L'hagiographie: ses sources, ses méthodes, son histoire [reprint ed.] 9782873650087, 2873650087


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L'hagiographie: ses sources, ses méthodes, son histoire [reprint ed.]
 9782873650087, 2873650087

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Subsidia hagiographica

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Société des Bollandistes Bruxelles 2000

René Aigrain

L'hagiographie Ses sources- Ses méthodes Son histoire Reproductioninchangéedel' éditionoriginalede 1953 Avecun complémentbibliographique par RobertGodding

Société des Bollandistes Bruxelles 2000

© 1953, Bloud et Gay pour le texte de René AIGRAIN, l'hagiographie.

Ses sources - Ses méthodes - Son histoire © 2000, Société des Bollandistes pour le Complément bibliographique par Robert GoomNG Ali rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted in any form or by any means, e!ectronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the Publisher.

ISSN 0777-8112 ISBN 2-87365-008-7 D/2000/0524/01

INTRODUCTION Publiée il y a près d'un demi-siècle, L'hagiographie de René Aigrain demeure, aujourd'hui encore, l'un des ouvrages les plus fréquemment cités dans les études hagiographiques. Et pour cause: ce manuel n'a jamais été remplacé.· Qui veut s'initier aux études d'hagiographie doit, aujourd'hui encore, commencer par deux auteurs nés au XIX0 siècle: Delehaye et Aigrain. Le premier, hagiographe de profession, fut le théoricien par excellence de sa discipline, dont il sut présenter les aspects principaux dans des exposés lumineux. Le second, autodidacte aux centres d'intérêt multiples, eut l'audace de proposer une synthèse, d'ailleurs largement basée sur les travaux du premier, à une époque où l'hagiographie n'était encore qu'une discipline réservée à une élite, largement ecclésiastique. L'hagiographie telle que la conçoit le chanoine Aigrain se situe dans la grande tradition bollandienne. D'emblée, le ton est donné: «L'hagiographie, c'est, d'après l'étymologie du mot, l'étude scientifique des saints, de leur histoire et de leur culte, une branche donc, spécialisée par son objet, des études historiques» (p. 7). Comme toute discipline historique, l'hagiographie se fonde sur des sources; elle se caractérise par une méthode spécifique; elle a elle-même une histoire: voilà, tout naturellement esquissée, la structure tripartite de l'ouvrage. Que celui-ci accuse plus d'une ride aujourd'hui ne doit pas nous étonner, surtout si l'on considère l'extraordinaire développement des études hagiographiques au cours des trois dernières décennies. Même si l'on s'en tient strictement au point de vue adopté par l'auteur, celui de l'hagiographie critique, les progrès ont été considérables: qu'il suffise d'évoquer l'étude systématique des manuscrits hagiographiques, illustrée par les noms de Fr. Dolbeau, G. Philippart et P. Chiesa, ou celle des procès de canonisation par A. Vauchez. Et si l'on considère le champ des études hagiographiques dans toute l'ampleur et la diversité qui le caractérisent aujourd'hui, le manuel de R. Aigrain accuse davantage encore le poids des ans. Mais d'autres guides, plus attentifs aux dimensions sociologiques, à l'histoire des cultes, aux religions comparées, à la problématique féminine (pour ne citer que quelques unes des tendances récentes) prennent ici le relais: l'on pense aussitôt au Manuale novateur de R. Grégoire 1 , ainsi qu'aux synthèses parfaitement informées de S. Boesch Gajano2 . Toutefois, aucun guide n'est venu remplacer Aigrain dans le domaine traditionnel de l'hagiographie critique. Le très utile volume de dom Dubois et de J.-L. Lemaître, Sources et méthodes de l'hagiographie médiévale3, est davantage une bibliographie qu'un manuel proprement dit: dépourvue d'un ex.posé suivi, elle est d'ailleurs limitée à certains aspects choisis. Pour les raisons qui viennent d'être évoquées, c'est la deuxième partie du

1

R. GRÉGOIRE,Manuale di agiologia. Introduzione alla letteratura agiografica ( = Biblioteca Montisfani, 12), Fabriano, 2 1996. 2

Cf. surtout S. BOESCH GAJANo, La santità ( = Biblioteca essenziale Laterza, 20), Roma, 1999. 3

J. DUBOIS - J.-L. Histoire), Paris, 1993.

LEMAÎTRE,

Sources et méthodes de l'hagiographie médiévale(=

L'HAGIOGRAPHIE

VI

manuel, consacrée à la méthode, qui a le plus vieilli (ce qui ne signifie pas que sa lecture soit aujourd'hui superflue, loin de là). Cette partie repose d'ailleurs essentiellement sur une compilation des ouvrages du P. Delehaye. Par contre, la première partie, consacrée aux sources, et en particulier la section dédiée aux calendriers et martyrologes, demeure I' ABC dans ce domaine. La troisième partie est une histoire de l'hagiographie ... en cent pages! L'approche de l'auteur, qui confond en un unique exposé sources hagiographiques et études critiques de cellesci, hagiographie et hagiologie, selon une distinction pratique mais trop peu utilisée, ne laisse pas de surprendre. Cette réserve exprimée, on doit bien constater qu'aucun auteur ne s'est aventuré depuis lors à élaborer seul une pareille synthèse. En fait, l'érudition dont fait montre le chanoine Aigrain laisse interdit: bien peu d'oeuvres ou d'auteurs significatifs semblent lui avoir échappé. Certes, ils se réduisent souvent à de simples mentions: dans une introduction générale de ce type, pouvait-il en être autrement? Mais cette énumération constitue déjà un précieux inventaire, que chaque lecteur pourra approfondir selon ses intérêts propres. Pareil manuel, malgré ses indéniables faiblesses et lacunes, s'apparente à un véritable tour de force. Comment une telle entreprise a-t-elle pu être menée à bien? Sans doute un bollandiste, à moins de s'appeler Delehaye, n'eût-il pas été capable d'une synthèse de quatre cent pages, qui pût sacrifier le particulier à l'essentiel. Il fallait un caractère quelque peu téméraire pour oser une telle synthèse. Il fallait aussi, bieh entendu, une immense érudition. Le génial autodidacte qu'était René Aigrain, servi par sa prodigieuse mémoire, était l'homme de la situation4 • Ses intérêts extrêmement divers, qui allaient de l'épigraphie à la musique byzantine, en passant par les religions comparées et la littérature contemporaine, n'avaient pas négligé l'hagiographie. Parmi ses publications, on trouve notamment une Sainte Radegonde, un Saint Pierre, une étude sur Saint Maximin de Trèves; dans le volume V de l' Histoire de! 'Église de Fliche et Martin, écrit en collaboration avec L. Bréhier, il est l'auteur des chapitres concernant

4

Né à Poitiers le 3 mars 1886. Prêtre en 1909. Professeur aux Facultés catholiques de l'Ouest (Angers) de 1923 à 1943: il y enseigne l'histoire romaine et l'histoire du Moyen Âge (Faculté des Lettres), ainsi que la patrologie et l'histoire de l'Église (Faculté de Théologie). Membre correspondant de l'Académie des Inscriptions en 1956. Doté d'une mémoire prodigieuse et intéressé par les sujets les plus divers, il est l'auteur de nombreux livres et articles, parmi lesquels on mentionnera: Manuel d'épigraphie chrétienne, Paris, 1912; Sainte Radegonde, Paris, 1918; Pour qu'on lise les Pères. I. Les Pères Apostoliques, Paris, 1922; Les plus belles pages .de S. Bernard, Paris, 1929; La musique religieuse, Paris, 1929; Saint Pierre, Paris, 1938; [en collaboration avec L. Bréhier] Grégoire le Grand, les États barbares et la conquête arabe ( = Histoire de l'Église dirigée par A. Fliche et V. Martin, 5), Paris, 1938; Histoire des universités(= Que sais-je?, 391), Paris, 1949. II dirige la publication d'encyclopédies religieuses populaires (Ecclesia, Liturgia, Le Christ), collabore au Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastique (art. «Arabie»), à Catholicisme, à la Revue d'histoire de l'Église de France. Musicologue averti, il compose des pièces pour orgue. Pendant plus de trente ans, il tient une chronique littéraire et une chronique musicale au Journal du Centre et del 'Ouest. Il meurt à Poitiers, le 20 juin 1957. Notices nécrologiques: P. ANTIN, Le chanoine René Aigrain, in Cahiers de Civilisation médiévale, 1 (1958), p. 221-224; G. BLOND, M. le Chanoine René Aigrain, in Revue des Facultés catholiques de l'Ouest, 1958, n° 4, p. 1-21; J. COINDRE, M. le Chanoine Aigrain, in La Semaine religieuse [Poitiers], 1957, p. 440-447. Sa bibliographie complète n'a, à notre connaissance, pas été publiée.

INTRODUCTION

VII

l'Occident, où la personne de Grégoire le Grand occupe une place centrale. En outre, en feuilletant Ecclesia. Encyclopédie populaire des sciences religieuses, établie sous sa direction, on découvre, sous sa plume, un chapitre intitulé «Comment on fait l'histoire», où il traite essentiellement des sources, des sciences auxiliaires et de la critique historique. En fait, c'est l'hagiographie et plus encore l'épigraphie qui constituaient ses domaines d'élection; c'est pour elles qu'il avait jeté les fondements de deux vastes entreprises. Auteur d'un Manuel d'épigraphie, il préparait un corpus des inscriptions chrétiennes des premiers siècles, classées et commentées; le tome I était pratiquement prêt pour l'impression lorsque le chanoine dut s'avouer vaincu par la maladie; ce tome ne fut jamais publié. Ce sont d'autres raisons qui l'amenèrent à renoncer à son grand projet hagiographique, conçu au cours des années de guerre: une somme critique sur tous les saints, dans l'ordre du calendrier, en partant des notices du Martyrologe Hiéronymien et des calendriers orientaux. L'ensemble aurait compté six volumes: quatre pour l'ensemble des douze mois de l'année, un volume de tables et d'index, et un volume d'introduction aux sources, à la méthode, à l'histoire de l'hagiographie. La concurrence des Vies des saints et des bienheureux par les Bénédictins de Paris, et les temps particulièrement difficiles, empêchèrent ce projet d'aboutir. Mais le volume d'introduction, dûment revu par les Bollandistes, devait être publié, sur les instances de ces derniers, par les éditions Bloud et Gay en 1953, un an avant que les activités de cet éditeur, auquel René Aigrain avait été particulièrement fidèle, ne soient reprises par une autre maison: c'est L'hagiographie. Ses sources - Ses méthodes - Son histoire. Les nombreuses redites, qui déforcent quelque peu l'ouvrage - Aigrain en était le premier conscient -, sont la conséquence des remaniements qu'il dut subir du fait de son changement de destination. L'accueil fut néanmoins enthousiaste, comme on peut le constater à la lecture des comptes rendus publiés à I' époque5.

5 «Maisc'est principalementsur l'utilité de l'ouvrage qu'il convient d'insister: elle sera d'autant plus appréciée que l'on manquait encore de guide complet... Nous nous félicitons de posséder désormais un instrument de travail de toute première valeur» (C. Lambot, Revue bénédictine, 64 [1954], p. 153-154); «un magistral exposé... une véritable somme des connaissanceshagiographiques»(J. Boussard, Le Moyen Âge, 60 [1954], p. 243-246); «c~ manuel qui est vraiment une summa hagiographica» (É. Griffe, Revue d'histoire de l'Eglise de France, 40 [1954], p. 270-271); «[les historiens] ne pourraient souhaiter un meilleur guide pour une première initiation à la complexitéde ces questionset à la manière de les résoudre conformément aux exigences d'une saine critique» (R. Aubert, Revue d'histoire ecclésiastique, 49 [1954], p. 535-536); «une oeuvre de cette qualité étonne et confond» (P. Doncoeur, Études, 279 [1953], p. 103-110). Cf. également Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest, sér. IV, 2 (1952-54), p. 628-632 (Fr. Eygun); Journal des Savants, 1954, p. 46-47 (J. Zeiller); Bulletin de littérature ecclésiastique, 54 (1953), p. 249-251 (É. Delaruelle). Seul P. Courcelle, qui juge Aigrain «fort conservateur, plus même, me semble-t-il, que n'était le P. Delehaye», se montre plus réservé: «Comment étudier l'hagiographie chrétienne au temps anciens si l'on ne considère, ne fût-ce qu'à titre de repoussoir, les procédés de l'hagiographie néo-platoniciennecontemporaine? ... M. le chanoine Aigrain me paraît avoir redouté à l'excès de scandaliserdes lecteurs peu avertis; son livre n'en rendra pas moins les plus précieux services»(Revue des études latines, 31 [1953], p. 497-498).

VIII

L'HAGIOGRAPHIE

Si la Société des Bollandistes a pris l'initiative de rééditer Aigrain, devenu aujourd'hui introuvable, c'est que, comme on l'a dit, il n'a pas été remplacé. Composer un nouveau manuel d'hagiographie est une tâche que nous n'excluons pas dans l'avenir. Mais, à l'instar de l'histoire de la littérature hagiographique dirigée par G. Philippart, il devrait s'agir désormais d'une oeuvre collective. En attendant la réalisation de ce projet, qui pourrait se faire idéalement sous l'égide de la Société des Bollandistes, nous proposons toutefois, en appendice au manuel, un complément bibliographique qui est, en lui-même, une forme élémentaire d'aggiornamento. Sur tous les sujets, auteurs et textes dont il est question dans le manuel, notre complément s'efforce de fournir les références bibliographiques les plus récentes. Cette manière de procéder nous est apparue la plus apte à faire fructifier l'héritage transmis par le chanoine Aigrain. Bruxelles, Pentecôte 2000

Robert Godding

L'HAGIOGRAPHIE SES SOURCES -

SES MÉTHODES -

SON HISTOIRE

RENÉ AIGRAIN PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ CAmOLIQUE

DE L'OUEST

L'HAGIOGRAPHIE SES SOURCES SES MÉTHODES SON HISTOIRE

BLOUD & GAY

Nihil obstat. Poitiers, 23 février 1953. M. BODET, chan. titul.

Imprimatur. Poitiers, x•rmars 1953. t Édouard MEsGUEN, Évêque de Poitiers.

Copyright by Bloud et Gay, 1953.

Au RÉVÉREND PÈRE BAUDOUIN DE

GAIFFIER

D'HESTROY

ET A TOUS SES CONFRÈRES DE LA SOCIÉTÉ DES BOLLANDISTES. HOMMAGE DE RESPECTUEUSE GRATITUDE

pour leurs précieuses suggestions qui m'ont aidé à rendre cet essai moins indigne de son objet.

AVANT-PROPOS L'hagiographie (&:yr.o~ypwp&~v),c'est,. d'après l'étymologie du mot, l'étude scientifique des- saints, de leur histoire et de lew- culte, une branche donc, spécialisée par son objet, des études historiques. Mais l'étude des saints pourrait être envisagée sous tant d'aspects, qu'il convient, au seuil dt ce volume, d'en limiter nettement le propos. On oonçoit sans peine qu'une recherche peut être établie autour de la notion même de sainteté, de son contenu théologique ou psychologique (pensons, pour fixer les idées, à UE.eétude pénétrante comme la Sainteté du P. Festugière, mettant en parallèle le héros grec et le saint du christianisme, qui déjà dépasse le saint de l'Ancien Testament, ou à la suggestive définition que le regretté Louis Lavelle met en ptéface à son dernier livre, Quatre Saints; mais une théologie approfondie de la sainteté comporterait bien d'autres analyses). La reconnaissance officielle de la sainteté, avec la procédure canonique, qui a évolué au cours des siècles et que la législation actuelle de l'Église a si soigneusement déterminée, de la béatification et de la canonisation, fournirait ample matière à un autre essai; pareillement la légitimité et les développements du culte des saints, de leurs images, de leurs reliques, ou le patronage des saints,. ou la place qu'ils tiennent dans la littérature, dans l'art, dans l'histoire des peuples ... En vérité, on n'épuise pas facilement un thème aussi riche, et une copieuse encyclopédie n'y serait pas de trop. Mais ce n'est pas cette encyclopédie-là que nous avons tenté d'écrire, et moins encore l'hagiographie mise en œuvre que serait une triomphaux, où les triomphateurs sont des ~~ctunes; à côté de leurs noms s'inscrivent des dates, le jour où chacun T eux, pour l'anniversaire de sa mort glorieuse, doit être commémoré. elle est l'origine de nos calendriers, ou, comme on va les appeler à Rome, de nos Depositiones: la depositio, c'est la mise au tombeau, et elle

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suit la mort d'assez près, sauf dans de rares circonstances, pour que pratiquement les deux anniversaires se confondent. LESDIPTYQUES. - Une autre catégorie de documents est devenue une des sources des calendriers et par eux des martyrologes, ce sont les diptyques où chaque église gardait le souvenir de ses évêques, et où figuraient ceux-là mêmes qui ne deviendraient jamais des martyrs, du fait qu'ils avaient été canoniquement investis de l'épiscopat et que l'hérésie ou le schisme ne les avait pas fait démériter. Le mot, qui désigne matériellement un double feuillet se repliant sur une charnière, a reçu plus d'une signification; c'est sur des diptyques que l'on inscrivait les noms des fidèles, vivants ou défunts, dont on se proposait de faire mémoire au cours des saints mystères (d'où l'usage, dans la terminologie des liturgistes, du terme cc diptyques>> pour le double memento de la messe), et comme cette inscription n'était accordée qu'à des chrétiens d'une orthodoxie reconnue, l'histoire ecclésiastique des siècles troublés par les controverses doctrinales ou disciplinaires est pleine des conflits que sanctionnait la radiation ou le rétablissement aux diptyques de certain-s noms autour desquels on se battait, des noms d'évêques en particulier. Les listes de saints au Communicantesou au Nobis quoquepeccatoribus représentent un type de diptyques qui peut passer pour un album de personnages canonisés. Mais, à l'origine, une liste spéciale était réservée aux évêques qui s'étaient succédé dans chaque église, à ceux du moins qu'une faute lourde n'avait pas fait exclure, et qui ne devaient pas figurer à un autre titre dans le catalogue des martyrs locaux, honneur encore plus estimé: ainsi verrons-nous s'établir à Rome, à côté de la Depositio martyrum, une Deposi.tioepiscoporumde présentation analogue, qui dutcorrespondre d'abord, comme le note le P. Delehaye (Sanctus, p. 132-134), à l' « obituaire >>plutôt qu'au martyrologe, et où la mémoire des évêques non martyrs ne constituait pas proprement un signe de culte; seulement la distinction devait tendre à s'effacer, et la lecture d'une telle liste aux « diptyques ))' dans le canon de la messe, devait devenir bientôt l'amorce de ce qu'on appellera, d'un mot remarquable, une cc canonisation)). Mais, à l'origine, on ne s'y trompait pas, et la tradition distinguait sans peine des anniversaires comportant un culte rendu ceux qui constituaient de simples rappels à la mémoire de la communauté.

§ 2. - LES "DÉPOSITIONS"

I{OMAINES

Le célèbre almanach ou Chronographedessiné en 354 par Furius Dionysius Filocalus (le même qui grava les inscriptions du pape Damase avec un beau caractère tracé par lui tout exprès) contient des tableaux divers se rapportant à l'histoire romaine et à l'astronomie, et des listes dont les dernières contiennent les plus anciens calendriers qui nous soient parvenus : la Depositiv martyrum et la Depositio episcoporum,celle-ci ne se confondant pas avec la liste ( /aterculus) des évêques de Rome qui termine le Chronographeet qui donne des notices plus détaillées sur cha-

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cun d'eux, de saint Pierre au pape Libère durant le pontificat duquel ce catalogue fut dressé (d'où son nom reçu de« catalogue libérien»); on l'a appelé longtemps bucherianus,. ~ nom d1:1jésuite Gilles Bouchier qui le publia en 1636 dans son trru.te De doctrina temporum.

LA « DEP0S1TI0EPISC0P0RUM ». -

De ces deux listes de depositiones,

la plus ancienne est celle des évêques : elle contient douze noms, chacun précédé de sa date d'anniversaire et suivi de la mention du cimetière (le . mot cymiterio est partout sous-entendu) où le pape repose. Jusqu'à Eutychien, du 8 décembre, l'ordre suivi est celui du calendrier, en partant du 27 décembre (Denys, au cimetière de Calliste; la date s'exprime par référence aux calendes de janvier, VI kal. Januarias, d'où sa place en tête de la série); les deux derniers noms interrompent cette ordonnance régulière, Marc au 7 octobre, Jales au 12 avril (celui-ci semble avoir deux mentions topographiques, au IIIe mille de la voie Aurélienne et « à Calliste »; il ne s'agit pas ici du cimetière portant ce nom sur la voie Appienne, mais de celui de Calépode, sur la voie Aurélienne, où saint Calliste fut déposé après son martyre, de sorte que les deux mentions n'en font qu'une). Cette anomalie est révélatrice: les noms de Marc et de Jules, qui ne sont pas à leur place, ont été ajoutés pour tenir à jour une liste primitive, et celle-ci s'arrêtait au début du court pomificat de Marc, en 336. Des évêques que nous voyons y figurer, le plus ancien est Lucius (253254); en laissant de côté les papes martyrs, qui devaient être inscrits sur l'autreDepositio, on constate que l'utilisation postérieure de notre document dans le martyrologe hiéronymien fait apparaître en plus le nom de Zéphyrin (198-217, au 20 décembre, sans indication topographique, ce qui est la marque d'une autre méthode rédactionnelle et nous reporte après l'époque du Chronographe, peut-être a-t-on voulu noter alors une translation), et, s'il s'agit de lui (car ce n'est pas sûr), d'Urbain (222-230, au 19 mai); mais les papes des deux premiers siècles, qui manquent dans notre calendrier, manquent aussi à l'hiéronymien (de même, au uresiècle, le pape Antéros ), et cette omission, qui démontre une dépendance, prouve qu'on n'avait pas commencé tout de suite à dresser la liste d'où devaient sortir les Depositiones. Mgr Duchesne, en comparant notre do~ent avec d'autres tables chronologiques recueillies dans la compilation de 354, entre autres une table pascale partant de 312, a conjecturé non sans vraisemblance que le calendrier avait été mis en forme à cette date de 312, lorsque le pape Miltiade (3u-314) commença de réorganiser le _culte au sortir de la persécution. (Les Sources du Martyrologe hiéronymien, dans Mélanges d'archéol. et d'histoire, t. V, 1885, p. 132-144.) . ~ « DEPOSITIOMARTYRUM ». - Si les évêques nommés dans la Deposz~o n'ont été qu'un peu plus tard honorés d'un culte, ce sont bien des

~amts _e~des fêtes de saints qu'énumère, dans l'ordre du calendrier, la epositi?martyrum, et J.-B. de Rossi avait raison quand il proposait de reconnaitre dans ce vénérable catalogue le plus ancien « férial de l'Église

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romaine ». (Roma sotterranea,t. I, p. I 16; le titre a été adopté par Mommsen dans son édition critique du Chronographe,p. 71.) Cette fois, aucune dérogation à la succession des mois et des jours ne permet d'atteindre un état du document antérieur à la date de 352 (celle de l'avènement du pape Libère) qui est la dernière relevée dans les listes du Chronographe;quant à remonter à une date qui puisse être désignée comme un point de départ, l'opération est un peu moins facile, sans être irréalisable: le plus ancien pape martyr qui figure au catalogue est saint Calliste (217-222), car la mention d'un Clément le 9 novembre (faute de copiste pour le 8) avec les Quatre Couronnés n'a aucune chance de concerner le pape du 1er siècle, dont la fête est le 23, et ne peut être expliquée par une confusion de date que rien n'indique; quant à saint Pierre et saint Paul, qui ont dès lors le 29 juin leur fête commune, leurs noms sont accompagnés d'une date consulaire, 258, qui de toute manière se rapporte, non à leur martyre, mais à la circonstance qui a déterminé l'insertion fort rare (il n'y en a que deux autres exemples, pour des martyrs de 304) de cette donnée chronologique. On trouve aussi une précision curieuse, non datée, sur un des sept martyrs du 10 juillet, Silanus, que les Novatiens ont« volé» au cimetière de Maxime (cet attentat jusqu'alors inouï avait dû produire une grosse impression). Inutile, naturellement, de chercher des martyrs postérieurs à la paix de l'Église, puisqu'il n'en a pas été fait à Rome entre 312 et 354. Les mentions topographiques, outre les noms des cimetières (comme dans la Depositio episcopor-um),comportent parfois le nom de la voie (on ne sera pas étonné qu'elle suffise pour des saints qui étaient, comme sainte Agnès, saint Laurent, saint Hippolyte, les éponymes de leurs cimetières) et, deux fois, le milliaire marquant la distance. Mais un fait remarquable est la présence de notices étrangères à l'Église romaine : non seulement celles de martyrs de la banlieue, à Ostie, à Porto, à Albano, mais la mention de saints africains, saintes Perpétue et Félicité le 7 mars, saint Cyprien de Carthage le 14 octobre (on précise que sa fête est célébrée au cimetière de Calliste, et il est permis de croire que le nom de saint Corneille, disparu dans le texte actuel, l'accompagnait) : ces adoptions, encore fort rares, sont une des marques de la communion qui unissait en une même société spirituelle, la catho/ica, les églises particulières professant la même foi 1 • Enfin deux fêtes importantes, la naissance de Jésus le 25 décembre, la chaire de saint Pierre ( natale Petri de cathedra) le 22 février, qui ne sont pas des anniversaires de martyrs, introduisent dès ce moment un élément qui tiendra grande place dans les martyrologes à venir. J. Une mention difficile, le 9 (lire le 8) novembre, à propos des saints Couronnés, devrait être examinée à parc : ils sont dits honorés in comitatum. Ce n'est pas, observe le P. DELEHAYE (le Légendier romain, p. 68), une expression topographique romaine, elle fait penser plutôt à une résidence impériale, sans que nous sachions laquelle (Trèves, Milan, Sirmium ... ) et trahirait une influence de la cour dans la diffusion du culte de ces martyrs pannoniens. C'est, en effet, vraisemblable. Mais leur culte à Rome était localisé dans une crypte du cimetière des saints Pierre et Marcellin, sur la voie Labicane, et tout près de là est signalée une villa de Constantin qui a fait appeler parfois ce lieu (Tor Pignattara) sub Augusta in comitatu.

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LA MISE A JOUR DU FÉRIAL. - Pas plus que la Déposition des évêques, ::elle des martyrs, telle que la présente le Chronographe de 354, ne fixe le document dans un état ne varietur : des mentions de même type, sainte Sotère sur la voie Appienne le I o février, sainte Bassilla sur la voie Salaire le n juin, manquent dans l'exemplaire de Filocalus, mais figuraient dans c:eluiqu'a utilisé le compilateur du martyrologe hiéronymien. La double liste devait être tenue à jour, et cela, peut-on penser, sur les exemplaires. officiels eux-mêmes : les mentions les plus récentes que l'hiéronymien ut empruntées aux anniversaires pontificaux sont l'ordination et la dépo;ition de Boniface 1er (418-422; le cas de saint Léon le Grand, t 461, :st à part, sa grande célébrité l'a fait ajouter par le compilateur sans que 110us sachions s'il l'avait trouvé dans le catalogue, où il ne semble pas avoirlu les noms des papes entre Boniface et lui); on y joindra les dédi:aces romaines du baptistère du Latran (29 juin), de Saint-Pierre-èsLlcns (1er août), de Sainte-Marie-Majeure (5 août), qui toutes eurent lieu sous le pontificat de Sixte III (432-440), alors que les dédicaces des p,mdesbasiliques constantiniennes n'avaient pas dû être consignées dans !edocument, puisque le même compilateur ne les y a pas trouvées. Après :.ette date extrême, nous ne saisissons plus aucun indice que l'antique :alendrierait été tenu à jour comme un document à part : ce n'était plus Rll' lui que l'on comptait pour maintenir la tradition 1 •

§ J. - AUTR.ES CALENDR.IER.S OCCIDENTAUX JUSQU'AU vr SIÈCLE C.Ommel'Église romaine, beaucoup d'autres avaient leurs fastes, même avant l'époque où l'usage ~n devint universel, et notaient, primitiveDent sur deux listes distinctes, les anniversaires de leurs martyrs et :eux de leurs évêques. Quand Julien !'Apostat, en 362, pour enlever ies prérogatives à la ville chrétienne de Maïouma (Palestine), l'unit à ~ de Gaza pour qu'elles ne fussent administrativement qu'une seule :ité, les deux communautés, dit Sozomène (Hist. eccl., V, 3), conserrèrœt leur autonomie ecclésiastique, chacune ayant, avec son évêque =t son clergé, les fêtes ou panégyries de ses martyrs et les commémodes évêques qui l'avaient gouvernée; la différence des termes :mployésest remarquable et rappelle une explication de saint Cyrille

-ns

'dl. Mar KmsCH a tenté de reconstituer, d'après les traces qn'il a laissées dans le i;J:.1Yrologehih'onymien, le calendrier de l'Église romaine : Die stadtrlimische christIli d'iatlialender im Alterttan,dans ses Liturgiegeschichte Quellen, Münster, 1924. L'es• ~t URllAIN, bien qu'il ait rassemblé une quantité considérable de matériaux, fermoms heureux : Ein Martyrologium der christichen Gemeinde zu Rom am An/ang ,oir ~J~r!iunderts (Texte und Untersuchungen, Neue Folge, VI, 3), Leipzig, 191; brs cnnques des Anal. Bolland., XXI, 1902, p. 91. - Nous disposons de pluIBN é4itions critigu_es des Depositiones et du catalogue libérien : voir MoMMron1cam111Qra, I (MGH, Auctores antiquissimi, t. IX), p. 70-76; L. DUCHESNE,dans ~ -DUCHJlSNE 1 Martyro_logium hieronymianum, dans Acta SS. nov. t. II, pars prior, ~-Ldan, et aans le Liber pontificalis, t. I, (Paris, 1886), p. 2-12. Bonnes éditions l9'0S) s H. LIETZMANN, Die drei àltaten Martyrologien (Kleine Texte, 2) (Bonn, ,_ 1 • p. 3-S; E. Pal!uSCHEN, Analecta, I (Sammlwig .•. Krüger, I, 8) (Tübingen, 1909), PrPI•I33; Kœc:H, Enchiridion fontium historiae ecclesiastiae antiquae, n 08 490-496 · 1Doura-en-Br., 1910); (2•-3• édit., 1913, n•• 543-549).

cf>~es

lossi

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SOURCES

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L'HAGIOGRAPHIE

de Jérusalem sur les divers « diptyques »de la messe, celui des patriarches, prophètes, apôtres et martyrs à qui nous demandons de prier pour nous, et celui des défunts, y compris les évêques du lieu, pour qui nous demandons à Dieu d'exaucer nos prières (Catech., XXIII, 9). Mais il était à prévoir que la distinction s'effacerait, si l'on voulait, pour plus de commodité, réunir les deux séries de noms dans un catalogue unique; nous verrons tout à l'heure ce stade franchi avec le calendrier de Carthage. LE CALENDRIER GOTHIQUE. - Un court fragment de calendrier gothique, allant du 23 octobre au 29 novembre, accompagne dans un manuscrit de !'Ambrosienne à Milan (A, S. 36 sup.) une partie de la Bible traduite en gothique par Ulfilas; il fut évidemment apporté de Thrace en Italie par les Ostrogoths envahisseurs. Le 23 octobre on y lit la mention de nombreux martyrs goths avec Frithareikis (Friedrich) : ce dernier n'est pas un martyr, c'est le chef de tribu Fritigem, connu par Socrate et surtout par Ammien Marcellin, qui fut combattu par Athanaric pour s'être converti et pour être passé à l'alliance romaine; les martyrs du 23 octobre, dont les martyrologes n'ont pas gardé le souvenir, sont des partisans de Fritigem victimes d' Athanaric. Le 29 octobre, des martyrs ayant à leur tête Wereka et Batwins sont brûlés dans une église; ceux-ci sont connus des synaxaires, d'après une Passion perdue; on les y appelle Bathuses (Bathusios) et Verka, et l'on donne les noms de leurs compagnons; sans doute s'agit-il des Ariens brûlés par Athanaric dont parle Sozomène (VI, 37). Les mentions de Constantin le 3 novembre (lire Constance, mort le 3 novembre 361) et d'un évêque Dorothée le 4 novembre nous amènent, comme le souvenir d'Ulfilas, en plein arianisme, l'empereur étant bien connu comme protecteur de cette hérésie, et Dorothée n'étant autre que le trop fameux évêque arien passé d'Héraclée à Antioche, puis à Constantinople, et mort centenaire le 6 novembre 407; le léger déplacement de date qui l'a mis au 4 au lieu du 6 est du même ordre que celui de l'apôtre saint Philippe au 15 novembre, au lieu du 14 qui est sa fête chez les Grecs, et de saint André au 29 novembre au lieu du 30. Enfin, le 19 novembre, sont indiquées les « quarante anciennes à Bérée » : cette fois, il ne s'agit pas proprement de martyres gothiques, mais des quarante martyres, vierges ou veuves consacrées à Dieu, que l'hiéronymien cite le même jour à Héraclée, et les synaxaires le 1er septembre; d'après leur Passion légendaire, elles avaient été amenées de Bérée, ce qui confirme l'identification; leur fête avait été adoptée par les Goths durant leur séjour en Thrace. - Ce calendrier remonte au début du ve siècle, ou, d'après Achelis qui l'a commenté, au dernier quart du ive siècle 1 • I. Voir H. ACHEL1s, Die àlteste Deutsche Kalender, dans Zeitschr. /ür die neutestam. Wissenschaft, I (1900), 308-3_25; STAMM-Hl!YNI!,Ulfilas, dans Bibl. der àltesten deutschen Literatur-Denkmâler, I (Paderborn, 1908), 274; H. DELBHAYI!,Anal. Boil., XXXI (1912), 275-281, et Origines du culte des martyrs•, 253; J. Zf!ILLl!R, Origines chrét. dans les prov. danubiennes de l'empire romain (Paris, 1918), 425-427, sn-514.

LES PLUS

LE

ANCIENS

CALENDRIER DE

CALENDRIERS

ECCLÉSIASTIQUES

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TOURS.- Dans le dernier chapitre de son His-

toria Francorum (X, 31), saint Grégoire de Tours, résumant l'hist.oire

de son église, cite à propos de son prédécesseur saint Perpet ( t 490), organisateur zélé qui fit construire la pr~ère basilique. ~po~te de Saint-Martin, un règlement ou ordo des Jeunes et des VIgiles qw nous. renseigne sur les fêtes principales du calendrier tourangeau au vesiècle~ Les saints du diocèse y ont naturellement leur place (saint Martin, saint Lidoire, saint Brice), à côté de saints honorés dans toute la Gaule (~t Hilaire de Poitiers, saint Symphorien d' Autun), sans que les anniversaires,supposés bien connus, soient précisés; saint Jean Baptiste a deux f!tes, la Nativité et la Passion; saint Pierre également, le natale (avec saint Paul) et la Chaire ( natale sancti Petri episcopatus) , dont il eût été intéressant de marquer la date. Les fêtes majeures du calendrier universel sont en bonne place : Noël, !'Épiphanie, Pâques, !'Ascension, la Pentecôte (avec le nom traduit en latin, die quinquagesima);mais on distingue de Pâques une fête de la « Résurrection de N.-S. Jésus-Christ» fixée au 27 mars, conformément à l'idée reçue dans beaucoup d'églises que l'anniversaire de la Passion était le 25 mars et par conséquent celui de la Résurrection le 27 (le martyrologe hiéronymien continue d'en témoigner, à la différence du système grec qui admet comme date conventionnelle de la Pique le 25 mars); la fête de Pâques mentionnée ensuite est la fête mobile célébrée d'après la règle du concile de Nicée. Notons enfin le je(me de trois jours par semaine prescrit depuis la Saint-Martin jusqu'à Noël, une des plus anciennes attestations de l'Avent. LE CALENDRIER DE CARMONA. - Un document épigraphique fort intéressant, découvert en 1909 à Carmona, près de Séville, par G. Bonsor et publié par le P. Fita (Boletin de la Real Academia de la historia, 1909, t. LIV, p. 34-45; t. LV, p. 273-289), contient un fragment de calendrier du 25 décembre au 24 juin. Les premiers mots du titre, dans la mesure où on peut les déchiffrer, semblent annoncer exclusivement un catalogue de martyrs, Incip[it ordo?] s(an)c(to)rum [marty]rum... ,mais la lecture, pour ce dernier mot dont on ne possède que la finale, demeure forcément indécise. Ce bref calendrier n'en est pas moins précieux. Entre des fêtes de diffusion universelle (la Nativité du Christ au 25 décembre, saint Étienne ~t ~t Jean apôtre les deux jours suivants, saint Jean Baptiste le 24 juin), il enumère, comme il est naturel, surtout des saints espagnols, saints Fructueux, Augure et Euloge le 21 janvier, saint Vincent de Saragosse le 22 janvier, saint Félix, diacre et martyr à Séville, le 2 mai, sainte Trepte, vierge, le 4 mai (c'est celle que mentionne à la même date> à Ecija, le calendrier de Cordoue de 961, et cette confirmation du culte tr~ ancien d'une sainte oubliée est à retenir), saint Crispin le 13 mai, hu. aussi à Écija, l'évêché dont dépend Carmona. Mais le même jour est m~tionné un martyr Mucius qui est celui de Constantinople, et le 19 Jum sont nommés saint Gervais et saint Protais, les martyrs mila-

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SOURCES

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nais à qui leur invention par saint Ambroise en 386 avait attiré dans tout l'Occident une si grande popularité; ces emprunts de cultes, comme nous en avons déjà constaté à Rome, qu'ils soient ou non motivés (comme ils semblent l'être à Carmona) par la possession de reliques, sont gros d'avenir pour l'histoire de la dévotion aux saints 1 • Le calendrier de Carmona, que son premier éditeur, le P. Fita, remontait tout au début du vre siècle et peut-être jusqu'en 480, paraît dater plutôt, d'après J. Vives, du vie-vue siècle. S'il n'est pas le premier, il reste l'un des plus anciens d'une intéressante série espagnole, aboutissant en 961 au calendrier de Cordoue (édit. R. Dozy, Leyde, 1873; les indications touchant l'année liturgique, précieuses pour les hagiographes, ne constituent pas l'unique intérêt qu'il présente, et de nombreuses données astronomiques, agricoles, médicales..., en font un ancêtre de nos « almanachs » où l'on trouve de tout). Dom Férotin, savant investigateur de la liturgie mozarabe, a réuni dans son édition du Liber ordinum neuf de ces calendriers, dont six publiés pour la première fois, et dont plusieurs sont anciens, voire antérieurs, croyait-il, au vie siècle, mais enrichis de quelques additions plus tardives, sans que leur physionomie en soit substantiellement altérée 2 • Cette vue a paru trop optimiste aux érudits espagnols qui se sont occupés après lui de ces textes, dom M. Alamo, puis J. Vives; celui-ci, en s'appuyant sur le calendrier sanctoral que suppose le célèbre Libellus orationum mozarabe de Vérone, antérieur à 7rr, a montré que les additions au sanctoral primitif, dans les calendriers édités par dom Férotin, sont plus nombreuses et plus récentes que celui-ci ne le croyait : le sanctoral à l'origine ne comprenait que fort peu de noms, parmi lesquels le manuscrit de Vérone ne comporte que neuf mentions proprement espagnoles, à côté de cinq mentions romaines, trois de Gaule et cinq d'Orient 3 • LE CALENDRIER DE CARTHAGE. -Plus important par sa valeur propre, et parce qu'il est devenu l'une des sources principales du martyrologe hiéronymien, est le calendrier de Carthage publié en 1682 par Mabillon (Vetera Analecta, t. III, p. 398-401). Le titre même annonce que les deux listes de depositionesdistinguées à Rome en 354 sont ici fusionnées dans une série commune, ce qui ne veut pas dire, comme l'observe judicieuse1. Voir H. DELEHAYE,Le Calendrier de Carmona,' dans Anal. Bol!., XXXI (1912), 319-321; DIBHL, Inscr. christ. latinae veteres, n° 2030, d'après FITA, Boletin de la R. Acad. de la Historia, LIV (1909), 37; LV (1909), 278; Dom M. FÉROTIN,Liber mozarabicus sacramentorum, XLIII-XLIV (Paris, 1912). La meilleure édition est maintenant celle de J. VIVES,Inscripciones cristianas de la Espana romana y visigoda (Barcelone, 1942), p. II2-II4, n. 333. 2. M. FÉROTIN,Liber ordinum (Paris, 1904), XXX-XXXV,448-497; Liber mozarabicus sacramentorum, déjà cité. Le calendrier liturgique qui accompagne, dans l'édition de Dom G. MORIN, le lectionnaire ou Liber comicus de Tolède remonterait, d'après l'éditeur, à une époque voisine de l'épiscopat de saint Ildefonse Ct667); Liber comicus (Maredsous, 1893), u-xr, 393-405. 3. M. ALAMo, Les Calendriers mozarabes d'après Dom Pérotin, dans Revue d'hist. ecclés., XXXIX (1943), 100-131; J. VIVES, Oracional visigotico, Barcelone, 1946, et Santoral visigodo en calendarios e inscripciones, dans Anal. sacra Tarraconensia, XIV (1942) _31-58; B. DE GAIFPIER, dans Anal. Boil., LXVI (1948), 300-304; J. VIVES et A. FABREGA,Calendarios hisfânicos anteriores al siglo XIII, dans Hispania sacra,

II (1949), II9-148,

339-380; Il

(1950), 145-161.

LES PLUS

ANCIENS

CALENDRIERS

ECCLÉSIASTIQUES

ment le P. Delehaye ( Sanctus, p. 133-134), que l'on différence entre la fête d'un saint martyr et l'obit mais ce qui préparait inévitablement l'assimilation culte : Hic continenturdies nataliciorummartyrum et

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ne sût plus faire une d'un ancien évêque, au point de vue du

depositionesepiscoporumquos ecclesiaCartagenisanniversariacelebrant (sic), « ici sont contenus les jours des anniversaires de martyrs et les dépositions d'évêques que l'église de Carthage célèbre chaque année»; seuls les noms d'évêques non martyrs, introduits par depositio(alors que natale ou natalicium est sous-entendu, comme à Rome, devant les noms de martyrs), sont accompagnésde l'épithète sanctus: ainsi le veut l'ancien usage qui assigne aux évêques, protocolairement, cette qualification (après leur mort, le sanctae ,nemoriaedes épitaphes en est l'équivalent), comme on les a traités depuis de «Grandeur» ou d'« Excellence». Le calendrier va du 19 avril au 1 6 février; en Afrique, l'année ecclésiastique commençait à Pâques (post mortem Domini) et n'admettait pas les fêtes de saints en carême. L'examen des commémorations épiscopales, dont la dernière est celle de saint Eugène de Carthage (5 janvier, la fête actuelle est le 13 juillet), fournitun moyen de dater la composition du calendrier : saint Eugène est mort exilé en Gaule en 5o6, son successeur Boniface (vers 523-535) n'est pas mentionné, ce qui donne à comprendre que la liste fut arrêtée avant sa mort; mais le catalogue des martyrs, malgré la suggestion contraire d' Achelis, n'en comprend aucun qui ait souffert durant la persécution vandale, ce qui fait remonter cette partie essentielle du document primitif avant 4 76. Quant au point de départ de la série épiscopale, aucun évêque n'y figure avant Gratus, qui assistait en 343 au concile de Sardique, sauf saint Cyprien de Carthage, nommé à titre de martyr; l'énumération des martyrs est donc bien la partie la plus ancienne du calendrier 1 • SAINTSD'AFRIQUE ET DE PARTOUT. - Ce ne sont pas d'ailleurs, il s'en faut de beaucoup, uniquement des martyrs carthaginois : toute l'Afrique chrétienne, où les martyrs ont été si nombreux (l'épigraphie nous en a fiaitconnaître une multitude, en plus de la foule déjà recensée aux martyrologes), en a fourni qui sont nommés, tantôt isolément, tantôt en groupes (comme les célèbres martyrs scillitains le 17 juillet, les martyrS Maxulitani du 22 juillet, les Volitani du 17 octobre, etc.), et ce dernier trait que confirme la littérature chrétienne, par exemple les sermons de saint Augustin, est un des caractères les plus remarquables de notre document. ~son y trouve aussi de nombreux martyrs en provenance d'autres régions : de Rome, qui avait 1