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French Pages 444 [445] Year 2023
Après le livre illustré, devises et emblèmes conquirent très vite les murs des édifices, les objets quotidiens, les décors éphémères inventés pour les fêtes. Ils devinrent peu à peu un objet de curiosité, puis de science, les études « emblémistes ». Ils constituent en effet un observatoire privilégié pour une histoire totale, ouverte sur une compréhension renouvelée des modes de pensée, des sensibilités et des événements du passé.
Andreas Beck, Maren C. Biederbick, Silvia Cazalla Canto, Marie Chaufour, Jean-François Chevalier, Tetsuo Chikawa, Paulette Choné, Raul Dal Tio, Dominique Delgrange, Reyes Escalera Pérez, José Julio García Arranz, Sylvain-Karl Gosselet, Ingrid Höpel, Pascal Joudrier, Johannes Kandler, Elisabeth Klecker, Dietmar Peil, Chloé Perrot, Hitomi Omata Rappo, Christa Schlumbohm, Ulrich Schöntube, Daniele Speziari.
Collection dirigée par Bruno Péquignot
Illustration : projet d’Émile Gallé pour le service « Allégories ». Dessin de Louis Hestaux. Coll. part.
ISBN : 978-2-14-033079-7
45 €
L’IMAGE PENSIVE
Paulette Choné, professeur émérite à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, spécialiste de l’histoire de l’art des XVIe et XVIIe siècles en Lorraine et au-delà, a organisé à Nancy le XIe Congrès international des études sur l’emblème. Marie Chaufour, titulaire d’un doctorat en histoire de l’art, chercheuse-associée à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, auteure d’une thèse et d’une monographie sur le moraliste Jean Baudoin (ca. 1584-1650), consacre maintenant ses recherches aux emblèmes appliqués aux décors en France. Jean-Jacques Chardin, professeur émérite à l’Université de Strasbourg, est spécialiste de la littérature anglaise des XVIe au XVIIe siècles.
Paulette Choné, Marie Chaufour et Jean-Jacques Chardin
L’IMAGE PENSIVE Devises et emblèmes du XVIe au XXIe siècle
Aujourd’hui, toutes sortes de combinaisons proliférantes et erratiques d’objets visibles et d’énoncés ont envahi notre environnement, sollicitant à la fois notre imagination et notre intellect. Plus actuelle que jamais, « L’image pensive », d’après une expression d’Émile Gallé, réunit ici vingt-cinq universitaires français, allemands, italiens, espagnols et japonais.
Études réunies par
Histoires et idées des Arts
Dans toute l’Europe, la Renaissance et l’époque qui a suivi se sont plu à composer devises et emblèmes, au point d’en faire un genre littéraire. Plaisante et didactique, l’association d’une image et d’un mot ou d’un texte fait jaillir des significations surprenantes.
Devises et emblèmes du XVIe au XXIe siècle
Devises et emblèmes du XVIe au XXIe siècle
Paulette Choné, Marie Chaufour et Jean-Jacques Chardin
L’IMAGE PENSIVE
L’IMAGE PENSIVE
Histoires et Idées des Arts Collection dirigée par Bruno Péquignot Cette collection accueille des essais chronologiques, des monographies et des traités d'historiens, critiques et artistes d'hier et d'aujourd'hui. À la croisée de l'histoire et de l'esthétique, elle se propose de répondre à l’attente d’un public qui veut en savoir plus sur les multiples courants, tendances, mouvements, groupes, sensibilités et personnalités qui construisent le grand récit de l'histoire de l'art, là où les moyens et les choix expressifs adoptés se conjuguent avec les concepts et les options philosophiques qui depuis toujours nourrissent l'art en profondeur.
Dernières parutions Henri CAMBON, Eugene Lavieille, peintre poète de la nature. De « l’école de Barbizon » au pré-impressionnisme, 2023. Marco FALCERI, Artistes combattants de 14-18, une histoire de l’art testimonial, 2022. Jean LOMBARD, Peinture de genre et genres picturaux dans les Pays-Bas du XVIIe siècle, 2022. Isabel NOGUEIRA, Histoire de l’art au Portugal. (1968-2000), 2022. Andréa PIERRON, Une histoire artistique des revues d’avant-garde. Europe-Australie. 1921-1986, 2022. Bernard VERDIER, Les artistes face à la censure. La naissance de la peinture moderne en Allemagne, 2022. Jean-François DUVAL, Vanessa VARVENNE, Edgar Degas, Le grand rabbin Astruc et le général Mellinet (1871). Parcours d’une œuvre, 2021. Luca NANNIPIERI, À quoi sert l’histoire de l’art, 2021. Sophie O’CONNOR, Les paysages de Giovanni Segantini, 2021. Olivier DESHAYES, James Tissot, peintre de la vie moderne (1836-1902), 2021. Martine HEREDIA, Antonio Saura, une peinture de l’excès, 2021. Bernard PAILHES, Michel-Ange et Sinan. Un rendez-vous manqué ? 2021. Lou BAUDILLON COUTET, Ishikawa Mao, photographe d’Okinawa, 2021. Camille Laura VILLET, Les aventuriers de l’abstraction. Au tournant des XIXe et XXe siècles, une autre histoire semblait possible. Et si elle l’était encore…, 2020 Marie-Hélène HÉRAULT-BIBAULT, De l’architecture à l’écologie. La dynamique créative de Hundertwasser (1928-2000) au prisme de ses écrits, 2020.
Études réunies par
Paulette Choné, Marie Chaufour Et Jean-Jacques Chardin
L’IMAGE PENSIVE Devises et emblèmes du XVIe au XXIe siècle
Du même auteur Paulette Choné Emblèmes et pensée symbolique en Lorraine (1525-1633). « Comme un jardin au cœur de la chrétienté », Paris : Klincksieck, 1991 Le point de vue de l’emblème, Dijon : EUD, 2001 La Renaissance en Lorraine, Vaux : Serge Domini éditeur, 2013. Prix Monseigneur Marcel de l’Académie française La Ville et la coquille. Huit essais d’emblématique, Paris : Beauchesne, 2016 Jean-Jacques Chardin « Des animaux et des hommes dans l’emblématique de l’époque moderne ». Shakespeare et le monde animal. Ed. Anne-Valérie Dulac, Laetitia Sansonetti. Paris : Société Française Shakespeare, 2020 « Metaphors of Spatiality and Discourse of Feminity in Shakespeare’s Henry V ». Proceedings of the International Conference Metaphor, Spatiality, Discourse, Constanta (RO) : Ovidius University Press, 2022 Marie Chaufour Jean Baudoin (ca 1584-1650). Le moraliste emblématique, Paris : Beauchesne, 2023, à paraître
© L’Harmattan, 2023 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-14-033079-7 EAN : 9782140330797
et
l’expression
L’image pensive Devises et emblèmes du XVIe au XXIe siècle Sommaire Avant-propos Paulette Choné
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Ouverture Paulette Choné & Jean-François Chevalier « Faire des emblèmes » ou le Continuum rêvé.
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Première partie Invention, bricolage et circulation des devises et des emblèmes Maren C. Biederbick Devises jamais vues. Sur les inventions morales de Gabriel Simeoni
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Daniele Speziari Les emblèmes pour le baptême de Charles Emmanuel de Savoie dans les Pastorales de Jean Grangier
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Elisabeth Klecker Les santi sepolcri baroques, point de rencontre entre emblèmes, sermons et théâtre musical 87 Hitomi Omata Rappo Comment représenter les martyrs du Japon par l’emblème ? L’Imago primi saeculi et ses représentations des héros des terres de mission 107 Silvia Cazalla Canto De la mystique espagnole à l’emblématique néerlandaise : Fray Diego de Estella et François van Hoogstraten 127 Tetsuo Chikawa De l’emblème à la tragédie : un exemple d’interdisciplinarité chez Nicolas Caussin 147
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Andreas Beck Et pourtant, il tourne. Un jeton emblématique pour le retour de Lille à la France (1713) 159 Sylvain-Karl Gosselet Le Soleil devise avec les quatre parties du monde
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Dominique Delgrange Le livre d’emblèmes ou liber amicorum de Launay, œuvre du faussaire Jean de Launay (Bibliothèque municipale de Lille, manuscrit 17) 189 Chloé Perrot Entre livre d’emblèmes et iconologie. Daniel de la Feuille, Essay d’un dictionnaire contenant la connaissance du monde
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Seconde partie De l’emblème au décor Pascal Joudrier Pour une attribution à Pierre Woeiriot du décor sculpté à portée emblématique de l’hôtel de Houdreville à Neufchâteau
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Christa Schlumbohm Véhicules de prestige au temps de la Renaissance. Litières, carrosses et traîneaux à devises 239 Marie Chaufour L’emblème appliqué au décor en France du XVIe au XVIIIe siècle. Essai de cartographie et de typologie 277 Raul Dal Tio Les livres à figures des XVIe et XVIIe siècles et les emblèmes et devises dans la Vallée d’Aoste (Palais Roncas, château Vallaise, Villa Casana) 301 Johannes Kandler Delectare aut prodesse… aut gustare Les pale de la Cantinetta Verrazzano et leur feuilletage sémantique
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José Julio García Arranz & Reyes Escalera Pérez Hermann Hugo au Portugal : l'influence des gravures des Pia desideria sur les azulejos portugais pieux du XVIIIe siècle 331
8
Dietmar Peil & Ulrich Schöntube Les emblèmes de l’église de Kummerow am See (MecklembourgPoméranie) et la réception du Vrai christianisme de Johann Arndt
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Ulrich Schöntube L’emblématique comme approfondissement. Les livres de piété de Dilherr revus et corrigés dans l’église St. Peter und Paul de Weissensee (Thuringe) 381 Ingrid Höpel Le programme du plafond de l’église paroissiale de Bargum (Frise-duNord). Emblématique et typologie biblique 409 Résumés
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Remerciements
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À la mémoire de Brigitte Heckel et de Catherine Chédeau
Avant-propos Paulette Choné, Université de Bourgogne Franche-Comté Parler d’emblèmes et d’emblématique, c’est d’abord dissiper des confusions. Dans la langue française, le mot « emblème » souffre d’une sémantique étroite, associée surtout aux marques héraldiques et de reconnaissance. Quant à la devise, elle n’est guère mieux servie dans l’usage commun, qui la confondrait volontiers avec toute formule usée ou sentencieuse. Cela tend à faire oublier qu’aux XVIe et XVIIe siècles, emblèmes et devises ou imprese constituèrent des formes artistiques remarquables, auréolées des prestiges de l’humanisme, de la pensée chrétienne, du talent des poètes, des graveurs, des savants, des prédicateurs, et particulièrement vivantes dans le livre imprimé et illustré. Le livre d’emblèmes devint ainsi un genre à part entière, solidaire des accomplissements extraordinaires de la librairie de cette époque, dans presque toute l’Europe. L’un des points de départ de cette fortune avait été la publication en 1531 à Augsbourg de l’Emblematum liber du juriste milanais Andrea Alciato, où s’établit la structure formelle de l’emblème tripartite (inscriptio, pictura, subscriptio) et qui fit très vite l’objet de centaines d’éditions et de traductions. Toutefois, il avait été précédé par des réalisations manifestant des préoccupations comparables, ainsi l’Hypnerotomachia Poliphili de Francesco Colonna (Venise, Alde Manuce, 1499), sommet de l’ars imaginativa de la Renaissance. Dans cet incunable qui eut une influence immense, devises, hiéroglyphes, énigmes, rêveries épigraphiques sont comme sertis dans le roman initiatique, conformément d’ailleurs à l’étymologie grecque et latine d’emblema qui renvoie en premier lieu à toute espèce d’élément fixé, monté ou greffé sur un support, ensuite plus spécifiquement aux techniques d’application d’ornements détachables de métal précieux sur des objets d’art ou du mobilier, enfin aux assemblages tels que la mosaïque, la marqueterie ou l’intarsia. L’emblème et sa forme plus simple et surtout plus personnelle, la devise, consacrent ainsi l’art de l’amovible, de l’assemblage mobile et du montage. Composés de texte et d’image, de stimuli visuels et intellectuels subtilement agencés de façon à produire un surcroît de sens, devises et emblèmes se répandirent vite dans les médailles et les jetons, le décor des édifices et des objets, les inventions pour les fêtes, les spectacles et toutes sortes d’événements éphémères, au point de paraître subsumer l’ensemble d’une culture, d’en exprimer de manière originale les préoccupations, voire d’y porter la pointe de la contradiction et de la critique en sollicitant chez le lecteur et spectateur l’exercice de sa libre interprétation. Cette expansion hors du domaine du livre, les auteurs des livres d’emblèmes l’avaient
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d’ailleurs appelée de leurs vœux avec enthousiasme. Ce qu’ils ignoraient, c’est qu’emblèmes et devises deviendraient vers le milieu du XXe siècle, bien au-delà de la sphère confidentielle des bibliophiles, une discipline scientifique à part entière. Les études que l’on découvrira dans ce volume ont été recueillies après le e XI Congrès international des études sur l’emblème, organisé à Nancy du 3 au 7 juillet 2017 sous l’égide de la Society for Emblem Studies. Elles témoignent à la fois de la vitalité de ce nouveau rameau du savoir et de la nature mobile de l’emblème, dispositif visuel et littéraire certes, mais détachable pour être appliqué sur divers supports tels que les murs et les voûtes des demeures et des églises, les parois des véhicules, les carreaux de céramique ou azulejos. Elles manifestent l’extension de l’emblème à toute l’aire géographique de l’Europe et même dans le Japon des missionnaires jésuites. Une attitude scientifique partagée, le souvenir d’un congrès placé sous le signe de l’amitié, se réfléchissent intacts ici. Hélas, des décès parmi nous, puis une épidémie mondiale, plongeant les organisateurs dans le deuil et le tourment, en ont retardé la publication. Telles qu’elles se présentent toutefois, offrant toute la richesse de recherches pionnières, neuves par leurs méthodes et leurs approches, ces pages restent parfaitement actuelles. La construction de l’ouvrage en deux solides parties s’imposait d’ellemême : la première envisage l’invention et le « bricolage » qui président à la genèse, aux transformations, aux migrations et aux réemplois des emblèmes et des devises ; la seconde les considère dans leurs déplacements hors du domaine du livre ; elles sont précédées par une « ouverture » en forme de récit d’une expérimentation véritable, menée avec la complicité d’un graveur, Jean-François Chevalier (qu’est-ce que « faire un emblème » aujourd’hui ?) En effet, la nature mixte de l’emblème ou de la devise est propre à nous parler, nous qui sommes submergés de visible et de lisible, étourdis par les messages composites omniprésents dans l’empire de la communication, la publicité, la signalétique et toutes les nouvelles pratiques individuelles ou collectives du partage de l’information, pour ne rien dire de la bande dessinée qui est la grande et noble héritière de l’ancienne culture emblématique. Comme les réseaux d’aujourd’hui, que segmentent des catégories de publics, dans l’histoire du genre emblématique se dessinaient des familles de destinataires : il y avait des recueils pour les femmes, pour les dévots, pour les jeunes gens des collèges, les nobles, les gens d’Église, les juristes, les dévots, les amoureux. Dans l’océan furieux des signes dont le déferlement mondialisé interroge aujourd’hui si fortement l’anthropologue, et qui certes est hors de proportion avec la floraison emblématique de la Renaissance et de l’époque qui a suivi, comment ne pas identifier des processus identiques ? Les mêmes opérations s’y trouvent : l’illustration, le réemploi, la transformation, le déplacement, l’achèvement d’une ébauche, la ferme intention de bâtir une conjonction de signes ou au contraire la
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confiance ludique dans le hasard des associations. Dans beaucoup de combinaisons signifiantes contemporaines, comment ne pas identifier des « emblèmes latents », des idées en travail, et parfois sous des dehors assertoriques pompeux un appel fragile à la liberté subjective ? Ce que nous montrent les emblèmes anciens, c’est que l’interprétation est sans fin, toujours à reprendre. Beaucoup de recueils servirent à la persuasion morale, à l’apologétique, à la pastorale, à la propagande politique, et leur contenu pourrait n’apparaître que comme une vision du monde révolue. Mais au moment même où nous croyons en capter le sens moral, quelque chose fuit qui excède la dénotation. Tel est le pouvoir du simulacre : il garde quelque chose d’évanescent, qui repose encore dans l’attente. Ces gravures dont la vue nous inspire parfois une inquiétude étrange, en dépit de leurs leçons simplificatrices, lénifiantes et à prétention universelle, recèlent des fragments de fiction qu’un œil naïf, aussi bien qu’un entendement instruit, reconnaîtra comme ironiques, mensongers, subreptices ou dangereux. L’échange créateur entre l’image et le mot est pareil à une pâte qui lève et qui parfois a besoin de temps pour se dilater jusqu’à ses nouveaux lecteursspectateurs. Il y a aussi dans ces composés un appel au rêve, à sa temporalité disloquée. Car il existe bien un « mystère emblématique » au-delà de la transmission plus ou moins ostentatoire de leçons d’humanité et de salut religieux. L’emblème relève de l’atelier, de l’établi avec son ordonnance nécessaire, irréfutable d’outillage et d’ingrédients, ses étagères emplies de choses qui ont servi, de bricoles qui pourraient servir et de trésors vénérés. Sous l’emblème fini gît la mémoire des longues stations tantôt méditatives, tantôt passionnées dans « l’atelier », des assemblages, des ajustements, tantôt irréprochables, tantôt avec du jeu, « des songeries et des volitions 1». Or cela est lié au caractère absolument artisanal de l’emblème, dans une fidélité implicite aux origines du mot. L’on n’a pas assez remarqué que son concepteur s’établit tacitement dans une entente avec le lecteur-spectateur, dans le désir d’un « utilisateur final » qui sera comblé par l’adéquation de l’emblème avec sa propre attente intime. L’emblème organise en page un continuum pensé, imaginé, dessiné en laissant jouer ensemble occasion et dessein. Il est même des inventions que leur auteur n’aurait pas songé à nommer « emblèmes ». Ainsi de tant de propositions décoratives et parlantes subtiles et raffinées d’Émile Gallé2, qui 1 Émile Gallé, « Le Décor symbolique », Discours de réception à l’Académie de Stanislas, séance publique du 17 mai 1900 (Mémoires de l’Académie de Stanislas, 3e série, t. XVII, 18991900, p. XXV.) Repris dans Écrits pour l’art, Paris, Renouard, 1908 et reprint éditions J. Laffitte, 1998. 2 En marge du XIe Congrès international des études sur l’emblème, le Musée de l’École de Nancy a organisé du 31 mars au 9 juillet 2017 une exposition-dossier intitulée Matière à poésie. Verreries parlantes d’Émile Gallé. Voir aussi notre article « Émile Gallé, la nuance emblématique », ‘Con parola brieve e con figura’ Imprese e emblemi fra antico e moderno, a
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nous a inspiré le titre de ce recueil, « l’image pensive », d’après les intuitions qu’il a si heureusement formulées, « la ligne pensive » « la chose pensive 3». Aussi est-ce une composition végétale du maître de l’école de Nancy qui orne la couverture de cet ouvrage : le projet dessiné par son collaborateur Louis Hestaux d’un objet du quotidien, une assiette, et un mot du parler ordinaire, la moitié d’un proverbe. Que l’on nous permette de lui donner une glose. La fleur est une ancolie, aquilegia, une vivace de la famille des renonculacées, à cinq pétales, chacun prolongé à sa base par un cornet enroulé. Le mot qui lui est associé dit BIEN FOL QVI S’Y FIE. Puisque la botanique dévote la nomme « gant de Notre-Dame », à cause de sa floraison en mai, mois consacré à la Vierge Marie, pourquoi lui adjoindre une devise aussi défavorable ? Gallé avait dû étendre bien au-delà de la poésie des jardins de couvent ou de presbytère sa connaissance de l’ancolie et de ses noms vernaculaires très nombreux : acolite, aiglante, aiglantine, aquilège, bonne-femme, cinqdoigts, clochette, colombine, cornette, cûchotte, culotte, dame honteuse, galantine, gant de bergère, gant de fée, gant de Marie, gobelet, gonneau, herbe de lion, main de sorcière, manteau royal, piboulette, tourette. Ce sont les nuances féminines qui dominent largement, même si « gonneau », variante au masculin du mot médiéval de « gonelle » qui désigne une longue jupe, gardait peut-être le souvenir de la recette d’un philtre contre l’impuissance. Les ouvrages très populaires vaguement hermétiques de la seconde moitié du XIXe siècle sur le « langage des fleurs », que le savant ornemaniste et botaniste de Nancy a dû scruter avec curiosité, n’attribuent pas à cette plante que des qualités, bien au contraire. D’après l’oracle Sirius de Massilie, qui écrit en 1898, l’ancolie blanche, rouge ou jaune, signifie mariage, bonheur et richesses ; bleue, « amour sans résultat qui exaspère » ; et couleur chair, comme ici, « passion qui trouble la raison ». Louise Cortambert en 1834, Madame Anaïs de Neuville (1872) et Mademoiselle Clémentine Vatteau la même année en font la plante de « la folie », en accord avec le fleuriste de Marcel Proust, Jules Lachaume (1847), qui la pare d’une notation antiquisante : « Ancolie.- Folie. Les anciens coiffaient de ses fleurs les statues de la Folie. » Pierre Zaccone (1856) justifie le symbole par la ressemblance morphologique de l’ancolie avec la marotte d’un fou. Cette littérature décante et édulcore en réalité un lointain fonds de croyances cura di Lina Bolzoni e Silvia Volterrani, Pise, Giornate di studio 9-11 dicembre 2004, Pise : Edizioni della Normale, p. 577-598. 3 « Nous savons que l’expression, dans notre chardon héraldique par exemple, tient au geste braveur, et, dans d’autres plantes, à l’air penché, à la ligne pensive, à la nuance emblématique » (Id., p. XXVIII). Plus loin, opposant le document naturaliste scrupuleux qui ne nous émeut pas à sa reproduction, par exemple par un artiste japonais, il loue la manière dont celui-ci « sait traduire d’une façon unique le motif évocateur, ou le minois tantôt moqueur, tantôt mélancolique de l’être vivant, de la chose pensive. » (p. XXIX)
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superstitieuses et de pratiques magiques oubliées, en éliminant notamment leurs significations sexuelles et la complexité de l’affliction amoureuse. La poésie médiévale avait fait grand cas de l’ancolie, apparue pour la première fois en français chez les trouvères des XIIIe et XIVe siècles4 qui lui font parler le langage du bonheur, avant que Froissart n’en décore son locus amoenus. Mais Christine de Pisan la lie à l’inquiétude amoureuse et use de la rime trop riche qui l’associe désormais à la mélancolie. Les acceptions négatives de l’ancolie symbole de l’amour déçu ou trompé sont particulièrement marquées chez les poètes anglais du XVIIe siècle, George Chapman et William Browne, et Shakespeare place la columbine avec le fenouil néfaste et la rue dangereuse dans le bouquet d’Ophélie délaissée par Hamlet. Au départ, ce sont les ressemblances qui rendent les choses et leurs images pensives, c’est-à-dire qui leur confèrent une vérité étincelante, mais fugace et toute transitoire, justement parce qu’une pensée opposée ou complémentaire est prête à la démentir, à la corriger, enrichissant ainsi la constellation du sens, faite de savoirs, d’observations ténues, de souvenirs et même de « négatifs ». Aquilegia vulgaris, nom botanique, renvoie à l’aigle, aquila, ou bien au puits, au réservoir d’eau, aquilegium ; c’est le mot qui parle, et la ressemblance renchérit, car les éperons qui terminent les sépales de la fleur rappellent l’encolure de l’aigle, et d’autre part les pétales en forme d’urne parlent de la fonction de réceptacle. Et colombine parce que les éperons des sépales imitent une réunion de colombes. Autant de notations qui font penser, surtout si l’on élève vers le jour et développe les clichés négatifs, les images fantômes superposées et complexes flottant à l’arrièreplan : l’eau traîtresse, le philtre aphrodisiaque, la marotte alors viennent apporter le trouble. Fou qui s’y fie. Peu importe si le dessinateur, soucieux avant tout d’élargir en arabesque la tige florale jusqu’au marli de l’assiette, n’a pas œuvré avec l’exactitude que l’on attend d’une planche de botanique. Pour « faire un emblème », il faut du jeu, une discontinuité entre divers ordres de valeur, ce que souligne le motto BIEN FOL QVI S’Y FIE, qui provient d’un proverbe opportunément amputé de sa moitié misogyne bien connue « Souvent femme varie ». Emblèmes et devises font sens de toute parole, même vernaculaire, usée, banale et plate. La fleur aquiline, colombine, mariale, érotique, mélancolique, profonde et trompeuse comme la vérité, tantôt désaltérante, tantôt dangereuse, se prête au constat ordinaire aussi bien qu’elle accueillerait une citation érudite. Le mot dans la devise et l’emblème à la fois résume une essence complexe et l’excède par un surcroît de signification, le tout dans une instantanéité dont l’interprétation, prenant son temps, révélera le « feuilletage sémantique », les secrets de fabrication, la 4
Alice Planche, « Le temps des ancolies », Romania, t. 95, n°378-379, 1974, p. 235-255.
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couleur historique, les intentions. Dans les études qui suivent, les auteurs se sont placés dans la disposition patiente et savante convenant au temps herméneutique afin d’élucider toutes sortes de composés d’images et de discours. Leur réunion prouve la vitalité et l’actualité de l’image pensive.
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Ouverture
« Faire des emblèmes » ou le continuum rêvé Paulette Choné & Jean-François Chevalier I En marge du XIe Congrès international d’études sur l’emblème organisé à Nancy du 3 au 7 juillet 2017 sous l’égide de la Society for Emblem Studies se tenait à la Bibliothèque Stanislas une exposition réalisée spécialement pour le congrès par deux artistes, Jean-François Chevalier5 et Jean-Charles Taillandier6, Continuum rêvé et le rouleau Césaire. Sur l’une des deux tables de la salle patrimoniale de la bibliothèque, les deux artistes se faisaient face, dialoguaient et confrontaient les spécialistes du monde ancien des images parlantes et des discours muets, à leurs mondes à eux. Il convient à ce propos de raconter plutôt que spéculer, car il s’agit du récit d’une expérience qui peut paraître un peu folle, un peu présomptueuse, mais qui à la vivre s’est révélée très simple : il s’agissait de « faire des emblèmes ». Derrière cette expression et cette prétention, il y a quelque chose d’un peu puéril, de ludique et d’irréfléchi, qui surgit comme une nécessité soudaine et impérieuse, sans que l’on sache vraiment où l’on s’engage. Et pourtant, lorsque c’est commencé, il n’y a plus qu’à continuer, c’est-à-dire mener à bien ce qui est tout de même un travail, un artisanat qui exige du temps, des outils, des matériaux, des ingrédients et une mise en œuvre. « Faire des emblèmes » se présente donc à la fois comme l’hypothèse d’une jouissance gratuite (« si on faisait des emblèmes ? ») et comme une injonction en vue d’une finalité, d’une production. Autant dire que cette activité est ensemble praxis et poiésis. Pendant l’été 2015, j’avais parlé à mon ami Jean-François Chevalier de la perspective du congrès de Nancy. Il ne s’agissait en aucune manière de lui « commander » des emblèmes. Jean-François n’est pas quelqu’un à qui l’on « commande » quelque chose, ou bien l’époque est révolue où l’on passait commande à un artiste aussi naturellement qu’à un fournisseur. Cependant, nous savons tous ici que commander des emblèmes n’a jamais dû être une chose naturelle, comparable par exemple à la commande d’un portrait, d’un sculpture funéraire ou d’un vitrail commémoratif. Ainsi j’avais évoqué le congrès devant Jean-François ; la conversation avait glissé vers Jacques Callot, que nous admirons tous les deux ; je lui avais montré un reprint de la Vie de la Mere de Dieu représentée par Emblesmes (s.l.n.d. [Nancy, Antoine Charlot, v. 1628-1629]) paru en 1974. Il l’a considéré, l’a pris, et à l’automne, il m’apportait les 19 gravures de 5 6
https://jeanfrancoischevalier.com/ http://www.taillandier-art.com/
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Continuum rêvé, chacune avec son « titre » impeccable, irrévocable, écrit à la main, et il allait de soi que ce « titre » était un titulus ou un motto. Les gravures étaient blotties dans le luxe d’une couverture dont l’intérieur était en soie, de l’ancienne soie pour cravates. L’extérieur, en revanche, protégé par un calque, était fait d’un carton feutre mat et gris, le plus commun qui soit, rappelant une bure monacale ou des vêtements de travail d’un autre âge. Ce carton que Jean-François avait destiné à être « emblématique » est fabriqué à partir de vieux chiffons, qui continuent à l’habiter. En effet on y déchiffre tout un monde de vieilles nippes, morceaux, effilochures, vêtements mis au rebut qui ont habillé des corps vivants, ce dont on se souvient devant telle trace pelucheuse d’un bleu cobalt. Tout à coup l’on sait intuitivement qu’il a appartenu au corsage d’une dame rousse, fringante, ouvrière, qui aimait plaire. Un carton commun, dans tous les sens du terme, et très choisi. Une transformation qui réduit les choses à leur plus simple expression, les magnifie, les fait servir à un nouvel emploi, les fait durer. Même la couverture de carton de Continuum rêvé devient un emblème, si peu qu’on le glose. Quand j’eus feuilleté, caressé, tourné et retourné tout cela entre mes mains, alors Jean-François Chevalier m’a dit : « Allez ! à toi de jouer ! » Tel est le point de départ de cette aventure. II Je voudrais donc successivement en raconter les épisodes, en analyser les processus et en tirer la leçon. Or puisque cette glose n’est en somme que le making off de l’album exposé à la Bibliothèque Stanislas, je dois y ajouter une petite sélection de confidences. Avant ce jour de l’été 2015, Jean-François n’avait aucune connaissance du monde des emblèmes des XVIe et XVIIe siècles. Par exemple, je ne me souviens pas de lui avoir fait lire quelque chose sur les deux recueils d’emblèmes de Callot7. Ensuite, la réalisation a surgi sans résulter d’un projet concerté. Jamais il n’a été question entre nous d’un fil thématique, des sujets, des motifs possibles. Comme si l’entité « livre d’emblèmes » avait une évidence très forte, comparable à celle d’un « recueil de fables » : une forme, une intention et peut-être un ton. Serais-tu intéressé par l’idée de graver des emblèmes ?
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Voir par exemple mon étude dans Paulette Choné, Emblèmes et pensée symbolique en Lorraine (1525–1633), Paris, Klincksieck,1991, p. 725 sq.
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C’est ce que me proposa Paulette, un jour de 2015. Je ne savais pas, à ce moment-là, ce que c’était vraiment. Alors Paulette m’a remontré une série d’emblèmes de Jacques Callot. Et puis rien ….. le temps a passé et l’idée a mûri. Comment faire ? Quoi faire ? L’idée était risquée ! Peut être un prétexte à une nouvelle série de gravures ? Souvent une œuvre c’est ça… on commence sans mesurer le risque. À cette époque, sur les routes sinueuses des Alpes bordées de précipices, Xavier, notre fils, participait à un rallye automobile en vue de réaliser une performance filmée sur le paysage, comme Turner l’avait fait en bateau dans la tempête. La voiture était habillée d’une de mes aquarelles . Une œuvre lancée à toute vitesse ! Pourquoi ne pas dessiner le numéro 19, la voiture de Xavier. Ce fut le déclic. Faire des emblèmes, c’est une nouvelle aventure où je peux mesurer mes préoccupations…et puis, pris au jeu, j’ai aligné des cuivres sans préméditation, le choix des sujets je l’ai trouvé dans mes travaux antérieurs, comme pour les redire, les préciser, les éprouver avec la gravure. Le temps de prendre conscience et les choses se dessinent et se font. La gravure est une technique aveugle, la main dessine, la presse montre le travail accompli. Les retouches, les états sont autant de mises à l’épreuve. La mise en forme, après, est un artisanat qui présente ces travaux. Suivit alors une autre mise à l’épreuve : aidée de leurs titres, Paulette découvre les gravures et écrit ses commentaires pour enfin les transformer en emblèmes donc s’approcher au plus près, réinventer son histoire avec mes images pour support. L’aventure est très particulière, l’avenir fera peut être de nouveaux commentaires de ce Continuum rêvé, imaginera d’autres histoires. Nous avons un peu évoqué le format. Jamais nous n’avons eu l’idée de faire une maquette. D’emblée, c’est le format à l’italienne qui s’est imposé. Après coup, j’ai pensé que si j’étais plus habile, je me taillerais un succès théorique dans les visual studies : j’affirmerais que l’emblème a des connexions plus fortes avec le paysage qu’avec le portrait, ce qui n’est pas faux. D’autre part, j’ai essayé discrètement de parler à Jean-François des dimensions, qui d’après moi ne devaient pas être trop importantes, mais l’idée d’un petit in– 12, d’un recueil « portatif » n’a pas retenu l’attention du graveur. Il a fait ce qu’il a voulu ou plutôt ce que son métier, sa presse lui commandaient. III Nous n’avons pas du tout imaginé un livre typographique. La question de la matérialité du texte, qui n’était d’ailleurs qu’une virtualité dans ma tête, ne
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s’est pas posée tout de suite ; elle nous paraissait absolument secondaire. Le moment venu, elle a été résolue en toute simplicité : le texte écrit à la main, sans prétention calligraphique, serait logé dans la marge inférieure de la gravure, ou bien à sa gauche si la place manquait. Ou réparti entre les deux pages. Lors du choix du papier et du tirage des planches, la notion du texte à venir était bien présente. Toutefois, pour reprendre un terme emprunté aux arts graphiques, sa place n’était pas « en réserve » comme un espace clairement délimité. Le texte allait venir s’ajuster dans la feuille, c’était certain, sans que sa place ait été préétablie de manière rigide. La mise en page procéderait d’un vagabondage, elle était juste « légèrement » concertée. L’opération à venir admettait la variable du « jeu », au sens mécanique du terme, et même de l’accidentel, qui dans l’art de la gravure est essentiel8. Quant à l’organisation tripartite de la page, elle nous apparaissait comme une contrainte dont il ne fallait pas s’affranchir, mais nous savions qu’il y avait des moyens de la transgresser et que cette transgression serait peut-être instructive. En novembre 2015, le premier état des 19 gravures emblématiques, chacune avec son motto manuscrit mais sans les textes, se présentait sous la forme d’un tirage unique, avec sa page titre, abrité dans un délicat emboîtage de carton et de soie. Ensemble singulier donc, combinant l’inachèvement et le définitif, un ouvrage en cours sous une reliure précieuse. Par la suite, nous avons été accaparés l’un et l’autre par d’autres réalisations, Jean-François en particulier par une exposition d’hommage à Gustave Courbet dans sa ferme familiale de Flagey, en Franche-Comté. À cette occasion, nous avons encore travaillé ensemble en publiant un entretien, ce qui était une manière d’aiguiser notre relation au mot et à l’image. En 2016, Continuum rêvé ne s’est pas arrêté d’exister. Il ne nous tourmentait pas du tout comme ferait un manuscrit sans éditeur, ou comme une tentative en panne qui vous fait le reproche de n’avoir pas été à la hauteur de votre dessein intérieur. IV Il faut se souvenir qu’une estampe, même associant diverses techniques comme ici (eau-forte, aquatinte, manière noire, empreinte
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Ce sont des contraintes techniques qui m’ont amenée dans les illustrations de cet article à la transcription typographique des textes manuscrits de l’original, avec l’aimable permission du graveur. Les chiffres en incipit de chaque planche sont ceux du recueil original.
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directe) exclut la notion d’esquisse, d’ébauche. Si la planche est retouchée, elle donnera au tirage une épreuve de « second état ». Puis elle peut encore être modifiée, et l’on parle de 3e état et ainsi de suite. Je crois que JeanFrançois n’a presque rien changé aux planches du début. Il en a ajouté une, Ensemble, inspirée par une série de clés et autres fonds de tiroir réalisée pour les étrennes 2017. La cage s’est augmentée d’une petite planche avec des essais de pointe. épithète a fait l’objet d’un perfectionnement pour que la vraie feuille de sauge ne décharge pas sa sève en passant sous la presse. C’est aussi ici le moment de rappeler que l’estampe n’est absolument pas une reproduction. Chaque épreuve est une œuvre originale, ce que l’on a tendance à oublier quand on insiste sur l’estampe comme « art du multiple », sur sa « reproductibilité technique », par opposition au dessin et à la peinture. L’estampe résulte de l’impression d’une matrice qui à chaque passage de la presse acquiert des caractéristiques uniques : l’encrage, la pression varient, sous le contrôle étroit du graveur lui-même. Pour un même état, il n’y a jamais deux gravures absolument semblables. Nous y prenons garde surtout quand nous étudions dans les livres d’emblèmes les retirages, les réemplois, les gravures provenant de planches qui ont été passées au brunissoir pour faire disparaître certains détails, ou regravées pour les rajeunir. En somme, nous autres emblémistes nous intéressons surtout à ce qui a été trafiqué dans les estampes. Si nous sommes bibliophiles, nous recherchons en outre la beauté et la fraîcheur, la rareté d’une impression pour ses qualités esthétiques et commerciales. Cette remarque veut indiquer que les épreuves de Continuum rêvé ont déjà un historique et que chacune est unique. À la fin de l’année 2016, l’échéance du congrès se rapprochant, JeanFrançois s’est attelé à une tâche considérable, le tirage des dix épreuves de chacune des vingt planches (19 plus le titre) et le façonnage des dix couvertures de carton feutre doublé de soie à cravates, toutes différentes. Soit en tout 200. C’est dans l’atelier, à côté de la presse, dans l’odeur des encres, et non devant un ordinateur, que l’on comprend ce qu’est ce labeur. Lorsqu’avec une certaine facilité nous allons chercher dans notre boîte à outils littéraires l’épithète « considérable » pour estimer le travail qu’exigea l’exécution au burin des planches des 100 emblèmes imaginés par Georgette de Montenay par Pierre Woeiriot, nous devrions nous figurer ces opérations fatigantes, salissantes, en grande partie fastidieuses et infiniment minutieuses.
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V J’ai dit que nous n’avons jamais imaginé un livre typographique, la reproduction du recueil par un moyen d’impression quel qu’il soit, numérique ou autre. Les recueils devaient être des recueils de gravures originales, nous n’avons jamais pensé à des répliques, à une démarche éditoriale. Nous ne les excluions pas, mais ce n’était pas notre affaire. « Faire un recueil d’emblèmes » était une entreprise qui a priori ne comportait pas cet aspect. C’était la fabrication d’un original, coïncidant de bout en bout avec une intention. La transformation technique de ce type de recueil en livre imprimé, qui certes aurait l’avantage de diffuser son contenu, supposerait une altération radicale de son essence. Imprimé, uniformisé, le texte ne subirait certes pas d’amoindrissement. Mais reproduites, les estampes cesseraient d’être des estampes. Aussi l’entreprise qui joint texte et gravure est-elle paradoxale. Un livre à figures renfermant des gravures originales est un trésor de première main. Cependant, un reprint de livre d’emblèmes ne cesse pas d’être un livre d’emblèmes. Quant à la confidentialité résultant de notre petit trafic en privé, elle ne nous posait aucun problème, pas plus que la publicité qu’il pourrait acquérir dans l’avenir. Seule nous mécontenterait la contrefaçon frauduleuse de Continuum rêvé. À plusieurs reprises, Daniel Russell a affirmé que « le vocabulaire de la modernité est incapable de comprendre l’acte par lequel l’emblème prend forme et entre en vie », qu’il n’a « pas sa place dans l’esthétique d’aujourd’hui ». Il veut dire que l’emblème « appartient à une époque révolue » parce qu’il est « une production plutôt qu’un acte de création artistique ». Ce point mériterait d’être approfondi et discuté dans de nouveaux éclairages : par exemple celui de la figure de l’artiste-écrivain, ou de l’écrivain-artiste, qui est d’une grande vitalité ; et d’autre part les perspectives de l’art d’aujourd’hui, ouvert à l’hybridation, la fragmentation, la métaphorisation et à toutes sortes de façons de faire qui impliquent une création partagée. En tout cas, voici notre expérience d’une telle production. VI Jean-François Chevalier entretient avec l’écrit une relation qui a la timidité, la pudeur et l’assurance de l’enfance. Il fabrique lui-même pour ses suites gravées de somptueuses reliures qui prolongent la tradition brillante à Nancy des « reliures parlantes » de Victor Prouvé, Camille Martin, Lucien et René Wiener. Les titres de ses livres d’artiste ont l’évidence et le catactère énigmatique des objets familiers et des êtres naturels. Ni dénotatifs ni sibyllins, ils s’imposent avec la simplicité d’une clé, d’un caillou, d’une feuille. Par exemple : Les enfants y pensent ; Je regarde comme tu vois ;
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Fleurs de peau ; Les yeux fermés ; Reviens Aussi loin ; Le désir du touché... Ces titres s’amusent silencieusement du vertige qu’ils pourraient provoquer. Jean-François a un recul instinctif devant le commentaire. La glose et lui se repoussent comme l’huile et l’eau. Le discours critique, surtout conceptuel, le met mal à l’aise. Il le dédaigne avec tranquillité et indulgence. Aussi avons-nous commencé il y a plusieurs années des conversations à bâtons rompus, pour le plaisir de lancer en l’air des paroles, dans l’atelier, dans la proximité des œuvres, paroles qui sont ensuite transcrites minutieusement. Ces paroles réflexives prises sur le vif remplacent l’exégèse intellectuelle dans les catalogues de ses expositions. Tel est l’arrière-plan de notre entreprise. VII Ainsi, peu à peu « le recueil d’emblèmes » s’animait dans nos préoccupations. En avril 2017, toutes les gravures étaient tirées. La soie de dix cravates différentes tapissait les dix albums. Le texte n’existait pas encore. Jean-François s’impatientait. L’artiste devenait pressant et l’auteur traînait : c’était le monde à l’envers. Un jour, imprudemment j’ai parlé de « la morale » qui est censée conclure la subscriptio emblématique. Jean-François m’a sagement rappelé en riant, ou plutôt en souriant : « La morale, ce n’est pas le genre de la maison ». J’étais au pied du mur. Je peux dire exactement comment j’ai fabriqué les textes. Le processus a été très réglé, régulier. J’ai pris chacune des estampes dans l’ordre où elle se présentait sans y manquer une seule fois – cet ordre a été changé ensuite par l’artiste. Il y a eu chaque fois trois étapes volontairement très distinctes : d’abord une divagation sémantique, une songerie autour des étymologies, d’associations d’idées, de souvenirs d’atelier et de réminiscences personnelles ; puis une interrogation sur ce qui pourrait être à peine une « leçon », plutôt l’empreinte légère d’une vision du monde, une pensée, mais cette interrogation a été brève, et pour ainsi dire ondoyante, instable. Enfin, il y a eu l’écriture : moment d’intensification simultanée du voir, de l’idée, de la sonorité du mot, de ses virtualités imaginaires. Jamais je n’avais écrit de cette manière, suivant un processus fractionné en trois moments. C’est surtout l’étape intermédiaire de la poursuite d’une sorte de « leçon » qui est inhabituelle. Elle résultait d’une manipulation dans tous les sens jusqu’à ce qu’une idée vienne miroiter à la surface des représentations. L’écriture proprement dite ne venait qu’après que l’idée s’était formée. La rédaction de celle-ci suivait. Nous avons décidé ensemble de nommer cette subscriptio « paroles » plutôt que « mots » ou « texte ». Le graveur les nomme « histoires ». Fin avril 2017, Jean-François commençait à écrire les « paroles » sur les estampes. Continuum rêvé existait comme « recueil d’emblèmes ».
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Voici un exemple, Epithète. La gravure est une aquatinte développant la série des « rubans » très présente dans l’œuvre de Jean-François, en particulier dans de grandes aquarelles de ces dernières années. L’épithète, c’est une feuille de sauge qui est tombée dessus et par empreinte directe y a incorporé ses sucs de plante odorante, sa nature végétale veloutée. Epithète serait ce mot ajouté en plus ou de trop. Il impose ce quelque chose qui donnera tout le sens. Il ne s’agit pas d’un texte érudit mais de gravure et des récoltes d’automne qui nous offrent une variété de fruits de légumes aux formes plus sculpturales les unes que les autres. Certains se cueillent, d’autres se ramassent ou se déterrent. Je ne les décrirai pas, je les copierai avec le pinceau chargé de vernis pour morsures successives, puis en modulant les grains d’aquatinte et le piqué de l’acide sur le métal. En gravure, dans le cérémonial de l’impression, sans encre, cette « oreille de chat » qui est en réalité une feuille de sauge utilisée comme médecine ou condiment, je l’ai posée sur le cuivre encré. Le papier humide est venu la comprimer et par rotation de la presse, feuille contre feuille, en dessous des langes, elle a perdu son jus et révélé son empreinte au creux du cuivre encré de noir. C’est cette feuille duveteuse qui a restitué à l’estampe indélébile l’image intacte de la nature. Quand je concocte la subscrptio, voici ce qui se passe. Dans un premier temps, la collecte des associations amène des mots et des groupes sémantiques (la sauge, salvia, salvus), des récits en vrac (le cérémonial romain pour la récolter, l’histoire de Siegfried et sa feuille de tilleul), des croyances (quand on en a dans son jardin, on n’a pas besoin de médecin – chez nous on exagérait ce précepte de la médecine salertinaine en disant que ça rendait immortel !), des savoirs (le fer et la sauge ont entre eux une antipathie naturelle, vérifiée dans la recette de l’eau vulnéraire ou eau d’arquebusade, réputée soigner les plaies causées par les armes à feu), et une mémoire du corps (de divers jardins et jardinages, de recettes de cuisine). La « morale » ensuite tourne d’elle-même autour du rituel, de la guérison, de l’invulnérabilité, de l’acte de se mettre en danger, de s’exposer. Son élaboration précède puis accompagne l’écriture.
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VIII L’unité de l’album se trouve dans l’œuvre et l’itinéraire de l’artiste. Tel emblème met en scène des motifs et des thèmes d’inspiration qui sont la reviviscence d’une sculpture, d’une peinture, d’un moment vécu, d’un souvenir plus lointain. Leur résurgence n’est pas le sillage d’une influence, ni une citation, encore moins une version réduite. C’est plutôt l’intensification d’une forme, la condensation de son atmosphère. Le choix par l’artiste d’un titre neuf, d’un motto, fat accéder la forme à une dimension jusque là inédite, dans laquelle on touche au climat de sa genèse, à un peu de son aura spirituelle.
Jacques Callot, Lux claustri, Les saules au bord de l’eau. ©GetArchive.
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L’un des emblèmes de Callot reprend le motif du reflet des arbres (des saules) dans un cours d’eau9. Il est très simplifié, c’est un geste graphique affranchi du souci de la perfection. Dans une gravure de plus grand format, les saules sont parfaitement reconnaissables comme espèce. Dans l’emblème, ils ne le sont pas aussi bien, mais ils sont nommés et mis en relation avec un ensemble de significations (lamentation, chasteté). Ils renferment notamment une allusion muette à l’Ecriture sainte : « Sur les bords des fleuves de Babylone, Nous étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Sion. Aux saules de la contrée nous avions suspendu nos harpes » (Ps. 137) Dans l’emblème, le geste qui manie la pointe est absolument dégagé, l’artiste dessine pour ainsi dire les yeux fermés. Mais d’un autre côté, il abandonne la forme au monde des significations et de la sagesse. La gravure est livrée sans défense au monde du sens. Le dispositif emblématique – et d’autres, comme la bande dessinée - sert à montrer que l’image consent au monde des signifiants, et même l’attire et joue avec lui. IX L’emblème que Jean-François a intitulé L’origine prolonge l’exposition qu’il a voulue en hommage à Gustave Courbet en 2016. Pour les « paroles », j’ai retenu la symétrie, puis j’ai trouvé le mot savant de « vexille », diminutif de velum. « Vexille » désigne les barbes d’une plume, et aussi un étendard. Le mot rare et ambivalent condense l’idée vénusienne de la petite voile stabilisant légèrement celle qui vient de naître de l’écume, la hardie navigatrice sur les vagues du plaisir, le fier oriflamme de textile coloré claquant au vent. D’autre part, Jean-François habite à Marbache (Meurtheet-Moselle) à l’adresse poétique « Chemin du Noyer la Plume ». La voile pour naviguer et la voile pour voiler (les corps, les tableaux lestes) procure la « moralité » où deux mots italiens servent d’ornement pudique. L’oursin vient directement du souvenir d’une métaphore érotique dans une nouvelle de Lampedusa, Le Professeur et la sirène, sur la chair de l’oursin pareille à un délicat organe féminin.
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Lux claustri. La lumière du cloistre. Representées par figures emblématiques dessignées et gravées par Jacques Callot, Paris, François Langlois, 1646.
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Comment satisfaire à la question la plus irrésolue depuis la nuit des temps. Pourquoi cet homme qui maîtrise l’art de la chasse et du dessin, qui connait parfaitement l’anatomie des formes , augmente-t-il si démesurément l’image de la femme ? Les réponses à cette question jalonnent le temps comme un nuancier infini, donnant à chacun de se résoudre à l’ordre du mystère de l’origine. Cette gouvernance cachée ou discrète , qui se veut miroitante et attirante, demande amour et fidélité. Si la convoitise de certains est mise en garde, il y va de la survie de l’espèce. L’ultimatum est sans conteste : belliqueux s’abstenir ou se condamner à mort ! Il se trouve que dans le grand livre, la nature nous montre le chemin à déchiffrer au rythme du temps où le sens des choses se conjugue. La maîtrise qui n’existe pas en ce domaine approche le sujet sans répondre, il s’y confond, le mirage est fécond, la morale est sauve. L’iconoclaste malin la représente : « L’origine ». Provocateur, Gustave Courbet, peintre réaliste, dévoile et fait sens à cet éternel besoin de mimesis. L’emblème nous le décrit : Prends garde et rêve de sa symétrie. L’origine est image. Ainsi décrite, cell- ci est confondue, c’est un emblème qui s’intègre dans le continuum. X À mon avis, la présence des images fortuites et des citations cachées dans la subscriptio emblématique montre que le souci des « faiseurs d’emblèmes », quel que soit le niveau de leur coopération, n’est pas la généralisation totalisante. Dans un roman oublié de René Boylesve, L’Enfant à la balustrade (1903), une fameuse devise stoïcienne de cadran solaire, attribuée à Sénèque, LAEDUNT OMNES, ULTIMA NECAT [Toutes nous blessent, la dernière nous tue] joue un rôle central. À la fin, le personnage déclare : « J’attendais depuis si longtemps un mot qui s’inscrivît là pour moi, à côté de la vieille sentence latine ». Les « faiseurs d’emblèmes » ne reculent pas devant l’idée de faire partager une pensée. L’emblème fait bien sentir qu’il a un ou plusieurs maîtres qui le « libèrent », au sens où Robert Burton, au début de The Anatomy of Melancholy, explique qu’il livre son ouvrage à la diversité des lecteurs. L’emblème, contrairement à ce qui se répète, me semble avoir une prétention modérée au discours moral universel. Il s’accommode bien de notations « locales ». L’expressivité de l’image, le jeu des allusions, la présence latente de fictions font qu’il garde quelque chose d’instable, subjectif et mystérieux. Le « mot manquant » dans la sentence du cadran solaire correspond à l’attente intime du lecteur-spectateur de l’emblème. Dans ce sens, l’emblème est une visualisation très forte de la complicité qui rapproche idéalement l’auteur et son public. L’emblème réalise à un degré exceptionnel le fait à la fois de jouer avec le regardeur-
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lecteur, et de lui faire sentir le bricolage, le hasard, le monde onirique, le « jeu » dans cet assemblage. Pour fonctionner, l’emblème a besoin d’une infime imperfection, l’ajustement étroit de l’image et des mots le ferait devenir une notice de montage illustrée. Un assemblage imparfait est une nécessité, comme dans des pièces mécaniques destinées à pivoter, par exemple un gond. L’emblème est alors, si l’on me permet cette image, une porte dont on perçoit les soupirs. Quant à l’image du continuum qui s’est imposée à Jean-François Chevalier, elle implique que l’emblème se fasse sans chocs brutaux, sans heurts, sans « envers » et sans « endroit ». Aussi le ruban de Möbius ajoute à la première métaphore mécanique une métaphore topologique. L’emblème Naturellement montre le continuum et le jeu, le bricolage et la légère approximation. Naturellement Ce ne sont pas toujours les traces d’usure ou de vétusté qui révèlent la réelle mémoire et l’usage des objets ou des meubles indispensables à la vie quotidienne, abandonnés, recyclés, puis laissés là. Chaque épisode laisse son empreinte. Il arrive que ces reliques s’identifient avec une marque singulière, un tatouage indélébile caché, un repentir ou plus grave encore, une peine impardonnable à expier. Enfant, chez mes grand- parents, souvent je jouais à me cacher derrière les meubles, dans les placards, sous la table ou la chaise. En fait, rien ne me faisait disparaître et je faisais l’objet de toute leur attention. Ce sont mes parents qui ont acquis leur maison et son mobilier. De cet intérieur modeste, je me souviens, en particulier, de portraits que mon père avait faits de ses parents, d’un poignard qu’un vieil oncle avait ramené des colonies. Le manche était en corne et l’étui jaune, gravé, mais il manquait la lame. Je me demandais pourquoi. « C’était à cause des Allemands » disait ma grand mère. Mon grand père ne disait rien. Sa chaise aussi avait retenu mon attention bien carrée solide (il est vrai qu’il était costaud). Il faisait le jardin, élevait poules et lapins. De son souvenir, rien d’autre qu’une indéfectible affection répondant à mes désirs d’enfant. Je l’ai récupérée cette chaise. Elle a toujours été pour moi à son image. Elle est devenue sculpture. L’événement est un scoop, la représentation de taille. En la travaillant, sous le siège, je découvris, estampillée au fer, une croix gammée et un aigle : Impensable ! Après tant d’années cette chaise !
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XI En 1887 commençait le montage de la Tour Eiffel. Plus de 8000 tonnes de fer puddlé furent alors fournies par la Société des Aciéries de Pompey, une usine sidérurgique créée quinze ans plus tôt en territoire français, au lendemain de l’annexion de la Lorraine par l’Allemagne, dans ce village viticole proche d’un énorme gisement de minerai de fer. Suit un siècle d’excellence technologique et de prospérité. Mais entre 1984 et 1986, la crise de la sidérurgie conduit à l’arrêt des trois derniers hauts fourneaux de Pompey. En octobre 1986, 800 personnes sont licenciées ou transférées. L’usine de Pompey est rasée peu après. En 1987, on fêtait le centenaire de la Tour Eiffel. Le contraste entre les luttes sociales et la commémoration éphémère inspire à Jean-François Chevalier une œuvre monumentale, douze lingots d’acier de quatre tonnes chacun, gravés au chalumeau10. Trente ans après, voici l’emblème Confluence. La confluence de la Meurthe et de la Moselle se situe dans le paysage au nord de Nancy, à Pompey. Sur les cartes, les lieux-dits portent ces noms énigmatiques qui associent l’histoire et la géographie en quelques mots lapidaires : la Gueule d’Enfer. Ce site particulier fut choisi et propice au développement d’une usine sidérurgique aux XIXe et XXe siècles. Les aciéries de Pompey se sont rendues célèbres pour leurs aciers spéciaux et la fabrication des éléments de la Tour Eiffel. J’ai été témoin des dernières années de leurs activités. À leur démantèlement, j’ai réagi et fait réserver quelques outils à la taille colossale, aux formes symboliques. Ils ont assumé ce travail du fer et de l’acier, ont fait vivre la population de ce bassin dont j’étais moi-même issu. À la fin des années 80, l’usine fut complètement gommée du paysage. Le confluent émergeait sur un territoire devenu lunaire. Le mâchefer, cette matière gris qui est le résidu du fer, assurait une immense plateforme déserte. À la recherche un ancrage, les vestiges sidérurgiques que j’avais fait réserver interrogeaient l’avenir de ce lieu, orphelins de leur usine.
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Propriété du Féru des Sciences (anciennement Musée de l'histoire du fer) à Jarville (Meurthe-et-Moselle), ils ont été installés au Parc de Montaigu en novembre 2021.
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Ces pièces seraient installées, à l’image d’un cadran solaire de type méridienne sur ce paysage devenu lui-même sculpture. Cette zone fut déclarée officiellement « zone A » inconstructible, là où rien ne doit exister puisque submersible. Comment comprendre que sur ce no man’s land le paysage se transformerait ? Réhabilité, il se nommerait « Gustave Eiffel » comme hommage. Propice à la légende emblématique cette zone A devient le commentaire d’une gravure du Continuum rêvé. À son libre cours, elle invite le lecteur à déchiffrer cette image détachée de toute anecdote. Pourtant cet emblème s’est dessiné et construit d’une histoire vécue. L’emblème invente, à sa relecture, une légende future.
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Première partie Invention, bricolage et circulation des devises et des emblèmes
Devises jamais vues. Sur les inventions morales de Gabriel Simeoni* Maren C. Biederbick. Université de Kiel / Deutsches Medizinhistorisches Museum Ingolstadt Le Discours […] des Devises Né en 1509 à Florence, Gabriel Simeoni avait reçu une solide éducation humaniste. Auteur prolifique, ce vagabond des lettres signait rarement de son vrai nom, Gabriello Semioni, mais plutôt Gabriele Simeoni. Il latinisa parfois son nom en « Symeonus » ou « Symoneus » ; plus fréquemment, suivant son lieu de résidence, il utilisa les versions françaises « Syméoni » et « Syméon »11. Quand en 1555 le traducteur Ludovico Domenichi envoya à l’imprimeur lyonnais Guillaume Rouillé sa transcription illustrée du manuscrit Dialogo dell’imprese militari et amorose de Paolo Giovio, elle transita par Simon et Francesco Mazzei, les cousins de Simeoni. Par la suite, Rouillé la montra à Simeoni, qui en tira une version française et italienne en 155612. Conservé à la Biblioteca Medicea Laurenziana à Florence sous la cote Ashburnham 1376, ce manuscrit se présente sous le titre suivant : DISCOVRS / FRANCOIS,/ Toscan, et Latin. / […] sur la cognoissance des esprits et desseings / des hommes, suivant un Dialogue Italien / parfaict des Devises amoreuses et / militaires de Monsieur Paul / Iouio […] / Avec l’adiunction de Ixxvi Nouelles Devises inuen / tees, ordonnees, et encores mieux declaireas / par le dit Simeon […] (fig. 1).13
* Je remercie Paulette Choné, Rosa de Marco et Ulrich Kuder pour leurs remarques critiques et leurs relectures, ainsi que Géraldine Nay, Florent Clerjeau, Sylvie Lelu et Marie-Josée Nadeau. 11 Renucci 1943, p. 1, 6-7, 39 et 43 ; Cooper 1997, p. 325-326 ; D’Amico / Magnin-Simonin 2016, p. 11 ; Cooper 2016, p. 298. 12 Peu avant le Dialogo, Simeoni avait déjà fait d’autres traductions pour Rouillé ; Rouillé 1574, p. 3 et 5 ; Renucci 1943, p. 87-89 et 107 ; Klein 1970 /1983, p. 125 ; Doglio 1978, p. 25. 13 Simeoni 1556, fol. 2r. (Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Cod. Ashburnham 1376).
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Fig. 2 : Gabriele Simeoni, Discorso Toscano, Latino, et Francese ΈΥΔΟΚΊΑΣ… [Lyon] ms, 1566, page de titre, fol. 79r., Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Cod. Ashburnham 1376, c. 78r. © MiBACT.
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Le manuscrit renferme à la suite la traduction du texte en italien (fig. 2)14. Dans les deux cas, le titre employé n’est pas un message anodin. En effet, l’auteur a changé au cours du temps sa première intention. Les corrections qui touchent l’adjectif « parfaict » et « imperfetto » que Simeoni donna au dialogue de Giovio sont analogues. La principale différence entre les deux versions est l’illustration par Simeoni de la version française15. Par ailleurs, il la structura en la dotant d’un index dans lequel il indiqua les noms des différents porteurs des devises, dont il mit en ordre la liste en suivant attentivement le rang des différents personnages dans la société16. Simeoni en avisa ainsi l’imprimeur sur l’avant-page du titre : Compositeurs prenez gardè en composant dè suiurè dè l’un bout à l’autrè. / l’ordrè dè la Tablè francoysè en composant lè francoys. / & cherchez uoz pages selon les nombres & feuillets signez en la […] Table / […] + lé semblablè ferez en composant l’Italien17.
Indigné par la prétention de Giovio à se considérer comme l’instance absolue parmi les inventeurs des devises, Simeoni ajouta soixante-dix devises : iè uoudrois bien, sie Iouio estoit en uie, lui respon, / drè […] ie / croy que Iouio sè iouoiet, ou Dominique uouloit / monstrer qu’il auoit l’esprit bon pour inuenter / plus 14
Il faut bien remarquer ici que les deux titres ne sont pas tout à fait exacts. Le nombre des devises ajoutées par Simeoni est différent ; dans un cas, il s’agit de 76 « nouvelles devises », ailleurs il mentionne 70 « altre nuove imprese [autres nouvelles devises] ». Ibid., fol. 79 r. Voir Renucci 1943, p. XVIII, 89 et 205, Ames-Lewis 1979, p. 141, ainsi que Nova 1985, p. 78. De la transcription de Domenichi, il ne reste aucune trace. 15 Renucci 1943, p. 89. 16 Ibid., p. XIX. En général, on trouve également cette intention chez Giovio, qui attache en outre de l’importance au contexte familial, car chaque rubrique commence par le père d’une lignée. Cf. Giovio [1551], fol. 9r.-10v. Giovio explique de façon très personnelle la dimension historique et sémantique de chaque devise avant d’en commenter la qualité structurelle. En ce qui concerne la causa materialis ou la causa formalis d’une devise, il présente si souvent des exemples du même thème, mais construits à partir de motifs différents, que son dialogue finit par être un assemblage d’anecdotes associatives. Giovio privilégie la fonction mnémotechnique des devises, négligeant ainsi l’analyse de leur signification intrinsèque. Voir à ce propos Arbizzoni 2002, p. 16. Le Dialogo dell’imprese est le premier ouvrage de ce genre. Il montre comment on peut s’en servir pour lire l’histoire. Maffei 2008, p. 151. En cela, Pierre Le Moyne l’a suivi : « si j’avois à instruire un jeune Prince, je voudrois le faire par la Devise. Je ferois peindre toutes les devises que les Princes ont portées, & celles, qui ont été faites pour eux en diverses rencontres. J’y ajoûterois les devises des grands hommes; non seulement pour les faire connoistre tous au jeune Prince; mais encore pour l’animer à la vertu par leur exemple. […] par les unes & par les autres il apprendroit aisément & avec plaisir non seulement la Morale et la Politique; mais encore l’histoire heroïque, & l’histoire naturelle.» Cit. d’après Russell 1985, p. 65. Chez Giovio, on n’observe pas la distribution selon les res pictae caractéristique des livres d’emblèmes des décennies suivantes. Voir Arbizzoni 2002, p. 16-17 et 19 ; Ohly 1977, p. 21 ; Plotke 2010, p. 137. 17 Simeoni 1556, fol. 1v..
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d’une Deuise., tout ainsy què i’ay prinse y des / occasions pour decharger ma colerè, louer & blasmer qui / est dign de blasmè ou dè loueng è & monstrer / què si i’estois requis de faire unè Deuise.18
Simeoni souhaitait que son œuvre publiée fût dédiée à Catherine de Médicis. Son manuscrit se présente avec toutes ses corrections préparatoires ; les phrases rédigées, les papillons collés et les illustrations à la plume faites à la va-vite avec leurs explications indicatives en marge, tout cela ne constituait qu’une ébauche19. Rouillé publia pour la première fois le Dialogo en italien en 155920. Dans 97 des 102 xylographies de forme oblongue qui illustrent le texte, l’influence des griffonnements de Simeoni est évidente21. Rouillé y ajouta plus tard le traité sur le même sujet par Domenichi, auquel il dédia cette édition22. L’édition française sous le titre Dialogue des devises d’armes et d’amour publié par Rouillé en 1559 contient les mêmes xylographies23. Rouillé y ajouta le traité de Domenichi, plus la moitié des inventions des devises de Simeoni, illustrées de la même façon que le texte de Giovio24. Rouillé dédia cette œuvre à Catherine de Médicis, réalisant ainsi pleinement l’intention que Simeoni avait eue trois années auparavant25. Rouillé donna au texte italien de Simeoni les titres suivants : Le Imprese heroiche e morali et Le Sentenziose Imprese, et Dialogo26. Il commence comme Giovio avec quelques devises tirées de sources antiques27. Puis il continue avec les devises des jeunes princes de la famille royale, qui avaient dans certains cas été inventées par Simeoni et qui restaient fictives28. L’ensemble de ces inventions choisies s’achève par une longue suite de devises hypothétiques propres à certains types de personnages29. Par ses explications de leur morale universelle, de même que par la figuration fréquente des êtres humains, les inventions de Simeoni se rapprochent de la 18
Ibid., fol. 63r. Cf. par exemple :« paintre´nè paignez point les escriteaux » (ibid., fol. 9r.) 20 Rouillé en produit plusieurs éditions jusqu‘à 1574. Cf. Russell 1985, p. 38. 21 Renucci 1943, p. 101; Nova 1985, p. 78 ; Maffei 2008, p. 161-162. Elles sont aussi monochromes, témoignent un style linéaire des dessins et suivent la composition visuelle de celles de Simeoni. Voir Della Latta 2008, p. 229. 22 Rouillé 1574 (1559). 23 Giovio 1559b. Comme Simeoni n’avait pas suivi le texte de Giovio expressis verbis, cette traduction fut faite par Vasquin Philieul. 24 Dans ces premières éditions, les illustrations sont encadrées par des rectangles avec des ornements à vrilles et différents sujets mythologiques par le Maître à la Capeline. Cf. Renucci 1943, p. xi et 208. 25 Giovio 1559 b. 26 Simeoni 1559 ; Simeoni 1560. Cf. Renucci 1943, p. XIII ; Praz 1964, p. 497. La publication de 1562 Le Sentiose Imprese di Monsignor Paolo Giovio, et del Signor Gabriel Symeoni, ridotte in rima per il detto Symeoni, en diffère peu ; voir Ames-Lewis 1979, p. 122. 27 Cf. Simeoni 1574, p. 171-175. 28 Ibid., p. 176-180. 29 Ibid., p. 185-192, 196-199, 201-202, 204-207, 210-215. 19
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pictura des emblèmes30. « J’ai fait emblèmes ou devises »31, déclarait-il expressément. C’est la raison pour laquelle Rouillé publia l’édition française de 1559 sous le titre de Devises ou emblemes heroiques et morales32. Les devises « dérobées » Le mot « devise » fut d’abord employé dans ce contexte comme une traduction du terme italien impresa. Le titre courant figurant sur les pages du Discours francoys de Simeoni est libellé une seule fois Delle Imprese / Amoreuses & militaires, peut-être par hasard, au lieu de Des Deuises / Amoreuses & militaires33. Par leur structure, les imprese ressemblent en effet aux devises françaises de la même époque, mais elles sont fortement teintées des préceptes philosophiques des humanistes italiens et de leurs convictions religieuses ; aussi sont-elles plus complexes34. Tout l’art consistait dans l’emploi d’expressions contenant des termes à double sens. Tant pour la partie picturale que pour le message, l’ensemble devait être à la mesure du propriétaire de la devise35. Suivant l’exemple de ses prédécesseurs comme Claude Paradin dans ses Devises heroïques de 155136, ou Paolo Giovio dans presque la moitié de ses 30
Russell 1985, p. 142 ; Tung 1987, p. 87. Cité d’après Lippincott 1990, p. 66. Simeoni 1559. Cité d’après Paultre 1991, p. 9. 32 Simeoni 1559 et 1561; cf. Renucci 1943, p. XI. Praz 1964, p. 497 ; Russell 1985, p. 142. 33 Simeoni 1556, fol. 76v. 34 En Italie, le but d’une impresa était moins de porter un message que d’exprimer dans sa forme parfaite un concetto. (Russell 1985, p. 29 et 66). Pour y parvenir, Alessandro Farra et Francesco Caburacci ont proposé de composer le concetto avec les figures rhétoriques de la comparaison, de la citation, de l’insinuation et de la métaphore. (Farra 1571, p. 275r.-277r. ; Caburacci 1580, p. 72-73 ; Calabritto 2003, p. 116). Afin que le symbole de l’impresa pût se dévoiler, on a employé les objets d’une sémantique traditionnelle. Par contre, la métaphore anticipée entravait le moment de surprise de la vraie métaphore. Ainsi s’établissait une tension entre l’attente et le résultat (Russell 1985, p. 52). L’effort pour découvrir de nouvelles significations à des signifiants traditionnels est une attitude qui caractérise la plupart des inventeurs d’imprese. Celui qui est capable de produire une nouvelle signification alors qu’il connaît toutes les acceptions antérieures d’un signe atteint l’excellence selon Scipione Bargagli (Bargagli 1594, p. 195. Calabritto 2003, p. 117). Cette compétition s’épuise avec l’impossibilité de déchiffrer toutes les significations différentes si l’auteur ne les explique pas (ibid., p. 102). 35 Arbizzoni 2002, p. 140. Dans les années 1520 s’élevèrent des controverses sur la devise d’Érasme : connaît-on mieux un homme par ses paroles que par son apparence physique ? Le mot d’une devise est-il le portrait moral de son propriétaire ? Cela n’était pas trivial à cette époque, mais fut accepté depuis. De plus, l’adage Stultus stulta loquitur d’Érasme et l’emblème In silentium d’Alciat contribuèrent à consolider l’opinion suivant laquelle on peut mieux connaître un homme par ses paroles que par son apparence physique (Russell 1985, p. 30). 36 Paradin 1551. Il s’agit de la première collection de devises publiée en France (Praz 1964, p. 74). Le contenu se concentre sur la coutume de porter ces emblèmes parahéraldiques. Paradin n’inventait pas de motifs nouveaux. Il décrit seulement leur utilisation et l’intention de ceux, 31
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imprese37, Simeoni présente très souvent des devises déjà existantes, « dérobées », auxquelles il ajoute ses propres inventions. Il est possible de faire une distinction nette entre les devises préexistantes et les nouvelles. D’un côté, ce sont les devises illustrant la vie matérielle de leurs propriétaires, comme celles d’Auguste38, Titus39, Anne de Montmorency40, Diane de Poitiers41, Giovanni Caracciolo42 et Blanche de Savoye43 ; de l’autre côté, on peut grouper les devises qu’il avait copiées chez d’autres auteurs, comme la devise « d’un ami amoureux »44 empruntée à l’Hecatongraphie de Gilles Corrozet45 et à la Délie de Maurice Scève46, ou celle « d’un homme déraisonnable »47 qui provient du Theatre de Guillaume de La Perrière48 et des Emblèmes de Corrozet49 ; celle « d’un bien faict »50 est une copie de la médaille commémorative de Francesco da Sangallo pour
déjà existants, de personnages fameux (Russell 1985, p. 39). D’après lui, c’était un moyen d’expression du dessein et de la vertu d’un gentilhomme, dont ils résumaient la morale (ibid., p. 63). Paradin ne s’intéressait pas à la devise idéale ni à la relation entre l’image et le texte dans une devise (ibid., p. 38). 37 Relatives à Amphiare, Capanée, Polynice, les Cymbres, Pompée Magne, Titus Vespasien, Roland, Renaud de Montauban, Holger Danske, Salomon de Bretagne, Olivier de Vienne, Astolphe, Ganelon, Charles de Bourbon-Montpensier, Giasone del Maino, Laurent I de Médicis, Rafael Sansoni Riario, Charles V de Habsbourg, Charles le Téméraire, Edouard III d’Anjou-Plantagenêt, Louis XII, Charles VIII, François Ier, Henri II, Fernand II le Catholique d’Aragón, Antoine de Leyva, Fernand I d’Aragón-Sicile, Fernand II d’Aragón-Sicile, Frédéric I d’Aragón-Sicilie, Francesco Sforza, Galeazzo Marie Sforza, Louis Sforza, Giovanni de Médicis, Cosme de Médicis, Laurent de Médicis, Pierre de Médicis, Giuliano de Médicis, Giulio de Médicis, Cosme I de Médicis, Niccolò III Orsini, Francesco I Gonzague, Francesco Maria della Rovere, Giovan Paulo Baglione, Louis II de la Trémouille, Bérault Stuart, Giovanni Tommaso Carafa, Marie d’Aragón, Bosio II Sforza-Cesarini, Ascanio Sforza, Alessandro Farnèse, Isabelle d’Este, Gian Galeazzo Visconti, Matthias Corvin, Stefan Colonne, Leonora de Toledo, Louis Ariosto, Erasme et Andrea Alciat; Giovio 1574, p. 9-10, 14, 17-20, 24-33, 36-37, 39-53, 57-59, 63, 77-79, 81-82, 92, 100, 104-105, 109, 113-114, 126, 132-133, 135, 139-141, 144-147, 149-150 et 153-156. Giovio 1863, p. 13. 38 Simeoni 1574, p. 172-173. Cf. Deonna 1954, p. 47-86, fig. 4a. 39 Simeoni 1574, p. 174. Cf. Volkmann 1923, p. 60. 40 Simeoni 1574, p. 180-181. Cf. Crepin-Leblond 2014, p. 55. 41 Simeoni 1574, p. 182-183. Cf. le revers de la médaille de Diane de Poitiers : OMNIVM VICTOREM VICI, 1526; Château de Chenonceaux. 42 Ibid., p. 184. Cf. Savio 2010, p. 96. 43 Simeoni 1574, p. 194-195. Cf. le revers d’un teston : BONA 7 IO GZ M DVCES MELI VI / SOLA FACTA SOLVM DEVM SEQVOR, 1476-81. 44 Simeoni 1574, p. 186-187. 45 Corrozet 1997, H 75. 46 Scève 2004, p. 127. 47 Simeoni 1574, p. 189. 48 La Perrière 1539. 49 Corrozet 1543 (1905) 1997. 50 Simeoni 1574, p. 213-214.
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supports autres que le livre62. En outre, les devises Pour une faulse lovenge63, Dangers del’Homme64, Modestie del’Homme65, Un homme fort et sage66, Un amour constant67, Fortune coupable68 et Liberalite69, ont été discrètement dérobées aux Devises de Paradin et à Anton Francesco Doni70. Simeoni fait une seule fois une référence indirecte à ce dernier71, à propos d’une devise ayant comme sujet le fait de s’attribuer les qualités d’un autre. En effet, copier les idées de ses devanciers était chose commune72. En outre, le caractère répétitif des œuvres de ces différents auteurs s’explique par l’intention qu’ils partageaient tous en même temps d’employer des devises emblématiques propres à la culture courtoise de l’Europe des XVe et XVIe siècles73. Autour de l’an 1560, les devises personnelles jouissaient indiscutablement dans les cours françaises d’une popularité plus forte qu’au temps de François Ier74. Parmi les autres inventeurs des devises en France, apparaissent de nouveaux protagonistes parmi lesquels il faut citer Étienne Jodelle, Rémy Belleau et Théodore Agrippa d’Aubigné. L’un d’eux, Joachim Du Bellay, se prononçait contre la composition des devises pour l’aristocratie, car il considérait qu’il ne s’agissait pas là d’une occupation sérieuse, et que l’on pouvait abandonner cette activité au « poète courtisan » plein d’ambition75. Simeoni, qui peut tout à fait être identifié avec ce type de 61
Ibid., fol. 74v. J. J. C. : Revers de la médaille de Marguerite de Foix-[Candal] : MARGARITA DE FVXO · MARCHIONISA SALVCARTC · 1516 / DEVS PROTECTOR ET REFVGIVM MEVM […], argent ; Hill 1920, p. 190, tab. XXV, n° 4. Revers de la médaille d’Hercule II d’Este : HERCVLES · FERRAR · DVX · II ; revers de la médaille d’Alfonse I d’Este : ALFONSVS·DVX·FER·III·S·R·E·CONF / DE·FORTI·DVLCEDO, Hess Divo AG. Voir Ganganelli 2015 ; carreau de Della Robbia (XVe siècle), Florence, Museo del Bargello, Inv. 603M (Cf. Ricciardi 2001, p. 86) ; médaille de Laurent de Médicis : VT LAVRVS SEMPER LAVRENTI FAMA VIREBIT », Ø 27 mm (Hill 1930 / 1984, p. 284, n° 1109) ; revers de la médaille d’Henri II de Valois : HENRICVS II FRANCORVM REX / OlOI Aro MHXANHI, Ø 49 mm (Hill / Pollard 1967, p. 103, n° 545). 63 Simeoni 1556, fol. 60r. 64 Ibid., fol. 63v. 65 Ibid., fol. 65v. 66 Ibid., fol. 67r. 67 Ibid., fol. 67v. 68 Ibid., fol. 68r. 69 Ibid., fol. 68v. 70 Paradin 1551, p. 40, 70, 81, 91, 104, 114 et 120 ; Doni 1552, p. 372-381, n° XXV, XL, XLIIII, XLV et XLIX. 71 En écrivant « laquellè Deuise est fort semblablè à un’autre, dè quoy parlè Doni » ; Simeoni 1556, fol. 60r. 72 Praz 1964, p. 50. 73 Ainsi, en ce qui concerne Paradin et Simeoni, même leurs titres sont identiques : les Devises heroïques (1551 et 1557) de l’un correspondent aux Imprese heroiche (1559) de l’autre. 74 Russell 1995, p. 139. 75 Le succès revint en 1605 avec Jean Vauquelin de la Fresnaye. Les devises restaient intéressantes particulièrement pour les organisateurs des fêtes chevaleresques, des entrées, des 62
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polygraphe ambitieux, ne changea jamais d’avis : pour lui, il est possible de connaître un homme à travers ses habitudes extérieures, ses vêtements, son comportement et sa devise76. Aussi essaya-t-il, sous la protection de Diane de Poitiers, de conquérir quelque influence sur les devises des nobles français77.
Les devises fictives Toutefois, il manque des traces matérielles de la moitié des devises personnelles inventées par Simeoni, en dehors de ses livres78. La raison en est que ces devises servaient à pratiquer une sorte de jeu de compliments réciproques79 qui parfois se dégradait80. Plusieurs devises furent ainsi modifiées sans d’accord de leur propriétaire et de nouvelles imprese inventées contre le gré de la personne concernée81. En effet, les devises interviennent à deux niveaux. D’un côté, elles transmettent un message explicite sur le dessein militaire, politique, amoureux, moral ou spirituel de son propriétaire. D’autre part, la devise renferme l’intention
mariages, des funérailles et d’autres fêtes auliques et religieuses ; Russell 1985, p. 39. Cf. Paultre 1991, 10. 76 « […] m’estant avis qu’une personne, qui prend plaisir d’estre proprement habillee, ne puisse avoir sinon l’esprit gentil, & le cueur magnanime, & que selon la qualité d’une devise, l’on ne puisse faillir de juger & cognoistre la complexion & nature d’un homme : cherchant chacun de faire apparoistre dehors ce qu’il cache dedans, & qui est plus convenable à sa nature » ; Simeoni 1561, p. 218. Cité d’après Russell 1985, p. 63. Même si le courtisan présentait en général une image flatteuse, le but idéal était de fournir un portrait fiable de la personne ; ibid., p. 63. 77 Renucci 1943, p. 18. 78 On peut faire le même constat à propos de l’ensemble des « imprese » de Giovio. 79 Bregoli-Russo 1990, p. 8. 80 Certaines imprese étaient « almost painfully idiosyncratic[…] and vulnerable to praise and criticism» ; Perry 1977, p. 680. Au XVIe siècle, des exagérations légères d’une métaphore ou d’une parole étaient jugées légitimes dans une impresa politique, parce qu’elles relevaient des effets aristotéliciens d’une impresa bien faite. Plus tard, les imprese excessivement ostentatoires furent critiquées. La renommée de leurs propriétaires subit les offenses de la satire. Voir Russell 1985, p. 70. Cf. la devise d’Alfonso d’Avalos (Giovio 1574, p. 9495 ;Paradin 1551, p. 50). Rabelais se moque des courtisans hâbleurs et des déformateurs de parole avec leurs devises et allusions picturales plus ou moins affectées dans son Gargantua ; voir Briesemeister 1986, p. 925. 81 Une possibilité de « saboter » une impresa est l’adjonction d’une épigramme avec un message contraire. Cf. la devise de Giovanni Tommaso Carafa (Giovio 1574, p. 109). Une autre possibilité est de changer un seul mot ou tout le motto. Ainsi, une nouvelle devise était créée, qui remplaçait l’ancienne. Cf. la devise de Charles de Bourbon-Montpensier (Giovio [1551], fol. 4r. voir Russell 1985, p. 71).
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particulière de l’auteur qui invente un symbole héroïco-panégyrique ou satirique pour une personne82. Les auteurs ont notamment exercé au moyen de leurs inventions une grande influence, positive ou négative, sur la perception que le public pouvait avoir des destinataires83. Parmi les devises de Simeoni se trouvent par exemple celles du Gran Capitán Gonzalve de Cordoue, du banquier de Lucques Matthieu Balbani et de l’antiquaire Guillaume du Choul, qui défendent de manière déclarée l’action de ces personnages84. Simeoni les inventa en les posant soit sur leurs armes, soit sur d’autres devises parahéraldiques de la personne concernée – par exemple François II. de Valois, Catherine de Médicis et René d’Anjou85. Ou bien il employait des symboles conventionnels, comme pour les devises des deux Marguerite : Marguerite d’Angoulême et Marguerite de Valois-Angoulême, celle de Jeanne d’Albret et d’Antoine de Bourbon-Vendôme et celle de François de Lorraine86. Au contraire, les devises post mortem de Cesare Borgia et de Jean de Poitiers servirent de contre-exemples87. Parfois, un terme ambigu dans le motto ou dans l’explication suffit à faire peser un doute sur toute la signification positive de la devise88. Non moins ambivalentes sont les devises qui prises au sens littéral ont une signification positive, mais qui contiennent dans leur pictura des symboles auxquels est traditionnellement attachée une connotation négative89.
82 Au XVIIe siècle Franςois d’Amboise, Le Moyne, Bouhours et Menestrier commençaient à ordonner des taxonomies différentes pour catégoriser les devises par leur contenu. Selon d’Amboise, les devises sont spirituelles, moralisatrices, naturelles, militaires ou mêlées. Le Moyne différenciait les devises traditionnelles à visée militaire ou amoureuse et les devises modernes, qui sont panégyriques ou éthico-politiques. Pour Bouhours, les devises sont héroïques, satiriques, moralisatrices, politiques ou chrétiennes. Menestrier recommandait de distinguer les devises personnelles permanentes et celles qui sont occasionnelles. Ces distinctions s’accompagnent d’une réflexion sur la fonction symbolique des devises. (Ibid., p. 67. 83 Du Moyen Age à la fin du XVIIe siècle, les portraits n’étaient jamais neutres, mais chargés d’une nuance positive ou négative. (Jung 1971, p. 76-77 ; voir Russell 1985, p. 196). Le XVIIe siècle voit l’augmentation de la quantité des devises qui n’étaient plus des portraits métaphoriques mais le résultat d’une action extraordinaire, faite par une personne qu’on voulait louer. En conséquence, la devise fut considérée à la fois comme un signe distinctif et comme un compliment saluant la noblesse de ce symbole et de son propriétaire. Ibid., p. 64. 84 Simeoni 1574, p. 199 et 208-209 ; Simeoni 1556, fol. 77r.-v. Cf. Cooper 2016, p. 318, fig. 15. 85 Simeoni 1574, p. 176-178 et 195. Giovio aussi réutilisa des fragments parahéraldiques antérieurs comme la lune pour Henri II (Giovio 1574, p. 31). 86 Simeoni 1574, p. 178-181. Cf. les devises de Bartolomeo d’Alviano et de Girolamo Mattei, que Giovio a composées de la même façon. Voir Giovio 1574, p. 74-75 et 93-94. 87 Simeoni 1574, p. 193-194 et 200-201. Cf. la devise fictive pour Verginio Orsini ; Giovio 1574, p.61-62. 88 Cf. Giovio 1574, p. 55-56, 66, 69-70, 80-81, 115-116, 147 et 166-167. 89 Cf. ibid., p. 64-65, 102-103, 122-125, 127-128, et 165-166.
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Une deuxième catégorie concerne les compositions fictives comportant des devises au moyen desquelles leur propriétaire exprime son dédain envers une autre personne90. Dans ce cas, la devise est utilisée comme une forme de damnatio memoriae. L‘exemple par excellence est la devise du figuier du comte de Campobasso, Nicola di Monforte91, où se manifeste la fonction mnémotechnique de l’impresa. Giovio décrit à ce sujet les conséquences qui peuvent survenir lorsqu’un prince se comporte de manière impulsive envers un subordonné92. Cependant, cette devise suggère qu’en même temps son propriétaire est un traître. Un autre exemple est la devise du cardinal Sigismondo di Gonzaga, qui exhibe un crocodile, animal qui illustre ici une anecdote sur le Pape Léon X93. L’effet de syllogisme de cette devise produit une perception négative envers le prélat94. C’est la raison pour laquelle d’autres cardinaux, qui étaient également mécontents, préférèrent pour leurs devises des images de constellations célestes ou d’objets neutres, comme Antoine Duprat95. Les devises hypothétiques Ainsi, Simeoni émaillait d’outrages ses inventions, les dédiant à certains types de caractères. Cela forme un catalogue de devises hypothétiques desquelles on peut se servir selon la nécessité. On y trouve la devise d’un mauvais ami, du provocateur, de l’intempérant, de l’ignorant, de l’exploiteur et de l’impitoyable96. Parmi les devises que Simeoni n’a pas choisies, subsistent celles du mondain ou du clerc hypocrite (fig. 4), du méchant (fig. 5), de l’exubérant (fig. 6) et du vaurien97.
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Cf. ibid., p 54-55, 76-77, 79-80, 128-132 et 134. Fitzgerald 2007, p. 242. 92 C’est du moins son interprétation de l’histoire ; Giovio [1551], fol. 25r.-v. 93 Simeoni 1556, fol. 32v.-33r.. 94 Il se peut que le crocodile de cette devise ou le scorpion de celle de Luigi Gonzague aient exercé comme animaux symboliques la même fascination que le porc-épic et le salamandre. (Simeoni 1556, fol. 41v.) Tous ces animaux ont en commun de tuer rapidement, en décochant des traits ou par le poison, mais c’est le crocodile qui a les connotations les plus négatives. 95 Simeoni 1574, p. 197. Cf. les devises fictives d’Hippolyte de Médicis, d’Ascanio Maria Sforza et de Louis d’Aragón. (Giovio 1574, p. 54-55, 130-132 et 134). 96 Simeoni 1574, p. 188-190, 201-202, 206-207 et 211-212. 97 Suivant la description de Simeoni, plus haut sur la même page, cette devise faite pour l’empereur et les humanistes montrait un noble monté sur un lion, une massue entre les jambes et qui cherche à attraper une couronne de laurier pendue à un arbre. La page a été découpée ; il y manque le tiers inférieur. Il s’y trouvait probablement l’illustration de la devise AVANCEMENT PAR VERTV, que Simeoni a créée – écrit-il – d’après le revers de médailles antiques grecques et romaines montrant le lion avec la massue d’Hercule. Cf. Simeoni 1556, fol. 60v., 61r., 69r. et 76v.. 91
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Fig. 4 : Gabriele Simeoni, Discours Francois, Toscan, et Latin... « POUR UN’ HIPOCRITE », fol. 60v., Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Cod. Ashburnham 1376, c. 63v. © MiBACT.
Fig. 5 : Gabriele Simeoni, Discours Francois, Toscan, et Latin...« POVR VN songè malicè », fol. 63r., Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Cod. Ashburnham 1376, c. 64r. © MiBACT.
Fig. 6 : Gabriele Simeoni, Discours Francois, Toscan, et Latin... « POVR VN GLORIEVX », fol. 69r., Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Cod. Ashburnham 1376, c. 2r. © MiBACT.
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Dans le manuscrit, Simeoni a aussi noté des devises non encore personnalisées, qui sont positives : pour un serviteur fidèle, pour des capitaines indépendants et courageux et pour un prince qui cherche la paix – non retenu pour la publication – (fig. 7), pour celui qui meurt dans une entreprise risquée (fig. 8), pour le citoyen exemplaire, pour l’amoureux abandonné, et pour celui qui n’est pas en quête de choses périssables98. A cause de leurs messages universels et du contenu de leurs images, qui dans la pictura montrent des figures humaines au lieu d’un propriétaire réel, ces devises sont plutôt des emblèmes moralisateurs et didactiques, mais traités sous la forme d’une devise99.
Fig. 7 : Gabriele Simeoni, Discours Francois, Toscan, et Latin... « POVR VNE PAIX PERPETVELLE », fol. 69v., Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Cod. Ashburnham 1376, c. 69r. © MiBACT.
98 Les images des ces trois dernières montrent le sacrifice de Marc Curtius intitulé AMOVR DE LA PATRIE, le suicide de Didon intitulé AMOVR INGRAT et probablement – selon la description de Simeoni, plus haut sur la même page – la personnification de l’Éternité, une femme ailée posant les pieds sur un livre et un morion, tenant le Soleil et la Lune dans ses mains. La page est découpée, il y manque l’illustration de la devise décrite ci-dessus, NON EST MORTALE QVOD OPTO. (Simeoni 1574, p. 192, 196 et 210-211 ; Simeoni 1556, fol. 69v., 70v. et 75r.-76r.) 99 Cf. Bregoli-Russo 1990, p. 17 ; Drysdall 1992, p. 23 et 29 ; Russell 1995, p. 115.
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Fig. 8 : Gabriele Simeoni, Discours Francois, Toscan, et Latin... « MAGNIS TAMEN EXCIDIT AVSIS », fol. 70v., Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Cod. Ashburnham 1376, c. 70v. © MiBACT.
Les devises « jamais vues » Le manuscrit de Simeoni comporte encore deux devises inédites : l’une traite de la différence entre les hommes (fig. 9) et l’autre de la louange que l’on s’accorde à soi-même (fig. 10)100. Ces devises ne sont pas non plus faites pour des propriétaires individuels identifiés. A la différence des devises hypothétiques, elles ne figurent pas d’êtres humains. Simeoni les a créées pour des humanistes extraordinaires, ce qu’il justifie en disant que les humanistes sont célestes en comparaison avec les autres hommes, et que celui qui a une solide motivation a tout à fait le droit de se louer, car les grands hommes de l’Antiquité le faisaient déjà101. En somme, ces deux messages portent la même signification qui est comme l’autoportrait astrologique de Simeoni102. Cette marque – qui se trouve chaque fois sur la page de titre – est la seule devise encore conservée dans ce manuscrit et dans ses ouvrages imprimés par Rouillé103. On peut donc considérer que ces deux devises s’appliquaient à Simeoni lui-même.
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Simeoni 1556, fol. 65r. et 71r.-v. Notamment Cicéron, Virgile, Aristote, Pline, Titus, César, Pompée et Auguste ; ibid., fol.71r.. 102 Cf. Gabriele 2016, p. 173-182. 103 Simeoni 1556, fol. 2v. ; Simeoni 1559, p. 2 ; Simeoni 1574, p. 168. 101
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Fig. 9 : Gabriele Simeoni, Discours Francois, Toscan, et Latin... « DIFFERENCE DES HOMMES », fol. 65r., Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Cod. Ashburnham 1376, c. 65r. © MiBACT.
Fig. 10 : Gabriele Simeoni, Discours Francois, Toscan, et Latin... « POVR LA LOVENGE DE SOI MESME », fol. 71v., Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Cod. Ashburnham 1376, c. 71v. © MiBACT.
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Le débat sur la figure humaine Le manuscrit de Simeoni constitue une collection d’une grande variété. Certaines de ses inventions ressemblent souvent beaucoup à des emblèmes104. La différence entre un emblème et une devise fut relevée pour la première fois par Paolo Giovio en 1551105. Les cinq conditions qu’il a prescrites dans son Dialogo106, ne constituent pas une définition107. Le 104
Russell 1985, p. 142 ; Tung 1987, p. 87; cité d’après Lippincott 1990, p. 66. Créées à la fin du XIVe siècle pour échapper au système visuel de l’héraldique, qui permettait l’identification de son propriétaire mais dont le système était devenu trop rigide, les devises ont elles aussi perdu leur aspect vital au milieu du XVIe siècle. (Ibid., p. 50-51). Les devises exprimaient la mémoire de la vertu ou de victoire, ou l’annonce d’une noble emprise à réaliser, d’où le nom « impresa » [entreprise]. Voir Tung 1987, p. 87; cité après Lippincott 1990, p. 66. La traduction italienne « impresa » du moyen français « emprise » fut favorisée par la nostalgie des légendes chevaleresques. Au XVIIe siècle, Langlois et Jean Nicot ont essayé de distinguer « emprise » (dirigée vers une action à venir) et « devise » (inscription sur une médaille commémorative). Voir Russell 1985, p. 65-66. Michel Pastoureau voit l’origine de l’impresa dans les badges de la seconde moitié du XIVe siècle, avec leurs paroles brèves et leur accent personnel. (Maffei 2008, p. 151). Pour Garzoni une impresa est un monumentum. Elle sert comme outil mnémotechnique pour un acte de bravoure et d‘honneur déjà accompli ou encore à entreprendre. (Garzoni 1996, p. 116 ; Calabritto 2003, p. 116). À partir de la seconde moitié du XVe siècle, la devise se charge de sous-entendus et d’allégories qui la transforment en impresa. (Ames-Lewis 1979, p. 124-125). Le Dialogo de Giovio marque l’apogée de cette évolution dont il rappelle les étapes sans s’arrêter sur la structuale duale de la devise. 106 « Prima, giusta proportione d’anima & di corpo; Seconda, ch’ella non sia oscura, di sorte, c’ habbia mistero della Sibilla per interprete a volerla intendere; ne tanto chiara, ch’ogni plebeo l’intenda; Terza, che sopra tutto habbia bella vista, laqual si fa riuscire molto allegra, entrandoui stelle, Soli, Lune, fuoco, acqua, arbori verdeggianti, instrumenti mecanici, animali bizzarri, & uccelli fantastichi. Quarta non ricerca alcuna forma humana. Quinta richiede il motto, che è l’anima del corpo, & vuole essere communemente d’una lingua diuersa dall’Idioma di colui, che fa l’impresa, perche il sentimento sia alquanto più coperto: vuole anco essere breue: ma non tanto, che si faccia dubbioso; di sorte che di due ò tre parole quadra benißimo, eccetto se fusse in forma di verso, ò intero, ò spezzato. » (Giovio 1574, p. 12). [Premièrement, une proportion juste entre l’âme et le corps. Deuxièmement, qu’elle ni soit si obscure de la façon d’une énigme de la Sybille, qui demande un interprète pour être entendue, ni si claire, qu’elle soit comprise de tous ; troisièmement, qu’elle soit tout d’abord belle à regarder, ce qui se réussit facilement, en y introduisant des étoiles, des soleils, des lunes, du feu, de l’eau, des arbres verts, des instruments, des animaux bizarres et des oiseaux fantastiques. Quatrièmement, elle ne cherchera pas de forme humaine. Cinquièmement, elle demande que les mots, qui sont l’âme du corps, soient composés en un langue différente de celle qui est parlée naturellement par la personne qui fait l’emprise, parce qu’ainsi la pensée sera plus couverte : en outre, la phrase doit être courte, pas au point qu’elle devienne ambiguë, mais qu’elle soit très bien représentée par deux ou trois mots, sauf si elle est en vers, brisé ou non.] 107 Selon Dorigen Caldwell, Jacopo Sannazaro avait déjà élaboré les différences entre les armes héraldiques et les imprese dans une lettre qui nous est parvenue sans date [1506-1530]. Voir Drysdall 2008, p. 266. La première définition valable d’une impresa comme véhicule d’un concept personnel, occasionnel et intellectuel, fut procurée par Girolamo Ruscelli. (Bregoli-Russo 1990, p. 11. Drysdall 1992, p. 27). 105
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Dialogo de Giovio n’est qu’une autre collection de devises en général, non un traité théorique108. Cependant, avec la quatrième condition – ne pas figurer d’êtres humains – Giovio présente au moins une differentia specifica avec le genus proximum des emblèmes d’Alciat109. En cela, il est le premier des inventeurs d’imprese qui propose de composer le corps pictural des devises sans figuration humaine110. Cette qualité reste essentielle pour la constitution d’un syllogisme dans lequel la signification métaphorique de la devise se transmet à son propriétaire111. Le débat théorique sur les caractéristiques et la fonction des imprese dura encore une centaine d’années après la mort de Giovio112. Scipione Ammirato critique Giovio pour l’emploi arbitraire des termes, au point que l’impresa se différencie peu des fables d’Esope113. En 1561, Doni se moque de la vogue des collections bibliographiques de devises114. En effet, Giovio ne présente aucun exemple d’une impresa parfaite selon ses cinq conditions. Les trois quarts des imprese gioviennes ne fonctionnent pas, constate Ruscelli en 1566, parce qu’elles ne contiennent qu’un rébus ou une devinette, dans laquelle c’est le son des noms des choses figurées dans l’image qui révèle la signification115. C’est exagéré, car parmi les xylographies du livre de Giovio, 50% représentent des fictions116, environ 7,8% d’entre elles n’ont pas la proportion complémentaire117, 4,9% représentent des formes 108
Russell 1985, p. 38 ; Arbizzoni 2002, p. 12. Scholz 2002, p. 35, 66, et 188. 110 Calabritto 2003, p. 113 ; Tèoli 1863, p. X. Torquato Tasso et Giulio Cesare Cappaccio défendirent par contre plus tard l’emploi de la figure humaine dans les imprese. (Tasso 1958, p. 1121 ; Cappaccio 1592 ; voir Caldwell 2001, p. 194. Calabritto 2003, p. 113). 111 Fait remarquable, la signification de la devise correspond toujours aux symboles conventionnels. (Russell 1985, p. 51). 112 En Italie, Scipione Ammirato (1562), Bargagli (1589) et Tasso (1594) eurent un intérêt particulier pour les imprese. (Erffa 1964, p. 75. Bregoli-Russo 1990, p. 114). Le Dialogo de Giovo fut un point de départ au XVIe siècle pour d’autres ouvrages importants sur les imprese (Pittoni, Giulio Cesare Capaccio), outre ceux de Ruscelli, Domenichi et Simeoni. Nicolaus Reusner compila une collection des devises des empereurs romains. (Erffa 1964, p. 75). Au XVIIe siècle, le Teatro d’imprese de Giovanni Ferro prolonge ce courant. (Ferro 1623; Perry 1977, p. 679). Ces auteurs acceptaient les règles de Giovio sans en faire la promotion, non à cause de leurs qualités mais parce que l’on tolérait leurs défauts. (Arbizzoni 2002, p. 11). 113 Ammirato 1562, p. 39; cité d’après Arbizzoni 2002, p. 12. 114 « In verità ce ne sono molte [imprese] e di molti personaggi che arebbon piuttosto bisogno di favola per titolo che d’istoria ». [En réalité il y en a beaucoup [des devises et des personnes] qui méritent plutôt le nom de fables que celui d‘histoire]. (Volterrani 2008, p. 255256). 115 Ruscelli 1556, p. 177, 197-198 ; Arbizzoni 2002, p. 26-27. Il est vrai que les conditions de Giovio ne se laissent pas appliquer aux premières imprese de la fin du XVe siècle. Russell 1985, p. 29. 116 Cf. Giovio 1574, p. 14, 31, 34-35, 38, 44, 53-55, 61-62, 64-77, 79-81, 84-87, 94-104, 110113, 115-116, 119-121, 124-125, 127-135, 137-138, 142-143, 145-146, 151-152, 157-162 et 166-167. 117 Cf. ibid., p. 14, 66, 115-116, 124-125, 128-130, 134, 138-139 et 145-146. 109
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humaines118, 3,9% manquent de métaphore119, 3,4% sont fragmentaires120, 0,9% restent anonymes121. Dans son dialogue, Giovio décrit 148 devises diverses, discutant des exemples incomplets ainsi que les faux. Souvent ces derniers – étant en majorité des devises onomatopéiques – ne sont pas accompagnés d’une illustration122. Malgré tout, dans le seul manuscrit restant du dialogue giovien, sur les 20 illustrations conservées, une seule montre un homme, Atlas123. Nullement gêné, Giovio estima poétique cette composition ratée124. Ainsi la figuration humaine d’un personnage mythologique ne va-t-elle pas à l’encontre les conditions gioviennes. La figure humaine dans l’image d’une impresa provoque une tautologie parce que la personne qui la portera comme bijou ou ornement vestimentaire sera visible deux fois125. Or cette devise avec Atlas resta fictive et ne put encourir cette critique. Pareillement, la représentation d’êtres humains très velus n’est pas en conflit avec l’idée de la quatrième condition, parce que la société du XVIe siècle les considère comme mirabilis126. De même, on admettra les personnages exceptionnels qui cachent des allégories, appartiennent à l’Antiquité romaine ou les défunts127. Boissière et Ruscelli étendaient cette exception aux géants, aux nains et à d’autres humanoïdes128. L’intention était d’exclure entièrement la figure humaine car elle empêche la cristallisation symbolique129. Les inventions morales de Simeoni Les inventions de Simeoni s’intitulent Les devises ou emblèmes parce que sur 14 des 39 devises imprimées se voient des figures humaines. Mais il faut remarquer que cinq d’entre elles se rangent parmi les devises parce que le personnage y est vêtu à l’antique130. Par ailleurs, si l’on considère les 27 autres « devises » restées manuscrites, pour six des 14 images exhibant des 118
Cf. ibid., p. 44, 102-103, 127-130 et 138-139. Cf. ibid., p. 38, 48-51 et 165-166. 120 Cf. ibid., p. 47, 50-51, 69-70 et 155-156. 121 Cf. ibid., p. 128-130. 122 Ibid., p. 12. Giovio [1551], fol. 6v.-7r. 123 Cf. Giovio 1984. 124 Giovio [1551], fol. 21v.. 125 Russell 1985, p. 50 et 52. 126 Cf. Simeoni 1556, fol. 48r. et 56r. ; Giovio 1574, p. 102 et 127. 127 Cf. Simeoni 1556, fol. 17v. et 56v. ; Giovio 1574, p. 43 et 128. La même règle s’applique pour les parties du corps humain. (Calabritto 2003 p. 118). L’un de ces auteurs était par exemple Francesco Lanci. (Arbizzoni 2002, p. 75). 128 Simeoni 1556, fol. 39v. ; Giovio 1574, p. 149. 129 Ainsi Bouhours déclare que l’image d’une devise ne doit même pas figurer des créatures inexistantes. Russell 1985, p. 145. 130 Simeoni 1574, p. 168, 183, 185, 188-190, 192-193, 197, 201, 203, 210-211 et 213. 119
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figures humaines l’auteur a fait le choix de personnages antiques131. Plus précisément, trois d’entre elles illustrent des scènes de la mythologie classique, une seule est consacrée à une scène de l’Ancien Testament et deux illustrent des scènes de l’histoire romaine132. Il en résulte donc, comme le signalait Alessandro Farra, que le contenu des imprese peut être rangé en trois catégories : les légendes, l’histoire et la nature133. En effet, 12 des créations de Simeoni montrent les objets de la vie contemporaine, et donc de la vie « naturelle »134. Il faut admettre que l’ébauche simeonienne, qui comporte aujourd’hui 122 illustrations, n’est plus complète. Son index précise que les feuilles perdues contenaient quelques autres devises qui plus tard furent interprétées dans les xylographies135. En revanche, cet ouvrage conserve aussi 28 devises additionnelles de Simeoni. Le titre du manuscrit indique qu’il y en avait bien 76 en tout, de son invention. En effet, parmi les feuilles perdues se trouvaient les 36 devises de Simeoni que Rouillé publia également à partir de 1559. Seule la marque de l’auteur, mis en valeur au début de l’œuvre, a survécu. En résumé, Simeoni aurait pu faire un choix plus homogène des picturae. Mais il était bien conscient que beaucoup de ces devises étaient copiées d’après d’autres auteurs136. Le reste – outre les six devises réelles relatives à des contemporains illustres – se composait de devises inspirées par Platon, Plaute, Térence, Cicéron, Virgile, Ovide, Catulle et Pétrarque137. Bien que les « devises » de Simeoni aient été produites en France, ce sont à tous égards des variations italiennes sur l’impresa138. Ainsi, Simeoni établit un lien direct entre la Renaissance italienne et le 131
Simeoni 1556, fol. 60v., 63r.-v., 69r.-70v., 73v., 74v.-75v. et 77v.. Notamment: 1.) Phaéton, Persée & Andromède et Didon; 2.) Samson; 3.) Marc us Curtius et Scipio ; ibid., fol. 70v., 73v., 74v.-75v. et 77v.. 133 Farra 1571, p. 273 ; Calabritto 2003, p. 116. 134 Simeoni 1556, fol. 65r.-v., 66v.-68v., 71r.-73r. et 74r.. 135 Ibid., fol. 3r.-6r.. 136 Ibid., fol. 60r., 63v., 65v., 67r.-68v. 137 Ibid., fol. 60v. Cf. Jean 20:29 : Beati qui non viderunt et crediderunt. Simeoni 1556, fol. 69v. Cf. Platon, Nomoi VIII ; Ciceron, Philippica VII ; Nepos, Epminondas 5.4 ; F. Vegetius Renatus, De rei militari III (Qui desiderat pacem, bellum praeparat). Simeoni 1556, fol. 65r. Cf. Térence, Eunuchus, II.ii.23 (Di inmortales, homini homo quid praestat ? Stulto intellegens quid inter est ?) Simeoni 1556, fol. 71r. Cf. Cicéron, Pro Milone (Res ipsa loquitur). Simeoni 1556, fol. 69r. et 70v. Cf. Virgile : Demens qui nimbes & non imitabile fulmen AE è & cornipedum cursu simularat ignorum et Et pulchrum mori succurret in armis ; Ovide, Métamorphoses II.327 f. (Hic situs est Phaëthon, currus auriga paterni, quem si non tenuit, magnis tamen excidit ausis) ; Pétrarque: « un bel morir tutta la vita honora ». Simeoni 1556, fol. 75r. Cf. Virgile, Énéide 6, 823: Vincet amor patriae laudumque immensa cupido. Simeoni 1556, fol. 75v. Cf. Catulle V.6 : ex hoc ingrat. Simeoni 1556, fol. 76r. Cf. Ovide, Métamorphoses II.56 [Phoebé à Phaéton] : Sors tua mortalis, non est mortale, quod optas. Simeoni 1556, fol. 76v. Cf. Plaute, Amphitryon, Prologue, I.78 : Virtute, dixit, vos vistores vivere, Non ambitione, necque perfidia, qui minus Eadem histrioni sit lex, quae summo viro ? Virtute ambire oportet, non favitoribus. 138 Cf. Russell 1985, p. 143; Bregoli-Russo 1990, p. 10. 132
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mouvement intellectuel à Lyon, où avec les publications posthume du Dialogo de Giovio, il invite à réfléchir à la systématisation des différentes formes de devises139. Mais tandis que l’Arcimaestro Giovio conservait la tradition de l’exclusivité, Simeoni renforça la tendance contraire, le souci de la clarté et l’effort pour s’engager dans la voie didactique140. Il faut se souvenir que Simeoni était intéressé surtout par la protection libérale d’un commanditaire141. Ce vagabond parfois aigri souligna assez souvent l’égalité des hommes devant la mort et la valeur de la noblesse d’esprit142. Ses inventions sont assez répétitives, et elles apparaissent aussi dans l’ensemble comme une collection d’emblèmes plutôt moralisateurs143. Comme poète, Simeoni était relativement talentueux. Rouillé a imprimé toute l’œuvre poétique que Simeoni a produite quelques années après le Dialogo. La structure typographique de la page de ces Tetrastiques rappelle aussi l’emblème144. Ce style typographique d’Alciat avait déjà été employé en 1551 par Jean de Tournes et Guillaume Gazeau pour les Devises Heroïques de Paradin145. Un an plus tard, les inventions déjà imprimées de Simeoni furent publiées avec les devises de Paradin chez Plantin à Anvers, d’abord sous le titre Les devises heroïques puis en latin comme Heroica Symbola146. Combinées avec le Dialogo de Giovio et les Devises de Paradin, les inventions de Simeoni devinrent alors des succès de librairie147. Mais c’est dans la première de ces éditions que Simeoni, en mettant à l’honneur la dédicace d’auteur, la preuve de sa propre innovation et de son indépendance148.
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Praz 1964, p. 74 ; Russell 1985, pp. 38-39 ; Bregoli-Russo 1990, pp. 22 et 113 ; Arbizzoni 2002, p. 11 ; cf. Gatti 2008, p. 185. 140 Cf. Lippincott 1990, p. 54. 141 Simeoni 1556, fol. 60v., 63r., 65v., 68v., 69r., 74r. ; Simeoni 1574, p. 183-185, 188, 193194, 196, 206-209, 211-215. 142 Simeoni 1556, fol. 63v., 65r., 68r., 70v., 71r.-v., 72r., 75r., 76r.-v. ; Simeoni 1574, p. 168, 177, 179-180, 184, 189-192, 195, 197, 199, 201-205, 210-211. 143 D’après ces observations, l’attitude de Simeoni inclinerait plutôt vers la Réforme protestante ; son orthodoxie prête ici à discussion. 144 Simeoni 1560 ; Saunders 1988, p. 11-12 ; Scholz 2002, p. 22-23. 145 Paradin 1551. 146 Paradin / Simeoni 1561. Paradin / Symeoni 1562; Praz 1964, p. 74 ; Erffa 1964, p. 89. 147 Wesseling 2008, p. 110 ; Cooper 2016, p. 297. 148 Il dédiât « Imprese heroiche e morali », au 15. mai 1559 au Duc Anne de Montmorency. Cf. Simeoni 1574, p. 170. Vogel 1999, p. 236.
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Les emblèmes pour le baptême de Charles Emmanuel de Savoie dans les Pastorales de Jean Grangier Daniele Speziari, Université de Vérone Composées dans le contexte des festivités pour le baptême du prince Charles Emmanuel de Savoie célébré le 9 mars 1567, les Pastorales sur le baptesme de Monseigneur Charles Emanuel du mystérieux « Jean Grangier Lorrain », dont il ne subsiste aujourd'hui que deux exemplaires à Turin149, ne seront publiées que l'année suivante à Chambéry chez François Pomar, « imprimeur et libraire ordinaire » du duc de Savoie au moins depuis 1563150. À la fois chronique des cérémonies et traité des vices et des vertus à l'intention du petit prince mais aussi de la société en général, les Pastorales se présentent sous la forme d'un prosimètre ayant pour protagonistes trois bergers qui renvoient, bien probablement, à autant de membres de la cour francophone de Marguerite de France, duchesse de Savoie. Si l'occasion, le contexte et les enjeux politiques de la publication sont assez évidents, l'ouvrage n'en demeure pas moins énigmatique, à commencer par l'identité de son auteur, Jean Grangier, dont nous ignorons quasiment tout, faute de documents susceptibles de nous éclairer sur son parcours et sur ses liens avec la maison de Savoie. Les Pastorales se caractérisent également par une grande complexité, car elles se nourrissent d'inspirations et de modèles différents, à l'échelle européenne. C'est bien cette dimension, à la croisée des genres et des cultures, que nous souhaitons approfondir dans cet article, en nous focalisant surtout sur la partie la plus fascinante mais aussi problématique, à savoir le recueil d'emblèmes « nus » qui occupe le cœur de l'ouvrage. Comme les Pastorales de Grangier sont encore peu connues dans le domaine des études seiziémistes, il nous paraît utile de rappeler brièvement leur contenu. Ayant été témoin des cérémonies pour le baptême du petit prince de Savoie, le berger Jullion revient auprès de ses compagnons Louyset (Louis de Rochefort) et Janot (sans doute Jean Grangier lui-même) leur raconter le déroulement des festivités et l'itinéraire qu'il a accompli à travers de somptueuses salles richement ornées. Deux d'entre elles vont 149
PASTORALES/SUR LE BAPTESME/DE MONSEIGNEUR CHARLES/EMANUEL, PRINCE/DE PIEDMONT./Par I. Grangier, Lorrain/Avecques un Recueil de quelques Odes et Sonnetz Faictz par le mesme aucteur/[Marque]/Imprimé à Chamberi, par Françoys Pomar leyné/AVEC PRIVILEGE/1568//. Exemplaires : Turin, ASTO, Biblioteca Antica I.VII.38 ; Turin, Biblioteca Reale, G.2.19. Sur ce texte, voir Gorris Camos 2014. 150 À cette date il reçoit en effet, de la part du duc Emmanuel-Philibert, la permission d'imprimer, vendre et distribuer ses édits, voir Dufour/Rabut 1998, p. p. 46. Pomar venait justement d'imprimer, en 1567, un Brief recueil des edicts de tresillustre Prince Emanuel Philibert.
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retenir notre attention au cours d'une longue partie de l'ouvrage : les parois de la première, la grande salle où s'est déroulé le banquet, sont en effet tendues de douze tapisseries magnifiques représentant autant d'épisodes de la vie de Cyrus, roi de Perse, avec, dans les bords, une longue série (« un nombre infiny », p. 37) d'images d'animaux. La description de ces dernières donne lieu, dans le texte, à un véritable recueil d'emblèmes151152 reproduisant la structure triplex canonique : chaque fois, nous lisons une ekphrasis, une devise latine (accompagnée de sa traduction en français) et un court poème (le plus souvent un quatrain) inspiré par les sujets décrits, avec l'ajout d'une explication offerte par la bergère genevoise Violante, guide de Jullion dans la compréhension de la signification de ces images. Le filtre est donc double, pour nous lecteurs, tout comme, dans la fiction, pour les deux bergers Louyset et Janot : non seulement nous regardons à travers les yeux et la mémoire de Jullion, mais aussi nous interprétons à partir de l'exégèse qui est offerte par Violante. La même situation se produit dans la deuxième salle, où nous voyons le petit prince « Charlot » assis sur un lit de parade et attendant qu'on vienne le chercher pour le baptême (p. 80) : plus petite que la première, elle n'en est pas moins ornée, elle aussi, d'un grand nombre de tapisseries, dix-neuf, contenant les armoiries des ducs de Savoie, Emmanuel-Philibert et Marguerite, et une nouvelle série d'emblèmes (neuf), moins homogène que la précédente du point de vue des sujets : si cette fois c'est le végétal qui domine, avec un riche répertoire de plantes et fleurs (la fougère, la chicorée, l'amaranthe...), nous trouvons également le rameau d'or de l'Énéide et, par deux fois, le flambeau (troisième et cinquième devises). Les Pastorales : un recueil d'emblemata nuda ? Les Pastorales de Grangier, qui nous plongent dans ces salles tendues de tapisseries, réalisent donc l'union des arts visuels et de la littérature, suivant en cela le modèle de la Bergerie de Remy Belleau (1565), un prosimètre qui évoque trois fêtes différentes ayant caractérisé la vie publique des Lorraine à Joinville entre la fin des années 1550 et le début de la décennie suivante : le mariage de Claude de France et de Charles de Lorraine, la naissance, puis le baptême de leur premier fils Henri153. Étant lui-même « Lorrain », Jean Grangier était sans doute bien placé pour connaître cet ouvrage, qui fait une large place aux riches trésors de cette famille (tapisseries et autres objets 151
Pour une bibliographie sur l'emblème en France, cf. Grove/Russell 2000. À cette date il reçoit en effet, de la part du duc Emmanuel-Philibert, la permission d'imprimer, vendre et distribuer ses édits, voir Dufour/Rabut 1998, p. 44-51 : p. 46. Pomar venait justement d'imprimer, en 1567, un Brief recueil des edicts de tresillustre Prince Emanuel Philibert. 153 Voir la « Postface » de Marie Madeleine Fontaine : Belleau 2001, p. 230-232. 152
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d'art) et qu'il prend manifestement comme modèle pour son propre prosimètre des Pastorales. Dans le texte de Grangier l'imbrication des langages et des formes assume cependant un degré de complexité encore plus remarquable. Non seulement, comme chez Belleau, de nombreuses œuvres d'art y font leur apparition dès les premières pages (nous trouvons par exemple, p. 15, la description d'un tableau qui aurait été offert par Janot au jeune « Charlot »), mais, surtout, l'évocation de l'art de la tapisserie permet au prosimètre pastoral de se transformer, l'espace d'une cinquantaine de pages, en recueil d'emblèmes154. Le mot est d'ailleurs employé par Jullion dans son dialogue avec la bergère Violante : « ô Violente (car elle s'apelle ainsi) si je ne te fasche point, je te prie m'estre encores interprete de tant de beaux emblesmes que je voy cy […] » (p. 37, nous soulignons). Les images étant remplacées par des ekphraseis, il nous paraît légitime de parler, pour cette partie des Pastorales de Grangier, d'emblemata nuda, qui n'étaient pas inconnus en France vers la moitié du XVIe siècle et dont les origines pourraient remonter directement à Alciat155. Pour le juriste milanais, l'emblème n'était rien d'autre qu'une forme particulière d'épigramme156, comme le prouve l'histoire éditoriale de son Emblematum liber, qui sous sa forme initiale (c'est-à-dire dans le projet des années 1520) ne comportait pas d'illustrations. Même après le succès extraordinaire des éditions illustrées (à partir de la célèbre édition Steyner de 1531), le texte des Emblemata d'Alciat sera à nouveau reproduit, dépourvu d'images, dans les éditions de ses œuvres de 1548 (Lyon) et de 1549 (Bâle), autorisées par l'auteur. En France, c'est surtout à l'imprimeur lyonnais Denis de Harsy que nous devons des recueils d'emblemata nuda. Vers 1540 il publie en effet des éditions non illustrées de trois livres d'emblèmes : les Emblemata d'Alciat, l'Hecatomgraphie de Gilles Corrozet et Le Theatre des bons engins de Guillaume de La Perrière. Même si cette entreprise éditoriale pouvait apparaître comme un retour à la conception originelle de l'emblème comme épigramme, les raisons qui l'avaient motivée étaient avant tout d'ordre commercial, car cette publication sans illustrations permettait à Denis de Harsy de tirer profit de la vogue du recueil d'emblèmes tout en réduisant considérablement les coûts et les temps de fabrication. Selon la présentation en cercles concentriques proposée par David Graham à l'Annual Meeting de la RSA à Boston (2016), les épigrammes ou emblèmes nus (premier cercle) devraient être considérés comme des « protoemblèmes » (« proto-emblems ») pouvant évoluer, après l'ajout des images, en des emblèmes à part entière (deuxième cercle). Les emblèmes, à leur tour, peuvent donner lieu à des « emblematic reminiscences » (troisième et 154
Ces emblèmes occupent les p. 37-90. Sur les emblemata nuda nous renvoyons à Graham 2016. 156 Cf. Miedema 1968. 155
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dernier cercle), c'est-à-dire à des formes littéraires et artistiques dérivées ou faisant allusion à l'univers de l'emblème. La question qui se pose est donc de déterminer à quelle catégorie appartiennent les Pastorales de Grangier. En effet, si l'ouvrage ne reproduit pas d'images, il ne faudrait pas croire qu'elles n'ont jamais existé, bien au contraire. Il est tout à fait possible que les premiers lecteurs des Pastorales, tout comme le berger Jullion, aient pu admirer les « emblesmes » directement dans les tapisseries utilisées pour la cérémonie du baptême. Il se trouve en effet que, vers la fin de la Renaissance, les bordures des tapisseries tendaient à s'enrichir de médaillons dotés d'une plus grande autonomie et d'une iconographie propre, parallèle ou non à celle du thème principal157 : dans notre cas, les emblèmes des animaux par rapport aux épisodes de la vie de Cyrus. Les « proto-emblèmes » de Grangier pourraient alors être considérés comme des emblèmes à part entière, la lecture du texte étant complétée par la vision des images peintes dans les bordures des tapisseries réelles. On serait donc en présence d'une forme spéciale de complémentarité entre littérature et art, entre texte et image. Les images sont ailleurs. La vie de Cyrus dans des tapisseries flamandes à Madrid et à Turin Le problème qui se pose pour les tapisseries des Pastorales est finalement le même que pour les œuvres d'art décrites dans la Bergerie de Belleau, c'est-àdire savoir si elles ont réellement existé ou si elles ne sont que le produit de l'imagination de l'auteur. D'ailleurs, étant donné le lien de filiation évident qui existe entre les deux ouvrages, nous pensons que, pour cette même question, il faut donner une même réponse. À propos de la Bergerie, les avis ont longtemps été partagés : si Michel Jeanneret affirmait que « l'œuvre évoquée a bien des chances d'être fictive »158, Marie-Madeleine Fontaine insistait au contraire, plus récemment, sur son existence réelle, témoignée par de nombreux documents, entre autres, par les inventaires des tapisseries159. Comme elle l'explique d'une manière fort convaincante, les problèmes que nous rencontrons dans l'interprétation de textes comme celui de Belleau tiennent à notre conception du rapport entre l'observation d'un objet et son passage à l'écriture, le décalage culturel nous empêchant de saisir la nature de cette inspiration : « La brutalité peu scrupuleuse des analyses modernes prend le détachement pour de l'idéalisme ou, tout au contraire, la précision pour de la description, alors que les scrupuleux visionnaires de la Renaissance sont simplement libres, sans évanescence, 157
Delmarcel 1999, p. 14-15. Jeanneret 1970, p. 1-13 : p. 2. 159 Belleau 2001, p. 245. 158
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mais sans servilité non plus au modèle qui est sous leurs yeux, ce qui ne suppose pas qu'ils sont sans précision. »160 Pour reprendre les mots de Marie-Madeleine Fontaine, nous dirons alors que, dans les Pastorales aussi, « rien n'est vraiment vrai, et rien n'est faux »161. Ici encore, des documents viennent attester l'existence du cycle de tapisseries de la grande salle (l' « histoire muette » de Cyrus décrite par Jullion via Violante, à partir de la p. 31) : nous savons en effet qu'en 1564 le duc Emmanuel-Philibert avait fait venir des Flandres, et plus précisément des ateliers Gheetels de Bruxelles, douze tapisseries tissées en or, argent et soie, maintenant perdues, consacrées à ce même sujet et qu'il allait encore les utiliser en 1574 lors du passage d'Henri IIIe162. Or il n'est pas sans intérêt que la couronne d'Espagne se soit intéressée, à peu près à la même époque, à l'histoire de ce grand roi de Perse : quelques années avant que le duc de Savoie ne prenne la même initiative, Philippe II avait lui aussi commandé une série de dix pièces sur la Vie de Cyrus le Grand au cours de son dernier séjour dans les Pays-Bas, entre 1555 et 1559163. Aujourd'hui conservée à Madrid (Patrimonio Nacional de España), cette série aurait été exécutée dans l'atelier bruxellois de François Gheteels d'après des modèles du peintre Michel Coxcie, originaire de Malines et actif à Bruxelles au cours des années 1550164. Les bordures de ces tapisseries contiennent, dans la partie inférieure, des représentations de la Guerre et de la Paix, des scènes de la Genèse et, surtout, des allégories animales, dont la mode fleurit à Bruxelles pendant la seconde moitié du XVIe siècle : ces fables en raccourci répondaient au goût traditionnel des Flamands pour les proverbes165. Les manufactures de tapisseries puisaient ces sujets dans des sources différentes : Pline, le Physiologus (recueil d'anecdotes remontant au Ve siècle environ), Isidore de Séville, Vincent de Beauvais et d'autres encore166. La question est de savoir si Emmanuel-Philibert avait eu recours lui aussi aux modèles de Coxcie, c'est-à-dire s'il y avait identité de sujets entre les tapisseries commandées par Philippe II et celles qui figuraient dans la « grande salle » décrite par Grangier. Nous croyons que le duc avait d'abord 160
Ibid., p. 258. Ibid., p. 246. 162 ASTO, Camerale, Tesoreria Generale di Piemonte, art. 86, reg. année 1564, partite nn. 111-139, cité par Gorris Camos 2014. 163 Delmarcel 1999, p. 131-132. Comme ces tapisseries se trouvaient à Toledo en 1560, il est possible de dater leur exécution de 1557-1558 au plus tard, d'après Campbell 2002, p. 401. Nous signalons, au passage, qu'à l'époque du baptême de Charles-Emmanuel, une autre série de tapisseries consacrées à la Vie de Cyrus (treize pièces au total) était en train d'être réalisée par Stradanus (Jan van der Straet) à Florence (Palazzo Vecchio), cf. ibid., p. 503. 164 Delmarcel 1999, p. 116. Sur cette Histoire de Cyrus voir aussi Valencia de Don Juan 1903 et Sanchez Cantón 1919. 165 Tervarent 1968, p. 5. 166 Ibid., p. 7. 161
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pu admirer ces tapisseries pendant qu'il était gouverneur des Pays-Bas et qu'il avait ensuite exprimé le souhait d'en posséder, lui aussi, des exemplaires. Ce qui est sûr, c'est que les deux séries se terminaient par l'épisode de Tomyris plongeant la tête de Cyrus dans un tonneau de sang167, à cette différence près que les pièces turinoises étaient censées être au nombre de douze, si l'on en croit Grangier, et non de dix. Nous ne doutons pas que Grangier avait vu, ou du moins avait eu connaissance des tapisseries commandées par Emmanuel-Philibert, ce qui implique qu'il avait également eu sous les yeux les allégories animales, que nous imaginons encadrer, dans la partie inférieure de chaque pièce, les épisodes de la vie de Cyrus. Si le roi de Perse représentait une incarnation dans l'Histoire du modèle de souverain vertueux, dont le petit Charles Emmanuel était appelé à s'inspirer, les images des animaux permettaient, quant à eux, d'envisager ces mêmes vertus d'un point de vue plus « universel » : cette série dans les bordures en viendrait ainsi à compléter les significations véhiculées dans la série principale. L'auteur des Pastorales aurait donc repris ces animaux symboliques pour en faire un véritable recueil d'emblèmes. Or il ne s'est pas limité à reproduire fidèlement les images qu'il avait pu contempler dans les tapisseries mais il les a réinterprétées, voire altérées, à partir de son vécu personnel, de sa sensibilité et de ses convictions. En effet Grangier, alias Janot, a inséré des éléments qui renvoient à sa propre expérience de vie tourmentée, qu'il ne s'efforce pas de cacher, bien au contraire : les allusions à ses malheurs sont fréquentes, comme s'il voulait mettre en avant sa personnalité malgré (ou pour compenser) l'utilisation probable d'un pseudonyme. En l'espace de quelques pages, il se peint en victime de la tromperie (p. 46), il se compare au castor ayant expérimenté les « mille nocendi artes » des oiseaux rapaces (p. 48) et surtout, il nous fait part de son mépris de la dissimulation (p. 41)168. Bien des allégories animales trouvant place dans les tapisseries de la « grande salle » semblent donc s'appliquer à la perfection à l'itinéraire existentiel de Grangier, qui s'y reconnaît et qui nous invite à y voir une conception pessimiste de la vie de l'homme. À partir d'une série d'images 167
Delmarcel 1999, p. 116. Le volume de Guy Delmarcel reproduit justement la pièce finale, la dixième. L'épisode est raconté dans les Pastorales, p. 36. 168 Sur la base de ces allusions, Rosanna Gorris propose d'identifier Jean Grangier, qu'aucun document officiel ne mentionne, au bien plus célèbre Jacques Grévin, qui avait effectivement cherché refuge auprès de la duchesse Marguerite, après des persécutions et de longues pérégrinations dues à sa foi réformée. L'indice le plus significatif reste la présence, dans les liminaires des Pastorales, d'une épigramme de Louis de Rochefort, également reproduite dans le Ms. Fr. 337 (au fo 37 ro-vo) de la Houghton Library (Harvard University), ayant appartenu selon toute vraisemblance à Louis de Rochefort lui-même. Hormis des variantes orthographiques mineures, on remarquera que dans cette version manuscrite le nom « Grangier », au v. 5, est remplacé par « Clermont ». Sur cette identification entre Grangier et Grévin, cf. Gorris Camos 2014.
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qu'il aurait vues de ses propres yeux, Grangier entend suggérer dans son texte des significations supplémentaires ou bien proposer son interprétation personnelle : pour ce faire, il dispose des pièces de vers (dont on ne doute pas qu'elles viennent de sa plume), des passages explicatifs en prose mais aussi des notes. Quant aux devises latines, elles ne sont probablement pas de son invention mais elles accompagnaient les images des animaux dans les tapisseries. Il se trouve même que certaines d'entre elles réapparaissaient telles quelles dans des cycles de tapisseries différents : pour ne donner qu'un exemple, l'image de la grue et sa devise, « Ut quiescant alii » [Afin que les autres se reposent], figuraient également dans une Histoire de Romulus169. Une influence déclarée : Grangier et Érasme À côté de la tradition européenne du recueil d'emblèmes et des tapisseries flamandes, une autre influence se manifeste assez clairement dans cet ouvrage censé contribuer à la formation du petit prince de Savoie : celle d'Érasme, auteur de l'Institutio principis christiani (1516), référence incontestable dans ce domaine, mais aussi des Adagia, véritable best seller du XVIe siècle mis à l'Index par le Concile de Trente (1559). Comme l'a bien montré Rosanna Gorris Camos170, dans les Pastorales on retrouve à plusieurs reprises un lexique érasmien, à commencer par l'épître de dédicace à la duchesse Marguerite, où Grangier définit son ouvrage « ce mien [fo biv ro] collocque » (fo biii vo - fo biv ro). Ensuite, au cours de son recueil d'emblèmes d'animaux et de plantes, il emploie souvent le mot adage : « la mesure de cest Adage » (p. 48) ; « court un adage fort commun » (p. 50) ; « c'est adage » (p. 53) ; « suyvant l'adage ancien » (p. 89). Il y aurait aussi des correspondances ponctuelles entre les emblèmes de Grangier et les adages d'Érasme : à titre d'exemple, la solitude du phénix, exprimée dans les Pastorales par la devise QUIA SOLA INFOELIX [Car la solitude est un malheur] (p. 39), avait déjà fait l'objet de l'Adage 104, « Phoenice rarior » [Plus rare que le phénix]. Cependant, plus encore que dans des renvois intertextuels, les affinités entre les deux auteurs se manifestent dans les idées qu'ils expriment à propos de la pratique du pouvoir, que le prince chrétien ne doit jamais exercer de façon tyrannique. Reprenant d'Aristote la distinction entre pouvoir despotique et pouvoir politique, Érasme estime que la servitude est contraire aussi bien aux lois naturelles qu'à celles du christianisme, qui prône la fraternité et l'égalité entre les hommes. Contrairement à ce qui se passait dans l'Antiquité, le prince chrétien ne règne pas sur des esclaves mais sur des
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Tervarent 1968, p. 20. Cf. Gorris Camos 2014.
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hommes libres171. De même, Grangier condamne la tyrannie dans son emblème de l'épervier : « un esprevier naivement pourtraict, qui voletant en l'air dessus trois petites perdrix qu'il auroit remises, se mettoit en peine de les devoier, avecques ce mot, SIC VITA TYRANNI. » (p. 52). Mais c'est surtout l'aigle qui est évoqué pour stigmatiser les abus du pouvoir : chez Érasme, nous le trouvons dans l'Adage 2601, Scarabeus aquilam quaerit [Le scarabée au pourchas de l’aigle] tandis que dans les Pastorales il apparaît non seulement comme symbole de l'unité de l'Empire que le jeune « Charlot » pourra recomposer (« ce monde rond à demy fendu, et sur lequel est monté cest Aigle, avecques ce mot, DIVISUM COMPONAM doibt signifier quelque chose de bon », p. 55) mais aussi comme symbole d'une force à laquelle il est impossible de résister (« cest Aigle qui emporte un poisson, et dict NIHIL IN VIM », p. 40). Sensible aux souffrances des plus démunis, dans les Pastorales Grangier semble prendre le parti du peuple : comme l'a souligné Rosanna Gorris, cette démophilie est pour le moins étonnante dans un texte censé célébrer le prince172. Pourtant, loin de se limiter à mettre en garde les princes contre une pratique violente du pouvoir, les emblèmes des Pastorales offrent une image complexe de la vie humaine (point de vue ontologique, général) et de la vie « du siècle d'aujourd'hui » (point de vue historique, particulier) et s'adressent à tout le monde, toutes couches sociales confondues : une même destinée nous attend, vainqueurs et vaincus (p. 53). Les détenteurs d'un pouvoir ou d'une force susceptibles d'être mal employés font, bien évidemment, l'objet d'un grand nombre d'emblèmes (c'est le cas des magistrats, p. 42, des juges ou des « gensdarmes », p. 54), mais les « pauvres bergers » ne sont pas ménagés non plus. Eux aussi rentrent dans la catégorie des « hommes d'aujourd'hui », dont les comportements sont stigmatisés à plusieurs reprises par Grangier. Si le premier animal est un lion qui fait preuve de magnanimité en renonçant à exercer sa force sur un cerf couché devant ses pieds, avec la devise « Parcere magnanimi est » [Épargner est le propre d’un être noble], ce qui s'applique aux puissants et en premier lieu au prince, dès le deuxième emblème, représentant une cigogne, la perspective s'élargit : nous devons, nous tous sans exception, pratiquer la vigilance et avoir soin du bien public (c'est-à-dire de la communauté, du prochain, « Ne cuiquam noceat » [Elle ne nuit à aucun]). À la cigogne fait écho, quelques pages plus loin, la grue, animal à peu près équivalent dans la symbologie traditionnelle (les deux représentent en effet la vigilance)173, mais avec un glissement, de l'homme commun au « chef » (p. 42)174 : la même vertu est donc recommandée aussi 171
Cf. Turchetti 2016. Cf. Gorris Camos 2014. 173 On pourra consulter à ce propos Hall 1994 ou bien Chevalier/Gheerbrant 1982, ad vocem. 174 Si le texte parle de « chef », la note emploie le terme « magistrat ». 172
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bien aux gens ordinaires qu'aux détenteurs d'une charge ou d'un pouvoir. Alors que Grangier n'a pas inventé cette grue qui devait être présente dans les bordures des tapisseries de la salle du banquet, il est en tout cas intéressant de constater qu'il la qualifie, dans son texte, de « toute seule » (p. 41), la solitude caractérisant de son point de vue bien de ces animaux, auxquels il adresse un regard compatissant : le « pauvre Chahuant » et le « pauvre Elephant » (p. 39). Le phénix lui-même, le plus souvent évoqué pour incarner l'espoir d'une resurrection, fait ici l'objet d'une interprétation quelque peu inhabituelle, car il est pris pour symbole de la solitude et de la misère de l'homme (« Quia sola infoelix », p. 39), sans doute sur le modèle d'Érasme, ainsi que nous l'avons vu. Dans cette galerie d'allégories animales, vices et vertus alternent et se répondent d'une page à l'autre : à la reconnaissance de l'épervier (p. 42) qui renonce à pourchasser le petit « oysillon » qui l'a réchauffé pendant la nuit, correspond l'ingratitude du loup (p. 47) et de la couleuvre (p. 53) tétant deux animaux (respectivement une biche et une brebis), c'est-à-dire recevant un bienfait qu'ils ne rendent pas, bien au contraire. Une double morale se dessine, en négatif (les vices à éviter), tout comme en positif, les vertus à suivre, qui sont avant tout des vertus chrétiennes : l'humilité, mais surtout la patience (« le patient et modeste s'esleve en s'humiliant, et surmonte par la doulceur de sa longue patience l'aigreur du presomptueux arrogant », p. 39 ; « il faut avoir patience », p. 48). La nécessité de tourner son regard vers les choses célestes en méprisant celles de la terre est ensuite affirmée dans l'emblème de l'autruche avec la devise « Alta cernens terrena spernit » [En élevant son regard, elle rejette les choses terrestres]175, oiseau qui, chez les Égyptiens, était associé à la déesse Maât, déesse de justice et de vérité176, et qui garde cette signification positive chez Grangier (p. 43). Quant à la série d'emblèmes qui figurent dans la deuxième salle et qui proposent des images tirées pour la plupart du règne végétal, on imagine (mais ce n'est qu'une hypothèse, pour l'instant) que leur source est aussi à rechercher dans une œuvre d'art que l'auteur aurait vue de ses propres yeux. Une fois de plus, on reconnaît une forme de complémentarité entre les emblèmes de la grande salle, qui passent en revue, d'un point de vue social, des comportements à adopter ou à éviter dans ses relations avec le prochain, et ceux de la petite salle, qui semblent concerner davantage la vie intérieure de l'âme humaine (assimilée à un flambeau, qui se nourrit et reflète le feu divin mais avec moins de luminosité). Finalement, c'est le rapport entre l'homme et Dieu qui est à l'honneur. Des correspondances et des renvois existent entre la première et la deuxième série d'emblèmes. Si dans la partie consacrée aux animaux 175
Cet animal et sa devise apparaissent également dans une Histoire de Romulus de Vienne, voir Tervarent 1968, p. 10. 176 Voir Chevalier/Gheerbrant 1982, ad vocem.
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l'emblème de l'autruche incarnait l'importance qu’il y a à tourner son regard vers le haut, c'est-à-dire la recherche de la vérité, dans la série végétale nous trouvons une plante qui symbolise cette même exigence morale, qui est la chicorée, « tournée à l'opposite du Soleil » (p. 88), sans doute confondue avec l'héliotrope : cette erreur était commune à l'époque, comme le déplorait Fuchs (« un erreur fort grossier de plusieurs que la Cichoree est l'Heliotropion »)177. Quoi qu'il en soit, de même que cette plante a besoin du soleil, l'homme doit rechercher la lumière de Dieu et fuir celle, trompeuse, de la terre : autrement, il risque de partager la destinée malheureuse des papillons, morts pour s'être trop approchés de ce flambeau (« Terrestris lux male tuta » [La lumière matérielle ne protège pas], p. 86). L'amaranthe évoque, elle aussi, l'immortalité, conformément à son étymologie renvoyant au verbe latin marcescere (qui coexistait, à la Renaissance, avec l'étymologie d'origine grecque de flos amoris)178. Le rameau d'or évoque, quant à lui, l'exigence d'emprunter le chemin de la vertu : cet emblème semble répondre à celui, dans la première série, de l'hippogryphe, qui s'envole lui aussi vers le ciel en suivant « une trace peu batue » (p. 46). Conclusions Pour conclure, nous croyons avoir montré que, pour parvenir à une pleine compréhension des Pastorales, il est nécessaire de se reférer à un grand nombre de traditions et de genres : le prosimètre pastoral, tel qu'il avait été pratiqué par Belleau quelques années auparavant, se transforme, à un moment donné, en recueil d'emblemata nuda, dépourvus d'images comme l'avaient été les Emblemata d'Alciat dans leur projet original mais aussi les recueils publiés à Lyon par Denis de Harsy. Ces emblèmes sont à leur tour inspirés par des tapisseries flamandes, qui n'étaient sans doute pas le produit de l'imagination de l'auteur mais qui avaient dû, au contraire, jouer un rôle dans la célébration du baptême du petit prince de Savoie. Ces images bien réelles donnent lieu, ensuite, à des réflexions issues des expériences personnelles de Grangier et, en même temps, proches de la pensée érasmienne. Il nous semble donc qu'il faut insérer les Pastorales dans un contexte européen et international, qui était bien probablement celui qu'avait connu l'auteur dans ses pérégrinations. Si l'hypothèse avancée par Rosanna Gorris, qui propose de voir en « Jean Grangier » le pseudonyme de Jacques Grévin179, s'avérait correcte, nous serions en présence d'un auteur reconnu et qui avait déjà pu fréquenter l'emblème dans l'atelier anversois de Plantin, où 177
Fuchs 1558, p. 463. Boutroue 2002, p. 63. 179 Voir supra, n. 19. Sur Grévin, voir notamment Pinvert 1899 et Gorris Camos 2017. 178
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il s'était occupé de la traduction des deux recueils de Jean Sambucus180 et d'Adrian Le Jeune181. Quoi qu'il affirme dans sa dédicace à la duchesse Marguerite, qu'il prie de « recevoir en bonne part les premiers fruicts de [s]on mal cultivé jardin » (fo biv vo), nous croyons en tout cas que Grangier n'en était pas à son premier essai littéraire, vu la qualité remarquable et la grande richesse de son ouvrage. La question de l'attribution des Pastorales reste pourtant ouverte, en attendant que de nouveaux éléments viennent nous éclairer sur l'identité du mystérieux « J. Grangier, Lorrain ». Bibliographie Belleau 2001 : Remy Belleau, Œuvres poétiques. II, édition critique sous la direction de G. Demerson, Paris, 2001. Boutroue 2002 : Marie-Élisabeth Boutroue, « “Ne dites plus qu'elle est amarante” : les problèmes de l'identification des plantes et de leurs noms dans la botanique de la Renaissance », Nouvelle Revue du XVIe Siècle, vol. 20, n. 1, 2002, p. 47-64. Campbell 2002 : Thomas P. Campbell, Tapestry in the Renaissance. Art and Magnificence, New York, New Haven et Londres, 2002. Chevalier/Gheerbrant 1982 : Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, éd. revue et corrigée, Paris, 1982. Delmarcel 1999 : Guy Delmarcel, La Tapisserie flamande du XVe au XVIIIe siècle, Paris, 1999. Dufour/Rabut 1998 : Auguste Dufour et François Rabut, L'imprimerie, les imprimeurs et les libraires en Savoie du XVe au XIXe siècle, Genève, 1998 [Chambéry, 1877]. Fuchs 1558 : Leonhart Fuchs, L'histoire des plantes, mis en commentaires par Leonart Fuschs medecin tresrenommé, et nouvellement traduict de Latin en Françoys, Lyon, G. Rouillé, 1558.
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LES EMBLEMES/ DU SIGNEUR JEHAN/SAMBUCUS./Traduits de Latin en François./ [marque Plantin]/A ANVERS/De l’imprimerie de Christophle Plantin./M.D.LXVII./AVEC PRIVILEGE. 181 LES/EMBLESMES/DU S. ADRIAN LE/JEUNE, MEDECIN ET HISTO-/RIEN DES ESTATS DE/HOLLANDE./Faicts François & sommairemet expliquez.//[marque Plantin]/A ANVERS, /De l’imprimerie de Christophle plantin./M.D.LXX./AVEC PRIVILEGE.
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Gorris Camos 2010 : Rosanna Gorris Camos, « ‘Pia ricevitrice di ogni cristiano’ : poésie, exil et religion autour de Marguerite de France, duchesse de Savoie », in C. Lastraioli et J. Balsamo (dir.), Chemins de l’exil, havres de paix. Migrations d’hommes et d’idées au XVIe siècle, Actes du Colloque de Tours, C.E.S.R., 8-9 novembre 2007, Paris, 2010, p. 177-223. Gorris Camos 2014 : Rosanna Gorris Camos, « “Una bellissima festa in bianco e verde” : les fêtes pour le baptême de Charles-Emmanuel Ier (Turin, 1567) », Faire la fête à la Renaissance, RSA, New York, 27-29 mars 2014. Gorris Camos 2017 : Rosanna Gorris Camos, « La nuit de l'exil : les Muses anglaises de Jacques Grévin », in M. Miotti (dir.), Rappresentare la storia. Letteratura e attualità nella Francia e nell'Europa del XVI secolo, Passignano, 2017, p. 207-245. Graham 2016 : David Graham, « Are emblemata nuda a Theoretical Impossibility ? », RSA, Boston, 31 mars – 2 avril 2016. Grove/Russell 2000 : Laurence Grove et Daniel Russell, The French Emblem. Bibliography of Secondary Sources, Genève, 2000. Hall 1994 : James Hall, Dictionnaire des mythes et des symboles, traduit de l'anglais par Alix Girod, Paris, 1994. Jeanneret 1970 : Michel Jeanneret, « Les œuvres d'art dans “La Bergerie” de Belleau », Revue d'Histoire Littéraire de la France, a. 70, n. 1, janvierfévrier 1970, p. 1-13. Miedema 1968 : Hessel Miedema, « The Term “Emblema” in Alciati », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, n. 31, 1968, p. 234-250. Pinvert 1899 : Lucien Pinvert, Jacques Grévin, 1538-1570 : étude biographique et littéraire, Paris, 1899. Sanchez Cantón 1919 : Francisco Javier Sanchez Cantón, Los Tapices de la Casa del Rey, Madrid, 1919. Tervarent 1968 : Guy de Tervarent, Les animaux symboliques dans les bordures des tapisseries bruxelloises au XVIe siècle, Bruxelles, 1968. Turchetti 2016 : Mario Turchetti, « Bon prince et mauvais prince ou tyran » dans l'Institutio principis christiani (1516) d'Érasme », journée d'études Fondements théologiques de la théorie constitutionnelle moderne : XVIe-XVIIe
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siècles, org. Ki-Won Hong, Institut d'études avancées de Nantes, 2016 (disponible en ligne : www.iea-nantes.fr). Valencia de Don Juan 1903 : Conde Viudo de Valencia de Don Juan, Tapices de la Corona de España, Madrid, 1903.
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Les santi sepolcri baroques, point de rencontre entre emblèmes, sermons et théâtre musical Elisabeth Klecker, Université de Vienne
L'éphémère dans les églises de la Vienne baroque À l'époque baroque, l'un des endroits où il était possible de rencontrer des emblèmes, outre les livres, était l'intérieur des églises. Pour ce qui est des églises de Vienne et des environs, il s’agit moins des fresques182 que des décorations temporaires réalisées à l'occasion des fêtes des saints ou des services funèbres des membres de la famille impériale et de la haute noblesse183. Nous possédons une riche tradition textuelle sur ces décorations éphémères sous la forme de descriptions dans l'appendice d’un journal bihebdomadaire qui parut à partir de 1703, le Wienerisches Diarium184. Ces descriptions, qui étaient publiées peu de temps après chaque événement festif, mentionnent aussi couramment les emblèmes correspondants et transcrivent les motti latins avec leur traduction en allemand. L'attrait pour les concepts emblématiques se manifeste cependant aussi dans un autre type de décoration temporaire, l'érection des santi sepolcri* pendant la Semaine sainte. La nature de ceux-ci ne se limitait pas à la représentation réaliste du corps de Jésus mis au tombeau, sous une forme encore répandue aujourd'hui, mais comprenait également la représentation d'une scène liée allégoriquement ou typologiquement à la Passion ou à la Rédemption, accompagnée d'une devise latine, le plus souvent tirée de la Bible. Cette scène pouvait servir de cadre à l'exposition du Saint-Sacrement le Vendredi et le Samedi saints185. 182
À Vienne, des fresques à motifs emblématiques se trouvaient dans des espaces non accessibles au public, et ils sont encore peu connus, voire non reconnus comme tels, par exemple dans la sacristie de l’église des saints Roch et Sébastien des ermites de saint Augustin à Landstraße. Citons encore un cycle eucharistique dans l’église am Hof, dite aussi Zu den Neun Chören der Engel [Des Neuf Chœurs des Anges], autrefois église de la Maison professe des Jésuites ; ici aussi, il s’agit d’une sacristie, et un passage n’y fut ouvert qu’au XXe siècle. 183 Popelka 1994. 184 Le Wiennerisches Diarium est accessible sur le site Austrian Newspapers online (ANNO) . * Nous désignons ci-après par santo sepolcro ou sepolcro un dispositif éphémère et réservons les graphies « Santo Sepolcro » et « Sepolcro » aux représentations théâtrales et musicales. L’empreinte italienne dans la Vienne baroque nous a paru autoriser ces emplois de l’italien. 185 Dans le même contexte apparaissent des connexions avec les décorations per les Quarante Heures (cf. Özel 2015 et 2016), mais également avec les Prédications des Mystères qui
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Pour nous imaginer un santo sepolcro de ce genre, nous pouvons recourir à ce que suggère la critique des pratiques dévotionnelles baroques à la fin du XVIIIe siècle, critique où se manifeste la défense des réformes de Joseph II. Joseph Richter (1749-1813), connu comme publiciste des Lumières joséphines et comme l’auteur des Eipeldauerbriefe186, fait ainsi publier en 1784, sous le pseudonyme d'« Obermayr », la Bildergalerie katholischer Missbräuche [« Galerie de tableaux des abus catholiques »], une énumération satirique et humoristique des aberrations du monde des pèlerinages, du culte des reliques et en général de la culture ecclésiastique de la fête. Le chapitre 15 traite précisément des coutumes de Pâques et de l'Ascension : Wir wollen die sinnliche Darstellung von Jesu Begräbnis noch hingehen lassen, aber ihn statt des Grabes in ein Theater zu legen […] das sanctissimum bald in einem Apfelbaum anzubringen, bald aus dem Bauch eines Lammes heraussehen zu lassen, ist, wenn wir es nicht Unsinn nennen müssen, doch gewiß ein ärgerlicher Misbrauch187. Nous voulons bien fermer les yeux sur la représentation sensuelle de la mise au tombeau de Jésus, mais le placer dans un théâtre au lieu du tombeau [...] tantôt placer le Saint-Sacrement dans un pommier, tantôt le faire sortir de la panse d'un agneau, c'est certainement un abus fâcheux, pour ne pas dire une stupidité.
Une image plus précise des santi sepolcri, au-delà de ces textes critiques, est donnée par quelques descriptions qui ont été conservées. On lira celles de l’Augustinerkirche dans la chronique du couvent viennois des ermites de saint Augustin, Chronicon monasterii Eremitarum discalceatorum S. Augustini intra muros Vindobonae (Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, cod. 12.473) ; elles ont été jusqu'à présent ignorées par la recherche sur la dévotion de la Passion à l'âge baroque, parce que transcrites dans une publication difficile à trouver188. Pour les années 16951708, c'est-à-dire la dernière phase du règne de Léopold Ier († 1705) et les premières années du règne de son fils Joseph Ier (1705-1711), de temps à autre le thème attaché au santo sepolcro est indiqué et les inscriptions en latin qui font partie de l'ensemble sont citées. Comme premier exemple, celui de 1705 mérite d'être mentionné. Il permet de comprendre ce que Richter a dû avoir sous les yeux lorsqu'il a constaté que le Saint-Sacrement de l'autel était placé dans un pommier :
avaient lieu les trois derniers samedis du Carême, et pour lesquels sont aussi attestées des inscriptions latines (Wolfsgruber 1886, p. 22-25). Comparer aussi avec les esquisses et projets de la collection de Sopron en Hongrie : Jankovics 1999. 186 Bodi 1995, p. 140-142. 187 Obermayr / Richter 1784, p. 162. 188 Camesina 1869, p. 347, note 19.
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Das hl. Grab ware Adam und Eva im Paradeys, daraus sie von dem engel mit einem fewerigen schwert getriben, neben des Adams füssen kroche die schlang, in mitte des paradeys stunde der baum des lebens und inselben das hochwürdige sacrament, neben aus knieten zwei engel mit schildern, in einem Ipse lignum notavit, im andern Damna ligni ut solveret geschriben.189 Le sepolcro montrait Adam et Ève au Paradis, bannis par l'ange à l'épée flamboyante ; aux pieds d'Adam rampait le serpent ; au milieu du Paradis se trouvait l'Arbre de vie et dans celui-ci, le Très Saint Sacrement, et à côté se trouvaient deux anges agenouillés avec des écussons : sur l’un d’eux étaient les mots Ipse lignum notavit [Il a choisi un arbre], et sur l’autre Damna ligni ut solveret [Pour briser la malédiction de l'arbre190].
Alors qu'ici l'Arbre de la Faute originelle et la Croix - en tant que véritable Arbre de vie -, le vieil et le nouvel Adam sont mis en correspondance, suivant le sens typologique courant, les deux sepolcri des années 1699 et 1702 présentent au contraire la scène d'un trésor et d'une source jaillissante. 1699 Das hl.Grab praesentirte eine königliche schatzkammer, deren scene durchaus mit silber und gold geplickt und mit allerley kleinodien, künstlichen uhrwerken silberne und goldene schallen und was in eine königliche schatzkammer gehörig auf das prächtigste ausstaffiret, in der mitte dises theatri stunde auf einem tischel ein schatz-kästel mit 2 offenen thürlen inwendig mit hochrother farb angestrichen, allwohin die monstranzen mit dem hochwürdigsten gesetzt worden. Auf jeder seiten knieten 2 engel auf der erden in ihren händen die rauch-vässer und schiffel haltend, damit sie das hochwürdigste beraucheten. Außerhalb dises wercks in einem schild ware die Überschrift Ubi thesaurus tuus ibi cor tuum. 1702 Das H. Grab praesentirt einen schönen Lustgarten mit lauter springbrünen, in mitten dises Gartten stunde ein grosser springbrun mit 2 muschen, oder schallen, worinnen sich das wasser in der höche in 3 thail spaltet, und in die muschel fallete, ob disem wasser lage ein rother Reichs-Apfel mit einem golden Creutzel, in mitte unter der zerthaillung des Wassers stunde das Hochwürdige, zu beeden seiten dises Brunens knieten 5 unterschidliche Standts-Personen Mann- und weiblichen geschlechts mit goldenen schallen in handen, welche von disem Brunens zu trincken verlangen, neben disen Persohnen seind auch 5. weisse Lampel, welche thails zu disen brunen eileten und thails aus der untersten schallen wasser truncken, zu sehen gewest. Dises Concepts uberschrifft ware auswendig an der faccada indem schild zu lesen : Haurietis aquas de fontibus salvatoris Isaias c. XII.3191. 1699 Le sepolcro présentait un trésor royal dont la scène était entièrement plaquée d'argent et d'or et ornée de tous les petits joyaux, automates, sonnettes d'argent et d'or et de tout ce qui appartient à un cabinet de curiosités royal orné de la manière la plus somptueuse qui soit. Au milieu de ce théâtre, sur une table, se trouvait un coffre au trésor avec deux portes ouvertes, peintes en rouge feu à l'intérieur, dans lequel étaient placés les ostensoirs contenant le Saint-Sacrement. De chaque côté, deux anges étaient agenouillés par terre, tenant dans leurs mains les encensoirs et les navettes, afin d’encenser le Très Saint. A l'extérieur de cette œuvre, sur un 189
Camesina, ibid. Citation tirée de la 2e strophe de l’hymne à la Croix Pange Lingua de Venance Fortunat. 191 Camesina 1869, p. 347, note 19. 190
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écusson, se trouvait l'inscription Ubi thesaurus tuus ibi cor tuum [Là où est ton trésor, là sera ton cœur]. 1702 Le sepolcro présente un beau jardin d'agrément avec des fontaines murmurantes et jaillissantes, au milieu duquel se trouve une grande fontaine avec deux coquilles, dans laquelle le jet d’eau se divise en trois et tombe dans la coquille ; au-dessus de l'eau se trouve l’orbe impérial rouge surmonté d’une petite croix d'or ; au milieu, sous l’endroit où le jet d’eau se divise, se trouvait le SaintSacrement ; de chaque côté de cette fontaine étaient agenouillées cinq personnes de diverses conditions, hommes et femmes, tenant dans leurs mains des coupes d'or, qui voulaient boire à cette fontaine ; il y avait aussi 5 agneaux blancs, certains s’empressant vers cette fontaine, d’autres buvant au bassin le plus bas. Cette conception était commentée par une inscription qu’on pouvait lire à l'extérieur sur la paroi grâce à ce panneau : Haurietis aquas de fontibus salvatoris Isaias c. XII.3 [Vous puiserez l’eau aux sources du Sauveur Isaïe XII, 3].
Ici, les images bibliques - le trésor dans le ciel (la devise du trésor cite Matthieu 6, 21) et la source de vie, fons vitae (Ps 36, 9 ; I 4, 14 ; Ap 7, 17 et 22,1) - sont représentées exactement à la manière d'emblèmes192. Rien n’a été conservé de ces santi sepolcri - ce qui est peut-être moins lié à la rénovation totale de l'intérieur de l'église des Augustins sous Joseph II193 qu'au fait que le monastère ne possédait pas toutes les parties de la structure : les descriptions suggèrent en effet qu'ils ont travaillé avec des accessoires de théâtre empruntés aux magasins de la Cour. Ainsi, il est évident que seul le groupe central de figures, qui transmet le message, a été réalisé ex novo. 1698 Das H. Grab stundte in Mitte eines schonen waldts welche R.P. Abraham definitor gegen erlegung von 3 fl. trinnkgeldt von Hoff entlehnet. 1700 Das H. Grab bestunde in einem kostbahren Saal, dessen Scenas R.P. Abraham, p.t. definitor provincialis von hoff auf widerrestituirung entlehnet, und dem comoedi zimmerman 2fl. Trinnkgeldt geben.194 1698 Le sepolcro était installé au milieu d’une belle forêt, que le R. P. Abraham, definitor, avait pris à la Cour contre le paiement d’une obole de 3 florins. 1700 Le sepolcro consistait en une salle somptueuse dont les décors avaient été empruntés à la Cour par le R. P. Abraham, p. t. definitor provincialis, contre 2 florins de pourboire au menuisier du théâtre.
192
Exemples dans Wipfler 2004, 183; cf. Bandmann 1968, p. 333-335: « 4) Der spätma. BlutChristi-Brunnen ». 193 Wolfsgruber 1886 et 1888. 194 Camesina 1869, p. 347, note 19.
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théâtre à coulisses de ce genre, si au lieu de la Déposition ou du Christ au tombeau c’était une scène de l’Ancien Testament ou bien un tableau symbolique avec une inscriptio qui était représenté, alors le spectateur avait l’impression d’un emblème en profondeur, tridimensionnel. En outre, lorsque le Saint-Sacrement était exposé et intégré à l’ensemble, l’interprétation était donnée en même temps que la perception. Mais la signification pouvait aussi être transmise à travers un sermon, ou exprimée par le biais d’une représentation dramatique ayant comme fond la scénographie du Saint-Sépulcre. Les formes musicales du « Santo Sepolcro » ou « Sepolcro » À partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, l’habitude d’installer des santi sepolcri à la Cour de Vienne et sous son influence dans les territoires héréditaires des Habsbourg, est liée à la mise en scène d’ouvrages dramatico-musicaux en langue allemande, en italien ou même en latin, nommés « Sepolcri », autrement dit, des représentations sacrées en honneur du Saint-Sépulcre197. Celles-ci – comme il est normal pour des représentations dramatiques sur la Passion – n’amenaient pas sur scène l’histoire de la Passion elle-même comme si c’eût été un drame historique, mais ils respectaient les douleurs du Christ d’une manière profondément méditative, ou encore montraient son action rédemptrice sous une forme voilée, c’est-à-dire au moyen d’une action mise en relation avec la Passion grâce à une clé allégorique ou typologique198. Une telle clé peut être librement créée à travers des figures ou des personnifications allégoriques199, ou bien être tirée de l’Ancien Testamant : par exemple, le Sacrifice d’Isaac200. Ainsi, les « Sepolcri », dans leur conception, correspondent au moins en partie aux dispositifs de ces santi sepolcri dont la mémoire s’est conservée grâce à l’Augustinerkirche, par l’intermédiaire des descriptions citées plus haut. Grâce aux indications portées sur la page-titre, nous savons que ces « Sepolcri » étaient joués à côté ou devant le sepolcro, probablement sans action scénique au sens propre. On pourrait donc s'attendre à ce que le sepolcro et le « Santo Sepolcro » (la représentation de théâtre religieux au sepolcro soient en correspondance mutuelle, mais ceci n'est pas encore démontrable dans l'état actuel de la recherche. À tout le moins, la gravure du « Sepolcro » latin Protasis Davidis bellantis et apodosis Christi salvantis, 197
Seifert 2002, 2011 et 2016, 137-141; Noe 2011, p. 226-227. Hilscher 1996, p. 32. 199 Par exemple en 1740 chez les piaristes de Horn (Basse-Autriche) : Psychophilus in amoris vicem ab Anosio interfectus. 200 Özel 2015, p. 5. 198
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représenté en 1675 dans l'église des Augustins devant l'empereur Léopold Ier et son épouse Claudia Felicitas, pourrait suggérer une scène théâtrale similaire aux dispositifs éphémères des sepolcri plus tardifs. La scène présentait la victoire de David sur Goliath comme toile de fond typologique de l'œuvre rédemptrice du Christ : les trois parties du « Sepolcro » étaient divisées chacune en Protasis et Apodosis, c'est-à-dire typus et antitypus ; sous l'indication Protasis, on ne trouve pas de récitatifs ou d'arias, mais une citation biblique du 1er Livre des Rois avec l’intitulé Graphica prima/secunda/tertia ; tandis qu'Apodosis est sous-titré Musica. Il est fascinant d'imaginer les trois scènes de l'histoire de David dessinées sur une toile de fond théâtrale devant laquelle les chanteurs mettaient en scène l'action musicale de l'Apodosis201. Une comparaison immédiate et contemporaine est offerte par le « Sepolcro » latin Dilectus candidus et rubicundus ab amante anima quaesitus [« Le bien-aimé d'un teint éclatant et vermeil recherché par l'âme amoureuse »], également documenté à Vienne pour l’Augustinerkirche. Le « Sepolcro » représenté en 1696 à Innsbruck, à la cour de la sœur de Léopold Ier, Éléonore de Lorraine, veuve depuis 1690, est une reprise du Cantique des Cantiques dans laquelle, conformément à l'exégèse traditionnelle, l'âme humaine endosse le rôle de l'épouse spirituelle202 – suivant la pensée directrice de l'un des livres d'emblèmes spirituels les plus connus, les Pia desideria de Hermann Hugo. Un an plus tôt seulement, en 1695, un sepolcro construit selon un concept similaire avait été vu à l’Augustinerkirche de Vienne : Das H. Grab repraesentirte bey uns einen Garten, in der Mitte stunde die geistliche Brauth auf Romanisch gekleidet hielte auf dem armb die Passions Instrumenta, in mitte der Brust ware ein rundes Loch, durch welches man das Sanctissimum sahe, von deme 6 schöne stralen herfür gangen, ober dem Haubten 2 Engl mit einer fliegenden Zetl und dieser schrifft : « Dilectus meus fasciculus myrrhae, inter ubera mea commorabitur Cantici c. I.12. »203 Dans notre église, le santo sepolcro représentait un jardin au milieu duquel se tenait la Fiancée vêtue à l’antique, qui tenait sur un bras les instruments de la Passion ; au milieu de la poitrine elle avait un trou rond par lequel on apercevait le Très SaintSacrement d’où jaillissaient 6 beaux rayons ; au-dessus de sa tête, il y avait deux anges avec un phylactère qui disait : « Dilectus meus fasciculus myrrhae, inter ubera mea commorabitur » Cant., I.12 ».
Dans le « Sepolcro » d'Innsbruck, l'image statique du sepolcro de Vienne, comparable à un emblème, avait donc été « redramatisée », conformément
201
Weilen 1917, p. 366. Ohly 1958. 203 Camesina 1869, p. 347, nota 19. 202
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au texte biblique, comme une image de la recherche de l'Époux par l'Âme, des Pia Desideria204. Abraham a Sancta Clara prédicateur et créateur d’emblèmes Dans la chronique des ermites de saint Augustin viennois, le « Père Abraham » est mentionné à plusieurs reprises comme concepteur des santi sepolcri. Abraham a Sancta Clara (1644-1709) est une personnalité célèbre de la littérature baroque. Il est surtout connu comme un prédicateur à la parole puissante, mais la littérature existante fait également état de son expertise dans l’invention d'emblèmes205. En effet, sa dernière œuvre, posthume, porte sur un sujet emblématique : Besonders meublirt und gezierte Todten-Capelle oder allgemeiner Todten-Spiegel (1710) [« Chapelle mortuaire meublée et décorée spécialement ou du miroir général des défunts »]. Il s’agit d’une sorte de danse macabre probablement conçue pour la chapelle de la Confrérie de la Bonne Mort de l’Augustinerkirche. Dans cette église, l’éventail de ses responsabilités ne se limitait pas à l'invention d'emblèmes sacrés ; il était également chargé du luminaire dans les décorations éphémères au couvent des augustins pour des occasions politiques, comme la célébration de la victoire des Habsbourg dans la guerre de succession d'Espagne, qui conduisit à la libération de Barcelone assiégée par les Français en 1706206. Si la prédication et la création d'emblèmes sont le fait d’un seul personnage, c’est parce qu’il existe entre le sermon et l'emblème l’affinité que nous avons déjà notée au cours de cette recherche, dans la mesure où tous les deux opèrent au moyen des mêmes procédés d’exégèse et d’adaptation historique207. Le point de départ du sermon est offert par un verset de l'Écriture ou une citation d'un texte de la liturgie ; le texte sert de motto/inscriptio et son interprétation est en relation avec la fête qui est célébrée. À partir de ce motto, un événement historique ou une image est évoqué, développé oralement dans le sermon, mais peut aussi être anticipé sous la forme d'une illustration emblématique. Ainsi, par exemple, la collection d'emblèmes mariaux du curé de Biberbach Anton Ginther (16551725) est conçue expressément comme un soutien pour le prédicateur, qui peut trouver les sujets nécessaires au moyen d'un index (cum triplici indice considerationum, rerum memorabilium, et concionatorio, formandis per annum concionibus opportuno). 204 Sul rapporto fra dramma ed emblema, oltre all’opera standard Schöne 1993, cfr. Knapp – Tüskes 2003. 205 Eybl 1992 p. 63-72. 206 Karajan 1867, p. 317. 207 Sull’affinità tra predica ed emblema, fondamentale: Knapp – Tüskes 2003.
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Sacra sylvarum comitia [« L’assemblée chrétienne des arbres »] : sepolcro, sermon, emblème L'affinité entre le sermon et l'emblème est particulièrement bien illustrée dans le cas d'un sepolcro viennois, représenté à l’Augustinerkirche près de trente ans avant les santi sepolcri documentés. Le sepolcro Sacra sylvarum comitia (Vienne 1676) réélabore la fable biblique de l'élection du roi des arbres d’après la parabole de Jotham (Juges 9, 8-15) en la transformant en hommage à la Croix, l'arbor crucis, et en même temps en une exaltation de la pietas autrichienne, la dévotion des Habsbourg dans laquelle la vénération de la Croix avait un relief particulier208. 8
Les arbres partirent pour aller oindre un roi et le mettre à leur tête. Ils dirent à l'olivier : règne sur nous. 9 Mais l'olivier leur répondit : renoncerais-je à mon huile, qui m'assure les hommages de Dieu et des hommes, pour aller planer sur les arbres? 10 Et les arbres dirent au figuier : viens, toi, règne sur nous. 11 Mais le figuier leur répondit : renoncerais-je à ma douceur et à mon excellent fruit, pour aller planer sur les arbres? 12 Et les arbres dirent à la vigne : viens, toi, règne sur nous. 13 Mais la vigne leur répondit : renoncerais-je à mon vin, qui réjouit Dieu et les hommes, pour aller planer sur les arbres? 14 Alors tous les arbres dirent au buisson d'épines : viens, toi, règne sur nous. 15 Et le buisson d'épines répondit aux arbres : si c'est de bonne foi que vous voulez m'oindre pour votre roi, venez, réfugiez-vous sous mon ombrage ; sinon, un feu sortira du buisson d'épines, et dévorera les cèdres du Liban.
Cette histoire doit être interprétée dans le contexte de l'Ancien Testament, probablement comme une exhortation à ne pas conférer la dignité royale à des personnes indignes209 : un bon roi doit garantir la prospérité à son peuple et lui offrir sa protection, c'est-à-dire, selon l'image orientale, être un arbre qui offre des fruits et de l'ombre, deux choses que le buisson d'épines ne peut fournir. Néanmoins, le sepolcro, par l'association du buisson d'épines et de la couronne d'épines, évoque la Croix, authentique arbre royal. Après que l'olivier et la vigne, comme dans le texte de l'Ancien Testament, ont rejeté la charge royale, l'action, comme il expliqué dans les marginalia, continue avec le Genius sylvarum, le Génie de la Forêt, qui confie la poursuite de la recherche d'un Roi des Arbres à l'arbor Austriaca, l'arbre généalogique de la Maison d'Autriche. Scena prima : Conventio arborum in qua Genius Sylvarum pro eligendo Rege perorat, et ad capessendum Diadema provocat Arbores illas quas pro Fascibus Regiis habiliores censet, sed irrito conatu tentat singulas.
208 209
Coreth 1982, passim ; Telesko 2013. Pour la discussion sur la signification, voir Müller 2004, p. 12-34.
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Scène 1 : une assemblée d'arbres, dans laquelle le Génie de la Forêt prononce un discours sur l'élection d'un roi et invite les arbres qu'il juge aptes à la dignité royale à prendre la couronne, en s'adressant à chacun d'eux individuellement, mais sans succès. Supervenit ARBOR AUSTRIACA et quaerit ex Genio causam comitiorum. Alors arrive l'Arbre généalogique de la Maison d’Autriche qui demande au Génie quel est le motif de l’assemblée. Genius Sylvarum exponit intentum comitiorum et committit ARBORI AUSTRIACAE provinciam nominandi regis. Le Génie de la Forêt explique le sens et le but de l'assemblée et demande à l’ARBOR AUSTRIACA de désigner le roi.
La manière dont s’achève l’élection, c’est ce que montre la scène 2 où nous voyons les princes de la Maison d’Autriche en adoration devant la Croix. Le livret imprimé rapporte l’événement en guise de commentaire : Scena secunda : Aula sacra peristromatis candido-rubeis magnifice vestita, in cuius sacro penetrali serenissimi ARCHIDUCES AUSTRIAE poplitibus flexis sanctam CRUCEM submississime venerantur eorumque nomine ARBOR AUSTRIACA votum huic sanctae CRUCI prae caeteris dandum pronuntiat. Scène 2 : Une salle ou un espace sacré somptueusement drapé de blanc et de rouge, dans lequel les Archiducs Sérénissimes vénèrent la Sainte Croix à genoux en toute humilité et, en leur nom, l’ARBOR AUSTRIACA proclame que le suffrage doit être donné, plutôt qu'à d'autres, à cette sainte CROIX.
La troisième scène présente en conclusion la croix sur un trône, telle un roi, saluée par les arbres. Scena tertia. Solium gloriae vario fulgore coruscum in quo arbor sanctae CRUCIS spectabiliter eminens Regio Nomine ab universo arborum choro salutatur et in oecumenicam tutricem ac patronam assumitur. Scène 3. Le trône de gloire éblouissant par sa splendeur, où s’élève l'arbre de la sainte CROIX, saluée du nom de Roi par tout le chœur des arbres et proclamée tutrice et patronne de l’univers.
Ce sepolcro peut être mis en rapport avec un sermon tiré d’un recueil entièrement illustré d’emblèmes. Le Theatrum gloriae sanctorum du franciscain Casimir Füsslin, imprimé à Ingolstadt en 1696 avec une dédicace à Lothar Franz von Schönborn210, archichancelier impérial et archevêque de Mayence, contient des sermons pour l’année liturgique, mais ne se limite pas aux fêtes des saints comme pourrait le suggérer le titre. L’homélie pour la fête de l’Invention de la Croix, In festo inventionis crucis (3 mai) est précédée par le motto Crux fidelis inter omnes arbor una nobilis, tiré du 210
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Pange lingua gloriosi proelium certaminis211, l’hymne à la Croix de Venance Fortuna, dont les strophes 7 à 9 voisinent avec l’image de l’arbor crucis : Crux fidelis, inter omnes arbor una nobilis, Nulla talem silva profert flore, fronde, germine, Dulce lignum dulci clavo dulce pondus sustinens Croix fidèle, arbre noble entre tous les arbres, Nulle forêt ne produisit le pareil, en fleurs, feuilles et fruits, Bois très doux qui par des clous très doux soutient un très doux fardeau.
Cette prééminence sur tous les arbres, soulignée par l’hymne, procure le point de contact avec la parabole biblique : celle-ci est transformée en une compétition entre les arbres pour la dignité royale, enjolivée par l’adjonction aux arbres nommés dans le texte biblique d’autres espèces exotiques au bis et aux fruits particulièrement précieux212. Le sermon est précédé par un emblème avec l’inscriptio Fructus coronam meretur [« Le fruit mérite la couronne ») (fig. 3). La pictura montre un bosquet d’arbres de la même espèce, disposés de manière à conduire la vue vers la Croix, presque comme un décor de théâtre, parfait pour servir de fond pour le sepolcro Sacra sylvarum comitia, c’est-à-dire en même temps de modèle pour les coulisses de la représentation drammaticomusicale du « Santo Sepolcro » donnée devant le sepolcro. En effet, même l’affiche imprimée du sepolcro montre une illustration qui peut être définie comme emblématique au sens large (fig. 4 et 5) : entre l’invocation Regum Magnificentia, Ecclesiarum firmamentum, orbis terrarum securitas, tirée d’un sermon sur la Croix d’Éphrem le Syriaque213, et l’inscription Crux principum honos, prise à un prône sur l’Exaltation de la Croix par l’évêque André de Crète214, s’élève la Croix dans une gloire entourée par un encadrement de feuillages et de fruits, érigée sur des trophées guerriers en signe de victoire et ceinte de pampres soutenant deux petits écus symétriques avec les armoiries de l’Autriche. L’interprétation basée sur la théologie et l’histoire du salut – la rédemption de l’homme comme fruit de l’arbor crucis – s’étend jusqu’à signifier l’idéologie du pouvoir habsbourgeois : la monarchie des Habsbourg, fondée sur la 211
Sur cet hymne, voir Masciadri 2006. Füsslin se réfère à un poème didactique sur la botanique d’Abraham Cowley, qui dans le 5e livre de ses Plantarum libri VI met en scène un débat entre les arbres du Vieux continent et du Nouveau monde. Cf. Monreal 2010, p. 297-298. 213 Sermo in pretiosam et vivificam Crucem Domini (Ephraem 1619, p. 538). 214 Publié pour la première fois (avec traduction latine en regard) par Jacob Gretser dans son ouvrage De cruce ; il fut utilisé par Gretser 1616, p. 1184. Les deux textes d’Éphrem et d’André de Crète sont cités dans le Discorso quinto per la S. Croce d’Eustachio di S. Ubaldo, ermite de saint Augustin (Discorsi 1665, p. 96). 212
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Sources Protasis Davidis bellantis et apodosis Christi salvantis illud lucis et umbrae, istud consoni et dissoni ope exhibitum inter comune Ecclesiae Orthodoxae luctus ad sepulchrum Christi die Veneris sancto coram Sac. Caes. Majesta. Leopoldo et Claudia in Ecclesia Aulae, industria PP. Eremit. Discalc. Ordinis S. Augustini […], Viennae Austriae, Joan. Bapt. Hacque [1675]. Wienbibliothek 16.250A Sacra Sylvarum comitia sub ipsas Sacratiores Dominicae Passioinis ferias coram Sacris Caesareis Majestatibus in Austro-Viennensi Aulica FF.Eremitarum Discalceatorum S. Augustini Ecclesia ad Sepulchrum Domini per concentum musicum celebrata in quibus arbor sanctae crucis sub typo Rhamni titulo regis salutatur, suffragante potissium pietate Austriaca anno qVo IerVnt LIgna Vt Vngerent sIbI regeM IVDIC. 9, Viennae Austriae, typis viduae Helenae Thurnmeyerin [1676] Wienbibliothek 16.255A Dilectus candidus et rubicundus ab amante anima quaesitus in flagella paratus sponsus sanguinum inventus in oratorio aulae serenissimae eleonorae reginae Poloniae ducissae Lotharingiae et Barri etc. ad sepulchrum Christi anno MDCXCVI modulis musicis productus a Severino Schwaighoffer, sac. Caes. Majest. Capellae Magistro, Oeniponti, typis Jacobi Christophori Wagner [1696]. Wienbibliothek 133.596A Ephraem 1619 : Sancti patris Ephraem Syri scriptoris ecclesiae antiquissimi et dignissimi opera omnia, […] nunc recens Latinitate donata scholiisque illustrata, interprete et scholiaste […] Gerardo Vossio […], Antverpiae, apud Ioannem Keerbergium 1619. Eustachio di S. Ubaldo 1665 : Discorsi sacri del P. Eustachio di S. Ubaldo lettore scalzo Augustiniano […], Roma, per il Moneta, 1665. Füsslin 1696 : Füsslin, Casimir, Theatrum gloriae sanctorum hoc est Conciones In Festa occurrentia per annum, ex sacris paginis, SS. Patribus, aliisque probatis Authoribus summo studio & labore concinnatae in Usum Verbi Dei Praeconum, Sulzbach, sumptibus Ioannis Christophori Lochner 1696. Ginther 1711 : Anton Ginther, Mater amoris et doloris quam Christus in cruce moriens omnbus ac singulis suis fidelibus in matrem legavit […], Augustae Vindelicorum, sumptibus Georgii Schlüter et Martini Happ, typis Joannis Michaelis Labhart 1711.
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Comment représenter les martyrs du Japon par l’emblème ? L’Imago primi saeculi et ses représentations des héros des terres de mission Hitomi Omata Rappo, Harvard University Iaponumque Christiano Tellus madens cruore215
L’Imago primi saeculi (1640) est un important recueil d’emblèmes richement illustré, qui fut publié pour commémorer le centenaire de la fondation de la Compagnie de Jésus216. Cet ouvrage contient toute une série d’emblèmes qui représentent divers aspects de l’histoire, des idéaux ou des activités des jésuites. Parmi ces derniers, l’on distingue en particulier quatre images consacrées expressément aux martyrs du Japon, cette terre de mission ouverte par François Xavier au milieu du XVIe siècle. Si ce pays a été amplement illustré par la Compagnie dans le domaine du théâtre, ou de la littérature217, sa présence dans l’emblématique est assez rare. De plus, l’Imago intègre la mission dans ce pays lointain en se servant d’un langage iconographique différent des représentations les plus communes de ses martyrs. Aux croix des martyrs de Nagasaki béatifiés en 1627, qui donnèrent à la Compagnie ses premiers saints issus des territoires de mission, il substitue en effet un ensemble de référents symboliques centré sur l’élément igné, incarné par la figure de Carlo Spinola (1565-1622), qui s’intègre parfaitement au discours plus général de l’œuvre. Cette étude analysera cette évolution des modes de représentation du Japon, montrant notamment la rhétorique très particulière dans laquelle ces emblèmes sont intégrés et ses implications dans une certaine vision de la mission. Il s’agira également d’étudier l’origine de cette iconographie dans la tradition emblématique existante, et de montrer comment ces gravures présentent une certaine continuité entre elles, qui fait non seulement référence à la rhétorique du livre, mais aussi à la stratégie missionnaire des Jésuites. Les martyrs du Japon et les jésuites Comme dans la plupart des emblèmes de cet ouvrage, l’illustration trône au centre de la page, dans la partie supérieure. Elle est entourée par le titre de 215
Imago primi saeculi, p. 48 : « La terre des Japonais, imprégnée du sang des Chrétiens ». Pour une présentation de ce livre, se reporter à Fumaroli 1994, p. 445-476 ; Dimler 1981 ; Salviucci Insolera 2004 ; O’Malley 2015a. 217 Pour une analyse générale de la littérature des martyrs du Japon, voir Brockey 2017. 216
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l’emblème, alors que l’hymne versifié louant ce que l’illustration représente figure dans la partie inférieure. Le livre s’inscrit dans un discours construit, évoquant une version symbolique de l’histoire et des défis de la Compagnie. Les martyrs japonais sont essentiellement évoqués dans le quatrième livre, consacré à la souffrance de la Compagnie (« societas totis centum annis praeliis exercita ») [La Compagnie s’est entraînée au combat pendant tout un siècle]218, ainsi que dans le cinquième, qui évoque ses triomphes. On y dénombre en tout quatre emblèmes qui traitent directement de ce thème, en plus de références multiples au sein des autres. Le dernier des emblèmes de la section Prolégomènes, où sont présentées les objectifs généraux des pères, permet de mieux comprendre le sens général da la présence de ces martyrs219. Il s’intitule « Societatis aeternitatem intuuetur » [La société fixe l’Éternité], et présente le sous-titre « Non est mortale quod opto » [Ce que je désire n’est pas sujet à la mort]. Le subscriptum de cet emblème évoque les terres de mission : l’Afrique du Nord, les Indes, les îles Moluques, Java, la Chine, et aussi le Japon. Cela laisse entendre que l’objectif de l’acte de mission, qui est au cœur des activités de la Compagnie depuis sa fondation, n’est pas seulement des choses de ce monde. Si le martyre n’est pas forcément recherché directement, il est présenté comme une finalité désirable et glorieuse. Cette rhétorique contraste fortement avec celles des débuts de la Compagnie. En effet, ses membres mettaient en garde contre l’excès de zèle et le manque de prudence de certains missionnaires sur le terrain220. De fait, ce débat autour de la recherche du martyre, qui avait agité déjà les premiers siècles de la chrétienté, a aussi eu lieu dans le Japon du XVIe siècle. En effet, quand un groupe de vingt-six missionnaires et convertis a été exécuté à Nagasaki en 1597, les Jésuites, contrairement aux Franciscains, ont d’abord été très réticents à reconnaître ceux-ci comme des martyrs. Leur argumentation, certes influencée par l’absence de pères européens de la Compagnie dans le groupe, suivait les principes originels de l’Ordre221. Les récits de ces « martyrs » japonais, qui étaient morts sur la croix, comme le Christ, remportèrent toutefois un succès croissant en Europe. Si la Compagnie n’a joué qu’un rôle secondaire dans les démarches de béatification, qui furent essentiellement l’œuvre des ordres frères mineurs, elle obtint la reconnaissance officielle de la sainteté de trois de ses membres en 1627222.
218
Dekoninck 2005, p. 54. Imago primi saeculi societatis Iesu, Anvers, 1640, p. 52. 220 Cette attitude était particulièrement présente chez le premier supérieur général Juan Alfonso de Polanco (1517-1576). Voir Omata Rappo 2018, chap. 2. 221 Op. cit., ibidem. 222 Pour une analyse des procès de béatification, voir Omata Rappo 2018, chap. 2. 219
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Le Japon et ses martyrs dans l’Imago primi saeculi À la suite de cet événement, le culte des trois martyrs jésuites de Nagasaki se diffusa largement au sein de la Compagnie, et cette dernière chercha activement, toutefois sans succès, à faire reconnaître la sainteté d’autres de ses membres tombés au Japon. Ce nouvel accent sur le culte des martyrs est d’ailleurs évoqué dans l’Imago (p.7). Il y est dit que l’effort de mission dans le monde entier, pour lequel nombre de pères ont versé leur sang, est une des choses qui consacre la supériorité de la Compagnie sur les luthériens223. Cependant, l’imaginaire et la symbolique utilisés dans l’Imago contrastent avec ceux du culte des martyrs de Nagasaki, qui étaient, fort logiquement, centrées sur l’idée du crucifiement et l’image de la croix224. En effet, la première mention directe des martyrs du Japon dans le livre 4 se trouve au chapitre 11 (p. 528). Au Japon, la Compagnie est frappée de manière barbare par l’épée, la flamme et d’autres tortures (« In Iaponiâ in Socios gladio, flammis aliisque tormentis barbarè savitum »). Il y est question de divers tourments subis par les membres de la Compagnie, et notamment par le glaive et les flammes. Si l’on peut interpréter cela comme une simple référence aux modes d’exécution en usage au Japon après l’interdiction du christianisme au début du XVIIe siècle, nous sommes ici en présence d’une rhétorique qui oriente l’ensemble du discours sur les martyrs de ce pays au sein de ce livre. Dans le cinquième emblème du livre 4 (p. 568), le Japon est également évoqué, en des termes très éclairants. Ce passage, intitulé la « Societatis abundans gaudio in afflictione sua » [la société abonde de joie dans son affliction] évoque toute une série de supplices qui sont infligés à la Compagnie par le Japon. Ses hérétiques frappent ses membres de leurs lames, mais les jésuites, loin d’en souffrir, s’en réjouissent225.
223
Roggen 2010, p. 175-176. Sur cette iconographie, voir Omata Rappo 2017, et 2018, chapitre 4. Consulter aussi le catalogue raisonné de Koshi 1975. Pour le détail des événements, voir Matsuda 1972, Jacquelard 2011 et aussi, pour le point de vue franciscain, Vu Thanh 2017. 225 Texte et traduction anglaise dans O’Malley 2015a, p. 600-601. 224
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Cupidon ou Éros, enflammé, interprété comme l’amour de Dieu. On le rencontre notamment chez Otho Vaenius (Otto van Veen, 1556-1629), dans son Amorum Emblemata, publié en 1608 (p. 285). Un emblème représente Cupidon brûlé sur le bûcher230. Le texte explicatif livre l’interprétation suivante : « Même s’il est crucifié, même s’il est brûlé par le feu, celui qui aime vraiment aime toujours »231. Cette phrase peut évidemment être comprise en relation avec l’idée du martyre232. En ce sens, il ne s’agit pas d’un amour profane, mais bien de l’amour de Dieu, de la foi qui est mise en scène par l’emblème. On retrouve ce motif du bûcher de Cupidon dans d’autres ouvrages du même type, où il est considéré comme une passion de la vertu233, alors que le Thronus Cupidinis sive Emblemata Amatoria (édition réalisée vers 1618), fait figurer l’image d’un Cupidon soumis au supplice igné, d’une manière évoquant en bien des aspects l’acte du martyre (Fig. 2). Dans ces emblèmes, le feu du bûcher est associé à l’amour envers Dieu, qui brûle comme une flamme, et éclaire les ténèbres234. Comme le relève David El Kenz, la mort par le feu avait en outre un sens très particulier dans les conflits confessionnels de l’Europe moderne. Elle était pensée comme un supplice réservé aux sorciers et impies, et sa fonction, tirant ses origines à la fois du droit romain et des textes vétérotestamentaires, était de purifier la société des hérétiques et de l’amener à la lumière235.
230 Une grande partie des images des cupidons dans l’Imago reflètent l’influence de l’Amorum emblemata de Vaenius, ou encore de l’Ambacht van Cupido de Heinsius. Roggen 2010, p. 181. 231 « Si cruci affigatur, si igni comburatur, semper amat qui verè amans est. » (Amorum emblemata, 1608, p. 274). 232 Voici la traduction du poème dans la version française : « Ny entre la mort. Si la Dame à l’amant fait la guerre à outrance,Voire que par son seul le contraigne mourir, l’amant ne s’en restent, ains aime de souffrir. l’Amour mesme en la mort ne manque de constance. » Ce terme de constance dans la mort est en effet souvent utilisé pour décrire les martyrs. 233 Andrea Alciati (1492-1550), Liber emblematum (1531) cent-onzième image : « Amorvirtutis, alium Cupidinem superans. » Ce livre est un traité fondamental qui a beaucoup marqué l’histoire de l’emblématique. 234 Crispin de Passe, Thronus Cvpidinis sive Emblemata amatoria, Utrecht, vers 1618. Cette image a été d’abord présentée dans Praz 1964, p. 105 (Fig. 34), et p. 120. L’image est absente des éditions ultérieures. Praz a consulté une copie de celle de 1618, qui se trouvait dans la collection d’Allan H. Bright. L’emblème figure sur la copie de la même année conservée à l’Université d’Amsterdam. Nous remercions Mitch Fraas, conservateur des collections spéciales du Centre Kislak de l’University of Pennsylvania, pour ces informations. 235 El Kenz 1997, p. 51-52.
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L’association de cet ensemble de jeux d’associations autour des diverses valeurs symboliques du feu à celles du martyre paraît assez évidente. Elle estd’ailleurs pleinement exploitée dans les emblèmes des martyrs japonais de l’Imago. Bûchers et phénix C’est évidemment le cas dans les deux derniers emblèmes du livre 4 (p. 579). L’avant-dernier se nomme « Iaponum in igne alacritas » ce qui peut se traduire par « l’ardeur des Japonais dans le feu ». L’image représente un bûcher accompagné d’une pomme de pin (Fig. 3). L’ode qui l’accompagne évoque les bûchers du Japon, qui sont autant de miracles admirés par toute l’Europe. L’idée du feu, du bûcher est un thème récurrent dans tout le texte. Elle évoque d’abord très concrètement les modes d’exécution pratiqués sur les chrétiens au Japon à partir des années 1620236. Ici, il ne s’agit toutefois pas simplement des flammes du supplice. En effet, il est dit que le feu brûle les corps des croyants, mais leurs âmes sont intactes au milieu des flammes. Cette image se complète avec la pomme de pin. Selon le texte, celle-ci se dilate au contact du feu et ouvre ses feuilles vertes. Il s’agit là d’un double symbole des martyrs du Japon et de l’immortalité237. Cette métaphore de la renaissance à partir des flammes est récurrente dans l’ensemble des discours sur le Japon au sein du livre. On la trouve de manière encore plus claire dans l’emblème suivant (p. 580), qui s’intitule « Martyrum pretiosa mors » [la précieuse mort des martyrs] (Fig. 4). Le texte ne fait pas directement référence au Japon, mais l’image d’un phénix est un indice iconographique lourd de sens. Cette créature capable de renaître de ses cendres est considérée, dans l’emblématique238, comme un modèle, ou une preuve de la résurrection du Christ. Voici la description qu’en donne Paul-Augustin Deproost. La résurrection du Christ, d'abord, associée à l'expérience des cycles solaires auxquels est liée la vie du phénix ; la résurrection de chaque homme, ensuite, qui, à la fin des temps, triomphera de toutes les corruptions pour renaître « à la gloire des enfants de Dieu ». Selon la belle formule qui conclut le poème de Lactance, le phénix « obtient la vie éternelle par le bienfait de la mort ».239 236
Sur ces exécutions, se reporter à Anesaki 1976, p. 22. Les détails de l’emblème, inspiré de l’Impresa de Paolo Aresi (Venise, 1630), ont d’ailleurs été modifiés. En effet, la pomme de pin n’est pas dans les flammes, mais à côté. Comme le montre l’analyse de John W. O’Malley, cela fait sans doute référence à l’horreur des tortures subies par les missionnaires au Japon, et en particulier à une description trouvée dans le texte en prose (p. 528), où il est dit que Carlo Spinola et ses compagnons ont été placés non pas dans le feu, mais à côté, afin qu’ils souffrent le plus longtemps possible. Voir Van Vaeck et al. 2015, p. 143-144, image d’Aresi dans F.5.44. 237
238
Daly/Calabritto 2014, p. 33. Deproost 2005, p. 112-137. Sur le phénix dans les emblèmes modernes, voir Daly 1998, p. 24.
239
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Antonio Barberini avait d’ailleurs fait décorer les autels de Xavier et Loyola avec des torches d’or et d’argent ainsi que des chandeliers243. Comme l’a souligné Frank Lestringant, même les huguenots utilisaient un jeu d’associations similaire. Agrippa d’Aubigné écrit ainsi en 1616 que le martyr rayonne comme la chandelle de la parabole évangélique, que l'on n'allume point pour la mettre sous un boisseau, mais sur un chandelier244. Certains textes jésuites de la même période, comme celui d’Antoine Vatier, recommandent d’ailleurs de se munir d’une chandelle et d’un crucifix pour pratiquer les Exercices spirituels245. L’Imago s’inscrit dans le prolongement de telles métaphores. Ainsi au début du Livre II, dans l’emblème appelé « Societatis Iesu propagatio » [La Compagnie grandit, p. 317], l’expansion de la compagnie est comparée à la lumière d’une chandelle. Carlo Spinola, la salamandre de la mission japonaise Le dernier emblème (p. 727) se situe dans le droit prolongement de ce champ sémantique (Fig. 6). Il s’intitule « P. Carolus Spinola lente igne comburitur » (Le père Carlo Spinola est brûlé par un lent feu). Carlo Spinola, un père d’origine italienne, était issue d’une famille noble. Il est mort sur le bûcher à Nagasaki en 1622, avec plusieurs dizaines de convertis et de pères occidentaux246.
243
Hammond 1994, p ; 158. Lestringant 2004, p. 86. 245 « MÉDITATION DE LA MORT. L’Oraison préparatoire à l’ordinaire. Le I. Prélude. Me représenter dans le lit, la chandelle bénite en une main, le Crucifix en l’autre et plusieurs personnes à l’entour, pour nous assister en ce passage [de l’Exercice spirituel]. », dans Vatier 1650, p. 113. « MEDITATIO VIII. De statu moruit. … Punctum. Considera extremum conflictum cum vita, agonem & angorem mortis, quando cereus accenditur, & in aurem inclamatur, ut corde saltem, si non ore, se Deo commendet. » dans Véron 1612, p. 563. 246 Cet événement est connu sous le nom « Gen’na Daijyunkyō. Ses derniers instants ont été rapportés en détail par père jésuite portugais Bento Fernández. Pour une présentation de ce texte, voir Pacheco 2007, p. 15-39. Pour des détails sur cette persécution en langue occidentale : Cieslik 2004. Sur la vie de ce personnage, voir Ruiz-de-Medina 1992. 244
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festivités l’ensemble des éléments qui allaient se cristalliser dans la figure de Spinola moins de vingt ans plus tard. De manière plus générale, si certaines sources l’associent à la chasteté251, la salamandre est un symbole de l’immortalité252, comme la pomme de pin, et surtout le phénix du dernier emblème du livre 4 de l’Imago. Dans le poème, Spinola est effectivement comparé à des saints qui ont subi victorieusement le supplice de la flamme253. Les vers évoquent les figures de Saint Eustache de Rome, Sainte Thècle, Sainte Lucie de Syracuse, ainsi que Saint Laurent de Rome. Si ce dernier est surtout connu pour avoir subi le supplice atroce du grill sans émettre le moindre soupir254, les deux premières ont la particularité d’être sorties indemnes des flammes255. Sainte Thècle répète même ce prodige par deux fois. Quand on tente de la faire périr par le feu, et elle ne subit aucune blessure, et, par la suite, l’élément igné vient à sa rescousse et consume les bêtes sauvages de la fosse dans laquelle elle avait été jetée256. Pour Eustache, l’ode fait sans doute référence au taureau « chauffé à blanc » que l’empereur Hadrien avait envoyé contre le martyr et sa famille257. L’ensemble des vers consacrés au martyre de Spinola procède ainsi par une chaîne symbolique centrée sur le feu. Le père, comparé à une rose, fleurit dans les flammes resplendissantes, comme s’il était couvert d’une agréable pluie. La rose est aussi associée à la couleur du sang, au martyre258. En passant, telle la salamandre, victorieusement l’épreuve du bûcher, le père jésuite, comme les héros antiques, triomphe sur ses bourreaux et acquiert l’immortalité par le martyre. La scène de sa mort dans les flammes, avec ses compagnons, a d’ailleurs été immortalisée dans une toile conservée au Gesù, à Rome. En outre, la thématique de la renaissance par les flammes est demeurée un aspect important des discours centrés sur ce personnage. Le titre d’une pièce de théâtre le mettant en scène, qui fut jouée en 1655 à Lille
251
Choné 1991, p. 496. Dimler 1981, p. 443-445. 253 « Languida Laurenti periisset laure, ab ipsis En foret haec illi laure nata rogis. Theclam quis nosset, nisi Theclam proderet ignis? Luce sua maius Lucia nomen habet. Quid memorem Heroës alios, quibus una voluputas Fortiter ardentem sustinuisse pyram? » Imago primi saeculi, p. 727. 254 Giorgi 2009, p. 221. 255 Amore 1967, col. 247. 256 Castelli 2004, p. 146 et 161. 257 Cousinié 2000, p. 37. 258 Imago primi saeculi, ibidem. 252
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pour célébrer l’arrivée du comte Philippe Hippolyte Charles Spinola (16121670), homonyme partiel du martyr, l’associe en effet au phénix259. Cette image du triomphe de Carlo Spinola figuré sous les traits d’une salamandre, comme celle du phénix, est sans doute celle des martyrs japonais sur laquelle les auteurs de l’Imago ont voulu le plus insister. En effet, dans la version abrégée publiée en néerlandais, et destinée à public plus large et moins érudit quelque temps plus tard, les emblèmes représentant les martyrs de l’Archipel par le symbole de la pomme de pin sont absents (p. 578, 589), alors que ceux qui les associent à ces bêtes fantastiques, et en particulier celui de Spinola, ont été conservés260. Les trois martyrs de 1597 Cette insistance sur Carlo Spinola peut sans doute expliquer également en partie l’absence des trois martyrs jésuites crucifiés en 1597 au sein de l’Imago. En effet, si leur nom est bien mentionné dans la liste des martyrs du chapitre 11, aucun d’entre eux n’est le sujet d’un emblème, au contraire de personnages qui, tel Spinola, n’avaient pas la même reconnaissance officielle. Il en va de même pour le mode de leur supplice, celui qui leur avait valu une telle renommée en Europe : le crucifiement. Là encore, les croix japonaises sont évoquées dans le texte (p. 547-548), mais elles sont absentes de l’iconographie, sauf peut-être, mais alors très indirectement, dans l’emblème de la chandelle. L’absence de ce symbole est d’autant plus surprenante que les Jésuites avaient pourtant, depuis Juste Lipse à la fin du XVIe siècle, érigé une véritable archéologie de la crucifixion, en partie en réponse à Luther. L’on en trouve une incarnation marquante avec les ouvrages de Bartolomeo Ricci s.j., Triumphus Iesu Christi crucifi (1608), Pedro Bivero s.j., Sacrum sanctuarium crucis (1634), qui présentent tous les deux des martyrs du Japon crucifiés (Fig. 7).
259
Le Phénix mourant au milieu des flammes. Le Père Charles Spinola de la Compagnie de Jésus, martyrisé à petit feu, près de Nangasachi au Japon. Tragédie dédiée à son Excellence Monseigneur, Monseigneur Philippe Hippolyte Charles Spinola, Comte de Bruay, Baron d'André,... Par les Escoliers du College de laCompagnie de Jésus à Lille. Le 26 de novembre, à 2 heures après midi, et le 27 à 1heure après midi 1655. - (à la fin :) A Lille, de l'imprimerie d'Ignace et de Nicolas de Rache, 1655. In-4°, 8 p. L'Avant-Jeu, Balets et Intermèdes de la Tragédie du Phénix mourant, mis en détail. Représentés en faveur de très-ancienne et très-illustre Maison de Spinola. - (à la fin :) A Lille, de l'imprimerie d'Ignace et Nicolas de Rache, 1655. In-4°, 8 p. 260 Af-Beeldinghe van d'eerste eeuwe der Societeyt Iesu voor ooghen ghestelt door de DuytsNederlantsche prouincie der seluer Societeyt, Anvers, 1640.
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mode de supplice du Japon de cette période, y avait une place essentielle262. En outre, la noblesse de Spinola en faisait un candidat idéal à une représentation dans le genre très élitiste de l’emblématique263. L’orientation délibérée du texte doit aussi se comprendre dans les activités de la Compagnie en 1640. En effet, le sort de Spinola avait marqué ses pairs, et les efforts pour obtenir sa béatification étaient déjà initiés au moment de la publication l’Imago. Ils se sont d’ailleurs poursuivis par la suite. Ainsi, une liste des candidats jésuites à la béatification datée de 1692, et conservée dans les archives jésuites, mentionne l’état d’avancement de son procès264. Cette actualité plus pressante peut ainsi également expliquer le relatif effacement du symbole du crucifiement au sein de grand œuvre marquant le centenaire de la Compagnie. Les emblèmes de Carlo Bovio, une synthèse ? Les croix des martyrs de Nagasaki ne sont toutefois pas totalement absentes de la tradition emblématique jésuite. Quelques dizaines d’années après la publication de l’Imago, le père Carlo Bovio (1614 – 1705), un professeur de rhétorique au Collegio Romano et aussi un homme de lettres particulièrement représentatif de la Rome baroque265, avait le projet de réaliser une série d’emblèmes des martyrs du Japon. Son brouillon se trouve dans la bibliothèque nationale de Rome (le texte appelle Francisco Borgia un bienheureux, et ce dernier a été canonisé en 1671)266. L’emblème des trois martyrs du Japon y figure sur la même page qu’Ignace de Loyola, François Xavier, et Francisco Borgia (Fig. 8). Ces emblèmes, dont seul le cadre a été réalisé, vont de pair avec la page adjacente, où l’on trouve leurs titres, ainsi qu’une série d’hymnes en vers consacrés à chacun d’entre eux. Le contenu des textes est surtout composé de citations bibliques, mais on y trouve aussi une référence à la thématique de la lumière et du feu de la foi, que l’on trouve dans de l’Imago, dans l’hymne consacré à Loyola (citation de Luc 12:49). Les martyrs japonais sont, quant à eux, introduits par la formule « jusqu’aux confins de la terre », qui est tirée du livre d’Isaïe, 49. Celle-ci
262
Sur les bûchers dans les images des martyrs jésuites du Japon, voir op. cit., ibidem. Sur l’extrême sélectivité des personnages et thèmes représentés dans l’Imago, voir O’Malley 2015b, p. 44. 264 . ARSI, F.G. Mss. 75, f. 48r-51r. 265 . Des informations sur son œuvre emblématique se trouvent dans Praz 1964, p. 285. 266 . Biblioteca Nazionale, V.E., GES. 29 Misc., Carlo Bovio, Mischellice selectae pro Rhetoricae, f. 27r-32r. 263
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japonais. Ces martyrs, tombés pour le Christ et morts sur la Croix, ont aussi apporté la lumière aux païens. Conclusion D’une manière générale, l’Imago primi saeculi a marqué tant la tradition emblématique que la perception des martyrs du Japon au sein de la Compagnie. En effet, l’idée, exprimée en termes emblématiques par les métaphores du phénix ou de la salamandre, du martyr triomphant des flammes y est récurrente. Sa présence dans cet ouvrage témoigne bien de l’existence d’une conception du bûcher et de ses victimes dans les consciences européennes, et notamment jésuites. Celle-ci a d’ailleurs pu influencer les présentations, somme toute très hagiographiques, des héros chrétiens du Japon. Par son efficacité symbolique, et son actualité plus importante, vers 1640, que les crucifiements, le bûcher devient ainsi un élément central de l’univers mental et iconographique des chrétientés japonaises en Europe. L’Imago marque une évolution dans les illustrations des martyrs japonais. En effet, s’il fait toujours usage d’une rhétorique et de métaphores violentes, voire sanglantes, les représentations, dans la plus pure tradition emblématique, ne visent plus à figurer les supplices de manière réaliste, mais bien à en proposer une interprétation spirituelle et imagée. Pour les auteurs de l’Imago, les martyrs du Japon brillent ainsi d’une flamme aux significations multiples : celle des supplices, de Néron aux tyrans japonais, celle de la foi, incarnée parfaitement par Ignace, et celle du triomphe, du dépassement de la douleur qui sublime le sacrifice des martyrs. Cette parenté thématique explique également en partie pourquoi la Compagnie n’a pas cherché, dans l’Imago, à mettre en avant ses saints de 1597, dont le culte était pourtant officiellement permis. Des raisons plus concrètes expliquent toutefois ce choix iconographique. Nous avons évoqué l’évolution des modes d’exécution au Japon, qui, à partir du premier quart du XVIe siècle, ont privilégié le feu ou les noyades aux crucifiements. Or, pour les Jésuites, les emblèmes ont aussi été un moyen de représenter des figures dont le culte n’était pas officiellement admis, et dont ils cherchaient à obtenir la béatification, comme Carlo Spinola, qui avait lui aussi péri dans les flammes. Par son origine, noble, comme son parcours, ce personnage incarne d’ailleurs parfaitement le message de cette œuvre. Dans son ensemble, le traitement des martyrs du Japon dans l’Imago reflète ainsi l’intégration de ce texte aux enjeux de son temps, et il s’intègre parfaitement à l’image de la mission japonaise que les Jésuites ont voulu diffuser dans le contexte de 1640, qui n’était plus le même que celle des succès de la seconde moitié du XVIe siècle.
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De la mystique espagnole à l’emblématique néerlandaise : Fray Diego de Estella et François van Hoogstraten Silvia Cazalla Canto Université de Navarre. Dans l’Espagne du XVIe siècle, les écrits ascétiques et mystiques, dont le but était d'enseigner à atteindre la perfection de l'âme humaine et son union avec le sacré par différentes voies, ont joué un rôle de premier plan. En effet, ils constituaient une partie doctrinale de la théologie, celle qui tentait de faire connaître la manière dont l'approche du divin favorisait l’expérience mystique. Cette prose religieuse constitue un pan considérable de la culture du Siècle d'or, et sa conséquence immédiate est la vision de l'Espagne comme « patrie des mystiques ». C'est dans ce contexte que l'une des figures les plus significatives de cette période, le frère franciscain Diego de Estalla, écrivit La Vanidad del mundo (Tolède, 1562)267. Près d'un siècle plus tard, l'humaniste néerlandais François van Hoogstraten publia Het voorhof der ziele [L'Antichambre de l'âme] (Rotterdam, 1668). Il s'agit d'un ouvrage qui s'inscrit dans la tradition des emblèmes européens, et plus particulièrement néerlandais, dont la structure est conforme à celle d'un livre d'emblèmes à visée moralisatrice. À première vue, ces deux œuvres ne semblent avoir rien de commun, tant en raison de leur éloignement géographique et chronologique que de la nature différente de leur conception ; cependant, une étude approfondie montrera l'étroite relation qui existe entre elles. Notre objectif est d'étudier les liens entre ces œuvres afin de démontrer les réseaux culturels qui se tissèrent à l'époque moderne entre l'Espagne et les Pays-Bas. Fray Diego de Estella, prédicateur de cour Diego de San Cristóbal est né en 1524 à Estella, en Navarre, dans une famille de marchands, de Diego de San Cristóbal et María Cruzat y Jasso268. On sait peu de choses sur ses débuts, mais il est possible qu'il ait étudié à l'école municipale d'Estella, puis qu'il ait poursuivi ses études à Toulouse et à l'université de Salamanque269, où il prit l'habit en 1541 au couvent de San Francisco el Grande, sous le nom de Frère Diego de Estella. 267
Cet article relève su projet Teatro, Literatura y Cultura Visual, de l’équipe de recherches TRIVIUN de l’Université de Navarre (PIUNA 2017). 268 Pérez Ibáñez 2002, p. 11. 269 Goñi Gaztambide 1946, p. 767; San José Lera 2009, p. 359.
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Frère Diego atteignit rapidement une grande renommée en tant que prédicateur, comme en témoigne sa proximité immédiate avec les cercles de la cour; ainsi, il accompagna Ruy Gómez de Silva, prince d'Eboli, lors de son voyage au Portugal en 1552 à l’occasion des fiançailles de l'infante Doña Juana, sœur de Philippe II, avec le prince du Portugal. C’était « l'un des prédicateurs les plus célèbres de son temps en Espagne, prédicateur de la princesse Doña Juana », comme on peut le lire dans la Chrónica de la Provincia Sancta de Santiago du père Gaspar Martínez270. Il a non seulement fait partie de l'élite des prédicateurs espagnols du XVIe siècle, mais il a également fait preuve tout au long de sa vie d'un extraordinaire talent d’écrivain, produisant à la fois des écrits à caractère évangélisateur dont la doctrine était utilisée pour la prédication, et des traités à caractère ascético-mystique grâce auxquels il s'est imposé comme l'un des grands maîtres de la littérature spirituelle espagnole. La Vanidad del mundo et sa fortune éditoriale En 1562, Tolède voit la publication de l'œuvre avec laquelle Diego de Estella atteindra l'apogée de sa carrière de prédicateur, La Vanidad del mundo [La Vanité du monde]. Composé de trois parties de cent chapitres chacune dans son édition définitive (Salamanque, 1574), il réunit tous les aspects de la vanitas et en transmet le concept : une idéologie basée sur la fugacité de la vie, la menace constante de la mort et l'inanité des choses matérielles, et qui propose l’unique méthode pour parvenir au salut de l'âme, la pratique de l'austérité, de la pénitence et de la prière. Par conséquent, cette œuvre participe relève du même genre que tous les écrits faits pour être diffusés par les orateurs et les prédicateurs grâce à l'art oratoire et la rhétorique271. Dans son rôle de vecteur d'idées et de valeurs morales, elle tente de condenser les clés nécessaires pour se détourner du mal, comme le souligne l'auteur lui-même : « méprisant ces vanités, nous devons servir le Christ »272. Avec cet ouvrage, le franciscain s’engage dans la voie de la littérature ascétique-mystique qui était apparue au XVIe siècle, avec un lectorat qui a dépassé les frontières espagnoles et même européennes, dans sa capacité à émouvoir les consciences et à ne laisser personne indifférent. Son succès était dû à sa propension à forger une vision extrême du monde par des symboles spirituels, à faciliter l’accès à la symbolique sacrée par des images concrètes, en s'éloignant de sa prose habituelle et en proposant des écrits correspondant à sa forte personnalité et à son regard sur la vie. Cette œuvre 270
Llanos García 1998, p. 653. Cerdán 1988a, p. 59-68 ; Cerdán 1998b, p. 23-44 ; Cerdán 2000, p. 87-105. 272 Estella 1980, p. 16. 271
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abondante lui apporta une renommée universelle lorsqu'elle fut traduite en différentes langues : italien, français, anglais, latin, allemand, tchèque, polonais, flamand, croate et même arabe273. Le néerlandais vint ensuite s’y ajouter. L’essor néerlandais de La Vanidad del mundo Les traductions néerlandaises de La Vanidad del mundo témoignent des réseaux culturels entre la Hollande et l'Espagne au XVIIe siècle, lorsque le franciscain éveilla l'intérêt du libraire et humaniste de Rotterdam François van Hoogstraten (1632-1696), figure-clé de la réception de cette œuvre et de son auteur aux Pays-Bas. Dans la vie de Hoogstraten, le fait notable est que son père, Dirck van Hoogstraten, orfèvre, peintre, dessinateur et graveur, avait veillé à ce que ses fils aient accès à une très vaste formation intellectuelle ; en effet, plusieurs de ses frères exerçaient des professions qui exigeaient des connaissances étendues dans plusieurs domaines. David était médecin et vice-recteur de l'école latine d'Amsterdam, Jan libraire et poète, et Samuel, célèbre disciple de Rembrandt, peintre, poète et artiste. Les convictions religieuses de la famille inclinaient vers l'anabaptisme, l'un des courants qui avaient émergé au sein du protestantisme, bien que Hoogstraten ait ensuite embrassé le catholicisme. L'année de sa conversion ne peut être déterminée avec précision ; cependant, Els Stronks suggère qu'elle pourrait se situer vers 1662, et que sa proximité avec le franciscain espagnol pouvait avoir été décisive274. Trois ans plus tôt, il avait donné sa première traduction. Hoogstraten est très étroitement lié à Estella puisqu'il en devint le principal traducteur en néerlandais. Ses traductions successives constituent un projet d'édition complexe qui s’étendit de 1659 à 1665. Toutes offrent la particularité d'être des versions partielles et en aucun cas des versions complètes de l'œuvre originale ; c'est-à-dire que le Hollandais ne traduit pas tout le répertoire du franciscain, mais présente une sélection de ce qu'il considère lui-même comme « le livre d'or des sentences du sage »275. Ainsi, dans sa première traduction (Rotterdam, 1659), il produit un ouvrage composé de 50 chapitres correspondant aux 100 chapitres de la première partie de l'original. Dans ses deux éditions suivantes (Rotterdam, 1662 et 1665), il porte le nombre de chapitres à 60, tout en maintenant la corrélation avec la première partie. Deux éditions ultérieures (Rotterdam, 1663-1665 et 1665) ajoutent les deuxième et troisième parties de l'œuvre espagnole en 273
Ibid., p. 15-24. Stronks 2011, p. 210. 275 Sagüés Azcona 1977, p. 66. 274
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utilisant la même stratégie que dans la première, c'est-à-dire en codifiant les parties qu'il considère les plus pertinentes pour présenter une sélection de 180 chapitres divisés en sections de 60 qui correspondent à chaque partie de La Vanidad. Mais pourquoi un protestant décida-t-il de traduire l'œuvre d'un franciscain espagnol ? Si nous regardons les introductions de 1659 et 1662, nous découvrons le grand étonnement et l'admiration que l'œuvre espagnole a produits chez le libraire de Rotterdam, car il avoue lui-même qu'il a trouvé ces écrits « si religieux et édifiants, [qu’il] n'a pu [se] retenir de les traduire du latin en néerlandais pour le bénéfice des humbles [...] en espérant que le lecteur les trouvera édifiants »276. Il nous assure également en 1662 que « les vanités d'Estella ont été reçues de manière positive [...] dont la grâce et l'édification transcendante donneront aux non-catholiques un témoignage suffisant que quelque chose de bon peut venir de Nazareth »277. Il justifie ainsi la continuité de ses traductions, dont le but est d'exposer des leçons et des enseignements qui paraissent clairs à comprendre du point de vue de la vanitas. Tout cela a été la cause qui l'a motivé à produire chaque écrit, puisque, comme il l'affirme, « nous ne nous contentons pas de profiter de cette douceur uniquement en langues étrangères »278, mais que ses compatriotes doivent avoir la possibilité d’avoir accès à l'œuvre d'Estella, qui n'aurait aucun sens s'ils n'en profitaient pas et ne s'amélioraient pas avec ses enseignements. Mais dans les propres mots de l'auteur, on peut également percevoir un désir de réconcilier les deux confessions, le protestantisme et le catholicisme. Hoogstraten va encore plus loin et ouvre la porte au salut de l'âme par une admonestation sur les vanités du monde, qui, comme il le souligne lui-même, n'aborde pas « les divers sujets religieux qui, au lieu d'être profitables, enflamment les tempéraments des différentes églises et les opposent les uns aux autres »279. Son objectif est donc de détourner les hommes, quel que soit le dogme auquel ils adhèrent, du vice et de la vanité mondaine. Nous nous intéressons à une édition (Amsterdam, 1712) qui, bien qu'elle soit une œuvre posthume de Hoogstraten, maintient un lien direct avec ses traductions en ce qui concerne la distribution des chapitres, et montre ainsi une continuité avec le projet éditorial dans lequel l'éditeur néerlandais était impliqué. Un nouveau traducteur, le prédicateur protestant Everardus van der Hoogt (1642-1716), apparaît dans le livre. Il a écrit la première et la troisième partie du livre, utilisant Hoogstraten pour la deuxième partie. Il justifie son choix de traduire l'œuvre par une phrase de Sénèque : « On ne fait jamais suffisamment réfléchir les gens sur quelque chose qu'ils 276
Hoogstraten 1668, f. 3. Hoogstraten 1662, f. a2r. 278 Ibid., f. a2v. 279 Ibid., f. a5r. 277
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n'apprennent jamais suffisamment »280. Ce faisant, il montre que le thème du mépris de la vanité est une question qu'il ne faut jamais négliger, car le salut de l'âme humaine tourne autour de lui, et l'âme humaine n'est jamais assez consciente de son importance. Estella y joue un rôle fondamental, puisque selon les propres termes du traducteur : « Je n'ai jamais lu un écrivain qui se soit exprimé sur le thème du mépris du monde avec une telle élégance pédagogique »281. Il y a une nouveauté dans ce cas par rapport aux éditions du XVIIe siècle ; Van der Hoogt introduit maintenant des planches gravées dans le but d’illustrer le contenu de certains chapitres de La Vanidad. Il a décidé de « procurer du matériel pour composer des Emblemata didactiques », car les images ont la capacité de mettre sous nos yeux un contenu instructif. Il insère ainsi une série de gravures qui, à la manière des emblèmes, mettent en scène un enseignement moralisateur accompagné d'un court poème qui fonctionne comme une épigramme. En somme, un ensemble de dix-huit gravures rend compte de tout un univers qui tourne autour de la vanitas et qui, soutenu par les textes poétiques, approfondit le sens didactique de la composition. Comme les éditions précédentes traduites en néerlandais, ceci nous amène à analyser une autre question : la réflexion menée sur La Vanidad aux Pays-Bas. Pendant près de dix ans, Hoogstraten a travaillé à la traduction de Fray Diego, dans le cadre d'un processus complexe qui ne se limite pas à la simple traduction, puisqu'il sélectionne les contenus qu'il juge les plus significatifs pour transmettre son message. Ce réajustement a culminé seize ans après la mort du Hollandais, lorsque la traduction de 1712 a inclus des gravures illustrant la sélection précédente de chapitres. Mais quel pouvait être le motif de l'illustration de La Vanidad au début du XVIIIe siècle ? En effet, après s'être imposé comme le principal traducteur néerlandais d’Estella, Hoogstraten était en mesure, en 1668, de créer une œuvre originale dont le point de départ était La Vanidad del mondo. C'est ainsi que Het voorhof der ziele (L’Antichambre de l'âme] a vu le jour. François van Hoogstraten et l’Antesala del alma Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, l'humaniste et libraire François van Hoogstraten manifeste la même préoccupation qui avait dominé la pensée du prédicateur navarrais un siècle plus tôt : les erreurs et les vices que les gens commettent quotidiennement, les faiblesses et les défauts qui infectent leur âme et les détournent du chemin de Dieu. Selon la conception propre au Néerlandais, la solution pouvait être découverte par différentes méthodes et 280 281
Van der Hoogt 1712, f. a3v Ibid., f. a3v.
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dès l’instant où il se convainquit de la nécessité d’y trouver remède, il considéra que le procédé le plus approprié pouvait être l'enseignement didactique de la voie du salut à travers la création d'un livre d'emblèmes, Het voorhof der ziele. L’ouvrage fut publié en 1668 à Rotterdam avec une dédicace à Johan de Vries, maire et gouverneur de la Compagnie des Indes orientales dans cette ville. Hoogstraten accorde à la littérature emblématique une place éminente comme vecteur d'idées et de valeurs éthiques ; c’est un genre qui offre à profusion toutes sortes de concepts, de croyances et de doctrines, grâce à sa composition dans laquelle gravures et textes poétiques bâtissent tout un univers de moralité. Dans l'introduction de son ouvrage, Hoogstraten se réfère à différentes périodes historiques et à différents auteurs, depuis l'Antiquité classique jusqu’à ses contemporains, afin de justifier les raisons qui l'ont amené à concevoir un texte à caractère emblématique, tout en soulignant que les vers composant ses épigrammes pouvaient par leur disposition « ne pas être inappropriés, même s’ils sont [prononcés] en chaire »282. En d'autres termes, l'auteur utilise divers arguments pour affirmer que son répertoire d'images et de poèmes n'est pas pernicieux, même pour l'éloquence sacrée, dans un pays où le protestantisme est la religion dominante et boude les images liées à la religion. Il commence sa présentation par une allusion à l'Antiquité, en s'appuyant sur des personnages qui ont utilisé l'image comme méthode d’enseignement dans des domaines très variés, depuis les Égyptiens avec leurs hiéroglyphes, jusqu'à l'Antiquité classique avec des exemples comparables à ceux d'Aristote qui considérait les sens tels que la vue et l'ouïe comme des outils pour une connaissance spécifique. Il cite l’exemple de Tarquinius et de l'histoire des coquelicots avec lesquels il envoya un message à son fils Sextus ; et enfin, les fables d'Ésope, qui utilisaient des bêtes et des animaux avec lesquels l'auteur évaluait un comportement et les conséquences de celui-ci dans une situation particulière. Mais il ne se contente pas de rassembler des figures classiques ; il incorpore aussi à son discours des histoires racontées dans l'Ancien Testament, comme celles d'Abimelech, de Nathan et d'Absalom, et il se risque même à mentionner le Sauveur luimême, qui « par ses enseignements au moyen d'images et de comparaisons conduisait ses disciples au ciel »283, dans une allusion claire aux paraboles. Cependant, la clé principale se trouve dans sa mention des auteurs d’emblèmes contemporains, qui non seulement étaient ses compatriotes, mais encore réalisèrent des livres d'emblèmes présentant les mêmes caractéristiques que celles qu'il observerait dans son recueil, c’est-à-dire le caractère multilingue des motti et des épigrammes, ainsi que l’appropriation
282 283
Hoogstraten 1668, p. 4. Ibid., p. 4.
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par les gravures des traits saillants de l'esthétique et des formes de la peinture hollandaise. Parmi eux figurent Daniel Heinsius (Emblemata amatoria, 1607-08), Jacob Cats (Emblemata, 1618), Johan De Brune (Emblemata de Zinnewerck, 1624) et Marcus Zuerius Boxhornius (Emblemata política, 1635), en compagnie desquels il se proclame auteur d'emblèmes dès le début de son ouvrage. Il suit en quelque sorte les traces de ces auteurs afin de donner à son travail un caractère emblématique, mais alors que cette mention pourrait suggérer l'utilisation de leurs recueils dans son œuvre dans le but d'en tirer des leçons qui pourraient l'aider dans sa composition, il ne s’y trouve qu'une seule référence précise à l'un d'entre eux. Il s'agit des Emblemata politica de Boxhornius, et plus précisément de l’emblème VII, Probis Probari [Digne de confiance], que Hoogstraten cite dans son emblème 52 relatif à la sagesse, Nos insensati vitam illorum aestimabamus insaniam et finem illorum sine honore [Nous, les insensés, tenions leur vie pour une folie et leur fin pour un déshonneur]. Avec cet ouvrage, Hoogstraten met en évidence un jugement sur la transmission d'idées exemplaires et instructives par le biais de deux de nos sens, la vue et l'ouïe. Comme on le sait, la littérature emblématique emploie le mot et l'image pour faire allusion à un enseignement moral adressé aux personnes de toutes classes sociales. Hoogstraten utilise donc la structure tripartite de ce genre pour introduire dans son œuvre des picturae et des assertions qui nous aident à comprendre le message qu'il veut intégrer à son recueil. Mais il va également beaucoup plus loin et ajoute la sonorité au texte et à l'image par l’intermédiaire des épigrammes en vers, créant d’authentiques poésies sonores avec lesquelles il séduit les sens de la vue et de l'ouïe dans le but d'éduquer, d'éclairer et de catéchiser ; en bref, de ravir tout en enseignant. Il termine son prologue en précisant que le but de son œuvre n'est autre que de détourner l'âme humaine, par le son et l'image, du chemin du péché pour l'initier à la vraie vertu et l'élever vers un niveausupra-sensoriel, comme l’écrit son frère Samuel dans l'un des poèmes introductifs : « Voici l'âme, en emblèmes [...] pour choisir le bien et éviter le mal, et se plier joyeusement à la volonté de celui que les chambres intérieures ont préparé pour recevoir l'âme »284. L'argument avancé par Hoogstraten dans son introduction est captivant du point de vue de la littérature emblématique, car le Néerlandais ne cesse d'attirer l'attention sur la pertinence de ce genre comme outil d'enseignement. Mais il reste silencieux lorsqu'il s'agit d'élucider l'origine de son écrit. Que nous cache l’auteur d’emblèmes des Pays-Bas ? Nous ne pouvons passer sous silence un aspect qui suscite notre intérêt et nous amène à analyser une autre question : les sources de l’Antesala del 284
Ibid., p. 3.
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alma. Dans son avant-propos, Hoogstraten passe sous silence toute source d'inspiration, et pourtant son ouvrage a une généalogie. Il est pertinent d’affirmer qu’il trouve son point de départ dans le livre qu'il traduisait depuis 1659, La Vanidad del mundo. Une analyse approfondie montre que l’auteur néerlandais fait continuellement référence à l'œuvre espagnole et à ses sources, en utilisant les mêmes citations que celles que l'on retrouve tout au long de ses chapitres. Parmi elles, les sentences bibliques, tant vétérotestamentaires que néotestamentaires, qui s'avèrent être la source principale ; les philosophes et auteurs classiques, tels que Sénèque, Aristote, Platon et Virgile entre autres ; et les exégètes médiévaux, dont la doctrine est liée aux références bibliques. À cela s'ajoutent les Pères de l'Église, dont la lecture directe de leurs écrits, auxquels il se réfère constamment, l’a en grande partie inspiré, et L'Imitation de Jésus-Christ de Thomas a Kempis. Mais il y a aussi des allusions continues à l'œuvre même de Fray Diego (près d'une cinquantaine), ce qui rend irréfutable la répercussion évidente du Navarrais sur l'œuvre néerlandaise. En relation directe avec le degré d'influence entre les deux ouvrages, il existe une autre particularité qui nous conduit à la même idée. Pour composer ses picturae, Hoogstraten utilise les mêmes images que celles que décrit le franciscain navarrais, et ce qui pourrait à première vue sembler relever de la tradition néerlandaise se trouve en réalité dans les arguments de La Vanidad. C'est-à-dire que les images mêmes que Fray Diego propose dans son écrit comme exemples du propos qu'il développe sont figurées par le Hollandais dans ses gravures avec à peine quelques modifications ; c’est la preuve qu’il s’inscrit bien dans la suite de l’entreprise emblématique du traité espagnol. En définitive, la comparaison entre les deux textes démontre que les thèmes qu'il aborde, la manière dont il le fait, les sources qu'il utilise et même les idées dont il se sert et qui sont converties en images, sont la preuve évidente que l’Antesala del alma n'est pas une traduction de l'œuvre espagnole, mais une bien plutôt une emblématisation de La Vanidad del mundo. Néanmoins, à présent que nous avons considéré l'influence de Fray Diego sur Hoogstraten, nous devons également reconnaître un certain degré d'originalité grâce auquel l’Antesala n’est ni un plagiat ni une traduction de La Vanidad. Cette originalité découle fondamentalement de trois aspects : d'abord, la nature même de l'œuvre, puisqu'il s'agit d'un livre d'emblèmes et non d'un traité religieux ; ensuite, le Hollandais transforme la prose en poésie ; et troisièmement, il inclut des auteurs postérieurs à Fray Diego, c'est-à-dire des citations faisant autorité qui certifient ce que l'auteur de La Vanidad avait déjà signalé, comme Luis Vives ou l'emblémiste Saavedra Fajardo et ses Empresas políticas ; un fait qui approfondit encore le caractère emblématique de cette œuvre et qui confère à Hoogstraten et à son Antesala del alma un degré d'originalité indiscutable.
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Structure de l’Antesala del Alma Pour la composition de l’ouvrage, l'emblémiste néerlandais n'utilise que la de La Vanidad, car c'est celle qui a le plus d’incidence sur le concept de vanitas. Ainsi, sa structure est constituée de 60 emblèmes qui correspondent aux 100 chapitres de l'œuvre espagnole, dont les énoncés explicitent l'idée de vanitas. Cependant, bien qu'il soit composé de 60 emblèmes et non de 100, il traite de l'ensemble du contenu du traité espagnol, c'est-à-dire que le fait qu'il ne respecte pas la centurie ne signifie pas qu'il ne traite pas de tous les thèmes qu'expose Fray Diego, puisque l'auteur espagnol envisage dans ses 100 chapitres un total de 50 blocs conceptuels ; ce qui nous conduirait à parler d'idées, de concepts ou d'arguments et non de chapitres, car un même thème peut se prolonger à travers plusieurs sections, comme dans le cas de La Vanidad de las riquezas temporales, qui s'étend sur les chapitres 43-50. L’Antesala del Alma rassemble donc toute la doctrine du premier livre de La Vanidad.
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De l’emblème à la tragédie : un exemple d’interdisciplinarité chez Nicolas Caussin Tetsuo Chikawa, Université Ritsumeikan, Japon Présentation Il existe de nombreuses études portant sur le rôle de l’art emblématique au sein du théâtre en langues vernaculaires. On pourrait notamment citer celles qui traitent du théâtre de l’ère élisabéthaine, ou encore de celui de l’époque baroque en Allemagne285. En revanche, il n’existe pour l’instant que de très rares travaux sur la relation entre l’emblème et le théâtre en langue latine dans les activités de la Compagnie de Jésus malgré l’intérêt de ce champ d’étude. Cette situation peut être expliquée par la remarque de Jean-Marie Valentin qui affirme : « à part précisément les auteurs qui utilisent les tableaux vivants et les préludes allégoriques aux différents actes, les dramaturges insèrent peu d’emblèmes dans leurs textes »286. Mais quand bien même il représenterait une exception, l’exemple de Nicolas Caussin mérite une attention particulière. Caussin est un prêtre jésuite, dramaturge et professeur de rhétorique au collège de la Flèche en France au début du XVIIe siècle. S’il est digne d’une attention spéciale en tant que dramaturge, c’est qu’il a la particularité d’associer le théâtre et l’emblème dans ses pièces. Il a publié un recueil de cinq tragédies latines sous le titre de Tragoediae sacrae en 1620, et deux ans plus tôt Polyhistor symbolicus, un livre d’emblèmes ayant la particularité de ne comporter aucune gravure. Caussin nous fournit un exemple précieux qui illustre les relations que peuvent entretenir ces deux arts que sont le théâtre et l’emblème. Cet article est divisé en trois parties : dans un premier temps nous aborderons la conception particulière que Caussin se fait de l’emblème. Cela servira de base à l’analyse que nous présenterons ensuite de plusieurs exemples d’utilisation d’emblèmes au sein de ses tragédies. Nous conclurons en formulant l’hypothèse que chez Caussin l’emblème est intégré au théâtre pour des raisons non seulement esthétiques mais également didactiques.
285
Il existe de nombreuses études sur le rapport entre l’emblème et le théâtre de l’époque élisabéthaine ; par exemple Daly 1979, p. 153-186. Jean-Jacques Chardin a donné une conférence magistrale à propos des influences de l’art emblématique sur Shakespeare durant la deuxième journée du XIe congrès international de la Society for Emblem Studies (le 4 juillet 2017 à Nancy). Pour le rapport entre l’emblème et le théâtre baroque en Allemagne, voir Schöne 1964. 286 Valentin 2001, p. 136.
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Définition de l’emblème par Caussin La question épineuse de la définition de l’emblème à une époque où sa pratique est caractérisée précisément par sa diversité et même l’ambiguïté de son statut a fait couler beaucoup d’encre. Nous ne nous risquerons donc à cet exercice que dans le but d’établir la position de Caussin à titre d’étape préparatoire à l’analyse de ses pièces de théâtre. Dans les Electorum symbolorum et parabolarum historicarum syntagmata, Caussin affirme que l’emblème [e]st enim proprie symbolum aliquod ingeniosum, suaue, et moratum, ex pictura et lemmate constans, quo aliqua grauior sententia indicari solet287. Son choix de classer l’emblème dans la famille des symboles semble dériver de la lecture des Emblemata d’Alciat, édités et commentés par Claude Mignault. En effet, Alciat va chercher l’origine des emblèmes dans la naissance des signes et des symboles288. De plus, dans sa longue préface à l’ouvrage, Mignault classe l’emblème comme une subdivision des symboles tout en le rapprochant de l’énigme et de la parabole. Comme l’a remarqué avec perspicacité Daniel Russell289, le commentaire de Mignault distingue l’emblème de l’énigme, arguant que la seconde est d’autant plus ambiguë qu’elle est voilée ou cachée290. À l’instar de Mignault, Caussin attribue à l’emblème plus de clarté et de compréhensibilité qu’à l’énigme. En revanche, alors que Mignault considère que la parabole peut être employée par tous tandis que l’usage des emblèmes est limité aux érudits291, Caussin, en bon pédagogue, n’adopte pas la même posture élitiste. Il considère que la parabole peut devenir emblème en étant simplement plus prolongée et plus clairement rassemblée. Pour lui, l’emblème n’est rien d’autre qu’une parabole à laquelle est ajoutée un lemma, c’est-à-dire une inscription. Ce qui est problématique dans la conception de l’emblème de Caussin, c’est qu’il ne s’agit pas pour lui d’un art hybride, composé d’une part d’une illustration et de l’autre d’un texte. Il y a tout lieu de penser qu’il conçoit l’art emblématique comme une expression purement textuelle. Par exemple, lorsqu’il parle de la pictura, qui est l’un des deux éléments constitutifs de l’emblème, il signifie une image au sens figuré. Cette conception devient claire en examinant son usage du mot latin icon. Pour parler des emblèmes
287
« Le propre [de l’emblème] est d’être un symbole ingénieux, agréable et moral, qui se compose d’une image et d’une inscription, et exprimant d’ordinaire une pensée grave », Caussin 1618a, sans pagination. 288 Vuilleumier Laurens 2000, p. 151. Elle affirme que Caussin a lu les Emblamta d’Alciat avec une des éditions contenant le commentaire de Mignault. Vuilleumier Laurens 2007, p. 303. 289 Russell 1986, p. 232. 290 Alciat 1574, p. 31. 291 Ibid.
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conçus par les trois emblémistes, Alciat, Hadrianus Junius et Boissard292, il emploie le mot icon en lieu et place d’emblema. D’autre part, lorsqu’il se réfère au Polyhistor symbolicus, son propre recueil d’emblèmes qui ne contient aucune illustration, comme à un catalogue de centaines d’icones293, il le fait entrer dans la même catégorie que les trois célèbres recueils, faisant ainsi correspondre ses propres emblèmes, pourtant purement textuels à la notion d’icon. Déplacé de la sorte dans le domaine de la rhétorique, l’emblème constitue un symbole qui illustre un concept par une image concrète au même titre que la parabole et l’énigme. Et les deux constituants de l’emblème que sont l’inscription et la description peuvent être tout verbaux. Cet emblème langagier est ainsi parfaitement adapté à être introduit dans le texte théâtral. Cela est d’autant plus approprié qu’à cette époque le théâtre de la Société de Jésus constituait un sujet de la classe de rhétorique. C’est donc la rhétorique, art du langage par excellence, qui se situe au croisement de l’emblème et du théâtre. Intégration d’images emblématiques dans le théâtre de Caussin Passons maintenant à l’analyse de la manière dont Caussin se sert des emblèmes dans ses pièces de théâtre. Tout d’abord, nous allons présenter quelques exemples permettant d’illustrer le rôle que jouent les livres d’emblèmes en tant que sources des images qu’invoque Caussin à l’intérieur de ses pièces. Il puise parfois dans son propre recueil d’emblème, mais va aussi chercher des modèles chez d’autres emblémistes. Durant l’entracte entre le IVe et le Ve acte de la tragédie chrétienne en prose Hermenigildus, le héros éponyme se livre à un monologue au cours duquel il compare le début prospère de sa carrière avec la naissance d’une perle : Qualis ubi exultat primo sub lumine concha Iam praegnans rore, et tenero se sole maritat, Et mox impletur foetu, gestitque sub auras Unio spes Indi.294
Cette description de la naissance de la perle, fruit de l’accouchement de l’huître et suscitée par la rosée et l’aurore, s’inspire directement d’un passage de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien (IX, 54) que Caussin cite
292
Caussin 1619, p. 133. Caussin 1620, p. 178. 294 « Comme lorsque l’huître exulte à l’aube / Alors remplie par la rosée et fécondée par la lumière ténue du soleil, / Bientôt après est rendue enceinte de son fruit sous le Ciel, / Et porte la perle, l’espoir de l’Inde », Caussin 1620. 293
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dans son Polyhistor symbolicus295. En contraste avec la fidélité de cette citation, la suite du texte qui décrit la chute du héros fait montre d’un écart avec sa source tout en poursuivant l’analogie de la perle : [...] coelo improuisa sereno Tempestas inimicum imbrem, mundique fragore Fulmina praecipitat, queis intercisus in aluo Partus hiat, tenuesque cinis uanescit in auras.296 La foudre qui cause l’avortement de l’huître est une métaphore représentant le complot ourdi par des courtisans envieux qui a compromis la fortune du héros. Dans son recueil d’emblèmes, Caussin présente la foudre comme facilitant l’accouchement des huîtres en se basant sur la Personnalité des animaux d’Élien. Mais il s’écarte ici de cette autorité afin de développer une image de l’avortement des huîtres affolées par la foudre en s’inspirant, encore une fois, de l’Histoire naturelle. On peut constater que Caussin ne cherche pas à transposer directement son propre recueil d’emblèmes dans le texte de sa tragédie. Cette liberté qu’il prend vis-à-vis de ses sources lorsqu’il s’agit d’inventer des images emblématiques est également visible dans d’autres de ses textes. Par exemple, la IVe scène du IIe acte de Solyma, une tragédie d’inspiration biblique sur la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor. La scène représente un duel entre le général des Chaldéens et les deux généraux des Hébreux. Un messager raconte comment les frères Eleazar et Azarias, tous deux généraux du roi Sedecias, s’engagent dans le combat après avoir relevé le défi lancé par le chef de l’armée ennemie. Étant professeur de rhétorique, Caussin ne manque pas d’insister sur le morceau d’éloquence auquel il s’adonne dans tout le passage suivant, car il ajoute exceptionnellement une didascalie qui précise que Duo fratres comparantur cum stellaribus Aquilis [Les deux frères sont comparés à des aigles stellaires]. À la suite de la sortie de scène d’un des généraux, un messager livre au public une longue description métaphorique dans laquelle des aigles acculent un taureau représentant l’ennemi, et qui, ensanglanté et rendu furieux par la douleur, s’enfuit dans la forêt. Postquam uoluti puluere in medio, graui Sparsere pennas nube, tum capiti insident Tauri fugacis, uentilant alas leui Iactu micantes, lumina excaecant, agunt 295
Caussin 1618b, p. 648. « […] dans le ciel serein, soudain / La tempête déchaîne une pluie hostile et le fracas du Ciel / Et les foudres par lesquelles l’huître est fendue au ventre et / Vomit des cendres qui s’évanouissent dans l’azur », Caussin 1620.
296
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Per tesqua caecum pondus, instigant, rotant, Donec reducta sepserint ualle abditum, Auidoque opimam fecerint uentri dapem. (II, 4)297 La source de cette description provient ici encore du Polyhistor symbolicus (VI, 25) où l’on trouve le motif de l’aigle de Crète à la chasse au taureau298. Cet épisode est, comme l’admet le dramaturge lui-même, une transcription de La Personnalité des animaux d’Élien (II, 39). Mais ce qui est remarquable, c’est que la description des aigles dans Solyma contient également d’autres détails puisés, eux encore, dans l’Histoire naturelle de Pline (X, 5) et traitant des combats que livrent les aigles aux cerfs. Dans les vers cités, les aigles se roulent d’abord dans la poussière et s’en couvrent pour la jeter par un battement d’aile dans les yeux de leurs proies. Il est cependant notable que la description de cette série d’actions ne figure pas dans le livre d’emblèmes de Caussin, ni chez Élien. Caussin emprunte à Pline la description d’un comportement similaire, mais dont le contexte est différent. Ici Caussin s’autorise à créer librement une image composite basée sur plusieurs sources, plutôt que de retranscrire fidèlement un emblème tiré d’une autorité. Étant versé dans les textes antiques, Caussin a sans doute pu puiser les détails de la chasse chez Pline pour les combiner avec ceux d’Élien. Mais on peut également avancer le potentiel rôle de médiateur joué par le IIIe tome des Symbolorum et emblematum de Joachim Camerarius, consacré aux oiseaux et aux insectes. On y retrouve une description de l’aigle à la chasse, accompagnée de l’inscription Instanti victoria [la victoire à celui qui s’adonne sans relâche]299. Par ailleurs, cette inscription qui associe la mise à mort de la chasse à une victoire glorieuse pourrait convenir au texte de Solyma encore mieux que l’inscription que propose Caussin lui-même dans le Polyhistor symbolicus. En effet, son inscription, Daemon peccatores capiens [le démon attrape les pécheurs], assimile l’aigle au diable qui précipite les croyants dans la damnation en leur subtilisant la lumière de la foi. Cet exemple illustre parfaitement la manière par laquelle il applique l’emblème dans le théâtre. Alors que les emblèmes dont il se sert proviennent souvent de son recueil, il en omet fréquemment l’inscription. Cela lui permet d’en détourner le sens et de leur donner une nouvelle interprétation.
297
« Après s’être roulés dans la poussière, / Les aigles répandent leurs plumes en une nuée épaisse, et se perchent / Sur la tête du taureau en fuite, puis remuent leurs ailes étincelantes / En un mouvement léger afin de l’aveugler. Puis, ils conduisent / La masse aveuglée du taureau en des lieux déserts et, le piquant, le dirigent / Jusqu’à ce qu’ils l’aient précipité dans une vallée retirée / Et offrent un riche festin à leurs estomacs avides », ibid. 298 Caussin 1618b, p. 290-291. 299 Camerarius 1596, p. 10.
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En dehors de son propre recueil, Camerarius est l’un des emblémistes les plus fréquemment cités par Caussin. Par exemple, au début de la tragédie chrétienne Felicitas, centrée sur l’histoire des martyrs sous l’empire de Rome, l’empereur Aurelius débat avec lui-même s’il a la légitimité de jouir du pouvoir absolu. Son monologue s’appuie sur l’image métaphorique du paon : Non est Quirini luxus Imperii nota. Decore certet pauo gemmanti nitens, Pictosque honores diuitis caudae explicet : Virtute par est Martium niti genus. (I, 3)300 Depuis l’Antiquité, de nombreux auteurs ont insisté sur le symbole d’arrogance que représente le paon. Par contre, en apprécier la beauté extérieure en l’assimilant avec l’éclat des mérites intérieurs est un discours plus rare que Caussin a pu emprunter à Camerarius. Dans le IIIe tome des Symbolorum et emblematum, un emblème représente un paon déployant ses ailes, avec l’épigramme : Pulchra suis ueluti est uolucris Junonia pennis : / Sic uirtus proprio lumine clara nitet [De même que le paon est beau avec ses propres ailes, / la vertu glorieuse brille de sa propre lumière]301. La ressemblance entre les deux textes saute aux yeux. Dans son recueil d’emblèmes, Caussin emprunte des images emblématiques non seulement à plusieurs Pères de l’Église, ainsi qu’à des historiens et naturalistes de l’Antiquité, mais aussi à Camerarius. Par exemple, il présente l’emblème de l’arbrisseau d’aspalathus [aspalathos] qui émet son odeur lorsqu’il se trouve sous un arc-en-ciel, et commente : Hoc notauit Camerarius ex Plinio, lib. I, symbolorum [Camerarius décrit cela dans le premier tome de ses Symbolorum en suivant Pline l’Ancien]302. Une différence entre Caussin et Camerarius réside dans l’inscription. Chez Camerarius, l’aspalathos symbolise l’influence de la nature qui est plus forte que les efforts humains303. Caussin, lui, l’interprète selon le prisme du christianisme comme le résultat de la grâce divine. On trouve ainsi plusieurs exemples où une même iconographie reçoit une interprétation différente de la part de Camerarius et de Caussin. Dans ses pièces, en revanche, Caussin n’hésite pas, le cas échéant, à s’éloigner de son propre recueil d’emblèmes pour s’inspirer du botaniste allemand. Alors que tous les exemples que nous avons présentés jusqu’ici étaient privés d’inscription, le suivant est accompagné de ce second élément 300
« La marque de l’empire n’est pas une débauche des Romains. / Que le paon brillant rivalise au moyen de sa parure de pierres précieuses / Et déploye les décorations de sa riche queue. / De même il est convenable aux Romains de jouir de leur valeur », Caussin 1620. 301 Camerarius 1596, p. 20. 302 Caussin 1618b, p. 428. 303 Camerarius 1590, p. 6.
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constitutif de l’emblème. Au dénouement de Solyma, un messager raconte au moyen d’une image comment Sedecias, enchaîné, est rendu furieux par la mort de son fils : […] pugnat in fatum dolor. Qualis uadosae Tethyos praestant canis, Cui piscium inter inclytos soli greges Natura sobolis altius curam imprimit : Si forte subiit retia incautus, suos Trahens amores squammeae prolis decus, Oblitus ipse mortis, et uitae, et sui, Charum gementi similis exportat genus, Tentatque casses dente, et inclusus furit. (V, 5)304 Dans le Polyhistor symbolicus, Caussin présente la légende des dauphins femelles qui laissent leurs petits retourner dans leur ventre afin de les protéger contre un danger imminent305. Il a pu rencontrer ce motif, dont il se sert comme emblème de l’amour parental, chez Oppien (les Halieutiques, tome V, v. 526-578) ou Basile de Césarée (l’Hexaéméron, hom. VIII). Cette réputation des dauphins comme parangons d’amour parental a donné naissance à un autre motif que l’on peut trouver chez Oppien ainsi que chez Camerarius306. Les deux auteurs décrivent comment les dauphins risquent leur vie afin de sauver leur progéniture prise dans les filets des pêcheurs. On trouve également dans les recueils d’emblèmes de nombreux exemples illustrant de manière similaire le sujet du sacrifice motivé par l’amour parental. Mais au lieu de les reprendre directement, Caussin préfère ici inventer une image emblématique originale, composée d’une inscription, « la douleur est aux prises avec le destin », et de la peinture de l’amour furieux et suicidaire des requins, probablement inspirée par Oppien (tome IV, v. 242-263). On peut constater que Caussin fait preuve de créativité même lorsqu’il s’agit d’images similaires à celles qui y figurent. Par ailleurs il n’hésite pas à s’éloigner de sa propre interprétation afin d’adapter l’image au contexte même s’il a à sa disposition une vaste collection d’emblèmes. Les images emblématiques dans les pièces de théâtre de Caussin ne conduisent pas les
304
« […] la douleur est aux prises avec le destin. / [Sedecias est] Comme les requins auxquels / Parmi les illustres bancs de poissons, / La Nature a imprimé l’amour le plus profond envers leur progéniture. / Si par hasard l’un des siens, imprudents, se prend aux rets, / Le charme du petit couvert d’écaille suscitant son affection, / Le requin ayant oublié même la mort, sa propre vie et soi-même, / Pareil à son enfant gémissant, libère son cher rejeton / Et attaque le filet avec les dents et s’enferme dedans et tombe furieux », Caussin 1620. 305 Caussin 1618b, p. 451-452, 455-456. 306 Camerarius 1604, p. 13.
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spectateurs-lecteurs vers le livre d’emblèmes du dramaturge. Pour Caussin, les emblèmes ne sont pas normatifs mais malléables. Reste à savoir comment fonctionnent les images emblématiques dans les tragédies de Caussin. Les emblèmes sont pour la plupart employés dans un récit ou un monologue. Autrement dit, ils se déploient non pas au niveau de l’intra-scénique mais de l’extra-scénique. Ces emblèmes ne jouent pas de fonction argumentative, qu’il s’agisse de réfuter ou corroborer une proposition. Ils ne contribuent donc pas à développer les dialogues. Ces images emblématiques visent à souligner la dimension esthétique de la pièce de théâtre. Prenons encore comme exemple des images invoquées dans Solyma. L’image de l’aigle qui aveugle le taureau pour le précipiter dans la vallée établit un parallèle avec l’aveuglement du roi Sedecias, qui, lors du dénouement, se fait crever les yeux. L’image du requin évoque le déchaînement de passions destructrices telles que furor et dolor, passions qui sont autant de caractéristiques distinctives des personnages sénéquéens, renforce aussi la dimension tragique de la pièce. En d’autres termes, ces deux exemples d’emblèmes forment un réseau d’images évoquant le thème central de la tragédie, c’est-à-dire Dieu punissant implacablement les hommes aveuglés par la fureur en provoquant la destruction de leur pays. Il est possible d’avancer l’hypothèse que Caussin avait l’intention de former une isotopie d’images tragiques, et que, pour les concrétiser, il a eu recours aux images emblématiques. Les tragédies de Caussin représentent un cas d’école de combinaison de l’emblème et du théâtre à un niveau esthétique ; esthétique au sens de ce qui forme un ensemble harmonieux d’images diverses mais pas disparates. Conclusion Classés dans la catégorie des descriptions visuelles, les emblèmes s’accordent d’autant plus naturellement au théâtre que celui-ci est, d’après Caussin, le lieu de la rhétorique. C’est donc la rhétorique, art verbal, qui lui permet de combiner emblème et théâtre. Une des caractéristiques majeures du théâtre de Caussin est son utilisation des figures de rhétorique imagées : la prosopopée, l’hypotypose, l’allégorie, et bien sûr l’emblème. Ces figures qui consistent à faire voir ce qui est invisible en faisant appel à l’imagination des spectateurs-lecteurs font écho à la vision du monde des jésuites qui reconnaissent dans la nature la trace de la main du Créateur sous forme de signes. Caussin ouvre son livre d’emblèmes par la proclamation que le monde est une image symbolique faite par Dieu307. Dans les Electorum symbolorum et parabolarum historicarum syntagmata, il explique également que le monde 307
Caussin 1618b, p. 1.
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a été créé par Dieu et présenté dans toute sa variété aux yeux des premiers hommes comme une scène sur laquelle se trouvent toutes sortes d’images élaborées pour les initier à reconnaître les apparences, comme si, à travers des nuages, ils fixaient leur regard sur les rayons intermittents de Dieu308. En contemplant toute créature, même triviale, les hommes peuvent indirectement voir l’œuvre de Dieu. Pour exprimer cette idée, Caussin adapte le vers de Lucain Iuppiter est quodcumque uides, quodcumque moueris (La Pharsale, IX, v. 580) de telle manière à être prononcé par le chœur du Nabuchodonosor : Aduerte mentem, si potes, est Deus / Quodcumque cernis, quod moueris / Hoc Deus est309. Cette conception théologique jésuite permet à Caussin de créer des emblèmes comme figures de similitude à partir de n’importe quel élément de ce monde. En effet, si toute chose est une incarnation du divin, par l’invention d’emblèmes on démontre la plénitude de Dieu qui est à l’origine de la diversité du monde. L’acte d’inventer librement des images emblématiques et de leur donner une interprétation se fonde sur l’inspection des créatures qui sont toutes des signes visibles témoignant de la présence invisible de Dieu. Pour terminer, nous voudrions proposer une hypothèse sur la fonction didactique des emblèmes dans le théâtre de Caussin. Théâtre et emblème, deux arts qui comportent à la fois des éléments visuels et textuels, sont combinés chez Caussin par l’intermédiaire de la notion de théâtre du monde. Si le monde est pensé à travers une comparaison au théâtre, et réciproquement le théâtre comme une représentation du monde, rempli d’images, l’emploi des emblèmes dans le théâtre revient à illustrer la diversité du monde et à en célébrer le Créateur. Grâce aux images emblématiques que Caussin insert dans la représentation, les élèves du collège sont invités à dépasser ce qui est représenté sur scène, et à voir par les yeux de l’imagination au-delà de la scène. Les images emblématiques représentent tout autre chose que ce qui est soumis à la vue, mais quelque chose qui est associé à la représentation, non pas en proposant une énigme au spectateur, mais par redoublement du signifié. Cette méthode permettant de montrer le monde simultanément dans sa diversité et son unité satisfait à l’objectif didactique de Caussin. C’est peut-être là une des raisons pour lesquelles il a tant fait usage des emblèmes au sein de ses tragédies. En effet, les analogies emblématiques qui se déploient parallèlement à ce qui se déroule sur scène expriment l’existence de liens cachés entre les créatures de Dieu. Étant toutes créées par Dieu elles peuvent donc être mises en relation les unes avec les autres. Le théâtre sert ainsi de propédeutique par excellence à un déchiffrement du monde, au même titre que le livre d’emblèmes. En conclusion, pour Caussin, l’emblème et le théâtre constituent une matière 308
Caussin 1618a, sans pagination. « Avertis ton cœur, si tu peux, / que tout ce que tu discernes et tout ce que tu auras touché / Est Dieu », Caussin 1620. 309
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idéale pour l’enseignement, permettant d’illustrer la diversité du monde, et même de faire imaginer ce qui se cache derrière : Dieu invisible. Bibliographie Sources anciennes Alciat 1574 : André Alciat, Omnia Andreae Alciati v.c. Emblemata, Anvers, ex officina Christophori Plantini, Architypographi Regii, 1574. Camerarius 1590 : Joachim Camerarius, Symbolorum et emblematum ex re herbaria desumtorum centuria una collecta, Leipzig, typis Voegelinianis, 1590. Camerarius 1596 : Camerarius, Symbolorum et emblematum ex volatilibus et insectis desumtorum centuria tertia collecta, Leipzig, typis Voegelinianis, 1596. Camerarius 1604 : Camerarius, Symbolorum et emblematum ex aquatilibus et reptilibus desumptorum centuria quarta, Leipzig, typis Voegelinianis, 1604. Caussin 1618a : Nicolas Caussin, Electorum symbolorum et parabolarum historicarum syntagmata. Ex Horo, Clemente, Epiphanio et aliis, cum notis et obseruationibus, Paris, Sumptibus Romani de Beauvais, Bibliopolae Rothomagensis, 1618. Caussin 1618b : Caussin, Polyhistor symbolicus, electorum symbolorum et parabolarum historicarum stromata XII, Paris, Sumptibus Romani de Beauvais, Bibliopolae Rothomagensis, 1618. Caussin 1619 : Caussin, Eloquentiae sacrae et humanae parallela, libri XVI, Paris, Sumptibus Sebastiani Chappelet, 1619. Caussin 1620 : Caussin, Tragoediae sacrae, Paris, Sebastianum Chappelet, 1620. Valeriano 1556 : Valeriano, Pierio, Hieroglyphica, sive de Sacris Aegyptiorum literis commentarii, Ioannis Pierii Valeriani Bolzanii Bellunensis, Bâle, Isengrinius, 1556.
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Littérature secondaire Daly 1979 : Peter M. Daly, Literature in the Light of the Emblem, Toronto, 1979. Russell 1986 : Daniel Russell, « Emblems and Hieroglyphics : Some Observations on the Beginnings and the Nature of Emblematic Forms », Emblematica, 1, 1986, p. 227-243. Schöne 1964 : Albrecht Schöne, Emblematik und Drama im Zeitalter des Barock, München, 1964. Valentin 2001 : Jean-Marie Valentin, Les Jésuites et le théâtre (1554-1680), Paris, 2001. Vuilleumier Laurens 2000 : Florence Vuilleumier Laurens, La Raison des figures symboliques à la Renaissance et à l’Âge classique, Genève, 2000. Vuilleumier Laurens 2007 : Florence Vuilleumier Laurens, « Éloquence épidictique et doctrine des images : des Eloquentiae parallela aux Electorum symbolorum et parabolarum syntagmata de Nicolas Caussin », in S. Conte (dir.), Nicolas Caussin : rhétorique et spiritualité à l’époque de Louis XIII, Berlin, 2007.
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Et pourtant, il tourne Un jeton emblématique pour le retour de Lille à la France (1713) Andreas Beck, Ruhr-Universität Bochum
L'étude de cas qui suit est consacrée à un unique jeton emblématique, un domaine qui, me semble-t-il, reste encore assez marginal dans la recherche – bien que les jetons emblématiques soient non seulement surabondants, mais probablement aussi un champ central de la culture emblématique internationale des XVIIe et XVIIIe siècles310. En effet, les médailles et jetons emblématiques étaient dans la conduite des affaires publiques des actes à prendre au sérieux, un moyen de communication et de propagande politique intérieure et étrangère311, jouant un rôle provocateur de part et d’autre, si bien qu’à la fin du XVIIe siècle une sorte de « guerre des médailles » éclata même, un combat numismatique et symbolique se développant parallèlement aux divers conflits militaires entre une France agressive et expansionniste et ses adversaires312. Dans ce qui suit, je présente une offensive emblématique et numismatique française de ce genre, à laquelle je voudrais simplement ajouter un autre exemple de médailles et de jetons politico-emblématiques qui n’ont pas encore été étudiés. Je poursuis ici bien plutôt une préoccupation méthodologique – qui concerne essentiellement la recherche sur les emblèmes dans leur ensemble. Mon investigation portera en particulier sur la technique de la citation savante comme stratégie de communication emblématique à plusieurs niveaux313. Mon propos est de montrer le bénéfice des analyses d'emblèmes singuliers qui, notamment en ce qui concerne les inscriptiones, considèrent au plus près le « contexte original » lors de la recherche et de l'évaluation des citations, car cela « peut essentiellement contrôler l'interprétation d'un emblème »314. De telles études ne sont encore guère répandues315 et il en va 310
On peut se convaincre du nombre extraordinaire de jetons emblématiques de cette période avec le mot-clé « jeton Louis XIV » dans les portails de commerce numismatique en ligne (par ex. https://www.ma-shops.de/). Les annuaires scientifiques comme Emblematica online (http://emblematica.grainger.illinois.edu/) ou la base de données emblématique de Munich (http://mdz1.bib-bvb.de/~emblem/emblmaske.html) ne mentionnent malheureusement, à ma connaissance, aucune production numismatique emblématique . 311 Judi Loach et Hendrik Ziegler s’y sont employés avec toute la clarté souhaitable ; cf. Loach 1986 et 1995 ; Ziegler 2010, p. 21-74 et 207-227. 312 Voir Ziegler 2010, p. 48 et p. 61-74. 313 Pour plus de détails, voir Beck 2016a et 2016b, p. 296 sq. 314 Schilling 1986, p. 173.
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Que voyons-nous ici de remarquable ? Tout d'abord, cette conception du jeton n'était pas sans alternative ; d'autres projets que le Magistrat de Lille avait pu soumettre pour approbation à l’Académie royale des inscriptions et médailles à Paris319, ont été conservés320 et ils documentent un premier choix différent de la part des conseillers. « Le reuers », lit-on, « aura le pigeon, qui retourne dan[s] l’arche de Noé, et qui porte dans son bec vne branche d'oliuier » 321 et comme inscriptio correspondante, on proposait notamment « ces mots du quinzieme liure des metamorphoses : ‘Luctibus imposuit finem / il ramene la joie / il fait cesser les pleurs’322». L’académie parisienne n’aurait rien changé au revers – « [l]a premiere face doit auoir la tete du Roy auec la legende ordinaire 323», et le résultat aurait plus ou moins ressemblé à une tentative de réalisation du dessin proposé (Fig. 2). Suivant les habitudes iconographiques de l’époque – certes basées sur un matériau plutôt germanique –, l'Arche est toujours représentée sur l'eau et non pas sur le mont Ararat324. Par ailleurs, ce revers virtuel ainsi reconstitué d’après des modèles contemporains montre encore des traces de la colère divine, signifiée par un nuage sombre ; ce nuage (chargé de pluie) chevauche le mot « luctibus » dans le coin supérieur gauche, si bien que les « pleurs » coïncident avec le motif de la pluie. En conséquence, la colombe s'approche du côté droit éclairé, de sorte qu'à mesure que la lecture de l'inscriptio progresse, un réconfort advient réellement.
319
Id., p. 369–371. Desseins pour les jettons [1713]. Je tiens à remercier les Archives municipales de Lille pour la mise à disposition rapide et gratuite de copies numériques de ce manuscrit. Voir aussi Bordeaux 1905, p. 370f. 321 Desseins pour les jettons [1713], [1]. Cf. Bordeaux 1905, 370. 322 Desseins pour les jettons [1713], [1]. Variante de la précédente. « Rediens fert pignora pacis [|] a ſon retour [|] il annonce la paix«, comparable à [3] deuise […] Lætitiam cum pace refert ou bien Lætitiam pacemque refert [|] il donne a ſon retour [|] de la joӱe et la paix ». Cf. Bordeaux 1905, p. 371. 323 Desseins pour les jettons [1713], [1]. Cf. Bordeaux 1905, p. 370. 324 Le premier type semble avoir été beaucoup plus fréquent ; je l'ai trouvé (notamment via Emblematica online et la base de données des emblèmes de Munich) aux XVIIe et XVIIIe siècles environ trois fois plus fréquemment que la colombe avec la branche d'olivier abordant l'arche sur la montagne (qui, comme on le voit ci-après, serait plus en accord avec la citation sur la métamorphose). 320
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le retour de la colombe tenant le rameau d'olivier tel qu’il est rapporté dans l'Ancien Testament (Gn 8, 10 sq.) pourrait être compris comme la préfiguration de l’avènement divin dans le Nouveau Testament sous la forme de l'Esprit-Saint à la Pentecôte (Ac 2, 1-4)331. Et quand Dieu figuré d’une manière emblématique comme l'Esprit-Saint apporte le salut, alors à un second niveau allégorique, cela signifie l’apothéose de Louis XIV en tant que quasi-dieu guérisseur. Après tout, l'ordre le plus prestigieux de la monarchie française était l’ordre du Saint-Esprit332 dont le Grand Maître était le roi333 – et aucun portrait officiel de Louis XIV ne manque de représenter la croix de l’ordre, qui représente le Saint Esprit sous la forme d’une colombe, entourée des langues de feu de la Pentecôte. Le jeton prévu à l'origine aurait ainsi représenté de manière emblématique le retour salvifique du roi de France déifié ; et dans cette conception, à qui Louis, tout imprégné de saintes pensées et d’esprit de la Pentecôte, apporte-t-il le salut ? à la ville de Lille, bien sûr, car au lendemain de la Paix d'Utrecht, c’est précisément à la Pentecôte que les troupes françaises venaient de faire leur entrée dans la ville334. Aussi la combinaison de la citation d'Ovide et de l'Arche de Noé montret-elle déjà clairement par elle-même que la mise en scène du dessin, avec son allégorie qui fait référence implicitement à la Pentecôte, est destinée à Lille. L'arche avec la colombe est un lieu entouré d'eau, une sorte d'île335 ; cela correspond au dieu Esculape qui à Rome s'était montré sous sa forme véritable et comme salvateur en un lieu nommé « l’Île »336. Or Insula était précisément le nom latin de Lille, qui s’écrivait aussi « L'Isle » à l'époque, comme c’est le cas par exemple au revers du jeton337. Toutefois, avec ces considérations nous n'avons pas encore épuisé le contenu de ce dessein symbolique. Dans les Métamorphoses d'Ovide, le dieu 331
Exemples de cette interprétation à cette époque : Feuerlein 1677, p. 20f ; Olearius 1678, p. 94 ; Unglenk 1714, Evangelische Erklärungen, p. 161 ; Pfeffel 1746, p. 69 avec une gravure. Du Cerceau 1734, p. 72, fait référence à la transparence évidente de ces allégories typologiques : « Les moins éclairés faisoient aisément l'application de cette devise. [L]a Colombe avec l'olivier [etoit] la paix qu'il avoit apportée le jour de la Pentecôte, fête du S. Esprit.] » 332 « L’ordre du Saint-Esprit […] demeure le plus prestigieux de tous. » (Petitfils 2015). 333 « le Roy sera à jamais Chef & Souverain grand Maistre dudit Ordre » . Voir Les statuts […] de l’Ordre du Benoist Saint Esprit 1689, p. 3. 334 « Les François sont entré dans Lille le jour du St. Esprit , qui est la Pentecoste.» Feu d’artifice, s. d., 7. Je tiens également à remercier les Archives municipales de Lille pour la numérisation de ce document et la mise à disposition des scans. 335 Ce qui deviendrait encore plus clair si au revers restitué du jeton l'arche était placée au sommet du mont Ararat – à l’encontre des conventions iconographiques dominantes, mais bibliquement et historiquement correctes (cf. Gn 8,4). 336 « Insula nomen habet » (XV,740), Ovide 1689, p. 587. 337 « Insula & Insulæ. Lille, ville de France, dans les Pays Bas François, dont elle est la capitale, ainsi que de la Flandre Françoise ». Officina latinitatis 1712, Dictionarium geographicum, p. 75.
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se rend sur une île de la ville de Rome, apostrophée comme « capitale du monde », « caput rerum » (XV, 736)338, mais Lille est loin d’être à la hauteur d’une telle comparaison. Cependant il existe une ville qui mérite cette désignation et qui est particulièrement liée au roi de France, Paris, capitale du royaume de France, où la Seine enserre l'Île de la Cité. Ce projet de jeton lillois devait donc suggérer Paris comme réplique de Rome, et plus précisément de la Rome impériale, car avec l'arrivée d'Esculape, les métamorphoses progressent vers leur fin glorieuse, vers le règne de César, dont le nom rappelle la désignation « Kaiser » (empereur), et vers le Regnum d'Auguste, le premier Imperator. Le projet de jeton du magistrat de Lille ne met donc pas seulement en scène la Réunion de Lille à la France ; en célébrant également l'arrivée de Louis XIV « presque dieu » dans une réplique de la « capitale du monde », la Rome impériale, il établit en même temps la conception de Paris, capitale du royaume, comme ville d'un empereur. Cette représentation est un coup de griffe contre la Maison d'Autriche et le l’empereur romain germanique ; la couronne de France n'avait jamais accepté le « Saint-Empire romain de la nation teutonique », la translatio de la dignité impériale aux Allemands. Conformément à la tradition, Louis XIV lui-même avait concouru pour le trône impérial en 1658, mais il avait été vaincu par un Habsbourg, Léopold339. La réalisation du projet du jeton lillois aurait donc eu le sens d’une pique adressée à l'empereur, aux Habsbourgs, Charles VI le fils de Léopold, ainsi qu’à l'Empire lui-même, autrement dit dirigée contre ces puissances avec lesquelles on était encore en guerre, car la France avait conclu la paix d'Utrecht exclusivement « [a]vec l'Angleterre, le Portugal, la Savoye, la Hollande et la Prusse340 ». Le raffinement de l’emblématique lilloise aurait dû par conséquent paraître évident ; néanmoins, le dessein symbolique du jeton imaginé par les Etats de Lille, si précisément adapté à la situation actuelle, ne fut pas approuvé par l'Académie des Inscriptions. Pour quelle raison ? Parce que le Roi Soleil y est mis en scène comme « Phœbeïus341», comme la progéniture divine du Soleil, non comme le Dieu Soleil lui-même ? Ou parce que l’on se trouvait encore en guerre avec l'empereur et l'Empire, la situation militaire n'étant pas vraiment triomphale, et parce que la France, intéressée par une paix complète, ne voulait donc pas faire de provocations inutiles342 ? Nous l’ignorons. Quoi qu’il en soit, Paris accepta pour la pictura un autre motif proposé par les conseillers, « vn tournesol panché vers
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Ovide 1676b, p. 313 et Ovide 1689, p. 587. Cf. Gie 1916. 340 Feu d’artifice, s. d., p. 1. 341 C'est le nom d'Esculape dans les Métamorphoses XV,742 ; Ovide 1689, p. 587. 342 Sur la tendance à la modération dans la propagande iconograhique ludovicienne tardive, voir Ziegler 2010, p. 14. 339
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(Fig. 3) frappé à Paris en 1703345. Les deux picturæ sont visiblement similaires dans le traitement des motifs et la composition, ce qui pourtant ne signifie pas grand-chose, dans la mesure où les emblèmes à l’hélianthe plus ou moins comparables sont innombrables346 ; cependant, ici les inscriptiones aussi sont presque les mêmes : « • SERVAT • AMOREM • » et « UNI SERVAVIT AMOREM ». Les deux devises sont à l’évidence apparentées, ce qui suggère une relation de dépendance, d'autant plus que nous n’avons pu jusqu'à présent découvrir aucun autre emblème avec une devise similaire347. Mais le jeton de 1703 ignore l'interconnexion spatiale de la pictura et de l'inscriptio. Ce qui distingue le jeton de 1713, c'est bien la continuité du « UNI », du « pour un seul » – et simultanément le déplacement, l’amplification du moment du mouvement – , qui, comme nous l’avons dit, en miniaturisant le cours du soleil sous le regard du lecteur-spectateur, fait du mouvement de l’astre une puissante expérience emblématique. Mais cette opposition entre permanence et mouvement se prête-t-elle aussi à l’interprétation ? Pour le savoir, nous devons d'abord regarder de plus près le jeton de 1703. « • SERVAT • AMOREM • » est une autre citation des Métamorphoses d'Ovide, empruntée à la fin de l'histoire du dieu Soleil Apollon et de la nymphe Clytie. Celle-ci était la maîtresse du premier, mais après un certain temps, il se détourna d'elle et se tourna vers Leucothea. Clytie, jalouse, ayant ourdi la mort de sa rivale, Apollon ne voulut plus rien savoir d'elle. Mais Clytie continua de l’aimer et de le suivre des yeux alors qu’il conduisait le char du Soleil, jusqu'à ce qu'elle prenne racine et devienne héliotrope ou tournesol, comparable à celui ou celle qui se tourne continuellement vers l’astre. « & Clytie dans ce changement conserve encore son amour348 », « mutatáque servat amorem » (V, 270)349. Pourquoi les derniers mots de ce récit sont-ils repris sur le jeton de 1703 ? Comme on peut le lire sur l'avers, il a été inventé sur ordre de Charles Boucher d'Orsay en souvenir de son second mandat comme prévôt des marchands de Paris350, dont les rapports avec le roi n’étaient pas exempts de 345
Cf. Feuardent 1904, p. 239, Nr. 3684. La composition du jeton de Lille de 1713 est d'ailleurs à l’évidence proche du revers d'une médaille de 1681 qui aurait été frappée avec différentes versions de l’avers : avec le portrait du roi (cf. www.heliaresearch.eu/downloads/coins_LIXV.pdf, consulté le 23 février 2018) ou avec celui de sa « troisième MAITRISE, MARIA de SCORAILLE », Wächentliche Historische MünzBustigung 1734, p. 297) ; voir aussi une taille-douce reroduisant cette médaille. 346 Cf. les nombreux résultats que produit le mot-clé 'tournesol' dans la base de données des emblèmes de Munich et qu’il met en évidence sur Emblematica Online. 347 C’est un phénomène tout à fait remarquable, parce qu'après tout ces inscriptiones citent aussi les Métamorphoses d'Ovide, et elles ne renvoient pas à un passage éloigné, mais aux deux derniers mots du récit de Clytie, c'est-à-dire à un locus classicus sur les hélianthes. 348 Ovide 1676a, p. 270. 349 Ovide 1689, p. 139. 350 « PREVÔT DES MARCHANDS est un magistrat qui préside au bureau de la ville […] ; on ne connoît que deux prevôts des marchands en France, celui de Paris & celui de Lyon , ailleurs
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tensions. Louis XIV résidait à Versailles et évitait la capitale, car pendant sa minorité il avait été empêché politiquement et physiquement par la Fronde (1648-1653)351. Monsieur d'Orsay, avec son jeton emblématique, affirmait à présent humblement et avec soumission que cette absence du monarque à Paris était bien fondée : tout comme Clytie, abandonnée à juste titre, continue de s'accrocher à son dieu soleil bien-aimé, la « VILLE-DE-PARIS », autrefois rebelle, est toujours suspendue à son Roi-Soleil qui s'est raisonnablement installé à Versailles. Au regard de cet arrière-plan le jeton des États de Lille de 1713, par sa conception, dans sa spécificité de réplique visuelle et verbale du jeton parisien de 1703, est déjà reconnaissable comme un acte d'attachement à Louis XIV et à Paris, au roi de France et à la capitale du royaume, attachement qui s’était maintenu durant toute la période de séparation de l'occupation étrangère. Non seulement le jeton exprime de manière emblématique et allégorique son attachement indéfectible à la couronne de France en dépit de cette séparation, mais il exprime aussi sa loyauté par la citation du motto ovidien de 1703 ; par là, il se tourne vers Paris dans un moment de son allégeance au roi, et il montre sa dépendance à l’égard d’un jeton qui y avait été frappé et qui exprimait déjà allégoriquement l'attachement au monarque. Telle est l’autre dimension performative du jeton de Lille de 1713, une continuité qui augmente la fidélité au roi de France. Mais qu'en est-il des changements formels introduits dans ce jeton, du mouvement du soleil vers et dans l'écriture, et du changement du libellé de l'inscription puisque « SERVAT » devient « SERVAVIT », puisque l’on reprend et change la citation d’Ovide, réalisant ainsi – c’est un autre moment performatif – une métamorphose des Métamorphoses ? Une telle métamorphose n'est pas fortuite352, car le temps passé indique que le moment de la renonciation qui est au cœur de l'histoire de Clytie et fonde donc les deux jetons emblématiques, s'est entre-temps transformé en accomplissement. Comment une telle métamorphose se produit-elle ? Comme nous l’avons dit, le nouveau jeu réciproque entre l’iconicité et la figuration du mot dans le jeton de 1713 souligne le mouvement du soleil, le le chef du bureau de la ville est communément nommé maire. » (L’Encyclopédie 1765, p. 348). 351 Les contemporains étaient très au fait de ces circonstances. Cf. ce récit d'une gazette extrêmement populaire en Allemagne : « Le tumulte et l'agitation à Paris, raconte Louis XIV, ont aussi plusieurs fois menacé le Louvre, de sorte qu'il m’a fallu me sauver et prendre garde à ma sûreté, donc j'ai aussi vu ma fin arrivée, j’ai éprouvé certaine haine contre cette ville, et comme on sait, je ne m’y suis pas rendu pendant 14 ans ». Gespräche in dem Reiche derer Todten 1727, p. 10. 352 D'autant plus que chez Ovide le mot « servat » est précédé de « mutat[a] », « se transforme » – et que le jeton de 1713 par la transformation de « SERVAT » en « SERVAVIT » accomplit exactement ce dont il est question dans le texte des Métamorphoses : « mutatáque servat amorem », « dans ce changement il conserve son amour ».
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afin d’achever la lourde défaite militaire de la France par une attaque contre la mise en scène de Louis XIV comme Roi-Soleil356, afin d'arrêter le mouvement glorieux du soleil ludovicien dans son cours resplendissant et d’ainsi mettre à bas le monarque français jusque dans son domaine d’élection, l'iconographie solaire357. Mais la guerre de Succession d'Espagne s'acheva, même si cela ne tenait qu’à un fil, non pas par une victoire sur Louis XIV – et ainsi, après le retour de Lille à la France, sur le jeton emblématique de 1713, le soleil de l’« Un seul », immobile sur la médaille de 1708, persiste et se met de nouveau en mouvement dans toute sa puissance358. De cette manière, le Roi-Soleil règne de nouveau sans partage après avoir été dessaisi de son pouvoir, à l’inverse du jeton parisien de 1703 où la majesté, après avoir été présente, s’était absentée. Le temps de la privation et de la nostalgie est terminé, il s'est transformé en un temps d'accomplissement ; le parfait « SERVAVIT » en témoigne : il dit que l'amour pour l'absent en tant qu’absent a finalement pris fin. Mon analyse du jeton est également achevée, même si ce n'est que provisoirement. Beaucoup de choses auraient dû être éclaircies. Tout d'abord, il convient d’ajouter que le jeton de Lille témoigne de la profonde érudition de ses différents concepteurs, d'une érudition qui sut répondre à la situation historique concrète par l’emblème, avec la plus grande précision, pour un résultat dont la complexité était à la mesure de l’événement. D’autre part, à la lumière d'un tel exemple, nous voyons que l’accessibilité complète des jetons emblématiques de l’époque moderne, c'est-à-dire leur numérisation et leur mise en forme dans des bases de données359, leur commentaire et leur traitement analytique constituent une ambition pour les recherches sur les emblèmes ; et enfin, qu’un tel traitement analytique doit essentiellement garder à l'esprit la généalogie de la signification
356
À ce propos, voir van Loon 1731, p. 546, qui commente ce passage biblique : « Jouer sur le soleil le symbole agréable du roi français ». 357 Le recours à Josué n’était pas une nouveauté dans la guerre numismatique. Le motif avait été utilisé à plusieurs reprises contre Louis XIV depuis les années 1660 sur des médailles de propagande autrichiennes, hollandaises et anglaises. Elles n’avaient pas manqué leur but et avaient provoqué de vives réactions de la France et de ses alliés ; cf. Ziegler 2010, p. 29 et 6174. Ce conflit dura jusqu'aux années 1690s (cf. id., 72), de sorte que l'hypothèse d’après laquelle les Français n'acceptèrent pas sans y riposter la médailme satirique de Nuremberg de 1708. Ils y répondirent finalement avec le jeton lillois de 1713. 358 Le projet de l'Académie des Inscriptions de Paris ne renonce donc pas à une pique contre la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et l'Empire; il se limite cependant à une métaphore qui ne vise pas agressivement le monde extérieur, mais qui est atténuée par les concessions de la Paix d'Utrecht. 359 La liste non illustrée de Feuardent ne peut guère venir à notre secours ; les présentes remarques devraient démontrer que des reproductions de très bonne qualité des jetons et médailles sont indispensables à leur bon examen.
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emblématique, que l’on ne peut atteindre qu’à travers par les techniques de citation de l’époque étudiée. Mais pour vraiment apprécier à sa juste valeur le jeton étudié ici, il est nécessaire de l’incorporer encore plus profondément dans son contexte historique. L’emploi que nous avons fait ici du climat politique européen vers 1713 représente une étape importante, mais ce n’est qu’une première étape, qui devrait être suivie par l’interprétation du jeton lillois dans le contexte de la culture urbaine à laquelle il appartient, et de le considérer dans sa relation avec d’autres productions artistiques locales360. Néanmoins, on a conservé la description du décor emblématique d'un feu d'artifice organisé à Lille en juin 1713 pour célébrer la Paix d'Utrecht et le retour de la ville dans le royaume de France, et ce décor était à l’évidence proche du jeton au tournesol frappé à la même occasion. Les trois emblèmes principaux de la décoration de ce feu d'artifice ne citaient pas seulement dans leurs inscriptiones les Métamorphoses d'Ovide ; l'un d'eux utilisait aussi des motifs trouvés dans les propositions municipales qui n’avaient pas été suivies pour les jetons. Ainsi, le « Symb[ole] Un Lys ouvert & peu panché vers le Soleil361 » correspondait presque mot pour mot au projet du magistrat362, et l’on aurait dit à peu près la même chose du motto « Son retour fait la joye363 », qui était la forme vernaculaire permettant de diffuser de cet emblème364, 365. De même, le revers avec l’Arche de Noé, qui n'avait pas été retenu, trouva sa réplique dans ce décor festif : dans l'un des emblèmes plus petits, la représentation d'un bateau naviguant par un vent 360
Cela signifie qu’il faut suivre quant à la méthode le modèle des enquêtes de Judi Loach sur les jetons et médailles de Lyon (cf. Loach 1995, p. 28). Les remarques de Loach sur le jeton consulaire de 1663 (cf. id., p. 34-37) et son étude détaillée d’une médaille lyonnaise de 1667 (cf. Loach 1986) démontrent de manière exemplaire combien cette procédure peut être fructueuse. Ziegler 2010, p. 69-72, procède de la même manière dans son étude très convaincante d'une médaille de Nuremberg après la prise de Buda en 1686. 361 Feu d’artifice, s. d., p. 4. 362 « vn lӱs ouuert […] panché vers le ſoleil », Desseins pour les jettons [1713], [1]. 363 Feu d’artifice, s. d., p. 4. 364 « Simb[ole] Un Vaisseau qu’un vent fait entrer dans le Port. Devise. FAVENTE SPIRITU. Remarque. Les François sont entré dans Lille le jour du St. Esprit , qui est la Pentecoste. » Feu d’artifice, s. d., 7. 365 Le motto latin est « VISO, NIL GAUDA DIFFERT » (Feu d'artifice, s.d.., p. 4), une citation de la « gaudia differt » des Métamorphoses (IV, 350), qui transformée en emblème, est intermédiaire entre l'image du soleil (« imagine Phœbus » , IV, 349) et le lis blanc (« candida lilia », IV, 355) ; Ovide 1689, p. 143. Parmi les deux autres emblèmes principaux, l'un montrait l'image du « Dragon qui garde la Toison d'or », dont la « Fable se trouve dans la septiéme Livre des Métamorphoses d'Ovide » ; il était accompagné de la devise « CUSTODIT ET ARCET », que l'on retrouve également dans les Métamorphoses (XI,747, cf. Ovide 1689, p. 424), dans la description des « jours alkyoniques », symbole de paix. L'autre emblème montrait « [l] e Roi des Abeilles à la tête d'un Essain, qui sort d'une Ruche », avec la devise « MEMORIS POPULI RECTORQ ; PATERQ ; [...]. Ces mots sont d'Ovide livre 9. de ces Métamorphoses » (IX,245, cf. Ovide 1689, 328), à propos du récit de la mort d'Hercule. (Feu d'artifice s. d., p. 4 sq.)
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favorable se réfère allégoriquement à l'entrée des Français dans la ville à la Pentecôte, jour de l’avènement du Saint-Esprit366. Cette découverte montre qu'il pourrait être utile, à l’avenir, de conduire encore plus avant l’étude des circonstances de la création du jeton au tournesol de Lille à l'avenir. Les fonds des archives municipales de Lille fourniraient peut-être des informations notamment sur les conditions dans lesquelles ce jeton a été frappé et sur le feu d’artifice, de même que sur la médaille que les Etats avaient fait frapper à l'occasion de la signature du traité de paix367. Il est possible de reconstituer au moyen des archives les intentions de ceux qui s’impliquèrent dans l’organisation et la mise en œuvre des festivités, comme c'est le cas pour les jetons consulaires lyonnais368. Il faut donc espérer que la présente étude de cas prolonge de façon fructueuse ces close readings et viewings, en les étendant à une représentation historique et culturelle plus condensée des divers éléments tissés ensemble lors les fêtes lilloises de 1713. Traduit de l’allemand par Paulette Choné Bibliographie Beck, Andreas 2016a : « Emblempoietik des Zitats in Zincgref/Merians ›Emblematvm Ethico-Politicorvm Centvria‹ und deren Rezeption », Imitat, Zitat, Plagiat und Original in Literatur und Kultur der Frühen Neuzeit, Andreas Beck et Nora Ramtke (dir.), Francfort/Main, Lang, 2016, p. 135– 172. Id. 2016b : « Mönche, Mauern und Embleme. Architekturemblematik im Kreuzgang des Klosters Wettenhausen (1680/90) », PerspektivWechsel oder : Die Wiederentdeckung der Philologie. Band 2 : Grenzgänge und Grenzüberschreitungen. Zusammenspiele von Sprache und Literatur im Mittelalter und Früher Neuzeit, Nina Bartsch et Simone Schultz-Balluff (dir.), Berlin, Erich Schmidt Verlag, 2016, p. 289–375. Bordeaux, P. 1905 : « Médaille et jeton frappés à l’occasion de la réunion de Lille à la France », Revue numismatique 4. Série 9 (1905), p. 367–387.
366
« Simb[ole] Un Vaisseau qu’un vent fait entrer dans le Port. Devise. FAVENTE SPIRITU. Remarque. Les François sont entré dans Lille le jour du St. Esprit , qui est la Pentecoste.» Feu d’artifice, s. d., p. 7. 367 Cf. Bordeaux 1905, p. 368–370 et 373–386. 368 Cf. Loach 1995, p. 31.
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Chevalier, Nicolas 1710 : Relations des campagnes. De l’anné [sic] 1708 & 1709 avec une explication de toutes les Medailles qu’on a frappées sur ce sujet, & avec reflections sur des Medailles frappées en France contre les Alliés […], Utrecht, Chevalier, 1710. Desseins pour les jettons [1713, Manuscrit, un feuillet, plié une fois, écrit sur la première et la troisième pages]. Archives municipales de Lille. Série des affaires générales. Carton 310. Dossier 7. Du Cerceau, Jean-Antoine 1734 : Conjuration de Nicolas Gabrini dit de Rienzi […]. Amsterdam, aux depens de la compagnie, 1734. Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers […] vol. 13, Neuchâtel, Faulcher, 1765. Explication historique des principales Médailles frappées pour servir à l’histoire des Provinces-Unies des Pays-Bas […], Amsterdam, L’Honoré & Châtelain, 1723. Feuardent, F[élix-Bienaimé] 1904 : Jetons et méreaux depuis Louis IX jusqu’a la fin du Consulat de Bonaparte, vol. I, [Paris], Rollin et Feuardent, 1904. Id. 1907 : Jetons et méreaux depuis Louis IX jusqu’a la fin du Consulat de Bonaparte, vol. II, Paris , Rollin et Feuardent, 1907. Feu d’artifice fait pour les rejouissances de la paix […]. Par messieurs les magistrats de la ville de Lille. Le 19. Juin 1713 o.J., Lille, Veuve Malte, s. d. Feuerlein, Conrad 1677 : Peristerologia, Oder Dreyständiges Tauben-Bild […], Nuremberg, Felßecker, 1677. Gespräche In Dem Reiche derer Todten, Erste Entrevuë, Zwischen Leopoldo I. Römischen Käyser, […] Und Ludovico XIV. König in Franckreich […] 1727, 4e éd., Leipzig, Deer [1ère éd. 1718]. Gie, Stefanus F. N. 1916 : Die Kandidatur Ludwigs XIV. bei der Kaiserwahl vom Jahre 1658 mit besonderer Berücksichtigung der Vorgeschichte, Berlin et Leipzig, Rothschild, 1916. Josué, les Juges et Ruth. Tradvuits en françois […] 1690, Paris, Desprez, 1690.
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Le Soleil devise avec les quatre parties du monde Sylvain-Karl Gosselet, CNRS
La Bibliothèque nationale de France à Paris conserve sous la référence Smith Lesouëf 98 un petit ouvrage du milieu du XVIIe siècle intitulé Devises sur differans sujets369. C’est un manuscrit d’une quarantaine de pages sous couverture en maroquin, rassemblant une vingtaine de devises composées chacune d’un emblème dessiné, d’un motto en latin, d’un court texte explicatif en prose et d’un quatrain en vers, rédigés dans une écriture soignée. Ces quelques devises, a priori composées après août 1667 par des auteurs anonymes dont nous allons déduire l’identité par l’analyse des images et des textes, forment un ensemble symbolique à la gloire de Louis XIV, du Dauphin et de Colbert. Les quatre premières devises évoquent chacune l’une des quatre parties du monde connu au XVIIe siècle, l’Europe, l’Asie, l’Afrique, l’Amérique. Leurs emblèmes n’ont rien de comparable avec le langage iconographique de l’époque. Ils expriment une idée inédite des quatre parties du monde, liée à la propagande politique de Louis XIV. Les emblèmes des quatre parties du monde Le manuscrit débute par une brève introduction, qui n’évoque que les quatre premières devises, relatives aux parties du monde : Les quatre premières Devises ont este faites / pour mettre aux quatre faces d’un Monument / que l’on avoit proposé d’ériger à la gloire du Roy. / Elles ont rapport à la devise de S.M. ayant cha-/cune un Soleil et un animal solaire. Chaque animal / représente une des quatre parties du Monde. L’ai-/gle pour l’Europe, le Phénix pour l’Asie, l’E-/léphant pour l’Afrique et le Dragon pour l’A-/mérique.370
Le premier emblème de la série des quatre parties du monde symbolise l’Europe (Fig. 1). « L’Europe est la première des quatre parties du monde » assènent les manuels d’iconologie et les dictionnaires du XVIIe siècle. En l’occurrence, sa position en tête de la série confirme cette assertion. Il convient de noter que le terme Europe n’est cependant pas indiqué sur le dessin pour désigner explicitement le sujet, au contraire de ce qui se pratique 369 Devises sur differans sujets, Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Inv. n° Ms Smith Lesouëf 98. 370 Ibid., fol.1 r.
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Ce texte donne la description de l'image et son explication. Il est précis au point de ne laisser aucune latitude à la diversité des interprétations, ce qui atténue la poétique de l'emblème et le plaisir de son hermétisme : l’Empereur, symbolisé par l’aigle, est le seul monarque qui puisse être comparé à Louis XIV. Ce tableau politique dresse une hiérarchie princière en Europe : Louis XIV et l’Empereur sont supérieurs aux autres monarques. Un quatrain complète l’édifice symbolique consacré à l’Europe. Il est rédigé sur le mode de la prosopopée et donne la parole au Soleil, c’est-à-dire à Louis XIV : S’elever contre moy par un vol temeraire / C’est un peu trop se hazarder : / Le plus fier de l’Europe ose à peine le faire, / Et nul autre que luy n’ose me regarder.372
Sur le plan iconographique, aucun des symboles, des attributs ou des personnages habituellement utilisés à l’époque par les artistes pour représenter l’Europe n’est présent dans cette image. La représentation allégorique de l’Europe au XVIIe siècle s’inspire essentiellement de l’Iconologie de Jean Baudoin éditée en 1644 d’après l’Iconologia de Cesare Ripa de 1603. L’Europe est symbolisée par une femme royalement vêtue, avec une couronne sur la tête, un temple et un sceptre dans chaque main, des attributs des arts, des sciences, de la guerre, de l’abondance à ses côtés, un cheval à proximité. Rien de tout cela ne symbolise l’Europe sur l’emblème du Ms. Smith Lesouëf 98. La confusion règne même : le texte d’introduction du manuscrit précise que l’aigle représente l’Europe, la devise dit que l’aigle représente l’Empereur. Par syllogisme, l’Empereur incarnerait l’Europe. C’est une conception politique peu envisageable dans le contexte de réalisation de ce manuscrit.
372
Ibid.
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Hormis le Roy ; de mesme que le Phenix oiseau su-/Perbe et reveré par tous les autres oiseaux, a beau-/Coup de respec pour le soleil a qui il est consacré.373
Un quatrain complète la page dédiée à l’Asie : Il n’est point sur la terre un plus superbe Roy, / Tout l’orient l’admire, et son orgueil extreme / Fait qu’il s’admire aussi luy mesme, / Et n’a du respec que pour moy.374
L’Afrique est représentée chez Baudoin par une femme presque nue avec une tête d’éléphant comme couvre-chef. Elle tient un scorpion et une corne d’abondance d’où émergent des épis. Un lion et des serpents l’accompagnent (Fig. 3). L’emblème de l’Afrique du Ms. Smith Lesouëf 98 montre quant à lui le soleil et un éléphant qui fait une révérence. Le texte qui accompagne cette image est le suivant : Dans la III devise il y a un éléphant adorant / le soleil avec ces mots Et Colit Imm : / anis Feritas : Tout barbare qu’il est il con-/noist mon merite : pour signifier que la Barbarie / du peuple d’Afrique ne l’empesche pas de connoistre / et d’aymer le Roy.375
Un quatrain complète la page dédiée à l’Afrique : Je fais sentir à tous combien je suis puissant, / Il n’est rien icy bas que ma bonté ne touche, / Je rens respectueux, je rens reconnoissant, / Le naturel le plus farouche.376
373
Ibid., fol.2 v. Ibid. 375 Ibid., fol.3 v. 376 Ibid. 374
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devore ceux qui en approchent, puisqu’elle a acous – / tumé d’engloutir et de faire périr dans ses mines / ceux qui veulent emporter son or.378
Un quatrain complète la page dédiée à l’Amérique : Mille avares se sont perdus, / Lorsque par une audace injuste et criminelle / Ils ont voulu forcer cette garde fidelle / Des grands tresors qui me sont dûs.379
Une riche invention emblématique L’appareil iconographique de ces images des quatre parties du monde et leurs textes sont remarquables à plusieurs titres. Tout d’abord, ces représentations ne suivent pas les descriptions données par les manuels d’iconologie du XVIIe siècle. Le seul élément commun est l’éléphant, animal évoquant l’Afrique. Ensuite, c’est justement le choix des animaux symboliques qui illustrent ces emblèmes qui interroge. Deux d’entre eux existent dans le réel, l'aigle et l'éléphant, les deux autres sont imaginaires, le phœnix et le dragon. Ces animaux introduisent de nouvelles acceptions dans le bestiaire emblématique du XVIIe siècle. Le phénix, pour ne citer que lui, véhicule d'infinies variations dans l'emblème. Il convient d’ajouter l’évocation de l’Asie à sa longue liste d’acceptions symboliques. Par ailleurs, les devises en latin, les textes explicatifs et les quatrains en français qui accompagnent les images forment également un corpus nouveau qui complète celui de la littérature politique évoquant l’idée d’Europe, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique à l’époque. Enfin, la présence de Louis XIV en filigrane constitue un vaste sujet à lui seul. En effet, ces quatre emblèmes des parties du monde délivrent un discours politique prêté à Louis XIV, que la prosopopée sublime. C’est une évocation de première main de sa vision du monde, réelle ou fantasmée, et en particulier des ensembles formés par l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique, de l’Amérique. Ce discours est servi par le thème du soleil, donc du Roi-Soleil, une iconographie dans la plus pure tradition encomiastique louisquatorzienne. Elle rappelle la médaille de Claude-François Menestrier qui, dans son Histoire de Louis le Grand, montre « Un soleil qui darde ses Rayons sur le Monde »380. La célèbre formule latine Nec Pluribus Impar [il
378
Ibid., fol. 4 v. Ms Smith Lesouëf 98 Ibid. 380 Menestrier 1691, p. 14. 379
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pourrait gouverner plusieurs mondes]381 prend tout son sens avec ces quatre emblèmes des parties du monde. S’agissant des effets du soleil382 sur chacune des quatre parties du monde, on ne trouve dans les arts du Grand Siècle qu’un seul montage du même ordre, mais il est au cœur du pouvoir. C’est aux voussures du salon de la guerre au château de Versailles. Réalisées par Charles le Brun entre 1679 et 1687, elles reprennent le même appareil symbolique : le soleil darde ses rayons sur chacune des parties du monde. Chaque voussure est en effet décorée, dans les angles, d’un phylactère portant la devise Nec Pluribus Impar, de l’emblème du Roi-Soleil et d’un trophée d’armes rassemblé autour d’un blason à fleur de lys. Chaque blason porte les mots Europe, Afrique, Asie, Amérique, comme en témoignent des dessins réalisés en 1723-1732 par Jean-Baptiste Masse pour une série d’estampes383. Une œuvre méconnue de Sébastien Le Clerc Les emblèmes sont dessinés sous la forme circulaire entourée de perles qui rappelle les médailles gravées, mais aucune médaille ne semble avoir été frappée d'après ces dessins. Les dessins sont d’une extrême finesse, peints à la main dans des camaïeux de gris. La devise XXI par exemple, intitulée Nullum Non Moveo Lapidem, montre la colonnade de Perrault, au Louvre, en cours de construction (Fig. 5)384. On y voit le système d’échafaudages à poulies inventé par le charpentier Ponce Cliquin pour mettre en place les deux plaques géantes formant la cimaise du fronton de la colonnade. L’image est inédite et fait écho à la fameuse grande estampe Représentation des machines qui ont servi à élever les deux grandes pierres qui couvrent le fronton de la principale entrée du Louvre (1677) 385 par Sébastien Le Clerc (1637-1714), et à la planche gravée représentant la Machine de la colonnade dans la seconde édition des Dix Livres d'Architecture de Vitruve par Claude Perrault (1613-1688)386.
381
C’est l’un des sens donnés à la formule. Voir par exemple Sarmant 2012, p. 208. Pour reprendre le titre de l’exposition organisée à la BnF, voir Préaud 1995. 383 Jean-Baptiste Masse, d’après Charles Le Brun, Ornements du salon de la guerre, Versailles, château, dessins, Paris, Musée du Louvre, département des arts graphiques, Inv. n° 30931 à 30933 recto. Ce décor existe toujours in situ, mais les inscriptions mentionnant les quatre parties du monde n’y figurent pas : soit elles n’ont jamais été réalisées, soit elles ont été recouvertes. 384 Ibid., fol. 22 v. La construction s’est déroulée de 1667 à 1670. 385 Sébastien Le Clerc, Représentation des machines qui ont servi à élever les deux grandes pierres qui couvrent le fronton de la principale entrée du Louvre, 1677, eau-forte et burin, 380 x 625 mm, Bibliothèque nationale de France, département des estampes et des photographies, inv. RESERVE QB-201 (170)-FT4 386 Perrault 1684, p. 341. 382
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Une inscription anonyme sur la page de garde du Smith Lesouëf 98 indique que les dessins sont de la main de Sébastien Le Clerc. Graveur du roi très abondant (plus de 3 600 œuvres à l’inventaire de la BnF), Le Clerc était professeur aux Gobelins où le roi lui avait donné un logement. Il est familier du dessin et de la gravure de médailles et de jetons. Son dévouement à l’endroit du monarque est le mode majeur exprimé dans les Devises sur differans sujets. Le style artistique et le contexte historique permettent donc de considérer cette attribution à Sébastien Le Clerc comme tout à fait fondée. Charles Perrault, auteur des textes Les multiples questions, d’ordre iconographique, politique, artistique, d’attribution, soulevées par les devises du manuscrit Smith Lesouëf 98 trouvent quelques réponses dans un autre manuscrit de la BnF, le Fr. 24713387. En effet, quelques feuilles, reliées et conservées dans ce recueil de documents divers du XVIIe siècle font référence aux emblèmes des quatre parties du monde. Ces feuilles ont été publiées en 1909 en annexe d'une biographie de Charles Perrault (1628-1703) car elles sont de sa main388. Elles sont accompagnées d’un dessin de son frère Claude (Fig. 6). Le contexte de ces quelques feuilles est le suivant. Colbert veut ériger en 1667 un monument pour commémorer la colonisation de l’île de Madagascar et affirmer la puissance de Louis XIV en Afrique. L’emplacement envisagé est le Pré-aux-Clercs, dans l’actuel quartier de Saint-Germain-des-Prés à Paris, « ce lieu étant à la vue du Louvre, du cours de la Reine, du Pont-Neuf et l’endroit le plus découvert et le plus beau des environs de Paris »389. Colbert reçoit des frères Perrault un projet sous la forme d’un petit texte explicatif accompagné d’un dessin pour un obélisque monumental. Ce projet est constitué des quelques feuilles du manuscrit Fr. 27413. Le monument proposé, de grande taille, est fait d’un globe terrestre posé sous un obélisque. Au sommet de l'obélisque, qui est percé par une vis pour monter jusques en haut, est une cage de fer qui soutient un autre globe de cuivre doré capable de contenir dix personnes. De grosses lames de cuivre doré descendent tout le long de l’obélisque et représentent les rayons du soleil qui partent du globe doré qui en est comme le corps. Charles Perrault explique : Je choisis l'obélisque plutôt que la colonne parce qu'il est capable de plus de magnificence, la colonne ne pouvant pas être élevée que sur un seul piédestal, au 387
Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Ms Fonds Français n°24713, fol. 145-151. 388 Bonnefon 1909, p. 234-241. 389 Op. cit., Ms Fonds Français n°24713, fol. 145.
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lieu que l'obélisque peut être posé sur d'autres édifices qui donneront occasion à beaucoup d'ornements. D'ailleurs l’obélisque convient heureusement à la devise du Roi, les Égyptiens l'ayant inventé pour le consacrer au Soleil dans la ville d'Héliopolis.390
La base sur laquelle est posé le globe est un grand piédestal agrémenté de statues tenant des cartouches où sont les armes, la devise, les chiffres et l'image du Roi. Charles Perrault écrit encore : Chacune des faces de cet édifice est affectée à chacune des quatre parties du monde. Au bas de l'obélisque sont quatre bas-reliefs qui représentent quatre animaux solaires regardant vers le globe doré qui représente le soleil. Dans chaque face du piédestal, sont des bas-reliefs où sont représentées quatre actions mémorables que le Roi a faites dans les quatre parties du monde et au-dessous sont des inscriptions en quatre langues, à savoir en Français, en Persan, en Abyssain et en Américain.391
À la suite de ce texte, Charles Perrault donne la description des bas-reliefs qui représentent les quatre animaux solaires. Ils correspondent aux emblèmes des quatre parties du monde. Les inscriptions en latin sont presque identiques à celles données par le Smith Lesouëf 98392. Charles Perrault est donc l’auteur du manuscrit à emblèmes illustré par Sébastien Le Clerc. Une mention manuscrite a été ajoutée au projet des frères Perrault, par Charles : « Vu par Monseigneur qui a trouvé ce dessin très beau et me l’a rendu pour le garder, le 30 août 1667 »393. C’est une manière convenue de comprendre que Colbert ne s’est pas montré intéressé. Le projet n’aura jamais vu le jour. Les emblèmes des quatre parties du monde, un moment d’histoire de l’art dans l’histoire de France Le manuscrit Smith Lesouëf 98 conservé à la Bibliothèque nationale de France à Paris révèle donc une série d’emblèmes qui évoquent les quatre parties du monde d’une manière tout à fait unique dans l’histoire de l’art et dans l’emblématique. En effet, au XVIIe siècle, les quatre parties du monde sont exclusivement représentées sous la forme allégorique dans les arts, leur traduction dans l'emblème n'existe pas. Les dessins du manuscrit Smith Lesouëf 98 sont donc d’heureuses exceptions aux convenances allégoriques et déploient un langage symbolique détaché des conseils limitatifs des manuels d’iconologie du XVIIe siècle. C’est l’expression d’une audace par l’invention, d’une 390
Ibid. Ibid. 392 Vix Sustinet au lieu de Non Sustinet Alter, Hunc Suspicit Unum au lieu de Me Suspicit Unum et Huic Debita Servat au lieu de Mihi Debita Servat. 393 Ibid., fol. 145. 391
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complètent le manuscrit, des œuvres exceptionnelles car emblématiques de la politique du Roi-Soleil, des relations entre les artistes et le pouvoir royal, des collaborations entre inventeurs, des dialogues entre le verbe et l’image. La publication scientifique illustrée et commentée du Smith Lesouëf 98 est très souhaitable car tout en complétant le catalogue de l’œuvre dessiné de Sébastien Le Clerc, elle apporterait de nouveaux enseignements politiques, artistiques et littéraires sur le Siècle de Louis XIV. Bibliographie Baudoin 1644 : Iconologie, ou, Explication nouvelle de plusieurs images, emblemes et autres figures Hyerogliphiques des Vertus, des Vices, des Arts, des Sciences, des Causes naturelles, des Humeurs differentes, et des Passions humaines. Œuvre necessaire à toute sorte d’esprits, et particulierement à ceus qui aspirent à estre, ou qui sont Orateurs, Poetes, Sculpteurs, Peintres, Ingenieurs, Autheurs de Medailles, de Devises, de Ballets, et de Poëmes Drammatiques. Tirée des Recherches et des Figures de Cesar Ripa, Desseignées et gravées par Jacques de Brie, et moralisées par J. Baudoin, Paris, Mathieu Guillemot, 1644. Perrault 1684 : Claude Perrault, Les dix livres d'architecture de Vitruve corrigez et traduits nouvellement en françois, avec des notes & des figures. Seconde édition reveuë, corrigée & augmentée. Par M. Perrault, […], Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1684. Menestrier 1691 : Claude-François Menestrier, Histoire du roy Louis le Grand par les medailles, emblêmes, devises, jettons, inscriptions, armoiries, et autres monumens publics. Recuëillis, et expliquéz par le pere Claude Francois Menestrier de la compagnie de Jesus, N. E. Augmentée de 5 planches, Paris, J. B. Nolin, 1691. Bonnefon 1909 : Paul Bonnefon, Mémoires de ma vie, par Charles Perrault […], Voyage à Bordeaux,(1669), par Claude Perrault […], Paris, 1909. Perrault, Mémoires de ma vie, par Charles Perrault […], Voyage à Bordeaux (1669), édité par Paul Bonnefon, Paris, 1909. Préaud 1995 : Maxime Préaud, Les effets du soleil, Almanachs du règne de Louis XIV, Paris, 1995. Sarmant 2012 : Thierry Sarmant, Louis XIV, homme et roi, Paris, 2012.
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Le livre d’emblèmes ou liber amicorum de Launay, œuvre du faussaire Jean de Launay (Bibliothèque municipale de Lille, manuscrit 17) 394 Dominique Delgrange Secrétaire général de la Société française d’héraldique et de sigillographie
La renommée de Jean de Launay, exécuté à Tournai en 1687 395, et de son frère aîné Pierre-Albert († 1694), généalogistes et héraldistes originaires du Brabant396 est plutôt négative. Historiographes spécialistes des études généalogiques dans un siècle marqué par l’exaspération du goût de paraître et plus particulièrement par l’affichage de prétentions nobiliaires397, ils commirent de nombreux faux dans le but de répondre à la demande d’une clientèle fortunée et roturière en mal d’ascension sociale. Afin de donner corps à leurs inventions, ils recyclaient des travaux et documents anciens 398.
394
Bibliothèque municipale de Lille (France), fonds patrimonial, manuscrit 17 ; ex « Rigaud » 512 ; ex « Leglay » 301. Reliure cuir maroquin rouge datant du début du XIXe siècle, dos à nerf, décor d’encadrement doré sur les plat de couverture ; parchemin 190 ff. tranches portant des traces de dorure, format : 136 x 186 mm. « à l’italienne ». Provient de la bibliothèque de la collégiale Saint Pierre de Lille (cachet, timbre humide aux armes apposé sur le premier folio). Catalogue des manuscrits des bibliothèques publiques de France, tome XXVI, Plon, Paris, 1897, p. 394. 395 Convaincu de crime de lèse-majesté, faux, usage de faux etc., exécuté après jugement en appel du parlement de Tournai le 17 mai 1687. Voir Philippe de Ghellinck, « Du danger d’être faussaire au XVIIe siècle… », Publications de la Société Royale d’Histoire et d’Archéologie de Tournai , T. I, 1984, p. 47 à 76. 396 Sur la carrière des frères Launay, consulter Louis Galesloot, Pierre- Albert et Jean de Launay, histoire de leurs procès. Bruxelles, 1866 ; Philippe de Ghellinck (op. cit.) ; ainsi que mes articles « Faussaires et généalogistes au XVIIe siècle : Pierre et Jean de Launay », parus dans : Votre généalogie, n°13, juin-juillet 2006, p. 39 à 42 ; n°14, août- septembre 2006, p. 37- 39 ; n°15, octobre –novembre 2006, p. 37 à 40. 397 La littérature française contemporaine, de Molière à La Bruyère, offre le témoignage de ces velléités. 398 D’autres généalogistes indélicats se signalent au XVIIe siècle : Jean (le) Carpentier († 1664), éditeur et auteur polygraphe, éditeur d’une : Histoire généalogique des Pays-Bas ... qui doit quelques emprunts aux Launay. Né à Abscon (près de Valenciennes). Chanoine de Saint – Aubert à Cambrai, il quitta les ordres pour s’installer à Leyde (Hollande). Une partie de ses inventions furent mises à jour par le linguiste Paul Meyer « Observations grammaticales sur quelques chartes fausses en langue vulgaire », in : Bibliothèque de l’école des chartes, 1862. Haudiquer de Blancourt, garçon chapelier, entra au service du Juge d’armes de France Charles d’Hozier. Il commit avec Chassebras de Cramailles des fausses généalogies, en fit paraitre un certain nombre dans le Nobiliaire de Picardie, condamné aux galères pour faux, il mourut dans la prison de Caen en 1702. Chassebras se suicida en prison.
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Le liber amicorum, recueil d’emblèmes Au XVIIe siècle, la rédaction et la possession d’un alba amicorum, ou « livre des amis », correspond à une pratique établie depuis un siècle dans le milieu des érudits, des étudiants, patriciens ou nobles. Elle est apparue, semble-t-il, en Allemagne parmi les universitaires, se répandant ensuite aux Pays-Bas, en France et ailleurs. L’alba amicorum ou encore liber amicorum est un petit recueil manuscrit pouvant contenir des figures emblématiques, des scènes allégoriques, des armoiries, des citations littéraires ou tirées de l’antiquité, des devises, des signatures autographes. De petit format, il peut être emporté avec soi à l’occasion des voyages et des visites. Les vignettes et les rubriques illustrent les souvenirs que le propriétaire a rassemblés au cours de sa carrière universitaire, lors des ses rencontres ou de ses périples. Werner-Wilhelm Schnabel 399, auteur du Repertorium Alborum Amicorum, recense plus de vint-et-un-mille albums. Étudiant l’aire géographique des anciens Pays-Bas, Kees Thomassen400 en dénombre plus d’un millier, dont cinq-cents produits entre le milieu du XVIe siècle et les années 1660. Les statistiques qu’il a établies montrent que le genre paraît décliner au XVIIIe avant de connaître un certain renouveau au XIXe siècle. Le manuscrit 17 de la Bibliothèque municipale de Lille Le liber amicorum de Jean de Launay pourrait passer à première vue pour un de ces charmants albums personnels et être considéré comme une sorte de « carnet d’adresses ». Son propriétaire aurait pris le soin de consigner les noms et les marques de personnalités bien en vue dans le but de montrer qu’il se situe au centre d’un réseau respectable et prestigieux. Communiqué à des lecteurs curieux ou à une clientèle qu’il convient de mettre en confiance, il offrait au regard une série de vignettes dessinées et peintes avec soin qui pouvaient passer pour des preuves, des illustrations de la position sociale élevée et du statut enviable de son propriétaire. Cependant, un examen attentif du document, composé en respectant les formes et les sujets entrant habituellement dans ce type de document, les autres album amicorum de la période, permet d’appréhender son caractère factice et confirme ce qui peut être suspecté en le plaçant dans la perspective des activités frauduleuses de Jean de Launay.
399 Université d’Erlangen. Le « RRA », Repertorium Alborum Amicorum fait l’inventaire des albums conservés dans les bibliothèques publiques et privées du monde entier. 400 Koniglijke Bibliotheek de la Haye (Den Haag, NL)
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Un premier regard porté sur ce document nous ferait croire à une certaine homogénéité, à une unité, malgré quelques feuillets demeurés en blanc et d’autres insérés après reliure. Ce liber amicorum, magnifiquement peint, présente de nombreuses similitudes avec les autres albums du même type à la même époque. Il en adopte non seulement la présentation : le format, la composition, les mentions manuscrites mais il puise aussi aux mêmes sources d’inspiration : armoiries, emblèmes, scènes allégoriques, mythologiques (le cheval de Troie, Persée et Andromède), ou encore amusantes et pittoresques (des fous musiciens 401). L’héraldique occupe une grande place dans ce recueil, avec de nombreuses armoiries parfois accompagnées de devises, de chiffres et de signatures. Plusieurs mains, au moins trois, ont réalisé les peintures enluminées et les écus armoriés. L’écriture des mentions diffère parfois. Les quelques signatures qui apparaissent sont-elles authentiques ? Un examen plus approfondi de ce document va faire apparaître son caractère « spécial » et forgé. Les marges de plusieurs pages, celles où sont peintes des armoiries « hollandaises 402 » des années 1595-99, ont été rognées avant d’être réinsérées dans les cahiers du recueil. Des demi-feuillets ont été recomposés en les cousant sur une autre page. La présentation, les dates qui apparaissent, les marges rognées, sont autant d’indices qui permettent de penser qu’on aura récupéré un liber amicorum hollandais pour le démonter et enrichir un nouvel album. Ainsi au f°1 (numéroté 1), la dédicace en latin renferme une réflexion sur l’amitié : Praesentes quoniam non semper habemus amicos Signa juvat charae posse videre manus Nullus in hoc ordo servatur, amico bello Ultimus et primus sunt in amore pares 403.
401 Curieuse scène déjà accompagnée du même rébus sur un tableau de Jean Massys (Anvers, 1509-1575) : De wereld voedt veel zotten. 402 Les armoiries de plusieurs pages concernent des personnages originaires des Pays-Bas du Nord, ou en relation avec la Hollande, semblent avoir été réalisées par le même artiste. 403 « Lorsqu'ils étaient présents : nous les avons appelés amis, mais nous ne voyons pas toujours les signes laissés par la main d'un être cher. Aucun ordre ici n'est imposé : l'ami de la guerre, comme le premier et le dernier sont égaux dans l'amour ».
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très chrétienne à la Haye ; Sabine d’Egmont (veuve du comte Lamoral d’Egmont exécuté en 1568) ; de Walleran de Brederode, etc. Ces pages sont réalisées avec le même soin, le dessin est précis et enrichi de fonds d’or niellés, comme les pages 15 et 16 (Jacques d’Ecosse et son épouse, comme il a été dit plus haut). Dans la même série, mais adoptant une disposition différente et des champs d’or moins travaillés, avec des personnages, des dames tenant l’écu, on relève les armoiries de Marguerite de Duvenvoorde et de Louise van Lenniz. Les dates, quand elles apparaissent, correspondent aux années 1595-99 pour la partie « hollandaise » évoquée ici, ou celles de 1665 et 1658 lesquelles pourraient laisser croire que les signatures auraient été recueillies comme gage d’amitié ou marque de remerciement obtenu en côtoyant de hautes personnalités, en particulier à l’époque du couronnement de Léopold Ier (juin 1658). Cependant, la raison d’être et les conditions de la réalisation de l’album trouvent leur explication et leur origine dans les pratiques et la carrière du possesseur. Le possesseur : Jean de Launay, sa carrière, sa personnalité Le résumé de la carrière et des ennuis judiciaires des deux frères Pierre et Jean de Launay, historiographes, généalogistes, vient en effet éclairer les conditions de réalisation et le contenu de ce liber amicorum pas comme les autres. Nés à Bruxelles, le premier en 1617, le second en 1624, fils de Pierre de Launay, secrétaire du Pagador general des troupes au service de l’Espagne, Don Thomas Lopez de Ulloa, ils ont très vite fait des questions généalogiques et héraldiques leur occupation et leur métier. Les démêlés des frères Launay avec la Justice des Pays-Bas catholiques ont été exposés par Louis Galesloot 404, complétés plus récemment Philippe de Ghellinck, à partir de pièces conservées aux Archives départementales du Nord. Ces documents permettent de retracer avec précision les dernières péripéties de Jean de Launay à Tournai, en particulier les poursuites lancées contre lui par l’intendant de Flandre en 1686 405. Le XVIIe siècle marque l’ascension du « bourgeois gentilhomme », caricature pittoresque d’un phénomène social. Dans la même perspective, l’époque est également caractérisée, en France, par les édits de recherche de fausse noblesse et aux Pays-Bas espagnols par une succession d’édits et de 404
Pierre-Albert et Jean de Launay, histoire de leurs procès (1866). On voudra bien me permettre de signaler la publication dans laquelle je signale un certain nombre d’objets et de documents falsifiés et de pièces contrefaites par ces faussaires impénitents (sceaux, recueils, généalogies...), Jean étant sans doute le plus coupable : Dominique Delgrange : Impostures héraldiques au XVIIe siècle, les frères Pierre et Jean de Launay, pseudo barons de Launay, Wasquehal 2017 (2e éd.)
405
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déclarations royales qui tentent de réglementer l’utilisation des armoiries. Une clientèle avide de roturiers vivant dans l’aisance, patriciens des villes ou propriétaires terriens, entretient une demande pour des documents pouvant confirmer des prétentions nobiliaires, ouvrant la porte à une ascension sociale. Les frères Launay se sont évertués à répondre à ces attentes 406. Ils fournissaient de véritables généalogies et en forgeaient d’autres contre monnaie sonnante et trébuchante. Ils se sont également occupés de leur propre cas en travestissant l’origine relativement modeste de leur père, faisant de leur grand-père un noble normand allié à une dame espagnole et issu de familles des plus en vue : Bretagne, Beauveau, Chateaubriand, etc. (Fig. 1), présentant leur mère comme la descendante d’un prestigieux lignage brabançon alors qu’en vérité elle était la fille illégitime d’un gentilhomme brabançon « mort à marier ». Au passage, ils se fabriquent une fausse patente impériale leur conférant le titre de baron d’empire (Fig. 4). Tout le monde le savait, à commencer par leurs collègues hérauts d’armes à Bruxelles, lesquels n’étaient pas non plus toujours sincères. Après quelques démêlés provoqués par l’étalage de leurs faux titres et de leurs quartiers armoriés controuvés à l’occasion des funérailles de leur mère en 1652, puis les réactions de collègues ou de clients pas toujours satisfaits, le Conseil de Brabant engage une longue action judiciaire contre les deux frères. Finalement, ils sont assez lourdement condamnés en 1673. Pierre, l’aîné, pour alléger le bras de la Justice a fait peser les plus graves accusations sur son frère. Après quelques mois passés à la prison bruxelloise du Treurenberg, il se « rachète une conduite ». Jean, le cadet s’est enfui à Tournai, dans cette partie des Pays-Bas devenue française, hors d’atteinte des tribunaux bruxellois. Il reprend ses activités délictueuses, produisant des généalogies rendues crédibles en apposant des sceaux contrefaits, faux témoignage des autorités publiques. Aujourd’hui nous désignons ce type d’agissements comme des faux en écriture publique, fabrication, usage de faux et escroquerie. Condamné au blâme, simple avertissement formalisé par un passage devant le tribunal, il nargue encore de façon effrontée Michel Lepeletier de Souzy, intendant de Flandre 407 avant que la main implacable de 406 Un exemple parmi quelques autres concerne la famille Sucre originaire de Preux-aux-bois (entre Cambrai et Valenciennes). Grâce à une généalogie embellie fournie par Launay dans les années 1660, ces propriétaires terriens sont passés du statut de « sire » à celui de noble, augmentant leur respectabilité. Les générations suivantes, bénéficiant d’un a priori favorable s’insérèrent dans les sphères proches du pouvoir, à Bruxelles, puis à Madrid, jusqu’à obtenir des commandements militaires en Espagne puis dans les colonies américaines. Ce sont les ancêtres du général Antonio José Sucre (1795-1830). Voir : Gérard Marti i Brull, « Falsita e confuzione al servizio del progresso nobiliare... », revue : Nobilita, 2010, p. 483 à 486. 407 Dans une curieuse diatribe, un : « Éloge pour le Sr. Intendant Ponce Pilate Peltier de Sousy… ». Le sixième et dernier quatrain indique bien le ton : « Tu fais le pédant et le péripatétique Tu as plus de fantaisie qu’un misérable érétique
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En examinant d’autres documents, en particulier des gravures insérées dans les recueils généalogiques « Launay »410, on remarque et comprend mieux cet acharnement à recycler les pièces pour forger de nouvelles « preuves ». Le labyrinthe de mensonges fabriqué par Launay atteint, malgré tout, ses limites, il est possible d’en sortir à partir du moment où l’on entreprend d’établir des comparaisons 411. L’examen des quartiers d’ascendance, des déclarations d’armoiries, des titres et fonctions revendiquées révèlent des discordances et des repentirs, comme si on avait affaire à des documents en cours d’élaboration ; pourtant, la plupart du temps il ne s’agit pas de brouillons mais de tableaux et d’écrits « au net ». Il faut dire que nous les examinons sans les commentaires et les raisonnements que le principal intéressé ne devait pas manquer d’adresser aux curieux à qui il montrait ces documents. Aujourd’hui, nous n’entendons pas le chant des sirènes, nous n’en voyons que les effets concrets, mais il faut savoir qu’avec Charles d’Hozier, juge d’armes de France à la fin du XVIIe siècle, les historiographes et les généalogistes officiels savaient à quoi s’en tenir à propos de Launay 412. Plus tard, la consultation des archives et des fonds anciens des bibliothèques par des érudits qui prenaient au premier degré les informations qu’ils lisaient effaça les doutes et les suspicions 413. Les questions qui subsistent, loin de remettre en cause le caractère forgé du document, viennent au contraire confirmer le jugement. La question du caractère sincère de l’amitié qui lie le possesseur à celui qui dépose sa marque dans le livre se pose. Le liber amicorum est un reflet de la vie réelle. Les miniatures figurées reproduisent les coutumes, les convenances, les sentiments souvent empruntés, les mots laissés « pour la forme », les retournements. Il ne s’agit que de marquer des situations qui s’avèrent aussi provisoires et aléatoires que la vie. Pour y voir plus clair, il faudrait pouvoir déchiffrer chaque marque, identifier chaque porteur d’armoiries, chaque devise. A quoi cela servirait-il cependant d’aligner une liste rétablie avec 410
BnF, Paris ; Bibliothèque municipale de Lille ; Bibliothèque d’Arras, Bibliothèque de Valenciennes... 411 Démarche rendue plus facile aujourd’hui grâce aux nouvelles techniques de reproduction et de diffusion des images. 412 D’Hozier détectait même chez les érudits sérieux les emprunts qu’ils avaient pu faire aux « Launay . Bibliothèque historique de la France contenant le catalogue des ouvrages imprimés et manuscrits… , tome III, 1771, par (Charles-Marie) Fervet de Fonetette… p. 755 : Preuves de l'histoire généalogique de la Maison de Bouton, Pierre Palliot, historiographe du roi, Dijon, 1665, in fol° 212 pages ; Il se trouve à la Bibliothèque du Roi un exemplaire de cet ouvrage, chargé de notes critiques de la main de Pierre d'Hozier, qui rejette comme fausse & ridicule la descendance des Boutons de la Maison de Jauche en Brabant, observant que les preuves fournies par P. Albert de Launay, indigne faussaire, pendu à Tournay (sic, il s'agit, bien sûr, de son frère Jean, encore plus compromis dans la production de faux) pour fabrications de titres. 413 Charles Renynghe de Voxvrie (1900-1982), se laisse encore séduire par l’immense documentation « Launay » : Tablettes de Flandre, tome 8 (1960), p. 6 et p. 241 et suivantes.
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précision ? Émile-G. Léonard l’avait fait avec près de quatre-cents noms, pour le liber amicorum de Nicolas Engelhardt 414. Les relations invoquées par Jean de Launay, lequel s’efforce de nous les présenter comme faisant partie du cercle de ses connaissances, sont en fait de faux amis, au sens propre. Ils existent bien, mais ne sont pas liés au possesseur de l’album, n’ont vraisemblablement jamais entretenu des relations avec lui. Les marques inscrites dans ce recueil sont des faux ou proviennent d’un autre livre dé-relié. La patente de baron obtenue, si l’on en croit le faussaire, grâce à la magnanimité du nouvel empereur Léopold Ier est également un faux,415, une authentique forgerie réalisée avec le plus grand soin 416. Une question sans réponse concerne un point de vue purement pratique : dans la mesure où la réalisation des peintures prend plus de temps qu’il n’en faut pour laisser sa signature, une ligne d’écriture ou une courte sentence, peuton penser que les images sont dessinées et peintes à l’avance ? En conclusion, après avoir examiné attentivement le liber amicorum et l’avoir replacé dans son contexte, il apparaît que les marques insérées dans l’album ne sont pas des témoignages de pure amitié ou à la rigueur d’authentique vanité, mais sont un instrument qui, s’ajoutant à d’autres, est destiné à tromper, à mettre en confiance le client, à faciliter les escroqueries*.
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Émile-G. Léonard, « Le liber amicorum du strasbourgeois Nicolas Engelhardt (15731612) ». Bibliothèque de l’Ecole des chartes, Tome 96, 1935 p. 91 à 129. Il s’agit du manuscrit BnF lat. 18597. 415 Lille, Bibliothèque municipale, manuscrit Godefroy 323, pièce 104. Patente (fausse) impériale donnée « dans la ville impériale de Francfort-sur-le-Mein (sic), le trois du mois d’août (1658)». L’empereur crée en outre « à toujours » les enfants héritiers et descendants légitimes de Jean de Launay, baron et baronnes de Launay, ainsi que ceux de son frère PierreAlbert... Une autre fausse patente d’anoblissement établie vraisemblablement par Jean de Launay est conservée à la Bibliothèque municipale de Lille (BML, ms. Godefroy 639) ; lettres impériales sur vélin, anoblissement de Jean de Grosbeeck-Wemeling. Ces pièces sont vraisemblablement entrées dans le fonds de la famille du fameux archiviste Godefroy mandaté pour expertiser les documents saisis chez Launay en septembre 1686 et préparer l’enquête. N’intéressant pas directement l’acte d’accusation car elles ne concernaient que des généalogies privées, elles ont dû demeurer entre les mains de l’archiviste. Son descendant, le marquis Godefroy de Mesnilglaise les remit avec d’autres documents à l’occasion d’un don fait à la Bibliothèque publique de Lille, au début du XIXe siècle. 416 La bulle qui scellait ces lettres patentes a disparu. Louis Galesloot suspectait l’existence de cette fausse patente (op. cit. p.87) qui n’était connue que par des copies manuscrites. * Mes remerciements s’adressent à Madame Paulette Choné, organisatrice du congrès des emblémistes à Nancy pour m’avoir permis d’exposer la question de ce liber amicorum ainsi qu’à Madame Catherine Dhérent, directrice de la Bibliothèque municipale de Lille qui a examiné avec moi ce document conservé dans le fonds ancien.
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Bibliographie Reiffenberg 1841 : Frédéric de Reiffenberg, « De la nobliomanie, archives du collège héraldique de Belgique », Revue historique, tome 2, Paris, 1841, p. 158-165. Galesloot 1866 : Louis Galesloot, Pierre-Albert et Jean de Launay, histoire de leurs procès, Bruxelles, 1866, 118 p. Collectif 1897 : Catalogue des manuscrits des bibliothèques publiques de France, tome XXVI, Paris, Plon, 1897. Roersch 1929 : Alphonse Roersch, « Les albums amicorum du XVIe et du XVIIe siècle », Revue belge de philologie et d’histoire, V-8, Bruxelles, 1929, p. 530 à 36. De Ghellinck 1984 : Philippe de Ghellinck, « Du danger d’être faussaire au XVIIe siècle… », Publications de la Société Royale d’Histoire et d’Archéologie de Tournai , I, 1984, p. 47 à 76. Collectif 2004 : Reproduction photographique du ms. 17, en noir et blanc, réalisée par l’IRHT (CNRS), mars 2004. Fabri et Thomasen 2012 : Ria Fabri « Het liber amicorum van Nicolas en Adriaan Rockox », in Vriendschap verbonden, het liber amicorum ; Kees Thomasen, « Rozen verwelken en sheepjes vergaan mar onze Vriendschap blijft altijd bestaan », in Vriendschap verbonden... Catalogue d’exposition, Anvers, 29 septembre-15 décembre 2012. Delgrange 2017 : Dominique Delgrange, Impostures héraldiques au XVIIe siècle, Association Genealo éd., 2e édition 2017.
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Entre livre d’emblèmes et iconologie Daniel de la Feuille, Essay d’un dictionnaire contenant la connaissance du monde Chloé Perrot, BnF En 1700, Daniel de la Feuille fait paraître son Essay d’un dictionnaire contenant la connaissance du monde. L’ouvrage connaît trois éditions au cours du XVIIIe siècle. La première, celle de 1700, est l’œuvre de De la Feuille lui-même. Elle paraît à Wesel chez Jacobus van Wesel. En 1736, une nouvelle publication voit le jour à La Haye chez Jacques van den Kieboom. L’ouvrage se trouve pourvu d’un nouveau titre : La science des hieroglyphes, ou, L'art d'exprimer par des figures symboliques, les vertus, les vices, les passions & les mœurs, &c. La dédicace signée par Van Wesel a disparu et la préface a été remplacée par un mot du libraire. En 1746, le recueil revêt enfin une troisième page de titre mais il ne s’agit pas cette fois, à proprement parler, d’une nouvelle édition mais plutôt d’une réémission de la version de 1700. L’éditeur est Jean Swart à La Haye. Il se contente d’insérer un « Avertissement du libraire », supprimant lui aussi la dédicace et la préface, puis il reprend simplement les cahiers de 1700, probablement un surplus de stock, des invendus, qu’il a pu acquérir. En effet, les différents éléments graphiques et typographiques sont strictement les mêmes, et sont placés exactement à la même position sur les pages. Jean Swart avait cependant connaissance de l’édition de 1736 puisqu’il en reprend le titre qu’il modifie légèrement. L’ouvrage devient : Science hiéroglyphique, ou Explication des figures symboliques des anciens, avec différentes devises historiques. Et, tout comme Jacques van den Kieboom, il ajoute une mention au titre long qui ne figurait pas dans le titre original, à savoir l'utilité du recueil pour les artistes et les amateurs des arts417. L’ouvrage doit beaucoup à l’Iconologie traduite par Baudoin, nous nous intéresserons donc aux rapports qu’entretient l’Essay d’un dictionnaire avec sa source d’inspiration principale. Mais force est de constater que De la Feuille a produit un document plutôt hybride et que sa classification parmi les iconologies est problématique. Nous nous demanderons, dans un second temps, dans quelle mesure il se distingue de son modèle en lui conjuguant une part de la tradition issue des livres d’emblèmes, genre que l’auteur avait déjà pratiqué à la fin du XVIIe siècle. Avant d'aller plus loin et pour les besoins de l’analyse, il semble essentiel de s’intéresser à l’auteur de l’Essay d’un dictionnaire : Daniel de la Feuille. 417
Ces nouveaux titres qui s'orientent globalement dans le même sens, signent un changement majeur dans la réception du document à partir de la fin des années 1730.
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Il faut noter que De la Feuille a recours aux deux parties de l'Iconologie de Baudoin ce qui indique que ce n'est pas la première édition qui est utilisée mais la seconde, de 1643, voire une édition postérieure. Tout comme les images, les textes qui accompagnent les médaillons sont une version appauvrie de ceux de Baudoin au point que la parenté ne se révèle qu'à travers la reprise de certains passages. Ainsi, dans l'allégorie de l' « Amour domté »422 la structure globale des paragraphes et des expressions communes telles que « foule[r] aux pieds son arc & ses fleches », l'horloge « symbole du tems » qui éteint les passions « particulièrement celle de l'Amour » ou encore l’emploi du verbe « modérer » attestent la parenté des deux textes. De la Feuille élague à la hache une grande partie du texte et, dans notre exemple, passe ainsi des quatre cent trente-et-un mots de Baudoin à seulement quatre-vingt neuf mots. Ce sont particulièrement la « généralisation morale » et l'essentiel des références aux « anciens auteurs », dont la compréhension justifiait pourtant en partie la composition de l'ouvrage423, qui sont touchés. L'étymologie grecque et latine est supprimée ainsi que les vers du Tasse qui n'est même pas cité. De la Feuille ne retient finalement de la version de son devancier qu'un ensemble de lieux communs ; la beauté de la langue est elle-même altérée et l'érudition, quant à elle, complètement évacuée. La comparaison des deux versions permet de s'en faire une idée plus précise. La version de Baudoin décrit ainsi « l’Amour dompté » : C'est un Cupidon assis, le flambeau duquel ne paroist point, & qui foule aux pieds son arc & ses fleches. Il tient de la main droite un Horloge de sable, & de la gauche l'oyseau communément appelé petit Plongeon, qui est extremement maigre & décharné. Le temps & la Pauvreté sont les deux choses les plus capables d’esteindre l’Amour. C’est à raison de cela qu’on luy met en main un Horloge, qui est le vray symbole du Temps, par qui sont moderées les inquietudes de l’esprit, & les passions de l’ame. Mais il remedie surtout à celle d’Amour, à cause qu’ayant pour but la jouïssance d’une belle Maistresse, il faut necessairement que sa beauté venant à se changer par le revolution des ans, le desir se change aussi, & que l’Ame se tourne à d’autres pensées.424
La reprise par De la Feuille indique quant à elle : Vous voyez ce petit Dieu assis sur une Montagne, fouler aux pieds son Arc et ses flèches, aiant perdu son flambeau, tenant une horloge de sable en sa main droite, & de la gauche un petit oyseau maigre & décharné que l'on nomme plongeon, qui représente la misere.
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De la Feuille 1700, p.1. Ibid., Préface, n.p. 424 Baudoin 1643, Première Partie, p.10. Le texte se poursuit encore sur trente-deux lignes et inclut des vers que l’auteur attribue à Jean-Baptiste Guarini. 423
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Le flambeau que l’Amour a perdu montre sa pauvreté qui le conduit au desespoir jusqu’à fouler aux pieds ses propres armes, l’horloge qu’il tient est le symbole du Tems, qui modere toutes les passions de l’ame, & particulierement celle de l’amour.425
Cet exemple nous permet de noter au passage la relation différente des deux auteurs à l'image. Chez Baudoin, le texte montre une certaine prise de distance et s’attache à décrire la personnification et non l’illustration qui accompagne le texte. L'image ne lui est pas indispensable car elle est avant tout constituée dans l'imaginaire du lecteur426. En revanche, quand De la Feuille écrit « Vous voyez ce petit Dieu... » il pointe directement l'image par le discours et semble convier à s’y reporter. C’est une expression qui revient à plusieurs reprises427, et quand elle est absente, ce sont d’autres termes qui la remplacent : représenter, dépeindre, voir sous la peinture428, etc. La récurrence du mot « ici », enfin, désigne les gravures du recueil comme référence de la description allégorique. Les deux recueils de Baudoin et de De la Feuille présentent tous deux une forte isotopie entre l'image et le texte bien que les procédés diffèrent. Chez le premier, schématiquement, le lecteur prend connaissance de l'image grâce à de larges médaillons. Il mène une réflexion qui doit le conduire à une compréhension quasi instinctive - sur laquelle repose en partie le qualificatif de hiéroglyphique - et à une approche du sens moral. Puis, vient la description littéraire. Après une interprétation de premier degré, l'auteur y développe son sujet par l'énumération des sources, tant visuelles qu'intellectuelles et dérive enfin vers la généralisation morale. Le graveur d’Amsterdam propose lui aussi, a priori, à son lecteur de voir l'image et de mener cette même réflexion. Mais ensuite, il lui soumet un quatrain plus ou moins énigmatique, dont l’analyse le guide vers la conclusion morale, avant même que l'image ne soit décrite et interprétée. Et cette description-interprétation par le texte en prose, qui renvoie assez systématiquement à la gravure, demeure assez simple et, comme nous l'avons dit, est pratiquement dépourvue de références aux sources littéraires. Ajoutons que si le système de mise en page peut sembler assez comparable chez Baudoin et De la Feuille, ce n'est qu'une apparence. Tous deux utilisent des médaillons, principe que De la Feuille a d'ailleurs également employé dans ses Devises et emblemes429. Est-ce que l'Emblem 425
Ibidem. Le texte de Daniel de la feuille s’arrête là. Dans le sens où selon nous, Cesare Ripa employait le terme « imagini », c’est-à-dire comme projection mentale d’un concept et non directement en tant que traduction visuelle par les beaux-arts. Cette lecture permet d’ailleurs d’inclure les poètes et les orateurs au nombre des destinataires des iconologies, ce que les titres et avant-propos des ouvrages s’attachent bien souvent à souligner. 427 Notamment p.2, p.7 par deux fois, p.9, etc. 428 Op. cit. p.11. 429 De la Feuille 1691. 426
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Chez De la Feuille, la mise en page des images est extrêmement dense. Il ne réunit pas moins de douze à quinze médaillons par page, sur un format qui n'est plus celui de l'in-folio de Baudoin mais un in-quarto (Fig. 3). Le texte, lui, est systématiquement mis à distance puisqu’images et textes ne se trouvent jamais sur un même folio. En outre, si, chez Baudoin, la belle régularité qui fait se succéder images puis texte est respectée, il arrive rapidement, dans le recueil de Wesel, après les premières séries, que les images se trouvent insérées au milieu du cahier de texte correspondant. À notre sens, le système choisi par Baudoin joue en faveur d'une consultation et d'une mémorisation facilitées, cette dernière étant renforcée dans la deuxième partie par l'organisation thématique des allégories qui se présentent en séries. Chez De la Feuille, en revanche, la consultation de l'ouvrage suppose un va-et-vient permanent inhérent à sa structure, à l'organisation pseudo-alphabétique - dans les faits très hétérogène voire confuse - et à la surcharge des images à laquelle s'ajoutent le petit diamètre des médaillons et les gravures peu lisibles et peu travaillées. L'ensemble contribue à la construction d'une image mentale globale et à une impression de densité qui se fait peut-être au détriment de la mémorisation précise des contenus allégoriques. Si le contenu de l’Iconologie semble donc destiné à être intégré pleinement par son lecteur et mobilisé au quotidien en tant que guide moral sans qu'il soit nécessaire de revenir au livre, la structure de l'Essay d'un dictionnaire implique au contraire la nécessité d'un retour permanent au document et, à l'intérieur du recueil, un va-et-vient entre texte et images renforcé par la relation d'immédiateté du discours que nous avons signalée tout à l'heure. Il apparaît donc que De la Feuille a composé un ouvrage certes largement inspiré de l'iconologie mais qui puise aussi à d'autres sources, parmi lesquelles son propre livre de Devises et emblèmes. Nous allons donc à présent nous attacher à analyser plus avant la composition du recueil qui semble se trouver à la frontière des genres. Sa structure, tout d’abord, sans être homogène, présente quelques particularités remarquables. Nous avons déjà mentionné l'organisation des estampes et ce qu’elle suppose de manipulations au cours de la lecture. Pour assurer la concordance texte-images, De la Feuille met en place un système de renvois grâce au titre et au numéro attribués à chaque médaillon. Rien de nouveau ici : c'est déjà le système adopté par Baudoin et celui retenu dans Devises et emblemes. Mais il dédouble le principe en indiquant le titre à deux reprises dans la partie « texte ». Il construit ainsi une liaison covalente très forte qui unit indéfectiblement l’écrit à l'image. En outre, du point de vue de la structure du texte lui-même, il ajoute un élément étranger au genre de l'iconologie : un quatrain qui évoque davantage la structure de l'emblema triplex et qui se prolonge par un commentaire. Toutefois, la dimension épigrammatique du quatrain est perdue au profit de la « sermonisation de
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l'emblème », pour reprendre une expression de Claudie Balavoine, phénomène qui se développe avec Jean-Jacques Boissard en 1588433. Notons en passant la grande pauvreté de ces quelques vers dont nous ne donnons qu’un exemple, issu de l’article « Conseil » : Rien ne reussit à ce Prince, Il perd Province après Province : S’il tache à les reprendre, il n’en vient point à bout, C’est son conseil qui gâche tout.434
La répétition du titre peut évoquer un système employé dans les traductions des Emblèmes d’Alciat435 mais elle n’est pas justifiée chez De la Feuille par la mise en parallèle de deux langues et est ici totalement redondante. En résumé, le document, pour la plupart des allégories représentées, se structure de la manière suivante : l’image sur une planche porte un titre à l'intérieur du médaillon et un numéro à l'extérieur, le texte sur une page à part, plus ou moins éloignée de la gravure, rappelle d'abord le numéro et le titre, qui sont suivis d'un quatrain en langue vernaculaire, puis de nouveau par le titre et une description/explication de l'image. Il convient de noter que le texte de Devises et emblèmes ne présentait pas la même structure. Point de quatrain, point de développement moral : à un médaillon correspondait en regard une simple devise, écrite et traduite dans différentes langues par Henri Offelen436. Et si une grande partie des médaillons sont directement copiés de l'Iconologie de Baudoin, ceux qui ne le sont pas présentent pour certains une parenté évidente avec ceux des Devises et emblemes (Fig. 4), alors même que la tentation du motto commence à s’y faire sentir437. Et la parenté ne réside pas seulement dans l’image. Dans notre exemple, la devise « Son cœur veille » de 1691 devient « Vaillant Et Veillant », titre de l’image en 1700.
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Voir aussi Bossé-Truche 2007 au sujet de la sermonisation de l’emblème, dans une analyse qui fait écho à la dimension quasi religieuse que De la Feuille insuffle aux sujets dont il est lui-même l’auteur. 434 De la Feuille 1700, p. 68. 435 Alciat 1535 ou Alciat 1584 par exemple. 436 Nous pouvons d’ailleurs en déduire que c'est l'image seule qui se trouvait désignée par le terme « emblème ». 437 Nous pensons notamment à « Nulle paix pour le méchant ».
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d’invendus440. De plus, les catalogues de vente ou inventaires après décès sont très peu nombreux à mentionner le recueil. En collections publiques, nous avons dénombré à ce jour moins d’une dizaine d’exemplaires. Ce premier comptage n’est pas négligeable si l’on tient compte des pertes et destructions possibles mais les chiffres ne sont en aucun cas comparables avec ceux des différentes éditions des Emblemata d'Alciat par exemple, ou encore de l'Iconologia de Ripa qui se trouve très fréquemment dans les catalogues et inventaires, parfois même en plusieurs exemplaires au sein d'une même collection, dans différentes éditions. Quoi qu’il en soit, le recueil de 1700 est le premier de la longue série d’iconologies du XVIIIe siècle. Dernier témoin explicite de la réception de la tradition du livre d’emblèmes, il assure en quelque sorte une transition, dans la mesure où il porte aussi en lui l’esquisse des spécificités des ouvrages à venir.
Bibliographie Alciat 1535 : André Alciat, Le Fèvre Jean, Les emblemes de maistre Andre Alciat, mis en rime francoyse, Paris, Chrestien Wechel, 1539. Alciat 1584 : André Alciat, Mignault Claude, Les emblemes Latin-Francois dv Seigneur Andre Alciat, Paris, Jean Richer, 1584. Baudoin 1643 : Jean Baudoin, Iconologie ou les principales choses touchant les vices et les vertus…, 1643, Première Partie, p. 10. Bossé-Truche 2007 : Gloria Bossé-Truche, « Les gravures d’emblèmes : évolution et déclin de l’image dans la littérature emblématique espagnole » in J.-L. Guereña, Image et transmission des Savoirs dans les mondes Hispaniques et Hispano-Américains, Tours, Presses universitaires FrançoisRabelais, 2007, p.283-297. Chaufour 2012 : Marie Chaufour, Le moraliste et les images : recherches sur l'expression emblématique chez Jean Baudoin (ca.1584 - 1650), thèse de doctorat en histoire de l’art moderne, sous la direction de Paulette Choné, soutenue à l’Université de Bourgogne, 2012. À paraître aux éditions du Cerf.
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Jean Swart espérait peut-être que la publication de l’Essai sur les hiéroglyphes des Egyptiens de William Warburton relancerait l’intérêt pour le recueil désormais désigné comme Science hiéroglyphique, ou Explication des figures symboliques des anciens, avec différentes devises historiques.
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De la Feuille 1691 : Daniel de la Feuille, Devises et emblemes, Amsterdam, 1691. De la Feuille 1700 : Daniel de la Feuille, Essay d’un dictionnaire, contenant la connaissance du monde, des sciences universelles, et particulièrement celle des médailles, des passions, des mœurs, des vertus et des vices, etc., Wesel, Jan van Wesel, 1700.
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Seconde partie Du livre d’emblèmes au décor
Pour une attribution à Pierre Woeiriot du décor sculpté à portée emblématique de l’hôtel de Houdreville à Neufchâteau Pascal Joudrier
L’Hôtel de Ville de Neufchâteau (Vosges) occupe depuis 1803 un remarquable édifice de la Renaissance, classé MH en 1908, l’hôtel reconstruit et orné dans le dernier quart du XVIe siècle par la famille de marchands Mengin de Houdreville. Nous nous proposons de regarder d’un œil neuf le décor sculpté subsistant de cette demeure, son portail, son puits et son splendide escalier, restauré en 2013-2014, en confortant quelques hypothèses inédites sur son vraisemblable concepteur, le graveur Pierre Woeiriot, né à Neufchâteau en 1532, mort à Damblain en 1599 : ainsi redonnerons-nous toute sa portée emblématique à cet exceptionnel et pourtant si méconnu fleuron architectural et artistique de la cité lorraine. Le commanditaire : Jean de Houdreville (1536-1616) En 1545 le marchand neufchâtelois Jean Mengin le père envisage de reconstruire sa maison, « tant pour embellir la ville que pour se loger et accommoder ». Cependant, de 1546 à 1579, quatre procès successifs opposent les Mengin, le père puis le fils, aux Frères mineurs cordeliers ; ce n’est qu’après trois décennies de procès que les travaux peuvent reprendre pour s’achever quinze ans plus tard, le millésime de 1583 étant sculpté sous la corniche de la façade sur la rue Saint-Jean, et celui de 1594 au couvrement du quatrième palier de l’escalier. Jean Mengin le jeune, qui rebâtit son hôtel dans le dernier quart du XVIe siècle, est né en 1536. Serviteur du duc Charles III, il lui rend dès les années 1560 de « bons et notables services en plusieurs affaires de guerre secretz et grandement importans au bien de l’estat ». Nommé « receveur de Neufchâteau et Châtenois » en 1574, Jean de Houdreville est anobli en 1576, « pour les fidelz et diligens services » qu’il a rendus ; ses armoiries parlantes portent sur un fond de sinople une étoile d’or et « trois fardeaux de paille d’or », rappelant le commerce des grains qui avait notablement enrichi la famille depuis le XVe siècle. Le lien unissant les épis de chaque gerbe est aussi un symbole de Concorde. Il épouse en secondes noces après 1565 Jeanne Héraudel, fille de Nicolas Héraudel, maire de La Mothe en 1547 et 1548, anobli en 1555 (ses armoiries présentent trois trèfles), mariage sans postérité. Devenu en 1591 lieutenant du bailliage de Vôge à Neufchâteau, Jean de Houdreville est donc sur place l’administrateur le plus puissant des
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intérêts ducaux. Il sert fidèlement et efficacement le duc Charles III, le soutenant à plusieurs reprises « tant par le moyen de son bien et crédit en plusieurs sommes de deniers et quantité de grains »441 que par son courage. Houdreville est d’ailleurs blessé en 1592, à l’âge de 56 ans, durant la huitième et dernière guerre de religion, aux sièges de Montéclair (Andelot) et Chateauvillain. Il en reçoit une honorable reconnaissance en étant nommé conseiller d’État en 1605, et meurt en octobre1616, âgé de 80 ans. Il a donc fait partie à l’évidence de l’élite bourgeoise des riches serviteurs ducaux, cultivés, aimant les arts, généreux, payant de leur personne, et son hôtel, situé au milieu de la rue Saint-Jean à un emplacement privilégié de la vieille cité, est reconstruit et orné alors que Houdreville est au sommet de sa puissance financière et sociale. L’appareillage soigné, la porte monumentale sur rue avec son exubérant et précoce décor, son escalier hors norme, et sans doute à l’époque ses vitraux, son mobilier, ses cheminées442, tout affirme le prestige, la culture raffinée, « le luxe de bon aloi » et le goût pour l’ornement et la symbolique de cette famille neufchâteloise enrichie par le commerce, les alliances, et les offices en ce temps d’apogée des Duchés de Lorraine et de Bar. Le concepteur du décor : Pierre Woeiriot (1532-1599) Il nous paraît vraisemblable et démontrable d’attribuer le dessin, la conception, voire la réalisation du décor de l’hôtel de Houdreville au plus illustre artiste natif de Neufchâteau et y résidant régulièrement à cette période, Pierre Woeiriot de Bouzey. Woeiriot, auquel se sont intéressés de nombreux travaux érudits depuis le XIXe siècle, et plus récemment Paulette Choné443, était orfèvre, en son « premier et propre état », art auquel il a « rajouté les arts de pourtraiture, peinture et sculpture, perspective et architecture, aussi de taille enlevée, enfoncée, engraveure… », comme il l’écrit fièrement dans la Préface de son Livre d’aneaux, en 1561. Woeiriot a voyagé en Italie (1557-1560) et a séjourné durablement à plusieurs reprises à Lyon (entre 1555 et 1568) ; c’est au milieu des années 1560 qu’il grave les cent Emblèmes chrestiens de la poétesse réformée Georgette de Montenay, qui nous semblent d’évidence éclairer la lecture du décor de l’hôtel de Houdreville. Au début des années 1570, il demeure en Lorraine, où il se fixe à Neufchâteau et à Damblain, berceaux de sa famille. Reconnu comme « ymaigier » et protégé par le duc Charles III qui le pensionne durant près de 441
Marot 1932, passim La cheminée monumentale du premier étage, « chargée de sculptures », a hélas été détruite en 1822. 443 Choné 1991, et 2013. 442
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vingt ans, il y grave encore de nombreux portraits et planches en tailledouce, et meurt en 1599. Artiste très cultivé, soucieux dans les années 15501570 de donner à son œuvre une inflexion chrétienne, voire une signification réformée (voir nombre de ses portraits, dont ceux de Calvin ; ses Emblèmes chrestiens ; ses Images de la Bible), Woeiriot a été assurément calviniste, avant de se conformer aux interdits ducaux et de revenir au catholicisme. Maîtrisant parfaitement les innovations architecturales et ornementales de son temps, il pouvait les introduire et les développer dans sa ville natale. Il a ainsi pu concevoir à une date précoce, dès le début des années 1570, le « desseing » de la façade, de l’escalier et des portes de la noble demeure de Jean de Houdreville, son exact contemporain, son cousin, voisin et compatriote, de la même origine sociale que lui - ces dynasties de marchands-artisans anoblis qui tenaient le haut du pavé à Neufchâteau -, comme lui serviteur apprécié de Charles III, et allié de nombreuses familles nobles de la Plaine des Vosges. Nous décrirons donc l’architecture et le décor sculpté de l’hôtel de Houdreville comme étant sans doute l’œuvre originale de cet artiste confirmé, soucieux par le recours à l’emblème de donner sens à un monument insigne de la cité, avec son exceptionnel décor sculpté444. Description de l’hôtel de Houdreville et signification de son décor La façade sur rue, en pierre de taille, légèrement anglée au centre, est structurée par la superposition des ordres toscan et ionique : des pilastres plats encadrent les croisées du rez-de-chaussée et de l’étage, non symétriquement réparties (en croisées simples, doubles et quadruples). Ce genre d’élévation se retrouve sur des demeures Renaissance de Bar-le-Duc ou d’Arc-en-Barrois.
444
Joudrier 2014, et 2021, pour plus de descriptions argumentées et d’illustrations.
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corniche à ressauts suit le profil des deux consoles droites qui prolongent les colonnes et de la console galbée qui coupe en deux le décor symétrique occupant tout l’espace ainsi mis en valeur : cartouches ovales nus dans un cuir découpé, entourés de rameaux, guirlandes et jaillissement de fruits en haut relief hors de deux hautes corolles, comme de fleurs de jonquilles, semblables à des cornes d’abondance. (Fig.1) Il est à noter que ce motif iconographique banal des cornes d’abondance est ici plastiquement valorisé, puisqu’au-dessous de l’entablement les écoinçons de l’arcade en plein cintre sont entièrement et symétriquement couverts par des boutons floraux, de larges feuillages et des chutes de fruits. Stylistiquement, le profil du modillon-console pourrait bien provenir des modèles du Dijonnais Hugues Sambin. L’architecte de l’hôtel de Houdreville pouvait aussi connaître le Premier tome de l’Architecture de Philibert de l’Orme qui décrit en son livre VIII (1567) la manière de tracer et de bâtir un portail carré semblable à celuici. Ce portail monumental « à programme » peut aussi avoir été inspiré par celui aux écoinçons fleuris à valeur emblématique du château de Champlitte, construit vers 1560-1570. L’exubérance des feuillages et des fruits, et notamment les grandes palmes des écoinçons, rappellent le Psaume 92 : « Le juste fleurira comme la palme. Les justes fleurissent, ils sont pleins de sève et verdoyants, pour dire que le Seigneur est droit ». La double corne d’abondance dans l’emblématique dès la première moitié du XVIe siècle, chez Alciat notamment, est le signe que la Fortune accompagne la valeur personnelle (la Virtus). Ainsi Jean de Houdreville manifeste-t-il à l’entrée de sa demeure que sa richesse est liée à son mérite personnel, mais qu’elle lui vient de Dieu : en effet, un entrelacs géométrique couvre l’intrados de l’arc, à la clef duquel un cuir découpé porte un œil divin fort sourcilleux, rayonnant de lumière, et préservant symboliquement la demeure. (Fig.2) Cet œil divin, premier exemple sculpté sur un édifice civil à notre connaissance, fait allusion au Psaume 33 : « l’œil du Seigneur veille sur ceux, à merveille, qui de volonté, craintifs le révèrent, qui aussi espèrent en sa grande bonté ». Ce motif est clairement inspiré par la marque emblématique de l’imprimeur lyonnais Vincent, et une planche des Hiéroglyphiques d’Horus Apollo, folio 104 de l’édition de 1574 chez Galiot du Pré, « Comment ils signifiaient Dieu ».
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Fig. 2 : Détail du décor du portail : l’œil divin, les palmes, et les « cornes d’abondance ».
De plus, un érudit néocastrien, Iverneau, mentionnait en 1860 les vestiges d’une inscription très lacunaire, sculptée sur l’entablement du portail et arasée depuis ; nous proposons de restituer cette inscription, véritable confession de foi adressée à Dieu, et donnant sens à l’ensemble du décor de l’hôtel de Houdreville, comme une paraphrase du psaume 25 : « Fais-moi cheminer bon et droit / Puisque j’ai espoir en Toi ». Enfin, il paraît probable que ce décor est à mettre en relation avec un jeton du Bureau des secrétaires du duc Charles III, précisément frappé en 1583 (année de l’achèvement de la façade de l’hôtel), et qui présente au revers une composition emblématique à valeur politique : la colonne cannelée de la Foi (allusion à l’adhésion de Charles III à la Ligue) est soutenue par deux mains divines issant de la nue, et encadrée par deux cornes d’abondance. La devise explicite le sens du motif : E Coelo missa columna suis gentibus (« la colonne envoyée du Ciel aux peuples qui sont siens »). Il est à noter que Jean de Houdreville, comme son ami Pierre Woeiriot, était apparenté à plusieurs des secrétaires du duc. Ce décor semble donc préfigurer et invoquer l’avènement espéré d’un royaume de paix et de prospérité, si éloigné pourtant des réalités contemporaines en ces années de guerres, de ravages et d’épidémies. Le puits de la cour est certainement inspiré du puits conçu et construit par Philibert Delorme à Lyon pour la maison dite du Chamarier. L’homme d’armes à l’antique qui domine la couverture hémisphérique recouverte de tuiles écailles du puits est d’un remarquable dessin et d’une exécution soignée : nous pensons avoir trouvé le modèle de sa pose dans un bois gravé de l’ouvrage de Guillaume du Choul, paru à Lyon en 1567, Discours sur la
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castramétation des anciens Romains. Il montre un fantassin romain d’une stèle de Mayence debout dans une position tout à fait identique, tenant son bouclier posé à terre de la main droite, la tête de profil, et la main gauche soutenant deux lances (disparues sur la sculpture de Neufchâteau). (Fig. 3) Le singulier motif des genouillères à tête de lion ou à mascaron en bronze, qui devait intéresser un ornemaniste cultivé, graveur de modèles d’orfèvrerie et d’armement de parade comme Pierre Woeiriot, se trouve déjà sur la planche « Concordia » des Emblèmes d’Alciat, parus à Lyon en 1549, et sur les armures de parade dites « aux lions », ciselées au milieu du XVIe siècle. Avant même d’aborder l’escalier de l’hôtel, il faut reconnaître que son concepteur et son maître d’ouvrage avaient un goût pour l’Antique et connaissaient bien le vocabulaire ornemental et symbolique en vogue auprès des élites de leur temps, tel que le livre illustré et l’estampe le diffusaient alors. En outre, ce fantassin, qui surplombe un mascaron grotesque sculpté à l’intérieur de la coupole, bouche ouverte comme s’il aspirait à puiser « l’eau vive », nous paraît figurer le miles Christi de l’épître de Paul aux Ephésiens (6, 10-17) : « Prenez toutes les armes de Dieu afin que vous puissiez résister au mauvais jour, prenez surtout le bouclier de la Foi, le heaume de Salut, et le glaive de l’Esprit, qui est la Parole de Dieu ». Woeiriot a d’ailleurs gravé ce miles Christi dans les Emblèmes chrestiens de G. de Montenay : 64 (« Glorificate et Portate ») et 83 (« Resistite fortes »). Jean de Houdreville, contraint par la superficie de sa parcelle à rejeter l’escalier latéralement hors-œuvre, a choisi la formule prédominante en France entre 1550 et 1610 de l’escalier droit à volées alternatives. (Fig.4) Organe de circulation verticale de la demeure, l’escalier donne notamment accès à l’étage noble, ce qui explique la concentration des effets décoratifs et symboliques au deuxième palier ; mais il est surtout en soi un signe de distinction aristocratique, d’ambition architecturale et artistique, et dans ce cas, il a une claire visée spirituelle, traduite par le recours à l’emblème.
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Fig. 3 : Le puits de la cour, avec le fantassin, miles Christi.
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Fig. 4 : Élévation de l’escalier à volées alternatives, sur cour.
La porte d’accès à l’escalier offre un décor raffiné de pilastres à entrelacs ; son entablement est percé d’un oculus et chargé de fleurs et de fruits sculptés dont la possible identification témoigne du souci naturaliste du concepteur (boutons de pissenlit, liseron, muguet). Elle reprend aussi en réduction les éléments décoratifs du grand portail de façade, et annonce la perfection du décor continu des plafonds des quatre volées, qui donne à la montée de cet escalier des effets très expressifs et de riche signification. Ces quatre volées de marches s’appuient sur un mur d’échiffre plein, d’une faible largeur (20 cm), ce qui constitue un tour de force architectural, d’autant qu’au premier palier une ouverture ébrasée éclaire la montée.
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Les plafonds que forment les dessous des marches soigneusement polis et ajustés offrent au regard de celui qui monte ou descend l’escalier quatre grandes compositions géométriques, différentes, mais d’évidente parenté stylistique. Ce sont des variations très décoratives d’entrelacs de rubans plats qui forment des figures circulaires ou ovales, triangulaires ou quadrangulaires, agrémentées de boutons floraux ou de bouquets divers. Le couvrement de l’entrée de l’escalier présente d’abord à notre attention, au-dessus de la porte qui mène sous l’escalier à un réduit, une première figure humaine d’expression tragique : cette petite figure féminine échevelée n’est pas un masque, mais un visage, défait, tordu de crainte et de souffrance, à l’idée de rester en bas, et d’avoir même à chuter encore plus bas. (Fig. 5)
Fig. 5 : Couvrement de l’entrée de l’escalier : tête tragique, figurant le pécheur séparé de Dieu.
Dans la visée spirituelle d’une prédication calviniste, telle que nous croyons pouvoir l’entendre dans le décor de l’escalier, cette figure peut représenter l’homme déchu, s’excluant lui-même du Salut qui lui est
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pourtant offert, et se condamnant à rester loin de Dieu, dans une angoisse mortifère : Calvin, dans son Institution de la religion chrétienne (II, 2, 12), ne voit dans l’homme pécheur après la Chute qu’une « ruine défigurée ». La première volée nous fait suivre des cercles entrelacés qui dessinent au centre du motif une possible progression et une ascension, et sur les bords un possible égarement et un arrêt, ce qui figure l’affrontement chrétien au cœur du monde. Au premier palier, une rose épanouie est « hiéroglyphique d’Espérance », comme l’indique Valérian, et nous incite à poursuivre notre montée.
Fig. 6 : Entrelacs géométriques de la deuxième volée de marches.
La deuxième volée (Fig. 6) présente un décor plus anguleux, où des sortes de compas (celui du Créateur) recoupent et relient des figures circulaires (« le ciel ») et carrées (« la terre »), comme sur la célèbre marque de l’imprimeur Christophe Plantin.
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La porte du deuxième palier donnant accès aux appartements nobles, point nodal de l’escalier, reprend avec raffinement les motifs des portes sur rue et sur cour : deux colonnes engagées à enroulement de lauriers et à chapiteaux composites supportent l’entablement ; sur celui-ci, deux pilastres bas et deux tables rectangulaires encadrent un oculus au décor de cuir découpé. Le vantail d’origine en noyer offre quatre panneaux sculptés d’entrelacs mêlés à des boutons floraux. Cette porte très soignée s’inspire de modèles diffusés par les livres d’architecture du temps : Androuet du Cerceau propose un modèle de colonne à enroulement de végétaux avec un chapiteau de l’ordre composite orné à la planche X de son Petit traité des ordres de colonnes, paru en 1585. Les chapiteaux composites, semblables à ceux du portail sur rue, rappellent les modèles dessinés par Vignole, ou par Jean Bullant, dans sa Règle générale d’architecture des cinq manières de colonnes, parue à Paris en 1564. Le couvrement du deuxième palier attire irrésistiblement notre attention par son aspect esthétique et énigmatique. Il présente une grosse tête de feuille, un mascaron de fantaisie inscrit dans un médaillon, et encadré par quatre mains ou avant-bras porteurs de rameaux florifères et fructifères. (Fig. 7) L’emplacement de ce saisissant motif est significatif : il est au seuil de l’appartement du propriétaire, et à tout franchissement de porte, surtout une porte aussi soignée dans un décor aussi complexe, s’associe la symbolique du passage du dehors au dedans, de l’insignifiance à la vibration et à l’éclat du sens. Dominique Cordellier insiste sur la « fonction de veille expressive et de passage » du mascaron : « Le mascaron intervient en tout cas là où une force s’exerce, où un soutien s’impose, où un passage s’ouvre. Il vient à un endroit où la structure, pour tenir, ou tenir tête, doit être dotée sinon d’une âme, du moins d’une image de celle-ci, le visage. Par le mascaron, l’esprit de la construction transparaît. Le mascaron s’adresse à celui qui vient, indique le sentiment du lieu, l’état d’âme de l’édifice, de son occupant, de son usager.445 »
445
Cordellier 2014, p. 149-150.
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Fig. 7 : Couvrement du deuxième palier : le mascaron (le pécheur dans l’attente de sa Justification par la foi), et les quatre avant-bras (dons gratuits de Dieu, en haut ; réponses du fidèle reconnaissant, en bas).
Certes, à la Renaissance, le motif du mascaron est reproduit jusqu’à l’évidement sémantique dans les gravures, en bordure, en frontispice, en culde-lampe, dans les cartouches des livres illustrés, sur les plats et vases de faïence, sur les taques de cheminée, sur les armures, notamment sur les rondaches de parement. Il se présente sous forme entièrement végétale, ou plus souvent sous forme d’hybrides variés entre animal, végétal et humain, réalistes, mythologiques ou de fantaisie ; ils sont plus ou moins grotesques, pourvus de cornes ostensibles, et de barbes proéminentes, parfois ironiques, parfois menaçants, satires ou gorgones, drolatiques ou pétrifiants, diaboliques ou carnavalesques, portant les bésicles ou les grelots du fou, traversés de serpents ou de cordages, le plus souvent simple accroche, agrafe, et remplissage ornemental. Une célèbre armure « aux mascarons », attribuée au milanais Giovanni Paolo Negroli, acquise par le roi Henri II et conservée au Louvre, présente une bourguignotte dont le mascaron central est d’évidence très proche de celui de l’escalier de Neufchâteau. Le motif des cornes annelées et granulées pourrait lui aussi provenir de mascarons longicornes, sommant le décor de plusieurs écus princiers du milieu du XVIe siècle. Tous ces éléments ont certes pu inspirer un artiste aussi au fait des
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arts du métal que Woeiriot pour dessiner ce mascaron très réussi et au demeurant original, parce qu’autonome et emplissant tout le médaillon. Expressif jusqu’à la caricature, le mascaron de Woeiriot n’est ni monstrueusement terrifiant, ni grotesquement ricanant ; malgré ses expansions végétales, il reste un visage humain, en voie d’humanisation en tout cas ; représenté pour lui-même, comme le sujet principal de l’image, il n’est donc pas une fantaisie marginale, ni une ponctuation ludique. On ne saurait donc minimiser les effets expressifs et symboliques du mascaron du palier de l’escalier de Neufchâteau. D’ailleurs, Woeiriot luimême a multiplié dans ses gravures ce motif de mascarons plus ou moins feuillus, cornus, barbus, repérables dès son Livre d’aneaux en 1561, au frontispice et sur la planche de dédicace (avec pas moins de sept mascarons) à son ami protestant lyonnais Barthélémy Aneau, un des passeurs de l’emblème à l’époque. On retrouve en abondance ces mascarons sur ses modèles de bagues, de pendants d’oreille, de tours de cou, de gardes d’épée, comme un véritable marqueur stylistique. On découvre évidemment à de nombreuses reprises ces mascarons grotesques dans son illustration des Emblèmes chrestiens de Georgette de Montenay, surtout aux enroulements des cartouches et des phylactères où Woeiriot inscrit le titre de l’emblème ; de manière très significative, il établit une relation de contiguïté sémantique, non sans humour souvent, entre les figures des cartouches, le titre de l’emblème (motto) et l’image narrative (icon). Ainsi notamment dans les emblèmes 12 (deux têtes feuillagées et chapeautées illustrent le choix du pèlerin quittant son château pour aller vers la porte céleste), 29 (où le mascaron se dédouble pour montrer qu’il est impossible de servir deux maîtres), 37 (deux mascarons aux végétations expansives figurent le fou qui se repaît de mensonges et fables), 47 (les mascarons s’incurvent comme la ronce qui suivant sa nature, va se réenraciner, de même que l’homme sans Dieu est tiré vers le bas). Il en est de même aux cartouches des emblèmes 62 (deux mascarons effarés de se voir couper et mettre au feu, faute d’avoir produit de bons fruits), 71 (deux mascarons esclaves des idoles, devant une colonne décorée d’un enroulement de lauriers comme les deux colonnes qui encadrent la porte du deuxième palier de notre escalier), 91 (le mascaron est rappelé à l’humilité et à la crainte, car c’est la racine qui porte la branche greffée, et c’est par la Foi seule qu’elle tient). Ainsi le mascaron dans l’art de Woeiriot n’est-t-il pas seulement ornemental : il figure notre humanité toujours pécheresse, dans ses erreurs ou ses errances, dans son vain orgueil ou son attraction pour l’idolâtrie. Dans l’iconographie chrétienne, le mascaron de feuilles de l’escalier doit aussi évoquer Adam qui après son originel manquement se couvre de feuilles même le visage, effrayé et abêti par la conscience de sa faute, mais ouvert à
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l’horizon salvateur de la Grâce ; le feuillage sculpté n’est-il pas celui du figuier446 ?
Fig. 8 : Détail : le mascaron emblématique, miroir du chrétien, toujours pécheur, toujours justifié.
Ce mascaron nous amuse, et il nous trouble d’ainsi nous ressembler ; il nous interroge, et par sa position axiale et centrale, mais puissamment encadrée des quatre bras porteurs de végétaux, il nous contraint avec acuité à déchiffrer quelque allusion, à trouver du sens dans ce si savant et malicieux décor, à voir dans ce masque notre visage, et dans tout ce plafond, vers lequel notre regard se lève, une figure du parcours de chaque chrétien, toujours pécheur, mais aussi toujours justifié. (Fig. 8) Le visage phytomorphe « met en évidence ce qu’il y a de plus spécifiquement humain dans l’homme, tout en l’attirant vers les limites basses de l’expression caricaturale, de l’apparence étrange voire inquiétante, et de la ressemblance 446
Montenay 1571, emblème 65, « Ubi es ? » : Adam seul, à genoux, se cache sous le figuier, « mais il n’y a cachette où le péché / Aux yeux de Dieu se puisse desnier ».
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végétale ou animale »447 : un masque est bien ce qui nous cache un visage, ce avec quoi nous dissimulons nous-même notre humanité, ainsi tordue, inchoative. Par son amusante étrangeté, ce mascaron bouscule les catégories rassurantes de l’humain et du végétal, et il semble nous faire remonter à une humble anthropogénèse, pour rabaisser nos prétentions à dominer la Création, pour nous remettre à notre place, radicalement pécheresse, mais mise en demeure de choisir la vie, pour habiter à nouveau au cœur du Jardin, notre Royaume, à l’écoute des recommandations de Dieu. « Qui suisje enfin ? »448, sans la Parole de Dieu, sinon cet être hybride, inachevé, marmouset étrangement ridicule, inutilement menaçant, proférant d’abondance des phrases involutées mais vaines ? Paulette Choné a parfaitement analysé la manière dont Woeiriot joue avec un tel motif iconographique : « Woeiriot cherche délibérément à provoquer le trouble, comme si la représentation par l’image était pour lui essentiellement occasion de jeu, de manipulation ludique des puissances de mystification des signes figuratifs. C’est par exemple […] la véhémence insolente de l’un de ces êtres hybrides chers à la grotesque, que Woeiriot traite avec une sorte de joyeuse ébriété très contrôlée, très savante, très expressive. Toute la force de son symbolisme, souvent discret, tient dans l’incongruité, l’inquiétude sournoise que jettent les compositions les plus conventionnelles des motifs « insignifiants » qu’il rend exorbitants, c’est-àdire déviants, destructeurs et insoutenables à la vue. L’un des traits délectables de l’art de Pierre Woeiriot est en effet de savoir explorer l’énergie de débordement de l’image. 449 » Il nous faut rendre compte des quatre mains et avant-bras (en symétrie inversée par rapport à la médiane horizontale, mains droites à gauche, mains gauches à droite) qui offrent aux quatre coins leur triple ramification, et sont indissociables du mascaron. Les deux mains qui sortent de la nue, en haut du motif, symbolisent assurément la puissance de Dieu le Père (iad en hébreu signifie main et puissance) et cette main « issant du ciel » figure dans l’iconographie chrétienne depuis le IIIe siècle. Ce motif est en outre bien connu des Lorrains puisqu’il est celui de la maison ducale, visible sur les médailles, les pièces de monnaie, les tapisseries et les vitraux du palais : « le bras armé issant de la nue » (dextrochère) est l’emblème de la dynastie ducale, remis à l’honneur par Charles III. Telle est la souveraineté du prince, combattant pour la bonne cause, mais issue de la souveraineté divine, faisant irruption dans le champ humain en proie aux métamorphoses 447
Morel 1997, p. 83. L’auteur ajoute que la fonction du masque dans les grotesques peut avoir une valeur emblématique : « l’artiste maniériste en arrive à créer des hybrides qui sont certes l’effet de son imagination et de son caprice, mais d’une imagination qui joue des potentialités de la nature et en traduit les lois, et d’un capriccio qui, tout en cultivant le rire et la caricature, a affaire avec le concettoso » (p. 86). 448 Montenay 1571, emblème 74, « Quis tandem es ? » 449 Choné 2003, p. 175.
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déstabilisantes ; telle est surtout la plasticité des symboles et des formes. Plus encore que le mascaron décrit précédemment, cette représentation de la main de Dieu est utilisée par Woeiriot de façon récurrente, voire obsédante, dans vingt-deux des planches qu’il a gravées pour les Emblèmes chrestiens de Georgette de Montenay : Paulette Choné y voit « le motif le plus lisible, le plus caractéristique du recueil » : « la main divine sortant de la nue exprime à la fois Dieu dans la totalité de sa puissance, l’initiative de Dieu dans l’œuvre de notre salut, son intervention dans notre vie. Aucun motif des Emblèmes n’est plus en accord avec la théologie calvinienne »450. Indifféremment main droite ou main gauche, elle sort de la nuée céleste pour offrir un joug (4), une poutre (18), des pennes (jeu de mot avec peines) éprouvant la patience (31), la trompette de la Renommée (33), l’Evangile qui enflamme le monde (52), la couronne des martyrs (67)… La main de Dieu éclaire la route du chrétien (11), touche de son doigt le cœur humain (96) ou perce l’oreille intérieure afin qu’elle entende la Parole (95), protège les oiseaux des pièges mortels (85), maudit l’hypocrite (34), distribue d’en haut l’eau qui purifie (81), soutient de deux côtés Moïse en prière sur l’Horeb (79), soutient l’homme qui gravit l’échelle qui le mène au ciel (13, échelle qui vaut escalier)… Dans les deux seules planches où une main emmanchée ne sort pas d’une nuée, elle est une main humaine (« c’est le nuage, plutôt que la main, qui signifie Dieu sans aucun doute possible »451) : elle représente la main des chrétiens qui s’unissent « en saincte charité », en portant des rameaux (32), et la main humaine du fou qui a mis sa confiance dans le monde et ses « grands », et dont la colonne se brise, alors que la main divine porte droitement la colonne qui ne déçoit pas, dans l’assurance en Dieu (10). Sur l’emblème sculpté de Neufchâteau, les deux mains divines, sortant de la nue, offrent ainsi au fidèle déchiffreur le Laurier, assurance de la Victoire sur le Monde et la Mort (le Salut étant inconditionnel et gratuit), et le Lierre, comme ténacité de la Confiance (d’abord celle de Dieu en l’homme). Les deux mains humaines, emmanchées, dont l’une sort d’une manche à crevés à la mode du temps, offrent la reconnaissante réponse à Dieu du chrétien, ainsi justifié par la Foi, dans ses œuvres quotidiennes, non méritoires : la Vigne et ses pampres figurent la Joie imprenable, et le Chêne, la Force ou le courage d’être et de persévérer. La troisième volée de marches présente un décor hélas mutilé à la Révolution, le premier médaillon orné d’une fleur de lys mariale ayant été confondu par un vandale avec la fleur de lys royale. Au couvrement du palier suivant, deux têtes de satyres, échevelées et de profil, se font face dans les marges du panneau carré pour nous tirer souplement la langue ! Ultime et vaine dérision de ceux qui ont reçu l’annonce de la Parole, mais l’ont rejetée et s’en moquent, à leur détriment. (Fig. 9) 450 451
Choné 1991, p. 608-609. ibid, p. 609.
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La quatrième et dernière volée de marches (permettant l’accès aux combles) offre un décor géométrique plus simple que les précédentes, sans motifs végétaux ni complication de lignes. Le couvrement du dernier palier décoré, au terme de l’ascension guidée par ces motifs, constitue clairement une Confession de foi, avec l’inscription : LAUS DEO SEMPER, divisée en bandeaux aux quatre coins du plafond qu’emplit un seul bouton floral à trois pétales repliés (au troisième palier, la fleur est à quatre pétales nervurés : on passe donc du motif terrestre, quaternaire, au motif céleste, trinitaire). (Fig. 10)
Fig. 9 : Couvrement du troisième palier : satyres moqueurs, refusant le Salut offert.
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noyaux réformés de la Plaine des Vosges et contraint les protestants à la conversion et à l’exil, cette affirmation d’un proche serviteur du Duc paraît fort conformiste et convaincue. Mais au début des années 1570, quand Woeiriot, assurément très proche de la Réforme, conçoit ce décor, cette profession de foi est aussi la sienne, celle d’un iréniste espérant encore une conciliation entre catholiques et réformés de Lorraine, avant que Charles III n’en supprime la possibilité après 1580. Un escalier après tout sert à monter : aussi symbolise-t-il l’ascension vers la vertu et la sagesse, puisqu’il faut au chrétien lucide gravir, se convertir sans cesse, ce qu’oblige à faire à chaque palier un escalier rampe sur rampe, qui fait apprécier tant le chemin parcouru que ce qu’il reste à monter. À chacun de s’alléger, de saluer la beauté et la diversité de la Création, de reconnaître l’ordre divin dans l’entrelacement subtil des droites et des courbes, le jeu des différences et des symétries, le vertige des interdépendances et des réminiscences, l’efflorescence subtile du sens. Dans l’art de la Renaissance, les entrelacs et les nœuds sont chargés d’une incontestable portée symbolique, en relation avec la révélation divine. Comme le décor sculpté des quatre volées de notre escalier rampe sur rampe ne peut être vu simultanément, son observation nécessite de monter, de se retourner, de lever les yeux, pour savourer de divers points de vue la forte cohérence graphique et plastique de l’ensemble du décor, certes continu, mais segmenté, cohérence assurée par la récurrence mélodique du motif de liaison et d’enchaînement des figures circulaires et quadrangulaires. L’on ressent fortement que notre progression est rythmée, que cette complexité est ordonnée, que toute diversité est unifiée. Nous proposons donc de reconnaître et d’apprécier dans le décor sculpté de l’hôtel de Houdreville de Neufchâteau d’évidentes allusions emblématiques de portée chrétienne, voire calviniste. L’escalier entier peut même être vu comme l’amplification monumentale d’un emblème, dont le motto est en haut, « Laus Deo semper », l’image centrale au second palier (le mascaron et les quatre avant-bras), les entrelacs des volées constituant les bordures d’encadrement de l’emblème. De même que l’orfèvre Pierre Wiriot (14601530) avait conçu sa chapelle funéraire en l’Eglise Saint-Christophe de Neufchâteau comme une châsse géante, un chef-d’œuvre d’architecture miniature, témoignage exceptionnel de son savoir-faire à l’orée de la Renaissance (1505), de même son petit-fils Pierre Woeiriot a-t-il pu embellir sa ville natale, à la demande de son riche et puissant ami et parent Jean de Houdreville, d’un escalier Renaissance sans équivalent en Lorraine, par sa hauteur et sa position de signal dans la cité, et surtout par ses références architecturales aux meilleurs architectes et ornemanistes de l’époque. On reconnaît certes le mascaron si fréquent dans la gravure et la sculpture Renaissance, mais ici détourné, spiritualisé, et reprenant plein sens. Les quatre bras porteurs de rameaux et de pampres ne peuvent en aucun cas
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n’être que des motifs de fantaisie ornementale, mais ils sont authentiquement la signature iconique et spirituelle de Woeiriot, et cela nous pousse à valider l’attribution à Pierre Woeiriot du décor de l’hôtel et de sa portée emblématique (emblèmes dont il était un excellent connaisseur et praticien). À nous, regardeurs d’aujourd’hui, de nous laisser interpeller par ces dispositifs artistiques et architecturaux, d’entrer en un dialogue méditatif avec ces vieilles images sophistiquées qui assurément font sens, de nous risquer à une interprétation à la hauteur de l’intelligence des artistes qui les ont conçues. Du décor de cet escalier, nous ne viendrons pas à bout, et c’est tant mieux : ses possibles sens ne nous sont aucunement imposés, ils sont simplement suggérés dans un sourire, et restent feuilletés et flottants. Inépuisable est donc la lecture de cette image masquée, qui nous incite à chercher derrière le mascaron, sans pour autant désirer réduire l’essentielle diffraction des sens, sans prétendre à maîtriser le signe emblématique. Bibliographie Choné 1991 : Paulette Choné, Emblèmes et pensée symbolique en Lorraine, Paris, 1991, particulièrement le chapitre sur Woeiriot, p. 543-660. Choné 2001 : Paulette Choné, « Pierre Woeiriot ou la pensée du simulacre », in An interregnum of the Sign, Glasgow Emblem Studies, 2001, p. 171-202. Choné 2013 : Paulette Choné, La Renaissance en Lorraine… A la recherche du musée idéal, Ars-sur-Moselle, 2013, notamment le chapitre sur Woeiriot, p. 330-347. Cordellier 2014 : Dominique Cordellier, « Le mascaron au XVIe siècle, une bizarrerie », in Masques, mascarades, mascarons, catalogue de l’exposition du Musée du Louvre, Paris, 2014, p. 146-163. Joudrier 2014 : Pascal Joudrier, L’Hôtel de Houdreville à Neufchâteau, lecture d’un décor Renaissance méconnu, Neufchâteau, 2014, 70 p. Joudrier 2021 : Pascal Joudrier, Un miroir calviniste : Les Emblèmes, ou Devises chrestiennes de Georgette de Montenay et Pierre Woeiriot, 1567/1571, Droz, Cahiers d’Humanisme et Renaissance, 2021, 509 p. Marot 1933 : Pierre Marot, « L’hôtel de ville de Neufchâteau », in Mémoires de l’Académie de Stanislas, 1932-1933, t. XXX, p. 39-57.
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Montenay 1571 : Georgette de Montenay, Emblèmes, ou Devises chrétiennes, Lyon, Jean Marcorelle, 1571 (l’ouvrage est consultable en ligne sur le site de l’Université de Glasgow). Morel 1997 : Philippe Morel, Les grotesques, Paris, 1997.
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Véhicules de prestige au temps de la Renaissance Litières, carrosses et traîneaux à devises Christa Schlumbohm, Université de Rostock
Réservées aux personnes de condition élevée, les véhicules des nobles italiens du XVIe siècle étaient considérés comme des symboles de rang social. Par suite de la rivalité entre les familles qui cherchaient à surpasser les autres en somptuosité, le luxe ostentatoire des carrosses avait pris une telle dimension que les administrations de certaines villes furent contraintes de limiter l’usage de l’or, de l’argent et des riches ornements sculptés ou travaillés en ronde bosse. Dans les années suivantes, les coches et les carrosses furent pourvus d’une décoration à devises. Giovanni Andrea Palazzi eut l’occasion de voir de tels véhicules dans maints endroits, particulièrement à Bologne où l’ornementation somptuaire fut prohibée en 1556. Dans ses Discorsi sopra l’imprese, œuvre posthume parue en 1575452, il décrit et explique un certain nombre de devises avec lesquelles les nobles bolonais ornaient alors leurs voitures pour manifester leur condition et la conscience de leur valeur. En France, on fut ébloui par les véhicules de Marguerite de Valois, reine de Navarre. Le courtisan et chroniqueur Brantôme s’extasie devant « ses litières tant dorées, tant superbement couvertes et peintes de tant belles devises, ses coches et carrosses de mesmes »453. La reine, elle, se souvient avec orgueil d’une litière aménagée pour son voyage diplomatique dans les Flandres en 1577 et en donne quelques détails dans ses Mémoires. Dans une région septentrionale telle que la Poméranie qui connaissait de longs hivers, ce fut un traîneau de Philippe II, duc régnant de la principauté, qui fut décoré, au début du XVIIe siècle, d’une devise bien élaborée. En se basant sur cette gamme d’exemples, on peut distinguer trois types de devises : celles dont les éléments constituants de l’image sont tirés des armoiries de la famille en tant que signes de noblesse et de gloire ; d’autres, faites sur le modèle des imprese militari et amorose pour attribuer à un jeune gentilhomme les grandes qualités qui étaient conformes aux idéaux de sa classe ; et troisièmement les devises qui, par des variations sur une unique figure symbolique, font de la propagande pour un prince qui ambitionne la souveraineté d’un territoire.
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Voir Arbizzoni 2002, p. 58-76. Brantôme 1991, p. 152.
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Devises composées d’éléments héraldiques Les armes d’une maison ou d’une famille étaient considérées comme un témoignage permanent de leur noblesse454, donc comme un reflet de leur gloire. Les théoriciens italiens, tout en soulignant les différences qui existent entre les armoiries et les devises, appréciaient néanmoins les devises faites de motifs porteurs de sens qui étaient choisis parmi les éléments du blason. Une figure composée de signes héraldiques auxquels on avait ajouté, réduit ou modifié quelque chose leur semblait très bien réussie. Pour faire une belle devise conforme aux règles, il suffisait de trouver en plus un motto ingénieux455. C’est ainsi que fut composée la devise de Ludovica Pepoli degli Hercolani, noble bolonaise, qui ornait l’arrière de son coche456. Inventé à l’occasion de son mariage avec le comte Cesare Hercolani en 1560457, le corps de cette devise était composé de deux éléments héraldiques qui passaient pour des symboles particuliers de la gloire respective des deux familles. La description détaillée qu’en donne Palazzi dans ses Discorsi dépourvus d’illustrations permet quand même une reconstitution de l’essentiel (Fig. 1). La figure centrale, un cygne paré d’un collier, d’une « gemma al collo », fut empruntée au cimier du casque qui surmontait l’écu des Pepoli, famille de la mariée (Fig. 1a). Ce cygne était blasonné comme signe de la grande renommée dont jouissait cette maison, comme « inditio de’grandissimi honori, c’hà quella casa hauuti »458. On y avait ajouté une pièce d’eau, sur laquelle nageait le cygne décoré et quelques rayons lumineux tombant du haut du ciel qui mettaient en valeur une couronne royale sur sa tête459. Cette couronne, deuxième élément constituant de l’image, était tirée des armes de l’époux (Fig. 1b).
454
Contile 1574, f. 12 r/v. Voir par exemple Ruscelli 1584, p. 9 : « […] inquanto alle figure, riescono bellissime quelle Imprese, che si traggono, ò si formano dall’Arme, ò dall’Insegne proprie della casa, ò di colui stesso, da chi si fanno, aggiungendoui, ò togliendone, & mutandole secondo il bisogno dell’intention sua, accomodandoui le parole regolatamente, & con leggiadria ». 456 Palazzi 1575, p. 204. 457 Dolfi 1670, p. 291. La devise fut inventée par le chevalier Giovanni Galeazzo Rossi, membre de l’Accademia de’ Confusi de Bologne, ami et protecteur de Torquato Tasso. 458 Palazzi 1575, p. 86. 459 À en croire le commentaire de Palazzi, la lumière diffusée du haut devait manifester que la couronne était un don du ciel, mais il est plus plausible qu’elle faisait entendre que Dieu accordait sa bénédiction au couple marié. 455
240
La ligne bolonaise de la maison Hercolani portait trois couronnes royales dans la bande de l’écu, distinction honorifique accordée jadis à deux frères de la famille par Jeanne II, reine de Naples, en récompense de leur mérite460. Accompagnée du motto IN MVNERE LAVDVM [Pour célébrer de si grands bienfaits] qui cite l’Énéide 8, 273, la devise faisait l’éloge de l’heureuse union tout en glorifiant les deux familles illustres. Conçue pour la circonstance, elle devint visiblement la devise personnelle et ordinaire de la dame, qui se trouvait bien représentée par le cygne couronné. Il était d’usage qu’une noble mariée se définît comme épouse qui recevait sa propre valeur du rang et du prestige de son conjoint. La composition faite d’éléments héraldiques se prêtait d’autant plus à être appliquée à l’arrière de son coche que cet endroit était habituellement destiné aux armoiries461. Un autre exemple de la transformation de signes héraldiques en motifs emblématiques est le corps de la devise que Philippe II, duc de PoméranieStettin, inventa lui-même pour le devant de son traîneau. Elle est documentée par un dessin qu’on trouve dans le manuscrit intitulé Emblematum liber, recueil de ses devises personnelles, tracées en caractères minuscules par un calligraphe et expliquées par le commentaire néo-latin de Martin Marstaller, son conseiller et ancien précepteur462. On y voit (Fig. 2a) un sylvain exposé aux intempéries de l’hiver qui, selon l’explication de Marstaller, se promène au milieu d’une rafale de neige sur le sol glacé. La figure centrale est empruntée aux tenants qui soutiennent l’écu des armoiries poméraniennes (Fig. 2b). Légèrement modifié selon l’iconographie habituelle de ce personnage mythique, le sylvain de la devise porte une couronne de feuilles au lieu du casque des figures héraldiques, ce qui lui donne un air réjoui. Le motto latin, qui lui prête la parole, explique sa bonne humeur : Quæ frangit molles animat me ad gaudia Bruma [Le froid hivernal qui décourage les faibles me comble de joie]. Muni de l’écu armorial qui lui sert de bouclier et du bâton noueux, symbole de robustesse que Marstaller nomme massue d’Hercule, ce sylvain suggère la force du duc régnant. Aux dires de Marstaller, le prince voulait insinuer que les forts prennent plaisir aux peines tandis que les faibles s’efforcent de les fuir par crainte de douleur.
460
Palazzi 1575, p. 82 ; Dolfi 1670, p. 289. Voir Ammirato 1562, p. 4 : « […] dietro al cocchio, oue erano l’armi […] ». 462 Emblematum liber 1609, f. 7 r/v. 461
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Devises composées sur le modèle des imprese militari et amorose Les devises que le comte Girolamo Pepoli fit peindre sur son carrosse pour sortir « con tante belle imprese » suivaient un autre modèle. Faites d’après le schème des imprese militari et amorose par Francesco Lanci, membre de l’Accademia de’Confusi de Bologne, elles vantaient les qualités qui convenaient à un jeune gentilhomme de son rang : la virtù au sens de l’énergie morale qui permet de réaliser les hautes visées ainsi que la gentilezza, une civilité noble et raffinée463. Axées sur ces valeurs, les devises du comte concernaient surtout son amour de la gloire et son empressement auprès des dames. Bien que Pepoli ne se fût pas encore illustré dans le métier des armes, on lui reconnaissait un certain courage militaire en choisissant pour corps d’une de ces devises un bouclier en blanc, encore sans inscriptions, avec le motto 464 MVLTA DESCRIBAM [J’y marquerai beaucoup de choses] . Une autre devise qui présentait le cheval Pégase s’envolant vers le ciel, accompagné du motto FACILIS EST ADITVS, donnait à entendre que ce serait chose facile pour Pepoli de s’élancer, soutenu par les ailes de la virtù, vers les hauteurs de la gloire, « all’altezza della gloria »465. Le seul motto d’une troisième devise466 – GLORIA FINIS – ne laissait aucun doute quant au but qu’il s’était proposé d’atteindre, à savoir uniquement la gloire. L’illustration d’un emblème dans les Symbola et emblemata de Joachim Camerarius, composé du motto identique et d’une image qui correspond exactement à la description faite par Palazzi467, peut donner une idée de cette devise du comte (Fig. 3). Ayant pour corps un chien de chasse à courre qui s’abstient de mordre le lièvre épuisé par une longue poursuite, elle représente un homme de race noble qui ne cherche que la gloire due à une réussite, sans autre dédommagement que le prestige qu’il en tire.
463
Voir Palazzi 1575, p. 86 : « […] non sò qual maggior si sia ò il ualore, ò la cortesissima sua gentilezza ». 464 Ibid., p. 106-107. 465 Ibid., p. 171. 466 Ibid., p. 185. 467 Grâce aux recherches de Wolfgang Harms, Ulla-Britta Kuechen et Gilbert Heß, on sait que Joachim Camerarius s’est inspiré de divers recueils de devises. Voir Camerarius 1986-1988, t. II, p. 1*- 63* ; Camerarius 2009, p. I- XXV, 407- 613. À ma connaissance, les devises rassemblées et précisément décrites dans les Discorsi de Palazzi ont été jusqu’ici ignorées comme source. Camerarius qui a fait ses études à Bologne où il fut reçu docteur en 1562, en a probablement vu quelques-unes de ses propres yeux.
244
Fig. 3 : Joachim Camerarius, Symbolorum et Emblematum […] Centuria altera, Nuremberg, Paul Kaufmann, 1595, GLORIA FINIS, S. 71.
Les devises d’amour du comte, encore célibataire à cette époque468, reposaient sur un lieu commun de la poésie amoureuse italienne : la donna crudele, la dame cruelle qui, insensible aux demandes de son amoureux, le fait souffrir par sa dureté. Le soupirant, accablé par les rigueurs de la cruelle impitoyable, se répand en plaintes, déplore son sort et feint d’être sur le point de mourir.
468
Girolamo Pepoli épousa en 1573 Angela Boncompagni, nièce du pape Grégoire XIII, richement dotée par celui-ci. Voir Dolfi 1670, p. 599.
245
entendre que la dame se refusait. Le motto sous forme d’interrogation, ET PVR DI TVE PROMESSE ANCOR MI PASCI ?, tiré d’un sonnet de Pietro Bembo (Rime, LIV, 8), traduisait la disposition du soupirant désorienté qui, renvoyé avec de belles promesses, ne cesse de nourrir des espérances471. L’état de l’amoureux livré au désespoir complet était suggéré par une devise qui évoquait le sort inéluctable d’Eschyle472. Un dessin au lavis dans le manuscrit des Symbola et emblemata de Camerarius (Fig. 5) est propre à illustrer la description qu’en donne Palazzi : la figure centrale est le poète fameux qui, selon la légende, mourut en recevant une tortue sur la tête, lancée par un aigle qui aurait pris son crâne chauve pour un rocher destiné à briser la carapace. De peur que s’accomplisse la prédiction selon laquelle il serait assommé par un objet dur qui tomberait du haut, Eschyle se tenait toujours en plein champ où il trouva la mort malgré ses précautions. Ce personnage en danger de mort imminente représentait, aux dires de Palazzi, l’amoureux qui jusque-là s’était préservé le mieux possible des coups d’Amour, mais, sans protection, ne pouvait échapper au coup fatal. Le motto HOR CHI FIA, CHE MI SCAMPI ? [Y-aura-t-il quelqu’un qui puisse me sauver ?], tiré de Pétrarque (Canzoniere, CXXVIII, 32), exprimait sa profonde affliction, « una disperatione amorosa ». Dans le cadre de ses Discorsi, Palazzi s’est contenté de présenter seulement un choix des devises conçues pour Pepoli ; il en signale beaucoup d’autres, « molte altre », sans s’étendre et sans préciser l’endroit où cette quantité devait être appliquée. Plus circonstancié à cet égard est le souvenir de Marguerite de Valois concernant sa litière dans laquelle elle voyagea en Flandre au cours de l’été 1577. Devises en forme de variations sur une seule figure symbolique Fille de France, imbue de son rang, Marguerite de Valois connaissait son rôle dans la représentation royale. Elle passa par la Flandre en grand équipage et se déplaça en litière somptueuse, richement ornée d’une quarantaine de devises sur un même sujet : « le soleil et ses effets ». Avec une précision qui laisse transparaître l’importance qu’elle accordait à cette décoration, Marguerite évoque dans ses Mémoires la disposition des devises, les matériaux et la couleur de la doublure : J’allais en une litière faite à piliers doublés de velours incarnadin d’Espagne, en broderie d’or et de soie nuée, à devise ; cette litière toute vitrée, et les vitres toutes
471 472
Ibid., p. 154-155. Ibid., p. 130-131.
247
faites à devise, y ayant ou à la doublure ou aux vitres, quarante devises toutes différentes, avec les mots en espagnol et italien, sur le soleil et ses effets.473
Elle se remémore aussi le vif intérêt de ceux qui, éblouis par le décor emblématique, en demandaient l’explication. À Mons, les dames rassemblées en grand nombre pour faire honneur à la visiteuse auraient retardé son départ pour Namur de plus d’une heure en regardant sa litière, et en « prenant un extrême plaisir à se faire donner l’intelligence des devises »474. On ne connaît ces devises que par les Mémoires et par une rubrique dans les livres de comptes où sont portés au titre des dépenses les frais pour « quarante-quatre pièces de verre carrées avec devises et figures sur chacune »475. Malgré ce manque de témoignages concrets et détaillés sur les devises en particulier, on peut déterminer la conception générale et la finalité de l’ensemble. Marguerite traversa la Flandre sous prétexte d’aller aux bains de Spa. En réalité, elle devait servir d’agent diplomatique à son frère François, duc d’Alençon, qui ambitionnait le trône des Pays-Bas méridionaux. Les Flamands, soulevés contre la domination espagnole, semblaient disposés à offrir la souveraineté à un prince susceptible de leur apporter l’appui nécessaire à la conquête de leur indépendance. Les quarante devises « sur le soleil et ses effets » qui ornaient la litière de Marguerite furent choisies en considération de sa mission politique. Le soleil, figure de genre masculin, n’était convenable selon les règles, qu’à une personne de sexe masculin476. Aussi n’était-il pas « l’emblème » de Marguerite477, mais le symbole – pas nouveau d’ailleurs à la cour des Valois478 – d’un prince doué des qualités d’un souverain. Eu égard aux intérêts du duc d’Alençon, il est évident que les devises se rapportaient à lui et à son entreprise en Flandre ; d’autant plus qu’il choisit dans la suite, après quelques succès dans cette affaire479, sa devise personnelle (Fig. 6) tout en reprenant leur iconographie : « soleil sortant la matinée comme des eaux marinieres », accompagné du motto « FOVET ET DISCVTIT. Il entretient & dißipe », représentait, selon l’explication d’Adrian d’Amboise, le duc appelé « à la protection & souveraineté » des Pays-Bas, « où il fut veu éclairant
473
Marguerite de Valois 1920, p. 130. Ibid., p. 143-144. 475 Garrisson 1994, p. 88. Les références de Garrisson sont les comptes de la maison de Marguerite conservés aux Archives nationales. 476 Voir Le Moyne 1666, p. 127. 477 Mariéjol 1970, p. 105. 478 Pour les fêtes de cour du carnaval 1571, Ronsard composa un « Cartel pour le Roy Charles IX, habillé en forme de soleil » et une « Comparaison du soleil et du Roy ». 479 En 1578, les états généraux lui accordèrent le titre de « Defenseur de la liberté des pays bas contre la tyrannie des Espaignolz & leurs adherens ». 474
248
Dans le contexte de la glorification de son frère François dont elle se fit l’ambassadrice, tout porte à croire qu’elle se complaisait dans le rôle de celle qui précède le soleil et promet sa puissance bienfaisante. Le court passage des Mémoires dans lequel Marguerite de Valois parle des dames qui restaient longtemps en admiration devant les devises de sa litière et en demandaient l’explication, jette un trait de lumière sur les circonstances possibles et imaginables dans lesquelles une telle décoration pouvait produire l’effet recherché. Surtout quand les devises étaient appliquées en grand nombre et forcément en petit format, il était nécessaire de les regarder de près pour en saisir les détails et la signification. Elles s’adressaient donc à un groupe restreint de spectateurs choisis : soit à ceux qui se tenaient autour d’un véhicule princier ou l’escortaient à cheval483, soit à ceux qui, invités à une promenade par un noble, pouvaient les contempler avant de monter dans son carrosse484. Il serait intéressant d’en multiplier les témoignages. Bibliographie Amboise 1621 : Adrian d’Amboise, Devises royales, Paris, Rolet Boutonne, 1621. Ammirato 1562 : Scipione Ammirato, Il Rota overo dell’imprese, Naples, Gio. Maria Scotto, 1562. Arbizzoni 2002 : Guido Arbizzoni, « Un nodo di parole e di cose ». Storia e fortuna delle imprese, Rome, 2002. Brantôme 1991 : Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, « Discours sur la reyne de France et de Navarre, Marguerite, fille unique maintenant restée et seule de la noble maison de France », in Brantôme, Recueil des Dames, poésies et tombeaux, éd. par Etienne Vaucheret, Paris, 1991, p. 119-158. Camerarius 1986-1988 : Joachim Camerarius, Symbola et emblemata (Nürnberg 1590-1604), éd. par Wolfgang Harms, Ulla-Britta Kuechen, Graz, 1986-1988. 483
En route pour Namur, Marguerite fut escortée par don Juan d’Autriche, demi-frère du roi Philippe II et gouverneur général des Pays-Bas. Voir Marguerite de Valois 1920, p. 143 : « Il mit pied à terre pour me saluer dans ma litière, qui était relevée et toute ouverte : je le saluai à la française, lui, le duc d’Arschot, et M. d’Havrech. Après quelques honnêtes paroles, il remonta à cheval, parlant toujours à moi jusques à la ville […] ». On peut supposer qu’il ait saisi, du moins grosso modo, les devises au soleil et leur signification politique. 484 C’est par une telle situation que s’ouvre la conversation entre quatre amis sur l’art des devises et quelques spécimens en particulier dans le traité dialogique de Scipione Ammirato 1562, p. 4-5.
250
Camerarius 2009 : Joachim Camerarius d. J., Symbola et emblemata tam moralia quam sacra. Die handschriftlichen Embleme von 1587, éd. par Wolfgang Harms, Gilbert Heß, Tübingen, 2009. Contile 1574 : Luca Contile, Ragionamento […] sopra la proprietà delle imprese con le particolari de gli Academici Affidati […], Pavie, Girolamo Bartoli, 1574. Dolfi 1670 : Pompeo Scipione Dolfi, Cronologia delle famiglie nobili di Bologna, con le loro insegne, e nel fine i cimieri, Bologne, Gio. Battista Ferroni, 1670. Emblematum liber 1609 : Ill[ustrissimi] Principis ac Dn. Dn. Philippi Ducis Pomeranorum Emblematum Liber â Martino Marstallero, C. S. Consiliario, Brevi Ecphrasi enucleatus, Sedini, 1609. Garrisson 1994 : Janine Garrisson, Marguerite de Valois, Paris, 1994. Le Moyne 1666 : Pierre Le Moyne, De l’art des devises, Paris, Sébastien Cramoisy & Sébastien Marbre Cramoisy, 1666. Marguerite de Valois 1920 : Mémoires, éd. par Paul Bonnefon, Paris, 1920. Mariéjol 1970 : Jean-Hippolite Mariéjol, La vie de Marguerite de Valois, reine de Navarre et de France (1553-1615), Paris, 1928, Genève (Slatkine Reprints), 1970. Palazzi 1575 : Giovanni Andrea Palazzi, I discorsi […] sopra l’imprese recitati nell’Academia d’Urbino, Bologne, Alessandro Benaci, 1575. Pittoni 1562 : Battista Pittoni, Imprese di diversi prencipi, duchi signori e d’altri personaggi et huomini letterati et illustri […], Venise, [s.n.], 1562. Ruscelli 1566 : Girolamo Ruscelli, Le imprese illustri con espositioni, et discorsi […], Venise, Francesco Rampazetto, 1566. Ruscelli 1584 : Girolamo Ruscelli, Le imprese illustri […], Venise, Francesco de’ Franceschi Senesi, 1584.
251
En retraçant un discours silencieux : le Cabinet des Emblèmes du château de Liancourt et sa description par Denis II Godefroy (1637) Gabriele Quaranta
Denis II Godefroy (1615-1681), fils de l’historiographe de France Théodore Godefroy (1580-1649), lui-même futur historien et archiviste485, consacra une fin de semaine du mois d’août 1637 à la visite du château de Liancourt, en Picardie, demeure des du Plessis, et dont il ne reste aujourd’hui que de rares vestiges après les destructions des XIXe et XXe siècles486. Le manuscrit du récit de cette visite est conservé à Paris à la Bibliothèque de l’Institut de France487. Il ne s’agit pas d’un inédit : il a été publié en 1919 par Jean Tremblot avec un commentaire centré sur l’histoire familiale des seigneurs de Liancourt488 et il est même cité par Louis Hautecœur dans son Histoire de l’Architecture en France489. Il a été ensuite repris par tous ceux qui se sont intéressés au château, qui comptait parmi les demeures les plus imposantes érigées au XVIIe siècle, notamment par ses vastes jardins semés d’innombrables et étonnantes fontaines, d’où le nom de Liancourt-lesBelles-Eaux490. Cependant, le récit de Denis Godefroy n’a jamais été abordé par les études emblématiques alors qu’il se révèle être une source très intéressante. En visitant le château, l’attention du jeune homme fut en effet retenue par un « cabinet des emblèmes », une pièce décorée par des peintures à sujet emblématique dont il dressa une description détaillée en y ajoutant aussi des annotations personnelles et même une digression consacrée à l’« Explication de la signification et origine de ce mot emblème »491. Ces notes ont donc un intérêt double. Tout d’abord elles nous permettent la restitution – quoiqu’avec bien des limites – d’une suite d’« emblèmes appliqués » datant assez probablement des premières décennies du XVIIe siècle et aujourd’hui totalement disparue. Deuxièmement, elles constituent le témoignage direct d’une pratique emblématique. En effet, d’un côté le décor semble le résultat 485
Trenard 1985, col. 438. Des vestiges d’anciennes fontaines ont été récemment retrouvée pendant des fouilles préventives : https://www.inrap.fr/liancourt-le-parc-d-agrement-des-xviie-et-xviiie-siecles-del-ancien-chateau-11297, consulté le 10-03-2018. Voir aussi Bourguignon 2012-2013, p. 5357. 487 Ms Godefroy 221, 1638, f. 11-37 ; Tremblot 1918-1919, p. 184-202. 488 Tremblot 1918-1919, le texte de Godefroy est aux p. 188-193. 489 Hautecœur 1967, p. 792-796. 490 Recueil 1663, p. 111 ; Poussard 2006 ; Bourguignon 2012-2013. 491 Godefroy 1638, f. 26r-v ; Tremblot 1918-1919, p. 192-193. 486
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d’une invention originale. D’autre part, en écrivant se notes Denis Godefroy n’hésite pas à avoir recours aux sources littéraires qui lui étaient connues : Alciat avant tout, qu’il lisait dans l’édition lyonnaise de 1556 avec les commentaires de Sebastian Stockamer492, mais aussi des auteurs latins – Virgile, Sénèque – et des textes juridiques, références qu’il cite souvent et qu’il utilise pour une construction du texte où la simple description des lieux est souvent encadrée par des véritables motti et accompagnée par des citations qui font office d’épigrammes : donc par une organisation du discours qui démontre une véritable attitude emblématique493. La demeure que Denis Godefroy visita en 1637 avait été bâtie à deux reprises. Un vieux château-fort avait été rénové et agrandi vers 1581-1582 par Charles du Plessis (1551-1620), gouverneur de Metz et ensuite de Paris, d’après un projet que nous devons vraisemblablement à Baptiste Androuet du Cerceau494. Il fut ensuite réaménagé par son fils Roger (1598-1674), qui avait obtenu le titre de comte de Liancourt : des documents datés de 1628 attestent des travaux de Paul de Brosse, fils de Salomon de Brosse, aux pavillons « de devant » et à la chapelle495. Ces campagnes de Charles et Roger avaient donné à la demeure l’apparence qui documentée par différentes vues dessinées et gravées du milieu du XVIIe siècle – celles notamment d’Israël Silvestre, Adam Perelle, Nicolas Poilly (Fig. 1) – et par un plan du domaine dessiné en 1654 par Henri Mauperché496.
492
Alciat 1556. Denis Godefroy cite à plusieurs reprises Alciat : les références bibliographiques à un ouvrage en deux volumes et les citations explicites du texte nous ramènent sans doute à cette édition lyonnaise. 493 La description du Parterre d’Hiver en est l’exemple le plus évidente : voir Godefroy 1638, f. 21v ; la transcription par Tremblot 1918-1919, p. 188-189, ne tient pas compte de cette organisation qui est aussi d’ordre graphique. En parlant d’attitude emblématique je me réfère à Russel 1985, p. 106. Cet aspect à fait l’objet d’une communication que j’ai présenté au colloque Emblems in Everyday Life (2-4 Septembre 2015, Glasgow University Library) : The Emblematic Education of a French Young Gentleman. Denis II Godefroy visiting Liancourt and Bois le Vicomte in 1638. Je compte avoir bientôt l’occasion de publier aussi ces notes. 494 Thomson 1990, p. 66-67. 495 Ciprut 1964, p. 260-266. 496 Tremblot 1918-1919, p ?.
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galerie, sur la chapelle du pavillon d’entrée et, bien-sûr, sur le cabinet des emblèmes. Le cabinet des emblèmes est en réalité la seule pièce dont Godefroy nous donne une description plus attentive. Le jeune historien, en effet, ne se cache pas d’avoir décidé de consacrer la plupart du temps qu’il avait à sa disposition pour dresser la description de ce décor emblématique qui retient tout son intérêt. Il décrit « un ample cabinet qui a veue sur la partie senestre du jardin intitulé le parterre d’hiver » : la pièce occupait donc vraisemblablement le côté gauche du grand pavillon Est. Elle comptait deux portes et apparemment plus qu’une seule fenêtre : si les mots de Godefroy ne nous trompent pas, elle se trouvait tout à côté de la grande galerie. Lambrissée en hauteur, son décor au long des parois se développait en deux frises. En haut, une suite de treize tableaux – y compris celui sur la hotte de la cheminée – représentant une Histoire de Moïse ; en dessous se déployait la série des emblèmes eux aussi au nombre de treize ; la cheminée abritait donc une double peinture et, à la différence de la plupart des exemples qui nous sont aujourd’hui connus, elle s’intégrait et à la décoration à sujet narratif et à celle d’ordre emblématique. La description de la structure de la chambre s’arrête malheureusement à ces quelques notes et ne nous donne pas une idée exacte de la disposition des images ou des rapports entre les parois et les ouvertures des portes et des fenêtres. De plus, Denis Godefroy ne s’est pas soucié de noter les épisodes de l’Histoire de Moïse ; nous ne connaissons donc ni le sujet des tableaux, ni l’ordre de lecture de la suite, ni son point de départ. Au contraire, nous avons un « Ordre des treize emblèmes et explication de quelques unes (sic) tournée en sens moral », c’est à dire une description détaillée des emblèmes, notés en partant « depuis le costez droict de la chéminée » et en revenant sur cette dernière. Même si le mot emblème est le seul qui est employé dans le texte, il s’agissait à proprement parler de devises qui se composaient seulement d’une image et d’un court mot latin : c’était d’ailleurs une formule emblématique très répandue dans le contexte décoratif de cette époque. Il nous conviendra tout d’abord d’en donner une liste complète et d’y réfléchir ensuite brièvement (Fig. 2-3). Nous avons gardé ici les définitions et l’orthographe utilisées par Godefroy : I. Post minas ictus. Sur un sommet de tour frappé tout ensemble d’un esclair, et d’un tonnerre II. Mutato defficit aestus. Sur un miroir ardent exposé de biais aus raïons du soleil, et reverberant sur un tas de tisons, qui semblent en demeurer embrasez et se consumer petit à petit
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III. Lucet non ardet. Sur un soleil rayonnant en plain hiver sur la glace, et nege IV. Ludit utrimque. Sur 2 mains portants du milieu d’une nue, et touchant une harpe de costé, et d’autre tout ensemble V. Alienis pereo flammis. Sur un dragon mangeant le cœur d’un aigle VI. Nisi vexatus recreat. Sur un jeune garçon chassant un sabot499 qui ne tourneroit pas autrement VII. Crescendo deletur. Sur une pierre jettée avec violence au milieu d’un rond d’eau, dont le choq(ue) precipité produist une quantité de cercles, qui se multiplient iusques à ce que le tout disparoisse en un instant VIII. A lumine salus. Sur un navire esclairé de la lanterne d’un phare, qui le guide seurement au milieu de son plus dangereux, et craint nauffrage IX. Ventis animor. Sur 2 mains maniants un jeu d’orgues au travers d’une nue X. Solutio mors. Sur une grosse cerise (telle qu’on les nommes ordinairement griottes) esbranchée de son arbre, et par consequent subiecte au flestrissement XI. Rotat omne Fortuna. Sur la deesse fortune supportée par une roüe vacillante, et couverte d’un voile boursouflé XII. Sub eadem uniti coronam. Sur une grenade un peu entrouverte et comme l’on diroit entamée exposant ses pepins soub l’escorce, et couronnée, comme elles toutes le sont naturellement XIII. Ex duabus harmonia. Sur deux mains, dont la gauche touchant sur la manche d’un luth, et la droite pinceant sur la rose, rendent l’armonie requise dans les attouchements de ce jeu. Fig. 2 & 3 : Essai de restitution
499
Littré 1873-1874, t. 4, p. 1789 : « Sorte de toupie de forme conique en bas et cylindrique en haut, que font pirouetter les enfants en la frappant avec un fouet ou une lanière ».
257
XIII Chemin ée
Histoire de Moïse
I
Histoire de Moïse
II
Detourné, l’ ardeur s’ apaise
Sur un Sur un miroir ardent sommet de tour frappé exposé de tout ensemble biais aus raïons du d’ un esclair, et d’ un soleil,et Posttonnerre Minas Mutato reverberant ictus defficit aestus sur un tas de tisons,
Après les menacesle choc,
III
Histoire de
Histoire de
IV
Histoire de
V
Histoire de
VI
Moïse Moïse Moïse Moïse Sur un Sur 2 mains Sur un jeune Sur un soleil portants du dragon garçon chassant rayonnant en milieu un sabot, qui ne mangeant le plain hiver sur tourneroit pas d’ une nue, cœur d’ un la glace, et autrement aigle, et touchant nege. une harpe de Alienis pereo Nisi vexatus Lucet non ardet Ludit costé, et utrimque recreat d’ autre tout flammis ensemble
Il éclaire, il ne brûle pas
Il joue de Je meurs à Il ne bouge s’ il l’ une part et cause d’ un n’ est pas frappé de l’ autre feu étranger
258
VII
Moïse
VIII
Moïse
Histoire de Sur un navire esclairé de la lanterne d’ un phare, qui le guide seurement au milieu de son plus dangereux, et A lumine craint salus nauffrage. De la lumière le salut
IX
Moïse
Histoire de
X
Moïse
Histoire de
XII
Moïse
Histoire de
XI
Moïse
Histoire de
XIII Cheminée
Moïse
Histoire de
259
Histoire de Sur une pierre jettée avec violence au milieu d’ un rond d’ eau, dont le choq(ue) precipité produist une Crescendo quantité de deletur cercles, qui se multiplient En à ce s’iusques élargissant tout ilque s’ le efface disparoisse en un instant
Sur 2 Sur une Sur une Sur la Sur deux mains, mains grenade grosse deesse dont la gauche maniants un peu cerise (telle fortune touchant sur la un jeu qu’ on les supportée entrouver manche d’ un d’ orgues par une te et nommes luth, et la droite au travers comme ordinairem roüe pinceant sur la d’ une nue ent vacillante, l’ on rose, rendent et diroit griottes) l’ armonie entamée esbranchée couverte requise dans les d’ un exposant de son attouchements de Ventis Solutio mors Rotat omne Sub eadem Ex voile ses arbre, et ce duabus jeu armonia animor Fortuna boursoufl uniti pepins par corona(m) soub consequent é l’ escorc De deux vient subiecte au La La Fortune e, et la flestrissem tourne armonie J’ ai la vie séparation Sous entla(?) couronné par les vents est mort toutes même e, comme choses couronne elles réunis toutes le sont naturelle ment
Un mélange de déjà-vu et d’originalité est l’impression immédiate qu’une telle suite offre au lecteur. Les devises notées par Denis Godefroy ne semblent pas avoir été tirées d’une source littéraire privilégiée : elles semblent au contraire le résultat d’une invention originale, bien que très endettée envers la littérature emblématique la plus répandue, dont les
données sont cependant récupérées et refaçonnées suivant une poétique nouvelle et très personnelle. Plusieurs devises révèlent leur rapport avec la production italienne. Alciat, avec son emblème Foedera, se cache derrière l’allusion à l’harmonie par l’image d’un luth dans la devise XIII Ex duabus armonia. Il en est de même pour la XI, Rotat omne Fortuna, où l’image de la Fortune dévoile les attributs de l’Occasion : dans les éditions publiées à Lyon par Rouille et Bonhomme en 1550-1551500, l’emblème In Occasionem était classé sous le sujet Fortuna (Fig. 4), suivant une division par groupes thématiques que nous ne retrouvons pas dans les autres éditions de Alciato, ce qui pourrait expliquer la variation introduite à Liancourt. Ni la devise XIII ni la XI sont parfaitement superposables à leurs modèles prétendus, et c’est précisément en cet écart que réside l’originalité des inventions picardes, qui montrent dans la majorité des cas un travail de déformation, voire de détournement, du sens originel. Cet écart est à la fois le résultat d’un travail de syncrétisme, de glissement de sens, de renversement de lecture. Le dragon mangeant le cœur d’une aigle de la devise V, Alienis pereo flammis rappelle le combat des deux animaux chez Claude Paradin, Ut lapsu graviter ruant501. Mais le détail de la morsure au cœur doit remonter à la devise de Giovan Battista d’Azzia, marquis de Laterza, écrivain et académicien italien : sur le mot Semper ardentius, le serpent Dipsade mange le cœur d’une aigle en lui provoquant une soif impérissable. L’invention, à la signification érotique, avait été publiée et par Giovanni Battista Pittoni502 et par Vincenzo Ruscelli503 : ensuite elle avait été reprise par Capaccio504 qui y ajoutait, quelques lignes plus bas, une référence au combat entre aigle et dragon : il le voulait tirée de Pline l’Ancien, tout en ignorant le précédant français. À Liancourt les deux sujets semblent avoir été mêlés en donnant naissance à une devise nouvelle. D’autres fois l’écart se joue au niveau du mot. Dans la devise III, le soleil rayonnant sur les neiges porte Lucet non ardet, c’est à dire un mot normalement répandu en sa version positive Lucet et ardet505 mais tourné ici au négatif : il renverse ainsi la donnée traditionnelle de la puissance solaire sur le froid hivernal exploitée, par exemple, par Sambucus, Res Humanæ in summo, declinant506.
500
Alciat 1550 ; Alciat 1551. Paradin 1557, p. 202-203. 502 Pittoni-Dolce 1566, c. 17r. 503 Ruscelli 1566, p. 281-283. 504 Capaccio 1592, II, p. 97v 505 Instrumentum Emblematicum 1992, p. 768-769. 506 Sambucus 1564, p. 46. 501
260
Fig. 4 : Andrea Alciato, Emblemata, Lyons, Macé Bonhomme pour Guillaume Rouille, 1550, In Occasionem, I, f. 3r. © Propriété de l’auteur.
Parmi les sources italiennes, Scipione Bargagli joue sans doute un rôle important : trois devises du cabinet semblent lui faire référence. La devise VIII, A lumine salus, reprend en effet la devise du baron allemand Christoph Georg Taufel, Cursum dirigit, elle aussi montrant un bateau suivant la lumière d’un phare au milieu de la tempête507. Le sujet n’était pas inconnu à la pensée emblématique française – l’emblème 11, Quem Timebo chez Georgette de Montenay508 – aussi bien que hollandaise – Jacob Cats, XIII, Luceat lux vestra coram hominibus509 – mais le modèle italien est le plus proche, par l'image et la signification, à la version picarde qui le suit avec fidélité. Les données de départ sont par contre refaçonnées comme d’habitude dans les autres cas. Le miroir qui reflète les rayons du soleil en embrasant des tisons, dans la devise II, Mutato defficit aestus, reprend le corps de la devise Unus splendor, alteri ardor510 (Fig. 5). 507 Bargagli 1594, p. 194 ; la devise avait été adoptée par le baron allemand à l’occasion d’un tournoi. 508 Montenay 1571, p. 11. 509 Cats 1627, XIII. 510 Bargagli 1594, p. 343.
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justement par Bargagli515 (Fig. 6)) et ensuite reprise par nombre d’auteurs, tels que Giovanni Ferro ou Filippo Picinelli516. Alors que la production italienne semble avoir joué jusqu'ici un rôle important, d’autres devises montrent une résistance particulière lorsque on recherche des précédents517. La question des sources, littéraires aussi bien qu’explicitement emblématiques, est posée par exemple par la devise VII, Crescendo deletur. Le corps montre les vagues rondes et de plus en plus larges et faibles engendrée par une pierre jetée dans un « rond d’eau » : avec son mot, il « reprime tacitement les trop vastes fortunes » entend Godefroy. On trouve le même corps chez Miguel Saavedra Fajardo518, mais ici le mot De un error, muchos visait à une interprétation franchement religieuse de l’image ; Picinelli d’ailleurs en repérait les sources dans Grégoire de Natiance519. Or la devise picarde semble jouer sur une signification différente et, le recueil de Saavedra Fayardo étant publié en 1640, elle lui était forcément antérieure : la question se pose d’une source commune aux deux formulations. Plus près de la production française, d’autres exemples nous assurent de l’ampleur des références refaçonnées par l’inventeur actif à Liancourt. La devise IV, Ludit utrimque, montrant une harpe jouée par deux mains sur ses deux côtés, était interprété par Denis Godefroy en image des « âmes doubles » : mais la harpe, qui fait souvent son apparition dans le monde emblématique, est aussi l’instrument joué par Hector et Pâris dans l’emblème Armes et Amours de l’Hecatomgraphie520, qui invite au choix entre une vie d’engagement et une vie de plaisirs. D’un tel point de vue, le mot Ludit utrimque pourrait bien envisager une pareille maîtrise dans ces deux domaines cruciaux – les armes et les amours autrefois chantées par l’Arioste – de la tradition aristocratique européenne. À la culture française, et à une culture strictement liée au milieu de la cour, nous ramène aussi le dernier emblème dont il est question ici, le numéro 12, Sub eadem uniti coronam : une grenade ouverte montre ses 515
Bargagli 1594, p. 266. Scipione Bargagli cite cette devise dans le cadre d’un discours sur les mots valables et en latin et en italien ; il n’explique pas ni l’origine ni le contexte de cette invention. 516 Ferro 1623, p. 700-701 ; Picinelli, 1653, XVII-IX, p. 457-459. 517 La devise IX, Ventis animor, avec son jeu d’orgue joué par deux mains, trouve une expression semblable dans Picinelli 1653, p. 531, où un orgue porte avec ses soufflets le mot Animat aura levis : l’origine n’est cependant pas signalée. La devise I, Post minas ictus, montrant une tour frappée et par l’éclair et par le tonnerre, retravaille elle aussi des éléments connus de la littérature emblématique, mais qui ne paraissent jamais en cette formulation. Dans la X, Solutio mors, la grosse cerise détachée de son arbre ne semble qu’une variation plus mondaine de la parabole évangélique des raisins. 518 Saavedra Fajardo 1640, 65. 519 Picinelli 1653, p. 57 : Et lapidem si quis tranquillas mittat in undas / Egregios turbas latices, vitiateque colorem / Multiplicesque orbes summa nascuntur in unda. 520 Corrozet 1540, n.p., Armes et amours.
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innombrables grains et sa typique couronne de feuilles. Denis Godefroy y voyait un symbole patent de la monarchie, qui garde sous sa couronne l’unité des sujets et des différents corps de l’état. Il s’agit d’une interprétation tout à fait crédible, alors que nous la retrouvons ainsi dans le Trésor des Merveilles de la Maison de Fontainebleau de Pierre Dan : le père jésuite l’appliquait à la fresque dite L’Unité de l’État de la Galerie François Ier, montrant le monarque cerné par ses officiers et tenant dans sa main une grenade521. Le Trésor des Merveilles ne devait être publiée qu’en 1642, mais cette concordance entre le jeune Godefroy et Pierre Dan ne nous étonne pas : Kathleen Wilson-Chevalier a depuis longtemps montré le but politique du Trésor, dont le programme était de tourner la description de la résidence royale en louange de la monarchie et de la dynastie des Bourbons522. Or, pendant ces mêmes années, tout l’entourage des savants liés à la cour avait pour fin les mêmes résultats. Denis, fils de l’Historiographe de France Théodore, avait reçu son éducation dans ce milieu : il devait sans doute connaître ce que le père Dan était en train de préparer, aussi bien que les lectures franchement emblématiques qu’on était en train d’élaborer sur les décors du grand château royal. Après ce parcours rapide à travers la série des devises, le moment est venu d’ébaucher quelques remarques en prenant en compte leur contexte. Nous avons à plusieurs reprises remarqué l’originalité de l’invention : les devises n’ont pas été tirée d’une source privilégiée et, si référence il y avait, elle était toujours retravaillée soit dans le corps, soit dans le mot, jusqu’à la création d’un produit qu’on pourrait dire « original ». Cela ne nous étonne pas car, dans le contexte français, les rares vestiges de séries d’emblèmes appliqués remontants à la première moitié du XVIIe siècle montrent souvent un grand souci d’invention et d’originalité. Les emblèmes de la Salle des Devises du château de Richelieu, en Touraine, avaient été inventés par le père du cardinal : François Duplessis (1548-1590) était renommé pour ses intérêts emblématiques, tandis que Pierre Langlois lui avait dédié la deuxième partie de son Discours des Hierogliphes égyptiens, emblèmes, devises et armoiries523. Un même niveau d’invention est repérable dans la série de douze devises qui décorait un cabinet au château de Bois-leVicomte, ayant lui aussi appartenu au Cardinal524. Il en est de même pour les cadres historiés des grands portraits de la galerie du Palais Cardinal à
521
Saunders 2000, p. 131-134. Wilson-Chevalier 1975 : Wilson-Chevalier 1983. 523 Schloder 1988, p. 84-111 ; et ensuite Bassani Patch-Kerspern 2011. 524 Schloder 1988, p. 84-111. Au cours de ses recherches John Schloder découvrit le ms. Arsenal 3307, contenant une suite de devises dessinées qui correspondent à la description du cabinet de Bois-le-Vicomte que nous devons encore une fois à Denis Godefroy et qui précède celle de Liancourt dans le même ms. Godefroy 221 de l’Institut. 522
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Paris525 : ce qui nous assure de l’intérêt du Ministre-même envers l’art des emblèmes. Les devises botaniques de la Salle des Gardes du château de Cheverny, dans le Blésois, qu’on peut aisément dater des années 1630, sont elles aussi le résultat d’une invention originale, qui mêle références mythologiques et religieuses à des simples jeux de mots526. Dans la même région et encore dans un cadre d’invention il faudra placer aussi les devises malheureusement en partie disparues - du château des Grotteaux527. Le décor de Liancourt vient rejoindre ce groupe qui témoigne d’une pratique des emblèmes appliqués qui ne se contentait pas de déplacer sur les parois les matériaux qu’on pouvait aisément repérer dans la production littéraire. Et les commanditaires des décors et leurs entourages savants s’engageaient plutôt dans un travail d’invention qui était en même temps jeu d’érudition et jeu de sociabilité, mêlant messages moraux, allusions politiques, mots d’esprit528. Les devises de Liancourt, quoique connues seulement à travers le témoignage de Denis Godefroy, nous donnent un exemple patent de cet usage. Elles dessinaient sur les parois du cabinet un discours silencieux, scandé par des sentences brèves et pointues, des énigmes dont la signification ponctuelle est claire, alors que nous échappe peut-être leur signification générale et ultime, s’il y en avait une. En effet, alors que certaines montrent une signification explicite, politique – XI, Sub eadem uniti coronam – morale – VI, Nisi vexatus recreat ; VII, Crescendo deletur – voire érotique – V, Alienis pereo flammis –, d’autres restent sibyllines – IV, Ludit utrimque ; IX Ventis animor – si bien que l’on pourrait suspecter qu’il ne s’agissait que de jeux assez pléonastiques entre mots et images. Car le témoignage de Denis Godefroy, aussi précieux soit-il, nous laisse bien de questions ouvertes. Le manque de toute information sur la structure spatiale de la pièce nous empêche de prendre en compte la véritable disposition et le rythme des devises : la suite avait-elle un ordre de lecture, ou les devises n’étaient-elles que des fragments, sortes d’aphorismes offerts aux yeux du visiteur ? Y-avait-il une logique qui les groupait ? Par couples ? 525
En général sur la galerie du Palais Cardinal et sur la découverte de certains fragments des cadres des portraits des hommes illustres voir Laveissière 2002. 526 Les devises botaniques de Cheverny ont fait l’objet d’une communication que j’ai présentée à la 10th International Conference - Society for Emblem Studies (ChristianAlbrechts-Universität zu Kiel, 27 Juillet - 1er Août 2014) : Floral emblèmes or botanical decorations ? The Paintings of the Salle des Gardes of Cheverny in the Context of Early Seventeenth-Century French Emblematic. En général sur le décor du château je me permets de renvoyer à mes études : Quaranta 2010 et Quaranta 2013. 527 Pour une description voir Pomès-Barrère 1971. Sur les devises du Château des Grotteaux un Mémoire de Master-II est en cours de préparation par Mlle Eliana Ferrari sous ma direction (Sapienza Università di Roma). 528 Russel 1985, p. 106 ; Guillerm 1992 ; sur le rôle des emblèmes dans la formation aristocratique voir surtout Saunders 1999 et Grove 2000.
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Par voisinage ? En rapport spéculaire ? Enfin et surtout : y avait-il un lien entre les devises et l’Histoire de Moïse dans les peintures de la frise supérieure ? Rien n’est moins certain, pourtant le nombre identique des tableaux, qui impliquait même la cheminée, nous assurerait d’une conception unitaire de l’ensemble du décor. Un mot comme Lucet non ardet, n’est pas sans rappeler des formules semblables tels que Lucet non urit, que Picinelli rapprochait à l’image du buisson ardent ainsi qu’à l’événement de l’Incarnation529 : il serait tentant d’y voir une référence à l’épisode du Mont Sinaï. Mais comment envisager d’autres parallèles alors que nous ignorons ce que les panneaux bibliques représentaient ? Le témoignage de Denis Godefroy est surtout décevant de ce dernier point de vue : ne notant pas les sujets des tableaux, il nous empêche toute réflexion à ce propos. L’histoire de Moïse n’était pas un sujet rare dans la peinture française au e XVII siècle, y compris la peinture destinée au décor des appartements. Une gravure d’Abraham Bosse représentant les Vierges Sages, montre un tableau de Moïse aux tables de la Loy sur la hotte de la cheminée : même si une telle image, issue d’une culture huguenote, s’inscrit sans doute dans un contexte allégorique, elle nous transmet une donnée réelle car des tableaux similaires sont arrivés jusqu’à nous ; toujours dans le milieu protestant, une véritable suite de peintures consacrée au patriarche fut commandée en 1657-1660 à Sébastien Bourdon par Pierre d’Autheville, membre de l’aristocratie reformée du Midi530. Mais la fortune du personnage n’était pas restreinte dans des limites confessionnelles531. Au Musée d’Art et d’Histoire de SainteMenehould, en Champagne, cinq panneaux, autrefois attribués à Henri Mauperché – le même qui avait gravé la vue générale de Liancourt en 1654 – faisaient sans doute partie d’une suite plus vaste, que on n’est pas obligé de voir forcement en décor d’un espace sacré ; elle pouvait bien enrichir un appartement aristocratique532. Nicolas Poussin – à qui nous devons la célèbre série de tableaux ensuite tissée par les Gobelins – avait peint un Moïse devant le Buisson Ardent pour la cheminée du grand cabinet du Palais Cardinal à Paris533 et, ce qui est sans doute très intéressant ici, un Moïse recevant les Tables de la Loi par le pinceau de Nicolas Prévost trônait sur l’une des deux cheminées de la Salle des Devises du château de Richelieu, que nous avons déjà cité534.
529
Picinelli 1653, II, Fiamma, p. 39, nn. 44-45. Millet 2015, Somon 2015. 531 En général sur l’image de Moïse au XVIIe siècle en France, voir les études de Matthieu Somon, en particulier Somon 2011 et Somon 2015. 532 Schuler 2010 et, avec une mise à jour et une nouvelle attribution à François Bellin, Gady 2013. 533 Goldfarb 2002. 534 Schloder 1980; Bassani Patch-Kerspern 2011. 530
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Le choix du sujet pour la frise narrative à Liancourt ne faisait donc pas exception par rapport à l’usage décoratif courant, et au château de Richelieu nous le trouvons aussi dans un contexte d’emblèmes appliqués. Certes, ici les peintures bibliques avaient été ajoutés par le Cardinal à un vieux décor de devises déjà existant et dont l’invention n’avait aucune relation avec les tableaux des cheminées. Pourtant à Liancourt un mélange vétérotestamentaire et emblématique si étroit nous sollicite à ne pas écarter totalement une hypothèse que la découverte de nouvelles données pourrait remettre en jeu. Nous ignorons d’ailleurs aussi l’identité du commanditaire, rien ne disant si la pièce et son décor remontaient aux temps de Charles du Plessis ou bien aux rénovations du château par son fils Roger. Les seigneurs de Liancourt étaient en plus une famille à l’identité culturelle et spirituelle fort facettée. Charles du Plessis était huguenot et proche de Henri IV, après avoir été premier écuyer de Henri III, donc l’un des membres les plus intimes de l’entourage royal535. Sa femme Antoinette de Pons (vers 1570-1632), marquise de Guercheville et première dame d’honneur de Marie de Médicis, dont la vertu et la piété étaient renommées, était par contre catholique et très liée aux jésuites : elle en favorisait l’installation au Canada par son soutien financier et grâce à l’influence qui lui venait de sa proximité avec la reine. Leur fils Roger, ainé de trois ans de Louis XIII, avait grandi à la cour et s’était lié pendant les années 1620 aux milieux libertins, ami et protecteur de Théophile de Viau et de Jaques Vallée des Barreaux. Collectionneur et curieux d’art parmi les plus remarquables de son temps, en 1620 il s’était marié avec Jeanne de Schoenberg (1602-1674). À la fin des années 1630, cette femme savante et dévote mena son époux à une période de maturation spirituelle et de conversion, qui aboutira par une adhésion du couple au jansénisme536 ; mais cela bien plus tard que la date de réalisation du Cabinet des emblèmes.Tous ces personnages ont des traits qui en font des commanditaires possibles, mais aucun élément spécifique nous permet de rapprocher le cabinet des emblèmes à l’un ou l’autre ; des recherches supplémentaires sur leur biographies et leurs entourages ainsi que sur le château-même pourront peut-être donner des réponses. Pour l’instant, le discours silencieux de mots et d’images que les seigneurs de Liancourt avaient tracé sur les parois de leur demeure ne révèle que quelques fragments de son message, tout en continuant à nous interpeller.
535 536
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L’emblème appliqué au décor en France du XVIe au XVIIIe siècle Essai de cartographie et de typologie Marie Chaufour, Université de Bourgogne Franche-Comté Ainsi que l’écrit Daniel Russell, « l’emblème est le symptôme le plus révélateur d’une mentalité symbolique537». En effet, chaque livre d’emblèmes ou chaque emblème adapté à une architecture, une fête, une pédagogie, une médaille ou à un meuble doit être considéré selon le contexte culturel, le milieu, voire la nation auquel il est destiné. Si le genre emblématique connut un succès considérable en France à partir des années 1540, l’emblème est rapidement sorti du cadre du livre, malgré le coup d’arrêt subi par la production emblématique en raison des guerres de religion qui ont touché la France au XVIe siècle, ce qui explique sans doute le vif regain d’intérêt pour le genre au XVIIe siècle. L’emblème et la devise se sont alors ajustés à toutes sortes de supports, jusqu’à gagner l’architecture, le mobilier et à être considérés comme un décor périphérique ou même comme l’élément essentiel du décor. Le propos de cet article est de poursuivre l’inventaire538 et d’entamer la cartographie de décors emblématiques connus ou inédits en France. Dans un premier temps, nous avons identifié les sources de quelques programmes iconographiques, qu’elles soient profanes ou religieuses, puis nous nous sommes essayée à leur analyse. Deux décors ont particulièrement retenu notre attention, l’un par son ampleur et sa particularité ; l’autre, beaucoup plus modeste, était encore inédit en 2016 avant que nous l’identifiions. Nous nous essaierons à leur interprétation à la lumière de leur contexte culturel. Enfin, nous présenterons en guise de conclusion une typologie des décors conservés inventoriés à ce jour. Cartographie des décors Vingt-huit décors sont localisés sur cette carte, essentiellement dans trois grands ensembles régionaux. D’abord dans la vallée de la Loire où fleurirent les châteaux de la Renaissance, puis à Paris et en région parisienne. Malheureusement les décors de cette région ont pour la plupart été détruits.
537 538
Russell 1990, p. 11. Cf. Russell 1995 ; Saunders 2000 ; Bath 2014.
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Décors in situ 1 Dampierre 2 Oiron 3 Château de Coulon 4 Château de Cheverny 5 Château de Beauregard 6 Maison dite de Florent Tissart 7 Château d'Anet 8 Wez-d'Amain, Arras 9 Maison Aubry et Maison du Pontde-Sailly, Metz 10 Château de Gudmont-Villiers 11 Cathédrale Saint-Mammès 12 Château de Bussy-Rabutin 13 Salle des Echevins, Tour de l'horloge, Avallon 14 Collège des Godrans, Dijon 15 Parlement des Dombes, Trévoux 16 Eglise Saint-Louis, Uza Décors disparus a Château de Richelieu b Château de Berny c Château de Saint-Cloud d Palais Cardinal e Château de Bois-Le-Vicomte f Château de Liancourt g Hôtel Bonvalot Arts décoratifs A Musée d’Angers B Musée du Louvre C Musée des Beaux-Arts, Dijon D Musée Rolin, Autun
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Enfin, divers décors se rencontrent dans l’Est de la France, notamment dans la région Bourgogne Franche-Comté et en Haute-Marne ; plus au nird, à Metz, les décors de deux maisons inspirés de l’Emblematum liber de JeanJacques Boissard ont été retrouvés et sont maintenant conservés au musée de la Cour d’Or539. Deux autres sont très excentrés, l’un dans le Nord-Pas-deCalais, l’autre dans les Landes, en Aquitaine. Il peut s’agir de véritables programmes décoratifs ou de compositions emblématiques prenant place au sein d’un monument, sur un meuble ou sur un objet décoratif. La plupart d’entre eux ont déjà fait l’objet d’études ou de publications. Six ensembles ont disparu et ne sont désormais connus que par des témoignages de contemporains : le château de Liancourt – étudié dans le présent volume par Gabriele Quaranta – ; le château de Fontainebleau ; les châteaux de Richelieu à Richelieu et à Bois-le-Vicomte, ainsi que le PalaisCardinal à Paris ; le château de Berny, propriété de Pierre Brulart de Puisieux, situé près de Paris et l’hôtel de Bonvalot, ancienne maison canoniale de Frédéric de Bonvalot, à Besançon. « Observations » de quelques décors emblématiques Le décor emblématique du château de Diane de Poitiers à Anet540 a été conçu aux XVIe et XVIIe siècles. Le premier date du XVIe siècle et est en partie perdu. Dans ses Illustres Observations antiques publiées en 1558, Gabriel Simeoni décrit les quatre devises qui ornaient la basse galerie du grand jardin541. La première représentait la terre d’Anet « avec trois tours sur la tête » dans un char tiré par un cerf et un sanglier. Cette devise était encore de tradition médiévale par cette façon de représenter un lieu avec ses tours. La deuxième était consacrée au roi Henri II ; il était assis dans un char tiré par un lion et un mouton soulignant l’un le courage et la magnanimité du roi et l’autre son humanité et sa douceur. Le visage du roi était auréolé d’un soleil, il portait l’armure et tenait une épée et un rameau d’olivier. Le motto, tiré de Virgile, était in utumque paradus « Prêt aux deux éventualités ». Simeoni écrit que dans la troisième devise, il avait fait faire une Diane tenant en la main droite un globe ou une pomme d’or et en la gauche un flambeau ; son char était tiré par une biche et un taureau avec ces paroles : Costa fovet viros probita Diana.
539
Hans-Collas 2007. Voir Cordellier / Capodieci 2021. 541 Simeoni 1558, p. 98-102. 540
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monde tout entier ». Enfin, les poutres séparant les caissons portent une troisième devise, Consequitur quodcumque petit, où une flèche est entourée d’un phylactère portant le titre. Cette devise est reproduite dans le traité de Simeoni, on la trouvera également dans l’édition de Paradin augmentée par l’artiste italien en 1583. Ce dernier l’explique en écrivant que « toute sa vie [Diane de Poitiers] ha esté si heureuse, que l’on ne luy refusa oncques chose, de quoy elle eust envie »545. Le second ensemble date du XVIIe siècle, après 1608. Selon Pierre Désiré Roussel, il proviendrait du château d’Écouen546. Ce décor encore inédit est composé de cinq emblèmes peints à l’extérieur de la porte de la salle des gardes donnant sur le vestibule547. Cette porte est ornée de 15 caissons peints et sculptés, encadrés d’une frise végétale peinte. Les deux grands espaces centraux sont ornés de reliefs sculptés représentant Andromède attachée au rocher, le monstre dans l’eau prêt à la dévorer au registre supérieur ; celui du niveau inférieur est décoré d’un vase de fleurs. Les emblèmes sont placés au sommet et au pied de la porte, et entre les deux caissons en relief. Les autres sont ornés de fleurs peintes. Les emblèmes sont tirés des Amorum Emblemata d’Otto Van Veen. Chacun d’entre eux a la forme ovale de ceux du recueil et les titres sont inscrits en français dans les écoinçons du caisson. Le premier emblème situé en haut à gauche de la porte présente un putto aux ailes rouges-rosées, dans un paysage aux tons vert tendre, entre un lapin et une tortue, accompagné du motto « Continuer fait gaigner » qui encourage à la persévérance en amour. Le deuxième emblème « Ce qui me nourrit m’estainst » a pour corps un amoureux, une flèche plantée en plein cœur, qui tient un flambeau retourné, qui peut vivre ou mourir selon l’issue de ses amours. Au centre de la porte, la victoire de l’« Amour sur tout » – et notamment sur la richesse et la noblesse – est mise en scène. Le putto brandit une palme tandis qu’il piétine un écu et un collier ; à l’arrière-plan un coffre ouvert laisse déborder ses richesses. En bas à gauche un putto est appuyé sur un arc, il tient un anneau de la main gauche et pose son pied sur un masque. Le motto de cet emblème est « Sincère », il s’agit donc de louer la sincérité en amour. Enfin, le dernier emblème représente un putto soufflant sur une bougie, son titre est « Prest au retour », retour de l’amour qui peut se raviver tout comme la flamme. Les décors du château sont très différents. Ceux du XVIe siècle sont des devises consacrées à la maîtresse des lieux, Diane de Poitiers et au roi, tandis que ceux du XVIIe siècle, sont consacrés à la supériorité de l’amour et sont tirés d’un recueil très en vogue à cette époque. Cela peut s’expliquer par la destination d’origine qui était différente, mais surtout par le goût qui a 545
Simeoni 1559, p. 16. Roussel 2005, p. 78. 547 Je remercie vivement Nadège Wanner, guide au château d’Ecouen, pour m’avoir signalé son appartenance au château d’Ecouen. 546
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évolué. En effet, la mode des emblèmes d’amour a inspiré de nombreux programmes décoratifs, on les retrouve notamment dans les châteaux de Berny et de Cheverny, comme l’a montré Gabriele Quaranta à d’autres occasions548. Peter Boot a également étudié ceux du château de Coulon549. Alciat, ainsi qu’il l’espérait, a également fourni bon nombre d’emblèmes qui ont été soustraits à l’espace du livre pour être transposés sur les murs. En effet, le refuge de l’abbaye augustine du Mont Saint Éloi à Arras, appelé Wez d’Amain, construit en 1450, présente des peintures murales très abîmées redécouvertes en 1980550. Il s’agit de quatre médaillons historiés accompagnés de motti sur un fond de rinceaux. Aujourd’hui, il n’en reste qu’une frise qui court sur deux parois, mais dont il possible de supposer qu’elle faisait le tour de la salle. Le diamètre des médaillons est d’environ un mètre et les inscriptions sont en lettres gothiques. Ce sont elles qui ont permis l’identification des emblèmes. Le médaillon à gauche de la paroi nord a pour motto Quod non capit Christus, rapit fiscus, « Ce qui n’est à Christ est au fisc ». Le dessin du médaillon est très proche de celui de la gravure de l’emblème d’Alciat : un souverain est debout sur le seuil d’un édifice, la gravure nous permet de voir qu’il presse une éponge de la main droite et qu’il tient un sceptre. Le gibet avec ses condamnés à mort et la roue avec un supplicié sont également bien identifiables sur la gravure. Cet emblème illustre le châtiment affligé par le prince aux collecteurs d’impôts qui ont essayé de le voler. La composition du médaillon central évoque une cour de justice, réunie autour d’un prince ou d’un juge sous un dais et représente le gouvernement du bon prince qui ne peut juger que selon ce qu’il entend puisqu’il est aveugle et ses conseillers ne peuvent pas être corrompus puisqu’ils n’ont pas de main, et ainsi ne peuvent pas l’influencer. Le titre en est In senatum boni principis, « Le parlement du bon prince ». Le médaillon de droite In dona hostium, « Contre les dons d’ennemis » représente le duel entre Ajax et Hector qui, à l’issue du combat qui les opposait, s’offrirent des présents qui leur furent funestes. Enfin le dernier médaillon représente un âne bâté et a pour motto In avaros, « contre les avaricieux ». Cet âne qui porte sur son dos des mets délicieux se penche pour brouter des chardons. Dans son épigramme, Alciat compare un vieil avaricieux à un âne qui « portant sur son dos beaucoup de bonnes viandes, & delicatement apprestees, ne se repaist toutesfois que d’aspres & rudes chardons ». Ces emblèmes mettent en garde contre les profits illicites, l’appât du gain, les faux amis, la trahison et l’avarice. Au e XVIII siècle, le Wez d’Amain était cité comme siège de moyenne justice, traitant de tous les délits, à l’exclusion de ceux de nature criminelle. Le 548
Quaranta 2010 ; 2013. Boot 2007, p. 143-148. 550 Baudoux-Rousseau, Dewerdt et Fontaine 2013. 549
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passage d’un édifice religieux à un édifice civil explique donc la thématique choisie – en lien avec le domaine financier ou judiciaire et qui évoque peutêtre le bon gouvernement – pour orner la pièce majeure vraisemblablement au XVIIe siècle, puisque les peintures semblent inspirées de l’édition de 1615 des Emblemata. Alciat est encore présent au plafond de l’ancienne salle des Echevins de la Tour de l’Horloge à Avallon. Ce décor est mentionné par monsieur Gally en 1864 dans le Bulletin de la Société d’études d’Avallon551. Il est composé de 4 cartouches ornés de figures accompagnées de motti. Le premier médaillon In dies meliora, « Faisons mieux de jour en jour » représente un paysan observant un sanglier qui retourne la terre de son groin. Il s’agit ici de prendre modèle sur l’animal qui ne recule jamais, l’homme devant sans cesse aller de l’avant pour essayer de s’améliorer. Dans son emblème, Alciat cite deux devises de Charles Quint, Plus oultre sur un phylactère flottant entre des colonnes et Ulterius, mais elles ne figurent pas dans la salle des échevins. Le second médaillon représente deux guerriers se serrant la main, le mot en est Concordia. Alciat, reprenant Tacite, explique que les anciens scellaient un accord de paix en se serrant la main et que ce geste de concorde valait tous les traités. Le troisième emblème est composé du motto Unum nihil duos plutimùm posse, « un seul ne peut rien, deux sont tout puissants » et a pour figure le prudent Ulysse et le courageux Diomède. Alciat par cet emblème veut signifier que la force et la sagesse doivent s’allier afin de surmonter toutes les difficultés. Enfin le dernier médaillon est nettement plus énigmatique, puisqu’il n’est plus inspiré d’Alciat. Il porte pour motto Nil nisi consilio et représente, selon l’auteur, un juge ou un roi sur un trône ou un siège de justice. Cette devise, très fréquente en numismatique, est celle du conseil du roi de France. Nous la trouvons dans le Typotius accompagnant les attributs des rois de France. Il s’agit sans doute d’une composition inventée afin de souligner la fonction du lieu, puisqu’il s’agit du lieu de réunion des échevins de la ville d’Avallon. Tout en encourageant à la prudence et à la concorde – sans doute en référence aux guerres de religion - il s’agissait ici de louer la justice qui s’appuie sur le pardon et la clémence. Contextualisation Le château de Gudmont-Villiers (Haute-Marne) a été acquis en 1546 par Guillaume Télin, secrétaire ordinaire et conseiller du duc de Guise. Ce dernier souhaitait sans doute se rapprocher ainsi de son prince, Claude de 551
Gally, 1864, p. 124-130.
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Afin de souligner la divinité des vertus théologales, le peintre les a isolées du reste de la composition par des arbres et les a placées dans les nuées. Nous avons donc une opposition entre sphère divine et sphère terrestre. Le cartouche souligne la parenthèse autour des trois vertus. La phrase latine est tirée des épîtres aux Corinthiens de Saint Paul, qui se traduit par « Et maintenant, ces trois-là demeurent : la foi, l'espérance et la charité. Mais la plus grande de ces vertus est la charité » (13, 13). Ce programme iconographique n’a pas été choisi par hasard par Anthoine Télin, il apparaît au contraire comme un hommage à son père. En effet, Guillaume Télin, en plus d’être le secrétaire du duc de Guise, s’essaya à la littérature et publia notamment le Bref sommaire des sept vertus, sept ars libéraulx, sept ars de poésie, sept ars méchaniques, des philozophies, des quinze ars magicques. La louenge de musique. Plusieurs bonnes raisons à confondre les juifs qui nyent l'advènement nostre seigneur Jésu-Christ. Les dictz et bonnes sentences des philozophes. Avec les noms des premiers inventeurs de toutes choses admirables et dignes de scavoir, en 1533. Si ce livre, au titre très explicite, suscite de nos jours l’intérêt des chercheurs552 puisque c’est l’un des premiers ouvrages en français consacré à l’art poétique, Anthoine Télin en a surtout retenu l’enseignement moral. Il ne s’agit pas d’un texte original, mais plutôt d’un compendium de sujets aussi divers que l’interprétation des textes sacrés ou un essai de définition des genres poétiques. Guillaume Télin accumule les sources consacrées aux différents sujets qu’il traite. Cependant, il ne puise pas directement aux sources classiques, mais il s’inspire des textes des encyclopédistes médiévaux qu’il façonne afin de leur donner une forme plus actuelle. Il fait de cet ouvrage l’un des premiers traités encyclopédiques publiés en français au début du XVIe siècle. La fresque dédiée aux vertus théologales est une parfaite illustration du quatrième chapitre du Bref sommaire qui leur est consacré : Sa[n]s avoir charite no[us] ne pouvo[n]s estre saulvez / ainsi q[ue] dit sainct Pol ad Corinth. VIII. De charite procede amour / pitie / grace / paix / Benignite et debonnairete. Lamour de Dieu descend par deux vertus : cest assavoir par foy & par esperance. Car nul ne pourroit jamais aymer dieu se premièrement il na vraye foy en luy/croyant fermement qu'il soit ung vray Dieu en trinite unye et veritable. Et puis doit avoir esperance en lui de parvenir a la sienne saincte gloire / qui est la vie eternelle553.
Le rapprochement entre le texte et les figures est moins flagrant pour les vertus cardinales. En effet, Guillaume Télin s’appuie autant sur la tradition chrétienne que sur les sources antiques tels Platon, Aristote ou Cicéron. En outre, l’iconographie de ces vertus est très traditionnelle et n’emprunte pas 552 553
Cf. Bjaï 2004, p. 13-24 ; Galand-Hallyn, Hallyn 2001, p. 65-66 ; Clark 1969, p. 129-137. « De la vertu de Charité envers Dieu », VI v.
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Syrtes. Les armes délaissées aux pieds de l’arbre illustrent parfaitement la première strophe selon laquelle celui qui a la conscience irréprochable n’a besoin ni de l’arc ni des flèches empoisonnées, de même que les monstres sont évoqués dans la quatrième strophe. Plus encore, la troisième strophe explique le loup s’enfuyant devant l’homme de bien : « Je m’étais égaré dans la forêt sabine, […] / Figure-toi qu’un loup devant moi s’est enfui / J’étais sans armes ! ». Loup que nous voyons regarder derrière lui et partir en courant en direction de la montagne. Cependant Van Veen a ajouté l’agneau accompagnant notre homme de bien afin de souligner l’innocence, la pureté de son âme. Les gravures d’Otto Van Veen peuvent être considérées comme de véritables tableaux, ce qui a sans doute plu aux Télin qui les ont également perçus de cette manière puisqu’ils ont choisi de les doter d’encadrement moulurés. On retrouve d’ailleurs un tableau consacré à la mort d’Eschyle, tout à fait similaire, dans l’église saint Louis d’Uza en Aquitaine qui a été légué par la famille de Lur-Saluces, propriétaire du château et des forges d’Uza et à qui l’on doit la construction et l’aménagement de l’église au XIXe siècle. Ce tableau semble cependant dater du XVIIe ou du XVIIIe siècle. C’est vraisemblablement l’enseignement moral que l’on pouvait tirer de ces emblèmes qui a séduit la famille Télin. En effet, Horace était l’un des auteurs de prédilection des pédagogues. On le retrouve d’ailleurs cité à de nombreuses reprises dans le Bref Sommaire. Les influences néo-stoïciennes et humanistes sont très importantes pour la création des images savantes et didactiques des emblèmes d'Horace. En effet, ce livre d'emblèmes n'est pas destiné aux érudits, mais à la jeunesse aristocratique. De plus, l'image permet une méditation morale sur le fait qu'un homme de bien ne doit pas craindre la mort. Il faut souligner qu'Otto van Veen ne s’est pas contenté d’utiliser des recueils d'aphorismes, il connaissait vraiment les Odes d'Horace qu’il a utilisé pour créer ses tableaux. Le décor de la « salette » du château de Gudmont – qui n’est autre qu’une méditation morale engageant à la vertu sur terre pour gagner l’au-delà – est en totale adéquation avec les préoccupations morales des humanistes chrétiens tels que Guillaume Télin et son fils, qui vivaient dans la sphère du très chrétien duc de Guise. En 1666, après la publication frauduleuse de son Histoire amoureuse des Gaules, Roger de Bussy-Rabutin est exilé dans son domaine bourguignon554. Pour tromper son ennui, il conçoit un décor emblématique tout à fait original. Plusieurs devises sont dispersées dans la maison, mais une pièce leur est consacrée. Sa correspondance laisse penser que le décor de la « Salle des devises » a été réalisé l'année suivante. Le décor énigmatique provient de son éducation jésuite qui l'a formé à la philosophie des images. De plus, 554
Blanquie, Chaufour, Tsimbidy 2018.
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ainsi traduire cette devise « se reposant au dehors, elle se déplace au dedans », ce qui permit à Bussy de la faire passer du registre héroïque au registre galant, voire grivois. Enfin, la dernière devise de ce groupe est composée d'un volcan en éruption. Le motto est La Cause en est cachée. A première vue, Bussy se présente comme un personnage plein de bruit et de fureur. Cette devise est souvent considérée comme galante. Elle peut être rapprochée d'un emblème d'Albert Flamen qui a pour titre « Plus dedans que dehors ». Flamen l’explique de la manière suivante : On ne conçoit pas l'ardeur du feu qui consume un amant, Ce qu'il renferme dans sa poitrine est bien plus violent que ce qu'il fait exalter par ses soupirs, Ce mal se ressent et ne peut exprimer : tout ce que l'on peut en dire est qu'il brûle d'autant qu'il est caché557.
Elle aurait donc pour porteur un amoureux qui voudrait garder secret un amour illicite. Ces trois devises ne sont pas seulement un jeu amusant révélant les amours de Bussy-Rabutin. Sous une interprétation humoristique, Roger de Rabutin cache une lecture plus intime. Elles pourraient signifier que les forces qui animent secrètement le comte viennent de l'intérieur et donc de ses sentiments, ce qui serait une sorte d’introduction au décor de cette salle. On ne peut parler du décor, sans évoquer les illustres devises satiriques contre Mme de Montglas, créées par Roger de Rabutin pour se venger de son ancienne maîtresse qui l’a abandonné dès son emprisonnement à la Bastille. Six devises révèlent la perfidie de la dame. Elle apparaît tantôt sous les traits d’une sirène, de la lune, d’une hirondelle, de la Fortune, d’un arc-en-ciel ou dans le plateau d’une balance558. Dans les cinq premières devises son visage est parfaitement identifié. Bussy qui maîtrisait parfaitement les règles de la devise justifie ainsi l’usage de la figure humaine : « Ces devises ne sont pas dans les règles, car il ne doit point y avoir de figures humaines ; mais comme les monstres y peuvent entrer, il n’y a qu’à les regarder sous cette idée559 ». La devise de la Fortune est accompagnée du motto Leves ambæ, ambæ ingrate, « Légères toutes deux, toutes deux ingrates » (Fig. 6). La marquise est juchée sur une sphère ailée, son étole gonflée par le vent et une couronne de laurier dans la main. Contrairement aux représentations traditionnelles, elle n’a pas les yeux bandés de façon à ce que l’on puisse l’identifier et surtout afin de souligner que contrairement à la déesse, elle ne frappe pas au hasard. La peinture de cette devise rappelle un tableau du grand salon du 557
Flamen 1653. Cf. Chaufour à paraître. 559 Lettre de Bussy-Rabutin à Mlle d’Amentières du 28 octobre 1667, in Bussy-Rabutin 18581859, I, 70. 558
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sur tous les supports, aussi bien des décors peints ou sculptés que des objets décoratifs.
293
294
Paradin, Devises Heroïques
Alciat, Les Emblèmes, 1547
Amour
Porte Inconnu Simeoni, Ill. Peint. Obs.antiques, 5 embl. 1558. Diane de Poitiers Motto
Paul Ardier, puis Marie Ardier et Gaspard de Fieubet
Inconnu
Diane de Poitiers Devise
Pierre Mosnier
Inconnu
Devises des rois de France
Motto
Inconnu Non
3 dev. ≠
Portrait
Morale
Motto
Plafond Inconnu
Peint.
5 embl.
Inconnu 4 dev.
Van Veen, Amorum Emblemata (4 embl.) Inconnu
Jean Mosnier Emblèmes floraux : réflexions Jean Mosnier morales, jeux de Henri Hurault mots, héraldique, mythologie, botanique
Amour Motto
Non 19 embl.
8 embl.
Peint.
Peint.
Peint.
12 dev.
Mur
Château de Cheverny (Loiret-Cher) Pr. 1630’ s- 1640’ s
Mur
Château de Beauregard, Cellettes (Loiret-Cher 41) Pr .1617-ca. 1680
Mur
Maison « de Florent Tissart » Lavardin (41) Pr. 1574
Galerie XVII basse du jardin (perdue)
e
Château d’ Anet (Eure-etLoire) Pr. XVIe
Corrozet, Hecatomgraphie
François Gouffier
Antoine Ricard
Morale
Motto
16 embl.
Peint.
Château d’ Oiron (DeuxSèvres) Pr. Milieu 1630’ s Mur
Anonyme, Théâtre d’ Amour
François de Bourbon, prince de Conti
Inconnu
Amour
Motto (variantes)
8 embl.
Peint.
Mur (frise)
Château de Coulon, Graçay (Cher) Pr. 1600-1610
Alciat, Embl. La Perrière, Mor. La Perrière, Theatre… Corrozet, Hecatom.
Jeanne de Vivonne (?)
Inconnu
Morale
Motto
93 caissons : 61 comp.embl.
Sculpt.
Plafond
Château de Dampierre-surBoutonne (Ch.-Mar.) Pr. XVIe
SOURCES
TAIRE
COMMANDI-
ARTISTE
PHIE
ICONOGRA-
INSCRIPTION
DECORS
DECOR
TYPE D’ ESPACE TYPE DE
DATES
STATUT
SITUATION GEOGR.
ANNEXE : TYPOLOGIE
295
Anthoine Télin
Van Veen, Quinti Horatii Flaci Emblemata, 1612.
Inconnu
Boissard, Emblematum Liber, 1593
Non
Motto
Inconnu
2 embl.
1 embl.
Inconnu
Peint.
Peint.
Morale
Chemi-née (hotte)
Mur
Morale
Château de Gudmont-Villiers (Haute-Marne) Pr. XVIIe
Maison Aubry, En Fournirue, Metz (Moselle) Pr. XVIe
Motto
Non
Corrozet, Hecatomgraphie Alciat, Emblemata
Jean d’ Amoncourt
Inconnu
Claude Sambin Michel Guillau-me Jésuites
4 dev.
2 embl.
Inconnu
Peint.
Faïence
Education
Plafond
Pavement
Morale
Collège des Godrans, Dijon (Côted’ Or) Rel. 1654-1657
Cathédrale de Langres (HauteMarne) Rel. 1551
Rosset 1612 Le Moyne,1666 Le Moyne 1649 Bouhours 1671 Ménestrier 1669. Ménestrier1682. Ménestrier 1686.
Roger de Bussy-Rabutin
Morale Politique Amour Satire Inconnu Portrait
Motto
36 dev.
Peint.
Mur
Château de BussyRabutin, Bussy-leGrand (Côted’ Or) Pr. 1667-1673
Alciat, Embl. (3 embl.)
Inconnu
Inconnu
Justice
Motto
4 embl.
Peint.
Salle des Echevins, Tour de l’ Horloge, Avallon (Yonne) Pub Fin XVIe Début XVIIe Plafond
Van Veen, Amorum Emblemata, 1608.
nconnu
Inconnu
Amour
Motto
5 embl.
Porte Peint.
Id. XVIIe
Paradin, Devises Héroïques, 1557 Gabriele Simeoni, Les devises, ou Embl.…1559
Diane de Poitiers
Inconnu
Devise
Non
3 dev. ≠
Plafond Peint.
Id. XVIe
Abréviations : Pr. : Privé ; Pub : public ; Rel. : Religieux ; N.C : Non concerné ; Sculp : Sculpture ; Peint. : Peinture ; Tabl. : Tableau ; Embl. : Emblème ; Dev. : Devise
296 Morale
Colin Nouailhet (attrib.) Inconnu
La Perrière, Le Theatre des bons engins
Morale
Evrard Bredin
Achille Bocchi, Symboloic æ quæstiones
Evrard Bredin
Alciat, Emblemata, 1548
Inconnu
Motto
Motto
La Perrière, Le Theatre des bons engins
Colin Nouailhet (?) Inconnu
Morale
Glose Motto
Émail 5 embl.
Émail 5 embl.
Motti différents de ceux du recueil Morale
Coffret (inv. MTC 1164)
Coffret (inv. OA 10561)
3Peint. embl.
Porte d’ armoi-re (Inv. 3934a 3934b)
2 embl. Peint.
Musée d’ Angers N. C. 1545
Musée du Louvre N. C. 2nde moitié XVIe
Musée Rolin, Autun (Saône-etLoire) N. C. 1574 Armoi-re à deux corps (Inv. OA. 1)
Musée des Beaux-Arts, Dijon (Côted’ Or) N. C. 1575
Alciat, Les Emblèmes, 1536 et 1615.
Inconnu
Inconnu
Otto Van Veen, Quinti Horatii Flaci Emblemata
Inconnu
Justice
Motto
Inconnu
Morale
Non
4 embl.
Peint.
Peint. 1 embl.
Mur
Wez d’ Amain, Arras (Nord-Pas-de-Calais) Pub XVIIe
Tabl.
Eglise Saint-Louis, Uza (Landes) Rel. XVIIe XVIIIe
?
Claude Cachet de Garnerans
Pierre-Paul Sevin
Justice, guerre et paix
Motto
Peint.
Plafond
Parlement de Dombes à Trévoux (Ain) Pub 1698
Boissard, ms. 623 bibl. de l’ Inst. 15801583 ; Embl. Liber, 1593
Inconnu
Inconnu
Morale
2 embl. (musée de la Cour d’ Or, Metz) Motto
Peint.
Mur
Maison du Pont-deSailly, Metz (Moselle) Pr. XVIe
Bibliographie Bath 2014 : Michael Bath, « Les emblèmes d’Alciat dans les arts décoratifs », André Alciat (1492-1550) : un humaniste au confluent des savoirs dans l’Europe de la Renaissance, Turnhout, Brepols, 2014, p. 383400. Baudoux-Rousseau / Dewerdt / Fontaine 2013 : Laurence BaudouxRousseau, Hugues Dewerdt et Matthieu Fontaine, « Le décor peint du refuge de l’abbaye augustine du Mont Saint Eloi à Arras (fin XVe-début XVIe siècle) », In Situ. Revue des patrimoines [En ligne], 22, 2013. Bjaï 2004 : Denis Bjaï, « En guise d’introduction », Cahiers de recherches médiévales, 11 spécial, 2004, pp. 13-24 Blanquie / Chaufour / Tsimbidy 2018 : Christophe Blanquie, Marie Chaufour et Myriam Tsimbidy, Le château de Bussy-Rabutin, Histoires, portraits, légendes, Paris, Les Éditions Abordables, 2018. Boot 2007 : Peter Boot, Learned Love. Proceedings of the Emblem Project Utrecht Conference on Dutch Love Emblems and the Internet, La Haye, 2007, p. 143-148. Bouhours 1671 : Dominique Bouhours, Les Entretiens d’Ariste et d’Eugène, Paris, Marbre-Cramoisy, 1671. Bussy-Rabutin 1858-1859 : Roger de Bussy-Rabutin, Correspondance de Roger de Bussy-Rabutin avec sa famille et ses amis (1666-1693), Paris, Charpentier, 1858-1859. Chaufour à paraître : Marie Chaufour, « Les déceptions d’un libertin : les devises satiriques contre Madame de Montglas », La Cause en est cachée, Turnhout, Brepols, sous presse, p. 193-216. Clark 1969 : John E. Clark, « An early Sixteenth-Century Art Poétique, by Guillaume du Télin », BHR, XXXI, 1969, p. 129-137. Cordellier / Capodieci : Dominique Cordellier et Luisa Capodieci (dir.), Diane en son paradis d’Anet. Tapisseries et vitraux du château d’Anet, Paris, Le Passage, 2021. Flamen 1653 : Albert Flamen, Devises et emblesmes d’amour moralisez, Paris, Olivier de Varennes, 1653.
297
Galand-Hallyn / Hallyn 2001 : Perrine Galand-Hallyn, Fernand Hallyn, Poétiques de la Renaissance. Le modèle italien, le monde francobourguignon et leurs modèles à la Renaissance, Genève, Droz, 2001, p. 6566. Gally 1864 : M. Gally, « Quatre emblèmes dans l’ancienne salle des échevins », Bulletin de la Société d’études d’Avallon, 1864, p. 124-130. Hanz-Collas 2007 : Ilona Hans-Collas, « Les décors peints du XVIe siècle dans les demeures messines et lorraines : reflets de la vie artistique et des courants humanistes de ce temps », Mémoires de l’Académie nationale de Metz, Metz, 2007, p. 191-215. Le Moyne 1649 : Pierre Le Moyne, Devises héroïques & morales, Paris, Augustin Courbé, 1649. Paradin 1557 : Claude Paradin, Devises Heroïques, Lyon, Jean de Tournes et Guillaumes Gazeau, 1557. Quaranta 2010 : Gabriele Quaranta, « De la Maison d’Astrée aux tableaux de Cheverny : emblèmes, poème et ‘chambres d’Amour’ au temps de Tristan », Cahiers Tristan L’Hermite, n°XXXII, 2010, p. 24-38. Quaranta 2013 : Gabriele Quaranta, L’arte del romanzo Temi Letterari nella pittura francese deil seicento (dal regno di enrico IV alla reggenza di Anna d’Austria). Thèse de docotrat soutenue sous la direction de Claudia Cieri Via et Colette Nativel, soutenue en 2013. Quaranta 2013 : Gabriele Quaranta, « From Pages to Walls and Vice Versa : Applied Emblems between Tristan l’Hermite’s Poetry and SeventeenthCentury French Decoration », Emblematica, vol. 20, 2013, p. 219-256. Roussel 2005 : Pierre Désiré Roussel, Histoire et description du Château d’Anet depuis le Xe siècle jusqu’à nos jours, 1875, nouvelle édition, Le Livre d’histoire, 2005. Russell 1990 : Daniel Russell, « Emblèmes et mentalité symbolique », Littérature, 78, 1990, p. 11-21. Russell 1995 : Daniel Russell, Emblematic Structure in Renaissance French Culture, Toronto, Buffalo, Londres, University of Toronto Press, 1995. Saunders 2000 : Alison Saunders, The Seventeenth-Century French Emblem, Genève, Droz, 2000.
298
Simeoni 1558 : Gabriele Simeoni, Les Illustres Observations Antiques du seigneur Gabriel Symeon florentin. En son dernier voyage d’Italie l’an 1557, Lyon, Jean de Tournes, 1558. Simeoni 1559 : Gabriele Simeoni, Les devises, ou Emblêmes héroïques, et morale, inventées par le S. Gabriel Symeon, Lyon, Guillaume Roville, 1559. Liste des figures Fig. 1 – Gabriel Simeoni, Les illustres observations antiques du seigneur Gabriel Symeon Florentin. En son dernier voyage d’Italie l’an 1557, Lyon, Jean de Tournes, 1558, Vitrici omnium cupidinum dianæ, p. 101. BM Dijon 12733. Cliché de l’auteur. Fig. 2 – Gudmont-Villiers (France), château, Vertus théologales. Cliché de l’auteur. Fig. 3 - Gudmont-Villiers (France), château, Innocentia ubique Tuta et Tute, si recte vixeris. Cliché de l’auteur. Fig. 4 – Bussy-le-Grand, Château de Bussy-Rabutin, De l’ardore l’ardire. Cliché de l’auteur Fig. 5 – Bussy-le-Grand, Château de Bussy-Rabutin, Plus de solidité que d’éclat – La cause en est cachée – Quieto fuori e si muove dentro. Cliché de l’auteur Fig. 6 - Bussy-le-Grand, Château de Bussy-Rabutin, Leves ambæ, ambæ ingrate. Cliché © David Bordes / Centre des monuments nationaux.
299
Les livres à figures des XVIe et XVIIe siècles et les emblèmes et devises dans la Vallée d’Aoste (Palais Roncas, château Vallaise, Villa Casana) Raul Dal Tio La restauration des demeures des familles nobles Roncas et Vallaise, réalisée récemment par la Surintendance des Activités et des Biens culturels de la Région Autonome Vallée d’Aoste, ont ouvert un nouveau domaine d’études pour les historiens et les spécialistes en histoire de l’art : la production artistique et la culture de cour entre XVIe et XVIIe siècle de ce qui fut le duché d’Aoste jusqu’à la proclamation de l’unité italienne. En 2012, notre essai « Palais Roncas. Un témoignage érudit de la Renaissance tardive en Vallée d’Aoste » présentait les sources iconographiques des devises peintes au palais Roncas et procurait une première étude de l’histoire de l’édifice560. Sandra Barberi s’est ensuite occupée de l’étude préliminaire de la riche décoration intérieure du château Vallaise561. La découverte d’une galerie richement décorée d’emblèmes de l’amour profane à la Villa Casana de Montalto Dora (Piémont) m’a fourni l’occasion d’approfondir la diffusion des devises et des emblèmes dans le duché d’Aoste aux XVIe et XVIIe siècles562. Ces contributions ont mis en évidence un fait fondamental et jusqu’à présent inédit dans la région : l’habitude courante de copier dans les demeures patriciennes les devises et les emblèmes produits par l’édition florissante et par l’activité de l’époque en matière de gravures.
560
Dal Tio 2012, 222, p. 28-39, 223, p. 29-42 ; Bonollo 2013, p. 363-375. Barberi 2015. 562 Dal Tio, Maggi 2016. 561
301
Les loggias du palais d’Aoste, construites à la fin du XVIe siècle par Pierre-Léonard Roncas, premier secrétaire d’État du duc de Savoie CharlesEmmanuel Ier, sont ornées – outre les grotesques des voûtes – de la reproduction fidèle de gravures réalisées pour illustrer les traités les plus connus du XVIe siècle en matière d’imprese. 16 devises proviennent des Imprese illustri del Signor Gerolamo Ruscelli (Fig. 1, 2), 7 du Ragionamento sopra le proprietà delle imprese de gli Accademici Affidati de Luca Contile, 6 des Entretiens d’Ariste et d’Eugène de Dominique Bouhours, 4 de Filippo Piccinelli et 4 sont respectivement tirées des traités d’Andrea Alciato, Gabriele Simeoni, Camillo Camilli et Joachim Camerarius, pour un total de 37 devises sur 41 (4 restant illisibles)563. Un peu plus d’un demi-siècle plus tard, entre 1662 et 1683, FélixCharles-François de Vallaise fit copier dans les salles nobles du château d’Arnad quelques-unes des devises tirées des Imprese di diversi principi de Battista Pittoni (Fig. 3, 4), une série d’héroïnes des illustrations de La Gallerie des femmes fortes de Pierre Le Moyne, ainsi que des emblèmes spirituels des Pia Desideria de Hermann Hugo (Fig. 5, 6)564. En poursuivant vers le Piémont, dans le bourg de Montalto Dora, le baron Philibert-Antoine, descendant de la branche Vallaise-Montalto, fit bâtir un autre château, appelé aujourd’hui Villa Casana. Ici, dans une galerie-jardin, furent peints dès l’époque baroque 12 emblèmes des Amorum Emblemata du Hollandais Otto Vaenius (Fig. 7, 8), accompagnés de quelques images de l’Iconologia de Cesare Ripa565. Dans l’arc temporel qui va de 1665 (palais Roncas) à 1718 (Villa Casana), avec l’intermède de 1670 pour Arnad, et dans un espace géographique restreint (75 km), se trouvent concentrées les copies d’un nombre considérable et diversifié d’illustrations provenant des répertoires de l’époque. Les devises du Palais Roncas proposaient à l’hôte cultivé et à l’élite courtoise les contenus symboliques du soleil et de la lune, un décor laïque visant l’autocélébration. Dans leur ensemble, les 37 devises représentées dans le palais ont comme point commun le soleil et la lune ; accompagnés de la phrase OMNIA CUM LUMINE [Tout en lumière], ils constituent le blason de la famille Roncas.
563
Simeoni 1560 ; Ruscelli 1584 ; Contile 1574 ; Camilli 1586 ; Alciato, 1621 ; Piccinelli 1628 ; Camerarius 1667 ; Bouhours 1671. 564 Pittoni 1562 ; Le Moyne 1647 ; Hugo 1624. 565 Van Veen 1608 ; Ripa 1645.
304
découlait tout l'hommage qu'il recevait de ses sujets, sans quoi celui-ci cesserait aussi immédiatement, choisit pour devise le cadran solaire contemplé par les rayons du soleil, qui lui fit dire SI ASPICIS ASPICIOR [Si vous me regardez, je serai regardé]. Ainsi donc, si le Prince, éclairé par le soleil, distribuait les lumières de ses grâces à son vassal représenté par le cadran solaire, au Palais Roncas les yeux des inférieurs se tourneraient avec révérence pour l'observer et l'honorer.
Piccinelli explique mieux la signification de la devise : le soleil est le duc, tandis que le cadran solaire, l’horiuolo, est le baron Roncas, admiré à son tour par ses serviteurs. Une horloge solaire avec les mots MIRAS ME MIRAN [Regarde-moi pour qu’ils me regardent] figure dans le grand escalier du palais Roncas, décoration mise en œuvre par le fils de Pierre-Léonard après 1671, comme pour réaffirmer la soumission des Roncas envers le Duc de Savoie569. La seconde devise représente un soleil entouré de nuages, avec la phrase OBSTANTIA NUBILA SOLVET [Il dissipe adversité et nuages], image également présente dans la galerie Est du palais. Elle est comprise dans le volume Le sententiose imprese de Gabriele Simeoni (1560) et est dédiée à Monseigneur de Ligny : « Come nascente sol, di nubi cinto / a mezzo dì riman lucido e chiaro, / così l’huom liberal vince l’avaro / di gloria e vive e quel si resta estinto »570. En 1574, Paolo Giovio créa une image analogue, en relation avec Louis de Luxembourg571. L’allégorie choisie par Roncas se réfère au soleil, principal meuble de son blason et qui domine dans toutes les devises du palais. Sa lumière estompe les malheurs et est consubstantielle avec l’esprit de l’homme libéral. Le programme iconographique voulu par Pierre-Léonard Roncas pour son palais possède un degré élevé de cohérence et d’unité. Le choix du sujet solaire et lunaire est intimement lié à sa devise OMNIA CUM LUMINE. La lumière des deux astres qui éclairent aussi bien le jour que la nuit est une allégorie qui signifie plusieurs choses : avec ses rayons, le soleil symbolise la bienveillance du Seigneur, du Prince envers ses sujets, mais il est aussi la lumière qui éloigne le mauvais sort, la lumière de l’esprit libre. Une autre particularité, peinte dans l’encadrement qui délimite latéralement le texte de la lettre patente, est reproduite dans l’une des devises du palais. Il s’agit de deux mains jointes qui, dans un contexte différent, apparaissent dans la galerie inférieure. C’est la devise où se trouve au centre un obélisque avec le soleil au zénith et les mots SINE FINE [Sans limites]. L’impresa de Lorenzo Cybo, marquis de Massa, une illustration du répertoire de G. Ruscelli, en donne la signification ainsi : « quand les Anciens voulaient figurer démontrer la foi et la loyauté, ils recouraient aux
569
Dal Tio 2012, p. 25, 56. Simeoni 1560, p. 122. 571 Giovio 1574, p. 101-102. 570
309
mains jointes »572. C’est la meilleure lecture de ce symbole qui illustre les qualités de Pierre-Léonard Roncas, évoquées plusieurs fois par CharlesEmmanuel de Savoie dans le texte de la patente : Pour ce est il que ayans fait consideration sur les merites et qualités de vous nostre très cher bien aimé et léal Conseiller d’Estat Secretaire de noz commandemens, noble Pierre Leonard Roncas, seigneur de Chastelargent et sur ces fidelité, integrité, suffisance et experience.
La découverte des sources iconographiques employées pour les enluminures de la lettres patente de Pierre-Léonard Roncas permet de tirer quelques conclusions.Tout d’abord, relevons le lien étroit entre certains contenus et les images représentées. Si, dans le texte, le duc fait l’éloge de Pierre-Léonard pour sa fidélité, pour l’engagement qu’il a démontré comme ambassadeur et diplomate, les images en illustrent les qualités d’un esprit libéral comme serviteur fidèle et honnête ; la bienveillance du seigneur se reflète à son tour sur ses propres serviteurs. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un simple décor, mais plutôt d’un commentaire en images. En deuxième lieu, la partie figurée de la lettre patente exemplifie très bien avec la désinvolture et la liberté, avec lesquelles, à cette époque, on faisait usage de l’image, à tel point qu’elle pouvait être transposée dans d’autres contextes et réemployée pour célébrer en peinture les qualités, les faits et gestes et le pouvoir d’autres personnages, c’est-à-dire leurs imprese 573 . L’utilisation de la même image dans des devises différentes ne constitue pas un vice de forme puisqu’ « ayant par ses diverses qualités et conditions des similitudes et des correspondances avec divers concepts, on peut la représenter de diverses manières »574. C’est ce qu’il advient avec les devises peintes au palais Roncas et sur le parchemin de la lettre patente de PierreLéonard : les thèmes du soleil, de la lune, de la loyauté et de la fidélité ont été transférés en bloc dans la décoration, simplement parce qu’ils se référaient aux symboles héraldiques concédés par le duc de Savoie au baron Roncas, serviteur fidèle. Il faudra un peu plus de soixante ans entre ce chantier et les grands travaux de réaménagement et de décoration mis en œuvre par le baron FélixCharles-François de Vallaise Romagnano dans son château d’Arnad. Ici, l’usage des devises et des emblèmes, répliqués comme fresques murales du palais, change profondément : les préceptes religieux imposés après le concile de Trente et l’édition produite par les jésuites ont fait leur apparition. C’est pourquoi nous retrouvons de nombreux emblèmes tirés des Pia 572
Ruscelli 1584, p. 35-36; Dal Tio 2016, p. 30-31, 43, 48 : « quando gli antichi volevano in figura dimostrar [...] fede e lealtà ponevano le due mani fra lor congiunte ». 573 Dal Tio 2012. 574 Casoni 1610, p 320-321. « Pur che, per qualità e condizoni sue diverse, habbia similitudini et conferenze con vari concetti, sì che possa diversamente rappresentarli.»
310
Desideria du jésuite H. Hugo, ainsi que des héroïnes des Femmes Fortes de Le Moyne. La décoration du château Vallaise suit le moment de la rencontre féconde entre la littérature florissante des emblèmes et les préceptes spirituels des jésuites. Approuvée par Paul III en 1539, la Compagnie de Jésus apparaît à un moment où la littérature des images atteint sa plus grande popularité. Même si le genre adhère à une vision et à une production littéraire de caractère essentiellement humaniste, à partir de la seconde moitié du xvie siècle les emblèmes commencent à avoir un contenu religieux qui dépasse l’acception morale pour devenir une véritable allégorie sacrée. Les jésuites avaient compris que le caractère descriptif des emblèmes et des devises, l’utilisation des images comme instrument mnémotechnique pour la prière et la méditation étaient des éléments qui allaient avoir une importante fonction pédagogique pour la diffusion de la doctrine religieuse. Le potentiel rhétorique et suggestif de l’emblème s’inséra parfaitement dans le programme éducatif des collèges de la Compagnie de Jésus, dans les représentations théâtrales et dans les célébrations de l’Ordre575. Quand l’intérêt des jésuites pour les emblèmes et les devises fut manifeste, la rédaction de traités concernant les emblèmes sacrés augmenta, grâce à des professeurs de rhétorique et des matières humanistes, dont H. Hugo et Le Moyne576. Après avoir replacé dans leur contexte les auteurs des répertoires d’où ont été tirées les images de la galerie du château Vallaise, on éprouve la perception indéniable de se trouver dans un milieu voulu par un commanditaire qui avait adopté l’éducation et les préceptes de la Compagnie de Jésus. Sur les parois ont été peintes les actions et la détermination des femmes fortes, comme une allusion à une verticalité tournée vers la terre ; au plafond, des silhouettes de femme qui, en interaction avec des chérubins, donnent corps à des phrases emblématiques des Psaumes et des Écritures saintes, pour aboutir à un dialogue au féminin entre la crainte de Dieu traduite dans les emblèmes sacrés et les expressions de la force et du courage de l’héroïsme classique et de l’Ancien Testament. Copiées en partie sur la voûte de la galerie du château d’Arnad, les illustrations des Pia Desideria appartiennent à ce filon voulu par la théorie des préceptes religieux, où l’emblème jouait un rôle de rappel mnémotechnique aux concepts d’éthique et de morale chrétienne par l’intermédiaire de son principe fondateur : la métaphore. La valeur mnémotechnique de l’image, et par conséquent des emblèmes religieux, avait déjà été adoptée par le fondateur de la Compagnie de Jésus, Ignace de Loyola : Laudare debemus ornamenta et edificia ecclesiarum; item imaginum usum [Nous devons louer le décor et l’architecture des 575 576
Praz 2014, p.160. Silviucci Insolera 2004, p. 39-51.
311
églises, ainsi que l’usage des images]. Lydia Silviucci Insolera synthétise bien les raisons probables qui conduisirent le baron Vallaise et son épouse Maria Gabuti à commissionner les emblèmes de l’Amour sacré pour la galerie : « [...] la première application de l'image préconisée par saint Ignace concerne naturellement diverses réalisations dans l'art sacré, où l'image figurative représente, selon les prescriptions tridentines, l'un des moyens privilégiés offerts au chrétien pour s'engager dans un dialogue de prière et de méditation.577 ». Les habitants du palais et les invités avaient l’habitude d’y retrouver les images et les cartouches des Pia Desideria ; dans un contexte différent de celui de ses propres espaces privés, on dévidait aux yeux d’une société formée dans les collèges des jésuites, ou instruite par leurs précepteurs, un texte de méditation extrêmement répandu, adhérant parfaitement à l’esprit de la Contre-Réforme. Les emblèmes de l’amour sacré sur la voûte et les Femmes Fortes sur les murs constituaient, d’une part, un appel à la modération face aux tentations mondaines, et, d’autre part, une exhortation adressée au public féminin pour qu’il s’inspire de ces exemples. Le choix de ce cycle pictural est symptomatique de l’adhésion des Vallaise à l’orthodoxie catholique, à laquelle la Vallée d’Aoste avait déjà donné un large signe de fidélité lors de l’assemblée des États généraux du 29 février 1536, au moment où la Réforme approchait des frontières du duché d’Aoste par le Valais578. En ce sens, les thèmes choisis par les Vallaise et l’iconographie de la décoration du château montrent clairement qu’il s’agit d’une famille pour laquelle la religiosité est en parfaite syntonie avec les règles du Concile de Trente. Le lien de la famille avec la Compagnie de Jésus se renforce encore en 1610, avec l’entrée dans l’ordre de François-Humbert, fils de Pierre, le maître d’ouvrage de l’église de Fontaney, à Pont-Saint-Martin. Une autre occasion révèle les rapports étroits des Vallaise avec les jésuites : en 1643, Louise, fille de Jean-Humbert, nomme comme héritier universel le noviciat de la Compagnie de Jésus de la Ville de Chieri, en la personne du père Luigi Tana579. Appartenant à une famille noble avec titre de marquis580, le recteur et trésorier du noviciat publiera en 1650 un petit livre au titre emblématique de la discipline morale jésuite du milieu autour duquel gravite la famille : Freno alla lingua che ponge e censura le attioni altrui [Mettre un frein à la langue qui impose et censure les actions des autres]581. 577 « […] la prima applicazione dell’immagine auspicata da S. Ignazio riguardi naturalmente le diverse realizzazioni in arte sacra, dove l’immagine figurativa rappresenta, secondo i dettami tridentini, uno dei mezzi privilegiati offerti al cristiano per intraprendere un dialogo di preghiera e di meditazione. » (Ibid., p. 23) 578 Dal Tio 2012, p. 115-151. 579 Zanolli 1969, p. 298-303. 580 Casalis 1837, p. 773 581 Tana 1650 ; Santillo, 1998, p. 47.
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Jean-Humbert témoigne de la ferveur qui anime les Vallaise. Par les exhortations adressées à ses enfants dans son testament et par le contenu, désormais perdu, de son Discours aux fils, il soutient que l’on ne peut être de bons citoyens si l’on n’est pas avant tout de bons chrétiens582. Jean-Humbert conseille le volume Della Istitution morale d’Alessandro Piccolomini et laisse à son fils François, comme legs, le De la vicissitude ou variété des choses de Loys Le Roy, dit Regius583. Les intentions, les mots de JeanHumbert et ses legs de livres correspondent parfaitement au programme iconographique choisi par son descendant Félix-Charles-François pour le réaménagement du château d’Arnad et, de façon plus générale, à celui de la demeure de Montalto et à la construction de l’église de Fontaney584. Pour les commanditaires de la famille Vallaise, la production de gravures et l’édition dans les provinces belgo-flamandes ont constitué un trésor de sujets qui ont rapproché - en un peu plus d’un siècle - l’église de Fontaney (1595), le château d’Arnad (1670 environ) et la demeure de Montalto Dora (après 1712). À Fontaney, ce sont les images de la Nativité de la Vierge, de la Circoncision avec la Présentation au Temple et l’Annonce aux bergers, dérivant en tout ou en partie des gravures des Flamands Cornelis Cort et Raphael Sadeler. Ces auteurs d’estampes étaient très actifs dans le creuset de l’édition catholique et antiprotestante, qui opposait une production exubérante d’images sacrées à la rigueur des imprimés réformés, dépourvus d’illustrations585. Au château d’Arnad, ce sont les gravures d’un autre artiste néerlandais, Boëtius Van Bolswert, l’illustrateur des Pia Desideria, qui ont servi de modèle pour les emblèmes de l’amour sacré de la galerie ; avec les héroïnes des femmes fortes de Le Moyne, celle-ci complète un écrin d’images tirées des illustrations de textes d’auteurs appartenant tous à la Compagnie de Jésus. En quittant la basse Vallée et en arrivant en territoire piémontais, on rejoint Montalto Dora ; la décoration de la Villa Casana a sa place dans cette étude sur les emblèmes et les devises dans le duché d’Aoste, car jusqu’à la proclamation de l’unité italienne, le Canavais faisait partie du duché. La demeure patricienne a été construite par le baron Philibert-Antoine de Vallaise, descendant de quatrième génération de la branche VallaiseMontalto, après qu’il reçut de Victor-Amédée II de Savoie le fief du même 582
Cet écrit de Jean-Humbert, publié par l’éditeur turinois Pizzamiglio en 1592, a été perdu. Quelques phrases courtes et le sens du contenu sont repris par l’évêque Mgr Duc. Duc 1911, p. 474-475. 583 Piccolomini 1675; Le Roy, 1679. 584 Perret 2011, p. 60-61. 585 « L’Église tridentine est d’autant plus iconophile qu’elle combat l’iconoclasme de la Réforme, et sa rhétorique fait d’autant plus appel aux sens, et en particulier à la vue, qu’elle est en lutte contre la rhétorique rationaliste et abstraite de ses adversaires. » (Fumaroli 1995, p. 294.)
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nom en 1712. Dans une galerie qui pénètre dans le jardin, très semblable par son architecture et ses dimensions à celle du château d’Arnad, sont peints les emblèmes de l’amour profane, bordés d’images tirées de l’Iconologia de Cesare Ripa. Plus de quarante ans se sont écoulés depuis la réalisation du décor du château Vallaise. Avec l’avènement du baroque, les maîtres d’ouvrage abandonnent le thème des préceptes jésuites, en optant pour un retour aux modèles classiques. Finis les chastes emblèmes de l’Amour sacré : de petits Amours nus illustrent à présent les peines et les joies de l’Amour Profane. C’est le retour aux thèmes de l’une des éditions les plus connues à l’époque dans ce domaine : les Amorum emblemata (1608) du flamand Otto Van Veen586. Peintre, graveur et orfèvre, élève de Federico Zuccari et maître de Paul Rubens, Van Veen réalisa deux recueils d’emblèmes d’amour : le premier d’amour profane, les Amorum Emblemata, l’autre des emblèmes d’amour spirituel, Amoris Divinis Emblemata587. Grâce à ses sept années passées à Rome à l’école de Zuccari, Van Veen maîtrisa le dessin et fut conquis par l’amour de l’antiquité classique et de l’allégorie. Le succès des Amorum Emblemata fut renforcé par l’actualité du thème littéraire de Cupidon et des Amours, exprimé par des vers tirés des écrits d’Ovide, de Sénèque, de Virgile, de Plutarque, de Properce et de Tibulle588, ainsi que par le choix réussi de l’iconographie, agréable et raffinée, création de Van Veen lui-même, admirablement gravée par Cornelis Boel589. La galerie de la Villa Casana est une sorte d’écrin dont les images s’adressaient à un lecteur mondain intéressé à des situations amoureuses, frivoles et subtiles. Elle semble constituer un point d’arrivée chronologique de l’évolution du genre590. Nous sommes dans la première moitié du XVIIIe, le siècle de la pensée positive qui marque la fin de la production des emblèmes et des devises. Malgré cela, c’est encore un descendant de la famille Vallaise qui fait peindre sur les voûtes de la galerie les Amorum Emblemata, un sujet du début du XVIIe siècle remis en scène à l’époque baroque. Sur les pendentifs de la voûte d’arêtes de la galerie, des reproductions plutôt fidèles des gravures qui illustrent les éditions de 1645 et 1764 de l’Iconologia de Cesare Ripa591 ont été peintes. Quelques détails particuliers dans les drapés laissent penser que les artistes ont fait référence aux images 586
Van Veen 1608 ; Praz 1964, p. 523 ; Bénézit 1924, p. 419. Van Veen, 1616. 588 Les autres auteurs, desquels sont tirés les épigrammes, sont les suivants : Aristote, Socrate, Philostrate, Porphyre, Claudianus, Enée, Lucrèce, Pindare, Plaute, Platon, Ménandre. 589 Cornelis Boel (Bol), né à Anvers vers 1580, a probablement été l’élève du graveur Sadeler. Il a collaboré avec Jacob de Gheyn, le graveur du premier recueil des emblèmes d’amour de Daniel Heinsius. Benezit 1924, p. 130 ; Le Blanc 1970, I, p. 402. 590 Arbizzoni 2002, p. 153. 591 Ripa 1645; Ripa 1764. « Diverse immagini di Virtù, Vizi, Affetti, Passioni umane, Arti, Discipline, Umori ». 587
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de l’édition de 1625, tandis que d’autres décorations sont tirées de celle de 1764. La présence de quelques illustrations prises de l’Iconologia semblerait trahir la volonté du commanditaire de laisser un témoignage en images de sa propre personnalité à travers ces « diverses images des Vertus, Vices, Affects, Passions humaines, Arts, Disciplines, Humaurs » qui en constituent le noyau central, comme l’indique clairement le titre de l’œuvre de Ripa. Les emblèmes colorés de l’amour profane de Van Veen et les monochromes, placés en guise de pilastres, dialoguent les uns avec les autres : les vertus, la discipline, le caractère, la religiosité constituent les fondements d’une éthique spirituelle, en mesure de guider vers une juste jouissance des délices et des plaisirs d’Amour. Ici aussi, le même esprit éducatif se dégage : il est destiné à illustrer un comportement correct et une éthique dans la gestion du plaisir physique et spirituel, même si – contrairement à ce que l’on remarque dans la galerie du château d’Arnad – on perçoit dans le choix de l’iconographie un relâchement remarquable de la rigueur des règles jésuites et des impératifs de la Contre-Réforme. Le temps et la transposition sous forme de peintures ont, de fait, modifié quelques aspects du caractère original primitif. Les emblèmes de l’Amorum Emblemata se sont partiellement transformés en devises spirituelles, comme à Arnad ; ils sont donc dépourvus de texte poétique, mais dotés d’un cartouche avec l’incipit d’épigrammes d’auteurs classiques, tandis que les images de l’Iconologia de Ripa sont également entourées de cartouches, mais avec des devises créées ex novo. En conclusion, il paraît évident que dans le duché d’Aoste la production des emblèmes peints ne fut pas du tout marginale. En partant d’Aoste et en descendant vers Montalto Dora, avec l’intermède du château d’Arnad, on a réalisé une sorte d’excursus dans le temps et dans les formes à travers les types différents de littérature des images. La redécouverte de ces créations de l’érudition et de la production raffinée de livres des XVIe et XVIIe siècles, alliée aux initiatives récentes conçues pour la réhabilitation de ces demeures, a restitué, dans un espace géographique plutôt restreint, un panorama riche par la variété des répertoires utilisés, par les nombreux exemples de contamination entre les emblèmes et les devises, le tout s’étant développé dans un laps de temps plutôt large. Bibliographie Alciato 1621 : Andreæ Alciati, Emblemata cum commentariis Claudii Minois I. C. Francisci Sanctii Brocensis, et notis Laurentii Pignorii Patavini, Padoue, apud Petrum Paulum Tozzium, 1621, p. 264. Arbizzoni 2002 : Guido Arbizzoni, Un nodo di parole e cose. Storia e fortuna delle imprese, Rome, 2002.
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Bargagli 1594 : Scipione Bargagli, Dell’imprese di Scipion Bargagli gentil’uomo senese, Venise, Francesco de’ Francesci Senese, 1594. Barberi 2015 : Sandra Barberi (dir), Prime indagini sui dipinti murali di Château Vallaise ad Arnad, Aoste, 2015. Benezit 1924 : Emmanuel Benezit, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays, Paris, Grand, 1924. Bonollo 2013 : Maria Gabriella Bonollo, « La cultura degli emblemi nella decorazione di Palazzo Roncas ad Aosta », Studi Piemontesi, XLII, 2013, p. 363-375. Bouhours 1671 : Dominique Bouhours, Entretiens d’Ariste et d’Eugène, Paris, Sébastien Mabre-Cramoisy, 1671. Camerarius 1668 : Joachim Camerarius, Symbolorum et emblematum centuriæ quatuor, Mayence, Christophori Kuchleri, 1668, centuria II, p. 122. Casalis 1837 : Goffredo Casalis, Dizionario geografico storico statistico commerciale degli stati di S. M. il Re di Sardegna, vol. IV, Turin, G. Maspero, 1837. Casoni 1610 : Guido Casoni, Opere del Sig. Cavalier Guido Casoni, Venise, Tomaso Baglioni, 1626. Contile 1574 : Luca Contile, Ragionamento di Luca Contile…, Pavie, Girolamo Bartoli, 1574. Camilli 1586 : Camillo Camilli, Imprese illustri…, Venise, Francesco Ziletti, 1586. Dal Tio 2012 : Raul Dal Tio, « Palais Roncas. Un témoignage érudit de la Renaissance tardive en Vallée d’Aoste », 1e et 2e partie, Le Flambeau, n° 222, p. 28-39, 223, p. 29-42, Aoste, 2012. Dal Tio 2012 : Raul Dal Tio « La Croix-de-Ville. Da emblema della Controriforma allo stile ecclettico di Filippo Gayo (1541-1841) », Bulletin de l’Académie Saint-Anselme d’Aoste, XII, Aoste 2012, pp. 115-151. Dal Tio, Maggi 2016 : Raul Dal Tio, Marco Maggi, La letteratura delle immagini nel Ducato d'Aosta. Emblemi e imprese nei castelli e palazzi della Valle d'Aosta e del Canavese, Aoste, 2016.
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Duc 1911 : Joseph-Auguste Duc, Histoire de l’Eglise d’Aoste, vol. VI, Chatel-St-Denis, 1911, p. 474-475. Fumaroli 1995 : Marc Fumaroli, La scuola del silenzio. Il senso delle immagini nel XVII secolo, Milan, 1992. Giovio 1574 : Paolo Giovio, Dialogo dell’imprese militari e amorose di monsignor Giovio…, Lione, Guglielmo Rovillio, 1574. Hugo 1624 : Hermann Hugo, Pia desideria emblematis elegiis & affectibus SS. Patrum illustrata, Anvers, Henrici Aertssenii, 1624. Le Blanc 1970 : Charles Le Blanc, Manuel de l'amateur d'estampes, Amsterdam, G. W. Hissink e Co., 1970. Le Moyne, 1647 : Pierre Le Moyne, La gallerie des femmes fortes, Paris, Antoine de Sommaville, 1647. Le Roy 1579 : Loy Le Roy, De la vicissitude ou variété des choses, Paris, Pierre l’Huillier, 1579. Perret 2011 : Patrick Perret, « Jean-Humbert de Vallaise-Romagnan et l'idèe Fontaney », Le Flambeau, 217, 2011, p. 60-61. Piccinelli 1628 : Filippo Piccinelli, Mondo simbolico formato d’imprese scelte, spiegate ed illustrate, Libr. XXI, Venise, Nicolò Pezzana, 1628. Piccolomini 1575 : Alessandro Piccolomini, Della institution morale, Venise, appresso Giordano Ziletti, 1575. Pittoni 1562 : Battista Pittoni, Imprese di diversi prencipi…, Venise, 1562. Praz 2014 : Mario Praz, Studi sul concettismo, Milan, 2014, p. 160. Praz 1964 : Mario Praz, Studies in seventeenth-century imagery, Rome, 1964. Ripa 1645 : Cesare Ripa, Della Novissima Iconologia di Cesare Ripa …, Venise, presso Cristoforo Tommasini, 1645. Ripa 1764 : Cesare Ripa, Iconologia del cavaliere Cesare Ripa…, IV, Pérouse, Piergiovanni Costantini, 1764, p. 279.
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Ruscelli 1584 : Girolamo Ruscelli, Imprese illustri del Signor Gerolamo Ruscelli, Venise, Francesco de Franceschi, 1584. Santillo 1998, Flavia Santillo « Il Noviziato di Chieri e la chiesa di Sant’Antonio : lo sviluppo architettonico », in B. Signorelli, P. Uscello (dir), La Compagnia di Gesù nella provincia di Torino : dagli anni di Emanuele Filiberto a quelli di Carlo Alberto, Turin, 1998. Silviucci Insolera 2004 : Lydia Silviucci Insolera, L’Imago primi Sæculi e il significato dell’immagine allegorica nella Compagnia di Gesù, Rome, 2004. Simeoni 1560 : Gabriele Simeoni, Le sententiose imprese et dialogo del Symeone, Lyon, Gulielmo Roviglio, 1560. Tana 1650 : Luigi Tana, Freno alla lingua che ponge e censura le attioni altrui, discorsi nove dati per saggio dell’opera dell’huomo rinovato del reverendo padre Luigi Tana della Compagnia di Gesù, Turin, Francesco Ferrosino, 1650. Van Veen 1608 : Otto Van Veen, Amorum Emblemata figuris æneis incisa studio Othonis Væni, batavo Lugdunensis, Anvers, Venalia apud Auctorem, 1608. Van Veen 1616 : Otto Van Veen, Amoris Divinis Emblemata et ære Othonis Væni concinnata, Anvers, ex officina Martini Nutii & Iohannis Meursii, 1616. Zanolli 1969 : Orphée Zanolli, « Testaments et codicilles des seigneurs de Vallaise », Archivum Augustanum, III, 1969, p. 298-303.
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Delectare aut prodesse… aut gustare Les pale de la Cantinetta Verrazzano et leur feuilletage sémantique Dr. Johannes Kandler, Universität des Saarlandes La Cantinetta Verrazzano, située dans la Via dei Tavolini à Florence, n’offre pas seulement une excellente cuisine et un service très courtois, mais encore une curiosité. Dans l’arrière-salle du restaurant sont exposées douze pale, des pelles de bois décorées d’images symboliques où le client reconnaît des cruches débordantes, du pain grillé, du vin.... Une première enquête superficielle révèle que les pelles exposées dans le restaurant sont nommées pale en référence aux mesures de capacité et de poids utilisées pour les céréales. Elles évoquent également les stemmi des membres de l'Accademia della Crusca florentine. Mais quel rôle jouent l'Académie et la Cantinetta dans la création de ces pelles en forme d’imprese ? Le but de cet article est de répondre à ces questions ou, lorsque ce n'est pas possible, d’au moins les éclairer par des nuances. Il convient d’abord de décrire brièvement les douze pale du restaurant, leurs figures et leurs motti, et d’identifier leurs sources littéraires, ce qui permettra de tenter une première interprétation. Cette première interprétation, qui peut se limiter à l'essentiel, nous oriente vers l'Accademia della Crusca ou vers les savants qui faisaient partie de cette institution florentine aux XVIe et XVIIe siècles ; à l’évidence, cette lecture valorise une mise en scène humaniste de l’individu. En effet, dans une publication déjà ancienne mais toujours d'actualité, Roberto P. Ciardi et Lucia Tongiorgi Tomasi ont déjà étudié ces pale individuelles592 et par ailleurs, de nombreux travaux relatifs à l'Accademia della Crusca sont parus récemment. Ils se concentrent principalement sur les questions socio-historiques posées par la littérature existante, tout en examinant les règlements de l’Académie à travers les archives, la prosopographie et les productions écrites593. Au-delà d’une lecture académique et érudite, les considérations qui suivent visent cependant à une interprétation plus approfondie. Il s'agit de replacer dans un contexte sémantique global les pale emblématiques de la Cantinetta (peut-être rassemblées au hasard), le restaurant procurant un cadre « institutionnel » particulier (et nouveau) à ces supports emblématiques. Naturellement, les niveaux de sens de la première étape sont tout d'abord 592 Cf. Ciardi/Tomasi 1983. Cette publication s'inscrit dans une première phase de la recherche à un haut niveau sur la Crusca, lancée à l’occasion de la 4e conférence de l'Académie. Voir Congresso 1983. 593 Dans ce contexte, les titres suivants doivent être mentionnés à titre d'exemple : Benucci/Poggi 2007, Ragionieri 2015 et Benucci/Fanfani 2016.
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relégués à l'arrière-plan pour faire place à une lecture concurrente. Ce qui est recherché ici n’est pas l’harmonisation des deux lectures, d'une part parce que les pale, dans les deux cas, sont liées à des institutions fort différentes, d'autre part à cause de la polyvalence désormais admise des emblèmes. La pala comme objet Les pale, telles qu'elles sont exposées dans le restaurant, ont la forme d'une cloche (Fig. 1). Le bord inférieur, plus large, mesure environ 30 cm ; le bord supérieur se rétrécit à 24 cm à peu près. La longueur de la surface est d'environ 35 cm. Un manche de section carrée d'environ 10 cm de long y est fixé. Chacune des douze pelles est soulignée de peinture dorée sur le manche et les bords. L’impresa comporte l'image placée au centre et deux motti.594 Pour la pictura, on a utilisé la polychromie, si bien que la res dans sa mise en œuvre emblématique est clairement visible, effet dû au premier chef au mode de représentation qui relève du genre réaliste. L’on y reconnaît surtout des objets du quotidien, comme la cruche, le boisseau ou le verre à boire et la bouteille de vin ; d’autre part se voient des animaux (coq, oiseau, hérisson) et des aliments comme le pain, le fromage et le vin. Les motti correspondants diffèrent par leur longueur : à côté d'un mot bref, qui désigne le pseudonyme burlesque de l’académicien qui en est le porteur, avec une possible allusion à sa personnalité, il y en a une seconde, en général plus longue. Cette deuxième devise est principalement tirée de la littérature italienne de la Renaissance. Ainsi se rencontrent la Divine Comédie de Dante (1265-1321) aussi bien que les sonnets et le Canzoniere de Pétrarque (1304-1374), ou encore La Jérusalem délivrée du Tasse (15441595). Dans certains cas, apparaît une devise (A MISURA DI CRUSCA, 4e impresa) ou une tournure de style (OH CHE SPERO !, 8e impresa). Ni les surnoms d’académiciens ni aucun des motti les plus longs ne se trouvent dans les recueils d’imprese fameux de la période moderne ; on n’en rencontre aucune pas dans les recueils-traités comme le Dell'Imprese (Venise 1594) de Scipione Bargagli (1540-1612) et les Imprese illustri di diversi coi discorsi (Venise 1586) de Camillo Camilli (ca. 1560-1615), ni dans les Imprese nobili et ingeniose (Venise 1578) de Lodovico Dolce (1508-1568) ; pas davantage dans les Imprese di diversi principi de Battista Pittoni (Venise 1566) ou dans le Dialogo dell'imprese militari et amorose (Lyon 1574) de Paolo Giovio (1483-1552). Les encyclopédies et collections emblématiques telles que l’Emblematische Gemüths-Vergnügung (Augsbourg 1693) ne répertorient pas non plus les motti des pale de la Cantinetta Verrazzano. 594
Je remercie Jessica Schwingel (Saarbrücken) pour son aide précieuse quant à la traduction des motti italiens.
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publication du Vocabolario degli Accademici della Crusca595. L'Accademia n'est pas unique à cet égard. Dans l’aire germanique par exemple, la Fruchtbringende Gesellschaft (1617-1680) s’est également donné pour tâche de cultiver la langue596. Toutefois, le fait que la plus grande partie des savants qui étaient membres de l'Accademia della Crusca avaient leur impresa peinte sur une pala en bois exposée dans la Sala delle Pale (153 au total), peut être considéré comme une spécificité. La plupart des pale remontent à une époque allant du XVIe au XVIIIe siècle. La plus récente date du début du xxie siècle et honore Francesco Sabatini (né en 1931). Interprétation Variations scolaires-académiques La 1ère impresa montre un coq qui se nourrit de son ; les motti associées sont AFFAMATO qui peut être traduit par « affamé » ou « gourmand ». Ce pseudonyme académique est complété par la devise SOL DI QUEST UNA (D’une seule chose), une citation du Canzoniere de Pétrarque (5e canzone). Cette impresa est attribuée à Francesco Sernigi, un érudit du XVIe siècle. Le fait que ce coq se nourrisse exclusivement de son (ital. crusca) peut facilement être mis en relation avec l'activité de Sernigi à l'Accademia della Crusca. L’impresa au coq donne à son travail de philologue diligent la valeur d’une vertu humaniste car en effet il avait rendu des services exceptionnels dans les années 1592 et 1593, en particulier pour l'édition du dictionnaire de l'Académie. La force de la vertu dans la 3e impresa, dédiée à Luigi Maria Strozzi (1673-1736), évêque de Fiesole en 1716, est une métaphore comparable à celle qui célébrait l'engagement exemplaire de Sernigi ; elle montre un oiseau et une coupe en verre avec du pain ramolli. À travers la devise IN VITA IL SERBA (Il conserve en vie), provenant de La Jérusalem délivrée du Tasse (16e chant), la vie spirituelle aussi bien que l’éducation humaniste sont nettement désignées comme principe décisif de l’existence.
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Les lettrés réunis dans cette sodalité se sont d'abord appelés en plaisantant « Crusconi » (flocons de son). Le nom fait allusion aux passages de la Bible (Mt 3:12 et Lc 3:17), qui évoquent le blé qui doit être séparé de l'ivraie. La séparation des précieux grains de céréales de l'ivraie inutile doit être considérée comme une référence allégorique à la culture linguistique de l'Académie ou des érudits qui y sont réunis. Ce n'est pas sans raison que l'institution a choisi un blason représentant un moulin avec la devise IL PIU BEL FIOR NE COGLIE (Il en cueille la plus belle fleur). Sur l'histoire de l'Académie, voir Parodi 1983 ; sur le dictionnaire en particulier, voir Schweickard 2012. 596 Très nombreuses sont les études relatives à l’accueil en Europe de l'humanisme. La publication de Wiesner-Hanks 2006 en donne un bon panorama. La situation de l'Italie est étudiée dans Yates 1983, tandis que les nombreuses publications de Klaus Conermann sur la « Fruchtbringenden Gesellschaft » sont particulièrement pertinentes ; voir aussi Conermann/Herz 2000 et Conermann 2012.
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C’est ainsi que la finalité de l'académie comme institution et de ses membres sera atteint. Ceci vaut aussi pour la 4e impresa. Elle montre un boisseau avec du son. Le plus court des deux motti est COLMO (Plein), le plus long A MISURA DI CRUSCA (« Avec surabondance »597). Cette devise est attribuée à Vincenzo Alamanni (1536-1590), futur sénateur du duc François Ier de Médicis. L'impresa symbolise l’accomplissement auquel parvient une personne (COLMO) ainsi que l’art et la manière dont cette abondance se manifeste ; celle-ci est illustrée par la mesure creuse débordant de son, expressément formulée par l’étalonnage de la Crusca (A MISURA DI CRUSCA), la mesure étant définie par l'excellence de l'Académie comme institution. C’est-à-dire que l’accomplissement ne peut être effectif s’il n’est pas certifié par l’académie, ce qui vaut en particulier pour Alamanni, mais aussi en même temps pour l'institution à laquelle il appartient. Enfin, la vertu est liée à Vincenzo Viviani (1622-1703), mathématicien et physicien italien et collaborateur de Galileo Galilei. La pictura de la 5e impresa figure une vigne dont le pied est couvert de paille destinée à protéger les racines du gel (RINVIGORITO), autrement dit revigoré, et QUINDI RIPRESER GLI OCCHI MIEI VIRTUT, Et ainsi mes yeux reprirent la force [de se relever]). Le plus long des deux motti provient du 14e Chant (Paradis) de la Divine Comédie de Dante. La fidélité est étroitement liée à la vertu. La thématique développée dans la 7e impresa est en relation avec Nicolo Strozzi. La pictura montre un oiseau en vol tenant dans son bec un épi de maïs. Le plus court des deux motti (CONTENTO, Content) exprime une conséquence de la fidélité à la parole donnée ; la plus longue devise IO NON CURO ALTRO BEN ALTRO NE BRAMO ALTRESCA (Je ne cultive aucun autre bien et je ne désire aucun autre appât), tirée du 132e Sonnet de Pétrarque, fait référence au caractère exclusif de la loyauté des membres à l'institution. Poursuivant plus avant cette idée, on verra dans l'image de la tige de maïs que l'oiseau tient dans son bec un rappel de la valeur nourricière de l'Accademia della Crusca comme institution, mentionnée précédemment à propos de la 3e impresa. Outre la vertu et la fidélité, l'espérance est le thème favori des imprese. C'est probablement dans la 8e impresa (Domenico Tornaquinci, 1655-1731) que cela est le plus évident. La figure qui présente des épis de maïs encore verts, au milieu de tiges de grain mûres (L’IMMATURO, L’immature), est en relation avec la devise plus longue empruntée à Pétrarque OH CHE SPERO ! (Oh, combien j'espère !) exprimant l'espoir de la maturation. Enfin, la patience est étroitement liée à l'espérance, comme montre clairement la 10e impresa de Filippo Buonaventuri par la figure du pain grillé, qui ne se corrompra plus grâce à sa dessiccation (SECCO, sec). Ici 597
D’après le Vocabolario dell’Accademia della Crusca, l’expression « A misura di crusca » ou « A misura di crusca e carbone » s’expliquait par le fait que le vendeur de son ou de charbon mettait « mesure comble », avec une petite quantité en surplus.
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aussi, le motto long est décisif pour l'interprétation : GRAN DURA TEMPO (Longtemps il endure) fait référence à la patience que Filippo Buonaventuri s'attribue dans son pseudonyme d’académicien, qui peut en même temps être considérée comme un critère de l'excellence des membres de l'Académie. Les conséquences des vertus de loyauté, d'espérance et de patience sont également abordées. Ainsi, l’action transformatrice et purificatrice de l'Académie est déjà exprimée dans la 4e impresa comme cela a été souligné. Cela devient particulièrement évident dans les 11e et 12e imprese. La 11e, attribuée à un fonctionnaire des Médicis, Lelio Bonsi (vers 1532-?), figure un plateau d'argent poli avec de la paille. C’est un jeu métaphorique d'une part sur l'excellence (RIPULITO, propre), d'autre part sur la purification (CANGIATO, Transformé) à travers la devise plus longue tirée de La Jérusalem délivrée du Tasse (49e Chant) (QUANTO CANGIATO SON DA QUEL DI PRIA, Quel changement entre celui que je fus et celui que je suis). La 12e impresa (Filippo Corsini) est encore plus déclarative à cet égard, ce qui est essentiellement dû à la figuration de l’objet comme tel, de la res emblematica, un dispositif destiné à transvaser du vin. Les deux motti font référence d'une part à l'excellente réputation du titulaire (CHIARO, clair), d'autre part précisément à l’idée de gratitude (VOSTRA MERCE, Votre Grâce) à l’égard de la vertu salvifique de l'Académie, aussi exagérée qu’elle soit. En regardant de plus près la pictura, cependant, on apprécie nettement la dimension gustative de ces imprese. La pala en effet montre deux carafes de verre, la plus grande déversant son liquide, du vin, dans la plus petite au moyen de deux petits tuyaux. Les qualités gustatives sont encore présentes dans la 2e impresa, dédiée au philologue classique Anton Maria Salvini (1653-1729). La pictura montre une table de cuisine sur laquelle est posé un morceau de pâte qui semble prêt à être étalé. Tandis qu'ici aussi se révèle la lecture savante-académique en particulier à travers les deux devises exprimant la disponibilité à l’égard des règles de l’Académie, PRONTO (Prêt) et SARO QUAL PIU VORRAI (Je serai à ton gré [ton écuyer ou ton écu] ; Torquato Tasso, La Jérusalem délivrée, 16e Chant, 50), la pâte, ennoblie par le travail manuel, fait également référence à la sphère sensorielle et plus précisément au goût. Mais nous y reviendrons plus loin. Cependant, toutes les imprese n’admettent pas aisément une lecture académique. Il subsiste des incertitudes dans l’interprétation, notamment des imprese 6 et 9. L’impresa 6 (Vieri Cerchi) avec le motif de la fiasque de vin, semble faire allusion soit à l’absence (LO SVANITO, L’évaporé) soit à la finitude (AH CHE IL RIMEDIO E TARDI, Ah ! comme le remède arrive tard). La devise la plus longue se présente comme une locution proverbiale qui rappelle des expressions toutes faites comme « Ora tarda » ou « Tardo remedio ».598 Mais il est aussi possible que Vieri Cerchi se soit tout bonnement distingué par son goût pour la boisson. 598
Cf. Tommaseo 1838, p. 424.
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Enfin, l’impresa 9, attribuée au romaniste et philologue Lionardo Salviati (1540-1589)599, montre un hérisson fouissant dans la farine. C'est notamment grâce à Salviati que dans sa mise en œuvre le Vocabolario s’est orienté vers les classiques, Dante, Pétrarque et Boccace. Ainsi, le fait de fouiller dans la farine serait une allusion à la transmission du savoir, dans la mesure où il résulte de l’activité des lettrés (INFARINATO, L’enfariné). Mais d'autre part, Salviati avait préparé une version expurgée du Decamerone de Giovanni Boccaccio pour Francesco I de Medici. Le hérisson fouisseur (GRIFULANDO, Qui fourre son nez partout) ne serait-il donc pas plutôt une allusion à cette activité de censure ? La version Verrazzano Cette deuxième lecture relègue au second plan le potentiel savant et académique des imprese personnelles ; elle oblige à considérer que les emblèmes en général se caractérisent par la polyvalence, la multifonctionnalité, et ceci non seulement dans une approche synchronique mais surtout diachronique. Cette remarque aura d’autant plus de valeur que l'interprétation se fera dans un contexte institutionnel différent des emblèmes ; dans le cas présent, il s'agit du passage de l'académie historique au restaurant actuel. Ce point de vue a été formulé de manière très précise lors du 5e Congrès international de la Society for Emblem Studies qui s'est tenu en 1999 : le fondement des emblèmes n’est pas tant une signification univoque homogène que des couches - un feuilletage - de signification hétérogènes et parfois concurrentes qu'il convient d'élaborer.600 La nécessaire tolérance à l'ambiguïté est à la fois un trait essentiel du matériau lui-même et un critère de différenciation pour la discipline scientifique ainsi constituée. Ainsi, dans les analyses qui suivent, nous mettrons l'accent sur le fait de se nourrir de mets et de boissons, mais simultanément il se glissera dans notre commentaire une observation très concentrée de chacune des imprese : le signifié de la nourriture dans les douze pale est construit en particulier à partir de l’objet représenté dans la pictura et de la plus courte des deux devises. Si l'on considère les devises les plus brèves, dans certains cas les aspects gustatifs paraissent évidents. Par exemple, pour les 1er, 2e, 3e et 5e ainsi que pour les 7e, 9e, 10e et 12e imprese, alors que le contexte de la réception a changé - passant de l’Accademia à la trattoria - l’interprétation change elle aussi. De même, si nous transposons la portée personnelle de l’impresa historique contre celle qu’attribuera au motto un client moderne de la 599
Sur la vie et l'œuvre de Salviati, voir Brown 1974. Les remarques de Zymner 2002 sur l'emblème en tant qu'« œuvre d'art ouverte » sont utiles à cet égard. 600
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Cantinetta Verrazzano, c'est-à-dire si nous déplaçons le cadre institutionnel de l'académie vers le restaurant, voici l'interprétation qui est possible : AFFAMATO (Affamé), le client franchit le seuil du Verrazzano. Au début, le visiteur éprouve une distance entre les espaces de son intimité et le restaurant (LO SNIDATO, Le délogé). Mais cette expérience de l'étrangeté est nécessaire, car après tout, ce n'est qu’ainsi que les qualités positives dont jouit le restaurant peuvent commencer à agir. La 2e impresa, dont la pictura exhibe un morceau de pâte, vaut comme métonymie du restaurant aussi bien que de la nourriture qui y est servie au client. En connexion avec celle-ci, la 9e imprese joue également le rôle d'une métonymie pour les plats proposés dans le restaurant (INFARINATO , Enfariné), plutôt que d'une indication concrète à propos de la méthode de préparation de tous les plats proposés. Pictura
Motto 1
Motto 2
Académicien della Crusca
Source littéraire du motto 2
Nom d’académicien Un coq
AFFAMATO
SOL DI QUEST UNA
Francesco Sernigi, 24 juillet1591
Pétrarque : Canzoniere 5
Un morceau de pâte sur une planche à découper
PRONTO
SARO QUAL PIU VORRAI
Anton Maria Salvini, XVIIe s.
Torquato Tasso : La Gerusalemme liberata, Chant 16
Un oiseau LO SNIDATO devant une coupe de verre dans laquelle se trouve un morceau de pain ramolli
IN VITA IL SERBA
Luigi Maria Strozzi, 20 juin1690
Torquato Tasso : La Gerusalemme liberata , Chant 12
Une mesure pleine de son
A MISURA DI Vincenzo CRUSCA Alamanni, 12 mars1586
Tournure proverbiale
QUINDI Vincenzo RIPRESER Viviani, 13 GLI OCCHI septembre 1661 MIEI VIRTUT
Dante : La Divine Comédie (Paradis, Chant 14)
COLMO
Un jeune plant RINVIGORITO de vigne dont le pied est protégé par de la paille
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Une fiasque de vin
LO SVANITO
AH CHE IL RIMEDIO E TARDI
Vieri Cerchi, 3 juillet 1641
Tournure proverbiale (Cf. Ora tarda ; Tardo remedio)
Un oiseau en CONTENTO vol avec un épi dans le bec
IO NON Niccolò Strozzi, CURO ALTRO 1644-1648 BEN NE BRAMO ALT'RESCA
Pétrarque : Sonnet 132
Des épis verts L’IMMATURO
OH CHE SPERO!
Pétrarque : Sonnet 174
Un porc-épic
INFARINATO
GRUFULAND Leonardo O Salviati, octobre 1582
Du pain grillé
SECCO
GRAN DURA TEMPO
Filippo ? Buonaventuri, 25 avril 1590
Un plat d’argent
RIPULITO
QUANTO CANGIATO SON DA QUEL DI PRIA
Lelio Bonsi, 1644-1648
Deux CHIARO bouteilles de vin, une grande et une petite, avec un dispositif (deux pailles) pour transvaser de l’une à l’autre
VOSTRA MERCE
Domenico Tornaquinci, septembre 1692
Filippo Corsini, 10 juin 1665
?
Torquato Tasso : La Gerusalemme liberata , Chant 49
Poésie de troubadour (Arnaut de Mareuil ?)
Fig. 2 : Tableau des pale de la Cantinetta Verrazzano, Via dei Tavolini (Florence, Italie).
Nous pouvons lui comparer la 10e impresa (SECCO, Sec) qui à travers l'image du pain renvoie au processus de la cuisson précédant la consommation. À l’opposé, la satisfaction (CONTENTO, Content, satisfait) découlant de la visite au restaurant, impression venant nécessairement
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compléter le sentiment d'étrangeté du début, peut tout naturellement être vue comme une allusion à la perception que le restaurant a de lui-même. Dans ces conditions, la satisfaction ne renvoie pas seulement à un changement dans la perception du visiteur ; bien au contraire, c’est en même temps une forme de marketing d’une densité toute spéciale. Cette dimension du contentement est déployée dans d'autres imprese : la propreté (RIPULITO, Nettoyé) des salles et de la vaisselle (la pictura montre un plat d'argent) y contribue ; il en va de même pour l’aménité (CHIARO, Aimable) du lieu et du personnel de service, si bien qu’en définitive, au terme de sa visite, l'hôte se sent ragaillardi et reposé (RINVIGORITO, Revigoré). L'interprétation serait incomplète si ses limites n'étaient pas également signalées. Le problème est plus compliqué pour deux imprese qu’il n’est pas possible de soumettre aussi aisément à une lecture gustative ou spécifique du lieu. D'une part, comment interpréter l'effacement (LO SVANITO, L’effacé, l’évaporé) ? S'agit-il de l'étrangeté initiale quand elle disparaît, ou bien du résultat de l’ébriété (COLMO, Plein) ? La mesure débordant de son peut être comprise tout aussi bien comme une cruche remplie de bière. Toutefois, l'ivresse ne doit pas être vue comme la déperdition indécente du commentaire ; elle peut être interprétée de manière beaucoup plus positive comme le fait d'être ivre de bonheur, lié pourquoi pas ? à un repas au restaurant. Cependant, bien que cette impresa ne puisse être intégrée sans un certain effort d'interprétation au contexte gourmand de la Cantinetta Verrazzano, la dernière des imprese dont il sera question ici présente pour le lecteur des difficultés encore plus importantes. Comment faut-il comprendre L’IMMATURO (L’immature) ? Les épis représentés dans la pictura sont d'abord réduits à un seul trait distinctif par le motto bref : le blé en herbe n’est pas arrivé à maturité et il est donc exclu de le consommer tel quel. C’est la plus longue des deux devises qui est utile ici. L'exclamation OH QUE SPERO ! (Oh, combien j'espère !) met pour ainsi dire le grain dans la bouche, avec emphase, comme l'expression de l’espoir fondamental qu'un jour il sera préparé dans la cuisine de la Cantinetta. La 8e impresa pourrait donc être comprise comme un éco-impresa, dans la mesure où le restaurant attire l'attention sur le caractère naturel des aliments (sans additifs) utilisés. Traduit de l’allemand par Paulette Choné Bibliographie Scipione Bargagli, Dell’Imprese, Venise, Francesco de' Franceschi Senese, 1594.
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Hermann Hugo au Portugal : l'influence des gravures des Pia desideria sur les azulejos portugais pieux du XVIIIe siècle601
José Julio García Arranz, Universidad de Extremadura, España Reyes Escalera Pérez, Universidad de Málaga, España La question de l'influence exercée sur les lettres et les arts du baroque portugais par les Pia desideria602 (editio princeps Anvers, 1624) (Fig. 1) ‒ sans doute l'œuvre la plus populaire et la plus influente du jésuite Hermann Hugo (1588-1629) et très probablement l'un des livres d'emblèmes les plus réussis et les plus répandus ‒, est abordée depuis longtemps dans la littérature spécialisée. Le sujet a été brièvement évoqué par Maria de Lourdes Bechior Pontes603, dans une monographie de 1953, et a été repris et développé plus en détail plusieurs décennies plus tard dans un ouvrage qui peut déjà être considéré comme un classique en la matière, celui de José Adriano de Freitas Carvalho604 en 1995. À cet essai s'ajoutent, à peu près à la même époque, les contributions de Pedro F. Campa sur les versions ibériques du livre jésuite605, ou de João Pedro Monteiro, également datée de 1995, qui attire l'attention sur l'existence de deux intéressants programmes d’azulejos inspirés de ces gravures, situés respectivement dans l'église de Santa Cruz à Santarém et dans la salle capitulaire de l'ancien couvent Santa Marta à Lisbonne ‒ aujourd'hui hôpital ‒, tous deux réalisés dans les premières décennies du XVIIIe siècle606. Dans cet article, nous nous proposons de faire le point sur l'influence exercée par l'œuvre du jésuite belge sur l'art portugais de la première moitié du XVIIIe siècle, ce qui concerne uniquement à l’heure actuelle le domaine des azulejos, en ajoutant aux ensembles céramiques déjà connus, deux autres qui étaient restés inédits à ce jour.
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Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet « Biblioteca Digital Siglo de Oro 5 (BIDISO 5) », avec la référence : FFI2015-65779-P, dirigé par le professeur Nieves Pena Sueiro et financé par le Ministère de l'Économie et de la Concurrence du Gouvernement espagnol et le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER) du 1-01-2016 au 3112-2019. Nous sommes reconnaissants de la généreuse collaboration offerte par les différentes personnes qui nous ont aimablement donné accès aux programmes iconiques, en particulier Celia de Jesus Pina Pilão, Bruno Jerónimo et Maria Helena Barreiro Alves (Hôpital Santa Marta), António Pereira (Cathédrale de Beja) et frère Nicolás Almeida (Santo António de Varatojo). Nous tenons également à remercier Filipa Medeiros qui a eu l'amabilité de nous envoyer du matériel bibliographique essentiel à notre propos. 602 Hugo 1624. 603 Pontes 1953, p. 341. 604 Carvalho 1995, p. 169-201. 605 Campa 1997. 606 Monteiro 1995-1999, p. 61-70.
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la base de ces considérations, De Freitas Carvalho611 a souligné à l'époque que, dans le cas portugais, nous disposons de divers indices qui semblent révéler une tradition de connaissance et d'appréciation des Pia desideria et par conséquent une circulation de ce traité qui remonterait au moins à la fin de la première moitié du XVIe siècle. Cet intérêt s'est cristallisé dans la version portugaise du livre du jésuite belge : Desejos piedosos de huma alma saudosa do seu divino Esposo Jesu Christo (première édition à Lisbonne, Miguel Deslandes, 1687, suivie d'au moins trois autres jusqu'au milieu du e XVIII siècle, 1688, 1725 et 1754) par José Pereira Veloso († 1711), libraire de Lisbonne et érudit versé dans les textes ascétiques. Bien que cet ouvrage soit étroitement dépendant de l'édition latine originale, il n'en est pas une traduction littérale, ni même une adaptation à proprement parler, mais plutôt une composition « structurellement inspirée » de ce traité612. Ainsi plusieurs modifications ont-elles été observées dans l'édition portugaise par rapport aux Pia desideria originaux ; nous aborderons brièvement cette question, car elle peut fournir certaines données qui nous aideront à expliquer avec plus de fondement certaines particularités observables dans les programmes artistiques que nous analyserons par la suite. Tout d'abord, Pereira Veloso a modifié la structure tripartite habituelle de l'œuvre originale ‒ pictura-inscriptio-suscriptio ‒, en la rendant plus complexe par l’ajout de nouveaux éléments : après la gravure (pictura) et la devise (inscriptio)613, il a ajouté un discours, un soliloque et, finalement, un cantique (suscriptio). Sous forme de huitains attribués à Frère Antonio das Chagas614, ces cantiques concluent chacun des emblèmes ; ils ont grandement facilité le travail de l'éditeur portugais en le libérant de la tâche ardue de traduire ou de résumer les poèmes de Hermann Hugo, tout en lui permettant d'orienter son travail vers un domaine plus conforme à sa vocation d'auteur de livres d'ascèse et de prédication. Comme il l'indique luimême dans le « Prologue » de l'œuvre, son but est uniquement de donner : « hũa explicação moral, coartando-[se] só aos themas dos Emblemas quanto [lhe] bastasse para a conducção moral, fugindo dos sentidos Tropologicos, Egnimaticos [sic] e Misticos, por não ser difuso » [une explication morale, en se limitant aux seuls thèmes des Emblèmes qui appelaient à une conduite morale, en fuyant les sens Tropologiques, le chemin parcouru par l'Âme jusqu'à la rencontre avec son Époux divin. Sans aucun doute, l'heureuse conjonction des « gravures descriptives de métaphores sacrées » et des « élégies pieuses » ont déterminé le succès immédiat de l'œuvre grâce à l'aspect enfantin « charmant » des personnages, et aux attributs mystiques familiers à ses lecteurs (Spica 1996, p. 352-354). 611 Carvalho 1995, p. 173-176. 612 Ibid., p. 178. 613 Chaque pictura comporte en bas un résumé (assunto) de l'emblème, avec la devise correspondante, tant dans l'original latin que dans sa traduction portugaise. 614 Ces huitains ne sont pas une traduction de l'épigramme (suscriptio) de chaque emblème de Hugo mais constituent, comme cela a déjà été signalé, « une composition propre dans laquelle le frère suit, au pied de la lettre, le thème proposé en le développant sans grands envols lyriques », pour donner lieu à une sorte de compromis entre un résumé de la doctrine chrétienne et des exemples de poésie religieuse inspirée (Pontes 1953, p. 389).
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Énigmatiques et Mystiques, pour ne pas être prolixe]. Rappelons que cet auteur n'a pas traduit non plus les commentaires érudits en prose au moyen desquels Hermann Hugo glose et clarifie chaque emblème615. Mais Veloso a également modifié l'ordre original des chapitres en les regroupant en fonction de ses intentions : il a sélectionné pour le premier groupe les quinze emblèmes qu'il considérait comme les plus pénitentiels pour la préparation de la confession ; les quinze suivants, les plus empreints de regrets, pour le moment avant la communion ; enfin, les quinze les plus expressifs d’amour, pour après la communion. De cette manière, l'écrivain lisboète a donné à son œuvre le sens d'un manuel de prière centré principalement sur la contemplation et la méditation pénitentielle et eucharistique, c'est-à-dire autour de la confession et de la communion comme moments culminants du processus. L'abandon intentionnel par l'auteur des Desejos piedosos de l'exploration de la dimension énigmatique, autrement dit de la recherche des significations les plus obscures de l'ensemble allégorico-symbolique caractéristique de la philosophia emblématique, a également contribué de manière décisive à cette dissolution. Pour cette lecture dissolvante du contenu initial plus hermétique, Pereira Veloso a seulement emprunté à Hermann Hugo la gravure et la devise de chaque composition ‒ fondée de manière littéraire, par ailleurs, sur des textes bibliques particulièrement populaires comme les Psaumes ou le Cantique des Cantiques ‒ et a ajouté au pied de chaque image un bref résumé en portugais du sujet de l'emblème616, afin de garantir la compréhension par ses lecteurs. Comme la version espagnole correspondante de 1658617, l'ouvrage est un témoignage graphique du développement et de la diffusion de la méditation ignatienne ainsi que de la manière dont cette technique spirituelle, propre à la méthode jésuite, s'est popularisée tout au long du XVIIe siècle, dans un processus qui l'a rendue plus accessible aux laïcs sous la forme de manuels de dévotion illustrés en versions vernaculaires. En même temps, les programmes d’azulejos que nous analyserons ci-dessous ne seraient qu'une projection de cette tendance dans le domaine plastique. Le livre du Père Hugo a donc subi des transformations notables dans la péninsule ibérique, mais selon une métamorphose qui a porté ses fruits tant sur le plan littéraire qu'artistique, comme l'a justement souligné Pedro Campa618. Il est également intéressant d'examiner de plus près les xylographies des Desejos piedosos619. Comme pour le texte, les estampes anonymes de la version 1687-1688, bien que clairement inspirées des Pia desideria, ne reproduisent pas exactement leurs picturae. Dans certains d'entre eux, nous 615
Carvalho 1995, p. 179 y 181. Ibid., p. 179-180 y 192. 617 Salas 1658. 618 Campa 1997, p. 60. 619 Des quatre éditions de l'ouvrage mentionnées ci-dessus, seules trois sont illustrées de gravures sur bois : celles de 1687-1688, avec les mêmes planches, et celle de 1745, avec des gravures sur bois de moindre qualité que celles des deux éditions précédentes. 616
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de Sœur Maria Magdalena Eufémia da Glória ‒, intitulé Reyno de Babilónia, ganhado pelas armas do Empyreo (Lisbonne, Pedro Ferreira, 1749)622 ; si le contenu de cette allégorie morale pastorale, malgré certaines affinités thématiques, n'est pas directement lié au traité jésuite, l'ouvrage contient seize jolies gravures emblématiques réalisées par GuillaumeFrançois-Laurent Debrie et ouvertement inspirées de celles des Pia desideria623. Mais, au-delà de l’influence de ce livre sur la littérature et la pensée portugaises, un autre symptôme évident de la popularité de l'œuvre au Portugal est la prolifération frappante de programmes figurés sur azulejos que l'on peut rencontrer dans la zone d'influence de la capitale lisboète pendant la première moitié du XVIIIe siècle, coïncidant avec la période la plus active et la plus brillante de cet aspect de la création artistique au Portugal. Nous allons décrire et analyser, de manière brève en raison des limites imparties, les groupes connus à ce jour pour essayer de tirer quelques conclusions finales, en les présentant selon un ordre chronologique. Les programmes d’azulejos portugais inspirés des Pia desideria Confrérie de l'église Santa Cruz da Ribeira à Santarém La décoration de la Maison de la Confrérie du Très Saint Sacrement dans l'église Santa Cruz à Santarém ‒ paroisse Santa Iria da Ribeira ‒, édifice baroque construit vers 1715 et ajouté au flanc sud de l'église gothicorenaissante624, comprenait un programme d’azulejos couvrant le mur jusqu'à mi-hauteur625, avec deux niveaux superposés clairement différenciés d'un point de vue thématique : la partie inférieure est composée de scènes bucoliques et paysagères, apparemment sans intention symbolique ou significative, et la partie supérieure de sept compositions emblématiques des Pia desideria. Dans chaque cas, la scène est reproduite et, au bord supérieur dans un petit cartouche baroque, le verset biblique est traduit en portugais pour une meilleure compréhension. Les panneaux, attribués au monogrammiste P.M.P.626 ‒ artiste actif au courant du premier quart du XVIIIe siècle et lié à la production de la famille Oliveira Bernardes ‒, sont datés au moyen d’une inscription apparaissant dans le programme même des azulejos : « ESTA OBRA FOI FEITA EM O ANNO DE 1723 » [Cette œuvre 622
Pires 1996 ; Morujão 2010, p. 283-287 ; Medeiros 2014, p. 514-522. Praz 1964, p. 410 ; Landwehr 1976, p. 94. 624 La construction de l'église date essentiellement des XIIIe et XIVe siècles, avec diverses modifications de la nef (notamment des supports) au milieu du XVIe siècle, la pose d’azulejos au XVIIe siècle et divers ajouts au XVIIIe siècle, dont la Maison de la Confrérie qui nous intéresse maintenant. 625 Le reste de la salle est décoré d'un intéressant programme de fresques allégoriques avec des perspectives en trompe-l’œil, exécuté en 1733 et se référant au thème de l'Adoration eucharistique, actuellement en assez mauvais état de conservation. 626 Simões 1979, p. 36 et 353. 623
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a été réalisée en l’an 1723] 627. Nous ne savons pas si ces séries ont été commandées spécifiquement par la confrérie chargée de cette annexe et si, dans ce cas, elles suivent un programme iconographique conçu par celle-ci ; en revanche, nous savons que les panneaux de céramique n'ont pas été touchés lors des travaux de restauration effectués par la Direcção Geral dos Edificios e Monumentos Nacionais628 [Direction Générale des Bâtiments et Monuments Nationaux], de sorte que les séries sont entièrement conformes à la disposition originale. Sur la céramique, les emblèmes présentent un format adapté à l'espace architectural disponible, compte tenu des ouvertures et du mobilier ‒ armoires et commodes ‒ et prennent des dimensions différentes dans chaque cas. En général, les emblèmes proposent un plan paysager, avec un développement horizontal marqué, ce qui oblige à adapter les gravures du livre de Hermann Hugo à ce format629 ; cependant, les deux emblèmes situés à l'extrémité ouest, de part et d'autre de l'autel datant de la construction, et un autre au nord, adoptent un dessin étroit et vertical plus proche de celui des gravures originales. Au vu de la caractérisation nettement enfantine des personnages et d'autres détails contextuels, on peut conclure que les panneaux sont directement inspirés des gravures des éditions latines du traité jésuite dérivées de la princeps de 1624 – rappelons que Bolswert a réalisé au moins deux séries différentes de gravures pour cet ouvrage. Nous énumérerons et décrirons les emblèmes de gauche à droite, dans le sens des aiguilles d'une montre, en commençant par la porte donnant accès à la salle, du côté oriental : Emblème 1 : AQUELE, A QUEM EU AMO E ELLE A MIM, SE APASCENTA ENTRE OS LIRIOS. Cant. 2. « Dans un jardin étaient assis l'Amour divin et l'Âme, se tenant enlacés d'une main et, de l'autre, se couronnant l’un l’autre dans une sorte d’étreinte avec des guirlandes, et de petits agneaux broutant des lys »630 (Pia desideria III, 3 : « Dilectus meus mihi et ego illi, qui pascitur inter lilia, donec aspiret dies, et inclinentur umbrae. Cant. 2 »631). Emblème 2 : ANIMAIME COM FLORES FORTALECEIME COM FRUCTOS QUE DE AMOR ME DESMAIO. Cant. 2. « L'Âme évanouie dans les bras de deux 627
Monteiro 1995-1999, p. 61. Avant cet auteur, Vítor Serrão (1990, p. 93) avait déjà fait référence à l’origine de ces motifs. 628 Cf. Sarmento 1963, p. 15. 629 Monteiro 1995-1999, p. 62-64 a insisté sur ce point. 630 La description des images ainsi que la traduction des devises proviennent de la version espagnole des Pia desideria de Pedro de Salas, mentionnée plus haut, en actualisant partiellement les textes. 631 « Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui : Il fait paître son troupeau parmi les lis » (Ct 2, 16). D'une manière générale, le panneau en céramique suit fidèlement la gravure, bien qu'il ait été adapté au format paysage et que certains éléments accessoires aient été supprimés ; le plus significatif est peut-être l'absence des lys alors qu’ils apparaissent clairement au premier plan de la pictura des Pia desideria et qu’ils sont également mentionnés dans le cartouche du panneau.
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jeunes filles, qui la secourent avec des roses, des fleurs et des fruits » (Pia desideria III, 2 : « Fulcite me floribus, stipate me malis ; quia amore langueo. Cantic. 2. Vers. 5 »632). Emblème 3 : ACHEI O MEU AMADO TENHO O SEGURO, NAM O LARGAREI. Cant. 3. « L'Âme qui, échappant aux sentinelles de la Cité, rencontre l'Amour divin, auquel elle s'attache fortement » (Pia desideria II, 12 : « Num quem diligit anima mea vidistis ? Paullulum cum pertransissem eos, inveni quem diligit anima mea : tenui eum, nec dimittam. Cantic. 3 »633). Emblème 4 : COMO HAVEMOS CANTAR CANTICO A DEUS NA TERRA ALHEA. Psalm. 136. « L'Âme et l'Amour divin assis dans une prairie, et l'Amour divin (d’un geste) la priant de chanter » (Pia desideria II, 15 : « Quomodo cantabimus canticum Domini in terra aliena ? Psal. 136 »634). Emblème 5 : A MINHA ALMA SE DERRETE, QUANDO O MEU AMADO ME FALLA. Cant. 5. « L'Âme fait couler des filets d'eau sur tout son corps comme de la cire fondante, et l'Amour divin devant elle, en la regardant, projette des flammes de sa bouche qui la frappent au cœur » (Pia desideria III, 5 : « Anima mea liquefacta est, ut dilectus locutus est. Cantic. 5 »635). Emblème 6 : TAPAIME OS OS [sic] OLHOS PARA NAM VEREM A VAIDADE. « L'Amour divin fermant de ses mains les yeux de l'Âme, pour qu'elle ne regarde
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« Soutenez-moi avec des fleurs, fortifiez-moi avec des fruits, car je suis malade d'amour. » (Ct 2, 5). Le panneau de céramique est fidèle à la gravure originale ; seule la redistribution des arbres dans l'expansion horizontale de l'image est modifiée, et le nombre de fleurs et de fruits autour ou sur les genoux de la personnification de l'âme est réduit. 633 « [Mais je rencontre les gardes, qui font leur ronde dans la ville : Avez-vous vu celui que mon cœur aime ? A peine les avais-je passés, que] j'ai trouvé celui que mon cœur aime. Je l'ai saisi, et je ne l'ai point lâché » (Ct 3, 4). Le panneau en céramique reproduit assez fidèlement les éléments significatifs de la gravure. 634 « Comment chanterions-nous les cantiques de l'Éternel sur une terre étrangère ? » (Ps 137, 4). Dans l'image du carreau de céramique, la scène est considérablement simplifiée par le fait que le luth et les autres instruments que la figure féminine pose au sol derrière elle ne sont pas représentés ; de même, le ruisseau qui s’écoule à côté d'eux n'est pas clairement reproduit. 635 « Mon âme fond dès que mon Bien-aimé me parle » (Ct 5, 6). Les détails de la gravure sont repris ici assez fidèlement.
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pas la vanité d'une femme élégante. Psalm. 115 ». (Pia desideria II, 5 : « Averte oculos meos ne videant vanitatem. Psalm. 118 »636) (Fig. 3). Emblème 7 : TRAZEIME APOS DE VÓS CORREREMOS PARA O CHEIRO DOS VOSSOS UNGUENTOS. Cantic. 1. « L'Amour divin comme s'il fuyait, portant dans sa main un flacon de parfum dont les vapeurs atteignent l'Âme, qui le suit, accrochée à un ruban, par lequel il la guide ». (Pia desideria II, 8 : « Trahe me post te, curremus in odorem unguentorum tuorum. Cantic. 1 »637) (Fig. 4).
Salle capitulaire du couvent-hôpital Santa Marta à Lisbonne L'histoire de la construction de l’ensemble conventuel Santa Marta à Lisbonne ‒ aujourd'hui hôpital ‒ commence en 1583, lorsque la construction d'un monastère de Clarisses débuta sur ce qui avait été auparavant un asile pour les veuves nobles des serviteurs du roi D. Sebastião, morts de la peste qui dévasta Lisbonne en 1569638. Les travaux reprirent au début du siècle suivant avec l'achèvement de l'église639 ; entre 1701 et 1705, fut menée une nouvelle campagne de rénovation qui incluait la reconstruction du cloître, alors en ruines. L’ensemble subit diverses modifications en raison des dommages causés par le tremblement de terre de 1755. En 1834, suite à l'expulsion des ordres religieux du Portugal, il devint propriété de l'État puis fut cédé en 1889 à la Confrérie des Ecclésiastiques Nécessiteux pour servir d’auberge et d'hospice aux membres du clergé. À la suite de la réforme hospitalière décrétée en 1901, le bâtiment redevint possession du gouvernement portugais puis fut cédé à l'administration de l'Hôpital Royal São José afin que les modifications nécessaires soient effectuées pour l'adapter aux fonctions hospitalières. En 1917, il fut remis à l'administration de l'Hôpital Santa Marta, mais les travaux d’adaptation et de modernisation du bâtiment n’ont été achevés qu'en 1983640. Autour de son grand cloître maniériste à deux étages se trouvent les différents espaces auxiliaires de l'édifice : sacristie, réfectoire, lavatórios [sanitaires], sala do capitulo [salle capitulaire], et autres installations 636
« Détourne mes yeux, Seigneur, de la vanité du monde » (Ps 119, 37). La gravure est ici adaptée à un grand panneau de carreaux horizontaux, le plus long de l'ensemble (21 carreaux). La version en céramique manque de certains petits détails, comme les bulles de savon qui émergent de la personnification de la Vanité, et il y a aussi des changements dans les vêtements de celle-ci. 637 « Ton nom, un parfum qui s’épanche […]. Emmène-moi : à ta suite courons » (Ct 1, 3-4). La représentation des azulejos diffère ici de l'illustration du livre jésuite : l'Âme humaine ne court pas juste derrière l'Amour divin, respirant la fumée de sa corne d'abondance, comme on peut le voir sur les azulejos (dans un processus de compression différent de celui observé sur les panneaux plus grands), mais apparaît couchée sur le sol, montrant de nettes difficultés à suivre son guide malgré la corde que celui-ci lui tend. 638 Serrão 1977, p. 159. 639 Ibid., p. 160-163. 640 Veloso/Almasqué 2016, p. 100-106.
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nécessaires à son entretien, qui ont conservé une collection variée d’azulejos de toutes les époques, depuis la céramique classique du XVIIe siècle jusqu’à celle du début du XXe siècle641. Les panneaux historiés du XVIIe siècle, conservés dans l'ancienne salle capitulaire ouverte sur son aile orientale, sont ceux qui réclament maintenant notre attention. Cette salle, qui a abrité pendant plusieurs années le musée Alberto Mac Bride fondé en 1957, a également servi d’amphithéâtre à la faculté de médecine et sert actuellement d'auditorium. C’est une pièce rectangulaire avec une voûte en demi-berceau à lunettes, dont les murs nord, sud et est sont entièrement recouverts de panneaux d’azulejos dont la paternité est attribuée au peintre Valentim de Almeida, vers 1740 ; il s'agit donc d'un ensemble qui entre dans ce que l'on appelle la Grande Produção Joanina ‒ du roi João V de Portugal (17061750) ‒ une période artistique qui coïncide avec le deuxième quart du XVIIIe siècle642. Sur les soubassements muraux du silhar [chapître], on trouve une série de carreaux juxtaposés ‒ de 12 pièces sur 10 ‒ relatifs à la vie de sainte Claire et de saint François d'Assise ; le deuxième niveau est constitué de treize panneaux emblématiques, de dimensions légèrement inférieures (sept carreaux en hauteur, contre sept à onze en largeur), séparés par les quatre grandes fenêtres de la pièce sur les côtés nord et sud643. Au-dessus des deux ensembles, bordant le tympan semi-circulaire du mur oriental, nous trouvons un troisième registre avec des scènes de la vie de Thérèse d'Avila644. La porte est flanquée de deux panneaux plus étroits, représentant Sainte Claire et un ange. Le mur ouest de la pièce, de part et d'autre de l'escalier en bois qui mène à la chapelle principale de l'église, est recouvert d’azulejos à figure avulsa [unique] avec des motifs floraux, semblables à ceux du soubassement du mur de la salle capitulaire645. Santos Simões a déjà fait remarquer que les deux séries de figures de la salle capitulaire semblent provenir de mains différentes646. Les scènes se déroulent dans des cartouches surchargés qui mélangent des éléments architecturaux et décoratifs, ornés d'angelots, de vases avec des fruits, de masques, de rinceaux végétaux, d’écailles, etc., dans les encadrements baroques habituels de l'époque. La plupart des compositions du second registre s'inspirent très clairement des gravures des éditions des Desejos piedosos de 1687-1688, en respectant généralement les détails iconographiques, même si elles augmentent les valeurs plastiques des gravures originales sur des azulejos d'une qualité et d'une beauté indiscutables. Par ailleurs, on remarque dans tous les cas une tendance à 641
Ibid., p. 109. Carvalho et al. 2012, p. 50 ; Veloso/Almasqué 2016, p. 110. 643 Côté nord, la série dérivée des Pia desideria est interrompue, au centre du mur et face à la porte d'accès du cloître, par un grand panneau représentant saint Jean-Baptiste en prison. Voir Monteiro 1995-1999, p. 65. 644 Ponce de León 1993, p. 161-181. 645 Veloso/Almasqué 2016, p. 110. 646 Simões 1979, p. 219. 642
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souligner la physionomie adulte des personnages, plus encore que dans les gravures de la version portugaise, et leur apparence all’antica, évidente tant dans la représentation de l'Amour divin, véritable version ailée d'Apollon, que de l'Âme humaine avec une apparence de matrone romaine mature. En outre, tous les panneaux en céramique ont en commun l'incorporation d'un ange-enfant tenant un écu sur lequel sont inscrits, en portugais, les brefs titres identifiant les emblèmes par lesquels, en guise d'index, commencent les Desejos piedosos, soulignant ainsi l'aspect christologique du message original647. Les emblèmes sont énumérés ci-dessous, en commençant par le mur oriental, dans le sens des aiguilles d'une montre : Emblème 1 : Do que modo se des(a)ta do mu(ndo) para se atar a Iesus [De quelle manière elle se détache du monde pour s’attacher à Jésus]648. « La mort tirant des filets dans lesquels elle traîne l´Âme comme du gibier, et l'Amour divin qui coupe les filets avec un poignard et, au-dessus, Actéon transformé en cerf poursuivi par les chiens » (Pia desideria I, 9 : « Dolores inferni circumdederunt me, praeoccupaverunt me laquei mortis. Ps 17 »649 ; Desejos piedosos I, 10 : « Senhor, compadeceivos de mim, porque me cercão as dores do Inferno, & me prendem os laços da morte »). Emblème 2 : Da enfermidade do espirito [De la maladie de l’esprit]. « L'Âme dans un lit de malade, et l'Amour divin comme un médecin à son chevet, prenant son pouls » (Pia desideria I, 3 : « Miserere mei Domine, quoniam infirmus sum : sana me Domine, quoniam conturbata sunt ossa mea ! Psal. 6 »650 ; Desejos piedosos I, 3, p. 19 : « Senhor, tẽde misericordia de mim, compadeceivos dos meus males, porque estou enferma, & todos os meus ossos padecem turbação ; peçovos que me sa[n]eis »). Emblème 3 : Da conta que ha de dar em iuizo [Il tient compte car il doit juger]. « L'Amour divin assis dans son fauteuil, avec une table devant lui, comme un maître de maison ; un livre et la plume à la main, il procède au jugement de l'âme, qui se tiendra très troublée et pleurant ». (Pia desideria I, 10 : « Non intres in iudicium cum servo tuo, quia non iustificabitur in conspectu tuo omnis vivens ! Psal. 142 »651 ; Desejos piedosos I, 11 : « Senhor, peçovos naõ queirais entrar comigo em juizo, que sou vosso servo : porque nenhum dos viventes em vossa presença he justificado »).
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Monteiro 1995-1999, p. 66. Il y a ici un décalage car le titre correspond à l'emblème II, 10 des Desejos piedosos (III, 9 des Pia desideria), mais l'image sur le panneau des carreaux correspond à l'emblème I, 10 de la version portugaise. 649 « Des liens infernaux m'étreignaient : j'étais pris aux pièges de la mort. » (Ps 17, 6). 650 « Aie pitié de moi, Seigneur ! car je suis sans force ; Guéris-moi, Seigneur ! car mes os sont tremblants » (Ps 6, 3). 651 « N'entre pas en jugement, Seigneur, avec ton serviteur, car aucun vivant n’est juste devant toi » (Ps 143, 2). 648
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Emblème 4 : Das ancias & desmaios da vida [Du désir et des faiblesses de la vie]652. (Pia Desideria I, 13 : « Numquid non paucitas dierum meorum finietur brevi ? Dimitte ergo me, ut plangam paullulum dolorem meum. Iob. 10 »653 ; Desejos piedosos I, 14 : « A pouca duração do meus dias en breve se acabará : por tanto, Senhor, deixaime, para que possa por hum pouco chorar a minha dor »). Emblème 5 : Da ancia de se justificar com Iesus [Du désir de se justifier auprès de Jésus]. « L'Âme entre l'Amour divin et l’Amour humain, en lutte avec les deux » (Pia desideria II, 1 : « Concupivit anima mea desiderate iustificationes tuas. Psalm. 118 »654 ; Desejos piedosos II, 3 : « A minha Alma, Senhor, com grande ancia desejou as vossas justificaçoens ») (Fig. 2). Emblème 6 : non identifiable en raison de l'altération des azulejos. Emblème 7 : De como em cas(a) busca a Iesus [Comment elle recherche Jésus en sa demeure]. « L'Âme en se levant du lit décemment habillée, cherche avec une lumière l'Amour divin dans le même lit, il est derrière le lit allongé et endormi sur une Croix » (Pia desideria II, 10 : « In lectulo meo per noctes quaesivi quem diligit anima mea quaesim illum et non inveni. Cantic. 3 »655 ; Desejos piedosos II, 6 : « Busquei pelos discursos das noites em o meu leito ao meu Esposo que muito amava : busque-o, & não o pude achar »). Emblème 8 : Das perguntas que fas para achar a Iesus [Des questions qu’elle pose pour trouver Jésus]. « L'Âme couchée sur le sol, le cœur blessé d'une flèche, l'Amour divin du Ciel fléchant l'autre et, à côté d'elle, deux jeunes filles debout, dans l’attitude d’emporter les commissions qu'elle leur donne. » (Pia desideria III, 1 : « Adiuro vos, filiae Hierusalem, si inveniritis dilectum meum, ut nuncietis ei : quia amore langueo. Cantic. 5 »656 ; Desejos piedosos II, 8 : « Filhas de Jerusalem, eu vos rogo, & mando, que se achares ao meu amado Jesus, lhe digais, que a sua ausencia me tem enferma »). Emblème 9 : Da sede que tem de se entranhar com Iesus [De la soif d’entrer en contact avec Jésus]. « L'Âme très gracieuse sur un cerf assis, qui court à grande vitesse vers une fontaine, dans la coupe de laquelle se tiendra l'Amour divin dégageant par cinq jets des fontaines de sang ». (Pia desideria III, 11 : « Quemadmodum desiderat cervus ad fontes aquarum, ita desiderat anima mea ad
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Comme nous l'avons vu dans l'emblème 1, il y a un décalage entre le titre et l'image. Le premier correspond à l'emblème I, 15 des Desejos piedosos (semblable à I, 15 des Pia desideria), tandis que le second correspond à l'emblème I, 14 de l'œuvre de Veloso. 653 « Puisque la fin de ma vie est si courte, permets-moi, Seigneur, de pleurer sur mes fautes le peu de temps qui me reste » (Jb 10, 20). 654 « Mon âme est brisée par le désir qui toujours la porte vers tes lois » (Ps 119, 20). 655 « Sur ma couche, la nuit, j'ai cherché celui que mon cœur aime. Je l'ai cherché, mais ne l'ai point trouvé! » (Ct 3, 1). 656 « Je vous en conjure, filles de Jérusalem, si vous trouvez mon bien-aimé, que lui direzvous ?... Que je suis malade d'amour ! » (Ct 5, 8).
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te, Deus ! Psalm. 41 »657 ; Desejos piedosos II, 12 : « Senhor, assim como o veado deseja sequioso ir a saciarse ás fontes das aguas : assim a minha Alma deseja ir a vòs, meu Deos, & meu Amor »). Emblème 10 : Em que vai para os campos con Iesus [Quand elle va dans les champs avec Jésus]. « L'Amour divin avec l'Âme vêtue d’habits de villageois, se tenant par la main, sortent dans les champs » (Pia desideria II, 7 : « Veni dilecti me, egrediamur in agrum, commoremur in villis. Cantic. 7 »658 ; Desejos piedosos III, 5 : « Vinde meu Amado comigo, & vamonos ao campo, & recreemonos por algun tempo pelas quintas »). Emblème 11 : Em que descansa á sombra de Iesus [Quand elle repose à l’ombre de Jésus]. « L'Âme assise à l'ombre d'un arbre devant lui, et en lui est cloué comme sur la Croix l'Amour divin » (Pia desideria II, 14 : « Sub umbram illius quem desideraveram, sedi. Cantic. 2 »659 ; Desejos piedosos III, 8 : « Ausenteime à sombra do meu Amado, a quem tanto desejava »).
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« Comme un cerf se languit des sources d'eau, ainsi mon âme se languit de toi, mon Dieu et mon Seigneur » (Ps 42, 2). 658 « Viens mon bien-aimé, allons dans les champs, habitons ensemble au village » (Ct 7, 12). 659 « Laisse-moi m'asseoir à l'ombre du Dieu auquel mon âme aspire » (Ct 2, 4).
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Église Santiago ou cathédrale de Beja Probablement d'origine médiévale (XIIIe-XIVe siècles), cette église a subi une rénovation radicale pendant la période philippine et a été consacrée en 1590. Après le tremblement de terre de Lisbonne de 1755, elle a subi plusieurs travaux de consolidation et de restauration avant d'être adaptée comme siège épiscopal en 1932 puis consacrée en 1946. Comme le souligne Florival Baiôa Monteiro, de nombreux matériaux utilisés pour sa décoration moderne proviennent du couvent disparu des Mónicas de Lisbonne, notamment des peintures, des sculptures et des panneaux d’azulejos663. Il est donc très probable que les pièces du programme symbolique décrit ci-dessous proviennent de cet endroit. Les tableaux dont les compositions sont dérivées des Pia desideria étaient disposés selon une organisation plutôt inhabituelle : en bandes verticales étroites, avec trois scènes superposées dans chaque cas, couvrant le devant de quatre des piliers latéraux de l'unique nef de l'édifice, deux du côté de l'Évangile et deux autres du côté de l'Épître664, en combinaison avec d'autres représentations de différentes origines qui couvrent les piliers restants de la nef. Baiôa Monteiro considère que ces panneaux superposés aux supports, y compris ceux à caractère emblématique qu’il estime postérieurs à 1743, contiennent des scènes qui répondent à l'activité interne du couvent ou à certaines dévotions, peut-être liées à la vie quotidienne ou à la critique des coutumes, mais non inspirées de l'Écriture, et donc plus difficiles à interpréter665. Nous ne savons rien des caractéristiques de l'espace que ces emblèmes occupaient à l'origine, ni de leur disposition initiale ou de leur organisation ; nous ne savons même pas si le programme a été transféré dans son intégralité ou si nous ne disposons que d’une partie de celui-ci. Il nous est seulement possible d’affirmer, avec une totale conviction, que leurs représentations, comme celles de l'hôpital de Santa Marta, s'inspirent des gravures des premières éditions illustrées des Desejos piedosos. Cela est facile à déduire de divers détails ; ainsi, une telle dérivation devient absolument évidente dans le cas de l'emblème répertorié à Beja sous le numéro 3 (Fig. 6), tiré du premier chapitre (I, 1) de l'ouvrage de Veloso. Il s'agit probablement de la gravure la plus éloignée, d'un point de vue 663
Monteiro 2015, p. 119. Selon cet auteur, les travaux réalisés en 1932 comprenaient l’apport d'un grand nombre d’azulejos d'époques, d'auteurs et de contenus très différents, qui ont été intégrés dans le temple de Beja de manière confuse et sans structure thématique claire : le seul critère était simplement de tirer le meilleur parti de l'espace disponible. En outre, plusieurs des encadrements ne correspondent pas aux panneaux qu'ils encadrent et relèvent de techniques et d’époques différentes, ce qui contribue à l'aspect confus et désordonné des ensembles que nous pouvons contempler aujourd'hui. Cela explique la disposition tout à fait inhabituelle ‒ sur le devant des piliers latéraux de la nef ‒ des représentations que nous allons répertorier dans ce travail. 664 Dans ce cas, il semble possible d'établir un certain ordre dans leur disposition, puisqu'ils occupent les piliers aux deux extrémités de la nef, ce qui signifie qu'ils se font face par paires. 665 Monteiro 2015, p. 163-165.
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Côté de l’Évangile Pilier du côté occidental Emblème 1 : semblable à l'emblème 2 de l'hôpital Santa Marta à Lisbonne. Emblème 2 : « L'Âme habillée en folle, chevauchant un cheval de roseau, un moulinet à la main, et l'Amour divin derrière elle, couvrant son visage de ses mains de honte » (Pia desideria I, 2 : « Deus tu scis insipientiam meam, et delicta mea à te non sunt abscondita. Psalm. 68 »666). Emblème 3 : semblable à l'emblème 6 de l'église Santa Cruz de Santarém mais avec une différence importante ; s'inspirant directement, comme nous l'avons indiqué, de l'estampe correspondante des Desejos piedosos, la figure de la Vanité non seulement exhibe ses attributs mais joue aussi d’une trompe d'où émergent, au milieu d’une vapeur légère, divers symboles de la puissance matérielle et de l'arrogance humaines.
Pilier du côté oriental Emblème 4 : « L'Âme défaillante ‒ poussant ce soupir : Hélas ! ‒ tombe dans les bras de l’Amour divin ». (Pia desideria I, 15 : « Defecit in dolore vita mea et anni mei in gemitibus. Psalm. 30 »667). Emblème 5 : semblable à l'emblème 4 de l'hôpital Santa Marta à Lisbonne. Emblème 6 : semblable à l'emblème 3 de l'hôpital Santa Marta à Lisbonne (Fig. 7).
Côté de l’Épître Pilier du côté oriental Emblème 7 : semblable à l'emblème 2 de l'église Santa Cruz à Santarém. Emblème 8 : semblable à l'emblème 8 de l'hôpital Santa Marta à Lisbonne. Emblème 9 : « L'Âme se lève du lit à la recherche de l'Amour divin, lequel est caché derrière le dais du lit » (Pia desideria II, 11 : « Surgam et circuibo civitatem ; per vicos et plateas quaeram quem diligit anima mea ; quaesivi illum et non inveni. Cantic. 3 »668).
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« O Dieu ! tu connais ma folie, et mes fautes ne te sont point cachées » (Ps 69, 5). « Ma vie s'achève dans les larmes, et mes années dans les souffrances » (Ps 30, 11). 668 « Je vais me lever et faire le tour de la ville. Dans les rues et sur les places, je chercherai celui que mon âme aime : hélas, je l'ai cherché, et je ne l'ai pas trouvé » (Ct 3, 2). 667
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Pilier du côté occidental Emblème 10 : « L'Âme assise dans un champ pleurant amèrement, l'eau coulant sur tout son corps, et l'Amour divin, avec une aiguière, jetant du Ciel de l'eau qui tombe sur la tête de l'Âme » (Pia desideria I, 8 : « Quis dabit capiti meo aquam et oculis meis fontem lacrymarum ! Hierem. 9 »669). Emblème 11 : « L'Amour divin présentant un miroir dans lequel se reflète le cœur de l'Âme à genoux qui lui en fait offrande et refuse de l’autre main des crèmes sur une table, avec d’autres ornements pour visages de femmes » (Pia desideria II, 6 : « Fiat cor meum immaculatum in iustificationibus tuis, ut non confundar ! Psalm. 118 »670). Emblème 12 : semblable à l'emblème 5 de l'hôpital Santa Marta à Lisbonne.
Sacristie du couvent Santo António de Varatojo (Torres Vedras) Le monastère franciscain Santo António de Varatojo, qui appartient à la paroisse São Pedro e Santiago dans la municipalité de Torres Vedras, est un remarquable ensemble monastique construit dans le dernier quart du XVe siècle, bien qu'il ait subi d'importantes modifications et extensions au cours du XVIe siècle en raison des effets du tremblement de terre de 1531. Dès l'origine, les installations conventuelles furent utilisées pour l'enseignement, d'abord comme couvent d'études de la province franciscaine d’Algarve, puis, à partir de 1680, comme séminaire des missionnaires apostoliques. Afin d'accueillir un nombre croissant de séminaristes de nouvelles rénovations furent entreprises, entre 1739 et 1743, puis au début du XXe siècle. Malgré les va-et-vient des processus de désaffectation, le couvent reste aujourd'hui la propriété de l'ordre franciscain671. Outre les autres aspects architecturaux et ornementaux présents dans ce bâtiment d'un intérêt historico-artistique indiscutable, notre attention se portera sur les azulejos de la sacristie. Il s'agit d'une grande pièce rectangulaire au-dessus de laquelle la corniche intérieure est surmontée d'une voûte en demi-berceau. Les documents d’archives nous apprennent que la pièce a été achevée le 26 décembre 1732, date de l'autorisation du Ministre Général de célébrer la messe dans la petite chapelle de la nouvelle sacristie. Le décor de céramique s'étend essentiellement sur trois de ses quatre murs ‒ nord, sud et ouest ‒ organisés en deux niveaux ou registres. Le niveau supérieur, situé dans la partie supérieure du mur, est occupée par six compositions elles aussi inspirées d'un livre d'emblèmes, la Schola Cordis de 669 « Qui donnera de l'eau à ma tête et à mes yeux des fontaines de larmes, et je pleurerai jour et nuit ? » (Jr 8, 23). 670 « Rend mon cœur immaculé dans l'observation de tes commandements, afin d’éviter la honte » (Ps 119, 80). 671 Ribeiro 2005, p. 13-25.
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initié. Leur présence semble prédominante dans les monastères de femmes, malgré la contradiction apparente qu'implique, comme l'a souligné Isabel Morujão677, la circulation incertaine des Pia desideria dans ces établissements compte tenu de l'absence totale de références à l'existence d'exemplaires de l'œuvre dans les bibliothèques correspondantes. Quant à leur emplacement à l'intérieur de ces espaces, les panneaux sont disposés de manière à être parfaitement visibles, à un niveau moyen-haut des surfaces murales disponibles. Les représentations s'inspirent, indistinctement, soit des Desejos piedosos ‒ ce qui est évident dans le cas de Lisbonne et de Beja ‒ soit des éditions latines de l'œuvre de Hugo ‒ comme c'est le cas à Santarém. Quoi qu'il en soit, certaines des compositions d’azulejos étudiées perpétuent, voire intensifient, ainsi que nous l'avons souligné, la tendance à s'éloigner de l'aspect nettement enfantin des personnages des gravures de certaines éditions latines des Pia desideria. À notre avis, cette caractéristique est due au fait que ces personnages, dans les gravures des Desejos piedosos de Veloso, ont une apparence plus mature, peut-être parce qu'ils sont inspirés de la deuxième série de gravures que Bolswert a réalisées pour les Pia desideria de l'édition de Louvain (1628), où ils ont une physionomie adolescente plus stylisée. Les concepteurs des azulejos étaient donc limités par les directives implicites des imprimés qu'ils utilisaient comme modèles. Nous pensons qu’il s’est produit, dans tous les ensembles analysés, un processus nécessaire de sélection des compositions à l'initiative des communautés qui les ont commandées. Nous avons indiqué que Pereira Veloso avait renoncé dans son adaptation littéraire au côté plus hermétique ou énigmatique des emblèmes de Hugo, « por não ser difuso » [pour ne pas être prolixe] afin de proposer un manuel de méditation d'orientation essentiellement moralisante parfaitement accessible à ses lecteurs potentiels dans leur langue vernaculaire. Il s'agit d'un processus de simplification et de vulgarisation de la méthode jésuite de méditation, basée sur des images allégoriques reconnaissables, avec une dimension christologique manifestement intensifiée, et sur des citations bibliques particulièrement connues et plaisantes, qui pouvaient facilement être adaptées à une fonction exemplaire au sein de l'activité conventuelle. Cette intention semble avoir été appliquée aux programmes d’azulejos étudiés ici, non seulement en raison de la traduction en portugais des phrases et des concepts, mais aussi en raison d'une tendance apparente à sélectionner les emblèmes qui facilitent et accélèrent la compréhension et l'assimilation du concept. Cela est évident dans les deux thèmes qui apparaissent comme prédominants dans ces programmes : rejet des biens matériels et des vanités, exaltation des nombreuses bontés spirituelles dérivées de la dévotion intime à Jésus. Comme l'a souligné à juste titre Filipa Medeiros Araújo678, les livres d'emblèmes au Portugal ‒ et, par extension, les programmes 677 678
Morujão 2010, p. 285. Medeiros 2014, p. 522.
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iconographiques inspirés de leur imagerie ‒ ont progressivement consolidé la pratique de l'utilisation d'images pieuses dans les pratiques dévotionnelles, transmettant des exemples de vie pieuse qui ont suscité l’empathie avec le public. C'est ainsi que vit le jour un type élaboré de catéchismes illustrés, qui correspondent parfaitement aux principes post-tridentins d'évangélisation des fidèles, un type de littérature qui ne manquait pas en même temps de satisfaire le goût baroque pour la « jonglerie intellectuelle », en profitant des avantages féconds de l'association entre doctrine et plasticité. Une fois cette coutume consolidée dans la sphère livresque, elle n'a pas tardé à être transférée, dès le début du XVIIe siècle, sur les panneaux de carreaux figuratifs qui ont commencé à couvrir les sanctuaires et les édifices religieux en général, afin que ces images continuent à exercer leur fonction édifiante et exemplaire, peut-être de manière plus étendue et plus efficace, depuis les murs des lieux les plus étroitement liés aux habitudes et rites confessionnels de leurs usagers. Traduit de l’espagnol et du portugais par Christian Bouzy Références bibliographiques Ancião 2010 : J. M. Ancião, O Mosteiro de Sancta Martha, monografia do antigo convento/hospital de Santa Marta de Lisboa, Lisboa, 2010. Ataíde 1975 : M. Ataíde, « Igreja e Convento de Santa Marta », in Monumentos e edifícios notáveis do Distrito de Lisboa, Lisboa, 1975, pp. 99-104. Campa 1997 : Pedro F. Campa, « The Spanish and Portuguese Adaptations of Herman Hugo’s Pia Desideria », in Peter M. Daly, Daniel S. Russell (eds.), Emblematic Perceptions : Essays in Honour of William S. Heckscher on the Occasion of his Ninetieth Birtday, Baden-Baden, 1997, p. 44-60. Carvalho 1995 : José Adriano de Freitas Carvalho, « As lágrimas e as setas. Os Pia Desideria de Herman Hugo, S. J. em Portugal », Via spiritus, 2, 1995, p. 169-201. Daly/Dimler 2002 : Peter Daly y Richard Dimler (eds.), Corpus Librorum Emblematum. The Jesuits Series. Part Three (F-L), Toronto, 2002. De Carvalho et al. 2012 : Rosário Salema de Carvalho, Alexandre Pais, Ana Almeida, Inês Aguiar, Isabel Pires, Lúcia Marinho, Patrícia Nóbrega, « 17th Century Patterned Azulejos from the Monastery of Santa Marta, in Lisbon », Journal of Science and Technology of the Arts, 4 (1), 2012, p. 49-59.
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Les emblèmes de l’église de Kummerow am See (MecklembourgPoméranie) et la réception du Vrai christianisme de Johann Arndt Dietmar Peil, Ludwig Maximilians Universität München Ulrich Schöntube, Evangelische Kirche Berlin-Brandenburg-schlesische Oberlausitz Les emblèmes de Kummerow et leur modèle (D.P.) L'église du village de Kummerow a été construite dès le XIIIe siècle. Son aspect actuel résulte principalement des vastes remaniements du XVIIIe siècle, achevés vers 1750. C'est également de cette époque que datent les tableaux et les inscriptions679 ornant les balustrades de la tribune de l’orgue et de la tribune des fondateurs* qui donnent un accent particulier au décor intérieur de l’église. Le guide artistique du lieu mentionne des « peintures allégoriques »680 ; cette désignation est un peu imprécise, car il s'agit en réalité d'emblèmes, comme l'a déjà établi Dieter Schultz dans sa chronique681. Le caractère tripartite de l'emblème, si importante dans les livres d’emblèmes, doit en règle générale être nuancé lorsque l'emblème est utilisé en dehors du livre. La pictura et le motto sont le plus souvent présents, alors que pour des raisons de place, il a fallu dans la plupart des cas renoncer à une subscriptio explicative. Il en va précisément ainsi à Kummerow : les onze emblèmes de la tribune de l'orgue et de la tribune d’honneur n’exhibent que les figures emblématiques et leurs motti682 ; leur compréhension n’est possible que si l'on connaît la source de ce programme d'images. L'artiste inconnu (ou son commanditaire) a sélectionné la totalité des 22 emblèmes dans un ouvrage de piété comportant des gravures emblématiques. Son choix s'est porté sur l'un des livres d'édification protestants les plus populaires, Vom wahren Christentum683 [Le Vrai christianisme*] de Johann Arndt (1555-1621). Cet ouvrage parut d’abord en 1610 et survécut jusqu’au XXe 679
Schultz 1974, p. 57. Patronatsloge. Ce type de dispositif mobilier est à mettre en relation avec la construction juridique du ius patronatus qui lie à une église ses fondateurs ou bienfaiteurs et leurs successeurs. (Note du trad.) 680 Dehio 2016, p. 320. 681 Schultz 1974, p. 57. Schultz a indiqué correctement la source (p. 60) mais sans préciser l’édition. 682 Repr. de tous les emblèmes dans Schultz 1974, p. 60, 70, 75, 80, 85, 90 ; Gerhardt 1981, p. 461-484. 683 Peil 1977, p. 963. * Nous choisissons ci-après de traduire le titre allemand. (Note du trad.) *
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siècle à travers plus de 300 éditions684. Il fut souvent édité avec des illustrations. Parmi les réalisations les plus appréciées figure un cycle iconographique publié pour la première fois en 1678-1679 à Riga, qui au cours des siècles eut encore plus de 100 rééditions685. Bien que les illustrations aient été adaptées aux différents formats du livre et que leur style ait été modifié pour correspondre aux évolutions du goût, la conception initiale de l’ensemble des 56 planches est demeurée inchangée ainsi que les textes consacrés à à l’explication et au commentaire. Au recto les planches présentent la pictura et le motto, tandis qu’au verso sont imprimés une explication en prose, la citation biblique correspondante et la subscriptio686. Le 23e emblème, qui a servi de modèle pour le premier emblème à partir de la gauche sur la balustrade de la tribune des fondateurs, montre deux mains sortant de nuages, dont l'une tient un couteau et l'autre un oignon réduit en tranches (Fig. 1). Le motto correspondant indique : Nicht ohne Thränen (Non sans larmes). Cette maxime reprend les mots du verso de la gravure, inspirés par les versets évangéliques évoquant le reniement du Christ par Pierre : Lucae cap. XXII. vers. 61. Der HErr wandte sich / und sahe Petrum an; und er gieng hinaus / und weinete bitterlich (Lc 22, 61. « Le Seigneur se retourna et posa son regard sur Pierre ; […] il sortit et pleura amèrement »687.)
684
La toute dernière édition illustrée, conçue dans un but éducatif indépendamment d’une visée scientifique et patrimoniale, a paru en 1996 (Bielefeld, Missionsverlag der EvangelischLutherischen Gebetsgemeinschaften). 685 Voir Peil 1977. 686 Sur les connexions entre les différentes parties du texte et la pictura, voir Peil, 1978, p. 5062. 687 La citation en allemand (qui respecte les variations typographiques) provient de l’édition de Francfort, 1715 ; les planches proviennent de la Münchener Emblemdatenbank (https://embleme.digitale-sammlungen.de/). Note du traducteur : les traductions en français des textes bibliques suivent la version de la NFC (Alliance biblique universelle ; La Bible nouvelle français courant).
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schneidet, dabey allezeit die Augen mit Thränen überlauffen. Also ist es auch bewandt mit einem bußfertigen Menschen / welchem seine Sünde unter Augen stellet / daß er dabey GOttes schweren Zorn / welchen er mit seinen Sünden verdienet erkennet und schmertzlich empfindet / und dadurch bewogen wird Buß Thränen zu vergiessen und bitterlich zu weinen; gleichwie solches an dem bußfertigen Petro / Maria Magdalena / und andern Sündern zu sehen.689 Voici des oignons, une main saisit l’un d’eux. Par quoi l’on représente que lorsqu'on prend, pèle et coupe des oignons, cela ne peut se faire sans larmes, car celui qui les pèle ou les coupe aura toujours les yeux baignés de larmes. Il est donc également vrai qu’un homme pénitent qui avoue son péché, par là reconnaît et ressent douloureusement la sévère colère de Dieu, qu'il a méritée à cause de ses péchés, et qu’il est ainsi amené à verser les larmes de la contrition et à pleurer amèrement ; ce qui se voit dans la pénitence de Pierre, de Marie-Madeleine et d'autres pécheurs.
L'emblème de l'oignon est très révélateur dans la mesure où il permet d'identifier, dans l’écheveau des différentes éditions illustrées du livre d’emblèmes d’Arndt, la tradition qui a été décisive pour Kummerow. Comme beaucoup d'autres après elle, l'édition de Riga de 1678-1679 montre dans l'emblème de l'oignon une main sortant d’un nuage et arrachant un oignon du sol (Fig. 2). En 1736, de nouvelles gravures sont utilisées à Züllichau, probablement en raison du format in quarto plus grand. L'emblème de l'oignon figure cette fois, comme à Kummerow, deux mains sortant des nuages (Fig. 3). Ce changement de format et de motif est également adopté dans les éditions publiées à Leipzig à partir de 1743, de sorte que c’est l’une de ces éditions, soit de Züllichau, soit de Leipzig qui a été utilisée - ou était connue - à Kummerow. L’emblème de l’ancre vient confirmer cette thèse. Dans le commentaire en prose, on lit en effet : Hier hängt ein Magnet / welcher das Eisen an sich ziehet / aber durch den Rost allein wieder von einander getrennet werden: Also will GOtt uns auch zu und an sich ziehen / so fern wir die Welt mit ihrer Liebe und Lust fliehen / und vor muthwilligem Sünden Rost uns in acht nehmen: denn durch die Sünde werden wir von GOtt wieder geschieden.690 Ici est suspendu un aimant qui attire le fer à lui mais ils seront à nouveau séparés l’un de l’autre par le seul effet de la rouille : ainsi, Dieu nous attirera aussi vers Lui et à Lui, dans la mesure où nous fuyons le monde par son amour et son bon plaisir, et où nous prenons garde à la rouille maligne du péché. Car à cause lds péchés, nous sommes à nouveau séparés de Dieu.
689 690
Voir note 8. Arndt, embl. 44.
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Katharinenkirche de Francfort-sur-le-Main (1680)692, de Thurnau (Kulmbach, en Bavière)693, d’Heidenheim-Schnaitheim (Bade694 Wurtemberg) , la galerie nord de la Katharinenkirche d'Enge (SchleswigHolstein)695, la double galerie de l'église de Steigra (Thuringe)696, les peintures de la galerie dans l'église Maria-Magdalenen-Kirche à Bad Bramstedt (Schleswig-Holstein)697, quelques panneaux du décor peint du plafond et de la galerie de l'église de montagne d’Oybin dans les monts de Zittau (Saxe)698 ainsi que les peintures de la chaire de la chapelle castrale de Vengarn en Suède699. Suivant Lieske, les peintures de Kummerow se distinguent des autres en ceci que le décor peint de l'église est inspiré exclusivement par cette source unique. Néanmoins, aucune « séquence déterminante » ou idée maîtresse ne se laisse apercevoir700. Il n’est pas facile de répondre à la question de savoir quels emblèmes ont été choisis dans les livres du Vrai christianisme pour bâtir un programme. En effet, l’ouvrage n'est pas exempt de redondances dans son contenu et n’obéit à aucune rigueur systématique. Néanmoins, sa lecture révèle une forme de structure et la prédominance de certains thèmes (voir ci-dessus). À mon avis, ce n’est qu’en examinant au plus près la source des emblèmes de Kummerow, autrement dit leur contexte premier, que nous découvrirons les critères qui ont présidé à leur sélection en vue de l’établissement d’un programme décoratif. Le Vrai christianisme Lorsque Johann Arndt publie le premier volume du Vrai christianisme en 1605, il a atteint l’âge de 50 ans. On cherche en vain quelle expérience religieuse personnelle l'a conduit à rédiger ce livre et les cinq suivants, que l’on crédite d’un caractère mystique. Il est beaucoup plus vraisemblable qu'Arndt a essayé de fortifier et de revitaliser son église, dont il constatait l’engourdissement trois ou quatre générations après la Réforme. Son dessein est de « ramener vers le luthéranisme l'eau du fleuve de la 692
Lieske 2007, p 389. Il est très probable que Philipp Jacob Spener, qui était un ami de l'éditeur de la publication de Riga, ait été impliqué dans le programme de la Katharinenkirche de Francfort-sur-le-Main. 693 Ibid., p. 407. 694 Ibid., p. 410. 695 Ibid., p. 413. 696 Ibid., p. 59-85. 697 Rahlmeier 1995. 698 Schöntube 2013, p. 114. 699 Ljungström 2008, p. 199. 700 Lieske 2007, p. 403.
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mystique médiévale, abandonnée depuis la Réforme701 ». Son recours aux écrits de Bernard de Clairvaux (1090-1153), de Johannes Tauler (13001361) et de Maître Eckhard (1260-1328) provoqua de nombreuses résistances. L'un de ses plus farouches opposants, le théologien orthodoxe de Tübingen Lucas Osiander (1571-1638), écrivit à son propos que le Vrai christianisme d’Arndt devrait plutôt avoir pour titre « Billiges Taulerthum702 », c’est-à-dire le « Tauler au rabais ». De fait, Tauler est l'un des auteurs préférés d'Arndt. Sur les 44 sermons cités dans le Vrai christianisme, 34 sont de Tauler et cinq de Maître Eckhart703. Les livres du Vrai christianisme devinrent la littérature d'édification la plus répandue en milieu protestant. Ils furent publiés pour la première fois à partir de 1610 sous le titre Vier Bücher vom Wahren Christenthum. Au cours des deux dernières décennies du XVIIe siècle, d’autres écrits d'Arndt y furent adjoints pour en constituer les cinquième et sixième livres, mais ils ne comportent pas d'illustrations emblématiques et ne peuvent donc pas être pris en compte dans le contexte étudié ici704. Ces livres développent des réflexions dans lesquelles les concepts du mysticisme sont impliqués. Le thème directeur est le suivant : l'image de Dieu, autrefois donnée à l'homme, s’est perdue et doit à présent être restaurée. Par « image de Dieu » dans l'homme, Arndt entend la ressemblance et la conformité de l'âme, de l'esprit, de la volonté et de tous les attributs physiques et spirituels de l'homme à Dieu. L'homme doit retrouver la voie vers cet état. Les emblèmes ont dans l’ouvrage une place déterminée, la même dans toutes les éditions, car ils sont pour la plupart liés aux méditations qui leur
701
Wallmann 1995, p. 9. Osiander 1623, p.29 «Also wann du meines du hörest Christum/ den Mund der Wahrheit/ so hörest du den Tauler/ der noch in allerley Päpstischem Antichristlichem Dunckel/ und Schwachheit bestecken gebliben: wann du meinest/ man lehre dich das wahre (unnd also unmangelhaffte) Christentumb/ so hast du ein Daulerthumb... » [«Ainsi, alors que tu crois entendre le Christ/ la bouche de la Vérité/ tu entends Tauler/encore dissimulé dans toutes sortes de ténèbres et faiblesses papistes dignes de l’Antéchrist/ : alors que tu crois qu'on t’enseigne le véritable christianisme (celui qui convient)/ tu es en présence d’un Taulerisme.... »] 703 Wallmann 1995, p.10. 704 D'autres écrits d'Arndt ont été ajoutés, dont certains proviennent des débats sur cette littérature, comme la Wiederholung und Verantwortung der Lehre Wahren Christenthum oder die Sendschreiben die Bücher des Wahren Christenthum betreffend ou des Sendschreiben die Bücher des Wahren Christenthum betreffend. L'œuvre d'Arndt paraît maintenant à titre posthume sous le titre « Johann Arnds Sechs Bücher vom Wahren Christenthum » . Une histoire détaillée du texte et des éditions du Vrai Christianisme n'est toujours pas disponible ; voir Johannes Wallmann : Arndt, Arnd, Johann, dans Wilhelm Kühlmann (ed), Killy Literaturlexikon. Autoren und Werke des deutschsprachigen Kulturraumes, 2e éd. augmentée, vol. 1, Berlin etc., 2008, p. 204.207, ici p. 205. 702
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succèdent. Une vue d'ensemble fondamentale en a été élaborée par Elke Müller-Mees voici plus de quarante ans705. À supposer que cela doive d’être réexaminé en détail, nous devrions d’après moi nous pencher à nouveau sur l'origine du symbole central de la pictura. En effet, il arrive souvent que le verset biblique, le résumé thématique ou même une image au cœur du texte du chapitre procure la pointe, la métaphore de la res emblematica ou de l’énonciation essentielle de l'emblème. Cela peut être très évident dans les exemples de l'oignon et de l’aimant dont il a déjà été question. L'emblème de l'oignon évoque les larmes versées par le pénitent à cause de ses péchés et de la colère divine qui en résulte. La méditation qui suit l'emblème porte sur le repentir. À partir du Ps. 102, 10 (« Pour me nourrir, je mange de la cendre, ce que je bois est mêlé de mes larmes »), Arndt médite sur quatre caractéristiques de la repentance. La première est que les cœurs repentants se sentent indignes de toutes les bontés de Dieu et que par conséquent leurs « larmes, si elles sont versées en mangeant et buvant, sont aussi mangées et bues.706 » Certes, ce n’est pas nécessairement d'un oignon qu’il est question dans ce passage. Néanmoins, le lien avec l'emblème est indiscutable. Il figure en effet les larmes de la pénitence, qui lorsque l’on coupe l'oignon s'infiltrent sous la nourriture et sont « mangées » en même temps qu’elle. À propos de l'emblème de l’aimant, au livre troisième, Arndt écrit dans la méditation correspondante que Dieu se tourne vers l'homme dans l'amour et doit retourner à lui-même : « car l'âme de l'homme est toute prête à être mue en ce monde par l'aimant de l’enfer, qui ne l’attire pas vers le ciel mais en enfer...707» L'inventeur de l'emblème approfondit très intelligemment l’idée qui a présidé au choix de la res. Car dans l'emblème, comme nous l’avons vu ci-dessus, c’est Dieu et non le monde qui est figuré par l’aimant attirant l'homme à lui dans l'amour. Il existe également un lien fort étroit entre les emblèmes introduits dans la suite de l’ouvrage et les méditations des livres du Vrai christianisme. Ainsi, bien que l’intention d’un programme se retrouve dans le choix des emblèmes de Kummerow, il sera bon de se souvenir tant du fil conducteur original que de la structure des livres du Vrai christianisme et surtout de lire attentivement les méditations correspondantes. Car ce n'est que grâce à cet 705
Müller-Mees 1974. Arndt 1783, p. 354. Les autres traits distinctifs du repentir sont « que le pénitent [éprouve] une douleur et une peine suprêmes... d’avoir offensé Dieu » (355) ; « que le cœur pénitent désespère de ses forces » (357) ; « que le pénitent s'unisse à Dieu » (359).; dass der Bußfertige «sich mit Gott vereinigt » (359). 707 « Denn des Menschen Seele ist allbereit durch den Magnet in dieser Welt ja mit dem höllischen Magnet berühret, welcher ihn nicht zu dem Himel [sic] sondern zu der Hölle zeucht... » [« Car l'âme de l'homme est déjà touchée en ce monde par l'aimant infernal, qui l'attire non pas au ciel mais en enfer.... »] (Arndt 1783, p. 747). 706
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arrière-plan que les transformations accomplies dans le nouveau contexte de la tribune de l'église se laissent reconnaître. C'est pourquoi nous donnons ici un bref aperçu du contenu des quatre premiers livres du Vrai christianisme de Johann Arndt708 . 1. Liber Scripturae : Après un exposé suivant lequel l'homme porte en lui l'image de Dieu, l’auteur se demande comment il a perdu cette image. Arndt recourt à une synthèse de médecine et de théologie pour examiner la question de la Chute. Chez le vrai chrétien, Adam doit mourir chaque jour et le Christ vivre chaque jour. La pensée mystique de l'illumination joue ici un rôle majeur. Aussi trouve-t-on ici, surtout dans la première partie, une suite d'emblèmes liés à la métaphore de la lumière, comme l'emblème du miroir ardent sur lequel nous reviendrons709. 2. Liber Vitae – Christus : Le livre deuxième traite de la vie du Christ comme modèle de vie du chrétien. L'homme actualise en lui-même l'image divine en renonçant et en luttant contre soi, en suivant le Christ et son appel à la pénitence. C'est pourquoi les emblèmes du repentir et les vertus chrétiennes d'humilité et de patience y occupent une large place710. L'emblème de l'oignon commenté plus haut se trouve dans cette partie de l’ouvrage. 3. Liber Conscientiae : Dieu a placé le plus grand trésor, son royaume, dans le cœur de l'homme, pareil à un trésor enfoui dans un champ et à la lumière divine enclose à l’intérieur de l'âme. Le vrai chrétien doit permettre à la belle âme, sa vraie nature, s'épanouir et devenir réalité. Dans ce parcours, il doit prendre congé du monde. À la suite de ces réflexions apparaissent ici des emblèmes qui insistent sur l'intériorité et sur la distance entre l'homme intérieur et l’homme mondain711. L'emblème de la fusée sur lequel nous reviendrons s'inscrit dans ce contexte. 4. Liber Naturae : La nature est le miroir de la majesté, de la grandeur et de l'amour divins. Arndt interprète ainsi le récit de la Création. L'image de Dieu et du divin est la lumièreL'homme, qui est la plus noble des créatures, est uniquement le partenaire de Dieu.. Il doit servir Dieu, comme les autres créatures doivent servir l'homme. La première partie du livre quatrième contient une réflexion sur les six jours de la création - sans additions emblématiques. La deuxième partie traite « notamment de l'homme ». Nous trouvons ici à nouveau des emblèmes qui ont rapport à la vision et de la contemplation, et où l'accent semble être mis sur les devoirs de l'homme envers Dieu712.
Le programme À partir de cet arrière-plan formé par les quatre premiers livres du Vrai christianisme et la distribution des emblèmes qui s’y obesrve, on remarque trois caractéristiques dans la sélection des emblèmes de Kummerow. Les emblèmes ont été choisis principalement dans le premier et le deuxième 708
Les sous-titres latins des différents livres se trouvent dans diverses éditions depuis 1686, et je les ai inclus ici en raison de leur concision. 709 Müller-Mees 1974, p. 154. 710 Ibid., p. 179 sq. 711 Ibid., p. 198. 712 Ibid., p. 226.
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livre du Vrai christianisme. Dans la tribune de l'orgue, ils sont tirés essentiellement du premier livre, dans lequel l'idée d'illumination est centrale. Sur la tribune des fondateurs, sous laquelle est intégré un confessionnal, plusieurs emblèmes traitent des thèmes de la pénitence et de l'état laïque. Les emblèmes de la tribune Ouest Sur les 11 emblèmes de la tribune Ouest, la plupart, à savoir 8 emblèmes (panneaux 14, 15, 16, 17, 18, 19, 21, 22) sont tirés du premier livre du Vrai christianisme. Ce livre traite de l'illumination et de la redécouverte de la véritable image de Dieu, qui consiste dans l'harmonie de l'âme avec Dieu. En outre, 5 des 11 emblèmes utilisent une image métaphorique de la lumière, comme le cadran solaire (15), le soleil et le miroir (17), le miroir ardent (19), la boussole (20) et le soleil (21). Ce n’est pas prendre un grand risque que d’affirmer, à la lumière de ces observations, que lors de la sélection des emblèmes de la galerie Ouest, on a voulu mettre en valeur l’idée suivante : le chrétien doit chercher l’illumination et à découvrir en lui-même le portrait intérieur de Dieu. Toutefois, dans le détail, les emblèmes appréhendés dans le sens de lecture, c’est-à-dire de gauche à droite, ne présentent pas une conformité systématique stricte à leur source textuelle. En effet, en fonction de la disposition des pilastres de la tribune, trois sphères thématiques se dégagent, qui sont indiquées dans le tableau ci-dessous. Les emblèmes sont tirés des quatre livres du Vrai christianisme de Johann Arndt :
Pictura de la tribune713 Les fourmis A 22 ; 2/8
Motto
13
L’ancre rouillée A 44 ; 3/13
Uns trennet allein der Rost (Seule la rouille nous sépare)
14
Les abeilles A7 ; 1/12
Nicht ihnen selbst (Pas pour ellesmêmes)
12714
Zu rechter Zeit (Au bon moment)
Signification dans les Vier Büchern vom wahren Christenthum de Johann Arndt Les fourmis récoltent en été afin de survivre en hiver. De la même façon, le chrétien ne doit pas manquer le moment de la vraie pénitence avant que la mort n'arrive. Un aimant attire un morceau de fer. Seule la rouille sépare l'aimant du fer. C’est ainsi que le Christ attire à lui les fidèles ; ce n'est que par le péché qu'ils seront à nouveau séparés du Christ. Tout comme les abeilles ne récoltent pas le miel pour elles-mêmes, le bon chrétien ne se cherche pas lui-même, mais cherche JésusChrist.
713 La lettre "A" indique la numérotation des emblèmes dans les éditions d’Arndt. Les numéros suivants indiquent le livre et le chapitre respectifs du Vrai christianisme auxquels se réfère le contenu de l’emblème. 714 La numérotation des tableaux se base sur la première documentation publiée par Dieter Schultz.
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15
Das beste Mangelt (L’essentiel manque)
Tel un cadran solaire sans style indiquant les heures ne vaut rien, la foi sans les œuvres est néant. Comme l'enfant en lisière est attaché dans son berceau et donc protégé, ainsi le lien de l'amour divin protège le croyant. Dans une âme croyante se reflète la clarté du Seigneur.
A 5 ; 1/5 La boussole A 27; 2,35
Jn Seilen der Liebe (Dans les lisières de l’amour) Mit auffgedeckten Angesicht (A visage découvert) Aus einer bittern Wurtzel (D’une racine amère) Durch Krafft von oben (Par une puissance vennt d’en haut) Eher keine Ruhe (Plutôt aucun repos)
21
Le soleil A 14 ; 1/28
Allen einerley (Un pour tous)
22
L’oranger A 13 ; 1/23
Bien isolé
16 17 18
19
20
(Le cadran solaire sans gnomon) A7 ; 1/11 Le berceau A4 ; 1/4 Le soleil et le miroir A2 ; 1/2 Le figuier A6 ; 1/8 Le ardent
miroir
De la racine amère de la pénitence, la foi apporte les fruits suaves. Le miroir ardent produit du feu grâce au soleil. Voilà la vraie foi, qui éclaire l'homme par la puissance venant d'en haut. La boussole correspond à l'âme qui se détourne des choses terrestres et du monde et qui se tourne vers Dieu. De même que le soleil brille pour toutes les créatures, le chrétien éclairé est « un pour tous ») ; il aime l'ami et l'ennemi et reste fidèle à Dieu dans le bonheur et le malheur. C’est séparé de la société mondaine que le chrétien a la meilleure vie.
Les trois groupes explicitent dans une certaine mesure les voies d’accès à l'homme intérieur. Le premier groupe traite des thèmes de la pénitence et de l'examen de conscience (panneaux 12-15). Comme la fourmi, l'homme doit reconnaître le bon moment pour se repentir (panneau 12) ; il doit percevoir la séparation d'avec Dieu, qui l'attire à lui comme un aimant (panneau 13). Il doit se diriger vers le Christ plutôt que vers lui-même (panneau 14). Ainsi orientée, la foi produit de bonnes œuvres (panneau 15). Les emblèmes du deuxième groupe sont consacrés à la question de savoir ce que signifie vivre dans le Christ (panneaux 16-19). La foi, c’est se lier au Christ et se mettre en sûreté à travers lui (panneau 16), refléter la clarté de Dieu dans sa vie (panneau 17), porter de bons fruits (panneau 18) et être intérieurement enflammé par une force venue d’en haut, comme cela se produit pour le miroir ardent (panneau 19). L'explication en prose éclaire cet emblème : « Comme ce verre brûlant est la vraie foi, qui s'unit aux soleils de justice, illumine le cœur de l'homme par la force venue d’en haut et y allume le feu de l'amour715. » (Fig. 6) Les emblèmes du troisième groupe mettent en valeur la distance qui sépare le chrétien du monde profane (panneaux 20-22) : afin de préserver sa foi, le chrétien doit s'orienter vers Dieu comme la boussole (panneau 20, le compas), ne pas chercher la reconnaissance du monde (panneau 21 : le soleil 715
Arndt 1783, p. 25.
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1
Pictura de la tribune716 L’oignon A 23; 2/10
Motto
Signification dans les Vier Büchern vom wahren Christenthum de Johann Arndt Nicht ohne Thränen Une main qui saisit ou découpe des (Pas sans larmes) oignons suscite les larmes chez l’homme. Il en va de même pour l'homme pénitent qui prend conscience de son péché. Erhöhet durch den fall Dans une fontaine, l'eau doit d'abord jaillir (Il s’élève dans sa chute) d’aussi profond qu'elle doit monter haut. Si un homme veut être exalté, il doit d'abord s'abaisser et s'humilier. Die Last machts leicht Une horloge sonnante ne fonctionne qu'avec des poids assez lourds. Ainsi, les chrétiens avancent Chargé, on s’allège plus vite et mieux dans leur foi avec le « poids lourd de la croix«. Die Krafft wächst mit Le soleil levant gagne en puissance, en dem Tage éclat et en chaleur. - Il en est ainsi de la La force croît avec le foi, qui commence petitement. jour
2
Le jet d’eau A41; 3/5
3
L’horloge A 32; 2/46
4
Le lever soleil A 34; 2/50
5
L’aigle A 17; 1/37
Wer mit folget siehet das Licht Celui qui me suit voit la lumière
Un vieil aigle vole vers le soleil avec ses petits sur le dos – ainsi les croyants doivent faire confiance à l'aigle céleste qu'est le Christ.
6
Le feu A9; 1/15
Je härter Krieg, Je edler Sieg Plus dur est le combat, plus noble est la victoire
Quand on allume du bois humide, le feu et l'eau se combattent. Ainsi dans les âmes existe une lutte acharnée entre la chair et l'esprit.
7
La balle A 11; 1/18
Das Minste rührt die Erde Un rien sur le sol la remue
Une balle posée sur le sol n'a qu'un faible contact avec lui. Ainsi les fidèles ne doivent pas non plus s'attacher à la terre.
8
La fusée A47; 3/23
Jch steige und säubere mich Je monte et me purifie
9
L’oiseau cage A 52; 4/9
10
Le papillon de nuit et la bougie A10; 1/17
Nicht zu nahe Pas trop près
11
Les épis A 25; 2/21
Je niedriger, je völler Plus ils versent, plus ils se remplissent
Une fusée s'élève et se consume entièrement. Ainsi, le chrétien est purifié intérieurement de l'amour de soi en s'élevant vers Dieu. Un oiseau en cage semble piégé, mais il trouve un abri et de la nourriture. Ainsi, le chrétien ne vole pas librement et ne pèche pas, mais il est protégé et nourri par son Seigneur. Les papillons de nuit bourdonnent autour d'une bougie et se mettent en danger. Ainsi, même les fidèles peuvent tirer bénéfice du monde, mais sans trop s'en approcher. Dans le champ, ce sont les épis qui s’inclinent qui donnent le plus de grain. Ainsi, les humbles bénéficient de la pleine grâce de Dieu, tandis que les orgueilleux sont une abomination pour le Seigneur.
de
en
Jch hab das Beste davon J’en ai pris le meilleur
716 La lettre "A" indique la numérotation des emblèmes dans les éditions d’Arndt. Les numéros suivants indiquent le livre et le chapitre respectifs du Vrai christianisme auxquels se réfère le contenu de l’emblème.
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Premier groupe (panneaux 1-3) : il n’est pas question de traiter ici de la substance de la doctrine luthérienne de la confession. Pour notre propos, il suffit de préciser que seul celui qui s’était préalablement confessé était admis à la Cène. Lors de la confession auriculaire, le repentir et la contrition (contritio) à l’égard des manquements à la loi divine devaient être exprimés. L'étape suivante était le pardon. Elle consistait en la promesse du prêtre : «Tes péchés te sont pardonnés » (absolutio). Selon la conception protestante, cependant, ces mots seuls n’avaient aucune efficience. Mais le pénitent devait croire en ces paroles comme si le Christ lui-même les avait prononcées. C'est en premier lieu la foi qui rend effectif le pardon accordé par le Christ. Les emblèmes du premier groupe (panneaux 1-3) développent les éléments de la repentance et de la foi. L'emblème de l'oignon déjà mentionné exprime l'état d'esprit, le repentir du pénitent. L’emblème conclusif avec l’horloge à poids (panneau 3) aborde la question, essentielle pour la confession, de la foi dans le pardon. L’horloge est maintenue en mouvement par des poids. Dans l'explication de l'emblème, il est d'abord dit que Dieu, « en vertu de sa sagesse infinie, attache à l'homme le lourd poids de la croix : par quoi alors ils sont encouragés à avancer plus vite et mieux dans leur foi ». Ce « poids » est explicité dans la pensée suivante d'Arndt à laquelle l'emblème se rapporte. Il est nécessaire, écrit-il, d'apprendre l'humilité qui conduit à la fin à l'action salvatrice de Jésus-Christ. Ainsi, il invite le lecteur à : « Reconnais ce qui attaché à toi te crucifie / ... Suis la voie de celui qui par sa croix et ses plaies a sanctifié la croix du chrétien. » (Fig. 8) Deuxième groupe (panneaux 4-7) : le choix des emblèmes dans le deuxième groupe est axé sur la succession. Les tableaux ont peut-être été choisis en fonction de la responsabilité exercée des anciens de la communauté, qui avaient leur siège attitré sous ces emblèmes. Ils devaient faire référence dans leurs jugements à la foi qui grandit (panneau 4 : le lever du soleil) et s'orienter non seulement vers les réalités séculières mais aussi spirituelles (panneaux 6 et 7). Mais avant tout, c'est le Christ lui-même qui décide de leur rôle. Ceci est illustré par l'emblème de l'aigle (panneau 5) : l'aigle porte son aiglon sur son dos en dirigeant son vol vers le soleil. Arndt écrit : « Ce qui est figuré ici, c’est que les chrétiens qui suivent l'aigle céleste Jésus-Christ sur la voie étroite de la croix, s'approchent peu à peu de la lumière et la voient. » (Fig. 9)
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Troisième groupe (panneaux 8 -11) : Les panneaux emblématiques du troisième groupe traitent de la relation du fidèle avec le monde. Deux aspects sont prépondérants. D'une part, le fait de se détourner du monde. Il s'agit de garder ses distances avec le monde afin de ne pas pécher à nouveau. La distance à l’égard du monde était déjà exprimée, par exemple, avec l'emblème de la balle (panneau 7). De même que la balle ne touche la terre qu'en un point, « de même les fidèles doivent vivre sur la terre », et ne pas rechercher le « terrestre ». Le choix des emblèmes de la cage (panneau 9) et du papillon de nuit (panneau 10) va dans le même sens. L'autre thème directeur consiste dans la relation entre l'homme extérieur et intérieur, c’est-à-dire entre les statuts mondain et spirituel dans le monde. Tout en bas de l'escalier qui se trouve à l’entrée, on voit l'emblème avec le champ de blé (panneau 11 - Je niedriger, je völler. Plus ils versent, plus ils se remplissent ). Il déclare que l'humilité en tant qu'attitude intérieure permet d'être sûr de la grâce de Dieu comme de la plénitude d’une récolte. Ce n'est pas la position extérieure qui compte, comme le montrent les hauts et fiers épis dans la pictura de l'emblème. En haut de l'escalier se trouve l'emblème de la fusée (panneau 8). La fusée s'élève et se consume intérieurement (Je länger je höher, Je monte et me purifie). Il en va de même pour le chrétien, qui est « rendu capable de se relever par le feu de la croix... Plus la purification dure, plus complète elle est. » (Fig. 10). La place qu’occupe l'emblème de la fusée, à l’extrémité de l'escalier, est remarquable. Car seule la famille Von Maltzahn, protecteurs de la paroisse, gravissait ces escaliers pour atteindre son banc à l'église. Tout se passe comme si le choix de l'emblème par toute la communauté regardant vers le haut interprétait cette ascension. Ce qui compte le plus dans l'ascension, c'est l'attitude intérieure, c’est-à-dire d’être enflammé par le « feu de la croix du Christ ». Il semble évident que le choix de l'emblème de la fusée et de son emplacement visait à créer une connexion symbolique à caractère performatif dans l'espace de l'église. Conclusion L'église de Kummerow est un exemple de réception d'un seul livre d'emblèmes. En ce qui concerne le cycle de Kummerow, la dernière question est la suivante : quelle est la relation entre la source et ces emblèmes appliqués ? Tout d'abord, il s'agit d'un changement de support dans lequel les emblèmes - c'est-à-dire la pictura et la devise - sont cités fondamentalement sans changement dans un nouveau contexte d'architecture. Cela crée une transformation. Car à travers le nouveau contexte et le choix des emblèmes, de nouvelles affirmations émergent qui, bien qu'elles s'inscrivent dans l'œuvre d'Arndt, la dépassent néanmoins. Cette transformation ne peut être décrite que par une connaissance plus précise de la source littéraire.
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Chez Arndt toutefois, l'emblème de l'oignon n'était pas spécifiquement associé à la confession liturgique, et l'emblème de la fusée ne reflétait pas non plus la doctrine luthérienne de la succession. Néanmoins, les « pleurs » peuvent être liés à la confession et la « purification » de la fusée à la relation entre l'homme intérieur et l'homme extérieur, ce qui devient désormais effectif dans le nouveau contexte qui accueille ces emblèmes à Kummerow. Ainsi le changement de support des emblèmes par rapport à la source littéraire nous met-il en présence d’un large spectre de modes de réception d’un ouvrage, qui va de la citation directe à la tribune Ouest jusqu’à une profonde transformation contextuelle à la tribune des fondateurs. Traduit de l’allemand par Paulette Choné
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L’emblématique comme approfondissement. Les livres de piété de Dilherr revus et corrigés dans l’église St. Peter und Paul de Weissensee (Thuringe) Ulrich Schöntube, Evangelische Kirche Berlin-Brandenburg-schlesische Oberlausitz Historique de l’église et de son cycle emblématique Au Moyen Âge, la ville de Weissensee, au cœur de la Thuringe, avait un relief particulier. Non seulement elle était située sur une importante route commerciale reliant Erfurt à Magdebourg, mais grâce à son église St. Peter und Paul c’était également un célèbre lieu de pèlerinage de la région. Le point focal en était la tombe de celui que l'on appelle le « Bon Conrad », redécouverte voici quelques années. Conrad était le fils d'un chevalier du château de Weissensee, mort dans des conditions troubles et dont la dépouille s'était vu attribuer des pouvoirs de guérison717. À la fin du XVe siècle, la ville avait perdu de son importance mais resta le siège des gouverneurs de la région. Avec l'introduction de la Réforme, l'intérieur de l'église fut remodelé. C’est alors que l’on entreprit de remanier l'autel médiéval du Couronnement de Marie ; en 1624, cette iconographie fut transformée en Couronnement de Jésus par l’adjonction d’une barbe à l’ancienne effigie de Marie. Ce remaniement prévoyait également, de façon moins sensationnelle, l'installation d'une double galerie dans la nef. Cet événement est rapporté dans une chronique manuscrite de la ville. On y lit que selon une résolution de 1619, l'église « devait encore être pourvue de bancs, là où l'on trouverait de la place... ». L’espace « devrait ensuite en outre... être rénové et éclairé de toutes parts à l'intérieur et à l'extérieur de la manière la plus agréable »718. On peut donc supposer que c’est vers 1619 que les galeries furent installées et leurs balustrades peintes. Ce dispositif comportait deux étages. Dans la partie supérieure de la double galerie sont représentés les apôtres et les prophètes. Ils peuvent être identifiés en partie par leurs attributs ou par des inscriptions partiellement conservées. Dans la partie inférieure alternent des sujets bibliques et emblématiques. Il convient maintenant d'examiner ce cycle plus en détail. (Fig.1)
717 718
Kühne/ Mötsch 2012, p. 7-40. Friedemann/Graßner 1996.
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panneaux emblématiques, cependant, ont pu être ajoutés au plus tôt 54 ans après la première campagne de décoration de l’église, c’est-à-dire juste au lendemain de la publication des livres d'emblèmes de Dilherr. À cette date, soit un nouveau cycle complet a été créé, soit les panneaux emblématiques ont été insérés dans un programme iconographique existant. Des sources d’archives plus précises font malheureusement défaut, de sorte que le cycle dans sa forme actuelle ne peut être daté que de 1663 terminus post quem. Sources littéraires Les ouvrages Augen und Hertzenslust. Das ist/ Emblematische Fürstellung der Sonn- und Festtäglichen Evangelien [La joie des yeux et du cœur. Présentation emblématique des évangiles du dimanche et de la fête] (Nuremberg 1661)719 et Heilig-Epistolischer Bericht ... Das ist Emblematische Fürstellung/ Der Heiligen Sonn und Festtäglichen Episteln [Exposé des saintes épîtres/C’est-à-dire présentation emblématique des saintes épîtres du dimanche et des jours de fête] (Nuremberg 1663)720 constituent la source de ce décor emblématique. Ils renferment des emblèmes et des lectures pour les dimanches et les fêtes de l'année liturgique. Johann Michael Dilherr était l'une des figures intellectuelles les plus importantes de Nuremberg au XVIIe siècle. Il enseigna d’abord à l'Université d'Iéna à partir de 1640 en tant que successeur du célèbre théologien orthodoxe Johann Gerhard (1587-1637) avant d’être nommé professeur de théologie, de philologie et de philosophie à l'Auditorium Ägidianum de Nuremberg en 1642. Il supervisait le système scolaire à Nuremberg et la bibliothèque de la ville ; il fut pasteur à St Lorenz et plus tard à St Sebald. Son cercle d'amis comprenait Georg Philipp Harsdörffer (1607-1658), Sigmund von Birken (1626-1681) et Johann Klaj (1616-1656). Il avait même accueilli Klaj et von Birken dans sa maison alors qu’ils étaient des étudiants sans le sou et orphelins. La bibliothèque complète de Dilherr est parvenue jusqu’à nous, avec sa très riche œuvre littéraire qui comprend 46 ouvrages latins et 76 ouvrages en allemand, dont font partie ses livres d’emblèmes721. Le prédécesseur de Dilherr à l'Ägidianum, Johann Saubert (1592-1646)722 avait, suivant l’hypothèse de Jöns, prononcé des prêches emblématiques en 1638-1639, qui furent publiés à titre posthume en 1652723. Il est possible que Dilherr se soit inspiré de son exemple pour donner luimême des prêches emblématiques. En 1660 parut pour la première fois 719
Dilherr 1661. Dilherr 1663. 721 Peil 1978, p. 9-45. 722 Jöns 1976, p. 84-98. 723 Saubert 1652. 720
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Heilige Sonn- und Festtagsarbeit [Prédication pour les dimanches et jours de fête]724. Les prêches pour chaque dimanche de l'année liturgique sont précédés de ce qu’il est convenu de nommer « emblèmes tripartites » (dreiständige emblemata] avec des explications poétiques, auxquelles Georg Strauch (1613-1673) et Georg Philipp Harsdörffer avaient collaboré. La structure de la combinaison emblématique tripartite pouvait nécessiter une explication. C'est pourquoi l'ensemble de l'ouvrage est précédé d'une « Explication des emblèmes tripartites à l’intention de l'homme ordinaire ». La question de savoir dans quelle mesure les emblèmes étaient utilisables dans la prédication doit rester ouverte. En tout cas, Dilherr assure que des prêches ont été donnés à partir de cet ouvrage. Car le titre indique que l’on y trouvera « des prédications qui ont été prononcées pendant plusieurs années ». Les autres œuvres emblématiques de Dilherr étaient également conçues pour la prédication. Par exemple, dans Hertz- und Seelenspeise [L’aliment du cœur et de l’âme] de 1663725, chaque prêche se conclut par une catéchèse emblématique. Celle-ci est introduite par un dialogue fictif : « Ne peux-tu également me faire un emblème ou une image symbolique sur ce prêche ? ». Puis vient l'explication d'un emblème avec ses différentes composantes allégoriques telles que les niveaux de sens de l'image et du texte, qui tirent parti des enseignements du sermon précédent. Il s’y rattache aussi un cantique reprenant également les descriptions didactiques de l'emblème. Cet aperçu concret de la pratique emblématique dans les prêches du savant de Nuremberg est intéressant en raison du choix des deux livres d'emblèmes qui ont été utilisés à Weissensee. Car Augen- und Hertzenslust (1661) paraît deux ans avant Hertz und Seelenspeise (1663) avec ses prêches emblématiques, et le recueil Heilig Epistolische Bericht précisément la même année (1663). Les deux ouvrages ont une structure assez similaire. Ils sont basés sur l'ordre de lecture établi par l'Église pour les dimanches et les jours de fête de l'année liturgique. A chaque chapitre correspond un emblème tripartite. Il se compose d'une devise allemande rimée, d'une pictura, attribuable soit à Georg Strauch (1626-1711) soit à Melchior Kysell (1626-1683), et d'une subscriptio rimée appropriée. Dans le cas des emblèmes les plus difficiles, une courte explication en prose est ajoutée. Dans Augen- und Hertzenslust, la prédication est suivie d’une brève explication de l'Evangile du dimanche, sans que le texte de l’Ecriture soit reproduit. Ce qui est nommé Inhalt und Gebrauch des Evangelii [Contenu et usage de l'Évangile] contient toujours une référence indubitable à l’image symbolique, comme le souligne d’ailleurs la colonne marginale désignée comme Erklärung des Sinnbildes [Explication de l’image symbolique]. Dans 724 725
Dilherr 1660. Dilherr 1663.
384
Heilig Epistolischen Bericht, c’est après l'emblème que le texte de l'épître lue le dimanche est reproduit. Elle est suivie d'une Paraphrasis du texte biblique, dans laquelle est exposée la référence à l’emblème, également identifiée dans la colonne Erklärung des Sinnbildes. Suivent des éclaircissements plus développés sur le texte sous la rubrique Nutz und Gebrauch [Bénéfice et usage]. Le chapitre s’achève par une prière et un chant. Les explications littéraires détaillées montrent combien Dilherr était attaché à l’éclaircissement des références allégoriques et symboliques de l’emblème correspondant à chaque dimanche. Il fait même précéder le livre entier, après les dédicaces habituelles, de ce qu’il nomme Deutliche Fürstellung der Sinnbilder über die Epistel [Représentation claire des symboles sur l'Épître]. Il poursuit en expliquant brièvement le contenu symbolique de l'emblème, illustré plus loin pour le dimanche correspondant. Dilherr entendait ainsi faire un usage liturgique et cultuel savant de ses livres d'emblèmes, ce qui soulève cette question : comment les images et les textes étaient-ils alors utilisés dans la pratique ? Peut-on identifier une référence précise au culte, par exemple dans le choix des emblèmes, lorsque ceux-ci sont tirés d’un ouvrage de Dilherr pour être adaptés au décor intérieur de l'église? Choix des emblèmes et programme iconographique En dehors de l'église de Weissensee, je ne connais dans la bibliographie qu'une seule église dont le décor soit inspiré des deux ouvrages de Dilherr consacrés à l’année liturgique. Il s'agit de l'église de Freudental, près de Beisigheim, dans le Landkreis de Ludwigsburg. Reinhard Lieske qui a analysé ce cycle écrit : « La prédication en images de Freudental n'est pas une invention originale, mais elle contient à peine plus d’information que les textes qu’elle cite.726 » Lieske fait référence à l’utilisation des images et des textes. Néanmoins, dans les emblèmes, « citer », c’est transformer. En effet, les 20 emblèmes qui ont été sélectionnés parmi un matériau abondant forment par eux-mêmes un nouveau contexte signifiant. Selon Lieske, la sélection a été guidée par une pensée piétiste précoce, qui s’exprime par les thèmes « Verbe-Dieu » et « Homme-Cœur » dans le choix des emblèmes. Il ne voit nulle part en quoi une réception de l'année liturgique fondée sur la conception des livres d'emblèmes de Dilherr aurait joué un rôle ici. Si l'on examine les emblèmes de Weissensee par rapport à l'année liturgique, cette attente est également déçue. Par exemple, il existe un emblème correspondant à la lecture du 6e dimanche après l'Épiphanie. Or ce dimanche, cependant, ne vient qu’exceptionnellement dans le calendrier de 726
Lieske 2003, p. 87.
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l'année liturgique, quand Pâques tombe très tard dans l'année. La sélection des emblèmes aura donc probablement été faite selon d'autres critères. Ma thèse est que les emblèmes de Weissensee commentent respectivement les récits bibliques précédents, la sélection semblant mettre l’accent sur les contenus qui se situent à un niveau moral et éthique rappelant plutôt la théologie des Lumières. Aussi observe-t-on ici un double processus de transformation. D'une part, les assertions des emblèmes, confrontées à leur source scripturaire, font l’objet d’une réinterprétation qui s’opère lors du passage du livre au décor peint. D'autre part, comme à Freudental, la sélection des emblèmes établit son propre contexte de signification. Elle modifie les modèles existants d'interprétation des récits bibliques par leur déplacement dans un nouveau lieu. Pour le démontrer, je me concentrerai sur le cycle de la galerie Sud et montrerai d'abord la réinterprétation des emblèmes singuliers par rapport à leur source littéraire. Dans une partie iltérieure, je montrerai comment un contexte de signification existant est réinterprété par le choix des emblèmes. Mais d'abord, proposons un aperçu de l'inventaire des images bibliques et emblématiques de la galerie Sud.
Tableau 1 2
Thème biblique et emblématique L’Annonciation Emblème : un cœur éclairé au-dessus d’un livre
Motto Weissensee Gott erfüllt mit Hellen Schein/ Durch sein Wort das Hertze mein [Par sa parole, Dieu emplit mon d’une vive clarté]
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Référence dans l’œuvre de Dilherr Heilig Epistolischer Bericht, p. 83, 6e dimanche après l’Epiphanie 2 P 1, 16-21 « Uns scheinet in dem dunklen Ort/ Deß höchsten Gottes helles Wort. » [Dans les ténèbres, la parole de Dieu le Très-Haut nous éclaire.]
3 4
La Nativité Un putto opérant un cœur
Es kann Gott nichts verborgen seyn/ Er sieht tieff in dein Hertz hinein/ [Rien ne peut être caché à Dieu/Il voit au plus profond de notre cœur]
Heilig Epistolischer Bericht, p. 12 Epître du 3e dimanche de l’Avent, 1 C 4,1-4 « Nichts kann Gott verborgen sein,/ Er schneid auf den Hertzens Schrein. » [Rien ne reste caché à Dieu. Il ouvre le tabernacle du cœur.]
5 6
La prédication de Jésus au bord du lac de Généraseth Des mains sortant ne la nue portent une corbeille de pain avec un cœur et une inscription
Wer Gottes Wort recht hört und ehrt,/ Der wird von Gott gewiß ernehrt. [Celui qui écoute et glorifie justement le nom du Seigneur/Celui-là sera nourri par Dieu en conséquence.]
7 8
L’Entrée à Jérusalem Une vigne attachée à une croix
Creutz muß Dir nicht Zuwieder seyn/ Auf weinen folgt der schönste Wein. [La croix ne doit pas t’être contraire/Aux larmes succède le meilleur des vins.]
Augen und Hertzenslust, p.141 7e dimanche après la Trinité, Mc 8,1-9 « Wer Gottes Wort hört, liebt und ehrt, Der wird von Gott gewiß ernehrt. » [Celui qui écoute, aime et glorifie la parole de Dieu, celui-là sera nourri par Lui en conséquence.] Augen und Hertzenslust, p. 182 16e dimanche après la Trinité, Lc 7, 11-17 « Laß Dir das Creütz nicht widrig sein, Es wird auf Weinen folgen Wein. » [Ne laisse pas la croix t’être contraire, le vin succèdera aux larmes.]
9 10
Jésus à Gethsémani Deux agneaux tirant une croix et une ancre
Wann unser Creütz ist groß und schwer/ Erquickt Gedult und Hoffnung sehr. [Quand notre croix est grande et lourde/Elle ranime fort la patience et l’espérance.
387
Heilig Epistolischer Bericht, p. 51, Epître du 2e dimanche après l’Epiphanie, Rm 12,6-16 «Die Hoffnung starck verbleib Mit Geduld dein Creütz vertreib. » [L’espérance demeure ferme, avec patience rejette ton fardeau]
11 12
Ecce homo Portement de croix
Mein Jesus trägt sein Creutz für an./ Ich trags Ihm nach so gut ich kan. [Mon Jésus propose sa croix/Je la porte après lui aussi bien que je peux.]
Heilig Epistolischer Bericht, p.171 Epître du 2e dimanche après Pâques 2 P 2,21-25 «JESUS mit dem Creütz geht für Und den Creützweg zeiget dir. » [JESUS s’avance avec la croix et te montre le chemin du Calvaire.]
13 14
La Crucifixion La halte promeneur
Wann der Sünden Last mich drückt/ Jesu Creutz mich wohl erquickt. [Quand le poids des péchés pèse sur moi/La croix de Jésus me repose.]
15 16
La Mise au tombeau Une salamandre dans le feu d’une forge
Mitten in der Trübsal Glut Bleibt ein Christ stets wohl gemuth. [Au milieu du brasier des tribulations, un chrétien reste toujours joyeux.]
17 18
La Résurrection Ressuscité devant une caverne
Hier in Jesu Wunden Höle Find ich Ruh für meine Seele. [C’est dans les cavernes des plaies de Jésus que mon âme trouve le repos.]
Augen und Hertzenslust, p. 375 (sic 275) Fête de l’apôtre Matthieu Mt 11,25-30 «Drückt dich die schwere Sünden-Last,/ so such bey deinem JESU rast. » [Si le lourd fardeau du t’accable,/alors péché cherche le repos auprès de ton JESUS.] Augen und Hertzenslust, p.112 Premier dimanche après Pâques ou dimanche Exaudi, Jn 15, 27-28 «Das feür der trübsal brennet iwa Doch soll dir schaden kein gefah.» (sic) [Le feu des tribulations brûle en tout lieu, mais aucun danger ne t’atteindra.] Augen und Hertzenslust, p. 247 Fête de l’apôtre Thomas, Jn 20,24-31 «Herr! In deiner Wundenhöle/ Ruhe findet meine Seele. » [Seigneur, dans les cavernes de tes plaies mon âme trouve le repos.]
d’un
388
Le récit biblique transformé dans l’emblème Le cycle du Nouveau Testament commence par l'Annonciation de Marie. Il est suivi d'un emblème tiré de Heilig Epistolischen Bericht (sixième dimanche après l'Épiphanie), et dont le thème est l'illumination. L’emblème montre un cœur éclairé au-dessus d'une Bible ouverte. Dilherr utilise 2 P, 16 pour souligner que les chrétiens détiennent la parole prophétique resplendissant dans un lieu obscur727. Le mot correspondant est : Uns scheinet in dem dunklen Ort/ Deß höchsten Gottes helles Wort [La parole du Dieu tout-puissant brille pour nous dans les ténèbres.]728 À l’occasion de la réalisation de la pictura de Weissensee, le motto a été modifié et l'endroit ténébreux, antithèse de l’aurore, a été supprimé, tandis que le texte devient à présent : Gott erfüllt mit Hellen Schein/Durch sein Wort das Hertze mein. [Par sa parole, Dieu emplit mon cœur d’une vive clarté.]
Fig. 2 : Weissensee, galerie Sud, panneau 2. © Propriété de l’auteur.
727
2 P 1, 19: « Et ainsi se confirme pour nous la parole prophétique ; vous faites bien de fixer votre attention sur elle, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur. » [Um so fester haben wir das prophetische Wort, und ihr tut gut daran, dass ihr darauf achtet als auf ein Licht, das da scheint an einem dunklen Ort. »] 728 Dilherr 1663, p. 83.
389
regard de deux autres anges. Dilherr commente d’après 1 Co 4, 1-6 la question du bon serviteur et du bon apôtre. Sa conclusion est qu'à la fin des temps, Dieu mettra toutes choses en lumière, y compris le travail des vrais serviteurs du Christ. C'est pourquoi l'homme ne doit pas juger avant l’accomplissement des temps729. Le motto est le suivant : Nichts kann Gott verborgen sein - Er schneid auf den Hertzens Schrein [Rien ne reste caché à Dieu. Il ouvre le tabernacle du cœur]730. C’est dans la subscriptio que Dilherr fait plus particulièrement référence au jugement futur. Keiner trau dem finstern Ort Wider Gottes helles Wort Ist’s nicht heut so ist es morgen Das wird kund, was war verborgen. Personne ne fait confiance aux ténèbres Contre la parole lumineuse de Dieu Si ce n'est aujourd'hui, ce sera demain. Que ce qui était caché sera connu.
À Weissensee, d'une part la pictura a été modifiée par la suppression de l'assistance des anges. En outre, la sainte « chirurgie » n’est plus présente dans la devise, bien que l'ange travaille aussi bien proprement le cœur avec un couteau. La devise de Weissensee est devenue : Es kann Gott nichts verborgen seyn - Er sieht tieff in dein Hertz hinein. [Rien ne peut être caché à Dieu/Il voit au plus profond de notre cœur]. À Weissensee, il s'agit donc moins de la révélation future du cœur humain lors du Jugement dernier que du regard actuel de Dieu dans le cœur. (Fig. 4 et 5) Cette réinterprétation semble avoir été inspirée par le panneau précédent, l'Annonciation, et l’emblème qui l’éclaire. Car là aussi, il s'agissait de l'illumination du cœur. Dans la perspective de la venue de Dieu lors de la Nativité, à cause de de la lumière de Noël, le fidèle doit s’assurer lui-même que l'illumination est arrivée dans son cœur. Avec cette interprétation, le rayon de lumière qui dans la subscriptio de Dilherr signifiait la parole de Dieu acquiert un sens actuel.
729
1 Co 4, 5: « Ainsi, ne portez pas de jugement prématuré, mais attendez la venue du Seigneur, car il mettra en lumière ce qui est caché dans les ténèbres, et il rendra manifestes les intentions des cœurs. Alors, la louange qui revient à chacun lui sera donnée par Dieu. » [« Darum richtet nicht vor der Zeit, bis der Herr kommt, der auch ans Licht bringen wird, was im Finstern verborgen ist und wird das Trachten der Herzen offenbar machen. »] 730 Dilherr 1663, p. 12.
391
À Weissensee, cet emblème est réinterprété pour signifier le déroulement de la Passion. Dans ce contexte, cependant, il ne serait pas logique de « rejeter » la croix. Au contraire, il faut la supporter avec patience et espérance. Là encore, l'imitation de Jésus est importante : de même que Jésus est entré dans le chemin de la souffrance, l'homme doit porter sa croix avec la patience et l'espérance du Christ. C'est pourquoi les concepteurs de Weissensee ont écrit : « Quand notre croix est grande et lourde/Elle ranime fort la patience et l’espérance » (Fig. 9 et 8). En regard du tableau de l’Ecce homo, c’est un emblème tiré de Heilig Epistolischen Bericht qui a été choisi à Weissensee, et pour une fois il est très voisin du déroulé narratif du récit de la Passion. Le pictura représente Jésus portant la croix, accompagné d'anges. Dilherr entend utiliser un passage de la première épître de Pierre (1 P 2:21-25) pour exprimer que les chrétiens sont patients parce que le Christ a souffert pour eux comme une « image-prototype», c'est-à-dire comme un modèle733: « Jésus s’avance avec la croix et te montre le chemin du Calvaire. ». A Weissensee, la devise souligne plus fortement l'activité du fidèle lui-même : « Mon Jésus propose sa croix/Je la porte après lui aussi bien que je peux »734. Pour la Crucifixion, les concepteurs du décor de Weissensee ont choisi un curieux emblème tiré de Augen- und Hertzenlust de Dilherr. Un promeneur dépose son bagage auprès d’une croix de chemin. Au centre de l'emblème, que Dilherr a associé à la fête de l'apôtre Matthieu, figure la prière de Jésus traditionnellement nommée « Heilandsruf » : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et je vous donnerai le repos » (Mt 11,28). Suivant Dilherr, il s'agit du motif du salut obtenu par le Christ par sa mort de la croix. Le motto dit : « Si le lourd fardeau du péché t’accable,/alors cherche le repos auprès de ton Jésus ». La subscriptio commente : So meine Sünden-Last mich drück, mich meines Jesu Creutz erquickt/ Daselb ich meine Bürd leg ab/ und meine Freud an Jesu hab. 735 Quand le poids de mes péchés pèse sur moi, Le salut de mon Jésus me restaure/ Ainsi je dépose mon fardeau/ Et j’ai ma joie en Jésus.
733
1 P 2, 21: « C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. »[« Denn dazu seid ihr berufen, da auch Christus gelitten hat für euch und euch ein Vorbild hinterlassen, dass ihr sollt nachfolgen seinen Fußstapfen. »] 734 Dilherr 1663, p.171. 735 Dilherr 1661, p. 375 (sic) pagination erronée. P. 275.
398
De la même manière, nous rencontrons le motif de la substitution personnelle dans l'image associée au panneau de la Résurrection. Ici, un emblème pris dans Augen- und Hertzenlust a été choisi pour le jour de la fête de l’apôtre Thomas. La référence biblique est la séquence bien connue de l'histoire de Thomas, où Thomas met son doigt dans la plaie du Christ (Jn 20). Au premier plan s’ouvre la grotte de l’ensevelissement. Dilherr, dans son interprétation destinée à réconforter le croyant, établit une équivalence entre les deux cavités : « Seigneur, dans la grotte de ta blessure, mon âme trouve le repos. » Presque en écho, les habitants de Weissensee adoptent cette devise : « Ici, dans la grotte des plaies de Jésus - je trouve le repos de mon âme. » Entre ces panneaux se trouve encore la Mise au tombeau avec le bel emblème de la salamandre. (Fig. 12 et 13) Pour le 6e dimanche après Pâques, l’Augen- und Hertzenlust commente la haine publique que devront affronter les disciples (Jn 15, 18-21), au moyen de l'image de la salamandre dans le feu. Dans le Physiologus, on lit que la salamandre est capable d'éteindre toute une fournaise. Si l'animal y parvient grâce à sa disposition naturelle, comment les trois jeunes Hébreux dans la fournaise du livre de Daniel ne resisteront-ils pas au feu grâce à la louange de Dieu ?736 Dilherr s’empare de ce trait de l’histoire naturelle et écrit à propos de la salamandre : Wenn Christus für uns ist, so schreibt er: „Was kann nun wohl für eine Angst/ Noth/ Wiederwertigkeit/Verfolgung/ Plag/ Schmertz/ oder Tod seyn; ... Dieser (scil der Hl. Geist) macht; dass/ ob wir gleich/ in ein Feuer der Trübsal/ gerathen/ wir doch darinnen/ an unser Seelen/ unbeschädigt bleiben: wie das Thierlein Salamandra, mitten in der feuersglut/ Lebendig und unversehrt bleibet.“ 737 Puisque le Christ est avec nous, il écrit : „Que sont à présent l'angoisse, la détresse, les tribulations, la persécution, le tourment, la douleur ou la mort ? Celui-ci (le SaintEsprit) fait que même si nous tombons dans un feu d'affliction nous y restons intacts dans notre âme comme ce petit animal, la salamandre, qui au milieu de l'ardeur du feu reste vivante et intacte.“
Par le choix de l'emblème de la salamandre, les concepteurs de Weissensee mettent à nouveau en avant le caractère éthique de l'interprétation de la Passion de Jésus.
736 737
Treu 1981, p. 60. Dilherr 1661, p. 114.
401
le modèle (exempel) : le Christ a souffert de manière exemplaire afin que le croyant puisse persévérer dans la souffrance. Le développement de la première idée directrice (satisfactio) est décisif pour notre contexte. L'idée de la satisfaction a été exprimée dans la séquence de Jésus dans le jardin de Gethsémani. Chez Johann Gerhard, dont l'ouvrage de référence faisait d'ailleurs partie de la bibliothèque théologique de Dilherr, on lit ce qui suit : Wie kömpt es denn dz der Son Gottes allhie also zittern und sich engstet?… Die Vrsach ist diese weil er nemlich dasmal mit aller Menschen Sünde mit Gottes Zorn vnd Hellenangst beschweret war.738 Comment se fait-il que le fils de Dieu tremble et se ratatine de la sorte ?… La raison en est qu'il était alors accablé par tous les péchés des hommes, par la colère de Dieu et la peur de l'enfer.
Le Christ pleure et tremble dans le jardin de Gethsémani parce que suivant Gerhard il ressent la colère de Dieu. Gerhard recourt ici à une interprétation médiévale de la Passion de Jésus, selon laquelle le Père offre son fils pour apaiser sa colère contre les péchés des hommes. Cette interprétation n’a plus cours dans la génération de Dilherr. Désormais, on avance plutôt l’idée selon laquelle le Christ se donne lui-même par amour pour le croyant, se sacrifie lui-même et n'est plus sacrifié par le Père.739 C'est ce qu'illustrent les deux emblèmes sur la Crucifixion et la Résurrection. Le marcheur dépose le fardeau de ses péchés sur la croix en sachant que le Christ le portera. Dans l'emblème de la Résurrection, le Christ permet au pécheur de trouver son réconfort dans sa plaie au côté. Il s'agit toujours de la relation personnelle du croyant avec le Christ. Il n'est pas question de la colère du Père, ni de celui-ci en général. Mais à mon avis, le cycle de Weissensee va encore plus loin que Dilherr dans la voie d’une nouvelle interprétation de la Passion. Certes, le motif de la substitution est important dans les différentes étapes du chemin de la Passion, tout comme la dimension personnelle et l'émotion. Toutefois à Weissensee, c'est manifestement la notion d’exemplarité (exempel) qui passe au premier plan dans le choix des emblèmes. Il vaut la peine d'examiner de plus près l'interprétation emblématique de la prière de Jésus à Gethsémani. L'orthodoxie luthérienne traditionnelle voyait dans cette étape de la Passion la colère de Dieu, la génération de Dilherr le dévouement par amour. À Weissensee, le choix de l'emblème ne se rattache cependant ni à l'un ni à l'autre, mais promeut l'exemple de Jésus, à savoir le choix de l'emblème avec les agneaux qui tirent la croix. C'est ainsi que le chrétien doit aussi se
738 739
Gerhard 1611, p. 16,57. Axmacher 1984, p. 205.
404
comporter dans la souffrance : « Quand notre croix est grande et lourde, alors nous aident la patience et l'espérance. » Ce caractère de modèle et d'exemple se retrouve également dans les emblèmes sur l'Entrée à Jérusalem (la vigne qui pleure), dans l'image de l'Ecce Homo (le Portement de Croix en tant qu'allégorie), dans la Mise au tombeau (la salamandre). Le motif exemplaire était manifestement un point fort dans le choix et l'attribution des emblèmes aux différentes stations de la Passion. Conclusion Dans le cycle de Weissensee, les emblèmes choisis parmi les œuvres de Dilherr interprètent l'histoire biblique du salut, représentée sur les panneaux des galeries Nord et Sud. Les emblèmes constituent un commentaire interprétatif des images bibliques. Ce faisant, les concepteurs ont suivi leurs propres critères en introduisant davantage d'aspects éthiques et moraux dans la compréhension classique de la Passion. Pour y parvenir, ils ont modifié les emblèmes littéraires et, à la différence de Freudental, ils ne les ont pas cités. La transformation s'opère à deux niveaux. Tout d'abord au niveau de l'emblème individuel : la devise est modifiée et dans un cas, la pictura ellemême. Le deuxième niveau de transformation est déterminant : il permet de créer un nouveau cadre sémantique dans le contexte du cycle biblique. Grâce à la fonction de commentaire des emblèmes, leur contexte littéraire d'origine est abandonné au profit de l'année liturgique et de ses références scripturaires. En revanche, une nouvelle relation est établie entre les emblèmes et d'autres récits bibliques figurés sur la tribune. Le choix des emblèmes a été guidé semble-t-il par des principes moraux et éthiques exemplaires. Cela est particulièrement évident pour les panneaux relatifs à la Passion. Grâce au changement du support et à la recontextualisation des emblèmes, on aperçoit donc très bien avec les emblèmes de Weissensee un exemple de processus de transformation mutuelle. Il se produit au niveau de l'emblème lui-même et au regard du programme ou du nouveau contexte, ici un cycle biblique. Les concepteurs anonymes du cycle de Weissensee ont pratiqué l'emblématique appliquée et ont approfondi la réflexion sur l'emblématique. Traduit de l’allemand par Paulette Choné Bibliographie Axmacher 1984 : Elke Axmacher, »Aus Liebe will mein Heyland sterben“ – Untersuchungen zum Wandel des Passionsverständnisses im frühen 18. Jahrhundert, Stuttgart 1984, p. 205.
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Dilherr 1660. Johann Michael Dilherr, Heilige Sonn= und Festtags=arbeit. Das ist : Deutliche Erklärung Der jährlichen Sonn= und Festtäglichen Evangelien : in welcher Dreiständig=nachdenckliche Sinnbilder vorangesetzet; Hernach Die Wort gründlich erwogen nützliche Lehren herausgezogen und über die meinsten (!) Text Drei Predigten zufinden sind: So in unterschiedlichen Jahren gehalten worden, Nuremberg, Johann Andreas Endter, 1660. Dilherr 1661 : Johann Michael Dilherr, Augen- und Hertzens-Lust. Das ist Emblematische Fürstellung der Sonn= und Festtäglichen Evangelien. In welcher zu finden Erstlich der Inhalt der Evangelien; Zum andern die fürnehmste darinnen enthaltene Lehren; Zum Dritten ein darauf gerichtetes Gebethlein; zum Vierdten ein Lied so auf das Evangelium und auf das Emblema oder Sinnbild gerichtet, Nuremberg, Johann Andreas Endter, 1661. Dilherr 1663 : Johann Michael Dilherr : Hertz= und Seelen=Speise Oder Emblematische Haus= und Reise=Postill : in welcher Alle Sonn= und Festtägliche Evangelia gründlich erkläret und der heilsame Nutz zu Stärckung deß Glaubens und Besserung deß Lebens deutlich gezeiget die gantze Predigt zum Beschluß auf das allerkürtzeste wiederholet und mit einem Sinnbild geendet wird. Itzo zum andernmal aufgeleget..., Nuremberg, Johann Andreas Endter, 1663 Dilherr 1663 : Johann Michael Dilherr, Heilig=Epistolischer Bericht Licht, Geleit und Freud. Das ist : Emblematische Fürstellung Der Heiligen Sonnund Festtäglichen Episteln : In welcher Gründlicher Bericht von dem rechten Wort=Verstand ertheilet; Dem wahren Christenthum ein helles Licht furgetragen; Und ein sicheres Geleit mit beigefügten Gebethen und Gesängen zu der himmlischen Freude gezeiget wird, Nuremberg, Johann Andreas Endter, 1663. Friedemann Graßner 1996 : Heide Friedemann Barbara Graßner Ingeburg Standhardt, « Chronik der Stadtkirche St. Peter und Paul », unveröffentlichtes Script im Kirchenarchiv Weißensee 1996, zitiert nach : Mary Randhage : « Restauratorischer Untersuchungsbereicht, Weißensee Stadtkirche St. Peter und Paul », Juni 2005, p. 9. Gerhard 1611 : Johann Gerhard, Erklärung der Historien des Leidens und Sterbens vnsers Herren Christi Jesu nach den vier Evangelisten (1611), herausgegeben von Johann Anselm Steiger, Stuttgart, 2002, p. 16,57. Jöns 1976 : Dietrich Jöns, « Literaten in Nürnberg und ihr Verhältnis zum Stadtregiment in den Jahren 1643-1650 nach den Zeugnissen der
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Ratsverlässe », in : A. Schöne (dir.), Stadt - Schule - Universität Buchwesen und die deutsche Literatur im 17. Jahrhundert. Vorlagen und Diskussionen eines Barock-Symposions der Deutschen Forschungsgemeinschaft 1974 in Wolfenbüttel, Munich 1976, p. 84-98. KühneMötsch 2012 : Hartmut Kühne Johannes Mötsch, « (K)ein Heiliger aus Thüringen. Legenden und Kult des „guten Conrad von Weißensee“ im 14. Jahrhundert und am Vorabend der Reformation », Zeitschrift für Thüringische Geschichte, 66, 2012, p. 7-40. Lieske 2003 : Reinhard Lieske, « Die Emporebilder in Freudental und ihre Botschaft – Ein Beispiel frühpietistischer Kirchenausmalung? », Blätter für württembergische Kirchengeschichte, 103, 2003, p. 87. Peil 1978 : Zur « angewandten Emblematik » in protestantischen Erbauungsbüchern : Dilherr, Arndt, Francisc, Scriver, Heidelberg, 1978. Saubert 1652 : Geistliche Gemaelde ueber die Sonn- und hohe festtägliche Evangelia : Sambt etlichen andern Predigten aus den Sprüchwörtern Salomonis, den Propheten und Episteln deß H. Apostels Pauli, so zur Erklärung der Evangelien dienlich; Sambt einem fünfffachen Register, Nuremberg, Wolffgrang Endter, 1652. Treu 1981 : Ursula Treu, Physiologus, Frühchristliche Tiersymbolik, Berlin 1981, p. 60.
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Le programme du plafond de l’église paroissiale de Bargum (Frise-duNord). Emblématique et typologie biblique Ingrid Höpel (Christian-Albrechts-Universität zu Kiel) Dans le volume consacré par le pasteur érudit Hans Nicolai Andreas Jensen à la statistique ecclésiastique du duché de Schleswig pour l’année 1840, la notice relative à la localité de Bargum indique : « La communauté de Bargum est dans son ensemble pauvre, mais les habitants (Frisons) sont économes, actifs et industrieux, très religieux, et très attachés à la piété domestique »740. Cette description de la paroisse de Bargum peut valoir pour toute la région du sud-ouest du Jutland, comme le montre le nombre étonnamment élevé de productions emblématiques non seulement dans les lieux de culte, mais surtout dans la sphère privée. Car cette région située au nord de Husum n’a pas d’égale quant aux armoires peintes de motifs emblématiques conservées dans les maisons paysannes. Pourtant, rien ne démontre que les habitants aient eu quelque contact que ce soit avec le répertoire iconographique des emblèmes. Ces armoires proviennent de la ville de Husum et des villages de Breklum, Struckum et Bombüll741. Un tableau de Jacob Alberts daté de 1894 montre l’aspect d’une pièce ornée de peintures emblématiques ; il représente un intérieur sur l’île de Hallig Gröde, avec un lambris de bois à décor d’emblèmes742. Les églises voisines d’Enge, Leck et Breklum renferment comme celle de Bargum des décors emblématiques743. L'église du village de Bargum, construite en briques, à nef unique et plafond plat, date de la fin du XVe siècle. Elle se caractérise par un chœur en retrait sans abside ; un clocher indépendant en bois du xvii siècle se dresse à l’écart. L'église a été rénovée en 1702. C’est à cette occasion que le plafond de bois à solives a reçu son décor peint qui a survécu jusqu’à nos jours. Il présente 33 peintures ovales ou rondes disposées en trois rangées parallèles (Fig. 1), entourées de feuilles d'acanthe alternativement peintes en noir et blanc ou jaune orangé sur fond gris clair. Toutes les représentations sont disposées de manière à pouvoir être lues d’ouest en est à partir de l'entrée, qui fait face à l'autel. D’un bout à l’autre, les médaillons centraux occupés par des scènes de la vie du Christ se distinguent particulièrement des médaillons latéraux presque ronds par leur forme oblongue plus large. 740
Jensen 1840 ; sur Bargum, p. 735-738, ici p.736. Voir Höpel 1999, p. 389-421 et Höpel 2004.2, p. 173-209. 742 Aujourd’hui au musée Kunst der Westküste à Alkersum auf Föhr. Ces décors se rencontrent également sur des panneaux de portes d'armoires, mobiles ou des placards muraux. 743 Cf. Höpel 2016, p. 179-190. 741
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Alors que l'Ancien Testament et les représentations emblématiques sont commentés par des textes sur des phylactères dans la moitié supérieure de la pictura, les scènes du Nouveau Testament se passent complètement de textes. Peut-être a-t-on estimé que les représentations du Nouveau Testament étaient connues et n'avaient pas besoin d'explications, contrairement aux sujets de l'Ancien Testament et aux représentations emblématiques. Les emblèmes se dispensent des commentaires procurés ordinairement par des subscriptiones, comme il est d'usage pour les emblèmes extra-littéraires. En revanche, la compréhension est assurée par le contexte architectural et iconographique. Selon un témoignage des années 1970, le plafond du chœur avait été peint en 1702 de la même manière que celui de la nef. Cependant, des planches du lambris du plafond du chœur ont été enlevées en 1882 à cause de leur mauvais état. Leur disparition a entraîné la perte de la dimension typologique-emblématique du cycle, car ces peintures ont été remplacées par les semis d'étoiles que l'on peut encore voir aujourd'hui744 . Le tableau (Fig. 2) montre la disposition des surfaces historiées conservées au plafond de la nef. La numérotation commence au nord-est par la série d’emblèmes 1 et se termine au sud-ouest, au-dessus de la tribune de l'orgue, par la représentation de la Jérusalem céleste dans le champ 33 du plafond ; certains emblèmes ne sont que partiellement conservés ou ne sont pas visibles, quand ils n’ont pas été détruits à la suite de l'installation de l'orgue au-dessus de la tribune Ouest. Ceci concerne en particulier les zones 1, 4, 7 et 31 du plafond.
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Voir la chronique du pasteur Heinz Götzel, parue dans les années 1970 en plusieurs livraisons sous la forme d’une collection à feuillets mobiles. Je remercie Johannes Steffen, pasteur à Bargum, pour son aimable conseil. Quatre autres emblèmes décorent de nos jours la tribune Ouest ; groupés par deux, ils encadrent douze représentations du Christ, de Moïse et des Apôtres. Ils diffèrent thématiquement et formellement des peintures du plafond et doivent être étudiés séparément.
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Crucifixion. Comme le pélican et le phénix, le lion a migré du Physiologus vers le répertoire figuratif des emblèmes746. Pour concevoir des emblèmes correspondant aux scènes de l’Ecriture sainte, les responsables du cycle de Bargum disposaient ainsi d'un vaste répertoire de modèles d'images possibles, tirées de toutes sortes de sources. Leur sélection témoigne d'une grande culture et d'une parfaite connaissance de la littérature de prédication contemporaine. Mais les sources historiques n’ont pas dévoilé le nom de celui qui conçut le programme iconographique du plafond. La qualité des peintures est variable ; les paysages notamment révèlent une main très personnelle. Ce sont de vastes paysages forestiers et fluviaux avec des scènes à petite échelle sous un ciel bleu qui se teinte de rouge orangé vers les lointains de l'horizon. Les scènes nocturnes telles que le Combat de Jacob avec l'ange ou la Prière dans le jardin de Gethsémani utilisent d’efficaces effets de lumière. Des colonnes et des arcs en plein cintre caractérisent l'architecture et les intérieurs. Bien qu’aucun nom ne soit connu ni pour l'exécution des peintures ni pour leur conception, on peut supposer que les pasteurs ont eu leur mot à dire dans les rénovations et les transformations de l’église, comme cela a pu être établi pour l'église voisine d'Enge747. À l’époque de la réalisation du plafond en 1702, le pasteur Josua Heering, né à Jannewitz en Poméranie et neveu du surintendant général de Schleswig-Holstein Josua Schwarz, séjournait depuis déjà dix ans à Bargum. Von Heering est connu pour avoir été inscrit comme étudiant à Königsberg en 1678748. Rien n’indique qu’avant son séjour à Bargum il ait eu une affinité particulière pour l'emblématique ou la typologie. En tout cas, en tant que théologien de formation, il a dû être familier tant de la littérature typologique de prédication que des livres d'emblèmes, qui ont pu stimuler son inspiration749.
La conception des champs typologiques-emblématiques 10 à 33 On ne peut qu'émettre des hypothèses sur les thèmes des neuf panneaux du plafond du chœur enlevés en 1882. Dans la rangée du milieu, l'Adoration des bergers devait certainement être précédée par une représentation de la Nativité et de l’Annonce aux bergers, après une représentation de l’Annonciation ou la Visitation. Les trois premiers emblèmes de la nef, qui accompagnent les médaillons centraux de l'Adoration des bergers, de la 746
Jacques Callot donne l’exemple de la lionne dans son recueil d’emblèmes Vita Beatae Mariae VirMatris Dei Emblematibus Delineata, embl. 20. 747 Le pasteur Carsten Carstens (1719-1783), en activité à Enge vers 1779, a fait peindre le plafond de son église et a fixé le contenu des représentations en collaboration avec les fondateurs. Voir Höpel 2016, p. 180 sq. 748 Sur Heering, voir Jensen 1840, p. 738 et Arends 1932, p. 347. 749 Sur la typologie dans la littérature de prédication, voir Telesko 2016, passim.
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avec un bouclier se protège des flèches du diable. À Bargum, la peinture représente aussi le diable avec des flèches et un arc ; cependant, il ne vise pas les humains, mais un cœur pars pro toto. Il existe des précédents de ce motif dans les livres d'emblèmes, par exemple dans les Emblemata Sacra de Daniel Cramer. L'emblème 5 de Cramer montre la main de Dieu sortant des nuages et tenant un bouclier devant un cœur pour le protéger, avec la devise Lateo751. La pictura emblématique suivante (13) montre deux anges dispersant des fleurs blanches sur une table à la surface rouge, avec une citation tirée du Psaume 23, verset 3 : « Il rafraîchit mon âme. Psaume 23:3 ». L'emblème est mis en relation avec la Cène dans le médaillon central du plafond. Le médaillon correspondant de l'Ancien Testament représente la rencontre entre Abraham et Melchisédech, qui remet à Abraham du pain et une carafe de vin, préfiguration courante de la Cène du Seigneur. L'emblème commente la Cène en faisant référence au rafraîchissement de l'âme et intériorise ainsi le réconfort procuré par le vin et le pain. Le rafraîchissement de l'âme est une métaphore courante dans les livres d'édification piétistes liés à la Cène, comme par exemple Göttlicher Liebesflamme d’Heinrich Müller752. Le schème formel des deux anges avec leurs longues robes flottantes et dispersant des roses fait également référence aux œuvres de Heinrich Müller. Mais le jésuite Hermann Hugo associe déjà la métaphore du rafraîchissement aux fleurs et aux fruits, réminiscence du Cantique des Cantiques753 . Parallèlement à la prière du Christ dans le jardin de Gethsémani et au combat de Jacob avec l'ange, l’emblème du pélican nourrissant ses petits de son propre sang apparaît au compartiment 16. La pictura est accompagnée d'une citation biblique (1 Pierre 2, 24 ) : « Par quelle blessure avez-vous été guéri ? » La représentation du pélican comme image de la mort sacrificielle du Christ est très répandue dans l'iconographie chrétienne, et non seulement dans les emblèmes. Le même motif est également utilisé sous une forme différente à la tribune de l'église voisine d'Enge. La Flagellation du Christ est mise en correspondance typologique, comme il est fréquent, avec Moïse frappant le rocher (Fig. 1).
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Cramer 1624. Müller 1676, chap. 13 avec l’inscription : « Göttliche Liebes-Flamme herfür scheinend In der süssen Seelen-Erquickung » (Flamme de l’amour divin jaillissant du doux rafraîchissement de l’âme), p. 368 sq. 753 Hugo 1632, livre 3, embl. 2, d’après le Cantique des Cantiques 2, 5 : « Fulcite me floribus, stipate me malis » (Soutenez-moi avec des fleurs, fortifiez-moi avec des pommes). 752
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probablement par les mots de saint Matthieu : « Veillez à ce que personne ne vous trompe » (Mat. 24,4). La figure rouge et nue est peut-être le diable qui détourne les navires et par transposition les hommes dont il veut faire des adeptes des fausses doctrines. Par sa forme, le phare rappelle celui de Johann Ulrich Krauss dans ses Tapisseries Du Roy, où toutefois le diable naufrageur n’apparaît ni au sommet de la tour ni dans l’avertissement doctrinal758. La conception des champs 1 à 9. Réflexions pour une restitution Ces zones décorées – elles ne sont conservées que partiellement commencent à la paroi séparant la nef du chœur avec au milieu l’Adoration des bergers, accompagnée de la représentation de Moïse se déchaussant devant le buisson ardent avec le verset : « Je veux aller par là et regarder cette grande vision 2. B. Mos. 3 3 3 ». Le Buisson ardent est juxtaposé à l’Adoration des bergers parce que Moïse reçoit dans la vision de Dieu une réponse aux doutes de son peuple à propos de l'existence d'un Dieu qui ne se montre pas et qui n'a aucun nom. L’emblème correspondant dans ce panneau n’est conservé que très partiellement. Il montre un paysage montagneux avec des arbres et des buissons devant un ciel vivement éclairé rouge et jaune. Le fragment de du phylactère indique : « [...A.] Luc. 1, 7 8 » ; il fait référence aux Actes des Apôtres, attribués à Luc. Le chapitre 1 raconte le séjour de quarante jours de Jésus parmi ses disciples après la Résurrection et avant l'Ascension ; les versets 7 et 8 leur annoncent qu’ils doivent recevoir l'Esprit Saint et en rendre témoignage partout dans le monde759. Le verset 9 annonce l'Ascension. Avec la montagne bien en évidence à l’arrière-plan et la couleur saisissante du ciel, le paysage de la pictura pourrait être la toile de fond d'une Ascension figurée de manière emblématique. Les livres d’emblèmes offrent maints exemples de ce procédé. Ainsi, le franciscain Casimir Fuesslin est l’auteur d’un emblème avec le motto Dies Domini, Sic veniet. Act : complété de plusieurs références évidentes au premier chapitre des Actes des Apôtres760. La vignette montre deux anges planant au-dessus d'un paysage avec une montagne et une ville devant un ciel traversé d'éclairs. Dans la deuxième travée, la Circoncision du Christ est accompagnée d'une scène de l'Ancien Testament tirée des Proverbes. Un homme nu porte un cœur dans ses mains et se présente devant le trône du roi Salomon. La scène se déroule devant la base d’une colonne antique et ouvre sur un paysage. Les figures sont différenciées en fonction de leur signification, de 758
Cf. Krauss 1690, partie III. « Il leur répondit : ce n'est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous recevrez une puissance, le Saint Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. » (Trad. Bible de Louis Segond). 760 Füsslin 1696, p. 428. 759
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sorte que l’homme nu est plus petit de moitié que le roi Salomon. Le texte sur le phylactère proclame : « Mon fils, donnez-moi votre cœur. Prov. 23, 26 761». Ce verset de la Bible se retrouve en 1717 dans un livre d’emblèmes évangéliques de Jacob Andreas Friedrich et Johann Dietrich Herrichen. Sous le motto « De la délivrance du cœur », les auteurs ont placé une image représentant à droite un homme rendant grâces à Dieu le Père. La scène se déroule dans un intérieur et la subscriptio déclare : « Mon Dieu, à présent, tu t’es livré mon cœur ; dirige-le vers ton service ma vie durant ». Sur un phylactère, exactement comme à Bargum, le passage biblique est cité d’après les Proverbes762. Ici, comme pour la représentation du serpent d’airain, il devient évident que l'attribution d'une scène à l'Ancien Testament ou à l’emblème n'est pas clairement établie et peut être modifiée au besoin. Des motifs de l'Ancien Testament se retrouvent éparpillés parmi les images des livres d'emblèmes, parfois très transformés comme chez Herrichen, où le roi Salomon est remplacé par Dieu le Père. À Bargum comme dans l’ouvrage de piété d’Ulm, l’enchaînement comparatif associé à la Circoncision de Jésus est mis en œuvre par le thème du fidèle qui retranche son propre cœur pour en faire l’offrande. La circoncision physique de l'enfant est intériorisée spirituellement ; le renoncement au cœur est utilisé comme une image de la disposition du chrétien à une vie pieuse. Dans ce groupe de trois, le médaillon emblématique a également souffert. Il reste un fragment de paysage avec une rivière et un arbre, mais tous les éléments importants semblent manquer. Dans le ciel flotte un phylactère au milieu duquel on a peint la date de la restauration, 1956. Une partie conservée de la peinture originale à droite révèle cependant ce fragment d'inscription : « [...] B. Mos. 10, 16. » qui se réfère au passage sur la circoncision au verset 16 du chapitre 10 du Deutéronome : « Vous circoncirez donc votre coeur, et vous ne roidirez plus votre cou ». La circoncision du cœur et la mise en garde contre l'obstination sont ici liées aux nouvelles Tables de la Loi et à leur dépôt dans l'Arche d'Alliance. Le paysage comme lieu de l’action s'inscrit dans le texte biblique qui peut être reconstitué dans l’inscription, qui peut jouer le rôle du motto, comme dans les autres picturae. Ce qui avait pu être représenté dans le paysage, en revanche, ne peut être reconstruit que de manière hypothétique. La circoncision du cœur en référence au Deutéronome est représentée dans la Schola Cordis de Benedikt van Haeften sous la forme caractéristique du recueil par les figures d’Amor Divinus et Anima. Anima tient dans sa main un cœur bandé auquel sont attachés des accessoires de la vanité mondaine, un instrument de musique et un bonnet de fou. Debout à côté d’elle, Amor Divinus lui tend un couteau avec lequel elle peut libérer le cœur de ses 761
La citation suit exactement la formulation des Proverbes 23,26 «Mon fils, donne-moi ton coeur, et que tes yeux se plaisent dans mes voies. .» 762 Herrichen 1717, f. 2.
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entraves. La pictura a pour devise : Cordis Circvmcisio. Circumcidite praeputium cordis uestri. Deuteron. 10. 16. Une mise en image analogue s’observe dans le médaillon emblématique du plafond de l'église de Bargum. D’ailleurs, une autre indication suggère qu’une représentation de ce genre figurait dans la pictura perdue ; dans le livre d'emblèmes déjà mentionné de Herrichen et Friedrich de 1717, le feuillet 4 présente une vignette qui montre un personnage avec exactement le même cœur bandé, les mêmes instruments de musique et le bonnet de fou qu’Anima dans le recueil de Benedict van Haeften. La vignette de Herrichen et Friedrich montre un paysage avec la main de Dieu sortant des nuages et présentant un couteau. L’inscription cite librement le Deutéronome, 10, 16 : « Taillez le prépuce de votre cœur ». Des représentations d'après la Schola Cordis de Van Haeften et les Pia Desideria d’Hermann Hugo se trouvent également à la tribune de la Kreuzkirche protestante à HamburgWilhelmsburg. Il était courant dans la région de pratiquer les livres d'emblèmes catholiques et de les utiliser en les adaptant à des besoins spécifiques de la représentation763. À la travée suivante, le Baptême du Christ est typologiquement juxtaposé au sujet vétéro-testamentaire de l'Arche de Noé. Le phylactère annonce : « dans lequel un petit nombre, c'est-à-dire 8 âmes préservées [...] ». C’est une citation de la première épître de Pierre 3, 20 : « […] la construction de l'arche, dans laquelle un petit nombre de personnes, c'est-à-dire huit, furent sauvées à travers l'eau ». Selon Pierre, les huit rescapés du Déluge furent Noé et sa femme, ses trois fils et leurs femmes. Le Déluge et l'Arche de Noé sont les préfigurations du Baptême du Christ, de sa promesse de salut et de sa victoire sur la mort. L'emblème associé (7) ne montre pas un paysage mais un espace sombre et indéfini divisé horizontalement par une poutre ou une sorte de pont. Sur le phylactère, on devine à droite le fragment d'un passage biblique qui n'a pu être identifié : « [...] h. 13, 1 ». Le baptême est un sujet fréquent dans les livres d'emblèmes ainsi que dans les emblèmes extralittéraires. Par exemple, dans la St.-Jürgen-Kirche de Gettorf, le couvercle de la cuve baptismale a été décoré en 1717 de huit emblèmes faisant tous référence au sacrement du baptême764. Il s'agit de motifs aussi variés que l’est la liturgie baptismale : une chute d'eau, un putto humidifiant un cœur avec un arrosoir, des fleurs arrosées par la pluie, ou le vieil Adam recevant de nouveaux vêtements. Plusieurs de ces picturae ont été conçues selon les Devises et Emblemes Anciennes et Modernes765. L'un de ces emblèmes montre des fleurs vivifiées par une pluie bienfaisante, avec le motto : « La bénédiction du Ciel vous rend riche ». Il a été repris sur le couvercle des fonts baptismaux de Gettorf avec cette 763
Voir Höpel 2004.1. Voir Bieber 2016, P. 169-178. 765 Devises et Emblemes Anciennes et Modernes 1697, tableau 27, 9. 764
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subscriptio ajoutée : « Celui qui croit et qui est baptisé sera béni ». Comme dans le livre, l’image est coupée par une ligne horizontale d’où poussent les fleurs. De même, un trait brun divise en deux l’emblème du plafond à Bargum. La zone sombre au-dessus de l'horizon pourrait être un ciel sombre d'où tombe la pluie. Tout comme pour les champs 1 et 4, les considérations visant à compléter l’image emblématique restent toutefois hypothétiques pour ce champ 7. Peut-être certains travaux de restauration scientifique pourraient-ils résoudre ces problèmes. De même, il serait souhaitable d'étudier les vestiges de la couverture du chœur où se trouvait la partie disparue de ce programme. Le point de vue du spectateur et le sens de lecture Si l’on entre dans l'église par l'ouest sous la tribune de l'orgue, la peinture du plafond se laisse découvrir dans le sens de la lecture. Dans son état actuel, le cycle commence directement au mur de séparation entre la nef et le chœur. La chaire est située du côté sud de la nef, entre les deuxième et troisième travées. Elle cache certaines parties des scènes de l'Ancien Testament, les Proverbes de Salomon et l'Arche de Noé. Alors que la plus grande partie de l’assemblée paroissiale perçoit correctement en perspective le plafond en ayant vue sur l'autel et la chaire, le cycle se présente à l'envers au pasteur quand il est à l'autel et en chaire. S'il tourne son regard vers l'autel, il peut voir correctement en perspective les deux premières travées (l’Adoration des bergers et la Circoncision). Celui qui entre dans l'église et l'assemblée qui assiste au service peuvent contempler depuis la nef tout le décor du plafond, qui d’ailleurs semble bien avoir été conçu pour être ainsi perçu. De l'est, si l’on regarde vers l'autel, le cycle s’offre aux fidèles selon la chronologie de la vie du Christ. De là, selon l'endroit où l’on se tient dans l'église, le regard peut se tourner vers l'ouest, vers la tribune d'orgue et vers l'entrée. Le cycle s’achève avec les dernières travées consacrées à la Résurrection et à l'Ascension, qui situées sous la tribune occidentale ne sont plus visibles maintenant. Tout en tournant ses yeux vers le haut, le fidèle peut en fait parcourir le chemin à travers la nef en direction de l'autel, par exemple s’il s’avance pour recevoir la Cène. Ou bien il considère la peinture d'un endroit précis dans la nef, assis ou debout. Dans ce cas, il n'y a aucun endroit d'où l'on peut ignorer tout le plafond ; à chaque endroit de la nef il y a un point de départ différent pour la lecture, de sorte que dans chaque cas une nouvelle zone iconographique est perçue comme centrale et peut devenir le point de départ pour la méditation mentale du spectateur. À la différence de nombreux exemples de plafonds peints d’Allemagne du Sud ou d’Italie avec leurs voûtes en berceau ou en dôme, à Bargum le décor n’a pas été pensé à partir d'une perspective illusionniste centrale définie pour un spectateur idéalement placé, mais plutôt sous forme de
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rangées et de « champs » d’images successifs alignés les uns derrière les autres766. Il existe des peintures de plafond comparables avec des emblèmes inclus dans des programmes complexes sur des plafonds plats dans des églises et des hôtels particuliers en Allemagne centrale et orientale, par exemple dans l'église de l'Ordre des Chevaliers Teutoniques à Lucklum am Elm, dans l’église St.-Gothard à Jahna près de Chemnitz ou dans l'architecture civile, comme au Kügelgenhaus à Dresde ou au château de Niederjahna près de Meißen767. De nombreux exemples se retrouvent aussi dans le décor sacré et profane dans divers cantons de Suisse768. Pour apprécier une conception emblématique comme celle du plafond de l'église de Bargum, une lecture liée à un seul lieu d'observation, valable pour les plafonds illusionnistes, n’a pas de sens, pas plus qu’une perception purement linéaire, qui s’applique aux tribunes de Katharinenheerd auf Eiderstedt, à celle d’Enge ou encore de Leck. Il s'agit plutôt ici d'établir un système combinant en surface des alignements multiples, avec une structure de relations interlinéaires. Chaque emblème n'est pas seulement voisin d'une scène du Nouveau Testament, il peut aussi se rapporter à la scène de l'Ancien Testament placée sur la même ligne ainsi qu'à ses « co-emblèmes » dans la ligne précédente ou suivante. Cette disposition rappelle la conception de l'autel de Bad Segeberg, dont les 32 panneaux emblématiques forment un système de présence visuelle simultanée de picturae et motti organisés suivant des symétries et des parallélismes, jouant autour de la conception luthérienne de la Cène du Seigneur ; ce système ne peut être parfaitement actualisé par une lecture linéaire, mais uniquement en promenant intuitivement les yeux d'image en image769. Dans un espace allongé comme l’est la nef de Bargum, il faut ajouter à la pérégrination visuelle le déplacement, un parcours spatial, afin que l'ensemble du programme ne se révèle qu'à ceux qui se meuvent dans l'église. L'église du village de Bargum appartient au contexte de l’emblématique sacrée de l'Europe centrale et septentrionale. Les emblèmes de l'arrière-pays de Hambourg jusqu'au Sud du Jutland datent essentiellement de la seconde moitié du XVIIe et du début du XVIIe siècle. Bargum relevait autrefois du duché de Schleswig-Holstein-Gottorf et faisait donc partie du royaume du Danemark au moment de la création des emblèmes en 1702. Le programme typologique-emblématique du plafond peint de son église relève de la tradition du Jutland, caractérisée par de nombreuses réalisations 766 À propos de la perception de la peinture illusionniste des plafonds aux XVIIe et XVIIIe siècles, il existe déjà de nombreuses études sur l'importance de la place du spectateur. Voir par exemple Büttner 2001. Cependant les plafonds plats à compartiments ou caissons supposent des modes de perception particuliers. 767 Sur Lucklum, voir Oertel 1975 et 1981. Sur les demeures en Saxe, Donath 2014 et 2017. Sur la Kügelgenhaus à Dresde, voir Freytag, Peil, s. d. 768 Cf. Bitterli 2018. Voir aussi www.emblemata.ch. 769 Sur l’autel de la Marienkirche de Segeberg, voir Höpel 2014.
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emblématiques. Ce décor du plafond de la nef, inhabituel dans les régions du Nord et sa conception typologique-emblématique indépendante le distinguent fondamentalement de toutes les autres réalisations. Dans tout le Schleswig-Holstein actuel, il n’existe pas d'autre programme typologique comparable, qui occupe avec une présence aussi frappante l'intérieur d'une église. La conception du plafond est adaptée spécifiquement au lieu. Les scènes de la vie de Jésus, classées chronologiquement, déterminent la séquence des représentations qui les accompagnent. Les scènes de l'Ancien Testament suivent les programmes typologiques habituels. Les huit emblèmes qui sont restés intacts ne sont conformes que partiellement à nos attentes - le pélican, par exemple, le serpent d’airain ou le diable qui essaie de tirer des flèches sur un cœur. La plupart du temps, on a choisi des représentations plutôt inhabituelles comme les anges éparpillant des fleurs sur une table, le drapeau au lion ou le char de la Foi. On n’a pas suivi directement de modèles gravés ou de livres à figures pour les scènes du Nouveau et de l'Ancien Testament, ni pour les représentations emblématiques. Contrairement à Katharinenheerd par exemple, les emblèmes n'ont pas été choisis d’après un seul ouvrage770. On n’a pas davantage combiné des emblèmes issus des modèles procurés par plusieurs recueils, comme c’est le cas à Hambourg-Wilhelmsburg. À l’évidence, les pasteurs, donateurs ou peintres responsables ont fait confiance à leurs propres inventions picturales. Le fait qu'ils étaient très familiers avec l’illustration biblique contemporaine et avec le répertoire emblématique est démontré par le fait que des motifs similaires à ceux de leurs inventions picturales peuvent être trouvés à la fois dans les livres d’emblèmes et dans des imprimés aussi rares que ceux du franciscain Casimir Füsslin. Les livres d'emblèmes catholiques, luthériens et réformés ont été utilisés indifféremment. Tout près de l'église voisine d'Enge, avec la qualité particulière de son programme et que sa proximité avec la Glücksburger Ackerakademie orientait à la fois vers les Lumières et le piétisme, Bargum est un exemple très particulier d'un concept didactiquement bien pensé qui pouvait être utilisé pour l'enseignement catéchétique de la communauté paroissiale. Traduit de l’allemand par Paulette Choné
Bibliographie Arends 1932: Otto Fr. Arends, Gejstligheden i Slesvig og Holsten fra Reformationen til 1864, Kopenhagen, 1932. 770
Höpel 2004.1.
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Résumés Ouverture Paulette Choné & Jean-François Chevalier L’emblème ou le Continuum rêvé. À l’occasion du XIe Congrès de la Society for Emblem Studies, un défi a éta lancé au graveur, peintre et sculpteur Jean-François Chevalier : créer un recueil d’emblèmes de notre temps. Dans une méditation dialoguée, on retrouve les préoccupations, les doutes et les joies des deux protagonistes traditionnels de la création emblématique, l’auteur de la pictura et l’auteur des textes. Première partie Invention, bricolage et circulation des devises et des emblèmes Maren C. Biederbick Devises jamais vues. Sur les inventions morales de Gabriel Simeoni Parmi les cinq conditions que Paolo Giovio (1483-1552), premier théoricien de la composition des devises, énonce dans son Dialogo dell’imprese militari et amorose (1551), il en est une qui établit une distinction particulière entre les marques d’identité personnelle et les emblèmes : « elle ne cherche aucune forme humaine ». La res picta de la devise représente le portrait métaphorique d’une personne. En 1555, l’éditeur lyonnais Guillaume Rouillé montra une version du manuscrit du Dialogo dell’imprese à Gabriel Simeoni (1509-1570). L’année suivante, Simeoni en élabora une interprétation illustrée. 97 dessins griffonnés témoignent de son influence sur les 102 xylographies du texte de Giovio que Rouillé publia à partir de 1559. L’ébauche de Simeoni (codex Ashburnam 1376) nous est parvenue incomplète. Son index prouve que les feuilles perdues contenaient bien la totalité des 36 inventions qui se retrouvèrent plus tard dans les publications que Rouillé a faites pour cet auteur. En revanche, l’ébauche inclut 28 devises complémentaires. À première vue, 30 à 50% des dessins additionnels du manuscrit de Simeoni et des 36 xylographies comportent des figures humaines ; en outre, ils représentent des caractères généraux et non un individu. Aussi Simeoni et Rouillé les publièrent-ils sous le titre Les devises ou emblèmes heroiques et morales. Par comparaison, 4,9% seulement des devises xylographiées du texte de Giovio contiennent des représentations humaines. Dans l’ensemble de son dialogue, Giovio décrit 148 devises diverses et discute des exemples incomplets et faux selon ses critères. Souvent, ceux-ci n’ont pas
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d’illustrations. Cependant, une forme humaine, celle d’Atlas, est dessinée dans l’une des 20 illustrations conservées du seul manuscrit subsistant du dialogue de Giovio. Cet auteur, qui n’hésitait jamais à assumer une composition ratée, la jugea poétique. Cela prouve que la représentation humaine, pourvu qu’elle soit mythologique, ne contrevenait pas à ses règles. De la même faςon, la représentation d’hommes très velus n’allait pas à l’encontre de la quatrième condition car la société du XVIe siècle y voyait des mirabilia. De plus, les personnages représentant une allégorie, ceux qui sont vêtus à l’antique constituent une exception. Dans cette perspective, on analyse ici quelques devises de Simeoni qui à première vue semblent être des emblèmes, et l’on compare aux inventions dessinées par Simeoni la sélection hétérogène publiée par Rouillé. Daniele Speziari Les emblèmes pour le baptême de Charles Emmanuel de Savoie dans les Pastorales de Jean Grangier Publiées à Chambéry en 1568, les Pastorales sur le baptesme de Monseigneur Charles Emanuel, un prosimètre de Jean Grangier, racontent le déroulement des festivités pour le baptême du prince de Savoie et la déambulation que Janot, Jullion et Louyset accomplissent à travers des salles somptueuses. La description des tapisseries de deux de ces salles donne lieu à trois séries d'emblèmes « nus ». Cet article analyse les Pastorales en tant que recueil d'emblèmes, en les situant dans le contexte européen. Elisabeth Klecker Les santi sepolcri baroques, point de rencontre entre emblèmes, sermons et théâtre musical Outre la présentation naturaliste du corps du Christ mort dans le tombeau, encore courante dans l'Autriche catholique, une forme divergente de « sépulcres » ou sepolcri existait dans la Vienne baroque : des allégories de la rédemption ou des scènes de préfiguration typologique étaient disposées dans des théâtres sacrés (theatra sacra) et servaient de cadre à l'adoration de l'Eucharistie le Vendredi et le Samedi saints. Un aperçu de la manière dont nous devons nous représenter ces sepolcri peut être déduit du pamphlet de Joseph Richter dénonçant les pratiques superstitieuses et les abus de la culture festive baroque (Bildergalerie katholischer Missbräuche, 1784) ainsi que des descriptions conservées dans la chronique de l'église des Augustins. Le nom du créateur, Abraham a Sancta Clara, prédicateur à succès et emblématicien non moins sophistiqué, souligne le fait que les sermons et les emblèmes sont basés sur des techniques exégétiques similaires et, en même temps, stimule les réflexions sur la nature emblématique de ses idées de sepolcri sacri. Combinant des images à la signification plus profonde avec des devises le plus souvent latines, ces sepolcri pourraient être considérés comme des emblèmes géants en trois dimensions, avec le Saint Sacrement
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exposé fournissant une interprétation. En outre, à la cour des Habsbourg, la célébration du Vendredi saint incluait une forme particulière de drame musical, les « Santi Sepolcri » : joués devant un dispositif de sepolcro sacro, ils mettaient en scène des concepts similaires à ceux rencontrés dans les sepolcri de l’église des Augustins, transformant ainsi ces emblèmes tridimensionnels en emblèmes vivants. L'affinité des genres peut être mieux illustrée en comparant le sepolcro Sacra sylvarum comitia (Vienne 1676) au sermon de fête de Casimir Füsslin, illustré de manière emblématique, célébrant l'invention de la Sainte Croix, tous deux basés sur la parabole des arbres de Jotham. Hitomi Omata Rappo Comment représenter les martyrs du Japon par l’emblème ? L’Imago primi saeculi et ses représentations des héros des terres de mission L’Imago primi saeculi (1640) est un important recueil d’emblèmes richement illustré, publié pour le centenaire de la fondation de la Compagnie de Jésus. Il comporte quatre images consacrées aux martyrs japonais, parmi lesquels figure le célèbre Carlo Spinola. Ces images sont bien différentes de l’iconographie traditionnelle de ces figures, centrée sur le crucifiement, car elles procèdent d’un jeu d’association autour du symbole du feu. Cet article démontre comment les Jésuites ont ainsi cherché à créer un nouveau discours sur leurs martyrs, ainsi qu’à diffuser une nouvelle perception de la mission japonaise. Silvia Cazalla Canto De la mystique espagnole à l’emblématique néerlandaise : Fray Diego de Estella et François van Hoogstraten La Vanidad del Mundo du frère Diego de Estella est un traité ascétique dont l’argument principal regarde la vanitas, une idéologie basée sur la brièveté de la vie, la menace constante de la mort et l’insignifiance des choses matérielles. Elle recommande une seule méthode pour se préparer une bonne mort et sauver son âme lors du jugement dernier : la pratique de l’austérité, la pérnitence et la prière. Cet ouvrage fertile qui procura une célébrité universelle au frère Diego de Estella eut une résonance de premier ordre et fut très bien accueilli à l’étranger puisqu’il fut traduit dans plusieurs langues, l’italien, le français, l’allemand, le tchèque, l’italien, le français, l’anglais, le latin, le polonais, le flamand, le croate et même l’arabe. À ces traductions s’ajoutent des versions néerlandaises qui font l’objet de cette étude, car avec un délai elles ont recueilli et transmis la tradition du théologien navarrais. Ces traductions ont entretenu le considérable réseau culturel qui reliait la Hollande et l’Espagne du Siècle d’or, grâce à l’intérêt que suscita le franciscain chez François van Hoogstraten, libraire et humaniste de Rotterdam. Hoogstraten, principal traducteur de l’ouvrage dont il donna
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différentes éditions de 1659 à 1712 (Rotterdam, 1659-1662-1663-1665 et Amsterdam, 1712), fut ainsi l’artisan de sa réception dans les ProvincesUnies. Het voorhof der ziele de François van Hoogstraten (Rotterdam, 1668) est un livre d’emblèmes néerlandais qui définit les traits de toute la littérature emblématique dans les Pays-Bas, comme le caractère polyglotte des textes (neerlandais, latin, espagnol, italien et français) et les scènes et symboles qui apparaissent dans les gravures tournant autour de la vanitas. La comparaison entre les deux œuvres montre qu’elles partagent un lien conceptuel et structurel commun à l’Europe moderne, établissant les points de contact entre le frère Diego de Estella et François van Hoogstraten. On parvient ainsi à identifier les connexions entre les littératures emblématiques de deux foyers culturels bien différents et à démontrer le dynamisme du réseau culturel de l’Europe des Temps modernes. Tetsuo Chikawa De l’emblème à la tragédie : un exemple d’interdisciplinarité chez Nicolas Caussin Dans le but de montrer les modalités de la mise en application de l’emblème dans le théâtre jésuite français du XVIIe siècle, l’étude porte principalement sur Nicolas Caussin, auteur de cinq tragédies latines et d’un livre d’emblèmes. Elle aborde d’abord la question de sa conception de l’emblème. Ensuite, elle analyse la manière dont les éléments emblématiques sont mis en pratique dans ses tragédies. Elle s’achève en proposant d’admettre que le fonctionnement esthétique de l’emblème contribue à mieux atteindre le but didactique des tragédies. Andreas Beck Et pourtant, il tourne. Un jeton emblématique pour le retour de Lille à la France (1713) Le sens des jetons emblématiques semble reposer principalement sur l'interprétation allégorique de la res emblematica. Dans plusieurs cas, cependant, la citation et la variation d'autres emblèmes jouent un rôle-clé dans la production du sens ; c’est le cas par exemple avec un jeton français de propagande commandé par les États de Lille en 1713 lorsque la ville revint à la France après la guerre de Succession d'Espagne. L'allégorisation emblématique de ce jeton est plutôt banale ; mais par une variation habile sur un autre jeton frappé à Paris en 1703, il riposte à une médaille allemande de 1708 célébrant la prise de Lille. Ainsi, le jeton municipal procure un divertissement érudit et par la même occasion donne une leçon sur la constitution du sens des emblèmes.
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Sylvain-Karl Gosselet Le Soleil devise avec les quatre parties du monde Rares sont les suites d’emblèmes ou de devises qui comme les inventions dessinées du manuscrit Smith Lesouëf 98 de la Bibliothèque nationale de France évoquent les quatre parties du monde, pourtant si souvent allégorisées au XVIIe siècle, de façon généralement assez conventionnelle. Les dessins du manuscrit s’affranchissent des contraintes du langage symbolique propre aux manuels d’iconologie de l’époque pour traduire une pensée politique construite autour de la figure de Louis XIV, grâce à des protagonistes prestigieux comme les frères Perrault et le graveur Sébastien Le Clerc. Dominique Delgrange Le livre d’emblèmes ou liber amicorum de Launay, œuvre du faussaire Jean de Launay (Bibliothèque municipale de Lille, manuscrit 17) La vogue du liber amicorum s'est répandue de l'Allemagne aux Pays-Bas et à la France au début du XVIIe siècle. Académiciens, étudiants, patriciens gardent le souvenir de leurs rencontres et de leurs amis dans un livre personnel souvent orné de dessins, de scènes mythologiques, d'armoiries. Le liber amicorum de Jean de Launay, qui fut exécuté pour son activité de faussaire à Tournai en 1687, montre comment des manuscrits anciens peuvent être utilisés au profit d'un escroc spécialisé dans la généalogie. Chloé Perrot Entre livre d’emblèmes et iconologie Daniel de la Feuille, Essay d’un dictionnaire contenant la connaissance du monde Publié pour la première fois à Wesel en 1700 puis réédité à La Haye en 1736 et en 1746 sous le titre Science hiéroglyphique puis La science des hiéroglyphes, l’Essay d’un dictionnaire contenant la connaissance du monde de Daniel de la Feuille s’inscrit à première vue dans l’héritage du célèbre ouvrage de Cesare Ripa ou plus exactement de son adaptation française par Jean Baudoin. Certains thèmes, les traits des personnifications qui les illustrent, bien que simplifiés, la forme arrondie des vignettes, sont autant d’éléments qui ne laissent que peu de doutes sur l’inspiration que De la Feuille a trouvée dans l’iconologie du moraliste éditée au siècle précédent. Cependant, des points de divergence apparaissent également rapidement à l’examen du recueil. Le regroupement des médaillons par séries de douze ou quinze, la formulation de quelques titres comme « En toute condition on peut être heureux », évoquent une autre publication du même auteur, parue en 1691 sous le titre Devises et Emblèmes anciennes et modernes. Ajoutons enfin que la mise en forme des articles, élaborée sur le principe de l’emblema triplex, répond davantage aux exigences de l’emblème qu’au
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modèle de l’iconologie tel que Ripa puis Baudoin l’ont ébauché. En effet, le titre, précédé d’un numéro qui renvoie à l’image correspondante, est ensuite suivi d’un quatrain plus ou moins sibyllin et d’un texte d’explication de longueur variable. L’article s’efforce de comprendre cet étrange Dictionnaire à la frontière de deux genres, d’identifier l’intention de son auteur et son indépendance à l’égard du genre des livres d’emblèmes. Le recueil apparaît en effet peut-être comme le témoin d’une transition voyant l’effacement progressif de la tradition de l’emblème et l’émergence d’une série d’iconologies en langue française ayant chacune sa particularité. Seconde partie De l’emblème au décor Pascal Joudrier Pour une attribution à Pierre Woeiriot du décor sculpté à portée emblématique de l’hôtel de Houdreville à Neufchâteau Bâti entre 1579 et 1594, l'hôtel de Houdreville et actuel Hôtel de ville de Neufchâteau (Vosges) est orné de remarquables sculptures en pierre, sans équivalent dans le sud de la Lorraine, qui s'étendent de la façade sur rue au logis et à l'escalier dans la cour. L’article attribue la conception de cette ornementation à Pierre Woeiriot (1532-1599), compatriote et ami du commanditaire, Jean de Houdreville (1536-1616). Il en dégage la signification emblématique, conforme aux Emblèmes chrestiens de Georgette de Montenay (1571 [1567]), notamment celle de la voûte de l'escalier : quatre avant-bras portant des feuillages et encadrant un énigmatique mascaron de feuilles constituent en effet la signature iconique de Woeiriot et sont fidèles à l'enseignement calviniste. Christa Schlumbohm Véhicules de prestige au temps de la Renaissance. Litières, carrosses et traîneaux à devises À partir de la seconde moitié du XVIe siècle, les coches et les carrosses des nobles italiens, objets de luxe considérés comme symboles de rang social, étaient pourvus d’une décoration à devises. Giovanni Andrea Palazzi eut l’occasion de voir de tels véhicules dans maints endroits, particulièrement à Bologne. Dans ses Discorsi sopra l’imprese, œuvre posthume parue en 1575, il décrit et explique un certain nombre de devises avec lesquelles les nobles bolonais ornaient alors leurs voitures pour manifester leur condition et la conscience de leur valeur. En France, on fut ébloui par les véhicules de Marguerite de Valois, reine de Navarre. Le courtisan et chroniqueur Brantôme s’extasie sur les litières richement dorées et décorées à devises ; la reine, elle, se souvient avec orgueil d’une litière aménagée pour son voyage diplomatique dans les Flandres en 1577 et en donne quelques détails dans
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ses Mémoires. Dans une région septentrionale telle que la Poméranie qui connaissait de longs hivers, ce fut un traîneau de Philippe II, duc régnant de la principauté, qui fut décoré au début du XVIIe siècle d’une devise très élaborée. En se basant sur cette gamme de témoignages, on peut distinguer trois types de devises : celles dont les éléments constituants de l’image sont empruntés aux armoiries de la famille en tant que signes de noblesse et de gloire ; d’autres faites sur le modèle des imprese militari et amorose pour attribuer à un jeune gentilhomme les grandes qualités qui étaient conformes aux idéaux de sa classe ; et troisièmement les devises qui grâce à des variations sur une figure symbolique unique, font de la propagande pour un prince qui ambitionne la souveraineté d’un territoire. Gabriele Quaranta En retraçant un discours silencieux : le Cabinet des Emblèmes du château de Liancourt et sa description par Denis II Godefroy (1637) Denis II Godefroy (1615-1681), visita en 1637 le Château de Liancourt (Picardie): son attention fut retenue par un cabinet d’emblèmes, dont il dressa une description à peu près détaillée (Paris, Institut, Ms Godefroy 221). La petite pièce abritait un double cycle décoratif de treize tableaux: une Histoire de Moïse et une série des devises: le témoignage de Denis Godefroy nous permet ainsi un essai de restitution de ce décor emblématique, ensuite disparu, et quelques notes sur la culture emblématique de ses commanditaires. Marie Chaufour L’emblème appliqué au décor en France du XVIe au XVIIIe siècle. Essai de cartographie et de typologie Suite à la publication en 1531 de l’Emblematum Liber d’André Alciat, le genre emblématique connut un succès considérable en France à partir des années 1540 par l’édition de nombreux recueils tels ceux de Gilles Corrozet ou encore de Barthélemy Aneau. Ainsi que l’avait souhaité Alciat dans sa dédicace à Conrad Peutinger, l’emblème est très vite sorti du cadre du livre pour s’adapter à toute sorte de support, jusqu’à gagner l’architecture et être considéré comme un ornement, constituant parfois l’élément essentiel du décor. L’objectif de cet article est l’étude des programmes emblématiques réalisés en France du XVIe au XVIIIe siècle, qu’il s’agisse de décors sculptés (château de Dampierre sur Boutonne) ou peints dans des demeures privées (châteaux de Bussy-Rabutin, de Cheverny) ou des bibliothèques (Collège des Godrans à Dijon) ou encore sur du mobilier ou des objets d’art décoratif. Il s’agira dans un premier temps de réaliser une cartographie des décors emblématiques connus en France à ce jour, encore in situ, puis d’en étudier quelques-uns et enfin il sera question d’en dresser une typologie. Le but de ces recherches étant d’ébaucher une première synthèse des modes de
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fonctionnement du langage symbolique en dehors du livre d’emblèmes et de devises. Raul Dal Tio Les livres à figures des XVIe et XVIIe siècles et les emblèmes et devises dans la Vallée d’Aoste (Palais Roncas, château Vallaise, Villa Casana) Dans les années 2010-2012, la vente d’édifices historiques par des propriétaires privés a permis de découvrir des devises et des emblèmes peints dans trois sites valdôtains et piémontais. Le premier est le palais qui fut bâti dans le centre d’Aoste au début du XVIIe siècle par le baron PierreLéonard Roncas, Premier Secrétaire du Duc de Savoie Charles-Emmanuel Ier. Le deuxième est le château d’Arnad, du début du XIVe siècle, résidence de la noble famille Vallaise : son programme vaste et composite date de 1670. Le dernier se trouve dans le Piémont, à Montalto Dora, dépendant du duché d’Aoste au commencement du XVIIe siècle. Aujourd’hui appelé Villa Casana, il s’agissait initialement d’un château construit par les descendants des Vallaise vers 1700. Le baron Roncas fit peindre les galeries donnant sur la cour intérieure par des artisans encore inconnus aujourd’hui. Les voûtes sphériques nervurées sont ornées de motifs de style grotesque, avec les symboles du zodiaque au centre et 41 devises dans les lunettes : 16 reproduisent les gravures des éditions de 1566-1580 des Imprese illustri del Signor Gerolamo Ruscelli, 7 le Ragionamento de Luca Contile, 6 les Entretiens d’Ariste et D’Eugene de Dominique Bouhours, 4 le Mondo simbolico de Filippo Piccinelli, et un seul Camillo Camilli, Alciato, Gabriele Simeoni et Camerarius. Le thème est le couple soleil-lune, reprenant les armoiries des Roncas. Le château Vallaise possède deux programmes iconographiques : les exploits tirés des Imprese di diversi prencipi de Battista Pittoni et les emblèmes spirituels des Pia Desideria de Hermann Hugo. 32 emblèmes sont peints sur les murs d’une galerie donnant sur le parc de Villa Casana : 20 reprennent les Amorum emblemata de Otto Van Veen (Anvers 1608), 7 reproduisent les xylographies de l’Iconologia de Cesare Ripa (éd. 1645) et 2 un emblème de Domenico Piccinelli. La peinture d’emblèmes et de devises a donc constitué un phénomène important dans le duché d’Aoste. D’Aoste à Arnad, puis jusqu’au Canavais, un vaste excursus chronologique et formel a été réalisé avec les différentes typologies de la « littérature des images ». Johannes Kandler Delectare aut prodesse… aut gustare Les pale de la Cantinetta Verrazzano et leur feuilletage sémantique La Cantinetta Verrazzano, un restaurant de Florence, propose une sélection d'objets nommés en italien pale, rappelant des pelles en bois, avec des décors combinant des figures et des textes en rapport. La composition se
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divise en une image ou pictura multicolore associée à deux devises ou motti en italien. Leur source est à rechercher du côté de l'Accademia della Crusca, ou plus précisément dans la « Sala delle Pale » où sont conservés plus de 150 exemplaires de ces objets. Chacun d'entre eux est attribué à un savant italien du XVIe au XVIIIe siècle. Selon la théorie de l'emblème, ils doivent donc être considérés comme des devises ou imprese. Pour retracer la signification spécifique des différentes imprese, deux types de lecture ont été confrontées : d'une part, la lecture académique érudite, basée plutôt sur les devises les plus longues ; d'autre part, une lecture actualisée façon Verrazzano, qui prend en compte le changement de cadre institutionnel (le restaurant) des douze pale. Au cours de ce processus, les imprese de l'Accademia della Crusca qui étaient à l’origine personnelles sont finalement devenues anonymes, dans la mesure où soumises aux conditions d’un établissement où est servie de la nourriture, elles peuvent s’appliquer aux nombreux inconnus (les clients) qui le fréquentent. À certains égards cependant, il est apparu clairement que la Cantinetta Verrazzano, considérée elle aussi comme une institution génératrice de sens, avait sa place auprès des inventeurs et porteurs (historiques) d’imprese des débuts de la période moderne. L’analyse se devait ainsi d’indiquer nettement que les douze pale du restaurant et leurs contenus constituent par leurs rapports réciproques une couronne d’imprese d’une grande homogénéité sémantique. José Julio García Arranz & Reyes Escalera Pérez Hermann Hugo au Portugal : l'influence des gravures des Pia desideria sur les azulejos portugais pieux du XVIIIe siècle L’article porte sur l'étude conjointe de quatre programmes d’azulejos, tous réalisés au Portugal durant la première moitié du XVIIIe siècle, inspirés par l'un des livres d'emblèmes les plus populaires sur des thèmes ascétiques : les Pia desideria du jésuite Hermann Hugo. L'objectif de cette étude est de mettre en évidence la remarquable popularité dont l'œuvre a joui au Portugal à partir du milieu du XVIIIe siècle, tant dans le domaine de la littérature que dans celui des arts plastiques, à travers des panneaux de céramique inspirés des gravures originales, qui contribuent à populariser et à simplifier la méthode jésuite de méditation ignatienne en les transformant en allégories exemplaires des vertus monastiques. Dietmar Peil & Ulrich Schöntube Les emblèmes de l’église de Kummerow am See (MecklembourgPoméranie) et la réception du Vrai christianisme de Johann Arndt L'église du village de Kummerow (Mecklembourg-Poméranie occidentale), construite au XIIIe siècle, fut réaménagée vers 1750. À cette occasion, les galeries Ouest et la loge de patronage Nord ont été décorées de 22 panneaux emblématiques. Les images emblématiques trouvent leur source dans
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l'illustration des Vier Bücher vom wahren Christentum de Johann Arndt [Quatre livres du vrai christianisme]. La série d'illustrations est apparue pour la première fois dans une édition publiée à Riga en 1678-1679. Elles ont été imprimées avec de légères variations dans plus de 100 éditions du Vrai christianisme. Dans toutes les éditions, les gravures sont reliées aux mêmes emplacements dans le grand livre de dévotion d'Arndt et leur contenu se réfère aux dévotions qui suivent. Pour la conception des tableaux de Kummerow, les gravures ont été sélectionnées en fonction du programme décoratif. Sur la galerie ouest, les emblèmes d'Arndt ont été utilisés pour thématiser l'illumination du chrétien : il doit s'examiner, s'orienter vers le Christ et se tenir à distance du monde. Dans les tableaux de la loge patronale, c'est la fonction des bancs qui a guidé le choix des emblèmes. La galerie patronale abrite la loge patronale en haut et le confessionnal et le siège des anciens de l'église en bas. Conformément à cette triple fonction des bancs, les emblèmes représentent les thèmes de la confession et de la repentance, des exemples de vie du disciple et les statuts. Le changement de support des emblèmes entraîne des transformations du sens dans le nouveau contexte. Dans la galerie patronale, par exemple, on constate qu'en raison de l'absence de la subscriptio, les emblèmes doivent être interprétés différemment dans le contexte liturgique et dans la source littéraire. À cet égard, la décoration emblématique de l'église de Kummerow témoigne d'un processus d'interprétation extratextuel des emblèmes. Ulrich Schöntube L’emblématique comme approfondissement. Les livres de piété de Dilherr revus et corrigés dans l’église St. Peter und Paul de Weissensee (Thuringe) Schöntube La galerie de l'église Saint-Pierre et Saint-Paul de Weissensee en Thuringe, abrite un cycle de peintures bibliques et emblématiques réalisé à partir de 1663. Les images emblématiques ont pour source deux ouvrages du prédicateur de Nuremberg Johann Michael Dilherr, Augen und Hertzenslust et Heilig Epistolischen Bericht. La sélection des emblèmes ne s'est pas faite selon des critères liturgiques qui auraient été suggérés par des écrits. Les emblèmes commentent les récits bibliques dans les images qui les accompagnent, en mettant l'accent sur les questions éthiques et morales conformément à l'interprétation biblique propre aux Lumières. Lorsque change le support des emblèmes, une transformation s'opère à différents niveaux. Certains emblèmes sont partiellement modifiés dans la pictura pour se concentrer sur une interprétation correspondant à l’histoire biblique qui est représentée. Le « nouveau contexte » de la galerie introduit les emblèmes littéraires de Dilherr dans le processus de réception lui-même.
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Ingrid Höpel Le programme du plafond de l’église paroissiale de Bargum (Frise-duNord). Emblématique et typologie biblique L'église du village de Bargum, à une seule nef et au toit plat, remonte au XIIIe siècle et a pris sa forme actuelle de gothique tardif au XVe siècle. La peinture du plafond à poutres de bois s'étend sur toute la nef et a été réalisée en 1702. Divisée par des poutres en bois transversales, elle ordonne trois champs les uns à côté des autres. Une scène centrale de la vie de Jésus dans le champ central est encadrée latéralement au sud par une scène de l'Ancien Testament et au nord par une pictura emblématique. La scène centrale est particulièrement mise en valeur par sa forme transversale et ovale par rapport aux champs latéraux plus petits et ronds. L'ordre des scènes de la vie du Christ progresse chronologiquement vers l'ouest en partant de l'autel. La Tentation du Christ est encadrée par la représentation d'Adam et Ève avec un arbre et un serpent, ainsi que par la représentation d'un cœur qui se cache derrière un bouclier pour échapper aux flèches du diable, avec la devise : « Tu es pour moi le bouclier, Seigneur ». A côté d'une Flagellation du Christ au centre, la rangée suivante représente Moïse frappant l'eau du rocher (Lévitique 20, 1-13), ainsi que dans le champ de l'emblème un baumier dans l'écorce duquel est planté un couteau servant à extraire le baume. Dans une autre triade, la Crucifixion centrale à plusieurs figures du Christ est accompagnée du Sacrifice d'Isaac et, dans le champ nord, du Serpent d'airain. Certains panneaux portent des phylactères avec des citations bibliques ou des motti. Tous les panneaux sont encadrés de motifs floraux. En raison d'ajouts ultérieurs et d'un état de conservation parfois très médiocre, seule une partie des représentations a pu être identifiée jusqu'à présent. Les emblèmes de l'église de Bargum font partie d'une tradition d'emblèmes dans le Jutland, qui était vivante dans les églises, les manoirs et les habitations jusqu'à la fin du XVIIe siècle. Le programme de Bargum est présenté comme faisant partie de cette tradition, mais dans son expression la plus particulière.
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Remerciements La gratitude des auteurs s’adresse particulièrement à Christian Bouzy, Rosa De Marco, Ingrid Höpel et Bernard Ponton. La publication de cet ouvrage a été rendue possible grâce à l'aide des Amis des Etudes Emblémistes en France (https://aeef.hypotheses.org/)
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Après le livre illustré, devises et emblèmes conquirent très vite les murs des édifices, les objets quotidiens, les décors éphémères inventés pour les fêtes. Ils devinrent peu à peu un objet de curiosité, puis de science, les études « emblémistes ». Ils constituent en effet un observatoire privilégié pour une histoire totale, ouverte sur une compréhension renouvelée des modes de pensée, des sensibilités et des événements du passé.
Andreas Beck, Maren C. Biederbick, Silvia Cazalla Canto, Marie Chaufour, Jean-François Chevalier, Tetsuo Chikawa, Paulette Choné, Raul Dal Tio, Dominique Delgrange, Reyes Escalera Pérez, José Julio García Arranz, Sylvain-Karl Gosselet, Ingrid Höpel, Pascal Joudrier, Johannes Kandler, Elisabeth Klecker, Dietmar Peil, Chloé Perrot, Hitomi Omata Rappo, Christa Schlumbohm, Ulrich Schöntube, Daniele Speziari.
Collection dirigée par Bruno Péquignot
Illustration : projet d’Émile Gallé pour le service « Allégories ». Dessin de Louis Hestaux. Coll. part.
ISBN : 978-2-14-033079-7
45 €
L’IMAGE PENSIVE
Paulette Choné, professeur émérite à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, spécialiste de l’histoire de l’art des XVIe et XVIIe siècles en Lorraine et au-delà, a organisé à Nancy le XIe Congrès international des études sur l’emblème. Marie Chaufour, titulaire d’un doctorat en histoire de l’art, chercheuse-associée à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, auteure d’une thèse et d’une monographie sur le moraliste Jean Baudoin (ca. 1584-1650), consacre maintenant ses recherches aux emblèmes appliqués aux décors en France. Jean-Jacques Chardin, professeur émérite à l’Université de Strasbourg, est spécialiste de la littérature anglaise des XVIe au XVIIe siècles.
Paulette Choné, Marie Chaufour et Jean-Jacques Chardin
L’IMAGE PENSIVE Devises et emblèmes du XVIe au XXIe siècle
Aujourd’hui, toutes sortes de combinaisons proliférantes et erratiques d’objets visibles et d’énoncés ont envahi notre environnement, sollicitant à la fois notre imagination et notre intellect. Plus actuelle que jamais, « L’image pensive », d’après une expression d’Émile Gallé, réunit ici vingt-cinq universitaires français, allemands, italiens, espagnols et japonais.
Études réunies par
Histoires et idées des Arts
Dans toute l’Europe, la Renaissance et l’époque qui a suivi se sont plu à composer devises et emblèmes, au point d’en faire un genre littéraire. Plaisante et didactique, l’association d’une image et d’un mot ou d’un texte fait jaillir des significations surprenantes.
Devises et emblèmes du XVIe au XXIe siècle
Devises et emblèmes du XVIe au XXIe siècle
Paulette Choné, Marie Chaufour et Jean-Jacques Chardin
L’IMAGE PENSIVE