui ont donné leur nom à la cour, encadrent le bassin.
Les appartements les plus élégants, situés pour l'essentiel au nord , reçoivent la lumière du sud. Ils s'ouvrent également par endroits sur l'horizon septentrio-
one presque entièrement disparu aujo urd' hui , son caractère maj es tueux esc encore bien visible. C'est devant cette façade royale, qui témoignait de sa légitimité, que le sultan s'aiseya ic, co mm e devant un baldaquin imaginaire , pour rendre la justice à ses sujets. Derrière ce fasce se dissimule d'abord un sombre corridor sinueux, que l'on emprunte pour se retrouver, ébloui , devant l'aile
nal, constituant une saillie dans le mur de la ville mais p rotégés cependant par un ve rsant escarpé. Toutefois, dans l'ensemble, l'aspiration à la solitude et à l'intimité mène à l'ouverture des pièces non pas sur les murs extérieurs mais sur le patio. Là, un portique conduit aux pièces les plus prestigieuses, presque toujours situées sur
latérale du patio connu sous le nom de cour des Myrtes. Son centre est formé par un bassin très allongé qui s'intègre dans l'archicecrure car sa paisible surface reflète les bâtiments alentour, créant ainsi une impression d ' immensité. I..:eau jaillir par deux jets situés sur les petits côtés et s'écoule dans les angles par des déversoirs de dimension réduite. Le fonctionnement de ce circuit est calculé de manière à créer une surface d'eau lisse comme un miroir, que les poètes arabes appelaient « la mer » . À l'emplacement actuel des haies de myrtes, une partie de l'eau éta ie autrefois diri gée vers les parterres de fleurs alors plantées le long des
les petits côtés. En général, un socle doté d'un magnifique décor de carreaux (alicatado) orne les murs. I..:eau, le jardin, la lumière et la voûte du ciel sont intégrés dans le patio , ce que l'on peut interpréter comme une inversion du principe de la rente nomade, qui excluait le monde extérieur - une amb ivalence toujours présence dans l'ancienne civilisation du Croissant. Cela vaut aussi bien pour les maisons modestes, parfois même minuscules, des Moriscos - ou Maures, baptisés sous la contra inte à partir de 1500 -, et conservées auj ourd 'hui encore sur l'Albaidn, que pour
grands côtés du bassin, servant ainsi pour l'irrigation - un superbe exemple de circuit hydraulique complexe. Cette disposition de la cour est représentative de l'architecture des Nasrides, dans laquelle les bâtiments éraient toujours disposés autour d' une cour intérieure avec une sou rce d'eau centrale, qui déterminait les proportions du plan et de l'élévation de l'édifice .
sept grands arcs, one gardé deux autres éléments ornementaux prépondérants de l'archiceccure des Nasrides : des piliers en marbre élancés avec de délicats chapiteaux à muqarnas et, au-dess us des arcs, de somptueux panneaux de stuc ajourés , dans lesquels sont sculptés des rhombes, nommés « ornement sebka » . Les
les palais roya ux de !'Alhambra. Les portiques du palais de Camarès, avec leurs
L'ALHAMBRA
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Niche sur le côté nord de la cour des Myrtes De part et d'autre des ga leries à portiques, sur les petits côtés du patio, se trouvent des pièces de dimensions réduites nommées a/bamies. On y retrouve l'ensemble de la gamme de l'art décoratif nasride : des carreaux de céramique
ornementaux au niveau du socle sont re liés à des voû t es à muqarnas et à des stucs polychromes réalisés avec beaucoup d'art, garnis de bandeaux présenta nt des épigraphes.
Le pla fo nd de la Sala de la Barca, dans le palais de Camarès Le nom de cette pièce, qui était la chambre du sultan, est dérivé de l'arabe baraka, c'est-à-dire « chance » et «bé nédiction ». Le magnifiq ue plafond en bois présente des bandeaux déco-
ratifs et d'artistiques ro ues en étoile. À la sui te d'un incendie en 1890, il dut partiellement être restauré. Au-dessus de socles carrelés, les surfaces mu rales sont riche ment ornées de scu lpt ures en st uc, et laissent de la place pour des tap isseries et des tentures murales.
Détail d'une inscription Outre différents éléments décoratifs, toutes les salles du palais présentent de nombreuses ornementations avec éi:igraphes, dont le contenu renferme essentiellem2nt des poèmes ou qasidas se rapportant au lieu ou au sultan ayant fait ériger le bâtiment. D'autres inscriptions contiennent des louanges et des glorifications d'Allah , ou encore des citations du Coran.
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ESPAGNE ET MAROC
Bario de Comares Au palais de Camarès est rat:ac hé, au niveau inférieu r, l'un des rares bains de vapeur du Moyen Âge encore conservés. La photo montre l'un des deux bassins du bain de va peur, qui correspond au caldarium des thermes clas-
siques. Bien que cette installation du x1v' siècle, très imposante sur le pla n structurel, ait subit de nombreuses transformat ions, les principaux éléments décoratifs ont été conservés.
Salle de repos du Bario de Camares La Sala de las Camas, ou salle des Lits, est l'espace principal des bains. Son nom dérive de ses deux alcôves quelque peu surélevées situées l'une à côté de l'autre, derrière les arcs géminés. L'espace latéral sans fenêtre était
éclairé par le haut au moyen d'une lanterne, autour de laquelle sont disposées les pièces de l'étage supérieur. L'ensemble fut repeint à la fin du x1x• siècle.
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f piliers et les panneaux sont ici purement décoratifs et n' ont aucune fonction de
religieux d ' une petite salle de prière dotée d ' une niche (mihrab), orientée vers La
soutien.
Mecque. D 'autres pièces de prière encore conservées aujourd'hui sont un peu plus
Dans la culture hispano-mauresque, les pièces n'avaient pas d ' usage fixe: ainsi,
grandes, comme celle située dans la salle el Mexuar, par exemple ; là, les arcades
elles pouvaient faire office de lieu de vie pendant la journée et d ' appartement pour
ouvertes au nord offrent une perspective sur le paysage, comme si on avait voulu
dormir durant la nuit (alcôves) ; c'es t le cas de la Sala de la Barca, pièce dans
donner aux fidèles assis sur le sol la possibilité de réfléchir sur la splendeur de la
laquelle le sultan vivait et dormait tout à la fois. Au-dessus des carreaux et des dalles
création durant la lecture du Coran. Une troisième petite salle de prière réservée
de stuc, des tentures et des draperies murales vraisemblablement coûteuses déco-
au sultan se trouve, dans les jardins du Panai , dans un bâtiment séparé, ressem-
raient les murs , s' écendam jusqu'à la voûte en bois artistiquement travaillé, et donc
blant à un pavillon.
les motifs d'étoiles étaient autrefois dorés. Là, rien ne manquait au sulcan : pour les nécessités de l'hygiène, il disposait de toilettes avec eau courante, installées dans
La pièce principale de ce palais, qui semble réunir toutes les conceptions de base de l'art nasride et de l'architecture du milieu du XIV' siècle, est la salle de
une pièce adjacence décorée de superbes peintures murales, et pour les devoirs
Camarès, également appelée « salle du Trône
L' ALHAMBRA
».
Elle fait l'effet d ' un cube imposant
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qui occupe l'ensemble de l'espace intérieur de la plus grande cour de !'Alhambra. Ses majestueux murs extérieurs - à l'exceptio n de celui de l'entrée - présentent trois petites alcôves, dont deux sont similaires. I..:alcôve réservée au sultan, en face de l'entrée, est unique en son genre er surpasse les autres par son aménagement. Toutes ses surfaces murales sont recouvertes de décorations: le socle présente une remarquable garniture a!icatado, avec différents motifs géom étriques ; en outre, un décor sculpté sur dalles de stuc s'échelonne sur des panneaux verticaux et horizontaux. Lensemble repose sur une organisation géométrique, dans le cadre de laquelle se développent des motifs végétaux (atauriques) et des variances d'écritures ornementales arrondies (naskhi) er droites (kuji) Il faut observer avec une attention route particulière pour percevoir la diversité des coloris et des détails subtils que présentaient autrefois les ouvrages en stuc, et dont on ne distingue aujourd'hui plus que de doux cons pastel. Quoi qu'il en soit, le point d'orgue du déco r de la pièce es r la charpente, véritable chef-d'œuvre d'art islamique. Sur des poutres non porteuses, qui s'appuient sur les murs, sont cloués d'innombrables petits panneaux de bois polygo naux dont la forme va~ie en fonction du galbe de la voûte, ce qui constitue un déco r étoilé. Ce dernier remplir successiveme nt la surface des combles, brisée à trois reprises, qui se termine par une petite coupole à muqarnas. Cerre charpente sert de base à la représentation cosmique et eschatologique (fin des temps) des huit cieux du paradis musulman. C'est là q ù'a pparaissair le sultan dans route sa puissance, ici-bas et symboliquement dans l'au-delà, auréo lé comme dans aucune autre pièce du palais d' une légitimité et d'une solenn ité rayonnantes. Des tunnels destinés à la garde courent so us les principales pièces des palais. Ils dessinent des m éandres de passages, corridors et escaliers tortueux sur plusieurs érages, invis ibles depuis les élégants apparte m ents, et parties intégrantes de la vie des palais. Dans l' un de ces systèmes de co uloirs, à l'endroit où les deux grands palais de !'Alham bra rejoignent le mur septen trional de la ville, se trouve un bain de vapeur, élément indissociable de la vie sociale isl amique . Parmi les bains de la cité palatine, celui de Camarès a été le mieux préservé, ap rès avo ir subi lui aussi des modifications structurelles au cours des années. Si les bains arabes étaient généralement inconnus des chrétiens, et que leur usage leur fur même interdit au XVI' siècle quand ils les déco uvrirent, les install atio ns furent conservées en tant qu'élément exotique ou témoignage d' un mode de vie raffiné. I..:accès au bain princier se fa isai t par le patio central du palais, la co ur des Myrtes. Une salle d' hab illage et des toilettes éraient disposées juste à côté du porti que nord. Par un étroit escalier, on accédait à l'étage inférieur, où se trouvait la plus belle salle, la sala de las Camas (« salle des Lits ») . Cet espace ouvert sur les bains doit son nom aux deux alcôves quelque peu rehaussées, situées derrière des arcs géminés. La lumière et l'air parvenaient da r.s la pièce par le haut, via une lantern e (dôme vitré) caractéristique de l'a rchitecture nasride, a utour de laquelle des pièces uriliraires s'o uvraient sur une galerie. La plus grande parti e du décor - fontaines , murs , revêtement du sol, piliers , carrelages et stuc - est d'o rigine. Toutefois , les dalles de stuc furent restaurées er peintes de coule urs lumineuses lors de travaux de rénovation dans la seconde moitié du XIX' siècle.
La salle du trône du palais de Camarès Éga lement co nnue sous le nom de Sa lon de Cama rès ou sal le des Ambassa deurs, la sa lle du trône constitue la pièce sans doute la plus impressionnante de !'Alhambra, car son intérieur présente tout l'éventail de l'art décoratif et architectural des Nasrides. Ell e se trouve dans la plus grande tour de l'ensemble de !'Alh ambra.
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Ses murs sont recouverts de riches sculptures de stuc, autrefois peintes en couleurs lumineuses. De nombreux détails ressemblent à de vérita ble s miniatures. La partie inférieure des murs présente, comme à l'habitude, un revêtement carrelé de style mauresque, ici particulièrement précieux.
À côté de la salle de repos, se trouve le bain de vapeur proprement dir, dont la voûte présente des ouvertures coniques en forme d'étoile. Des panneaux de verre mobiles pouvaient être ouverts et fe rmés de l'extérieur par les domestiques, afin de réguler la quanti té de vapeur à l'intérieur. Il s'agir de la pièce la plus grande et la plus chaude, avec une surface centrale presque carrée et deu x côtés qui s'ouvrent sur la galerie. So us le sol en marbre et dans les murs courent des tuyaux de routes railles po ur co nduire l'air chaud et la vapeur provenant des cha udières et maintenir la rempérarure et l'humidité de l'air nécessaires. La dernière chambre dorée de deux bassins , qu'on pouvait alimenter en eau chaude ou froide, se trouve au-dessus de l' hypocauste des bains. Au XVI ' siècle, lors de
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Voûte de la salle du trône La voûte de la salle du trône, somptueusement travaillée, se compose de petites pièces de bois marquetées de formes géométriques, autrefois peintes de couleurs lumineuses. Disposées de manière ascendante, elles forment plusieurs niveaux qui renvoient aux sept cieux de l'islam, au-dessus desquels le hu itième, le siège d'Allah, forme une voûte.
À droite: niche de la salle du trône Les épais murs de la tour de Comarès comportent neuf niches, similaires deux par deux. La niche faisant face à l'entrée est unique : réservée au sultan, elle présente une décoration particulièrement somptueuse.
À gauche: arc de la salle du trône Dans l'entrée des différents appartements figurent de petites niches (taqas) oû étaient rangés autrefois des récipients.
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travaux de rénovation, on intervint sur le socle carrelé de ces pièces, comme l'atteste la devise impériale abrégée (Plus ultra) figurant sur quelques carreaux de faïence.
portent la vasque et soulignent par leur diversité et aussi par l'opposition de leur symbolique du pouvoir, du courage, de la force et de la justice, une dualité iconographique dont les ouvrages précurseurs remontent à !'Antiquité . Dans l'art isla-
Adossé au palais de Camarès, le palais des Lions fut construit comme un édi-
mique, les arrivées d 'eau des fontaines, bassins, aquamaniles et autres, prennent
fice indépendant, avec sa propre entrée; ce n'est qu'à l'époque chrétienne que tous deux furent directement reliés. Dans cet ouvrage, la géométrie et les proportions propres à l'architecture nasride ainsi que les ornementations de la seconde moitié du XIV' siècle atteignent leur point culminant. Ici, le plan d 'eau central a été remplacé par une fontaine de marbre située à l'intersection de deux conduites d 'eau. Douze vers ciselés dans les angles externes célèbrent son mode de fonctionnement
souvent la forme d 'animaux associant la représentation de ces deux composantes de base que sont les animaux et l'eau. Les appartements so nt ordonnés autour du patio bordé de la célèbre forêt de colonnes, dont les arcades précédant les appartements font l'effet d ' un portique circulaire. Sur les petits côtés de la cour, deux charmants pavillons de plan carré semblent mettre en vale ur les suites princières situées derrière.
par de poétiques métaphores . Ce sont quelques-uns des plus beaux poèmes inté-
Sur le côté occidental, à proximité immédiate del' entrée d 'origine du palais,
grés au décor de !'Alhambra. Six lions alternant avec six lionnes, tous différents ,
l'un de ces appartements, la Sala de los Mocarabes (« Salle des muqarnas ») , joue le rôle d 'antichamb re. Cette pièce rectangulaire dotée de trois grands arcs à muqarnas s'ouvre sur la cour. Elle doit son nom à sa voûte à muqarnas : celle-ci, probablement l' une des plus belles de toute !'Alhambra, fut sévèrement endommagée en 1590 par l'explosion d ' une poudrière voisine, puis remplacée par une autre en stuc réalisée en 1614. De celle d'origine, il ne reste plus qu' une partie des naissances sur le mur arrière, comportant des traces de peintures. Le décor mural qui comprenait probablement un socle recouvert du traditionnel alicatado, des tapisseries murales, ou encore du stuc sur sa partie supérieure , a également disparu. La sala de los Reyes(,, la salle des Rois ») , à l'est de la cour, joue un rôle tout particulier: par sa structure, cette pièce à l' utilisation indéterminée, dotée de cinq alcôves latérales, et non pas neuf, rappelle la salle du trône du palais de Comarès, de plan rectangulaire et non carré. Ici aussi, on retrouve des alcôves au nombre de cinq, donc - agencées autour d ' une salle polyvalente. ~accent est mis sur l'alcôve située dans l'axe central, et dont la coupole a donné son nom à la pièce : elle est décorée de dix personnes bavardant, dont on pensait autrefois qu'il s'agissait des principaux rois - les sultans - de la dynastie des Nasrides; cette théorie a été rejetée depuis. Les deux coupoles extérieures qui montrent des scènes courtoises sont très intéressantes du point de vue iconographique et conceptuel : la représentation d 'êtres vivants à l'intérieur du monde islamique a connu des interprétations très variées, même s'il faut considérer ici qu'il s'agit d' un travail commandé à des artistes chrétiens - probablement des Génois. Les caractéristiques et la technique du décor de cette coupole sont uniques dans un palais islamique du Moyen Âge. Sur un fond de plusieurs couches de plâtre, sur lesquelles était gravé le dessin préparatoire, on exécutait les peintures a tempera puis on les ve rni ssait avec de la cire. Des peaux de mouton tannées tendues sur les poutres d e la charpente, et dont les coutures éraient fixées par de petites pointes en bambou , constituaient le support. Deux habitations indépendantes, sur les flancs nord et sud, toutes deux autour d ' une salle carrée, viennent compléter l'aspect du palais : la sala de las Dos Hermanas (« salle des Deux Sœurs ») et la salle des Abencérages. Ici , les dimensions sont réduites et le décor plus chargé, sans pour autant s'écarter du schéma général qui cependant prend des formes plus intimes. Ces deux salles présentent les plus bell es coupoles à muqarnas du monde islamique. Sur la base d' un modèle géométrique partant d ' un motif en étoile au centre de la coupole, des prismes enchâssés en stuc coloré ont été assemblés pour former des cercles concentriques.
Palacio de los Leones Le palais des Lions - seul édifice palatin de !'Alhambra du XIV' siècle encore conservé aujo urd'hui, hormis le palais de Camarès - est constitué d'un ensemble d'habitations privées indépendantes les unes des autres, groupées au tour d'un patio. La célèbre cour des Lions
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est bordée de tous côtés d'une galerie à colonnade, derrière laquelle se trouvent les différents appartements. Quatre canaux alimentés par une fontaine au centre de la cour divisent en croix - par allusion aux points cardinaux - la totalité de la surface de la cour.
Ces salles so nt situées un peu plus haut que le patio sur lequel elles s'o uvrent par de grands arcs en plein cintre exactement dans l'axe de la croix. Elles peuvent être ferm ées par des portes de bois au décor géométrique composé de petits panneaux richement sculptés. À l'étage, des pièces construites comme de petits pavillons surplombent les toits. Du côté du jardin, la salle des Deux Sœurs est précédée de l'imposant mirador de Lindaraja, élégant espace dans lequel se trouve le plus délicat décor architectural du palais : des petits socles en alicatado, une fenêtre géminée encadrée d' une ornementa tion en stuc, ainsi qu' un plafond unique en son genre, constitué d ' un treillis de bois incrusté de verre coloré.
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La fonta ine de la cour des Lions Dès le XIV' siècle, un système hydraulique complexe veillait au maintien d'une pression de l'eau suffisante et d'un niveau constant dans la fontaine. Les douze lions, de la gueule
desquels s'écoule l'eau, symbolisent les douze signes du zodiaque, et par là même la totalité du temps, l'éternité. Des vers du vizir et poète Ibn Zamrak décorent les douze côtés de la fontaine .
Les pavillons à portique de la cour des Lions La conception géométrique de l'architecture de la cour des Lions est avant tout soulignée par les deux pavillons de plan carré qui occu pent l'intérieur de la cour, à l'est et à l'ouest. Une des caractéristiques architecturales de !' Alhambra concerne les matériaux utilisés: co mme la plupart des piliers et des arcs ne sont
pas porteurs mais ont une fonction purement décorative, ils sont confectionnés en pierres tendre et en plâtre. La virtuosité de la di sposition des sa illi es et des retraits, le traitement des surfaces extérieures, ainsi que l'échelonnement d'arcs à muqarna s richement ornés, dans un jeu d'ombre et de lumière, constituent l'esthétique si particulière de !'Alhambra.
Chapiteau de colonne dans la cour des Lions Les colonnes de marbre élancées dans la galerie entourant la cour sont particulièrement impressionnantes. li convient ici de remarquer avant tout les chapiteaux similaires de forme cubique, dont des inscriptions louant le fondateur, le sultan Muhammad V, décorent le tailloir.
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La salle des Rois La Sala de los Reyes est une longue salle divisée en différents espaces par des arcs à muqarnas successifs. Les alcôves qui s'ouvrent sur le mur arrière offrent une vue dégagée sur la cour. Les voûtes des trois alcôves donnant sur la Sala de los Reyes comptent parmi les principales richesses ornementa les de I' Alhambra .
Elle s sont garnies de peintures réalisées en miniature sur des peaux de moutons tannées, fixées sur le plafond. Parmi ces peintures représentant des scènes de la vie à la cour, celle du centre, montrant une réunion de nobles dans le style de l'époque, est particulièrement impressionnante.
La salle des Deux Sœurs Di fférents appartements indépendants se tro uvent à l'intérieur du palais des Lions. Parmi eux, la Sal a de Dos Hermanas, la salle des Deux Sœurs, q ui s'ouvre sur la cour des Lions, est particu lièrement remarquable sur les plans architectural et décoratif. L'élément le plus étonnant est peut-être la superbe coupole à
muqarnas qui recouvre l'ensemble de la partie centrale de la salle. Réalisée en stuc, elle est ornée d'un motif central en étoile se développant sur plusieurs étages, par le biais d 'une superposit ion de différents prismes aux couleurs variées. La salle doit son nom aux deux grandes dal les de marbre - les sœurs - situées au centre, à côté de la fontaine.
Revêtem ent de la voûte dans la galerie du Portique du palais Parta l L'architecture palatine de !'Alhambra se distingue par ses ga leries de portiques délimitées par la cour à ciel ouvert et les principales habi-
tations couvertes. Des éléments en bois, agencés suivant un motif géométrique, décorent habituellement l'intérieur des galeries comme le montre par exemple le péristyle du Palacio del Parlai.
Les bâtiments palatins de !'Alhambra ne s'o uvrent que de temps à autre sur l'extérieur, c'es t-à-dire sur la ville située en co ntrebas et sur la vallée, semblant alors vouloir dépasser le mur de la ciré. Le Palacio del Panai ou del P6rcico (« palais du Portique »), qui dace vraisembl ablement des premières années du XIV' siècle et constitu e ainsi la plus ancienne architecture palatine de la zone, est ici un exemple éloquent. Intégrée dans le mur de la ville, la partie antérieure d' une maison avec patio, la Torre de las Damas (« cour des D ames ») , a été conservée ; on peur en admirer le plafond au Museum für Islamische Kunsr de Berlin. Les arcades du portique, qui donne son nom au palais , forment l'ouverture de ce corps de logis devant lequel es t situé le traditionnel bass in oblong. Aujourd'hui, ce décor es t entouré de jardins luxuri ants. Pratiquement jusqu'à la fin du XIX' siècle, ce secteur de !'Alhambra éraie di visé en peti tes parcelles privées, pro gressivement acquises par l'adminiscrarion publique pour être intégrées dans le complexe des monumen:s déjà protégés . Après plusieurs décennies de recherches archéologiques, des murs, des revêtements de sol et des albercas furent mis au jour, permettant de reconstituer le quadrillage urbain d 'origine. À l'heure actuelle, les visite urs peuve m découvrir ces ves tiges dans le cadre de jardins tracés ulrérieuremem, sur des terrasses de terre (paratas) de l' époque nas ride. Ceux-ci s'étendent tour le long de la pente allant du mur jusqu'à la médina.
Voûte de la salle des Abencérages La Sa la de los Abencerrajes, située sur le côté méridional de la cour des Lions, est recou verte d'une coupole impressionrante. Basée elle au ss i sur un motif central ét oi lé, elle se co mpose de prismes à muqarnas et se transfo rme en carré par le biais de pendentifs à muq arnas.
Palacio del Partal Le pala is du Partal est le plus ancien de !'Alham bra. Vrai semblablement édifié au début du x1v• siècle, il ne reste plus de sa forme d 'origine que le grand bassin central ainsi que le péristyle à cinq arcs qui donna son nom au palais.
L'ALHAMBRA
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La médina La médina, dont le terrain monte do ucement de l'o uest vers l'est, était une véri-
grands bâtiments indiquem la présence autrefois de deux autres palais : celui des Abencérages et un seco nd qui fit plus tard parti e intégrante d' un monastère franciscain. La partie supérieure de la ville éraie constituée d'un réseau de petites entre-
table petite ville érigée spécialement pour assurer la subsistance et l'approvision-
prises artisanales , dont des fours de cui sson et des roues à godets pour la
nement du palais. Son artère principale étai t la calle real. La ville comprenait des bain s publics, une mosquée et des boutiques, ainsi que, à proximité, le rauda ou cimetière des sultans . D 'après des textes du XJ V' siècle, on peut co nclure qu' une madrasa se trouvait également dans les environs. En outre, les vestiges de deux
production de céramique et de verre, une tannerie et un hôtel de la Monnaie. Leau, prise à six kilomètres en amont et co nduite jusqu'à ['Alhambra par une canalisation , la acequia del sultdn, était vitale po ur l'ensemble de la ville. Grâce à un aqueduc, elle pénétrait dans l'encei nte fortifiée, dévalait le versant parall èlement à la rue, puis se ram ifiait en un réseau de conduites, les bassins jouant le rôle de vases communicants er assurant ainsi la régulation de ce système hydraulique co mplexe. Des citernes et des places publiques complètent ce sire urbain , dans lequel on accédait aux maisons par des ruell es et des passages à arcades. Les plus grandes de ces maisons servaient vraisemb lablement d'hab itations aux fon ctionnaires et aux serviteurs privilégiés de la cour. Deux tours situées dans la partie du mur d'enceinte comprise dans la médina renseignent sur l'aspec t initial de reis bâtiments. La Torre de la Cauri va, ou tour de la Captive, comp te par mi les témo ignages de l'apogée de l'art nas ride du milieu du XJV' siècle. Comme dans d'autres habitatio ns, on parvient dans la salle principale par un petit patio entouré d'arcades. Des alcôves d'angle de dimensions rédui tes , avec fenêtres géminées, so nt creusées dans les trois murs extérieurs. De magnifiques socles en alicatado polychrome constituent les élém ents les plus intéressanrs ; ici, on est frapp é avant tour par l'emploi, très rare, de la couleur pourpre sur des céramiques utilisées pour le bâtiment. Ces socles se terminenr par une frise également en alicatado et comportant des inscriptions. D es dalles en sruc, à l'origine dorées d' un encadrement coloré, recouvrent la parti e res tante du mur, fai sant l'effet de tentures murales et de tapisseri es. Conform ém ent au schéma de l'habitat traditionnel, la tour possède également des pi èces habitables à l'étage supérieur et se termine par une terrasse. La Torre de las [nfantas présenre une disposition similaire, mais ne fur éri gée qu'à la fin du XlV' ou au déb ut du >-..'V' siècle . Les spécifi cités de sa décoration, relies qu' une exécution plus grossière et des proportions réduites, annoncent le début du déclin de l'an nasride. l.'.inrérieur suit le modèle habiruel : les trois pièces principales sont groupées non pas autour d' un patio mais auto ur d'un es pace co uve rt, avec une fontaine centrale . Semblables à des alcôves, elles présentent des fenêtres s'o uvrant dans le mur ex téri eur. À ]' o rigine, la lanterne se terminait par une voûte à muqarnas, disparue et remplacée au siècle dernier par un plafond ornemental. Dotée de part et d'autre d' une galerie à l'étage supérieur, elle donne accès à la terrasse.
Le Generalife À l'extérieur des murs d'enceinte de ]'Alhambra, les sultans nasrides disposaient également d' un grand nombre de propriétés pour l'approvisionnemenr et les loisirs, dont une partie se trouvait dans les environs du domaine palatin. La mieux conservée est de loin le Generalife (jan nat al-arifa), à proximité imm édia te. Contrairement à son état d'origine, il es t acruellement relié à !'Alhambra par une série de parcs d'ornement créés durant le premier tiers du XX' siècle selon une libre imerprérarion du jardin hispano-mauresque. Le mot jannat signifie « jardins » au sens large, c'est-à-dire lieu de végé tation et de plantations. Sirué sur un terrain
Le la byrinthe du jard in entre I' Alhambra et le Generalife Situé près de l'enceinte de !'Alhambra, le doma ine du Generalife comporte plusieurs ve rgers et potagers, ainsi qu'un palais avec jardins d'agrément. Au premier plan de la photographie, on
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peut voir une partie du labyrinth e du Jardines Nuevo s del Generali fe, les nou vea ux jardins, plantés vers 1930 pour relier !'Alhambra au Generalife. À l'arrière- plan, on aperçoit le mur d'enceinte de I' Alhambra et la Torre de las lnfantas.
Vue intérieure de la Torre de las lnfanta s Environ trente tours de tailles et de formes différentes sont intégrées au mur d'enceinte de !'Alhambra. À côté des tours appartenant directement à des pa lais bien déterminés, on trouve des tours palatines,ainsi nommées, parce qu'elles
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se distinguent des autres par leur décor et leurs caractéristiques architecturales.Construite entre 1392 et 1408, la Torre de las lnfantas, représentée ici,est constituée d'une cour couverte,autour de laquelle sont regroupés plusieurs alcôves et appartements secondaires sur deux étages.
Le pa lais du Gen eralife Au domaine du Generalife appartient, outre les jardins de rapport, un élégant palais dont la construction et la décoration ressemblent à celles de !'Alhambra. Là aussi, un patio allongé doté d'une source constitue le point central autour duquel le palais est édifié. À la place de
la fontaine traditionnelle, on trouve un canal bordé de jardins, l'Acequia , qui a donné son nom à la cour. La technique hydraulique pleine de fan t aisie atteste une nouvelle fois de l'importance et du caractère symbolique de l'eau dans la culture islamique.
fertile d' une superficie de deux millions de mètres carrés, le Generalife est constitué de quarre grands vergers et potagers et dominé par un bâtiment palatin doré de parcs d'agrément. Une grande partie d'entre eux est encore cultivée aujourd'hui, et les installations du Generalife ont donc, outre une importance historique, une grande valeur économique et même anthropologique. Louvrage central du Generalife présente la même structure architecturale que les palais de !'Alhambra : un patio avec une source - dans le cas présent, il s'agit d' un bras de canal qui irriguait autrefois le domaine par quatre conduites co nstitue le centre de la résidence. La pièce la plus élégance se situe sur le côté septe ntr ional et s'ouvre sur le paysage par un mirador. Le patio présente un axe en croix, dans lequel figurent quarre grands parterres en contrebas , longeant le canal bordé d'étroits sentiers. En dépit du caractère incontestablement rustique de cet ensemble, qui saute aux yeux en particulier dans les cours d'accès , la décoration architectu rale correspond à celle d' un palais : socle en alicatado, dalles de stuc recouvrant les murs jusqu'aux plafonds boisés, décor géométrique, inscriptions, muqarnas ec arauriques, piliers de marbre, arcs, claires-voies aux fenêtres , etc. ornent les insrallati o ns. Le petit mirador surplombant le patio et offrant une vue magnifique sur les potagers et sur ['Alhambra en contrebas , est particulièrement remarquable.
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7,5
15 m
L'agglomération de Grenade De nombreuses baies, fenêt res et loggias ouvertes - en particulier les salles royales de !'Alhambra - offrent une vue dégagée sur la ville de Grenade située au pied de la colline. La ville islamique de Grenade se développa durant la période intermédiaire entre la dynastie des Zirides (Xl' siècle) et celle des asrides, dans la vallée du Darro, s'ouvrant sur le fertile paysage de la Vega. De cette zone urbaine, des ponts comme le Tableras, ainsi que quelques portes, dont la Elvira, la Monaita et la Bibrambla, ont été conservés, disposés tels des jalons le long du mur d'enceinte escaladant le Cerro de San Miguel. Cette muraille protégeai t de vastes cimetières et de grands quartiers citadins comme l'Albaidn, le Realejo et l'Antequeruela. Aujourd'h ui encore, chacun de ces quartiers trahir l'influence de l'islam moyenâgeux, par une disposition irrégulière du réseau routie r et l'accent mis sur les espaces privés urbanisés, face aux importants contrastes topographiques. Quelques-uns des édifices préservés onr gardé jusqu'à nos jours, enrièremenr ou parriellemenr, leur aspect extérieur d'origine, co mme le bain de vapeur El Baii.uelo, le Corral del Carbon - un funduq ou cenrre commercial avec logis et entrepôts-, des érablissemenrs d'enseignemenr comme la madrasa Yussuf l", des associations profess ionnelles relies que l'Alcaiceria, des mosquées transformées en églises chrétiennes, comme San José, El Salvador, San Juan de los Reyes et l'Ermira de San Sebasriân, des bâtiments palatins comme le Dar al-Horra, le Cuarto Real de Santo Domingo , l'Alcâzar Genil et la Casa de los Girones, ainsi que des maisons mauresques relies que la Casa de Zafra, la Casa del Chapiz ou encore la Casa de Homo de Oro. Des ves tiges du canal Aynadamar, excellent système d'alimentation en eau, ainsi que de nombreuses citernes de l'Albaidn ont été conservés.
Patio de la Sultana dans le Generalife Si la structure moyenâgeuse du Generalife fut largement préservée jusqu 'à nos jours, quelques modifications furent entreprises au cours des siècles. Ainsi , le jardin baroque représenté
ici fut planté à l'emplacement d'orig ine du bain du palais. Ce jardin, doté de nombreuses fontaines décorées,est appelé aujourd'hui Patio de la Sultana.
Vue sur le quartier El Albaicfn de Grenade Face à !'Alhambra, sur son côté septentrional, se trou ve l'autre grand ensemble de bâtiments moyenâgeux de Grenade : le quartier mauresque El Albaicfn. Avec ses étroites ruelles escarpées, ses habitations enchevêtrées blanchies à la chaux, et ses places plantées d 'arbres, ce quartier est resté fortement imprégné de l'atmosphère de la colonie mauresque du Moyen Âge. L'Albaicfn était un lieu de refuge pour les Maures chassés des autres parties de l'Andalousie par les chrétiens, et qui habitèrent ce lieu jusqu'en 1568. L'Alhambra et l'Albaicfn constituent une alliance unique de ville et paysage, ce dont témoigne sa place dans le patrimoine cu lturel mondial de l'Unesco.
L' ALHAMBRA
297
Le Maghreb •• du Maroc à la Tunisie
Histoire du Mag hreb . . ..
. . 300
Des dynasties berbères à l'intervention française
Les mosquées et les madrasas des Mérinides de Fès :
.. . . . . . . .. . . .... 310
grande mosquée, madrasa Attarin, madrasa Bu -lnaniya Les monuments funéraires des Saadiens de Marrakech Meknès, la ville sa inte Les Hafsides de Tun is : grande mosquée, madrasa Mustansiriya Édifices ottomans d'Alger
Artisanat d'art du Maghreb .. . . . . . . . . ........ . . .. 322
Commerce et rou tes commerciales ....... ... . . ... 324
La madrasa Attarin à Fès Après leur victoire sur les Almohades, les Mérinides firent de Fès leur résidence et un haut lieu de l'islam ort hodoxe et traditiona liste au Maghreb. Ils construisi rent de nombreuses madrasas (éco les supérieures rattachées à une mosquée) dans un style mauresque raffiné. C'est dans ces inst itutions qu'étaient formés les futurs théologiens de toute la région. Sur la bonne trentaine de madrasas construites à Fès durant le seul x1V' siècle, la madrasa Attarin, érigée entre 1323 et 1325, est l'une des plus belles. Son schéma directeur est caractéristique des madrasas du Maghreb: une cour, avec une fontaine ou un bassin, entourée sur tous ses côtés de cellules, de salles de prières et de salles de cours.
299
reconstruire l'empire almohade échoua. Après son assassinat, la dynastie déclina rapidement : les souverains mineurs
Histoire Markus Hattstein
ou faibles qui succédèrent à Abu Inan Faris tombèrent sous la tutelle de la branche apparentée des Wanasides et ponctuellement sous celle des Nasrides de Grenade. En 1458, le dernier souverain mérinide Abd al-Haqq (14211465) renta de briser la suprématie des
Du x111• au xv1• siècle Les dynasties berbères Avec la décomposition de l'Empire almohade, des dynasties berbères s' em-
Wattasides en éliminant coure la famille
parèrent du pouvoir dans toutes les régions du Maghreb, et la cohésion politique avec le sud de l'Espagne prit définitivement fin.
(hormis deux frères en fuite), mais trouva lui-même la mort en 1465 lors d' un soulèvement populaire à Fès. Sous les Mérinides, les Wattas-
des
sides, originaires de l'est du Maroc
Mérinides originaire du sud du pays avait déjà conquis une grande partie du
s'étaient déjà hissés aux plus hautes fonctions publiques et, en 1358 , ils
pouvoir - avec la prise de Meknès (1244) et de Fès (1248) ; en 1269, elle se débarrassa du dernier souverain almohade à Marrakech, mais résida à Fès. Les débuts du règne furent marqués par une grande instabilité, car les
finirent par exercer le pouvoir en tant que régents ou vizirs. En 1472, Muhammad al-Chaykh al-Mahdi (1472-1505), l' un des deux survivants du massacre de 1458 , conquit le Maroc depuis Arcila, mais le règne
Mérinides durent faire face - simulranément - à leurs voisins de l'est er à plusieurs expéditions militaires menées par des royaumes chrétiens dans la péninsule ibérique. Comme il manquait aux Mérinides un lien de parenté avec la famille du
des Wartassides resta défensif : les Portugais, qui occupaient depuis 147 1 de nombreux sires côtiers du pays, conquirent Agadir en 1504 et assiégèrent Marrakech en 1515 ; ils rentèrent de couper les Wattassides des routes maritimes er vendirent des . . . pr1sonn1ers marocains comme esclaves . En 1497, les Espagnols se fixèrent durablement à Melilla. Des régions entières, comme celle du Rif, restèrent néanmoins totalement indépendantes , er, après 1524, on assista au soulèvement du sud du Maroc sous l' impulsion des Saadiens, alors que la
Au
Maroc,
la
dynastie
prophète pour légitimer leur pouvoir, ainsi que le zèle réformateur des Almohades en matière de religion, ils devinrent les champions de l'orthodoxie islamique conservatrice entretenue dans les multiples madrasas qu'ils érigèrent dans les villes marocaines. Ils commencèrent par combattre les nombreux
Le souk des teinturiers à Fès, au Maroc Une ville du Maghreb se distingue, aujourd 'hui encore, par ses bazars et ses souks animés qui jouent un rôle économique et social important. Les places et les ruel les portent le nom des métiers artisanaux ou des commerces qui y sont représentés. Comme en témoigne cette photographie, les peaux sont tannées et te intes dans des cuves en pierre à l'aide de colorants naturels ou artificiels, selon une technique ancestrale encore utilisée aujourd'hui au Maroc.
cultes régionaux er les saints locaux (marabouts), mais furent rapidemen r obligés de faire des compromis et d'accepter le rapport émotionnel des masses à la religion, notamment dans le sud du pays. Ils instaurèrent ainsi une certaine stabilité religieuse qui a perduré au Maroc jusqu'à aujourd'hui.
Le court apogée politique correspond aux règnes des deux souverains mérinides les plus importants : sous Abu al-Hassan Ali (1331-1351 ), le Maroc connut un véri-
300
dynastie des Wattassides s'épuisait en
sanglantes luttes pour le pouvoir. Malgré une habile politique d 'alliances, qui essaya finalement de s'appuyer sur l'Algérie ottomane, la dynastie ne réussir pas à enrayer so n déclin; en 1554 , le dernier souverain wattaside fur chassé de Fès par les Saadiens.
table essor culturel et économique er vit se mettre en place une politique de grands travaux qui donna à de nombreuses villes marocaines et notamment à Fès leur physionomie définitive. À la faveur d' une imelligeme politique de coalition, notammenr avec la Tunisie et l'Égypte, Abu al-Hassan Ali assura la paix à son pays et occupa
L'Algérie actuelle était politiquement divisée: l'ouest de l'Algérie (région d' Oran) se trouvait sous la domination des Abdalwadides, qui gou vernaient à Tlemcen, autrefois en qualité de représentants des Almohades, lesquels avaient pris leur autono mie en 1236. Ils durent mener une incessante politique de balancier entre, d' une part, leurs deux influents voisins (Mérinides à l'ouest et Hafsides à l'est) sous la tutelle desquels ils se retrouvaient, et, d'autre part, les
l'Algérie (Tlemcen) en 1347, et même Tunis, mais ne put conserver les territoires conquis, car il essuya de cuisantes défaites contre l'Espagne. Son fils Abu Inan Faris (1351-1358), qui le détrôna au cours d'une guerre civile, poursuivit aussi bien la politique de son père que son activité de bâtisseur et occupa une nouvelle fois l'Algérie, en 1352, et une partie de la Tunisie, mais sa tentative ambitieuse de
puissances chrétiennes; c'est ainsi qu'ils vécurent plusieurs occupations et expulsions. Leur faib lesse militaire et l' indépendance totale des rribus du pays ne les empêchèrent pas d'instituer une administration très au point et une vie de cour florissante - notamment sous le règne d'Abu Hammu II M usa (13591389), un homme très cultivé qui prit le savant universel Ibn Khaldun comme
LE MAGHREB: DU MAROC À LA TUNISIE
secrécaire parciculier. Tlemcen devine aussi un imporcanc cencre carava ni er sicué encre l'incérieur de l'Afrique ec la Médicerranée . Au débuc du
X\'!'
siècle, pris
sous les coups de boucoir de plus en plus violencs des Espagnols ec des corsai res cures, les Abdalwadides se pl acè renc sous la proceccion des sulcans occomans, qui occupèrenc Tlemcen en 1552 pour en faire un posce cancre les Espagno ls. Cec événemenc m arqua la fin de la dynastie des Abdalwadides. En Tunisie, dans l'est de l'Algérie (région d'Alger) ec en Tripolicaine (accuelle Libye), les Hafsides - anciens gouverneurs almohades de Tunis - rég nai enc en maîcres depuis 1236. Leur aïeul Abu Hafs Omar, qui a donné son nom à la dynastie, faisaic parcie des premiers parrisans de Ibn Tumarc, le fondaceur des Almohades - ce qui value aux H afs ides un énorme prestige reli gieux. A insi, lorsqu' ils sollicicèrenc le cirre de calife après la chuce de Bagdad en 1258, celui-ci leur fuc accordé par les différencs empires islamiques. Les cenc premières années de règne furenc marquées par un e cercaine inscabilicé, ec la d ynas cie éclaca en plusieurs courams : des émiracs indépendams apparurenc à Bougie ec à Conscanci ne, cour comme des villes-États indépendances. Malgré leurs di visions, les Hafsides réussirenc à repousse r la croisade de saim Louis ec à s'étendre peu à peu ve rs l'ouesc ; après 1311, la cour de Tunis aussi devim un cencre d'érudition religieuse ec de confromacion imelleccuelle avec des miss ionnaires chréti ens, comme Ramon Lull par exemple. En 1370, Abu al-Abbas Ahmad (1357-1394), d'abo rd simple so uverain de Constaminop le, fit de sa famille la principale lignée à Tunis qui engendra nombre de souverains compécems. Son efficacicé dans la lune cancre les pirates favorisa les échanges commerciaux avec l'est du monde arabe, l'Afrique cemrale et l'Europe, notammem avec les cours princières icaliennes, ec fic de Tunis la plus riche ec la plus importance métropole commerciale du Maghreb. La scab ilisacion des relacions
Marabout sur la plage de Safi En raison de sa forte proportion de Berbères asservis et islamisés par une classe dominante arabe, le Maghreb est marqué comme presque nulle autre région dans le monde islamique - par des pratiques magiques et mystiques issues de l'islam populaire. La vénération de sages, de prédicateurs et de mystiques locaux en témoigne. Le terme de marabout, signifiant murabit, est apparenté au mot ribat, couvent (fortifié). À l'origine, il désignait le saint lui-même qui, par sa piété et son ascèse, servait de médiateur entre le peuple et le pou vo ir divin. Par la suite, il fut également utilisé pour parler des sépultures de ces di vin ités locales que l'on trou ve dans toute l'Afrique du Nord et qui consti tuent souvent de hauts lieux de pèlerinage.
Vue de la ville de Fès La ville de Fès fut fondée en 807 par Idris Il, le souverain des Idrissides, et des colons venus de Kairouan. Au x• siècle, Fès fut le théâtre de combats entre Fatimides et Omeyyades espagnols, avant de devenir, sous les Almohades, l'une des plus importantes villes du Maghreb. En 1248, elle passa aux mains des Mérinides qui en firent la capitale de leur empire; c'est alors qu'elle connut sa période de gloire et devint le centre de l'islam occidental. Aux x111' et x1v's iècles, la ville aurait compté 200 000 habitants et 785 mosquées. Entre 1666 et 1912, Fès fut aussi la capitale des sultans de la dynastie de Alaouites.
HI STOIRE
301
internationales s'accompagna d'une longue période de paix dont profitèrent ses successeurs Abu Faris Azzuz (1394-1434) et Abu Amr Othman (1435-1488). Azzuz géra habilement ses relations diplomatiques, assainit les finances en impo-
et de Génois , mais ne pur conserver qu' une partie des terntoires conquis. L'intrépide corsaire Dragut mena le combat depuis l'île de Djerba, devint en 1553 gouverneur ottoman de Tripoli raine et infligea en 1560 une terrible défaire
sant une politique douanière lucrative et améliora l'infrastructure des villes et des
à la flotte espagnole ; il tomba en 1565 en essayant de chasser de Malte l'ordre
ports maritimes, entre autres, en accordant des comptoirs aux Européens. En limitant le pouvoir des clans, il renforça le pouvo ir central. Après 1494, le gouvernement perdit de plus en plus de son pouvoir; des chefs de tribus indépendants récupérèrent de nombreuses régions, et, à partir de 1505, les Espagnols installèrent plusieurs bases militaires sur la côte. Avec l'appui des Ottomans, le pouvoir des Hafsides fut très vite récupéré par les forbans (cor-
des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem (chevaliers de Malte) et de faire la conquête de l'île. Après 1505 , les derniers souverains hafsides étaient devenus de simples pions dans la lutte entre Espagnols , Turcs et corsaires. Et lorsque, en 15 74, les Ottomans occupèrent Tunis et la côte tunisienne pour asseoir leur pouvoir en Méditerranée, ils mirent un terme au pouvoir fantoche des derniers Hafsides.
saires) - soutenus et armés par les Turcs - , notamment par les frères Aruj et Khayr al-Din Barbarossa (Barberousse), originaires de l'île grecque de Lesbos. En 1516, Aruj occupa Alger et Tlemcen où il érigea son propre pouvoir, avant d'être vaincu en 1518 par les Espagnols. Son jeune frère Khayr al-Din, stratège audacieux et futur généralissime de la flotte ottomane, occupa et fortifia Alger et Tunis et infligea aux Espagnols de cuisantes défaites qui provoquèrent l'intervention de Charles Quint. En 1535, l'empereur occupa une partie de la côte tunisienne et Tunis (Khayr al-Din riposta en pillant Minorque) avec sa flotte composée d'Espagnols
Du XVIe au XI Xe siècle Ché ri fs, corsaires et résidents turcs Au Maroc, l'arrivée au pouvoir des Saadiens marqua le début de l'ère chérifienne, le pouvoir de dynasties arabes descendant directement du Prophète (chérif) qui a perduré jusqu'à aujourd'hui. Les Saadiens s'étaient installés dans le sud du Maroc ; c'est au début du XVI' siècle que leur chef, qui dirigeait une confrérie
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Territoire des Mérinides dans la première moitié du x1v• et la première moitié du XV' siècle Territoire des Abdalwadides dans la première moitié du XIV" et la première moitié du xv• siècle -
302
Territoire des Haf sides aux x1v• et xv• siècles
LE MAGHREB
Territoire des Wattasides au début du xv1• siècle
-
D U MARO C À LA TUN I S IE
Territoire des Abdalwad des au début du xv1• siècle Territoire des Hafsides au début du xv1• siècle Terr itoire des Ottomans au xv11• siècle
religieuse, appela plusieurs marabouts et leurs adeptes à la guerre sainte contre les Portugais et les faibles souverains wattasides. Depuis Taraudant près d'Agadir, ils occupèrent Marrakech en 1525 , puis chassèrent les Portugais d 'Agadir en
Heurtoir, Maroc Dans les régions méridionales du Maghreb en particulier, on croit au pouvoir protecteur des amulettes et des talismans. La « main de Fatima » joue un rôle particulier - les cinq doigts et donc le chiffre cinq ~ont censés porter bonheur. Elle est associée aux pouvoirs de guérisseuse de Fatima - fille du Prophète - qui ont souvent été interprétés comme un signe de l'émancipation de la femme dans l'islam populaire. Au Maroc en particulier, la main de Fatima est un motif apprécié pour les pendentifs, les heurtoirs et les gonds; elle est censée préserver des maléfices les personnes et les maisons.
1541. Ces victoires, associées à leur prestige religieux, leur apportèrent une grande popularité et de nombreux partisans. Muhammad al-Mahdi (1549 / 1553-1557) chassa les Wattasides de Fès et s'imposa comme sultan du Maroc en contractant une alliance avec les Ottomans et prit même le titre de calife. Le jeu des alliances lui permit de neutraliser ses ennemis extérieurs ; pour imposer un pouvoir central fort et sur tous les groupes de population, il mena alors une sanglante politique de répression contre les marabouts et leurs assemblées conventuelles. En 1557, lorsqu' il occupa Tlemcen, les Turcs le firent assassiner. Ses successeurs durent limiter leur pouvoir au Maroc et instaurèrent un cuire du souverain inédit jusqu'alors. Leurs actions contre l'influence européenne croissance qui se manifestait avant roue par l'établissement de comptoirs amenèrent le jeune roi Dom Sébastien du Portugal à débarquer au Maroc; en août 1578, il essuya une terrible défaire à al Ksar el
Kebir et mourut pendant le combat. C'est encore sur un champ de bataille qu'Ahmad al-Mansur (« le Victorieux ») conquit le pouvoir et fur proclamé sultan (1578-1603). Il apporta
1236-1237 Les Abdalwadides obtiennent leur autonomie à Tlemcen (1236-1552/ 1554), les Hafsides dans l'est de l'Algérie comme en Tripolitaine
1497
Les Espagnols occupent Melilla
1504
Les Portuga is conqu ièrent Agadir
1515
Siège de Marrakech par les Portugais
(1228- 1574) 1244 1248 1269
1270
Les Mérinides conquièrent Meknès
1516
Prise de Fès par les Mérinides
1525
Les Mérinides (1269-1465) renversent les Almohades à Marrakech
1535
La croisade mené2 par saint Louis est repoussée par les Hafsides
1540
Hassan Ali
1541
Le corsaire Aruj Barberousse conquiert Alger et Tlemcen
Révolte militaire en Tunisie Hammuda ibn Murad prend le pouvoir en Tunisie et fonde la dynastie des Muradites (jusqu'à
1702)
Les Saadiens occupent
1659 1666
L'empereur Charles Quint (15191558) occupe Tunis et une partie du littoral tunisien Les Abdalwadides se placent sous la protection des Ottomans Les Saadiens réussissent à chasser les Portugais d'Agadir
1830
Les Français occupent Alger
1832-1847 Lutte pour l'autonomie sous l'émir Abd el-Kader contre les Français en Algérie
1837-1855 En Tunisie,Ahmad Bey entreprend les premières réformes fiscales et administratives
Fin du règne des Saadiens L'Alaouite Mulay al-Rachid
(1664-1672) s'établit à Fès
1844
1669
Mulay al-Rachid conquiert Marrakech et le Maroc
1857-1861 La Tunisie se dote d'une
1671
Soulèvement des corsaires
1671-1830 En Algérie, le pouvoir est aux
Mort du chef corsaire Khayr alDin Barberousse
1552
Les Ottomans occupent Tlemcen et mettent un terme au règne des Abdalwadides
janissaires
1702
La conspiration des officiers ottomans met un terme au
1705
Hussein ibn Ali (1705-1735)
1860
Défaite marocaine dans la guerre contre l'Espagne
1863
Convention Béclard: le Maroc devient un protectorat français
1869
En raison de l'effondrement de ses finances, la Tunisie est placée sous l'autorité d'une commission financière
règne des Muradites en Tunisie Le corsaire Dragut est nommé gouverneur de Tripolitaine par les Ottomans
Ham mu Il. Musa
1554
Ahmad
1421-1465 Règne du dernier Mérinide Abd al-Haqq Soulèvement à Fès; les Wattasides (1465-1549) règnent désormais sur le Maroc
1574
Les Portugais occupent la côte marocaine
1578
Les Saadiens sous Muhammad al-Mahdi (1549/ 1553-1557) mettent un terme au règne des Wattasides à Fès Les Ottomans s'établissent sur le littoral tunisien et mettent un
s'impose comme régent en Tunisie; jusqu'à 1957 le pouvoir politique reste entre les mains des Husseinides
internationale
1870
L'Algérie sous domination de la puissance coloniale française se dote d'une administration civile
1877
Le Premier ministre tunisien Khayr al-Din (1873-1877) est renversé
1881
Traité du Bardo: la Tunisie devient un protectorat français
1883
Le traité de La Marsa confirme le protectorat de la Tunisie
1727-1757 Guerre civile au Maroc sous le règne des fils de Mulay lsmaïl
1757-1790 Règne de Mulay Muhammad au Maroc
terme au règne des Hafsides Bataille de al Ksar el Kebir: les Saadiens écrasent les Portugais
1792-1822 Règne de Mulay Sulayman
HISTOIRE
au Maroc
Défaites des troupes marocaines face à la France
constitution et devient une monarchie constitutionnelle
1672-1727 Règne de Mulay lsmaïl au Maroc
1553
1471
1640
1546
1359-1389 Règne de l'Abdalwadide Abu
1465
1591
mains des deys choisis par les
Mérinide Abu lnan Faris, nouvelle tentative de conquête de l'Algérie et de la Tunisie
1357-1394 Règne du Hafside Abu al-Abbas
L'Algérie rompt ses relations diplomatiques avec la France
en Algérie
Les Mérinides occupent Tlemcen
1351-1358 Sous le règne du
1827
1578-1603 Sultanat de Ahmad al-Mansur
Marrakech
1331 - 1351 Règne du Mérinide Abu al1347
menés par le roi Dom Sébastien
303
la prospérité à son pays et acquit d'immenses richesses grâce à ses expéditions au Soudan, où il s'assura le contrôle du marché de l'or africain . Il imposa au Maroc
sur le littoral marocain dans le but de contrôler le commerce maritime de la côte africaine. L'échec des Wattasides dans leur tentative de repousser l'invasion ennemie provoqua leur chute; ils furent remplacés par les énergiques Saadiens.
un nouveau système administratif, le « makhzen », qui resta en vigueur jusqu'au siècle: les élites de l'administration et de l'armée furent assujetties au souverain par des exonérations d'impôts et des attributions de terre, ce qui contribua, d' une part, au renforcement du pouvoir central et, d 'autre part, à un essor important de l'agriculture du fait de la gestion des terres par les riches élites. Doté d'une énergie inépuisable, Ahmad donna un nouveau visage à la société dans de nombreux domaines et fit de Marrakech une résidence somptueuse. Ses fils divisèrent le pouvoir marocain en créant deux pôles principaux : l' un à Marrakech (j usqu'en 1659), l'autre à Fès (jusqu'en 1626). Une scission qui n'eut cependant pas pour effet d'affaiblir l'économie du pays . Le commerce avec les puissances maritimes européennes fut intensifié par l'octroi de licences - malgré cela, les derniers et plutôt faibles souverains saadiens subirent la pression des Européens ainsi que les velléités d'indépendance de certains pouvoirs locaux; en 1659, la dynastie des Saadiens s'éteignit. l.:héritage fut repris par les chérifs alaouites, qui s'installèrent dans le sud du
un contrôle militaire sur les villes, il garantit la sécurité du commerce et du respect de l'ordre public qu' il maintint d' une main de fer. Il intensifia continuellement ses relations commerciales et diplomatiques avec l'Europe, ce qui ne l'empêcha pas de récupérer de nombreux points d'appui européens sur le littoral marocain et de chercher à donner à son pays une large indépendance économique et politique vis-à-vis de ses voisins. Le système était totalement taillé à la mesure de Mulay Ismaïl , il s'effondra après sa mort. Ses sept fils , qui montèrent rous sur le trône , précipitèrent le pays dans une guerre civile qui dura trente ans. Seul son petit-fils Mulay Muhammad (1757-1790) rétablit l'ordre politique et social, réorganisa les finances et développa le commerce extérieur par l'octroi de licences, notamment à la France et aux
Haut Adas à partir du XIII' siècle et dirigèrent une confrérie religieuse ; ils sont aujourd'hui encore à la tête du Maroc. Après avoir soumis différents souverains régionaux, Mulay al-Rachid (1664-1672) s'assura le soutien des Ottomans à Alger, entra dans Fès en 1666 d'où il fit la conquête de Marrakech en 1669, puis celle de l'ensemble du Maroc. Son frère Mulay Ismaïl (1672-1727) était une per-
jeunes États-Unis d'Amérique. Son fils Mulay Sulayman (1792-1822) encouragea encore dava ntage le commerce en accordant une réduction des droits de douane aux puissances européennes. Après 1810 , sa tolérance religieuse initiale vira à la restriction massive des coutumes religieuses locales et à une nouvelle persécution des marabouts, sous l'influence du très puritai:1 mouvement wahhabite
sonnalité hors du commun : intelligent, avide de luxe et violent. Il brisa la résistance des confréries religieuses et des potentats locaux, créa un corps d'armée à la discipline remarquable formé de 150 000 esclaves noirs et fit de la ville « impériale » de Meknès l'une des plus importantes forteresses du Maghreb. En exerçant
d'Arabie Saoudite. Cela donna lieu à des troubles et à des soulèvements religieux au sein de différents groupes de population que ses successeurs eurent le plus grand mal à contenir. Depuis le début du XIX' siècle, le Maroc suscitait roujours plus la convoitise des Européens, notamment celle de la France et de l'Espagne,
XX'
304
Forteresse al-Jadida au Maroc La forteresse de la ville d'al-Jadida située sur la côte marocaine rappelle le combat défensif que les sultans marocains menèrent contre le Portugal, principale puissance maritime,qui aux xV' et xv1' siècles établit plusieurs points d 'appui
LE MAGHREB
DU MAROC À LA TUNIS IE
er, en raison de ses srrucrures rradirionnelles, il ne pur finalement plus se soustraire à ces influences. Après l'occupation rurque au milieu du XVI' siècle, l'Algérie et la Tunisie
du temps, la France réussit cependant à s'attribuer les privilèges les plus importants dans le domaine du commerce maritime, lui-même souvent inséparable de la piraterie. A cause de la rigidité croissante de son sys tème administratif oligarchique,
connurent d'abord des évolutions politiques similaires. Les deux pays se trouvaient pris en tenaille entre les Turcs et les Espagnols qui se disputaient la suprématie en Méditerranée et arrachaient par conséquent une importance particulière au renforcement de leurs bases militaires au Maghreb. La classe dirigeante algérienne, tout comme celle du Maroc, constitua une oligarchie militaire d'obédience turque marquée par la rivalité entre les officiers turcs appartenant aux troupes d'élire des janissaires, soldats réputés pour leur armement et leur discipline, et les capitaines corsaires, épris de liberté, ~enégars chrétiens originaires pour la plupart d'Europe du Sud et des îles méditerranéennes. En situation de conflit, l'excellente organisarion des janissaires fit la différence; les garnisons turques obligèrent les corsaires, chargés de la défense des côtes, à partager le burin avec eux. En Algérie, les Ottomans laissèrent d'abord une relative liberté à Hassan
l'Algérie ne parvint pas à s'imposer durablement dans le système économique moderne et à résister au désir d'expansion grandissant des puissances européennes. En Tunisie aussi, les Ottomans nommèrent d'abord comme gouverneur un bey ou un pacha pour une durée déterminée, ainsi qu' un conseil militaire (diwan) jouant le rôle de conseil de gouvernement. Ce système fur renversé en 1591 au cours d' un sanglant soulèvement militaire, à la suite duquel les Ottomans durent accorder davantage d'autonomie à l'aristocratie militaire tunisienne : jusqu'en 1640, le diwan allai t désormais élire un « chef d'État » à vie portant le titre de dey, alors que le résident ottoman était cantonné à des fonctions représentatives. Grâce aux riches marchands et à la traire des esclaves chrétiens, les villes côtières tunisiennes connurent également un essor considérable dont profita surtout Tunis, ville somptueusement aménagée. Après que les derniers Maures furent chassés d'Espagne
Pacha, le fil s de Khayr al-Din. Mais à partir de 1587, ils nommèrent des gouverneurs portants le titre de « pacha » pour une durée déterminée et réorganisèrent l'administration , jetant ai:1si les bases des structures de l'Algérie actuelle. Après une brève période qui porta au pouvoir le commandant en chef des janissaires (agha), le dey (cirre honorifique turc signifiant « oncle ») exerça les fonctions de régent d'Alger, de 1671 à la colonisarion française en 1830, suite à un so ulèvement de corsaires. Nommé à vie par les commandants en chef des janissaires, son pouvoir
- dans le contexte du soulèvement mauresque (1568-1571) et de leur expulsion définitive en 1609 - , la plupart d'entre eux s'installèrent en Tunisie et stimulèrent l'éco nomie en travaillant dans des branches importantes de l'artisanat. En 1640, l'énergique Hammuda ibn Murad (1640-1659), haut fonctionnaire, s'empara du pouvoir, ramena la paix dans la majeure du pays et fonda la dynastie muradide, qui en matière de politique extérieure s'appuyait sur l'empire ottoman tout en restant en grande partie autonome; cela n'empêcha pas, en 1702, son
se limirair effectivement aux régions côtières, car les tribus du sud restèrent au tonomes. En raison du nombre important d'esclaves chrériens , le commerce prospéra dans les villes du littoral qui devinrent des creusers culturels, d'aurant que des ordres chrétiens éraient c. urorisés à prendre en charge ou à racheter leurs coreligionnaires asservis. Sous l'influence des riches marchands juifs noramment, Alger devint l'un des centres du commerce méditerranéen et de l'artisanat d'art. Au fil
Porte de Bab al-Rih à Meknès, fin du x11• siècle Mulay lsmaïl,deuxième souverain de la dynastie des Alaouites encore au pouvoir aujourd'hui, préserva durant ses longues années de règne l'indépendance politique du Maroc et
fit de la « cité impériale », Meknès, l'une des plus importantes forteresses du Maghreb. La résidence dotée d'impressionnantes portes fortifiées fut construite en très peu de temps par 30 000 esclaves.
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Inté rieu r du mausolée de Mulay lsmaïl Meknès L'édifice le plus important de la « cité impériale » de Mulay lsmaïl est le mausolée du souverain; cette construction,composée de deux pièces,se
distingue par sa fastueuse décoration.Son penchant pour l'auto-représentation ainsi que son allure majestueuse conféra à Mulay lsmaïl prestige et notoriété bien au-delà des frontières du Maroc.
un terme à cinquante années de suprématie algérienne dans la région et aspira à une large indépendance en matière de politique culturelle. Linfl uence turque déclinant rapide m ent, les Husseinides en couragèrent la formation d ' un « État national tunisien » au sein du monde arabe (vers 1830, l'arabe devint langue officielle à la place du turc), ce à quo i co n tribua également la formation de troupes d 'élites arabes (mamelouks). Mais la Tunisie s'endetta de plus en plus envers l'Europe et dur fina-
petit-fils, avec route sa famille, d' être la victime d ' un complot d 'officiers turcs. En
lement céder entièrement le commerce maritime aux puissances eu ropéennes.
1705, le commandant turc de la cavalerie Hussein ibn Ali (1705-1 73 5) sortit vainqueur des troubles qui suivirent. Après avoir été reconnu par les Ottomans, il fonda la dynastie des Husseinides-Bey qui tiendra les rênes du pouvoi r jusqu' à la proclamation de la répub lique en 195 7.
L'intervention française au Maghreb au milieu du x1x• siècle
Malgré des déb uts instables, la dynastie des Husseinides s'engagea dans un vaste programme de cons truction. La Tunisie se retrouva dans une situation de guerre
Les importants crédi ts accord és à la France par les marchands juifs, ainsi que les
civile lorsque Hussein dur fuir en Algérie après avoir été renversé en 1735 par so n
sommes élevées prêtées par le dey d 'Alger aux précédents gouvernements français,
neveu Ali Pacha, qu'il avait d 'abord désigné pour son héritier présomptif, mais plus
servirent de prétexte à la France pour intervenir en Algérie, intervention par
tard exclu de la succession. Le régime éclairé d'Ali Pacha (1735-1 7 56) fur balayé
ailleurs planifiée depuis longtemps. Comme la France faisait la sourde oreille aux
en 1756 par les fils de Hussein appuyés par l'Algérie ; Tunis fur pillée par les
demandes de remboursement répétées, l'Algérie rompit les relations diploma-
troupes algériennes er l' Lsurpareur exécuté . Sous les successeurs d 'Ali Pacha, Ali
tiques en 1827. À la suite de cet incident, la France bombarda les ports algériens
(1759-1 7 82) et el Hammuda (1782-1814), l'économie du pays fur réorganisée et
et débarqua des troupes qui occupèrent Alger en juillet 1830 puis conquirent le
la Tunisie connut une relie prospérité que le règne de Hammuda Bey est qualifié
pays dans les années qui suivirent. I.;Algé rie devint une colonie française ; pour-
d '« âge d'or de la Tunisie "· En 1807, à la faveur d' une victoire de ses troupes, il mir
tant cette occupation allait être pour la France un perpétuel sujet d ' inquiétude.
Agostino Veneziano, Khayr al-Din Barbarossa Eau-forte, 1535 Berlin, Kupferstichkabinett Le forban Barberousse et son frère aîné Aruj fondèrent au début du xvl' siècle le pouvoir des corsaires.
HISTOIRE
Eugène Delacroix, Le Sultan du Maroc Huile sur toile, 1845 Toulouse, musée des Augustins Ce tableau montre le sultan Mulay abd alRahman accompagné de sa garde, devant les portes de Meknès.
307
Intérieur du palais Dar-Meluli à Tunis L'occupation de l'Algérie et l'instauration de protectorats au Maroc (1863) et en Tunisie (1881-1883) provoquèrent une européanisation caractéristique de l'époque coloniale du goût et de l'habitat dans les pays du Maghreb. Dans les hautes sphères de la société, il était de bon ton de décorer sa maison ou son palais avec du mobilier fran çais et des peintures historiques européennes ; en revanche, la forme des maisons et l'agencement oriental des pièces furent conservés. Les élites du Maghreb se procuraient ces meubles et objets de décoration au cours de voyages culturels en Europe ou en s'ad ressant à des intermédiaires. Ainsi , de nombreuse s pièces d'habitation du XIX' siècle ressemblent à une sorte de bric-à-brac mêlant les styles les plus hétéroclites.
Ci -contre palais du Bardo à Alger Les deux palais du Bardo, construits un peu en dehors des villes d'Alger et de Tunis, servaient de résidence à des dignitaires locaux par exemple, à Tunis, le bey de Tunisie de la dynastie des Husseinides.Aujourd'hui, chacun de ces palais mêlant splendeur orientale et confort à la française abrite un musée consacré à l'histoire de la civilisation . Aux x1x' et xx' siècles, les puissances européennes ne tou chèrent pas à la fonction représentative des élites locales, mais elles les privèrent de tout pouvoir politique en prenant le contrôle de l'administration, de l'armée et de l'économie.
308
En 1834, l'administration algérienne fut divisée en départements sur le modèle français ; le nombre des colons augmenta rapidement et Paris nomma un go uverneur général, détenteur des pouvoirs civils et militaires, pour présider aux destinées du pays. L'occupation agressive des terres par les colons fran çais à qui des crédits
Intérieur du pa lais Dar-M eluli à Tuni s C'est surtout en Algérie et en Tuni sie que s'imposèrent les galeries des glaces à la française. La galerie du palais Dar-Meluli à Tunis donne une impression d'espace. Le revêtement en
importants avaient été accordés provoqua la ruine des paysans autochtones. Ils émigrèrent vers les villes côtières, formant une sorte de sous-prolétariat. Quant au commerce et à l'exploitation des richesses du sous-sol, ils passèrent également aux mains des Français. Les élites locales furent formées dans le sens de la France, mais elles furent longtemps tenues à l'écart de l'exercice du pouvoir, alors que l'influence des colons, les Français d'Algérie (« pieds-noirs »), ne cessait d'augmenter. Le Maroc connut au XIX' siècle toure une série de souverains réformateurs ; mais
l'administration), mais une mauvaise gestion financière provoqua la banqueroute du pays en 1852; en 1861 , la Tunisie se dota d' une constitution et devint une monarchie constitutionnelle. En 1869, à la suite de catastrophes naturelles et de mauvaises récoltes, la Tunisie dut finalement se placer sous la haute surveillance d' une commission financière internationale dominée par la France. Les puissances
en raison de sa dépendance économique vis-à-vis de l'Europe, il subit une pression de plus en plus forte. L'intervention militaire du Maroc dans le combat pour la liberté du Maghreb se solda par deux défaites : l'une, en 1844, contre la France qui obligea le pays à s'ouvrir aux interventions européennes et l'autre, en 1860, contre l'Espagne . L'Espagne exigeant d'importantes réparations de guerre, le Maroc fut contraint de signer en 1863 la convention Béclard avec la France qui
stuc des fenêtres et les glaces conservent néanmoins des formes orientales traditionnelles et se distinguent souvent par un style mauresque surchargé.
européennes, redoutant que la Tunisie ne reprenne son indépendance, commencèrent par saboter l'audacieuse politique de réformes menée depuis la fin des années 1860, avant d'y mettre un terme définitif en 1877 en renversant - sous la pression des Français - le Premier ministre moderniste Khayr al-Din . La France imposa le traité du Bardo qui fit de la Tunisie - à l'instar du Maroc - un protectorat français et décida de la politique étrangère et militaire du pays. L'administration fut restructurée sur le modèle français et l'on fit venir en Tunisie
fit du Maroc un protectorat français. La France imposa alors une administration politique, économique ec militaire conçue sur le modèle européen et assis tée de conseillers français, elle donna les terres les plus fertiles aux colons européens (le sultan et le « makhzen » perdirent ainsi une grande partie du contrôle de l' économie) et surveilla les élites locales. Pendant longtemps, le Maroc ne put fa ire entendre sa voix lors des conférences internationales dominées par l'Europe que dans la mesure où ses interventions servaient l'équilibre des forces entre les grandes
un grand nombre de colons français et italiens . Comme les autres colonies et protectorats européens du monde islamique, le Maghreb connut au XIX' siècle une transformation radicale de ses structures politiques et économiques : à la fin du siècle, on assista à une véritable explosion de la population urbaine et à un accroissement rapide du nombre de colons venus d 'Europe pour s'approprier les terres les plus fertiles. Les puissances euro-
puissances. La Tunisie est le pays qui a résisté le plus longtemps à la pénétration française. Sous le règne des souverains réformateurs Ahmad Bey (183 7-18 5 5) et de Muhammad al-Sadiq (1859-1882), on assista à de nombreuses innovatio ns inspirées de l'Europe (abolition de l'esclavage, réformes dans l'armée, l'enseignement et
péennes et leurs concessionnaires exploitèrent également de façon systématique les richesses du sous-sol. Au plus tard après la Seconde Guerre mondiale, tous ces pays furent confrontés à la tâche d'allier leur volonté de se libérer de la suprématie européenne à une refonte en profondeur des structures de leurs sociétés encore très marquées par la tradition.
HISTOIRE
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Architecture
Les Mérinides de Fès
Natascha Kubisch
Fès fut fondée en 798 par Idris I", un descendant d'Ali - lui-même cousin et gendre du Prophète. Le tombeau de ce souverain à Mulay Idris est aujourd'hui encore le lieu de pèlerinage le plus vénéré du Maroc. Dès le IX' siècle, Fès connut un essor culturel favorisé grâce aux immigrants de Kairouan , qui donnèrent leur nom à la mosquée Qarawiyin , et grâce à ceux d'al-Andalus , pour la plupart originaires de Cordoue, qui fondèrent le quartier andalou. Son développement commercial, la ville le devait avant tout à son emplacement stratégique. La liaison est-ouest la plus importante partait du seuil de Taza de l'Algérie actuelle pour rejoindre Rabat ou Salé, en passant par Fès et par Meknès. Les principales voies de communication nord-sud du pays partaient soit de Fès soit de Meknès. Elles conduisaient à Marrakech, puis traversaient le Moyen Atlas pour gagner les oasis du Tafilalet. Comme une partie importante du commerce de l'or entre al-Andalus, le Maghreb et l'Afrique (en particulier le Ghana et le Soudan) empruntait cette route, Fès en profita également. Dans le même temps, la ville devint un centre culturel important. Au milieu du Xl l' siècle, la mosquée Qarawiyin, fondée en 862 et élevée en 933 au rang de mosquée principale de Fès, fut transformée par les Almoravides en l'une des plus grandes mosquées de l'époque. De plus, elle devint l'une des plus importances universités de tout le Maghreb. La Qarawiyin constitua longtemps le centre culturel et spirituel de la ville. C'est autour de ce pôle que se développa le souk - le quartier des marchands et des artisans. À l'intérieur de ce souk, la « Qaisariya » a été conservée ; dans ce secteur particulier, seules des marchandises précieuses comme la soie ou les bijoux étaient proposés à la vente. C'est pourtant à la fin du XIII ' siècle, sous les Mérinides, que Fès connut son essor le plus considérable. Au marin du 27 mars de l'an 1276, le sultan mérinide Abu Yussuf traversa à cheval la vall ée du Wadi Fès pour rejoindre Fès al-Bali , la vieille ville de Fès. Là, il demanda à un astrologue d 'établir un horoscope pour la ville de Fès al-Jadid qu' il venait de fonder. La « nouvelle Fès » devait désormais devenir le point central de son empire, c'est pourquoi il fit entourer la ville d'épais remparts, qui ont été conservés jusqu'à aujourd'hui dans leur quasi-intégralité. Le sultan y fit élever un palais nommé le Dar alMakhzan et ordonna la construction d'une grande mosquée (1276). En outre, il fur aussi à l'origine de la construction de casernes et de bâtiments administratifs et autorisa l' implantation des marchands chrétiens. Aux abords de Fès alJadid s'étend le mellah , le quartier juif traditionnel qui a été intégralement conservé jusqu' à aujourd'hui. La ville moyenâgeuse de Fès, Fès al-Bali ou médina, constitue toujours le cœur de la cité. Sur le point le plus élevé de la ville se trouve le quartier européen datant de l'époque coloniale française : la « ville blanche » . Celle-ci est séparée de la vieille ville par de vastes espaces verts, si bien que le paysage urbain de Fès est pratiquement resté inchangé depuis le Moyen Âge.
Au cours de la première moitié du Xlll' siècle, les derniers souverains almohades d'al-Andalus et du Maghreb perdirent de plus en plus de leur influence politique. Si le Maghreb central demeura encore un certain temps sous domination almohade, l'ouest du Maghreb, le territoire des Berbères, dont la superficie correspond à peu près au Maroc acruel, tomba entre les mains des Banu Marin, tribu originaire du Sahara occidental qui donna naissance à la brillante dynastie des Mérinides. Les Mérinides conquirent Fès, en 1248, et en firent leur capitale. En 1269, ils s'emparèrent de Marrakech, mettant ainsi un terme définitif à la domination des Almohades. En même temps, les Mérinides essayèrent d'étendre leur empire vers l'est, où les Banu Abd al-Wad régnaient déjà en maîtres sur Tlemcen. Cette ville était un point d'appui important sur la route menant vers l'Ifriqiya - où les Banu Hafs, les Hafsides, s' éraient emparés du pouvoir en 1230. Ils dominaient le Maghreb oriental, c'est-à-dire un territoire englobant certaines parties de l'Algérie actuelle - avec notamment les villes de Bougie, Constantine et Biskra et la Tunisie, où ils choisirent Tunis comme capitale de leur empire.
Les mosquées mérinides La grande mosquée de Fès al-Jadid fut fondée en 1275 par Abu Yussuf, puis remaniée plus d' un siècle après - en l'année 788 de l'hégire (1393) -, comme l'indique une inscription gravée dans le marbre à l'intérieur de la mosquée. Le Cour avec vue sur le minaret de la mosqu ée Qa rawiyin de Fès, x11' siècle Dans la cour de la mosquée, on remarque deux pavillons avec décor en stuc ajouré. Erigés aux extrémités de l'axe longitudinal de la cour, ils forment une voûte au-dessus de bassins
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LE MAGHREB: DU MARO C À LA T UN I S IE
servant aux ablutions rituelles avant la visite de la mosquée. Les pavillons ont été construits au XIV' siècle sous les Mérinides ; du point de vue de la composition et du décor, ils ressemblent aux pavillons de la cour des Lions du palais de !'Alhambra de (;renade.
plan de la mosquée présence un rectangle de 54 mètres de longueur sur environ 34 mètres de largeur : la salle de prière presque carrée donne sur une cour de forme rectangulaire entourée de galeries simples sur crois de ses côtés. Un minaret s'élève dans l'angle nord-ouest de la mosquée. Au centre de la galerie qui s'ouvre frontalement sur la cour se trouvent deux encrées : celle qui est située à gauche étaie probablement réservée à la genc féminine , puisqu'elle offrait un accès direct à la galerie des femmes ; celle qui est située à droite servait d'entrée principale. La cour et la salle de prière étaient également dotées de plusieurs encrées latérales. Si l'on pénètre dans la mosquée par l' encrée principale, on se retrouve aussitôt dans l'axe longitudinal qui traverse la cour et la salle
Vue aérienne de Fès Fès est la plus ancienne des quatre villes royales du Maroc. Depuis sa fondation au 1x• siècle, elle n'a cessé d'être agrandie et embellie. Aujourd 'hui, on considère qu'elle est à l'origine de la vie culturelle et religieuse marocaine. Autour de la mosquée Qarawiyin,
de prière ; celui-ci est orienté vers le mihrab , la niche de prière . La salle de prière compte sept nefs à six travées, coutes décorées de grands arcs outrepassés à la courbe élégance. Comme dans les mosquées almohades , un transept longe le mur de la qibla qui indique la direction de La Mecque ; il compose avec la nef médiane orientée vers le mihrab la forme d ' un T, si bien que l'on pa rle de « disposition en T » . Cerce disposition existait déjà dans les mosquées almoravides et almohades du X:I' siècle ec a été reprise dans l' arr mérinide de la fin du Xlll' siècle. Cette continuité n'est guère surprenante puisque les M érinides se
elle sert à accentuer l'axe longitudinal orienté vers le mihrab, ce qui indique qu'il s'agit là d'une mosquée de type « orienté ». Les deux coupoles rappellent les coupoles à nervures de la grande mosquée de Cordoue (agrandissement de alHakam II) s'élevant devant le mihrab de part et d 'autre de la coupole centrale en forme de parasol et mettant ainsi en valeur l'emplacement réservé au calife : la maqsura. Le motif de la coupole nervurée a continué à se décliner dans les mosquées almoravides du XII' siècle, notamment dans la grande mosquée de T lemcen
co nsidéraient comme les successeurs directs des califes almohades , une filiation q ui s'exprimait aussi bien dans leur politique que dans leur programme archiceccural. La salle de prière de la grande mosquée de Fès al-Jadid se distingue par so n mihrab richement décoré, mais également par sa grande coupole à nervures, q ui s'élève juste au-dessus de la section carrée précédant le mihrab donc elle
(bâtie en 1182). La mosquée Qarawiyin de Fès possède en revanche dans sa nef centrale des muqarnas ou voûtes à scalaccices datant de la période de construction almoravide (1135-1142). La structure de ces mosquées constituées d ' une longue salle de prière rectangulaire, précédée d' une cour et entourée de galeries , ressemble à celle des grandes mosquées almohades du XII' siècle, comme
transformée par les Almoravides au milieu du x11• siècle en l'une des plus grandes mosquées de l'époque, s'est développée la vieille ville avec ses nombreux souks, ses madrasas et ses mosquées.
renforce ainsi l'effet. Une autre coupole se trouve au début de la nef centrale ;
ARC HITE CT URE
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Salle de prière et coupole de la mosqu ée Qara w iyin de Fès XII' siècle Les muqarnas ou coupoles à stalactites de la mosquée Qarawiyin renvoient à la phase de construction almoravide, au milieu du x11 ' siècle; elles servaient, à l'origine, à accentuer les éléments architecturaux importants de la mosquée, comme la nef centrale orientée vers le mihrab. Au fil des siècles, les coupoles ont sans cesse été restaurées afin d'en préserver la beauté originelle.
la grande mosquée de Taza (bâtie en 1142), en Algérie, par exemple, la mosquée de Tinmal (1153-1154) dans le Haut Aclas ou les deux mosquées Kucubiya de Marrakech donc il ne subsiste que la seconde (1158). Avec le temps, seule la cour des mosquées mérinides adopta une forme carrée. À l'intérieur des mosquées, on est frappé par la richesse du décor en stuc, notamment dans la partie du mihrab. Les grands entrelacs géométriques, typiques de la période almohade, furent relégués au second plan. En contrepartie, les calligraphies devinrent plus raffinées et gagnèrent en élégance, tandis que le décor végétal, avec ses rinceaux et ses motifs floraux d' une grande délicatesse, se révéla de plus en plus élaboré, divers et riche. Cette ornementation extrêmement riche est l'une des plus belles et des plus caractéristiques de l'art mérinide, qui, au fil des siècles , influença durablement l'évolution artistique du Maroc. Parmi les ouvrages les plus remarquables qui attestent de l'art mérinide, il faut citer la madrasa - école spécialisée dans l'enseignement religieux. À la différence des écoles coraniques qui n'enseignent que le Coran, les élèves y étudiaient aussi le droit islamique. Dans le Maghreb, le droit islamique (fiqh) repose sur la sunna et s'oppose à la proclamation de doctrines hétérodoxes. Étant donné que les fonctionnaires éraient recrutés dans les madrasas, celles-ci faisaient également office d'écoles de droit, d' université et de centres de formation pour hauts fonctionnaires. Outre l'enseignement, la madrasa assurait aux étudiants le gîte et le couvert. Née en Orient, cette institution s'est ensuite répandue dans l'ensemble du Maghreb, où elle connut son apogée au XIV' siècle sous les Mérinides.
312
LE MAGHREB
Les madrasas mérinides Les Mérinides fondèrent d' innombrables madrasas, comme la madrasa Saffarin (1271) érigée par le sultan Abu Yusuf au bord du Wadi Fès à une époque où l'essor culturel et artistique de la ville commençait à peine. Parmi les premières madrasas mérinides, on compte la madrasa de Fès al-Jadid , construire par Abu Sayd en 1320, ainsi que la madrasa al-Sahrij (1321-1328) à Fès, érigée par le prince Abu Hassan (1331-1351) en souvenir de son père. On lui doit aussi la madrasa Masbahiya à Fès (1346), qui porte le nom d' un savant de l'époque. Sicuée à proxi mité immédiate de la mosquée Qarawiyin de Fès, la madrasa Masbahiya faisait encore office de cité universitaire dans les années 1950. Dans le même quartier s'élève la madrasa Sbaiiyin, sans oublier bien sûr la madrasa Attarin (1323-1325) implantée au beau milieu du marché aux épices. C'est la madrasa la plus élégante et certainement aussi la plus impressionnante de la ville. Une encrée en couloir sépare la vie estudiantine de l'agitation de la rue. Deux portes s'ouvrent de part et d'aucre du vestibule: la première mène aux salles d'ablution, la seconde aux cellules-chambres des étudiants situées à l'étage supérieur auquel on accède par un escalier. La cour est entourée de galeries latérales, somptueusement rythmées par des arcs, des piliers en bois et un décor en stuc. C'est justement cette association d'arcs de petite et grande raille, et l'alcernance de brillances colonnes en onyx, de piliers de bois et de poucres revécus de stuc qui font tout le charme de cet ouvrage . La salle de prière en elle-même est un espace simple, de forme presque carrée ; elle séduit par son soubassement en
D U MAROC À LA TUNIS IE
céramique polychrome er le décor raffiné de son mihrab. Aussi surprenanc que cela puisse paraîrre, le mihrab ne se sirue pas dans l'axe principal de la mosquée; légèremenc décencrée, la niche s'inscrir en effer dans le mur orienral indiquant
profonde que large, esr bordée sur crois côrés de galeries à deux érages dont les façades scrucrurées présencenc un soubassemenc en céramique haur en couleurs, un décor en sruc et de délicares sculptures sur bois sur les poucres et concreforcs
la direcrion de la Mecque. L'axe du mihrab coupe don c perpendiculai rem ent l'axe de la cour er propose ainsi une solurion archirecrurale inhabiruelle, mais mûremenr réfléchie . La madrasa de Salé (1341) , conscruire par Abu Hassan aux porres de Rabar, se disringue par un décor raffiné, qui , d' un point de vue srylisrique , esr crès proche de l'arc nasride de Grenade er mer en évidence les connexions arrisriques encre ces deu x d ynasries. Le fils d 'Abu Hassan , le sulran Abu In a n (135 11358), esr à l'origine de la madrasa Bu -Inaniya de Fès (1350-1355 ), qui porre son nom er fair parrie des édifices mérinides les plus impressionnancs. Son fondateur y fic aménager une chaire pour la prière solennelle du vendredi, l'éleva ne ainsi au rang de mosquée du ve ndredi. En plus de cela, Abu Inan fic ériger un minarer pour lequel il offrir un carillon. La madrasa Bu-lnaniya possède deux entrées : l' une comprend un ves ribule er mène à la cour par l' incermédiaire d' un long corridor; l'aurre , ['encrée principale , se rrou ve direcrement dans l'axe du bârimenr. Ses deux porres sonc pourvues de belles ferrures en bronze er de heurtoirs massifs. Alors que l' une des encrées donne direcremenc sur la cour, l'aucre s'ouvre sur des escaliers qui co nduisent à l'érage su périeur où se rrouvenc les salles de cours des érudiancs . En pénécrant dans la cour, on prend conscience du si lence et de l' iso lemenc de ce lieu. La cour recrangulaire, plus
des murs . Des cellules attenantes réservées aux érudiancs encourent ces galeries. Un bassin central et un canal d'environ deux m èrres de largeur - sirué au fond d e la co ur et équipé de passerelles larérales permerranc l'accès à la mosquée se rvaient au x ablutions rituelles. La mosquée de la madrasa Bu-Inaniya érair non seulemenc fréquencée par les étudiants, mais aussi par les habitants du quarrier, qui aujourd 'hui encore viennent volontiers assister à la prière. La façade de la salle de prière donnant sur la cour comporte deux érages donc le niveau inférieur est divisé en cinq arcs qui s'ouvrenc sur la salle de prière. L'arc cencral est légèrement surélevé. Longue de 17 mètres sur 13 mètres de large, la salle de prière a été érigée par Abu Sayd. Cinq arcs reposant sur des colonnes d'onyx surmontées d' un chapiteau la séparent en deux transepts parallèles au mur de la qibla. Par la richesse de son décor en sruc, le mihrab fair de la madrasa Bu Inaniya l' une des plus belles créarions de l'arc mérinide. Au centre de chacune des galeries larérales , on voir un grand arc fermé par des porres qui s'ouvrent sur une salle de cours d'environ 5 mètres sur 5 coiffée d' une impressionnante coupole nervurée en bois. Les deux salles de cours sont encourées d' un couloir relié aux galeries ; ainsi les érudiancs pouvaient-ils accéder direcremenr aux salles de cours depuis leurs cellules. La conceprion de ces deux salles de cours larérales rappelle les madrasas égypriennes, comme la mosquée
Cou r de la madrasa Atta rin à Fès, 1323-1325
La madrasa Attarin a été construite par les Mérinides dans le premier quart du XIV' siècle. Elle porte le nom du marché aux épices qui l'entoure. Aujourd 'hui encore, elle est considérée comme l'une des plus belles et des plus fastueuses madrasas de Fès. Sa cour séduit par l'impression d 'espace et la stricte composition
Détails du stuc de la rnadrasa Attarin à Fès, 1323-1325
Dans la cour de la madrasa, on remarque des colonnes coiffées d'un chapiteau qui supportent des arcs en stuc richement décorés. La couronne de feuilles d'acanthe très stylisée du
de ses murs: soubassements en céramique très colorés, fins lambris de stuc et délicates sculptures sur bois. Le décor en stuc des murs présente des ornements végétaux et calligraphiques, des motifs géométriques, ainsi que des coupoles à stalactites qui reviennent de façon récurrente.
chapiteau est réduite à une bande ondulée, alors que l'abaque placé au-dessus est orné de rinceaux et de vo lutes très élaborés. Les socles des piliers sont décorés de carreaux pol ychromes émaillés qui rappe ll ent le décor du soubassement de !'Alhambra à Grenade.
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Page ci-contre : cou r de la mad rasa al -Sa hrij à Fès,
1321 -1328 La madrasa al-Sahridj doit son nom à la fontaine (e n arabe : sahrij) située dans la cour et dont l'ea u coule dans un bassin particulièrement grand. La décoration de la cour témoigne de toute la va riété de l'ornementation de l'a rchitecture mérinide :audessus du sol carrelé s'élève un soubassement en céramique riche en couleurs délimité par une frise en stuc. Le portail orné de fines sculptures sur bois jouxte des lambris en bois richement décoré.
L'empire des Abdalwadides
Faça de de la madrasa al -Sahridj à Fès
Cari ll on de la madrasa Bu-lnaniya à Fès
1321-1328
1350-1355
La madrasa al-Sahrij à Fès est l'une des plus anciennes madrasas de la vi lle. Les lambris et les arcs en stuc sculptés se détachent superbement de la surface lisse du mur de la cour.
Le carillon de la madrasa Bu-lnaniya est composé de treize cloches en bronze qui ont été offertes par le souverain mérinide Abu lnan .
H assa n du Caire construite une douzaine d'années après la madrasa Bu Inaniya et donc contemporaine de cette dernière. La religiosité du Maroc s'exprime non seulement à travers ses mosquées et ses madrasas, mais aussi à travers ses monuments funéraires qui furent érigés autour de tombes de personnes vénérables . De ce fait, les tombes de so ufis, les marabouts, pouvaient également servir de lieux de recueillement. Ainsi le Maghreb fut-il parcouru dès le Moyen Âge d'un mysticisme teinté d'islam populaire. Ascètes et soufis, qui étaient animés par une foi ardente, attendaient l'extase au service de Dieu. Les soufis construisirent de nombreuses institutions religieuses, comme les ribats , qui peuvent être comparés à des couvents fortifiés, ou les zawiyas, « lieux de médication », où l'on récirair le Coran so us la direction d'un officiant. Construite par Abu Inan aux portes de Rabat, la zawiya al- ossak de Salé rappelle le prestige passé de la ville qui s'était développée à partir d'un ri bar almohade. Au début du XIV' siècle, la zawiya al-Nossak de Salé donna naissance à la Chelia (1310-1339), nécropole des princes mérinides qui fut cependant rapidement abandonnée. Une inscription sur l'impressionnant portail d'entrée de la Chelia indique qu'Abu al-Hassan (1331-1351), le dernier membre de la dynastie enterré ici, avait fondé un ribat quelques années avant sa mort ; mais il ne reste aujourd'hui que la nécropole entourée de murs, les deux petites mosquées avec leurs minarets richement décorés et les logements réservés aux pèlerins.
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LE MAGHREB
et Ziyanides de Tlemcen Le petit royaume des Abdalwadides qui régnaient sur Tlemcen depuis 1236, s'étendait principalement sur le littoral intégrant les villes d' Oran et d 'Alger. Tlemcen était au XIII' siècle un important centre économique fréquenté à la fois par des marchands chrétiens et musulman s. Son port de Honein , près d'O ran , reliait le royaume aux pays simés de l'autre côté de la Méditerranée, et ses carava nes parcouraient les montagnes du Tafilalet jusqu'en Afrique. Le fondateur de la dynastie, Emir Yaghmorasan ibn Zayyan (1236- 1283), fit agrandir vers le nord la grande mosquée des Almoravides de Tlemcen et ajouta à la salle de prière une cour entourée de galeries. L'émir abandonna l'ancienne forteresse installée à côté de la mosquée et se fit construire une nouvelle résidence, le mechuar, dont les murs d'encei nte ont subsisté jusqu'à aujourd'hui. C'est à peu près de cette même époque que date la petite mosquée de Sidi ibn Hassan à Tlemcen (1269) qui séduit par le décor raffiné de son mihrab . Les monuments les plus imposants de la ville, on les doit cependant à Abu Tachfin l" (1318-1337). Comme l'indiquent des chro niques arabes, ce cinquième so uverain des Abdalwadides s'éta it fair construire trois palais à Tlemcen . Seuls les prisonniers musulmans qu'Abu Tachfin avait cap mrés pendant les guerres contre les .\.1érinides étaient autorisés à intervenir sur ses ouvrages, ce qui explique que ces édifices présentent des similimdes stylistiques avec l'art mérinide. Dès le XIII ' siècle, les Mérinides commencèrent à lancer des offensives répétées contre la vi lle de Tlemcen. Ils regroupèrent leurs troupes à Mansura, une ville de garnison fondée par leurs so ins et surnommée plus tard « la victorieuse » . La ville de Mansura, simée aujourd'hui à la frontière entre le Maroc et l'Algérie, était autrefois un vaste camp militaire qui, avec ses tours et ses murs de fortification,
DU MAROC À LA TU N ISIE
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étai t particulièrement bien protégée. La ville comptait également une grande m osquée et de nombreux palais - ouvrages qui témoignent de la passion des Mérinides pour l' arch itecture résidentielle.
Les Saadiens de Marrakech Au milieu du XVI' siècle, les Mérinides furent remplacés au Maroc par les d ynasties chérifiennes, tandis que le reste du Maghreb, c'est -à-dire l'Algérie et la Tunisie, subissait nominalement l' influence de l'empire ottoman. La prem ière grande d ynastie chérifienne fut celle des Saadiens (1548-1659 ) à Marrakech. De leur a ncienne résidence, le célèbre palais Badi (1578-1593) construit par le légendaire sultan Ahmad al-Mansur (1578-1603) , il ne reste a ujourd'hui que des ruines ; le palai s fut en effet démoli dans le courant du XVIII' siècle par le souverain alaouite Mulay Ismaïl (1672-1727) qui vo ulait effacer toute trace du prestige de so n illustre prédécesseur. La vastitude du domaine avec ses jardins (agdal), a ujo urd ' hui à l'abandon , et ses immenses bassin s peuve nt néanmoins nous donner une idée de ce qu e furent autrefo is sa grandeur et sa splendeur. Parmi les mon um ents saadi en s les plus importants , on compte la mo sq u ée
Ci-dessus: mauso lée de Mu lay lsmaïl à Meknès Le monument funéraire de Mulay lsmaïl (1 6721727) est implanté près de la grande mosquée - au cœur du quartier palatin de la Casbah de Meknès, que le sultan fit ériger vers la fin du xv11' et au début du xv111' siècle pour y installer
sa résiden ce. Mulay lsma1 I avait réorganisé le pays d'une main de fer et relevé son économie. La riche décoration du mausolée témoigne de l'importance du souverain, bien que son aspect actuel soit assez éloigné de l'original à la suite des ajouts et des restaurations.
Bab Dukkala (1557) et la mosquée al -Muass in (1562) d e Marrakech, ainsi qu e la madrasa Ibn Yuss uf dont M ulay Abd Allah, au milieu du XVI ' siècle , fit l' une des plus grandes madrasas du Maghreb. Son plan présente des similitudes avec ceux des grandes madrasas de Fès et son charme réside , à l'instar d e ces d ernières , dans ses magnifiques ouvrages en stuc e: ses sculptures sur bois raffinées . Les tombeaux saadiens de Marrakech so nt san s aL:cun doute les édifices les plus connus de cette dynas tie . Ils furent érigés près de la Casbah adossés au mur arrière de la mosquée de la Casbah. À l'origine , cette derni ère donn ait aussi accès aux tombea ux. La n écropole entourée d ' un mur élevé avait certainement déjà servi de cimeti ère (rauda), d ' abord aux Almohades, puis p lu s tard aux Mérinides. Ici , des centaines de tombes - pour la plupart de forme prismatique et le plus souvent décorées d e faïences - et près d e cent stèles renversées ont été conservées. Au milieu de ce complexe funéraire s'élève nt deux tombeaux dont le plus petit ab rite la tombe de Muhammad al-Chaykh (mort en 155 7). Ce mausolée fut élevé par son fils Mulay Abd Allah (mort en 15 74), puis ag randi par Ahmad al-Mans ur. Il présente un e simple coupole ornée d ' un riche d éco r en stuc . Le mauso lée d 'Ahmad al-Mansur, en reva nche , est beauco up plus somptueux. Celui-ci est composé d'une mo squée et du monument funéraire proprement dit. Quatre colonnes di vise nt la mosquée, au plan rectan gulaire , en trois nefs parallèles a u mur de la qibla. Au centre du mur de la qibla se trouve le mihrab surmonté d ' une petite co upole à muqarnas. 1-:enrrée du monument funéraire se situe exactement dans l' axe du mihrab . 1-:édifi ce de forme presque carrée, d 'enviro n 10 mètres d e côté , es t di visé en ne uf sections par douze colonnes isolées. Les sectio n s la térales so nt coiffées de petites muqarn as ou voû tes à stalactites, alors que la section centrale, légèrement plus haute, est surmontée d ' un plafond en bois. Celle-ci présente un plan carré, d élimité p ar d es arcs. Chacun des côtés de cette zo n e es t bordé par un groupe de trois arcs qui
Intérieur d'un mausolée saadien à Marrakech, seconde moitié du XVI' siècle Les tombeaux saadiens de Marrakech sont des tombeau x de famille appartena nt à la dynastie chérifienne, au pouvoir au Maroc depuis le mi lieu du xv1' siècle. Ce qui frappe dans ce
mausolée, ce sont les tombes en fo rm e de pri sme au premier plan et les soubassements en céramique polychromes avec leurs motifs géométriqu es. Ils se poursuivent en une surface murale lissE qui renforce l'effet produit par le décor en stuc des arcs.
Bab al -Mansur à Meknès L'impressionnant portail d'entrée Bab al-Mansur donne accès au mausolée de Mulay lsma1I (i ntérieu r, voir page ci-contre), deuxième et éminent sultan de la dynastie des Alaouites. La façade de
la porte, symétrique par rapport à l'axe et revêtue d'un décor composé de briques et de céramiques, est rythmée dans le sens de la profondeur par trois retraits. Au centre se trouve l'im posante entrée, en forme d'arc outrepassé.
riche décor en stuc et son soubassement en céramique haut en couleurs. La sérénité du lieu, au cœur d' une ville en perpétuelle effervescence, laisse chez le visiteur un souvenir fort et impérissable.
Les dynasties des Alaouites reposent sur des colonnes couronnées d ' un chapiteau. Les surfaces murales qui les surmontent sont décorées de panneaux en stuc. Leur ornementation reprend le motif des rinceaux croisés rehaussés de petites arabesques de la Sebka. Les murs latéraux du mausolée sont mis en valeur par la riche céramique qui orne le haut soubassement et par la mince frise en stuc aux caractères calligraphiques qu i le frange. S'élevant jusqu'au plafond à 11 ,5 m de hauteur viennent ensuite des panneaux en stuc en saillie, ornés de figures géométriques et végétales. Le contraste entre la hauteur impressionnante de la pièce et sa superficie modeste crée un effet particulier. Le plafond situé au-dessus de la partie centrale du mausolée est un plafond artesonado - c'est-à-dire un plafond en bois de cèdre, dont les différents éléments sont assemblés et mis en valeur par la couleur du bois qui crée un motif géométrique complexe où prédomine l'étoile. Sous cette voûte étoilée, repose Ahmed al-Mansur, entouré des tombes de ses enfants et des autres membres de sa famille. Bien que les Saadiens n'aient apporté aucune innovation dans l'architecture et l'ornementation par rapport aux Mérinides, l'édifice séduit tout de même par son
Au milieu du XVII' siècle, les Saadiens furent remplacés par les Alouites, la deuxième grande dynastie chérifienne. Toujours au pouvoir actuellement au Maroc, les Alaouites, qui se prétendent les descendants h : b : b·. : h ... :ci' ..
le monde islamique n'existe un palais doté d' un décor de carreaux d' une telle variété qui soit en partie conservé sur une hauteur d'environ deux mètres. Le musée de la m adrasa Karatay à Ko nya abrite aujourd'hui un choix de carreaux muraux lustrés ou peints sous glaçure du type en étoile et en croix. La cour se reflète dans la foule de figures représentées : le prince trônant accroupi « à la turque », l'aigle à deux têtes symbolisant le pouvoir, des sphinges et sirènes comme
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Plan du han du Sultan à Tuzhisar, 1232-1236 Ce han, situé sur l'ancie nne route de Kayseri à Sivas empruntée par les caravanes, compte parmi les groupes de caravansérails répandus en Anatolie occidentale et centrale, dotés d'une salle monumentale voûtée à plusieurs
AR C HI TECTU RE DES SELJOUKID ES D 'AN ATOLI E
travées, la travée centrale étant couronnée d'une coupole. Devant cette salle, s'étend une grande cour rectangulaire, parfois plus vaste encore que la salle. Un kiosque carré, dont l'étage supérieur sert de petite salle de prière, s'élève au milieu de la cour.
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emblèmes magiques de la protection, !'Arbre de Vie flanqué d'oiseaux et des paons évoquant le paradi . Le animaux de chasse sont aussi représentés par la meure des chiens, le fa ucon qui terras e le lièvre, la panthère, le renard, des bouquetins sautant, des onagre trorcanr, de ours se régalant de fr uits, des oiseaux prenant leur envol , tels que de oies auvages et des canards» (K. Orco-Dom). Il existe d'auue onsrrucrions palatines, surtout dans les environs de Kayseri, mais aus i, d'après de récentes recherches, dans la région côtière d'Alanya, quel' on pou rrait décrire com me des « maisons de maître » fortifiées ou des « châteaux princiers • a~·ant différentes fonctions. Alors que le kiosque Haydar Bey à Argincik près de Kay eri (,·ers 12 50) devrait avoir été un poste de contrôle, du fait de son caractère défensif ma nifestement accentué, mais aussi de l'absence de décoration, les trois arcade de Kayqubadiye (vers 1224) , situées au bord d'un lac près de Kayseri et conservées de façon très fragmentaire , proviennent peur-être des pavillons lacustres destinés au « repos royal » et équipés d'une remise à bateaux. À Erkilet, un emplacement exposé au-dessus de Kayseri, se dresse le kiosque Hizr Elias (1241) qui servait sans doute aussi bien de pavillon panoramique que de cour de surveillance.
Konya - capitale des Seljoukides d' Anatolie À la suite de la rapide invasion des tribus turques conduites par Sulayman en Asie Mineure occidentale, Nicée, qui deviendra plus tard Iznik, fut d'abord la capitale de l'empire en train de se constituer lentement. Ce n'est que sous le sultan Kilitch Arslan II (1155-1192) qu'Iconium/Konya devint, probablement en 1181 , la résidence des Seljoukides. Au centre de la villes' élève la colline fortifiée (en turc: Afa al-Din Tepesi) sur laquelle a été érigée la grande mosquée Ala al-Din au )UI' siècle. Son plan irrégulier laisse déjà entrevoir l'hisroire complexe de sa construction que l'on n'a jusqu'à présent pas encore entièrement élucidée. Tour près se trouvait le palais richement décoré de faïence et de plafonds en bois peinr ; il n'en reste que les vestiges des murs d' un pavillon. Palais et grande mosquée, mais aussi la ville elle-même, étaient protégés par deux superbes anneaux de murailles, dont il ne reste coutefois rien si ce n'est une série de reliefs figurés et des plaques épigraphiques en marbre. La description du chroniqueur de la cour Ibn Bibi donne une idée de la signification que le sultan Ala al-Din Kaykubad (1219-123 7) attribuait à la fortification de la ville, tant du point de vue défensif qu' esthétique: le sultan parcourait lui-même la ville à cheval,
Reliefs des murs d'enceinte du château fortifié et de la ville, Konya, 1221-1 222 Le danger mong ol approchant, le sultan Ala al-Oin Kaykubad (1219-1237) décida, pe u après son access ion au pouvoir, de protéger Konya, la capitale, pa r un mur d'enceinte, aujourd 'hui disparu, comme celui du château fortifié. De nombreux reliefs
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La madrasa lnje Minare à Konya, vers 1260 La madrasa lnje Minare qui, comme celle du Karatay, se situe directement au pied de la colline fortifiée de Konya , a été construite par le vizir Fakhr al-Din Ali. Elle doit son nom actuel de « minaret effilé » à son minaret en partie détruit par la foudre en 1900, dont le reste de fût est décoré de briques turquoise. Dotée
figurés en marbre ont en revanche été préservés, dont ceux représentant des « génies » du type « marchant à genou x », des aigles à deux têtes héraldiques - dans lesquel s il faut voir ou bien des symboles du pouvoir en général, ou bien une référence au commanditaire Ala al-Oin Kaykubad - , ai nsi que des reliefs montrant des scènes narrati ves. L'un d'eux, qui a dû fa ire partie
AS IE C EN TRALE ET M I N E U RE
d'une cour fermée recouverte d'une coupole, la madrasa se distingue par un portail monumental avec un décor de pierre inhabituel dont les ornements peuvent être três travaillés par derrière. Le; bandeaux croisés, garnis de frises inscrites, qui encadrent l'entrée proprement dite attirent l'attention.
d'un vaste ensemble, montre une licorne ailée poursui vant un éléphant qui trotte devant elle. li pourrait s'agir là de l'illustration d'une fable connue, dans laquelle un rhinocéros-l icorne, ennemi mortel de l'éléphant, transperce ce dernier de sa corne et le tue. Pour finir, le rhinocéros meurt aussi, aveuglé par la grai sse qui jaillit de la blessure de l'éléphant et lui saute aux yeux.
accompagné « d'architecces ec dessinaceurs de vale ur » ec décidaic où il fallaic conscruire des porces, des cours ec des courcines . La madrasa Inje Minare conserve aujourd'hui environ 20 reliefs de pierre de grand formac avec des représencacions figurées qui, à l'origine, ornaienc la muraille d'enceince du châceau fore ainsi que celle de la ville. On voie, encre aucres mocifs, le prince assis une grenade dans la main, deux anges ou deux génies du type « marchanc à genoux », des aigles héraldiques stylisés porcanc la devise « al-sultan », différencs aigles à deux cêces, ainsi que des poursLices d'animaux, donc la scène de la licorne qui essaie d'empaler un éléphanc crottanc devanc elle, que l'on ne recrouve nulle parc ailleurs. Deux imporcances madrasas s' élèvenc au pied de la colline forcifiée, la madrasa Karacay de 1251 ec la madrasa Inj e Minare érigée vers 1260, qui se discinguenc couces deux par le décor excepcionnel de leur façade. Alors que la madrasa Inje M inare frappe par la plascique de sa décoration en pierre, franchemenc « baroque », avec de grands bandeaux épigraphiques, le porcail de la madrasa Karacay présence un mocifà nœuds arrivé en Anacolie par l'incermédiaire d'archicecces ou de railleurs de pierre syriens. Ce type d'ornemenc architeccural connu sous l'appellacion de « mocif à nœuds syrien », que l'o:1 crouve aux XJ I' ec XJ ll' siècles sur plusieurs madrasas surcour à Alep ec Damas, se présence sous une forme presque idencique sur le porcail de la face nord de la mosquée Ala al-Din, conscruice sous Ala al-Din Kaykubad en 1221-1222 par l' archicecce de Damas Muhammad ibn Khawlan al-Dimachqi. Oucre ces décoracions en pierre qui accirenc l'œ il, il y a aussi des ornemencs en pierre placs, par exemple, sur le porcail de la madrasa Sircchali (1242-1243). Le décor de pierre plucôc simple de la façade concrasce avec la riche ornemencacion sous glaçure de l'incérieur, réalisée selon différences cechniques. Oucre la mosaïque de briques imporcée d'Iran ec d'Asie cencrale - briques émaillées qui , associées à celles non émaillées de la maçonnerie, formenc des mocifs géomécriques - , c'esc ce que l'on appelle la mosaïque de faïence qui domine, une cechnique nouvelle née de la nécessicé de garnir aussi d' un décor sous glaçure les conscruccions élevées non plus en briques mais en pierre ou en pierre de caille. Le revêcemenc de carreaux selon différences cechniques développées en Perse érant trop onéreux et ne pouva nc être appliqué que sur de petices surfaces, on a cherché une technique utilisable indépendamment du macériau de conscruccion et présentanc l'avancage d'une disponibilité des ornements ainsi que d' une fabrication simple et économique. Ainsi , des carreaux monochromes faciles à fabriquer étaienc coupés en petits morceaux et assemblés sur un supporc lisse, la face émaillée au contact du supporc. Une fois les morceaux placés côce à côte et légèrement écarcés les uns des aucres , on étalait le mortier qui pénécraic dans les interstices et maintenaic le roue solidement ensemble. Le mortier forme un fin concour ec contraste avec les morceaux de carreaux turquoise, aubergine, bleu foncé ec noir. Cene nouvelle technique permenaic de revêtir de mosaïque de faïence également des surfaces arrondies comme celle des pendentifs ou des coupoles; même des niches de prière avec des calocces de muqarnas ont pu être décorées de ce type de mosaïque. Le centre médiéval du décor de faïence était Konya, qui compte à lui seul 47 des quelque 120 constructions (réparties dans 42 sires) pour lesquelles on a pu établir qu'elles comportaient un décor de faïence . En revanche, sur 40 construccions médiévales à Kayseri, Nigde ec leurs environs, qui possèdent une solide cradition locale en macière de construccion en pierre et ses propres railleurs de pierre, seulement deux présentent un décor de faïence.
Le décor de pierre des Seljoukides Les édifices des Seljoukides-anacoliens impressionnent moins souvent par leurs dimensions que par leur décor architeccural grandiose, à bien des égards singulier. Il s'agit là de la différence décisive avec les constructions des Grands Seljoukides d'Iran et d'Asie centrale, en grande parcie élevées en briques cuites et où domine le décor de faïence ec de stuc. À quelques exceptions près, ce dernier est roue à faic
Le portail nord de la grande mosquée de Divrigi, 1228-1229 Le complexe mosquée-hôpital de Divrigi a été construit par le souvera in mangüjakide Ahmad Chah, vassal du sultan seljoukide Ala al-Din Kaykubad et son épouse Turan Malik. li se dis-
tingue par son extraordinaire décor de pierre de grande qualité ; le portail nord de la mosquée possède le décor le plus frappant d'un point de vue plastique, où prédominent des motifs végétaux qui se détachent les uns des autres.
secondaire. La décoracion de pierre des édifices profanes et sacrés démontre la maîcrise arciscique des Seljoukides d'Anacolie. Une attention parciculière était accordée aux fastueuses façades des mosquées, madrasas ec hans ; mais les fenêcres, les linceaux des portes, les voûtes, les consoles ec les corniches, voire ici ec là le mihrab, éraient également décorés. On conscate aucanc des différences régionales qu' une évolucion chronologique. Les décors en pierre dans la région de Divrigi , Sivas ec Erzurum montrent des ornements fortement mis en valeur et produisent de ce fait un effet très plascique, alors que les constructions de Konya et Kayseri présentent de délicats reliefs méplacs. Avec son ornementation de tendance « baroque », la façade à portail de la madrasa Inje Minare de Konya (vers 1260) constitue en roue cas une excepcion nocable. Bien que l'on puisse difficilement faire ressorcir de grandes lignes conductrices, le )(li! ' siècle apparaîc toutefois marqué par une évolucion vers une plascique complexe
AR C HIT ECTU R E DE S SELJOUKIDES D ' ANATOLIE
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de pierre entrelacée. Alors que dans la première moitié du siècle, les décors de pierre se caractérisent par des entrelacs géométriques denses, des motifs anguleux, des inscriptions coufiques, des rosaces et des ornements à muqarnas, la décoration devient, par la suite, plus plastique, et les ornements produisent alors un effet parfois ampoulé. Vers la fin du Xlll ' siècle, les feuillages deviennent le facreur dominant des reliefs en pierre. Le complexe mosquée-madrasa de Divrigi (1228-1 229) du souverain mangüjakide Ahmad Chah réunit cependant cous les divers ornements et styles évoqués sur les trois portails, dont les décors sont cout à fait différents. Les façades de portail des grands hans fondés par les sultans présentent des systèmes ornementaux géométriques parfois très ouvragés, mais c'est le décor architectural figuré qui mérite une attention particulière. Sur plus de 50 construcrions aujourd'hui conservées datant de l'époque pré-ottomane, c'est-à-dire du XI' au
local vassal du sultan seljoukide Ala al-Din Kaykubad, ces reliefs illustrent clairement cette relation de dépendance, l'aigle étant à associer à Ahmad Chah, l'aigle à deux têtes à Ala al -Din Kaykubad. Cattitude non orthodoxe des Seljoukides d'Anatolie à l'égard des représentations imagées d'êtres vivants s'exprime également dans l'utilisation de matériel de remploi préislamique, en particulier de coures sortes de reliefs et sculptures antiq ues et byzantines. Ainsi, les murailles d'enceinte de la ville et du château fore de Konya déjà évoquées, présentaient aussi bien des reliefs seljoukides retravaillés que de nombreux éléments de remploi, donc des figures de lions et des statues antiques.
L'architecture artuqide
Par comparaison avec les lions, aigles à deux têtes, sirènes, sphinges et dragons, tous porteurs d' une signification symbolique, les animaux réels, tels que oiseaux, lièvres, poissons, taureaux et gazelles y jouent un rôle plutôt secondaire. Ils ne se trouvent toutefois pas seulement sur les édifices profanes, mais aussi sur les mosquées, les madrasas, les türbe et sont de préférence placés sur le portail ou à proximité de celui-ci. D ' une parc, certaines des représentations de petit format sont complètement cachées dans le décor non figuré, alors que l'on observe d'autre parc des reliefs de grand format « placardés » dans des endroits privilégiés, qui n'éraient sans doute pas dus au seul plaisir de décorer, mais souvent aussi à l'intention de visualiser un message. Les deux reliefs - l' un à aigle à deux têtes, l'autre à aigle - du portail ouest de la grande mosquée de Divrigi (1228 -1 229) appartiennent à cette catégorie. En
C'est avec la conquête de l'Anacolie par les Seljoukides, à la suite de la bataille de Malazgirt (Manzikert) remportée en 1071 contre les Byza ntins, que la dynastie des Artuqides s'établit dans le sud de cette région, leur ancêtre Artuq ibn Ekseb appartenant à la confédération des Oghuzes d'o rigine turque. Ses fils s'installèrent dans la région sud-anatolienne où ils prirent possession des rerricoires des GrandsSeljoukides. Ainsi furent créées les suzerainetés artuqides de Diyarbakir er Hasankeyf (1098-1232) , de Mardin et Silvan (1104-1 408) et la ligr:ée de Harput (1185-1233). À partir de la moitié du XII' et jusqu'à la fin du XIV' siècle, les Artuqides consrruisirem de nombreux édifices qui développèrem une archi tecture propre, en premier lieu influencée par la Syrie. Les mosquées et les madrasas prédominent nettement, par comparaison avec le nombre de tombeaux et caravansérails gui reste limité. Contrairement à la mosquée seljoukide d'Anarolie, cell e des Arruqides caractérisée par une salle de prière transve rsale, une coupole imposante devant le mihrab et une grande cour - représente un type qui, en passant par la grande mosquée de Diya rbakir que l'on fair remonter au VII' siècle, se rattache indirectement aux mosquées à cour; un type qui, à quelques exceptions près, comme la grande mosquée de Sinope (XI II' siècle) et la mosquée Isa Bey de Seljouk (XIV' siècle), n'a pas eu, en dehors de l'Anacolie, de descendance en Asie Mi neure. Alors que les minarets en briques des Seljoukides sont le plus souvem ronds , ceux des mosquées
rapport avec l'épigraphe, qui dés igne sans équivoque Ahmad C hah comme prince
artuqides sont carrés ou octogonaux er dressés en pierre.
siècle, les reliefs de pierre figurés font partie du programme de décoration. On trouve, en outre, dans différents musées plus de deux douzaines de reliefs que l'on peut rattacher à des constructions seljoukides ou artuqides . Des représentations humaines, surcout des faunes et des chimères, constituent un répertoire riche, trop peu étudié, dont on trouve la continuation dans d'autres genres artistiques (les portes en bois, les reliefs en stuc et les frises murales du palais d'été de Kayqubadiye, les réalisations en métal, etc.) . XV'
Façade de cour de la grande mosquée de Diyarbakir L'origine de la grande mosquée de Diyarbakir (l'Amida chrétienne) remonte probablement au v11• siècle; l'histoire complexe de sa construction,jusqu'à présent encore non élucidée, est marquée de nombreuses modifications, agrandissements, et restaurations. La mosquée possède une sal le de prière transversa le, origine llement à p lafond plat, une grande cour avec un pavillon de source; des riwaqs (grandes sa lle s), transformées par la suite, l'en tourent sur trois côtés . Les deux façades sur cour des côtés étroits (la photo montre une vue intérieure) présentent une configuration à colonnes sur deux étages, dont l'unité est très habilement assurée par l'utilisation d'éléments de construction de !'Antiquité tardive et byzantins associés à de nouvelles créations islamiques se situant dans cette tradition.
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ASIE CENTRALE ET MINEURE
Pont sur le Tigre, près de Cizre, avant 1159 Le grand pont sur le Tigre près de Cizre, aujourd 'hui sur le territoire syrien proche de la frontière avec la Turquie, a très probablement été construit par Jamal al-Din Muhammad Isfahani, le vizir du Zangide Qutb al -Din Mawdud de Mossoul. Sur l'arche du pont préservée, huit reliefs de cal:aire ressortent
nettement sur la couleur foncée du basalte. lis représentent les sept planètes connues au Moyen Âge, respectivement accompagnées du signe du zodiaque qui leur correspond et qui confère un pouvoir particulier à l'étoile fixe et l'exalte (l'élève). Le soleil n'est toutefois pas représenté dans son « élévation » (Aries/ Bélier) mais dans sa «maison » (Leo/ Lion ).
Quant aux madrasas artuqides, ce sont des édifices à cour ouverte, que l'on trouve également chez les Seljoukides-anatoliens, alors que les madrasas à cour centrale couronnée d' une coupole construites par ces derniers, comme celle du Karatay à Konya, ne sont pas représentées en Anatolie du Sud. La madrasa Hatuiye à deux étages, fondée par l'épouse de l'Artuqide Najm al-Din Alpi (1152-1176) dans le dernier quart du XII' siècle, possède une cour ouverte à deux iwans. Le mihrab en pierre de la salle funéraire à coupole présence un décor riche, semblable à celui des faux arcs polylobés de la grande mosquée de Silvan. l'.influence syrienne déjà évoquée se trouve illustrée dans la madrasa Massudiya à Diyarbakir, commencée en 1193 et achevée en 1223-1224 d'après les plans d' un architecte d'Alep. On a renoncé à la forme de la cour centrale entourée de salles et élevé un autre groupe de salles à l'ouest s'ouvrant sur une deuxième cour. Ce nouveau rype de plan a pris fin et trouvé sa forme la plus achevée dans la madrasa du sultan Issa (Zinjiriye) à Mardin construite en 1385 ; il s'agit d'un complexe élaboré de madrasa, türbe et masjid (mosquée), groupées sur deux niveaux autour de plusieurs cours. Des palais artuqides sont connus à Diyarbakir, Harput et Hasankeyf, mais seul celui de la citadelle de Diyarbakir a été en partie mis au jour et émdié ; par la suite,
deux constructions présentaient un ensemble de figures inspirées de l'astronomie ou de l'astrologie que l'on retrouve, mieux conservées, sur le pont sur le Tigre près de Cizre (Djazirat ibn Umar) construit à la même époque. La puissante muraille d'enceinte en basalce de Diyarbakir, qui remonte à la basse Antiquité, a été maintes fois transformée et renforcée sous les dynasties islamiques qui se sont succédé depuis le X' siècle. Ainsi le sultan arcuqide Nassir alDin Mahmud (1201-1222) fir-il , encre autres, construire les bastions d'Ulu Badan (1208-1209) et Yedi Kardes (vers 1208-1209), sur lesquels apparaissent des ensembles de figures conçus de façon symétrique, montrant aussi bien des animaux réels que des monstres fab uleux, parmi lesquels des aigles à deux têtes et des sphinges ailées sont encore identifiables. l'.épigraphe mentionne le nom de l'architecte avec la remarque finale « selon les plans d'al-Malik al-Salih » (le sulcan artuqide au pouvoir) qui éclaire sur l'influence que pouvaient exercer le maître d'œuvre et le commanditaire.
on a entièrement reconstruit par-dessus. Le palais richement décoré et élevé sur le schéma à quatre iwans devrait avoir été construit par Nassir al-Din Mahmud (12011222). On a trouvé, entre autres vestiges, à proximité du palais, des mosaïques de pavement, une fontaine ainsi qu' un bain. Il est intéressant de ·noter qu'aucun tombeau arcuqide n'a été élevé séparément; les quelques exemples que l'on connaisse font partie d'un complexe plus vaste, le plus souvent avec une madrasa au centre. Mis à part les caravansérails, quel' on ne connaît presque qu'à travers des textes, des ponts ont été préservés ; composés de plusieurs arches en dos d'âne, la plupart opèrent un changement de direction. C'est par exemple le cas du pont sur le Barman Suyu près de Malabadi, sur la route de Diyarbakir à Bidis (1147), qui a été entièrement restauré. Comme le pont sur le Tigre près de Hasankeyf (11 16 ou 1155-11 75) en grande partie détruit, il portait des reliefs figurés aujourd'hui perdus ou impossibles à interpréter car il n'en reste plus que des fragments indécis. Les
Détail du pont sur le Tigre près de Cizre, avant 1159 La pseudo-planète al-Jawzahar a été ajoutée dans le signe de son élévation, c'est-à-dire le signe du Sagittaire (Sagittarius), comme huitième relief aux sept étoiles fixes. On se représentait
ARC HIT ECTURE DES SELJOUKIDES D 'ANATOL!E
alors le phénomène de l'éclipse comme un gigantesque monstre à la forme d'un dragon qui menace le soleil et la lune et provoque l'obscurité en les engloutissant. La tête et la queue du dragon incarnent ici les « nœuds lunaires » ascendants et descendants.
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céra miqu e, jusqu'au XVIII' siècle, quand naîtront les poteries de Wedgwood et Scaffordshire en Angleterre. Tant les céramiques à glaçure monochrome que celles qui sont gravées avant glaçure, enrichies d'ornements modelés ec appliqués, ou en core peintes sous ou sur glaçure témoignent de l'extraordinaire
Arts décoratifs Sheila 8/air,Jonathan 8/oom
L'art des Grands Seljoukides Quelque -unes des plus belles et ingénieuses céramiques jamais fabriquées dans le pay i lam iques one été créées en Iran aux XJI' et XJII' siècles. Les couches aisées de la pop ulation de ces pays appréciaient déjà depuis longtemps la porcelaine chinai e po ur ses formes raffinées, sa matière translucide ec ses ornementations minutie usement gravées ou modelées sous une glaçure fine et transparence. Les potiers locaux n'étaient toutefois pas en mesure de l'imiter car leur production éraie fa ite d'argile lourde garnie d ' une couche épaisse et opaque de glaçure d'écain. Ce n'est qu'au XII' siècle que les céramistes iraniens parvinrent à dévelo pper un procédé leur permettant de se rapprocher des modèles chinois ; ils employèrent pour cela une ancienne technique égyptienne consistant à allier une matière synthétique à base de sable quartzeux ec d' une faible quantité de gypse ou d'albâtre. Cette matière, appelée fritte, était blanche, dure, translucide (en couche fine) et se laissait facilement recouvrir d'une glaçure alcaline fine et transparence. C'est à partir de cette combinaison de matières que les céramistes iraniens ont pu développer des techniques décoratives d'une grande diversité. I.:introduccion de la fritte amena, en l'espace d'une cinquantaine d'années, un essor de la créativité qui restera unique au monde dans le domaine de la
Coquille, Ab u Zayd, Kac han, 1210, art icle en fritte avec peinture lustrée, diamètre : environ 35 cm, Wash ington, Freer Gallery of Art D'après l'inscription qu'el le porte, la coupe a été réalisée par le céramiste de g rand renom
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Abu Zayd en 607 de l'hégire ; elle montre une scène complexe représentant un palefrenier endormi et un cheval derrière lequel apparaissent cinq figures . En dessou s, une femme nage entourée de poissons.
di versité d es techniques utilisées en Iran aux XII' ec XIII'siècles. Parmi touce cette productio n , les articles ornés de peinture sur glaçure sont les plus belles ec les plus luxueuses. Les céramistes iraniens des Xl l' ec Xlll' siècles fabriquaient deu x types de céramiqu e à peinture sur glaçure. Le premier esc celui des articles lustrés : le potier reco uvrait dans ce cas les motifs d'oxydes d 'argent ou de cuivre sur l'objet déjà émaillé ec le cuisait ensuite une seconde fois dans un four à réduction. La chaleur minutieusement réglée amolli t la glaçure ec l'air pauvre en oxygène élimine celui des oxydes de métaux de celle façon qu'il ne reste qu'une fine couche m étallique à la surface de la glaçure. Aucant d'éléments - le four spécial nécessaire à ce type de réalisation , le coûc des matières supplémentaires, en particuli er de l'oxyde de métal et du combustible utilisé pour la deuxième cuisson - qui , avec la nécessité de garder à l'espric les multiples possibilicés de compositi o n, o nt faic de ces pièces l'apogée de l'arc de la céramique. Les Égypciens avaient déjà produit des articles lustrés. Cwx des arcisces iraniens, comme ceux des Fatimides , sont décorés d' une seule couleur. Mai s les céramistes iraniens de l'époque seljoukide étendirent le répertoire des formes traditionnelles (coupes, plats, cruches) : l'on vie apparaître des figurines , mais aussi des placs ec surcout des carreaux lustrés pour la décoration de grandes surfaces murales. U n seul centre de fabrication a pu être identifié avec certitude : la ville de Kachan dans le centre de l'Iran. Bon nombre d 'articles lustrés sont signés, ce qui laisse supposer que les artistes jouissaient d' une grande répucacion dans la
Coupe en céramique, Kachan, vers 1200, objet en fritte avec peinture d'or et polychrome, 23 cm, Washing ton, Freer Gallery of Art Outre les céramiques lustrées monochro mes, les artistes en Iran développèrent à la fin du
AS IE CEN TR ALE ET MINEURE
x11' siècle une techn ique de peinture sur glaçure qui consistait à créer des décors élaborés, à partir d'o r et de pigments de cou leurs diverses; les motifs de ces céram iques de type « min aï » étaient sou vent des personnag es royau x.
société. Les signatures font souvent apparaître un lien de parenté entre les céramistes. Les noms d'à peu près dix-sept d'entre eux sont connus et l'on peut suivre la production d'au moins deux familles de céramistes sur plusieurs généranons. Le second type de céramique à peinture sur glaçure qui se développa en Iran vers la fin de l'époque seljoukide est celle appelée minai; d'après le mot persan « minaï » pour émail. Contrairement aux articles lustrés monochromes, la céramique minaï est peinte sur la glaçure avec plusieurs couleurs - parfois aussi à l'or puis cuire une seconde fois à température relativement basse, afin de fixer cellesci. Comme pour les articles lustrés, les coupes sont également nombreuses dans ce type de céramique, sur lesquelles on retrouve souvent la figure du souverain trônant ou des scènes de chasse mythiques. Tant la magnificence des rhèmes représentés que les coûts de fabrication élevés laissent penser que ces pièces éraient fabriquées pour des acheteurs fortunés. La céramique à peinture sur glaçure était sans doute la plus luxueuse fabriquée à cette époque, mais celle à peinture sous glaçure a également joué un rôle important, non seulement en Iran , mais aussi en Chine et en Europe. C omparée à la peinture sur glaçure, cette technique éraie nettement moins coûteuse ; de plus, la glaçure préservait la peinture d'un décollement. La nou velle glaçure alcaline empêchait aussi les pigments des couleurs de fondre er de se mélanger pendant la cuisson. D 'où , pour les peintres, une plus grande liberté dans l'exécution de leurs décorations; ceux de l'époque seljoukide ont ainsi pu utiliser la surface de la céramique, de la même façon que les artistes qui , plus tard , ont peint sur du papier. Du point de vue des motifs, bon nombre des plus belles pièces peintes selon la technique sous glaçure, comme les faïences lustrées et les céramiques minai; sont originaires de Kachan. Hormis ces articles coûteux en porcelaine de fritte , à peinture sous ou sur glaçure, les potiers de l'époque seljoukide continuèrent de fabriquer les articles traditionnels en terre enduire d ' une couche b~
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Le khan chinois rend visite au roi, manuscrit du Chahname de Firdawsi, Iran ou Iraq, vers 1300 Paris, musée du Louvre. Le Chahname était très popula ire auprès des li-Khans, qui se considé raien t co mme les héri-
1310
1323
1502
Mort du chaykh Ahmad (14811502), dernier khan de la Horde d'Or
Traité de paix ent re les Mamel ouks et les li-Khans
1342-1357 Règne de Janibeg; les khans de la Horde d'Or se convertissent à l'islam 1360-1405 Le MongolTimur (1 370-1405) se donne pour mission de recréer l'Empire mongol; il impose progressivement sa domination sur les terr toires d e Transoxiane, de Perse, de Mésopotamie, sur une pa rtie de la Russie, de l'Inde et de !'Anatolie.li fonde la dynastie des nmuri des Uusqu'en 1506) 1368
Les Ming chinois chassent de Pékin la dynastie mongole des Yüans
1377-1395 Règne de Toqtamich ; il rassemble la Horde Blanche et la Horde d'Or (1378) 1382
Sous la cond uite de Toqtamich, les Mongols p illent Moscou
1395
Mort de Toqtamich, début de la dissolution de la Horde d'Or: naissance des khanats d'Astrakhan (1466-1556), de Kazan (1445-1552),de Qasimov (1452-1681) et de Crimée (1430-1783)
1295-1304 Règne de Ghazan, qui se convertit à l'islam sunnite 1307
Üljaitü se convertit à l'islam chiite
1316-1335 Règne de 1'11-Khan su nnite Abu Sayd ; fin de 1'11 Khanat
tiers du grand souverain iranien qu'évoque cette épopée rédigée trois siècles plus tôt. Les illustrations représentent des personnages d 'un passé lointain en costumes mongols contemporains.
La nouvelle capitale, Sultaniya, est construite sous le règne de 1'11-Khan Üljaitü Muhammad Khudabanda (1304-1316)
HI STOIRE
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Palais du Takht-i Sulayman, vers 1275
À l'instar de la mosquée de Tabriz, le palais d 'été du Takht-i Sulayman cherchait délibérément à se rattacher par son architecture au passé préislamique de l'Iran. L'II-Khan Abaqa (1265-1285 ) en entreprit la construct ion sur les murs de fondation d 'un sanctuaire où se faisaient couro nner jadis les grands rois sassanides . Un étang occupait le centre de la vaste cour. Celle-ci était agrémentée d 'iwans sur les quatre côtés. L'iwan nord conduisait à une salle occupant l'emplacement du temp le du feu sassanide, et dont Abaqa fit proba blement sa salle du trône.
Architecture Sheila Blair, Jonathan 8/oom
L'architecture iranienne du temps des li-Khans Les ravages provoqués en Iran par les expéditions mongoles entraînèrent une interruption de l'activité du bâtiment, qui ne reprit qu'avec l'arrivée au pouvo ir des IlKhans. Fidèles aux traditions de leurs ancêtres des steppes, ces derniers ne renoncèrent pas au mode de vie nomade . Ils se partageaient entre les plaines herbeuses du nord-ouest de l'Iran où ils passaient l'été, et leurs quartiers d' hive r de Mésopotamie, à proximité de Bagdad. Le fils de Hülagü, Abaqa (1265-1282), entreprit la construction d' un palais d'été au sud-est du lac d' Urmiya en Azerbaïdjan, au nord-ouest de l'Iran. Ce palais fut achevé par son fils Arghun (1284-1291). Le
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bâtiment se dresse sur le « Takhc-i Sulayman » (le « trône de Salomon ») , au-dessus des murs de fonda tion du sanctuaire sassanide de Shis , lieu de couronnement des grands rois perses. E n choisissant ce lieu, les Mongols se posaient explicitement comme successeurs des souverains de l'Iran préislamique. Le palais étaie entouré d ' une enceinte ovale défendue par des tours. Une cour intérieure de 125 m x 150 m y étaie agrémentée d' un écang artificiel ec entourée d'arcades. Chaque côté de la cour carrée laissait place à un iwan, c'est-à-dire à une salle voûtée ouverte sur la cour sur toute sa largeur. Liwan nord conduisait à une salle à coupole, qui occupait l'emplacement de l'ancien temple du feu sassanide ec servait probablement de salle d'audience à Abaqa. Une salle transversale jouxtait l'iwan occidental ; elle a été identifiée comme l'ancienne salle du trône du grand roi perse Khusraw. Flanquée de deux pavillons octogonaux, elle servait d'habitation à l'époque des IlKhans. Les somptueux vestiges de la décoration luxueuse du palais de Takht-i Sulayman mettent en relief la qualité peu commune de cet édifice. Une voûte à muqarnas (s talactites) coiffait le pavillon sud, candis que des carreaux de faïence
Carrea ux d écoratifs du palais du Takht-i Sulayman, fin x111' ou x1V" siècle, fritte, hauteur: 24,8 cm Les Mongols fabriquaient des carreaux décora-
glaçure. Cette technique appelée « ladjwardina » (du mot persan désignant le lapis lazuli) était préférée aux carreaux lustrés, fort prisés comme revêtement mural au cours des siècles
tifs monochromes bleu turquoise ou bleu cobalt, agrémentés d 'or ou d 'une peinture sur
précédents. De nombreux carreaux présentent
décoraient le socle du pavillon nord . Les rangées inférieures étaient formées de
des dragons et d 'autres motifs chinois.
carreaux en étoiles et en croix, peints sur glaçure, et utiLsanc la technique dite de la ladjwardina (d u persan lajvard: lapis lazuli), donc le nom provient de l'ém ail bleu foncé de certaines pièces. Les carreaux de ladjwardina bleu foncé alternaient avec des carreaux émaillés bleu turquoise. Des dragons et des phénix de la mythologie iranienne ornent les carreaux en étoiles ainsi que les carreaux émaillés qui couronnent le socle so us forme de frise. D 'autres carreaux reproduisent dans une somptueuse calligraphie des ve rs et des scènes de l'épopée nationale persane, le Chahname (Livre des rois) de Firdawsi . À trave rs ce décor, les Il-Khans mongols revendiquaient l' héritage du glorieux passé de l'Iran. Larchicecture prie un nouvel essor en 1295, avec l'avè nement de Ghazan, fils d'Arghun, qui se convertie à l'islam . Avec l'aide de son v:zir persan Rachid al-Din (mort en 13 18), un juif converti à l' islam, il entreprit un programme de réforme économique, qui posa les fondements d' un vaste programme architectural. On
des plus grandes fut celle que le vizir des 11-
t rouvait dans un renfoncement semicylindrique amé1agé dans le mur de qibla et était flanqué de deux vastes passages. Les murs de la mosquée étaient faits de brique non décorée, ma is des voyageurs ont rapporté q ue la cour d 'emrée était pavée de marbre et que les murs étaient re vêtus de carreaux de
Khans, Ali Chah, édifia à Ta briz, la capitale. Elle possédait un iwan particulièrement imposant en face de la cour ; avec des murs de 25 mètres de haut et de 10 mètres d 'épaisseur, il présentait une envergure de 30 mètres. Le mihrab se
faïence aux couleurs éclatantes. Un monastère soufi et une madrasa jouxtaient l'iwan. À l'exception du mur de qibla, tout cet ensemble architectural a été victime des tremblements de terre, fréquents dans la région.
Ci-contre : vue extérieure du m u r de q ib la d e la mosquée d 'Ali Chah , Tabriz, 1315 Bien que le schéma à quatre iwa ns ait été courant dans la construction des mosquées depuis l'époque des Seljoukides,on construisit également d'autres types de mosquées. L'une
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LES MONGOLS ISLAMIQ UES
D U D ÉFERLEMENT MONG OL AUX IL-KH ANS
édifia des caravansérails le long des grandes routes commerciales, et toutes les villes
le Khorassan , la voie e t-ouest co nduisait vers l'Asie centrale , la Chine et l'In-
de l'empire disposèrent d' une grande mosquée avec un hammam - les bains publics d' une communauté, dont les revenus permettaient d'entretenir la mosq uée. La ville de Tabriz, dont les Il-Khans firent leur capitale, fut entourée d' une nouvelle muraille d' une douzaine de kilomètres de long, soit quatre fois la circonférence de l'ancienne enceinte. À en croire les récits de voyageurs et de chroniqueurs de l'époque, Tabriz était une place marchande animée et prospère, célèbre pour ses textiles, et par-
de du Nord. Vers l'oue t, elle menait à Constantinople en passant par la mer Noire. Les négociants de Tabriz pouvaient également partir vers le sud en direction du gol fe Per ique, ava nt de prendre la mer pour l'Inde ou la Chine. Les bazars fort actifs témoignent de l'importance économique passée de la ville et, malgré l'imp orcance des nouvelles constructions, on peut encore deviner l'aspect remarquable quïls devaie nt présenter dès cette époque. Sans doute servirent-ils de m odèle aux bazars qu'Abbas I" le Grand (1588-1629), le chah safa-
ticulièrement pour ses tissus brochés d 'o r, pour ses pierres précieuses et ses épices. La ville devait sa richesse économique à son emplacement idéal, au carrefour de plusieurs routes marchandes. En direction de l'est et en tra ve rsant
vide, fit constru ire à Ispahan au début du XVII' siècle ; il sut donner alors un nouvel essor à l'ancienne cul cure iranienne et conféra un regain de prestige à son pays.
Ci-dessus: caravansérail de Sing L'économie mong ole reposai sur le commerce lointa in par voie terrestre, une activité considé rablement facili tée par la dominati on que les Mongols exerçaient sur une grande partie de l'Eurasie. Dans l'ensemble de leur empire, les liKhans ont const ruit des caravansérails dont un petit nombre seulement a survécu aux destructions. Le caravansérail typique était fa it de briques ou de pierres de taille. li posséda it une entrée unique, que l'on pouvait fermer la nuit. L'intérieur était occupé par une grande cour à iwans, derrière lesquels se trou vaient les pièce s d'habitation.
Plan de la mosquée d'Ali Chah, Tabriz, 1315 L'iwan colossa l était précédé d'une cour carrée de 180 mètres de côté. Un bassin en occupait le centre.
ARC HITECTURE
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lwan de qibla et salle de priè re avec coupol e, mosquée de Vara min, 1322-1326 Les mosquées de l'époque des li-Khans respectent par bien des traits le type que l'on const ruisait en Iran depuis des siècles. En règle générale, les mosquées possédaient de grandes cours intérieures, quatre iwans et une salle de prière à coupo le derrière l'iwan tourné vers La Mecque. La sa lle à coupole avait pour plan un carré qui se transforme progressivement en coupole hémisphérique par l'intermédiaire d'une partie octogonale suivie d'une autre à seize côtés. Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans la mosquée de Vara min qu i n'a été que partiel lement conservée.
Ci-dessous: trompe de la mosquée deVaramin Les trompes permettent d'opérer la jonction entre les angles d'une salle carrée et de créer ainsi une base permettant de soutenir la coupole. Au X' siècle au plus tard, on réa lisa que le porte-à-faux de la trompe était incapable de supporter une charge importante, mais qu'il se prêtait en revanche à toutes les formes de décorations. Ce, trompes du XIV' siècle ont été couvertes de muqarnas - des rangées d'alvéoles en stuc formant saillie - qui ne remplissent aucune fonction porteuse, mais offrent un appui visuel à la coupole.
Ci-dessous : coupole surmontant la salle de prière de la mosqu ée de Va ra min, 1322-1326 Comme il était d'usage en Iran depuis plusieurs siècles,quatre trompes alternent ici avec quatre arcs aveugles percés d 'une fenêtre chacun, ménageant ainsi un socle octogonal sous la coupole. Cette partie octogonale porte à son
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tour une partie à seize côtés - une solution couran te depuis l'époque des Seljoukides. Les proport ions allongées, les élégants reliefs de stuc et la somptueuse décoration de brique révèlent cependant que nous sommes en présence d'un exemple classique de l'architecture iranienne du x1V' siècle.
Les mosquées Les séismes et les invasions ultérieures ont détruit de nombreux édifices de Tabriz. Le principal bâtiment des Il-Khans encore debout aujourd'hui est la grande mosquée du vizir Ali Chah, édifiée vers 1315. Elle est constituée d'une grande cour carrée de 180 mètres de côté, dont le centre est occupé par un bassin. Elle possède également un gigantesque iwan de brique sur le mur de qibla. Cet iwan était autrefo is flanqué d'une madrasa et d'un hospice destiné aux soufis. La voûte de l'iwan, quis' est effondrée depuis, reposait sur des murs de 25 mètres de haut et 10 mètres d'épaisseur ; elle avait un diamètre de 30 mètres. Ses dimensions, et l'on s'en flattait, étaient apparemment supérieures à celles de l'iwan du palais de la capitale sassanide de Ctésiphon, pès de Bagdad, considérée comme l'une des merveilles du mo nde. Son riche revêteme nt de marbre et de céramique faisait égalemenc l'admiration. Mais il n'en reste que des murs de brique nue. Comme nous l'avons déjà observé à propos du palais du Takht-i Sulayman, les Mongols cherchaient à re nouer par leur architecture avec la tradition politique du passé préislamique de l'Iran. Le type de mosquée le plus répandu dans l'empire des Il-Khans suivait le plan à quatre iwans qui s'était généralisé dès l'époque des Seljoukides. Ces mosquées éraient formées d'une co ur sur laq uelle s'ouvraienc quarre iwans , et d 'une salle à coupole. Lexemplaire le mieux conservé est la grande mosquée de Varamin, à 42 kilomètres au sud de Téhéran. On y voir une salle surmontée d'une coupole dont l'él évation reprend le schéma classique instauré so us les Seljoukides. Un socle carré est surmonté d'une transition octogonale où alternent quatre trompes et quatre arcs aveugles. Elle est surmontée d'une section à seize pans qui s'ouvre sur la coupole. La mosquée de Varamin se distingue des prototypes seljoukides par ses proportions réduites , par une plus petite cour et par l'urilisarion prodigue, mais for t habile, de mosaïques de faïence. À l'époque des Il-Khans, on observe l'apparition, à Yazd et aux environs, d'une variante du sch éma à quarre iwans. Ces mosquées présentent toujours quatre iwans disposés autour d'une cour intérieure, mais la salle à coupole est flanquée de salles rectangulaires couronnées de voû tes d'ogives. On retrouve ce plan dans la mosquée du vendredi de Yazd, construite entre 1325 et 1334 par C hams al-Din, un dignitaire local. Elle se distingue surtout par son portail d'entrée monumental recouvert de carreaux de céramique et coiffé de deux hauts minarets. Ayant épousé la fille du vizir Rachid al-Din, Chams al-Din passait beaucoup de tem ps à Tabriz. Aussi peur-on supposer que les aspects novateurs de sa mosquée, tels que les tribunes et le passage entre la salle de prière et les salles latérales, s'inspirèrent d'édifices de la capitale du nord-ouest de l'Iran , aujo urd'hui disparus.
Les monuments funéraires Les complexes funéraires font partie des plus grands projets architecturaux menés par les Il-Khans. Comme leurs ancêtres mongols, les premiers souverains gardèrent leur lieu d'inhumation secret. Mais lorsque Ghazan se convertir à l'islam, il suivit les trad itions funéraires islamiques apparues en Iran . Il associa ainsi des
Portail et coupo le de la grande mosq uée de Yazd, à partir de 1325 La mosquée du vendredi de Yazd, au centre de l'Iran, offre un excellent exemple de portail monumental iranien class icue, couronné de deux minarets. Ce chef-d'œuvre merveilleuse ment proportionné au superbe décor de cé ram ique a fait l'objet de nombreuses resaurations qui ont eu pour résultat de l'affiner
progressivement. Aussi a-t-il fallu construire des arcs-boutants pour l'empêcher de s'écrou ler. L'intérieur de l'édifice contient le plus beau décor de céramique de tout l'Iran ilkhanide. Avec ses étoiles étincelantes sur fond bleu, la mosaïque de faïence de la coupole, dans la sa lle de prière, renvoie évidemment à l'image de la voûte céleste et à l'omnipotence divine.
ARCHITEC TURE
Mausolée d'Üljaitü à Sultaniya, 1315-1325 Ce mausolée est l'un des chefs-d 'œuvre de l'architecture mondiale. Son immense coupole, d'une envergure de quelque 25 mètres, a souvent été comparée à la cathédrale de Florence, construite à la même époque.Toute influence réciproque est cependant impossible à prouver. Encadré de quatre minarets, le dôme recou vert de céramique turquoise semble planer au-dessus de la plaine envi ronnante. Au sud (à droite de l'image) se trouve une grande salle, qui abritait peut-être jadis le cénotaphe du sultan.
établissements d' utilité publique à son « grandiose » mausolée situé dans un faubourg occidental de Tabriz. Ce complexe comprenait un hospice, un hôpital, une bibliothèque, un observatoire, une académie philosophique, une fontaine , un pavillon et deux madrasas. Il ne reste que quelques vestiges de cet ensemble architectural, ainsi que d' un complexe analogue que le vizir Rachid al-Din fit édifier à l'est de Tabriz. Le complexe de Sultaniya (« !'Impériale ») que fit construire Üljai tü, frère et successeur de Ghazan , permet de se faire une meilleure idée du luxe et des dimensions des mausolées royaux. Arghun avait déjà établi sa résidence d'été en ce lieu situé à quelque 120 kilomètres de Qazvin , sur la route conduisant à Tabriz, et Üljaitü en fit la capitale de son empire. Le mausolée colossal à huit minarets, coiffé d 'une coupole de 50 mètres de hauteur s'élève sur un octogone
de 38 mètres de diamètre, aligné presque exactement sur les points cardinaux ; un e sall e rec tangulaire s'y ajoute au sud. L'octogone abrite une grande salle à hu it arcades, surmontées de tribunes. Invisible de l' intérieur, une galerie ouverte sur l'ex térieur court au-dessus, offrant une vue admirable sur la plaine environnante et créant une transition optique entre le mur uni et la coupole couverte de ca rreaux de faïence bleu ciel. Cette imbrication subtile des éléments spatiaux es t co mpl étée par le façonnement judicieux des voûtes de la galerie, qui présentent un décor de stuc ciselé et peint avec une profusion de teintes rouges , jaunes, vertes et blanches. Un grand nombre des motifs en bandeaux évoquent les enluminures des manuscrits de l'époque, ce qui laisse supposer que les artistes de l'Empire il-khan furent parmi les premiers à transposer leurs modèles dans des registres divers, dans l'architecture comme dans l'art dt: livre. L'intelligence spatiale et la magnificence de l'architecture sont autant de marques du talent avec lequel l'architecte sut répondre au désir de monumentalité du sultan sans que l'élégance en pâtisse. Les complexes funéraires des Il-Khans et de leurs vizirs étaient les plus vastes de l'empire. Des ensembles plus modestes furent érigés pour d'autres dignitaires, pour des nobles locaux ou même pour des soufis . À Natanz, au cœur de l'Iran, le vizir Zayn al-Din agrandi t ainsi la sépulture d'Abd al-Samad (mo rt en 1299), qui avait été le grand chaykh de l'ordre de la Suhrawardiyya, pour en faire un important complexe religieux. Le vizir fit transformer la grande mosquée de la ville, il fit construire un tombeau pour le chaykh , un minaret et, à côté , un hospice pour les soufis. Le plus bel élément de ce complexe est le mausolée, dont la coupole est ornée de l'une des plus superbes voûtes à muqarnas que cette époque nous ait
Détail de la coupole du mausolée d'Üljaitü à Sultaniya Parallèlement à la mosaïque de faïence, les bâtisseurs de s li-Khans utilisaient la banna-i ou « technique d'architecte " : des briques rectangulaires émaillées sont disposées dans une surface de briques d'un ocre mat pour composer des noms ou des phrases sacrés. L'inscription « Dieu, Muhammad et Ali » entoure ainsi le socle de la cou pole du mausolée, renvoyant à la confessi on chiite de 1'1 1Khan .
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D U DÉFERL EMENT MONG OL AU X IL-KH ANS
Ci-contre: voûtes de la galerie extérieure du mausolée d'Üljaitü à Sultaniya L'immense mausolée est entouré d'une galerie extérieure, qui assure une transition entre la zone massive du socle et la coupole. Sur chacun des huit côtés du bâtiment, la galerie présente trois voûtes ornées de stuc peint ou en relief. De nombreux motifs révèlent des similitudes avec les enluminures de l'époque, prouvant que les artistes utilisaient des recueils de modèles.
Sépulture d'Abd al-Samad à Nata nz, à partir de 1299 Le complexe funéraire de Natanz en Iran central est un exemple classique des « petites villes divines », florissantes sous les li-Khans. li a été construit en l'honneur du chaykh soufi Abd al -Samad, qui avait enseigné ici. L'un de
ses élèves, un vizir des li-Khans, construisit en 1307 sur son tombeau le mausolée couvert d'une voûte à muqarnas. Il agrandit la mosquée du vendredi adjacente et établit un monastère soufi . Un soufi local a fait ajouter le minaret élancé en 1325.
léguée. L'intérieur était initialement recouvert de céramiques lustrées ; il en reste une frise d'oiseaux dont les têtes furent détruites plus tard par un iconoclaste car elles représentaient une violation de l'interdit des images posé par l'islam . De grandes céramiques émaillées ornaient également le mihrab et le cénotaphe, qui marquait l'emplacement de la sépulture. La décoration de Natanz révèle le talent des artisans d'art del' époque. Les carreaux de céramique émaillée provenaient de la ville de Kachan, à une cinquantaine de kilomètres au nord, qui en fut longtemps le principal lieu de production. Certains des ouvrages de stuc de Natanz, dont le superbe bandeau épigraphique de l'iwan nord de la mosquée, sont l'œuvre de Haydar, un artiste à qui l'o n doit également le prodigieux mihrab (1310) de la grande mosquée d'Ispahan. Haydar était l'un des six élèves du maître calligraphe Yaquc. L'aisance avec laquelle les calligraphes utilisèrent d'autres supports que le papier est l'une des tendances artistiques remarquables de cette époque, où l'enluminure devint la forme artistique prédominante. Outre les mausolées monumentaux, on édifia également des rours funéraires indépendantes, de plus petites dimensions, celles que le tombeau de Chelebi Oglu à Sultaniya, construit à la mémoire du chaykh soufi Buraq (mort en
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Portail de la khanqah du mausolée d'Abd al-Samad à Natanz, à partir de 1299 Le vizir Zayn al-Din Mastari fit construire près du tombeau de son maître une khanqah, un couvent soufi, qui devint un centre de l'ordre de la Suhrawardi. Il n'en reste que le portail
orné de faïences et d'une somptueuse voûte
à muqarnas. Ce portail forme avec les bâtiments adjacents un ensemble harmonieux, qui fait songer aux merveilleuses représenta tions d'architecture des enluminures de l'époque.
1308) . Il servit manifestement de modèle à l' imamzada de Jafar à Ispahan, édifié pour un chaykh alide, descendant du cinquième ima:n, décédé en 1325 . On peut en conclure que les deux bâtiments sont dus aux mêmes constructeurs ; il était en effet courant, à l'époque ilkhanide, que des équipes d'artisans se déplacent de lieu en lieu . Les artistes qui ornèrent de céramiques le complexe religieux de Natanz dans la première décennie du XIV' siècle travaillèrent ainsi au cours de la décennie suivante à Sultaniya, où ils effectuèrent des travaux similaires sur le tombeau d'Üljaitü. Les salles intérieures des petits sanctuaires étaient généralement ornées de céramiques lustrées fabriquées à Kachan , auxquelles s'ajoutèrent au fil du temps d'autres éléments, comme en témoigne l'imamzada Yahya à Varamin. Les céramiques émaillées de cet édifice construit sous les premiers Il-Khans datent de 1261 à 1265. Au cours de la première décennie du siècle suivant, la sépulture fut ornée de nouveaux décors de céramique et de stuc qui portent les dates de 1305 et 1307. On a conservé plusieurs centaines de céramiques émaillées, dont la plupart se trouvent aujourd' hui dans des musées. L'examen des exemplaires datés révèle que la production de ce type de céramique s'arrêta dans les années 1340, éclipsée par la popularité des revêtements de stuc peine et gravé.
DU DÉFERL EMENT MONGOL AUX IL-KHA NS
A droite: coupole à muqarnas de la sépulture d' Abd al-Samad de Natanz, à partir de 1299 Le mausolée, un chef-d 'œuvre de l'architecture ira nienne, est une salle carrée dans les quatre murs de laquelle on a aménagé des niches peu profonde s. li possède une spectaculaire voûte à muqarnas, sur laquelle douze registres d'é lé-
ments de stuc en forme d'alvéoles se supe rposent sous le toit en pyramide. Les fenêtres éclairent l'intérieur,donnant l'impression d'une voûte céleste. Un bandeau épigraphiq ue en relief de stuc entoure le tambour de la coupole, citant le chaykh, le fondateur, et l'année de fondation, l'an 707 de l'hégire (1307- 1308).
Ci -dessus: décor de céramique sur le socle du minaret, mauso lée d'Abd al-Samad à Natanz Le sanctuaire d'Abd al-Samad de Natanz contenait certains des plus beaux décors de l'époque. Outre les reliefs de stuc de la mosquée et du mausolée, il abritait plusieurs sortes de décors de mosaïques. Ici, sur le socle du minaret, deux ra ngées d'éléments de muqarnas plans sont disposés en guise de corniche au-dessus d'une majestueuse inscription de carreaux de faïence gravés et émaillés. Les motifs et la technique sont singulièrement proches de ceux que l'on observera à Sultaniya au cours de la décennie suivante,ce qui donne à penser que des artisans d'art ta lentueux allaient de vil le en ville, plaçant leurs talents au service du commanditaire le pl us généreux.
A droite: mihrab stuqué de la mosquée d'Hiver, dans la mosquée du vendredi d'l spahan, Haydar,juillet 1310 Le mihrab stuqué de la mosquée d'Hiver ajoutée au x1V' siècle à la mosquée du vendredi d'lspahan, est extrêmement intéressant, non seulement d'un point de vue artistique mais ég alement par la précision de sa datation. C'est l'œuvre de Haydar, un calligraphe réputé qui avait réalisé un an plus tôt les inscriptions du mausolée de Natanz. D'impressionnantes ara besques à double volute, des fleurs profondément incisées et des bandeaux épigraph iques déclinant différent s styles de caracères, parcourent la façade du mihrab. Cette œuv re extrêmement luxueuse a été commandée pour célébrer la conversion du sultan au chi isme à la fin de l'année précédente, un geste accueilli avec une très vive hostilité par la population d'lspahan, d'obédience strictement sunnite.
ARC HITECT U RE
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A rts décoratifs Jonathan 8/oom, Sheila Blair
Les arts décoratifs sous les li-Khans Les Il-Khans , ces Mongols sédentarisés en Iran , étaient so ucieux de prestige et cherchèrent à tenir une cour dign e d e leur rang. Aussi se consacrèrent-ils à la protection des arts, une activité qui se traduisit notamment par le tissage de fines étoffes de fils de so ie et d 'or. Nous avons conservé un précieux fragment de soierie sur lequel sont inscrits le nom et le titre qu'Abu Sayd porta après 1319. Linscription attes te que cette étoffe a été fabriquée dans une manufacture d ' État, probablement à Tabriz. Elle arriva en Europe bien des années plus tard, sans doute par l'intermédiaire d ' un marchand italien , et servit en 1365 de chemise funéraire au d éfu nt duc Rodolphe IV d 'Autriche . Cette affectation témoigne du prix que les Européens du XIV' siècle accordaient aux so ieri es de Perse et du Turkestan. La céramique connut, elle aussi, une remarquable expansion dans l' Iran d es Il-Khans. Leur nom se rattache, en particulier, aux articles à décor sous glaçure dies de Sulcanabad, du nom de la ville située sur la route reliant Hamadan à Ispahan où l'on a trouvé de nombreuses pièces - lesquelles n'étaient cependant pas produites sur place. Cette céramique était fabriquée à partir d ' une pâte blanche et so uple, qui ne se prêtait pas aux formes subtiles des époques antérieures. Elle est généralement recouverte d ' un engobe verdâtre ou grisâtre, qui co nfère à la surface une texture irrégulière. À côté de ces pièces courantes, les potiers réalisaient égalem ent des récipients en !adjwardina, une technique de fabrication également utilisée pour les carreaux de faïence du palais du Takht-i Sulayman. À partir du m ême matériau gris que les articles de Sultanabad , les céramiques ladjwardina se distinguent cependant par la technique de la peinture sur glaçure, avec application de teintes rouges , noires, blanches et dorées. En raison de la rareté des colorants utilisés et de la nécessité de procéder à une double cuisson, il s'agissait d 'articles de luxe, coûteux, qui remplacèrent sans doute les céramiques minaï et les récipients lustrés produits à Kachan jusqu'à la fin du XIII' siècle. Le plus récent des articles lustrés et datés parvenus jusqu'à nous remonte à 1284. Mais on continua à fabriquer des carreaux de céramique lustrée à Kachan jusqu'en 1340. Si l'on se fonde sur la datation des carreaux du Takht-i Sulayman, la production de céramique ladjwardina s'imposa sans doute dans les années 1270 ou 1280 ; à en juger par une coupe qui porte la date de 1374, elle se maintint pendant un siècle au moins. À l'instar d 'autres récipients en ladjwardina, cette co upe est décorée d ' un mocif en fo rme d 'étoile composé de volutes, de cercles et de points. Les Il-Khans faisa ient grand cas d e l'or et de l'argent, mais nous n'avo ns conservé aucun récip ient utilisant l'un ou l'autre de ces m étaux. Leurs forgerons d 'art poursuivirent la tradition iranienne des incrustations de laiton, un matériau qu'ils remplacèrent cependant par l'or pour les pièces précieuses destinées à la cour. Un grand nombre de ces articles damasquinés sont d es objets utilitaires, tels
Fragment de soie, Iran, vers 1335, 172 cm x 94 cm, Vien ne, Erzbischôfliches Dom- und Diôzesamuseum Cette précieuse soierie rouge et brune est lissée avec des fils d'argent doré, enroulés autour d'une âme de soie jaune. Son motif présente une large bande de médaillons polylobés et de
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losanges en disposition contrariée, les intervalles étant occupés par des paons.La bande est délimitée par d'étroites raies ornées d'animaux qui courent et par des raies épigraphiques plus larges. Cette soie, qui porte le nom et le titre de 1'11 Khan Abu Sayd, décédé en 1335, est parvenue ensu ite en Europe.
que des outils de calligrap hie, d es récipients ou des chandeliers. Cette technique apparaissait déjà dans des objets antérieurs de m êm e nat ure, mais déso rmai s, les ouvrages étaient généralement de grande raille et plus abo ndamment orn és de motifs figuratifs ou végé taux. Le socle du chandelier qu' un vizir du sultan Ü lj ai tü offrit en 1308-1309 au sanctuaire du soufi. Bayazid Bistami mesure à lui seul 32,5 cm de haut. Les insertions de cuivre se retrouvent dans le bâtiment, par exemple sous forme de grilles d e fenêtres. Trois éléments de ce type portant le nom du sultan Üljaitü ont probablement été réalisés pour son mausolée de Sultaniya.
LES MONGOLS ISLAMIQUES : DU DÉFER LEMEN T MONGOL AUX I L-KHANS
l'extérieur. La face interne présente le plus souvent (comme ici) des mammifères ou des oiseaux aux corps marqués de points, sur un riche fond de feuillages. Une épaisse glaçure transparente, qui forme des gouttes verdâtres, recouvre les récipients.
Coupe de céramique, Iran, fin x111' ou x1V' siècle, diamètre: 17,7 cm, Washington, Freer Ga llery of Art Cette coupe avec peinture sous glaç ure bleue et verte et peint ure sur glaçure rouge, vert foncé, blanche et or offre un exemple de la coû-
teuse technique ladjwardina. Le motif rayonnant rappelle certains dessins de la production de Kachan au XIII' siècle, ce qui montre que les céramistes de Kachan poursuivirent leur travail à l'époque ilkhanide en utilisant une nouvelle technique.
L' un représente un médaillon encadré par un ruban de pivoines, avec un faucon-
Raccord sp hérique d'une grille de fe nêtre, Iran, début du XIV' siècle, diamètre: 9,7 cm, Ham (Surrey), Keir Collection Cette boule de laiton, dans laquelle est incrustée la représenta tion d un chasseur,servait sans
doute à maintenir les barreaux horizontaux et verticaux d'une gri lle de fenêtre. Le cavalier coiffé du chapeau mongo l typique et portant un faucon sur son poing droit se détache sur un fond orné de fleurs de pivoine et de lotus.
Coupe de céramique, Iran, x1V' siècle, 9 cm x 21 cm,Los Angeles Courty,Museum of Art Cette coupe tout à fait représentative du style
sim ple dit de « Sultanabad » présente une forme conique profonde et un large bourrelet su périeur faisant saillie vers l'intérieur et vers
nier à cheval sur fo n d d ' arabesques . Certains de ces d amasquinages de laiton pourraient avoir vu le jour au nordouest de l'Iran, à proximité des cours auxquelles ils étaient destinés. Mais c'était une spécialité de la province de Fars, au sud-ouest du pays. Parmi les obje ts les plus typiques , on peut citer des coupes peu profondes sur lesquelles des carcouches calligraphiés alternent avec des médaillons figuratifs polylobés présentant des chasseurs, des cavaliers et des souverai n s sur leur trône. D 'autres modèles figurent des frises animalières au niveau de l'embouchure, un soleil rayon nant sur le fond extérieur et, à l'intérieur, un soleil au milieu d 'un étang. Les symboles solaires étaient délibérément disposés de manière à ce qu' ils restent présents lorsque la coupe était pleine : lorsqu'on l'inclinait pour boire, on pouvait di stinguer l'image du soleil dans le ciel. Plusieurs coupes porcaient l'inscription « Héritier du royaume de Salomon » - un titre porté par les souverains de Fars, qui se retrouve sur les monuments de la lignée royale antique perse des Achéménides, dans la province de Fars ; on croyait que l'esprit de Salomon y résidait. Au XIV' siècle, on fabriqua ces coupes en très gran des quantités ; comme on l'observe dans le domaine de la miniature, le décor figuratif et calligraphique prit une importance croissante au fil du temps et son exécuti on gagna en finesse. Sous les Il-Khans, l'arc du livre occupa une place majeure dans les réalisatio n s culturelles. Cela faisait plusieurs siècles déjà que le monde islamique connaissait les livres enluminés er ill ustrés, mais lorsque les Mongols conquirent l' Iran , leur production augmenta er leur format s'agrandit. Le livre gagna en homogénéité, le texte, les illustrations et les enluminures , et jusqu'à la reliure, s'associè rent pour créer un tour harmonie ux. L'importance toute particulière de l'art du livre transparaît dans les inscriptions que de célèbres calligraphes furent ap pelés à réaliser dans d 'autres matériaux, comme le stuc, et dan s l' imitation de dess ins de liv res que
probablement l'œuvre d'Ahmad al-Suhrawardi, un successeur de Yaqur; les enluminures ont été réalisées par Muhammad ibn Aybak ibn Abdallah. Ces deux artistes participèrent également à la confection de l' un des plus beaux manuscrits du Coran, créé à Bagdad entre 1302 et 1308, qui porte la signature d'al-Suhra-
l'on observe dans l'architecture, notamment dans le travail de stuc de la vo ûte du mausolée d'Üljaitü à Sultaniya. Les calligraphes jouissaient alors d' un grand prestige. Le plus célèbre artiste du XI!I'siècle s'appelait Yaqut al-Mustasimi. Enfant, il fut au service, à Bagdad, du dernier calife abbasside al-Mustasim billah (1242-1258) , auquel il doit son surnom d'al-Mustasimi. Yaqut passa la majeure partie de sa vie à Bagdad, où il exerça la calligraphie sous la protection des Mongols jusqu'à sa mort, sans doute en 1298. Au XV siècle, sa notoriété était relie qu'on le surnommait « qibla des scribes ». On lui impure notamment d'avoir fixé le canon des six caractères cursifs, ce qu'on appelait les « six plumes ». Le renom de Yaqur explique que sa signature, bien souvent apocryphe, figure sur de nombreux manuscrits et de nombreuses feuilles
wardi. L'écriture et les signes de vocalisation sont calligrap'.liés en muhaqqaq noir, qui tranche clairement sur les ornements marginaux polychromes et dorés. L'équilibre parfait entre écriture et enluminure fair de ce manuscrit coranique l' un des témoignages les plus remarquables de l'art du livre islamique . Les grandes feuilles de papier fin er lisse n'offraient pas seulement aux scribes des conditions idéales pour la réalisation de chefs-cl' œuvre calligraphiques, elles se prêtaient également à des illustrations complexes de grandes dimensions. Plu-
volantes calligraphiées dans divers caractères. Les articles les plus répandus sont de petits corans en un volume, très onéreux, présentant les caractères étroits du raihani ou du naskhi. Malgré la petite raille des caractères, le texte sans cadre des manuscrits est clair et parfaitement lisible. Des rosettes dorées marquent les différents versets, alors que des décors marginaux dorés avec des lignes de contour
sieurs manuscrits de grand format ont été réalisés pour le vizir Rachid al-Din, dans le scriprorium rattaché à son comp lexe funéraire de Tabriz. Achevés, les ouvrages éraient exposés dans la mosquée, puis enregistrés par acte notarié avant d'être envoyés dans des villes, à travers tout l'empire. On connaît ainsi un Coran, un commentaire coranique en plusieurs volumes d'Ibn al-Arhir et deux exemplaires
bleues regro upent les versets par cinq ou dix. Les copies des successeurs de Yaqur tranchent sur ces petites éditions du Coran par un format plus important. Elles comprennent généralement 30 volumes, dont les pages mesurent 50 cm x 70 cm. Un important m anuscrit, calligraphié pour Üljaitü, présente même un format deux fois plus grand , 100 cm x 70 cm. Les pages correspondent au « format Bagdad plein », décrit par alQalqachandi, chroniqueur des Mamelouks qui vécut au XV' siècle. Les petits exemplaires de Yaqur en un volume éraient probablement destinés à un usage privé, alors que les grands exemplaires en plusieurs volumes représentaient des donations, qui servaient à la lecture publique des versets du livre sacré dans les complexes funéraires des sui tans et des courtisans. Chaque page du Coran d'Üljaitü comprend cinq lignes , calligraphiées en muhaqqaq, un caractère cursif; sur ces cinq lignes, trois so nt écrites à l'or avec des contours noirs, et deux en noir avec des contou rs dorés. Cet exemplaire est
rédigés en arabe er en persan des œuvres complètes du vizir lui-même ; parmi celles-ci , il convient de cirer sa Somme des chroniques, un ouvrage d'histoire en plusieurs volumes, qui retrace le règne de Ghazan et de ses ancêtres, l'histoire des peuples eurasiens non mongols, la généalogie des dynas ties régnantes, complétés par une description du monde. Les plus connus des fragments subsistants de cette Somme proviennent d' un exemp laire arabe, rédigé vers 1315 ; ils comprennent environ la moitié du deuxième volume, consacré à l' histoire des peuples eurasiens. À l'origine, le volume contenait quelque 300 pages, avec une surface écrire de 37 cm x 25 cm , comptant 35 lignes de rexre . Cent dix illustrations et 80 portraits d'empereurs chinois ornaient ce volume. À la différence des illustrations de manuscrits plus anciens dont le format est généralement carré, la plupart des images de la Somme des chroniques sont de format oblong et occupent environ le tiers de la surface écrire. Les scènes d'intérieur présentent le plus so uvent une co nstruction tripartite, alors que la composition
À droite : manuscrit du Coran, Yaqut al-Mustasimi, Irak, Muharran 688 (fé vrier 1289), Paris, Bibliothèque nationale Yaqut est considéré aujourd 'hui comme le plus grand calligraphe du x111• siècle et comme le cod ificateur des six caractères classiques de l'écriture arabe. li commença sa carrière à la cour du dernier calife abbasside,al -Mustasim,comme en témoigne son surnom, et la poursuivit sous les Mongols.
À gauche: manuscrit du Coran, calligraphie d'Ahmad al -Suhrawardi , enluminures de Muhammad ibn Aibak, Bagdad, 1308, New York, Metropolitan Museum of Art Cette page constitue le colophon d'un manuscrit du Coran en 30 vo lumes. Alors que les manuscrits de Yaqut étaient généralement de petit format, ceu x de ses élèves furent nettement plu s grands. Cet exemplaire mesure 50 centimètres sur 35. Il est rédigé sur papier fin demi-format Bagdad et en caractères muhaqqaq. L'importance du format et le raffinement de la calligraphie révèlent qu'il s'agissait d'un exemplaire de présentation, utilisé pour réciter le Coran à la mosquée.
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LES MONGOLS ISLAM IQ UES
DU DÉFERLE M EN T MO
GO L A UX IL-KH A
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La cavalerie de fer d'Alexandre, manuscrit du Chahname de Firdawsi, Tabriz, vers 1335, Cambridge, Harvard University Art Museum s Le plus grand projet de li vre à avoir vu le jour sous Ghi ya th al-Oin fut un exemplaire en deux vo lumes et grand format du Chahname,
qui devait co mpter environ 250 grandes illustrations. À cette époque, les illustrateurs persans avai ent assoc ié plusieurs influences en un st yl e personne l et cohérent. Dans cette scène ca pti vante, la cavalerie de fer d 'Alexandre le Gra nd crache Je feu, metta nt en déroute l'enne mi affol é.
des vues extérieures est plus variée, les artistes avant cherché à élargir l'espace pictural. Le bord de l'image peut ainsi venir empiéter sur les personnages , des lances et des sabots dépassent du cadre, pénétrant dans l'espace réservé à l'écriture. Les
L'exposition de la dépouille d'Alexandre, manuscrit du Chah na me de Firdawsi, Tabriz, vers 1335, Washington, Freer Gallery of Art Cette miniature provient, elle aussi, du grand Chahname mongol. Conformément à la tradition, la construction présente un schéma tripartite, mais la partie centrale domine la composi-
tion, fermée par le cercle des personnes affligées réunies autour de la dépouille. Des personnages teJs que les figures voilées du premier plan ou celle de la mère d'Alexa ndre, au centre, qui se jette sur le cercueil en sanglotant, s'inspirent de représentations occidentales de la déploration du Christ.
motifs de paysages, nuages, arbres , m ontagnes ou cours d'eau représentés comme une surface écailleuse, doivent beaucoup à la tradition chinoise, au m ême cirre que le lavis coloré sur encre noire. D 'autres éléments sont empruntés à la peinture européenne, et plus particulièrement italienne. Les artistes la connaissaient pro-
2 volumes et regroupait initialement quelque 300 illustrations. Les images du Chahname sont p lus grandes que les illustrations de la Somme historique de Rachid al-Din et occupent parfois presque une demi-page. Leur format est plus varié, et certaines présentent un cadre étagé. Les limites de la composition ont été élargies pour faire place à des représentations de groupe et pour atteindre une profondeur spatiale nouvelle. Le format plus important a sans doute encouragé les artistes à disposer des figures plus grandes dans des paysages plus vastes que
bablement grâce à des manuscrits illustrés et à des tableaux que les marchands apportaient en Iran . Lillustration de la naissance de Muhammad, qui ne fait pas partie des thèmes traditionnels de l'art islamique, s'inspire ainsi vaguement des représentations de la naissance du Christ.
ne le voulait la tradition de l'enluminure islamique. Mais la construction reste fidèle au schéma tripartite. Les illustrations du grand Chahname mongol ne sont pas seulement représentatives de l'art du livre des Mongols, elles incarnent toute une époque, comme le
La Somme des chroniques innove également par la volonté délibérée de réserver l'illustration à certains contextes narratifs , la peinture jouant ainsi un rôle de commentaire visuel. Le chapitre consacré aux Ghaznavides contient les illustrations les plus nombreuses, les plus grandes, les plus pittoresques et les plus vivantes du manuscrit, alors que le long chap itre sur l'histoire du califat abbasside ne comporte aucune image. La prédilection marquée pour la dynastie des Ghaznavides qui, d' un point de vue historique, présence moins d'importance que celle des Abbassides, s'explique par le désir des Mongols de se poser en héritiers
prouve cette miniature qui représente la bataille qu'Alexandre le Grand livra aux Indiens. Alexandre avait eu l'idée géniale d'opposer aux immenses éléphants del' armée indienne une cavalerie de fer : des chevaux et des cavaliers de métal, montés sur des chars donc les roues étaient remplies de pétrole. Soufflant du feu par les naseaux, ces chevaux fondirent sur l'armée indienne qui prit la fuite à la vue de cet ennemi hors du commun. Pour rehausser l'atmosphère dramatique de la scène, l'illustrateur a utilisé des colorants onéreux: de l'argent pour les soldats de fer, de l'or pour les flammes. l.:illustration montre les cavaliers d'Alexandre en cottes de maille et en casques, les Indiens aux visages noirs, en tuniques rayées. Les tour-
d'une tradition turque de conquêtes militaires, incarnée par cette lignée. Ce nouvel aspect se retrouve dans les manuscrits de la génération suivante, dont le plus beau est une édition mongole de l'épopée nationale persane, le Chahname du poète Firdawsi, datant des années 1330. Lexemplaire qui est parvenu en Occident au début de ce siècle et qui a rapidement été mis en pièces comptait
billons de nuages, un motif cher à la peinture chinoise, absorbent les langues de feu qui jaillissent des cavaliers de fer. Lintensité, la richesse chromatique et l'imagination donc témoigne cette peinture transmettent une image éloquente de l'univers cosmopolite et du remarquable développement culturel des Il-Khans persans.
ARTS DÉCORATIFS
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Art et architecture en Russie du Sud et en Asie centrale
à l'époque de la Horde d'Or et des Chagatayides Saray-la-Vieille fut la capi tale de la Horde d 'Or pen dant un siècle, de 1240 à 1340. Guillaume de Rubruck, un moine franciscain envoyé à Qaraqorum comme membre d'une ambassade de saint Louis, traversa la ville qu'il visita en 1254. Il est le premier à la mentionner nommément. D 'autres voyageurs et chroniqueurs de la troisième décennie du XIV' siècle décrivent Saray-la-Vieille comme une grande localité très peuplée, aux marchés animés, fourmillant de négociants. Les fouilles entreprises par les archéologues russes ont pu confirmer ces récits. Ils ont en effet découvert une grande ville qui couvrait une superficie de dix kilomètres carrés, avec un réseau de fossés de drainage, des citernes, des marchés et d 'importants quartiers marchands, où travaillaient des orfèvres, des fondeurs d 'arc, des souffleurs de verre et des potiers. On y a trouvé des icônes de métal qui révèlent que la population adhéra au christianisme orthodoxe jusqu'au début du XIV'
siècle. Saray-la-Vieille se marqua alors d ' une force empreinte islamique, qui
s'exprima par la fondation d ' une madrasa, une école de rhéologie et de droit, que
fic édifier le khan Ôzbeg (1311 -1 341), converti à l' islam. Dans les années 1330, Ôzbeg entreprit la construction de Saray-la-Neuve, qui prit le rang de capitale à
de la Horde d 'Or, fondé par Janibeg (13421357). On y a trou vé notamment plus ieurs grandes et somptueuses coupes d 'or de grandes dimensions. Nous n'avons conservé qu 'un petit nombre d'objets d 'or fabriqués pour les Mongols, car ils ont fréquemment été fondus à des fin; monétaires.
l'avènement de son fils Janibeg. Nettement plus petite que la précédente, la ville n' occupait que 2 kilomètres carrés. À des fins défensives, on l'entoura d ' une muraille et d ' un fossé sans doute dans les années 1360 , ce qui n'empêcha pas
couleur de l'empire, comme le pourpre l'avait été à Byzance. Bien que de nom-
Timur de la prendre et de la détruire en 1395. Les archéologues russes ont pu
breux objets aient été fabriqués en or, on a conservé peu de pièces médiévales à
mettre au jour le plan ovale et le réseau de rues. Les artisans et les couches les plus
l'exception de monnaies ; en effet, un grand nombre de ces articles furent fondus
modestes de la population vivaient au centre-ville, dans des abris de terre, alors
en des temps difficiles ou transformés à la suite de l'évolution du goût. Timur mit
que les plus riches occupaient des tentes, des maisons de bois ou de brique.
probablement la main sur des récipients d'or de ce genre lorsqu' il pilla Saray-la-
Les fouilles de Saray-la-Neuve ont livré de nombreux objets utilitaires, dont des timbales d 'argent et d 'o r aux anses luxueusement d écorées en forme de poissons ou de dragons sur des modèles chinois, réalisées pour les khans de la Horde
Neuve en 1395 ; en effet, les souverains rimurides se servirent plus tard de timbales à vin de forme identique. Ces derniers articles ne sont cependant pas en or, mais en jade, un matériau rare et précieux dont les T imurides n e disposèrent
d 'Or. Les Mongols attribuaient de nombreuses significations à l' or. Outre sa
qu'après qu' Ulugh Beg, petit-fils de Timur, se fur emparé des ri ches mines d e jade
valeur, ce mécal précieux incarnait l' origine, le soleil et le ciel ; c'était également la
du Mogholistan. Les souverains moghols de l' Inde, descendants des Timurides ,
Timbale d'argent avec anse en dragon, région de la Volga, 1250-1350, diamètre: 11 cm, Saint-Pétersbourg, musée de !'Ermitage Cette timbale présente une grande ressemblance avec des articles des Mongols iraniens, mais l'anse en forme de dragon est empruntée à une tradition des peuplades nomades.
404
Coupe d'or avec anses en forme de poissons, Saray-la-N euve, 1250-1350, diamètre: 17,8 cm, Saint-Pétersbourg, musée de !'Ermitage En 1847, des archéologues russes entreprirent des fouilles près de Tsare vo Goroditche, une local ité proche de la Volga, que l'on a identifié comme Saray-la-Neuve, la deuxième capitale
Coupe de céramique, région de la Volga, première moitié du XIV' siècle.diamètre: 19,4 cm, Saint-Pétersbourg, musée de !'Ermitage Cette coupe de Saray-la-neuve res semble aux articles iraniens « Sultanabad » à décor d'engobe. Mais l'exécution et le décor sont un peu plus grossiers.
LES MONGOLS ISLAM IQUES
D U DÉFERLE MENT MONGOL AUX IL-KHANS
ajoutèrent plus tard à ces timbales de jade leur propre paraphe, se posant ainsi, eux aussi, en descendants de Gengis Khan . On a découvert des objets d 'argent analogues dans le bassin fluvial de !'Ob, au nord de la Sibérie. Des chasseurs et des trappeurs de cette région vendaient en effet des fourrures , des défenses de morse et des oiseaux de proi e à des marchands musulmans, et un commerce régulier s'instaura dès le X' siècle. Cette culture tribale ignorant l'usage de la monnaie, les chasseurs et les trappeurs troquaient souvent leurs marchandises contre des objets d'argent, qu'ils enfouissaient ensui te dans les forêts sibériennes. Certains de ces articles ont ainsi été préservés, alors que les régions plus civilisées fondirent la plupart des récipients d'argent pour frappe r de la monnaie. Parallèlement à ces objets de m étal , les archéologues russes ont également retrouvé à Saray-la-Neuve une importante quantité de céramiques - récipients émaillés ou non , carreaux de faïence ou fragments de panneaux de mosaïque assez proches de ceux qui ornaient, à la m ême époque, les bâtiments de Transoxiane. Certaines de ces céramiques - comme la porcelaine chinoise vert pâle connue so us le nom de céladon et les articles peints bleu et blanc d'Égypte - étaient importés, mais l'existence de fours révèle que la majorité était produite sur place. Le grou pe le plus important est formé de coupes recouvertes d' un épais engobe blanc, avec des dessins noirs et moucheté de bleu. Les médaillons centraux ornés d'anima ux ou de dessins géoméuiq..1es sont entourés de bandeaux aux motifs blancs représentant des feuillages ou des imitations d' inscriptions. Ces coupes ressemblent aux articles dits de Sultanabad, fabriqués en Perse du temps des Il-Khans, mais leur forme est plus arrondie et leur dessin plus rigide et plus conventionnel. Le textile fut certainement l'arc majeur de cette périod e. De nombreuses sources des Xlll ' et XI V' siècles, aussi bien européennes que chinoises , évoquent les « tissus tartares » (le, panni tartarici des so urces itali ennes), que l'on pourrait définir succinctement comme une so ie brochée de fil s d 'or. Ces étoffes correspondent au nasij et au nakh, cités dans des textes arabes et persans. La technique du tissage des étoffes brochées fut introduite en Chin e depuis l'Asie centrale: au cours de leurs expéditions guerrières au Turkestan et au Khorassan entre 1219 et 1222, les Mongols transplantèrent en effet de force trois colonies d 'artisans en Chine. Ces colonies y travaillèrent so us le protectorat de Gengis Khan et de so n fil s Ügedei, avant d'être réorganisées sous Qubilay dans les années 1270. Les brocarts d'or tissés en Asie centrale témoignent d' une remarquable maîtrise technique. Le fond comme le motif sont réalisés en fil d'or, le dessin étant déterminé par la base de soie . Ces textiles associent des éléments chinois et iraniens, comme certains fi ls de chaîne typiques des soieries chinoises ou la bordure à doub le fil d'or, caractéristique des soieries d'Iran oriental. Bien que les textiles ne portent aucune dédicace, leur q uali té laisse supposer qu'ils étaient destinés à la cour, probablement celle des Chagatayides qui régnaient en Transoxiane. Un grand nombre des pièces conservées n'est parvenu sur le m arché d'arc qu'à une date très récente . On les dit originaires du Tibet où les monastères les auraiem reçues en présems des so uve rains.
Fragm ent d'étoffe, Asie centrale orientale, vers 1250, or et soie, largeur : 49 cm, longueur : 124 cm, Cleveland,Cleveland Museum of Art Les brocarts d'or fabriqués :iar les Mongols révèlent une grande compétence technique ; en effet, le fond et le motif sont brochés d'or et le motif n'est déterminé que par le tissu de soie du fond. Cet exemple impressionnant
présente un dessin d'or brillant sur un fond brun foncé, presque noir. Le motif des figures animalières adossées dans des médaillons ronds et les griffons des espaces intermédiaires s'inspirent de modèles iraniens, alors que les ornements, tels que les rubans de nuages et les queues d'animaux terminées par des têtes de dragons, sont empruntés au répertoire chinois.
ART S DÉCORATIFS
40 5
Asie centrale :
Timurides, Chaybanides et Khanats Histoire de Ti mur et de ses successeurs ........... .408
L'architecture des Timurid es en Asie centrale ..... .416 Extension de Samarcande, la capitale Mosquée de Bibi-Khanum, Chah-i Zinda
L'art du livre sous les Timurides ... .. ........ .. ... .426
Histoire des Chayban ides ....................... .431 et des Khanats
Boukhara: .. ............... ............... ... ... .436 madrasa Mir-i Arab, mosquée Kalan Samarcande: madrasa Chir-Dor, madrasa Tilla-Ka ri Khiva: lchan-Qala
Les carreaux de céramique décoratifs dans l'architecture .............................. .448
Complexe funéraire de Khoja Ahmad Yassawi, Turkestan (Yasi). 1389-1399 La polit ique et l'architecture des Timurides ont été façonnées par la pu issante personnalité de Timur (Ta merl an). le grand conquérant, qui marqua de son empreinte toute la vi e publique. Le complexe de Khoja Ahmad Yassawi offre un excellent exemple du style impérial de Timur. Outre une mosquée et le mausolée du chaykh Khoja Ahmad, cet ensemble architectural compact comprend une salle de réunion, une bibliothèque ainsi qu'une aile d'habita tion avec cuisine. Le revêtement extérieur présente le grand dessin géométrique typique des bâtiments timurides, en briques émaillées de bleu foncé, de turquoise e, de blanc. Des in scriptions call igraphiques visibles de loin font le tour de l'ensemble du bâti ment et ornent les tambours des coupoles.
407
Timur était issu de la tribu turque, prest1g1euse mais appauvrie, des Barlas . Il est né vers 1328 près de Kech (l'actuelle Char-i Sabz) , à une journée de marche de
Histoire Markus Hattstein
Samarcande. La dace du 8 avril 1336 que l'on a courammem dit être celle de sa naissance repose en réalité sur un calcul de conjonction astrale fair a posteriori. Timur était né avec la rocule soudée au fémur, ce qui lui valut le surnom de « Lang » ou « Lenk », c'est-à-dire « le boiteux ». Cette
I..:h istoi re des Timurides est dominée par la figure de leur fon dateur, Timur , le grand conquéran t, le « maître du monde ». Le jugement de l'histoire n'est généralement pas très indulgent à son égard : les massacres
malformation l'obligea, vers la fin de sa vie,
de populations innocentes commis par son armée, la destruction des anciens centres culturels et la dévastation de territoires considérables dépassaient encore par leur atrocité les forfaits d'un Gengis Khan. Le
à se déplacer excl usivement à cheval ou avec un appui. Par ailleurs, une malformation de l'épaule droite, aggravée par une blessure due à une flèche , '. imitait la mobilité de sa main droite ; ces infirmités ont été confirmées par l'examen de son squelette entrepris en 1941 par des scientifiques russes. Profitant des troubles qui agitaient la Transoxiane entre 1360 et 1370, Timur joua son propre jeu. Il prouva rapidement ses talents de chef militaire et changea plu-
développement et l'embellissement de Samarcande et d'autres villes de Transoxiane avec le concours d'artistes et d'artisans déportés ne sauraient compenser ces agissements. Et s'il parvint à conquérir un vaste empire, Timur fur incapable de le conserver en lui assurant une administration stable. Il inspira pourtant une vive admiration à de nombreux historiens islamiques, tandis que l'Europe le célébrait depuis la Renaissance dans des pièces de théâtre et des opéras, de Marlowe à Haendel. « Tamerlan », comme on le nommait alors, incarnaiI aussi l'homme d'action énergique, le petit prince local qui sut grâce à son ambition, à sa poigne et à son habileté, s'élever au rang de maître du monde islamique et de toute l'Asie.
sieurs fois de camp. En 1360, lorsque Tughluq Temür attaqua le territoire islamique, Ti mur trahit le chef des Barlas et se mit à la disposition du khan, un acte qui lui value d 'obtenir Kech en fief. Par pur opportunisme, il s'allia au pui ssant émir Hussayn qui résidait à Balkh ; il épousa la sœur de celui-ci et devint ainsi son vassal. Lorsque Tughluq Temür se fut retiré au
La situation en Transoxiane et l'ascension de Timur Les conquêtes de Gengis Khan et de ses successeurs avaient transformé en profondeur la physionomie de l'Eurasie, et surtout celle de la sphère culturelle islamique. I..:occupation de la Perse et la chute de Bagdad en 1258 avaient semé l'effroi et démoralisé le monde islamique malgré les importants travaux de reconstruction entrepris notamment par les Il-Khans de Perse, convertis à l'islam . Prétendant exercer leur aurorité sur rous les Mongols islamiques , ils encrèrent rapidement en conflit avec l' ulus de Chagatay en Transoxiane, le fief du deuxième fils de Gengis Khan. Lorsque Tarmachirin (1326-1 334) , le khan de Chagatay, passa à l'Islam, l' ulus fut divisé en une enclave islamique, encre le Iaxarte et !'Oxus, et le Mogholistan « païen », au-delà du Iaxarte. La partie islamique fut ensuite gouvernée par différents chefs militaires; en 1360, Tughluq Temür, khan du Mogholistan, profita de la vacuité du pouvoir central pour faire pénétrer ses croupes dans la région et annexer l' ulus de Chagatay. C'est dans ce contexte précis que se situe l'ascension de Timur.
Statue de Ti mur à Tachkent Timur (vers 1328-1405) fut le plus grand conquérant du monde islamique. Grâce à son cou rag e, son habileté et son inflexibilité, ce nobli au de Transoxiane devint le maître d'un
408
empire couvrant le monde islamique de !'Anatolie et de la Syrie à l'ouest jusqu'à l'Inde et jusqu'à la frontière de la Chine à l'est. Sa mémoire est encore vénérée aujourd 'hui, surtout en Asie centrale.
Mogholistan , Timur et Hussayn entreprirent de con cert d'étendre leurs territoires et conclurent des alliances avec différents souverains. En 1366, ils s'emparèrent de Samarcande. Mais ces deux hommes étaient si pétris d'ambition qu' ils étaient condamnés à s'affronter un jour ou l'a utre. Ce conflit culmina en 1369 lorsque Timur prit Balkh, la résidence de Hussayn. Le 9 avril 1370, l'ensemble des émirs et des princes de l'ulus du Sud prêtèrent serment de fidélité à Timur ; celui-ci décida de résider à Samarcande.
Les campagnes de Timur au Khwarazm et en Iran La lutte contre Toqtamich En fait , Timur passa toute sa vie en campagne, ce qui le conduisit à parcourir à maintes reprises les terriroires qu' il venait de conquérir. Il entreprit d'abord de régler à sa convenance la sirnation de l'ensemble de l' ulus de Chagatay. En 1370, il partit donc vers le nord et installa au Mogholistan un khan fantôme tout à sa dévotion , un vague descendant de Gengis Khan , une lignée dont Timur se posa
Ci-contre : Ti mur entre dans Samarcande à la tête de ses troupes, miniature persa ne extra ite d'un Zafarn ame, 1486, Istanbul, musée d'Art t urc et isl amique
AS IE CE N TRA L E
Bien que Timur ait passé presque toute sa vie en campagne, il choisit Samarcande pour résidence. Grâce à la présence d'artistes déportés des territoires conquis, il l'embellit et en fit le « centre du mon::Je ».
Timur éraie décidé à réaliser l'unification politique de l'Iran et à écraser les petits souverains régionaux. En 1388, il se para du titre de sultan et réalisa artificiellement l'intégration culturelle de l'Iran et de la Transoxiane (Turan) ; l'anti-
toujours en protecteur et en garant. Mais le Mogholisran resta une région extrêmement troublée ; considérant Timur comme un parvenu, de nombreux nobles chagarayides complotèrent contre lui. En 13 72, il parvint à faire valoir les prétentions des Chagarayides sur le Khwarazm mongol contre d'autres lignées de Gengiskhanides établies dans la région. Il occupa le pays et maria son fils aîné Jahangir avec une princesse locale, ce qui lui valut un prestige accru. Au cours des années suivantes, la fronde du Khwarazm qui s'allia à ses ennemis obligea Timur à y mener plusieurs expéditions militaires. En 1376, lorsque les troupes du Kh waraz m attaquèrent Boukhara, Timur ravagea le territoire du Khwarazm. En 13 79 , il rasa la résidence de Kunya Urgench. Entre-temps, Timur avait décidé de mettre également la main sur l'héritage des Il-Khans en Iran. En 1379, lorsque Ghiyath al-Din, chef de la dynastie de Kart installée à Hérat, refusa de se présenter à Samarcande pour la journée d'audience de Timur, ce dernier prit prétexte de cet affront pour envahir l'Afghanistan et le Khorassan . En 1381, il occupait roue le territoire des Karrides et nomma son deuxième fils, Miranchah, gouverneur du Khorassan. Poursuivant sa route vers l'ouest, Timur se heurta, dans les régions persanes du Mazandaran et du Siscan, à la résistance des Muzaffarides, à Chiraz, en proie à des luttes intestines depuis 1384 ; Timur les éliminera en 1393. En 1387, lorsque Timur prit Ispahan aux Muzaffarides, son occupation de la ville fur dans un premier temps magnanime ; mais sa fureur ne connue plus de bornes lorsque les habitants assassinèrent ses percepteurs, et sa vengeance fut cruelle.
nomie entre ces deux régions avait déjà été le rhème del' épopée nationale persane, le Chahname. Timur prétendit alors rassembler en sa seule personne l'héritage culturel des Iraniens, des Mongols et des Turkmènes. Dans sa volonté d'exercer le pouvoir sur cous les Mongols islamiques, Timur s'était fait un nouvel ennemi. Toqcamich , khan de la Horde d'Or depuis 1378 , avait fait irruption en Iran en 1386 et avait pillé Tabriz. Timur, qui avait accordé l'hospitalité au jeune Toqramich quand ce dernier n'était qu'un fugitif, considéra cet acre comme une trahison. Il occupa la Géorgie chrétienne, dont le souverain était son vassal, pour couper la route de l'Iran à la Horde d'Or. Toqtamich, qui avait incendié Moscou en 1382 et imposé sa domination à la Russie, revendiqua alors cous les territoires mongols. En 1387, il pilla la patrie de T imur et fit le siège devant Boukhara et Samarcande avant de se retirer dans son territoire tribal à l'approche de Timur. En 1391, ce dernier le poursuivit jusque par-delà l' Oural et écrasa les unités de la Horde d 'Or, pourtant deux fois plus nombreuses que les siennes ; Toqcamich prie la fuite et s'allia aux Mamelouks du Caire. Timur lui infligea encore plusieurs défaites et Toqcamich finit par être assassiné en 1405 alors qu'il prenait la fuite . Timur imposa alors sa domination sur la Horde d'Or jusqu'en Russie et put rapporter à Samarcande un précieux butin.
Mer Noire Mer Caspienne
Kunya Urgenct-9
Boukhara •
--• Tabriz
• Hérat
• Chiraz
L'empire de Timur dans la seconde moitié du x1v• siècle
410
ASIE C EN TRALE
Shar-i Sabz
Balkh
• Rayy
e lspahan
• Samarcande
----------;:/ •
e Gorgan
• Bagdad
.
Pyramide de crânes des expéd itions guerrières deTimur, miniature indienne, époque moghole, Patna, Kuda Bakhsh Library Quand Ti mur châtiait une ville qui l'avait trahi , il prenait dei mesures draconiennes et dressait devant la vi lle des pyramides visibles de fort loin, dans lesquelles étaient emmurées les têtes de ses victimes. Après leur capitulation er 1387, lorsque les habitants d'lspahan assassinèrent les percepteurs de Ti mur, il fit exécuter 70 000 personnes dont les têtes s'empilèrent en 28 pyramides devant la vil le. Les habitants de Bagdad connurent le même sort en 1401, lorsqu 'ils refirent allégeance aux ennemis de Timur, qui avait pris la ville dès 1393.
1360-1370
Les campagnes de Ti mur en Syrie, en Iraq et en Anatolie La lutte contre Bayazid En 1392, Timur décida de poursuivre sa marche vers l'ouest. Après avoir éliminé les Muzaffarides à Chiraz, il envahit l'Iran. En septembre 1393 , il chassa les Jalayirides de Bagdad, où il imposa une charia islamique clémente et nettoya le pays des petits potentats et des bandes de brigands. Cette mesure, qui assura la sécurité des routes commerciales, lui valut la reconnaissance des négociants de Bagdad. Mais il chercha en vain à s'entendre avec les Mamelouks du Caire. L énergique sultan des Mamelouks, Barquq, qui avait pris le pouvoir en 1382, était bien décidé à enrayer la progression de Timur. Les Mamelouks n'avaient-ils pas réussi à vaincre les Mongols dès 1260 ? En 1394, Barquq se trouvait avec son armée devant Damas, avec l'alliance des Ottomans, de la H orde d'Or et de quelques princes anatoliens. Il attendait l'attaque de Timur. Mais celui-ci évita l'affrontement au dernier moment et se tourna vers le nord, contre Toqramich. Barquq mourut en 1399. À l'été 1400, Timur se remit en marche vers l'ouest. Il occupa et pilla Alep. En décembre de la même année, il était aux portes de Damas, qu'occupait Faraj, le fils de Barquq. Voyant les deux armées se faire face, Faraj perdit courage. En janvier 1401, il recula et se réfugia en Égypte. Bien que la ville se soir rendue à Timur, elle fut pillée et ranço nn ée. Ti mur repartit ensuite pour ['Iraq, où les Jalayirides avaient repris possession de Bagdad et affermi leur position aux dépens de Timur; courroucé par le soulèvement d' une ville qu'il
Jalayirides sont chassés de
Taragay) règne sur les
à imposer sa dcmination à
Bagdad
Timurides à Samarcande. Son fils Abd
1400-1401
de l'Empire est ::l'abord Balkh, puis Samarcande Phase d'expansion :Timur
1402
soumet la Perse, la Mésopotamie, certaines régions de la Russie, de l'Inde
Expédition en Syrie et en Iraq.
1405 Guerre entre les chahs du
1388
Timur prend le titre
1392-1399
1393
Règne du Timuride Hussayn Balqara à Hérat
Muhammad Chaybani,
Luttes entre Ulugh Beg et
dépouillent progressivement
Bataille d'Ankara: les Timurides
1447-1449
après 1500
Les Ouzbeks, dirigés par
écrasent les Ottomans.
Abd al-Latif. La bataille de
les Timurides de leurs
Le sultan ottoman Bayazid est
Samarcande voit la victoire
domaines
fait prisonnier
définitive d'Abd al-Latif
L'assassinat de Toqtamich
1526
Bataille de Panipat: Babur,
1450
Assassinat d'Abd al-Latif
le descendant des Timurides,
1451 -1469
Règne d'Abu Sayd sur la
écrase Ibrahim Lodi, occupe
Transoxiane, le Turkestan occidental et certaines régions
des Moghols en Inde
1405/ 9-144 7 Règne de Chah Rukh à Hérat;
Delhi et assoit le pouvoir
d'Afghanistan
sa domination s'étend progressivement sur la
Inde, d'abord sous la conduite
Transoxiane, Gorgan, le
de Pir Muhammad, puis, à partir
Mazandaran, Kerman, la Perse
de 1398, sous celle de Ti mur.
centrale et méridionale
Les Mongols conduits par
1469-1506
et s'établit à Hérat
Campagnes de conquête en
Pillage de Delhi
règne à Samarcande
occupées et pillées
domination sur la Horde d'O r
de sultan
Le su ltan Ahmad, un Timuride,
al-Latif prend le commandement suprême de l'armée
permet à Ti mur d'étendre sa
Khwarazm et les Timurides
1469-1494
Alep, Damas et Bagdad sont
et de I' Anatolie 1376-1379
Ulugh Beg (Muhammad
des Muzaffarides. Les
d'une tribu turque, parvient
la Transoxiane. La capitale
1370-1405
1447
Timur (1370-1405), membre
1452
Les Qara Qoyunlu turkmènes s'emparent de la Perse centrale et méridionale
1469
Défaite des Timurides dirigés par Abu Sayd contre les Ak
1409
Ulugh Beg devient gouverneu r
Qoyunlu turkmènes conduits
de Samarcande
par Uzun Hassan
Timur mettent =in au règne
H ISTO I RE DES TIM U RIDES
-! 11
À gauche: Ti mur accueill e son petit -fils Pir Muhammad à Multan, miniature d'u n Zafarname, Londres, British Library Timur avait choisi pour successeur son petitfils Pir Muhammad, qui était gouverneur des provinces indiennes et résidait à Kanda har. Dès 1392, Pir Muhammad avait entrepris une expédition en Inde pour Ti mur, mais il ass iégea vainement Multan. Son grand-père se précipita alors à son secours et soumit l'Inde jusqu 'à Delhi. Après la mort de Ti mur, Pir Muham mad fut impu issa nt à s'affirmer contre les autres petits-fils du souverain. En 1407, il fut assassiné par son propre vizir, alors qu'il chercha it à prendre Samarcande.
À droite: noble timuride, miniature, Berlin, Staatsbibliothek Preu ssischer Kulturbesitz Sous Timur, la classe dirigeante était en grande partie formée de ses fils et de ses petits-fils, qui régnaient comme gouverneurs sur les provinces de son Empire. Mais il y admit également des souverains des régions conquises, s' il s acceptaient d'adhérer à son « union de paix », c'est-à-dire s'ils se so umettaient et reconnaissaient, en tant que vassa ux, sa suzeraineté . Se présentant toujours au nom de l'ulus de Chagatay, l'union tribale du fils de Geng is Khan , il accorda de grands honneurs aux membres mongols de la lignée de Gengis Khan qui acceptèrent so n alliance.
avait traitée avec bienveillance, Timur donna !'.assaut à Bagdad en juillet 1401 . Il fit alors massacrer toute la population à l'exception des lettrés, des artistes et des artisans. Ibn Khaldun était au nombre des lettrés de Bagdad qui tombèrent entre les mains de Timur. Ce dernier le traita avec une courtoisie exquise, le garda auprès de lui un certain temps et lui commanda une description des pays du Maghreb. Ibn Khaldun initia également le souverain aux prophéties islamiques annonçant l'avènement d' un « sultan du monde », qui devait accéder à la domination mondiale par l'entremise de pasteurs nomades ; Ibn Khaldun y voyair une allusion aux peuplades turques , rattachant ainsi la domination de Timur aux attentes eschatologiques musulmanes. L:Anatolie devint alo rs le véritable foyer de troubles de la région . Les petits princes locaux se voyaient menacés par les ambitions des Mamelouks aussi bien que par les Ottomans qui s'étaient, les uns comme les autres, appropriés différents territoires dep uis 1397. Un grand nombre de ces petits souverains imaginaient que Timur, qui résidait dans des régions plus éloignées, pourrait être un garant de leur indépendance. Ils acceptèrent donc sa souveraineté. Dans sa progression vers l'ouest en 1397, Timur avait occupé plusieurs territoires et établi un protectorat sur !'Anatolie . L:affrontement avec les Ottomans qui progressaient ve rs l'est deve nait inévitable. En 1395, Timur avait pour la première fois offert son amitié au sultan ottoman Bayazid l" (1389-1402), dont il avait approuvé la lutte religieuse à l'ouest et qu'il avait invité à le rejoindre dans son combat contre Toqtamich. Cependant cette complaisance était assortie d' une mise en garde : Bayazid était libre d'étendre ses
412
domaines dans les Balkans, mais l'est - l'Iran et !'Anatolie - appartenait à l' ul us de Chagatay. Pourtant, l'infatigable Bayazid ne se contenta pas de s'approprier en 1399 des terri toi res du nord de la Syrie et de !'Anatolie. Accordant l'asile aux Jalayi rides et à Qara Qoyunlu, un Turkmène, ennemi juré de Timur, il alla jusqu'à leur fournir des armes pour reconquérir leurs domaines. En mars 1402, Timur fit irruption en Anatolie; en juillet de la m ême année, il écrasa l'armée ottomane devant Ankara. Il captura Bayazid, qu'il enferma dans une cage de fer qu'il aurait désormais utilisée , dit-on , comme escabeau pour monter en selle. Timur annonça sa victoire aux souverains d'Europe, espérant que la circulation de marchandises entre l'Europe, l'Orient et l'Asie pourrait désormais se faire sans difficultés; l'Euro pe fut fort satisfaite d'être délivrée du « cauchemar Bajazet », ce qui contribua largement à lui inspirer une image positive de « Tamerlan ».
La campagne de Timur en Inde, le développement de Samarcande et la mort de Ti mur D ès 1392, Timur avait envoyé en Inde son petit-fils Pir Muhammad à la tête de troupes. Il tenait en effet à reprendre le contrôle de l'empire de Mahmud de Ghazni, qu'il admirai t beaucoup ; pour avoir les mains libres à l'est, il versait tribut à l'empereur de C hine depuis 1389. Lavance de Pir Muhammad s'était arrêtée deva nt Multan, lorsqu e Timur reprit la direction de cette expédition en 1398. En septembre de la m ême année, il franchit !'Indus, accepta la soumission des princes locaux et, malgré des mouvements de résistance acharnés, poursuivit sa marche
ASIE CE N TRALE
Faramuz poursuit l'armée du roi de Kabul, miniature du Chahname, Tabriz, Paris, musée du Louvre Après avoir conquis l'lran,Timur chercha à effacer l'hostilité traditionnelle entre l'espace culturel iranien et celui de la Transoxiane, qui constituait déjà le thème majeur de l'épopée nationale persane, le Chahnafl?e. Dans ce dessein, il se présenta lui-même comme l'unificateur islamique de ces deux univers. L'art et la littérature de la cour représentaient de plus en plus souvent Timur sous les traits d'un héros mythique, d 'un combattant de la foi et d 'un pacificateur, dont la puissance était irrésistible et à la loi duquel tous devaient se plier.
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