Les réseaux de symptômes en psychopathologie [UGA Editions] 9782377472949

L’étude des relations entre les symptômes est susceptible d’améliorer notre compréhension des troubles psychiatriques, d

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Les réseaux de symptômes en psychopathologie [UGA Editions]
 9782377472949

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Les réseaux de symptômes en psychopathologie

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Prométhée Collection dirigée par Mireille Albrieux & Mickaël V. Cherrier La collection « Prométhée » a pour ambition de publier des livres touchant aux domaines des Sciences, des Technologies et de la Santé (STM). Principalement à destination de lecteurs évoluant dans l’enseignement supérieur et la recherche, elle intéressera également tous les curieux ayant un baguage scientifique. Les ouvrages de cette collection sont libres de tout programme et indépendants des modes et de l’actualité. Ils s’inscrivent dans une volonté de partager et de transmettre, avec le plus grand nombre, des connaissances essentielles aux STM. La collection « Prométhée » accueille des œuvres centrées sur une notion apparaissant comme fondamentale aux meilleurs experts d’une discipline. Les projets retenus s’efforcent de mettre en perspective les données récemment obtenues en s’appuyant sur des connaissances établies de plus longue date. La collection a donc pour ambition de donner une vision précise de l’état de l’art de la discipline abordée.

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Les réseaux de symptômes en psychopathologie Enjeux théoriques, méthodologiques et sémiologiques

Christophe Gauld

UGA Éditions 

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Maquette de couverture : Jean-Christophe Monnier. Cet ouvrage a été publié avec le soutien du programme IDEX Université Grenoble Alpes.

© UGA Éditions Université Grenoble Alpes CS   Grenoble Cedex  – France ISBN ---- ISSN à venir

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Sommaire PRÉFACE  ...............................................................................................  11 INTRODUCTION  .....................................................................................  13 CHAPITRE 1 – HISTOIRE DES RÉSEAUX DE SYMPTÔMES  ...........................  19 1. Science de systèmes complexes ................................................................ 19 2. Sciences des réseaux ................................................................................. 24 3. Biologie des systèmes et médecine des systèmes .................................... 27 4. De la médecine des réseaux à l’approche réseau  de la psychopathologie ................................................................................. 29 5. Le modèle médical .................................................................................... 32 6. Le modèle statistique des équations structurelles .................................... 35 CHAPITRE 2 – THÉORIE DE L’APPROCHE RÉSEAU ......................................  39 1. Approche transdiagnostique, entre approche catégorielle  et dimensionnelle ......................................................................................... 39 2. Cause commune (variable latente)............................................................ 42 3. Mutualisation ............................................................................................ 48 4. Les quatre principes fondamentaux de la théorie des réseaux  de symptômes ............................................................................................... 49 5. Stabilité et dynamique d’un réseau .......................................................... 56 6. Les mesures de centralité .......................................................................... 59 CHAPITRE 3 – ÉPISTÉMOLOGIE DES RÉSEAUX DE SYMPTÔMES  .................  63 1. Naturalisme et normativisme en philosophie de la médecine ................. 63 2. Réseaux de symptômes et défi nition de la pathologie ............................. 65 3. Réseaux de symptômes et styles de compréhension  des troubles psychiatriques ........................................................................... 68 4. Réseaux de symptômes et environnement ............................................... 73

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5. Réseaux hybrides ...................................................................................... 78 6. Psychiatrie personnalisée et réseaux de symptômes ................................ 82 7. Réseaux de symptômes et RDoC ............................................................... 85 CHAPITRE 4 – UTILITÉS DES RÉSEAUX DE SYMPTÔMES  .............................  87 1. Perspectives cliniques ............................................................................... 88 2. Paramètres intrinsèques aux réseaux........................................................ 94 3. Approche en réseaux de symptômes et visualisation................................ 97 CHAPITRE 5 – MÉTHODOLOGIE DE L’APPROCHE RÉSEAU ..........................  99 1. Statistique des approches réseau .............................................................. 99 2. Deux types de réseaux............................................................................. 103 3. Les modèles à variable latente réflective ................................................. 107 4. Les modèles à variable latente formative ................................................ 110 CHAPITRE 6 – LIMITES DES RÉSEAUX DE SYMPTÔMES ............................  113 1. Limites cliniques...................................................................................... 113 2. Limites méthodologiques : reproductibilité, répétabilité, réplicabilité,  stabilité, généralisabilité, prédictibilité, variabilité, hétérogénéité............. 119 3. Limites théoriques : nature et granularité des symptômes, sélection  des sous-groupes ........................................................................................ 125 4. Limites conceptuelles : nécessité d’un cadre de travail, définition de la  maladie ....................................................................................................... 127 CHAPITRE 7 – LES RÉSEAUX DE SYMPTÔMES ET LE SYMPTÔME ...............  133 1. Causalité des symptômes ........................................................................ 133 2. Choix des symptômes à intégrer au réseau de symptômes .................... 134 3. Contenu des symptômes : la notion de granularité ................................ 137 4. Structure des symptômes : la nécessité d’un pluralisme en psychiatrie . 138 5. Le symptôme comme producteur minimal de différences ..................... 141 CHAPITRE 8 – LES RÉSEAUX DE SYMPTÔMES ET LA NOTION DE CAUSALITÉ  ....................................................................  145 1. Les quatre perspectives pour comprendre la causalité............................ 146 2. L’interventionnisme et les réseaux de symptômes ................................. 148 3. Équations structurelles et réseaux bayésiens causaux ............................ 148

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CHAPITRE 9 – LA NÉCESSITÉ D’UN CADRE THÉORIQUE  ...........................  153 1. Les théories.............................................................................................. 154 2. Les modèles............................................................................................. 156 3. La confusion potentielle entre modèle et théorie ................................... 158 4. Les phénomènes ..................................................................................... 161 5. Partir des données ou partir des théories ................................................ 162 6. Du symptôme à la théorie : la construction d’un cadre de travail ........... 164 7. Conclusion ............................................................................................... 166 REMERCIEMENTS  ................................................................................  169 BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................  171

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Épigraphe À l’origine du temps, si docile à la vague spéculation et aux innombrables cosmogonies, il ne devait pas y avoir de choses poétiques et prosaïques. Tout devait être un peu magique. Cette citation de Borges (L’or des tigres) renvoie aux connexions contemporaines qui se tissent entre une clinique tournée vers la relation humaine et une science des réseaux en plein essor. Cet ouvrage tente de nouer la connexion entre ces deux « cosmogonies ».

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Préface Les symptômes psychiatriques ne sont pas distribués aléatoirement parmi les patients. Certains symptômes vont avoir tendance à être plus particulièrement associés entre eux, c’est ce qui fonde la notion de trouble psychiatrique. Si l’on s’en tient aux critères des troubles psychiatriques dans le DSM, un diagnostic peut être retenu si au moins X des Y symptômes listés (par exemple au moins  sur  pour le trouble de la personnalité borderline) sont présents. Ces critères impliqueraient une interchangeabilité des symptômes : l’information clinique qu’ils fourniraient chacun serait équivalente, de même que les effets qu’ils auraient les uns sur les autres et sur l’apparition d’un autre trouble associé. Et pourtant, l’étude des relations entre les symptômes est susceptible d’améliorer notre compréhension des troubles psychiatriques, de leur apparition et de leurs comorbidités. C’est à cette conclusion que nous conduit l’excellent ouvrage de Christophe Gauld, premier ouvrage rédigé en langue française présentant le programme de recherche sur les réseaux de symptômes en psychopathologie. Cet ouvrage expose clairement le cadre théorique de ces recherches, leurs modèles statistiques et leur intérêt en pratique clinique. Il est en effet frappant de constater que ces recherches posent des hypothèses à un niveau qui est familier au clinicien. Par exemple, dans quelle mesure des difficultés de sommeil peuvent-elles entraîner des difficultés de concentration chez un individu qui présente un épisode dépressif caractérisé ? Le lecteur découvrira, par ailleurs, la manière dont la mesure de la centralité des symptômes renseigne sur leur organisation au sein d’un trouble, ou encore la manière dont l’identification

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des symptômes-ponts renseigne sur la dynamique de la comorbidité entre plusieurs troubles. Mais cet ouvrage ne se limite pas à exposer les connaissances partagées par les acteurs impliqués dans les recherches sur les réseaux de symptômes. Avec une approche épistémologique, Christophe Gauld parvient en effet à situer ce programme de recherche dans les interrogations sémiologiques et nosologiques de la psychiatrie, jusque dans ses prolongements contemporains tels que la médecine personnalisée et le projet RDoC.

Pr Hugo Peyre

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Introduction Dans le premier chapitre de l’Introduction à la psychanalyse, Sigmund Freud écrivait : Dans le cadre même de la médecine, la psychiatrie, il est vrai, s’occupe à décrire les troubles psychiques qu’elle observe et à les réunir en tableaux cliniques, mais, dans leurs bons moments, les psychiatres se demandent euxmêmes si leurs arrangements purement descriptifs méritent le nom de science. Nous ne connaissons ni l’origine, ni le mécanisme, ni les liens réciproques des symptômes dont se composent ces tableaux nosologiques ; aucune modification démontrable de l’organe anatomique de l’âme ne leur correspond ; et quant aux modifications qu’on invoque, elles ne donnent des symptômes aucune explication (Freud, ).

La psychiatrie actuelle décrit toujours des troubles psychiques réunis en tableaux cliniques, descriptifs, dont nous ne connaissons ni l’origine ni le mécanisme, ni les liens réciproques entre les symptômes (Briffault, ). Ainsi, les débats entre classifications, entre approches catégorielles et dimensionnelles, entre champs disciplinaires de la psychologie et de la psychiatrie, entre neurosciences et psychodynamie illustrent le défi de saisir la complexité des troubles psychiatriques (Clark et coll., ).   L’approche réseau de la psychopathologie, initiée en  au sein de l’équipe de PsychoSystems (Psychological Methods group of the University of Amsterdam) par Denis Borsboom, postule que les troubles psychiatriques peuvent être étudiés comme des réseaux de symptômes se renforçant mutuellement (par exemple, rumination → insomnie → fatigue). 13

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Les symptômes au sein d’un réseau entraînent une boucle de rétroaction auto-entretenue. En cela, cette approche propose une conception de la psychiatrie fondée sur la symptomatologie, en mettant partiellement de côté le problème du concept de trouble. Une revue de littérature montre que sur la dernière décennie,  articles ont été publiés sur le sujet jusqu’en  (Robinaugh et coll., ). Les troubles psychiatriques seraient alors conçus comme un système de symptômes interconnectés au sein duquel les symptômes seraient la cause les uns des autres, la notion même de trouble psychiatrique devenant secondaire car les symptômes ne seraient pas un reflet d’une entité sous-jacente supposée (par exemple, « la dépression »), mais constitueraient en eux-mêmes le trouble psychiatrique. L’approche réseau de la psychopathologie se caractérise par une théorie des réseaux (issue de la tradition de la psychologie) et des modèles statistiques (issus de la théorie des systèmes dynamiques complexes des mathématiques) (van Borkulo et coll., ), qui cernent l’étendue de la complexité biopsychosociale (Chevance, Morvan et Fried, ). Un réseau de symptômes se modélise généralement en utilisant un grand nombre de sujets chez lesquels on relève les mêmes symptômes (même s’il existe d’autres types de réseaux, comme nous le verrons, notamment intra-sujets ou longitudinaux) (Bringmann et coll., ) 1. L’approche réseau s’applique à la psychiatrie en utilisant des résultats issus principalement de la psychométrie. De nombreux construits psychologiques ont été étudiés au prisme des réseaux au cours des dernières années, y compris les troubles psychiatriques (avec  études sur les troubles anxieux,  sur les troubles de l’humeur,  sur la psychose,  sur la toxicomanie,  sur le trouble de la personnalité limite,  sur l’association des symptômes entre les troubles et  sur l’enfance et l’adolescence) (Contreras et coll., ), la personnalité (Beck et Jackson, ), les attitudes (Dalege et coll., ), les capacités cognitives (Kan et coll., ), l’empathie (Briganti et coll., ), les émotions (Lange et coll., ), l’attachement (McWilliams et Fried, ) et la résilience (Fritz et coll., ). 1. Bien que nous le détaillons largement dans le chapitre méthodologique de cet ouvrage, il faut comprendre qu’un réseau est construit par recueil de symptômes provenant de plusieurs individus : chaque relation entre deux nœuds est donc le reflet d’un certain nombre d’associations entre deux symptômes chez un certain nombre de patients.

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Sur le plan clinique, le trouble psychiatrique serait représenté par un système de symptômes en interactions mutuelles, système au sein duquel les symptômes seraient la cause les uns des autres (Borsboom,  ; Cramer, Waldorp, van der Maas et Borsboom, a). Sur le plan mathématique, ce réseau correspond à un ensemble de variables conditionnellement dépendantes et causalement reliées (Borsboom et Cramer, ). Cette organisation est rendue possible grâce à des corrélations produisant des boucles de rétroaction entre les nœuds. Comme nous le verrons dans un chapitre dédié, sur le plan conceptuel, il s’agit d’un réseau de « dysfonctions préjudiciables », pour reprendre l’expression de Wakefield () qui propose une caractérisation du normal et du pathologique. Ce réseau de dysfonctions préjudiciables est un réseau fait d’interactions mutuelles qui correspondrait à une approche systémique cohérente avec la complexité des troubles psychiatriques (Briffault, ). La question de l’étiologie en psychiatrie ne peut plus être appréhendée de manière linéaire. En effet, il est probable que les facteurs de risque, les biomarqueurs diagnostiques et prédictifs, ainsi que la causalité soient des entités incluses dans un réseau de propriétés qui se déploie non seulement à plusieurs échelles du vivant (allant généralement de la génétique aux marqueurs de la connectivité cérébrale en passant par les marqueurs moléculaires), mais également à des niveaux environnementaux et sociaux. De plus, dans le cadre des réseaux de symptômes, la question de l’étiologie n’est pas la plus centrale. En effet, son idée n’est pas d’ouvrir la « boîte noire » de la causalité, mais de prédire le comportement d’un individu en modélisant les propriétés de celui-ci. Enfin, il existe une forte filiation des réseaux de symptômes avec les systèmes complexes. Ce rattachement ouvre à un déplacement épistémologique majeur 2.

2. Un champ relativement important s’est développé depuis quelques décennies pour caractériser la psychologie selon la vision des systèmes dynamiques, basée sur les équations différentielles (dans lesquelles la dynamique d’une fonction est régie par une équation) : cette conception discute de continuité plutôt que de discontinuité, de résultats non-linéaires et de différences individuelles intrinsèques à la discipline. Comme nous le verrons dans le chapitre portant sur l’histoire des réseaux de symptômes, ceux-ci n’appartiennent pas tout à fait à ce courant scientifique, bien qu’ils s’en inspirent sur certains points.

Introduction 15

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La recherche sur l’approche en réseau de symptômes de la psychopathologie se caractérise par des contributions théoriques, méthodologiques et empiriques. En ce qui concerne les contributions théoriques, selon Borsboom (), six domaines de travail sont prédominants : • premièrement, la philosophie de la psychiatrie, proposant que les réseaux soient des « clusters de propriétés » unifiées par des relations de causalité (Boyd, ) ; • deuxièmement, la science des réseaux, étudiant la structure du réseau (les relations entre les symptômes) et l’état du réseau (l’activation des symptômes) – par exemple, le réseau peut être plus ou moins connecté et il peut y avoir plus ou moins d’effets de « contagion » dans la propagation de l’activation ; • troisièmement, la science des systèmes, comprenant la théorie des systèmes dynamiques, la topologie (théorie des catastrophes) et la cybernétique, étudiant les « boucles de rétroaction » et les états de stabilité ou d’instabilité dans le cadre de la compréhension des troubles psychiatriques comme des systèmes complexes ; • quatrièmement, la définition du symptôme, conçu comme un agrégat d’expériences instantanées, des « microprocessus d’instant en instant » (Wichers, ), nécessitant une « chronométrie » des expériences (Treadway et Leonard, ) ; • cinquièmement, la théorie cognitivo-comportementale, utilisant largement la théorie des approches en réseaux et l’intégrant plus ou moins implicitement dans ses modèles de psychothérapie (Hofmann et coll., ) ; • sixièmement, l’élaboration d’une théorie de l’approche en réseau adaptée à un trouble spécifique, qui pourrait s’appuyer sur le développement des sciences computationnelles. En ce qui concerne les contributions méthodologiques, l’intérêt se porte sur la structure et les caractéristiques du réseau, notamment en ce qui concerne leur reproductibilité ou la causalité de ses éléments au niveau individuel. Ces contributions sont détaillées par la suite.

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Enfin, en ce qui concerne les contributions empiriques, il s’agit d’étudier la connectivité du réseau ainsi que la centralité des nœuds. Les approches en réseaux confirment que le DSM identifie avec précision les symptômes qui coïncident en tant que syndromes, mais elles montrent aussi qu’une classification comme le DSM n’a pas saisi la centralité de nombreux symptômes (comme, par exemple, les troubles du sommeil (critère A.) dans l’état dépressif caractérisé, qui restent très accessoires, alors qu’ils sont considérés comme étant plus centraux dans le cadre des réseaux de symptômes). La figure ci-dessous permet de visualiser l’intégralité du réseau du DSM, montrant notamment que la moitié des symptômes sont au moins indirectement liés à un cluster important reliant humeur et anxiété (Borsboom, Cramer et coll., ). ! Troubles diagnostiqués initialement dans la petite enfance, l'enfance ou l'adolescence ! Délire, démence et amnésie, et autres troubles cognitifs ! Troubles psychiatriques liés à une condition médicale générale ! Troubles liés à des substances ! Troubles de l'humeur ! Troubles anxieux ! Troubles somatoformes ! Troubles factices ! Troubles dissociatifs ! Troubles de l'identité sexuelle et du genre ! Troubles de l’alimentation ! Troubles du sommeil ! Troubles du contrôle des impulsions non classés ailleurs ! Troubles de l'adaptation ! Troubles de la personnalité ! Symptôme présent de manière égale dans différents chapitres

Figure 1 : Réseau de symptômes du DSM montrant les interactions entre les troubles grâce aux symptômes partagés entre différents troubles. D’après Borsboom, Cramer et coll., 2011

À la différence du DSM dont l’association des symptômes est historique et dépend d’un consensus d’experts, l’approche réseau considère que les symptômes sont réunis ensemble parce qu’ils interagissent entre eux. De plus, l’approche réseau est transdiagnostique sans être

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seulement catégorielle ou dimensionnelle, comme nous allons le voir par la suite. Si les modèles en réseau de la psychopathologie étaient initialement appliqués aux données transversales entre des individus (au niveau nomothétique), les approches les plus récentes se sont concentrées sur l’étude des processus intrapersonnels (au niveau idiographique), que nous aborderons par la suite.   Le terme d’approche réseau est utilisé pour désigner la modélisation en réseau, c’est-à-dire l’utilisation d’un modèle statistique pour ordonner les données à partir d’une théorie (la théorie des réseaux de symptômes). Par commodité, le nom « approche réseau » doit donc être entendu au sens de « modélisation en réseau » et il est employé comme synonyme du terme « approche en réseaux de symptômes de la psychopathologie ».   Comme nous le verrons tout au long de cet ouvrage, l’approche réseau de la psychopathologie pose un certain nombre de questions méthodologiques, théoriques et épistémologiques. Parmi celles-ci, certaines peuvent déjà être soulevées : les réseaux renversent-ils réellement la conception de la nosologie psychiatrique en s’abstrayant des catégories diagnostiques traditionnelles ? Peut-on espérer déterminer les symptômes qui devraient être présents en leur sein ? Offrent-ils la possibilité d’articuler différentes échelles du vivant, de la génétique à la sémiologie ? Et même si cette dernière possibilité leur était offerte, une telle unification est-elle ou doit-elle être désirée ? Nous explorerons par la suite ces différentes questions, qui peuvent être temporairement résumées par celle-ci : en quoi l’approche réseau est-elle susceptible d’apporter de nouvelles perspectives théoriques, méthodologiques et sémiologiques à la psychiatrie, malgré ses limites ?

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Chapitre 1

Histoire des réseaux de symptômes Afin de retracer brièvement l’histoire des réseaux de symptômes de la psychopathologie, nous allons présenter dans un premier temps la science des systèmes complexes. À cette science est rattachée la théorie des graphes, qui contient elle-même la théorie des réseaux, que nous allons étudier dans un deuxième temps. Dans un troisième temps, nous allons nous pencher sur la biologie des systèmes et la médecine des systèmes, qui sont des applications de cette science. Dans un quatrième temps, nous étudierons la médecine des réseaux, qui s’est elle-même déclinée en théorie des réseaux de symptômes. Enfin, dans un cinquième et un sixième temps, nous présenterons deux autres modèles dans lesquels s’inscrivent les réseaux de symptômes : le modèle médical intégrant l’environnement et le modèle statistique s’appuyant sur l’exemple des équations structurelles. Nous établissons une filiation indirecte des réseaux de symptômes avec ce courant statistique. En effet, les réseaux de symptômes se sont construits en se séparant de tels modèles statistiques.

1. Science de systèmes complexes Un système se définit par un ensemble d’éléments reliés entre eux par des relations. En , Karl Ludwig von Bertalanffy, dans sa Théorie générale des systèmes, séparait en effet le paradigme analytique du paradigme des systèmes. Dans le premier, l’objectif est d’isoler et d’analyser les propriétés des éléments, en supposant qu’une simple réunion (une addition) de ces propriétés permettait de reconstruire

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et de comprendre le comportement de l’ensemble. Une entité étudiée peut être reconstituée à partir de l’assemblage de ses parties, selon le principe scientifique de base décrit par Galilée et Descartes qui isole des unités atomiques. D’un point de vue mathématique, de tels systèmes analytiques sont potentiellement résolubles « à la main », l’équation étant suffisamment simple (dans le cas d’équations algébriques ou mêmes différentielles). L’évolution du système est alors étudiée en ajustant les conditions initiales et les limites aux bords. Cela n’empêche pas les systèmes analytiques de fournir une analyse de la dynamique temporelle et des interactions réciproques. Cependant, ces systèmes proposent une approche mécaniste qui localise et fonctionnalise des sous-parties indépendamment les unes des autres (d’où le terme d’analytique). Leur description nécessite selon deux conditions : la première tient au fait que les interactions entre parties sont inexistantes (ou suffisamment faibles pour être négligées) ; la seconde est que les relations décrivant le comportement des pièces sont linéaires. Ces conditions ne sont pas remplies dans un système, qui s’inscrit dans le second paradigme décrit par von Bertalanffy (). Les parties d’un système sont en interaction. Elles sont classiquement décrites selon des équations différentielles, non-linéaires dans le cas général. Ce paradigme systémique se focalise donc sur les relations et les interactions entre les éléments, à l’image de ce qu’on retrouve par exemple chez Neuburger (), un représentant influent de la thérapie systémique et familiale – pour lequel ce sont les relations entre éléments qui vont modifier l’intégralité du système. Il est aisé de comprendre que décrire une voiture en n’analysant que ses pièces isolément les unes des autres (selon le paradigme analytique) serait très peu utile pour comprendre le fonctionnement général de la voiture (compris seulement selon le paradigme des systèmes complexes). Il en est de même de la vie et de ses composants. L’ensemble des relations au sein d’un système permettent d’obtenir une propriété fondamentale : l’émergence 1. L’émergence désigne le fait que le « tout forme plus que 1. Notons cependant, à la suite de Guyon, Falissard et Kop () que peu d’auteurs ont explicitement étudié les réseaux de symptômes et le phénomène d’émergence, cette dernière notion provenant de la science des systèmes dynamique (et stipule que de nouvelles structures et fonctions ne peuvent être ni réductibles aux propriétés des éléments de base, ni prévisibles à partir de ces éléments de base (Barrett, ).

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les parties ». En plus de cette émergence, fondamentalement constitutive des systèmes complexes, ceux-ci possèdent quatre caractéristiques : • un nombre élevé d’éléments de natures potentiellement différentes et en interaction, qui limiterait la prédictibilité si l’observateur n’utilisait qu’un ensemble de méthodes simples pour tenter d’en décrire le comportement (justifiant la dénomination de « complexe ») ; • une interdépendance, qui met en jeu des boucles de rétroaction de certains éléments sur d’autres (notamment auto-circulaires, c’est-à-dire que des éléments s’alimentent eux-mêmes) au sein d’un système non-linéaire 2, comportant des boucles et interactions qui se déploient potentiellement à des niveaux d’organisation variés ; • des connexions multiples entre les éléments ; • une adaptation dynamique du système qui ne comporte pas de coordination centrale et peut évoluer en fonction de contraintes diverses (par exemple, l’environnement). La science qui détaille ces systèmes complexes s’appuie sur la théorie des systèmes complexes. Celle-ci provient tout autant du monde de la physique, de la biologie que des sciences sociales.

Propriétés des systèmes complexes : l’exemple de la biologie Les systèmes complexes sont composés de nombreux éléments. Chacun de ces éléments possède des qualités : par exemple, un état ou une position, un âge ou une couleur, une masse ou une énergie, etc. La biologie est un bon exemple de système complexe. En effet, les interactions entre les éléments mettent en jeu des éléments connus et spécifiques (par exemple, le système intègre des éléments génétiques et des protéines). Le système doit être étudié de manière algorithmique, et non analytique : connaître la propriété d’un unique élément (ce qu’est « une protéine » ou comment est constitué « un gène ») ne permet pas d’expliquer le fonctionnement biologique complet 2. La physique linéaire décrit des systèmes avec des équations différentielles linéaires, et la physique non-linéaire s’attache à étudier les systèmes avec des équations différentielles non-linéaires. Dans un graphe, dès qu’il y a des rétroactions et/ou des cycles, cela peut aboutir à un système non-linéaire. Ainsi, toute la science des réseaux est non-linéaire, et donc complexe.

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du système. L’ensemble de ces éléments et de ces propriétés doit être pris en compte pour appréhender l’intégralité du système. De plus, comme nous l’avons dit plus haut, les systèmes complexes peuvent présenter une grande variété d’états qui ne peuvent pas être déduits des propriétés des éléments : c’est cette irréductibilité aux éléments qui est nommée émergence. Un système peut être plus ou moins fortement connecté, comme nous l’étudierons par la suite : en fonction de cette connectivité, sa réaction au changement (initial) pourra être très différente. C’est pour cette raison que les systèmes complexes sont souvent dits « chaotiques » : leur évolution dépend fortement des conditions initiales. Autrement dit, un léger changement dans les conditions initiales (le moment initial correspond à l’activation du système) peut entraîner un « effet papillon » et bouleverser son évolution. Les systèmes complexes sont donc dynamiques. Ils évoluent à mesure qu’ils progressent. Cette évolution dépend notamment de leur interaction avec l’environnement, du contexte ou de la mise à jour de leurs conditions. On dit alors qu’ils gardent la « mémoire » des étapes par lesquelles ils sont passés. Cela signifie que leur état présent dépend du chemin parcouru dans les états passés (ont dit également qu’ils sont « non ergodiques » ou « non markoviens »). Comme nous le verrons par la suite, notamment en psychopathologie, l’étude des systèmes complexes peut se faire également de manière markovienne, c’est-àdire en considérant que l’état présent du système suffit à résumer tous les états passés, conservés en mémoire dans l’état présent étudié (nous n’avons pas besoin de réétudier tous les états passés pour comprendre l’état présent et son évolution 3).

3. En vérité, tous les systèmes qui évoluent dans le temps (selon des équations différentielles) prennent en considération l’état passé du système. Il est possible de modéliser en plus le processus qui agit sur le système (en l’occurrence, le graphe) : ce processus peut vérifier ou non une propriété de Markov. S’il vérifie la propriété de Markov, alors son état à t+ ne dépend que de son état à t, mais ce dernier contient toute de même des informations sur le passé.

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Propriétés des systèmes complexes : l’exemple des sciences sociales Les sciences sociales étudient les implications des interactions sociales dans la société. Les sciences sociales peuvent être quantitatives et prédictives, bien qu’historiquement elles soient largement qualitatives et descriptives. En effet, de plus en plus de données longitudinales et multidimensionnelles sont fournies, permettant une certaine reproductibilité et une meilleure réplicabilité. Comme en biologie, les processus sociaux sont difficiles à comprendre mathématiquement car ils sont évolutifs, dépendants du chemin et du contexte. Ces processus impliquent également des interactions à plusieurs niveaux. Deux composantes importantes ont ainsi été développées en sciences sociales et jouent un rôle crucial dans la théorie des systèmes complexes : • La prise en compte d’un réseau d’interactions multicouches : en effet, dans les systèmes sociaux, les interactions se produisent simultanément sur une multitude de réseaux d’interaction superposés (Granovetter, ) ; • La compréhension de la théorie des jeux : il s’agit d’un concept permettant de déterminer le résultat d’interactions rationnelles entre des agents essayant d’optimiser leur rentabilité ou leur utilité (von Neumann et Morgenstern, ). Chaque agent est conscient que l’autre agent est rationnel, et il sait également que l’autre agent sait que lui-même est rationnel. La théorie des jeux est ainsi un ensemble d’hypothèses (par exemple, l’existence d’un agent rationnel) qui permettent de tirer des conclusions sur la dynamique du système. Ainsi, les systèmes sociaux peuvent être considérés comme des réseaux multicouches (des « multiplex ») qui varient dans le temps en fonction d’interactions entre agents. Les nœuds sont des individus ou des institutions et les liens sont des interactions de différents types. Afin de garder une trace des éléments qui interagissent, nous utilisons des réseaux. Les interactions sont représentées sous forme de liens dans les réseaux d’interaction. Les éléments en interaction sont les nœuds de ces réseaux. Les termes de « graphe » et de « réseau » sont presque synonymes. Un réseau peut être défini comme un graphe dans lequel les éléments possèdent des attributs, fournissant des informations Histoire des réseaux de symptômes 23

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pertinentes. La théorie des réseaux est donc un sous-ensemble de la théorie des graphes. Alors que la théorie des graphes ne fournit qu’une visualisation de problèmes mathématiques compliqués sous forme de dessin, la théorie des réseaux permet des analyses plus poussées sur les états d’un système complexe.   Les interactions des réseaux ne sont pas statiques, elles peuvent changer au fil du temps. Les interactions sont médiées par des processus d’échange entre les nœuds : la force d’interaction est liée à la quantité d’objet ou d’information échangés (par exemple, des bouteilles de vin dans les interactions sociales positives et des balles dans les interactions sociales négatives). De plus, les changements au sein du réseau se font en fonction du contexte. Les réseaux multicouches incluent ce contexte, ce qui offre la possibilité d’observer les interactions des éléments un à un. Enfin, à un temps donné, le système est dans un certain état. Par exemple, si nous prenons comme nœud du système une personne et étudions comme caractéristiques ) sa richesse ) la présence d’un animal de compagnie chez lui, par rapport aux autres individus, l’état de richesse du réseau à un temps donné dépendra de la richesse de chaque individu (les nœuds) et des relations financières qu’ils ont ensemble (les liens). La structure du réseau qui correspond à la richesse totale de cette population a un effet très important sur l’état du réseau. En revanche, une autre propriété comme le fait que chaque individu possède un animal de compagnie aura peut-être moins d’influence sur la structure du réseau financier.

2. Sciences des réseaux Comprendre les interactions entre les composants d’un système est essentiel. Mais dans les systèmes complexes, les interactions ne sont généralement ni uniformes, ni isotropes, ni homogènes. Les réseaux constituent un outil pour garder une trace des interactions, de leur force, du moment et de la manière dont ces interactions se font. Les réseaux sont également pratiques pour décrire la structure des flux et des données qui transitent dans les systèmes complexes. En fait, tout ce qui peut être stocké dans une base de données relationnelle

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est un réseau. Tout ce qui peut être lié ou associé à d’autres choses fait partie d’un réseau. Un système complexe peut donc être représenté sous forme de réseau. Un réseau complexe est donc défini comme un réseau qui a les propriétés des systèmes complexes que nous avons citées plus haut. L’analyse des réseaux peut correspondre à une procédure flexible utilisée pour identifier les connexions les plus pertinentes dans les grands ensembles de données. Elle peut être définie comme une description des systèmes complexes du monde réel. Elle peut permettre de discuter des processus dynamiques. Elle peut permettre d’étudier les interactions entre plusieurs couches de nœuds et de liens.

Origine historique de la science des réseaux L’étude des réseaux remonte à la solution du problème de mathématiques des sept ponts de Königsberg en  (Shields, ). Le fleuve Pregel divise la ville de Königsberg (aujourd’hui Kaliningrad en Russie) en quatre zones de terres différentes reliées par sept ponts. La question est la suivante : est-ce que tous les ponts de Königsberg peuvent être traversés en une seule « promenade » sans qu’aucun des ponts ne soit traversé deux fois ? C’est Leonhard Euler qui a répondu à cette question (Euler, ). La solution à ce qui n’était qu’un problème récréatif finit ainsi par créer un domaine scientifique à part entière : Euler a observé que l’itinéraire réel à travers les quatre parties individuelles de la ville n’était pas pertinent pour résoudre le problème, il a donc ignoré la forme des zones, les a contractées en un seul point ou « nœud » et a obtenu un réseau. Les sept ponts sont des connexions ou des « liens » entre ces nœuds. La seule information pertinente est la façon dont les nœuds sont connectés par ces liens. Ensuite, Euler a observé que pour entrer et quitter un nœud (en une seule promenade et en n’utilisant chaque pont qu’une seule fois), les nœuds ont besoin d’un nombre pair de liens. Cela vaut pour tous les nœuds, à l’exception des nœuds de début et de fin (qui doivent avoir un nombre impair de liens). Le nombre de liens attachés à un nœud est appelé degré. En observant que les degrés dans le réseau de ponts sont tous inégaux (trois nœuds ont un degré de trois et un degré de cinq), il a conclu qu’il ne pouvait y avoir de chemin de ce type : la réponse au problème était donc que

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traverser tous les ponts en une seule promenade et sans traverser deux fois un pont n’était pas possible. Il a alors fallu  ans pour que ce champ disciplinaire prenne de l’ampleur : il s’agit actuellement de ce que l’on nomme en mathématiques la théorie des graphes que nous venons de décrire (Bondy et Murty, ). L’idée de réseau a franchi une nouvelle étape avec les travaux de Paul Erdős et d’Alfréd Rényi (Erdős et Rényi, ) : les propriétés structurelles des réseaux dépendent de la taille du réseau, qui est fonction d’états de transition. En fait, l’évolution de la théorie des graphes peut être imagée sous la forme de l’évolution de certains réseaux de communication (réseaux ferroviaires ou électriques) : des modèles peuvent expliquer leur croissance, l’augmentation de leur complexité et l’évolution de leurs connexions. Un large développement de la science des réseaux a été apporté par Barabási et Albert (Barabási et Albert, ). Leur point de départ était d’observer que de nombreux réseaux appartenant au monde réel (comme internet) présentent des régularités. Ils ont alors introduit un modèle simple de croissance des réseaux pour tenir compte de cette observation. En partant d’un petit réseau avec seulement quelques nœuds, de nouveaux nœuds sont préférentiellement liés à certains nœuds très connectés à beaucoup d’autres nœuds, qui ont été nommés les « hubs 4 ».

Évolution de la discipline de la science des systèmes complexes Réfléchir à un cadre cohérent pour quantifier et analyser les ensembles systémiques et leur application à la pratique peut être très fécond dans différents domaines scientifiques. Un tel cadre permet par exemple d’évoluer dans la compréhension des maladies, d’innover et de créer, par exemple en accueillant les mégadonnées. Nous sommes dans une ère où tout ce qui bouge peut être mesuré, disséqué, analysé. Seul un cadre de travail acceptant de considérer les relations entre ces éléments mouvants sera en mesure de proposer une vision unifiée de ces grandes 4. En fait, en pratique, le nœud devient un hub au fur à mesure du processus d’attachements préférentiels et suivant la réalisation de la probabilité (d’être fortement connecté quand on est déjà fortement connecté, à l’image de l’effet Matthieu décrit en sociologie des sciences par Merton ()).

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quantités de données. Les outils mathématiques, l’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique, les modèles et les algorithmes doivent donc s’accorder avec les technologies de recueil (et pour la médecine, avec la sémiologie et la nosologie), afin de donner un sens à ces données. Le goulot d’étranglement de ce pluralisme de disciplines tient pour une part à la compréhension de leurs interactions – intrinsèquement complexes. C’est un tel cadre pluraliste qui constitue l’horizon programmatique de la science des systèmes complexes. Comme nous le verrons cependant, les réseaux font miroiter l’idée d’être un outil d’unification des niveaux de description multiples, mais cette proposition reste encore à démontrer.

3. Biologie des systèmes et médecine des systèmes L’approche intégrative de la biologie des systèmes correspond à l’application de la science des systèmes complexes à la biologie. Elle analyse les interactions entre les entités biologiques du vivant. Elle prend en compte une grande quantité de données à plusieurs niveaux d’organisation, au lieu de ne considérer qu’une unique entité biologique séparée de son environnement biologique. Au sujet de la biologie des systèmes, Élodie Giroux (), en citant Green (), posait cette question : Comment la fonction biologique émerge-t-elle des interactions de processus dont la dynamique est nonlinéaire et contrainte par l’organisation du système dans son ensemble ?

La biologie des systèmes répond à cette interrogation sur l’émergence en combinant au sein des systèmes complexes des stratégies d’analyse de données expérimentales, théoriques, mathématiques et informatiques (Kitano, ). Et dans le but d’expliquer les phénomènes de santé, l’application de cette biologie des systèmes complexes à la médecine est nommée « médecine des systèmes ». La médecine des systèmes est une forme de médecine personnalisée, qui propose d’étudier le patient dans sa globalité, incluant les différentes dimensions de sa vie biologique, psychologique et sociale, son histoire, ses valeurs et ses attentes. Il s’agit donc d’une vision holistique (ou globale) de la médecine.

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Il est cependant légitime de se demander si l’intégration des données à différents niveaux de l’organisation du vivant (des gènes aux comportements sociaux) est suffisante pour rendre compte d’une approche holistique (Giroux, ). Nous pourrions citer trois limites à une telle médecine holistique et se fondant sur les systèmes : • premièrement, d’un point de vue sémantique, le « holisme » et le « système » renvoient à une multiplicité de projets et de concepts qui découlent aussi bien des sciences physiques que de l’ingénierie, en passant par l’intelligence artificielle et la médecine humaniste (Smarr, ). Il n’a pas encore été formellement démontré de quelle manière la physique et l’ingénierie des systèmes complexes pouvaient servir la médecine clinique en pratique, et a fortiori la psychopathologie ; • deuxièmement, l’approche holistique obéit à un principe relativiste, décrit par Denis Noble, qui atteste d’une « absence d’échelle de causalité privilégiée en biologie » (Noble, ). Ce principe est holistique car il permet de concevoir plusieurs échelles. Cependant, il signifie également qu’aucune échelle du vivant privilégiée n’a pu être identifiée (correspondant à une échelle qui serait plus importante qu’une autre en termes d’enrichissement sémantique, pourvoyeuse de sens pour la clinique). Envisager le trouble d’un point de vue holistique empêcherait la quête de cette échelle privilégiée, chemin qu’emprunte une vision du monde nommée « pluraliste ». Pour n’en donner qu’un exemple, l’identification d’une telle échelle pourrait permettre d’identifier un marqueur pertinent pour le traitement ; • troisièmement, du point de vue des données, la médecine des systèmes repose sur des données quantitatives, intégrant difficilement les données qualitatives ou sociales (Hood et coll. ). La médecine des systèmes, issue de la biologie des systèmes, paraît donc méthodologiquement insuffisante et théoriquement imparfaite. Nous allons voir par la suite comment la médecine des systèmes s’est elle-même appuyée sur une discipline nommée « médecine des réseaux ». Nous allons détailler par la suite la médecine des réseaux et son contexte d’apparition.

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4. De la médecine des réseaux à l’approche réseau de la psychopathologie L’histoire de l’approche réseau de la psychopathologie nécessite de connaître l’histoire de la médecine des réseaux. Nous avons vu précédemment comment la biologie des systèmes et la théorie des réseaux s’étaient développées. La médecine des réseaux correspond à l’intersection entre ces deux champs. La médecine des réseaux n’étudie pas les maladies comme des agrégats d’entités physiopathologiques distinctes. Elle conçoit plutôt les maladies comme des réseaux d’éléments (surtout biologiques) présentant une altération de l’organisation par rapport à des sujets contrôles (Barabási et coll., ). Autrement dit, et de manière assez intuitive pour le clinicien ou l’épistémologue, elle fait l’hypothèse que la maladie serait liée à un dysfonctionnement d’un ensemble d’éléments biologiques en interaction. Cependant, la médecine des réseaux permet une présentation rigoureuse et systématique (voire quantifiable) de ces interactions dysfonctionnelles. Le terme de « médecine des réseaux » est apparu pour la première fois dans un article de Barabási en  (intitulé Network Medicine – From Obesity to the « Diseasome »). Cette approche a permis la construction et l’analyse du « diseasome », correspondant à un réseau de maladies reliées les unes aux autres par les éléments biologiques qu’elles ont en commun. Ce diseasome, lorsqu’il est couplé au génome, forme un réseau bipartite (c’est-à-dire qui repose sur deux grands ensembles, les maladies d’un côté, reliées aux éléments génétiques d’un autre) permettant de visualiser les associations des gènes et des maladies. Dans le réseau du génome, les gènes sont les nœuds du réseau et deux gènes sont reliés s’ils sont impliqués dans la même maladie. Dans le réseau des maladies, les maladies sont les nœuds du réseau et deux maladies sont reliées si elles partagent un gène commun dans leur physiopathologie (Darrason, ). Un tel réseau permet trois analyses : une analyse globale permettant de caractériser la structure générale du réseau, une analyse locale consistant à recouper les réseaux de gènes avec des informations sur leur rôle biologique et une troisième analyse étudiant les interactions, permettant de comparer le réseau de gènes avec un réseau nommé « interactome ». Ce dernier désigne l’ensemble des interactions biologiques possibles chez

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un être humain (que ces interactions soient entre protéines, entre gènes ou entre autres éléments). Nous verrons que ces trois analyses (globale, locale et d’interactions) sont particulièrement utiles dans le cadre des réseaux de symptômes. Pour résumer, dès , Alberto Barabási, le principal fondateur de la médecine des réseaux, propose de ne plus considérer les maladies comme des entités distinctes et isolées mais comme des phénomènes physiopathologiques interconnectés entre eux, unis par des principes communs de dysfonctionnement. Cette médecine des réseaux, qui trouve des applications en génétique, en infectiologie ou en oncologie a été adaptée en psychologie, en psychométrie et en psychopathologie dans le cadre des réseaux de symptômes de la psychopathologie. Il est très important de comprendre que dans le cadre des réseaux de symptômes, les nœuds du réseau ne sont plus des maladies (comme dans le diseasome), mais les symptômes d’un ou plusieurs troubles. Ces symptômes sont en interactions mutuelles.   Dès , Denis Borsboom, le principal fondateur des réseaux de symptômes en psychopathologie, conçoit les troubles mentaux comme des ensembles de symptômes interconnectés. Un trouble correspond à un ensemble de symptômes interconnectés et s’influençant mutuellement. Certes psychologue de formation, Borsboom s’est avant tout intéressé pendant son parcours académique aux enjeux de la psychométrie, comme le démontrent les références sur lesquelles s’appuie Borsboom dans son article de , et notamment la mention explicite à l’article de psychométrie de Van der Maas et coll. (). Cependant, les intrications entre la psychométrie et la psychologie sont très marquées, comme l’ont justement analysé Wijsen et Borsboom () en questionnant « l’identité du psychométricien » (en tant que psychologue, consultant, analyste de données, ingénieur et mathématicien tout à la fois), et il serait ainsi réducteur de ne relier les réseaux qu’à une branche psychologique ou mathématique, lorsque la psychométrie s’est construite sur l’association de ces deux perspectives. Borsboom s’est en premier lieu attaché à penser différemment la conception de la neuropsychologie (du quotient intellectuel), en se fondant notamment sur l’idée « qu’une variable latente, qui est bien établie psychométriquement, n’a pas besoin de correspondre

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à une variable quantitative réelle ». Borsboom utilise la critique de cette notion de variable latente, tout en s’appuyant sur la tradition des systèmes, des graphes et des réseaux que nous avons décrite – et propose son application aux symptômes psychopathologiques. Il s’appuie notamment sur un article de Jordan (), qui précède les travaux de Barabási et qui discute des thématiques que nous développerons plus bas, par exemple la causalité, les rapports entre échelles ou la notion de probabilité (conditionnelle locale).   On retrouve précédemment cette conception des réseaux de symptômes dans d’autres disciplines médicales, bien que leur développement n’ait pas eu le même succès. Notamment, le cardiologue James Mackenzie publiait en , dans le British Medical Journal, un article proposant explicitement de considérer les troubles comme des réseaux de symptômes, considération justifiée par les enjeux de prévention que cela amènerait. L’auteur écrivait que « La maladie n’[était] révélée que par les symptômes qu’elle produisait », mettant l’accent sur l’identification des symptômes clés qui permettraient d’éviter l’expansion du trouble. Il proposait déjà de faire la différence entre un réseau lié à une cause extérieure (lorsqu’un agent infectieux est considéré comme la cause de la fièvre typhoïde) et un réseau (ou un agglomérat de symptômes) pour lequel aucune cause n’est identifiée. Il soulignait également certaines des difficultés que nous discuterons par la suite, comme le fait de savoir quels symptômes intégrer au réseau. Il statuait sur ce point en affirmant de manière déflationniste : Si notre entreprise n’était vouée qu’à rechercher de nouveaux symptômes, ce serait en vain, car l’ajout de nouveaux symptômes ne ferait qu’ajouter à la confusion d’un sujet déjà bien trop chaotique (Mackenzie, ).

 

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Dans la fin de ce chapitre, nous allons décrire succinctement deux éléments fondamentaux pour comprendre le contexte dans lequel s’inscrit cette médecine des réseaux, appuyée sur une médecine des systèmes : • le modèle médical qui s’est affiné en psychiatrie en intégrant le contexte et l’environnement du sujet, ajoutant des échelles d’analyse (par exemple, des facteurs environnementaux) au modèle médical traditionnel ; • le modèle statistique, avec l’exemple des équations structurelles qui permettent de discuter la notion de « variable latente ».

5. Le modèle médical Le modèle médical propose d’identifier une problématique clinique, de l’expliquer par un mécanisme causal, d’en décrire l’évolution et de la circonscrire par une théorie descriptive. Ce modèle de la maladie peut être nommé modèle (bio)médical. Les essais randomisés s’appuient par exemple sur ce modèle médical pour isoler des indicateurs ciblés et proposer des définitions précises des maladies. Des auteurs comme Zachar et Kendler () ont proposé une typologie des dimensions qui sous-tendent les hypothèses de ce qui est considéré comme une catégorie adéquate de troubles psychiatriques. Ces dimensions comportent chacune deux pôles : le causalisme versus le descriptivisme, l’essentialisme versus le nominalisme, l’objectivisme versus l’évaluativisme, l’internalisme versus l’externalisme, les entités versus les agents et les catégories versus les continua. Ces six dimensions permettent de concevoir comment les troubles s’intègrent à quatre versions différentes du modèle médical. Le modèle médical peut en effet varier de plusieurs manières, mais ces différentes manières sont toujours considérées comme essentialistes : il s’agit du modèle de maladie organique, du modèle de la fonction altérée, du modèle biopsychosocial et du modèle de la dysfonction préjudiciable.   Le modèle médical a été progressivement affiné en psychiatrie avec un modèle dit psychiatrique (Zachar et Kendler, ), qui considère l’existence de différences qualitatives entre le normal et le pathologique, mais également avec un modèle « psychologique », qui suggère que

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le dysfonctionnement des processus psychologiques peut constituer une voie commune conduisant au développement et au maintien du trouble. Ces processus psychologiques incluent par exemple des processus cognitifs, comme la mémoire, l’attention, les fonctions exécutives ou la cognition sociale. Le modèle psychologique propose généralement que les facteurs biologiques, sociaux et les expériences individuelles d’un individu conduisent au trouble par leurs effets conjoints sur ces processus psychologiques.   Une critique des différentes versions du modèle médical (et dans une moindre mesure des modèles psychiatriques et psychologiques), s’appuyant plus ou moins explicitement sur les six dimensions développées a posteriori par Zachar et Kendler (), a donné naissance à ce qui est actuellement nommé le modèle « biopsychosocial » (Engel, ). Celui-ci rassemble des facteurs appartenant à la biologie, à la psychologie et à l’environnement social – sans pour autant en expliquer les relations ou les implications (ce qui lui a valu d’être abondamment attaqué en tant que système « vague, inutile et même incohérent » selon Bolton et Gillett, , qui proposent finalement un rajeunissement du modèle). D’un autre côté, en psychiatrie, Wampold a proposé en  un modèle dit « contextuel » : celui-ci oblige à intégrer un cadre contextuel aux processus diagnostiques et thérapeutiques, dans une optique de cohérence avec la pratique clinique. Le modèle contextuel propose d’intégrer le contexte aux différents symptômes, en insistant sur le fait que les processus contextuels possèdent un sens pour le patient (et ses symptômes). En conséquence, le modèle contextuel associe à l’objectivité scientifique (de la sémiologie et de la nosologie) une part relationnelle, subjective et personnalisée (Briffault, ). On retrouve dans le modèle contextuel le cadre global des systèmes, l’intégration des niveaux du modèle biopsychosocial et les interactions décrites dans les réseaux.   Alors qu’en est-il de la principale classification utilisée en psychiatrie, le Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux (le Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders – DSM) ? Rappelons que dans le DSM, contrairement au modèle contextuel, les symptômes ne sont pas reliés entre eux (ni au contexte). Pour reprendre la logique

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de la définition catégorielle du DSM que Xavier Briffault () reprend à Demazeux (), qui l’emprunte lui-même aux concepteurs du DSM (Spitzer, Endicott et Robins, ) et à Wakefield (), nous pouvons citer cette définition : Le trouble mental est construit par composition de symptômes observables élémentaires non articulés entre eux ou au contexte pour obtenir une définition polythétique (un noyau obligatoire de symptômes auquel s’ajoutent des symptômes optionnels) d’un syndrome censé représenter le niveau théorique immédiatement supérieur aux symptômes élémentaires, chaque définition étant la formation supposée fiable (d’un haut degré d’accord intersubjectif ) des variations phénoménales aléatoires statistiquement observées autour d’une entité morbide naturelle supposée qui en serait la dénotation valide (nous soulignons).

Le fonctionnement de la recherche et de la clinique repose sur cet « idéal type » catégoriel (le syndrome, la catégorie, le spectre, la dimension) qui ne prend pas en compte les relations dépendantes de ses composants (les symptômes). Pourtant, tant l’approche descriptive du DSM que la réalité du terrain impliquent de considérer l’influence d’un symptôme sur un autre symptôme. Pour n’en donner qu’un exemple, il est clairement décrit dans le DSM- que la présence des obsessions dans le trouble obsessionnel compulsif induit des compulsions. Plus subtilement, des ruminations peuvent être liées à une anxiété, comme à une tristesse de l’humeur. Ces relations ne sont pas explicitement théorisées dans l’approche descriptive du DSM, mais pourtant bien décrites. Il y a donc une science des réseaux implicite au sein de cette classification, pouvant d’ailleurs conduire à affirmer que celle-ci n’est pas athéorique vis-à-vis des réseaux de symptômes.   Il est très structurant et intuitif pour le clinicien de penser que les symptômes puissent s’influencer les uns les autres. Cette influence n’est pourtant pas formalisée conceptuellement, et non décrite dans les classifications. Norbert Elias décrivait déjà en  combien il pourrait être utile de concevoir les troubles médicaux comme des « chaînes d’interdépendances » entre symptômes sur lesquels il serait possible d’agir « de manière synergique pour influencer le fonctionnement

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du système » (Briffault, ). Plus tôt encore, en , Krafft-Ebing expliquaient comment les présentations cliniques des patients décrivaient elles-mêmes des réseaux, de manière informelle : Ce qu’elles nous offrent, ce ne sont pas des maladies, mais simplement des complexes de symptômes.

Comme nous allons le détailler dans les chapitres suivants, dans cette conception des réseaux de symptômes, le trouble psychiatrique est multi-aspects et multi-échelles – ce qui pourrait nécessiter de le considérer de manière interdisciplinaire (Grüne-Yanoff, ).

6. Le modèle statistique des équations structurelles Le modèle statistique correspond à une manière de penser la sémiologie psychiatrique selon les relations (ou corrélations) entre symptômes. Toute l’originalité (statistique du moins) des réseaux de symptômes vient du fait qu’ils s’opposent clairement à la logique des équations structurelles, qui a rythmé les statistiques quantitatives du dernier demi-siècle. Nous prenons l’exemple des équations structurelles pour l’extension de leurs implications et des discussions qu’elles amènent (mais les analyses factorielles, qui constituent en quelque sorte une sous-partie des équations structurelles, auraient également pu être prises pour exemple). Notamment, elles constituent le prototype des modèles à variables latentes, que nous allons définir. Nous allons brièvement résumer le contexte dans lequel se sont développées les équations structurelles. Cette contextualisation sera nécessaire pour comprendre l’originalité des réseaux de symptômes dans le paysage de la psychiatrie et de la psychopathologie contemporaines.   Dans les années , les réflexions méthodologiques en sociologie quantitative ont conduit à exprimer les processus causaux en termes de modèles statistiques. Durkheim et Lazarsfeld ont ainsi contribué à résoudre la question suivante : quand peut-on inférer que X est la cause de Y sachant a priori que X précède temporellement Y et qu’une corrélation est observée entre X et Y ? (Tel que nous le verrons dans un chapitre dédié à la notion de causalité dans les réseaux de symptômes, cette formule a été explicitée par Granger et correspond plus

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ou moins au premier niveau de causalité par association selon Pearl) (Juhel,  ; Boudon, ). Dans les années , l’analyse causale a été popularisée par Blalock () avec son ouvrage sur l’inférence causale, puis par Duncan () qui a fusionné l’analyse du chemin (ou parfois analyse des pistes causales – path analysis) avec l’analyse factorielle. Dès lors, des modèles statistiques permettant de représenter des processus causaux ont été proposés. Par exemple, le processus causal X → M → Y implique que la corrélation partielle entre X et Y est nulle si M est statistiquement contrôlé (par exemple, fixe). La définition de la corrélation partielle est simple et particulièrement importante pour comprendre les réseaux de symptômes : il s’agit de la valeur de la corrélation (c’est-à-dire de l’association) entre deux variables X et Y, si la variable M est demeurée constante. Ces modèles sont nommés « structuraux » car ils permettent d’inférer des relations causales. Soit l’approche structurelle est déductive, et elle consiste alors à vérifier une structure causale préétablie par ses conséquences logiques, en mesurant des relations causales entre variables (Boudon, ). Soit l’approche structurelle est inductive, et elle peut permettre d’inférer des relations causales à partir des propriétés statistiques des données ou, comme l’écrit Boudon (), « d’induire la structure causale sous-jacente ». Dans les années , la publication des travaux de Jöreskog () sur l’analyse des structures de covariance marque le début d’une nouvelle phase de développement de ces modèles. Celle-ci se caractérise par l’intégration de l’analyse factorielle et de l’analyse du chemin, que nous venons de décrire, avec des modèles à équations simultanées dans le cadre des modèles d’équations structurelles (Bollen, ). Nous verrons en détail, dans un bref chapitre dédié à la méthodologie des réseaux de symptômes, quelles sont les implications de ces équations structurelles. Par la suite, dans les années , les modèles d’équations structurelles sont apparus comme un puissant outil de modélisation causale (Bentler, ). De telles hypothèses structurelles peuvent être utilisées pour expliquer des modèles complexes, ceux-ci correspondant mieux aux phénomènes réels (biométriques ou sociologiques, à l’époque). Les effets indirects entre les variables et les construits du modèle peuvent être plus facilement testés qu’avec les statistiques utilisant de simples

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modèles factoriels. Enfin, les facteurs de confusion (liés aux variables latentes et à la variabilité des items) sont aussi mieux contrôlés. Ainsi, aujourd’hui encore, les modèles d’équations structurelles sont des techniques statistiques multivariées extrêmement flexibles et dont la sophistication ne cesse de croître (incluant par exemple des familles à facteurs de croissance latente, à mélange de distributions ou couplés aux approches bayésiennes).   Les équations structurelles correspondent donc à des techniques statistiques permettant d’estimer des structures non observées à partir des données observées. Autrement dit, il s’agit d’une des conceptions mathématiques les plus répandues pour déceler des variables latentes (et donc construire un modèle appelé « factoriel »). Ainsi, l’originalité du modèle des équations structurelles réside dans la possibilité de tester statistiquement un ensemble d’hypothèses appelées « structurelles », c’est-à-dire qui renseignent sur la structure des associations ou des relations causales entre des variables latentes.   Les réseaux de symptômes ont l’originalité de ne pas se fonder sur des équations structurelles 5. Cette introduction au contexte des équations structurelles semble nécessaire pour comprendre les différents chapitres qui suivront : ceux-ci expliqueront pourquoi les réseaux de symptômes se démarquent de ce modèle, tantôt du fait de leur méthodologie, tantôt du fait de leur conception de la causalité et tantôt du fait de leur conception du trouble psychiatrique, qui ne nécessite pas d’estimer une structure non observée (par exemple, un construit comme « la dépression »).

5. Toutefois, comme nous le verrons, il est possible de créer un réseau « hybride ». Au sein d’un tel modèle, les symptômes causalement reliés sont mêlés avec des variables latentes (causalement reliées entre elles par le sous-modèle structurel).

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Chapitre 2

Théorie de l’approche réseau D’un point de vue théorique, selon Borsboom (), un réseau de symptômes n’est pas sous-tendu par une cause commune et il se base sur la mutualisation des symptômes au sein d’un unique réseau. Après avoir abordé succinctement les défis des approches transdiagnostiques, nous allons mieux définir ces deux caractéristiques fondamentales (« variable latente » et « mutualisation ») avant d’aborder les quatre principes de la théorie des réseaux de symptômes en psychopathologie. Ces éclaircissements nous permettront d’aborder les propriétés de centralité d’un réseau que sont la force, la proximité (la « distance » moyenne entre un nœud et tous les autres nœuds du réseau) et l’intervalle entre les nœuds (le nombre de fois où un nœud est entre deux autres nœuds). Nous aborderons donc ici la théorie, par opposition à la modélisation : comme nous le verrons dans la dernière partie, la théorie se rapporte à un ensemble d’hypothèses, de principes, d’axiomes voire de lois qui permettent de créer des modèles (ou renvoient à une famille de modèles). Par exemple, ils utilisent le terme de « cause commune ». Les modèles sont des constructions qui permettent d’ordonner les données. Par exemple, ils utilisent le terme de « variable latente ».

1. Approche transdiagnostique, entre approche catégorielle et dimensionnelle L’approche réseau est une approche transdiagnostique de la psychopathologie. Nous allons explorer les caractéristiques d’une approche transdiagnostique, que nous comparerons dans un deuxième temps

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à l’approche réseau avant d’aborder les aspects catégoriels et dimensionnels de cette dernière. Des auteurs comme Warren Mansell () ont œuvré pour promouvoir les approches transdiagnostiques en psychopathologie 1. Ces recherches vont de l’étude du « facteur p », le facteur de psychopathologie générale qui sous-tendrait l’ensemble des pathologies psychiatriques (en cela et par d’autres méthodes, il rejoint les questions philosophiques qui cherchent à savoir ce qu’est le pathologique par rapport au normal) à des recherches sur le connectome humain, qui tentent d’identifier des voies neuronales perturbées au sein des réseaux cérébraux de toutes les pathologies psychiatriques. Les approches transdiagnostiques décrivent les interactions entre différentes catégories diagnostiques. Pour expliquer ces interactions, les approches transdiagnostiques rejettent généralement les catégories (diagnostiques) pour avancer l’utilisation de dimensions. Une dimension est un continuum psychopathologique qui reflète les différences individuelles pour une caractéristique adaptée ou inadaptée. Par exemple, l’anxiété sociale est une dimension qui va des interactions sociales confortables à la détresse dans presque toutes les situations sociales. Les dimensions reflètent des différences de degré plutôt que de nature. D’une certaine manière, puisque les réseaux n’intègrent pas explicitement de catégorie diagnostique, ils devraient être considérés comme agnostiques – distinction terminologique qui ne changerait rien au statut novateur des réseaux de symptômes dépassant les catégories figées du DSM.   Les critiques des classifications traditionnelles ont généralement cherché à promouvoir des systèmes dimensionnels. Mais les approches transdiagnostiques ne se résument pas aux classifications dimensionnelles. Certes, la plupart des approches transdiagnostiques proposent d’explorer une caractéristique ou un mécanisme qui s’inscrit dans un continuum (définissant l’aspect dimensionnel). L’approche transdiagnostique cherche plus généralement à identifier et tester des modèles psychopathologiques par la recherche de processus communs et 1. Dans un autre contexte, d’autres auteurs comme Patrick McGorry ont également proposé des approches transdiagnostiques, par exemple dans le cadre des modèles de staging (ou stadification), qui renvoient à un découpage de la psychopathologie en sous-groupes évoluant dans le temps.

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globaux qui traversent les systèmes de classification (Mansell, ). Pour mettre à l’épreuve de tels modèles, la prédiction et l’efficacité thérapeutique constituent des facteurs importants d’évaluation. En cela, les approches transdiagnostiques sont majoritairement fondées sur des critères prédictifs. En pratique, d’autres variables comme l’efficacité, la rentabilité, l’accessibilité et la réduction de la détresse déclarée par les patients, tout comme l’avis du public, des cliniciens, des prestataires de services et des décideurs doivent être pris en compte. Autrement dit, une approche transdiagnostique intègre (idéalement) des facteurs cliniques, mais également des facteurs sociaux, économiques, politiques, administratifs et expérientiels.   L’approche réseau et l’approche transdiagnostique telle qu’elle a été développée en amont des réseaux de symptômes comportent de nombreux points communs. Au sein de la première, le développement et le maintien d’un trouble sont liés à des ensembles de symptômes en interactions mutuelles ; au sein de la seconde, le développement et le maintien d’un trouble sont liés à des ensembles de caractéristiques évoluant par degrés et superposant plusieurs diagnostics traditionnels (tels qu’ils sont décrits dans le DSM). Dans les deux approches, les catégories diagnostiques ne constituent pas le fondement de la nosologie, mais ce sont toujours des symptômes (au moins) qui sont considérés. De plus, toutes deux permettent d’intégrer des facteurs externes et internes, qui pourraient interagir avec les symptômes, comme des facteurs environnementaux, des processus psychologiques ou des entités biologiques.   L’approche réseau pourrait donc être désignée comme transdiagnostique. Les symptômes qui constituent les réseaux proviennent majoritairement des catégories diagnostiques traditionnelles (et notamment du DSM), comme nous le verrons par la suite. Mais en même temps, les réseaux de symptômes permettent d’intégrer plusieurs catégories dans un unique réseau. Cependant, l’approche réseau n’est pourtant pas fondamentalement transdiagnostique, notamment parce qu’elle se positionne au carrefour des approches catégorielles et dimensionnelles. Expliquons brièvement pourquoi on peut parler de rupture entre la distinction

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« catégorielle/dimensionnelle » avec l’approche en réseau de symptômes. Dans l’approche catégorielle, le trouble psychiatrique est un ensemble pathologique fini de caractéristiques sémiologiques (des signes et des symptômes formant des syndromes). Cette définition est dichotomique : soit il y a un trouble, soit il n’y en a pas. Il n’y a pas de continuum entre les troubles. Dans l’approche dimensionnelle, les symptômes contenus dans une catégorie diagnostique peuvent évoluer de manière continue, mais les catégories elles-mêmes restent discrètes (c’est-à-dire qu’elles sont « découpées » distinctement). L’approche dimensionnelle n’est pas dichotomique, mais on retrouve toujours une séparation discrète entre les troubles. Cependant, dans l’approche réseau, la délimitation entre troubles n’est plus si évidente. L’accent est mis sur les symptômes et sur leurs interactions. Chaque réseau contient des symptômes qui peuvent provenir de différents troubles traditionnels (par exemple, des symptômes d’anxiété et des symptômes de dépression entremêlés). Il n’y a pas de rupture franche entre les symptômes, comme cela est retrouvé à la fois dans les approches catégorielles (dichotomiques) et dans les approches dimensionnelles (souvent transdiagnostiques).   Mais s’il n’y a plus de délimitation franche entre troubles, de manière à ce que la « nature soit coupée à ses articulations », qu’est ce qui délimite une entité nosologique ? Et plus généralement, est-il désirable d’en délimiter une, et si c’est le cas, pourquoi ? Nous allons étudier la réponse originale de l’approche réseau, qui se démarque une fois de plus du modèle médical classique : les réseaux de symptômes s’affranchissent de la notion de cause commune, censée expliquer pourquoi les symptômes sont rassemblés entre eux.

2. Cause commune (variable latente) Le modèle médical classique des troubles psychiatriques (comme celui du DSM) envisage le trouble psychiatrique comme résultant d’une cause commune, sous-jacente aux symptômes et expliquant le fait qu’ils soient rassemblés au sein d’une catégorie ou d’une dimension. Une cause commune ne signifie pas qu’il existe une entité physique localisable, mais amène le fait que les corrélations entre symptômes

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résultent d’un mécanisme sous-jacent commun supposé. Par exemple, les termes « schizophrénie » ou « dépression » renvoient à des causes communes, qui n’ont pourtant aucune existence dans la réalité clinique. Ces causes communes sont supposées exister de manière « sous-jacente » à chaque syndrome (schizophrénique ou dépressif ) 2. Il existe donc un présupposé au sein du modèle médical selon lequel une entité « imaginaire » sous-tendrait l’apparition et le maintien des symptômes cliniques observables. À l’inverse, la théorie des réseaux de symptômes postule que les symptômes sont des agents causaux autonomes et que la cause commune (comme « la dépression ») n’existe pas nécessairement en tant qu’entité réelle et indépendante. À quoi est due l’utilisation de cette idée de cause commune dans les modèles traditionnels ?   L’idée de cause commune est profondément ancrée dans la manière de penser des chercheurs qui s’intéressent aux construits psychologiques. En effet, ils rassemblent un ensemble d’éléments (des items ou des symptômes) qui semblent être de bons indicateurs d’un trouble psychiatrique. Mais ce rassemblement de symptômes part du principe qu’il existe une entité « trouble psychiatrique » (autrement appelé « construit », issu de construct dans le vocabulaire statistique). L’aspect unidimensionnel de ce construit (construct) permettrait de maximiser à la fois la fiabilité (c’est-à-dire la cohérence interne, tous les symptômes recueillis étant de bonnes mesures du même construit) et, pour une part, la validité (le fait que tous les symptômes renvoient de manière pertinente à ce qui doit être mesuré dans la réalité et, implicitement, le fait que le trouble reflète bien la manifestation d’un ensemble de mécanismes physiopathologiques). La validité de construit a été discutée dès  par Jenkins et reprise dans l’article clé de Cronbach et Meehl de , qui définit d’ailleurs un construit comme « un réseau d’associations ou de propositions » qui permet de mettre en évidence des relations entre des observations. Aujourd’hui, la logique de la validité de construit est intégrée aux modèles factoriels (et aux modèles des équations structurelles) : 2. Nous verrons que la notion théorique de cause commune renvoie à la notion de variable latente au sein des modèles statistiques.

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une variable commune explique pourquoi des variables observées sont observées ensemble. Les symptômes présentant de faibles corrélations avec les autres symptômes sont considérés comme de « mauvais » éléments, et sont généralement supprimés du construit (par exemple, la constipation avait pu paraître importante dans la dépression, mais elle a finalement été exclue du trouble car elle était trop peu corrélée avec les symptômes du construit « dépression »). Cependant, les mauvais éléments du point de vue de la cause commune ne sont pas nécessairement de mauvais éléments selon d’autres perspectives causales, par exemple dans une perspective clinique. Que faire d’un « mauvais élément » comme une idée suicidaire, qui rend moins fiable et moins valide la cause commune formée ou reflétée qu’est la dépression ? Il peut être supprimé pour des raisons statistiques. Or, un tel élément, qu’il soit un item de classification ou un symptôme, peut être particulièrement important en clinique (c’est le cas de l’idée suicidaire). L’approche réseau ne se fie pas à ces caractéristiques psychométriques (c’est-à-dire aux caractéristiques psychométriques qui augmentent la valeur statistique d’un construit), et peut au contraire prendre en considération une idée suicidaire parce qu’elle constitue un « pont » entre différents symptômes (McWilliams et Fried, ). Pour être plus précis, là où les modèles à variable latente suppriment par convenance les éléments qui desservent cette variable latente, l’approche réseau s’appuie au contraire sur ces éléments pour discuter de la complexité de la psychopathologie 3. Dans d’autres disciplines médicales que la psychopathologie, la séparation entre la cause commune (ou variable latente dans le vocabulaire statistique) et les symptômes est aisément visualisable : un agent infectieux ou une tumeur peuvent être facilement distingués en clinique ou par des examens paracliniques à partir de symptômes comme de la fièvre ou des céphalées. En psychopathologie, cette distinction n’est pas si aisément réalisable, et selon Borsboom ()

3. Comme nous le verrons dans le chapitre sur l’opposition entre modèle et théorie, les enjeux de fiabilité d’un modèle sont devenus si importants qu’ils se font au détriment de la théorie qui justifie le modèle : on dégrade la théorie en supprimant un de ses élément au nom de l’amélioration psychométrique du modèle.

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elle ne le sera jamais 4. Exprimé de manière plus abrupte : l’identification précise et systématique de la cause d’un trouble psychiatrique ne peut pas être réalisée. Partant de ce constat d’impuissance, les réseaux de symptômes postulent que les symptômes sont « la cause les uns des autres ». Il n’y a donc pas de cause commune au sein des réseaux. Il existe seulement des boucles de rétroaction conduisant à l’installation et la maintenance de ces symptômes. La figure ci-dessous, issue de Guloksuz, Pries et van Os () illustre cette différence entre approches. Fatigue

Essoufflement Toux

Douleur Troubles du sommeil

cancer du poumon

Fatigue

Perte d’appétit

Hémoptysie (a)

Troubles psychomoteurs

Troubles du sommeil

Difficultés de concentration

Culpabilité

Perte d’appétit

Idéations suicidaires

Humeur dépressive

Anhédonie

(b)

Figure 2 : (a) le cancer du poumon est représenté par une entité distincte à l’origine de ses signes et symptômes ; (b) la dépression émerge de l’interaction dynamique entre signes et symptômes dans un réseau. D’après Guloksuz, Pries et van Os, 2017

L’idée de concevoir les problèmes de santé mentale comme des cercles vicieux de dysfonctionnements qui s’alimentent mutuellement, selon les réseaux de symptômes, est incompatible avec l’affirmation qu’une cause commune puisse expliquer l’ensemble du réseau. Cette conception des troubles dans lesquels les dysfonctionnements s’alimentent mutuellement correspond justement à la manière dont les cliniciens ont tendance à penser intuitivement aux troubles mentaux 4. Cette affirmation peut cependant être nuancée si elle est replacée dans un cadre transculturel, qui n’est pas le sujet ici. Par exemple, dans Croire aux fauves, Nastassja Martin, ethnologue en étude au Kamchatka, raconte son attaque par un ours, à la suite de laquelle des troubles psychiques (angoisses, reviviscences, etc.) en ont résulté. La « cause » en est attribuée à l’ours lui-même par le peuple animiste où elle vivait. Cette cause renvoie à une cause extérieure parfaitement circonscrite selon la vision indigène.

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(Kim et Ahn, ) – sans se rapporter nécessairement à une cause sous-jacente. Le trouble (ou le construit, en psychométrie) d’un patient est présent cliniquement du fait qu’un symptôme soit plus marqué qu’il ne devrait l’être, comme une tristesse de l’humeur qui devient une détresse mélancolique. Cette augmentation d’intensité entraîne une augmentation de l’association (de la corrélation) avec les autres symptômes adjacents. En aucun cas, il n’est nécessaire de convoquer une « cause commune » réduisant les symptômes à un unique facteur qui expliquerait pourquoi ces derniers sont rassemblés. Les symptômes d’un trouble psychiatrique sont corrélés parce que l’expérimentation d’un symptôme pour un individu conduit à l’expérimentation d’autres symptômes par cet individu, par des voies causales directes (par exemple rumination → insomnie → fatigue). L’absence de cause commune correspond bien, également, à la manière dont les sujets décrivent leurs propres symptômes (Frewen, Allen, Lanius et Neufeld,  ; Frewen, Schmittmann, Bringmann et Borsboom, ).   Dans le modèle à variable latente, les catégories de troubles (« la dépression ») sont des indicateurs passifs et interchangeables, nominalistes, qui engagent à considérer le symptôme psychiatrique comme un indicateur du trouble sous-jacent. Il est alors admis que l’intervention et le traitement devraient se concentrer sur la variable latente, et non directement sur chaque symptôme. Les réseaux de symptômes se décalent de cette conception thérapeutique, en axant leur intérêt sur le symptôme. Notons qu’une version radicale de cette position impose que la cause commune soit une entité qui existe dans la nature en tant que chose, comme cela peut être retrouvé dans une telle affirmation matérialiste : « Tous les troubles mentaux sont des troubles cérébraux ». Là aussi, les réseaux de symptômes déplacent la focale vers le symptôme en interaction.

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Un facteur

A

1

2

B

3

4

5

C

6

7

8

9

(a) Figure 3 : Comparaison d’une analyse factorielle (a) et d’une analyse en réseau (b). (a) : les cercles indiquent les variables latentes et les carrés les observations.

Nous pouvons donner pour exemple le trouble « état limite ». L’analyse factorielle permet d’isoler trois grandes dimensions largement retrouvées dans la littérature : la perturbation dans les relations sociales (Conway, Hammen et Brennan, ), les troubles de l’identité (Bender et Skodol, ) et la dysrégulation comportementale avec impulsivité (Linehan,  ; Crowell, Beauchaine et Linehan, ). L’analyse en réseau permet de mettre en avant les symptômes les plus saillants selon ces dimensions. La figure  ci-dessous permet de visualiser les symptômes de dépression selon une cause commune (« la dépression ») en mutualisant les interactions entre eux. Par exemple, un des intérêts d’un tel réseau est de voir que l’insomnie et les problèmes de concentration séparent l’anxiété et la fatigue.

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Insomnie

Inquiétude excessive

Dépression

Insomnie

Fatigue

Inquiétude excessive

Fatigue

Problèmes de concentration

Problèmes de concentration

(a)

(b)

Figure 4 : (a) Modèle à variable latente et (b) modèle en réseau de symptômes. D’après Cramer, Waldorp, van der Maas et Borsboom, 2010

3. Mutualisation L’analyse des données en santé mentale repose généralement sur la somme des scores de symptômes ou sur l’estimation de modèles factoriels (c’est-à-dire comportant une variable latente, ou cause commune). Comme nous venons de le voir, de telles analyses ne tiennent pas compte des associations directes entre symptômes, associations qui sont pourtant bien perçues en pratique clinique. En effet, en clinique (par exemple au cours des thérapies cognitivo-comportementales), les troubles psychiatriques sont considérés comme des « cercles vicieux » de problèmes fonctionnels. Au sein des réseaux de symptômes, les troubles psychiatriques sont conçus comme des systèmes de symptômes interconnectés au sein duquel les symptômes sont la cause les uns des autres. Cette interaction entre les différents symptômes donnerait lieu à une boucle de rétroaction. C’est cette boucle qui conduirait à l’installation et au maintien des troubles. Comme l’écrivait Borsboom en  : Les symptômes peuvent former des boucles de rétroaction qui conduisent la personne à basculer dans un état d’activation prolongée des symptômes que nous reconnaissons phénoménologiquement comme un trouble mental (Cramer et coll., ). 48 Les réseaux de symptômes en psychopathologie

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La survenue d’un symptôme va augmenter la probabilité qu’un symptôme connecté se produise également. Les groupes de symptômes les plus proches vont se synchroniser, et lorsque tout le réseau est « activé », on nommera « trouble psychiatrique » ce groupe de symptômes qui s’activent par boucles rétroactives. Ce phénomène de mutualisation va nous permettre de proposer une redéfinition du trouble psychiatrique, définition qui peut être affinée par la compréhension des principes fondamentaux de la théorie des réseaux de symptômes que nous allons développer.

4. Les quatre principes fondamentaux de la théorie des réseaux de symptômes Borsboom () énonce que quatre principes soutiennent la théorie des réseaux de symptômes 5 :

Principe 1 : la complexité Les troubles mentaux sont mieux caractérisés en termes d’interaction entre composants d’un réseau de symptômes.

Les troubles mentaux sont donc des entités complexes, et ne sont pas seulement le reflet d’un facteur causal unique (la variable latente). Ils sont conceptualisés comme des réseaux complexes de mécanismes biologiques, environnementaux, psychologiques, neurocognitifs qui se renforcent mutuellement. Comme le soulignent Bortolon et Raffard (), l’approche réseau ne minimise pas l’importance des facteurs biologiques. Elle « considère que ces facteurs biologiques, tout comme des facteurs contextuels, sociaux et culturels peuvent influencer (renforcer ou affaiblir) l’activation du réseau psychopathologique et les connexions entre les différents symptômes ». L’approche réseau s’inscrit donc dans une forme de pluralisme explicatif (multifactoriel) des troubles mentaux.

5. La définition donnée pour chaque principe est celle fournie par Borsboom, .

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Principe 2 : la correspondance composant/symptôme Les composants du réseau de symptômes correspondent aux problèmes qui ont été codifiés comme symptômes au cours du siècle dernier et qui apparaissent comme tels dans les manuels diagnostiques actuels.

Contrairement à ce qui vient d’être dit précédemment, il est proposé ici que seuls les symptômes doivent faire partie du réseau. Les autres éléments font partie du « champ externe », et ils peuvent influencer le réseau (plus ou moins directement et de manière plus ou moins différée) mais n’en font pas directement partie. Ce principe a deux implications. La première implication de ce principe nécessite d’admettre que les symptômes issus de l’histoire de la psychiatrie soient valides et possèdent le bon niveau de « granularité ». L’histoire de la discipline psychiatrique fournit en effet un « répertoire psychiatrique cohérent » (Tabb, ) qui constitue un registre historique de symptômes distingués les uns des autres. Par exemple, la fatigue est un symptôme, mais ce symptôme aurait pu être séparé en deux : fatigue psychique, fatigue physique. Ces distinctions sont discutées dans un chapitre spécifique de cet ouvrage portant sur la question du symptôme. La seconde implication de ce principe nécessite d’isoler les symptômes des éléments du « champ externe », constitué des éléments qui n’appartiennent pas au répertoire traditionnel de la psychopathologie. Le critère permettant de séparer le constituant d’un réseau d’un élément du champ externe n’est pas clairement déterminé. D’ailleurs, la différence entre un « comportement », qui pourrait constituer un symptôme du réseau, et un « processus psychologique », qui serait externe au réseau mais pourrait l’influencer, n’est pas évidente (Monestès et Baeyens, ). Ainsi, certains auteurs ont « autorisé » l’entrée dans le réseau de facteurs psychologiques et neurocognitifs, voire environnementaux. Dans un commentaire à l’article de Borsboom présentant ces principes, Jones, Heeren et McNally () ont explicitement soutenu que d’autres variables devraient faire partie du réseau psychopathologique, comme des fonctions biologiques. Leur argument tient au fait que ces variables évoluent au niveau intra-individuel et participent à l’étiologie et au maintien des troubles psychiatriques, au même titre que les symptômes.

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Principe 3 : des connexions causales directes La structure du réseau est générée par un ensemble de relations causales directes entre les symptômes.

Ce principe vient en partie répondre à l’interrogation précédente concernant la « granularité » du symptôme : qu’est ce qui ferait choisir entre un unique nœud nommé « idées délirantes » ou deux nœuds nommés respectivement « idées délirantes de persécution » et « idées délirantes de grandeur » ? Nous avons compris précédemment qu’un symptôme pouvait être déclenché par un facteur (par exemple un facteur interne, l’hypersomnie pouvant dépendre d’un dysfonctionnement biologique, ou un facteur externe, pouvant être le résultat d’un manque de sommeil). L’initiation de ce symptôme va en activer d’autres, par exemple des difficultés de concentration ou une tristesse de l’humeur. Ces autres symptômes vont agir en retour sur le symptôme initial et le renforcer, formant le cercle vicieux de la maladie. Ce cercle ne dit en rien quels symptômes doivent être considérés. Faut-il séparer les différentes manières d’être triste ? Faut-il différencier les trois formes d’insomnie (d’endormissement, de maintien et d’éveil précoce) ? La séparation entre deux symptômes reste difficile à concevoir. Borsboom et coll. () ont ainsi avancé la notion de relation rationnelle entre symptômes. Une telle relation présume que les contenus (sémantiques) des symptômes influencent rationnellement les autres symptômes. Cette relation est rationnelle parce que le contenu explique la présence des symptômes adjacents : par exemple, les idées délirantes de grandeur seront associées à un mauvais contrôle des impulsions, car l’individu agira en fonction de son sentiment d’être spécial et très important, tandis que les idées délirantes de persécution seront associées à de l’anxiété, car l’individu sera préoccupé par elles (Bortolon et Raffard, ). Les nœuds adjacents à ces deux contenus phénoménologiques du symptôme « idées délirantes » seront donc différents. Une intentionnalité est contenue dans chaque nœud du réseau, ce qui nécessite de connaître sa nature et présuppose donc une compréhension de son contenu. Ce principe renforce l’idée que les réseaux de symptômes de la psychopathologie sont intuitifs pour les cliniciens ou les patients, comme nous l’avons déjà fait remarquer. En effet, les cliniciens créent spontanément des réseaux de causalité en s’appuyant sur le contenu Théorie de l’approche réseau 51

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des symptômes, lorsqu’on leur demande comment ces derniers s’imbriquent (Kim et Ahn, ).

Principe 4 : les troubles mentaux correspondent aux structures du réseau Le réseau de symptômes possède une topologie non triviale, dans laquelle certains symptômes sont plus étroitement liés que d’autres.

Sans ce critère, tous les symptômes seraient reliés avec le même « poids », sans distinction pertinente entre les relations qu’ils entretiennent deux à deux. Cela signifie que les symptômes qui appartiennent à un même trouble du DSM seraient plus fortement liés que les symptômes qui appartiennent à des troubles différents. Par extension à des catégories plus raffinées que celles du DSM, ce principe renvoie également aux regroupements de symptômes en groupes fortement liés (Borsboom et coll., ). Ce sont justement de tels regroupements pertinents de symptômes qui donnent lieu à une manifestation phénoménologique correspondant à un trouble psychiatrique 6. Notons, à la suite de Cramer (), que l’agrégation des symptômes décrite dans ces principes ne fige pas un trouble psychiatrique dans une catégorie unique. Au contraire, le réseau peut tout autant accepter d’autres symptômes au fil du temps, en fonction de la question du chercheur et en fonction de l’évolution des connaissances scientifiques (triple relativité de l’espèce complexe constituée). Notamment, il existe souvent des symptômesponts reliant deux troubles fréquemment retrouvés chez un même individu (par exemple, l’anxiété et la dépression).

Hystérésis À ces quatre principes s’ajoute un cinquième principe « d’hystérésis ». Il s’agit d’un terme issu de la théorie des systèmes dynamiques qui décrit 6. Pour faire un parallèle avec la philosophie de l’esprit, on retrouve là la notion de réseaux de pensées structurés par des lois normatives permettant de comprendre par exemple les désirs, préférences, opinions, croyances et intentions exprimées en clinique, telle que l’a décrite Donald Davidson ().

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la persistance d’un phénomène bien que l’événement déclencheur ait disparu, persistance liée à une inertie du système avant de revenir à son état antérieur. La figure  ci-dessous montre l’intrication des variables qui, sous l’influence d’un événement extérieur (par exemple, un traumatisme dans le cadre de l’état de stress post-traumatique), deviennent des symptômes fortement liés entre eux (par exemple des reviviscences, des troubles du sommeil et de la concentration). Il est ainsi possible de voir comment les symptômes s’auto-entretiennent par boucles de rétroaction, même après la disparition de l’événement déclencheur. Phase 1 Réseau dormant dans un état stable

Phase 2 Activation du réseau

Phase 3 Propagation de symptômes

Phase 4 Réseau actif dans un état stable

S4

S4

S4

S4

S2

S3

S2

S3

S1

E1

S2

S3

S1

E1

S2

S3

S1

E1

S1

E1

Figure 5 : Développement d’un trouble psychiatrique. Après une phase asymptomatique pendant laquelle le réseau est latent (phase 1), un événement externe (E1) active certains des symptômes (phase 2), qui à leur tour activent des symptômes liés (phase 3). Si le réseau est fortement connecté, la suppression de l’événement externe n’entraîne pas de retour à l’état antérieur : le réseau se maintient par lui-même et reste bloqué dans son état actif (phase 4). D’après Borsboom, 2017

Lors de la phase , lorsque le réseau est à l’état stable en sommeil, les nœuds du réseau correspondent à des domaines de fonctionnement. Il s’agit de symptômes potentiels, en puissance, et le réseau est dit « latent ». Par exemple, un nœud donné pourrait être le construit « sommeil », qui est plus ou moins fonctionnel en l’absence de trouble, mais non considéré comme dysfonctionnel. Ces nœuds peuvent être envisagés de manière catégorielle, c’est-à-dire de manière dichotomique :

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par exemple, si le nœud correspond à une hallucination acousticoverbale, celle-ci peut être soit absente dans la phase , soit présente dans les phases ,  et . Ces nœuds peuvent également être envisagés de manière dimensionnelle : par exemple, l’humeur est présente à tout moment pour un sujet, mais à partir d’un certain seuil, l’humeur devient pathologique et le réseau transite alors de la phase  (santé) à la phase ,  et  (maladie). Le choix de ce seuil entre normal et pathologique ou au sein des dimensions relève d’un long débat en philosophie de la psychiatrie (Haslam,  ; Cuthbert et Insel, ), mais il correspond au seuil défini dans le répertoire historique des symptômes psychiatriques (voir principe ). Le débat du seuil entre normal et pathologique en psychiatrie ne sera pas détaillé ici, mais la question sera tout de même abordée par la suite : en effet, comment modéliser ce seuil dans le réseau ?   Pour reprendre la notion d’hystérésis avec l’exemple de la figure , il est important de remarquer que le réseau « en sommeil » (phase ) est faiblement connecté avant l’apparition de l’événement déclencheur. Un réseau en sommeil est faiblement connecté quand ses domaines de fonctionnement (« Si » sur la figure ) sont peu reliés entre eux. Par exemple, si une mauvaise qualité de sommeil influence peu les troubles de concentration chez un individu (ce qui ne sera pas nécessairement vrai chez un autre individu), les domaines non encore symptomatiques sont faiblement reliés, et le réseau est donc faiblement connecté. Un évènement extérieur bouleversant les nœuds fait que ceuxci « deviennent » des symptômes d’un trouble. Dans les réseaux faiblement connectés, la connexion entre les symptômes n’est pas assez forte pour que ceux-ci s’auto-entretiennent, ce qui conduit au rétablissement de l’état initial. Ainsi, comme le réseau est faiblement connecté, son rétablissement se fera rapidement, la rémanence du réseau sera moins longue. Le sujet se rétablira plus rapidement, l’état de santé perdu sera plus rapidement retrouvé. C’est donc cette faible dépendance entre symptômes qui correspond à l’état de santé. Comme l’écrit Borsboom () : La santé mentale peut être définie comme l’état stable d’un réseau faiblement connecté.

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Nous reprendrons cette idée dans le chapitre portant sur l’épistémologie des réseaux de symptômes. Inversement, dans un réseau fortement connecté, l’activation pourra se maintenir longtemps après la disparition de l’événement (par exemple dans le cas de maltraitances infantiles) (Isvoranu, ). Cela correspond à la définition de la vulnérabilité, qui correspond alors à « la disposition des réseaux fortement connectés à passer à un état de trouble lors d’une perturbation dans le champ extérieur », par opposition à la résilience. Selon cette définition, la présence d’un unique symptôme (par exemple, une mauvaise qualité de sommeil ou un trait de personnalité isolé) permet encore d’être en bonne santé. Avoir un ou plusieurs symptômes non connectés ne définit pas la maladie. À noter donc que cette définition ne coïncide pas avec une définition du trouble psychiatrique comme « absence de symptômes », ni comme un équilibre statique, mais comme un état d’équilibre auquel un système sain revient s’il est perturbé 7.   Dans le prochain sous-chapitre, nous allons détailler cette dynamique. Mais avant cela, nous pouvons établir quelques parallèles entre cette définition de la santé mentale, l’approche de Canguilhem et la notion de rétablissement utilisé dans les pratiques de soin psychiatriques. Premièrement, cette définition d’un état d’équilibre dynamique vers lequel le système retourne après perturbation se rapproche de la définition d’équilibre décrite par Canguilhem (), sans pour autant la résumer. En effet, cet équilibre dynamique du réseau présente la santé comme le fait que le réseau se rétablisse après perturbation. Deuxièmement, la notion d’état d’équilibre dynamique des réseaux rend compte de l’objectif du rétablissement clinique et fonctionnel. Le rétablissement peut être défini comme le fait de s’accommoder d’un nouvel état d’équilibre différent du précédent, et d’apprendre à vivre avec. Le sujet reste porteur d’une pathologie mais se « réconcilie » avec un nouveau fonctionnement clinique, social et quotidien 7. Notons pour finir que nous pourrions rapprocher la notion d’hystérésis des réseaux avec l’hystérésis (de l’habitus) de Bourdieu. Celui-ci désigne le phénomène par lequel les dispositions acquises par la socialisation d’un individu, dans un espace social défini, perdurent dans le temps et hors de cet espace social. Il s’agit donc de la persistance d’un phénomène alors même que la cause qui l’a déclenché a cessé.

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(en suivant des processus de reconstruction et de croissance). La notion de rétablissement cherche moins à se soucier de la persistance d’un trouble que de savoir comment utiliser au mieux les ressources de l’individu (espoir, identité, sens ou responsabilité). Le rétablissement serait une forme de stabilité de symptômes interconnectés par de faibles connexions. Pour faciliter la compréhension de ces notions de stabilité et de dynamique, nous allons par la suite détailler la stabilité et la dynamique d’un état de santé et d’un trouble psychiatrique.

5. Stabilité et dynamique d’un réseau Les réseaux permettent certaines inférences, c’est-à-dire qu’ils permettent de tirer des conclusions sur les symptômes et sur leurs relations que la clinique n’aurait pu dévoiler. Ces inférences peuvent rendre compte du réseau dans sa globalité, comme nous allons le voir ci-dessous : on donne des informations sur la structure globale du réseau, comme sa densité, sa stabilité ou sa dynamique (informant sur la prédictibilité et la pertinence du réseau). Les inférences peuvent être locales : on donne des informations sur les nœuds et les liens, en étudiant par exemple les mesures de centralité (Barrat et coll.,  ; Freeman,  ; Opsahl et coll.,  ; Epskamp, Cramer, Waldorp, Schmittmann et Borsboom, ). Nous les étudierons dans la prochaine sous-partie.   La stabilité d’un état est définie par sa persistance dans un état de santé ou sa persistance dans un état de maladie. La stabilité est importante pour comprendre la transition entre santé et maladie. Étant donné que la structure des réseaux peut être traduite en termes mathématiques, certaines équations permettent de tirer des conclusions sur le réseau, ce qui ne semble pas possible par la simple observation des relations cliniques. En l’occurrence, la stabilité peut être calculée grâce à certains indices du réseau (par exemple, l’indice de connectivité).   Un des intérêts majeurs des réseaux de symptômes pourrait venir de la capacité des réseaux à évoluer de manière dynamique. En ce qui concerne la dynamique du réseau (et donc sa stabilité), nous allons utiliser une métaphore pour tenter de comprendre l’importance de la dynamique du réseau. L’image que nous employons est celle de la santé

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qui évolue « vers le haut » ou « vers le bas », comme une balle qui évoluerait en fonction du relief. Il faut donc considérer cette image comme un moyen d’appréhender la maladie. Cette image de la balle est elle-même issue de la notion de bassin d’attraction utilisée dans le cadre des réseaux de neurones (descente de gradient) et dans le cadre des attracteurs des systèmes dynamiques (points fixes). Notons que cette métaphore n’est pas vouée à tenter de rapprocher la notion de bassin d’attraction des réseaux de symptômes en psychopathologie, mais est uniquement pédagogique : contrairement à d’autres sciences (notamment des sciences computationnelles ou des systèmes dynamiques), dans lesquelles la métaphore de la vallée peut se traduire aisément en termes mathématiques, les réseaux de symptômes sont avant tout des descriptions utiles des comportements – et l’image de la balle et de la vallée n’en est que le reflet didactique 8. Cette métaphore permet de comprendre que la stabilité d’un état de santé comme de maladie correspond au fait de se retrouver dans le fond du bassin d’attraction. Plus la connectivité (poids des relations) ou la densité (nombre de relations) sont importantes (le bassin est profond), plus le réseau est stable (en forte santé ou en grave maladie). La connectivité (ou densité) peut être mesurée mathématiquement au sein d’un réseau. Ainsi, la dynamique d’un état (de santé ou de maladie) peut être illustrée par l’image d’une balle qui roule d’une colline vers une vallée, comme l’illustre la figure  ci-dessous (Hofmann et Curtiss, ). En utilisant la description de van Borkulo et coll. (), Bortolon et Raffard () décrivent ainsi cette image de la balle : Plus la vallée est profonde, plus le réseau est stable […] stable dans un état de maladie ou stable dans un état de santé. Il faut beaucoup plus d’effort ou un niveau de perturbation important (par exemple, plusieurs facteurs stressants qui se cumulent) pour que la balle en position a atteigne le point de basculement (ou « tipping point ») en position a. Une fois ce point atteint, même une petite perturbation peut entraîner un changement brusque d’un état de santé à un état de maladie mentale, en position a. 8. Du moins, la projection des états du réseau dans un espace de phase (par exemple, à deux dimensions afin de retrouver cette « colline ») constituerait un travail supplémentaire qui n’est pas décrit explicitement dans la théorie des réseaux de symptômes.

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Dans cette dernière position (a), le bassin n’est que peu profond, le réseau représentant le trouble psychiatrique est faiblement connecté, donc peu stable. Le retour à l’état antérieur peut être relativement aisé. Ainsi, un tel réseau faiblement connecté peut correspondre à une déstabilisation temporaire d’une condition de santé, ou éventuellement à un trouble psychiatrique de pronostic favorable. À l’inverse, dans la figure b, l’état de trouble psychiatrique est une vallée profonde (position b). L’état est donc beaucoup plus stable, le réseau est plus fortement connecté, il sera difficile de revenir à l’état antérieur. Un tel réseau fortement connecté du trouble psychiatrique correspond à un réel trouble psychiatrique, et nécessairement à un pronostic moins positif (van Borkulo et coll., ). 2 (a)

3 1

2 (b)

1

3

Figure 6 : Passage d’un état stable de santé mentale (position 1, (a) et (b)) à un état stable de trouble psychiatrique (position 3, (a) et (b)). Le réseau de l’état de trouble psychiatrique (les positions 3 sur les deux figures) est moins stable et moins connecté pour la figure (a) (3a) et plus stable et plus connecté pour la figure (b) (3b). La position 2 pour les figures (a) et (b) représente le passage d’un point de bascule. L’auteur remercie C. Bortolon et S. Raffard pour cette suggestion.

À terme, la caractérisation de cette notion de point de bascule pourrait constituer un facteur majeur de prévention et de compréhension des troubles mentaux. En effet, l’identification d’un tel point de bascule correspond à ce qu’on nomme communément le seuil de la maladie. Cependant, il reste à déterminer la nature de ce seuil permettant d’indiquer le processus de transition entre deux états : est-ce un des symptômes du réseau augmentant d’intensité ? Est-ce un facteur de risque dont le seuil est atteint ? Est-ce un marqueur extérieur au réseau, par exemple biologique ? 58 Les réseaux de symptômes en psychopathologie

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6. Les mesures de centralité Nous avons dit que la structure du réseau pouvait se traduire en termes mathématiques. Cette traduction offre des mesures statistiques, qui permettent de tirer des inférences sur le réseau, et notamment des inférences locales (c’est-à-dire fournissant des informations sur quelques éléments du réseau, mais pas sur sa structure globale). Les mesures de centralité sont parmi les mesures locales les plus importantes du réseau. Elles attribuent des valeurs numériques aux nœuds selon leur importance par rapport au reste du réseau. Autrement dit, les nœuds les plus centraux sont considérés comme les nœuds les plus importants du réseau. Il existe plus de  mesures de centralité, mais trois sont principalement utiles et utilisées dans le cadre des réseaux de symptômes : la force, la proximité entre les nœuds et l’intervalle entre les nœuds.   Pour aider à comprendre ces mesures, le réseau de symptômes peut être considéré comme une carte du réseau ferroviaire, une ville étant considérée comme un nœud et le chemin de fer entre deux villes comme une connexion. La force correspond au nombre de liens connectés au nœud. Un symptôme a une centralité élevée en termes de force si ce symptôme est étroitement lié à tous les autres symptômes. La mesure de force de centralité répond à la question : « Ce nœud est-il bien connecté au reste du réseau ? ». Dans la métaphore du réseau ferroviaire, une ville a une force importante si elle est connectée à un très grand nombre d’autres villes, comme c’est le cas de Paris. La proximité correspond à l’inverse de la somme de toutes les longueurs de chemin allant d’un nœud à tout autre nœud. Plus simplement, un symptôme a une proximité élevée si le symptôme peut être connecté rapidement à d’autres symptômes. La mesure de proximité répond à la question : « Est-il facile d’atteindre tous les autres nœuds à partir d’un nœud donné ? ». En utilisant la métaphore du réseau ferroviaire, une ville a une grande proximité si elle est centrale par rapport à beaucoup d’autres villes, c’est-à-dire qu’elle est « proche » de beaucoup d’autres – comme la ville de Bourges, qui est au centre géographique de la carte de France.

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Enfin, l’intervalle entre les nœuds fournit des informations sur la qualité d’un nœud donné d’agir comme un « pont » pour relier différentes parties du réseau. Un symptôme a une centralité élevée en termes d’intervalle entre nœuds si le symptôme peut influencer la connexion entre des symptômes non directement connectés. La mesure de l’intervalle entre les nœuds répond à la question : « Dans quelle mesure un nœud connecte-t-il d’autres nœuds ? ». Dans la métaphore du réseau ferroviaire, une ville a un grand intervalle entre nœuds s’il est nécessaire de transiter par cette ville pour rejoindre d’autres villes, comme la ville de Lyon qui doit être traversée sur la route entre Paris et Marseille. La figure  ci-dessous présente ces différentes mesures de centralité. Force importante

Proximité importante Intervalle entre nœuds important Figure 7 : Les trois mesures de centralité : force, proximité et intervalle entre nœuds.

La mesure de la centralité est importante pour différentes raisons : elle se rapproche des Core Outcome Sets (COS), décrits en santé publique pour appréhender les symptômes les plus importants pour un patient éprouvant sa propre maladie (à la différence de la maladie telle qu’elle a été décrite par le corps médical et la recherche), bien que les COS soient initialement et uniquement voués à renforcer la validité des essais cliniques (Chevance, Tran et Ravaud, ). La centralité cible de manière statistique les éléments les plus influents sur le reste du réseau. Par exemple, selon l’exemple de Bortolon et Raffard (), si la rumination apparaît comme un nœud central dans la dépression pour une personne donnée, nous pourrions tester si l’intervention sur

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la rumination peut également avoir un impact sur d’autres symptômes considérés en tant que conséquences de la rumination. Nous pouvons donner deux exemples pratiques d’application de la centralité en recherche et en clinique. En recherche, la centralité pourrait être implémentée dans les essais contrôlés randomisés. En effet, de nouvelles cibles cliniques peuvent être identifiées avec les indices de centralité. En quelque sorte, de tels indices sémiologiques peuvent correspondre à des biomarqueurs (un biomarqueur est un indicateur de santé qui renseigne sur un processus biologique, et qui peut être biologique, clinique ou comportemental). L’identification de la centralité d’un biomarqueur au sein d’un réseau peut guider la recherche diagnostique, voire conduire plus ou moins directement à un traitement (on parle de « théranostic » lorsque le marqueur permet de fournir un traitement adapté à ce qu’il mesure). En clinique, au cours du temps, ces mesures de centralité pourraient également être considérées comme des mesures stables dans l’histoire de la maladie d’un patient.   Cependant, il faut rester prudent avec la notion de centralité. Un nœud central n’est pas synonyme d’un nœud important. Par exemple, le trouble du sommeil peut être central dans un réseau de dépression, mais ce n’est pas nécessairement sur lui qu’il faudra agir pour traiter la dépression. Inversement, l’idée suicidaire peut être périphérique, mais ne doit pas être négligée pour autant. Comme Bringmann et coll. () l’ont déclaré : Il faut expliquer clairement ce que signifie être un nœud central ou important.

Le rapport de la centralité (mesure statistique) avec la réalité clinique reste encore à démontrer. En fait, la motivation à utiliser la centralité des réseaux de symptômes peut être différente en fonction de l’objectif. Pour envisager une prise en charge thérapeutique, elle peut ne pas être un bon indicateur. Mais pour comprendre comment les symptômes d’un trouble interagissent et s’assemblent, la centralité peut être particulièrement utile.

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Chapitre 3

Épistémologie des réseaux de symptômes Une doctrine philosophique est au début une description vraisemblable de l’univers ; les années tournent et c’est un pur chapitre – sinon un paragraphe ou un nom – de l’histoire de la philosophie Jorge Luis Borges, Fictions ()

Borsboom () écrivait que « la santé est l’état stable d’un réseau faiblement connecté ». Nous allons voir dans un premier temps comment les réseaux de symptômes permettent de discuter la définition d’un trouble psychiatrique. Cette discussion conduira à présenter quatre styles de compréhension des troubles psychiatriques dans un deuxième temps. Dans un troisième temps, nous traiterons de l’intégration des facteurs environnementaux au sein des réseaux, qui nous conduira à expliciter ce que sont les réseaux hybrides dans un quatrième temps. Nous aborderons dans un cinquième et sixième temps les enjeux de la psychiatrie personnalisée et leur rapport à une classification neuroscientifique alternative au DSM.

1. Naturalisme et normativisme en philosophie de la médecine Les débats en philosophie de la médecine se sont longtemps cristallisés autour de deux conceptions des troubles : le naturalisme et

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le normativisme. Le naturalisme renvoie à la notion anglophone de disease. Dans sa version la plus classique (Boorse, ), il considère qu’un trouble psychiatrique renvoie à une fonction naturelle déviante par rapport à la norme statistique pour une classe de référence (par exemple, une classe d’âge). Une telle conception implique de se concentrer principalement sur les déterminants biologiques dont témoigne la (dys)fonction. D’un autre côté, le normativisme renvoie à la notion anglophone d’illness. Dans sa version la plus classique (Engelhardt,  ; Nordenfelt, ), le normativisme considère qu’un trouble psychiatrique renvoie au sentiment d’un préjudice ou d’incapacité vécu par une personne, l’empêchant potentiellement d’accomplir ses buts vitaux (ou atteindre un niveau de bonheur minimal). Une telle conception implique de se concentrer principalement sur des déterminants pratiques de la santé. La conception des réseaux de symptômes adopte une position hybride entre naturalisme et normativisme. La capacité d’auto-organisation, les interactions et l’intérêt porté aux symptômes au sein d’un réseau témoignent d’une conception de la maladie indépendante des normes physiologiques. Il n’y a pas notion de dysfonction conçue comme une cause commune, qui serait sous-jacente à l’ensemble de symptômes interconnectés (les nœuds du réseau, principalement sémiologiques, peuvent être ajoutés ou supprimés en fonction du vécu du patient). Le préjudice et les valeurs individuelles des patients peuvent être théoriquement explorés comme des nœuds du réseau. Mais les réseaux de symptômes adhèrent également à une conception scientifique des troubles qui accueille potentiellement des éléments biologiques. Ils ne peuvent donc être résumés aisément à une approche normativiste ou naturaliste. Cependant, ils ne renvoient pas tout à fait à la conception hybride située entre naturalisme et normativisme telle que développée par Jerome Wakefield (), selon laquelle il faudrait qu’une dysfonction cause un préjudice (conception nommée « Harmful Dysfunction Analysis ») 1. En effet, la dysfonction est difficilement localisable au sein 1. À noter que cette opposition hybride entre des mécanismes naturels dysfonctionnels et les valeurs normatives de l’individu sont retrouvés dans toute la médecine, par exemple décrits dès  avec MacKenzie qui proposait de toujours à la fois « découvrir le mécanisme » et « évaluer la valeur » d’un trouble.

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d’un réseau, et le préjudice n’est pas fourni explicitement par l’ensemble de symptômes interconnectés. Au sein des réseaux de symptômes, l’état de pathologie n’est pas décrit comme une défaillance du fonctionnement physiologique, puisque ce sont les symptômes qui sont les causes d’autres symptômes. L’état de pathologie n’est pas non plus traduisible en un préjudice vécu par la personne, en raison de ce mutualisme causal. Il n’y a pas d’état pathologique lié à une unique dysfonction ou à une unique norme sociale ou de souffrance personnelle.

2. Réseaux de symptômes et définition de la pathologie Pour aller plus loin cependant, et contestant ces vues précédentes, le nœud d’un réseau pourrait être considéré comme le reflet d’une dysfonction biologique, portant également sa part de normativité (au même titre qu’un critère décrit dans le DSM reflète une dysfonction et porte préjudice). Chaque nœud renvoyant potentiellement à une dysfonction et un préjudice (bien que certains symptômes soient plus physiologiques que normatifs), l’analyse de la dysfonction préjudiciable pourrait donc être étudiée au niveau du symptôme, et non au niveau de la cause commune supposée (comme c’est le cas dans les troubles décrits par exemple au sein du DSM) 2.   En se fondant sur le fait que « la santé est l’état stable d’un réseau faiblement connecté », et par corollaire que le trouble serait l’état stable d’un réseau fortement connecté, le réseau de dysfonctions préjudiciables serait décrit comme un trouble lorsque l’ensemble des symptômes seraient figés dans un état activé (avec une certaine hystérésis), nécessitant une force (thérapeutique) pour rétablir la santé.

2. Selon Boorse (), une maladie est soit une altération de la capacité fonctionnelle normale (donc une dysfonction), c’est-à-dire une réduction d’une ou plusieurs capacités fonctionnelles en dessous de l’efficacité typique pour une classe de référence donnée (par exemple, une classe d’âge), soit une limitation de la capacité fonctionnelle (qui est aussi une dysfonction) causée par des déficiences liées aux agents environnementaux. Étant donné la difficulté à associer une fonction (ou même un ensemble de fonctions) à un trouble tel que défini par le DSM, il semble plus probable qu’un symptôme soit relié à une dysfonction. La définition de la fonction appliquée par Boorse à la « maladie » apparaît donc légitimement transposable au symptôme.

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Un trouble psychiatrique serait donc défini comme l’état stable d’un réseau de dysfonctions préjudiciables fortement connectées. Cette proposition permet d’éclairer la définition de la (dys)fonction en s’abstrayant du recours délicat à la fonction comme maximisation de la fitness (Boorse, ), c’est-à-dire la contribution d’une fonction au taux de sélection naturelle (puisque la théorie de la fonction présuppose que chaque espèce est dotée par nature d’un certain arrangement typique, son design, permettant que les fonctions soient réalisées dans un but de survie et de reproduction). En effet, en philosophie de la médecine, la définition de la fonction s’appuie traditionnellement soit explicitement sur la sélection naturelle (Wakefield, ), soit indirectement via son rôle causal systémique (Boorse, ) – mais ces deux conceptions reposent toujours sur une conception évolutionniste, en justifiant la normalité des valeurs d’une fonction du fait qu’elle permette de favoriser la sélection naturelle (et notamment la survie et la reproduction). Or, concevoir que la dysfonction préjudiciable serait présente au sein de chaque nœud (et qu’un trouble serait un réseau de dysfonctions préjudiciables) : • permettrait de définir une dysfonction comme la réduction d’une capacité fonctionnelle en dessous de l’efficacité typique pour une classe de référence donnée, non pas par rapport à un organisme cherchant à assurer sa survie ou sa reproduction (comme Boorse l’affirme), mais par rapport à l’ensemble des symptômes en interaction. La (dys)fonction serait donc relative aux autres nœuds du réseau et uniquement à ces autres nœuds ; • l’activation d’une dysfonction se ferait par l’intermédiaire d’une autre dysfonction au sein d’un réseau de symptômes, et le trouble serait défini par un état stable de dysfonctions (nécessairement préjudiciables) fortement connectées ; • le recours à la sélection naturelle n’est plus nécessaire, car la fonction est dite saine, au sein d’un réseau, dès lors qu’elle permet au réseau une adaptation dynamique. En effet, dire que la santé est définie comme l’état stable d’un réseau faiblement connecté signifie que le réseau peut s’adapter au changement 3. Les nœuds sont des fonctions 3. On retrouve ici le principe d’allostasie, qui correspond au calibrage des fonctions en réponse aux éléments perturbateurs (que sont les autres nœuds du réseau, qu’ils

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saines dès lors qu’ils peuvent s’adapter et changer avec souplesse en réaction aux perturbations environnementales ; • autrement dit, la fonction a pour objectif de maintenir le réseau dans un état stable faiblement connecté ; la dysfonction est donc un trouble de l’adaptation ou du contrôle dans lequel il n’est plus possible de stabiliser le réseau de symptômes ; • les fonctions saines au sein d’un réseau permettent l’adaptation des symptômes du réseau face aux perturbations, les dysfonctions au sein d’un réseau empêchent leur adaptation. Cette conception structuraliste de la fonction décrite au niveau du symptôme doit cependant répondre à la question de la normativité : pourquoi la dysfonction serait nécessairement préjudiciable ? Nous avons dit qu’au sein des réseaux, l’état de santé pouvait être considéré comme la possibilité d’adaptation dynamique de l’ensemble de symptômes à un perturbateur (modélisé par les nœuds adjacents). Cette réorganisation permanente est nécessaire, elle permet au réseau d’intégrer les changements de l’environnement. À la différence d’une conception purement naturaliste, pour laquelle la maladie survient dès lors que la fonction ne remplit plus son rôle, il semble que le changement dans la structure du réseau est la norme. Nous allons définir cette « norme du changement ». Envisager le changement et la dynamique (au sein d’un réseau) comme un phénomène normatif renvoie à la conception dynamique de la normativité biologique décrite initialement par Canguilhem (), et plus récemment discuté par des auteurs comme Matthewson et Griffiths (), Schwartz () ou Veit (). Canguilhem parle de normativité (et non de normalité), c’est-à-dire de capacité à s’adapter, à être plastique dans son environnement. La normativité est le pouvoir (de l’organisme vivant, ou du réseau) de définir ses propres normes de fonctionnement, c’est-à-dire de définir lui-même ce qui est normal et soient biologiques ou environnementaux). L’adaptation allostatique correspond au fait que le réseau soit faiblement connecté. Ce déplacement de la question de la théorie évolutionniste vers celle, physiologique, de l’allostasie, nécessiterait de développer cette dernière, telle que cela a pu être discuté dans le cadre de la biologie des systèmes (voir par exemple Lemoine et Pradeu, ). Cette notion renvoie en tout cas au « cluster de propriétés homéostatiques » décrit par Boyd en , qui correspond à un ensemble complexe et multiniveaux d’éléments en interaction.

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ce qui est pathologique pour lui-même. L’individu (Canguilhem dirait « la vie » et nous pourrions dire « le réseau ») n’est donc pas indifférent aux conditions de son milieu. Il définit sa santé selon les valeurs de son milieu. Le trouble est défini comme une rupture temporaire et partielle de cette normativité. Si la bonne santé est définie comme la capacité à s’adapter et à être plastique dans son environnement, dans les réseaux, « la santé est l’état stable d’un réseau faiblement connecté » (Borsboom, ) 4. On pourrait donc parler de normativité du réseau. La perte de normativité du réseau correspond à la rupture de l’état stable, causée par un événement extérieur. Cette rupture conduit à un point de bascule (comme avec l’image de la balle et de la colline) qui ferait tomber l’individu dans l’état pathologique. Ce dernier état correspond à la perte (d’une partie) de la normativité. Pour résumer, un ensemble de symptômes, défini pour un individu donné dans un contexte environnemental précis, s’active à un moment donné et reste figé de manière stable dans cet état 5. Le trouble psychiatrique serait défini comme l’ensemble de symptômes d’un réseau fortement activé.   Par la suite, nous allons replacer ce débat dans un cadre de travail présentant quatre styles contemporains de compréhension des troubles psychiatriques.

3. Réseaux de symptômes et styles de compréhension des troubles psychiatriques Briffault, dans son article de , distingue quatre grands styles de conception des troubles mentaux. Ces grands styles peuvent être 4. Ou à la limite, l’état de santé peut correspond à une activation instable, mais toujours temporaire, comme l’avait bien souligné Canguilhem () et comme le note Borsboom (). 5. Il pourrait toutefois être noté que définir la santé comme une adaptation dynamique à la perturbation et la fonction saine comme une capacité à s’adapter enferme la pathologie dans une définition mathématique : ne faut-il pas une idée de ce qui est un « bon » changement pour le réseau – c’est-à-dire de ce qui devrait être considéré comme un rétablissement ? Tous les changements du réseau peuvent-ils être considérés comme « normativement bons » ?

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compris comme des paradigmes, des perspectives ou des angles de vue permettant de comprendre ce qu’est un trouble psychiatrique. En développant ces différents styles, nous questionnerons l’intérêt de développer des modèles (et théories) qui soutiennent la compréhension de ce qu’est un trouble psychiatrique – constat qui ne va pas nécessairement de soi. En effet, en médecine et a fortiori en psychiatrie, explication et prédiction vont de pair pour guider le soin, et permettent de remplir de nombreuses autres fonctions (scientifiques, pédagogiques, administratives ou utiles pour le patient lui-même). Cependant, affiner l’explication de la sémiologie psychiatrique (comme le font les réseaux de symptômes) ne conduit pas nécessairement à un progrès médical. Du moins, cette dialectique mérite d’être questionnée.   Concernant le premier style, axé sur des courants psychodynamiques, il existe des troubles psychiatriques identifiables et localisables, reconnus grâce à des symptômes bien délimités et selon une théorie psychopathologique bien établie (par exemple, l’existence de topiques et/ou d’un inconscient). Concernant le deuxième style, basé sur les différentes versions du DSM et pouvant être nommé descriptif, un ensemble de constructions « athéoriques » décrivent des symptômes en faisant l’hypothèse que la délimitation de syndromes doit se fonder sur des causes communes qui seront découvertes a posteriori 6. Il s’agit donc d’une conception des troubles mentaux axée sur le modèle médical et des mécanismes biopsychosociaux. Ce style cherche à identifier les facteurs génétiques, biologiques, psychologiques, relationnels ou environnementaux des troubles. Un tel style renvoie à la notion de cause commune (et variable latente) que nous discutons dans différents chapitres. Concernant le troisième style, construit autour du projet des Research Domain Criteria (RDoC), dont nous parlerons par la suite, et pouvant être nommé physiopathologique, des mécanismes de fonctionnement cérébraux tendent à être identifiés au travers des observations cliniques. Pour cela, les avancées technologiques des neurosciences, 6. Nous avons dit à ce sujet, comme l’avance Borsboom en , que le DSM- n’est en ce sens pas athéorique vis-à-vis des réseaux de symptômes, car les interactions entre les symptômes décrits dans le DSM (par exemple, l’obsession conduit à la compulsion) « donnent des précisions sur les structures causales » du réseau.

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de la génétique et de la biologie moléculaire vont pouvoir délimiter des niveaux d’analyse du vivant (c’est-à-dire différentes échelles, nommées « unités d’analyse » dans les RDoC). Ce style propose une nosologie décrivant des construits dimensionnels neuroscientifiques ayant des capacités prédictives, diagnostiques et thérapeutiques plus raffinées que ne le fait le DSM (Forest, ). Il renvoie à une question épistémologique fondamentale, à savoir si le trouble psychiatrique est ou non décomposable (Bechtel, ) – décomposabilité qui serait nécessaire pour qu’une explication mécanistique puisse être fournie, selon certains auteurs. En effet, dans un système non décomposable, le comportement des composants du système (les symptômes dans le réseau) dépend fortement du comportement des autres composants individuels : étant donné qu’aucun sous-système de composants n’est indépendant des autres, le système ne peut pas être expliqué mécaniquement. Le problème s’applique aux réseaux de symptômes car s’il est caractérisé par une causalité circulaire (c’est-à-dire qu’un symptôme est cause et conséquence d’autres symptômes), il est difficile d’identifier la contribution d’un composant donné dans l’intégralité du réseau. Cependant, l’explication à l’œuvre au sein des réseaux serait plutôt d’ordre topologique (que mécanistique) : les explications topologiques expliquent la dynamique du réseau en utilisant ses propriétés dans l’espace, c’est-à-dire des propriétés quantifiées mathématiquement à l’aide de la théorie des graphes. En deux mots, une explication topologique décrit une dépendance contre factuelle entre les composants du réseau : si la propriété topologique n’avait pas été présente, la dynamique du réseau aurait été différente (Kostić, ). C’est ce que décrit Bosboom en  : si les symptômes étaient moins étroitement liés, l’individu serait moins vulnérable au développement d’un trouble psychiatrique – cette dépendance contre factuelle a été fournie par l’analyse (topologique) du réseau. Enfin, concernant le quatrième style fondé sur le modèle des réseaux de symptômes, c’est la complexité de l’individu et du trouble psychiatrique qui vont être appréhendés. Il s’agit du style de systèmes complexes et donc des réseaux de symptômes. Briffault () cite quatre caractéristiques essentielles de ce style : l’intégration du contexte ; l’abandon de la logique de la cause commune ; la prise en considération du préjudice vécu par le patient ; et le rôle des technologies

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et des grandes quantités de données, notamment celles recueillies par le patient lui-même, qui permettant une singularisation. Ces facteurs pourraient être intégrés à la définition de la santé mentale globale, qui vise à établir un programme de développement durable à l’horizon  ( Agenda for Sustainable Development), et qui se fonde sur quatre piliers fondamentaux : • la santé mentale est un bien public qui nécessite une action et une intervention au-delà du secteur de la santé ; • l’approche dimensionnelle (que nous avons décrite plus haut) est essentielle ; • l’expérience socioculturelle et le contexte environnemental doivent être intégrés au même titre que la génétique, le neurodéveloppement et la biologie du cerveau, tout en associant les expériences subjectives du patient ; • les droits de l’homme constituent un principe central en santé mentale. Ce quatrième style accueille en tout cas la complexité inhérente à la conception des troubles psychiatriques rencontrée en clinique. Cette complexité intègre de multiples dimensions et des niveaux d’analyses différents, dans des temporalités différentes. Un exemple de ces interactions entre niveaux pourrait être fourni avec le cas du trouble lié à une substance addictive (Kendler, ). Il existe des prédispositions génétiques qui influencent la consommation d’alcool excessive. Un sujet porteur de ces prédispositions va avoir plus de risque de consommer de l’alcool. Il modifiera son comportement pour se rendre de lui-même, par exemple, dans une brasserie, et sa présence dans ce lieu, du fait (par exemple) de la pression sociale, va augmenter sa consommation d’alcool. Celle-ci va augmenter son niveau de tolérance et son accoutumance physiologique. Ces dernières sont liées à des modifications des récepteurs synaptiques de la libération de neurotransmetteurs, qui eux-mêmes activent une cascade biochimique influençant la régulation génétique (et l’épigénétique). Tous ces facteurs renforceront le fait qu’il modifiera son comportement pour augmenter sa présence dans le lieu de consommation. Le réseau circulaire (ou cyclique) de ce sujet devra donc prendre en compte des facteurs génétiques, biochimiques, sociaux, comportementaux et cliniques qui interagissent entre eux.

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L’intrication de ces niveaux nécessite de considérer différentes disciplines médicales et scientifiques (Grüne-Yanoff, ). Comment construire une nosographie stable, fondée sur les réseaux de symptômes, qui accueille ces différentes disciplines ? Actuellement, la taxinomie des réseaux de symptômes repose sur le fait qu’en utilisant les mêmes équations mathématiques et des nœuds similaires, même sur des échantillons de patients différents, les réseaux seront statistiquement identiques. Un réseau tel que représenté sur la figure  ci-dessous présente des symptômes-ponts (en gris clair) entre deux troubles, ainsi qu’un facteur environnemental (en gris foncé). Nous verrons par la suite qu’un tel réseau, construit grâce à un échantillon donné de patients, pourrait être différent pour un autre échantillon. X2 X5

Y3 B2

X4 Y5 E

X3

B3 X1

Y2 B1

Y1

Y4 Figure 8 : Représentation des symptômes-ponts (B en gris clair) dans un réseau de symptômes dans lequel interviennent deux pathologies (pathologie à symptômes nommés X et pathologie à symptômes nommés Y).

Mais le fait même de mettre dans un même système appartenant déjà intrinsèquement à des niveaux de compréhension différents permet d’affirmer que les réseaux (même s’ils ne contiennent que des symptômes) sont par essence multiniveaux. En effet, il est très probable que l’évitement persistant des stimuli associés à l’événement traumatique dans un état de stress post-traumatique ne soit pas du même niveau de compréhension que les hallucinations acoustico-verbales, bien que leurs expressions phénotypiques se réalisent à l’échelle macroscopique. 72 Les réseaux de symptômes en psychopathologie

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Autrement dit, il semble que le réseau est par définition athéorique par rapport à la phénoménologie macroscopique (par exemple, celle du DSM) : il rassemble indistinctement des symptômes qui eux-mêmes peuvent être rattachés à différentes échelles, bien qu’ils soient repérés décrits à l’échelle macroscopique.   Ainsi, l’approche réseau considère l’individu comme un « nexus » (Elias, ) au sein duquel se croisent des symptômes et des facteurs extérieurs. Anne Fagot-Largeault écrivait à ce sujet en  dans son Approche médicale de la causalité dans les systèmes complexes : Lorsque le nexus des causes efficaces paraît s’effriter en une poussière de facteurs, dont chacun ne détermine l’apparition de l’effet que pour une part infime, on est tenté d’abandonner l’approche analytique pour une approche plus globale.

La présence et l’intensité de chacun des nœuds dépendent de chaque individu, et la nature même du symptôme est modulée en fonction des caractéristiques de l’environnement. En effet, des nœuds reliés à l’environnement du sujet peuvent être ajoutés au réseau, et des symptômes peuvent être distingués ou ajoutés en fonction de l’environnement du sujet. Les réseaux permettent ainsi d’accueillir les facteurs environnementaux dans la définition du normal et du pathologique. Nous avons donc introduit la notion d’interaction entre individu et environnement, interaction qui interviendrait dans la définition du trouble psychiatrique. Mais comment les réseaux présentent-ils cette intrication entre l’environnement et le sujet ?

4. Réseaux de symptômes et environnement Les réseaux permettent d’étudier différemment les interactions entre l’individu et son environnement. La prise en compte des relations dynamiques entre le sujet et son contexte environnemental a de fortes implications. L’intégration de données environnementales semble importante car la théorie des réseaux de symptômes ne cherche pas seulement à utiliser des modèles de réseaux comme instruments de mesure des troubles psychiatriques, mais justement à en proposer

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une théorie – et les facteurs environnementaux sont essentiels dans la compréhension de la psychiatrie. Cette analyse du lien environnement/approche réseau peut être circonscrite par trois types d’implications philosophiques : conceptuelles, intégratives et technologiques (Briffault, ).   Premièrement, le couplage entre l’individu et l’environnement dans les approches réseau a des implications conceptuelles. Ce couplage permet en effet de redéfinir la place de l’individu atteint d’un trouble psychiatrique comme personne porteuse d’un handicap psychique dans un milieu qui ne lui est pas fonctionnellement adapté. En effet, comme les données de l’environnement peuvent être incluses dans le réseau, elles sont elles-mêmes interprétées selon leurs interactions avec les symptômes. Les réseaux permettent d’adapter l’échelle du recueil de données à cet environnement. Il s’agit de modifier la « granularité » des symptômes. La granularité d’un symptôme est définie par la finesse avec laquelle ce symptôme peut être analysé. Cette finesse dépend de l’environnement du patient (ou de la question du clinicien ou chercheur). Comme nous l’avons vu, un réseau témoignant du bien-être d’un individu utilisera un unique nœud pour évaluer la qualité du sommeil. Un réseau témoignant de la qualité du sommeil chez ce même individu intégrera de multiples nœuds traitant du sommeil (par exemple, le temps de sommeil, la profondeur, le nombre d’apnées, etc.). Pour le même symptôme « sommeil », la granularité est grossière dans le premier cas et fine dans le second. Autrement dit, l’adaptation de la granularité peut être modulée, grâce aux réseaux de symptômes, en fonction de l’environnement, ce qui n’est pas permis par les classifications traditionnelles (il faut habituellement changer de classification ou de système de réflexion pour changer de granularité). Par exemple, et comme nous le verrons par la suite dans un chapitre dédié spécifiquement aux symptômes, l’intérêt porté à certaines questions de recherche (épistémiques) permet d’adapter de manière dynamique le réseau, et pourrait ainsi intégrer des paramètres comme la subjectivité.   Deuxièmement, les approches réseau peuvent être dites intégratives, car elles permettent un couplage entre l’individu et son environnement.

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Ce couplage modifie la conception de la décision médicale, qui s’appuie autant sur les éléments extérieurs, sociaux, environnementaux et situationnels favorisant la survenue du diagnostic que sur les seuls signes et symptômes. Ce couplage influence également le diagnostic, en choisissant de s’intéresser aux signes et aux symptômes tout en prenant en compte leur aspect fonctionnel (qui sont différents en fonction de l’environnement) et subjectifs. Il reste cependant à mieux définir de quelle manière l’influence entre symptôme et facteur environnemental peut être bidirectionnelle, c’est-à-dire si les facteurs environnementaux peuvent être à la fois des catalyseurs du réseau de symptôme (par exemple, un lieu clos déclenche des symptômes d’anxiété) et des conséquences de certains symptômes (par exemple, le souvenir d’un lieu clos entraîne des reviviscences). Sur le plan diagnostique, le clinicien peut disposer d’une structure de réflexion pour concevoir le trouble selon plusieurs degrés de finesses : s’il est médecin du sommeil, il va étudier le réseau des symptômes d’insomnie, l’insomnie pouvant être caractérisée de multiples manières ; s’il est psychiatre, il ne considérera qu’un symptôme d’insomnie au sein d’un réseau d’autres symptômes psychiatriques. L’environnement influence donc la construction du réseau par l’intermédiaire de l’utilisateur et des questions posées. Sur le plan thérapeutique, l’approche réseau permet au clinicien de se décaler de la question de la causalité traditionnelle (qui lui fait se demander : « Quelle cause sous-jacente explique la survenue de cet ensemble de symptômes ? »). Les réseaux de symptômes s’appuient directement sur la sémiologie. Ils permettent d’observer quel nœud interagit avec quel autre nœud, et sur quel levier agir pour « désactiver » le réseau en entier. De plus, toujours sur le plan thérapeutique, les réseaux de symptômes font écho aux pratiques de réhabilitation psychosociale. Comme nous l’avons vu précédemment, ces pratiques ne cherchent pas à savoir quelles sont les causes de tel ou tel état de santé (par exemple, un dysfonctionnement de la dopamine dans la schizophrénie), mais elles tentent de remédier aux conséquences fonctionnelles d’un état de santé. Par exemple, le réseau de symptômes d’un individu ayant commencé un parcours de réhabilitation psychosociale va fournir au soignant des informations sur le groupe de symptômes centraux (selon les mesures de centralité), sur lesquels

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une action permettra une modification de la structure du réseau (et donc une amélioration de son quotidien). Sur le plan des classifications psychiatriques, les réseaux fournissent un cadre de travail répondant à la contrainte pragmatique qui pèse sur toute classification : elle doit remplir des contraintes cliniques (être le miroir des symptômes recueillis en clinique), mais également sociales, politiques, financières et de recherche. En effet, les réseaux permettent une structuration de la sémiologie qui n’est pas trop éloignée du DSM, classification considérée parfois comme un « hub épistémique », c’est-à-dire un élément central permettant à différentes disciplines et institutions de communiquer (Keuck, ). Ils s’éloignent en même temps de celui-ci en fournissant une nouvelle conception adhérant à une vision dynamique et écologique (acceptant l’environnement) de la psychopathologie.   Troisièmement, le couplage entre l’individu et l’environnement dans l’approche réseau possède des implications technologiques. Ce couplage fournit un cadre de travail pour permettre le progrès de la santé connectée. En effet, la santé connectée (ou numérique, par exemple intégrant des biomarqueurs digitaux) permet de recueillir de grandes quantités de données pour un unique patient. Par exemple, il peut s’agir de paramètres émotionnels (enregistrement de l’humeur), sensoriels (enregistrement de la voix), comportementaux (enregistrement de sa propension à rester allongé) ou physiologiques (enregistrement de sa fréquence cardiaque), qui témoignent d’états émotionnels, cognitifs ou comportementaux (dépression ou anxiété, par exemple). L’ensemble de ces sources numériques est résumé sous l’appellation de « recueil écologique en temps réel » (Ecological Momentary Assessment) (Firth, Torous et Yung, ). Des paramètres plus subjectifs peuvent être également recueillis (et intégrés au réseau), comme les mesures autorapportées par les patients (ou parfois « résultats rapportés par les patients » – Patient Reported Outcome Measures). Une autre implication correspond aux « omiques », des domaines tels que la génomique, l’épigénomique, la protéomique, la métabolomique ou l’exposomique. Il s’agit de grandes quantités de données témoignant d’une échelle du vivant. Nous avons vu qu’au-delà des simples symptômes appartenant au répertoire traditionnel de la psychiatrie,

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les réseaux pouvaient théoriquement intégrer des facteurs biologiques ou environnementaux. La provenance des données pouvant être incluses dans le réseau est donc multiple. Ces données peuvent être issues de la consultation psychiatrique, d’échelles de psychométrie, d’appareils connectés, mais également de ces sciences des « omiques ». L’approche réseau permet de rassembler ces différentes données dans un cadre théorique. En l’absence d’un tel cadre de convergence entre origines des données, la vision globale et intégrée de l’individu clinique resterait un défi.   Il existe cependant des limites à cette intégration de l’environnement au sein des réseaux de symptômes. Les variables environnementales sont finalement peu représentées dans la littérature portant sur les réseaux. L’interaction dynamique des symptômes avec les processus environnementaux est cependant primordiale. Ces variables environnementales peuvent d’ailleurs être relativement stables, parce que les individus occupent des niches environnementales, c’est-à-dire organisent leur milieu pour qu’il opère une régulation adaptée de leur comportement, en agissant de manière rétroactive sur les symptômes (Hopwood,  ; Mõttus et Allerhand, ). Cette rétroaction est essentielle dans le renforcement d’un symptôme : si un sujet est encouragé cognitivement par son environnement, le nœud du réseau sera renforcé. Les thérapies cognitivo-comportementales fonctionnent sur ce principe de rétroaction (ou renforcement). Elles permettent le renforcement des nœuds les plus stables au sein d’un réseau témoignant d’une bonne santé. Nous comprenons ici que l’intégration d’une variable environnementale peut se faire en tant que nœud du réseau, au même titre qu’un symptôme. Nous allons voir que les variables environnementales peuvent également être intégrées au sein d’un réseau en tant que variables latentes, conduisant le réseau à être appelé « hybride ».

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5. Réseaux hybrides Nous allons prendre l’exemple du deuil afin de présenter les réseaux hybrides. Le DSM-IV avait considérablement réduit le niveau de deuil afin d’éviter les faux négatifs. Dans le DSM-, le deuil a été isolé du diagnostic de dépression : la présence d’un deuil n’est plus un critère d’exclusion de l’épisode dépressif caractérisé. Le DSM- place le deuil compliqué persistant dans le chapitre « Conditions for further study ». Le deuil compliqué persistant survient lorsqu’un sujet a fait l’expérience du décès d’une personne proche, et qu’il présente des symptômes cliniquement significatifs, disproportionnés pour sa culture et responsables d’une incapacité fonctionnelle importante, pratiquement tous les jours et pendant une durée supérieure à  mois ( mois pour les enfants). La question de savoir si le deuil est conceptuellement distinct de l’épisode dépressif caractérisé est discutée depuis plusieurs décennies et fait l’objet d’une vaste littérature : celle-ci a notamment documenté l’impact du deuil sur le fonctionnement psychologique (Knight et Silverstein, ). La perte d’un proche est un facteur de risque bien établi dans l’apparition d’une symptomatologie dépressive (Zisook et Kendler, ). Mais les études ne rapportent que peu de différences sémiologiques entre la dépression liée au deuil et la dépression sans perte de personne proche (Kendler, Myers et Zisook, ). L’explication traditionnelle du deuil utilise une cause commune (ou variable latente) aux symptômes observés, qui correspond à la perte d’un proche. Cette cause commune déclenche une dépression, qui explique la survenue des symptômes. En considérant l’épisode dépressif caractérisé selon l’opérationnalisme décrit dans le DSM, qui nécessite qu’un ensemble de critères définitionnels soient remplis, deuil et épisode dépressif caractérisé comportent certes les mêmes critères. La description du DSM s’arrête là. Mais en prenant en compte l’histoire naturelle de la maladie, le deuil n’évolue pas de la même manière que l’épisode dépressif caractérisé apparu à la suite de la perte d’un proche. C’est cette différence pronostique qui justifierait la différenciation entre les deux entités. Ne considérer que les critères opérationnels du DSM n’est donc pas nécessairement faux, mais seulement trivial et sans utilité clinique.

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Ces critères ne suffisent pas à comprendre pourquoi l’histoire naturelle de ces deux troubles est différente. Qu’en est-il dans le cadre des réseaux de symptômes ? Chez les personnes les plus vulnérables, le deuil va entraîner une activation du réseau constitué des mêmes symptômes que ceux de la dépression. La dynamique des symptômes chez les endeuillés dans les réseaux offre de nouvelles informations sur la question de savoir si la dépression liée au deuil est une affection distincte du deuil lui-même. En effet, les réseaux permettent de visualiser comment le deuil affecte directement quelques symptômes de dépression, qui activent ensuite les autres symptômes de la dépression caractérisée. Le nœud correspondant à la perte d’un proche correspond à la variable latente, agissant en tant que cause commune : c’est la perte d’un proche qui explique l’ensemble des modifications du réseau. C’est la présence d’une telle cause commune à l’origine du renforcement mutuel des symptômes qui fait du deuil une entité à part. La présence d’une cause commune au sein d’un réseau définit un « réseau hybride » (les réseaux ne comportent habituellement pas de cause commune). Un réseau hybride intègre à la fois une ou plusieurs causes communes (ou variables latentes) et des symptômes en interactions mutuelles (Epskamp et coll., ). En effet, malgré l’hypothèse forte des réseaux de symptômes selon laquelle certaines relations causales sont évidentes (telle que la relation rumination → insomnie → fatigue), il ne peut être exclu que certaines causes communes puissent expliquer la coexistence et l’agrégation de phénomènes psychopathologiques.   Dans ce modèle hybride, le deuil affecte principalement la solitude (« perte », sur le réseau de la figure  ci-dessous), qui active à son tour les autres symptômes du réseau. Un tel modèle hybride permet d’affirmer que le deuil n’augmente pas un « facteur de dépression général » (qui résumerait tout le réseau), mais affecte bien quelques symptômes très spécifiques, comme la solitude (flèche verte qui correspond à une corrélation positive).

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3

7

6

2 9

5

1. Effort 2. Humeur triste 3. Appétit 4. Joie 5. Sommeil 6. Motivation 7. Culpabilité 8. Solitude 9. Perte

1 4

8

Figure 9 : Illustration d’un réseau de symptômes de la dépression. En bleu, une variable latente illustrant la perte d’un proche. Les corrélations positives entre symptômes sont en vert, les corrélations négatives en orange.

Cet exemple témoigne de deux points importants. Le premier point met en avant les espoirs fournis par les modèles hybrides, tandis que le second point montre leurs limites. Premièrement, cet exemple illustre la pertinence des réseaux hybrides, qui comportent une variable latente surajoutée à l’approche mutualiste classique des réseaux, qui relie des symptômes sans postuler de cause sous-jacente. Si les réseaux de symptômes ne nécessitent pas de variable latente, ils sont cependant compatibles avec l’intégration d’une telle variable qui ne correspond pas à un symptôme mais bien à un facteur extérieur ou à une caractéristique physiologique. Cette utilisation pourrait être justifiée du fait qu’un tel réseau (hybride) serait capable de fournir encore plus d’informations par la modélisation de cette variable latente, comme nous l’avons vu avec l’exemple du deuil. Deuxièmement, la structure du réseau hybride pourrait être différente pour chaque cause commune. Si la perte d’un proche est remplacée par un marqueur de l’inflammation, la structure du réseau sera différente. Cela conduirait à créer autant de modèles non comparables que de facteurs extérieurs. Cette possibilité offerte par les réseaux pourrait conduire à un relativisme difficilement surmontable, rendant vaine 80 Les réseaux de symptômes en psychopathologie

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la caractérisation nosologique de la psychiatrie à partir des modèles en réseau (si jamais elle était souhaitée). Une telle étude a en effet été réalisée en  par Burger et coll. (), qui montre que lors du décès du conjoint ou lors d’une rupture conjugale, le réseau se comporte différemment, malgré l’existence d’une même cause commune, la perte. Cet élément complique encore la question, puisque les différents types de pertes d’un proche (par décès ou par rupture) sont susceptibles de modifier le réseau. La question du relativisme des réseaux sera certes abordée dans un chapitre dédié aux limites de cette approche, mais elle pose déjà la question de la validité. En effet, comme nous l’avons vu, les réseaux de symptômes cherchent à offrir une meilleure validité pour les troubles psychiatriques. Nous allons voir comment s’opère ce processus au sein des réseaux de symptômes.   Borsboom et coll. () ont avancé le fait que les facteurs environnementaux ne nécessitent pas nécessairement de modéliser un réseau hybride (comportant une variable latente). Autrement dit, les facteurs environnementaux peuvent co-constituer un trouble psychiatrique en ajoutant un « symptôme » : L’environnement lui-même peut devenir une partie de la structure du réseau, et donc une partie du trouble. Plus ou moins par définition, cela signifie que […] des facteurs culturels et historiques ainsi que des mécanismes externes, dans une certaine mesure, façonnent les troubles mentaux (Borsboom et coll., ).

Par exemple, la relation entre le jeu excessif et l’endettement (deux symptômes de la dépendance au jeu) nécessite un investissement financier, par exemple par l’utilisation d’une machine à sous. Si nous imaginons un monde sans machines à sous, il n’y aurait pas de relation entre le jeu excessif et l’endettement, qui ne constitueraient alors pas des symptômes du réseau. L’ajout d’un tel facteur commun au réseau peut donc être justifié pour que les deux symptômes de la dépendance au jeu (jeu excessif et endettement) soient intégrés au réseau. Toutefois, si nous soutenons que l’association des facteurs environnementaux et de symptômes peuvent, ensemble, constituer un trouble psychiatrique, un problème différent se pose : où tracer la frontière du trouble et le mécanisme que nous voulons décrire ?

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Comme le soulignent de Boer et coll. (), en reprenant l’exemple des machines à sous, rien n’empêcherait d’intégrer d’autres entités ou événements externes, tels que la législation sur les jeux de hasard, les billets d’entrée ou les normes socioculturelles concernant les jeux de hasard. La réponse la plus prudente face à cette interrogation renvoie à la notion de « répertoire de symptômes », tel qu’il a été établi par l’histoire de la psychiatrie : les réseaux de symptômes ne cherchent pas à réinventer une sémiologie, mais s’appuient sur les décennies de progrès scientifiques et d’expertise clinique, qui ont permis l’élaboration d’un ensemble de symptômes relativement pertinent pour la psychiatrie. Pour le dire simplement, le cœur d’un trouble psychiatrique défini au sein d’un réseau ne s’éloigne pas du cœur de symptômes défini au cours de l’histoire de la discipline.

6. Psychiatrie personnalisée et réseaux de symptômes La question de la validité d’un trouble psychiatrique devrait donc être reposée au prisme des réseaux de symptômes. Rappelons d’abord que la question de la validité d’une classification psychiatrique a fait l’objet de longues discussions, notamment parce que le DSM n’a pas été à la hauteur des atteintes de ses concepteurs. Avant , lors de la construction du DSM-III, ceux-ci avaient misé sur le fait qu’une bonne fiabilité (le fait que tous les symptômes reflètent un même construit) garantirait une bonne validité (le fait que tous les symptômes renvoient de manière pertinente à ce qui doit être mesuré dans la réalité et, implicitement, le fait que le trouble reflète bien la manifestation d’un ensemble de mécanismes physiopathologiques) (Haslam, ). Cependant, les catégories du DSM n’ont pu répondre à la contrainte de la validité. Cette limite peut être constatée notamment par la présence d’une comorbidité « artéfactuelle », c’est-à-dire créée artificiellement par le chevauchement des catégories diagnostiques incompatibles (Fried, ). La multiplicité de présentations sémiologiques pour un même trouble est une autre illustration de ce manque de validité 7 (Young, Lareau et Pierre, ). 7. Bien qu’on puisse toujours supposer qu’une multiplicité de présentations soit le reflet d’une multiplicité de mécanismes valides.

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Notamment dans le but de fournir une meilleure validité, certains courants de la psychiatrie contemporaine se sont tournés vers une approche dite de « psychiatrie personnalisée ». Dès , la médecine personnalisée a pu être définie comme l’utilisation du « profilage moléculaire diagnostique ». Le Conseil national de la recherche des États-Unis (National Research Council) définissait en  la médecine de précision comme « l’adaptation du traitement médical aux caractéristiques individuelles de chaque patient », correspondant à la « capacité de classer les individus en sous-populations qui diffèrent par leur sensibilité à une maladie particulière, par la biologie et/ou le pronostic […] ou dans leur réponse à un traitement spécifique ».   La psychiatrie personnalisée est donc à la fois une psychiatrie de précision, cherchant à isoler des marqueurs précis et idéalement valides, et une psychiatrie stratifiée, tentant d’isoler des sous-groupes de patients (sur la base de marqueurs précis). La psychiatrie de précision a cherché à affiner les catégories diagnostiques afin de fournir un diagnostic et une prise en charge thérapeutique plus précise pour un sous-ensemble de patients. Cette stratification des catégories de trouble permet d’augmenter l’information disponible sur un groupe restreint d’individus, et tendrait donc à fournir, à terme, des prises en charge thérapeutiques plus ciblées sur un facteur d’intérêt. La stratification est réalisée par l’utilisation d’un biomarqueur (qui peut être prédictif, pronostique, diagnostique ou thérapeutique) 8. Psychiatrie stratifiée (créant des sous-groupes de patients) et psychiatrie de précision (cherchant à identifier des biomarqueurs) peuvent être réunies sous le terme de psychiatrie personnalisée.

8. Notons que la recherche autour des biomarqueurs en santé mentale prend deux directions (qui se rejoignent conceptuellement). En effet, on ne doit pas confondre la stratification et la stadification (staging). Les recherches qui cherchent à stratifier les troubles mentaux isolent des sous-groupes de patients au sein d’une catégorie en fonction de marqueurs prédictifs (voire idéalement pronostiques) et diagnostiques (explicatifs) afin de découper la catégorie (par exemple, pour traiter différemment chaque sous-catégories). La stadification isole des sous-groupes de patients au sein d’une catégorie en fonction de marqueurs également pronostics et diagnostics, mais son objectif est de modéliser les stades successifs de la maladie.

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Dans son objectif d’obtenir une meilleure validité pour les troubles psychiatriques, les réseaux de symptômes s’inscrivent pour une part au sein de cette psychiatrie personnalisée. Kathryn Tabb, en , proposait trois caractéristiques des programmes de recherche de la psychiatrie personnalisée : • une approche en « omique », qui réduit les catégories de maladies traditionnelles à différents niveaux de description (par exemple, à la génomique) ; • une approche algorithmique des troubles et de leurs traitements ; • une approche révisionniste de la nosologie. Comme nous le détaillons au fil des différents chapitres, les réseaux de symptômes présentent ces trois caractéristiques. Mais l’approche réseau ne s’arrête pas au raffinement des catégories de cette psychiatrie personnalisée. En effet, elle rend compte de la dynamique d’un trouble en modélisant les interactions entre symptômes au cours du temps, pouvant témoigner de l’évolution des symptômes au fil du temps (à la différence des strates discrètes et découpées selon un marqueur décrit dans la médecine personnalisée). De plus, de nouveaux éléments peuvent être implémentés dans le réseau au fur et à mesure de l’évolution d’un groupe de sujet, de manière longitudinale. Un tel réseau contenant des éléments d’évolution longitudinale (par exemple, un réseau dans lequel est incluse l’exposition à un stress psychologique) peut être comparé à un autre réseau ne contenant pas ces éléments (par exemple, sans stress psychologique, ou un stress moins important). Ainsi, deux réseaux peuvent être comparés en fonction de leur intégration d’un biomarqueur de stratification. Nous devons cependant pondérer cet engouement pour cette forme de psychiatrie personnalisée fondée sur les réseaux, en cela qu’elle ne permet pas plus que d’autres méthodologies de distinguer des cas individuels au sein des strates. En effet, la psychiatrie personnalisée permet certes de distinguer de fines strates populationnelles, mais elle n’offre pas réellement d’analyse de l’individu isolé. Autrement dit, même si l’apport d’informations sur un sujet est augmenté par de grandes quantités de données et une dynamique évolutive longitudinale, que ce soit ou non au sein d’un réseau, ces raffinements ne peuvent que renseigner sur un groupe d’individus.

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Pour conclure, les réseaux de symptômes s’insèrent dans le paradigme de la psychiatrie personnalisée, mais ils permettent difficilement d’en relever les limites.

7. Réseaux de symptômes et RDoC Toujours dans un objectif de validité, c’est-à-dire pour résumer de proximité avec des mécanismes physiopathologiques, une proposition alternative au DSM a été proposée dès  (Insel, ) – proposition résultant majoritairement du manque de validité du DSM : il s’agit du projet RDoC. Celui-ci fournit des unités d’analyses neuroscientifiques qui renvoient à des dimensions comportementales (comme le système d’éveil ou des interactions sociales), elles-mêmes déclinées à différentes échelles du vivant. Malgré la dimensionnalité de cette approche et son souhait de fournir une meilleure validité, la difficulté des RDoC à rendre compte des phénomènes cliniques constitue un de ses problèmes majeurs, empêchant leur utilisation en clinique. De plus, les RDoC explorent certes différentes unités d’analyses (à différentes échelles du vivant), mais celles-ci ne sont pas reliées entre elles. À l’inverse, les réseaux de symptômes permettraient théoriquement d’intégrer ces unités d’analyses, tout en intégrant des éléments sémiologiques. De plus, ils peuvent fournir des informations sur les interactions entre ces unités intégrées au réseau.   En pratique, les réseaux de symptômes se fondent partiellement sur une classification comme le DSM (puisqu’il utilise les symptômes de ses catégories) mais aussi potentiellement sur les RDoC (puisqu’il pourrait intégrer ses unités d’analyse). En fournissant des mesures de centralité, les réseaux permettent de mieux définir quels sont les symptômes les plus centraux pour expliquer la présence et la dynamique des autres symptômes d’un trouble. Les réseaux pourraient donc être conçus comme des outils d’assistance à ces classifications, en tant que « boîtes à outils » complémentaires mais non exclusives. En plus de la souplesse avec laquelle ils s’adaptent au contexte et ajoutent de la finesse à la sémiologie, la comparaison entre des réseaux peut fournir de riches informations. Par exemple, il est possible de comparer des personnes porteuses d’un trouble du spectre de l’autisme lorsque

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ce trouble est associé ou non à une déficience intellectuelle. Cette comparaison montre que les difficultés dans l’autisme ne sont pas les mêmes dans les deux cas, et que la prise en charge ne doit pas s’axer sur les mêmes priorités (par exemple, cognition sociale versus troubles du langage) (Anderson, Montazeri et de Bild, ). De même, les réseaux permettent de comparer un même ensemble de symptômes chez deux individus, d’étudier à intervalles réguliers l’efficacité d’un traitement ou enfin d’aider à distinguer les comorbidités ou les facteurs de risque (par exemple, une comorbidité influe fortement sur toute la structure du réseau alors qu’un facteur de risque n’agit que sur un nœud dont le retentissement modifie indirectement le réseau) (Isvoranu, Borsboom, van Os et Guloksuz, ).

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Chapitre 4

Utilités des réseaux de symptômes En tant que modèle de classification, les réseaux de symptômes de la psychopathologie sont loin d’être inscrits dans la pratique courante. Au premier abord, cette approche pouvait apparaître comme une alternative naissante aux classifications contemporaines. Mais de nombreux obstacles sont encore à surmonter. D’abord, en pratique, l’utilisation des réseaux de symptômes en clinique semble être aussi délicate à déployer (par exemple, du fait des contraintes liées à la modélisation informatique) que difficile à justifier (par exemple, concernant leur plus-value par rapport aux classifications existantes). Ensuite, les débats à leur sujet dans la littérature spécialisée restent actuellement animés. Il sera par exemple nécessaire à l’avenir de mieux réfléchir à leur potentiel de réplicabilité ou de répondre aux attaques contre leur apparent réductionnisme (Borsboom, Cramer et Kalis, ). Les réseaux de symptômes devront de fait surmonter le défi de répondre à ce genre d’interrogations : comment pourraient-ils parvenir à privilégier un ensemble de mécanismes causaux par rapport à un autre ? Comment pourraient-ils délimiter les catégories diagnostiques ? Comment pourraient-ils proposer une nosologie formant un tout cohérent ? Mais c’est également ce genre de questions qui nous permettra de comprendre leur utilité. Nous allons détailler leurs bénéfices potentiels autour de deux axes : les perspectives cliniques des réseaux de symptômes et la description de leurs paramètres intrinsèques. Nous dirons également un mot sur la force de la représentation graphique qu’ils véhiculent.

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1. Perspectives cliniques Quatre perspectives cliniques peuvent être explorées au travers des réseaux de symptômes : la comorbidité, la vulnérabilité, les facteurs confondants et le raffinement thérapeutique (Borsboom, Cramer et coll., ).   Concernant la comorbidité, la figure  ci-dessous permet de visualiser des « symptômes-ponts ». Des symptômes-ponts correspondent à des symptômes qui relient deux troubles (A et B) au sein d’un même réseau, fournissant des informations sur la comorbidité. L’approche réseau considère en effet la comorbidité comme une règle, et non comme une exception ou une limite aux classifications, comme c’est le cas dans le DSM. Selon l’approche réseau, la comorbidité est un élément intrinsèque de la définition du trouble psychiatrique, dont les symptômes ne « s’arrêtent pas à la frontière du diagnostic » pour un sujet clinique (Krueger et Eaton, ). Non seulement la comorbidité est prise en compte dans l’approche réseau, et non seulement elle est nécessaire pour expliquer de manière exhaustive le trouble psychiatrique, mais la présence de symptômes-ponts explique la fréquence des comorbidités chez un individu (Fried et coll.,  ; Fried et coll., ). Trouble A

Symptômes-ponts

Trouble B

Figure 10 : Comorbidité entre un trouble A et un trouble B liés par des symptômes-ponts.

En ce qui concerne la vulnérabilité, en considérant les symptômes comme des dominos, comme le montre la figure  ci-dessous, l’espace

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intermédiaire entre deux dominos peut être compris comme la marge de vulnérabilité. Au sein d’un réseau instable, ou vulnérable (à droite), les dominos sont proches : de fait, lorsqu’un domino bascule, les autres dominos le suivent avec plus d’intensité et de manière plus certaine que si les dominos étaient plus éloignés. Cette proximité peut être mesurée mathématiquement dans un réseau (correspondant à la mesure de connectivité ou à la densité, ou profondeur du bassin dans lequel tombe la balle, pour reprendre la métaphore précédente). Lorsque la connectivité (poids de la relation) ou la densité (nombre de relations) entre les symptômes est moins importante, il y a potentiellement moins d’interactions entre eux. Insomnie

Insomnie

Tristesse

Fatigue

Tristesse

Fatigue

Perte de valeur

Concentration

Perte de valeur

Concentration

Figure 11 : Réseaux plus ou moins connectés et métaphore du domino.

En ce qui concerne les facteurs confondants, les études de psychologie et psychopathologie cherchent à conférer un sens, une « intelligibilité » (Reuchlin, ) aux différences de conduite entre individus, aux facteurs qui organisent ces différences et aux mécanismes qui en sous-tendent l’existence et le développement. Le processus méthodologique mis en œuvre pour atteindre cet objectif vise généralement à construire une représentation formalisée des relations entre les variables. Une telle représentation permet de bien mettre en évidence les potentiels facteurs confondants 1. 1. Comme cela est réalisé classiquement en santé publique avec la réalisation de diagrammes acycliques dirigés.

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Pour éviter les facteurs confondants, c’est la notion de causalité entre symptômes qui est avancée. Nous discuterons des implications de la causalité des réseaux de symptômes dans un chapitre dédié. Pour faire bref, les réseaux de symptômes utilisent la notion de « relations causales » parce qu’un symptôme est : ) sous la dépendance directe d’un autre symptôme ; ) et tous les symptômes devant être considérés sont intégrés au réseau. De fait, aucune autre variable confondante ne peut théoriquement interagir avec les symptômes du réseau. Nous allons illustrer un premier niveau de causalité, dit observationnel. Imaginons comme sur la figure  ci-dessous que nous tracions le réseau de corrélation entre le port d’un chapeau (à droite), l’envie d’une glace (à gauche) et la présence du soleil ce jour-là (en haut).

5

10 1

Figure 12 : L’envie d’une glace en fonction de 3 variables. L’auteur remercie E. Fried pour cet exemple

Quel est donc le lien entre le port du chapeau et l’envie d’une glace, lorsqu’on contrôle ces variables (les nœuds) par la variable soleil ? Cette question revient à étudier la corrélation partielle entre les éléments. La définition de la corrélation partielle est très simple : il s’agit de la valeur de la corrélation entre deux variables X (glace) et Y (chapeau), si la variable M (soleil) demeure constante. Par exemple, comme nous l’avons vu précédemment, le processus causal X → M → Y implique que la corrélation partielle entre X et Y est nulle si M est statistiquement contrôlé. Il est alors possible d’inférer des relations causales à partir de données (probabilistes), c’est-à-dire qu’il est possible d’interroger l’association observée entre deux variables pour savoir si elle est ou non le résultat d’une relation de causalité. La corrélation partielle permet ainsi de mettre en évidence un facteur confondant. Cette corrélation partielle est aisément représentée dans un réseau. Mais dans le cadre d’une matrice de corrélation classique, il faudrait effectuer 90 Les réseaux de symptômes en psychopathologie

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une (série de) régression(s) linéaire(s) multiple(s). Une régression linéaire se définit comme une équation qui cherche à établir une relation linéaire (c’est-à-dire à tracer une droite) entre une variable, dite expliquée, et une ou plusieurs variables, dites explicatives. S’il y a plusieurs variables explicatives, la régression linéaire est une régression (linéaire) multiple. Or, une régression multiple peut comporter de nombreuses limites que la représentation graphique des corrélations partielles, au sein d’un réseau, peut éviter. Notamment, dès lors qu’il y a trop de variables explicatives, de fausses corrélations apparaissent, sans compter que ces variables sont décidées par le chercheur et ne peuvent pas toutes être implémentées. Pour cet exemple, bien entendu, la corrélation partielle montre une relation entre le soleil et la glace et une relation entre le soleil et le chapeau, mais aucune relation entre la glace et le chapeau, comme le montre la figure  ci-dessous.

3

7

Figure 13 : Dans cet exemple, le soleil explique l’envie d’une glace et le port du chapeau.

Ce phénomène de corrélation partielle permet d’obtenir un réseau « parcimonieux », dans lequel on ne dessine pas toutes les relations. Cette parcimonie correspond statistiquement à la régularisation (par une technique d’analyse bayésienne nommée LASSO : Least Absolute Shrinkage and Selection Operator). En pratique, cette régularisation permet « d’affiner » la visualisation d’un réseau comportant de nombreux éléments, comme le montre la figure  ci-dessous. Cependant, cette visualisation graphique est avant tout esthétique et ne doit pas laisser croire que les relations non visibles (figure b) n’existent pas 2. 2. Il existe un grand nombre de tests statistiques pouvant permettre la constitution du réseau, des modèles graphiques gaussiens ou mixtes aux modèles d’Ising en passant par des modèles de Markov latents – que nous ne détaillerons pas ici.

Utilités des réseaux de symptômes 91

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Figure 14 : Un même réseau, « affiné » par régularisation (a) par rapport au réseau (b).

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Outre ses vertus graphiques et visuelles qui permettant de mettre en avant des corrélations statistiques parfois difficilement interprétables pour le clinicien, avec l’avantage pédagogique qui en découle, l’approche réseau offre une nouvelle façon d’enquêter sur le regroupement des symptômes, de manière à la fois souple et dynamique. Cette approche pourrait être utilisée comme un outil supplémentaire en pratique clinique, parce qu’un réseau montre simplement quels sont les nœuds les plus importants. Du côté de la recherche et en nosologie, comme nous l’avons vu, les réseaux peuvent être utilisés dans la réflexion sur les classifications psychiatriques, car ils fournissent de nombreuses pistes nouvelles pour comprendre comment se regroupent et s’assemblent de manière systématique les symptômes psychiatriques.   Enfin, nous présentons trois avantages des réseaux de symptômes du point de vue du progrès thérapeutique. Il s’agit de la singularisation du traitement (liée à la prise en compte de l’individualisation), de l’interconnexion (liée à la prise en compte de la complexité) et de la contextualisation (liée à la prise en compte de la situation). Briffault () a montré comment ces trois caractéristiques pouvaient être rattachées à trois évolutions épistémologiques de la psychiatrie : • une évolution nosologique, avec l’apparition d’alternatives plausibles au DSM et à sa logique des causes latentes. Il en existe ainsi un exemple statistique (avec la Hierarchical Taxonomy Of Psychopathology) et un exemple neuroscientifique (avec les RDoC que nous avons discutés) ; • une évolution écologique, avec la meilleure prise en considération du « real world functionning ». Des exemples de pratique de soin qui correspondent à cette évolution sont la réhabilitation psychosociale et sa logique du rétablissement, mais également des outils technologiques permettant le recueil de grandes quantités de données provenant du quotidien de la personne ; • une évolution centrée sur la personne. De nombreux courants et de multiples modèles de soin, de la phénoménologie à la médecine centrée sur les valeurs en sont les garants. Ces trois évolutions sont rattachées à deux révolutions, toujours selon Briffault (). La première révolution est technologique, elle-même en lien avec les objets connectés et les données de masse, les nouvelles

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techniques de séquençage, d’imagerie ou d’examen fonctionnel, tant au niveau matériel que computationnel. Par exemple, le traitement des relations complexes entre les grandes quantités de données au sein des réseaux permet de réduire pour une part ce que Tabb () appellerait les « taxonomic headaches » – des difficultés à classifier l’intrication de multiples marqueurs psychosociaux hétérogènes recueillis à de nombreux niveaux d’analyses. La seconde révolution est conceptuelle : la pratique psychiatrique se décentre du sujet pour l’articuler avec le contexte, les situations sociales et l’action, le trouble psychiatrique se dynamise dans l’espace et dans le temps, et les interventions thérapeutiques ciblent ainsi de multiples « nexus » thérapeutiques.   Nous pourrions résumer en six évolutions les différents apports des réseaux de symptômes à la psychiatrie. L’évolution nosologique correspond à l’intégration de nouvelles données au sein de nouvelles entités nosologiques. L’évolution interactionniste renvoie à la prise en compte des interactions entre symptômes à l’intérieur de la catégorie. L’évolution scalaire satisfait à la prise en compte possible soit du réseau d’un unique individu, soit du réseau d’une population (nous décrirons mieux ce point dans le chapitre suivant). L’évolution pluraliste et écologique renvoie à la prise en compte de facteurs biologiques et environnementaux et de leurs interactions. L’évolution clinique a été exemplifiée précédemment et permet par exemple d’envisager différemment la comorbidité, la vulnérabilité, les facteurs confondants ou la thérapeutique. Enfin, l’évolution épistémologique correspond aux différents progrès apportés aux concepts de normal et de pathologique, de définition du trouble, voire de raffinement des classifications.

2. Paramètres intrinsèques aux réseaux Les différents paramètres du réseau qui peuvent servir à la clinique renvoient aux différents champs de la science des réseaux. La théorie comprend, pour ne citer que quelques exemples, l’étude de la structure du réseau (petit monde, ou small-world, versus sans échelle, ou scale-free), de l’optimisation, de la contrôlabilité, de la clôture ou de la transitivité. Les métriques comprennent l’étude de la centralité, des sous-groupes (clustering – ou détection de communautés),

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de l’assortativité, des distances ou de la modularité. La structure des graphes peut chercher à déterminer la structure et les caractéristiques du réseau (études des plus courts chemins, des types – par exemple bipartites) ou les différents modèles (qui dépendent de la topologie du réseau ou de sa dynamique). Citer ces mesures permet de mieux se rendre compte de l’importance d’étudier les symptômes sous forme de réseaux, étant donné les développements majeurs de la science des réseaux.   En guise d’exemples, la suite de cette partie définit quelques-uns de ces paramètres, potentiellement utiles pour la clinique : la connectivité (poids des relations), la vitesse de propagation d’un trouble, les mesures de centralité et la mesure de clusters de symptômes (ou « grappes de symptômes », dans le cadre de la détection de communautés).   La connectivité du réseau permet de voir si le réseau est plus ou moins connecté, c’est-à-dire si les symptômes sont très fortement reliés entre eux, et donc si le réseau est plus ou moins stable. Si le réseau a une plus haute connectivité, il est plus stable, et il faudra plus « d’effort » en clinique pour les faire disparaître. Cela se traduit dans le langage clinique courant par un trouble « plus grave », voire « résistant », par rapport à un trouble dont les symptômes sont moins fortement connectés entre eux (Fried et Nesse, ).   L’analyse descriptive du réseau permet d’obtenir des informations sur la vitesse de propagation d’un trouble, à l’image de la propagation d’un vecteur infectieux dans une population. En psychiatrie clinique, cette propagation correspond à l’évolution du trouble, celui-ci atteignant différents symptômes auparavant épargnés, et dont la densité s’intensifie avec le temps. La figure  ci-dessous constitue un exemple d’analyse de la propagation de l’information au sein d’un réseau.

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Figure 15 : Représentation en réseaux de la propagation de l’information entre symptômes. En trait plein, l’analyse du chemin préférentiel (plus court chemin) entre plusieurs symptômes. En pointillé, les relations de dépendance entre symptômes.

Nous avons vu précédemment les différentes mesures de centralité. Cette mesure renvoie aux nœuds considérés essentiels dans le réseau, par exemple en termes de passage obligatoire entre deux symptômes, d’influence globale d’un nœud sur le reste du réseau – et éventuellement de ciblage de la thérapeutique (malgré des écueils que nous verrons dans le chapitre portant sur les limites des approches réseau).   Enfin, des analyses en clusters (ou détection de communautés), c’est-à-dire de séparation de « grappes de symptômes » peuvent être conduites. Elles permettent d’isoler les dimensions principales du réseau. Ces dimensions permettent de créer une stratification de groupes d’individus, et cette stratification pourrait aider le développement de la psychiatrie stratifiée (et plus généralement la psychiatrie personnalisée).

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3. Approche en réseaux de symptômes et visualisation Comme bien d’autres philosophes des sciences, Gaston Bachelard (), ayant écrit aux frontières de l’abstraction scientifique et de l’image poétique, s’est penché sur la force des images dans la communication scientifique. L’impact de la visualisation d’une découverte ou d’une preuve scientifique est majeur (Hacking, ). En effet, l’histoire des sciences s’est construite sur des modèles dont la pérennité dépend en partie de leur intégration dans les communautés scientifiques (van Fraassen, ). Les réseaux sont des modèles qui permettant d’obtenir une visualisation des relations entre symptômes. L’aspect visuel des réseaux de symptômes est donc un atout à ne pas négliger. De manière adjacente aux propriétés esthétiques des réseaux de symptômes, nous proposons trois caractéristiques pour que de tels modèles statistiques apparaissent pertinents pour les cliniciens. Premièrement, ces modèles doivent contenir une certaine souplesse narrative, c’est-à-dire pouvoir être interprétés par le clinicien de manière à ce qu’il puisse le faire correspondre aisément aux symptômes perçus chez son patient. Deuxièmement, ils doivent pouvoir être lus et compris rapidement, sans nécessiter de bagage statistique lourd ou fastidieux à l’apprentissage, et devraient pouvoir être expliqués facilement à d’autres soignants. Troisièmement, ils doivent être facilement produits et reproductibles en pratique clinique courante. 1 0,8 0,6 0,4 0,2 0 –0,2 –0,4 –0,6 –0,8 –1 Figure 16 : Matrice de corrélation (à gauche, avec zoom sur la droite), sans visualisation du réseau de symptômes, issues des données du Big-5. Les carrés bleus représentent les corrélations positives. Utilités des réseaux de symptômes 97

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L’aspect visuel des structures corrélationnelles des réseaux peut être illustré par un contre-exemple : la figure  ci-avant montre une représentation graphique de statistiques corrélationnelles classiques, sans visualisation du réseau. Ainsi, avec des nœuds qui représentent les variables et la possibilité de varier les couleurs, la forme et la taille pour indiquer la différence entre des tests statistiques, le réseau des dimensions de la personnalité (Big-) peut-être visualisé comme l’illustre la figure  ci-dessous. Sans aucune connaissance en statistiques, il est évident que cette représentation semble être plus intuitive pour les cliniciens. A minima, elle permet la visualisation des regroupements entre symptômes au sein des dimensions. N221

N226

N231

N236 N1

N6

N11

N16

N21

N216

N26

N211

N31

N206

N36 N41

N201

N46

N196

N51

N191

N56

N186

N61

N181 N176

N66

N171

N71 N76

N166

N81

N161 N156

C225

C230

C235

C5 C10

C24

C15

N86

N151

N91

N146

C20

C25

C220

N96 N141

C30

C215

N136

C35

C210

N131

N126 N121 N116

N111

N106

E222

N101

C45

C205

E232

E2

E237

E7

E12

E17

E22 E27 E32

E42 E47

E197

C55

C195

E37

E202

C50

C200

E227

E217 E212 E207

C40

E52

E192

C190

C60

E187

E57

C185

C65

E182

E62

C70

E177

C180 C175

C75

C160

E157

C95

C150

E82

E162

C90

C155

E72 E77

E167

C85

C165

E67

E172

C80

C170

E152

C100 C145

C140

C135

C130 C125 C120

C115

C110

E87

A224

A229

A234

A239 A4

A9

A14

A19

O223

A24

A219

A44

A204

A54

A194

A59

O188

A64

O183

A179

A69

O178

A174

A74 A79

A169

A84

A164 A159

A89 A94

A134

A129 A124 A119

A114

O18

E112

E107

E102

O23 O28 O33 O38 O43 O48 O53

O193

A189

A99

O13

O198

A184

A104

O8

O203

A49

A199

A109

O238 O3

E127 E122 E117

O208

A39

A149

O233

E132

O213

A34

A154

O228

E137

O218

A29

A214

A139

E97 E142

A209

A144

E92

E147

C105

Neuroticisme Extraversion Ouverture Agréabilité Consciensiosité

O58 O63 O68

O173

O73 O78

O168

O83

O163 O158

O88

O153

O93

O148

O98 O143

O138

O133

O128 O123 O118

O113

O108

O103

Figure 17 : Réseau issu des dimensions du Big-5.

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Chapitre 5

Méthodologie de l’approche réseau En introduction, nous avons distingué les perspectives théoriques, méthodologiques et empiriques de l’approche réseau. Dans ce chapitre, nous ferons trois distinctions, entre les données (les symptômes eux-mêmes), les modèles (les réseaux) et la théorie (des réseaux). Les données correspondent à ce qui est fourni par la clinique, à l’image de la brique permettant de construire un édifice. Les modèles sont des constructions statistiques qui ordonnent les données, à l’image du ciment entre les briques. La théorie est un ensemble d’hypothèses (et d’axiomes et de lois) sous lesquels se rassemble une famille de modèles, à l’image du plan d’architecte qui permet la construction effective d’édifices. Nous allons développer ce chapitre méthodologique en décrivant les statistiques qui sous-tendent les modèles en réseaux de la psychopathologie, avant d’étudier brièvement les types de réseau (temporel et transversal), pour aborder enfin le rapport des réseaux aux modèles statistiques traditionnels.

1. Statistique des approches réseau Dans un premier temps, il paraît nécessaire de comprendre pour quelle raison les statistiques seraient si importantes en psychopathologie. Et contre toute attente, l’approche réseau n’apporte aucune nouveauté de ce côté-là : même si la psychiatrie s’est apparemment construite sur une succession de théories cliniques divergentes (et en conséquence de modèles divergents), son expansion institutionnelle et sa cohérence au sein d’un même champ de compréhension du psychisme humain sont fortement dépendantes des modèles statistiques (Demazeux, ). 99

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Sans entrer dans les détails historiques, il faut remarquer que les statistiques permettent des corrélations entre des éléments sémiologiques 1. Elles permettent d’affirmer sous une forme mathématique que deux symptômes sont retrouvés communément et fréquemment ensemble et appartiennent au même trouble, c’est-à-dire à la même catégorie, pour adopter un vocabulaire traditionnel du DSM. Tant au niveau épidémiologique qu’en ce qui concerne la construction des catégories diagnostiques, les statistiques jouent un rôle important de mise en cohérence des événements. Malgré ce que nous avons soutenu sur l’intérêt des réseaux qui s’émancipent des catégories diagnostiques, il n’est pas possible de nier l’influence positive de ces dernières dans la formation, le développement et la justification scientifique de la psychiatrie contemporaine. Cependant, sans pour autant repousser cette approche statistique, la désignation traditionnelle de la catégorie diagnostique n’a plus lieu d’être au sein des réseaux de symptômes : ceux-ci proposent d’étudier un modèle statistique entremêlant les symptômes de manière continue, dynamique, souple et flexible, sans restreindre la psychiatrie à une famille uniforme de catégories.   Les statistiques qui sous-tendent l’approche réseau permettent de modéliser la psychopathologie comme un système complexe de symptômes en interaction. Rappelons que ce système complexe est fondé sur le fait que les interactions proviennent de processus causaux entre symptômes. Nous avons également vu que les statistiques permettaient d’estimer certains paramètres du réseau et offraient la possibilité de faire des inférences (comme le calcul de la connectivité ou des mesures de centralité). Comme nous allons le définir plus précisément, la construction du réseau repose sur un champ de Markov à paires aléatoires, c’est-à-dire une estimation des relations de dépendance conditionnelle entre les éléments à un moment donné et en intégrant les interactions passées. Typiquement, les corrélations plus fortes sont représentées par des liens plus épais (ou plus foncés) que les corrélations plus faibles. Cidessous, nous donnons quelques exemples de réseaux. Les symptômes sont ici remplacés par des prénoms, Agathe, Manon et Clémence et 1. Elles permettent également d’isoler des dimensions de la psychopathologie, comme avec les modèles factoriels.

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les liens correspondent à l’intensité de l’amitié, comme le montre la figure  ci-dessous. (a)

(b)

Agathe

Manon

Agathe

Clémence

Manon

Clémence

Figure 18 : Pondération (a) ou non-pondération (b) des liens.

Comme le montre la figure  ci-dessus, les liens peuvent être pondérés (à gauche) ou non (à droite). La pondération permet de montrer une différence dans les corrélations entre deux nœuds. Les symptômes reliés par une forte corrélation sont retrouvés ensemble dans un échantillon de patients. Agathe

Manon

Clémence

Figure 19 : Corrélations positives (traits pleins) ou non (en pointillés).

Comme le montre la figure  ci-dessus, les liens peuvent être associés à une corrélation positive (traits pleins) ou négative (en pointillés). Agathe

Agathe Amitié Clémence

(a)

Clémence (b)

Figure 20 : Modèle dirigé (a) ou non (b).

Enfin, comme l’illustre la figure  ci-dessus, le modèle peut être dirigé ou non.

Méthodologie de l’approche réseau 101

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Nous avons décrit les relations de dépendance qui relient des symptômes 2. Mais quels nœuds inclure dans un réseau ? Et d’abord, qu’estce qu’un nœud ? L’idée d’intégrer les symptômes au sein des réseaux a été lancée par Borsboom (), Cramer (), Kendler () ou Fried (). Nous avons vu avec le principe  de la théorie des réseaux de symptômes que les réseaux s’appuyaient sur le répertoire historique des symptômes psychiatriques. Nous avons vu également que d’autres facteurs pouvaient être intégrés au réseau, que ce soit ou non en tant que variable latente (au sein des réseaux hybrides). La littérature a examiné un large éventail de constructions psychologiques, qui ont ensuite été proposées pour inclusion dans les réseaux. Par exemple, des auteurs comme Costantini et Perugini () ont proposé d’y intégrer les caractéristiques de personnalité. Un recueil des attitudes a été proposé par Dalege et collaborateurs (), et de paramètres neuropsychologiques par Kees-Jan Kan et coll. (). Ainsi, au-delà des symptômes traditionnels décrits au sein du DSM, d’autres symptômes peuvent être ajoutés en se fondant sur l’état de l’art clinique ou sur des ensembles transdisciplinaires, intégrant par exemple des éléments contextuels (Tabb, Schaffner et Kendler, ). Par exemple, les comorbidités de l’anxiété généralisée peuvent être intégrées au réseau de l’anxiété, permettant la modélisation de l’ensemble des symptômes d’anxiété et des symptômes fréquemment associés, indépendamment de la catégorie DSM, jugée trop restrictive pour étudier ces derniers. Il est alors possible d’ajouter des niveaux de granularité en fonction de la question posée, du contexte et des hypothèses de recherche sous-jacentes : par exemple, l’anxiété peut être séparée en anxiété chronique, en anxiété à propos d’un événement, en irritabilité, en perte de contrôle de l’anxiété ou en tension musculaire (Cramer, Waldorp, van der Maas, Borsboom et coll., ), et chacune de ces formes d’anxiété peut être reliée à différents symptômes adjacents. Nous analyserons plus en détail ce défi d’intégration de symptômes spécifique dans un chapitre dédié aux symptômes.

2. Mais établir que les nœuds « Agathe » et « Clémence » des figures  et  présentent une corrélation négative, c’est-à-dire de « non amitié », ne nous dit rien sur l’animosité que « Clémence » pourrait porter à « Agathe ».

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2. Deux types de réseaux Il existe deux principaux types de réseau, classés ici selon la prise en compte ou non de la dynamique temporelle des symptômes.

Réseaux transversaux nomothétiques Tous les réseaux que nous avons vus précédemment sont des réseaux transversaux (« cross-sectional between-subjects », ou « contemporaneous »). Ce sont les réseaux les plus fréquemment retrouvés dans la littérature. Pour un échantillon d’individu donné, quand les nœuds tendent à avoir des relations de dépendance conditionnelle plus fortes, les corrélations sont plus élevées. Si l’on se trouvait dans un modèle factoriel plus classique, cette dépendance pourrait être, plus ou moins, le témoin d’une bonne fiabilité (par exemple mesurée par l’alpha de Cronbach). Rappelons qu’un réseau est construit par recueil de symptômes provenant de plusieurs individus : chaque relation entre deux nœuds est donc le reflet d’un certain nombre d’associations entre deux symptômes chez un certain nombre de patients. La figure  ci-dessous représente ce type de réseau transversal, ainsi que le réseau temporel que nous allons décrire ci-dessous. 5

7

6 2

1

4

1. Anxiété 2. Contrôle 3. Inquiétude 4. Détente 5. Agitation 6. Irritabilité 7. Peur

3

Figure 21 : Réseau temporel (a) et réseaux transversaux ((b) : non pondéré ; (c) : pondéré).

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Réseau temporel idiographique Un réseau temporel (« temporal network ») correspond à un réseau intégrant des données recueillies au fil du temps. Par exemple, l’humeur triste va conduire temporellement à provoquer une anhédonie. Les problèmes de sommeil vont conduire à des problèmes de concentration. Ces séquences peuvent être modélisées et visualisées dans les réseaux de symptômes. La figure  ci-dessous montre un exemple aléatoire de réseau temporel représentant les interactions temporelles entre des symptômes de dépression. Autrement dit, il est possible de savoir, à des moments différents, à quelle intensité un symptôme influence ses voisins. Temporel

Réseau transversal non pondéré Aventureux

Aventureux

Ouvert (outgoing)

Aventureux

Ouvert (outgoing)

Énergique

Réseau transversal pondéré

Énergique

Exercice

Joyeux

Ouvert (outgoing)

Joyeux

(a)

Énergique

Exercice

Exercice

Joyeux

(b)

(c)

Figure 22 : Exemple de réseau d’interactions temporelles entre des symptômes de dépression.

Les réseaux temporels peuvent s’inscrire dans la lignée des méthodes idiographiques. Une méthode est dite idiographique quand elle se rapporte à un patient unique, par opposition aux méthodes nomothétiques qui se rapportent un ensemble de patients. Par exemple, les classifications traditionnelles comme le DSM sont nomothétiques, car elles ont été construites par synthèse d’observations provenant d’un grand nombre de patients. Les réseaux temporels sont fondés sur des séries chronologiques. Comme nous pouvons le visualiser dans la figure  qui compare les différentes modélisations, un tel modèle présente les relations dynamiques entre les symptômes et les comportements, au fil du temps et chez un même individu (Epskamp, Borsboom et Fried, ). Le réseau n’est pas « évolutif » en lui-même (bien que plusieurs

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réseaux puissent être réalisés à différentes temporalités) mais il intègre des symptômes évoluant les uns par rapport aux autres au fil du temps.   Un tel réseau individuel peut être utilisé pour découvrir les facteurs de risque spécifiques à la personne de développement d’un trouble psychiatrique (Bringmann, ). Par exemple, le fait de savoir qu’un mauvais sommeil est un symptôme très influent ou central dans la structure du réseau d’un patient peut permettre de lui proposer un traitement ciblé, en intervenant d’abord, dans cet exemple précis, sur les problèmes de sommeil. Cependant, pour décrire le réseau spécifique d’un individu, des données chronologiques peuvent être nécessaires. Ces données peuvent être collectées par évaluations écologiques en temps réel (Ecological momentary assessment) ou des évaluations ambulatoires. La variance d’un de ses symptômes peut être prédite à partir du même symptôme à un moment antérieur, tout en contrôlant toutes les autres variables du modèle (le réseau le plus fréquemment utilisé est un modèle vectoriel autorégressif, VAR, plus ou moins bayésien). Dans un autre exemple, un élément tel que l’anxiété peut survenir dans différents contextes : un tel modèle peut s’avérer intéressant pour savoir ce que sont ses facteurs déclenchants et comment ils agissent sur le réseau de ce patient (les nœuds sont intégrés sur la base d’entretiens ou de données qualitatives).   Les réseaux temporels permettent de dépasser la limite nosologique de la stationnarité : la stationnarité implique que toutes les données de la période d’observation soient traitées comme représentatives de l’individu, quel que soit le moment, allant d’un intervalle de quelques jours à quelques années (Fisher et Bosley, ). En pratique, un symptôme (par exemple une idée délirante) pourrait être la conséquence de modifications liées à d’autres variables le précédent (par exemple l’anxiété), phénomène de couplage mutualiste que nous avons largement décrit précédemment. Les réseaux permettent de prendre en compte cette évolution. Comme l’ont démontré Fisher et coll. (), les réseaux idiographiques permettent un niveau de granularité, de compréhension clinique et de prise en compte de la temporalité inenvisageable avec des classifications comme le DSM.  

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En psychologie clinique, les méthodes idiographiques sont essentielles pour comprendre les différences interindividuelles. Il s’agit d’une condition nécessaire au développement d’interventions personnalisées (Wright et Woods, ). La littérature montre en effet que les individus diffèrent considérablement dans la structuration de leurs processus mentaux, même si certains processus clés sont partagés entre les individus. Les schémas de pensées, les sentiments et les comportements sont la plupart du temps idiosyncratiques, c’est-à-dire spécifiques à la personne (Fisher, ). Les classifications traditionnelles ne saisissent pas ces différences. Selon un nombre croissant d’auteurs, ces processus pourraient être mieux estimés grâce à des modèles spécifiques pour chaque individu. Ces modèles idiographiques permettraient également de comprendre les dynamiques des processus psychiques et de les contextualiser. Cette personnalisation, cette dynamique et cette contextualisation permettent d’identifier les mécanismes de maintenance et les cibles de traitement de manière individualisée et stratifiée. L’importance d’évaluer le patient de manière individuelle et de personnaliser le traitement n’est certes pas nouvelle (par exemple, dans la littérature sur les thérapies cognitivo-comportementale, voir Persons, Curtis et Silberschatz, ). Et nous avons vu précédemment que les approches réseaux s’inscrivent dans une optique de psychiatrie personnalisée. L’analyse d’un réseau temporel s’inscrit dans cette personnalisation en révélant des heuristiques sémiologiques (c’est-à-dire montrer les chemins de communication entre différents symptômes), par l’étude de la dynamique des symptômes, pour une personne en particulier (Howe, Bosley et Fisher, ).

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Modèles hybrides Enfin, nous avons vu précédemment les réseaux hybrides. De tels réseaux ont été développés du fait de l’existence d’une ou plusieurs cause(s) commune(s) pour certains ensembles de symptômes, et notamment des facteurs environnementaux ou biologiques. Par exemple, un traumatisme (facteur extérieur) cause des symptômes de stress post-traumatique ou certains événements de vie causeraient des symptômes de dépression. De même, une variable latente comme le fait de posséder une addiction ou d’être un homme ou une femme pourrait être intégrée. Il s’avère cependant que des auteurs comme Fried et coll. (2019), en plus de marqueurs biologiques, ont intégré des covariables (l’âge, le sexe ou le fait de faire de l’exercice physique) en tant que symptômes, alors que ces covariables constituent théoriquement des variables latentes : en effet, ces covariables peuvent expliquer l’évolution simultanée d’un certain nombre de symptômes (par exemple, l’exercice physique peut être considéré comme une cause commune, diminuant l’expression de plusieurs symptômes simultanément). Ce contre-exemple de modèle hybride montre qu’il est envisageable, avec prudence, d’intégrer en tant que symptôme un facteur pouvant influencer un certain nombre d’autres symptômes, au lieu de l’intégrer en tant que variable latente. Dans le cadre de tels modèles hybrides, une variable latente (ou cause commune) est donc incluse dans le réseau. D’un point de vue statistique, il est important de comprendre qu’il existe deux types de modèles à variable latente : les modèles à variable latente réflective et les modèles à variable latente formative.

3. Les modèles à variable latente réflective Un diagnostic d’épisode dépressif caractérisé nécessite la présence d’au moins cinq des neuf symptômes critères du DSM- (dont un des deux critères monothétique, à savoir la tristesse de l’humeur ou l’anhédonie) (American Psychiatric Association, ). Ces symptômes peuvent être évalués à l’aide d’instruments de dépistage tels que le Beck Depression Inventory (BDI ; Beck, Steer et Garbin, ), qui additionnent le nombre de symptômes retranscrits. L’idée sousjacente d’un tel questionnaire de psychométrie tient au fait que les symptômes de dépression sont des indicateurs interchangeables du

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même trouble sous-jacent, unidimensionnel, à savoir le « trouble dépressif caractérisé ». Les questionnaires de psychométrie classiques renvoient donc à ce que l’on appelle une cause commune, que nous avons déjà largement présentée (Schmittmann et coll., ). C’est la présence d’une telle cause commune qui explique le regroupement de symptômes. En statistique, une cause commune est nommée variable latente, et ces variables latentes peuvent être dites réflectives ou formatives, en fonction de la direction de la causalité entre la variable latente et les symptômes. Un modèle réflectif décrit le cas de symptômes qui « reflètent » une cause commune (ils n’en sont que le reflet). C’est surtout dans ce cas qu’on nomme ce modèle (factoriel) un modèle à « cause commune ». Dans de tels modèles réflectifs, les modifications de la variable latente (par exemple, la dépression) entraînent des modifications des indicateurs observés (les symptômes). C’est parce qu’il y a une cause commune qu’il y a des symptômes. De ce point de vue, les symptômes de dépression tels que la tristesse, l’insomnie ou la fatigue seraient associés parce qu’ils seraient déclenchés par la même cause commune. Autrement dit, les symptômes sont considérés comme des mesures de la dépression, qui elle-même explique leur agrégation. Conceptuellement, de manière plus ou moins implicite, on suppose que la cause commune de la dépression réside au niveau cérébral (Andreasen,  ; Forest, ). Si les symptômes de la dépression sont compris comme les conséquences passives d’un dysfonctionnement cérébral sous-jacent, l’identification et le traitement d’une cause commune sont en effet les procédures diagnostique, pronostique et thérapeutique les plus cohérentes. Considérer un tel modèle de variable latente réflective implique que la cause commune expliquant l’agrégation de symptômes puisse en principe être découverte, ce qui implique généralement une ontologie réaliste, voire essentialiste, concernant les troubles psychiatriques. La figure  ci-dessous montre la construction d’une telle variable latente réflective avec des symptômes localement indépendants, qui comportent une origine partagée (Fried, ).

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ξ

λ1 x1 λ2 x2 λ3 x3

δ1 δ2 δ3

Figure 23 : Variable latente réflective ξ, avec des symptômes x localement indépendants comportant une origine partagée (avec des facteurs λ et des erreurs de mesure δ). Fried, 2019 ; intervention Berlin : https://psycnet.apa.org/record/1986-29029-001 (consulté le 23/07/21)

En prenant l’exemple de la dépression, nous relevons au moins deux limites aux modèles à variables latentes réflectives. Premièrement, en considérant que neuf symptômes de dépression peuvent être interchangeables et reflètent une cause commune, il existe plus de   profils différents de dépression, qui répondent pourtant tous au même diagnostic (Østergaard, Jensen et Bech, ) – y compris des profils ne partageant aucun symptôme. De nombreux individus peuvent donc avoir le même diagnostic et ne partager aucun symptôme. Des études transversales ont montré qu’il existait des profils de symptômes de dépression particuliers en fonction du temps et de l’évolution de l’individu, nécessitant d’adopter une vision dynamique du trouble (Cramer, Borsboom, Aggen et Kendler,  ; Keller et Nesse, ). Bien qu’il soit envisageable qu’une maladie se manifeste sous divers aspects cliniques (la syphilis, par exemple, est souvent appelée la « grande simulatrice » pour cette raison), il est peu probable qu’elle provoque tant de profils dissemblables. Du moins, une telle hétérogénéité pose de nombreuses difficultés dans un cadre clinique. Elle pourrait être partiellement résolue en envisageant une évolution nosologique, par exemple comme cela a été fait avec les RDoC, d’autres modèles transdiagnostiques (par exemple, de staging), ou les réseaux des symptômes. Deuxièmement, chez un individu, les symptômes de dépression varient en fonction des facteurs de risque (Fried, Nesse, Zivin, Guille et Sen, ) et de la biologie sous-jacente (Kendler, Kuhn et Prescott, ). De plus, certains symptômes présentent une plus grande héritabilité que d’autres, avec des facteurs d’héritabilité importants (Jang, Livesley, Taylor, Stein et Moon, ). L’étiologie des symptômes

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dépressifs est complexe et multifactorielle, avec des influences biologiques, psychologiques et environnementales (Cramer, Borsboom, Aggen et Kendler, ). Il n’est donc pas possible d’isoler une cause commune unidimensionnelle. Il est donc difficile de déceler quelle est la part d’influence de chacun de ces facteurs dans la survenue d’un trouble. Encore une fois, la reconsidération d’une nosologie axée sur les symptômes et leurs interactions pourraient aider à comprendre ces parts d’influence mutuelles.

4. Les modèles à variable latente formative Les modèles factoriels formatifs à variable latente impliquent que le trouble soit le résultat d’une agrégation de symptômes, comme l’illustre la figure  ci-dessous. On peut également nommer ce modèle factoriel un modèle à « effet commun ». Il s’agit du pendant des modèles à variable latente réflective, dans lequel la causalité est inversée (c’est parce qu’il y a des symptômes qu’il y a une cause commune).   Quel que soit le modèle utilisé, réflectif ou formatif, il persiste toujours une variable qui n’est cliniquement jamais retrouvée. La notion du « trouble » n’est obtenue que par une abstraction de la part du clinicien. Il est considéré comme une « étiquette » ajoutée à l’ensemble de symptômes recueillis par celui-ci. Les limites à ce genre de modèles sont donc globalement identiques au modèle précédent. x1 x2 x3

γ1 γ2

η

ζ

γ3

Figure 24 : Variable latente formative η, avec des symptômes x localement indépendants comportant une origine partagée ζ (avec des facteurs γ et des paramètres de perturbation entre symptômes).

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La figure  ci-dessous qui présente les modèles d’explication d’un trouble, représente ces deux modèles factoriels et visualise (au centre) le schéma représentant le modèle des réseaux de symptômes. (a)

(b)

Modèle à cause commune

D

E

Dépression

S

Sommeil

E

Énergie

(c)

Modèle à effet réciproque

S

Énergie

F

Attention

S

Sommeil

Modèle à effet commun

Sommeil

F

Attention

E

Énergie

F

Attention

D

Dépression

Figure 25 : (a) Modèle à cause commune, ou réflectif, (b) modèle à « effet commun », ou formatif et (c) modèle des réseaux de symptômes.

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Chapitre 6

Limites des réseaux de symptômes Il existe plusieurs limites aux réseaux de symptômes de la psychopathologie. Ces limites peuvent être classées en limites cliniques, méthodologiques, théoriques et conceptuelles.

1. Limites cliniques Les limites cliniques peuvent être déclinées en limites liées à l’étude de la centralité et en limites liées au recueil et à la nature des symptômes. Ce deuxième point sera traité dans une partie spécifique, du fait de son importance capitale pour la clinique : peut-on vraiment imaginer faire un réseau de symptômes sans discuter le problème de l’indétermination des symptômes, c’est-à-dire des frontières qui délimitent un symptôme d’un autre ?   Concernant la centralité, Borsboom () a proposé que les éléments centraux du réseau puissent être des éléments déterminants pour les orientations thérapeutiques. En effet, comme l’ont montré Dablander et Hinne en  dans un article intitulé Node centrality measures are a poor substitute for causal inference, la corrélation entre l’influence causale et les mesures de centralité des nœuds est faible. De plus, les études ayant utilisé les approches en réseaux de symptômes dans le cadre de prises en charges cliniques restent rares.

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La figure  illustre l’utilisation d’une analyse d’intervention réseau avec une approche de thérapie cognitivo-comportementale sur le réseau de symptômes de  participants (comparé à un groupe de  participants ne recevant pas de traitement), avec l’évolution du réseau sur dix périodes temporelles. L’effet du traitement ciblant chaque symptôme par rapport aux changements observés chez les témoins est visualisé dans le diagramme entourant les nœuds (Blanken et coll., ). Une telle étude permet de montrer sur quels symptômes l’intervention agit le plus intensément. Elle témoigne de la dynamique des interactions entre symptômes lors d’une intervention cognitivo-comportementale. Cependant, cette approche n’a pour le moment été que peu répliquée. De tels essais thérapeutiques contrôlés demandent à être effectués sur de plus larges échantillons (Fried et Cramer, ). Le comportement des systèmes complexes est difficile à prévoir. Des travaux théoriques, méthodologiques et expérimentaux seront nécessaires pour réaliser des progrès concrets à l’avenir.

Figure 26 : Évolution du réseau de symptômes en fonction d’une thérapie cognitivo-comportementale (carré blanc), sur un réseau constitué à partir de 52 participants. L’effet sur les symptômes est visualisé par les corrélations positives (en vert) en fonction de 10 périodes de temps D’après Blanken et coll., 2019

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DIS : Difficulté à initier le sommeil DMS : Difficulté à maintenir le sommeil EMA : Réveil précoce au matin Dissat : Insatisfaction concernant le sommeil IDF : Interférence avec le fonctionnement quotidien NIQoL : Notion d’altération de la qualité de vie Worry : Inquiétude concernant le sommeil

Lol : Perte d'intérêt Dep Mood : Sentiment de dépression Fatigue : Fatigue Appet : Perte ou augmentation d'appétit Worth : Sentiment d'inutilité Con : Problèmes de concentration Psych Mot : Agitation ou ralentissement psychomoteur Sui : Pensées suicidaires Treat : traitement

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L’estimation de la centralité reste un atout majeur de l’analyse en réseaux (Madhoo et Levin, ). Il existe encore peu de preuves qu’une intervention sur les symptômes présentant des mesures de centralité élevées puisse être plus efficace qu’une intervention sur les symptômes périphériques (Elliott et coll.,  ; Robinaugh et coll., ) De fait, l’estimation de la centralité concerne aussi bien la variabilité (Fried et Cramer, ) que la stabilité des réseaux (Guloksuz et coll., ). En effet, le concept de centralité permet de ne se pencher que sur les symptômes influençant le plus les autres. Considérer en priorité les symptômes très centraux pourrait soutenir le développement de prises en charge thérapeutiques permettant de limiter la survenue et le maintien des autres symptômes. De ce fait, comme l’écrivent Bortolon et Raffard (), l’identification de certains nœuds considérés comme centraux « pourrait permettre de développer des stratégies spécifiques pour prévenir ou traiter ces symptômes de manière à prévenir le développement du trouble et la progression du trouble vers un pronostic plus négatif ». Une telle hypothèse demande cependant à être testée d’un point de vue clinique et dans des essais randomisés (Fried, van Borkulo et Cramer, ). Nous allons analyser les limites de cette étude sur la centralité, avec l’exemple d’un réseau aléatoire, visualisé dans la figure .

Figure 27 : Réseau aléatoire (pondérations arbitraires). 116 Les réseaux de symptômes en psychopathologie

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L’étude de la centralité de la figure  montre que le nœud central violet possède la valeur la plus élevée de centralité, en termes de force, d’intervalle et de proximité entre les nœuds. Sur un réseau de ce type et portant sur les symptômes de dépression, Murri et coll. () ont affirmé que l’élément central constituait la « colonne vertébrale » du trouble dépressif. Ils ajoutaient que : Les symptômes au cœur du réseau peuvent être utilisés comme cibles pour de nouvelles interventions et dans des études portant sur les processus neurobiologiques essentiels.

Or, il n’est pas juste de dire que les symptômes les plus centraux sont ceux qui « entretiennent » la dépression ou sur lesquels il faudrait agir pour traiter l’ensemble des symptômes (Terluin et coll., ). Quatre principales raisons expliquent cette confusion. C’est le cas lorsque deux nœuds peuvent avoir la même influence sur une supposée variable latente. Par exemple, les nœuds « blues » et « tristesse de l’humeur », qui correspondent à des symptômes très proches en clinique, auraient pu être remplacés par un unique nœud au sein d’un réseau. Or, s’il y a deux nœuds au lieu d’un, la covariance sera partagée entre ces deux nœuds et la centralité diminuera (bien qu’il existe des traitements statistiques permettant de corriger ce biais). Deuxièmement, la centralité d’un symptôme peut être relativement plus élevée pour un nœud, mais cela n’indique aucunement que la différence soit cliniquement significative (au sens statistique du terme). Par exemple, si l’on prend l’exemple de la taille moyenne de  cm dans un groupe d’hommes, qui peut être très centrale dans un réseau, et la taille moyenne de  cm dans un groupe de femmes, cela n’indique pas nécessairement qu’il existe une différence statistiquement significative entre ces groupes. Troisièmement, ce que l’on nomme la variabilité différentielle signifie que les symptômes diffèrent par leur variabilité (écart type et variance), mais que ceux présentant une variabilité faible ne vont pas être associés à d’autres variables dans le réseau. Autrement dit, la centralité sera faussement abaissée quand des symptômes sont moins fréquents. En revanche, ces différences peuvent être corrigées statistiquement. Quatrièmement, même si centralité statistique et centralité clinique étaient similaires, l’action thérapeutique sur un symptôme central Limites des réseaux de symptômes 117

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ne serait pas nécessairement pertinente d’un point de vue clinique. Par exemple, estimer que le tabac explique le mieux l’étiologie du cancer ne permet pas d’être cliniquement efficace : l’arrêt du tabac ne permettra pas la guérison du cancer. De même, si on parvient à montrer que les troubles du sommeil sont centraux dans la problématique de la dépression, ce n’est pas nécessairement une action sur les troubles du sommeil qui résoudra la dépression (ou, du moins, cette relation de causalité reste à démontrer). Inversement, une idée suicidaire peut être périphérique, mais la clinique imposera de la prendre en charge en premier lieu. Ainsi, des auteurs comme Robinaugh, Millner et McNally () se sont demandés s’il ne faudrait pas agir sur des symptômes périphériques pour mieux prendre en charge un trouble. Il en est de même pour un délire paranoïaque qui pourrait n’être « qu’accessoire » en termes d’étiologie et de structuration des symptômes, mais qui imposerait une prise en compte clinique particulière, que la centralité dans le réseau ne saurait rendre. Pour toutes ces raisons, l’étude de la centralité constitue un des champs les plus importants de la recherche sur les approches en réseau. La mesure de la centralité tend à être améliorée par des techniques informatiques précises et par des protocoles d’études plus raffinés et testés sur des échantillons plus larges, et comparés à la clinique de manière prospective.   Comme nous l’avons vu et comme nous le traiterons dans un chapitre spécifique, une deuxième limite clinique tient au recueil des symptômes. Des auteurs comme Parnas () soulignent le défi d’inclure la subjectivité dans la construction des symptômes : leur opérationnalisation (c’est-à-dire le fait que les symptômes soient définis grâce à des indicateurs permettant leur mesure et leur validation) se fait au détriment de la phénoménologie qui sous-tend la réalité clinique. Des réseaux présentant les interactions entre des données phénoménologiques commencent à être développés, par exemple chez Scott et coll. () pour des jeunes patients porteurs d’un trouble bipolaires. En effet, le contenu de l’état psychique va influencer les corrélations entre symptômes. Comme nous l’avons vu, un délire de persécution sera connecté à des symptômes différents qu’un délire de grandeur, malgré le fait qu’il s’agisse d’un délire (qui aurait pu être modélisé par

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un même nœud). Une forme minimale de subjectivité pourrait donc être accueillie dans les réseaux de symptômes. L’avantage tient au fait que les contenus des états mentaux des individus y sont intégrés, ce qui n’est pas le cas au sein de classifications traditionnelles comme le DSM. De plus, l’intégration des aspects biologiques, sociaux, psychologiques ou environnementaux dans le réseau peut aider à satisfaire l’enjeu pluraliste et intégratif des réseaux de symptômes, en association avec l’approche phénoménologique. Cependant, nous verrons dans le chapitre suivant qu’une définition du « symptôme » sera cependant nécessaire afin de pouvoir lever les limites qu’introduisent de telles variations au sein des réseaux de symptômes.

2. Limites méthodologiques : reproductibilité, répétabilité, réplicabilité, stabilité, généralisabilité, prédictibilité, variabilité, hétérogénéité Dans un premier temps, quelques termes de méthodologie doivent être définis. Ainsi, la reproductibilité consiste à obtenir des résultats comparables en utilisant les mêmes données, les mêmes méthodes mais dans des conditions d’analyse différentes (analyste et laboratoire différents). La répétabilité consiste à obtenir des résultats comparables en utilisant les mêmes données, les mêmes méthodes et les mêmes conditions d’analyse hormis l’analyste (ou le chercheur en psychologie) qui sera différent. La réplicabilité consiste à obtenir des résultats comparables dans toutes les études visant à répondre à la même question scientifique, chacune ayant obtenu ses propres données mais utilisant les mêmes méthodes. La stabilité (ou robustesse) est la comparabilité des résultats dans des échantillons identiques (mêmes données) en utilisant des méthodes différentes (par exemple, en comparant deux sous-parties d’un même échantillon divisé de manière aléatoire). Enfin, la généralisabilité est la capacité à extrapoler les résultats au-delà de l’échantillon initial, idéalement sur la population, en utilisant donc des données différentes et des méthodes différentes. La prédictibilité, la variabilité et l’hétérogénéité seront présentées ensuite.

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Réplicabilité Une première limite des réseaux de symptômes concerne le manque potentiel de réplicabilité des réseaux (qui introduit des données différentes avec les mêmes analyses), qui a suscité de nombreux débats dans la communauté scientifique. En effet, si deux échantillons différents issus de la même population ne produisent pas les mêmes résultats, comment proposer une application clinique et une prise en charge thérapeutique à terme ? Un débat s’est par exemple élevé dans la communauté des réseaux de symptômes entre Forbes et coll. et l’équipe de PsychoSystems (Forbes et coll.,  ; Borsboom et coll., ). Ce débat, que nous aborderons uniquement d’un point de vue méthodologique, traverse l’intégralité des sciences statistiques depuis des décennies et s’inscrit plus généralement dans une « crise de la reproductibilité » en sciences. Il tient à plusieurs facteurs, allant de pratiques de recherche contestables (par exemple, le p-hacking, les liens avec la pression de publication ou les biais de confirmation) au défi de saisir la complexité du vivant en psychologie. Des auteurs comme Williams () sont allés jusqu’à faire valoir que la réalité n’était peut-être pas réplicable par essence. Cette crise a eu le mérite de proposer différentes réponses – par exemple, a-t-on nécessairement besoin de plus de   de réplicabilité (Williams, ) ?   L’origine de ce débat provient du fait que l’analyse de réseaux introduit nécessairement certains choix considérés arbitraires, comme dans tout test statistique. Comme le fait de fixer des seuils (par exemple, de corrélation partielle ou de régularisation) et l’interprétation des résultats (par exemple, concernant la hiérarchisation des indices de centralité), qui constituent des choix effectués par les chercheurs 1. Cette souplesse, frôlant parfois l’interprétation, peut avoir un impact sur la réplicabilité d’un réseau, c’est-à-dire sur sa capacité à montrer le même résultat avec d’autres données et une méthodologie similaire. 1. Les réseaux constituent en cela une science immature, au sens de Kuhn, et sont en train de créer leurs propres difficultés à travers des choix (nécessairement) arbitraires : on peut citer par exemple l’avis d’expert sur les   requis de l’échantillonnage à marges fixes (fixed marged sampling) qui n’a été que peu débattu. Autrement dit, des seuils sont en train d’être fixés et ces seuils vont conduire au développement de théories potentiellement réifiées.

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En effet, pour être répliqués, les résultats devraient provenir des mêmes méthodes computationnelles et statistiques, ce qui nécessite alors une opérationnalisation. Or, cette opérationnalisation des méthodes n’est pas possible.   Donnons un exemple de cette difficulté d’opérationnalisation des résultats à travers l’utilisation des packages, c’est-à-dire des ensembles de fonctions informatiques qui permettent de réaliser des tests statistiques. L’augmentation du nombre de packages (du logiciel R) permettant de construire les réseaux peut être visualisée sur la figure  ci-dessous : 12 000 10 000 8 000 6 000 4 000

0

1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020

2 000

Figure 28 : Augmentation du nombre de packages sur le logiciel de statistiques R.

Le nombre de tests pour créer et analyser des réseaux est donc en constante augmentation. Sans entrer dans le détail de la construction de ces packages, il faut comprendre qu’il existe une forte dépendance entre les packages. Un package contient plusieurs fonctions, mais une même fonction peut appartenir à plusieurs packages. Les codes servant à créer ou analyser le réseau peuvent ainsi ne pas être reproduits par une autre équipe ou dans le temps (diminuant la réplicabilité), car un package a été modifié entre-temps, ou bien l’un des packages dépendants a été modifié. Dans ce cas, il est très délicat de retracer la source du problème. Par exemple, le package bootnet (développé par PsychoSystems) est constitué lui-même d’un ensemble de packages : l’un sert à construire les graphiques (qgraph) tandis qu’un autre servira à mesurer la corrélation entre les nœuds (estimateNetwork). Si le code Limites des réseaux de symptômes 121

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d’un de ces packages change, le réseau entier de packages (bootnet) est modifié. Ces modifications empêcheront de répliquer les résultats malgré les efforts méthodologiques pour utiliser les mêmes tests.

Prédictibilité Une deuxième limite concerne la prédictibilité des réseaux de symptômes. La prédictibilité d’un échantillon est affectée lorsque les données ne présentent pas les mêmes facteurs d’influence (par exemple, un environnement différent) par rapport au recueil effectué du premier jeu de données. Cette différence rend délicate la possibilité d’effectuer des prédictions à partir des données. Ainsi, avec des groupes de cas et des groupes de témoins théoriquement identiques, le réseau pourrait montrer une différence entre cas et témoins dans un des réseaux, mais pas dans l’autre. La figure  ci-dessous illustre des différences de prédictibilité entre des études reproduites à plusieurs reprises avec des jeux de données différents. Données binaires

Données continues Anderson 2015 Amour 2016 Beard 2016 Deserno 2016 Fried 2016 Goekoop 2016 Hoorelbeke 2016 Koenders 2015 (1) Koenders 2015 (2) Koenders 2015 (3) McNelly 2015 Robinaugh 2014 Robinaugh 2016 Santos 2016

Borsboom 2013 Boschloo 2016 Fried 2015 Rhemtulla 2016 (1) Rhemtulla 2016 (2) Rhemtulla 2016 (3) Rhemtulla 2016 (4) Rhemtulla 2016 (5) Rhemtulla 2016 (6) Ruzzano 2016 Wigman 2016 0,00

0,25

0,50

0,75

1,00

0,00

0,25

0,50

0,75

Prédictibilité (précision normalisée)

Prédictibilité (proportion de variance expliquée)

(a)

(b)

1,00

Figure 29 : Différences de prédictibilité entre des séries d’études reproduites à plusieurs reprises, avec des jeux de données différents. D’après Fried, 2019

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Variabilité La variabilité des items constitue une troisième limite. La variabilité peut s’apparenter à une forme d’imprécision. Elle survient lorsqu’un individu est mesuré plusieurs fois mais ne génère pas nécessairement le même résultat. En effet, si un élément présente une faible variabilité et une centralité faible (il est représenté en périphérie du réseau), il n’est pas possible de savoir si cet élément aurait eu une centralité aussi faible dans une population au sein de laquelle il aurait eu une forte variabilité. Dans une pathologie, chaque symptôme peut avoir une variabilité qui lui est propre : par exemple, la tristesse de l’humeur oscille faiblement le long d’une échelle restreinte (faible variabilité), tandis que la perte de motivation pourrait être bien plus variable entre les individus et au fil du temps (forte variabilité). Cet effet de variabilité est plus important encore dans le cadre des réseaux de symptômes que dans le cadre de réseaux de personnes saines, car la connectivité et la densité des réseaux dans les populations porteuses d’un trouble psychiatrique sont plus élevées que dans les échantillons sains. La variabilité est dépendante de la centralité, ce qui ne lui permet pas d’être considérée comme un paramètre objectif.

Hétérogénéité Une quatrième limite concerne l’hétérogénéité entre les populations. Entre population saine et population de cas, le réseau pourrait n’être différent que du fait de sa connectivité et de sa densité. Quelle comparabilité peut-on alors espérer ? Certes, cette différence pourrait être déterminée par l’étude de la structure factorielle du réseau (c’està-dire l’identification de dimensions sous-jacentes), ce qui suppose d’y introduire des variables latentes (van de Leemput et coll., ). Cette limite méthodologique, qui n’est que partiellement résolue avec l’utilisation de modèles hybrides, nécessite des outils computationnels qui doivent être encore développés.

Généralisabilité Enfin, ces différentes limites conduisent à la question de la généralisabilité. Yarkoni () parle dans ce sens de crise de la généralisabilité.

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En effet, il est implicitement supposé qu’un effet se généralise quand l’échantillon est représentatif de la population duquel il est issu (Yarkoni, ). Cette affirmation n’est pas si anodine. Pour prouver sa généralisabilité, Fried (), en utilisant l’argument poppérien de falsifiabilité, propose que les chercheurs rédigent dans leur article un « paragraphe de falsifiabilité » dans lequel « ils exposeraient précisément dans quelles circonstances ils considéreraient leur théorie falsifiable ». Autrement dit, les chercheurs devraient pouvoir prouver que leurs preuves sont suffisantes pour justifier des ajustements à la théorie. Comme nous le verrons dans le chapitre portant sur les théories, les modèles et les données, une théorie est solide si elle engage à la fois des modèles qui cartographient les données de la réalité et des modèles nommés « contrefactuels » (qui mapperaient la réalité si la réalité n’avait pas changé par rapport au modèle).

Puissance L’estimation de la puissance est largement dépendante du nombre de participants dans l’étude. Le calcul du nombre de sujets nécessaires constitue en effet la clef de voûte de nombreuses études randomisées. Or, dans le cadre des réseaux, ce calcul n’est pas réalisable. Pour remédier à ce manque, Costenbader et Valente () avaient proposé de supprimer de manière séquentielle des sujets de l’ensemble de données, en construisant un nouveau réseau à chaque fois et en estimant la centralité. Cette opération était répétée plusieurs milliers de fois. Les méthodes de bootstrap, largement développées, fonctionnent sur ce principe. Si la centralité variait peu (avec un accord autour de   de suppression des sujets), la puissance pouvait être jugée comme convenable. Cependant, le seuil d’acceptabilité au-dessus duquel un résultat sera jugé acceptable, généralisable, voire transposable à la clinique relève encore une fois d’une décision arbitraire, d’autorité ou, au mieux, issue d’un consensus.

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3. Limites théoriques : nature et granularité des symptômes, sélection des sous-groupes Une première limite théorique concerne la nature des variables à inclure dans un système. En effet, face à la complexité inhérente à la psychiatrie, toutes les données ne peuvent pas être implémentées dans le système (Fried et coll., ). Comment donc opérer un choix des variables à inclure ? Une réponse a été précédemment donnée en discutant la nature des symptômes recueillis (qui constituent les nœuds du réseau). Il est alors proposé d’utiliser l’histoire de la clinique, l’intuition médicale et le jugement expérientiel du clinicien pour intégrer les symptômes les plus « adjacents » entre eux pour un trouble donné. Le clinicien peut alors s’appuyer sur des « répertoires » de symptômes constitués par des outils comme le DSM. Cependant, pour implémenter les symptômes dans le réseau, il utilisera nécessairement un paradigme et des théories qui sous-tendent sa pratique. Ce choix est issu de considérations contingentes de la part du praticien ou chercheur (considérations par exemple subjectives, sociologiques, académiques et liées à son éducation). Par exemple, un entretien orienté selon une théorie psychanalytique ne recueillera pas les mêmes symptômes (histoire de vie, traumatismes dans l’enfance, vécu des parents, etc.) qu’un entretien orienté selon une théorie cognitivo-comportementale (renforçateurs, émotions, pensées automatiques, etc.). La question reste ouverte quant à savoir si cette « subjectivité doit être objectivée » (Akram et Giordano, ), ou si elle doit être acceptée comme telle pour être intégré aux systèmes de compréhension des troubles psychiatriques.   Une deuxième limite théorique concerne la granularité des symptômes recueillis, comme nous l’avons précédemment vu avec le principe  de la théorie des réseaux puis dans le cadre de l’intégration d’un facteur environnemental. Certains questionnaires de psychométrie (et même l’examen clinique) mesurent en effet la même variable plusieurs fois : doit-on séparer ces variables en plusieurs variables, ce qui influencera nécessairement le réseau, ou doit-on rester fidèle au questionnaire ou au répertoire de symptômes traditionnels ? Par exemple, l’humeur triste et le sentiment d’être déprimé paraissent assez similaires en pratique

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clinique : voulons-nous vraiment inclure ces deux variables dans un même réseau ? Ou serait-il préférable de représenter ces éléments sous la forme d’un unique nœud, en calculant pour chacun la moyenne ou en estimant une variable latente qui les sous-tendrait ? Angélique Cramer et Eiko Fried écrivaient dans Moving forward : challenges and directions for psychopathological network theory and methodology () : ) Que faire si des variables importantes manquent dans un système et ) que faire des nœuds qui sont hautement corrélés et peuvent mesurer le même construit ?

Cette question nécessite d’interroger la texture et la granularité des symptômes, ce qui demande nécessairement d’interroger les différentes conceptualisations du symptôme médecine, questionnant à la fois la science clinique, la phénoménologie, l’épistémologie, les neurosciences et la philosophie de l’esprit.   Une troisième limite théorique concerne la sélection de sous-groupes. En sélectionnant une sous-population dans une population, le réseau est biaisé par rapport à la population de base (Muthén, ). Certes, la logique des échantillons statistiques est basée sur cette pratique. Mais prenons un exemple dans le cas des réseaux de symptômes. Si nous jetons deux fois cent pièces de monnaie, les deux résultats ne sont pas corrélés, car les pièces sont indépendantes (ces deux lancers correspondent à deux symptômes, et les cent pièces correspondent à la population). Nous ne sélectionnons ensuite que les résultats qui possèdent un certain score total, par exemple dont la somme des deux lancers doit être au moins égale à  (par exemple au moins une fois le côté « pile » de la pièce). Cela revient à sélectionner des patients déprimés dans un jeu de symptômes. Si nous regardons à nouveau la corrélation entre les deux pièces, elle est désormais à – ,. Une corrélation négative a été introduite du fait de la sélection d’un sous-groupe.

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4. Limites conceptuelles : nécessité d’un cadre de travail, définition de la maladie Un écart entre disciplines médicales Une première limite conceptuelle concerne l’écart creusé entre la théorie des réseaux de la psychopathologie et la théorie sous-tendant la médecine classique. Comme l’ont rappelé Bortolon et Raffard en citant l’article de Guloksuz, Pries et van Os de , il serait malencontreux de recréer une dichotomie entre « médecine somatique et psychiatrique après plusieurs années de travail pour leur unification et leur pacification réciproque ». Comme nous l’avons vu, l’approche réseau s’affranchit de toute variable latente, s’opposant explicitement aux approches classiques de la médecine somatique qui, en comportant une cause commune sous-jacente, renverrait à une essence (cérébrale). Or, la plupart des maladies décrites dans la plupart des spécialités médicales renvoient à une telle cause commune (biologique et, plus précisément, correspondant à une dysfonction). La théorie des réseaux de symptômes recréerait un écart entre une pathologie somatique et un ensemble de symptômes détachés de toute essence (biologique et cérébrale).   Cependant, cette limite doit être nuancée. De nombreux chercheurs et philosophes ont relevé qu’on ne connaissait pas mieux les (dys) fonctions biologiques et les « causes » sous-jacentes des pathologies somatiques que les (dys)fonctions et les « causes » des troubles psychiatriques. Par exemple, un diagnostic qui semble apparemment évident, comme le choc septique, est certes initialement causé par un agent infectieux. Mais il est auto-entretenu par la suite, en l’absence de tout agent infectieux, du fait de dysrégulations vasculaires et de troubles de l’extraction de l’oxygène au niveau microcirculatoire. Il n’est pas évident de savoir qu’elle en est la cause exacte. De même, les cellules cancéreuses ne sont pas des entités isolables, mais s’intègrent dans un environnement privilégié qui constitue un « oncobiote », au sein d’une écologie chimique. Autrement dit, ce n’est pas parce que le trouble psychiatrique est considéré comme un réseau de symptômes que les autres pathologies médicales ne pourraient pas l’être également (évitant ainsi de renforcer la séparation entre psychiatrie et maladie somatique). Limites des réseaux de symptômes 127

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Une publication de Isvoranu et coll. () va dans ce sens, présentant un « réseau cartésien » qui modélise sans variable latente à la fois des troubles psychiatriques et des troubles somatiques.

L’influence de la définition des troubles psychiatriques sur le recueil des symptômes Une deuxième limite conceptuelle repose sur l’influence de la définition des troubles psychiatriques sur le recueil des symptômes. Nous avons vu que les réseaux permettaient de discuter une certaine conception des troubles psychiatriques. Mais changer la définition d’un trouble entraîne un changement dans le recueil des symptômes. Un psychanalyste en entretien avec un adolescent cherchera des symptômes liés au surcroît pulsionnel, au travail de deuil, aux réaménagements défensifs et à la quête identitaire, tandis qu’un utilisateur du DSM cherchera à identifier des critères descriptifs décrits dans le manuel. Plus finement, si l’on considère que la dépression n’est pas un ensemble de critères tels que décrits dans le DSM, mais un continuum dimensionnel entre la santé et la maladie (après avoir fixé un seuil, arbitraire mais pragmatique), les symptômes recueillis peuvent être différents également (Fried, ). Il est évident que le clinicien ne peut s’affranchir de toute nosologie (Demazeux, ). Il intègre des symptômes issus de champs disciplinaires et de styles de raisonnement qui lui sont propres, et la lecture même du symptôme (par exemple à travers une échelle psychométrique ou un recueil standardisé) ne sera jamais indépendante de sa conception de la psychiatrie (notamment par l’intermédiaire de l’échelle utilisée). Dans leur Epistemology of Mental Symptoms, Marková et Berrios () explorent les symptômes selon différentes perspectives, comme des types d’objets, comme des structures reconstruites, comme des définitions mouvantes, comme des « poches de significations » ou comme des « attracteurs dialogiques » utilisés dans certains contextes spécifiques. Les auteurs considèrent que le symptôme n’est jamais neutre. La manière de mener le recueil d’informations fait prendre au symptôme différentes formes, ce qui le rend dépendant du style du clinicien. En pratique, la plupart des études s’appuyant sur les réseaux de symptômes utilisent des variables provenant d’outils d’observation 128 Les réseaux de symptômes en psychopathologie

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fondés sur la psychiatrie descriptive, à l’image de celle développée dans le DSM (même s’il ne s’agit pas toujours exactement des critères du DSM). Mais nous avons vu que les réseaux peuvent intégrer des variables phénoménologiques, comme détaillé dans Colombo et Heinz () dans un article intitulé « Explanatory integration, computational phenotypes, and dimensional psychiatry: The case of alcohol use disorder ». Des auteurs comme Fried et coll. ont exploré l’utilité d’inclure des symptômes ne provenant pas du DSM, demandant notamment « What are “good” depression symptoms? Comparing the centrality of DSM and non-DSM symptoms of depression in a network analysis » () – et d’autres encore, comme Borsboom et coll. (), ont même proposé des éléments plus pragmatiques, tels que des objets externes (par exemple les machines à sous dans la dépendance au jeu comme vu précédemment). L’étude de la centralité des symptômes est donc influencée par l’importance donnée aux symptômes et la manière dont ils sont présentés au sein du DSM. Autrement dit, la « centralité » induite par le DSM influence le recueil des symptômes (Marková et Berrios, ) et donc la centralité du réseau. Par exemple, la structure particulière du DSM influence le diagnostic : certains patients, diagnostiqués « dépressifs » selon un autre modèle que le DSM, pourraient ne pas être diagnostiqués du fait de l’absence du critère monothétique (tristesse ou anhédonie), critère nécessaire pour poser le diagnostic d’épisode dépressif caractérisé au sein du DSM (Guloksuz, Pries et van Os, ).   L’agnosticité complète des réseaux de symptômes à l’égard des classifications classiques (comme la Classification Internationale des Maladies (CIM) et le DSM) n’est pas spécialement désirée, comme nous l’avons vu avec le désir de conservation d’un répertoire de symptôme décrit dans l’histoire de la psychiatrie. Mais qu’en est-il du statut des réseaux de symptômes vis-à-vis d’autres systèmes nosologiques, comme les RDoC ? Rappelons que ceux-ci proposent des construits dimensionnels issus des neurosciences et qu’ils sont agnostiques par rapport aux catégories du DSM. Ils ne négligent donc pas les différents niveaux d’analyse du vivant (pluralisme neuroscientifique) malgré leur omission volontaire des facteurs comportementaux et environnementaux. Ces construits neurobiologiques peuvent être intégrés au sein de réseaux (les « brain networks » Limites des réseaux de symptômes 129

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en sont une forme). Mais si certains construits peuvent être en effet intégrés à un réseau de symptômes, pour autant, ils ne seraient rien de plus que des entités corrélées entre elles. Ils ne rempliraient pas pour autant le fossé explicatif entre des mécanismes explicatifs issus d’expérimentations sur le cerveau et l’expression symptomatique d’un trouble. Le réseau n’est qu’une forme d’organisation d’éléments indépendants, certes mis en relation, mais n’ayant aucune valeur explicative supplémentaire en ce qui concerne le fonctionnement cérébral. Autrement dit, les réseaux ne fournissent pas plus d’explication pour comprendre les troubles psychiatriques que ne le ferait une importante base de données neuroscientifiques. De plus, étant donné les progrès scientifiques, ils devraient être remplacés ou affinés au fil du temps, rendant instable tout réseau témoin d’un trouble psychiatrique. C’est une des raisons pour lesquelles les réseaux de symptômes ciblent le niveau sémiologique : on retrouve dans l’histoire de la psychiatrie une certaine stabilité de la sémiologie (l’autisme et la schizophrénie actuels ressemblent fortement à l’autisme et à la schizophrénie d’il y a  ans). Pour pondérer ce genre d’affirmation, on peut toutefois concevoir des comparaisons de réseaux à différentes échelles, par exemple un réseau de symptômes de l’autisme comparé à un réseau des zones cérébrales atteintes dans cette condition (Bathelt et coll., ).

Une théorie aboutie des réseaux de symptômes Les réseaux de symptômes ne permettent pas d’expliquer la réelle complexité de la psychiatrie face à laquelle le clinicien est renvoyé. Sans l’explicitation d’un cadre de travail théorique construit autour de principes et d’hypothèses stables, les réseaux de symptômes resteraient des modélisations proposant seulement de concevoir les troubles comme des ensembles de symptômes interconnectés, soumis à la contingence des données.   Avant de donner le contexte d’une théorie des réseaux de symptômes dans un chapitre suivant, nous fournirons trois exemples illustrant le défi de raffinement théorique que devront relever ces modèles : l’absence de prise en compte de la dynamique temporelle, l’absence de réfutabilité, et la possibilité d’un tiers confondant. Ces trois éléments pourraient potentiellement empêcher la constitution d’une théorie 130 Les réseaux de symptômes en psychopathologie

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générale des réseaux de symptômes appuyée sur les évidences de la clinique psychiatrique. Concernant le premier point, il renvoie à la description des modèles transversaux (qui représentent la plupart des publications sur les réseaux de symptômes), selon lesquels les modèles sont stationnaires et sans phases de transition. Une théorie soutenant des modèles temporellement dynamiques semble nécessaire pour augmenter la plausibilité des réseaux de symptômes et leur pertinence clinique. Concernant le deuxième point, l’absence de réfutabilité, la théorie des réseaux de symptômes tient deux affirmations : « Les symptômes provoquent des symptômes » et « Les syndromes se produisent en raison de relations mutuelles entre symptômes » (Borsboom, ). Ces deux affirmations sont difficilement falsifiables. Trouver quelques exemples de symptômes ne provoquant pas d’autres symptômes ne suffirait pas à falsifier la théorie. Idéalement, dans un objectif de validité scientifique, il faudra donc développer une épistémologie des réseaux de symptômes qui puisse tenir compte, par exemple, d’un argument contrefactuel permettant de justifier sa falsifiabilité (Fried, ). Concernant le troisième point, la possibilité d’un tiers confondant, l’idée que les syndromes sont dus à des relations causales entre les symptômes s’oppose à la théorie des causes communes (variables latentes), selon laquelle les symptômes sont corrélés uniquement en raison des interactions causales avec une telle cause commune. Choisir entre l’une des deux théories ne peut être étayé par des preuves. Les événements indésirables de la vie et les facteurs de stress surviennent généralement avant le début de la dépression, confortant la théorie des causes communes, mais l’évidence d’interactions entre des difficultés de concentration, des troubles du sommeil et une humeur triste conforte la théorie des réseaux de symptômes. Ces arguments restent empiriques. Il pourrait par exemple y avoir des causes communes (même si elles ne sont que locales, appartenant à un groupe de symptômes seulement) agissant comme une vulnérabilité à l’apparition d’un ensemble de symptômes. La théorie des réseaux permet l’implication de telles causes communes dans le champ externe, influençant la dynamique des symptômes de l’extérieur du système (Borsboom, ). Mais cette notion de champ externe reste globalement absente de la plupart des travaux actuellement, absence potentiellement témoin d’un manque de raffinement théorique. Limites des réseaux de symptômes 131

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Chapitre 7

Les réseaux de symptômes et le symptôme Le statut du symptôme est original dans l’approche en réseaux. Borsboom () le décrit comme « un problème de vie que l’on rencontre dans la pratique clinique ». Au fil de cet ouvrage et au sein de ses chapitres, nous avons abordé les symptômes selon différents angles, depuis l’étude de leurs relations mutuelles à l’aspect transdiagnostique (traversant les catégories traditionnelles) voire agnostique (s’abstrayant de toute catégorie traditionnelle) qu’ils permettent de fournir aux classifications. Ce chapitre vise à résumer ces points de vue afin de saisir l’importance de considérer les symptômes, qui constituent les « briques élémentaires » de l’approche réseau. Nous allons donc étudier la place des symptômes en tant qu’entités causales (chaque symptôme est la cause d’un autre symptôme), la complexité à choisir quels symptômes doivent être inclus dans le réseau, le niveau de granularité et la différence entre structure et contenu d’un symptôme. Nous proposerons une définition du symptôme psychiatrique comme « producteur minimal de différences » au sein d’un réseau figé.

1. Causalité des symptômes Les symptômes possèdent un rôle particulier dans le système, puisque chacun d’eux contient une part de « causalité » au sein même du système

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– le terme ambigu de « causalité » sera discuté dans le chapitre suivant 1. Dans d’autres spécialités médicales, écrit Borsboom (), même si les symptômes sont phénoménologiquement distincts, « ils sont homogènes sur le plan causal, car ils sont les effets causaux de la même maladie ». En psychiatrie, aucun mécanisme central de type causal n’a été identifié (Kendler, Zachar et Craver, ). De ce fait, l’approche réseau replace le mécanisme de causalité au sein même du réseau de symptômes. Les symptômes ne sont pas des indicateurs passifs d’une cause commune, mais sont eux-mêmes les agents du système qu’ils constituent (Borsboom,  ; Kendler, ). Dès lors, l’entité causale recherchée habituellement en dehors de la sémiologie est désormais située au niveau sémiologique : ce sont les symptômes qui expliquent la survenue et le maintien d’autres symptômes. De cette notion de causalité découle l’intérêt pour l’explication au sein des symptômes du réseau. Elle s’oppose à une notion de causalité recherchée en dehors de la sémiologie, par exemple au niveau neurobiologique.

2. Choix des symptômes à intégrer au réseau de symptômes Dans un deuxième temps, il apparaît nécessaire de comprendre comment est réalisé le choix des symptômes à inclure dans le réseau. En effet, que faire de symptômes ou de facteurs non intégrés au DSM, mais qui sembleraient intervenir dans la pathologie d’une manière ou d’une autre ? Quand et comment peut-on inclure au sein d’un réseau des symptômes n’appartenant pas au DSM ? Borsboom () propose que l’inclusion de symptômes dans le réseau dépende d’un de ces trois facteurs : ils doivent soit « être représentés par un symptôme », soit correspondre à « une variable dans le champ externe » (comme la douleur), soit « constituer une connexion 1. Pour faire bref, la notion de causalité d’une entité est entendue ici au sens de Pearl (), pour lequel il peut exister de simples corrélations observables et deux niveaux de causalité : le premier niveau de causalité correspond à la corrélation à proprement parler, le deuxième à l’expérimentation (il est établi lorsque l’intervention modifie la variable), et le troisième au contrefactuel (des résultats potentiels, non observés effectivement, qui pourraient être prédits). Ce troisième niveau peut être conçu de différentes manières d’un point de vue mathématique.

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entre deux symptômes ». Concernant ce dernier facteur d’inclusion, Borsboom donne l’exemple de l’horloge biologique qui génère la relation insomnie → fatigue. L’horloge biologique génère une relation. Ce facteur, qui n’est pas vraiment un symptôme mais plutôt un processus, peut être intégré dans le réseau. Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, des auteurs comme McNally () ont soutenu que des facteurs non comportementaux et ne se rapportant classiquement pas à la sémiologie pourraient ainsi être intégrés au réseau. Dans ce sens, des réseaux hybrides ont pu être développés en ajoutant au système une variable latente.   Cependant, pourquoi le principe  de la théorie des réseaux de symptômes n’intègre-t-il pas explicitement les marqueurs biologiques ou les mécanismes physiopathologiques ? Tout d’abord, d’un point de vue méthodologique, des auteurs comme Thomas et Sharp () ont montré combien la création de réseaux multicouches s’avérait discutable, bien qu’accessible sur le plan mathématique (voir notamment Boccalettia et coll. () pour une revue méthodologique). De nouvelles approches statistiques s’avéreront sans doute nécessaires pour concevoir la construction de ces réseaux multicouches, présents dans de nombreux autres domaines scientifiques. Conceptuellement, et ne serait-ce que pour intégrer des facteurs environnementaux, de nombreux auteurs soutiennent toutefois l’idée que les troubles psychiatriques peuvent être représentés par différentes structures imbriquées à des niveaux de compréhension différents. Borsboom et Cramer en écrivaient  : La réalité de la psychopathologie implique des poupées russes de réseaux, les réseaux étant imbriqués les uns les autres dans plusieurs couches de complexité.

Mais la réponse à la question sur le principe  peut également être donnée sur le plan psychologique, en se fondant sur l’argument que le comportement (ou les états psychologiques) capte l’influence des niveaux inférieurs (Riese et Wichers, ). Autrement dit, le comportement correspondrait à l’expression finale des processus biologiques de niveau inférieur, ce qui ne nécessiterait pas d’inclure les variables biologiques. Mais considérer le comportement comme l’expression finale

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de processus biologiques situés à des niveaux inférieurs ne constituet-il pas une forme de réductionnisme (au sens où les niveaux pluriels du vivant sont réduits à un unique niveau) ? Il semblerait plutôt que cet argument soit un pluralisme intégratif « interniveau », tel que décrit en  par Kendler et coll. : Il est improbable qu’un seul niveau capture à lui seul la complexité des mécanismes qui maintiennent ou soustendent l’ensemble imparfait de symptômes caractérisant nos meilleures catégories diagnostiques.

Le pluralisme intégratif (interniveau) affirme donc que différents niveaux d’analyse doivent être intégrés les uns aux autres, car l’analyse isolée à un seul niveau d’explication ne pourrait mener qu’à des réponses partielles. Les aspects intégratif et interniveau ne tendent pas à construire une grande structure théorique rassemblant toutes les dimensions, mais cherchent plutôt à établir des intégrations locales entre niveaux d’analyse – et notamment au niveau des comportements. Cette réponse intégrative et psychologique met en avant que le niveau des comportements (et donc de la sémiologie) semble être particulièrement informatif pour comprendre les patients, assurer des diagnostics et guider les traitements. Ce niveau renvoie à des aspects de la vie réelle, avec lesquels les patients se présentent de premier abord et qui peut s’avérer optimal pour de nombreuses interventions. En résumé, selon cette approche psychologique, l’intégration des variables biologiques aux réseaux de symptômes ne serait donc ni aisée méthodologiquement, ni désirable conceptuellement, ni fructueuse cliniquement.   Cependant, même si de tels facteurs (par exemple, biologiques, cognitifs ou environnementaux) peuvent être intégrés au réseau, cela ne permet pas d’affirmer quel est le niveau de « granularité » avec lequel un symptôme doit être inclus. Est-ce que deux items issus d’un questionnaire de psychométrie, tels qu’« En société, parlez-vous peu en présence des autres ? » et « Avez-vous du mal à vous rapprocher des autres en société ? » sont réellement localement indépendants ? Ne devraient-ils pas constituer un nœud unique dans le réseau ? La question dépend donc du contenu du symptôme, notion que nous allons détailler par la suite. 136 Les réseaux de symptômes en psychopathologie

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3. Contenu des symptômes : la notion de granularité Dans ce dernier temps, nous allons étudier la granularité (ou finesse) avec laquelle les symptômes peuvent être inclus dans un réseau, en reprenant les différents exemples cités à plusieurs reprises au sein des chapitres précédents. Reprenons l’exemple des idées délirantes qui peuvent se décliner respectivement en « idées délirantes de persécution » et en « idées délirantes de grandeur ». Nous avons ainsi vu que la séparation entre deux symptômes reste difficile à concevoir. De même, les symptômes « humeur triste » et « avoir le blues » pourraient ne constituer qu’un seul nœud dans le réseau, au lieu de deux. Inversement, le nœud « anxiété » pourrait être séparé en « anxiété chronique », en « anxiété à propos d’un événement », en « irritabilité », en « perte de contrôle de l’anxiété » ou en « tension musculaire », selon Cramer, Waldorp, van der Maas, Borsboom et coll. (). C’est ainsi que deux symptômes cliniquement différents peuvent être représentés par un même nœud ou bien par deux nœuds. Il faut donc déterminer ce que signifie « cliniquement différent » pour étudier la granularité des symptômes, et tenter de déterminer sur quel critère les séparer ou rassembler. Pour cela, il faut adapter la granularité en fonction de la question et du contexte. Pour effectuer cette adaptation, Borsboom et coll. () ont mis en avant la notion de relation rationnelle entre symptômes. Une telle relation implique que le lien entre un symptôme et les symptômes adjacents possède une explication rationnelle. Il s’agit d’affirmer que les croyances, les émotions ou les désirs possèdent un contenu intentionnel, qui porte un sens propre à chacun (Dennett, ). C’est ce sens propre à chacun qui explique pourquoi un symptôme peut en entraîner un autre. Comme nous l’avons déjà dit, les idées de persécution augmenteraient plutôt l’anxiété tandis que les idées de grandeur diminueraient plutôt le contrôle des impulsions. Ces relations « anxiété – persécution » et « impulsion – grandeur » relèvent de lois subjectives (anomales), qui suivent des régularités du comportement humain mais qui ne constituent pas des lois de la nature (Davidson, ). Tout comme les désirs, les préférences, les opinions, les croyances ou les intentions, de telles régularités ne sont pas naturelles, mais bien

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rationnelles et normatives (dans une logique husserlienne ou frégienne). Par exemple, la communication pragmatique ne fait pas que « décoder des énoncés » mais possède une signification intrinsèque irréductible ; pour expliquer que si quelqu’un dit : « Pouvez-vous me passer le sel ? », l’interlocuteur comprend un ensemble de lois normatives selon lesquelles l’autre désire la salière et a une intention de communiquer ce désir. Il faut mettre en mouvement tout un réseau de pensées pour comprendre l’intention de l’individu désirant du sel. Ces relations rationnelles ont été largement discutées dans un article commenté de Borsboom, Cramer et Kalis publié en  (et intitulé « Brain disorders? Not really… Why network structures block reductionism in psychopathology research »). Ces difficultés peuvent être rapprochées de celles du connexionnisme des années , qui proposait de développer des réseaux artificiels possédant certes une structure souple (les connexions entre les neurones artificiels pouvaient être modifiées), mais qui ne permettaient pourtant pas de représenter la sémantique du monde (un texte pouvait être codé dans le réseau mais son sens ne l’était pas) ; cette difficulté a été dépassée par le développement des réseaux convolutionnels après les années  (on retrouve en vérité des travaux de LeCun dès  sur le sujet). De la même manière, les réseaux de symptômes sauront-ils dépasser cette limite de retranscription de l’intentionnalité de la psychologie ?   Pour conclure, nous pouvons dire que les nœuds du réseau possèdent un contenu intentionnel : cela signifie que les relations d’un symptôme vont varier en fonction du contenu du symptôme. Autrement dit, le réseau varie selon ce à quoi se rapporte un symptôme en termes de contenu. La granularité n’admet donc pas de critère formel et universel, mais elle dépend de l’interprétation des symptômes par rapport aux autres symptômes du réseau.

4. Structure des symptômes : la nécessité d’un pluralisme en psychiatrie Nous avons vu que les symptômes pouvaient être intégrés au réseau selon leur contenu (la persécution ou l’idée de grandeur). Mais un symptôme possède également une structure particulière (Marková et

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Berrios, ). La structure d’un symptôme correspond à la manière dont il est décrit, et cette description est plus ou moins fine. Plus la description est raffinée, plus le symptôme peut être facilement identifié. De la même manière, un arbuste isolé, proche d’un observateur, est facilement reconnu en tant que tel. Mais à distance, et avec d’autres plantes qui l’entourent, cela peut être moins aisé en raison de l’imprécision visuelle de ses limites. Nous constatons que les limites de la plupart des symptômes de la psychiatrie sont imprécises. Marková et Berrios () questionnaient : Quelle est réellement la distinction entre une hallucination et une illusion ? Où se situe la démarcation entre humeur dépressive et humeur anxieuse ? Peut-on toujours faire la distinction entre une pensée délirante et une idée surévaluée ?

De plus, certains symptômes peuvent survenir de manière aiguë et être absents à d’autres moments. D’autres symptômes pourraient avoir une « éclosion » hésitante et apparaître progressivement. Certains peuvent fluctuer au cours d’une période donnée, d’autres persisteront constamment pendant cette période (Marková et Berrios, ). Certains peuvent apparaître dimensionnels et d’autres plus franchement distingués qualitativement. C’est pour ce genre de raisons qu’en plus du contenu des symptômes, il faut prendre en compte la structure des symptômes.   Pour permettre cette attention portée aux différentes structures que peut revêtir un symptôme, il faut considérer les multiples théories scientifiques présentes en psychiatrie – et donc l’aspect pluridisciplinaire de celle-ci. Chaque théorie va proposer une structure différente pour un symptôme donné : par exemple, l’hallucination va pouvoir être décrite comme une structure phénoménologique, comportant un vocabulaire et des lois propres à la phénoménologie, mais elle peut être également décrite comme une structure psychopathologique, liée à des processus psychiques plus ou moins soutenus par des mécanismes physiopathologiques décrits en neurosciences. La phénoménologie montre d’ailleurs que le registre sémiologique en psychiatrie n’est pas une description neutre de la réalité (Marková et Berrios, ).

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Comme l’écrivait Berrios : L’observation clinique n’est jamais une activité cognitivement innocente (Berrios, ).

La lecture du symptôme dans un réseau nécessite d’employer une théorie, et c’est en fonction de cette théorie (interprétant le contenu du symptôme) que le symptôme prendre un certain sens, contiendra une certaine intentionnalité, et qu’il pourra alors être décidé de scinder le symptôme en deux différents, ou bien d’en réunir deux qui étaient séparés.   Ce pluralisme théorique repose différemment la question de la granularité du symptôme : comment intégrer au réseau différentes théories, présentant chacune les symptômes d’une manière différente (selon une structure différente) ? Pour cela, il faudrait que les éléments issus des différentes disciplines scientifiques et des différentes théories de chaque discipline puissent être inclus dans le réseau. Il faudrait dans un premier temps élargir le principe  de la théorie des réseaux pour intégrer d’autres symptômes que ceux décrits dans l’histoire de la psychiatrie. Élargir le trouble opérationnalisé dans le DSM reviendrait à utiliser ce que Meehl () a nommé un concept ouvert. Celui-ci ne peut être défini uniquement par un ensemble de mesures, mais est potentiellement extensible : une nouvelle mesure peut également faire partie de la définition du concept. Par exemple, comme le soulignait Zachar (), le fait de découvrir que la plupart des cas de dépression sont entraînés par un facteur de stress au cours des mois précédents peut conduire à modifier le concept de dépression – et la découverte que des cas de dépression dépourvus de facteurs précipitants sont plus résistants au traitement peut conduire à modifier le concept de dépression dans un autre sens, possédant une trajectoire causale différente (Zachar, ). Ce travail d’élargissement du concept a constitué ce que Zachar nomme le modèle de communauté imparfaite (Faucher et Forest, ). Mais pour effectuer ce travail d’ouverture des concepts, il faudrait également poursuivre le travail de dissection des comportements, qui est réalisé intuitivement en clinique et progressivement en recherche, afin de fournir aux théories mobilisées des données suffisamment fines

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pour les consolider (Poeppel et Embick, ). En l’absence de travail de ce type, un décalage entre la granularité du réseau et celle de la clinique empêchera toute lecture logique du réseau de symptômes. Ce travail de dissection nécessite de développer des cadres théoriques qui relient de manière significative les comportements aux modèles explicatifs sous-jacents, qu’ils soient computationnels ou neuroscientifiques (Krakauer, ). Et si la théorie des réseaux de symptômes ne résout pas explicitement la question de savoir ce que doit être un symptôme selon la théorie qui sous-tend son recueil et son interprétation, elle a au moins le mérite d’interroger sa nature, de promouvoir l’inclusion de symptômes appartenant aux théories adjacentes, de réunir des symptômes similaires (lump) et de séparer des symptômes localement dépendants (split).

5. Le symptôme comme producteur minimal de différences De ce fait, un symptôme peut être décrit comme l’élément minimal permettant de différencier deux entités cliniquement pertinentes, c’està-dire possédant le grain le plus fin pour rendre compte d’une réalité clinique – toujours subjective et contextuelle. Puisque sa définition dépend des relations entretenues avec les autres symptômes du réseau, le symptôme correspondrait à un producteur minimal de différences au sein d’un réseau déjà figé par un trouble (défini comme un état stable d’un réseau fortement connecté). Il s’agit d’une définition structurelle du symptôme qui le caractérise comme entité la plus pertinente d’un point de vue clinique et en prenant en compte l’ensemble du tableau clinique (c’est-à-dire toutes les relations du réseau). Cette plus petite entité (ou élément le plus minimal, ou producteur minimal de différences) est un symptôme dès lors que les trois conditions suivantes sont présentes : • une pertinence clinique au regard d’un patient donné, dans un contexte donné, pour une question précise ; • des relations rationnelles entre symptômes ; • un réseau pathologique, c’est-à-dire dont les symptômes sont fortement connectés.

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Dans cette conception, un trouble psychiatrique serait donc défini comme l’ensemble des producteurs minimaux de différences d’un réseau fortement activé.   Cette caractérisation du symptôme est conciliable avec l’apparente instabilité du contexte et d’une question donnée, qui pourrait conduire les réseaux à tomber dans l’écueil du relativisme. En effet, si les symptômes sont les producteurs minimaux nécessaires pour que des subtilités cliniques soient observées, ces symptômes sont voués à constituer le cœur stable d’un réseau (et donc les éléments les plus centraux, bien que ce constat statistique doive être démontré). Autrement dit, si les symptômes qui constituent le cœur d’un réseau sont majoritairement les symptômes issus du DSM, notamment parce que l’histoire a conçu ce répertoire en fonction de la pertinence clinique de ces éléments, ce cœur restera stable au sein des réseaux. Cependant, comme nous l’avons vu, les réseaux peuvent accepter des symptômes-ponts et des symptômes périphériques qui peuvent évoluer en fonction du contexte, de la question du chercheur, du patient, mais aussi, à plus long terme, des progrès scientifiques. Autrement dit, si le cœur d’un réseau est constitué de producteurs de différences représentés par des symptômes identifiés tout au long de l’histoire de la psychiatrie, il restera stable ; si la périphérie du réseau peut accepter des nouveaux éléments subjectifs ou issus de la psychiatrie de précision, il sera instable. Le cœur peut donc conserver son utilité de « hub épistémique », répondant à la demande administrative, politique et sociale et donnant sa dénomination aux troubles psychiatriques, tandis que la périphérie peut évoluer et s’adapter de manière dynamique en fonction des progrès de la psychiatrie de précision, des théories et questions posées par le clinicien ou chercheur, et du contexte environnemental 2. Cette idée d’un cœur central et d’une périphérie mouvante recoupe partiellement la notion de programme de Lakatos (), qui est constitué d’une théorie principale (le noyau dur central) et de théories auxiliaires (la ceinture de protection périphérique). 2. Avec Guyon, Falissard et Kop (), nous pourrions également penser la périphérie des réseaux comme des éléments pour appréhender les espèces interactives, c’est-à-dire comme des entités qui répondent à la manière dont elles sont classées (Hacking, ).

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Ainsi, une telle définition du symptôme est cohérente avec la définition du trouble psychiatrique fournie par les réseaux, tout en proposant une stabilité et une souplesse nosologique et en étant compatible avec les enjeux pluralistes et de la complexité inhérente à la psychiatrie.

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Chapitre 8

Les réseaux de symptômes et la notion de causalité On parle généralement de réseaux causaux pour parler des réseaux de symptômes. Mais le concept de causalité ne va pas de soi. Même dans un réseau temporel, le fait qu’un événement en précède un autre rend compte, au mieux, d’une causalité de Granger (). Celle-ci affirme que si A cause B, B est mieux expliqué par tout ce qui précède A et A lui-même que simplement par tout ce qui précède B. Mais cette relation de causalité (temporelle) ne montre que des corrélations. Cet exemple de la causalité de Granger montre que prédire l’évolution d’un système est possible sans « ouvrir la boîte noire de la causalité » (Yarkoni et Westfall, ). Nous devrions cependant chercher à comprendre pourquoi ce terme de causalité est utilisé dans le cadre des réseaux de symptômes, et plus généralement dans le cadre des modèles statistiques qui les sous-tendent. Il nous faudra pour cela résumer quatre grands types de causalité (probabiliste, manipulable, identifié par un processus et basé sur les contrefactuels) (Ryan, Bringmann et Schuurman, ). Cela nous permettra de discuter la perspective de la causalité basée sur l’interventionnisme (Pearl,  ; Woodward, ), qui se rapproche des réseaux bayésiens causaux, avec lesquels se rapprochent les analyses mathématiques sous-tendant les réseaux de symptômes 1.

1. L’importance de la causalité au sein des réseaux de symptômes a également pu être abordée dans une série d’articles entre Kalis et Borsboom () et Oude

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1. Les quatre perspectives pour comprendre la causalité Dawid () écrivait : L’inférence causale est l’un des problèmes de statistiques les plus importants, les plus subtils et les plus négligés.

La compréhension de la causalité est l’une des grandes questions de la philosophie, reprise par les statistiques. Se rapprochant des trois niveaux de causalité décrits par Pearl (), il est consensuel en philosophie des sciences de reconnaître au moins quatre grands types de définition de la causalité : par la probabilité (A suit invariablement B, selon Hume ()), la manipulabilité (l’intervention sur A entraîne l’apparition de B), l’identification de processus (A est une partie d’une condition favorisant l’apparition de B, d’après Baumgartner ()) et la contrefactualité (si A n’était pas arrivé, B ne serait pas arrivé, selon Lewis ()). En ce qui concerne la définition de la causalité par rapport à la probabilité, renvoyant à l’association statistique, l’approche humienne décrit la causalité en termes de régularité : c’est cette approche qui a conduit à l’éviction du concept de causalité dans la première moitié du e siècle, pour la remplacer par la notion de corrélation (selon Pearson () en statistique et Russell () en philosophie) ou de loi (selon Auguste Comte). Cependant, dans la seconde moitié du e siècle, des définitions probabilistes de la causalité ont pu être proposées (par exemple, dans la lignée de Suppes ou Cartwright). En ce qui concerne le deuxième type de définition de la causalité, comme étant manipulable, Cartwright () écrira : [Il existe] une connexion naturelle entre les causes et les stratégies […] : si on veut atteindre son but, c’est une bonne stratégie d’introduire une cause pour ce but.

Autrement dit, les représentations causales sont indispensables pour identifier des stratégies efficaces. Par exemple, le traitement d’une affection médicale nécessitera de rechercher la cause pour guider le traitement. Maatman (), via la question de la causalité présente au sein du langage naturel, sur lequel s’appuie la psychologie populaire.

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En ce qui concerne le troisième type de définition de la causalité basée sur l’identification de processus, ce n’est pas la dépendance, ni même l’indépendance conditionnelle, de deux variables, mais c’est le processus qui les relie. C’est parce qu’en présence de deux effets (deux cailloux lancés sur une bouteille) un seul provoque une modification (un seul caillou touche la bouteille) qu’il y a causalité (Dowe, ) : la bouteille se brise. Le processus est décrit comme une transformation d’un élément en un autre avec une quantité conservée (une quantité physique obéissant à une loi de conservation, par exemple l’intensité d’un symptôme). La causalité entre deux processus est un échange de quantités (le caillou touchant la bouteille « échange » ses paramètres de quantité avec la bouteille). On dit alors qu’il y a une interaction causale. Ainsi, si le processus « traumatisme psychologique » n’est pas toujours suivi d’un état de stress post-traumatique, c’est parce qu’il ne parvient pas directement à échanger sa quantité conservée avec le sujet (car le traumatisme n’est pas suffisamment violent ou en lien avec la résilience du sujet). Il s’agit donc d’une approche réductionniste, car la causalité s’explique par les propriétés des objets en interactions. Des auteurs comme Craver () ont cependant montré que la conception de la causalité par transfert d’une quantité échoue à s’appliquer à l’explication de certains phénomènes biologiques et a fortiori à l’explication en psychiatrie. On pourrait cependant remplacer cette notion d’échange de quantité par celle d’échange de mécanismes (Machamer et coll., ), éventuellement plus féconde dans le cadre de la psychiatrie, mais qui reste encore à développer dans ce domaine. Enfin, le quatrième type de définition de la causalité fondée sur les contrefactuels a fait l’objet d’une longue tradition philosophique et statistique. En , Lewis proposait une sémantique des contrefactuels, notamment avec l’introduction de la notion de « monde possible ». Un monde possible est une manière logiquement possible selon laquelle l’Univers aurait pu être. Certains mondes possibles sont plus similaires au monde réel (ou « monde actuel ») que d’autres. Cette perspective de la causalité basée sur les contrefactuels (en fonction de « ce qui aurait pu être ») a été plus récemment raffinée par une vision de la causalité dite « interventionniste » (Woodward, ). Nous allons détailler comment l’interventionnisme permet de comprendre les réseaux de symptômes en psychopathologie.

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2. L’interventionnisme et les réseaux de symptômes L’interventionnisme affirme qu’il est possible de construire une théorie de la causalité en termes de manipulation, sans être pour autant réductionniste. En effet, il n’est pas nécessaire de « réduire » l’objet étudié à ses composants pour comprendre la causalité. Le contrefactuel apparaît grâce à l’intervention. Ses principaux représentants, Woodward () et Pearl (), suggèrent donc que cette approche permet d’éviter le réductionnisme (c’est-à-dire le fait de réduire l’objet étudié à ses parties), qui était nécessairement convoqué dans l’approche de la causalité comme étant manipulable (le deuxième type de définition de la causalité). Cette approche interventionniste est également en mesure de capturer l’asymétrie de la causalité, et ne nécessite pas que la cause provienne toujours d’un être humain. L’interventionnisme soutient que les relations de causalité devraient être définies en termes d’intervention sur un modèle : dans un modèle causal, qu’adviendrait-il de B si nous changions A ? Si A change dans le temps en fonction de la présence ou de l’absence de B, donc en fonction d’une intervention ciblée, il y a causalité. Cette idée simple s’est avérée très puissante en philosophie comme en statistique, et est régulièrement utilisée dans tout essai clinique randomisé.   L’interventionnisme se base sur deux méthodes statistiques : celle des réseaux bayésiens causaux et celle des équations structurelles. Nous allons rappeler comment ces deux modèles statistiques se coordonnent avec les réseaux de symptômes.

3. Équations structurelles et réseaux bayésiens causaux Selon Pearl, il est souvent possible de déterminer la structure causale du système sur la base des simples relations statistiques entre les variables, opération auparavant considérée comme impossible en statistique. Cette possibilité s’appuie sur les équations structurelles. Le défi classique de l’induction se présente comme un défi d’identification de la causalité : étant donné deux variables A et B, il n’est pas possible de déduire, en partant uniquement de ces données, si A → B ou si B → A – quand bien même il n’existerait pas une autre

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variable générant la dépendance entre A et B. Même si la préséance temporelle distingue A → B de B → A, il ne peut rien être affirmé de plus que « A a succédé à B ». Par exemple, si le trottoir est mouillé et qu’il a plu, on peut seulement dire que le trottoir mouillé a succédé à la pluie, mais on ne peut formellement exprimer de causalité 2 (Pearl, ). Ainsi, pour les modèles statistiques classiques, « la corrélation n’égale pas la causalité ». Cependant, pour Pearl (), ni la corrélation ni les probabilités conditionnelles ne peuvent répondre à cette question. La réponse se trouve dans les relations d’indépendances conditionnelles, que nous avons vues avec les réseaux bayésiens causaux. Ces relations d’indépendances conditionnelles mettent en jeu les équations structurelles. Les équations structurelles peuvent être représentées en traçant une flèche orientée de A à B chaque fois que, dans la structure du modèle, le changement de A affecte B mais pas l’inverse, comme le montre la figure . A

B

Comme l’illustre la figure  ci-dessous, et comme nous l’avons vu précédemment, il existe plusieurs types de modèles pour les équations structurelles. B A (a)

B A

C

B

C

(b)

A C

(c)

Figure 31 : (a) Représentation d’une cause commune (variable latente réflective), (c) d’un effet commun (variable latente formative) et (b) d’une chaîne de variables.

Sur la figure a, à gauche, dans la représentation d’une cause commune (variable latente réflective), B et C sont conditionnellement 2. En fait, en pratique et de manière intuitive en clinique, on utilise simplement l’abduction et l’inférence bayésienne pour faire correspondre ces deux observations. Cette remarque montre qu’on se donne beaucoup de peine (en philosophie de la psychiatrie et des neurosciences) à trouver une conception de la causalité cohérente avec la clinique ou, ici, avec l’approche des réseaux de symptômes, alors qu’une simple inférence statistique (abductive) suffirait à relier deux événements.

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indépendants sachant A, en prenant l’exemple de la taille d’un village (A) qui dépendrait du nombre de naissances (B) et de cigognes (C). Au centre, dans la représentation d’une chaîne de corrélations, A et C sont conditionnellement indépendants étant donné B, selon l’exemple que fumer (A) est lié au goudron du tabac (B) qui est lié au cancer (C). À droite, dans la représentation d’un effet commun (variable latente formative), B et C dépendent conditionnellement de A, selon l’exemple d’un peloton d’exécution (B et C) qui tirerait sur un prisonnier (A). Une relation de cause à effet, affirmant comment B changerait si A était modifié, est alors codée dans une telle équation structurelle 3.   Si nous pouvons combiner ces trois réseaux dans un seul, les paramètres du réseau permettraient de déduire les relations implicites, comme dans l’exemple de la figure  ci-dessous portant sur l’abus de substance, un exemple historiquement fourni par Kendler (Grasman, Grasman et van der Maas, ). Passage à l’acte

Désir ardent

Autocontrôle

Facteur extérieur

Vulnérabilité

Autocontrôle maximal

Figure 32 : Abus de substance représenté sous forme de réseau de corrélations. D’après Grasman, Grasman et van der Maas, 2016

3. Ceci peut être codé avec l’opérateur Do. « Do (A = a) » représente une intervention naturelle ou expérimentale qui fixe la variable A à la valeur a. « E (B | Do (A = a)) » exprime alors la modification de B étant donné une intervention sur A. Un effet causal de A sur B est présent chaque fois que E (B | Do (A = a)).

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Une autre version de la causalité interventionniste a été développée avec les réseaux bayésiens causaux 4. Ceux-ci consistent en un ensemble de variables dont les relations causales sont représentées dans un réseau : la perte d’un proche entraîne à la fois un état dépressif et une somme d’argent (rente), et cet état dépressif provoque des troubles du sommeil. Mais la somme d’argent n’influence pas la dépression, et encore moins les troubles du sommeil. Somme d’argent et dépression sont statistiquement indépendants tant que la perte du proche est fixe (c’est-à-dire que la perte est bien présente). Ce principe d’indépendance entre les variables (ou symptômes) est primordial : on nomme ce principe « condition causale de Markov ». Selon ce principe, si l’on tient fixe les causes directes d’une variable (donc si l’on tient fixe la perte d’un proche), cette variable (comme la somme d’argent) est statistiquement non-corrélée avec toute autre variable avec laquelle elle n’est pas directement reliée (comme la dépression). Ainsi, grâce à la condition causale de Markov, la structure purement statistique d’un système permet de déterminer la causalité. Pour le dire autrement, selon Woodward (), lorsqu’un symptôme A agit comme un commutateur sur un autre symptôme B, tout en maintenant fixes toutes les autres variables qui pourraient changer B, alors A cause B. L’interventionnisme de Woodward est donc présent intrinsèquement au sein des réseaux, un symptôme étant considéré comme une « intervention » sur un ou plusieurs autres symptômes. Cependant, nous laisserons ouverte la question de savoir si nous sommes vraiment enclins à accepter, en pratique, qu’un symptôme varie sans variation des autres symptômes du réseau, c’est-à-dire s’il peut exister une variation isolée et indépendante d’un symptôme sans variation des symptômes adjacents (voir Woodward,  pour une étude de ce genre de question). Cette difficulté pose elle-même la question de la nature d’un symptôme et de l’interaction d’un symptôme avec un facteur environnemental.  

4. La distinction entre deux versions de la causalité est en vérité plus complexe, car les équations structurelles qui sous-tendent la causalité de Pearl peuvent être construits pour une part sur la logique de ces réseaux bayésiens causaux.

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Nous avons vu que les réseaux de symptômes ne se fondaient pas sur la logique des équations structurelles. Au contraire, ils s’appuient sur les réseaux bayésiens causaux. Et c’est d’ailleurs tout l’enjeu clinique de discuter de dépendance conditionnelle entre symptômes, telles qu’elles sont modélisées dans un réseau : puisqu’un symptôme est uniquement la cause ou la conséquence des symptômes avec lesquels il est relié, face à ce symptôme, le clinicien devrait savoir repérer les symptômes directement reliés. Par la connaissance de la centralité d’un symptôme dans un réseau (correspondant à un tableau clinique), il pourrait créer de la sorte des chemins heuristiques efficaces, souples et dynamiques lui permettant de cheminer dans la carte sémiologique que lui présente son patient 5.

5. Cependant, les symptômes renvoyant à des contenus, ils ne sont pas ouverts à un examen empirique et ne sont ni vérifiables, ni potentiellement falsifiables. Seules les déclarations intentionnelles ou l’introspection peuvent témoigner de ce qu’est le contenu d’un symptôme, et donc de ce à quoi il est relié dans le réseau (qui dépend du contenu du symptôme) (voir Kalis et Borsboom,  et Oude Maatman, , pour une discussion de ces implications).

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Chapitre 9

La nécessité d’un cadre théorique Si la conception des troubles psychiatriques en tant que modèles causaux doit se développer et impliquer la pratique clinique, la recherche devra approfondir ses fondements théoriques – notamment ceux portant sur la causalité et la définition de ses entités élémentaires. Cet approfondissement nécessite la construction d’un cadre de travail explicatif pluraliste et intégratif, qui fait écho avec l’objectif décrit par exemple par Kendler et Parnas d’ancrer les multiples perspectives de la psychiatrie dans un écosystème unique, capable d’organiser une pluralité de points de vue (Kendler et Parnas, ). Nous allons voir l’importance de différencier les modèles de réseaux de symptômes et la (ou les) théorie(s) qui les sous-tendent. Les modèles désignent principalement les techniques, méthodologies statistiques et approches psychométriques. Selon une conception des théories scientifiques dite sémantique, nous définissons la théorie comme une famille de modèles, la théorie fournissant aux modèles des lois (ou des hypothèses ou axiomes ou postulats) qui permettent aux modèles d’expliquer, prédire ou contrôler des phénomènes. En psychiatrie, ces phénomènes correspondent aux caractéristiques cliniques ou neurobiologiques, obtenus par modélisation (par exemple, statistique). Un modèle est défini par la suite comme un objet de médiation facilitante, c’est-à-dire qui permet au chercheur ou au clinicien de se représenter les phénomènes de manière simplifiée, idéalisée ou abstraite en s’appuyant sur une théorie (Varenne,  ; Achinstein, ).  

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Dans un premier temps, nous allons rappeler la définition de ce qu’est une théorie, un modèle et un phénomène. Dans un deuxième temps, nous allons voir les intrications entre ces trois entités et les risques d’une confusion entre modèles et théories. Dans un troisième temps, nous chercherons à proposer un cadre de travail pour la psychiatrie axé sur les réseaux de symptômes.

1. Les théories Nous avons dit que la théorie pouvait se définir comme une famille de modèles et qu’elle proposait des lois permettant de manipuler les phénomènes cliniques ou scientifiques. Il existe en fait deux conceptions des théories scientifiques. Selon une conception dite « syntaxique » des théories scientifiques, la théorie est un ensemble de lois interconnectées par des relations logiques. Ces lois permettent d’expliquer la réalité par déduction (modèle déductif-nomologique). Un certain type de lois, les lois statistiques, permet d’expliquer la réalité par induction (modèle inductif-statistique). Selon une conception dite « sémantique » des théories scientifiques, la théorie correspond à une famille de modèles, c’est-à-dire qu’elle n’est justifiée que parce que des modèles rendent compte de la réalité. En psychiatrie, les théories sont plus généralement comprises selon cette conception sémantique, c’est-à-dire qu’une structure (nomologique) englobe un ensemble de modèles représentant la réalité. Il est plus délicat de déceler quelles sont les lois naturelles qui gouvernent les manifestations psychiatriques (comme le proposerait la conception syntaxique).   Actuellement, en psychologie et a fortiori en psychopathologie, il existe principalement des théories dites « faibles » (Meehl, a). Il s’agit de récits narratifs et imprécis, construits sur des hypothèses vulnérables à d’autres hypothèses cachées, et dont le pouvoir d’explication et de prédiction est peu élevé. Comme l’écrivaient van Bavel et coll. (), les théories faibles, lorsqu’elles sont attaquées, peuvent généralement être défendues post-hoc par l’ajout d’hypothèses auxiliaires : par exemple, l’ajout d’un « modérateur caché » permet d’expliquer l’absence de réplicabilité ou même l’absence de validité de la théorie. Autrement dit, des théories imprécises peuvent facilement être adaptées « après-coup » 154 Les réseaux de symptômes en psychopathologie

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en changeant certaines hypothèses qui n’avaient pas été énoncées. On pourrait donner l’exemple d’un modèle de psychothérapie fondé sur une théorie cognitive, qui chercherait à justifier une de ses observations (modélisée) en faisait appel aux neurosciences après-coup : cet appel aux neurosciences vient secondairement, il est censé justifier une théorie qui aurait « besoin » d’un ancrage plus solide. Cet appel à une variable auxiliaire masquée est d’autant plus fréquent que la théorie est faible. À l’inverse, Woodward () a décrit des théories dites « fortes » qui ne font pas que décrire les phénomènes mais y agrègent une explication cohérente, une justification de cette explication et une prédiction efficace. Mais pourquoi y a-t-il tant de théories faibles en psychopathologie ? Meehl appelait les prédictions « à risque » des prédictions théoriques qui étaient plus probablement rejetées que corroborées par davantage de données (Meehl, ). Supposons que la théorie A prédit « l’heure et le jour de la décompensation d’un patient », et la théorie B prédit qu’il y aura « au moins une décompensation » chez ce même patient. En supposant que les deux théories sont fausses, la théorie A est plus susceptible d’être rejetée quand le nombre d’observations augmente, tandis que la théorie B sera inversement plus probablement renforcée par davantage de données. Les théories psychologiques sont similaires à la théorie B, qui est une théorie faible – prédisant d’ailleurs une corrélation significative entre deux variables plutôt qu’une ampleur d’effet. Les théories qui soutiennent les modèles factoriels, mais aussi celles qui soutiennent les réseaux de symptômes, sont faibles : elles ne sont que descriptives, elles font des prédictions peu précises, elles ne montrent que des corrélations, tandis que des échantillons plus grands faciliteront la détection de ces corrélations (renforçant la cohérence des phénomènes et de la théorie).   De nombreux chercheurs ont discuté la présence d’une crise de la réplicabilité entre les données, qui a « distrait » la recherche d’une crise de la théorie sous-jacente (Cummins,  ; Meehl, b ; Muthukrishna et Henrich,  ; van Rooij, ). Cette crise de la théorie pourrait être expliquée par trois facteurs, que Nagel () décrivait comme les dangers relatifs à la formulation d’une théorie en termes de modèle. La nécessité d’un cadre théorique 155

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Premièrement, les modèles statistiques et les théories sont souvent confondus dans le champ de la psychopathologie, conduisant à des inférences invalides. Par exemple, des constructions psychologiques (théoriques) sont fondées sur des modèles factoriels ou causaux (Spearman, ), c’est-à-dire des variables latentes ou des réseaux de symptômes (modèle statistique). Cette confusion peut à terme conduire à des essais randomisés ne reposant sur aucune théorie, mais sur les résultats de seuls modèles statistiques. De plus, lorsque la théorie ne comporte qu’un unique modèle (par exemple, il n’existe qu’un modèle ubiquitaire descriptif, le DSM, renvoyant à une théorie descriptive), la confusion entre modèle et théorie peut être telle que les chercheurs en viennent à croire à la réalité et en l’existence physique de tous les éléments du modèle (les catégories du DSM) : cette confusion a conduit des décennies de recherche neuroscientifique à tenter de valider la présence physique des items du DSM dans le cerveau. Deuxièmement, il existe des croyances causales implicites qui guident les inférences. Ces croyances conduisent à la supposition de causes sans explication fournie par la théorie. De telles croyances apparaissent car une caractéristique non essentielle du modèle peut être, à tort, considérée comme un élément indispensable à la théorie. On pourrait citer la notion de centralité dans les réseaux de symptômes, qui est extrapolée depuis un test statistique (la centralité en tant que nœud corrélé avec les autres nœuds) vers une réalité clinique (la centralité en tant que symptôme important pour le patient) sans fondement théorique. Troisièmement, la crise de la théorie peut être expliquée par l’existence de théories faibles qui, comme nous venons de le dire, sont des descriptions narratives vulnérables aux hypothèses cachées, plus ou moins protégées de la réfutation ou de la révision (par exemple, sous couvert de modèles computationnels ou statistiques).

2. Les modèles En psychiatrie, il existe une multitude de modèles (statistique, mais également descriptif, comme le DSM) et de types de données (issues des sciences « omiques », des neurosciences ou du phénotypage digital).

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Nous avons dit qu’un modèle pouvait être défini comme un objet de médiation facilitante, qui permet au chercheur ou au clinicien de se représenter les phénomènes de manière simplifiée ou idéalisée. Cinq principales fonctions de médiation facilitante ont pu être isolées par Varenne () : les modèles servent à faciliter une expérience, une formulation intelligible, une théorisation, la communication et la co-construction des savoirs et la décision et l’action. Par exemple, un modèle peut faciliter l’accès aux données en servant d’instrument de présentation condensée de l’information, ou faciliter l’explication d’un mécanisme. D’un autre côté, Cartwright () a particulièrement examiné les implications d’une conception des modèles comme idéalisations, caricatures, œuvres de fiction et simulacres et plus généralement comme « représentations inexactes » de la réalité. Dans ce sens, la fonction des modèles se résumerait à « instancier certaines propriétés et certaines lois », qui ne cherchent « pas toujours à produire des descriptions vraies du monde » (Barberousse et Ludwig, ). Ainsi, les objets de facilitation que sont les modèles ne peuvent structurer les phénomènes (cliniques et scientifiques) que parce qu’ils proposent des lois, issues de théories, qui articulent ces phénomènes. Or, ces lois peuvent être différentes en fonction de l’origine de la théorie, et cette multiplicité d’origines théoriques est particulièrement flagrante en psychiatrie. Par exemple, les lois qui structurent la pratique psychanalytique ne sont pas celles qui structurent les approches cognitivo-comportementales.   Cette multiplicité est complexifiée par le fait qu’une même théorie peut se rapporter de différentes manières aux phénomènes (« mapping relations » selon les termes de Suppes, ), à la manière de différentes cartes utilisables pour le même territoire de phénomènes sémiologiques. Chaque modèle a donc un degré de vraisemblance par rapport à la réalité. Ce degré de vraisemblance dépend de facteurs contingents, et notamment de la question qui est posée par le clinicien ou le chercheur. En effet, on retrouve une relativité du modèle à la question posée et à la réponse attendue, mais également aux données que peut fournir la science au moment présent (dans l’avenir, le modèle sera faux car la science aura progressé) et à l’individu soumis à ce modèle. Par exemple,

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concernant la relativité temporelle, le DSM-III était approprié pour répondre à certaines questions présentes dans les années  et représentait convenablement la réalité scientifique de l’époque, mais des révisions ont été nécessaires pour qu’il réponde aux nouvelles questions et correspondent aux progrès scientifiques en  (DSM-IV) et en  (DSM-). Il en découle que la relativité des modèles fait partie inhérente de la psychiatrie. Cependant, la plupart des modèles actuels, neuroscientifiques, descriptifs, physiopathologiques ou psychologiques, ne permettent pas d’accepter cette relativité, pour la principale raison qu’un relativisme semble limiter l’explication scientifique et la généralisabilité.   Dans ce cadre, les réseaux de symptômes apparaissent particulièrement originaux : ils sont structurellement capables d’accueillir de nouveaux paramètres en fonction de questions contingentes, tout en reposant sur un cœur stable d’éléments sémiologiques issus du répertoire historique de la psychiatrie.

3. La confusion potentielle entre modèle et théorie Une théorie est certes un ensemble de modèles. Mais une théorie ne se résume pas à cet ensemble de modèles. Elle est définie par un ensemble d’hypothèses et d’axiomes, voire de lois (lorsqu’il a pu être confirmé que la nature suivait parfaitement les hypothèses de la théorie). Par exemple, une théorie statistique peut contenir deux modèles, qui mettent en forment les données différemment : le modèle factoriel et le modèle en réseau. Toutes deux créent des inférences en observant la réalité, par exemple en créant une variable latente (la « dépression ») ou en supposant une interaction entre entités (entre symptômes). Pour autant, les théories ne sont pas que des modèles. Un modèle statistique, même parfaitement ajusté, ne corrobore guère une théorie. Néanmoins, comme nous l’avons dit, les chercheurs ou les psychologues interprètent régulièrement les modèles statistiques comme des théories à part entière. Pour résumer, non seulement les modèles sont soutenus par des théories faibles, mais en pratique les théories et les modèles sont confondus. Quels sont les risques d’une telle confusion ? Nous pouvons en citer trois.

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Premièrement, un modèle n’informe en rien sur les hypothèses, les axiomes ou les présupposés de la théorie qui le sous-tend. Par exemple, une échelle psychométrique est un modèle qui recueille les données selon une théorie (plutôt minimale). Mais c’est la théorie qui spécifie comment l’échelle doit se rapporter aux observations (Borsboom,  ; Edwards et Bagozzi, ). Par exemple, une échelle issue d’une théorie psychanalytique inclura des items qu’une échelle issue d’une théorie neurobiologique n’inclura pas. Le risque est donc d’utiliser un modèle sans savoir qu’il masque une certaine manière de recueillir les observations. Et il est alors aisé de comprendre que le recueil des informations n’est donc pas neutre. Deuxièmement, l’explication et la justification d’un phénomène passent par la théorie et non par le modèle. Le modèle ne fait qu’assembler des données. La théorie fournit une structure formelle, intangible, stable dans le temps et non relative (au type de données ou à la question du chercheur), et c’est à elle qu’il faut se référer lorsqu’on veut expliquer et justifier un phénomène. Un modèle (même bien adapté à la théorie) ne peut pas être considéré comme une preuve qu’un construit psychologique (par exemple, la schizophrénie) existe en tant que construit psychologique dans la réalité (Kovacs et Conway, ). Il ne fait que décrire l’hypothèse proposée par la théorie. Autrement dit, la théorie donne des preuves de l’existence d’une entité, alors que le modèle ne fait qu’en relever des paramètres (par exemple, statistiques). Le modèle fournit une illusion d’explication psychologique et, comme l’écrivent Kovacs et Conway () : Poser un facteur général donne la fausse impression qu’il y a une explication psychologique, alors que l’explication réelle est purement statistique.

Le modèle statistique ne peut fournir d’informations sur le mécanisme de génération des données, et il ne devrait donc jamais suffire à indiquer une prise en charge clinique. Nous pouvons donner deux exemples d’insuffisance du modèle et de la nécessité d’une théorie sous-tendant les approches en réseaux. Le premier correspond à l’idée selon laquelle l’activation « se propageant » à travers un réseau est une inférence qui découle des modèles psychométriques, mais seules des hypothèses strictes peuvent décrire la réalité de cette propagation (Bringmann et coll., ). Le second exemple est celui du symptôme central dans La nécessité d’un cadre théorique 159

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un modèle en réseau qui nécessitera des hypothèses causales solides (les hypothèses sont toujours issues d’une théorie) pour tirer des inférences sur les interventions à entreprendre (Robinaugh, Hoekstra et coll., ). Le troisième point illustrant le risque d’une confusion entre modèle et théorie tient au fait que la prédiction doit passer par la théorie, et non par le modèle. Un modèle peut certes permettre d’élaborer des prédictions, mais il le fait parce qu’il repose sur une théorie. Il y a une confusion entre les deux lorsqu’on déclare qu’un modèle (par exemple computationnel) fait des prédictions. Par exemple, un modèle factoriel ou en réseau pourrait garantir une prédiction, mais c’est parce qu’ils sont basés sur la théorie des statistiques. Plus précisément, le modèle en réseau (par exemple, d’un point de vue mathématique, le modèle d’Ising ou le modèle graphique gaussien) est basé sur une théorie des réseaux, selon laquelle les constructions psychologiques sont des propriétés émergentes qui résultent des interactions des éléments constitutifs (qui est une théorie statistique). De même, pour les modèles computationnels, c’est parce qu’il y a, par exemple, une théorie mathématique sous-jacente au modèle que celui-ci est déclaré prédictif.   Les auteurs s’accordent pour affirmer qu’interpréter les modèles statistiques comme s’ils étaient une théorie est un raccourci inférentiel aussi courant qu’invalide (Lykken, ). L’ensemble de la littérature est donc confronté à un véritable défi portant sur l’inférence, qui tient pour beaucoup à la crise de la théorie (correspondant dans ce cas à la précarité et à la pauvreté des théories). Suppes, en , remarquait déjà que les branches scientifiques qui étaient les plus pauvres en termes de bagage théorique étaient souvent celles les plus ramifiées en modèles sophistiqués. En fait, l’état actuel de la recherche sur les modèles factoriels (malgré les décennies de publication et les milliers d’articles publiés sur le sujet), tout comme la recherche sur les analyses en réseau en est encore au stade initial de la recherche exploratoire. Le terme de « confirmatoire » pour désigner un modèle factoriel est d’ailleurs impropre, étant donné que ces modèles sont souvent ajustés aux données réelles et ne « confirment » pas leur théorie (Crede et coll., ).

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Alors quelle théorie est en jeu derrière le modèle des réseaux de symptômes ? La réponse est relativement simple : ce modèle répond à une théorie statistique qui propose l’existence d’interactions entre symptômes et fournit quatre principes (voir le sous-chapitre sur les principes de la théorie de l’approche réseau). Quelle est le véritable apport d’une telle théorie et sa plus-value par rapport à d’autres théories ? La réponse est plus délicate à fournir, notamment s’il faut en trouver des applications cliniques.

4. Les phénomènes Les données psychiatriques sont les « briques élémentaires » de la psychiatrie. Par exemple, il peut s’agir de symptômes ou des items issus de la psychométrie ou du numérique. La nature de ces données peut être divisée en phénomènes témoins d’un trouble psychiatrique et en bruit. Ce bruit peut être une erreur de mesure ou un biais d’expérimentation lorsqu’il s’agit de données numériques ou neuroscientifiques, mais il peut également correspondre à l’interprétation « constructiviste » du clinicien qui recueille les symptômes 1.   L’existence de grandes quantités de données hétérogènes et provenant de sources différentes peut être considérée comme une force pour la psychiatrie, qui s’appuie sur une multitude de données de provenance différentes et se recroisant, mais également comme une faiblesse. En effet, cette hétérogénéité renvoie aux divers champs disciplinaires qui segmentent la psychiatrie – et qui renvoient à autant de théories. L’existence d’un grand nombre de théories divergentes peut être en partie expliquée par le « raz-de-marée » de données scientifiques, digitales et sémiologiques. Autrement dit, l’existence de multiples champs disciplinaires est (en partie) la conséquence d’une augmentation considérable des données provenant du terrain. Par cet effet de boucle, cette saturation par les données rend difficile la possibilité de trouver un cadre théorique unifié pour la discipline. Et cette difficulté d’unification de la psychiatrie est autre manière d’expliquer la crise de la théorie en psychiatrie. 1. La théorie n’inclut généralement pas le bruit qui est également contenu dans les données (Woodward, ). Elle cherche à structurer les phénomènes. La nécessité d’un cadre théorique 161

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Le scénario inverse, qui conduit également à une crise de la théorie, pourrait également être considéré : les données seraient des « refuges » utilisés par les chercheurs pour face à l’absence de cadre théorique robuste et unifié (la démultiplication des cadres théoriques proviendrait du fait qu’aucun d’eux n’est satisfaisant pour expliquer complètement et pleinement les données).   Ces distinctions entre données, modèles et théories nous permettent de clarifier les différents champs abordés dans cet ouvrage : la théorie des réseaux est notamment « mutualiste », elle est fondée sur l’idée d’interactions mutuelles entre des données. Cette théorie est implémentée dans la réalité au travers d’une famille de modèles, les différents types de réseaux témoignant des différents phénomènes retrouvés dans la pratique clinique ou scientifique. Nous allons par la suite tenter de mieux comprendre les intrications entre données, modèles et théories dans le cadre des réseaux de symptômes.

5. Partir des données ou partir des théories Un modèle peut donc servir à ordonner et classer les phénomènes (et plus généralement les données, puisqu’il intègre parfois du bruit). Si l’objectif du modèle est d’explorer les phénomènes pour permettre la génération d’hypothèses, des modèles (par exemple statistiques) peuvent suffire (data-driven). D’ailleurs, en sciences, le simple fait de structurer des données entre elles a permis de générer de nombreux modèles qui ont permis l’élaboration de théories 2. Mais si l’objectif est de tester des hypothèses, il faut alors rechercher si les prédictions de la théorie sont réalisées dans les données, et sélectionner des modèles

2. Par exemple, dans la théorie des champs de la physique fondamentale, le modèle φ a été largement étudié non pas parce qu’il représentait un objet réellement identifié (il était parfaitement connu que ce n’est pas le cas), mais parce qu’il remplissait un grand nombre de fonctions heuristiques (notamment, il permettait au physicien de « se faire une idée » de ce à quoi ressemblent les théories quantiques des champs et d’en extraire des caractéristiques générales) : il s’agit d’un modèle phénoménologique, qui reproduit un comportement attendu et permet la simulation de nouvelles données, mais qui ne correspond à aucune théorie du monde.

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qui permettent de confirmer une théorie (theory-driven) 3. La théorie est donc toujours nécessaire, tantôt pour tester la validité d’une théorie et éventuellement l’adapter ou la réfuter (theory-driven), tantôt pour vérifier que les modèles construits sur les données sont les meilleurs et renvoient à la bonne théorie, c’est-à-dire à la bonne inférence causale (data-driven) (Bollen & Lennox, ). Nous pouvons donc donner une autre version de la crise de la théorie en psychiatrie, qui peut provenir du fait que la recherche se soit appuyé sur les données pour générer des modèles, qui ont finalement échoué à constituer des théories (data-driven) (Turkheimer, ). D’un autre côté, la construction de modèles en partant de théories (theory-driven) a été partiellement délaissée en recherche psychiatrique, faute d’avoir abouti à une quelconque confirmation. La raison de ce délaissement est évidente : la confirmation ou la réfutation d’une théorie nécessite de postuler une cause commune (ou variable latente). Elle permet d’expliquer la covariation des éléments à associer. Or, cette cause commune n’est pas identifiée en psychologie ou en psychopathologie. La recherche a donc été implicitement causale, cherchant une cause commune aux phénomènes afin de valider une théorie, et n’ayant pas trouvé de cause commune, elle n’a pu proposer de théorie validée à la discipline psychiatrique. C’est (partiellement) à cause de cette logique (de recherche d’une cause commune) que la psychopathologie manque de théorie validée. La possibilité offerte par les réseaux de symptômes, qui s’extraient de cette logique de la cause commune tout en proposant une théorie mutualiste, pourrait constituer une alternative pertinente à cette recherche de validité psychiatrique.

3. Il faut comprendre qu’un modèle, entre autres fonctions, peut à la fois servir à confirmer une théorie (theory-driven) et à ordonner des données (data-driven). Cette double fonction des modèles entraîne une confusion : un modèle peut en effet à la fois servir à effectuer une inférence causale spécifique (theory-driven) et à ordonner des données de manière agnostique par rapport aux processus causaux (data-driven) (Markus, ).

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6. Du symptôme à la théorie : la construction d’un cadre de travail Enfin, nous allons tenter de proposer un cadre de travail en partant de cette décomposition des troubles mentaux en données, modèles et théories. Le symptôme n’a pas disparu de la pratique clinique et il n’a pas été masqué par les classifications (Demazeux, ). Il a pris d’autres formes en fonction de l’évolution des théories. Il s’est dissous dans différents styles de pensée, chaque style travaillant avec son langage scientifique et ses inférences propres (Hacking, ). Nous avons vu qu’il ne pouvait exister de symptôme isolé de toute théorie. Muthukrishna et Henrich écrivaient en  que : Les solutions méthodologiques et statistiques actuelles à la crise de réplication ne feront que garantir des pierres solides, sans nous aider à construire la maison.

Les « solutions méthodologiques » constitueraient le ciment entre les données et les théories. Ces solutions méthodologiques sont donc les modèles, qui permettent de relier les symptômes à la théorie. Pour résumer, nous avons donc des symptômes (les briques élémentaires), des modèles (le ciment construit grâce à la méthodologie) et des théories (la maison). Comment mettre en œuvre une dynamique de construction ?   L’influence de la théorie sur le recueil du symptôme dépend du modèle utilisé pour ce recueil 4. Par exemple, le modèle de la classification DSM recueille des symptômes selon une théorique descriptive, qui vise à rassembler des items prédéfinis par un répertoire psychiatrique constitué au cours de l’histoire de la discipline. Un autre modèle, celui des RDoC, recueille des éléments à différentes échelles du vivant selon une théorie neuroscientifique. Enfin, le modèle en réseau recueille des symptômes 4. Suppes () nomme « système physique » (même pour les sciences humaines) la structure des comportements recueillis, structure qui est donc fictionnelle, idéalisée et abstraite de tout contexte. Le recueil de ce système physique est « teinté » d’une théorie. La relation la plus étroite que nous puissions établir entre la théorie et les phénomènes en situation est une relation contrefactuelle, c’est-à-dire « ce qui aurait été si les paramètres réels n’avaient pas changé en pratique ».

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selon une théorie mutualiste, qui rassemble des items s’influençant mutuellement. Le processus de construction d’une « maison théorique » pourrait s’appuyer, comme l’a décrit Haig (), sur un programme de recherche abductif, identifiant à la fois des phénomènes empiriques robustes (premier axe) tout en développant, dans le même temps, des théories formelles qui expliquent ces phénomènes (second axe) 5.   Le premier axe, correspondant à la description de phénomènes empiriques robustes, sera rendu possible par une amélioration des travaux méthodologiques, des modèles actuels et de la théorie des réseaux de symptômes. Ces trois améliorations passent elles-mêmes par un triple pluralisme : un pluralisme méthodologique, car un nombre réduit d’outils (notamment statistiques) peut conduire à de fausses conclusions (Vaidyanathan et coll., ), un pluralisme des modèles, qui doivent tenter de se conformer à la réalité et entrent dans un cadre cohérent, et un pluralisme de théories, ces dernières devant être intégrées les unes aux autres (en s’ajoutant à la théorie mutualiste aux fondements des réseaux de symptômes). En effet, la dynamique de construction de la psychiatrie nécessite sans doute plus de savoir quelles théories choisir et comment les choisir (en fonction des besoins épistémiques, de la nécessité d’être intégratif, etc.) plutôt que de développer un nouveau cadre théorique qui ne ferait que se superposer à d’autres.   Le second axe constituant l’amélioration du processus de construction des théories correspond au développement de théories formelles. Il s’agit de développer des tests théoriques directs (c’est-à-dire formaliser les théories) de manière indépendante des données (d’où l’usage du terme « formel », permettant une utilisation de la structure du test sans nécessiter de contenu) (Epstein, ). De tels modèles formels sont utiles pour simuler des données à partir d’une théorie (par exemple, 5. Pour aller plus loin, la notion même de cause commune résulte d’une procédure abductive (Peirce, ), inférée à partir d’un fait pragmatique (Haig, ), selon lequel nous devons trouver la meilleure explication compte tenu des limites de notre pratique (et non sur la base d’une vérité supposée qui serait décelée avec les progrès scientifiques, comme cela a parfois été laissé entendu – malentendu qui a notamment conduit à des décennies de recherche pour identifier des biomarqueurs validant les catégories diagnostiques du DSM).

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selon un modèle statistique implicite qui montrerait à quoi ressembleraient les corrélations entre les éléments si la théorie était vraie), et ces simulations peuvent ensuite être comparées au modèle estimé sur des données réelles. Les modèles formels peuvent ainsi conduire à des révisions théoriques (Haslbeck et coll., ).

7. Conclusion Au fil des différents chapitres, nous avons vu notamment qu’au sein d’un réseau, les symptômes, après avoir été activés, déclenchent une boucle de rétroaction auto-entretenue et se renforcent mutuellement. Nous avons considéré le trouble psychiatrique comme un cluster complexe de propriétés en interactions, permettant des analyses portant sur l’importance de certains symptômes par rapport à d’autres (par exemple, des analyses de centralité), qui amènent par exemple une conception différente de la comorbidité. Nous avons considéré que du fait même de sa structure athéorique vis-à-vis de la phénoménologie macroscopique, le réseau pouvait accueillir de multiples niveaux d’analyses du vivant – les évènements macroscopiques ne résultant pas nécessairement du même niveau d’analyse. Le symptôme peut d’ailleurs être défini au sein d’un réseau comme un producteur minimal de différences, c’est-à-dire comme la plus petite entité pertinente dans un réseau donné pour expliquer les changements du système global. En ce sens, les symptômes sont conçus préférentiellement de manière dimensionnelle – nécessitant un seuil dépendant du préjudice normatif déterminé par les acteurs. Enfin, l’analyse de la dysfonction préjudiciable pourrait être comprise au niveau du symptôme, qui est nécessairement sous-tendu par une dysfonction et un préjudice (dans des proportions différentes), la fonction saine pouvait être considérée comme la capacité d’adaptation en fonction des autres symptômes considérés au sein du réseau.   Les réseaux de symptômes de la psychopathologie permettent donc d’étudier les relations entre symptômes, de manière dynamique et souple. Leur flexibilité rejoint les thématiques récentes de la « vagueness » développées en philosophie de la psychiatrie (Keil, Keuck et Hauswald, ), qui souscrit à l’imprécision du monde comme

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faisant partie intégrante de la discipline. Les frontières flottantes des réseaux et la granulosité des symptômes permettent d’accueillir ce type de raffinement. Face au véritable écosystème de nosologies et de crises qui s’alimentent mutuellement (crise de la théorie, crise de la réplicabilité, crise de la généralisabilité, crise de la sémiologie – qui sont tout autant de défis à relever), les réseaux de symptômes proposent des outils théoriques, des modèles et une redéfinition de la place du symptôme. Ils s’inscrivent dans un mouvement scientifique qui tend à favoriser la communication entre chercheurs, l’interdisciplinarité et le pluralisme explicatif. Ce mouvement s’accompagne d’un ensemble de valeurs scientifiques fondées sur la volonté d’une plus grande transparence dans les sciences et sur un échange symétrique de connaissances, de données et de méthodes, renforçant la quête d’appréhension de la complexité de la psychiatrie. La prochaine décennie de recherche et d’application des réseaux pourrait se fonder sur trois axes discutés par la philosophie des sciences : l’axe des données, l’axe des modèles et l’axe des théories. Les nouvelles stratégies de recueil et d’évaluation des données pourront se développer par l’utilisation de phénotypes digitaux ou par le recueil de données rapportées par les patients eux-mêmes (Patient Reported Outcomes measures, ou expériences subjectives et phénoménologiques). Les nouveaux outils méthodologiques de recueil et de construction des modèles pourront offrir une analyse diversifiée de ces données, les couplant à des études empiriques intégrées à la pratique clinique quotidienne. Enfin, la construction d’un cadre de travail théorique solide pour les réseaux permettra d’intégrer les symptômes, la méthodologie, les styles de raisonnement scientifiques, l’épistémologie et la nosologie au sein d’un ensemble cohérent et pluraliste qui, espérons-le, pourrait aider à redéfinir la psychiatrie contemporaine.

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Remerciements Je remercie Élodie Giroux, pour sa prévenance et ses riches conseils et Denis Forest, pour son soutien. Je remercie également Catherine Bortolon, Astrid Chevance, JeanArthur Micoulaud-Franchi, Gérard et Aloïs Gauld, Steeves Demazeux et Hector Sainvet pour leur relecture et/ou leurs commentaires sur le sujet. Mes chaleureux remerciements vont à toute l’équipe d’UGA Éditions pour leur admirable travail et leur patience. Enfin, je remercie mes proches pour leur affection et leur soutien inconditionnel. Et Agathe et notre petit Basile prêt à découvrir le monde.

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