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French Pages 318 [315] Year 1982
L’ÉTAT JUIF DE
L‘UNION
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HENRISLOVÈS &
L’État juif de l’Union soviétique Adapté du yiddish par l’auteur PRÉFACE DE LÉON
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LES PRESSES D’AUJOURD’HUI
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ISBN 2—901386—04—0 0 LES PRESSES D’AUJOURD'HUÏ, 1982.
Diffusion : C.D.E., 30, rue de l'Université, 75007 Paris. Tél. : 261—50—52. Imprimé en France.
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PRÉFACB
L'article 87 —de la Constitution de l’Union soviétique,« État multinational fondé sur le principe du fédéralisme », mentionne encore en 1977, parmi les « régions autonomes », la région autonome juive, mieux connue sous le nom de Birobidjan. Ainsi que l’observe M. Slovès () la fin de son livre, cette entité étatique est la plus originale au monde, puisque sans langue ou culture juive, sans institutionsjuives, et pratiquement sans Juifs. Ceux qui y subsistent une dizaine de milliers sont arrivés avant 1949; depuis, l’immigration juive qui, au moins en 19454948, fut volontaire ou même enthousiaste, n‘existe quasiment plus. Cepen— dant, non seulement la région en question n’a pas été dissoute, mais une feuille mensuelle en yiddish, l’Étoile de Birobidjan, forte de deux pages, continue à y être publiée. Immobilisme soviétique, ou quelque dessein obscur? Le Birobidjan se trouve à l’extrême sud—est de la Sibérie, sur la rive nord du fleuve Amour, qui le sépare de la Manchurie chinoise, et sa superficie, comparable à celle de la Belgique, est de près de 30000 km). L’idée d’en faire une « terre juive » remonte à 1926, époque à laquelle Staline n'était encore qu’un primus inter parcs. Cette région, comme tout l'Extréme-Orient soviétique, était déserte, et menaçait de susciter les convoitises du Japon, qui peu de temps après allait envahir la Manchurie. Il s’agissait donc de constituer une région tampon, à une époque où il était beaucoup question, dans les hautes sphères soviétiques, de mettre un territoire à la disposition des Juifs, afin qu’ils deviennent « une nationalité soviétique comme les autres », tels les Biélorusses ou
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les Géorgiens. Dans la mesure où, dès les premières années du régime bolchevique, le sionisme était interdit et persécuté, il s’agissait aussi de créer pour eux un pôle d’attraction territorial du même genre mais dûment communiste. C’est donc l’histoire de cette entreprise, du commencement jusqu’à la fin et dans tous ses détails, que nous relate M. Slovès dans ce livre, mais ce sont les premiers chapitres, consacrés à la relation entre les Juifs et le bolchevisme, qui me paraissent les plus saisissants. Cette question a déjà souvent été traitée, mais jamais encore à ma connaissance, avec cette clarté et ce relief. On se souviendra, à ce propos, que Hitler nefut pas le premier :) présenter le communisme comme une conspiration juive :dès le premier jour, dès octobre 1917, cette accusation fut colportée () travers tout l’Occident, et jusqu’en 1920—1921, elle ne faisait que gagner en retentissement. C’est ainsi qu’en mai 1920, The Times, l’augure mondial, la reprenait à son compte, tandis qu’aux États— Unis, une commission sénatoriale épisodique menait une enquête a ce sujet. Depuis 1945, de nombreux historiens surtout américains ont cherché à établir le rôle exact des Juifs dans la révolution russe et la « construction du communisme ». Ils’est avéré qu’en 1897, les ouvriers juifs furent en Russie les premiers à s’organiser en parti marxiste clandestin (le Band), donnant l’exemple aux marxistes russes, Mais comme on le sait, ces derniers, c’est-à-dire le parti social-démocrate russe, se scindèrent en 1903 en bolcheviks et mencheviks. Ilse trouva alors que dans leur majorité, les militants d‘origine juive peut—être en raison d’une meilleure fidélité à la lettre marxiste, se rapprochèrent des mencheviks. D’après une plaisanterie de l’époque rapportée par Staline, « ce serait une bonne idée pour nous autres bolcheviks que d’organiser un pogrome, au sein du parti social—démocrate ». Ce n’est qu’en 1918—1921 que des Juifs de toute provenance se rallièrent en grand nombre au nouveau régime, au point de famer près de 16 % des cadres du parti. A ce propos, M. Slovès met bien en évidence un point important auquel on n’apporte pas d’ordinaire l’attention requise : à savoir, le fossé linguistique et culturel qui séparait les masses juives yiddishophanes, fidèles au Band ou à leurs autres partis nationaux, des intellectuels intégralement assimilés, qui militaient dans tous les mouvements anti-tsaristes russes, réformistes ou révolutionnaires, avec précisément une exception de
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défaveur pour le parti de Lénine. Et l’une des qualités majeures de ce livre est précisément de puiser, de préférence, aux sources en yiddish. On apprend de la sorte à quel point le coup d’État d’octobre laissa indifférent ou même inquiéta le Juif moyen, qu’il soit commerçant ou qu’il soit ouvrier, alors que, depuis une trentaine d’années, les autorités et la police tsaristes ne cessaient d’identifier, ou peu s’en faut, le judaïsme à la révolution. Ce qui se passa ensuite constitue l’illustration historiquement la plus grandiose de ce que les sociologues qualifient de « prophétie d’elle—méme accomplie ». En effet, l’une des tâches les plus délicates qui se posait aux bolcheviks consistait dans la conquête du prolétariat juif. Il s'agissait pour eux d’une sorte de terra incognita, () tel point qu’ils furent d’abord en peine de trouver des journalistes sachant écrire correctement le yiddish. Ce n’est qu’à la fin de 1918 qu’une « Section communiste juive », (la Yevsektsia) put étre constituée. Son dirigeant, Simon Dimanstein, déplorait que les Juifs consti— tuent dans leur majorité « une classe de gens ayant une psycholo— gie de bourgeois et des poches de prolétaires », et ilproclamait : « Nous devons prendre les mesures nécéssaires pour que ces hommes deviennent productifi, pour qu’iis puissent servir notre République socialiste soviétique. Nous devons créer des com— munes juives et famer des travailleurs agricoles juifs. Nous devons créer une Palestine à Moscou. Nous devons détruire la psycholo— gie bourgeoise de ces hommes aux poches prolétariennes. »
La formule « Palestine à Moscou » était pour le moins choquante, et nombre de militants juifs, accusèrent aussitôt Dimanstein de... sionisme. La partie paraissait mal engagée. Mais l’histoire vint alors au secours de Dimanstein et de sa squelettique « Yevsektsia »: a la méme époque, des armées blanches se constituaient à la périphérie de l’immense pays, qui se réclamaient de la Sainte Russie et de ses anciens monarques et qui, fidèles à l’enseignement de ceux—ci, voyaient dans les Juifs la quintessence du mal. En Ukraine et ailleurs, d’immenses pogromes furent perpétrés en 1919 75 000 tués et des dévasta— tions sans nombre; en l’espace de quelques mois, les Juifs en vinrent () craindre les « Blancs » comme ils craindront par la suite les nazis. Ils devinrent pro—bolcheviks ou bolcheviks comme ils
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deviendront en 1939—1945 pro—gaullistes ou gaullistes, d’autant que Lénine dénonçait l’andsémitisme avec fureur. La prophétie s’était donc, en apparence du moins, accomplie. Et cette apparence était d’autant plus crédible que « les bourgeois aux poches prolétariennes », privés de leur gagne—pain de petits commerçants ou petits artisans, ou fuyant leurs foyers dévastés, entrèrent par dizaines de milliers darts la nouvelle administration soviétique, parfois aux postes de commande. Citons () ce propos un instantané du célèbre reporter Albert Londres, datant de l’été 1920.
« Alors, qui règne à Moscou ? Règne tout le personnel agissant des congrès socialistes. Règnent tous les exilés crasseux, taupes de bibliothèques internationales, qui usèrent leur jeunesse sur les livres traitant du paupérisme, afin de rechercher comment ils pourraient vivre. Règnent le Sibérien, le Mongol, l’Aménien, l‘Asiatique, et au détour de tous les couloirs, des commissariats, derrière les paravents, entre deux buvards, sous la corbeille à papier, le roi :le Juif. »
Mais ily eut encore autre chose. Ily eut, précisément au cours de l’été 1920, cette ruée de l’Année rouge sur Varsovie qui, comme nous le montrent les étonnaan documean produits par Henri Slovès, en vint à troubler les cœurs des mencheviks ou des « bundistes » les plus sceptiques ou les plus fermes : après la Pologne, ne serait—ce pas le tour de l’Allemagne et des autres pays surindustrialisés ? Les temps apocalyptiques, conformes au schéma marxiste classique, n’étaient-ils pas arrivés ? Mais le reflux de l’Armée rougefut aussi rapide que leflux, et le problème qui se posait :) la Yevsektsia demeurait entier. Comment, dans le cadre de la politique soviétique des nationalités, régler la condition des Juifs ? On connaît la formule générale : chaque nationalité, sur son territoire, avait droit à l’épanouissement de sa culture, « nationale dans sa forme, socialiste dans son contenu ». Pour ce qui était de la forme, l’hébreu, « langue cléricale », fut proscrit en même temps que le sionisme, la vie culturelle juive devait se poursuivre exclusivement en yiddish;et dans les régions à peuplement juif dense, des écoles, des journaux et des théâtres yiddish furent créés en assez grand nombre. Quant au « contenu » et en dehors du cadre purement culturel, il irnportait évidemment de bouleverser de fond en comble les activités
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professionnelles des Juifs, puisque, sous le tsarisme, une minorité seulement travaillait dans les grandes usines ou cultivait la terre. Les efforts entrepris en ce sens permirent de doubler le nombre des paysans juifs, qui atteignit 150000 en 1926, et d’aiguiller nombre de jeunes vers des écoles d’apprentissage. Résultats encore maigres, mais résultats suffisants pour que, l’immigration dans les grandes villes aidant, les jeunes Juifs manifestent une forte propension à se russifier. C’est alors que le président de l’Union soviétique, Mikhail Kalinine, un vieux militant d’origine paysanne, se constitua en apôtre de « l’identité juive », exhortant publiquement les Juifs non seulement à se faire massivement agriculteurs, mais ce faisant, de fortifier leur nationalité ou d'assurer leur « auto— préservation nationale » Guin 1926). Cet objectif fut violemment critiqué par certains dirigeants de la Yevsektsia, qui reprochèrent à Kalinine de « capituler devant le nationalismejuif », et sans doute interprétaient—ils plusfidèlement que celui—ci la doctrine de Lénine sur les nationalités. Une polémique s’engagea qui, l’année suivante, fia arbitrée par Staline, dans le sens indiqué par Kalinine, et sans doute sur l’avis de ses conseillers militaires. En 1928, la colonisation par les Juifs soviétiques d’une terre lointaine et sauvage commençait, que Henri Slovès décrit chapitre par chapitre :en fin de compte, ce ne furent pas les difiicultés de l‘installation dans la forêt vierge sibérienne, mais les purges de tout ordre émaillant le règne de Staline qui firent échouer la grandiose entreprise. Certes, il y eut de nombreux abandons et départs individuels comme, du reste, lors de la colonisation de la Palestine; mais il y eut aussi des milliers de jeunes gens dont l’enthousiasme et le courage ne le cédaient en rien à ceux des bâtisseurs des kibboutzirn. En février 1936, le lieutenant le plus fidèle de Staline, Lazare Kaganovitch, vint rendre hommage, en personne, aux pionniers du Birobidjan. Le soir, au théâtre de la ville, il prononça un discours enthousiaste, dans lequel il évoquait sans doute pour la première fois dans sa vie « les moments héroïques de l’histoire juive ». A l’époque, près de vingt mille Juifs étaient déjà installés dans leur « région autonome ». Mais une première catastrophe ne tarda pas; a la fin de la même année 1936, au lendemain de la première vague des procès de Moscou qui déclenchèrent « la grande terreur », la décapita-
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tion des cadres du Birobidjan entraîna un arrét total de l’immigration juive, pour une dizaine d’années. En même temps, le yiddish perdait sa position privilégiée de « langue officielle », pour étre remplacé par le russe, aussi bien dans la vie administrative et judiciaire que dans la majeure partie des établissements d’ensei— gnement.
Cependant, la Deuxième Guerre mondiale en vint à modifier certaines données du problème, même dans la perspective du régime soviétique. Après la défaite du III‘ Reich, un nombre incalculable de Juifs qui avaient fui l’invasion ne retrouvaient aucune trace de leurs anciens foyers et de leurs proches, dans les régions dévastées par les troupes allemandes. L’accueil de la population locale, en Biélorussie ou en Ukraine, s'avérait souvent hostile. De plus, Staline ne montrait aucune inclination pour reconstruire les vieux villages juifs de la Russie méridionale, notamment ceux de Crimée. Spontanément, des milliers de heimatlos juifs, surtout lorsqu’ils étaient de souche paysanne, songèrent au Birobidjan, et au début de 1946, le Guide suprême donnait son assentiment à une reprise de l’immigration juive. En 1946-1948, plusieurs milliers de familles juives' s'établissaient au Birobidjan, et le yiddish y retrouvait sa position de langue officielle, tandis que les institutions culturelles juives étaient rétablies. Les victimes désignées de la férocité hitlérienne croyaient enfin avoir trouvé, après d’interminables errances, un
foyer définitif. Ce nefut paspour bien longtemps, et la nouvelle désillusion fut pire que la précédente. A la fin de 1948, l'Union soviétique fut le théâtre d’une nouvelle purge, celle-ci ouvertement antisémite (« purge des cosmopolites sans patrie »). Aussi bien des écrivains ou journalistes yiddish que d’innombrables littérateurs, artistes et savants qui s’étaient fait un nom dans la vie russe furent publiquement dénoncés : des procès secrets, des exécutions et des déportations s’ensuivirent, sans parler d’innombrables limogeages. Cette purge ne manqua pas de s’étendre au Birobidjan juif, dont les cadres furent décimés sous l’inévitable prétexte d’espionnage au profit des États-Unis. Depuis, seuls les citoyens soviétiques non juifs s’installent dans la « région autonome juive » (actuellement, leur nombre y dépasse 150000). 1. De 10… à 30000 Juifs, suivant les témoignages.
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Cependant, on peut s’interroger sur les projets de Staline et de son entourage, lorsqu’en janvier 1953 ils mirent en accusation, avec le retentissement dont on se souvient, « les assassins en blouse blanche », c’est—à-dire des médecins surtout juifs. La mort de Staline coupa court au procès: suivant des informations sérieuses et concordantes, l’exécution des accusés devait être suivie par une vague de pogromes, et par une évacuation, « sur leur propre demande », des Juifs soviétiques en Sibérie. Au Birobidjan, ou ailleurs ? Sur ce point, les sources sont muettes‘ En 1958, Nikita Khrouchtchev, dans un de ses moments d'abandon, reprochait aux Juifs « d’éviter les professions de masse... Ils n'aiment pas le travail collectif, la discipline de groupe. Ils ont toujours été dispersés. Ce sont des individualistes ». Quoi qu’il en soit de ces propos khrouchtchéviens, la minutieuse chronique de Henri Slovès jette une clarté aveuglante sur l’une des facettes les plus tragiques et des plus caractéristi— ques de la réalité soviétique.
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L. Pomov.
]. Cf. en dernier lieu M. Heller et A. Nekrich, l’Utopie au pouvoir, Histoire de l’U.R.S.S., de 1917 à nos jours, Calmann—Léw, 1982, pp. 419—420.
AVANT-PROPOS
« Pour la première fois de son histoire, le peuple juif a vu réaliser son ardent désir de fonder une patrie, de bâtir un État national. » La phrase est extraite d’un décret pris à Moscou, par le présidium du Comité central exécutif de l’U.R.S.S., en date du 29 août 1936, soit près de vingt ans aprés « la déclaration Balfour » et plus d’une décennie avant la naissance de l’État d’Israël. Cet « État national » juif, le premier depuis deux mille ans, se trouvait en Union soviétique, où d’ailleurs il se trouve toujours, du moins officiellement et sur le papier. Le terme d’« État national » doit, bien entendu, être pris dans le sens que lui confère le droit constitutionnel soviétique. Il s’agit en fait d'une entité étatique nationale, la Région auto— nome juive, que mentionne l’article 87 de la Constitution soviétique de 1977, à côté de quatre autres Régions autonomes faisant partie de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (R.S.F.S.R.). L’Etat juif de l’Union soviétique a vu le jour le 28 mars 1928, en Extrême-Orient soviétique, aux confins de l’U.R.S.S., à la frontière même de la Chine, dans une contrée inexplorée et presque inhabitée que l’on appelait tantôt Birsko—Bidjansk, tantôt Bidjano—Birsk, et qui devait connaître une notoriété mondiale sous la dénomination de Birobidjan. L’histoire juive allait brusquement s’enrichir d’un chapitre nouveau portant ce titre étrange : Le Birobidjan, Région
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autonome juive, future République autonome socialiste soviéti— que juive. Le président de l’U.R.S.S., Mikhail Kaünine, rappelait, dans une déclaration retenfissante du 28 mai 1934 : « Les prolétaires juifs ont leur patrie, l’U.R.S.S., et un État national juif. Ils sont devenus une nation. » Et il ajouta : « Je considère que, dans une dizaine d’années, le Birobidjan sera le plus important, sinon l’unique gardien de la culture juive socialiste et nationale. » « Le plus important sinon le seul gardien » pour qui ? La société juive soviétique interpréta ces paroles dans le sens le plus large. Le journal moscovite Der Emess, en yiddish, écrivait le 18 avril 1937 : « La Région autonome juive doit devenir et deviendra le centre culturel le plus important du peuple juif en et pas seulement en Union soviétique. » Union soviétique Autrement dit : le plus important centre culturel juif, non seulement pour le judaïsme soviétique, mais pour le peuple juif du monde entier. « Doit devenir et deviendra... » Or, la prédiction ne s’est pas réalisée. Nikita Khrouchtchev lui—même, à l’époque secrétaire général du Parti communiste pansoviétique et président du Conseil des ministres de l’U.R.S.S., déclara en avril 1958 : « Si l’on fait le bilan, il est juste de constater que la colonisation juive au Birobidjan se solde par un échec. » L‘histoire de l’État juif de l'Union soviétique est presque inconnue hors des frontières de l’U.R.S.S. Elle est pourtant profondément instructive et parfois même bouleversante. L‘his— toire du Birobidjan dépasse largement les frontières du Birobid— jan. Elle est, en quelque sorte, le point de cristallisation de toute la problématique du judaïsme soviétique. Cette histoire n’ap— partient donc pas qu’à l’histoire. Elle fait partie de l‘actualité, dans ses prolongements les plus divers. L’État juif soviétique était—il condamné d’avance à l’échec, victime d’insolubles contradictions internes ? Le chapitre du Birobidjan ne devait—il rester, nécessairement, qu’un épisode sans lendemain, étrange, tragique et parfois tout simplement absurde, digne des vieilles annales du faux messianisme ? L‘auteur du présent ouvrage a essayé de trouver réponse à ces
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Avant—propos
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questions, utilisant toutes les sourœs actuellement connues qui ne sont certainement pas définitives. Pour la phraséologie officielle. l’Etat juif de l’Union soviétique devait être le chef—d’œuvre, « le couronnement de toute l’œuvre du Parti et du pouvoir soviétique en milieu juif 2 ». Le Birobidjan est devenu un symbole, le symbole de la solution socialiste de la question nationale et de la question juive en particulier. Ce symbole demeure effectivement, mais constitue un exem— ple a contrario. Il est devenu le symbole de non—solution, d’échec complet, de fiasco absolu. Kalinine aimait qualifier le Birobidjan de « miroir étatique du peuple juif soviétique ». Ce miroir reflète aujourd’hui tout le tragique de l‘étrange destin, tant de l’État juif que « du peuple juif soviétique » '.
‘ Je tiens à remercier très vivement mes amis Michelle-Irène et Marc B. de Launay d’avoir bien voulu relire la version française du présent ouvrage.
……n Dictature du prolétariat contre Maison d’Israël Le 20 octobre 1918, à Moscou, eut lieu l’inauguration solennelle, dans un ci-devant hôtel particulier devenu le siège du Commissariat central juif, d’une conférence au nom peu ordinaire. Elle était intitulée, d’après les communiqués parus dans la presse : « Première Conférence des communistes juifs, des représentants des Commissariats juifs et des enseignants accep— tant le programme scolaire du Commissariat juif. » Cette dénomination à tiroirs communistes, Commissariats et ensei— gnants pouvait signifier qu’il s’agissait là d’une rencontre consacrée principalement, sinon exclusivement, aux problèmes de l’école et de l’éducation. Or, il n’en était rien. Les questions soumises à l’examen de la conférence se trouvaient indiquées dans l’ordre du jour suivant :
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1. La situation politique. 2. Rapport du Commissariat central juif. 3. Les tâches des organisations communistes juives. 4. La question nationale et le pouvoir soviétique. 5. L‘attitude à l’égard de l’organisation communautaire (Kehila) et des organisations sociales juives. 6. Culture et éducation (avec exposé spécial sur le théâtre).
Pour un tel ordre du jour, la composition de la Conférence avait toutefois de quoi étonner. Sur les soixante—quatre délé— gués réunis, trente et un étaient communistes et représentaient les Commissariats juifs et les sections juives du Parti. Les trentetrois autres, tous « sans—parti », ne représentaient strictement rien et n’avaient été élus par personne. Ils étaient simplement
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à titre de délégués. Le invités par le Commissariat central juif titre comportait peu de droits. Trois seulement de ces « délé— et cela non sans mal —, mais gués » obtinrent droit de vote uniquement pour les questions se rapportant à l’enseignement. C’est ainsi que se présentait la première tentative faite par le Commissariat central juif seul représentant officiel du pouvoir soviétique parmi la population juive, seul organe gouvernemental juif pour « mobiliser toutes les énergies intellectuelles prêtes à soutenir le pouvoir soviétique et apporter leur concours à la naissance d’une nouvelle culture juive prolétarienne ». La tentative se solda rapidement par un échec éclatant. Des l’ouverture de la Conférence, la partie invitante s’aperçut qu’elle s’était complètement trompée sur la nature de ses invités. « Un très grand nombre » d’entre eux se révélèrent étre « des adversaires du pouvoir soviétique, des ennemis acharnée du Commissariat juif ou simplement des petits—bourgeois natio—
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nalistes2 ».
Le premier conflit éclata précisément à propos du droit de
vote. Les « délégués » invités exigeaient les mêmes droits que ceux de tous les autres délégués. Ensuite, le problème de la
langue suscita des heurts. Les enseignants insistaient pour que les débats fussent menés exclusivement en yiddish. Cela n’était guère possible, car nombre de représentants des Commissariats juifs ne connaissaient pas, ou très peu, cette langue. Finalement, toute entente se révélant irréalisable, les invités furent simplement ignorés. Les résolutions étaient adoptées au nom de la « Première Conférence des Commissariats juifs et des sections communistes juives », et c’est sous ce nom que la Conférence est entrée dans l’histoire du judaïsme soviétique. Cet échec total de la tentative faite pour « mobiliser les énergies », « réunir tous les intellectuels juifs prosoviétiques et les regrouper autour des Commissariats juifs et des Sections juives » est une illustration éclatante, parmi tant d’autres, d’un fait historique qui doit être rappelé et souligné : la révolution d’Octobre et le pouvoir soviétique ne trouvèrent, au début, guère d’appui au sein du judaïsme russe. Plusieurs facteurs étaient à l’origine de ce fait et, en premier lieu, l’absence quasi totale du Parti bolchevik, avant la révolution d’Octobre, sur l’arène politique spécifiquement juive.
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Contrairement au mouvement ouvrier de Pologne, où le Parti socialiste polonais (P.P.S.) s’efforça, non sans succès, de prendre racine également parmi le prolétariat juif du pays, le mouvement ouvrier russe en général et le Parti bolchevik en particulier n’eurent, en fait, presque aucune activité parmi la classe ouvrière juive. En 1903, après que le Bund, à la suite des divergences sur la question nationale, eut quitté le Parti social—démocrate ouvrier de Russie (R.S.D.R.P.), jusqu’alors unifié, des comités sociaux— démocrates dits « Comités du Nord—Ouest et de Polessie » furent créés dans les régions occidentales de l’Empire russe à forte œnœntration juive, telles que Vilno, Minsk, Kovno, Vitebsk, etc. Ces comités devaient à la fois combattre le Bund sur le terrain juif et établir des contacts avec les ouvriers russes de la région. Cependant leur influence en milieu juif se révéla négligeable. L’historien communiste Nahum Boukhbinder constate que ces comités ou groupes du R.S.D.R.P. n’ont pas connu de « succès tangibles, manquaient surtout d’inteüectuels et ne sont pas même parvenus à publier la moindre littérature de propagande en yiddish3 ». L’absence complète du Parti bolchevik dans la vie politique juive fut également confirmée par un témoin aussi irrécusable que Simon Dimanstein, premier dirigeant du Commissariat central juif, un vieux bolcheviste qui avait lui-même milité dans les « Comités du Nord—Ouest ». « Le Parti bolchevik russe, écrivit—il, ne mena aucrme activité parmi les masses juives... Durant les quinze années d’existence du Parti, seul le programme du parti russe fut édité, traduit en un yiddish exécrable, avec quelques proclamations en yiddish. Abstraction faite d’un certain nombre, fort restreint, de publications yiddish parues en Pologne, ce fut là tout ce que le Parti entreprit à l’intention des ouvriers juifs. Etant donné le peu de cas que l’on faisait du travail en milieu juif, il n’est pas étonnant que l’on ait compté peu de camarades juifs dans nos rangs. Ils devaient rester au Bund et dans d’autres formations juives qui s’occupaient d’eux tout particulièrement et parlaient leur
langue‘. »
Ce phénomène serait—il dû, en partie au moins, aux conditions d’illégaüté dans lesquelles se trouvaient le mouvement ouvrier
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en Russie ? Nnflement. C’est précisément lorsque l’illégaüté cessa qu’apparut pleinement cet étrange éloignement, cette « distanciation » entre le Parti bolchevik d’une part, et les masses juives de l’autre. Aussitôt après la révolution de Février qui abrogea toute la législation d’exception anti—juive et proclama l‘égalité des droits pour les Juifs de l’Empire tsariste, on assista à une renaissance extraordinaire au sein du judaïsme russe. Le bouillonnement d’idées, la confrontation entre forces sociales opposées, la lutte de plus en plus âpre des partis politiques juifs trouvèrent, notamment, leur expression dans un essor exceptionnel de la presse juive, en yiddish et en russe. Des dizaines et dizaines de publications quotidiens et périodiques divers naquirent du jour au lendemain. La toute première place dans la presse en yiddish était tenue par le Bund. Vinrent ensuite le Parti ouvrier social—démocrate juif « Poalé—Sion », le « Parti ouvrier socialiste juif unifié 8.8. et LS. », le « Parti populaire juif », la « Fraction sioniste populaire Tzé‘iré-Sion » et, en dernière place, avec une bonne dizaine de titres, l’Organisation sioniste. La répartition fut sensiblement différente dans la presse juive de langue russe. La première place, avec presque la moitié des publications, revenait à l’Organisation sioniste. La dernière plaœ, au Bund. Entre les deux venaient, dans le même ordre, les formations nommées plus haut. Dans œ tableau, un fait saute aux yeux : en l’année 1917, témoin de deux révolutions, alors que le judaïsme russe vibrait tout entier d’ardentes passions politiques et que la presse juive, en yiddish et en russe, reflétait, à sa manière, les affrontements d’idées qui secouaient le pays, une voix manquait dans la confrontation générale, celle précisément qui allait dominer toutes les autres et bientôt les supplanter, pour rester seule et unique — la voix du Parti bolchevik. Ni avant ni après la révolution de Février, ni avant ni aussitôt après la révolution d’Octobre, le Parti bolchevik ne songea à créer une tribune spécialement destinée aux populations juives. La première publication bolcheviste juive, en yiddish, parut six mois après les événements d’octobre, le 8 mars 1918, sous un titre traditionnel dans le mouvement socialiste : Warheit (La
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Vérité). Editée oficieflement par le Commissariat central juif comme « organe des sociaux—démocrates bolcheviks et des socialistes-révolutionnaires de gauche » (les deux partis gouver— nementaux), elle devint dès le mois de juin 1918, après le départ des socialistes—révolutionnaires du gouvernement, « l’organe des Communistes (bolcheviks) ». Le 7 août 1918, cette publica— tion fut transformée en quotidien le premier quotidien juif communiste. Le titre Warheit, puisé dans le vieux « fonds germanique », fit place à l’expression plus moderne, provenant du lexique hébraïque : Der Emess (« La Vérité » encore et toujours). Simon Dimanstein, placé à la tète du Commissariat central juif, raconte ce que fut l’enfantement du journal :
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« Quand nous en vînmes à préparer le premier journal communiste Warheit, nous nous heurtàmes a des difficultés inouîes. Non seulement il n’y avait personne pour écrire régulièrement des articles convenables, mais on ne pouvait même pas trouver de traducteur. Personne ne voulait y aller. Nous finimes par engager deux émigrés arrivés récemment de l’étranger. L’un ne connaissait pas le russe, le second, le yiddish. On leur donna des dictionnaires bilingues et on les attela au travail de traduction ’. »
Les difiicultés de langue n’expüquaient pas tout et, d’ailleurs, elles étaient plutôt l’effet que la cause. Un mois après Warheit, le Commissariat juif fit paraître, en avril 1918, une seconde publication, en russe cette fois, Yevreyskaïa Tribuna (Tribune juive), sans la moindre difficulté de langue, bien entendu. Et pourtant, la Yevreyskaïa Tribuna n’eut droit qu’à quelques numéros. Le problème, de toute évidence, n‘était pas technique mais politique. Ce ne fut nullement un écran linguistique qui sépara le Parti bolchevik du judaïsme russe, mais un différend essentiel, une incompréhension fondamentale des processus historiques qui, au cours de la seconde moitié du XIX° siècle et au début du xx‘ siècle, avaient transformé de fond en comble la réalité juive d'Europe orientale, la rendant complètement étrangère aux vieux schémas de Marx lui-même. Il en résulta une méconnaissance profonde de toute la problématique natio— nale juive. Paradoxalement, le Parti bolchevik comptait dans ses rangs,
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et surtout dans ses organismes dirigeants, de nombreux juifs. Mais ces « révolutionnaires professionnels », purs et durs, entraient en révolution comme on entrait en religion, en renonçant au monde et, tout d’abord, au monde de leurs pères. L’image figée d’un judaïsme traditionnel qu’ils avaient rejeté leur cachait la métamorphose d’une communauté confession— nelle séculaire, refermée sur elle-même, en une collectivité nationale moderne, socialement différenciée et ouverte au monde. Au fond, œ que l’on appelait curieusement en Russie « la rue juive » (vague souvenir d’un lointain ghetto) était pour le Parti bolchevik une terra incognita, un terrain inconnu et inamica1, voire une terre hostile, qu'il fallait commencer par conquérir de haute lutte par la dictature du prolétariat. L’objectif de la dictature du prolétariat était curieusement, en l’occurrence, non seulement de vaincre la bourgeoisie juive, mais aussi de conquérir le prolétariat juif lui-même. Le 26 octobre 1917, au lendemain du renversement du gouvernement de Kerenski, le congrès panmsse des Soviets approuva la constitution du premier gouvernement soviétique, « premier gouvernement des ouvriers et des paysans », le Conseil des commissaires du peuple. Au nombre des Commissale tenue de ministère avait été riats du peuple (Narkorns) abrogé figurait un Commissariat aux nationalités (Narkomnatz). Ce département, d’une importance malgré tout secon— daire par rapport à celui de l’armée ou des affaires étrangères, était confié à un dirigeant bolcheviste en vue, mais tout a fait de à un certain Joseph Vissarionovitch Djougaeh— second rang vili, dit Staline. On lui attribua pour adjoint le vieux bolchevik juif Simon Dimanstein. Dès 1917, le Narkomnatz se mit à organiser divers Commissa— riats nationaux polonais, letton, etc. qui avaient pour mission de répandre la bonne parole de la révolution d’Octobre et d’appliquer les premières dispositions gouvernementales parmi les Polonais ou les Lettons habitant le territoire de la Russie soviétique. Ces Commissariats furent créés sans difficulté aucune, en liaison étroite avec les partis communistes ou procommunistes nationaux et constituèrent, en fait, une émana— tion de ces partis. Il en alla tout autrement lorsqu’il fallut créer le Commissariat juif.
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Il apparut rapidement, acta Dimanstein, qu’« il n’y avait pas un seul parti ou groupe juif organisé qui acceptât d’assumer cette tâche. De nombreux camarades isolés, Juifs communistes, se sont rendu compte que c’était une grande faute de laisser les masses juives au Bund et aux autres partis juifs petits-bourgeois. Mais c’étaient là des camarades qui n’avaient jamais effectué de travail juif particulier auparavant... Plus encore, ils n’étaient pas familiarisés avec la vie des travailleurs juifs, d’aucuns ne connaissaient même pas le yiddish" ». La « grande faute » était commise et le mal consommé. Tant le Bund que « les autres partis juifs petits—bourgeois » et avec eux les masses juives se retrouvèrent dans le camp des adversaires résolus de la révolution d’Octobre et du pouvoir soviétique. A la séance inaugurale du 11° congrès des Soviets ouvriers et soldats, le 25 octobre 1917, au moment même où la canonnière « L’Aur0re » commençait à bombarder le Palais d’hiver, le délégué du Bund, H. Erlich, fit la déclaration suivante :
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« Au nom du groupe bundiste, j’estime de mon devoir de déclarer que nous considérons comme un malheur tout ce qui se passe actuellement à Petrograd. Nous devons cette vérité au prolétariat juif de ce pays. Je suis également mandaté pour annoncer, au nom des mencheviks et des socialistes-révolution— naires, qu’une partie des conseillers de la Douma municipale ont décidé de se rendre sur la place du Palais d’hiver, sous la fusillade et sans armes. Le Comité exécutif du soviet des députés—paysans, les fractions mencheviste et socialiste-révolu— tionnaire du soviet des députés ouvriers et soldats, ont décidé d’y aller avec eux. Nous avons choisi d’exprimer ainsi notre protestation contre ce qui se passe et nous appelons tous ceux qui veulent éviter des effusions de sang, à venir avec nous. Peutêtre notre départ parviendra-t-il à ramener àla raison les fous ou les criminels . »
Après cette déclaration, les bundistes, mencheviks et socia— listes-révolutionnaires quittèrent le congrès panrusse des Soviets. L’histoire ne dit pas s’ils réussirent à gagner la place du Palais d’hiver. Ce qui est certain, par contre, c’est que « les fous on les criminels » ne furent pas « ramenés àla raison ». Ce fut le début des « dix jours qui ébran_1èrent le monde ».
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En décembre 1917 se tint à Petrograd la huitième conférence du Bund. Elle condamna avec vigueur et fermeté le soulèvement d’Octobre. « Sous le masque d’une dictature de classe d’ouvriers et de paysans, lit—on dans la résolution politique de la Conférence, ont été créées une anarchie incessante, la dictature d’un parti, la tyrannie insupportable de commissaires et de comités irresponsables... Sous l’étendard de la lutte contre la bourgeoisie, le combat est en fait mené contre la majorité démocratique. Cela ne fait que servir la contre-révolution bourgeoise et pousser les bolcheviks à mener une politique de terreur et d’arbitraire, à étouffer toutes les libertés civiques “. »
Les deux autres partis socialistes juifs, les Poalé-Sion et les socialistes unifiés, beaucoup moins engagés dans la vie politique générale du pays, avaient peu de contacts avec les acteurs principaux du drame historique qui se joua en ces journées d’Octobre. Leur position fut plus nuancée et, dans l’ensemble, moins tranchée, tout en restant fondamentalement hostile. Dans de telles conditions, la poignée de « communistes juifs militant au sein du Parti » ne put compter sur leur concours. Ces militants durent s’atteler eux-mêmes à la tâche et organiser par leurs propres moyens le Commissariat national juif. Ce Commissariat fut officiellement créé le 20 janvier 1918. Les organisations juives répondirent aussitôt par un boycott, à l’instar de celui que la haute société russe, adversaire farouche du pouvoir soviétique, et l’immense majorité des fonctionnaires de l’administration publique décrétèrent contre l’appareil d'Etat soviétique, dans toutes ses formes. On refusa toute collaboration avec le Commissariat juif. On exerça des pressions sur l’intelligentsia sans—parti pour qu'elle décline tout emploi, tout offre d’un poste. De toute façon, le pouvoir soviétique ne devait tenir que quelques semaines, au mieux quelques mois. En tête du mouvement de boycott se trouvait, parmi les partis socialistes juifs, le Bund, suivi par les socialistes unifiés et, de plus en plus mollement, les Poalé—Sion. Totalement isolé à Moscou où la population juive, alors peu nombreuse, comptait toutes sortes de chefs de partis, d’états— majors politiques et de représentants des professions libérales, le Commissariat juif chercha un soutien dans les communautés
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juives plus denses de la province. Avec l’aide de quelques les premiers transfuges du Bund « bundistes—communistes » ralliés au communisme on réussit à créer une dizaine de sections locales du Commissariat. De grands efforts furent déployés dans le domaine politique, en matière de lutte contre l’antisémitisme notamment, aussi bien sur le plan général, par le biais des instances centrales du parti et du gouvernement, que plus directement, sur le plan local. On organisa des services d’aide aux réfugiés de guerre. Mais aucune initiative, si heu— reuse fût—elle, aucune réalisation n‘entraina la moindre recon— naissance de la part de la « classe politique » juive. Le 30 juin 1918 s’ouvrit, à Moscou, une assemblée des délégués d’organisations communautaires juives (kehilot) de la Grande-Russie. L’assemblée mit au point un statut pour les organisations communautaires et élut un Conseil central exécutif de quarante membres : seize sionistes, six bundistes, cinq orthodoxes, quatre sans—parti, trois socialistes-unifiés. trois Poalé—Sion, deux popuüstes et un représentant d’un « groupe national ». La répartition reflétait plus ou moins fidèlement les influences respectives des partis, exprimées au cours de diverses élections communautaires. Dans ces élections, l’organisation sioniste dominait habituellement, avec en moyenne 40 % des voix; le Bund, largement en tête des listes ouvrières, venait en seconde plaœ, avec une moyenne de 20 % du corps électoral. Aucune place ne fut attribuée aux bolchevistes dans le Conseil central exécutif des organisations communautaires, et cela pour une raison fort simple : ils restaient en dehors de cette vieille institution traditionnelle, symbole d’un passé dont il fallait précisément faire « table rase ». La situation n’en était pas moins étrange. Non seulement le Commissariat juif organe de gouvernement et instrument de la dictature du prolétariat se trouvait exclu de toute vie communautaire, mais la communauté juive continuait à fonctionner et à agir, huit mois après la révolution d’Octobre, comme si rien ne s’était produit en Russie depuis la chute du tsar Nicolas II, en février 1917. Le Commissa— riat juif, pauvre dictateur considéré comme quantité négligeable, devait observer de loin comment on récusait de fait sa fausse puissance, comment on narguait toute la dictature prolétarienne. Un tel état de choses ne pouvait durer. La conférence du 20 octobre 1918, dite « Première Conférence des
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Commissariats juifs et des Sections communistes juives », devait précisément mettre bon ordre dans la « rue juive ». Là aussi, comme dans tout le pays, bien qu‘avec une année entière de retard, tout le pouvoir devait revenir aux Soviets, au prolétariat. A l’unanimité, Simon Dimanstein fut élu président de la Conférence. Après le discours d’ouverture, vinrent les salutations : la Conférence fut saluée au nom des travailleurs de Moscou et de Petrograd; puis elle salua, à son tour un message fut adressé aux camarades Lénine et Trotski (personne n‘eut l’idée de saluer le chef direct des Commissariats natio— naux, et donc de la Conférence elle-même, le commissaire du peuple aux Nafionafités, le camarade Joseph Vissarionovitch Staline). Il y eut encore un message télégraphique destiné au camarade Karl Liebknecht, chef du « Spartakus—Bund » en Allemagne. Les camarades Lénine, Trotski et Liebknecht furent proclamés membres d’honneur du présidium. Les travaux de la Conférence furent menés essentiellement en commissions et surtout en « fractions communistes », c’est—à— dire en séances fermées réservées aux militants et sympathisants du Parti. C’est la que fut débattue la question primordiale qui se trouvait posée aux communistes juifs : « Comment instaurer la dictature du prolétariat dans la rue juive. » Ilfallait tout d’abord forger l’instrument approprié à cette dictature, définir son caractère, fixer sa compétence et lui assigner ensuite ses tâches immédiates. Le problème était loin d’étre simple. Bien entendu, l’instru— ment de la dictature du prolétariat fut, dans tout le pays, le Parti communiste et il ne pouvait naturellement en être autrement pour le secteur juif. Cependant, il restait à déterminer la forme institutionnelle de ce que l’on appelait « le travail juif » du Parti, travail qui ne faisait que débuter avec l’arrivée des premiers transfuges, encore rares, des partis socialistes juifs. Dans quel cadre organisationnel œ « travail juif » allait—il être effectué, sous quelle direction, avec quels objectifs ? Plus d’un « nouveau communiste » ancien du Bund, des socialistes unifiés ou des Poalé-Sion caressait l’idée de pourvoir « la rue juive » d’un Parti communiste juif. L’historien du mouvement ouvrier juif en Union soviétique, Samuel 0gurski, ancien anarchiste, émigré politique et l’un des pères fondateurs du Commissariat juif, écrivit, au lendemain
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même de la Conférence d’octobre 1918, dans une brochure parue au mois de décembre :
première Conférence s’est tenue au moment même où commençait le processus de scission (au Bund, chez les socialistes unifiés et les Poalé—Sion) et c’est dans cette conférence que se cfistaflisèrent les nouvelles tendances du mouvement ouvrier juif.. Cette conférence élabora des plans en vue de créer un Parti communiste juif 9. » « La
Les « nouvelles tendances » visant à conserver au mouvement ouvrier juif son autonomie, sous forme de Parti communiste juif, existaient sans doute chez les « nouveaux communistes ». Qui plus est, leurs plans devaient même, dans des conditions quelque peu obscures, recevoir un commencement d’exécution. En janvier 1919, à Minsk, fut en effet créé officiellement, en plein accord avec le Comité central du Parti communiste de Biélorussie, un parti communiste juif. Il tint à Minsk, le 28 février 1919, ses assises nationales, les premières et dernières à la fois. Par suite de mystérieuses interventions ou pressions, le Parti communiste juif se transforma en « Union communiste juive de Biélorussie et Lituanie » et finit par se fondre rapidement dans le parti communiste de Biélorussie. A la Conférenœ de Moscou, l’idée d’un parti communiste juif passionnément discutée dans la coulisse ne fut jamais évoquée publiquement. La seule forme envisagée pour le « travail juif » fut la « section juive ». Simon Dimanstein, dans un exposé détaillé, traça la « ligne générale » pour cette nouvelle structure :
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« La question de la section communiste juive se pose ainsi : « Le Parti communiste russe ne peut mener son travail en
différentes langues. Il faut donc des sections communistes juives. Ces sections ont deux sortes de tâches. D’une part, des tâches strictement techniques : diriger la propagande parmi les travailleurs juifs; d’autre part, mettre en pratique la dictature du prolétariat dans la rue juive. « Les nouvelles sections juives comprendront les nouveaux camarades qui adhèrent actuellement au Parti. Les vieux bolcheviks resteront sans doute dans le cadre général du Parti.
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Aussi, devons—nous veiller à œ que les sections soient à l’abri de
toute tendance bourgeoise et nationaliste. « Notre tâche principale consiste à réaliser concrètement tout
objectif que se fixe le Parti communiste. Nous ne sommes pas un parti spécial et séparé, mais une parœlle du Parti communiste composée de travailleurs juifs. « Étant internationalistes, nous ne nous fixons pas d’objectifs nationaux particuliers, mais seulement des objectifs prolétariens, des objectifs de classe. Pour autant que nous parlons notre propre langue, il est de notre devoir de faire en sorte que les masses juives puissent réaliser dans œtte langue toutes leurs aspirations intellectuelles. Mais nous ne sommes pas non plus des fanatiques de la langue yiddish. Elle ne devient pas pour nous une langue sacrée, comme pour les nationalistes juifs. Non, la langue en tant que telle n’a pas d‘importanœ pour nous. « Notre tâche est de rapprocher par le travail les différents peuples et de les réunir en une seule famille internationale. « Sur le plan de la structure organisationnelle, nos sections communistes juives doivent figurer au sein de l’organisation de chaque ville et participer à l’élection du comité, comme tous les autres membres du Parti communiste I°. »
Ainsi fut forgé œ nouvel instrument de dictature du proléta— riat, la Section communiste juive la célèbre Yevsektsia à la fois simple courroie de transmission, « commission de langue », appareil technique de traduction et de propagande et, en même temps, centre d’initiative et de décision, autorité politique suprême en milieu juif. Signes particuliers : groupement de militants juifs solidement ancrés dans le Parti, sans « objectifs nationaux particuliers » et avec une attitude purement pragmatique, neutre, voire négativiste à l’égard de leur langue nationale. L’organe à peine né se vit attribuer aussitôt des fonctions considérables : prendre tout le pouvoir, au nom de la classe ouvrière juive et instaurer la dictature du prolétariat « dans la rue juive ». Ainsi, octobre 1918 fut—il pour le judaïsme russe une sorte de version juive de l’0ctobre panrusse de 1917. L’ancienne structure traditionnelle de la société juive devait être entièrement brisée. Les différentes institutions qui régnaient jusqu’alors « sur la raœ juive » furent déclarées « nuisibles aux intérêts vitaux des larges masses juives ». Les
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furent liquidées organisations communautaires kehilot purement et simplement (selon la terminologie officielle : « réorganisées sur la base de la dictature des travailleurs et des couches pauvres de la population »), et leurs biens confisqués. Les écoles juives, les bibliothèques et toutes les œuvres à caractère culturel furent reprises en main par le Commissariat juif. Les divers comités d’aide aux réfugiés de guerre, ainsi que toutes les institutions sociales, avec toutes leurs activités financières notamment passèrent sous le contrôle du Commissariat. Avec un bel enthousiasme et une unanimité sans faille (d’autant plus sincère qu’elle n’était pas encore devenue obliga— toire), toutes les propositions présentées par Simon Dimanstein au nom du Parti communiste furent adoptées par la Conférenœ. Toutes, à l’exception d’une, qui suscita étonnement, désarroi et débats véhéments. Il s’agissait d’une proposition, ou plutôt d’une idée, relative à un retour à la terre. Dimanstein déclara notamment que « les communistes juifs doivent considérer comme une de leurs tâches les plus importantes l’installation des Juifs dans l’agriculture ». La chose parut surprenante et incom— préhensible. Mais le vieux bolchevik, chef du Commissariat juif, insistait : « La révolution d’Octobre, dit—il, a créé de grandes possibilités pour les travailleurs juifs dans le domaine agricole. Sous le règne des tsars, les masses populaires juives étaient enfermées dans un ghetto. On ne leur permettait pas de travailler la terre et œla les obügea à devenir des marchands, des colporteurs. Ainsi s’est formée chez nous une classe de gens ayant une psychologie de bourgeois et des poches de prolétaires. « A la suite des transformations économiques que connaît notre pays, œs marchands perdent aujourd’hui tout moyen d’existenœ. Nombre d’entre eux ne vivent que de l’air du temps et œla développe chez eux un sentiment anfisoviétique. Nous devons en tenir compte. « Nous devons prendre les mesures néœssaires pour que œs hommes deviennent productifs, pour qu’ils puissent servir notre république socialiste soviétique. Nous devons créer des communes juives et former des travailleurs agricoles juifs. Nous devons créer une Palestine à Moscou. Nous devons détruire la
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psychologie bourgeoise de œs hommes aux poches proléta— riennes “. » La stupeur fut générale. Visiblement, il y avait malentendu. Le porte—parole du Parti communiste, le vieux bolchevik Dimanstein, avait commencé par affirmer que les communistes juifs, « étant intemationalistes », ne se fixaient pas « d’objectifs nationaux particuliers, mais seulement des objectifs prolétariens, des objectifs de classe ». Voilà qui était simple, clair et précis. Mais transformer en agriculteurs des commerçants juifs « vivant de l’air du temps » pouvait difficilement passer pour « un objectif prolétarien, objectif de classe ». Bien au contraire, œla ressemblait étrangement à quelque chose qui avait la tonalité déplaisante d’ « objectifs nationaux » précisément. En définitive, la dictature du prolétariat avait—elle été proclamée pour se concilier l’ennemi de classe, l’entourer de soins et assurer sa subsistance, ou bien pour le vaincre et, éventuellement, pour le détruire ? Les « nouveaux communistes » furent ceux qui réagirent avec le plus de vigueur. Ils sonnaient l’alarme : « Si les Commissariats juifs se mettent à aider les petits—bourgeois juifs appauvris, ils finiront par tomber dans le filet empoisonné du nationalisme petit-bourgeois 12. » Les « communes juives » et, avant toute chose, l’idée de « faire une Palestine à Moscou » soulevèrent une véritable tempête. Si l’on pouvait, àla rigueur, comprendre la volonté de « détruire la psychologie bourgeoise chez des ou le rêve hommes aux poches de prolétaires », il était tout à fait incompréhensible, voire inadmissible quasiment sacrüège —, de confondre des conœpts aussi opposés, aussi contradictoires que « Moscou », d’un côté, et « Palestine » de l’autre. Le vieux militant bolcheviste fut publiquement accusé de... sionisme. Aucune décision ne fut prise sur œ point. Toute décision eût d’ailleurs été prématurée. Les agglomérations juives d’Ukraine et de Biélorussie se trouvaient sous l’occupation allemande et la guerre civile s’aggravait en Russie œntrale. Cependant l’idée d’une colonisation agricole juive, avancée pour la première fois en Union soviétique par un dirigeant œnununiste juif de même que la confrontation qui s’ensuivit aussitôt —, devait marquer profondément toute l’évolution ultérieure du judaïsme soviétique. Il est œrtes difficile de ranger
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la formule « une Palestine à Moscou » parmi les trésors de l’éloquenœ politique (elle sollicitait, explicitement d’ailleurs, une interprétation antisémite: les Juifs se promettent de conquérir Moscou…) Mais la formule en elle—même qu’on la considère comme une simple sortie maladroite ou un lapsus véritable contenait en germe les thèses fondamentales comme les contradictions internes du « travail juif » soviétique pour les deux décennies à venir. « Faire une Palestine à Moscou » signifiait naturellement ne pas s’arrêter au stade des « communes juives » et des paysans juifs, mais trouver une solution d’ensemble et définitive à la question juive, sous tous ses aspects et dans toutes ses dimensions, poütico—sociale, juridique, économique et nationale. Une solution susceptible de combler les vœux, les aspirations et les rêves populaires qui avaient trouvé leur expression dans le sionisme, mais à un niveau historique plus élevé, avec une qualité historique supérieure, dans le socialisme, le communisme, la fraternité des peuples. La formule annonçait « Pales— tine plus Moscou », autrement dit une sorte de paradis terrestre des Juifs et pour lequel même les sionistes oublieraient le sionisme et la Palestine. « Faire une Palestine à Moscou » signifiait au demeurant conœvoir l’action des « sections communistes juives », sinon exclusivement, du moins dans œrtains secteurs, comme une alternative au sionisme, profondément enraciné dans le judaïsme russe et exerçant, dans les années 1917—1918, son influenœ sur plus de la moitié de la population juive de l’ancien Empire des tsars. Une alternative au sionisme non seulement pour les Juifs d’Union soviétique, mais aussi, et peut—être davantage encore, pour les masses populaires juives du monde entier. Or, « faire une Palestine à Moscou » signifiait sans aucun doute possible démentir les fondements mêmes du « travail juif », lequel ne devait se fixer « aucun objectif national particulier », mais uniquement « des objectifs prolétariens, des objectifs de classe ». Contradiction flagrante, mais en même temps reflet du pragmatisme politique du Parti communiste et du gouvernement soviétique. Ce n’était pas un hasard si les adversaires les plus résolus et les plus véhéments des « communes juives » se trouvaient parmi les « nouveaux
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communistes ». Ils avaient encore à passer par la rude et subtile école du léninisme avant de saisir l’extrême complexité et toute la finesse dialectique des relations entre théorie politique et réalité politique. Enfin, « faire une Palestine à Moscou » signifiait également d’une manière non explicite sans doute et à peine consciente (qui donc pouvait le prévoir en 1918 ?), a titre de potentialité, d’éventua1ité historique œla pouvait signifier aussi la possibilité, au pays des Soviets, non seulement d‘une Palestine de polémique, mais d’une « Palestine » effective, réelle, « à Mos— cou », c’est-à—dire un pays juif, un État juif soviétique. Il serait juste de rappeler que la première allusion au principe même d’un tel État a été faite àla Conférenœ du 28 octobre 1918. Mais, de toute évidenœ, on n’en était pas encore là. Le sort du pouvoir soviétique oscillait avec le balancier de l’histoire. Le pays connaissait une lutte à mort, impitoyable et sanglante. Il fallait forger au plus tôt, avec toute la vigueur et la rigueur nécessaires, l’arme politique de la victoire la dictature du prolétariat. Les communistes juifs, les sections juives, les commissariats juifs se virent assigner leur « première tâche » politique : « anéantir le front d’unité nationale juive ‘3 ». Sur œ « front » ennemi se trouvait aussi, en vérité, la classe ouvrière juive, c’est—à-dire le présumé dictateur en personne. Mais on n’avait pas le choix. Il fallait analyser les événements d’une manière dialectique. La participation du travailleur juif à la dictature proclamée en son nom ne devait être pour l’instant que théorique, et sa plaœ gardée en réserve, dans l’hypothèse historique que œtte participation adviendrait néœssairement. En attendant, la situation politique dans la fameuse « rue juive » pouvait se résumer ainsi : une dictature fortement présente d’un prolétariat momentanément absent, exercée contre toute la collectivité, contre l’ensemble de « la Maison d’Israël ».
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Deux problèmes, d’une importanœ primordiale, dominaient la réalité russe à la veille de la révolution d’Octobre : le problème de la paix et œlui de la terre. C’est autour d’eux que se cristaflisaient les positions politiques de l’immense majorité de la population de la Russie cent quarante millions d’âmes, dont 80 % environ de paysans. De la solution de ces problèmes et de la nature de cette solution dépendait le sort même de la révolution. Quelques heures à peine après la prise du Palais d’hiver, le II" Congrès panrusse des Soviets, convoqué le 25 octobre 1917 à 22 h 45 adopta, dans la nuit du 25 au 26 octobre, le décret sur la paix. Quelques heures plus tard, au cours de la même nuit, le décret sur la terre fut également adopté. Le décret sur la paix lançait un appel solennel aux belügérants pour les inviter à mettre immédiatement fin aux opérations militaires, à conclure un armistice d’au moins trois mois permettant d'engager des pourparlers de paix. Ce décret, après le refus catégorique des pays de l'Entente, mena à la paix de Brest—Lit0vsk, dictée par les Allemands et signée par la déléga— tion soviétique le 3 mars 1918. Lénine qualifia le traité de BrestLitovsk d’ « accord honteux ». C’est lui pourtant qui imposa personnellement au Comité œntral du Parti communiste l’adop— tion de œt accord qui arrachait au territoire de l’ancien Empire tsariste : la Pologne, les Pays baltes, la Finlande, l’Ukraine, une grande partie de la Biélorussie et une partie de la Géorgie. Le décret sur la terre proclama l’abolition immédiate de toute
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forme de propriété privée du sol et la confiscation, sans aucune indemnisation, de toutes les terres appartenant aux proprié— taires fonciers, à l'État et à l’Église. Ces terres étaient mises a la disposition des Conseils paysans et la paysannerie fut appelée à s’en emparer directement sans formalité aucune. Les paysans eux—mêmes, leurs organisations devaient décider des formes sous lesquelles les domaines confisqués seraient exploités. L‘importance capitale de œs problèmes de la paix et de la terre, tant en eux—mêmes que par leur influenœ sur l’opinion publique, trouva sa confirmation notamment dans l’histoire, bien éphémère, de l‘Assemblée constituante russe. Prévue avant la révolution d’Octobre et élue au scrutin proportionnel, l’As— semblée constituante où les bolcheviks avaient été mis en minorité fut dissoute par décret du gouvernement soviétique. Elle eut à peine le temps de tenir sa séanœ inaugurale, ouverte le 18 janvier 1918, à 16 heures, avant d’être dispersée dans la nuit du 19 janvier, à 4 heures du matin. Au cours de ses douze heures d’existenœ, la Constituante vota, a son tour, deux décrets : sur la paix et la terre, précisément. Paradoxalement, œs problèmes qui agitaient en profondeur la Russie tout entière touchaient infiniment moins le judaïsme russe. Leur incidenœ sur l’attitude des Juifs envers la révolution d’Octobre fut donc quasiment nulle. Le décret sur la terre qui gagna au pouvoir soviétique la grande masse de la paysannerie russe, se situait en dehors du champ d’intérêt de la population juive. A l’exception d’une dizaine de milliers de familles de colons juifs en Ukraine, à pratiquer autorisés depuis le milieu du XIX° siècle l’agriculture, il n’y avait pas en Russie de paysannerie juive. Par conséquent, la population juive ne se sentait pas conœrnée par la question, en tout cas pas en 1917, ni au début de 1918. Le problème de la paix se posait d’une manière toute différente. Depuis le Congrès de Vienne, en 1815, la quasitotalité du judaïsme de l'Europe orientale, hormis les commu— nautés de Galicie et de Roumanie, s’était trouvée réunie à l’intérieur des frontières de l’Empire russe. En 1914, œt empire, malgré l’émigration de près de deux millions de Juifs vers les États—Unis et l’Amérique latine, comptait encore une popula— tion juive dépassant six millions, avec les agglomérations les plus denses, par ordre d’importanœ, en Pologne, en Ukraine, en
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Biélomsue, en Grande—Russie (Russie œntrale), en Lituanie et dans les régions haltes. Dès septembre 1915, avec l’effondrement des armées russes, la Pologne, la Lituanie, une grande partie de la Biélorussie et des régions baltes passèrent sous occupation allemande. Pour la majorité des populations juives de l‘Empire des tsars, la guerre était ainsi terminée. Qui plus est, la politique extrèmement libérale de l’administration allemande à l’égard des Juifs fit qui les avait délivrés d’une législation que œtte occupation était ressentie d’exœption et des exactions des cosaques davantage comme une libération. « L’accord honteux » de Brest—Lit0vsk eut pour effet d’étendre considérablement la zone d’occupation allemande. L’Ukraine qui s’était proclamée République indépendante et avait signé une paix séparée avec l’Allemagne, fut à son tour occupée par les troupes du Kaiser. Depuis plusieurs mois, le pays était le théâtre d’une expérienœ qui passionna au plus haut point l’opinion juive, et tout particulièrement les partis ouvriers juifs l’expérienœ de l’autonomie nationale. Les sociauxdémocrates et socialistes—révolutionnaires ukrainiens, fortement influencés par les programmes nationaux des partis socialistes juifs, adoptèrent le principe d’autonomie pour les minorités nationales du pays. Une fois au gouvernement, ils mirent œtte idée en pratique. Des ministères spéciaux furent créés pour les affaires des minorités nationales juive, polonaise et grand— mssienne. A la tête du ministère juif, créé le 16 juillet 1917, fut placé un des dirigeants les plus en vue du « Parti socialiste juif unifié », le Dr Zy1berfarb, théoricien réputé de l’autononüsme. Sous sa direction, on élabora un projet de loi sur l’autonomie nationale et personnelle des minorités nationales, projet adopté le 9 janvier 1918 par l’Assemblée législative ukrainienne, la « Centrale Rada ». Tous les espoirs semblaient permis. En mai 1918, on créa à Kiev la « Ligue de Culture juive » (Kultur—Ligue), véritable ministère d’lnstruction publique yiddish, qui ouvrit à travers l’Ukraine des œntaines d’établissements culturels : écoles, lycées, bibliothèques, chorales, maisons d’édition, œrcles dra— matiques, etc. Le mouvement « Culture » (Tarbout) et les éditions Mariah développèrent une activité parallèle en hébreu.
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En novembre 1918 fut inaugurée, à Kiev, l’Assemblée nationale juive, élue au suffrage universel et au scrutin proportionnel. L’opinion publique juive non seulement en Ukraine, mais aussi en Grande—Russie, sous régime soviétique, avait le regard passionnément tourné vers œtte expérience unique dans l’his— toire : devenir une nation, en l’absenœ de tout territoire national et par le seul effet d’une autonomie généreusement octroyée. Le « front d’unité nationale juive », œlui même que les communistes juifs devaient anéantir, se trouva plus que jamais soudé par œtte expérienœ. Ni le problème de la guerre ni, moins encore, œlui de la terre ne réussirent à l’entamer. Ce fut un autre problème qui en vint à bout ou, plus précisément, qui en modifia profondément le sens, au point de le métamor— phoser le problème de l’antisémitisme. La révolution de Février 1917 avait comblé les espoirs du judaïsme russe. Ce fut, après des siècles d’oppression et d’esclavage, l’aube d’une ère nouvelle de liberté et de fraternité. Mais les joies de la délivranœ ne durèrent que l’espaœ d’un matin. Une vague d’agitation antisémite se répandait à travers le pays, traînant à sa suite le spectre des pogromes. Des troubles éclataient çà et là, de plus en plus violents, de plus en plus fréquents, qui s’achevaient par des agressions contre les Juifs et le pillage de leurs biens. Les « pogromes ivres » ou « pogromes militaires » devinrent quotidiens. Ils étaient le fait de bandes de soldats regagnant leurs foyers après avoir déserté le front. Le gouvernement n’osait pas réagir. Ce fut la classe ouvrière russe qui réagit. Le 1“ Congrès panrusse des Soviets ouvriers et paysans qui se tint à Petrograd en juin 1917 vota à l’unanimité une résolution condamnant l’antisémitisme et dont voici la conclusion :
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« Le Congrès panrusse des Soviets ouvriers et paysans appelle tous les Soviets locaux à la plus grande vigilanœ faœ à l’activité
des agitateurs antisémites, il appelle les Soviets à une action inœssante, à un travail constant d’explication parmi les masses populaires les plus larges afin de combattre les campagnes antisémites. Le Congrès donne tout pouvoir au Comité œntral pour faire paraître une littérature appropriée sur la question juive. Le Congrès adresse son salut fraternel à la classe ouvrière juive qui combat au coude à coude dans les rangs de la
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révolution et l’invite à transmettre aux masses populaires juives l’assuranœ que la démocratie révolutionnaire organisée du pays se tiendra résolument a leur côté et les défendra contre toute tentative d’user de violenœ à l’encontre des Juifs '. »
Effectivement, dans maintes localités, les Soviets ouvriers protégèrent la population juive, en empêchant les pogromes. Cependant, la plupart du temps, ils étaient impuissants devant les déchaînements de la populaœ ivre. En août 1917, le gouvernement provisoire organisa une rencontre avec les représentants de toutes les fractions de l’opinion publique multinationale du pays. Parmi les deux mille invités se trouvait également une délégation des grandes organisations juives. Au nom des partis socialistes juifs, ainsi que de « toute la démocratie révolutionnaire juive », le représentant du Bund attira l’attention du gouvernement sur le fait que « des ombres sinistres du passé se profilaient dangereusement de partout » et qu’ « une agitation antisémite et pogromiste déferlait sur le pays2 ». Une fois de plus, il n’y eut aucune réaction officielle. Le gouvernement provisoire de l’époque, présidé par Kerenski, était à majorité socialiste. Ce serait absurde de lui prêter une quelconque hostilité à l'égard des Juifs. Il s‘agissait plutôt d’une sorte d’inhibition politique faœ au problème de l’antisémitisme, d’une tendanœ a faire le silenœ, à fermer les yeux, afin d?éviter de devoir prendre position et d’entrer en conflit ouvert à cause de la Question juive avec « les ombres sinistres du passé ». Cette inhibition était étrangère au Parti bolchevik, comme lui était étranger tout « complexe juif ». Dans l‘iconographie de la révolution d’Octobre qui fut, par la suite, presque entièrement détruite par Staline Lénine et Trotski figuraient côte à côte, symbole commun de la révolution. Dans le gouvernement de Lénine, et longtemps après, on compta un nombre important de commissaires du peuple juifs. Un Juif Yakov Sverdlov fut élu, pour la première fois dans l’histoire de la Russie, au poste éminent de président du Comité œntral exécutif (vrsrx), président officiel de la République soviétique. C’était, pour et de manière générale l‘époque un acte de courage politique exœptionnel et, en même temps, une affirmation de
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principe très nette : l’antisémitisme, la discrimination anti—juive équivalaient a la confie—révolution. La lutte contre l’antisémitisme était une des tâches principales du Commissariat œntral juif. Une section spéciale fut créée à œt effet auprès du Commissariat. L’héritage du passé était lourd. Dans les institutions soviétiques elles-mêmes, et particu— lièrement en provinœ, les antisémites n’étaient pas rares. Il y eut des incidents anti—juifs, des calomnies à caractère particuliè— rement odieux et dangereux : les Juifs auraient tiré sur des soldats de l’Armée rouge battant en retraite. Le Commissariat juif est intervenu à chaque fois et les coupables ont été traduits en justiœ. Les méthodes de œtte lutte se trouvaient résumées dans les instructions suivantes, adressées aux Commissariats juifs locaux : « Informer la population, par des conférenœs et des meetings, du contenu contre—révolutionnaire de l’antisémitisme et du nationalisme; faire des exposés devant les combattants de l’Armée rouge; armer les membres des organisations soviétiques juives et garder le contact avec les détachements soviétiques spéciaux; établir la liaison avec les commissions locales chargées de combattre la contre—révolution » (c’est—à—dire la célèbre et redoutable Tchéka). Cependant la lutte contre l’antisémitisme fut considérée par le gouvernement soviétique, non comme une affaire exclusivement juive, relevant de la seule œmpétenœ des Commissariats ou Sections juives, mais comme un problème d’État d’importanœ capitale. Le 27 juillet 1918, on promulgua un décret du Conseil des commissaires du peuple, signé de Lénine, qui eut un retentissement considérable. Il y est dit notamment : « D'après les informations qui parviennent au Conseil des commissaires du peuple, les contre-révolutionnaires mènent dans de nombreuses villes, et particulièrement dans les régions proches du front, une agitation pogromiste; en maints endroits, on a commis des violences contre les masses laborieuses juives. La contre-révolution bourgeoise a relevé l’arme tombée des mains du tsar. « Le gouvernement autocratique, chaque fois que menaçait la colère populaire, s’efiorçait de rejeter tous les péchés sur le
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bouc émissaire le peuple d‘Israel chargé de tous les méfaits, responsable de tous les malheurs du pays. « Mais dans la République soviétique russe, où a été proclamé le principe de liberté et d’autodétermination pour tous les peuples et nations, aucune oppression nationale ne saurait être tolérée. Dans le bourgeois juif nous voyons le bourgeois, non le Juif. Le travailleur juif est notre frère. Le Conseil des commissaires du peuple dénonœ le « mouvement antisémite et les pogromes antijuifs comme un danger mortel pour toute la révolution, comme une menaœ pour les intérêts des ouvriers et des paysans, et il appelle les masses laborieuses de la Russie socialiste à les combattre de toutes leurs forces. « C’est pourquoi le Conseil des commissaires du peuple ordonne à tous les Soviets provinciaux de prendre les mesures les plus rigoureuses afin de déraciner le mouvement antisémite et pogromiste. Les pogromistes et tous œux qui fomentent des pogromes sont mis hors la loi3. » Pour la première fois, l’antisémitisme et l'agitation pogro— miste furent qualifiés officiellement de crimes, punissables par la mise « hors la loi » de leurs auteurs, œ qui, en œs temps cruels, ne pouvait laisser le moindre doute sur le caractère rigoureux de la sanction. Enfin, dans la campagne contre l’antisémitisme menée à travers tout le pays, Lénine intervint en personne, dans un célèbre discours qui chose rare à l’époque fut spécialement enregistré sur disque afin d’en assurer la plus large diffusion. Après avoir rappelé que « la poliœ tsariste, en liaison avec les propriétaires fonciers et les capitalistes, avait organisé des pogromes antijuifs », que « les propriétaires fonciers et les capitalistes s’étaient efforcés de détourner contre les Juifs la haine des ouvriers et des paysans réduits à la misère », Lénine insistait avec forœ, une fois de plus, sur l’idée que l’antisémitisme et les incitations aux pogromes étaient un danger mortel pour la révolution elle—même et terminait son discours par œtte péroraison caractéristique : « Honte au tsarisme qui persécutait et torturait les Juifs! Honte à tous ceux qui sèment la haine contre les Juifs, qui répandent la malveiflanœ contre d’autres nations! »
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Ce discours, tout comme le décret du 27 juillet 1918, devaient
quelques mois à peine après leur publication — marquer —l’histoire du judaïsme russe.
L’intervention étrangère des pays de l’Entente contre la Russie soviétique commença dans la deuxième partie de l’année 1918. Au nord, les Anglais et les Français occupèrent Arkhan— gelsk et Mourmansk et créèrent un « Gouvernement du nord de la Russie ». Les Japonais s’installèrent à Vladivostok et occupèrent la région côtière extrême—orientale. En Sibérie, jusqu’à l’Oural et aux provinœs bordant la Volga, se constituait l’armée de l’amiral tsariste Koltchak. Au nord du Caucase, les généraux Kornilov, Alexeîev et Denikine organisaient une « Armée volontaire » de gardes blancs. Dans le bassin du Don, c’est l’ataman Krasnov qui créait une armée cosaque. Après la capitulation de l’Allemagne et la fin de l’occupation germano-autrichienne en Ukraine et au Caucase du Nord, la guerre civile éclata avec une cruauté, une férocité extrêmes. A travers l’Ukraine, on vit déferler en tous sens d’innombrables armées de généraux et d’atamans tsaristes. Parmi elles se parfois a leurs côtés, mais parfois trouvaient également contre elles les régiments ukrainiens ainsi que des bandes de tout acabit. Tous vouaient une haine féroœ au bolchevisme et, dans le même temps, une haine implacable aux Juifs. Sur les étendards de toutes les armées blanches, sans exœption, on pouvait lire : « Tue les Juifs, sauve la Russie. » La sainte Mère Russie se disposait a noyer la honte du bolchevisme dans le sang juif. Dans la tradition du bon vieux temps des tsars russes, de Bogdan Chmelnicki, des Haï‘damaks ukrainiens une vague atroce de pogromes antijuifs déferla, avec des massacres de populations juives, balayant villes et villages. Le nombre de pogromes antijuifs, pour les années 1919—1921 et pour l’Ukraine seulement (il y eut des pogromes dans d’autres parties de la Russie) est évalué à deux mille, dans sept œnts localités, avec un bilan de soixante—quinze mille morts et plus d’un demi-million de victimes ayant perdu tous leurs biens. Des œntaines de communautés juives furent anéanties. Les troupes du « Directoire » ukrainien, présidé par Petlioura, tenaient une plaœ d’honneur dans œ sombre pal— marès. Les mêmes sociaux—démocrates et socialistes—révolution-
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naires qui, la veille encore, avaient accordé l’autonomie natio— nale aux Juifs d’Ukraine, organisaient et dirigeaient les pogromes les plus sanglants de œs années atroces. A la douleur immense des milieux dirigeants juifs se mèla un sentiment de stupeur, de révolte et de profonde amertume. Tout un monde d’espoir s’était écroulé. Tout avait été noyé dans le sang, y compris les idéologies et les programmes qui cimentaient « le front d’unité nationale juive ». Dans œ déluge de feu et de sang, il n’y eut qu’un seul refuge, qu'une seule arche de Noé le pouvoir soviétique. La population juive, toute la population juive, indépendamment des positions sociales, des convictions politiques, des conœp— tions philosophiques ou morales, tous ne voyaient devant eux qu’un seul sauveur, l’Armée rouge qui mettait « hors la loi », sans ante forme de procès, les pogromistes de toutes sortes. Les vieux pères et grands—pères priaient avec ferveur pour l’Armée rouge, implorant de l’Eternel la protection des soldats bolche— vistes car, avec eux du moins, on avait la vie sauve. Cependant que les jeunes, garçons et filles, se jetaient avec ardeur dans la bataille, rejoignaient les rangs du Parti communiste et des korrrsomols et s’enrôlaient en masse dans la Garde rouge et l‘Armée rouge, sur tous les fronts de la guerre civile. On assista à un phénomène de double identification. La contre-révolution de toute origine et de toute tendanœ identifia la population juive au bolchevisme et au pouvoir soviétique. Peu à peu, la population juive dans son intégralité commença à s’identifier elle-même, sinon avec le bolchevisme (tant s’en faut), du moins avec le nouvel ordre soviétique instauré par la révolution d’Octobre. La lutte implacable contre l’antisémitisme menée par le gouvernement soviétique d’une part, le sang innocent versé lors des pogromes par les ennemis de la révolution et les innombrables sacrifiœs consentis pour la révolution par la jeunesse juive sur les champs de bataille d’autre part forgèrent bientôt une sorte d’allianœ cordiale entre le judaïsme russe et le pouvoir soviétique. Cette allianœ fut renforcée par un événement qui demeura unique dans les annales du judaïsme européen : les Juifs soviétiques œssèrent d’étre l’objet passif de l’histoire. Des siècles durant, les communautés juives des pays euro— péens avaient vécu, en fait sinon toujours en droit, avec le statut
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d’étrangers et se trouvaient ainsi éloignées de toute forme de collaboration ou de participation aux affaires d’État de leurs pays de résidenœ. Quand les temps étaient cléments, œs communautés jouissaient d’une pleine autonomie comme a l’époque du « Conseil des quatre Provinœs » en Pologne, au xvr° siècle ou vivaient en bon voisinage (relativement bon d’ailleurs) avec la population non juive, comptant même parfois des ministres juifs, comme en Espagne. En des temps moins cléments on trouvait, près des prinœs, des banquiers et intermédiaires juifs, des Juifs de Cour, etc. Lorsque les temps se faisaient hostiles, un fossé se creusait entre le pays et les communautés juives un fossé de haine et d’horreur. La grande Révolution française et, par la suite, le mouvement d’émancipation de l’Europe œntrale aœordèrent aux Juifs droit de cité, mais le processus d’intégration dans la cité se révéla exœssivement lent. C’est seulement soixante ans après la Révolution que, pour la première fois, un Juif fut nommé ministre en Franœ (Adolphe Crémieux, en 1848), et il faudra attendre quelque œnt cinquante ans pour voir un Juif au poste de premier ministre (Léon Blum, en 1936). Durant un siècle et demi et malgré le rôle important joué en Franœ par des Juifs dans les lettres, les arts, les sciences et les professions libérales, leur plaœ dans la vie publique parlement, gouvernement, resta singulièrement administration, armée, diplomatie, etc. modeste. La situation en Allemagne était sensiblement analo— gue, sans parler de la Russie où même un rôle discret relevait du domaine des beaux rêves. Tout y était interdit, tout était bloqué. Or, voici que se produisit un bouleversement total, non point avec la révolution de Février, mais avec œlle d’Octobre. Toutes les portes, verrouillées et inaccessibles depuis des siècles, s’ouvraient brusquement, comme par enchantement. La vieille administration tsariste se saborda, dans un mouvement de boycott contre le pouvoir soviétique. De l’armée des tsars il ne restait que des débris des masses de fuyards ayant abandonné le front pour rentrer dans leurs foyers. Le corps des officiers passa, en règle générale, du côté de la contre-révolution. Le ministère des Affaires étrangères resta sans diplomates, les ambassades russes à l’étranger se transformèrent en œntres de coordination de l’intervention militaire contre la République des Soviets.
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Un vide dangereux apparut dans tous les rouages de l’État et il menaçait de paralyser la vie du pays. Il fallait, sous peine d’asphyxie, combler le vide de toute urgenœ. C’est l’intelligentsia juive et les militants des partis ouvriers juifs qui s’en chargèrent dans une très large mesure après une période de doute et d’hésitation. Même le Bund, malgré toute son hostilité de principe à l’égard de la révolution d’Octobre, décida à sa Conférenœ de déœmbre 1918, à Moscou, faœ à la contrerévolution et à la guerre civile, d’autoriser ses militants a aœepter des fonctions publiques et des emplois d'État, a la seule condition que « leur activité a œs postes ne les mette pas en contradiction avec le programme et les résolutions du Parti ». Très rapidement, on vit se former au sein de la population juive une couche relativement importante de fonctionnaires, a tous les échelons et dans tous les domaines : politique et administration, économie, finanœs, sécurité, etc. L‘Armée rouge compta un grand nombre d’officiers juifs de tous rangs. Au XV° Congrès du Parti communiste soviétique, en déœmbre 1927, le commissaire du peuple à l'Inspection ouvrière et paysanne (Rabkrine), Sergo Ordjonikidze releva dans son rapport que les Juifs « occupaient 10,3 % des emplois adminis— tratifs à Moscou, 22,6 % des postes de la fonction publique en Ukraine et 30,6 % des mêmes postes » en Biélorussie. A l’époque, « les Juifs représentaient 1,8 % de la population totale de l’U.R.S.S., 5,4 % de œlle de l’Ukraine et 8 % de œlle de Biélorussie 5 ». Enfin, un des traits particulièrement caractéristiques de l’époque fut le nombre élevé de Juifs dans les organismes dirigeants du Parti et du gouvernement au Comité œntral et bureau politique du Parti communiste, au Conseil des commis— saires du peuple, dans les ministères, les directions économiques, parmi les ambassadeurs, etc. Même si œs Juifs faisaient extrêmement peu de cas de leur judéité, ils l’admettaient à peine sans toutefois jamais la renier —, ils constituaient pour la population juive le symbole d’une égalité nationale enfin et pleinement réalisée. Citoyens à part entière, égaux en droit et en fait, les Juifs soviétiques étaient appelés à bâtir, avec tous leurs concitoyens, l’avenir du pays, à forger l’histoire du monde, à la façonner de leurs mains et de leur intelligenœ. La situation était prodigieusement nouvelle et provoqua un
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revirement complet de l’attitude du judaïsme russe, dans son ensemble, à l’égard du régime. Le « front d’unité nationale juive » connut une profonde métamorphose. A la question traditionnelle et toujours mêlée d'angoisse, posée par toutes les générations, au long des siècles : « Est—ce bon pour les Juifs? Mauvais pour les Juifs? », le Juif soviétique, « Juif de tous les jours de l’année », l’équivalent dans l’imagerie linguistique du « Français moyen », répondait sans la moindre hésitation : « Le pouvoir soviétique, c’est bon pour les Juifs! » La Maison d’lsraèl était devenue prosoviétiqué.
Cnxrmæ III Le mouvement ouvrier juif entre dans la période de la révolution mondiale et du communisme Le 18 mars 1918, dans un article intitulé « Une paix malheu— reuse », Lénine formulait sur la paix de Brest—Litovsk le jugement suivant : « Les conditions de paix sont des plus dures, mais l’histoire aura le dernier mot. » Et, de fait, l’histoire se prononça avec une rapidité inatten— due. En novembre 1918, la révolution éclata en Allemagne et, aussitôt après, dans l’Empire austro—hongrois. En janvier 1919, après le soulèvement des Spartakistesl qui fut noyé dans le sang, on enregistra des explosions dans toute l’Allemagne. Le 21 mars 1919, une République soviétique fut proclamée en Hongrie avec, à sa tête, Bela Kuhn. En Italie, le mouvement révolution— naire prit un essor extraordinaire. Les travailleurs occupèrent les usines. Des troubles sérieux eurent lieu en Franœ, à Brest et à Marseille. A l’horizon se profilait, de plus en plus nettement, la révolution mondiale, toujours plus proche, nuée sombre et menaçante pour les pays occidentaux, lueur d’espéranœ venue des cieux pour la République soviétique. L’irnmense Russie fut brusquement saisie d’une fièvre d’universalisme. Le paysan russe qui, jusqu’à la guerre, n’avait jamais dépassé les bornes de son village, se vit soudain pousser des ailes. L’ouvrier russe s’apprêtait, ni plus ni moins, à libérer le monde. « Universel » devint le terme le plus populaire du vocabulaire politique. Jeunes et vieux menaçaient, dans un chant devenu célèbre, « d’allumer un inœndie mondial, pour le malheur de tous les bourgeois ». En mars 1919, à Moscou, au 1er Congrès des Partis commu—
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nistes, fut créée la [11° Internationale, l’Internationale commu— niste, devenue célèbre sous le nom de Komintern. C‘était l’animatrice et le centre organisationnel de la révolution mon— diale. Son manifeste, un appel solennel à « la lutte finale », retentit parmi le prolétariat mondial comme une puissante sonnerie de trompettes. En Union soviétique même, la jeune Armée rouge, mal équipée et affamée, mais animée d’une flamme ardente, allait de victoire en victoire. Les troupes de l’amiral Koltchak, en Sibérie, celles du général Denikine, en Ukraine, furent battues l’une après l’autre. Et voici l'Armée rouge fonçant sur Varsovie pour « tâter avec le fusil le pouls de l’Europe », selon l’expres— sion de Lénine. De Varsovie, le Berlin révolutionnaire était à portée de la main; de là, un saut avec élan vous menait vers un Paris en ébullition, une Rome en proie à la fièvre révolution— naire. C’était, sans conteste, « la lutte finale », le combat décisif pour un monde nouveau. Dans cet affrontement, il aurait été impossible à la classe ouvrière juive de faire défaut : c’eût été incompréhensible ! Le mouvement ouvrier juif dut rapidement changer de cap et repenser fondamentalement ses positions antérieures. Les partis ouvriers juifs partaient de l’idée que la révolution russe était d'essence démocratique-bourgeoise et qu’il ne pouvait en aller autrement, dans les conditions de sous—développement de la société russe en général et de ses forces productives en particulier. La tentative de transformer cette révolution bour— geoise—démocratique en révolution sociale leur apparut comme une manifestation de social-utopisme imprégnée de tendances macho-syndicalistes et condamnée à l’échec. Ils voyaient, dans la révolution d’Octobre, une usurpation de pouvoir effectuée par des aventuriers politiques irresponsables, « des fous ou des criminels ». Et voilà que, soudain, il apparaissait qu’0ctobre et le flambeau d’une révolution mondiale. était l’étincelle Qui plus est, la Russie rétrograde, la République panrusse des Soviets, était devenue, avec son idéologie, sa théorie, sa tactique et sa stratégie, le centre et le guide de la révolution mondiale. Les trois grands partis qui constituaient le mouvement ouvrier juif — le Bund. les socialistes juifs unifiés et les Poalé—Sion —, après un douloureux examen de conscience, durent entamer une
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réorientation politique. Ils le firent chacun à leur manière, déterminés par leur histoire propre, leurs traditions, leur influenœ, ainsi que par leur implantation géographique dans l’ancienne Russie impériale. La « reconversion » la plus caractéristique pour l’époque fut celle du Poalé—Sion. Parti à vocation mondiale et structuré en Union mondiale, il était dirigé, pour la politique générale, par le bureau de cette Union. Dès le début de l’année 1919, le Poalé—Sion d’Union soviétique se scinda en deux fractions. Les scissionnîstes créèrent le « Parti communiste juif Poalé—Sion » (le sigle russe donnant Yekapé) qui, dès le 1" mai 1919, commença à publier un journal, la Pensée communiste. Le vieux Poalé-Sion social— démocrate subsista parallèlement, fut désavoué par l’Union mondiale et exclu de ses rangs. En déœmbre 1919, le bureau de l’Union mondiale adressa un mémorandum au Komintem qui exprimait son vœu d’adhérer à l’Internationale communiste. A la cinquième Conférence mondiale des Poalé—Sion, qui se tint à Vienne en août 1920, la question de l’Internationale provoqua une scission. La majorité de gauche se prononça pour l’adhésion au Komintern, dans une résolution spéciale qui se terminait par ces mots : « Avec la victoire de la révolution prolétarienne en Russie, est née la III" lntemationale qui, seule, est à même de détruire
le pouvoir des classes dirigeantes, d’instaurer la dictature prolétarienne, afin d’élever un monde nouveau sur des bases socialistes. C’est pourquoi la cinquième Conférence de l’Union mondiale des socialistes juifs “ Poalé—Sion ” décide d’adhérer à la III" lntemationale. »
Or, avant même cette résolution officielle, un représentant de l’Union mondiale avait participé au 11° Congrès du Komintem, a titre officieux, pour y défendre la demande d’admission de son parti. Voici comment il définit, dans son intervention, les objectifs du « Poalé—Sionîsme » : « Quelle est notre attitude, celle du PoaIé-Sion communiste, à l’égard de la Palestine ? Tout d’abord, nous n’avons pas l’intention de créer un État, et surtout pas avec le soutien de l’impérialisme britannique. Nous sommes convaincus que, dans
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le processus de productivisafion des masses juives…, a l’époque de la révolution sociale, un nombre important de Juifs quitte— ront les pays dans lesquels ils vivent actuellement en masse, tels que l’Ukraine, la Lituanie et, surtout, la Pologne. Une partie d’entre eux se rendra en Palestine et y travaillera dans l’agricul— ture... Quand la Palestine, dans la progression ultérieure de la révolution sociale, deviendra un État soviétique, la question de la colonisation juive de ce pays fera partie de la question générale de la producüvisation des masses juives et de leur participation à l’édification d’une société humaine, travailleuse et libre. Ces idées que nous défendons n’ont rien à voir avec le projet d’un État juif, et surtout pas d’un État bourgeoisz. »
Ce « Poalé—Sionisme » sans État juif souleva peu d‘enthou— siasme chez les dirigeants de l’Union mondiale, mais il fut néanmoins décidé de poursuivre les négociations sur la même base idéologique, parce que l’on avait « compris qu’il était préférable de ne pas reprendre par le début le contentieux avec le Komintern 3. » Le 20 avril 1921, un nouveau mémorandum plus détaillé fut envoyé à Moscou et une délégation spéciale fut dépêchée au III° Congrès du Komintern. Les tâches que cette délégation s’était assignées étaient singulièrement complexes et exigeaient beaucoup de diplomatie. Un membre de la délégation s’en explique : « Nous, la majorité de l’Union, étions convaincus de notre sionisme, en dépit de œ qui se trouvait dans le mémorandum. Nous étions sûrs que si nous parvenions à faire admettre nos propositions au Komintem, nous dominerions la section juive et nous orienterions son travail selon notre volonté et selon nos
conceptions“. »
En somme, il ne s’agissait que d’un simple détail : « faire admettre les propositions », mais ces propositions, bien entendu, ne furent pas admises. Le Comité exécutif du Komintem était représenté dans les négociations par Karl Radek qui, en toute camaraderie et avec d’infinis regrets, repoussa la demande du Poalé—Sion. Il motiva ainsi sa position : « Selon moi, dès l’avènement de la République soviétique internationale, les masses juives de chaque pays passeront au
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travail productif et ne seront pas obligées d’émigrer. C’est pourquoi il me semble que le programme de Palestine est un résidu des vieilles conceptions chauvinistœ ’. » D’autres discours furent prononcés au cours d’autres séances, mais la négociation avec le Komintern était devenue sans objet. Il ne restait qu’une seule alternative : ou bien adhérer au Komintem et renoncer au Poalé—Sionisme, ou rester fidèle au Poalé-Sionisme et renoncer au communisme. Une partie des délégués du Poalé-Sion firent leur choix sur place, à Moscou : ils quittèrent officiellement le Poalé—Sion et adhérèrent aux partis communistes de leurs pays respectifs. En Union soviétique, la Yekapé (Parti communiste juif Poalé— Sion), après des tentatives diverses d’activité politique, pro— nonça sa dissolution à la Conférence nationale des 27 octobre2 novembre 1923. Ses membres s’affilièrent au Parti communiste. Paradoxalement, la vieille formation du « Parti ouvrier social—démocratique PoaIé-Sion » poursuivit une activité légale durant plusieurs années encore. Bien qu’exclu de l’Union mondiale et tenu en marge de la société soviétique, le Parti continuait son travail, y compris parmi la jeunesse, tenant des conférences nationales et éditant des publications, tant en yiddish qu’en russe (la Yevsektsia pour sa part ne publiait rien en russe). L’organe officiel du Parti, la Pensée prolétarienne, eut encore l’honneur de publier, en novembre 1927, un numéro spécial consacré au dixième anniver— saire de la révolution d’Octobre. Ce fut son chant du cygne. Quelques mois plus tard, le Parti fut liquidé par les pouvoirs publics. Quelques-uns de ses dirigeants furent arrêtés et dépor— tés. lls disparurent dans les camps staliniens ". La réorientation politique des « socialistes unifiés » eut lieu en 1919 également, mais dans des conditions sensiblement différentes. La « reconversion » s’effectua en Ukraine, où ce parti avait son fief principal, en pleine guerre civile. telle était sa « Le Parti ouvrier socialiste juif unifié » était le parti le plus jeune des trois dénomination complète partis ouvriers juifs et était né en juin 1917, de la fusion de deux formations, le « S.S. » (Parti ouvrier sioniste—socialiste) et le « J.S. » (Parti ouvrier juif socialiste « Seimistes »).
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Le « S.S. », créé en 1905, se considérait comme une forma— tion marxiste et cherchait à réaliser la synthèse entre le sionisme socialiste et le territorialisme. Les «J.S. » ou « Seimistes », qui virent le jour en 1906, étaient plus près des socialistes-révolutionnaires. Le point œntral de leur programme était la lutte pour la restructuration de la société juive par une autonomie nationale—personnelle, dans le cadre de parlements nationaux (Seim), comme embryon d’une structure étatique juive. La fusion des deux partis dans la Russie démocratique d’après la révolution de Février se fit principalement sur la base de la plate—forme de l’autonomie nationale et ce pro— gramme devait surtout être réalisé. dans toute son ampleur, en Ukraine, du moins l’espérait-on généralement. A la tête du ministère aux Affaires juives, on plaça le représentant des socialistes unifiés, co-fondateur et théoricien des anciens « Seimistes », le Dr Moshé Zylberfarb. A l’actif de ce ministère, il convient précisément d’inscrire l’élaboration et l'adoption par l‘Assemblée législative ukrainienne, la Centrale Rada, de la loi sur l’autonomie nationale—personnelle octroyée à toutes les minorités nationales de la République ukrainienne. Après que l’autonomie juive d’Ukraine fut noyée dans le sang juif, et cela non seulement du fait des armées des généraux tsaristes, mais aussi par les troupes socialistes-révolutionnaires et social—démocrates qui, sous la direction de Petlioura, se mirent à organiser, avec une belle ardeur, des pogromes anti—juifs, le Parti des socialistes unifiés, devant la fin tragique imposée à son fondement idéologique, perdit sa crédibilité politique et, par conséquent, sa raison d’être. Par ailleurs, l’extension de la guerre civile imposa la nécessité de choix immédiats. Il fallait se définir politiquement par rapport aux deux camps qui s’affrontaient avec un acharnement de plus en plus sanglant. Le choix ne pouvait faire de doute pour un parti ouvrier juif. A la deuxième Conférence des socialistes unifiés, en janvier 1919, le parti décida, à une forte majorité, de se rallier au pouvoir soviétique et au communisme. En avril 1919 le « Parti ouvrier socialiste juif unifié » après une scission se transforma en « Parti ouvrier communiste juif unifié ». Un mois plus tard, en mai 1919, le « Parti ouvrier communiste juif unifié » fusionna avec le « Combund », créé en Ukraine le l‘"
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mars 1919. La nouvelle formation prit le nom de « Union communiste juive ». En août 1919, l’ « Union communiste juive » procéda à sa dissolution et ses membres rejoignirent les rangs du Parti communiste. La « conversion au communisme » du plus grand parti ouvrier, le Bund, présentait un intérêt tout particulier et s’effectua dans une profonde tension dramatique. Le Bund avait été non seulement le plus important des partis ouvriers juifs, le plus ancien dans le mouvement ouvrier juif, mais en fait le premier parti politique juif, au sens moderne du terme. Le sionisme qui apparut à peu pres en même temps que le Bund n’était encore qu'un mouvement imprécis aux contours assez flous, alors que le Bund avait déjà des structures organisa— tionnelles, un programme, des adhérents, une discipline de parti, des instances dirigeantes, etc. Durant des dizaines d’années, le Bund avait joué un rôle de tout premier ordre dans l‘évolution et la modernisation de la vie sociale et de la culture juives. L’héroisme et l’esprit de sacrifice des militants du Bund, tant dans les luttes politiques contre le tsarisme que dans les combats d’autodéfense lors des pogromes tsaristes, acquirent à œ parti un prestige énorme. Or, le Bund pouvait se prévaloir de son droit d’aînesse (il s’en prévalait d’ailleurs bien volontiers), non seulement dans le mouvement ouvrier juif, mais encore dans le mouvement ouvrier panrusse en général, et ce fait explique les relations sui generic qui s’étaient établies entre le Bund d’une part, et la social—démocratie russe de l’autre. Il est, en effet, impossible de comprendre le rôle que le Bund joua dans la révolution de Février, et les relations entre le Bund et les bolcheviks avec Lénine à leur tête, si l’on ne tient pas compte de l’arbre généalogique du mouvement ouvrier de Russie et des droits historiques du Bund. La conférence constitutive clandestine, bien entendu de œ parti qui fut dénommé, en yiddish, Algemeiner Yiddisher « Bund » Arbeter-Bund fun Russiand oun Poïln (Union générale ouvrière de Russie et de Pologne), nom transformé ultérieurement en « Union générale ouvrière juive de Lituanie, Pologne et Russie », œtte Conférenœ constitutive eut lieu a Vilno ville que les Juifs du monde entier continuent d’appeler les 25 et 27 septembre 1897. « la Jérusalem de la Lituanie »
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C’est là la date de naissance du mouvement ouvrier juif, organisé en tant que branche nationale autonome du mouvement ouvrier international. C’est précisément à l’initiative du Bund et de quelques groupements socialistes russes que se réunit à Minsk, capitale de la Biélorussie, en pleine « zone de résidence » juive, la Confé— rence constitutive de la social—démocratie russe, où fut créé le « Parti social—démocrate ouvrier de Russie (R.S.D.R.P.). Neuf délégués y prirent part en tout et pour tout, qui furent d’ailleurs tous aussitôt arrêtés. Trois de ces « pères fondateurs » étaient des représentants du Bund. Aussi n’est—ce pas par hasard que le berceau de ce parti, où commencèrent très vite a se cristalüser, d’abord comme ten— dances et fractions, ensuite comme deux entités distinctes, les majoritaires (bolcheviks) et les minoritaires (mencheviks), ne se soit situé ni à Saint—Pétersbonrg, centre du prolétariat russe, ni dans aucun autre centre ouvrier de l’immense Russie, mais précisément dans la cité juive de Minsk. Par suite du développement très inégal du mouvement ouvrier au sein des divers peuples de la Russie tsariste, le mouvement ouvrier juif, au début du xx" siècle, occupait, du point de vue de l’organisation, la première place. A la Conférence de Minsk, précisément, on discuta de la place que le Bund devait tenir non dans le mouvement, mais dans le parti qui venait d'être créé, dans ce « Parti social— démocrate ouvrier de Russie » nouvellement constitué. D’un commun accord, il fut décidé que tout en restant partie intégrante de cette formation commune, le Bund demeurait « une organisation autonome, indépendante uniquement dans les questions ayant trait au prolétariat juif’ ». Ce principe d’autonomie totale du mouvement ouvrier juif devint un des fondements essentiels de la structure du Bund, un article de foi, une tradition quasiment sacrée, mais qui se transformèrent, sur le chemin du communisme, en autant d’obstacles singulièrement dramatiques. Enfin, un autre facteur rendit plus tourmenté encore le chemin du Bund vers le communisme. Ce fut le caractère spécifique de ses relations avec les mencheviks. Depuis la scission de la R.S.D.R.P. en 1912, une sorte d’ «union personnelle » s’était établie entre les deux partis. Certains
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dirigeants mencheviks, des plus anciens et des plus influents, tels que Martov et Abramovitch, étaient aussi parmi les plus anciens et tres respectables dirigeants du Bund. Un certain nombre d’autres dirigeants bundistes, de la jeune génération, apparte— naient parallèlement aux comités centraux des deux partis. Il est vrai, par ailleurs, que le parti menchevik accueillit avec enthou— siasme, tout comme les bolcheviks, les événements d‘Allemagne. Une résolution spéciale du Comité central « salua avec ardeur la révolution allemande, exprimant l’espoir que œ serait le début d’une restructuration socialiste de toute l’Europe, exigeant une coopération étroite et la solidarité entre la Russie et l‘Allemagne, les deux plus grands pays révolutionnaires“ ». Mais en attendant cet avenir radieux, la lutte entre les deux frères ennemis, bolcheviks et mencheviks, sur leur propre terrain, celui de la révolution russe, devint de plus en plus Apte et impitoyable. Aussi douloureuse que put étre la rupture de longues amitiés politiques et souvent personnelles, force était de choisir son camp. Le 16 mars 1919, s’ouvrit à Minsk la onzième Conférenœ du Bund. Le délégué d’Ukraine, Moshé Rafès, y vint au nom du « Combund » (Bund communisé) et à titre d’observateur seulement. Après de longues et violentes discussions, la Conférence adopta, par trente et une voix contre dix-sept, une résolution politique qui tranchait nettement sur la ligne antérieure du Parti. On y déclarait notamment : « Le développement de la révolution russe a prouvé que, dans les conditions données, la seule et unique forme de pouvoir ne peut être que la dictature des Soviets... Fidèles à la plate—forme de la social—démocratie révolutionnaire, nous retirons le mot d’ordre de restauration de la démocratie absolue actuellement susceptible d’obscurcir le sens de la lutte pour le vrai pouvoir des masses laborieuses et proclamons le mot d’ordre de la réalisation véritable de la dictature des Soviets 9. »
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Ce n’était pas encore une identification complète avec la politique du Parti communiste. Bien au contraire, la résolution revendiquait la liberté d’expression (orale et écrite) et se prononçait contre la terreur et la peine de mort. Cependant, le Bund adopta par principe la plate—forme de la dictature du
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prolétariat et du pouvoir des Soviets, et appela les travailleurs juifs à rejoindre les rangs de l’Armée rouge. Le pas ultérieur, décisif, fut franchi un an plus tard, à la douzième Conférence du Bund qui s’ouvrit à Moscou, en avril 1920. Dès le début, deux tendances violemment antagonistes s’affiontèrent, l’une minoritaire, l’autre majoritaire. Au nom de la majorité, Esther Froumkine fit un rapport de politique générale; au nom de la minorité, Raphaël Abramovitch lui répliqua. Après qu'une résolution eut été adoptée sur la base du rapport d'Esther Froumkine, la minorité quitta la Conférenœ. Le Parti se scindait officiellement. La résolution adoptée partait des analyses suivantes : « La crise du capitalisme s’approfondit. La révolution sociale se développe. La conviction que seul le socialisme peut arracher le monde à l’abîme devient le credo et la force motrice de millions d’hommes. Les masses ouvrières se débarrassent dans tous les pays des illusions parlementaires et réformistes; elles adoptent la tactique du combat révolutionnaire et s’engagent sur le terrain de la dictature du prolétariat. La République soviétique de Russie se transforme en puissant centre d’organisation de la révolution mondiale. Les forces de la révolution sociale s’organisent pour donner l’assaut au capital avec les mots d’ordre de la révolution d’Octobre. »
De l’ensemble de ses analyses, la résolution tirait les conclusions suivantes : « 1. Dès la onzième Conférence, déjà, le Bund se situait en principe sur la plate—forme du communisme; 2. Le programme du Parti communiste qui est en même temps celui du pouvoir soviétique, correspond à la position de principe du Bund; 3. Un front socialiste uni, avec des adversaires résolus du pouvoir soviétique qui dressent le prolétariat contre son propre pouvoir, est impossible;
4. Le moment est venu où le Bund peut renoncer à sa
position officielle d’0pposition et assumer la responsabilité de la politique du pouvoir soviétique 10. »
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conférence de la La douzième Conférence du Bund majorité que la minorité avait boycottée prit, en consé—
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quence, les décisions suivantes: se transformer en Bund communiste (« Combund »); quitter le Parti social—démocrate ouvrier de Russie (R.S.D.R.P.), c’est—à—dire rompre avec les mencheviks et tous les adversaires du pouvoir soviétique; adhérer à la …" lntemationale et s’affilier au Parti communiste panrusse. S’affilier, sans doute, mais en tant qu’organisation autonome de la classe ouvrière juive, en accord avec les principes d’organisation traditionnels du Bund et sur les mêmes bases qui lui avaient été reconnues du fait de ses droits historiques au sein du R.S.D.R.P. Cette revendication d’auto— nomie fut qualifiée d’impérative par la Conférence. Mais les temps avaient changé et, bien davantage encore, les rapports de forces politiques. Les droits historiques, en général, se trouvaient fortement dévalorisés par la révolution et les bolcheviks, après avoir aboli tous les anciens privilèges, ne pouvaient certes pas se laisser impressionner par le privilège d’aînesse du Bund. Le Comité central du Parti communiste rejeta catégoriquement les prétentions à l’autonomie du « Combund », les qualifiant de conservatriœs, dépassées, pres— que réactionnaires. Des négociations commencèrent, longues, obstinées et, tout compte fait, sans espoir. Le « Bund communiste », qui avait entre-temps fusionné avec les socialistes unifiés de Biélorussie, demanda de l’aide... au Komintern. Une commission spéciale fut créée, composée de représentants des deux parties — du Comité central du « Combund » et du Comité œntral du Parti communiste sous la présidence d’un représentant du Komintem. Les négociations, au sein de cette commission, s’étirèrent sur toute une année et, finalement, le jugement tomba comme un couperet. Non seulement le « Combund » ne disposerait pas de la moindre autonomie au sein du Parti communiste, mais il n’y fut même pas admis en tant qu’unité politique organisée. Il lui fallait, avant tout, commettre un suicide politique, procéder à sa dissolution, et alors seulement ses adhérents pourraient être admis au Parti communiste, automatiquement, il est vrai, mais à titre purement individuel. Ce verdict extrêmement rigoureux souleva des débats orageux au sein du « Combund ». Le Comité central du Parti décida finalement de se soumettre au destin, par six voix contre cinq. Une conférence extraordinaire, réunie en mars 1921, confirma ce choix. Cependant, la capitulation ne fut pas totale. La
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résolution votée par la Conférenœ se consolait avec l’espoir que « le mouvement ouvrier juif retrouverait tôt ou tard, dans le cadre du Parti communiste, les formes normales et rationnelles qui lui avaient été reconnues jusqu‘ici dans le Bund“. » Un appel spécial du « Combund » aux travailleurs juifs précisait : « Nous considérons, aujourd’hui encore, que si le Parti communiste uni et centralisé avait maintenu dans son sein un Bund, il nous aurait été plus facile et plus commode d’organiser les travailleurs juifs, de les gagner au communisme, de les aider à bâtir la vie juive sur des bases nouvelles. Mais en Union soviétique, où le prolétariat et son parti se trouvent au pouvoir, il n'est plus temps de se chicaner sur des questions d’organisation 12. »
Force était cependant de reconnaître, en vérité, que dans ces
« chicanes » il ne s’agissait pas, loin de là, de questions d’organisation, au sens étroit du tenue. Le débat sur la structure
du Parti ne représentait qu’un aspect d’une dissension plus profonde et plus constante concernant la question nationale en général, et la lancinante question juive en particulier. Ce débat historique qui se poursuivit durant plus de deux décennies au sein du mouvement ouvrier de Russie, entre le Bund d’une part, et Lénine de l’autre, revêtit brusquement pour le judaïsme soviétique, dans ces conditions nouvelles d’existence, une actua— lité directe et brûlante. Tout au début du siècle, à sa quatrième Conférence, en 1900, mais pas encore le mot le Bund proclama le principe d’ordre de structure fédérative pour le futur État russe, avec pleine autonomie nationale pour tous les peuples habitant ce pays, y compris naturellement le peuple juif. « La Conférence considère, est—il dit dans la résolution sur la question nationale, qu’un État tel que la Russie, composé d'un grand nombre de nationalités diverses, doit à l’avenir se transformer en une Fédération de nationalités avec pleine autonomie pour chacune d’elles, indépendamment du territoire qu’elle habite. « La Conférence considère que la notion de “ nationalité " peut être reconnue au peuple juif ”. »
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Le principe d’autonomie nationale resta cependant dans un cadre très général, sans être transformé aussitôt en un mot d’ordre précis du Parti et cela, pour des raisons que la Conférenœ jugea nécessaire d’expliciter : « Considérant
néanmoins comme prématuré dans les circons—
tances actuelles de mettre en avant la revendication d’autono—
mie nationale pour les Juifs, la Conférence considère comme suffisant, pour l’instant, de mener la lutte pour la suppression de toutes les mesures d’exception dirigées contre les Juifs, de dénonœr et condamner l’oppression de la nation juive, tout en évitant pour autant d’exalter le sentiment national, ce qui ne peut qu’obscurcir la conscience de classe du prolétariat juif et le mener au chauvinisme “. »
Il ne fait pas de doute que la crainte « d’exalter le sentiment national » était en rapport direct avec l’avènement du mouve— ment sioniste que la même Conférenœ du Bund condamna d’ailleurs d’une manière identique et avec les mêmes termes, dans la résolution suivante : « L’agitation des sionistes exalte le sentiment national et peut devenir un obstacle au développement de la conscience de classe ". » Pour ce qui concerne les relations avec le « Parti social— démocrate ouvrier de Russie » (R.S.D.R.P.), créé deux ans auparavant, sur l’initiative même du Bund, la Conférence réitérait la position de son parti : le Bund adhérait au Parti ouvrier social—démocrate « sur des bases fédératives » (comme « partie fédérée ») et en tant que représentant de la classe ouvrière juive, avec ses intérêts spécifiques, nationaux et indépendants d’un territoire. Avec toute la prudence de ses formulations et malgré toutes les distances prises à l’égard du « sentiment national exalté », la Conférence du Bund n’en parla pas moins clairement de peuple concepts qui juif, de nationalité juive, voire de nation juive étaient en ce temps étrangers au mouvement socialiste et inacceptables pour lui. L’ensemble de la direction de la R.S.D.R.P., groupé autour du journal Iskra (I’Êtincelle), se dressa contre la position bundiste dans la question nationale et la conception de la
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nécessité de structures fédératives pour le Parti ouvrier social— démocrate. Lénine réagit avec une vigueur toute particu— fière. Dans une série d’articles, il nia catégoriquement l’existence de sans parler d’intérêts natio— quelconques intérêts spécifiques du prolétariat juif. Le seul élément spécifique qu’il naux reconnaissait était la propagande et l’agitation en yiddish (en « jargon » disait—on alors) afin de « satisfaire les besoins et revendications locaux tenant aux particularités des coutumes juives ». Et Lénine de souligner : « Pour tout le reste, la fusion la plus entière, la plus totale avec le prolétariat russe est nécessaire ; nécessaire dans l’intérêt de la lutte du prolétariat de toute la Russie “’. » La rédaction et les principaux collaborateurs de l’Lskra non seulement les Russes : Lénine, Plekhanov, Vera Zassouütch, mais aussi, et peut-être plus encore, les Juifs: Martov, Akselrod, Trotski, etc. étaient, pour ce qui est de la Question juive, des partisans convaincus de l’assimilation. Aider et accélérer le processus d’assimilation représentait pour eux un acte révolutionnaire.
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« L’idée malheureuse, sur le plan scientifique, d’un peuple juif distinct, écrivait Lénine en 1903, est réactionnaire dans sa signification politique. Dans toute l'Europe, la fin du Moyen Age et le développement des libertés politiques sont allés de pair avec l’émancipation politique des Juifs, avec le remplacement de leur jargon par la langue du peuple au sein duquel ils vivaient et, en général, avec l’objectif irréfutable de leur assimilation à la population environnante. Devons—nous en revenir, une fois de plus, aux théories primitives et déclarer que la Russie fera exœption, bien que le mouvement de libération des Juifs soit plus profond et plus large en Russie, gràce à l’éveil de la conscience héroïque parmi le prolétariat juif ? Doit—on vraiment considérer comme une coïncidence le fait que les forces réactionnaires de toute l’Europe, et particulièrement de Russie, s’unissent contre l’assimilation des Juifs et s’attachent à renforcer leur particularisme ? »
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Du processus historique d’émancipation juive en Europe occidentale. Lénine tire la conclusion suivante :
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« La Question juive se présente ainsi : assimilation ou isolement. L’idée d’une “ nationalité juive ” revêt un caractère
proprement réactionnaire, non seulement chez les partisans conséquents de cette idée (les sionistes), mais également chez œux qui veulent l’unir à l’idée de social-démocratie (les bundistes). L’idée d’une nation juive est contraire aux intérêts du prolétariat juif, créant chez lui, directement ou indirectement, un sentiment hostile à l’assimilation, un sentiment de ghetto “. »
Du fait de cette divergence de principe, sur la structure organisationnefle d’abord, mais surtout sur le programme national, un conflit sérieux éclata entre la délégation du Bund et la grande majorité des délégués à la deuxième Conférence du R.S.D.R.P. qui se tint à Londres en 1903. La délégation bundiste quitta la Conférence et le Bund quitta le Parti. On doit à la vérité historique de rappeler qu’au sein même du Bund, au début du siècle, on rencontrait des tendances très proches de celles que Lénine défendait dans l’Iskra. Les procès— verbaux de la cinquième Conférence du Bund, notamment œux de juin 1903, abondent en interventions contestant tout intérêt national chez le prolétariat juif ou se prononçant pour l’assimila— tion, à plus ou moins brève échéance. Il s’agissait visiblement là, moins d’un succès des articles de l’Iskra, que de certains relents du cosmopoüfisme naïvement mécaniste de la social—démocratie européenne du XIX° siècle qui avait très peu de rapport tant avec la Russie qu’avec le judaïsme russe. Le Bund qui s’était organiquement intégré à la nouvelle réalité historique juive parvint rapidement à éliminer ce cosmo— poütisme. La sixième Conférenœ du Bund, en 1905, proclama à la quasi—unanimité le mot d’ordre d’autonomie nationale—cultu— relle. Mais pour le Parti bolchevik, complètement éloigné de la nouvelle réalité juive, les processus historiques au sein du judaïsme européen moderne restèrent fondamentalement inconnus et inœmpréhensibles. Les événements de 1905, l’explosion révolutionnaire à Saint— Pétersbourg et dans les plus grands centres du pays irnposèrent l’unité de toutes les forces révolutionnaires, dont le Bund était encore l’une des plus importantes. Après de longues négocia— tions et au prix de concessions mutuelles, le Bund réintégra le R.S.D.R.P. lors du congrès d’unification de Stockholm, en
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avril 1906, non sur des bases fédératives, comme il le prétendait, ni comme seul représentant de la classe ouvrière juive, mais l’autonomie nationale— avec son propre programme national et avec une totale autonomie organisationnelle, à culturelle l’instar de toutes les autres organisations sociales—démocrates non russes : ukrainienne, arménienne, géorgienne, etc. Ainsi fut reconnue, de facto, la structure non—territoriale du mouve— ment ouvrier juif. Au cours de l’été 1913, Lénine élabora un projet de pro— gramme national pour le Parti bolchevik, qui fut discuté et adopté lors d'une rencontre dénommée la « Conférence d’août 1913 ». A cette conférence avaient pris part les membres du Comité central du Parti et un certain nombre de militants en vue. Une discussion sur le programme s’ouvrit immédiatement dans la presse russe marxiste, déjà légale à l’époque, et Lénine intervint rapidement, vers la fin de l’année, dans un grand article intitulé Notes critiques sur la question nationale. Avec l’acuité de style et l’ironie mordante qui lui étaient propres, il Ukrainiens, Juifs, Polonais répliqua à tous les opposants (Rosa Luxemburg surtout) et aussi Russes. Les traits les plus acérés étaient cependant dirigés contre le Bund qui, le premier, avait introduit au sein de la social— démocratie russe le mot d’ordre d’autonomie nationale—culturelle. Le Parti bolchevik était contre cette forme d’autonomie et lui opposa le mot d’ordre d’autonomie territoriale, au sens le plus large et comprenant également le droit à l’autodétermina— tion. Ainsi le Bund apparut—il, dans la question nationale, comme l’adversaire principal et Lénine ne ménagea pas au « sieur bundiste », « a notre bundiste », « au cher bundiste » des compliments comme : « ennemi du prolétariat », « simple bourgeois », « petit bourgeois nationaliste-réactionnaire », « associé de rabbin » et autres épithètes du même genre. Les Notes critiques sur la question nationale eurent une énorme influence, directe et indirecte, sur l’évolution ultérieure de la réalité juive soviétique et même sur le concept d’État juif. Elles devinrent une sorte de bréviaire obligatoire pour l’ensem— ble de la phénoménologie du fait national et du fait nationaliste domaine immense, dangereusement parsemé, (surtout juif) de long en large, d’embûches redoutables et de périlleux traquenards.
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Lénine était très profondément convaincu qu’il existe une historique universelle du capitalisme àla destruction des cloisons nationales, à l’effacement des distinctions natio— nales, à l’assimilation (souligné par Lénine) des nations, ten— dance qui, a chaque décennie, s’affirme plus puissante et constitue un des plus grands facteurs transformant le capitalisme en socialisme ». Dans ce processus d‘assimilation des nations, Lénine voit « un immense progrès historique20 ». Lénine cite l’exemple de l’assimilation des ouvriers ukrainiens avec les centaines de milliers d’ouvriers et paysans grands—russes, venus travailler dans les usines et les mines d’Ukraine et il conclut : dans ces limites du prolétariat grand—russe « L’assinülation et ukrainien est un fait indubitable. Et ce fait est assurément (souligné par Lénine) un progrès“. » Et d’ajouter au sujet du fameux melting pot américain : « De même qu’est progressiste le brassage des nations en Amérique ”. » En conséquence, tout ce qui gêne ou freine le processus d’assimilation des peuples devient anti—progressiste et réaction— naire. C’est précisément ce que Lénine reprochait au concept d‘autonomie nationale—culturelle : « tendance
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« Consacrer le nationalisme dans une certaine sphère “ équitablement ” limitée, “ constituer ” le nationalisme, séparer par des cloisons, solidement et à jamais, toutes les nations les unes des autres, au moyen d’une institution d’État particulière : telle est la base idéologique et le contenu de l’autonomie nationale culturelle. Cette idée est en tout point bourgeoise et absolument erronée. Le prolétariat ne peut donner son soutien à aucune consécration du nationalisme; au contraire, il soutient tout ce qui aide à effacer les distinctions nationales, à faire tomber les cloisons nationales, tout ce qui rend la liaison entre nationalités plus étroites, tout ce qui mène à la fusion des nations. Agir autrement, c’est se ranger aux côtés du phüisfinisme nationaliste
réactionnaire”. »
La conclusion de Lénine est donc claire et catégorique : « Le marxisme est inconcüiable avec le nationalisme, fût—il le plus “ juste ”, le plus “ pur ”, le plus fin et civiüsé. A la place de tout nationalisme, le marxisme met l’internationafisme, la fusion de toutes les nations, dans une unité suprême qui se développe
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sous nos yeux avec chaque nouvelle verste de chemin de fer, avec chaque nouveau trust international, à chaque association ouvrière (internationale par son activité économique et aussi par ses idées, par ses tendances) “. »
En œ qui conœme la question juive, plus particulièrement, Lénine resta sur ses positions de l’époque de l’Iskra, qui s’étaient non seulement vues confirmées, mais encore affermies par les travaux des dirigeants de la social—démocratie allemande et autrichienne, Karl Kautsky et Otto Bauer. Le mouvement ouvrier russe subissait d’ailleurs de manière générale l’influenœ directe des théories assimflationnistes d‘Europe oœidentale. Russe und Judenturn (« Raœ et Judaïsme ») de Kautsky, paru en 1913, était devenu un recueil de paroles d’Évangüe pour tous les socialistes européens et américains. Curieusement, les adeptes les plus ardents de Kautsky n’étaient autres que les dirigeants socialistes d’origine juive, tels Victor Adler et Otto Bauer en Autriche, Martov et Trotski en Russie, Rosa Luxem— burg en Pologne, etc. Le livre de Kautsky n’était, au fond, qu’une vulgarisation et une « actualisation » quelque peu mécaniste de la célèbre brochure De la question juive du jeune Karl Marx. Kautsky écrivait, par exemple : « Le judaïsme est semblable à un boulet de plomb attaché aux pieds des Juifs qui aspirent au progrès... C’est un des résidus du Moyen Age féodal... Nous ne saurions affirmer que nous sommes entièrement sortis du Moyen Age aussi longtemps que le judaïsme existera parmi nous. Plus vite le judaïsme disparaîtra, mieux œ sera, non seulement pour la société tout entière, mais aussi pour les Juifs eux-mêmes”. » En dépit de l’incontestable malaise que suscite le style de Kautsky, par des résonanœs nettement anti—juives (et les mêmes résonances étaient d’ailleurs perœptibles chez le jeune Marx), en dépit de l’écho tragique qu’évei1le, après le génocide hitlérien, l’expression « la disparition du judaïsme », il serait pourtant injuste d’oublier que le vieux théoricien de la social— démocratie allemande ne préconisait pas autre chose que la totale fusion des Juifs dans la population environnante, leur totale incorporation, librement consentie, dans la société alle— mande, en tant que citoyens libres et égaux en droits. Contrairement à Kautsky, Lénine n’utilise jamais, traitant des
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Juifs, sa plume habituellement acérée. En fait, il parle avec émotion « de la nation la plus opprimée et la plus traquée, la nation juive26 » et avec admiration des « grands traits universel— lement progressistes de la culture juive ». Mais Kautsky reste néanmoins la grande autorité a laquelle on se réfère.
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« Dans le monde civüisé, écrit Lénine, les Juifs ne constituent pas une nation, ils se sont assimilés plus que les autres, disent K. Kautsky et O. Bauer. Les Juifs de Galicie et de Russie ne constituent pas une nation; ils ne sont ici, malheureusement (non point par leur faute, mais par œlle des Pourichkevitch) qu’une caste... Qu’attestent donc œs faits ? Ils attestent que seuls peuvent clamer contre l’“ assimüationnîsme ” les petits— bourgeois réactionnaires juifs qui veulent faire marcher à rebours la roue de l’histoire... Contre l’assimilation n’ont jamais clamé les meilleurs parmi les Juifs, glorifiés par l’histoire universelle et qui foumissaient au monde des guides avancés de la démocratie et du socialisme ”. »
Le caractère progressiste de la fusion des peuples dépend œpendant pour Lénine d’une condition fondamentale qu’il répète à plusieurs reprises en y insistant : le processus d’assimilation doit être absolument volontaire, sans contrainte ni pression, et ne doit procurer, non plus, aucun privilège. Il en découle en conséquenœ le droit absolu àla non—assimilation, au particularisme national des minorités, à une vie nationale propre ; le droit absolu de chaque peuple à sa propre langue et à sa propre culture. Ce droit apparaît à Lénine si important au niveau des principes et d’une signification si primordiale qu'il exigea, à œt effet, une garantie constitutionnelle Spécifique. Dans les Notes critiques, l’auteur indique comment la garantie sous la forme d’une loi constitutionnelle pourrait fonctionner. Cet exemple n’est nullement dépassé, il reste, au contraire on, plus exactement, il est redevenu d’une grande actualité pour l’Union soviétique. Le texte de Lénine, quelque peu oublié, mais qui mérite d’être cité plus souvent, dit ceci : « Or, s’il y avait dans la Constitution de l’Etat une loi fondamentale proclamant non valable toute mesure qui violerait
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le droit de la minorité, chaque citoyen pourrait exiger que l’interdiction fût levée, par exemple d’engager aux frais de l’État des professeurs de langue juive, d’histoire juive, etc., ou de réserver un local officiel pour des conférenœs a faire aux enfants juifs, arméniens et roumains et même à un seul enfant géorgien . »
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Après la révolution d‘Octobre, Lénine introduisit quelques modifications substantielles dans sa vision d’avant—guerre conœmant « la fusion de toutes les nations dans une unité suprême qui se développe sous nos yeux ». Dans La Maladie infantile du communisme, paru en 1920, il écrit : « Aussi longtemps que des distinctions nationales et politidistinctions qui ques existent entre les peuples et les pays subsisteront longtemps, très longtemps, même après l’établissement de la dictature du prolétariat à l’échelle mondiale, l’unité de la tactique internationale du mouvement ouvrier communiste de tous les pays veut, non pas l’efiaœment de toute diversité, non pas la suppression des distinctions nationales (à l’heure actuelle c'est un rêve insensé), mais une application des principes fondamentaux du communisme (pouvoir des Soviets et dictature du prolétariat) qui modifie correctement œs principes dans les questions de détail, les adapte et les ajuste comme il convient aux particularités nationales et politiques 3°. »
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Ces correctifs conœmant les « particularités nationales et politiques » ne relevaient, bien sûr, que du domaine de la tactique, de « l’unité de la tactique internationale » du mouvement communiste de tous les pays. Il n’en reste pas moins que « la fusion des peuples » et « la liquidation des différenœs nationales », au lieu de demeurer un processus quasi imminent, se muèrent en une affaire d’avenir lointain, très lointain même. que seul « un rêve insensé » pouvait croire proche. Ce problème de tactique touchait ainsi à un problème de fond et constituait une modification très sensible dans les positions de Lénine par rapport à l’avant—guerre. En revanche, son attitude à l’égard de la Question juive resta sans le moindre changement. « Les Juifs ne sont pas une nation », répétait—il encore dans les années 1919— 1920. Et Simon Dimanstein, qui reçut œtte confidenœ, la répercuta aussitôt urbi et orbi.
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Cette fois, pourtant, il ne s’agissait plus de polémiques entre partis, mais d’une doctrine politique devenue doctrine d'État. Le programme national du Parti bolchevik proclama le principe de « la définition territoriale de la nation », c’est—à—dire le principe du lien indispensable et absolu entre nation et terri— toire. Le territoire devint un des signes distinctifs essentiels et obligatoires du conœpt de nation en général. Ce principe fut codifié à tout jamais par Staline dans le Mam‘sme et la question nationale, de 1912. Ainsi les Juifs furent—ils, automatiquement pourrait—on dire, rejetés de la catégorie des « nations ». Aucune exœption à la règle ne fut admise, pas même pour justifier la règle. Dans sa résolution sur la politique nationale, le X‘ Congrès du Parti communiste de l’U.R.S.S., en mars 1921, inclut les Juifs dans la catégorie des « minorités nationales qui n’ont pas de territoire en Union soviétique », mais possèdent visiblement des territoires quelque part ailleurs. Dans cette catégorie on retrouve les Juifs aux côtés des Lettons, des Polonais, des Estoniens, etc., et ils sont tous désignés « comme groupes nationaux fluctuants, comme minorités nationales parsemées parmi d’autres majorités nationales ». A ces groupes minoritaires, la résolution du Congrès reconnaissait le droit à un plein et libre développement national. Il saute aux yeux qu’inclure les Juifs soviétiques dans la catégorie des minorités qui, bien que n‘ayant « pas de territoire en Union soviétique », en possédaient un quelque part ailleurs, relève de la pure fiction. Mais cette fiction devait souligner que, comme pour toutes les autres minorités dont le œntre de vie nationale se situait en dehors des frontières de l’Union soviétique, la problématique du judaïsme soviétique n'était pas une problématique nationale, susceptible de décider du sort d’une nation, elle n'était pas de nature à influer (même avec l’aide de la dictature du prolétariat) sur le destin politique, économi— que et culturel d’une certaine collectivité nationale façonnée par l’histoire. Cette problématique était simplement celle d’une minorité, d’« un groupe fluctuant », en perpétuelle mutation et d‘un avenir extrêmement incertain. Pour une telle minorité, il n’était pas besoin de programmes nationaux, de mots d’ordre nationaux, d’organes ou institutions spéciaux de droit public, ni au niveau du Parti ni a œlui de
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l'État. En fait, il était évident que seul le conœpt de nation pouvait être, sinon identifié, tout au moins étroitement lié à la notion de durée historique, et œ jusqu‘au moment de la « fusion ». En revanche, tout autre groupement national une « non-nation », un peuple, une tribu, une caste, une « minorité était, en fait, le synonyme d’un dépérissement nationale » historique, d’une disparition à plus ou moins longue échéanœ, d’une fusion avec la « majorité nationale ». En d’autres termes le synonyme d’une assimilation. C’était là, fondamentale— ment, la réponse que la doctrine bolchevique donna au Bund et à l’ensemble du mouvement ouvrier juif. Cette réponse fut par le Bund et les autres partis ouvriers juifs — acceptée. C’est un fait que le mouvement ouvrier juif de Russie, avant de se fondre dans le Parti communiste, dut tout d’abord extirper tous les de son sein toute impureté nationaliste juive et les brûler programmes nationaux devenus nationalistes publiquement dans un autodafé. La douzième Conférenœ du Bund, notamment, réunie en avril 1920 à Moscou, constata dans sa résolution sur la question nationale que « la revendication d’une autonomie nationale culturelle, qui avait été avancée dans le cadre de l’ordre capitaliste, avait perdu tout son sens dans les conditions de la révolution socialiste 3‘ ». C’est ainsi que parais— sait définitivement clos le débat historique qui avait opposé, durant près de deux décennies, Lénine et le Bund. Clos, non du fait que le Bund reconnaissait qu’il avait eu tort depuis toujours, mais parce que l’objet même du débat avait perdu tout son sens dans les nouvelles conditions historiques de la révolution socialiste, laquelle signifiait alors, de toute évidenœ, la révolution socialiste mondiale. Dans son livre de souvenirs Dans deux révolutions, l’ancien dirigeant du Bund et, à la fois, du parti menchevik, Raphaël Abramovitch, rappelle une conversation qu’il eut à l‘automne 1919, dans un train de nuit, avec son vieil ami Moshé Rafès qui avait déjà rejoint le Parti communiste. La discussion portait sur le caractère de la révolution et Rafès déclara :
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« Aussi longtemps qu‘il ne s’est agi que de la Russie, j’étais fermement convaincu, tout comme vous, qu’il ne pouvait être question de socialisme sous quelque forme que œ soit. Nous avons dans notre pays près de 90 % de paysans, nous avons peu
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d’industrie, nous avons une petite classe ouvrière. Comment pourrait—on, dans un tel pays, essayer de réaliser un ordre socialiste ? Mais la révolution allemande a tout changé… Si l‘Allemagne s’engage sur la voie socialiste et entraîne avec elle toute l'Europe œntrale, alors œla signifiera que la révolution socialiste européenne aura triomphé. Mais si vraiment un ordre socialiste est instauré en Europe, le problème de la révolution en Russie acquiert une tout autre dimension. Il ne sera plus question, alors, de savoir comment la Russie rétrograde pourrait instaurer chez elle un ordre socialiste, le problème se posera d’une manière entièrement différente : comment une Europe socialiste bien organisée bâtira en Russie un ordre plus ou moins socialiste ”. »
Cette foi simpliste, œs évidenœs qui n’admettent pas le moindre doute, avec lesquelles un dirigeant de parti et homme politique expérimenté a sauté, d’une traite, de l’Allemagne révolutionnaire à une Europe socialiste, peuvent nous paraitre surprenantes. Mais Abramovitch lui—même, un des dirigeants les plus notoires du Parti menchevik et adversaire éprouvé du bolchevisme, était sensiblement du même avis : « Je n’ai pas douté alors, en automne 1919, écrit—i], de la possibilité d’une révolution socialiste en Europe. Je n’étais pas aussi optimiste que Rafès sur l’éventualité d’un tel bouleversement. Mais je le croyais possible en principe, et c’était alors une opinion fort répandue, non seulement parmi nous, intellectuels socialistes de Russie, sans contact avec le monde extérieur, mais aussi en Europe même, parmi les socialistes et non-socialistes
d’Allemagne3 . »
De l’Europe socialiste, la voie menait tout droit et tout simplement vers l’est et l’ouest, vers le nord et le sud vers le monde entier. Les fortes odeurs de la Révolution mondiale flottaient délicieusement dans l’air. Lorsque le représentant du Poalé—Sion vint à Moscou, en 1920, au Il“ Congrès du Kamintem, plaider l’adhésion de son Parti à l’Internationale communiste, il dit tres calmement, avec une œrtitude à toute épreuve : « Quand Eretz-Israêl, dans son évolution ultérieure, deviendra un État soviétique... » et Karl Radek, au nom du Comité exécutif du Komintern, s’empressa
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de confirmer, sinon l’adhésion du Poalé—Sion, tout au moins la calme œrtitude de son délégué : « Dès l’avènement de la Révolution internationale soviétique »... Il ne s‘agissait pas la d’un jeu d’hypothèses historiques, c‘était déjà ou plus précisément œla paraissait être de la réalité historique, une réalité qui, du jour au lendemain, devait prendre corps définiti—
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vement.
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Cette réalité était disons se devait inévitablement d’être merveilleusement neuve : une vie nouvelle, un homme nou— veau, une nouvelle société, une nouvelle culture et une nouvelle civilisation. Révolution mondiale signifiait : une nouvelle créa— tion du monde, un nouveau œmmenœment dans l’histoire de l’humanité, une ère nouvelle de liberté, de fraternité et de bonheur. Pour le mouvement ouvrier juif tout particulièrement, œla voulait dire : sublimation du thème messianique et universaliste qui, tel un écho des exhortations des prophètes d’Israël, ne œssait de retentir au plus profond de son être. Sous œtte lumière éblouissante de 'l’universel, la revendication d’autono— mie nationale culturelle a, en fait, « perdu tout son sens »; bien plus, c’est toute la question nationale qui devint caduque, se vida de sa substanœ, perdit toute portée réelle. Le mouvement ouvrier juif d’Union soviétique fit son entrée dans l’époque de la Révolution mondiale comme dans un cycle historique essentiel— lement neuf, le cycle rêvé de « la fin des temps », œlui du communisme. Un nouveau mot d’ordre apparut (pour la première fois, dans la résolution de la conférence liquidatriœ du Bund de mars 1921) : « amener au communisme » les travailleurs juifs, les masses populaires juives. Ce mot d’ordre devint rapidement le mot clé, le signe de reconnaissanœ des temps nouveaux. Bien entendu, personne ne savait comment il fallait s’y prendre pour « amener au communisme » et, d’ailleurs, ne pouvait le savoir . car l’heure de « la fin des temps » n'avait encore jamais sonné jusque-là dans l’histoire humaine. Mais la formule elie—même était porteuse d’une grande charge symbolique. « Ammer au communisme », cela résonnait comme initier à une nouvelle foi, à un nouveau culte, à une nouvelle Église. L‘analogie avec le christianisme s’imposait d’elle-même. Voici, par exemple, la description donnée par l’ancien bolche— vik, Simon Dimanstein, dirigeant du Commissariat œntral juif,
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de la mission aœompüe en provinœ par quelqu’un qu’il appelle Samuel 0gurski, ancien anarson « premier émissaire » chiste, émigré politique aux États—Unis et en Angleterre, rentré en Russie après la révolution de Février. « Il était encore, écrit Dimanstein, notre Jean—Baptiste, il parcourait les villes en prêchant la bonne parole. Il annonçait l’arrivée des temps nouveaux pour l’ouvrier juif, une destinée nouvelle, le Commis— sariat juif, le communisme en lequel il fallait croire et devant lequel tous les peuples allaient se prostemer“. » Après œ « premier émissaire » vinrent les « commissaires », les apôtres du « sort nouveau », de « la destinée nouvelle » dans lesquels il fallait croire et devant lesquels il fallait bientôt « se prostemer » obligatoirement. C’est aussi dans un style messianique, évangélique, presque eschatologique que Moshé Rafès harangua le bon peuple juif de Kiev, dans un meeting devant le conseil municipal de la ville. « Aujourd’hui, s’exclama-t—il, lorsque la révolution sociale est enfin survenue, il faut balayer avec un balai de fer tous les Mendelé, Peretz et Cholem—Aleikhem (piliers de la littérature juive moderne). » Un vieil ami de Rafès, un ancien du Parti, entendant de tels outrages, éclata en sanglots ”. Le savant prédicateur rabbi Shaül le Tarsi, devenu plus tard saint Paul, prononçait de semblables harangues près de deux mille ans auparavant dans les synagogues de l’Asie Mineure. Au nom de la « Nouvelle Allianœ » que Dieu noua avec son Fils, le Messie et Sauveur crucifié, Rabbi Shaül déclarait nuls et non les rites et avenus a balayer avec un balai de fer commandements de la « Vieille Allianœ » conclue avec l’ancêtre Abraham, uniquement pour les fils, pour la descendanœ d’Abraham. Au nom du nouveau Messie, la révolution sociale, dans son universalité de tous les hommes, Rafès appela à rompre avec le particularisme juif, avec la spiritualité spécifique juive et, en conséquenœ, avec l’identité historique juive. Même dans les rangs de la « Section juive », on reprocha à Rafès et à ses adeptes leur assünüationnisme. Mais l’expression manque de précision. S'assimiler signifie se fondre dans un milieu étranger, parmi un peuple étranger, adopter un mode de vie étranger, une langue étrangère, une culture étrangère, éventuellement une religion étrangère. En œ sens, Rafès et ses adeptes ne furent pas des assirnilateurs, pas plus que ne l'était
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Shah] le Tarsi. Ils n’appelaient ni a se fondre avec quiconque, ni à prendre quoi que œ soit chez autrui. Ils préconisaient simplement une « Nouvelle Allianœ », un « Nouveau Commen— œment », par lequel l’individuel et le national se dissoudraient
dans l’universel. Depuis le « Nouveau Commenœment » de Shaùl le Tarsi, l’histoire a pu enregistrer quelques nouveaux « Nouveaux Commenœments » dont œrtains, avec leur propre chronologie et leur calendrier propre tels le « nouveau commenœment » de Mahomet et le « nouveau commenœment » plus réœnt de la Révolution française, qui devaient fondamentalement changer le destin de chaque homme, le destin du monde et même œlui de l’autre monde. Avec la Révolution mondiale apparut le plus réœnt « Nou— veau Commenœment », le seul a être intrinsèquement nouveau, authentiquement nouveau, le « Nouveau Commenœment » du communisme.
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Cmrrnæ IV
Hymne à la charrue La colonisation juive « Établir la dictature du prolétariat dans la rue juive » était sans nul doute une immense tâche historique et « amener les masses juives au communisme », une tâche plus immense encore. Mais, entre-temps, surgit un problème complètement diffé— rent, d’un ordre beaucoup plus prosa‘ique, un problème nouveau qui pourtant avait reçu sa définition stricte et précise dans un très vieux dicton juif: « Avant que n’arrive la panacée, le malade aura bien le temps de trépasser. » Quand la guerre civile prit fin et, avec elle, le chapitre du « communisme de guerre », et qu’il devint possible de tirer un premier bilan, il apparut que la situation du judaïsme soviétique était, dans toute l’acœption du terme, catastrophique. Les bourgades juives avaient été complètement ruinées. Tout œ qui n’était pas parti en fumée durant la guerre civile et les pogromes, ou encore par le biais des nationalisations, réquisitions et confiscations du « communisme de guerre », n’était que ruines désolées d’un monde fantôme. Toutes les anciennes fonctions économiques de la bourgade les formes les plus variées de médiation entre le village et la ville devinrent caduques dans la nouvelle réalité. La bourgade n’avait pas de pain et pas même l’espoir d’en reœvoir. La douleur au cœur, mais avec l’ardeur juvénile du Komsomol et la foi dans la juste irréversibiüté du verdict historique, le jeune et exœllent poète juif biélomssien, [si Kharik, chanta :
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Une dernière fumée a recouvert ma bourgade Une dernière fumée portée par le vent, Jusqu’à quand et jusqu’où supplier : Chère bourgade, disparais!
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Mais « disparais » —- c’était vite dit. Disparaitre comment ? Sur œ navire en détresse, condamné, se trouvaient plus d’un million de Juifs, dans le dénuement le plus total, au seuil de la famine. Celui qui le pouvait les jeunes avant tout partait pour les villes voisines, ou plus loin encore, à l'Est, au— delà de l’ancienne zone de résidenœ juive. Mais les villes connaissaient un chômage désolant. L’industrie était ruinée, l’artisanat avait presque cessé toute activité, faute de matières premières. Le commerœ ne nourrissait plus son homme. C’est seulement dans l’administration au niveau de l’appareil gouvernemental, dans les soviets locaux des villes et des bourgades, dans les entreprises nationalisées, que l’on trouvait encore quelques possibilités d‘emploi. La situation était encore aggravée du fait que la ruine économique allait de pair avec une profonde détresse sociale et politique. La grande majorité des Juifs des bourgades, œux-là même qui, il y a peu, intercédaient régulièrement auprès de l’Étemel, trois fois par jour, en faveur de l’Armée rouge, se retrouvèrent sous les roues de la révolution et furent considérés comme des « ennemis de classe », voire des « œntre-révolution—
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naires avérés ». A la catégorie des ennemis de classe fut automatiquement assimilé, tout comme les prêtres de toute religion, le clergé juif tous les rabbins et juges religieux, les sacrificateurs et les circoncisenrs, les chantres, les bedeaux, les enseignants des Ecritures et du Talmud et généralement tous les servants, à quelque titre et quelque degré que œ soit, de la sainte Torah. Dans cette même catégorie des ennemis du peuple, on rangea aussi, au même titre que la noblesse et les capitalistes de tout le pays, l’ancienne bourgeoisie juive des bourgades. Il est vrai qu’il n’y avait pas là de propriétaires fonciers, ni de commerçants de première ou de deuxième guilde. On y trouvait, par contre, une foule d’anciens boutiquiers de quatre ils étaient légion! sous, de marchands ambulants, colporteurs, intermédiaires, entremetteurs et autres luftrnerrschen vivant de tout et de rien.
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En fin de compte, il apparut qu’une bonne moitié de la population juive des bourgades et une bonne partie de la population urbaine juive, du même rang social, se retrouvèrent dans la catégorie des citoyens privés de leurs droits civiques (lichentsi) et transformés par le pouvoir soviétique en « ci— devant » et parias. Leurs enfants devaient cacher pour autant l’horrible tare qui frappait leur famille. que œ fût possible Dans œtte atmosphère de misère physique et morale, le regard de la population juive désespérée des bourgades et des villes se tourna vers la campagne, vers la terre. « L‘hymne à la charrue » composé par Eliokoum Tsunzer, au milieu du xrx" siè— cle, et chanté comme chanson populaire avec enthousiasme et nostalgie dans toute « la zone de résidenœ juive » allait enfin connaitre une véritable gloire. La colonisation juive en Russie, essentiellement dans le sud de l’Ukraine, mais aussi en Biélorussie, remontait, à l’époque, à une œntaine d’années. A la veille de la Première Guerre mondiale, plus de cinquante mille Juifs vivaient d’agriculture. dans les frontières de la future Union soviétique. à savoir :
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9105 en Biélorussie, 2385 en Ukraine orientale, 41268 dans le sud de l’Ukraine. En tout : 52758 âmes.
La guerre, la révolution et surtout la guerre civile avec le déferlement sanglant des pogromes causèrent à la paysannerie juive des pertes extrèmement lourdes. Nombre de colonies furent complètement anéanties. Toutes les autres furent très appauvries. Les colons durent s’enfuir dans les villes pour sauver leur vie. Certaines colonies perdirent jusqu‘à 90 % de leur population et pratiquement tout leur cheptel, ainsi que leur matériel. Dès que la vague de pogromes retomba, les paysans juifs rentrèrent dans leurs foyers. En Biélorussie, où la guerre civile revêtit des formes moins aiguës qu’en Ukraine et où l’épidémie de pogromes fut moins virulente, la population juive des bourgades commença à se diriger vers les villages dès l’année 1919. La bourgade juive et le village non juif ne se situaient plus, à l’époque, dans des mondes aussi séparés et lointains que du temps des Voyages de Benjamin le Troisième de Meudélé, au milieu du XIX° siècle. Les habitants
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juifs des bourgades s‘adonnaient souvent à des activités telles que le jardinage, la culture des fruits, l’élevage, l’apiculture, etc. Le passage au travail de la terre n’impliquait pas pour eux de trop grandes difficultés. En règle générale, ils reœvaient de la terre des mains des administrations locales chargées de la répartition des terres ayant appartenu aux nobles. Sur les terrains ainsi attribués presque toujours dans le voisinage direct de la bourgade —, les paysans juifs créèrent un grand nombre de collectivités agricoles. La forme associative de gestion devait tout d’abord faciliter l’adaptation au nouveau travail et aux nouvelles conditions de vie et renforœr ensuite la sécurité générale dans les temps troubles et incertains de l’époque. Le processus de retour à la terre n’émanait d’aucune initiative organisationnelle juive et ne reposait sur aucun soutien institutionnel. Spontanément, après la réussite des premières tentatives, il se répandit à une allure extraordinaire, poussé par une forœ incontrôlable. Ce processus, bien entendu, ne passa pas inaperçu du Commissariat œntral juif. Le dirigeant du commissariat, Simon Dimanstein, avait dès octobre 1918, à la première Conférence des sections communistes juives, posé la question de l’installation des Juifs dans l’agriculture œ pourquoi il avait été aussitôt accusé par les « Combundistes » présents de... sio— nisme. Le commissariat juif entreprit néanmoins une série de travaux préparatoires. Il créa une commission économieo— statistique et adressa des mémorandum à diverses instanœs. Dimanstein évoqua une conversation particulière qu‘il eut à ce sujet avec Lénine : « Il m’est arrivé, écrit—il, de poser à Lénine la question de l’institution d’une agriculture juive. Lénine s‘intéressa vivement à œtte question, y voyant une issue rapide et radicale à la situation économique si pénible des masses juives. Il posa le problème devant le Comité œntral du Parti et il fut décidé de pr0poser aux organes et serviœs compétents du gouvernement soviétique d’aider le passage des masses juives au travail de la terre… C’était durant l’été 1919‘ ». Le commissariat du peuple à l’Agriculture a effectivement, par décision du 12 juillet 1919, chargé l’administration œntrale des fonds domaniaux de dégager des fonds disponibles pour
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Hyrrtnerlladrarnæ
l’installation de cultivateurs juifs. Mais c’était au cœur de l’été 1919. La guerre civile embrasait tout le pays et en Ukraine le sang juif coulait à flots. Il ne pouvait guère être question de projets importants et de longue haleine. L’intallation des Juifs dans l’agriculture se poursuivait par à—coups, sans planification, de façon inorganisée mais, malgré tout, avec grand suœès. Au printemps 1923, la population agricole juive d’Union soviétique s’élevait déjà à 75 911 âmes, réparties dans les régions suivantes : Biélorussie, 19613; Ukraine orientale, 12408; Ukraine méridionale, 43 890. Ainsi, malgré les pertes cruelles des années de guerre, de guerre civile et des pogromes, le nombre d’agriculteurs juifs s’était, par rapport à 1913, aœru de et 45 %. Du fait de l’attiranœ spontanée vers la terre également, ne l’oublions pas, du fait de la misère —, l’agriculture juive s’était enrichie, principalement dans les années 1920— 1923, de plus de 23000 âmes. Paradoxalement, œ phénomène demeura quasiment extérieur aux préoccupations des institutions juives officielles, c’est— des « sections juives ». A la deuxième Conférenœ des « Sections », le premier juin 1919, Simon Dimanstein revint à la aider les charge avec une « proposition d’extrême urgenœ éléments petits—bourgeois juifs qui avaient été ruinés par la nationalisation du commerœ ». Et, à nouveau, « œtte conœp— tion fut combattue par les anciens Combundistes2 ». Un de œs « anciens Combundistes », Hefetz, qui avait été autrefois un dirigeant en vue du Bund en Ukraine, se prononça contre le principe même de Sections juives, en tant que telles, déclarant catégoriquement : « Nous devons établir clairement, et une fois pour toutes, que toute solution communiste est à l’opposé des problèmes nationaux quels qu’ils soient 3. » Cependant la majorité des délégués se rangea à l’avis de Dimanstein. Il fut décidé d’aider le proœssus de retour à la terre, mais de limiter œtte aide à des informations, des conseils et des recommandations. Avec la consolidation des Sections juives (désormais célèbres sous leur dénomination russe de Yevsektsia), œtte aide aux agriculteurs ne fut plus que théorique. Par ailleurs, la troisième Conférenœ des Sections juives, en juillet 1920, différa très sensiblement des deux conférenœs précédentes. Parmi les soixante—quatre délégués avec droit de décision et les vingt—deux
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avec voix consultative, l’immense majorité n’avait rejoint le Parti communiste qu’un an auparavant, après la scission du Bund et des socialistes unifiés en Ukraine. Sur les quatre—vingt— six délégués. cinquante-sept avaient appartenu précédemment, savoir: trente—six au Bund, onze aux socialistes unifiés,sept au Poalé—Sñon, deux aux mencheviks et un aux anarchistes. Au cours de œtte conférenœ, le Commissariat œntral juif et son chef, Simon Dimanstein, essuyèrent des attaques violentes et nombreuses. Un des principaux reproches faits aux Commis— sariat était d’avoir créé un département statistique afin de mener un travail économique parmi la population juive. On le qualifia de nationaliste. Abraham Merejine, ancien dirigeant du Bund et futur responsable de l’immigration au Birobidjan, se prononça catégoriquement contre tout travail de œ genre. Il déclara : « Si l’on organise les petits—bourgeois juifs séparément, il faudra en faire autant avec les petits-bourgeois russes et les autres et alors commenœra une lutte entre les masses organisées de la petite bourgoisie ’. » On peut juger de l’ambiance générale qui prévalait dans les Sections juives et des positions politiques de leurs dirigeants (que l’on appelait, avec un rien d’ironie « les jeunes commu— nistes ») par le passage suivant de la Résolution sur l’activité culturelle, adoptée par la troisième Conférenœ : « La Confé— renœ considère que les institutions culturelles juives doivent se libérer le plus rapidement possible des traditions qui résultent d’une autre époque et qui ne correspondent plus du tout a l’époque actuelle de la révolution prolétarienne mondiale". » Or, en même temps que les organistions et institution communistes juives faisaient avec un enthousiasme délirant leur entrée dans l’ère de la révolution prolétarienne mondiale, le gouvernement soviétique, lui, se mettait à réfléchir, avec beaucoup de sang—froid, sur les effets politiques et financiers que la colonisation juive en Union soviétique était susœptible de produire a‘ l’étranger et, plus particulièrement, parmi le judaïsme mondial. Un pavilion juif spécial fut aménagé à l’exposition agricole pansoviétique de Moscou, en 1923. Il devait montrer les réalisations de l’agriculture juive en Union soviétique. A l’inauguration de œ pavilion, deux commissaires du peuple des plus importants prononcèrent des allocations: le commissaire
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du peuple aux Affaires étrangères, Tchitchérine, et le commis— saire du peuple pour le commerœ extérieur, Krassine. Aucun d’eux n’avait le moindre lien avec l’agriculture. Mais tous deux avaient des charges en rapport direct avec l’étranger. Pour la première fois, des hommes d’État soviétiques adressèrent un appel aux Juifs étrangers et aux organisations juives étrangères afin de solliciter leur aide financière pour la colonisation juive en Union soviétique. Le gouvernement soviétique trouvait ainsi tout à fait normal de demander, pour l’installation agricole des Juifs soviétiques, le concours de tout le peuple juif, des Juifs du monde entier. Krassine tint œpendant à souligner, dans son discours, la grande différenœ qu’il y avait entre l’agriculture juive en Union soviétique et en Palestine une différenœ, œla va sans dire, entièrement à l’avantage de l’Union soviétique. l'J.C.A., Les grandes institutions juives d’entraide l’Union—on et le JOINT réagirent rapidement et généreuse— ment à l’appel soviétique. Dès 1923, un accord fut conclu entre le gouverment soviétique et l’J.C.A. (Jewish Colonization Association) au sujet de la reprise de l’activité de œtte organisation sur le territoire soviétique. Cette activité avait été interrompue par la guerre _et la guerre civile. Une déclaration de principe bien caractéristique fut insérée dans l’aœord : l’J.C.A., institution philanthropique par exœllenœ, s‘engageait à mener en U.R.S.S. « une activité non de philanthropie, mais de reconstruction ». Trois secteurs de travail furent envisagés : a. Reconstruction des foyers détruits dans les anciennes colonies juives des anciennes provinœs de Kherson et de Yekaterinoslav ;_ assistanœ pour les semenœs, le cheptel et le matériel; b. Aide à l’artisanat et aux professions artisanales; instruments de travail, matières premières, etc. c. Préparation de la jeunesse juive aux professions qualifiées; subsides aux écoles techniques 7. Des aœords semblables furent conclus également avec l’on et le rom. Dès la fin de l’année 1923, une transformation fondamentale intervint dans le mouvement de colonisation juive. Le processus restait toujours sporadique, mais œssa de se limiter aux zones avoisinant directement les bourgades. Tout au début des années
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20, le passage à l’agriculture ne posait généralement pas de problème de migration. On s’installait dans le voisinage des foyers séculaires, tout près de la bourgade ou, à défaut de plaœ, dans le même district, où la même région. Mais peu à peu, les terres libres autour des bourgades commencèrent à se raréfier. On dut quitter pour toujours les vieilles demeures, laisser à l’abandon les habitations familiales qui passaient de génération et il n’y avait même pas à qui les vendre en génération partir au loin. On suivit l’ancienne voie de la colonisation juive en Russie, c’est—à—dire vers le sud, vers les steppes ukrainiennes, d’abord vers les vieilles colonies juives, mais aussi vers d’autres régions méridionales où la terre ne manquait pas. C’est ainsi que la vague migratoire atteignit la Crimée. Dans la deuxième moitié de l’année 1924, la population agricole juive était estimée à près de œnt mille âmes, enregis— trant ainsi un nouvel accroissement de vingt—cinq mille per— sonnes. L’installation de Juifs dans l’agriculture devint ainsi un des problèmes œntraux du judaïsme soviétique, c’est—à-dire dans la première moitié des années 20. On ne pouvait plus ignorer œ problème ou l’aband0nner a la gràœ de Dieu. L’improvisation fougueuse devait faire plaœ à la régulation, sinon c'était le chaos qui menaçait. La cinquième conférenœ des Sections juives finit par admettre la néœssité de s’occuper sérieusement de œtte question, de canaliser le courant irnpétueux, de le systématiser et de l’orienter, de façon planifiée, vers des terrains vastes et disponibles, dans la perspective de voir se créer de grands et compacts œntres agricoles juifs. Le proœssus sporadi— que et chaotique devait se muet en mouvement de masse organisé, planifié et contrôlé. Le fond de œ mouvement et son drapeau, son mot d’ordre essentiel devaient être : productivisation, réhabilitation écono— mique et sociale des masses populaires juives ruinées et déclas— sées. La voie qui menait à œ but était « l’agrarisation », la formation d’une importante couche d’agriculteurs juifs, d’une véritable et authentique paysannerie juive, pour la première fois depuis des siècles, sinon des millénaires. L’objectif acquit ainsi une nouvelle dimension, une qualité nouvelle. C’était déjà quelque chose d’autre qu’un simple « travail économique » ou qu’une « aide aux éléments petits—bourgeois ruinés ». On vit se
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préciser une tentative de transformer fondamentalement les
structures socio—économiques d’un peuple que des siècles d’op— pression nationale avaient déformées et défigurées.
Pendant l’été 1924, furent créées deux instanœs spéciales chargées de diriger la colonisation juive de masse un d’État et une organisation sociale. L’organisme d’ tat s’appelait « Comité pour l’établissement de travailleurs juifs dans l’agriculture », en abréviation: commun (en russe xomzrrr). L’organisation sociale s‘appelait : « Société pour l’éta— blissement dans l’agriculture de travailleurs juifs en U.R.S.S. », en abréviation GEZERD (en russe azur). Selon une directive du Comité œntral du Parti communiste pansoviétique, le premier comnan fut créé en Biélorussie, le 24 juillet 1924, par une décision officielle du Comité œntral du Parti communiste biélorussien 8. Sa tâche : « commenœr de manière planifiée à diriger vers le travail de la terre œrtaines parties de la population juive ». Quelques jours plus tard, le 29 juillet, fut créé le com—:un d’Ukraine, toujours selon une œtte fois du Comité œntral du Parti décision officielle communiste d’Ukraine. Juste un mois plus tard, le 29 août 1924, fut créé par décision du Comité central du Parti communiste de l’U.R.S.S. un com—:un pansoviétique. Afin de souligner le fait — d’une immense portée politique que la colonisation agricole juive n'était pas seulement un problème juif, mais l’affaire de tout l’État soviétique, le gouvernement plaça à la tête du comm pansoviétique le viœprésident .du Comité œntral exécutif de l’U.R.S.S. (mnt), c’est—à-dire, le viœ-président officiel de l’Union soviétique P. L. Smidovitch (un Biélorusse). Parmi les membres du comrsrm figuraient plusieurs personnalités soviétiques de pre— mier plan, tels que M. Litvinov, J. Krassine, etc. Institutionnel— lement, le comerm fonctionnait comme un organe du vrsrx. Les tâches assignées au comm se trouvent résumées dans un document remarquable, qualifié à juste titre d’historique. Il s’agit d’une décision du Présidium du Comité exécutif (rsrx) de la République soviétique de Biélorussie en date du 25 juillet 1925. Ce document mérite d’être cité intégralement : « La révolution d’Octobre a mis fin aux discriminations et aux persécutions nationales et a instauré dans l’Union des Républi-
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organisme
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ques soviétiques l’égalité des droits pour tous les peuples sans exœption. « Mais afin d’extirper radicalement les séquelles du joug séculier, afin de liquider définitivement tous les résidus d’un sombre passé, il ne suffit pas d’édicter des lois qui proclament l’égalité nationale. Le pouvoir soviétique se fixe pour tâche de réaliser non seulement l’égalité juridique, mais de créer une situation effectivement égalitaire pour tous les peuples, d’intro— duire l’égalité des droits non en paroles, mais dans la vie. « Partant de œ point de vue, le Comité œntral exécutif de la République de Biélorussie considère comme néœssaire d’accor— der une attention toute particulière à la terrible situation des masses ouvrières juives, produit direct des siècles de persécutions. « Les persécutions et restrictions ont fermé aux masses travailleuses juives l’accès à plusieurs branches de travail productif. « Les Juifs étaient parqués dans les provinœs de la “ zone de résidenœ ”. Mais même dans œs provinœs, ils n’avaient pas le droit d’habiter en dehors des villes et des bourgades. Ils ne furent pas admis dans la fonction publique, ni dans le travail aux chemins de fer, ni dans l’industrie lourde. Ils n’avaient pas le droit d’acquérir de la terre, ni de vivre dans les villages. Ils ne pouvaient s’adonner qu‘au commerœ et à l’artisanat. Le combat révolutionnaire des travailleurs juifs suscita les persécutions particulièrement achamées du gouvernement tsariste. Sans droit de libre circulation, sans œsse en quête d’un morœau de pain, la population laborieuse juive s’agglutinait de plus en plus dans les villes et les bourgades et sombra toujours plus dans une terrible détresse. La guerre impérialiste, la guerre civile, les exils, l’erranœ et enfin les pogromes, tout œla a abouti à l’appau— vrissement de la masse juive jusqu’à l’extrême linrite de la misère. « La croissanœ de l’économie soviétique, le développement des coopératives réduisent à néant, naturellement et irréversiblement, le rôle du petit commerçant juif et de l’artisan indépendant. « De œtte façon, s’ajoutent chaque jour aux milliers et dizaines de milliers de victimes de la guerre, des pogromes et de la œntre-révolution, de nouvelles masses d’hommes évincés du
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proœssus de la production, sans moyens d’existenœ, obligés de se livrer à la spéculation, la contrebande ou la mendicité. « Le pouvoir soviétique entend ouvrir la voie au travail productif à toutes œs masses. Le développement de l’industrie étant encore lent, c’est le passage au travail agricole qui revêt une importanœ particulière. Parmi les masses ouvrières juives, on remarque un attrait toujours plus grand pour l'agriculture. L’expérienœ des colonies et communes agricoles d’Ukraine et de Biélorussie a démontré que la population juive est apte au travail de la terre, accepte facilement les formes de la propriété collective du sol et les méthodes plus perfectionnées de gestion. A l’Exposition agricole pansoviétique, le Pavillon juif a attiré l’attention générale et a été l’objet de grands éloges. « Aussi faible que soit le fonds domanial libre en Biélorussie, le Comité Central Exécutif n’en estime pas moins qu'à œ fonds ont droit, au même titre que la population agricole locale, œux à qui les discriminations tsaristes ont barré l’accès à l’agriculture et qui aspirent aujourd’hui, après l’abolition de l’esclavage et de l’arbitraire, au travail de la terre. « C’est pourquoi le présidium du rsrx décide : « Dans la répartition des réserves de terres arables, fixées en fonction des travaux accomplis et de l’amélioration du sol, ainsi que de la transformation des zones boisées en fonds arables de prendre en considération également les demandes individuelles ou collectives des Juifs, même s’ils ne s’étaient pas adonnés jusqu’ici aux travaux de la terre, et de les satisfaire dans les mêmes conditions et avec les mêmes droits que pour la population rurale locale9 ».
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Ce document fut complété par un additif d’une importanœ exceptionnelle, voire symbolique. Le décret du 1811: ordonna d’agréer les requêtes des Juifs dans les mêmes conditions et avec les mêmes droits que œlles des non—Juifs. Mais une question des plus délicates surgit aussitôt : d'après la loi soviétique, aucun collectif agricole nouvellement créé n’avait le droit d’accueillir des citoyens privés par la révolution du droit de vote, c’est—àdire de la catégorie des lichentsi, dont relevait précisément la majorité des habitants juifs des bourgades. Aussi, une circulaire spéciale des commissariats du peuple à l’Agriculture et à la Justice vint—elie préciser que l’interdit général imposé aux
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lichentsi ne conœmait pas les Juifs, même anciens commerçants. C’était, au plein sens du terme, une sorte de loi d‘exception, mais, pour la première fois dans l’histoire, édictée en faveur des Juifs. Le décret du mm de Biélorussie et la circulaire additionnelle firent une grande impression dans tout le monde juif. (De semblables décrets furent publiés également en Ukraine et dans la République fédérative russe.) Même un adversaire du communisme et de l’Union soviétique aussi confirmé que Jacob Lestchinsky relevait, des années plus tard : « Le pouvoir bolchevik, aussi bien par ses instanœs œntrales que, dans une large mesure, par les autorités locales, a fait preuve, dès les premiers instants, d’une générosité et d’une sollicitude que les Juifs n‘avaient trouvées dans aucun pays durant leur long
exil I°. » et formellement quelques En même temps que le comm mois plus tard on créa le onzexn : Société pour l’établissement dans l’agriculture de travailleurs juifs en U.R.S.S. ". Par l’intermédiaire du comnxn, c’est l’État qui s’exprimait : il mit au point des plans d’installation, distribua des lots de terre, assigna des crédits, etc. Dans le onzarm la société elle-mème devait trouver son expression; il s’agissait, en principe, de l’ensemble de la société soviétique l’organisation n’était pas uniquement juive mais en fait, œla conœmait la société juive, au sens le plus large du terme, c’est—à-dire les membres du Parti aussi bien que les sans—parti. La tâche du GBZERD était d’introduire dans l’installation des Juifs sur le sol planification et ordre, d’aider à sélectionner un matériel humain convenable, de préparer les « migrants » techniquement et socialement, d’assurer leur trans— port jusqu’aux emplaœments alloués, de fournir la première assistanœ à la construction de maisons, à l’achat du bétail et du matériel et, en général, à l’aménagement de nouveaux villages. Le travail agricole ultérieur proprement dit fut mené dans les villages seulement sous la supervision du onzerm et sous la DRT, JCA et rom. direction effective des organisations d’aide Une seconde tâche. d’un ordre différent, fut confiée au GEZBRD : l’information et la propagande, aussi bien dans le pays qu’à l’étranger, et cela comprenait le problème de l’aide extérieure. L‘État soviétique, qui commençait seulement à panser les plaies de la guerre et de la guerre civile, n'était pas en
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mesure de finanœr seul et entièrement la colonisation agricole juive. Mais il ne voyait aucune objection, bien au contraire, à œ que des Juifs étrangers couvrent une partie des dépenses. La première Conférenœ de paysans juifs en Biélorussie, tenue en novembre 1924, adressa un appel solennel « aux travailleurs juifs à l’étranger » pour solliciter leur aide pour l’installation des Juifs sur la terre en Union soviétique. L’appel fut aussitôt entendu, surtout dans les œrcles juifs pro-soviétiques. Dès déœmbre 1924, on créa à New York l’association mon (Iddishe Kolonizacie in Ratnfarband, Colonisation juive en Union soviétique) qui envoya en U.R.S.S., au cours des années suivantes, des machines et des instruments agricoles d’une valeur de plusieurs œntaines de milliers de dollars. A peu près à la même époque, fut créé à Buenos Aires le mocoa argentin ayant les mêmes buts que le mon américain. De semblables associations d’assistanœ furent fondées dans presque toutes les grandes communautés juives du monde entier. La réaction du judaïsme mondial à la colonisation juive en U.R.S.S. trouva sa meilleure illustration dans le fait que la plus importante organisation juive d’entraide en Amérique, le rom msmrrsurrors comme, créa en 1924 une organisation spéciale, l’AGRO—JOINT (American Jewish Joint Agricultural Corporation) dans le but d’aider l’agriculture juive en Union soviétique. Comme président du GP.sz on élut un publiciste et économiste soviétique en vue, membre du mur et du com, Yuri Larine (Lourié), fils d’un rabbin de Kiev. Après sa mort prématurée, en 1932, le poste revint, pour de longues années, à Simon Dimanstein. Le nom du premier président du GEZBRD, trop tôt disparu, fut donné à l’un des deux districts nationaux juifs de Crimée, œlui de Larindorf. Dimanstein était également le directeur de la revue du GEZERD, la Tribune de la Société juive en Union soviétique qui parut, en russe, à partir de 1927, d’abord comme mensuel et plus tard comme bimensuel. C’était la seule revue périodique juive en langue russe de toute l’Union
soviétique. Le défi lancé par le comm—onzerm fut, dès le départ, impressionnant. Divers plans furent ébauchés. D’ailleurs, Larine était un spécialiste de la planification, souvent aussi de la planification fantastique. Mais l’époque tout entière baignait dans le fantastique. Et le but à atteindre le retour à la terre,
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dans les steppes infinies était fantastiquement beau et respirait les merveilles de la Création. Finalement, une sorte de « plan prévisionnel » fut tracé, pour les dix années à venir, de 1927 à 1936. Durant œs dix années, œnt mille familles juives, c’est—àdire un demi-million de Juifs, devaient être installées dans l’agriculture. Dans œ chiffre étaient inclus les dix mille familles de migrants juifs des années 1924—1925 et 1925-1926, installées pour deux tiers en Ukraine et pour un tiers en Crimée. Le « plan prévisionnel » était très fouillé et détaillé. Le rythme de migration était réglé d’une manière fort précise, soit : en 1927, 6000 familles; en 1928, 7000; en 1929, 8000: en 1930, 9000 et pour chacune des six dernières années entre 1930 et 1936, 10000 families. Curieusement, œ « plan prévisionnel » d’un demi-million d’immigrants ne paraissait ni excessif ni même irréaliste. A l’occasion d’un reœnsement partiel de la population juive, effectué dans la première moitié de 1926, plus de quarante mille familles avaient exprimé le désir de passer au travail de la terre 12. L’élan vers la terre était général, non seulement pamri la vieille génération, mais aussi chez les jeunes. Ce fut le début de « l’épopée de la terre » qui éclata dans la magie envoûtante des premières découvertes de la nature et avec le halo romantique des steppes ukrainiennes et d’« une cabane en Crimée ». L’épopée trouva aussitôt son expression dans toute la littérature juive de l’Union soviétique. Dans la seconde moitié de 1926, la population paysanne juive d’U.R.S.S. atteignit 150000 âmes, c’est—à-dire trois fois plus qu'avant la Guerre mondiale et deux fois autant qu’en 1923. Un tel succès donna naturellement des ailes aux dirigeants soviétiques. J. Kantor, l’un des responsables du onzerm en Ukraine, écrivit : « Quand on compare œs résultats avec œ qui a été obtenu, au bout de dizaines d’années, en Palestine et en Argentine, nous voyons que malgré les dépenses de la r.rz.c.o. en Argentine et des sionistes, aidés par la r.n.c.o., en Palestine, on n’a réussi à former, en vingt—cinq ans, qu’une couche fort modeste de paysannerie juive : en Argentine, 30735 âmes; en Palestine, 15000 âmes en tout; autrement dit, dans les deux pays
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considérés ensemble la moitié de œ que nous avons réalisé en Union soviétique pendant les deux premières années ". »
J. Kantor décrit ainsi les causes du succès soviétique : « En bref, l’œuvre colonisatriœ juive en Union soviétique a connu un si rapide suœès parœ que tout le travail d’organisation se fait non dans un État bourgeois—capitaliste, mais dans un pays où le pouvoir est détenu par la classe ouvrière et où s’édifie une société socialiste. « En effet, œla veut dire : a. Tandis que, dans tous les pays bourgeois—capitalistes, des sommes énormes doivent être dépensées pour acquérir le sol (en Palestine, le terrain néœssaire à la fondation d’une ferme ne coûte pas moins de dix mille roubles), l’Union soviétique concède la terre gratuitement. b. Dans les conditions bourgeoises—capitalistes, il est pratiquement impossible que le citadin passe au travail de la terre. L’orientation générale de l’économie capitaliste est tout à l’opposé : l’émigration se fait du village vers la ville. Des lois contingentes y ont cours et il est utopique de croire que le citadin juif voudra et pourra passer, massivement, au travail de la terre. La situation est différente en Union soviétique. Dans la mesure où notre économie s’édifie selon un plan, les divers processus d’échange entre la ville et le village sont réglés d’une manière également planifiée. c. Aucun Etat au monde ne tient réellement à aider le peuple juif à reconstruire sa vie sur de nouvelles bases. Les colonies juives, aussi bien en Palestine qu’en Argentine, ne sont qu'un moyen pour atteindre les buts poursuivis par les pays bourgeois. Il s’agit d’un jeu diplomatique msant avec les intérêts de la population juive. N’y cherchez surtout pas une quelconque . assistanœ réelle à la population juive. L’Union soviétique est le seul Etat au monde où l’installation juive sur la terre ne relève d’aucun jeu diplomatique, n’est pas un vain jeu de mots, mais l’État et réalisée une tâche concrète et pratique, fixée journellement avec les moyens de l’État . » '
par
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Il est intéressant de noter que œtte position, bien qu’avec des motivations différentes, était largement partagée par de nom— breux milieux juifs, même en dehors des frontières soviétiques.
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C’est ainsi que l’ancien ministre pour les Affaires juives du
gouvernement ukrainien, le Dr Moshé Zylberfarb, calcula qu’en Union soviétique « l’installation d’une famille sur le sol coûte-
rait aux organisations juives (y compris la contribution person— nelle des colons) environ six œnts dollars, soit dix à douze fois que le coût de l’établissement d’une famille en Pales— tine ».
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affirrnait œt ancien « Il ne serait pas exœssif de dire ministre aux Affaires juives, ancien dirigeant des socialistes unifiés que la colonisation en Union soviétique est pour les Juifs la moins chère du monde entier. Une conjoncture exœp— tionneflement favorable s’est créée en Union soviétique pour la colonisation juive. Cette conjoncture résulte de œ que : l. La région de colonisation se trouve a proximité des lieux de résidenœ des colons, de sorte que les frais de voyage et de transport n’entrent pratiquement pas en compte… 2. La terre est concédée gratuitement au colon... 3. Le gouvernement soviétique, qui plus est, soutient la colonisation juive à travers ses diverses instanœs, en accordant des crédits qui ont tendanœ à s’aœroître “’. »
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Et voici la conclusion du Dr Zylberfarb : « La colonisation juive en Union soviétique a atteint en une demi—douzaine d’années des résultats considérables, inconnus jusqu'ici dans l’histoire juive. Les dimensions et le rythme de œ mouvement sont à œ point inattendus que l’on est obligé d’admettre que le plan élaboré pour l’installation de cinq œnt mille Juifs sur la terre n’est pas un rêve, ni même un simple postulat théorique mais un programme réfléchi qui est, dans œrtaines circonstanœs, parfaitement réalisable, sinon avant 1930, comme on l’espère, du moins une dizaine d’années plus tard ". »
CnxrmœV
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Pérennité d'une nation nationalisme juif d’un président russe de l’État soviétique
Le 15 juin 1926, le Présidium du Comité œntral exécutif pansoviétique (vrsrx) se prononçait par une résolution officielle sur « le plan provisionnel » de colonisation d’un demi—million de Juifs. Le plan fut déclaré « conforme tant aux intérêts d’État qu’aux besoins les plus urgents de la population laborieuse juive ».
Le processus de « retour àla terre », spontané et désordonné à ses débuts, reœvait ainsi une consécration officielle, quasi triomphale. Cependant au moment même du triomphe, un proœssus inverse et témoignant, au début, d’une spontanéité comparable, commença à se dessiner. Ce fut le proœssus d’industrialisation. L‘année 1925 fut pour l’Union soviétique une année cruciale, requérant des choix décisifs. Aucun doute n’était plus possible les espoirs mis dans la révolution mondiale avaient été déçus. Les révolutions d’Allemagne, de Hongrie, d’Italie, de Bulgarie se soldèrent par un échec sanglant. La vague révolutionnaire qui devait submerger l’Europe œntrale et oœidentale était nette— ment en reflux. Personne ne frappait plus aux portes du Konrintem. Les demandes d’admission se faisaient de plus en plus rares. Ilfallait bientôt se rendre à l’évidenœ : le capitalisme était entré, une fois de plus, dans une période de stabilisation politique et économique. Restait à déterminer la durée probable de œtte période. Mais des lors, le sort même du socialisme en Union soviétique, ses perspectives historiques, et, tout d’abord, la possibilité
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d’une édification socialiste dans œ pays exsangue et sous— développé, en comptant sur ses seules forœs, se trouvaient remis en question, puisque la révolution mondiale apparaissait définitivement en retard. Des luttes acharnées s’engagèrent a l’intérieur du Parti communiste de l’Union soviétique où deux conœptions s’afirontèrent violemment : la thèse de « la révolu— tion permanente » de Trotski et celle de Staline sur « le socialisme dans un seul pays ». La quatorzième Conférenœ du Parti, en avril 1925, et le XIV‘ Congrès, en déœmbre 1925, consacrèrent la victoire de Staline. La thèse du « socialisme dans un seul pays » devint « la ligne générale » du Parti. L’Union soviétique, dans un effort gigantesque et avec d’énormes sacrifiœs, se lança dans la construction du socialisme. Il fallait transformer un vieux pays agraire, sons—développé et ruiné, en un État industriel moderne, capable de produire lui—même sa propre base de machines—outils afin de se rendre économiquement indépendant du monde capitaliste. Le mot clé, sinon magique, de œtte « ligne générale » allait être l’industrialîsa— tion, puis les plans quinquennaux. Dès les premiers mois de 1926, la jeunesse juive des villes et des bourgades, frappée par le chômage, commença à s’orienter en masse vers l’industrie. Cet afflux, d’abord spontané, passait par les écoles professionnelles, les œntres d’apprentissage des usines, les cours de qualification professionnelle, etc. Les jeunes trouvaient rapidement du travail dans toutes les branches de l’industrie, y compris dans œlles qui, comme les transports ferroviaires, avaient naguère été fermées aux Juifs. C’étaient les premières étapes de l’industriaüsation, qui allaient marquer profondément le volume, le rythme, l’intensité, le poids spécifique même de la colonisation agricole juive. Le 15 novembre 1926 on ouvrait en grande pompe à Moscou le premier congrès pansoviétique du onzerm, en présenœ de hautes personnalités du Parti et du gouvernement, avec, à leur tête, le président du Comité œntral exécutif de l’Union soviéti— Mikhail Ivanovitch Kaünine. Sur les que — président d’État deux œnts délégués présents, près de la moitié étaient des sans— parti. Des invités de marque étaient venus expres de l’étranger et parmi eux, l’ancien ministre aux Affaires juives en Ukraine et ancien dirigeant du Parti socialiste juif unifié, le Dr Moshé Zylberfarb.
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Après l’aval officiel donné par le gouvernement soviétique au fameux « plan prévisionnel » qui devait transformer en agricul— teurs plusieurs œntaines de milliers de Juifs ruinés et déclassés,
le congres du GEZBRD ne pouvait être qu’un triomphe. Cepen— dant l’atmosphère générale du pays, les violents affrontements d’idées, les perpétuefles analyses politiques incitaient à un examen de conscienœ. On ne pouvait manquer de se poser le problème de la finalité propre du proœssus du « retour à la terre », de s’adonner à une réflexion sur le sens profond de l’œuvre même de la colonisation agricole juive. Enfin un et imprévu probablement pour les événement inattendu organisateurs eux-mêmes devait conférer au congrès un caractère historique et marquer une date dans l’histoire du judaïsme russe. En effet, pour la première fois, un président de l’ex—Empire des tsars, un président de l’État soviétique prit la parole pour affirmer publiquement le droit du peuple juif à une vie nationale propre, a un avenir national, à la pérennité nationale. Plus encore, œ droit fut qualifié de tâche, d’obliga— tion et même de devoir incombant au peuple juif. Les travaux du congrès étaient axés sur trois problèmes : les territoires attribués à la colonisation juive, les méthodes de œtte colonisation et enfin ses objectifs à court et à long terme. Le problème des territoires, d'une importanœ capitale en luimème, présentait en outre un caractère d’extrême urgenœ. Les terres libres dans les steppes ukrainiennes, œ réservoir séculaire de la colonisation juive, commençaient à s’épuiser. Le décret du 19 mai 1926 publié par le Conseil des commissaires du peuple de la République soviétique d’Ukraine sous le titre « Dispositions pour améliorer la situation matérielle des masses laborieuses juives » indiquait sans la moindre ambiguïté à l’article 2 que : « Étant donné la pénurie de terres en Ukraine, qui empêche de donner pleine satisfaction àla fraction de la population juive qui désire passer à l’agriculture, il y a lieu de présenter requête au Comité œntral exécutif de l’Union soviétique afin de solliciter qu’il soit mis à la disposition des postulants juifs d’Ukraine des fonds domaniaux du Caucase, de Crimée, de Sibérie et d’autres régions. » Il est hautement probable que œtte « pénurie de terres » tenait pour une bonne part à l’hostilité d’une œrtaine popula— tion ukrainienne contre la colonisation juive de masse. En toute
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hypothese, le tchernoziom, la terre noire et fertile d’Ukraine, ne devait plus entrer en compte et se trouvait exclu des terres attribuables. Parmi les trois autres régions suggérées par le décret du 19 mai 1926 le Caucase, la Crimée et la Sibérie la seconde, la presqu‘île criméenne, constituait déjà un œntre de colonisa— tion juive des plus prospères. A la fin de l’année 1926, près d’un millier de familles d’agriculteurs juifs s’y trouvaient installées, dans des conditions de réussite complète. Malheureusement, en Crimée également les ressources en terre étaient limitées. Les fonds domaniaux disponibles étaient situés non dans la partie méridionale de la presqu'île, connue pour la douœur de son climat, mais dans la partie septentrionale, nommée « la steppe criméenne ». Dans œtte steppe, la terre était d’une qualité médiocre et, de plus, les prétendants ne faisaient pas défaut avec, au tout premier rang, les Tatars de Crimée. Dans le meilleur des cas, la Crimée ne pouvait accueillir au mieux qu’un quart, ou moins encore, des œnt mille familles juives prévues par le « plan provisionnel ». Il était donc néœssaire de trouver de toute urgenœ d’autres régions pour la colonisation juive. La direction du onznm, inspirée par son président Yuri Larine, a étudié avec une attention toute particulière deux projets. Le premier de œs projets conœmait la région alluviale de la mer d’Azov, près de la Crimée : une immense superficie de terres alluviales, le long des côtes sud—est de la mer d’Azov, d’une très grande fertilité et à vocation de culture intensive. Cette région, peu éloignée des vieux centres de colonisation juive, avait œpendant besoin d’aménagements techniques spé— ciaux pour lutter contre les inondations périodiques venant de la mer. De semblables aménagements avaient été effectués avec suœès aux Pays-Bas. Le deuxième projet visait les immenses étendues de terres sablonneuses, à l’ouest de la région alluviale et au sud de l’ancien district tsariste de Kherson qui fut le berœau même de la colonisation juive en Russie. Au dire de œrtains experts, ces terres sablonneuses, quasiment désertes, étaient susceptibles d’être transformées en vignobles et en œntres d’arboriculture florissants. La « ligne stratégique » de œs projets était évidente : la
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nouvelle colonisation agraire juive d’un demi—million d’hommes devait suivre les traces de la vieille colonisation juive en Russie, c’est—à-dire se diriger vers le sud. Elle devait s’appuyer précisé— ment sur l’acquis des colonies agricoles juives en Ukraine, presque œntenaires, profiter de leur expérienœ et avoir la possibilité de recourir à leur assistanœ. L’allusion faite à la Sibérie, malgré son immense superficie de terres libres et disponibles, n’avait pas retenu la moindre attention. Outre le problème des territoires, le Congrès délibérait aussi sur les méthodes de la colonisation. Celles—ci furent profondément modifiées. Désormais la colonisation devait être « continue » dirigée « vers des massifs contigus », « vers des espaœs sans coupures ». L’aœent était mis sur la œnœntration, sur la création de « communautés vastes et viables ». C’était la une réaction contre la période précédente marquée par la dispersion et l’improvisation, une réaction également contre le manque d’intérêt dont avaient fait preuve à œt égard et pendant si longtemps les Sections juives. La réflexion sur les formes et méthodes menait inévitablement aux problèmes de fond. Les questions sur la signification propre de œtte œuvre, sur son sens profond, s‘imposaient irrésistiblement. A quoi bon, en effet, créer œs « communautés juives vastes et viables » ? Etait—œ uniquement une affaire de commodité administrative, afin de pouvoir plus facilement « éduquer » et « desservir », sur les plans politique et culturel, œs « communautés de masse » ? S’agissait-il exclusivement de productivisation, de reclassement social, de renaissanœ écono— mique ? Toutes œs questions, plus souvent éludées qu’ouvertement posées, reçurent une réponse tout à fait inattendue et émanant en outre d’une source peu prévisible, du président de l’Union soviétique, le bien-aimé et fort populaire « staroste pansoviétique », Mikhail Ivanovitch Kalinine. Kalinine n’était pas un théoricien ni un chef de parti. Son poste de président d’État était purement honorifique et ne comportait pas le moindre pouvoir. Il appartenait œpendant au et les des pères fondateurs groupe des vieux bolcheviks dizaines d’années de luttes clandestines l’avaient rapproché des révolutionnaires juifs, très nombreux dans le mouvement ouvrier de Russie comme dans les prisons tsaristes. Cette amitié
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entre combattants éveilla en lui une amitié pour les Juifs en général, les plus opprimés parmi les opprimés. Le « staroste pansoviétique » était fils de paysans et, sa vie durant, resta attaché à la campagne. Son robuste bon sens populaire et sa simplicité étaient proverbiaux et le faisaient aimer à travers tout le pays. Apprenti ouvrier dès sa prime jeunesse, puis métallurgiste qualifié, il gagna rapidement la confianœ et l’estime générales et devint un dirigeant ouvrier en vue, menant grèves et manifestations dans les entreprises indus— trielles les plus importantes de Pétersb0urg et en provinœ. Aux yeux de Lénine, il représentait le véritable symbole de l’unité de lutte entre la paysannerie et le prolétariat. C’est à œ titre qu’il fut élu président du vrsnt. Kalinine était membre du bureau politique du Parti commu— niste soviétique, mais il est peu probable que son discours au congrès du ouzurm ait été examiné au préalable par œtte instanœ suprême. On ne trouve nulle traœ, dans le texte, de l’analyse marxiste de rigueur, ni du jargon politique obligé de l’époque. Par contre, l’intervention de Kalinine retentit nettement d’une certaine tonalité sous—jaœnte, quasi nationale, nationaliste juive qui fit instantané— presque nationaliste ment tressailür le cœur de tous les présents, délégués et invités, mais pour des raisons diamétralement opposées : chez les uns, c‘était le plus vif enthousiasme, chez les autres une stupeur profonde et la réprobation. Kalinine dit notamment œci :
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« Il me semble que l’aspiration qui s’est fait jour dans une partie importante de l’intelligentsia populaire juive et une couche plus vaste encore de la population juive tombée dans la misère, c’est—à—dire l’aspiration de revenir à la terre, repose œrtes et avant tout sur une nécessité économique, sur le désir de renforœr et consolider d’une façon ou d’une autre sa propre base économique. Je dois pourtant ajouter que si j’aborde œ problème sur le plan idéologique, d’un point de vue national, je vois apparaître de manière sons—jaœnte un phénomène puis— sant, inconscient peut—être, mais de masse, une aspiration à préserver sa propre nationalité. Il me semble que œ phénomène représente une des formes de l’autopréservafion nationale. « Il était naturel que la population juive, avec sa culture si
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ouverte, sa maturité politique et sociale forgée dans les combats séculaires pour l’existenœ, sentit à son tour resurgir en elle— même une aspiration à retrouver également sa plaœ nationale
au sein de l’Union soviétique. Le contraire eût été inconœvable. « Le peuple juif se trouve placé devant une grande tâche : préserver sa propre nationalité. Pour œ faire, il faut transformer une bonne partie de la population juive en population paysanne solidement établie sur la terre et qui devrait se compter, pour le moins, par œntaines de milliers... »
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On raconte qu’aussitôt après l’intervention de Kalinine, tous les membres du Parti présents au Congrès se réunirent en séanœ secrète, pour de longues et très vives discussions. Le président du onzerm, Yuri Larine (par la suite on le qualifia dans la presse de « nationaliste juif Larine »), alla plus loin encore que Kalinine. Le principe général de pérennité nationale, formulé par Kalinine, fut irumédiatement interprété par lui en termes d’entité étatique. « Il ne fait absolument pas de doute, déclara Larine, que l’installation de Juifs dans l’agriculture ne vise pas seulement à améliorer la situation matérielle de la population juive en détresse, mais aussi à créer, à préparer les fondements d’une entité étatique juive. C’est là son sens profond. Séparer l’un des aspects de l’autre signifierait ne rien comprendre à œ pro— blème. »
Répondant à un représentant des Yevsektsiî, il précisa :
politique tend à donner une république nationale à chaque nationalité qui vit dans notre pays et nous, communistes, ne permettrons pas à d’inconscients assimilateurs de déforruer la politique nationale de notre Parti et de semer dans l’esprit des sans—parti un doute, un soupçon selon lequel le pouvoir soviéti— que serait opposé à l’existenœ de républiques nationales. Il n’y aura aucune déviation par rapport à la politique nationale 2. » Le congrès du onzarm marqua un tournant pour les Yevsekt— sii. La direction du « travail juif » fut confrontée à des problèmes de fond qu’elle ne pouvait plus éluder et à l’égard desquels elle était forcée de prendre position. On lui imposa un douloureux examen de œnscienœ qu’elle avait de toutes ses forœs tenté d’éviter. « Notre
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h«ügnegénérale»du«œciafismedmmmlpays»étfit la réponse de l’Union soviétique à la Révolution mondiale, cruellement en retard sur l’histoire. Mais c’est précisément œtte Révolution mondiale attendue qui fut la cause déterminante de l’autosacrifiœ, de la dissolution du mouvement ouvrier juif et de l’adhésion en masse de ses militants au Parti communiste. C’est a cause de la Révolution mondiale que les partis ouvriers juifs renoncèrent a leurs programmes nationaux. Dans la vision universaliste de la Révolution mondiale dernière « nouvelle le phénomène national lui-mème ère » de l’histoire humaine perdait toute consistanœ, toute réalité, s’évanouissait purement et simplement. Il était œrtes impossible de prévoir et de prédire les formes dans lesquelles, après l’autithèse, prendrait corps la synthèse dialectique entre la vieille et la nouvelle historicité. Ce qui était sûr, c’est que œtte synthèse représenterait une étape nouvelle, supérieure de l’histoire humaine. Il fallut cette hypothèse d’un universalisme messianique pour sceller le destin du mouvement ouvrier juif. L’hypothèse ne s’est pas vérifiée, mais on ne pouvait plus faire machine arrière. Certains dirigeants des anciens partis ouvriers juifs tirèrent de œtte situation une conclusion singulière. Comme la montagne, de notoriété publique, ne vint pas vers Mahomet, Mahomet dut aller vers la montagne. La Révolution mondiale n’étant pas venue au-devant du mouvement ouvrier juif, plusieurs diri— geants de œs partis ouvriers s’en allèrent au—devant de la Révolution mondiale, dans son cœur même l’appareil du Komiutem. Ils devinrent les apôtres, les professionnels de la Révolution mondiale, acœmpüssant des missions secrètes et dangereuses, souvent au péril de leur vie, dans tous les coins et recoins du globe. Il n’empêche que dix ans plus tard, tous ces Mohicans de la Révolution mondiale furent, les uns après les autres, externünés par le bras séculier de la « justiœ révolution— naire » de Staline. Certains autres dirigeants des anciens partis ouvriers juifs préférèrent tourner franchement le dos à « la rue juive » avec ses éternels problèmes, pour entrer beaucoup plus simplement et très facilement à l’époque dans l’appareil du Parti ou du gouvernement, à des postes de responsabilité souvent très en vue. Mais « la rue juive » une « rue » immense habitée par des millions d'âmes subsista néanmoins et, avec elle, les militants
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des Sections juives, les Yevsektsü, obligés de se redéfinir dans la nouvelle réalité du « socialisme dans un seul pays ». Avec la montée du stalinisme, il était naturellement impensable d’établir un programme national quelconque. Seule survécut la vieille formule officielle prônant « l’intégration des masses juives dans le communisme », formule qui non seulement avait perdu sa résonanœ d’universaüsme messianique, mais était devenue si faiote, si irréelle qu’elle ne subsistait que par l’interprétation, l’extrapolation, le commentaire et non par sa signification propre. Or, le commentaire de la Yevsektsia était catégorique. A la finalité nationale était opposée, comme conœpt intrinsèquement contradictoire, la finalité communiste. Moshé Litvakov, responsable du « front idéologique _» du Bureau œntral des Yevsektsü, également directeur du quotidien yiddish de Moscou, Der Emess (La Vérité), exposa le problème de la manière suivante : « Des militants qui œuvrent sans œsse à la création de nouveaux faits de reconstruction nationale n’ont néanmoins pas craint de poser le problème de l’assimilation. Pourquoi ? Parœ que leur unique but ultime n’est pas la reconstruction nationale, mais la reconstruction communiste — le œmmunisme3. » Un mois après le congrès du onznxn, se tenait à Moscou, en décembre 1926, la quatrième Conférenœ des Sections juives du Parti communiste soviétique (bolchevik). Le discours de Kalinine y fut critiqué très sévèrement.
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« Nous nous trouvons déclara Alexandre Tchemerisky, secrétaire du Bureau œntral des Sections juives, ancien membre du Comité œntral du Bund — devant une nouvelle et très forte pression petite—bourgeoise, déguisée œtte fois sous un accoutrement soviétique : le combat pour la préservation de la nation juive par la création d’un État national, voilà la forme que prend œ nationalisme pour se camoufler sous des couleurs soviétiques, voire communistes, afin de pouvoir frapper ainsi un coup plus fort… L’idéologie nationaliste influence également certains groupes communistes qui... capitulent en fait devant le nationalisme, comme par exemple, au congrès du GEZBRD et au meeting de Moscou contre l’antisémitisme ". »
Et quant au fond du débat :
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« Pourquoi devons-nous soutenir l’idée de préserver la
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nation? Le Parti n’a pas proclamé de tels mots d’ordre. Pourquoi dois—je me ranger aux côtés du rabbin, partager son affliction dans la question des conséquences des mariages mixtes, lorsque les jeunes filles juives qui arrivent à Moscou y épousent des non-Juifs ? Pour autant que je sache, il n’existe aucune décision du Parti instituant une politique nationale dans le domaine des pensions alimentaires. » Après œtte phrase, le procès—verbal note, entre parenthèses, « rires—" ».
Et enfin, les conclusions politiques : « Pour autant qu’un certain nombre de petits-bourgeois, devenus paysans à la suite de la colonisation agricole, viendront à occuper un territoire important et continu, une possibilité d’autonomie juive se fera jour. Mais entre possibilité et réalisation, et jusqu’à œ que soit décidé de proclamer un tel mot d’ordre, il y a encore loin. En outre, nous sommes contre la proclamation d’un tel mot d’ordre °. » La situation de la Yevsektsia n’en était pas moins devenue très inconfortable. Prendre publiquement position contre une déclaration du président de l’État soviétique, membre du bureau politique du Parti communiste, pouvait être interprété presque comme une prise de position contre le Parti lui-même. Il fallait donc avoir recours à un subterfuge qui fut présenté ainsi : sur le principe, la direction de la Section juive est entièrement d’accord avec le camarade Kalinine, de même que le camarade Kalinine est, sans aucun doute, entière— ment d’accord avec la Section juive; la divergence n’est qu’une question de style, de tonalité et d’approche pédago— grque. La tâche maiaisée de plaider œ dossier très délicat devant les délégués de la Conférenœ fut confiée à l’idéologue de la Section juive, l’ancienne dirigeante du Bund, Esther Froumkine. La camarade Esther commença par reconnaître l’évidenœ, à savoir que « le Bureau œntral (des Sections juives) est bien d’accord avec le discours de Kalinine mais il tient pourtant un langage quelque peu différent de œlui de Kalinine ». Elle ne voyait pourtant là aucune contradiction. Cette « difiérenœ » se réduisait, selon elle, à une question d’éducation intemationa— liste. « Il ne faut pas y voir la moindre contradiction, assurait la camarade Esther. Nous tenons œt enseignement de Lénine.
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C’est lui qui nous a montré que l’éducation internationaliste ne pouvait être menée de la même manière parmi les nations qui opprimaient et parmi œlles qui avaient été opprimées 7. » Après avoir cité Lénine sur le droit des nations opprimées à l’autodéterminafion y compris le droit de se constituer en État séparé, œ qui n’avait strictement aucun rapport avec l’affaire en question Esther Fronmkine essaya de justifier ainsi la position de la Section juive :
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« Les communistes de la nation qui pratiquait l'oppression doivent mettre l’accent sur le thème de la libération, le droit àla différence pour œux qui avaient été opprimés; par contre, les communistes de la nation victime de l’oppression doivent accentuer le motif de l’unification avec les autres nations. Kalinine dit : si vous tenez à préserver votre existenœ nationale, nous ne vous en empêcherons pas, nous vous aiderons. C’est effectivement son devoir de parier ainsi. Lui, il souligne le droit à la différenœ. Mais nous, communistes juifs, communistes appartenant à la nation naguère opprimée, nous parlons sur un ton différent. Nous tenons la consolidation nationale pour souhaitable. Et nous le disons. Mais nous soulignons toutefois que œ qui nous importe, œ n’est pas nécessairement de préserver la nation et pas même le territoire en tant que tel, mais le processus d’intégration dans le socialisme, la main dans la main avec les ouvriers, les travailleurs de tous les peuples. Et œci, par toutes les voies, aussi bien par l’agrarisation que par l’industrialisation. Nous soulignons moins la séparation territoriale (concentration nationale) que l’orientation de réunification internationale sur les territoires où des masses juives vivent en tant que minorités. C’est ce que nous a enseigné Lénine. Et je suis persuadée que le camarade Kalinine aurait été tout à fait d’accord avec notre position. Elle n’est en rien contradictoire avec la sienne °. »
La célèbre camarade Esther était une femme de haute intelligenœ et d’une grande probité politique. Elle a pourtant plaidé avec une parfaite mauvaise foi, tronquant, falsifiant même le texte de Lénine comme œlui de Kalinine. Dans œ texte cité de Lénine, il est question de droit, pour les nations opprimées, non à une simple différenciation, mais à une séparation complète, à l’autodétennination, à la création d’un
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État propre. Cette position de principe ne pouvait, de toute évidenœ, conœmer le moins du monde la population juive de l’Union soviétique. Quant au discours de Kalinine, la camarade Esther l’a tout bonnement œnsuré et corrigé a sa manière. Kalinine n’a pas dit au congrès du onzerm : « Si vous tenez à préserver votre existenœ nationale, nous ne vous en empêcherons pas. » Kalinine a dit quelque chose de fondamentalement différent : « Le peuple juif se trouve placé devant la grande tâche de préserver sa nationalité. » C’était bien plus que la consigne tactique de Lénine, au lendemain de la révolution d’Octobre : « Ne pas annuler les particularismes, ne pas liquider les diffé— rences nationales, aussi longtemps qu‘elles existent. » Kalinine ne s’est pas contenté du statu quo, il a appelé le peuple juif à « préserver sa nationalité », c’est—à—dire à la défendre et à la fortifier, à l’approfondir, l’enraciner et la perpétuer. Mais œla résonnait dans nombre d’oreilles comme l’écho de la tendanœ qui consiste à « faire tourner à rebours la roue de l’histoire », comme tentative « d’étayer les cloisons nationales, au lieu de les renverser », « d’affermir les différences au lieu de les effaœr ». En un mot, œla résonnait comme l’écho de tous les crimes pour lesquels Lénine, en 1913, dans ses Notes critiques sur la question nationale, avait si impitoyablement fustigé le Bund. Et le souvenir du fouet brûlant de Lénine était encore bien trop frais dans la mémoire de presque tous les dirigeants des Sections juives, eux-mêmes anciens du Bund. « Préserver la nationalité » signifiait : relier organiquement le passé au présent et les projeter, tous deux, vers l‘avenir. C’est dans ce concept historique par excellence, dans œ cycle d’historicité juive que s‘est trouvée inscrite la déclaration de Kalinine. Les Sections juives, elles, t0umèrent le dos à œ cycle. Le mouvement ouvrier juif de Russie, avec tout son passé glorieux, avec son immense expérienœ politique, s’est tourné le cycle « du vers un autre cycle historique, antagoniste nouveau commencement ». Pour les Sections juives, œ qui importait, ce n'était pas « nécessairement de préserver la nation », mais « le processus d’intégration dans le socialisme ». Ce que Kalinine désignait comme « grande tâche pour le peuple juif », par conséquent, comme une tâche importante, pro— fut qualifié par le secrétaire du gressiste, politiquement juste
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Bureau œntral des Sections juives de « nouveau nationalisme » né d'une « poussée petite—bourgeoise ». C’est ainsi que le conœpt d’entité étatique juive au sein de l'Union soviétique, avant même d’être clairement énoncé et formulé noir sur blanc, se mouvait, dès le début, entre deux dimensions historiques autiuomiques; sourœ permanente de tensions intérieures et de contradictions organiques. Paradoxa— lement, le porte—parole de la dimension de l’historicité juive se trouvait être le non-Juif, le Russe Kalinine. La partie juive, en revanche, c’est—à—dire les Sections juives, refusait catégorique— ment de « faire tourner à rebours la roue de l’histoire » et resta, résolue, fière et impassible, sur les positions de l’orthodoxie léniniste. C’était le d’ailleurs une des faces les plus visibles, une des composantes les plus impressionnantes de œtte nébuleuse idéologique que l’on désignait sous le vocable fort imprécis de « yevsekisme » (l’idéologie de la Yevsektsia). La nébuleuse était issue en ligne directe d’un complexe qui ne demande qu’à étre catalogué sous la rubrique des « complexes de péché originel politique ». Cette affection chronique se manifestait sous forme d’une sensibilité aiguë et douloureuse, d’un déchirement cruel, d’une ambivalenœ à l’égard des textes fondamen— taux de Lénine sur la question nationale et, tout particulièrement, à l’égard de sa polémique avec le Bund. Plus d'une dizaine d’années après œtte polémique qui datait de 1913, et alors que la révolution d’Octobre avait profondément bouleversé et modifié toute la vie politique du pays, les épithètes ironiques, mordantes de Lénine réservées à « mon— sieur le bundiste », « notre bundiste », « œ cher bundiste » lequel s’est révélé n’être qu’un « simple bourgeois », un « philis— tin national », un « allié des rabbins et de la bourgeoisie » ces épithètes, comme toute parole de Lénine, ne cessaient de circuler et de résonner dans la société soviétique. Elles résonnaient d’une manière particulièrement douloureuse dans la conscienœ et, plus encore, dans l’inconscient des communistes juifs de l’Union soviétique, non seulement des anciens du Bund, mais également des socialistes unifiés et du Poalé—Sion, de tous les « anciens » en général. Les sentenœs flamboyantes de Lénine Se muèrent pour eux en une sorte de Saints Evangiles tragiquement gravés sur les Tables de la Loi des Notes Critiques,
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aux côtés des menaœs et prédictions eschatologiques les plus effrayantes des prophètes d’Israël. Il était donc néœssaire, décisif même, de prouver d’abord à soi-même, ensuite à l’opinon publique et surtout au Parti que, bien que l’ancien jugement de Lénine fût, en son temps, parfaitement bien fondé et équitable (et comment, grand Dieu, pouvait-il en être autrement ?), ledit jugement, dans toute sa justiœ, ne les conœmait plus en rien, à présent, dans leur mutation politique actuelle, car leur passé d’erreurs avait été publiquement et sincèrement renié et leurs péchés d’autrefois rachetés par une repentanœ honnête. Il fallait prouver, à soi— même et surtout au Parti, que l’on était devenu les meilleurs, les plus résolus, les plus intransigeants combattants contre le nationalisme juif, dùs toutes ses formes et expressions, sous ses masques les plus dissimulateurs. Il fallait, en un mot, montrer d’une vigilanœ bolcheviste impitoya— que l’on était vigilant ferme et ble —, zélé d’un zèle bolcheviste sans limites rigoureux sur les principes, inflexible et sans peur, discipliné et dévoué au Parti jusqu‘au dernier souffle comme doit l’être un vrai bolchevik, un bolchevik exemplaire, même si et précisé— ment parœ qu’on avait été autrefois membre d’un des partis juifs « national—mencheviks » aujourd’hui disparus : « Le Bund ouvrier juif de Lituanie, Pologne et Russie », « Le Parti ouvrier social—démocrate juif unifié (8.8. et I.S.), ou « Le Parti ouvrier social—démocrate juif Poalé—Sion ». Les anciens dirigeants de œs anciens partis qui avaient atteint la pleine maturité politique, se mèrent œpendant avec une ardeur toute juvénile sur l’école de Lénine, puisèrent à pleins seaux dans son enseignement et, avec une modestie enthou— siaste, se glorifièrent du titre de disciples du grand maître. La caruarade Esther publia deux ouvrages, l’un pour la jeunesse, Suis le chemin de Lénine, et un second, plus fouillé, sur près de trois œnts pages, Lénine et son œuvre qui eut droit à trois éditions. L’ancien dirigeant des socialistes unifiés, Moshé Litvakov, directeur du journal Der Emess, ne cessait de rappeler : « Nous, disciples de Lénine... », « notre Lénine », « Lénine nous a enseigné… » Les « Yevseks » (militants des Sections juives) devinrent rapidement d’exœllents talmudistes du léninisme, les plus subtils commentateurs de Lénine, les plus intransigeants et les plus orthodoxes des léninistes.
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Et œpendant, malgré toutes les proclamations catégoriques « Nous sommes œntre! » —, la question de la Section juive de la colonisation juive acquit, après la déclaration de Kalinine, une dimension entièrement nouvelle. Avant le congrès du onzsrm, il ne s‘agissait que de restauration économique et sociale des masses populaires juives ruinées. Kalinine s’était fait en outre porteur d’une annonœ de restauration nationale, de « consolidation nationale », avec œtte pers ctive naturelle : une entité étatique juive en U.R.S.S., un tat juif en Union soviétique.
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Cnxrmm VI
La Terre promise Crimée ou Birobidjan
Dans son discours historique au congrès du onzenn, Kalinine,
tout en insistant sur la néœssité « de transformer une bonne
partie de la population juive en une population paysanne compacte, solidement établie sur la terre », ne désigna à aucun moment de manière claire un quelconque territoire où œtte population rurale juive devait être couœntrée. Il ne mentionna ni l’Ukraine, ni la Biélorussie, ni la Crimée ni, encore moins, le Birobidjan. Et œci pour la raison fort simple que la dénomination même de Birobidjan, à l’époque, en novembre 1926, n’existait tout bonnement pas. La question de la base territoriale destinée à « la consolidation nationale » juive et, par conséquent, à la future entité étatique juive en U.R.S.S. (fût—ce dans une perspective assez lointaine) resta entièrement ouverte.
Cela ne signifie nullement que la question n'était pas posée. Au contraire, elle ne quittait pas l’ordre du jour. Il fallait d’extrême urgenœ décider de la ligne d’orientation du grand courant de masse de la colonisation agricole juive. Les fonds terriens que le gouvernement soviétique avait alloués à la colonisation juive atteignaient, en 1926, trois œnt quarante mille hectares environ, dont près de œnt soixantequiuze mille en Ukraine, œnt trente mille en Crimée, vingt—cinq mille en Biélorussie et vingt mille au Caucase du Nord, dans le Daghestan, l’Ouzbékistan, etc. ‘. En proportion de la superficie de œs républiques et de œlle de leurs terres arables, les fonds alloués à la colonisation juive
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étaient peu de chose. On prétendait œpendant, vers le milieu des années 20, que les fonds domaniaux immédiatement disponibles étaient sur le point de s’épuiser, voire d’ores et déjà épuisés. C’est ainsi que le décret précité du Conseil des commissaires du peuple de la République soviétique d’Ukraine, du 19 mai 1926, mentionnait expressément « une pénurie de terres en Ukraine » qui aurait fait obstacle à une nouvelle colonisation juive. Quelles qu’aient pu être les véritables causes de œtte « pénurie de terres » purement économiques, plutôt politiques ou, probablement, les deux à la fois —, il est œrtain que la population paysanne locale, en Ukraine surtout, ne manifestait pas un trop grand enthousiasme pour la colonisation juive. Les années de guerre civile et les atroces pogromes étaient encore présents dans tous les esprits. La lutte contre l’antisémitisme profondément enraciné depuis des siècles venait seule— ment de commenœr. Yuri Larine, président du onzarm, s’est arrêté plus longuement sur œ phénomène dans l’ouvrage les Juifs et l’antisémitisme en U.R.S.S., paru en russe, à Moscou, en 1929. D’après les calculs des planificateurs du comm et du oaznrm, la colonisation envisagée conœmant œnt mille familles juives néœssitait une superficie de plus de deux millions d’hectares. A la question de savoir où l’on pouvait trouver des réserves de terre aussi importantes et, en outre, d’un seul tenant et non occupées l’opinion publique juive répondait avec une belle unanimité : en Crimée septentrionale et, plus au nord de la presqu’île de Crimée, à l’embouchure du Don et le long de la mer d’Azov ou de la mer Noire. L’ensemble de œs terres formaient l’objet du plan dit « projet criméen ». La colonisation juive en Crimée était en général la plus réussie et la plus célèbre. « La maisonnette en Crimée » devint le symbole du patient labeur juif, une légende et un symbole des champs juifs en fleurs, de la libération et de la rénovation de tout un peuple. Dans de telles conditions, le discours de Kalinine au congrès du GEZERD et son allusion à une entité étatique juive, sur la base d’une conœntration territoriale à caractère agricole, furent compris et accueillis par l’ensemble de l’opinion publique juive comme l’annonœ d’une implantation‘ agricole juive et d’une future structure étatique juive en Crimée et, plus précisément,
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sur les terres du « projet criméen ». Dans la résolution générale votée par le congrès, un point spécial précisait : « Le onzrzxn insiste en priorité sur la tâche de coloniser les terrains alluviaux près de la mer d’Azov, sans égards pour les dépenses néœs— saires :_ Durant œ même mois de novembre 1926, la direction œntrale du onznrm décida d’organiser une grande expédition scientifique d’exploration en Crimée septentrionale, sur les terrains allu— viaux de la mer d’Azov et sur les rivages de la mer Noire. Cela devait constituer une sorte de consécration officielle du « projet criméen ». L’expédition comprenait œnt quatre—vingts per— sonnes, dant quatre-vingt—ciuq savants : géologues, agronomes, botanistes, économistes, planificateurs, etc. Elle partit pour la Crimée en juillet 1927 et acheva ses travaux au printemps 1928. Mais le rapport de l’expédition et les conclusions de ses recherches ne furent jainais rendus publics. Ils vinrent trop tard. Entre—temps, était né un autre projet, qui allait être aussitôt adopté avec une exœpfionnelle, une surprenante rapidité : le « projet du Birobidjan ». Le « projet criméen » émanait des milieux du onzann, c’est—à— dire de la société juive d’Union soviétique. Ce projet représen— tait, dans les conditions historiques nouvelles, une sorte de continuation de l’ancienne colonisation agricole juive de Russie qui remontait déjà à plus d’un siècle. Le projet du Birobidjan émanait du comnno, organisme gouvernemental, autrement dit directement du gouvernement soviétique. Dans son article « Vingt ans de la grande révolution socialiste et le peuple juif en Union soviétique », Simon Dimanstein relate ainsi œ point capital de la préhistoire du Birobidjan : « L’idée d’utiliser l’Extrême—Orient comme région de la colonisation juive provenait de dirigeants du commissariat du peuple à la Défense, ainsi que de œux de l’Académie d’agriculture, tels que le Pr Williams et le président actuel de l’Académie des scienœs, Komarov 3. » Le projet de colonisation juive en Extrême—Orient fut pré— senté officiellement devant le oomnnn dans les premiers mois de 1927. Dès le mois d’avril, il fut décidé d’envoyer une expédition scientifique, avec pour mission d’explorer la région qui s’appe— lait encore « Birsko—Bidjansk » ou « Bidjano—Birsk ». Totalement inconnue et abandonnée des dieux, elle allait rapidement
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devenir célèbre dans le monde entier sous le nom de « Birobid— jan ». Les membres de l’expédition devaient se prononœr sur la question de fond et décider si œtte région pouvait convenir à une colonisation juive. Plusieurs savants soviétiques en vue, géologues, géographes, agronomes, économistes, etc., avec à leur tête le Pr Williams, de l’Académie d’agriculture Timiriazev et le Pr Bruk, agronome principal du commun et, en même temps, militant du oaznrm, prirent part a œtte expédition. L’expédition quitta Moscou le 26 mai 1927 et arriva sur plaœ à la mi-juin. Elle se mit à l’œuvre le 22 juin et acheva ses travaux le 7 août. En quarante—sept jours seulement, elle explora une superficie de plus d’un million d’hectares, presque entièrement incultes et sauvages, qui représentait près de la moitié du territoire envisagé. Sur la base de ses propres investigations et s’appuyant sur les données de deux expéditions précédentes organisées par le gouvernemen't en 1925 et 1926, l’expédition arriva à la conclusion que la région, malgré son climat rigoureux et œrtains obstacles naturels, était parfaitement apte à aœueiflir une implantation agricole juive. L’expédition du comaxn donna ainsi sa bénédiction à « l’idée d’utiliser l'Extrême—Orient comme région de colonisation juive », idée provenant, d’après le témoignage de Dimanstein, des dirigeants du commissariat à la Défense et de l’Académie d’agriculture. Il pouvait difficilement en aller autrement quand on sait que l’un des pères de œ projet, le Pr Williams, était placé en tête de l’expédition du comeno. Il ne pouvait surtout en aller autrement puisque parmi les initiateurs du projet (et probablement aussi toujours parmi les membres de l’expédition) se trouvaient d’après le témoignage de Dimanstein —, outre les spécialistes agronomes et économistes, « des spécialistes du commissariat du peuple à la Défense ». Ce fait conférait, dès le départ, à l’affaire du Birobidjan une dimension entièrement nouvelle, d’un caractère foncièrement différent, non plus spécifiquement juif, mais lié à l’intérêt général du pays. Il s’agissait des intérêts stratégiques de l’État soviétique, dans ses marches extrêmes— orientales. Quand les futurs historiens, dans un nombre d’années difficile à prédire, auront enfin accès aux archives du Parti et de l'Etat soviétique, actuellement farouchement gardées, ils trouveront assurément toutes les preuves indiquant que le choix du
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Birobidjan pour la colonisation juive avait été non seulement examiné, mais définitivement décidé par les plus hautes ins— tanœs du Parti et du gouvernement, avant même que l’expédi— tion du commun ne fût partie pour l'Extrême-Orient. La décision fut probablement prise sur la base des conclusions des deux expéditions gouvernementales précédentes, de 1925 et 1926, toutes deux de caractère stratégique, donc secrètes et qui n‘avaient pas le moindre rapport avec la problématique juive, mais qui se virent actualisées en 1927, dans la perspective d’une colonisation juive de cinq œnt mille âmes. Ce qui précède n’est bien entendu qu’une hypothèse. Il est toutefois à peine imaginable qu’une affaire touchant à la sécurité du pays et à ses intérêts stratégiques les plus essentiels puisse être réglée ailleurs que dans les plus hautes instanœs dirigeantes. Aussi bien l’expédition du comnm que les discussions ultérieures. fort dramatiques au demeurant, qui eurent lieu au commun et au ouzarm, ainsi que toutes les décisions et tous les décrets a venir, ne devaient « qu’officialiaer » l’affaire aussi vite que possible, car le facteur temps devenait de plus en plus
décisif. En 1918, lorsque débuta l’intervention étrangère contre le jeune pouvoir soviétique et que les pays de l’Entente, la Franœ et l’Angleterre, débarquèrent des troupes au nord et au sud de la Russie d'Europe, le Japon occupa le centre vital de l’Extréme-Orient soviétique, le port de Vladivostok. L’oœupa— tion japonaise et le règne, sur tout l’Extrême-Orient, de nombreux généraux et atamans « blancs », protégés par les Japonais, durèrent quatre ans. En 1922, après d’âpres et sanglantes batailles, les Japonais furent chassés et, avec eux, leurs valets russes. C‘est alors seulement qu’apparut un fait particulièrement inquiétant : l'Extrême—Orient soviétique, pro— fondément meurtri et ruiné, comme toute l’Union soviétique, par la guerre civile et l’intervention étrangère, se trouvait en outre exposé à une menaœ grave et permanente en raison de sa démographie. En effet, sur un immense territoire de plus de deux millions et demi de kilomètres carrés, soit cinq fois la grandeur de la Franœ, vivait une population de deux millions d’habitants, c’est—à—dire en moyenne moins d’un habitant par kilomètre carré. La situation était particulièrement critique dans la partie
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méridibnale de œ territoire, précisément dans la région de « Bidjano—Birsk » ou « Birsko-Bidjansk », qui s’étirait le long de la frontière avec la Chine. Les contours précis de œtte zone n’étaient pas encore tracés à l’époque. Sa superficie fut évaluée par l’expédition du comnnn à deux millions et demi d’hectares, soit vingt—cinq mille kilomètres carrés et la population estimée à vingt-sept mille habitants environ, dont 75 % de Russes (Cosaques de Transbaïkalie), Ukrainiens et Biélomsses et 25 % de Coréens, Chinois, Toungouses et autres tribus locales. Ainsi la moyenne statistique était ici légèrement plus élevée que dans l’ensemble du territoire : un peu plus d’un habitant par kilomè— tre carré. Il s’agissait œpendant d’une région directement frontalière, des deux côtés de la ligne du chemin de fer transsibérien. Sur le fleuve Amour, frontière séparant l‘Union soviétique de la Chine, se trouvaient un œrtain nombre de petits villages cosaques remontant au XIX° siècle. Mais sur des œn— taines de kilomètres, la frontière était inhabitée et complètement ouverte. L’Extrême-Orient soviétique, un des objectifs principaux de l’expansiounisme continental nippon, se trouvait ainsi, sur son flanc méridional et la frontière du fleuve Amour, sans aucune défense. à Or, dès le début du siècle, se précisait de plus en plus commenœr par la guerre russo—japonaise de 1905, puis par l’annexion de la Corée, devenue colonie japonaise en 1910 et par l’intervention japonaise en Union soviétique en 1919—1922 la doctrine géopolitique de l’impérialisme nippon. La « poussée vers l’Ouest », sur le continent asiatique, devait frayer la voie vers des territoires libres et des richesses naturelles pour les îles nippones pauvres et surpeuplées. Tout œ que convoitaient des territoires immenses et presque iuhabités, les Japonais des richesses naturelles quasi iuestimables se trouvait à proximité dans l’Extrême—Orient soviétique, à condition, bien entendu, de pouvoir s’en saisir. Sorti victorieux de la Première Guerre mondiale, le Japon était encouragé dans ses visées annexionnîstes par les grandes puissanœs, ses anciennes alliées. Bien que la tentative d’intervention à Vladivostok, de même que l’intervention des pays de l‘Entente, se soient soldées par un échec, il n’en restait pas moins évident que « la poussée vers l’Ouest » du Japon ne s’arrêterait pas là. Il était même possible de prévoir le théâtre de
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confrontation. Tout comme en 1905, lors du premier affronte— ment entre l’Empire des tsars et l'Empire du Soleil Levant, le chemin de l’expansionnisme nippon passait toujours par la Mandchourie, en direction de l'Extrême-Orient russe. Cette voie signifiait, en fait, une avancée par le flanc méridional de l’Extrême-Orient soviétique, par les frontières sud—est, par le fleuve Amour et, par conséquent, également par la région de « Birsko—Bidjansk ». L’aggravation de la crise économique et politique au Japon, dans la seconde moitié des années 20, la militarisation et la fascisation rapide du pays, indiquaient que l’explosion n’allait pas tarder. On l’attendait pour la fin des années 20 ou le début des années 30. Et effectivement, c’est en 1931 que le Japon s’empara de la Mandchourie, arracha œtte provinœ à la Chine et la proclama « État indépendant ». Par un beau matin, l’armée japonaise fit son apparition sur la rive méridionale du fleuve Amour, dans le voisinage direct de la région de « Bidjano— Birsk » qui s’appelait déjà Birobidjan. Le facteur « temps » devenait effectivement décisif. L’officiahsation (ou, selon l’expression soviétique, la « mise en forme ») de l’affaire Birobidjan se fit avec une exœptionnefle rapidité. L’expédition du comm revint d’Extréme-Orient en septembre 1927. En déœmbre, lors de la réunion plénière de la direction œntrale du onznrm, on annonça officiellement que l’expédition s’était prononcée pour la colonisation juive en Extrême-Orient. Le 17 janvier 1928 eut lieu une session du comenn au cours de laquelle le Pr Bruk présenta le rapport officiel de l’expédition. On décida sur—le-champ « de présenter requête au Comité pansoviétique des migrations » afin qu’il mette à la disposition du comm le district du Birobidjan de la région extrême—orientale. Plus encore, sans perdre une seconde, on décida « de charger le secrétariat de prendre toutes mesures nécessaires pour organiser les travaux dans le district de Birobidjan dès l’année en cours ». Le 6 février 1928 furent réunis à Moscou, en session soien— nelle élargie, le Présidium de la direction œntrale du cum pansoviétique ainsi que le Présidium de la commission de contrôle, avec la participatiéir exœptionnefle du Présidium du Gazaru) de Moscou et d’un œrtain nombre de dirigeants locaux de tout le pays. La session adopta la résolution suivante :
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« Les intérêts des masses laborieuses juives exigent que l‘implantation agricole juive se fasse sur un territoire uni, non fractionné et non morcelé, œci afin de faciliter l’organisation de œtte implantation et d’élargir les possibilités d’activités culturel— les dans la langue maternelle. « La séanœ élargie des présidiums du Comité directeur et du Conseil central, avec la participation des membres de la Commission de contrôle, prenant en considération que le district du Birobidjan convient à une implantation agricole juive de masse, sur une vaste surfaœ non fractionnée donnant la possibilité d’y organiser, avec le temps, une Unité administra— tive juive autonome, approuve la décision du comann tendant à réserver le district du Birobidjan pour une implantation agricole juive et proclame la volonté du onznrm d’assumer le futur travail opérationnel dans œtte région en attirant sur œtte tâche l’attention de toute la société soviétique“. »
La résolution proposait en même temps « de populariser la région du Birobidjan au sein de la population juive en faisant valoir ses côtés positifs sans dissimuler les côtés négatifs, tout en indiquant les méthodes propres à surmonter les difficultés et les obstacles éventuels ». On trouverait difficilement dans œtte résolution un quelcon— que soupçon d’enthousiasme. L‘affaire était décidée et la décision des instanœs supérieures était obligatoire pour les membres du Parti et les sympathisants. Pour la première fois, l’idée d’une « Unité administrative autonome juive » fut énon— cée publiquement, mais de manière si générale que l’ « Unité » resta enveloppée dans une brume épaisse. Par ailleurs, et trés prudemment, la résolution fit allusion à « quelques côtés négatifs » ainsi qu’à « d’éventuelles difficultés à surmonter ». Mais apparemment œla ne comptait guère, on était trop pressé. La décision du comm du 17 janvier 1927 il faut rappeler que le oomrzrm était un organisme d’État soulignait avec insistance que les travaux dans le district du Birobidjan devaient débuter « dans l’année en cours ». Et l’on ne saurait mettre assez l’accent sur œ point. Le rythme de la colonisation juive en Extrême—Orient fut déterminé non par des impératifs nationaux ou socio—économiques juifs, mais par des impératifs stratégiques. L’aspect straté—
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gique constituait la dimension essentielle, étatique et, par conséquent, prioritaire, décisive du problème du Birobidjan. Plus précisément, l’affaire du Birobidjan était un des chaînons de la conœption stratégique générale pour le renforœment et la défense de l’Extrême-Orient soviétique, ainsi que de toutes les positions de l'État soviétique le long de l‘océan Pacifique. Un mois à peine après la requête adressée par le como au « Comité pansoviétique des migrations » (organisme d’État chargé des affaires de migrations intra-soviétiques) œ comité avisa le commun, le 21 février 1928, que sa requête avait été accueillie favorablement et que le district du Birobidjan était mis à la disposition du comm pour une implantation agricole
juive,
Encore un mois plus tard, l’affaire se trouvait mise à l’ordre du jour de l’instanœ gouvernementale soviétique suprême, le Présidium du Comité œntral exécutif de l’U.R.S.S., à sa session du 24 au 28 mars 1928. Le procès—verbal n° 45 de œtte session enregistrait une décision historique dont voici quelques extraits : « 1. Réserver pour le coma, aux fins d’une implantation massive de travailleurs juifs, les terres disponibles situées dans la zone du fleuve Amour, dans la région d'Emême-Orient qui englobe le district du Birobidjan, avec les frontières approxima— tives ci-contre... 2. Du territoire sus—indiqué, exclure les terres occupées par la population autochtone et la population cosaque, ainsi que les terrains qui ont déjà aœueilli des immigrants ou qui leur ont été réservés par option, et œ jusqu’à l’expiration du délai légal… 3. Les terrains libres que le « Comité pansoviétique des migrations » a préparés, dans les limites du district indiqué sous l’article premier doivent être affectés aux objectifs fixés ci— dessus à partir de l’année 1928... 4. Les frontières précises du district indiqué sous l’article premier seront fixées sur plaœ... 5. Au cas où l’implantation massive des travailleurs juifs dans le district visé sous l’article premier donne des résultats satisfai— sants, envisager la possibilité de fonder sur le territoire de œ district une Unité nationale, administrative et territoriale juive. » (Texte intégral donné en annexe.)
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Une unité nationale, administrative et territoriale juive... ! Sur un sol lointain, inconnu et glacial, furent semés, le 28 mars 1928, les premiers grains d’une entité étatique, d’un État Juif en Union soviétique. En quelques mois, un pays totalement inconnu, perdu dans la forêt sauvage, quelque part au bout du monde, fit son entrée ou, plus précisément, fut lancé au galop... dans l’histoire juive.
CHmeH Le miracle de la discipline de parti
Grande politique et politique à la petite semaine Cinq jours, tout juste cinq jours après la présentation, par le comm, de sa requête au « Comité pansoviétique de migration intérieure », au sujet de la région de Birobidjan et un mois entier avant que la moindre réponse y fût donnée paraissait dans le journal juif de Moscou Der Emess, organe des Sections juives, daté du 22 janvier 1928, un article d’un enthousiasme délirant, sous le titre « Vers un pays juif ». Ce pays s’appelait, bien entendu. le Brnosrmrm. Et l’auteur de l’article n’était autre qu’Alexandre Tchemerisky, toujours secrétaire du Bureau œntral des Sections juives. C’était, bien sûr, le même Tcheme— risky qui, à peine un an auparavant, àla quatrième Conférenœ pansoviétique des Sections juives, fin déœmbre 1926, s’éleva avec tant de véhémenœ contre la thèse de Kalinine sur « la préservation de la nationalité » condamnant de la manière la plus catégorique aussi bien le mot d’ordre d’autonomie territo— riale juive que « tous œs groupes communistes qui capitulent en fait devant le nationalisme, comme par exemple au congrès du onzerrn ». ni même le Cependant Tchemerisky ne fut pas le seul premier — enthousiaste du Birobidjan. Un jour avant la parution à Moscou de l’éditorial historique « Vers un pays juif », un autre dirigeant des Sections juives, Abraham Merejine prit la parole à Minsk, le 21 janvier 1928, au II" Congrès des paysans juifs de Biélorussie. Il y fit un discours enflammé sur le Birobidjan, précisément. Il fut même le premier — et pour la à prononœr le nom du Birobidjan en public. première fois
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D‘après le compte rendu du journal juif Octobre de Minsk, du 22 janvier 1928, Merejine, emporté par son enthousiasme, se serait même écrié : « si seulement vous le voulez, œla deviendra réalité ». Autrement dit, l’orateur s’était approprié purement et simplement, sciemment ou inconsciemment œ qui est moins probable la célèbre formule du Dr Théodore Herzl, pronon— cée à propos de la Palestine. (Des années plus tard, et dans un article qui sera évoqué plus d’une fois, Merejine fut accusé, entre autres, « d’avoir essayé, à Minsk, de faire valoir ses droits sur la barbe du Dr Herzl... ») Tous les deux, tant Tchemerisky que Merejine, étaient des hommes politiques expérimentés et responsables, issus de la deuxième génération des dirigeants du Bund. Tous les deux prirent part à la X‘ Conférenœ du Bund en juin 1917. En déœmbre 1917, au VIII° Congrès du Bund, Tchemerisky fut élu membre du Comité œntral. Pendant toute leur carrière politique, ils menèrent un combat acharné contre le sionisme, contre le terfitorialisme, contre toute idée d’État juif ou de pays juif. Merejine était même devenu un spécialiste en la matière. En 1917, parut dans l’édition bundiste « Di Welt », en yiddish et en russe, une brochure de Merejine, sons le titre « Le Bund et le sionisme », avec une préfaœ du prestigieux dirigeant du Bund, Vladimir Medem. En 1920, lors de la douloureuse « conversion au commu— nisme » du Bund, Tchemerisky, déjà « jeune communiste » rallié au Parti depuis peu, fit partie de la commission du Komiutern chargée de se prononœr sur l’appel du Bund au sujet de l’autonomie dans le Parti. Il fut le procureur le plus mordant, le plus implacable, le plus acharné, pourchassant, sans pitié, tous les vestiges du vieux nationalisme bundiste. Quant à Merejine, il se prononça catégoriquement, à la troisième Conférenœ des Sections juives, en juillet 1920, contre l’existenœ même de œs sections, susceptibles, selon lui, de se transformer en dangereux foyers de nationalisme. Il fallait se libérer le plus rapidement possible des anciennes habitudes nationalistes, abattre les anciennes cloisons nationales et établir une collaboration, toujours plus étroite, plus organique, entre le prolétariat juif et non juif. Comment œs anti-sionistes acharnés, œs auti—territoriaüstes convaincus, œs nihiüstes nationaux ou, au mieux, ces
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comment œs enthousiastes du « nou— neutraüstes nationaux veau commenœment » universaliste, du « nouveau cycle historique » et de « la fin des jours », œs adversaires résolus du conœpt nettement dépassé, selon eux, et préhistorique de « préservation nationale », comment ont—ils pu si simplement, si rapidement changer d’avis, du jour au lendemain, et rejoindre les positions honuies du territorialisme, voire d’un œrtain œrtes sous déguisement soviétique sionisme sans même s’arrêter devant le grotesque de copier le geste et le style du fondateur du sionisme, le Dr Herzi ?... Le secret de œ retournement réside dans le grand miracle, le miracle glorieux et tragique de la discipline du Parti, sourœ de sacrifices sans limites, allant jusqu’à l’autodestrncfion, jusqu’au martyre, en même temps que principe de disponibilité stupéfiante et permanente sur le plan intellectuel, moral et affectif prête à accepter toute invraisemblanœ, toute contradiction (dialectique, bien entendu), toute énormité, toute absurdité même, à la seule condition d’incarner « la ligne », la ligne du
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Parti.
Au nom de la discipline de Parti, Tchemerisky et Merejine regagnèrent le cycle de « la vieille historicité ». Après tout, la révolution mondiale, sur laquelle tous les espoirs avaient été fondés, ne fut pas au rendez—vous. Le XIV° Congrès du Parti soviétique proclama le mot d’ordre de « socialisme dans un seul pays ». Une concentration territoriale juive, un État juif soviéti— que pourrait, à la rigueur, représenter, dans un œrtain sens, une variante de œ mot d’ordre, afin de remplaœr les rêves évanouis de l’universalisme. toutes les lignes du La Ligne œlle du Parti, s’entend Parti, les continues, les successives et même les contradictoires, sont dotées de vertus très proches de la pierre phüosophale, capable de transformer du plomb en or. Le vieux style du Dr Herzl : Vers un pays juif, « si vous le voulez, œla deviendra une réalité », a pu, dans le souffle de feu de la réalité nouvelle, neuf et révolutiondevenir ainsi dialectiquement bien sûr naire. Tchemerisky et Merejine étaient prêts à se jeter dans la bataille, et à brandir ces vieux mots d’ordre transmutés. Ils étaient prêts à mobiliser les masses pour une grande action politique. Très rapidement pourtant ils durent se rendre compte
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que l’affaire était moins simple qu’ils ne l’avaient imaginé, dans
leur ferveur révolutionnaire. Au début de 1928, la critique, en Union soviétique, n’était pas encore considérée comme crime d'État. Le secrétaire général du Parti ne se faisait encore appeler ni « guide génial », ni « père des peuples ». On n’en était qu’aux fondements du staünisme. Il est vrai que quelques mois auparavant, en déœmbre 1927, le XV° Congrès du Parti procéda à la liquidation de dirigeants aussi prestigieux, aussi légendaires que Trotski, Zincviev, Kamenev, Preobrajenski, Radek et plusieurs autres. La « liqui— dation » ne fut pourtant que politique, ne recourant qu’à l’exclusion du Parti, œ qui, en principe, laissait ouverte l’éven— tualité d’un retour au bercail. Cependant, si le fait de se prononœr contre une décision obligatoire du Parti ou de l’État n’était encore qu’une faute, mais non un délit ou un crime, œtte faute pouvait déjà être source d’ennuis ou même de danger. La critique, sans être interdite, comportait déjà un œrtain risque, lequel, a son tour, exigeait du courage civique et politique, vertus que l’on pouvait difficilement attendre des « nouveaux communistes », anciens dirigeants et militants des partis ouvriers juifs. Or, l’opinion publique juive, toute l’opinion publique juive de l’Union soviétique fut profondément ébranlée par le projet inattendu et imprévu du Birobidjan et par l’appel « Vers un pays juif ». Une hostilité de plus en plus affirmée, commença à se manifester tant dans les milieux des Sections juives que dans œux du oszmw. Le président du own, Yuri Larine s’en fit le porte—parole. Bien que n’appartenant pas à la génération des vieux bolche— viks, Yuri Larine ne fut pas, non plus, un « nouveau commu— niste ». Membre du Parti bolchevik encore avant la révolution, il représenta le Parti à la Première Conférenœ panrusse des Soviets, en avril 1917. Eœnomiste et publiciste de renom en Union soviétique, Larine publia au début de 1929, dans la revue russe Sur le front agraire, un grand article intitulé « La situation et les perspectives de l’agriculture juive en U.R.S.S. ». Dans œt article Larine reprocha aux dirigeants juifs d’avoir adhéré au projet de Birobidjan, non après une exploration sérieuse de la région, mais parœ qu’ils « couraient » à tout prix après « un grand territoire ». « Nous avons là, écrivait Larine, une sorte de
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sionisme où le Birobidjan a remplacé la Palestine. » Il poursui— vait : « Le vacarme malsain soulevé autour du Birobidjan est inversement proportionnel à l’importanœ réelle de la région pour les masses laborieuses juives. L‘affaire Birobidjan a été considérée par œrtains, non comme un problème économique, mais uniquement comme un problème national. C’est là une espèœ de répétition, dans des conditions soviétiques, de l’af— faire Ouganda 2. »
Les critiques formulées à l’encontre du « projet Birobidjan », touchaient avant tout à l’éloignement de la région, à son climat rude et à son état fruste et primitif. La colonisation juive en Russie avait une tradition bien établie depuis un siècle : elle se déplaçait vers le Sud, et y prenait racine, mais jamais vers l'Est. La seule tentative, faite en 1835, d’implanter des Juifs en Sibérie, s’était soldée par un échec complet. Par ailleurs, la colonisation juive se situait toujours à proxi— mité des grands œntres juifs de la Russie impériale en Ukraine, en Biélorussie, en Lituanie, Volynie et Bessarabie. Le paysan juif ne s’éloignait pas trop des grandes agglomérations juives qui lui servaient d’appui moral. La région du Birobidjan, par contre, se trouvait à dix mille kilomètres des vieux centres juifs, dans une région absolument étrangère et totalement inconnue, à la fois sur le plan géographique et du point de vue historique. On redoutait la rudesse d’un climat dont on n’avait pas l’habitude. Plus encore, l’état primitif de la région effrayait : taïga sauvage, forêts vierges et marécages. La colonisation d’une telle région présentait de très grandes difficultés, même pour des cultivateurs expérimentés, des paysans de père en fils, et à plus forte raison pour des Juifs venant des villes et bourgades et qui avaient encore a apprendre les rudiments de l’agriculture. Les défauts du « projet extrême—oriental » mettaient davan— tage encore en valeur les qualités du « projet criméen ». Là, tout était connu et à portée de la main. On n’était pas obligé, comme au Birobidjan, de tout recommenœr depuis le début. La nouvelle colonisation pouvait prendre appui sur l’agriculture juive criméenne dont la population dépassait 50000 âmes. C’était un hinterland de toute première importanœ.
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Il n’en était pas moins vrai que le « projet criméen » présentait également des défauts. Il manquait ici, précisément, œ « grand territoire » pour accueillir un demi—million de colons, œ « massif ininterrompu », immédiatement disponible comme œlui de l’Extrême-Orient. La colonisation juive sur les terrains du « projet criméen » ne pouvait être que polycentrique, éparpiüée dans différentes parties de la presqu’île et le long des rivages de la mer d’Azov et de la mer Noire. Cela voulait dire, néœssaiœment, une colonisation sans compacité, sans conti— nuité, sans unité territoriale. Il n’était pas facile de prévoir quand et comment œtte multiplicité de modestes colonies agricoles juives pourrait être transformée non en une série de Districts nationaux juifs épars mais en une importante conœntration territoriale majoritaire, possédant un minimum de continuité et susceptible de devenir la base d’une république juive. Et enfin, il était encore plus difficile de prévoir comment la ville de Kertch, prévue comme capitale du « projet criméen », œtte ancienne cité historique située sur la ligne de partage même entre la mer d‘Azov et la mer Noire, avec une population qui comptait à l’époque 35000 habitants, tous non juifs, comment œtte importante ville non juive serait transformée en capitale de la République Juive de Crimée. On paraissait oublier, de surcroît, un autre problème et non des moindres. L’entité nationale juive en Crimée devait être formée dans les frontières d’une autre entité nationale, déjà existante la République autonome de Crimée. Mais la population de œtte République autonome, en majorité compo— sée de Tatares, n’était nullement enthousiaste à l’idée d’accueil— lir sur son territoire national une autre entité étatique. Il s’avéra donc que le partage devait être fait sans même que l’on demandât l’avis des ayants droit. Tous œs défauts, œpendant, conœmaient non les problèmes propres à la colonisation, mais le proœssus de la future formation de l’entité étatique nationale juive. A quoi tous les partisans du « projet criméen » répondirent unanimement qu’en Union soviétique, pays de l’amitié et de la collaboration fraternelle entre tous les peuples soviétiques, il était impossible, et proprement inconœvable qu’un différend inter—territorial quelconque pût surgir et provoquer un conflit, sauf malentendu qui serait aussitôt dissipé et fraternellement résolu. En tout cas,
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la supériorité du « projet criméen » sur le « projet extrême— oriental » paraissait d’une évidenœ telle que Yuri Latine avait écrit : « Ce sont quelques antisémites siégeant dans les plus hautes instances qui nous ont refilé le Birobidjan, pour nous faire une blague antisémite 3. » L’hostüité sourde envers le Birobidjan, dès le début, et par la suite, l’opposition catégorique, ouverte ou dissimulée, jouèrent un rôle décisif quant au sort du « projet extrême—oriental ». Le reproche fait par Larine aux dirigeants juifs d’avoir « couru » après « un grand territoire » n’est ni légitime ni justifié. Il serait plus équitable et plus près de la vérité d’affirmer que, non seulement les dirigeants juifs n’avaient pas « couru » après le Birobidjan, mais que, bien au contraire, c’était le « projet extrême—oriental » qui « courait après eux » et leur fut imposé par le Parti. Par ailleurs, les deux dirigeants qui avaient incarné l’acœpta— tion juive du « projet extrême—oriental », Alexandre Tcheme— risky, secrétaire du bureau central des Sections juives et Abraham Merejine, directeur de fait du com, devaient être, plus tard, accusés, tous les deux, non seulement d’avoir été des ennemis dissimulés du projet Birobidjan, mais encore de l’avoir sciemment saboté. Paradoxalement, le ministère public les mit dans le même sac que l’adversaire déclaré du Birobidjan, Yuri Larine. A œ sujet, Litvakov écrivait, en 1937 : « Personne n’ignore le combat mené par le défunt camarade Larine, ainsi que par Tchemerisky et Merejine, contre le Birobidjan, consi— déré comme région de colonisation juive, avec la perspective d’être transforrué en Unité nationale et étatique juive ‘. » Un détail caractéristique et combien tragique : Larine eut « la chanœ » de mourir jeune, en 1932, de mort naturelle. Il lui restait donc attribué, à tout jamais, le titre glorieux de « cama— rade ». Quant à Tchemerisky et Merejine, déchus de œ titre, ils devenaient, sous peu, « ennemis du peuple », avec les consé— quenœs immédiates que œ qualificatif impliquait à l’épo—
ue. q Dès janvier 1928, l’appel de Merejine et l’article de Tchemerisky, « Vers un pays juif », posèrent avec une acuité particu— lière devant les organisations juives de l’U.R.S.S., c’est—à—dire devant les Sections juives et le onzarm, la question de la plaœ qui devait être attribuée au Birobidjan dans la politique
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d'ensemble de la colonisation juive en U.R.S.S. Il fallait d’urgenœ fixer les mots d’ordre sous lesquels la réalisation du « projet extrême—oriental » allait être lancée. Un mois auparavant, à la session plénière du onzerm, la question avait encore été soulevée par l’un des dirigeants en vue du onzaan, membre de la rédaction du journal Tribuna, Abraham Braguiue, connu pour son courage civique et sa témérité (il était l’exœption qui confirmait la règle). Une de ses interventions s’est acquis une notoriété spéciale. « Sons quels mots d’ordre la masse ira-t—elle en Extrême-Orient ?, demandat—il aux dirigeants du onzerm. Sous les mots d’ordre d’assimilation prêchés par Fronmkiue aux conférenœs des Sections juives? Sons de tels mots d’ordre vous ne mènerez pas les masses juives. C’est à peine quelques dizaines de malheureux que vous réussirez à ramasser » En réponse à œtte question et à plusieurs autres du même ordre — on vit surgir les slogans « Vers un pays juif » et « Si vous le voulez, œla deviendra réalité », de style herzlien. Pourtant ces mots d’ordre « forts et à coloration nationale », comme on les appelait, provoquèrent immédiatement une tempête de protestations. L’attaque fut double. Les adeptes du « projet criméen » ne voulurent à aucun prix permettre la désignation définitive du Birobidjan comme « pays juif ». D’autre part, et surtout, les revizors en matière de ligne politique eurent vite fait de détecter dans œ mot d’ordre une déviation nationaliste des plus dangereuses, un désaveu des principes les plus évidents des Sections juives. La bataille s’engagea acharnée et opirriâtre. En janvier 1929, un an après la parution de l’article « Vers un pays juif », Merejine, à la seconde séanœ plénière du GEZERD, continua encore à défendre sa position contre tous œux (« et œs derniers temps ils deviennent de plus en plus nombreux ») qui « seraient tentés de faire disparaître œ mot d’ordre ou de ne point le proclamer ». Dans son argumentation, Merejine s’appuya sur l’expérienœ du premier semestre de la catastrophique en vérité colonisation extrême—orientale. Avec les tout premiers immi— grants, une promotion entière de l’école juive d’agriculture de Minsk arriva au Birobidjan et y créa la commune de jeunes
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« Ikor ». La commune ne s’est pas effondrée dans la confusion générale et tous les jeunes sont restés sur place. Merejine en tira la conclusion suivante : « Mais aurions-nous eu au Birobidjan une telle commune sans le mot d’ordre “ Vers un pays juif ” ? Une promotion entière de l’École juive d’agriculture se serait—elle rendue en ExtrêmeOrient? J’en doute fort. Je ne suis pas sûr non plus que plusieurs dirigeants de qualifications diverses, dont nous avons un besoin impérieux, seraient venus là-bas sans le mot d’ordre “ Vers un pays juif ”, ni que, sans lui, le nombre de colons actuellement sur place s’y serait maintenu. Or, camarades, si l’expérience nous montre pour finir, que ce mot d’ordre aide la construction socialiste, aide à maîtriser ce grand et difficile territoire, aide à ne devons-nous pas le considérer bâtir notre patrie socialiste comme un stimulant révolutionnaire, s’adressant à tout ce qui est jeune et courageux et non à ce qui est rétrograde et conservateur, un mot d’ordre qui en appelle non aux préjugés nationaux, non au passé depuis longtemps révolu, non aux aîeux et aux tombes, mais, au contraire, s’en détourne et appelle à un nouvel avenir, à l’avenir socialiste ? La réponse ne peut être que positive et c’est pourquoi nous n’avons aucune raison désormais de supprimer le mot d’ordre ou de le dissimuler". »
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L’intérêt de cette citation est double. Elle montre, tout d’abord, que les dirigeants des organisations juives avaient été pleinement conscients de la nécessité d’une grande mobilisation d’énergie nationale, seule capable de vaincre les énormes difficultés inhérentes au projet extrême—oriental. Par ailleurs, ce texte nous donne un exemple de cette fameuse « alchimie dialectique » qui, d’un tour de main, devait transformer le mot d’ordre classique du sionisme « Vers un pays juif » en un mot d’ordre anti-sioniste dirigé contre les « préjugés nationaux », « contre le passé depuis longtemps révolu », contre les aîeux et même contre leurs tombes... Son analyse générale amena Merejine aux conclusions organisationnelles suivantes : « nous ne devons pas considérer le Birobidjan simplement comme un nouveau district de notre activité. Nous ne devons pas traiter le Birobidjan comme nous traitons, par exemple, les
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districts de Krivorog ou de Zaporojé. Ce serait une absurdité, une approche purement économique, marchande, mais non politique. Ce serait aussi une approche de gens qui s’en tiennent à la lettre des résolutions et ont peur de prononcer l’indispensa— ble parole de courage 7. »
Il est difficile de savoir à quelle « indispensable parole de courage » l’ancien dirigeant du Bund, spécialiste de la lutte contre le sionisme, faisait allusion. Ce qui est sûr, par contre, c’est que sa séance « d’alchimie dialectique » s’acheva par un échec éclatant. Le mot d’ordre « Vers un pays juif » fut retiré. Le Birobidjan devint, précisément, « un nouveau district », un de plus, dans l’activité du onzerm. Ce fut, de toute évidence, une absurdité, sans la moindre « approche politique », mais, de toute évidence, la grande majorité des Sections juives et des dirigeants du onzrmo n’avaient pas voulu ou pu accepter une solution qui se serait inscrite en faux contre leur credo intime et aurait désavoué tout leur passé politique. Ils refusèrent donc la grande politique mais acceptèrent, à la rigueur, une politique a la petite semaine. Ce fut Tchemerîsky lui—même qui résuma ainsi, en décembre 1928, à la conférence du cazsno d’Ukraine, le programme d’activité du cszsrm : « Ainsi donc s’établissent comme suit les principales régions de notre activité : l) Le Birobidjan ; 2) L’Ukraine méridionale, avec les régions sablonneuses près du Dniepr; la Crimée, les rivages de la mer Noire et les terres alluviales de la mer d’Azov, au cas où la décision serait prise d’y entreprendre les travaux nécessaires l’importance d’une telle région méridionale est compréhensible pour nous tous; 3) La Biélorussie 8. »
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La réflexion sur « l’importance d’une telle région méridio— nale » qui serait « compréhensible pour nous tous » semble singulièrement éloquente. Entre les adeptes du « projet criméen » et les partisans du Birobidjan (sincèrement convaincus ou seulement par discipline), s’ouvrit une compétition pour l’essentiel silencieuse et dissimulée, mais parfois ouverte et âpre. On se battait pour des budgets plus substantiels, pOur des initiatives plus importantes, pour des réalisations plus frappantes, plus spectaculaires. Après
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la création, en 1927, du premier District national juif en Ukraine
le district de Kahnindorf, en l’honneur de Kalinine — fut —inauguré, en 1929, le deuxième District national juif, celui de
Nei-Zlatopol et, une année plus tard, en 1930, le troisième, le District de Stalindorf, ces deux derniers également en Ukraine. En même temps des préparations étaient en cours pour la création d’un quatrième District national juif, le District de Freidorf, en Crimée déjà. Quelques années plus tard, Simon Dimanstein a pu écrire : « Les premiers pas sérieux menant à la formation d’une entité nationale étatique juive avaient été franchis au moment de la création des Districts nationaux juifs en Ukraine et en Crimée. Des Districts nationaux constituaient un grand événement dans la vie des masses juives et ils leur montrèrent notre voie dans la solution de leurs besoins spécifiques sur le plan de l’écono— mie, de la culture et également sur le plan de l’établissement national en tant qu’État 9. »
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Dimanstein oublia d’ajouter que le plan « d’établissement national en tant qu’État » menait, à l’époque, directement au « projet criméen ». Quant au « projet extrême-oriental », il ne pouvait encore se vanter de réalisations sensationnclles. Les seuls succès y furent remportés sur « le front idéologique ». Le retrait du mot d’ordre « Vers un pays juif » mettait le point final à toute une doctrine. Cette doctrine fut définie par l’un des dirigeants les plus en vue du 682830 d’Ukraine, J. Kantor : « Il est de la plus haute importance et d'une urgence extrême de s’opposer catégoriquement à ces tendances qui essaient d’implanter dans l’activité du GEZERD toute la confusion, toute l’idéologie réactionnaire de l’ancien territorialisme et du palesti— nisme. Il existe parmi la population juive des groupes qui entendent confondre résultat et but et qui désirent transformer toute l’activité du onzem en un problème de création d’État juif. Une telle attitude est au fond nationaliste et réactionnaire, susceptible par conséquent de provoquer les résultats les plus catastrophiques. N’avoir en vue que des idées nationales abs— traites signifie au lieu de nous en tenir à notre but attribuer à toute notre activité une communiste clair et net
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finalité sioniste et nationaliste. Et c’est pourquoi, il est néœs— saire avec la plus grande fermeté de combattre les débris des anciennes idéologies réactionnaires et nationalistes juives, toutes les tentatives de conduire les davaux de colonisation juive sous le signe de œtte “ grande politique ” '°. » Or, s’opposer à la « Grande politique », signifia qu’on le voulût ou non, être partisan d’une politique àla petite semaine. La réalisation du « projet extrême—oriental » fut effectuée sous le signe de la politique au jour le jour, sans élan, sans imagination et sans âme. « Colonisation massive du district avec des travailleurs juifs », stipulait la résolution du mnt. Mais, au fait, avec quels travailleurs juifs ? Depuis l’élaboration, en 1924, du plan de colonisation agricole de cinq cent mille Juifs, l’Union soviétique avait subi un profond bouleversement économique. La période de reconstruction de l’économie soviétique était virtuellement terminée et le pays était entré dans l’époque de l’intense industfiafisafion et des plans quinquennaux. Déjà à la fin de la période de reconstruction, une partie importante de la population juive avait pénétré dans l’industrie. Au recensement de décembre 1926, le nombre d’ouvriers juifs s’élevait à 153000 soit à près de 15 % de la population active juive dont plus de la moitié avait moins de vingt—cinq ans. En même temps se dessinait, de plus en plus nettement, d’après les données relevées par l’économiste juif soviétique L. Singer, un processus de passage de l’industrie légère (les professions traditionnelles juives, telles que l’habillement, la cordonnerie, etc.) à l’indus— trie lourde (la métallurgie, les chemins de fer, etc.). Ce processus s’intensifiaît d’année en année. Devenir prolétaire, pour un jeune, surtout avec des qualifications professionnelles supérieures était socialement plus honorifique et offrait des possibilités et des perspectives plus avantageuses que s’installer sur la terre. Or, le projet extrême—oriental, avec son pragmatisme borné, se trouvait enfermé dans le cadre déjà périmé d’agrarisation, de producüvisation et de réhabilitation sociale. Il s’ensuivit un fait paradoxal : l’appel « aux travailleurs juifs » pour « une colonisation massive de la région du Birobidjan » s’adressait en réalité, principalement sinon exclusivement, aux « non—travail-
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leurs juifs », a tous ceux qui, éliminés des proœssus économi— ques, n’avaient pas la possibilité ou le désir de s’y réintégrer. Autrement dit, l’appel visait en fait la couche sociale des anciens commerçants, membres du clergé, Lufmremchen et artisans à peine qualifiés, tous ceux que Moshé Litvakov désigna du vocable de « débris déclassés de la bourgade ». Ce sont ces « débris déclassés de la bourgade » qui devaient poser les fondements de l’avant-poste socialiste de l’ExtrèmeOrient soviétique et de l’État juif du Birobidjan.
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Cartman VIII
Les premiers pas « Un territoire vaste, libre, fertile, situé a la frontière même de l’État, aucune autre nationalité, en dehors de la nationalité juive, ne prétend le revendiquer. » C’est en œs termes que « le staroste pansoviétique » Mikhaïl Kalinine présenta le Birobid— jan, en ajoutant: « A propos, quelles richesses n’y a—t-il pas dans cette région, en commençant par l’or, le fer, le
charbon ? »
Dans la décision du présidium du vrsnt de l’U.R.S.S., du 28 mars 1928, qui a « réservé » le district de Birobidjan à la colonisation juive, les frontières précises du district ne furent pas indiquées. La raison en était des plus simples : ces frontières, à l’époque, n'existaient pas encore. Elles devaient étre déterminées d’un commun accord, entre l’administration locale de la région extrême—orientale, d’une part, et le conan, de l’autre. Le Birobidjan est situé dans la partie méridionale de l’Méme—Orîent soviétique et s'étend sur 646 km le long de la rive gauche du fleuve Amour qui constitue la frontière avec la Chine. Le Birobidjan est limité, au nord—est, par la chaine de montagnes de Khingan (« le Petit Khingan ») et par le fleuve Khingan; au nord, par les montagnes Bourei et les fleuves Ourmi et Toungouska; à l’est il s’étend jusqu’aux abords de Khabarovsk; au sud et sud—est jusqu’ au fleuve Amour. La superficie du Birobidjan qui avait été estimée en été 1927, par l’expédition du como, à 25000 km2, fut, en juin 1929,fixée à 31350 km2, par accord entre le Présidium du Comité exécutif
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de la région extrême—orientale et le com. Par la suite, la superficie fut augmentée à deux reprises : en 1935, elle fut portée à 36492 km2 et, en 1939, à 36816 km2 (c’est-à—dire, 6000 km2 environ de plus que la Belgique et 2000 km2 de plus que la Hollande). Toute la région est traversée, dans sa partie septentrionale, par le transsibérien, de l’ouest (station frontière : Obloutchié) vers l’est, jusqu’à Khabarovsk. Le nord—est et le nord du Birobidjan constituent un pays de montagne, d’altitude moyenne (500 à 1200 rn), pour la plupart couvert de forêts vierges (taîga) et très largement pourvu en richesses naturelles: or, fer, cuivre, charbon, mercure, gra— phite, marbre et plusieurs espèces de pierres précieuses. Le sud— est et tout le sud de la région, jusqu’au fleuve Amour, est un pays de plaines avec, de temps en temps, des hauteurs isolées (sopki). Les ressources hydrauliques du Birobidjan sont importantes : 200 fleuves dont la Bira (320 km) et le Bidjan (180 km), sans parler du puissant fleuve Amour. La longueur générale des voies d’eau dépasse 3500 km. La région possède également plusieurs laes. Aussi bien les fleuves que les laes sont très riches en poisson. Le climat est sain, avec un été chaud, mais non torride (température moyenne en juillet : + 21,6 °C) et un hiver sec et ensoleillé (température moyenne en janvier :- 21,4 °C). Les mois de juin, juillet, août et septembre sont très pluvieux. La flore du Birobidjan est d’une richesse et d’une variété extraordinaires. Les immenses massifs forestiers abondent en cèdres, chênes, sapins, bouleaux, tilleuls, etc., en fruits sauvages et noix. Le sol, tant dans les plaines que dans certaines parties montagneuses est fertile en blé, avoine, riz, soja, pommes de terre et en légumes les plus divers. Cet espace plus vaste que la Belgique, plus vaste que les Pays—Bas —, n’était peuplé en 1928, à la veille de l’immigration juive, que de 27000 âmes. La grande majorité de cette population était composée de cosaques transbaîkaliens qui s’y étaient fixés, ou, plus exactement, qui y avaient été amenés de force par l’administration tsariste, au XVII” siècle. Ils s’adon— naient à l’agriculture et habitaient des villages très isolés et largement dispersés le long du fleuve Amour. Le long du même
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fleuve se trouvait également un certain nombre de villages coréens. Au début du xx" siècle, avec la construction du chemin de fer transsibérien, surgirent des deux côtés de cette voie quelques bourgades et hameaux habités par les cheminots et leurs familles. Enfin, tout au nord demeuraient des tribus indigènes des Toungouss, des Yakoutes, etc., qui vivaient de la chasse et de la pèche. Outre ces rares endroits habités, la région n’était qu’un immense désert. Villages, bourgades et hameaux n’étaient reliés ni par routes ni par sentiers, sans parler de lignes téléphoniques. A perte de vue s’étendaient forêts et terres vierges, et des marais sans fin. L’expédition du connu qui avait exploré la région en été 1927 et donné un avis favorable à la colonisation juive, nota dans son rapport la nécessité d’entreprendre immédiatement une série de travaux pour l’amélioration du sol. Avec plus d’insistance encore et plus de détails, une seconde expédition organisée par la société américaine mon revint sur ce problème. mon (« Iddishe Kolonizacie in Ratnfarband ») fut créée à New York, en décembre 1924, et devint rapidement une grande organisation de masse. L’objectif de l’ik0R fut de fournir une aide effective à la colonisation des Juifs soviétiques, essentielle— ment par l’envoi aux colons de machines agricoles, de tracteurs, de camions et de technologie diverse. Après la résolution du mn: du 28 mars 1928 et la désignation du Birobidjan comme région de colonisation juive (avec la perspective d’étre transformée en Unité administrative nationale juive), l’rxon, dans un télégramme enthousiaste, avisa Moscou que, désormais, toute son activité et toute son aide seraient consacrées exclusivement au Birobidjan. Au printemps 1929, l’1xoa envoya en Union soviétique « une commission spéciale de savants et spécialistes américains», ayant pour objet « premièrement, d’établir définitivement les possibilités du Birobidjan et, deuxièmement, étudier les voies et moyens par lesquels l’rxon pourrait le mieux aider la colonisa— tion au cas où il s’avérerait que le territoire possédait pour celleci les qualités nécessaires2 ». La commission d’experts, présidée par le Pr Franklin S. Har— ris, agronome, et avec la participation du Pr Charles Kuntz, sociologue, arriva au Birobidjan fin juillet 1929 et y resta
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jusqu‘au milieu de septembre. A son retour à New York, elle publia un rapport en yiddish, anglais et russe. Le rapport fit un bilan de tous les avantages de la région ainsi que de tous ses l’état sauvage de la nature, les marais, inconvénients, tels les insectes (gnouss ), l’absence de routes, etc. La conclusion générale fut positive, mais en quelque sorte conditionnelle. Les experts de l’ik0n soulignèrent que le succès de la colonisation juive au Birobidjan dépendait d’une condition essentielle préa— lable : des travaux préparatoires immédiats dans trois domaines : l’amélioration du sol, l’aménagement de routes et la construction de maisons d’habitation pour les premiers immi—
que
grants.
D’ailleurs, en Union soviétique et précisément parmi les adeptes du « projet extreme—oriental », des voix s’élevaient de plus en plus contre la précipitation qui risquait de s’avérer dangereuse et pour la préparation sérieuse de l’immigration, encore sur les lieux de départ, notamment pour ce qui concer— nait le choix des immigrants. Toutes ces voix restèrent sans écho. Aucun conseil, aucune recommandation ni de l’expédition du comm ni des experts de l’rxoa ne furent pris en considération. La colonisation du Birobidjan commença dans une totale improvisation, dans une absence complète de prépa— ration. Le publiciste soviétique M. Kadichevitch a essayé d’en imputer la responsabilité aux conditions de l’époque.
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« Le gouvernement soviétique, écrit-il, n’a pas pu à l’époque, à la veille du premier plan quinquennal, investir dans la construction socialiste de l’Extrême-Orîent, y compris le Biro— bidjan, les mêmes immenses moyens matériels et financiers qu’il peut se permettre actuellement. L’immigration intérieure, en général, ignorait à l’époque la préparation préalable du sol, avant l’arrivée des immigrants. Cette immigration suivait dans une large mesure les voies traditionnelles sclérosées d’avant la révolution. Elle s’orientait encore dans une certaine mesure sur l’initiative privée de l’immigrant plus aisé ‘. »
Cette explication est infiniment peu convaincante. La prépa— ration d’un minimum d’infrastructure n’exigeait pas « d’im— menses moyens financiers » et à plus forte raison, ne pouvait—on attendre ou même espérer des « débris déclassés de la bour—
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gade » une quelconque « initiative privée due à un immigrant aisé ». Il est permis de supposer que la raison essentielle de la précipitation et de l’absence totale de toute préparation de l’immigration résidait ailleurs; elle résidait dans le facteur « temps », décisif. Les travaux préparatoires les plus modestes en matière d’assèchement des marais ou l’aménagement des routes à travers des forêts vierges nécessitaient du temps, des mois, sinon des années. Or, la tâche de peupler la région et il ne faut pas oublier que le projet de colonisation portait sur un demi—million d’âmes s’était imposée au gouvernement avec une urgence et une priorité absolues. On manquait de temps pour effectuer les préparatifs, même les plus élémentaires. On n’avait pas le droit de perdre un jour, une heure et, en effet, on ne perdit pas une seconde. Fin avril 1928, juste un mois après la décision du 28 mars, descendait dans une petite station du transsibérîen, une station la future perdue et isolée du monde, dénommée Tikhonkaïa ville de Birobidjan le premier groupe de colons, venus de Kazan. Ce voyage de dix mille kilomètres, en chemin de fer, dura à l’époque quatre semaines entières. On en déduira sans peine, et sans grand risque de se tromper, que non seulement la propagande, mais également l’organisation (ou plutôt, l’inorga— nisation) de l’immigration avaient commencé, tout au moins dans certaines localités, avant même la décision officielle du gouvernement au sujet du Birobidjan. Qui étaient, ou, plus précisément, qui devaient être, qui étaient censés être ces premiers colons ? Les principes de choix, de sélection se trouvent énoncés dans un règlement rapporté par le dirigeant du cazarm ukrainien, J. Kantor.
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« Un groupement de colons, écrivit Kantor, peut comprendre des anciens villageois, paysans ou non, des artisans, des anciens négociants, des Luflmenschen, etc. Le meilleur élément est le villageois, le travailleur besogneux, l’ouvrier non qualifié, le chanetier, le tailleur de confection, l’artisan en général. Quant aux négociants, bien qu’ils ne constituent pas, en tant que futurs agriculteurs, un élément de premier ordre, il importe cependant, du point de vue politique et économique, de reclasser précisément ce négociant et ce Lafimensch dans une
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activité productive. Voilà pourquoi le négociant doit être largement associé à l’œuvre de colonisation. Par contre, les ouvriers qualifiés ne sont pas des éléments souhaitables pour l’immigration5. »
Ce règlement qui avait été établi pour la colonisation agricole en général, en Ukraine, en Crimée, etc., fut mécaniquement appliqué, tout au moins pendant les premières années, également au Birobidjan. Le sens de l'interdit prononcé contre « l’ouvrier qualifié » paraissait être double: d’une part, un « ouvrier qualifié » était considéré comme un être touché par la grâce de la rédemption sociale et lavé de toutes les tares ;d’autre part, le mouvement de productivisation était, en fait, synonyme d’agrarisation et tous les projets de concentration territoriale aussi bien le « projet criméen » qu’ « extrême—oriental » reposaient sur l’hypothèse essentielle d’une nombreuse paysan— nerie juive. Or, la doctrine politique des Sections juives considérait l’agrarisation d’un « ouvrier qualifié », c’est—à—dire, d’un prolétaire authentique comme un péché social grave, quasi contre-révolutionnaire. A la Conférence pansoviétique des Sections juives, en décembre 1928, Esther Froumkine déclara catégoriquement : « L’agrarisation n’est vraiment révolution— naire que lorsqu’elle touche des éléments éliminés de la production; quant à ceux qui ont leur place dans l’industrie, ou qui peuvent y accéder, leur agrarisation serait un pas en arrière, une dégradation". » Ainsi fut éloigné et écarté de l‘édification du Birobidjan futur État juif comme « élément non souhaitable », le prolétariat juif, c’est-à—dire la seule forœ sociale, précisément, qui eût été potentiellement en mesure de l’édifier. Encore plus étrange, voire insolite, fut le problème de la jeunesse. J. Kantor écrivait :
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« Une partie de la jeunesse fait preuve d’une ferme détermination de passer à l’agriculture. Dans la mesure où cette jeunesse entraîne avec elle ses parents et généralement leurs familles, et s’installe ensemble avec eux sur la terre, le fait est très positif et doit être approuvé. Il existe pourtant de nombreux groupes de jeunes qui désirent se fixer sur une terre mais sans famille, seuls. Ce désir, bien que naturel et justifié, est cependant irréalisable. On avait essayé d’organiser les jeunes en
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communes. Ces essais, en règle générale, ont échoué... Et c'est pourquoi il est raisonnable de s'abstenir à l’avenir de fonder des communes de jeunes. Il convient de se prononcer d’une manière plus catégorique encore contre la fondation de jeunes familles et collectivités ou de sociétés d’immigrants. Il est sévèrement défendu d’accueillir de telles familles sur les fonds domaniaux 7. » Encore une fois, ces règlements n’avaient pas été élaborés spécialement pour l’émigration extrême—orientale, mais ils n’en régissaient pas moins cette émigration durant les premières années, avec quelques exceptions qui, comme toujours, confirmaient la règle. Le fait incroyable qu’il ait pu exister de « sévères défenses » contre des collectivités de jeunes et même contre des familles de jeunes apparaît sous un jour tragique et appelle une comparaison avec l’œuvre de colonisation juive en Palestine. Non seulement le prolétaire juif fut déclaré « élément indésirable » dans la mise en valeur de la région qui devait voir naître un État juif soviétique, mais également la jeunesse juive, source de foi, d’enthousiasme et de pérennité nationale, en fut officiellement écartée. Les premiers groupes de colons partirent vers le Birobidjan au printemps, en avril-mai 1928, immédiatement après (et certains même avant, comme on l’a vu) la décision gouvernementale du 28 mars. Selon la version officielle, on espérait ainsi arriver avant les pluies d’été, lever la terre vierge, et peut—être encore labourer et semer. Les partants furent accompagnés en grande pompe : avec des meetings et des cadeaux, des orchestres dans les gares, des drapeaux rouges et, naturellement, avec des discours-fleuves débordant d’enthousiasme. Ils atteignirent la station Tikhonkaîa au mois de juin. Le nombre des premiers immigrants avait été fixé à 600, il y en eut 631 (d’après certaines autres sources 654 ou méme 657), dont 312 d’Ukraine, 214 de Biélorussie et les autres de R.S.F.S.R. (République soviétique fédérative russe). Les pères de famille — environ trois quarts des émigrants avaient tous laissé femmes et enfants aux foyers. Le dernier groupe des colons de printemps arriva le 18 juin. Mais avant même qu’ils eussent foulé le sol birobidjanais, un reflux s’était amorcé. 68 personnes avaient déjà quitté le
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Birobidjan 58 pour rentrer dans leurs anciens foyers et 10 pour rejoindre diverses villes de l’Extréme-Orient. Ce ne fut pourtant qu’un commencement. Avant la fin de l’année, 50 % des immigrants et, avant le printemps 1929, 60 % quittèrent le Birobidjan 8. Sans la situation économique très difficile dans les bourgades et les villes de départ et n’eût été le manque de fonds pour couvrir les frais de retour, la proportion des défaillances eût été plus élevée encore. Très rapidement se manifesta un phénomène qui devint permanent. Plus les départs du Birobidjan augmentaient et plus diminuaient, parallèlement, les arrivées. Les premiers groupes arrivés au printemps 1928 avaient tous atteint ou même dépassé le nombre prévu d’immigrants. Ce fut la première et, hélas, la dernière fois. Jamais plus un tel exploit ne se répéta. Le plan pour l’automne 1928 avait prévu 400 immigrants. La moitié à peine arriva jusqu’à la fin novembre, dont une moitié encore repartit immédiatement. Le mois de décembre vit arriver encore 50 immigrants. A la fin de l’année, la population juive du Birobidjan s’éleva, en tout et pour tout, à 400 âmes. Tous les débuts sont difficiles, certes. Mais celui du Birobid— jan le fut tout particulièrement, pour diverses raisons et sur divers plans. A l’impréparation générale, à l’incompétence administrative vinrent s’ajouter d’atroces fléaux de la nature. Les premiers immigrants, une fois arrivés sous une pluie düuvienne àla station TikhonkaÏa, purent à peine en croire leurs yeux. On les amenait au bout du monde, c’était incontestable, mais là, rien, littéralement rien n’avait été préparé pour les reœvoir. La gare n’était pas une gare, mais une misérable masure. Quant à la localité même de Tikhonkaîa, aussi loin que le regard pouvait s’étendre, c’était une immense mer de boue dont émergeait une seule maison une baraque garnie de batflanc à deux étages. Malheureusement, cette baraque se trouvait occupée par de précédents immigrants, non juifs. Il ne restait qu’une seule solution : rentrer vite dans les mêmes voitures de chemin de fer où l’on avait passé les quatre semaines du voyage. On essaya de trouver refuge sous des tentes de toile, mais les violentes pluies en arrachèrent les piquets et les traînèrent comme des fétus. Lorsque les pluies cessèrent enfin et que le soleil se mit à briller, des sourires apparurent aux lèvres et les cœurs se
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remplirent d’espoir, mais c’est alors que se révéla toute l’éten— due du désastre. Les tracteurs promis avaient du retard et plus
encore les charrues promises. Quand les chevaux arrivèrent, il n’y avait pas de harnais, et quand on amena enfin les harnais ils étaient durs et impossibles à manier, surtout pour des mains inexpéfimentées. Lorsque, enfin, ruisselant de sueur, on finit de harnacher les chevaux, les chariots se révélèrent trop lourds pour ce sol boueux. L’irnprovisation, le chaos étaient incroyables. Les quelques centaines de colons furent répartis en huit groupes, dans huit districts dispersés, éloignés les uns des autres par des dizaines de kilomètres, sans aucune route entre eux, sans liaison téléphoni— que. Malgré tout, on se mit à l’ouvrage et peu a peu le travail commença, avec ardeur même, avec flamme, surtout chez les jeunes. On aménageait des routes, on levait la terre vierge, on déracinait des arbres centenaires, on coupait, on sciait, on préparait du bois de charpente pour bâtir des demeures. On organisa des collectifs d’agriculteurs, des coopératives d’arti— sans, on labourait, on semait, dans l’espoir de récolter. Et brusquement, vint un catàclysme, une terrible inondation sub— mergea et déracina tout. Pour comble de malheur, une épidé— mie, la célèbre « peste sibérienne », vint frapper les animaux au début de l’hiver et plus de la moitié des chevaux périrent. Lorsque la vague du reflux, ou plus exactement, le raz de marée du reflux commença à faiblir et qu’il ne resta sur place que 40 % des colons, on s’aperçut que cette vague avait emporté surtout des gens d’un certain âge, mal sélectionnés, mal préparés et souvent venus par hasard; il y eut parmi eux des mendiants professionnels et même des prostituées. Le noyau qui persévéra et tint bon comprenait surtout la jeunesse, cette même jeunesse contre laquelle le osznxo avait édicté de « sévères défenses », mais qui trouva le moyen d’aller au Birobidjan, « vers un pays juif » précisément et d’y créer des communes comme l’Ikor. Ce sont ces jeunes qui furent les pionniers de la région juive, les bâtisseurs de l’État juif soviétique. Le patriotisme birobidjanais allait chez eux de pair avec le patriotisme soviétique et le « patriotisme » komsomo— lien. C’est grâce à eux et grâce au mot d’ordre « Vers un pays juif » que le Birobidjan réussit à tenir tète à la première et la plus dangereuse tempête.
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Cela a d'ailleurs été reconnu par l'instance dirigeante du Parti en Extrême—Orient, le comité régional de Khabamvsk. Une resolution spéciale consacrée au Birobidjan souligna le rôle positif joué par « l’attitude active et positive d'une importante partie des immigrants au sujet de la réalisation de l’article n° 5 de la résolution du Présidium du vrsnc de l’U.R.S.S. concernant la création sur le territoire du Birobidjan d’une Unité nationale et administrative juive 9 ». Cette belle langue de bois du Comité régional de Khabamvsk, au sujet de « l’attitude active et positive » envers « la réalisation de l’article n° 5 » entendait rendre hommage, à sa manière, au mot d’ordre « Vers un pays juif », mot d’ordre qui fut néan— moins condamné bientôt pour nationalisme et disparut du jour au lendemain. Pour la seconde année du Birobidjan, c’est—è—dire pour 1929, la presse juive d’Union soviétique annonça un plan d’immigra— tion de 3 000 familles, soit de 15 000 âmes environ, dont 2500 familles pour l’agriculture. La planification soviétique est célèbre pour sa fantaisie débridée et son immense optimisme. Cette fois—ci cependant, dans œ plan d’immigration pour 1929, elle se dépassa elleméme. Au lieu des 3000 familles imaginées, 12000 à 15000 âmes, a peine 1000 immigrants arrivèrent au Birobidjan en 1929, dont un certain nombre étaient membres des premières familles « birobidjanaises » de 1928, hémîquement restées dans la région. En 1929, également, il y eut un reflux immédiat, d’une part vers les vieux foyers, d’autre part vers des villes d’Extréme— Orient, surtout a Khabarovsk et même à Sakhafine. Sur le millier d’arrivés, restèrent à peine 800. A la fin de l’année 1929, la population juive du Birobidjan s’éleva à peu près à 1200 per— sonnes. Pour 1930, les planificateurs durent sévèrement brider leur élan. Le plan établi fut des plus modestes. Il prévoyait, en tout et pour tout, 1700 immigrants (selon d’autres sources, 2000). Durant toute l’année, 1500 personnes arrivèrent dont une partie, à l’instar des années précédentes, prit irnmmédiatement le chemin du retour. A la fin de 1930, la population juive du Birobidjan était estimée à 2600 personnes (selon d’autres sources, à 3 000), sur une population générale qui, en ces
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quelques années, avait sensiblement augmenté et atteignait 37000 à 38Œ0 âmes. La communauté juive ne formait ainsi qu’entre 7 et 8 % dela population de la région. La composition sociale de la communauté juive s’établissaît comme suit : 2100 personnes occupées dans l’agriculture (1500 en kolkhoses et 600 en sovkhoses) et 500 personnes dans diverses coopératives artisanales et industrielles. Les résultats des trois premières années du Birobidjan s’avérèrent ainsi fort médiocres : une petite communauté, très dispersée, s’adonnant essentiellement à l’agriculture. Il eût été, certes, exagéré de parler d’un échec complet, surtout après les difficultés extraordinaires, en partie imprévisibles, des années du début. Mais on était infiniment loin d’un succès, malgré l’immense énergie déployée et les importants moyens matériels investis, tant par le gouvernement soviétique que par diverses organisations juives de l’étranger. D’après la version officielle, le « projet extrême—oriental » était une réussite complète. En 1929, le Présidium du Comité exécutif pansoviétique (vrsnt) désigna une commission gouver— nementale chargée d’examiner la situation de l’Extrême-Orîent soviétique. La commission visita le Birobidjan en août 1929 et nota dans son rapport :
« Les travaux de colonisation juive au Birobidjan laissent une impression extraordinaire... Malgré les conditions historiques et climatiques très difficiles de la région (marais, insectes, pluies diluviennes), la population s’y adapte. Toute l’expérience acquise au long des dernières années permet d’écarter catégoriquement le moindre doute sur la capacité des travailleurs juifs de maîtriser cette région ‘°. »
Ces affirmations présomptueuses découlaient, selon toute vraisemblance, de trois sources : premièrement, du classique optimisme officiel; deuxièmement, du fait que la colonisation juive avait apporté en Extrême-Orient une qualité nouvelle, moderne, de l’agriculture, avec tracteurs et autres machines agricoles; enfin, troisièmement, de l’état plutôt pitoyable des autres districts de l’Extréme—Orient, où la situation se trouvait être plus difficile encore qu’au Birobidjan. Cependant, l’optimisme de commande était impuissant à modifier l’essentiel : du point de vue-des intérêts supérieurs de
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l’État qui souhaitait le repeuplement rapide de la région —, l’expérience des trois années du Birobidjan se révéla un échec catastrophique. Si l’accroissement de la population juive devait se poursuivre sur le méme rythme de son, 900 ou même la!) âmes par an, il eût fallu tout un siècle pour atteindre œtte masse compacte de paysans juifs que Kalinine avait estimée au moins à une centaine de millions d’âmes, sans parler du projet précédent de colonisation d’un demi-million de Juifs. La réalité finit par s’imposer. Il devint évident que tout le problème de la colonisation juive du Birobidjan composition, volume, rythmes, méthodes devait être repensé à nouveau, réexaminé de fond en comble, et ce, de manière urgente. Mais cette urgence fut-elle ressentie par l’ensemble des organisations juives ou, plus précisément cette urgence fut-elle admise et acceptée ? C’était loin d’être sûr. Chez tous les dirigeants juifs, non seulement chez les adeptes déclarés du « projet criméen », mais également chez ceux qui, en membres disciplinés du Parti, se vouèrent corps et âme, avec les plus grands sacrifices, à l’œuvre du Birobidjan, « le projet extrême-oriental » n’avait jamais exclu « le projet criméen ». La résolution du cazaao, du 6 février 1928, qui s’était prononcée, pour la première fois, pour le projet du Birobidjan, prit soin de préciser, avec la plus grande clarté et d’un commun accord, ceci : « En même temps que sera menée l’activité opérationnelle au Birobidjan et que sera continuée l’exploration de la région, le cazaan devra poursuivre, avec la plus grande énergie, son travail dans les anciens centres d'immigration et de colonisation juifs (Crimée, Ukraine, Biélorussie) tâchant d’approfondir et d‘élargir ce travail. » Cette position fut reprise par Alexandre Tchemerisky à la conférence du oazam en Ukraine, en décembre 1928, et par la suite, par tous les dirigeants du cum, dans toutes les sessions plénières, locales ou pansoviétiques. Le 10 décembre 1930 fut inauguré à Moscou le deuxième congrès pansoviétique du onzeso. Dès l’inauguration deux bilans s‘opposèrent : « Le projet criméen », a savoir : trois districts nationaux juifs, un accroissement de la population agricole juive, en Crimée seulement, passée de 1000 familles environ, en 1926, à près de 3500 familles, en 1930, avec 15000 âmes. Le « projet extrême—oriental », a savoir : Le
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Birobidjan, avec, après trois ans de labeur acharné, une population d’à peine 2600 âmes. Après des discussions longues et passionnées, le congres décida de donner son appui, mais en quantités égales, à la fois à la Crimée et au Birobidjan. Ce principe égalitaire d’aide signifia en réalité la victoire la plus totale des adeptes du « projet criméen ». En effet, prétendre fournir la même aide et assis— tance à un organisme en plein épanouissement et à un grand malade qui respirait à peine ne pouvait signifier rien d’autre que condamner le moribond. Même les représentants du Birobidjan semblèrent avoir, de fait sinon officiellement, déposé les armes. Tout se passa comme si le Congrès, comme si le cazm tout entier qui à l’époque était devenu l’unique expression de la avait constaté, avec une société juive en Union soviétique profonde résignation, mais probablement sans trop de peine, que le « projet extrême—oriental » avait échoué définitivement et ne pouvait ni ne devait plus être pris en considération. Une confirmation indirecte de cette hypothèse fut fournie ultérieurement, en février 1936, à la quatrième séance plénière du oazam, par le rapport de son vice-président. Voici ce que révélait le rapport :
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« La première période (de la colonisation du Birobidjan) s’étala sur quatre ans, de 1928 à 1932. Ce fut une période de batailles achamées pour ou contre le Birobidjan, une période de lutte contre les déviationnistes de gauche et de droite dans nos rangs, contre les “ gauchistes ” qui avaient proclamé le mot d’ordre d’une région ou d’une république juive “ de mer à mer ”, à l’intérieur des frontières d’une autre république; contre les “ droitiers ” opportunistes qui n’avaient aucune foi, pour qui n’existait ni l’enthousiasme des masses, ni rien d’autre, mais qui ne voyaient que des difficultés, comme les insectes (le gnouss), le gel éternel, l’éloignement de la région, etc. Les gauchistes et les droitiers se sont donné la main, comme cela est arrivé plus d’une fois dans l’histoire de notre Parti, ils se sont déclarés ouvertement contre, ou bien, ils se sont mis à saboter le Birobidjan ". »
L’histoire des « déviationnistes de gauche » et des « opportu— nistes de droite » devait, bien entendu, être mise sur le compte du schéma, obligatoire à l’époque, de « lutte sur deux fronts ».
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Cependant, œ miroir déformant et caricatural au possible, ce jargon politique du bois le plus dur, permettait d'identifier une certaine réalité. L’ « aile gauche », avec son mot d'ordre d’une « république de mer a mer » c’étaient, naturellement, les adeptes du « plan criméen ». L’aile « droite », avec sa lâche appréhension devant c’étaient, de toute évidence, les adversaires « des difficultés » du « projet extréme—ofiental ». Mais que sont donc devenus les adeptes du Birobidjan ? Ils ne sont mentionnés nulle part, et semblent s’être évanouis dans la nature. Il n’est nullement exclu qu’au début des années 30, après le deuxième congrès pansovié— tique du amsn, les vrais adeptes birobidjanais n’existaient plus, à quelques rares exceptions près, dont, précisément, le vice—président du oazarm. Cet infortuné vice-président portait sur lui la terrible charge d’un héritage empoisonné, recueilli pourtant de ses propres géniteurs : il s’appelait Trotski. Aussi, afin de prouver, à tout instant, que lui personnellement ne fraya jamais ni avec les « déviationnistes gauchistes », ni avec les « droitiers opportu— nistes », afin d’éviter tout malentendu et toute erreur, afin de se dédouaner à tout prix et de se prémunir par les moyens les plus subtils, ce Trotski du cazaan termina son rapport par cette quadruple bénédiction laïque et statutaire : « Vive le grand guide des grandes victoires de notre grand pays vive le grand Staline! »
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Idéologie et réalité Lorsque la Région du Birobidjan avait été désignée comme lorsque le District de Birobidjan fut transformé en Région autonome, le gouveme— ment soviétique ne fit point mystère des objectifs stratégiques de ces opérations. Mikhail Kalinine s’en expliqua on ne peut plus clairement dans son célèbre entretien de mai 1934 : terre de colonisation juive et, plus tard,
« L’acte de transformer le Birobidjan en Région autonome juive, dit-il, caractérise suffisamment, par lui—même, l’attitude du gouvernement. Ne vous imaginez surtout pas que le gouver— nement et le Comité central avec le camarade Staline en tête avaient pris cette décision comme ça, à la légère, par hasard. Non, ce n’était pas un hasard. Ni hasard, ni aucun calcul spécial destiné à produire un effet extérieur. Le Comité central, réalisant sa politique nationale, a pris en considération seulement le côté pratique de la chose renforcer la Région et l’activer davantage '. »
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En termes fort simples, « le staroste pansoviétique » rappela un des principes essentiels de la doctrine soviétique : la prééminence absolue des intérêts d’État. Le Comité central, bien sûr, « réalise sa politique nationale », œla relève du domaine de l’idéologie, un domaine extrêmement respectable et très important. Mais en même temps, il prend en considération, lui, Comité central, « seulement » et c'est là le « seulement le côté pratique de la chose : point primordial
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renforœr la Région et l‘activer davantage ». Cela relève d’1m autre domaine, du domaine de la praxis, des intérêts stratégi—
ques, des intérêts supérieurs de l’Etat, bref, de la réalité politique. Même si les deux domaines se trouvent en parfaite harmonie, et tel fut le cas, en principe, dans l‘affaire du Birobidjan faire de la politique nationale par le biais de la stratégie et de la même alors, stratégie par le biais de la politique nationale l’accent est mis principalement sur « le côté pratique de la chose ». A plus forte raison lorsque l’harmonie s’avère impar— faite ou cède la place à une contradiction, la décision revient non à l’idéologie, non « au calcul spécial pour produire un effet extérieur », mais seulement et uniquement à l’intérêt d’État, tel qu’il est compris et interprété au moment donné, par une instance donnée, éventuellement par une personne donnée. Ce n'est pas l’idéologie qui influenœ la praxis, mais bien au contraire, c’est celle—ci qui influence et transforme constamment l’idéologie. Les Juifs soviétiques se voyaient attribuer un important secteur stratégique du pays, « un territoire vaste, libre, fertile, situé à la frontière de l’État ». Dans les conditions de l’époque cette attribu— la période de « l’encerclement capitaliste » tion fut une marque de grande confiance. Kalinine le souligna expressément : « Aucune autre nationalité, en dehors de la nationalité juive, ne prétend le revendiquer. Par ailleurs, les Juifs sont une nationalité soviétique très dévouée, ils l’ont mérité par leur passé. » Mais il ajouta aussitôt : « Les immigrants juifs doivent justifier la confiance qui leur est témoignée 2. » Or, le bilan des trois premières années du Birobidjan ne fut pas de nature à justifier cette confiance. Pis encore, ce bilan ne permit guère de prévoir une justification pour l’avenir. Le congres du cazaao de décembre 1930, avec son orientation nettement anti—birodidjanaise, inspira encore moins confiance. Cela voulait dire cependant que les organisations juives soviéti— ques, en tant que telles, et dans leur ensemble, ne justifièrent pas la confiance qui leur avait été accordée. Ces organisations juives n’avaient visiblement pas compris que, bien que le Birobidjan eût été désigné comme terre d’immigration juive avec la perspective de devenir « une Unité
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nationale administrative », le « projet extrême—oriental » n’en avait pas moins toujours été et est toujours resté non une affaire intérieure juive, mais une affaire gouvernementale et soviéti— que. Le Birobidjan était et restait une affaire d’État. L’expé— rience venait de démontrer que l’État devait s’occuper de cette affaire d’une manière plus directe que pendant les trois dernières années écoulées. Par ailleurs, l’année 1930 vit la disparition de la seule forme d’activité politique spécifiquement juive qui eût survécu depuis la révolution d’Octobre : les célèbres Sections juives (Yevsektsii) furent en effet dissoutes. De ce fait, furent déplacés, dégradés ou disparurent complètement de l’arène politique la majorité des anciens dirigeants de l’ancien mouvement ouvrier juif, représentants d’une longue tradition de théoriciens-raison— neurs, d’idéologues, de doctrinaires et de spécialistes en exégèse léniniste. Leur plaœ dans ce qui restait du « travail juif » fut occupée par des dirigeants plus jeunes, plus pragmatiques, plus adaptés à l’esprit des temps nouveaux qui exigeaient de moins en moins de questions originales et de plus en plus de réponses préfabriquées. En décembre 1930 et janvier 1931, il fut procédé à une révision approfondie de toute la conception de l’immigration juive au Birobidjan. Cette révision amena quatre innovations essentielles. Premièrement, il fut décidé de donner à l’émigra— tion un caractère et une ampleur de masse. Deuxièmement, l’immigration ne devait plus se limiter à la bourgade, mais recruter ses candidats surtout dans les villes. Cela marqua la fin d’une illusion. Il devint évident que les fondations de l’« Unité administrative juive » et du « puissant avant—poste soviétique en Extrême-Orient » ne pouvaient être l’œuvre des « débris déclas— sés de la bourgade ». La troisième innovation concernait le caractère social de l’immigration. Au lieu de rester surtout agricole, elle devait se transformer en afflux d’ouvriers qualifiés, d’artisans spécialistes et de cadres dirigeants sur les plans technique, culturel et social. Enfin, la quatrième innovation fut particulièrement frappante ' l’immigration au Birobidjan fut ouverte aux Juifs de l’étranger. Sans trop tarder, précisément, un des dirigeants du cazarm, membre du Présidium, Michel Rachkes, effectua, en juin 1931, une tournée de propagande en Lituanie. Muni d’un accord du
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gouvernement lituanien, il dressa une liste de Juifs lituaniens, candidats à l’émigration au Birobidjan. Plusieurs centaines de candidats s’inscfivirent sur-le-champ. Par ailleurs, les innovations modifièrent également les méthodes de l’immigration, plus particulièrement pour le choix des immigrants. Dans les années 1928—1930, ce choix était spontané, donc pratiquement inexistant, ou bien fortuit. A partir de 1931 fut introduit dans le recrutement le principe de « blindage », lequel, bien entendu, n’avait rien de commun avec aucun processus technologique. En Union soviétique, en effet, il existait (et existe peut—être encore) des dirigeants ou fonctionnaires « blindés ». Dans la terminologie politique en U.R.S.S., « blinder » un dirigeant voulait dire le réserver d’une manière strictement obligatoire, le destiner à une tâche strictement déterminée, et uniquement à cette tâche, que celle—ci lui plût ou non. Dans ce sens, le terme de « blindage » était à peu près synonyme de « volontariat obligatoire » ou de « corvée volontaire ». Ainsi, par exemple, les grandes réalisations des plans quinquennaux « géants industriels », ouvrages hydrauliques, digues, canaux, certaines villes, etc., étaient nés, à la fois dans une abnégation enthou— siaste et un « volontariat obligatoire », sans parler de « contraintes goulaguiennes ». Le fait que dans l’immigration vers le Birobidjan apparut la méthode du « blindage » signifiait que le « projet extrême—oriental » avait été pris par les milieux gouvernementaux très au sérieux et intégré à un plan d’urgence. L’année 1931 fut désignée comme première année de l’immi— gration de masse. Au cours de l’année, arrivèrent en effet au Birobidjan 3250 immigrants (d’après Y. Levavi; selon d’autres sources, 3 231), soit plus du double par rapport à 1930 et presque autant que durant les trois années précédentes. Pour la première fois on vit arriver des familles avec leurs enfants, près de 900 enfants. Pour la première fois également arrivèrent des immi— grants de l’étranger, 469 personnes en tout, dont 345 de Lituanie, 47 d’Argentine et d’Uruguay, 26 de Roumanie, 21 des États—Unis, 14 de Lettonie, 11 d’Allemagne, 3 de Pologne, 1de France et 2 d’Afrique du Sud 3. Les immigrants soviétiques vinrent surtout d’Ukraine. La composition sociale des immigrants de 1931 est illustrée par les chiffres suivants : sur le nombre général de 1830
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personnes économiquement actives (pères de famille et célibataires)in eut 1105 ouvriers (60,4 %), 282 artisans (20,9 %), 222 fonctionnaires (12,1 %), 63 commerçants (3,4 %) et 58 paysans (3,2 %). Ainsi donc, d’un seul coup de plume, la pyramide fut renversée, « les débris déclassés de la bourgade » furent presque entièrement éliminés, il en resta à peine 3,4 %. En même temps, fut sensiblement réduit le pourcentage des agriculteurs, ramené à 3,2 %. Les immigrants de 1931 étaient prolétarisés à 81,3 %, plus 12,1 % de fonctionnaires. Daprès toutes les prévisions, une telle composition sociale devait stabiliser l’immigration et l’ema— ciner définitivement dans ce nouveau pays. La réalité, pourtant, fut bien différente. La première année d’immigration de masse devint aussitôt la première année d’émigration de masse. En 1931, presque la moitié, sinon plus, des arrivants quittèrent le Birobidjan. Le nombre précis de départs n’a jamais été révélé, mais à la fin de l’année 1931, la communauté juive de Birobidjan était évaluée à 3500, tout au plus 4000 âmes. Ainsi donc, et une fois de plus, malgré l’incontestable « caractère de masse » de l’immigration, l’accroissement de la entre population juive dans la région fut des plus modestes c’est-à—dire, plus modeste encore qu’en 900 et 1400 âmes 1930, avant le déclenchement de l’« immigration de masse ». Au beau milieu de tout ce chaos d’immigration et d’émigration, le gouvernement soviétique, paradoxalement, se souvint brusquement de sa promesse du célèbre « article 5 ». Le 30 septembre 1931, le « Comité central panrusse des Soviets », c’est-à-dire le mat de la République soviétique fédérative socialiste russe (R.S.F.S.R.) dont relève officiellement la région extrême—orientale, publia une résolution intitulée « Sur les possibilités et les moyens de réaliser l’article 5 de la décision du Présidium du vrsrx pansoviétique du 28 février 1928, portant création au district du Birobidjan de la Région extrêmeorientale, d’une Unité nationale, administrative et territoriale juive ‘. » Le premier paragraphe de ce document commence ainsi : « Proposer à la direction du Plan d’État de l’U.R.S.S. et au Comité exécutif de la Région d’Extrême-Orient d’étudier immé-
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diatement, avec le concours du connu, et de soumettre en novembre prochain, au plus tard, un plan prévisionnel pour toutes les branches de l’édification économique et culturelle du district du Birobidjan, pour les années 1932 et 1933, en ayant en vue la création, à la fin de 1933, dans les limites du district du Birobidjan, d’une Unité autonome, administrative et territoriale juive, faisant partie de la Région extrême—orientales. »
Ainsi, et pour la première fois, fut décrétée officiellement la date de naissance de cette « Unité », l’« Unité autonome administrative et territoriale juive » elle devait voir le jour à la fin de l’année 1933. Mais à quelle structure étatique « l’Unité » devait—elle ressortir un District national, une Région autonome, une République autonome ? Les textes n’y apportèrent pas la moindre réponse. Il est vraisemblable que la question, a l’époque, n’avait pas encore reçu de réponse. La résolution du 30 septembre 1931 établissait une sorte de plan biennal pour la future « Unité » juive qui, pour le moment, continuait à demeurer un schéma constitutionnel purement abstrait. Mais au fond, quelque chose n’allait pas, méme dans cette solution abstraite au problème. Le document du 30 septembre 1931 qui invoquait le bénéfice de l’article 5 de la résolution du 28 mars 1928 semblait ne point s’apercevoir que les conditions mises à l’exécution de cet article faisaient complètement défaut. En effet, le fameux « article 5 » stipulait clairement : « Au cas où l’implantation massive de travailleurs juifs dans le district visé à l’article premier donnerait des résultats satisfaisants, envisager la possibilité de fonder sur le territoire de ce district une Unité nationale, administrative et territoriale juive. » Les « résultats satisfaisants » apparaissaient ici nettement comme condition préalable et essentielle à la fondation de cette « Unité » dont il fallait seulement, en attendant, « envisager la possibilité ». Or, cette condition préalable essentielle ne fut nullement remplie. Les « résultats satisfaisants » manquaient complètement. « L‘implantation massive » restait obstinément un rêve. Dans ces conditions, la réalisation de la promesse d’une « Unité » juive apparaissait non comme le couronnement d’un but atteint, mais, bien au contraire, comme un moyen d’attein-
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dre ce but. Autrement dit, ce n’était pas l’immigration réussie au Birobidjan qui aboutissait à la formation de « l’Unité » territo— riale, mais en revanche ce fut « l’Unité » qui devait élargir et normaliser l’immigration. Le document du 30 septembre 1931 doit être, par ailleurs, examiné à la lumière des événements qui se déroulaient en dehors des frontières ou, plus exactement, aux frontières mêmes de l’Union soviétique. A peine quinze jours auparavant, le 19 septembre 1931, les armées de l’Empire du Soleil Levant firent irruption en Mandchourie et quelques jours plus tard, par une belle matinée d’automne, apparurent brusquement sur la rive droite du fleuve Amour, frontière du Birobidjan. Le problème du peuplement et du renforcement de l’Exfiéme-Ofient, théorique et abstrait pendant des années, devint brusquement d’une réalité et d'une urgence extrêmes. Ce fut donc précisément dans ce contexte international que l’Acte du 30 septembre 1931 lança plusieurs appels visant notamment à « intensifier très sensiblement les rythmes de la croissance économique du district » et a prévoir « toutes mesures néces— saires pour que les immigrés puissent s’installer à demeure (construction de maisons, création d’institutions culturelles, etc.) ». Quant aux cadres dirigeants, l’Acte proposait ce qui suit : « Choisir, parmi les étudiants juifs qui terminent leurs études dans les écoles supérieures, écoles supérieures techniques, écoles techniques, écoles du Parti, etc., ceux qu’on “ blindera ” afin de constituer un nombre suffisant de dirigeants pour le district du Birobidjan. » Le dernier article de l’Acte est particulièrement intéressant : « Pouvoir est donné au Comité exécutif du district du Birobid— jan d’accorder, à compter du l"r janvier 1932, la nationalité soviétique, dans des formes simplifiées, conformément à la loi. du 22 avril 1931, avec confirmation ultérieure par le Comité exécutif régional d’Extrème-Orient. » L’intérêt de ce texte est double. Le droit d’octroyer à un étranger la citoyenneté d’un pays est un des attributs essentiels de la souveraineté nationale. Le Comité exécutif du district du Birobidjan fut ainsi pourvu d’une parcelle des prérogatives d’État, deux ans avant la création officielle de cette entité étatique, de l’État juif de l’Union soviétique. Mais le problème n’était pas seulement juridique. Il était aussi, il était surtout,
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politique. Iltémoignait de l’intérêt extraordinaire que le gouver— nement soviétique portait à l'immigration vers le Birobidjan des
Juifs étrangers. 20, Cette fois il ne s'agissait plus, comme au début des d’« une Palestine à Moscou » ou d’« une alternative au sio— —e ». Le temps des Sections juives était révolu. Le sionisme n’était plus un problème pour le gouvernement soviétique. Par contre, il existait un problème réel qui, de jour en jour, devenait celui du peuplement du Birobidjan, plus grave, plus urgent de l’avant-poste soviétique près du Pacifique. Les milieux gouvernementaux soviétiques savaient qu’ils jouissaient d’une large sympathie parmi les Juifs étrangers non seulement dans les pays est—européens, où l’antisémitisme faisait des ravages au grand jour, où la population juive était systématiquement évincée de toutes les positions économiques, mais également en Amérique du Nord et du Sud en raison de la politique libérale menée en U.R.S.S. envers les Juifs. Il y avait là de vastes réserves d’immigrants potentiels pour le Birobidjan. Le gouver— nement soviétique fondait sur ces immigrants étrangers de grands espoirs, il se faisait même de grandes illusions, trop rapidement dissipées. Pour l’année 1932, après l’annonce du prochain accomplissement de la promesse contenue dans l’article 5, les visées se devaient d’étre particulièrement ambitieuses. En effet, le plan officiel fixa à 14000 le chiffre d’immigrants pour l’année dont 62Œ d’Ukraine, 181!) de Russie blanche, 1700 de la Russie centrale et 4300 de l'étranger. Mais une fois de plus, le plan ne fut guère réalisé. Au lieu des 14000 immigrants prévus il en arriva seulement 9000; au lieu des 4300 étrangers prévus, il en vint à peine 784, dont 166 des Etats—Unis, 116 d’Argentine et d’Uruguay, 101de Lituanie, 88 de France, 83 de Lettonie, 74 de la Palestine, 65 d’Allemagne, 61 de Belgique et 30 de Pologne. Néanmoins, et même avec ce plan mutilé et réalisé aux deux tiers seulement, l’immigration juive au Birobidjan avait pris en 1932 un vrai caractère de masse. Elle fut la plus importante que la région ait jamais connue. Dans ce sens, l’objectif visé avait été couronné de succès. Malheureusement, le succès s’évanouit avec une rapidité accablante, car un reflux de masse également commença aussitôt, d’une ampleur inégalée et dans une panique indescriptible. Plus de 60 % des immigrants quittèrent la région.
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La proportion de départs fut plus élevée chez les étrangers. Près de 90 % d’Américains retournèrent aux États—Unis, suivis sur la voie de retour par la presque totalité des immigrés de France et de Belgique. La plupart des Lettons, des Palestiniens et des Allemands quittèrent le Birobidjan pour aller se fixer en Russie centrale, principalement à Moscou. L’échec « la percée » dans la terminologie soviétique du plan d’immigration pour 1932 fut le résultat des mêmes causes qui avaient provoqué des « percées » plus ou moins identiques dans tous les plans antérieures de toutes les années précédentes. Il s’agissait toujours du même fantastique et incroyable manque de préparation dans l’accueil des nouveaux arrivants. En 1932, cependant, précisément en raison du volume de l’immigration, les mêmes causes provoquèrent les mêmes effets, mais considérablement multipliés. Un afflux de 9000 personnes pour une communauté de 3 500 âmes signifiait un brusque accroissement de la population de plus de deux fois et demie. Or, ni maisons, ni logements, ni dortoirs n’avaient été préparés pour les ni dans la capitale, Birobidjan, qui était nouveaux arrivants l’ancienne Tikhonkaïa, ni dans les autres localités du district, pas même pour l’hiver. Des milliers de personnes furent obligées de traîner misérablement, avec de petits enfants, dans des baraques, greniers et écuries, dans une promiscuité et une saleté insupportables. La situation n’était pas moins préoccupante sur le plan du ravitaillement. A la fin de 1931, lorsque la communauté juive ne compta que 3500 âmes, plus de la moitié était occupée aux travaux agricoles. La situation dans les kolkhozes et les sovkhozes était difficile, on manquait autant de ressources que d’expérience, on souffrait beaucoup des conditions climatiques et plus particulièrement des inondations qui submergeaient complètement champs et jardins et emportaient les récoltes et le fourrage. Cependant, la structure économique de la petite communauté était relativement équilibrée. La surface des emblavures a doublé de 1929 à 1932, s’élevant de 14000 à 28000 hectares. Pendant la mème période, la population a triplé, passant de 1200 à 3500 âmes. La disproportion n’était pas considérable, la base de ravitaillement, plus ou moins normale. Or, lorsque la méme surface d’emblavures, passée du simple
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mdœbb,ùvütnmümmüfimqüuüfiefle,m passant de 1200 à 12… doublé mais décuplé les
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ressources loœles s’avérèrent, bien entendu, insuffisantes. On était obligé d’amener tout du dehors, et de très loin, il fallait parcourir plusieurs centaines de kilomètres, dans un pays inhabité et sans chemins. On manquait de pain, ou manquait de lait pour les enfants; non seulement on ne mangeait pas a sa faim, mais la disette s‘installait. Et de nouveau, pour comble de malheur, les conditions naturelles s’aggravèrent. L’hiver fut particulièrement rude et l’été extrèmement pluvieux, davantage encore qu'en 1928. Il y eut soudain des inondations catastrophiques qui, une fois de plus, submergèrent et anéantirent tout ce qu’un travail acharné avait réussi à mettre sur pied. Dans de telles conditions, on pourrait considérer comme miraculeux le fait, non que 60 % des immigrants aient quitté le pays, mais que 40 % y fussent demeurés. La persévérance de ces fidèles obstinés fit en sorte que la population du Birobidjan doubla en une année, passant de 3500 a 7000 âmes. Ainsi donc, en une seule année (1932), le Birobidjan, par « la planification de masse » appropriée et « les bündages » indis— pensables, avait gagné autant d’immigrants qu’au cours des quatre années précédentes réunies. Ce bilan apparut aux milieux dirigeants non seulement comme un succès, mais comme une victoire. Le 7 avril 1932, le Présidium du Comité central exécutif pansoviétique (vrsrrt) adopta une résolution spéciale consacrée à l’activité et aux tâches immédiates du couaao, résolution basée sur un compte rendu d’activité de œtte dernière institution. La résolution commença par souligner le fait que « grâce aux mesures adoptées par le pouvoir soviétique et réalisées avec le concours du couaao et de toute la société soviétique, de grands succès avaient été obtenus dans l’œuvre d’amélioration de la situation socio—économique et culturelle des masses laborieuses juives ». Ainsi, notamment :
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« 1. il a été formé une importante couche d’agriculteurs juifs dans les anciens et les nouveaux œntres de colonisation juive ;2. une partie importante de la population juive, et plus particulièrement de la jeunesse, a été accueillie dans l’industrie; 3. de
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grandes réalisations sont a signaler dans l’édification et le développement d’institutions culturelles pour les masses labo— rieuses juives. » Après cette introduction de caractère général, le présidium du Comité exécutif proposa au connu de « considérer comme sa tâche la plus importante et urgente » d’aider le Birobidjan « à maîtriser le plus rapidement possible le processus économique et à accélérer le rythme de ses constructions industrielles, sovkho— siennes et kolkhosiennes, en utilisant ses grandes richesses naturelles (sol, ressources hydrauliques et minières, forêts, etc.) ». Des recommandations et directives en dix paragraphes furent distribuées en abondance. La direction du plan d’État fut chargée, une fois de plus, d’élaborer un plan spécial pour le Birobidjan, cette fois un plan quinquennal, en vue « d’accélérer la conquête économique du district », avec mission formelle « de fixer le nombre d’immigrants jusqu’à la fin de 1933, prenant en considération la nécessité d’établir dans ce district le plus grand nombre possible de travailleurs juifs ». Un paragraphe spécial fut consacré au problème de l’immigration étrangère. En voici la teneur :
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« Prenant en considération que la possibilité qui avait été accordée aux travailleurs juifs étrangers de venir s’établir au Birobidjan a provoqué de leur part une importante immigration dans ce district et que, par ailleurs, l’expérience de leur enracinement s’est avérée positive charger le comm de prendre toutes mesures nécessaires afin de continuer l’installa— tion convenable au Birobidjan de Juifs étrangers, travailleurs de différentes qualifications, en conformité avec les plans d’édification économique et culturelle du Birobidjan. »
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Quelques lignes à peine furent consacrées par la résolution à la colonisation juive d’Ukraine et de Crimée : « Étant donné les résultats acquis dans la colonisation des travailleurs juifs dans la République soviétique d’Ukraine et de Crimée nota le dernier paragraphe on doit considérer que la tâche principale du connu dans ces régions consiste à fournir de l’aide à la consolidation économique avant tout dans les
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Districts nationaux juifs existants et également dans tous les kolkhoses déjà organisés. »
Ces quelques lignes devaient mettre fin, une fois pour toutes, au long débat « Crimée ou Birobidjan » lequel, visiblement, n’était pas encore entièrement terminé à l’époque. L’instance suprême officielle de l’État soviétique annonçait, de la manière la plus claire possible, que les centres agricoles juifs d’Ukraine et de Crimée devaient être seulement « consolidés ». Aucune extension possible n’était plus envisagée. Le « projet criméen » était ainsi liquidé définitivement, mort et enterré. Tout un chapitre d’efforts, d’espoirs et de rêves fut clos à jamais. Le judaïsme soviétique avec toutes ses organisations, et en premier lieu le cazam, furent placés, sans aucun ménagement et presque avec brusquerie, face au Birobidjan. La tâche assignée aux planificateurs, savoir : « fixer le nom— bre d’immigrants pour le Birobidjan jusqu’à fin 1933 », se basant sur la nécessité d’installer dans le district « le plus grand nombre possible de travailleurs juifs » fut remplie d’une manière géniale à force de simplicité. Les planificateurs « déci— dèrent » purement et simplement d’augmenter l’immigration juive, pendant l’année 1933, de la bagatelle de 350 %. Le plan d’immigration pour l’année 1933 fut fixé à 25000 personnes. C’était là, bien sûr, un record, mais, naturellement, un record seulement d’imagination inventive. Sur le terrain même, au Birobidjan, rien, littéralement rien, n’avait été fait, tout comme pendant les années précédentes, pour pouvoir accueillir une telle masse d’arrivants. Durant toute l’année 1932, la succursale birobidjanaise de « Meliovodoroz » (l’administration des Eaux et Forêts) n’avait réussi à lever et à assécher qu’une centaine d’hectares de terres vierges. Nul autre terrain libre n’était apprêté pour l’agriculture. La base de ravitaillement n’avait pas été étendue. La construction de maisons n’avait presque pas avancé. L’étonnant est que tout le monde s’en rendait compte, tout le monde en parlait et l’écrivait, mais sans le moindre résultat pratique. La disparité entre les chiffres et la réalité fut si énorme qu’elle finit par parvenir également à la conscience des ardents planifi— cateurs. Le plan d’immigration pour 1933 fut, en cours d’année, corrigé plusieurs fois, d’abord ramené à 2111!) personnes, puis a
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16950 et enfin seulement à 6 780 (il faut admirer la précision des chiffres !). Mais même œ plan minimal ne fut pas, et de loin, rempli. Pendant toute l’année 1933 n’arrivèrent au Birobidjan que 3005 immigrants. L’année 1933 a cependant battu un second record non seulement celui d’une planification délirante, mais également de retours en catastrophe. Pour la première fois le Birobidjan a perdu plus d’immigrants, sensiblement plus, qu’il n’en avait accueilli. Comme d’habitude, le chiffre de départs n’a jamais été publié. Mais à la fin de l’année 1933, la population juive de la région était estimée à 6000 âmes seulement, au lieu de 7 000 à la fin 1932. Cela voulait dire que le reflux avait entraîné non seulement des nouveaux débarqués, mais aussi un certain nombre d’immigrants anciens, déjà établis dans le pays. Le nombre des émigrés dépassait de plus d’un quart celui des immigrés. Le plan biennal, issu de l’acte du 30 septembre 1931, fut ainsi un échec complet, malgré tous les « blindages » et tous les droits aux naturalisations simplifiées. La décision du 17 avril 1932, avec ses directives d’installer dans le district, avant la fin de 1933, « le plus grand nombre possible de travailleurs juifs » fut également un échec complet. Au cours des années 1932 et 1933, la population juive du Birobidjan s’était accrue, en tout et pour tout, de 2500 âmes passant de 3500 à 6000 avec une moyenne annuelle de 1250 âmes. Mais œ qui était plus grave, c’est que la courbe démographique de la communauté accusait en 1933, pour la première fois, une chute de 15 %. L’« immigration de masse » proclamée à grand renfort de propagande et qui devait provenir tant de l’Union soviétique même que de l’étranger fut un fiasco complet. Qui plus est, un fiasco juste à la fin de l’année 1933, à la veille de la création prévue et si longuement attendue, d’une Unité autonome, administrative et territoriale juive, dans les limites du district du Birobidjan, faisant partie de la région extrême—orientale. Bien entendu, on ne manqua pas de rechercher les causes de l’échec. Le plus facile fut de s’en tenir au schéma éculé et obligatoire du Parti : « la lutte sur deux fronts », œ qui permettait de charger de tous les péchés à la fois « les opportunistes de droite », les « déviationnistes de gauche » et, éventuellement, les ennemis du peuple en tout genre, déclarés ou dissimulés, anciens bundistes, sionistes, etc. Plus rares
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étaient œux qui osaient jeter un regard moins superficiel pour aperœvoir, au lieu des schémas routiniers, les effets de la seule bureaucratie, de l’incompétenœ et du chaos. Voici, par exemple, une analyse de la situation, donnée avec un retard de trois ans, il est vrai, par le publiciste juif soviétique V. Kirjnitz : « Le manque d’attention, l’insuffisanœ de soins dispensés aux nouveaux arrivés, les « percées » dans la construction de logements, le chaos dans l’immigration même et, souvent, la mauvaise sélection des immigrants sur les lieux de départ, eurent pour résultat, jusqu’en 1934, un grand reflux qui atteignait parfois 50 %, et même davantage, des nouveaux débarqués. Un tel reflux en masse désorganisait toute l’activité et ruinait tous les plans économiques et culturels °. »
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Des analyses de œ genre n’allaient pourtant pas et, selon toute vraisemblanœ, n’osaient pas aller jusqu’au fond du problème. De toute évidence, le Birobidjan ne faisait point
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exception dans le domaine de la planification fantaisiste; le style des planificateurs était fondamentalement le même dans toute l’Union soviétique. Il ne faisait pas exception, non plus, dans le domaine de la bureaucratie ou de l’incompétenœ. Les dirigeants juifs du comarm et du caznso n’étaient certainement pas parmi les plus médiocres en Extrême-Orient. On pouvait même, au contraire, supposer qu’ils étaient parmi les meilleurs, en raison de leur grande expérience politique. Quant à son niveau technologique, le Birobidjan se trouvait à l’avant-garde même de toute la région extrême—orientale. Les raisons des échees systématiques étaient plus profondes et se situaient sur un plan différent. D’un bout à l’autre de œt immense pays, l’Union soviétique tout entière était tendue dans un effort gigantesque, avec une totale abnégation, ruisselant de sueur et ruisselant de sang, supportant la faim et le froid, consentant des sacrifiœs incroyables. Cet effort avait pour nom : « les plans quinquennaux », « la construction du socialisme dans un seul pays ». Des millions de « volontaires enthousiastes », « d’enthousiastes contraints et forcés » et de « blindés » en tout genre avaient constamment devant eux un objectif précis, un but net, une lumière qui n’arrêtait pas de briller et que l’on ne œssait de célébrer, de
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glorifier. On connaissait ou, du moins, croyait connaître, le sens
et la raison des sacrifices et des souffranœs. Les immigrés du
Birobidjan, eux, l’ignoraient. A l’aube même du Birobidjan, dès la première année des épreuves les plus difficiles, la jeunesse était venue, sous le mot d’ordre « Vers un pays juif ». Elle avait créé des communes, persévéré malgré toutes les adversités, et elle est restée. Mais le mot d’ordre « Vers un pays juif », déclaré nationaliste, donc contre—révolutionnaire, disparut. « Les débris déclassés de la bourgade », amenés en Extrême-Orient au nom de « la produc— tivisation », s’étaient peu à peu volatilisés. En fait, les « débris déclassés » n'étaient ni susœptibles de bâtir œtte « Unité » nationale, ni réellement intéressés à œtte « Unité » et, encore moins, au socialisme en général. Quant au mot d’ordre officiel, de « socialisme dans un seul sourœ de tant d’enthousiasme pays », le Juif soviétique se trouvait dans l’impossibilité absolue d’y inclure, d’une manière organique, un quelconque rapport impératif et exclusif avec le Birobidjan. En l’année 1932, lors de la glorieuse « immigration de masse », fut proclamée une mobilisation volontaire de six œnts komsomols juifs, pour le Birobidjan (à l’initiative de planifica— teurs enthousiastes). Cent komsomols à peine répondirent à l’appel et quelques-uns d’entre eux seulement restèrent dans la région, ce qui était parfaitement compréhensible. En effet, pour quelle raison précise, un jeune Juif membre de l’Union de la jeunesse communiste, bâtisseur exalté d’un monde sans haine nationale, d’un monde de fraternité entre tous les peuples, pourquoi devait-il aller bâtir le socialisme précisément au Birobidjan, à côté de toutes sortes de « débris déclassés » et d’ennemis de classe ? Si effectivement on lui demandait de venir bâtir le socialisme en Extrême-Orient et il était prêt à aller au bout du monde —, n’était-il pas plus simple de se joindre à ses camarades des Jeunesses communistes pour bâtir ensemble Komsomolsk, la jeune cité du Komsomol léninien, sur les rives du Pacifique ? Plus s’approchait la date fatidique de fin 1933, plus la situation au Birobidjan même devenait difficile, et plus pressant, plus insistant devenait le problème des motivations. Une vieille question, posée encore en 1928, retrouva brusquement une nouvelle résonance, autrement plus significative et urgente :
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quels mots d'ordre les masses juives iront—elles en Extrême-Orient ? » L’absenœ de réponse à œtte question fort simple par refus de répondre ou par impossibilité de et, par conséquent, l’absence « des masses juives répondre en Extrême—Orient » fut la confirmation du complet fiasco politique du « projet du Birobidjan ». L’heure annoncée sonna néanmoins... et il n’y eut plus aucun choix. Il fallait avouer que la réalité s’était obstinée et insurgée contre tous les planificateurs, contre tous les chiffres, contre les résolutions, contre les instructions et même contre les « blin— dages ». Il fallut avouer qu’il n’était pas possible de bâtir une « Unité nationale juive », un État juif, sans une mobilisation d’énergie nationale juive, c’est-à-dire sans base idéologique. La réalité juive réclama impérieusement une idéologie juive. Et l’idéologie juive vint, une fois de plus, par la bouche du Russe Mikhaïl Ivanovitch Kalinine. « Sous
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CnxrrmaX Variations kalininiennes sur un thème sioniste : le Birobidjan, centre spirituel L’anonymat de « L’Unité » juive fut déchiffré le 7 mai 1934. Elle reçut le nom de « Région autonome juive, faisant partie de la Région d’Exfiême-Orient ». Son acte de naissanœ fut dressé par le Comité œntral exécutif de l’U.R.S.S. Voici la teneur de œ document historique : « Requête afin de transformer le District national juif du Birobidjan de la Région d’Extrême-Orîent en Région autonome juive.
Décision du Comité central exécutif de l’U.R.S.S. Après avoir examiné la proposition du Comité central exécutif panmsse au sujet de la transformation du District national juif en Région autonome juive, le Comité œntral exécutif de l’U.R.S.S. décide : D’agréer la requête et transformer le District national juif en Région autonome juive, faisant partie de la Région d’Extrême— Orient. Le Président du Comité central exécutif de l’U.R.S.S. : M. Kalinine. Le secrétaire du Comité central exécutif de l’U.R.S.S. : A. Yenoukidzé. Moscou, au Kremlin, mai 1934. »
Ce document, indépendamment de son sort ultérieur, est doublement historique : il fait partie à la fois de l’histoire de l’U.R.S.S. et de l’histoire juive. Du point de vue du droit sinon du droit constitutionnel international, constitutionnel
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du moins du droit constitutionnel soviétique il posa les fondements de la première entité étatique juive, après deux mille ans, du premier État juif sui generis, hors des frontières des États juifs de l’Antiquité. Pour les amateurs de curiosités en tout genre, il faut toutefois signaler dans cet acte de naissanœ du premier État juif diasporique une erreur étonnante ou, peut—être bien, une inexactitude délibérée, fort étrange, et qui ne fut, semble-t—il, jamais relevée. Le Comité central exécutif de l’U.R.S.S. transforme en Région autonome le « District national juif du et c'est ici, précisément, que réside le Birobidjan ». Or phénomène curieux aucun « District national juif du Biro— bidjan » n’a jamais existé. Il existait, tout simplement, un « District du Birobidjan ». Jamais et nulle part œ district ne fut autrement désigné et jamais il ne fut élevé au rang de « District national juif ». On admettra difficilement que les rédacteurs d’un acte d’importanœ comme la proclamation d’une nouvelle Région autonome œ qui, a son tour, entraîne une série de modifica— tions constitutionnelles aient pu ignorer œ « détail ». Resterait l’hypothèse d’une inexactitude délibérée, due vraisemblablement à quelque contrainte de procédure, mais qui demeure quand même surprenante dans un document officiel où chaque mot et chaque virgule sont soigneusement pesée. Cependant, l'intérêt de œtte « curiosité » dépasse de loin le cadre d’une simple, bien qu’étrange, bévue juridique. Elle constitue en elle—même un témoignage et une illustration. Témoignage de désarroi, illustration des difficultés et des hésitations dans lesquelles le « déchiffrage » de l’« Unité » a été effectué. District national? Région autonome? Ou bien Répu— blique autonome (comme l’affirmait la Nouvelle Géographie de l’U.R.S.S., parue à Moscou en 1934 et, en traduction française, à Paris, en 1936 l) ? Rien n’était sûr, jusqu’au dernier moment, pas même la réalisation de la promesse générale du fameux « Article 5 ». La confianœ faite aux organisations juives se trouva ébranlée. Une région autonome juive, avec une population juive d’à peine six mille âmes, et œci après une mobilisation de l’opinion publique pendant plusieurs années et des investissements de millions de roubles provenant du budget d’État et de œntaines
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et, surtout, dans une de milliers de dollars d’aide étrangère situation où tous les plans d’immigration représentaient une urgenœ absolue il n’y avait pas lieu de crier victoire. En 1934, après la proclamation de la Région autonome, le oazarm fut « libéré » de la direction de l’immigration au Birobidjan. Cette direction passa entre les mains du como. Officiellement, le oazam ne fut jamais une organisation exclusivement juive. Il avait de nombreuses sections tout au moins, sur le papier dans toutes sortes d’entreprises des villes et des campagnes, parmi la jeunesse estudiantine et même dans l’Armée rouge. Mais en fait, par la masse de ses adhérents, par ses militants les plus actifs, par ses dirigeants, ses directions œntrales et locales et par tout son appareil de « permanents », le onzsrw incarnait la vie sociale du judaïsme soviétique, étant l’unique expression organisationnelle qui ait subsisté après la dissolution des Sections juives. C’est dans le cum, comme auparavant dans les Sections juives, que se retrouva, pour des activités sociales spécifiquement juives, le reliquat des membres de l’ancien mouvement ouvrier juif qui, pour des raisons diverses, préférèrent opter pour la fidélité à « la rue juive » plutôt que pour des « postes de caractère général » dans le Parti ou le gouvernement. Le connu également compta parmi ses membres une majo— rité d’anciens dirigeants juifs, venus au Parti communiste de divers secteurs de l’ancien mouvement ouvrier juif. Mais tandis que le couaao fut un organisme d’État, un rouage de l’appareil d’État, chargé de fonctions d’État et travaillant sous la surveil— lanœ et le contrôle direct du gouvernement, le oazarm, lui, était supposé refléter et représenter dans les conditions spécifiques la société juive du pays, dans son de la réalité soviétique intégralité membres du Parti et sans—parti. Aussi, le fait de voir enlever au cazaxn la direction de l’immigration apparut-il non comme une quelconque réorgani— sation technique ou une redistribution des tâches, mais comme un changement fondamental, comme un tournant dans la politique du gouvernement. Pour la première fois, et malgré la création de la Région autonome juive, l’immigration au Biro— bidjan cessa d’être envisagée comme exclusivement juive et, par conséquent, dut sortir de la compétenœ exclusive des organisa— tions juives.
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Ainsi donc, malgré l'incontestable importanœ politique de la décision du mur du 7 mai 1934, son sens précis, ses dimensions effectives et surtout sa portée historique devaient encore être spécifiés dans la réalité. Et la formation de œtte réalité dépendait nettement de la doctrine qu’on allait adopter à l’égard de la Région autonome juive. Le 28 mai 1934, juste trois semaines après la décision du vrsrx, eut lieu à Moscou une rencontre entre Kalinine et une délégation d'ouvriers juifs des usines moseovites, en présenœ d’écrivains et de journalistes juifs. Le grand prosateur juif David Bergelson, ainsi que Simon Dimanstein, alors président du uazarm, assistèrent à œtte rencontre. Au cours d’un entretien de plusieurs heures, Kaünine fit un œrtain nombre de déclara— tions qui devaient constituer une sorte de « Grande Charte » du Birobidjan. Voici quelques extraits de œs déclarations : « Vous me demandez pourquoi on a créé la Région autonome juive. Je suis l’un de œux qui ont contribué à sa narssan‘œ. Pourquoi? La raison essentielle réside dans le fait que nous avons chez nous beaucoup de Juifs, mais ils ne possèdent aucune entité étatique. C’est même la seule nationalité en U.R.S.S., riche de trois millions d’âmes, à ne pas avoir son propre Etat. l’estime que la création de la Région autonome constitue, dans nos conditions, le seul moyen d’évolution étatique normale pour œtte nationalité. Je considère que dans une dizaine d’années le Birobidjan sera le plus important, sinon l’unique gardien de la culture juive socialiste et nationale. Moscou, par exemple, ne peut préserver les particularités nationales. Cette ville amal— game objectivement, si l’on peut s’exprimer ainsi, toutes les nationalités dans la même grande collectivité de la capitale, tout comme New York d’ailleurs où s’opère le brassage d’un nombre considérable de nationalités. Qu'est-il donc resté de sa nationa— lité a l’ouvrier juif qui a vécu dix ans à Moscou ? Presque rien. S’il vit avec la culture de la capitale, s’il s’intéresse avant tout aux problèmes du prolétariat, alors l’on peut dire avec œrtitude que les problèmes proprement juifs passent au dixième plan. Il est forcé de les oublier. La cause prolétarienne en général est trop vaste, trop passionnante. Moscou vit d’une vie intematio— nale et les particularités nationales s’y estompent peu a peu.
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La Région autonome du Birobidjan verra l’épanouisse« ment d’une grande édification communiste, en même temps que d’une vraie culture socialiste juive. Ceux qui sont attachés à une
telle culture nationale juive, œux qui veulent prendre part au développement de la Région juive et de sa culture socialiste nationale, doivent se mettre en rapport avec le Birobidjan et lui prodiguer leur aide. J’estime que chez nous les Juifs se maintiendront, en tant que tels, le plus longtemps possible dans leur propre Région juive. « L’imrnigration juive ne nous a pas toujours donné satisfaction. Dans une œuvre d’une telle envergure œrtains échecs sont inévitables. Toute immigration comprend de grands reflux, plus d’un retourne à son ancien foyer. Eh bien, œux qui ne peuvent s’adapter, qu’ils partent! Il n’est pas donné à tout le monde de faire d’un habitant de bourgade physiquement épuisé un “ colonisateur ” robuste et sans peur. Je suis optimiste et crois qu’avec le temps il se créera une « vraie, une bonne, une puissante Région juive. Si nous réussis— sons pendant une période prolongée à augmenter la population juive d’un minimum de 4000 personnes par an, œla ne serait pas mauvais. Bien entendu,la formation d’une grande Région est un processus qui demande une œrtaine durée. « Je considère le problème d’un point de vue politique. J’estime que la création de œtte Région a mis la nationalité sur pied, ou plus précisément, a posé des fondements soviétiques sous la nationalité juive en U.R.S.S. « La formation d’une unité étatique soviétique est sourœ de vitalité. Le Birobidjan, d’une part, attire actuellement la masse juive, ceux des Juifs qui aspirent à une vie meilleure et désirent maintenir leur nationalité. Bien entendu, il les attire dans des proportions encore insuffisantes. Mais d’autre part, par son existence même, le Birobidjan forme simultanément la nationalité juive. « J’ai chargé le comm: de trouver un endroit qui réunisse l’ensemble des conditions politiques, climatiques et naturelles néœssaires. Et le Birobidjan les réunit effectivement toutes. Premièrement, un territoire vaste, libre, fertile, situé à la frontière même de l’État. Aucune autre nationalité, en dehors de la nationalité juive, ne prétend le revendiquer. Par ailleurs, les Juifs sont une nationalité soviétique très dévouée, ils l’ont
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mérité par leur passé. A œt égard, quelle richesse, en commen— çant par l’or, le fer et le charbon, n’y a-t-il pas, dans œtte
région. Aussi les perspectives d’avenir sont—elles grandes, mais la Région néœssitera un travail considérable, beaucoup de forœs, d’énergies et d’initiatives créatriœs. Les immigrants juifs doivent justifier la confianœ qui leur est faite. « Ce qui est sûr, c’est que les immigrés du Birobidjan doivent jouir de conditions meilleures. J’affirrnais dès le début qu’aussi longtemps que le Birobidjan ne produira pas son propre pain en abondanœ, il sera difficile de le coloniser, car dans notre situation, il est extrêmement malaisé de nourrir la population avec du pain importé. Même la pomme de terre reste pour le moment, en Extrême-Orient, une denrée que l’on apporte du dehors. C’est pourquoi, la tâche principale à l’heure actuelle, c’est d’assurer la base agricole. En tout cas, la croissanœ du Birobidjan progresse plus rapidement que œlle de tous les autres districts de l’Extrême-Orîent, mais une aide est néanmoins nécessaire. « Je répète : je considère le Birobidjan selon une vaste perspective, à savoir que les prolétaires juifs ont leur patrie l’U.R.S.S., et un État national qui leur appartient en propre. » Et en conclusion : « Quant àla transformation de la région en République, cela n’est qu’une question de temps. Lorsqu’on atteindra une population d’une œntaine de milliers d’âmes, on pourra aussi proclamer une République. Créer une république à partir d’une région sera plus facile que de créer une région à partir d’un district. La transformation de la Région en République ne dépend plus désormais que des seuls travailleurs juifs, de leur immigration, de leur enracinementz. »
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Les paroles de Kalinine et sa conclusion, tout a fait dans le style de l’appel (herzlien) de Merejine, en 1928 : « Si seulement vous le voulez, œla deviendra une réalité », autrement dit : tout dépend désormais de vous seuls, travailleurs juifs, si vous le voulez vraiment, il y aura aussi une République juive, ces paroles firent une impression considérable. Cependant, tout comme après le célèbre discours de Kalinine en 1926, au premier congrès du oazarm, les réactions de l’opinion publique furent, œtte fois encore, loin d’être unanimes. Une fois de plus, le brave « staroste pansoviétique » se
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trouva en butte à des critiques véhémentes, bien que, œla va sans dire, non publiques. Certains passages de ses déclarations furent tout bonnement œnsurés dans la presse soviétique yiddish. Une vraie tempête de protestations s’éleva à propos de œtte prédiction à savoir que « dans une dizaine d’années, le Birobid— jan serait le plus important, sinon le seul gardien de la culture socialiste nationale juive ». Les Sections juives étaient dissoutes depuis quatre ans déjà, mais leur « ligne » spécifique, communément désignée sous le terme de « yevsekisme » (dérivé de Yevsektsia), n’en demeura pas moins vivante, dans les milieux communistes juifs, en tant qu’idéologîe ou plus précisément, en tant qu’absenœ d’idéolo— gie. Le mot d’ordre « Vers un pays juif », disparu naguère du jour au lendemain, ne fut remplacé par aucun autre. Or, maintenant la doctrine de Kalinine, non seulement était un appel « vers un pays juif », mais désignait œ pays du doigt et le proclamait « État national ». Qui plus est, œt État, selon Kaünine, « mettait la nationalité juive sur pied » ou, plus précisément, « posait un fondement soviétique sous la nationalité juive en U.R.S.S. ». Curieusement, la formule évoquait une sorte de version soviétique de « l’Étemité d’Israël », à l’usage du judaïsme de l’U.R.S.S., œ qui, de toute évidenœ, se trouvait en contradic— tion violente avec l’orthodoxie du « yevsekisme ». Pourtant, la majorité des anciens des Sections juives, partisans d’un neutralisme national, pouvaient, à la rigueur, acœpter œtte idée, sinon avec enthousiasme, du moins avec curiosité. Le « yevsekisme » pouvait aussi tolérer œtte autre formule de Kalinine conœrnant « œux qui sont attachés à une telle culture nationale juive ». La peur atavique (« complexe du péché politique originel ») devant l’expression « culture juive natio— nale » s’était presque dissipée. Le jugement impitoyable pro— noncé par Lénine dans ses Notes critiques sur la question nationale (« Celui qui formule directement ou indirectement le mot d’ordre de “ culture nationale ” juive, celui-là quelles est un ennemi du proléta— que soient ses bonnes intentions riat… le complice des rabbins et des bourgeois3 »), s’était trouvé sensiblement amendé par le célèbre commentaire de Staline. En effet, lors de la fameuse conférence à l’université communiste pour les peuples d’Orient, Staline avait déclaré :
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« Le mot d'ordre de culture nationale était un mot d’ordre bourgeois aussi longtemps que le pouvoir s’était trouvé entre les mains de la bourgeoisie. Le mot d’ordre de culture nationale est devenu un mot d'ordre prolétarien lorsque le pouvoir a été conquis par le prolétariat et que la consolidation des nations commença à s'opérer sous le signe du pouvoir soviétique. » Le distinguo subtil de Staline fut encore renforcé parle triple rappel de Kaünine que œtte culture était, en l’espèœ, à la fois socialiste et nationale. Mais le « yevsekisme » dans toutes ses nuanœs rejeta de la manière la plus catégorique, tant pour des raisons théoriques que pratiques, l’idée de la prééminenœ du Birobidjan considéré comme « le principal, sinon l’unique gardien de la culture socialiste et nationale juive ». Les anciens dirigeants et militants des partis socialistes juifs, tous imbus des traditions de lutte contre le sionisme, découvrirent dans cette idée quelque chose qui ressemblait très fortement à la philosophie de l’un des pères fondateurs du sionisme, Ahad-Haam. Il était certes difficile de soupçonner Mikhaïl Ivanovitch Kalinine, fils de paysans, ouvrier à l’usine dès sa jeunesse et vieux bolchevik, d’avoir jamais lu, ou même entendu parler du philosophe et écrivain Asher Gintzberg, célèbre dans le judaïsme russe sous le nom de plume d’Ahad-Haam (L'Un du peuple). Or, paradoxalement, les conclusions essentielles du père du non les postulats, bien entendu, ni les objectifs « sionisme spirituel » et œlles du père officiel de l’État soviéti— que juif accusaient effectivement une incontestable parenté. Ahad-Haam voyait l’essentiel du sionisme, non dans la « réunion des Dispersés », chose qu’il estimait historiquement irréalisable, même dans le cas de l’avènement d’un État juif. mais dans la création en Palestine d’un « Centre spirituel » chargé de maintenir et développer la spiritualité juive, la culture nationale juive, seules capables de sauvegarder et de cimenter l’unité du peuple dispersé.
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« Tout notre dessein écrivait—il se réduit à œci: rassembler en Eretz-Israêl une œrtaine partie du peuple, et cette partie, lorsqu’elle sera parvenue avec le temps à une vie saine et libre, deviendra le œntre de notre vie nationale, influera par son esprit sur toutes les autres parties du peuple,
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restées dans les pays étrangers, les purifiera de la souillure de l’esclavage intérieur et les rassemblera toutes en un seul corps national, animé d’un seul esprit ‘. »
Curieusement, Kalinine insista longuement sur le rôle de plus important, sinon l’unique précisément) en soulignant à plusieurs reprises la œntralité de l’ « État national » qui non seulement « maintiendrait » les particularités nationales et « attirerait » les masses juives, mais en même temps « formerait » la nationalité juive. Une telle conœption se trouvait à l’opposé des traditions séculaires du mouvement ouvrier juif. Dans leur lutte contre le sionisme, les partis ouvriers juifs niaient catégoriquement toute œntralité d’une communauté juive quelconque par rapport à toute autre et proclamaient le droit et le devoir de lutter sur plaœ pour une existenœ nationale pleine et libre partout où vivaient les masses juives, dans toutes les communautés juives du monde. Le « yevsekisme » réagit violemment contre l’idée d’un « Centre spirituel juif » au Birobidjan (œtte variation de Kalinine sur le thème de Ahad-Haam), sans jamais prononœr, bien entendu, le nom du « staroste pansoviétique ». Cette réaction était motivée par des considérations tant idéologiques qu’organisationnelles. Le pessimisme de Kalinine au sujet de l’avenir des positions culturelles juives, ainsi que des particulari— tés nationales, en dehors des frontières du Birobidjan, semaient le découragement et la démoraüsafion parmi les militants juifs, dans tout le pays. Déjà à la dernière conférenœ pansoviétique des Sections juives, en déœmbre 1926, à l’époque du plus grand épanouissement du judaïsme soviétique, social, culturel et artistique le doute et le découragement se manifestèrent chez œrtains. Après les déclarations catégoriques d’Esther Froumkine, par exemple : « Nous devons prévoir également la probabilité d’une assimilation » ou bien « Nous devons habituer systématiquement les travailleurs juifs et les militants juifs à ne point juger de telle ou telle activité en fonction du maintien de la nation », apres de semblables déclarations, plus d’un délégué s’était posé la question sur le sens propre, la signification et le but véritable « gardien » du Birobidjan (« le gardien » de la culture juive,
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de tout « le travail juif ». La camarade Esther essaya de noyer œ doute dans un flot de grandiloquenœ et d’opfimisme de commande. « Mais où donc voyez—vous un motif quelconque de\_ panique ou de désespoir? Cela n’a pas le sens commun! A bas œs sentiments! Tout notre travail juif fait partie intégrante de la construction du socialisme... La sourœ de notre enthousiasme, c’est le communisme. Et œtte sourœ est suffisamment vive et profonde pour nous rassurer sur son avenir°. » Comme d’habi— tude, et malgré tout l’élan de œtte grandiloquenœ, les questions soulevées restèrent sans réponse. L’analyse quelque peu simpliste de Kalinine, non pas de « la possibilité d’assimilation », mais du proœssus d’assimilation intense et très réel qui se produisait d’ores et déjà à Moscou analyse qui valait aussi pour Leningrad et Kiev et, à plus long terme, pour nombre d’autres grandes villes soviétiques était de nature, surtout dans les conditions politiques nouvelles du début des années 30, à augmenter encore « panique et déses— poir ». La presse juive réagissait à sa manière, selon les traditions du « yevsekisme », en soulignant a chaque occasion toute réalisation locale et en condamnant vigoureusement « l’attitude de œux qui prétendent que tout œ qui est fait en Union soviétique ne peut avoir d’avenir et que seul œ qui est créé dans la Région autonome possède une valeur nafionale° ». La doctrine de Kalinine formula, pour la première fois, quelques principes concernant l’affaire du Birobidjan : poser « un fondement soviétique sous la nationalité juive », assurer « une évolution étatique normale à la nationalité juive », sauvegarder « la culture socialiste et nationale juive ». Plus encore, on lança, pour la première fois, des appels clairs, nets, quasi publicitaires : « œux qui sont attachés à une telle culture nationale » ou bien « œux des Juifs qui aspirent à une vie meilleure et désirent sauvegarder leur nationalité » « doivent se mettre en rapport avec le Birobidjan et lui prodiguer leur aide ». Il y avait là, non seulement un appel direct, une large mobilisation pour le Birobidjan, mais à la fois un acquiescement politique, une sorte d’absolution pour tous œux qui avaient été soupçonnés de nationalisme précisément en raison de leur « attachement à la culture juive » ou de leur « désir de maintenir la nationalité ». Il est nécessaire œpendant de rappe— ler et de souligner que œtte « absolufion » provenait, en fait,
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non de « la ligne politique » du pays le Parti avec son Comité œntral et son secrétaire général mais seulement de « la ligne gouvernementale » : le Comité œntral exécutif de l’U.R.S.S. et son président dont les fonctions étaient purement représenta— tives et administratives, la compétenœ politique, purement symbolique et le pouvoir réel, pratiquement nul. L’ « Establishment » juif le cazaao, la presse et les diverses institutions n’a pas accepté la doctrine de Kalinine, et œ, non seulement en raison des divergenœs de principe (la œntralité du Birobidjan, par exemple), mais plus probablement à cause de l’atmosphère générale du pays. L’Union soviétique tout entière était en train de livrer une guerre acharnée au nationalisme. Or, le staünisme montant élargissaît systémati— quement la notion même de nationalisme en y incorporant tout fait national qui ne soit grand—russien. Le mot d’ordre de « lutte contre le nationalisme » devint l’un des dix commandements staiiniens. D’après sa stricte observanœ, on jugea la vigilanœ communiste et le dévouement tant au Parti qu’à son chef, devenu entre-temps « le Guide génial ». Dans œs conditions, la doctrine de Kalinine devint un fardeau et même un fardeau non exempt de dangers. Cette lourde charge dut être assumée par des dirigeants nouveaux, voire une génération nouvelle, non issue du « yevse— kisme », et qui entra très rapidement en conflit avec le « yevsekisme ». Le conflit, d’abord dissimulé, puis de plus en plus ouvert, violent et finalement tragique, portait sur la nature et le sens profond de œt « État national juif » qui, en attendant, demeura toujours... une vue de l’esprit.
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Cuxmle
Les drapeaux du Birobidjan flottent fièrement. .. à l'étranger
Le 3 juin 1934, le télégramme suivant fut expédié de New York à l’intention de Mikhaïl Ivanovitch Kalinine : « Les écrivains soussignés, membres du PEN-Club yiddish, vous adressent, cher Mikhaïl Ivanovitch, président du vrsrx, leurs félicitations les plus chaleureuses à l’occasion de l’acte historique de la transformation du Birobidjan en région auto— nome juive. A l’heure même où dans tant de pays s’étendent la réaction et le fascisme qu’accompagne l’antisémitisme le plus barbare, l’Union soviétique vient d’accueillir une région auto— nome juive au sein de la famille des Républiques soviétiques socialistes. Nous vous en sommes profondément reconnaissants. C’est un acte qui réjouira et inspirera du courage au peuple juif dans le monde entier. Nous saluons tout particulièrement vos propos qui soulignent la volonté du gouvernement soviétique de consolider la nationalité juive et de sauvegarder la culture
juive ‘. » Le télégramme portait les signatures de : Ephraïm Auerbach, Menahem Boreisha, B. J. Bialostocki, B. C. Goldberg, Boruch Glaman, Yakov Gladstein, Reuven AMand, M. J. Heimo— vitch, J. L. Kahan, Pesie Kahana, David Ignatov, B. Lapine, H. Leivick, L. Lerer, A. Leieles, A. Lutzki, Sh. Niger, V. Natanzon, David Pinski, L. Feinberg, Léon Kobrine, Avrohom Reisen, A. Mukdoni, Yoné Rosenfeld, Yoseph Rolnik, Dr Ya— kov Shatski, A. Tolush et Lazare Weiner. Parmi ces vingt-huit signataires poètes, romanciers,
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auteurs dramatiques, critiques, essayistes tous non commu— nistes et œrtains même anticommunistes notoires, se trouvaient d’éminents représentants de la littérature yiddish aux ÉtatsUnis. Les déclarations de Kalinine eurent un retentissement extraordinaire dans les communautés juives du monde entier. Une entité étatique juive, un « État national » pour la première fois depuis deux mille ans! Dans le contexte historique chargé de menaœs les plus graves (l’Allemagne de Hitler, la Pologne des colonels, la Roumanie des « Gardes de fer ») et devant le tragique pressentiment d’une catastrophe imminente, les nouvelles du Birobidjan devinrent réellement une sourœ de joie et de courage. En 1926 déjà, les dirigeants des organisations soviétiques juives attirèrent l’attention des pouvoirs publics sur le fait qu’un territoire autonome juif en Union soviétique « eût renforcé l’influenœ de l’U.R.S.S. sur les masses juives dans les pays capitalistes2 ». La réalité, dans le contexte historique de 1934, dépassa toutes les prévisions. Jamais les sympathies pour l’Union soviétique ne furent aussi vives et œ, non seulement dans les masses populaires juives, mais aussi dans les classes moyennes et parmi l’intelligentsia. Très rapidement, deux camps se formèrent, violemment antagonistes: les adeptes enthousiastes du Birobidjan et ses irréductibles adversaires. Les partisans les plus passionnés, les plus fervents, venaient des milieux communistes juifs d’Europe, d’Amérique du Nord et du Sud, voire de Palestine. L’annonœ d’un État juif en Union soviétique leur apporta la confirmation irréfutable et l’illustra— tion solennelle de la manière dont le pays de la révolution d’Octobre, et lui seul, avait réussi à résoudre définitivement la question juive, restée insoluble des siècles durant. Non seule— ment le Juif soviétique avait reçu tous les droits civiques, en tant qu’individu, et tous les droits nationaux, en tant que membre du judaïsme soviétique (à partir du milieu des années 30, on a utilisé l’expression « membre du peuple juif soviétique »), il reçut également, en toute fraternité, sans même avoir à le demander, une base territoriale pour y créer un État juif, afin d’assurer la pérennité nationale de ce peuple, afin de le transformer en nation soviétique à l’instar de toutes les autres nations de l’U.R.S.S. L’État juif de l’Union soviétique apparut
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ainsi comme un chef—d’œuvre du socialisme, comme le couron— nement de la politique nationale soviétique en général et de la résolution de la question juive en particulier. Par ailleurs, le camp pro—birobidjanais ne compta pas que des communistes, loin de là. Le « projet extrême—oriental » fut accueilli avec énormément d’intérêt par un autre secteur encore de la société juive : par les territoriaüstes, groupés en une Union assez large, dénommée la « Freiland-Ligue ». Cette ligue compta un œrtain nombre de groupes terfitorialistes, plus ou moins importants, à Paris, Londres, Varsovie, Vilno, New York, etc. C’étaient des restes de l’ancienne grande « Organisa— tion territoriale juive » présidée par Israël Zangwill. Les « Frei— landiens », en leur majorité anciens dirigeants des « socialistes juifs unifiés », étaient adversaires déclarés de la révolution d’Octobre et du pouvoir soviétique. Cependant, ils voyaient dans l’expérienœ du Birobidjan une variante soviétique du territorialisme, c’est—à-dire une confirmation indirecte de leur propre plate—forme politique. Le camp adverse comprenait deux secteurs antagonistes: d’une part, le mouvement ouvrier social-démocrate juif et, d’autre part, le sionisme. L’opposition du Bund en Pologne, de l’Arbeter—Rr‘ng3 et du mouvement trade-unioniste groupé autour du Forward“ à New York était totale, sans nuance aucune. Cette opposition découlait de l’hostilité irréductible envers l’Union soviétique et le communisme. La portée d’un État soviétique juif était niée d’une manière absolue, sans la moindre exception ni dérogation. Les motivations du sionisme étaient d’ordre sensiblement différent et son attitude fut plus complexe et nuancée. Toute l’œuvre de colonisation juive en U.R.S.S., depuis l’appel de Dimanstein en 1918, « Faisons une Palestine à Moscou », jusqu’à la proclamation de la région autonome juive, avait été réalisée, sinon officiellement et exclusivement, du moins en fait et partiellement, comme une alternative au sionisme. La colonisation devait fournir l’arme décisive dans la lutte contre le sionisme, lutte menée, par ailleurs, non sur le terrain idéologique, mais par des moyens administratifs et policiers, y compris les prisons et les camps. La proclamation de la région autonome juive fut ressentie comme un défi lancé à la colonisation juive de Palestine et au sionisme en général. Le
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premier groupe d’immigrants venus de Palestine en 1932 pour se rendre au Birobidjan fut reçu à Moscou avec un enthousiasme délirant et fêté solennellement comme un symbole : la victoire du communisme sur le sionisme. L’immigration de Palestine vers le Birobidjan s’est d’ailleurs rapidement terminée, l’année même où elle avait commencé. Elle ne représenta donc aucun danger pour la communauté juive en Palestine elle—même. Cependant, le sionisme voyait un danger dans le retentissement très large provoqué par le Birobidjan dans les milieux les plus divers d’Europe et d’Amérique, un retentissement qui risquait de détourner l’attention de Sion et d’affainr les forœs mobilisatrices, politiques et financières, pour l’œuvre en Terre sainte. Il est toutefois caractéristique que jamais aucun interdit officiel à l’encontre du Birobidjan n’ait été prononcé dans les milieux sionistes. Bien au contraire, en Pologne par exemple, où la misère de la population juive avait été particulièrement atroce, œrtains dirigeants sionistes, parmi les plus notoires, tels que Itshak Grinbaum et le Dr Yehoshua Thon, devant les insurmontables difficultés de l’émigration en Palestine, opposées parles autorités britanniques, se demandèrent s’il ne fallait pas s’intéresser davantage au problème de l’émigration au Birobidjan. Mais tout à fait exceptionnelle fut la position adoptée par le vétéran du mouvement sioniste, collaborateur et biographe de Theodor Herzl, le célèbre écrivain hébraïque plus tard, yiddish -— Reuven Brainine. Partisan enthousiaste de la colonisation juive en Union soviétique en général, Brainine devint un propagandiste passionné du Birobidjan. Dans un article « L’Union soviétique et le nationalisme juif », écrit en novembre 1937 pour le vingtième anniversaire de la révolution d’Octobre, Brainine s’explique ainsi :
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« En tant que sioniste resté fidèle à mes idéaux, je ne vois nul conflit, nulle contradiction entre le sionisme authentique et pur, et le birobidjanisme. L’existenœ de deux Républiques socialistes, l’une en Eretz-lsraël et l’autre en Sibérie ne peut qu’être profitable au Judaïsme. « La création de la République juive au Birobidjan n’exige pas de sacrifices ni d’efforts financiers de la part des Juifs qui souffrent la misère dans les pays où ils sont persécutés.
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« Le seul défaut du Birobidjan, c'est que la jeunesse juive de l’Union soviétique ne semble pas pressée d’y aller, car toutes les poœibilités dans les domaines les plus divers lui sont offertes dans le pays entier. « Mais étant donné que le gouvernement de l’Union sovié— tique est fermement décidé à établir une République juive au Birobidjan, une possibilité s’ouvre aux Juifs de l’étranger, dans les pays qu’on les contraint de quitter: venir s'installer au Birobidjan. Eretz—Israél, dans le cas où un État y aura été établi, ne sera pas en mesure d’accueillir tous les Juifs qui cherchent un refuge pour vivre en paix, sans crainte de persécutions, ni de pogromes. Il arrivera un jour où les réfugiés juifs qui n’auront pu s’installer en Eretz—lsraél se considéreront heureux de trouver devant eux les frontières ouvertes du Birobidjan°. »
Parmi les amis du Birobidjan, nullement inconditionnels mais souhaitant ardemment le succès de l’entreprise, figuraient également, pour des raisons spéciales, les écrivains et artistes yiddish, l’intelligentsia yiddishiste et tous les « amoureux » du yiddish des différents courants politiques. Il y avait parmi eux des adversaires achamés du communisme et de l’Union soviétique, mais ils étaient tous unis ou, plus précisément, fascinés par le statut du yiddish en U.R.S.S. En 1926 déjà, Moshé Litvakov, à l’époque responsable en chef du « front idéologique » pouvait clamer : « On a été les chaînes au prolétariat juif, aux masses populaires juives et, par conséquent, également à leur langue, au yiddish. Le peuple juif vient d’être non pas reconstitué, mais constitué à nouveau... Pour la première fois dans l’histoire est née une vie étatique juive, autrement dit, une vie étatique en yiddish °. » Après avoir énuméré les différentes formes de œtte « vie étatique » : des soviets juifs de bourgades et de villages, des tribunaux juifs, une miliœ juive, des œllules juives du Parti et du Komsomol, des institutions culturelles et artistiques, l’auteur conclut avec un cri de triomphe : « et partout, dans tout et avant tout, c'est le yiddish qui est la langue véhiculaire, la langue
dominante’ ».
Au cours de la décennie suivante, allant de la seconde moitié des années 20 jusqu’à la fin de la première moitié des années 30, cette « vie étatique en yiddish » avait pris des proportions
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considérables, jamais vues encore : des districts nationaux juifs, un immense réseau scolaire d’établissements de tout niveau, du jardin d’enfants aux facultés universitaires; une littérature juive florissante; de nombreux théâtres d’art, d’un très haut niveau; des instituts de recherche scientifique; des éditions, des revues littéraires, des journaux, des écoles d’art, des chorales, des ensembles musicaux, etc. L’histoire juive n’a jamais connu une telle explosion de création intellectuelle, en yiddish et, qui plus est, en un yiddish considéré non seulement comme « langue véhiculaire », mais jouissant du statut de langue officielle, de langue d’État. La déclaration d’indépendanœ de la République soviétique de Biélorussie du 1“ août 1920, ainsi que la constitution de œtte Ré ublique, de 1927, proclamèrent quatre langues officielles d’ tat, le yiddish venant au deuxième rang, après le biélorussien et avant le russe et le polonais. La République soviétique d’Ukraine accorda également au yiddish le statut de langue officielle. Pour la première fois dans l’histoire, œ « jargon » honni et exécré, œtte « langue de bonniches », accéda à semblable honneur. De manière étrange, le sort d’une langue se trouva lié au sort d’un bouleversement mondial. Cela semblait presque être un acte de justiœ immanente de l’histoire. La langue du peuple, des masses populaires, persécutée et humiliée pendant des siècles, fut réhabiütée en même temps que le furent tous les persécutés et humiliés, en même temps que le peuple lui-même. Or, voici que œtte « vie étatique en yiddish », avec œ titre quelque peu prétentieux et exagéré en 1926, car tout « étatique » qu’elle fût par son envergure, son élan et ses aspirations, elle n’en manquait pas moins d’État, voici que œtte « vie étatique » se trouva pourvue d’une base territoriale réellement étatique et, une fois de plus, l’étoile du yiddish brilla avec plus d’éclat encore d'une langue officielle d’État, elle devint la langue officielle d’un État. L’écrivain yiddish, le musicien, l’artiste, le comédien de Varsovie. Vilno, New York, Paris, Londres, Buenos Aires et des coins les plus reculés du Yiddishland8 accueillit cette nouvelle prodi ieuse avec émerveillement et une émotion profonde. Cet tat juif inconnu et lointain lui devint proche, même si son livre y restait interdit, sa pièœ de théâtre jamais
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montée, sa musique jamais jouée ni son tableau jamais exposé, même si de l’autre côté de la frontière lui parvenait un air de persiflage et d’inimitié, et même s’il lui arrivait de répondre à la haine par une haine non moins forte. Le lointain État juif dans le lointain Extrême—Orient soviétique était malgré tout le sien et proche de son cœur. Dans œtte terre lointaine devait être implanté, enraciné a tout jamais son destin, le destin de sa langue et de son œuvre. Il sentait confusément que toutes les vieilles querelles entre frères ennemis des deux côtés de la frontière soviétique s’évanouiraient un jour et que lâ—bas, sur œtte terre vierge, naitrait une société juive rénovée, une vie juive nouvelle où, tôt ou tard, son œuvre, sinon lui—même, trouverait sa plaœ. Cette sensation était d’autant plus poignante que son vieux sol, qu’il foulait tous les jours de ses pieds, commençait à lui échapper peu à peu, mais de plus en plus nettement. D’où œtte expression de gratitude, dans le télé— gramme new-yorkaîs a Kalinine, â l’égard de « la volonté du gouvernement soviétique de consolider la nationalité juive et de sauvegarder la culture juive ». Ce fut lui, en fait, l’écrivain juif, qui rendit célèbre le nom inconnu du Birobidjan. Et bientôt, des drapeaux du jeune État juif soviétique se mirent â flotter fièrement dans les communau— tés juives du monde entier, porteurs d’espoir pour la nation, pour sa langue et sa culture.
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La quadrature du cercle : fonder une nation dans la lutte contre le nationalisme Paradoxalement, les étendards de l’État soviétique juif res— taient introuvables... dans la Région autonome juive elle-même et en Union soviétique en général. Plus précisément, ils subirent à l’intérieur des frontières soviétiques une étrange transforma— tion. Enroulés autour des hampes, ternes et éteints, ils ressemblaient à de vieux accessoires de théâtre, d’une vieille pièœ retirée depuis longtemps de l’affiche, accessoires lourds, encombrants, quelque peu dangereux même qui traînaient inutilement, sans que l’on sût s’ils allaient pouvoir encore servir un jour ou s’il valait mieux s’en débarrasser mais comment ? Tout se passait comme si l’ « Establisbment » communiste juif de l’Union soviétique les milieux des anciennes Sections juives, du cazarm, du connu, la presse juive, les diverses avait fait un effort méritoire pour oublier institutions juives œs étendards, un effort important pour effaœr de leur mémoire la finalité intrinsèque de l’entité étatique juive en U.R.S.S. La doctrine de Kalinine ne fut plus mentionnée, tout au moins publiquement, comme si elle n’avait jamais eu d’existenœ. Par contre, on se lança a la recherche de motivations nouvelles, souvent assez étranges, pour trouver une raison d’être à la Région autonome juive, et œ, avec une prudenœ extrême, un pas en avant, deux en arrière et un regard circonspect tout alentour, comme si un danger menaçait de partout. En outre, une différenœ de diapason, de tonalité devint particulièrement frappante. Kalinine exaltait à haute et intelligible voix l’ « État national juif », « la culture socialiste et nationale juive », « la
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nation juive soviétique » nouvellement formée. Les dirigeants juifs, eux, préféraient s’en tenir sagement au vieil « article 5 », à l’ « Unité » territoriale, s’aventurant tout au plus à mentionner la Région autonome, mais de préférenœ â mi—voix, en usant de détours et de circonlocutions. La voix redevint claire et nette, la parole forte et intelligible uniquement lorsqu’on passa à la question de la lutte contre le nationalisme. Simon Dimanstein, président du cazam, écrivit en soulignant chaque mot : « Il est hors de doute que nous devons à l’heure actuelle renforœr considérablement notre lutte contre les nationalistes juifs car ils essaieront certainement de tirer profit, pour leurs objectifs, d’un événement aussi extraordinaire dans la vie des masses juives qu’est la création, pour la première fois dans l’histoire, d’une Région autonome juive. Il faudra être constam— ment prêt à leur opposer une résistanœ farouche ‘. »
Dans le même style, le viœ-président du oazm, B. J. Trotski proclamait avec le plus grand sérieux la nécessité « d’une vigilanœ renforcée dans le choix des immigrants » et appelait « à interdire le Birobidjan aux éléments nationalistes2 ». Mais qui donc étaient œs « nationalistes juifs », œs « élé— ments nationalistes », quels étaient « leurs objectifs », comment, en quoi et pourquoi pouvaient—ils « essayer de tirer profit » de la création de la Région autonome œs questions ne reçurent jamais et ne purent jamais reœvoir la moindre réponse, car il s’agissait là de composantes de la fantasmagofie stalinienne qui, sous peu, plongea dans le sang le pays entier. Un de ses postulats stipulait que les notions de national et de nationaliste, chez les peuples soviétiques non russes, devaient être considérées en fait comme équivalentes. Il en résultait, en l’espèœ, que l’entité étatique juive de l’Union soviétique, l’ « État national », devait être bâti non seulement sans aucune mobilisation d’énergie nationale, mais bien au contraire, dans une mobilisation générale contre l’énergie nationale. La légitimité de l’entité étatique juive ne pouvant en aucune autant dire, manière provenir d’une source nationaliste nationale —, elle dut être rattachée directement aux intérêts essentiels de l’État. Il s’agissait, bien entendu, et en tout premier lieu, des intérêts stratégiques du pays lesquels avaient
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joué, on s’en souvient, un rôle décisif dans le choix du « projet extrême—oriental ». Pour la première fois œpendant, il en fut parlé ouvertement, du côté juif. Simon Dimanstein écrit : « L’importanœ de la défense de l’Extrême-Orient contre toute intervention étrangère apparaît avec évidenœ à tous œux
qui, conscients de leur devoir, participent à la construction du socialisme. Un des moyens essentiels de renforœr la sécurité de nos frontières extrême-orientales consiste à peupler œtte région d’hommes sûrs et éprouvés. Plus forts nous serons en ExtrêmeOrient et plus éloignée sera la menaœ de guerre. Ceci exige de nous un effort de plus en plus grand pour amener des ouvriers juifs à la construction socialiste de l’Extrême-Orîent qui a un tel besoin de main—d’œuvre... 3 » Le ton, aussi bien que la qualité des arguments, prouvaient à l’évidenœ que l’auteur de ces lignes s’adressait non aux futurs immigrants (qu’il risquait, au contraire, de décourager), mais aux instanœs suprêmes du pays pour qui la légitimité de la Région autonome restait visiblement toujours à démontrer et à justifier. Aussi Dimanstein avança-t-il aussitôt un argument d’ordre différent, un argument de taille qui pourrait sembler étrangement saugrenu, mais qui, selon toute apparenœ, représentait pour un dirigeant soviétique une valeur décisive et absolue. En effet, Dimanstein rattacha la légitimité du Birobid— jan, d’une manière indirecte, il est vrai, à... une décision d’un congrès du Parti. De fait, le XVII" Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique, en janvier 1934, avait adopté, parmi plusieurs autres programmes grandioses pour le second plan quinquennal, un projet de création d’une aciérie en Extrême— Orient, sur la base « du charbon des Bourei et du fer du Petit Khingan ». Il est à peine néœssaire de rappeler que « le charbon des Bourei » se trouvait, pour le moment, au fin fond des montagnes du même nom et « le fer du Petit Khingan », quelque part au fond de la chaîne du Petit Khingan, le projet n’ayant guère dépassé le stade d’une planification générale. Il n’em— pêche que les deux chaînes de montagnes avaient bel et bien d’incontestables rapports de parenté avec le Birobidjan. Le Petit
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L’Eaujuifde l‘Union soviétique
Khingan se trouvait sur le territoire même de la Région
autonome et les Bourei, directement à sa frontière nord.
Ces heureuses données géographiques paraissaient suffire pour que Dimanstein ptit écrire : « L’importanœ générale de l’édification de la Région auto— nome résulte notamment du fait que la construction de l’aciérie sur la base du charbon des Bourei et du fer du Petit Khingan est prévue dans les décisions du XVII" Congrès du Parti. Ceci nous donne toute possibilité d’appeler au Birobidjan plusieurs milliers d’ouvriers juifs à un travail stakhanoviste. C’est là un stade sensiblement supérieur par rapport à l’activité passée, vouée exclusivement à la réhabilitation des couches déclassées de la miséreuse population juive‘. » Les formules de Kalinine au sujet du « fondement soviétique de la nationalité juive », du « maintien de la nationalité » ou de la « sauvegarde de la culture socialiste nationale juive » avaient complètement disparu. A leur plaœ surgit un seul mot d’ordre : « Construction socialiste en Extrême-Orient », mot d’ordre global réunissant toutes les motivations, synthèse de la stratégie, du charbon, du fer et même… de l’entité étatique juive. La mode revint aux « enthousiastes de la construction socia— liste en Extrême-Orient qui bâtiraient en même temps leur Région autonome’ ». L’expression « en même temps » était particulièrement éloquente. Elle marqua en fait le retour aux années 20, époque où l‘édification de l’ « Unité » nationale avait été considérée non comme « but », mais comme « résultat ». Par ailleurs, de nouvelles tendanœs, d’une importanœ capitale, commencèrent à se manifester. La naissanœ officielle de la Région autonome fut célébrée en grande pompe. Après le décret du 7 mai 1934, de très nombreux télégrammes de félicitations arrivèrent au Birobidjan de toute des Républiques fédérales, de différentes l’Union soviétique organisations, institutions, entreprises, etc. Une phrase, répétée dans nombre de télégrammes, attirait spécialement l’attention : « Toute l’Union soviétique bâtit la Région autonome juive. » C’était là une preuve évidente qu’il s’agissait d’un mot d’ordre venu des instanœs supérieures. Les dirigeants juifs en furent, bien entendu, fort contents.
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« Ce mot d’ordre, écrivait Dimanstein, présente pour nous une importanœ toute spéciale, il nous aidera à donner à notre travail un caractère encore plus international, à remplir les indications du camarade Staline du XVII° Congrès du Parti au sujet de l’éducation des masses dans un esprit international°. »
Deux Républiques fédérales, la République soviétique de Biélorussie et la République soviétique d’Ukraine, devinrent les « marraines » du Birobidjan, c’est—à-dire, se chargèrent de la surveillanœ amicale, de la tutelle fraternelle de la Région autonome juive. Cet usage devait être l’expression de l’intemationalisme soviétique, de l’amitié entre tous les peuples de l’U.R.S.S. « Toute l’Union soviétique bâtit la Région autonome juive » voulait dire, sans doute, que toutes les Républiques fédérales et, en premier lieu, les « marraines », la Biélorussie et l’Ukraine qui possédaient une population juive fort nombreuse, devaient aider le Birobidjan en lui procurant « le matériel le plus important et le plus précieux », c’est-à-dire les immigrants, les cadres et les spécialistes. Mais ce mot d’ordre sous-entendait quelque chose de plus et d’essentiellement différent que Dimanstein tenait à préciser sans ambages. Il ajoutait, en effet : « En outre, il convient de souligner que le mot d’ordre Toute l’Union soviétique bâtit la Région autonome juive ” “ signifie aussi qu’en même temps que des immigrants juifs, qui devaient constituer l’apport essentiel, il fallait envoyer égale— ment au Birobidjan des cadres non juifs (souligné par l’auteur) qui aideraient à réaliser plus rapidement les plans d’édificafion de œtte richissime région—frontière 7. »
Ces quelques lignes devaient, comme en passant, marquer un
tournant fondamental dans la politique soviétique à l’égard du
Birobidjan. Pour la première fois, il fut déclaré publiquement
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et par un dirigeant de haut rang, non seulement président du
cazarm, mais aussi responsable de la section des minorités nationales auprès du Comité œntral du Parti communiste de l’U.R.S.S., donc par un dirigeant exprimant la position du Parti pour la première fois il fut déclaré que l’immigration au Birobidjan, dans œtte Région autonome juive, dans œt « État
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national » juif devait être à l’avenir « essentiellement », mais non pas exclusivement juive. Ainsi se manifestèrent, pour la première fois, les hésitations des instanœs suprêmes du pays au sujet de l’État juif en formation : serait-il à même de résoudre non par des résolu— tions, mais par des réalisations et, tout d’abord, par une
immigration immédiate de plusieurs dizaines de milliers de travailleurs juifs, les tâches que l’État soviétique lui avait assignées : repeupler, animer et fortifier le plus rapidement possible le secteur de l’Extrême-Orîent soviétique qui lui avait été attribué. Le prétendu besoin de « cadres non juifs » pour « aider à réaliser les plans » ne pouvait être pris au sérieux. Au début des années 30, les « cadres non juifs » faisaient encore l’école buissonnière. Et œ furent précisément les « cadres juifs » qui, pour diverses raisons historiques, « aidèrent à remplir les plans », que œ soit en Biélorussie, en Ukraine ou dans d’autres Républiques soviétiques. En réalité, il s’agissait d’amener au Birobidjan, non des « cadres non juifs », mais des non—Juifs en général, ouvriers et paysans. Avant même que la Région autonome juive, l’État juif soviétique en formation, ne devienne une réalité nationale, il s’agissait déjà de... l’internationaliser. Ainsi donc, deux « lignes » apparemment parallèles et œntra— dictoires se dessinaient au sujet du Birobidjan : « la ligne d’État », la doctrine de Kalinine, avec son optimisme historique quant à l’État national et à la culture nationale d’une part et, d’autre part, « la ligne du Parti ». la ligne stalinienne de « lutte contre le nationalisme », avec la œntralisation de plus en plus poussée de l’appareil d’État et le nivellement de plus en plus meurtrier des peuples soviétiques non russes. En fait. il n’y avait ni parallélisme ni contradiction, mais seulement un des nom— breux paradoxes de la réalité soviétique. La « ligne d’État » n’était qu’une façade, qu’un décor constitutionnel, un décor bien planté, il est vrai, mais sans la moindre consistanœ, ni le moindre pouvoir. Seule comptait et décidait « la ligne du Parti », et ses verdicts furent sans appel. Déjà le sang coulait à flots en Ukraine et bientôt en Biélorussie, en Géorgie et en Arménie. Le pays entier s’enfonçait dans la crainte et la frayeur, dans une angoisse qui étreignait le cœur et glaçait le sang. Dans la « rue juive », le tragique de œs années se cristallisa tout
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particulièrement autour de l’affaire du Birobidjan. La littérature juive de l’Union soviétique en porta témoignage autant par ses acclamations que par ses silences. Les relations entre l’écrivain juif de l’Union soviétique et entre la littérature et le thème l’ « Unité » territoriale juive du Birobidjan d’une part, entre l’écrivain et sa participation personnelle à l’œuvre d’édification du Birobidjan d’autre part étaient étrangement paradoxales. A première vue, quoi de plus simple ? L’avenir national du judaïsme soviétique venait d’être ancré, officiellement, dans œtte terre vierge près du Pacifique. Ici le judaïsme soviétique, rénové, laïque, moderne, socialiste, devait prendre racine, profondément, puissamment, à tout jamais. Sur œtte terre rude venaient d’être gravées : pérennité, durée nationale, culturelle, linguistique une durée assurée, garantie par tous les sceaux officiels, authentifiée par les signatures les plus prestigieuses de l’État. On aurait imaginé que les écrivains juifs soviétiques et toute la littérature juive de l’U.R.S.S. allaient accourir vers le Birobidjan comme un assoiffé vers une source d’eau vive, avec allégresse, avec enthousiasme, avec un sentiment de salut, voire d’immortalité assurée. Il n’en fut rien pourtant. Bien sûr, on ne manqua pas d’éloquenœ, de déclarations ronflantes, de phrases fortes, mais en même temps on sentait une étrange réserve, une espèce de circonspection et de retenue. En outre, des reproches mutuels s’accumulaient; du côté des écrivains, modérés et discrets; du côté du Birobidjan, violents, durs et amers. Au fond, le Birobidjan n’avait pas a se plaindre de la littérature juive. C’était elle, au contraire, qui avait créé la légende de l’ « Unité » territoriale avant que œlle-ci ne devint une réalité. Mais l’écrivain se voyait reprocher d’en être resté là, à la légende précisément, sans avoir essayé, non seulement de s’intégrer à la nouvelle réalité, mais même de l’approcher. Le cas le plus surprenant parut être œlui de Meier Alberton, auteur de l’ouvrage Birobidjan, immédiatement devenu classique. Paru en 1929, l’œuvre eut rapidement deux rééditions en yiddish et fut traduite en russe, en ukrainien, en allemand et, partiellement, en plusieurs autres langues européennes. Alberton partit pour le Birobidjan, le 4 mai 1928, comme correspondant du journal Der Emess de Moscou, avec l’un des tout premiers groupes d’immigrants d’Ukraine. A l’aide de ses
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notes de voyages, vives, spirituelles, souvent pleines de poésie, il réussit à brosser la première image artistique de œ pays lointain et étrange, de sa nature déconœrtante et de toute sa problématique, plus déconœrtante encore. Dans œ pays du futur État juif, Alberton resta deux mois et rentra chez lui, en Ukraine. Ce premier séjour demeura pour lui le dernier. Il n’est jamais plus retourné au Birobidjan. La critique birobidjanaise lui en fit grief, à lui comme à plusieurs autres écrivains qui se tenaient un peu à l’écart du Birobidjan. Même après la proclamation de la Région auto— nome juive, nota avec amertume M. Kadichevitch, « il est toujours difficile d’aperœvoir chez les écrivains juifs une envolée d’enthousiasme créateur pour le Birobidjan, ou une volonté de s’y installer, de retrousser les manches pour construire, brique après brique, œ grandiose édifiœ socialiste, ou au moins, de le voir comme il faut, de ses propres yeux° ». Il est caractéristique que œ fervent patriote du Birobidjan ne voyait dans l’œuvre de la Région autonome juive rien d’autre qu’un « grandiose édifice socialiste », sans même s’aperœvoir que son reproche comportait une excuse toute prête. En effet, pour voir « de ses propres yeux », en Union soviétique, « un grandiose édifiœ socialiste », on n’avait nul besoin de faire un voyage de dix mille kilomètres. Dans le fond, toutefois, la critique n’avait pas entièrement tort. Les grands écrivains juifs venaient au Birobidjan pour faire une brève apparition, à l’occasion d’un événement solennel et s’en retoumaient rapidement chez eux. « La volonté de s’instal— ler » était visiblement absente. Certains annonçaient leur arri— vée définitive et imminente, mais la remettaient de mois en mois et d’une année à l’autre. Ce manque « d’enthousiasme créateur » et le désir de se tenir, géographiquement, « loin » de l’État juif n’étaient qu’un des aspects du problème. Un autre aspect était infiniment plus complexe : l’auteur d’une œuvre consacrée au Birobidjan se croyait obligé de prendre ostensiblement ses distanœs à l’égard de tout œ qui pouvait être interprété comme nationalisme; par ailleurs, il devait dans le même temps insister lourdement sur sa fidélité éternelle et absolue au socialisme. Les résultats furent tragiques. Les plus grands écrivains juifs durent tourner en dérision « les rêves d’époques nouvelles dans
La quadrature du cercle l’histoire juive9
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», autrement dit, le rêve d’un État juif qui,
pourtant, était œnsé se réaliser au Birobidjan même; ou bien présenter la Région autonome juive, dans l’esprit de « l’éducation intemationafiste » préconisée par Staline, non comme « un pays juif », mais comme « un pays pour tous, pour œlui qui s’adonne librement au travail ». Les écrivains juifs d’Union soviétique étaient bouleversés d’angoisse, paralysés par la terreur. Ils sentaient confusément, sans en bien saisir les raisons, que la hache du bourreau les menaçait sans relâche. En 1936, paraissait à Moscou le premier recueil littéraire consacré à la Région autonome juive, intitulé Birobidjan. Dans œ recueil, un poème surtout attira l’attention générale autant par sa valeur littéraire que pour son courage, tout à fait exœptionnel pour l’époque. Ce poème, dû à la plume de Peretz Markish ", l’un des plus illustres poètes juifs, portait un titre— programme : « Un peuple vient vers toi, taiga, pour devenir
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jeune. » L'impression, sur le lecteur et la critique, fut considérable. Dans un grand article d’octobre 1936, « Problèmes de la littérature au Birobidjan », l’essayiste Sh. Klitenik se montra particulièrement affirmatif : « La forte image de Markish, dit-il, “ Un peuple vient vers toi, _ta‘iga, pour devenir jeune ” devrait, au fond, devenir la problématique (souligné par l’auteur) de toute la littérature birobidjanaise, la problématique de la poésie consacrée à la Région autonome juive ”. » Et pourtant œla n’empêcha nullement le même auteur de conclure le même article d’une manière fort représentative du style soviétique de la contradiction permanente entre la pensée et l’acte. L’accord final de l’article fut un appel solennel pour une littérature « capable d’enflammer le cœur de œntaines de milliers de travailleurs juifs d’un pathos birobidjanais, d’un pathos d’édification d’un pays soviétique florissant sur les bords du puissant fleuve Amour 13 ». Ainsi donc, non « un pays juif », mais « un pays pour tous », non « un peuple vient » pour renaître, mais un avant-poste soviétique « sur les bords du puissant fleuve Amour »... La contradiction frappante entre « la ligne d’État » et « la ligne du Parti », qui déroutaït et effrayait, finit par enfermer l’affaire du Birobidjan dans un œrcle vicieux et la condamna par avanœ a un échec tragique.
Cnam XIII Avec la doctrine de Kalinine : yiddishisation « objective » et « subjective »
Pour essayer de sauver l'œuvre du Birobidjan et, par conséquent, l’idée même d’une entité étatique juive en Union
soviétique, le œrcle vicieux devait être brisé. C’est le Pr Joseph Liberberg, l’une des personnalités les plus remarquables du judaïsme soviétique, qui assuma pareille tentative. Né en Ukraine en 1899, Liberberg faisait partie de la deuxième génération des dirigeants soviétiques juifs. Il adhéra au Parti communiste en 1919. Auparavant, il miliœ un œrtain temps dans « Le Parti ouvrier socialiste juif » (J.S. ou « Sei— mistes ») qui, en 1917, fusionna avec « Le Parti ouvrier sioniste socialiste » (S.S.) pour former ensemble « Le Parti ouvrier socialiste juif unifié ». Après son adhésion au Parti communiste, Liberberg s'enga— gea comme volontaire dans l’Armée rouge et participa aux combats sur divers fronts de la guerre civile. Il quitta l'armée quelques années plus tard, pour se vouer entièrement à la scienœ. La grande Révolution française donna naissanœ, à côté de Bonaparte, à un nombre impressionnant de trés jeunes et trés célèbres généraux et maréchaux. La révolution d’Octobre eut non seulement ses jeunes chefs de guerre, mais aussi ses jeunes savants. Liberberg devint professeur à vingt—cinq ans. Sa spécia— lité, à œtte époque orageuse, fut quelque peu étrange : il se voua à l’étude des problèmes socio—économiques de l’Angleterre au XVIII“ et XIX° siècle (vraisemblablement sous l’influenœ de Marx). Liberberg était un historien érudit, grand travailleur, exœl—
Yiddühüalîon « objective » et « subjective »
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lent lecteur et orateur et, en outre, un organisateur de premier ordre. Sans doute était-il prédesfiné à une grande carrière universitaire. Mais ses liens de jeunesse avec le mouvement ouvrier juif l’avaient profondément marqué. « La rue juive » resta sienne à jamais. En novembre 1924 fut fondé à Minsk « l’Institut de la culture future Académie des Scienœs de la Biélorus— biélorusse » sie avec un secteur juif. Les statuts de l’Institut, approuvés par décret officiel du rsrrt et du Conseil des commissaires du peuple de la République soviétique de Biélorussie, consacrèrent un article spécial à la culture juive : « Un secteur juif est établi (dans l’Institut) pour l’étude de la langue, de la littérature et de l’histoire juives; le secteur pourra, en cas de besoin, créer luimême toutes sections et commissions qu’il jugera utiles. » Ce fut le premier établissement juif de recherches scientifiques en Union soviétique et dans le monde. Liberberg, appuyé par plusieurs dirigeants juifs, entreprit des démarches énergiques pour la fondation d’un établissement semblable en Ukraine. Les démarches furent couronnées de succès et, en 1926, une « chaire de culture juive » fut inaugurée auprès de l’Académie des Scienœs de la République d’Ukraine, à Kiev. Comme administrateur de chaire on nomma, à titre provisoire seulement, le philologue juif bien connu, critique et publiciste Naoum Schtif, (pseudonyme littéraire : BaslDimion), ancien dirigeant des socialistes unifiés qui venait de rentrer après émigration. En 1929, la « chaire » fut transformée en « Institut de culture juive » dont le nom fut changé, une fois de plus, en 1931 en « Institut de culture juive prolétarienne auprès de l’Académie des Scienœs ukrainienne ». Au début de 1928, Joseph Liberberg fut nommé administrateur de chaire et, par la suite, directeur de l’Institut. Gr✠à Liberberg, à son esprit d’initiative, à son énergie inépuisable et à ses extraordinaires talents d’organisateur, l’Institut devint rapidement le centre principal et le plus prestigieux, non seulement de la scienœ et de la recherche scientifique juives, mais plus généralement de la culture juive en Union soviétique. L’Institut lui—même, mais également ses la Bibliothèque académique et les Archives de annexes furent entourés d’infiniment d’affection par toute la presse population juive.
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La Bibliothèque fut l’œuvre, au sens propre du terme, de Liberberg et de ses collaborateurs enthousiastes, aidés de collecteurs bénévoles, aprés une véritable mobilisation cultu— relle proclamée dans les villes et bourgades d’Ukraine. Au sujet de la Bibliothèque, Liberberg a pu écrire : « D’apres la richesse des fonds juifs, elle est la deuxième au monde. Il suffira de dire qu’elle possède les œuvres les plus importantes sur les Juifs, en vingt—cinq langues. Il existe è la Bibliothèque un serviœ de manuscrits, avec plus de mille manuscrits anciens, à compter du xm‘ siècle‘. » Les Archives de presse possédaient un fonds de près de douze mille collections annuelles de périodiques juifs. Elles reœvaient, étudiaient et dressaient le catalogue systématique, en différentes langues, des périodiques juifs de quarante pays. L’Institut de Kiev comprenait huit sections : histoire, sociolo— gie, économie, pédagogie, littérature, linguistique, ethnogra— phie, bibliologie, ainsi qu’une section d’études du Birobidjan. En dehors des sections travaillaient une série d’unités de recherches plus petites, ou cabinets (d’après la terminologie académique soviétique) : cabinet d’histoire, cabinet de folklore musica], cabinet de folklore oral, cabinet de littérature juive soviétique, cabinet de pédagogie expérimentale, etc. En octobre 1932, Liberberg entreprit, avec Baruch Huber— man, son plus proche collaborateur, un voyage d’études au Birobidjan, au titre d’une mission de la section d’études birobidjanaises. Les conclusions du voyage furent publiées dans Der Emess de Moscou, des 15 et 16 octobre 1932, sous la forme de deux articles signés par les deux auteurs et portant œ titre significatif : « Bâtir le Birobidjan d’une manière organisée et en travailleurs de choc. » Les articles firent une profonde impres— sion dans les milieux juifs et, très rapidement, dans toute la société soviétique. Pour la première fois, fut présentée une analyse courageuse, rigoureuse et compétente de l’ensemble des causes qui avaient conduit, en fait, à la faillite de l’immigration au Birobidjan. Il est permis de supposer que œs articles décidèrent du sort ultérieur du directeur de l’Institut juif de Kiev. Le Pr Liberberg fut remarqué et, selon toute vraisemblanœ, « noté » dans les instances compétentes. Aussitôt après la publication de l’acte du mnt, du 7 mai 1934, Liberberg fut nommé président du Comité d’organisation qui
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devait préparer le passage du district du Birobidjan au stade administratif et étatique supérieur de Région autonome. Dans la pratique soviétique, œtte nomination voulait dire que lui— même, Liberberg, allait être placé à la tête de la nouvelle à la tête seulement de Région. Mais distinguo de taille! « la ligne d’État ». Comme représentant de « la ligne du Parti », on désigna pour la Région autonome un œrtain Matvei Pavlo— vitch Khavkine, un Juif de Biélorussie, dans sa jeunesse apprenti tailleur, après Octobre, secrétaire du Comité de ville du Parti à Homel, plus tard commandant de la miliœ de la région de Home] et finalement, secrétaire du Comité du Parti de la ville et du district de Smolensk. Dans la hiérarchie soviétique, la prééminenœ absolue revient naturellement à la « ligne du Parti », sourœ de décision politique et de contrôle organisationnel. La « ligne d’Etat » n’est investie que de fonctions administratives et de représentation. Le « propriétaire » effectif (la terminologie politique en U.R.S.S. dit, précisément « propriétaire » et non, par exemple, « patron ») d’une ville ou d’un village, d’un district ou d'une région n’est pas le président officiel du Comité exécutif officiel du Soviet local, mais bien le secrétaire du Parti. Tel est, du moins, le schéma officiel. D’après œ schéma, l’ancien apprenti tailleur qui, dans sa plus tendre enfance, se prénommait vraisemblablement Motel, fils de l’honorable Peissi et qui, plus tard, gr✠à la révolution d’Octobre, devint Matvei Pavlovitch, cet « apparatchik » type qui n’avait jamais eu, et ne désirait probablement pas avoir, le moindre rapport avec « la rue juive » et « le travail juif », œ Matvei Pavlovitch Khavkine fut nommé le « propriétaire » effectif de son « propriétaire » apparent Pr Joseph Liberberg. Avant de se rendre au Birobidjan, Liberberg fut reçu en audience spéciale par Kalinine. Le « staroste pansoviétique » encouragea vivement le futur jeune « staroste birobidjanais ». Il lui promit son concours le plus total et l’aide la plus efficace pour transformer, avec le temps, la Région autonome en République autonome juive. Ce fut d’ailleurs ainsi que Liberberg comprit sa mission. Il interrompit son travail scientifique, quitta son Institut bien-aimé pour aller bâtir œ que Kalinine appelait « un État national » et que lui-même, Liberberg et ses collaborateurs les plus proches nommaient plus simplement un « État juif
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socialiste2 ». Cependant, et pour la première fois, l’accent fut mis simultanément et avec la même intensité, a la fois sur
« juif » et sur « socialiste », sans le vieux « complexe du péché politique originel » et sans peur d’être taxé de nationalisme. Dans œs années de « lutte sur deux fronts », une telle démarche dénotait un courage civique extraordinaire. Il ne s’agissait évidemment pas de nouveaux mots d’ordre, chose en général impensable dans la conjoncture soviétique. Il existait un acquis, la « doctrine de Kalinine », qu’il fallait simplement mettre à profit et réaliser à la lettre. Il fallait tenter le quasi-impossible : jouer la carte de « la ligne d’État », comme si aucune autre « ligne » n’avait jamais existé. Peut—être espérait-on résoudre les difficultés dialectiquement, dans le proces— sus même de création de l’État. L’élan, l’ampleur et l’ardeur nationale de l’activité de Liber— berg à Kiev permettent de supposer que . la « doctrine de Kalinine » avait trouvé en lui un adepte passionné et qu’il avait adhéré à œtte doctrine dans tous ses aspects, y compris la prééminence du Birobidjan comme centre principal de la pérennité nationale et comme gardien de la culture nationale juive. Les variations kalininiennes sur les thèmes de Ahad— Haam, les perspectives d’un œntre spirituel, d’un grand œntre et, peut—être, non pour culturel pour le judaïsme soviétique lui seul —, œtte vision quasi messianique avait de quoi séduire œt homme passionné de culture juive que fut avant tout Joseph Liberberg. Il n’ignorait pas les dangers que comportait une semblable vision, mais le messianisme, en l’espèce, était dénué de toute mystique, il était réaliste et révolutionnaire, il découlait en ligne directe... d’Octobre. Le 18 déœmbre 1934 fut inauguré, en grande pompe, dans la ville de Birobidjan, le premier Congrès constituant des Soviets de la Région autonome juive, en présenœ de trois œnt vingttrois délégués dont œnt soixante Juifs, œnt vingt—quatre Russes, onze Coréens, cinq Chinois et vingt-trois d’autres nationalités. Le discours d’inauguration fut prononcé par le Pr Liberberg, en yiddish. De Moscou arriva Simon Dimanstein, président du cazsao, accompagné d’un groupe d’écrivains : David Holstein, Peretz Markish, [si Harik, Samuel Godiner et Yhezkel Dobrouchine. Des délégations officielles arrivèrent des Républiques
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soviétiques fédérales et il y eut également des délégations et des invités de l’étranger. Dans son discours officiel de bienvenue, le secrétaire du Comité de Parti de la Région extrême—orientale, Lavrentiev (« propriétaire » de l’Extrême-Orîent soviétique), déclara : « Quelle est la tâche principale dont le Parti et le pays entier viennent de charger la Région ? Cette tâche consiste en œci : créer dans notre Union des Républiques, au cours des pro— chaines années, une République socialiste juive°. » Un des premiers problèmes qui se trouvèrent posés devant la jeune formation étatique fut le problème de la langue. En principe, la langue officielle, dès le stade du district, était le yiddish. Un mois avant l’inauguration du Congrès constituant des Soviets, du 18 déœmbre 1934, le Comité de Parti de la Région extrême—orientale, dont faisait partie administrative— ment la Région autonome juive, avait confirmé par décision officielle du 20 novembre 1934 que la langue officielle de la Région autonome juive qui venait d’être proclamée était bien le yiddish. Le premier plénum du Comité régional de Parti du Birobid— jan, des 4 et 6 juin 1935, s’arrêta longuement sur la question de la langue. Une résolution spéciale confirma « la nécessité d’introduire le yiddish dans la vie sociale et étatique de la Région ». La première conclusion à tirer de œtte résolution, c’est que, avant juin 1935, le yiddish, de toute évidenœ, n'était pas introduit « dans la vie sociale et étatique de la Région ». Il n’est pas sans intérêt de noter que l’un des partisans les plus fervents du yiddish se trouvait être, au plénum, le commandant non juif de la garnison de l’Armée rouge en stationnement au Birobidjan, le Letton V. Rokhi. Né et élevé à Riga, Rokhi non seulement comprenait le yiddish, mais le parlait couramment et faisait même des discours et conférenœs publics en œtte langue. Il ne fut d’ailleurs pas le seul. Plusieurs dirigeants russes de la Région extrême—orientale se mirent à apprendre le yiddish, avec plus ou moins de suœès. A la suite du plénum du Parti des 4—6 juin, le Comité exécutif de la Région autonome juive publia, en juillet 1935, une ordonnanœ signée de son président, J. Liberberg, et de son secrétaire Zavilovitch, sous le titre : « Sur l’obligation de publier toutes éditions en deux langues. » Cette ordonnanœ
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L’Etatjuif de l’Union soviétique
prescrivît a toutes les organisations soviétiques, sociales, profes— sionnelles et économiques, exerçant leur activité sur le territoire de la Région autonome juive, de publier toutes leurs instruc— tions, directives, communiqués, enseignes et publications quel— conques à la fois en deux langues : en yiddish et en russe. Dans les agglomérations à forte population coréenne, en trois langues : en yiddish, russe et coréen. Le 15 septembre 1935, le Comité exécutif de la Région autonome et le Comité régional du Parti adoptèrent une résolution spéciale au sujet de « l’introduction de la langue yiddish dans toutes les institutions d’Etat et entreprises écono— miques ». En conséquenœ, « dans toute l’activité de l’hôtel de ville de Birobidjan, ainsi que des soviets suburbains, du tribunal de ville, de la poste, du télégraphe, de la miliœ et des autres serviœs municipaux, de toutes les coopératives artisanales et des entreprises d’État employant une majorité d'ouvriers juifs, de même que dans les soviets des villages à forte majorité de la langue officielle devint le yiddish‘ ». population juive La correspondanœ de tous les serviœs du Comité exécutif de la Région autonome avec toutes les institutions qui desservaient la population juive, devait obligatoirement être menée en yiddish. Les cachets d’oblitération de la poste devinrent bilin— gues: en yiddish et russe. Il en fut de même pour tous les formulaires administratifs. Des cours spéciaux de yiddish furent organisés pour les fonctionnaires et les dirigeants dont la connaissance de la langue était insuffisante. La décision du 15 septembre 1935 ne semble pas avoir été exécutée partout et de bonne foi. Il y eut des résistanœs, çà et là, ouvertes ou dissimulées, et même des sabotages. Aussi le Comité régional du Parti revint-il à la question une fois de plus et, dans une résolution complémentaire du 1“ juin 1936, admonesta sévèrement les récalcitrants, invoquant la discipline de parti et la menaœ de sanctions. Ce fut la preuve que l’affaire avait été prise très au sérieux. Même Matvei Pavlovitch, le secrétaire du Comité régional de Parti, parut entraîné par le
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courant.
« Des proœssus extrêmement importants, écrivit—il, se pro— duisent ici sur le plan du développement de la langue et de la culture juives... Dans la Région juive se crée une langue
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étatique et soviétique juive qui correspond à tous les domaines d’édification de l’État, de l’économie et de la culture ’. » Le sens profond de ces « processus extrêmement importants » risquait d’échapper à Matvei Pavlovitch. Leur vrai et seul animateur fut Liberberg. Les « processus » eux—mêmes se jouaient sur deux plans, présentaient deux dimensions : poli— tim—administrative d’une part, et nationale, d’autre part. La « yiddishisatîon » de la Région autonome juive fut tout d’abord une affaire polifico—adnünistrative, un des commandements de la politique nationale soviétique, de « la politique nationale de Lénine et Staline ». Une « Unité » étatique natio— nale devait, par définition, posséder sa propre langue nationale. Cela justifiait, dans une large mesure, son droit à l’existenœ. La politique nationale soviétique se vantait d’avoir transformé en nations, avec leurs langues et cultures propres et leur vie étatique propre, des peuplades et tribus pour qui il avait fallu commenœr par inventer un alphabet. Aider à la création d’une entité nationale voulait dire aussi aider a développer la langue et la culture nationales de œtte nouvelle nation soviétique qui venait de naître. Les principes de la politique nationale allaient de pair ici avec œux de l’intemafionaüsme soviétique et de l’amitié entre tous les peuples de l’U.R.S.S. En outre, il y avait là l’expression d’une règle bien comprise de la discipline de parti. C’était précisément pour toutes œs bonnes raisons que le commandant non juif de la garnison de l’Armée rouge stationnée au Birobidjan fut un adepte fervent du yiddish. C’était aussi pour les mêmes raisons, et non par simple curiosité linguistique, que plusieurs Russes, responsables du Parti en Extrême-Orient, se mirent à étudier le yiddish. Et c’était toujours pour œs mêmes raisons que le président du Comité exécutif de la Région extrême-orientale, le Russe Kroutov, lors d’une rencontre amicale avec les « stakhanovistes » juifs venus, en 1936, du Birobidjan au Khabarovsk, commença son discours de bienvenue en yiddish. Il est évidemment permis de se poser quelques questions sur la profondeur et l’étendue de cette amitié pour les voisins juifs et leur langue. Il est permis de se demander si œtte amitié n’était pas susceptible d’être effacée sans laisser de traœ parle premier
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contre—ordre venu, toujours en vertu d’une règle bien comprise de la discipline de parti. Ces questions ne diminuent au demeurant en rien l’importanœ de œtte réalité historique dans un moment historique donné qui ne doit aucunement être sous— estimée. Ainsi, la « yiddishisation » officielle de la Région autonome aux fins de « création d’une langue étatique et soviétique » dans tous « les domaines d’édification de l’État, de l’économie et de la culture » était absolument conforme aux règlements du Parti. Matvei Pavlovitch, le « propriétaire » du Birobidjan, pouvait, la conscienœ tranquille, la porter au compte de ses réussites personnelles et des succès incontestables du Parti. Or, œtte « yiddishisation » présente encore un autre aspect, une autre dimension une dimension nationale d’importanœ considérable. L’analyse soviétique du problème de la culture nationale se trouve résumée par la célèbre formule : « Socialiste dans le contenu, nationale dans la forme. » Il est communément admis que la culture soviétique, que les cultures des peuples soviéti— ques sont toutes socialistes dans leur contenu et nationales dans leur forme. Notre propos n’est pas ici de procéder à une analyse détaillée de œtte formule, ni à une réflexion approfondie sur le sens et la possibilité même d’opposer l’une à l’autre, d’une manière quasi mécanique, les notions de forme et de contenu. Il s’agit, plus modestement, de noter et d’expliquer le point de vue soviétique officiel et d’essayer de suivre ses effets sur la culture juive et la vie juive en Union soviétique en général et au Birobidjan en particulier. La définition soviétique « nationale dans la forme » visait en réalité une spécificité nationale, non d’une quelconque forme de culture, mais seulement et uniquement d’une forme linguistique, une spécificité de langue. Dans la pratique soviétique, l’expression « national dans la forme » ne signifiait rien d’autre, à de rares exœptions près, que « national d’après la langue ». Le phénomène national était ainsi défini par le fait linguistique, autrement dit, le phénomène national était considéré ou, mieux, toléré, sinon exclusivement, du moins essentiellement dans la seule dimension linguistique. Plus précisément encore, le phénomène national s’est trouvé limité à œtte seule dimension.
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Ainsi donc, l’approche soviétique se laisse définir à peu près comme suit : dans le domaine de la culture, le phénomène national est affaire uniquement de forme, et dans la forme de langue uniquement. Du postulat de l’unidimensionnalité du fait linguistique découlait le principe de l’unicité de la langue de culture. La culture de tout peuple soviétique est créée uniquement et exclusivement dans sa langue nationale, en ukrainien pour les Ukrainiens, en biélorussien pour les Biélorusses, en arménien pour les Arméniens, etc. Il existe une seule et unique exception, le russe, qui est considéré comme la langue intersoviéfique. Entre la sphère de la culture nationale et la sphère de la langue nationale s’est ainsi établie, en fait sinon en théorie, une identification complète. Quitter, pour une raison quelconque, la sphère linguistique d’un peuple donné signifiait, presque toujours, quitter aussi la sphère de sa culture nationale. Ce fait semblait évident pour les peuples soviétiques dont la sphère linguistique, généralement unilingue, coïncidait en fait avec la sphère de culture nationale. Il en allait pourtant tout autrement pour le judaïsme soviétique dont la culture nationale, depuis des siècles, était plurilingue. A la fin du xix" et au début du xx" siècle, la culture juive d’Europe orientale, sur tous les territoires de l’Empire des tsars, était non seulement bilingue, comme pendant des siècles durant mais venait de s'enrichir encore en yiddish et en hébreu d’une composante nouvelle, créée dans la langue du pays, le russe. Il ne serait pas inutile, par ailleurs, de rectifier ici une erreur largement répandue au sujet de la composante hébraïque. Celle— ci, loin de s’en tenir uniquement aux fonctions de « langue sacrée » et de limiter, en conséquenœ, son apport au domaine de la foi, de la liturgie, de la spéculation mystique et des ouvrages édifiants, avait largement ouvert la culture juive, à la fin du Moyen Age, à la poésie et à la philosophie. Quelques siècles plus tard, par la littérature des Lumières, elle a fait pénétrer dans la société juive (ou, plus précisément, dans des milieux éclairés, peu nombreux à l’époque) l’esprit frondeur des temps nouveaux, de la pensée philosophique moderne, de la problématique nationale et même du socialisme. En effet, la première proclamation socialiste juive fut composée en hébreu,
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en 1875, par Aaron Liberman. Et œlui même qui avait été surnommé « le grand—père du socialisme juif », Morris Wint— chewski, poète et fondateur de la presse socialiste juive, pionnier de la poésie prolétarienne yiddish, édita sa première revue, en 1877, en hébreu. Au début du xx° siècle, le poids spécifique de la composante russe commença à grandir. Une couche de russophones apparut et s’étendit rapidement parmi l’intelligentsia juive. Des écrivains et publicistes juifs d’expression russe se révélèrent, œrtains avec grand talent. Une presse juive en russe, ainsi que d’exœllentes revues et recueils furent édités. Ce fut la un pont vivant qui reliait œrtaines couches de la jeunesse juive, plus ou moins détachées du yiddish, à tous les problèmes du peuple juif, de son passé, de son avenir, de ses luttes pour l’existenœ nationale. Les périodiques juifs de langue russe devinrent ainsi un œntre actif de culture juive, tout spécialement dans le domaine de l’histoire et des problèmes sociaux et politiques. Parmi les grands noms de œ mouvement de culture russo—juif, il convient de citer en premier lieu le grand historien juif Simon Doubnov qui, d’ailleurs, passa plus tard du russe au yiddish et périt en martyr au ghetto de Riga. Après la révolution d’Octobre, la culture juive en Union soviétique fut amputée de deux de ses composantes : de la composante hébraïque, séculaire, organique et chargée d’his— toire mais aussi de la ce fait est largement connu composante russe, réœmment greffée, œ qui est moins connu, mais tout aussi grave dans ses conséquenœs. La « déshébraîsation » fut l’œuvre des Sections juives. Avec passion et véhémenœ, les restes de l’ancien mouvement ouvrier juif décidèrent de régler ainsi tous leurs anciens comptes avec le sionisme. Dans œ règlement un pari historique gagné avec forœ poliœ ils firent preuve d’autant plus d’ardeur que leur propre pari historique engagé avec les masses populaires juives de Russie se trouvait en fait perdu. Chez œs « yiddishistes » fervents (la camarade Esther Froumkine avait été la personnification même du « yiddishisme »), il s’établit une sorte de compensation freudienne d’ordre linguistique. Plus le yiddis— hisme était dénoncé et décrié par eux-mêmes comme nationa— lisme, et plus l’anti—hébraïsme fut considéré comme révolution— naire. Très rapidement, la lutte contre l’hébreu atteignit le
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comble de l'absurde tragique. On jeta un interdit (sanctionné par l’État) sur une langue en tant que telle, pour la seule et unique raison qu’elle était œtte langue et pas une autre; qu’elle avait servi, il y a plus de deux mille ans, à la composition de la Bible et non pas de l’Iliade et l’Odyssée; qu’elle avait été, pendant des siècles, l’expression et le symbole de la durée historique juive. Même la littérature soviétique en hébreu (et il y en eut), même la poésie révolutionnaire, voire communiste en hébreu, furent déclarées néfastes, dangereuses, cléricales et contre-révolutionnaires. La « déshébraîsation » fut un acte de grande tension dramati— et de profonde de lutte de classes! que, un acte de lutte agitation sociale. La « démssificafion », au contraire, passa presque inaperçue, comme s’il s’agissait d’un processus naturel. Très simplement, toutes les éditions et revues russo—juives furent fermées, les unes après les autres, sans hâte ni bruit. Il est vrai, elles étaient toutes, soit sous l’influenœ de partis politiques adverses, soit totalement sans—parti. Mais elles ne furent jamais remplacées par aucune autre édition ou revue russo—1mve, d’esprit soviétique ou communiste. En 1930 fut fermée la dernière et prestigieuse revue historico—ethnographique Yevreiskaîa Stan‘na (Les Antiquités juives). En 1918, le « Commissariat juif » publia une modeste revue Yevreiskaîa Tribuna (Tribune juive), organe de son département de la culture et de l’éducation. Après les premiers numéros, la revue cessa de paraître. Deux années plus tard, en 1920, la Section juive du commissariat du peuple aux Nationali— tés renouvela la même tentative, avec les mêmes résultats. L’unique revue juive en langue russe, vraiment périodique, parut en 1927 seulement, sous le titre « Tribuna yevreiskol‘ sovetskoï obchtchesvennosti » (Tribune de la société juive soviétique). Organe officiel du onzerm, elle fut consacrée essentiellement aux problèmes de colonisation et, par conséquent, au Birobidjan. La revue vécut dix années, sous la direction, avec quelques brèves interruptions, de Simon Dimanstein. Elle fut fermée en août 1937 et, depuis lors, l’expression même « société juive soviétique » disparut et ne fut jamais plus employée publiquement. Ni les Sections juives auprès du Parti communiste, ni le « Travail juif » après la dissolution des Sections, n’ont jamais
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mené d’activité wlturelle en russe, dans quelque domaine que œ fût. Les résultats de œtte « démssificafion » furent, para— doxalement, d’une importanœ extrême. Le « pont » russe vers la culture juive ayant disparu, tout éloignement, si superficiel fût—il, par rapport à la langue yiddish, entraîna de manière quasi automatique un éloignement par rapport a la sphère de la culture nationale juive. Au cours de plus de deux mille ans, et dans tous les grands œntres juifs du monde, y compris le royaume de Judée, lorsque la langue non juive d’un pays était adoptée par les Juifs qui l’habitaient et devenait leur langue vernaculaire, elle participait toujours, d’une manière ou d’autre, àla création séculaire de la culture juive. Ilen fut ainsi de l’araméen dans la haute antiquité, du grec à l’époque de la Bible des Septante, de l’arabe au temps du Guide des égarés de Maïmonide, de l’allemand au siècle de la Wissenschafl des Judentums et, de nos jours, de l’anglais, par l’immense littérature juive américaine. En Union soviétique, l’apport de la langue russe a la création culturelle juive fut brusquement arrêté et œtte sourœ s’est complètement tarie. La « démssification » de la culture juive mit fin aux relations spéciales ayant existé entre le Juif linguisti— quement assimilé et les sources de la spiritualité juive. Et œla, à une époque où la langue du Juif soviétique devenait, pour des raisons diverses mais de plus en plus —, le russe. Après la « déshébraîsation », qui signifiait en même temps et surtout une « déshistofisatîon », et après la « dérussificafion », les seules et uniques assises de l’édifiœ de la culture juive restèrent le fait linguistique, le yiddish, mais considéré en tant que fait seulement, sans aucun senfimentaüsme, sans la moindre traœ de « yiddishisme ». Ces assises devaient être renforcées par un fort déploiement en largeur, au moyen de la « yiddishisa— tion ». Au milieu des années 20 et au début des années 30, on fondait sur la yiddishisation de trés grands espoirs. Les écoles juives connurent une sorte de yiddishisation forcée qui, entre 1924 et 1930, doubla le nombre de leurs élèves en Ukraine et les augrnenta de 150 % en Biélorussie. Pour œt exploit, les Sections juives furent portées aux nues par œrtains milieux juifs, u sensibilité nationale, et traînées dans la boue par d’autres milieux, adeptes de l’assimilation. On doit a la vérité de dire que
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les Sections ne méritaient ni œs félicitations ni œs blâmes. La yiddishisation forcée ne vint pas de leur initiative. Paradoxalement, elle leur fut même imposée. Ce fait vraiment étrange, voire insolite, ne saurait s’expliquer que dans le contexte historique, à la lumière des événements de l’époque. Au début des années 20, plusieurs peuples non russes de l’Union soviétique menaient une lutte opiniâtre pour leur identité et leur culture nationales. L’illustration la plus frap— pante est fournie par l’exemple de l’Ukraine, la plus instructive aussi, tant par la similitude des problèmes de société et de langue que par l’influenœ directe exercée sur le grand œntre juif de œtte République. Deux documents ukrainiens résument le fond historique de la « yiddishisation » : « Les thèses du plénum du Comité œntral et de la Commission œntrale de contrôle du Parti communiste d’Ukraine sur les résultats de l’ukrainisation », de juin 1926, puis l’appel du Comité œntral du Parti communiste d’Ukraine au Comité exécutif du Komintem, au printemps 1927. Les thèses du plénum de juin 1926 commenœnt par un aperçu historique de la question nationale en Ukraine : « Les conditions spécifiques du développement historique de l’Ukraine qui avaient abouti à la russification de la ville ukrainienne et de la partie la plus importante du prolétariat ukrainien, d’une part; d’autre part, la lutte acharnée livrée à la contre-révolution, ayant à sa tête les partis socialo—chauvîns ukrainiens; et enfin l’adhésion àla position de Rosa Luxemburg sur la question nationale de œrtains cainarades qui dirigèrent notre Parti pendant les premières années de la guerre civile tout œci aboutit au fait que l’organisation ukrainienne du Parti avait, dès le début, sous—estimé l’importanœ de la question nationale dans les luttes révolutionnaires en Ukraine et œrtains camarades finirent par nier l’existenœ même de la nation ukrainienne. « De là découle l’inœmpréhension de la solution léninienne de la question nationale, la sous—estimation de l’importanœ de la langue ukrainienne et du développement de la culture ukrainienne comme moyen puissant de renaissanœ culturelle des masses, comme instrument essentiel dans le renforœment
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de l’union entre la classe ouvrière et la paysannefie, et comme condition indispensable de la construction du socialisme °. » Les thèses rappellent ensuite que c’est seulement après le XII° Congrès du Parti communiste pansoviétique, en avril 1923, qu’ « une ligne correcte fut adoptée dans la question nationale » et que le Parti en Ukraine « s’engagea sur la voie d’une ukrainisation active ». Ceci s’exprima, notamment, par l'obliga— tion pour chaque membre du Parti d’apprendre la langue ukrainienne et, pour le Parti en tant que tel, « de participer activement et d’une manière systématique à l’édification de la culture ukrainienne7 ». Bien que le bilan de l’ukrainisafion eût été jugé, en 1926, assez positif, les thèses n’en appelaient pas moins à activer et à approfondir œ processus, en menant une lutte sans merci à la fois contre le nihilisme national et le chauvinisme grand—russe. « Parallèlement à l’influenœ exercée sur les ouvriers et même sur des membres du Parti par l’idéologie de la grande puissanœ russe, continuèrent les thèses, nous nous trouvons en présenœ
d’une sorte de nihilisme national, assez répandu parmi le prolétariat, ainsi que parmi les membres du Parti d’origine russe, une indifférence, un dédain même pour la question nationale, sous couvert de phrases sur l’intemationaüsme. « Le Parti doit mener une lutte acharnée, tant dans ses propres rangs que parmi les masses ouvrières contre les balivemes du prolétariat russe ou russifié, contre la déformation de l’intemafionaüsme, contre le faux intemationalisme, contre la russification et le chauvinisme. Le Parti se doit de démasquer devant le prolétariat toute la nature réactionnaire du chauvinisme russe, dévoiler ses racines, son origine historique, etc. °. »
Ces thèses furent peu goûtées à Moscou, si peu que le Comité œntral du Parti communiste ukrainien estirna de son devoir d’adresser, au printemps 1927, un mémoire spécial au Comité exécutif du Komintern, instanœ communiste suprême. Une fois de plus, le mémoire condamna avec la plus grande fermeté « l’idéologie de grande puissanœ et de chauvinisme russes », sous tous ses aspects, et notamment « dans la propagande menée au Parti en faveur d’une position neutre dans le proœssus de développement de la culture ukrainienne » et dans « l’aspira—
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tion de conserver par tous les moyens la suprématie de la lan e russe dans la vie étatique, sociale et culturelle de l’Ukraine ». Dans œs conditions, la yiddishisation apparut comme une des formes de la lutte menée en Ukraine, et également, bien qu’avec moins de témérité, en Biélorussie, contre la mssification. La dans l’école juive, uniqueplaœ de l’enfant juif devait être ment et même, s’il le fallait, obligatoirement, soumise à « yiddishisation forcée ». (Au début des années 20, les enfants juifs, en règle générale, ne fréquentaient guère l’école ukrainienne.) L’enfant juif devait œsser d’être un facteur d’assimila— tion russe dans le pays. Par ailleurs, en même temps que œtte yiddishisation, se produisaient la polonisafion des écoliers de la minorité nationale polonaise, la germanisation des enfants allemands, etc. La politique des Sections juives à l'égard de la yiddishisation forcée fournit une illustration frappante de toutes les contradic— tions et de toute l’ambiguïté de la réalité juive soviétique. Bien sûr, les Sections juives d’Ukraine et de Biélorussie devaient se déclarer d’accord, et elles l’ont fait, avec la politique nationale des partis communistes ukrainien et biélorusse dont elles relevaient du point de vue organisationnel. Les Sections juives se solidarisèrent entièrement et solennellement avec le combat politique mené par les communistes ukrainiens et biélorusses pour leur identité nationale, leur culture nationale, contre le nihilisme national et contre la russificafion. Mais en même temps, elles se gardèrent bien de transposer les mots d’ordre de la politique nationale ukrainienne et biélorusse dans leur propre milieu national juif. Les Sections juives accueillirent la yiddishisation obligatoire comme un événement contingent, résultat d’une conjoncture particulière. Les enseignants juifs furent enthousiasmés par œtte conjoncture. La première Conférenœ méthodologique juive pansoviétique, en 1926, décida de procéder à une yiddhis— hisation « totale » de l’école juive, non seulement dans les classes, mais aussi dans la salle de professeurs et les bureaux. Une résolution spéciale fut ainsi conçue : « La Conférenœ tient pour indispendable que la langue vernaculaire de l’enseignant juif soit désormais le yiddish et que toute l’administration de l’école (procès—verbaux, registres,__cahiers de bord, etc.) soit effectuée en yiddish. »
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Cet enthousiasme des enseignants n’émut guère les dirigeants des Sections juives. Leur yiddishisation restait purement admi— nistrative. Ils « yiddishisaîent », sans idéologie et sans principes, pour la seule et unique raison que les communistes ukrainiens, avec idéologie, avec principes et dans une lutte extrêmement ardue, « ukrainisaient », et que les communistes de Biélorussie, « biélorussifiaient ». Au début des années 30, Moscou mit fin à la politique tant d’ukrainisation que de biélorussification. Les aspirations natio— nales furent taxées de nationalisme, au mieux, de déviation droitière. Le yiddishisme forcé fut également condamné, mais sans aucun dommage pour les dirigeants juifs. Ils purent facilement prouver qu’ils avaient été non les auteurs, mais les victimes de l’événement. En fait, ils furent eux-mêmes « yiddis— hisés ». Une formule élégante fut inventée : « la yiddishisation était objective ». Au Birobidjan, aucune « objective » n’était possible. Entre la notion d’ tat juif, même d’État soviétique, et l’idéologie des Sections juives, ambiguë, équivoque, pleine de contradictions, il y avait un abîme. Il fallait consolider d’ur— gence, approfondir et enraciner le seul phénomène reconnu « national dans la forme », le fait linguistique, sans lequel l’État même perdait toute signification. Dans la Région autonome juive, la yiddishisation, courageuse et intense, consciente des buts à atteindre, ne pouvait être… que « subjective ».
Éviddishisation
CHAPITRE XIV « Pour la première fois dans l'histoire du peuple juif, une Patrie... »
De loin, à dix ans d’une distanœ, brillait la prédiction accomplie du « staroste pansoviétique » : « J’estime que, dans dix ans, le Birobidjan sera le plus important, sinon le seul gardien de la culture socialiste nationale juive. » Ces paroles enthousiasmaîent et exaltaient. Une compétition secrète s’enga— gea aussitôt entre le œntre étatique, le Birobidjan et la Moscou, Kiev, Minsk... périphérie, la « dispersion juive » L’aspect le plus impressionnant fut l’élan de l’enseignement, plaœ forte de la yiddishisation. Pendant l’année scolaire 19311932, le Birobidjan avait en tout quatre-vingts écoles, avec 7 322 élèves, dont six écoles juives avec 250 élèves à peine. Trois ans plus tard, pour l’année scolaire 1934—1935, le nombre total d’écoles s’élevait à quatre-vingt-dix-neuf, avec 10091 élèves, dont treize écoles juives avec 1114 élèves. L’année scolaire 1935—1936 vit le nombre total d’élèves passer à 14000 et le nombre d’élèves juifs à 2075. Une année plus tard, en 1936— 1937, le nombre total d’élèves atteignit le chiffre de 15915 dont près de 2500 élèves juifs. Ainsi donc, le nombre d’élèves juifs décupla en l’espaœ de cinq ans et, en deux ans seulement, de 1934—1935 à 1936—1937, œ nombre augmenta de près de deux fois et demie. Comme toutes les écoles soviétiques, les écoles juives se réparfissaient selon trois groupes : écoles primaires dites « de base » (quatre classes), écoles semi-secondaires (sept classes) et écoles secondaires (dix classes). La langue d’enseignement dans œs écoles était le yiddish pour toutes les classes. A côté de œs
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écoles juives unüingues, il existait des écoles mixtes, avec des classes en yiddish et des classes en russe. Les enfants juifs fréquentaient, en règle générale, les écoles juives et les classes en yiddish des écoles mixtes. Par ailleurs, il n’était pas rare, surtout dans des œntres ruraux, de rencontrer dans l’école juive quelque enfant russe. Ainsi par exemple, l’envoyé spécial du journal yiddish new—yorkais Morning Freüreit‘, Paul Novick, a pu noter en 1936 : « Lors de ma visite du kolkhoze Waldheim, près de la ville de Birobidjan, mon attention fut attirée par une petite fille russe, blonde, élève de l’école juive locale. Non seulement elle parlait un exœllent yiddish, mais elle faisait preuve de connaissances en littérature yiddish dépassant nettement le niveau de ses cama— rades juifs. J’ai porté à œtte petite fille blonde elle s’appelait Véra un intérêt tout particulier, et un communiste russe qui se trouvait à mes côtés s'en étonna un peu. Mais qu’y a-t-il donc d’extracrdinaire dans œ fait, me dit—il, n’y a-t—il pas d’enfants juifs qui parlent le russe et connaissent la littérature russe”? »
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Durant l’année scolaire 1935-1936, la Région autonome possédait treize écoles entièrement juives et douze écoles mixtes (avec des classes juives). Les treize écoles juives comprenaient huit écoles primaires, quatre semi—secondaires et une secondaire, à dix classes, dans la ville de Birobidjan. Dans toutes les
écoles juives, l’enseignement du russe était obligatoire à partir de la troisième année. A titre de réciprocité, le yiddish l’était également dans les écoles russes, du moins en 1935 et 19363. L’école secondaire de la ville de Birobidjan fut l’orgueil du réseau scolaire juif de la Région autonome. Créée au début de 1932 avec quelques dizaines d’élèves à peine, elle se transforma en quelques années en établissement modèle de tout premier ordre. En 1932—1933 elle compta deux œnt trente-six élèves, en 1934—1935 quatre œnt soixante—cinq élèves, en 1935-1936 plus de six œnts et, en 1936—1937, près de huit œnts élèves. En 1935 on construisit, tout spécialement pour l’école secon— daire juive, un grand immeuble de trois étages, en briques, un des premiers immeubles de œ genre a Birobidjan. Un profes— seur de l’école Nisan Romtal qui y enseignait le yiddish, raconte dans ses mémoires :
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« L’école secondaire de la ville de Birobidjan fut une des meilleures de la Région autonome juive et elle était célèbre dans tout l’Extrême-Orient. Le président du Comité exécutif de la Région extrême—orientale, Kroutov, venait souvent nous rendre visite. Il assistait aux cours, plein d’enthousiasme pour le travail et les connaissanœs des élèves. Kroutov admirait l’ordre qui régnait dans l’école, le dévouement des enseignants, l’affection et la collaboration des parents… Au début de l’année 1927, l’école se trouvait en plein épanouissement, elle s’était forte— ment agrandie et avait plus de quarante classes ‘. »
Il n’est pas sans intérêt de noter que la ville de Birobidjan possédait en même temps une école secondaire russe, fréquentée probablement par un nombre important d’enfants juifs. Au début, œtte école était, de par le nombre de ses élèves, presque deux fois plus grande que l’école juive. Peu à peu la différenœ entre les deux établissements scolaires se réduisit pour s’effaœr complètement. Bientôt, l’école juive l’emporta. Outre le réseau d’écoles primaires et secondaires, le Birobid— jan possédait quatre établissements scolaires spécialisés, dénom— més « écoles techniques » mais qui consituaient plutôt des écoles professionnelles d’un type particulier et d’un niveau intermédiaire entre l’enseignement secondaire et supérieur : l’école technique pédagogique (École normale), l’école technique de métallurgie lourde, l’école technique d’agriculture et l’école technique de médecine. « L’École technique pédagogique juive du Birobidjan » fut créée en 1932, avec l’aide de l’Institut de la Culture juive de Kiev. Le premier directeur de l’école, J Rabiuovitch, collabora— teur scientifique de l’Institut de Kiev, fut spécialement envoyé dans œ but au Birobidjan par le Pr Liberberg. L’école devait former des enseignants pour les écoles primaires juives (« école de base » à quatre classes) et pour les quatre premières classes des écoles secondaires juives. « L‘école technique pédagogique juive du Birobidjan » fut inaugurée en octobre 1932 avec sept étudiants seulement. En 1934, il y avait soixante-dix—huit étudiants et en 1936, deux cent quinze étudiants, garçons et filles venus d’Ukraine, de Biélorussie et d’autres régions de l’Union soviétique avec, en plus, un pourœntage important d’étrangers qui, tous, étaient enthou-
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siastes à l’égard du yiddish et de la Région autonome juive. La langue d’enseignement de toutes les matières était le yiddish. La durée prévue des études était de trois ans. Au cours de l’année scolaire 1934—1935, une section russe fut créée à l’école pour former des enseignants destinés aux écoles russes de la Région autonome juive. Dans œtte section russe, le yiddish fut enseigné comme matière obligatoire. L’école technique de métallurgie lourde (officiellement « École technique juive de métallurgie lourde du Birobidjan, auprès du commissariat du peuple à l'Industrie lourde ») fut créée en 1934. Elle devait former des techniciens de métallurgie lourde pour l’exploitation des richesses minières de la région. Bien que de deux ans plus jeune que l’école pédagogique, l’école de métallurgie avait rattrapé et même dépassé en 1936 son aînée par le nombre d’étudiants-“. En mars 1936, notam— ment, elle reçut un groupe de œnt vingt—cinq jeunes venus de Moscou, Kiev, Odessa et Kharkov". Le yiddish était la langue d’enseignement de toutes les matières, même de œlles pour qui, comme la métallurgie générale ou la construction des hauts fourneaux, il fallait créer entièrement une terminologie. L’école technique d’agriculture, la plus ancienne de la Région autonome, fut inaugurée le 1“ janvier 1931 à la campagne et transférée par la suite, en 1933, à Stalindorf. En trois années d’études, elle devait former des agronomes, des mécaniciens et techniciens agricoles. La masse estudiantine était multinatio— nale. En 1932, sur cent vingt et un étudiants, on comptait soixante-douze Juifs, vingt—six Russes, dix Ukrainiens, six Coréens et quatorze étudiants d’autres nationalités. L’enseignement était dispensé à la fois en yiddish et en russe, en groupes parallèles. L’école technique de médecine, officiellement « Ecole techni— que juive d’aides—médecins » fut inaugurée le 2 février 1936, avec vingt—cinq étudiants. Ici également, tous les cours étaient dispensés en yiddish, du moins au début. On a dit de la masse estudiantine bimbidjanaise, jeune et enthousiaste : « A eux tous, ils représentent une force agissante considérable pour la culture juive, qui dépasse de loin les enœintes des écoles’. » Au début de 1935 on créa, auprès du Comité exécutif de la Région autonome juive, c'est—à—dire sous le contrôle direct et
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personnel du Pr Liberberg, une commission spéciale, dénom— mée « Commission scientifique et de recherche pour l’étude de la culture et des richesses naturelles de la Région juive ». Les collaborateurs de œtte commission furent presque tous d’an— ciens collaborateurs de l’Institut de la Culture juive de Kiev. La commission ébaucha une série de projets dans plusieurs domaines et, notamment, des archives pour l’histoire du Birobidjan; un répertoire scientifique des richesses naturelles du Birobidjan, fondé sur les rapports des expéditions géologiques qui avaient exploré la Région; un indicateur statistique et économique de la Région; un manuel de yiddish pour grands débutants; une bibliographie des ouvrages juifs en U.R.S.S. en 1936 et, plus particulièrement, des livres consacrés au Birobidjan; un recueil consacré à l’histoire de la guerre civile sur le territoire de la Région autonome juive, etc. Sur commande spéciale de la commission, trois ouvrages scientifiques furent achevés en 1936 : les Problèmes de l’agriculture dans la Région autonome Juive (Pr Bruck); la Flore et la faune du Birobidjan (N. Grinberg) ; une Géographie générale de la Région autonome juive (Pr Jive). La population juive du Birobidjan considérait « à juste titre œtte commission comme le noyau d’un futur Institut de la Culture juive dans la Région autonome ». Une ex-collaboratrice de la commission, Esther Rosental—Shneiderman raconte : « Dans la Commission scientifique travaillaient différentes commissions. Elle était appelée à devenir, avec le temps, une grande académie juive des sciences et de la recherche 9. » Un autre pilier de la vie culturelle de la Région autonome fut le théâtre juif. D'ailleurs, l’histoire de œ théâtre sortait de l’ordinaire. Ce fut un théâtre—cadeau, un théâtre que la Région autonome reçut en cadeau du célèbre théâtre juif d’État de Moscou (« Gosset »). Le cadeau avait été minutieusement préparé, sur les bancs de l’école théâtrale du « Gosset » à Moscou, trois années durant, par la formation d’acteurs, la préparation du répertoire, des mises en scène, des musiques et des chorégraphies. La deuxième promotion de œtte école théâtrale constituait le noyau du futur théâtre birobidjanien. Chaque comédien prenait l’engagement de demeurer dans la Région autonome pendant au moins deux ou trois ans. Et c’est ainsi qu‘en avril 1934, un ensemble théâtral de haut niveau
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artistique, comprenant vingt—cinq comédiens, six musiciens d’orchestre, un metteur en scène, un directeur artistique, du personnel technique et administratif et plusieurs voitures de chemins de fer de décors et de costumes, quitta Moscou pour le Birobidjan. L’inauguration solennelle du théâtre, qui pour la première fois prit le nom de « Théâtre juif d’État du Birobidjan », eut lieu le 2 juin 1934. Le programme inaugural comportait trois petites pièces en un acte de Cholem—Aleichem, le Divorce, Mazel-Tov et le Mensonge, en hommage au Gosset de Moscou qui avait inauguré sa glorieuse carrière avec les trois mêmes petites pièœs, vingt—trois ans auparavant, dans le froid, la faim et... l’ardeur révolutionnaire. Un bâtiment spécial fut édifié dans la ville de Birobidjan, pour abriter œ théâtre, avec une salle de quatre œnt cinquante plaœs. En plus de la « capitale », le Théâtre desservait égale— ment la « provinœ ». Il jouait régulièrement dans les œntres ruraux et, de temps en temps, devant la garnison de l‘Armée rouge et les marins garde—frontières du fleuve Amour. Très rapidement, le Théâtre devint l’enfant chéri de toute la Région autonome juive. Parmi les autres institutions culturelles, il convient de citer la Bibliothèque régionale portant le nom de Cholem—Aleichem. Créée en 1931 avec deux mille livres à peine, elle avait en 1936 un fonds de vingt—deux mille volumes dont onze mille sept œnts en yiddish. La Région autonome possédait un journal juif, le Birobidja— ner Stern (L’Étoile du Birobidjan), devenu quotidien en 1934, un important groupe d'écrivains juifs et, à partir de 1936, une émission radiwhonîque quotidienne en yiddish. De plus en plus, le Birobidjan se transformait en œntre de culture juive et semblait destiné à être réellement le œntre de la culture juive soviétique. Deux exemples illustrent œtte tendanœ. A la fin de 1935, l‘Ensemble vocal juif de Leningrad, avec son directeur, le compositeur Joseph Milner un des pionniers de la musique juive moderne arriva au Birobidjan pour s’y établir et travailler. L‘ensemble fut officiellement intégré au réseau d’institutions culturelles de la Région autonome ‘°. Le second exemple paraît plus symptomatique encore. Au début de 1936, on vit arriver dans la Région autonome un
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ensemble de musiciens de Jitomir (Ukraine) « dans l‘intention de constituer, le plus rapidement possible, un orchestre sympho—
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Ce brusque épanouissement culturel n’était pourtant pas un phénomène isolé, inscrit dans le programme abstrait de la constitution d’un « œntre spirituel ». Il reflétait, au contraire, une réalité plus large, le développement général de la Région autonome qui, en quelques années ou, plus précisément, en deux ans, était devenue méconnaissable. Des modifications profondes s’étaient produites dans le domaine le plus important, sur le « front décisif » de l’immigration et de la démographie. Après l’expérienœ catastrophique de l’année 1933 (trois mille arrivées contre quatre mille départs), le plan pour 1934 fut plus modeste. Il prévoyait « seulement » dix mille immigrants. Il en arriva cinq mille deux œnts cinquante, c’est—à-dire un peu plus de la moitié (mais presque le double de l’année précédente) dont une bonne moitié, comme d’habitude, prit immédiatement le chemin du retour. Il resta dans la Région un « solde » de prés de deux mille immigrants, œ qui en comparaison avec l’année précédente désastreuse fut considéré comme un suœès. La communauté juive, au lieu de diminuer, augrnenta au contraire d’un tiers et passa de six mille à huit mille âmes. A la fin de 1934, alors que la Région autonome juive faisait ses premiers pas, la population juive représentait 13,5 % (d’après d’autres sourœs, 15,4 %) de la population générale. Une profonde modification dans la courbe d’immigration, àla fois quantitative et qualitative, intervint dès l’année 1935. Le plan prévoyait pour œtte année dix nrille cinq œnts immigrants. Il en arriva huit mille trois œnt quarante—quatre, c’est—à-dire 80 %, une proportion encore jamais atteinte. De œ chiffre global de huit mille trois œnt quarante—quatre immigrants, six mille œnt trente—cinq arrivèrent par les soins de comnan (le onzean ayant été « libéré » de œtte tâche), les autres de leur propre initiative. Pour la première fois, l’immigration de 1935 comprenait un nombre relativement important de non Juifs, huit œnt trente personnes recrutées par le comm, presque tous menuisiers et charpentiers. Il est à supposer que, parmi les immigrants venus de leur propre initiative, se trouvaient également un œrtain nombre de non-Juifs, vraisemblablement des ouvriers du bâtiment dont la Région avait grand besoin. Parmi
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les immigrés de 1935, il y eut également un nombre important de spécialistes juifs des professions libérales : agronomes, médecins, pédagogues, travailleurs culturels, économistes, administrateurs, etc., soit plus de six œnts personnes en tout. Mais le bouleversement enregistré dans la courbe d‘immigration se manifesta avec plus de netteté encore dans le second aspect du phénomène migratoire : il n’y eut plus de « chemin de retour ». Les départs en masse de la Région autonome s’arrêtè— rent complètement. D'après les données officielles qui ne devaient pas être trop éloignées de la vérité, toute l’immigration de 1935 resta dans la Région. La population juive du Birobidjan augmenta en 1935 de six mille âmes et passa à quatorze mille âmes. Ce fut le bond le plus spectaculaire enregistré dans la démographie juive de la Région autonome. Ainsi se trouva résolu le problème fondamental des départs qui avait ruiné tous les plans et désorganisé systématiquement l’économie du pays. Le plan pour l’année 1936 prévoyait dix mille immigrants. Il en arriva huit mille dont six mille sept œnt cinquante-huit par les soins du comm. Ce fut, pour la deuxième fois, une immigration de masse, au sens plein du terme. Au mois d’août 1936, la population juive du Birobidjan avait atteint, d’après une décla— ration faite par le Pr Liberberg à Moscou, le chiffre de dix-huit mille âmes. En deux ans seulement, elle avait plus que doublé et représentait désormais 23,5 % de la population totale du pays. Encore plus rapide et surprenante fut la croissanœ de la ville de Birobidjan, capitale de la Région autonome juive. En 1926, la station Tikhonkaïa comptait, en tout et pour tout, huit œnt quatre-vingt-nn habitants. Avec le début de l’immigration juive, la population commença à augmenter lentement pour atteindre, en 1929, mille deux œnt quafie-viugt-huü et, en 1930, trois mille habitants. Tikhonkaïa changea alors de nom, devint Birobidjan et la croissanœ s’accéléra : en 1932, quatre mille habitants, en 1933 sept mille et, en 1934, sept mille quatre œnts habitants (huit mille selon d’autres sources). Au début de 1935, commença à se manifester le nouveau rythme, caractéristique des deux premières années de la Région autonome : en octobre 1935, la ville comptait dix nrille trois œnts habitants, en mai 1936, plus de quinze mille et, à la fin de 1926, vingt mille. Autrement dit, en deux ans, la population augmenta de 250 %.
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« La ville de Birobidjan, capitale de la Région automone juive, nota P. Novick, est vraiment ce que les Américains appellent “ The biggest little town ”, une très grande petite ville. L’ampleur, le rythme, l’élan sont œux d’une grande ville, d’une capitale même. Car les grandes villes ne possèdent pas toutes un théâtre d’Etat ou œs écoles techniques dont Birobid— jan peut s’enorgrreilür. A l’ordre du jour figure un seul point, un seul mot revient constamment : bâtir. C’est le leitmotiv de la ville de Birobidjan 12. » Ce fut là, en même temps, le leitruotiv de toute la Région autonome juive. Il est hautement caractéristique pour la réalité soviétique des années 30 (mais, au fond, pourquoi pour œs années seulement ?) que jamais les organisations juives, ni la presse yiddish d’Union soviétique n’osèrent s’interroger publiquement sur les causes réelles qui avaient complètement modifié le cours de l’immigration au Birobidjan et imprimé un rythme entièrement nouveau a la construction de la Région autonome juive. On préféra en rester au schéma officiel désuet : toutes les erreurs, toutes les fautes, les écheés, les « percées » provenaient des « opportunistes de droite », des « nihilistes de gauche », des saboteurs, traîtres et ennemis du peuple; tous les succès venaient, comme l’ancien deus ex machina, de la juste « ligne de parti », de la « ferme direction bolcheviste ». Voici, à titre d’exemple, une analyse faite par un publiciste juif soviétique, pourtant réputé pour son sérieux : « Dès sa proclamation, la Région autonome reçut une ferme direction bolcheviste qui a radicalement modifié les méthodes et le style de travail dans tous les domaines de la construction socialiste et nationale... La direction bolcheviste de la Région a énergiquement combattu les sons—estimations et les négügences qui avaient pesé sur l’accueil des immigrants et a mobilisé le Parti entier et toutes les organisations professionnelles, soviétiques et économiques afin de liquider les causes qui avaient provoqué le reflux 13. »
Cette « ferme direction bolcheviste » devait être limogée peu après et son chef, « le propriétaire », le secrétaire régional du Parti, Matveï Pavlovitch Khavkiue, homme de peu, grossier et d’une ignoranœ crasse qui « jouait au Birobidjan le rôle de
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Staline en miniature » fut démasqué par « son » Comité régional comme « un homme sans dignité, plus encore, un membre du Parti et un dirigeant indigne ». Le succès extraordinaire des deux premières années de la Région autonome juive fut le succès de la « doctrine Kalinine » que Liberberg s‘était mis à appliquer pas a pas, mais avec esprit de suite, sans bruit ni déclarations, mais avec beaucoup de courage et des initiatives toujours nouvelles. L’appel de Kalinine demandant de « se mettre en rapport avec le Birobidjan », « d’aider le Birobidjan » trouva un écho très large. L’approbation officielle donnée par Kalinine à l’attachement à « la culture nationale juive » et au désir « de maintenir la nationalité » était, bien sûr, d’ordre purement pragmatique, sans base théorisante indispensable à tout dogme de parti. Liberberg ne pouvait l’ignorer. Il savait qu’il tenait un pari. Mais les paroles de Kalinine ouvraient des perspectives et apportaient un sens, une issue là où ne régnaient que les contradictions inextricables des anciennes Sections juives. La version soviétique du « Cerrfie spirituel » ou, plus simplement, du territorialisme semblait être du goût de œrtaines parties du judaïsme soviétique et tout d’abord, de l’intelligentsia juive qui commençait à prendre conscienœ de œrtains aspects de plus en plus menaçants du phénomène d’assimilation. C’est pourquoi l’immigration birobidjanaise des années 1935 et 1936 différa sensiblement de toute l’immigration antérieure, non seulement du point de vue quantitatif, par son caractère de masse et sa stabilité, mais également par son sens social et la haute conscienœ nationale qui l’habitait. Elle amena dans la Région autonome un nouvel esprit, une ardeur jusqu'alors inconnue. « Des hommes nouveaux sont apparus, écrivait Simon Dimanstein pour le deuxième anniversaire de la Région autonome, des hommes nouveaux qui se sont joints à l’édifica— tion nouvelle avec un immense enthousiasme . » « L‘immense enthousiasme » n’était pas une fleur de rhétorique. C'était un fait, confirmé par tous les témoins de l’époque. Cependant, la Région autonome juive avait encore plus d’un problème à résoudre. Le problème le plus complexe, le plus ardu était œlui de l’agriculture, véritable « goulot d’étrangle— ment », selon l’expression soviétique consacrée, de toute l’éco— nomie de la Région. L’aœroissement rapide de la population
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profitait surtout, sinon exclusivement, aux villes et tout particu— lièrement à la capitale, Birobidjan. La croissanœ des œntres ruraux restait modeste. La situation des vieux kolkhozes (« Amourzot », « Waldheim », « Birefeld », « Ikor ») était dif— ficile, parfois critique. Les chiffres publiés sur l’état de œs kolkhozes, en hommes, matériel et ressources, n’avaient pas grande consistance, car la situation, du fait des départs, se résumait en une succession de changements. La surfaœ des emblavures qui avait progressé, pendant les années 1928-1931, de 14000 à 28 899 hectares, était retombée, en 1932 à 28350 hectares, pour remonter, fin 1933, à 31000. Avec la proclamation de la Région autonome, une œrtaine évolution se dessinait aussi dans l’agriculture. En 1934, furent créés quatre nouveaux « kolkhozes d’immigrants » et en 1935, cinq de plus, soit neuf en tout, contre les cinq que le district du Birobidjan possédait antérieurement. La surface d’emblavures recommença à progresser : 32 500 hectares en 1934, 38000 en 1935 et 42000 en 1936. L’accroissement de plus de 35 % en deux ans seulement était celtes un succès incontestable, mais bien insuffisant car la population, au cours des mêmes deux années, s’était accrue de 250 %. A la fin de 1936, la Région possédait seize « kolkhozes d’immigrants », dont deux créés l’année même, avec une population de deux mille cinq œnts âmes, représentant à peine 15 % de la population juive du Birobidjan. Le déséquilibre entre la colonisation urbaine et rurale ou, d’après la terminologie soviétique, entre la colonisation indus— trielle et agricole, non seulement ne diminua pas mais, au contraire, tendait à s’agrandir. Sa faiblesse quantitative, l’agriculture juive essaya de la compenser, si peu que œ soit, par des succès de qualité. Les « kolkhozes d’immigrants », aidés par des stations expérimentales, obtinrent des récoltes qui dépassaient largement la moyenne de la Région autonome et même celle de tout l'Extrême-Orient. Au cours d’une seule année (1936 par rapport à 1935) la récolte des kolkhozes juifs s'était accrue : pour le froment, d’un tiers; pour l’avoine plus que du double; pour le riz, presque du double et, pour les pommes de terre, de deux tiers. C’était là, sans nul doute, une réalisation importante, mais non décisive et non de nature à modifier la situation générale.
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On était toujours loin de la « base agricole » autonome, suffisante pour nourrir la Région. La cause essentielle de toutes les difficultés de l’agriculture résidait dans le manque de terres. Les travaux d’amélioration suggérés par toutes les expéditions scientifiques, sans aucune exœption, n‘étaient toujours pas effectués. Des espaœs libres s‘étiraient bien à l’infini dans le pays, mais il fallait assécher les marais, déraciner des arbres œntenaires et lever la terre vierge. En même temps que des « kolkhozes d'immigrants », furent créées dans la Région autonome quelques « M.T.S. d’immigrants » (Station de tracteurs et de machines). Ces « M.T.S. d’immigrants » exécutaient pour les kolkhozes , comme toutes les M.T.S. d’Union soviétique, œrtains travaux mécanisés et leur foumissaient toute aide technique dont ils avaient besoin. Mais dans la Région autonome, les « M.T.S. des travaux d’immigrants » effectuaient, en plus et seules d’amélioration afin de faciliter la création de nouveaux œntres agricoles. Le volume de œs travaux resta nécessairement fort modeste et, finalement, un danger de plus en plus grave commença à se préciser pour la structtü'b même de la Région autonome juive. Kalinine lui-même, œt ami dévoué du Birobid— jan, se serait écrié, à une séanœ du Présidium du Comité exécutif de l’U.R.S.S. : « Mais que voulons-nous donc? Avens— nous l’intention de créer une nouvelle “ zone de résidenœ ” avec une population juive dans les villes et non juive à la campagne ? Serait—ce là œt Etat national juif l°? » Le 9 févier 1936, la Région autonome juive reœvait un hôte de très grande marque. « Le secrétaire du Comité œntral du Parti communiste pansoviétique (bolchevik), le collaborateur le plus proche du grand Staline, l’indomptable commissaire du peuple aux Communications, le camarade Lazare Moïsseievitch Kaganovitch » vint rendre officiellement visite au Birobidjan. Kaganovitch passait, à l’époque, pour l’homme de confianœ de Staline et. naturellement, pour un homme de compétenœ universelle. Il avait été dépêché sur tous « les fronts menacés », vers tous « les goulots d’étranglement » de l’économie et de la politique soviétique. Sa « main de fer » était célèbre dans le pays entier. Les Juifs soviétiques n‘étaient pas peu fiers de œ viœ—roi qui n’avait jamais dissimulé sa judéité. Le Birobidjan reçut Kaganovitch en grande pompe, avec des
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meetings, des œngratrriations, des compliments, etc. Il prit la parole dans une assemblée de l’actif local du Parti où il prononça « un brillant, enthousiasmant discours de deux heures ». Après une analyse approfondie « des résultats de la politique nationale de Lénine-Staline » et aprés avoir rappelé « la lutte menée contre les différents partis nationalistes bourgeois et tout particulièrement contre les sionistes, les bundistes, les PoaléSion, etc. », Kaganovitch « s’arrêta d’une manière détaillée sur l’activité de la Région autonome juive et sur les tâches des bolcheviks de la Région, a savoir : déployer la construction socialiste, éduquer et former des hommes nouveaux, développer la langue et la culture nationales et appliquer de manière inébranlable la politique nationale de Lénine—Staline ». Conformément à l’usage de l’époque, l’assemblée se termina par… des « messages » votés à l’unanimité : « Messages au Maitre bien— aimé, au Guide des travailleurs du monde entier, au camarade Staline et à son fidèle compagnon d’armes, le camarade Kaganovitch ”. » A d’autres oœasions encore, Kaganovitch insista avec beau— coup de sérieux sur la néœssité « de développer la langue et la culture nationales », y compris... les spécialités culinaires natio— nales. Après une soirée solennelle au Théâtre juif, où, en l’honneur de l’illustre hôte, avait été jouée la célèbre pièœ de Cholem-Aleikhem, les Chercheurs d’or, « l’indomptab1e commissaire du peuple » fit une déclaration particulièrement retentissante : il était temps, dit—il, de porter à la scène « les moments héroïques de l’histoire du peuple juif ». Cela était si incroyable, si extraordinaire, si bouleversant et éveillait tant d’espoirs merveilleux que, presque sur—le-champ, on décida de donner au Théâtre juif d’État du Birobidjan le nom de Lazare Moïsseievitch Kaganovitch. Cette décision fut officiellement confirmée par un acte du 11 août 1936. Ainsi, « le plus proche collaborateur du grand Staline » devint en quelque sorte l’ange gardien et le génie protecteur, le patron de la Région autonome
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juive.
Cela peut paraître bizarre, peu conforme à l’image de marque de l’ « indomptable commissaire du peuple » et sans aucun rapport avec ses activités habituelles, mais c’est un fait avéré que la visite de Kaganovitch au Birobidjan donna naissanœ au projet d’une conférenœ linguistique sur le yiddish. L’initiative
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émanait de Kaganovitch en personne. Il estima que la langue officielle, étatique de la Région autonome, le yiddish, se devait d’élaborer le plus rapidement possible les formes linguistiques adéquates et néœssaires au jeune État juif soviétique. La Conférenœ pansoviétique (et étatique œtte fois) devait avoir lieu, naturellement, au Birobidjan. On devinera sans peine, derrière œ projet, la présenœ du président du Comité exécutif de la Région autonome, le Pr Liberberg. Au cours des préparatifs qui durèrent plusieurs mois, dans la presse, a la radio et dans des conférenœs spéciales, tant au Birobidjan qu’à Moscou, Kiev et Minsk, furent fixés les principaux points de l’ordre du jour de la Conférenœ : l’unité dialectale, la terminologie, l’orthographe, la grammaire noma— tive, les signes de ponctuation, la langue de la presse et la langue littéraire. Des rapporteurs furent pressenfis, parmi les philolo— gues juifs les plus éminents de l’Union soviétique. La Confé— renœ devait être inaugurée le 9 février 1937, jour anniversaire de la première (mais déjà historique) visite de Kaganovitch au Birobidjan, en hommage de reconnaissanœ à l’ange gardien, « l’indomptable commissaire du peuple ». Un autre projet encore était lié, parait—il, a la visite de Kaganovitch. Il s’agissait de trouver une issue à la situation critique de l’agriculture birobidjanaise. Une seule solution s’imposa : il fallait effectuer de toute urgenœ les travaux indispensables d’amélioration. L’opération exigea d'une part d’importants crédits budgétaires et, d’autre part, des moyens techniques. L’homme de « tous les goulots d‘étranglement » réussit à obtenir les deux, œ qui fut confirmé officiellement par la résolution du rsnr du 29 août 1936. Forte de œtte résolution, la direction de la Région autonome juive décida de créer, en 1937, vingt—cinq nouveaux « kolkhozes » et de porter la surfaœ d’emblavure de quarante—deux mille a œnt mille hectares. Les résultats des deux premières années de la Région autonome juive apparurent ainsi aux dirigeants soviétiques juifs, non seulement comme satisfaisants, mais comme un véritable triomphe. Des horizons nouveaux, illimités, s’ouvraient devant le Birobidjan. « Le temps du “ travail artisanal ”, de l’ouvrage au jour le jour est passé, écrivait Simon Dimanstein. Nous entrons dans une période de large développement de la Région juive, avec un élan étatique jusqu'ici inconnu °°. »
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Il ne serait pas sans intérêt de noter œ fait, très caractéristique : la conversion enthousiaste, fervente de Dimanstein (et il ne fut pas le seul) à la « doctrine de Kalinine », y compris la conœption de la « œntralité spirituelle » du Birobidjan. Dans sa brochure, la Région juive enfant de la révolution d’Octobre, écrite à peine deux ans auparavant, pas une ligne, pas un mot n’avaient été consacrés à la plaœ du Birobidjan dans le développement de la culture juive, ni a la culture juive en général. L‘auteur insistait en revanche sur la néœssité de « cadres non juifs » et sur le futur mariage entre « le charbon des Bourei et le fer du Petit Khingan », mariage considéré de la sinon la seule comme la raison d’être, la principale Région autonome juive. Plus encore: la célèbre phrase de Kalinine : « J’estime que, dans une dizaine d’années, le Birobid— jan sera le principal, sinon le seul gardien de la culture socialiste nationale juive »; cette phrase, légèrement « corrigée » et librement « adaptée » est devenue, dans la brochure de Diman— stein : « Personnellement, je crois que dans une dizaine d’an— nées le Birobidjan deviendra pour les masses laborieuses juives le œntre culturel fondamental”. » Deux années s’étaient écoulées depuis œtte « libre adapta— tion », mais des années de réelle immigration de masse et de « yiddishisation subjective » et le même auteur écrivait : « La Région autonome juive deviendra bientôt le plus grand œntre de la culture socialiste juive. Ily sera créé un vaste réseau d’établissements scolaires, y compris des écoles supérieures, ainsi que de grandes institutions culturelles comme une bibliothèque centrale pansoviétique juive, un musée juif, un théâtre, un Institut scientifique et de recherche qui consacrera la son activité à plusieurs branches de la culture juive linguistique, le folklore, l’histoire des Juifs, etc. ”. » Tous les projets, tous les rêves de Liberberg la fondation d’une université juive au Birobidjan, la création d’une bibliothèque centrale pansoviétique juive (œ qui signifiait, en premier lieu, le transfert dans la Région autonome juive de la bibliothèque académique juive de Kiev), l’organisation d’un musée œntral juif, la transformation de la « Commission scientifique » en Institut scientifique et de recherche — tout fut approuvé par Dimanstein d’une seule haleine, sur le ton de l’enthousiasme hassidique pour le « Centre spirituel » du Birobidjan avec, en
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outre, un détail caractéristique et éloquent : même l‘enseigne— ment de « l'histoire des Juifs » fut en quelque sorte réhabilité...
Cette exaltation ne provenait pas seulement des dirigeants juifs. Le langage des instanœs suprêmes de l’État soviétique fut plus solennel et plus inspiré encore. Le 20 août 1936, fut publiée une résolution du Présidium du Comité œntral exécutif de l’U.R.S.S. sur « L’édification soviétique, économique et culturelle de la Région autonome juive ». Ce fut un document aux allures historiques et qui mérite réellement de demeurer dans l’histoire, ne fût—œ que comme l’expression d’un philosémîfisme authentique, et sans doute sincère, de la « ligne d’État » soviétique, vers le milieu des années 30. La résolution du 29 août 1936 commença par constater que « la transformation du District du Birobidjan en Région auto— nome juive s’était trouvée entièrement et totalement justifiée » conformément à la politique nationale de Lénine-Staline. Et le document de poursuivre : « Au cours de plusieurs siècles, le peuple juif opprimé lutta contre l’autocratie tsariste, pour sa culture nationale propre, pour le droit à l’instruction, pour le droit de vivre libre. Pour la première fois de son histoire, le peuple juif a vu réaliser son ardent désir de fonder une patrie, de bâtir un État national. Sous la conduite du grand Parti de Lénine—Staline et avec la participation active de toute la société soviétique, les masses laborieuses juives développent et consolident chez elles un État soviétique, dans des formes qui correspondent aux conditions historiques et aux mœurs de leur peuple. »
Après avoir évoqué, avec forœ éloges, les réalisations de l’agriculture juive, des coopératives artisanales, de l’industrie et de l’activité culturelle (« La Région autonome juive devient le œntre de la culture soviétique nationale juive pour toute la population laborieuse juive »), le document énumérait une série de mesures pratiques que devaient prendre divers commissariats du peuple afin d’aider la Région juive, tout particulièrement dans le domaine de l’agriculture et concluait ainsi : « Le Présidium du Comité œntral exécutif de l’Union des R.S.S. exprime sa conviction que tous les ouvriers et kolkho— ziens de la Région autonome juive, que tous les travailleurs juifs
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Pour la première fois, une Patrie »
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de l’Union soviétique et toute la société soviétique feront tous les efforts néœssaires pour résoudre le plus rapidement possible les problèmes du développement ultérieur et du renforœment de l’État national soviétique juif, dans l’Union des républiques soviétiques socialistes 23. » « Pour la première fois de son histoire, le peuple juif a vu réaliser son ardent désir de fonder une patrie, de bâtir un État national. » Mais pour la première fois aussi, œtte patrie tant désirée, œt État national, objet de tant de rêves, furent identifiés, d’une manière nette et précise, dans un document officiel d’État, avec œt « État national soviétique juif, dans l’Union des républiques soviétiques socialistes ». Cet « État national soviétique juif », inscrit dans les frontières de la grande Union soviétique, se trouva ainsi simultanément intégré dans le cadre de l’historicité millénaire juive. Cela était entièrement neuf dans le principe et semblait extrêmement important. D’une manière imprécise, mais sûre (dans la tradition soviétique du texte officiel et du texte sons—jacent) la déclaration solennelle émanant des instanœs suprêmes de la « ligne d’État » semblait venir à la rencontre de la surprenante déclaration de Kagano— vitch (œ « compagnon d’armes le plus proche » de « la ligne de parti » personnifiée) sur la néœssité de « porter à la scène les moments héroïques de l’histoire du peuple juif » et confirmait indirectement, par ailleurs, les prédictions de Dimanstein sur les études, dans le futur Institut scientifique du Birobidjan, « de l’histoire des Juifs ». « La bataille pour le Birobidjan » sembla définitivement gagnée et l’écho de la victoire retentit, une fois de plus, à travers les communautés juives du monde entier. A New York, un appel signé par un groupe d’écrivains juifs, parmi les plus illustres (dont Joseph Opatoshon, Ephraïm Auerbach, Glantz Leieles, Peretz Hirshbein, Zishé Weinper, H. Leivick, Léon Kobriue, L. Shapiro), tous non—communistes, proclamait :
« Au Birobidjan vient d’être posé le fondement d’une Répu— blique socialiste juive. La Région autonome juive se développe à un rythme rapide, aussi bien dans l’industrie que dans l’agricul ture. Toute l’activité culturelle est menée en yiddish, la langue
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L‘État juif de l’Union soviétique
des larges masses juives d’Union soviétique et du monde entier “. » Les dirigeants juifs d’Union soviétique triomphèrent et, bien entendu, ne manquèrent pas l’occasion de tirer toutes les conséquences possibles de la comparaison qui s‘imposait entre le Birobidjan et la Palestine. « En
présence des réalisations extraordinaires de la Région
autonome juive, écrivait Dimanstein, grâce à la politique nationale de Lénine-Staline, il nous est impossible de garder le silence sur les événements cruels qui se déroulent dans un autre
pays, pilier de l’impérialisme britannique, la Palestine. La population juive de Palestine est obligée de payer pour les péchés du sionisme. » Et l’auteur de conclure par cette vision antinomique :
« Ainsi, nous avons deux mondes, le monde du socialisme et celui du capitalisme, deux manières de résoudre la question juive. Ceux qui ont lié leur sort à l’impérialisme se retrouvent, désespérés, devant une catastrophe ; ceux qui ont lié leur sort au socialisme s‘épanouissent, profitent de tous les bienfaits de l’U.R.S.S., réalisent leurs aspirations étatiques soviétiques et nationales dans leur Région autonome qui progresse rapide— ment, s’accroît d’année en année et se transforme en grande Région extrême—orientale 25. » « Pour la première fois dans l’histoire du peuple juif », « Développement et renforcement de l’État national soviétique juif », tels furent les mots d’ordre de la « ligne d'État » qui paraissaient devenir également ceux de « la ligne de Parti ». Mais le jour où ces mots d’ordre retentirent dans le monde un peu avant, peut-être, ou peu après, on ne sait, le secret reste à jamais entier —, une autre « ligne » totalement modifiée et qui
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allait plonger le pays entier dans un abîme de sang lui succéda. Le président du Comité exécutif du Birobidjan disparut brusquement, non à Birobidjan même, mais à Moscou, où il avait été convoqué d’urgence. L’animateur, au sens propre du tenue, de la Région autonome juive, celui qui lui insuffla la vie et la volonté de vivre, le Pr Liberberg, disparut brusquement sans aucune trace, comme s’il n’avait jamais existé.
CHAPITRE XV Les années de sang et d’épauvante
Deux mois après la disparition de Liberberg (la date précise de son arrestation n'a jamais pu être déterminée), la revue birobidjanaise Forposte d’octobre 1936 publia le très bref entrefilet suivant : « L'ancien président du Comité exécutif de la Région, Liberberg, a été démasqué comme lâche contre— , révolutionnaire et trotskiste, comme nationaliste bourgeois‘. » Ce fut le début des « purges » sanglantes des célèbres « années
Yéjov ». Dans la littérature consacrée au Birobidjan, tous les auteurs sont unanimes dans l’appréciation de ces événements: les « purges » des années terribles portèrent à la Région autonome juive un préjudice particulièrement grave. Ce fait est incontesta— ble. Cependant, à ne considérer le fait que dans ses seules dimensions quantitatives, ni les causes de ce « préjudice particulièrement grave », ni son caractère spécifique dans la Région juive, ni ses conséquences fondamentales ne sauraient être élucidés. L’efiroyable vague de terreur et de sang qui, dans la mémoire de tout citoyen soviétique, est invoquée par la dénomination d’épouvante « l’année 37 », se leva en réalité fin août 1936, atteignit sa plus grande intensité en 1937 et, après avoir déferlé sur le pays entier, retomba vers le début de 1939. Dans œtte poussée de folie meurtrière, se manifestèrent avec netteté certaines lignes directrices qui, sous une forme plus atténuée, étaient déjà présentes dans les « purges » des années précé— dentes. Un document provenant des célèbres « archives de
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Smolensk » jette une lumière particulièrement vive sur œtte version russe de Les dieux ont soif. L'histoire de ces « archives de Smolensk » est connue. Pendant l’offensive éclair des armées hitlériennes, en été 1941, le temps fit défaut à l’administration soviétique pour évacuer les archives du Comité régional du Parti de Smolensk. Toutes les archives, près de cinq œnts dossiers avec deux cent mille documents, tombèrent entre les mains des Allemands et furent amenées en Allemagne. En 1945, les archives furent saisies par l’armée américaine et transportées aux États—Unis où elles se trouvent actuellement. C’est une collection unique en son genre, hors des frontières de l’U.R.S.S., de documents soviétiques authentiques portant sur les années l922—1938. Un document de très grand intérêt est fourni par un compte rendu des « purges » effectuées en 1935, après le meurtre de Kirov. Dans la seule organisation de la ville et de la Région de Smolensk, quatre mille cents militants furent l’objet d’une enquête, dont sept cent douze sur dénonciations orales et deux cents sur dénonciations écrites. Quatre cent cinquante—cinq militants furent exclus du Parti, deux cent quatre furent suspendus jusqu’aux conclusions d’une enquête complémen— taire. Les motifs d’exclusion, par catégorie de gravité, et le nombre d’exclus de chaque catégorie, sont regroupés dans le tableau suivant : 1. Agents de l’ennemi (espions et individus en liaison avec eux) 7: 2. Gardes blancs et individus ayant participé à des soulève— ments contre-révolutionnaires : 12; 3. Individus ayant appartenu à des groupes contre-révolutionnaires et anti-Parti inspirés par les partisans de Trotski et Zinoviev : 11; 4. Individus ayant quitté d’autres partis, mais restés fidèles à leurs doctrines : 9; 5. Escrocs qui se servaient de l’appareil du Parti pour obtenir des documents du Parti : 2; 6. Escroœ qui se procuraient des cartes du Parti par des moyens frauduleux : 5; 7. Individus originaires d’une classe socialement hostile et opposée au régime et qui dissimulaient leur passé : 99;
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8. Individus politiquement douteux et qui trahissaient les intérêts du Parti : 127; 9. Individus ayant des antécédents criminels dont treize condamnés pour détournement : 53; 10. Déserteurs de l’Armée rouge : 12; 11. Individus dont l’adhésion avait été acceptée en violation des règlements du Parti : 9; 12. Individus ayant échappé aux purges de 1929 et 1933 : 3; 13. Individus ayant échappé au contôle des documents du Parti : 3; 14. Individus socialement et moralement corrompus : 32; 15. Individus adoptant une attitude anti-Parti à l’égard des documents du Parti : 38; 16. Individus s’absteth d’activités militantes, non à jour de leurs cotisations, etc. : 33; Total : 4552.
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Il saute aux yeux, à l’examen de œ tableau, que la très grande majorité des « purgés » furent sanctionnés non pour des motifs réellement politiques, mais en raison d’une multitude de péchés plus ou moins graves de la vie quotidienne : origine sociale dissimulée, inconduite, immoralité, corruption, criminalité, ou bien manque d’ardeur révolutionnaire (« politiquement dou— teux ») ou activité politique insuffisante. Douze des seize catégories leur sont consacrées avec quatre cent seize exclu— sions. Les quatre premières catégories (crimes contre la sûreté de l’État, divergences et crimes politiques) ne comptèrent que trente—neuf exclusions. Pour l’Union soviétique, cette proportion était le signe d’une certaine « normalité ». Une année plus tard, la situation changea du tout au tout. L’exception devint la règle. Les célèbres « procès de Moscou » firent l’effet d’un trem— blement de terre. Le premier procès, avec Zinoviev et Kame— niev en tête, s’ouvrit le 19 août 1936. Le deuxième procès, en janvier 1937. avec Piatakov, Radek et Sokolnikov en tête Le troisième procès, avec Rykov, Boukharine, Krestinski et Rakovski en tête en mars 1937. Tous les accusés plaidèrent coupables. Publiquement, à haute et intelligible voix, ils avouèrent, a la faœ du monde, tous leurs forfaits les plus abominables : terrorisme, préparation d’attentats contre Staline, conju—
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rations contre la révolution, espionnage au profit des pays capitalistes, etc. Les trois premières catégories du « tableau » des purges se trouvèrent, du coup, amalgamées et soudées : trotskistes et zinovievistes n’étaient rien d’autre que des agents de la contre—révolution, des espions et des terroristes. Les procès devaient apporter la preuve de quelque chose de plus, à savoir que vingt ans après la révolution d’Octobre, et dans les nouvelles conditions historiques du « socialisme dans un seul pays » et de « la forteresse assiégée », la vieille génération des révolutionnaires, la génération de Lénine qui avait fait la révolution, cette génération, non seulement avait achevé et accompli son rôle historique, mais avait eu le temps de dégénérer et de se transformer en menace grave pour le pays du socialisme en construction. Par conséquent, elle se trouvait historiquement condamnée à disparaître. La justice révolution— naire se devait seulement d’exécuter le verdict de l’histoire, ce qu’elle fit avec toute la rigueur de la loi. Parmi les mille neuf cent soixante-six délégués du XVII‘ Congrès du Parti communiste pansoviétique, en janvier 1934, mille cent huit furent exécutés pendant les « années Yéjov ». Des cent trente-neuf membres élus au Comité central par le même Congrès, quatre-vingt—dix-huit subirent le même sort. Sur le nombre total de trente membres que compta le bureau politique du Parti communiste pansoviétique, entre 1919 et 1935, quinze furent fusillés et deux acculés au suicide. Mais les coups les plus féroces furent portés à l’Armée rouge : trois maréchaux (sur cinq), treize généraux de corps d’armée (sur quinze), cinquante-sept généraux de brigade (sur quatre—vingt— quinze), cent dix généraux (sur cent quatre-vingt-quinze), soixante-quinze membres du Conseil supérieur de Guerre (sur quatre-vingts) furent fusillés, ainsi que des milliers d’officiers de tout grade. Des milliers d’autres furent relégués. Les procès de Moscou, par leur publicité tapageuse et morbide, mobiüsèrent le bon peuple, le convoquèrent à titre de témoin, coaccusateur et coassocié à la fois dans œtte chasse sanglante, poussé sans cesse par une épouvante générale, par une psychose de la suspicion de tous à l’égard de tous. Voici, pour illustrer l’atmosphère de l’époque, l’extrait d’un article publié dans le Forposte du Birobidjan, en octobre 1936, par un
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auteur anonyme, vraisemblablement le « propriétaire » lui— mème, Matveï Pavlovitch : « La bande trotskiste-zinovieviste est abattue, anéantie aussi bien au Centre que dans les Républiques et Régions nationales. Il ne reste que quelques groupes isolés de contre-révolution— naires hargneux, assoiffés de pouvoir et de vengeance... Dans certaines institutions idéologiques juives aussi, travaillaient des trotskistes, ennemis du peuple. Ces personnages menaient une activité ignoble, à double face. Les loups se donnaient pour des agneaux. Dans notre Région aussi, au cours de la vérification et de l’échange des documents du Parti et même après œtte vérification, les organisations du Parti démasquèrent plusieurs misérables trotskistes-zinovievistes... L’ancien président du Comité exécutif de la Région, Liberberg, fut lui aussi démasqué comme un infime contre-révolutionnaire trotskiste, comme un nationaliste bourgeois... L‘hypocrite trompe le Parti, l’hypocrite est un ennemi du pouvoir soviétique, un ennemi du peuple. L’hypocrite est un agent de l’étranger, un saboteur, un provocateur, un espion de la contre—révolution. Tout communiste qui fait preuve de tolérance ou de libéralisme pourri envers ces personnages à double face de quelque manière que ce soit commet le crime le plus grave contre le Parti, contre le pouvoir soviétique, contre notre patrie 3. »
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Le « tableau des purges » de 1935 se transforma désormais en d’extermination » et s’enrichit de plusieurs nouvelles catégories. Mais surtout une de ses anciennes catégories, la quatrième, prit une place particulièrement privilégiée et connut une expansion monstrueuse. En effet, si de vieux bolcheviks, compagnons de lutte de Lénine, avaient pu se transformer en espions et assassins, que penser de tous les autres qui gagnèrent les rangs du Parti communiste après la révolution d’Octobre, mais militaient auparavant dans différents partis petits-bourgeois, nationalistes et contre-révolutionnaires? Ceux-ci n’étaient—ils pas capables de crimes encore plus odieux? Et les dirigeants des Républiques nationales et des Régions fronta— lières, presque tous d’anciens nationalistes, en contact direct à travers la frontière avec le monde impérialiste, autrement dit avec les agences d’espionnage ennemies? Et tous ces étrangers, venus en Union soviétique prétendument en amis « tableau
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éprouvés, en communistes honnêtes. mais chargés en réalité de missions secrètes d’espionnage, de sabotage, d’assassinat ? On n’avait plus besoin de procès exemplaires, ni même de procédures quelles qu‘elles soient. Dans la psychose générale de. trahison et d’espionnage, de colère et d’épouvanœ, les provoca— tions les plus invraisemb1ables étaient accueillies avec une simplicité, une évidence fantastiques. Tout était clair. Il fallait « démasquer l’ennemi ». Tout citoyen soviétique devait être conscient de son devoir et savoir avec précision : qui, comment et où il fallait « démasquer ». Sur ordre de Staline, de vastes organisations anti-soviétiques clandestines furent « découvertes », en 1937, dans les Républi— ques soviétiques d’Arménie, de Géorgie et de Biélorussie. Leur but : détacher ces Républiques de l’Union soviétique. Presque tous les membres du Comité central du Parti communiste et du Conseil des commissaires du peuple d‘Arménie furent exécutés ou envoyés dans des camps. Les cadres les plus importants du Parti et du gouvernement de Géorgie, ainsi que les dirigeants les plus en vue du Parti, de l’État, des syndicats et des organisations de jeunesse de Biélorussie subirent le même sort. En Ukraine, la vague de terreur atteignit des proportions jamais vues. Tout cela était clair et naturel, bien que l’épouvante ne cessât de grandir et que l’air devint irrespirable : il fallait « démasquer l’ennemi ». Sur ordre de Staline, on arrêta des milliers de communistes étrangers se trouvant en Union soviétique, soit provisoirement, soit à titre définitif, en raison de la situation politique de leurs pays d’origine respectifs. Presque tous furent exécutés. Ainsi périrent : le fondateur de la République soviétique de Hongrie, en 1919, Bela Kuhn, et plusieurs dirigeants du Parti communiste hongrois; des centaines de communistes allemands qui avaient fui l‘Allemagne hitlérienne, dont les célèbres dirigeants du Parti communiste allemand Hugo Eberlein, Hermann Remele, Heinz Neumann, etc. ; tout le Comité central et tous les dirigeants du Parti communiste polonais, avec Adolf Warski, Julien Lenski et Wera Kostszewa; des centaines de militants et dirigeants des Partis communistes des Pays baltes, de Bulgarie, Roumanie, Yougoslavie, Finlande, Espagne, etc. Tout œla continua de s’appeler « démasquer l’ennemi ». La délirante offensive ayant pour objet « de démasquer et
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désarmer les ennemis du peuple » se développait ainsi, avec une violence aveugle, sur deux axes parallèles : à la fois dans le cadre des trois premières catégories amalgamées du « tableau d’exécution » : espionnage, contre-révolution, trotskisme-zino— vievisme, et dans le cadre de la quatrième catégorie élargie et orientée selon trois directions: contre « les individus ayant quitté d’autres partis, mais restés fidèles à leurs doctrines », contre les Républiques et autres entités étatiques nationales (non russes) des régions frontalières de l’U.R.S.S. et, enfin, contre les étrangers. Paradoxalement, toutes ces trois directions se croisèrent au Birobidjan même et transformèrent la Région autonome en un des centres les plus dangereux de cette tragique chasse à l’homme. Si, pour les trois premières catégories amalgamées du « tableau » espionnage, contre—révolution, trotskisme-zino— vievisme —, un simple soupçon ou une seule dénonciation étaient suffisants pour envoyer un homme à la mort, la quatrième catégorie conœmant « les individus ayant quitté d’autres partis » n’exigeait même pas que des soupçons aient été formulés. Le fait établi et indéniable de « l’ancienne appartenance » était en lui-même une charge irrécusable. La question de savoir si, oui ou non, « l’individu » en question « restait fidèle à ses anciennes doctrines », était résolue d’avance, avec une certitude absolue, par les célèbres « organes de sécurité ». Plus exactement, la question ne se posait même pas, car un des postulats essentiels de la terreur était que « tous les individus ayant quitté d’autres partis » n’étaient en réalité que des ennemis dissimulés qu’il fallait démasquer et détruire.
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Ce qui paraissait étonnant, anormal, voire incompréhensible, àla jeune génération des officiels soviétiques non juifs, ce fut le fait que l’immense majorité des cadres dirigeants du Birobidjan, au Parti, dans l’administration, dans l’économie, l’enseignement et la culture, à quelques rares exceptions près, relevaient tous, ou presque tous, de la fameuse quatrième catégorie des « indivi— dus ayant quitté d’autres partis » : le Bund, les Poalé-Sion ou les socialistes unifiés. Ce fait semblait très troublant et jetait une lumière inhabituelle et étrange sur la Région autonome juive elle—même. Toutes les autres entités étatiques nationales, c’est—à—dire non
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russes, de l’Union soviétique (Régions autonomes, Républiques autonomes, Républiques fédérales) avaient bien, parmi les dirigeants du Parti et du gouvernement, un œrtain nombre plus ou moins important de ces « individus » ayant appartenu
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— autrefois aux diverses formations politiques petites-bourgeoises
nationalistes. Cependant, les « individus » en question, en Ukraine notamment et dans les Républiques caucasiennes, ne formaient qu’une fraction, systématiquement réduite d’ailleurs, des cadres dirigeants. Dans toutes ces Républiques non russes, le Parti bolchevik avait pris racine dès le début du siècle et exerçait une forte influence sur la classe ouvrière locale déjà avant la révolution d’Octobre. Il n’en était pas ainsi, bien au contraire, à l’égard de la population juive. A la fin des années 20 et au début des années 30, lorsqu’on eut commencé en Union soviétique à « réécrire » l’histoire et, en particulier, celle de la révolution et du mouvement ouvrier, on essaya également de « réécrire » l’histoire du mouvement ouvrier juif. Une croisade fut lancée, sous le mot d’ordre « contre l’idéalisation du Bund ». En 1932, les Éditions d’État de Minsk publièrent un libelle de Chaskiel Dunetz, sous un titre éloquent : « Contre le Bund social—fasciste ». L’Académie des Sciences de Biélorussie fit paraître deux ouvrages contre le Bund, en 1933 et 1935. Cette « campagne de choc » fut naturellement impuissante à changer quoi que ce soit dans la réalité historique. Il demeura un fait absolument incontestable, à savoir que tout « le travail juif » effectué en Union soviétique avait été l’œuvre de dirigeants expérimentés du mouvement ouvrier juif, venus tous au Parti communiste après la révolution d'Octobre. C'étaient ces dirigeants, et eux seuls, ces anciens du Bund, des Poalé-Sion et des socialistes unifiés qui devinrent les fondateurs de « la société juive soviétique », avec toutes ses organisations et institutions , avec toutes ses activités politiques, économiques, sociales, culturelles et artistiques, sous tous leurs aspects et dans tous les domaines. La « rue juive » fut leur terrain d’élection, ils en gardèrent jalousement toutes les positions clés. Par conséquent, la République autonome juive ayant été en quelque sorte un prolongement réel et territorial de cette « rue juive » abstraite et symbolique, les mêmes anciens dirigeants et militants du
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mouvement ouvrier juif se retrouvèrent aux postes clés du Birobidjan. Ce fait, pourtant simple et historiquement explicable, parut cependant fort suspect aux responsables de la justiœ stali— nienne. Toute la Région autonome juive se révéla, pour les célèbres « organes de sécurité », être le foyer par excellenœ de ces « individus » relevant de « quatrième catégorie », de tous ces anciens « ayant appartenu » et, par conséquent, ennemis actuels, traîtres qu’il « fallait démasquer ». Il n’est pas sans intérêt d’observer que bien longtemps après les sanglantes « années Yéjov », longtemps après la guerre, et même la mort de Staline, les Éditions d’État de Moscou n’en continuèrent pas moins à expliquer calmement et doctement, dans une note sur le Bund ajoutée aux Notes critiques sur la question nationale de Lénine qu’après la liquidation du Bund en 1921, « une partie de ses membres adhérèrent au PC. (b) R., aux conditions générales. Parmi eux, il y avait des hommes à double faœ, qui avaient adhéré au Parti pour le saper du dedans; ils furent démasqués plus tard comme ennemis du peuple ». En fait, la dénomination de Bund désignait le mouvement ouvrier juif tout entier. Plusieurs anciens dirigeants des autres partis ouvriers juifs furent « démasqués comme ennemis du peuple ». Une des premières victimes « démasquée » et fusillée fut le président du Comité exécutif de la Région autonome juive, le Pr Liberberg, ancien militant, à dix-huit ans, des socialistes unifiés. Parmi tous ces « individus » venus du mouvement ouvrier juif, furent « démasqués » non seulement « les ennemis du peuple », mais aussi de « simples espions ». Comme la majorité des entités étatiques non russes, la Région nationale juive se trouve dans une région frontalière de l’Union soviétique. Le long du fleuve Amour, sur six cents kilomètres, le Birobidjan était bordé par l’Etat tampon Mandchoukéo, c’est-à-dire le Japon et, par conséquent, les agences d’espionnage impéria— listes. Ce seul fait de voisinage suffit pour étayer la conviction, voire la certitude, que la Région juive « groufl1ait d’espions japonais ». Des dizaines de militants innocents furent fusillés pour espionnage au profit du Japon. Parmi eux se trouvait l’ancien secrétaire du Bureau central des Sections juives de Biélorussie, membre du Comité exécutif de la République
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L‘Étaiuifdei‘Urrian:w‘énÿœ
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wfiéüqœdeBiébrusäe,mümmembæduCoütéœntrfldu Bund, Jankiel Levine. Et enfin, latroisièmeofientafiondelnfoüemglanæ: les étrangers. Pendant plusieurs années, l’Union soviétique fit de très grands efforts, par une propagande directe et indirecte, pour faire venir au Birobidjan le plus grand nombre possible d’immigrants étrangers. Ces efforts semblèrent couronnés de succès en 1931, avec l’arrivée de quatre cent soixante—neuf immigrés de l’étranger et plus encore, en 1932, quand leur nombre atteignit sept cent quatre—vingt-quatre. Apres le reflux général de 1932, la grande majorité de ces immigrés, ou bien quitta définitivement l’Union soviétique (presque tous les res— sortissants des États-Unis et des pays d’Europe occidentale), ou bien vint s’établir dans différentes villes soviétiques, et surtout à Moscou. Le nombre d’immigrés étrangers restés au Birobidjan était fort modeste, quelques œntaines de familles à peine, mais leur proportion dépassait malgré tout la moyenne de toutes les autres régions soviétiques. Ces travailleurs juifs, venus pour la plupart de Lituanie et des pays sud—américains, avaient passé par toutes les difficultés d’accümatation dans un milieu neuf, inconnu, hostile et extrêmement rude. Peu à peu, ils commencè— rent à s'habituer au pays, à prendre racine, à devenir travailleurs de choc et même des patriotes birobidjanais. Aux yeux des « organes de sécurité », ils restèrent pourtant des étrangers, c’est—à—dire des ennemis dissimulés, des saboteurs et criminels qu’il fallait « démasquer et détruire ». Le mois d’août 1936 marqua un tournant dans l’histoire du Birobidjan. La montée vertigineuse fut suivie d’une chute catastrophique. L’arrestation du Pr Liberberg troubla profondé— ment la jeunesse et frappa d’épouvante toute la population. Un témoin oculaire déclarait : « Liberberg était entouré ici de très nombreux amis et admirateurs. Ce sont les meilleurs bâtisseurs de la Région. Ils l’aiment et l’admirent pour son esprit de sacrifice, pour les efforts qu’il déploie, malgré tous les risques, afin de faire accéder le Birobidjan au stade de République autonome socialiste juive de foyer juif véritable. Il est certain que tous œux qui avaient collaboré avec lui, devront le payer chèrement à présent… Tous ces grands spécialistes n‘étaient venus ici que
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grâce a Liberberg. Ils étaient tous très bien installés dans différentes villes du pays. Liberberg, avec sa grande autorité, les avait influencés et décidés à venir apporter leur concours à l’œuvre d’édification du foyer socialiste juifs. »
Et alors un vieux phénomène fit brusquement sa réapparition : le reflux ou, plus précisément, une fuite éperdue, en catastrophe, de tous œux qui avaient une possibilité quelconque de partir. L’année 1935 ne connut guère de mouvement de retour, de même que les trois premiers trimestres de l’année 1936. Mais le dernier trimestre de l’année fut témoin à nouveau d’un reflux aux proportions importantes, bien que dissimulées, et dont le volume approximatif ne put être évalué que par comparaison. A la fin de l’année 1935, la population juive du Birobidjan dépassait quatorze mille âmes. Avec les huit mille immigrés de l’année 1936, elle devait atteindre vingt-deux mille âmes. En fait, parmi les huit mille immigrés de 1936, il y avait un certain nombre de non-Juifs, amenés parle comm et estimés à mille personnes au maximum. La population juive du Birobid— jan devait donc atteindre à la fin de 1936, environ vingt et un mille âmes. Or, elle ne compta à œtte date que dix-huit mille âmes. Cela veut dire que quelques milliers d’immigrés juifs, nouveaux arrivants ou colons anciens, quittèrent la Région pendant les derniers mois de l’année. C’est dans ces conditions qu’intervint une réorganisation totale de l’immigration qui pourrait paraître incompréhensible, voire absurde, si on ne l’envisageait pas dans le contexte de cette « année 37 », année de sang et d’épouvante. L’on se rappelle que le oazarm fut « libéré » en 1934 de la direction de l’immigration au Birobidjan, tâche transmise au conarm, organe gouvernemental. Ce fut la première sanction publique contre les organisations juives. Tout le problème de la Région autonome juive devint moins spécifiquement juif et davantage un problème d’Etat en général. Or, en 1937, le commun, bien qu’étant un organe gouvernemental, mais composé en majorité d’anciens dirigeants du mouvement ouvrier juif, fut « libéré » à son tour de la direction de l’immigration. Le comm lui aussi perdit la confiance des « Instances supérieures » et plusieurs de ses dirigeants et collaborateurs intégrèrent « la quatrième catégorie » du célèbre
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« tableau ». La tâche qui consistait a organiser l’immigration au Birobidjan fut confiée œtte fois « aux organes administratifs soviétiques locaux » des lieux actuels de résidence des futurs immigrants. Bien entendu. ces « organes administratifs locaux » n’avaient pas la moindre notion des besoins et des possibilités de la Région juive, ni d’ailleurs le moindre intérêt pour toute cette affaire. Mais ce ne fut pas tout. Le transport des immigrants, de leurs lieux d’habitation vers la Région autonome juive, fut confié aux services du célèbre N.K.V.D., c‘est—à-dire au commissariat du peuple aux Affaires intérieures et de la Sécurité publique, commissariat qui fut à l’époque le symbole et l’instrument principal de la terreur et, littéralement, un terme d’épou— vante pour toute l’Union soviétique. Les résultats de la « réorganisation » ne se firent pas longtemps attendre. Le plan pour l’année 1937 prévoyait neuf mille trois cent cinquante-sept immigrants. A peine trois mille arrivèrent, dont un certain nombre de non—Juifs. Renouant avec la tradition du bon vieux temps, la moitié des nouveaux arrivants prit immédiatement le chemin du retour. A la fin de l’année 1937, la population juive du Birobidjan comptait dix-neuf mille âmes environ.
Cnxrmm XVI La liquidation du nationalisme juif Un tragique acte d’accusation L’historien soviétique Roy Medvediev cite, dans son ouvrage le Stalinisme, les souvenirs du vieux bolchevik E. F. Frolov sur le philosophe communiste Yan Sten, arrêté et exécuté en 1937. Douze ans auparavant, en 1925, raconta Frolov, Staline « appela Yan Sten, un des plus grands philosophes marxistes de cette époque, pour diriger ses études de dialectique hégé— henne… Ces rencontres avec Staline, les conversations qu’il avait avec lui sur des sujets philosophiques, au cours desquelles il introdth toujours des problèmes politiques d’actualité, lui révélaient chaque jour davantage la véritable personnalité de Staline. Dès 1928, Sten confiait à un petit groupe de ses amis : « Koba (pseudonyme de Staline d’avant la révolution) commet— tra des actes qui relégueront dans l’ombre les affaires Dreyfus et Beilis 1. » Le rappel simultané de l’affaire Dreyfus et du procès Beilis voulait dire sans doute que « Koba » était supposé capable des pires falsifications, calomnies et provocations. Toutefois, dans la mesure où ces deux affaires avaient été nettement ou même antisémites, il devait y avoir dans œtte essentiellement remarque de Sten une certaine allusion à l‘hostilité de Staline, ou du moins à son inimitié, à l’égard des Juifs, et ce déjà dans les années 20. Il serait toutefois peu plausible d’en déduire que le pogrome effectué au Birobidjan et dans les organisations soviétiques juives pendant les années 1936 et 1937, ait été un effet direct des sentiments antijuifs de Staline. Un très grand nombre de
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communistes juifs continuèrent, pendant une dizaine d‘années encore, à travailler dans l’appareil du Parti et du gouvernement, dans la direction de l’armée et même dans les célèbres « Organes de sécurité ». Ce pogrome fut général et d’une atrocité incroyable. Toute l’épine dorsale du Parti et de l’appareil de l’État fut fracturée et écrasée. Dans la R.S.F.S.R. (République socialiste fédérative socialiste de Russie) avec toutes ses républiques et Régions autonomes (Tatars, Bachkirs, Kazakhs, etc.), en Ukraine, en Biélorussie, dans les Républiques caucasiennes et celles de partout le sang coulait à flots. l’Asie centrale Et pourtant, au Birobidjan (et dans « la rue juive » soviétique en général) les événements allaient comporter des aspects tout a fait spécifiques. Une tendance à imposer une dénationaüsafion de manière plus brutale complète s’y manifesta davantage que dans toutes les autres entités étatiques de l’U.R.S.S. et qu’à l’égard de tous les autres peuples du pays. Tout se passait comme si, contrairement à la « doctrine Kalinine » qui asth « a poser des fondements soviétiques sous la nationalité juive en U.R.S.S. » et à donner à cette nationalité les possibilités d’un « développement étatique normal », une autre « doctrine » tenait, à l’opposé, à reprendre à la nationalité juive ses « fondements soviétiques » et ses possibilités d’un « développement étatique normal ». Cela valait également, bien entendu, pour « la culture socialiste nationale juive ». Quelles furent les causes de ce phénomène? On en est évidemment réduit aux hypotheses. Dans son ouvrage Sur la question nationale, Staline jugeait que les Juifs ne constituaient pas une nation. Ce jugement péremptoire et sans appel devait naturellement peser de tout son poids. Une autre théorie de Staline devait également jouer un rôle non négligeable. La politique stalinienne de nivellement national se mua, dans les années 30, en théorie scientifique, a savoir que l’époque de l’identification nationale et de l’établissement étatique des peuples soviétiques était désormais achevée et même dépassée. Mais il est très vraisemblable qu’à côté de ces théories, et d’une manière probablement décisive, s‘exerçait une méfiance patho— logique envers les « individus ayant appartenu... ». Ceux—ci étaient si nombreux dans « la rue juive » et s’y étaient tellement comportés en maitres exclusifs qu’ils l’avaient profondément
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marquée et en étaient littéralement devenus le symbole. Ce furent précisément les mêmes, les « ayant appartenu », qui devaient également symboliser le proœssus de formation de l’État soviétique juif. Cela fut pour « la ligne de parti » non seulement inadmissible, mais parfaitement intolérable. La chasse sanglante des « années Yéjov » fut menée dans toutes les Républiques et Régions nationales (c’est—à-dire, non russes) sous le mot d’ordre de « lutte contre le nationalisme ». Ce même mot d’ordre devait naturellement servir aussi contre la Région juive. Le schéma général de la « lutte contre le nationalisme » était doté, dans chaque cas, d’une texture concrète à caractère local, susceptible de lui conférer une œrtaine crédibilité ou vraisemblance. Cette opération s’avéra moins simple qu’on pouvait d’abord le au Birobidjan
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supposer. Le critère du nationalisme (bourgeois, agressif, perfide, etc.) est, en Union soviétique, très simple et très clair. C‘est tout d’abord, dans œtte « famille fraternelle de peuples » (théori— quement parlant) le phénomène de non—fratemité, voire d’inimitié entre peuples. Inimitié en général, d’un peuple soviétique envers un autre et souvent par essence pourrait—on dire l’irrimitié envers « le frère aîné », le peuple russe, accompagnée de reproches, plus ou moins publiquement formulés, conœmant le chauvinisme grand—mssien, la russification forcée, la dénationalisation, etc. Aux reproches de ce genre, venant par exemple d’Ukraine ou des Républiques caucasiennes, Staline répondait systématiquement par une série de procès pour complot natio— naliste ayant soi—disant pour but de détacher ces Républiques de l’Union soviétique. Tout ceci n’avait, bien entendu, pas le moindre rapport avec le Birobidjan. Les masses laborieuses juives d’Union soviétique, indépendamment de toute opinion personnelle sur la Région autonome, accueillirent le fait même de la création d’une entité étatique juive en U.R.S.S. avec beaucoup de satisfaction et de gratitude, voire même avec fierté, une fierté très soviétique qui disait : voyez donc comment l’Union soviétique a résolu la Question juive, au moment même où, à ses frontières, se déchaîne l’antisémitisme le plus sauvage. En outre, il est hors de doute que la proclamation de la Région autonome juive avait renforcé et approfondi le sentiment d’amitié sincère du judaïsme
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soviétique envers les peuples soviétiques en général et tout particulièrement pour « le frère aîné », le peuple russe. Par ailleurs, l’entité étatique juive elle-même, la Région autonome, grandissait dans une atmosphère de bon voisinage et d’amitié entre les peuples. On était loin d’en ètre assuré, au départ. Les réserves ne manquaient pas, tant au sujet de la position des milieux officiels de la Région extrême—orientale que de l’attitude des populations locales du district. Merejine parla ouvertement de ces doutes à la seconde Conférenœ plénière du G…, en janvier 1929. Il apparut rapidement toutefois que les milieux dirigeants de l’Extrême—Orient soviétique avaient accueilli l’idée d’une « Unité nationale juive » avec beaucoup de bonne volonté. Il s’agissait en l’occurrence, non seulement de la discipline de parti même si bien entendu celle—ci jouait —, mais aussi de la manifestation d’un authentique phüosémifisme qui était, d’ail— leurs, caractéristique de l’Union soviétique dans son ensemble, dans les années 20 et le début des années 30. La Région juive prit facilement racine en Extrême-Orient et, en peu de temps, elle fut incorporée de manière organique au paysage général. Il faut, bien entendu, faire une distinction entre « les milieux officiels » et la population locale du Birobidjan. D'après le recensement de 1926, le territoire de la future Région autonome juive comptait en tout 32 250 habitants, dont plus de la moitié de Cosaques transbaïkaliens. Il est parfaitement loisible de présumer, sans la moindre malveillance ni esprit de calomnie, que la notion de fraternité des peuples devait être, pour œtte popula— tion cosaque, quelque chose d’extrêmement vague. Aussi bien, les incidents entre les immigrants juifs et la population locale n’étaient—ils pas très rares, au début. Il y eut même parfois des incidents nettement antisémites : lettres de menaœs, injures, disputes et même violences. Mais il n’était pas rare, non plus, de rencontrer en même temps la vieille et chaude hospitafité traditionnelle et l’aide désintéressée, sous des formes des plus diverses. Avec le temps, avec les pionniers juifs levant la terre vierge, construisant des routes, s’essayant à une agriculture moderne, avec des tracteurs (véhicules totalement inconnus dans tout l’Extrème-Orient), des relations de bon voisinage commencèrent à s‘établir, d’abord entre la jeunesse juive et non juive et, peu à peu, entre les générations plus âgées. Ainsi se
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formait ici, lentement, une amitié entre les peuples, résultat non d’une idéologie, de directives ou d’une discipline de parti, mais de contacts plus étroits, et des labeurs et des efforts communs. Rien au Birobidjan ne paraissait contredire la formule soviétique consacrée de « famille fraternelle de peuples ». Rien, par conséquent, ne semblait susceptible de concrétiser le schéma abstrait mais obligatoire de « lutte contre le nationalisme ». Durant des années, les dirigeants soviétiques juifs ne cessèrent de brandir l’épouvantaü du « nationalisme militant juif ». Or, le moment arrivait où l’épouvantafl devait prendre corps. Si « le nationalisme militant » n’existait pas, il fallait l’inventer, on était même forcé de l’inventer de toute urgence pour les besoins de la cause. Moshé Litvakov, le directeur du journal Der Erness de Moscou, prit sur lui cette tâche. (Il serait peut—être plus juste de selon toute vraisemblance dire que cette tâche lui fut imposée au nom de la discipline de parti.) Le 18 avril 1937, Litvakov publia dans Der Emess un immense article intitulé « La lutte de classes autour de l’édification de la Région autonome juive ». Le même article « revu et corrigé », avec des modifications substantielles, fut publié par l’auteur quelque temps plus tard, en version russe, dans l’organe du onzam, Tribuna. Dans son introduction, Litvakov définit ainsi les lignes générales de son sujet :
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« L‘édification de la Région autonome juive se déroule constamment, depuis le début, dans des conditions d'une
violente lutte de classe. Les ennemis de classe choisirent la Région autonome comme terrain favori de leurs actions contre le peuple, contre le Parti et, de manière générale, de sabotage. Dans cette lutte de classe autour de la Région autonome, le nationalisme militant juif a joué et continue de jouer un rôle
tout
particulier? »
Moshé Litvakov, excellent journaliste, publiciste et critique littéraire, styliste de grande classe, fut une des figures de proue de la société juive soviétique. « Responsable du front idéologique » du temps des Sections juives, il fut l’incarnation même du « yevsekisme », c’est—à—dire de l’esprit de ces Sections. Pendant plus d’une dizaine d’années, il a régné en maître sur la littérature
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et la culture juives en Union soviétique, régnant d’une main de fer, conduisant ou plutôt menant à la baguette (il adorait la baguette idéologique) les écrivains sur le droit chemin de « la ligne de parti ». Il portait fièrement son surnom de « meilleur “ tchekiste3 ” de la littérature juive » et s‘était spécialisé en
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matière de « déviations » : déviation de gauche ou de droite, déviation nationaliste, petite-bourgeoise, opportuniste de droite, opportuniste de gauche, opportuniste petite-bourgeoise. etc.
Apres la dissolution des Sections juives, Litvakov continua dans son journal les campagnes de critique agressive signe de « vigilance communiste » —. mais il se risquait de temps en temps également à une autocritique. preuve de « courage communiste » et de « morale communiste ». En vérité, Litva— kov avait de plus en plus besoin de ce genre de « preuves » car, non seulement il avait été jadis lui-même un simple « ayant appartenu », mais un des dirigeants principaux de l’ancien Parti ouvrier juif des socialistes unifiée « La lutte de classe autour de l'édification de la Région autonome juive » de Litvakov prétendait constituer un acte d’accusation contre « le nationalisme militant et œntre-révolu— tionnaire juif » et ses activités au Birobidjan. On pouvait donc s‘attendre à trouver dans l’article, sinon une analyse approfondie, du moins une description générale du phénomène du nationalisme juif son caractère, ses buts, ses moyens, ses méthodes, les formes de ses actions « de sabotage », etc. Il n’en fut rien pourtant. L’article se contentait d’affirmations péremp— toires et de condamnations générales étayées par des preuves d’une incroyable malveillance, des insinuations souvent insensées ou encore de pures et simples dénonciations. L’attaque était dirigée surtout contre «Liberberg et sa bande », contre Khavkiue, contre « le trio, camarade Larine et Tchemerisky— Merejine », contre « le nationaliste Braguine », contre « l’ancien poalé—sioniste de Pologne, Max Eric », etc. Même « l’histo— rien juif réactionnaire, l’émigré Doubnov" » n’était pas épargné. Les chefs d’accusation les plus graves furent formulés contre « le nationaliste militant Liberberg » (« un “ seimiste ” qui s’était maquillé en communiste ») : il avait trompé le Parti en 1934 pour se glisser dans la direction de la Région autonome
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juive ; il se comportait en « chef d’État juif »; il tentait de réunir au Birobidjan (sa « Palestine überbergoise ») toutes les institutions nationales juives de l’Union soviétique; il estimait que seules les institutions culturelles juives créées au Birobidjan avaient un avenir et une valeur nationale, etc. Le ton de l’article de Litvakov était conforme au modèle de l’époque, identique à celui de tous les actes d’accusation de tous « les procès de Moscou ». Mais il était beaucoup trop personnel et trahissait trop les ambitions personnelles déçues. Mais surtout les « conclusions politiques » auxquelles s’attendaient les « organes » compétents faisaient défaut. Le cas individuel de Liberberg ne les intéressait plus. Liberberg n’était plus en vie. Il avait été exécuté en mars 1937, mais ce fait demeura un secret d’État pendant vingt ans. Litvakov devait donc « corriger » son article et y ajouter une « généralisation politique » indispensable. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, Litvakov s’exécuta; il corrigea et généralisa. La version russe, publiée dans Tribuna correspondait justement à cette « édition revue et corrigée ». Le correctif était bref mais d’importance. La petite phrase introductive du texte yiddish : « Dans cette lutte de classe autour de la Région autonome juive, le nationalisme contrerévolutionnaire et militant juif a joué et continue de jouer un rôle tout particulier »; cette phrase devint en russe : « Ici apparut et continue d’apparaître comme l’ennemi principal le nationalisme juif, contre-révolutionnaire et militant qui, natu— rellement, avait fait et continue de faire cause commune avec le
trotskisme5. »
C’était non seulement un faux, mais une calomnie, une basse calomnie et, en plus, une sanglante provocation. Ni Trotski, ni les trotskistes, ni le trotskisme en tant que mouvement n’avaient jamais eu le moindre rapport avec la société juive ou sa problématique. Litvakov le savait parfaitement. Ni Trotski ni ses compagnons juifs n‘avaient jamais (du moins en Union ils ne l’ont d’ailleurs jamais soviétique) assumé leur judéité reniée —, mais elle n’avait pour eux ni importance ni intérêt. Or, cette révélation faite par un expert aussi compétent que l’ancien responsable du «front idéologique juif », venait confir— mer officiellement le soupçon qui ne cessait de hanter le délire stalinien, à savoir qu’il existait « une cause commune », politi-
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que et organisationnelle, au nationalisme sous toutes ses formes, y compris le nationalisme juif, et le trotskisme. Du coup, « la rue juive », avec ses insupportables relents de nationalisme-trotskisme et de contre-révolution, fut condamnée sans pitié. Toute « la rue juive », sans exception, avec ses organisations et institutions, avec sa culture, sa littérature et... son État. Tous les anciens dirigeants de l’ancien mouvement ouvrier juif, Esther Froumkine en tête, furent arrêtés et presque tous immédiatement exécutés. Moshé Litvakov subit le même sort. Après tous les « ayant appartenu » vint le tour du vieux bolchevik Simon Dimanstein, symbole des dirigeants communistes juifs de l’époque de Lénine, incarnation du « travail juif » et de la politique juive en Union soviétique. Au début de 1938, on ferma le journal Der Emess et, peu après, le oazaan et le COMERD furent liquidés. Il serait pourtant faux d’attribuer tous ces méfaits aux seules « révélations » de Litvakov. De toute manière, l’orage sanglant n’aurait pas épargné « la rue juive ». La justice révolutionnaire étant immanente, n’avait nul besoin de procédure, ni de preuves. Cependant « l’acte d’accusation » de Litvakov restera comme un document tragique des temps d’épouvante. A son tour, et conformément aux obligations d’usage, le Birobidjan prit le relais de la lutte contre « le nationalisme contre-révolutionnaire juif ». Le 19 septembre 1936 fut inaugu— rée, dans une atmosphère de liesse générale, la troisième Conférenœ plénière du Comité régional du Parti. On fêta la résolution historique du rsnc du 29 août. Liberberg était absent du Birobidjan, mais œtte absence n’avait rien d’inquiétant, et la Conférence se déroula entièrement dans le style Liberberg. A l’ordre du jour figurait, une fois de plus, la question de la langue et ce fut, justement, le commandant de division V. Rokhi qui harangua les délégués avec le plus de passion : « Il faut bâtir la culture nationale juive socialiste! Il faut apprendre un yiddish correct! » Et de préciser : « Il faut que la question de la langue nationale soit posée dans la Région autonome juive avec la même fermeté et la même persévérance qu’elle le fut en pour r’ukrainien, en Biélorussie pour le biélorusse,
Uk£aine .»
etc
Peu
apres
parvint dans la Région autonome la terrifiante
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nouvelle de la disparition de Liberberg et aussitôt commença... une vague de persécutions. Un témoin oculaire raconte : « L’organisation du Parti commence à persécuter tous ceux qui ont eu le moindre rapport avec Liberberg. Des sans—parti sont privés de leur travail, des communistes sont exclus du Parti (moi, parmi d’autres); d’autres encore sont arrêtés. On convo— que en vitesse, dans l’agitation et la fièvre, des assemblées de masse spéciales de travailleurs, de kolkhoziens, de fonction— naires et de membres de l’intelligentsia. L’ordre du jour ne comporte qu’un seul point, toujours et partout le même: “ Renforcer la vigilance communiste et exiger du N.K.V.D. qu’il punisse, avec la plus grande sévérité tous ceux qui, officiellement ou clandestinement, assistaient Liberberg dans son œuvre de sabotage de la construction socialiste de la Région autonome juive. ” A la fin de chaque assemblée, lecture est donnée d’une résolution préparée à l’avance. Inutile d’ajouter que ces résolutions sont votées à l’unanimité, même par ceux qui continuent à considérer Liberberg comme l’idéaliste le plus pur. Ses “ compatriotes ” de Kiev votent également comme les autres. Vous vous en étonnez? C’est la preuve que vous ne connaissez pas la réalité soviétique’. »
La campagne de « purges » s’intensifia. On entrait dans l’année 37. La quatrième Conférenœ plénière du Comité de parti du Birobidjan, du 4 avril 1937, commença par « expurger » le « purgeur en chef », le premier secrétaire du Comité régional, Matveï Pavlovitch Khavkine. Quelques jours à peine après l’opération, le journal Birobidjaner Stern (l’Étoile du Birobid— jan) du 10 avril consacra au « purgeur expurgé » un long éditorial, dans le style de l’époque : « Un gros abcès a mûri dans notre organisation régionale du Parti. Cet abcès fut créé par quelqu’un qui se trouvait à la tête même de la direction régionale, le secrétaire du Comité régional, Khavkine. Khavkine se révéla un homme sans dignité, plus encore un membre indigne du Parti et un dirigeant indigne du Parti. Son système et son “ style ” de travail comportaient tout ce qui est indigne et anti-bolcheviste : chantage, provocations, flagomerie, intrigues. Il ne représentait pas les intérêts du Parti, il trahissait les intérêts du Parti. Il agisssait en trotskiste. Il
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détourna des fonds publics. Il freina, par son acfivité, le développement de la Région autonome juive. Khavkine se vantait d’avoir démasqué l’ignoble trotskiste Liberberg et sa bande. Or, il s’avéra que Khavkine savait depuis longtemps que Liberberg était un infâme trotskiste et il le cachait précisément. En fait, il défendait un trotskiste! Le faciès trotskiste de Liberberg ne fut pas démasqué par Khavkine, mais l’odieux faciès de Khavkine fut définitivement démasqué par l’organisa— tion du Parti°. »
Cependant, il ne suffit pas de démasquer « l’odieux faciès » des dirigeants de parti et de le qualifier de trotskisme. Il fallut également démasquer « l’odieux faciès » de leur politique. Sur ce point « l’acte d’accusation » de Litvakov fut d’un très grand secours, moins pour l’organisation locale du Birobidjan que pour les instances supérieures qui eurent à décider de la politique et du sort de la Région juive. La croisade de Litvakov contre « le nationalisme militant et œntre—révolutionnaire juif » ne signifiait en réalité rien d’autre qu'une croisade contre la « doctrine Kalinine ». Les efforts de Liberberg pour transformer la Région autonome juive en centre et gardien de la culture juive en Union soviétique (création d’Écoles supérieures yiddish, d’un Institut scientifique, transfert au Birobidjan de la bibliothèque académique juive de Kiev, le musée « Mendélé » d’Odessa, etc.) correspondaient exactement aux propos du vieux « staroste » pansoviétique. Ce fut tout simplement la « doctrine Kalinine » que Litvakov désignait du doigt, publiquement et en russe, pour que son message, preuve de « vigilance communiste », passât directe— ment aux « Organes » compétents, à savoir : le voici, le nationalisme militant et contre-révolutionnaire juif ! Cette « preuve de vigilance communiste » fut refusée avec mépris. L’auteur partagea le sort commun. Mais le message ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd et la première mesure imposée fut… une « déyiddishisation » générale. Le processus de « yiddishisation » de la Région autonome que Liberberg dirigea avec tant de ténacité pendant deux ans était loin d’être terminé. En août 1936, « les jeunes filles des bureaux de poste parlaient encore mal le yiddish » de même que « les fonctionnaires d’autres institutions" ». Quant à l’appareil du
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Parti, « les premiers pas venaient d’étre franchis pour passer au yiddish ». Les premiers pas… après deux ans d’existence de l’État juif. Manifestement, « l’appareil » n’avait pas le feu sacré pour la « yiddishisation »- A la réunion plénière du Comité exécutif régional de juin 1935, Khavkine lui-même se lamen— tait : « La décision de passer au yiddish n’est pas appliquée dans nos institutions... Nous avons des fonctionnaires qui ont reçu toute leur instruction dans des établissements scolaires soviétiques yiddish et ce sont eux pourtant qui sabotent la langue maternelle... dans la Région juive ". » Pour les « apparatchiks » bureaucrates habitués au russe (« le travail juif » n’existait plus au Parti) — le passage du russe au yiddish devait avoir le goût amer d’un « retour en arrière de la roue de l'histoire ». Par ailleurs, l’assimilation linguistique commença à pénétrer, au début des années 30, dans les villes et les bourgades juives d’Ukraine et de Biélorussie. La yiddishisation de la Région autonome tenait à deux conditions essentielles : premièrement, l’autorité de l’État, défendant et cultivant la langue nationale, la langue officielle étatique, comme toutes les Républiques et Régions autonomes de l’Union soviétique; deuxièmement, le temps nécessaire pour éduquer dans les nouvelles conditions la jeune génération et rééduquer les générations plus âgées. Les deux conditions, présentes au début, disparurent du jour au lendemain. Au début de 1937, la Région autonome juive fut « déyiddishisée » avec une rapidité foudroyante. L’administration générale et municipale, déjà partiellement yiddishisées, revinrent entièrement au russe. Le tribunal yiddish (qui avait plus que doublé, en 1936, le nombre d’affaires traitées) fut russifié. L’obligation d’enseigner le yiddish dans les écoles non juives (russes et coréennes) fut annulée. Par contre, le russe fut introduit comme langue d’enseignement dans l’école technique d’agriculture, l’école technique de métallurgie lourde et l’école technique des aides—médecins, ainsi que dans un œrtain nombre d’écoles juives. Le réseau scolaire yiddish fut réduit. Le nombre de jardins d’enfants yiddish (vingt—cinq en 1936 contre dix-neuf en 1935) fortement diminué, tomba bientôt à zéro. Un détail caractéristique : le nouveau président du Comité exécutif de la Région juive, M. Kotel, militant du onzarm d’Ukraine, nommé après l’arrestation de Liberberg, crut de son
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devoir, avant de s‘embarquer pour le Birobidjan, de déclarer publiquement, à une soirée d’adieu à Moscou... qu’il ne parlait pas le yiddish. Après la langue, vint le tour des institutions. « La Commis— sion scientifique pour l’étude de la culture et des richesses naturelles de la Région autonome juive », qui devait officiellement constituer le futur Institut birobidjanais de la culture juive, fut dissoute purement et simplement. Un certain nombre de travaux scientifiques, dont un manuel de yiddish pour grands débutants et un dictionnaire yiddisho—msse, partiellement ou même entièrement terminés, furent abandonnés sans explica— tion. Mais c’est le sort de la Conférenœ linguistique yiddish, préparée depuis de longs mois, qui fut le plus caractéristique. L‘initiative de cette Conférence était due, on s’en souvient, à l’« indomptable commissaire du peuple », au « compagnon d’armes le plus proche du grand Staline », Lazare Moïsseievitch Kaganovitch. La Conférenœ, pansoviétique et officielle, devait être inaugurée le 9 février 1937, pour l’anniversaire de la visite déjà historique de Kaganovitch dans la Région juive. Les ambitions de la Conférence étaient très grandes; elle devait définitivement unifier, voire codifier, les règles linguistiques du yiddish et créer de nouvelles formes linguistiques officielles pour la vie étatique juive en Union soviétique. La Conférence devait ainsi célébrer le couronnement solennel du yiddish en tant que langue nationale de la jeune nation juive soviétique et langue officielle, étatique de la Région autonome, future République soviétique juive. Tout était prêt : ordre du jour, conférenciers, rapports, projets de résolutions, participants, etc. L’atmosphère était solennelle. Simon Dimanstein publia un article au titre éloquent : « L’État socialiste édifié la langue yiddish. » Mais à la date prévue, le 9 février 1937 l’inauguration n’eut pas lieu. La Conférence fut renvoyée au 7 mai 1937, soit pour le troisième anniversaire de la proclamation de la Région auto— nome juive. Mais ni le troisième anniversaire de la Région autonome, ni aucun autre ne virent œtte inauguration. La Conférence fut tout bonnement annulée. Ce fut l’accord final dans la bataille contre « le nationalisme militant et œntre— révolutionnaire juif », une sorte de point final dans « la liquidation du nationalisme juif ». Dans la campagne de « purges » et
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de « déyiddishisation » de la Région autonome juive, c’est le yiddish lui—même qui s’est trouvé « déyiddishisé » et « expurgé ». En fait, et bientôt officiellement, le yiddish cessa d’être la langue nationale, la langue officielle de l’État juif. Ce fut un symbole : le « national dans la forme », expression fondamentale en Union soviétique, de l’identité et de la culture nationales, fut condamné et éliminé. Même les cachets d’oblité— ration de la poste et les divers formulaires administratifs oublièrent brusquement le bilinguisme pour redevenir, tout naturellement, russes. L’entité étatique juive ne fut plus considérée, en fait, comme juive, elle fut dénationafisée, déjuda‘isée. Il est permis de supposer que la décision de « déyiddishisa— tion » définitive et de « dénationalisation » fut alors adoptée, non seulement pour la Région autonome juive, mais pour toute l’Union soviétique, pour tout le judaïsme soviétique. C'est à œtte époque que fut établie l’équivalence entre le yiddish, la culture juive, les particularités nationales juives d’une part, et le nationalisme, la réaction, voire la contre-révolution d’autre part. Le jugement impitoyable qui, une dizaine d’années plus tard, devait mettre fin, avec tant de cruauté, àla littérature et à la culture juives, à toute vie sociale juive, date vraisemblablement de œs terribles années 37 et 38. C’est à cette époque que furent adoptés des « principes » dont l’application ne demeurait qu’une question d’opportunité et de tactique. Cette hypothèse se trouve confirmée notamment par le sort qui fut réservé au réseau scolaire juif. On a souvent redit : l’école juive, en Union soviétique, a été victime des « purges » des terribles « années Yéjov », mais ce fut presque par accident, dans le flot général de violence et de sang. Non seulement œtte version n’explique rien, mais elle est en plus une contre—vérité manifeste. C’est un fait que l’école juive s’était trouvée, en 1937, parmi les institutions qui, précisément, avaient le moins souffert des « purges ». Les enseignants juifs relevaient moins que d’autres des fameuses « quatre catégories du tableau », ils étaient moins tenus en suspicion sur le plan de l’orthodoxie idéologique et du dévouement au Parti. Ces enseignants juifs des années 30 avaient très peu en commun avec leurs aînés, les enseignants de l’époque de la Révolution, militants des différents partis socia—
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listes juifs ou sionistes. L’accroissement extraordinaire du réseau scolaire juif réclamait un nombre de plus en plus grand d’enseignants et ceux—ci furent formés suivant le système sovié— tique, dans les écoles techniques pédagogiques juives, ainsi que dans les Sections juives des facultés pédagogiques de diverses universités. Jeunes et enthousiastes, presque tous membres du Parti ou des Jeunesses communistes, ayant souvent l’âge même de la révolution, ils ne comptaient pratiquement pas dans leurs rangs d’anciens « ayant appartenu ». Aussi les enseignants furent—ils, de tous les travailleurs du « front culturel juif », les moins touchés par la vague de terreur. Par ailleurs, l’école juive en tant que telle, avec ses pro— grammes, ses manuels, ses anthologies, ses méthodes, n’avait jamais fait, elle non plus, l‘objet de sanctions ou de critiques. Les mêmes livres scolaires yiddish qui avaient servi au début des années 30 furent réimprimés en 1939—1941 à Vilno, Kaunas et Lvov pour les éphémères écoles juives créées et rapidement « déyiddishisées » dans les nouvelles régions soviéfisées de la
Biélorussie occidentale. de Lituanie. d’Ukraine occidentale et des Pays baltes. Ainsi donc, à la fin des « années Yéjov », le réseau scolaire juif fonctionnait tout à fait normalement, ne manquant ni d’enseignants, ni de fournitures scolaires, ni de bâtiments scolaires ni, encore moins, d’élèves. Mais, pour la première fois en Union soviétique, des écoles juives furent brusquement fermées, et cela en masse. En 1938, quelques centaines d’écoles juives, près de deux cents selon les uns, plus de trois cents selon d’autres, furent fermées en Ukraine et en Biélorussie, sans préavis et sans motif aucun. Furent également fermées la seule école juive de Moscou, dans le quartier de « Mariina Rostcha » et la célèbre école de Malakhovka, près de Moscou, une des plus anciennes et des plus illustres d’Union soviétique. Ce fut le premier acte de la « déyiddishisation » générale, pansoviétique, le premier pas et le premier choc, bien calculés, à longue portée, pour couper les racines même de l’arbre, pour saper les fondations même de l’édifice de la judéité soviétique. D‘ailleurs, toutes les écoles juives ne furent pas fermées. Un certain nombre d‘entre elles restèrent ouvertes pour des et fonctionnèrent jusqu‘à la raisons tactiques peut—ètre guerre.
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Toutes les contradictions, réelles ou apparentes, entre « ligne de gouvernement » et « ligne de parti » s’évanouirent. D'ail— leurs, « la ligne » elle—mème s’évanouit. Il n’y eut plus que la volonté de Staline.
CnxrrmnXVfl Sous le sceau du secret d‘État Bilan sommaire Du point de vue strictement formel et administratif, tout suivit son cours normal. La Région autonome travailla et grandit. Les présidents du Comité exécutif régional changèrent, l’un après l’autre. Quelques mois à peine après l’arrestation du Pr Liberberg, son successeur, M. Kotel, fut arrêté à son tour (également pour nationalisme et trotskisme) et, peu après, le successeur de ce dernier... Il en alla exactement de même avec les secrétaires du Comité régional du Parti. « La bande de Liberberg », c’est—à—dire les cadres les plus importants et les plus dévoués de l’administration, des organisa— tions économiques et des institutions culturelles furent privés de leurs postes et, pour la majorité d’entre eux, arrêtés. La Région fut, bien entendu, totalement désorganisée. Seules demeuraient la force d’inertie et la routine. En mars 1938, la Région organisa une série de festivités en l’honneur du dixième anniversaire de la décision historique qui avait annoncé la création de l’« Unité » nationale juive. Quelques semaines plus tard, le 7 mai 1938, ce fut de nouveau la fête, à l’occasion du quatrième anniversaire de la Région autonome. Comme si rien ne s’était passé, des orateurs prononcèrent des discours enflammés et des journalistes publièrent des articles délirants sur l’avenir admirable du Birobidjan, centre le plus important de la culture juive et future République juive. La fantastique politique fait partie intégrante de la réalité soviétique. Les organes suprêmes de la planification d’État confirmèrent ce fait, une fois de plus. Le troisième plan
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quinquennal de 1938—1943 fixa pour la Région autonome juive une immigration de masse de cent mille personnes, réparties avec précision selon le tableau suivant : en 1938, dix mille personnes en 1939, quinze mille en 1940, vingt mille en 1941, vingt—cinq mille et en 1942, trente mille, ni plus, ni moins. La réalisation ou la non—réalisation de ce plan, exprimée en pourcentages, selon l’usage soviétique, fut gardée secrète. A partir de l’année 1938, la démographie de la Région autonome juive (immigration, émigration, accroissement naturel) ne donna plus lieu à aucune publicité. Elle devint un secret d’État. Le secret d'État constitue, lui aussi, un des traits caractéristi— ques de la réalité soviétique. Cette fois, il était justifié par des raisons essentiellement militaires. Dans la situation internatio— nale de l’époque et après conclusion de l’alliance entre Tokyo et Berlin, tout l'Extrême—Orient soviétique, y compris la Région autonome juive, se trouvait transformé en zone militaire poten— tielle. L’éventuaüté d’un conflit armé dans cette zone paraissait tellement vraisemblable que les autorités soviétiques, pour des raisons de sécurité, déportèrent d'Exfiême-Orient, y compris de la Région autonome juive, toute la population chinoise et coréenne, jeunes et vieux, hommes, femmes et enfants. Le problème du Birobidjan, on s’en souvient, présentait dès le début un aspect double : la composante nationale juive d‘une part, et un élément strictement stratégique d’autre part. Désor— mais, l’aspect stratégique commença à dominer exclusivement. Cela s’explique pourtant non seulement par la portée et l’urgence des questions militaires, mais aussi par le fait que la composante juive se trouvait privée de toute base, de toute structure organisationnelle et perdit toute consistance politique. Dans l’article déjà cité de Simon Dimanstein, « l’État juif soviétique », écrit pour le deuxième anniversaire de la Région autonome juive, l’auteur se livrait à quelques confidences : « Nous avons compté, écrit—il, sur l’intérêt porté par l’État soviétique à voir peupler cette région le plus rapidement possible, et nous avons considéré à juste titre que l’intérêt général de l’État et les intérêts des masses populaires juives coincidaient entièrement. » Dans ce texte, le pronom « nous », répété à deux reprises (« nous » avons compté, « nous » avons considéré) représentait la société juive soviétique, organisée suivant les seules formes admises par le régime, à savoir, les
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Commissariats juifs et les Sections juives du Parti et, par la suite, le onznrtn et indirectement le com. La réalisation du projet birobidjanais fut ainsi constamment l’œuvre de deux parties : l’État soviétique d'une part, et d’autre part les organisations du judaïsme soviétique. Celles—ci de leur côté, mais avec l’accord du gouvernement soviétique, s’adressèrent à plusieurs reprises aux communautés juives de l’étranger, et tout particulièrement des Etats—Unis pour solliciter une aide qui, d’ailleurs, leur fut largement accordée. Le judaïsme étranger devint donc, en conséquenœ, sinon troisième partie dans cet accord non écrit entre le gouvernement de l’U.R.S.S. et le judaïsme soviétique, du moins un associé indirect à l’œuvre d’édification de la Région autonome juive. Le fait de « libérer » le onzasn, en 1934, de la tâche de diriger l‘immigration au Birobidjan, après l’échec catastrophique de « l’immigration de masse » des années 1931-1933, était l’expres— sion de doutes nés au sein des milieux dirigeants soviétiques sur la capacité de la société juive d’assumer à elle seule les fonctions stratégiques qui lui avaient été confiées dans l’Extrême-Orient. Le comm, organisme gouvernemental, chargé de la direction de l’immigration à la plaœ du onzarm, pouvait (et devait probablement) recruter des colons également parmi les non— Juifs. L’affaire du Birobidjan sortit ainsi de la compétenœ exclusive des organisations juives. Or, la situation changea du tout au tout pendant les deux premières années de la Région autonome juive. Il apparut nettement que les organisations juives étaient parfaitement en mesure d’accomplir toutes leurs obligations et de remplir correctement tous les plans, à condition de mener leur activité avec des mots d’ordre appropriés. Non seulement la population juive de la Région autonome avait plus que doublé et la ville de Birobidjan avait connu une expansion de 250 %, mais plusieurs localités disséminées de la province, d’un intérêt stratégique incontestable, telles Obloutchié, Birakan, Biro, Londonko et autres, s’étaient sensiblement agrandies et consolidées. Dans œs conditions, la liquidation brutale et simultanée du onzerm et du COMBRD ne pouvait s'expliquer que par le seul désir d’effacer les dernières traces des organisations juives en Union soviétique. Pendant toute la décennie de l’immigration juive en Extrême— Ocient, chaque « élévation » du Birobidjan dans la hiérarchie
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constitutionnelle soviétique (District en 1930, Région autonome en 1934) avait coïncidé avec des échees cuisants d’ordre démo— graphique, économique et par conséquent politique. Or, au moment même où la Région autonome commença enfin a devenir une réalité juive vivante, elle fut déjudaîsée et privée de son dernier appui organisationnel juif. Il en résulta œ fait paradoxal que l’État juif non seulement sortit de la compétence exclusive juive, ce qui à la rigueur aurait pu être compréhensible, mais fut transformé en un problème exclusivement non juif. L’une des deux parties de ce contrat non écrit entre l’État soviétique et le judaïsme soviétique, le « nous » de Dimanstein, la partie juive, fut éliminée en 1938 purement et simplement par la terreur. Cela signifiait que le contrat lui-mème était devenu caduc. Cette élimination, bien sûr, fut un des résultats de la terreur stalinienne. Elle fut pourtant rendue possible (ou, plus précisé— ment, facilitée, car sous Staline tout était possible) par une sorte de cristallisation, par la conjonction de profondes contradictions internes, déjà anciennes et organiques, institutionnelles et idéologiques à la fois. La principale contradiction institutionnelle concernait le sta— tut légal de « la partie juive » au contrat non écrit sur le Birobidjan et en fait de « la partie juive » d’Union soviétique de manière générale. Il s’agissait en l’occurrence des conséquences de l’ancien débat historique qui avait opposé Lénine et le Bund ‘. Les deux adversaires avaient estimé que le débat était clos en 1921. Le Bund adopta alors les positions de Lénine, renonça à son programme national et rejoignit les rangs du Parti communiste. Cependant, dans ce débat comme dans plusieurs autres, le dernier mot allait revenir à l’histoire et elle rendit son verdict dans les années 30, à propos du problème de l’État juif et donc dans des conditions absolument irnprévues, un verdict qui était contre Lénine et en faveur du Bund. Le débat peu amène, on s’en souvient, et la lutte acharnée pendant plus de deux décennies toumaient autour du problème de l’autonomie exigée par le Bund pour le mouvement ouvrier juif, afin de pouvoir assurer la défense des intérêts nationaux spécifiques du prolétariat juif. Le Parti bolchevik combattit violemment toute idée d’autonomie et contesta de la manière la plus catégorique l’existence même d’intérêts particuliers et
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nationaux de la classe ouvrière juive. Conformément à la doctrine bolcheviste sur « la définition territoriale de la nation » et aux fameux critères de Staline, les Juifs furent classés non dans la catégorie de nation, mais dans celle de minorité nationale. Le X‘ Congrès du Parti communiste pansoviétique de mars 1921 entérina officiellement cette classification. Les Juifs soviétiques, tout comme les Lettons, les Polonais ou les Estoniens habitant l’U.R.S.S. furent définis comme des « mino— rités nationales n’ayant pas de territoire propre en Union soviétique », mais qui en possédaient un en dehors des fron— tières de l’U.R.S.S. Le fait de classer le judaïsme soviétique dans la catégorie des minorités nationales ayant un territoire en dehors des frontières de l’U.R.S.S. constituait, de toute évidence, une fiction institutionnelle absolue. Cette fiction fut pourtant corrigée dans une certaine mesure par une autre fiction, de caractère politique et organisationnel, à savoir la compétence de fait, sinon de droit, des Sections juives du Parti communiste. La problématique juive en Union soviétique fut, dès les premiers jours de la révolution, non pas celle d’une minorité nationale, mais une problématique nationale par exœllenœ, c’est—à—dire relative au sort et à tout l’avenir national du judaïsme russe, riche de plusieurs millions d’âmes. Dans le même sens, précisément, les Sections juives, d’abord considérées comme de simples commis— sions techniques de propagande en yiddish, chargés de réaliser la dictature du prolétariat dans la « rue juive », se transformèrent peu à peu en quasi—Parti communiste de cette même « rue juive non-territoriale » avec, en fait, la même compétence générale et nationale à l'égard des problèmes de la politique juive que celle des autres Partis communistes nationaux d’Union soviétique, à l’égard de leurs nations respectives. Lorsque les Sections juives furent liquidées au début de 1930, non seulement leurs amis dévoués, mais même leurs ennemis les plus acharnés (fort nombreux d’ailleurs) se rendirent brusquement compte, non sans surprise, que la situation, avec la fin du règne des « Yevseks » détestés, ne s’était pas améliorée, mais bien au contraire, empirait considérablement. La « Vie juive » devint plus pauvre, la société juive plus anémique. « La rue juive » cessa d’être telle pour devenir simplement une « rue » de minorité nationale. Un puissant facteur de créativité juive,
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particulièrement dans le domaine de la culture, fut brusquement supprimé, sans être remplacé par aucun autre. Et cela, au moment précisément où, en liaison avec le « projet extrêmeoriental » et l’« Unité » nationale territoriale juive, des pro— blèmes surgissaient de plus en plus nombreux, non plus des questions de minorité nationale mais, officiellement œtte fois, des problèmes nationaux au sens plein du terme. Au début des années 30, la contradiction institutionnelle devint particulièrement aiguë. L’entité étatique juive du Biro— bidjan, la perspective d’une République juive, le processus extraordinaire de « consolidation nationale » relevaient incon— testablement d’une problématique spécifiquement nationale, dans ses formes les plus élevées, relevaient d’une politique juive, au sens le plus large du terme. Or, il n‘existait plus en Union soviétique aucun œntre institutionnel structuré de pensée politique juive, aucun organisme chargé d’analyser ces pro— blèmes spécifiquement nationaux et de trouver pour chacun d’eux une solution convenable au moment approprié. Au début du XX° siècle, à l’époque de l‘Iskra, lorsque Lénine considérait « l’idée même d’un peuple juif non seulement comme « bien pauvre du point de vue scientifique », mais également « réactionnaire dans sa signification politique », il pouvait, bien sûr, difficilement s‘imaginer que le président d’une future Républi— que ouvrière et paysanne en Russie proclamerait un jour le mot d’ordre : « Le peuple juif se trouve placé devant une grande tâche, celle de conserver sa nationalité. » Et même après la révolution d’Octobre lorsque Lénine répétait à Simon Dimans— tein que « les Juifs ne constituaient pas une nation », pouvait-il prévoir que le pays de la Révolution allait essayer, une dizaine d’années plus tard, de transformer les Juifs précisément en nation, en une nation socialiste avec un État national propre? La réalité historique changea du tout au tout, mais le vieux schéma conserva toute son autorité. Aucun centre institutionnel chargé d’animer et de diriger réellement le processus de formation de « la nation socialiste juive » et de « l'État national juif » ne fut autorisé à exister. Le onzann, unique organisation juive survivante, ne fut, dans les années 30, que l’ombre pâle des Sections juives liquidées, qu'une simple « organisation de masse », au sens soviétique du tenue, c’est—à—dire, non pas un laboratoire de réflexion et de décision politique, mais seulement
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un appareil pour « mobiliser les masses ». Son influence « mobi— lisatriœ » fut d’ailleurs insignifiante. Ainsi se trouva confirmée l’hypothèse la plus pessimiste formulée par le Bund, lors de son long combat pour l’autonomie du mouvement ouvrier juif, à savoir l’hypothèse que le Parti national pouvait, dans certaines conditions historiques, se trouver engagé dans la problématique générale du pays et dans la lutte politique générale au point de perdre complètement de vue, volontairement ou non, les problèmes nationaux spécifiques des masses laborieuses juives. Encore avant l’année 1938, avant la liquidation du oaznm et du como, « la partie juive » ne fut plus qu'une ombre en Union soviétique. C’est d’ailleurs pourquoi elle put être éliminée aussi facilement. Au moment où le principe même de l’État juif se trouva en fait condamné, ni Kalinine, « le père du Birobidjan », ni Kaganovitch, « patron » de la Région autonome, n’osèrent tenter le moindre geste en sa faveur; il ne se trouva dans toute l’Union soviétique aucune instance, aucun organisme institutionneflement compétent pour se prononcer sur la problématique juive dans le pays et, par conséquent, sur le sort de la future République soviétique juive. Il est à peine nécessaire de se demander si un tel organisme, à supposer même qu’il existât, aurait pu influer dans une quelcon— que mesure sur le cours des événements des terribles années 37 et 38. La réponse ne peut être que négative. Ni la loi ni aucun obstacle institutionnel ne devaient compter face a la folie stalinienne. Mais la contradiction institutionnelle en question n’en joua pas moins son rôle. Si elle n’était vraiment pas à l’origine de l’élimination de « la partie juive », elle en facilite l’exécution. Une autre contradiction, plus profonde, plus substantielle, exerça une influenœ plus déterminante, car elle fit éclater de l’intérieur et stérilisa en quelque sorte la tentative même de création d’un État juif. Ce fut la contradiction entre le concept de cet État et l’idéologie des milieux sociaux appelés à réaliser ce concept. Autrement dit, la contradiction entre les notions : État juif et « yevsekisme2 » (idéologie des Sections juives). Pendant une longue décennie, les Sections juives réalisèrent la dictature du prolétariat dans « la rue juive » et « guidèrent le peuple juif vers le socialisme ». Elles donnèrent furieusement l’assaut et menèrent une guerre révolutionnaire contre le Dieu
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juif et tous ses auxiliaires, contre la bourgeoisie juive et tous ses acolytes, contre le sionisme sous toutes ses formes et générale— ment contre toutes espèœs d’ennemis ouverts ou dissimulés, conscients ou inconscients du pouvoir soviétique. Les Sec— tions juives exfirpèrent violemment tous les piliers de la vieille judéité : organisations communautaires, synagogues, écoles religieuses, traditions, etc. Elles déracinèrent également toutes les jeunes plantes d’une judéité moderne, mais non soviétique : partis politiques, associations culturelles, établissements d’enseignement, maisons d’édition, revues, etc. Elles devinrent l’autorité suprême, le seul maître qui régnait jalousement sur le judaïsme soviétique, à l’instar du Parti communiste pansoviétique et plus tard, de Staline lui-même, régnant sur le peuple mulfinational soviétique. Sur la « table rase » de « la rue juive » soviétisée, les Sections juives élevèrent un édifice grandiose aux dimensions jusqu'alors inconnues: des Districts nationaux juifs, une administration publique juive (soviets juifs, tribunaux, milicê), un immense réseau scolaire de tous niveaux, une littérature de qualité, un théâtre de haut niveau artistique, des Instituts scientifiques, des ensembles musicaux, des maisons d’édition, des revues, etc. L’œuvre fut fascinante aussi bien pour ses partisans enthou— siastes que pour ses adversaires inflexibles. Paradoxalement, œ fascinant édifiœ manquait de consistanœ intérieure et, par conséquent, ne put avoir qu’un caractère éphémère. On forgea en l’occurrenœ une judéité d’un genre particulier, en contradiction absolue avec les traditions millénaires de l’historicité juive : une judéité nourrie de faits nationaux, parfois considérables, mais sans la moindre finalité nationale. Ce fut là, au fond, l’essenœ même du « yevsekisme ». Moshé Litvakov l’avait reconnu franchement, au temps où il régnait en maître sur la culture et la spiritualité juives en Union soviétique.
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« Voyez-vous, écrivait-il, la Conférenœ pansoviétique des Sections juives avait posé courageusement le problème de l’assimilation et de la consolidation. Des militants qui œuvrent sans œsse à la création de nouveaux faits de reconstruction nationale ne craignaient pourtant pas de traiter du problème de l’assimilation. Pourquoi ? Parœ que leur seul et unique but
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n’était pas la reconstruction nationale, mais la reconstruction communiste, le communisme 3. »
Pendant des années, les créateurs de œs « faits nouveaux de reconstruction nationale » (non les « militants », les « apparat— chiks », mais les créateurs véritables : les écrivains, les artistes, les savants, les enseignants, etc.) avaient mené une lutte acharnée, désespérée, précisément pour œtte « reconstruction nationale », c’est—à—dire pour la finalité nationale de la judéité soviétique. La lutte fut œpendant perdue d’avanœ. Les Sections juives furent le symbole du pouvoir, l’expression de la dictature du prolétariat dans « la rue juive ». L'État juif étant la forme suprême de la finalité nationale, il fut par conséquent absolument inacceptable pour le « yevse— kisme ». En 1921, les restes de l’ancien mouvement ouvrier juif, dans leur ultime transmutation « yevsekiste », entrèrent dans l'époque de la Révolution mondiale et y restèrent à tout jamais. La Révolution mondiale elle-même ne put, faute de souffle, atteindre œtte époque de Révolution mondiale. Le Parti communiste pansoviétique dut se contenter du sbcialisme dans un seul pays. Le « yevsekisme », lui, continua à se cràmponner de toute son âme, de toutes ses forces au « nouveau commenœment », à l’intemationalisme, au supra—nationalisme, à l’universalisme de la « fin des temps ». Les notions de « reconstruction nationale » et de communisme restèrent pour lui absolument antagonistes. Il ne s’aperçut pas, ne voulut ou ne put voir, que la nouvelle réalité du socialisme avait commencé à cristalüser précisément autour de nations et même, peu après, autour de nationalismes. Dans œs conditions, le mot d’ordre abstrait de « guider les masses juives vers le socialisme » devint synonyme de dissolution nationale juive. L’État juif fut, en fait, imposé aux Sections juives. Elles ne purent évidemment refuser œ cadeau indésirable et encom— brant, mais le considérèrent au fond comme quelque chose de peu, comme un vrai anachronisme. Pour pouvoir « guider le peuple juif vers le socialisme », l’État juif était non seulement la cinquième roue du carrosse, mais une véritable pierre d’achop— pement, un danger de réveil de la mémoire historique et, par conséquent, un retour au cycle de la veille historicité que les Sections juives considéraient comme définitivement achevé.
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Il serait pourtant injuste de garder le silence sur le rôle joué par les Sections juives dans « l’épopée de la terre », c’est—à—dire dans la colonisation juive de masse en Ukraine et en Crimée, y compris la création des Districts nationaux juifs. Ce rôle fut extrêmement important aussi longtemps que le processus se développait sous le mot d’ordre de producfivisation. Mais les Sections furent organiquement incapables d’animer et de diriger un processus de consolidation nationale. Le sens même et la signification que pouvait avoir un État juif restèrent pour elles une douloureuse énigme; il en fut donc de même pour le Juif soviétique que seules les Sections avaient la possibilité d‘éclairer et d’influenœr. Il serait à peine exagéré d’affirmer que l’échec de la colonisation juive au Birobidjan lors des années décisives de 1928—1933 est à porter, dans une très large mesure, au compte historique du « yevsekisme ». Il serait d’ailleurs plus exact de parier en l’occurrenœ du « yevsekisme » orthodoxe. La dénomination générale de « yevsekisme » représente une simplification très schématique d’un phénomène en lui-même assez complexe. Des nuanœs nombreuses, voire de profondes divergences cohabitaient a l’intérieur du « yevsekisme » et seul le « centralisme démocrati— que » du Parti communiste put empêcher leur cristallisation en doctrines distinctes. Les débats entre représentants de œs doctrines rappelaient d’une manière étonnante œux des premières communautés judéo—chréfiennes qui se reprochaient mutuellement à la fois l’observanœ insuffisamment stricte des prescriptions de la Loi de Moïse et le rapprochement insuffisant avec les incirconcis. Le succes des deux premières années de la Région autonome juive, éclatant, et en fait inopiné, fut précisément un succès « antiyevsekiste ». Il révéla un nouveau genre de judéité soviétique, lentement éclos dans les milieux de l’intelügentsia juive d’Ukraine et tout particulièrement autour de l’Institut de culture prolétarienne juive de Kiev. Le yiddish, la culture juive, l’État juif œssèrent d’être considérés uniquement comme des « formes, comme des moyens d’atteindre les objectifs de classe du prolétariat, la construction du communisme ». Ils retrouvè— rent leurs fonctions vitales naturelles, leur finalité nationale propre. Bien entendu, le « yevsekisme » orthodoxe réagit violemment, criant au scandale, au blasphème, au « national—
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bolchevisme », répandant insinuations et calomnies. Litvakov « démasqua » l’implantation au Birobidjan « d’un culte d’amour et de la judéité, sur un mode prétendument prolétades
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nen ». Les dirigeants de la Région autonome répondirent non par une polémique, mais par des réalisations, et en ignorant complètement la vieille hiérarchie des Sections juives. Ils travaillèrent effectivement « sans Moscou », « sans Kiev », « sans Minsk », œ qui leur fut violemment reproché, mais œ qui signifiait en fait sans le « yevsekisme », œ banqueroutier politique, avec son marxisme mécaniste, vide et vulgaire, avec son nihilisme national, son absenœ de tout programme et son opportunisme sans limites. Mais œla signifiait en même temps, dans l’Union soviétique de la seconde moitié des années 30, aller contre le courant, contre le sanglant courant du staünisme qui allait bientôt tout engloutir. Lorsque la vague de terreur fut retombée, le Birobidjan se réveilla comme après un déluge. La Région autonome juive se retrouva orpheline, sans aucun soutien, sans ligne politique, sans perspectives précises, avec une administration désorganisée et une agriculture ruinée. A la tête de la Région, on plaça des fonctionnaires subaltemes du Parti. La base de ravitaillement, déjà insuffisante avant les « purges », se rétrécit encore. Les résolutions de la Conférence plénière de septembre 1936 restèrent sur le papier. A la plaœ des vingt—cinq kolkhozes prévus, trois seulement furent créés, deux en 1937 et un en 1938. La superficie d’emblavures 38460 hectares en 1935 et 42000 hectares en 1936 qui, avec l’appui « de l’indomptable commissaire du peuple » Lazare Kaganovitch, devait être por— tée à 100000 hectares en 1937 et 200000 en 1938, atteignit à peine 34115 hectares en 1938, avec une perte de plus de 20 % par rapport à 1937. En 1939, il y eut une nouvelle chute jusqu’à 33 700 hectares. Les kolkhozes juifs furent particulièrement atteints, désorganisés tant par les « purges » que par les départs en catastrophe des kolkhoziens. La direction de la Région fut obligée de dépêcher des messagers spéciaux aux kolkhozes juifs d’Ukraine et de Crimée pour solliciter une aide en cadres : présidents et brigadiers. Le poids spécifique de l’agriculture juive dans l’agriculture générale de la Région commença à diminuer
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systématiquement. En 1939, le gouvernement soviétique inau— gura une campagne générale d’immigration vers l'ExtrêmeOrient, sous le mot d’ordre d’ « [migrants—Patriotes ». Le secrétaire du Comité régional du Parti au Birobidjan, Hirsch Soukharev, publia dans la presse juive un appel aux kolkhoziens juifs d’Ukraine et de Crimée intitulé « Venez chez nous ». Le même appel adressé à tous les kolkhoziens, fut publié en russe, dans la presse russe. Les résultats de la campagne et de l’appel, du moins auprès des kolkhoziens juifs, furent insigrrifiants. Officiellement, comme toujours, tout allait son train. A l’exposition agricole pansoviétique de Moscou, en 1939, une salle spéciale fut consacrée à la Région autonome juive, dans le pavillon extrême—oriental. En 1940, après le rattachement à l’U.R.S.S. de l’Ukraine occidentale, de la Biélorussie occiden— tale, de la Lituanie, des Pays haltes, de la Bessarabie et de la Bukovine, des bruits circulèrent au sujet d’un plan nouveau : l’établissement au Birobidjan de quarante—cinq mille Juifs des régions rattachées. Ce plan partagea le sort de tous ses prédéœsseurs. Il n’y eut plus aucun chiffre publié touchant le Birobidjan. Tout se trouva sous le sœau du secret d'État. Cependant, un bilan très sommaire reste possible. En 1937, la population juive de la Région autonome fut estimée à dix-neuf mille âmes. Sept ans plus tard, elle passait à vingt mille âmes à peine. L’accroissement de mille âmes ne couvrit même pas l’aœroissement naturel de la communauté. Le 21 juin 1941, l’Allemagne hitlérienne attaqua l’Union soviétique. Ce fut le début de « la guerre patriotique ». Le pays entier, y compris la Région autonome juive, allait adopter un nouveau rythme de vie, un rythme sévère et tragique : « Tout pour le front! Tout pour la victoire. »
Cnam XVIII « Ilest temps
de connaitre... » L’ultime tentative
La guerre terminée, le judaïsme soviétique se retrouva non seulement exsangue, vidé de la majeure partie de ses forces vives, mais encore ébranlé, bouleversé jusqu’au tréfonds de son âme. Le combattant juif lutta avec héroîsme et abnégation. Les pertes furent extrèmement lourdes. « La place occupée par les Juifs soviétiques dans la défense de la patrie, écrit le statisticien soviétique L. Singer, est suffisam— ment illustrée par le fait que 123 822 soldats et officiers juifs furent décorés d’ordres et de médailles pour bravoure et héroîsme dans les batailles contre les envahisseurs allemands et que cent cinq Juifs eurent l’honneur de recevoir le titre de “ Héros de l’Union soviétique”. Par le nombre de décorés pour faits de guerre sur les champs de bataille, de même que par le nombre de “ Héros de l’Union soviétique ”, les Juifs occupent une position qui les situent entre le quatrième et le cinquième parmi tous les peuples de l’U.R.S.S. ‘. »
Pour apprécier ces chiffres à leur juste mesure, il convient de rappeler qu’à la fin des années 30, la population juive de l’U.R.S.S. représenta à peine 1,5 % de la population globale du pays. La Région autonome juive, elle aussi, eut sa part dans les malheurs et sacrifiœs communs. L’ouvrier birobidjanais Joseph Boumaguine, tombé sur le champ d’honneur, reçut à titre posthume le titre de « Héros de l’Union soviétique » en raison
L'ultime tentative
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« de son extraordinaire héroîsme faœ à l'ennemi ». Un nombre important d’autres combattants du Birobidjan reçurent diffé— rentes décorations militaires. Plus lourd et plus effroyable que les pertes sur les champs d’honneur fut le bilan du sang innocent versé du fait de la férocité nazie. Soixante pour œnt du judaïsme ukrainien, soixante—cinq pour œnt du judaïsme biélorussien et quatre— vingt-dix pour cent de toute la population juive des Pays haltes furent externünés. De tous œux qui n’avaient pas réussi à fuir devant l’offensive éclair allemande, à se faire évacuer a temps, il ne resta que… « des fosses profondes et de l’argile rouge 2 ». Ce fut une effioyable catastrophe nationale qui prit rapidement une dimension nouvelle avec l’écho de l’anéantissement total du judaïsme polonais, des massacres dans toutes les autres communautés d’Europe, de l’extermination d’un tiers de tout un peuple. Un cataclysme épouvantable frappa le peuple juif, non seulement « le peuple juif soviétique », mais le peuple juif dans sa totalité, son universalité et sa durée historique. Dans œs jours d’horreur, le judaïsme soviétique sentit se réveiller au fond de son âme la conscienœ de la communauté du sort qui le liait à ce peuple disséminé parmi les nations et qu’un ennemi, un oppresseur et tyran jura, une fois encore, d’effacer de la surfaœ de la terre. Paradoxalement, dans œ processus d’approfondissement de son identité nationale, le Juif soviétique fut aidé… par le gouvernement soviétique. Au mois d’août 1941, lorsque les divisions nazies, tel un ouragan noir, se portèrent à travers les villes, les bourgades et villages d’Ukraine, de Biélorussie et de Russie centrale, et que partout le sang juif était versé férocement, la radio de Moscou retentit brusquement d’un appel, en yiddish, adressé « à nos frères juifs ». Ce furent « les représentants du peuple juif soviétique » (ainsi dénommés officiellement), réunis au premier meeting antifasciste juif à Moscou, qui s’adressèrent solennellement « aux Juifs du monde entier » pour les appeler à se joindre « à la lutte contre l’ennemi de l’humanité entière, l’ennemi de tous les peuples épris de liberté, l’ennemi du peuple juif, le fascisme allemand ». A œ meeting fut créé le Comité antifasciste juif, présidé par Salomon Mikhoels. Ce comité, bien entendu, fut créé à l’initiative et sous la surveillance directe du gouvernement soviétique. Ainsi donc,
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trois années à peine après la liquidation du amsn et du comma, c’est—à—dire des derniers vestiges des organisations juives en U.R.S.S., le gouvernement soviétique crut pouvoir ressusciter un embryon institutionnel de société juive organisée. Cela ne laissa guère supposer la moindre modification de « la ligne » au sujet de la problématique juive en Union soviétique. Il s’agit simplement d’un mouvement tactique dans le cadre stratégique : « Tout pour le front! Tout pour la victoire! » La composition de œ nouveau noyau structuré de la société juive fut très significative. Le Comité antifasciste juif ne compta presque pas d’hommes politiques. Les dirigeants les plus impor— tants des anciennes Sections juives, du onzean et du com (Dimanstein, Tchemerisky, Merejine, Litvakov et plusieurs autres) étaient morts. Ils disparurent tous dans la sanglante tourmente des « années Yéjov ». Quant à Esther Froumkine, la célèbre camarade Esther, elle se retrouva dans un camp du Grand Nord où, quelques années plus tard, elle succomba au froid et à la faim. Le Comité fut composé des représentants les plus en vue de la littérature et des arts juifs et également d’un œrtain nombre d’illustres savants, artistes, médecins et officiers juifs. La République autonome juive fut représentée par le député du Birobidjan au Soviet suprême de l’U.R.S.S., Léa Lichnianskaîa, par le président du Comité exécutif de la Région, Moshé Zilberberg et les deux secrétaires du Comité régional du Parti. Au mois de mai 1942, se tint à Moscou la deuxième Conférenœ antifasciste juive. L’esprit de œtte Conférenœ se trouva le mieux illustré par le discours de David Bergelson, dont voici un extrait : « Tant de fois nous prouvâmes au monde que nous savions nous sacrifier pour l’existence de notre peuple. Tant de fois nos ancêtres moururent en martyrs, pour la sanctification du Nom de l'Éternel, afin de pouvoir mourir en Juifs. Aujourd‘hui les Juifs doivent se retremper dans nos traditions de sacrifiœ, s’en fortifier afin de pouvoir continuer à vivre en Juifs3. »
Tel fut, en fait, le sens du combat livré par les Juifs soviétiques pendant toutes les années de guerre. Dans la souffrance et le malheur, sur les champs de bataille, dans le massacre et la mort, dans la résistanœ et la lutte, dans le supplice inhumain de tout
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un peuple, le présent se confondit avec le passé, le vieux martyre avec l’esprit de sacrifiœ et pour la Sanctification du Nom l’héroïsme du jeune combattant de l’Armée rouge. Le judaïsme soviétique sortit de la guerre avec une conscienœ nationale bouleversante de profondeur, bouleversante en raison de l’épo— que terrifiante et du cataclysme monstrueux qui en provoquè— rent la cristallisation Ce bouleversement national ne fut pourtant pas le seul. Un autre encore, d’un genre fort différent, vint en même temps : le bouleversement d’une foi brisée, d’illusions perdues. La foi qui se trouva brisée, en mille morceaux, fut œlle… en l’amitié des peuples. Au cours de tout un quart de siècle, on enseigna aux peuples soviétiques, a l’école, au Parti, dans la littérature, au théâtre, les préceptes de l’amitié des peuples, le commandement de l’amitié des peuples, l’un des dix commandements gravés sur les tables de la révolution d’Octobre. Les littératures nationales de tous les peuples soviétiques durent surmonter l’égocentrisme natio— nal, s’ouvrir au monde extérieur et accueillir œ monde dans leur sein, tendre les bras au peuple voisin, au peuple frère, à tous les peuples frères de l’Union fraternelle des Soviets. Vers le milieu des années 30, le stalinisme triomphant, sa politique de centra— lisme outré et de chauvinisme grand—mssien commencèrent à provoquer une inimitié réciproque parmi les peuples soviétiques. C’est à œ moment précisément que l’amitié des peuples de l’U.R.S.S. fut proclamée définitivement acquise, profondément enracinée dans la réalité vivante du pays, au point de devenir une composante organique du style de vie soviétique. En 1936, une grande, une bonne nouvelle fut solennellement annoncée, par voie de presse, àla population juive : il s’agissait du « pari socialiste de Tsimliansk ». Les cosaques de la station Tsimliansk, au Caucase du Nord, et les kolkhoziens juifs du disctrict voisin « Naï—Zlotopol », District national juif, signèrent une convention de « pari socialiste ». La convention fut accom— pagnée d'une lettre adressée par les cosaques aux kolkhoziens juifs et ainsi conçue :
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« Pour la première fois dans l’histoire, un cosaque travailleur rencontra un Juif travailleur. Ils se rencontrèrent et entre eux
naquit une forte, une indestrucflble amitié. C’est seulement chez
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nous, où l’on termine victorieusement la construction du socia— lisme, qu‘existe la possibilité d’une telle amitié entre travailleurs de toutes les nationalités de notre florissante patrie commune... Le grand Staline nous apprit à nous aimer les uns les autres. « Sachez donc, chers camarades, que l’ancien peuple des cosaques, appui de la réaction, n'existe plus. Il existe un peuple nouveau, soviétique, de cosaques, appui de notre patrie socia— liste. Nous savons dans quelle misère vivaient les couches pauvres de la population juive entassées par l’autocratie tsariste dans « la zone de résidenœ » et les bourgades exiguès, nous savons également qu’il n‘existe plus en U.R.S.S. de Juifs pauvres 'ni misérables. Nous vivons tous une vie culturelle, joyeuse et opulente. Nous adressons nos salutations kolkho— ziennes et cosaques à tous vos kolkhoziens, kolkhoziennes et a toute la population laborieuse du District national juif de Naï— Zlotopol. Vive l’amitié des peuples! Vive le guide des peuples, le camarade Staline‘! » L’écrivain juif soviétique, Shmuel Godiner, prosateur en vue, s‘empara immédiatement du sujet pour en composer une nouvelle, avec un véritable happy end, qui touchait non seulement la collectivité, mais aussi deux protagonistes : un kolkhozien juif de Naï—Zlotopol convola en justes noœs avec une fille cosaque de la station de Tsimliansk. Mais voici que sonna l’heure de l’épreuve, la guerre. Et il se produisit un événement aussi surprenant que cruel. « L’amitié indestructib1e » éclata brusquement comme une bulle de savon et disparut comme un songe. A sa plaœ s'ouvrit soudain un précipiœ, un abîme de haine déchaînée. L’ivraie semée par les Allemands, à distanœ, leva à une vitesse vertigineuse. Avant même que les divisions allemandes aient submergé le pays, on se livra au pillage des biens juifs, on refusa un verre d’eau aux réfugiés juifs torturés par la soif. Et bientôt, les voisins d’hier, les bons amis (à de rares exceptions près mais qu’il convient pourtant de mentionner aussi peu nombreux qu’ils fussent) assistèrent avec indifférenœ, sinon avec une joie mauvaise, à l’externünation de communautés entières innoœntes et sans défense, femmes, enfants et vieillards. Puis on se partagea les biens juifs laissés à l’abandon. Après la libération de l’Ukraine et de la Biélorussie, alors que
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les Juifis survivants militaires démobiüsés, francs—tireurs sortis des forêts ou familles réévacuées commencèrent à rentrer peu à peu dans leurs anciens lieux de résidenœ, ils trouvèrent leurs foyers occupés par des étrangers et souvent leur propre porte leur fut interdite. Dans les Districts nationaux juifs, dans les villages juifs, dans les kolkhozes juifs tout fut saccagé ; le matériel et le bétail pillés. Et, de nouveau, le cauchemar : les anciens voisins, éduqués pendant un quart de siècle dans l’esprit de l’amitié des peuples, chassaient haineusement les pa sans juifs, revenus de la guerre, et souvent aussi leurs de œtte terre qu’ils avaient f ndée pères et leurs grands— res de leur dur labeur, de leur propre sang et de leur propre sueur. Les Juifs spoliés et désespérés s’adressèrent au Parti, au gouvernement, où ils étaient sûrs de trouver aide et protection. La réponse fut encore plus stupéfiante, plus inconœvable. Le Parti de Lénine encouragea les persécuteurs, les assassins des Juifs. Le « propriétaire » de l’Ukraine, a l’époque, Nikita Khrouchtchev fit tout son possible pour empêcher les survivants juifs ukrainiens de rentrer dans leur ville d’origine, de regagner leurs anciens foyers. Tel fut pour les Juifs soviétiques, après tant de sang versé sur les champs de bataille de « la guerre patriotique », l’épilogue de l’histoire de la « Fraternité des
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peuples ». Et c’est alors que naquit, chez tous ces Juifs outragés, humiliés et révoltés, l’idée d’un foyer, d’un toit, d’une terre qui leur soient propres. Dans les conditions de l’Union soviétique de l’époque, cette aspiration ne put que se tourner vers le Birobidjan. La Région autonome juive apparut soudain comme un abri, comme un refuge, comme le refuge suprême. Le conœpt d'État national reçut brusquement un sens nouveau, une nouvelle dimension tragique. Les débats d’avant—guerre sur « la consolidation nationale » ne furent plus que du « pilpoul5 » scolastique. La formule même de « nation socialiste juive » prit un air de persiflage tragique. Il ne fut plus question de « construire le socialisme en Extrême—Orient » ni « d’avant— poste socialiste sur le Pacifique ». On aspirait de toutes ses forœs à un foyer, à une demeure, à un lieu de repos pour le corps meurtri et l’âme blessée. Mais œ « foyer », œtte « demeure » devaient—ils néœssaire-
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ment être le Birobidjan ? Cela ne fut pas du tout évident. Dans les milieux groupés autour du Comité antifasciste juif et
probablement dans d’autres milieux, assez nombreux, l’expé— rienœ de la Région autonome juive fut considérée comme un échec complet. Après la panique des années 37, 38, après la « déyiddishisation » de la Région, après le démenti infligé à la « doctrine Kalinine », le chapitre Birobidjan sembla définitive— ment clos. On en revint, par conséquent, au vieux projet qui n’avait visiblement jamais été tout à fait abandonné (par « la partie juive » du moins) au projet criméen. En outre, le projet rénové s’appuya sur un argument nouveau, de grand poids : la pres— qu'île de Crimée se retrouva, après la guerre, totalement inhabitée. A la fin des années 20, au cours des discussions passionnées sur le choix à faire entre la Crimée ou le Birobidjan, il fut surtout reproché au projet criméen de vouloir imposer une colonisation juive dans la presqu’île sans l’accord des habitants de la République autonome de Crimée, c‘est—à—dire des Tatars criméens. Or, œ reproche devint caduc. Dès la libération de la Crimée par l’Armée rouge, au printemps 1944, toute la popula— tion tatare de la République, hommes et femmes, jeunes et vieux, plus de deux œnt mille âmes, furent, sur l’ordre de Staline, déportés au Grand Nord, sous le prétexte de collabora— tion avec l’ennemi. Les champs et vignobles criméens furent laissés en friche. En avril (février ?) 1944, se tint à Moscou la troisième Conférenœ plénière du Comité antifasciste juif, avec la participation des plus illustres écrivains, artistes et savants juifs, de quelques officiers supérieurs juifs, ainsi que des représentants de la Région autonome juive. A œtte Conférenœ fut publiquement posée la question et œ, malgré la présenœ de la « d’affecter la Crimée à une délégation du Birobidjan République autonome juive ». Le retour au projet criméen fut confirmé également par l’écrivain juif du Birobidjan, Hershl Weinreuch—Vinokom. De passage à Moscou en 1944, en mission militaire, il assista à une réunion des écrivains juifs dans les locaux de l’Association générale des écrivains soviétiques. Il raconta ainsi ses souve-
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« Peretz Markish parla avec enthousiasme des grandes réussites des écrivains juifs et du niveau imposant atteint par la littérature yiddish. Mais le professeur Noussinov répliqua tristement : à quoi nous sert—il de parler de littérature juive, alors que nous n’avons plus de peuple juif? Le peu de Juifs sauvés par l’évacuation se trouvent en Sibérie ou en Asie œntrale. La guerre se termine. Nous voyons déjà clairement la victoire de l‘Armée rouge. Et les Juifs survivants, où vont—ils retourner? Sur les ruines de leurs villes et bourgades en Ukraine et en Biélorussie ? Je propose de nous adresser au gouvernement, au nom des écrivains juifs et du Comité antifasciste juif, avec une proposition de réévacuer les Juifs de Sibérie et d’Asie œntrale, non dans leurs anciennes demeures en ruine, mais de les rassembler en un seul endroit, sur un seul territoire, en Crimée par exemple 7. »
Les dirigeants de la Région autonome juive furent, bien entendu, d’un avis opposé. A la Conférenœ du Comité antifas— ciste ils déclarèrent qu’ils voyaient « a l’heure actuelle précisément, une occasion unique de bâtir le Birobidjan, après tous les échecs ». Leur délégation s’adressa, une fois de plus, à Kalinine qui les assura « qu'il n’avait nullement changé d’avis8 ». Et, en fait, avec tous ses défauts et tous ses échecs, le Birobidjan avait néanmoins une grande qualité, même si c’était la seule : la tout au Région autonome juive était un fait, elle existait moins sur un plan officiel et administratif. Elle fut, en dépit de tout, la seule entité étatique juive reconnue, « l'État national » Juif en propre, œ qui voulait dire quand même un foyer. Toutes ces discussions furent d’ailleurs prématurées. La Région autonome juive se trouva située dans une zone militaire interdite, faœ à l’armée japonaise. Ce n’est guère qu'après la capitulation du Japon et la fin de la guerre que s’offrit la possibilité, toute théorique d’abord, d’immigration. Ce fut à la même époque que commença, à une échelle plus large, la réévacuation des réfugiés. Malgré les horribles nouvelles parvenant des anciens foyers, malgré les difficultés administratives d’y retourner, tout le monde aspirait à regagner précisément son vieux chez-soi. Un instinct irrésistible poussait à examiner de ses propres yeux le malheur et les ruines, et une petite étinœlle d’espoir luisait au fond du cœur. Peut—ètre, peut—être réussirait—
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on à retrouver quelqu’un des siens parmi les vivants. Ce fut à œtte époque que les réfugiés juifs se heurtèrent à la nouvelle réalité soviétique d’après—guerre. Pour collaboration avec l’ennemi et trahison, Staline « punit » (et punit cruellement) quelques-uns des petits peuples soviétiques, pris en bloc, coupables et innocents, petits enfants et vieillards. Les Tchétchènes, les Ingouches, les Karatchaïs, les Balkan, les Kalmouks, les Tatars criméens et les Allemands de la République autonome allemande de la Volga, un million et demi d’âmes en tout, furent arrachés â leurs foyers et déportés. Ils périrent, en majorité, dans les camps. Il fut moins simple de « punir » les dizaines de millions d’Ukrainiens, non moins « fautifs », sinon plus. Leur collaboration avec les Allemands fut particulièrement empressée sur le terrain... du sang juif. Mais là, aucune mesure ne fut prise contre personne. L’antisémitisme continua à se déchaîner. Le retour d’une partie des Juifs survivants créa une atmosphère de pogrome. Le gouvernement ne réagit point. C’est en ces jours, dans la seconde moitié de l’année 45, que fut prise une initiative restée peu connue, mais utilisée quelques années plus tard d’une manière tragique, pendant l’anéanfissement sanglant et définitif de toute vie sociale organisée du judaïsme soviétique. Salomon Mikhoels, président du Comité antifasciste juif, adressa à Staline un mémoire détaillé sur la situation de la population juive en U.R.S.S. et proposa, au nom du Comité antifasciste, de revenir, dans les conditions nouvelles, au vieux projet criméen, c’est—â—dire à une concentration territoriale juive sur la presqu‘île inhabitée de Crimée. Mikhoels fut un des plus grands et plus illustres hommes de théâtre de l’Union soviétique. Doté d’une vaste culture et d’une haute intelligenœ, il se révéla pendant la guerre un dirigeant politique de grande classe. En juillet 1943, il fut envoyé par le gouvernement soviétique aux États-Unis, avec le poète juif soviétique Itsik Fefer, en délégation officielle du Comité antifas— ciste juif, en fait comme représentant du judaïsme soviétique chargé d’entrer en contact avec le judaïsme américain. Le premier discours de Mikhoels à New York, devant une salle de plus de cinquante mille personnes, bouleversa l’opinion publi— que américaine. La délégation visita trois pays : les États—Unis,
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le Canada et le Mexique. Elle fut reçue partout avec un enthousiasme extraordinaire. De retour en Union soviétique, Mikhoels ne œssa de se considérer comme un représentant du judaïsme soviétique, prêt à intervenir auprès des autorités et administrations au sujet des affaires juives les plus diverses. Le mémoire adressé à Staline resta longtemps sans réponse. Enfin vint une réponse officielle, de sept mots seulement : Para yevreiskomau antifashistkomou Komitietou znat svoïo mesto, « Il est temps que le Comité antifasciste juif connaisse sa plaœ. » Signé : V. Molotov. On raconte que Mikhoels, après avoir lu le message, garda longtemps le silence et dit enfin très doucement : « Pour moi, tout est fini... » Puis, après un silenœ encore, il ajouta : « Pour nous tous, je le crains... » Une fois encore, et déjà pour la dernière fois, un point final fut mis sur le statut du judaïsme soviétique (et partant, sur le vieux débat entre Lénine et le Bund). Personne en Union soviétique, aucune institution, aucune instanœ, aucune organisation, aucune personnalité n’avait le droit de s’occuper de la problématique nationale juive, de problèmes touchant le sort et l’avenir du judaïsme soviétique, personne en dehors du Parti, œ qui voulait dire, naturellement, en dehors de Staline. Le projet criméen de nouveau écarté, on allait rouvrir, une fois de plus, le chapitre du Birobidjan. Le départ d’un nombre impor— tant de Juifs pour l’Extrême-Orient devait mettre fin à une série de pénibles conflits locaux et détendre, sinon entièrement, du moins partiellement, l’atmosphère devenue dangereusement tendue. Le 26 janvier 1946, le Conseil des commissaires du peuple de la R.S.F.S.R. (République socialiste fédérative soviétique de Russie) et le lendemain, 27 janvier, le Conseil des commissaires du peuple de l’U.R.S.S., adoptèrent des résolutions officielles au sujet du « renouvellement de l’édification » de la Région autonome juive. Le commissariat du peuple àla Santé publique fut chargé d’envoyer au Birobidjan un œrtain nombre de médecins juifs et le commissariat du peuple à l’Instruction publique reçut pour mission d’y dépêcher un certain nombre d’enseignants juifs. Ces décisions gouvernementales firent sur la population juive une impression considérable. Une douce lumière s’alluma au loin, la lumière… d’un foyer. Auparavant, dans la seconde moitié de 1945 (le Birobidjan se trouvant toujours dans la zone militaire interdite), des démar-
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ches commencèrent en vue d’une immigration dans la Région autonome juive. Ces démarches furent faites, tant par des Juifs d’Ukraine et de Biélorussie, réévacués ou sur le point de l’être, que des habitants mêmes du Birobidjan sollicitant une autorisation d’immigration pour leurs proches parents. Après la publica— tion des décisions gouvernementales du 26 janvier 1946, le mouvement prit un caractère de masse, dans le style soviétique habituel : réunions sur les lieux de travail, meetings, résolutions, etc. En mars 1946, le Comité antifasciste juif organisa à Moscou une rencontre spéciale avec les députés du Birobidjan à la Chambre des nationalités du parlement pansoviétique, Alexandre Bakhmoutski et Shifra Koutchina. Bakhmoutski était, en outre, secrétaire du Comité régional du Parti de la Région autonome. Et aussitôt une nouvelle surprenante, sensationnelle, fit le tour de la population juive du pays : le gouvernement soviétique organisait « une immigration libre de masse » vers le Birobidjan (en mettant l’action sur l’adjectif « libre »); tous les frais de déplaœment seraient couverts par l'État; des crédits importants seraient accordés aux immigrants désireux de se consacrer â l’agriculture; de plus, le voyage, d’une durée de quatre semaines, serait effectué dans de confortables « trains spéciaux ». La sensation fut immense. Sans attendre œtte « immigration libre » organisée, des œntaines et des œntaines de Juifs, individuellement et en famille, se mirent en route vers la Région autonome juive, sous leur propre responsabilité de Crimée, d’Ukraine, d’Asie œntrale et de Sibérie. Le premier « train spécial » partit en déœmbre 1946 de Vinnitsa en Ukraine. Deux autres « trains spéciaux » quittèrent œtte même ville en 1947. Durant la même année, encore trois « trains spéciaux » partirent pour le Birobidjan, dont un de Crimée et deux d’Ukraine méridionale (Kherson et Nikolaïev). Dans le courant de l’année 1948, il y eut six « trains spéciaux » dont cinq d’Ukraine (deux de Nicola‘iev, deux de Dnieprope— trovsk et un d’Odessa) et le sixième de Samarkand, en Asie œntrale. Les « trains spéciaux » composés de quarante—cinq à cinquante voitures chacun prenaient non seulement des voya— geurs habitant les villes de départ, mais les groupaient par régions entières et par Districts nationaux juifs. Des Kolkhozes au complet des Districts nationaux prenaient plaœ dans le train. Ainsi l‘écrivain juif soviétique, Elie Gordon, a pu noter sur les
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voitures du « train spécial » de Dniepropetrovsk, en 1948, les le Birobidjan », inscriptions suivantes : « Kolkhoze Botvine le Birobidjan », « Kolkhoze Lekerte « Kolkhoze Ozetevke le Birobidjan9 ». Le nombre global des immigrés pour les années 1945 1948 fut évalué diversement. D’après Alexandre Bakhmoutski, le Biro— bidjan accueillit en œtte période « plus de vingt mille travailleurs juifs ». Israêl Emiot estima le nombre d’arrivants â « envi— ron dix mille familles juives, c’est—â—dire à trente mille âmes environ 10 ». Par contre, d’après Y. Levavi, œ nombre n'aurait guère dépassé dix mille âmes. La composition sociale de la nouvelle vague d’arrivants fut ainsi décrite par Israël Emiot :
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« Le matériel humain, bien que disparate, comprenait en son immense majorité des éléments de grande valeur : beaucoup d’exœllents artisans et de techniciens de l’industrie lourde, des ingénieurs, des médecins, des enseignants, de vieux agriculteurs expérimentés, de hauts fonctionnaires qui s’étaient à grandpeine libérés de leurs postes. Il y avait parmi eux le directeur du célèbre silo à céréales de Kherson. Cet exœllent organisateur préférait travailler au Birobidjan comme chef d’un serviœ agricole régional que de diriger œ grand œntre céréalier de toute l’Ukraine 10. »
L’exœptionnelle valeur socio—économique de l’immigration d’après—guerre est illustrée par les chiffres ci-dessous conœmant mille sept œnt soixante—dix familles arrivées par les « trains spéciaux » et qui furent installées dans les domaines suivants :
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Agriculture (kolkhozes, sovkhozes, M.T.S.) Industrie locale Industrie légère ................... Production coopérative Industrie du bâtiment Chemin de fer Serviœs municipaux Service de santé Enseignement Divers
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................... ............ .............. .................... ............... ................... .................... ...........................
830 familles 180 125 100 -165 25 25 32 35 203
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Presque la moitié des immigrés furent immédiatement absorbés par l’agriculture qui avait grand besoin de leur expérienœ. Avec les premiers immigrés, dans le « train spécial » parti de Vinnitsa au début de juin 1947 (œ fut le deuxième « train spécial ») arriva au Birobidjan le grand prosateur juif, un des plus grands écrivains juifs de l’Union soviétique, Der Nister. Il prit le train, non au départ de Vinnitsa, mais à Moscou. Seul de tous les écrivains juifs soviétiques, il décida de se joindre à un groupe d’immigrés afin de pouvoir, pendant œ voyage de quatre semaines, s’imprégner de leur esprit, de leurs peines, de leurs espoirs. Car lui aussi partagea leurs espoirs. Ses impressions de voyage furent publiées, sous le titre « Avec des immigrés pour le Birobidjan », dans le premier numéro de la revue juive Heinriand qui venait de réapparaître à Moscou après la guerre. L’auteur commença par quelques esquisses à grands traits : « Voici des voyageurs dont la seule pensée est de pouvoir améliorer leur situation matérielle; mais en voilà d’autres, beaucoup d’autres, animés davantage de sentiments nationaux, qui ne songent à aucune amélioration. On verra bien là—bas, pourvu que œ soit là-bas... Et voici de vrais enthousiastes, tout feu tout flamme, prêts à tout abandonner pour se retrouver là— bas et entraîner avec eux la moitié du monde 12. »
Et Der Nister de conclure, dans œ style allusif qui fut le sien :
bien que nous ayons déjà œs petits et intrépides David potentiels qui doivent pourtant continuellement et effec— tivement s’anner de plus en plus de œtte fierté davidienne, de œtte dignité davidienne, de œt amour pour leur peuple et leurs frères afin qu'aucun, aucun Goliath ne puisse jamais leur faire peur. Et cela sera, œla arrivera, lorsque tous œs petits David aux muscles d’acier, brunis par le soleil, se retrouveront dans œ lieu d’accumulation créatriœ du peuple, lieu de renaissanœ et de rééducation, là où ils se rendent actuellement comme des oiseaux portant dans leurs ailes l’annonœ du printemps 13. » « Oh oui, il est
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« lieu d’accumulation créatriœ du peuple, Le Birobidjan lieu de renaissanœ! » En fait, « l’immigration libre de masse » organisée par le gouvernement, dans des « trains spéciaux » et à
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titre gratuit, ne signifia rien d’autre que la liquidation définitive d’un siècle et demi de colonisation juive en Ukraine et la fin de tous les Districts nationaux juifs. Mais on allait, malgré tout… vers un foyer, « comme des oiseaux portant dans leurs ailes l’annonœ du printemps... » De la vie culturelle multicolore d’avant—guerre, il resta dans la Région autonome à peine quelques traœs. Le réseau scolaire juif se trouva presque entièrement liquidé. Il n’en resta que l’école secondaire de Birobidjan, ou plus exactement un souve— nir de l’école, avec soixante-dix élèves en tout, au lieu des huit œnts de l’année 1936, entassés dans une vieille maison de bois. Le grand immeuble spécialement construit pour elle au centre de la ville fut affecté à une école russe. Quelques écoles primaires juives végétèrent en province et notamment, à Waldheim et à Amourzet. Toutes les écoles techniques, â l’exœption de l’école pédagogique, furent mssifiées à œnt pour cent. Dans l’école technique pédagogique, le yiddish fut encore enseigné, mais seulement comme matière facultative. Le problème des écoles se posa avec acuité à l’arrivée des milliers de nouveaux immigrés, presque tous yiddishophones. Les parents collectaient des signatures sous une pétition exi— geant l’ouverture des écoles élémentaires pour leurs enfants, dans la ville même de Birobidjan. La direction de la Région abondait en promesses. Le premier secrétaire du Comité régional du Parti, Alexandre Bakhmoutski était extrêmement optimiste. Il promettait non seulement des écoles, mais annon— çait des plans plus vastes et ambitieux. On allait transférer dans la Région autonome le « Cabinet de littérature, de langue et folklore juifs soviétiques » de Kiev (vestige de l’ « Institut de la culture prolétarienne juive », victime d’un pogrome) ; il était de nouveau question d’une école supérieure juive dans la Région; bien plus, on faisait de nouveau miroiter la perspective de transformer la Région autonome en République autonome juive. Moscou paraissait se souvenir de la « doctrine Kali— rune ». Très douœment, pas à pas, la Région commença à revenir à elle. Après tant d’années de sang et de larmes, de « purges » d’abord et de guerre ensuite, une lueur d’espoir, bien pâle encore, se remit à luire. Les nouveaux arrivants s’aœümatèrent
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tres rapidement, aussi bien dans l’agriculture que dans l‘indus— trie et la vie sociale. Il n’y eut plus de reflux, comme avant la guerre, plus de retour aux anciens foyers, pour la raison fort simple qu’il n’y eut plus d’anciens foyers. L’Extrême-Orient voisin restait grand ouvert il est vrai, et l’air n’y fut pas aussi empoisonné qu’à l’ouest du pays. Mais pour la première fois peut—être depuis vingt ans, les immigrés vinrent au Birobidjan avec une ténacité de désespérés : y rester, y bâtir enfin un vrai foyer, « un lieu de renaissanœ ». Le yiddish apparut de nouveau dans des communiqués administratifs, fut de nouveau employé aux réunions et assem— blées officielles. Le théâtre juif d’État reprit son activité normale, après une longue tournée, pendant toute l'année 1945, en Asie œntrale où il avait joué pour les réfugiés de guerre juifs. A la fin de l’année, il déménagea dans un nouveau bâtiment spécialement construit pour lui, avec une salle de cinq œnts places. L’inauguration solennelle de la salle eut lieu le 30 déœmbre 1946. Deux comédiens, Haim Helfant et Joseph Gross furent gratifiés du titre d’ « artiste émérite de la République ». Le journal yiddish Birobider Stern (L’Étoile du Birobid— jan) reparut en 1945, après une longue interruption. Peu aprés, une maison d’édition yiddish fut créée par décision du Comité régional du Parti. On commença à préparer une nouvelle revue, en remplaœment du Forposte d’avant—guerre. La revue s’intitu— lait Birobidjan, avec un sous—titre: « Almanach littéraire et artistique, politique et social de la Région autonome juive. » Le premier numéro de Birobidjan, numéro double portant la numération 1-2 et daté de 1946, parut en réalité au début de 1947, avec la participation de tous les écrivains juifs de la Région. Ce fut la première revue yiddish qui ait vu le jour en Union soviétique après la guerre, bien avant le Heimland (Patrie) de Moscou et Der Stern (L'Étoile) de Kiev. Le deuxième numéro de Birobidjan parut fin 1947 et le troisième en juin 1948. La maison d’édition commença à publier des livres yiddish : deux volumes de poésie furent édités en 1948. Le Comité exécutif de la Région élabora effectivement des projets pour création d’une université juive et, de plus en plus, il fut question d’une prochaine transformation de la Région auto— nome en République autonome juive.
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Le 9 octobre 1948 arriva, à Birobidjan, le douzième « train Spécial ». Il vint de Samarkand, avec des réfugiés de guerre d’Asie œntrale. Le journal Einikeit de Moscou, daté du 12 octobre 1948, publia un compte rendu de son correspondant spécial dans la Région autonome sur l’accueil réservé â œs nouveaux bâtisseurs de l’État juif : « A partir de huit heures du matin, la gare se remplit de plus en plus de monde : ouvriers des usines, fonctionnaires, étudiants des écoles techniques birobidjanaises, tous en vêtements de fête, un bouquet de fleurs à la main. Plusieurs d’entre eux viennent accueillir parents ou amis. La salle est décorée de portraits et de slogans. Neuf heures du matin. Les orchestres se mettent à jouer. Le train spécial entre en gare. Les dirigeants de la Région autonome juive montent sur la tribune. »
Suit une série de discours de bienvenue et notamment œlui du président du Comité exécutif régional, le camarade Levitine qui annonœ de prochains « trains spéciaux », de plus en plus nombreux. Mais aucun autre « train spécial » n’arriva plus au Birobidjan. Celui venu de Samarkand fut le dernier. Un mois plus tard éclata de nouveau une bourrasque sanglante : de nouvelles « purges » et la campagne contre les « cosmopolites », c‘est-à— dire contre les Juifs. Les vieux fantasmes antisémites de Staline furent officiellement intégrés dans la politique soviétique. Ce fut le début de la liquidation définitive de toute forme de société juive organisée en U.R.S.S. La première victime était déjà tombée auparavant. En janvier 1948, fut assassiné Salomon Mikhoels, président du Comité antifasciste juif. L’assassinat, lâchement camouflé en accident de circulation, frappa de stupeur et de douleur toute la population juive du pays. Dans les milieux du Comité antifas— ciste juif, on sentit l’imminenœ d’une catastrophe. Elle éclata en effet avant la fin de l’année. En déœmbre 1948 et au début de 1949, presque tous les écrivains, artistes et savants juifs en vue furent arrêtés. Les plus grands d’entre eux, les porte—drapeau de la littérature juive soviétique, David Bergelson, David Hofistein, Peretz Markish, Leib Kvitko, Itsik Fefer et plusieurs autres, furent condamnés à mort, aprés une parodie de procès. Ils avaient été accusés des
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crimes les plus abominables et notamment d’avoir participé à une conjuration ourdie par le Comité antifasciste juif en vue de détacher la presqu’île de Crimée de l’Union soviétique. Ce fut là la réponse de Staline au mémoire que lui avait adressé Mikhoels, quelques années auparavant, contenant la proposi— tion de revenir au fameux « projet criméen ». Tous les condamnés furent exécutés en août 1952. La seule femme parmi eux, le Pr Lina Stern, membre de l‘Académie des Sciences et titulaire de l’Ordre de Staline, vit sa peine commuée. Elle fut déportée dans un camp du Grand Nord et libérée après le XX° Congrès du Parti communiste. Le grand écrivain Der Nister est décédé en prison. Tous les autres écrivains arrêtés passèrent de longues années dans différents camps. En décembre 1948, également, furent brusquement fermés le Comité antifasciste juif et le journal Einikeit, la revue Heimland â Moscou et la revue Der Stern à Kiev; la maison d’édition Emess à Moscou avec son imprimerie (toutes les œuvres en cours d’impression furent détruites, les caractères d’imprimerie cassés, les manuscrits déchirés ou confisqués). Furent également fermés le célèbre théâtre juif d‘État de Moscou Gosset et, peu après, tous les théâtres juifs de l’U.R.S.S. ; toutes les bibliothè— ques juives (leurs fonds de livres, transformés en papier d’emballage ou en maculature). Furent liquidés aussi le musée juif de Vilno et « le Cabinet pour la littérature, la langue et le folklore juifs soviétiques » de Kiev. Les trésors de la Bibliothèque académique juive de Kiev subirent un destin proprement délirant : des monceaux de livres et de manus— crits iuestimables furent transportés, la nuit, vers les catacombes du quartier de Podol de Kiev et jetés dans les grottes humides du Mont—Petchersk, condamnés à mort… par moisissure “. Ce ne fut pas une simple liquidation d’institutions, mais un pogrome, une dévastation haineuse, accomplie calme— ment, avec une froide cruauté pour tuer, pour exterminer, pour anéantir. Au Birobidjan furent arrêtés : le secrétaire du Comité régio— nal, Alexandre Bakhmoutski, le président du Comité exécutif régional, Mikhaïl Levitine, ”ancien président du Comité exécutif régional, resté de longues années à ce poste, Moshé Silberstein, les membres de la rédaction de la revue Birobidjan, ainsi que presque tous les autres écrivains juifs et plusieurs hauts
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fonctionnaires. Bakhmoutski et Süberstein furent condamnés à mort, avec commutation de peine â vingt—cinq ans d‘emprisonnement. Levitine mourut en prison. Toutes les personnes arrêtées furent aœusées du même crime, inculpation fondée sur une provocation monstrueuse et insensée à la fois : « Le Birobidjan doit servir de maillon dans la chaine de la grande conspiration du peuple juif... La base du Birobid— jan constitue un foyer d’espionnage qui sera transformé en plaœ d’armes de la réaction internationale... Finalement, le Birobid— jan sera détaché de l’Union soviétique pour être offert à l’Amérique ”… » Un ancien comédien du théâtre juif d'État du Birobidjan, arrêté avec quelques camarades, raconte : « Nous avons posé au juge d’instruction une question inno— œnte : comment un tel projet pourrait-il jamais être réalisé géographiquement, alors que le Birobidjan se trouve en Extrême—Orient et que les Etats—Unis se trouvent à l’autre bout
du monde, en Extrême-Occident? Le juge nous répondit, avec un clin d’œil malin : « Les Juifs peuvent tout, si seulement ils le veulent “’. » Le poète Israël Emiot, membre de la rédaction de la revue Birobidjan fut arrêté au début de 1949. Il raconta :
« Voici les chefs d’accusation retenus contre moi : dans mes poèmes et mes œuvres en prose, je prônais des idées bourgeoises et nationalistes sur l’unité du peuple juif, je soulignais toujours l’aspect juif des événements… Je répandais des “ inventions mensongères et injurieuses ” au sujet d’un pré— tendu antisémitisme en Ukraine... J’appelais à transplanter “ artificiellement ” et à développer la culture juive dans la Région autonome juive, alors que l’on n’en avait nul besoin... Je me défendais de toutes mes forces contre l’article 6, c‘est—à-dire contre l’espionnage que l’on voulut également m’attribuer‘°. »
Des crimes plus ou moins comparables furent imputés à tous les autres écrivains juifs, ainsi qu‘à tous les travailleurs des institutions culturelles juives. Absurdité tragique: ils furent tous accusés et sévèrement condamnés pour « avoir artificiellement imposé la langue yiddish et la culture juive » dans… la
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Région autonome juive, c’est—â—dire dans l'État national juif. Les dernières écoles juives furent fermées. Le théâtre juif d'État, portant le nom glorieux de Lazare Kaganovitch, fut liquidé et ses locaux affectés à une maison de pionniers. La section de la culture juive au Musée ethnographique régional fut supprimée. La maison d’édition et la revue Birobidjan furent liquidées. Les caractères juifs disparurent des noms des rues et des administrations. La bibliothèque municipale Cholem-Aleik— item de Birobidjan, avec son fonds de œnt trente mille volumes, dont trente mille en yiddish et une importante section de judaïca en russe vit retirer de ses rayons et détruire les œuvres de tous les écrivains juifs arrêtés, c’est-à—dire, en fait, presque toute la littérature juive soviétique. Peu après, le fonds de judaïca disparut également… dans une cave. D’ailleurs, de simples particuliers commencèrent à brûler des livres juifs, de peur d’être aœusés de nationalisme ou de sympathie pour les « ennemis du peuple ». Et, une fois de plus, les espéranœs se révélèrent trompeuses, le foi espoir s’évanouit dans les larmes et le sang. Le Birobidjan ne devint pas « œ lieu d’accumulation créatriœ du peuple », ni non plus « œ lieu de renaissanœ ». « L’annonœ de printemps » que les oiseaux devaient apporter, se termina par un déchirant cri de détresse. Pour la deuxième fois déjâ, la Région autonome juive s‘avéra être un piège dangereux, un lieu d’élection pour provocations anti—juives. Fallait—il rester et attendre, afin de vérifier le vieil adage « Jamais deux sans trois »? On se mit à courir, à courir, à courir… Aucun chiffre sur le Birobidjan ne fut publié avant le recensement pansoviétique de 1959. Au 15 janvier 1959, la population globale de la Région autonome juive s’éleva a 162856 habitants, dont 14269 Juifs, soit à peine 8,8 %. Les autres groupes nationaux furent :
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127281 (78,2 %) Russes 14425 (8,9 %) Ukrainiens 1578 (1,0 %) Biélomssiens 1446 (0,9 %) Mordvines ....... Il est permis de procéder à un calcul relativement simple. En janvier 1937, la population juive de la Région autonome compta dix-neuf mille âmes et, a la fin de la guerre, vingt mille.
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L’irmnigration juive des années 1945-1948 fut évaluée, on l’a vu,
fort diversement :
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à 10000 personnes (Levavi) à 20 000 personnes (Bakhmoutski) et même à 30 000 ou davantage . . . . (Emiot)
..............
Par conséquent, la population juive du Birobidjan aurait dû compter, en janvier 1959, sans même l’accroissement naturel, non quatorze mille deux œnt soixante-neuf âmes, mais au minimum trente mille et peut—être quarante mille ou même
cinquante mille et plus. Autrement dit : au cours de dix années, de fin 1948 au début de 1959, la Région autonome juive perdit au minimum la moitié et peut—être les deux tiers ou même les trois quarts de sa population juive. Ce fut la dernière tentative.
Cnxrrma XIX
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Le titre III de la Constitution soviétique de 1977, votée à l’occasion du soixantième anniversaire de la révolution d’Octo— bre, est intitulé : « La structure nationale et étatique de l’U.R.S.S. » Ce titre comprend quatre chapitres : les chapitres huit, neuf, dix et onze de la Constitution. Le chapitre VIII définit la structure générale, le fonctionnement et les compétences de l’Union des Républiques socialistes soviétiques dans leur ensemble, en tant qu’« État multinational fondé sur le principe du fédéralisme socialiste ». Le chapitre IX est consacré aux Républiques socialistes soviétiques fédérales, membres de l’Union. Le chapitre X traite des Républiques socialistes soviétiques autonomes, membres d’une République fédérale. Enfin le chapitre XI est consacré aux Régions auto— nomes et Districts autonomes. La Région autonome et même le District autonome participent ainsi, bien qu’à des degrés et des niveaux différents, de la structure étatique de l’U.R.S.S., et forment des entités étatiques et nationales de grandeur et d’importanœ infiniment variables. Cette entité étatique, définie comme État national sui generis, partie organique de l’« État multinational fondé sur le principe du fédéralisme socialiste » correspond à l'État national juif constitué par la Région autonome juive que la Constitution soviétique de 1977 continue de mentionner explicitement dans son article 87 ainsi conçu : « Font partie de la République fédérative socialiste soviétique de Russie les Régions autonomes
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suivantes : Adyghae, Altaïe, Juive, Kmtchflev—Tcherkesse et Khakasse. » La population globale de la Région autonome juive s’éleva, lors du reœnsement pansoviétique de 1970, à 172449 âmes, contre 162856 en janvier 1959, enregistrant un accroissement de 5,6 %. Au cours de la même déœnnie, la population juive de la Région diminua de 18 %, passant de 14269 âmes en 1959 â 11412 en 1970 et représentant 7 % à peine de la population globale, au lieu de 8 % en 1959. Le reœnsement de 1980 permettra d’analyser d’une manière plus précise l’évolution générale de la courbe démographique de la population juive de la Région. Toutefois, il est d’ores et déjà manifeste que, quelles que puissent être les tendanœs de œtte évolution (stabilisation, diminution ou même accroissement), œla ne modifiera guère le fond du problème. Le point de rupture atteint au Birobidjan semble irréversible ‘. Il serait, œrtes, présomptueux d’affirmer que la Région autonome juive relève de la fiction pure. Bien au contraire, elle est incontestablement réalité, La fiction, c‘est seulement sa prétendue judéité et encore... Elle porte sur elle la marque de l’enthousiasme et de l’intelligenœ de ses jeunes bâtisseurs juifs. C'est pourquoi, précisément, il faut accueillir sous toutes réserves les affirmations d’un Khrouchtchev ou d’autres hommes d’État soviétiques, à savoir que « la colonisation juive au Birobidjan fut un échec ». Un échec en quoi, pour qui? Certainement pas pour l’Union soviétique. Le président du Comité exécutif régional, Moshé Silberstein, qui resta à son poste de 1941 à 1947 (et fut condamné à mort en 1948) se vantait non sans raison : « En quelques années seulement, notre Région autonome fut transformée en pays florissant, avec des villes nouvellement bâties, des kolkhozes, des usines, des établissements d’enseignement de tout degré, et d’importantes institutions culturelles. Le Birobidjan est appelé “ la perle de l’Extrême-Orient2 ”. » Cette « perle de l’Exfiême-Orient » ne fut pas le produit d’une pêche miraculeuse. Elle naquit et fut cultivée par le labeur juif, par l’abnégation juive. Les filles et les garçons juifs d’Ukraine et de Biélorussie, partis au bout du monde, à dix mille kilomètres de leurs foyers, pour « bâtir un pays juif » dans la grande Union soviétique, firent preuve d’un courage, d’une
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obstination et d’une persévérance admirables. Ce sont eux, les pionniers du Birobidjan, abrités sous des tentes en toile pendant les pluies diluviennes, les chaleurs étoufiantes et les froids â pierre fendre, souvent le ventre creux et parfois manquant d’un morœau de pain, œ sont eux qui déracinèrent des arbres, ménagèrent des routes dans la taïga sauvage, asséchèrent des marais et construisirent les premiers ponts, les premières demeures et les premiers villages. Ce sont curl qui menèrent les premiers tracteurs en Extrême-Orient (dons des dizaines de milliers de travailleurs juifs d’Amérique), devenant ainsi les pionniers d’une agriculture moderne. Ce sont eux encore, eux et leurs semblables, qui posèrent les fondements de toute l’indus— trie de la Région, bâtirent des villes et transformèrent la petite station Tikhonkaïa en Birobidjan, grande ville moderne, une des plus belles sinon la plus belle de tout l’Emêœe-Ofient soviétique. Ce n’est pas la Région autonome juive qui fut un échec, mais l’entité étatique juive, l’État juif un échec complet et œt tragique. Pourtant échec n’était pas inéluctable et œ, malgré l’éloignement géographique et historique du Birobidjan; malgré l’attitude des Sections juives et leur opposition à toute forme d’entité étatique juive, synonyme, pour elles, d’« inversion de la roue de l’histoire »; malgré même les profondes blessures laissées dans la Ré 'on autonome par les « purges » des « années Yéjov ». L’ tat juif soviétique disposait encore d’une « chanœ », la dernière, d’une de œs « chances » tragiques dont abonde l’histoire juive : lorsque des communautés entières sont brusquement éjectées de leurs foyers par un sanglant cataclysme historique et s’en vont de par le monde, à la recherche d’un abri, d’un nouveau refuge. Le Birobidjan était susœptible de devenir un tel refuge. Là,
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soi3 ». Au cours des années 1946—1948, le rythme de l’immigration d’après—guerre, bien qu’irrégulier parfois, ne se ralentit jamais. Au contraire, chacun des deux derniers « trains spéciaux » amena cinquante pour cent d’immigrés de plus que les trains précédents. Par ailleurs, l’arrivée d’un nombre relativement important de cultivateurs expérimentés provenant des anciens Districts auto— nomes juifs d’Ukraine et de Crimée (célèbres pour leurs fermes modèles et leurs récoltes exemplaires) allait modifier sérieuse— « on se sentait, malgré tout, chez
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ment les perspectives d’une base agricole propre permettant enfin d’atteindre l’équilibre économique de la Région. L’espoir de voir venir « de plus en plus de trains spéciaux » ne relevait donc nullement d’un optimisme de commande, mais d’une appréciation qui semblait correspondre à la réalité, tant pour le nombre de candidats à l’immigration que pour la possibilité de les accueillir. Quelques années encore d’un tel et l’entité étatique juive serait devenue une accroissement réalité viable. Toutes les conditions préalables eussent été réunies pour une transformation, au début des années 50, de la Région autonome juive en République autonome. Décidément, l’échec n’était pas inéluctable. Il le devint œpendant à partir du moment où le fameux « tableau » des « purges » s’était enrichi d’une catégorie nouvelle : les « cosmo— polites ». Le moindre doute ne fut plus possible sur la significa— tion de œ terme. « Cosmopoüte » n’était autre chose qu’un nom de code pour désigner les Juifs. La lutte contre le « cosmopolitisme » signifia tout simplement la lutte contre les Juifs. Dès lors, le stalinisme ayant ouvertement intégré l’antisémitisme le plus virulent, toute forme de vie étatique juive, toute forme de société juive organisée lui devint insupportable. Tout devait être anéanti et tout fut anéanti. L’État juif de l’Union soviétique fut assassiné en plein épanouissement. Le style nouveau du stalinisme apparut immédiatement dans le caractère et l’ampleur des « purges » de 1948—1949. Au cours des « années Yéjov », les coupes sombres dans la société juive furent perpétrées d’après les mêmes critères et selon les mêmes méthodes que chez tous les autres peuples soviétiques. Il en fut tout autrement à la fin des années 40. Les persécutions anti— juives furent particulièrement achamées. La terreur chez les autres peuples de l’U.R.S.S, les Géorgiens ou les Arméniens par exemple, bien qu’impitoyable et sanglante, ne visait en fait qu’une partie seulement de l’élite intellectuelle. Les victimes dans les jour— disparues furent immédiatement remplacées naux, les revues, les maisons d’édition, les théâtres, les instituts scientifiques, etc. L’élite intellectuelle juive fut exterminée presque totalement (ou déportée dans les camps) et ne fut pas remplacée. C’est la spiritualité juive, la culture juive, l’esprit juif, en tant que tels, qui devaient être effacés de la terre soviétique et, à plus forte raison, de l’entité étatique juive.
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Au cours de toute une décennie, de fin 1948 au début 1959, pas un seul livre yiddish, pas une seule revue, pas un seul journal (à l’exœption du miséreux Birobider Stern), pas un seul ouvrage de quelque nature que œ fût ne purent voir le jour en Union soviétique. Un interdit fut jeté, avec une bizarre, une démentielle irrationaüté, sur les caractères juifs eux—mêmes. Les lettres juives furent mises hors la loi, comme symbole du mal absolu. L’empreinte typographique du caractère juif fut brisée et anéantie. Sous la pression de l’opinion publique étrangère et tout particulièrement sous celle du Parti communiste français, l’interdit fut levé au début de 1958. Après une interruption de dix ans, parut à Moscou, en yiddish, un volume de contes de CholemAleikhem. Depuis, le livre yiddish fit sa réapparition en Union soviétique, mais à de rares occasions seulement, avec une moyenne de deux ou trois volumes par an, sans la moindre comparaison avec la production littéraire annuelle en yiddish, de plusieurs œntaines de volumes avant la guerre et de plusieurs dizaines après la guerre. Au mois d’août 1961, parut à Moscou le premier numéro d’une revue littéraire et artistique yiddish Sovietisch Heimland (La Patrie soviétique), d’abord bimensuelle et bientôt mensuelle, qui continue à paraitre aujourd’hui. Paradoxalement, l’interdit sur les caractères yiddish reste toujours en vigueur. Malgré la parution de la revue mensuelle et d’un œrtain nombre de livres, la lettre yiddish reste toujours hors la loi. Il est toujours interdit de faire paraître en Union soviétique un simple abécédaire yiddish pour les enfants juifs. Cela peut paraitre incroyable, voire délirant, mais telle est la réalité. Dans tous les pays du monde où il existe une commu— nauté juive, même la plus modeste, on peut facilement se procurer un abécédaire juif pour enfants juifs. Dans tous les pays du monde, à l’exœption de la grande Union soviétique. avec sa population juive de près de trois millions d’âmes. La revue Sovietisch Heimland publie de temps en temps des lettres de ses lecteurs, étudiants pour la plupart, qui relatent les péripéties peu ordinaires de leurs études du yiddish : il fallait d’abord trouver dans une encyclopédie l’alphabet juif et bien l’apprendre, il fallait ensuite s’essayer à déchiffrer des textes, œ qui n’était pas toujours très simple. La revue commença donc à consacrer dans chaque numéro deux ou trois pages, sur œnt
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soixante—douze, « A œux qui apprennent le yiddish »; tel est effectivement le titre de œs pages, imprimées en petits carac— tères, aœessibles aux adultes seulement. L’enfant juif d’Union soviétique ne peut pas, ne doit pas apprendre le yiddish. Parmi les alphabets de tous les peuples soviétiques, dont œrtains furent créés par la révolution d’Octobre, il manque le plus ancien de tous l’alphabet juif. Cette situation d’assimilation forcée dure depuis quarante ans déjà, soit depuis deux générations; l'enfant juif d’Union soviétique ne dispose d’aucune école juive, ni d'aucune possibilité d’apprendre le yiddish dans des classes ou cours spéciaux de quelque nature que œ soit. Cette situation ne s’explique pas par le fait que la population juive constitue, d‘après la définition officielle, « un groupe national fluide, une minorité nationale parsemée parmi d’autres majorités nationales ». Au Birobidjan également, dans la Région autonome juive, aucune école juive n’existe plus depuis trente ans. Par ailleurs, il est parfaitement notoire que des écoles nationales sont créées pour d’autres minorités nationales. D'après le reœnsememt de 1970, il existait en Ukraine huit œnts écoles nationales minoritaires : polonaises, hongroises et moldaviennes, bien que ni les Polonais, ni les Hongrois n’eus— sent jamais possédé d’entité étatique territoriale en U.R.S.S.‘. D'autre part, un œrtain nombre d’écoles arméniennes, primaires et secondaires, fonctionnaient dans la République fédé— rative socialiste soviétique de Russie (R.S.F.S.R.), bien que les Arméniens possèdent en Union soviétique leur propre République fédérale". Il est donc permis d’en conclure que l’enfant juif de l’Union soviétique est privé d’école juive, non pour des raisons ayant un rapport direct ou indirect avec le statut de minorité nationale ou le fait de « dissémination » territoriale, mais seulement et uniquement parce que œt enfant est... juif. Cette « déyiddishisation » absolue et forcée dut nécessaire— ment produire ses effets immédiats : le nombre de yiddisho— phones en Union soviétique diminua rapidement. Au reœnsement de 1897, 96,9 % de Juifs habitant l'Empire tsariste indiquèrent le yiddish comme leur langue maternelle. En 1926, date du premier recensement pansoviétique, ce pourœntage tomba à 74,4 %. Le second reœnsement pansoviétique eut lieu presque un
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quart de siècle plus tard, en 1951 seulement. Ce quart de siècle engloba a la fois l’époque de floraison de la culture juive en Union soviétique et celle de sa destruction complète, avec, entre les deux, la guerre et l’anéanfissement de la moitié du judaïsme soviétique. Le bilan, pour les positions du yiddish, fut catastro— phique. Au 15 janvier 1959, 17,9 % seulement de la population juive de l’U.R.S.S. indiquèrent le yiddish comme leur première langue. Dix ans plus tard, lors du reœnsement de 1970, œ pourcentage fut de 17,7 %. Cependant 9 % des Juifs russo— phones indiquèrent qu’ils savaient le yiddish (ou une autre
langue juive, par exemple, le tati chez les montagnards juifs du Caucase). Dans la République fédérative de Russie (R.S.F.S.R.), 21,3 % seulement de la population juive déclara, en 1970, être à même de s’exprimer en yiddish (comme première ou seconde langue); œ pourœntage fut plus bas en Ukraine : 20,3 %, et plus bas encore dans la Région autonome juive : 17,5 % (1970 yiddishophones sur une population juive de 11540 âmes). Ce processus de récession linguistique fut le résultat de plusieurs facteurs de valeur et d’importanœ différentes : il y eut, sans doute, une tendanœ notoire â l’assimilation linguistique, mais aussi les effets de la liquidation du réseau scolaire juif et de la culture juive en général, ainsi que le fait de l’assassinat, pendant la guerre, de œntaines de milliers de yiddishophones des vieilles générations qui n‘avaient pas réussi à se faire évacuer. Toutefois, quelles qu’aient pu être les causes précises de œtte récession linguistique, il eût été insensé de vouloir identifier d’une manière mécanique les notions de « déyiddishisation » et « dénationalisation ». Au cours des millénaires, le phénomène d’aœulturation, d’adhésion à une culture et à une langue étrangères (et parfois même, à plusieurs cultures et langues étrangères simultané— ment) ne priva point le peuple juif de son identité nationale. On peut débattre à l’infini des raisons de œ fait singulier et surprenant, mais le fait lui—même est indéniable. Cela ne veut pas dire que certaines communautés juives ou parties de communautés ne se soient, à œrtaines époques, dispersées, perte incontestable pour la substanœ nationale. Cela ne signifie pas, non plus, que la judéité en tant que telle soit constamment
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restée semblable a elle—même, immuable, inchangée et inacces— sible à tout changement, tout le long de son parcours millénaire. Ce parcours est parsemé de bornes provenant d’époques diffé— rentes, marques le plus souvent de sang et de meurtre, mais aussi parfois d’espérances orageuses. Auprès de œs bornes, la conscienœ nationale juive, le sentiment d’identité nationale juive se renouvellent sans œsse, se retrempent dans la mémoire historique et acquièrent une forœ nouvelle, une tonalité nouvelle et un sens nouveau. Une telle borne constitue, dans l’histoire juive moderne, la quatrième et cinquième déœn— nies du xx" siècle : le cataclysme hitlérien, d’une part, et la naissanœ de l’État d’Israël, d’autre part. Le judaïsme soviétique se trouve actuellement auprès de œtte borne du plus profond bouleversement national. Et il s’y trouve, en dépit de sa « déyiddishisation » avancée, non dans un état de dénationalisa— tion mais, bien au contraire, avec tous les symptômes d’une « renationa1isation », d’une conscienœ nationale approfondie. Au bouleversement général vint s‘ajouter, pour lui, le bouleverse— ment particulier du Juif soviétique faœ à l’antisémitisme stalimen. L’historien soviétique Roy Medvediev raconte :
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« Après l’arrestation des membres du Comité (antifasciste juif), les mesures antijuives s’intensifièrent. Par “ mesure prophylactique ”, on établit une limite à l’admission des jeunes Juifs dans de nombreuses facultés et autres établissements d’enseignement supérieur. On les tint à l’écart de la diplomatie, on les empêcha d’aœéder aux carrières de magistrat et de procureur; seul le barreau leur resta ouvert. Dans la plupart des établissements d’enseignement supérieur, les instituts scientifiques et, même dans beaucoup d’usines, on introduisit secrètement un quota pour l’admission des Juifs, comme œlui qu‘avait établi le gouvernement tsariste àla demande de Pobedonostsev. Même lors des soutenanœs de thèses, on n’admettait qu’un œrtain pourcentage de Juifs, calculé par rapport au nombre de candidats russes et d’autres nationalités. Bien que les Juifs eussent joué un rôle éminent pendant la Révolution et la guerre civile il n’y eut, sous Staline, dans les années 40 et au début des années 50, pratiquement pas un seul Juif nommé à un poste de responsabilité, pas même à un secrétariat de raïkom... Dans les
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dernières années de sa vie, Staline jeta son masque idéologique
et fit ouvertement de l’antisémitisme une partie intégrante de sa
politique. Tout portait à croire qu’il se préparait â déporter massivement les Juifs vers quelque région éloignée de
l’U.R.S.S.°. »
L’arrestation des médecins, « assassins en blouse blanche », marqua « le début d'une campagne antisémite qu’on aurait crue inconœvable dans le système soviétique » et « qui rappelait fort les pogromes7 ». Et Medvediev de citer une série de faits : « Exclusion des Juifs du Comité œntral, du Comité de Moscou, du Conseil municipal de Moscou, des comités de raion, du journal Pravda, des serviœs du procureur, des tribunaux, des organisations militaires, du ministère des serviœs de Renseignements soviétiques, du Comité de la radio, de différents minis— tères et d’autres organisations ; articles pogromistes publiés dans Kaultoura iJizn, Meditsinski rabatnik, la Pravda, les Izvestia et autres journaux centraux: organisation de pogromes en
Ukraine“. »
Après le décès de Staline, les campagnes d’incitation aux pogromes cessèrent, mais les mesures anti—juives restèrent presque toutes en vigueur et continuent d’être appliquées de nos jours, scrupuleusement bien que soumoisement. Le serviœ diplomatique soviétique, les instanœs supérieures du Parti, les Académies militaires, le gouvernement de l’U.R.S.S. et les gouvernements des Républiques fédérales sont, à quelques rares exœptions près, Judenrein. Dans les universités, les écoles supérieures et les Instituts scientifiques existe un quota pour les Juifs. Un vieux proverbe français affirme que l’hypocrisie est l’hommage rendu par le viœ a la vertu. Feu Nikita Khroucht— chev n’était pas un hypocrite. Plus simplement, il considérait que le viœ n’est pas néœssairement du viœ, ni l’antisémitisme de l’antisémitisme. Au mois de mai 1956, Khrouchtchev, à l’époque secrétaire général du Parti communiste soviétique, reœvait une délégation du Parti socialiste français (S.F.I.O.), invitée à Moscou. A une question posée par ses invités sur l’antisémitisme en U.R.S.S., Khrouchtchev répondit :
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« Il subsiste chez nous des sentiments antisémites. Ce sont des survivances d’un passé réactionnaire. C’est un problème compliqué que la situation des Juifs et leurs rapports avec les autres peuples. Au début de la Révolution, il y avait chez nous beaucoup de Juifs à la direction du Parti et de l'Etat. Ils étaient plus instruits, peut—être plus révolutionnaires que la moyenne des Russes. Ensuite, nous avons créé de nouveaux cadres... »
A ce moment intervint un collaborateur de Khrouchtchev, Pervoukhine, pour préciser : « Notre propre intelügentsia. » Et Khrouchtchev de continuer : « Si maintenant les Juifs voulaient occuper les premières plaœs dans nos Républiques, naturellement ils seraient mal vus par les autochtones. Ceux—ci aœueüleraient mal œs prétentions alors surtout qu’ils ne se considèrent pas moins intelligents, ni moins aptes que les Juifs. Ou par exemple, en Ukraine, si un Juif est nommé à un poste important et qu’il s’entoure de collaborateurs juifs, il est compréhensible qu’il y ait des jalousies et de l’hostilité envers les Juifs. « Mais nous ne sommes pas antisémites. Voyez Kaganovitch. Il oœupe des postes très élevés. Il est juif. Là, vous avez Mitine. Il est juif aussi. Et notre Lidia Factor, la bonne interprète qui traduit si bien nos entretiens. C’est une Juive. Moi-même, 5j’ai un petit-fils demi—juif. Nous luttons contre l’antisémitisme . »
Comme beaucoup d’autres antisémites, Khrouchtchev ne se croyait pas antisémite. Il trouvait seulement que le problème « de rapports des Juifs avec les autres peuples » était « un problème compliqué », c’est—â—dire, sans comparaison aucune avec le problème de rapports si simples, si fratemels, si idylliques entre tous les autres peuples soviétiques et notamment, entre Russes et Ukrainiens ou Géorgiens ou Arméniens. Seuls, les Juifs étaient « un peuple à problèmes ». Mais œci n’avait œrtes rien à voir avec l’antisémitisme. A preuve : son petit—fils demi—juif. D'ailleurs, il est vrai que Khrouchtchev n’était pas antisémite... principalement. Il l’était acœssoirement. Principalement, il était, toute sa vie durant, un disciple de Staline, un larbin de Staline et à la fin, un héritier de Staline. Et œ fut précisément en sa qualité d’héritier de Staline qu’il révéla, à sa manière originale, au cours de l’entretien avec les
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invités français, les principes fondamentaux de la politique soviétique post-staünîenne à l’égard des Juifs soviétiques, politi— que poursuivie de nos jours par tous les héritiers de Staline. Avec Khrouchtchev il ne fallait, bien entendu, pas s’attendre à des exposés théoriques, ni à des analyses de classe. Il ne discourait pas sur l’internationalisme prolétarien, ni sur le chauvinisme bourgeois, ni même sur la fraternité des peuples soviétiques. Il parla tout bonnement, tout simplement, à « la bonne franquette », comme dans le bon vieux temps : de Juifs et non—Juifs… Il dit que les Juifs étaient des gens instruits et « peut-être plus révolutionnaires que la moyenne des Russes... » Ils étaient donc très utiles pour faire la Révolution et même un peu plus tard... Mais par la suite on « créa de
nouveaux cadres ». Le correctif apporté par Pervoukhine (« nous avons créé notre propre intelligentsia ») pouvait être interprété dans plusieurs sens : « notre propre » pouvait vouloir dire proprement soviétique, communiste, propre au Parti, etc. L’interpréta— tion de Khrouchtchev était plus simple, comme dans le bon vieux temps, une fois encore : « notre propre » était simplement le contraire de « la leur », de l’intelligentsia juive. « Notre propre » voulait dire: russe, authentiquement russe, ukrainienne, biélorusse, autrement dit, une intelligentsia vraiment autochtone, vraie plante du vrai sol national, à l’opposé des Juifs qui n’en font pas partie. Combien de temps, combien d’années, de générations, de siècles faut-il pour qu’un arbre transplanté prenne racine dans un sol nouveau, se fixe, se développe et devienne réellement autochtone ? Le problème était mal posé, car il s’agissait non de chronologie, mais de métaphysique. En 1934, le « staroste pansoviétique » Mikhail Kalinine déclara que « les Juifs étaient une nationalité soviétique tres dévouée », ce qui correspondait entièrement à la réalité. Les Juifs soviétiques prouvèrent leur dévouement, leur attachement au pays, leur vraie patriotisme, aussi bien dans les années passionnées des plans quinquennaux que pendant le déluge sanglant de la guerre. Mais en 1956 le Juif soviétique venait d’apprendre, de la bouche même des héritiers de Staline, qu’il n’était plus « réellement soviétique ». Bien que le pouvoir soviétique ait toujours reconnu et continue de reconnaître les particularités de tous les
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peuples soviétiques et qu’il ait réussi à les intégrer toutes dans un cadre commun, le Juif soviétique s’aperçut avec stupeur que ses particularités à lui étaient considérées comme d’une essence spéciale, des particularités absolues qui le mettaient hors du cadre commun, hors de ce monde qu’il croyait sien. Il n’était plus « des nôtres », il était l’autre. Et le Juif soviétique qui, pendant des décennies, considérait ses particularités avec la même simplicité naturelle que tous les autres peuples soviétiques et commença même à les oublier, se mit fiévreusement à chercher, bouleversé et stupéfait, les racines de son altérité et sa spécificité intrinsèque et parvint, dans ces recherches, jusqu’à ces danses saugrenues et enthou— siastes devant la synagogue de Moscou, pour la fête de la Torah, par des jeunes qui n’avaient jamais mis le pied dans une synagogue et jamais vu de Torah. « L’accès des Juifs à l’égalité civile et politique représente l’apport principal, bien qu’incomplet de la Révolution fran— çaise », écrit le jeune historien français Patrick Girard I°. Or, il s’en fallut de plus de soixante ans, à partir du décret de 1791, pour que l’émancipation, d’un statut purement juridique et formel, se transformât peu à peu en une réalité vivante. Ce long processus, bien que complexe, riche en péripéties et non dépourvu même d’arbitraire et de persécution, n’en poursuivit pas moins généralement une ligne ascendante. Au début de la seconde moitié du XIX° siècle, le judaïsme français, avec sa propre structure spécifique, fut une partie organique de la société française. Le Juif français se considérait, et fut consi— déré, comme l’égal de son concitoyen non juif. Le phénomène de l’assimilation à la française est ainsi résumé par Patrick Girard : « Elle n’a nullement signifié la fin du judaïsme, elle a été une étape de l’histoire juive, tout aussi juive et collective que d’autres. Le judaïsme français a tenté et créé une symbiose harmonieuse entre deux héritages. Certes, comme les Basques, les Bretons et les Occitans, les Juifs furent broyés dans le moule uniformisateur français. S’il y eut viol au début, la victime devint par la suite consentante et même l’un des plus actifs propagateurs, par le biais de l’Alliance israélite universelle, de l’idéal
français".
»
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Dans la manière dont le pays de la Révolution française a résolu la Question juive se reflètent la portée et le destin historique de la Révolution elle—même. Or, dans le pays de la révolution d’Octobre également, la solution de la Question juive, ou plus précisément, l’échec complet de la solution, reflète la portée et le destin historique de cette révolution. En 1917, il pouvait paraître parfaitement normal que le Juif Trotski se retrouvât, avec le Russe Lénine, à la tête de la révolution d’Octobre et que le Juif Sverdlov fût élu, sur l’initiative de Lénine, président du Comité central exécutif des Soviets, c’est-à-dire, président de la Russie soviétique. La ligne de partage passait alors non entre Juif et non-Juif, mais entre révolutionnaire et contre—révolutionnaire. L’antisémitisme fut synonyme de contre-révolution. Quarante ans plus tard, Nikita Khrouchtchev trouva « natu— rel » et par conséquent « compréhensible » le fait « des jalousies et de l’hostilité contre les Juifs » provoquées par la simple nomination d’un Juif à un poste important en Ukraine. La conclusion s’imposa d’elle-même : il était préférable de ne point nommer un Juif à un poste de responsabilité. Le même phénomène resta « naturel » et « compréhensible » (on pourrait dire : de plus en plus « naturel » et « compréhensible ») cin— quante et soixante ans après Octobre pour tous les héritiers de Staline, jusqu’à ce jour. La vieille opposition entre révolutionnaire et contre—révolutionnaire s’était estompée depuis long— temps. Par conséquent, l’antisémitisme n’est plus synonyme de contre—révolution. L’antisémitisme est plus simplement une méthode de gouvernement. Il s’agit cependant d’un antisémitisme d’un genre spécial : non seulement il s’inscrit en faux contre lui—même (cela arrive assez souvent) mais il se juge et se condamne lui-même avec la dernière rigueur. En effet l’article 36 de la Constitution soviéti— que est ainsi conçu : « Les citoyens de l’U.R.S.S., de toutes races et nationalités, jouissent de droits égaux. Toute restriction, directe ou indirecte, de ces droits, toute création d’avantages directs ou indirects au profit de citoyens d’après leur appartenance raciale ou nationale et toute propagande de supériorité, de haine ou de mépris raciaux ou nationaux, sont punis conformément à la loi. »
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Mais sur ce terrain, comme sur plusieurs autres, la Constitu— tion soviétique (qui d’ailleurs ne fait pas exception en la matière) sert d’excellent appareil de mesure pour déterminer la distance entre la théorie et la pratique, entre l’idéologie et la réalité. Contrairement à la France, où le processus d’émancipation juive entamé par la Révolution de 1789 évolua d’une manière positive, passant de droits moindres à des droits plus étendus, le même processus évolua en Union soviétique dans un sens paradoxalement opposé. Doté par la révolution d’Octobre d’une complète égalité et de la jouissance plénière de droits tant individuels que nationaux, le judaïsme soviétique vit se rétrécir, peu à peu, et la plénitude et l’égalité de ses droits individuels, et assista à la suppression totale de ses droits nationaux. Bouleversé, indigné et inquiet, le Juif soviétique s’est vu brusquement repoussé au rang de citoyen de seconde zone. Il n’a aucune possibilité de réaliser la pleine dimension de sa judéité, et se trouve exclu, en fait, de toute autre dimension nationale. Devenu « l’autre », le Juif soviétique sent autour de lui le souffle glacial du rejet et voit avec douleur et indignation que cette réaction est publiquement approuvée et encouragée. Des journaux, des livres et revues tirant à des millions d’exemplaires et dont chaque ligne exige l’assentiment des milieux dirigeants, publient des articles venimeux prétendument contre le sionisme, mais en fait truffés des calomnies antisémites les plus insensées, puisées directement dans les célèbres « Protocoles des Sages de Sion ‘2 ». Dans « le miroir étatique du peuple juif », nom que Kalinine affectionnait pour le Birobidjan, se reflète désormais non seulement le destin tragique du judaïsme soviétique, mais aussi cette singulière, cette étrange et incroyable trajectoire historique qui, partie de la révolution d’Octobre avec ses espoirs messianiques de rédemption individuelle, collective et mondiale, a abouti... aux « Sages de Sion ». Des savants soviétiques s’occupent dernièrement d’un phéno— mène qu’ils désignent sous le nom de « l’intemationalisme croissant » des peuples de l’Union soviétique. Comme preuve de cette intemationalisation, on a cité le fait que dans onze Républiques soviétiques, sur les quinze que compte l’U.R.S.S.,
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un quart de la population n‘appartient plus aux nations dont les Républiques portent le nom. Il est loisible de supposer, sans grand risque d’erreur, que ce quart de population en question est composé... de Russes. Autrement dit, le terme « d’intemationalisation » masque tout simplement un processus de russification. C’est en ce sens que la Région autonome juive se trouve de nos jours complètement « intemationafisée ». On pourrait sou— tenir, sans beaucoup d’exagération, qu’elle constitue un exemple, presque un idéal d ’« intemationaüsation ». Ainsi donc le Birobidjan, entité étatique juive, État national juif de l’Union soviétique, apparaît, sans le moindre doute possible, comme l’État le plus original du monde, d’une originalité cifique, inégalée, inégalable et à peine vraisem— blable : un tat national juif sans le moindre droit national juif, sans langue juive, sans culture juive, sans abécédaire juif et, last but not least, presque sans Juifs.
ANNEXES
Décret du Conseil des commissaires du peuple Sur la lutte implacable contre l'antisémitisme D’après les informations qui parviennent au Conseil des commis— saires du peuple, les contre—révolutionnaires mènent dans de nom— breuses villes, et particulièrement dans les régions proches du front, une agitation pogromiste; en maints endroits, on a commis des violences contre les masses laborieuses juives. La contre—révolution bourgeoise a relevé l’arme tombée des mains du tsar. Le gouvernement autocratique, chaque fois que menaçait la colère populaire, s’efforçait de rejeter tous les péchés sur le bouc émissaire le peuple d’Israël chargé de tous les méfaits, responsable de tous les malheurs du pays. Mais tandis que les Juifs riches réussissaient toujours à trouver un abri contre la violence, seuls les pauvres souffraient et mouraient des sévices et exactions. Actuellement, les contre-révolutionnaires recommencent une cam— pagne d’incitation àla lutte contre les Juifs. Ils exploitent, afin de servir leurs desseins, la faim, la fatigue et l’ignorance des masses populaires les plus arriérées, ainsi que les vestiges de la haine contre les Juifs que l’autocratie avait inculquée au peuple. Mais dans la République soviétique russe, où a été proclamé le principe de liberté et d’autodéterminaüon pour tous les peuples et toutes les nations, aucune oppression nationale ne saurait être tolérée. Dans le bourgeois juif, nous voyons le bourgeois, non le juif. Le travailleur juif est notre frère. Toute menée contre toute nation, quelle qu’elle soit, est inadmissible, criminelle et honteuse. Le Conseil des commissaires du peuple dénonœ le mouvement antisémite et les pogromes antijuifs comme un danger mortel pour toute la
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Révolution, comme une menace pour les intéréts des ouvriers et des paysans, et il appelle les masses laborieuses et la Russie socialiste à les combattre de toutes leurs forces. La haine nationale affaith les rangs de la Révolution, affaith le front ouvrier uni, sans distinction de nationalité. Elle vient au secours de nos ennemis. C'est pourquoi le Conseil des commissaires du peuple ordonne à tous les Soviets provinciaux de prendre les mesures les plus rigoureuses afin de déraciner le mouvement antisémite et pogromiste. Les pogromistes et tous ceux qui fomentent des pogromes sont mis hors la loi.
Le président du Conseil des commissaires du peuple : Oulianov (Lénine) L’administrateur du Conseil des commissaires du peuple : Vl. Botch-Brouievitch
Le secrétaire : N. Gorbounov Publié au journal Izvestia du vrsnt, N° 158, en date du 27 juillet 1918.
Première décision au sujet du Birobidjan Extrait des procès—verbaux n° 45; séance du Présidium du Comité central exécutif de l’U.R.S.S., en date des 24/28 mars 1928.
Le projet d’attribuer au Comité d’installation de travailleurs juifs dans l’agriculture (com-mo), fonctionnant près du Présidium du Comité des nationalités du 1sxx de l’U.R.S.S., le district du Birobidjan dans la Région extrême—orientale de l’U.R.S.S., pour les besoins de l’immigra— tion de travailleurs juifs (projet présenté par le como et le Comité pansoviétique de migrations; procès—verbal du secrétariat du sur de l’U.R.S.S., numéro 41, point n° 1).
Décidé : ]. Réserver pour le como, aux fins d’une implantation massive de travailleurs juifs, les terres disponibles dans la zone du fleuve Amour, de la Région d’Extrême—Orîent qui englobe le district du Birobidjan, avec les frontières approximatives ci-contre : le long du fleuve Amour, à l’ouest de la ville de Khabamvsk, jusqu’à la confluence de la rivière
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Khingan et, par la suite, le long de la rivière Khingan, jusqu’à la ligne du chemin de fer; plus loin, au nord de la ligne du chemin de fer, vers l’est, jusqu’à la rivière Ourmi et au nord des rivières Ourmi et Toungouska; et vers l’est, de la ligne de chemin de fer jusqu’à l’ouest de la ville de Khabamvsk. 2. Du territoire sus—indiqué, exclure les terres occupées par la population autochtone et la population cosaque, ainsi que les terrains qui ont déjà accueilli des immigrants ou qui leur ont été réservés par option, et ce jusqu’à l'expiration du délai légal. Les terres libérées à la suite de déplacement de la population autochtone et les terrains retenus mais non occupés, à l’expiration du délai légal, doivent également être remis à la disposition de la colonisation des travailleurs juifs. 3. Les terrains libres que le Comité pansoviétique de migrations a préparés dans les limites du district indiqué sous l’article 1, doivent être affectés aux objectifs fixés ci—dessus à partir de l’année 1928. Par conséquent, il ne saurait désormais étre affecté des terrains du district du Birobidjan a d’autres bénéficiaires, en dehors de ceux désignés par le comm. 4. Les frontières précises du district indiqué à l'article 1 seront déterminées sur place par l’administration locale des terres, le Comité régional de migrations et le comm; les résultats de leurs travaux, avec toutes pièces à l’appui, après avoir été examinés parle Comité exécutif régional de la Région d’Extrème—orient, seront soumis à l’approbation du Comité pansoviétique de migrations, avec une résolution du couteau de l’U.R.S.S. 5. Au cas où l’implantation massive de travailleurs juifs dans le district visé sous l’article 1, donnera des résultats satisfaisants, envisa— ger la possibilité de fonder sur le territoire de ce district une Unité nationale, administrative et territoriale juive. Le secrétaire du Comité central de l'U.R.S.S : A Yenoukidzé.
Décision du Présidium du Comité central exécutif panrusse Extrait du procès-verbal du 30 septembre 1931 au sujet d’une unité nationale, administrative et territoriale juive au Birobidjan 1. Proposer à la direction du Plan d’État de l’U.R.S.S. et au Comité exécutif de la Région d'Extrême-Orient d’étudier immédiatement, avec le concours du como, et de soumettre en novembre prochain, au plus
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tard, un plan prévisionnel pour toutes les branches de l‘édification économique et culturelle du district du Birobidjan, pour les années 1932 et 1933, en ayant en vue la création, à la fin de 1933, dans les limites du district du Birobidjan, d’une Unité autonome, administrative et territoriale juive, faisant partie de la Région d’Eméme-Orient. 2. Lors de l’élaboration dudit plan prévisionnel, prendre en considé— ration les possibilités réelles d’intensifier tres sensiblement les rythmes de croissance économique du District, savoir : sur la base des matières locales (fer, graphite, bois divers, matériaux de construction) édifier de grandes entreprises industrielles, organiser une production artisanale, fonder des kolkhozes et sovkhozes, entreprendre des travaux d’amélio— ration du sol et la construction de routes et enfin prévoir tout particulièrement les mesures nécessaires pour assurer le rythme indis— pensable a la construction des maisons d’habitation. Évaluer, en outre, la quantité nécessaire de main—d’œuvre des immigrés juifs dans les branches différentes de l’économie nationale et prévoir toutes les mesures nécessaires pour que les immigrés puissent s’installer à demeure (construction de maisons, création d’institutions culturelles, etc.). 3. Le commissariat du peuple a l’Agriculture de la R.S.F.S.R. et le Conseil supréme de l’Économie nationale de la R.S.F.S.R. doivent immédiatement aviser les Unions économiques intéressées de ce que tous les plans prévisionnels pour l’année 1932 doivent être établis en fonction de la décision mentionnée sous l’article 1 de la présente
résolution. 4. Proposer au commissariat du peuple à l'instruction de l’U.R.S.S. au commissariat du peuple à la Santé publique de l’U.R.S.S. et au Comité exécutif régional de l’Extrême-Orient de prendre toutes mesures nécessaires pour organiser au district de Birobidjan, à dater de 1932, un réseau d’institutions culturelles et sanitaires qui soit à même de satisfaire pleinement les besoins des immigrés, prenant en considération la spécificité de l’immigration dans ce district; prévoir pour toutes ces mesures des crédits correspondants. 5. Choisir parmi les étudiants juifs qui terminent leurs études dans les écoles supérieures, écoles supérieures techniques, écoles techniques, écoles du Parti, etc., ceux qu’on « blindera » afin de constituer un nombre suffisant de dirigeants pour le district du Birobidjan. Le Comité exécutif régional d’Extrême-Orîent et le comarm doivent, au plus tard le 1er octobre prochain, fixer le nombre indispensable de cadres pour le District, au cours de l’année 1932. Cette tâche doit être remplie en priorité au cours de l’automne courant. Les services des cadres des commissariats du peuple, ainsi que des autres organes concernés doivent prendre a temps toutes les mesures nécessaires a la stricte exécution de cette décision.
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6. Pouvoir est donné au Comité exécutif du District de Birobidjan d’accorder, à compter du 1“ janvier 1932, la nationalité soviétique, dans des formes simplifiées, conformément à la loi du 22 avril 1931, avec confirmation ultérieure par le Comité exécutif régional d’Eméme-Ofient.
Le Secrétaire du mur : A. Kisselev.
Décision du Comité central exécutif de l’U.R.S.S. : Transformation du District nationaljuif du Birobidjan, de la Région d’Extrême—Ofient, en Région autonome juive. Requête afin de transformer le District national juif du Birobidjan de la Région d’Extrême-Orient en Région autonome juive. Décision du Comité central exécutif de l’U.R.S.S. Après avoir examiné la proposition du Comité central exécutif panrusse au sujet de la transformation du District national juif en Région autonome juive, le Comité exécutif de l’U.R.S.S. décide : D'agréer la requête et de transformer le District national juif en Région autonome juive, faisant partie de la Région d’Extrême—Orîent. Le Président du Comité central exécutif de l’U.R.S.S. : M. Kalinine. Le secrétaire du Comité central exécutif de l’U.R.S.S. : A. Yenoukidzé, Moscou, au Kremlin, mai 1934.
Décision du Présidium du Comité central exécutif au sujet de l'édification soviétique, économique et culturelle de la Région autonome juive. Le Présidium du Comité central exécutif de l’U.R.S.S. Après avoir entendu le rapport du Comité exécutif au sujet de l’édification soviétique, économique et culturelle de la Région auto— nome juive, Constate que la transformation du District du Birobidjan en Région autonome juive, en conformité de la politique nationale de LénineStaline, s’était entièrement et totalement justifiée.
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Au cours de plusieurs siècles, le peuple juif opprimé a lutté contre l’autœratic tsariste, pour sa propre culture nationale, pour le droit de vivre libre. Pour la première fois de son histoire, le peu le juif a vu réaliser son ardent désir de fonder une patrie, de bâtir un tat national. Sous la conduite du grand parti de Lénine—Staline et avec la participa— tion active de toute la société soviétique, les masses laborieuses juives développent et consoüdent chez elles un État soviétique, dans les formes qui correspondent aux conditions historiques et aux mœurs de leur peuple. Les collectivités agricoles d’immigrés juifs et les kolkhoziens de la Région autonome juive ont reçu des titres d’usufruit à vie pour leurs terres, conformément au statut stalinien de collectivités agricoles. Pour la remière fois de l’histoire, le travailleur juif reçoit des actes officiels rédigés dans sa langue maternelle, la langue d’État de la Région autonome juive. Les kolkhoziens juifs, maitres de leur État et de leur terre, apprennent avec succès la technique de l’agriculture soviétique, accroissent les récoltes des champs, renforcent les kolkhozes écono— miquement et organiquement, augmentent le rendement du travail agricole. La calomnie séculaire de la bourgeoisie sur la prétendue inapfitude à l’agriculture de la population juive se trouve ainsi démentie dans les faits. Des kolkhozes tels que « L’Octobre rouge », « Kirov », « Lavrenteiev », « Smidovitch », « Ikor » donnent des exemples de travail stakhanoviste. La production coopérative s’accroît et se renforce. Son chiffre d’affaires est passé de 3,9 millions de roubles en 1934 à 18 millions de roubles dans l’année courante. Les coopératives possèdent des ateliers et des entreprises qui dépassent de plusieurs fois les normes établies de la production. L’industrie d’État s’accroît également à un rythme rapide. Plusieurs grandes entreprises d'État seront inaugurées dans la Région juive au cours des prochains mois. La Région autonome juive devient le centre de la culture soviétique nationale juive pour toute la population laborieuse juive. Des réalisa— tions importantes doivent être notées dans le domaine de l'enseignement (création d’écoles juives, d’écoles techniques et de diverses institutions culturelles). La Région s’enrichit de cadres nationaux, d’écrivains et d’artistes. Au cours des deux dernières années, la population juive de la Région a triplé. L’attrait et l’intérêt pour la Région autonome juive s’aœrois— sent de plus en plus parmi les masses laborieuses juives, et ce, non seulement en U.R.S.S., mais également parmi les Juifs étrangers. En même temps que l’attachement a la grande patrie socialiste l’Union des Républiques socialistes soviétiques croissent et se
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renforcent chez les travailleurs juifs le patriotisme et l’amour pour leur Région nationale. Afin de poursuivre le développement et la consolidation de la Région autonome juive, le Présidium du Comité central exécutif de l’U.R.S.S. décide ce qui suit : 1. Obliger le Présidium du Comité exécutif régional de la Région autonome juive : a. dans les délais les plus brefs, à réorienter son activité et celle de tout l’appareil soviétique et économique de la Région de manière à poser au centre d’intérêt des organes régionaux, avant tout, le problème de l’immigration agricole et en méme temps celui de l’amélioration radicale de l’accueil et de l’installation des immigrés, et plus particulièrement des kolkhoziens juifs; b. améliorer absolument l’activité des Soviets et de leurs organes de masse (sections et groupes de députés); gagner par ces organes le concours de larges masses travailleuses et les mobiliser pour une meilleure installation des immigrés; améliorer les qualifications des présidents des soviets de village et celles des collaborateurs des comités exécutifs des districts; créer des conditions culturelles pour l’activité des Soviets de village et des comités exécutifs des districts. 2. Proposer au commissariat du peuple à l’Agriculture de l’U.R.S.S., au commissariat du peuple à l’Industrie locale de la R.S.F.S.R. et a la Direction pansoviétique de l’industrie forestière d’améliorer la situation matérielle, technique et financière de leurs organisations de construction dans la Région autonome juive (« Proms— trot », « Birobidjanstroï », « Koustjilstroï » et « Peresselenstro‘l »); fournir à ces organisations le matériel technique nécessaire, ainsi que les moyens de transport automobile afin de leur permettre non seulement de terminer dans les délais le programme de construction prévu parle plan pour l’année courante, mais également de préparer les matériaux nécessaires pour le plan de construction de l’année 1937. 3. Proposer au commissariat du peuple à l’Agriculture de l’U.R.S.S. d'envisager les mesures nécessaires pour l’organisation et la consolidation des kolkhozes d’immigrés dans la Région autonome juive et soumettre au Conseil des commissaires du peuple de l'U.R.S.S., au plus tard le 1" octobre prochain, un projet de préparation d’un fonds de terres arables d'au moins cent mille hectares, pour de nouveaux kolkhozes d‘immigrés. 4. Proposer au Conseil pansoviétique de la production coopérative et à la Direction pansoviétique de l’industrie forestière d’élaborer, dans un délai d’un mois, et de présenter au Conseil des commissaires du peuple de l'U.R.S.S., un plan d’extension pour la production coopérative de la Région autonome juive ; prendre en considération la nécessité de décentraliser, à partir de 1937. cette production coopérative, ainsi
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que le nombre croissant d’artisans juifs, en les groupant non seulement dans la ville de Birobidjan. mais également dans les centres de districts et les kolkhozes. S. Proposer au Comité exéœtif de la Région extrême—orientale d’augmenter son aide et son assistance a la Région autonome juive et de surveiller de prés l’exécution des plans d’édificafion dans les domaines de l’agriculture, de l’industrie, des logements et des institu— tions culturelles. 6. Aux termes de la décision du Conseil des commissaires du peuple de l’U.R.S.S., en date du 27 mars 1936, proposer aux Comités centraux exécutifs des Républiques socialistes soviétiques d'Ukraine et de Biélorussie, ainsi qu’au Comité exécutif de la Région occidentale de la R.S.F.S.R., de porter une attention toute particulière, dans les lieux de départ des immigrés, sur l’activité des comités exécutifs des districts et des soviets de village, pour le choix et le transport des travailleurs juifs vers la Région autonome juive. 7. Proposer au Conseil central du oszam de placer au centre de l’intérêt de toutes les organisations du cum : l’aide dans le choix et le transport des immigrés vers la Région autonome juive, ainsi que la préparation de cadres pour la Région. Le Présidium du Comité central exécutif de l’Union des R.S.S. exprime sa conviction que tous les ouvriers et kolkhoziens de la Région autonome juive, que tous les travailleurs juifs de l’Union soviétique et toute la société soviétique feront tous les efforts nécessaires pour résoudre le plus rapidement possible les problèmes du développement ultérieur et du renforcement de l'État national soviétique juif dans l’Union des Républiques soviétiques socialistes. Le président du Comité central exécutif de l’Union des R.S.S. : M. Kalinine Le secrétaire du Comité central exécutif de l'Union des R.S.S. : !. Akoulov Moscou, au Kremlin, le 29 août 1936.
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Entretien de Nikita Khrouchtchev, secrétaire général du Parti communiste soviétique, président du Conseil des ministres de l’U.R.S.S., avec
M. Serge Gr0ussard, correspondant du Figaro (Extraits) La politique suivie par le gouvernement soviéti— Kmoucmcrmv que envers les nationalités est aussi juste que généreuse. L’U.R.S.S. la première du monde, avait décidé d’aider les Juifs non plus individuellement, mais en tant que peuple... Nous choisîmes pour cela, en Sibérie, au nord de la Mandchourie, une région peu peuplée, le Birobidjan. Nous l'avons mise à la disposition des Juifs, en lui accordant un statut spécial. C’était un don remarquable. Les terres du Birobidjan sont en effet les plus fertiles qui soient. Là—bas le climat est méridional, la culture du sol est une joie. Il y a de l’eau et du soleil. Il y a d’immenses forêts, des terres riches, des minerais en abondance, des rivières grouillantes de poissons. Eh bien, que s’est—il passé? Les Juifs sont partis en masse pour le Birobidjan. Ils étaient enthousiastes, exaltés. De tous les coins de l’Union soviétique et, pourrais—je dire, de toutes les contrées d’Europe d’où ils avaient pu venir en s’arrachant aux persécufions, ils se précipitaient. Et puis ? Et puis, très peu sont restés. Ces derniers temps les aller et retour continuaient, mais il faut reconnaître que le retour l’emporte de plus en plus. Combien de Juifs reste—t—il dans œtte belle région ? Voilà ce que je ne saurais vous préciser en l’absence sur cette table de tout document. Il doit effectivement en rester un assez grand nombre. Tenez, en 1955, j’ai traversé moi aussi le Birobidjan. Et, contrairement à vos informations, j’y ai aperçu de nombreuses inscriptions en yiddish, dans les gares et dans les rues autour des gares. Cela étant, si l’on fait le bilan, il est juste de constater que la colonisation juive dans le Birobidjan se solde par un échec. Ils débarquent là-bas tout feu tout flamme, puis, un par un, ils s’en retournent. Comment expliquer ce phénomène désagréable ? A mon avis, par des conditions historiques. Les Juifs ont préféré de tout temps les métiers artisanaux; ils sont tailleurs, ils travaillent le verre ou les pierres précieuses, ils sont commerçants, pharmaciens, volontiers menuisiers. Mais si vous prenez le bâtiment ou la métallurgie, professions de masse, vous ne pourriez y rencontrer un seul Juif, à ma connaissance. Ils n’aiment pas le travail collectif, la discipline du
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groupe. Ils ont toujours préféré être dispersés. Ce sont des individua— listes. Mettons à part le nouvel État d’Israël. Les Juifs, depuis des dizaines de siècles, n’ont jamais pu se résoudre à vivre entre eux et à ne tirer subsistance et équilibre que d‘eux—mêmes, à l’écart des autres collectivi— tés. Seconde caractéristique : les Juifs sont par essence intellectuels. Ils ne se trouvent jamais assez instruits. Dès qu'ils sont en mesure de le faire, ils veulent aller à l’Université, quels que soient les sacrifices à consentir pour cela. Vous me demandez pourquoi il n’y avait pas d’écoles hébraïques dans le Birobidjan ou ailleurs? Parce qu’il est impossible de contraindre les Juifs à fréquenter des écoles juives. Et leurs intérêts finalement sont trop divers et souvent trop opposés pour qu’ils soient en mesure de les satisfaire dans une région où ils se rencontreraient tous ensemble, face à face. Cela ne dépend pas des non—Juifs. Une véritable communauté juive n’est pas plus réalisable qu’une communauté politique : les Juifs s’intéressent à tout, approfon— disent tout, discutent sur tout et finissent par avoir des divergences culturelles profondes. Le Figaro, 9 avril 1958.
NOTES
Avm—Paoros 1. Déclaration du gouvernement britannique, de novembre 1917, promettant d’établir en Palestine « un Foyer national pour le peuple juif ». 2. Der Bmw, 18 avril 1937.
……
1. Les Comirsariats juifs et les Sections juives, procès—verbaux, en yiddish, Minsk, 1928, p. 19. 2. Ibid., p. 20. 3. Bucasmnas (N.), Histoire du mouvement ouvrier juif en Russie, en yiddish, Vilno, 1931, p. 314. 4. Les Commissariat: juifs.... op. cit., p. 3. 5. Ibid., p. 6. 6. Ibid., p. 4 et 32. 7. Histoire du Band, vol. m, en yiddish. New York. 1966, p. 167. 8. Ibid., p. 186. 9. Coussxr (Samuel). la Signification de la premiére Conférence communiste, en yiddish, Vitebsk, 1918. 10. La Commissariat: juifs.... op. cit., p. 21 et 22. 11. Ibid., p. 36. 12. Ibid., p. 36. 13. Ibid., p. 49.
€…“ 1. Histoire du Bund, op. cit., p. 106. 2. Ibid., p. 152. 3. Inertie, n° 158 du 27 juillet 1918; texte complet en annexe. 4. Histoire du Band, op. cit., p. 208. 5. Kouw (William), in la Juifs en Union soviétique depuis 1917, Paris, 1971. p. 129.
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L’Étatjuif de l’Union soviétique
Cnmsfll !. Le « Spartakmed », créé en 1915 h Berlin par Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg, Franz Mehring et Kim Zetkin, devint en 19181e Parti communiste allemand. 2. Nil-M…, Erranca, en yiddish, Tel—Aviv, 1966, p. 216 et 217. 3. Ibid., p. 218. 4. Ibid., p. 221. 5. Ibid., p. 228. 6. Bwu (Z.), Posté—Sion en Union soviétique, yiddish, Tel—Aviv, 1978. p. 22 et 7.51. 7. Bucrmnoas (N.), Histoire du mouvement ouvrier juif en Russie, op. cit., p. 83. 8. Assmovrmr (R.). Dans deux révolutions, en yiddish. New York. 1944, p. 260. 9. Histoire du Bund, op. cit., p. 211. 10. Ibid., p. 227. 11. Ibid., p. 236. 12. Ibid., p. 236. 13. Bucrmmoax (N.), op. cit., p. 107. 14. Ibid., p. 107. 15. Ibid., p. 108. 16. Lémua (V. !.),« Le prolétariat juif a—t-il besoin d‘un parti indépendant », in Iskra,n",34 du 15 janvier 1903. 17. Léuma (V. l.), « la Situation du Bund dans le Parti », in Iskra, n° 51, du 22 octobre 1903. 18. Ibid. 19. Lann—ls (V. I.), Notes crqu sur la question nationale, Moscou, édition en langue française, p. 13 et 14. 20. Ibid., p. 15. 21. Ibid., p. 17. 22. Ibid., p. 17. 23. Ibid., p. 22. 24. Ibid., p.20. 25. Kaursxv (K.), Rme und Judentum, édition américaine, New York, 1926. p. 246. 26. Lérmse (V. I.), Notes critiques, op. cit., p. 11. 27. Ibid., p. 11. 28. Ibid., p. 14 et 15. 29. Ibid., p. 32. 30. L£rtme (V. I.), la Maladie infantile du commisme, le gauchisme, Moscou. édition en langue française, p. 280. 31. Histoire du Bund, op. cit., p. 229. 32. Asma… (R.), Dans deux révolutions, op. cit., p. 304 et 305. 33. Ibid., p. 305. 34. Les Commissariats juifs, op. cit., p. 9. 35. Comm (A.), Vers les profondeurs de la pensée juive, en yiddish. Tel— Aviv, 1974. p. 304.
Notes
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CunmuiV 1. Les Juifs erl‘ U.R.S.S., recueil en yiddish, Moscou, 1931, p. 20. 2. Les Commis…jutfi, op. cit., p. 186. 3. Ibid., p. 186. 4. Informations du Bureau central de la Section juive auprù du Comité central du Parti communiste russe, n° 1, Moscou, octobre 1920. 5. Les Commüsan‘ats juifs, op. cit., « la Troisième Conférence des Sections juives ». 6. Ibid., p. 358. 7. Cinq années d’activité de la société de colonisation juive en U.R.S.S., 19231927, en russe, Moscou, 1929. 8. Les Juifs en U.R.S.S., op. cit., p. 22. 9. Lesrcnmsxv (Jacob), le Judaisme soviétique, en yiddish, New York, 1941, p. 191—193. 10. Ibid., p. 189. 11. LesJuifs en U.R.S.S., op. cit., p. 22.
12. Ibid., p. 22. 13. Kms (J.), Structures soviétiques en milieu juif, en yiddish, Kiev, 1928.
p. 139. 14. Ibid., p. 140—141. 15. mem (M.), Œuvres choisies, 1" vol. en yiddish, Varsovie, 1935, p. 183. 16. Ibid., p. 184. 17. Ibid., p. 185.
Cmrmr—z V 1. KALtNINB (M.), les Travailleurs juifs de la terre en U.R.S.S., Moscou, 1927; cité d’après Dr Mahler R., « le Judaïsme soviétique face a des tâches nouvelles », in Yiddishe Kultur, New York, juin 1946. 2. Znswm (M.), Œuvres choisies, op. cit., p. 193 et 194. 3. erwurov (M.), Sur deux fronts, en yiddish, Moscou, 1931, p. 8. 4. Quatrième Conférence pansoviétique des Sections juives du P.C. U.R.S.S. (b), en yiddish, Moscou, 1927, p. 150. 5. Ibid., p. 106. 6. Ibid., p. 150. 7. Ibid., p. 142. 8. Ibid., p. 142 et 143. Cmrn‘rœ VI ]. Kama (J.), op. cit., p. 183. 2. mem (M.), Œuvres choisies, op. cit., p. 198. 3. Drmnsæm (S.), « Vingt ans de la Grande Révolution socialiste et le peuple juif en Union Soviétique » in Forposte, Birobidjan, n° 3, 1937. 4. Levavr (Y.), la Colonisation juive au Birobidjan, en hébreu, Jérusalem, 1965, p. 349.
C… VII 1 Quatrième Conférence pansoviétique des Sections juives, op. cit., p. 91. 2. Lavavr (Y.), la Colonisation juive au Birobidjan, op. cit., p. 54.
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3. Der Emess, Moscou, 13 décembre 1930; in Lestchinsky (J.), le Judaïsme soviétique, op. cit., p. 147. 4. Der Emess, Moscou, 17 avril 1937. 5. Quatrième Année de colonisation juive, en yiddish, comptes rendus aux réunions du camp, Kharkov, 1929. p. 23. 6. Ibid., p. 25 et 26. 7. Ibid., p. 26. 8. Ibid., p. 18 et 19. 9. Forposte, n° 1, en yiddish, Birobidjan, 1937, p. 121. 10. Kms (J.), les Structures soviétiques en milieujuif, op. cit., p. 141et 142. 11. Luftmensdæn hommesvivant de l’airdu temps, de tout etde rien.
—
CHAPITRE VIII ]. Les Juifs en U.R.S.S., op. cit., 1935, p. 36. 2. Aumw (Sh.), Dix années de Birobidjan, en yiddish, New York, 1939, p. 8. 3. Gnouss terme russe pour cet insecte très nuisible. 4. Kwrcnevncu (M.), « Le Birobidjan dans la littérature », in Science et Révolution, n° 2, en yiddish, Kiev, 1935, p. 45. 5. Kanon (J.), les Structures soviétiques en milieu juif, op. cit., p. 136. 6. Quatrième Conférence pansoviétique des Sections juives, op. cit., p. 35. 7. Kms (J.), op. cit., p. 185 et 186. 8. Levsv1 (Y.), op. cit., p. 81. 9. Kamen… (M.), art. cité, p. 89. 10. Ibid., p. 47. 11. Tsorsxr (B. J.), le Birobidjan en l'année 1935, en yiddish, Moscou, 1936, p. 11.
-—
Cr-rnma IX 1. Les Juifs en U.R.S.S., op. cit., p. 37. 2. Ibid., p. 36. 3. Levavr (Y.), op. cit., p. 46. 4. Texte complet en appendice. 5. Ibid. 6. Krrursrrz (V.), la Région autonome juive en croissance, en yiddish, Moscou, 1936, p. 7. C…X 1. errwwv (Nicolas), Nouvelle Géographie de l'U.R.S.S., Paris, Payot, 1926, p. 252. 2. LesJuifs en U.R.S.S., op. cit., p. 32 et 36. 3. Léums (V. I.), Notes critiques sur la question nationale, op. cit., éd. française, Moscou, p. 11. 4. General Encyclopedia in Yiddish, vol. Yiddn G., New York, 1948. p. 471. 5. Quatrième Conférence des Sections juives, op. cit., p. 144. 6. Der Emess, Moscou, 18 avril 1937. Cnam XI 1. Mxvzm. (Nachman), la Création juive et l‘écrivain juif en U.R.S.S., en yiddish, New York, 1959, p. 168.
Notes
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2. R&dudonduBumuœnflddæSecäoæjüvæ, du4sept. 1926. 3. Grande organisation mutualiste juive aux États—Unis, de tendance socialiste. 4. Forward, quotidien socialiste yiddish a New York, fondé en 1897. 5. Yiddishe Kultur, mensuel, New York, octobre 1944, p. 7 et 8. 6. anaxov (Moshé), Dans le tourment, en yiddish, Moscou, 1926, p. 13. 7. Ibid. 8. Yiddishland, pays du yiddish : dénomination donnée à l'ensemble des centres yidäshophones du monde entier.
°PS?“
CnasmæXH 1. Dntansram (S.), la Région autonome juive, enfant de la révolution d’Octobre, Moscou, 1934, p. 7, en yiddish. 2. Txorsn (B. J.), op. cit., p. 52. . D…sram (S.), op. cit., p. 6. Ibid., p. 7. Ibid., p. 20. Ibid., p. 23. Ibid., p. 24. Kaorcnrmrcn (M.), art. cit., p.20. .Basoerson (David), les Birobidjaniens, en yiddish, Moscou, 1934, p. 5 et 6. Bergelson, grand écrivain prosateur yiddish, fut fusillé en août 1952. 10. Harman (David), in Birobidjan, recueil yiddish, Moscou, 1936. Hoffstein, grand poète yiddish, fut fusillé en août 1952. 11. Mamsn (Peretz). ibid. Grand poète yiddish, Markuh fut fusillé en août 1952. 12. Kursnrs (Sh.), in Forposte, n° 2, Birobidjan, 1936, p. 213. 13. Ibid.
Cnam XIII !. LesJuifs en U.R.S.S., op. cit., p. 126. 2. Rosemar-Scnnmom (E.), Routes et déroutes..., t. 2, en yiddish, TelAviv, p. 372. 3. Kamen… (M.), art. cit., p. 37. 4. Kramrrz (V.), la Région autonome juive en ascension, Moscou, 1956, p. 46. 5. Tamsxr (B. J.), le Birobidjan en 1937, op. cit., p. 17. 6. Hrarcnas (Y. P.), la Question nationale et la déviation droitière, traduit de l'ukrainien en yiddish. Kharkov, 1931, p. 153. 7. Ibid., p. 153. 8. Ibid., p. 159. 9. Ibid., p. 7. Cnam XIV 1. Morning Freiheit, quotidien yiddish à New York, prosoviétique, fondé en 1922. 2. Novrcrt (P.), les Juifs au Birobidjan. en yiddish, New York. 1937. p. 60. 3. Lavavr (Y.), op. cit., p. 269. 4. Romar. (Nisan), la Vie juive en Union soviétique, en yiddish, Tel—Aviv, 1971, p. 344 et 345.
3œ
UûwWäàïŒùmmmee
5. Nowcx (P.), op. cit., p. 64. 6. Lavav1 (Y.), op. cit., p. 279. 7. Novrcx (P.), op. cit., p. 65. 8. Krmmz (V.), op. cit., p. 62. 9. Rœmas—Scæmamaam (E.), op. cit., p. 372. 10. Kmnrrz (V.), op. cit., p. 45. 11. Ibid., p. 45. 12. Novrcx (P.), op. cit., p. 16 et 20. 13. Krsmrrz (V.), op. cit., p. 5 et 7. 14. Rœmat-Scrmrmman (E.), op. cit., p. 349. 15. Forpaste, n° 1, Birobidjan, 1931, p. 119. 16. Der Emess, 10 août 1936. 17. Kramrrz (V.), op. cit., p. 38. 18. Ibid., p. 88. 19. Ibid., p. 89. 20. Forposte, op. cit., p. 27. 21. Dmansmrn (S.), la Région juive. enfant de la révolution d‘Octobre. op. cit., p. 39. 22. Forposte, op. cit., n° 127. 23. Texte complet en annexe. 24. Maanr. (N.), la Création juive en Union soviétique, op. cit., p. 172. 25. Forposte, op. cit., p. 129.
CnarmXV ]. Forposte, n° 2. Birobidjan. octobre 1936, p. 125. 2. Farnsoo (Merle), Smolensk à l‘heure de Staline. Paris, 1967, p. 258 et 259. 3. Forposte, n° 2, op. cit., p. 124 et 125. 4. Lénme (V. I.), Notes critiques sur la question nationale, édition en langue française, Moscou, 1954, note 6, p. 182. 5. ROZNTAL (Nisan), la Vie juive en Union soviétique, op. cit., p. 370. Cnam: XVI 1. Maoveorav (Roy), le Staliru‘sme, Paris, 1972, p. 273. 2. Der Emess, 18 avril 1937. 3. Tchekiste, symbole du combattant implacable contre toute forme de contre—révolution. Der Emess, art. cit. Tribouna, n° 9, Moscou, 1937, in Levavl (Y.). op. cit., p. 363. Novrcrt (P.), op. cit., p. 57 et 61. Rosanar.—Scnnsrosmn (E.), op. cit., p. 350 et 351. Lavavr (Y.), op. cit., p. 362. (P.), op. cit., p. 21. . Nowcx 10. Ibid., p. 67. il. Der Emess, 1“ juillet 1935.
°P fl 9 ?
Cnarrmr-z XVII 1. Cf. Chapitre III. 2. Yevsekisme, terme dérivé de Yevsektsia, Section juive auprès du Parti communiste et désignant l‘idéologie de ces sections. 3. anartov (M.). Sur deux fronts, op. cit., p. 8.
Notes
309
4. Quatrième Conférence des Sections Juive, op. cit., p. 139. 5. Der Emess, 18 avril 1973. CnamaXVIfl SINGER (L.), le Peuple transformé, en yiddish, Moscou, 1948. Titre d’un poème du grand poète yiddish soviétique, Samuel Halkine. Yiddishe Kultur, revue mensuelle, New York, juin 1942, p. 4. Smoas (L.), op. cit., p. 101 et 102. « Pilpoul », discussion oiseuse. Butor (l.), l’Ajj‘aire du Birobidjan, en yiddish, Rochester (USA.), 1960,
fi 9 $ ” P N Ï"
p7. W…ar—Vmoxous (H.), Du sang sur le soleil, en yiddish, New York, 1960, p. 10 et11. 8. Emor (I), op. cit., p. 7. 9. Gonnon (E.), « Des kolkhosiens partent au Birobidjan », ln Heimland, n° 5, Moscou, 1948. 10. Emor (I.), op. cit., p. 11. 11. Ibid., p.21. 12. Lavavr (Y.), op. cit., p. 106. 13. Des Nrsras, in Heimland, n° 1, Moscou, 1947, p. 109. 14. Ibid., p. 118. 15. Rœmat—Scrmmmas (E.), op. cit., p. 288. 16. Etam (I.) op. cit., p. 16. 17. Aaonrs (F.), « Pourquoi m’a-t—on arrété?» in Notre Voix, en yiddish, Paris, 17 avril 1979. 18. Emor (I.), op. cit., p. 19 et 20.
CnamXiX ]. Les données du recensement pansoviétique de 1980 enregistrent une nouvelle diminution de la population juive du Birobidjan, tombée à 10666 Ames contre 11452 en 1970 et ne représentant plus qu’à peine 5 % de la population globale de la Région, au lieu de 7 % en 1970. Des 10666 Juifs birobidjanaîs, seuls 2261 indiquèrent le yiddish comme leur première ou seconde langue. Yiddishe Kultur, New York, mars 1946, p. 17. Etam (I.), op. cit., p. 11. Can… D’Encausss (H.), l‘Empire éclaté, Paris, 1978, p. 180. Ibid., p. 182. var—zorsv (Roy), op. cit., p. 182. Ibid., p. 546. Ibid., p. 547. .Fru‘tb (François), Les Juifs et l’antisémitisme dans les pays communistes, 1960, p. 124. Paris, 10. Guam (Patrick), les Juifs de France de 1789 d 1860, Paris, 1976, p. 245. 11. Ibid., p. 251. 12. Faux célèbre, confectionné pour 1’Okhrana (service de sécurité) tsariste a la fin du xrx‘ siècle et publié pour la première fois en Russie en 1905. Les « Protocoles » reproduisent soi—disant les débats d’une prétendue conférence des chefs du judaïsme mondial, les Sages de Sion. La « conférence » devait organiser une conspiration mondiale ayant pour but de s’emparer du pouvoir
N æ + 9 fi °.
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L’État juif de l’Union soviétique
dans les pays les plus importants du monde, afin de ruiner et de détruire la civilisation chrétienne. largement utilisés pendant la guerre civile en Russie par les Armées blanches, les « Protocoles » trouvèrent un écho particulièrement favorable dans l'Allemagne vaincue des années 20 et devaient justifier par la suite l'holocauste nazi. Traduits en arabe et authentifiés par Nasser, les « Protocoles » connaissent actuellement une grande diffusion dans les pays arabes.
EXPLICATION DES SIGLES
R.S.D.R.P. : Parti social—démocrate ouvrier de Russie, fondé en mars 1898. Le Bund : Union générale ouvrière juive de Lituanie, Pologne et Russie, fondée en septembre 1897. Poalé-Sion : Parti ouvrier social—démocrate juif « Poalé-Sion », fondé en février 1906. « S.S. » : Parti ouvrier sioniste-socialiste, fondé en 1905. « J.S. » : Parti ouvrier juif socialiste-seimiste, fondé en avril 1906. Socialistes Unifiés : Parti ouvrier socialiste juif unifié, fondé en 1917 de la fusion des « S.S. » et « J.S. ». P.C.U.S. (b) : Parti communiste d’Union soviétique (bolche— viks).
Yevsektsia : Section juive auprès du Parti communiste. COMERD : Comité pour l’établissement des travailleurs juifs dans l’agriculture (en russe : conznr). onznrw : Société pour l’établissement dans l’agriculture de travailleurs juifs en U.R.S.S. (en russe : oznr). vrsrx : Comité central exécutif pansoviétique. rsrr< : Comité central exécutif républicain.
INDEX
Annan… Raphaël, 55, 56, 68, 69, 304. Actes Victor, 64. Anan—Haan, 164, 165, 188. Alzr.ano Reuven, 168. Axsauoo, 60. Auaaron Meier, 181, 182. Auxrflav, général, 42. Ausmacn Ephraîm, 168, 217. Baxnuomsxr Alexandre. 268, 269. 271, 274, 275. 277. Bamua Arthur James, 15. Barres Otto, 65. Bucarson David, 160, 260. 273. 307. Brawsrocn B. J., 168. Burn Léon, 44. Bomsna Menahem, 168. Bonnaourne Joseph, 258. Boumruna N. I., 221. Bouxnarnoas N., 21. 303, 304. Bsaourns Abraham, 121. 236. Baalnrna Reuven, 171. Bancs, Pr. 107, 110, 205.
Cnnauucn Bogdan, 42. Cnouæn-Auuxnan ou Cnoœn—Auucnan, 71, 206, 213, 282. Cs£maux Adolphe, 44. Damme, général, 42, 48. Dmansram Simon. 9, 21. 23-25. 28,
29. 31. 32, 66, 70, 71, 76—78, 85,
106, 107, 124, 160, 170, 176—179, 188, 195. 210, 214, 215, 217. 218. 238. 242. 249, 251. 260. 305, 307,
308. Dosmucnrna Yhezkel. 188. Douartov Simon, 194, 236. Dunerz Chaskiel. 226.
Essar.am Hugo, 224. Enror1sraél, 269. 275, 277. 309. Earc Max, 236. Eaucn Henryk, 25.
Fram Itzik, 266, 273. Parnasse L., 168. Fsowv 15.—F.. 231. Fsounruna Esther, 56, 98—100, 121. 132. 165, 166. 194, 238. 260.
Gurrzsaso Asher, voir Amo—Ham. Guam Patrick, 289, 309. Gr.anmrn Yakov. 168. Gumz-Lataass. 168. 217. Gr.aznan Boruch, 168. Goomas Samuel. 188, 262. Gor.oaasc B. C., 168. Gomon Elie. 268, 309. Grunaaun Itshak, 171. Gatnsaso N., Pr. 205. Gaoss Joseph. 272.
314
L’Étatjuif de l’Union soviétique
Hans l., 188. Haarus Franan S., Pr, 129. "El—“ETL 77. Hama… M. J., 168. Hr—:uam Haim, 272. Haazr. Théodore, 115. 116, 171. Hrnsnsrun Peretz, 217. Horrsuun David, 188, 273, 307. Hurt… Banach, 186.
I.C.A. (Jewish Colonisation Associa— ton), 79, 84. Icnamv David, 168. Ixon, 122, 129. 130, 135, 211, 298. Jrvs, Pr, 205. Jornr, 79, 84.
Kaorcnsvrtcn M., 130, 182, 306, 307. Kaoanovrrcn Lazare, 11, 212-214, 242, 252, 256, 276, 287. Kat-ran J. L., 168. Kanana Pcsie, 168. Kaunrnr—: Mikhaïl I., 11, 16, 17. 90, 93—95, 98—100, 103—105, 114, 124, 127. 138, 141, 142, 156, 157, 160, 162-169, 175, 180, 184, 187, 188, 210, 212, 215, 232, 240, 252, 264, 265, 271, 288, 291, 297, son, 305. Kanenrsv L. B.. 117, 221. Kama Jacob, 86, 87, 124, 131, 132, 305. 306. Kaursxv Karl, 64, 65, 304. Ksmnsxr Alexandre, 24, 39. Knamx Isi, 73. Knavxrnr—z Matvci P., 187, 190192, 209, 223, 236, 239—241. Knaoucnrcnsv Nikita S., 13. 16, 263, 279. 286—288, 290, 301. Kuunrrz V., 154, 306308. Kursnrrt Sh., 183, 307. Kosnrnr: Léon, 168, 217. Koucnax, amiral, 42, 48. Kouamv, Pr, 106. Koamwv, général, 42. Kosrszr—zwa Wera, 224. Korea M., 241, 246. Komcnma Shifra, 268. Ksassma, 79, 81.
Kamnnsn N. N., 221. Ksomov, 191, 203. errxo Leib, 273. Kunn Bela, 47, 224. Kunrz Charles, Pr, 129. Laruns B., 168. Laruns Yuri, 85, 92, 95, 105, 117, 120, 236. Lammv, 189. Larau=s A., voir Gram—Lames. Lamcx H., 168, 217. Lénrna V. I., 9, 11, 28, 35. 39—41, 48. 53, 58, 60—66, 68, 76, 94, 98—102, 213, 216, 218, 219, 222, ZB, 227, 238, 249, 251. 263, 267, 290, 294, 304, 306, 308. Lensxr Julien, 24. Laura C., 168. Lesrcnrnssv Jacob, 84, 305, 306. Levavr Yakov, 144, 269, 277, 305—309. Lavrns Jankiel, 228. Levmne Mikhaïl, 273, 274, 275. Uaeasuc Joseph, 184—189, 191, 203, 205, 208, 210, 214, 215, 218, 223. 227-229, 236241, 246. Las… Aaron, 194. chnnransxaia Léa. 260. Uasxnecnr K., 28. ervaxov Moshé, 97, 102. 126, 172. 235-238. 253, 256, 260. 305, 307, 308. Lmnnov Maxime, 81. Lurzn A., 168.
Maansn Peretz, 183. 188, 265, 273, 307. Maxrov J., 55, 60. Maux Karl, 23. 64, 184. Manan. N., 306, 308. Manan Vladimir, 115. Maovmrev Roy, 231. 285, 286, 308. 309. Marmara, 71, 75. Mamma Abraham, 78, 114—116, 120122, 162, 234, 236, 260. Manor—ns Salomon, 259. 266, 267, 273, 274. Mur—es Joseph, 206.
Index Mor.orov V. M., 267. Mumonr Alexandre, 168. Naranzon V., 168. Neumann Heinz, 224. Nroraa Sh., 168. Nrsrr-:a (Der), 270, 274. Noussrnov Itzhak, 265. Novrca Paul, 202, 209, 307, 308.
Occasxr Samuel, 28, 71, 303. Oramsnou Joseph, 217. Omronrnoza Sergo, 45. Pavr.ovrmn M., voir Knamna. Prmrouaa S., 42. Pamz J. L., 71. Pavourtnrna, 287, 288. Prarartov lou. L., 221. Prnsru David, 168. Ptertnanov, 60. Pasoaaasansxr, 117.
Raarnovncn J., 203. Racnxes Michel, 143. Raman Karl, 50, 69, 117, 221. Rares Moshé, 55, 68, 71. Raxovsxr Ch. G., 221. Rr-:rsen Avrohom, 168. Renan Hermann, 224. Roxnr V., 189, 238. Ror.nrrt Yoseph, 168. Rosenrsto Yoné, 168. Rossnrat-Scnnr—zroenuan Esther. 205, 307-309. Roznrar. Nisan, 202, 307. 308. vaov A. J., 221. Sen…: Naoum, 185. Snarrao L., 217. Snarsxt Yakov, Dr, 168. Snaûr. r.r-: Taasr (Paul de Tarse), 71,
72.
315
Sms… Moshé, 274, 275. 279. Srnoaa L., 125. 258. 309. Sumovrmn P. L., 81. Soxomxov G. I., 221. Soc… Hirsch, 757. Srauna Joseph, 7, 8, 11-13, 24, 39, 67, 90, 96, 117, 140, 163, 164, 179, 183, 212, 213, 216, 218, 221. 224. 227, 231-233, 242, 245, 250, 753, 262. 264, 266, 267. 274, 285—288. Srsn Yan, 231. Susan Lina, 274. Svsmr.ov Yakov, 39, 290. Tcnanaarsas Alexandre, 97, 114—116. 120, 123, 236, 260. Tcnncnasrna G. V., 79. Tnon Yehoshua, Dr. 171. Tor.usn A., 168. Taorsrn B. J., 139, 140, 176, 306, 307. Tamsrtr Léon, 28, 39, 60, 90, 117,220, 237, 290. Tsunzea Eliokoum, 75. Unron—Oar, 79, 84. Waasxr Adolphe, 224. Wanna Lazare, 168. Warnraa Zishé, 217. Warnaeucn-Vrnoxoua Hershl. 264. Wrtuans, Pr, 106, 107. Wrnrcnawsn Morris, 194.
Yarov N. I., 219, 222. 227, 233, 243, 244. 260. 280, 281. Zanowru. Israël, 170. Zassouurcn Vera, 60. Zawwvncn, 189. Zrnovrev G. I., 117, 220, 221. Zruseaseao Moshé, 260. Zvur-zaraas Moshé, Dr. 37. 52. 88. 90, 305.
TABLE
PRÉFAŒ
. .. . o
o o
Avanr-raoms Cnarmuzl:
..
Cnam Il: Cnarmœ III: Cnam IV: Cnam V:
Cnam VI : Cnam VII :
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15
Dictature du prolétariat contre Maison d’Israël La Maison d’Israël devient prosoviétique Le mouvement ouvrier juif entre dans la période de la révolution mondiale et du communisme Hymne à la charrue. La colonisation juive . Pérennité d’une nation nationalisme juif d’un président russe de l’État soviétique .
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...
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.. ... LaTerre promise :Crimée ou Birobidjan ... Le miracle de la discipline de parti. Grande politique et politique a la petite semaine ....
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19 35
47 73
104
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114 127 141
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157
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168
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175
.........
184
Cnam VIII : Les premiers pas Idéologie et réalité Cnarmuæ IX : Variations kalininiennes sur un thème sio— Cnam X : niste : le Birobidjan, centre spirituel Les drapeaux du Birobidjan flottent fière— Cnale: ment... à l’étranger Cnam XII : La quadrature du cercle : fonder une nation dans la lutte contre le nationalisme Cnam XIII : Avec la doctrine de Kaünine : Yiddishisa— tion « objective » et « subjective »
L’Étatjuif de l’Union soviétique
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Cnam XIV : « Pour la première fois dans l‘histoire du peuple juif, une Patrie » Cnam XV : Lœannéesde sang et d’épouvante Cnam: XVI: La liquidation du nationalisme juif. Un tragique acte d'accusation Cnam: XVII : Sous le sceau du secret d'État. Bilan som— maire Cnam XVIII: « Il est temps de connaître... » L‘ultime tentative Cnam: xrx: L’État juif le plus original
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231
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246
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................. A…................................................ Noms .................................................. Srouæs
INDEX
22
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2
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201 219
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258 278 293 303 311 313