L'impensable réalité : Physique et sagesse traditionnelle 2351182308, 9782351182307

Pendant que la plupart d'entre nous regardent ailleurs, quelque chose de bouleversant est en train de se passer. Un

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French Pages 251 Year 2015

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L'impensable réalité : Physique et sagesse traditionnelle
 2351182308, 9782351182307

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L'IMPENSABLE REALITE ,,#

,,#

PHYSIQ1JE ET SAGESSE TRADITIONNELLE

Photographie de couverture: The Colossal Cosmic Eye NGC 1350 C European Southern Observatory (ESO) C Éditions Almora • 51 rue Orfila, 75020 Paris• 2015 ISBN: 978-2-35118-230-7

www.almora.fr

JEAN BOUCHART 0 0RVAL 1

L'IMPENSABLE REALITE ,,..

,,..

PHYSIQ!JE ET SAGESSE TRADITIONNELLE

Du même auteur : L'Harmonie secrète, Almora, 2015. Dans l'ombre du Sphinx, Almora, 2012. Au cœur de l'instant, Almora, 2010. Reflets de la spendeur, le shivaïsme tantrique du Cachemire, Almora, Paris, 2009. Le Secret le mieux gardé, Almora, 2007. La Rumeur de Dieu, Éditions du Roseau, 2000. Patafljali: la maturité de la joie, Le Relié, 1999. Héraclite, la lumière de l 'Obscur, Le Relié, 1997. Les Entretiens de /'Éveil, Éditions du Roseau, 1996. La Diligence divine, Éditions De Mortagne, 1995. La Maturité de la joie, Libre Expression, 1992.

Vers une Nouvelle Forme d'intelligence, Louise Courteau, 1989. La Plénitude du vide, Louise Courteau, 1987.

On peut rejoindre Jean Bouchart d'Orval : Courriel : [email protected] Site web : http://www.omalpha.com

Note sur l'auteur : On peut rencontrer Jean Bouchart d'Orval lors d'entretiens, de séminaires ou de rencontres individuelles tant au Québec qu'en Europe. Ces rencontres ne visent à convaincre personne ni à prouver quoi que ce soit, mais plutôt à vivre avec la fenêtre ouverte.

Nous avons reçu juste assez d'intelligence pour voir clairement à quel point cette intelligence est inadéquate face à ce qui existe. Si une telle humilité pouvait être transmise à tous, le champ des activités humaines serait plus attrayant. Albert Einstein,

lettre à la reine de Belgique, 1932

Note importante

Le lecteur peu ou pas à l'aise avec les rares schémas et symboles mathématiques contenus dans ce livre ne devrait pas s'inquiéter, car leur compréhension n'est nullement nécessaire à celle de la suite du texte. Il en va, bien sûr, de même des quelques mots sanskrits parfois donnés à titre indicatif. D'autre part, comme il était hors de question d'écrire ces mots dans l'alphabet originel devanagari - inconnu de presque tous les lecteurs - et que cet alphabet comporte beaucoup plus de signes que notre alphabet latin (50 au lieu de 26), la translittération des mots sanskrits comporte id les signes diacritiques généralement en usage afin de rendre la subtilité des sons originaux. Notons id la prononciation de quelques lettres qu'on rencontrera occasionnellement dans le texte: Les voyelles surmontées d'un traits sont longues. Ler (une des 16 voyelles du sanskrit) se prononce comme le son « ri » bien roulé avec la langue. Le j se prononce comme « dj ». Le .Q se prononce comme un « n » avec langue appuyée sur le palais. Le s est toujours dur. Le ~ se prononce comme « ch ». Les se prononce comme un« s »sifflant aspiré. Le jii, un des sons les plus martyrisés en Occident, se prononce comme « dj » nasalisé ; jamais comme « jn », ni « guy », ni « gy ».

TABLE DES MATIÈRES

1.

L'HYMNE DES ORIGINES • . . . • . . • . . . . • . . . . . . . . . . . . .

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AVANT-PROPOS •.•....•••••.••..•.••••••••••••.

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REGARDEZ : VOUS ALLEZ VOIR...

15

. .....•..•..•..•...

2. LA PLUS GRANDE DÉCOUVERTE DE TOUS LES TEMPS Ce qu'on peut savoir de l'intérieur ................... 43

3. LA PHYSIQUE SE RAPPROCHE Ce qu'on peut savoir de l'extérieur .................. 55

4. UNE LUMIÈRE DANS LES TÉNÈBRES L'avènement de la théorie de la relativité ............. 63 5. UNE CERTAINE TENDANCE À ~TRE L'impensable réalité de la mécanique quantique . . . . . . . . 107 6. LE POINT ZÉRO Une origine non physique

153

7. LA TRANSFIGURATION DU MONDE L' œil de Siva, la bouche de K~UI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181

L'HYMNE DES ORIGINES

(:B.g Veda X, 129)

1. nasad asïn no sad asït tadfillï:Ql nasïd rajo no vioma paro yat 1 kim âvartvab kuha kasya sarmann ambhab kim asïd gahana:Ql gabhïram Il 2. na rrqtyur asïd amfla.lll na tarhi na ratrya ahna asït praketal;i 1 arud avata:Ql svadhaya tad ekam tasmâd dhruiyan na parai) ki:Ql cana.sa Il 3. tama asït tamasa gnlham agre apraketa:Ql salila:Ql sarva:Ql a idam 1 tucchyenabhu apihitam yad asït tapasas tan mahinajayataikam Il 4. kâmas tad agre sam avartatâdhi manaso retal;i prathama:Ql yad asït 1 sato bandhum asati nir avindan hfdi pram~ya kavayo manI~a Il 5. tiraScïno vitato ra§mir e~âm adhab svid asI3d upari svid asï3t retodha asan mahimnna asan svadha avastat prayatil;i parastât Il

1

6. ko addha veda ka iha pra vocat kuta ajata kuta iya:Ql visr.>til:i arvag deva asya visarjanena atha ko veda yata ababhova Il

1

7. yo

iya:Ql

visr~tir

asyadhyak~ab

yata ababhova yadi va dadhe yadi va na 1 parame vyoman so anga veda yadi va na veda Il

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1. Il n'y avait alors ni le non-être ni l'être, il n'y avait ni espace physique ni espace subtil au-delà de Cela. Qu'est-ce qui voilait Cela? Où? Qu'est-ce qui l'abritait? Qu'était /'Eau sans fond et impénétrable?

2. Il n'y avait alors ni mort ni immortalité, il n'y avait aucun signe de la nuit et du jour. Ce Un respirait sans souffle, mû par son propre élan; autre que Cela il n'y avait rien au-delà. 3. Au tout début, il y avait des ténèbres recouverts de ténèbres, tout ceci était Étendue indistincte. Cela qui, venant en existence, était couvert par le vide, ce Un émergea par le pouvoir de l'ardeur. 4. Au début, sur Cela se posa le désir qui fut le tout premier germe de la pensée. Les poètes découvrirent le lien du manifesté dans le non manifesté après avoir cherché avec inspiration dans leur cœur. 5. Leur rayon (cordeau) était tendu en travers: qu'y avait-il dessous, qu'y avait-il dessus? Il y eut des porteurs de semence et des puissances; en bas était la puissance innée, en haut l'impulsion.

6. Qui alors sait vraiment? Qui devrait annoncer ici d'où elle est née, d'où a jailli cette création? Les dieux sont apparus après son surgissement, qui sait alors d'où elle émane? 7. Cette création, d'où elle émane, si elle a été causée ou non, Celui qui a l'œil sur elle dans l'espace le plus subtil, lui seul le sait, ou peut-être ne le sait-il pas ...

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AVANT-PROPOS

La science dont nous sommes si orgueilleux en Occident ne se distingue guère des religions en ce qu'elle repose sur une croyance fondamentale rarement remise en question. Quelle est la croyance des scientifiques ? Le monde serait fait de choses « réelles » séparées les unes des autres et évoluant dans un espace et un temps eux aussi réels. Cet ouvrage vise, entre autres, à montrer comment la science positiviste et agnostique par excellence - la physique - est de plus en plus forcée de remettre en cause cette croyance, d'avouer que, finalement, il n'y a pas de choses dans « l'univers » et de reconnaître que l'origine et la nature véritable de cet univers n'ont rien à voir avec tous les modèles édifiés jusqu'à maintenant. C'est le mieux qu'on pouvait attendre d'une science dualiste dans ses fondements et, dans notre civilisation matérialiste et crépusculaire qui la vénère, c'est énorme et cela mérite d'être entendu. La mécanique quantique et la relativité n'ont même pas fini de nous ébranler dans nos croyances classiques que de stupéfiantes percées théoriques sur l'origine du monde, sur le point zéro, font maintenant signe en direction de la nature non «physique » et intemporelle de l'univers. Nous touchons id au mystère de l'éternité et de la lumière consciente, que le film de science-fiction le plus audacieux n'a jamais même approché. La physique est en train de faire plus qu'un joli din d' œil à la sagesse traditionnelle, qui n'a pourtant jamais

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attendu cela pour nous dire que la réalité n'est absolument rien de tout ce que nous avons pu imaginer. Ce que nous appelons science depuis quelques siècles en Occident - et que le monde entier idolâtre - est en réalité une restriction par rapport à la connaissance véritable, car elle ignore tout ce qui ne peut faire objet d'une expérience sensorielle et d'une mesure. Notre science alimente merveilleusement bien la technologie, bien sûr, mais du point de vue de la connaissance elle peut s'égarer facilement dans la forêt de ses images et de ses théories. Mais il n'est pas question ici de condamner ou proscrire la science ; au contraire, depuis l'enclos dans lequel elle évolue depuis toujours elle pointe de plus en plus hors d'elle-même. Mais ce n'est pas à elle d'aller hors d'elle-même; elle doit et ne peut que demeurer ce qu'elle est. Pourtant, celui qui, pris de vertige ou de terreur, se sentirait encore incapable de se laisser saisir par l'impensable et préférerait continuer à grelotter derrière ses conditionnements et ses images classiques et rassurantes du monde manquerait certes le plus beau et se couperait de la réalité, qui est directe et non mesurable, et n'est pas matière à opinion. Face à la restriction que sont tous les modèles scientifiques et la caricature que sont les religions extérieures, et devant l'agitation et l'angoisse de nos vies, le dernier chapitre de ce livre invite à la maturation tranquille et joyeuse du regard. Dans ce contexte, il attire l'attention sur un courant spirituel encore peu connu en Occident et qui s'inscrit bien dans l'espace vacant laissé par la physique moderne; la formulation du shivaïsme tantrique du Cachemire, qui a connu une extraordinaire floraison entre les IX" et xrr siècles, atteint une grande puissance et une rare précision capables de réveiller les morts ... Cet ouvrage est une invitation à regarder directement le cœur de l'univers là où il est : ici et maintenant.

1 REGARDEZ : VOUS ALLEZ VOIR ...

Le plus beau rubis est voilé par l'éclat de ses propres rayons. Ainsi, bien qu'il resplendisse du plus grand éclat pour tout le monde, le Soi n'est pas manifeste.

Mahesvarlinanda, Mahllrthamaifjarf

Dieu est à la fois le jardin et le jardinier, et toute ma vie j'ai tenté de le surprendre en plein travail. Albert Einstein

La vie est profondément belle et le monde magnifique. La perspective de devoir un jour quitter cette vie terrestre sans avoir au moins cherché à savoir et surtout sentir ce que sont l'univers, la vie et la conscience, bref, sans avoir profondément goûté à la beauté de tout cela, m'a toujours paru comme la plus grande et peut-être la seule véritable calamité sur terre. À bien y regarder, toute souffrance n'est que le reflet et la conséquence de ce déficit de ressenti dans le cœur des hommes. Qu'est-ce que tout cela ? Cette question a modulé mes jours depuis le tout début et aujourd'hui encore ce regard passionné, vivant, est ma joie véritable. Bien qu'informulable durant ma tendre enfance, il m'a semblé constituer l'unique affaire de ma vie. Je dis ma vie ; je devrais dire la vie. Le courant qui m'a un jour amené à jeter un regard

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plus direct, plus intérieur, sur le monde est strictement le même qui, au collège et à l'université, m'a mené à l'étude passionnée de la physique. Nous existons pour explorer, sentir et connaître. C'est la vraie joie de la vie ; le reste est anecdotique. Tout enfant, dès que s'ouvrent ses oreilles, son toucher, ses yeux, bref, tous ses sens, manifeste une curiosité insatiable. Cette passion de l'exploration est la même chez toutes les espèces d'êtres vivants dotés d'un système nerveux assez complexe : enfants, chatons, chiots, louveteaux, oursons, lionceaux, singes, nous ne sommes qu'étonnement et exploration. A tel point qu'on pourrait avancer que, contrairement à ce qu'on nous a appris, le corps est là pour qu'il puisse y avoir les sens - et donc le senti et la connaissance - et non l'inverse'. Serait-ce que la fonction précède la forme? Cette perspective, nouvelle pour les évolutionnistes, est en accord avec ce que les explorateurs indiens de la consàence ont formulé il y a très longtemps. Dans l'ordre des tattvaz, les sens subtils apparaissent avant leurs manifestations grossières que sont les organes et les éléments « physiques » qui les sous-tendent. La nature agit à un niveau plus subtil que celui du monde « physique », qui n'est qu'images et concepts. La mécanique quantique repose entièrement sur la reconnaissance que le déterminisme et l'évolution du monde agissent à un niveau plus subtil et non sur des « objets physiques ». Ce qui étonne aujour1. D'ailleurs - fait intéressant mais peu connu - en termes d'évolution classique, l'œil constitue une structure tellement complexe, ayant exigé l'évolution simultanée d'un tel nombre de gènes non apparentés, que son apparition sur terre après quelques centaines de millions d'années de vie tient du miracle tellement les probabilités jouaient contre elle. C'est comme si la vision avait appelé l'œil. Il n'en va pas autrement pour les autres sens. 2. Les aspects de la manifestation de la Lumière consciente, selon l'Inde traditionnelle.

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d'hui, ce n'est plus tant ce fondement lui-même que le fait qu'après l'avoir reconnu on puisse encore vivre comme si le monde était peuplé d'objets séparés les uns des autres et prétendre à une quelconque existence individuelle dotée d'un soi-disant libre arbitre personnel.

De l'éclat à l'habitude ... Rappelez-vous votre émerveillement d'enfant de pouvoir entendre, toucher, voir, sentir, goûter. Rappelez-vous cette immense joie de mettre le nez dehors le matin et d'aller découvrir ce qu'est tout cela. Voyez maintenant combien cet élan s'est émoussé, parce que nous croyons savoir. Constatez combien facilement nous sommes passés de l'éclat à l'habitude. Réalisez combien souvent, à l'occasion de chaque perception, notre mémoire nous suggère que nous connaissons l'objet perçu et combien nous la laissons alors nous confiner à une existence de plus en plus terne. La flamme ardente a été ensevelie sous l'accumulation d'images, de concepts qui les lient et de savoir sur le monde, sur le corps, sur les objets, sur les êtres et sur nous-mêmes. Combien souvent ne voyons-nous même plus les murs de notre chambre, le tableau dans le salon, le visage de nos proches, parce que dès que ces formes se découpent en nous, la mémoire parle et nous acceptons ses suggestions ? Combien souvent ne prenons-nous même pas le temps de sentir notre corps, la pièce où nous sommes, les gens qui nous entourent ? Nous nous détournons de ce qui est là pour nous tourner vers nos images et nos pensées, vers notre savoir. Tout cela est statique, figé, alors que ce qui s'offre au regard est toujours fluide, vivant. Nous nous sommes forgé un petit monde virtuel composé de toutes nos images accumulées. Ce que nous appelons aujourd'hui

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négligemment « le monde » n'est en fait qu'un monceau d'éléments mémorisés et arrangés. Tout cela vient de l'activité des cinq sens, dont nos instruments - de la simple paire de lunettes sur notre nez au télescope Hubble} dans l'espace, du couteau de cuisine au prochain accélérateur de particules LHC du CERN• - ne sont que des appendices sophistiqués. Nous imaginons le monde, dans le sens où nous le regardons à travers nos images. Ce que nous appelons pompeusement l'univers n'est pas une illusion (au sens où il n'aurait pas de réalité), mais sa réalité nous est voilée par nos images et notre recherche d'images, par notre demande de « choses ».Ce n'est pas qu'il existe une réalité ou un sens derrière le monde ; il n'y a rien derrière le monde. C'est la grande illusion qu'entretiennent encore les enseignements « spirituels » qui exigent de se détourner de ce qui est là pour se tourner vers une autre réalité derrière le monde. Les faux gourous, du haut de leur inutile agitation, nous demande non pas de regarder de nos propres yeux la réalité telle qu'elle est, mais de nous réfugier dans un imaginaire devenir. On ne peut alors échapper à une quelconque forme de morale, avec son bien et son mal, avec des efforts à faire, avec des éléments de la vie à éviter, écarter, matraquer et avec d'autres éléments à désirer et à s'approprier.

Peu d'êtres sont capables d'exprimer posément une opinion différente des préjugés de leur milieu. La plupart des êtres sont même incapables d'arriver à formuler de telles opinions.[... ]

3. Voir http://hubble.nasa.gov/index.php 4. Voir http://public.web.cem.ch/Public/Welcome-fr.html

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Très peu d'entre eux voient de leurs propres yeux et sentent avec leur propre cœur. Albert Einstein' Il suffit de connaître le monde directement, sans images. Mais nous ne pouvons alors plus parler de connaissance d'un objet par un sujet. Tout objet - c'est-à-dire tout ce qui semble être autre que moi - est en fait une image. Notre cerveau passe presque toute la journée et une bonne partie de la nuit à arranger ces images pour en faire un système cohérent doté d'un sens pour l'image centrale que j'appelle moi. À grand renfort de théories de plus en plus élaborées et d'instruments sophistiqués, la science ne fait rien d'autre que cela. Notre monde de tous les jours - celui de l'état de veille - n'est rien d'autre que la mise en place d'un tel système. Ce système est, bien sûr, très pratique et même essentiel pour le fonctionnement du corps dans l'état de veille, mais nous ne voyons pas bien qu'il n'est qu'une carte et non le territoire lui-même. En plus de notre imaginaire mondain de tous les jours, nous avons échafaudé le monde des croyances religieuses - y compris ses variantes modernes du nouvel âge - et celui des modèles scientifiques. Nous nous accrochons à ces mondes, nous tenons à ces imageries. Il suffit d'observer l'animosité et même la violence des croyants religieux, qu'ils soient chrétiens fondamentalistes, juifs orthodoxes, islamistes, athées, sceptiques•, ésotéristes ou autres, dès que leur système est remis en question par un interlocuteur ou par la vie, pour comprendre que tous ces systèmes sont les fruits de la peur. Le scientisme - l'attitude selon laquelle seule la 5. Albert Einstein, Comment je vois le monde, Flammarion, Paris, 1989. 6. Les athées et les • sceptiques » exhibent les mêmes symptômes que les autres croyants religieux.

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science peut apporter des réponses à toutes les questions constitue aussi une forme de croyance religieuse. Voyez s'affronter tous ces gens dans des débats, s'efforçant désespérément de croire en quelque chose pour avoir moins peur. Les croyants, qu'ils soient scientistes ou religieux, vivent dans la terreur de devoir constater la futilité de leur savoir de compilation, de leur connaissance de seconde main. C'est la peur de ne rien être, de ne rien être de tout ce qu'on aimaginé. Quand on ne voit pas, on a besoin de croire. Le scientisme et les croyances religieuses sont-ils rien d'autre qu'une aggravation des symptômes du monde ? Un constat qui n'est pas banal Notre comportement de tous les jours est fondé sur les images que nous nous faisons du monde à travers nos sens et le sens que nous leurs donnons; or, ce sens s'appuie toujours sur l'hypothèse fondamentale de la science telle que nous la connaissons. Cette science n'est finalement rien d'autre que l'exploration d'une croyance de base selon laquelle le monde serait fait de choses. Cette exploration constitue donc une voie tout à fait respectable vers la vérité, pourvu qu'on aille jusqu'au bout. Or, plus profondément on sonde la matière et l'univers, plus on est forcé d'abandonner la notion d'entités séparées dans cet univers et plus on est amené à s'intéresser à l'observateur. En fin de compte, comme nous le verrons, la science même qui est fondée sur la croyance que le monde est constitué de choses séparées les unes des autres et séparées de l'observateur nous a donné depuis cent ans de plus en plus de signes clairs et irréfutables qu'il n'en est pas du tout ainsi. Ce n'est pas banal. D'ailleurs, les découvertes en physique s'expriment presque toujours par le moyen d'équations mathéma-

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tiques. Or, ces équations ne font que poser l'égalité de deux entités qu'on aurait autrement pu croire séparées. L'évolution de la physique n'est rien d'autre que la découverte progressive de la non-séparation des phénomènes'. La physique du XX" siècle, bien involontairement, a ouvert une brèche formidable dans la croyance en la dualité. La mécanique quantique a notamment posé un regard plus réaliste que la physique classique sur l'univers. Des développements théoriques et des expériences marquantes ont amené les auteurs de telles expériences à conclure qu'il n'existe pas de réalité en dehors de la conscience de l' observateur. Mais ce qui aurait pu devenir la plus grande découverte de tous les temps était trop bouleversant pour la capacité d'assimilation de la communauté scientifique et des êtres humains en général. En physique comme ailleurs, la foule manque toujours d'audace. Les formidables intuitions des grands physiciens du début du XX" siècle ont été largement noyées dans la médiocrité et la platitude de la masse des professeurs qui occupent les facultés le jour et rentrent tranquillement chez eux le soir, pensant et vivant comme s'il existait bien un monde séparé d'eux-mêmes, un monde qui aurait une existence objective là-bas.

Pour les éveillés, le monde est un seul et même, mais les endormis se réfugient dans un monde individuel. Héraclite, VI" siècle av. J.-C. Malgré les signaux sans équivoque de la physique moderne, nous dormons encore profondément et rêvons à 7. C'est d'ailleurs une des plus grandes quêtes de la physique que la « théorie du tout •, une théorie qui expliquerait en un seul formalisme élégant toutes les lois de l'univers. Einstein, malgré les gloussements dans son dos, s'est consacré à cette recherche durant les vingt dernières années de sa vie. Aujourd'hui elle suscite un nouvel enthousiasme et on se demande si le vieil Albert n'avait finalement pas encore une fois eu raison.

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notre monde d'images. La dualité sujet/objet, pourtant malmenée par la mécanique quantique depuis près d'un siècle, domine encore tout et on ne la remet pas vraiment en question. Elle semble même donner de plus en plus le ton dans le monde. C'est cette dualité du regard qui dicte la vulgarité, l'avidité et la violence devenues presque universelles de nos jours dans les rapports que nous entretenons les uns avec les autres, tant sur le plan individuel qu'entre nations. La révolution de la physique moderne a donc été vite banalisée par la masse des physiciens eux-mêmes, saisis par la perspective terrifiante de perdre leur monde connu. Les scientifiques ne diffèrent pas fondamentalement des autres êtres humains dans leur comportement : leur premier réflexe consiste à tâcher de sauvegarder leur savoir rassurant pour l'individu qu'ils croient être. Tout mouvement pour expliquer le plus par le moins est futile. Comment expliquer la vie, la réalité, bref la conscience, à l'aide d'éléments mémorisés, de représentations mentales et de savoir de compilation ? Comment ne pas sourire devant le spectacle amusant de « savants » qui tentent de localiser l' « expérience religieuse » (car ils confondent encore religion et spiritualité) dans le lobe temporal du cerveau? Ces scientistes (dans le sens véritable du mot), avec leurs pathétiques électrodes, croient encore que la conscience pourrait être un sous-produit de l'activité neurochimique du cerveau, une sorte de rejet industriel de la matières. Les psychiatres, encouragés et soudoyés par 8. Bien sûr, le scientisme sen bien les intérêts des prédateurs économiques, ceux qui nous font dépenser des fonunes, individuellement et collectivement. pour faire marcher leurs affaires. Il suffit de penser à la rigidité du monde de la médecine officielle devant les approches alternatives sérieuses; il n'est point besoin d'être très futé pour y voir se profiler les intérêts de l'industrie pharmaceutique. Qu'on pense aux fonunes carrément colossales englouties chaque année dans l'industrie pharmaceutique, dans l'industrie militaire et d'autres secteurs qui

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l'industrie pharmaceutique, estiment que s'ils parviennent parfois à soulager certains symptômes avec des produits chimiques, c'est que les troubles de leurs patients ont des origines « biochimiques ». Voilà, dans toute son arrogante splendeur, l'obscurantisme moderne. C'est une des caractéristiques de l'âge sombre de l'humanité, annoncée depuis longtemps : l'homme est de plus en plus coupé de la connaissance directe et n'accorde plus foi qu'aux images qu'il s'est forgées à partir de l'expérience de ses cinq sens grossiers (et leurs prolongations que sont les instruments scientifiques). L'approche scientifique est dualiste par nature et ne peut que fournir des signes, des directions (ce qui n'est tout de même pas négligeable). Nous aurons beau mettre au point les théories les plus belles, les plus sophistiquées et les plus confirmées par l'expérience, tout cela demeurera toujours un monceau d'images et de concepts. Aucune équation ni aucun modèle ne pourront jamais vous expliquer ce que sont la beauté, la vérité, la conscience, pas plus qu'ils ne vous feront goûter la saveur d'une poire. Ce que nous percevons est vivant. Ne négligeons pas l'évidence. Ce ne sont pas des fréquences ou des longueurs d'onde que nous voyons ; nous voyons des couleurs 1 Ce ne sont pas des cônes ou des bâtonnets, non plus que des impulsions électriques dans les neurones que nous voyons ; ce sont des formes, de la lumière et des couleurs 1Réveillons-nous1 En fin de compte, c'est la pure lumière consciente qui est la vie et la « substance » même de toute observation. On ne peut connaître que de l'intérieur. Depuis très longtemps, nous entretenons l'illusion tenace de pouvoir prospèrent à cause de notre inattention. Si nous étions davantage en contact direct avec la vie, dont notre corps est une expression, nous n'aurions pas à travailler tant d'heures par semaine pour vivre bien, en santé et en paix.

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connaître de l'extérieur, c'est-à-dire en demeurant un observateur séparé prétendument objectif. Les notions d'intérieur et d'extérieur surgissent ensemble : ce sont des images. Profondément, il n'y a ni extérieur ni intérieur. Deux voies extérieures se sont offertes et souvent affrontées : la science et la r~ligion. Tant la religion que la science sont des approches extérieures. Leurs stériles affrontements séculaires, dont les querelles à la fois amusantes et lamentables entre évolutionnistes et créationnistes aux États-Unis ne sont que l'achèvement caricatural, n'ont jamais rien produit, car finalement ni les scientifiques ni les hommes religieux ne savent vraiment ce dont ils parlent ! Le dieu des hommes religieux a été créé à l'image et à la ressemblance de l'homme : inquiet, calculateur, jaloux, mesquin, revanchard, parfois attendri, mais toujours dans le devenir. D'autre part, n'est-il pas formidable et amusant que les scientifiques soient si impuissants à expliquer la nature véritable de la matière, de la lumière et de l'univers lui-même, qu'ils étudient pourtant depuis des siècles avec des moyens de plus en plus puissants ? Si, en science, nous touchons peut-être la limite de ce que nous pouvons vérifier expérimentalement sur la nature de l'univers, la religion, elle, a plafonné il y a des milliers d'années déjà. Les sempiternels débats entre religieux et scientistes sont le choc de deux ignorances, de deux formes de l'arrogance humaine.

La sdence ne pourra jamais résoudre le dernier mystère de la nature. Max Planck9 9. Max Planck, Über irreversible Strahlun9svor9iin9e, Sitzungsberichte der PreuBischen Akademie der Wissenschaften, vol. 5, 1899.

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Avant l'éveil, on ne peut comprendre les Écritures ; après l'éveil, on n'en a plus besoin. Shankaracharya

Entre les deux, quelques professeurs de philosophie dans leurs petits endos masturbatoires se gargarisent de mots ronflants devant un public non moins ronflant. La philosophie occidentale, tout comme la science profane, est fondée sur l'ignorance de la vérité impersonnelle et verticale. À très peu d'exceptions près, tout n'y est que ratiocinage insignifiant et fantaisies personnelles érigées en systèmes qui se succèdent presque aussi rapidement que les créations des couturiers de la mode ou les épidémies de grippe. Dans le but d'impressionner les naïfs, on utilise un jargon très affecté pour maquiller des opinions qui, finalement, ne s'écartent guère des préjugés du troupeau. C'est peut-être une façon originale de gagner sa vie, mais en ces temps où nous souhaitons tant protéger nos forêts, n'imprime-t-on pas beaucoup trop de livres de philosophie ? Il est un progrès de la science moderne - celle des derniers siècles - qui demeure complètement à la surface : c'est le savoir qui a permis toute la technologie. Il est un autre progrès, qui consiste dans sa formulation de modèles plus articulés du monde. Mais sur un autre plan, elle marque bien plus l'aboutissement d'un processus de dégénérescence que de réel progrès. La véritable connaissance est intérieure, intuitive, directe, non intellectuelle. Nous vivons une époque où le matérialisme est poussé à l'extrême : la notion d'objets séparés domine entièrement la vie. La recherche scientifique s'occupe de plus en plus de détails, s'égarant toujours plus loin de la réalité. Or, c'est justement cet égarement que la physique moderne est venue mettre en évidence. Il fallait qu'il en soit ainsi, tout

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comme il fallait que ce que nous appelons le corps apparaisse, en tant que solidification ultime de la lumière consciente. Parvenus à ce paroxysme de la dualité, que reste-t-il à faire sinon reconnaître que la réalité n'est pas du tout comme nous l'avons pensée ? C'est l'histoire de toute incarnation humaine et c'est aussi l'histoire de la science. La recherche scientifique constitue une voie extérieure de connaissance : elle se fonde sur les images fournies par nos sens et tente de retrouver un ordre. A la source de la recherche scientifique fondamentale, il y a le sentiment du merveilleux. Sa démarche même montre que nous savons tous qu'une telle « source » existe. C'est là où la science peut vraiment trouver sa place : l'exploration de la beauté du monde. Mais croire que c'est la science qui pourrait apporter une véritable réponse à nos questionnements est une profonde illusion.

Il est plus important de trouver la beauté dans les équations qu'on écrit que de trouver leur concordance avec l'expérience. Paul A. M. Dirac, 1953 Pourquoi les grands chercheurs se rassemblent-ils autour des notions de simplicité, de beauté et de symétrie ? Tout simplement parce que nous portons cela en nous, nous en avons la connaissance intuitive. Pourquoi peut-on si bien décrire les phénomènes du monde physique à l'aide des mathématiques ? Tout simplement parce que les mathématiques, aussi complexes peuvent-elles parfois être, sont fondées sur les nombres, donc sur le un et le zéro. Tout repose sur les concepts d'existence ou de non-existence. Le jour n'est peut-être pas loin où la communauté scientifique sera forcée de reconnaître que notre univers n'a pas une origine physique mais plutôt mathématique, c'est-à-dire

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conceptuelle, et que le Big Bang est mû par la manifestation (le nombre 1) de ce qui n'est pas « quelque chose » (le nombre 0). La physique du vide, celle des fluctuations quantiques et des premiers instants de l'univers, est d'ailleurs un domaine actuellement très chaud en physique. Nous y reviendrons plus loin. On ne peut connaître l'essence des choses ou de l'univers par la voie extérieure : c'est une impossibilité plus que mathématique. Connaître implique un contact direct avec ce qu'on connaît, c'est-à-dire rien moins qu'une identité avec ce qui est connu. Seul un manque de vision nous maintient dans l'illusion, très tenace dans les milieux scientifiques« sérieux», qu'on pourra un jour arriver à connaître la « pensée de Dieu ». Pour cela, il faut être « Dieu » et donc ne plus être restreint par la pensée. Il est possible que nous atteignions bientôt les limites de ce que nous pouvons savoir de la « pensée de Dieu » par la voie expérimentale. La physique se heurte actuellement à la limite du mur de Planck (lQ-33 cm), dont nous reparlerons plus loin. C'est à cette échelle que l'unification des quatre forces fondamentales 10 peut être envisagée et que nous pouvons comprendre l'origine de l'univers au temps de Planck (IQ-43 s). La physique théorique est en ébullition, mais il faut pouvoir vérifier les prédictions des théories. Or, pour cela, il faut soit pouvoir mesurer les effets d'événements qui se sont produits il y a 13, 7 milliards d'années, alors que l'univers était au temps de Planck, soit créer des collisions de particules assez puissantes pour accéder à l'échelle du mur de Planck (sans jeu de mots). Mais de telles collisions sont tout à fait hors de portée des accélérateurs de IO. Les quatre forces (ou interactions) fondamentales connues sont: la gravitation, la force électromagnétique, l'interaction nucléaire faible et l'interaction nucléaire forte.

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particules les plus puissants, car la différence d'ordre de grandeur est rédhibitoire : la température 11 nécessaire pour agir à cette échelle est de l'ordre de 1032 °K et l'énergie à mettre en œuvre est de l'ordre de 1Ql9 GeV 12, alors que les accélérateurs de particules les plus puissants plafonnent actuellement à environ 1000 GeV. Il faudrait un accélérateur environ 10 millions de milliards de fois plus puissant que le LHC (Large Hadron Collider), le plus puissant accélérateur de particules au monde, qui sera mis en service en 2007 au CERN (Centre Européen de Recherches Nucléaires), à Genève. Quant aux observations de l'univers naissant, les traces les plus récentes que nous puissions étudier sont celles du rayonnement fossile de l'univers, ce rayonnement thermique maintenant refroidi à 2, 7 °K, qui avait une température d'environ 3000 °K au moment de son émission, alors que l'univers était âgé de 380 000 ans. En étudiant les minimes irrégularités de ce rayonnement, grâce aux satellites récents et à venir, nous pouvons encore vérifier certains éléments de théories sur l'univers naissant et donc sur l'intimité de la matière. Mais pendant combien de temps allons-nous encore pouvoir extraire des informations utiles de ce rayonnement fossile et d'autres preuves indirectes ? Ici aussi, il n'est pas impossible que nous touchions bientôt la limite de ce que nous pouvons vérifier directement. Un déblocage pourrait toutefois être en vue sur le plan théorique : nous y reviendrons.

l l. L'échelle des degrés Kelvin est la même que celle des degrés Celsius, sauf que son zéro est le zéro absolu, soit -273, l 5 °C. Aux très hautes températures, les deux échelles sont donc équivalentes. 12. L'électronvolt (eV) est l'unité d'énergie la plus prati~ue et courante en physique des particules. Un gigaélectronvolt (l GeV) est 109 eV et l eV est l'énergie d'un électron accéléré par un potentiel d'un volt.

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Tradition ou religion ?

La religion constitue une autre voie extérieure, indirecte. Il importe de bien distinguer tradition spirituelle et religion. Une tradition spirituelle est un courant, une manière de célébrer l'impensable et de le vivre : elle a toujours pour origine historique un ou plusieurs êtres humains qui ont été ébranlés intérieurement au point de cesser d'être mus par une histoire individuelle, avec sa garde rapprochée faite de peurs et de désirs. Une tradition spirituelle c'est vivant, fluide : on ne peut l'enfermer dans une codification, même si elle formule les choses de manière forcément codifiée. On n'y met pas l'accent sur des choses à faire ou à ne pas faire, à penser ou à ne pas penser: l'accent porte sur l'écoute. Le mot tradition se réfère à ce qui en nous est vertical, intemporel et impersonnel. Il a été largement dévoyé de nos jours et le plus souvent on l'utilise pour désigner une habitude, une coutume. Aujourd'hui on appelle traditionnelle une personne conservatrice, conventionnelle, voire peureuse, frileuse. L'homme traditionnel, bien au contraire, est celui de la virtus des anciens Romains, celui de la vïiya de l'Inde traditionnelle. C'est l'homme dont la vie est axée sur ce qui est intemporel et impersonnel, sur le sacré. Est sacré ce qui est sans but, sans calcul, ce qui est pur élan, irrépressible enthousiasme intérieur. L'homme de la tradition vit en accord avec les rythmes profonds de l'existence, avec l'inévitabilité de la vie : il n'a pas la prétention de pouvoir ou devoir éviter l'inévitable. Sa vie est juste, ce qui est le sens du mot latin virtus : elle est dictée par le silence et l'écoute de l'ordre profond en accord avec le mot védique [ta/J, et que les anciens Égyptiens appelaient Maât. Extérieurement, l'homme de la tradition semble vivre dans l'horizontalité 13. Ce mot sanskrit, qu'on prononce ~ rita ~.veut dire: le bon agencement, l'ordre, ce qui doit être. Sa racine est la même que le mot latin ritus, qui a donné

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qui est le lot du vulgaire .., c'est-à-dire au niveau des choses apparemment séparées les unes des autres, des événements qui « arrivent » et des liens de causalité horizontale qui semblent les lier ; mais intérieurement il vit de manière verticale, car pour lui toutes choses sont liées par une causalité verticale, tout comme les éléments du rêve sont liés verticalement par la conscience du rêveur et non horizontalement entre eux. La science moderne, malgré toute sa prétention, demeurera toujours bien en deçà de la connaissance traditionnelle, qui, elle, s'exprime depuis une expérience directe intérieure ; elle peut, dans le meilleur des cas, faire signe vers le haut, mais n'y a jamais accès. C'est le haut qui éclaire le bas, non l'inverse. On comprend sans peine combien notre civilisation moderne se trouve non seulement éloignée de la Tradition : elle est carrément antitraditionnelle. Notre monde est profane au point de n'être plus que profanation. Une de ses principales caractéristiques - regardez bien autour de vous-, c'est sa vulgarité croissante et de plus en plus universelle, qui sous-tend son égoïsme et sa violence. Rien n'échappe à la vulgarité et la médiocrité triomphantes : les arts, la politique, la société, le sport, les médias, même la recherche spirituelle moderne. Plus que tout, la vulgarité est le signe certain de l'ignorance, de l'errance. Or, cette vulgarité et cette médiocrité commencent toujours dans le regard, ou plutôt dans sa déficience. « rite » en français : en ce sens, un rite ou une action rituelle reproduit l'ordre juste des choses. ~ta est à rapprocher du mot grec cosmos ("6oµoç). L'arrangement juste de l'univers n'a, bien sûr, rien de moral: il est impersonnel, le reflet de ce qu'est la pure conscience elle-même. 14. Le mot « vulgaire » se réfère id au sens original du mot latin vu/gus: le commun des hommes, la masse de ceux qui vivent en mode automatique, la foule des dormeurs. Cicéron écrit : Non est consilium in vulgo (la foule n'a pas de réflexion).

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Toutes les traditions spirituelles finissent par dégénérer et se corrompre. Le ritualisme vide du brahmanisme a succédé aux révélations des Védas. L'enseignement originel du Bouddha a fini par être terni par les corruptions moralisatrices et restrictives du petit véhicule (hrnayana), et par les débordements spéculatifs et les égarements sentimentaux du grand véhicule (mahayana). La corruption de la lumière formulée par le Grand Silencieux s'est ensuite grandement accélérée au Tibet, où, en s'amalgamant à d'autres éléments, elle est carrément devenue une religion. Le Bienheureux ne se reconnaîtrait plus dans la déviation tibétaine, avec son orgie de rites à accomplir et de spéculations inutiles. Le tch'an chinois et plus tard le zen japonais, sous l'impulsion de maîtres éclairés, ont sérieusement redressé le courant descendant et dispersant, et sont revenus à une verticalité très pure. Mais encore là, le zen japonais a fini par se solidifier, en devenant encore « quelque chose» à enseigner, en mettant lourdement l'accent sur un but à atteindre à tout prix. Signe des temps, on trouve maintenant dans toutes les villes occidentales des « maîtres zen » : il suffit de se donner un air très sérieux, d'adopter quelques simagrées venues d'un autre âge et d'une autre contrée, et de mémoriser quelques bons slogans. Ajoutez à cela la publication d'un autre livre de compilations et vous voilà prêt à vous lancer en affaires. Quant à la lumière du Christ, dès les premières années elle s'est rapidement corrompue. Les énormes luttes de pouvoir entre les multiples sectes chrétiennes du début ont eu tôt fait de débiliter la lumière originelle. Certains évangiles apocryphes méritent qu'on s'y intéresse, mais il reste bien peu de textes qui valent la peine". Hormis quelques 15. Si ce n'était cette pénurie de textes sérieux et l'indigence spirituelle de l'Occident en général, on n'assisterait sans doute pas à cet amusant foisonnement

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fulgurations verticales ponctuelles, comme celles des mystiques rhénans - dont Maître Eckhart, Suso et Tauler sont les plus connus -, et quelques autres, tout cela a rapidement sombré dans le messianisme, le moralisme et le sentimentalisme du plus mauvais goût. La religion catholique, du moins celle qui avait cours avant que le concile Vatican II n'en fasse un organisme de plus en plus mondain, comportait certes des institutions qui n'étaient pas dépourvues de sens profond et de rites magnifiques ; mais ces rites étant célébrés par des hommes non initiés à la connaissance - et donc sans puissance -, il était inévitable que les fidèles ne sentent rien et s'ennuient de plus en plus dans les églises. Mais au lieu de retrouver le cœur vivant de la tradition, on a fait du racolage auprès des masses - pour se moderniser, disait-on - démontrant ainsi que tout ce qui restait de vertical et noble dans l'Église était devenu une façade vraiment morte et prête pour l'effondrement final. Quant aux églises issues de la Réforme, elles sont complètement antitraditionnelles, sans rites ; elles nient à l'homme - dont elles ont une image malade et tordue - toute possibilité de vie contemplative 16 et d'ascèse véritable, et se réduisent, depuis leur apparition, à un pathétique moralisme qui a conduit directement au puritanisme anglo-saxon qui afflige encore une partie importante de l'Occident et même du monde entier. Les religions qui sévissent toujours de nos jours se situent dans ce contexte de dégénérescence et elles se placent d'emblée dans une perspective individuelle, matériade livres à la mode sur Marie-Madeleine, à qui les évangiles canoniques et apocryphes ne consacrent somme toute que quelques maigres phrases. On se demande toujours comment le prochain auteur s'y prendra pour oser écrire tout un livre à partir des mêmes mots ... 16. Luther est d'ailleurs un ancien moine qui s'est révélé incapable de mener une vie contemplative.

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liste et dualiste. Elles se déploient toujours dans un espace de médiocrité où il y a quelqu'un de pris, quelqu'un de misérable qui voudrait être sauvé par un être supérieur ou par une manière de penser et de vivre. Dans la religion, on croit qu'il pourrait un jour se produire une action libératrice. Elle est toujours le fait d'individus qui n'ont pas vraiment été saisis ni transformés par la tranquillité et l'intuition de l'existence, et qui ont enfermé des enseignements dans un système rigide de croyances 1' , avec ou sans hiérarchie autoritaire. La religion organisée est une misérable parodie de la tradition spirituelle. Elle est un vieux réflexe de peur de l'homme. La malheureuse religion catholique n'a plus de traditionnel que quelques symboles depuis longtemps vidés de leur contenu et ses dirigeants, dont on se plaint bien à tort qu'ils soient traditionnels, vivent simplement l'ignorance et la peur. L'idée de René Guénon de prendre l'Église catholique comme base possible pour un renouveau de la Tradition en Occident pouvait peut-être encore sembler quelque peu sympathique dans les années vingt 18, mais pour mettre en avant de telles idées aujourd'hui il faudrait une épaisse dose de naïveté. L'histoire de saint Thomas d'Aquin (1225-1279), l'un des plus grands Docteurs de l'Église, illustre à merveille le gouffre séparant la théologie (et la religion qu'elle tente d'étayer) de l'expérience mystique authentique. Saint Thomas a professé à la Sorbonne et sa somme théologique demeure l'un des piliers de la doctrine de l'Église catholique romaine et de toutes les églises chrétiennes. Toute sa 17. La foi véritable est une conviction reposant sur un fort pressentiment, sur une intuition profonde, alors que la croyance est aveugle. 18. René Guénon, La Crise du monde moderne, Gallimard, collection Folio essais n°250, Paris, 2002 (édition originale 1926).

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vie, saint Thomas a raisonné et argumenté pour défendre des opinions et faire valoir ses points de vue, tâchant de réfuter ceux des autres. Or, le 6 décembre 1273, soit exactement trois mois avant sa mort, il fut saisi d'une révélation extatique extraordinaire qui le fit, entre autres choses, éclater en sanglots. Dans l'instant, il comprit la futilité de tout ce qu'il avait pensé et écrit durant toute sa vie et dont se réclame encore aujourd'hui la très sainte Église catholique. Il écrivit alors: «Tout ce que j'ai écrit ne vaut pas plus que de la paille comparé aux choses que j'ai vues et qui m'ont été révélées. » À compter de ce jour, saint Thomas n'écrivit plus un mot. Épisode pour le moins embarrassant pour l'Église et tous ceux qui se réclament des écrits théologiques de son grand Docteur ... Ce qui peut venir tout éclairer est un pressentiment explosant sous forme de conviction. Cela n'a rien à voir avec ce qui anime les « croyants », dont les fanatiques religieux ne diffèrent que par l'intensité de leurs croyances : cela relève de la pensée, de l'obscurantisme. Ce qu'on appelle pompeusement la foi n'est rien d'autre que de la croyance, c'est-à-dire cette forme d'ignorance qui vit dans la terreur permanente de toute remise en question. Ce qu'on nomme espérance est en réalité un désespoir: il faut être très désespéré de ce qui est là maintenant pour se tourner vers une espérance, vers un autre moment. Et pourquoi est-on désespéré de ce qui est là maintenant dans sa vie, dans le monde? Tout simplement parce qu'on ne sait pas regarder. On regarde à travers le brouillard épais de son médiocre savoir, à travers les images de la mémoire. Il faut inclure dans les religions toutes les croyances modernes et la guimauve populaire qu'on regroupe sous l'appellation de Nouvel Age : les anges, la canalisation•• 19. Une recherche sur Google avec le mot channeling donne 348 000 sites ...

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(channeling), la croyance qu'on vient de Sirius ou d'Orion,

l'insistance pathologique sur la réincarnation, la divination, l'énergie du Rayon violet, bref tout ce qui fait dormir davantage les désespérés. Dans la religion on bavarde et on demande; dans la Tradition, on écoute et on remerde20 • Dans la religion, on a peur et on cherche une consolation ; dans la Tradition, on regarde la réalité telle qu'elle est et cela suffit. Dans la religion, ce qu'on appelle« amour» est une sentimentalité, un pathos ; dans la Tradition, on ne parle pas d'amour ; il se manifeste spontanément, comme un signe de la vraie connaissance. Les religions monothéistes et leurs chefs sentencieux tolèrent et même claironnent l'existence d'un dieu séparé de sa création, un dieu qui veut quelque chose, qui désire se faire aimer, un dieu souvent surpris par le temps et par les hommes, et qui intervient régulièrement dans leur vie pour que les choses aillent mieux. Cette image correspond à l'âge mental d'un enfant de quatre ans, six au maximum. Une telle religion a-t-elle sa place? Sûrement, sinon elle ne serait pas là, tout comme les guerres, les maladies et autres calamités. Mais un jour les écailles nous tombent des yeux et alors ce genre de religion ne veut plus rien dire, sauf sur les plans folklorique et historique. Il est remarquable de constater que les sectes chrétiennes ont décliné sans discontinuer partout où les êtres humains se sont mis à remettre en question leurs préjugés et à examiner leur vie, alors qu'elles ont progressé là où 20. Traditionnellement, on va rencontrer un maître d'abord et avant tout pour lui présenter ses hommages. Ce qui se passe alors, sur le plan des paroles et des gestes, est l'affaire du maître et non du disciple. Mais les modernes (particulièrement les Occidentaux) ignorent ce profond respect, qui est une reconnaissance, et ils abordent un maître comme ils entrent dans un supermarché : pour prendre, pour comprendre ...

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l'ignorance et la peur règnent encore le plus. Les religions prospèrent chez les plus vulnérables et déclinent parmi ceux qui peuvent porter un regard moins crédule et plus libre sur le réel. En Inde, les tantras restreignent tout ce qui est pratique dévotionnelle et religieuse aux pasu, un mot qui désigne les hommes assujettis à la nature matérielle et animale, ou encore aux conventions sociales et morales, bref, ceux qui font partie du troupeau des dormeurs : ce sont les suiveurs (un des sens du mot pasu est « bétail » ), les passifs, les conformistes, qui ne ressentent aucun intérêt envers la vraie connaissance. Les tantras affirment que durant notre ère, celle du kali-yuga (l'âge sombre de l'humanité), ces êtres constituent l'immense majorité des êtres humains sur terre. La science a au moins la vertu de ne pas s'attacher à une autorité profane, à des dogmes ou à un ensemble de simagrées codifiées. Il est très difficile de s'opposer aux faits expérimentaux. Quand un croyant voit sa foi remise en question par la réalité, il se dépêche de regarder ailleurs, pour se rassurer et continuer à dormir. Quand un véritable scientifique voit un de ses modèles remis en question par la réalité, il n'a pas d'autre choix que laisser tomber son modèle. Voilà l'avantage de l'approche scientifique. Mais le problème c'est que la plupart des scientifiques manquent d'audace et d'envergure. Le croyant est certes englué dans ses croyances religieuses, mais la plupart des scientifiques, bien qu'ils ne tiennent pas outre mesure à un modèle particulier, sont néanmoins collés à la croyance que peut-être un jour un modèle réussira là où tous les autres ont échoué, c'est-à-dire à nous dire ce qu'est l'univers. Tant que l'homme a peur, il se réfugie derrière une forme ou une autre de croyance. La science mène son enquête à partir du niveau le plus grossier de la manifestation, à partir du plus petit commun

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dénominateur : les impressions des sens. En un sens, le fait que le savoir scientifique, succédant aux idéologies religieuses, soit si valorisé par rapport à la connaissance directe est une marque de l'âge sombre que nous traversons. Il est donc tout à fait indiqué que de nos jours nous déléguions, souvent à l'aide de nos impôts, certains d'entre nous qui en ont le goût et la capacité pour aller explorer de cette manière les beautés et les mystères de notre demeure, l'univers. La vulgarisation scientifique s'inscrit également dans cette démarche. Au point où nous en sommes, ce n'est pas comme si nous avions le choix : jusqu'à un certain point, c'est la science qui permet de voir au-delà de la science, mais à la condition de ne pas arrêter à mi-chemin. Là où les scientifiques commencent à se rapprocher de nos malheureuses religions, c'est quand ils ne voient plus leurs modèles comme des modèles, quand ils voudraient expliquer le plus par le moins, la conscience par la matière (ou plutôt l'image qu'ils en ont). Les plus grands physiciens du xxc siècle, ceux-là mêmes qui ont été les moteurs de la révolution de la physique moderne, ont souvent remarquablement pressenti la réalité inimaginable vers laquelle pointaient leurs équations et se sont bien exprimés dans ce sens. Il suffit de lire les très belles pages d'Einstein, Bohr, Heisenberg, Schrodinger, Eddington, Planck, de Broglie, Dirac, Pauli et autres chercheurs exceptionnels, pour s'en convaincre. Dans ses rapports avec la religion, l'approche scientifique rigoureuse a maintes fois permis de dissiper l'obscurantisme et la médiocrité de la « sagesse populaire » tant exploitée dans nos sociétés démocratiques. Max Planck a bien résumé cela en parlant de la sacro-sainte notion de libre arbitre, qui est un non-sens absolu quand on a une vision rigoureuse et profonde de l'univers : « Parler de libre

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arbitre reviendrait à dire que l'on renonce à comprendre scientifiquement21 • » Le scientisme, lui, est toujours le fait des suiveurs non éclairés d'en haut, c'est-à-dire non touchés par la foudre de l'intuition. De même, une religion est généralement fondée par les disciples, non par les maîtres. Un maître véritable ne peut fonder une religion comme celles qui accablent l'humanité depuis des milliers d'années. Par exemple, le christianisme que nous connaissons est en fait largement la religion de Paul, un homme qui avait très peur de tout en général - des femmes en particulier - et qui n'était pas en paix, sans compter qu'il n'a jamais côtoyé Jésus22 • Une fois passée son expérience extatique sur le chemin de Damas, Paul est redevenu ce qu'il était : un homme pétri de croyances, de préjugés et de colère, et engagé dans une lutte de pouvoir avec d'autres comme lui. Les exemples contemporains abondent et beaucoup de ceux qui ont entrepris « une carrière inutile de faux gourou » et tentent désespérément de projeter l'impression d'être de grands éveillés auront un jour la place qui leur revient dans l'histoire : une note de bas de page d'un livre sur l'histoire des petites sectes qui auront grouillé et grenouillé aux XX" et XXI" siècles sur terre. Bien sûr, plusieurs individus ont vécu l'intuition profonde de l'existence tout en demeurant au sein d'une religion. Certains sont des mystiques très connus, de Maître Eckhart à saint Jean de la Croix, et de Madame Guyon aux deux sainte Thérèse. Certains, souvent après bien des tracasseries de la hiérarchie religieuse, ont été tolérés et plus 21. Max Planck, L'image du monde dans la physique moderne (Vortriige und Erinnerungen, 1949), éditions Gonthier, collection Médiations, n°3, Paris, 1963. 22. Entre autres exemples, l'attitude de cette religion devant la femme reflète parfaitement, encore aujourd'hui, la peur et la misogynie de son fondateur ; les épîtres de Paul sont assez clairs là-dessus.

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Un autre signe des temps Périodiquement, on entend des voix réclamer la diminution des fonds publics consacrés aux projets de recherche fondamentale", prétextant leur coûteuse inutilité devant l'immense misère humaine. Mais on se trompe alors gravement de cible. Car ce n'est pas la recherche scientifique fondamentale qui cause ou empêche de soulager la famine, les maladies, les divisions et les guerres dans le monde. Ce n'est pas la recherche scientifique fondamentale qui empêche les êtres humains de se connaître eux-mêmes et de vivre la tranquillité. Les budgets de recherche fondamentale ont toujours été microscopiques comparés aux sommes proprement colossales en jeu dans l'industrie pharmaceutique et le complexe industriel militaire mondial. deux industries de mort qui dominent le monde24 • Un peu de salubrité mentale permettrait facilement de diviser par dix les sommes monstrueuses englouties dans ces industries qui continuent d'enrichir les prédateurs de l'humanité et qui constituent des symptômes évidents de notre absurde manière de vivre. Ne pas encourager la recherche scientifique fondamentale, ou pire encore diminuer ses approvisionnements, serait comme empêcher un enfant de découvrir la vie, la beauté, le sacré. La recherche scientifique fondamentale et l'art véritable comptent parmi les joyaux de l'humanité, quand l'homme s'y adonne pour la joie et rien d'autre. On observe, ces dernières années, un autre signe certain de décadence de notre civilisation dans l'appauvrissement des fonds consacrés à la recherche fondamentale. C'est un fait bien connu dans la communauté scientifique que pour avoir un minimum de chance d'obtenir une bourse de recherche, il faut présenter son projet dans le cadre de rapides applications pratiques potentielles. Il ne faut pas trop être surpris que les jeunes semblent moins intéressés par la recherche fondamentale qu'il y a quelques années et quelques décennies. Peut-on attendre de nos dirigeants politiques, qui sont maintenant presque toujours issus de la caste des marchands ou à tout le moins à leur solde, qu'ils reconnaissent la valeur de la recherche scientifique fondamentale et des arts ? Autant demander à un troupeau de bovins de résonner devant la grande musique et la poésie ... La plupart des gouvernements des pays riches ne consacrent même pas un pour cent de leur budget à la culture 1 Une telle civilisation ne peut que dégénérer à la vitesse grand V et hâter sa propre fin.

23. Les satellites Hubble et WMAP ont permis des progrès substantiels en quelques années et les projets européens PLANCK (2007), LISA (20ll), GAIA (2010-12), MICROSCOPE (2005), BepiColombo (2012) promettent d'apponer des découvenes et des éclaircissements imponants en cosmologie et en gravitation. 24. Sans compter les quelque dix milliards de dollars par année dépensés par les seuls Américains dans l'industrie pornographique ...

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tard récupérés politiquement sous l'appellation « saint » 25 • Il en est certainement d'autres qui sont demeurés anonymes. Bien sûr, nous ne parlons pas id des canonisations contemporaines, qui ont achevé de faire sombrer dans !'insignifiance la notion de saint dans l'Église catholique2•. La grande calamité est notre profond manque d'attention. La vérité est là devant nos yeux, mais nous continuons à nous tourner vers les images de notre mémoire. Ce que nous appelons le monde n'est pas du tout tel que nous l'imaginons habituellement. Notre cerveau a bâti une carte de notre corps et de l'univers, et c'est à cela que nous nous tenons. La carte est très utile pour fonctionner dans l'état de veille et pour explorer les phénomènes de l'univers, pour la joie de l'exploration, mais elle est un voile quand on la prend pour la réalité. J'ai toujours ressenti une joie profonde, même un ravissement, en étudiant la composition et le fonctionnement de notre univers par la physique, mais cela n'est rien comparé à la joie d'une découverte directe, qui est forcément intérieure. La voie intérieure est celle de l'écoute. Il s'agit de demeurer avec ce qui est là, ce qui s'offre au regard, avec insistance mais sans but, sans arrivisme, simplement pour 25. Notons que les traités et les sermons de Maître Eckhan (un des plus grands mystiques de la Chrétienté et un authentique génie de l'humanité) sont toujours officiellement considérés par l'Église comme hérétiques. Il ne faut pas s'en étonner, car, tout en se montrant respectueux des autorités ecclésiastiques de son temps. Maître Eckhan a exposé la vérité et la libené sans compromis, et l'abolition de toute forme de dualité entre Dieu et l'homme, rendant inutiles les intermédiaires ... 26. Jean-Paul II a proclamé, durant son pontificat, 1792 • saints » et •bienheureux »,soit près de six fois plus que tous ses prédécesseurs des quatre siècles précédents depuis Clément VID, mon en 1605. Nous sommes donc redevables à ce pape d'avoir exposé (involontairement, bien sûr) tout le ridicule de l'idée même de canonisation par une autorité, en la mettant en œuvre de manière si caricaturalement démagogique pour des fins de pure propagande.

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la joie. Nous parlons ici d'une attention non directionnelle, non orientée vers un objectif à atteindre. Dans la voie intérieure, il n'y a plus quelqu'un qui regarde non plus qu'un objet regardé, mais il y a regard. On n'essaie pas de se libérer, de se réaliser, de s'équilibrer, de se purifier, ni de s' améliorer: on n'essaie rien. Essayer c'est déjà se positionner, se localiser, se restreindre. Le regard suffit ; tout le reste vient d'une accumulation de savoir, d'une compilation d'images et de la peur. füre spirituel c'est être pleinement vivant sans compromis, c'est-à-dire dans l'étonnement toujours frais de ce qui est. C'est aller au bout du cadeau de la vie, de la conscience. En physique, on sait que dans l'univers il n'existe pas de point de référence privilégié (tout est le centre de l'univers). Il en va de même de la vie intérieure : il n'existe pas de condition de vie privilégiée. Il suffit d'aller au bout de ce qu'on a déjà entrepris. Tout est le point de départ de la voie intérieure : l'art, la science, la santé, la maladie, la richesse, la pauvreté, la perversion, la moralité, la criminalité, la peur, le désir, le succès, l'échec, tout. Il n'y a pas de contraire à la vie intérieure, tout comme nul élément du rêve ne saurait être le contraire de la conscience du rêveur. Beaucoup d'êtres humains se sont donnés à ce genre d'écoute dans le passé et plusieurs ont formulé leurs découvertes, sachant très bien que toute formulation peut être au mieux une évocation. Il n'y aura jamais de faculté universitaire pour enseigner la voie intérieure, Dieu nous garde27 1 Malgré les différences au niveau des mots et des images, tenant à la diversité culturelle, ces formulations de première main pointent toutes vers la même réalité impensable et cette réalité est celle de tous. 27. Cela n'empêche pas certains groupuscules d'émettre des • doctorats en méditation » 1

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Chacun a un accès direct à la vérité. Il n'y a ni acte de foi à faire, ni concept à acquérir, ni idéologie à suivre, ni argent à dépenser, ni individu à vénérer. Nous disposons tous du plus grand trésor, du seul trésor qui soit, mais nous nous tournons presque constamment vers des vétilles. Le plus formidable mystère, le seul véritable mystère, c'est qu'il y ait « quelque chose » plutôt que « rien », c'est qu'il y ait cela : la lumière consciente. Avec un peu d'habileté intellectuelle, on finit par comprendre tous les phénomènes, mais on ne peut comprendre Cela, qui est la Vie ; non pas la vie d'un individu, qui est encore un phénomène, une image, mais la présence consciente, la vibration elle-même, qui nous est plus intime que nos émotions et nos pensées les plus proches. Même notre compréhension des phénomènes, poussée assez loin, nous laisse nécessairement devant l'insondable réalité de la lumière consciente. C'est comme si, à la rigueur, on pouvait expliquer la forme, le mouvement et l'effet des vagues, des courants et des tourbillons sur l'eau, mais l'eau elle-même ne saurait s'expliquer - et n'a pas besoin de l'être - et constitue l'unique réalité des vagues, courants et tourbillons. C'est la mémoire qui, chaque matin, nous porte à restreindre notre regard et croire à l'existence séparée de nos vagues, courants et tourbillons, à l'existence d'un moi séparé affecté par le jeu de tout cela et qui disposerait d'un libre arbitre pour y intervenir. La peur, la souffrance et la lourdeur dans nos vies ne sont possibles que par cette restriction du regard. Les pages qui suivent sont une invitation à regarder simplement, c'est-à-dire sans intention, sans l'intervention usurpatrice de la mémoire. La splendeur est dans ce regard. Regardez : vous allez voir ...

2 LA PLUS GRANDE DÉCOUVERTE DE TOUS LES TEMPS CE QU'ON PEUT SAVOIR DE L'INTÉRIEUR

Seule la lumière du cœur existe vraiment ; dans l'activité créatrice, elle est l'agent. Cette activité, reposant en elle-même, est prise de conscience de soi et, s'ébranlant, elle déploie l'univers. Mahesvarananda, MaMrthamaJijarf

Il y eut un matin: j'ai ouvert les yeux et tous mes sens, et un monde est apparu. Il y eut un après-midi : j'ai examiné ce monde de plus près et les apparences ont rapidement changé. Il y eut un soir: j'ai fermé les yeux et tout ce monde a semblé disparaître. Mais pendant tout ce temps, quelque chose n'a jamais changé. Quelle est l'unique réalité dont je puisse être absolument certain ? Quel est le seul point commun à toutes mes expériences, à tous mes états d'âme ? C'est qu'il y a « quelque chose » et non pas rien. Même quand il n'y a rien à percevoir, il n'y a pas rien ; sinon comment sauraisje qu'il n'y a rien à percevoir? Cette « chose » qui est toujours là est mon intimité même, c'est plus près que ce que j'appelle mon corps, au point d'être encore là dans mes rêves et dans mon sommeil profond. C'est la lumière par laquelle je connais « le monde ». Sans cette lumière, il n'y a pas de monde. Cette lumière consciente, je ne peux pas

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la localiser. Elle n'évolue pas: elle n'a pas changé d'un iota depuis ma naissance et mon enfance. Elle ne s'est jamais étiolée même quand j'étais triste, malade, anxieux, désespéré ou en colère, pas plus qu'elle n'a grandi quand j'étais joyeux, en santé, tranquille, confiant ou en paix. Nous croyons généralement être des témoins et des acteurs séparés du monde ; nous en souffrons d'ailleurs tous les jours. Il est possible d'en arriver à nous voir comme un témoin universel de tout et une très grande paix peut alors s'installer en nous. C'est notamment l'idéal proposé par le vedanta 28 et poursuivi par la plupart des adeptes des voies spirituelles. Mais cette paix, atteinte au terme d'une poursuite, ne peut qu'être un état, un état statique qui plus est ; c'est un point de vue limité. En fait, il y a plus, infiniment plus que cette restriction. Je devais avoir douze ou treize ans lorsqu'une intense lumière me saisit. Je« savais»! C'était clair, sans discussion. Pour moi, ce qui était vrai, ce qui existait vraiment, je l'appelais alors l'œil de la conscience. Rien ne pouvait avoir de réalité en dehors de cet œil et je savais que j'étais cela, qu'il n'y avait que cela. Tout ce qui semblait être autre était comme un jeu de lumière dans cet œil et ma mémoire en faisait des objets, le « monde ». J'ai alors couché sur papier ce qui m'était venu sur l'œil de la conscience. J'en étais foudroyé. Dans ce mot« foudroyé »,il y a le mot «fou »et quand je regardais les gens vivre et tout ce qui était écrit dans les livres, je croyais un peu l'être devenu. Car j'ai voulu trouver dans les livres une confirmation de ce que j'avais vu. J'ai cherché dans des livres de psychologie, mais je n'y trouvais absolument rien qui pût s'approcher de la sorte de révélation qui était descendue en moi. Ne sachant trop où regarder - le milieu que je fréquentais étant igno28. Selon le vedanta classique, seul le Soi existe et le monde est une illusion.

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rant des textes et des traditions qui ont formulé clairement l'essence de ma vision et celle-ci devenait de plus en plus un souvenir -, j'en vins finalement à croire que j'avais peut-être un peu divagué ... La certitude s'était étiolée, la clarté obscurcie : je me voyais à nouveau vivre dans le réseau des constructions mentales humaines ordinaires. Je fini même par jeter à la corbeille mon court texte. Mais je ne pouvais pas jeter à la corbeille l'impression qui était demeurée profondément en moi. En surface, j'étais passé à autre chose, emporté par la vie automatique que nous vivons presque tous. Pendant longtemps je n'ai trouvé aucune formulation pouvant réveiller mon expérience : ce n'était ni dans la philosophie ni dans la psychologie et encore moins dans la religion telle qu'elle nous était présentée. C'est bien plus tard dans ma vie que j'ai eu le bonheur de m'intéresser aux traditions spirituelles de l'Inde en général et, encore plus tard, à celle du Cachemire, où tout est exposé avec une si belle limpidité. C'est au contact du shivaïsme tantrique du Cachemire que j'ai trouvé une expression capable de soulever mon enthousiasme et réveiller ce qui s'était assoupi. Ce qui suit est donc essentiellement la formulation de la clarté du début, mais telle que je peux l'écrire aujourd'hui, après m'être désaltéré de l'eau limpide du Cachemire: on y trouvera donc le clair reflet de cette tradition. La lumière consciente n'est ni passive ni statique. La conscience du rêveur n'est pas seulement le témoin de ce qui arrive durant le rêve, elle en est l'essence: le rêve n'est rien d'autre que le rêveur lui-même en son dynamisme. De même, le monde, c'est-à-dire tout ce qui est perçu dans l'é29. Je ne pourrai jamais trop remercier mon ami Éric Baret de m'avoir fait miroiter cette tradition, à laquelle il a lui-même été initié par Jean Klein, et de m'avoir orienté vers les précieux textes de ce courant spirituel.

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tat de veille, n'est rien d'autre que la pure lumière consciente en son déploiement. La tranquillité véritable est dynamique. La plus grande découverte de tous les temps, chacun peut la faire maintenant : le monde est le dynamisme intrinsèque de la pure lumière consciente 10 et nous sommes tous Cela. Tant que je ne suis pas ébranlé par cette vérité, ma vie est une suite ininterrompue d'ajournements de plus en plus douloureux. C'est par habitude - celle de me fier à mes images - que j'en viens à me voir comme un témoin statique de ce qui arrive dans le monde, ou, au mieux, comme un acteur séparé de tout le reste et donc, somme toute, insignifiant. C'est par habitude que je - un