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French Pages 386 [392] Year 1968
cahiers de la fondation nationale des sciences politiques PIERRE
BARRAL
LES AGRARIE NS FRANÇAIS DE MELINE A PISANI
ARMAND
COLIN
Les années 1860 marquent la victoire décisive de la révolution industrielle. Le monde agricole se sent désormais séparé, dominé, exploité. Pendant un siècle les paysans vont l u t ter pour attester leur existence et la faire prendre en considération par les autres couches sociales et par les p o u voirs publics. C'est ce dialogue, entrecoupé de violence, entre la volonté des paysans et les actes des autorités p u b l i ques que Pierre Barrai s'efforce de saisir à la charnière de l'économique et du politique. L'auteur, qui n'hésite pas à utiliser le terme souvent contesté d'« agrariens » pour définir l'ensemble des affirmations collectives du monde rural, étudie le milieu humain et analyse les structures sociales, les attitudes religieuses et les orientations politiques qui ont p r o f o n dément déterminé les tendances et les formes de l'action paysanne. A travers la crise agricole de 1890, la grande dépression des années 1930 et, depuis 1950, « la révolution silencieuse », nous voyons ce monde agricole se t r a n s former, abandonner de plus en plus les luttes dispersées pour l'action, collective, délaisser la direction des notables pour celle d'authentiques exploitants et é v o luer peu à peu du particularisme à l'intégration. k
L'histoire de cet affrontement du monde paysan et de la société industrielle existait déjà dans certains pays c o m m e l'Allemagne, les Etats-Unis et l'Italie ; elle manquait en France : l'ouvrage de Pierre Barrai comble cette lacune.
LES AGRARIENS FRANÇAIS
CAHIERS DE LA FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES — 164 —
PIERRE BARRAL
LES AGRARIENS FRANÇAIS de Meline à Pisani
LIBRAIRIE 103, Boulevard
1968 ARMAND Saint-Michel,
COLIN Paris 5 e
©
1968
LIBRAIRIE
ARMAND
COLIN
TABLE DES
MATIÈRES
13
AVANT-PROPOS
I " PARTIE :
SOUS L A D I R E C T I O N D E S A U T O R I T E S
SOCIALES
(I860-I9I4)
17
C H A P . I : L e m o n d e rural français
20
I. Vue d'ensemble Les hommes. Les propriétés. Les exploitations. Les traditions politiques. Les traditions religieuses. La conquête républicaine. II.
Types de sociétés rurales Démocraties républicaines. Démocraties anticléricales ou protestantes. Démocraties « cléricales » . Démocraties neutres. Hiérarchies acceptées. Hiérarchies contestées. Hiérarchies capitalistes. Hiérarchies coloniales.
C H A P . II : L a crise agricole et le pouvoir
20
41
67
I. Les difficultés de l'agriculture L a baisse des prix et des revenus. La recherche des causes. L e désastre du phylloxéra.
68
IL L'action du pouvoir Les auteurs d e la politique agricole. L e recours au protectionnisme. Premiers essais d e réorganisation.
78
IIL Au début du vingtième siècle L e redressement général. L a crise viticole. C H A P . III : Les
formes
d'organisation
93
autonomes
104
I. Le développement des associations L a rue d'Athènes. Ses cadres et son esprit. L e Saint-Germain. II.
III.
Les activités économiques L'approvisionnement coopératif. L'exploitation coopératives. L e crédit coopératif.
105 boulevard 117
et
la
vente
La conscience agrarienne L e problème de l'unité rurale. Les valeurs terriennes. poids politique. 5
128 Le
C H A P . I V : Agrarisme
et
I. Le syndicalisme
des ouvriers
Les organisations II.
lu.
II
e
socialisme
141 et des métayers
ouvrières.
Le
Le socialisme et l'agriculture Le programme de Marseille. Compère-Morel.
mouvement
des
métayers. 152
Jaurès
agrarien.
Autour
LES LENTES PAYSANNE
ETAPES
(depuis
DE LA
177
(1914-1929)
179
I. La guerre L e poids du conflit. La politique du ravitaillement. chissement apparent. II. Débats sur la propriété L'évolution des rapports sociaux. Les appels du et du communisme. Pour l'exploitation paysanne.
V I : Protestations et interventions I. La Grande dépression La seconde « crise agricole » . l'organisation des marchés.
L'enri191
socialisme
(1929-1939)
III.
203
217 218
L'appel
au
pouvoir.
II. Nouvelles équipes L e syndicalisme corporatif. L e Parti agraire et la paysanne. L'Action catholique rurale.
Vers 232
Défense
Le Front populaire L'action socialiste. L e communisme agraire. Les résistances agrariennes.
243
(1940-1950)
256
V I I : Politiques d e la terre au temps d e la pénurie
CHAP.
179
La politique agricole ' Organisations et représentations. Equipement et production. L'équilibre des marchés.
CHAP.
164
PROMOTION
1914)
V : Dans la guerre et dans l'inflation
III.
de
La réponse des agrariens Le refus du socialisme. La glorification de la propriété. Les attitudes patronales.
PARTIE :
CHAP.
141
I. L'idéologie agrarienne Au pouvoir. Dans l'opinion.
256
II.
La lutte contre la disette La pénurie alimentaire. Les exigences allemandes. L e s conditions de la collecte.
264
III.
L'organisation corporative L a Charte paysanne. L e fonctionnement d e la Corporation.
274
IV. La Libération et ses lendemains L a Confédération générale d e retour des évincés. 6
283 l'agriculture
(C.G.A.).
Le
C H A P . V i l i : Devant la seconde révolution agricole (depuis 1950)
..
293
I. Le malaise paysan L e coût du progrès. La disparité des revenus. Organisation et protestation.
294
II. L'action du pouvoir Les deux tendances de l'agrarisme. L'attitude des forces politiques. Les formes de l'intervention.
310
III.
Les perspectives extérieures L e choix du Marché commun européens. Au-delà des Six.
325 agricole.
Les
mécanismes
CONCLUSION : D e la séparation à l'intégration
337
Un m o n d e séparé. Les mouvements agrariens. Les directions de la politique agricole. Vers l'intégration.
ANNEXES i. n. ni. rv. v.
:
Les ministres d e l'Agriculture Schéma d e l'administration centrale Principales mesures intéressant l'agriculture L'enseignement agricole Les organisations agraires internationales
ORIENTATION i. Sources cole n
BIBLIOGRAPHIQUE
351 354 355 358 363 364
: archives ; procès-verbaux ; statistiques ; presse agri364
Etudes fondamentales : ouvrages d'ensemble ; les problèmes économiques ; les mentalités ; les associations ; études régionales
369
CITÉS
373
INDEX DES ORGANISATIONS E T INSTITUTIONS
380
INDEX
DES NOMS
LISTE DES FIGURES
1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.
Les sociétés rurales françaises dans la seconde moitié du xix Le mouvement des prix agricoles 1860-1900 Le mouvement des prix agricoles 1890-1914 Les foyers régionaux avant 1914 Le syndicalisme des ouvriers et des métayers Le mouvement des prix agricoles 1914-1929 Les foyers régionaux entre les deux guerres Le mouvement des prix agricoles 1925-1940 Le mouvement des revenus agricoles depuis 1948 Les foyers régionaux depuis 1948 1
6
siècle
42 70 94 106 143 187 204 219 300 306
INDEX DES TABLEAUX
I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX.
Superficies (1892, 1929) Population agricole et rurale (1851-1911) Exploitations (salariés) 1892 Population agricole et rurale (1911-1962) Exploitations (salariés) 1929 Les étapes du progrès technique (1886-1964) Exploitations (salariés) 1955 Effectifs des associations (1892-1964) Effectifs de l'enseignement agricole (1913-1963)
19 19 26 217 224 295 303 341 362
ABRÉVIATIONS A.A.
A.P.
Bulletin des séances de la Société nationale d'agriculture de France puis Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'académie d'Agriculture de France. L'Agriculture pratique-
B.D.I.C.
Bibliothèque
B.N.
Bibliothèque nationale.
I.A.
Journal de
J.A.P.
Journal d'agriculture
R.A.F.
Revue des agriculteurs de France.
R.E.P.
Revue d'économie
R.F.S.P.
Revue française de science
R.H.
Revue
S.A.F.
Bulletin de la Société
de documentation
internationale
contemporaine.
l'agriculture. pratique. politique. politique.
historique. des agriculteurs de
France.
O paysannerie, force dure et secrète ! Elle occupe le fond de la scène, elle s'y tient en silence, et il semble pourtant que la brillante histoire de France ne travaille que pour son bien. Depuis les temps féodaux, elle surveille les domaines, les entoure ; morceau par morceau, elle les prend. La Révolution n'aurait été qu'un mouvement d'intellectuels, une fronde de rentiers déçus, si la paysannerie ne s'en était servi pour libérer la terre et la faire sienne. Napoléon aurait été sans force pour combattre si la paysannerie ne l'avait choisi comme garant de ses agrandissements. A travers les agitations du XIX siècle, la paysannerie est demeurée une force séparée, incomprise ou méconnue par les politiques de tribune ou de plume. Elle a ignoré les rêveurs féodaux, les rêveursdémocrates. Elle a assuré, seule et sans phrases, sa destinée. En 1848, elle a arrêté net, par un vote péremptoire, la révolution socialiste, et de la France libérale, elle a fait en un jour une puissance conservatrice. Pourtant elle n'était ni catholique, ni légitimiste. Elle ne pensait qu'aux libertés de son travail, à la certitude de ses titres, à la garantie de ses biens. En 1878, elle a voté contre les Notables aussi nettement qu'en 1848 elle avait voté contre les Rouges, et son réalisme sceptique, son opportunisme à vues courtes mais fermes a soutenu la République comme il avait soutenu le Second Empire. Vint la guerre, la paysannerie en a porté le poids ; les ouvriers ont été rappelés à l'usine mais les terriens sont restés aux tranchées. Leur sens de la patrie matérielle, leur instinct de la défense du sol, leur ténacité séculaire, leur résignation héroïque, ont tenu jusqu'à la victoire. Après la victoire, la richesse est venue. Ils la convertissent en terres, ils accomplissent leur antique, leur aveugle désir. Sont-ils heureux de l'avoir accompli ? Ce sont des taupes ; la taupe aveugle et qui chemine ensevelie peut-elle jamais être heureuse? e
D.
HALÉVY,
Visites aux paysans du Centre Grasset, 1934, pp. 107-108.
(1920).
11
AVANT-PROPOS
Agrariern, le terme surprendra peut-être... Littré l'ignore et le dictionnaire alphabétique et analogique de Robert ne donne qu'une citation
de
Babeuf, avec la définition « partisan du partage ou des lois agraires » . L e Larousse encyclopédique y joint à juste titre une référence au cas « des partis et de leurs membres dont l'objectif est la défense des intérêts des agriculteurs » , mais il ne connaît q u e des exemples étrangers. En France, le terme a été surtout employé de manière polémique, les communistes d é nonçant notamment avec vigueur « les gros agrariens » . Aussi certains auteurs
ont-ils explicitement
rejeté
« cet horrible
mot
qui grince avec
un
bruit de serrure rouillée » Il mérite cependant, nous semble-t-il, de sortir du purgatoire, afin de définir
dans sa brièveté evocatrice une force sociale profonde, celle
agriculteurs luttant pour défendre leur place dans la société Nous le prendrons naturellement en un sens purement tout jugement d e valeur. En outre, considérant
des
industrielle.
objectif,
excluant
dans l'acception
la plus
large possible l'ensemble des affirmations collectives, nous appliquerons
ce
terme aux petits c o m m e aux gros, aux hommes de droite c o m m e aux hommes de gauche, aux syndicalistes c o m m e aux politiciens. C'est tout le dialogue engagé entre les volontés des agriculteurs et les actes des autorités publiques que nous voudrions saisir, à la charnière de l'économique et du politique. O n a étudié de près cette histoire en Allemagne, aux Etats-Unis, en Italie , 2
elle doit aussi retenir l'attention dans le cadre français. En effet, en France c o m m e dans tout le m o n d e occidental, l'industrie joue
depuis
un siècle
le rôle moteur.
services, suscitant l'expansion
urbaine,
Entraînant le développement elle a donné
l'impulsion
des
décisive
à la croissance é c o n o m i q u e qui nous apparaît aujourd'hui l'onde porteuse du progrès matériel. Les gouvernements ont souvent orienté leur politique suivant ses intérêts et la « question sociale » par excellence a été celle des masses engagées à son service. Ainsi refoulé sur une position
défensive,
le m o n d e des campagnes est devenu minoritaire. Facilement oublié, il rappelle périodiquement son existence aux citadins qui quêtent ses ressources en temps de pénurie et s'inquiètent de ses soubresauts en temps de crise. Il ne s'agit plus des jacqueries qui faisaient trembler les communes m é -
pp.
1.
M .
AUGÉ-LABIBÉ,
2.
Cf.
notre
article
La « Les
France
paysanne,
mouvements
4
septembre 1 9 2 1 .
agrariens
de
l'ère
industrielle » ,
R.H.,
4 7 2 ,1 9 6 4 ,
299-330.
13
diévales derrière leurs murailles mais qui visaient avant tout le propriétaire de la terre et l'usurier. L'émancipation paysanne liée à la Révolution
fran-
çaise a fortement atténué les conflits de classes au village et s'il subsiste des tensions internes, celles-ci jouent au sein d'une revendication dirigée
contre
la
domination
de
l'industrie
urbaine.
globale,
« Certes,
notait
Halbwachs à propos des ruraux, il y a des riches et des pauvres parmi eux, des différences de classe. La préoccupation de se maintenir à son niveau, et même de s'élever dans l'échelle sociale, explique toute une partie
de
leur conduite. Mais ils ont surtout le sentiment d'être paysans, en face des habitants des villes et ce qu'il y a de spécifique dans les motifs qui les guident s'explique, en définitive, par l'opposition
qui subsiste entre
deux
types de civilisation » 3 . D e m ê m e , la diversité des structures, des productions, des idéologies selon les genres de vie n'empêche pas une unité d'aspirations, qui englobe les viticulteurs, malgré une originalité propre, et m ê m e , dans une position limite, les propriétaires forestiers. Si l'agrarisme présente nuances accusées, il constitue une tendance
d'une vigoureuse
des
cohérence.
Dans le champ de l'étude surgissent d'abord ces foyers d'influence
sur
le pouvoir qu'on appelle aujourd'hui « groupes d e pression » . Mais il faut élargir la perspective
et considérer pleinement la double
orientation
des
associations agricoles, en faisant la part de c e qui est appel à l'Etat et de ce qui est création indépendante se voulant privée : deux types mentaires de YAgrarpolitik,
complé-
c o m m e disent les auteurs allemands. Surtout, il
faut bien voir qu'au-delà des organisations particulières c'est tout le m o n d e rural qui a pesé de sa masse. Nous avons d o n c tenté de saisir sans exclusive toutes les formes de cet effort puissant quoiqu'irrégulier, qu'elles aient été violentes, sages ou diffuses, qu'elles aient exprimé une aspiration d'ensemble ou le désir d'une catégorie, qu'elles aient obtenu l'échec ou le succès . A u 4
delà des événements concrets, nous avons cherché en outre à atteindre les mentalités et à définir les images, les jugements, les représentations qui ont opposé le monde rural au m o n d e citadin, et réciproquement. Il y a dans l'action de cette force, croyons-nous, une clef nécessaire à la juste compréhension de la Troisième République, période aux épisodes touffus qui, pour une exacte intelligence, doit être considérée dans des perspectives générales. D'excellents travaux ont déjà approfondi la connaissance des deux aspects essentiels ; le conflit idéologique sur les rapports de la nation avec l'Eglise catholique d'une part, l'opposition des classes nées de la révolution industrielle d'autre part. Nous avons voulu présenter ici, dans un panorama d'ensemble, un troisième thème qui, sur un m o d e subordonné certes, revient constamment
dans l'histoire
de
ce
dernier siècle et
l'examen nous semble indispensable à l'interprétation
dont
générale.
3 . M . H A L B W A C H S , Esquisse d'une psychologie des classes sociales, 2* é d . , 1 9 5 5 , p . 8 8 . aussi l'intéressant colloque animé par G . F I U E D M A N N , Villes et campagnes, 1 9 5 3 , 4 8 1 p. 4 . J . M E Y N A U D , Les groupes de pression en France, 1 9 5 8 , 3 7 1 p. M . L A T I L , L'évolution du revenu agricole. Les agriculteurs devant les exigences de la croissance économique et des luttes sociales, thèse droit, Paris, 1 9 5 4 , p p . 2 8 3 - 3 0 3 . J . F E R I C E I A I , Le revenu des agriculteurs. Matériaux pour une théorie de la répartition, thèse droit, Paris, 3 9 4 p . Cf.
14
Pour cette recherche, nous avons utilisé sans cesse les travaux des g é o graphes, des démographes, des sociologues, des juristes, des
économistes.
Ce sont leurs conclusions qui nous ont permis de faire le point sur les structures sociales, sur les rythmes de la conjoncture, sur les orientations législatives et, sans vouloir les compromettre, nous reconnaissons avec gratitude c e q u e nous leur devons. Notre tâche propre d'historien consiste à déterminer et à dater l'évolution dans le temps en analysant les liaisons entre le palier de la vie économique et celui de la vie politique, en nous attachant à c e jeu d'actions et de réactions, par lequel la société influence la cité et réciproquement,
sans négliger
d'ailleurs
l'autonomie
relative
que
possède
chaque palier et que nierait à tort une vue trop systématique. Toutes ces
questions
avaient
déjà retenu
l'attention
d'un
observateur
qualifié, Michel Augé-Laribé. Economiste de classe et lui-même acteur du mouvement agrarien, il a publié entre 1902 et 1950 une série
d'ouvrages
extrêmement précieux (auxquels nous avons pu ajouter ses dossiers heureusement conservés). Au-delà d'une documentation solide, on y sent la présence d'un h o m m e qui s'exprime parfois de façon allusive mais qu'on aurait aimé connaître et entendre. S'il nous a semblé possible de reprendre l'enquête, nous ne voulons pas manquer de proclamer notre dette à son égard. Nous
exprimons
aussi notre sincère reconnaissance
aux personnalités
qui
ont bien voulu évoquer pour nous leurs souvenirs : le président Queuille, le président Pflimlin, M M . Georges Monnet et Le Roy Ladurie, anciens ministres, M M . Henri Dorgères, Robert Gravier, Pierre Hallé, Henri Noilhan, L u c e Prault, Louis Salleron et Marius Vazeilles qui ont dirigé des organisations nationales. Nous avons toujours rencontré un accueil très bienveillant, et nous regrettons de n'avoir p u , faute de temps, demander tous les témoignages
que nous aurions souhaités. Nous
conservons
aussi un
sou-
venir extrêmement cordial d'entretiens et d'échanges avec les jeunes militants et militantes d'aujourd'hui, dont nous avons admiré, c o m m e bien d'autres, le réalisme positif, l'ardeur à s'instruire, la volonté d'agir. Sur le plan de l'analyse, nous gardons une vive gratitude à M . Robert Aron, à M . Denis Bergmann, à M . Michel C é p è d e , à M . Marcel Faure, à M " Annie Kriegel, à M . Henri Mendras, à M . André Nouschi, à M . Jean T o u c h a r d , ainsi qu'à notre oncle, le chanoine Boulard, pour la sympathie active qu'ils ont portée à ce travail. Nous devons également b e a u c o u p à tous ceux qui ont facilité notre recherche. Les fonds si riches de la Bibliothèque nationale et de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine ont fourni la base de notre documentation mais nous avons pu la compléter
aux adresses historiques
du
boulevard
Saint-Germain
et
de
la rue Scribe (les travaux de reconstruction rue d'Athènes ont nécessité la fermeture
temporaire
de
la bibliothèque).
La
Commission
d'histoire
du
Grand-Orient de France nous a libéralement communiqué les débats des convents relatifs aux problèmes agricoles. Enfin, nous remercions M "
Ac-
quier-Bousquet et M . Faucon de nous avoir prêté leurs mémoires de dip l ô m e et on nous permettra une pensée particulière pour nos étudiants de 15
2
Nancy, Nicole Heber-Suffrin, André
L a b o r d e , Gilbert Langlois,
Ghislaine
Noblemaire, Michel Salviac, Marc Sorlot, qui ont accepté de défricher p o u r nous certains problèmes. Conscient des préférences et des préjugés que tout historien porte
en
lui, nous nous sommes du moins efforcé d'établir les faits avec exactitude, de retracer équitablement le rôle de chaque tendance, de faire comprendre en profondeur les hommes qui menèrent cette action. D'autre part, notre panorama de l'agrarisme laisse des points insuffisamment connus. Des études plus détaillées seraient nécessaires notamment sur les origines du crédit agricole, sur l'histoire des associations spécialisées, sur les mouvements p r o prement paysans, sur l'époque de la Libération, sur le régime de la chasse... Si un bilan actuel nous a paru possible et utile, il reste b e a u c o u p à faire pour la recherche à venir. Noël
1967.
PREMIÈRE
PARTIE
SOUS LA DIRECTION DES AUTORITÉS SOCIALES 1860-1914
M
ÊME
SI
TOUTE
CHRONOLOGIE
comporte une part d'approximation,
on
peut dater des années 1860 la victoire décisive de la révolution industrielle. L'utilisation intensive de la vapeur, l'emploi de capitaux massifs, la c o n c e n tration de la main-d'œuvre ouvrière manifestèrent avec éclat la p r é p o n d é rance de l'industrie et celle-ci se consolida par lés innovations de la fin du siècle, l'électricité et le moteur à explosion. L e rythme des transformations resta inférieur à celui qu'on observa dans d'autres nations mais l'orientation qualitative fut la même ; le m o n d e agricole se sentit désormais dominé et subordonné. Sa protestation devait être d'autant plus vive que le dernier quart du siècle connut la dure épreuve conjoncturelle de la « crise agricole » .
Ce-
pendant elle fut fortement marquée par la concentration d e l'autorité sociale. Si les structures régionales contrastaient vigoureusement, partout l'influence
revenait aux « Messieurs » , notables anciens aux traditions familiales
ou personnalités nouvelles de plus récente extraction. Les paysans ne manquaient pas de convictions et ils les affirmaient avec éclat mais, sauf d e très rares exceptions, ils ne se faisaient pas représenter par l'un d'eux, ils se confiaient au protecteur dont l'orientation leur convenait. Celui-ci possédait généralement un sens réel du service et, dans des conditions que nous aurons à analyser, une œuvre importante fut entreprise. En contrepartie, le paternalisme comportait un certain accent de supériorité qui finit par heurter les démocrates. Cette direction des autorités sociales domina la naissance d e 1'« agrarisme » , elle infléchit le sens de ses diverses manifestations : vers le pouvoir et au sein des organisations c o m m e face au socialisme quand ce
mouve-
ment urbain voulut pénétrer les campagnes. Si on se préoccupait d'agir, on exaltait le libéralisme au niveau des principes. L e rôle de l'Etat
semblait
d o n c résider plutôt dans la protection et dans l'encadrement législatif dans l'intervention directe. 18
que
I :
TABLEAU
SUPERFICIES (en
hectares)
1892 Territoire agricole — cultivé — en bois et forêts — non cultivé Territoire non
50 467 34 720 9 521 6 226
agricole
Territoire national
1929
909 152 568 189
51425 33 541 10 781 7 102
2 389 290
3 673 189
52 857199
55 098 556
Alsace-Lorraine
1450 942
Sources : Enquête Enquête de 1929, p.
décennale 303.
de
1892,
pp. 2 3 6
367 745 055 567
et 2 4 3
—
(introduction),
206-213
(tableaux).
(a) L a superficie totale d u territoire national n'était pas connue exactement, o en 1 8 8 0 , le cadastre étant i n a c h e v é . . . on se trompait par défaut d ' u n e surface correspondant à u n p e u plus q u e l'étendue d ' u n département m o y e n » ( M . A U G É - L A R I B É , Politique agricole, p. 1 8 ) . (b) L e s variations observées d ' u n e enquête à l'autre sur l'étendue d u « territoire n o n cultivé » et du « territoire n o n agricole » tiennent autant à des différences de qualification q u ' à des évolutions réelles. Il n e faut pas en tirer trop vite des conclusions.
TABLEAU II : P O P U L A T I O N
AGRICOLE
ET
RURALE (en
(1851-1911) milliers
d'habitants)
Population —
—
P
« vivant de l'agriculture »
O
P
U
L
1851 1861 1866
« 19 873 19 598
« 53 % 51,5%
7 772 « «
61% « «
1872 (2) 1876 1881 1886 1891 1896 1901 1906 1911
18 18 18 17 17
51 % 51 % 48 % 46 % 45,5%
«
«
le
délicat
mativement
a
«
a
a
a
a
Recensements
examine problème doublé
a
de
(Annuaire
préférence
statistique si on veut
des
T
I
O
N
«
a
a
a
«
statistique la
population
épouses
connaître
la
45% 43% 42% 40%
665 518 452 271 de
la
active
d'agriculteurs. main-d'œuvre
RUBALE
TOTALE
a
a
5 5 5 5
a
a
Sources : 1. O n
513 969 249 698 436
A
active agricole masculine d )
France,
1961,
agricole Mais
le
26 648 26 596 26 472
74,5% 71 % 69,5%
24 24 24 24 24 23 23 22 22
69 % 67,5% 65 % 64 % 62,5% 61 % 59 % 58 % 56 %
p.
889 934 575 452 032 492 005 715 093 11).
masculine, chiffre
afin
doit
travaillant effectivement
d'éliminer
être
approxi-
dans
l'agri-
culture. 2 . Après
la
perte
de
l'Alsace-Lorraine.
19
CHAPITRE I
LE M O N D E
RURAL
FRANÇAIS
Pour bien comprendre l'agrarisme, il est indispensable de connaître le m o n d e rural où il s'est manifesté. Les structures sociales, les attitudes religieuses, les orientations politiques ont profondément déterminé les tendances et les formes de l'action. Il nous faut d o n c dresser d'abord un tableau du milieu humain, pour lequel de nombreux travaux d'histoire, de géographie, de sociologie nous fourniront des éléments. Si nous ignorons
encore
bien des aspects, nous en savons assez pour entrevoir les traits d'ensemble, et aussi pour constater la grande diversité des situations. Nous présenterons d o n c d'abord les données globales d e la composition sociale telles qu'ont c o m m e n c é à les définir alors de grandes enquêtes nationales, et nous' examinerons aussi l'évolution des mentalités et les luttes idéologiques pour la conquête du m o n d e rural. Puis, après cette vue n é cessaire au niveau de la nation, une esquisse synthétique s'efforcera de rassembler les éléments et de reconstituer les diverses sociétés rurales
dont
la somme compose la France paysanne. Les moyennes nationales en effet masquent les cas extrêmes et ceux-ci sont les plus fréquents dans certaines régions. Nous essaierons d o n c de saisir et de classer les variétés régionales.
I
VUE Aux observateurs du x i x
e
D'ENSEMBLE
siècle, la France semblait une démocratie ru-
rale, car ils n'y retrouvaient pas l'écrasante prépondérance d e
l'autocratie
foncière qu'ils constataient en Europe centrale et orientale, ou, avec
des
traits particuliers, dans les Iles Britanniques. Et certes, cette formule c o n tient une large part de vérité. Un examen plus attentif conduit cependant à y apporter des nuances sensibles. Les hommes. Pour apprécier la part de la population française habitant alors les c a m pagnes, les recensements nous fournissent deux séries statistiques, corres20
pondant aux deux catégories complémentaires de 1'« agricole » et d u « rural » . D'une part, une évaluation professionnelle de la « population vivant 1
de l'agriculture » (population active et famille) diminuant d e 53 % en 1861 à 4 5 % en 1891, puis de la « population active agricole masculine » diminuant de 4 5 % en 1896 à 4 0 % en 1911. D'autre part un total géographique des « communes rurales » c'est-à-dire, selon une définition assurément bien approximative, d e celles o ù la population agglomérée au chef-lieu n'atteint pas 2 0 0 0 habitants : leur part dans la population totale glissa de 71 % en 1861 à 5 6 % en 1911 (cf. tableau I I ) . On observe d o n c un écart appréciable entre les deux séries. Il corresp o n d (réserve faite des quelques jardiniers, maraîchers... présents dans les « communes urbaines » ) aux ruraux exerçant une activité artisanale, c o m merciale, industrielle. Or ceux-ci participaient souvent eux-mêmes à l'agriculture, leur prospérité était en tout cas liée à la sienne. Sauf le cas, assez rare à la fin d u x i x
e
siècle, d e cités ouvrières établies dans de petites c o m -
munes, ils constituaient une frange aux contours diffus, mais associée à la vie d u noyau agricole. Celui-ci représentait à lui seul vers 1870 la moitié d e la population et si o n lui ajoute la frange on approche des deux tiers. Cette prépondérance est un fait capital, qu'il faut garder présent à l'esprit pour saisir justement l'équilibre social et politique d e l'époque. Celui-ci toutefois ne dépend pas seulement des nombres bruts, mais aussi d'un certain poids qualitatif et il est bien certain qu'à l'ère d e la révolution industrielle et d e Haussmann les villes représentaient les pôles d e dynamisme, qu'il s'agît de l'activité é c o nomique o u d e la diffusion
des idées. Les campagnes, pour
majoritaires
qu'elles fussent, vivaient une vie discrète, plus teme et surtout plus liée aux traditions. En outre leur force relative se réduisait lentement mais régulièrement, c o m m e le montrent de façon concordante les deux séries statistiques. D e 1857 à 1886, la baisse de la « population vivant de l'agriculture » atteignit 13 % , et lui fit perdre la majorité, la population rurale diminuait plus vite encore, par le déclin accéléré d e l'artisanat et de l'industrie rurale . Depuis 2
1850,
l'exode rural dépassait en effet l'accroissement naturel des campagnes.
Les causes en ont été bien souvent analysées : prenant de plus en plus conscience des difficultés de leur vie, les paysans partaient en nombre croissant pour les villes où ils espéraient trouver des revenus assurés et des conditions de vie moins astreignantes. Selon l'image trop ciselée d e Deschanel,
« la
ligne ferrée est devenue c o m m e un aimant qui attire la limaille humaine » . 3
1. agricole aussi que
L e s deux a u sens
rural,
Etudes
PXNCHEMEL, à
1936, 3.
de
marque d'exemples
Structures
J.O. Chambre de
d u terme
précises
1957, 2 3 2
et
distinctes
le village
M . REINHARD
2 6 5 - 2 6 7
sont
car il comporte
et l e contenu
toutefois 2.
notions strict
sociales
mais
liées.
u n e majorité
est plus
large,
d e son climat
et
monde
des campagnes
est
d e la terre.
englobant
q u i n e cultivent
ceux
d'abord
Mais
il est pas et
humain.
( q u i présentent dépopulation
Le
d e producteurs
tous
rurale
leur
dans
originalité
particulière)
les campagnes
dans P .
picardes
de
1836
p . , cartes. des députés,
débats d u 1 0 juillet 1 8 9 7 , p . 1 9 3 7 .
et A . A R M E N G A U D ,
J . - B . CHARRIER,
Histoire
Citadins
et
générale ruraux,
de
la population
1 9 6 4 , pp.
Mises
au point
mondiale,
récentes
1961,
pp.
64-80.
ai
La perception d e cet affaiblissement relatif renforça le complexe d'infériorité des campagnes et contribua beaucoup au malaise agricole. L a densité n'en restait pas moins élevée, les calculs d'Augé-Laribé le montrent : 4 8 6 habitants pour 1 000 hectares d e « territoire agricole » si l'on considère la « population rurale » , 4 1 2 habitants pour 1 000 de
hectares
« territoire cultivé » , si l'on considère les « agriculteurs » (hommes et
femmes) . Autour de cette valeur moyenne, on observe d e très forts écarts : 4
de 2 0 1 pour l'Aube à 1 041 pour le Finistère (sans parler d e la Seine aux conditions bien spéciales). L a Bretagne, et en général l'Ouest, o ù l'industrie ne comptait guère, contenaient un nombre particulièrement
élevé
d'hom-
mes par rapport aux surfaces disponibles. Les diversités régionales étaient plus accusées encore en c e qui concerne les données démographiques et il nous faudra considérer celles-ci dans le cadre des diverses sociétés rurales. O n peut seulement relever ici quelques tendances d'ensemble. A cette date la mortalité était relativement moins forte dans les campagnes : en 1874-1878, 2 0 8 pour 10 000 dans la « population rurale » contre 2 5 6 dans la population u r b a i n e . Si l'équipement 5
médical
restait bien médiocre au village, les épidémies sévissaient davantage
dans
les villes. L e recul accentué d e la natalité, fait fondamental d e l'histoire française au x i x
6
siècle, avait touché les familles rurales c o m m e les familles
citadines et avait même pris une ampleur particulière dans certaines p r o vinces : souvent, cependant, le taux d e fécondité demeurait supérieur dans le « plat pays » . M ê m e en tenant compte d'une nuptialité moindre , les c a m 6
pagnes restaient d o n c , sauf exceptions, excédentaires à la fin d u x i x
6
siècle.
L'exode rural fut par conséquent plus fort encore q u e ne le suggère la comparaison
des chiffres
absolus : pour le mesurer (ou plus
précisément
pour saisir le solde des migrations) il faut, c o m m e l'a montré l'Institut d e géographie alpine, reconstituer c o m m u n e par commune c e qu'aurait donné le mouvement naturel et comparer avec l'évolution réellement constatée . 7
Quant à la structure par âges, les enfants étaient nombreux (plus qu'au XX siècle), là d u moins o ù la fécondité restait élevée, et la relative faiblesse E
de la mortalité entraînait une proportion de vieillards supérieure à celle des villes. Les jeunes adultes au contraire représentaient certainement une plus faible part d e la population totale, car c'est eux surtout q u e l'exode touchait : par le service militaire pour les garçons, par le placement domestique pour les filles. Sous son apparente stabilité, le m o n d e rural traditionnel n'ignorait pas les migrations saisonnières liées à l'appel d e la moisson et d e la vendange. L'étranger inconnu semblait indésirable et il le demeura là où la population suffisait, mais l'ampleur d e l'exode rural et la chute d e la natalité contrai-
G.
4.
M .
5.
A.
AUGÉ-LABIBE,
6.
Cf. P . B O U R D I E U ,
LANDRY,
DUPLESSIS-LE
Traité
Politique de
agricole,
démographie,
O Célibat
GUELINEL,
Les
pp.
et condition
mariages
27-33.
1 9 4 5 , pp.
en
191-195.
paysanne », Etudes
France,
1 9 5 3 , 1 9 8
7 . U n exemple dans P . R A M B A U D et M . V I N C I E N N E , rurale : la Maurienne (1561-1962), 1 9 6 4 , pp. 5 6 - 5 7 .
22
Les
rurales,
1 9 6 2 , pp. 3 2 - 1 3 6 .
p.
transformations
d'une
société
gnirent c e milieu fermé à se montrer moins exclusif. Des équipes nombreuses de Flamands affluèrent dans le Nord et le Bassin parisien pour les gros travaux de la betterave, tandis que le Midi voyait arriver Italiens et Espagnols. Entre 1900 et 1914, on chercha aussi, non sans déboires, à importer de la main-d'œuvre polonaise. Il s'agissait là d'ouvriers, n'effectuant souvent que des séjours temporaires, mais dans certaines régions, des
exploitants
vinrent également s'établir d'autres pays, notamment de Belgique. Ainsi la population agricole s'ouvrit-elle parfois à des éléments extérieurs peu à peu assimilés. Les propriétés. C o m m e l'avaient v u Tocqueville et L é o n c e de Lavergne, il n'y a pas de doute que la France de l'Ancien Régime comptait déjà beaucoup
de
petites propriétés. « L e nombre en est si grand, notait Arthur Young, avec regret d'ailleurs, que je suis enclin à supposer qu'elles occupent plus du tiers du royaume » . Sur la voie ouverte par Loutchitsky au tournant du 8
siècle, Georges Lefebvre a considérablement élargi et précisé notre connaissance des structures foncières anciennes par sa thèse sur Les Nord pendant
la Révolution
paysans
du
qui demeure un modèle, puis par ses
française,
lumineux articles d'ensemble . Il apparaît aujourd'hui certain que les pay9
sans possédaient en 1789 le tiers environ du territoire, mais cette proportion variait selon les régions de 22 à 70 % : plus forte là où le
défrichement
avait été individuel ( « pays au bois » de Flandre, Limousin), plus faible là où le dessèchement avait nécessité des capitaux (Flandre maritime) ou près des villes. Dans la plupart des cas, la propriété paysanne était extrêmement divisée et cependant, Lefebvre y insistait, beaucoup de villageois n'avaient pas de terre ou un lopin très insuffisant. Si le transfert des biens nationaux sous la Révolution profita souvent aux bourgeois, il accrut aussi la part de la propriété paysanne, libérée d'autre part de
la
« féodalité » . L'étude
en est particulièrement
complexe,
avec
l'abondance des documents, les oscillations de la politique des ventes, l'existence d'achats de complaisance et de rachats postérieurs. Dans le Nord, les paysans acquirent 12 % de l'étendue du département, les bourgeois également
(dont 8 % pris à l'aristocratie) : si les bénéficiaires
12 %
jouissaient
souvent déjà de quelque aisance, les nouveaux propriétaires en représentaient le tiers. Ce cas, le mieux connu, semble plus favorable aux ruraux que la moyenne, mais les enquêtes faites ailleurs montrent un gain général des villageois, surtout avant l'an IV. A u cours du xrx
siècle, la propriété paysanne continua de progresser
e
par le grignotage lent et tenace, dramatisé par Balzac, de « c e Robespierre à une tête et à vingt millions de bras » , de « cet infatigable sapeur, c e 8.
A.
9.
Cf.
YOUNG,
l'Ancien
R é g i m e »,
d'histoire
moderne,
Révolution 2°
éd.
Voyages
notamment
française,
1963,
pp.
en
France,
o Répartition
R"vuc
d'histoire
1 9 2 8 . a La
de
trad. la
moderne.
Révolution
1 9 3 3 , articles publiés
H.
S É E , rr,
propriété
et d e
1 9 2 8 . « La
française dans
1 9 3 1 , p.
750.
l'exploitation vente
des
foncières
biens
et les paysans », Annales
Etudes
historiques
sur
à la
fin
nationaux », historiques
la Révolution
de
Revue de
la
française,
279-367.
23
rongeur qui morcelle et divise le sol, le partage et c o u p e un arpent d e terre en cent morceaux, convié toujours à ce festin par une petite qui fait, de lui, tout à la fois son auxiliaire et sa proie »
bourgeoisie
. A v e c l'établis-
1 0
sement du cadastre, on possède des données précises pour l'ensemble du territoire.
Malgré les imperfections de cette source , on peut considérer c o m n
me valable le mouvement général des cotes foncières : de
10 296 693 en
1826 à 14 297 000 en 1881 (avec le gain de la Savoie mais la perte de l'Alsace-Lorraine). Cette hausse régulière traduit clairement l'accroissement du nombre des propriétaires et l'accentuation du morcellement : de 4,48 hectares aux origines du cadastre, la superficie moyenne d'une cote foncière s'abaissa jusqu'à 3,50 hectares en 1881. Après quelques années de ralentissement, le mouvement s'arrêta et s'inversa en 1883, à un rythme d'ailleurs lent. Sous l'effet de l'exode rural, une légère reconcentration s'esquissa alors. D'autre part, la restriction des naissances, en généralisant l'enfant unique dans certaines régions, réduisit les partages successoriaux que la coutume paysanne n'avait d'ailleurs pas toujours appliqués rigidement. A cette é p o q u e , s'éveillait un esprit d'observation plus scientifique pour ces problèmes. Un directeur des contributions directes, Gimel, fît classer les cotes foncières par catégories de contenance dans les quatre
départements
où il exerça, le Gers, l'Yonne, l'Isère et le Nord: Cet exemple inspira à l'administration un classement général publié en 1884. D'autre part, l'économiste Alfred de Foville, reprenant plus systématiquement les études faites par L é o n c e de Lavergne sous le Second Empire, entreprit de faire le point de la répartition de la propriété dans son livre Le morcellement
: « Mettez
votre montre à 3 heures 50, écrivait-il, et regardez-la marcher pendant cinq minutes. A gauche, l'aiguille des minutes monte rapidement : c'est la petite propriété qui progresse ; à droite l'aiguille des heures s'abaisse lentement : c'est la grande propriété qui fléchit. L'axe immobile qui sert de pivot à ces deux rotations contraires et inégales, c'est la moyenne propriété dont l'effectif ne change pas »
1 2
.
En. 1884, sur 14 millions de cotes, 7 4 % ne dépassaient pas 2 hectares. La prépondérance en nombre est d o n c écrasante. Mais il faut la nuancer fortement en tenant compte de ce que la statistique englobe les propriétés bâties et de ce que d'autre part l'établissement des cotes par
commune
exagère la part des petits propriétaires. Il faut surtout considérer les sur-
de
10.
H.
DE B A L Z A C ,
11.
Le
cadastre
la
commune.
revenu
bâties 12.
29
p. A.
ou
petite
formation du
24
non
(Enquête ne
La
La
industrielle
problème
dans
1 9 6 3 , pp.
propriétaire bâtie
?
de
de
mais être
estima 1892,
p.
les
« cotes
compté
le
foncières »
plusieurs
fois.
rapport
global
à
3 4 8 ) . En
outre,
les
dans
le
cadre
L'évaluation
1 6 8 cotes
pour
propriétés
du 100
bâties
et
qu'en 1 8 8 2 . de
la propriété.
des
1 8 9 9 , pp.
doctrines
l'agriculture,
Conférence
1 8 8 5 , 2 8 3 p.
paysanne,
P . V I G I E R , . Essai 35-38.
donc
(1879-1881)
morcellement,
propriété Histoire
peut
décennale
division Le
préface.
pas les propriétaires
distinguées
DE FOVILLE, propriété
paysans,
agricole
furent
SOUCHON,
Les
recense
même
C H . GIMEL,
A.
par
alpine,
Un
d e l a propriété
propriétaires non
ne
thèse sur
en
France
droit,
faite
59-96 sur
et la
Montpellier,
la répartition
à la Sorbonne,
(citation
de
p.
par
Nancy, 1 8 8 3 ,
1 1 3 ) . Remarques M.
répartition
du
1 9 0 2 , pp.
184-300.
la propriété
reprises Grande
AUGE-LARIBÉ,
foncière
sol
et
dans
la
trans-
Historique la
région
faces : même avec l'erreur due au calcul communal la petite propriété (moins de 6 hectares) se trouve limitée à 26 % contre les 39 % de la moyenne propriété (6 à 50 hectares) et les 35 % de la grande propriété (plus de 50 h e c tares) 1 3 . La
part
de
celle-ci
est fort
appréciable,
encore
s'agit-il
m o y e n n e nationale. L'étude régionale nous montrera certains cas
d'une d'hégé-
monie. Il est certain toutefois que l'importance de la grande propriété en France restait en général très inférieure à c e qu'elle représentait dans les Iles Britanniques, en Europe orientale, dans les pays méditerranéens. Il ne faut pas négliger en outre que beaucoup de fortes cotes correspondaient à des propriétés publiques, quoiqu'assez inégalement suivant les régions. Sur les forêts de l'Etat (1 089 000 hectares en 1892), l'administration, reconstituée sous la Restauration, avait dû mener une longue lutte contre les villageois pour faire respecter le C o d e de 1827
1 4
. Les archives
nous révèlent la persistance pendant trente ans d'une opposition tenace, la volonté de maintenir les droits d'usage traditionnels élargis sous la R é v o lution en exploitation banale, et la multiplication
des délits. Les
maires
étaient souvent complices d'une usurpation que paraissait justifier la c o u tume, dans les campagnes alors surpeuplées. Après 1860, la ténacité
des
Eaux et Forêts l'emporta, b e a u c o u p sans doute parce que diminuait d é sormais la pression démographique. L e service gérait aussi la partie boisée des biens communaux (2 058 707 hectares en 1877) ; le reste de ceux-ci (2 257 603 hectares) était surtout constitué, souvent sur de vastes surfaces, de pâturages et de rochers de haute montagne. Il ne s'agissait d o n c pas alors de domaines privés, mais tantôt d'ensembles forestiers, tantôt d'espaces pas ou peu productifs, qui fournissaient toutefois les uns et les autres aux petites gens quelques ressources limitées
1 5
.
D e m ê m e le paysan tenait fortement à son droit de chasse, acquis depuis la Révolution. La loi du 3 mai 1844, qui créa le permis, fut très impopulaire car elle semblait « faite pour q u e nous ne chassions pas, nous qui nourrissons le gibier, afin que les messieurs puissent tirer plus de lièvres et de perdrix »
1 6
. Elle rattachait le droit à la propriété. Cependant elle fut in-
terprétée de plus en plus largement, et le système juridique de « consentement tacite » rendit b e a u c o u p de chasses « banales »
1 7
, notamment dans
le Midi. O n peut donc conclure, dans certaines limites, à un morcellement assez poussé de la propriété. Les effets en étaient encore accrus par le fractionnement parcellaire, auquel Foville consacrait une analyse particulièrement luis. tistique
« Répartition et
de
des
législation
cières
par
catégories
1884,
pp.
1 5 6 - 1 8 0 . Enquête
Atlas'
U,
carte
de
cotes
foncières
comparée,
contenances », agricole
par
octobre
quotités 1882,
Bulletin
décennale
pp.
et
par
de
statistique
de
1882,
Bulletin
département »,
321-325. et
mouvement 62-177, 322-323, D
L
e
socialiste en France 3 3 3 (carte), 3 6 2 - 3 7 5 ,
(1893-1905) 496, 563.
;
les
guesdistes,
thèse,
gnant mais en l'y amenant par des exemples et en mettant à sa disposition le concours de la société » . 4 8
Les guesdistes accueillirent fraîchement
ces corrections et
maintinrent
leur point de vue. L e vieux c o m p a g n o n de Marx s'expliqua dans une lettre courtoise à Lafargue : « Réellement, vous vous êtes laissé entraîner un peu trop sur la pente opportuniste. A Nantes vous étiez en train de
sacrifier
l'avenir du parti à un succès d'un j o u r » . Et il ne cachait pas qu'il avait surtout visé « l'abus qu'on a fait de cette résolution en Allemagne » 4 9 . L e problème en effet se retrouvait dans les autres pays et un fort courant se manifestait partout pour reconnaître l'originalité de la question paysanne et admettre une politique conciliante en ce domaine. Des programmes agi-aires d'esprit révisionniste furent ainsi présentés par l'Allemand David et par 1 Italien Gatti, mais le Congrès de Breslau (1895) c o m m e celui de Bologne (1897) les rejetèrent sous l'influence de Kautsky. Celui-ci dans son grand ouvrage Die Agrarfrage
reprit avec quelques nuances
les thèses fondamentales d'Engels, en analysant concrètement les aspects p r o pres et les formes indirectes de la concentration capitaliste dans l'agriculture : c e fut, disait Rappoport, « pour ainsi dire Le Capital l'œuvre d e Marx »
5 0
agraire, qui complète
.
Jaurès agrarien . 51
Malgré
le
programme
de
Marseille,
les
députés
guesdistes
n'abor-
dèrent guère au Parlement les questions paysannes. Ce fut surtout Jaurès qui les discuta du point de vue « collectiviste » quand il revint à la Chambre c o m m e socialiste indépendant entre 1893 et 1898. Fils d'un bourgeois appauvri, il avait passé une grande partie de sa jeunesse dans la modeste ferme de la Fédial, à quelques kilomètres de Castres, où son père vivait étroitement de son exploitation, et il avait connu de près la vie rurale. « Paysan de génie » , dira Vandervelde et élu d'une circonscription mixte
5 2
, il n'oubliait
pas le problème de la terre dans la synthèse doctrinale qu'il élaborait alors et il intervint fréquemment dans les débats agricoles, y apportant la rigueur de sa pensée c o m m e l'éclat d e son verbe. Après une maturation de quelques années, il rassembla ses conceptions en 1897 dans un très long discours, étalé sur trois séances, qui semblerait sans doute massif aux auditeurs d'aujourd'hui mais qui représenta alors la plus complète exposition des thèses agraires socialistes
et
Parti La
françaises :
ouvrier
question
49.
« La
paysanne du
22
question Le
français »,
Lettres
Lafargue, p.
.
« D i e Bauernfrage in Frankreich u n d in D e u t s c h l a n d » , Neue
48.
Traductions du
5 3
en
mouvement
France
novembre
I I I , 1959, pp. 373
agraire et
et
et 3 8 1 ) . Cf.
socialisme.
socialiste,
en
du
et le
octobre
Allemagne,
18
1900,
1956,
décembre
Zeit,
Critique 30
XIII, du
pp.
391-400
la lettre d e Bonnier
292-306.
et
agraire 452-466
p.
(Correspondance
1894
1, p p .
programme
citée par C .
F.
Engels-P.-L.
WILLARD,
op.
cit.,
201. ' 50.
national,
dans
PARTI
tenu
51.
H.
52.
E.
Jean 53.
SOCIALISTE.
SECTION
à Saint-Etienne GOLDBERG,
The
VANDERVELDE, Jaurès,
J.O.
1 689-1 698 ;
1961,
Chambre du
3
les life
des
juillet
of
Jaurès,
pp.
FRANÇAISE
11,
12, Jean
13
et
DE
14
L'INTERNATIONALE
avril
1909.
(B.N.
8"
Lb57,
Jaurès,
Madison,
p.
30.
R.
TREMPÉ,
« Jaurès
séances
du
19
juin,
1 586-1 592 ;
1929,
1962,
pp.
6'
OUVRIÈRE,
13528,
Congrès
p.
308).
179-194. député
de
C a r m a u x »,
86-119. députés,
1897,
pp.
pp.
du
26
juin,
pp.
1 801-1 811.
157
Celles-ci reposaient sur une analyse extrêmement pessimiste de la condition paysanne au creux d e la crise agricole. Jaurès insistait
évidemment
sur la misère des salariés : « Peu nous importe qu'à la merci de tous ceux qui dispensent le travail et le salaire, ils soient destinés longtemps
encore
peut-être, métayers ou journaliers, à consacrer de leur vote passif précisément la servitude et la misère que nous voudrions faire cesser ments à Textrême-gauche.
Réclamations
au centre
(Applaudissec'est d'abord
et à droite)...
aux plus dépendants, aux plus obscurs, aux plus dénués que va notre sollicitude, précisément parce qu'ils sont les plus obscurs, les plus dépendants et les plus dénués »
5 4
. Mais, après une évocation sévère des charges supportées
par le fermier et le métayer, le tribun socialiste attaquait aussi de front la valeur des idées courantes sur la petite propriété. « La légende, disait-il, s'évanouit d e plus en plus du paysan propriétaire de la terre d e F a n c e » . Et il relevait l'observation d e Tisserand dans l'enquête officielle de 1892 : « Les moyens et grands cultivateurs détiennent ensemble trois quarts
du
territoire agricole, tandis que des millions d e nos paysans en ont à peine le quart (Mouvements
divers) » . Cette propriété elle-même était menacée de
tous côtés : par l'impôt, par l'endettement foncier, par la dépendance
du
marché, par l'intégration aux circuits de transformation (ici Jaurès majorait assurément la portée des exemples cités, la betterave
et le fromage
de
Roquefort). « Si l'on voyait, s'écriait-il, se projeter sur le champ des paysans d e France l'ombre d e tous ceux qui en sont aujourd'hui les maîtres véritables, le champ verrait s'élargir d'abord l'ombre démesurée du fisc, puis l'ombre du créancier hypothécaire, puis le profil reconnaissable du spéculateur,
puis
l'ombre de la grande industrie capitaliste et toutes ces ombres couvriraient si bien le domaine du paysan qu'il ne pourrait, lui, profiler sa silhouette misérable sous ce soleil qui n'éclaire plus q u e la spoliation du paysan » . Après avoir été « pendant presque tout notre siècle c o m m e le lest d'une civilisation aventureuse, bailotee par tous les hasards du régime capitaliste » , désonnais la petite propriété « lentement mais sûrement est entrée en agonie » Comment
redresser cette situation ? Le
bimétallisme
était
5 5
.
écarté,
et
Meline. Sur ce point pourtant, Jaurès
aussi le protectionnisme incarné par
fît une proposition originale : remettre à l'Etat le monopole d e l'importation des blés et de la vente des farines étrangères et assurer ainsi un cours minimum de 25 francs l'hectolitre. Passionnément combattu c o m m e une ébauche de socialisme, le contre-projet n'obtint que 52 voix contre 481
5 6
.
Malgré
le vote favorable de Guesde, Engels le critiqua durement, c o m m e incarnant « le protectionnisme le plus pur, et encore au bénéfice des grands propriétaires, parce que les petits n'ont pas de blé à v e n d r e » , et aussi c o m m e témoignant d'une 54.
J.O.
Chambre
confiance des
députés,
5 5 . J.O. Chambre des députés, 1 8 9 7 , pp. 1 6 9 8 , 1 6 9 2 , 1 6 9 4 . 5 6 . J.O.
158
Chambre
des
députés,
injustifiée séance séances
du
envers 19
du
juin 20
le
1897,
novembre
gouvernement, p.
1 588.
1893,
p.
83
du
17
au 2 0
février
1894,
et
du
'
1
séance
« comité
pp.
26
iuin ]
257-295.
exécutif de la majorité de la Chambre » qui représentait « les mêmes spéculateurs en blés, en actions... » . 5 7
Selon des formules proches du programme de Marseille, Jaurès demandait d'abord une action immédiate : dégrèvements
fiscaux,
aménagements
législatifs du faire-valoir indirect, mesures en faveur des salariés. Mais il présentait un programme b e a u c o u p plus élaboré pour la construction de la société future après la victoire du socialisme. « Vous nous dites, répondait-il aux
parlementaires
républicains,
que
les
paysans
s'effrayent
du
mot
d'expropriation. Mais vous l'avez largement pratiquée il y a un siècle. Seulement, malgré la légende,... [sauf] quelques miettes... pour vous, oui pour vous, classe bourgeoise et avide » . Cependant, il se distinguait explicitement d'Engels sur un point capital. « Entre la grande propriété et la petite propriété paysanne, considérait-il, il n'y a pas seulement une différence de degré mais en quelque mesure une différence de nature, l'une étant une forme d e capital, l'autre une forme du travail » D e u x types d'exploitation expropriés,
« l'exploitation
5 8
.
coexisteront d o n c . Sur les grands
syndicale »
confiée
aux
« sections
domaines
du
syndicat
des travailleurs ruraux d e la c o m m u n e , sous la direction d'un chef désigné soit par le syndicat, soit par un groupe affecté à chaque domaine » . Sur les petits biens, « l'exploitation familiale » , car « la nation ayant la propriété souveraine de la terre, confirme dans leur possession les paysans-propriétaires, ceux qui cultivent eux-mêmes leur terre, ou plutôt elle rend effective et réelle pour eux la propriété qui n'est bien souvent aujourd'hui qu'apparente et illusoire » . Fermiers et métayers bénéficieront d'une réduction de leur loyer, en attendant d'accéder également à la propriété. L'héritage sera admis : « C e que le père lègue ainsi à son fils, c'est le m o y e n de vivre en travaillant sans exploiter les autres et sans être exploité par eux » . Il sera m ê m e
possible d'employer
des ouvriers, sous la
condition
absolue d e leur verser « un salaire intégral déterminé par la nation, c'est-àdire un salaire égal, par journée, à c e que produit, en moyenne par journée, un travailleur cultivant une terre qui est à lui » . Quant à « ceux qui détiennent des terres d'une fertilité supérieure à la moyenne » , ils devront payer une redevance : « ainsi la rente du sol, au heu de se dissiper c o m m e aujourd'hui dans les capitales en un luxe souvent insensé, retournera aux communes rurales pour y accroître la fécondité du sol et la beauté de la vie »
5 9
.
Jaurès ne parlait guère de travail en commun, si ce n'est quand il é v o quait les possibilités de la machine : « Les paysans, du haut des faucheuses mécaniques ou des moissonneuses-lieuses, laissant derrière eux de longues traînées d e gerbes bien à eux, doublement affranchis par la propriété c o m m u n e et par la science seront les maîtres superbes de cette terre dont, depuis l'origine des temps, ils sont les misérables serfs » 57.
6
58.
J.O.
59.
Articles
Bonnafous, 60.
mars
III,
J.O.
1894
Chambre de
La
1931,
Chambre
(Correspondance des
députés,
Dépêche pp. des
de
F.
Engels
séance
du
Toulouse,
- P.-L.
6 0
. Il se félicita aussi devant
Lafargue,
3
juillet
10,
18,
1897,
23,
30
pp.
III,
1959,
1 804
octobre
et
1893
p.
353).
1809. (Œuvres,
éd.
M.
168-188). députés,
séance
du
19
juin
1897,
p.
1 591.
159
il
Meline que le développement des organisations agricoles ait habitué le paysan « à regarder au-delà de son champ,... à se considérer c o m m e solidaire d'un ensemble de plus en plus vaste... il sera ainsi b e a u c o u p mieux préparé pour cette vaste coopération nationale du travail qui s'appelle le système socialiste »
6 1
.
Dans un texte postérieur, il ajoutera que, par la socialisation d e l'économie capitaliste et par le développement
d e la coopération
« la
petite
production et la petite propriété seront c o m m e enveloppées dans l'atmosphère de la propriété collective et soumises au rythme de la production sociale » . L'achat « à des fabriques sociales ou coopératives » , la vente « à des m e u n e ries sociales ou coopératives » , la fixation des prix « par des règles luation sociale communes
à tous les produits » harmoniseront
d'éva-
« tous
ces
fragments de propriété individuelle et de production autonome, si nombreux soient-ils,... au rythme
dominant
de l'ordre
collectiviste »
6 2
.
On peut donc légitimement considérer Jaurès c o m m e un agrarien, c'està-dire comme un h o m m e conscient des difficultés nées de l'industrialisation pour le monde rural et activement désireux de les combattre. Cet agrarisme s'intégrait à ses yeux naturellement dans son socialisme et il appelait les paysans à s'y rallier. Seul le socialisme, leur disait-il, pouvait assurer en élevant le niveau d e vie, une plus large consommation des produits de la terre. D'autre part, et Jaurès citait les Aryens réunis « autour du f o r g e r o n » , les Gracques alliés des chevaliers, les ruraux bénéficiaires d e la Révolution française, « c'est la loi de l'histoire que, jamais, depuis l'origine des temps, la classe paysanne, quelles que fussent sa force et sa prépondérance
économi-
que, n'a p u toute seule accomplir un grand mouvement historique et social »
6 3
.
Il avait donc confiance et jetait aux républicains : « Bien loin que vous puissiez trouver dans la démocratie rurale un point d'appui contre la d é m o cratie ouvrière, nous, nous irons puiser dans cet immense réservoir des souffrances paysannes de quoi compléter la force ouvrière en vue de la conquête du pouvoir politique et de l'expropriation
économique et politique
haute bourgeoisie capitaliste qui exploite le paysan
comme
de la
l'ouvrier »
6 4
.
« Les paysans..., disait-il aussi,... n'ont pu jeter toute la semence de leurs cahiers au sillon de la Révolution bourgeoise ; tout au fond du sac du semeur, des germes sont restés pour des sillons nouveaux » Autour de
6 5
.
Compère-Morel.
Dans la fermentation doctrinale qui marqua le mouvement vers l'unité du socialisme français entre 1899 et 1905, les problèmes vivement
discutés. Un
croyait observer que 61.
J.O.
Chambre
des
article
de
la Revue
socialiste,
agraires
proche
Jaurès
« dans l'agriculture, la petite propriété et la députés,
séance
du
27
octobre
1894,
p.
petite
1 770.
6 2 . L'Humanité, 2 2 juillet 1 9 0 4 . Cf. aussi La Dépêche de Toulouse, 1" 6 3 . J.O. Chambre des députés, séance d u 3 juillet 1 8 9 7 , p . 1 8 0 7 . 6 4 . J.O. Chambre des députés, séance d u 2 1 n o v e m b r e 1 8 9 3 , p. 8 3 . 6 5 . Histoire socialiste, I, 1 9 0 1 , p p . 2 2 6 - 2 2 7 .
160
de
furent
novembre
1908.
culture sont douées d'une
grande ténacité et d'une vitalité i n t e n s e » . E t
l'analyse aboutissait à ces conclusions : « Toute la tactique du Parti socialiste, qui veut avant tout développer les forces productives du pays, qui ne voit d e garanties de succès q u e dans ce développement, serait de mettre à la portée d e la petite culture toutes les méthodes et toutes les acquisitions des sciences agronomiques »
6 6
.
Certes, « les directeurs
du parti agrarien français » étaient passionné-
ment dénoncés : « C e q u e le comte de R o c q u i g n y appelle " la démocratie rurale " , ce sont deux o u trois cent mille grands propriétaires solidement unis sur toute la surface du territoire dont ils possèdent de vastes étendues, travaillant en c o m m u n à enrégimenter les moyens propriétaires par lesquels ils tiennent cultivateurs et journaliers, métayers et f e r m i e r s » . Or, « m a l h e u reusement pour ce pays non seulement... la propriété foncière exerce sur le Parlement une action directe pour ceux des possesseurs que le suffrage universel a investis d'un mandat électif ; mais encore elle exerce de l'extérieur une pression formidable sur c e Parlement qu'elle mène en lisière depuis plus d e dix ans ; et m ê m e
son action m e n a c e de s'étendre
indéfiniment »
6 7
.
Georges Sorel cependant, réfléchissant sur l'expérience coopérative de l'agriculture, « terriblement favorable à l'intervention de l'Etat dans toutes les branches d e l'économie » , y voyait une orientation vers la « socialisation d e l'échange » , dans la tradition de Proudhon Ces
positions
révisionnistes
étaient
6 8
.
combattues
par Lagardelle qui
visait des camarades français quand il condamnait la politique « empirique » de « protection paysanne » présentée par Gatti, et qui reprenait les idées d'Engels : « L a petite propriété se dissout... le Parti socialiste qui ne peut assister les paysans c o m m e producteurs, et c o m m e citoyens
mateurs
militant
consom-
» : il fallait défendre « la personnalité paysanne » ,
non la « propriété paysanne » premier
doit s'occuper d'eux comme
6 9
. U n marxisme aussi orthodoxe inspirait le
authentiquement
rural,
Compère-Morel,
horticulteur
de
l'Oise qui, acquis jeune au guesdisme, se fit alors connaître par deux b r o chures vigoureuses. Il y dénonçait la « monopolisation de la propriété entre les mains d'une rapace et impitoyable p o i g n é e d'hommes déjà maîtresse du crédit, de l'industrie, du commerce,
des voies ferrées, des mines, etc. » . A côté des
salariés, « les trois quarts de la population rurale » , et des fermiers ou m é tayers, à « la destinée liée aux volontés de leurs propriétaires » , le paysan indépendant lui semblait « l e représentant momentané d'une fraction c a m pagnarde dont la disparition n'est qu'une question de temps » . Après la Révolution, 66. 67. X X I X ,
« peut-être bien, concédait-il, q u e des lots de petite
C . K A R R , « L a France agricole » , Revue socialiste, XXXIV, 1 9 0 1 , pp. 1 5 5 - 1 7 9 . G . R O U A N E T , « D u danger et d e l'avenir des syndicats agricoles », Revue socialiste, 1 8 9 9 , pp.
franc-maçonnerie 68. et
2 1 9 - 2 3 7
agrarienne
G . SOREL,
(d'après
la
thèse
de
E.
COULET).
aux E t a t s - U n i s » , Revue
« Economie
Cf.
socialiste,
et agriculture » , Revue
socialiste,
aussi
XXXIV,
A .
CHABOSEAU,
« Une
1 9 0 1 , pp. 5 9 - 6 9 .
XXXIII,
1 9 0 1 , pp. 2 8 9 - 3 0 1
421-441.
69. 1898, 15
culture
H.
LAGARDELLE,
pp. 2 7 0 - 2 8 4 ,
décembre
« L a question
« L e programme
1 9 0 0 , pp.
agraire
agraire
et le
du P.O.F.
socialisme » ,
L e devenir
l u i - m ê m e » , Le
mouvement
social,
mars
socialiste,
732-735.
161
seront laissés aux cultivateurs qui en feront la demande » 7 0 . Mais, « peinant et suant d u matin au soir, sans bénéfice équivalent à un labeur plus q u e pénible, ils ne tarderont pas, devant la situation florissante de l'exploitation collectiviste, à abandonner l'antique brabant
pour la charrue à vapeur o u
électrique... et entreront volontairement, librement, dans la collectivité agri' cole nouvelle » 7 1 . H ne croyait guère alors à l'action professionnelle et p r ô nait l'action politique : « Quand le paysan aura compris la nécessité de la production en commun, il n'ira pas à la coopérative de production, il aidera à conquérir les pouvoirs publics, pour faire de la terre u n e propriété nationale » 7 2 . Dans le parti unifié, Compère-Morel devint tout naturellement le spécialiste des questions agraires. Il fit décider par le Congrès d e Limoges (1906) l'envoi d'un questionnaire aux fédérations et rassembla ainsi, département p a r département, une documentation abondante, précise et très pessimiste sur la condition rurale, qui fut ensuite publiée 3 . Il nuança fortement alors ses ?
positions, présentées à plusieurs reprises dans des textes très élaborés. S'il proclamait plus nettement que le programme de Marseille « l'infériorité technique de la petite propriété dans la production et... son impuissance à lutter contre le nouvel instrument capitaliste de progrès agricole » il reconnaissait désormais q u e le capitalisme investissait l'agriculture à un rythme plus lent que l'industrie et que les paysans survivaient « par un effort de compression sur eux-mêmes » , « parce qu'ils s'exploitent plus qu'un paysan ne les exploiterait » : « nous pourrions attendre très longtemps, concédait-il, excessivement longtemps, sous l'orme, cette concentration terrienne absolue, prélude de la socialisation » . Le socialisme devait d'ailleurs respecter la petite propriété, à condition d e la définir strictement comme celle qui n'employait pas de travail salarié ; il n'avait pas à hâter son agonie, pas plus « q u e nous ne voulons
voler
l'aiguille à la couturière, parce que nous proclamerons la supériorité d e la machine à coudre » . (Certes, avouait-il, « nous sommes assez gênés quand on nous parle du moyen propriétaire qui a encore deux ou trois ouvriers et qui peine avec eux » ; « mais cette catégorie de moyens propriétaires
diminue
de plus en plus » ) . Il demandait d o n c avec insistance des réformes immédiates pour les petits propriétaires et les petits fenniers c o m m e pour les ouvriers et les métayers, tout en répétant fermement la thèse fondamentale : « L a solution du problème social, est, tout entier et exclusivement,
dans l'appropriation
collective o u sociale de tous les moyens de production, d'échange ou d e transport » . Il voulait « un programme tout à la fois de réforme et d e révolution » 74. 70.
La vérité
71.
Les
aux paysans
72.
Le
73
COMPÈRE-MOREL,
74.
Discours
propos Socialiste, au
par un campagnard,
d'un rural,
Breteuil,
septembre
1 9 0 2 ( C . WILLARD,
La question
Congrès
de
1 8 9 7 , p p . 1 8 et 8 .
1 9 0 2 , p. 4 6 .
agraire
op.
cit., p . 4 5 6 ) .
et le socialisme
Saint-Etienne.
PARTI
en France,
SOCIALISTE.
1 9 1 2 , pp. 1 4 7 - 4 3 4 .
SECTION
'FRANÇAISE
DE
L ' I N T E R N A T I O N A L E O U V R I È R E , 6' Congrès national, tenu à Saint-Etienne les 11 12 1S et 14 avril 1909, p p . 1 7 7 - 1 9 9 , citation p p . 1 9 0 et 1 9 9 ( B . N . 8 " L b 5 7 1 3 5 2 8 ) . J . O . Chambre des députés, débats d u 6 décembre 1 9 0 9 , p p . 3 1 8 6 - 3 1 9 9 , citations p p . 3 1 9 3 - 3 1 9 8 et 3 1 9 9 ) . La question agraire et le socialisme en France, 1 9 1 2 , pp. 1 - 1 4 2 .
162
Réclamant du parti à chaque congrès une action soutenue dans c e d o maine, Compère-Morel n'obtint un grand débat qu'à Saint-Etienne (1909) ' 5 . Si certains l'approuvèrent, les plus doctrinaires montrèrent quelque intransigeance en mettant l'accent sui" les principes. « Nous devons dire, déclarait ainsi Vaillant, que la propriété individuelle agraire, privilège et monopole» qui ne peut se généraliser, obstacle au développement des forces productives et à l'évolution économique, doit inévitablement disparaître, la petite c o m m e la grande propriété, et cela c o m m e une conséquence inévitable, libératrice de l'évolution sociale » . Lagardelle, mal écouté du reste, ajoutait : « L e propriétaire paysan... n'est pas hors de la propriété, il est dans la propriété, il tient à la terre c o m m e la plante par la racine ; il est pleinement imbibé du désir de posséder,... il n'est pas rejeté par les conditions de sa vie en dehors des limites mêmes du capitalisme, il s'y est incorporé » . Jaurès posa seulement quelques questions et redit sa foi : « A u feu de la revendication ouvrière se mêlera le feu de la revendication paysanne et c'est alors seulement que le bloc du vieux m o n d e fondra » . Guesde enfin rappela : « L à où la propriété et le travail sont réunis dans la même main, il n'y a pas lieu à intervention sociale, il n'y a pas lieu à expropriation » , mais cette fois il condamna toute consolidation de la petite propriété : « Vous dresseriez, sur la voie du prolétariat organisé, en obstacle insurmontable, les millions de fourches paysannes derrière les fusils de l'obéissance passive » . Prolongée tard dans la nuit, la discussion n'aboutit, malgré les efforts de CompèreMorel, qu'à la création d'une commission chargée de préparer une déclaration : évitons, avait dit Renaudel, « la viande creuse d'une formule » . En fait la question demeura ouverte jusqu'en 1914. Contre quelques militants qui représentaient la coopération de consommation urbaine, Compère-Morel exaltait désormais l'action syndicale et c o o pérative dans les campagnes, c o m m e une préparation au collectivisme. Il se d é v e l o p p a dans cette période quelques initiatives d'inspiration socialiste. Elie Cathala, à Maraussan (Hérault), réunit ainsi les petits propriétaires dans une coopérative de vente, Les Vignerons libres, puis les salariés dans un groupement de travail en c o m m u n , l'Emancipation paysanne, et dans une association de construction, la Ruche prolétarienne
7 6
. Des rapports furent établis
avec les organisations ouvrières des villes mais un accord conclu avec des coopératives d e consommation parisiennes ne dura pas. Nous connaissons aussi par Halévy et Guillaumin la Ruche viticole, fondée à D o m é r a t près de Montluçon pour l'exploitation
d'une vigne
commune.
Son instigateur, Jules Rougeron, voulait financer ainsi champ d'expériences et bibliothèque, il introduisit aussi la vannerie c o m m e industrie temporaire. Mais 7 5 . 6' congrès national, o p . cit., p p . 1 7 7 - 3 5 0 , 3 5 9 - 3 9 1 , 5 8 8 - 5 9 8 (citations p p . 2 1 4 , 2 7 7 , 325, 3 7 9 , 3 8 1 ) . M . A U G É - L A R I B É , L'évolution de la France agricole, 1912, pp. 231-249. D. L I G O U , Histoire du socialisme en France (1871-1961), 1 9 6 2 , pp. 2 0 0 - 2 0 3 . G . L E F R A N C , Le mouvement socialiste sous la Troisième République (1875-1940), 1 9 6 3 , p p . 1 6 8 - 1 7 0 . Tendance doctrinaire dans P. L o u i s , Encyclopédie socialiste, II, 1 9 1 2 , pp. 2 4 6 - 2 6 2 . 7 6 . M . A U G É - L A R I B É , « L e s coopératives paysannes et socialistes d e Maraussan (Hérault) », Le Musée social. Mémoires et documents, 1 9 0 7 , p p . 6 5 - 9 4 , et Le problème agraire du socialisme. La viticulture industrielle du Midi de la France, 1 9 0 7 , p p . 2 3 0 - 2 4 0 . Encyclopédie socialiste, VIII, 1914, pp. 2 7 4 - 2 7 5 , 3 9 7 - 3 9 9 , 4 3 6 - 4 4 3 .
163
c e créateur à la forte personnalité ne réussit qu'à demi car, « socialiste mais d e doctrine, d'effort et non d e comités » , il se heurta aux jalousies «.dans c e village de propriétaires où sévit un socialisme bizarre, tout électoral, inexistant quant aux actes, injurieux et sectaire quant aux affirmations »
7 7
.
En définitive, le Parti socialiste unifié n'apporta d o n c pas aux paysans l'intérêt soutenu q u e demandait Compère-Morel. Ces négligences ne l'empêchèrent pas d'obtenir certains succès électoraux surtout dans des régions traditionnellement orientées à l'extrême-gauche, o ù il paraissait l'incarnation nouvelle du Mouvement. En 1914, si l'Ouest se montra rcfractaire, et le Sud-Ouest réservés, les ruraux apportèrent u n e assez large
l'Est
adhésion
dans le Centre, d e l'Aube à la Haute-Vienne, dans les campagnes d e l'Isère et dans les départements méditerranéens, du Var à l'Aude. L a propagande des militants et l'action habile des élus contribuaient à cette diffusion q u i évitait les insistances doctrinales (les socialistes agrariens se montrèrent notamment parmi les plus hostiles à l'hervéisme). Compère-Morel lui-même représentait depuis 1909 les vignerons d u Gard, dont la fédération prêta toujours une attention particulière aux questions paysannes influence personnelle, se montraient fort
7 8
. D'autres, jouissant
indépendants
député de Beaune, Camuzct, bientôt dissident
7 9
d'une
d u parti, ainsi le
.
III
LA
RÉPONSE
DES AGRARIENS
Si les militants socialistes dans la lutte politique c o m m e les militants syndicalistes dans l'organisation des ouvriers et des métayers, déploraient la passivité des masses et leur manque d e persévérance, ces mouvements d e classe inquiétaient profondément les cadres anciens et nouveaux du m o n d e rural. N é des difficultés économiques, l'agrarisme se trouvait ainsi confronté au problème social. Ses chefs, membres des classes dirigeantes, nous l'avons vu, prirent résolument position contre la révolution q u i menaçait l'harmonie au village. A côté des anathèmes, certains sentirent aussi la nécessité d'une action positive, soit pour consolider la petite propriété, soit pour améliorer la condition des ouvriers. L e refus du socialisme. Dans une v u e idéalisée, qui négligeait les jacqueries du passé et les troubles d e 1848, la bourgeoisie jugeait volontiers les ruraux, face aux citadins turbulents et agités, c o m m e les sages témoins d e la discipline sociale : 7 7 . D . H A L É V Y , Visites aux paysans du Centre, é d . 1 9 3 4 , p . 5 4 . C f . son portrait correspondance dans E . G U I L L A U M I N , Paysans par eux-mêmes, 1 9 5 3 , pp. 180-218. 78. DUPEUX,
Cartes
dans
Loir-et-Cher,
F . GOGUEL, pp.
Géographie,
600-608.
C.
pp. 64-65
WILLARD,
op.
cit.,
et Atlas pp.
514
et sa
U,
2 2 2 , 2 2 3 et 2 5 3 . G .
et
589.
7 9 . L . L O N G , Les élections législatives en Côte-d'Or depuis 1870, thèse droit, D i j o n , 1 9 5 5 , pp. 94-132. R . LAURENT, Côte-d'Or. Cf. pour un autre e x e m p l e , M . REB'ÉRIOUX' U Un g r o u p e d e paysans socialistes d e S a ô n e - e t - L o i r e à l'heure d e l'unité ( 1 9 0 5 - 1 9 0 6 ) » , Le mouvement social, juillet-septembre 1 9 6 6 , p p . 8 9 - 1 0 3 .
164
« O n ne rencontre point parmi eux les ennemis de Tordre et les révoltés. Ce n'est pas pour eux qu'on a besoin de consigner la troupe »
8 0
. Or voici que
1 esprit de la subversion pénétrait ces masses fidèles, constituant « un péril plus grand qu'on ne veut généralement le reconnaître » . L a terre se trouvait impliquée dans la lutte « entre la civilisation imparfaite mais perfectible
de
notre vieille société et la barbarie, pire que celle des anciens âges, dont la victoire du collectivisme serait l'avènement fatal » . « Fade et insignifiant sur plusieurs points » , le programme d e Marseille était dénoncé c o m m e « inquiétant sur d'autres où perce le bout d'oreille de la spoliation et du despotisme d e la c o m m u n e »
8 1
.
Les milieux agrariens entreprirent d o n c après 1892 une ample réfutation. L e sursaut fut unanime, s'il se teinta certes de réactions diverses selon les tendances. A droite, on voulait voir dans la question sociale une question morale, liée à la déchristianisation, que résoudrait seule la restauration du « fondement religieux »
8 2
. A gauche, on proclamait « l'attribution de la propriété
individuelle à l'homme de nos champs... l'œuvre la plus grande de la R é v o lution française »
8 3
. A « toutes les institutions, disait un radical, qui ont pour
but de grouper les petits et les humbles,... nous nous intéressons tous [et] nos collègues d e l'extrême-gauche feront bien de s'intéresser chaque jour davantage avec nous... Mais quant à dresser contre les propriétaires catégorie q u e l c o n q u e
une
des travailleurs, que c e soient des ouvriers ou des
métayers, nous nous y refusons et c'est pourquoi nous ne vous suivrons pas dans cette voie (Vifs applaudissements
à gauche
et au centre)
»
8 4
. Et aux
revendications immédiates des socialistes, les radicaux répondaient : « Mais c'est tout le programme radical ! Nous avons c o m m e n c é avant vous ! »
8 5
.
Dans cette campagne, il faut citer tout particulièrement les réponses de Deschanel à Jaurès
8 6
. D o c u m e n t é avec précision, solidement construit, poli
longuement et prononcé avec recherche, le grand discours de juillet
1897
souleva des « applaudissements vifs et répétés à gauche, au centre et à droite » , obtint les honneurs de l'affichage et fut maintes fois cité dans les controverses d e l'époque. Si l'originalité peut en paraître aujourd'hui bien pâle, les contemporains y virent une puissante œuvre de pensée car elle exprimait dans un style brillant et avec une certaine ouverture de pensée l'hostilité q u e portaient au socialisme agraire les bourgeois de toutes nuances. L'auteur lui dut un considérable accroissement du prestige élégant qui devait le faire porter un jour à la présidence de la République. Les socialistes se voyaient d'abord reprocher leur manque de franchise et leur habileté démagogique à présenter leur programme agraire « sous des
et
Conférence
80.
E.
DEUSY,
81.
R.
D E ROCQUIGNY,
Les
au
syndicat
syndicats
agricole agricoles
d'Anjou, et
le
1892
socialisme
(B.N.
L16 116).
agraire,
1893,
pp.
339
154.
8 2 . P . C O N S T A N T , Socialisme et action rurale, R e i m s , 1 9 0 5 , 4 0 p . 8 3 . A . V I G E H, Deux années au Ministère de l'agriculture, 1 8 9 5 , p. 1 7 1 . 8 4 . F . D A V I D , J.O. Chambre des députés, séance d u 1 9 d é c e m b r e 1 9 1 0 , p . 3 4 7 5 . 8 5 . J.O. Chambre des députés, débats d u 6 d é c e m b r e 1 9 0 9 , p . 3 1 9 9 . 8 6 . J.O. Chambre des députés, séance d u 2 3 n o v e m b r e 1 8 9 3 , p . 1 0 7 ; d u 1 0 juillet 1 8 9 7 , pp. 1 9 3 3 - 1 9 4 5 (fin d u d é b a t , 6 n o v e m b r e 1 8 9 7 , p . 2 3 1 5 - 2 3 2 6 ) . Cf. E . C H A R L E S , Théories sociales et politiciens 1870-1898, 1899, pp. 3 2 3 - 3 7 0 .
165
couleurs assez estompées et assez séduisantes pour y rallier nos vaillantes populations rurales » . « Il n'y a en tout cela, tranchait Le
qu'une
Temps,
vaste entreprise de réclame électorale et c'est pour cela qu'il y a un intérêt supérieur à obliger nos adversaires à sortir des formules nuageuses ; plus ils préciseront leurs idées, plus aussi chacun tanisme »
8 7
.
Relevant
« la contradiction
s'apercevra
entre votre
de leur
charla-
condamnation
de
la
petite propriété et votre sollicitude à la défendre » , Deschanel citait Engels et louait avec ironie le Congrès de Breslau d'avoir donné « à la minorité une leçon de "droiture en clouant hardiment au grand mât ses couleurs collectivistes au lieu d'avoir deux pavillons qu'on hisse tour à tour suivant les parages (Vifs applaudissements)
» . Il accusait m ê m e Jaurès d e mépriser ceux
qu'il affirmait défendre : « Ce qui dans vos savants discours, à travers le voile brillant d'illusion et d e poésie, a le plus frappé et aussi le plus c h o q u é les hommes qui vivent vraiment de la vie de la terre, qui connaissent le mieux le paysan et qui l'aiment, c'est le ton de vos plaintes à son égard !... Qu'il entre d'orgueil dans vos jugements, et que votre pitié hautaine est voisine du dédain ! (Applaudissements)
».
« A h ! louait-il les ruraux, combien je préfère leur sobre raison,
leur
mesure, leur esprit de finesse, cette santé morale qui est c o m m e la b o n n e odeur des terres labourées, à ce mélange d'exagération et d e subtilité par lequel l'Allemagne a trop souvent forcé, faussé et sophistiqué les idées de notre grand dix-huitième siècle (Applaudissements)
claires
» . E t la critique
se faisait alors dure et impitoyable contre la conception socialiste, jugée « la reconstitution au profit de la collectivité... de c e droit eminent de propriété qui, sous la monarchie absolue, appartenait au prince et d'où découlait pour lui le droit d e confiscation » . « Ainsi d o n c , s'écriait-il, cette antique fiction du droit barbare, issue de la conquête... ce démembrement, c e
dédoublement
factice du droit de propriété, que la Révolution française a eu la
gloire
d'abolir une fois pour toutes... c'est cela que vous voulez faire revivre au profit du gouvernement de demain, le vôtre ! (Applaudissements)...
Et vous
croyez que parce que vous aurez transporté d'un monarque absolu à je ne sais quels pouvoirs anonymes, éphémères, et par conséquent irresponsables, cette abominable tyrannie, vous l'aurez rendue moins odieuse ? » Deschanel dénonçait ensuite « les lacunes et les impossibilités du systèm e » : la suppression de l'intérêt découragerait les capitaux, le salariat ne disparaîtrait pas pour les « ouvriers communaux » , et surtout les cultivateurs, réunis en association, n'éliraient pas pour chef le plus capable et m a n q u e raient d'ardeur à travailler pour la collectivité... L e socialisme
échouerait
donc, c o m m e jadis les colonies algériennes de Bugeaud. « Voilà la réalité en face de l'utopie... Vous n'avez pas le droit de prêcher du haut d e
cette
tribune la guerre des classes, tout cela au nom d'hypothèses mal définies, d e solutions douteuses et d'obscures ébauches, caprices de l'imagination ! applaudissements
87.
166
Le
Temps,
au centre,
28
octobre
à gauche
1893.
et à droite)
».
(Vifs
A l'opposé de cet encadrement obligatoire et inhumain, on exaltait l'association libre et on décrivait avec emphase ses réalisations : « Ce n'est qu'un commencement
et pourtant c'est déjà un m o n d e nouveau qui surgit des
profondeurs silencieuses ; c'est déjà le vingtième siècle qui se dresse devant nous. L'armée des ruraux en marche c o m m e n c e à s'organiser, à se mobiliser » . Aux difficultés réelles du m o n d e agricole les animateurs du
syndicalisme
apportaient les solutions véritables : « Sous le regard hautain des Klingsors du socialisme et en dépit de leur dédain, ils luttent pour la vie rurale et, silencieusement, ils préparent dans la liberté l'amélioration sociale, l'union des classes, le.progrès » . Puis, selon les règles de la rhéthorique classique, la réfutation de Deschanel s'achevait par une péroraison dans le ton enflammé qu'on goûtait alors : « Cher paysan d e France, éternel créateur d e richesse, de puissance et de liberté, éternel sauveur de la patrie et dans la paix, et dans la guerre, toi qui tant de fois as réparé les revers de nos armes et les fautes de nos gouvernements, ta claire et fine raison sauvera d'un matérialisme barbare l'âme idéaliste d e la France ! » L a glorification d e la propriété. Si l'association devait ainsi « servir de digue au flot montant du socialisme »
8 8
, la propriété semblait constituer le m ô l e de résistance fondamental,
sur lequel reposait toute la défense. Sa glorification fut d o n c un
thème
essentiel des agrariens, pris et repris sous divers points d e vue. O n commençait par contester l'analyse socialiste. Négligeant les superficies, on considérait le n o m b r e des petites propriétés paysannes (3 800 000 en 1884) et Deschanel, qui discutait pied à pied les affirmations d e Jaurès, pouvait ainsi déclarer : « L a petite propriété fait vivre en tout ou en partie environ 16 millions de personnes » . Il rejetait même, sauf cas exceptionnels, les exemples d e concentration capitaliste invoqués pour le Bassin parisien et le Midi méditerranéen et il estimait que le morcellement se poursuivait, sans voir le retournement récent de la tendance
8 9
.
Afin, disait-il, « d e procéder à une étude objective des phénomènes et de laisser les faits parler eux-mêmes et nous donner leur leçon souveraine » , Ruau fit interroger officiellement
en 1908 les professeurs d'agriculture
les présidents des Chambres de notaires. Ces correspondants
et
signalèrent,
p o u r la moitié des départements, un léger accroissement des petits propriétaires et le ministre conclut dans un ample discours, fortement étayé de citations et d e raisonnements, « d'une façon formelle et définitive, à la nonsupériorité d e la grande culture, à l'inexistence d'un mouvement de concentration de la propriété rurale et des exploitations agricoles, à l'échec théories émises sur l'envahissement production capitaliste »
Cf.
88.
DELALANDE,
89.
J.O.
90.
Discours
aussi J.O.
Chambre au
Chambre
7"
9 0
Musée des
de la
. Mais l'enquête comportait bien des incertitudes
Congrès des
de l'agriculture par les modes
des
national
députés, social députés,
des
séance (J.O.
stjndicats du
Lois
débats
10 et
du 9
agricoles.
juillet décrets,
décembre
Nancij,
1897, 16
pp.
mars
1909,
pp.
1909,
p.
415.
1 9 3 3 - 1 937. 1909,
pp.
2 704-2 716).
3 316-3 319.
167
dans ses définitions et surtout elle péchait par optimisme, c o m m e le montra la contre-enquête de Rocquigny, qui n'était cependant pas moins adversaire du socialisme
L e Grand-Orient, p r é o c c u p é alors des thèses collectivistes,
invitait les loges à reprendre localement le problème, mais la guerre interrompit cette étude
9 2
.
Quant à l'endettement, évidemment difficile à évaluer, on était porté à le minimiser : « L a liquidation hypothécaire est en train de se terminer, disait Deschanel ; le paysan français reprend son œuvre séculaire un m o m e n t ralentie, et la fourmilière en travail va continuer d'émietter le sol d e la France » . On répétait d'ailleurs volontiers l'appréciation optimiste de l'historien Flach : « L'hypothèque est plutôt un signe de prospérité q u e l'indice d'un mauvais état de choses » . Les agrariens de droite ne condamnaient
évidemment pas la grande
propriété, « privilège des gros capitaux et des hommes
de loisir qui ont
hérité de leur père o u se sont faits par eux-mêmes » . Us appartenaient le plus souvent à cette classe dirigeante
et voyaient
la puissance
foncière
« comme un but pour les ambitieux, c o m m e un modèle pour les professionnels d e la science agricole, c o m m e un instrument de progrès social pour les braves gens »
9 3
. Cependant sa légitimité leur semblait liée au devoir de
résidence et à l'exercice effectif d u patronage. D e nombreux textes y insistent depuis L e Play qui proclamait : « Les soins exigés par u n e grande habitation rurale ne laissent aucune place à l'oisiveté, cet écueil habituel d e la richesse »
9 4
. A u cœur d u débat sur le fermage général, Georges Milcent, frère
du syndicaliste, établi lui-même en Bourbonnais, dénonçait
avec
sévérité
l'absentéisme des propriétaires et inspirait dans une large mesure l e Bazin du Blé qui lève
.
95
Pour les traditionalistes cependant, la propriété devait être « répartie e n tre toutes les classes »
9 6
, et les petits héritages entourer les grands domaines
dans une bonne entente hiérarchisée. L a comparaison entre les deux types fit l'objet d'un long débat d'école, parfois confus, où, contre les physiocrates, les agrariens de la Restauration et Balzac, les auteurs de la fin d u xrx
6
siècle glorifiaient l'exploitation paysanne en faire-valoir direct ? . Moins apte, 9
9 1 . O F F I C E D E S R E N S E I G N E M E N T S A G R I C O L E S , La petite propriété rurale en France, Enquêtes monographiques (1908-1909), 1 9 0 9 , 3 4 8 p . R . V E R D I N I , Enquête officielle de 1908 sur la petite propriété rurale. Critique du document ; son contrôle d'après les résultats de la contre-enquête entreprise par le Musée social en 1910, thèse droit, Paris, 1 9 1 1 , 1 3 6 p . M . A U G É - L A R I B É , L'évolution de la France agricole, 1 9 1 2 , pp. 9 9 - 1 2 1 . 92.
Bulletin
93.
FLOUR
QUIGNY,
du
Grand-Orient
DE SAINT-GENIS,
Les syndicats
agricoles
de La
France,
propriété
et le socialisme
1 9 1 3 , pp. 1 3 - 1 7 ; rurale
en
France,
agraire,
1 9 1 4 , pp. 9 - 1 2 .
1 9 0 2 , p!
4 4 1 . Cf.
R.
DE
ROC-
1 8 9 3 , p. 1 5 6 .
9 4 . F . L E P L A Y , La réforme sociale en France, é d . d e 1 8 7 2 , I , p . 7 7 . Cf. n o t a m m e n t G . D ' A Z A M B U R A , L'abdication, 1 9 0 0 , 3 0 0 p . H . D E B O I S S I E U , Rôle social du grand propriétaire foncier, Reims, 1 9 0 5 , 3 3 p . et P. R o u x , Le rôle social du propriétaire rural, 1 9 0 8 50 p. ' 95.
J. BOIS,
op.
cit.,
pp.
74-80.
9 6 . F . L E P L A Y , o p . cit., p . 2 1 9 . F . M A U R I C E , France agricole et agraire, 1 8 9 2 , 3 8 0 p.
L'agriculture
et
la question
sociale.
La
9 7 . R . H E N R Y , La petite propriété rurale en France, thèse droit Paris 1 8 9 52 3 4p S D E L A B O U I L L E R I E , Etude sur la petite propriété rurale, 1 8 9 5 , 1 0 0 p.' F L O U ' R D E S A I N T - G E N I S ' La propriété rurale en France, 1 9 0 2 , 4 4 5 p . L . T A I N T U R I E R , Etat, et rôle de la petite propriété rurale en France, thèse droit, D i j o n , 1 9 1 0 , 1 8 1 p .
168
reconnaissait-on, à se spécialiser, à investir, à se lier avec l'industrie de transformation, celle-ci se montrait, dans la « crise agricole » de l'époque, moins fragile parce que moins sensible aux vicissitudes du marché ; de plus, c o m m e le machinisme était encore peu développé, elle devait à l'intensité du travail du paysan une productivité supérieure. Et à l'exclamation de Compère-Morel « c'est
vrai, par une surexploitation
de lui-même
(Mouvements
divers)
»,
Ruau répliquait « parce que cette terre a appartenu, avant lui, à son père et qu'ils y ont mis tous les deux le meilleur d'eux-mêmes »
9 8
.
Surtout la
petite propriété ajoutait à cette résistance économique une valeur sociale de premier plan, faisant « vivre, à égale superficie, une population double ou triple de celle qu'entretient la grande » et pour les contemporains qui déploraient l'exode rural c o m m e le fléau des fléaux, l'argument semblait décisif : « Quel résultat désire le pays, sinon de faire vivre sur notre sol français une population de plus en plus nombreuse ? »
9 9
T o u t en partageant ces thèses dans l'ensemble, l'économiste
Souchon
relevait néanmoins la restriction volontaire des naissances chez les petits propriétaires, il montrait surtout avec netteté que les avantages
invoqués
valaient seulement pour la moyenne propriété paysanne d'une étendue suffisante, non pour le lopin parcellaire
° . L e jeune Augé-Laribé, dans sa thèse
1 0
d e droit, insistait sur le recours croissant de l'agriculture au capital, sans nier q u e la spécialisation pouvait permettre le maintien d'exploitations nes
1 0 1
moyen-
. Mais ces réserves ne retinrent guère l'attention, et l'éloge courant du
m y t h e transfiguré ignora les distinctions des économistes. Les effets politiques n'étaient pas moins appréciés. « Cette petite propriété, disait Ruau, telle que nous l'avons conçue, encouragée et développée, nous disons, nous, qu'elle constitue pour longtemps encore la réserve inépuisable du régime actuel, car si nos petits cultivateurs désirent conserver ce qu'ils ont, si, par certains côtés, il sont conservateurs, ils sont avant tout épris de progrès et de justice sociale » . Après avoir animé une Ligue de la petite propriété qui ne vécut guère, un radical, Camille Sabatier, développa m ê m e une doctrine du « morcellisme » , qui reconnaissait c o m m e seule légitime la propriété issue directement du travail
1 0 2
. L e ministre ne le suivait
pas et enrôlait au contraire dans la démocratie le paysan aisé : « Il est sorti des rangs des petits pour devenir moyen propriétaire, mais il ne songe point à passer dans la catégorie des grands terriens. Sa cause est presque toujours celle des humbles ; dans le m o n d e rural il fait bloc avec les petits, il se c o n f o n d avec eux sur le terrain économique et social par une communauté d'intérêt et de tendance » . Et en ces derniers temps du Bloc, Ruau allait
p.
la
98.
J.O.
99.
L E TRÉSOR
Chambre
des
députés,
débats
D E L A R O C Q U E , 3'
du
Congrès
9
décembre
national
des
1 9 0 9 , p. syndicats
33 1 8 . agricoles.
Orléans
1897,
21.
A.
SOUCHON,
101.
M.
AUGÉ-LARIBÉ,
répartition
1902,
2 1 8
102. .avec
La
100.
une
du
sol
et
propriété
paysanne,
Grande
ou
petite
la transformation
1 8 9 9 , 2 5 3 p. propriété?
industrielle
de
(citation
Histoire
des
Vagriculture,
p. 1 2 ) . doctrines thèse
en
droit,
France
sur
Montpellier,
p. C.
SABATIER,
intéressante
Le
socialisme
introduction
de
libéral Maurice
ou
morcellisme,
FAURE,
1 9 0 4 , 4 0 0 p.
Le
morcellisme,
1 9 0 7 , 1 7 8 p.
189
jusqu'à faire « appel aux sentiments républicains des socialistes pour ne pas renier l'œuvre
commune » : aux
exclamations
de
la
droite,
il
mobilisait
« vous tous qui siégez au centre, à gauche et l'extrême-gauche » , p o u r la consolidation de la petite propriété
1 0 3
.
D'autres en revanche insistaient à juste titre sur l'effet de conservatisme : « Les propriétaires, notait Souchon, devant être les meilleurs défenseurs de la propriété, leur multiplication est pour augmenter d'une façon
peut-être
décisive les chances d e survie d e nos vieilles formes sociales » . Et A n d r é Siegfried observait de m ê m e , au terme de sa grande enquête sur l'Ouest : « Je reste toujours frappé d'étonnement chaque fois que je constate
avec
quelle rapidité le terrien français devient conservateur : quelques milliers d e francs d'économies, quelques arpents acquis par le travail, et voici un h o m m e si fermement attaché à l'équilibre d e cette société où il a su se faire une place qu'elle n'a plus désormais d e meilleur soutien que lui ! » . A v e c finesse il montrait la parenté qui unissait à cet égard le « bonapartisme foncier et persistant des fractions aisées de la masse rurale » et « le radicalisme paysan, sous une apparence de hardiesse démocratique qui ne transige pas,... au fond de souffle court et d'appétit réformateur vite apaisé » . L a prudence en effet marqua toujours l'agrarisme de gauche, malgré le langage plébéien o p p o sé aux affirmations hiérarchiques des traditionalistes. « O n satisfait aisément les désirs de Jacques B o n h o m m e : dès l'instant qu'il est satisfait, il s'arrête et la démocratie avec lui. Les
réfutations
1 0 4
du
»
socialisme
mirent
donc
l'accent
sur
la
nécessité
impérieuse de consolider la petite propriété. L a fondant sur le travail d e « la famille-souche » , L e Play avait passionnément accusé le partage successoral, prévu par le C o d e civil, d e hacher les petits domaines en parcelles insuffisantes et de porter ainsi la principale responsabilité d e l'exode rural. Ces accusations furent souvent reprises par les traditionalistes qui louaient certaines coutumes allemandes d'Anerbenrecht, profit d'un héritier privilégié
1 0 5
c'est-à-dire l'indivisibihté au
. Mais ils se heurtèrent ici à une opposition
insurmontable (sauf les dérogations d e faible portée admises par la loi du 3 0 mars 1894), car malgré une certaine souplesse dans l'application, l'esprit égalitaire de la Révolution française imprégnait profondément les mentalités à cet égard. Deschanel se bornait en ce domaine à réclamer la diminution des droits d'enregistrement, il n'obtint pas grand chose. Quant au remembrement, la loi de 1865 sur les associations syndicales en avait prévu la possibilité au cas de travaux de drainage ou d'assèchement. E n fait, si le géomètre Gorce le réalisa par la persuasion dans une cinquantaine de communes d e Meurthe-et-Moselle, suivant l'exemple donné jadis par l'intendant La Galaizière dans sa seigneurie de Neuviller, son initiative resta isolée et on s'en tint à un léger dégrèvement pour les échanges volontaires d e 1 0 3 . Discours au députés, débats d u 9 104. 105. 1908. La
170
M u s é e social (J.O. Lcis et décrets, décembre 1 9 0 9 , p. 3 3 1 9 .
A . S I E G F R I E D , France F . L E P L A Y , op. cit., question agraire, p p .
16
mars
1909).
de L'Ouest, 1 9 1 3 , pp. 441-442. pp. 2 2 4 , 2 6 3 - 2 6 4 . Cf. A . C . J . F . , Congrès 9-12, 118-126.
J.O.
d'Angers
Chambre
19-22
des
mars
parcelles. Personne alors n'envisageait réellement la notion d'une foncière d'ensemble .
politique
1 0 6
O n se p r é o c c u p a seulement, et sans grande efficacité, d e favoriser la constitution d e petits domaines, c o m m e l'entreprenaient dans des conditions différentes, les Anglais avec Yallotment avec le Rentengut,
et le small holding,
les Américains avec le homestead.
les Allemands
Dans le cadre d e la
législation sur les habitations à b o n marché, établie par la loi Siegfried du 3 0 novembre 1894, la loi Ribot d e 1908 facilita l'acquisition d e terres avec l'aide d e sociétés de crédit immobilier mais à des conditions strictes et avec un maximum
d'un hectare
: il s'agissait d'un lopin assurant un c o m p l é -
m e n t de subsistance à l'ouvrier, n o n d'une exploitation indépendante. D'autre part, le recours au crédit foncier s'avérant lourd et coûteux, les caisses d e crédit agricole reçurent, en 1910, la possibilité de prêter à long terme aux « agriculteurs jeunes, laborieux, honnêtes, désireux d e se consacrer à la culture » , pour la constitution d'une petite propriété rurale. Les demandes furent nombreuses mais les crédits restreints. Enfin u n e loi de 1909, d u e à un effort soutenu d e l'abbé Lemire, créa le « Bien d e famille » , d'une valeur limitée, insaisissable, soumis à des règles particulières pour l'aliénation et la succession. Malgré l'adhésion du ministre à la création d e « cet inviolable asile des paysans déshérités »
et l'appro-
1 0 7
bation enthousiaste des catholiques sociaux, la formule ne souleva
guère
d'intérêt chez les paysans (on ne comptait q u e 158 biens ruraux en 1914). Souchon concluait avec scepticisme : « Nous n'avons... ni Pologne à germaniser, ni landlords ; et il n'y a pas chez nous de question agraire, ou plutôt elle n'apparaît q u e par les solutions onéreuses qu'on veut lui chercher. Mais peut-être
est-ce
trop
demander
à notre temps,
q u e de renoncer
à ces
méthodes d e subventions inconsidérées ? Encore n'est-il pas inutile d e sonder quelquefois les profondeurs qu'on en trouve »
1 0 8
.
L a m ê m e timidité, respectueuse des mécanismes libéraux, s'observe dans la question d e l'indemnité au fermier sortant pour les améliorations foncières apportées pendant l e bail. Lorsque quelques auteurs, d'après l'exemple des Agricultural
holding
acts britanniques, soulevèrent
alors le problème, la
Société des agriculteurs d e France s'opposa fermement à « un droit d'amélioration qui, sous prétexte de salut public, pourrait se transformer en très dangereux privilège au profit d'une classe contre une autre classe » . O n fit valoir les difficultés réelles d'évaluation, on invoqua la liberté des contrats : « Est-ce q u e la force des choses ne suffit pas à assigner à la propriété des devoirs devant lesquels elle ne peut plus reculer, forcée qu'elle est d'obéir à la loi des mutations qui, tôt ou tard, le fera passer aux mains des plus habiles à en tirer parti, et pour eux-mêmes et pour les intérêts généraux
106.
La
214, M.
A .
propriété
DE FOVILLE,
rurale
107.
Discours
108.
Mise
au M u s é e
au point
e t La crise AUGÉ-LARIBÉ,
Le
morcellement,
en Lorraine
:
social
d'ensemble
de la main-d'œuvre Politique
agricole,
1 8 8 5 , pp.
morcellement (J.O. Lois
et décrets,
par A . S O U C H O N , en France, pp.
133-189
et
et remembrement, 1 6 mars
La propriété
1 9 1 4 , pp. 3 9 9 - 4 4 9
269-275.
1914, 1 9 2
G.
HOTTENGER,
p.
1909). paysanne,
1 8 9 9 , pp.1 4 1 -
(citations p . 4 3 6 e t 4 4 8 ) .
91-92.
171
du pays ? »
1 0 9
. Mais surtout on craignait de substituer « au principe solide et
fécond de la propriété, pour la conquête duquel les juristes ont travaillé successivement plusieurs siècles en faveur
de l'individu...
la
copropriété,
principe stérile et dissolvant partout où il a existé sous une forme ou sous une autre »
1 1 0
. En 1896 un projet très modéré fut a p p u y é par Meline et par
quelques membres de la société, mais un mouvement d e fond se manifesta qui obtint l'ajournement pour longtemps : dans le Nord il existait seulement un usage traditionnel, le « droit de chapeau » , reprise versée au prédécesseur par le nouveau preneur Les attitudes
m
.
patronales.
L'insistance des agrariens sur la valeur de la propriété n'effaçait
pas
cependant le problème du salariat. Les conditions de l'emploi et du travail pouvaient différer profondément de celles du m o n d e industriel, bien
des
entreprises agricoles n'en dépendaient pas moins dans une large mesure d e la collaboration de leurs ouvriers. Or, non seulement le syndicalisme, appuyé par le socialisme, exprimait avec force leurs revendications, mais les exploitants éclairés ne se cachaient pas la gravité plus redoutable encore de l'exode rural, qu'Augé-Laribé qualifiait justement : « Une forme d e la grève, permanente et individuelle » : « plus exactement, il la remplace » Une première attitude fréquente surveillance. L'enquête
de
fut une réaction
1 1 2
.
de méfiance
1866 releva de nombreuses
et
de
plaintes, ainsi
en
Loir-et-Cher, contre « l'indocilité des domestiques ruraux... dont l'état moral laisse de plus en plus à désirer » . Certains employeurs demandaient l'introduction du livret (non utilisé en fait dans les campagnes, avant m ê m e sa suppression formelle en 1890), « afin que, s'il paye cher ses agents, [le maître] puisse au moins avoir quelques notions sur la valeur de la marchandise qu'il veut acquérir »
1 1 3
. Quand la pression ouvrière se fit menaçante, on vit aussi
se renforcer la cohésion patronale dans une perspective d e défense sociale. Dans le Centre, les marchands de bois opposèrent ainsi une résistance assez dure puis les propriétaires constituèrent de leur côté des syndicats qui répondirent aux mises à l'index par une affirmation de solidarité et, grâce à une forte discipline, imposèrent pendant plusieurs années le maintien des salaires au niveau de
1907
1 1 4
.
Au
Grand-Orient m ê m e ,
le
syndicalisme
agricole soulevait de vives préventions dont se plaignait Jammy fondateur d'un syndicat dans l'Oise Chez
les
meilleurs
1 1 5
Schmidt,
.
employeurs,
l'esprit
de
patronage
paternaliste
dominait toutefois. La Société des agriculteurs de France attribuait ainsi au
109. E. L E C O U T E U X , «Rapport fermier sortant. Société nationale 110.
H.
111.
S.A.F.,
DONIOL,
112.
M.
A.A.,
1896,
1891,
p.
passim.
AUGÉ-LARIBÉ,
Cf.
172
A.
115.
Bulletin
SOUCHON, du
La
crise
Grand-Orient
tendant à 1 8 9 1 , pp.
réglementer 1 8 0 - 2 0 1 et
l'indemnité 312-334.
326.
M .
Politique
1 1 3 . E n q u ê t e de 1 8 6 6 , citée L A R I B É , Politique agricole, p. 1 1 1 Société d'histoire de la révolution 114.
sur les propositions d'agriculture », A.A., AUGÉ-LARIBÉ,
agricole,
p.
Politique
agricole,
pp.
94-95.
102.
par G . D U P E U X , Loir-et-Cher, p p . 4 3 0 - 4 3 1 . Cf. M . AUGÉet A . C H Â T E L A I N , « L e m o n d e p a y s a n et le livret ouvrier » , de 1848, Etudes, X V , 1 9 5 3 , pp. 4 6 - 6 3 .
de
la main-d'œuvr-i de
France,
1911,
agricole p.
en
163.
France,
1914,
pp.
160-166.
dans ses concours médailles et primes « aux serviteurs ruraux qui, dans une carrière déjà avancée, auront donné l'exemple
de l'attachement
tradition-
nel à la terre qu'ils exploitent, de la b o n n e conduite, de la persévérance dans le travail et l'accomplissement des devoirs de la famille »
1 1 6
. On se
flattait souvent de l'idée que le syndicat mixte apporterait la solution, selon la tradition, fortement idéalisée, des corporations médiévales.
Rocquigny,
particulièrement attentif au problème, déclarait ainsi : « L'ouvrier agricole prenant la place qu'il doit légitimement tenir dans nos syndicats, c'est la paix sociale assurée dans les campagnes
par l'entente cordiale de toutes
les catégories du m o n d e rural, par l'extension progressive des cadres de la petite propriété, par l'aisance plus généralement répandue, par le rattachement au sol natal d e tous ces ouvriers des champs qui émigrent vers les centres industriels »
1 1 7
.
Cet espoir fut presque totalement d é ç u
: si nombre de petits exploi-
tants suivirent les « Messieurs » , les salariés restèrent en général hors du mouvement. Firent seulement exception quelques syndicats du Midi viticole, notamment celui d e Castelnaudary, et du Centre forestier
1 1 8
. A Paris, l'As-
sociation professionnelle Saint-Fiacre, fondée en 1879 sous l'inspiration d e l ' Œ u v r e des cercles, réunissait des ouvriers jardiniers, « membres ordinaires » sous
le regard
des « membres
appartenant à la bourgeoisie
1 1 9
patrons »
et de « membres
fondateurs »
.
Devant ces initiatives d'esprit religieux, certains catholiques exprimèrent des réserves. A u Congrès de la Démocratie chrétienne, tenu à Lyon en 1897, un prêtre breton, l'abbé T r o c h u , et ses amis insistèrent sur les oppositions d e classe au village et demandèrent la création de syndicats séparés. Un v œ u d e compromis, qui déplut fort à Duport, recommanda « des groupes distincts, qui
trouveront
un terrain
d'entente
dans
des commissions
mixtes »
1 2 0
.
Par la suite, le Sillon critiqua plus durement encore le syndicalisme paternaliste et recommanda, dans les régions de « propriété terrienne capitaliste » , de « travailler à c e q u e les syndicats d'ouvriers agricoles deviennent pour eux une école d'apprentissage démocratique »
1 2 1
. Mais rien ne fut réalisé sui*
ce plan. Si l'Association des emigrants d u Nord de la France, créée en 1905 pour les saisonniers
travaillant
en Ile-de-France,
était indépendante du
patronat, elle relevait, directement, à l'exemple d'œuvres belges, des « missionnaires d u travail agricole » car, disait le fondât cur, « est-ce que la place du prêtre n'est pas partout o ù il y a du bien à faire ? » Résistance et paternalisme se retrouvèrent mêlés
1 2 2
.
quand on envisagea
1 1 6 . S.A.F., 1 8 8 6 , p. 5 7 1 . 1 1 7 . 3" Congrès national des syndicats agricoles. Orléans 1897, p p . 3 3 - 3 4 . 118. 5 Congrès national des syndicats agricoles. Périgueux 1905, pp. 6 7 - 6 8 , 90-91. AUGÉ-LARIBÉ, Le problème agraire du syndicalisme. La viticulture industrielle du Midi la France, 1 9 0 7 , p p . 3 1 2 - 3 2 2 . L'évolution de la France agricole, 1 9 1 2 , pp. 2 6 2 - 2 6 6 . e
M. de
119.
OFFICE
DU TRAVAIL,
1 2 0 . .T.-M. M A Y E U R , ( 1 8 9 6 - 1 8 9 7 - 1 8 9 8 ) » , Revue 121. (B.N.
B°
122.
Abbé Lb
5 7
Abbé
DAVOT,
Les
Associations
professionnelles
ouvrières,
I,
1 8 9 4 , pp.
«Les congrès nationaux d e la " d é m o c r a t i e chrétienne" d'histoire moderne et contemporaine, 1 9 6 2 , p. 2 0 2 .
Congrès
rural
du
Sillon.
Les
Laumes-Alésia
30
août
318-326.
à
1908,
Lyon p. 1 6
14525).
J. FRANÇOIS,
Les
emigrants
du Nord
de
la France,
Reims,
1 9 0 5 , 3 3 p.
173
l'extension à l'agriculture de la nouvelle législation ouvrière. S'agissait-il
de
la durée du travail ? les agrariens multipliaient les objections tirées des urgences imposées par le temps et les saisons, des habitudes touchant l'aide des voisins et des enfants et m ê m e de l'hygiène naturelle due au plein air... Jusqu'en 1914, toute réglementation fut écartée, sauf l'obligation jusqu'à 13 ans, irrégulièrement respectée. S'agissait-il
des
scolaire
accidents ?
La
Société des agriculteurs de France combattit énergiquement pendant dix ans l'introduction du risque professionnel, en mettant en avant, non sans q u e l q u e hypocrisie, les difficultés et les charges qu'elle entraînerait pour « la petite culture » . La loi de 1899 précisant le texte général d e 1898, adopta
en
définitive cette présomption de responsabilité dans l'hypothèse limitée
de
« l'emploi des machines agricoles mues par des moteurs inanimés » . Après une loi de 1907 sur l'adhésion facultative, les syndicats de bûcherons luttèrent pour une application généralisée. Ils l'obtinrent d'abord dans les bois l'Etat puis en
1914 pour l'ensemble
des travaux forestiers
1 2 3
de
.
Contre la misère on se fiait à l'assistance. « La chanté privée, proclamait la Société des agriculteurs de France, peut seule, par son activité f é c o n d e et ses sacrifices
volontaires,
combattre
la
misère
sous
toutes
ses
formes...
la bienveillance publique doit seulement en être le complément »
1 2 4
.
Les
plus ouverts y ajoutèrent la mutualité. A u Syndicat de Belleville-sur-Saône, une organisation d'entraide établie lors du décès d'un adhérent se transforma ensuite en une caisse de retraites. D'autres sociétés furent créées, surtout après la grande loi mutualiste du I
avril 1898, à Castelnaudary, par le
e r
marquis de Laurens-Castelet, dans le Beaumont (Isère), à Craon (Mayenne)... L'abbé Thouvenin réalisa en Meurthe-et-Moselle l'œuvre la plus élaborée avec ses caisses de retraite et de dotation, conçues dans la triple perspective du mariage, de la vieillesse et du décès
1 2 5
.
Cette action méritoire, qui s'élargit aux petits exploitants, toucha c e p e n dant peu de monde en définitive (quelques milliers). Elle se heurtait à certaines difficultés juridiques mais surtout au fait que tout reposait sur l'épargne individuelle. C o m m e le disait
Meline avec quelque candeur, « la pré-
voyance, cette providence du pauvre, l'invite à mettre de côté pendant les bons jours, les jours de santé et de pein travail, une petite réserve en vue des mauvais jours et de la vieillesse. La cotisation peut être infinitésimale, si on a soin de la commencer de b o n n e heure et de continuer avec courage et persévérance jusqu'au bout. Un petit effort
suffit pour assurer au
vieux
travailleur ou à l'infirme des moyens de vivre sans tendre la main à personne et d e garantir sa famille contre les risques de la mort »
1 2
6 . L e plus souvent
cependant ses ressources ne le lui permettaient guère et sa mentalité ne l'y portait pas. 123. A. 112-113.
pp.
la
124. société 125. 126.
LARIBÉ,
174
SOUCHON,
op.
cit.,
pp.
147-151
et
V œ u d e 1 8 9 1 ( C o m t e de L U Ç A Y et P . des agriculteurs de France, p. 1 4 8 ) . 7' Congrès J. M E L I N E , p.
114).
national Le retour
pp.
472-512.
SENART,
Vœux
M.
de
AUGÉ-LARIBÉ,
l'Assemblée
générale
des syndicats agricoles. Nancy 1909, pp. 154-176 à la terre, 1 9 0 5 p. 1 7 4 . (Cf. le c o m m e n t a r l e ironique !
op.
cit.,
de
d'AUGÉ-
N e devrait-on pas établir l'obligation, c o m m e Bismarck l'avait fait dès 1883,
p o u r tous les salariés, y compris ceux de l'agriculture ? Cette perspec-
tive scandalisa les agrariens : « Une autre invasion... nous menace et qui est, elle aussi, une invasion allemande, l'invasion du socialisme d'Etat » 127, E n
sements)
(Applaudis-
1901, le gouvernement présenta un projet limité
aux
retraites, mais aussitôt Gailhard-Bancel fit décider par la Chambre la consultation des associations agricoles et celles-ci, suivant la Société des agriculteurs d e France et la Société nationale d'agriculture, se prononcèrent en grande majorité contre « un formalisme et des sanctions dont ne peuvent s'accomm o d e r les conditions particulières à la population agricole » . On demandait un régime d e liberté subventionnée et on s'inquiétait en particulier d e ne pas briser l'effort entrepris pour l'acquisition d'un lopin. « L a prévoyance d e l'ouvrier agricole, pensait Souchon, doit en faire un petit propriétaire et non pas un petit rentier. Pour lui, la retraite sera un péril plutôt qu'un bien, si sa perspective et ses versements l'ont détourné de la terre, privé des dignités et d e la jouissance de la propriété » 128. On n'envisageait évidemment en aucune façon l e droit du propriétaire-exploitant à une retraite. Après une longue résistance du Sénat, les « retraites ouvrières et paysannes » furent créées par la loi de 1910. Celle-ci s'appliquait explicitement aux salariés de l'agriculture et elle ouvrait la voie de l'adhésion facultative aux exploitants ( c o m m e à tous les petits entrepreneurs). L'institution établie, l'Union centrale des syndicats agricoles et plusieurs Unions régionales, dont le « Sud-Est » , se décidèrent à coopérer et à fonder des caisses autonomes. D'assez vifs débats s'élevèrent à ce sujet au Congrès de Toulouse et de N i c e : alors que l'abbé Thouvenin préconisait une structure mutualiste non professionnelle , Ricard
affirmait la nécessité
1
« d'élever pour l'agriculture
un
édifice social » , prenant « l'agriculteur de sa naissance pour le mener jusqu'à sa mort, à travers toutes les péripéties de son existence » et s'appliquant « à le soutenir dans toutes les étapes de sa carrière »
1 2
9 . En fait les adhé-
rents firent défaut jusqu'à la première guerre mondiale, les ruraux manifestant presque unanimement une résistance sourde et passive. « Je n e supposais, écrivait un militant plus ouvert, ni une pareille indifférence, ni une opposition aussi marquée. L e maire, vieillard buté, combat la loi à laquelle il n'entend rien...
L'instituteur, jeune, égoïste et froussard n'ose pas risquer une confé-
rence éducative par crainte de heurter l'opinion » 1 . 3 0
C h e z certains grands exploitants on observait cependant alors un esprit nouveau.
Des
catholiques
sociaux, les frères
Boullenger
à
Moyenneville
(Oise) 131, Thomassin à Pontoise, se préoccupaient activement du logement ouvrier, donnaient l'exemple et faisaient accepter des vœux par la Société des agriculteurs de France. Dans les milieux du boulevard Saint-Germain, se
d'une
A.
128.
A . SOUCHON,
129.
9*
130.
LEDOUX,
131.
A . - J . CHARON,
paroisse
GIGOT,
Congrès
127.
Congrès 28
rurale,
3"
op.
cit.,
national avril
national
des
pp. 5 1 3 - 5 3 7 des
1911
L'apostolat
Moyenneville
syndicats (Paysans social (Oise),
syndicats (citation agricoles.
par
agricoles. p.
Nice
eux-mêmes,
dans 1910,
les 63
Orléans
1897,
p.
88.
519).
milieux
1913, éd.
E.
ruraux.
pp.
45-79
Guillaumin, Monographie
et
105-106.
1951, des
p.
104). œuvres
p.
175
12
fondait en 1912 la Société nationale d e protection de la main-d'œuvre agricole, dont le bulletin révélait u n e assez large prise de conscience d u p r o blème
1 3 2
. Mais ces initiatives restaient limitées et la majorité des proprié-
taires continuaient de rejeter vigoureusement toute intervention 132.
A .
SOUCHON.
op.
cit.,
pp.
404-409.
M .
AUGÉ-LARIBÉ,
Politique
agricole,
extérieure. p.
1 1 6 .
DEUXIÈME
PARTIE
LES LENTES ETAPES DE LA PROMOTION PAYSANNE DEPUIS 1914
JUSQU'EN
1914> nous l'avons vu, l'autorité des « Messieurs » n'avait guère
été contestée, un nouveau type de personnalités républicaines s'était seulement affirmé contre les anciens notables et leur avait disputé La
direction
de
l'agrarisme,
échappant
aux paysans,
était
l'influence.
revenue
aux
grands propriétaires, aux curés, aux médecins. Si ceux-ci avaient d e m a n d é l'aide du pouvoir, ils rejetaient non seulement le socialisme mais
toute
intervention trop poussée : il s'agissait d'abord de fermer le marché intérieur par les droits d e douane, et ensuite d'apporter quelques encouragements à l'initiative privée. Cette prépondérance du paternalisme libéral, qui définit un véritable « modèle » social, ne disparut pas brutalement, mais elle s'effrita progressivement. Longtemps certes les structures se maintinrent. Les organisations continuèrent, avec les mêmes dirigeants ou leurs fils, et on s'efforça d e retrouver l'équilibre
idéalisé
d'« avant
14 » .
L'Histoire
cependant
s'écoulait
et
se
révélait peu à peu aux contemporains c o m m e irréversible. La stabilité d e la monnaie ne put être retrouvée, l'évolution des prix agricoles provoqua
de
nouvelles déceptions et une seconde guerre mondiale, ramenant deuils et contraintes, entraîna en outre une situation de pénurie
dramatique.
Les
problèmes se faisaient plus urgents, l'appel à l'Etat s'intensifia et le domaine de la politique agricole s'accrut considérablement, tandis que
s'affaiblissait
le libéralisme traditionnel. Dans ces conditions bouleversées, la promotion des paysans s'amorça au sein des organisations. Facilitée à la fois par la diffusion de l'instruction et par un certain enrichissement, elle porta aux responsabilités
d'authentiques
exploitants : tout d'abord ceux de l'agriculture capitaliste plus évoluée, puis les cultivateurs moyens à défaut des petits. Nous observerons, à partir d e 1925, les premières ébauches d'une relève qui s'amplifiera de décennie en décennie. Les éléments extérieurs compteront de moins en moins dans une structure plus réellement démocratique. Cette transformation progressive des cadres dirigeants constitue un trait essentiel de l'évolution depuis 1914.
CHAPITRE V
DANS
LA GUERRE ET DANS 1914-1929
L'INFLATION
L'année 1914 marqua la fin d'un équilibre. La guerre ne fut pas seulement un événement militaire et politique qui permit le retour d e l'AlsaeeLorraine à la France, elle entraîna aussi, par son coût énorme, des bouleversements irréversibles dans les structures économiques et sociales des campagnes c o m m e des villes. La charge des
finances
publiques ne put être couverte
que par une inflation des moyens de paiement qui engendra la dépréciation monétaire et qui se poursuivit après l'armistice. C e mécanisme,
déréglant
l'économie libérale, domina la conjoncture, et l'analyse des revenus
agri-
coles doit en tenir largement compte. D'autre part les urgences du ravitaillement, pour les civils c o m m e pour les militaires, imposèrent l'intervention de l'Etat, à un degré q u e ne pouvait imaginer la société libérale
du x i x
siècle. Les responsables
e
le
firent
à
contrecœur avec bien des hésitations ; ils jugeaient provisoires les mesures prises et les abandonnèrent, en grande partie, au lendemain de la victoire. Cependant, une volonté de rénovation
se manifesta aussi après la tour-
mente. « L a guerre, disait le ministre Victor Boret, a été pour nous une grande leçon d e choses, elle nous a placés dans une situation tout à fait différente
du passé.... il faut aborder les problèmes résolument et coura-
geusement » 1. Ainsi, sans contester le principe
de la libre
concurrence,
songea-t-on à l'encadrer, dans la politique agricole c o m m e ailleurs. I
LA
GUERRE
« A Fougeray, ce printemps-là, écrit un romancier, la guerre causa de grands deuils... Six du village y laissèrent leur vie... Il n'y a que des m e n teurs pour dire qu'ils ne furent pas pleures. Il faut remarquer seulement q u e jamais, de mémoire d'homme, et même jamais depuis les temps des temps, il n'était entré autant d'argent 1 . J.O. 2.
E.
chez ceux de Fougeray » . 2
Chambre
des
députés,
débats
PÉnocHON,
La
parcelle
32,
du
1922,
3 pp.
juin
1919,
p.
Choquant
et
2 487.
54-55.
179
respectueux à la fois, c e raccourci littéraire exprime bien le double b o u l e versement apporté dans les campagnes par le drame de 1914-1918. Il rejoint l'admirable analyse qui en a été présentée par Augé-Laribé
et q u e
nous
« L'ordre de mobilisation a saisi les agriculteurs en plein dans
leurs
pouvons seulement reprendre . 3
Le poids du conflit. moissons ; elles venaient de s'achever dans les régions méridionales, elles étaient seulement commencées dans le Nord et les régions d'altitude » . 4
Appelés comme tous les Français, les ruraux fournirent une forte proportion des effectifs, supérieure même à leur part dans la population active, car après quelques mois bien des ouvriers qualifiés furent
retirés et
diriges
vers les usines d'armement. Selon les estimations de Louis Marin, auxquelles il n e faut pas attribuer une exactitude impossible à atteindre, il y aurait eu 3 700 000 agriculteurs mobilisés. Les pertes furent lourdes : 673 0 0 0 tués (13 % de la population active et 19 % des mobilisés), et 5 0 0 000 réformés, plus ou
moins
invalides . 5
Pour
ceux
qui
revinrent,
l'expérience
de
la
guerre resta un épisode exceptionnel de leur vie. Il est frappant d e constater quelle place elle tient, après quarante ans, dans toutes les autobiographies des ruraux de cette génération : 70 pages sur 2 1 7 dans le récit si évocateur d'Ephraïm Grenadou . 6
Les agrariens ne manquèrent pas par la suite de rappeler bien souvent cette lourde contribution, « les lettres de change que le paysan d e France a tirées sur la nation »
7
et de la comparer à celle des classes urbaines, cer-
tainement moins touchées. L'éloge du « poilu s> insista ainsi fréquemment sur ses vertus terriennes, l'abnégation des Bretons, la ténacité des Auvergnats, l'énergie des montagnards. Et devant le monument aux morts de CapouletJunac (Ariège), Pétain exaltait cette « solidité »
: « L e paysan s'est battu
dans le rang avec le sentiment profondément ancré en lui qu'il défendait sa terre. Les plus terribles épreuves n'ont pas entamé sa foi ... A u x heures les plus sombres ... , c'est le regard paisible et d é c i d é du paysan français qui a soutenu ma confiance » . D'autres en tiraient des conclusions p a c i 8
fistes. Ayant perdu frère et beau-frère, un correspondant écrivait à Guillaumin : « La terre et le paysan vont supporter le plus lourd fardeau de la guerre. C'est le paysan qui meurt le plus : il n'a pas d'échappatoire, lui,
3 . Son étude approfondie L'agriculture pendant la guerre (dotation C a r n e g i e p o u r la paix internationale), 1 9 2 5 , 3 3 2 p . , a été résumée par l u i - m ê m e dans Le paysan français après la guerre, 1 9 2 3 , p p . 4 3 - 7 2 et dans l a Politique agricole de la France de 1880 à 1940, 1 9 5 0 , pp.
HI,
303-375.
4.
M.
5.
J.O.
pp.
AUGÉ-LARIBÉ, Chambre
des
Politique
agricole,
députés,
Documents
p. 3 0 4 . parlementaires,
annexe
6 3 3 du
2 9
mars 1 9 2 0 ,
32-78.
6 . E . G R E N A D O U et A . P R É V O S T , Grenadou, paysan français, 1 9 6 6 , p p . 4 5 - 1 1 5 . Cf. aussi P. BOURDIEU, « Célibat et condition paysanne », Etudes rurales, 5 - 6 , 1 9 6 2 , p . 1 2 8 , et R . M A T H É , Emile Guillaumin, l'homme de la terre et l'homme de lettres, thèse Paris 1 9 6 6 pp.
180
525-536.
7.
PROVOST-DUMARCHAIS,
8.
La
revue
des
deux
J.O.
mondes,
Sénat, 6,
débats
du
1 9 3 5 , p. 7 5 8 .
1 4 février
1 9 2 9 , p. 1 3 3 .
de
par
son métier. Terrien
et terré
dans la tranchée, c'est
juste » . Cette tendance, quoique minoritaire, s'exprimera
férocement
vigoureusement
9
après la guerre. D u point d e vue économique, la mobilisation intensive entraîna la réduction considérable et dramatique de la main-d'œuvre agricole. L e haut commandement
décida bien l'octroi d e permissions
spéciales
aux territo-
riaux agriculteurs et la formation d'équipes militaires pour les battages, mais ces directives furent très mal appliquées aux échelons inférieurs. Vainement Gallieni rappelait-il, à c e sujet, lors de son passage au Ministère de la guerre que « les intérêts du pays devaient être défendus au nom du b o n sens et non combattus au nom des règlements »
1 0
. Ce fut seulement en
juillet 1917 qu'on renvoya définitivement chez eux les agriculteurs de 4 7 à 5 0 ans. Viviani, président du Conseil, avait adressé un appel d'une éloq u e n c e superficielle qui fait aujourd'hui sourire, à la vaillance des femmes, des vieillards et « des enfants q u e leur âge seul, et non leur courage, dérobe au combat » . Ce furent en effet, b e a u c o u p plus qu'il ne l'avait pensé, de n
dures
et interminables
années, dont le roman
Les
d'Eugène
gardiennes
Pérochon é v o q u e avec une rude exactitude le climat de deuil, d'angoisse et d'épuisement. Certaines jeunes filles préfèrent répondre à l'appel des usines d e guerre
qui embauchaient largement
et cette prolongation
de
l'exode
rural accrut la pénurie de main-d'œuvre. Malgré les efforts menés jusqu'au surmenage, celle-ci conduisit peu à p e u à abandonner certaines terres. D'autre part, les opérations
militaires
réduisirent directement les superficies disponibles. Une dizaine de départements furent envahis, totalement ou partiellement, et leur production manqua au marché national : or il s'agissait de régions particulièrement riches, fournissant un cinquième des céréales et plus de la moitié des betteraves. L a zone des combats
proprement
dite, où le front
se stabilisa
pendant
quatre ans, fut bouleversée par le creusement des tranchées, l'accumulation des obstacles, l'explosion des obus et des mines. « Un voyage à travers les régions dévastées de la France, devait écrire Keynes lui-même en 1919, est plus impressionnant pour les yeux et l'imagination qu'il n'est possible d e le dire... un tas de gravats, un marécage de trous d'obus, des fils de fer tout embrouillés s> . 1 2
Au
total, l'étendue
exploitée
diminua
donc
fortement
:
pour les céréales de 13 500 0 0 0 hectares en 1913 à 9 100 000 en 1918, pour les tubercules de 1 600 000 à 1 2 9 2 000, beaucoup moins il est vrai pour les productions fourragères, les vignes et les bois. La productivité d'autre part se réduisit fortement. Faute d'hommes, on limitait les façons culturales. Les engrais manquaient gravement
9. p.
p.
Adrien
CROIX,
1 9 1 6 (Paysans
1 2
février
2 2
décembre
par
eux-mêmes,
éd.
E.
: l'acide
Guillaumin, 1 9 5 1 ,
49).
10.
Circulaire
11.
Le
Temps,
du 8
août
1 9 1 5 ( M . AUGÉ-LARIBÉ,
1 9 1 4 ( M . FAUBE,
Les
paysans
Politique dans
la
agricole, société
p. 3 1 2 ) .
française,
1966,
54).
12. 103-109.
J . M . KEYNES, Cf.
aussi
G.
Les
conséquences
GROMAIRE,
économiques
L'occupation
de
allemande
la
paix, en
trad,
France,
française, 1 9 2 5 , pp.
1 9 2 0 , pp. 129-157.
181
sulfurique et le nitrate étaient consacrés à la fabrication des explosifs, la potasse était détenue par l'Allemagne et, dans l'ordre d'urgence des transports, les fournitures
pour l'agriculture
venaient
en queue
d e liste. E n
outre, la cavalerie, qui jouait encore le rôle principal dans le travail d e la terre, avait connu aussi sa mobilisation. « Les hommes partis, écrit A u g é Laribé, des équipes de paysans transformés en soldats ont e m m e n é les c h e vaux » 13, A u lieu d e 3 2 2 2 000 têtes, les exploitants n e disposaient plus en 1918 q u e de 2 2 3 3 000, et l'armée avait retenu naturellement les animaux les plus vigoureux. Quand elle restitua des cheveux réformés, c e ne fut pas sans complications administratives. L e matériel ne pouvait suppléer : la mécanisation était c o m m e n c é e en 1914, mais pendant les hostilités, la demande des machines agricoles passait après les besoins d e l'armement. Aussi les rendements s'abaissèrent-ils pour le b l é d e 13,3 quintaux à l'hectare en 1913 à 8,7 en 1917, pour la p o m m e d e terre de 88 quintaux à l'hectare en 1 9 1 3 à 5 5 en 1918. Pour l e vin l'effondrement des deux p r e mières années fut suivi d'un relèvement sensible. La production fut donc profondément déréglée. L e s indices calculés par Augé-Laribé
(sur la base
100 =
1904-1913)
montrent
des irrégularités
selon les années et les récoltes, et une baisse générale, du tiers aux quatrecinquièmes. Pour 1918, ces indices se fixent ainsi à 6 9 pour le b l é , à 4 5 pour le maïs, à 4 8 pour les pommes d e terre, à - 4 5 pour les vins, à 19 pour la betterave à sucre. Les évaluations du cheptel sont très sujettes à caution pour cette époque et elles n'expriment pas la valeur qualitative qui d é p e n d de l'âge et d u poids et qui s'affaiblit certainement alors. Augé-Laribé p r o pose avec hésitation les indices d e 85 pour les bovins, d e 7 6 pour les ovins, de 61 pour les porcins. D e plus, ces disponibilités réduites devaient satisfaire par priorité aux besoins de l'armée. Or ceux-ci
étaient considérables, accrus par certains
gaspillages et surtout par les conditions nouvelles d e v i e : « D u jour au lendemain, des millions d'hommes qui pour les trois quarts, ne mangeaient de la viande q u e quelques fois dans l'année, vont en manger d e 3 à 5 0 0 g par jour »
1 4
. La ration individuelle d e vin fut généralisée et portée jusqu'à
un litre par jour et toute u n e mythologie exalta le « pinard » d u « poilu » , « r a y o n de soleil dans la tranchée... remède le plus actif contre le c a f a r d » . L a fabrication des explosifs nécessitait d'autre part de grandes
quantités
d'alcool industriel, alors q u e la production d e betteraves était considérablement réduite : une loi dut établir en 1916 un m o n o p o l e d'achat exercé par le Service des poudres Les
1 5
.
autres approvisionnements
furent
assurés
régulièrement
p a r l'In-
tendance militaire, la guerre d e position facilitant d'ailleurs sa tâche. Mais ses méthodes manquaient de souplesse et elle ne considérait q u e le résultat, 13.
M . AUGÉ-LABJBÉ,
Politique
agricole,
p. 3 0 4 .
14.
M . AUGÉ-LARIBÉ,
Politique
agricole,
p. 3 2 8 .
15.
BARTHE,
députés,
Documents
pp.
1 0 6 3 , et
des
économistes,
182
J.O.
Chambre
123-124.
àes
Y . GUYOT,
1 9 1 7 , pp.
161-184.
« L'aliment C.K.
alcool
WARNER,
parlementaires, et
le
péril
Winegrowers,
annexe
3 601,
antialcoolique » , pp.
59-69.
1917, Journal
sans se préoccuper
d'une
saine
gestion
économique.
Au
début, tout
le
m o n d e envisageait une guerre courte et on pensait qu'il suffisait de requérir les moyens nécessaires sur les disponibilités civiles. Par la suite, on ne sut pas respecter l'équilibre entre les nécessités de l'armée et les besoins de la production. Il y eut d o n c bien des maladresses et des fausses manœuvres, quelquefois par la faute d'auxiliaires
mal préparés, plus souvent sous la
pression de l'urgence. Les subalternes, devant
y faire face,
respectaient
mal par exemple les instructions qui excluaient sagement des réquisitions des vaches en état de gestation, les bœufs de travail, les animaux inscrits au herd-book... Et ces erreurs provoquaient naturellement chez les paysans l'amertume et l'indignation. L a politique du ravitaillement. Pour assurer le ravitaillement des civils c o m m e des militaires, il fallut donc
pratiquer
une
politique
agricole
beaucoup
plus
directe
et
active
qu'avant-guerre. Non sans tâtonnements et improvisations. Si la République avait longuement préparé les moyens militaires du combat, elle n'avait pas prévu ses exigences économiques. O n avait répété que le protectionnisme garantirait exemple
du
l'approvisionnement
pays
en
temps
on n'avait pas construit les frigorifiques
de
guerre,
mais
qui manquèrent
par
grave-
ment. Il revenait au Ministère d e l'agriculture d'écarter
les obstacles et de
relever la production. Alors que son rôle s'était manifesté, surtout depuis 1881, par des encouragements et des subventions, la pression des circonstances l'obligeait désormais à une intervention b e a u c o u p plus ample. Or l'administration était mal équipée pour cette tâche nouvelle et le patriotisme du personnel ne compensa pas toujours les déficiences des structures. En outre, le pouvoir fut gêné par son instabilité. Tandis q u e se succédaient les cabinets, l'hôtel de la rue de Varenne vit passer Fernand D a v i d , en fonctions plusieurs fois, Meline rappelé malgré
son grand âge dans un
d'union nationale, Clémentel qui rassembla tous les portefeuilles
but
économi-
ques, enfin Victor Boret près de Clemenceau. Malgré leur attachement au principe du libéralisme, ces hommes, des radicaux modérés sauf Meline, durent y renoncer provisoirement. Ils cherchèrent tous à s'appuyer sur les associations nationales. Si elles ne menaient
qu'une vie assoupie par la mobilisation, leurs
états-majors,
composés en majorité de notables âgés, demeuraient bien présents et continuaient de défendre les intérêts de l'agriculture. L e directeur de la rue d'Athènes, J.-H. Ricard, publiait ainsi régulièrement dans YEcho
de
Paris
sous le p s e u d o n y m e de François Leterrien des articles très remarqués
1 6
.
L e climat de l'Union sacrée facilitait les rapprochements, et le pouvoir eut tendance à multiplier comités et organes consultatifs. Augé-Laribé y voit à la fois, avec quelque malice, « le sentiment d e son incapacité, la joie de 16. titre
Ces
L'appel
articles de
la
(de terre,
décembre 1919,
399
1915
à
janvier
1918)
furent
réunis
en
volume
sous
le
p.
183
pouvoir réunir sans dommage
des hommes
qui, avant le
2
aofo
1914,
s'entre-dévoraient, le désir de partager des responsabilités, le souci d'utiliser les bonnes volontés qu'il ne fallait pas avoir l'air de dédaigner » «
Meline
créa même des comités locaux, comptant sur « l'appui solide et éclairé des anciens du village » : « C e qu'ils auront à faire, ils le trouveront eux-mêmes, quand ils seront aux prises avec les innombrables difficultés »
; en fait,
1 8
ces comités n'eurent guère d'existence réelle. La question de la main-d'œuvre agricole semblait la plus urgente. E n mars 1915, plusieurs organisations s'unirent autour de la Société nationale d'encouragement, toujours plus attentive à ce problème, pour fonder
un
Office national, qui centraliserait les renseignements et aiderait au p l a c e ment. Après quelques difficultés administratives, ce bureau privé fut d é v e loppé et intégré deux ans plus tard au Ministère de l'agriculture.
Outre
certains réfugiés, on dirigea ainsi vers le travail de la terre 150 000 ouvriers espagnols et portugais, venus sous un contrat temporaire. Des prisonniers d e guerre furent également mis à la disposition d e l'agriculture : on en recensait près de 60 000 en janvier 1919. D'autres envisageaient une organisation industrielle par sociétés disposant d e capitaux ou comptaient sur le matériel. Clémentel qui admirait les Etats-Unis voulait constituer des
équipes
de culture mécanique, pourvues d'un matériel acheté par l'Etat. Sur les observations de Meline, le Sénat n'ouvrit qu'un crédit limité, qui seulement l'acquisition
d e 400 tracteurs et le labour de
6 500
permit
hectares.
Tous ces efforts aboutirent d o n c à des résultats très insuffisants. On se préoccupa aussi beaucoup q u e toute terre fût cultivée. Meline y insistait fortement : « Il est indispensable qu'au printemps prochain il n e reste plus une parcelle de terre improductive » .
« En
temps
de
guerre,
disait-il m ê m e , l'Etat a le droit de faire tout ce qui est c o m m a n d é
par
l'intérêt supérieur de la défense nationale. Il a le droit, s'il le faut, d'aller jusqu'à prendre temporairement la place du propriétaire impuissant ou d e mauvaise volonté » . Cependant il estimait aussitôt inopportun « tout ce qui pourrait ressembler à une expropriation, à une atteinte au droit de p r o priété »
1 9
et il accepta des atténuations parlementaires qui enlevèrent toute
efficacité à la loi votée pour l'exploitation obligatoire des terres
abandon-
nées. L'idée fut reprise par Compère-Morel qui avait accepté d e Clemenceau, avec l'accord de son parti, un poste de commissaire à l'agriculture. A c q u i s résolument à l'Union sacrée, il n'oubliait pas pour autant ses thèses socialistes. Une loi lui ouvrit un crédit de 100 millions pour avances sans intérêt, en vue de la remise en culture des terres abandonnées. S'il affirma
lui-
m ê m e avoir récupéré 35 000 hectares, ses adversaires politiques critiquèrent durement sa gestion, pour l'attribution trop large des avances c o m m e pour « le programme d'interventions étatistes qu'elle abrite »
2 0
.
On freina ainsi la baisse de la production, encore fallait-il diriger celle-ci
184
17.
M.
18.
A.A.,
19.
J.O.
20.
Le
AUGÉ-LARIBÉ, 1916,
p.
Chambre Temps,
Politique
agricole,
p.
séance
du
318.
200. des
22-29
députés, septembre
1918.
28
mars
1916,
pp.
703-716
vers les consommateurs
2 1
. Ce fut la tâche d'une administration
le Ravitaillement. Née le 8 septembre
nouvelle,
1914 sous la forme modeste
d'un
service rattaché au C o m m e r c e , elle s'étoffa rapidement et devint un ministère indépendant en d é c e m b r e 1916, confié à Herriot avec les Transports, puis à Viollette et à Maurice L o n g . Clemenceau
eut l'idée heureuse
de
l'associer à l'Agriculture, Victor Boret, lui-même négociant en grains, étant assisté du grand minotier Vilgrain c o m m e sous-secrétaire d'Etat.
Celui-ci
déploya une activité efficace mais il rencontra quelques difficultés dans les Chambres
qui le jugeaient trop peu docile envers le contrôle
parlemen-
taire. O n recourut aussi à l'importation. Dès l'automne 1914, toutes les lois protectionnistes
avaient été suspendues
prohibitions
sortie) et la France
de
(on avait établi au contraire
ne subissait pas
de blocus
des
comme
l'Allemagne. Mais il fallait payer et les réserves en devises n'étaient pas sans limites. Surtout la guerre sous-marine rendit quelque peu
précaires
les liaisons maritimes en 1917. Après bien des tâtonnements, un décret de mars 1917 remit à l'Etat le m o n o p o l e des importations, mais le Sénat fit écarter un projet, d'ailleurs
fort confus, pour aider par des
subventions
l'équipement d'une flotte frigorifique. A v e c l'aide de l'Angleterre, la France acheta
en
grandes
quantités
à l'extérieur
pendant
quatre
ans,
céréales,
viandes, légumes secs et m ê m e vins. Victor Boret évoquait par la suite d e façon saisissante l'anxiété avec laquelle il avait attendu tel navire de blé. Dans les départements envahis particulièrement démunis, un Comité d'alimentation du Nord d e la France, animé par l'industriel Louis Guérin, obtint des
autorités
allemandes
une
garantie
contre
les
réquisitions
militaires,
grâce à laquelle les Alliés facilitèrent des envois de vivres, sous le contrôle de la Commission for Relief in Belgium de Hoover
2 2
.
Pendant les deux premières années ces mesures parurent suffisantes
et
dans un optimisme voulu on écarta tout rationnement. Puis les perspectives s'assombrirent et en 1917 on décida d'introduire la carte de pain. Il y eut bien des tergiversations et elle ne fut établie que par un décret de juin 1918. L e taux d e blutage fut relevé d'autre part et le gouvernement imposa la fermeture des pâtisseries certains jours. La consommation de viande dans les restaurants fut également restreinte temporairement 1917.
au printemps
de
L e sucre fut la seule denrée à manquer réellement et, l'attribution
d e chacun étant limitée à 7 5 0 grammes par mois après 1917, la courtoisie poussait les invités de b o n n e éducation à apporter leur morceau. Au total, la politique de rationnement resta velléitaire, elle se serait révélée gravement déficiente si la pénurie avait été plus accentuée. L a tradition libérale limitait les réquisitions aux besoins de l'armée, il fallut étendre cette procédure à l'approvisionnement des civils, malgré les répugnances 21. pour
la 22.
pour
la
P.
PINOT,
paix P.
libérales devant l'abandon Le
COLLINET,
paix
contrôle
internationale), P.
du
de
la
population
civile
gouverne-
(Dotation
Carnegie
(Dotation
Carnegie
1 9 2 6 , 3 3 6 p.
STAHL,
internationale),
1 avitaillement
d e la concurrence. L e
Le
ravitaillement
de
la
France
occupée
1 9 3 0 , 1 8 3 p.
185
ment s'y décida en mai 1915, par un avis à la commission du b u d g e t d e la Chambre. La procédure n'était pas très régulière. On envisagea, fait caractéristique, de faire déléguer les droits des autorités militaires aux autorités civiles. En définitive, une loi d'octobre 1915 permit aux préfets de réquisitionner blés et farines et de contrôler leur circulation. La m é t h o d e bientôt généralisée à toutes les subsistances, entraînant un lourd de
déclarations
obligatoires ; pour
le
sucre,
on
alla
fut
système
jusqu'au
monopole
d'achat. Si les socialistes se réjouissaient de cette entrée dans
l'économie
dirigée, Le Temps s'indignait des contraintes imposées : « Quel rapport y a-t-il entre les nécessités auxquelles l'Allemagne encerclée est réduite et la sécurité
dont
jouit
la
France
pour
le renouvellement
incessant
de
ses
la
dé-
approvisionnements ?... Sous prétexte de remédier aux lacunes d e fense nationale il se livre contre l'esprit d'individualisme
et d e liberté un
combat, on tente d'imposer des doctrines où sont en jeu les destinées mêmes du pays »
2 3
.
L'enrichissement
apparent.
En même temps qu'il appelait les cultivateurs
à maintenir leur
pro-
duction, le pouvoir leur demanda de ne pas augmenter leurs prix. En fait vendeurs et spéculateurs exploitèrent les avantages d'une position favorable, et surtout
« la vie chère » , dénoncée
par lés
contemporains,
naquit
de
l'inflation, d'abord par un effet mécanique puis par un phénomène psychologique. Si le gouvernement chercha bien à limiter la hausse, il était mal équipé pour une action de cet ordre et il dut souvent céder devant une pression irrésistible
24
(cf. fig. 6).
Pour les réquisitions militaires, la Cour de cassation jugea q u e l'indemnisation devait être calculée sur la base de la perte « réelle » , non selon u n e valeur commerciale plus f o r t e . Mais quand fut introduite la réquisition 2 5
civile du blé, on adopta le taux de 30 F l'hectolitre, intermédiaire
entre
celui de 1914 et celui des quantités importées, en espérant ainsi diriger le marché. Cet espoir se révéla illusoire et, devant la montée du coût d e la vie,
il fallut se résigner à relever le prix qui, de palier en palier, atteignit
75 F en mai 1918. On s'aperçut aussi qu'on ne pouvait pas taxer le blé seul, car les producteurs se détournaient vers d'autres cultures plus rémunératrices. La taxation fut d o n c étendue aux denrées principales en 1916,
puis déclarée générale en février
1918, sous la responsabilité
avril du
préfet (ou du maire pour le pain et la viande, aux termes d e la vieille loi d e 1791,
longtemps oubliée). Cela ne se fit pas, là non plus, sans incohérences
et sans concessions. L e mouvement ascendant en fut cependant ralenti et les 23.
Le
Temps,
3
et
1 0 septembre 1 9 1 5 .
2 4 . L . M A R C H , Mouvement des prix et pour la paix internationale), 1 9 2 5 , 3 1 9 p .
des
salaires
pendant
la guerre
(Dotation
Carnegie-
2 5 . « E n tenant c o m p t e uniquement d e la perte q u e la dépossession d e sa chose i m p o s e a u prestataire et abstraction faite d u gain qu'aurait p u lui procurer la hausse des prix faussés soit par la spéculation ou l'accaparement, soit par toutes autres circonstances imputables à l'état d e guerre et n o t a m m e n t par l'exercice m ê m e d u droit d e réquisition », 6 mars 1 9 1 7 (Recueil Dalloz, 1 ( 3 3 ) , 1 9 1 7 , Recueil Sirey, 1 (9), 1917).
186
Fig. 6.
L E M O U V E M E N T DES PRIX AGRICOLES
1914-1929
producteurs eurent conscience de devoir abandonner à l'Union sacrée les gains supplémentaires qu'ils auraient obtenus sans cette intervention. Pour le vin seulement, il ne fut pas mis en place d e contrôle et le cours, resté libre sauf pour les achats d e l'armée, marqua une progression exceptionnelle, de 34 F en 1913 à 102 F en 1918
2 6
.
En dehors des deux premières années, la hausse nominale
fut assez
forte pour accroître sensiblement la valeur des récoltes, malgré la réduction des quantités : elle passa pour le b l é de 2 345 millions en 1 9 1 3 à 4 608 millions en 1918, pour la p o m m e d e terre d e 1 130 à 2 4 7 2 millions, pour le vin surtout, qui bénéficiait maintenant d'années fastes, d e 1 5 1 2 à 4 593 millions. Si les frais d'exploitation
s'accroissaient
proportionnellement da-
vantage, leur incidence se trouvait réduite par le manque
d'approvisionne-
ments et d e main-d'œuvre. E t les campagnes recevaient des revenus supplémentaires par les allocations aux familles des mobilisés et des réfugiés, flux monétaire dont elles n'avaient pas l'habitude. Après novembre
1918, l'armistice
et la paix permirent
le retour des
combattants à leurs champs et allégèrent bien des difficultés. Mais le déséquilibre monétaire se prolongea, d'autant plus qu'on ne voyait pas clairement les disciplines nécessaires. Et les prix agricoles continuèrent d e s'élever
:
pour le quintal de b l é de 75 F en 1918 à 9 9 F en 1920, pour l'hectolitre d e vin de 102 F à 120 F. Ces chiffres impressionnaient fortement les c o n t e m porains, car ils les comparaient concrètement à ceux d e 1 9 1 3 (26,9 F le quintal
d e blé, 3 4 F l'hectolitre
d e vin). Augé-Laribé
raconte
:
« Je
revois en c e moment la vieille paysanne, ma voisine, sur le chemin du marché o ù elle portait deux douzaines zaine » , disait-elle,
et dans
d'œufs : On les vend
sa naïveté,
elle
ajoutait
5 F la d o u -
: « O n a honte » .
D'autres s'en réjouissaient et, se rappelant les temps difficiles de naguère, plantaient pour profiter au maximum des hauts prix. Ainsi le colonel M i r e poix, dirigeant des viticulteurs languedociens, s'écriait-il dans son langage de vieux soldat : « La hausse passe. Je veux en profiter jusqu'à la garde ! » Il s'agissait
cependant
d e valeurs
nominales,
sans signification
2 7
réelle
dans une économie où, par la dépréciation de la monnaie, tous les prix s'étaient élevés. Il faut comparer le mouvement des denrées agricoles au mouvement
général, non utiliser un étalon
qui, au grand
scandale des
hommes d e 1914, avait perdu sa constance. Ainsi q u e l'écrivait un correspondant d e Guillaumin : « O n nous répète un p e u trop le b l é à 7 5 francs l'hectolitre. C o m m e si les outils, les engrais n'avaient pas quadruplé ! »
2 8
Augé-Laribé indique un coefficient d e hausse entre 1913 et 1920 variant d e 1,75 (potasse) et 2,5 (batteuse) à 4 (charrue Brabant) à 5,3 (superphosphates),
il estime d e même q u e les salaires agricoles ont « doublé et parfois
quadruplé » . Dans cette période, le coefficient du vin se fixait à 3, celui d u blé à 3,7, celui de la viande atteignait de 5 à 7, mais au cours d e la Villette
p.
C.
27. 28.
M . A U G É - L A R I B É , Politique A d r i e n C R O I X , 1 6 février
5 5 ) .
188
K.
WARNER,
Winegrowers,
26.
1 9 6 0 , pp.
52-69.
agricole, p p . 4 3 6 et 4 4 0 . 1 9 1 9 {Paysans par eux-mêmes,
é d . E . Guillaumin 1 9 5 1
le prix p a y é au producteur s'était nettement moins accru, semble-t-il. E n effet, dans ce cas et dans d'autres, les auteurs agrariens mettaient en cause les bénéfices des « mercantis » dans un marché mal organisé. Ils faisaient valoir aussi qu'il ne fallait pas considérer seulement les résultats les plus favorables, l'agriculture cours
2 9
étant soumise
aux vicissitudes
du temps
et
des
.
O n serait tenté de conclure à une certaine équivalence, c e qui représenterait en soi une amélioration sur la tendance constante à la dégradation relative du revenu d e l'exploitant. Mais ce serait peut-être simplifier à l'excès,
négligeant la diversité des cas. Surtout, la confrontation statistique ne
suffit pas, il faut aussi considérer les facteurs psychologiques. L e produit du lait et de la basse-cour, dont dispose traditionnellement la femme, s'était particulièrement élevé, car la clientèle ouvrière, aux salaires nominalement accrus, avait augmenté sa demande. Quant à l'homme produisant lui-même une part importante de sa consommation
et ne tenant pas d e
véritable
comptabilité, il fut satisfait des liquidités inouies qu'apportaient les ventes, parfois
ébloui.
d'acheter
Il
conserva
davantage
des
goûts
à l'épicerie
acquis
et mena
à
une
l'armée, vie
prit
plus
l'habitude
large.
Ignorant
l'amortissement rationnel (par exemple pour l'entretien des bâtiments et le renouvellement du matériel), il dut pour une part à des prélèvements sur son capital cette aisance visible, qu'on peut admettre sans injustice mais qui ne doit pas cacher l'appréhension inquiète devant le bouleversement des valeurs. Si tel traditionaliste saluait « l'enrichissement récent de la classe paysanne »
comme
« un
événement de
grande importance
ment utilisé, peut être extrêmement bienfaisant »
3 0
qui,
convenable-
, l'indignation
l'emporta
généralement chez les citadins, attentifs aux prix des denrées alimentaires et indifférents aux peines des ruraux, ces « croquants affameurs »
3 1
. Rare-
ment l'antagonisme fut aussi vif qu'à cette é p o q u e entre villes et campagnes. Oubliant les mérites terriens du « poilu » , qu'on exaltait peu articles
et
caricatures
des
journaux
stigmatisaient
auparavant,
durement
le
cultiva-
teur responsable et profiteur de la « vie chère » . Après un hommage verbal à la « vaillance » du « paysan mon frère » , Lucien Descaves brossait au vitriol ce tableau suggestif
: « L'auto, un peu défraîchie
et fanée, passe
devant nous, conduite par un chauffeur ; et sur les coussins de la voiture, qui se prélassait ? Un fermier et un veau ! Le fermier, que nous reconnûmes, possédait d'ailleurs, outre cette auto de livraison, une superbe pour ses promenades en famille »
3 2
limousine
. Cette âpre satire exprimait une opi-
nion quasi unanime, revenant dans les conversations et marquant les jugements d'un préjugé systématique. L e pouvoir avait été invité à agir. A u début de 1919, le sous-secrétaire 29. P.
M.
CAZIOT,
1923,
et
AUGÉ-LARIBÉ, « La
Ì926,
vérité 39
Le
sur
la
paysan
français
richesse
après
agricole »,
la guerre,
dans
La
1923,
Journée
pp.
136-155.
industrielle,
Cf.
17-21
aussi juillet
p.
30.
R . GILLOUIN,
31.
L'Eveil,
32.
L'Intransigeant,
20
Une
nouvelle
octobre 29
philosophie
de
l'histoire
moderne
et française,
1 9 2 1 , p. 2 5 2 .
1916. janvier
1922.
189
Vilgrain utilisant les stocks de l'Intendance, ouvrit des baraques
d'épicerie
et des restaurants populaires et obtint ainsi une baisse temporaire des prix 33. A u Parlement, on hésitait entre la défense agrarienne traditionnelle et la protection du consommateur. Si Fernand D a v i d fit écarter l'application
de
la législation sur les spéculateurs « aux producteurs agricoles isolés o u associés pour ce qui concerne leurs produits » , la Chambre vota en juillet un ordre du jour Augagneur
critiquant
le gouvernement
à propos
de
« la
répartition du sucre et de la vie chère » : le ministre Boret donna sa démission et Clemenceau dut intervenir avec une vigueur émue pour se faire renouveler la confiance des députés
3 4
. Sous cette pression, le gouvernement
rétablit dans l'hiver 1920-1921 la taxation de la viande, un moment abandonnée, maintint
celle
du
sucre jusqu'en
janvier
1921
et
celle
du
blé
jusqu'en août : on hésita b e a u c o u p en 1920 avant de fixer l'hectolitre à 100 F, dans l'espoir d'encourager la production
3 5
. La pleine liberté ne fut
rétablie qu'en .1921, lors d'une baisse passagère. L e mécontentement urbain se trouvait renforcé par la ferme conviction que les campagnes profitaient d'un favoritisme fiscal. La réforme de 19141917 avait accordé aux agrariens abattements à la base et forfaits pour la cédule sur les bénéfices agricoles et, dans un rapport diffusé par l'Union des
intérêts
économiques,
l'économiste
Raphaël-Georges
Lévy
estimait
que les impôts payés par l'agriculture ne dépassaient pas la valeur dérisoire de 195 millions, tandis que l'industrie et le c o m m e r c e auraient payé 7 7 1 3 millions. L'écrasante disproportion de ces chiffres souleva évidemment une vive émotion, d'autant plus que leur auteur semblait
compétent.
L e marquis de Vogue se hâta donc de les contester solennellement. Il ajouta au premier la part rurale de l'impôt général sur le revenu et des anciennes contributions, il diminua le second de la taxe sur le chiffre d'affaires, que supportaient les consommateurs, et de l'impôt sur les bénéfices de guerre car, disait-il, la contrepartie pour les campagnes en avait été la moins-value des produits due à la taxation. Les totaux atteignaient
ainsi
7 0 0 millions pour l'agriculture, 548 millions pour l'industrie et le c o m m e r c e . « Alors, où est l'inégalité fiscale ? » Et, ajoutait-il, les agriculteurs « ont bien le droit de rappeler qu'ils ont payé, sans discuter, plus que leur part d e l'impôt du sang et que, la guerre finie, dans les crises sociales qui ont menacé
l'ordre public
ils ont
été, encore
une
fois, les
sauveurs
de
la
France » 36. Cette façon d'élargir le débat montre bien q u e , tout en b é n é ficiant
d'une condition matérielle satisfaisante, les campagnes
une amertume affective devant l'indignation fondé par Marcillac et Augé-Laribé, La France
ressentaient
des citadins. Un journal paysanne,
fut
pour assurer leur
défense morale.
•pp.
33.
P.
34.
J.O.
du
des 18
pp.
259-281.
députés,
juillet,
pp.
débats 3 597-3
du
7
février
1 9 1 9 , pp.
op.
cit.,
pp.
155-166.
4 8 8 - 4 9 3 • du
1 5
juillet
615.
M . A U G É - L A R I B É , Politique agricole, p. 4 3 7 . Le Réveil économique, 2 6 novembre 1 9 2 1 . V O G U E ,
.AUGÉ-LARIBÉ,
190
cit.,
Chambre
3 477-3 491,
35. 36.
op.
PINOT,
A.A.,
1 9 2 1 , pp.
837-845.
M .
L a mentalité paysanne en effet n'était plus celle d e l'avant-guerre. A u g é Laribé
analyse
cette
différence
avec
beaucoup
de finesse
: « Peut-être
atteindrait-on le plus profond, l'essentiel, en disant q u e le paysan de 1914 est un résigné et celui de 1920 un mécontent... Sa situation matérielle est cependant bien améliorée... Tout cela ne le contente pas. Il compare avec c e qui lui paraît mieux chez les autres. Il a appris à se plaindre » . Encore faut-il conclure : « quand ils se sont remis à leur tâche, grogner n'empêche pas les soldats-laboureurs d e travailler »
3 7
.
II
DÉBATS
SUR LA PROPRIÉTÉ
L'agrarisme, nous l'avons v u , avait toujours attribué une valeur fondamentale à la petite propriété paysanne. Cette apologétique se poursuivit alors, en s'adaptant. avait
entraîné
E n effet
u n e certaine
l'amélioration
évolution
des conditions
des rapports
économiques
sociaux
au village.
D'autre part, le socialisme témoignait d'une vigueur accentuée, transmettait l'écho d e la Révolution bolchevique et contestait âprement les structures foncières. Sous cette double pression, intervint un certain
rajeunissement
des vieilles thèses, plus marqué peut-être dans la forme q u e dans le fond, assez net toutefois pour susciter quelques idées neuves qui furent reprises dans la suite. L'évolution des rapports sociaux. A u niveau des faits, l'inflation et la hausse des prix, phénomènes de conjoncture, exercèrent u n e influence
sensible et durable
sur les structures.
C h a q u e classe en fut modifiée, dans son équilibre interne et dans ses relations avec les autres. Si o n ne peut mesurer ces phénomènes aussi exactement
qu'on
le souhaiterait,
des témoignages
nombreux
et concordants,
confirmés par les études ultérieures, attestent ces glissements et ces décalages
3 8
.
L'abondance des liquidités en espèces permit d'abord une rapide libération d e la dette rurale. Evaluée en 1914 d e 10 à 2 0 milliards, elle fut alors très largement remboursée. Tous les notaires le rapportaient au lendemain de la guerre, à défaut d e statistiques globales, et, selon Augé-Laribé, « on ajoutait m ê m e vers 1920 qu'il était difficile aux rentiers qui avaient l'habitude de placer leur argent en prêts hypothécaires, de trouver des emprunteurs nouveaux » . D e telles expressions ne doivent certes pas êtres prises dans un sens absolu, mais grâce à l'inflation, favorable aux débiteurs, l'endettement lié à l'acquisition des terres qui grève toujours si lourdement l'exploitation paysanne,
fut considérablement
réduit
et c e t assainissement
assura une
aisance et u n e liberté rarement connues dans les campagnes. 37.
M .
38.
M . AUGÉ-LARIBÉ,
AUGÉ-LARIBÉ,
Politique
Le
paysan
agricole,
français
pp.
371-372.
après
la guerre,
1 9 2 3 , pp. 7 3 - 9 5 .
191 13
L'exploitant fit souvent davantage, il acheta la terre. Ici encore les témoignages abondent dans toutes les régions sur cette reprise d e la p r o priété bourgeoise grâce à l'abondance
monétaire, sauf
Midi viticole où le phénomène fut moins net
3 9
peut-être
. U n roman d e
32, montre aussi avec vérité comment les profits
La parcelle
dans
le
Pérochon,
exceptionnels
en argent, silencieusement amassés, permirent à plus d'un paysan l'acquisition du sol convoité, il culmine dans une scène puissante d e vente aux enchères et saisit admirablement
les nuances entre générations
: « Le
grand-père
n'avait-il pas dit : Il n'y a que l'honneur. Quand on a l'honneur
l'argent
n'est
fallait :
plus
rien ?
Bernard
comprenait
bien
avoir de l'honneur signifiait évidemment
ces
mots
comme
avoir des champs
il
au soleil,
de
belles terres riches convoitées par les voisins ... Mais tout de m ê m e l'argent n'apparaissait pas au petit c o m m e une chose négligeable en soit »
4 0
.
L'opinion en fut b e a u c o u p frappée. L e ministre Klotz releva la hausse brutale de ventes déclarées à l'enregistrement de 2 616 millions en 1913 à 7 824 millions en 1919 et un journal alla jusqu'à écrire : « Il s'accomplit d e nos jours dans le silence et l'ombre des campagnes une des révolutions les plus profondes qui aient orienté l'histoire de notre pays... cette révolution pacifique c'est l'accession à la propriété d'une masse innombrable de Français. C o m m e on disait : 1789 a fait de la propriété féodale la propriété bourgeoise, on dira : 1919 a fait de la propriété bourgeoise la propriété paysanne »
4 1
.
Ces formules
comportent quelque exagération.
Non
seule-
ment l'achat paysan, bien loin d'être un fait nouveau, exprimait une tendance ancestrale, mais en outre les valeurs d e 1919 se trouvaient accrues par la dépréciation monétaire : elles englobaient d'ailleurs
des
opérations
entre cultivateurs qui ne modifiaient pas l'équilibre global. Il demeure une accélération remarquable.
« Beaucoup
de fermiers, de métayers
et
d'ou-
vriers ont acheté d e la terre, se sont fixés au sol » . Quoique, selon le caustique Augé-Laribé
« ni l'administration
des Finances, ni celle d e
l'Agri-
culture ne nous donnent aucun moyen d e remplacer ce " b e a u c o u p "
par
un chiffre m ê m e approximatif » . L e mouvement fut facilité par la modération relative des prix. L'expert incontesté d e ces problèmes, Pierre Caziot, inspecteur du Crédit
foncier,
reprit alors les tableaux qu'il avait dressés en 1914 et releva une progression d'ampleur
inégale, très forte
pour
les vignes
du
Languedoc,
accentuée
dans la Bretagne peuplée et dans le riche Vaucluse, b e a u c o u p plus limitée dans le Sud-Ouest. Les
contemporains
s'émurent
des valeurs
atteintes
:
2 000 francs l'hectare en Bretagne, plus de 10 000 francs et jusqu'à 30 000 francs en Languedoc. Ceci ne représentait pourtant à la fin d e 1919 qu'une hausse de 50 % en moyenne, de 100 % dans les cas les plus favorables, très
3 9 . A. M A R C H E G A Y , Le développement Paris, 1 9 2 4 , 2 3 7 p. et toutes les études de
4 0 . E . P É R O C H O N , La George Sand à Ramuz,
de
de la propriété paysanne en France, thèse géographie citées dans le chapitre I .
parcelle 32, 1922, thèse, Paris, 1 9 6 3 ,
p . 1 9 8 . Cf. P. pp. 2 8 3 - 2 9 5 .
4 1 . Le Temps, 7 septembre 1 9 1 9 , La Tribune. D a n i e l H A L É V Y , q u e nous citons en épigraphe d e
192
17 ce
décembre volume.
VERNOIS, 1919.
Le Cf.
roman aussi le
choit, i-ustique
texte
de
inférieure, d o n c à celle des produits agricoles. La part du capital'd'exploitation s'accroissait plus vite, à la fois par les progrès techniques qui augmentaient le recours au matériel et par une hausse des prix plus forte. Aussi Caziot
constatait-il
avec
quelque
étonnement
:
« Le
presque devenu l'accessoire du capital d'exploitation »
capital 4 2
foncier
est
.
f
L e fermier en reçut une plus grande indépendance et surtout il tira profit
d e l'inflation
dans des conditions
inattendues. Pour un loyer
fixé
par le bail, le chiffre d'affaires se multipliait plusieurs fois. L e fait parut scandaleux quant prit fin la guerre. Si pour corriger le déséquilibre propriétaires utilisèrent le renouvellement des contrats, ils furent
les
souvent
gênés par le fait que ceux-ci avaient été conclus pour une longue durée et demandèrent d o n c une révision. La jurisprudence doctrinale à la permanence
s'y refusa, par
des contrats et à l'unité
fidélité
de la monnaie.
Il
fallut d o n c recourir à la voie législative. Malgré les protestations des fermiers, contre qui la fixité avait joué lors de la crise agricole, le Parlement autorisa la réévaluation en
1 9 2 7 . On reparla à eette occasion 4 3
de
l'in-
demnité de plus-value. L'opinion évoluait lentement ; m ê m e à la Société des agriculteurs de France, moins systématiquement hostile. L a
Chambre
en
vota le principe en mars 1928, sans entraîner encore la Haute assemblée, particulièrement attachée aux droits d e la p r o p r i é t é . 44
Les métayers, bénéficiant de l'aisance générale, purent souvent devenir fermiers, sinon propriétaires. Dans le cadre de leur statut, leur condition s'améliora aussi par une évolution accélérée, l'institution du fermier général se raréfia, prestations et redevances supplémentaires
tendirent à dis-
paraître, notamment l'impôt colonique, privé de sa force par la dépréciation monétaire. Celle-ci fît surgir d'autre part de graves contestations à propos du bétail, lorsque les preneurs, au lieu de restituer « le cheptel de fer » , en remboursèrent la valeur estimée avant 1914, selon les termes stricts d e leur
contrat. Des
tribunaux
de
propriétaires
première
s'indignèrent
instance
admirent
et
saisirent la justice.
souvent
la
réévaluation,
Les mais
ici encore la cour de cassation se montra intransigeante sur les principes. Cette intransigeance fut souvent tournée toutefois par des
interprétations
de fait, notamment lorsque les contrats parurent comporter
enumeration,
non estimation. Pendant dix ans, on plaida beaucoup sur cette question dans le Centre et dans le Sud-Ouest La
raréfaction
de
4 5
.
la main-d'œuvre
constitua
une
autre
donnée
fon-
4 2 . P. C A Z I O T , La valeur d'après-guerre de la terre, 1 9 2 0 , 4 6 p . C e fascicule, fait e x pressif d ' u n e mentalité, fut relié c o m m e appendice dans le v o l u m e imprimé en 1 9 1 4 . O n considérait la situation c o m m e u n e anomalie temporaire. 4 3 . H . P I O M O N , Réflexions d'un paysan sur la révision des baux ruraux et la propriété agricole, 1 9 2 6 ( B . N . 4 ° F Pièce 1 6 9 7 ) . H . P I S I E R , Essai sur la révision des baux ruraux, thèse droit, Paris, 1 9 2 8 , 1 5 2 p . L. M O U L I È R E , De l'influence de la situation économique moderne sur les modalités de paiement des fermages, thèse droit, Rennes, 1 9 2 9 , 2 1 4 p . O . B A J E U X , Vers la propriété culturale. Le problème du fermage et son évolution, thèse droit, Lille,
1945,
44. 45. 249
p.
louse,
pp.
R.A.F., P.
211-228.
février 1 9 3 1 .
VIRLOGEUX,
M . SABATIER,
Les
plus-values
L'attribution
des
de
cheptel
excédents
de
en
Bourbonnais,
cheptel
en
fin
thèse de
bail,
droit, thèse
Paris, 1 9 2 1 , droit,
Tou-
1 9 3 2 , 1 8 4 p.
193
damentale de l ' é p o q u e . Ici encore, il s'agissait d'une tendance ancienne, 4 6
accrue fortement il est vrai par les pertes de la guerre et par l'exode rural. Celui-ci s'amplifia
en effet
psychologique
de
né
la
au retour des mobilisés
tourmente
s'ajoutait
: au
l'attrait
bouleversement
grandissant
de
la
vie urbaine améliorée par des lois sociales nouvelles. La loi de huit heures créa ainsi des emplois nombreux, dans les chemins de fer notamment, et y attira les ruraux en foule, 100 000 dit-on. « L a ville a tout pris, écrivait un ami d e Daniel Halévy, sauf quelques bêtas qui vous demandent des prix fous pour un travail qui constitue l'entrepreneur en perte »
. Les proprié-
4 7
taires y trouvèrent une raison supplémentaire de vendre et cette « désertion agricole » qui touchait aussi les petits exploitants manquant de capital, fut stigmatisée par les agrariens c o m m e la plus grave menace pour la vie d e la nation. Il est significatif de voir par exemple la place prépondérante
que
lui accorda la Semaine sociale où les catholiques étudièrent « L e problème de
la terre
dans
l'économie
nationale » .
Ils
dénoncèrent
aussi
à
cette
occasion le recul de la natalité, opposant la fécondité d e la Bretagne et d e la Flandre au dépeuplement du
Sud-Ouest . 48
Pour faire face à cette pénurie, on intensifia le recours à la main-d'œuvre étrangère. A côté de l'office rattaché au Ministère, la rue d'Athènes organisa un Office central de la main-d'œuvre agricole, bureau d e placement privé, qui se consacra particulièrement à l'introduction de Polonais pour les exploitations dévastées du Nord et du Bassin parisien. D e s missions suscitèrent également l'immigration de Belges, d'Espagnols, de Portugais et, avant le fascisme, d'Italiens. vailleurs permanents dirigeaient
alors
On
devait
ainsi recenser
en
1929,
136 000
et 113 000 temporaires ; en outre, 40 0 0 0
leurs
propres
exploitations,
totalisant
étrangers
650 000
notamment dans l'Oise, l'Aisne, le Gers, le L o t - e t - G a r o n n e . aussi des espoirs dans la culture mécanique, pour l'usage
hectares, On
49
tra-
fonda
de laquelle se
constituèrent des coopératives. Surtout le choix des cultures
s'adapta
au
manque d'hommes, l'élevage continuant de se développer au détriment des céréales. Les appels du socialisme et du communisme. La guerre, brisant les équilibres, multipliant les souffrances,
déplaçant
les hommes, conduisait à remettre en question les principes de la société. E n Russie, où la Révolution bolchevique suivit l'effondrement politique,
les
paysans
prirent
Quoique mal connus, ces
46.
G . RISLER,
Le
47.
NORRE,
juin
2 6
travailleur
une
événements
agricole
1 9 2 1 ( D . HALÉVY,
part
décisive
soulevèrent
français, Visites
au
du
régime
bouleversement.
émotion
et intérêt
en
1 9 2 3 , 2 8 1 p. aux
paysans
du
Centre,
éd.
de
1 9 3 4 , p.
145). 4 8 . Semaines sociales de France. Rennes 1924, Lyon, 5 7 4 p. 4 9 . A . BOISSARD, «Le p r o b l è m e d e la m a i n - d ' œ u v r e a g r i c o l e » , Semaines sociales de France. Rennes 1924, p p . 1 9 7 - 2 1 3 . M . A U G É - L A R I B É , Politique agricole, pp. 4 6 0 - 4 6 2 . A. D E M A N G E O N et M . M A U C O , Documents pour servir à l'étude des étrangers dans l'agriculture française, 1 9 3 9 , 6 5 4 p.
194
O c c i d e n t , et notamment en France. Dans cet élan, le socialisme ne négligea pas les problèmes d e la terre. U n programme de réformes agraires fut ainsi élaboré sous l'impulsion d e Compère-Morel au printemps de 1919
5 0
. L e vieux militant guesdiste qui
animait la tendance patriote de La France nouveau
sur la nécessité
d e « relever
y fit mettre un accent
libre
notre
production,
augmenter nos
exportations et permettre à notre pays d'occuper le rang auquel il a droit au
point
comités l'Etat
d e v u e agricole » . O n demandait, agricoles
créés
pendant
pour l e remembrement,
la guerre,
les travaux
avec
le dévelopement des
une intervention
accrue de
publics, l'enseignement
et la
moto-culture. E t o n disait aux cultivateurs : « Seule une production intensifiée dans l'agriculture c o m m e dans l'industrie peut permettre d e refaire la prospérité nationale et d e continuer le progrès démocratique et social » . L e s socialistes cependant n e s'en tenaient pas là, ils reprenaient en les précisant leurs anciennes revendications. Pour les salariés, la reconnaissance des syndicats, u n e législation sociale et même la journée d e huit heures (en tenant c o m p t e des travaux saisonniers). Pour les exploitants, la révision des fermages « à la valeur d e la rente foncière normale » , la transformation du métayage, des aménagements fiscaux, une large liberté d e la chasse et de la p ê c h e . L a promesse d e « ne pas enlever ses outils à l'artisan o u au travailleur agricole, fût-il petit propriétaire » , était renouvelée, et CompèreMorel répétait à ses camarades, invoquant l'exemple de la Bavière : « L e socialisme ne s'emparera jamais o u du moins n e conservera jamais le p o u voir sans o u contre les paysans... préparer les foules vibrantes et passionnées d e nos agglomérations prolétariennes, c'est bien, mais éduquer, préparer et organiser les millions d e salariés, d e petits propriétaires, de fermiers et d e métayers qui, perdus au fin fonds d e nos campagnes, assurent l'exploitation d e notre sol, serait encore mieux »
5 1
.
Cet effort obtint certains succès. L'analyse minutieuse M
et critique d e
Kriegel montre q u e le parti vit croître fortement ses effectifs dans la
m e
Haute-Vienne, le Cantal, le Lot-et-Garonne, la Haute-Saône, l'Ariège, d é partements
ruraux.
L e s élections
de novembre
1919 lui valurent
aussi
d'excellents résultats dans la Haute-Vienne (35%), l'Hérault (20%), l'Allier, la Nièvre. Un an plus tard, Renaud Jean, paysan et ancien
combattant,
l'emportait en Lot-et-Garonne dans un scrutin partiel qui connut un grand retentissement . 52
Sur le terrain syndical, direction
la C G . T . entreprit une action parallèle en
des terriens. Plus doctrinaire, elle
rappelait
une résolution d e
1900 q u i refusait d e « faire des travailleurs agricoles une catégorie ciale
d'individus,
50.
« Aux
programme
ayant
travailleurs
socialiste
51.
La
G . LEFRANC,
France
2 2 1 - 2 2 4
libre, et
Le
1963,
pp.
thèse,
1 9 6 4 , pp. 2 4 2 - 2 4 7
particuliers »
d e l a terre » , La France
de réformes
52.
des besoins
agraires,
libre,
spé-
et recommandait aux
3 1 mai 1 9 1 9 . C O M P È R E - M O R E L ,
1 9 1 9 , 7 0 p . et Le socialisme
agraire,
Le
1 9 2 0 , 1 7 6 p.
2 2 mai 1 9 1 9 . mouvement
2 3 0 . A.
socialiste
KRIEGEL,
et 3 3 0 - 3 4 0 .
AUX
Atlas
sous origines
U, cartes
la
Troisième
du
République
communisme
français
(1875-1940), 1914-1920,
2 5 4 et 2 5 7 .
195
propagandistes d e « nier le droit à la propriété, grande ou petite » : elle n'excluait pas toutefois « les militants chassés des exploitations agricoles qui ont pu par leur intelligence, louer ou acheter un champ ou un jardin qui leur a permis de se libérer du joug patronal » Fédération
nationale
des travailleurs
de
5 3
. Alors se constitua enfin la
l'agriculture
projetée
avant
la
guerre : au congrès de Limoges (avril 1920), elle renouvela son « opposition à toute mesure sociale et économique qui tendrait à conserver
artificielle-
ment l'artisanat a g r i c o l e » et annonça compter 3 0 0 0 0 membres (11 0 0 0 en fait d'après les calculs précis de M catégories
d'origine : bûcherons
Kriegel). Ils appartenaient aux quatre
m e
agricoles
du
Midi, agriculteurs et horticulteurs de la Région parisienne, vignerons
et feuillardiers
du Centre,
de
C h a m p a g n e . L a Fédération des résiniers landais ne donna qu'une adhé5 4
sion partielle mais, au Sud du département, la région agricole d e la C h a losse connut au début d e 1920 une grave crise sociale. Sous l'impulsion d e militants c o m m e un métallurgiste du Boucau, Viro, et un ancien
marin,
Larrouy, les métayers se syndiquèrent à la C.G.T.,
mena-
s'attroupèrent,
cèrent les récalcitrants et obtinrent ainsi des propriétaires un contrat collectif plus favorable, « l'accord d e Dax »
5 5
. Les grèves d e Seine-et-Marne, en
août 1919 et du Languedoc, en 1920-1921, eurent moins d'ampleur. •'" III
Bientôt cependant le Parti socialiste se déchirait sur le problème d e la e
Internationale.
Beaucoup
de membres
ruraux,
fait
remarquable,
prononcèrent alors pour l'adhésion tandis q u e d e vieux militants
se
ouvriers
exprimaient leurs réticences. C e thème revint fréquemment dans les explications de vote à Tours : « Aujourd'hui, déclarait le délégué d e la Corrèze, les véritables révolutionnaires sont au fond des campagnes. Les paysans sont révolutionnaires : ils sont antimilitaristes ; ils sont anticapitalistes et ils n'ont plus confiance dans le parlementarisme » . M
m e
Kriegel y voit justement les
effets de la guerre qui, « en mobilisant les paysans, en brisant leur isolement social et politique, en leur faisant côtoyer dans les tranchées les gens des villes, en leur faisant supporter prioritairement l'impôt du sang,... a b o u l e versé les campagnes françaises » . Mais cette attitude ne représentait nullement un ralliement à la collectivisation. Dans un article souvent
relevé,
Verfeuil avait écrit : « Pour amener les paysans à nos opinions et à notre parti, il ne faut pas leur parler c o m m e o n peut parler aux ouvriers
de
Grenelle ou de Ménilmontant. Il y a des choses à leur dire, la première est celle-ci : le socialisme au pouvoir respectera la petite propriété, fille d u travail... C e n'est pas tant q u e cela contraire à la doctrine » 6 . 5
Parmi les 21 conditions du reste, la 5 agitation systématique et méthodique
e
proclamait seulement
: « Une
est nécessaire dans les campagnes.
La classe ouvrière ne peut pas vaincre si elle n'a pas les prolétaires des 53.
La
54.
M . AUGÉ-LARIBÉ,
C.Q.T.
et
les terriens, Le
1 9 1 9 , 7 8 p.
paysan
La
français
( B . N .8 " R
après
la guerre,
3 4
103).
1 9 2 3 , pp. 1 9 4 - 2 1 8 .
A . KRIEGEL
croissance de la C.G.T., 1918-1921, 1 9 6 6 , 2 5 4 p. (notamment p p . 3 6 , 1 1 5 , 1 6 1 , 1 9 4 , 2 3 0 ) ' . 5 5 . A . P O U D E N X , Essai sur le problème agraire dans le département des Landes' thèse droit, Paris, 1 9 2 3 , 2 7 1 p . 56.
196
L'Humanité,
2 8 mai 1 9 2 0 .
champs et au moins une partie des plus pauvres paysans derrière elle et si, par sa politique, elle n e s'est pas assuré la neutralité d'une partie d e la population rurale. L e travail communiste dans les campagnes est actuellement d'une importance considérable. Il doit être principalement mené avec l'aide des ouvriers révolutionnaires d e la ville et d e la campagne qui sont en rapport avec la population rurale. Renoncer à c e travail o u le confier à des mains douteuses mi-réformistes serait renoncer à la révolution
prolétarien-
ne » . Sembat pouvait d o n c ironiser sur la « légère divergence » qui séparait l'enthousiasme communiste d u désir d e garder la petite propriété
5 7
.
Compère-Morel avait choisi « la vieille maison » . Il poursuivit sa propagande, dans une tonalité d e plus en plus réformiste essentiellement à l'administration du Populaire.
5 8
, mais se consacra
Son rôle c o m m e agrarien d e
la révolution fut repris par Renaud Jean, personnalité remarquable dont le représentant d e l'Internationale communiste disait : « Il manque sans doute d e doctrine et de clarté, mais c'est un garçon intelligent, travailleur, foncièrement honnête, certainement u n e des belles forces d'avenir d u c o m m u nisme français »
5 9
. « Parti à la guerre paysan, note Rosmer, immobilisé par
une grave blessure, il avait b e a u c o u p lu et appris pendant sa convalescence. Il écrivait bien, exprimant avec force les colères des hommes qui avaient souffert dans les tranchées et en étaient revenus résolus à chasser les gouvernants
et à renverser le régime responsable
d e l'inutile massacre »
6 0
.
Dans la crise des premières années, il occupa une position indépendante, puis se soumit avec discipline quand M o s c o u eût parlé. Sous
son influence,
le Congrès
d e Marseille
adopta
dès 1921 une
longue thèse nuancée sur les problèmes agrariens. « L e caractère du paysan français, reconnaissait-on, constitue
pour le communisme
un obstacle au
moins aussi grand q u e celui provenant du morcellement du sol. L e rural vit en isolé... L e paysan est à la fois patron et ouvrier » . L e parti envisageait d o n c
« un régime agraire intermédiaire q u i , tout en supprimant le
métayage, le fermage et le salariat donnera aux paysans la jouissance gratuite d e la terre » , jouissance coopérative o u familiale, la collectivité recevant seulement u n e sorte d e propriété eminente. Tandis q u e la production s'accroîtrait, on entreprendrait l'éducation communiste des paysans qui « se grouperont en associations d e production de plus en plus nombreuses en attendant le jour o ù de leur plein divisèrent pendant des siècles » Dans La Vie paysanne nistes avec L'Humanité, 57.
G.
LEFRANC,
op.
cit.,
6 1
gré, ils arracheront les bornes qui les
.
fondée p e u auparavant et passée aux c o m m u -
Renaud Jean interprétait dans son sens la politique pp.
2 3 2 et
4 0 0 . A .
KRIEGEL,
op.
cit.,
pp.
834-837.
5 8 . Le socialisme et la terre, 1 9 2 1 , 2 8 p . La politique agraire du parti socialiste, 1 9 2 1 , 3 6 p . J.O. Chambre des députés, séance d u 2 5 n o v e m b r e 1 9 2 1 , p p . 4 2 9 0 - 4 2 9 9 . La petite propriété paysanne et le socialisme, 1 9 2 6 , 6 4 p . (recueil d'articles). 5 9 . Cf. L'œil de Moscou à Paris (1922-1924) Jules Humbert-Droz ancien secrétaire de l'Internationale communiste, 1 9 6 4 , pp. 8 8 - 8 9 et 1 7 1 . 60.
A .
ROSMER,
MOSCOU
SOUS
Lénine,
1 9 5 3 , pp.
242-243.
6 1 . C e t t e thèse a é t é publiée dans La Voix paysanne, 1 9 n o v e m b r e 1 9 2 1 , puis dans les Cahiers du bolchevisme, juin 1 9 2 6 , p p . 1 3 7 0 - 1 3 7 8 et dans Le parti communiste et la question paysanne,
1 9 4 9 , pp.
31-45.
197
agraire soviétique de l'époque. Il obtint aussi de Lénine une assez large approbation, nuancée par une invitation à s'appuyer sur les analyses c o n crètes d e l'ancien Compère-Morel et à préciser certains points, notamment le rôle de l'électrification 6 2 , Trotsky en revanche critiqua sévèrement un article d e L'Humanité,
d'une part pour une tendance au pacifisme
passif,
d'autre part pour une formule hérétique sur « les deux grandes fractions du prolétariat » 6 3 . L e dirigeant français répondit par des « explications » , de ton fort indépendant, et, raconte Rosmer, s'attira au 4
Congrès une
nouvelle
algarade de Trotsky : « L'Internationale communiste n'a rien de
commun
e
avec une foire où les paysans madrés se livrent à leurs marchandages » . Cette propagande, qui inquiétait fort les adversaires du obtint des résultats appréciables dans certains départements
communisme, ruraux
: en
1924 les listes du Bloc ouvrier et paysan rallièrent ainsi plus d e 15 % des inscrits dans le Lot-et-Garonne, le Cher et la Corrèze, plus d e 10 % dans l'Aube, la Nièvre, l'Allier, la D o r d o g n e , le Gard et le Vaucluse. Mais les vieilles campagnes républicaines du Midi et du Sud-Ouest restèrent
géné-
ralement fidèles à l'union des gauches traditionnelles réalisée par le Cartel
6 4
.
Et très faible fut l'audience de la section française d e l'Internationale paysanne, Krestintern, fondée surtout dans l'espoir d'entraîner les masses rurales non propriétaires d'Europe orientale
6 5
. L e Conseil paysan français se limita,
reconnaissait un militant, « aux seuls éléments communistes qui en sont les fécondateurs
et
à
quelques
sympathisants
électeurs »
6 6
.
En
Corrèze,
Marius Vazeilles, forestier au tempérament de propagandiste, passionné en outre d'archéologie, avait suscité parmi les petits propriétaires une Fédération des paysans travailleurs et y diffusait le communisme dans une c o n c e p tion plus démocratique que doctrinaire
6 7
.
Pour l'exploitation paysanne. Face à ces menaces, les agrariens continuaient de se fier avant tout aux effets conservateurs de la petite propriété paysanne. L'extrême-gauche
s'y
brisait souvent et la droite se consolidait dans bien des régions : un cas particulièrement net a été analysé dans la Côte-d'Or avec un retournement d e majorité en 1919 et l'évolution simultanée des sénateurs Jossot et Chauv e a u . Aussi, tandis qu'en Europe orientale des réformes agraires 6 8
s'effor-
çaient d'établir- cette base sociale, on se félicitait en France de son existence ancienne et d e la consolidation spontanée que nous avons relevée. O n vit
62. paysans, 63. 64.
V . l . L É N I N E , article du 1 1 d é c e m b r e 1 9 2 1 , dans De l'alliance des ouvriers et 1 9 3 6 , p p . 1 1 3 - 1 2 1 et dans Œuvres, Editions sociales, 3 3 , 1 9 6 3 , p p . 1 2 8 - 1 3 4 . L'Humanité, 6 avril, 2 2 et 3 1 m a i 1 9 2 2 . F . G O G U E L , Géographie, 1 9 5 1 , pp. 6 8 - 6 9 .
des
6 5 . C . P . I . , 1" Conférence internationale paysanne, 1 9 2 3 , 120 p. ( B . N . 8° R 3 2 877). The Communist international 1919-1943. Documents, é d . J. D e g r a s , O x f o r d , I I , 1 9 6 0 , p p . 1 0 1 - 1 0 6 et 2 0 0 - 2 0 5 . G . D . J A C K S O N , Comintern and peasant in East Europe, 1966, 339 p. 6 6 . G . B E R T R A N D ; « L e recrutement paysan », Cahiers du bolchevisme, 1926 vv 1 7811 7 8 8 et 1 9 2 5 - 1 9 2 7 . 67. 68. 1955,
198
G . W R I G H T , Rural revolution, pp. R . L O N G , Les élections législatives p p . 1 1 4 - 1 4 2 et 2 6 7 - 2 6 8 .
197-208. en Côte-d'Or
depuis
1870
thèse
droit *
Diion
surgir en outre idées et tentatives pour la consolider et pour la renforcer, dans un ton assez nouveau. A l'idée floue de petite propriété, exaltée avant 1914, se substitua une notion plus ferme d'exploitation paysanne, et b e a u c o u p de gens souhaitèrent une action organisée, voire m ê m e une intervention publique en ce sens. Il fallait tout d'abord restaurer le sol dévasté sur la ligne d e front. L e Ministère des régions libérées fit déblayer et remettre en état 3 millions d'hectares
dont la moitié avait été profondément bouleversée.
tion fut rétablie en quelques
L'exploita-
années par les agriculteurs, aidés
par les
indemnités d e la loi Marin de 1919. Ils formèrent des coopératives de reconstruction, parfois
m ê m e d e culture en c o m m u n , et s'unirent
en
une
Confédération des associations agricoles en régions dévastées, qu'anima, rue d'Athènes, sociétés
Edouard
financières
de
Warren,
colon
tunisien
d'origine
lorraine.
Des
se constituèrent aussi pour racheter des dommages
de
guerre et créer de vastes unités, non sans b e a u c o u p de déboires. L a « zone rouge » , considérée c o m m e sacrifiée, avait été évaluée à 117 000 hectares : l'énergie des cultivateurs en récupéra en fait la plus grande part, le reste, notamment au Nord de Verdun, fut reboisé par les Eaux et forêts
6 9
.
A l'occasion d e cette restauration, les parcelles dispersées furent regroupées sur près d e 600 000 hectares : les conditions psychologiques
étaient
favorables et une loi spéciale avait introduit une procédure expéditive. O n en constata en Lorraine les excellents résultats économiques. Pour le reste du pays, la loi Chauveau de 1918 permit, pour la première fois, d'imposer la mesure aux récalcitrants, c e qui révélait une évolution significative mentalités. Cependant il était prévu des conditions
d e majorité
des
qualifiée
extrêmement strictes, les réticences paysannes demeuraient écrasantes, et le remembrement ne fut réalisé q u e sur 35 000 hectares jusqu'au complémentaire d e 1935
7 0
décret-loi
.
Dans une perspective plus générale, un projet très élaboré de « colonisation intérieure » fut présenté par Caziot et soutenu au Parlement
par
Victor Boret. Tous deux déclaraient leur angoisse devant la « crise agraire » : l'expression vise
peut surprendre pour ces années de haute conjoncture,
essentiellement
l'exode
des
agriculteurs
et
la
rupture
de
elle
« l'har-
monieux équilibre entre les forces rurales et les forces urbaines qui assurait la puissance française » . Dans les conditions
techniques
de l'époque,
d'après les calculs de Laur à l'Union suisse des paysans, l'optimum
et
leur
paraissait le domaine familial de 8 à 30 hectares, d'un seul tenant. L'originalité remarquable du projet Caziot résidait dans une structure destinée à répandre c e type : sous la direction d'une Caisse nationale de la propriété paysanne, autonome quoique recevant de l'Etat le tiers de son capital, des 6 9 . 9' Congrès national de la mutualité et de la coopération agricoles. Reims 1922. Congrès de l'agriculture, Nancy, 1922, p p . 1 3 7 - 1 4 5 . M . A U G É - L A R I B É , Le paysan français après la guerre, 1 9 2 3 , p p . 9 5 - 1 0 0 . P. B R U N E T , Plateaux tertiaires, pp. 3 9 6 - 4 0 1 . 7 0 . A . G A R R I G O U - L A G R A N G E , Les lois sur le remembrement de la propriété foncière en France, thèse droit, Paris, 1925, 141, X V . E . VANDERVYNCKT, Le remembrement parmi les améliorations foncières rurales, thèse droit, L i l l e , 1 9 3 6 , 4 0 3 p . R . L o u i s , Le remembrement de la propriété foncière en Lorraine, thèse droit, N a n c y , 1 9 3 6 , 2 0 5 p .
199
sociétés foncières régionales lotiraient les terres, par contrat d e vente o u , si nécessaire, de location avec promesse d e vente ; ces ancêtres S.A.F.E.R. devaient même recevoir le droit d e préemption
7 1
d e nos
.
La proposition d e loi fit l'objet d'un rapport favorable, puis fut bientôt oubliée. Ecouté sans malveillance dans les congrès, l'auteur ne p u t entraîner les volontés. L'idée nouvelle heurtait en effet les habitudes d e pensée et les conservateurs se justifiaient : « Pour q u e la transformation en propriétaires exploitants de ceux qui n'étaient jusque-là q u e des tenanciers avec un titre précaire produise tous les effets bienfaisants qu'on escompte, il faut q u e cette
transformation
vienne à son heure
après
une longue
laquelle demande parfois l'effort de plusieurs générations »
7 2
préparation,
. Dans un livre
très remarqué, publié sous le pseudonyme de Jean Yole, un sénateur d e Vendée, le docteur Leopold Robert, reprit plus tard le problème, en exprimant sa confiance dans une application souple des coutumes paysannes q u i aménageaient les règles d e succession
7 3
.
Deux cas particuliers suscitèrent des réalisations concrètes. L e s migrations rurales de Bretons dans le Sud-Ouest naquirent d'un accord explicite entre Unions régionales de syndicats agricoles. 1 500 familles furent établies en quelques années selon un contrat-type d e métayage assurant des garanties réciproques et avec l'appui d u Ministère. L'encadrement, poussé jusqu'au plan
religieux,
contribua
beaucoup
au succès
l'Afrique du Nord d'autre part, on s'inquiéta
du m o u v e m e n t . 7 4
beaucoup
Pour
à l'époque n o n
seulement de protéger la propriété européenne contre les empiétements indigènes, réels ou illusoires
7 5
, mais aussi d e favoriser la petite colonisation q u i
assurait plus solidement le peuplement français : l'ouvrage célèbre d e R o d d Balek exprima cette prise de conscience avec éclat. Des lots furent attribués, par déclassement d u domaine forestier en Tunisie, par rachat aux grandes sociétés en Algérie et en Tunisie
7 6
. L a portée d e cette politique demeura
cependant restreinte et l'agriculture française qui se créait alors au M a r o c s'organisa en exploitation d e structure capitaliste. Lyautey
qui plaçait la
superficie optimale entre 2 0 0 et 4 0 0 hectares déclarait nettement q u e le pays « n'est pas et ne sera jamais une colonie d e petit peuplement agricole »
7 7
. U n p e u plus tard on c o m m e n ç a à s'inquiéter d e voir réserver d e s
superficies suffisantes aux cultures vivrières pour les indigènes : le Grand7 1 . P. C A Z I O T , Une solution du problème agraire. La terre à la famille paysanne, 1919, 1 6 0 p . e t ses conférences au Congrès de l'agriculture. Nancy 1922, p p . 5 7 - 8 0 e t aux Semaines sociales de France. Rennes 1924, p p . 2 4 5 - 2 6 7 . V . B O R E T , Pour et par la terre, 1 9 2 1 , 3 1 8 p. Cf. M . A U G É - L A R I B É , Le paysan français après la guerre, 1 9 2 3 , pp. 2 4 9 - 2 6 1 . 72. 73. nomie
H . et J . H I T I E R , Les problèmes actuels de l'agriculture, J . Y O L E , Le malaise paysan, 1 9 3 0 , 2 9 5 p.
7 4 . A b b é M É V E L L E C ,
A u pouvoir. « Il arrive, disait Pétain lui-même en juin 1940, qu'un paysan d e chqz nous voit son champ dévasté par la grêle. Il n e désespère pas d e la moisson prochaine. Il creuse avec la m ê m e foi le même sillon pour le grain futur » . E t il lançait avec u n e réelle grandeur
: « L a terre, elle, n e ment pas. Elle
d e m a n d e votre secours. Elle est la patrie elle-même. U n champ qui t o m b e en friche, c'est u n e portion d e la France qui meurt. U n e jachère d e nouveau emblavée, c'est une portion d e la France qui renaît » . U n autre discours p r é cisait : « L a France d e demain sera à la fois très nouvelle et très ancienne. C o m m e le géant d e la fable, elle retrouvera toutes ses forces en reprenant contact avec la terre » , et cette rénovation était attendue de « l'agriculture familiale
qui constitue
la principale
base
économique
et sociale
de la
France » . Les propagandistes rappelaient volontiers q u e le chef
d e l'Etat
était
fils et frère d'exploitants, et le proclamaient « le Maréchal-paysan » . A P a u , en avril 1941, celui-ci développait l'éloge prononcé avant la guerre devant le monument aux morts d e Capoulet-Junac : « C'est le paysan qui a forgé [la F r a n c e ] p a r son héroïque patience. C'est lui qui assure son équilibre é c o nomique et spirituel ... C'est pourquoi il faut q u e le paysan soit hautement honoré car il constitue avec le soldat des garanties essentielles d e l'existence et d e la sauvegarde du pays » . 2
Reprochant à la République
d'avoir négligé l'agriculture, le nouveau
régime lui portait u n e attention particulière. L a charge en fut confiée à une compétence de la profession, Pierre' Caziot. Cet ingénieur agronome, propriétaire d'une
exploitation en Berry, jouissait d'une
réputation
consi-
dérable c o m m e premier expert français pour les évaluations foncières. Sauf un passage
dans les cabinets ministériels
entre
1917 et 1920, il s'était
tenu à l'écart d e la politique active. Il n'avait rencontré Pétain qu'une fois (à l'inauguration du monument aux morts de 1'« Agro » ) et il fut très étonné, très hésitant aussi, quand il apprit chez lui, par un voisin, que la radio avait annoncé sa nomination au Ministère. Mais il estima n e pouvoir se dérober à Un devoir national et il prit ses fonctions très à cœur, bien aidé par Hallé, qui dirigea son cabinet, et par le nouveau secrétaire général, Préaud, un haut fonctionnaire d u Génie rural. A v e c son visage d e notable rural, aux m o u s taches d e Gaulois, et son port robuste, à soixante-quatre ans, il semblait à
Moulin
d e la Barthète la « statue d e l'honnêteté paysanne » . Par sa
sagesse d e jugement, il eut vite une influence appréciable sur le Maréchal . 3
2 . 2 3 et 2 5 juin 1 9 4 0 , 2 2 août 1 9 4 0 , 1 1 octobre 1 9 4 0 , 2 0 avril 1 9 4 1 (Quatre années pouvoir. Paroles aux Français, é d . J. Isorni, 1 9 4 9 , p p . 5 2 , 5 4 - 5 5 , 5 6 , 6 5 , 9 1 - 9 6 ) . 3 . I l a d o n n é l u i - m ê m e son t é m o i g n a g e , Ecrits de Paris, m a i 1 9 5 1 , et La vie de la France sous l'occupation 1940-1944, é d . française, I, 1 9 5 7 , p p . 2 5 5 - 2 7 4 . Cf. aussi u n e n o t e au
manuscrite
temps
d'AUGÉ-LARIBÉ
des illusions,
(Fonds
Augé-Laribé
32)
et
H .
D U MOULENT
DE LA
BARTHÈTE,
Le
1 9 4 6 , p p . 6 6 , 1 4 5 et 1 6 9 .
257
Patriote convaincu, il fit camoufler du matériel militaire par les Eaux et forêts et entretint d'excellents rapports avec l'ambassade américaine. Mais c'était assurément aussi un adversaire résolu de « l'anarchie parlementaire » . A l'époque du Front populaire, il avait exprimé vigoureusement son o p p o sition : « Presque tout c e qui a été fait depuis quelques mois a été c o n ç u et réalisé dans l'oubli le plus complet des nécessités paysannes » . « La d é m a 4
gogie, avait-il écrit un peu plus tard, finit toujours par avoir raison
d'un
pays, quelle que soit sa richesse, surtout quand sa nocivité est multipliée par les deux années d'absurdités criminelles q u e nous venons de subir » . 5
« Grands remueurs de terre, déclarait-il à Saint-Amand-Montrond en janvier 1941,
nous avons maintenu à travers bien des vicissitudes l'héritage de nos
ancêtres ; puis le mal d é m a g o g i q u e exerça chez nous c o m m e dans toute la France ses affreux ravages. Il n'a fallu qu'un demi-siècle pour détruire l'ouvrage de deux mille ans et les démolisseurs ont travaillé vite à cette œuvre de mort » . Les conditions politiques lui semblaient désormais plus favorables, 6
pourtant il regrettera dans sa retraite de n'avoir pas été suffisamment a p p u y é par le gouvernement, « tant est ancrée dans l'esprit des citadins une sorte d'automatisme
antipaysan,
ce
qui
est
particulièrement
étrange
dans
un
pays où l'agriculture o c c u p e une place essentielle » . Caziot voulut d o n c entreprendre au pouvoir la politique de l'exploitation familiale qu'il recommandait depuis vingt ans . Outre des mesures particu7
lières pour la Sologne, une loi de novembre 1940 envisagea l'amélioration d e l'habitat rural et une loi de mars 1941 facilita la procédure du remembrement : toutes deux devaient être explicitement validées à la Libération. E n revanche, « le pécule de retour à la terre » institué officiellement pour encourager le renversement d e l'exode rural, n'obtint guère de succès : 1 561 bénéficiaires en quatre ans, dont 409 échecs. Des aménagements législatifs permirent dans certains cas le maintien d e l'indivision au profit de l'héritier exploitant et introduisirent après soixante ans d e débats, le principe
de
l'indemnité de plus-value au fermier sortant . 8
Une Mission de restauration paysanne reçut la charge d'orienter rapidement des jeunes vers l'agriculture, et l'enseignement fit l'objet de la c o d i fication de juillet 1941. A u premier degré, l'obligation des cours postscolaires, décidée en 1938, fut confirmée et la formation des maîtres consolidée ; alors aussi se multiplièrent les maisons d'apprentissage rural privées dont la formule d'alternance plaisait aux parents . A u second degré, les écoles prati9
ques devaient devenir des écoles régionales, de niveau plus élevé, tandis qu'au degré supérieur « Agri » et « A g r o » devaient être réunies dans u n e Ecole nationale supérieure d'agronomie. En fait, ces deux dernières réformes 4. 5.
Le Temps, 2 9 et 3 0 mars 1 9 3 7 . R.A.F., janvier 1 9 3 9 .
6.
1 9 janvier
1 9 4 1 (Au
service
de
la paysannerie,
Paris-Clermont,
Agriculteurs, voici ce qu'en un an le gouvernement 1 9 4 1 , 4 8 p . ( B . N . 8 " Lb58 1 0 3 ( 1 ) ) . 8 . O . B A J E U X , Vers la propriété culturale. Le problème thèse droit, L i l l e , 1 9 4 5 , 4 5 8 p . 7.
de
9 . A . D U F F A U R E et J . R O B E R T , Une l'exploitation familiale, 1 9 5 5 , 2 4 7 p.
258
méthode
active
du du
1 9 4 1 , p.
Maréchal fermage
d'apprentissage
a
115).
fait
et agricole
pour
son :
vous,
évolution, les
cahiers
furent rapidement abandonnées l'une faute de moyens, l'autre devant la résistance des anciens élèves . 1 0
L a protection sociale fut aussi développée, pour les exploitants c o m m e pour leurs salariés. La compétence en ce domaine fut alors attribuée au Ministère d e l'agriculture, où on réorganisa la direction des Affaires professionnelles et sociales et le corps d e contrôleurs créés en 1938. Pour le financement il fut institué un Fonds national de solidarité agricole, qui reçut des ressources supplémentaires par des taxes sur les produits perçues en principe « à l'intérieur » , c'est-à-dire à la charge du producteur
n
.
Par toutes ces mesures, on espérait restaurer les bases de la paysannerie. Sur le plan économique,
estimait Préaud,
« à certaines vues
sommaires,
c o m m e à certaines tendances plus ou moins idéologiques, il faut résolument opposer cette notion que l'exploitation familiale ne comporte, en principe, aucune infériorité technique relativement à la grande exploitation » . Sur le plan social, on continuait d'exalter le « régime d'ascension lent mais sûr qui ... s'appuie essentiellement sur la multiplicité c o m m e sur la diversité des exploitations familiales » . O n rejetait d o n c « u n e soi-disant élévation du niveau d e vie qui consisterait dans la restriction systématique du nombre des bras consacrés à la production agricole »
1 2
. Cette politique devait aussi assurer
la participation maximale des producteurs à l'effort d'approvisionnement et ceci constituait pour le ministre dans les circonstances dramatiques du temps une exigence fondamentale. « Pas de production sans producteurs, disait-il dans cette seconde perspective, et pas de producteurs sans une civilisation qui s'appuie sur une base paysanne solide... La France est une nation à base paysanne »
1 3
.
En avril 1942, quand Laval revint au pouvoir, Caziot fut écarté sous la pression allemande. Son remplaçant, Jacques L e R o y Ladurie était, depuis dix ans, l'un des animateurs agrariens les plus en vue. Il avait été question de lui pour le Ministère dès juillet 1940, mais des rivalités
personnelles
l'avaient fait écarter. Sa nomination fut peut-être facilitée par l'influence de son frère Gabriel dans certains milieux vichyssois, encore celle-ci a-t-elle été très exagérée. En prenant ses fonctions, il rendit hommage au Maréchal et à Laval, « fils de la terre d'Auvergne » , il affirma surtout avec fierté : « Je ne dis pas, c o m m e tant d'autres l'ont fait : " J e suis fils ou petit-fils de cultivateur ". Je dis : " Je suis cultivateur ". D'autres dans le passé vous ont parlé d'agriculture
parce qu'ils étaient devenus ministres. Je suis quant à moi
devenu ministre de l'Agriculture parce qu'il y a vingt ans que j'exerce mon métier, notre métier et que je le défends par la parole c o m m e par l'action »
1 4
.
Il réorganisa le Ministère et assura la soudure du b l é particulièrement dif10.
R . CHÂTELAIN,
11.
M.
1943, 17
128
LAURAS,
Le
L'agriculture
française
financement
de
13. 14.
P.
professionnelle,
1953, pp.
en
thèse droit,
sociale
agriculture,
p.
99-222 Paris, 1
1 2 . R . P R É A U D , Quelques traits p . ( B . N . 8 ° S Pièce 1 7 8 9 3 ) .
(Fonds
et la formation
la législation
CAZIOT,
L'agriculture
essentiels
française
dune
dans
politique
l'économie
agricole
européenne,
française, 9
juillet
juin 1941,
0
. .
1044, 18
p.
Augé-Laribé). Discours
de
Lyon,
2
juin
1942
(B.N.
8'
V
Pièce
27
146).
259
ficile cette année-là puis se retira dès septembre, d é ç u p a r les intrigues d e l'Hôtel du Parc et hostile à la loi sur le travail obligatoire en Allemagne. Son secrétaire d'Etat Max Bonnafous devint alors ministre. L u i appartenait, au contraire, au type des ministres républicains. Normalien brillant, il s'était fait connaître par l'édition des œuvres d e Jaurès et avait été le secrétaire d u groupe néo-socialiste, puis était devenu préfet d e l'Etat français. « Esprit précis, lucide, b o n administrateur, chef écouté et respecté »
1 5
, il
dut à Laval sa promotion. Après avoir soutenu un effort épuisant dans toute l'année 1943, il se retira dès janvier 1944. L a charge de l'Agriculture fut reprise alors par le ministre des Finances, Cathala, assisté du député agraire Mathé. Mais à cette date la contrainte allemande d'une part, la désaffection d e l'opinion d'autre part enlevaient au gouvernement d e V i c h y la prise réelle sur les affaires. Dans l'opinion. L'insistance sur les thèmes agrariens ne se limitait pas aux hommes du pouvoir, elle était assez largement partagée dans l'opinion. Certes, celle-ci ne s'exprimait pas en pleine liberté et nous ne la saisissons qu'avec
quelque
incertitude. Cependant il n'y a pas d e doute q u e l'orientation d u régime, au début du moins, correspondait à une sensibilité largement répandue. Beauc o u p d'auteurs n'écrivaient pas par ordre et exprimaient sincèrement leur pensée. L'ambiance était propice au développement d e certaines idées, à la diffusion d e certaines images collectives. L a valeur éthique de la terre suscitait ainsi d e nouveaux dithyrambes. Selon un écrivain d e Rouergue, « les économies o ù dominèrent l'industrie, le c o m m e r c e , la finance ne furent jamais, au cours des âges, q u e des accidents éphémères. L a règle séculaire, c'est d'ordonner tout le reste en fonction d u travail des champs » . « L'âge industriel au xrx
e
siècle, ajoutait-il, a bâti laid,
meublé sans style... tandis que la France agrarienne a fait fleurir la grandeur èt les grâces des styles des quatre Louis. » Il fallait d o n c restaurer u n e « physiocratie » sans les illusions d e l'ancienne sur la liberté économique
1 6
.
« L a République, reprenait un auteur vendéen, n'a pas compris les paysans. Elle s'y est pourtant efforcée et souvent avec un zèle méritoire ; mais chaque fois qu'il fallait aller au fond d u problème, le zèle s'affadissait, le levain manquait qui eût rendu cette bienveillance agissante. Elle s'est rabattue sur l'agriculture, c e qui est bien différent » . Heureusement, ajoutait-il, l'Ouest qui « jadis sauva les valeurs spirituelles d e la France » a maintenant « fait reconnaître la valeur nationale d e ses méthodes et d e son esprit »
1 7
. Sur un
ton différent, Robert Mallet développait la triple nécessité d'un retour à la terre, nécessité économique, nécessité politique et nécessité morale pour « un peuple conscient d e ses erreurs et soucieux d e les réparer... car c'est au creux d u sillon nourricier qu'il prendra son élan pour un nouveau départ » . 15.
H .
DU MOULIN
DE LA
BARTHÈTE,
Le
temps
des
1 6 . J . G A Z A V E , La terre ne meurt pas. Introduction franche d e R o u e r g u e , 1 9 4 1 , p p . 1 9 et 2 1 3 . 17.
260
J.
YOLE,
La
terre
et
les
vivants,
1 9 4 3 , pp.
illusions,
1 9 4 6 , p.
à une physiocratie
73-74.
2 9 9 .
nouvelle,
Ville-
Plus qu'un mouvement vers la campagne, « u t o p i e » ayant réussi seulement en Palestine, il préconisait concrètement un « retour des idées à une politique en faveur de la terre » . 1 8
Cette solidité rurale s'appuyait sur une tradition qu'on se souciait de mieux connaître. L'étude du passé, dans la perspective du village, marque proprement l'époque qui recherchait dans l'histoire les raisons d'espérer un relèvement après l'épreuve présente. O n célébrait Sully et des solennités officielles commémoraient Olivier de Serres, « un bon ménager, un patron social et un patriote fervent » , disait C a z i o t . L'histoire 1 9
française
de la
campagne
d e Gaston Roupnel, au lyrisme attachant, avait parue dès 1932 ;
elle connut alors un grand succès et fut suivie par une série caractéristique d'oeuvres de qualité : L'homme
à la bêche,
d'Henri Pourrat, évocation d'une
fine sensibilité, Le village et le paysan de France,
d'Albert Dauzat, attentif à
l'observation concrète, sans négliger les problèmes humains, les monographies locales si vivantes de l'universitaire Roger Thabaut pour Mazières-en-Gâtine et du comte de Neufbourg pour le Forez, enfin deux ouvrages qui seront publiés à la Libération, Les des
champs
paysans
de Roland Maspetiol
valeurs d e la paysannerie »
2 0
de Louis Chevalier et L'ordre
éternel
« essai sur l'histoire économique et les
.
L'attention se portait aussi vers les valeurs actuelles « des hommes les plus proches d e la nature, les moins artificiels, les plus vrais » ; « plutôt qu'une classe, disait-on, les paysans constituent une race avec ses vertus qui l'emportent sur ses tares, la race la plus vieille et tout à la fois la plus riche en réserves et en possibilités » . On tournait alors les deux meilleurs films du cinéma français sur leur vie, Goupil Farrebique
mains
rouges
de Jacques Becker, et
de Georges Rouquier, on en recueillait avec soin les évocations
littéraires et on relisait Pesquidoux, Ramuz et Pourrat qui connaissaient alors une grande vogue
2 1
. L a Bibliothèque du peuple publiait L'héroïsme
paysan
où le marquis d'Aragon, caractère indépendant, montrait avec finesse la promotion d'élites nouvelles à c ô t é des gentilhommes campagnards et des bourgeois ruraux, Les écoles
du paysan que Gachón, géographe terrien, présentait
dans le passé et dans l'avenir et d'autres titres du même esprit. Ces années voyaient également le succès de Gustave Thibon, propriétaire exploitant qui avait acquis une large culture par lui-même : sa pensée se réclamait du « réalisme d e la terre » et s'élevait à une philosophie des communautés organiques, intégrant le respect des personnes dans la solidité des traditions
2 2
.
Ce sens des valeurs terriennes prenait souvent une tonalité religieuse. A cet égard, une expérience originale et émouvante fut le chantier rural de 1 8 . R . M A L L E T , Nécessités d'un retour à la terre, thèse droit, Paris, 1 9 4 1 , 2 8 3 p . (citap p . 2 4 7 - 2 5 3 ) , édition u n p e u différente, Le retour à la terre, 1 9 4 2 , 2 5 4 p. 1 9 . F o n d s A u g é - L a r i b é 3 2 et l'édition des Pages choisies par A . L A V O N D È S , 1 9 4 1 , 3 2 5 p . 2 0 . Cf. aussi le m a n u e l d e C . R O S I E R , La France agricole, 1 9 4 3 , 5 1 2 p. 2 1 . M . A R L A N D , Le paysan français dans la littérature, 1 9 4 1 , 1 8 9 p . (citation p p . 1 0 - 1 1 ) . L . B A R T O N , Le Paysan, L e P u y , 1 9 4 5 , 3 0 7 p . R . M A S P E T I O L , « Les paysans dans la littérature », Témoignages, X V I I , avril 1 9 4 8 , p p . 2 4 8 - 2 7 1 . 2 2 . V . - H . D E B I D O U R , « U n défenseur des c o m m u n a u t é s organiques au x x " siècle : Gustave T h i b o n » , dans Libéralisme, traditionalisme, décentralisation, dir. R . P E L L O T J X , 1 9 5 2 , p p . 1 2 5 tions
157.
261
Charry (Tarn-et-Garonne), fondé par les Eclaireurs Israélites sur le m o d è l e du Kibboutz : il dut se disperser pendant l'été 1942 23. Les protestants r a p p e laient avec fierté qu'Olivier de Serres appartenait
à leur Eglise.
Cepen-
dant, étant donné les proportions numériques, il s'agissait surtout des milieux catholiques. Une « demoiselle » , Pascaline d'Orange, travaillait ainsi tout un hiver chez les fermiers de sa famille et rapportait ses impressions avec une simple humilité qui fit apprécier son livre 24. Surtout l'action d e la J.A.C., de la J.A.C.F. et de la L . A . C . , appelée bientôt M o u v e m e n t familial rural (M.F.R.) se prolongeait et se développait malgré les difficultés dues aux circonstances : perquisition de la Gestapo en mai 1941 au siège provisoire d e Rennes, interdiction des journaux, coupure des mouvements en deux par la ligne de démarcation 25. Sans abandonner le souci de l'apostolat, on se préoccupait
davantage,
« dix ans d'expérience... ayant montré l'importance spirituelle des problèmes sociaux » , de mettre « le cap sur la solution chrétienne des problèmes ruraux : arrêt de l'exode, revalorisation du foyer, diffusion de l'esprit corporatif puis du sens civique » . En même temps, la J.A.C, prenait « conscience de l'inutilité des solutions sociales — en elles-mêmes justes — q u e n e viennent pas servir des hommes d e valeur » et elle se voulait « educatrice d e l'humain » . Il fallait pour cela d'abord former une « élite » , « parce que c'est elle qui manque douloureusement au m o n d e rural continuellement " écrémé " par la ville, sans discrétion c o m m e sans prudence — et parce q u e , quand on aura refait l'élite, la masse suivra et montera » 26. Si propriétaires
et
n'étaient pas dédaignés, l'appel s'adressait essentiellement aux
exploitants,
parmi lesquels on voulait faire surgir des « chefs paysans »
salariés
: la
formule
significative unit deux mots forts de cette génération. Elle définit bien un Emile Coupet dans le Nord, ou le secrétaire général des années
difficiles,
René Colson, originaire d e la Haute-Marne, impulsif mûri par la réflexion et la responsabilité : tous deux devaient prématurément disparaître
.
2 1
Un effort sacerdotal approfondi accompagnait le mouvement, près d u q u e l naquirent deux initiatives différentes. En 1943, un Dominicain, le P. Epagneul fondait
à
la
Houssaye-en-Brie
les
Frères
missionnaires
des
campagnes,
« institut religieux ayant pour b u t exclusif... l'apostolat rural surtout dans les régions d e France les moins chrétiennes » . L'ordre, unissant prêtres et non-prêtres, et la congrégation féminine qui l'accompagna bientôt, se recrutèrent surtout parmi les militants
J.A.C,
23.
I.
POUGATCH,
Charry.
24.
P.
D'ORANGE,
Servante.
25.
A.
ACHARD,
a vingt-cinq
1961,
pp
J.A.C.
1 9 4 5 , pp.
1945,
168
18-19.
de
communauté
mois
au
J.A.C.F. 73-90.
service
1933-1953,
A . FÉRON,
de
jeunesse,
des
paysans
1 9 5 3 , pp. Le
relations
Neuchâtel,
1945, 190
p.
de
1943, 183
p.
France,
60-104.
mouvement
furent
familial
La
M .
D'HAÈNE,
rural
a vingt
ans,
Colson, 28.
Cf.
Paysannerie M .
et
humanisme. Eléments
GAUDILLIÈRE,
Essai d'une
d'un
manuel
culture
culture
pay-
de
intellectuelle
paysanne
p.
M . D'HAÈNE,
septembre
262
ans
1 9 5 4 , pp.
[ F . BOULARD],
sanne,
René
d'une
Trois
bonnes
179-306.
26.
27.
Vingt
ans,
Vie
jacistes 28. D e
un
Chronique
Un
rural des
chef
paysan
d'acant-garde, Frères
1 9 6 3 . A . DANSETTE,
: Emile
missionnaires Destin
Coupet
1954, 2 4 3 du
et
(1913-1944),
1 9 4 4 , 1 5 8 p. A .
LEROUXEL,
p. des
catholicisme
Sœurs français
des
campagnes. 1926-1956,
20* 1 9 5 7 , pp.
anniversaire, 342-346.
établies avec le séminaire séculier de la Maison de France, alors à Lisieux, q u e préoccupait également le problème des campagnes détachées de l'Eglise. A la m ê m e é p o q u e le chanoine Boulard, curé d e Beauce puis aumônier jaciste, élargissait au m o n d e rural la question posée par « le retentissant appel » des abbés Godin et Daniel, La France
pays de mission P Guidé par le
professeur L e Bras qui lui ouvrait libéralement ses dossiers, il menait d'autre part une large enquête auprès d e confrères qualifiés. Ses Problèmes naires de la France
mission-
rurale apportèrent, avec une première carte d e la pratique
religieuse, u n e analyse des « causes profondes de la déchristianisation actuelle » et un programme pastoral d'ensemble, que précisèrent les Cahiers clergé
rural
2 9
du
. Tous ces efforts devaient par la suite se prolonger et s'am-
plifier. Bien différente était l'orientation d'un Giono, qu'il faut considérer enfin au terme de c e tour d'horizon c o m m e exprimant une tendance caractéristique d e l'époque. Son œuvre littéraire remontait aux quinze années précédentes, l'expérience d e vie c o m m u n e au Contadour datait du Front populaire, mais ses idées connurent alors une diffusion nouvelle, non sans des contresens. Si, en 1938, sa Lettre
et la paix avait condamné
aux paysans sur la pauvreté
avec éclat la guerre qui venait, elle était inspirée par un pacifisme universel d'ancien combattant, en aucune façon par un ralliement aux régimes autoritaires, c o m m e le crurent ceux qui le firent arrêter deux fois. Son sens de la terre était d'autre part, note justement un critique, « un sentiment épique, forcené, panique, absolument étranger à toute sagesse » . Plus berger q u e paysan il communiait avec la montagne, avec l'eau, avec la nuit, dans un lyrisme sensuel parfois predicant. Malgré le réalisme de certaines observations concrètes, ce goût de la nature sauvage se distinguait fondamentalement du véritable agrarisme, qui réserve sa prédilection « champs bien tenus »
3 0
aux
. Il se retrouvait, sans sa nuance panthéiste, dans
l'attirance si typique du plein air sur les jeunes de cette génération, passionnés du scoutisme et de la joie du c a m p . Et ceux-ci non plus n'étaient pas des agrariens. 29. France 30. 192
p.
F.
BOULARD,
rurale,
L'art
V . - H . DEBIDOUR, P.
DE
d'être
curé
de
campagne,
30
p.
Problèmes
missionnaires
de
la
1 9 4 5 , 1 9 2 et 3 0 8 p. BOISDEFFRE,
art.
cité,
Giono,
p. 1965,
3 1 6 . Cf. 2 8 5
p.
C.
CHONEZ,
Giono
par
lui-même,
1956,
II
LA LUTTE CONTRE
LA
DISETTE
Cette orientation agrarienne ne comportait pas cependant que des f o n d e ments doctrinaux. Elle répondait aussi à la pression des exigences concrètes, véritablement
dramatiques
pendant
cette
période.
Si
l'agriculture
avait
souffert de la surproduction et de l'engorgement des marchés pendant les deux grandes crises agricoles, le pays subissait alors une pénurité alimentaire sans précédent depuis la Révolution. La politique agricole consista d o n c avant tout à tenter d e relancer la production, à faire face aux exigences allemandes, à assurer la collecte du ravitaillement. L a pénurie alimentaire. Les premiers mois de la guerre avaient connu une situation favorable. Utilisant l'expérience d e 1914-1918, la loi du 11 juillet 1938 sur l'organisation de la nation en temps de guerre avait remis au pouvoir la direction de l'économie : sous c e régime, des décrets avaient créé les Groupements nationaux d'importation et d e répartition et, sur le plan intérieur, les G r o u p e ment d'achat et de répartition départementaux, reliés les uns et les autres à un nouveau Service du ravitaillement général. Grâce aux fortes récoltes des années précédentes, 1938 pour le blé, 1939 pour le vin, les responsables avaient disposé de stocks copieux, tandis que l'alliance anglaise garantissait la sécurité des importations maritimes nécessaires. A la longue, l'absence d e I 300 000 agriculteurs mobilisés aurait posé des problèmes mais en 1939-1940 l'approvisionnement d e l'armée et des civils avait été assuré assez aisément. II n'y avait pas eu lieu d'établir le rationnement et la propagande
n'avait
pas manqué d'opposer cette liberté dans l'abondance aux restrictions qu'imposait le gouvernement allemand à sa population
3 1
.
Tout changea avec le désastre de juin. Si elle n'entraîna pas la lourde dévastation de la terre liée à une guerre d e tranchées, la campagne
de
France abattit d'un c o u p la nation et la jeta dans de terribles épreuves. Pour l'agriculture notamment, les difficultés déjà subies dans la première guerre mondiale reparurent avec une gravité fortement accrue. Outre une amertume morale, contre laquelle réagissait la volonté de reconstruire, la défaite et la subordination provoquèrent un affaiblissement des moyens de production qui ne fit que s'accentuer avec les années. Les hommes d'abord m a n q u è r e n t . 32
Les pertes militaires
avaient
été
heureusement limitées, mais la masse des prisonniers comptait une proportion élevée d'agriculteurs : 500 000 au moins (près d e 700 000 dans un recensement de 1942 certainement gonflé, car, fait caractéristique, on croyait alors
1940,
264
3 1 . G . - H . R I V I È R E et B . G A V O T Y , O L a F r a n c e p a y s a n n e » , pp. 2 7 - 8 4 . 3 2 . M . C É P È D E , ZI" guerre mondiale, pp. 2 0 7 - 2 1 3 .
dans
La
France
en
guerre,
avoir intérêt à se déclarer agriculteur). Beaucoup travaillèrent dans les 1
fermes allemandes et ils purent tirer profit pour l'avenir de cette expérience tant au point de vue du développement technique que d e l'aide publique. Dans l'immédiat cependant leur absence fut durement ressentie. Si 150 à 2 0 0 000 libérations furent obtenues d e l'autorité allemande pour les anciens combattants de l'autre guerre c o m m e , après bien des insistances, pour les ingénieurs agronomes et agricoles, de nombreux chefs d'exploitation demeurèrent absents, c o m m e en 1914-1918, quoique dans des conditions différentes. Et ils ne furent pas remplacés. En fait le retour à la terre ne se réalisa guère ; au contraire l'exode rural continua, à un rythme ralenti, il est vrai, par les circonstances. Une loi créa le Service civique rural des étudiants afin de procurer une main-d'œuvre d'appoint : certains mouvements s'efforcèrent de d é v e l o p p e r à cette occasion la compréhension réciproque, avec quelque succès parfois, mais les aides étaient fort inexpérimentés
3 3
. Il en fut de même
p o u r b e a u c o u p de jeunes gens qui cherchèrent un abri dans les fermes parce q u e réfractaires au service obligatoire en Allemagne (dont les agriculteurs euxm ê m e s furent dispensés en principe). Les Chantiers devaient
substituer au service militaire un action
de la jeunesse, qui
éducative, avaient
été
éloignés des casernes citadines par leur fondateur, le général de la Porte du Theil, et établis en pleine nature ; mais les mobilisés furent surtout employés au bûcheronnage
3 4
.
Les moyens matériels n'étaient pas moins défaillants, et à un degré beauc o u p plus grave qu'en 1914-1918. Près d'un cinquième des chevaux, encore très employés par les agriculteurs, furent réquisitionnés par les militaires à la déclaration de la guerre, puis par les occupants. Tracteurs et machines ne pouvaient plus être importés c o m m e c'était en grande partie le cas avantguerre, et l'industrie française était orientée vers d'autres tâches. L e remplac e m e n t ne put être assuré, l'entretien devint difficile. M ê m e avec une m o t o risation encore limitée, le manque de carburants fut durement ressenti, les contingents alloués diminuant de campagne en campagne : les agriculteurs répugnaient à transformer leurs moteurs pour employer le gazogène à bois c o m m e on les en pressait. Il fallut établir dans chaque département un plan de battage, avec priorité à l'usage de l'électricité. Des difficultés particulières marquèrent l'approvisionnement en ficelle lieuse, qu'on fabriquait jusqu'alors avec du sisal importé. Enfin, la rupture des communications extérieures et l'annexion de l'Alsace, puis les prélèvements allemands entraînèrent une p é nurie des engrais, aux lourdes conséquences : au lieu de 879 000 tonnes en 1938-1939, l'agriculture ne disposa que de 444 000 tonnes en 1940-1941, de 3 0 7 000 tonnes en 1943-1944. Les insecticides c o m m e le souffre pour la v i g n e , furent également attribués avec parcimonie
3 5
.
3 3 . N o t e sur le fonctionnement d u service civique rural, E c o l e libre des sciences politiques, 1 9 4 1 (Fonds A u g é - L a r i b é 3 2 ) . Au service de la terre de France, petit guide à l'usage des volontaires et requis du service civique rural, 1 9 4 3 ( B . N . 1 6 ° S 7 5 ) . 3 4 . R . H E R V E T , Les chantiers de la jeunesse, 1 9 6 2 , 3 0 2 p . « Il est heureux, écrivait H . D O R G È R E S , q u e les chantiers d e jeunesse évitent aux jeunes ruraux les trompeuses apparences «de la ville » (Révolution paysanne, 1 9 4 3 , p. 1 9 ) . 35.
M.
CÉPÈDE,
II'
guerre
mondiale,
pp.
213-252.
265
L a production agricole diminua d o n c fortement. Certes la mesure de cette production pose des problèmes délicats. Si les statistiques abondent, car on multiplia les questionnaires, elles sont certainement fausses : les intéressés, puis les autorités minimisaient de leur mieux les résultats afin de réduire impositions et fournitures à l'occupant. Cependant l'équipe animée par M . C é p è d e a entrepris une révision méthodique et documentée, appuyée sur des recoupements départementaux, qui nous procure des évaluations certainement proches de la réalité quant aux ordres de grandeur. Par la baisse des r e n d e ments et parfois aussi par celle des surfaces, les récoltes se réduisirent ainsi de 2 0 % pour le blé, de 2 5 à 35 % pour la betterave, de 30 % au moins pour la p o m m e de terre, de 10 à 15 % pour le vin. Les produits du cheptel se réduisirent également : de 10 % pour la viande de b œ u f , de 4 0 % pour celle de porc, de 2 0 à 30 % pour le lait. L'indice de la production végétale peut être estimé à 8 2 pour 1943, celui de la production animale à 6 2
3 6
. L'inten-
sification du travail familial dans les jardins et les basses-cours frappa les contemporains qui y recouraient avec zèle, mais son importance globale restait faible par rapport aux difficultés d e la culture en plein champ et de l'élevage professionnel. L e transport vers les consommateurs rencontrait en outre des obstacles. Obstacles techniques d'abord : les destructions d'ouvrages, le manque d e carburant et de combustibles, les réquisitions de matériel, réduisirent les m o y e n s disponibles, bien avant le printemps 1944 où l'épreuve prit une
ampleur
dramatique. Il fallut imposer des priorités : après les besoins allemands, les denrées alimentaires obtinrent en général le premier rang. Des contrôles f u rent établis par les « bons de circulation » et pour le vin, par un Groupement professionnel
des exploitants
de w a g o n s - r é s e r v o i r s . 37
Obstacles
politiques
aussi : la ligne de démarcation brisa des courants traditionnels et causa u n e gêne considérable pendant les trois premières années ; de m ê m e le Nord et le Pas-de-Calais, à l'agriculture riche, furent théoriquement isolés
3 8
. D a n s le
cadre français, la pénurie provoqua des réactions accusées de défense régionale et contre la volonté gouvernementale d'unité, les autorités départementales quoique nommées d'en haut et non pas élues, s'efforcèrent de conserver au maximum leurs disponibilités. Il en résulta une sensible disparité
des
ressources, s'échelonnant de la Normandie relativement favorisée au L a n g u e d o c qui après un demi-siècle de monoculture ne produisait plus
suffisam-
ment pour se nourrir. O n ne pouvait guère compter en outre sur des apports extérieurs. Les voisins du continent fournirent p e u de chose et si le blocus anglais comporta des aménagements pour la zone libre, les envois d'Amérique ne concernèrent que de petites quantités. La Raison avec l'Afrique du Nord eut b e a u c o u p plus d'importance : en 1941 la métropole reçut d'elle des céréales, du vin et d e 3 6 . Etudes cole d e 1 9 3 9 à 276-325.
266
et conjoncture, 1 9 4 6 » , R.E.P.,
n o v e m b r e 1 9 4 6 , p . 1 0 8 . P. F R O M O N T , te L a p r o d u c t i o n 1 9 4 7 , p p . 1 2 0 1 - 1 2 4 4 . M . C É P È D E , 11' guerre mondiale,
37.
M.
CÉPÈDE,
11'
guerre
mondiale,
pp.
252-262.
38.
M.
CÉPÈDE,
II'
guerre
mondiale,
pp.
46-55.
agripp.
l'huile. Ces relations s'interrompirent totalement après novembre 1942 et le territoire dut vivre exclusivement sur lui-même ; or l'appoint alimentaire de l'étranger et des colonies avait représenté à la veille de la guerre près du cinquième d e la consommation française, à une époque où la production nationale était pourtant surabondante. L e s exigences allemandes. Appauvri, le pays se trouvait en outre soumis aux volontés d'un vainqueur impitoyable. Celui-ci annexa de fait les trois départements d'AlsaceLorraine et les intégra totalement à l'économie allemande. L'agriculture y fut soumise à un contrôle très strict de la production et de la commercialisation, tandis que la propagande dénonçait l'extension d e « steppes » , terres médiocres sur lesquelles fut développé un effort spectaculaire mais artificiel : en Moselle les nombreux expulsés furent remplacés par des colons du Reich
3 9
.
Pour le reste du pays, les responsables français subirent de constantes et lourdes pressions. Tantôt on faisait appel à l'esprit de la « collaboration » et à la nécessité de contribuer à « la défense de l'Europe contre le bolchevisme » , tantôt on invoquait purement et simplement le droit du plus fort. E n premier lieu, les autorités allemandes invitèrent la France de façon soutenue à accroître sa production agricole. Plusieurs documents
officieux
furent diffusés en ce sens, où la possibilité d'autarcie alimentaire était évaluée à 161 %, au lieu d e 83 % seulement en réalité pour 1932. En juillet 1941, l'agronome Backe, qui remplaça peu après le ministre Darré jugé trop sincèrement agrarien, prononçait à Paris une conférence d'un grand éclat. Après u n e fresque historique sur les effets funestes du libre-échange, il y exaltait la « bataille pour la production » engagée par le régime nazi, qui avait assuré « l'invulnérabihté de la Grande Allemagne au blocus » . Et il invitait l'agriculture française « qui pour le sol et le climat est largement mieux placée que l'agriculture allemande » , à appliquer les principes de celle-ci : '« abandon radical d e la culture extensive et organisation de son ravitaillement par son propre sol et par ses propres moyens » , grâce à un effort de mise en valeur Ces thèses furent reprises par un auteur du petit noyau parisien
4 0
.
qui
s'était rallié pleinement aux conceptions du vainqueur. Marcel Braibant, porteparole du parti agraire avant la guerre, avait défendu la cause paysanne dans plusieurs ouvrages d'un ton passionné. Après avoir approuvé un temps l'action du Front populaire, il avait publié pendant
d'hiver
1939-1940
une
anthologie d e la vie rurale où la censure avait coupé quelques pages particulièrement âpres sur « l'asservissement aux nouvelles féodalités »
4 1
. Devenu
membre du Groupe collaboration, il organisa pour la Caravane de la France 39.
L'Alsace
M . - J . BOPP,
sous
l'occupation
allemande,
1940-1945,
Le
Puy,
1945,
pp.
221-236. 40. en
41. et
Note
Europe, M
paijsan
tragédie
9
de
paysanne,
nationale,
1941,
BRAIBANT, français.
d'auteurs
l'Institut
juillet
Paysans
Une
1932,
de
Konjunkturforschung. p.
(Fonds
politique
27
préface
contemporains,
für 28
de G.
1940,
nouvelle.
D'abord
p.
MONNET,
239
p.
H.
Augé-Laribé, Essai
la terre!
Le
1937,
207
(édition
non
La
BACKE,
mission
de
l'agriculture
32).
sur
la politique
salut p.
par
Les
censurée
générale
les
paysans,
paysans à la
du
d'aujourd'hui.
réserve
Parti
1935, de
la
190
agraire p.
La
Anthologie Bibliothèque
France).
267
européenne une Exposition du progrès agricole fortement
orientée
: « Si
nous avions eu une politique étrangère conforme à notre destinée agricole, disait-il,
nous
aurions
construit
l'Europe
avec
l'Allemagne
et
évité
la
guerre » . Son choix extérieur s'insérait en effet dans une perspective agrarienne : l'Europe constituait « un marché de quatre cent millions d'habitants ouvert à l'agriculture française » , le progrès technique pouvait assurer un développement considérable des quantités disponibles et permettre de larges ventes ; l'industrie, activité seconde, en bénéficierait par voie d e conséquence. Il fallait
donc
« pour
réparer
nos
erreurs,
adopter
dès
à
une
présent
doctrine économique à base agricole et forger l'armature qui nous permettra d'entrer plus forts dans la paix, en participant activement à la constitution d e l'économie continentale qui s'imposera aux peuples européens » ;
4 2
.
Les responsables français tinrent tête. Augé-Laribé surtout, revenu
de
R o m e et chargé au Ministère d'un service d'études, rédigea plusieurs notes et un ouvrage pour répondre aux accusations de négligence et de médiocrité Il y contestait avec vigueur les appréciations
défavorables
sur le
4 3
.
niveau
atteint avant la guerre, « ce niveau si méprisé si injustement décrié qui était le sien il y a deux ans » . Il présentait d'autre part un plan de dix ans, mais en affirmant que les possibilités d'intensification, souhaitables, comportaient des limites : « Se laisser entraîner par l'optimisme, ce n'est pas se laisser emporter par le rêve » ; c e qui faisait maugréer Braibant : « Ce plan conduit réalité non pas à un progrès mais... à une véritable stagnation de production
agricole »
4 4
.
Et le patriotisme inspirait l'économiste
en
notre
quand
il
montrait le danger d'une orientation exclusivement agricole qui subordonnerait définitivement le pays à l'Allemagne industrialisée. Caziot lui-même, présent à la conférence de Backe, lui répondit, sur un ton courtois, mais ferme : « L'aide que l'agriculture française peut
appor-
ter à l'économie européenne est considérable ; mais il me paraît nécessaire de préciser ici quels sont les moyens à employer » . Il écarta « la l é g e n d e » répandue complaisamment sur l'abondance des terres incultes, rejeta l'insuffisance
de la production sur le manque de moyens et conclut, selon ses
convictions profondes, sui le rôle décisif des facteurs humains, « les culti-
vateurs français ne décevront ni la France ni l'Europe »
4 5
.
L e ministre protestait d'autre part énergiquement contre
d'inquiétantes
initiatives d'expropriation. Dans « la zone interdite » du Nord-Est, les autorités allemandes avaient confié les exploitations sans chef, parce q u e celui-ci était mobilisé ou évacué, à une société de colonisation créée d'abord
pour
l'Europe orientale, l'Ostland. Cette mesure provisoire fut consolidée en
1941
4 2 . M . B R A I B A N T , L'Europe, espace vital de l'agriculture française, 1 9 4 1 , 2 1 p . (citation p. 2 1 ) . La France paysanne et l'Europe, 1 9 4 1 , 6 3 p . La France, nation agricole, 1 9 4 3 , 1 5 1 p. (citation p . 1 7 ) . C a r a v a n e d e la F r a n c e européenne, Exposition du progrès agricole [1941], 9 2 p. ( B . N . 8" S 2 0 8 4 9 ) . 4 3 . M . A U G É - L A R I B É . conférence d u 3 octobre 1 9 4 1 à la foire d e L y o n (citations), notes d u 2 6 d é c e m b r e 1 9 4 1 et d u 1 3 février 1 9 4 2 (Fonds A u g é - L a r i b é 3 2 } . Situation de l'agriculture française 1930-1939, 1 9 4 1 , 2 9 4 p., 2 ' édition, 1 9 4 5 , 3 1 1 p. 4 4 . L'Illustration, 2 0 septemDre 1 9 4 1 . 4 5 . P. C A Z I O T , (Fonds A u g é - L a r i b é
268
L'agriculture 32).
française
dans
l'économie
européenne,
9
juillet
1941,
18
p.
sous le nouveau nom de Reichsland ou sous les initiales W . O . L .
(Wirts-
chaftsoberleitung) et, par des expulsions sous prétexte de mauvaise gestion, le domaine fut élargi à 170 000 hectares, provenant d e 15 000 exploitations, principalement dans le département des Ardennes. Des équipes nombreuses y travaillaient sous la conduite de chefs de culture allemands, avec
un
succès inégal : elles pratiquaient en particulier l'embouche du bétail pour le Reich et livraient peu au circuit français. Lors de la visite de Backe, le ministre obtint une promesse de restitution qu'Hitler ne ratifia pas : du moins l'extension s'arrêta-t-elle a l o r s . L'envoi en mai 1943 de techniciens alle4 6
mands auprès des cultivateurs rencontra de même une vive obstruction. L a propagande des collaborationnistes parisiens fit aussi quelques modestes tentatives
vers
les
campagnes.
Le
groupe
discrètement un journal techniquement vichyssoise,
Hibbelen Centre
payfran-
çais
de
la
national de
la
Terre
française.
« Révolution »
paysan »
nationale-socialiste . Mounier,
qu'avait
dénonçait
subie
la
équipe Au
47
Henri
collectivisation
la petite
du
acquit d'abord
san, avenue Montaigne, se rattachait avec impétuosité au fascisme
La
Mais
allemand
bien fait et d'orientation
P.P.F.,
le
particulièrement
paysannerie
« délégué la
menace
soviétique.
« L'en-
trée de la W e h r m a c h t , disait une autre brochure, a mis fin à son triste calvaire. Puissent les paysans des divers pays d'Europe le reconnaître et se rendre compte du sort dont ils ont été préservés, en toute dernière heure » Déat, qui accueillait les articles de Braibant dans L'Œuvre,
4 S
.
n'avait pas
abandonné son intérêt pour les problèmes ruraux, et, face à la réglementation, il se faisait volontiers l'écho des « doléances paysannes » en taisant évidemment les responsabilités de l'occupant : « La coercition, la contrainte, le contrôle sont en matière paysanne des pis-aller. L e seul contrôle efficace est celui que les paysans exercent sur eux-mêmes... Aucun gouvernement
n'a
jamais eu vraiment les paysans pour lui : c'est trop difficile. Mais la sagesse est de ne pas les avoir contre soi »
4 9
.
D ' u n e faible diffusion rurale, tous ces textes n'exercèrent fluence.
guère
d'in-
Cultivateurs c o m m e citadins savaient du reste l'ampleur des prélève-
ments allemands et toute propagande était annulée par cette ponction sur des disponibilités réduites qui représentait une véritable exploitation du pays conquis. Au Majestic, les services économiques du commandement militaire exigèrent bien au-delà des dispositions prévues par la Convention de L a H a y e , de lourdes livraisons, non seulement pour les troupes
d'occupation
mais aussi pour l'approvisionnement du Reich. Les Français marchandèrent avec l'humble âpreté du faible, c o m m e en témoignent dans les archives
46. sous
Notes
et
l'occupation,
155-156 47. mations 48 Editions 49.
et
documentaires,
française,
I,
83,
1957,
pp.
25
juin
1945.
271-272.
M.
P.
CAZIOT,
CÉPÈDE,
II'
La
vie
de
guerre
la
mondiale,
France pp.
182-186.
L'emprise paysannes, H
études éd.
allemande bulletin
MOUNIER
C.E.A., L'Œuvre,
La
sur
la
intérieur
paysannerie
pensée
française,
du
Centre
en
U.R.S.S.,
1947,
paysan
pp.
31-32
(B.D.I.C.
1943,
1 9 4 4 , 4 3 p. (B.N. 8° R 4 8 3 0 2 (5)). 1 0 m a i 1 9 4 3 . Cf. aussi 1 2 n o v e m b r e
32
p.
GFP
et_ x v m - x i x .
Infor-
3176).
Communisme
et
paysannerie*
1940.
269
d'émouvants procès-verbaux ronéotypés, sur un mauvais papier et avec une mauvaise encre : leur acharnement obtint en fait certaines atténuations. Ce fut Bonnafous qui vécut les années les plus difficiles. Faisant valoir la nécessité de « garantir les besoins vitaux de la population civile française » , il demanda
des accords
contreparties » .
amiables librement
Son interlocuteur,
débattus
le président
et comportant
Michel,
(qu'assistait
des pour
l'agriculture le docteur Reinhardt) exprima sèchement « son étonnement et sa vive déception » : « L'état de guerre oblige le Reich à notifier les i m p o sitions en donnant à la notification la forme de la contrainte. Il ne peut pas s'agir d'une opération librement débattue, c o m m e dans une é c o n o m i e
de
paix » . Laval consentit plus aisément certains accords de principe, sans e m p ê cher le ministre d'en retarder l'exécution Ainsi furent livrées d'importantes
5 0
.
quantités d e céréales et d e viandes,
alors que ces denrées manquaient particulièrement. L'occupant, grâce aux versements
des
« frais d'occupation »
achetait d'autre
part largement
au
marché noir notamment des vins. Dans l'hiver 1942-1943, il collectait directement le beurre fermier dans l'Ouest, et quand le printemps 1944 ramena les opérations, l'armée en campagne y ajouta ses réquisitions immédiates. A u total, les prélèvements furent d o n c extrêmement lourds
5 1
.
Les conditions de la collecte. Pour assurer l'approvisionnement d e la population à travers toutes ces difficultés un appareil administratif important était nécessaire. A
l'exemple
de la première guerre mondiale, on avait créé dès avril 1939 un Service d u ravitaillement général, confié à Brasart, haut fonctionnaire expérimenté, et à des intendants militaires. L e service s'étoffa rapidement, devenant un n o u veau département, lié nécessairement à l'Agriculture, quoique différente et de style plus improvisé Au
sommet,
l'organisation
5 2
d'orientation
.
comporta
plusieurs
formules
successives
:
Ministère séparé d'avril à juin 1940, secrétariat d'Etat remis à Jean Achard, le dirigeant des betteraviers, puis à Paul Charbin, un soyeux lyonnais, réunion des deux responsabilités sous L e R o y Ladurie et Bonnafous et, à nouveau, secrétariat d'Etat en avril 1944 pour Chasseigne, ancien d é p u t é « pupiste » (communiste
dissident).
Ces
fonctions
valaient
aisément
l'impopularité :
Achard « rapide, adroit, prompt à tirer parti des moindres possibilités » , mais parfois désinvolte, devint une cible préférée de la presse parisienne et fut écarté après un incident personnel
5 3
. Les moyens d'action pourtant dépen-
5 0 . Procès-verbaux des 16 décembre 1942, 25 mai et 8 septembre 1943 (Fonds A u g é - L a r i b é 3 2 ) . C A S A N O U E , « L e p i l l a g e a l l e m a n d des produits agricoles et des denrées aû^ mentaires e n F r a n c e sous l'occupation », Revue de l'intendance militaire, 2 " trimestre 1949 p p . 9 7 - 1 1 4 . M . B O N N A F O U S , La vie en Fronce sous l'occupation, é d . française, 1 9 5 7 , p p . 2 8 7 , 2 9 1 . 51.
M.
CÉPÈDE,
//'
guerre
5 2 . Sur l'organisation d u F r a n c e depuis 1 9 4 0 », R.E.P., 1 0 3 - 1 1 1 et 1 2 9 - 1 7 0 .
mondiale,
53. H . D U M O U L I N D E L A B A R T H È T E , G I L L O U I N , J'étais l'ami du Maréchal Pétain,
270
pp.
120-127,
156-160,
355-360.
ravitaillement général, A . H E I L B R U N N E R , 1947, pp. 1 6 4 4 - 1 6 8 2 . M . C É P È D E , W Le temps des illusions, 1966, pp. 1 6 4 - 1 6 5 .
« L e ravitaillement en guerre mondiale pp.
1946,
pp.
145-146.
R.
daient des autres administrations et, en outre, il fallait subir le contrôle des autorités allemandes d e plus en plus étroit. A u niveau d e l'exécution, un réseau d'une grande complexité fut établi, non sans tâtonnements. Tandis q u e subsistaient les Groupements
d'achat
créés en 1939, la mission d'élaborer des plans d'ensemble, articulés par produits, était remise à des Bureaux nationaux d e répartition q u e remplacèrent, en octobre 1 9 4 1 , les Comités centraux d e ravitaillement. C e furent des organismes interprofessionnels,
composés
d e producteurs, d e commerçants et
d'industriels, surveillés par des commissaires d u gouvernement. Pour les céréales o n conserva simplement l'Office d u b l é , transformé en Office
national
interprofessionnel des céréales (O.N.I.C.) : sa compétence fut élargie aux céréales secondaires et le pouvoir passa d u Conseil central à un Président n o m m é . Celui-ci fut Hallé, d e l'A.G.P.B., qui, en acquérant le contrôle, se ralliait ainsi à un mécanisme dont elle avait vivement contesté la création. E n amont du comité des sucres, le Groupement national interprofessionnel d e la production betteravière et des industries d e transformation d e la betterave (G.N.I.P.B.) prolongea d e m ê m e sous un nouveau nom l'accord d e marché conclu avant la guerre
5 4
. Pour le vin, les dispositions restrictives d u
Statut avaient été évidemment suspendues
5 5
.
T o u t e cette structure avait double visage. A u x citadins, le Ravitaillement général (ministère et directions départementales) assurait la répartition, et ceci
signifiait
aussi le rationnement,
qui visait à restreindre
sévèrement
la consommation, à des volumes différents selon les catégories. Les ruraux voyaient, eux, la collecte des denrées qui fut seulement rattachée temporairement entre mars 1942 et novembre 1943 au Secrétariat général à la production agricole. Les quantités prescrites furent subdivisées entre régions, par un C o m missaire aux ressources agricoles, puis entre départements et communes. A défaut d e contrats de culture volontaires, u n e loi d e février 1941 prévut des impositions, définies par un ordre d e production individuel. Chaque exploitant dut d o n c se soumettre à des plans qui l'obligèrent notamment à réintroduire les oléagineux métropolitains abandonnés c o m m e le colza, à livrer, sous peine d'amendes assez lourdes, des quantités déterminées des diverses denrées : jusques et y compris les pépins de raisin pour la récupération des matières grasses ! Les quantités produites en sus étaient même théoriquement « mises à la disposition du ravitaillement général » . Pour obtenir l'exécution de ces mesures le pouvoir fit des appels pressants à la b o n n e volonté des producteurs. « Paysans mes amis, disait le Maréchal dans son grand discours d e Pau, je vous fais confiance et je compte sur votre dévouement pour m'aider à relever la France et à la sauver d e la famine » . Il répétait, dans un moment dramatique, l'urgence des livraisons : « Vous aurez à cœur d'obtempérer à cette décision dans la plus stricte disci54.
P.
corporation 55.
HALLÉ,
P.
paysanne, C.K.
WARNER,
LANIER,
J.
1 9 4 3 , pp. Winegrowers,
ACHARD
et
P.
GARNIER,
CI L e s
grandes
productions » ,
La
173-251. pp.
159-162.
271 18
pline. Il s'agit d'une mesure de salut public. Je souhaite qu'il n'y ait point d e déserteurs parmi vous... Aidez-moi cette fois encore à assurer à tous les Français le pain quotidien »
5 6
.
On aurait pu aussi utiliser la politique des prix, ceux-ci étant fixés par l'Etat, selon un régime inauguré en septembre 1939 et codifié en octobre 1940.
Alors cependant q u e le coût d e la vie augmentait, les impositions
étaient payées au cours officiel, bloqué à un niveau trop faible et à peine accru de quelques primes. Les responsables voyaient bien la nécessité
de
relèvements, mais il ne purent surmonter qu'avec bien des retards les résistances de leurs collègues plus attentifs aux consommateurs et celles, plus tenaces encore, des occupants qui bénéficiaient des bas tarifs
5 7
. Ces incita-
tions ne pouvaient donc suffire, il fallut recourir à la contrainte. Un système d e contrôle et de répression des fraudes fut mis en place avec le droit d e perquisition ; toutefois son fonctionnement fut plus souple, et d o n c moins efficace, que dans les régimes pleinement totalitaires. Les résultats en effet demeurèrent très imparfaits, d'autant plus q u e la concurrence des prélèvements allemands faisait hésiter sur le sens du d e voir. U n e crise particulièrement grave survint, en avril 1942, quand il parut impossible d'assurer « la soudure du blé » : pour les trois mois à venir, on n e disposait que de 15 millions de quintaux alors qu'il en fallait 17,4 (dont 2,2 pour les impositions allemandes). L e R o y Ladurie, appuyé par Hallé, agit a v e c énergie et méthode : on provoqua l'exécution d e livraisons en retard, on récupéra en meunerie, on acheta en Suisse et la ration de pain put être ainsi maintenue. Mais, en désaccord avec le nouveau ministre, Hallé donna sa démission en janvier 1943, s'irritant de ne pouvoir appliquer la politique nette et ferme qu'il souhaitait . L e problème renaissait sans cesse en effet 5 8
et il devint tragique à l'été de 1944, avec la réduction extrême des disponibilités dans toutes les denrées
5 9
.
Il existait cependant, du producteur au consommateur, d'autres liaisons qu'on appelait « parallèles » . Des affairistes sans scrupules, spéculant sur la pénurie, pratiquaient le « marché noir » et fournissaient toutes les marchandises
cà qui
pouvait
payer.
Les
réussissaient souvent à s'assurer et les particuliers
faisaient
de
« collectivités » ,
administrations,
des approvisionnements même
par
des
« circuits
usines,
complémentaires familiaux »
qui
s'établirent d'abord par relations spontanées et q u e les autorités françaises eurent la sagesse d'encourager
: parents et amis expédiaient ainsi beurre,
volailles, pommes de terre, notamment d e Normandie vers Paris. Les cours d e c e « marché gris » , ou « marché amical » traduisant au fond la réalité é c o n o mique, se situaient entre ceux de la taxe et ceux du marché noir. courants étaient assez visibles pour qu'on ait p u en acquérir une 56. Français,
Ph. P E T A I N , 2 0 avril 1 9 4 1 é d . J. Isorni, 1 9 4 9 , p . 9 6
et 2 5 mars 1 9 4 2 , et p p . 1 2 9 - 1 3 0 .
Quatre
années
au
pouvoir.
Ces
bonne
Paroles
aux
5 7 . M . C É P È D E , 77" guerre mondiale, pp. 1 9 6 - 2 0 3 . 5 8 . Procès-verbal d u C o m i t é d e gestion d e l ' O . N . I . C , 2 5 avril 1 9 4 2 . Lettre d e démission d u président H a l l é , 1 6 janvier 1 9 4 3 (Fonds A u g é - L a r i b é 3 2 ) . 5 9 . F . C H A S S E I G N E , La vie de la France sous l'occupation, é d . française I 1957 on 292-298.
272
connaissance statistique et évaluer en moyenne « que les prix amicaux sont sensiblement le double des prix taxés, alors q u e les prix noirs vont d u triple au quadruple » . Selon une appréciation invérifiable, les quantités se seraient partagées en trois parts approximativement égales
6 0
.
Ces données économiques déterminèrent évidemment, sur le plan des mentalités, les rapports des villes et des campagnes. L'avantage capital des ruraux était de pouvoir manger à leur faim, la part d e l'autoconsommation s'accrut
et le Ravitaillement
général
reconnut
leur situation par l'octroi
d'une carte C , plus favorable. Si la vente des produits permit d e gagner des
sommes
croissantes
(amassées
dans
les « lessiveuses »
prétendait-on
en ville !) il n'était pas aisé de se procurer les fournitures ; les attributions des Groupements interprofessionnels
d e répartition des produits
indispen-
sables à l'agriculture (G.I.R.P.I.A.) ne pouvaient suffire, il fallait recourir au « marché noir » et aussi au troc des sociétés primitives. En outre les liquidités fondaient progressivement avec la dépréciation de la monnaie : aussi dut-on poser en septembre 1 9 4 3 le principe d u calcul du fermage d'après le cours des denrées, tandis q u e la valeur vénale de la terre, jugée un placement sûr, se multipliait par quatre. D'autre part les obligations d'impositions pesaient lourd et d e plus une modification fiscale élargit considérablement en 1 9 4 2 l'assiette d e l'impôt sur les bénéfices agricoles (le n o m b r e des assujettis passa d e 9 0 000 à un million). Tout cela suscitait d e très vives plaintes chez les cultivateurs tive, « si leur situation
financière
6 1
. E t pour l'économiste en défini-
s'est trouvée améliorée, c'est
davantage
parce qu'ils n'ont p u renouveler et entretenir leur matériel et leurs bâtiments, c'est-à-dire grâce aux dépenses qu'ils n'ont pas faites plutôt qu'aux superbénéfices
qu'ils auraient réalisés »
6 2
.
Les citadins ressentaient certes d e la jalousie : « Pendant longtemps, trop longtemps, disait une personnalité parisienne, le paysan a eu des conditions d'existence très dures. Il connaît à l'heure actuelle des jours d e prospérité. Est-ce trop réclamer à c e triomphateur qu'il se montre équitable et sensible à la détresse extrême des cités ? »
6 3
L a tension fut sans doute
pourtant moins âpre qu'en 1919. E n effet, malgré les tendances individualistes d u m o n d e rural, l'entraide avec les villes prit une réelle
ampleur,
grâce notamment aux efforts d e la J.A.C, c o m m e d e la Corporation
pay-
sanne, et elle resserra les liens personnels. L e sens de la solidarité nationale s'affirmait face à la domination 60.
M .
CÉPÈDE,
II'
guerre
mondiale,
étrangère. pp.
329-339
et
345-347.
6 1 . N o t e sur l'état d'esprit des agriculteurs en zone occupée d'après les rapports des directeurs des services agricoles, 1 2 août 1 9 4 1 (Fonds A u g é - L a r i b é 3 2 ) . 6 2 . M . C É P È D E , II' guerre mondiale, p . 3 4 7 . C f . J . K L A T Z M A N N , « L e revenu d e l'agriculture française » , Etudes et conjoncture, novembre 1 9 4 6 , p p . 1 5 - 1 0 5 . 63. p.
2 2 ) .
P . TAITTTNGER,
président
d u Conseil
municipal,
8 juin
1 9 4 3 ( B . N . 8 ° Lbl8
4003 (1),
III
L'ORGANISATION '
CORPORATIVE
Les circonstances dramatiques avaient ainsi conduit l'administration
à
une intervention sans précédent dans le jeu du marché. Mais l E t a t français affirmait d'autre part sa volonté de reconnaître à la profession large c o m p é t e n c e .
Ainsi fut créée, dans la ligne doctrinale
6 4
développée
depuis
dix ans, la
Corporation
paysanne,
chargé
qui
une s'était
« de
pro-
mouvoir et de gérer les intérêts communs des familles paysannes dans le domaine moral, social et économique » . C o m m e elle constitua en fait la principale
réalisation
de
cet
ordre
dans
histoire mérite une attention particulière
6 5
la
France
contemporaine,
son
.
L a Charte paysanne. Tout en ayant conscience des difficultés
liées aux pressions
du
vain-
queur et à l'absence des prisonniers, les corporatistes jugèrent le retournement politique de l'été 1940 particulièrement favorable pour la réussite d e leurs projets. Ils craignaient en outre que, devant l'urgence du ravitaillement, on ne crée « des espèces de corporations de produits qui
seraient
purement et simplement des instruments de l'Etat » . « Ce serait, estimait Salleron, pour nos organisations actuelles et pour l'avenir de nos libertés paysannes, une menace telle qu'il ne serait pas exagéré de dire q u e nous aurions par notre faute, manqué la réforme corporative » . Il fallait d o n c agir pour l'orienter. E t l'auteur concluait : « Nous disposons actuellement
de
toutes les chances pour rétablir le régime q u e nous réclamons et que nous préparons depuis des années mais... nous courons le risque de " r a t e r "
ce
régime si nous nous laissons aller à la facilité. Les générations futures
de
la paysannerie ne nous le pardonneraient pas » . D è s septembre, un
bref
projet, précédé d'une note doctrinale, fut remis au gouvernement : le syndicalisme se verrait reconnaître la prépondérance sur les organisations é c o nomiques, il obtiendrait l'adhésion obligatoire de leurs membres, désignerait dans leurs conseils d'administration les trois cinquièmes des membres et recevrait d'elles une dotation constitutive puis une part des bénéfices annuels
6 6
.
Un peu plus tard les fédérations du Sud-Ouest se réunirent à Toulouse sous l'impulsion de Chanterac, fortement « munichois » en 1938 et président national délégué, depuis le début de la guerre. « L'Union nationale des 6 4 . Sur la diffusion des thèses corporatistes à l ' é p o q u e , cf. par e x e m p l e H . D E N I S , La Corporation, 1 9 4 1 , 1 2 0 p . et M . B O U V I E R - A J A M , La doctrine corporative, 4' é d . , 1 9 4 3 , 3 8 9 p . 6 5 . L a source f o n d a m e n t a l e est le recueil d'études dirigé par L . S A L L E R O N , La Corporation paysanne, 1 9 4 3 , 3 4 7 p . Cf. aussi N D R O G A T , La Corporation paysanne, 1 9 4 2 , 6 4 p . et J . H O U R C A D E , L'organisation corporative de l'agriculture française, thèse droit, B o r d e a u x , 1943, 3 4 4 p. Historique vigoureux d e A . H I R S C H F E L D dans M . C É P È D E , II' guerre mondiale, pp. 7 2 - 9 4 et G . W R I G H T , Rural revolution, pp. 7 5 - 9 4 . 2"
6 6 . Important t é m o i g n a g e d e édition d'Un régime corporatif
274
L . S A L L E R O N , avec l e texte des projets successifs, pour l'agriculture, 1 9 4 3 , p p . 1 4 6 - 1 8 2 (citation p .
dans la 154).
syndicats agricoles, proclamèrent-elles, qui groupe sans dictinction de classes tous ceux qui vivent essentiellement de la terre est la véritable préfiguration de la corporation paysanne qu'ils désirent voir instaurer. Pour devenir la corporation il ne lui manque que les pouvoirs de réglementation nécessaires. Les paysans prient le chef de l'Etat de lui accorder ces pouvoirs »
6 7
.
S'il n'y eut pas de discussion publique, ce plan suscita des débats animés dans les milieux professionnels. La plus vive critique vint
d'Augé-
Laribé, consulté par Caziot. Son avis, « tout à fait défavorable » , critiquait essentiellement la mise à l'écart « d e l'administration centrale et extérieure, avec ses inspecteurs
régionaux, ses directeurs des services
agricoles, ses
professeurs de tous les degrés » ; « elle ne paraît conserver aucune place. T o u t est subordonné à la profession embrigadée et subventionnée » . « O n pourrait croire, disait-il au ministre, que l'on veut faire de vous un dictateur à l'Agriculture si l'on n'apercevait bientôt que, par le jeu des présentations et des Conseils, vous n'en seriez que le Roi fainéant... Qu'y a-t-il derrière tout c e projet ? La persuasion chez quelques jeunes gens que, s'ils tenaient le volant tout irait bien »
6 8
.
Pour leur part, les dirigeants des autres organisations s'inquiétèrent
de
savoir quelle place leur serait réservée. L'animateur de l'A.G.P.B., Hallé, bien placé c o m m e directeur du cabinet du ministre, défendit particulièrement les associations de produits. Des conversations
sortirent un
second
puis un troisième projet où s'étoffèrent progressivement les développements sur la coopération, la mutualité, le crédit, les Chambres d'agriculture, les groupes spécialisés. Ainsi fut établie une structure d'ensemble, alors que les corporatistes auraient préféré « l'établissement d'une relation organique entre les diverses institutions de la profession et le syndicalisme » : ils en attendaient une plus grande liberté d'action pour celui-ci, mais peut-être, concédait Salleron, l'Etat était-il « trop faible pour en supporter la souple vigueur » . Dès cette é p o q u e , et plus encore depuis lors, certains ont
soupçonné
l'influence des exemples allemands et italiens, l'écho, écrivait Augé-Laribé, « des préceptes rapportés de Goslar et de Rome » . En fait, nous l'avons vu, l'admiration dithyrambique pour les réalisations totalitaires était restée avant guerre limitée. Après la défaite si le pouvoir de Vichy consentit assurément au vainqueur de lourdes concessions, ce ne fut pas dans ce domaine. Les Allemands laissèrent faire, et donnèrent leur accord pour l'application à la zone o c c u p é e mais leur organisation agricole, le Reichsnährstand, soumettait b e a u c o u p plus étroitement les institutions à la tutelle de l'Etat : cette formule
fut
introduite
seulement
en
Alsace-Lorraine,
annexée
de
fait,
c o m m e en Belgique sous le nom de Corporation nationale pour l'agriculture et l'alimentation. Quant à la solution italienne des corporations par produits, la résolution de Toulouse l'écartait explicitement c o m m e « mauvaise » et ne 67.
L'Effort
68.
Lettre
Pouzm' de
notable
toujours,
paysan, du
28
proche
1948,
p.
9
novembre
septembre du
J.A.P.,
1940
1940. (Fonds
publiée
dans
Augé-Laribé Problèmes
17). agricoles
Cf.
aussi
d'un
la
temps
lettre
de
difficile
P. et
88.
275
correspondant « pas à la réalité des choses car les paysans sont des p r o d u c teurs des denrées les plus diverses : de plus de telles catégories
tendraient
à dissocier l'unité de l'âme paysanne, base indispensable de l'équilibre spirituel de la France » . Construction logique l'Union
nationale reprenait simplement
et systématique,
les thèses héritées
le projet de
de
l'école
de
L a Tour du Pin, mûries par Salleron, proclamées par le Congrès de Caen ; ses origines étaient bien nationales. Caziot appartenait à une génération antérieure, moins passionnée
que
celle des « j e u n e s g e n s » . Il hésita devant le titre de Corporation, il aurait préféré celui de Confédération nationale agricole unitaire : le Maréchal, qui examina le dossier de près, trancha en faveur des doctrinaires nistration en revanche imposa encore quelques atténuations de la prépondérance
.
6 9
L'admi-
derniers aménagements
syndicale, retranchement
ment parmi les compétences corporatives, suppression de
de
:
l'enseigne-
l'incompatibilité
d'abord prévue avec un mandat parlementaire... On fit vite et, dès le
2
décembre, le texte de la loi était promulgué : assez court, il posait surtout les principes. L e ministre le présenta dans un discours radiodiffusé marqué d'accents
corporatistes :
« Paysans
français !... vous
étiez
les
maîtres
de
votre terre, mais votre pouvoir s'arrêtait trop souvent aux limites d e votre exploitation. Vous aurez maintenant la maîtrise de votre profession et votre action pourra s'exercer sur un plan b e a u c o u p plus vaste dans une position d'égalité avec les autres professions. Ainsi disparaîtra le complexe rité que vous sentiez sans cesse et qui plaçait la profession dessous des autres »
7 0
d'infério-
agricole au-
.
La continuité dans les formes d'organisation était affirmée : « L e vernement, proclamait Caziot, en reprenant un texte d'origine
gou-
syndicale,
s'est bien gardé de bâtir un système entièrement nouveau à caractère théorique ; c'est en partant des éléments existants de l'expérience acquise depuis plus d'un demi-siècle que la loi a été conçue » . O n voulait seulement dresser « un cadre » dans lequel seraient « unifiées, réformées et intégrées les organisations actuelles, dont la masse confuse façon imparfaite
ne représentait
la paysannerie française » . Les
que
d'une
structures nouvelles
de-
vaient donc absorber et utiliser les éléments existants. Parmi eux, le syndicalisme voyait affirmer sa primauté avec vigueur : « L'organisation corporative est fondée sur le syndicat agricole local » (art. 2). Celui-ci, unique par circonscription, devait grouper « tous ceux qui vivent
de
la
terre :
ouvriers,
chefs
d'exploitation,
propriétaires-exploitants
ou non » et le ministre commentait dans la tradition de R o c q u i g n y et d e Duport, « certes, le propriétaire et le fermier, le patron et l'ouvrier ont des besoins qui, dans l'immédiat, semblent s'opposer, mais tous vivent de la terre, leurs intérêts communs en face des intérêts de la ville l'emportent de b e a u c o u p sur leurs intérêts respectifs » , toutefois on créa un peu plus tard
de
6 9 . P. C A Z I O T , dans La vie de la France sous l'occupation, 1940-1944, 1, 1 9 5 7 , p . 2 6 4 . 7 0 . Discours d u 1 4 d é c e m b r e 1 9 4 0 {Au service de la paysannerie, 1 9 4 1 , pp. 5 5 - 6 1 ) . Texte la Charte p a y s a n n e dans le J.O. du 7 décembre 1 9 4 0 , p p . 6 0 0 6 - 6 0 0 8 .
276
des « sections sociales » paritaires, afin d'associer plus réellement les salariés au mouvement. Si l'obligation d'adhérer n'était pas introduite en principe, on s'en approchait par la règle de l'article 9 : « l'adhésion aux divers organismes professionnels
agricoles
... implique
l'affiliation
à un
syndicat
corporatif
agricole » . Pratiquement tous les agriculteurs étaient ainsi reliés à la C o r p o ration. L e régime de 1884 était transformé sur deux traits esssentiels. D'une part, l'organisation reposait sur une hiérarchie autoritaire : un syndic dirigerait l'échelon local et relèverait étroitement d'un syndic régional, des c o n seils les assistant toutefois
aux deux niveaux. D'autre
part,
compétence
était attribuée aux syndicats locaux pour fixer par des commissions paritaires « le régime du travail, les conditions
juridiques
d'exploitation
du sol et
généralement tous les rapports professionnels » (art. 5), aux unions régionales d e m ê m e pour régler « toutes les conditions de la vie paysanne » , l'apprentissage, « la discipline générale et l'honneur d e la profession »
et
m ê m e , à certaines conditions, « les questions relatives à la production, à la vente, aux d é b o u c h é s , aux prix et d'une manière générale, à l'ensemble d e l'économie agricole » (art. 7). Là résidait certainement l'innovation
fonda-
mentale : la Corporation recevait un véritable pouvoir réglementaire, que la législation républicaine avait refusé aux professions. Les autres types d'organisation dans leurs rapports
étaient soumis, dans leur structure et
entre eux, au m ê m e souci de hiérarchie
et
d'unité.
« C'est parce que l'agriculture était trop souvent divisée qu'elle était faible » , disait
Caziot.
Les
associations
spécialisées
par
produit
devenaient
des
« groupes spécialisés » , la coopération, la mutualité et le crédit conservaient une certaine autonomie de gestion mais se voyaient imposer une refonte et une unification par branche d'activité et par circonscription, les Chambres d'agriculture étaient transformées en Chambres régionales limitées à l'action technique. Toutes ces institutions, à caractère économique, devaient être subordonnées
au syndicalisme, représentatif
du point de vue social,
chargé de fournir en tant que tel une part des dirigeants et d e veiller à la cohésion de l'ensemble. Bien des points pourtant demeuraient flous, surtout au niveau national. Il était certes prévu un Conseil national corporatif agricole et un Conseil permanent, mais en termes très généraux. Des commissaires du gouvernement représenteraient le pouvoir auprès de l'Union régionale et auprès du Conseil national : quelles seraient exactement leurs attributions ? Ces incertitudes tenaient d'abord à c e qu'aux yeux de Salleron l'échelon régional était le plus important c o m m e celui qui permettrait le mieux le développement de la compétence professionnelle dans son ordre. Elles
exprimaient
aussi les soucis de l'administration d'éviter la naissance d'une autorité nationale
concurrente. Et personne ne souhaitait engager
trop l'avenir,
dans
l'attente de dispositions générales sur une réforme de l'Etat dans le sens corporatiste.
277
Le fonctionnement de la Corporation. Pour la mise en place de l'organisation nouvelle, une période de transition
avait été prévue.
Le
ministre
nomma
une
Commission
nationale
d'organisation corporative, comprenant une trentaine d e membres, animée par un président et par des délégués généraux chargés de préparer et d e céer les institutions définitives (Salieron aurait préféré un délégué unique, « conformément aux principes de l'Etat nouveau » ) . Elle s'installa rue Scribe, dans l'immeuble des Chambres d'agriculture. Celles-ci n'acceptèrent pas de poursuivre une action limitée au domaine technique et disparurent en fait ; leur secrétaire
général
Luce
Prault,
ancien
adjoint
d'Augé-Laribé
à
la
C.N.A.A., reçut un poste dirigeant au ministère. Malgré la faveur d e l'idée provinciale à cette é p o q u e , les Unions régionales correspondirent
en général aux départements. O n réunit
seulement
le Finistère et les Côtes-du-Nord sous l'autorité de Landerneau, tandis qu'on scindait en deux le Calvados, l'Isère et la Haute-Loire pour des raisons de personnes. Certains liens furent maintenus entre départements voisins lorsqu'il existait des cadres
antérieurs puissants, aussi dans le Sud-Est.
En
novembre 1941 le ministre désigna, sur proposition de la Commission nationale, des délégués régionaux qui devaient contrôler le choix de 30 0 0 0 syndics locaux : sauf de rares exceptions ils approuvèrent en fait les noms désignés par l'élection et se virent pour la plupart confirmés à leur tour c o m m e syndics régionaux. L a Corporation paysanne garda d o n c à la base une vie démocratique, à la différence de ce qui se passait dans les autres secteurs institutionnels.
Syndics
régionaux
et locaux
furent
exploitants et ceci devint bientôt une règle explicite
presque 7 1
toujours
des
.
Les dirigeants vinrent des divers horizons politiques et, sauf pour les socialistes et les communistes, on fit sa part à c h a q u e tendance, selon les prépondérances de fait. L a présidence de la Commission nationale fut attrib u é e au comte de Guébriant et les hommes d e l'ancienne Union nationale y jouirent d'une forte influence : Salleron et Goussault devinrent ainsi délégués généraux. Mais on fit aussi largement place aux responsables des associations spécialisées et si on écarta les parlementaires du boulevard
Saint-Germain,
on appela les administrateurs de ses organisations à une participation qu'ils consentirent
généralement.
Dorgères,
délégué
général
à
la
propagande,
s'était rallié avec enthousiasme à la Révolution nationale. Rappelant un livre les « injustices et souffrances
d'avant
dans
guerre » , il accusait parti-
culièrement les spéculateurs « juiîs » et proposait d'établir des « fermes du Maréchal » sur les biens confisqués des Israélites. Il demandait surtout une politique économique favorable a la paysannerie : « Si les intérêts de l'industrie doivent être respectés, l'agriculture
doit demeurer
à la
première
place qu'on lui a quelquefois disputée, qu'elle est en train de reconquérir et qu'elle saura garder »
7 2
.
7 1 . Liste des membres d e la C o m m i s s i o n nationale BHOTJSSARD, Paysannerie et corporation, Lyon, 1 9 4 1 , pp. Les
278
7 2 . Révolution paysanne, 1 9 4 3 , 1 2 8 p. paysans et la politique, 1 9 5 9 , p. 1 6 0 .
Cf.
et des 57-67.
J.-M. ROYER,
délégués « De
régionaux
Dorgères
à
dans
B.
Poujade »,
Malgré ces ralliements, la Corporation paysanne devait se heurter à bien des difficultés.
L a première
concerna
la coordination
pratique
entre les
diverses institutions. D'une part, le syndicalisme comptait bien garder ses fonctions économiques, au moins sur le plan local. « La vie professionnelle, écrivait Salleron, sera d'autant plus intense dans le syndicat qu'elle sera plus étroitement liée aux conditions matérielles du travail paysan » . Et s'il recommandait aux syndicats d'éviter leur « alourdissement d u fait d e leurs fonctions économiques » , il rejetait explicitement toute « conception idéaliste » qui rappellerait le projet Ruau d e 1908, car la pure défense des intérêts généraux lui semblait une conception
trop abstraite pour réunir les agricul-
teurs, chefs d'entreprise à l'esprit concret et réaliste
7 3
.
E n revanche, les organismes de coopération, d e crédit et de mutualité continuaient leur activité selon leurs usages ; s'unifiant malgré certaines r é sistances mais se préoccupant p e u d e leur liaison avec le syndicalisme groupes
spécialisés
poursuivaient
de même
d u ravitaillement
leur
donnaient
. Les
leur vie marginale, sous un
délégué général propre, du Fretay, et Hallé toujours influent ces
7 4
même
un poids
7 5
. Les urgen-
particulier.
Leurs
responsables étaient étroitement associés à la direction des divers marchés, tandis q u e la Corporation se plaignait de n'être pas consultée sur le choix des représentants des producteurs dans les comités interprofessionnels. Pour la chasse, u n e loi d e 1941 avait créé tout à fait en marge un Conseil supérieur et des sociétés départementales qui ont subsisté depuis lors Des problèmes d e frontières surgirent avec les mouvements
7 6
.
familiaux
réunis en Comité national d e coordination puis investis d'une mission publiq u e par la loi Gounot de décembre 1942. Car la Corporation proclamait sa volonté d e rassembler les familles paysannes, non les individus. U n c o m promis intervint avec la création d'un Centre national de la famille rurale, largement autonome, qui continua après la Libération sous le nom d e Confédération nationale d e la famille rurale
7 7
. Ses animateurs furent des militants
du M . F . R . , qui voulaient limiter la Corporation au domaine purement p r o fessionnel. La J.A.C, voyait de m ê m e quelque concurrence dans les groupes de jeunes paysans suscités par Louis Leroy dans le cadre professionnel : un Comité d'entente fut établi
7 8
.
Mais la question essentielle fut assurément celle des rapports avec le Ministère. Pour Salleron, l'intervention, de l'Etat, « normale et souhaitable » , devait rester une tutelle souple. « Il nous faut simultanément, disait-il, cons73.
Syndicats
74.
A .
corporatifs
PATTER,
C.
paysans,
LAVAL,
P.
1 5 juillet TAHAN,
La
1 9 4 1 (L. SALLERON, Corporation
HIRSCHFELD, « L e m o u v e m e n t coopératif agricole sous seconde guerre mondiale, janvier 1 9 6 5 , p p . 6 3 - 8 4 . 75.
C.
DU FRETAY,
76.
M .
CÉPÈDE
et
La G.
Corporation WEILL,
paysanne,
L'agriculture,
78.
L. LEROY,
La terre
aux jeunes
paysans,
l'occupation » , Revue
1 9 4 3 , pp.
pp.
1 9 4 3 , pp.
127-135).
93-161.
d'histoire
A .
de la
162-172.
1 9 6 5 , p. 2 0 5 .
7 7 . n Q u e l q u e s devoirs des chrétiens envers l a rural, 1 9 4 1 , p p . 1 0 2 - 1 0 5 . P . P A S Q U E T , « L a famille sanne » , La Corporation paysanne, 1 9 4 3 , pp. 8 5 - 9 0 . t a m m e n t a u point d e v u e rural » , Droit familial, mouvement familial rural a vingt ans, 1 9 6 1 , p p . pp.
Naissance,
paysanne,
Corporation p a y s a n n e » , Cahiers du clergé dans ses rapports avec la corporation p a y L . S A L L E R O N , « F a m i l l e et profession, n o avril 1 9 4 4 , p p . 3 4 6 - 3 6 9 . A . FÉRON, Le 179-306.
1 9 4 2 , 1 2 6 p . Cahiers
du clergé
rural, 1 9 4 2 ,
69-72.
279
truire un Etat fort et une corporation forte. En
défendant
les
pouvoirs
corporatifs, ce sont aussi les pouvoirs d e l'Etat q u e nous défendons »
7 9
. Les
fonctionnaires au contraire, tenaient à leurs responsabilités et mettaient l'accent sur la suprématie de l'Etat : « Les démagogues sont dangereux pour la collectivité parce que, si on les suivait, ils aboutiraient à faire d e la c o r p o ration un Etat dans l'Etat... la corporation émancipera moralement les paysans dans la mesure où elle saura éloigner les discussions politiques, s'intégrer à l'Etat et ne pas se dresser contre les agents d'exécution d e son gouvernement. Toute autre politique mène à l'anarchie »
8 0
. Cette attitude fut adoptée dans
une large mesure par les ministres, m ê m e par L e R o y Ladurie. L e poids des circonstances jouait évidemment en faveur d e l'administration. L'urgence des besoins ne permettait pas de laisser trop de liberté aux producteurs de denrées alimentaires et un régime qui se voulait autoritaire tendait à restreindre toute autonomie. D'autre part, l'élan corporatif
était
trop récent et trop fragile pour compenser un siècle et demi de traditions napoléoniennes et soixante années d'habitudes qui donnaient aux organes d e l'Etat la direction d e la politique agricole. Enfin la réforme corporative qui devait s'étendre à toutes les professions s'arrêta pour bien des raisons dans l'industrie à la constitution des Comités d'organisation
et à la Charte
du
travail ; la Corporation paysanne demeura d o n c une réalisation isolée
et
placée quelque peu en porte à faux. Si l'organisation corporative fut mise en place, elle n'exerça d o n c pas les compétences publiques prévues par ses promoteurs. L'article 19 qui attribuait à la Commission provisoire la préparation
des règlements fut
mal
appliqué et les bureaux du Ministère continuèrent d'élaborer les textes, parfois sans consulter la Corporation. Celle-ci manquait en outre d'un
finance-
ment indépendant : elle vécut des subventions du b u d g e t b e a u c o u p
plus
que des cotisations syndicales, faibles et mal assurées, et q u e des contributions des organes économiques, dont l'appoint resta limité contrairement aux projets des corporatistes. La subordination s'accusa au long des incidents et des aménagements. Salleron s'était déjà indigné de voir choisir un parlementaire, Samuel
de
Lestapis, c o m m e délégué régional. En septembre 1941 il exprima p u b l i q u e ment sa déception d'ensemble : « U n e action tenace et sournoise tente d e priver la Corporation de ses pouvoirs et de ses libertés. Cette action sera déjouée. Nous ne permettrons pas que soit torpillée la loi du 2 d é c e m b r e 1940 » . Après cette incartade, le ministre, prétextant un mot prononcé en public sur le Maréchal, le releva de ses fonctions
8 1
malheureux . En fait, le
doctrinaire du mouvement retrouva bientôt un poste à la direction administrative de la Corporation, avec le titre de chargé de mission et il poursuivit son effort de réflexion. 7 9 . Cf. Syndicats corporatifs paysans, mentaire d e La Charte paysanne, 1943, 80. Marsan,
G . V Í A L A S (directeur 1 9 4 1 , pp. 6 0 - 6 2 .
8 1 . Syndicats mission nationale
280
des
1" 31
services
juillet 1 9 4 1 (Naissance, p. agricoles),
Pour
une
p.
2 3 1 } et l'important
France
corporatifs paysans, 2 1 janvier et 1 " septembre d'organisation corporative, 1" année, p . 8 3 1 .
1941.
corporative Bulletin
com-
Mont-dede
la
com-
« Nous devons
donc
chercher, répétait-il, à équilibrer une
protection
d e l'agriculture française et une protection économique
démographique
l'agriculture française, en équilibrant cette protection économiques d'un développement
avec les
de
nécessités
et bancaire » . E n d'autres termes,
industriel
« une politique d'Etat doit être et peut être une politique d e protection d e la vie et de la liberté de toutes les activités menacées par les concentrations géantes qui risquent de devenir aussi oppressives que l'Etat lui-même » . D'où la valeur de la communauté à cet égard, de « ces règles communautaires, merveilleuses de vivante souplesse et qui, suppléant au droit ou lui résistant, sauvent la terre pour les familles et les familles pour la terre, afin de conserver une base stable à la civilisation et à l'Etat »
8 2
. Après 1945, Salleron
orienta sa pensée vers une apologie de la propriété, d'une propriété assurément consciente de ses devoirs et plus largement diffusée. L'année 1942 vit s'affirmer plus fortement encore l'autorité de l'Etat. E n mars, le ministre prit personnellement la présidence de la Commission nationale et un directeur général remplaça les délégués généraux, tandis que s'accroissait le rôle des commissaires du gouvernement : par la force des choses et sous l'effet notamment d'un contrôle financier étroit, le style de la gestion devint plus bureaucratique. E n décembre le pouvoir supprima la Commission, en lui reprochant « la fragilité et le manque de vigueur d'une action c o r p o rative conduite selon des méthodes trop administratives par un organisme trop isolé de la vie des unions régionales » . Les membres répondirent par une déclaration où ils reprochaient aux bureaux une permanente « obstruction » et des « oppositions systématiques et tenaces » à leurs initiatives . 83
Là loi du 16 décembre réforma profondément la structure de l'échelon dirigeant. Elle précisa la composition du Conseil national corporatif, instance définitive, d e son Comité permanent et des organismes centraux (dont une Chambre syndicale, créée à côté des fédérations de la coopération, de la mutualité, du crédit et des groupes spécialisés). Elle institua aussi, selon une formule autoritaire, un syndic national, qui fut un grand exploitant d e la S o m m e , A d o l p h e Pointier, ancien président de l'A.G.P.B. et grand ami de Dorgères, n o m m é en 1936 au Conseil central d e l'Office du blé ; il avait presque aussitôt donné sa démission par protestation : « J'ai une ambition, disait-il, elle est immense... Je veux réaliser l'unité paysanne »
8 4
. Son adjoint,
Camille Laurens, du Cantal, avait participé, lui, au mouvement syndical d e l'Effort paysan.
82. culture 437
L. et
p.
(citation
83.
Les
sanne
de
à l'occasion
du
Centre France, de
1957,
de
et
115
le p.
travail,
1941,
(citation p .
185
p.
(citation
1 4 ) . Réflexions
sur
p.
82),
préface
le régime
à
à naître,
Agri1944,
159). de
la
leur
paysanne,
d'information
commission
et
de
Déclaration
démission,
2
l'organisation des
décembre
28
décembre
1942
de
documentation
corporative
membres
de
1942
(B.N.
la
(Fonds
4"
V
paysanne,
Commission Augé-Laribé
14
1942,
aux
Cahiers
p. pay-
L'achèvement
17).
3 1 4 ) . Commentaires
rurales, supplément
180
d'organisation
du
intéressants clergé
rural
1942.
Déclaration
84. thèque
terre
1943,
l'A.P.P.C.A.).
la Corporation
de
I,
p.
travaux
(Bibliothèque de
La
SAIXERON,
communauté,
au
l'A.P.P.C.A.), pp.
Conseil
national
témoignage
dans
corporatif La
vie
agricole, de
la
15-17
France
sous
septembre l'occupation
1943
(Biblio1940-1944,
275-280.
281
Cette réforme touchait évidemment le litige principal. L a
Corporation,
disait le Maréchal en termes équilibrés, « ne doit pas être une bureaucratie et un simple organisme consultatif, elle doit avoir des pouvoirs propres » En fait l'autorité du ministre fut consolidée pour la nomination des
8 5
.
diri-
geants, le contrôle financier et l'approbation des ordres du jour. Et Bonnafous l'affirma avec éclat : « O ù est d o n c la liberté du groupe, menacé par des groupes plus puissants, si l'Etat n'exerce pas au-dessus d e tous une haute et souveraine magistrature économique et sociale ?... Nul ne souhaite plus q u e moi votre collaboration... mais j'entends réserver à l'Etat q u e je représente le pouvoir de décision sur les principes généraux qu'il appartient à lui seul d'édicter et cela pour la sauvegarde m ê m e de notre édifice corporatif » . Sans rencontrer d'opposition explicite, ces déclarations suscitaient quelque tension dans les assemblées de syndics. A la Corporation, le ministre disait aussi : « Il faut qu'elle nous aide à assurer le ravitaillement du pays, il faut qu'à tous les échelons les syndics comprennent l'importance sacrée de leur rôle de ravitailleurs... La C o r p o ration doit être l'auxiliaire de l'administration qu'elle éclaire de ses conseils, qu'elle soutient de son influence »
8 6
. Cet infléchissement, entraîné par les
nécessités alimentaires, fut sans aucun doute ce qui nuisit le plus à l'entreprise
dans
général
du
l'opinion
Conseil,
réglementations en
cette
mands disait et
s'indignaient l'un
vateurs
d'eux, de
français
rejetait-il
Vainement « la
de
difficultés
des « a
Goussault,
responsabilité
et des abus auxquels
période
l'esprit
rurale.
donne
devenu
de
tout
de
ravitaillement »
« doléances
de
la
contribué
résistance
des
identifièrent
largement
masses
8 7
fatras
qui
.
Si
fleuri
les
Alle-
paysanne »
à
tension
créer 8 8
la
,
beaucoup
nouvelle
au
qui,
actuelle de
régime
de
a
Corporation
paysannes »
l'organisation
le
lieu l'étatisme
et
secrétaire
culti-
des
con-
traintes dues à la pénurie et ne virent dans les syndics q u e les répartiteurs des impositions, car celles-ci étaient établies d'après leur avis explicite. Il est remarquable en définitive qu'ils ne soient pas devenus plus i m p o p u laires. La vie syndicale ne prospéra donc vraiment que là où elle existait avant la guerre, en Bretagne ou dans le Sud-Est. Ailleurs cependant, les militants s e félicitèrent de « la fin des divisions politiques » et « d'un pluralisme contraire à l'efficacité » . C o m m e l'écrit un Angevin,
« en b e a u c o u p de
cas, tel le
nôtre, la Corporation paysanne fut la première manifestation d'une cratie professionnelle »
8 9
démo-
. Si cet ambitieux projet ne réalisa pas les vastes
espoirs de ses inspirateurs, il marqua du moins une étape décisive dans la réalisation de l'unité paysanne et dans la formation d e ses cadres. 8 5 . Discours à l ' A s s e m b l é e française, 6 février 1 9 4 3 .
générale
des
syndics
régionaux,
1 "
février
1 9 4 3 , La
8 6 . Discours d u 1 " février 1 9 4 3 (Deux discours à la Corporation paysanne, 1 - 4 3 ) et d u 1 5 septembre 1 9 4 3 (Conseil national corporatif agricole, Bibliothèque C.A.).
p.
87.
Conseil
88.
Dr
89.
E . FORGET,
1 0 8 8 .
282
national
REINHARDT,
corporatif 1 "
« Vingt
et ans
7
agricole,
1 5 - 1 7 septembre 1 9 4 3 ( B i b l i o t h è q u e d e
septembre de
1 9 4 3 (M.
CÉPÈDE,
syndicalisme agricole » ,
Revue
H' de
guerre l'action
terre
1 9 4 4 , pp. de l ' A . P . P . l'A.P.P.C.A.).
mondiale, populaire,
p.
93).
1 9 6 1 ,
IV
LA
LIBÉRATION
ET SES
LENDEMAINS
A v e c l'évolution générale de la guerre, l'opinion abandonna progressivement le régime de l'Etat français qui avait été d'abord largement approuvé et avec la Libération s'établit un nouveau pouvoir. Les problèmes agricoles ne jouèrent aucun rôle dans ces événements politiques mais ils en subirent les effets. Si l'urgence du ravitaillement demeura longtemps, les équipes dirigeantes furent totalement remplacées et l'extrême-gauche acquit alors une influence déterminante. Sa domination pourtant ne fut que temporaire et fut écartée après quelques années par une contre-offensive
des
corporatistes. L a Confédération générale d e l'agriculture (C.G.A.). Les intransigeants qui refusèrent l'Etat français le firent évidemment pour des raisons plus hautes que sa politique agricole. Mais celle-ci fut parfois attaquée explicitement. Dans son exil brésilien, Bernanos défendait, contre un certain mépris local, le travail de la terre (« pendant des siècles... le seul qui ne fût pas réputé servile » ) et le terme de paysan, « encore étroitement lié au m o t de noble ».. Il n'en ironisait pas moins amèrement : « M . le maréchal Pétain vient d'annoncer au m o n d e l'avènement d'une
France
agricole devenue le paisible potager de l'Europe totalitaire et chargée de ravitailler en légumes frais les ouvriers des gigantesques des » . Et il rejetait « la dictature agricole »
9 0
usines
alleman-
.
M a r c Bloch, réfugié dans la Creuse, lui faisait écho sans le savoir : « T o u t un parti qui tient aujourd'hui ou croit tenir les leviers de commande n'a jamais cessé de regretter l'antique docilité qu'il suppose innée aux peuples modestement paysans » . Et il dénonçait la sujétion à l'Allemagne qui serait
celle
« de
collectivités
purement
agricoles,
contraintes,
par
suite,
d'échanger, à des prix imposés, leurs blés ou leurs laitages, contres les p r o duits de sa grande industrie » . « On pourrait bien s'y tromper ajoutait l'historien des Caractères
originaux.
d'ailleurs,
C e n'est pas d'hier que nos
croquants ont, c o m m e disaient les vieux textes, " la nuque dure "... L e vrai travail des champs a plus de stoïcisme que de douceur et c'est surtout dans les églogues que le village demeure asile de p a i x » . « T o u t pourtant, dans cette apologie de la France rurale n'était pas faux, concédait-il enfin. Je crois fermement que l'avantage demeure grand pour un peuple encore à l'heure présente, de s'enraciner fortement dans le sol »
9 1
.
Dans les campagnes françaises, le patriotisme qui s'était incarné souvent 90. pp.
298, 91.
Janvier 29,
1943
et juillet
1940
(Le
Chemin
de
la croix
des
âmes,
éd.
française,
1948,
34).
L'étrange
défaite,
éd.
de
1946,
p.
166.
283
dans l'attachement au Maréchal prit, après 1942, la forme d'une
hostilité
plus résolue aux Allemands et conduisit bien des paysans à aider la Résistance. Les maquis n'auraient p u s'implanter et se développer sans complicités locales et sans ravitaillement, qu'il s'agît des Francs tireurs et partisans français du Limousin ou des groupes des Alpes, à l'encadrement militaire. Cette aide comportait des risques redoutables et la répression s'abattait avec b r u talité, c o m m e en témoignèrent les fermes brûlées du Vercors. Parmi les anciens militants agrariens de gauche, un mouvement de résistance se constitua dans le cadre professionnel et diffusa au début de 1944 Résistance
paysanne
; tout en rejetant « la sinistre corporation et son odieuse
bureaucratie » , on y recherchait « l'unité entière de tous les travailleurs de l'agriculture,... à l'exclusion
des
hobereaux,
des
propriétaires
tants, et, bien entendu, des affameurs et des traîtres »
9 2
non-exploi-
. L e principal ani-
mateur, Tanguy-Prigent dit Jacques L e Ru, avait été élu député socialiste du Finistère en 1936 à vingt-six ans. Fils d'un très petit fermier, il avait appartenu à la C.N.P. et avait suscité dans sa région une coopérative hostile au puissant Office de Landern eau.
Il s'assura par son courage une
grande
autorité dans la lutte clandestine et, sur la suggestion d'un comité relié au Conseil national de la résistance, ce fut lui que le général de Gaulle choisit en septembre 1944 c o m m e ministre de l'Agriculture, de préférence à A n d r é Dulin, dirigeant du « boulevard Saint-Germain » .qui avait parlé à la radio d e Londres puis d'Alger. Cette promotion n'avait guère de précédent : « L a rue de Varenne avait connu des agriculteurs : G o m o t , Georges M o n n e t et J. L e R o y Ladurie, mais jamais de paysan authentique »
9 3
. Il fut conseillé
pai une équipe ardente de spécialistes, tel Michel C é p è d e . Les communistes n'étaient pas moins actifs. Après le pacte
germano-
soviétique, Vazeilles et Parsal avaient quitté le parti à l'automne de 1939, tandis que Renaud Jean hésitait, tout en se refusant par discipline, à un désaveu public : ses camarades ne devaient jamais lui pardonner pleinement cette h é s i t a t i o n . 94
Quand reprit la propagande, elle ne négligea pas
les
campagnes. A u début de 1941, un tract dénonçait violemment « la taxation à sens unique » , les contraintes du ravitaillement et l'influence des notables dans la Corporation : « O n va partout exaltant que la France est un pays de petite propriété mais lorsqu'on désigne l'homme qui doit défendre
les
intérêts des familles paysannes, c'est un exploiteur de vrais paysans, c'est un capitaliste de la terre que l'on choisit... M . le comte Hervé Budes
de
Guébriant » . A u contraire on vantait l'exemple de l'U.R.S.S. : « L à où le vrai socialisme s'instaure avec les communistes au pouvoir, les paysans sont heureux et unanimes derrière le gouvernement élu d é m o c r a t i q u e m e n t » . « programme de sauvetage de l'agriculture française » par réformes
La
92. guerre rants
284
Résistance
mondiale, de
pensée
93.
La
94.
A.
pp. de
G.
janvier
1944
( B . N . Rés.
WRIGHT,
Rural
revolution,
la Résistance,
Libération Rossi,
paysanne, 95-98.
Les
paysanne, communistes
thèse, 21
Paris,
octobre français
1962,
pp.
G. pp.
1470 95-96.
339). H.
M .
CÉPÈDE,
MICHEL,
Les
524-526.
1944. pendant
la
drôle
de
guerre,
1951,
p.
Un
immé-
38.
11' cou-
diätes accompagnait le slogan « La terre aux paysans par l'expropriation des grands domaines » , car « il faut éviter les erreurs de plusieurs révolutions françaises —
1848, 1871 —
où les paysans marchèrent avec les réaction-
naires contre les révolutionnaires qui voulaient en finir avec l'exploitation capitaliste » 9 5 . Autour de la Confédération générale des paysans travailleurs, les communistes suscitèrent aussi leur organisation de masse, les Comités de défense et d'action paysanne surtout dans le Centre et le Sud-Ouest. A la Libération, la Corporation paysanne fut dissoute, par une ordonnance d'Alger
en juin puis par un nouveau texte le 12 octobre,
tandis
qu'étaient arrêtés Caziot, Pointier, Bonnafous, Guébriant et même L e R o y Ladurie : celui-ci avait pourtant combattu sous un pseudonyme dans un maquis du Loiret puis sur le front des Alpes. Tous les biens furent placés sous séquestre et la réorganisation professionnelle confiée à un Comité national d'action agricole n o m m é
9 6
. L e ministre et ses amis proclamaient en
effet leur volonté de maintenir l'unité paysanne, mais « effectivement dirigée par ceux qu'elle doit représenter » , par « des véritables ruraux » priétaires non-exploitants
9 7
: les pro-
seraient désormais tenus à l'écart.
L e premier noyau de cette structure nouvelle fut constitué par des militants socialistes, issus de la Confédération nationale paysanne, de la C.G.A. clandestine ou du syndicat de techniciens agricoles constitué en 1936. Ces derniers, tel Anthelme Lyonnet, permanent de coopérative, jouèrent alors un rôle capital. On y trouvait aussi quelques radicaux éliminés par la Corporation, c o m m e
le secrétaire
général
du
« boulevard
Saint-Germain
»,
Vimeux. Des négociations délicates furent engagées avec les communistes : ceux-ci hésitèrent puis décidèrent en octobre l'adhésion de leurs
Comités
de défense et d'action paysanne. Ils espéraient gagner ainsi le contrôle du mouvement, ils n'y parvinrent en fait que dans quelques régions. Parallèlement, ils développaient leurs cellules rurales (12 000 en 1946). Cette prépondérance de l'extrême-gauche donnait à la C.G.A. un aspect partisan qui heurtait profondément les milieux catholiques
9 8
. C o m m e ceux-ci
avaient gardé une grande influence dans la paysannerie et que les syndicats indépendants tentaient de se reconstituer, le bureau provisoire sentit la n é cessité de s'élargir. A u Congrès d'unité paysanne, tenu avec éclat à l'Hôtel de Ville de Paris en mars 1945, un dirigeant du « Sud-Est » , Genevrey (Ain) fut n o m m é vice-président et deux autres anciens syndics régionaux de la Corporation, Mangeart (Marne) et Brousse (Meuse) furent admis dans la commission nationale provisoire. Sur le plan des organisations, crédit, c o o pération et mutualité devaient se fédérer avec le syndicalisme, articulé par catégories, pour assurer la représentation unitaire de l'agriculture : les as95.
Paysan
paysan
doit
pillons.
Quatre
op.
cit.,
pp.
de
lire
France,
années
de
(photocopie
1 6 ° Lb58 6 7 0 ) . A .
politique
Rossi,
communiste
B.N. Sous
(1940-1944),
16*
Lb58
8 0 7 ) . Ce
l'occupation. 1 9 5 4 , pp.
I . La
que
chaque
guerre
156-158.
H.
des
pa-
MICHEL,
698-703.
96.
Composition
97.'
TANGUY-PRIGENT,
98!
Mon
pluralité
redresse-toi!
( B . N . Rés.
village,
syndicale,
de
la
commission
déclaration
janvier
1945, 1 6
provisoire,
du
1 9 4 5 . J.
10
J.O.,
septembre
SERVE,
Le
2 1
octobre
1 9 4 4 , p.
1 9 4 4 (B.N. 16° R
syndicalisme
agricole.
1 036. 5 0 8 (3)).
Unité
paysanne
et
p.
285
sociations spécialisées étaient reconnues mais invitées à s'intégrer dans
les
syndicats d'exploitants " . Les
problèmes
économiques
cependant
demeuraient
difficiles
1 0
°.
Au
premier rang, celui du ravitaillement que la Libération n'avait pas suffi à résoudre. L a mise en défense du « mur de l'Atlantique » avait retiré à la production des sols fertiles puis les opérations militaires d e
1944
avaient
entraîné des dévastations en Normandie. Les transports intérieurs
surtout
connaissaient une situation tragique : la destruction des gares, la coupure des ponts, la pénurie de matériel paralysaient l'acheminement des
denrées
alimentaires. Les relations maritimes avaient été rétablies mais les navires étaient d'abord employés pour l'effort de guerre et, après mai 1945, c e f u rent les devises qui manquèrent pour payer les achats à l'étranger. E n o u tre, si les prisonniers allemands fournirent une main-d'œuvre appréciée, les conditions météorologiques furent particulièrement défavorables en 1 9 4 5 et 1947 : pour la première de ces années, l'indice de la production à
s'abaissa
60101.
L e rationnement, un peu amélioré, demeura d o n c rigoureux et les responsables subirent de dures critiques, dont n'était pas exempte une certaine démagogie. L e général d e Gaulle avait d'abord confié c e portefeuille
diffi-
cile à Paul Ramacher, qu'il a dépeint « le moins ménagé par les critiques et les caricatures... opposant au flot des brocards sa rocailleuse solidité, mais sensible à leur injustice » . Il fut remplacé en mai 1945 par Christian Pineau, « pour que ce ne soient pas toujours les mêmes qui servent de cible »
1 0 2
,
puis, après un bref rattachement à l'Agriculture, la direction des services fut remise en 1946 successivement à une personnalité scientifique,
Long-
c h a m b o n , et à un ancien journaliste proche des communistes : Yves Farge. Malgré une mauvaise récolte en 1945, la carte de pain avait été supprimée à l'approche des élections de novembre, il fallut la rétablir après deux mois et la maintenir jusqu'en 1948. Cette persistance de la pénurie, qui se prolongea quelques années, e n traîna évidemment le prolongement de la hausse des prix. Une
expérience
Farge de « double secteur » pour la viande échoua rapidement et les efforts pour contrôler les cours du vin ne furent pas plus heureux. Les producteurs, toujours nombreux et remuants, firent vite abandonner la mise en réserve d'un « pécule viticole » qu'on voulait leur imposer pour financer la reconstitution des vignes, ils obtinrent m ê m e , dès 1946, l'octroi d'un large secteur « libre à la vente »
1 0 3
. Les agriculteurs possédaient ainsi des liquidités, e n -
c o r e fallait-il pouvoir les employer : or les fournitures de l'industrie d e m e u raient toujours 99. paysanne
Libération (B.N.
paysanne.
16°
IP
aussi insuffisantes. Dans le Bas-Languedoc
R
CONFÉDÉRATION
874).
guerre
R.
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MASFÉTIOL,
M.
CÉPÈDE,
du
1 0 0 . M . C É P È D E , IP guerre mondiale, Gouvernement provisoire, D . E . S . Nancy,
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108. 1959,
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et
Congrès
1946,
261.
pp.
pp.
un
d'unité 549-556.
98-105.
politique
agricole
syndicalisme ouvrier organisé et combattif profita d e cette conjoncture f a vorable pour obtenir des hausses d e salaire. Pour faire face à ces urgences, mais aussi dans une perspective à plus long terme, l'équipe de la C.G.A. orienta essentiellement son action vers le développement d e la production. Elle refusait l'archaïsme d e l'économie d e subsistance et appelait à l'intensification par le progrès technique et par l'emploi d e capitaux abondants. D è s sa prise d e fonctions, Tanguy-Prigent avait ainsi déclaré : « Il va falloir savoir dépenser, aussi bien dans la ferme q u e dans l'Etat » ; et à ces conditions, il invitait à abandonner « vis-à-vis des agriculteurs étrangers cette attitude d e méfiance hargneuse q u e nous avions officiellement
depuis cinquante ans environ »
1 0 4
. Cette
orientation
productiviste animait également les réflexions indépendantes d u biologiste Auguste Chevalier c o m m e celles de l'exploitant Artaud qui, relié au groupe du P. L e Bret, E c o n o m i e et humanisme, osait affirmer : « C'est dans le progrès qu'est la fidélité à la terre » . Elle inspirait surtout l'important agricole
d e René D u m o n t qui confrontait avec vigueur données é c o -
français
nomiques
Problème
et possibilités
techniques,
puis proposait
les orientations d'un
« planisme n o n malthusien » Un effort systématique fut d o n c entrepris pour l'équipement d e l'agriculture. U n programme avait été élaboré au Ministère, il fut repris pour l'essentiel par le plan Monnet. Soucieux avant tout d e fournir l'énergie et d e restaurer les transports, les auteurs d e celui-ci avaient d'abord l'agriculture, mais sous l'influence modernisation
admirent
négligé
d e René D u m o n t , les commissions de
en définitive
le machinisme
agricole
c o m m e un
« investissement de base » dont le retard devait être rattrapé par priorité et dont le financement fut sérieusement étudié : d e 30 000 on voulait porter le n o m b r e des tracteurs en 1950 à 200 000 (il y en eut en fait 136 000) 106. Les moyens
financiers
cependant étaient terriblement limités et Tanguy-
Prigent fut mal soutenu par son parti, plus attentif aux consommateurs urbains qu'aux producteurs ruraux. O n affirma aussi la nécessité fondamentale d e l'équipement
intellectuel, mais hors d e quelques adaptations la seule
réalisation en c e domaine fut la réorganisation d e l'Institut national de la recherche agronomique. Pour accélérer le reboisement, on créa d'autre part le Fonds forestier national. L a politique foncière était envisagée dans cette perspective économiste, et aussi dans celle d'un climat social généreux, sinon révolutionnaire. Une action décisive semblait nécessaire, sans l'accent conservateur d e Vichy. Elle en reprit toutefois certaines dispositions, ainsi dans le Statut du fermage et du métayage qui, confirmant l'indemnité de plus-value et le calcul indexé 1 0 4 . D é c l a r a t i o n d u 1 0 septembre 1 9 4 4 (La rénovation paysanne) et discours d e M o n t r o u g e , 2 5 janvier 1 9 4 5 (Démocratie à la terre), B . N . 1 6 ° R 5 0 8 ( 3 ) et ( 8 ) . 1 0 5 . M . A R T A U D , « L e métier d'agriculteur » , Economie et humanisme, mars-avril 1 9 4 4 , 2
e
éd.,
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culture. 1040,
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problème 106. M .
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Bulletin décembre
européen
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IF
en
agriculture,
l'agriculture
française » ,
1947, pp. 90-95. guerre
mondiale,
1946,
Notes
et
360
p.
R.
Alimentation études
DUMONT,
et
agri-
documentaires,
pp. 4 5 4 - 4 9 6 .
287
19
des loyers définit un droit de préemption p o u r le fermier et consolida les tribunaux paritaires ébauchés en 1943
1 0 7
. Les droits des salariés furent c o n -
solidés et élargis, jusqu'à la limitation annuelle de la durée du travail à 2 4 0 0 heures. L e régime de la terre fut également mis en question : le Parti socialiste proposa la création d'un Office national foncier qui recevrait la propriété des biens confisqués aux dirigeants de la Corporation puis celle d e tous les domaines mis en vente et qui les louerait selon les meilleures conditions techniques, tantôt à des fermes familiales tantôt à des coopératives de travail plus vastes
1 0 8
. Si rien ne fut réalisé en fait, le projet suscita quelque bruit, d'autant
qu'un article très remarqué contestait en m ê m e temps la prédominance c o u ramment admise de la petite exploitation en France
1 0 9
. A u point de vue
culturel enfin, les instituteurs créaient alors les foyers ruraux. Pendant quelques années, et plus profondément qu'en 1936, les forces de gauche parurent d o n c diriger les campagnes. A v e c le recul du temps, certaines vues des responsables semblent aujourd'hui prophétiques et c'est de la Libération qu'il faut dater l'élan réformiste nouveau dans l'agriculture française. Mais cette équipe ne réussit pas à vaincre le décalage entre les conceptions des techniciens et la mentalité concrète des masses rurales. Cet insuccès tint d'abord à quelque intellectualisme et à quelque bureaucratisme, qui firent sous-estimer les difficultés psychologiques et négliger les liaisons humaines. Il fut aggravé par l'effet d'une orientation politique jugée
trop
partisane, malgré ses efforts d'ouverture. Aussi n'a-t-on sans doute pas rendu pleine justice à ces combattants, dont l'engagement résolu mêlait étroitement la rénovation de la production et le contrôle du pouvoir. L e retour des évincés. Les campagnes françaises étaient loin en effet d'être acquises au socialisme, c o m m e le montrèrent les élections de 1945-1946. Certes socialistes et communistes obtinrent alors des résultats favorables dans les régions rurales de tradition ultrarépublicaine et anticléricale. Au référendum de mai 1946,
les « oui » l'emportèrent ainsi dans la frange de la Nièvre à la D o r -
d o g n e , sur tout le pourtour de la Méditerranée, dans les Landes, dans l'Aube... L'extrême-gauche y prolongeait généralement les Montagnards de 1849, les radicaux de 1885, le Cartel de 1924. D e fortes résistances
s'affirmaient
cependant. N o n seulement l'opposition tenait les bastions de l'Ouest,
du
Centre-Sud et de l'Est, mais le Bassin parisien, à l'agriculture capitaliste, et une partie du Sud-Ouest se montraient réfractaires
1 1 0
: le
républicanisme
politique s'y arrêtait au seuil de la Révolution. 1 0 7 . O . B A J E U X , Vers la propriété culturale. thèse droit, Lille, 1 9 4 5 , 4 5 8 p . P . O U B Ì I A C et la législation récente, 1 9 4 7 , 1 9 8 - x x v m p. 1 0 8 . M. Family farm
ACKERMANN,
109. E . WEILL-RAYNAL, « La répartition des terres en France : légende Etudes et conjoncture, 9 , 1 9 4 8 , pp. 6 1 - 7 6 . F. H O U I L L I E R , « L a répartition des agricoles », A . P . , 1 9 4 9 , p p . 3 4 3 - 3 4 7 .
et réalité », exploitations
288
F.
GOGUEL,
Géographie,
pp.
in
F r a n c e »,
88-105.
dans
Atlas
U,
Marshall
cartes
HARRIS
et son évolution, et métayage dans Joe
110.
C É P È D E , « F a m i l y farm policy, Chicago, 1 9 4 7 .
Le problème du fermage M . D E J U G L A R T , Fermage
226-239,
et
256, 260.
L e M o u v e m e n t républicain populaire, troisième élément d u bipartisme, se montrait fermement attaché au principe d e la propriété. Il trouvait beauc o u p d'électeurs dans les villages et comptait un certain nombre de jeunes députés paysans, formés par la J.A.C. : aucun d'eux cependant ne fut associé à la direction d u parti. La droite classique, fortement réduite par rapport à l'avant-guerre, gardait quelques positions dans l'Est et dans le Massif Central : un d e ses principaux noyaux fut le groupe du Parti agraire, et formé surtout d e notables
m
« paysan » , héritier
. Si celui qui le restaura,
le greffier Paul Antier, n'avait pas d e passé vichyssois, son second Camille Laurens avait o c c u p é des responsabilités importantes dans la Corporation et reçu à c e titre la décoration d e la francisque ; son élection fut invalidée par la première Constituante après un âpre débat. « Les paysans, avait-il plaidé vainement, devaient-ils demeurer sans défenseurs, dans cette période où leurs familles et leurs intérêts étaient si gravement menacés ? »
1 1 2
, il prit
sa revanche au scrutin suivant. Les radicaux avaient alors perdu b e a u c o u p d'influence, ils la retrouvèrent peu à p e u et l'employèrent aussi dans le sens de la conversation sociale : ils défendaient l'exploitation familiale pour sa valeur à cet égard, « m ê m e en admettant démontrer l'infériorité économique o u technique »
1 1 3
.
Ces diverses tendances, malgré tout c e qui les opposait, s'unissaient pour dénoncer la menace marxiste sur l'agriculture. O n s'en prenait d'abord évidemment
au communisme
en développant
l'histoire d e la collectivisation
soviétique et en exorcisant « le chant des sirènes »
1 1 4
. Mais on contestait
aussi les orientations plus modérées d u soeialisme et sa critique économique d e la petite exploitation familiale : certains reprenaient l'éloge d e « nos agriculteurs, d e leur vie dure et âpre » , d e leur « intelligence naturelle des réa^ lités » H 5
o
u
répétaient : « L e problème
agricole ne doit pas devenir l e
problème du produit mais rester celui d u producteur »
1 1 6
. On dénonçait
enfin, malgré l'attachement passé des corporatistes à l'unité, une volonté de m o n o p o l e d u côté d e la C.G.A. et un accaparement d e sa direction p a r l'équipe fondatrice
1 1 7
.
L e vent tourna au début de 1946 quand furent organisées des élections pour la formation définitive des fédérations d e syndicats d'exploitants. T o u s les cultivateurs y furent appelés, adhérents ou non. Dans la plupart des d é partements, ils donnèrent la majorité aux anciens d e la Corporation, dont quelques-uns avaient rallié le M.R.P., mais qui se situaient
généralement
plus à droite : il existait bien u n e inéligibilité syndicale, mais limitée aux plus hauts responsables. L'orientation prédominante s'affirma 111. 112. 113.
114. LADURIE,
de
avec
netteté
L'Unité paysanne. G . W R I G H T , Rural revolution, pp. 1 1 6 - 1 1 9 . J.O. Assemblée nationale constituante, débats d u 2 0 d é c e m b r e 1 9 4 5 , p p . 2 5 8 - 2 6 7 . M . A S T I E R , Rapport sur la politique agricole, décembre 1 9 4 4 ( B . N . 8 ° Lb59 1 0 8 ( 2 ) ) . A . A N C E L , Le communisme et les paysans, Lyon, 1 9 4 6 , 9 4 p. G . M O N N E T , J. L E R O Y M .
ROCLORE,
Le
communisme
1 1 5 . P . M A Y N A R D , La campagne la Libération, 1 9 4 6 ( B . N . 8' Lb59 116.
Epigramme
117.
André
de R . C E R C L E R ,
COLIN,
J.O. Assemblée
et
les
paysans,
orchestrée
contre
1 9 5 0 , 3 1
p.
l'agriculture
française
au
lendemain
521)..
Froblèmes consvltative
agricoles, provisoire,
1948, 2 4 0 débats
p.
d u 1 4 mars
1945,
pp.
475-476.
289
au premier congrès national, réuni en mars au m o m e n t m ê m e o ù u n e loi renouvelait plus explicitement la déclaration d e la liberté syndicale, esquissée par une ordonnance d e juin 1 9 4 5 . Si la présidence revint à un militant M.R.P. du Maine-et-Loire, Eugène Forget, la personnalité dirigeante fut le secrétaire général René Blondelle, gros exploitant, naguère syndic régional de
l'Aisne, et président
à partir de 1 9 5 0 . Il fit de la F.N.S.E.A. u n e
force politiquement puissante, quoique ses effectifs
aient diminué p a r la
désaffection des adhérents « d e gauche » (de 1 183 856 en 1 9 4 6 à 7 4 2 201 en 1950). Elle se montra aussi d e plus en plus indépendante d e la C.G.A. qui privée d e troupes, ne compta plus guère à partir d e 1 9 4 8 , malgré le prestige de son brillant secrétaire général, Philippe Lamour, avocat devenu propriétaire de vignobles dans le M i d i A la F.N.S.E.A.
1 1 8
.
se rattachèrent, c o m m e sections autonomes, les asso-
ciations spécialisées reconstituées à la m ê m e é p o q u e
: A.G.P.B.
présidée
par Jean Deleau, C.G.B, animée par Henri Cayre, C.G.V. guidée par J . M . Benêt. Les dirigeants des fédérations départementales appartenant au d o maine d e l'agriculture capitaliste y acquirent
la prépondérance
et, dans
une large mesure, donnèrent le ton à l'ensemble d u syndicalisme (la C o n fédération nationale d e l'élevage sera toujours b e a u c o u p plus faible). U n e a u tre section, à définition sociale, réunit les « preneurs d e baux ruraux » , fermiers et métayers : suscitée par les communistes dans une perspective d e lutte, elle fut presque aussitôt reprise en mains par des éléments plus conservateurs. Les propriétaires non-exploitants avaient été exclus d u syndicalisme par l'ordonnance de 1944. Ils fondèrent rue d'Athènes dès d é c e m b r e 1 9 4 5 une Fédération nationale d e la propriété agricole qui acquit une influence non négligeable. Contre « l'imposture d u marxisme » son président François Robin proclamait : « L a forme la plus parfaite d u progrès technique agricole s'appelle aujourd'hui l'héritage »
1 1 9
. D e nombreuses procédures furent e n -
gagées et dans les faits, l'interprétation judiciaire d u Statut d u fermage en infléchit sensiblement l'orientation au profit des bailleurs participa aussi à la campagne
d u référendum
1 2 0
. L a Fédération
sur le premier projet d e
Constitution et contribua à son rejet par la vigueur d e sa propagande
1 2 1
.
Pour les organisations économiques, des ordonnances d e 1 9 4 5 avaient codifié les règles juridiques, enlevant notamment aux syndicats
(aboutisse-
ment d'un long débat) le droit d'effectuer directement des opérations c o m merciales. L e s lendemains d e la Libération virent la restauration rapide d u « boulevard Saint-Germain » sous le n o m d e Confédération nationale d e la mutualité, 118.
39
d e la coopération
CONFÉDÉRATION
GÉNÉRALE
5 3 8 et 3 9 5 3 9 ) , E . F O R G E T ,
populaire,
1 9 6 1 , pp.
des
L'AGRIGULTURE,
nationale
agricole Rapports
ans d e syndicalisme
WRIGHT,
Rural
des sciences
et
documents
agricole » ,
revolution,
politiques,
(C.N.M.C.C.A.).
pp.
Etudes
121.
FÉDÉRATION
dans
NATIONALE
la Constitution,
DE
LA
PROPRIÉTÉ
AGRI GOLE,
1 9 4 6 , 8 4 p . ( B . N . 1 6 ° Lb59 1 6 7 ) .
(B.D.I.C.
Revue
102-109.
Y .
syndicales,
1 2 0 . R . S A V A T I E R , a L'expérience d e la législation n o u v e l l e des b a u x Facultés de droit. Rennes 1956, p p . 4 6 - 5 8 .
propriété
290
DE
« Vingt
1 087-1 0 9 9 . G.
ha F.N.S.E.A., Fondation Atlas U, carte 2 6 8 . 119. A.P., m a i 1 9 4 9
et du crédit
de
0
l'action
TAVERNIER,
1 9 6 5 , 1 3 0 p.
ruraux » , 4'
V'agriculture
Si
et
le
colloque droit
de
l'ancien
secrétaire
général
Vimeux
avait
participé,
nous
l'avons
vu, à
1 oeuvre de la C.G.A., la mentalité d e la plupart s'était rapprochée d e l'agrarisme traditionnel par rapport à l'avant-guerre et ceci facilita certaines ententes
1 2 2
. L'unité réalisée sous le régime d e la Corporation paysanne fut
conservée pour la Mutualité, qu'il s'agît de la Mutualité « 1900 » consacrée aux risques matériels o u d e la Mutualité sociale maintenue pai la réforme -
de 1945 en marge d u régime général : l'unification fut ainsi un des résultats les plus durables de l'action corporatiste. En c e qui concerne le crédit, les caisses « libres » s'unirent en 1946 dans une Fédération centrale du crédit agricole mutuel, mais le réseau « officiel » consolida sa cohésion et sa puissance. Seule la coopération se partagea en deux forces comparables : la f é dération nationale affiliée à la C.N.M.C.C.A. des coopératives agricoles
(C.G.C.A.) fondée
et la Confédération
générale
« rue L a Fayette » par des
dirigeants plus à droite. Les responsables politiques changèrent également à cette époque. Après trois ans d e présence rue de Varenne, Tanguy-Prigent fut écarté en octobre 1947. U n bref passage d e Roclore, médecin modéré, précéda la nomination de Pflimlin, q u i conserva le Ministère près d e quatre ans. Il y trouva sa première grande fonction, s'imposant par sa compétence économique et par son énergie d e caractère. Conscient d e l'importance primordiale q u e représentait pour l'équilibre global la reconstitution du potentiel alimentaire, il voulait considérer les problèmes agricoles dans une perspective d'ensemble. En désaccord avec ses collègues sur le prix de la betterave et jugeant m e nacée la politique de garantie d e prix indispensable à l'essor de la production, il donna sa démission et resta quelques mois à l'écart, jusqu'au remaniement suivant. Si la situation financière imposa alors des restrictions budgétaires, si d'autre part le « prélèvement Mayer » de janvier 1948 fut vivement ressenti dans les campagnes, Pflimlin développa avec des moyens a c crus l'orientation
productiviste d e Tanguy-Prigent. Toute l'agriculture fut
classée « activité d e base » , c e qui lui assura le bénéfice des fonds Marshall et l'effort d u Plan fut poursuivi après correction. Sentant q u e le développement d e la production allait retourner l'équilibre d u marché, le ministre eut l'audace d e choisir une position de vendeur dans
l'accord
international
mercial franco-allemand
sur les céréales
et fit reviser
l'accord
com-
dans le même sens. « La France, disait-il,... est
seule à pouvoir donner à des populations en voie d'accroissement
et qui
se consacrent surtout à des tâches industrielles, la certitude qu'il sera pourvu à leur subsistance » et « c'est pour la France, je le dis sans élever la voix, une question d e vie o u d e mort »
1 2 3
. D e Gaulle, qui créait alors le R.P.F.
contre le « régime des partis » , développait des idées analogues dans son grand discours d e Nevers, adressé aux paysans. « Des biens d e France, le premier, le plus noble, le plus important, c'est la terre !... Les cultivateurs 122.
G.
123.
J.O. Conseil
nationale,
WRIGHT,
débats
Rural
de
revolution,
la République,
d u 2 5 février
pp.
124-125.
débats
d u 1 7 août
1 9 4 8 , p. 2 4 6 6 .
J.O.
Assemblée
1 9 4 9 , p. 9 7 7 .
291
ont,
au fond d'eux-mêmes, le sentiment qu'ils sont essentiellement la France,
parce qu'ils tiennent, pétrissent, épousent la terre où les autres sont poses. E h bien ! Les cultivateurs ont raison. Dans le redressement national, c'est à eux que reviennent le premier rôle et la plus haute dignité » C e temps vit d'autre
part renaître les Chambres
1 2 4
.
d'agriculture.
Sans
trop considérer la lettre de la loi, on s'était abstenu volontairement d e les rétablir en 1945, afin de consolider l'autorité de la C.G.A. Joseph
Faure
étant décédé, l'initiative vint d'un élu de la D o r d o g n e , Maumont, qui p r o v o q u a une première réunion des présidents ou de leurs représentants
en
novembre 1948. L e Conseil d'Etat, consulté officiellement par le ministre, répondit en concluant à la validité des textes concernant l'institution. Les partisans de la restauration conclurent un accord avec la C.G.A. et la F.N.S.E.A., puis, contre l'opposition des socialistes et des communistes, des é l e c tions furent organisées en février 1952. Peu après, Blondelle fut porté à la tête de l'Assemblée permanente des présidents (A.P.P.C.A.) par 4 7 voix c o n tre 37 à Pierre Martin, de la C.G.A. L e secrétariat général fut assuré par L u c e Prault, qui depuis la Libération, avait retrouvé une activité à la F é dération nationale de la propriété agricole
1 2 5
.
Ainsi vers 1950, hors certains départements traditionnellement
orientés
à gauche, la génération des corporatistes avait-elle repris le contrôle des organisations agricoles, « après avoir tâtonné d e ' 1929 à 1934, bouillonné d e 1934 à 1939, porté le poids de 1941 à 1944 » . A v e c toutefois deux évolutions décisives. D'une part les hommes d'abord les plus en vue avaient été remplacés
par d'autres
à la personnalité
moins provoquante :
énergiques brisés, les plus souples ont survécu »
1 2 6
des dirigeants n'entraîna pas celui de l'idéologie corporatisme
doctrinaire. L'attachement
« les
plus
. D'autre part, le retour archaïsante ni celui
toujours vigoureux
au d o g m e
du de
l'exploitation familiale s'était dépouillé dans l'épreuve de la rigueur de certaines formules. Il se posait d'ailleurs désormais des problèmes tout nouveaux. 124.
Le
Rassemblement,
19
juin
1948.
1 2 5 . Chambres d'agriculture, depuis octobre 1 9 4 9 . A . M A U M O N T , Les culture existent en vertu des lois en vigueur (Fonds A u g é - L a r i b é 1 2 ) . L . votre combat, 1963, pp. 1 0 2 - 1 1 3 . 126.
H.
DE MONTBRON,
L'action
syndicale
dans
l'agriculture,
1965,
Chambres PRAULT, p.
121.
d'agriPaysans
CHAPITRE Vili
DEVANT LA SECONDE
RÉVOLUTION
AGRICOLE
DEPUIS 1950
Depuis 1950, l'agriculture a connu, en France c o m m e dans les autres pays européens, d e si profondes transformations qu'on a p u parler
d'une
seconde révolution agricole, « une révolution silencieuse » a dit M . Raymond Aron. Certes, c e terme, c o m m e à l'aube de l'époque contemporaine, doit être pris dans un sens large o ù l'ampleur des modifications n'exclut pas une certaine lenteur : les analyses des sociologues montrent avec vigueur la persistance d e traits anciens d e mentalité . Mais le recours à la technique, l'ou1
verture au marché, l'intensification
du
financement
donnent au travail d e
la terre un visage nouveau et la mentalité d u cultivateur évolue avec sa condition. Nous n'entreprendrons pas ici une étude complète qui nécessiterait d e vastes développements . L a situation d'ailleurs n'est pas figée, les change2
ments se poursuivent sous nos yeux et l'interprétation de l'avenir peut prêter à discussion. Aidé par les études évocatrices et documentées qui ont paru ces dernières années, nous voudrions seulement dégager quelques orientations fondamentales des mouvements et d e la politique agricole, afin d'établir un bilan d'arrivée q u i fera mieux ressortir le sens d e l'évolution antérieure. Nous ne pourrons marquer toutes les étapes, relever toutes les diversités, apporter toutes les nuances qui seraient nécessaires. Dans cette perspective, la période q u e nous vivons apparaît c o m m e le troisième temps fort d e la protestation agrarienne, après la « crise agricole » des années 1890 et la Grande dépression des années 1930. L a vie plus active des organisations se double d'explosions dont l'importance frappe
l'obser-
vateur le plus superficiel. Les composantes d u mouvement nous semblent cependant
assez différentes,
qu'il s'agisse
des données
économiques, des
tendances politiques o u des perspectives extérieures. L'agrarisme s'est trouvé en définitive largement victorieux mais sa victoire a pris d'autres traits q u e ceux imaginés par ses premiers représentants. 1.
L.
BERNOT
et
R.
BLANCARD,
Nouville,
un
village
français,
1 9 5 3 , 4 4 7
p.
L.
WYLIE,
Village in the Vaucluse, C a m b r i d g e ( M a s s . ) , 1 9 5 7 , 3 4 5 p . H . M E N D R A S , Sociologie de la campagne française, 1 9 5 9 , 1 2 8 p . « L e s transformations des sociétés rurales françaises », Revue française de sociologie, 1 9 6 5 , 1 6 0 p . H . M E N D R A S , La fin des paysans, 1 9 6 7 . 2 . N o u s avons b e a u c o u p utilisé d e u x excellentes mises au point. J. M E Y N A U D , La révolte paysanne, 1 9 6 3 , 3 0 8 p . M . F A U R E , Les paysans dans la société française, 1 9 6 6 , 3 4 4 p.
293
I
LE MALAISE
PAYSAN
C o m m e les deux précédentes, la troisième
flambée
agrarienne
exprime
l'âpre mécontentement des campagnes. Ce n'est plus toutefois un m é c o n t e n tement engendré par la crise et la misère, il surgit désormais dans une c o n joncture d'expansion et d'apparente prospérité . E n effet l'intégration m ê m e 3
à l'économie de marché suscite pour le producteur agricole de graves difficultés, car ses moyens financiers ne suffisent plus à l'ampleur des besoins. D'autre part il prend conscience plus qu'autrefois de sa situation désavantagée par rapport à celle des autres professions. Ainsi se d é v e l o p p e
dans
une économie en croissance une fièvre dont le pouvoir ne peut se désintéresser. L e coût du progrès. Les espoirs de la Libération, après une phase de reconstitution, se sont pleinement réalisés à partir de 1950 : le progrès a saisi l'agriculture française (cf. tableau V I ) . L'aspect le plus visible en a été le développement d u parc mécanique : 37 000 tracteurs en 1945, 120 000 en 1950, 1 010 000 en 1964 ; 5 000 moissonneuses-batteuses en 1950, 97 000 en 1964. Chevaux et b œ u f s de trait, conservés d'abord c o m m e force d'appoint, ont progressivement été abandonnés. Cet équipement considérable a été jugé souvent excessif
par
les économistes, car les acheteurs n'ont pas toujours calculé rationnellement la rentabilité. Il y a eu un véritable engouement, où se sont conjugués l'écho des encouragements officiels, le souci de la considération sociale et l'attrait des jeunes pour la mécanique. Il faut bien voir toutefois le rôle fondamental de ce phénomène pour la transformation de la mentalité : c'est l'introduction du tracteur qui, disloquant l'ancien système de production, a ouvert la b r è che à l'évolution d'ensemble. Moins spectaculaires, les améliorations biologiques présentent une aussi grande importance aux yeux du technicien. La quantité des engrais utilisés s'est accrue de 992 000 tonnes en 1948-1949 à 2 906 000 en 1963-1964, soit d u double en quinze ans ; leur application s'est généralisée et s'est faite plus savante, pour le blé notamment. La sélection des espèces a connu, grâce aux laboratoires de recherche, quelques succès remarquables : l'Etoile
de
Choisy, variété de blé bien adaptée, s'est répandue dans le Sud-Ouest, on 3 . V o i r surtout, p o u r cette analyse é c o n o m i q u e , P . F R O M O N T et divers, « L a m o d e r n i sation de l'agriculture et ses problèmes é c o n o m i q u e s », Revue économique, 1 9 5 3 , pp. 6 2 5 - 7 5 6 et v o l u m e à part, 1 9 5 4 , 2 3 6 p . L e numéro spécial d'Esprit, juin 1 9 5 5 . « L ' é c o n o m i e agricole française 1 9 3 8 - 1 9 5 8 » , Economie rurale, 3 9 - 4 0 juin 1 9 5 9 , 2 6 8 p . S . Q U I E R S - V A L E T T E , « Les causes économiques d u m é c o n t e n t e m e n t des agriculteurs français en 1 9 6 1 », R . F . S . P . , s e p t e m b r e 1962, p p . 5 5 5 - 5 9 8 . M . D E B A T I S S E , La révolution silencieuse, 1 9 6 3 , 2 7 5 p. M . P A R O D I , « Agriculteurs menacés et agriculteurs menaçants », Etudes rurales, 1 9 6 4 , p p . 5 - 5 5 . Enfin les c h r o niques régulières de F . H O U I L L I E R dans la R.E.P. et les « T a b l e a u x d e l'agriculture française » (statistiques c o m m e n t é e s ) , publiés par Paysans (dernière édition a o û t - s e p t e m b r e 1 9 6 6 , 1 9 0 p . ) .
294
TABLEAU
VI
: LES
ETAPES
DU
1913
1929
1938
—
—
26 000
35 000
60 000
1 010 000
—
—
—
300
4 900 (1950)
97 000
1886 Machinisme
PROGRES
TECHNIQUE
1946
1964
:
Tracteurs . . . Moissonneusesbatteuses . . .
Engrais (en milliers de tonnes) : Total des éléments fertilisants Azote Acide phosphorique
Rendement
:
blé (q/ha)
..
77 15
467 73
881 160
826 225
536 177
3 046 802
58 4
352 42
494 227
323 278
180 179
1274 970
12,5 (1892-96)
13,2 (1910-13)
14,8 (1925-29)
15,6 (1934-38)
14,0 (1944-48)
27,6 (1960-64)
1 200 (1892)
1 600 (1913)
1 680 (1929)
1 520 (1938)
1 390 (1946)
2 633 (1964)
lait (1/tête) . .
S O U R C E S : Annuaire statistique de la France, n o t a m m e n t 1 9 6 1 , p p . 9 9 - 1 0 3 et (avec de légères variantes) « T a b l e a u x d e l'agriculture française », Paysans, août-septembre 1 9 6 6 , p p . 5 8 , 6 0 , 9 6 , 1 1 2 . Cartes évocatrices dans l'Atlas U, 8 1 - 8 4 et 1 0 7 - 1 0 8 . L'évaluation
de
la
production
de
lait
est
particulièrement
approximative.
a emprunté le p r o c é d é américain de fécondation croisée pour le maïs h y bride et on a importé d'Angleterre la « révolution fourragère » associant le choix des meilleures graminées, ray grass et dactyle, à l'alternance de l'herbe et du labour sur les mêmes terres. Utilisant certaines expériences faites pendant la guerre, l'industrie a produit des herbicides, des insecticides et des fongicides (contre les cryptogames) dont l'agriculture a vite apprécié la puissance. Enfin l'insémination artificielle, largement diffusée, a renouvelé les conditions de l'élevage et hâté l'amélioration qualitative du cheptel. Malgré bien des tâtonnements que relève M . René D u m o n t dans ses Voyages
en France
d'un agronome,
la productivité s'est ainsi fortement ac-
crue. L e rendement m o y e n du blé, critère classique, est passé de 15,6 quintaux à l'hectare pour 1934-1938 à 20,8 pour 1951-1955 et à 27,6 pour 19601964. M . Michel C é p è d e a calculé un indice plus élaboré, sur la base approximative mais h o m o g è n e des calories produites, en donnant la valeur 100 à la moyenne 1934-1938 : la quantité globale d'aliments produits s'est élevée de 95 en 1948-1949 à 157 en 1957-1958 (de 75 à 128 pour les aliments végétaux, de 98 à 164 pour les aliments animaux). Tandis que, sur des superficies réduites du cinquième, on récoltait davantage de blé, l'élev a g e , progressant en quantité et en qualité, a fourni plus de viande et de 295
lait. C o m m e la population active agricole continuait de diminuer (de 3 2 % en 1946 à 20 % en 1962), la productivité du travail a doublé en dix ans : de l'indice 122 en 1948-1949 à l'indice 238 en 1957-1958 *. Il s'agit cependant ici de données globales. Or les résultats varient c o n sidérablement selon les exploitations. On distingue nettement deux attitudes devant le progrès. Une minorité dynamique c o m p r e n d les gros agriculteurs des régions où la mentalité capitaliste a pénétré depuis longtemps le travail de la terre, et aussi des exploitants plus modestes, ouverts aux techniques nouvelles et animés par la volonté d'améliorer. Cependant en 1954 encore 3,3 % seulement des cultivateurs avaient été formés par l'enseignement agricole (16 % en-dessous de 25 ans, 9 % de 26 à 3 5 ans : le progrès demeurait bien lent ) et quoique la vulgarisation technique ait connu depuis 1945 un 5
remarquable développement, il ne faut pas se cacher qu'un grand n o m b r e d e paysans, la majorité assurément, évoluent lentement et conservent jalousement leur isolement. Si on compare la France aux pays européens voisins, on constate encore un grand retard dans la diffusion d e la formation p r o fessionnelle. L e progrès d'autre part coûte cher : il faut insister sur cette contrepartie. La valeur du capital d'exploitation s'est fortement accrue et il exige des i m mobilisations importantes pour une durée d'emploi souvent courte dans l'année : le cultivateur découvre en outre que le matériel s'use et qu'il faut le remplacer. Semences, engrais, insecticides nécessitent des dépenses
élevées
qui seront récupérées seulement à la fin de la campagne. Si les effectifs en main-d'œuvre se sont souvent réduits, les salaires se sont élevés et il est devenu psychologiquement plus difficile d'en refuser aux enfants qui travaillent dans l'exploitation. « Rendez-vous c o m p t e , peut dire un fermier de la Beauce en 1965, que je dépense plus de cent mille francs l'hectare, avant d'avoir récolté » . 6
Ce chiffre englobe la rémunération du capital foncier. Celui-ci en effet continue de représenter des sommes considérables, m ê m e si la hausse n o m i nale de la pénurie, prolongée jusqu'en 1950, s'est nettement ralentie depuis lors et si les propriétaires déplorent une baisse en valeur réelle par rapport à 1914 (d'un tiers ?) . Ils se plaignent aussi que les fermages, m ê m e indexés 7
désormais selon le prix des denrées, n'assurent plus suffisamment l'amortissement des bâtiments, mais le preneur doit payer souvent par surcroît, bien que « la propriété culturale » n'ait pas été reconnue en droit, une indemnité de reprise au prédécesseur, surtout dans les régions riches. Et l'exploitant propriétaire, cas plus fréquent qu'autrefois, n'ignore pas les charges
liées
à la terre, car bien souvent il a dû contracter une dette p o u r l'acquérir ou
4 . C . M O U T O N , « L'évolution des productions en quantité » et M . C É P È D E , « L ' é v o l u t i o n d e la productivité », L'économie agricole française 1938-1958, p p . 7 5 - 9 4 et 1 4 3 - 1 4 7 . D . C É P È D E , La parité des revenus et la productivité de l'agriculture française, 1964, pp. 1 0 - 5 8 . 5 . Paysans, 6. 7. combat,
296
E.
11,
GRENADOU
avril-mai et
A.
M . D U M A N T , Ce que 1962, pp. 2 9 - 3 4 .
1958,
PRÉVOST, vaut
pp.
22-23.
Grenadou
la terre
en
paysan
France,
français, 1962,
224
1966, p.
L.
p.
216.
PRAULT,
Paysans
votre
consentir u n e soulte à ses cohéritiers. Ces prélèvements et ces engagements inévitables dans le régime foncier actuel réduisent d'autant les disponibilités du producteur pour des investissements plus rentables dans son capital d'exploitation. Il faut d o n c recourir intensément au crédit et ici se trouve un des plus sensibles retournements d e mentalité par rapport au xix° siècle, o ù la fierté paysanne s'affirmait dans le fait de ne rien devoir à personne. Dans le climat actuel, l'emprunt est admis et il existe, après cinquante ans d'effort, un r é seau bancaire spécialisé d'une puissance remarquable. Si les caisses libres n'ont pas disparu, le rôle prépondérant revient au crédit agricole
officiel,
aujourd'hui institution essentielle d u m o n d e rural ; le style est devenu n é cessairement plus administratif qu'aux origines mais les techniques sont mieux adaptées, notamment pour le moyen terme, et l'efficacité s'est accrue . En 8
1964 le volume des prêts s'est élevé à 2 4 , 6 milliards d e nouveaux francs alors qu'il n e dépassait pas 7 2 milliards d'anciens francs en 1948 : évalués en francs-or, ces résultats représentent une progression de 6 5 0 millions à 10 600 millions ! L e solde des dépôts s'accroissait parallèlement d e 6 0 milliards d'anciens francs (540 millions d e francs-or) à 12 milliards d e nouveaux francs (5 400 millions de francs-or) . L'endettement n'en demeure pas moins 9
important : selon M . Prault, il représenterait en 1964, 50 % d e la valeur totale d e la production agricole contre 18 % dix ans plus t ô t . 1 0
Dans ces conditions, on doit distinguer trois situations bien différentes
n
.
Seul tire pleinement profit d u progrès l'agriculteur à la fois bien équipé et maître d e son capital : bénéficiant d'un prix d e revient faible, il jouit d'une véritable rente d e situation. L e cas se rencontre surtout dans les anciennes hiérarchies capitalistes, à condition q u e l'exploitation ne soit pas grevée de •charges foncières. Pour l'exploitant qui a dû emprunter, en revanche, l'accroissement d e la production n'entraîne pas avant longtemps celui du rev e n u , car le paiement des traites éponge largement le surplus d e liquidités. Si la valeur comptable d u capital s'est élevée, elle n'est nullement disponible et, alors q u e l'insécurité météorologique n'a pas disparu, l'angoisse nouvelle d u débiteur tourmente le producteur qui a voulu améliorer. Son énergie n e paraît pas récompensée et quand il compare sa situation immédiate à celle d e son voisin routinier qui végète sans espoir, il juge ses efforts décevants. C o m m e l'écrit un des militants les plus dynamiques, « le prudent et l'audacieux : match nul »
1 2
. Ainsi, dans la prospérité d e l'ensemble, les
individus se sentent-ils écrasés. Un cas q u i mérite une attention particulière est celui des agriculteurs français d'Afrique d u Nord qu'on pouvait évaluer vers 1 9 5 0 à 2 2 000 sur 2 700 0 0 0 hectares en Algérie, à 2 000 sur 700 000 hectares en Tunisie, à 8. culture 9.
.au
31
L'économie
agricole
française »,
française
Paysans,
CAISSE
NATIONALE
décembre
. . . .
1938-1958,
août-septembre DE
CRÉDIT
pp. 32, 151, 171-177.
« Tableaux
d e l'agri-
1 9 6 6 , pp. 52-56.
AGRICOLE,
Rapport
sur
la
situation
du
crédit
agricole
(B.N. F w 4 ) .
10.
R.E.P.,
11.
Cf. M . S E R V A I S , C . SERVOLI.M
12.
M.
1 9 6 5 ,p. 7 8 3 .
DEBATISSE,
op.
cit.,
pp.
et J. W E I L ,
Une France
sans
paysans,
1 9 6 5 ,pp. 77-82.
34-46.
297
6 000 sur un million d'hectares au Maroc
1 3
. La décolonisation entraîna leur
retour dans la métropole de Tunisie et du Maroc vers 1956, d'Algérie vers 1962.
Ce retour ils le décidèrent parfois eux-mêmes, l'avenir leur paraissant
bouché ; mais le plus souvent ils furent obligés d'abandonner les terres reprises par les nouveaux Etats. Ainsi, après plusieurs générations, s'achevait l'histoire de ces sociétés rurales françaises et les héritiers ne pouvaient q u e ressentir une vive amertume en quittant le sol où ils s'étaient implantés. Ils se sont réinstallés surtout dans le Sud-Ouest, non assurément sans quelques frictions de réadaptation dues notamment à la concurrence les terres
1 4
pour
. D'une mentalité économique plus audacieuse, ils ont introduit
des techniques évoluées mais ils ont éprouvé eux aussi le besoin de capitaux. Si certains avaient pu effectuer des transferts avant l'indépendance, la plupart ont subi de lourdes pertes dans les péripéties politiques. L'aide que l'Etat leur a apportée largement a pris surtout la forme de prêts dont il a fallu envisager le remboursement et quelquefois même des poursuites ont été engagées pour des dettes contractées sur des biens saisis au-delà de la M é d i terranée. Pour les rapatriés aussi, l'essor de la production s'est d o n c a c c o m pagné d'inquiétude. L a disparité des revenus. A u coût du progrès s'est ajouté le retard dés prix agricoles sur les prix industriels. L'avantage de la nourriture ayant disparu avec la pénurie, la nation est revenue à la mesure en argent et si l'étalon monétaire n'a retrouvé qu'une stabilité imparfaite, le cultivateur a aisément constaté que le cours de ses fournitures s'élevait plus vite que celui de ses ventes. « L'agriculture, analyse un économiste, cesse d'avoir une situation « privilégiée » pour
oc-
cuper une position « déterminée » dans le partage du revenu national entre les groupes »
1 5
. Cette dépréciation relative des produits de la terre a été
particulièrement ressentie dans certaines années d'offre surabondante : 1953 surtout, puis 1959-1961 pour les denrées végétales. L'effet des intempéries, telles les fortes gelées de février 1956, a b e a u c o u p moins affecté le revenu agricole, car la technique permet aujourd'hui de réparer les dégâts dans une large mesure par le recours à des variétés hâtives. L'existence d'une comptabilité nationale depuis 1945 permet de préciser les impressions subjectives des producteurs. Malgré de nombreuses approximations, elle définit des ordres de grandeurs assez sûrs. M . Klatzmann a p u ainsi calculer que sur une base 100 en 1949 l'indice du revenu agricole global ne dépassait pas 104 en francs constants pour 1958, alors que celui de la production atteignait 125. La réduction de la main-d'œuvre agricole de 16 % a toutefois accru la part de chacun et le revenu agricole m o y e n par tête a 1 3 . Tableaux de l'économie et l'agriculture européennes en Le Maroc, 1 9 5 6 , p. 1 5 4 . 14.
M.
DUMANT,
op.
15. A . D E CAMBIATRE, 1954, p. 1 1 .
298
cit.,
algérienne, Alger, 1 9 5 8 , p. 7 9 . Tunisie depuis 1881, thèse, Paris, pp.
J. P O N C E T , La colonisation 1 9 5 8 , p. 1 7 2 . A . A Y A C H E
132-136.
L'agriculture
et
l'économie
nationale
de
1945
à
1954
Rennes
p u ainsi s'élever à 124. O n constate d o n c une certaine amélioration du niveau de vie. Celle-ci cependant est restée inférieure à la progression du revenu par personne e m p l o y é e dans les professions non agricoles que M . Klatzmann porte à 146 : « en francs constants, conclut-il, le revenu par agriculteur aurait été accru de 25 % environ, contre 60 à 70 % pour l'ensemble des nonagriculteurs » . Selon une autre expression du même phénomène, la part de l'agriculture dans le produit national brut ne représentait en 1960 que 12 % alors qu'elle occupait 20 % environ de la population active. M . Denis Cépède a calculé le rapport annuel des revenus nets moyens entre l'agriculture et le reste d e l'économie, il a mesuré ainsi la dégradation relative survenue de 1948 (62,5 %) à 1956 (39,9 %) et à 1959 (42,0 % ) : les larges gains de productivité réalisés ont d o n c été transférés hors du secteur. Si la précision apparente des chiffres ne doit pas faire illusion, la tendance générale apparaît extrêmement nette
1 6
(cf. fig. 9).
Elle n'est pas nouvelle certes, et les recherches récentes des économistes ont montré que cette disparité a toujours existé depuis les débuts de la révolution industrielle. M . Milhau en a dégagé la cause fondamentale : le déséquilibre sur le marché entre une offre irrégulière et une demande manquant d'élasticité ; M . Latil a analysé « l'infériorité chronique » et le « d é clin relatif » du revenu agricole, M . Féricelli, plus attentif aux succès politiques du groupe dans la lutte pour le partage, a dû reconnaître cependant q u e ses avantages économiques restaient limités
1 7
. Or ces données, perçues
plus clairement, sont en outre diffusées par les organisations professionnelles b e a u c o u p plus largement qu'autrefois. D e plus en plus, notent des observateurs, « c'est par référence au m o n d e urbain que les agriculteurs se représentent l'évolution de leur niveau de vie et... ils perçoivent douloureusement toute stagnation ou toute régression dans une évolution qui devrait être
constamment
ascendante. L'amélioration
constatée par rapport
à la
génération précédente disparaît d o n c derrière la frustration ressentie du fait d e ce
« manque à gagner »
.
1 8
C o m m e producteurs, les agriculteurs comprennent d o n c de plus en plus qu'ils dépendent du marché et que la direction de celui-ci appartient à d'autres. Selon une formule qui peut sembler abstraite mais qui s'est répandue ces dernières années, au moins chez les militants, ils sont « exclus du pouvoir é c o n o m i q u e » . Un phénomène capital est à cet égard le développement de l'intégration par les industries alimentaires. Elle a pris, on le sait, une grande ampleur dans l'élevage des poulets, confié à des exploitants sous-traitants travaillant sous contrat pour les fournisseurs d'aliments. Des 16. pp
J.
KLATZMANN,
1 O67I1 0 7 6 .
J.
« L'évolution
MEYNAUD,
op.
cit.,
des
revenus
pp.
21-24.
agricoles », D.
CÉPÈDE,
Etudes op.
et
conjoncture,
1959,
cit.
1 7 . J. M I L H A U , Traité d'économie rurale, 1 9 5 4 , 4 4 2 p . M . L A T I L , L'évolution du revenu agricole Les agriculteurs devant les exigences de la croissance économique et des luttes sociales, thèse droit, Paris, 1 9 5 4 , 3 7 8 p . J. F É R I C E L L I , Le revenu des agriculteurs. Matériaux pour 'une théorie de la répartition, thèse droit, Paris, 1 9 5 8 , 3 9 4 p . 18. logie,
J.
GÉRAUD
numéro
et
spécial,
G.
SPITZER,
1 9 6 5 , p.
« Le
moral
des
agriculteurs »,
Revue
française
de
socio-
6.
299
Fig. 9.
L E M O U V E M E N T D E S P R I X A G R I C O L E S D E P U I S 1948
FIGURE 9
Sources : 1. Les indices des prix agricoles à la production, des prix des produits industriels nécessaires à l'agriculture ( I P I N E A ) et des salaires agricoles sont calculés et publiés par l ' I . N . S . E . E . (Cf. Annuaire statistique de la France et Statistique agricole de la France, volume rétrospectif 1965). 2. M. Luce P R A U L T a calculé un indice des termes de l'échange, qui compare l'indice des prix agricoles à la production à un indice total pondéré des dépenses de l'agriculture, intégrant l ' I P I N E A (pour 45 %), l'indice des salaires agricoles (pour 20 %) et l'indice du coût de la vie (pour 35 %). Voir les tableaux et les schémas publiés dans Chambres d'agriculture, n° 313, 1" avril 1965 et Revue d'économie politique, 1961. 3. M. J. KLATZMANN a calculé le revenu moyen par personne active, en distinguant le secteur agricole et le reste de l'économie {Etudes et conjoncture, 1959, p. 1072). 4. Depuis 1959, l ' I . N . S . E . E . calcule les comptes globaux de l'agriculture (Annuaire statistique de la France, 1965, p. 155). Le Bureau agricole commun des organisations professionnelles a obtenu des valeurs légèrement moins favorables (« Tableaux de l'agriculture française », Paysans, août-septembre 1966, p. 140141).
Remarques : Malgré l'abondance plus grande des informations depuis 1945 et l'ampleur consciencieuse des méthodes employées, ces calculs comportent nécessairement une part d'arbitraire. Le choix de l'année de base peut infléchir en particulier certaines conclusions (mais l'échelle semi-logarithmique permet d'en corriger les effets). 11 est d'autant plus remarquable de constater la netteté et la convergence des tendances essentielles : disparité des revenus agricoles par rapport aux revenus industriels, gravité particulière des années 1953-54 et 1959-60, hausse relative des salaires agricoles.
conserveries ont adopté le m ê m e système, notamment la société américaine Libby's en Bas-Languedoc. C o m m e hommes, les ruraux ressentent en outre avec une souffrance plus aiguë l'infériorité de leurs conditions de vie par rapport à celles d e la ville. Si elles se sont améliorées incontestablement depuis le début du siècle, le décalage demeure, marqué par la médiocrité fréquente de l'habitat, par la rareté du confort ménager, par la quasi-absence de loisirs. Les jeunes
filles
éprouvent particulièrement ces insuffisances, et les jeunes gens ont ainsi peine à se marier. Aussi, ralenti pendant la pénurie, l'exode rural a-t-il repris, au rythme d'1 % par an et tend à s'accélérer
1 9
. Ceci entraîne le vieillissement
(en 1962 la moitié des chefs d'exploitation ont dépassé l'âge de 58 ans) et, reconnaît un ministre, chez ceux qui restent se d é v e l o p p e « un c o m p l e x e d e frustration,
d'injustice
et d'abandon,...
un
sentiment
d'incertitude
devant
l'avenir, voire d'angoisse dans certaines régions à forte natalité notamment, et cela aussi bien chez les jeunes, désorientés, qui se demandent s'ils n'ont pas engagé leur vie dans une impasse que chez les agriculteurs plus âgés qui songent à l'avenir de leurs enfants » Comme
2 0
.
dans notre première analyse, il faut toutefois
introduire
des
distinctions, car les moyennes n'expriment pas exactement la diversité des situations (cf. tableau V I I ) . Elles s'appliquent aux producteurs moyens, dont la force s'est consolidée et qu'on a parfois qualifiés de « Koulaks » . L'échelle comporte bien d'autres niveaux. A une extrémité, subsiste la puissance des fermes importantes qu'il vaut mieux définir par la valeur d e la production que par la superficie. Des 2 200 000 exploitations de 1955, M .
Bergmann
considère que 400 000 fournissent « plus de la moitié de la production agricole finale (et une proportion plus forte encore de la production commercialisée) »
2 1
. Nous retrouvons ici les plus riches des agriculteurs évolués, ceux
qui ont bénéficié du protectionnisme puis de l'organisation des marchés : céréaliers du Nord et du Bassin parisien, grands propriétaires
viticulteurs
du L a n g u e d o c , éleveurs de Normandie... Encore ne faut-il pas exagérer leur puissance capitaliste : 200 000 seulement emploient plus de trois salariés. A l'autre extrémité, les campagnes françaises comptent encore une foule
de
petits, travaillant avant tout pour leur consommation sur de faibles superficies : ménages âgés qui continuent de vivoter, ouvriers-paysans de et du Sud-Est qui cherchent un appoint, polyculteurs
du Sud-Ouest
l'Est aux
parcelles morcelées... Tout « un prolétariat oublié » , écrit M . René D u m o n t
2 2
.
S'il existe bien des cas intermédiaires, si, malgré la prépondérance d'une 19. M . F E B V A Y , « L a population agricole française. Structure actuelle et évolution » , Etudes et conjoncture, 1 9 5 6 , p p . 7 0 7 - 7 3 9 . L . E S T R A N G I N , « L a p o p u l a t i o n agricole française d e 1 9 3 8 à 1 9 5 8 », L ' e c o n o m i e agricole française 1938-1958, p . 2 0 . P. E C H A R D , « Q u e l q u e s aspects de l'évolution d e la population active masculine agricole d e 1 9 4 6 à 1 9 6 2 » et B . G R A I S , K L ' a n a l y s e d e la structure et d e l'évolution de la p o p u l a t i o n agricole française à partir d u recensement d e population de 1 9 6 2 », Cahiers de l'I.S.E.A., série A G , 4 , 1 9 6 4 , p p . 6 9 - 1 5 8 . n T a b l e a u x d e l'agriculture française » , Paysans, août-septembre 1966, pp. 2 0 - 2 1 . 20.
H.
ROCHEREAU,
J.O.
21. D . - R . BERGMANN, 1958, p. 6 5 . 2 2 . R . D U M O N T , Esprit,
302
Assemblée
nationale,
« L'exploitation juin
1955,
p.
débats
agricole », 89.
du
28
L'économie
avril
1960,
agricole
p.
505.
française,
1938-
TABLEAU V I I : E X P L O I T A T I O N S
1955
Classement par contenance de la France, 1957, p. xxm, et 1958, p. xi)
(Annuaire statistique
(En
Moins d'I ha .
(Salariés)
(En
nombre)
150 260
6%
sans
superficie
les bois
85 700 ha .
de
l'Etat)
0,3 %
là
5 ha . .
642 658
29%
5 à
10 ha . .
472 084
21%
30,5 5Í 22 11
10 à
20 ha . .
532 387
24%
25
il1
20 à
50 ha . .
375 171
16%
18
So
11 167 200 h a .
50 à 100 ha . .
74 901
3%
3,5? S
4 968 200 ha .
15 %
15%
Plus de 100 ha
20 243
1%
1
S6
3 234 000 ha .
11
11%
2 267 704
100%
(sans les exploitations inférieures à 1 ha) . .
1 710 800 ha .
5%
11 %
11%
7 536 100 ha . . .
22,7 %
23%
35
35%
32 160 500 ha . . . 100%
2 117 444
%
3 458 500 ha .
32 074 800 ha .
5
% %
100 % 100%
Classement par mode d'exploitation (Recensement général de l'agriculture de 1955, I, p. 22, et Annuaire statistique de la France, 1958, p. xm). Cf. pour 1946, Atlas U, cartes 65 et 67. (En
Faire-valoir direct Fermage Métayage Modes
associés
superficie)
1 196 423
20169 000 ha
389185
13 864 000 ha
72 024
2 316 000 ha
2 260 155
36 513 000 ha
(recensement de 1954, Annuaire statistique de la France, 1956, p. 87)
Main-d'œuvre
Aides familiaux dont Salariés permanents . . dont et
saison-
Total des salariés . .
20
(En
572 325 dont 458 262 propriétaires des bâtiments
Total
Journaliers niers
nombre)
2 065 000 1 920 000 femmes 720 000 dont 102 000 apparentés au chef d'exploitation 110 000 femmes 430 000 1 150 000
structure caractéristique dans chaque région
les différents types sont sou-
2 3
vent imbriqués au sein d u m ê m e village, si pour tous l'association au marché est plus étroite qu'autrefois, il existe incontestablement, sinon « deux agricultures » , c o m m e o n le répète volontiers dans u n e formule excessive, d u moins deux situations bien différentes dans le j e u d e la lutte é c o n o m i q u e . Ce contraste rend difficile l'adoption d'une politique agricole cohérente et les citadins ont souvent dénoncé la manœuvre des « gros » s'abritant
der-
rière les « petits » et bénéficiant des mesures prises en leur faveur. A u village m ê m e , la jalousie n'est pas absente, elle conduit souvent aujourd'hui à p r é férer les « moyens » pour les postes dirigeants. Cependant l'unité est justement considérée c o m m e une condition d'efficacité et les tentatives d e d i vision fondées sur les oppositions sociales n'ont guère obtenu d e résultat. C'est dans cette perspective qu'il faut considérer le débat sur la fiscalité, âpre et rendu difficile par la complexité des statistiques. Certains auteurs ont ranimé cette vieille querelle avec vigueur, soulevant les protestations des agrariens
2 4
. Il semble bien qu'effectivement les agriculteurs supportent
une imposition directe moins lourde, grâce au système d u forfait
notam-
ment. Mais les défenseurs d e l'agriculture invoquent alors l'infériorité d u revenu. L a situation des gros agriculteurs se trouve la plus favorable à c e t égard : si leur charge n'est pas négligeable elle n'égale pas celle des p r o fessions libérales et des cadres dans les villes. Cette situation pourrait se trouver modifiée par l'extension
à l'agriculture
d e la taxe sur la valeur
ajoutée, dont les conditions ont soulevé un débat, très serré au sein m ê m e de la majorité en octobre 1967
2 5
.
L e recul des petites exploitations a rendu plus difficile la promotion des salariés et ceux-ci tendent davantage à former une classe fermée sur ellemême, évaluée à 600 000 ouvriers permanents en 1955. L a hausse des salaires et l'amélioration certaine des niveaux d e vie ont laissé subsister bien des sujets de plainte : la loi d e 1948 sur la limitation d u temps d e travail à 2 400 heures n'est pas appliquée sans d e nombreuses dérogations, le « salaire minimum garanti » comporte une valeur inférieure pour
l'agriculture
et les conditions de logement demeurent souvent insuffisantes. Mais
leur
force d e contestation est réduite par leur dispersion, sauf dans le Bassin parisien et le Bas-Languedoc, par l'origine étrangère de b e a u c o u p , notamment des saisonniers espagnols, et par une fréquente infériorité d u niveau culturel : car les meilleurs éléments sont plus q u e jamais attirés vers les villes malgré leur manque d e qualification industrielle. L e syndicalisme s'est . 2 3 . Sur cette diversité régionale q u i constitue u n aspect capital, J . K L A T Z M A N N , La localisation des cultures et des productions animales en France, thèse, Paris, 1 9 5 5 , 4 7 7 p . H . M E N D R A S , « Diversité des sociétés rur&les françaises » , Les paysans et la politique, o p . cit., pp. 2 3 - 3 5 (avec d e précieuses cartes). G . S É V E R A C ,