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GÉRARD GROIE fondateur de la Dévotion Moderne

SOUS 1A RÈGLE DE SAINT AUGUSTIN

collection dirigée par Patrice Sicard et Dominique Poire[

~

GERARD GROTE fondateur de la Dévotion Moderne

Lettres et traités

Présentation, traduction et notes par Georgette Épiney-Burgard

BREPOLS

© 1998 BREPOLS Imprimé en Belgique Dépôt légal: septembre 1998 D/1998/0095/15 ISBN 2-503-50669-0

Ail rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording or otherwise, without the prior permission of the publisher.

ABRÉVIATIONS ANKG - Archie/ voor Nederlandse Kerkgeschiedenis, La Haye Bibl. Aug. - Bibiliothèque augustinienne. Œuvres de saint Augustin, Paris CCSL - Corpus Christianorum, Series Latina, Turnhout CSEL - Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum, Vienne DSp. - Diaionnaire de spiritualité ascétique et mystique, Paris NAKG - Nederlands Archie/ voor Kerkgeschiedenis, La Haye OGE - Ons Geestelijk Erf, Ruusbroecgenootschap, Anvers PL - Patrologia. Series Latina, éd. J.-P. Migne, Paris SC - Sources chrétiennes, Paris

LA DÉVOTION MODERNE ET SON FONDATEUR

I. LA DÉVOTION MODERNE 1

1. Le cadre

La devotio moderna, comme l'appelaient ses membres, est un mouvement de renouveau spirituel qui prit naissance à la fin du XIVe siècle aux Pays-Bas du Nord, dans la région de l'Yssel, et qui s'épanouit et se diffusa au xve siècle. Il amorce une véritable mutation dans l'histoire de la spiritualité, bien qu'il ne soit pas le seul de ces renouveaux en Europe. Le XIIIe siècle et le début du XIVe avaient vu se développer tout un foisonnement d'ordres nouveaux (franciscains, dominicains, mouvements laïcs comme celui des béguines). De grands noms, de grandes oeuvres comme celle de Maître Eckhart et de Tauler pour les pays du Rhin, de Ruusbroec pour le Brabant avaient marqué les esprits. Toutefois, une conception plus spéculative de la vie mystique n'avait pas empêché la décadence des ordres religieux. Le besoin d'une vie spirituelle plus simple, plus austère aussi, se manifeste: l'accent se porte moins sur l'aspiration à une union à Dieu, qu'on ne cherche pas à définir théologiquement, que sur la quête des moyens pour mener une vie évangélique et parvenir au salut. Le modèle devient au premier chefJésus-Christ que l'on s'efforce d'imiter tant par les actes concrets de la vie quotidienne soigneusement pesés que par la prière et la méditation personnelles rendues accessibles non plus seulement aux clercs et aux religieux, mais aux fidèles, par la diffusion d'une littérature de dévotion en langue vernaculaire. 1

Parmi l'abondante littérature suscitée par la Dévotion moderne en général: P. Debongnie, «Dévotion moderne», DSp. 3, 1957, col. 727-747. R.R. Post, The Modern Devotion, Leyde, 1968. E. Brouette, «Devotio moderna»: I. «Die Bewegung der Devotio moderna», ThRE, t. VIII, 1980-1981, col. 605-609; Il. R. Mokrosch, «Verhaltnis zu Humanismus und Reformation», col. 609-616. AG. Weiler, «Recent Historiography on the Modern Devotion: Sorne Debated Questions», Archie/ voor de Geschiedenis van de Katholieke Kerk in Nederland, t. 26, 1984, p. 161-179.

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INTRODUCT ION

Henri Suso (v. 1295-1366), disciple de maître Eckhart, offre un bon exemple de ce passage d'une vision plus théocentriqu e à une conception plus christocentrique de la vie spirituelle. Après avoir écrit le Livre de la Vérité qui reprend et défend les enseignements du maître thuringien, il se tourne ensuite - par l'intermédiaire du thème de la Sagesse-Fils de Dieu - vers une imitation concrète du Christ souffrant. Dans L'Horloge de la Sagesse, il propose une spiritualité qui s'adresse aux hommes des divers degrés: «condition, état, sexe, ordre ou religion», grâce à des exercices simples menant à «l'éternel salut des épousailles» 2 • Cette recherche spirituelle s'accompagne d'un désir de revivifier l'Église en dénonçant d'une part les abus ecclésiastiques et en s'efforçant de remédier aux maux qui accablaient la chrétienté, en particulier le Grand Schisme. Elle en fut déchirée de 1378 à 1449 à la suite de la double élection à Rome du successeur de Grégoire XI en la personne d'Urbain VI et de Clément VII, soutenus, l'un par l'empereur Venceslas, l'autre par le roi de France et l'Université de Paris 3 • Aux confins des deux «obédiences», sur les marches de l'Empire, dans la principauté de Liège surtout, des contestations surgirent entre les candidats à l'épiscopat. Le Nord des Pays-Bas, avec l'évêché d'Utrecht, suivit l'obédience urbaniste. Ces troubles eurent bien évidemment des répercussions sur les consciences et Grote et ses amis en subiront les effets 4• Sur Gérard Grote en particulier: Th.P. Van Zijl, Gerard Groote, Ascetic and Reformer (1340-1384), Washington D.C., 1963. G. Epiney-Burgard, Gérard Grote (1340-1384) et les débuts de la Dévotion Moderne, Wiesbaden, 1970 (cité: Grote). Henrici Susonis seu Fratris Amandi Horologium sapientiae, éd. ]. Strange, Cologne, 1861, Il, c. VI, p. 219. L'Horloge de la Sagesse (Œuvre mystique de Henri Suso, t. V, intr. et trad. du P. Benoît Lavaud, Paris, 1946, p. 405-406). Le tournant est amorcé au début du siècle par le mouvement des Amis de Dieu. B. Gorceix, Amis de Dieu en Allemagne au siècle de Ma~re Eckhart, Paris, 1984. 4 Sur la situation politique et économique au milieu du XIVe siècle, ibid., p. 3255. Sur le schisme,J.-M. Mayeur, Ch. Pietri, A. Vauchez, M. Venard, Histoire du christianisme, t. 6, Un temps d'épreuves (1274-1449), Paris, 1990: C. II, P. Ourliac, Le schisme et les conciles, (1372-1449), p. 89-116. De Metz à Louvain, il y avait des «zones fluctuantes» où on émettait des doutes quant à la légitimité du pape. Cf. la lettre de Gérard Grote à Guillaume de Salvarvilla à propos du schisme 2

LA DÉVOTION MODERNE

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2. Une définition

Honoré comme «origine de toute notre dévotion moderne>», Gérard Grote ne s'est jamais considéré comme le fondateur du mouvement qui s'est donné ce titre de «Dévotion moderne» au début du xve siècle. Ses successeurs ont rapproché ces deux termes qui leur semblaient caractériser au mieux leurs aspirations. Chacun des deux vocables est très riche de sens: dans le sillage de la spiritualité chrétienne, chez Hugues de Saint-Victor, par exemple par la dévotion l'âme se tourne vers Dieu dans un mouvement d'humilité et de confiance qui procède lui-même des trois vertus théologales de foi, d'espérance et de charité6. Elle porte à se vouer à Dieu de toutes ses forces dans l'intériorité de l'âme. Ce mot est souvent traduit dans les textes néerlandais par innigkeit, intensité de l'intériorité. L'homo devotus, qui revient sans cesse dans les écrits de Grote et de ses disciples, est celui qui est passé, selon saint Paul, de l'homme extérieur à l'homme intérieur. «Dévot», dans le langage de Grote et de ses contemporains, est synonyme de «converti», de celui qui a décidément orienté sa vie vers Dieu en renonçant aux obstacles extérieurs qui peuvent entraver sa marche. L'adjectif moderne est plus délicat à cerner. Il a certes une signification temporelle et signifie l'actualité du mouvement par rapport à des attitudes mentales jugées dépassées. Il contient en outre une référence normative. Il s'agit de prendre ses distances avec un monde jugé corrompu parce qu'il s'est éloigné de la source primitive de l'Évangile. Ce que l'on rejette, c'est moins une religion antiqua, vénérable, qu'une religion antiquata, vieillie, vidée de sa substance et de sa ferveur, infrigidata, refroidie. Par un retour à une Église primitive idéalisée, celle des Actes des Apôtres et des Pères du désert, on «réchauffera, illuminera et (Ep. 21. p. 78-93), et sa requête à un certain Maître Bernard, (Ep. 59. p. 218-222, sp.221). 5 Henricus Pomerius, «De origine monasterii Viridisvallis», lib. 2, 8, Analecta Bollandiana, 4 ( 1885 ), p. 288. 6 Cf. Hugues de Saint-Victor, «De uirtute orandi>>, éd. Feiss, Rochais, Poire! et Sicard, Sous la règle de saint Augustin 3, p. 132, 97-100.

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INTRODUCT ION

renouvellera l'église contemporaine>/. Voilà le programme de réforme annoncé par l'adjectif moderne dans l'esprit des représentants de la Dévotion moderne: refus d'un présent insatisfaisant par un retour à un passé fondateur et par la «recherche de structures institutionnelles et de formes de piété qui conviennent à leur conception particulière et à la poursuite de la perfection chrétienne» 8 •

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Des Augustinerpropstes Joannes Busch Chronicon Windeshemense und Liber de reformatione monasteriorum, éd. K. Grube, Halle, 1886 (Cité Busch-Grube), p. 245-246.

M. Ditsche, «Zur Herkunft und Bedeutung des Begriffes Devotio Maderna», Historisches ]ahrbuch, LXXIX, 1960, p. 124-145. H.M. Klinkenberg, «Die Devotio Maderna unter dem Thema "Antiqui-Moderni" betrachtet», Antiqui und moderni. Traditionsbewufüsein und Fortschrittsbewufüsein im spaten Mittelalter, Misceüanea Mediaevalia, 9, Berlin-New York, 1974, p. 394-415. Malgré la similitude des noms, la Dévotion moderne ne peut être mise en relation, au moins à ses débuts, avec la via moderna suivie au XNe siècle dans les universités. 8 ]. Van Engen, Devotio Moderna. Basic Writings, New York, Mahwah, 1988, p. 10.

II. LA VIE DE GÉRARD GROTE ( 1340-1384)9

1. Enfance et études

En 1340, Gérard Grote naquit à Deventer, ville hanséatique, important centre de foires; il était fils d'un marchand-drapier faisant partie de l'oligarchie de la ville jusqu'au jour où sa rigueur morale le fit renoncer à sa charge d'échevin. Il perdit ses parents (en tout cas sa mère, Heilwig van der Basselen, vraisemblablement pendant la Peste noire, fléau qui gagna peu à peu la province de l'Yssel en 1349-1350 10 • L'épidémie fit de nombreuses victimes et ne fut pas éradiquée avant de nombreuses années. A l'horizon de ces temps de malheur et pour conjurer ces morts 9 Cf. G. Epiney-Burgard, Grote, p. 1-10. Outre les documents officiels et un certain nombre de sources annexes, on peut dénombrer cinq biographies de plus ou moins grande importance. Parmi ces dernières, mentionnons celle de Thomas Hemerken a Kempis, «Vita venerabilis magistri Gerardi», Opera omnia, éd. M.I. Pohl, t. VII, Fribourg en Brisgau, 1922, p. 31-115. Elle a été écrite vers 1440. - Rudolf Dier van Muiden, «Scriptum de magistro Gherardo Grote, Domino Florencio et multis aliis devotis fratribus», éd. G. Dumbar, Analeaa seu vetera aliquot scripta inedita, t. 1, p. 1-113 (sur Grote, p. 1-12, cité Scriptum). Petrus Horn, «Continuatio scripti R. Dier van Muiden», éd. Dumbar, Analeaa, t. 1, p. 127-137; «Vita magistri Gerardi Magni», éd. W]. Kuehler, Ned Archie/ voor Kerkgeschiedenir, N. S., t. VI, 1909, p. 325-370. - J. Busch, Liber de origine moderne devocionir omnium devotorum ... , Busch-Grube, p. 251-255. Ces Vies ont chacune leur caractère, édifiant chez Thomas a Kempis et Jean Busch, plus concret chez Dier de Muiden. Leurs auteurs ont connu sinon Grote, du moins ses successeurs immédiats et on peut conclure à leur fiabilité, avec quelques réserves toutefois. Enfin les Lettres de Grote contiennent de précieux renseignements sur ses relations, ses activités: Gerardi Magni Epirtolae, éd. W. Mulder, Anvers, 1933 (cité: Ep.). 10 K.O. Meinsma, De Zwarte Dood, 1347-1352, Zutphen, 1924. Les comptes de la ville de Deventer donnent des détails sur les préparatifs destinés à freiner l'arrivée de l'épidémie qui sévit très fort en 1350, si l'on consulte la liste des legs faits cette année-là en faveur de l'Église.

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INTRODUCTION

subites par la pénitence, des troupes de «flagellants» parcouraient le pays, laissant de leur passage le souvenir de l'horreur du sang versé qui inspirera à Grote le dégoût des pénitences mutilantes, qu'il opposera à une repentance intérieure 11 • Ses premières études, il les fit à l'école de Deventer, qui relevait à la fois du chapitre et de la municipalité.Jusqu'à la classe de Troisième, elle dispensait les cours du trivium: grammaire, rhétorique et dialectique. En 1355, il se rendit ensuite à l'Université de Paris et fut inscrit dans la Nation anglaise qui regroupait les étudiants du Nord de l'Europe. On ne sait quels furent précisément ses maîtres. La doctrine enseignée en général était un nominalisme mitigé avec Jean Buridan, Nicole Oresme, plus attirés par la recherche scientifique que par la métaphysique 12 • Grote passa son baccalauréat (alors nommé determinatio) en 1357 et à 18 ans, avec une dispense d'âge, il devient «maître ès arts» avec la pompe et les tèstivités qui accompagnent l'obtention de ce grade. Inscrit au registre des maîtres-régents, il reste à Paris pendant huit ans environ sans toutefois prendre d'autres grades. Ses biographes vantent ses connaissances en de nombreux domaines: astronomie, astrologie, médecine, mathématique, sans oublier le droit canonique et peut-être même le droit civil. Ce que Grote a retiré de ses études, en dépit de la distance qu'il prit avec la science après sa conversion, c'est une grande érudition qui se retrouve dans nombre de ses traités, un souci de s'appuyer sur des références solides, «les autorités» et en même temps un certain scepticisme lui imposant de toujours soumettre les conclusions de la raison au doute systématique 13 • Sans 11 P. Bailly, «Flagellants. 2. Flagellants hétérodoxes»,

DSp., t. V, 1964, col. 395402. Grote fait allusion à ces pénitences, pour les rejeter, dans !'Allocution morale, cf infra, p. 127. 12 E. Gilson, La philosophie au Moyen Age, Paris, 19472, c. IX, «La philosophie occamiste», p. 656-686. - Histoire de l'Église (Fliche et Martin), t. 13, Paris, 1951. M. de Gandillac, «Ockham et la via modema», p. 418-469. A. de Libera, La querelle des universaux. De Platon à la fin du Moyen Age, Paris, 1996, c. 6, «La révolution du XIVe siècle», «Occam et le nominalisme», p. 401-451. 13 M. de Gandillac, «De l'usage et de la valeur des arguments probables dans les questions du cardinal Pierre d'Ailly sur le "Livre des sentences"», Arch. hist. doctr. et litt. du Moyen Age, 3e année, 1953, p. 43-91.

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appartenir à la via moderna, Grote est «moderne» par son souci de rigueur scientifique, par son refus de mêler des genres disparates comme une cosmologie mal établie pour soutenir une spiritualité chrétienne 14 • Entre 1358 et 1362, période où son nom n'apparaît pas dans les registres de l'Université, ses biographes lui prêtent des voyages à caractère universitaire à Cologne, voire à Prague, qui ne sont pas autrement attestés 15 •

2. Les bénéfices

En 1362, Grote s'inscrit sur le rôle adressé au pape Urbain V par la Nation anglaise, en tant qu'étudiant en droit canonique. Une prébende réservée lui est accordée pour l'église Notre-Dame d'Aix-la-Chapelle. En 1363, nouvelle demande pour un canonicat avec prébende pour l'église de Soest en Westphalie. Après plusieurs années d'expectative, il obtient le canonicat d'Aix-la-Chapelle en 1368 et à partir de 1371 un canonicat avec prébende à la cathédrale Saint-Martin d'Utrecht dont il prit possession en 137216. Entre 1365 et 1367, il remplit une mission diplomatique à Cologne et à Avignon pour régler un conflit entre l'évêque d'Utrecht et la ville de Deventer 17 •

(Ep. 24, p. 107-109) au sujet de son traité Des douze béguines: Grote critique la mention des planètes, de l'astronomie comme rele-

14 Lettre 24 à Ruusbroec

vant de la superstition; d'autre part, il constate que les noms des corps célestes ne sont pas correctement traduits en thiois. 15 Seul Petrus Horn, le plus récent des biographes de Grote, mentionne ce séjour à Prague, (NAKG, N. S. t. VI, p. 338). Toutefois, il a eu des relations avec Prague (peut-être par l'intermédiaire de Florent Radewijns) où il faisait recopier des livres. 16 G. Epiney-Burgard, Grote, p. 27-28, n. 34. 17 Ibid., p. 36-37.

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INTRODUCTION

3. La conversion Comme le dit sous une forme raccourcie un des historiens récents du mouvement: «La Dévotion moderne commence par un autodafé» 18 • Malade à Deventer, probablement en 1372, Grote se vit refuser les derniers sacrements par le curé de Saint-Nicolas-du-Mont s'il n'était pas disposé à se débarrasser de ses livres de «magie». Après avoir hésité mais s'être rendu compte que sa mort était peut-être imminente, il se soumit et fit brûler les livres incriminés, probablement ses traités d'astrologie, sur la place du Marché1 9 • Il guérit, mais sa conversion ne prit ses pleins effets que petit à petit, entre 1372 et 1374. Il fallut les objurgations de plusieurs de ses amis, Guillaume de Salvarvilla, chantre de l'Université de Paris à qui il écrira par la suite plusieurs lettres importantes 20, Henri Egher de Calcar, son ancien condisciple, alors prieur de la chartreuse de Monnikhuizen près d'Arnhem 21 , Jean d'Arnhem, N. Staubach, «Pragmatische Schriftlichkeit im Bereich der Devotio moderna", Frühmittelalterliche Studien, t. 25, 1991, p. 418-461, (p. 418 ). 19 R. Dier van Muiden, Scriptum, p. 2. Les livres dont il s'agit sont sans doute des ouvrages d'astrologie qu'il mentionne dans sa lettre à Rodolphe de Enteren (F,p. 63, p. 244-253) à qui il déconseille en particulier la lecture d'Albumasar (Abou-maschar). Cf. également Condusa, p. 56-57, 70. 20 Guillaume de Salvarvilla, fut chanoine et cantor de Notre-Dame à Paris dès 1365. Il dut quitter la France après le schisme et fut nommé par Urbain VI «archidiacre de Brabant dans le diocèse de Liège». Il mourut vers 1385. Petrus Horn (NAKG VI, p. 339) lui attribue un Dialogue du Chantre et du Roi, sans doute apocryphe, qui aurait eu pour but de convertir Gérard. En fait, c'est Grote qui le conseille, en particulier dans la Lettre 9 (infra, p. 77-78). 21 Thomas a Kempis, Vita Gerardi, c. 4, Qualiter per religiosum carthusiensem traaus sit ad Deum, Pohl VII, p. 37-49. H. Ruething, Heinrich Egher van Cakar (1328-1408), Gottingen, 1967. Henri Egher de Calcar, alors procureur de la Nation anglaise, rencontra Grote à Paris. En 1365, il entra à la chartreuse de Cologne; de 1365 à 1373, il exerça la charge de prieur à la chartreuse de Monnikhuizen près d' Arnhem, ainsi que dans d'autres chartreuses dont celle de Sainte-Barbe à Cologne. Il fut en outre visiteur ordinaire de la province pendant une vingtaine d'années. Il laisse une œuvre importante dont une méditation sur la Passion du Christ et une Theoria 18

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chanoine d'Utrecht qui lui fit des reproches sur sa tenue ostentatoire22. La conversion de Gérard se marqua par une confession générale, l'abandon de son apparat vestimentaire, à la grande surprise de ses concitoyens, le choix d'une vie ascétique, le renoncement à son plan de carrière comme il ressort de ses Résolutions. Matériellement, il fit don vers 1374 d'une partie de sa maison pour l'hébergement de femmes pauvres et pieuses 23 • En 1375, son canonicat d'Aix-la-Chapelle est remis à un autre, ce qui laisse supposer qu'il y renonça plus tôt, de même qu'au canonicat d'Utrecht2 4. Pour consolider son propos de vie retirée, parfaire sa formation religieuse et spirituelle, il séjourna à la chartreuse de Monnikhuizen pendant environ trois ans comme «hôte» des chartreux25 .

4. Retour à Deventer. Vie publique. Les chartreux jugèrent que Grote serait plus apte à une vie d'apostolat dans le monde. Il quitta donc sa retraite et, pour se préparer à cette nouvelle tâche, entreprit un voyage à Paris afin de se procurer les livres nécessaires, en compagnie de Jean Cele, directeur de l'école de Zwolle. Au passage il s'arrêta à Groenendaal près de Bruxelles pour rendre visite à Jean Ruusbroec, visite

metrica, poème sur la contemplation. Il est difficile toutefois de savoir s'il a exercé sur Grote une influence suivie. Petrus Horn, NAKG VI, p. 339. Jean d'Arnhem était chanoine à Saint-Pierre d'Utrecht. Il est mentionné par Grote dans ses lettres 38 et 39 (Ep. 38, p. 154; 39, p. 156-157). 23 Thomas a Kempis, Vita, Pohl VII, p. 40. G. Dumbar. Het kerkelijk en wereltlijk Deventer, t. I, Deventer, 1732, p. 548. 24 R. Dier, Scriptum, p. 3. G. Epiney-Burgard, Grote, p. 37-38. 25 Thomas a Kempis, Vita G. M., c. VI, Qualiter a ronsortio saecularium se subtraxit, Pohl VII, p. 41-43. Sur l'influence cartusienne, G. Epiney-Burgard, Grote, p. 51-57. 22

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INTRODUCTION

mémorable où se firent face deux types d'hommes, l'actif et le contemplatif6• Après le retour de Gérard à Deventer, sa vie se partage entre la retraite ascétique et studieuse que ses biographes décrivent de manière très pittoresque27 et ses tournées de prédication. En 1379, il reçoit le diaconat et l'autorisation de prêcher de la part de l'évêque Florent de Wevelinckhofen 28 • Il parcourt d'abord les villes de l'Yssel (Deventer, Zwolle, Kampen et Zutphen) puis élargit son aire de prédication aux villes de Hollande (Amsterdam, Haarlem, Gouda, Delft). En tant que prédicateur itinérant, il jouit d'un grand prestige 29 . Il s'en prit aussi, non sans ruse et agressivité, à des «hérétiques», un certain Miewes de Gouda, lollard, à Barthélémy de Dordrecht, ermite de Saint-Augustin, Gherbrand de Kampen, considérés comme adeptes du «Libre-Esprit» 30, qui rejetaient 26 R. Dier, Scriptum, p. 4-5. «A cette époque, il se rendit à Paris en habit de

pénitent; là il acheta beaucoup de livres qui constituent notre bibliothèque, dépensant à cet effet une quantité d'or qui aurait pu emplir une petite cruche à vin». Grote pensait qu'un petit nombre de livres suffirait pour mener une vie vertueuse, mais qu'il en fallait beaucoup pour instruire les autres et défendre la vérité. C'est pendant ce voyage qu'il se rendit à Groenendael, (Scriptum, p. 3). Il nous reste trois récits de la rencontre avec Ruusbroec: H. Pomerius, op. cit. AB, t. IV, p. 290; Thomas a Kempis, Vita G. M.,. c. X, Pohl VII, p. 52-54; Petrus Horn, Vita G. M., c. 8, NAKG VI, p. 349-351. Cette entrevue oppose le mystique et l'ascète que trouble la confiance inébranlable de Ruusbroec alors que le maître de Deventer est encore sous le régime de la crainte. 27 Le programme de cette vie retirée à Deventer est esquissé dans les Condusa (cf. infra, p. 55-69) et détaillée de manière savoureuse par Thomas a Kempis, op. cit, p. 57-58 et R. Dier, Scriptum, p. 3-4. 28 Ibid., p. 5; Busch-Grube, p. 252. L'évêque Florent de Wevelinckhoven fit son entrée à Utrecht en novembre 1379, donc l'accession de Grote au diaconat ne peut être que postérieure à cette date. 29 Thomas a Kempis, op. cit., p. 76; Petrus Horn, NAKG VI, p. 342. Lettre de Grote à Willem Vroede (Ep. 7, p. 14). Grote se faisait accompagner par un notarius qui enregistrait tous ses propos. Il semble avoir eu un grand succès grâce à son sens d'une rhétorique adaptée à son auditoire; il prêchait parfois deux sermons dans la même journée. 30 R. Guarnieri, «Frères du Libre-Esprit», DSp., t. V., col. 1241-1267.

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entre autres les structures sacramentelles de l'Église. Son activité de «marteau des hérétiques» lui valut l'inimitié des magistrats de Kampen outrés par sa rigueur qui les touchait aussi personnellement. En 1383, il fut appelé à prêcher au synode d'Utrecht. Il choisit de tonner contre les «focaristes», prêtres concubinaires, pour mieux exalter les vertus du sacerdoce. Mais sa virulence lui aliéna la plus grande partie du clergé qui obtint de l'évêque qu'il retirât à tous les diacres la permission de prêcher. Cette autorisation fut rendue à tous, sauf à Grote qui se soumit à cette mesure indirecte de censure. Il fit retraite à Bernstein, dans un couvent de chanoines réguliers et se préparait à demander au pape de l'admettre à la prêtrise. Mais le pape était à Naples et, avant de recevoir une réponse à sa requête, Grote mourut de la peste le 20 août 1384, invoquant saint Bernard et saint Augustin.

Les contours de la secte du Libre-Esprit dans les Pays-Bas du Nord sont mal définis. Les reproches qu'adresse Grote aux adeptes de ce mouvement reprennent les accusations portées contre eux. Ils sont exposés dans sa Lettre au curé de Zwolle (Ep. 31, p. 133-137) au sujet de Barthélémy qui prêche contre la pénitence, allant dans les tavernes pour gagner les notables sans critiquer leur mode de vie. Par ailleurs il dit des choses "qui sont au-delà de l'entendement et de l'imagination». «Rien n'est plus dangereux que de prêcher des choses sublimes sans enseigner la voie qui y mène; Denys qui l'enseigne dans sa "Théologie mystique" ordonne d'éviter l'impureté et de s'en garder; [en outre] c'est ouvrir la porte à l'hérésie que de vouloir contempler les plus hauts mystères de Dieu sans purification préalable ... [Barthélémy dit] que nous devenons par grâce tout ce que Dieu est par nature, que la pénitence doit être réduite et que la vie de l'homme parfait doit être fondée sur un pur néant, etc.» On retrouve ici des éléments condamnés par la Clémentine Ad nostrum, Concile de Vienne 1311-1312 (Friedberg, Corpus iuris canoniâ, Il, p. 1183). Laméfiance de Grote à l'égard des spéculations théologiques se traduit dans la seconde version des statuts pour les Soeurs de la Vie commune de Deventer (cf. infra, p. 31)

III. ENTRE RUPTURE ET CONTINUITÉ. DE LA RENOVATIO À LA REFORMATIO

1. Rupture et continuité

La vie et l'activité de Gérard Grote se déroulent sous un double signe de rupture et de continuité. Sa conversion s'accompagne: 1) du refus d'un mode de vie jugé incompatible avec les exigences évangéliques, 2) d'une critique cinglante de l'enseignement en vigueur à l'Université de Paris, 3) d'une vision pessimiste de la vie ecclésiastique de son temps: manquements des religieux aux vœux monastiques, abus des séculiers concernant la simonie, absence de sens pastoral, non-observance du célibat ecclésiastique. Malgré cette rupture avec l'esprit et les mœurs du temps qui aurait pu, comme pour certains de ses contemporains, un Jean Wyclif par exemple, le rejeter dans les marges de l'Église31, la continuité avec la tradition imprègne toute sa personne et son œuvre. L'anti-intellectualisme de principe qu'il semble affirmer doit être tempéré. Si Grote souhaite s'adresser dans la simplicité aux gens sans culture, s'il traduit ou compose pour eux des textes pour leur faciliter l'exercice de la piété, il demeure hanté par le souci de se constituer une bibliothèque importante afin de pouvoir répondre aux besoins de son apostolat et, d'autre part, il fait preuve dans ses traités d'une érudition englobant l'antiquité classique qui dépasse de beaucoup un enseignement purement scripturaire et va jusqu'à aborder des problèmes philosophiques difficiles. Mais, bien sûr, s'il conteste une culture qui se nourrit d'elle-même, il veut qu'elle soit mise au service du perfectionnement spirituel de tous. 31

Grote n'a pas été censuré pour sa doctrine mais pour les conséquences que pouvait entraîner la rigueur avec laquelle il voulait voir appliquer les règles canoniques.

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La continuité avec la tradition chrétienne se marque tout d'abord dans l'attachement à l'Évangile, hautement affirmé dans ses Résolutions et dans sa profession de foi 32 • Le but de sa vie est de faire connaître le Christ par son Évangile, les Actes des Apôtres, les Épîtres pauliniennes. Si !'Écriture sainte est d'inspiration divine, les commentaires des Pères contribuent à une meilleure compréhension du texte. Il recherche avec avidité les vies des Pères, leurs homélies, les oeuvres exégétiques de S. Jérôme, de S. Jean Chrysostome, de S. Grégoire le Grand, si possible sous leur forme complète, originelle (originalia) ou dans des recueils de sentences 33 . Il prélève également un grand nombre de citations dans ses livres de droit canon car il pense que la législation traduit l'idéal des premières communautés chrétiennes 34 • Quant aux auteurs spirituels, les victorins, les cisterciens comme saint Bernard et Guillaume de Saint-Thierry exercent sur lui une influence qui n'est pas négligeable35. La Somme théologique de saint Thomas lui fournit de nombreuses références en matière de théologie morale. Parmi ces sources, l' oeuvre de S. Augustin occupe une place majeure. Grote semble avoir possédé un grand nombre de ses traités, encore que la liste n'en soit pas toujours précise et que les titres indiqués prêtent parfois à confusion 36 • Quant à Ruusbroec dont il a traduit en latin l'Omement des Noces Spirituelles, il aura fortement marqué la spiritualité de Gérard, principalement dans sa conception de la «vie ambidextre» d'action et de contemplation, transposition de la «vie commune» du prieur de Groenendael3 7 • infra, p. 62; 73. Ep. 7 à Willem Vroede, p. 15: «Rescribatis mihi originalia»; p. 16: «/ibri originalium quos opto sunt ... ,, 34 Cf. infra, Condusa, p. 55. 35 G. Epiney-Burgard, Grote, p. 77-83. E. Mikkers, «Sint Bernardus en de moderne Devotie», Citeaux in de Nederlanden, t. IV, 1953, p. 149-186. 36 Cf. en particulier Ep. 7, p. 16; Ep. 8, p. 17-22. G. Epiney-Burgard, Grote, p. 70-75; «Saint Augustin et la Vie commune dans la Dévotion moderne», Medioevo, IX,

32 Cf. 33

1983, p. 61-75. 37 Pour l'influence de Ruusbroec, cf. G. Epiney-Burgard, Grote, p. 136-141. Du

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INTRODUCTION

Quand on a constaté que la culture profane et religieuse de Grote était très vaste, il convient d'en marquer certaines limites: elle reste éclectique, en ce sens qu'il ne se soumet pas à l'enseignement d'un seul maître, et sélective dans la mesure où, chez chaque auteur, il choisit ce qui convient au besoin immédiat de sa pastorale, forçant parfois les affirmations de ses sources ou les amputant de leur couronnement contemplatif. Sa spiritualité se développe sur deux axes, celui de la vie personnelle, renovatio, et celui de la vie ecclésiale, reformatio.

2. La renovatio

La renovatio, restructuration de la personne, redressement de «l'âme courbe» selon saint Augustin et saint Bernard, renouveau dans l'Esprit-Saint selon saint Paul, ne peut naître que d'un retour sur soi, d'une connaissance de soi, à la fois jugement négatif quant à sa condition de pécheur en face de Dieu, et découverte positive de la présence de l'Esprit-Saint dans l'âme. «Si notre propre esprit n'a pas pour nous d'existence, qu'y a-t-il d'étonnant à ce l'Esprit de Dieu qui est vraiment un Dieu caché, ne se manifeste presque pas, bien qu'il soit en nous» 38 . On retrouve ici l'écho de saint Augustin dans les Confessions (VII, xvii, 23): «Noverim me, noverim te». C'est l'intériorité qui permet la présence d'inhabitation. Là il entend l'appel de Dieu et peut entreprendre ce travail sur sa propre conscience afin de purifier l' œil prieur de Groenendael, Grote retient surtout la description de la vie active des vertus dans l'imitation du Christ, le souci de réformer l'Église par la pratique d'une vie communautaire simple et pauvre. Sa conception de la "Vie commune», het ghemeyne !even, n'a pas le contenu théologique que lui donne Ruusbroec. Néanmoins, on sent qu'il est plus fortement influencé par sa doctrine mystique dans ses Gloses aux psaumes. (Cf. infra, p. 208, 211) et dans le traité sur la méditation (infra, p. 253, n. 40). 38 Ep. 56 à Bertold ten Haue, son jeune parent, p. 212: Nec mirum, si Spiritus Dei in nobis existens a nobis non sentitur, cum intelleaualem animam nos habere non gustamus. Si proprius spiritus nabis ignotus est nabis inexistens, quid mirum si Spiritus Dei, qui vere Deus est absconditus, licet in nobis sit, nobis minime dedaratur.

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intérieur, de le rendre capable, par la pureté de l'esprit et du cœur, de saisir ses motivations profondes et d'écarter les obstacles extérieurs et les refus intérieurs. Le retour à l'intériorité conduit de ce fait au discernement des esprits, à la discretio chère à tous les auteurs médiévaux, qui permet à l'homme de situer ses faits et gestes par rapport à sa finalité. Le discernement donne la possibilité de faire les choix qui s'imposent tout au long de l'existence, aussi bien pratique que spirituelle, comme il ressort des Résolutions de Gérard 39 • Fruit de cette réflexion, l'élection guide l'action en ordonnant tous les biens sur une échelle de valeurs allant de la convoitise des biens matériels et du divertissement à l'abandon total à la volonté de Dieu 40 • Sa morale est une morale de l'intention qui rejette les pénitences extérieures pour se concentrer sur les motivations internes 41 • En ce qui concerne l'ordinatio, l'influence de saint Augustin est prépondérante puisque selon la loi naturelle, «sorte de transcription dans notre âme de la loi éternelle qui subsiste immuablement en Dieu ... une exigence fondamentale s'impose à l'univers en général et à l'homme en particulier, c'est que tout soit parfaitement ordonné: ut omnia sint ordinatissima» 42 • 39 La discretio permet de discerner dans quelle mesure on se rapproche ou on s'éloigne des lois éternelles; grâce à la suprema ratio, elle donne la vision du but à atteindre; «Mère des vertus», elle s'applique avec subtilité aux diverses opérations (Ep. 70 à un chartreux, p. 28S ). Elle permet de résister aux tentations et délivre de la crainte et des pensées négatives inspirées par le Malin (Ep. 71 à un ami qui souffre de tentation, p. 297). 40 Le discernement mène à l'élection, c'est-à-dire à un choix de vie, dont on a auparavant mûrement soupesé les motivations. Un exemple type se trouve dans les Résolutions (p. SS, 67), dans le traité De Matrimonio, (éd. W. Mulders, Nimègue, Utrecht, 1941, p. 18). G. Epiney-Burgard, «Die Wege der Bildung in der Devotio Moderna», Lebens!ehren und Weltentwüife im Übergang vom Mitte!a!ter zur Neuzeit, hrsg. von H. Boockmann, B. Moeller, K. Stackmann, Gottingen, 1989, p. 181-200 (sur le thème de l'élection, p. 193-19S). 41 Allocution morale, infra, p. 128. 42 Sur ce thème de !' ordinatio, E. Gilson, L'esprit de la philosophie chrétienne, Paris, 19412 , p. 170svv. Cf. De Simonia, p. 7, 21.

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INTRODUC TION

3. Reformatio

Le renouveau de la personne s'ouvre tout naturellement, chez Grote, au désir de réformer une Église en péril. Ce souci prend un double aspect, négatif quand il s'agit de lutter contre des doctrines jugées hétérodoxes et de remédier aux abus de la vie ecclésiastique, positif quand Grote définit les vertus qui nourrissent la vie spirituelle de la communauté ecclésiale. Par la réforme, on «édifie» l'Église pour lui permettre d'atteindre la «plénitude de l'âge du Christ». Toutefois, si l'objectif est clair, la situation créée par le Grand Schisme est la source de bien des perplexités. Comme nombre de ses contemporains, dans l'un ou l'autre camp d'ailleurs (Conrad de Gelnhausen, le prévôt de Worms, Jean Gerson), Grote hésite à se prononcer avec certitude quant à la validité de l'élection d'Urbain VI, tout en refusant d'ailleurs avec horreur de se rallier à Clément VIL Il expose ses idées pour répondre à son ami Salvarvilla, victime des dissensions entre les deux obédiences 43 . Il distingue entre hérésie et schisme: la première relève d'une erreur concernant la vérité, le second rompt l'unité ecclésiale en conduisant à élire de nouveaux évêques, à promulguer de nouvelles ordonnances ecclésiastiques. Mais mettre en doute la validité d'une élection pontificale n'est pas hérétique, tout en portant un schisme en germe, si l'on soutient le parti opposé. Et même le pape peut être fauteur de schisme en revendiquant son droit par la force. La seule solution pour mettre fin à ce drame considéré comme une «blessure infectée», c'est pour Grote, comme pour Salvarvilla, le recours à un concile général, concile de réformes, seul remède possible. Pour réconforter son ami, Grote aura tendance à magnifier l'Église spirituelle, triomphante et invisible, dirigée par le Christ et l'Église institutionnelle, hiérarchique, dirigée par le pape 44 . Ep. 20 à Salvarvilla, p. 72-75; Ep. 21, p. 78-93. Cf. G. van Asseldonk, De Nederlanden en het Werters Schisma (tot 1398), Utrecht-Nim ègue, 1953, p. 154-211. G. Epiney-Burgard, Grote, p. 178- 182. 44 Ibid., p. 233, 279-284. «De locatione ecdesiarum», Archie/ voor Kerkgeschiedenis, VIII, 43

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Bien que la conception de l'Église soit pour Grote influencée par le schisme, il défend aussi une ecclésiologie plus traditionnelle. Grâce à l'Esprit-Saint, elle est le lieu où se retrouvent les fidèles dans un amour qui s'adresse à tous, amor communis, «l'amour de Dieu par lequel le corps mystique du Christ, l'Église et les membres entre eux sont mu tellement reliés et vivifiés ... Pour ce corps mystique et ses membres, le Christ a donné sa vie» 45 • La hiérarchie est un ordre de sainteté qui découle de la sainteté primordiale du Christ. S'il admet un pouvoir hiérarchique humain, c'est par participation au pouvoir suprême de Dieu. D'où il reconnaît le devoir purificateur et illuminateur de l'évêque, selon la conception du pseudo-Denys 46 . L'Église militante, juridique, doit préparer la venue de l'Eglise triomphante, d'une part par l'administration des sacrements pour lesquels Grote a une profonde révérence: «Il est écrit: les cœurs sont purifiés par la foi et par la foi en effet nous sommes lavés dans le sang du Christ dont la grâce multiple et les mérites abondants découlent plus fréquemment des sacrements de l'Eucharistie et de la Pénitence».47 Et d'autre part, puisque l'Église militante est composée de bons et de méchants, l'emploi d'une juridiction propre à réprimer tous les scandales se justifie. L'ambivalence qui traverse toute la vie et les options de Grote se manifeste également dans sa conception de l'Église. Il peut s'élever, avec virulence, contre un pouvoir épiscopal qui lui semble abusif, comme dans le traité Contre la tour d'Utrecht (cf. infra, p. 90 ), dans le sermon contre les focaristes, et en même p. 130: Regimen animarum mundat consâentiam et aperit homini Ecclesiam triumphantem et coelum et unit hominem corpori Christi mystico sed ]urisdictio mundat in exterioribus Ecclesiam militantem de bonis et malis congregatam ... ,, 45 Ep. 39, p. 157: Non est dubium Christum plus diligere corpus suum misticum aut singula eius membra, quam corpus suum verum, quod pro suo mistico et pro quolibet eius membra morti exposuit et tradidit. 46 «De locatione ecdesiarum», éd.J. Clarisse, Archie[ voor Kerkgeschienis, VIII, 1837,

p. 119-152, (p. 126). 47

De M.atrimonio, p. 51.

INTRODUCTION

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temps affirmer les prérogatives épiscopales au nom d'une vision à la fois spirituelle et juridique du pouvoir de l'évêque 48 . a) Réforme de la vie monastique Le zèle de Grote pour la réforme des couvents provient de son admiration pour la vie monastique. S'il a déconseillé à certains de ses amis d'entrer au couvent, c'est ou bien que lesdits couvents n'étaient pas réformés ou que ces hommes, comme Jean Cele, exerçaient, grâce à leur situation et à leur rayonnement, une influence importante sur leurs contemporains49 • Pour les jeunes femmes et les jeunes hommes, Grote les dirige volontiers vers la vie religieuse et les recommande à des supérieurs de couvents restés fidèles à la règle primitive comme les chartreux ou les clarisses de Cologne50 • Conscient des difficultés qui attendent les jeunes religieux, il sait les encourager, mais aussi les réprimander s'ils résistent à ses objurgations 51 • S'il admire la vie monastique, c'est qu'elle a pour fin la «perfection de la charité» et qu'elle remplit une fonction eschatologique. Aussi le respect des vœux de pauvreté, chasteté et obéissance est-il pour lui capital. Il s'en prend surtout aux manquements à la pauvreté et tonne contre les moines «propriétaires» qui gardent leurs biens personnels, mettant en danger leur propre salut et l'avenir de leur couvent. Il écrit dans ce sens à l'abbé cistercien du monastère de Camp en Rhénanie 52 et compose un traité Sur la pauvreté 53 • Toutefois, malgré sa rigueur, il admet que les réformes doivent se faire progressivement pour gagner petit à petit ceux qui y sont hostiles. 48 Cf. n. 46 et Ep. 9, p. 35: Item nescio quomodo ex potestate ordiuarii episcopi, quia

membrum ecdesie ipsius in certo !oco, situ et officio statis, potestis vos subtrahere. 49 Ep. 10, p. 37. 50 H. Ruething, «Vier neue Briefe Geert Grootes»,

Ons Geeste!ijk Eif, t. XL, 1966, p. 392-406. 51 Ep. 15, p. 50-51. 52 Ep. 41, p. 161-169; 44, p. 174-176; 45, à une supérieure, p. 177-183. 53 Infra, p. 141-179.

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b) Réforme du clergé séculier Un petit pamphlet, Contre la tour d'Utrecht54 , écrit avant 1382 et plus probablement peu après la conversion de Grote, mais gardé sous le boisseau, montre bien dans quelle direction s'oriente son désir de réforme et révèle sa conception de la justice ecclésiastique et sociale. Entre 1345 et 1347, l'évêque d'Utrecht,Jean d'Arkel, avait prescrit sous peine d'excommunication que soient remis à la fabrique de la cathédrale les sommes et les biens mal acquis dont on n'avait pas retrouvé les propriétaires. Ces fonds devaient servir à l'érection d'une tour magnifique (qui se dresse d'ailleurs toujours fièrement auprès de la cathédrale). Et Grote de démontrer que ces lettres épiscopales sont injustes ex fine, ex forma car, pour des raisons de gloriole, elles privent ceux qui auraient besoin de cet argent: les pauvres, les captifs. Cet argent pourrait aussi servir à la restauration d'églises paroissiales, à la réfection de ponts. D'autre part, ces prescriptions s'opposent à la justice distributive en empêchant les personnes de donner les biens mal acquis à quelque fondation pieuse. Grote va jusqu'à recommander la désobéissance à l'évêque au nom de l'équité. c) Contre la simonie du clergé séculier Un même souci de justice inspire les reproches que Grote adresse au clergé séculier. Ses exigences envers cet état sont à la mesure de sa vénération pour le sacrement de l'ordre. C'est justement la médiation du prêtre qui, par la pénitence, «ouvre à l'homme l'accès à l'Église triomphante au ciel; il unit l'homme au Corps mystique du Christ» 55 • «Y a-t-il pouvoir plus grand et plus honorifique que de transsubstantier la créature et de la consacrer pour en faire le Créateur, de le toucher de ses mains de chair et

54 Geert Grootes Traaaat Contra turrim Traieaensem teruggevonden, éd. R.R. Post, La Haye, 1967. Extrait, infra, p. 93-101 55 «De locatione» AKG VIII, p. 130.

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INTRODUCTION

d'esprit et de le servir et distribuer aux autres, le faisant passer dans les corps et dans les âmes?» 56 Cette dignité contraint le prêtre à un choix difficile: Grote lui promet «l'effort, la difficulté et des risques à l'image de la vie crucifiée du Christ». Dans une lettre-traité au sujet d'un jeune homme qui a reçu un bénéfice avec cure, il détaille ces exigences: une intention pure, marquée par le désintéressement au nom de l'honneur de Dieu et du bien des âmes; une science spirituelle qui a pour soubassement la connaissance de la théologie, du droit canon, ellemême fondée sur les sciences morales et naturelles >>57. Cette science aboutit, selon la conception héritée du pseudo-Denys, à l'illumination, source de l'acuité du regard sur les hommes. Le prêtre doit en outre mener une vie exemplaire pour montrer la voie, «quasi praebens iter», selon l'étymologie supposée de presbyter. Il doit surpasser ses ouailles en charité: «Pour un curé, l'amour de Dieu est insuffisant, s'il n'aime pas plus que les autres et si la charité n'atteint pas chez lui un degré plus élevé» 58 . Avec une idée si haute de l'ordre et de sa fonction pastorale, Grote ne devait pas manquer de s'en prendre à la simonie. Si, dans le traité «aux béguines» 59 , il considérait comme une faute grave d'acheter un bien spirituel (en l'occurrence l'entrée dans une communauté non soumise aux règles canoniques), il est d'autant plus sévère pour les abus ecclésiastiques: cumul de 56 «Contra focaristas», AKG, l, p. 372: «01 quid potentius et honorificientius quam trans-

substantiare creaturam et consecrare in creatorem manibus carnalibus et inte!!eaua!ibus traaare et aliis eumdem propinare et largire et ipsummet in corpus et animam trajicere ... ,, 57 Ep. 73, Ad juvenem cui fuit collata ecdesia curata, p. 310-321, p. 313: Item omnis volens digne intrare curam animarum iudicio consciencie, ex divinis et naturalibus legibus tenetur: primo, habere intencionem reaam; 2° tenetur erse i!!uminatus Dei sciencia; 3° tenetur et vixisse et vivere vita bona et exemplari; 4° tenetur amore interno et vita alios precel!ere; 5° terrena et mundana contempnere.- Ep. 23, p. 100 : Ars arcium, dicunt Sanai, est regimen animarum. Superexcel!it et difficu!tate et subtilitate ceteras. Subtilitate: nam requirit perfectam vel magnam iuris canonici et sciencie theologicie periciam, que multas alias sciencias morales et naturales, antequam vere sciantur presupponunt. 58 Ep. 73, p. 318-319. 59 Cf. infra, p. ll8.

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bénéfices, réservation en faveur de personnes qui n'y ont pas droit, affermage ou achat de biens curiaux. Il traite chaque cas de manière très concrète, discernant les motifs de celui qui achète et la faute de celui qui vend un poste auquel s'attache un bien spirituel60 • Dans le traité De locatione ecclesiarum61 , Grote traite le sujet d'une manière plus systématique, plus juridique, d'où la casuistique n'est pas absente. Le point fondamental de son raisonnement qui envisage plusieurs cas de figure, c'est qu'on ne peut d'aucune manière acheter une charge pastorale : accepter la charge des âmes pour un prix donné ou moyennant un loyer annuel, à la suite d'un contrat, est «grande et horrible simonie». La faute serait moins grande à ses yeux si on acquérait un bénéfice sans charge pastorale - à condition toutefois que le bénéficiaire se convertisse et exerce par la suite ses fonctions de manière spirituelle. Dans le même esprit, acquérir une charge pastorale par contrat avec le désir d'assumer ses obligations envers les fidèles lui paraîtrait moins grave que l'achat sans contrat d'une charge paroissiale (donc sans faute juridique patente), par pur esprit de lucre. En effet l'intention simoniaque est la plus perverse car elle facilite l'accès du ministère paroissial à des gens indignes ou incultes et entache tous les actes du ministère. d) Lutte pour le célibat ecclésiastique62 La situation des prêtres concubinaires ou «focaristes» avait été condamnée à plusieurs reprise dans le diocèse d'Utrecht, mats sans succès 63 • 60

Ep. 17, p. 58-61; 18, p. 62-64, à Maître Guillaume Vroede.

61 Pour un résumé du traité «De locatione ecclesiarum», cf. G. Epiney-Burgard,

Grote, p. 231-235. 62 «Sermo magistri Gerardi Magni, dicti Groot, de focariis factus in domo capitulari Traiectensi». Éd. A. et]. Clarisse, AKG l, 1829, p. 364-37; II, 1830, p. 307395; VIII, 1837, p. 5-107. 63 Les statuts du chapitre général d'Utrecht ( 1342) sur ce sujet étaient encore en vigueur, confirmés par le mandement de l'évêque Arnould de Horn en 1375. H. Wstinc, Het Rerhtsboek van dm Dom, La Haye, 1895, p. 170-171.

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INTRODUCTION

A la date probable du 21 avril 1383, Grote fut chargé de prononcer un sermon au synode d'Utrecht. Il l'étoffa par la suite et le sermon devint traité. C'est l' oeuvre la plus juridique de Grote qui aligne en vingt-six thèses les conclusions de toute une série de dix-sept canonistes et glossateurs 64 • Dans les sept premières de ses thèses, l'accent de son argumentation porte sur le fait que le prêtre fornicateur notoire per evidentiam faai est automatiquement suspens et que les fidèles doivent l'éviter et refuser d'assister à la messe. Dans sa sévérité, Grote force à la fois la teneur des canons et l'interprétation de saint Thomas 65 pour qui on ne doit éviter les offices des prêtres présumés concubinaires que s'ils ont été dûment condamnés par l'autorité ecclésiastique. La rigueur de Grote, sa véhémence, qui atteint jusqu'à l'évêque, s'atténue quelque peu dans les chapitres 15 et 16 où il se place d'un point de vue spirituel et pastoral pour montrer que les fautes du clergé déchirent le Corps mystique du Christ. Comme pour la simonie, sa volonté réformatrice provient de sa haute opinion du sacerdoce qu'il loue par une longue citation de l'Instruaio sacerdotis, apocryphe bernardin. En somme, si Grote a été écarté de la prédication, ce n'est pas pour des propositions qui auraient été jugées hétérodoxes, mais bien pour un excès de zèle qui excluait toute indulgence. Il n'est donc pas surprenant que les personnes incriminées se soient coalisées contre lui. D'autre part, il aurait risqué, à l'encontre de ses intentions, de semer le trouble et la discorde dans les rangs des fidèles et c'est probablement ce dernier point qui a motivé la décision de l'évêque. Ainsi son désir de réforme a-t-il buté sur un échec cuisant.

64 «Drie onuitgegeven werkjes van Geert Groote», éd. T. Brandsma, OGE 15, 1941, p. 5-61. 65 S. Thomas, Quodlibet XI, q. VIII, art. 8 et 9.

IV. LES DÉBUTS DE LA VIE COMMUNE

En même temps qu'il se livrait à ses tournées de prédication, Grote laissait son empreinte sur son entourage immédiat. Aux femmes qui vivaient dans sa maison depuis 1374, il donna en 1379 des statuts plus complets qui marquaient plus nettement la différence de cette communauté avec les béguines et contenaient des mises en garde contre la prétention de discuter des problèmes de haute théologie au risque de tomber sous la censure des Clémentines (concile de Vienne, 1311 ) 66 . D'autre part, il donnait du travail de copiste à de jeunes étudiants qu'il recevait régulièrement et auxquels il dispensait un enseignement spirituel quand il leur distribuait leur salaire67. Il regroupait aussi autour de lui des prêtres et des laïcs gagnés à sa spiritualité. Son principal disciple était Florent Radewijns, maître ès arts de l'université de Prague, la seule personne, dit-il, qu'il ait jamais fait ordonner68 • Devenu vicaire à l'église Saint-Lébuin, Florent hébergeait chez lui des prêtres et des clercs qui vivaient du travail de copistes. La vie commune se précisa petit à petit, sans qu'on sache à quel moment elle fot décidée. Les récits des biographes diffèrent, du plus simple au plus dramatique69. 66 G. Dumbar, Kerkelijk en wereltlik Deventer, I, Deventer, 1752, p. 548 (statuts de

1374; R.R. Post, «De statuten van het Mr. Geertshuis te Deventer», Archie[voor de geschiedenis van het aartsbisdom Utrecht, 71, 1952, p. 46. Alors que R.R. Post pensait que cette nouvelle rédaction plus détaillée était ]' œuvre des échevins, A.G. Weiler montre avec des arguments probants que l'auteur en est Gérard Grote: «Geert Grote en begijnen in de begintijd van de Moderne Devotie», Ons Geestelijk Erf 69, 1995, p. 114-132. 67 Busch-Grube, p. 253. 68 Thomas a Kempis, Vita Domini Florentii, Po hl VII, p. 116-195; R. Dier, Vita Domini Florencii prioris nostri, Scriptum, p. 7- 15; M. Van Woerkum, DSp., t . V, 1964, col. 427-434. 69 Thomas a Kempis, Vita magistri Gerardi, Pohl VII., p. 77; Busch-Grube, p. 253-254.

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INTRODUCTION

A la mort de Gérard, les Frères furent au point de vue juridique «les gardiens des livres de maître Gérard, de Jean de Gronde et de maître Florent» 70 • En 1383, un acte signe la donation de deux laïcs en faveur de Grote «afin d'aider trois pauvres prêtres à servir Dieu dans l'éloignement du monde» 71 . Même si la vie commune s'est établie petitement à Deventer sans aucune décision officielle, il est certain que les premiers Frères étaient animés de l'idéal entrevu par maître Gérard et évoqué dans son traité «aux béguines» 72 et tel que le décrit Thomas a Kempis dans sa belle vie de Florent73. Les prêtres de la communauté menaient, eux, la «vie ambidextre»: vie silencieuse dans la maison, participation au travail de copiste, allocutions familières aux visiteurs, étudiants ou laïcs 74 , et hors de ce foyer, prédication dans les villes d'alentour.

70 G. Dumbar, Deventer, l, p. 605. C. van der Wansem, Het ontstaan en de geschiedenis der broederschap van het Gemene Leven tot 1400, Leuven, 1958, p. 183. La commu-

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nauté a un double but: conserver la bibliothèque de maître Gérard et de ses amis; d'autre part de «louer Dieu et promouvoir le service de Dieu dans la ville». G. Dumbar, Deventer, l, 562-563. Cf. infra, p. l15. Thomas a Kempis, Vita domini Florencii, p. 150-151; R. Dier, Scriptum, p. 8. C. van der Wansem, Broederschap, p. 123.

V. L'ACTIVITÉ LITTÉRAIRE DE GÉRARD GROTE

Les lettres, sermons et traités de Grote ont été édités en ordre dispersé à différentes époques, du 19e au zoe siècle; ces textes ne sont pas toujours accessibles. Aussi une édition critique des Opera omnia est-elle en préparation au Titus-Brandsma Instituut (Université de Nimègue) sous la direction de Rudolf Th. van Dijk, O. Carm. Elle paraitra dans la collection du Corpus Christianorum,

Continuatio Mediaevalis. Le premier volume comportera une étude complète de la tradition manuscrite, de la diffusion des manuscrits dans les différents milieux conventuels ou laïcs, permettant une vue d'ensemble de la réception de son œuvre 1• La production littéraire de Grote est tout entière tournée vers son activité apostolique; toutefois on peut distinguer divers types d'écrits selon leur forme et leur fonction. 1.

Les écrits autobiographiques

Ce sont les Conclusa et proposita non vota2 et la Publica protestacio 3• On peut également y joindre un certain nombre de lettres 4 .

Gerardi Magni Opera Omnia, hgg. unter der Leitung von Dr. R.Th.M. van Dijk, O. Carm. T. 1, R.Th.M. van Dijk, Die Forschungslage des gesamten Schrifttums. Kritische Edition des Traktates «Contra Turrim Traieaensem" (à paraître). En attendant une nomenclature complète des manuscrits, J.G. Tiecke, De werken van Geert Groote, Utrecht-Nimègue, 1941. A compléter par la découverte de nouveaux manuscrits, G. Epiney-Burgard, Grote, p. 317-320. 2 Tiecke, op. cit., p. 67-72. Cf. infra, p. 51-72. 3 Tiecke, p. 72. Cf. infra, p. 73-75. 4 Tiecke, p. 73-110. Gerardi Magni Epistolae, éd. H.W. Mulder, Anvers, 1933 (cité Ep.)

1

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INTRODUCT ION

2. Les écrits polémiques et réformateurs

Aux textes principaux sont adjoints de petits écrits précisant sur tel ou tel point la position de Grote ou répondant aux objections. - Contre la simonie : De simonia ad beguttd; Contra turrim traiec-

tensem6; De locatione ecclesiarum7 ; De cura pastoral!'. - Contre les prêtres concubinaires: le sermon Contra focaristas et ses annexes 9 • 3. Sermons et traités

Sermo de Nativitate de quattuor generibus meditabilium 10 Traaatus de Paupertate, Sermo in die Palmarum 11 • De Matrimonio 12 • Zedelijke Toespraak 13 Il faut remarquer que toutes les œuvres polémiques du maître, si véhémentes soient-elles, contiennent des passages plus spirituels dans lesquels il défend sa cause non seulement par des raisonnemen ts juridiques mais en raison de ses convictions profondes, théologiques et évangéliques. 4. Les lettres Elles permettent de connaître à la fois le détail de ses activités, ses préoccupations, son caractère sous tous ses aspects: sévère, impérieux, ou au contraire plein de compréhens ion et de sollicitude pour les faiblesses du corps et de l'âme. La plupart du

s Tiecke, p. 168-170. Cf. infra, p. 105-121. 6 Tiecke, p. 228-231. Cf. infra, p. 123-135. 7 Tiecke, p. 157-166, éd.]. Clarisse, AKG, VIII, 1837, p. 119- 152. 8 Tiecke, p. 160-166. Ep. 73, p. 310-321. 9 Ibid., p. 144-157. 10 Ibid., p. 128-129. Cf. infra, p. 215-250. 11 Ibid., p. 129-131. Cf. infra, p. 141-179. 12 Ibid., p. 131-133. 13 Ibid., p. 133-135.

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temps, il apparaît comme un maître qui dispense réprimandes, conseils ou encouragements. Chez lui, toutefois, la sévérité n'exclut pas le sens de la mesure, l'acceptation de ce qui est réalisable ou non dans les réformes proposées. Dans les cas particuliers, il fait preuve d'un grand sens du concret, donnant à son correspondant des conseils tout à fait pratiques 14 • Elles ont un contenu très varié: lettres échangées avec des amis comme Jean Cele 15 , Willem Vroede 16 , Ruusbroec et le couvent de Groenendaal, où il parle de ses préoccupations et de ses projets 17 • Lettres de recommandation pour de jeunes candidats à la vie religieuse 18 • Lettres de direction: à un prêtre mondain (Henri Hoxter de Clingebile) 19 ; à des chartreux20 ; à une recluse 21 • Lettres-traités22 • 5. Les traductions de Ruusbroec Grote a traduit en latin le livre des Noces spirituellei23 que Ruusbroec avait écrit à Bruxelles avant la fondation du prieuré de Groenendael. Il aurait même utilisé le texte du frère Gérard, de la chartreuse d'Hérines-lès-Enghien, considéré comme une Ep. 70, p. 283-293. Ep. 13, p. 42-47; Ep. 14, p. 48-49; Ep. 32, p. 138-140; Ep. 33, p. 141-142; Ep. 34, p. 143-145; Ep. 48, p. 190-191; Ep. 64, p. 254-255. 16 Ep. 7, p. 14-16; Ep. 8, p. 17-22; Ep. 18, p. 62-64. 17 Ep. 24, p. 107-109; Ep. 54, p. 207-209. 18 Les Ep. 1 à 5, p. 1-10, concernent l'entrée en religion de la même jeune fille, Elsebe van Geerne. Pour les jeunes gens, cf. Ep. 12, p. 40-41; Ep. 14, p. 48; Ep. 40, p. 158-160. H. Ruething, «Vier neue Briefe Geert Grotes», OGE. 40, 1960,

14 15

p. 392-406. Ep. 22, p. 94-99. 20 Outre l'Ep. 70, déjà citée, cf. Ep. 16, p. 52-57: Ep. 69, p. 269-281; Ep. 71, p. 294-295. 21 Ep. 68, p. 265-268 (en moyen-néerlandais). 22 Outre les lettres sur la simonie (cf. n. 7), l'épître De patientia, Ep. 62, p. 232-243. Cf. infra, p. 189-199. 23 Jan van Ruusbroec, Die geestelijke brulocht, éd. J. Alaerts Opera omnia, t. 3, Turnhout, 1988. Inédite, la traduction de Grote se trouve dans le ms. 1610-28 de la Bibliothèque Royale de Bruxelles, fol. 283-337. 19

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INTRODUC TION

deuxième version 24 , qu'il traduisit sous le titre De Omatu spiritualis

desponsationiP.

Son souci était de donner une traduction plus fidèle du texte déjà traduit en latin par Guillaume Jordaens 26 • Dans le prologue Grote donne ses principes de traduction: traduire presque mot à mot, sans recherche de style. «Le traducteur n'a pas osé orner son style de peur de paraître ajouter ou retrancher quoi que ce soit à l'original dans des matières qui dépassent son expérience» 27 • Aveu d'humilité qui s'accompagne cependant d'une attitude critique. A vrai dire on ne peut affirmer que Grote ait systématiquement omis certaines des expressions les plus hardies du troisième livre des Noces spirituelles qui pourraient être aussi des omissions ou des erreurs de copiste. 28 • Toutefois, bien qu'il soit persuadé de l'orthodoxie du prieur qu'il a pu apprécier lors de sa rencontre avec lui, il émet certaines critiques comme celles sur l'influence des astres sur la vie humaine dans les XII béguines ou la distribution des hiérarchies angéliques dans les VII degrés d'amour spirituel29. De certaine expression ambiguë de la Lettre 24 30 on a pu inférer que Grote avait donné une traduction «corrigée» des VII degrés. Cette hypothèse semble infirmée par la comparaison des textes, la version latine De septem gradibus divini amoris relève davantage des principes de traduction de Guillaume Jordaens que de ceux de Grote 31 • Il semblerait en outre que Gérard Grote ait traduit le traité des XII Vertus autrefois attribué à Ruusbroec et rendu à son auteur 24]. Alaerts, «Invloed van Geert Grote op de tekstoverlevering van Ruusbroec's

25 26

27

2s 29 30 31

"Die geestelijke Brulocht''», Geert Grote en Moderne Devotie, OGE 59, 1985, p. 142153. Ibid., p. 146-147. Guillaume Jordaens, 1321-1373, onzième chanoine de Groenendael, intitula sa traduction De omatu spiritualium nuptiarum. Elle fut éditée à Paris en 1512 par Lefèvre d'Étaples. Texte du prologue, G. Epiney-Burgard, Grote, p. 116. Ibid., p. 117-127. Ibid., p. 133-136. Ibid., p. 127-133. Ibid., p. 130-131.

LA DÉVOTION MODERNE

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Godefroid de Wevele, chanoine d'Eemstein. La traduction de la troisième partie du premier livre des Noces sur les vertus d'humilité et d'obéissance est identique à celle qu'en a faite Grote32. Alors que la traduction des Noces de Guillaume Jordaens se répandit dans le sud des Pays-Bas et en France avec l'édition de Jacques Lefèvre d'Etaples en 1512, celle de Grote fut diffusée dans les pays du Nord en particulier chez les chartreux. Dans son ouvrage sur la contemplation, Denys de Rijckel (t 1471) s'est servi de la traduction de Gérard Grote pour illustrer la théologie mystique de Ruusbroec 33 • 6. La traduction des Heures Durant sa retraite à Woudrichem et à Zwolle, pour ne pas rompre en prêchant le silence qui lui était imposé, Grote entreprit de traduire les Heures pour les laïcs et ceux de ses disciples, surtout des femmes, qui ne savaient pas le latin. Au XIVe siècle, un certain nombre d'offices liturgiques et paraliturgiques, les Heures, étaient en usage dans les pays brabançons et rhénans et correspondaient à un besoin de renouveau de la piété laïque dans le sillage d'ordres religieux anciens comme les chartreux et les cisterciens ou nouveaux comme les ordres mendiants. Même si les différents biographes ne mentionnent pas tous les mêmes offices, les recueils des Heures traduites sont en général composés des textes suivants: un calendrier liturgique du diocèse; l'office de la Vierge; les Heures du Saint-Esprit; les Heures brèves de la Sainte-Croix; les Heures de la Sagesse éternelle; les sept Psaumes de la pénitence; la litanie de tous les saints; la Vigile des défunts 34 • 32 Godefroy de Wevel, 1320-1396, chanoine régulier de Groenendael, fut envoyé à Eemstein, près de Gorichem, pour soutenir une nouvelle fondation cano-

niale. 33 Denys le Chartreux, Opuscula, Cologne, 1534. Contemplationum libri III, lib. II,

art. 9, «De contemplatione secundum anagogicumJohannem Ruysbroec». 34 A. Labarre, «Livres d'Heures», DSp. 7, 1969, col. 410-431. J.G. Tiecke, p. 178195: R.Th.M. van Dijk, «Het Getijdenboek van Geert Grote. Terugblik en

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INTRODUCTION

Les textes des offices ont été empruntés à des compositions plus anciennes, sauf pour les Heures de la Sagesse éternelle directement traduites du Cursus aeternae sapientiae de Henri Suso. Elles reflètent le désir de Grote de promouvoir une spiritualité plus ouverte sur l'union avec le Christ-Sagesse 35 • Bien que le nom de Grote ne soit pas mentionné dans les manuscrits, d'après la comparaison avec le texte original et l'application de ses principes de traduction il existe de fortes présomptions pour que Grote en soit l'auteur 36 . Pour les psaumes (54 traduits en totalité, 6 partiellement) Grote aurait utilisé des traductions antérieures des XIIIe et XIVe siècles, en particulier la Bible de 136037 • Cette recherche des sources, la collation des variantes des différents manuscrits se révèle si difficile que, pour l'instant, les éditeurs des Opera omnia ont renoncé à rétablir un texte original et à en donner une édition critique. Dans un nombre limité de manuscrits, certains psaumes comportent des gloses 38 composées par Grote, du plus haut intérêt pour connaître l'évolution du maître de Deventer passant d'un moralisme parfois étroit à une vision plus profonde del' action de Dieu chez le fidèle dépouillé de son moi propre. Ce livre d'Heures connut une énorme diffusion dans de nombreux dialectes, surtout parmi les Sœurs de la Vie commune, les frères lais de Windesheim et les laïcs des Pays-Bas du Nord. Il fut également répandu parmi les laïcs de diverses conditions sociales qui l'utilisaient pour la prière. Les manuscrits sont souvent agrémentés de miniatures tantôt simples, tantôt plus ornées dans quelques exemplaires exécutés pour des nobles 39 .

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36 37 38 39

vooruitzicht», OGE 63, 1989-1990, p. 457- 494 (avec une importante bibliographie). A.G. Weiler, Getijden van de Eeuwige Wijsheid naar de van Geert Grote, Baarn, 1984. G. Epiney-Burgard, Grote, p. 88-91; p. 265-272. C.C. De Broin, «De Moderne Devotie en de verspreiding van de volkstaalbijbel», Geert Grote en Moderne Del'Otie, OGE, 59, 1985, p. 344-356. Cf. infra, p. 203-211. A.G. Weiler, Getijden, p. 38.

LA DÉVOTION MODERNE

39

La traduction des psaumes a été achevée par Jean Scutken, chanoine de Windesheim, qui y joindra des gloses différentes de celles de Grote; il donnera en outre un recueil de péricopes évangéliques pour les dimanches de l'année. C.C. de Bruina souligné l'importance de ces traductions pour les éditions protestante et catholique de la Bible au XVIe siècle40 7. Gérard Grote est-il l'auteur de l' Imitation de jésus-Christ ? On sait que les quatre petits livres réunis sous le titre d' Imitation de Jésus-Christ ont souvent été diffusés séparément à des époques différentes, de telle sorte qu'il est difficile de remonter à la source de ces textes. Au cours des siècles les hypothèses quant au nom de 1' auteur se sont multipliées, se nourrissant de revendications nationalistes interminablement reprises 41 • La candidature(!) de Grote n'a été posée que tardivement par J. van Ginneken qui, dans son admiration pour le maître, lui attribuait la paternité de cet ouvrage 42 • On ne peut que résumer ici les arguments qui vont à l'encontre de cette hypothèse. En effet, pour la critique externe, aucun des 800 manuscrits connus de l'Imitation ne mentionne le nom de Grote comme auteur; aucun de ses biographes ne lui attribue cet ouvrage et il est facile de montrer que des titres analogues se rapportent à d'autres oeuvres de Grote. Quant à la critique interne, elle met en évidence certaine parenté entre les idées de Grote et celles du Livre I, en particulier le refus de la science vaine. Mais ces rapprochements ne viennent-ils pas du fait que Thomas a Kempis a vécu dans le milieu des Frères, qu'il a rédigé la biographie de Grote et recopié ses Résolutions?

40 G. Epiney-Burgard, Grote, p. 272, n. 43-46. 41 A. Ampe, B. Spaapen, «Imitatio Christi», DSp. 7, 1971, col. 2338-2368. J. Huij-

ben, P. Debongnie, L'auteur ou les auteurs de ''!'Imitation", Louvain, 1957. 42 Pour les ouvrages de J. van Ginneken concernant !'Imitation, cf. J.G. Tiecke,

p. 295-296. Huijben-Debongnie, p. 407- 408.

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INTRODUC TION

Quant au dialogue intime, la conversatio interna du livre III, il se distingue de l'attitude de Grote qui, même dans ses invocations à Dieu, ne cesse d'être guidé par une intention pédagogique. Sa prière est une intercession, presque jamais une effusion. Sans toutefois vouloir diminuer la sincérité de sa piété, force est de constater qu'il n'y a pas chez lui de dialogue authentiqu e avec le Seigneur qui montrerai t une véritable intimité avec lui, ce qui est vraiment à la fois la caractéristique et la force persuasive de l' Imi-

tation.

Deux tempéram ents se manifestent: celui du passionné, du lutteur, du maître chez Grote, celui de l'introverti qui se laisse emporter sur les ailes de l'amour (Im. III, 5). Le style traduit bien l'oppositio n des deux auteurs: d'une part, chez Grote, une rhétorique scolastique qui s'appuie sur des autorités savantes; de l'autre, des sentences rythmées et rimées dont le balancement évoque une phrase musicale, ce qui lui a valu d'ailleurs le titre de musica ecclesiastica. D'après ces quelques remarques, on peut affirmer que Grote n'est pas l'auteur de l'imitation, lequel a su donner à son expérience spirituelle une forme universelle susceptible de nourrir des siècles de piété chrétienne, catholique ou protestant e. Bien que la filiation des manuscrits ne soit pas définitivement établie, Thomas a Kempis semble bien être l'auteur ultime de ces quatre petits livres qu'il a inlassablement corrigés et portés précieusement sur lui 43 • Il reste néanmoin s que, même erronée, l'hypothès e de]. van Ginneken a fait faire de très grands progrès en ce qui concerne la découverte et la diffusion des manuscrits de l'Imitation44 • 43 LMJ. Delaissé, Le manuscrit autographe de Thomas a Kempis et !'Imitation de JésusChrist, t. I, Examen archéologique du manuscrit de Thomas a Kempis et les problèmes de l' Imitation de Jésus-Christ, Paris, Anvers, Bruxelles, Amsterdam, 1956, p. 735. 44 C.C. De Bruin, «Ist Geert Grote der Verfasser des Büchleins "De Imitatione Christi"? Kritische Randbemerkungen zu Van Ginneken's Hypothese betreffs der Autorschaft der Imitatio», Altdeutsche und altniederlandische Mptik. Éd. K. Ruh, Darmstadt, 1966, p. 462-496.

VI. LA POSTÉRITÉ DE GÉRARD GROTE

Avant de mourir Gérard avait posé des jalons pour consolider la vie des communautés dont il avait jeté les bases. 1. Les Soeurs de la Vie Commune

Pour les Soeurs de la Vie Commune il avait, nous l'avons vu,45 rédigé en 1379 des statuts plus élaborés que ceux de 1374. Ces statuts servirent de modèle aux institutions analogues: vie commune, travail manuel, offices réguliers, telles en étaient les règles principales. Sous le rectorat de Jean Brinckerink ( 1359-1419), familier de Grote, le nombre de Soeurs augmenta, suscitant de nouvelles fondations dont les Frères assuraient le soutien spirituel. Celles-ci se multiplièrent au point que, sous les pressions ecclésiastiques, elles furent souvent rattachées au Tiers-Ordre franciscain pour former le chapitre d'Utrecht ( 1399-1400) sans toutefois rompre les liens avec la Dévotion moderne. On constate également au cours du xve siècle une tendance à l'incorporation dans des institutions religieuses adhérant principalement à la règle de saint Augustin et rattachées au chapitre de Windesheim46 • 2. Les Frères de la Vie commune 47

Florent Radewijns poursuivit l' oeuvre commencée par Grote. Il regroupa dans sa maison prêtres, clercs et frères-lais, tandis que les étudiants de l'école capitulaire se retrouvaient sous la houlette 45 Cf. supra, p. 31, n. 66. 46 A.G. Weiler, «Geert Grote und seine Stiftungen», Nachbarn, 30, Bonn, 1984,

p. 34-37. 47 Ibid., p. 37-45. W. Lourdaux, «Les Frères de la Vie commune», DHGE, t. 18, 1977, col. 1438-1454.

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INTRODUCTION

des Frères qui leur dispensaient une direction spirituelle48 • A Zwolle, Grote avait acquis une maison en juillet 1384, (peu de temps avant sa mort) et l'avait donnée par un acte juridique à maître Florent et Jean de Gronde49 • Cette maison fut la première fondation de la Vie commune à Zwolle. L'histoire en est bien connue grâce à la chronique de Jacques de Voecht50 • Le mouvement des Frères de la Vie commune se développa lentement, mais il est intéressant de constater que les maisons ont souvent été fondées sur la proposition de laïcs qui mettaient à la disposition des Frères un terrain, une maison ou de l'argent. Ces fondations furent plus tard regroupées dans le «colloque de Zwolle» (avant 1431) qui prévoyait une réunion annuelle des supérieurs et tendait à uniformiser quelque peu les coutumes de chaque maison. Le développement des maisons fut important en Allemagne et donna lieu à un regroupement dans le «colloque de Münster» 51 • On a longtemps pensé que les Frères avaient dirigé des écoles; en fait ils n'en ont dirigé que quatre. Mais bien qu'eux-mêmes n'aient pas voulu pousser leurs études théologiques et qu'ils soient restés très en-deçà de la culture religieuse et profane du maître de Deventer, ils ont cependant contribué à la formation des étudiants en les aidant à revoir leurs cours et à structurer leur personnalité par l'exercice du discernement des esprits et la préparation aux choix décisifs par le moyen de leurs homélies et de leurs entretiens familiers 52 • Attaqués pour leur manque de statut 48 Thomas a Kempis, «Vita domini Florentii prioris nostri», c. viii,

Opera, Pohl VII, p. 133-134. 49 J. de Voecht, Narratio de inchoatione domus dericorum in Zwolle Éd. M. Schoengen, Amsterdam, 1908, Bijlage III, p. 279- 284. 50 Cf. n. 49. 51 C. Van der Wansem, Het ontstaan en de ge.rchiedenis der broederschap van het Gemene Leven tot 1400, Leuven, 1958. R.Th.M. Van Dijk, "Windesheim», DSp. 16, 1994, II, «Frères et Soeurs de la Vie Commune», col. 1467-1478. Cet article indique avec une grande précision quelles ont été les diverses fondations et quel fut leur développement, ainsi que leur restauration à l'époque contemporaine. 52 Sur le rôle des Frères dans la formation des jeunes étudiants à Zwolle: G. Epiney-Burgard, «Les idées pédagogiques de Dire van Herxen», Serta devota in

LA DÉVOTION MODERNE

43

officiel dans l'Église, les Frères furent défendus par Gérard Zerbolt de Zutphen ( 1367-1398) qui justifia le mode de vie des Frères dans un remarquable petit traité Super modo vivendi devotorum hominum simul commorantium 53 • Il situe bien la volonté des Frères de trouver leur place dans les mouvements semi-religieux qui ont traversé l'histoire de l'Église. Après l'approbation de l'évêque d'Utrecht en 1398, leur adversaire, Mathieu Grabow, fut définitivement condamné au concile de Constance en 1419. De la sorte était accepté le status medius qui se compose de laïcs vivant les conseils évangéliques dans le siècle sans faire de vœux monastiques54. La spiritualité des Frères se caractérise par une recherche scrupuleuse de la perfection morale axée sur l'extirpation des vices et l'acquisition méthodique des vertus. Leurs œuvres principales sont des florilèges ou rapiaria où ils inscrivaient les textes que leur inspiraient leurs lectures 55 . 3. La congrégation des chanoines réguliers de Windesheim 56 Parallèlement à l'instauration de la Vie commune, Florent Radewijns et quelques-uns de leurs compagnons jetèrent à Windesheim, près de Zwolle, les jalons d'une nouvelle fondation que

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memoriam Guillelmi Lourdaux, /i,lediaeva!ia Lovanensia, l, XX, Leuven 1992, p. 295-304. Gérard Zerbolt de Zutphen, «Super modo vivendi devotorum hominum simul commorantium», éd. A. Hyma, AGAU, 52, 1926, p. 1-100. K. Elm, «Die Bruderschaft vom Gemeinsamen Leben. Eine geistliche Lebensform zwischen Kloster und Welt, Mittelalter und Neuzeit, OGE, 59, 1981, p. 470-496. Th. Mertens, «Rapiarium», DSp., 13, 1987, col. 114-119. Sur le rapport de l'écriture et de la spiritualité, cf. N. Staubach, art. cité supra, p. 16, n. 18. R.Th.M. Van Dijk, «Windesheim», DSp. 16, I. «Chanoines et chanoinesses de Windesheim», col. 1458-1467. Outre les chanoines réguliers windeshémiens, il existait des couvents réguliers indépendants mais soumis au contrôle des prieurs de \X'indesheim. Très bonne mise au point de l'organisation de la congrégation, de ses constitutions, avec une très abondante bibliographie.

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INTRODUCTION

Grote lui-même aurait désirée pour que les Frères puissent bénéficier d'un appui monastique. Le choix de la règle de saint Augustin a été inspiré par Grote qui la jugeait moins sévère que celle des cisterciens et des chartreux. Erigé en 1385, le couvent de Windesheim fut consacré en 1387 par l'évêque d'Utrecht. Le développement de ces couvents de chanoines réguliers conduisit en 1395 à la création du Chapitre de Windesheim, qui regroupa peu à peu nombre de couvents participant à la réforme du courant des augustins, aux Pays-Bas, en Allemagne, Belgique, France, jusqu'à atteindre le chiffre de 87 à la fin du xve siècle. Une branche féminine s'affilia également au chapitre de Windesheim; elle s'est maintenue jusqu'à nos jours à Bruges (English Convent) et en Hollande du Sud à Soeterbeek près de Ravenstein, à Sayers Common en Angleterre. Bien que la spiritualité du mouvement canonial ait eu de nombreux points communs avec celle des Frères, elle a laissé un espace pour une conception plus mystique de l'union à Dieu, inspirée d'ailleurs de Jean Ruusbroec, comme l'indiquent les œuvres de Gerlach Peters, d'Henri Mande, entre autres.

VII. LA RÉCEPTION DE LA DÉVOTION MODERNE

Au cours des siècles la Dévotion Moderne a été appréciée de manière très diverse, voire contradictoire. On a tantôt exalté son rôle de pionnier dans le développement de l'humanisme57 ; puis, de la notion de Renaissance chrétienne dans l'Europe du Nord (A. Hyma), on est passé à la négation de toute influence sur les mouvements humanistes (R. Post). Cette double attitude se retrouve dans l'appréciation de son influence sur la Réforme 58 • En ce qui concerne l'humanisme, il est certain que les Frères de la Vie commune ont eu dans leur travail d'accompagnement des étudiants des relations avec des humanistes comme Rudolf Agricola, Alexandre Hegius, recteurs de plusieurs écoles municipales dont celle de Deventer. Les mauvais souvenirs qu'Erasme a gardés de son séjour chez les Frères dont il était le pensionnaire à Bois-le-Duc ne doivent pas faire oublier qu'il eut aussi pour condisciples des hommes qui s'illustrèrent dans la pédagogie humaniste (Conrad Celtis, Conrad Mutian) 59 • Malgré ce contact avec ces hommes cultivés, malgré leur participation à la réforme scolaire, l'anti-intellectualisme des Frères, leur méfiance à l'égard du monde universitaire les empêcha de contribuer à l'essor des études humanistes. Pour les couvents de Windesheim, la clôture et la séparation du monde était plus sévère et le refus de la scolastique s'est marqué au milieu du xve siècle par l'interdiction de lire la Somme théologique de saint Thomas. Leur intérêt était plus spécifiquement voué à la correction et à la copie de la Bible. Toutefois, à Louvain, les windeshémiens ont jeté les fondements d'une bibliothèque riche en The Christian Renaissance. A History of the Devotio Moderna, Grand Rapids, 1924; Hamden. Conn., 1965'. 58 R.R. Post, Modern Devotion, c. 14 et 15, p. 551-680. 59 R. Mokrosch, «Devotio Moderna, II. Verhfiltnis zu Humanismus und Reformation», ThRE, 8, 1981, p. 609-813. 57 A Hyma,

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INTRODUCTION

textes patristiques puis en livres de piété de plus en plus nombreux vers la fin du XVe siècle. Au XVIe siècle, la bibliothèque du Val Saint-Martin servit aux savants travaux des «martinistes» 60 • En dépit du fait que la Dévotion Moderne n'ait pas trouvé ses assises philosophiques qui eussent été le gage d'un rayonnement plus grand 61, son influence s'est exercée au-delà des communautés des Frères et des Sœurs, des couvents de Windesheim dans la société civile à qui on proposait une pratique plus accessible de l'imitation du Christ. Exalté d'une part, rabaissé de l'autre par ceux qui n'y voient qu'une manière étriquée de pratiquer la vie religieuse, sans grand élan contemplatif, sans épanouissement de la personne, le mouvement de la Dévotion Moderne, toujours mieux connu par les nombreuses études qui sont actuellement consacrées soit à l'histoire des communautés, soit à des thèmes caractéristiques, tient une place importante dans le développement de la spiritualité occidentale. Si elle est moins «laïque» qu'on ne le pense parfois (les Frères ayant tendance à ramener leurs pensionnaires et leurs familiers à une discipline quasi-monastique), il n'en reste pas moins qu'elle a diffusé dans la société de son temps l'idéal de la bona vita liée à la conversion des mœurs, à une spiritualité orientée vers des choix de vie concrets, par une expérience personnelle nourrie de méditation méthodique et de prière et conduisant à l'imitation du Christ62 • Par leurs écrits, et surtout par !'Imitation de jésus-Christ qui en est le plus beau fleuron, ses représentants ont répandu le modèle de la vie intérieure tournée vers les réalités Bibliotheca Vallis s. MArtini in Lovanio, Bijdragen tot de studie van het geestesleven in de Nederlanden 15de- l 8de eeuw, 2 vol., Louvain, 1978-

60 W. Lourdaux, M. Haverals,

1982. 61 I. Tolomio, «La filosofia spirituale della Devotio Maderna»,

Medioevo 8, 1982, p. 205-228. 62 A.G. Weiler, «frommigkeit von Laien und Laienbrüdern unter dem EinfluG der Devotio Maderna», Laienfrommigkeit im spaten Mittelalter, éd. K. Schreiner, Munich, 1992. De doorwerking van de Moderne Devotie, Windesheim 1387-1987, éd. P. Bange (et al.), Hilversum, 1988. Ce recueil contient de nombreux articles sur l'influence de la Dévotion Moderne (et particulièrement de !'Imitation de ]ésurChrist) jusqu'au début du XX' siècle.

LA DÉVOTION MODERNE

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spirituelles et engagé à l'action vertueuse. Cet héritage sera recueilli, entre autres, par saint Ignace de Loyola au XVIe siècle63 •

63 O. Stegging, «De Moderne Devotie rn het Montserrat van Ignatius van Loyola» OGE 59, 1985, p. 383-392.

LETTRES ET TRAITÉS

CONCLUSIONS ET RÉSOLUTIONS

Règle de vie de Gérard Grote Publiée par Thomas a Kempis dans le Dialogue des Novices 1 , cette Règle de vie porte en titre trois mots qui sont déjà tout un programme: Conclusa indique que Grote a pris ses décisions après mûre réflexion; proposita, engagement qui se rattache vraisemblablement (sans qu'on en puisse apporter la preuve) au propositum de l'ordre laïc de la Pénitence et se présente comme une promesse (révocable) de consécration à Dieu et un renoncement au monde2 • Quant au refus des vœux, non vota, il correspond chez Grote à une volonté de se démarquer des vœux monastiques et à une méfiance envers les promesses qu'on ne peut tenir3• Quand ces Résolutions ont-elles été rédigées? Il est difficile d'en préciser la date: en tout cas, elles sont postérieures à la conversion de Gérard, et peuvent avoir été écrites durant son séjour à Monnikhuizen 4• Il s'agit de chapitres distincts qui, datant de 1 2

Condusa et proposita, non vota in nomine Domini a magistro Gerardo edita, Thomae a Kempis Opera omnia, éd. M.I. Pohl, t. VII, p. 87-107. A. Vauchez, «Pénitents au Moyen Age», DSp. 12, 1984, col. 1010-1023, en particulier col. 1015-1016. G.G. Meersseman, Dossier de !'Ordre de la Pénitence au XIII' siècle (Spicilegium Friburgense 7), Fribourg, 1961, Introduction. Le texte du Propositum des Pauvres catholiques (p. 282-283) présente plusieurs points communs avec celui de Grote, avec toutefois un engagement plus polémique à l'égard des «adversaires de la foi». Non pas que Grote soit opposé en principe aux vœux monastiques puisqu'il a dirigé plusieurs de ses disciples vers la vie religieuse, mais, dans sa prudence, il voit le risque de prononcer ces vœux à la légère: Ep. 45, p. 177 : Ideo, ut ait

Ecdesiastes 5[3-4), melius est non vovere quam post votum, votum non implere. Displicet enim, ait, Deo "infidelis et stulta promissio ". Si votum paupertatis implere non curaverit, infidelis est; si implere non voluerit, stulta fuit promissio. 4 Les avis à ce sujet diffèrent: Th. Van Zijl, Gerard Groote, Ascetic and Reformer (1340-1384) Washington D.C., 1963, p. 105-106, n. 76, relève un certain nombre de détails (port du capuce, assistance à des offices communautaires)

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périodes différentes, ont été regroupés ultérieurement par Thomas (qui place en tête le texte de la profession de foi de Grote, beaucoup plus tardive, puisque postérieure à son sermon contre les focaristes de 1383 ). La première section des Résolutions semble toutefois remonter aux premiers temps de la conversion du maître puisqu'il affirme son ferme propos de renoncer à ses bénéfices ecclésiastiques et aux études qu'il avait entreprises, de même qu'à toutes les professions avantageuses auxquelles il aurait pu prétendre. Après ce chapitre, les Résolutions sont classées sous plusieurs rubriques contenant des règles pour la lecture des textes sacrés, l'assistance à la messe, pour la nourriture. Elles se terminent par des considérations plus générales sur le comportement du converti. Au-delà de la minutie parfois excessive de ces prescriptions, on y trouve, bien que rédigée sur un mode tout à fait personnel (Grote passant constamment du je au tu pour s'exhorter luimême ), comme une charte de la Dévotion moderne dans son idéal et les moyens de le réaliser. La fin de la vie du chrétien, c'est l'honneur et le service de Dieu dont la poursuite a pour conséquence le salut de la personne. Sur terre, le signe, pourrait-on dire, de cette perfection à atteindre, c'est ce que Grote appelle, à la suite des Pères, en particulier de Jean Cassien, la pureté ou la tranquillité du coeur5• Ce but ne peut être obtenu que par une qui parleraient en faveur d'une influence cartusienne. De même, pour des raisons liées à l'influence culturelle et spirituelle des chartreux sur Grote, E. Norelli, «La littérature du Désert dans le Renouveau catholique au début de l'époque moderne», Irénikon, 1978, p. 5-45 (ici, p. 10-ll). Pour notre part, nous pensons que sa véhémence initiale est la marque du néophyte. D'un autre côté, bien des résolutions de Grote sont en relation avec sa vie dans sa ville natale et donc sans rapport avec la vie cartusienne. Il nous paraît difficile de faire un tri entre les deux. Mais sans doute l'influence cartusienne se marquet-elle dans ses lectures. 5 La puritas rordis est le résultat du détachement des biens matériels, des affections terrestres. Elle confère la tranquil!itas qui correspond à l'apatheia des Pères grecs. Toutefois Grote ne parle pas du troisième stade de la pureté du coeur qui va jusqu'à abolir le souvenir du monde et introduit à la contemplation. Cf. Cassien, Coll. patrum 6, 9, SC 42, p. 227-228.

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ordinatio, une hiérarchisation des actes dans leur rapport avec la volonté divine. Tous les éléments constitutifs de la personne sont appelés à coopérer à cette entreprise: le corps qui doit être discipliné, mais aussi respecté dans sa faiblesse, devenir apte à l'expression de la foi et même la stimuler comme il ressort du chapitre sur l'assistance à la messe; l'affectivité dont les émotions doivent être mises au service du discernement, fruit de la raison pratique si souvent invoquée par Grote6. Cette recherche de l'action juste, toujours orientée vers sa fin, se déploie dans le cadre intellectuel et ecclésial qui fut celui de Grote, d'où une fréquente référence à l'Église primitive et aux articles du droit canon. Cette attitude mentale qui pourrait être prise pour du formalisme ne perd jamais de vue l'Évangile et le service du prochain dont les exigences permettent de contrevenir aux règles que Grote s'est lui-même fixées. C'est dire que la souplesse dans leur application tempère leur rigueur apparente.

6 La raison pratique est en lien très étroit avec la suprema ratio que Grote appelle

aussi syndérèse (cf. G. Epiney-Burgard, Grote, p. 284-286). «La raison pratique pose d'abord les maximes fondamentales, mais bientôt elle spécialise son travail par des déterminations plus précises qui sont le fruit de ses délibérations» (O. Lottin, Psychologie et morale aux XII' et XIII' sièdes, t. Il, Problèmes de morale, Paris, 1948, p. 222-235. S. Thomas, Sum. theol., ra ll"e, qu. 90, a. 2, cet ad 3). Jointe au sens du concret qui caractérise Grote et maint de ses disciples, cette raison s'exerce par le choix conscient des motifs qui justifient telle ou telle action, mais toujours dans une vision globale du bien à atteindre. En somme, la raison pratique est l'organe de l' ordinatio.

CONCLUSIONS ET RÉSOLUTIONS qui ne sont pas des vœux rédigées au nom du Seigneur par maître Gérard C'est à la gloire, à l'honneur et au service de Dieu que je me propose d'ordonner ma vie, ainsi qu'au salut de mon âme. Ne préférer aucun bien temporel du corps, de l'honneur ou de la fortune au salut de mon âme. Suivre toutes les incitations de Dieu dont je serais certain qu'elles soient conformes à la science et au discernement\ en tenant compte (des besoins) du corps et de mon état dont découlent certaines de ces incitations. [Renoncement aux biens temporels] En premier lieu, ne désirer aucun autre bénéfice et ne mettre désormais mon espoir et mon attente dans un quelconque profit temporel. ·k Plus j'aurai de biens, plus j'en voudrai sans doute davantage. ·1: Car selon l'Église primitive, tu ne peux avoir avoir plusieurs bénéfices 2 • 1 ' En effet, tu t'en repentiras à ta mort: on dit communément que jamais détenteur de plusieurs bénéfices n'est mort sans s'en repentir. 1 ' Et plus j'aurai de bénéfices et de biens, plus j'en serai l'esclave et plus j'en serai accablé, ce qui est contraire à la liberté de l'esprit qui est le bien principal de la vie spirituelle3. L'affectivité s'attache à bien des choses et en demeure prisonnière. Ces sentiments infectent l'âme, s'opposant à la paix du cœur et au repos de l'esprit; les soucis qui en découlent le souillent et le troublent sans cesse.

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* Il faut réduire l'appétit de nombreux biens ; ce que l'on possède doit être diminué avec discernement. 7 ' Si je veux donner de mes biens, pourquoi m'engager pour en avoir davantage? Si je donne peu d'un bien modeste, c'est, aux yeux de Dieu, la même chose que de donner beaucoup d'un grand bien. Car ce n'est pas la richesse mais le cœur que pèse le Seigneur: ainsi Dieu préfere-t-il aux riches la veuve qui déposa deux mines (dans le trésor) (Mc 12,42 ). 7 ' Je vois que ce que je possède m'attache grandement; à plus forte raison si l'acquisition de nouveaux biens s'ajoutait à ceux-ci. Aussi bien, j'ai suffisamment pour mener une vie convenable et digne. 7 ' A cette fin, je ne serai au service d'aucun cardinal ou ecclésiastique pour obtenir des bénéfices et des biens temporels car ce service occasionne bien des chutes et des rechutes: tu es faible et tu ne dois t'exposer à aucun danger, si ce n'est pour le service de Dieu; tu es assez proche de la mort et ne peux supporter les banquets. ;, Tu ne serviras aucun seigneur temporel dans un but de lucre. [L'astrologie]4 7 '

Tu ne seras l'astrologue d'aucun seigneur. Tu ne dois exercer en faveur de quiconque aucune des sciences interdites, car ces choses sont, pour la plupart, mauvaises, suspectes et interdites et tu dois arracher des esprits des hommes les superstitions et autres singularités dans la mesure où tu peux conserver la paix de l'esprit, une volonté pure et libre, afin que je plaise à Dieu par cela même avec quoi je lui ai déplu 5• 7 ' Tu ne détermineras pas la date d'un voyage ou d'une saignée ou de quoi que ce soit d'autre, sinon approximativement, selon le temps qu'il fait. Ce genre d'élection est interdit par les décrets et les saints Pères. 7 '

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Tout ce que j'entreprendrai, je l'entreprendrai au nom du Seigneur et je mettrai alors mon espoir dans le Seigneur afin qu'il me dirige dans cette affaire sur la voie de mon salut. L'espoir ne dépend pas du sort ou des révolutions célestes, mais de l'espérance en Dieu, de la prière, des bons esprits et de leur protection. * A quoi bon savoir si la réussite d'un voyage ou d'une affaire m'est utile? Très souvent, en fait, c'est vain car souvent difficultés et tribulations sont fort utiles; alors je me soumettrai aux dispositions de Dieu. Heureux l'homme qui espère en Dieu: «Jette tous tes soucis en lui car c'est lui qui a soin de toi» (1P5,7). Avec quelle miséricorde ne m'a-t-il pas rappelé, avec des épreuves et contre ma volonté? Nous ne devons pas nous soucier de ce que nous mangerons (Mt 6,25); alors, d'autant moins des astres et des superstitions. Il est nécessaire pour tout chrétien de se quitter luimême d'un cœur pur pour s'en remettre à Dieu. ·k Je ne jugerai pas le futur et je ne m'en préoccuperai que modérément, en général, puisque je soumets à Dieu et ma personne et tout ce qui me concerne. ·k

[Rejet des sciences lucratives]

* L'homme est corrompu par les honneurs, les faveurs que tous ambitionnent et par ces sciences lucratives il est assombri, agité et sa droiture naturelle en est déviée, son appétit en est infecté: ainsi ces hommes ne peuvent plus considérer comme il convient ce qui est de Dieu, les biens de la vertu ou ceux du corps. Il est dès lors très rare que celui qui s'adonne aux sciences lucratives, à la médecine, au droit civil ou canonique soit droit et impartial dans son jugement, paisible, avec une vision intègre. ~' Tu ne consacreras pas de temps (à l'étude) de la géométrie, de l'arithmétique, de la rhétorique, de la dialectique, de la grammaire, des poètes lyriques et de l'astrologie judiciaire. Ces sciences sont critiquées par Sénèque6 comme

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devant être considérées par l'homme d'un œil distant. A plus forte raison doivent-elles être méprisées par un spirituel ou un chrétien. 1 ' C'est une perte de temps sans utilité pour la vie. 1 ' Parmi toutes les sciences des gentils, les sciences morales sont les moins détestables: plusieurs d'entre elles sont souvent utiles et profitables tant pour soi-même que pour enseigner les autres. Les plus sages, comme Socrate et Platon, ramenaient toute la philosophie à l'éthique. Et s'ils ont parlé de choses élevées, ils les ont transmises (selon saint Augustin et ma propre expérience) en les moralisant avec légéreté et de façon figurée, afin que la morale transparaisse toujours dans la connaissance. Sénèque, appliquant ce principe dans les Questions naturelles7, y mêle toujours de la morale. Tout ce qui ne nous rend pas meilleurs ou ne nous écarte pas du mal est nocif. * Les secrets de la nature ne doivent pas être scrutés avec curiosité dans les livres des gentils ni dans notre loi de l' Ancien et du Nouveau Testament; mais quand il en est question, il faut louer et glorifier Dieu à leur sujet, afin que la science naturelle devienne une science méritoire, qu'elle soit offerte en sacrifice au Dieu très haut, par des actions de grâce avec Abel le juste et qu'avec lui on ait une bonne pensée en l'honneur de Dieu. Prends bien garde que tout cela corrompt, ne rassasie pas et provoquera ton dégoût, je l'espère par la grâce du Très-Haut. 1 ' Tu ne prendras pas de grade en médecine car je ne veux en retirer ni profit, ni bénéfice. De même pas de grade en droit civil ou canonique, car ces diplômes ont pour but d'obtenir un profit, une vaine présomption ou une gloire mondaine. Quand ces choses n'ont pas pour but le profit ou les bénéfices, elles sont tout simplement inutiles, superflues et très vaines; elles sont opposées à Dieu, à la liberté et la pureté et lorsque l'homme les recherche, il tombe dans de nombreux maux, pires que les profits et les bénéfices.

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N'étudier aucun art, ne pas écrire de livre ni n'entreprendre aucun voyage ou un travail quelconque, n'exercer aucune science pratique pour augmenter ma renommée, la réputation de ma propre science, et pour les honneurs et la gratitude de quiconque, ou pour perpétuer ma mémoire. Si je fais cela ou toute autre action en vue d'un salaire, cela ne me sera pas rendu «auprès du Père qui est aux cieux» (Mt 6,1). Et si j'accomplis une de ces choses, que ce soit toujours en vue du bien et de la récompense éternelle. De toute façon, il faut éviter d'accroître ma réputation. 1 ' Cette vaine gloire, cette postérité, cette renommée ont été réprouvées si remarquablement, même par les philosophes, que presque personne, parmi les gens dignes de louange, ne les accepterait. Et si la louange provenait d'une œuvre faite pour Dieu et dont l'intention serait cachée, même si cette œuvre apparaissait au grand jour, rends-en au Très-Haut louange et gloire. 8 1 ' Selon saint Bernard , ne profère pas une seule parole pour paraître très religieux ou très savant. * Eviter et avoir en horreur toute discussion publique litigieuse, soit pour triompher, soit pour paraître, comme les controverses des théologiens et des artistes à Paris; ne pas y participer même pour apprendre: elles sont contraires au repos, elles suscitent des disputes et des contestations, sont inutiles, toujours indiscrètes; la plupart du temps, elles sont superstitieuses, animales, diaboliques et terrestres, de telle sorte que leur enseignement est souvent nocif et toujours inutile, vaine perte de temps. A la place, tu peux chercher un profit spirituel soit par une prière méritoire, soit par l'étude d'un auteur dévot. 1 ' Je ne discuterai avec personne en privé à moins que je ne puisse prévoir avec certitude une conclusion favorable. Cela seulement s'il y a quelqu'un pour m'écouter et avec qui je puisse dialoguer sans orgueil et sans contestation ou bien au cas où le mal exige une argumentation rigoureuse pour qu'il en sorte un bien. Et jamais sans réflexion préalable car

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toute chose doit être ordonnée à une fin bonne pour la louange de Dieu, et c'est cela, «prier sans cesse». Aussi, tu ne discuteras avec personne qui ne soit capable d'admettre la vérité. ·k Tu n'étudieras pas en vue de prendre un grade en théologie et tu n'y aspireras pas car je ne veux pas rechercher le profit, les bénéfices et la renommée. Quant à la science, je peux également l'avoir sans grade. 1 ' Cette étude est charnelle et (les théologiens) en ont une conception charnelle. 1 ' Dans bien des cas, tu serais entraîné loin du salut de ton prochain. 1 ' Ainsi que de la prière, de la pureté de l'esprit et du détachement. * Il faudrait assister à beaucoup de cours vains, au milieu d'une foule de gens, parmi lesquels on est corrompu et distrait. 1 ' Tu ne feras pas d'études de droit et de médecine, sauf au cas où tu peux en faire quelque chose de bien. En soi, elles ne nourrissent pas mais distraient l'esprit, mais, en cas de nécessité ou si un cas extraordinaire se présentait, tu peux consulter (les livres) de droit ou de médecine en ce qui concerne ton propre corps ou celui de ton compagnon. Ce sont des matières profanes dans lesquelles il convient davantage de recevoir des conseils plutôt que d'en donner. 1 ' Le droit et la médecine sont interdits aux théologiens, aux moines et à ceux qui désirent la loi de Dieu 9• [Activités sociales] "' Tu ne donneras pas de médicaments douteux ni de médicaments pour une maladie non déterminée; tu ne feras une brève prescription à un malade quelconque qu'en cas de nécessité et si personne d'autre (de compétent) n'est présent; autrement, tu n'interviendras jamais.

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* Vois

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comme les hommes de bien se réjouissent d'être libérés de leur pratique. '" Tu ne donneras pas de conseils dans des litiges ou des procès 10 et tu n'interviendras pas à moins de constater clairement qu'il s'agit d'une chicane évidente, que la cause est digne de pitié ou totalement juste, pour réprimer des maux très patents ou en cas d'oppression des pauvres. N'interviens qu'à condition de pouvoir conserver ta tranquillité d'esprit, et retire-toi après ton intervention sans te préoccuper du reste. Prends bien garde de n'être pas motivé par l'amitié, les liens de parenté ou la haine. S'il s'agit d'un ami, d'un parent ou d'un homme qui a pu t'être odieux, examinetoi bien pour savoir si tu agirais de même envers un étranger ou un homme qui ne te serait pas odieux. Il est bien clair que le bonheur du paysan, selon Virgile, résulte de l'ignorance «de la rigueur des lois et des folies du forum» 11 • -;, Tu ne comparaîtras jamais devant l' official12 ou le juge spirituel en faveur d'amis, de parents ou d'autres personnes, sinon poussé par une extrême urgence charitable et, même en ce cas, tu devras envoyer un représentant et ne pas y aller toi-même. La paix de ton esprit est menacée si tu interviens au sein des tumultes et des naufrages du monde. Quant à tout le reste, «laisse les morts enterrer leurs morts» (Mt 8,22). -;, Tu ne comparaîtras pas devant les échevins ou les juges séculiers de Deventer, sinon dans de semblables nécessités, car tes amis traitent déjà toutes ces affaires devant les échevins. Tu ne te mêleras pas aux querelles entre les uns et les autres, sinon dans les cas évoqués ci-dessus et pour aplanir les choses si elles peuvent être réglées rapidement et sans tumulte; si la paix peut être rétablie d'une manière identique par un autre, n'interviens pas et rappelle-toi sans cesse ceci: ne renonce toutefois pas, pour sauvegarder ton propre repos, à faire régner la paix là où tu le peux vraisemblablement.

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LETTRES ET TRAITÉS 7 '

Si l'un des membres de ta famille est frappé, tué ou molesté, tu ne molesteras jamais l'agresseur, tu ne donneras pas de conseil pour lui nuire; tu ne refuseras pas de lui adresser la parole, tu ne l'éviteras pas, mais tu l'admonesteras plutôt pour le consoler et l'apaiser. Et si des amis veulent se venger, tu les détourneras de la vengeance par des paroles de paix afin qu'ils ne commetten t pas d'injustices. Quant à toi, tu pardonneras à tous: ton exemple servira d'autant mieux d'exhortation pour les autres. 7 ' Je ne traiterai pas les affaires de mes amis ou de mes parents ou des seigneurs sauf si elles sont bonnes, vouées à la miséricorde, à la charité et à la justice et si elles ne peuvent être traitées de façon aussi satisfaisante par d'autres. En revanche, il serait mal, pour préserver ta contemplation, de délaisser la charité et la justice et tout ce qui ne peut être fait par d'autres, ainsi que les actes de charité envers le prochain. De l'étude des livres saints 7 '

Revenons à la science. Que la racine de ton étude et le miroir de ta vie soit d'abord l'Évangile du Christ, car là est la vie du Christ. 7 ' Ensuite les vies et les conférences des Pères 13 : 1 ' Puis les Épîtres de Paul, les Épîtres canoniques et les Actes des Apôtres. ;, Ensuite les livres de piété comme les Méditations de Bernard, d'Anselme, l' Horologium, De la conscience de Bernard, les Soliloques d'Augustin 14 et d'autres livres semblables. 7 ' Les légendes et les florilèges des saints 15 • 1 ' Les instructions morales des Pères comme le Pastoral de Grégoire 16, Du travail des moines de saint Augustin 17 , Grégoire Sur Job 18 et des livres sembl!'lbles. ·k Les homélies sur les Evangiles des saints Pères et des quatre docteurs 19 • 1 ' Les commentaires des saints Pères et les apostilles sur les Épîtres de Paul2° qui se trouvent dans les lectures de l'Église.

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1 '

Étude des livres de Salomon: les Proverbes, !'Ecclésiaste et l'Écclési~stique car ils font partie des lectures et des capitules de l'Eglise. Car «je prierai en esprit et aussi avec mon intell~ence» (1 Co 14,15). '" Etude et corrwréhension du psautier, car les psaumes font partie de l'Eglise des saints Pères; je chanterai les psaui;nes «en esprit et avec mon intelligence». 1 ' Etude des livres de Moïse, des livres historiques: Josué, Juges, Rois, des Prophètes 21 et les commentaires des Pères sur ces textes. 1 ' Comment lire le Décret? Dans le but de connaître les institutions des anciens et de l'Église, non pour les assimiler complètement mais seulement les parcourir, afin que l'ignorance du droit ne détourne la piété ,vers la désobéissance, afin que tu voies les riches fruits de l'Eglise primitive, que tu saches ce qu'il faut éviter et que tu puisses en avertir les autres. De l'assistance à la messe '"Tu dois écouter la messe jusqu'à la fin, tous les jours si tu le peux: pour les laïcs, c'est un précepte dominical (De consecratione dist. I, cap. 64)22 : pour les clercs, l'assistance à la messe est prescrite tous les jours (voir la Glose à cet endroit). * Aux jours de fêtes, tu resteras dans l'église jusqu'à ce que soit achevée la célébration solennelle de la messe. '" Le chant, comme tu le sais par expérience, porte la nature physique à la dévotion. , 1 ' Il faut toujours se lever et rester debout pour l'Evangile (De consecratione, d. I, c. 68): «Par l'autorité apostolique nous ordonnons de ne pas rester assis, mais d'être debout et inclinés avec respect en présence de l'Évangile». 1 ' Le m~t «avec respect» (venerabiliter) implique qu'on doit honorer l'Evangile, comme dit le texte: «Qu'on écoute attentivement et qu'on adore avec foi», c'est-à-dire qu'on exprime sa vénération par l'attitude du corps. Les attitudes corporel-

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les de vénération sont: se prosterner, deuxièmement, se découvrir la tête comme c'est la coutume, troisièmement, s'incliner aux noms de Jésus et Marie comme le font les dévots de Dieu. 7 ' Pendant la lecture de l'Évangile l'esprit ne doit lui préférer aucune prière et ne pas diriger son attention vers une autre lecture. Un esprit dispersé sur plusieurs objets est moins concentré que sur un seul. Il est en effet prescrit de lire dans les fêtes solennelles les paroles de l'Évangile et les écrits de l' Apôtre dans le chapitre Omnes du De consecratione. Il serait vain d'écouter sans être attentifs 23 . 7 ' Ne rien lire, ne rien méditer, car écouter avec attention est l'obligation actuelle dont nous sommes redevables à l'Évangile; tout ce que nous faisons en parlant ou en méditant, nous le lui soustrayons. * Notre prosternation à ces paroles et la vénération corporelle sont le signe de notre vénération spirituelle. Les signes sont faux s'ils ne correspondent pas aux choses signifiées24. * Ces attitudes extérieures induisent les attitudes mentales et elles sont vaines si elles ne leur correspondent pas. 7 ' Il faut exprimer sa vénération par la bouche et par l'esprit mieux que seulement par la bouche ou le capuce. ]'écouterai en me découvrant, j'écouterai avec l'oreille, j'écouterai avec mon esprit. Autrement, je ne serai que «cymbale retentissante et airain sonnant» (1Co13,1). Il n'y a pour moi ni parole ni discours là où je ne peux percevoir de sens. 7 ' Tu resteras agenouillé, tête nue, le dos incliné après la consécration de l'hostie, si tu peux voir l'hostie ou le calice. Cette humble adoration et cet abaissement du corps convient à Dieu et sert de toute manière à soutenir l'esprit dans sa dévotion, davantage même que l'inclinaison de la tête sur le bras, comme tu le sais. Car c'est en présence du Seigneur que le serviteur doit marquer son respect au Seigneur. La prosternation est merveilleusement propre à la

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prosternation de l'esprit et à sa soumission car l'imagination suit ce mouvement. Si tu es éloigné et que tu ne peux voir, tu te prosterneras et resteras la tête inclinée et «prie ton Dieu dans le secret» (Mt 6,5-7) du Sanaus jusqu'à la Paix, que tu communies ou pas, jusqu'à l'évangile de saint Jean. '°' Tu prendras la Paix25 avec respect et dévotion car elle a touché le Corps du Seigneur par la bouche du prêtre. La Face du Seigneur n'est-elle pas vénérée et l'image du Christ, même non consacrée au Corps du Chris~, n'est-elle pas vénérée par une attitude corporelle? Dans l'Eglise primitive, tous les fidèles avaient coutume de communier; (aujourd'hui), on donne la Paix à la place comme une sorte de communion au Corps du Christ. A mon avis, la raison pour laquelle on ne dçmne pas habituellement le Corps du Christ, c'est que, dans l'Eglise primitive, les gens étaient meilleurs, enflammés par le sang du Christ; la religion était alors dans toute sa force et à son apogée mais aujourd'hui, elle a vieilli. C'est pourquoi le Christ se retire corporellement comme il s'est retiré spirituellement. '°' Quand la Paix s'approche, prépare-toi comme si tu allais recevoir le Corps de Christ: élève ton désir et prépare-toi. Si tu ne peux manger le sacrement corporellement, mange-le du moins spirituellement. ~< Après cette sorte de communion par la Paix, il importe que ton désir persiste et se prolonge longtemps en toi. Si pourtant tu commences à être distrait comme cela t'arrive quand tes pensées ne sont pas disciplinées, retourne à la Passion du Christ. '°' Au Sanaus, Sanaus, prépare-toi à voir le sacrement. Tout le monde n'a-t-il pas coutume de se préparer à voir le Roi pour en être vu? Après l'avoir vu, prépare-toi à le consommer et ne fais rien d'autre car la présence du Christ est alors efficace et vient en aide à ta faiblesse afin que tu sois porté au sacrement pa,r l'amour. C'est ce que veulent clairement dire les paroles: «Elevez vos cœurs» et «Nous les tournons vers le Seigneur».

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"' Approche-toi toujours du prêtre (dans la mesure où le permet le cérémonial), afin d'entendre la messe et de voir le sacrement; demeure en sa présence. "' Jamais tu ne conseilleras ou ne diras à quelqu'un, tu n'aideras personne, à moins qu'il ne soit très pieux, à recevoir les ordres. D'abord à cause des obligations qui incombent à cet office, qui devraient être observées et ne le sont pas, comme il ressort du quatrième livre des Sentences et des Décrétalei26 ; deuxièmement à cause de la simonie générale~ent pratiquée; troisièmement à cause du funeste état de l'Eglise. De l'abstinence Voici ce qui me paraît bon sans être objet de promesses:

1. Observer les jeûnes de précepte. 2. Ne jamais manger de viande. Tu en trouveras les raisons dans le Décret De consecratione, dist. 527 • 3. Toujours jeûner pendant l'Avent et à partir

de la Septuagésime et ne pas y renoncer sans raison. 4. En manière de jeûne quotidien, ne jamais manger complètement à sa faim, à moins que le froid ne soit un empêchement. Tous les philosophes le conseillent, surtout Sénèque et Aristote. Tant que tu sens encore de l'appétit, retire la main; certes, il est difficile d'apprécier la satiété, mais considère quelle quantité tu mangerais encore si tu te le permettais et de cette quantité retire ce qui te paraît raisonnable tant que ton appétit se manifeste. 5. Vers la fin du repas ou au dernier plat, considère quelle quantité tu as mangée et combien tu pourrais encore manger, et enlèves-en un peu (selon ce qui résulte du point précédent ou le précède). 6. Au moment de commencer à préparer ton repas, réfléchis à ce que tu vas manger et en quelle quantité. 7. Veille à ne pas manger plus d'une poire cuite après le repas: une poire pas trop grosse ou trois toutes petites. 8. Toujours prendre le repas du soir entre quatre et cinq heures, à moins d'en être empêché par des hôtes, par la maladie ou quelque imprévu, voyage ou autre. En voici les raisons:

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1° cela convient à la digestion car il est préférable que la

nourriture ne se corrompe pas dans l'estomac durant la veille à cause du manque de chaleur. 2° A cause de l'étude ou de toute autre chose qui empêcherait la digestion pendant la veille, comme le souci ou la tristesse. 3° Pour qu'un surplus de boisson n'entrave pas la digestion. 4° Pour qu'un surplus de boisson ne te pèse pas sur la conscience comme cela arrive souvent. 5° Pour que tu ne sois pas tenté de manger une pomme crue, des épices ou autre chose pendant la journée. 6° Parce que le sommeil en est meilleur: ventre plein dort volontiers. 7° Parce que l'étude et les prières de la journée gênent moins le sommeil. 8° Il en résulte qu'on va se coucher tôt et toujours à la même heure. 9° Il en résulte que le sommeil est ininterrompu du fait qu'on se couche à temps. 10° Le plaisir de l'étude ne te retiendra pas jusque dans la nuit. 11 ° Parce que tu auras toute la journée pour tes travaux et tes prières. 12° Parce que toute ta veille sera sobre et abstinente, déliée et prête pour Dieu et pour les œuvres. ;, L'homme qui mange désire davantage de nourriture que celui qui jeûne, tout comme un homme ne peut s'abstenir lorsqu'il est à table ou tout près. ;, De l'Exaltation de la Sainte Croix jusqu'à Pâques, ne prendre qu'un seul repas par jour, comme c'est la coutume chez les chartreux, les cisterciens et d'autres. ;, Cela commence en septembre, vers l'équinoxe et dure presque jusqu'à l'équinoxe de printemps. ;, Par les grands froids il est permis de manger davantage mais pas plus d'une fois par jour, car c'est la doctrine d'Hippocrate.

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;, Cela t'aidera à résister au froid auquel tu ne pourrais résister autrement. Tu peux aussi dormir une heure ou une demi-heure de plus. ;, Si tu dois faire deux repas, tu peux manger en petite quantité un aliment facile à digérer comme un œuf, pas plus, ou quelque chose de maigre comme du pain et du vin ou des herbes avec un peu de pain, ou sinon du vin etc. Pour la digestion, se référer aux mêmes raisons que plus haut concernant le repas du soir. ''Je voudrais si possible ne jamais boire de vin sans raison, tant que je suis en bonne santé pour ne pas contrevenir à l'enseignement de Paul: il mène au libertinage (Ep 5,18). Et la dépense est trop grande. ;, Ne jamais boire après le repas, ni avant, ni pendant, sauf en cas de maladie ou pour un motif raisonnable. Pendant et après le travail, ne pas boire avant que l'échauffement se soit calmé: cela est sain pour le corps et pour l'âme. Qu'aucune compagnie ne t'entraîne à boire entre les heures ou à rompre ton jeûne: il est bon de mettre «les pieds dans les entraves» de la Sagesse (Si 6,25). ;, Fixe-toi une heure pour relire ce que tu as écrit dans ce livre car il règle ton état de vie. Il me semble que les Pères du désert faisaient des prières brèves et fréquentes 28 afin que le cœur s'élève toujours, sans cesse, vers le Seigneur et ne s'enracine pas dans les choses mais en soit détaché; c'est ainsi qu'il faut faire. ;, Je me propose, au nom du Seigneur, de toujours jeûner le mercredi, sauf si la maladie, ou toute autre cause raisonnable, s'y oppose; ce n'est pas une obligation définitive, mais un but auquel je dois tendre; de même le samedi et le vendredi: en effet, c'est un mercredi que Judas livra le Seigneur, crucifié le vendredi. Et qui ne jeûne pas semble trahir ou crucifier le Christ avec ses bourreaux, sans raison. Comme clerc, «mis à part par le Seigneur» (cf. Ep 1, 11), j'y sms davantage tenu.

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C'est un grand bienfait pour la santé et je sens mieux que mon âme est avec Dieu. Même si le corps en pâtit un peu, ne t'en soucie pas: tu t'es toujours senti mieux quand tu as jeûné; offre toujours quelque chose à ton Dieu et tu te souviendras toujours mieux de lui (cf. Nb 15,3 ). 7 ' Prends garde de ne pas manger vite, avec gourmandise et avidité. ~a précipitation vient d'un amour désordonné de son objet. A la voracité gloutonne se mêlent, comme le dit Grégoire Sur Job 29 le désir et le vice. «Elle excite la loquacité et même enivre, échauffe et désoriente, tout comme l'ivresse ou un excès de parole ramollissent et entraînent au plaisir.» 7 ' Elle écarte et refuse toute pensée de Dieu. Il est préférable de faire une seule action en prenant son temps que d'agir vite dans le désordre. En effet, pour la santé du corps, plus la nourriture est absorbée avec décence et élégance, mieux elle est digérée et salutaire. 7 'De même, tu dois prendre ton temps quand tu écris, parles, ou agis, afin de ne pas te hâter; parce qu'en outre il n'est pas possible de chercher la gloire de Dieu lorsque on est emporté vers ces actions par un élan qui engage toutes ses forces. Apprends donc à temporiser et à te retenir d'agir. Ne fais pas le bien d'une manière qui te conduirait à désobéir. '~ Dans les biens temporels, les affaires d'argent, de revenus, les livres, considère-toi comme un intendant et veille à être trouvé "fidèle et prudent". (cf. Le 12,42) en ces matières. Accorde-toi une nourriture frugale, un vêtement modeste et donne davantage aux indigents et aux gens méritants, et davantage pour le salut des âmes. Ne donne jamais rien de valeur à quelqu'un qui n'est pas dans le besoin, parce que des indigents, tu en trouveras toujours beaucoup. Si tu donnais à un nanti, tu ne serais pas un intendant fidèle, ni prudent en ce qui concerne ton salut. 7 ' Ne te laisse pas inspirer par des sentiments charnels quand tu donnes. Je ne recevrai de biens matériels de quiconque, tant qu'on trouvera des pauvres, car je ne demanderai à personne ce que je ne souhaite pas qu'ils fassent.

NOTES 1. La science dont il s'agit ici est «la science qui descend du Père des lumières» Ge 1,17), cf. Ep. 9, p. 26. Elle engendre la discretio, «mère des vertus», qui permet de faire les choix essentiels (Cf. Ep. 70, p. 285).

2. La question du cumul des prébendes est traitée dans les Décréta/es de

Grégoire IX, lib. III, tit. IV, c. 3 et tit. V, c. 5, Corpus iuris canonici, éd. E. Friedberg, t. Il, Leipzig, 1879, p. 460 svv. 3. Cf. supra, n. 5, p. 52.

4. Dans une lettre à Rodolphe de Enteren, curé de Kruiningen (Ep. 63, p. 244-253), Grote expose son attitude en face de l'astronomie qui englobe à la fois les recherches des astronomes arabes et l'interprétation astrologique des données astronomiques. Il avait sûrement lu les traités de Nicolas Oresme, grand-maître au Collège de Navarre, à l'époque où il fréquentait l'Université de Paris: Contra iudiciarios astronomos, Liber divinacionis, Questio contra divinatores horoscopios. La distinction la plus claire entre l'astronomie et l'astrologie dite «judiciaire» est faite par Philippe de Mézières dans le Songe du Vieil Pélerin: «La première partie (de l'astronomie) considère principalement les cours du ciel et des estoilles, la mesure des signes et des planètes, les causes des éclipses et plusieurs autres nobles considérations. Et cette partie est très noble et excellente science licite et approuvée de l'Église». Quant à l'autre partie, elle considère «les jugements des choses à venir qui se font par les nativités des gens, par les interrogations et les élections» (Dora M. Bell, Étude sur le Songe du Vieil Pélerin de Philippe de Mézières, Genève, 1955, p. 116). Sur la position de l'Église au sujet de l'astrologie et des arts divinatoires, Decretum Gratiani, Causa 26, q. 5, c. 5, cité par T. Ortolan, «Divination», DTC, 4, 1911, col. 1141-1455 (1448-1450).

5. Allusion à la pratique des sciences occultes. 6. Sénèque, Ad Lucilium Epistulae morales, Ep. 88, (éd. L.D. Reynolds, t. 1, repr. Oxford, 1964, p. 312-323 ). Dans cette lettre, Sénèque critique les arts libéraux: grammaire, géométrie, musique, mathématique, qui ne conduisent pas à la vertu et sont une perte de temps. 7. Sénèque, Naturalium quaestionum libri VIII, (éd. A Gercke, Leipzig, 1907). Dans ses préambules à chaque question traitée, Sénèque veut montrer la solidarité entre la science de la vie et la science de la nature (lib.VI, 32).

NOTES

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8. Peut-être S. Bernard, ln Nativitate Domini, S. III, 2, Opera, 4, p. 259: Ama

nesciri; laudet te os alienum, sileat tuum. 9. Les Décrétales interdisaient aux moines, puis aux clercs de partir étudier le droit et la physique: Decr. Greg. IX, lib. III, tit. 50, c. 3; c. 10. (Friedberg, II, col. 658, 660 ). 10. Ibid., c. 1, col. 657. 11. Virgile, Géorgiques, II, v. 501-502, éd. Henri Goelzer, Paris, Les Belles Lettres, 1935, p. 86. 12. L'official est le juge établi par l'évêque pour administrer la justice en son nom. A la fin du XIIIe siècle, sa juridiction s'étendait sur les clercs et ceux qui leur sont assimilés (religieux, religieuses, maîtres des universités et étudiants) (Cf. L. Chesquieres, ad verb., Catholicisme, 10, 1985, col. 53-55). 13. De vitis Patrum, PL 73; Jean Cassien, Conlationes xxiv, éd. M. Petschenig, CSEL, 13, Vienne, 1886. 14. Ps. Bernard, Meditationes piissimae de cognitione humanae conditionis, PL 184, col. 485-508; De conscientia, ibid., col. 551-560. Grote met en doute l'authenticité de ce dernier opuscule dans la Lettre 8 (Ep. 8, p. 18), de même que celle des deux derniers livres des Soliloques de saint Augustin. Sur les œuvres prêtées à tort à saint Bernard, F. Cavallera, «Bernard (apocryphes attribués à saint}>, DSp., t. 1, 1937, col. 1501. S. Augustin, Soliloquiorum libri duo, CSEL, 89, p. 3-98. S. Anselme, Orationes sive meditationes, PL 158, col. 709-1016 (Recueil de prières authentiques et d'apocryphes). Cf. M. Maehler, «Anselme de Cantorbéry», DSp, t.1, 1936, 690-696, en part. 692-693. Henri Suso, Horologium aeternae sapientiae, éd. J. Strange, Cologne, 1861 2• 15. Entre autres, Jacques de Voragine, Legenda sanctorum, éd. Th. Graesse, Ratisbonne, 1891 3 (dite aussi Legenda aurea ou Historia Lombardica). 16. S. Grégoire le Grand, Regula pastoralis, PL 77. 17. S. Augustin, De opere monachorum, CCSL, 41, p. 531-595. 18. S. Grégoire le Grand, Moralia in lob, CCSL, 143, 143A. 19. Les docteurs invoqués par Grote dans sa Protestation d'orthodoxie sont Ambroise, Augustin, Chrysostome, Denys, Bernard, Bède, Isidore, Hugues et Richard de Saint-Victor. (Cf. infra, p. 73 ).

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20. Dans ses Lettres, il cite les commentaires qu'il utilise (Cf. G. EpineyBurgard, Grote, p. 58-59). 21. Selon la tradition, reprise par la Réforme, Grote distingue les livres mosaïques (le Pentateuque), les livres historiques Qosué, Juges, Rois) et les livres prophétiques. 22. Toute cette section s'inspire du chapitre De consecratione du Décret de Gratien, lia pars, dist. I, c. 64 (Friedberg, I, col. 1312). 23. Paraphrase du c. 70, De consecr., dist. I (!oc. cit., 1313 ). 24. Cette formule semblerait indiquer l'adhésion de Grote au réalisme philosophique, comme il ressort également d'un passage du De Simonia ad beguttas: «On doit adapter les noms aux choses et non les choses aux noms». (cf. infra, p. 121). 25. Il s'agit ici, non de l'osculum pacis transmis du prêtre aux clercs, mais d'un disque muni d'un manche et marqué du signe Pax et d'une image de la Passion, qui circulait d'un fidèle à l'autre (Cf. Du Cange, Glossarium, ad verb. Pax). Cette interprétation permet de mieux comprendre l'expression: «L'image du Christ non consacrée au Corps du Christ». La Paix remplaçait donc la communion. 26. Decr. Greg. IX, lib. I, tit. XIV, c. 14 (Friedberg, I, col. 130- 131). 27. De consecr., dist. V, c. 32, (Friedberg, I, col. 1313). 28. Cf. De vitis Patrum, lib. IV, PL 73, 827D. 29. Citation non retrouvée dans les Moralia in lob de Grégoire le Grand qui développe cependant une idée analogue. Cf. W. Yeomans, A. Derville, «Gourmandise et gourmandise spirituelle», DSp., t. 6, 1967. Sur Grégoire, col. 618-619.

PROFESSION DE FOI PUBLIQUE DE GERARD dit GROOT concernant ses lettres, ses paroles, sa prédication et ses sermons 1 Moi, Gérard, appelé GROET en thiois, j'atteste solennellement devant Dieu et tous les saints, devant vous et tous les hommes qu'en ce qui concerne les articles de foi, j'ai prêché et défendu la foi catholique intégralement et fermement sur son «fondement même, la pierre angulaire: Jésus-Christ» (cf. Rm 9,33, 1 Co 3,11; 1 P 2,6). Dans le domaine de la morale j'ai enseigné et répandu les doctrines et les voies évangéliques sûres et indubitables selon les Écritures divinement inspirées, selon l'intelligence et l'interprétation des saints docteurs et pères Ambroise, Augustin, Grégoire, Jérôme, Chrysostome, Denys, Bernard, Bède, Isidore, Hugues et Richard 2 dont, en fait de biens terrestres, je possède et recherche les livres avec ceux d'autres saints. De même, pour tout ce que j'ai écrit ou prêché concernant les lois humaines, les Décrets et Décrétales, surtout au sujet des fornicateurs honteusement notoires, j'espère que ceux qui ont une intelligence profonde du droit trouveront et apprécieront (mes propositions) soit comme sûres et indubitables, soit comme assez sûres ou plus probables ou plus vraisemblables 3, compte tenu des nuances et de la modération avec lesquelles je les ai énoncées ou écrites, tout en réservant le jugement de la très sainte Église romaine à laquelle je me soumets très humblement toujours et partout. Et si quelqu'un - ce qu'à Dieu ne plaise - disait ou imaginait que j'ai parlé contre la foi ou la saine doctrine que je défends partout, soit en me nommant expressément, ou que, par crainte de s'exprimer personnellement, il me chargeait ou me calomniait témérairement par des circonlocutions ou, de

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manière générale, d'après les préjugés du clergé et du peuple, que ses propos soient considérés en réalité comme fallacieux et mensongers. Je reconnais le respect dû à l'épiscopat auquel je rends l'hommage qui lui revient. Mais si - ce qu'à Dieu ne plaise de tels propos se trouvai~nt dans les lettres du prince du peuple, notre seigneur l'Evêque, je lui ferais la même réponse que saint Bernard au Souverain Pontife qui accueillait favorablement une mauvaise décision: «Notre Pontife a été circonvenu par des mensonges» ou vaincu par l'insistance (de 1' opposition)4•

NOTES 1. Ep., 57, p. 214-215, Protestacio magistri Gherardi, diai theutonice Groot, super epistolis, diais, predicacionibus et sermocinacionibus eius. - Thomas a Kempis, Vita Gerardi Magni, De publica protestatione ejus et dt veridica praedicatione evangelii quod praedicavit, Éd. Pohl, t.VII, p. 87. 2. Il s'agit d'Hugues et de Richard de Saint-Victor.

3. Sur l'usage universitaire des catégories des probabilia, probabiliora, cf. le traité des Quatre genres de sujets de méditation, infra., p. 221, 251. 4. S. Bernard, Epistola XLVI ad papam Honorium II, Opera, 7, p. 135: Scimus quidem id a vobis per mendacium fuisse subreptum, quod ex vestris litteris palam datur adverti, ut everti tam iustum tamque necessarium interdictum iuberetis.

LETTRE À GUILLAUME DE SALVARVILLA

La Lettre 91, mentionnée par les biographes de Grote, Rodolphe Dier de Muiden, Thomas a Kempis, Petrus Horn, est adressée à Guillaume de Salvarvilla (ou Sarvavilla). D'origine rouennaise, ce dernier fut chanoine à Paris et en 1365 nommé Cantor ecclesie Nostre Domine Parisiensis, fonction à la fois scolaire et ecclésiastique. Après le schisme de 1378, il ne put se rallier au choix de l'Université de Paris en faveur de Clément VII: privé par celui-ci de sa charge et de ses prébendes, il se rendit à Rome en 1382 où Urbain VI le nomma «archidiacre de Brabant dans le diocèse de Liège». Dans l'intervalle il avait formé le projet quelque peu chimérique d'aller convertir les orthodoxes du Moyen-Orient. Grote lui écrivit quatre lettres importantes (9, 20, 21, 35) à la fois pour le dissuader de mettre en œuvre son projet et éclairer sa conscience au sujet du schisme. Après la mort de Grote, G. de Salvarvilla publia un témoignage élogieux en sa faveur2. Il mourut avant le 17 novembre 1385. Dans cette lettre qui date vraisemblablement de 1379, donc à l'époque où Salvarvilla se trouvait encore à Paris, deux thèmes principaux se mêlent: les arguments contre le projet de conversion des schismatiques et un tableau critique de l'enseignement à l'Université de Paris. Comme à l'accoutumée, les arguments de Grote 3 sont d'ordre scripturaire (les Apôtres ont prêché d'abord à leurs concitoyens) Epistolae, 9, p. 23-36. p. 256, Testimonium magistri Wilhelmi de Salvarvilla, cantoris Parisiensis, archidiaconi Brabanciae in Ecclesia Leodiensi, Doaoris in theologia precellentis, de /\1agistro Gerardo Grot, canonico Daventriensi. Cf. également W. de Vreese, De Simonia ad Beguttas, Bijlagen, l, p. 41-48: W J.M. Mulder, «Guillaume de Salvarvilla», Ons Geestelijk Eif, 5, 1931, p. 186-211. Cf. supra, Introduction, Il, 3, n. 20, p. 16. 3 R.R. Post, Modern Devotion, p. 80-85, ne relève pas moins de seize arguments

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2 Ep. 65,

variés et conclut à l'étroitesse d'esprit de Grote en ce qui concerne la mission. Mais, outre le fait que bien des raisons invoquées par Grote relèvent du simple

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mais relèvent aussi du bon sens: comment toucher des peuples dont on ne connaît ni la langue ni les coutumes? Quant aux théologiens, Salvarvilla ignore leurs références et leur mode de raisonnement. Il est déjà difficile de convaincre dans son pays les personnes qui répandent de fausses doctrines 4• Enfin, argument ecclésiologique, Salvarvilla ne peut se soustraire à l'obéissance due à son évêque qui a un urgent besoin de lui sur place. A l'intérieur de ce raisonnement dissuasif, Grote introduit toute une diatribe contre l'enseignement dispensé à l'Université de Paris et la manière dont ses divers membres: théologiens, prédicateurs, philosophes, médecins s'acquittent de leur charge. A la fin de cette digressio que nous traduisons ici5, Grote expose son idéal de la «vie ambidextre»: prédication dans les villes et retrait méditatif à la campagne pour enseigner les simples.

bon sens, l'intention de Grote est surtout de défendre sa propre conception de la prédication et de l'évangélisation. 4 Après avoir souligné la difficulté de convertir la masse des schismatiques, jeunes insolents ou vieux entêtés, Grote la compare à celle de convertir le petit nombre de juifs de son pays: «Notre vie n'est pas entre leurs mains comme le serait la vôtre au pouvoir des schismatiques, mais celle des juifs est entre nos mains; ils se rapprochent de nous par les livres, la langue et bien d'autres points et pourtant, lesquels d'entre eux pouvons-nous ramener?» (p. 33). Grote met côte à côte deux arguments, l'un social: la dépendance des juifs, l'autre culturel, insistant sur les points de convergence entre chrétiens et juifs, en particulier !'Écriture, ce qui n'empêche pas que les juifs soient réfractaires à toute conversion. Nous tenons à remercier ici M. Pierre Fraenkel, professeur honoraire à l'Université de Genève, de son aide précieuse pour la traduction de ce texte souvent obscur.

À GUILLAUME DE SARVAVILLA, CHANTRE DE PARIS, ARCHIDIACRE DE BRABANT, DANS LE DIOCÈSE DE LIÈGE ... Même si vos incitateurs (cf. Rm 10, 14) et prédicateurs ont le zèle de Dieu, il y en a peu ou il n'y en a aucun qui manifeste l~ ferveur de l'Esprit (cf. Ac 18,25 ), les fruits abondants de l'Eglise primitive, sans même avoir la science (Rm 10,2 ). Ignorant en effet la justice de Dieu (Rm 10,3) par laquelle il parle au cœur de l'homme, par laquelle l'esprit reçoit l'Esprit Saint en guise d'onction, par laquelle on monte à la sainte montagne du Seigneur (Mi 4,2) et vers son Christ sur les ailes du désir et des élans enflammés, par des larmes et des soupirs, des hymnes et des cantiques spirituels, cherchant leur propre justice, ils édifient des sermons artificiellement composés et inappropriés en multipliant les introductions inutiles, les divisions variées, les répétitions superflues; ils enfilent les citations longues et compliquées et les rapportent à partir de données authentiques ou corrompues et sans se référer aux Pères 1• Mais ce n'est pas là la science ou le genre de prédication qui «descend du Père des lumières» Oc 1, 17), mais une science terrestre, animale, diabolique. A quoi bon, je te le demande, ces rimes et ces assonances finales, difficiles à assembler, impossibles à retenir, comme des «airains sonnants et des cymbales retentissantes» (1 Co 13,1)? Dans quel but, je te demande, sinon pour être appelés Rabbi, avoir les premières places dans les synagogues et être salués sur la place publique (Mt 23,6-7) et tout le reste qui ne sert qu'à se faire valoir? Hélas, qui serait convaincu en les écoutant? Par leurs actes et leur exemple ils nient ce qu'ils semblent affirmer des lèvres. On le lit sur leur visage: par le geste et la manière de vivre, ils montrent quel cas ils font de la vérité et

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de la justice et comment les paroles du Christ ne sont que sur leurs lèvres! Ainsi, ils démontrent eux-mêmes combien inutiles et vaines sont ces cachotteries de sophistes, ces flagorneries aux puissants et aux notables, ce comportement hypocrite ou relâché. Vraiment, ils n'attirent pas l'âme à la connaissance de soi-même et de Dieu, ni à la componction, mais à une curiosité qui ne se soucie pas de la connaissance (curiosa incuriositas). Si seulement, pour citer Job Qb 13,5 ), ils se taisaient pour paraître sages! Je crains que la foule ne soit plus scandalisée qu' édifiée. Si seulement ils utilisaient au moins les fleurs de rhétorique 2, s'ils savaient adoucir délicatement les âmes, les ramener à la miséricorde, à la pénitence pour leurs fautes, au zèle de la justice, au désir de la patrie éternelle, sinon par leur esprit, du moins par l'art de la rhétorique et la vérité. Ah, si seulement Tite-Live, Tullius Cicéron, Sénèque ou Pline étaient là, ou encore quelque poète: à quel point se moqueraient-ils de leurs inepties? A quel point les Apôtres et les Pères n'en auraient-ils pas horreur à plus forte raison, eux dont le discours et la prédication ne consistaient pas dans les paroles de la sagesse humaine, mais dans la manifestation de l'Esprit et de la vertu ( 1 Co 2,4)? Ils la montraient sinon par des miracles, du moins par des exemples dignes d'être imités et remémorés, par leurs fréquents gémissements, leurs gestes, leur manière de se vêtir et leur démarche. Voici, Père, le lieu du combat, voici le moment de sonner la trompette Ql 2,1) - car c'est par la diffusion de cette sorte de sermons que presque toute l'Europe est infectée -, afin que l'on puisse apporter un remède à cet organe source et origine, j'ai nommé (l'Université de) Paris 3; ainsi, il pourrait s'appliquer à ce sommet qu'est la curie romaine et à toute la race apostate. C'est là, Père, qu'il faut prendre l'épée, le bouclier et accepter le combat (Ps 75,4), c'est là que vous semblez être appelé. C'est là que vous pousse la nécessité, que vous sont transmis les dons particuliers, c'est là que votre plume se donne carrière, gémissant et pleurant du

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moins sur ces affabulations humaines. Il semble que vous ne devez pas laisser dans l'erreur les innocents, les enfants et les nourrissons (cf. Mt 21,16) dont Dieu illumine les yeux, vos très proches par la prière. Ils subvertissent la piété, se moquent des simples, trompent le peuple, ceux qu'annoncent littéralement les Apôtres Pierre ( 2 P 2) et Jude Ou de 4). C'est la sœur Oholiba4 qui, pour plaire à son aînée Oliba reversa sur elle les sottises de l'enfance et la honte de la prostituée publique afin de reverser sur elle le trésor de l'ambition et les gains de Simon (Ac 8,18) pris sur l~ trésor du Christ5• Ils font partie des gens qui ruminent les Ecritures saintes Or 31,30) avec des dents rongées et se gorgent jusqu'à l'indigestion, mais ne digèrent pas. Et ils se dressent pour jouer avec les Ecritures (Ex 32,6; 1 Co 10,7), abandonnent la rectitude naturelle, s'impliquant, au-dessus de leur savoir, dans des questions nombreuses, moins pour enseigner que pour se donner des airs savants ou encore pour paraître triompher dans les discussions. Ils mériteraient que quelque maître ès-quatre arts 6 appelé à assister à un tel débat leur fasse cette objection, même au risque d'être privé de son enseignement et de souffrir faim et soif: «Il ne convient pas qu'un prophète périsse hors de Jérusalem» (Le 13,34), c'est-à-dire Paris. C'est là que les pharisiens, juristes et religieux enseignent les traditions des anciens, les commandements des hommes et transgressent les commandements de Dieu (cf. Mc 13, 5-13 ). C'est là que sont ceux qui rendent leur propre justice (Mt 6,1), ignorant la justice de Dieu (Rm 10,3 ). C'est là que sont ceux qui, selon Isaïe (Is 10,1), font des lois iniques et injustes; ils pensent se gouverner, eux et tout le monde, par des lois et des constitutions promulguées pour des hommes injustes et scélérats, comme dit l'Apôtre (1 Tm 1,9) car ils pensent qu'ils peuvent se permettre tout ce qui ne relève pas de la procédure. Où est, parmi les juristes, cette vertu que l'on nomme épikie 7 ? Où sont la piété, la religion ou même la simple équité? Où sont les mains pures de présents et autres

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[prévarications]. Toute la loi et tout le droit divins se retirent de l'esprit et de la bouche, ainsi que tout l'édifice des vertus, cédant la place aux dignités, aux honneurs et à l'argent. Eh quoi, Père, vous vous taisez! Voici qu'arrivent des questions de toutes sortes aux nœuds aussi embrouillés qu'inutiles, ainsi que la terminologie d'Aristote qui, au dire de Valerius 8 , est passablement confuse. A notre époque et dans notre pays pullulent une honteuse inconstance et des frivolités qui les empêchent de voir d'où vient le danger9• On se laisse complètement induire en erreur. On néglige le fait que les Grecs sont inconstants et de quelles dissimulations, de quels voiles et de quels masques ils se sont servis. Selon Augustin10, aussi bien Socrate que Platon rejettent cela même qu'ils doivent affirmer ou encore ils transmettaient leur enseignement véritable et secrt;t sous quelque forme cachée: ironie ou moralité. On oublie de même comment, avant et après eux, tous ces poètes qui portaient le nom de devins chez les Gentils crevaient publiquement les yeux des sages. Sénèque cependant ne dit pas dans les Histoires naturelles11 qu'il leur crèverait les yeux, mais qu'il leur couperait la parole. Il coupa non seulement la parole d'Aristote, mais ensuite celle de Socrate dans laquelle est entrée toute la philosophie ionienne. Lui [Socrate] qui a même, seul d'entre les Grecs, été consacré sage par l'oracle des dieux [à Delphes] a tantôt nié ce qu'il voulait affirmer; tantôt il a interverti l'ordre des arguments; tantôt il a utilisé un mot pour un autre. Il a donné beaucoup d'indications qui permettent de penser que ses opinions sont conjecturales, etc. On 12 les modère, certes, par les arguments de l'Académie, mais nous estimons ces derniers superflus. En conséquence nous comprenons très mal comment un homme savant, habile à se servir des mots, ces mêmes mots avec lesquels il pouvait enseigner la foule et exprimer la vérité de manière cachée, semble parler comme le grand nombre mais pense comme peu: trompés, nous l'accueillons superficiellement et les esprits enfantins et désarmés, sans exercice militaire, sans déclaration de guerre 13 ,

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affamés de vérité sans capacité de discernement, sont captés par un petit nombre d'arguments qui leur plaisent, comme liés par le chant des Sirènes qui se manifestent, ils sombrent, poussés par l'autorité des maîtres et l'influence de la foule de ceux qui errent de Charybde en Scylla. C'est de là qu'ils s'élèvent aux vérités théologiques, c'est cela qu'ils mêlent aux Écritures saintes. 0 Dieu, ô Dieu, qu~l est ce mélange qui naît de l' enveloppe et du cœur des Ecritures et du chant des Sirènes? De là les erreurs contre Dieu et la vérité envahissent l'Europe, de là les hérésies; de là la philosophie car, selon Jérôme, «La philosophie est mère et nourrice de toutes les hérésies »14, celle qui se fonde sur les éléments du monde et dont l'Apôtre (Ga 4,3) enjoint de se garder. Il n'y a chose au monde qui renforce autant la méchanceté des hommes, sinon la science mondaine qui n'est une science qu'en apparence. Voici l'origine des maux, leur force, leur manteau, leur rhétorique; elle défend l'injustice en lui prêtant des armes. Et là, Père, vous vous tairez? Je ne parlerai pas - puisque je m'accommode de la réputation que leur vaut leur riche accoutrement - des esprits ignorants des médecins dont l'ignorance ne se préoccupe que des dangers qui menacent le corps des hommes et leurs biens et dont on peut faire des discours grandioses et assortis de commentaires. Là, Père, criez et ne cessez de crier, car si, avec l'aide de Dieu, vous criez comme il faut, il est à prévoir que vous serez entendu jusqu'aux confins de la terre et dans les conventicules hérétiques. Prêchez la décadence du clerc et la décadence de la science! Dans la mesure où nous sommes déchus du bien, nous sommes sans aucun doute également déchus du vrai dans le désir et l'intellect car le vrai et le bien sont unis par leur origine et leur effet, plus que ne le pense le commun des gens, à tel point que, selon Cicéron, le célèbre païen Socrate a qualifié très justement les vertus, - je ne dis pas les vertus politiques ou pratiques - de science pour les esprits purs 15 •

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J'évoque ces quelques points comme ils me sont venus à l'esprit. Quant à l'abondance des faits, vous-même connaissez tout cela de manière plus complète. En effet, vous savez que les campagnards naïfs et les gens simples reçoivent peu d'aide de nos savants théologiens - et encore moins dans les capitales, par exemple auprès de la curie, à Avignon, et à Paris - leur vocation les appelant à de plus hautes fonctions que d'aller dans des lieux modestes ou éloignés. De ce fait, il me semble que [les prédicateurs] doivent embrasser avec une grande ferveur et un grand zèle les simples, les pauvres, aussi bien les abattus et les ignares, eux qui sont d'autant plus réceptifs à la Parole divine qu'ils sont dépouillés de ce qui est grandiose et élevé. Il me semble qu'il faudrait commencer à Paris, en sonnant de la trompette, déclarant une guerre vaillante à «tous les ennemis de Dieu qui retiennent la vérité de Dieu captive» (fun 1,18) et qui transforment la maison de Dieu, c'est à-dire la Sagesse (Pr 9,1), en maison de brigands (cf. Mt 21,13; Mc 11,12, Le 19,46), qui n'entrent pas par la porte de l'imitation de l'humanité du Christ pour «trouver les pâturages»: entrant par la contemplation pour trouver la divinité ou encore en ressortant par la vie active 16 • Enfin je pense que vous devez vous retirer la nuit dans le silence du Mont des Oliviers (cf. Le 21,37); certains jours vous irez et vous resterez plutôt dans les villages, à l'exemple du Christ (Mt 14,23). Pour les fêtes et pour des raisons spécifiques, vous reviendrez à la ville royale prêcher contre les pharisiens, les scribes, les prélats et les princes. Par cette alternance, votre renommée s'accroîtra davantage. Là [à la campagne] l'homme apprendra l'humilité avec les petits: ici [à la ville] il apprendra à ne pas redouter la rigueur d'esprit, la force et les embûches des adversaires; ici il apportera la sagesse et les nourritures solides (1 Co 3,2 ); là, il dispensera le lait (ibid.) de la bonté de !'Esprit aux gens pieux; ici, il gagnera (cf. 1 Co 9,19) un petit nombre de gens présents mais un grand nombre d'absents; là il compensera la perdition des pécheurs obstinés et endurcis par l'apport des innocents; ici, il

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fera du bien à un petit nombre de gens importants, là, à de nombreux petits dont les anges voient la face de Dieu (Mt 18,10). Je n'ai fait cette digression que pour répondre à votre objection selon laquelle il y aurait abondance de prédicateurs à Paris.

NOTES 1. Grote critique ici les artes praedicandi avec la complication de leurs divisions et subdivisions. 2. Il fait allusion à l' ornatus faci!is qui n'admet que certaines figures de

style propres à émouvoir les auditeurs, à la différence de l' ornatus diffici!is qui multiplie les figures. Cf. LA. Arbusow, Colores rhetorici, Repr. Genève, 1974, p. 15-20. 3. Malgré toutes ses critiques, Grote ne peut cacher son admiration pour l'Université de Paris qui lui paraît la source du savoir. Dans la suite de la lettre (p. 31): «C'est au sein de la nation française que vous êtes né et avez été nourri physiquement et spirituellement des dons de la science et que vous avez participé à ses bienfaits,,.

4. Ez, c. 23 tout entier, mais plus particulièrement v. 32-34. 5. Ces rappels bibliques s'appliqueraient au schisme

(cf. Ep. p. 27, n. 7).

6. Tetraganus: un maître qui a fait le quadrivium, mais n'a pas fait de théologie. 7. L'épik:ie est «un jugement prudentiel et subjectif estimant que la loi n'a pas à être appliquée dans un cas particulier en raison de certaines circonstances spéciales». L. Godefroy, «Epik:ie», DTC, 5, col. 358 sv. 8. Cf. Valère Maxime, Faaorum et Dictorum memorabi!ium, Lib.VII, c. 2, 11, éd. C. Halm, Leipzig, 1865, p. 330. Envoyant son disciple Callisthène à Alexandre, Aristote lui recommanda de ne parler au prince que très rarement ou de lui tenir le langage le plus agréable «afin d'être en sûreté auprès du roi par son silence ou de s'en faire bien voir par ses discours». 9. Nescientes quod !ateat anguis in herba. Littéralement: «Ignorant qu'un serpent est caché dans l'herbe» (Cf. Virgile, Aen, 3,39). 10. Grote s'inspire ici et dans la suite d'un paragraphe du Contra Academicos, (lib. III, c. 17 svv.), sur la recherche du vrai. Se référant aux Académiques de Cicéron, Augustin écrit, lib. III, c. 20,43: Ait enim i!!is morem fuisse occu!tandi sententiam suam, nec eam cuiquam nisi qui secum ad senectutem usque vixisset, aperire consuesse, éd. W.M. Green, CCSL 29, Turnhout, 1970, p. 60.

NOTES

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11. Sénèque, Naturalium Quaestionum, lib. IV B, 1. 12. Il s'agit de Platon et des platoniciens. 13. Comme dans la lettre à un chartreux (Ep. 70, p. 285) et dans le traité De la pauvreté, p. 161; De patientia, p. 189. Grote apprécie ces métaphores militaires. 14. S.Jérôme, Ep. 70,4, éd.J. Labourt, Paris, 1953 (Coll. des Universités de France) p. 212. Sortie de son contexte, cette citation va à l'encontre de la pensée de S. Jérôme qui, s'il constate que bien des hérésies ont leur source dans la philosophie des Gentils, vante néanmoins la culture profane des auteurs chrétiens qui a enrichi leur doctrine. 15. Cf. Cicéron, De Oratore, I,47; De ojficiis, lib. I, c. 3. On peut se demander si Grote ne s'inspire pas du passage du Contra Academicos, lib. II, c. 17, 37: selon Platon, seul le monde intelligible est «principe de vérité pour l'âme qui se connaît elle-même, aussi celui-là est-il principe de vérité pure et sereine, tandis que l'autre (le monde sensible) peut engendrer en l'âme des insensés non la science, mais l'opinion. Cependant, tout ce qui se fait dans ce monde par les vertus qu'il nommait «civiles», semblables aux vraies vertus connues seulement d'un petit nombre de sages cela, d'après Platon, ne pouvait être appelé que vraisemblable.» S. Augustin, Dialogues philosophiques, Contre les Académiciens, Trad. R. Jolivet, Bibl. aug. t. 4, p. 189-190). 16. Grote développera ce thème traditionnel, qui remonte à saint Augustin et fut repris par Hugues de Saint-Victor et saint Bonaventure, à la fin du traité De quatuor generibus meditabilium, p. 248, 255, n. 40.

CONTRE LA TOUR D'UTRECHT

Ce traité, mentionné sous plusieurs titres, n'existe que dans un seul manuscrit1. Il n'a été identifié que tardivement, vers 1960. Sa date est incertaine et controversée2 ; elle est antérieure à l'achèvement en 1382 de la tour de la cathédrale d'Utrecht qui, entre 1370 et 1382, devait gagner quarante mètres de hauteur (jusqu'à 110 mètres), ce qui supposait l'apport de fonds importants. Grote a dû écrire ce texte après sa conversion, dans les dernières années de son canonicat d'Utrecht auquel il renonça en 1374. Dans ce pamphlet qui s'adresse à des clercs, Grote critique les constitutions de Jean d'Arkel, évêque d'Utrecht de 1342 à 1364. Promulguées en 1345-1347, elles furent reprises par l'évêque actuel, Arnould de Horn (que Grote - par prudence? - ne mentionne pas). Ces constitutions enjoignaient au clergé et aux fidèles de remettre à la fabrique de la cathédrale le montant des biens mal acquis ou tombés en déshérence 3•

R.R. Post, Geert Grotes Traaaat "Contra turrim Traieaensem" teruggevonden, La Haye, 1967, p. 1-7; 11-14.J.GJ. Tiecke, op.cit., p. 225-231. Dans les catalogues anciens, cet opuscule est aussi mentionné sous le titre Contra magna et superflua edificia. Conservé dans des archives privées de Neuss, le manuscrit provient du couvent de chanoinesses régulières de Marienberg à Neuss sur le Rhin. 2 M.van Dijk, Het traaaat "Tegen de Utrechtse domtoren". Geert Groote als rigorist, Utrecht, 1982, p. 9-20, place cet écrit très tôt, vers 1370. Sur ces constitutions et les mendicatoria (appels de fonds) de l'évêque, ses rapports avec la fabrique de la cathédrale, ibid., p. 13-18. Dans son compterendu de l'édition du traité, C.A. Rutgers (Bijdragen voor de geschiedenis der Nederlanden, t. 21, 1967, p. 324-326) relève que, étant donné la modicité des sommes reçues par la fabrique de la cathédrale, l'effet néfaste des constitutions synodales a été moins important que ne laisse entendre Grote et que les fidèles ont conservé, semble-t-il, la liberté de disposer de leurs aumônes. Nous en conclurons que l'indignation de Grote porte davantage sur un point juridique que sur une situation réelle. 1

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LETTRES ET TRAITÉS

Le raisonnement de Grote porte d'abord sur l'invalidité d'une loi injuste qui ne provient pas de la loi suprême de Dieu. Pour être considérée comme injuste, une loi peut être affectée de trois caractères négatifs: 1° ne pas être conforme à la fin poursuivie, l'édification de la maison de Dieu, devenue ici la construction d'une tour dont Grote juge les proportions monstrueuses, avec une allusion à la tour de Babel. 2° Sa forme est défectueuse car elle ne tient pas compte de l'obligation canonique de partager équitablement ces biens entre l'Église et les pauvres. Elle s'oppose donc au commandement évangélique qui enjoint de privilégier les pauvres. Elle trouble les fidèles et les clercs désireux de consacrer ces biens à d'autres oeuvres de miséricorde comme la réparation d'églises dévastées par les guerres ou les intempéries, le rachat des prisonniers, les soins aux malades. 3° Cette constitution est invalide du fait que l'évêque n'a pas la compétence requise pour fulminer l'excommunication latae sententiae réservée au pape. Enfin, il n'a pas demandé l'approbation du chapitre général qui regroupait les cinq chapitres d'Utrecht. Ce texte unit trois aspects de la pensée de Grote: son sens rigoureux de la loi humaine qui découle de la loi divine et qui, convergeant avec les prescriptions évangéliques, exige une stricte redistribution des biens à ceux qui en ont le plus besoin; l'homme est libre en conscience de s'opposer aux commandements d'une loi injuste, contraire à la «loi spirituelle du Christ pauvre» et à la pratique de l'Église primitive. Toute cette partie théorique s'inspire directement de la Somme théologique de saint Thomas: ra nae, qu. 90 à 96. D'autre part, il y a certainement chez Grote un trait anti-épiscopal4 que l'on retrouvera dans son sermon Contre les focaristes (bien qu'il accepte à la fin du traité de s'en remettre au jugement de sages). Mais ce qu'il critique, ce n'est pas tant la fonction épiscopale que l'abus de pouvoir. 4 Contra turrim, 1. 540, p. 54: Nec episcopo obediendum puto, eciam ab illis dericis ad quos

pertinet proprio et de iure communi edificare ecdesias ...

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Enfin, Grote s'inscrit ici (non sans verve d'ailleurs) dans la lignée des auteurs qui défendent un art sacré sobre et fonctionnel et pourfendent le luxe des constructions et de la décoration. S'il se réfère à S. Ambroise dans le De ofliciis ministrorum et la Lettre 52 de S. Jérôme à Nepotianus, relayées par le Décret, il s'inspire directement de S. Bernard et de son Apologie à Guillaume de Saint-Thierry contre le luxe des églises clunisiennes 5.

op. cit. p. 58-61 et citations des sources de Grote, annexes 16, 17, 18, 21, 22. V. Mortet, «Hugues de Fouilloi, Pierre le Chantre, Alexandre Neckham et les critiques dirigées au douzième siècle contre le luxe des constructions», Afélanges d'histoire offerts à M. Charles Bémont.. ., Paris, 1913, p. 105-137.

5 M. van Dijk,

[CONTRE LA TOUR D'UTRECHT] [«CELUI QUI N'EST PAS AVEC MOI EST CONTRE MOI»]

(Le 11,23)

Récusation des statuts synodaux Il existe une constitution synodale de Mgr Jean d' Arkel qui stipule ceci: «Les biens des naufragés, de même que les biens acquis de manière plus ou moins honnête, ainsi que tous les biens soumis à restitution dont on ne sait à qui ils doivent être restitués et tous les dons et legs en général destinés à un pieux usage, mais dont les donateurs et les légataires n'ont pas spécifié les lieux, les modes et les formes de cette utilisation, sont, par cette disposition et assignation, destinés à la fabrique de la cathédrale d'Utrecht jusqu'à l'achèvement de cet ouvrage. De même, en vertu de la sainte obéissance, nous prescrivons, sous peine d'excommunication et de suspension, que quiconque, quels que soient son état, son ordre religieux ou sa condition, ne dispose de quelque manière des biens susdits, qui par décision de justice appartiennent à la fabrique à présent et pour le futur, sinon pour les besoins, l'utilité et l'avantage de ladite fabrique et qu'il ne cause aucun préjudice aux affaires de la fabrique, publiquement ou secrètement. De même, par la présente, nous lançons une sentence d'excommunication contre tous ceux qui n'obéissent pas à notre interdiction et les autres à qui un délai de six jours est accordé pour demander un sursis.» De cette constitution il ressort clairement que la sentence d'excommunication tombe après six jours, à partir du moment où quelqu'un s'est occupé de ces affaires. De même, il y a encore une autre publication synodale qui concorde avec la première, disant que personne, sinon la

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fabrique de l'église, ne peut recevoir ni transmettre les biens acquis injustement: «En vertu de la sainte obéissance, nous prescrivons que personne - en opposition à l'article cidessus - n'accepte ces biens et ne les transmette à quiconque, sinon à ladite fabrique. Dans le cas contraire, par la présente, nous lançons contre les rebelles une sentence d'excommunication après un avertissement de trois jours à partir de maintenant. Il est à savoir que la restitution de biens mal acquis et la manière d'en disposer revient de droit aux évêques dans leurs diocèses.» 1 Cette constitution et les autres lancent donc une même sentence d'excommunication latae sententiae contre tous les débiteurs de la fabrique et ceux qui lui portent préjudice, publiquement ou secrètement. Tout cela paraît bien trop dommageable pour les âmes. _Premièrement, une constitution injuste ne lie pas la conSClence. Pour prouver la faiblesse que je constate dans cette constitution, je pose deux principes: 1. Une loi ou une constitution humaine injuste ne lie pas l'homme ni ne l'oblige en conséquence à l'observer, si ce n'est pour éviter un danger plus grand, un trouble ou un scandale tels que, même dans ce cas, il doit renoncer à son bon droit, ainsi que le déclare saint Augustin dans le livre premier Du libre arbitre: «Une loi qui n'est pas juste n'est pas une loi» et une loi n'a force de loi que dans la mesure où elle relève de la justice2 • Mais, du fait qu'elle n'est pas une loi et qu'elle n'a pas force de loi, elle n'oblige pas en conscience. Bien plus, comme le dit Augustin au même endroit, les lois injustes doivent plutôt être appelées des violences plutôt que des lois. Mais à la violence, on peut s'opposer avec bonne conscience, sauf au cas où on redouterait des scandales et des dangers plus grands 3• Toute loi n'est rien d'autre qu'une règle et une mesure commune des actes humains 4• Seule une règle vraie est une loi; mais une règle injuste qui n'est pas une règle ni une

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mesure véritable si elle n'est pas conforme au droit, à l'équité et à la justice, n'est pas une loi; Toute loi relève du droit, selon Isidore dans le livre des Et)lmologies cité dans le Décret, dist. 1, «lus generale» 5• Et, comme dit Isidore, tout droit est juste par définition' 6. C'est pourquoi les docteurs et Isidore sus-cité, posent dans le Décret, dist. 4, «Erit autem», la condition suivante: une loi, pour être honnête et juste, doit inclure honnêteté et justice7. Il en résulte que toute loi humaine, pour avoir force de loi, doit provenir de la raison la plus haute et la plus profonde, de la loi éternelle d'où rien d'injuste ni d'illégitime ne peut naître. Selon le livre des Proverbes, au huitième chapitre: «Par moi, dit la Sagesse éternelle, les législateurs décrètent le droit» (Pr 8,15). Et c'est pourquoi le Christ n'appelle pas «lois», mais «traditions» les lois injustes qui viennent, non de Dieu, mais de ceux qui les transmettent, en reprochant aux Juifs: «Vous annulez le commandement de Dieu par vos traditions» (Mc 7,9). On peut prouver la même chose avec des arguments tirés des autorités et de raisonnements moraux, mais ce n'est pas nécessaire pour les gens qui comprennent: Thomas aboutit à la même conclusion dans la prima secundae, q. 93 a. 10 (!)8 ; voir de même dans la Somme des confesseurs, 1. 2, titre De raptoribus, q. 20, qui concorde avec Henri de Suse, dans la Somme de la pénitence et des rémissions: «omnibus et qualiter versu quod de condentibus»9.

Des trois caractères qui rendent une constitution injuste. Deuxièmement: bien qu'une loi puisse être qualifiée d'injuste de plusieurs manières, il y en a trois principales selon Thomas et Jean dans la Somme des confesseurs sus-citée; chacune d'elles suffit pour que la loi soit dite injuste et n'oblige pas en conscience. Elle peut être injuste quant à sa fin, à sa forme, quant à l'autorité ou au pouvoir de celui qui la promulgue.

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Une loi est dite injuste de par sa fin quand elle n'est pas ordonnée au bien commun et que ni sa destination ni son observation ne sont de quelque utilité pour la communauté, mais au contraire qu'elle est une charge pour elle et qu'elle ne sert qu'à la gloire ou à l'utilité de celui qui en est l'auteur ou qu'elle est destinée à une fin étrangère et vaine ou même mauvaise et inutile. Une loi est injuste quant à la forme quand, tout en étant ordonnée à quelque bien commun, elle ne respecte pas l'équité dans l'acquisition de ce bien et impose à la communauté une charge inéquitable. Une loi est injuste quant à l'autorité et au pouvoir de celui qui l'édicte, dans la mesure où, en la promulguant, il outrepasse les limites de son autorité ou s'arroge un pouvoir illicite10.

Que la constitution est injuste quant à sa fin. Je déclare que cette constitution me semble injuste pour de nombreuses raisons et surtout pour chacune des trois raisons exposées plus haut. 1. Elle ne procure aucun bien commun et n'a aucune utilité pour la communauté, mais entraîne plutôt des maux et des dommages pour la communauté en général, dommageables tant pour les biens que pour les âmes. Cette constitution ne tend à aucun bien final, sinon à une construction monstrueuse et coûteuse de la cathédrale matérielle et à l'édification d'une tour orgueilleuse d'une masse déjà gigantesque, pour laquelle il a fallu puiser dans le trésor du Christ pauvre des sommes considérables et presque sans fond pour la faire monter à une hauteur stupéfiante qui dépasse celle de presque toutes les tours de la chrétienté. A l'aune de l'orgueil monstrueux qui préside à l'édification de cette tour, on peut prévoir ce que sera tout le reste, le choeur et toutes les autres parties de l'église matérielle, tant pour les dimensions que pour la décoration.

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Contre cette tour momtrueuse et inutile. Qu'un œil attentif et circonspect considère quelle est l'utilité d'une tour si haute, étant donné qu'elle n'a pas d'autre fonction que de supporter des doches. Pour l'usage des hommes les doches pourraient aisément et adéquatement être placées dans un clocher moins élevé et beaucoup plus modeste. Tout le reste a une origine mauvaise et conduit au mal car de nombreux défauts résultent et résulteront de cette tour comme de toute construction d'église somptueuse: la vanité, l' avidité11, la jactance et l'orgueil. Cette tour et cette orgueilleuse construction conduisent à de nombreux vices. Ceux-là sont frères, issus de cette tour qui les engendre en quelque sorte comme des fils, de même qu'elle est née du cerveau de ses concepteurs comme de ses pères. Tout badaud qui s'approche de la ville ou la traverse s'émerveillera de cette hauteur et de ces dimensions; il s'arrêtera à la vue de la tour, il tournera les yeux vers les détails, essayant d'en estimer la hauteur et ce qu'il ne pourrait saisir par sa seule recherche, il le demandera aux habitants. Les louanges à la tour si peu admirable fusent, les citoyens s'en glorifient bien à tort, la foule s'enorgueillit de cette tour et les constructeurs, enclins au mal, se rengorgent de même que les notables, en tant que maîtres d' œuvre, se flattent d'avoir édifié ce temple de l'orgueil. Ce sont-là les frères qui proviennent de la construction de la tour. Hélas, quelle communauté dans le mal! Si nous devons rendre compte au jugement dernier de toute parole inutile, qu'en sera-t-il à plus forte raison de cette grande et coûteuse réalisation qui doit se prolonger si longtemps, qui est non seulement inutile mais viciée par de multiples causes et par les maux qui en découlent? Et même si on excluait toute vaine gloire et tout orgueil souvent provoqués chez les étrangers, les laïcs et les clercs par la vue de la tour, l'édification durable d'une telle pierre d'achoppement et de scandale aux seules fins de satisfaire le goût de la nouveauté et la vanité n'est pas

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exempte de faute sil' on se souvient que saint Augustin dans le livre des Confessions s'accuse d'avoir parfois regardé trop longtemps chez lui des araignées attrapper des mouches dans leur toile 12 •

Contre les mditres d'œuvre: ce bât~ment inutile constitue par sa superfluité une véritable ruine pour l'Eglise. Que les maîtres d' œuvre considèrent combien toute gloriole que l'on retire de la beauté des choses profanes est charnelle. Mais cette vaine gloire qui réjouit les méchants lors de leurs mauvaises actions est diabolique. Ainsi, selon Grégoire, en va-t-il de tout homme comme de tout groupe, de toute ville ou église: plus ils ont de prestige auprès des hommes - sans raison -, plus ils sont dépréciés aux yeux de Dieu et des anges 13 • Agrandir la maison de Dieu à grands frais par vaine gloire, n'est-ce pas la dévaloriser puisqu'on s'oppose par là au bien commun et à la finalité du temple. «Qu'y a-t-il, selon saint Bernard, de plus stupéfiant, de plus détestable, de plus punissable que de constater que les hommes, bien qu'ils voient le Fils de Dieu, le plus élevé dans le Royaume des anges, devenir le moindre dans les royaume des hommes, se distinguent par la grandeur sur terre, spécialement en construisant une maison et un temple à celui "qui n'avait sur terre où reposer sa tête" (Mt 8,20 ) 14 ?» Dans le Livre du clo'itre matériel, selon Hugues, «la grandeur des édifices fait croître la vaine gloire», mais à cause de cette vaine gloire ou cet orgueil, la maison s'écroule, selon l'Ecclésiastique, chapitre XXII (Si 22, 21-22, Tg), quelle que soit sa richesse 15 • Ainsi, agrandir inutilement la maison de Dieu et spécialement celle du Christ par des constructions inutiles, c'est plutôt détruire que construire. Car les âmes et les esprits sont plus sûrement la maison de Dieu que le ciment et les pierres. Ils sont troublés par l'orgueil, l'avidité et la suffisance provoqués par ces constructions et, de «pierres vivantes» (1P2,5), deviennent pierres mortes.

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Dans les constructions, il faut rejeter les dimensions excessives, la profusion, le luxe, une beauté raffinée et superflue, tous éléments qui se rencontrent dans cette tour et cette maison de Dieu, d'autant plus que cette église a déjà été construite et ornée de manière convenable pour la célébration des offices ecclésiastiques des divins mystères; pourtant, hélas, d'après les projets, elle recèle la menace de presque toutes les sortes de superfluités mentionnées plus haut. Écoutez, écoutez, vous les clercs, et vous chrétiens, par le nom du Christ, écoutez du moins ceci: le Christ pauvre, Sagesse éternelle, supportera-t-il que ne soit pas accomplie en lui la loi qu'il a lui-même apportée, acceptera-t-il qu'on lui prépare ce qu'il a int~rdit aux hommes mondains en les maudissant? Non, non. Ecoutez donc ce qu'il a dit à un roi mondain par l'intermédiaire de Jérémie XXII, 14; «Malheur à celui qui dit: "je vais me bâtir un palais imposant et de spacieuses chambres hautes", qui s'y ouvre des fenêtres et peint de sinople les lambris de cèdre».

Objeaion Ceci ne s'oppose pas aux paroles de Gratien dans le Décret, De consecratione, dist. la. Il y est dit que nous devons élever un temple à Dieu et l'orner du mieux que nous pouvons, selon la glose à cet endroit16, à condition qu'il n'y ait pas de prisonniers à racheter d'urgence, ou, selon les saints, qu'il n'y ait pas de pauvres à secourir ou qu'on n'en puisse faire meilleur usage pour des œuvres plus grandes de charité et de miséricorde. Mais construire de manière inutilement grandiose et splendide, ce n'est pas orner au mieux le temple de Dieu, c'est, comme on l'a dit, contre son commandement, souiller et salir son propre frère par des objets de vanité, de luxe et d'orgueil. , Un bâtiment superflu est la honte et le déshonneur de l'Eglise. Au lieu d'en être une parure, tout clerc mondain

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dépare et déshonore le temple et les lieux (consacrés); de même, ce serait une honte pour un homme religieux, temple vivant de Dieu, s'il se drapait de vêtements mondains nombreux et variés. Selon Ambroise, dans le Livre des offices et selon le Décret, dist. LXXXVI, c. 'pulchra libertas': «Il n'est pas convenable d'entreprendre des constructions superflues ni d'omettre les nécessaires. Le prêtre doit orner les temples de Dieu de façon honorable pour que la maison de Dieu soit resplendissante pour le culte 17 .» Il dit au même endroit qu'il «convient de multiplier les dépenses nécessaires à l'exercice de la miséricorde». Saint Ambroise, notons-le bien, dans le même passage reproduit dans le Décret, dist. XII, c. ii 'aurum', dit dairep1ent qu'il est préférable de dépenser l'or et l'argent de l'Eglise pour les besoins des pauvres et des prisonniers, plutôt que de couler des vases en or pour le temple: «Il est préférable, dit Ambroise, de conserver les corps vivants (cf. 1 Th 4,4; 2 Co 4,2) plutôt que de couler des vases de métal. Si tu objectais: 'je crains que le temple de Dieu ne soit pas assez orné", il répondrait: "Les mystères sacrés ne réclament pas d'or et ce qui ne peut être acheté par l'or n'a pas de complaisance pour l'or. L'ornement des choses sacrées, c'est de racheter les captifs et les vrais vases précieux, ce sont ceux qui rachètent les âmes de la mort. Voilà le vrai trésor du Seigneur qui opère ce que son sang a opéré."» Ainsi parle Ambroise 18 • Et il continue, à propos des plaintes de ceux qui s'intéressent trop à la décoration extérieure du temple: «Personne ne peut dire: pourquoi le pauvre vit-il? Personne ne peut se plaindre parce que les prisonniers ont été rachetés; personne ne peut porter plainte parce que le temple de Dieu a été édifié; personne ne peut s'indigner parce que les lieux pour inhumer les restes des fidèles ont été agrandis; personne ne peut regretter que les défunts trouvent le repos dans des tombes.» Ainsi parle Ambroise 19 • Il est plus facile de justifier ces actes plutôt que l'amoncellement de vases d'or.

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A quoi est-il préférable de consacrer des dépenses: à des constructions nécessaires ou à des vases d'or? Réfléchissons-y. Mais plus que d'amasser des vases d'or, il faut surtout éviter d'orner des édifices inutiles avec des sculptures, des décorations somptueuses et des constructions imposantes. Ce que l'on dépense pour des bâtiments ne peut être récupéré et on ne peut plus en disposer pour les nécessités des œuvres charitables dont j'ai parlé, comme on peut le faire avec des objets d'or, des feuilles de métal, des écussons au cas où la charité l'exige. De tels édifices sont élevés pour l'ostentation et l'apparat et ils infectent l'homme par la concupiscence des yeux; si on les détruit ou s'ils s'écroulent, ce qui peut être récupéré ne compense que peu ou pas du tout les sommes dépensées. 20

NOTES 1. Bronnen voor de geschiedenis van de kerkelijke rechtspraak in de bisdom Utrecht in de middeleeuwen, IV, Provinciale en .synodale statuten, éd. JJ.C. Joosting, t.V, La Haye, 1914, p. llO, lll, ll5, ll6, 137, 138 (cité par R.R. Post, p. 16). 2. S. Augustin, De libero arbitrio, L. 1, c. 5, Bibl. aug. t. 6, p. 21, cité par S. Thomas, Sum. theol., P-nae, q. 96, a. 4, c. 3. En fait, l'expression de "violence" est de S. Thomas, ibid. 4. Sum. theol., I" uae, q. 90, a. 1, c. 5. Isidore de Séville, Etymologiae, c. 3, cité dans le Décret de Gratien, dist. I, c. 2, (Friedberg, I, p. 2) . 6. Ibid.

7. Isidore, Et; m., c. 21, cité dans Décret, dist. IV, c. 2 (Friedberg, p. 4). Cf. Sum. theol., I" uae, q. 95, a. 3: Une loi honesta est celle qui est en accord avec la religion et iusta celle qui convient à la discipline. 1

8. Sum. theol., P uae, q. 93, a. 3, c. 9. Die "Summa confessorum" des Johannes von Eifurt, éd. N. Brieskorn, Francfort, 1980-1981, t. 3, II, 6, De rapina, tit. 3., p. 1201-1221. En fait, le texte ne correspond pas vraiment à la Summa d'Henri de Suse. Il s'agit sans doute d'un autre glossateur non identifié. Heinrich von Segusio, Kardinalbischof von Ostia. Henricus de Segusio, cardinalis Hostiensis "Summa" ... Repr. de l'édition de Lyon 1537, Aalen, Scientia, 1962, Lib.V, De penitentia et remissionibus, fol. 285v. 10.

Sum. theol., I" uae, q. 96, a. 4, c.

11. Le mot de curiositas est susceptible de plusieurs acceptions; nous le traduisons ici par "avidité", avidité de connaître assimilée à la «concupiscence des yeux«(p. 101). Ce défaut s'applique aussi au désir de rechercher et de posséder des objets rares (cf. infra, De la pauvreté, p. 167-168). 12. Cf. S. Augustin, Confessions, LX, c. 35, 57. Bibl. aug. t. 14, p. 244. 13. Cit. non identifiée. 14. Cit. non identifiée. Elle ne se trouve pas dans l'Apologia ad Guillel-

mum.

NOTES

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15. De daustro animae, 2, De claustro materiali, c. 1, PL 176, 1051-1052. Longtemps édité parmi les ouvrages de Hugues de Saint-Victor, le traité De claustro animae a été restitué à Hugues de Fouilloy, chanoine régulier de Saint Augustin. I. Gobry, «Hugues de Fouilloy», DSp, 7, 1969, col. 880-886. 16. Décret, Ilia pars, De consecratione, dist. I., c. 1 (Friedberg 1, p. 1293 ). 17. Ibid., la pars, dist. 86, c. 18 (Friedberg 1, p. 301-302 ). S. Ambroise, De ojficiis, II, c. 21, 110, éd. M. Testard, Paris, 1992, II, p. 59. 18. Décret, Causa 70, c. 12, q. 2 (Friedberg 1, p. 710); S. Ambroise, De ojficiis, II , c. 28, 137, p. 71. 19. De officiis, Il, c. 28, 142,

p. 72.

20. Contra turrim traiectensem, éd. R.R. Post, 1. 1-252, p. 16-34.

AUX BÉGUINES, DE LA SIMONIE

Bien que le sujet abordé par Grote dans ce traité soit différent, il y a néanmoins une étroite connexion entre celui-ci et le traité De la pauvreté. En même temps qu'il défendait la pauvreté monastique, Grote s'en prenait à la simonie qui, à son époque, consistait à verser une somme d'argent soit pour entrer dans un couvent, soit pour acquérir une prébende 1• Dans son traité en langue vernaculaire adressé aux béguines2, il fait un pas de plus en portant l'accusation de simonie à l'encontre de communautés laïques, comme celles des béguines ou des frères et sœurs travaillant dans les hospices, qui ne sont pas soumises au droit ecclésiastique et restent sous la juridiction de l'autorité civile 3• On ne sait à quelles béguines Grote s'est adressé: peut-être à celles de Zwolle avec lesquelles il était en relation 4• La date de composition est 1 Sur la lutte de Gérard Grote contre la simonie, voir supra, p. 27-29.

De Simonia ad beguttas. De middelnederlandsche tekst, éd. W. de Vreese, La Haye, 1940. Cuyck, Couvent des Croisiers Ste Agathe, Ms Coll. Frenswegen C 9 et 9 bis, fol. 11 lr-136r. L'édition de Vreese relève tous les textes cités par Grote et publie en outre des textes annexes sur le problème de la simonie. Grote (p. 3 sv) est très au courant de la situation des béguines, de leur condamnation au concile de Vienne en 1311-1312 (par la Clémentine Ad nostrum) et de la défense des «bonnes béguines» par le pape Jean XXII. Il reconnaît parfaitement la valeur spirituelle de cet état. 4 Grote s'est préoccupé du mode de vie des béguines de Zwolle au sujet desquelles il a écrit au curé Reynier (Ep. 31, p. 133-137) et à Maître Jean Cele (Ep. 32, p. 138-140). Il souhaite que les béguines renoncent à mendier, qu'elles ne se répandent pas en visites inutiles, sources de commérages, et se consacrent au travail manuel; qu'elles ne s'adonnent pas aux spéculations théologiques. Cf. Introduction, IV, n. 66, p. 31. Comme Grote parle dans son texte des échevins de Kampen, on peut aussi se demander s'il a en vue les béguines ou les tertiaires de Kampen. Il nous semble que la première hypothèse a plus de poids en raison de son intérêt pour les béguines de Zwolle et pour les candidates à l'entrée dans la communauté: Mulierem amo singulariter in Domino ... (p. 140), phrase rare sous sa plume!

2

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incertaine. Il s'agit d'ailleurs de chapitres rédigés à des époques différentes. Le traité De la Simonie se présente en trois parties (que Grote appelle lui-même bok (livre) et qui reprennent les mêmes arguments sous une autre forme). La première est un avis de droit: «Y a-t-il simonie lorsqu'on tente d'acheter une place dans un couvent de béguines ou de tertiaires?» La réponse de Grote est: oui, parce que, même si ces personnes ne sont pas des religieuses au sens juridique, le but de leur existence est néanmoins spirituel. Juridiquement, il n'y a simonie que lorsqu'il y a pacte, contrat, mais en fait il peut y avoir simonie spirituelle puisque la cause et la fin de l'engagement béguinal sont Dieu et la vie spirituelle et que le mode de vie des béguines est adapté à cette fin. Aux yeux de Dieu et au jugement de la conscience, cette forme de simonie est, (selon la théologie bien souvent développée par Grote ), contraire à la loi naturelle «formée dans le Verbe éternel de Dieu qui jaillit dans le cœur des justes à la fois par nature et par grâce» 5• Elle préfère un bien temporel à l'amour et à l'honneur de Dieu. Elle est contraire à la justice distributive et pousse à préférer à une candidate pieuse mais pauvre une personne moins vertueuse mais riche. Ce faisant, on écarte le pauvre en ce qu'il a de plus semblable au Christ. En choisissant ses apôtres et ses disciples, le Christ a indiqué la forme du choix et du partage. Cette partie contient des exemples concrets et relève des analogies avec les mœurs politiques où Grote se montre moins rigoriste qu'en matière d'éthique religieuse (à qualités égales, il est permis, pour le bien commun, de choisir un échevin riche et influent). Ce chapitre se termine, comme une homélie, par une adresse personnelle aux sœurs. Dans la deuxième partie, Grote assied son argumentation sur des autorités: !'Écriture sainte (Pr 8,15;Jc 1,17), les Pères (surtout S. Augustin et S. Grégoire, et les canonistes (Henri de Suse). Il 5 De simonia, p. 7, p. 21. De cette source, suprême raison de Dieu, découlent les

lois et les décisions humaines.

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revient sur la notion d'acceptio personarum (Dt 10,17; Je 2,1) et insiste sur le fait que le respect de la loi divine l'emporte sur celui des décisions humaines. Dans la troisième partie, que nous traduisons intégralement, il envisage l'application de la vertu de religion et son expression dans la vie communautaire qui illustre l'idéal de Grote pour ses disciples.

AUX BÉGUINES, DE LA SIMONIE Ce chapitre 1 démontre que les réalités spirituelles susceptibles d'être entachées de simonie sont l'objet d'une décision discrétive [determinacio]; il montre quelles sont les réalités qui rendent l'homme le plus spirituel et qui sont exposées à la plus grave des simonies. Vous devez savoir d'abord que dans sa Somme, au troisième livre De la simonie, première question, où on détermine ce qu'est une réalité spirituelle, Guillaume d'Auxerre dit: «Est spirituelle à proprement parler, une chose par laquelle on possède le Saint-Esprit, comme la vertu, ou par laquelle il est donné, dans le sacrement, ou comme signe, dans le don de prophétie ou celui de faire des miracles». Et, dit le même maître, «sans distinction, on peut véritablement dire qu'une chose est spirituelle quand par elle on a le Saint-Esprit soit dans les vertus, les sacrements, les miracles et la prophétie; en distinguant: on a le Saint-Esprit dans les vertus et les sacrements [pour faire les œuvres de la vertu], le don de prophétie et le pouvoir de faire des miracles [pour faire des œuvres excellentes]» 2• Parmi ces trois choses, le bien spirituel le plus haut est la vertu et l'amour qui est plus spirituel que les autres (cf. 1 Co 13, 13 ), car il rend l'homme intérieur plus spirituel et l'unit plus étroitement à Dieu dans l'Esprit que les signes sacramentels, la prophétie ou le pouvoir de faire des miracles, car les bons et les méchants, comme on le sait, peuvent recevoir et donner les sacrements ou avoir le don de prophétie ou de faire des miracles. Cela se voit et se produit souvent, au dire du Christ en Mt vij (22 ), et les sacrements, les prophéties et les miracles sont disposés par Dieu et par les saints pour augmenter la vertu et pour rapprocher l'âme de Dieu et des vertus, l'unir et l'attacher à lui dans les œuvres de la vie spirituelle.

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Et non seulement les vertus théologales comme la foi, l'espérance et l'amour qui rendent l'homme plus spirituel dans l'Esprit et l'élèvent sont plus spirituelles que les dons des miracles et des prophéties, mais encore les vertus morales en Dieu sont plus spirituelles que la réalisation de miracles. Et saint Augustin le démontre dans son Commentaire à l'ÉpÎtre aux Galates en disant: «Le Seigneur ne dit pas: "Prenez mon joug et apprenez que je ressuscite des morts de quatre jours et que je chasse tous les démons du corps des hommes ainsi que leurs maladies, et [accomplis] d'autres miracles de ce genre", mais il dit: "Prenez mon joug et sachez que je suis doux et humble de cœur" (Mt 11,29). La première chose, les miracles, sont les signes de choses spirituelles, mais le fait d'être doux et humble de cœur et de garder l'amour de Dieu, c'est un bien spirituel en soi». Les autres sont des signes, dit saint Augustin, «pour que puissent parvenir aux vertus ceux dont les yeux charnels ne peuvent voir l'invisible à partir d'événemen ts connus et habituels, et qui cherchent la foi dans des choses nouvelles et visibles comme les miracles 3». Telles sont les paroles de saint Augustin qui prouve que les réalités spirituelles sont les vertus. Et plus une vertu est haute, intérieure et divine, plus elle est spirituelle, nous conformant et nous attachant sans intermédiaire à Dieu. De même les vertus se superposen t selon leur degré et leur office, et toutes sont orientées vers l'amour et, dans l'amour, elles nous unissent avec Dieu et le SaintEsprit. Dans l'homélie sur la parole: «Voici mon commandement» On 15,12), Grégoire dit: «Comme de nombreux rameaux sont issus d'une même racine, de même de nombreuses vertus jaillissent de l'unique amour: rien ne peut verdir si le rameau des bonnes œuvres ne reste pas enraciné dans l' amour» 4• Et toutes les vertus tendent à l'union et à l'adhésion à Dieu J?Our que l'on devienne «un seul esprit avec lui» ( 1 Co 6, 17) et c'est la plus étroite et la plus grande intimité spirituelle que l'homme puisse avoir ici-bas [avec Dieu]. Toute vertu est le don et l'œuvre de l'Esprit saint et

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rend l'homme spirituel et, avec chaque vertu, l'Esprit saint demeure dans l'homme spirituel. Il est ainsi prouvé que toutes les œuvres, tous les exercices vertueux sont des œuvres spirituelles. «Ce qui est né de l'Esprit est spirituel», dit le Christ et «ce qui est né de la chair est charnel» On 3,6). A mon avis, les œuvres et les exercices de la vertu sont plus spirituels que les œuvres miraculeuses car elles proviennent de cœurs plus purs et plus spirituels et d'un fond spirituel et elles rapprochent davantage de l'Esprit. Et pourtant, vendre des miracles est de la simonie et le premier acte de simonie nommé et décrit dans !'Écriture (2 R 5,20-27); c'est lorsque Giézi accepta des vêtements de Naaman le lépreux qui avait été guéri par son maître Elisée; et puis Simon le Mage (Ac 8,18-24) d'où vient le nom de simonie5• En lui il y avait une double méchanceté: en désirant le pouvoir de faire des miracles, comme le disent les maîtres 6, il voulait acquérir pour de l'argent le pouvoir de donner l'Esprit saint par des signes visibles, et d'autre part, il voulait vendre les miracles pour en retirer de l'argent. Mais on ne peut pas vendre, en fait ni en droit, ni la vertu, ni les œuvres et les exercices de vertu, ni une vie vertueuse, dans la mesure où ces biens sont vertueux et méritoires; et pourtant on pourrait avoir la volonté de les acheter ou de les vendre, car les choses impossibles paraissent parfois possibles aux gens qui s'imaginent pouvoir réaliser leur vœux d'acheter ou de vendre [ces biens]: c'est ainsi qu'un fou vend à d'autres son âme, ou sa bonne œuvre ou la santé et celui qui aurait la volonté de vendre sa vertu n'aurait en Dieu ni vertu authentique, ni œuvre méritoire. Mais les sacrements, on peut les vendre en fait mais pas en droit, ainsi que ce qui ~e rattache aux sacrements. C'est dans le droit canon que l'Eglise parle le plus et en particulier de ces sacrements et sacramentaux et de ce qui en relève lorsqu'elle traite de la simonie7 • Car l'homme juste et vertueux ne vend ni œuvres de vertu, ni exercices, ni vie vertueuse, même si on pouvait les vendre, sans leur faire perdre leur vertu: les vertus sont cachées en leur fond ainsi

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que leurs œuvres et les exercices, dans la mesure où ils sont vertueux; pour les sacrements, les ordinations, le sacerdoce avec les offices qui l'accompagnent, les actes et les exercices, les prébendes et aussi les miracles, on les voit et on les connaît mieux de l'extérieur et il est plus facile de reconnaître qu'ils sont vrais que de savoir si les œuvres ou les exercices vertueux sont vraiment issus de la vertu. Car bien des bonnes œuvres et de semblables exercices paraissent bons qui ne sont pas réellement accomplis par vertu,, mais de l'extérieur, ils leur ressemblent. Et c'est pourquoi l'Eglise ne parle pas beaucoup de la simonie qui s'y attache, comme dans le cas de l'autre simonie. Et pourtant, c'est une simonie mauvaise, pure impiété, contraire à la foi; on s'oppose davantage à l'amour en voulant vendre quelque parcelle de vertu, d' œuvres, d'exercices et de vie vertueux qu'en achetant quelque ordination ou sacrement de mariage ou quelque miracle. Car si faible que soit le degré de vertu aimante dans les œuvres, les exercices ou la vie de vertu, dans la mesure où elle est née de !'Esprit saint, elle s'accompagne de la complaisance de Dieu, de sa grâce et de la gloire comme récompense et c'est préférable [en soi] et pour les hommes que d'avoir toutes les ordinations et de recevoir les sacrements sans la grâce et la complaisance de Dieu. Qu'elle est grave, la simonie dans les cœurs qui s'imagine ou s' efforce d'acheter la grâce de Dieu ou la récompense ou d' acquérir avec de l'argent la vertu d'autres gens pour y participer, comme bien des gens le font actuellement! Comme dit Guillaume d'Auxerre: «Celui qui voudrait acheter Dieu avec des aumônes en pensant illuminer son cœur» 8, celui-là est coupable de la pire des simonies. Maintenant, pour en venir au tiers-ordre et à l'état des béguines, en ce qui concerne prébende, place et couvent, il vous faut savoir qu'il y a une vertu dite de religion par laquelle une personne est ordonnée, inclinée [vers Dieu] et s'attache à le servir pour lui rendre l'honneur, la révérence, le service et le culte qui lui sont dus. Ainsi parle Thomas dans

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la rra-rrae, q. lxxxi, dans plusieurs articles 9• Cette vertu de religion est très spirituelle et, après les vertus théologales de foi, d'espérance et de charité, une des vertus les plus spirituelles. Elle commande et régit toutes les vertus morales, elle les utilise et les offre au service et en l'honneur de Dieu; elle régit, ordonne et établit les autres vertus et toute chose pour la gloire de Dieu. Cette vertu, les païens ne la possédaient pas parfaitement, mais ils en parlaient, s'imaginaient la posséder et s'en vantaient selon leur opinion; mais elle n'est nulle part plus authentique et meilleure que chez le chrétien; saint Augustin le prouve dans le livre de la Cité de Dieu 10 et le livre qu'on appelle généralement, comme le fait saint Augustin lui-même, De la vraie religion 11 • La vertu dite de religion a des œuvres et des actes que l'on nomme sainteté intérieure et extérieure, comme le dit Thomas dans la question susmentionnée à l'article 712 • Les œuvres et exercices intérieurs sont: la dévotion intérieure, la prière, la supplication et la demande, l'adoration intérieure et la soumission à Dieu. Et les œuvres et exercices extérieurs sont les marques extérieures d'adoration: agenouillement, prosternation, offrandes et tous les actes similaires propres à louer Dieu extérieurement et à le remercier oralement. Et ainsi, toutes les œuvres de cette vertu consistent en ce que tous ses exercices et toutes choses intérieures et extérieures sont ordonnés et disposés au service de Dieu. Et dans la mesure où quelqu'un, dans ses œuvres, ses exercices, sa vie et son état, pratique ces choses toujours mieux, avec plus de fermeté, de pureté et de zèle, alors il possède davantage la vertu de religion et il est devant Dieu plus religieux et plus spirituel; et plus l'office ou le rang et l'état 13 de cet homme contribuent à favoriser ces choses, plus son office, son rang et son état de vie sont purs et religieux. Et dans cette vertu de religion, dans ses œuvres et ses exercices, il entre davantage de simonie que dans les autres vertus ou dans les œuvres, les exercices et les offices des vertus morales. Saint Thomas, dans l'œuvre précitée, qu. clxxxvi, dit que lorsqu'un nom convient à beaucoup de

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choses, on dit, selon la désignation des hommes, que ce nom s'applique en particulier à la chose signifiée de la manière la plus haute et la plus importante. Ainsi on donné le nom de force spécialement à la vertu qui rend ferme dans les choses les plus difficiles et l'on appelle temperantia la vertu qui modère les plus grandes délectations, bien que la vertu de force et de mesure se retrouve dans bien d'autres choses 14 • De la même manière, quand on parle en général de «!'Apôtre», c'est de saint Paul qu'il s'agit et le «maître de la nature» désigne Aristote, quoiqu'il y ait bien d'autres apôtres et philosophes. Ainsi, dit saint Thomas, par antonomase, on nomme «religion» la vertu haute et parfaite de religion et en particulier, on nomme des gens «religieux» à cause de l'élévation et de la perfection de la vertu appelée religion en l'homme, dans la mesure où ils s'offrent totalement et s'adonnent au service de Dieu, comme le dit saint Grégoire Sur le prophète Ezéchiel: «Ce sont des hommes qui ne se réservent rien pour eux-mêmes et qui offrent à Dieu tout ce qu'ils ont reçu de lui: leur langue, leur vie et tous leurs biens temporels» 15 • Et ils deviennent eux-mêmes, comme dans l'ancienne Loi, l'offrande qu'on brûlait et qu'on nomme holocauste. Et cela, on peut le trouver tout à fait parfaitement en dehors des communautés, en dehors des couvents et des coules, tout comme dans les couvents, car l'amour parfait, la parfaite adhésion à Dieu selon qu'il est possible en cette vie d'exil, c'est la plus grande des spiritualités que l'on puisse posséder et trouver bien souvent en dehors de la vie conventuelle. Car elle comporte le mépris des biens temporels et des plaisirs profanes du corps et de la volonté profane et celui qui renonce à ces trois choses: aux biens temporels avec la pauvreté volontaire, au plaisir le plus grand et le plus vil du corps par la pureté volontaire, à la volonté profane de l'homme par la soumission volontaire, offre son bien, sa vie, sa volonté au Seigneur en holocauste que l'on brûle, que ce soit à l'intérieur d'un ordre ou en dehors. Et la vertu de

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religion devient parfaite et pure, ses œuvres deviennent plus pures et plus hautes quand la dévotion, la prière intérieures rendent grâce et louange à Dieu. En outre, d'autres actes intérieurs et extérieurs, des œuvres de religion deviennent plus purs et spirituels à mesure que l'homme se détache de plus en plus, intérieurement et extérieurement, des biens temporels périssables et qu'il les brûle. Ainsi parle le prophète: «Si tu sépares de ce qui est vil ce qui est précieux et de valeur, tu seras comme ma bouche» Ur 15,19). Et saint Augustin dans le troisième livre de la Trinité parle ainsi: «La beauté qui attire toutes les âmes sincères, c'est Dieu qui les attire d'autant plus ardemment qu'elles sont plus pures et l'âme est d'autant plus pure qu'elle se dresse et se dirige vers les choses spirituelles et meurt d'autant plus aux choses charnelles» 16 • Ce sont les paroles de saint Augustin qui était un avocat de l'esprit et non de la chair, alors qu'on trouve aujourd'hui beaucoup de maîtres qui sont des avocats du monde et de la chair - que Dieu nous en préserve! Et quand un homme au bout d'un certain temps ne se suffit plus à lui-même pour progresser et pratiquer la vertu de religion au service de Dieu, alors il choisit des compagnons ou des compagnes et une compagnie, pour une aide mutuelle dans la pratique de la vertu de religion, de ses exercices et de ses œuvres au service de Dieu. Ah, «Qu'il est bon, qu'il est plaisant d'habiter en frères tous ensemble», dit le psaume (Ps 132,1 ). Cette aide est grandement spirituelle et merveilleusement profitable pour Dieu: ils se stimulent l'un l'autre, s'enseignent, se reprennent, ils se mettent en garde, se consolent, se réjouissent par leur vie, leurs paroles et leur cœur. Et la société est joyeuse de prier ensemble, tantôt pour une chose ou l'autre, tantôt pour les uns et les autres, de vivre ensemble et de remercier Dieu quand ils sont réunis, de partager les mêmes sentiments, le même goût et la même volonté en Dieu où toutes ces choses sont joyeuses et spirituelles. Cette compagnie, cette communauté de frères ou de sœurs, cette amitié, cette communication et cette aide

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mutuelle, cette vie, cet état, cet office, ces exercices sont des réalités spirituelles et personne n'en doute en son for intérieur. Car Guillaume d'Auxerre dit: «Le Saint-Esprit est donné dans la fraternité» 17 • Et le Christ dit: «Si deux ou trois sont réunis en mon nom, je serai au milieu d'eux«(Mt 18,20). Là où on pratique parfaitement ou imparfaitement la vertu de religion, œuvres et vertus sont de vraies œuvres de religion et de vertu dans l'amour véritable, ces associations et fraternités sont spirituelles. Car de !'Esprit ne naît que de l'esprit et !'Esprit et l'esprit unis dans !'Esprit ne sont rien d'autre qu' esprit qui augmente et purifie toute spiritualité. C'est pourquoi il est bien clair que vouloir acheter ou vendre ces réalités, c'est de la simonie manifeste, au moins dans le cœur, même si elle n'est pas interdite par l'Église. Car, au jugement de Dieu et selon la vraie vertu, des compagnies ou des fraternités et des communautés religieuses de vie religieuse, des personnes ou des pratiques religieuses, sont dans l'état de parfaits religieux dans un ordre ou en dehors de cet état, d'une compagnie ou d'une fraternité. Ceux qui adhèrent plus parfaitement à Dieu et méprisent davantage les choses temporelles, dans la pauvreté, la pureté et la soumission s'appellent, par antonomase, au jugement de Dieu, des gens religieux à un degré supérieur. Et lorsqu'on cherche avant tout à renoncer aux biens temporels, à une bonne vie et à sa volonté plutôt qu'à se tourner intérieurement vers l'esprit, à vues humaines, on recherche davantage le renoncement extérieur que le renoncement intérieur, afin que les gens du dehors remarquent et reconnaissent la perfection de la vertu de religion dans leur communauté de frères ou de sœurs. Et pourtant, il est possible qu'un homme qui vivrait en dehors d'une compagnie, qui aurait des biens en propre, une femme, serait, de cœur, détaché plus purement et plus parfaitement des biens temporels et des plaisirs profanes et de sa propre volonté que celui qui serait dans une communauté ou une compagnie et qui aurait renoncé à tous ces biens

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extérieurs mais seulement extérieurement. Et l'homme qui y aurait renoncé davantage de l'intérieur serait un homme plus parfaitement religieux selon le juge~ent de Dieu. Mais de l'extérieur et selon le jugement de l'Eglise et son éclat extérieur, il ne porte pas le nom solennel de religieux, pas plus que les fraternités ou compagnies, qui n'ont voué aucun des trois ,(vœux): pauvreté personnelle, chasteté et obéissance. Et l'Eglise, selon son jugement, nomme «religieux» seulement ceux qui s'engagent solennellement à cette perfection, c'est-à-dire, par une cérémonie publique et en se soumettant à une règle. Pourtant, il est possible qu'une société observe mieux [ces conseils] entre eux devant Dieu que ne le font parfois les gens sous la loi et dans un état extérieur dans les couvents comme on le voit dans bien des couvents et chez bien des religieux; bien des gens peuvent être parfaits qui ne sc;nt pas extérieurement dans l'état de perfection [prévu] par l'Eglise. C'est ce qu'enseigne Thomas dans l'ouvrage cité dans la question clxxxiv, article 418 , lorsque le Christ, au chapitre 31 (!) de Matthieu, parle du père qui donna l'ordre à ses deux fils d'aller à sa vigne: l'un, qui dit qu'il voulait y aller n'y alla p~s et l'autre, qui avait dit ne pas vouloir y aller, y alla. Ainsi l'Eglise du dehors n'appelle religieux que ceux qui ont fait vœu de pauvreté, chasteté et obéissance selon une règle approuvée. Tel est l'enseignement de Thomas et des maîtres en général au sujet des hommes religieux. Et le droit canon parle également de religieux. Et le tiers-ordre ou toute autre congrégation qui a des biens propres ou admet le mariage n'est pas un ordre religieux [au sens strict], mais seulement en partie. Il est religio, dit-il, dans la mesure où il participe à l'état des religieux et a avec lui des choses en commun. Et on peut dire la même chose de l'état béguinal pour autan,t que le pape le tolère. Mais il n'a pas, selon le statut de l'Eglise, autant de points communs extérieurs [avec les ordres] que le tiers-ordre, car les bégu}nes ne font pas profession et ne sont pas approuvées par l'Eglise. Celle-ci les tolère seulement, bien qu'elles aient souvent ou puissent

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avoir, selon le jugement de Dieu, plus de spiritualité en ellesmêmes et entre elles, dans une vraie communauté de frères ou de sœurs, que chez bien des membres de tiers-ordres; elles sont souvent plus pauvres et plus dépouillées de leur propre volonté que des religieux relâchés dans des couvents. Car, comme le dit !'Horloge de l'éternelle Sagesse: «On trouve bien des choses étonnantes dans beaucoup de couvents: à l'extérieur et sous les capuces et dans les actes extérieurs, ils (les religieux) semblent être des hommes qui portent les marques de la vie spirituelle, mais au-dedans ce sont des lions, des ours et des ~êtes sauvages» 19 • Et puisque, pour l'Eglise du dehors, c'est de la simonie patente que d'acheter son entrée dans un couvent, ou une communauté du tiers-ordre, il y a également une simonie intérieure à vouloir acheter son entrée dans une compagnie ou une fraternité où des gens de bien vivent en commun devant Dieu selon la vertu dite de religion. On ne doit pas fonder de nouvelle «religion parfaite», c'est-à-dire de nouvelles règles sans l'autorisation du pape 20 , mais vivre ensemble à deux, trois, quatre ou plus, selon une règle approuvée ou une partie de ce!le-ci ou selon la règle des règles, c'est-à-dire selon le saint Evangile béni, cela n'est pas interdit à mon avis. Et s'il arrivajt que des gens vivent en communauté fraternelle selon l'Evangile, dans la vertu dite de religion, que le pape n'en sache rien, ou qu'il le sache et le tolère, ou le confirme, dans ce cas, accepter quelqu'un pour de l'argent serait de la simonie patente devant Dieu et en conscience. Cette communauté est spirituelle et davantage que d'autres qui devraient vivre selon une règle, et ne le font pas, comme c'est souvent le cas. A mon avis, l'Eglise devrait porter un jugement de simonie s'il fallait juger des faits concernant les états de vie qu'elle a approuvés et confirmés, comme l'entrée dans le tiers-ordre; quant à ce qu'elle devrait faire officiellement en ce qui concerne l'entrée dans un béguinage, je ne veux pas me prononcer, bien qu'il y ait pratique simoniaque dans le for de la conscience, cela me paraît évident.

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Et pour savoir d'> dans le texte, en réalité Phocion, général et orateur athénien (t 317). Cf. Apulée, op. cit., c. 18, qui cite avec les mêmes qualifi-

catifs les personnages énumérés par Grote. 57. Ibid, c. 22. Apulée parle non pas de Troie, mais de la Crète. 58. S. Augustin, De civ. Dei, L. VIII, c. 2 59. Fl. Josèphe, De bello Iudaico, 1. II,

§ 119-158, part.

122.

60. Dans le livre V de la Cité de Dieu, S. Augustin va jusqu'à souhaiter que les chrétiens aiment autant la cité de Dieu et se sacrifient aussi généreusement pour elle que certains païens l'ont fait pour la cité terrestre.

LA LETTRE DE PATIENTIA SUR LA PATIENCE ET L'IMITATION DU CHRIST

Cette lettre 1 date de la fin de la vie de Gérard Grote, à l'époque où, interdit de prédication, il s'était retiré dans la petite ville de Woudrichem. Elle s'adresse à un religieux dans la difficulté, prêt à quitter son couvent. Comme il y est question d'un prévôt (praepositus), on peut supposer qu'il s'agit d'un chanoine régulier, peut-être du couvent d'Eemsteyn. Grote avait par ailleurs été en relation avec le supérieur d'Eemsteyn au sujet d'un conflit avec l'évêque d'Utrecht (Lettre 38 ). Après quelques paroles de consolation tirées de !'Écriture sainte, Grote donne à son correspondant le conseil de lire et de méditer !'Écriture. Lui-même en montre l'exemple en accumulant dans la suite de la Lettre les citations bibliques propres à inspirer la confiance en Dieu. Après avoir incité son correspondant au combat contre la tristesse, il détaille les effets positifs des tribulations dans le progrès spirituel et en énumère les fruits de patience, d'humilité et de douceur par l'enchaînement des vertus, la catena virtutum employée par saint Paul. Autre procédé rhétorique: la psychomachie, ce combat où s'affrontent l'adversaire et l'homme vertueux. Le corps de la lettre est une méditation sur la Passion du Christ et son imitation, où Grote donne toute sa mesure à la fois par la clarté de l'exposé et par la profonde conviction qui l'anime. Comme les auteurs du XIIIe siècle, il distingue la représentation intellectuelle des souffrances du Christ et la mise en branle de l'affectivité par laquelle l'homme doit désirer imiter cette Passion. Cette imitation ne se borne pas à reproduire les actes extérieurs du Christ, mais ses «actes intérieurs» 2, c'est-à-dire qu'elle enjoint 1 Episto!ae 62, p. 232-243. 2

« ...

internas actus Christi attingere.» (p. 238). Ce thème a été évoqué par le disciple

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de remonter à la source même de son amour. L'imitation extérieure se moule alors sur le modèle divin et devient conformatio,

configuratio. La véritable conformation à la Passion, ce n'est pas de s'infliger des pénitences choisies. On retrouve ici le souci de Grote d' écarter toute ascèse volontariste qui pourrait conduire à l'auto-justification. La vraie croix, c'est d'accepter volontiers les événements douloureux qui nous sont imposés du dehors, signes de la volonté de Dieu. Les fruits de cette configuration au Christ souffrant sont la participation à ses mérites, car si l'homme ne peut en aucun cas mériter la grâce (mérite de condigno ), il peut par l'intermédiaire du Christ les offrir au Père (mérite de congruo ). Ensuite, même si notre attitude est désintéressée, elle ne nous interdit pas cependant d'aspirer aux récompenses éternelles. Enfin, la souffrance a valeur de réparation, de satisfaction pour nos offenses. Cette méditation en trois temps sur la Passion, intelleaus, affectus, aaus, s'inscrit bien dans le contexte de l'époque où, avec Henri Suso dont les Cent articles ont été traduits en néerlandais, de même que les Soixante-cinq articles sur la Passion de Jordan de Quedlinburg, les méditations sur la Passion connurent une grande diffusion aux Pays-Bas 3. La parenté de cette Lettre avec l' Imitation de jésus-Christ a été mainte fois soulignée 4• Toutefois, on ne peut en conclure que Grote serait l'auteur de cette oeuvre, qui pourtant, née dans le de Ruusbroec, Jan de Leeuw qui parle de la «plus intime compassion du Christ», de «son œuvre spirituelle la plus intime (binnenste)». Avec Bérulle, l'école française développera cette notion des «intérieurs de Jésus». 3 Les Hundert betrachtunge und begerunge de Suso qui forment la troisième partie du Büch!ein der ewigen Weisheit ont été diffusées en néerlandais: De hondert Artike!en, éd. H. Meyboom, ANKG I (1885), p. 173-207. Pour Jordan de Quedlinburg, cf. R. Lievens,jordanus van Qued!inburg en de Neder!anden, Gand 1958. lVleditationes de passione Christi, p. 14-18. 4 Voir en particulier Imitation de Jésus-Christ, L. II, c. 11 et 12.- Sur ce point précis, cf.]. Huijben, P. Debongnie, L'auteur ou les auteurs de !'Imitation, Louvain, 1967, p. 283-287.

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même milieu, respire la même atmosphère de spiritualité christocentrique.

LETTRE REMARQUABLE POUR ENGAGER À LA PATIENCE ET MÊME À L'IMITATION DU CHRIST Très cher à mon cœur dans le Christ Jésus, tu sais que je n'ai pu recevoir la lettre où tu parles de tes angoisses et de tes tourments sans en être moi-même angoissé. Combien je compatis avec toi et tes compagnons, Il le sait bien, Celui qui a porté dans son corps les peines et les douleurs de nous tous. Oh, combien je souhaite vous réconforter, combien je souhaite vous venir en aide. Mais cela n'est pas donné d'en haut: en effet, ce n'est pas à l'homme de relever l'homme, à moins que le consolateur des pauvres, «aide dans les temps de détresse» (Ps 9,10), n'apporte secours et csrnsolation. Que mes paroles, ou plutôt celles des Ecritures, t' apportent un soulagement. Réjouis-toi, réjouis-toi, mon cher, d'être tombé dans diverses tentations et tribulations: puisque tu as été en butte à l'épreuve, tu «recevras la couronne de vie» Oc 1,12). «Dieu est fidèle» à ses promesses, lui qui «ne permet pas que l'homme soit tenté au-delà de ses forces» ( 1 Co 10, 13 J. De même que, pour éprouver l'homme, il permet qu'il soit tourmenté, maltraité et tenté, de même il lui donne le pouvoir de le supporter et d'y résister. Hélas, faute de connaître cette capacité et la manière d'en user, soit en manquant de courage et d'énergie pour la mettre en œuvre, soit en y résistant, nous échouons. C'est pourquoi il nous est nécessaire de prier sans cesse pour ne pas être «induits en tentation» (Mt 6,13), de nous adonner à une lecture continuelle et assidue pour contrecarrer les insinuations de la sottise et de l'ignorance, marâtre de bien des maux; de même, dans l'adversité, il faut nous exercer fréquemment pour nous connaître nous-mêmes et nous éprouver dans des situations précises, afin que grâce à Notre Seigneur, Dieu béni, nos mains soient entraînées au combat et nos doigts à la guerre.

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Tu sais qu'on appelle «guerre» un seul conflit de longue durée et qu'on désigne par le nom de «bataille» une seule rencontre belliqueuse. Ainsi, par la bénédiction de Dieu, pour un seul conflit belliqueux, nous pouvons disposer de nos mains, c'est-à-dire des vertus opératives fortes et entraînées; en vertu de cette même bénédiction, pour la durée d'une longue guerre, nous conservons nos doigts, c'est-àdire, les considérations d'un discernement prudent et spécifique1. , La fréquente lecture méditée des saintes Ecritures aide de trois manières les gens en détresse: elle chasse la tristesse, snseigne le courage et promet la couronne. Toute la sainte Ecriture inspirée par Dieu (2 Tm 3,16), bien qu'elle n'enseigne pas à combattre, fortifie cependant le cœur; par le contact avec de saintes méditations, elle illumine, orne et réjouit l'e~prit : telle est l'efficacité divine et le don unique de la sainte Ecriture, comme il ressort du récit d'Augustin, alors qu'il était violemment angoissé par la mort de sa mère2 • Pour les gens tristes, la solitude oisive ou l'inaction même 3 sont très néfastes, car alors toutes les images des choses tristes se pressent et envahissent l'esprit. Et pour les gens désolés, mélancoliques, tentés, pusillan~mes et affligés, tout travail, particulièrement la lecture des Ecritures, se révèle être, dans la plupart des cas, un soulagement et un refuge efficace. Mais pour ceux qui n'ont pas la tête solide, le travail manuel accompagné d'une agréable méditation est plus profitable que la lecture fréquente. Pour nous, nous sommes particulièrement aidés et réconfortés par !'Écriture qui non seulement nous réjouit mais nous offre un modèle, une nourriture et nous promet la fin du combat, avec la faim de la victoire et l'espoir de la gloire. Selon !'Apôtre, «Tout ce qui a été écrit, a été écrit pour notre instruction, afin que, par la constance et la consolation des Écritures, nous ayons l'espérance» (Rm 15,~). Il faut mâcher et ruminer souvent ces enseignements des Ecritures qui nous réjouissent dans nos ennuis actuels, stimulent notre désir

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pour la promesse du futur. Par exemple: «Les souffrances du temps présent ne sont rien à côté de la gloire future qui nous été révélée». «Car nos détresses d'un moment sont légères par rapport au poids extraordinaire de gloire éternelle qu'elles nous préparent, à nous qui ne contemplons pas ce qui se voit», c'est-à-dire par la tribulation mais «ce qui ne se voit pas», par la promesse. Première référence: Rm 8,18; seconde: ne aux Co ,4,17-18. Il y a beaucoup de passages semblables dans les Ecritures qui sont très utiles à la méditation, «alors que le pécheur nous fait face et nous restons muets et nous nous taisons, même à propos du bien et notre douleur s'exaspère» (Ps 38,2-3). Il y avait à notre époque un maître en théologie 4 au comportement vertueux qui, chaque fois qu'il était pressé par les tourments d'une souffrance actuelle, considérant la brièveté de la tribulation avait coutume de réciter et de répéter ce verset du psaume: «J'ai vu la fin de toute chose» (Ps 118,96), comme s'il disait: Toutes les tribulations que j'ai déjà endurées ont eu une fin; celle-là prendra également fin. Ainsi, comme l'épreuve augmente les mérites et les vertus, elle ajoute aussi à l'ampleur de la récompense, quoique la récompense advienne par les mérites 5• Car de même que l'étude précède la science, de même l'humiliation, c'est-à-dire l'abaissement précède l'humilité, fondement unique et véritable de toutes les vertus 6 • De même que l'étoile du berger précède le soleil, de même la patience dans l'adversité précède la paix du cœur et la douceur intérieure. Si en œuvrant avec justice et modération, nous devenons justes, de même en souffrant avec patience, nous devenons patients et pacifiques; humiliés, nous devenons humbles, forts et doux; en supportant les tentations nous devenons éprouvés, avisés, prudents et expérimentés, surtout quand nous voyons l'attention de Dieu à notre égard dans les diverses tribulations, l'utilité pour nous, voire la nécessité des tentations selon l'ordonnance divine. Si seulement nous pouvions «nous glorifier» avec l'Apôtre s'adressant aux Romains, c. 5, (3-5)

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«dans nos tribulations, sachant que la détresse produit la patience, la patience la vertu éprouvée et la vertu éprouvée l'espérance qui ne trompe pas celui qui espère, car l'amour a été répandu dans nos cœurs par l'Esprit saint qui nous a été donné». Prenons garde de ne pas nous laisser absorber par la tristesse, prenons garde que la tribulation ne nous trouble pas, qu'elle ne nous abatte pas, «que la bouche de la fosse ne se referme pas sur nous» ou que le «flot de la tribulation ne nous submerge pas» (Ps 68, 16, 15); que la gradation de l' Apôtre, qui va de la tribulation à l'espérance ne descende pas de la tribulation à la désespérance. Et surtout, surtout, que la tribulation n'engendre pas en nous l'anxiété, l'anxiété le trouble, le trouble le désespoir qui détruit. Il est très certain que lorsque le diable voit l'homme égaré, il 1'attaque avec plus de force, d'audace et d' acharnement pour l'écraser. S'il voit que l'homme attend la lutte en mettant sa confiance dans le Seigneur, méprisant dans la mesure du possible les flèches qui lui sont envoyées, comme incapable de le supporter et de voir méprisées ses manigances, l'ennemi insidieux tombe à la renverse, et aussitôt l'homme vigilant voit le fruit et le bénéfice de son épreuve. Mais il est nécessaire que dans cette vigilance de l'esprit, l'homme sache découvrir en son for interne la providence de Dieu qui plane sur lui et garde les hommes affligés avec un soin si attentif. Le Seigneur n'est-il pas «notre bras, chaque matin, notre salut au temps de la détresse?» (Is 33,2) et «le Seigneur n'est-il pas proche de ceux qui ont le cœur affligé?» (Ps 33, 19). «Il est notre refuge et notre soutien dans les tribulations, même quand elles sont proches. Dès lors, nous ne craignons rien quand la terre bouge et que les montagnes basculent au cœur des mers» (Ps 45, 2, 3). Mais que dire? La tribulation n'est-elle pas un signe de l'amour et de la sollicitude du Seigneur? «Car celui qu'il aime, il le corrige; il châtie celui qu'il agrée» (He 12,6). «Heureux l'homme», est-il dit à Job, «qui est corrigé par le Seigneur. Ne repousse pas son

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reproche, car celui qui blesse panse (la plaie), celui qui meurtrit, guérit de ses mains» Ob 5,17-18). )'ai pleine confiance dans le Seigneur: si, tous, vous persévérez, à la manière de l'agriculteur, et attendez avec patience le fruit précieux de celui qui cultive dans les tribulations et sème dans les larmes, dans une attente patiente, vous recevrez ce fruit «en abondance en son temps et sa saison, même tardive» Oc 5,7), c'est-à-dire que vous «moissonnerez avec jubilation» (Ps 125,5) le fruit tardif d'arrière-saison. Si seulement je méritais d'avoir part aux fruits, comme aujourd'hui aux semailles. Qu'ajouterai-je? La voie droite et nécessaire ne nous mène-t-elle pas au Royaume par la tribulation? L'Écriture ne dit-elle pas: «Les justes subiront de nombreuses tribulations» (Ps 33,20); «Il nous faut passer par bien des tribulations pour entrer dans le Royaume de Dieu» (Ac 14,21); et: «Tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ souffriront persécution» (2 Tm 3,12); et encore: «S'ils ont persécuté le Christ, ne vous persécuteront-ils pas?» On 15,20). «Le disciple n'est pas au-dessus du maître» (Mt 10,24). Ne fallait-il pas que «le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire?» (Le 24,26). De même n'est-il pas nécessaire que nous, chrétiens pour qui le Christ a souffert, «nous portions sans cesse dans notre corps mortel les souffrances de mort du Christ afin que la vie du Christ soit manifestée dans nos corps?>> (2 Co 4,10). «Nous qui vivons, sommes sans cesse livrés à la mort», dit l'Apôtre, «afin que la vie du Christ soit manifestée dans nos corps, dans notre chair mortelle» (2 Co 4,11). C'est pourquoi, dit le Prince des Apôtres, «le Christ a souffert pour nous, nous laissant un modèle afin que nous suivions ses traces» ( 1 P 2,21 ), afin que nous soyons établis héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ (Rm 8,21 ). «Si nous souffrons avec lui», dit l'Apôtre aux Romains, «avec lui nous serons glorifiés» (Rm 8,17). C'est pourquoi j'enseigne toujours et presque partout que la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ doit être toujours

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présente à notre esprit et remémorée aussi souvent que possible car ainsi, rien de contraire ne peut arriver à l'homme qu'il ne puisse supporter avec équanimité. Et qu'elle soit non seulement présente à notre pensée par la méditation, mais que, par l'imitation des peines, des opprobres, des douleurs elle pénètre davantage dans l'affectivité par le désir et que, de là, nous soyons configurés au Christ en acte et en réalité. C'est par le désir et le sentiment que l'homme est porté, quand l'occasion s'en présente, à souffrir, à être rejeté et crucifié avec le Christ. Telle est la principale finalité de la méditation de la Passion du Christ et la seule remémoration ne sert pas à grand chose si elle ne s'accompagne pas d'un désir ardent d'imiter le Christ. Et quand nous méditons sur un passage quelconque de la Passion du Christ, nous devons entendre la voix du Christ comme venant d'en haut: «Fais ceci et tu vivras» (Le 10,28) ou: «J'ai souffert pour toi, à cause de toi, pour que tu suives mes traces» (1 P 2,21). Quand un esprit pieux commence à aimer ardemment l'humanité du Christ, au-delà même de tout plaisir profane et à «sucer» des plaies du Christ «comme l'huile de la pierre, le miel du rocher le plus dur» (Dt 32,13 )7, et ainsi parvenir aux actes intérieurs du Christ, oh, comme il désire être humilié, éprouvé, et rejeté pour pouvoir être configuré et plaire à Celui qui l'a aimé~ Bien qu'il soit encore mal aguerri dans les épreuves et que, souvent, il ne soit pas à la hauteur de ce qu'il désire, le débutant doit néanmoins se proposer de souffrir avec le Christ: il dispose, il règle, il supplie et il le demande au Seigneur; il défaille et il est humilié; parfois il va jusqu'au bout, rend grâces et s'engage plus vaillamment, tendu vers l'avant (cf. Ph 3,13). De cette manière, l'homme renonce à soi-même, prend sa croix et suit le Christ (Mt 16,24). Car la croix du Christ consiste à assumer volontairement les efforts, les peines et les opprobres par lesquels le monde est crucifié pour l'homme, c'est-à-dire que ce qui est du monde est méprisé par l'homme, et lui-même par le monde (Ga 6,14), c'est-à-

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dire qu'il est méprisé et tourmenté par les hommes du monde. Telle est la croix du Seigneur Jésus-Christ, telle est la conformité à la croix et de là elle descend sur nous comme un ruisseau depuis la source, comme un rayon du soleil. Mais, hélas, beaucoup d'entre nous prennent volontiers la croix que nous nous forgeons nous-même, en portant des cilices, en nous adonnant à des prières privées, à des jeûnes spéciaux, mais la croix que Dieu nous forge, celle qui est véritablement la nôtre, celle que nous devons porter et embrasser, non seulement nous ne la portons pas volontiers, mais, bien plus, nous la rejetons avec horreur. Nous devons, sans aucun doute, considérer que toutes les choses pénibles qui nous arrivent de la part d'un quelconque pouvoir - des supérieurs, des égaux, des inférieurs, que leur intention soit juste ou injuste - doivent se produire selon l'ordonnance de Dieu juste et bon, selon l'adage: «Rien sur terre ne se produit sans cause» 8 • Et il est bien préférable, méritoire et utile au salut, voire nécessaire, de supporter cette croix sans regimber ni murmurer et de mépriser, par comparaison, toutes les pénitences que nous nous infligeons, si louables puissent-elles être à un moment donné. Qu'y a-t-il de plus fort que de briser sa volonté propre? Qu'y a-t-il de plus divin et de plus fécond que de se conformer à la volonté de Dieu? Il n'y a rien là-haut dans le ciel ni en bas en enfer qui puisse nous abattre, si nous abdiquons notre volonté propre et nous abandonnons tout entiers entre les mains de Dieu. La croix du Christ doit être fabriquée par la fréquente rumination de la Passion: les outrages, les railleries, les offenses, les souffrances doivent toujours nous affecter, pour trois raisons: Premièrement, par amour, pour honorer le Christ Jésus et nous conformer à lui sans considération pour les mérites et les récompenses, car nos épreuves seront d'autant plus abondantes en mérites et en récompenses qu'elles n'auront pas d'intentions mercenaires, mais seront configurées au Christ

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et offertes humblemen t au Père en Lui et par Lui, commencées, poursuivies et achevées, non par nos propres forces mais par les mérites du Christ9. Deuxièmement, elles doivent être acceptées par amour des fruits divins, des mérites et des récompenses qui découlent, surabondantes, des tribulations et des tentations, comme je l'ai dit. Troisièmement, par amour et désir de satisfaire la justice divine que nous avons offensée si gravement en tant d'occasions, elle qui ne laisse aucun mal impuni, nous devons accepter volontiers avec patience les souffrances et les peines durant toute notre vie pour une pénitence salutaire. Elles sont merveilleusement aptes à écarter le châtiment: en effet, une petite peine, surtout celle que Dieu permet ou envoie, efface une grande peine de purgatoire où nous souffrirons contre notre gré. Mais les épreuves librement acceptées servent davantage à accomplir la justice et la volonté divines que si elles sont seulement destinées à effacer le châtiment. Ce que je vous ai écrit pour soulager vos détresses, je l'ai fait pour votre gouverne et ma propre instruction, comme cela m'est venu à l'esprit. Pour le reste, mon cher, garde-toi de la grande tristesse qui est «néfaste pour le cœur», comme dit le Sage (Pr 25,20, Ji') «comme la mite pour le vêtement et le vers pour le bois», car elle ronge la splendeur des vertus dont est revêtue l'âme en son intime et par laquelle se construit l'édifice spirituel. «Réjouissez-vous dans le Seigneur, réjouissez-vous. Que votre modération soit connue» (Ph 4,5) de tout votre couvent. Versez et conservez l'huile de la joie dans votre conscience et votre témoignage sera toujours une joie pour vous. Si vous agissez bien en toutes choses et que les orgueilleux vous calomnient à ce sujet: même si vous n'avez pas de témoin extérieur de vos bonnes actions, mais seulement Dieu comme juge en haut et votre conscience intime, alors vous recevez l'huile pour les lampes, emportées dans

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des fioles par les vierges sages (Mt 25,4). Car les fioles que portaient les vierges sages contenaient ce qui ne brille pas aux yeux des hommes; c'est-à-dire, être moqué quand on a fait du bien au prochain, gratuitement, à son insu, sans espoir de récompense; quand on ne se venge pas de ses persécuteurs et de ses ennemis, ni par la mine, ni par la langue; quand on peut faire semblant de ne pas supporter (alors qu'on le peut) les souffrances, peines et infirmités sans se plaindre, sans l'extérioriser, sans murmurer; quand on peut cacher ses dons, confesser publiquement ses défauts, passer pour obscur et méprisable, même là où on peut briller 10 • Mais malheureux que je suis: enseigner ce qui me fait défaut en tant de points! Que Dieu vous donne à vous tous et à moi d'achever ce dont je vous parle à vous tous! Mais toi, «ami de mes vœux» (Pr 31,2), tu sais que cela ne peut nous nuire si nous sommes moqués comme simples et insensés (si seulement nous étions tels dans le Seigneur!), surtout si nous sommes jugés «candides comme les colombes et malins comme les serpents» (Mt 10,16). Soyons simples dans le mal et petits dans la malice. Je dis cela à cause de celui qui a cherché à faire partie de votre communauté11, qui a obtenu illégalement, de son propre chef, des lettres de Monseigneur l'évêque, selon ses premières demandes dans lesquelles certaines allégations bien connues ne sont rien moins que vraies; je n'ai pas voulu, même si je le pouvais, en toucher mot au prévôt soit par de simples paroles, soit dans mes lettres. Ces demandes ne sont-elles pas terribles et abominables et plus que charnelles? Loin de moi l'idée de faire le mal pour qu'il en sorte un bien. J'ai su que je ne pouvais rien faire d'autre à ce sujet sinon exposer l'état de l'impétrant et inciter les supérieurs à la bienveillance. Je ne voulais pas brandir l'épée des lettres, ce qui n'aurait pas été pour me déplaire. Que Dieu en retire l'honneur et nous la honte (que nous méritons pour d'autres choses). Que «les fils du siècle

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qui sont plus prudents que les fils de lumière» (Le 16,8) en profitent pour eux-mêmes. Il me suffit d'avoir fait ce que j'ai pu avec et pour l'honneur de Dieu. De plus, mon cher, j'ai attendu à Utrecht un jour de plus que prévu et comme je n'ai pas eu à ma disposition de quoi te venir en aide, je n'ai pas pu voir plus clairement une autre solution. C'est pourquoi, dans cette incertitude, je t'ai remis au Seigneur Jésus-Christ et à son Esprit. Que ta profession salvifique te mène jusqu'à l'éternité. Tu sais, cher ami, que je n'ai aucune possibilité de te faire transférer.]' ai fait à présent tout ce que j'ai pu, Dieu le sait, et je le referai pour toi, tant que je le pourrai. Mais je désire que tu te mettes bien dans l'esprit de ne jamais vouloir t'en aller ou de te transférer ailleurs. Le seul désir du changement jette l'homme dans une inquiétude et un trouble extrêmes, il le distrait et l'accable. C'est pourquoi tu conclueras à l'impossibilité de sortir et tu auras le ferme propos de rester. Je ne dis pas que tu doives faire un vœu, mais que tu prennes une très ferme décision. Il n'y a pas de paix pour celui qui n'est pas en accord avec les événements. Tu verras se lever, comme une aurore, une lueur de paix si tu restes ferme; grâce à cela tu supporteras les ennuis plus patiemment. Me voici averti au sujet de cet homme d'Utrecht, bien que je ne le juge d'aucune façon et j'espère qu'il ne sera pas jugé et que toi, tu ne le jugeras pas. Souvent la rumeur ment au sujet de l'homme et les hommes sont prompts à la critique. Il faut rarement y ajouter foi. Que les choses en restent là, à condition qu'on reste fidèle au Christ. Je reconnais tes bonnes dispositions à mon égard, toi qui m'avertis avec sincérité et fidélité. Ne prends pas en mauvaise part que je m'adresse à toi en particulier, car telle est la coutume pour les lettres qui sont écrites pour l'utilité de personnes autres que celles à qui elles sont adressées, même si celles-là sont supérieures en dignité12. Transmets oralement, dans mon esprit, mes salutations, pour leur salut, à mes chers amis, tes confrères.

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Adieu, sois fort de toute la force de Jésus-Christ Notre Seigneur. Rendons toujours grâces à Dieu.

NOTES 1. Grote utilise la même image dans la Lettre 70 (Epistolae, p. 283-293) à un «chartreux malade de la tête» (p. 285). La distinction de bellum et proelium est classique et utilisée par les auteurs de l'antiquité.

2. Cf. S. Augustin, Confessions, L. IX, c. 12 et 13. En fait la référence n'est pas textuelle car Augustin dit avoir été consolé par la récitation d'une hymne ambrosienne. 3. L'otium dont il est question pourrait-il être interprété comme un loisir contemplatif? Nous pensons plutôt qu'il s'agit d'une simple absence d'occupation, comme dans la Lettre 70 (Ep., p. 289). 4. Ce personnage n'a pas été identifié.

5. La phrase n'est pas très claire et le texte est peut-être corrompu: au lieu de quamvis, on attendrait plutôt quoniam.

6. Affirmation traditionnelle. Cf. S. Augustin, De verbis Domini, S. 69, 1: «Cogitas magnam fabricam construere celsitudinem? De fundamento prius cogita humilitatiS». S. Bernard, De gradibus humilitatis et superbiae, 1, 2, décrit les degrés de l'humilité «de virtute in virtutem» (Opera, III, 1963, p. 17). 7. Dans le Sermon 61 sur le Cantique des cantiques, saint Bernard, (Opera, II, p. 148-153) pour le texte de Ct 2, 14 «Columba mea in foraminibus

petrae ... » met en rapport les «trous de la pierre» et les plaies du Christ «Columba mea quod in Christi vulneribus devotione versetur et iugi meditatione demoretur in illis» (§ 7). De ces plaies coulent le «miel de la pierre et l'huile du rocher» (§ 4). 8. Cet adage se trouve en particulier dans le Timée de Platon que Grote a pu connaître par la traduction de Chalcidius: Plato latinus, Éd. J.H. Waszink, Londres, Leyde, 1962, Timaeus, par. 28, p. 20: Omne autem quod gignitur ex causa aliqua necessario gignitur: nihil enim fit cuius ortum non legitima causa et ratio praecedat.

9. Cf. supra, p. 186.

m. Ce passage rend un son très personnel. Les épreuves énumérées ici semblent bien être celles que subit Grote dans son exil et sa mise à l'écart.

NOTES

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11. Le nom de ce personnage reste inconnu. Sans doute, d'après le contexte, avait-il essayé d'entrer au couvent en usant de déclarations mensongères et même de démarches simoniaques. On notera la mansuétude de Grote à son égard, qui contraste avec son agressivité antérieure.

12. Cette lettre, comme bien d'autres de Grote, ressortit au genre des «Lettres monastiques», lettres privées qui «revêtaient presque toujours un caractère public» Û· Leclercq, L'amour des lettres et le désir de Dieu, Paris, 1957, p. 171-172). Ceci explique l'alternance de passages personnels et d'autres plus généraux.

LA TRADUCTION DES HEURES LITURGIQUES ET LEURS GLOSES Comme il été exposé plus haut1, la fonction de ces traductions réalisées par Grote durant le temps de son silence forcé était de fournir aux laïcs qui n'entendaient pas le latin une matière pour une prière liturgique. Pour compléter l'information et la formation de ces personnes, en particulier les sœurs de la Vie commune, Grote a accompagné ses traductions des divers offices de gloses authentifiées par des biographes comme Dier de Muiden, Thomas a Kempis et Petrus Horn 2• Les gloses aux psaumes correspondent aux quatre sens de l'Écriture3 : littérales, elles donnent une explication sur un nom ou un personnage de l'Écriture4; allégoriques, elles recherchent le sens figuré5. Quant aux sens anagogique ou tropologique, ils se confondent dans le sens spirituel où culmine la méditation de l'Écriture et où s'exprime avec le plus de profondeur la spiritualité ultime de Grote, avec un sens du mystère de Dieu et du détachement foncier qui ne se trouve pas dans ses autres œuvres.

1

2

Sur ces traductions et leur diffusion, cf. supra, p. 37-39. R. Dier de Muiden, Scriptum, p. 6: «Tempore autem, quo a predicacione cessavit tram-

tulit horas beatae Virginis, septem psalmos penitenciales et officium defunctorum a latino in theutonicum, addem ad aliquos psalmos difficiles aliqualem glossam pro faciliori intelligentia. » Thomas a Kempis, Opera, éd. Pohl, t. VII, p. 484, amplifie l'intention édificatrice de ce travail. Cf. H. de Lubac, Exégèse médiévale. Les quatre sem de !'Écriture, !'partie, l, Paris, 1959, Introduction, p. 23-39. Le quatrain attribué à Augustin de Dacie (v. 1260) les résume ainsi: Littera gesta docet, quid credas allegoria, Moralis qutd agas, quo tendas anagogia. (op. cit., p. 23 ). 4 Par exemple, dans la traduction de Grote: Ps 94,1: «Exprimons notre débordante joie avec des psaumes», (Glose: » c'est-à-dire avec des chants de joie»), Getijdenboek, p. 37. Pour d'autres exemples, cf. G. Epiney-Burgard, Gérard G-rote, p. 269. 5 Ps 120,1: «J'ai levé mes yeux vers les montagnes d'où me viendra le secours» (Glose: «les montagnes, ce sont les saints et les anges»), Getijdenboek, p. 50.

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Il utilise en effet des mots comme "abîme", "fond" (gront), "humilité foncière" (grontoetmoedicheit), de même que les verbes qui décrivent le détachement total (verseken siins selues, afsceyden) et qui tous appartiennent au vocabulaire de la mystique du quatorzième siècle, sans toutefois lui donner ici tout son sens métaphysique6. Il en garde cependant le dynamisme spirituel. Quelles ont été ses sources? Ruusbroec sans aucun doute et probablement Henri Suso qui lui transmettait l'héritage eckhartien.

Ps 119,5: «J'ai habité au milieu de ceux qui habitaient dans le tabernacle de Cédar» (Glose: «Le tabernacle de Cédar, ce sont les méchants qui marchent dans les ténèbres; Cédar est comme le synonyme de ténèbres car Cédar était le petit-fils d'Abraham, fils d'Ismaël, qui était de la mauvaise race, opposé à Isaac, c'est-à-dire au Christ.») Getijdenboek, p. 50. 6 cf. H. Fischer, «Fond de l'âme, I. Chez Eckhart», DSp., t. 5, col. 650-661.

PROLOGUE AUX HEURES DE LA VIERGE

1

Ces Heures de Notre-Dame ont été mises en thiois

(duytsch) mot à mot, dans la mesure où celui qui les a transcrites pouvait garder le plus strictement l'intégrité, l'intelligibilité et la vérité du sens. Car les mots sont là pour servir le sens et non pas le sens pour servir les mots. C'est pourquoi chaque fois que le simple mot thiois ne correspondait pas au sens ou l'obscurcissait, il a mis le mot thiois le plus proche qui rendait le sens exact et le plus évident. C'est pourquoi il demande que les gens simples n'en soient pas choqués. Car c'est une nécessité et c'est l'usage des saints docteurs en matière de traduction. Prenez un exemple au début2: si on traduit du latin en thiois mot pour mot, on devrait dire: «En l'honneur de la très sainte Vierge Marie nous jubilons pour le Seigneur». On pourrait comprendre qu'on devrait jubiler pour le Seigneur à cause de la Vierge Marie et en son honneur. Mais ce ne serait pas juste. Voici le sens: En rendant à Marie l'honneur qui lui revient, nous jubilons pour le Seigneur. Et, de plus, comme la communauté ne sait pas ce que «jubiler» veut dire, il a mis à la place «joie débordante». Car «jubiler», ce n'est rien d'autre que de (ressentir) une joie que l'on ne peut exprimer en paroles 3•

HEURES DE LA SAINTE VIERGE Gloses au Psaume 109, v. 1-3, 74 V. 1 «Le Seigneur dit à mon Seigneur: Siège à ma droite» ( v. 1). Ce psaume est élevé et difficile; il parle du Christ à venir comme au temps où David composa ce psaume et il faut l'entendre ainsi: le Seigneur Père a parlé au Seigneur Fils et en parlant au Fils, il a déclaré le Fils son Verbe éternel. La parole du Père est engendrement du Père comme le Verbe du Père est le Fils du Père et l'éternelle écoute du Fils est sa naissance éternelle 5• Siéger à la droite du Père, c'est être et demeurer un et égal au Père dans l'être, la puissance et l'opération: ce que dit le Père au Fils, c'est ce qu'il lui a donné en engendrant le Fils.

«Et je fais de tes ennemis un escabeau pour tes pieds. Un sceptre de puissance, le Seigneur l'étendra de Sion. Domine au milieu de tes ennemis.» (v.1-2) «Jusqu'à ce que je fasse» (v.1), c'est-à-dire, jusqu'à ce que je les soumette et les humilie totalement sous tes pieds divins.Jusqu'à ce que cela se produise, le Fils n'est pas diminué et siège à la droite du Père, dans une parfaite égalité. Mais lorsqu'il convertit ses ennemis et voulut les soumettre tout à fait, alors il s'abaissa et devint inférieur au Père dans l'humanité tout en restant égal au Père dans la divinité. V. 2 «Le sceptre» (v. 2), c'est le Christ, roi puissant en lui-même, selon son humanité, qui doit être «envoyé de Sion", c'est-à-dire, de la suprême providence de Dieu; la noblesse de la puissance royale du Christ dans le monde selon son humanité doit d'abord sortir du mont de Sion, Jérusalem. Le sceptre doit fustiger les méchants et garder les bons. C'est pourquoi il dit: «Domine tes ennemis», c'est-àdire, ceux qui te sont dissemblables et vont contre ta volonté, et tu dois les dominer afin qu'ils deviennent semblables à toi et partagent la même volonté.

LETTRES ET TRAITÉS

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«Avec toi le principe au jour de ta puissance dans les splendeurs des saints; de mon sein avant l'aurore je t'ai engendré» (v. 3). Telles sont les paroles du Père au Fils: Tu es un principe, c'est-à-dire que tu es avec moi l'origine de toutes les créatures selon la divinité et la résurrection de tous les saints selon l'humanité. Puisqu'avec le Père, il est l'origine de toutes les créatures, le jour de sa puissance est la lumière qui jaillit éternellement, toute-puissante, dans laquelle sont éternellement toutes les saintes et belles splendeurs; et ce jour naquit dans la splendeur des saints avant l'aurore, c'est-à-dire avant la naissance de la lumière créée, avant la création de toutes les choses créées car le Père a fait sortir le Fils de son sein, c'est-à-dire de sa secrète intimité puisque le Fils est le premier et le plus haut de tous les saints après sa résurrection de la mort. Le jour de sa puissance est la plénitude de tous les saints glorieux au jugement dernier. C'est le jour de sa puissance manifestée publiquement où il doit apparaître dans son humanité dans la splendeur des saints. Selon l'humanité il est né spirituellement «du sein», c'est-à-dire du sein de l'Esprit saint qu'il a reçu sans mesure au-dessus de toutes les créatures. Ainsi il est né spirituellement au-dessus et avant lucifer, l'étoile du matin, donc avant que tout ressuscite de la nuit et de la mort. Lucifer, c'est l'étoile qui annonce le jour, de même que se nomme Lucifer la première créature qui vint au jour et qui sombra dans la nuit éternelle. Lucifer, c'est aussi le commencement dans le temps des choses temporelles. [ ... ] «En route, il boira au torrent et il relèvera la tête.» (v. 7) Du torrent, c'est-à-dire de notre vie mortelle, il but en naissant, en souffrant, en mourant pour nous. «C'est pourquoi il relèvera la tête», en ce sens que son nom sera exalté et qu'avec lui, qui est leur tête, tous les saints seront exaltés.

VIGILE DES DÉFUNTS Glose au Psaume 41, v. 7-86: «Pour moi-même mon âme s'est bouleversée, aussi Je songerai à toi du pays du Jourdain et de l'Hermon, de la petite montagne. L'abîme appelle l'abîme dans la voix de ses écluses». Le Jourdain, c'est le fleuve dans lequel le Christ a été baptisé (cf. Mt 3,13-15) lorsque, dans sa merveilleuse humilité, il se présenta au baptême comme n'importe quel pécheur et comme s'il était soumis à Jean, le maître du baptême. Et parce qu'il voulait donner son pouvoir au baptême, il manifesta son humilité. Le Jourdain peut être interprété comme une «descente». C'est ce que nous devons penser lorsque nous sommes troublés en nous-mêmes et pour nous. Nous devons penser au pays fertile du Jourdain, c'està-dire à une descente dans l'humilité et prendre exemple sur l'authentique humilité du Christ à son baptême. Si nous voulons participer spirituellement au baptême du Christ et à sa mort dans laquelle nous avons été baptisés (Rm 6,3-4) et si nous voulons avoir sur nous l'esprit de Dieu sous la forme de la simplicité de la colombe comme consolation et signe de l'amour; si nous voulons entendre la voix du Père témoignant que nous avons sa complaisance (Mt 3,17), toutes ces choses qui nous sont montrées sacramentellement et comme un modèle dans le baptême et la mort du Christ, elles sont toutes accomplies dans l'humble abaissement. L'Hermon est une très petite montagne près du Jourdain et, d'après la traduction de saint Jérôme, la «plus petite montagne»7; c'est un abaissement intérieur de soi-même, c'est-àdire un mépris et un mécontentement de soi-même8 ; telle est pour le chrétien qui s'abaisse à l'exemple du Christ la plus petite montagne près du Jourdain. Car, l'interprétation du mot «Hermon» par saint Jérôme, c'est comme un bannissement de soi-même, c'est-à-dire un mépris de soi-même, un dépouillement et un abandon de soi-même, et, pour tous

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les hommes, ce fut là le bannisssement de Jésus. Comme le dit le psaume 30 (12-14) en la personne du Christ: «Au-dessus de tous mes ennemis, dit-il, je suis devenu un scandale pour mes voisins et un effroi pour mes amis intimes; ceux qui me voyaient dehors se sont enfuis loin de moi, j'ai été livré à l'oubli dans les cœurs comme un objet de rebut, j'ai entendu les malédictions de ceux qui vivaient tout alentour de moi». Telle est la forme à laquelle doit aspirer un homme foncièrement humble et la manière dont il doit s'apprécier dans la vérité. Il doit se sentir comme la plus petite montagne près du Jourdain, le Christ, et le plus méprisable et en luimême le moins digne d'honneur et de louange. Et plus on le honnit et le méprise, plus il doit penser que rien d'autre ne lui revient davantage en vérité. Et que rien d'autre ne lui est plus profitable. Et pour la vérité et son avancement (spirituel), il doit désirer être méprisé et ainsi être banni de l'extérieur et aussi s'anéantir en lui-même pour que brille la Vérité aimable et aimante. Dans ce fond humble «l'abîme appelle l'abîme». Plus un homme s'humilie, plus il peut s'humilier en profondeur et l'abîme de l'abaissement appelle l'abîme de la hauteur, car hauteur et profondeur ne font qu'un en Dieu et dans l'âme. Plus le mépris de nous-même nous entraîne dans la profondeur, plus Dieu entre en nous avec force dans la hauteur. Il y a un abîme dans la profondeur, un abîme dans la hauteur9• C'est pourquoi le quatorzième psaume du Cantique des montées que nous lisons à complies dans l'office de NotreDame parle du baume qui s'écoule de la tête jusqu'au bord du vêtement [d'Aaron] «comme la rosée du Mont Hermon descend sur la montagne de Sion» (Ps 132,2-3). D'après la lettre, ce ne peut être vrai car le Mont Hermon est très bas dans le pays et Sion est à Jérusalem la plus haute montagne du pays 10 et se dresse en hauteur. Et si on parlait littéralement, c'est comme si on disait que la rosée de l'eau de Deventer descendait de là jusque dans la ville de Cologne. Et

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ce sont là des paroles et des sens que l'on trouve dans !'Écriture qui forcent à trouver une interprétation spirituelle: ici, dans l'esprit qui s'abaisse, en s'abaissant s'élève dans la hauteur de ce qu'il y a de plus noble et l'âme qui veut être consolée dans la hauteur doit se déplaire à elle-même et se dépouiller totalement dans la profondeur. Ainsi «l'abîme appelle l'abîme», la profondeur appelle la profondeur et la hauteur la hauteur; la profondeur appelle la hauteur et la hauteur la profondeur. Tout se précipite dans la voix des écluses de Dieu. Les écluses, c'est tout ce qui ferme ou retient une chose et qui (permet) l'écoulement ou le jaillissement quand les vannes s'ouvrent et se déverrouillent; on nomme «écluses du ciel» les choses qui s'ouvrent et se déversent dans les nuages, produisant la pluie. On donne à une fenêtre le nom d'écluse car elle ferme tout en laissant passer la lumière; une vanne est aussi dite «écluse» ainsi que bien d'autres choses. Ainsi les apôtres, les prophètes et les saints sont dits «écluses» ou ceux qui ouvrent, car c'est par eux que s'écoulent la vérité éternelle et l'humilité foncière dans leur vie et dans leur enseignement. Vivre et enseigner, c'est là leur voix. Et il n'y a aucune humilité profonde et vraie qui ne soit fondée ou appelée par la voix des prophètes et des saints. De même la sainte Ecriture et l'humanité du Christ dans son âme et dans sa vie sont les vannes d'une écluse qui s'ouvre. Car on ne peut trouver d'humilité vraie sinon dans la vie et l'enseignement du Christ, avec la voix du Christ qui ouvre, avec celle des saints et de !'Écriture. A leur voix s'ouvrent les vannes et les écluses [se déversent] de plus en plus longtemps et profondément dans les puissances les plus hautes et les plus profondes de l'âme et de leur être, spécialement chez l'homme qui peut parler avec le Seigneur, comme le dit plus loin le psaume (v. Sb): «Toutes tes hautes vagues et tes flots sont passés sur moi», c'est-à-dire que les hauts abaissements et les épreuves sont passés sur moi. Plus un homme s'enfonce dans la hauteur, dans le monde, dans sa chair et dans son esprit, plus sa tête, c'est-à-dire son esprit

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est élevé et s'ouvre en son fond. Car aucune humilité vraie ne s'obtient sans souffrance et sans épreuve bien acceptées11.

NOTES 1.

Getijdenboek, p. 37.

2. Il s'agit de l'invitatoire aux Matines

3. Cf. Augustin, In Ps. 99, 3-6, CCSL, 39, p. 1394-1397; Pierre Lombard, In ps. XCIV, v. 1, «gaudium sit tantum quod verbis dici non possit», PL 191, col. 875. Sur les autres sources patristiques, cf. A. Solignac, «Jubilation», DSp. 8, col. 1471-1478. 4. Getijdenboek, p. 61-63. 5. Ce commentaire doit beaucoup au De Trinitate de saint Augustin, en particulier L. XV, c. 14,23. Cf également Pierre Lombard, Com. in ps. CIX, PL 191, col. 997 svv. 6. Vigilie, Getijdenboek, p. 180-183. Glose d'après le ms. 783 Paulinische Bibliothek de Münster.

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7. S. Jérôme, Brev. in ps. XLI, 7 Hermoniim a monte modico, de terra Jordanis pro baptismo accipitur. Hermon anathema interpretatur, PL 26, col. 950. Grote rend ce terme par ban. 8. Même interprétation chez S. Augustin, En. in ps. XLI, § 13, avec l'injonction: «Anathema teipsum, displicendo tibi», CCSL, t. 38, p. 469. 9. Ibid., p. 470: Abyssus enim est profunditas quaedam impenetrabilis, incomprehensibilis, et maxime solet dici in aquarum multitudine. Ibi enim altitudo, ibi profunditas, quae penetrari usque ad fundum non potest. [. .. J Si profunditas est abyssus, putamus non cor hominis abyssus est ? Quid enim est profundius hac abysso? Ce thème de la profondeur et de la hauteur (à la suite d'Ephésiens 3,18, esquissé par Hugues de Saint-Victor (De vanitate mundi, lib. II, PL 176, col. 717), a été repris par les auteurs spirituels des 13e et 14e siècles. Il a donné lieu, entre autres, à des oxymores célèbres comme ces vers de Hadewijch d'Anvers dans le Mengeldicht XIII, «Son plus haut abîme est sa forme la plus belle... Son être le plus élevé nous plonge dans l'abîme». Et cette formule de la lettre XVIII: «L'âme est pour Dieu une voie libre où s'élancer depuis Ses ultimes profondeurs et Dieu pour l'âme en retour est la voie de la liberté vers ce fond de l'Être divin que rien ne peut toucher sinon le fond (diepheit) de l'âme.» Ce thème est fondamental chez Ruusbroec: P. Mommaers, «Opgaen en nedergaen in het werk van.Jan

NOTES

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van Ruusbroec», Ons Geestelijk Erf 69 (1995), 97-113, 193-215; 70 (1996), 216-239; 71 (1997), 3-40. Cf. également le Sermon allemand 14 de Maître Eckhart qui définit !'«humilité foncière» dont parle Grote, Sur l'humilité. Texte français et post-face de A. de Libera, Paris, 1988, p. 30-32. 10. Trompé par l'interprétation des Pères, Grote commet une erreur géographique, le Mont Hermon étant la plus haute montagne d'Israël et le château d'eau du pays. Mais on voit ici comment il veut rendre !'Écriture vivante pour ses lecteurs en prenant un exemple concret. De même dans son allusion aux écluses et à leurs vannes. D'après le contexte, la traduction de cataractae par «écluses» convient mieux que celle de «chute d'eau». Comme le suggère Grote, les Anciens pensaient que la pluie provenait de l'ouverture de vannes célestes. 11. Si la lettre De patientia insistait sur la conformation au Christ dans sa Passion, ce commentaire va plus loin, semble-t-il, dans la description de l'humilité et de l'abnégation de soi dans la souffrance qui vident l'âme d'elle-même et sont le gage d'une union plus profonde avec Dieu.

TRAITÉ DES QUATRE GENRES DE SUJETS DE MÉDITATION SERMON POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR

Ce traité1 - qui n'a certainement pas été prononcé sous cette forme comme sermon - est l' œuvre la plus riche, la plus complexe de Grote et sans doute la plus difficile, dans la mesure où elle se déploie sur l'arrière-fond philosophique de son héritage universitaire. Après avoir esquissé un programme de méditation qui englobe à la fois la préparation de l'esprit par une réflexion sur un sujet donné, son expression orale et son achèvement dans l'action, le maître distingue quatre sortes d'objets propres à nourrir la méditation: 1) L'Ecriture sainte avec les faits et gestes du Christ; 2) les révélations privées; 3) les argumentations des docteurs; 4) les constructions de l'imagination. En fait, il ne traite que les premier et quatrième points. Les deuxième et troisième 1

Gerardo Grote, Il Trattato "De quattuor generibus meditabilium'', Intr., éd., trad. e note a cura di Ilario Tolomio, Padova, 1975. Alors que l'édition de A. Hyma, «Het "tractatus de quatuor generibus meditationum sive contemplationum" of "Sermo de Nativitate Domini'"» Archie/ voor de Geschiedenis mn het Aartsbisdom Utrecht, t. 49, 1924, p. 296-326, ne reposait que sur un seul manuscrit, l'édition critique de I. Tolomio se fonde sur quatre manuscrits. Elle est assortie de notes importantes auxquelles nous renverrons dans le cours de notre traduction. Nous nous sommes également permis, avec son aimable accord, d'utiliser ses intertitres. Traduction partielle en français: M. Michelet, «Gérard Grote, Le traité des quatre sortes de méditations ou de contemplations. Sermon pour la Nativité», Le Rhin mystique, Paris, 1960, p. 255-272.J. Van Engen, «A Treatise on Four Classes of Subjects Suitable for Meditation: A Sermon on the Lord's Nativity», Devotio Maderna, Basic Writings, New York, Mahwah, 1988, p. 98-118. Pour la date du traité, les chercheurs sont d'avis divergents: I. Tolomio propose (p. 9) celle de 1378, J. Van Heerwarden la situe plus tardivement, vers 1382-1383. Quant au public auquel Grote s'adresse, il s'agit sans doute des plus cultivés parmi ses disciples. J. van Heerwarden, «Geert Grotes Traktaat over meditatie "De quattuor generibus meditabilium"», OGE 59, p. 130-141.

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ne sont abordés succintement que pour mettre en garde contre la religiosité populaire des visionnaires et, d'autre part, contre une application systématique à la vie spirituelle de conceptions liées à des théories d'école. Il s'agit en fait d'une réflexion sur la fonction de l'image dans la vie spirituelle: certaines sont proposées par !'Écriture ellemême avec une lecture littérale du Nouveau Testament, plutôt allégorique dans le cas de l'Ancien; à cette lecture d'autres représentations imaginatives peuvent surgir. Mais, de toute façon, ces images doivent être éliminées pour faire place à une connaissance spirituelle dépouillée d'éléments sensibles. Dans ce processus d'abstraction, Grote mêle les catégories logiques (genres, espèces) aux éléments ontologiques (quiddités, essences), qui conduisent à l'universel et aux éléments spirituels (les causes éternelles de saint Augustin). I. Tolomio a dévoilé avec une grande science les sources philosophiques de Grote: le traité De sensu et sensato d'Aristote et les théories oxfordiennes des calculatores sur la connaissance sensible. En fait, la pensée de Grote se situe au confluent de trois courants: le courant aristotélicien scolastique où Aristote est utilisé davantage pour son apport scientifique que pour sa pensée métaphysique2 , le platonisme augustinien, la théologie négative du Pseudo-Denys qui permet de saisir dans l'image le «sans-image». Les développement s de Grote semblent parfois n'être que la recherche d'une pura fades au sens d'une vérité universelle abstraite. Cependant, son intention parénétique ressort bien à la fin du traité où il revient à la notion de sens spirituels selon Guillaume de Saint-Thierry. Le dépassement des images doit se faire progressivement et le juste usage du sensible doit rendre possible le passage au spirituel conçu comme une nouvelle naissance (novella nostra generatio ). Au terme de ce chemin laborieux, il se fait 2

I. Tolomio, «Gerardo Groote tra Filosofia e "Devotio'"» Filosofia e Politica e a!Pri Saggi, Padoue, 1973, p. 67-84 (sp. p. 80-84). Sur le thème de la Nativité comme renaissance: I. Tolomio, «Meditazioni umanistische sulla Natività (Groote, Erasmo, Cognatus )», Concordia discors, Studi su Niccolà Cusano e l'umane.rimo Europeo ojferti a Giovanni Santinello a cura da Gregorio Piaia, Padoue, 1993, p. 433-457.

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une harmonie dans l'âme qui, établie au pied de la Croix, passe de l'abstraction contemplative à la vie active «pour trouver les pâturages» Qn 10).

TRAITÉ DES QUATRE GENRES DE StVETS DE MÉDITATION SERMON POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR [ 1.

Prologue : invitation à l'enfance spirituelle]

«Un enfant nous est né» (Isaïe 9,6). Qui est adulte à sa naissance? Il ne semblerait pas nécessaire de dire d'un nouveau-né qu'il naît enfant. Mais cette parole a été dite à notre intention, pour que nous comprenions qu'Il est né pour nous et que pour nous Il est enfant et pour montrer ainsi que nous devons avec Lui naître et devenir des enfants. «Si, dit-il, vous ne devenez pas comme cet enfant, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux» (Mt 18,3-4). «Comme» est un adverbe de comparaison: comme nous avons porté dans notre être sensible la ressemblance de l'enfant terrestre, de même nous porterons celle de l'enfant céleste (cf. 1 Co 15,49). Ainsi la Nativité du Christ nous enseigne à nous configurer au Christ dans son humilité et sa petitesse. On ne peut naître avec le Christ sans redevenir enfant avec le Christ. Soyons donc enfant avec l'enfant, n'ayons pas le goût des grandeurs (Rm 11,20), parlons, sentons, raisonnons comme des enfants. Que nous suffisent le liquide et le lait, à nous qui ne supportons pas encore la nourriture solide ( 1 Co 3,2 ). Ne sommes-nous pas encore charnels, vendus au pouvoir du péché? (cf. Rm 7,14). Il y a entre nous jalousie et discorde et nous marchons selon l'homme ( 1 Ço 3,3 ). Vagissons donc dans le berceau de la sainte Eglise et nous prendrons des, forces grâce à la réception des saints sacrements et de !'Ecriture. Qui sait si Dieu ne nous pardonnera pas et ne nous enverra pas d'en haut sa miséricorde, grâce à laquelle il fera disparaître, au moins partiellement, ce qui est de l'enfance nourrie de lait, et, nous nourrissant d'une

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nourriture plus solide, nous conduira à un certain degré de maturité? Oh, quelle sage discrétion de ne pas nous laisser trop longtemps à la nourriture lactée mais aussi de ne pas nous sevrer trop rapidement, de ne pas nous élever brusquement d'une nourriture légère à une nourriture solide, du vide au plein, de la pauvreté à la richesse, du fond au sommet! En tout, portons partout en esprit, en parole et en acte la très pure Nativité, la vie très droite et la très sainte mort du Christ, les seuls véritables antidotes à notre naissance impure, à notre vie perverse et à notre mort horrible, afin que resplendisse ainsi la régénération spirituelle de notre vie et que la vie du Christ dans notre âme et notre corps mortel soit manifestée par la mortification de notre chair mortelle (cf. 2 Co 4,10).

[2. Préparation de l'esprit ou méditation] Trois choses nous reviennent ensuite, avec l'aide de Dieu: la préparation de l'esprit, l'expression de la parole et la réalisation de l' œuvre par lesquelles il convient de nous conformer et d'être configurés à la naissance, à la vie et à la Passion du Christ (Ph 3,10) si nous voulons ressusciter et monter au ciel avec Lui 1• Pour ces trois points la Nativité du Christ précède sa vie et sa Passion, de même que, pour nous, la préparation de l'esprit précède la parole et l'action. Mais la préparation de l'esprit est vaine, dénuée de tout honneur et de toute finalité si elle ne nous pousse pas et ne nous conduit pas à achever ces trois choses qui sont du Christ par le témoignage de la parole et l'imitation de l'œuvre. La préparation de l'esprit qui s'applique à la Nativité du Christ est la première dans l'ordre, plus douce aux enfants, plus simple pour notre sensibilité et plus facile que les autres. Comme toute stimulation de l'esprit naît de la méditation et se parfait par elle, il me semble pourtant nécessaire avant tout de discuter dans ce sermon ou traité des

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indications générales susceptibles de diriger sur la voie droite les méditations et les désirs, qu'il s'agisse de la naissance, de la vie et de la mort du Christ. Que la fin du précepte et de tout notre exercice soit la charité issue d'un cœur plus pur, d'une conscience meilleure et d'une foi plus sincère ( 1 Tm 1,5 ), afin que nous soyons comme la bouche du Seigneur qui, selon le Prophète Qr 15,19), «sépare ce qui est précieux de ce qui est vil». Ce qui motive ici mon propos, c'est que j'ai vu bien des dévots errer à ce sujet et que je n'ai pas cru inutile d'y réfléchir. [3. Quatre genres de sujets de méditation] Il faut donc savoir qu'il y a quatre modes différents qui nous aident à pratiquer la méditation des sujets abordés cidessus et doivent être distingués en quatre catégories de sujets de méditation, matière pour ainsi dire de la méditation de l'enfant. Au premier genre appartiennent les récits de la n~issance, de la vie et de la mort du Christ contenus dans les Ecritures canoniques qu'il n'est pas permis de contester. Dans le second genre, il y a les révélations ultérieures sur ces mêmes sujets qui ont été faites à certains saints ou rapportées comme telles. Troisièmement, les sujets de méditation fondés sur les affirmations des docteurs par des conjectures vraisemblables ou des arguments probables ou un raisonnement sans faille: ces trois types d'arguments sont désignés comme vraisemblables, probables, raisonnables 2 • Dans le quatrième genre, il faut ranger les nombreuses images et fictions décrites ci-dessous, forgées pour venir en aide à notre petitesse, non qu'il faille les croire vraies mais parce que cette construction d'images soutient la faiblesse de notre imagination: nourrissant l'esprit de l'enfant du lait du Christ avec plus de force et d'à-propos, elle le ramène plus étroitement à l'amour du Christ.

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[4. Le quatrième genre: les images dans la méditation] Qu'une grande personne ne trouve pas ridicule que, nous autres, petits, adaptions de petites choses à notre petitesse, quitte à les abandonner par la suite! Le Très-haut en effet, pour aller à la rencontre de notre faiblesse, s'est bien servi de formes et de figures corporelles qui sont bien éloignées de Dieu, de's anges et des choses spirituelles, aussi bien dans ses propres apparitions extérieures et ses discours, que dans ceux des anges et des saints apparaissant et s'adressant aux hommes, de même que dans des visions et des inspirations intérieures. Ainsi toute !'Écriture sainte se sert, dans sa très grande bienveillance, de telles images saintes à cause de l'obscurité de nos yeux pour ne pas nous éblouir par trop de lumière et pour que ceux qui ne peuvent rien imaginer ,que de corporel ne soien,t pas exclus [de l'intelligence] des Ecritures 3• De la sorte, !'Ecriture nourrit humblement les petits et conduit même les grands par de petites choses à de plus grandes, adaptées à tous, ne contrariant, aucun, profonde pour les grands, ouverte aux petits. L'Ecriture est telle que son auteur: douce et humble de cœur (Mt 11,29), à la fois profonde et sublime4 • Regarde, je t'en prie, les formes que prennent les anges: lions, bœufs, bêtes, aigles, becs, ailes, chars, trônes, encensoirs 5• Regarde encore les fictions ou les formes par lesquelles se manifeste à nous le Tout-puissant: images de feu, d'eau, de terre, d'homme et de ~ête. Bien plus, il s'adonne parfois à des actes indécents: !'Ecriture évoque un Dieu qui boit, qui est ivre, crapule, en colère, troublé, concupiscent, doté d'un ventre, d'une tête, de membres, un Dieu qui agit en se servant de divers instruments; elle dote en général de corps les choses spirituelles de formes les choses sans forme. Elle attribue ainsi à l'Eglise, aux puissances de l'âme, aux vertus, aux vices des membres humains ou des éléments d'architecture. Pourquoi cela? Pour, dans sa

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grande et très sûre bonté, nous nourrir, nous, petits, de son lait, par la vue et par l'esprit.

[5. Valeur pédagogique des images] Il n'y a pas là de mensonge, pas plus que dans les fictions poétiques qui donnent un enseignement sur les mœurs. Il n'est personne, si petit soit-il, pour penser que dans ces fables, les arbres ou les bêtes parlent, étant donné que le sens littéral des poèmes et des écrits poétiques et métaphoriques est un sens figuré et non pas ce que les mots signifient à première vue dans leur simple énoncé. Et bien souvent, plus les mots entendus sont éloignés de la vérité, moins l'esprit est tenté de s'attarder à la fable. Qui croit, selon ce qui est dit dans le livre des juges que les arbres ont voulu élire un roi et que le figuier, la vigne, l' olivier et le buisson d'épines ont répondu ceci ou cela lors de l'élection du roi? De même le Christ, dans son enseignement, s'est servi d'images et même, selon les évangélistes, ne leur parlait jamais sans images (Mt 13,34). Et parfois le Christ s'est servi de paraboles qui, à ce que je crois, ne peuvent vraisemblablement s'être produites et même parfois figurent des choses bonnes moralement par des choses moralement mauvaises lorsque, typologiquement, il passe des fils du siècle aux fils de la lumière (Le 16,8) et du juge inique au juge juste. De même, l' Apôtre interprète les dissensions des Corinthiens ( 1 Co 4,6) comme étant symbolisées par lui et par Apollos. De la même manière, Nathan, opposé à David, lui propose de juger, lui (afin de se condamner lui-même), le cas du riche prenant au pauvre son unique brebis (2 S 12,14). De même Joab, pour sauver Absalon, mit dans la bouche de la femme de Teqoa une fable qu'il lui ordonna de raconter à son père (2 S 14,2). Qu'y a-t-il d'important dans tous ces exemples, sinon que les choses expriment plus parfaitement les choses que les mots ne désignent les choses? Les choses difficiles qui ne

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sont pas appréhendées par notre intelligence ou nos sens nous sont désignées par des choses corporelles et pour nous, dirai-je, hommes charnels et animaux. C'est pourquoi Denys dit, dans le deuxième chapitre de la Hiérarchie céleste: «En effet les théologiens appliquent très artificiellement cette poétique imagerie aux intelligences sans figure, tenant compte du caractère de notre esprit, se soucient de le pourvoir d'un moyen d'ascension spirituelle ,conforme à notre nature en adaptant pour lui les saintes Ecritures anagogiques.» Ainsi parle Denys 6• Notons encore que, de même que les négations de Dieu sont plus vraies que les affirmations, de même les images les plus dissemblables et les plus informes de Dieu et des choses spirituelles sont plus utiles parce que, ne contenant rien qui soit digne de Dieu ou des choses spirituelles, elles poussent l'esprit humain à s'en éloigner et à tendre plus haut7. De même que parmi les choses que nous disons ordinairement au sujet du Christ, celles qui sont le plus éloignées de la vérité nous sont plus utiles, à condition de ne pas nous y attarder. Mais alors, si quelqu'un s'imagine être en présence du Christ ou de ses faits et gestes, il n'est pas inutile de poser à côté quelque chose qui nie la présence du Christ et qui, de quelque façon éloigne de notre esprit la présence actuelle du Christ et de ses actes afin que nous ne soyons pas déçus par la disparition de l'image. Car de même que nous revêtons le Christ en sa divinité de formes, de figures, lui attribuant actions et instruments, de même ne craignons pas d'ajouter en esprit ou de changer ce qui est écrit concernant ses actes humains (à condition que ce ne soit pas contraire à la vérité). Bien mieux osons le ramener comme à notre époque et en notre présence, comme si nous le voyions agir et l'entendions parler. Tel est l'enseignement pour nous, petits, de saint Bernard, de saint Bonaventure8 et d'autres saints et dévots.

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Ainsi nous pouvons nous le rendre présent, nous imaginer son visage, son apparence et sa stature; engager une conversation, demander un avis, poser des questions soit à lui soit aux saints; nous montrer envers lui et envers les saints comme des familiers dévoués, obéissants et, en insistant sur ce dévouement et cette obéissance, exposer nos désirs et demander leur aide; vivre pour ainsi dire dans la même maison que le Christ et Marie, voyager avec les voyageurs, «pleurer avec ceux qui pleurent, nous réjouir avec ceux qui se réjouissent» (Rm 12,15) et souffrir avec ceux qui souffrent. Voilà ce que je puis dire à propos du quatrième genre de sujets de méditation. Il n'y a pas là de mensonge si l'esprit n'y adhère pas et les considère comme des auxiliaires de la méditation, de même qu' extérieurement, nous considérons des statues de bois par lesquelles les faits et gestes [du Christ et des saints) nous sont rendus plus présents pour soutenir notre méditation9• Peu importe la matière et la manière du signifiant, pourvu que la chose signifiée soit vraie. De telles images ne sont que des signes et elles sont orientées vers le sens des choses passées pour que le passé y soit signifié et imprimé plus fortement. Rien d'extraordinaire à ce que le présent signifie le passé, ce qui est très commun; en effet le passé ne revient à l'esprit que par quelque chose de présent, de même que, parfois, le contraire est désigné par le contraire. Ainsi, Jésus dit de Jean: «Qu'êtes-vous allés voir dans le désert? Un roseau agité par le vent? Alors qu'êtesvous allés voir? Un homme vêtu de façon délicate?» (Mt 11,7). De même, les gens du peuple qui s'indignent pour tel fait ou telle parole disent: «Quel homme de bien vous faites!» pour l'accuser de méchanceté. En réalité, ils l'injurient alors que leurs paroles ne laissent pas entendre de reproches 10 • De même, dans la vie de saint Nicolas, il a menti, celui qui a donné à son adversaire un bâton contenant de l'argent caché, en lui disant qu'il lui avait donné plus d'argent qu'il ne lui devait11 •

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J'ai dit tout cela pour que les petits n'aient pas peur de ce quatrième genre de méditation, bien qu'il soit destiné à des enfants et doive finalement être abandonné. [6. Du mauvais usage des images] Il faut prendre bien garde que l'esprit n'y adhère pas, de peur que, dans cet exercice on ne prenne comme réelles des choses qui ne le sont pas. En effet, il est de la nature des fantasmes et des images, lorsqu'ils sont fortement imprimés dans l'esprit, surtout quand ils sont conçus volontairement, de retourner à leur origine dans les sens extérieurs. Alors, la vue imaginaire du fantasme 12 est assimilée à la présence de la chose et le fantasme devient objet des sens extérieurs. Ainsi, un homme simple croit sentir avec ses sens extérieurs la présence du Christ ou d'un saint dont il n'a que l'image: il le voit avec ses yeux, l'entend de ses oreilles, le touche de ses mains. Et cette illusion n'est pas sans danger car ces gens prennent les signes pour des choses, comme si quelqu'un prenait l'image du Christ pour le Christ. A Dieu ne plaise que nous adorions un «nouveau Dieu ou un Dieu étranger» lPs 80,10)! Non, non! Ce serait faire trop d'honneur à notre propre imagination, comme on peut le voir dans de nombreux passages de saint Augustin, surtout dans le livre des Confessions et De la vraie religion 13 • Aussi faut-il conseiller aux simples dont le péché est moindre en la matière de discuter de leurs méditations avec une personne sage et douée de discernement. En outre, selon ce genre d'imaginations qui rendent apparemment présents le Christ et les saints, l'esprit s'enfle d'orgueil, se croyant digne de voir apparaître [en personne] le Christ ou guelque saint. Cela se produit surtout par le sens de la vue l car c'est par lui que nous distinguons les choses avec certitude); cela peut aussi se produire avec d'autres sens, mais rarement et il est difficile pour un enfant de distinguer entre la présence réelle du Christ - qui s'est montré à beaucoup - et sa propre imagination.

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Un pieux religieux m'a raconté que, pendant sa méditation, alors qu'il était plongé dans sa réflexion sur le Christ, il le vit comme debout devant lui. Je tiens fermement que certaines personnes qui ne sont pas illuminées par la vision du Christ, ni remplies d'une plus ardente charité, sont trompées par ce genre de fantasmes, surtout lorsqu'elles manquent aux préceptes de la charité. Une femme m'a raconté qu'elle avait souvent perçu cette présence du Christ mais qu'elle n'en avait tiré aucun profit spirituel comme il ressortit de ses paroles et de sa vie, bien qu'elle fût de bonne volonté: elle renonça solennellement au mode de vie auquel elle s'était solennellent engagée. «Les solides fondations tiennent bon, marquées de ce sceau, le Seigneur connaît les siens» et «Qu'il évite l'iniquité, celui qui prononce le nom du Seigneur» (2 Tm 2,19). Nous disons cela par prudence pour que nous ne poursuivions pas trop longtemps l'image simple d'un Christ nu, sans vêtements, non revêtu de splendeur, de force, de justice (Ps 92,1), ni «drapé de lumière comme d'un manteau» (Ps 103,2 ). «L'esprit est vie, la chair ne sert de rien» On 6,63 ); considérée en elle-même, elle ne sert ni à former la vie ni la justice intérieure. Il faut donc vêtir la chair et la pénétrer de formes divines. A quoi servira aux damnés d'avoir vu la chair du Christ «qu'il ont transpercée» On 19,37) quand il viendra dans la gloire? A quoi a servi à Hérode ou à Pilate ou aux Juifs d'avoir vu le Christ de leurs yeux, alors qu'ils n'ont pas suivi ses commandements? Ou encore: à quoi aurait servi aux apôtres le commerce continuel avec le Christ s'ils étaient restés sourds au conseil de pauvreté, d'autant plus que le Saint-Esprit ne serait pas venu si le Christ n'était pas parti corporellement? C'est pourquoi le Christ dit: «Si je ne m'en vais pas, etc.» On 16,7). A quoi, aujourd'hui encore, serviraitil à un homme mauvais que le Christ se montre à lui sous une forme humaine? La simple image corporelle est d'une moindre utilité 14 • Ce que nous allons développer plus loin en détail.

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[7. Premier sujet de méditation: l'Ancien Testament] Quant au premier sujet de méditation, selon les Écritures canoniques auxquelles il faut adhérer, il est nécessaire de distinguer d'une part ce qui est dit du Christ et de ses actes dans le Nouveau Testament et qui doit être annoncé purement et simplement selon la lettre, être cru pieusement et fermement et médité dans la foi. D'autre part, les écrits de l'Ancien Testament auxquels s'ajouteront quelques passages de l' Apocalypse, doivent être médités par rapport au Christ et à ses actes. Car parfois, les événements relàtés sont de telle nature qu'on ne sait s'ils se rapportent littéralement au Christ ou si leur emploi figuré a été vérifié ou doit être vérifié. Je pense que dans le cas des Prophètes ou de la loi mosaïque on ne doit pas tenir pour article de foi comme se rapportant au Christ tout ce qui s'est p~ssé ou doit se passer et, qui n'aurait pas été approuvé par l'Evangile, le canon de !'Ecriture ou l'Eglise universelle, ou qui ne résulterait pas de déductions certaines et indubitables des faits déjà approuvés. Mais toutes les autres choses qui pe,uvent être conjecturées, éprouvées, démontrées dans les Ecritures de l'Ancien Testament sont très utiles à la méditation et plus nécessaires que celles que nous pouvons et sommes capables d'imaginer par nous-mêmes parce que par elles nous sommes conduits au sens anagogique et tropologique de l'Ancien Testament et plongés dans leur plénitude. Grâce à ces anagogies et tropologies nous acquérons une connaissance intime et foncière du Christ et de ses actes; inversement, à partir du Christ et de ses actes, nous les comprenons profondément dans leur plénitude. Je ne pense pas qu'il faille s'attarder à discuter et à supputer si certains événements se s,ont produits, ou bien quels actes ou événements, dans les Ecritures de l'Ancien Testament, sont appliqués au Christ ou à son entourage. Par exemple, si, selon la prophétie d'Isaïe (Is 1,3 ), le bœuf et

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l'âne ont été présents à la crèche, comme on peut le supposer avec quelque probabilité: «Le bœuf», dit-il, «connaît son propriétaire et l'âne la crèche de son maître». Ou encore, selon Habacuc (Ha 3,2): «Le Seigneur fut placé entre deux animaux».Je pense qu'il en fut ainsi, je le crois, non par la foi mais je le conclus de façon probable et nop pas nécessaire, par une opinion ou un argument tiré de !'Ecriture . Et qu'importe s'il en est ainsi ou non! S'il n'en est pas ainsi, cela ne s'oppose en aucun cas à la Loi et à la prophétie que, dans la plupart des cas, nous tenons pour vraie en esprit, sinon selon la lettre. Si c'est le cas, alors ce fait signifie, selon le sens spirituel, de manière plus pleine et évidente cela même que le prophète a exprimé de manière plus obscure et moins explicite. Qu'importe, à condition que nous comprenions et tenions le fait conformément à l'intention exprimée par les paroles du prophète et manifestée par le Christ. Si une action a réellement été accomplie par le Christ, cela se rapporte aux actes [historiques] du Christ, pas [à leur signification] pour nous-mêmes. S'il l'a fait, il l'a fait pour nous, dans l'intention exprimée par le prophète. S'il ne l'a pas fait, les paroles du prophète nous font saisir l'intention du Christ si le fait avait été réel. qn autre exemple évident: je crois qu'à l'entrée du Christ en Egypte, les idoles tombèrent selon le témoignage d'Isaïe: ':Voici le Seigneur moi:té sur un léger nuage, il entrera en Egypte, les idoles de l'Egypte seront ébranlées» (cf. Is 19,1). Mais je n'y adhère pas,par la foi, bien plutôt par l'argumentation et le récit des Ecritures. Il est certain que les idoles sont tombées spirituellement dans le monde entier, c'est-àdire la vénération des idoles dans l'esprit des hommes, et qu'elles tombent chez tout homme en qui entre le Christ. Il n'y a pas de doute que le prophète a parlé selon le sens spir~tuel. Si les idoles matérielles sont tombées à son entrée en Egypte, cela signifie la chute spirituelle des idoles. Je saisis donc l'intention principale du prophète selon laquelle les actes du Christ sont ordonnés à leur fin comme le

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signe au signifié.]' accepte volontiers le signe des Écritures, je me persuade qu'il en a été ainsi et je discute avec celui qui s'oppose ou me contredit, mais je laisse son opinion à celui qui s'obstine; je ne m'en occupe pas, car ce n'est pas contraire à la foi. Tenons donc au sens spirituel et véridique et si nous traversons la mer et parvenons au rivage, il n'est pas nécessaire dans notre condition présente de regarder en arrière et d'indiquer par quel navire, de quelle sorte, nous avons fait la traversée. Du moins n'y a-t-il pas lieu d'en discuter ni longtemps ni avec opiniâtreté. De même je ne suis pas prêt à discuter pour savoir si le Christ a fait des miracles entre sa douzième et sa trentième année et quant à moi je suis persuadé qu'il n'en a fait aucun. S'il n'en a pas fait comme je le pense sûrement, c'est pour donner un exemple d'humilité afin que nous ne prêchions pas trop tôt et que nous nous montrions aux hommes vils et méprisables avant de paraître admirables. S'il en a fait, c'est pour confondre par sa petitesse les esprits des hommes et leurs actes - par rapport à tout ce qui a été dit et prophétisé à son sujet et par lui-même et leur faire croire qu'une ridicule souris était née alors que, d'après le récit de sa naissance on aurait pu penser que les montagnes allaient le mettre au monde 15 • Si pendant cette période il a fait des miracles que l'histoire évangélique ne rapporte pas, je ne doute pas qu'ils aient été passés sous silence pour la même raison que le Christ s'est abstenu d'en faire si tel était le cas. Qu'importe donc, qu'il en ait été ainsi ou non, si nous parvenons au but vers lequel nous conduisent les Evangiles ou le Christ par ses actes! Si nous faisons servir les actes du Christ ou la parole évangélique à de pures fins d'humilité, sans vaine complaisance, peu importe que les choses se soient passées de telle ou telle manière! Ce que,, dans notre méditation sur le Christ, nous recevons des Ecritures de l'Ancien Testament sur des sujets qui ne se trouvent pas dans le Nouveau Testament, nous le fondons sur des conjectures tirées raisonnablement de ces Ecri-

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tures dont nous le prouvons ou le déduisons. Il est nécessaire et convenable de les ramener à l'intelligence spirituelle afin que notre foi soit plus sûre et sans feinte, notre charité plus pure, plus confiante et plus pleine ( 1 Tm 1,5 ), afin que, par le pur amour de la vérité, la foi agisse purement. Dans cet effort, il se fait une grande séparation entre les choses précieuses et les choses viles (cf. Jr 15,19), de telle sorte que n'y pénètre rien qui ne relève de la science ou de la foi. Ainsi, tout l'Ancien Testament est comme un recueil évangélique, comme lorsqu'à la moisson, le battage met le grain à nu (cf. Ps 126,4). Les exégètes 16 évangéliques vont purifier et repurifier ce grain, le monder sans cesse, afin qu'il devienne pure parole du Seigneur et que nos méditations soient chastes et pures, de l'argent éprouvé, purifié, décanté sept fois au feu de l'amour (Ps 11,7)17 •

[8. Le Nouveau Testament: passage du sensible à l'intelligible] Les méditations évangéliques que nous trouvons dans le Nouveau Testament et croyons fermement, nous ne les gardons pas toujours en nous purement et sans fausse interprétation, comme l'a développé saint Augustin dans le livre VIII De la Trinité: «Néanmoins il faut prendre garde qu'en croyant ce qu'elle ne voit pas, l'âme ne se figure ce qui n'est pas, qu'elle ne donne un faux objet à son espérance et à son amour. En ce cas la charité ne viendra pas d'un cœur pur, d'une foi sans feinte, ce qui est la fin du précepte. «Chaque fois qu'au cours d'une lecture ou d'une conversation, nous accordons créance à des réalités sensibles que nous n'avons pas vues, notre âme, fatalement, se façonne, au hasard de ce qui se présente à l'imagination, une image de contours et de formes corporels. Que cette image réponde (le cas est rare) ou non à la réalité, l'important pour nous n'est pas d'y ajouter foi, mais d'atteindre une autre

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connaissance profitable, qui nous est suggérée par cette représentation. «Quel lecteur, en effet, quel auditeur des écrits de l'apôtre Paul ou de ce qu'on a écrit à son propos ne se figure en esp* et le visage de l' Apôtre et celui de tous ceux dont les Epîtres mentionnent le nom? Or, ét~nt donné le grand nombre de ceux qui connaissent ces Epîtres, les uns se représentent d'une façon, les autres d'une autre, les traits et l'aspect physique de ces hommes. Lequel approche le plus de la vérité? Il est bien difficile de le dire. Mais ce qui intéresse notre foi, ce n'est pas de savoir quel visage ont eu ces hommes; c'est de savoir que, par la grâce de Die~, ils ont mené la vie, accompli les actions qu'attestent les Ecritures: voilà ce qu'il est utile de croire, ce qu'on ne doit pas désespérer [d'atteindre], ce qu'on doit avoir le désir de connaître. Le visage du Seigneur lui-même varie à l'infini, selon les diverses représentations que chacun s'en fait. Mais ce qui est salutaire dans notre foi au Christ, ce ne sont pas ces représentations imaginatives peut-être fort éloignées de la réalité: c'est ce que nous pensons de l'homme, de ce qui en lui répond à notre idée d'homme. Nous avons en effet, fixée en nous comme une règle, la notion de nature humaine, d'après laquelle nous savons aussitôt qu'est homme, formellement homme, tout être en qui nous la voyons se vérifier. «C'est sur cette notion que se forme notre pensée, lorsque nous croyons que Dieu, pour nous, s'est fait homme, en exemple d'humilité à notre égard. L'important pour nous, en effet, est de croire, de maintenir fermement et inébranlablement en notre cœur, que cette humilité qui a amené Dieu à naître d'une femme et, au milieu de si grands outrages, à se laisser conduire à la mort par des hommes mortels, est le suprême remède pour guérir l'enflure de notre orgueil et le sublime mystère pour dénouer le lien du péché. Il en est de même pour la force de ses miracles et de sa résurrection: parce que nous savons ce qu'est la toute-puissance, nous attribuons ces œuvres au Dieu tout-puissant; d'après la

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connaissance, innée ou acquise par l'expérience, que nous avons des espèces et des genres, nous jugeons des faits de cette sorte, afin que notre foi ne soit pas feinte. «Nous ne connaissons pas davantage le visage de la Vierge Marie qui, sans l'intervention d'aucun homme, restée intacte dans l'enfantement même, a miraculeusement mis au monde le Christ. Nous ne connaissons pas l'aspect physique de Lazare, nous n'avons vu ni Béthanie, ni le sépulchre, ni la pierre que le Seigneur fit retirer quand il le ressuscita, ni la pierre taillée [du monument] d'où lui-même ressuscita, ni le mont des Oliviers d'où il monta [au ciel]. Aucun de nous n'a vu ces choses, nous ignorons complètement si elles sont comme nous les imaginons, et même nous estimons plus probables qu'elles ne le sont pas. Car si l'aspect d'un lieu, d'un homme, d'un corps quelconque s'offre à nos yeux tel qu'il s'offre à l'esprit quand nous l'imaginons avant de le voir, l'étrangeté de la chose nous surprend fort: une telle coïncidence n'arrive que rarement, presque jamais.» Ainsi parle Augustin 18 • De même, il déclare au sujet de la méditation sur les Apôtres et la sainte Vierge que les méditations utiles à la foi proviennent d'une notion spécifique et générale d'où nous tirons ce que nous savons et croyons. Il dit: «Nous croyons que le Seigneur est né d'une Vierge du nom de Marie; ce qu'est une vierge, ce que c'est que naître, ce qu'est un nom propre, nous n'avons pas à le croire, nous le savons» 19 , comme s'il voulait dire: Ces choses nous les connaissons d'après une notion générale des espèces, d'après la définition de leur essence. Mais il ajoute au sujet de Marie: «Sans blesser la foi, nous pouvons dire qu'elle avait peut-être tel visage, peut-être non. Mais il n'est pas permis de dire: peutêtre le Christ est-il né d'une Vierge». Par ces paroles d'Augustin, il apparaît clairement que les méditations et les dévotions sincères fondées sur les croyances et la foi, par lesquelles nous espérons, désirons et aimons ce qu'il faut croire et espérer, doivent être purifiées

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des linéaments et des formes des choses corporelles et que l'âme doit se tourner vers les genres, les espèces et les quiddités, afin que l'intelligence puisse déterminer l'objet de la foi pour l'espérer et l'aimer20 • [9. La foi considère l'intelligible au moyen de l'audition] La foi, en effet, n'a nullement son siège dans quelque sens intérieur de l'âme sensitive où opèrerait l'imagination ou le jugement, mais dans la puissance intellectuelle, bien loin des images, des formes sensibles. Grâce à cette abstraction et à cette distanciation, elle ne se trompe pas et les choses sont appréhendées dans leurs raisons communes et originelles et leurs causes éternelles 21 • Pour que ces choses soient formées en nous, nous y sommes préparés de manière admirable: on nous a enseigné que la «foi ne provient que de l'audition» (Rm 10, 17)22. La foi ne comporte, ne contient ni ne désigne quoi que ce ce soit de vu avec des formes et des contours, pas plus que l'audition en tant que telle. En effet, une forme singulière visible ou une figure particulière en tant que telle, une chose visible et singulière en tant que visible et singulière, n'existe pas et ne peut être désignée tii décrite par la voix. Et bien que les noms propres désignent des individus et des choses singulières, la faculté d'appréhension intellectuelle ne saisit le singulier que par l'universel. Ainsi, comme je n'ai jamais vu Platon, quand on parle de lui, je ne comprends que ceci: c'est un homme, un sage Grec, ainsi nommé et maître d'un autre homme appelé Aristote. Tout cela, ce sont des universaux, même si on y ajoute la quantité, la ressemblance, jointes à tout ce qui peut représenter les universaux pour l'intellect - même s'ils ont une autre signification pour les sens et l'imagination et les ramènent à des images sensibles.

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[10. L'audition et les autres sens] Et de par notre faiblesse et notre accoutumance, les choses entendues se tournent aussitôt intérieurement dans notre esprit vers les choses visibles et vers des formes ou des images particulières visibles ou vers des choses qu'il a vues ou formées à partir d'éléments visuels. Pourquoi? Parce que la vue est plus sûre que les autres sens et montre les choses avec des caractéristiques plus nombreuses qu'avec les autres sens et, par un besoin naturel et une avidité de certitude, la puissance imaginative se tourne plus volontiers vers les images des choses visibles, autant pour en connaître davantage que pour en avoir plus de certitude. En vérité, seule la vue reçoit réellement la forme des choses. D'où provient l'audition sinon de la résonance des objets? Et l'odorat, sinon des effluves des choses? Que distingue le goût sinon l'agrément ou le désagrément de la nourriture mâchée et mêlée à la salive? Que reçoit d'abord le toucher sinon les qualités premières des choses? Le toucher est plus puissant que les autres sens car il s'ajoute et s'adapte agréablement à d'autres perceptions sensorielles communes, mais à condition qu'il s'unisse à toute la chose et qu'il la meuve ou se meuve lui-même. La vue reçoit avec précision toute l'image d'une chose, sa situation, son ordre, sa lumière et sa couleur et bien d'autres particularités, de loin et comme instantanément, sans déplacement de la chose; plus proche du sens commun, elle est ainsi l'origine du raisonnement et de la science. Quoi d'étonnant à ce que les facultés de connaître et de comprendre, si elles sont dépourvues d'images, se tournent plus volontiers, même pour ce qu'elles ont entendu, vers la vision elle-même et vers ses objets 23 ? ]'ajoute que, à mon avis, de même que l' œil extérieur ne fixe et ne considère qu'un objet solide et délimité, de même l'imagination intérieure demande qu'on lui fournisse un objet concret et bien délimité. Aussi, l'audition qui se

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produit dans un air quasiment vide ne détermine pas l'imagination, mais évoque ce qui est dit quasi-concrètement d'un objet concret. L'exercice mental par les images ne lèse donc ceux qui méditent que dans la mesure où ils veulent concevoir des images quasi concrètes, ce qui ne peut se produire sans l'agitation et la transformation du sang et de l'esprit. J ai dit cela selon ma philosophie afin que, connaissant l'origine de ces choses, on puisse plus facilement s'y orienter quand on percevra que l'expérience se conforme à la raison. [11. L'audition et les aspects sensibles de la parole]

Il faut, dès lors, noter que, lorsque nous entendons une vérité de foi exprimée sous une forme corporelle, nous sommes emportés de trois manières vers trois sortes d'images visibles. Premièrement, ce que nous avons entendu, nous le lisons parfois et nous nous le représentons souvent par des lettres et des syllabes. Ainsi quand ces choses nous sont dites, surtout si elles sont invisibles: quiddités des choses, genres, espèces ou réalités spirituelles et éternelles qui n'ont pas d'images, nous sommes emportés par la mémoire vers les livres et les passages des livres dans lesquels nous les avons lus, ou du moins vers la forme des mots, des syllabes et des lettres. Lorsque quelqu'un est ainsi ramené vers les lettres - du moins quelqu'un qui a pratiqué en quelque matière un examen complet et approfondi - il retrouve quelque chose de connu, car souvent les images des lettres et des syllabes nous aident à retenir les choses dans la mémoire. Mais une fois que la mémoire a fait son office, je pense qu'il faut fuir l'assaut de ces images et les chasser de nos pensées comme un corbeau ou quelque oiseau grossier et impur2 4• Mais dans la méditation des choses éternelles et spirituelles, des essences et des causes des choses, des genres, espèces, définitions, il est pénible et difficile de chasser les formes des lettres et de n'y pas revenir, sauf pour un

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homme exercé à s'élever plus haut dans l'abstraction. Ce n'est pas le fait d'un homme paresseux et lent que de remarquer et de discerner quand et comment les lettres s'interposent, même discrètement. La forme des lettres trouble les gens lettrés et savants davantage que les illettrés qui, ne sachant pas du tout lire les lettres, en sont tout à fait détachés, supérieurs en cela aux savants. De là vient que, lorsqu'un lettré entend un texte de !'Écriture sainte proféré dans sa langue maternelle, il lui semble concevoir dans son esprit quelque chose de neuf, de frais par l'intermédiaire de sa langue maternelle 25 inculquée dans son enfance sans le secours des lettres; il le conçoit mieux que si on le lui disait sous la forme latine habituelle, car il a coutume de se tourner directement vers la forme des lettres. Cependant, les illettrés - à moins d'avoir un esprit plus dépouillé que les gens lettrés - sont, à mon avis, portés vers et saisis par d'autres formes de représentation plus fortement, durablement et profondément. En effet, ils gardent l'impression et le souvenir des personnes qui ont parlé et prêché ou de toute autre circonstance et lorsqu'ils entendent ou se rappellent ceci ou cela, ils y joignent aussitôt le souvenir de telle personne qui a parlé en tel lieu. Il faut donc purifier l'imagination en écartant l'image du lieu, de la personne ou de toute autre circonstance, car c'est comme un grand oiseau (à moins qu'il ne s'agisse d'une personne très sainte et très bonne, comme un oiseau au beau plumage, ce qui serait moins nocif); il faut toutefois, en fin de compte, abandonner les images pour purifier la mémoire. Le souvenir d'une personne peut être tantôt une grande aide, tantôt un grand obstacle: une aide, quand on médite et retient une parole plus douce, plus affectueuse, plus sublime et en quelque sorte plus sainte et ferme, venant d'une personne sublime et sainte; un obstacle au contraire quand elle vient d'une personne médiocre et vile. Ne reçoit-on et n'embrasse+on pas avec plus de douceur ou de force une parole

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du Christ plutôt que celle d'un philosophe, celle d'un saint plutôt que celle d'un homme habile? Il n'est pas petit, mais grand, le rôle que joue la personne de l'orateur, comme l'enseigne la rhétorique. Hélas, comme ils sont mal avisés, ces jeunes qui aujourd'hui se réclament d'Aristote ou d'un autre philosophe qu'ils portent au pinacle; ils sont convaincus et persuadés de beaucoup de choses avant de les avoir comprises à fond, sur la seule foi de celui qui parle. Mais aujourd'hui, le grand obstacle à la philosophie naît de ce que l'on rapporte la réflexion sur les intelligibles à l'autorité de la personne qui en a parlé et aux autres circonstances. Il y a encore dans l'étude de la philosophie un obstacle plus important encore et plus commun: quand ils traitent des essences des choses, des natures, des quiddités, de la matière, de la forme, des genres et des espèces, ils tournent leur esprit non vers la réalité mais en grande partie vers la forme des lettres 26 • J'avoue avoir longtemps philosophé de la sorte et j'en connais beaucoup qui dans leur réflexion se noient dans les mots. Et si quelque élément intelligible émerge parfois dans leur esprit, c'est peu de chose, tout environné de ténèbres. Philosophant de la sorte, nous croyons philosopher avec notre esprit, mais en vérité nous phantasmons et demeurons dans les images sensibles. [12. L'audition et son lien avec l'image visible]

Troisièmement, nous nous tournons vers les choses visibles désignées par des paroles selon que nous avons vu les choses ou bien nous contruisons les formes des choses que nous n'avons pas vues, visibles ou invisibles, à partir de ce que nous avons vu; ainsi, une forme visible se mêle à l'audition dans la perception interne: l'audition perd dès lors de sa pureté. La parole entendue est quelque chose de sensible mais la signification de la parole en tant que telle, source de la foi, est une réalité qui n'est pas vue ni mêlée aux formes

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visibles, mais accessible au seul intellect27 • Ainsi la parole est un signe pur, n'entraînant rien de visible en ce qui concerne celui qui parle et le lieu [d'où il parle]; elle n'est pas mêlée aux formes des mots et des syllabes et ne s'accompagne d'aucun accident visible qualifiant l'essence et la substance. Si en matière de foi on se réfère à la couleur, à la lumière et à d'autres objets en général, bien que nous soyons plus enclins à rapporter le signifié à la méditation des choses visibles, cependant, dans la mesure où elles relèvent de la science ou de la foi, elles prennent forme dans l'esprit sans similitude visible selon leur définition, leur effet, leurs genres et leurs espè5=es. Mais si !'Ecriture ou la foi mentionne une couleur, une lumière ou une forme particulière, l'individualité de cette couleur ou de cette lumière en soi ne peut être décrite avec précision dans son étendue et ses qualités accidentelles; c'est pourquoi on la concevra et on la méditera selon le genre, comme on le ferait d'un homme inconnu. Cependant, les images de la lumière, des couleurs, des formes et des lieux adhèrent très fortement à l'esprit car elles sont le principe de toute connaissance intellective et spirituelle dont elles préparent et guident les voies puisque presque toute connaissance intellectuelle et spirituelle procède d'une connaissance sensible préalable. Mais quand nous approchons du but, elles doivent être abandonnées comme des navires laissés sur le rivage. Parmi les formes visibles, il est plus difficile d'imaginer les différences spécifiques des couleurs sans une image visible, comme le vert ou le rouge en particulier, mais il est très facile de considérer la couleur en général sans une image visible. Mais les différences, les définitions, les effets et les propriétés spécifiques des couleurs sont tellement cachées dans les choses qu'on peut difficilement les penser de manière générale à moins d'être un expert en la matière.

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[13. Des fantasmes sensibles au sens spirituel] Ce que l'on dit des couleurs ou plus fréquemment des objets colorés peut être dit également des figures et des choses figurées: l'esprit doit s'appliquer soit à ces choses colorées ou figurées comme si elles étaient sans couleur ni figure, soit à la signification spirituelle des couleurs et des figures qui sont évidentes. On peut facilement s'en rendre compte dans la méditation en passant du rouge pourpre ou du rose au sang du Christ. On doit être d'autant plus prompt à disposer sur le champ de significations mystiques que les paroles nous poussent à nous tourner avec davantage de force vers les formes visibles en tant que telles. Pour celui qui pratique la tropologie et l'anagogie, il est facile de s'élever au sens mystique, mais il est difficile pour l'intellect de se fixer sur les espèces spécifiques, les différences et les essences de ces couleurs et de ces figures puisqu'elles n'offrent aucune image. Que celui qui se forme des images de «verdeur» ou de «rougeur» ne se fasse pas d'illusion en croyant posséder par là l'espèce de toute «verdeur», de toute «rougeur». Il me semble que toute image est le signe d'une chose particulière et qu'il n'y a rien d'universel dans l'image; il se trompe, celui qui croit qu'il y a une vérité universelle dans l'image. Il est comme quelqu'un à qui on présenterait un œuf et qui, lorsqu'il a le dos tourné et qu'on a mis un autre œuf à la place, croirait qu'il s'agit du même œuf28 • Cependant la même image particulière d'une chose verte ramène à la mémoire et à l'imagination certains objets verts, déjà vus ou imaginés, de même que la même chose d'un vert particulier vue au dehors pousse, par analogie, à penser à d'autres verts ou à s'en souvenir. Il en va de même pour presque toutes les choses vertes et peut-être même à l'image du vert. Ni les sens, ni l'imagination n'appréhendent ce fait en tant qu'il touche à la connaissance de ce qui est chose commune ou en tant que nature universelle, bien que les

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sens perçoivent des choses dans lesquelles réside une nature universelle. C'est peut-être à cause de cela que des animaux sans intelligence sont souvent excités et mis en mouvement. Et c'est la raison primordiale pour laquelle un objet particulier perceptible aux sens ne peut être ni connu ni décrit en soi. Bien plus, il n'y a pas de science qui se fonde sur l'imagination et ils n'ont pas la science ceux qui - à l'exception d'un très petit nombre - ne peuvent dépasser les images. Et même ceux-là ne peuvent avoir une foi pure sans mélange; en effet la foi est une lumière qui élève au-dessus des choses naturelles dans la mesure où elle dépasse les images; ainsi la connaissance intelligible et la foi, qui porte sur le particulier, se constituent grâce à un universel, que l'on détermine en le composant avec un autre universel, de manière à le faire correspondre à un seul objet particulier. Ainsi, nous méditons par l'intellect sur la Vierge Marie avec les concepts universels d' «enfantement» et de «vierge», car c'est à elle seule que convient la virginité associée à la parturition; ou bien, nous pouvons nous représenter cette femme qui a enfanté le Dieu-Homme ou le rédempteur du monde, ce qui correspond à des universaux. Ce ne serait pas une méditation adéquate si on parlait d'une vierge appelée Marie, car ce nom de Marie peut s'appliquer et convenir à plusieurs femmes et c'est un prédicat commun, mais qu'une vierge enfante ne peut, selon la foi, convenir à personne d'autre qu'elle. Bien des notions concernant le Christ sont formées de la sorte: un homme auquel Dieu est uni, un homme qui est né, qui a vécu, qui est mort de telle et telle manière. Ces choses concernant le Christ sont crues dans leurs nombreuses particularités et sont comprises dans l'intellect par des concepts universels à partir du particulier. Car ces universaux sont surtout tirés et abstraits des effets des choses particulières ou de leurs causes originelles ou des définitions selon le genre et les différences spécifiques. C'est là purifier la foi ou l'intellect; par contre on la contamine

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lorsque le genre, les espèces, les différences spécifiques, sans parler des substances incorporelles ou spirituelles ou les essences, immédiatement signifiées par des mots, sont rapportées à quelque chose de sensible, de corporel ou d'imaginable. Par «immédiatement», j'entends une référence absolue à un homme, à un ange, à Dieu ou à d'autres sujets qui doivent être médités avec des raisons originelles et commun~s, sans autre intermédiaire que les noms eux-mêmes et sans images. L'audition n'est pas pure si, entendant dire que l'homme Christ était grand, tu t'en formes des images, car c'est un signe nécessaire qui désigne une certaine quantité, mais ce n'est pas cela qu'exprime l'audition. Si, au sujet de la cruelle Passion du Christ, tu t'imagines un certain degré de souffrance, ce n'est pas ce qu'exprime la parole entendue car elle ne dit rien d'autre que la souffrance en général. Rien donc n'est entendu ni exprimé selon les conditions qui donnent un caractère individuel à la sensibilité. Et l'audition pure est appelée «foi» et elle s'appuie sur la vérité première de «ce que l'on ne voit pas» (He 11,1). Quant au genre et à l'espèce, couleur, rougeur, lumière, triangle, plus difficiles à percevoir, ils n'ont pas de représentation sensible. De même que la couleur, pour celui qui n'est pas habitué à méditer longuement, est difficile à retenir par l'intellect si on ne la rapporte pas à une forme colorée, de

même, la «rougeur» est beaucoup plus difficile à retenir sans une image particulière du rouge. Lorsque quelqu'un dit «rougeur», il pense à quelque chose de plus ou moins rouge, d'intensité variée selon l'image qu'il se forme selon la préparation de son imagination, bien que la «rougeur» en tant qu'espèce, ne comporte ni "intension" ni "rémission"29 • L'image de la lumière est la plus difficile à écarter: en pensant à Dieu nous ne pouvons nous abstenir de former une image de lumière, si faible soit-elle. Parmi les images attribuées aux choses spirituelles abstraites', c'est la dernière à être évacuée. Cependant, il n'est pas moins difficile de méditer

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longuement sans images sur les espèces et les particularités des couleurs. Mais à la manière pascale, c'est-à-dire comme en un «passage» (Ex 12,11), il faut la consommer rapidement, du moins au début. De même que celui qui commence à être illuminé reçoit la lueur d'éclairs divins avant l'illumination stable, de même, dans ce «passage», le genre, les espèces, les propriétés spécifiques, les définitions causales spécifiques et les essences des choses traversent rapidement l'esprit quand on entend leurs noms, à cause de l'irruption habituelle d'images importunes. Dans la mesure où quelqu'un peut s'en abstraire plus parfaitement, rester plus longuement dans cette abstraction, espérer et aimer avec plus de ferveur les choses abstraites, sans toutefois en avoir la pleine compréhension intellectuelle, il médite d'autant plus purement et ai;thentiquement la naissance, la vie, la mort du Christ et !'Ecriture sainte et il s'approche davantage des réalités éternelles.

[14. Valeur symbolique des images des cinq sens] Il faut donc se servir longtemps des choses extérieures, des signes et des images et ne pas les abandonner dans la méditation avant que la foi et la charité soient purifiées, pour que le sens de !'Ecriture soit ruminé comme s'il était non écrit, signifiant comme s'il était sans signe, ce que j'appelle abandonner les écritures et les signes extérieurs; de même, il ne faut pas, dans notre nouvelle naissance, nous éloigner des fantasmes et des représentations de l'imagination jusqu'à ce gue, dans un deuxième temps, le Christ soit formé en nous l Ga 4, 19) ainsi que le sens spirituel jusqu'à ce que nous soyons devenus spirituels, «jugeant de tout spirituellement» (1 Co 2,15) et «discernant entre jour et jour et entre chaque jour» (Rrn 14,S).

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Ainsi Denys affirme dans le premier chapitre de la Hiérarchie céleste: «Le rayon divin ne saurait nous illuminer qu'enveloppé spirituellement dans la variété des voiles sacrés et adapté par la Providence paternelle aux convenances de notre nature humaine» 30 • C'est de manière toute paternelle que nous sont transmis d'abord les éléments [extérieurs] car si quelqu'un se détache de cette connaissance avant d'être parfait, il parviendra rarement à une intelligence aisée du texte. En outre, les images qui adhèrent plus fortement à l'esprit y laissen~ l'empreinte de ce qu'elles signifient spirituellement. L'Ecriture se sert souvent de ces images et dans les choses difficiles utilise des images difficiles comme lorsqu'elle décrit les choses les meilleures et les plus éloignées des sens par des choses, des qualités et des propriétés qui relèvent du sens du toucher qui est le plus grossier de tous 31, en raison de son objet propre, jusqu'à l'acte le plus bestial. Qu'y a-t-il de plus spirituel que l'union, da?s l'unité de l'esprit, du Christ et de l'âme, du Christ et de l'Eglise, du Christ et de sa propre chair? Et par contre, que peut-on connaître de plus grossier que l'union de l'homme et de la femme en une seule chair et dans la fusion charnelle? Le goût, la soif, la faim des choses sensibles peuvent, par analogie, attirer merveilleusement vers les réalités divines l'homme sensible à la soif, à la faim spirituelles 32 • C'est pourquoi notre suprême remède, le sacrement du Corps et du Sang du Christ nous est transmis par une providentielle bienveillance sous les espèces sapides du pain et du vin. De même tous les sacrements sensibles comportent des signes spirituels, proportionnellement à la grâce invisible qu'ils opèrent. C'est pourquoi les mots et les signes des choses tangibles, des saveurs et des odeurs qui font plus forte impression (principalement par le goût et le toucher liés aux choses elles-mêmes) poussent plus fortement l'âme à s'unir et à adhérer aux réalités spirituelles. Il me semble donc que l'origine de toute saveur spirituelle vient de la saveur

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corporelle d'où elle s'élève quand les saveurs corporelle et spirituelle se confondent dans une heureuse proportion. Ce qui se réalise principalement dans le sacrement de l'autel. Ainsi le goût, comme dit Bernard dans son livre De l'amour de Dieu, «dirige, rectifie, juge et purifie tous les autres sens intérieurs»33. Ainsi, de la même manière, les qualités qui ressortissent au toucher apprennent à s'élever au sommet de tout amour et de toute paix. Le toucher spirituel se trouve dans l'amour de Dieu et du prochain lorsque, ayant atteint et possédé celui qu'il désire et qu'il aime, «en lui repose dans la paix» (Ps 4,9). Le fait que l'amour du prochain se rapproche habituellement du toucher a une double cause: d'une part, parce que la chaleur est le principe positif originel du toucher et le froid en est le principe négatif ou secondaire34; deuxièmement parce que, nous autres, nous nous touchons mutuellement pour exprimer et communiquer l'amour par un attachement et une union plus proche que ceux que connaissent habituellement les hommes. L'odeur, en s'exhalant, infuse quelque chose de la substance de l'aimé à l'âme qui l'aspire et l'inhale; c'est pourquoi les anges, en s'éloignant, laissent souvent derrière eux un parfum quasi corporel. Ce n'est pas seulement par des odeurs, mais par des parfums délicieux et très aromatiques que l'hymne d'amour du Cantique des cantiques décrit les membres de l'aimée. Parfois il compare la qualité de leur odeur à un vin aromatisé: «Comme la cinnamome et le baume, j'ai donné du J?arfum, comme une myrrhe de choix, j'ai embaumé» (Si 24,20). Il y a bien d'autres exemples. Il évoque souvent la qualité du parfum par des objets parfumés comme les fleurs, les roses, les jardins, les pigments, la grenade éclatée, etc. 35. Mais les saveurs nous poussent au toucher, car la saveur, selon le Philosophe, est une sorte de toucher; elles poussent à sentir, la saveur incluant les deux sens. C'est par des noms de saveurs qu'on reconnaît les différences entre les odeurs, comme si on les y trouvait de manière fondamentale et plus

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pleine36. De là ce que dit Denys dans le premier livre de la Hiérarchie angélique: «Les douceurs sensibles sont les figures d'une invisible répartition des dons» 37 • Et les images de ces trois sens (que je nommerais plus justement mouvements, vestiges des objets mus et mouvants, paroles et signes qui les désignent) ordonnent l'appétit spirituel, l'entraînent et le conduisent vers l'objet aimé. Mais les signes des fantasmes de la vue purifient davantage l'intellect, dirigent la lumière vers les réalités d'en haut. Quand aux signes visibles se joignent soit des paroles qui désignent la beauté, soit des choses belles et harmonieuses, ou leur caractère aimable, alors elles entraînent davantage le sentiment, comme il est souvent dit dans le Cantique: «Tes joues sont belles» (Ct 1,9); «Tu es belle, mon amie; tu es toute belle» (Ct 6,3 ); «Tu es toute belle et il n'y a pas de tache en toi», etc. (Ct 4,7). Et dans cette hymne d'amour, quand la douceur de la voix s'ajoute au sens des paroles, alors elle entraîne l'amour: «Ta voix est douce, le chant de la tourterelle se fait entendre sur notre terre» ( Ct 2, 12-14). Un attrait s'ajoute alors à l'audition pure. Ainsi l'audition, après s'être dépouillée, entraîne davantage le sentiment, mais seulement dans la mesure où une parole signifiante attire de diverses manières selon la diversité des sens, tantôt le sentiment, tantôt l'intellect. Mais le rôle de l'audition est de former la science et la foi, deuxièmement, de former l'intellect principalement en ce qui concerne les genres, les espèces, la définition des choses, les raisons originelles, ce qui ressortit à l'abstraction. [15. Les sacrements en tant que signes]

Ainsi, les sacrements ont un caractère visible perceptible à l'audition 38, c'est-à-dire que le signe est vu, mais rien de ce qui est signifié visiblement n'est signifié en tant que visible à travers le signe. Il est signifié d'une toute autre manière, comme acquis et perçu par l'audition, comme si on l'enten-

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>, Filosofia e Politica e altri Saggi, Padoue, 1973, p. 67-84.

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INDEX BIBLIQUE Genèse 2,25 p. 166

Exode 12,3 p. 146 12,11 p. 243 32,6 p. 81

Nombres 15,3 p. 69 Deutéronome 10,17 p. 107 32,13 p. 194

Juges 9,8-15 p. 223

Ide Samuel 2,5-8 p. 165

II de Samuel 12,14 p. 223 14,2 p. 223

Ides Rois 5,20-27 p. 111

Job 5,17-18 p.193 13,5 p. 80

Psaumes 4,9 p. 245 9,10 p. 189 9,13,10 p. 164 9,19 p. 164 11,7 p. 231, 253 19,8 p. 143 21,27 p. 160 24,15,18 p. 164 28,11 p. 130 30,11 p. 162 30,12-14 p. 162, 209 30,20-22 p. 163 33,13 p. 165 33,19 p. 192 33,20 p. 193 36,25.26 p. 164 38,2-3 p. 191 39,18 p. 164 40,1 p. 145 41,7-8 p. 208 45,2,3 p. 192 54,23 p. 164 59,13 p. 163 60,3 p. 165 68,16,15 p. 192 68,33 p. 138, 141 71,3 p. 160 75,3 p. 181 75,4 p. 80 80,10 p. 226

268

89,15 p. 128 92,1 p. 227 94,1 p. 203 103,2 p. 227 109,1-3,7 p. 206 118,96 p. 191 118,165 p. 248 119,5 p. 204 120,1 p. 203 125,5 p. 193 126,4 p. 231, 253 132,1 p. 115 132,2 p. 248 132,2-3 p. 209 144,16 p. 158

Proverbes 8,15 p. 95, 106 9,1 p. 84 25,20 p. 196 31,2 p. 197

INDEX

Ecclésiastique 6,25 p. 68 15,3 p. 164 22,21-22 p. 98 24,20 p. 245 Isaïe 1,3 9,6 10,1 19,1 33,2 56,7

p. 228 p. 219 p. 81 p. 229 p. 192 p. 147

Jérémie 7,11 p. 147 15,19 p. 115, 221, 231 17,5 p. 163 22,14 p. 99 31,30 p. 81

Ezéchiel Cantique des Cantiques 1,9 p. 246 2,12-14 p. 246 4,3 p. 247 4,7 p. 246 5,14 p. 247, 255 6,3 p. 246 11,45; 5,10-16; 6,7; 7,10 p. 255

Sagesse 8,1 p. 158

1,4 p. 248 23 p. 86 37,26-27 p. 130

Joël 2,1 p. 80

Michée 4,2 p. 79

Habaquq 3,2 p. 229

INDEX

Zacharie 9,9 p. 145 Matthieu 3,13-15 p. 208 3,17 p. 208 5,23 p. 129 6,1 p. 59, 81 6,5-7 p. 65 6,13 p. 189 6,21 p. 161 6,25 p. 57, 171 6,34 p. 172 8,20 p. 98 8,22 p. 61 10,16 p. 197 10,24 p. 193 11,7 p. 225 11,29 p. 110, 222 13,22 p. 162 13,34 p. 223 14,23 p. 84 16,24 p. 194 18,3-4 p. 219 18,10 p. 85 19,21 p. 161 19,28 p. 160 19,29 p. 160 21,7 p. 181 21,9 p. 142 21,13 p. 84 21,16 p. 81, 143 22,39 p. 157 23,27-28 p. 128 23,39 p. 146 25,4 p. 197

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Marc 7,9 p. 95 10,21 p. 161 10,23 p. 160 10,29-30 p. 162 11,3 p. 144 11,4 p. 143 11,10 p. 181 11,12 p. 84 11,15 p. 148 12,42 p. 56 13,5-13 p. 81

Luc 1,53 p. 165 2,14 p. 130 6,21 p. 159 8,14 p. 146 10,5 p. 130 10,28 p. 194 11,23 p. 93 12,42 p. 69, 152 13,34 p. 81 13,35 p. 146 14,33 p. 161 16,8 p. 198, 223 16,13 p. 160 19,34 p. 144 19,38 p. 142 19,42 p. 146, 181 19,46 p. 84 21,2 p. 155 21,37 p. 84 21,38 p. 181 24,26 p. 193 24,36 p. 130

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Jean 3,6 p. 111 6,63 p. 227 10 p.217 10,9 p. 248 12,13 p. 142 12,19 p. 147 14,9 p. 181 15,12 p. 110 15,20 p. 193 16,7 p. 227 19,37 p. 227 20,19 p. 130 Aaes des Apôtres 4,32 p. 149, 152, 165 5,1 p. 150 8,18 p. 81 8,18-24 p. 111 14,21 p. 193 18,25 p. 79 Aux Romains 1,18 p. 84 5,3-5 p. 163, 191 6,3-4 p. 208 7,14 p. 219 8,17 p. 193 8,18 p. 191 8,21 p. 193 9,33 p. 73 10,2 p. 79 10,3 p. 79, 81 10,14 p. 79 10,17 p. 234 11,20 p. 219

INDEX

12,15 p. 225 14,5 p. 243 14,17 p. 124, 127 15,4 p. 190

I aux Corinthiens 1,26; 2,8 p. 146 2,4 p. 80 2,15 p. 243 3,2 p. 84, 219 3,3 p. 219 3,11 p. 73 4,6 p. 223 6,17 p. 110 9,19 p. 84 10,7 p. 81 10,13 p. 189 13,1 p. 64, 79 13,13 p. 109, 128 14,15 p.63 15,49 p. 219 II aux Corinthiens 4,2 p. 100 4,10 p. 193, 220 4,10-12 p. 248 4,11 p. 193 4,17-18 p. 191 6,10 p. 170 11,27 p. 156 Aux Galates 4,3 p. 83 4,19 p. 243 6,14 p. 194, 248

INDEX

Aux Ephésiens 1,11 p. 3,18 p. 5,18 p. 5,22 p. 5,22-28 6,10-17

68 212 68 124 p. 133 p.161

Aux Philippiens 3,10 p. 220 3,13 p. 194 4,5 p. 196 4,7 p. 176

271

1,12 p. 189 1,17 p. 70, 79, 106 2,1 p. 107 3,6 p. 131 5,7 p. 193

Ide Pierre 2,5 2,6 2,21 5,7

p. 98 p. 73 p. 193, 194 p. 57

II de Pierre 2 p. 81

I aux Thessaloniciens 4,4 p. 100

Ide Jean 3,17 p. 158

I à Timothée 1,5 p. 221, 231 1,9 p. 81 6,8 p. 158 6,9 p. 161 6,17-18 p. 182 6,18 p. 155

II à Timothée 2,19 p. 227 3,12 p. 193 3,16 p. 190

Aux Hébreux 11,1 p. 242 12,6 p. 192

Épître de Jacques 1,5 p. 158

Épître de Jude 4 p. 81

INDEX DES AUTEURS ANCIENS ET MÉDIÉVAUX Albumasar (Abou-maschar)

p. 16 Alexandre Hegius

p.45 Ambroise

p. 71, 73, 91, 100, 103 Andreas Kreynck

p. 123 Anselme

p. 62, 71, 142 Apulée

p. 174, 178, 183, 184 Aristide

p. 178 Aristote

p.66,82,86, 114, 176, 182, 184,216,234,238,254,255 Arnould de Horn

p.29,89 Augustin d'Hippone

Augustin de Dacie

p.203 Barthélémy de Dordrecht

p. 18, 19 Basile

p. 149 Bède

p. 71, 73 Benoît

p. 149, 181 Bernard

p. 19, 21, 22, 59, 62, 71, 73, 74, 75, 91, 98, 157, 158, 182, 200,224,245,249,252,253, 255 Bertold ten Haue

p.22 Bérulle

p. 186 Boendale

p. 125 p. 19,21,22,23,41,44,58, 62, 71, 73, 82, 86, 87, 94, 98, Bonaventure 102, 106, 110, 113, 115, 119, p. 87,224 120, 121, 149, 173, 178, 181, Callisthène 183, 184, 190,200,212,216, p. 86 226,231,233,251,252,253, Chalcidius 254,255 p.200

274

INDEX

Cicéron p. 80, 83, 86, 87, 170, 178

Flavius Josèphe p. 183, 184

Cincinnatus p. 184

Florent de Wevelinckhoven p. 18

Clément VII p. 10, 24, 77

Florent Radewijns p. 15, 31, 32, 41, 42, 43

Conrad Celtis p.45

Gérard Zerbolt de Zutphen p.43

Conrad de Gelnhausen p.24

Gerlach Peters p.44

Conrad Mutian p.45

Gherbrand de Kampen p. 18

Constantin l'Africain p.254

Godefroy de Wevel p. 37

Cra tes p. 178

Gratien p. 99, 102, 120, 182

Démétrius p. 170

Grégoire de Nysse p.254

Denys le Chartreux p. 37

Grégoire IX p. 70, 182

Eckhart p. 9, 10,204,213,253

Grégoire XI p. 10

Elsebe van Geerne p.35

Grégoire le Grand p. 21, 62, 69, 71, 72, 73, 98, 106, 110, 114, 120, 121, 150, 181, 182

Épicure p. 169, 175 Erasme p.45

Guillaume d'Auxerre p. 109, 112, 116, 120, 121 Guillaume d'Ockham p. 14

INDEX

Guillaume de Moerbeke p.254

Hérode p.227

Guillaume de Saint-Thierry p.21, 91,216,253,254, 255,256

Homère p. 178

Guillaume de Salvarvilla p. 10, 16, 24, 77, 78, 79, 253,254,255 Guillaume Jordaens p. 36,37 Guillaume Vroede p. 18, 21, 29, 35 Hadewijch d'Anvers p.212

Horace p.253 Hugues de Fouilloy p. 103 Hugues de Saint-Victor p. 11, 71, 73, 75, 87, 98, 103,212 Ignace de Loyola p.47

Heilwig van der Basselen p. 13

Isidore de Séville p. 71, 73, 95, 102, 119, 120, 121

Henri de Suse (Hostiensis) p. 95, 102, 106, 107

Jacques de Voecht p.42

Henri Suso p. 10, 38, 71, 121, 186, 204,251,252

Jacques de Voragine p. 71,252

Henri Egher de Calcar p. 16,253 Henri Hoxter de Clingebile p.35 Henri Mande p.44 Henricus Pomerius p. 11

Jacques Lefèvre d'Étaples p. 36,37 Jan de Leeuw p. 186 Jean Brinckerink p.41 Jean Buridan p. 14 Jean Busch p. 12, 13

275

276

INDEX

Jean Cassien p. 52, 71, 181 Jean Cele p. 17, 26, 35, 105

Jérôme p. 21, 73, 83, 87, 91, 123, 176, 184,208,212,2 49, 256

Jean Chrysostome p. 21, 71, 73

Jordan de Qyedlinburg p. 125, 186,251

Jean d'Arkel p. 27, 89, 93

Juvénal p. 183

Jean d'Arnhem p. 16, 17

Lucius Valerius p. 184

Jean de Gronde p.32,42

Ludolphe de Saxe p.252

Jean Gerson p.24

Mathieu Grabow p.43

Jean Ruusbroec p. 9, 15, 17, 18, 21, 22, 35, 36, 37, 44, 186, 204, 212, 253,254,255,2 56

Métrodore de Lampsaque p. 169, 183 Miewes de Gouda p. 18

Jean Sarrazin p.251,256

Nepotianus p. 91

Jean Scot Erigène p.251

Nicole Oresme p. 14, 70

Jean Scutken p.39

Petrus Horn p. 13, 15, 16, 17, 18, 77, 203

Jean Tauler p.9

Philippe de Leyde p. 125

Jean Wyclif p.20

Philippe de Mézières p. 70 Phocion p. 178, 184

INDEX

277

Pierre d'Ailly p. 14,251

Rudolf Agricola p.45

Pierre Lombard p. 212

Sénèque p. 57, 58, 66, 70, 80, 82, 87, 138, 139, 166, 169, 175, 183, 184

Platon p. 58, 82, 87, 200 Pline p. 80, 178, 184 Ps.-Bernard p. 71,255 Ps.-Bonaventure p.252 Ps.-Denys p. 19, 25, 28, 71, 73, 216, 224,244,251,252,253,256 Ps.-Sénèque p. 183 Pythagore p. 179 Reynier p. 105 Richard de Saint-Victor p. 71, 73, 75 Richard Swineshead p.254 Rodolphe de Enteren p. 16, 70 Rodolphe Dier de Muiden p. 13, 16, 17, 18, 31, 32, 77, 203

Socrate p. 58, 82, 83, 178 Stilpon de Mégare p. 170, 183 Suétone p. 174, 183 Théophraste p. 123 Thomas a Kempis p. 13, 16, 17, 18, 31, 32, 39, 40, 42, 51, 75, 77, 138, 203 Thomas d'Aquin p.21,30,45, 52,53, 90, 95, 102, 112, 113, 114, 117, 119, 120, 121, 129, 135, 138, 153, 182, 183,254 Thomas de Cantimpré p.256 Tite-Live p. 80 Urbain V p. 15 Urbain VI p. 10, 16, 24, 77

278

Valère Maxime p. 82, 86, 178, 184 Venceslas p. 10

INDEX

Virgile p. 61, 71, 86, 161, 182

TABLE DES MATIÈRES

Introduction La Dévotion Moderne et son Fondateur

9

Lettres et Traités Conclusions et résolutions

51

fu~~n~~p~~~

n

Lettre à Guillaume de Salvarvilla (extrait) Contre la Tour d'Utrecht (extrait) Aux béguines. De la simonie Allocution morale. Adresse aux laïcs Sermon «De la pauvreté» pour la fête des Rameaux Lettre «De patientia» sur la patience et l'Imitation du Christ La traduction des Heures liturgiques et leurs Gloses (extraits) Traité des quatre genres de sujets de méditation. Sermon pour la Nativité du Seigneur

77 89 105 123 137 185 203 215

Bibliographie

259

Index

267

Planche 1: Exorde du Sermon capitulaire de Gérard Grote contre les focaristes, avec la mise en garde d'Isaïe, 52, 11 : [R]ecedite, recedite, exite inde, pollutum nolite tangere.. .

Utrecht, Bibliothèque de l'Université ms. 206, f 1. (Couvent des chanoines réguliers de Marie et des douze Apôtres, vers 1420).

Planche 2: Prologue de Gérard Grote aux Heures de la Vierge. La miniature représente la lactation de saint Bernard par la Vierge. Utrecht, Museum Catharijneconvent, ABM 19, f 16r-17v (vers 1470).

Planche 3: La tour de la cathédrale d'Utrecht.

Planche 4: Détail du panorama de la ville de Deventer gravé par Claes Jansz. Visscher (161 S). Cette reproduct ion montre plusieurs maisons fondées pour les Sœurs et Frères de la Vie commune : La maison de Maître Gérard, 1374 (M. Geerts Clooster); le Buskes Clooster, le Brants Clooster, le Lammen Clooster, fondations ultérieure s. Le Frater huys est la maison de Maître Florent, la Broerekerk l'église des Frères mineurs où Grote assistait à la messe. Deventer, Museum De Waag.