Les mystiques économiques : Comment l'on passe des démocraties libérales aux états totalitaires


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French Pages [197] Year 1938

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Les mystiques économiques : Comment l'on passe des démocraties libérales aux états totalitaires

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LES MYSTIQUES ÉCONOMIQUES

DU MÊME AUTEUR

IDÉOLOGIES E T M YSTIQ U E S POLITIQUES La Mistica revoluzionaria, in-16, 174 p., Alpes, Milan, 1926. La Mystique démocratique, in-16, 280 p., Flammarion, 1929. La Mystique soviétiquet in-8°, 70 p.f Équilibres, Rruxclles, 1934. Les Mystiques politiques et leurs incidences internationales, in-8°, 124 P·» Recueil Sirey, 1935. Peut-on savoir la vérité sur l’expérience soviétique ? in-16, 60 p., Librah'*e de Médicis. 1937. H IST O IR E DE LA PHILOSOPHIE ET DES RELIGIONS Les controverses trinitaires postnicéennes, in-8°, 70 p., Leroux, 1919. La Scolastique et le Thomisme, gr. in-8°, xliv-812 p., Gauthier-Villars, 1925· Celse ou le conflit de la Civilisation antique et du Christianisme primitif in-lß» xxxii-442 p. Delpeuch, 1926 (épuisé). Les origines astronomiques de la croyance pythagoricienne en Vimmortali^ céleste des dmest gr. in-8°, v-114 p., Gcuthner, 1934. PHILOSOPHIE SCIENTIFIQUE Les Paralogismes du Rationalisme, essai sur la théorie de la connaissance, in-8°, xiv-540 p., Félix Alcan, 1920 (épuisé). La Philosophie géométrique d’Henri Poincaré, in-8°, 208 p., Félix Alcan, 1920 (épuisé). Physics and Philosophy, in-16, xn-150 p., Dlakiston’s Sond and Go., Phila­ delphie, 1920. La structure des théories déductives, théorie nouvelle de la déduction, in-16, XV-120 p., Félix Alcan, 1921. La Matière et l’Énergie, suivant la théorie de la Relativité et la théorie des Quanta, gr. in-8°, xn-148 p., 2e éd., Gauthier-Villars, 1921. En marge de Curief de Carnot et d*Einstein, in-16, 269 p., 6e éd., Chiron, 1922. Actes du Congrès international de Philosophie scicntifiquef Sorbonne 1935, Hermann, 1936.

LOUIS ROUGIER ; i

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Professeur ά la Faculté des Lettres de Besançon

COMMENT L'ON PASSE DES D É M O C R A T IE S L IB É R A L E S AU X ÉTATS TOTALITAIRES

LIBRAIRIE DE M É DICIS 3, rue de Médicis PARIS VI«

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous les pays, y compris la Russie. Copyright by Librairie de Médicis, 1938.

AVANT-PROPOS

Les Mystiques économiques ont fait l’objet d’un cours, en juin 1937, à Ylnstitut universitaire des Hautes Études inter­ nationales de Genève. Elles complètent nos leçons sur les Mystiques politiques professées au même Institut, en juin 1935. Comme aux précédentes, nous leur avons laissé la forme familière de conférences dans laquelle elles furent prononcées. Il convient de bien distinguer la science économique, qui est une, et les doctrines économiques, qui sont diverses, et que nous désignons du nom de Mystiques pour bien spécifier qu’elles ne sont fondées ni en raison ni en expérience, mais qu’elles explicitent simplement, en les colorant de pseudo­ démonstrations scientifiques, certaines attitudes sentimen­ tales, certains préjugés de classe, certaines habitudes mentales ; en bref, certains partis-pris passionnés. Il n’y a pas une science économique libérale, marxiste, dirigiste, corporative, planiste : la science économique se confine à décrire les lois auxquelles obéissent les phénomènes économiques sous les régimes les plus variés : marché libre, marché à compétition incomplète, marché à monopole, dirigisme corporatif, éta­ tisme, planisme en régime collectiviste, régime mixte. La science économique n’a pas à prendre parti : elle n’a pas à trancher entre ces différents régimes. Il ne lui appartient pas de nous dire si nous devons préférer l’enrichissement national

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ou l’ascétisme héroïque ; la justice sociale ou le maximum de satisfaction pour chaque échangiste ^ ’organisation pacifique du monde fondée sur la division naturelle du travail entre les nations ou la préparation de la guerre fondée sur l’autarcie qui est une économie de siège. Mais elle est qualifiée pour nous apprendre si tels moyens sont bien appropriés à telle fin préconçue ; si telle politique économique aboutit bien au programme social auquel on a donné sa voix. Elle nous montre comment les hommes, égarés par des clichés verbaux et des slogans de propagande, se trompent sur le choix des moyens et se battent pour des causes qui ne sont pas les leurs. C’est ainsi que les conservateurs admirent le fascisme, tout en se réclamant du libéralisme économique, cependant que les régimes totalitaires qu’ils préconisent instaurent un socia­ lisme autoritaire qui est tout l’inverse de ce qu’ils veulent sauvegarder. Réciproquement, les partisans du Front popu­ laire, ayant à cœur de défendre les libertés démocratiques et les échanges entre les pays libres, imposent une politique sociale et réclament des réformes de structure qui, en dimi­ nuant la masse des biens consommables et des services échan­ geables, mènent tout droit à l’autarcie, c’est-à-dire à l’État totalitaire et autoritaire, qu’ils veulent à tout prix conjurer. Des nations « prolétaires » réclament des colonies dont la mise en valeur achèverait de ruiner leur économie déjà défi­ citaire ; cependant que les nations racistes organisent la révolte de l’Islam en Afrique et trahissent la cause de 1 homme blanc en Asie. Ainsi, séduits par les idola fori> sub­ jugués par la puissance de mots gonflés de passion et de haine parce que vides de contenu positif, les humains sont toujours prêts à recommencer la guerre de Troie. Nous avons fait précéder les leçons d’une introduction qui réintégré le problème économique dans les cadres du problème politique. Notre propos est de montrer comment les démo­ craties libérales se muent en régimes totalitaires, par des réformes sociales inconsidérées et des interventions abusives

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des pouvoirs publics, encouragés par les théoriciens de l’Éco­ nomie dirigée. L’Économie dirigée est la Mystique nouvelle qui crée le climat intellectuel propice à l’établissement des dictatures. C’est une question de fait de savoir si le retour à une éco­ nomie libérale est parmi les éventualités possibles. Ce qui est sûr, c’est que les nations soucieuses de sauvegarder l’indé­ pendance spirituelle de l’individu et le goût de l’initiative personnelle, sans lesquels il n’est pas culture proprement humaine, n’y parviendront que pour autant qu’elles feront retour au libéralisme mieux compris. Ce libéralisme là, appelé libéralisme constructeur, ne se confond pas avec la théorie du laisser [aire, laisser passer, qui aboutit à la suppression de la liberté par l’excès même de la liberté. Il ne se confond pas, non plus, avec n’importe quelle forme de capitalisme. Les ouvrages sur « la crise du capitalisme » s’adressent à un capitalisme qui n’est point du tout libéral, qui a précisément cessé de remplir sa fonction historique, parce qu’il a répudié les risques de la libre concurrence pour les commodités du pro­ tectionnisme étatique lui permettant d’imposer nonchalam­ ment au public le surprofit de ses prix cartellisés. Le capitalisme de nos jours est principalement abrité. La crise mondiale n’est pas née du désordre inhérent au régime libéral, mais des direc­ tions et des contraintes imposées à l’organisme économique par l’intervention de l’État sous la poussée des intérêts écono­ miques coalisés, des syndicats ouvriers, des masses électorales revendicantes. Les États-Unis nous ont montré comme le dirigisme bancaire et étatique entretient et amplifie une crise ; la France du Rassemblement populaire nous enseigne com­ ment l’action syndicale en déclenche une artificiellement, en imposant des charges sociales que la production ne tolère pas. Dans un cas comme dans l’autre, la politique des banques, les ententes patronales, les cartels de producteurs, les syndi­ cats ouvriers eussent été impuissants à fausser systématique­ ment l’équilibre économique sans la connivence, l’appui occulte ou l’intervention officielle des pouvoirs publics. Et

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c’est en quoi le problème économique se trouve subordonné au problème politique. Qui veut revenir au libéralisme devra rendre aux gouvernements une autorité suffisante pour résister à la poussée des intérêts privés syndiqués, et on ne leur ren­ dra cette autorité par des réformes constitutionnelles que dans la mesure où l’on aura redressé 1 esprit public en dénon­ çant les méfaits de l’interventionnisme, du dirigisme et du pla­ nisme, qui ne sont trop souvent que 1 art de déi égler systéma­ tiquement l’équilibre économique au détiiment de la giande masse des citoyens-consommateurs pour le bénéfice tiès momentané d’un petit nombre de privilégiés, comme on le voit surabondamment par l’expérience russe. Le χ ι χ β siècle a connu, par rapport aux siècles précédents, une prospérité incroyable, qui a plus que doublé la popula­ tion de l’Europe et quadruplé celle des Etats-Unis, tout en augmentant prodigieusement leur standard devie. Il en est redevable en partie aux économistes classiques, aux Turgot, aux Adam Smith, aux Jean-Baptiste Say. Ceux-là ont dénoncé inlassablement les abus de l’intervention de l’État, auxquels les gouvernements despotiques d’autrefois étaient aussi enclins que les gouvernements démagogiques d’aujour­ d’hui. Leurs travaux amenèrent dans l’esprit public un recul des idées interventionnistes et corporatives à la fin du xvni® et vers le milieu du x ix e siede, qui permit de faire fructifier les découvertes merveilleuses des sciences appli­ quées, d’organiser les échanges internationaux, d’équiper et de mettre en valeur toute la planète, grâce au régime de la porte ouverte ou de protectionnisme très modéré que l’esprit public imposa alors aux grandes nations commer­ çantes et industrielles. De nos jours, les possibilités de la technique se sont ver­ tigineusement accrues dans ces derniers vingt ans ; et, pour­ tant, la majeure partie du monde est dans le marasme, l’indi­ gence et même la famine, comme en Russie, dans l’Inde, en Chine et en Afrique. L’Europe et le monde ne retrouveront

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une prospérité nouvelle, auprès de laquelle celle du siècle passé s’avérera misérable, que le jour où les économistes auront fait comprendre aux masses et à l’élite que le diri­ gisme, le planisme, le socialisme d’État et l’autarcie qui en est le fruit amer, ne peuvent conduire qu’à des économies de guerre qui font perdre aux peuples le bénéfice de la divi­ sion naturelle du travail international, à l’individu ses libertés, aux masses leur standard de vie, engloutissant le plus clair de la richesse des nations dans des investissements improduc­ tifs, les armements, par suite du manque de sécurité collec­ tive, résultant des ruptures de l’interdépendance des peuples. Nous avons fait suivre ces leçons d’un appendice où l’on a essayé d’expliquer pourquoi le monde a tendance à s’éloi­ gner du régime libéral en faveur de l’économie dirigée, tout en offrant le spectacle d’une économie de plus en plus mixte.

INTRODUCTION

En présence des événements de l’après-guerre, on peut se demander si les nations occidentales ne suivent pas un cycle fatal, analogue à celui qu’Aristote avait dégagé de l’histoire des cités helléniques. Ce cycle consisterait à partir de la démo­ cratie libérale pour aboutir, par l’usage que les masses élec­ torales font des institutions démocratiques, au socialisme dictatorial sous forme d’États totalitaires. On peut se deman­ der si ce cycle ne correspond pas à quelque loi cachée de l ’évo­ lution des sociétés humaines : au début, pour s’organiser, une société crée un État ; l’État, créé pour servir la société, tend à s’hypertrophier à son détriment, si bien qu’il finit par l’absorber tout entière. Il y aurait là une loi du mûris­ sement des sociétés, les acheminant de la jeunesse, pleine de spontanéité et d’élan créateur, à la veillesse bureaucratique et conformiste par une sorte de phagocytose sociale semblable à celle des organismes vivants. Une question se pose dès lors : ce cycle est-il irréversible ?

* * * Sur la réponse à faire, les esprits sont radicalement divisés. De là vient l’anarchie intellectuelle qui ne permet pas à la communauté des sociétés européennes de se réorganiser

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autour d’un principe directeur, tel que l’idée de la chrétienté au moyen âge, tel que l’équilibre européen au x y iii® et au XIXe siècles. Cette anarchie est le symptôme le plus typique, la manifestation la plus dramatique de la crise morale de l’Occident. Le glissement vers l’étatisme est interprété par les uns comme une évolution nécessaire inaugurant des temps nou­ veaux. A l’anarchie atomique de l’État démo-libéral se substi­ tue l’organicisme de l’État totalitaire, dans lequel l’individu perd son autonomie pour devenir une cellule différenciée d’un super-organisme parvenu à la conscience unitaire et supérieure de lui-même. Cette conscience, le Volksgeist, est incarnée dans un chef miraculeusement surgi du tréfonds populaire par un décret nominatif de la providence historique. Pour les autres, l’État totalitaire est un phénomène de dégé­ nérescence, un retour archaïque aux vieux régimes théocratiques, alors que les fonctions gouvernementales n’étaient pas encore différenciées et que le droit public existait à peine ; et ce phénomène serait dû principalement à la peur qui pousse les nations à se contracter sur elles-mêmes dans une attitude de défense, de défiance et de combat. Pour les premiers, les États démocratiques sont semblables à ces colonies animales dont chaque membre est interchangeable : il convient que ces colonies animales se muent au plus vite en organismes supérieurs différenciés sous peine d’être éliminées ou de vivre d’une vie ralentie aux échelons inférieurs de la hiérarchie des sociétés politiques. Pour les seconds, il n’y aura de retour à la santé que pour autant que l’on reviendra aux pratiques longuement éprouvées du libéralisme politique et économique, intellectuel et moral, qui fit la grandeur du prolifique, du magnifique et exubérant xix® siècle. L’anarchie des esprits s’aggrave de l’opinion courante qui voit dans le libéralisme « une catégorie historique » définiti­ vement dépassée, si bien que ses derniers partisans font figure de donquichotesques paladins attardés à défendre une cause perdue. L’antagonisme des esprits ne cesse pour cela,

INTRODUCTION

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mais il se déplace. L’option n’est plus entre démocratie libé­ rale et État autoritaire, mais entre deux types d’étalisme qui se haïssent d’autant plus qu’ils se ressemblent, entre ces deux formes de socialisme autoritaire : le fascisme et le commu­ nisme. Alors que le libéralisme pose des limites à l’interven­ tion de l’État par la reconnaissance des droits du citoyen, tempère le pouvoir exécutif par le contrôle législatif et le pouvoir judiciaire, protège l’individu contre les abus de la puissance publique, admet la représentation des minorités et les droits de l’opposition, tient grande ouverte la lice où s’affrontent, sous la tutelle de la loi, les compétitions indi­ viduelles et se nouent les solidarités sociales, les régimes totalitaires, de droite ou de gauche, s’accordent pour procla­ mer l’entière subordination de l’individu à l’État, incarné en la personne d’un chef de parti qui concentre en lui tous les pouvoirs, ne tolère aucune discussion, réclame l’adhésion enthousiaste des âmes autant que l’obéissance passive des corps, substitue à l’anarchique Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen la féconde Charte des Devoirs des Travailleurs, régente et synchronise toute la vie d’une nation par l’appareil d’une énorme bureaucratie, d’une police poli­ tique et d’une obsédante propagande. Sur le plan économique, les États totalitaires, en vue de planifier rationnellement la production, instaurent une économie de siège et de guerre, impliquant une baisse considérable du standard de vie des masses, par la perte de la division naturelle du travail entre les nations, par la substitution d’une administration irres­ ponsable et onéreuse, réglant ses décrets sur des statistiques plus ou moins fabriquées, aux initiatives privées orientées, par le mécaliisme des prix, vers l’adaptation de l’offre à la demande, si bien qu’à la limite, comme on le voit surabon­ damment par l’exemple de l’U.R.S.S., les producteurs n’ont plus qu’un seul client : l’État ; les consommateurs qu’un seul fournisseur : l’État ; les travailleurs qu’un seul patron : l’État, qui achète aux producteurs les matières premières et les produits agricoles à un prix de misère, qu’il revend sous

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forme de produits manufacturés aux consommateurs à un prix de monopole, en exigeant des travailleurs, qui trans­ forment les matières premières en produits ouvrés, un rende­ ment toujours plus élevé pour une salaire toujours plus bas. Le fascisme et le communisme, partant de cette plate­ forme commune, peuvent bien différer par après. Si le premier promet de sauvegarder les classes possédantes, il les utilise jfcfaire les frais d’un programme de réformes sociales et d’un effort de militarisation qui les ruine infailliblement ; si le second s’acharne à les détruire, en qualité d’ « ennemi de classe », dans l’espoir de tirer du seul prolétariat des équipes dirigeantes animées de sa mentalité altruiste, il n’aboutit en fait qu’à l’exploitation des paysans et des ouvriers par la classe profiteuse des bureaucrates, des technocrates, des ingé­ nieurs du plan, des policiers, prenant la place des capitalistes d’autrefois. Si le fascisme fait cesser en apparence les luttes intestines des partis politiques, par ailleurs en fragmentant le monde en économies fermées, en camps retranchés, en nations en armes vivant dans une perpétuelle fiè\T e obsi­ dionale, il installe au dehors une permanente menace de guerre. Si le communisme aspire à l’union pacifique des peuples, il n’envisage d’autre moyen d’y parvenir que la lutte des classes, qui engendre la guerre civile à l’intérieur, en attendant de fomenter la révolution mondiale à l’exté­ rieur. Accepter le dilemme : fascisme ou communisme, c’est pareillement renoncer aux avantages de la division du travail entre les nations, à la libre circulation des capitaux, des mar­ chandises, des travailleurs, à la solidarité des peuples dans la réciprocité de leurs échanges ; au cosmopolisme de la culture, à la dignité de l’individu considéré comme une fin en soi respectable, à la sécurité du citoyen fondé sur un statut juri­ dique stable ; à la libre initiative des producteurs, au libre choix des consommateurs ; à l’indépendance et à l’universa­ lité de la pensée ; à la saveur de la vie qui résulte de ce qu’elle comporte un risque, mais dans le cadre ordonné d’un jeu dont on connaît et dont on respecte les règles, le tout pour

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INTRODUCTIO N

faire place au vouloir despotique des dirigeants, aux déci­ sions arbitraires d’une économie planifiée, aux slogans uniformes d’une culture politisée. Nonobstant, le dérèglement des esprits est arrivé à ce point que, non seulement on oppose en Ire elles deux formes de gouvernement et d’économie qui sont les espèces extrêmes d’un même genre, mais que ceux qui font profession de défendre les libertés démocratiques constituent un front commun avec les communistes, dont l’avènement au pouvoir^ signifierait la perte de tous les droits individuels ; que les antifascistes, pour combattre l’emprise des congrégations économiques, réclament la nationalisation des industries-clés, le contrôle du crédit et des changes, sans s’apercevoir qu’un tel interventionnisme réaliserait l’État autoritaire et totali­ taire dont ils ont horreur ; que les capitalistes, qui se récla­ ment du libéralisme économique, l’enterrent, en réclamant de l’État protection, soutien et renflouement qui les trans­ forment en castes privilégiées exigeant l’appropriation privée des bénéfices et la socialisation des pertes au détriment de la collectivité. C’est ainsi qu’en France, aux élections législatives de 1936, on vit les radicaux s’allier aux socialistes et aux communistes contre les soi-disant entreprises du fascisme, pareils en celà à des moutons qui feraient cause commune avec les loups pour se protéger d’une épouvantail. C’est ainsi que l’on voit la Ligue des Droits de l’Homme et du Citoyen dénoncer les crimes hitlériens, mais demeurer bouche cousue en présence de la sanglante bouffonnerie des procès de Mos­ cou. C’est, ainsi que le groupe Vigilance des écrivains anti­ fascistes se mobilise en faveur du gouvernement de Valence, en dépit du massacre de nombreux clercs espagnols que ce gouvernement stalinisé a mis à son actif. La logique eût voulu, cependant, qu’aux élections de 1936 un républi­ cain conscient votât pour les partis modérés, dont l’attache­ ment à la démocratie est indéniable ; qu’un fasciste con­ vaincu, en l’absence de tout parti national susceptible d’emporter une majorité, votât pour le Front populaire 2

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qui, par sa gestion financière, économique et sociale, ache­ mine la France vers une économie dirigée et autarcique impliquant une forme de plus en plus autoritaire de l État, si bien que les admirateurs de Mussolini eussent dù, faute de mieux, apporter leurs voix à Léon Blum ; un ouvrier se fût trouvé plus avisé en votant pour les partis nationaux, qui cherchent toujours à se justifier auprès des masses, dont ils quémandent le plébiscite, par une politique résolument sociale, que pour le parti communiste qui, sitôt au pouvoir, fait peser sur les classes travailleuses le plus dur des escla­ vages ; les classes moyennes et libérales se fussent trouvées, enfin, fort inspirées en votant contre toute forme de fas­ cisme, car elles font toujours les frais des régimes autori­ taires, étant seules directement intéressées à la liberté de la pensée et au maintien de l’initiative individuelle que ces régimes se font gloire de supprimer, si bien qu il n est lien de plus déconcertant que le spectacle de tel conseiller du Rassemblement populaire dénonçant avec indignation le danger de la disparition de classes moyennes, par suite de l’incidence des lois sociales imposées par la tyrannie syn­ dicaliste, au cours de l’expérience d’accroissement de la capacité d’achat des masses et de diminution du temps de travail qu’il a tout particulièrement inspirée.

Le problème de l’heure actuelle n’est pas de savoir si les démocraties subsistantes doivent accueillir une dicta­ ture de droite ou de gauche, mais, en fait, comment elles parviendront à l’éviter. Or, il y a deux moyens de parvenir à l’étatisme autoritaire : il y a la voie politique, directe et brutale, et la voie économique, oblique et insinuante. La révolution bolchévique, la conquête de l ’État par les milices fascistes et hitlériennes montrent comment, par la violence ou avec la connivence d’une partie du gouverne­ ment qui trahit la charte constitutionnelle d’un pays, ou

INTRODUCTION

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par le simple jeu des majorités qui manifeste combien les masses sont romantiques et crédules, on instaure un régime totalitaire par la prise légale, semi-légale ou révolution­ naire du pouvoir dans des pays de tradition démocratique faible ou nulle. Le glissement vers l’étatisme dans les vieilles démocraties libérales, comme la Suisse et la France, révèle comment on court le risque d’y accéder par une voie plus détournée, par la politique économique et sociale imposée par les masses électorales. La démocratie la plus ancienne et la mieux concertée, soit par suite de la petitesse de son territoire, soit par l’effet de l’éducation de ses habitants, est assurément l’Union helvétique. Rien n’est instructif comme de suivre, ainsi que l’a fait W. Rappart, co-directeur de VInstitut universitaire des Hautes Études internationales de Genève, en un livre magistral (1), les rapports de l’individu et de l’État au cours de l’évolution constitutionnelle de la Suisse, à partir de la Révolution de 1798. Dans une première période, on assiste, sous la pression des révolutions libérales de l’Europe, au triomphe de l’individualisme dans les nouvelles consti­ tutions cantonales qui consacrent l’abdication des anciens gouvernements aristocratiques ou oligarchiques. Ces consti­ tutions montrent la voie et donnent le ton à la Constitution fédérale de 1848, qui affranchit l’individu sur toute l’éten­ due du territoire. Dans une seconde période, l’individu, à peine libéré des contraintes de l’État, entreprend de le dominer en se servant des institutions démocratiques, du suffrage universel, de l ’élection directe des magistrats, du droit d’initiative législative, de referendum populaire et de révocation. Élaborée au lendemain des conquêtes de la démocratie directe dans les principaux cantons, la Consti­ tution fédérale de 1874 apparaît comme un monument de radicalisme démocratique, de centralisation politique et de libéralisme anticlérical. Grâce à elle, le peuple fut (1) W. R a p p a r t , Les Rapports de Vindividu et de VÉtat dans révolution constitutionnelle de la Suisse, Recueil Sirey, 1936.

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définitivement associé à l'action législative par l’intro­ duction du droit de referendum facultatif. Dans une der­ nière période, l’individu, non satisfait de son double succès, de son affranchissement à l’égard de l’État, puis de sa domination sur l’État, entreprend de Γasservir à ses besoins et à ses intérêts. A l’individualisme de la première période, à la démocratie libérale de la seconde, succède l’étatisme de la troisième, qui va compromettre peu à peu les conquêtes des deux premières en se retournant contre l’individu. L’étatisme se manifeste d’abord sous forme scolaire, par l’établissement de l’enseignement gratuit et obligatoire en vue de compléter la libération de l’individu ; il se manifeste ensuite sous forme sociale, par des mesures destinées à pro­ téger sa santé, puis à le mettre à l’abri des risques de l’exis­ tence : assurance-accidents, maladie, vieillesse, survivants et invalidité. Enfin, il s’exerce sur le plan économique, par la création d’une banque nationale dotée du monopole d’émission, par le rachat des chemins de fer, par une poli­ tique douanière de plus en plus protectionniste, par une politique de soutien des différents groupes de producteurs, notamment des agriculteurs, par une réglementation tou­ jours plus étroite du travail et des emplois. Le progrès de l’étatisme n’est freiné que par la capacité de résistance du budget fédéral. Or, au cours de cette marche ascendante de l’étatisme, les anciennes conquêtes de l’individualisme et de la démo­ cratie se trouvent une à une compromises. L’État, sous les revendications de masses ou la coalisation des intérêts privés, n’a pu étendre la sphère de ses interventions qu’en réduisant pour autant les initiatives et les libertés indi­ viduelles. En se compliquant de services auxiliaires, en se diversifiant à l’excès, l’appareil administratif est devenu une machine d’un fonctionnement si délicat qu’il échappe au contrôle de l’individu ; d’un coût si onéreux qu’il l’acca­ ble sous le poids d’une fiscalité destructrice des fortunes

INTRODUCTION

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acquises et de l’épargne personnelle. L’individu, renouve­ lant l’histoire de l’apprenti sorcier, tend à devenir l’hommeserf de cette nouvelle féodalité, d’autant plus inhumaine qu’elle est anonyme : la bureaucratie étatique. L’expérience, en France, du Front populaire montre pareillement comment, avec les meilleures intentions du monde, on peut s’orienter vers un régime totalitaire, dans le cadre constitutionnel d’une démocratie libérale, par une politique sociale qui impose des charges telles à la produc­ tion qu’elle ne peut plus supporter la concurrence des prix mondiaux et doit se développer en vase clos ; par des dépenses démagogiques auxquelles le trésor public ne peut pourvoir que par un appel autoritaire aux capitaux privés ou par des manipulations monétaires qui ruinent la capa­ cité d’achat des consommateurs et ébranlent le crédit de l’État. Appartenant au bloc des régimes démocratiques par sa Constitution et ses traditions politiques, se. rappro­ chant du bloc des États totalitaires par une économie à ten­ dance de plus en plus autarcique, la France du Rassemble­ ment populaire risque de se trouver isolée au point mort où l’attraction des deux blocs s’équilibre et se neutralise. L’étatisme, dans les régimes démocratiques, achoppe devant la fuite des capitaux privés, apeurés par une fisca­ lité abusive, par le risque de dévaluations en cascade, par la menace des pleins pouvoirs aboutissant à la réquisition des devises et des titres étrangers, à la mainmise sur les réserves des Sociétés, les caisses d’épargne, la caisse des dépôts et consignations. La fuite des capitaux, sous un gouvernement démagogique, joue le rôle de l’épargne dans un régime normal : elle empêche la dilapidation par la législature présente de tout le patrimoine d’une nation. L ’étatisme aboutit alors à la nécessité de devenir rentable en devenant autoritaire. Ii doit imposer le contrôle des changes, le cours forcé de la monnaie intérieure, la nationalisation des banques, le monopole du commerce extérieur, la réqui­ sition des capitaux privés par voie d’emprunts forcés ou

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de contributions dites « volontaires » ; il doit lever les garaiu ties constitutionnelles, supprimer la liberté de la presse. La démocratie libérale se trouve muée en État totalitaire. ♦

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Cette évolution de la démocratie' libérale à l’étatisme tota­ litaire, qui en est la négation, est la plus logique qui soit. La démocratie libérale résulte, en effet, de deux principes contradictoires, qui, pendant longtemps, s’équilibrent, mais dont l’un finit par l’emporter sur l’autre (1). Elle procède de 1 idée libérale des droits naturels et imprescriptibles de 1 homme et du citoyen, qui vient des théoriciens du Droit des gens ; elle procède de l’idée de la souveraineté popu­ laire s’exprimant par la voie de la majorité, que Rousseau a vulgarisée en y ajoutant le double sophisme de l’inerrance de la volonté générale et de son identité avec la volonté particulière d’un chacun, en tant que celle-ci est appelée à se prononcer sur l’intérêt général. Or, ces deux principes peuvent s’exclure mutuellement. Si le peuple est souverain, il a le droit, comme firent les Conventionnels sous la Ter­ reur, de supprimer toutes les garanties, de suspendre toutes les libertés jugées dangereuses pour la sécurité du peuple ou auxquelles la majorité n’est pas directement intéressée. On prête à Lénine un mot significatif : « La civilisation, votre civilisation ! en quoi voulez-vous que cela intéresse un moujik ? » Si le moujik est la majorité, il peut jeter à terre, en un grand soir, toute cette superstructure qui fut 1 œuvre des classes aristocratiques. Le principe abstrait des droits naturels de l’homme, le principe concret des droits historiques acquis, l’un exprimant la forme française, 1 autre la forme anglaise du libéralisme, postulent au con­ traire que la souveraineté du peuple a des limites ; que le peuple souverain doit gouverner constitutionnellement, et que, s’il viole la Constitution, son acte est un abus de puis(1) Cf. L ouis R o ug i e r , La Mystique démocratique, ch. T.

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sance publique contre lequel l’individu peut se pourvoir auprès d’une instance juridique supérieure à la volonté populaire, ou, à son défaut, contre lequel il a le droit de se révolter. L’antagonisme entre ces deux principes n’apparut pas tout d’abord, parce que la démocratie, le gouvernement du peuple par le peuple, semblait impliquer le libre choix des gouvernants, et, par suite, la liberté de discussion, la liberté de la presse, le respect de l’individu en tant que citoyen-souverain, une discipline politique et sociale con­ sentie. Il n’apparut pas tout d’abord, parce que, pendant le X IX 0 siècle, le peuple, auquel on avait appris qu’il était souverain, se comporta comme un souverain constitution­ nel qui règne, mais ne gouverne pas. Occupé à gagner son pain quotidien, pénétré de son ignorance, conscient de son infériorité, il avait le sentiment que l’exercice des affaires publiques revient à des minorités qualifiées et il s’en remettait en Angleterre à ses lords, en France aux « nota­ bles », aux « compétences » du soin de le diriger ; dans les campagnes, il s’abstenait de voter ou il suivait humble­ ment l’avis du propriétaire-maire et du ministre de Dieu. Il en fut tout autrement lorsque le prodigieux enrichisse­ ment du monde, produit par le développement de la tech­ nique, du capitalisme et du libéralisme économique, haussa considérablement le niveau de vie de masses devenues singulièrement prolifiques. En acquérant des biens, le paysan et l’ouvrier se souvinrent qu’ils avaient des droits propres à les défendre et même à les accroître, en vertu du principe de la souveraineté populaire qui, mieux qu’à tra­ vers les votes des assemblées parlementaires, s’exprime par le gouvernement direct des masses. L’art de gouverner implique une sagesse, une technique e t une noblesse. Il implique la connaissance du passé, la préoccupation de l’avenir, le sens des possibilités, la con­ naissance des moyens propres à les réaliser, le sentiment des responsabilités et le souci des compétences. L’art dé

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gouverner est, par suite, une chose éminemment, aristo­ cratique, qui ne peut être exercé que par des élites. Or, la masse livrée à elle-même est tout le contraire. La masse n’a pas le sens des possibilités, car elle a une mentalité magique : elle croit que seule la trahison ou le mauvais vouloir des dirigeants les empêche de réaliser les miracles qu’elle exige d’eux. La masse est ignorante et suffisante : elle se croit omnicompétente, elle se défie des « capacités », des techniciens, de l’intelligenzia, et, volontiers, elle fait sien le mot terrible du Tribunal révolutionnaire demandant la tête de Lavoisier : « La République n’a pas besoin de savants. » La masse est impatiente et brutale : elle ignore l’art de temporiser pour ménager l’avenir, de composer pour respecter les droits des minorités. Persuadée d’avoir toujours raison, elle trouve inutile d’avoir à donner ses raisons ; elle ne veut ni discussion, ni concession ; elle est au plus haut degré antiparlementaire ; elle réclame l’action directe. La masse est primitive et futuriste : elle fait table rase du passé, tient les formalités, la politesse, les égards, les traditions, le respect des règles du jeu social pour d’inu­ tiles complications ; elle est iconoclaste, elle brise les œuvres d’art qui sont les reliquaires de l’histoire ; elle recommence à nouveaux frais, au prix d’un prodigieux caput mortuum, l’expérience des siècles. Les masses sont grégaires : régies par les lois de l’imitation, elles sont conformistes ; leur règne est synonyme de standard, de vulgarité et d’ennui. Les masses sont matérialistes : elles n’ont pas souci du spirituel, mais du bien-être ; elles n’entendent bien qu’une seule philosophie, le matérialisme historique. Les masses, d’ordinaire laborieuses, riches en vertus morales et profes­ sionnelles, les perdent inévitablement dès que, cessant de remplir leur fonction propre, elles se déclarent souveraines et prétendent se substituer aux élites dirigeantes, sans cesser pour cela de sentir, de penser et de se comporter en masses. Or, précisément, l’enrichissement du monde, l’élévation

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du niveau de vie et surtout l’école laïque et obligatoire ont provoqué la révolte des masses. Alors que le curé leur ensei­ gnait la soumission aux autorités, l’instituteur, imbu de mystique révolutionnaire, leur a révélé qu’elles étaient le nombre et que, étant le plus grand nombre, elles pouvaient tout exiger. Les masses, indifférentes ou soumises, se firent revendicantes. Elles mirent en disponibilité « les notables » pour se confier aux démagogues, aux politiciens profession­ nels qui, dans la crainte de ne pas être réélus, se livrent aux plus dangereuses surenchères. Par la voix de leurs manda­ taires, cessant d’être ses guides pour devenir ses commis, les masses ont exigé de l’État des interventions, des soutiens, des réformes de structure tels qu’il est obligé pour les réaliser, par suite de l’épuisement du trésor public, de se muer en État autoritaire et totalitaire. Ce jour-là, des deux principes antagonistes que le x ix e siècle avait cru concilier dans les démocraties libérales, le principe des droits du citoyen et le principe de la souveraineté populaire, c’est le second qui l’emporte. Les États totalitaires sont déma­ gogiques ; ils sont plébiscités par les masses parce qu’ils réalisent, même s’ils se disent de droite, un socialisme d’État autoritaire. Us s’efforcent de donner aux masses panem et circenses, un minimum vital et des fêtes. Ils sont primitifs, impulsifs, violents, prodigues et illuminés comme les masses. Après avoir dévoré l’épargne publique, épuisé les classes possédantes, paupérisé les classes moyennes, dans l’impos­ sibilité où ils se trouvent de tenir les promesses de leur avènement, ils finissent par imposer aux classes populaires le corset de fer d’un régime ascétique, policier, bureaucra­ tique et militaire. *** L’étatisme, installé par la révolte des masses, aboutit tôt ou tard à ce dilemme : devenir rentable et productif en devenant autoritaire et ascétique, ce qui fait perdre aux

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individus leurs libertés et aux masses leur standard de vie, ou reconnaître son erreur et revenii· au libéralisme. Plusieurs préjugés s’opposent au retour au libéralisme. Le premier est de croire que les processus de l’histoire humaine sont irréversibles. Cela est faux, s’il faut ajouter foi à ce que disent les biologistes, qui nous apprennent que les conquêtes de la civilisation ne sont pas inscrites dans les gènes porteurs du patrimoine héréditaire de notre espèce, mais que l’être humain repart à sa naissance de 1 inculture et de la barbarie ancestrales, si bien qu’une seule génération humaine peut renverser d’un revers de main 1 œuvre dili­ gemment édifiée par le labeur patient des siècles et revenir de plusieurs stades en arrière. La civilisation n’est jamais un acquis, mais toujours une conquête. Une institution ne se survit que pour autant qu’on la respecte, parce qu on la croit efficace ; un droit ne s’impose que pour autan qu’on le juge légitime. De là les ricorsi de l’histoire, les régressions venant après les progrès. L’étatisme n est pas un dépassement du libéralisme, il est un retour à la théo­ cratie, à l’époque où la puissance publique était incarnée dans la personne d’un prêtre-roi, dont la volonté tenai lieu de loi : sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas, alors que la notion d’un État de droit, fondé sur un système complexe de normes juridiques, n’existait pas encore. Un second préjugé consiste à dire : l’État ne peut pas détruire la richesse, il peut seulement la distribuer pbjs équitablement. C’est ignorer qu’il existe, pour les sociétés humaines comme pour les systèmes physico-chimiques, un processus de dégradation, une entropie : les richesses, stéri­ lisées quand elles s’accumulent entre trop peu de mains qui ne les font pas travailler, donnent un rendement bien différent suivant qu’elles sont utilisées à haute tension par des individus responsables, soumis à la dure loi de 1 échec possible, ou, à basse tension, par des bureaucrates irrespon­ sables, qui trouvent toujours dans les tortueuses mani­ gances de l’ennemi intérieur ou dans les fictifs complots

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des gouvernements étrangers les raisons de leurs insuccès. La bureaucratisation, qui croît vertigineusement à mesure qu’elle contrôle des entreprises de plus en plus étendues, stérilise la fortune et le travail humain en les dégradant. Mais le préjugé le plus grave, celui qui fausse le plus l’opinion publique, c’est la croyance universellement répan­ due que l’économie libérale est synonyme d’anarchie, qu’elle est responsable de la crise mondiale ; que l’économie plani­ fiée est, au contraire, synonyme d’économie scientifique ; que la première répugne et la seconde répond à ce besoin qu’a l’homme moderne de dompter les forces naturelles, de rationaliser sa conduite au fur et à mesure qu’il prend conscience des facteurs qui la déterminent. L’économie libé­ rale, soumise au libre jeu des forces économiques sponta­ nées, serait à l’économie dirigée ce qu’est un torrent impé­ tueux dans un lit hérissé d’accidents où chavirent tôt ou tard les plus humbles canoës, à un canal balisé, muni d’éclu­ ses, où passent avec sécurité les léviathans des mers. Cette conception courante repose sur de multiples erreurs. Il est faux que des initiatives individuelles non concertées résulte le chaos des actions collectives. C’est méconnaître les données les plus élémentaires de la sta­ tistique qui nous enseigne comment du désordre à l’échelle individuelle naît l’ordre des résultantes collectives, à une échelle supérieure, par compensations statistiques, comme de l’état de mouvement désorganisé des molécules d’un gaz résulte statistiquement, à notre échelle, l’équipartition de la pression et l’équilibre thermique. Il est faux de croire que l’on puisse, par décisions bureaucratiques, pla­ nifier la vie économique d’un pays : une telle entreprise supposerait constantes des circonstances qui, par nature, sont continuellement variables ; connues, les innombrables variables dont dépendent la création et la circulation des richesses ; quantifiables, les goûts, les besoins, les préfé­ rences, qui sont choses purement qualitatives et subjec­ tives. Ce que l’on constate, au contraire, c’est que l’écono-

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mie dirigée fausse et grippe tous les facteurs du rétablisse­ ment de l’équilibre économique sans cesse perturbé par les inventions, les modes, les nouveaux besoins, les change­ ments démographiques ; brise cette merveilleuse machine à calculer qu’est le mécanisme des prix qui résout auto­ matiquement le système d’équations dont dépend l’équi­ libre économique, si bien que l’économie dirigée est une économie déréglée substituant au libre choix des consom­ mateurs, exprimé par le plébiscite des prix, des décisions arbitraires, imposées par contrainte, en dehors de toute raison plausible de les faire admettre. Toute économie diri­ gée suppose une police politique qui exerce une surveillance et une répression d’autant, plus grandes que les quantités, les qualités et les prix imposés s’écartent davantage de ce qu’ils eussent été s’ils avaient résulté du libre jeu de la loi de l’offre et de la demande. Non seulement l’économie dirigée et planifiée n’est pas plus scientifique que l’économie libérale, mais l’économie dirigée instaure, en matière de sciences sociales et politi­ ques, une mentalité magique, un artificialisme puéril, en professant que l’homme peut décréter les prix à volonté, accroître à volonté la capacité d’achat des masses, planifier la production et diriger les échanges par des manipulations monétaires, le contrôle des changes et du crédit, la natio­ nalisation des entreprises, les diverses formes anciennes et nouvelles du protectionnisme, tout en évitant les incidences des prix imposés, des sursalaires et des cours forcés, qui se traduisent toujours par une perte massive de biens écono­ miques pour la collectivité. A la compréhension des lois de l’équilibre économique, les masses semblent particuliè­ rement rebelles et les formules magiques telles que « refla­ tion sans dévaluation », « hausse des prix sans déséquilibre économique » montrent à quel degré non seulement d’igno­ rance de l’économique mais aussi à quel mépris de la logi­ que en sont arrivés par démagogie les rabbins miraculeux auxquels les classes laborieuses ont voué leur foi et leur

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enthousiasme. Aussi, jamais le conflit n’a été plus grand que de nos jours entre la politique économique, budgétaire et monétaire des États, sous la pression des masses électo­ rales, et les avertissements réitérés des professeurs d’écono­ mie politique et de science financière. Pour prendre un exemple, les masses n’ont jamais com­ pris la différence entre un salaire réel et un salaire nominal. Quand l’État fait de l’inflation, elles croient toujours que les prix montent par la malignité des accapareurs et des spéculateurs. On n’est pas parvenu à leur faire entendre que la hausse des salaires, imposée par l’action syndicale à un taux que ne comporte pas l’équilibre économique, produit le chômage chronique, et que les frais d’entretien des chômeurs doivent être finalement prélevés par la hausse des prix sur le sursalaire des ouvriers actifs. Il semble qu’elles soient rebelles à saisir que l’exagération démesurée des dépenses publiques amène, non l’accroissement de leur capacité d’achat, mais la cherté de la vie, la rupture des échanges internationaux, le gaspillage des forces produc­ tives, la perte du bénéfice qu’elles tirent de la division spontanée du travail entre les nations. Il est faux de croire que les masses soient internationalistes : les ouvriers, jouissant de salaires supérieurs à ceux des ouvriers de même catégorie des pays étrangers, ont toujours impérativement demandé par la voix de leurs syndicats de les protéger contre la concurrence de la main-d’œuvre à bon marché. Le cosmopolitisme est l’œuvre des élites ; les masses sont farouchement nationalistes, on peut même dire régionalistes, parce qu’elles ne connaissent que leurs intérêts immédiats et les conditions locales du marché, et c’est pourquoi le socialisme qu’elles imposent à leurs gouver­ nants n’a jamais pu se réaliser que dans le cadre d’un natio­ nalisme hypertrophié. Le socialisme en acte est un nationalsocialisme et Staline lui-même fait passer les intérêts stric­ tement russes avant ceux de la Troisième Internationale. Et parce qu’elles sont hypernationalistes, les masses accep-

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tent tout naturellement l’éventualité de la guerre : la pai^ n’a jamais pu être maintenue que par le « concert » d’unç poignée d’hommes d’État. doués, par leur culture, d’uq véritable esprit européen. * * * Le retour au libéralisme ne peut se faire que par un revu rement de l’opinion publique, quand l’individu réalisera enfin que l’étatisme n’est que duperie ; que, loin d’être le bénéficiaire de ses largesses, il n’en est que le prodigue payeur et la complaisante victime. En entretenant un appa­ reil administratif hyperboliquement onéreux, un appareil policier excessivement vexatoire, en subventionnant les entreprises déficitaires aux frais de la collectivité, en fai­ sant fonctionner à perte ses grandes régies et ses fabriques nationalisées, en pratiquant une politique économique allant du protectionnisme au prohibitionnisme, l’étatisme, toujours à court d’argent, dévore l’épargne du pays, con­ duit le peuple à une misère généralisée dans un confor­ misme de plus en plus monotone, sous une contrainte tou­ jours plus lourde, au milieu d’une insécurité grandissante. Alors l’individu rejoindra la leçon de l’histoire, qui nous avertit de ce dont nous devons nous garder, si elle ne peut nous prescrire ce que nous avons à faire en présence de circonstances toujours nouvelles. Quantité de civilisations périclitèrent victimes de la bureaucratisation étatique et du socialisme d’Étal. L’Inde, en dépit de toutes ses pos­ sibilités d’opulence, leur dut de demeurer un pays pauvre voué à une métaphysique de renoncement. L’État impé­ rial, créé par les Jules et les Claudes, fut une machine incom­ parablement supérieure au vieil État républicain des familles patriciennes, mais qui se développa en épuisant le corps social qu’il avait mission de protéger. Déjà, au temps des Antonins, on commence à ne plus pouvoir vivre qu’au service de l’État : toute la vie se bureaucratise. L’ini-

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tiative disparaît, la richesse décroît, les femmes elles-mêmes enfantent peu. Alors, l’État menacé, pour subvenir à ses propres besoins, renforce son appareil, et la bureaucrati­ sation des Antonins fait place au militarisme des Sévères : « Restez unis, payez les soldats et méprisez le reste » sont les dernières paroles de Septime Sévère mourant à ses fils. Peine inutile. Pour sauver sa vie, l’État a perdu ses raisons de vivre. Créé pour le service de la société, il condamne la société à ne plus vivre que pour lui. Comme une énorme prolifération de tissu conjonctif, il en épuise les organes et la sève. Les misères augmentent, les foyers sont stériles, on manque d’argent et de soldats. Pour asseoir l’impôt, on rive le paysan à sa glèbe, l’artisan à sa corporation, le curiale à ses fonctions municipales, l’augustal à son col­ lège. Les fonctions civiques ne sont plus recherchées comme des honneurs, mais désertées comme des charges. I-’Empire d’Occident se meurt d’une administration fiscale abusive, dans le cadre d’une si morne existence que l’appel aux Barbares apparut comme l'unique chance de libération. Le Bas-Empire est un sarcophage dont la pierre tombale fut brisée par le dur piétinement des grandes invasions. L’intervention étatique, l’annihilation de toute sponta­ néité dans le cadre étouffant d’une vie collective planifiée, la vie décolorée par un conformisme abêtissant, voilà le grand danger qui menace de nos jours la civilisation occi­ dentale, après avoir provoqué la mort du monde antique. C’est le danger que proclament les sages de l’Occident, Guglielmo Ferrero, Bertrand Russell, Ortega y Gasset, Aldous Huxley, tous ceux qui ont gardé la tête froide au milieu de la folie universelle. La sentence totalitaire : Tout pour l’État, rien contre l’État, rien hors de l’Étal n’est pas la parole d’aurore qui inaugure des temps meilleurs ; c’est le vieil oracle fatidique proclamant le vieillissement des sociétés qui renoncent à pourvoir à leur propre destin. Les grandes nations rationalistes d’Occident retombent, une

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MYSTIQHKS l i C O N O M I Q I I K S

à une, à la mentalité tribale des peuplades primitives qcq révèrent sans discussion les tabous de leurs rois-sorciers* Le fascisme et le communisme font revivre, par delà pieu sieurs siècles de culture, deux anciennes mystiques quç l’âge des lumières paraissait avoir définitivement abolies ; la statolâtrie, la déification de l’Etat dans la personne sacro-sainte du Chef, qu’avaient connue les dynastie^ orientales et la Rome impériale ; le millénarisme des Voyants d’Israël, prophétisant la disparition de ce monde d’iniquité pour faire place, dans une nature renouvelée, à la judicatu des opprimés, des pauvres et des saints sur les nations assujetties. Ce que nous prenons pour une orgueilleuse conquête du rationalisme scientifique n’est qu’un humble retour aux mirages de la mentalité prélogique, idolâtrique et messianique. Si les démocraties veulent se sauver, il faut qu’entre les deux principes : le principe de la limitation des droits rie l’État par la reconnaissance de ceux de l’individu et le principe de la souveraineté populaire, s'exprimant par le vote de la majorité, elles optent en faveur du premier e t le mettent à la base du droit constitutionnel et du droit public, car le droit de la majorité est à la merci d’une autre majorité qui lui succède et qui peut, par un vote régulier de l’assemblée, se déposséder de son propre pouvoir en faveur d’un dictateur, comme le montre l’avènement de Napoléon III et d’Hitler. 11 faut, en second lieu, qu’elles comprennent qu’on ne peut planifier l’économie sans sus­ pendre la responsabilité gouvernementale, car un plan voté pour trois, quatre ou cinq ans implique que l’opinion publique cesse, pendant le temps de son exécution, de le discuter en dépit qu’il soit de l’essence d’une démocratie de le faire, si bien qu’ufte démocratie ne peut avoir une économie planifiée sans se renier elle-même. Il faut, en troisième lieu, que les démocraties libérales se pénètrent de l’idée que le libéralisme ne consiste pas à entériner passivement le statu quo d’une époque ; mais qu’il doit être

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IN TR O D U C TIO N

progressif et constructif : il implique lout un système de lois sur les contrats, les sociétés anonymes, les ententes, patronales, les syndicats ouvriers, les garanties profession­ nelles, l’héritage et le statut de la propriété, etc., telles que. la formation de monopoles, de holdings, devienne aussi impossible que la tyrannie syndicale imposant, par les occupations d’usine et l’action de masses, un Code du Tra­ vail incompatible avec le maintien de l’autorité et. de la responsabilité patronales ; un temps de travail et des salaires incompatibles avec l’équilibre économique : car, si, du côté ouvrier, le fait d’être mieux payé, pour un moindre temps de travail et un rendement horaire plus faible, aboutit à faire fléchir dangereusement la production ; du côté patro­ nal, les cartels, les droits de douane, les contingentements, en réduisant artificiellement la production et en faisant monter les prix au-dessus du niveau du marché mondial, aboutissent à un malthusianisme économique qui n’appau­ vrit pas moins la collectivité. Il convient que les démocraties se réforment constitu­ tionnellement de façon à ce que ceux auxquels elles confient les responsabilités du pouvoir se considèrent, non comme les représentants des intérêts économiques et des appétits populaires, mais comme les garants de l’intérêt général contre les intérêts particuliers ; non comme les instigateurs des surenchères électorales, mais comme les modérateurs des revendications syndicales ; se donnant pour tâche de faire respecter par tous les règles communes des com­ pétitions individuelles et des ententes collectives- ; empê­ chant que des minorités agissantes ou des majorités illu­ minées ne faussent en leur faveur la loyauté du combat qui doit assurer, pour le bienfait de tous, la sélection des valeurs. Il faut que, renonçant à pourvoir à toute la vie économique, intellectuelle et morale des masses, elles cessent de les exonérer de tous risques, de les délier de toutes obligations. Il faut qu’elles leur inculquent, par la voix de nouveaux instituteurs, le respect des compétences, 3

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LES M Y STIQ U ES É C O N O M IQ U ES

l’honneur de collaborer à une œuvre commune. Il fm.it qu’elles proclament que le gouvernement des masses e st une contradiction dans les termes, comme le serait une école où les écoliers feraient la loi, ce qui est la négation même de l’école. 11 faut qu’elles prennent pour programme. : N i commilnisme, ni fascisme, retour du libéralisme constructif (1), ce qui implique un gouvernement très fort, dans le cadre de ses attributions, pour être capable de résister aux intérêts coalisés et aux revendications des masses à l’intérieur e t pour faire front aux dictatures à l’extérieur. Seulement alors, elles pourront s’évader du dilemme tragique: Commu­ nisme ou Fascisme que voudrait leur imposer, comme une sorte d’hémiplégie intellectuelle et morale, la révolte des masses sous la llùte enchantée des démagogues. (1) Ce que j’appelle libéralisme conslruclif n’est pas identifiable à la théorie manchestérienne du laisser faire, laisser passer, car un tel libéralisme se détruit lui-même en aboutissant, par le seul jeu de la concurrence et de la sélection naturelle, à une économie de monopole correspondant à un régime ploutocratique. Le libéralisme constructif implique un ordre juridique positif tel que la possibilité de la libre concurrence soit toujours sauvegardée, c’est-à-dire un ordre juridique tel que la formation des trusts, des holdings, etc. devienne impossible, aussi bien du reste que serait impossible la tyrannie syndicale imposant des conditions de salaires et d’embauchc contraire Λ l ’équilibre du marché du travail. Il ne pourrait s’imposer qu’en tenant compte de la situation intérieure et extérieure, c’est-à-dire, d’une part, du fait que nous vivons sous un régime mixte de libéralisme, de protectionnisme, de dirigisme et d’étatisme partiel auquel on ne pourrait renoncer, du jour au lendemain, sans provoquer de véritables cataclysmes ; et, d’autre part, du fait que nous sommes entourés d’Élats autarciques, ce qui implique une série de conditions restrictives au régime de la porte ouverte et toute une politique. L’ouvrage de Walter L i p p m a n n , La Cité libre (Éditions de la Librairie de Médicis, 1938) examine ce que devrait être une politique libérale construc­ tive ; l ’ouvrage, dont la grande personnalité économique et politique de l ’auteur se dissimule mal sous l ’anonymat, Rcoision de Valeurs (La Renais­ sance du Livre, Bruxelles, 1937) examine comment, en partant de la situa­ tion actuelle, on pourrait revenir progressivement au libéralisme, qui * doit rester la base des institutions, aussi bien économiques que politiques ». Un ordre juridique positif et une certaine dose d’interventionnisme économique sont, dans la situation actuelle du monde, absolument indispensables « pour sauver ce qu’il faut maintenir de libéralisme dans l ’intérêt de l ’homme ». La lecture de ces deux ouvrages magistraux est le complément indispensable de nos modestes leçons, ainsi que celle du livre classique et inégalé de Ludwig von M ises, Le Socialisme (Éditions de la Librairie de Médicis, 1938).

C h a p it r e P r e m ie r

LA SCIENCE ÉCONOMIQUE ET LE MONDE D ’AVANT-GUERRE

C’est un fait bien connu que tantôt le politique condi­ tionne l’économique, tantôt l’économique détermine le politique ; que, pour parler le langage des mathématiciens, ils sont fonction de l’un et l’autre, l’un ou l’autre jouant, suivant les circonstances, le rôle de variable indépendante. L’annexion du bassin lorrain par l’Empire allemand, en 1871, et son retour à la France, en 1918, montrent com­ ment l’acquisition d’un riche sous-sol peut modifier la structure économique, et par suite, la structure sociale et politique d’un pays ; réciproquement, l’industrialisa­ tion de la Russie, la collectivisation et la motorisation des campagnes soviétiques manifestent comment une révolu­ tion économique considérable peut être imposée artifi­ ciellement à un immense pays agraire par un gouverne­ ment soucieux de transformer la masse paysanne conser­ vatrice en une masse d’ouvriers d’usine ou d’ouvriers agraires animés de la mentalité prolétarienne, seule propice à soutenir le communisme. Nous ne rechercherons donc pas des Mystiques politiques ou des Mystiques économiques, lesquelles ont provoqué les autres. Nous nous bornerons à manifester leur correspondance. A l’État démo-libéral, qui était le régime politique des grandes démocraties occi­ dentales d’avant-guerre, correspond le libéralisme écono-

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I,E S M Y S T IQ U E S

É C O N O M IQ U E S

mique ou un protectionnisme modéré ; aux ploutocraties démagogiques d’après-guerre, l’économie dirigée en régime capitaliste ; aux États fascistes, l’économie corporative ; à l’U.R.S.S., l’économie planifiée en régime collectiviste.

L — Les théories et les doctrines économiques. Par ces termes : libéralisme économique, économie dirigée, économie corporative, économie planifiée, on confond com­ munément trois sortes de choses : des doctrines normatives qui préconisent telle ou telle politique économique en vue de réaliser certaines fins sociales prescrites a priori ; des réalisations pratiques, considérées comme l’application ou l’illustration de ces doctrines ; des théories scientifiques, qui constituent la description et l’explication des phéno­ mènes économiques qui se déroulent sur un marché libre, sur un marché soumis à une compétition restreinte ou à un régime de monopole ; ou dans un monde assujetti à un dirigisme corporatif ou étatique ; ou enfin dans un régime collectiviste soumis à un planisme bureaucratique. Ces trois acceptions des mêmes mots sont radicalement distinctes. On peut faire la théorie d’une économie collectiviste et préconiser le libéralisme, parce que l’on adopte comme fins sociales celles auxquelles est censée conduire la pra­ tique du libéralisme. Dans un cas, il s’agit de jugements de fait, dans un autre, de jugements de valeur. Les théories scientifiques consistent à élaborer des modèles de phénomènes économiques toujours simplifiés, pris à divers degrés d’abstraction et vus sous différents angles de perspective ; ces modèles, en se compliquant par l’introduction de facteurs de plus en plus nombreux correspondant à des conditions de plus en plus restrictives, serrent de plus en plus la réalité complexe des faits et visent à la limite à prévoir les phénomènes économiques qui s’expriment le plus précisément sous forme quanti-

LA SCIENCE ÉCONOMIQUE

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tative de données comptables et de statistiques. En un mot, les théories scientifiques sont une représentation symbo­ lique du réel à différents degrés d’approximation : elles prétendent décrire, expliquer et prévoir, n o n prescrire. Les doctrines économiques reposent sur des jugemen s e valeur qui traduisent des tendances affectives, ( es pr ]U gés de classe, des habitudes d’esprit, des partis pris pas sionnés relevant de la psychologie individuelle e co tive. Elles prescrivent une politique économique en one bon des fins qu’elles ont décrétées a priori, sans se pi 0 per de justifier, en raison et en expérience, la conve de telle politique économique à telles fins, a collectiviste prétend substituer la recheicic a ™ rendement et du bien commun à la poursui e e 0 profit personnel. L’expérience montre que e s , .· qu’elle préconise, l’étatisation des moyens e P , . * le planisme, aboutissent à opprimer les classes W » rieuses au profit d’une minorité privilégiée crates, de militaires et de policiers. La P° i prospérité par le déficit, de la reprise econo ^ ^accroissement de la capacité d’achat des sa . .. diminution du temps de travail aboutit a du revenu global de la nation dont les sa aiuj ηοπύPar pâtir, en dépit de l ’augmentation de ein sa -ces ual, en tant que consommateurs, qu usagers c _ publics et qu’assujettis au fisc. Les doctrines con ^’ qui sont prescriptives, ne sont pas des théories seien ’ qui sont descriptives. Pour éviter toute equivoque, les appellerons des Mystiques économiques. , . Parmi ces mystiques, il en est, toutefois, qui relèven plus ou moins d’une mentalité magique ou une men lité scientifique. Une certaine forme de dirigisme qui croi que l’on peut agir arbitrairement sur les prix* les sa aires* le taux de l’intérêt, sans provoquer des réactions compen­ satrices, relève de la mentalité la plus primitive, u con traire, la doctrine libérale, dans la mesure où elle se confine

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LES MYSTIQUES ÉCONOM IQUES

sur le terrain strictement économique, apparaît comme un art rationnel fondé sur une discipline scientifique, Ce qu’elle cesse d’être si elle extrapole les résultats de la science, en passant indûment du terrain économique sur le plan politique et social. Cela veu t dire que le partisan du libéralisme peut revendiquer l ’autorité de la science économique quand il prétend que la libre concurrence permet seule d’assurer le m axim um de satisfaction aux échangistes sur un marché ; mais, il outrepasse les ensei­ gnements de la science économique quand il en conclut que, pour n’importe quel état actuel de la distribution des richesses, la solution dictée par la doctrine libérale est politiquement et socialement la meilleure, comme elle l’est économiquement, toutes conditions égales d ’ailleurs. La distance plus ou moins grande qui sépare les M ysiiqaes économiques des théories économiques se révèle au degré de confiance qu’elles professent pour la science écono­ mique. Si la doctrine libérale se réfère à l ’économie clas­ sique et aux théoriciens de l’équilibre économique quj continuent l ’œuvre des classiques, par contre les dirigistes et les planistes invoquent, en général, les erreurs de la science économique « orthodoxe » pour soutenir que les lois de l’équilibre économique, statique e t dynamique, sont de simples recettes d’action qui, efficaces dans le passé, ne répondent plus aux exigences de l’heure présente. Or, là où cesse la juridiction de la science, c ’est-à-dire l ’adoption de critères permettant de s ’entendre intersubjectivement, là commence le domaine de la Mystique, c’est-à-dire le règne des croyances qui sont l’objet d’un perpétuel acte de foi. C’est la conviction que les écono­ mistes s’étaient trompés dans leurs prédictions relatives à la guerre et à l’après-guerre, — les uns déclarant que la guerre ne pouvait durer plus de quatre mois, les autres prophétisant une prospérité illim itée grâce aux miracles du crédit, — qui a créé le climat de défiance à l’égard de la science économique, d’où est sorti le pullulem ent des doc-

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trines nouvelles, bouleversant toutes les idées acquises par l’expérience des peuples et démon trées par la science des théoriciens jusqu’à ce jour. C’est ce qui justifie la déno­ mination de Mystiques économiques qui leur est attribuée, par où l’on manifeste tout à la fois le caractère le plus sou­ vent gratuit de leurs affirmations au regard de l’expérience, et le dynamisme de leur action en qualité d’idées-forces. Ayant ainsi précisé la distinction entre les Mystiques économiques et la science économique, nous ne pouvons aborder l’étude des Mystiques économiques sans nous être posé deux questions préalables : en quoi consiste la science économique ? quelle est la nature et la portée de ses lois ? Pour répondre à ces questions, le mieux est d’évoquer les phénomènes économiques d’avant-guerre dont la science économique classique visait à être la théorie et l’explica­ tion, et dans la constatation desquels la doctrine libérale pensait trouver sa justification empirique.

II. — Le monde économique d’avant-guerre. La grande particularité du temps d’avant-guerre, c’est que jamais un professeur de philosophie ne se fût trouvé pour oser traiter de questions économiques ; et, jamais, à supposer qu’il s’en fût trouvé un pour manifester cet excès d’originalité, il ne se fût rencontré un public pour venir l’entendre. Les problèmes économiques restaient alors en dehors des préoccupations des sages et des fols, des justes et des insensés, ou, tout bonnement, des citoyens moyens. L’état de santé économique du monde était tel que per­ sonne, dans le grand public, ne soupçonnait qu’il y eût des problèmes économiques et monétaires. Une provi­ dence bienveillante semblait veiller à ce que, dans le monde entier, s’échangeassent les matières premières, les produits fabriqués, les services producteurs, les capitaux, la force de travail d’une façon telle que les paysans réussissaient

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toujours à vendre leurs récoltes, les industriels leurs mar­ chandises, les ouvriers leur capacité de travail, et cela en sorte que chaque consommateur trouvât toujours au gré de ses préférences, en tout lieu et en tout temps, les marchandises et les services dont il avait besoin et qu’au­ cune fonction nécessaire à la vie publique, si rebutante fût-elle, ne cessât d’étre remplie. Cette harmonie ne régnait pas seulement à l’intérieur des nations, mais entre les nations. En dépit du prodigieux enchevêtrement des échanges commerciaux, des activités individuelles innom­ brables, mues par la seule recherche du profit maximum sans aucun souci de leurs répercussions sur la situation générale, un équilibre spontané entre les dettes et les créances assurait toujours les règlements internationaux. Pour prendre l’exemple des transactions entre l’Angle­ terre et le reste du monde, les achats et les ventes de mar­ chandises, les émissions et les transferts de titres, le revenu des placements à l’étranger, le fret, les dépenses invisibles des touristes, toutes ces opérations commerciales, ban­ caires et monétaires opérées sans se concerter par des millions d’individus conduits par leur seul intérêt per­ sonnel, se compensaient assez exactem ent pour que, sur un montant de plus de vingt milliards de créances et de dettes, le solde annuel se traduisît par l’entrée ou la sortie de quelques centaines de millions d’or tout au plus, et pour que ces entrées et ces sorties elles-mêmes s’équili­ brassent à très peu près dans une période cyclique d’un petit nombre d’années. Certes, on constatait bien de temps à autre des crises locales dues à ce que continuellement les mouvements de la population, les déplacements des capitaux, les variations des goûts, les inventions techniques, les lois sociales, les événements politiques viennent per­ turber l’équilibre économique d’une époque. On constatait bien, de temps à autre, un chômage momentané, une baisse des prix, une vague de dépression provoquant faillites et banqueroutes ; mais jamais on n’avait assisté au chômage

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chronique d’une vingtaine de millions de travailleurs en Europe ; jamais on avait assisté à une restriction systéma­ tique de la production allant jusqu’à dénaturer les récoltes, à arracher les plantations, à massacrer le cheptel ; jamais on n’avait vu encore tous les États du monde suspendre simultanément le paiement de leurs dettes étrangères ou la convertibilité de leur monnaie comme de nos jours. En dépit de fluctuations passagères et locales, l’équilibre économique qui régnait avant-guerre, exigeait que, dans tous les domaines, pour tous les articles et services qui font l’objet d’innombrables transactions entre les hommes dans le temps et l’espace, il y eût adaptation entre l’offre et la demande, compensation entre les dettes et les créances, en sorte que chaque individu trouvât les produits qu’il désirait là où il en avait besoin, que tout capital disponible trouvât à s’invertir, que tout individu ayant une dette à régler à l’étranger pût se procurer les devises indispen­ sables pour s’en acquitter, et. qu’il en fût ainsi pour les individus, les collectivités et les États. Un tel état d’équilibre est tellement improbable, qu’il ne peut être l’effet fortuit d’un concours de chances heureuses. Songeons, dit Rueff (1), à ce que représente, par exemple, le fait qu’un individu ou un État trouve sur le marché les devises dont il a besoin pour ses règlements extérieurs. Afin qu’il en soit ainsi, il faut qu’il y ait sensiblement éga­ lité entre les offres et les demandes de devises. Or, les offres de devises sont le produit des activités étonnamment variées de tous les individus qui ont quelque chose à payer dans un pays ; les demandes sont le résultat de toutes les transactions de ceux qui ont une dette à régler à l’étranger. Toutes ces activités s’exercent sans lien entre elles. Et, cependant, le résultat statistique de ces opérations indi­ viduelles qui s’ignorent, c’est que les demandes peuvent (1) Cf. C. C o l s o n , Cours d'économie politique, Gautliier-Villars t . I ; O rg an ism e économique et désordre social, Klammarion, 1912. — J. R u e f f , Théorie des phénomènes monétairesf Payot, 1927.

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toujours être satisfaites, c’est qu’il y a pratiquement éga­ lité entre le total des olTres et le total des demandes. Qu’une fois par hasard le montant des créances étrangères soit égal à celui des dettes, c’est possible ; mais qu’un tel équilibre, aussi improbable, soit permanent, c’est la preuve qu’il existe quelque mécanisme caché propre à en assurer systématiquement l’existence. C’est à la découverte de ce mécanisme caché et de ses lois que s’efforcèrent les économistes du siècle passé. Ils découvrirent que le mystérieux dispositif qui agence et coordonne les initiatives d’une multitude d’individus sou­ cieux seulement de leur intérêt personnel, n’est autre que le mécanisme des prix, du taux de l’intérêt, de la disparité qui déterminent et règlent l’équilibre économique. III. — La théorie de l’équilibre économique. Conformément à la règle cartésienne qui recommande d’aller du simple au complexe, les économistes construisi­ rent une série de modèles théoriques, de plus en plus com­ pliqués, serrant la réalité de plus en plus près. Ils procé­ dèrent en trois étapes, correspondant à l’antique division scolaire de J.-B. Say et de Stuart Mill qui décompose le procès économique en trois moments : la production, la circulation et la consommation (1). En première approximation, on pose le problème de l’échange, abstraction faite de la production. On suppose donnée une certaine quantité de marchandises possédées par un certain nombre d’individus qui les échangent les unes contre les autres sur un marché, en recherchant à satisfaire pour le mieux leurs goûts et leurs intérêts. Les données du problème de l’échange sont les individus avec (1) Cf. l'excellent exposé de B r e s c a n i - T u r r o n i , Véconomie politique et quelques critiques récentes (ap. Introduction aux sciences économiques et Juri­ diques, Le Caire, 1935), que je suis en grande partie.

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leur désir d’achat et. les quantités totales de marchandises offertes ; les inconnues du problème sont les prix et les quantités de marchandises effectivement échangées à ces prix de façon à résoudre le problème posé : obtenir pour tous le maximum de satisfaction. Walras a donné de ce problème une solution générale, en montrant que tous les prix et toutes les quantités échangées sont déterminés simultanément par toutes les conditions du système éco­ nomique, qui peuvent s’exprimer par un système d’équa­ tions. Il a démontré que ces équations, résultant des condi­ tions d’égalité sur un marché libre entre l’offre et la demande des marchandises, sont en même nombre que celui des inconnues à déterminer, si bien que les valeurs et les quantités de toutes les marchandises échangées sont déterminées par l’état de ce marché. Si l’on suppose, pour plus de simplicité, que le prix de chaque marchandise soit déterminé, indépendamment des prix des autres marchan­ dises, par l’offre et la demande concernant cette marchan­ dise, on vérifie alors que le prix qui s’établit à la suite d’une série de tâtonnements est celui qui permet d’écouler au mieux tout le stock de marchandises, c’est-à-dire celui pour lequel la quantité de marchandise demandée est égale à la quantité de marchandise offerte. C’est le prix d’équi­ libre. En effet, si l’offre est supérieure à la demande, le prix baisse, ce qui provoque une extension de la demande ; si celle-ci est supérieure à l’offre, le prix monte et la demande se rétrécit, jusqu’à ce que l’équilibre se rétablisse. On visua­ lise ce résultat aisément par la méthode graphique. Si l’on prend les prix pour abscisses, les quantités pour ordonnées, et si l’on trace deux courbes dont les ordonnées représentent respectivement les quantités offertes et les quantités demandées pour chaque prix, l’intersection de ces deux courbes correspond au point d’équilibre du marché. L’équilibre déterminé par la condition de l’égalité entre l’offre et la demande sur un marché serait temporaire, s’il

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y avait divergence entre le prix de vente et le prix de revie des marchandises offertes. L’étude de l'cquilibre de la pr^y.. duction est la deuxième étape de la route suivie par 1_ mique on introduit une nouvelle condition, à savoir qu pour chaque marchandise le prix de vente soit égal a t coût de production. Cette condition remplace, tout en lgr, comprenant comme cas particulier, celle de l’égalité ci«., l’offre et de la demande formulée en première approxim a tion. En effet, dans un régime, de libre concurrence, si le prix de vente d’une marchandise est supérieur au c o ii« de production, la fabrication de cette marchandise s e r ^ accrue par l’appât des profits à réaliser, et, la production* augmentant, le prix fléchira ; si le prix est inférieur a i* coût de production, les entrepreneurs seront découragés ^ ne voulant plus travailler à perte, la production se r a r e fiera et le prix remontera. On voit ainsi que le prix rem p lit une fonction sociale plus générale que celle que nous avions; définie tout à l’heure : par ses variations, il indique aux entre^ preneurs dans quelles productions ils doivent investir leu rs capitaux et diriger le travail de la société : il sert à adapter la production aux besoins ou aux goûts des eonsomateurs. Comme ces besoins et ces goûts sont extrêm em ent mobiles, l’élasticité des prix, c’est-à-dire leur capacité de s’adapter rapidement aux changements de la dem ande et de l’offre, est une condition nécessaire du rétablissem ent de l’équilibre, lorsque, par suite d’une variation brusque dans les conditions qui régissent un marche, celui-là est perturbé. Si, par exemple, le prix du blé baisse à cause d’une surproduction, cette baisse obligera les cultivateurs à~réduire la production du blé et à lui substituer d’autres cultures. Mais, si une autorité supérieure intervient pour maintenir le cours du blé à un taux supérieur au prix d’équilibre du marché en achetant la partie excédentaire de la récolte, les cultivateurs ne seront pas stim ulés à

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réduire ou à changer leur production et le déséquilibre s’ac­ centuera. C’est ce que provoqua la politique intervention­ niste de Hoover aux É tats-U nis par la création du Farm board. Dans pareil cas, les prix ayant perdu leur élasticité, s’étant cristallisés comme l’on dit, à l’équilibre fluide entre l’offre et la demande se substitue un équilibre visqueux ou pâteux, qui entretient le déséquilibre au lieu de l’éli­ miner. Pour résoudre, dans cette seconde étape, le problème de l’équilibre économique, il faut déterminer comment s’établit le coût de production d’une marchandise. On considère comme donnés une certaine quantité de capi­ taux mobiliers et immobiliers et un certain nombre d’entre­ preneurs. Les entrepreneurs achètent les services de la terre, des capitaux mobiliers, des ouvriers, des employés, des ingénieurs, et, grâce à cet achat de services, ils fabri­ quent et vendent leurs marchandises. Le coût de produc­ tion est pour l’entrepreneur la somme de tout ce qu’il doit payer en rentes, en intérêts, en salaires, en honoraires pour les services producteurs, augmenté des impôts et de la rémunération de son propre travail d organisation. D ’autre part, ces honoraires, ces salaires, ces rentes, ces intérêts sont les revenus qu’ingénieurs, ouvriers, proprié­ taires fonciers, capitalistes tirent de leurs services. 11 y a donc deux marchés en présence, celui des produits et celui des services ; dans le premier, se forme le prix des services, dans le second se forme le prix des produits. Ces deux marchés sont en intime connexion, car les travailleurs, propriétaires fonciers et capitalistes dépensent sur le mar­ ché des produits l’argent qu’ils ont reçu en vendant leurs services ; et, réciproquement, les entrepreneurs achètent les services producteurs avec l’argent qu’ils ont reçu en vendant leurs produits. Dans un régime de libre concur­ rence, l’équilibre des deux marchés est établi, à la suite d’une série de tâtonnem ents, lorsque la demande effective de chaque service et de chaque produit est égale à son offre

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effective, ce qui arrive, lorsque le prix de vente des pro­ duits est égal à leur prix de revient en services. Dans cet état d’équilibre, on démontre que le prix payé pour la même catégorie de services tend à être partout identique : identique le fermage payé pour les terres, iden­ tique l’intérêt payé pour les capitaux, identique le salaire payé pour une même catégorie de travaux. S’il en était autrement, les propriétaires fonciers, les détenteurs de capitaux, les ouvriers iraient offrir leurs services là où ils auraient chance d’être le mieux rémunérés : les capitaux et la main-d’œuvre ne cesseraient de se déplacer, jusqu’à ce qu’un même niveau soit partout établi, car les hommes tendent à vendre leurs services et à répartir leurs achats de telle façon que l’utilité finale de chaque bien qu’fis créent, possèdent ou consomment, soit sensiblement la même pour eux. Pareillement, dans un tel état d’équilibre, le prix des marchandises étant partout égal à leur coût de production, le bénéfice supplémentaire, appelé profit, que l’entrepreneur réalise, en plus de la rémunération de son travail d’organisation, tend à s’éliminer. S il y a profit dans une industrie, cela attirera de nouveaux entrepre­ neurs dont la concurrence fera baisser le prix jusqu’à ce que le prix de vente de la marchandise soit redescendu au niveau du coût de production. La suppression du profit, l’égalité de rémunération pour chaque unité des différents services, l’égalité du prix de vente et du coût de produc­ tion, sont les conditions qui caractérisent l’état d’équilibre de la production. Dans une troisième et dernière étape de la théorie de la formation des prix, qu’on peut appeler théorie de la capi­ talisation, on laisse tomber l’hypothèse que les quantités des capitaux sont données. Elles sont considérées comme les inconnues du problème de l’équilibre économique à résoudre. En effet, on fabrique continuellement des capi­ taux neufs, grâce à l’épargne. Les individus consomment

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on partie leurs revenus, en partie les investissent en ache­ tant. des valeurs qui représentent des capitaux neufs. Pour qu’il y ait équilibre, la somme des épargnes faites pendant un laps de temps doit être égale au coût total de production des capitaux neufs fabriqués pendant 1e môme laps de temps et le taux de revenu doit être égal pour chaque capital. Ce taux uniforme du revenu net, c’est le taux de l'intérêt. C’est le taux de l’intérêt qui oblige la demande des capitaux à se proportionner à l ’offre. Lorsque, par 1 effet d’une guerre, d’une crise ou de n’importe quel autre événem ent, l’offre des capitaux se raréfie, le taux de l’inté­ rêt monte, ce qui provoque la diminution de la demande. Un choix s’établit entre les investissements possibles, car les entrepreneurs renoncent spontanément à ceux qui don­ neraient un bénéfice inférieur à l’intérêt qu’ils doivent payer et se lim itent aux investissements les plus immédia­ tem ent productifs ; les investissements productifs à longue échéance sont provisoirement délaissés. Lorsque l’argent abonde, le taux de l’intérêt diminue, et l’on peut plus lar­ gement songer à l’avenir : c’est, l’heure des grands travaux d’utilité publique. Le taux de l’intérêt sur un marché libre a donc pour fonction d’orienter les investissements des capitaux, et le taux de l’intérêt dépend lui-même de toutes les conditions qui déterminent le système économique. Dans ce qui piécède, on considère l’équilibre économique qui s ’établit à l’intérieur d’un marché, local ou national, considéré comme un système économique clos. On peut rechercher les conditions de l’équilibre économique entre des marchés étrangers. On démontre que les échanges inter­ nationaux sont orientés et réglés par la disparité entre les prix intérieurs d’un pays et les prix extérieurs pour la même catégorie de marchandises. Cette disparité est égale, pour une même marchandise, à la différence entre son prix intérieur et le produit de son prix étranger, exprimé en monnaie étrangère, par le prix de l’unité monétaire étran-

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gère exprimée en monnaie nationale, auquel on additionne les frais de transport, les courtages et commissions diverses et les droits de douane. C’est la dispari Lé qui règle les échanges internationaux. L’équilibre est atteint lorsque la disparité entre les prix intérieurs et les prix extérieurs tend vers zéro. En résumé, les prix des produits et des services, le taux de l’intérêt, la disparité sont les régulateurs automatiquea qui disciplinent l’activité économique. Si la demande varie, par suite de la modification des besoins et des goûts, les prix varient dans le même sens et indiquent à la pro­ duction sur quelle voie elle doit s’orienter, cependant que l’action du taux de l’intérêt tend à adapter la somme totale des investissements à la somme totale des épargnes et que la disparité assure, entre les États étrangers, la balance des comptes. Tel est le merveilleux mécanisme des prix, du taux de l’intérêt et de la disparité qui assurait, avant la guerre de 1914, la santé et l’euphorie du monde économique. Et, ce qu’il y avait de plus merveilleux, c’est que cette santé et cette euphorie étaient obtenues, non en supprimant les libertés individuelles, mais en les favorisant au plus haut degré. En effet, les modèles théoriques que les économistes avaient construits reposent sur une condition sine qua non : c’est que chaque producteur, chaque consommateur, cha­ que capitaliste, chaque travailleur ne se préoccupe que d’agir au mieux de son intérêt particulier, suivant ses préférence;· et ses besoins personnels, sans se soucier des répercussions de ses actes sur l’ensemble ; c’est que chacun soit libre de choisir la profession de son goût, d’investir ses capitaux à son gré, d’acheter quoi bon lui semble. Tel est le postulat à la base des raisonnements des économistes classiques, qui a valu à la science économique classique le nom d’éco­ nomie libérale. Ce postulat peut s’énoncer ainsi : pour que l’équilibre économique, réalisant le maximum de satisfac-

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tion pour chaque producteur et chaque consommateur, soit atteint, il faut et il suffît que chacun agisse pour son propre compte, au mieux de son intérêt. IV. — Comment de l’anarchie des actions individuelles sort l’ordre collectif des résultantes sociales par compensations statistiques. Ce postulat contredit, l’affîrmation si souvent répétée : de l’anarchie des actions individuelles non concertées ne saurait naître que le désordre collectif. L’économie libérale doit être condamnée parce qu’elle ne peut engendrer que désordre, crise et gaspillage. Ce raisonnement se heurte à l’harmonie qu’offrait le spectacle du monde économique d’avant-guerre : il n’est pas confirmé par les faits. Mais il convient de voir en quoi gît sa fausseté théorique. Il repose sur l’ignorance des théorèmes les mieux démontrés de la statistique et du calcul des probabilités. Ces disciplines nous apprennent comment du désordre des actions indi­ viduelles à une échelle donnée résulte l’ordre de leurs résultantes à l’échelle supérieure, par compensations sta­ tistiques. Pour le comprendre, le mieux est de se reporter à la théorie cinétique des gaz. L’équilibre des gaz est régi par un certain nombre de lois, telles que la loi de l’équipartilion de la pression de Pascal et celle de l’équilibre thermique. Ces lois énoncent que la pression qu’une masse de gaz exerce sur les parois de l’enceinte qui le contient est également répartie sur toutes les sections des parois de l’enceinte, et qu’à l’inté­ rieur de l’enceinte règne une température uniforme dans chaque unité de volume occupée par le gaz. Or, un gaz est formé par l’essaim d’un nombre prodigieux de molécules en état d’agitation désorganisée, si bien qu’une masse de gaz dans le temps peut sc représenter par un enchevêtre­ ment inextricable de trajectoires moléculaires qui se croi­ sent, rebondissent, s’entrecoupent au hasard. La pression 4

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est la résultante statistique des chocs individuels exercés sur les parois de l’enceinte par les molécules vagabondes, et cette pression est également répartie, parce que les molécules se déplaçant au hasard, sans subir d’entraîne­ ment d’ensemble ni à gauche, ni à droite, ni en haut, ni en bas, il n’y a pas de raison suffisante pour qu’un plus grand nombre de chocs se produise sur la paroi droite que sur la paroi gauche, à les supposer rigoureusement symé­ triques. C’est ce que confirme le calcul des probabilités, en montrant que les configurations les plus hautement probables réalisées par des molécules en état d’agitation désorganisée sont celles qui comportent un nombre sen­ siblement égal de chocs sur chaque unité de surface. Pareil­ lement, la température d’une masse de gaz est la traduc­ tion sensible de la vitesse moyenne des molécules du gaz et le calcul des probabilités montre que des molécules qui se heurtent continuellement au hasard échangent leur quantité de mouvement de façon à réaliser, par unité de volume, une vitesse moyenne uniforme. Au contraire, si un petit démon de la taille des molécules, le démon de Maxwell, s’avisait de tendre un filet au milieu du récipient, de façon à trier les molécules, ne laissant filtrer à droite que les molécules animées des plus grandes vitesses, il déterminerait une rupture de l’équilibre thermique et de l’équipartition de la pression : le gaz se refroidira sponta­ nément dans la partie gauche du récipient où la pression baissera et la température s’élèvera dans la partie droite où la pression augmentera. On voit ainsi comment le désordre des mouvements individuels des molécules à l’échelle microscopique engendre l’équilibre de la pression et de la température à l’échelle macroscopique, celle des observations humaines ; et, réciproquement, comment une orientation ou un triage, c’est-à-dire un ordre systéma­ tiquement imposé aux molécules à l’échelle microscopique engendre des ruptures d’équilibre et une différenciation à l’échelle macroscopique.

LA SCIENCE ÉCONOMIQUE

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Le mécanisme qui permet de tirer l’ordre collectif en partant du désordre des actions individuelles n’est autre phose que ce que l’on nomme la loi des grands nombres, ^i nous analysons les phénomènes présentés par une masse ^e gaz, nous constatons, en effet, ceci : des molécules gazeuses constituent un système désorganisé, c’est-à-dire qu’aucune loi ne vient présider au groupement des actions individuelles en vue d’un résultat d’ensemble. Mais, comme pes actions sont très nombreuses et se passent au hasard, ^lles se compensent statistiquement, et le résultat de cette compensation statistique est une équipartition, un résultat ^’ensemble régulier. Si on appelle individuel ou microsco­ pique le phénomène élémentaire, collectif ou macrosco­ pique le phénomène d’ensemble, ces deux phénomènes pe passant à deux échelles différentes, on pourra dire : du ^rand nombre d’actions individuelles, à l’échelle microsco­ pique, résulte l’ordre collectif de leurs actions compensées i> l’échelle macroscopique. Ce résultat, et cela est capital, est le même que nous admettions que chaque molécule soit douée de libre arbi­ tre, ou que son cours soit soumis à un déterminisme rigou­ reux, mais à condition que l’évolution spatio-temporelle de chaque molécule ne dépende pas de celle de ses voisines, c’est-à-dire à condition que chaque molécule appartienne à une série causale indépendante, car c’est dans ce cas seulement que le mouvement des molécules est incohérent . Cette remarque permet de transférer les raisonnements statistiques des molécules gazeuses aux molécules humaines. Remplaçons les molécules gazeuses par les molécules humaines. Si celles-ci ne s’inspirent que de leurs goûts et de leurs intérêts personnels, sans action concertée, leurs trajectoires se mêleront et s’enchevêtreront dans le désordre le plus complet. Mais c’est précisément de ce désordre, à l’échelle individuelle, né de l’individualisme des mobiles humains, que résultera, par compensations statistiques à l’échelle sociale, l’équilibre économique par l’effet de la loi

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LES MYSTIQUES ECONOMIQUES

des grands nombres. La loi des grands nombres vient pondérer l’action anarchique de toutes les molécules humaines, de façon que soient spontanément respectées les conditions qui assurent l ’égalité de l’offre et de la demande dans les échanges par le mécanisme régulateur des prix ; l’égalité des investissements aux épargnes dans la production par le mécanisme régulateur du taux de l’intérêt ; l ’égalité des dettes aux créances internationales, c’est-à-dire la balance des comptes, dans les règlements internationaux, par le mécanisme régulateur de la dispa­ rité. Tel est le mécanisme qui conciliait, dans l’économie d’avant-guerre, l’euphorie, la santé économique du monde avec le maximum de liberté individuelle chez les consom­ mateurs soucieux seulement de satisfaire leurs besoins et leurs goûts ; chez les entrepreneurs soucieux seulement de rechercher le maximum de profit ; chez les travailleurs soucieux seulement d’utiliser leur force de travail suivant leurs aptitudes au plus offrant. Telle était la leçon de la science économique qui justifiait son appellation d’éco­ nomie libérale : « plus vous cédez à vos préférences per­ sonnelles, plus vous assurez l’ordre collectif ; plus, au contraire, vous subissez la contrainte d’une autorité supé­ rieure qui prétend orienter vos goûts, diriger vos intérêts, commander vos achats, plus vous contribuerez à réaliser un état de déséquilibre permanent ». Telle était, enfin, la vertu de cette liberté individuelle, dont il est de mode aujourd’hui de médire, qu’elle organisait spontanément la production, les échanges, les règlements internationaux, avec une sûreté et une sécurité telles que personne ne son­ geait à s’en étonner, en vertu de cette tranquille insou­ ciance que procurent les miracles par trop quotidiens.

C h a p itr e

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LA CRISE DE LA SCIENCE ÉCONOMIQUE ET L’ÉCONOMIE LIBÉRALE

Nous avons vu, dans le précédent chapitre, comment les * économistes classiques, particulièrement Cournot, Walras, pareto, ont établi les lois qui régissent l’équilibre écono­ mique dans un régime de libre concurrence, sur un marché où chaque producteur, où chaque consommateur, où cha­ que travailleur ne se soucie que de ses goûts propres et de ses intérêts particuliers. C’est ainsi qu’en matière d’échanges pareto établit ce théorème : « Sous un régime de libre concurrence, le prix d’équilibre s’établit suivant la loi de l’offre et de la demande, de manière à procurer à chaque échangiste le maximum de satisfaction actuelle ». I. — La portée des lois et des théories économiques. Quelle est la valeur de ces lois ? Les partisans des Mys­ tiques économiques antilibérales dont nous aurons à nous occuper professent que les lois des économistes sont fausses, qu’à tout le moins elles n’ont rien de nécessaire. Certains théoriciens de l ’économie classique prétendent, au con­ traire, qu’elles sont inéluctables. Les uns et les autres se trompent également, par suite d’une fausse conception de la nature d’une loi scientifique en général, et d’une loi économique, en particulier.

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L E S M Y S T IQ U E S É C O N O M IQ U E S

Dire que les lois de l’équilibre économique, telles que les ont formulées Walras et Pareto, sont justes, cela veut dire tout simplement qu’elles conduisent à des prédictions exactes quand les conditions par elles envisagées sont réa­ lisées. En effet, elles ne font qu’aiïirmcr les conséquences logiques qui résultent de certaines hypothèses. Elles nous disent que, si telles hypothèses sont vérifiées dans tel cas particulier, nous devrons nous attendre à voir se produire telles conséquences dans ce cas particulier : et c’est en quoi elles sont vraies ; mais elles ne nous disent pas que les con­ ditions par elles envisagées sont toujours, sont inévitable­ ment réalisées : et c’est en quoi, à la différence de ce que sont pour nous la plupart des lois de la nature, elles ne sont pas inéluctables. Considérons les lois des mouvements planétaires. Ces lois sont pour nous inéluctables, parce que nous ne dispo­ sons d’aucun moyen pour imposer aux planètes un cours forcé qui les écarterait de leurs trajectoires newtoniennes : ce sont des phénomènes qui se passent, par rapport à nous, à une échelle trop élevée pour que nous ayons prise sur eux. Considérons les lois cinétiques des gaz. Elles sont encore inéluctables pour nous, parce qu’elles résultent d’actions moléculaires qui se passent à une échelle trop petite pour nous pour que nous puissions arbitrairement les modifier. Mais les orbites qu’impose aux planètes la loi de la gravitation ne seraient pas inéluctables pour une énorme comète qui, en passant au voisinage de l’une d’elles, se donnerait le malin plaisir de la perturber. Les lois de l’équilibre des gaz ne seraient pas inéluctables pour le démon de Maxwell qui, étant de la taille des molécules, peut les trier à sa guise, en ne laissant passer à travers une porte dont il aurait l’octroi que celles animées des plus grandes vitesses, si bien qu’une différence de température et de pression se produirait spontaném ent au sein d’une masse de gaz contrairement aux lois de l’équilibre ther­ mique et de l ’équipartition de la pression. Au contraire,

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les lois qui régissent l’équilibre économique résultant de l’action des molécules humaines, ne sont pas pour nous inéluctables, parce que, étant à l’échelle de ces molécules, nous pouvons jouer à leur endroit le même rôle que le démon de Maxwell à l’égard des molécules gazeuses. Nous pouvons modifier arbitrairement la trajectoire des molé­ cules humaines. Nous pouvons les forcer à acheter le pro­ duit national ou le produit standard, à souscrire à l’emprunt de détresse, à boycotter les produits étrangers, à apporter leur or et leurs devises étrangères aux caisses de défense nationale ; nous pouvons empêcher la main-d’œuvre de travailler à un salaire inférieur au tarif syndical, nous pouvons la contraindre à faire la grève sur le tas, nous pouvons déclencher un lock-out ; nous pouvons imposer des prix minima ou maxima ; nous pouvons contrôler les changes, établir des contingents, dévaluer la monnaie, assainir un marché, voter des subventions et des soutiens à des industries déficitaires ou à des cultures marginales, renflouer des banques en déconfiture. Le démon de Max­ well s’appelle alors, suivant les cas, le syndicat, la C. G. T., le trust, la corporation, l’État, le dictateur. Les lois éco­ nomiques classiques, vérifiées tant que règne le chaos indi­ vidualiste, c’est-à-dire tant qu’acheteurs et vendeurs agissent indépendamment les uns des autres, cessent de régir le déroulement des phénomènes dès que les individus, spontanément ou par contrainte, concertent leurs actions et leur imposent une direction unique. En cas de coalition, les prix de monopole s’écarteront des prix d’équilibre que le libre jeu de l’offre et de la demande eût spontanément imposés. En cas de grève, la théorie de la production qui suppose que l’offre ou la demande de travail varie en fonc­ tion du salaire ne rendra plus compte du phénomène. Si un État en guerre se procure ses moyens de paiement à l’étranger par l’ouverture de crédits librement consentis, les lois qui régissent les phénomènes du change n’auront plus à s’appliquer.

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LES M Y ST IQ U E S ÉCO NO M IQ UES

Concluons : le domaine de validité des lois économiques est défini par une série de conditions qu’il faut minutieu­ sement énumérer ; plus les conditions réelles se rapprochent de ces conditions théoriques, plus les lois rendent compte des phénomènes observés. Mais nous sommes toujours libres de perturber ces conditions, parce que les phéno­ mènes économiques se passent à notre échelle, à une échelle sur laquelle peut s’exercer notre action. Cette, facilité est une grande tentation pour les gouvernements, pour les hommes d’État en mal de démagogie, pour les congréga­ tions économiques en mal de protectionnisme, pour les doctrinaires de l’économie dirigée, pour les technocrates des plans. Ils sont tout naturellement tentés de perturber, sous la pression des intérêts privés coalisés, sous l’action syndicale des masses laborieuses, dans la poursuite de certaines fins extra-économiques, sous le hantisme de Mystiques messianistes, le libre cours des phénomènes économiques, à l’aide d’interventions politiques sous le couvert d’action sociale. Les lois de l’économie politique classique expriment comment s’établit l’équilibre économique sous un régime de libre concurrence. Cela ne veut pas dire que la science économique doive se restreindre à l’étude de ce cas limite. Dans la réalité, il y a des marchés de prix concurrentiels et de prix mondiaux ; mais il y a pareillement des marchés de prix limites, des marchés de prix de monopole et de prix nationaux. Il y a des marchés mixtes qui résultent de la coexistence d’un secteur libre et d’un secteur étatisé ; il y a des prix transactionnels entre deux syndicats, ouvrier et patronal, imposés par une commission paritaire ou par un arbitre qui fixe un type de contrat : les uns ne sont pas moins réels que les autres. Il y a des déplacements naturels de l’équilibre qui se font spontanément suivant les varia­ tions de l’offre et de la demande ; il y a des ruptures brus­ ques d’équilibre provoquées par des phénomènes démo-

LA C R ISE D E LA SC IE N C E ECO NO M IQ UE

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graphiques, des événements politiques, des coalitions éco­ nomiques, des revendications syndicales, des arbitrages obligatoires, des contraintes étatiques. 11 y a des économies familiale, artisanale, capitaliste, nationalisée, collectiviste, mixte qui se succèdent dans le temps ou se juxtaposent dans l’espace ; les unes ne méritent pas moins étude que les autres. La science économique d’avant-guerre a reçu le nom d’économie libérale, simplement parce qu’elle étu­ diait les lois de l’équilibre, statique et dynamique, d’un marché régi hypothétiquement par la seule loi de l’offre et de la demande s’exerçant entre des sujets économiques absolument indépendants les uns des autres et de l’État, préoccupés exclusivement de s’assurer le maximum de profit personnel, et disposant, au surplus, de capitaux d’une liquidité absolue. Comme les conditions alors réa­ lisées sur le marché mondial se rapprochaient de ce modèle théorique, on disait que l’économie du monde était appro­ ximativement libérale. Mais cela n’avait pas empêché Cournot d’étudier comment se formeraient les prix dans un régime de monopole et Pareto comment s’établirait l’équilibre économique dans une société collectiviste ; tout comme de nos jours, miss Robinson et Jannacone se sont préoccupés d’étudier la formation des prix dans un régime de compétition incomplète ; tout comme on peut encore les étudier dans des régimes où coexistent un secteur éta­ tisé avec des prix comptables fixés par décision étatique conformément à un plan et un secteur privé où les prix réels se forment librement sur le marché suivant l’offre et la demande. Ces cas théoriques, plus complexes, se rappro­ chent davantage du régime d’économie mixte qui tend à être celui de notre époque et de l’avenir. C’est par un étrange abus de langage que, de nos jours, on parle encore d’économie libérale et de régime capitaliste pour désigner un régime économique où les charges fiscales ou sociales sont quatre ou cinq fois supérieures aux dividendes dis­ tribués aux actionnaires, où le taux des salaires est imposé

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LES MYSTIQUES ÉCONOMIQUES

par contrats collectifs ou arbitrage de l’Etat, où la liberté de l’embauchage et du licenciem ent est contestée aux patrons. La science économique procède en définitive, comme toutes les autres sciences, du simple au complexe. Elle commence par faire la théorie des cas limites, qui sont des cas privilégiés parce qu’extrêmement simples ; puis, com­ pliquant ses hypothèses, elle étudie des cas de plus en plus complexes, se rapprochant davantage de la réalité. Mais, toujours, elle ramène, à l’aide de l ’analyse, les phénomènes complexes de la réalité à un faisceau de cas théoriquement simples, à partir desquels elle cherche à les reconstituer par synthèse. L’économiste viennois von Wieser, dans son ouvrage classique Natürlicher Werth, étudie les phénomènes économiques en passant par quatre approximations succes­ sives : économie isolée, économie de l ’échange, économie nationale, économie internationale. Dans leur Économie rationnelle, où ils ont tenté une axiomatisation de la science économique conduisant à des applications numériques, G. et Ed. Guillaume étudient comment se déterminent les prix, les taux d’intérêt et de rendement, les bénéfices, les migrations de capitaux et de personnes, etc., tenu compte de l’interdépendance générale des phénomènes économiques, en partant du modèle théorique le plus élémentaire pour parvenir à des modèles de plus en plus compliqués : modèles à un seul individu, à deux individus identiques, à deux individus appartenant chacun à un monde écono­ mique différent, à un monde économique en interférence avec un monde politique imposant des contraintes juri­ diques arbitraires, à des mondes en interférence écono­ mique. On passe d’un modèle à un autre, en introduisant des conditions d’équilibre de plus en plus restrictives. C’est ainsi qu’en Mécanique rationnelle on passe de la mécanique du point matériel à la mécanique des systèmes liés, en posant des conditions restrictives, correspondant à la perte

LA CRISE D E LA SCIENCE ÉCONOMIQUE

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des degrés de liberté des points matériels assujettis à des liaisons rigides. A côté des corps physiques auxquels s’applique la mécanique des points matériels, comme les planètes, il existe des corps soumis à des liaisons rigides, comme les machines. Arguer de ce qu’il existe des machines à la fausseté de la mécanique céleste, serait aussi absurde que d’arguer de qu’il ce existe des monopoles ou des actions concertées à la fausseté de l ’économie libérale, qui est la théorie de la formation des prix dans un régime purement concurrentiel. On peut encore s’exprimer ainsi : si nous appelons état de santé économique un régime de libre concurrence, on pourra appeler état pathologique un régime de liberté incomplète ou de monopole ; mais l ’existence des bien portants n’infirme pas le fait qu’il y ait des malades, l’existence de la physiologie n’exclut pas l’étude de la pathologie.

II. — Fausseté des accusations portées contre la science économique. Si l’on a compris cela, on jugera de la fausseté des accu­ sations portées contre l’économie libérale, surtout en Alle­ magne, par List, le fondateur du nationalisme économique, par Karl Marx, le fondateur du socialisme dit scientifique, par Adolphe Wagner, le plus éminent représentant du socialisme d’État, par Schmollcr, le grand théoricien de la conception historique de l’économie politique. Lorsque Adolphe Wagner déclare que le libéralisme économique, soit en tant que doctrine, soit en tant que système de politique économique, est en pleine déroute ; quand Schnel­ ler écrit à sa suite : « La banqueroute de l’économie poli­ tique classique ainsi que de l ’école socialiste fut consommée de 1870 à 1890 », ils prouvent l ’un et l’autre leur fausse conception de l’Économie politique, car pareilles affirma-

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LES MYSTIQUES ÉCONOMIQUES

tions reviendraient à dire : l’augmentation des maladies prouve la fausseté de la physiologie. A justement parler, les expressions : économie libérale, économie marxiste, économie corporative sont à proscrire. Elles désignent des doctrines plus sociales qu’économiques ; des attitudes sentimentales, des partis-pris normatifs, tout un faisceau d’idées-forces qui en font proprcme.nl; des mys­ tiques, et n’ont rien à voir avec les modèles théoriques de la science économique qui ont pour unique but de rendre compte, par une série d’approximations successives, des phénomènes complexes du monde économique réel. Il n’y a en réalité qu’une science économique, qui n’est ni libérale, ni dirigiste, ni corporatiste, ni marxiste, ni historiciste, mais qui cherche à élaborer la théorie des marchés, des marchés soumis à un dirigisme corporatif ou étatique, etc., tout comme il n’y a qu’une seule science physique qui éla­ bore la théorie des phénomènes optiques, la théorie des phénomènes électriques, etc., et tâche de les envisager comme les cas d’espèce d’une théorie plus générale encore, la théorie électromagnétique de la lumière. Parler de la crise de l’économie politique n’a donc aucun sens, à moins que, restreignant l’économie politique à n’être que la science des phénomènes économiques en régime de libre concurrence, on veuille, signifier par là que la libre concurrence est en train de disparaître dans le monde économique. Mais, même quand il ne demeurerait plus un seul marché concurrentiel, les lois de l’économie politique prise dans ce sens restreint n'en resteraient pas moins vraies, car elles se bornent à démontrer que certaines conséquences résultent nécessairement du libre jeu de l’offre et de la demande, même si ce libre jeu n’est respecté nulle part. Dira-t-on que, dans ce cas, tout en demeurant vraie en soi, il serait inutile d’étudier l’économie classique, parce qu’elle ne trouverait jamais à s’appliquer ? Cela est inexact

LA. CR ISE D E LA SC IE N C E

ÉCO NO M IQ UE

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en droit et en fait, pour une raison méthodologique et pour une raison pratique. Même dans un monde où ne subsisterait aucun marché libre, l’étude de l’économie politique des classiques, en y englobant les théoriciens de l’équilibre mathématique, ne serait pas superfétatoire. Elle constituera toujours un sys­ tème de référence inévitable. C’est, que seule elle permet de donner une signification économique précise à ces expressions : prix d'équilibre, équilibre naturel, rétablisse­ ment spontané de iéquilibre. Ce sont les prix, les taux d’équi­ libre, les réactions compensatrices de l’équilibre perturbé qui s’établissent ou se déclenchent sur uu marché concur­ rentiel, c’est-à-dire sur un marché où les individus ne se préoccupent, sans se concerter, que de s’assurer un maxi­ mum de satisfaction. On peut appeler un tel marché, un marché doué de liberté économique complète. C’est le cas théorique le plus simple, puisque, sur un tel marché, les capitaux, les hommes et les marchandises peuvent se déplacer sans entraves. C’est pourquoi la théorie de l’équi­ libre sur un marché concurrentiel, qui est précisément l’objet de l’économie classique, est le prolégomène métho­ dologique indispensable à l’étude des marchés contraints où les mouvements des capitaux, des hommes et des mar­ chandises se heurtent à des obstacles variés. En second lieu, on s’égare quand on croit que les équations de Walras et de Pareto ne s'appliquent qu’à l’équilibre statique d’un marché où les quantités de marchandises et la capacité d’achat des consommateurs sont des grandeurs fixes, sous « le régime hypothétique de la libre concurrence absolue ». Ces équations ne s’appliquent pas seulement à l’équilibre statique mais à l'équilibre mobile, même si elles traitent un système dynamique comme une série d’états statiques successifs : c’est ainsi qu’elles montrent que le capital et le travail sont toujours en mouvement jusqu’à ce que le profit ait atteint le même niveau, et que les mouvements se font de façon à réaliser l’état d’équilibre

62 I-E s

M Y S T IQ U E S

é c o n o m iq u e s

d a n s to u s leu rs e n m î ^ C? PÎ 1 Gt le tra V a il en s o n t f fivés E lle s ne d o n n e n t n n * ^ m ßm ß Pr o d u c tiv it^ ]^ it e . n a tio n des n riv î s c u lem enL le s lo is de la détermi. c e lle s de l a d a " S Un é(IuiJibre s ta b le , m ais aUssi d em a n d e, l ’offre i T t ™ £ CS. p r ix ’ Iorsqu e v a ” ent la a ller p lus i 0i n τ ^ 1 c o e iï,c ie n ts d e p ro d u ctio n . On peut dano c 4.1 , ’ E é c o n o m iste a m é r ic a in M oore (1) a πιο^-λ au rei r n î i η6 m o b ile , q u ’on p e u t é c h , * ™ de i*A^ -η ,6 ^ lrré a lité a d ressé a u x th é o r ie s m atliém atiq^ g _ ? U11 re S^néral, en d é d u is a n t l ’éq u ilib re économ iqUe h v n ^ US aU I?1° y en de fo n c tio n s « ir réelles » e t à p artir d’nne . ese « irréa lisa b le », c e lle d e la con cu rren ce absoiUe la îf 6n ^ren a n ^ *es m o u v e m e n ts d es fo n c tio n s réelles cneu^1-1311^ ’. deS fo n c ti° n s rée lle s d e la p roduction, ^eS d e 1 1C1^n ^.S réels d e la p r o d u c tio n , tir é s d es d on nées inêïqes co ^ ^ aÜStiqUe co u ra n ^ · Ces fo n c tio n s s ’a p p liq u en t ^ ce om p e x e m o b ile que n o u s p o u v o n s o b serv er chaque j0UJ. reprises con cu rren tes, d e m o n o p o le s p a rtiels, de mono­ id0 es o ta u x . D u m o m e n t q u e, d a n s la v ie économ ique eu s es jou rs, un éq u ilib re m o b ile e s t e ffe c tiv e m e n t attejnt, en co n fo rm ité a v ec ces fo n c tio n s r ée lle s, il e s t logique de rec ercher sou s q u elle s c o n d itio n s ces fo n ctio n s réelles co n d u isen t à l ’éq u ilib re m o b ile q u e tr a d u is e n t les statisîq u es. On d éco u v re alors q u e ces c o n d itio n s se résuiuent ans la recherch e de l ’u tilité m a x im u m p a r ch a q u e meiuj)rC e la co m m u n a u té éco n o m iq u e, ce q u i e s t le principe fon. d a m en ta l de la con cu rrence. A in si, d a n s un régim e de com­ p é titio n in c o m p lè te ou m êm e d e m o n o p o le , le mécanisme des p rix o b é it en core a u x p rin cip es d e l ’éco n o m ie libérale, a la lo i de con cu rrence e t a u x lo is d es m ig ra tio n s des capi­ ta u x , de la m a in -d ’œ u v r e, e tc ., q u i s o n t le s réaction s com­ p en sa tr ices du d ép la ce m e n t d e l ’éq u ilib re. L es conditions g én éra les d ’éq u ilib re des m a rch és à c o m p é titio n incom­ p lè te s o n t les m êm es que celles d es m a rch és à concurrence ( 1 ) M o o r e , Synthetic Economies, N e w - Y o r k , 1 9 2 9 . — C f. F . P erhoox, La. pensée économique de Joseph Schumpeter, L ib r a ir ie D a l l o z , 1Ô35, p p . 77 g1Χ' p eu t soustraire com p lètem en t une économ ie nat , et, de cc fait, finalem ent la consom m aP u *s L’Etat, prim itivem ent démocratique et libre-échantiOW se sera m ué en un É ta t totalitaire et autarcique. g î S t e 'tre le droit de douane et le contingentem ent, il ex iste » très différences q u ’a particulièrem ent bien soulignées < i*aUfî Avec les droits de douane, le prix intérieur d ’un ï * u eluit ne peut sensiblem ent dépasser son prix extérieur p r ° o r é du droit de douane, car, dans le cas contraire, 111Iflu x du produit étranger viendrait lim iter la hausse du 1 - intérieur. Il en v a to u t autrem ent avec le contingenρ Π * s -ii réduit l ’im portation à un niveau sensiblem ent t e I ArieuV à celui q u ’eû t laissé subsister le droit de douane satisfaire à la dem ande intérieure, il permettra au p ° ' Ll intérieur de m onter au-dessus du prix extérieur m ajoré P fi3 droit de douane. Il donnera à l’importateur du produit tingenté l ’exorb itan t privilège de recueillir, sans autre c O Î i r t ΦΙβ celui ^’obtenir une licence d’importation, ie e A e * u ê ratuit que représente la différence entre le prjx C &Prieur et le prix extérieur majoré du droit de douane r e n c a i s s e r a , lui ou l’office qui délivre les licences d’impor\ \ e. oT1> le profit qui aurait majoré les recettes du Trésor lie ’ si ,e m êm e niveau de protection avait été obtenu p l t une élévation des droits de douane sans contingenteH va sans dire q u ’un tel privilège sera trop recherché ne pas faire l ’ob jet de tractations clandestines, de glissions entre les bénéficiaires des licences et l’o r g e C** pie qui les délivre. En un mot, la pratique des contin détruira le m écanism e financier des échanges inter i ^ t i ° naux’ forcera les pays à se replier sur eux-mêmes~ ra ^CS Privilèges au détrim ent du Trésor public ^endrera une inévitable corruption.

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L E S M Y S T IQ U E S É C O N O M IQ U E S

VI. — La réglementation du marché du travail Une dernière m anifestation de l'É conom ie dirigée a été ]a réglementation du marché du travail parles assurances-chô. mage, par les contrats collectifs e t l ’arbitrage obligatoire A vant la guerre, les syndicats ouvriers étaient tetms d’assurer eux-mêmes l’entretien de leurs sans-travaii Lorsque le chômage excédait un certain niveau, ils éprou. vaient la nécessité de reviser leur politique des salaires Après la guerre, l’assurance-cliômage les a débarrassés de cette responsabilité. L’assurance-chôm age, les contrats collectifs et l’arbitrage obligatoire furent des instruments d’immobilisation des salaires. En rendant fixes et incom­ pressibles les salaires, à un niveau que ne comporte point l’équilibre de marché du travail, les syndicats ouvriers ont abouti à créer un chômage m assif e t chronique. Ce chô­ mage entraîne, au point de vu e économ ique, une diminu­ tion de la quantité moyenne du travail utile de la nation un amoindrissement de sa capacité de travail par la perte de l’habileté technique des chôm eurs, un accroissement du coût de la vie que supportent les autres membres de la collectivité, ouvriers y compris, e t la charge des frais d’entretien des chômeurs prélevés en partie sur la produc­ tivité des ouvriers actifs. Le revenu réel des non-chômeurs se trouve de ce fait considérablem ent dim inué. Des salaires très sensiblem ent au-dessus de l’équilibre normal, une hausse du coût de la vie, une armée perma­ nente de chômeurs entretenue a u x frais de la collectivité, tel fu t bien souvent le bilan de la réglementation du marché du travail.

VII. — La théorie de l'accroissement du pouvoir d'achat. Des ten tatives d’assainissem ent du marché du travail, il faut rapprocher la fam euse théorie de l’accroissement

LA

M Y ST IQ U E D E L ’ÉCONOM IE D i r i g é e

j

du pouvoir d’achat par l ’augm entation des sala' réduction de la durée du travail, destinées à résorl °* ^ chômage et à faire repartir la production. Le raison Γ ^ ^ est des plus sim ples : si le salaire des ouvriers au nement hs consommeront davantage. Consommant davant faudra plus de m achines e t de m ain-d’œuvre pour fabr^' ^ les machines e t les nouveaux objets de consommation* aura pour effet, en réparlissant les frais d’augment t' des salaires sur un plus grand nombre d’unités fabri * 10Π de les résorber pratiquem ent, de restaurer les m arges!)! ^ ficiaires des entreprises, de supprimer le chômage, de rel ° e" la machine économ ique. cer Ce raisonnem ent sim pliste semble entaché de r>lu · * méprises. Il confond le pouvoir d’achat global d’une η-Γ ^ avec le pouvoir d ’achat de la seule classe des sa la riés* ^ le pouvoir d’achat des ouvriers augmente au détriment d * pouvoir d ’achat global de la nation, il y aura simpleme t transfert de richesse, sans aucun enrichissement coll V·* ou même au prix d ’un appauvrissement général. C’est * qui se passa au x É tats-U n is avec la N.R .A . de RoosevelT et surtout, en France, avec l ’expérience Blum. Aux États* Unis la m oitié des salariés ne profitèrent pas des 600 ou 700 Codes de l ’A dm inistration du Président : fonctionnaires cheminots, em ployés des grands services publics, gens de maison, ouvriers qualifiés, etc., furent exclus de leurs bien faits ; mais com m e, par contre, un des résultats immédiats du planisme industriel de R oosevelt fut l ’accroissement du prix de la vie, le plus clair résultat de la N.R.A. fut de transférer des revenus réels des fonctionnaires et des sala riés spécialisés que les Codes n’avaient pas touchés aux chômeurs et ouvriers non spécialisés. Il n’y eut ni accrois­ sement du pouvoir d’achat réel moyen des salariés ni augmentation de la production, et, en ce sens, l’opération fut blanche. Il n’en fu t pas de même en France, avec les expériences du Front populaire à direction socialiste · les incidences de ces expériences s’avèrent de jour en jour plus

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les mystiques économiques

vouloir résoudre la conciliation des contradic l ’accroissem ent nom inal des salaires dans certaines privilégiées de la production sem ble dépasser^

nches ^ la {Ure»t

autres tiers, des pensionnés, des retraités, des J^Aes d assef fonctionnaires, des propriétaires e t, en généra * -on et a moyennes. Quant à l ’accroissem ent de la pr0 ,^vajuatio11 la reprise commerciale, le bénéfice de la ntefreufe.!’ d octobre 1936 fut com prom is par la loi de quara ^ ^g rt11 rendant notre balance com m erciale déficitaire 0(jucti°^ liards en 1937 e t faisant passer notre indice e ^ de 77 à 79 cependant que, dans les pays Φ^1 ^ |Q2,5 eî* en même tem ps que nous, il passait de 6 ♦ char$e‘ H ollande e t de 105 à 137 en Suisse. A vej \ deS coUeC' accrues qui s’élèvent pour l ’É ta t e t l’ensem ntant tiv ités üubliaues à nlus de 100 m illiards, repr întérieUf

la

m y s t iq u e

d e

l ’é c o n o m i e

D IR IG É E

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montre que si u n e cer ta in e reprise s ’e s t déclarée dans l’énergie électriq u e, la m éta llu rg ie e t les industries m éca­ niques due su r to u t a u x co m m a n d es de la défense nationale, la production e s t p é r ille u se m e n t tom b ée dans les tex tiles, le bâtiment e t les m in es, si b ien que la F rance a dû im porter pour 6 m illiards de ch a rb o n en 1937 (1). y jjj

__ L 'e r r e u r f o n d a m e n t a l e d e la M y s t i q u e

d ir ig is te .

De to u t tem p s, l ’in te r v e n tio n n ism e a é té pratiqué ; m ais il peut l’être a v e c d es d essein s e t su iv a n t des procédés bien différents, p ar q u o i d iffèren t le protectionnism e tra­ ditionnel e t ce q u ’on p e u t ap p eler le dirigism e libéral du dirigisme au torita ire. On p eu t v o u lo ir en ra y er l’en rich issem en t d ’un peuple pour éviter la co rru p tio n des m œ urs. T elle fu t la grande préoccupation de certa in s législateu rs de la Cité A ntique. Platon et A risto te co n d a m n a ien t la c h r é m a tis tiq u e , l ’art de s’enrichir par le n ég o ce ex térieu r et par la banque, parce ciu’ils y v o y a ie n t un a g e n t de dém oralisation propre à intensifier la lu tte des cla sses au sein de la Cité, en accen­ tuant le co n tra ste en tre les rich es e t les pauvres, au risque de développer l ’en v ie ch ez les uns e t la superbe chez les t es Ils sa crifia ien t d élib érém en t l ’enrichissem ent de la r t é à sa sta b ilité so cia le. L es P rophètes d ’Israël, m aints Pè s de l ’É g lise, p lu sieu rs D octeu rs du M oyen Age ont f l iné contre les fa cteu rs du progrès économ ique, parce ,® V v o y a ie n t des risq u es de régression spirituelle e t de M héance m orale. M ais, au tre chose est de justifier l ’intertion des a u to rités resp on sab les en disant qu’il v a u t Ven X sacrifier l ’en rich issem en t à la p a ix sociale, ou à la T a r i f é p o litiq u e de l ’É ta t, ou à l’élévation morale e t spiSéCU lie des c ito y e n s ; au tre ch ose e st de prétendre, com m e leiTthéoriciens de l ’éco n o m ie dirigée : « il fau t intervenir André PifeTRE, Le pouvoir d'achat devant les faits, éd. Librairie de Médi-

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LES MYSTIQUES ÉCONOMIQUES

narce que> en intervenant, on accroît précisément la richesse des nations ». Les lois de l’équilibre économique montrent, au contraire, que tout équilibre contraint réalise moins de satisfaction économique globale qu’un équilibre sp o n ta n é.

U existe des circonstances, particulièrement en périodes de crise, qui exigent des ajustements, des redressements financiers, économiques et monétaires que peut seule exer­ cer une « direction » très énergique des pouvoirs publics. Cette action doit avoir pour but de « faire repartir la machine », c’est-à-dire de dégripper les facteurs du réta­ blissement de l’équilibre, en introduisant une sorte de lubri fiant dans la machine économique, mais tout en sauvegar­ dant le mécanisme des prix. On peut donner à ce dirigisme le nom de d ir ig ism e lib éra l. C’est, par exemple, celui du gouvernement britannique, suspendant Γétalon-or en 1931, faisant une politique systématique d’argent à bon marché, organisant un système de préférence impériale, mais sans jamais entraver le mécanisme des prix. Un dirigisme de cette sorte a g it seu lem en t s u r les ca u ses q u i d é te r m in e n t la fo rm a tio n des p r ix , mais laisse les prix libres de se fixer automatiquement et d’exercer leur action régulatrice sur les divers facteurs de l’équilibre économique. Tout au contraire, et c’est là son erreur fondamen taie, le dirigisme autoritaire agit directement sur les prix. Il prétend conjurer les crises, en immobilisant la vie économique par la stabilisation des cours. Ce fai­ sant, loin de conjurer les crises cycliques, il ne fait que les aggraver. En annulant les variations compensatrices des facteurs naturels du rétablissement de l’équilibre, l’Économie dirigée ne fait que généraliser, prolonger et dramatiser les crises qu’elle avait pour mission de conjurer. La rigidité des prix et une structure commerciale pétrifiée ne sont tolérables que dans les périodes où le rythme de l’évolution est très lent, comme tel fut le cas sous l’Ancien Régime jusqu’à la

LA MYSTIQUE DK L’ÉCONOMIE DIRIGÉE

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révolution industrielle qui emporta le régime des jurandes et des maîtrises. De nos jours, il n’en est plus ainsi. A tout instant, les mouvements de la population, les déplacements des capi­ taux, les réformes sociales, les armements et les guerres, la mobilité des goûts et la rapidité des inventions viennent perturber l’équilibre économique et provoquer des crises qui se liquident d’autant plus vite qu’on laisse plus libre­ ment agir les facteurs du rétablissement de l’équilibre. Ce que, dans le langage courant, nous appelons crise n’est que la période de dépression qui suit inévitablement une phase de hausse spéculative et d’inflation du crédit. Comme l’a très justement écrit Simiand, chaque moment de ce double processus est aussi régulier et normal que l’autre. Vouloir empêcher la dépression après une inflation de crédit condui­ sant à une pléthore d’investissements, c’est vouloir empê­ cher le reflux de succéder au flux d’une marée d’équinoxe. Non seulement la phase de dépression doit suivre la période d’exubérance comme un assainissement nécessaire, mais les crises sont la conséquence inévitable des change­ ments démographiques, sociaux, politiques, juridiques, intellectuels et moraux d’une époque. Dans son grand ouvrage Le Salaire, l’évolution sociale et la monnaie, Fran­ çois Simiand a montré que l’alternance des périodes de hausse et de baisse est aussi nécessaire à l’organisme éco­ nomique que le rythme des saisons à la santé du corps. Ce sont les ruptures d’équilibre qui sont le ressort du pro­ grès humain, car presque toujours l’invention est fille de la nécessité. Ce sont elles qui ont arraché l’humanité à une stupide stagnation ; qui, comme la force de gravitation modèle la surface de la terre, ont malaxé, au cours de l’histoire, le visage de l’humanité. Les Pèlerins et les Pionniers qui ont civilisé le Far West n’eussent pas quitté leur sol natal, sans la persécution religieuse et la misère. Or, sans Pèlerins et Pionniers, les États-Unis ne seraient pas ce qu’ils sont devenus : un immense réservoir de blé

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LES MYSTIQUES ÉCONOMIQUES

et de capitaux où l’Europe peut combler le déficit de ses récoltes et trouver les prêts nécessaires à ses investissements. L’égalité même des conditions, pas plus que la stabilité, n’est désirable. La flûte de Pan ne chanterait pas, si ses pipeaux étaient égaux. C’est l’inégalité des conditions qui crée l’émulation, d’où résulte l’efîort d’un chacun pour se surpasser. L’image du progrès n’est pas la flèche de Zénon qui, en volant, reste immobile ; c’esi la flèche d’Évandre qui monte toujours et se change en étoile.

C h a p itr e

IV

LA MYSTIQUE CORPORATIVE

Dès que Ton abandonne l'économie libérale pour les pra­ tiques du dirigisme, on s’oriente, par suite de l’interdépen­ dance de tous les facteurs de la vie économique, vers une économie étatisée qui n’est concevable que dans le cadre d un État totalitaire. Entre le libéralisme démocratique et le planisme collectiviste, le corporatisme apparaît comme une solution intermédiaire. Il se présente comme une éco­ nomie disciplinée par les intéressés mêmes, également opposée au libéralisme et à l’étatisme.

I. — Les principes de VÉconomie corporative. L’économie dirigée, organisée, disciplinée ou planifiée pose inévitablement un problème que ne soulevait pas le régime de libre concurrence : à qui appartient l’office de diriger, d’organiser, de discipliner, de planifier l’économie ? Sous un régime concurrentiel, cette question n’intervient pas, puisque l’orientation de la production et la tendance sur un marché résultent précisément de ce que personne ( l ) La littératu re sur le su jet est très abondante. On ne peut s'abstenir ie citer les études de G. P ir o u , Essais sur le Corporatisme^ Recueil Sirey, 1037, l'ou vrage de R oland P r é , Le Bilan du corporatisme, 1936, et celui de Pierre J o l y , La mystique du corporatisme, 1935.

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LES MYSTIQUES ÉCONOMIQUES

ne se préoccupe de diriger les échanges. Dans une économie contrôlée, dirigée, et, à plus forte raison, planifiée, la ques­ tion devient principielle : on peut bien imaginer, en effet, que les organismes chargés de contrôler, de diriger, de planifier l’économie seront tentés de le faire suivant la ligne de leur plus grand profit ou de leur intérêt majeur. Aussi, ne saurait-on s’étonner de la diversité des réponses, suivant que l’on s’adresse à un chef d’entreprise, à un secrétaire, de syndicat ouvrier, à un chrétien social, à un ligueur national ou à un communiste militant. Quelle que soit la diversité des réponses, elles aboutissent toutes, en pratique sinon en théorie, à doter l’État de fonctions éco­ nomiques souveraines. L’économie corporative, au dire de ses théoriciens, évi­ terait cet inconvénient. Située à mi-chemin entre le libé­ ralisme et le socialisme d’É tat, elle consisterait à confier la tâche de diriger l ’économie aux intéressés eux-mêmes, c’est-à-dire aux syndicats d’employeurs et aux syndicats d’employés associés dans cette unité professionnelle qu’est la corporation. La corporation, par une auto-discipline librement consentie, réglementerait les rapports sociaux du travail et du capital par des contrats collectifs et par l’arbitrage, de façon à établir la paix sociale ; limiterait et spécialiserait la production, standardiserait les types de fabrication, ajusterait l’outillage aux possibilités de débou­ chés, répartirait les ventes ; bref, organiserait la vie écono­ mique locale et nationale du pays. Cette organisation de la production par la profession réaliserait une sorte de rationalisation supérieure, débordant les cadres des entre­ prises isolées, s’étendant par catégories et par régions à toutes les branches de la production. E lle ne serait que le complément, à une échelle supérieure, des méthodes que le taylorisme et le fayolisme ont partout généralisées. Le mouvement syndical ouvrier et patronal, les ententes entre producteurs se sont spontaném ent développés au

LA M Y S T I Q V E c o r p o r a t i v e

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Pays, la r e c o n n a ît s a n ^ T ^ d T à f “’ dans tous les M o is à J’enconÎ c l h l ,Γ° SyndicaJ’ en ma^ et ia foi du 25 mai r « « / \ C,V1jL C’e>st ainsi (iue>en France, 21 mars i m T , , SUr ie dr0it de coaJition> Ja Joi du Iw juillet I o n i ΙΓ 3 reconilaissance des syndicats, la loi du rec°nnaiss , SUr ,c's associations, ia loi de 1920 sur ia Venues rp anC]G aUX sy n (H c a ts du droit de propriété sont L e cjja les lo is d u 2 e t d u 17 m a r s 1791 e t la lo i les corn & ^ Vo^ es P a r l ’A s s e m b l é e N a tio n a le p o u r a b o lir citer. J ratl0ns interdire t o u t e t e n t a t i v e d e le s ressusUient Jo · CorPorai)sme a p p a r a î t a lo rs c o m m e l ’a b o u tis s e ^r°fossio^^Ue ^ col)s^cration j u r i d i q u e d u s y n d ic a lis m e ®c°Uom; niîe^ ^Ul constitue le t r a i t d i s t i n c t i f d e l ’é v o lu t io n Cepen?Ue C o n te m p o r a i n c . Vrio» P+aa^> ouvrier ’ ie Jibre 1Iure déveioppement d é v e l o p p e m e n t du au syndicalisme syuuiuanon,-. ) oîlAl i fi nn nn t ^n^AÎc· Λ Ιο ΡΓ^ΟΐΐΛΠ fonée (je Patronai. aboutissant p a r fo is à la c r é a tio n sβΠΠΠpon> éC o n L t”f ? ‘S lnixtcs- ne suffit pas pour instaurer doter Je °ln e a s t r u e ture corporative. Pour ce fa ir e , il f a u t PouvoirS ?0 r p o r a tio n s d’un caractère obligatoire et d’un éc°Homj r é g I e m e n t a i r e d a n s l ’o r g a n is a tio n d e s r a p p o r ts ou n0n> ÿ es ct sociaux de tous les membres, syndiqués foire imDj· Une m^me profession. Cette conception autori°ut eu tant^Ue,-a supPressi° n du droit de grève e t d e l o o k Par Une i n s t r u m e n t s d e la l u t t e d e s c la s s e s , r e m p l a c é fo® conflitg3^18^ 9*11™ du travap Φ“ règle souverainement des attribSt ‘nt,aCüri)°-ratlis ’ ePe c o m p o r t e u n e extension ^ d i v e r g e * IOns ,^e p P tat qui a r b i t r e e n d e r n iè r e i n s t a n c e %tenientair *ntérôLs entre les corporations. Le pouvoir A r b i tr a g e d e 1, T . corporaUons>la magistrature du travail,

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LES MYSTIQUES ÉCONOMIQUES

à la libre concurrence, la répartition spontanée qui résulte du jeu de l'offre et de la demande conduit au meilleur emploi des forces productives. Ils le condamnent encore pour son impuissance sociale à établir le juste prix et le juste salaire. Ils le condamnent pour son individualisme, qui constituerait une triple erreur psychologique, morale et sociale : l’individu n’est pas un isolé ; il appartient néces­ sairement à ces groupes naturels que sont la famille, la profession, la nation, et les initiatives privées n’ont une valeur sociale, digne d’être protégée par la loi, que si elles s’insèrent dans les finalités supérieures de la profession et de la nation. Tout en reconnaissant la valeur technique de la gestion capitaliste, les partisans de l’économie corpora­ tive condamnent ce surcapitalisme qu’est le capitalisme de spéculation et « le joug de l’intérêt », quand il cesse d’être la rétribution d’un service productif. Par opposition à l’éco­ nomie libérale, décrétée matérialiste parce qu’elle ne vise qu’à l’acquisition du profit, l’économie corporative se pro­ clame spiritualiste, parce qu’elle subordonne l’économique à l’éthique, la richesse à la paix sociale, les intérêts privés à l’intérêt collectif.

II. — Les conceptions divergentes du régime corporatiI. Ces prémisses communes recouvrent une très grande divergence de conceptions, aboutissant parfois à des réali­ sations opposées, suivant que l’on considère les corpora­ tions comme des organismes professionnels autonomes constituant un système naturel de protection contre l’éta­ tisme économique, tyrannique et incompétent ; ou, au con­ traire, suivant qu’on les considère comme des organismes d’État ayant pour but de mater l’esprit de revendication et de chicane des travailleurs, l’esprit d’indépendance eu de lucre des chefs d’industrie, et d’orienter toute la pro­ duction selon les fins politiques de l’État. Ces conceptions

EA M Y STIQ U E GORPOHATIVF.

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diffèrent encore, en ce qui concerne la signification du cor­ poratisme. Pour les néo-socialistes, il s’agit d’un régime transitoire, d’une étape vers la gestion collectiviste ; pour les catholiques sociaux et les syndicalistes chrétiens, c’est nue tentative en vue de moraliser les rapports du travail et du capital dans le but d’établir la paix sociale confor­ mément aux recommandations de l’Église ; pour le patro­ nat, c’est une retraite stratégique, un procédé pour contenir les revendications socialistes et supprimer la concurrence ‘oujours redoutable, à l’intérieur et à l’extérieur ; pour les royalistes, c’est un moyen insigne de rendre indispensable ie retour à la monarchie héréditaire, en partant de ce prin­ cipe que seule l’autorité d’un monarque dynastique consti­ tue une garantie d’impartialité suffisante pour arbitrer les conflits corporatifs ; pour les États totalitaires, c’est une technique propre à incorporer dans le parti au pouvoir t’armée toujours redoutable des travailleurs et à mettre l’ensemble des forces productives d’un pays tantôt au ser­ vice de la volonté de paix sociale du gouvernement inspiré d’un esprit chrétien, comme au Portugal et en Autriche, tantôt au service de la volonté de puissance du gouverne­ ment animé d’un esprit païen et césarien, comme en Italie et en Allemagne. Depuis la Monarchie de Juillet et surtout la République de 1848, les catholiques sociaux voient dans la corporation le moyen d’établir la paix sociale en moralisant les rapports du travail et du capital. Ils ont reçu l’appui de la Papauté qui, convertie aux idées libérales au début du xix* siècle, s’est, par la suite, ralliée à l’idée corporative dans les Encycliques Rerum novarum, Quadragesimo anno et Divini Redemptoris. Organisés pour la guerre des classes, syndicats ouvriers et patronaux ne peuvent qu’intensifier les troubles sociaux et devenir des instruments d’oppression contre ceux qui refusent d’y rentrer, si on ne les rapproche dans des syndi-

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LES M Y ST IQ U E S ÉCONO M IQUES

cats mixtes qui constituent la famille professionnelle, seule capable d’assurer la sécurité de l’avenir, la stabilité de la condition et l’élévation progressive dans la profession. La profession s’intercale entre la famille, cellule première de la société, et l’État, forme suprême de l’unification sociale. Elle doit être organisée corporativement. La corporation sera administrée par un conseil où seront également repré­ sentés tous les éléments de la profession. Les conseils pro­ fessionnels locaux éliront, dans chaque région, une chambre professionnelle régionale. Les chambres professionnelles régionales nommeront une chambre nationale, véritable Sénat corporatif. L’organisation corporative sera à la fois un facteur de paix sociale et un régulateur de vie économique. L’idée corporative n’est pas un apanage exclusif des catholiques sociaux. Elle fait partie intégrante du credo royaliste. Les théoriciens de Y Action Française, qui se réclament de La Tour du Pin et du comte de Mun, ont développé la conception suivante. Constituée par l’union des syndicats de patrons, de techniciens, d’employés et d’ouvriers qui remplissent la même fonction au sein de la même profession, la corporation sera dotée de personnalité civile, du droit de propriété collective et du soin de régle­ menter la production. Chaque profession comportera des corporations locales, fédérées en corporations régionales, elles-mêmes fédérées à une corporation nationale. Les cor­ porations professionnelles communiqueront entre elles par une organisation inter-corporative, soucieuse avant tout des intérêts de la nation. Ainsi cessera le scandale de ban­ quiers mettant les milliards de l’épargne française à la disposition de pays qui s ’en serviront contre nous, ou de maîtres de forge équipant des armées ennemies. Grâce à son patrimoine insaisissable et inaliénable, la corporation pourra remplir sa triple fonction économique, sociale et politique : maintien de l ’équilibre entre la production et la consommation ; organisation de l ’apprentissage, place­ ment et répartition de la main-d’œuvre, établissement des

LA M Y S T IQ U E C O R PO R A T IV E

U /

contrats de travail collectifs et fixation des s a la ir e „ nisation des allocations fam iliales et des assurances socia représentation des intérêts économiques devant 1 , ; voirs publics. Les difficultés surgissant à l'intérieur d ^ ' corporation ou entre des corporations d ’espèces différé T * seront tranchées par des tribunaux corporatifs e t interco^ poratifs, et, en dermere instance, par l ’nrhitw « ] βΓ(:0ΓLes royalistes ont très bien compris quc rnrganfeafjoâ ^ porative suppose une instance supérieure an h Cor' intérêts et des partis, qui ne peut tirer son m it o H t f ^ des son désintéressement, dont serait seule canahP, i té qUe d e dynastique. ** royauté L’idée corporative apparaît dépouillée de touto , pation confessionnelle ou m onarchique che7 w f reocca-· listes, tel Marcel D éat, pour qui le co rp o ra tif lîé°~SOcia' moyen d ’éviter le fascism e to u t en m énageant *** Utl tion vers une économ ie planétaire et planifiée V ^ 8*' syndicalistes, du genre de Paul-Boncour, ou * u lps patrons, tels R ené D om m ange et Pierre Lucius . ez des le seul remède efficace pour parer aux dangers T * Y Voient lisme révolutionnaire, aboutissant par le c o n t r é 8yndiciu la nationalisation des entreprises au socialism e Pa*

u l . __ L e corpomlisme en action. • „ m sse à la pratique, une constatation Si de la théorie o P« ^ cnt de la vie économique ^minaire s’im pose-^a .ntem i ou pVOVOqué spontaném ent, ftU xixe siècle. a . ;c de divers pays, des organisations dans la petite i n d u a rendu souvent obligatoires, corporatives q u e^ léf Hongric, en Roumanie, en Bulga, rime en Autriche, en * comme les syndicats mixtes t7 = n U « de 1884, ces cor. £«dfe> en F « " “ E n ton n ée, dans le domaine: de renaeu e t ^ 'a ^

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LES M Y ST IQ U E S ECONOM IQUES

Le régime corporatif tel que l’ont institué l’Italie, l' A Ü magne, le Portugal et l ’Autriche apparaît, au contrn>·' comme une création de l ’État autoritaire, utilisant par :, une structure syndicale préexistante, mais créant de to : ,i J pièces une superstructure corporative qui ne corresp·. nullement à l’auto-discipline spontanée de la profess; ,,> par les intéressés. Dans ces États, l’organisation corp·. ?; tive tend surtout à être une incorporation de l ’armée travailleurs dans l ’État, en vue de réaliser la paix so c ii.! et une intégration des entreprises dans l’État, en vu e mettre toutes les ressources économiques de la nation ; service des fins proprement politiques de l’État dictatori.·,!. C’est, sous une autre dénomination, de l’Étatisme 6 c c r ;; mique. Chronologiqueemnt et en toute l é g i t i m i t é , c ’e s t l ’É f . - . corporatif italien qui a inspiré les tentatives s i m i l a i r e s ^ Allemagne, au Portugal et en A u t r i c h e . En théorie, l’État corporatif italien est une créa tic· authentiquement originale qui se justifie par la loi hegt*.. lienne, en vertu de laquelle les contradictions dont souff:-. un type de société, telle la société bourgeoise, se résolve n » dans l’harmonie d’une synthèse supérieure qui concilie h intérêts antérieurement affrontés. Entre le libéralisme anar chique et le collectivisme conformiste, entre l'individualism* égoïste et l’humanitarisme sentimental, entre l’involutioii des conservateurs et la subversion des communistes, l’État corporatif réalise la conciliation de l ’initiative individuel!·-, propre au libéralisme, et du contrôle étatique, propre a;· socialisme, dans l’auto-discipline de la production confiée aux corporations. Les corporations sont des organes d·· l’État qui lui-même est la forme juridique de la seule réalité concrète et véritable, la Nation, placée entre ces pures abstractions que sont l’individu et l’humanité. L ’É t a t n a t i o n a l n’est p a s l ’e n s e m b l e d e s p o u v o ir s p u b lic · q u i s ’o p p o s e n t à la m a s s e d e s a s s u j e t t i s , c o m m e d a n s l ’É t a t

LA MYSTIQLK CORPORATIVE

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bourgeois : c’est une forme d’État totalitaire, 1 État fasciste. L’État fasciste est « la véritable réalité de l’individu » qui n’existe que pour autant qu’ « il est dans 1 État et subor­ donné aux nécessités de l’État ». C’est la forme la plus haute de la vie intellectuelle et morale à laquelle 1 individu puisse accéder, si bien qu’on ne saurait limiter 1 État à de simples fonctions d’ordre et de protection. L’État pénètre au tréfonds de l’individu pour malaxer sa volonté et son intelligence, pour lui imposer une norme intérieure et une discipline de vie. Cette règle de vie est à la fois héroïque, car le fascisme conçoit l’existence comme une lutte grave et austère ; spiritualiste, car elle fait obligation à 1 individu pour remplir ses devoirs d’état de sacrifier ses intérêts particuliers et au besoin sa vie même ; religieuse, car elle est une loi supérieure qui dépasse l’individu comme tel et l’élève à la dignité de membre conscient d’une société spiri­ tuelle. Ainsi, le corporatisme italien n’apparaît pas comme une doctrine économique autonome, issue de la simple considération des rapports économiques et sociaux. Il veut être, sur le plan économique, la projection des principes spirituels et moraux de l’État fasciste. Il reste, avant tout, une expression de la doctrine politique du régime. « T outes les organisations professionnelles, reconnues, garanties et protégées dans l’État corporatif, vivent dans l’orbite com­ mun du fascisme, c’est-à-dire s’inspirent de la conception théorique et pratique du fascisme », déclare Mussolini le 31 juillet 1926, à l’inauguration du Ministère des Corpora­ tions. On peut pressentir par là que le corporatisme italien ne sera que la technique d’intervention de l’État en matière économique et sociale. L’État corporatif est fondé sur la Charte du Travail publiée le 21 avril 1927, qui se substitue définitivement à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La Charte proclame l’égalité juridique entre employeurs et employés. Mais le rapport juridique qui lie travailleurs et employeurs n’est pas un simple rapport de droit privé.

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LES m ystiques économiques

émanant de leurs seules volontés et limité à leurs seules personnes, comme dans l’État démo-libéral. C’est un rap­ port d’ordre public placé sous le contrôle de l’État. L’État s’intéresse directement à la réglementation du travail ; il s’intéresse à la production qu’il envisage dans sa totalité, en fonction des buts unitaires qu’il poursuit, à savoir le bien-être collectif et le développement de la puissance nationale. Les différents facteurs de la production sont groupés dans des associations professionnelles, afin de mieux assurer la collaboration de tous dans le sens de l’intérêt supérieur de l’État. L’organisation syndicale, cons­ tituée par une pyramide de groupements locaux, régionaux, nationaux, est subordonnée à l’organisation corporative, chargée de la contrôler et de la coordonner. Ce qui frappe dans l’organisation syndicale fasciste, c’est le mode autoritaire sur lequel elle est conçue, conformé­ ment au principe hiérarchique de la nomination par le haut. Elle repose sur la loi Rocco, du 3 avril 1926, relative à la reconnaissance juridique des syndicats et aux contrats col­ lectifs de travail. Or, ce que cette loi institue, c’est la sup­ pression de toute liberté syndicale. Cette liberté subsiste en principe, mais les syndicats non reconnus par l’État sont privés de tous droits. Le syndicat officiel, qui peut ne représenter que la dixième partie du inonde des travail­ leurs d’une profession dans une localité, a seul qualité pour signer les contrats collectifs de travail au nom de la pro­ fession, pour placer la main-d’œuvre en chômage, pour faire cotiser obligatoirement tous les travailleurs de la même catégorie, qu’ils soient syndiqués ou non. Il en est de même pour les syndicats patronaux. De la base au sommet de la pyramide comprenant les associations syndi­ cales locales, les Unions régionales, les Fédérations natio­ nales et les Confédérations, au nombre de 9, chaque échelon est strictement subordonné à l’échelon supérieur sans l ’approbation duquel il ne peut rien faire. Toute décision d’un organisme syndical comportant un pouvoir règlemen-

LA M Y S T IQ U E C O R PO R A TIV E

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taire est tenue d’être approuvée par l’instance immédiate­ ment supérieure, s’il s’agit d’actes de moyenne importance ; par le Ministre des Corporations ou les autorités locales dans tous les autres cas, particulièrement en ce qui concerne la conclusion des contrats collectifs. Il en est de même du personnel syndical. Les présidents des Confédérations nationales sont nommés directement par le Ministre des Corporations. A la fin de 1931, il fut décrété que toutes les charges syndicales seraient électives et que la ratifica­ tion du Ministre des Corporations serait limitée aux pré­ sidents des Confédérations, des Fédérations nationales et des Unions provinciales de syndicats ; mais il fut décidé, immédiatement après, que seuls ces organismes jouiraient de la personnalité juridique. Ainsi, les ouvriers ne délèguent pas leurs hommes de confiance dans les associations syndi­ cales, mais ils s’y voient imposer des représentants nommés directement ou indirectement par l’État. « Les dirigeants syndicalistes doivent rester ce qu’ils sont, des chemises noires déléguées par le parti pour diriger les syndicats », avouait Rossoni, le 15 janvier 1929, dans le Lavoro · nouvelle, telles que celles d’Ugo Spirito, d’Arnoldo V o îj ü celli, de Filippo Carli, restent en dehors des réalités de · r: vie économique de l’Italie mussolinienne. C’est aux mômes constatations qu’aboutit l'examen corporatisme allemand. Pour faire « plus vite » qu’en ItalîJe gouvernement hitlérien, ayant dissous les s y n d i c a t socialistes, a renoncé à en former d’autres. Comme orItalie, au principe démocratique de l’élection par en bas , il a substitué le Führerprincip, le principe de la nominati' ·. par en haut et de la responsabilité du chef. L’introduei e u du principe du chef dans toutes les entreprises transform«, l ’entrepreneur en chef de la communauté d’entreprise, ce qui a permis de liquider les conseils d’exploitation ( Betriebsrat>"

^r°ables p y. r^adsé sa construction sous la menace de ae Putschs° 1 1(^Ues s°ciaux, pris entre Je double péril est-e]le de S° cialistes et de coups de force nazis. Aussi e nLe ucmeurée en ërande grande partie théonS e c ogouvern se r v e neiïl^—t nemeUrée théorique. Le gouverQ Up P°UVait se dΗρe.< /lu pnmnrnir IIP. Ο;„c+,t,iΟηββΓΥβ nement ne pouvait sί«ίΐΐ< s a is:ΐτ· ir du o u v o i^rm’îl q^ ^

tombe ou dans le cas d’une féodalité patronale rançonnais le consommateur, ou dans celui d’une tyrannie ouvrier«* frayant les voies à la socialisation des entreprises ; à m oinque l’État, ou un organisme directeur émané de lui, n inter^ vienne comme arbitre en imposant un prix coordonné à tout une politique d’autres prix, ce qui implique de 1 part de l’État une planification générale de 1 éco­ nomie. Il ne semble donc pas qu’en présence de ces alternatives, l’État corporatif constitue une forme d’organisation sup *. rieure vers laquelle évolueraient nécessairement les dém· craties libérales. Si Ton remarque qu’il s est manifesté le plus de force dans les pays les plus durement éprou\ ês par la guerre mondiale et par la crise ; et que des E tats, comme les États-Unis, qui semblent avoir voulu 1 adopter dans un moment de désarroi l’ont précipitamment aban­ donné aux premiers symptômes de retour à la prospérité. on peut penser qu’il n’est qu’une manifestation de la misère et de la peur qui finissent par tuer 1 instinct de liberté (1). l’amour du risque et l’esprit d’entreprise. L effort individuel toujours rebuté engendre l’acceptation du conformisnu politique et social le plus dégradant. L individu, las de cou­ rir sa chance qui n’est jamais heureuse, se retourne vers l’État comme vers une providence entre les mains de laquelle il abdique sa fierté, son indépendance, sa personnalité, contre un minimum de sécurité vitale. Pour répondre à ce Me exigence de l’instinct de conservation, l’État en vient à sortir de ses attributions politiques, pour réglementer lu vie économique, de façon à procurer à chacun, par une redistribution autoritaire des denrées et des services, un 9

(1) Cf. D r a b o v it c h , La séduction des dictatures et la fragilité de la liberis. Mercure de France, 1934.

LA MYSTIQUE CORPORATIVE

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minimum vital fût-il extrêmement bas. Le jeune homme muni de titres mais démuni de débouchés, le chômeur chro­ nique précairement assisté se donneront toujours au gou­ vernement qui leur promettra une gamelle et un uniforme. Mais, dès que l’État intervient dans la vie économique, il devient autoritaire ; et, comme on ne fait pas à l’interven­ tion sa part par suite de l’interdépendance de tous les fac­ teurs de la vie économique, l’État autoritaire corporatif tend à glisser invinciblement vers le système collectiviste. Ugo Spirito, le grand théoricien de l’économie corporative, l’annonçait déjà : « le fascisme doit arriver par le corpo­ ratisme à un système qui ne sera pas trop éloigné du communisme russe ». La guerre idéologique entre dicta­ tures blanches et dictatures rouges cessera un jour faute de se ressembler par trop.

Chapitre V

LA MYSTIQUE MARXISTE

On ne fait pas au dirigisme sa part. Par un glissement inévitable, l’économie dirigée achemine au régime collect:' viste, tel qu’on le trouve réalisé en U.R.S.S., en passai) ‘ par le régime corporatif des dictatures fascistes. Pour diriger l’économie, il faut une autorité supérieure Sous la poussée des ententes industrielles, des syndicat.?5 ouvriers et des masses électorales, l’État démocratiqu: dirige l’économie au bénéfice momentané d’une minorité, au détriment permanent de la collectivité. C’est une éco­ nomie dirigeante, non dirigée. Pour instaurer une économie rationnellement dirigée, il faut rendre l’État indépendant des intérêts coalisés : on tombe alors dans l'obligation d’instaurer un État autoritaire. La monarchie dynastique offre une solution optima ; les États fascistes, reposant sur le culte périssable d’un homme providentiel, en sont une moins recommandable. Sous une monarchie dynastique, les corporations s’organisent spontanément, le roi remplissant le rôle d’arbitre. Dans les régimes fascistes, le régime corpo­ ratif n’est que l’incorporation forcée de l’armée des travail­ leurs, des techniciens, des entrepreneurs, des capitalistes dans les cadres de l’État totalitaire, laissant subsister la propriété privée à titre de fonction sociale, contrôlée et surabondamment imposée, et une certaine marge d’initia-

LA MYSTIQUE MARXISTE.

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tive privée pour les entrepreneurs. C’est un compromis entre le libéralisme économique et le socialisme d’État, avec un glissement toujours plus accentué dans le sens de l’étatisa­ tion. L’idée la plus logique est de confier directement aux seuls pouvoirs publics le soin de diriger l’économie, d’orga­ niser la production, de repartir les produits, de contrôler la consommation. Pour ce faire, l’État doit s’emparer de tout l’appareil de production ; il doit collectiviser les terres, nationaliser les cartels, les trusts, les entreprises privées qui, dans un État démocratique, exercent sur les pouvoirs publics une intolérable pression. On aboutit ainsi au régime collectiviste.

I. — Comment les nouvelles formes du capitalisme favorisent la Mystique marxiste. L’idée de déposséder les capitalistes, de passer du régime de l’économie concertée, contrôlée ou dirigée des États bourgeois à l’économie planifiée en régime collectiviste, a trouvé de nos jours un regain de faveur auprès des masses, par le fait môme ue le capitalisme d’aujourd’hui semble revêtir des formes nouvelles qui lui font perdre sa légiti­ mité d’autrefois. Ce qui faisait la vertu du capitalisme d’autrefois, c’est qu’il s’exerçait sous le régime de la libre concurrence. Le chef d’entreprise était un créateur et donneur de travail qui remplissait, dans une société organisée au profit d’une majorité de citoyens, une fonction indispensable : celle d’assumer un risque et de faire preuve d’imagination constructive et d’initiative. Les entreprises étaient sou­ mises à la dure loi de l’échec possible et le chef d’entre­ prise était généralement un père de famille qui engageait, sous sa responsabilité propre, la fortune des siens, de ses parents, de ses amis. Il en fut autrement le jour où, par l’effet de la concentration industrielle, les quelques produc-

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teurs, qui se disputent le marché à coup de baisse de prix, trouvent plus expédient de se coaliser pour l’exploiter, lorsque la lutte des prix cesse de les rendre rémunérateurs. Mieux vaut s’entendre que se ruiner. C’est ainsi que le capi­ talisme de libre concurrence tend à évoluer vers un capi ­ talisme de monopole. Or, le propre du monopole, c’est d’abo lir la concurrence qui constitue précisément la vertu et la justification du capitalisme, en le forçant sans cesse à inno­ ver, à améliorer la qualité, à baisser ses prix de revient, à conquérir de nouveaux marchés, bref à travailler pour le plus grand profit d’une masse toujours accrue de consom­ mateurs. Tout autre apparaît le capitalisme qui est par venu, grâce à la complicité de l’État, à supprimer la concur­ rence étrangère par des tarifs prohibitifs et la concurrence intérieure en se rendant maître du marché. Il prélève sur les consommateurs, par un malthusianisme économique volontaire, le surprofit de ses prix cartellisés. L’économie qu’il impose à la nation est dirigeante, non dirigée. Le capitalisme contemporain n’évolue pas seulement vers un capitalisme de monopole, il tend encore à devenir un capitalisme de caste qui spolie et ruine la masse des petits actionnaires, grâce à cet organisme nouveau, la société anonyme. Alors que la concentration industrielle risquait de constituer une trop puissante féodalité financière, la société anonyme et la pratique de l’actionnariat ouvrier apparurent à leur début comme des institutions éminem­ ment démocratiques, permettant de faire participer les plus humbles fortunes, les plus modestes épargnes des tra­ vailleurs aux bénéfices des grandes entreprises capitalistes. La société anonyme apparut comme le moyen de faire cesser l’antagonisme du travail et du capital grâce à la démocratisation du capital. Or, dans la pratique, il s’est révélé que la majorité des actionnaires abdiquaient en fait, par suite de diverses pratiques abusives, leur droit de regard et de contrôle dans la gestion des entreprises entre les mains des administrateurs qui en profitaient pour les frus-

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trer. Grâce à la constitution de filiales auxquelles on fait gagner gros au détriment de la société mère ; grâce aux fusions, participations, accords ; grâce à des artifices tels que les parts de fondateur, le vote plural, le rachat des actions, la fraction substantielle des profits cesse d’être distribuée sous forme de dividendes à la masse des action­ naires, pour devenir l’apanage indû des conseils d’adminis­ tration. Les administrateurs tendent à former une petite oligarchie très fermée, que l’on retrouve dans les affaires techniquement les plus diverses, ce qui conduit à penser que les hauts profits sont moins la rémunération de capa­ cités techniques, que la contre-partie d’apports en rela­ tions financières et en influences politiques. Aussi a-t-on pu parler de véritables Congrégations économiques prenant la succession des congrégations religieuses, d’où en France, lors de l’avènement, du Front populaire, le slogan facile des « deux cents familles ». Enfin, le capitalisme actuel tend à devenir un capita­ lisme spéculatif. Autrefois, les investissements des capitaux privés dans un travail productif étaient constitués par l’épargne individuelle. Ce mode d’approvisionnement a fait progressivement place au procédé essentiellement spécu­ latif de l’inflation du crédit, lié au développement de la monnaie scripturale dans les comptes privés, aux méthodes comptables des entreprises et aux différentes manipulations monétaires des gouvernements et des Banques d’émission. La hausse des prix, due à l’inflation du crédit, a obligé ies chefs d’entreprise à recourir de plus en plus aux banques qui, constituées elles-mêmes pour la plupart en sociétés anonymes de façon à éparpiller leur responsabilité sur les porteurs d’actions répartis sur tout le territoire auxquels l’État ne saurait toucher, se sont mises à contrôler les affaires industrielles et commerciales. C’est ainsi qu’au chef d’entreprise, maître de son affaire, compétent et respon­ sable, cherchant à satisfaire sa clientèle, s’est substitué « le rôle du financier dans la Cité ». Favorisé par son incompé-

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tence qui entraîne pratiquement son impunité, le financier a transformé les entreprises industrielles et commerciales en des affaires spéculatives où la rémunération du crédit bancaire supplante le profit du capital industriel. Tantôt achetant avec de larges délais de paiement la majorité des actions d’une société, le financier la fait travailler à son compte en payant ses propres actions avec l’argent des autres actionnaires ; tantôt, s’emparant d’affaires mau­ vaises ou verreuses, il fait monter spéculativement leurs titres en vue de les réaliser au bon moment ; tantôt, il crée artificiellement de gigantesques consortiums, des holdings sans débouchés, qui enlèvent la clientèle des industries saines par des ventes massives au-dessous du prix de revient, jusqu’au jour où ces monstrueuses entreprises périclitent non sans que leurs lanceurs n’aient réussi à vendre à la hausse leurs actions aux petits capitalistes qui font les frais de la faillite. C’est ainsi que, dans l’esprit des petits épargnants, s’est peu à peu déconsidéré le capi­ talisme actuel.

II. — Conséquences que les économistes tirent des nouvelles formes du capitalisme : celles qui sont dommageables à la communauté sont principalement l’œuvre de l'intervention de l’État. Les conclusions à tirer de ces nouvelles formes du capi­ talisme sont bien différentes, suivant que l’on considère le capitalisme monopolisateur et spéculatif comme l’aboutis­ sement naturel du régime de la libre concurrence ; ou, au contraire, comme le résultat artificiel des pratiques du dirigisme qui a faussé le jeu normal des lois économiques. C’est à cette dernière interprétation que se sont ralliés la plupart des économistes. Ils commencent par faire remarquer qu’il convient de distinguer entre différentes formes de monopoles.

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r e ta in s m onopoles s ’efforcent de réaliser une concenC Corticale et horizontale, de la production en vu e traÎ T ’· ^ r é d u c t i o n du prix de revient par la suppresd obtenir 1 une niemeUre organisation, un sion des interm edia» „„»rm w m en t de rendem ent, équipement plus moderne, un normal de l ’élim iCette évolution, qui p eu t être le res douées, e st aussi nation naturelle des entreprises mo collectivité, profitable à l'entreprise ^ p e t it e et Elle n’élimine pas, pour autant, iße ia présence moyenne industrie, car la grosse inC"ls g pièces de de formes mineures d ’entreprises (r P ,s je iév èlen t rechange, accessoires) comme les s a is , r}ses a augen montrant que le nombre des petites ^ le c0nfirme menté en France depuis la guerre, e > c rechange e st I expérience russe, où la crise des Pie plus économiques pour les fabriquer. En bref, toute écono­ mie reposant sur la socialisation des moyens de production rend impossible l’expression monétaire des prix des moyens de production : par suite, tout calcul économique est impossible. Il pourra y avoir une politique économique dans les États totalitaires, il n’y aura plus d’économie politique (1). L’économie planifiée est encore arbitraire par l’impossi­ bilité de connaître les besoins et les goûts véritables des consommateurs. Établir un plan, cela implique que Ton (1) C'est ce qui a été définitivement établi par Ludwig v o n M ise s, L e socialisme, Librairie de Médicis, 1938 ; et c’est iiî une contribution définitive à l ’étude du planisme économique. — Cf. B r u t z k u s , L ’U.R.S.S ., te r r a in d'expériences économiquesf qui montre comment il en fut bien ainsi, en Russie, dans l ’application, et les effets catastrophiques qui en résultèrent pour l ’économie soviétique.

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fasse choix entre les produits jugés les plus indispensables et d’autres de moindre nécessité, que l’on fixe leur répar­ tition en nature et en quantité. Le plébiscite des prix sur un marché libre opère spontanément cette option au gré des besoins et des préférences des consommateurs. Le méca­ nisme des prix étant brisé, ce choix ne pourra être qu’arbi­ traire. C’est arbitrairement que, pour assurer l’équilibre des balances commerciales bilatérales, on choisira quelles dettes et quelles créances devront être réglées préférable­ ment ; c’est arbitrairement que l’on décidera quelles entre­ prises seront bénéficiaires des contingents. En un mot, les organismes charges de la planification se trouveront conti­ nuellement en présence d’options qu'ils devront trancher arbitrairement, en absence de toute indication de prix, donc dictatorialement. La dictature est l’apanage de toute économie planifiée, elle-même condition et conséquence de l’autarcie. Établir un plan, cela suppose que l’on ait déterminé strictement une fois pour toutes la nature et la quantité de services ou de produits qui pourront être consommés. Une fois pour toutes et pendant quatre ou cinq ans, cela suppose que l’on ait éliminé l’imprévu, les conjonctures économiques, toutes les causes qui tendent à modifier sans cesse l’équilibre économique. Cela suppose que la popula­ tion demeure stationnaire, s’accroisse ou diminue confor­ mément aux prévisions des statistiques démographiques ; que les goûts du public demeurent stables ; que la tech­ nique soit définitivement immobilisée. La découverte scien­ tifique, le progrès technique étant des obstacles à la stabi­ lité, les pouvoirs publics exerceront le contrôle des inven­ tions, considérées, non comme une source de progrès, mais comme une cause de désordre. La pensée elle-même sera contrôlée, politisée, synchronisée, vassalisée. Établir un plan, cela suppose que l’on répartisse la maind’œuvre pendant toute sa durée entre les différentes bran­ ches de la production et que l’on assigne à chacun sa tâche

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professionnelle. Ainsi, dans la Russie stalinienne, on a réta­ bli le passeport intérieur, tant honni sous le régime tsarism, en vertu duquel nul ne peut se déplacer vingt-quatre heures sans le visa de la police hors de son domicile et du lieu de séjour que lui a assigné l’État ; pareillement on a établi le livret de travail, sur lequel tout votre pedigree politique, professionnel et judiciaire est inscrit et sans lequel nul ne peut trouver d’embauche (1). En Italie, les paysans sont pratiquement rivés à leurs terres. Le travail forcé, enfin, a reparu en Russie et en Allemagne, soit sous la forme puni­ tive des camps de concentration, soit sous la forme mili­ tarisée du service social. Il y a perte de la liberté du travail. Il ne suffit pas d’claborer un plan, il convient de l’appli­ quer. Si l’on a fixé des prix maxima pour des denrées rares, il faudra combattre les marchés clandestins où les mêmes denrées seront vendues à des cours supérieurs ; si l’on a imposé des contrats collectifs de travail, il faudra empêcher les marchés illicites où la main-d’œuvre sans emploi vient s’oiïrir à vil prix. Bref, pour assurer l’exécution du plan il faudra une autorité d’autant plus rigoureuse que les choix de l’organe central de planification s’écarteront davantage de ceux qu’eût imposés la libre demande des individus s’exprimant par le plébiscite des prix. Il faudra une police politique — la Gestapo, la Guépéou, l’Ovra — preuve tan­ gible que la solution adoptée n’est pas celle qui eût répondu aux vœux spontanés des consommateurs. La police politique se révélera bien vite insuffisante et il faudra militariser toute la nation, depuis les enfants en bas âge jusqu’aux adultes au seuil de la vieillesse, comme en Italie. Il en résultera un effrayant conformisme social, une rebarbarisation de l’être humain rendu aux primitifs instincts guerriers, une pensée synchronisée, une culture mise au pas, qui n’est plus qu’un instrument de propagande. (1) Cf. Boris S o u v a r in e , Ouvriers et Paysans en U. R . S. S., Librairie du Travail, 1937.

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Il faudra mettre les esprits comme les corps en uniformes. Au respect des contrats se substituera le nouveau droit des besoins vitaux et l’on demandera à l’intimidation de la force le moyen d’en imposer. La tentation de se servir de la force, en l’absence du respect de tout principe iuridique, entretiendra chez les voisins un esprit de défiance qui, par contre-coup, déterminera un réflexe de peur sur celui qui en porte la responsabilité. La communauté des nations ne se morcellera pas seulement en une mosaïque d’économies fermées, mais en une collection de camps retranchés où le plus clair des ressources publiques sera investi à financer des entreprises improductives, les armements. Au concert des nations succédera un nouveau moyen âge où les nations, bardées de fer, seront écrasées stms le poids de leurs armements comme les lourdes statues du tombeau de Maximilien d’Autriche, à Innsbruck. Les dictatures précipitent les peuples dans un cercle infernal. Par crainte de la famine, elles les font vivre dans la disette ; par crainte de la guerre, elles les forcent à vivre en état de siège. Elles tirent leur justification des propres maux qu’elles provoquent et qu’elles entretiennent. A tout moment, elles risquent de déchaîner sur le monde les quatre fléaux de l’Apocalypse. L’Italie vit dans l’angoisse des improvisations césariennes de son Duce ; l’Allemagne sert son ceinturon et marche au pas cadencé ; la Russie baigne dans une mer de sang. Les Nations ne progressent plus sous la tutelle de ces grandes forces morales qui palpitent dans un nuage d’or sous forme de figures allégoriques, au plafond de la salle où la Sérénissime République de Venise recevait les Ambassadeurs : Ja Fidélité et l’Abondance, gardiennes des libertés ; la Mansuétude et la Vigilance, assises de la République ; la Fortune et la Modération, forces de l’empire ; le Commerce et l’Industrie, richesses des Nations. Les États totalitaires déifient les puissances chtoniennes, les forces élémentaires de l’instinct et de l’inconscient, de la fatalité et de la mort :

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le Sol et le Sang, la volonté de puissance et de domi­ nation. IV. — L ’économie planifiée ne donne pas le pouvoir aux travailleurs, mais aux bureaucrates. Une économie planifiée nécessite une économie bureau­ cratisée. Or, c’est une chose bien connue que, quand une entreprise dépasse une certaine échelle, les frais généraux et la part de l’administration ascensionnent rapidement, de façon à en stériliser les bénéfices. Que ne se produira-t-il pas lorsqu’il s’agira d’une entreprise destinée à suffire aux besoins de 170 millions d’habitants ? La planification indus­ trielle en U.R.S.S. a provoqué l’apparition d’une mons­ trueuse bureaucratie qui comptait, en 1934, huit millions de personnes pour vingt-deux millions d’ouvriers. Cette bureaucratie s’est développée dans les campagnes (compta­ bilité des kolkhozes, bureaux des normes, bureaux cen­ traux, bureaux régionaux, bureaux des Républiques, Kol­ khozes-Centre de Moscou). L’État est obligé de régler tous les détails de la vie de 170 millions d’hommes, jusqu’à pré­ voir la fabrication des échiquiers pour l’accroissement du nombre des joueurs d’échecs. Lorsque Trotski et, après lui, Victor Serge déclarent que le régime « thermidorien » de Staline a trahi la révolution, en substituant à la démocratie des paysans et des ouvriers la dictature du Secrétariat et des Bureaux, ils se trompent. Une industrie collectivisée entraînera toujours le poids mort d’une encombrante bureaucratie parasitaire qui deviendra bien vite la classe profiteuse du régime. Du moins peut-on espérer qu’une bureaucratie, issue du peuple, en compensation de la charge qu’elle impose à un pays, dirigera l’économie dans le sens de plus de jus­ tice distributive, pour le plus grand bien-être de la classe des travailleurs, des ouvriers et des paysans ? C’est ici qu’intervient la suprême dérision.

CONSÉQUENCES DES MYSTIQUES ÉCONOMIQUES

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Dans une économie planifiée, le producteur de matières premières et de produits agricoles n’a qu’un seul acheteur : l’État ; le consommateur ne se trouve en présence que d’un seul vendeur : l’État. Or, l’État-patron a exactement la mentalité d’un chef d’entreprise, avec cette énorme diffé­ rence que n étant plus freiné par la concurrence, il peut impunément acheter à des prix de misère et revendre à des prix de famine. Comparons, après la suppression des cartes d’alimentation en janvier 1935, le prix auquel le gouver­ nement soviétique achète les produits de la terre et celui auquel il les vend aux ouvriers et aux employés. « Il paie le blé, écrit Berline, 10 roubles les 100 kilos et vend le pain deux roubles le kilo, c’est-à-dire qu’il gagne 2.000 % (1). » Il en est de même des autres produits que l’État force les paysans à lui livrer à des prix très bas. « Pour le lait, ces prix sont respectivement de 15 kopeks et de 1,60 roubles le litre ; pour le beurre, de 2,50 et de 15 roubles le kilo « (2), et pareillement pour la viande, le coton, le lin, les peaux, ce qui crée pour le paysan une situation dramatique si l’on pense que, d’après une enquête officielle faite en Sibérie, l’État prend aux paysans 41,1 % de leurs récoltes (13 à 25 % vont aux stations de machines agricoles, 2,3 % à l’administration, 10,5 % au fonds de réserve) si bien que le paysan ne garde pour son usage personnel et pour la vente libre que 31 % de sa récolte, tandis que cette part atteignait 60 % dans la Russie d’avant-guerre. Le paysan vit misérablement parce qu’il vend à trop bon marché, et l’ouvrier vit misérablement parce qu’il achète trop cher, sans compter les impôts sur le revenu, sur le salaire, les contributions dites volontaires, les prestations de travail gratuit dont l’un et l’autre sont écrasés. Les revenus de l’État, disposant de toute l’industrie, du com­ merce, des transports, atteignent 90 % du revenu national, (1) Paul B e r l in e , La situation de la classe ouvrière en Russie, L'Année politique, oct. 1935, p. 226. (2) Paul B e r l in e , Où va la Russie ? L 'A n n é e p o litiq u e , sept. 1937, p. 227.

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10 % seulement étant laissés dans les mains du peuple. Mais qu’est-ce que l’État fait de ces immenses revenus ? U les investit dans les fabrications de guerre, dans l’indus­ trialisation, dans les œuvres sociales ; il les distribue sous forme de salaires, mais il en prélève aussi une très grande part pour entretenir une bureaucratie abusive, sa police politique qui est un État dans l’État, son armée politique et tout l’énorme « appareil » du parti et de la propagande. C’est pour les mômes raisons que l’ouvrier et le paysan ont perdu leur liberté, l’un restant attaché à son sol comme un serf, et l’autre fixé à son usine comme un mercenaire. C’est parce que, l’État étant désormais seul maître, ils n’ont plus la faculté de changer de patron, d’aller débattre librement sur le marché du travail leurs conditions d’em­ ploi. L’État a pris à leur endroit la mentalité du chef ^’industrie investi d’un monopole : il exige le maximum de rendement pour le minimum de salaire. Kléber Legay constate que, dans l’exploitation des mines, « le principe essentiel, mis en avant, est celui de l’économie des frais dans la production : produire le plus possible et à plus bas prix. Tout cela serait parfait, s’il n’y avait les vies humaines qui comptent et devraient compter plus en régime ouvrier qu’ailleurs (1). » L’accroissement des normes basées sur les performances des stakhanovistes, l’embauche à vil prix de la main-d’œuvre illicite, qui reconstitue « l’armée de réserve du prolétariat » que l’avènement du socialisme avait pour but de supprimer, permettent l’exploitation gystématique de l’ouvrier. Astreint au passeport intérieur, livret de travail, au livret militaire et au laissez-passer, l’ouvrier n’a pas le droit d’aller offrir librement son travail h moins de le faire clandestinement à des prix de misère. C’est la conclusion à laquelle parvient un ouvrier comirlUniste français qui est allé travailler dix ans en Russie /1) Kléber L e o a y , Un ouvrier français en U. H. S. S.t Librairie du Tra-

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à l’édification du socialisme. Dans sa brochure ( 1) Qu'est devenue la révolution russe ? Yvon s’exprime ainsi : « L’éco­ nomie capitaliste classique est le régime de la o concur­ rence »... Mais la concurrence pour la conquête du bénéfice entraîne nécessairement une concurrence pour obtenir des ouvriers. Dès lors, le régime capitaliste ne va pas sans une classe ouvrière relativement libre, libre tout au moins de vendre sa force de travail au plus offrant. » Qu’est-il sur­ venu en Russie ? « Au chaos, écrit Legay, devait répondre l’idée de plan et la Russie voit naître une société « organi­ sée », obéissant aux hommes. Le travail est « scientifique­ ment » réglé. Tous les rouages sociaux ont leurs calculs pré­ établis, ·ainsi que les courbes des mouvements qu’ils ont à accomplir. L’économie est « dirigée » et obéit aux lois artificielles imposées par la raison humaine. « Une classe de spécialistes, de techniciens, d’initiés (le cerveau du plan) règne plus puissamment qu’aucun maître n’a jamais régné sur les hommes. Cinq ou six gros volum es, un grimoire algébrique sont pour eux le résumé de toute la vie sociale dont ils tiennent en main tous les ressorts. « La concurrence est morte. « Mais, dès lors, toute liberté des travailleurs est morte aussi. Le « plan » est exigeant par définition ; il ne peut tolérer l’indiscipline et dans une société « planée » chaque homme a sa place numérotée. Encadré, étiqueté, contrôlé, il a à faire des gestes dictés d’en haut, à jouer un rôle com­ posé à l’avance ; il n'est qu’un petit signe mathématique dans le plan général. « Son sort, sa nourriture, son vêtement, autant de courbes sur des tableaux noirs et rien que cela. « Chaque travailleur est une sorte de soldat discipliné, une sorte de forçat irrémédiablement attaché en un lieu déterminé, à une tâche déterminée, qu’il ne peut plus mettre en discussion. (1) Publié à la Révolution prolétarienne, 1935.

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« La disparition du capitalisme n’apporte donc pas for­ cément au travailleur sa libération. »

y . — L ’économie planifiée ne recherche pas le bien-être des consommateurs, mais poursuit les intérêts propres du parti au pouvoir. Au prix de la perte de leur liberté, les citoyens des pays totalitaires pourraient du moins espérer cet assoupisse­ ment de l’inquiétude morale et du regret des libertés per­ dues que procure l’enlisement dans la sécurité du confort. On voit bien les partis totalitaires, à la veille de leur éta­ blissement, jeter un défi à l’économie libérale des États démocratiques et bourgeois et annoncer la Terre promise. Édouard Herriot, à son retour de Russie, a parlé du match entre l’industrie russe et l’industrie américaine, en laissant entendre qu’il pariait pour la première. A ceux qui, en 1932, faisaient mine d’être sceptiques, il était invariable­ ment répondu : « Je vous donne rendez-vous dans cinq ans ». Le rendez-vous aboutit au cauchemar qui règne en Russie (1), aux procès de Moscou, à la famine récidivante. Le cas n’est pas particulier à la Russie : à peine installés, sous les effets de leur gestion étatique, les gouvernements totalitaires prêchent l’ascétisme aux masses au nom de l’idéalisme qui impliquerait une discipline guerrière : « Pour­ quoi vous plaignez-vous de manquer de porc et de graisse, puisque vous avez de la poudre et des canons », répète le décalogue des gouvernements planificateurs. La raison en est fort aisée à comprendre. Sous un régime d’économie libérale, ce qui oriente la production, ce sont les besoins et les goûts des consommateurs exprimés par le plébiscite des prix ; dans un régime planifié, ce sont les décisions des bureaucrates. Les bureaucrates, privilégiés (1) Boris S o u v a r in e , Cauchemar en U. R. S. S . (extrait de la Revue de Paris), Librairie de Médicis, 1937.

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du régime, dépendent du parti qui est au pouvoir. La pre­ mière préoccupation de ce parti est de durer, car les pro­ cédés qui lui ont permis d’accéder au pouvoir ont soulevé trop de haines irréconciliables pour qu’il ne sache qu’il se condamnerait à mort le jour où il abdiquerait. L’obligation de durer lui impose d’assurer avant tout sa sécurité à l’intérieur par son appareil policier et sa sécurité à l’exté­ rieur par son armée politisée. Aussi, voit-on les régimes totalitaires sacrifier l’industrie légère à la grosse industrie, les industries de consommation à l’industrie des armements. Une économie planifiée ne travaille pas pour le soulagement des prolétaires, pour le bien-être des consommateurs, mais pour la survie d’une caste : celle des bureaucrates, des poli­ ciers, des propagandistes et des militaires.

VI. — Les échecs de l’économie planifiée. En régime libéral, si un besoin nouveau se fait sentir, si une production s’avère déficiente, l’initiative privée, appâtée par le profit à réaliser, vient de suite combler la carence du système économique. Il en est tout autrement dans un régime planifié. Toute erreur dans l’élaboration du plan ou dans son défaut d’exécution crée un déséqui­ libre permanent. Si les ingénieurs marxistes ont oublié, comme en Russie, que la grosse industrie alimente une petite industrie d’accessoires, on connaîtra la crise des pièces de x'echange qui immobilise des usines entières et font des immenses plaines russes un cimetière de machines. Dans une économie planifiée, tous les postes de la pro­ duction doivent aller au même « tempo ». Tout retard dans les branches maîtresses de la production se généralisera immédiatement à tous les processus de fabrication subor­ donnés. C’est précisément ce qui se produit dans l’industrie russe planifiée. Lors du premier plan quinquennal, les réalisations pour la sidérurgie atteignirent seulement

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50 à 60 % des prévisions. La pénurie du fer fut un désastre qui se répercuta dans quantité de branches d’industrie. Continuellement, les constructions métalliques sont retar­ dées parle manque de laminés, les laminoirs chôment faute de métal, les fonderies manquent de minerai. La coordina­ tion des différentes branches de production est impossible : la base métallurgique de l’Oural, par exemple, est ravi­ taillée en charbon par les mines de Kouznetsk situées à deux mille kilomètres de distance, en Sibérie : quand on connaît l’état des transports russes, comment s’étonne­ rait-on que les usines manquent de charbon et que le char­ bon reste stocké près des puits de mine ? Réciproquement, la fonte produite à Kouznetsk avec le minerai de Magni­ togorsk doit quitter la Sibérie centrale et parcourir des milliers de kilomètres à la recherche de convertisseurs pour devenir de l’acier. Tout le plan que Γéconomie soviétique oppo­ sait. orgueilleusement à l’anarchie capitaliste est désorganisé par les déficits inégaux des diverses branches de production. La raison profonde de cette «anarchie » planifiée, a bien été mise en lumière par l’école néo-libérale autrichienne : Ludwig von Mises, Hayek, Brutzkus (1). Dans un système écono­ mique basésur l’offre et la demande, tous les prix sont fonc­ tion les uns des autres, et les prix des denrées de consomma­ tion régularisent en définitive les prix des moyens de produc­ tion : c’est ce qui adapte spontanément, les industries d’équi­ pement aux besoins des industries de consommation. Dans un régime planifié fait nécessairement défaut le mécanisme sta­ bilisateur des prix du marché ; les prix qu’on y impose arbi­ trairement, sauf pour le secteur demeuré libre, sont de simples indices comptables de répartition sans signification économi­ que, puisqu’ils ne correspondent pas aux prix de revient qu’on ne saurait calculer. Faute de pouvoir calculer des prix de revient, aucun moyen n’existe pour adapter la production (1) Ludwig v o n M is e s , Le Socialisme, étude économique et sociologique ; H a y e k , L'économie planifiée en régime collectiviste ; B r u t z k u s , L'U. R. S. S. terrain d'expériences économiques. Ces trois volumes doivent paraître en 1938 aux Éditions de la Librairie de Médicis.

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des produits de base au x besoins des industries de transfor­ mation, les produits transform és aux besoins de la consom­ mation. Les statistiq u es, qui traduisent la peur ou la fla­ gornerie de ceu x qui les établissent, ne peuvent fournir flue des données fausses sur lesquelles les technocrates construisent leurs plans théoriques. L’impossibilité de les exécuter engendre les procès de sabotage qui expriment simplement l’im p ossibilité d’adapter les plans à la réalité et qui se développeront, par une nécessité naturelle, dans toutes les économ ies planifiées, comme on commence à le voir en A llem agne. Les procès de sabotage sont dûs à l’impossibilité pour les chefs d’industrie, pour les ingénieurs, pour les ouvriers d ’exécuter la tâche qu’on leur prescrit avec les m oyens q u ’on leur donne. Ils tâchent de s ’en tirer par des exp éd ien ts qui ne font qu’ajourner l’instant où on découvrira q u ’ils on t trahi le plan. Ces procès qui détruisent en Russie to u te la classe dirigeante est le plus tragique aveu de l ’échec de to u te économie planifiée. Pour se rendre com pte de la gravité de cet échec, quatre chiffres sont à m éditer. La P ravda du 10 janvier 1937 avoue que la récolte de blé pour l ’année 1936 a été de 81 millions de tonnes de blé. Ce chiffre signifie qu’avec une population officiellement estim ée à 170 millions d’habitants contre 130 m illions d’hab itants en 1913 ; après avoir accru les emblavures d’un nombre d’hectares équivalant à plusieurs départem ents français ; après l’investissem ent de dizaines de m illiards de roubles dans la collectivisation et la moto­ risation des cam pagnes ; après des souffrances physiques et morales inconcevables, des famines, des confiscations, des déportations, des fusillades m assives, la Russie actuelle n'est pas arrivée à atteindre la production de blé qu’assuraient, avant guerre, les sim ples m oujiks avec leurs charrues de bois, celle de 1913 s ’étan t élevée à 96,6 millions de tonnes de blé. Le second chiffre est le suivant. Le pouvoir d ’achat, évalué en p a in de seigle, du salaire mögen de l’ouvrier soviétique

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n'atteint pas aujourd'hui le tiers de celle du salaire moyen de l'ouvrier sous le tsarisme (1). Et, encore, le salaire moyen actuel dissimule-t-il une extrême disparité de salaires, comme il n’en existe dans aucun pays capitaliste, si bien que la grande majorité des travailleurs n’atteint même pas ce salaire de disette. Troisième chiffre à méditer. Depuis 1934, le droit attribué aux familles de kolkhoziens de posséder une habitation privée et un hectare a permis de restituer dix millions d’hectares à l’exploitation paysanne individuelle, contre 108 millions d’hectares exploités selon les méthodes collec­ tivistes. Or, en 1936, les chiffres officiels suivants ont été fournis pour le cheptel : espèces bovines, 14,8 millions de têtes pour les kolkhozes contre 26,2 millions de têtes pour les exploitations individuelles ; 3,7 millions de porcs contre 15,2 ; 14,1 millions de moutons et de chèvres contre 11,8 millions. Les terres exploitées individuellement, qui représentent un dixième de l’ensemble des terres cultivées, produisent un cheptel deux ou trois fois supérieur à celui des terres collectivisées (2). Dernier chiffre, et, celui-là, tout simplement terrifiant. En 1937, le gouvernement a fait procéder à un nouveau recensement. Le chiffre attendu, d’après le taux annuel d’accroissement de la population, devait dépasser 170 mil­ lions : il fut inférieur à 145 millions (3). Si l’on se souvient que la guerre mondiale et la Révolution n’ont pas coûté à la Russie plus de cinq millions de vies humaines, on se rendra compte du carnage épouvantable auquel vingt ans de gestion bolchévique ont abouti et de l’intolérable légèreté de certains hommes d’État français, instigateurs du pacte franco-russe, tel Édouard Herriot, qui découvrait dans son (1) Boris S o u v a r in e , Ouvriers et Paysans en U. /?. S. S.f p. 12. (2) Cf. Alexandre M a r k o f f , L ’U .R.S.S., société sans classes, éd. de la Librairie de Médicis, 1938. (3) Interview par Boris Souvarine du général Krivitski, réceptionnaire à Paris des fournitures militaires de l'armée rouge, chef du contre-espionnage soviétique allemand, publiée dans La Flèche, 5 mars 1938.

VII. —

In cid en ces in tern a tio n a les des économ ies p lan ifiées.

L’économie planifiée ne prodigue à la foule de ses adora­ teurs ni la liberté, ni le bien-être, ni le pain quotidien, ni le pain de vie, mais le plus complet despotisme dans une niisère généralisée.

Impuissante à faire disparaître les

inégalités à l’intérieur, elle n’est guère plus apte à régler les grands problèmes économiques internationaux. Parmi ces problèmes, il n’en est pas de plus vital que celui de l ’inégale répartition des matières premières dont dépendent la vie économique et le développement industriel des peuples. A consulter la carte géographique et géologi­ que du monde, on constate que les matières premières y sont fort inégalem ent réparties entre les différentes com­ munautés politiques. Si le

C om m onw ealth britan n iqu e n’est

démuni que de potasse et détient le tiers, la moitié parfois de la production mondiale des produits majeurs, l ’empire français ne com pte guère que pour les huiles végétales, les arachides, la potasse, le fer et la bauxite ; l ’empire hol­ landais pour le coprah, le caoutchouc et l ’étain. A part les États-U nis et la Russie qui sont des continents, les autres nations sont encore plus mal nanties. Or, aucune réparti­ tion de colonies ne pourrait mettre fin à cette capricieuse (1) Cf. Louis R ougter, Peut-on savoir ta vérité sur Veipéricnce russe ?, éd. Librairie de Médias, 1937, et Trotski, La Révolution trahief Grasset, pp. 53-54. — Sur l'extermination d’un million de familles paysannes (5 ou 6 millions de personnes) du 27 décembre 1929 au 2 mars 1930, pendant la première phase de la liquidation des koiilaks en tant que classe, cf. Eugène Lyons, directeur adjoint de l'agence soviétique d'information « Tass » à New-York, Assignem ent in Utopia , Harcourt-Brace & Co,, New-York, 1937·

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LES MYSTIQUES ÉCONOMIQUES

injustice née des hasards de la géologie et de la géographie physique. Mais ce problème cesse d’en être un sous un régime de libres échanges qui établit un marché économique mondial. I^es États détenteurs de matières premières n’onl qu’un désir : vendre le plus possible, ce qu’ils ont en excès et, par suite, accueillir les acheteurs. Les pays qui ont besoin de matières premières n’ont qu’à se les procurer sur le marché mondial aux prix les plus favorables. Il en va tout autrement dans un monde fragmenté en économies fermées. Le dérèglement du mécanisme financier des échanges internationaux entraîne ce paradoxal résultat. les pays qui souffrent le plus du manque de matières pre­ mières n’ont pas assez de devises pour en acheter ; les pays qui ont acquis récemment des colonies, riches en matières premières, n’ont pas assez de capitaux pour les exploiter ; les pays riches en matières premières défaillent sous le poids de leurs richesses, faute de trouver à qui les vendre. Le problème de la répartition des matières premières n’est qu’à un infime degré un problème de répartition de terri­ toires : c’est un problème de reprise du commerce interna­ tional. Il n’y a pour le résoudre qu’une issue : le retour aux pratiques de l’économie libérale, le rétablissement du méca­ nisme financier des échanges internationaux, basés sur l’alignement monétaire et le retour à un étalon-standard. Il n’y a pas d’autre issue, sinon le corset de fer des dicta­ tures, et, en dernière instance, la grande aventure qu’est la guerre. Et, ainsi, tout s’enchaîne. Nous sommes, en économie comme en politique, à la croisée des chemins. D’un côté, les séductions rationalistes de l’Économie dirigée ou du Pla­ nisme intégral qui mènent à l’autarcie, à la dictature, au militarisme et à la guerre ; de l’autre, le retour progressif aux pratiques éprouvées du libéralisme constructeur qui mène au développement de la solidarité internationale par la division du travail mondial. L’humanité d’aujourd’hui

C O N SÉ Q U E N C E S D E S M Y ST IQ U E S É C O N O M IQ U E S

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est séduite par les mirages de l’Économie dirigée, parce que, après tant de guerres, de révolutions, de convulsions et de désordres, elle rêve stabilité : stabilité des prix, crainte du risque, horreur des crises, hantise du chômage. Mais stabiliser la vie économique serait vouloir endiguer l’élan vital, baliser, une fois pour toutes, le torrent impétueux du devenir. Ainsi, chacun de nous rêve d’accrocher la barque de son existence à quelque havre sûr, dans une île fortunée où régnerait un immarcesciblc azur dans un éternel prin­ temps. Mais la stabilité engendre l’ennui, l’inertie et la mort. Heureusement, toujours les orages de l’existence nous repoussent vers la haute mer. Délaissant les falla­ cieuses promesses d’une existence bureaucratisée, à l ’abri de toutes les conjonctures, il faut que l’humanité retourne dans l’arène féconde où s’affrontent librement les initia­ tives individuelles, l’État revenant à sa mission propre qui est de faire respecter par tous les règles du jeu social et d’assurer la loyauté du combat d’où jaillit le progrès humain.

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CHAPITRE VIII POURQUOI LE MONDE S’ÉCARTE-T-IL DU RÉGIME DE L’ÉCONOMIE LIBÉRALE ?

C’est un fait d’observation que, dans les pays encore j^nocvatiques, l’intervention de l’Etal en matière écono­ mique s’accroît chaque jour, sous la pression des intérêts privés coalisés, des syndicats ouvriers et des masses élec­ torales. Par conséquent, les nations s’écartent chaque jour des conditions requises par une économie libérale. Ce fait général est imputable à un concours de causes fort diverses. Il est l’effet de la concentration économique provoquée par la révolution industrielle du x v m e siècle et de la démocratisation du crédit ; il est attribuable aux pro­ cédés nouveaux de propagande, la presse à gros tirage et la radio, qui permettent de manœuvrer l’opinion publique ; il relève enfin de raisons purement politiques, intérieures et extérieures.

I. — Conditions requises pour s'écarter d’un régime de libre concurrence. L’analyse des conditions requises pour que l’équilibre économique s’établisse conformément à la loi de l’offre e t de la demande permet de comprendre comment et pour-

LF. ΜΟΝΟΙ·: ET L’ÉCONOM IE LIBÉR A LE

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quoi l’on passe d’un régime de libre concurrence à un régime de compétition incomplète, puis à un régime de monopole privé, corporatif ou étatique. Nous avons vu, dans le premier chapitre, que l’équilibre économique, dans un régime concurrentiel, résulte des compensations statistiques d’un grand nombre d’activités individuelles indépendantes les unes des autres, comme seraient les achats et les ventes passés sur un marché entre des couples de vendeurs et d’acheteurs qui trafiqueraient sans nul souci des couples voisins (1). Pour que l’équilibre statistique se produise, deux conditions sont requises : les acheteurs ou les vendeurs ne doivent pas se concerter pour n’acheter qu’au-dessous d’un certain prix ou ne vendre qu’au-dessus d’un certain prix ; il ne faut pas, par ailleurs, qu’une autorité extérieure intervienne pour imposer un prix-limite qui s ’écarterait du prix d’équilibre. Rapportées au calcul des probabilités, ces deux conditions correspon­ dent au postulat de l’indépendance et au postulat de l’égalité des chances, sur lesquels repose l ’application de ce calcul. Le premier postulat suppose l’indépendance des événe­ ments que l’on considère. Rapportons-nous au modèle cinétique des gaz. Si un courant d ’ensemble entraînait toutes les molécules vers la paroi droite du récipient qui les contient, la pression intérieure tom berait à zéro sur la paroi gauche pour augmenter du double sur la paroi droite : la loi de l’équipartition de la pression serait en défaut. Si les vendeurs se coalisent pour ne vendre qu’à un certain prix, si les acheteurs se liguent pour n’acheter qu’à un certain cours, la loi des grands nombres ne joue plus : l’équilibre forcé s’établit au-dessus ou au-dessous du prix d’équilibre. Si le prix forcé est supérieur au prix d’équilibre, les consom­ mateurs se déroberont ou se rabattront sur les succédanés ; une partie des marchandises restera invendue. Si le prix (1) Les considérations statistiques suivantes ont été bien mises en lumière par Pierre Daure, professeur à la Faculté des Sciences de Bordeaux, dans une note à l'Académie des Sciences (C. H., t. CCI, p. 17) et dans un article des Annales de Droit et des Sciences sociales, t. V I, Recueil Sirey, 1936.

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LES MYSTIQUES ECONOMIQUES

forcé est inférieur au prix d’équilibre, on ne pourra satis­ faire toute la demande : une partie de la population devra se priver, et il faudra rationner la population s’il s’agit de denrées de première nécessité. C est ce qui arrive lorsque se constituent des monopoles de vente ou des ligues d ache­ teurs. Le second postulat suppose qu’il n’y ait aucune contrainte extérieure venant faire pression sur les individus considéiés. Sur les deux trottoirs symétriques d’un pont passe en une heure un nombre sensiblement égal de piétons à droite et a gauche. Il n’en sera pas ainsi, si on impose un ordre de cir­ culation. Le pont relie-t-il un quartier de grands magasins à un faubourg populaire, d y aura plus de personnes cir­ culant à droite à la sortie des magasins et à gauche à 1 ouver­ ture, ou vice-versa, suivant le règlement de circulation. Si les clochers d’église attiraient les llocons de neige, il y aurait plus de neige sur la place d’un village que partout ailleurs. Il en sera de même, quand une contrainte extérieure s’exercera sur les échangistes d’un marché. Si un syndicat ouvrier, si la C.G.T. impose un tarif syndical supérieur au salaire qui eût résulté de la loi de l’offre et de la demande sur le marché du travail, la demande sera inférieure à 1 offre : il y aura chômage. Si une Banque Centrale d émission, par le taux de l’escompte ou la pratique de 1 open market, empêche les prix de monter, en créant une inflation d ins­ truments de paiement, ou empêche les prix de baisser en opérant une ponction sur les instruments de paiement, l’équilibre économique qui eût résulté de l’ascension des prix en période d’optimisme, ou de leur chute en période de dépression, ne pourra s’établir conformément à la loi de l’offre et de la demande. Il en sera de même si l’État ou les pouvoirs commissionnés par lui imposent des prixlimites, pour empêcher les cours de tomber s’il y a surpro­ duction, ou de monter, s’il y a raréfaction de la production. Dans un cas comme dans l’autre, l’action de l’État aura pour effet de cristalliser les prix, de les empêcher de s’adap-

L E M O N D E E T L ’É C O N O M IE L IB É R A L E

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ter à la demande, et prolongera le déséquilibre en substi­ tuant, à un équilibre fluide, un équilibre pâteux ou visqueux. En résumé, on peut s’écarter des conditions requises pour l’établissement de l’équilibre spontané, qui assure le maximum de satisfaction pour les échangistes, étant donnée une certaine distribution de la capacité d’achat, par deux mécanismes distincts, l’un intérieur, l’autre extérieur : soit par la formation due aux intéressés de coalitions, de cartels, de trusts, de consortiums, de ligues d’acheteurs ; soit par la contrainte exercée du dehors par le syndicat, la cor­ poration, l’État ou les arbitres commissionnés par lui, contrainte qui se manifestera par le contrôle des prix, par les contrats collectifs de travail, par les codes indus­ triels, par la constitution et le financement de stocks, par les mesures de fiscalité les plus diverses, par les droits de douane et les contingentements, par les manipulations monétaires ; bref, par toutes les techniques de l’économie dirigée. Les effets à attendre seront la permanence d’un état de déséquilibre économique au profit d’une classe momentanément privilégiée.

II. — Causes économiques. D ’où vient la facilité qu’éprouvent de nos jours produc­ teurs et travailleurs à constituer des ententes, des mono­ poles, des syndicats qui viennent solidariser les actes d'un nombre considérable de personnes de façon à mettre en défaut la première condition requise pour que se réalise un régime concurrentiel ? La réponse est relativement aisée. C’est avant tout l’effet de la concentration économique, du développement du machinisme, qui agglomèrent la main-d’œuvre ouvrière dans quelques centres industriels, où il lui est aisé de prendre conscience de ses intérêts de classe, de s’organiser, de se syndiquer pour la défense de

LES M Y STIQ U ES ÉCONOM IQUES

ses revendications. C’est, pareillement, la concentration des entreprises, le groupement dans quelques capitales du monde des conseils d'administration des grandes entreprises, la présence d’un petit nombre de personnalités financières et industrielles, toujours les mêmes, dans lés conseils d’administration qui ont provoqué l’apparition de véritables congrégations économiques faisant évoluer le capitalisme de l’état de libre concurrence vers l’état de monopole. C’est, enfin, la démocratisation du crédit, la foule des petits por­ teurs d’actions faisant que la spéculation n’obéit plus à quelques règles de jeu de clubmen, mais aux grands mou­ vements d’optimisme ou de pessimisme qui relèvent de la psychologie des masses. On peut en conclure que, si l’on voulait renverser le courant, revenir à une économie plus libérale, il faudrait décentraliser la production industrielle, ce que le transport de l’énergie à longue distance permettrait de faire, confor­ mément aux prédictions de Ford ; il faudrait réformer les lois sur les sociétés anonymes, de façon à empêcher la pré­ sence des mêmes administrateurs dans les entreprises les plus variées qui finissent par être imbriquées les unes dans les autres ; il faudrait modifier les règlements bancaires qui permettent une spéculation massive comme aux ÉtatsUnis ; il faudrait, enfin, que l’État soit constitutionnelle­ ment assez indépendant pour rétablir l’émulation néces­ saire à la vie économique en régime capitaliste, favorisant la création de régies coopératives, abaissant les droits de douane pour permettre à la concurrence de se faire sentir : en un mot, tout le contraire de ce qu’il fait.

La concentration économique qui favorise les groupe­ ments patronaux et ouvriers ne joue que faiblement pour les paysans et les consommateurs. C’est pourquoi la pay­ sannerie représente une classe beaucoup moins active poli­ tiquement que la classe ouvrière, ce qui faisait dire à Lénine : «la voix d’un seul ouvrier vaut plusieurs voix de paysans »; et l’on constate que les gouvernements sont toujours plus

LE M O NDE ET L’ÉCONOMIE LIBÉRALE

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enclins à faire la politique des producteurs, dont les inté­ rêts sont fortem ent représentés au Parlement, que celle des consommateurs qui vivent en état de dispersion et s’organisent difficilement. Il en résulte qu’en dépit de leurs promesses électorales les gouvernements font presque tou­ jours une politique de vie chère, soit qu ils soient au service de minorités ploutocratiques, dans les ministères d a aires > soit qu’ils soient au service des masses, dans les minis eres de rassemblement populaire. Les gouvernements vraim ent démocratiques, ceux qui feraient la politique esjcons dateurs, représentés surtout par les ménagères, îinpliqUerait ie vote des femmes n existen pou dire pas.

IV. — Les causes psychologiques. A côté de l’action des ententes patronales, ouvriers, de l’intervention de l ’É tat, il a spécudes ruées économiques qui déclenchen es latifs, sous l ’effet de l’optim ism e, ou provoquent des ^ de déposants, sous l’effet de la panique, e Φ* τ a faci­ le que les porteurs d’actions sont devenus i ^ o m L a ta ^ hté des com m unications, la entrainem ents presse et la radio sont responsables de ces hnm ajnes grégaires qui précipitent des mdliers de ecu défaut la d’un côté ou de l’autre, de façon a me re . condition première dont dépend l ’equilibre ec t Prenons comme exem ple les krachs boursiers^ l i s a n t dûs à la structure de notre systèm e nion al mnroKaV)iiité organisation bancaire, basée sur la haute improbabilité, vraie dans le passé, d’une ruée économique. il v a A la base de l’édifice monétaire des É tats mode ’ J l’encaisse-or des grands Instituts d gage une m onnaie financière qu on a coutum e d ém ettre e n plus grande quantité, l’am plification fiduciaire qui en

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LES MYSTIQUES ÉCONOMIQUES

résulte étant dans un rapport inverse du coefficient de couverture. Une partie de cotte monnaie fiduciaire est déposée dans les coffres des banques qui émettent à leur tour des instruments de paiement (chèques, titres de clédit) sous la forme scripturale en plus grande quantité qu elle n’en détiennent sous la forme fiduciaire. 11 en résulte une seconde amplification monétaire, de même sens que la piemière. Dans les pays anglo-saxons où 1 usage des paiements par chèques s’est généralisé, l’ensemble des disponibilités monétaires ainsi créées est environ dix fois plus grand que l’encaisse métallique. Ces considérations s’aggravent si, au lieu de considérer les monnaies immédiatement libératoires (or, monnaie fiduciaire, monnaie scripturale), nous envisageons les monnaies comptables. Les individus, les sociétés, les banques ont pour habitude de porter à leur actif la valeur de tous leurs titres de pro­ priété évalués au cours du jour et de les additionner par après, comme si les biens dont ces titres sont les symboles étaient simultanément convertibles en monnaies réelles. Oi, si une telle conversion était exigée par tous les détenteurs de titres, au même moment, elle affecterait un nombie de biens sensiblement plus grand que ceux qui sont effec­ tivement échangés chaque jour, et la valeur de ces biens tomberait. En effet, la valeur n’est pas une propriété intrin­ sèque attachée à chaque objet, comme les propriétés phy­ siques, le volume, la masse spécifique, la capacité élec­ trique, etc... ; c’est un rapport entre le nombre total d’objets d’une même catégorie offerts sur le marché et les disponibilités monétaires des acheteurs. Si n objets sont échangés contre m unités monétaires, le prix P de chaque objet sera déterminé par la relation Pn — m. La réalisation simultanée de tous nos titres de propriété ferait effondrer leur valeur, et l’on constaterait que les avoirs qui figurent dans nos bilans multiplient par dix le crédit que nous possédons en banque, sous forme de monnaies scripturales,

L E M O N D E E T L ’É C O N O M IE L IB É R A L E

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ce qui signifie que nous avons amplifié de dix par rapport aux monnaies scripturales, donc de cent par rapport à l’or, nos espérances totales monétaires. Cette inflation de crédit a longtemps été sans danger, en période de stabilité ou de hausse, parce que l’éventualité d’un mouvement d’ensemble de liquidation ou de conver­ sion est alors très hautement improbable. Le fait que pen­ dant des années ce système monétaire ait pu fonctionner sans trop d’accidents graves prouve l’existence des régu­ larités statistiques qui faisaient que les demandes de con­ version ne portaient que sur une faible fraction du papier en circulation et que les ventes de marchandises rembour­ saient à peu près les avances bancaires. L’histoire économique depuis la crise mondiale montre qu’il n’en est plus ainsi. Lors du krach de Wall Street en 1928, certaines valeurs perdirent en quelques jours 90 % de leur cote primitive. Lors de la crise boursière de mars 1932, les banques américaines se trouvèrent en présence d’une demande de remboursement or de l’ordre de 1.200 mil­ liards, représentant douze fois la réserve d’or américaine, et près de trois fois la réserve d’or totale du monde. Depuis, tous les grands instituts d’émission ont été contraints, soit de suspendre la convertibilité de leur monnaie, soit de dévaluer, en adoptant le système du gold bullion, et quan­ tité de banques privées, d’une honorabilité indiscutable, ont été entraînées par la ruée vers l’or. Ces paniques ne sont possibles qu’en vertu de notre comptabilité bancaire qui permet une inflation énorme de crédit. Celle-ci détermine, en période ■de déflation, des ruées économiques mettant les gouvernements en présence du dilemme suivant : assainir leurs monnaies jusqu’au point où elles soient convertibles, ce qui impli­ querait une contraction des disponibilités de 10 à 1 ; aban­ donner la convertibilité partielle ou totale de leurs mon­ naies. L’Angleterre a tenté héroïquement la première solu­ tion jusqu’au jour où, voyant son industrie sombrer et son

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LUS MYSTIQUES ÉCONOMIQUES

d e r t r de ChÔmeUrS s’accroître’ elle a dù décrocher la livre s u M n l i r ^ 6 bancaire et nos méthodes comptables tions mont*e économique régi par des compensa­ ndae Ce^u* l ’économie libérale d’avantoù se n o n ° ^ ^ re Place à un monde nouveau grâce à h m vr! ,so^c^ar^és d’intérêts ; où se déterminent de Bourse à^i 16 ^6S ^n/ ormations, à la facilité des ordres d’opinion *onU c.ommoipté des déplacements, des courants entraînements lmi^teS ° U PessÎmistes, qui provoquent des système monétair^*911^ n° US °kbgeant à reviser notre

IV.

Causes politiques.

l ’assainissem entS ^ X’ ^CS cours forcés, les contrats collectifs,

faires, les droits d ^ marc^ s» les manipulations monétoire, le prélèv 6 ° 0llane» les contingentements, le inorasions, l’impôt ,nt sur le capital, l ’impôt sur les succesl’impôt à la ρΓο!|Γ ^ revenus» l’impôt à la consommation, tifs rendus par 1 on>la rémunération des services colléecontrainte état^es mon°poles, etc., manifestent la contrainte l’Ét SUr ^’équilibre économique. Cette Usés et dès r ^ cxerc_e s°us la pression des intérêts coaconcentratmr. ^vendications populaires, favorisés par la à I e r a r t T , économi